Des rapports de l'homme avec le démon (tome 1) - Le Vigilant
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DES RAPPORTS<br />
DE<br />
L'HOMME<br />
A V K C<br />
LE DÉMON<br />
ESSAI HISTORIQUE ET PHILOSOPHIQUE<br />
r A «<br />
JOSEPH BIZOUARD<br />
TOME PREMIER<br />
PARIS<br />
GAUME FRÈRES ET J. DUPREY, ÉDITEURS<br />
RCE CASSETTE, -i<br />
1863
DES RAPPORTS<br />
DE L'HOMME<br />
AVEC LE DÉMON
PRÉFACE<br />
Rien, dans notre sièc<strong>le</strong>, ne rencontre autant d'hostilité,<br />
ne provoque autant la rail<strong>le</strong>rie, que <strong>le</strong> surnaturel<br />
; aussi rien <strong>de</strong> plus commun que l'impiété. Déci<strong>de</strong>r<br />
cependant que <strong>le</strong> surnaturel est absur<strong>de</strong>, c'est saper<br />
la religion, c'est détruire sa base et en faire une invention<br />
purement humaine. Ainsi <strong>le</strong>s gens religieux, qui<br />
tiennent peu <strong>de</strong> compte <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s, ont moins <strong>de</strong><br />
logique que <strong>le</strong>s impies.<br />
<strong>Le</strong> mon<strong>de</strong> invisib<strong>le</strong> présente <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> prodiges<br />
: <strong>le</strong>s faits surnaturels, qui suspen<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s lois<br />
physiques ; et <strong>le</strong>s faits surhumains, résultant <strong>de</strong> l'emploi<br />
<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières pour opérer <strong>de</strong>s actes supérieurs<br />
à tout pouvoir humain.<br />
Si <strong>le</strong> surnaturel prouve l'existence d'un souverain<br />
être, <strong>le</strong> surhumain <strong>démon</strong>tre l'existence d'êtres inférieurs<br />
infiniment plus puissants que <strong>l'homme</strong>; l'étu<strong>de</strong><br />
qui prouve l'un et l'autre est donc éminemment importante<br />
, puisqu'el<strong>le</strong> met sous nos yeux une doub<strong>le</strong><br />
vérité fort ancienne : Dieu se révélant par <strong>de</strong>s mira-<br />
j. a
II<br />
PRÉFACE.<br />
<strong>de</strong>s; <strong>de</strong>s ôtres invisib<strong>le</strong>s se révélant par <strong>de</strong>s prodiges<br />
séductoiirs. Ce qui n'est pas moins important, c'est <strong>de</strong><br />
discerner <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s prodiges, puisque, si <strong>le</strong>s<br />
premiers sont <strong>le</strong> résultat d'un rapport entre Dieu et<br />
<strong>l'homme</strong>, ces <strong>de</strong>rniers sont éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> résultat d'un<br />
rapport <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s esprits trompeurs qui se font passer<br />
pour <strong>de</strong>s dieux.<br />
La gran<strong>de</strong> objection <strong>de</strong>s incrédu<strong>le</strong>s, c'est que <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />
sont un non-sens, Dieu ne pouvant ni suspendre<br />
ni changer ses lois : — <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> ceux qui admettent<br />
un Dieu puissant, intelligent et libre, cette objection<br />
est une ineptie; <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> ceux qui supposent<br />
que Dieu est i<strong>de</strong>ntique <strong>avec</strong> la nature, c'est <strong>le</strong> panthéisme,<br />
monstruosité dont la réfutation ne peut trouver<br />
sa place ici.<br />
Une autre objection, c'est qu'on ne peut concevoir<br />
que <strong>de</strong>s esprits puissent avoir action sur la matière ;.<br />
objection aussi puéri<strong>le</strong> que cel<strong>le</strong> d'un pauvre aveug<strong>le</strong><br />
qui voudrait raisonner sur <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs. Un homme<br />
atteint <strong>de</strong> cécité accepte sans raisonner ce que lui<br />
disent ceux qui ont <strong>de</strong> bons yeux ; pourquoi refuser la<br />
môme confiance à cette masse d'hommes éclairés par<br />
l'expérience et l'étu<strong>de</strong>, qui, dans tous <strong>le</strong>s temps, ont<br />
affirmé l'existence <strong>de</strong>s esprits?<br />
Admettons par hypothèse qu'il existe une î<strong>le</strong> inconnue<br />
qui ne soit habitée que par <strong>de</strong>s aveug<strong>le</strong>s : un<br />
voyageur jouissant <strong>de</strong> tous ses sens est jeté par la<br />
tempête au milieu <strong>de</strong> ces aveug<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong> naufragé <strong>le</strong>ur<br />
révè<strong>le</strong> <strong>le</strong>s merveil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la vision, et <strong>le</strong>ur dit : « Au<br />
moyen du sens qui vous manque, j'aperçois à dix, à<br />
vingt lieues et à <strong>de</strong>s distances plus gran<strong>de</strong>s encore,
PRÉFACE. 111<br />
<strong>de</strong>s montagnes, <strong>de</strong>s rochers, <strong>de</strong>s villages ; ce n'est pas<br />
ma main qui s'allonge, nul<strong>le</strong> partie <strong>de</strong> mon être ne<br />
va chercher ces objets qui restent eux-mêmes à <strong>le</strong>ur<br />
place, et pourtant, malgré la gran<strong>de</strong> distance qui m'en<br />
sépare, je las perçois, ils sont présents pour moi. » —<br />
Comme pour ces aveug<strong>le</strong>s percevoir ainsi n'est autre<br />
chose que toucher, malgré cette affirmation, ils <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ront,<br />
en hochant la tête, <strong>de</strong>s preuves, <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>strations,<br />
ce que <strong>le</strong> voyageur ne pourra <strong>le</strong>ur donner,<br />
et, fût-il accompagné <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ou trois personnes<br />
pourvues <strong>de</strong> bons yeux, affirmant comme lui, nos<br />
aveug<strong>le</strong>s supposeront que ce sont <strong>de</strong>s compères. —<br />
« Indépendamment <strong>de</strong> ces perceptions, <strong>le</strong>ur dira-t-il, je<br />
saisis dans <strong>le</strong>s objets ce que nous appelons, dans ma<br />
patrie, <strong>de</strong>s cou<strong>le</strong>urs, <strong>de</strong>s nuances, et mil<strong>le</strong> détails<br />
merveil<strong>le</strong>ux — Il <strong>de</strong>viendrait inuti<strong>le</strong> qu'il <strong>le</strong>ur parlât<br />
<strong>de</strong> la décomposition <strong>de</strong> la lumière, du spectre solaire,<br />
<strong>de</strong>s réfractions, etc., etc., ce serait peine perdue. —<br />
« Avez-vous assez plaisanté? lui répon<strong>de</strong>nt ces pauvres<br />
infirmes; nous prenez-vous pour <strong>de</strong>s idiots, ou bien<br />
vos malheurs vous auraient-ils dérangé <strong>le</strong> cerveau?...»<br />
Notre voyageur, qui a trouvé <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> quitter<br />
l'î<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Aveug<strong>le</strong>s, après <strong>de</strong> longs mois <strong>de</strong> navigation,<br />
est encore jeté par la tempête dans l'î<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Sourds; il<br />
apprend chez ceux-ci un alphabet qui <strong>le</strong>ur permet <strong>de</strong><br />
converser entre eux, et, en <strong>le</strong>ur parlant <strong>de</strong> son pays,<br />
il ne manque pas <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur révé<strong>le</strong>r la faculté <strong>de</strong> l'ouïe,<br />
dont tous <strong>le</strong>s habitants, chez lui, sont pourvus. —<br />
« Un homme, <strong>le</strong>ur dit-il, s'adresse d'un lieu é<strong>le</strong>vé à la<br />
fou<strong>le</strong> compacte qui l'entoure, et, en remuant ses<br />
lèvres, il l'ait vibrer l'air, et <strong>le</strong>s on<strong>de</strong>s sonores, dans
IV PRÉFACE.<br />
un rayon <strong>de</strong> quelques centaines <strong>de</strong> pas, vont frapper<br />
<strong>le</strong> tympan <strong>de</strong> chaque auditeur, remuent un cordon<br />
nerveux qui aboutit au cerveau, et arrivent ainsi à<br />
l'âme pensante ; alors chacun d'entre eux perçoit, non<br />
<strong>de</strong>s vibrations confuses, mais <strong>de</strong>s pensées* enfin cette<br />
fou<strong>le</strong> émue, frémissante, éprouve, à la volonté <strong>de</strong><br />
celui qui remue ainsi <strong>le</strong>s lèvres, la crainte, l'espérance,<br />
l'audace, la tristesse, la joie, etc. — « Comment,<br />
répondront ces sourds, ces molécu<strong>le</strong>s d'air qui<br />
s'entre-croisent, qui s'agitent tumultueusement dans<br />
l'espace pourraicnt-ciïcs parvenir à l'oreil<strong>le</strong> <strong>de</strong> chacun,<br />
nettes, sans se mê<strong>le</strong>r, et être <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> pensées?<br />
c'est absur<strong>de</strong>! — « Rien <strong>de</strong> plus vrai, réplique l'étranger;<br />
ce phénomène, dans la région que j'habite, est si<br />
commun, qu'on n'y fait pas même attention. » — Vainement<br />
dirait-il à ces pauvres sourds qu'il se trouve par<br />
exception dans sa patrie quelques individus atteints<br />
comme eux <strong>de</strong> la même infirmité, qui se ren<strong>de</strong>nt<br />
cependant au témoignage <strong>de</strong> ceux qui enten<strong>de</strong>nt. Ces<br />
sourds persisteront dans <strong>le</strong>ur incrédulité, parce qu'ils<br />
sont plusieurs centaines <strong>de</strong> mil<strong>le</strong> contre un seul.<br />
N'en est-il pas <strong>de</strong> môme parmi nous concernant <strong>le</strong><br />
mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s esprits? — Dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s spiritualistcs,<br />
quand <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> témoignages affirmaient son existence,<br />
qui eût osé douter?— <strong>Le</strong>s sourds et <strong>le</strong>s aveug<strong>le</strong>s<br />
spirituels se rendaient aisément; c'est <strong>le</strong> contraire dans<br />
<strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s matérialistes : la fou<strong>le</strong>- <strong>de</strong> ces pauvres infirmes,<br />
confiante dans son grand nombre, rejette <strong>avec</strong><br />
dédain l'enseignement <strong>de</strong> ceux qui sont pourvus<br />
d'yeux et d'oreil<strong>le</strong>s, et nie l'audition et la vision qu'el<strong>le</strong><br />
ne saurait comprendre.
PRÉFACE. V<br />
Laissons là <strong>le</strong>s figures. — Après un long temps <strong>de</strong><br />
matérialisme, peut-on espérer <strong>le</strong> retour du spiritualisme,<br />
c'est-à-dire <strong>le</strong> retour <strong>de</strong> ces temps où <strong>le</strong>s masses<br />
affirmaient l'action <strong>de</strong>s esprits, et où ceux qui étaient<br />
disposés à <strong>le</strong>s nier n'osaient <strong>le</strong> faire, <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> révé<strong>le</strong>r<br />
une infirmité qui ne <strong>le</strong>s atteignait que par exception?<br />
— Je l'ignore; ce que je sais, c'est qu'il y a dix<br />
ans à peine, tout homme qui eût avoué sa croyance<br />
aux apparitions d'esprits et à <strong>le</strong>ur action sur la matière<br />
eût passé pour un cerveau bien mala<strong>de</strong> ; on aurait pu<br />
recueillir <strong>le</strong>s voix, et ceux même qui auraient en secret<br />
partagé sa croyance auraient porté sur lui <strong>le</strong> même<br />
jugement. Aujourd'hui, malgré <strong>le</strong>s causes qui ont modifié<br />
<strong>le</strong>s opinions <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> savants, <strong>le</strong>s masses veu<strong>le</strong>nt<br />
toujours paraître esprits forts, car la fausse lumière<br />
<strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s matérialistes luit <strong>de</strong>puis longtemps pour<br />
tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>; cependant un retour au spiritualisme<br />
semb<strong>le</strong> évi<strong>de</strong>nt.<br />
Je m'étais souvent <strong>de</strong>mandé comment une croyance<br />
si universel<strong>le</strong>, qui fut naguère cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s plus grands<br />
génies, était tombée dans un tel mépris, que <strong>de</strong>puis <strong>le</strong><br />
savant jusqu'au <strong>de</strong>rnier rustre, tous ont osé <strong>le</strong>s accuser<br />
ensuite d'une sotte crédulité ? Quel<strong>le</strong> logique, quel<strong>le</strong>s<br />
sciences, — me disais-je, — ont pu <strong>démon</strong>trer que<br />
nos pères, moins bons chimistes et bons physiciens que<br />
nous, mais infiniment meil<strong>le</strong>urs théologiens et métaphysiciens<br />
, se soient si stupi<strong>de</strong>ment trompés sur un<br />
sujet aussi peu connu <strong>de</strong> nos jours? — Trop naïf<br />
admirateur <strong>de</strong> mon sièc<strong>le</strong>, je ne savais que répondre,<br />
et je me rangeais un peu en traînard sous sa bannière,<br />
lorsqu'en 1841 <strong>le</strong> hasard fit tomber entre mes
VI PRÉFACE.<br />
mains, pour la première fois, trois ouvrages dont <strong>le</strong>s<br />
auteurs sont <strong>de</strong>puis longtemps flétris pour <strong>le</strong>ur crédulité<br />
et <strong>le</strong>ur cruauté : — <strong>de</strong> Lancre, conseil<strong>le</strong>r au par<strong>le</strong>ment<br />
<strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux; — Rcmi, procureur général du duc<br />
<strong>de</strong> Lorraine, et Bodin, avocat au par<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> Paris.<br />
Tous ont composé <strong>de</strong>s traités où ils ont voulu <strong>démon</strong>trer,<br />
par <strong>de</strong>s faits qu'ils avaient eu à examiner, l'existence<br />
<strong>de</strong>s esprits, <strong>de</strong> la magie, et la nécessité <strong>de</strong> la<br />
punir. Sujets <strong>de</strong>puis longtemps honnis ; livres dont la<br />
<strong>le</strong>cture est rebutante à cause <strong>de</strong> la vétusté du langage,<br />
et surtout <strong>de</strong>s extravagances, <strong>de</strong>s folies, <strong>de</strong>s atrocités,<br />
dit-on, qu'ils renferment; livres <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s d'ignorance<br />
enfin, qu'il faut jeter au feu.<br />
La curiosité, qui me <strong>le</strong>s fit acheter, me donna <strong>le</strong><br />
courage <strong>de</strong> <strong>le</strong>s lire; je <strong>le</strong> fis <strong>avec</strong> la défiance que <strong>de</strong>vait<br />
éprouver tout <strong>le</strong>cteur qui ne connaissait que <strong>le</strong> nom<br />
exécré <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs auteurs. Autant frappé du ton <strong>de</strong> conviction<br />
<strong>de</strong> ceux-ci que <strong>de</strong>s faits qu'ils rapportent, je<br />
pensais, malgré moi, que tout ne pouvait y être mensonge<br />
ou erreur; plusieurs faits me semblèrent si bien<br />
prouvés, que, refusant comme mes contemporains <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>s attribuer aux agents d'un mon<strong>de</strong> invisib<strong>le</strong>, je supposai<br />
qu'il y avait un fond <strong>de</strong> vérité <strong>avec</strong> beaucoup<br />
d'exagération. Marchant dans cette voie, je voulus,<br />
sans oser <strong>le</strong> dire, connaître d'autres traités, non moins<br />
méprises, sur la même matière. La même conviction<br />
s'y manifestait, <strong>le</strong>s mêmes prodiges <strong>avec</strong> toutes <strong>le</strong>urs<br />
horreurs y étaient retracés; bref, plus j'avançais, plus<br />
je découvrais qu'il faudrait nier <strong>le</strong>s témoignages <strong>de</strong>s<br />
anciens jurisconsultes, <strong>de</strong>s philosophes et <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins,<br />
comme étant tous <strong>de</strong>s niais ou <strong>de</strong>s fourbes, car
PRÉFACE. VII<br />
tous- exprimaient <strong>de</strong> même. Cotait une conviction<br />
inébranlab<strong>le</strong>, reposant sur <strong>de</strong>s faits nombreux qui<br />
n'ont trouvé dans <strong>le</strong>ur temps pour contradicteurs que<br />
quelques impies ou quelques épicuriens. Je voulus<br />
savoir ce que pensaient l'Église et ses docteurs. —<br />
C'était la même croyance, ou, si l'on veut, la même<br />
crédulité. La doctrine est restée invariab<strong>le</strong>. — De recherches<br />
en recherches, remontant aux sièc<strong>le</strong>s antérieurs<br />
à notre ère, je trouvai chez <strong>le</strong>s nations <strong>le</strong>s plus<br />
civilisées toujours <strong>le</strong>s mêmes faits, et <strong>de</strong>s châtiments<br />
sévères infligés à <strong>le</strong>urs auteurs. De toute nécessité il<br />
fallait déci<strong>de</strong>r que <strong>le</strong> dix-huitième sièc<strong>le</strong> était la<br />
gran<strong>de</strong> lumière qui avait illuminé <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, et qu'avant<br />
lui ce n'étaient encore que • ténèbres ; il <strong>le</strong> fallait,<br />
ou dire que lui-même se trompait. Mais c'était<br />
attaquer <strong>le</strong>s philosophes do ce sièc<strong>le</strong>, si généra<strong>le</strong>ment<br />
admirés il y a peu d'années encore : j'avoue que cela<br />
m'eût peu coûté, ils ne m'inspiraient pas p<strong>le</strong>ine confiance,<br />
car <strong>le</strong>urs négations, <strong>le</strong>urs plaisanteries, <strong>le</strong>s altérations<br />
qu'ils faisaient subir dans <strong>le</strong>urs écrits à ceux que<br />
j'avais lus, <strong>le</strong>urs plaidoyers .passionnés en faveur d'une<br />
secto naguère' universel<strong>le</strong>ment détestée, <strong>le</strong>ur impiété,<br />
<strong>le</strong>s attaques qu'ils livraient aux personnes et aux<br />
choses <strong>le</strong>s plus respectab<strong>le</strong>s, me causaient <strong>de</strong> la défiance;<br />
je voyais un parti pris <strong>de</strong> faire main basse sur<br />
tous <strong>le</strong>s faits dits surnaturels, quel qu'en fût l'agent.<br />
Poursuivant mes recherches, en parcourant <strong>le</strong>s traités<br />
sur <strong>le</strong>s cultes antiques, je voyais qu'ils avaient aussi<br />
<strong>le</strong>urs prodiges, ce qui me scandalisait, puisque je trouvais<br />
<strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>s religions fausses comme dans<br />
la religion qui se dit seu<strong>le</strong> vraie; je sentais qu'un culte
VIII PRÉFACE.<br />
vrai a besoin <strong>de</strong> prodiges vrais ; quel<strong>le</strong> que soit la beauté<br />
<strong>de</strong> sa mora<strong>le</strong>, il faut nécessairement que <strong>le</strong> surnaturel<br />
lui donne sa sanction, sinon ce n'est plus qu'une invention<br />
humaine : donc, en <strong>le</strong> supprimant, en prouvant<br />
qu'il n'est pas, la religion se trouve minée par sa base,<br />
et la mora<strong>le</strong> perd sa puissance sur <strong>le</strong> for intérieur.<br />
L'honneur reste sans doute; mais s'il s'oppose à certaines<br />
fautes publiques, il a pou <strong>de</strong> pouvoir contre<br />
cel<strong>le</strong>s qui sont secrètes, et aucun môme contre d'autres<br />
non moins graves que <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> pardonne aisément.<br />
En remarquant <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux partout, chez <strong>le</strong>s Gentils<br />
comme chez <strong>le</strong>s [Juifs et chez <strong>le</strong>s chrétiens, je disais<br />
: Dieu n'a pu comman<strong>de</strong>r ici ce qu'il défend là; il<br />
ne peut donc être partout l'auteur <strong>de</strong>s prodiges. Il faut<br />
absolument déci<strong>de</strong>r que ce sont <strong>de</strong>s fourberies humaines,<br />
ou admettre que tous ces prodiges n'émanent<br />
pas tous d'une source divine. Il fallait, avant d'examiner<br />
la nature <strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong>s idolâtres et la nature<br />
<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s chrétiens, savoir d'abord si tous n'étaient<br />
pas do pures jong<strong>le</strong>ries ; ce que j'avais lu dans nos Livres<br />
saints et dans <strong>le</strong>s auteurs qui en ont fait une étu<strong>de</strong><br />
spécia<strong>le</strong> , ce que je connaissais <strong>de</strong>s religions antiques,<br />
ce que j'avais vu dans <strong>le</strong>s traits relativement<br />
mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> la sorcel<strong>le</strong>rie me montrait partout la<br />
bonne foi et une p<strong>le</strong>ine conviction. Mais j'avais remarqué<br />
que <strong>le</strong>s Gentils étaient infiniment plus moraux<br />
que <strong>le</strong>urs dieux, dont <strong>le</strong>s prodiges étaient ridicu<strong>le</strong>s,<br />
grotesques et parfois horrib<strong>le</strong>ment hi<strong>de</strong>ux et presque<br />
toujours condamnab<strong>le</strong>s; je remarquais enfin qu'il existait<br />
entre ces <strong>de</strong>rniers et ceux <strong>de</strong> la sorcel<strong>le</strong>rie une
PRÉFACE. IX<br />
analogie frappante. Forcé d'admettre la réalité du<br />
merveil<strong>le</strong>ux <strong>de</strong> la magie, non-seu<strong>le</strong>ment je conclus<br />
à la possibilité du merveil<strong>le</strong>ux du paganisme, mais je<br />
vis que ces prodiges se prouvaient si bien mutuel<strong>le</strong>ment,<br />
qu'il fallait tout nier ou tout admettre. <strong>Le</strong> premier<br />
parti, après <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s sérieuses, me <strong>de</strong>venant<br />
impossib<strong>le</strong>; il ne me restait que celui d'accepter.—<br />
<strong>Le</strong> christianisme admettait lui-môme <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong><br />
la magie comme ceux <strong>de</strong> l'idolâtrie; j'examinai ses<br />
arguments, sa doctrine et môme ses mirac<strong>le</strong>s, dont<br />
l'éclat me frappa : j'y vis une supériorité si marquée<br />
sur <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s idolâtres et <strong>de</strong>s magiciens, que<br />
tout ce qui m'avait embarrassé s'évanouissait; <strong>de</strong>s<br />
mirac<strong>le</strong>s divins avaient fondé la vraie religion ; puis<br />
<strong>l'homme</strong>, libre <strong>de</strong> s'aveug<strong>le</strong>r, avait choisi l'idolâtrie,<br />
séduit par <strong>de</strong>s prodiges qui lui plairont dans tous <strong>le</strong>s<br />
temps, parce qu'ils satisfont sa curiosité, ses passions<br />
et son amour du bien-être.<br />
Il restait à faire une étu<strong>de</strong> très-importante et peutêtre<br />
plus diffici<strong>le</strong> : prodiges et mirac<strong>le</strong>s pourraient, ii<br />
la rigueur, n'être ni divins ni diaboliques; n'existerait-il<br />
pas <strong>de</strong>s lois physiques occultes, une certaine<br />
puissance dans l'âme, dans l'imagination? Certaine<br />
surexcitation ou exaltation ne pourrait-el<strong>le</strong> rendre raison<br />
naturel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> faits universel<strong>le</strong>ment<br />
admis comme constants? — Toutes ces explications<br />
ont été essayées, mais un examen attentif et sans prévention<br />
m'en a <strong>démon</strong>tré la fausseté. — L'antiquité<br />
avait eu ses philosophes matérialistes, qui ne réussirent<br />
qu'à entasser mil<strong>le</strong> absurdités, tel<strong>le</strong>s que l'on ose<br />
à peine <strong>le</strong>s rapporter. Ceux qui <strong>le</strong>s suivirent, et d'au-
X PRÉFACE.<br />
très, fort mo<strong>de</strong>rnes, ont puisé chez <strong>le</strong>s premiers une<br />
gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> ces vieil<strong>le</strong>s inepties, et <strong>le</strong>urs idées aujourd'hui,<br />
quoique fort savantes, — qu'ils nous <strong>le</strong> pardonnent,<br />
— ne sont pas moins ridicu<strong>le</strong>s. Il fallait donc<br />
forcément arriver <strong>avec</strong> l'Église à une conclusion logique<br />
: l'existence du surnaturel divin et du surhumain<br />
diabolique. Tout alors s'expliquait : Jupiter, Pluton et<br />
Satan ont fait <strong>de</strong>s prodiges; Dieu seul fait <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s.—Toutes<br />
mes preuves <strong>de</strong> diverses natures étant<br />
éparses dans <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> notes, il fallait <strong>le</strong>s coordonner;<br />
c'étaient <strong>le</strong>s matériaux d'un édifice démoli<br />
qu'il s'agissait <strong>de</strong> reconstruire ; tâche diffici<strong>le</strong>, car, voulais-je<br />
poser <strong>le</strong>s pierres d'assise, il me tombait sous la<br />
main tantôt un chapiteau, tantôt une base : par où commencer?<br />
Je marchais d'ail<strong>le</strong>urs entre <strong>de</strong>ux écueils ; <strong>le</strong><br />
sujet, étant inconnu, exigeait un nombre considérab<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> volumes, et <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> aime <strong>le</strong>s ouvrages courts et surtout<br />
amusants ; l'ébaucher en un ou <strong>de</strong>ux volumes, ce<br />
n'était pas la peine <strong>de</strong> l'entreprendre. J'arrivais à un<br />
monstre ou à un avorton. — Je pris un terme moyen ;<br />
aurai-je mieux réussi? J'ai coordonné mes matériaux<br />
<strong>le</strong> mieux que j'ai pu, redoutant sans cosse que l'enfant,<br />
fût-il né viab<strong>le</strong>, ne fût étouffé en naissant : en effet,<br />
ayant confié cette conception à quelques amis, nul ne<br />
m'en félicita. Un tel livre était si opposé aux idées<br />
vulgaires, que je vis qu'il serait loin <strong>de</strong> me faire honneur<br />
et d'être uti<strong>le</strong>. <strong>Le</strong>s uns souriaient <strong>avec</strong> malice ou<br />
<strong>de</strong> pitié en me regardant : à <strong>le</strong>urs yeux, c'était l'aliment<br />
d'un.esprit plutôt bizarre que sérieux; <strong>le</strong>s plus<br />
sympathiques me montraient l'inutilité <strong>de</strong> mes efforts.<br />
Quoique fort découragé, je me disais à peu près comme
PRÉFACE. XI<br />
Galilée : Pourtant je suis dans la vérité, mais on ne<br />
l'aime pas.<br />
<strong>Le</strong>s magnétiseurs acceptaient une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s<br />
faits, qu'ils expliquaient par <strong>le</strong>urs flui<strong>de</strong>s; mais la province<br />
ayant peu <strong>de</strong> magnétiseurs qui admettent <strong>le</strong>s<br />
faits du magnétisme transcendant, ils niaient <strong>le</strong> surplus.<br />
Mon œuvre, me disais-je, aurait donc <strong>le</strong> sort <strong>de</strong><br />
ces écarts <strong>de</strong> la nature qu'il faut bien se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> laisser<br />
paraître au jour, ou <strong>de</strong> ces conceptions d'une imagination<br />
exaltée où la froi<strong>de</strong> raison n'a point eu <strong>de</strong><br />
part.<br />
Notre zélé et pieux c<strong>le</strong>rgé pouvait-il m'encourager?<br />
II ne nie ni Satan, ni ses prodiges cités dans <strong>le</strong>s saintes<br />
Écritures, quoiqu'il s'occupe peu <strong>de</strong>s faits mo<strong>de</strong>rnes;<br />
il connaît d'ail<strong>le</strong>urs son sièc<strong>le</strong>, et se montre fort réservé<br />
sur une matière assez peu connue aujourd'hui<br />
<strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong> ses membres, constamment occupés<br />
du salut <strong>de</strong>s âmes. — Moi aussi, par une autre voie, je<br />
pensais au salut <strong>de</strong>s âmes ; — mais ces dignes prêtres<br />
me répondaient : «Vous ne serez point lu ; <strong>le</strong> titre seul<br />
<strong>de</strong> votre livre <strong>le</strong> fera juger défavorab<strong>le</strong>ment. »<br />
Cent fois tenté <strong>de</strong> briser ma plume, je me disais<br />
toujours : la <strong>démon</strong>ologie pourtant n'est pas une fausse<br />
science ; il serait bon que l'enseignement sur cette matière<br />
fût plus répandu et plus approfondi. Un ouvrage où<br />
l'on exposerait d'un côté <strong>le</strong>s faits surnaturels et la saine<br />
doctrine, <strong>de</strong> l'autre, <strong>le</strong>s explications <strong>de</strong>s savants et <strong>le</strong>s<br />
arguments <strong>de</strong>s philosophes, serait une œuvre uti<strong>le</strong> aune<br />
époque où <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux si conspué se multiplie. Si la<br />
science prétend expliquer naturel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s prodiges<br />
actuels, il faut logiquement admettre qu'el<strong>le</strong> explique
XII PRÉFACE.<br />
aussi ceux <strong>de</strong>s temps passés. La <strong>démon</strong>ologie, examinée<br />
d'après ces nouvel<strong>le</strong>s étu<strong>de</strong>s, montrerait que ses conclusions<br />
restent intactes, que l'Église n'a pas la crédulité<br />
qu'on lui suppose, qu'el<strong>le</strong> n'a été ni trompée,<br />
ni n'a voulu tromper; — on verrait l'origine <strong>de</strong>s faux<br />
cultes, la réalité <strong>de</strong>s anciens prodiges, et qu'on peut<br />
l'admettre sans encourir l'accusation <strong>de</strong> manichéisme ;<br />
tout ceci exposé, il sera constant que <strong>le</strong>s sciences naturel<strong>le</strong>s<br />
n'ont pu rien expliquer et que la doctrine du<br />
christianisme, loin <strong>de</strong> favoriser <strong>le</strong>s superstitions, en est<br />
la plus mortel<strong>le</strong> ennemie, puisqu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s extirpe toutes,<br />
non en niant <strong>le</strong>s faits, mais en signalant <strong>le</strong>ur véritab<strong>le</strong><br />
auteur, etc. — Ce disant, je reprenais ma plume, en<br />
désirant sincèrement qu'el<strong>le</strong> fût dans une main plus<br />
habi<strong>le</strong>, lorsqu'un événement imprévu mit en émoi plusieurs<br />
savants : simp<strong>le</strong> amusement pour <strong>le</strong> vulgaire, <strong>le</strong><br />
phénomène <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>s tournantes <strong>de</strong>vint une étu<strong>de</strong> sérieuse<br />
pour ces savants : mais <strong>le</strong>s uns recouraient à<br />
<strong>de</strong>s explications physiques insoutenab<strong>le</strong>s, ou à <strong>de</strong>s systèmes<br />
matérialistes ou panthéistes impies ; d'autres retombaient<br />
dans <strong>le</strong>s superstitions païennes. Ce fut alors<br />
que la science <strong>démon</strong>ologiquc me parut plus que jamais<br />
nécessaire; mieux connue, plus répandue, on n'aurait<br />
vu, me disais-je, ni magnétiseurs fluidistes ou spiritualistes,<br />
ni spiritistes, évoquant <strong>le</strong>s génies ou <strong>le</strong>s âmes<br />
<strong>de</strong>s morts <strong>avec</strong> une tab<strong>le</strong>, ni philosophes disposant<br />
<strong>de</strong> l'âme <strong>de</strong> l'univers pour opérer mil<strong>le</strong> prodiges<br />
effrayants, ni prêtres, comme il s'en est trouvé quelques-uns,<br />
acceptant <strong>de</strong>s théories fort péril<strong>le</strong>uses pour<br />
la foi.<br />
<strong>Des</strong> prélats, <strong>de</strong>s théologiens zélés et savants signalé-
PRÉFACE. XIII<br />
rent <strong>le</strong> mal... <strong>Des</strong> laïques instruits et non moins zélés 1<br />
s'efforcèrent aussi <strong>de</strong> projeter la lumière dans ces ténèbres.<br />
Plusieurs camps bientôt se trouvèrent formés: <strong>le</strong>s<br />
panthéistes, <strong>le</strong>s nécromans <strong>de</strong> toute sorte et <strong>le</strong>s partisans<br />
<strong>de</strong> la saine doctrine. Il ne s'agissait plus seu<strong>le</strong>ment<br />
<strong>de</strong> détourner <strong>de</strong>s épicuriens du chemin bourbeux qu'ils<br />
suivent <strong>de</strong>puis plus d'un sièc<strong>le</strong>, mais <strong>de</strong> prémunir contre<br />
une sorte <strong>de</strong> religion rationnel<strong>le</strong> qu'on veut fon<strong>de</strong>r,<br />
contre une sorte <strong>de</strong> paganisme qu'on voudrait rétablir.<br />
Consultant plutôt mon zè<strong>le</strong> que mes forces, j'ai osé,<br />
moi qui avais peut-être <strong>le</strong> premier colligé <strong>de</strong>s matériaux<br />
quand nul autre n'y songeait, j'ai osé, dis—je, me<br />
ranger dans <strong>le</strong> camp <strong>de</strong>s orthodoxes; à côté <strong>de</strong> ces<br />
rares et courageux champions, je suis entré en lice<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssein bien arrêté <strong>de</strong> combattre l'erreur et <strong>de</strong><br />
<strong>démon</strong>trer la vérité ; n'ignorant pas toutefois que pour<br />
la plupart sa clarté serait trop vive pour qu'ils voulussent<br />
la regar<strong>de</strong>r.<br />
J'ai pu espérer que cet ouvrage, malgré ses défauts,<br />
pourrait faire à d'autres quelque bien. S'il déplaît à certains<br />
esprits arriérés, engoués <strong>de</strong>s idées du dix-huitième<br />
sièc<strong>le</strong>, peut-être trouvera-t-il quelques partisans<br />
chez ceux qui aiment <strong>le</strong> vrai et qui <strong>le</strong> cherchent. C'est<br />
à ces <strong>de</strong>rniers que je m'adresse. — Depuis plus d'un<br />
sièc<strong>le</strong>, livres, brochures, revues, etc., battent en brèche<br />
<strong>le</strong> surnaturel, <strong>le</strong>s uns <strong>avec</strong> l'arme puissante du ridi-<br />
1. Tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> a nommé MM. <strong>de</strong>s Mousseaux, <strong>de</strong> Kesie, Thibou<strong>de</strong>t,<br />
<strong>le</strong> H. P. Matignon, etc., etc., et Je savant marquis <strong>de</strong> Mirvil<strong>le</strong>, ce maître<br />
docte et bloquent, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>quel j'ai du moins cet honneur, ôu ce travers<br />
commun, d'avoir commencé a m'occuper <strong>de</strong>s esprits, à une époque<br />
où l'on n'y songeait guère.
XIV PRÉFACE.<br />
cu<strong>le</strong>, d'autres <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s mil<strong>le</strong> engins du philosophisme;<br />
tout étant à refaire pour tous, chacun trouvera ici <strong>le</strong>s<br />
premiers matériaux pour réédificr.<br />
<strong>Le</strong> surnaturel, qu'on <strong>le</strong> sache bien, a une doub<strong>le</strong><br />
importance, on ne saurait trop <strong>le</strong> répéter; il est nonseu<strong>le</strong>ment<br />
la base d'une foi qui nous assure <strong>le</strong>s biens<br />
futurs, mais cette môme foi assurerait <strong>le</strong> bonheur et la<br />
sécurité <strong>de</strong>s sociétés dans la vie présente : <strong>le</strong> surhumain<br />
est trop étroitement lié au surnaturel pour n'avoir<br />
pas <strong>le</strong> môme <strong>de</strong>gré d'importance : l'un et l'autre<br />
prouvent Dieu et Satan : il faut reconnaître l'un pour<br />
l'adorer, et l'autre pour éviter ses pièges. Si l'on pouvait<br />
espérer <strong>le</strong> rétablissement <strong>de</strong> cette doub<strong>le</strong> croyance,<br />
<strong>le</strong> corps social ne serait plus comme <strong>le</strong> vaisseau agité<br />
par la tempête; sans doute el<strong>le</strong> mugirait encore, mais<br />
on ne craindrait plus autant <strong>de</strong> voir <strong>le</strong>s débris du navire<br />
flotter au gré <strong>de</strong>s vagues.<br />
Si l'impiété et ses suites ont passé <strong>de</strong>s vil<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>s<br />
moindres hameaux, <strong>de</strong>s classes é<strong>le</strong>vées jusqu'aux plus<br />
basses, c'est parce que, tournant <strong>le</strong> dosa la vérité, on<br />
s'est jeté dans ces théories ténébreuses et impies <strong>avec</strong><br />
<strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s on prétend régénérer <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> ; en voyant<br />
ce qu'el<strong>le</strong>s veu<strong>le</strong>nt et ce qu'el<strong>le</strong>s ont déjà produit, on<br />
se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>avec</strong> effroi ce qui nous attend dans l'avenir.<br />
Je ferai observer au <strong>le</strong>cteur qui voudra bien lire cet<br />
essai, <strong>de</strong> ne pas se borner à <strong>le</strong> feuil<strong>le</strong>ter pour y chercher<br />
<strong>de</strong>s faits curieux : il était faci<strong>le</strong> d'en compi<strong>le</strong>r une multitu<strong>de</strong>;<br />
mais tel n'était pas mon plan : <strong>le</strong>s faits qui composent<br />
<strong>le</strong> vaste ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong>s superstitions magiques<br />
<strong>avec</strong> toutes <strong>le</strong>urs branches, étant partout semblab<strong>le</strong>s,
PRÉFACE. XV<br />
j'ai dû, dans un ouvrage, d'ail<strong>le</strong>urs très-long, ne présenter<br />
que <strong>de</strong>s échantillons <strong>de</strong> chaque espèce dont mes<br />
appréciations s'appliquent à une immensité d'autres<br />
que je laisse à l'écart. Que l'on ne se borne donc pas<br />
simp<strong>le</strong>ment à parcourir ces volumes, ce serait rompre<br />
l'unité <strong>de</strong> l'œuvre, laquel<strong>le</strong> est son seul mérite, si el<strong>le</strong><br />
en a un, parce qu'el<strong>le</strong> conduit à une conclusion inévitab<strong>le</strong><br />
: l'existence partout et en tout temps du surnaturel<br />
et du surhumain. Nier l'un et l'autre ou vouloir <strong>le</strong>s<br />
expliquer physiquement, c'est une erreur aussi insigne<br />
que funeste dans ses conséquences. Admettre surtout<br />
<strong>le</strong>s prodiges sataniques comme divins, y recourir pour<br />
établir un nouveau culte et organiser un état social<br />
nouveau, c'est <strong>le</strong> très-antique et détestab<strong>le</strong> projet <strong>de</strong><br />
tous ceux que l'auteur <strong>de</strong> ces prodiges a séduits dans<br />
tous <strong>le</strong>s temps. S'il parvenait un jour à réussir, ce serait<br />
la ruine universel<strong>le</strong>.
INTRODUCTION<br />
Dans <strong>le</strong> déda<strong>le</strong> inextricab<strong>le</strong> <strong>de</strong>s systèmes sur l'origine <strong>de</strong>s<br />
religions polythéistes, en considérant <strong>le</strong> sujet sous son point<br />
<strong>de</strong> vue <strong>le</strong> plus large, il faut l'attribuer à l'altération d'une révélation<br />
primitive dont on retrouve <strong>de</strong>s vestiges chez tous<br />
<strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s ; à <strong>de</strong>s révélations 1<br />
ou communications succes<br />
sives émanées d'une autre source, qui ont substitué au vrai<br />
Dieu <strong>de</strong> fausses divinités. <strong>Des</strong> prodiges naturel<strong>le</strong>ment inexplicab<strong>le</strong>s<br />
ont cimenté <strong>le</strong> culte usurpé qui en fut <strong>le</strong> résultat.<br />
—Moins aveuglés, <strong>le</strong>s hommes auraient pu reconnaître ces<br />
erreurs funestes; car ces dieux intrus se manifestaient sous la<br />
forme du serpent qui a séduit notre premier père, ou souvent<br />
sous <strong>de</strong>s formes épouvantab<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong> culte qu'ils commandaient<br />
était p<strong>le</strong>in d'effroyab<strong>le</strong>s dissolutions; <strong>le</strong>urs prophètes, convulsivement<br />
agités, rendaient <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s trop souvent véridiques<br />
pour être <strong>de</strong>s impostures humaines, et trop souvent<br />
mensongers pour être divins. <strong>Le</strong>urs prodiges, qui présentaient<br />
un singulier mélange <strong>de</strong> trivialité et <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur, <strong>de</strong><br />
bonté, <strong>de</strong> justice et <strong>de</strong> malignité, étaient opérés même par <strong>le</strong>s<br />
méchants, <strong>le</strong>urs révélations étaient p<strong>le</strong>ines <strong>de</strong> contradictions,<br />
<strong>le</strong>urs ordres fréquemment cruels. <strong>Le</strong>s dieux <strong>de</strong>s Gentils avaient<br />
<strong>le</strong>urs inspirés, <strong>le</strong>urs prêtres ; nul dans <strong>le</strong> principe n'eût voulu<br />
1. <strong>Le</strong> mot révélation ne convient qu'à Dieu communiquant <strong>avec</strong> <strong>l'homme</strong>.<br />
Cependant on l'emploie aussi en parlant fie Snlfin.
HV1H INTRODUCTION".<br />
douter <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur enseignement, qu'on respectait comme émané<br />
<strong>de</strong>s dieux, dont on <strong>le</strong>s considérait comme <strong>le</strong>s fils.<br />
Mais un jour vint où l'esprit s'émancipa ; <strong>le</strong>s premiers philosophes<br />
examinent, discutent, et osent rejeter plusieurs<br />
croyances jusque-là regardées comme inattaquab<strong>le</strong>s. Quel<strong>le</strong>s<br />
sont cel<strong>le</strong>s qui surnagèrent sur la mer sans rivage <strong>de</strong>s opinions<br />
et <strong>de</strong>s systèmes? c'est la réalité <strong>de</strong> l'existence <strong>de</strong>s esprits, <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>urs apparitions, <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs inspirations, <strong>de</strong>s guérisons, <strong>de</strong>s<br />
divinations, etc.—Tous <strong>le</strong>s philosophes admettaient cel<strong>le</strong>s-ci,<br />
non par crainte, ils en renversaient <strong>de</strong> non moins respectées,<br />
mais parce qu'el<strong>le</strong>s étaient trop constantes pour eux, pour<br />
qu'ils eussent l'impu<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> <strong>le</strong>s mépriser. <strong>Le</strong>s philosophes<br />
matérialistes qui osèrent attaquer l'existence même <strong>de</strong>s dieux,<br />
ne niaient point ces prodiges qu'ils attribuaient à <strong>de</strong>s corpuscu<strong>le</strong>s,<br />
à <strong>de</strong>s a<strong>tome</strong>s, etc. Aux époques d'épicurisme, la<br />
philosophie matérialiste et sceptique fait <strong>de</strong> nombreuses recrues;<br />
c'est ce qui eut lieu chez <strong>le</strong>s Grecs et chez <strong>le</strong>s Romains<br />
et ce qu'on observe constamment chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s<br />
voisins <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur déca<strong>de</strong>nce. <strong>Le</strong>s uns expliquèrent physiquement<br />
la plupart <strong>de</strong> ces prodiges, d'autres préférèrent la voie<br />
plus courte <strong>de</strong> <strong>le</strong>s nier. D'ordinaire, ces aberrations <strong>de</strong><br />
l'esprit humain sont <strong>de</strong> peu <strong>de</strong> durée ; en effet, comment<br />
peut-on nier <strong>le</strong>s prodiges que tous <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s ont vus et affirmés<br />
! et comment surtout attribuer à la matière brute <strong>de</strong>?<br />
actes qui ne peuvent émaner que d'êtres intelligents !<br />
Après l'avènement du Sauveur on vit ressusciter <strong>le</strong> spiritualisme,<br />
qui n'avait jamais été mort pour toutes <strong>le</strong>s sectes.<br />
L*une <strong>de</strong>s causes, ce furent <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s chrétiens, auxquels<br />
<strong>le</strong> néoplatonisme opposa ses prodiges ; <strong>le</strong>s apologistes<br />
du christianisme, par <strong>le</strong>s arguments et par <strong>de</strong>s moyens plus<br />
puissants encore, — <strong>le</strong>s faits, — <strong>démon</strong>traient chaque jour aux<br />
païens que <strong>le</strong>urs dieux étaient <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, en forçant ceux-ci<br />
<strong>de</strong> l'avouer et <strong>de</strong> sortir du corps <strong>de</strong>s prêtres qu'ils inspiraient.<br />
<strong>Le</strong> paganisme enfin, prêta succomber sous Julien, expira <strong>avec</strong><br />
lui, et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers néoplatoniciens se réfugièrent en Perse.<br />
La magie malfaisante ou goétie, pratiquée parallè<strong>le</strong>ment
l.NTHODUCTION. XIX<br />
<strong>avec</strong> la théurgie, conservait <strong>de</strong>s discip<strong>le</strong>s dans l'ombre ; il<br />
s'opéra un mélange monstrueux <strong>de</strong>s divers cultes faux <strong>avec</strong> <strong>le</strong><br />
christianisme. <strong>Le</strong>urs sectateurs s'assemblèrent secrètement<br />
dans <strong>le</strong>s forêts pour s'y livrer durant la nuit à <strong>de</strong>s cérémonies<br />
exécrab<strong>le</strong>s ; ils pratiquaient pondant <strong>le</strong> jour <strong>de</strong> nombreux<br />
méfaits. <strong>Le</strong> moyen âge en fut infesté, moins peut-être que <strong>le</strong>s<br />
sièc<strong>le</strong>s qui suivirent; <strong>le</strong>urs prodiges moins connus qu'après la<br />
renaissance, étaient conséquemment moins faci<strong>le</strong>ment admis,<br />
et il faut dire, contrairement au sentiment général, que celuilà<br />
semb<strong>le</strong>rait ainsi moins crédu<strong>le</strong> que cel<strong>le</strong>-ci.<br />
Dès <strong>le</strong> douzième et <strong>le</strong> treizième sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s <strong>rapports</strong> <strong>avec</strong><br />
l'Orient ayant importé dans l'Occi<strong>de</strong>nt la philosophie du vieux<br />
mon<strong>de</strong>, on voit déjà <strong>de</strong>s savants atteints du matérialisme et<br />
du scepticisme païen. Mais c'est surtout au quinzième et au<br />
seizième sièc<strong>le</strong> que <strong>de</strong>s philosophes voulurent réformer <strong>le</strong>s<br />
croyances vulgaires. <strong>Le</strong>s prodiges <strong>de</strong> la magie et <strong>de</strong> la sorcel<strong>le</strong>rie<br />
furent expliqués par <strong>le</strong>s corpuscu<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> flui<strong>de</strong> universel,<br />
par la sympathie, l'antipathie, etc. Pourtant l'intervention<br />
<strong>de</strong>s génies fut encore loin d'être niée. Cette tentative<br />
<strong>de</strong> réforme <strong>de</strong>s Paracelse, <strong>de</strong>s Pomponace, <strong>de</strong>s Porta, <strong>de</strong>s<br />
Alaxwel, <strong>de</strong>s Wirdig, etc., etc., aux seizième et dix-septième<br />
sièc<strong>le</strong>s, ne saurait être examinée sans nous causer quelque<br />
honte. On est douloureusement surpris <strong>de</strong> voir dans quel<strong>le</strong><br />
déraison peuvent tomber ceux qui préten<strong>de</strong>nt ne consulter<br />
que <strong>le</strong>ur raison. Ceux-ci croyaient à la puissance <strong>de</strong> l'âme, à<br />
cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'imagination et <strong>de</strong>s corpuscu<strong>le</strong>s, comme à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />
génies, et, selon <strong>le</strong> besoin, recouraient aux uns ou aux autres.<br />
On peut, disaient-ils, rendre quelqu'un mala<strong>de</strong> en faisant<br />
une émission <strong>de</strong> corpuscu<strong>le</strong>s vénéneux; on peut mouvoir<br />
<strong>avec</strong> la force animique un objet sans <strong>le</strong> toucher, et même<br />
terrasser un taureau. D'autres, pour ne point admettre ces<br />
absurdités, tombaient dans un autre; écart ils niaient <strong>le</strong>s faits.<br />
À dater <strong>de</strong> <strong>Des</strong>cartes et <strong>de</strong> Bacon, on veut, pour <strong>le</strong>s admettre,<br />
réitérer <strong>le</strong>s expériences; on exige l'évi<strong>de</strong>nce. Ce qu'il<br />
faut requérir pour l'examen <strong>de</strong>s causes physiques, était-il<br />
applicab<strong>le</strong> aux faits surnaturels produits par un agent qui se
XX INTRODUCTION.<br />
montre ou se cache à volonté? L'Église ne pouvait <strong>le</strong> penser,<br />
el<strong>le</strong> qui avait constamment attribué <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong> la magie<br />
aux esprits <strong>de</strong> ténèbres. <strong>Des</strong> hommes éclairés, instruits<br />
<strong>de</strong> sa doctrine et <strong>de</strong>s systèmes <strong>de</strong>s philosophes, signalaient,<br />
<strong>le</strong>s erreurs et <strong>le</strong>s dangers <strong>de</strong> ces innovations, ressuscitées<br />
du paganisme. Si rien ne fut, omis pour attaquer <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux,<br />
<strong>le</strong>s meil<strong>le</strong>urs arguments réfutèrent ses adversaires.<br />
C'est au dix-huitième sièc<strong>le</strong> surtout que, pour atteindre plus<br />
sûrement <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s chrétiens, on s'é<strong>le</strong>va contre <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux<br />
païen, qui fut attribué à l'imposture <strong>de</strong> ses prêtres.<br />
Encore ici, nos hommes du progrès furent terrassés par<br />
ceux qu'ils nommaient <strong>de</strong>s esprits rétrogra<strong>de</strong>s. <strong>Le</strong>s premiers<br />
avaient pris la défense <strong>de</strong>s sorciers, qui étaient, selon eux,<br />
<strong>de</strong> pauvres idiots ou <strong>de</strong>s insensés, et <strong>le</strong>urs juges <strong>de</strong>s hommes<br />
aussi cruels que crédu<strong>le</strong>s. Dès la fin du dix-septième sièc<strong>le</strong>,<br />
l'autorité fit en partie droit à ces diverses attaques en se montrant<br />
moins disposée à sévir. C'est alors que <strong>le</strong> par<strong>le</strong>ment <strong>de</strong><br />
Rouen lit à Louis XIV sa célèbre remontrance et lui rappela<br />
la réalité <strong>de</strong>là magie et la scélératesse <strong>de</strong> ceux qui s'y livrent,<br />
<strong>le</strong>s lois divines et humaiues <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s temps, etc.. « 11 n'y a<br />
point, disait-il, <strong>de</strong> secte si opposée a Dieu que cel<strong>le</strong> dont <strong>le</strong>s<br />
crimes vont à la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> la religion et à la ruine <strong>de</strong>s<br />
peup<strong>le</strong>s. »<br />
<strong>Le</strong>s maléfices, durant <strong>le</strong> dix-huitième sièc<strong>le</strong>, continuèrent,<br />
ainsi que <strong>le</strong>s possessions, dont <strong>le</strong>s signes infaillib<strong>le</strong>s étaient<br />
exposés dans tous <strong>le</strong>s rituels; mais <strong>le</strong>s lois étaient déjà moins<br />
rigoureuses et moins souvent appliquées. Parmi <strong>le</strong>s causes <strong>de</strong><br />
cette indulgence, était la difficulté <strong>de</strong> connaître la réalité d'un<br />
crime aussi secret, et l'opinion partout propagée qu'en cessant<br />
<strong>de</strong> poursuivre <strong>le</strong>s sorciers, on ne verrait plus <strong>de</strong> sorcel<strong>le</strong>rie.<br />
Dans la secon<strong>de</strong> moitié du même sièc<strong>le</strong>, la loi était tombée<br />
presque en désuétu<strong>de</strong> ; <strong>le</strong>s grands ne croyaient plus à Dieu,<br />
comment auraient-ils cru au diab<strong>le</strong>? Enfin, dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rnières<br />
années du sièc<strong>le</strong>, en 1791, la loi fut abolie; on ne reconnut<br />
plus <strong>de</strong> crimes <strong>de</strong> magie, mais on sévissait contre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins<br />
et <strong>le</strong>s guérisseurs comme escroquant l'argent <strong>de</strong>s dupes; <strong>le</strong>s
INTRODUCTION. XXI<br />
maléfices étant niés, <strong>le</strong>s sorciers, vrais ou prétendus, obtinrent<br />
<strong>de</strong> ceux qui se croyaient <strong>le</strong>urs victimes' <strong>de</strong>s dommages-intérêts.<br />
Heureux quand ces <strong>de</strong>rniers ne subissaient pas l'emprisonnement.<br />
Autre temps, autres mœurs,—tel<strong>le</strong> est la loi toujours<br />
respectab<strong>le</strong>.<br />
La magie et la sorcel<strong>le</strong>rie turent au dix-neuvième sièc<strong>le</strong><br />
considérées par la classe éclairée comme une croyance ridicu<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong>s temps <strong>de</strong> barbarie et d'ignorance. <strong>Le</strong> peup<strong>le</strong> y a cru longtemps<br />
encore, puis il s'est tu; mais l'Église n'a modifié en rien<br />
sa doctrine, el<strong>le</strong> admet toujours l'existence <strong>de</strong>s esprits, <strong>le</strong>urs<br />
<strong>rapports</strong> <strong>avec</strong> <strong>l'homme</strong>, <strong>le</strong>s maléfices, <strong>le</strong>s possessions, etc., non<br />
pour soutenir obstinément <strong>le</strong> principe d'infaillibilité, mais par<br />
une conviction inébranlab<strong>le</strong>, basée sur <strong>le</strong> texte sacré et sur <strong>de</strong>s<br />
faits que ne saurait détruire l'inconstance <strong>de</strong>s opinions humaines.<br />
L'Eglise use selon l'exigence <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong> sa pru<strong>de</strong>nce<br />
habituel<strong>le</strong> : el<strong>le</strong> n'exerce quelque action contre <strong>le</strong>s magiciens<br />
qu'autant qu'ils se présentent au saint tribunal et s'accusent<br />
<strong>de</strong> maléfices. El<strong>le</strong> n'exorcise plus que rarement et en<br />
secret.<br />
Tandis que <strong>le</strong>s esprits forts continuaient <strong>le</strong>urs sarcasmes<br />
contre <strong>le</strong>s esprits crédu<strong>le</strong>s et remuaient encore <strong>le</strong>s cendres <strong>de</strong><br />
ces magistrats barbares qui avaient condamné <strong>le</strong>s innocents sorciers<br />
, survenait un fait étrange dans notre sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> lumières.<br />
Dans <strong>le</strong> magnétisme, prétendue science qu'on vient <strong>de</strong> découvrir,<br />
on a retrouvé la magie ; d'après ceux qui la pratiquent,<br />
c'est la magie tout entière, <strong>avec</strong> ses détails grotesques, hi<strong>de</strong>ux<br />
ou terrib<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> sorte que l'ancienne magie n'a fait réel<strong>le</strong>ment<br />
que changer <strong>de</strong> nom. 11 en est résulté que <strong>de</strong>s personnes judicieuses<br />
ont osé dire que <strong>le</strong>s hommes crédu<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s passés<br />
étaient <strong>le</strong>s plus clairvoyants, et nos soi-disant esprits forts<br />
assez faib<strong>le</strong>s et très-aveug<strong>le</strong>s.<br />
<strong>Le</strong>s philosophes, <strong>le</strong>s savants, il est vrai, ont attribué <strong>le</strong>s<br />
opérations magnétiques à l'émission d'un flui<strong>de</strong> bienfaisant ou<br />
vénéneux, à la puissance <strong>de</strong> la foi, <strong>de</strong> l'imagination, etc. Ce<br />
qui suffit déjà, cependant pour prouver aux esprits forts, que<br />
s'étant lour<strong>de</strong>ment trompés en niant <strong>le</strong>s faits, ils doivent <strong>de</strong>
XXII INTRODUCTION.<br />
gran<strong>de</strong>s excuses à ceux qu'ils ont si témérairement accusés.<br />
<strong>Le</strong> temps apporte 6es progrès : ceux qui ont approfondi <strong>le</strong><br />
magnétisme, ont constaté en fait l'intervention <strong>de</strong>s esprits et<br />
parfois fort méchants, puisqu'ils peuvent faire beaucoup <strong>de</strong><br />
mal ; que d'excuses à faire encore à ce petit nombre <strong>de</strong> sots<br />
qui admettent <strong>le</strong>s esprits! Mais, trop orgueil<strong>le</strong>ux sans doute<br />
pour revenir sur <strong>le</strong>urs pas, <strong>le</strong>s esprits forts nieront toujours :<br />
c'est pourtant l'argument <strong>de</strong>s ignorants et <strong>de</strong>s sols, quand il<br />
n'est pas celui <strong>de</strong> la mauvaise foi. En effet, qu'on y prenne<br />
gar<strong>de</strong>; nier sans motifs <strong>le</strong>s faits observés aujourd'hui par<br />
<strong>de</strong>s hommes instruits et sensés, jusque-là matérialistes et<br />
sceptiques, qui attestent sans autre espoir que d'obtenir un<br />
brevet <strong>de</strong> niais, <strong>de</strong> menteur ou d'insensé, est téméraire; car<br />
<strong>le</strong>ur nombre peut singulièrement grossir. Pourtant <strong>le</strong>s esprits<br />
forts résistent. Héritiers <strong>de</strong>s maximes d'un sièc<strong>le</strong> voluptueux<br />
et impie, ils ne peuvent se déjuger et reconnaître que <strong>le</strong>ur<br />
raison n'est pas infaillib<strong>le</strong>, et <strong>le</strong>s masses ignorantes se sout<br />
enrôlées sous <strong>le</strong>ur bannière. Cependant, il faut lo dire, <strong>le</strong>s<br />
magnétiseurs avaient déjà <strong>de</strong>s transfuges qui disaient à voix<br />
basse <strong>le</strong>s choses étranges ou horrib<strong>le</strong>s dont ils avaient été <strong>le</strong>s<br />
témoins, lorsqu'un autre évéuement, il y a dix ans, survint.<br />
Un paquebot apporta d'Amérique l'histoire stupéfiante <strong>de</strong>s<br />
esprits frappeurs et <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>s animées et <strong>de</strong> cent prodiges que<br />
<strong>le</strong> douzième sièc<strong>le</strong> eût refusé <strong>de</strong> croire ; <strong>le</strong>s procédés pour <strong>le</strong>s<br />
opérer furent peu à peu connus.<br />
Croire qu'une tab<strong>le</strong> peut s'animer, connaître nos pensées,<br />
y répondre, était diffici<strong>le</strong>; il <strong>le</strong> fallut bien, puisque toute l'Europe<br />
en fut témoin. Mais croire qu'une intelligence invisib<strong>le</strong><br />
est <strong>le</strong> moteur, répugnait à nos savants, qui firent, comme<br />
toujours, preuve <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s connaissances en physique et<br />
donnèrent <strong>de</strong>s explications fort ingénieuses, un peu ridicu<strong>le</strong>s,<br />
que lo vulgaire admira, mais que <strong>de</strong>s expérimentateurs sérieux<br />
rejetèrent. Il fut constant pour ceux-ci qu'une intelligence intervient;<br />
plusieurs, parmi <strong>le</strong>s plus hosti<strong>le</strong>s autrefois à cette<br />
opinion, la proclamèrent, et tandis que dans <strong>le</strong>s salons <strong>le</strong>s uns<br />
cessaient <strong>le</strong>s évolutions <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>s comme un amusement in-
INTRODUCTION. mu<br />
sipi<strong>de</strong> êt d'autres comme une pratique défendue, dès savants<br />
organisaient <strong>de</strong>s cerc<strong>le</strong>3 et dressaient gravement <strong>de</strong>s procèsverbaux.<br />
Étant évi<strong>de</strong>nt qu'une intelligence se manifestait, <strong>le</strong>s<br />
uns disaient : C'est la nôtre, c'est la partie inconsciente <strong>de</strong><br />
l'âme, qui répond au moi intelligent. — On objectait que<br />
cette force inconsciente était supérieure au moi conscient<br />
qui réfléchit ; car el<strong>le</strong> remue <strong>le</strong>s corps <strong>le</strong>s plus lourds sans <strong>le</strong>s<br />
toucher, tandis que celui-ci ne peut remuer un brin <strong>de</strong> pail<strong>le</strong><br />
ni ses membres perclus. Enfin, ce moi inintelligent, simp<strong>le</strong><br />
force vita<strong>le</strong>, a la clairvoyance, la divination, etc., etc., tandis<br />
que <strong>le</strong> moi intelligent ne voit pas souvent ce qui est <strong>le</strong> plus<br />
évi<strong>de</strong>nt. <strong>Le</strong>s savants en étaient une preuve : l'âme inconsciente<br />
d'un sot révélait <strong>de</strong>s merveil<strong>le</strong>s <strong>avec</strong> une tab<strong>le</strong> ou <strong>avec</strong><br />
un crayon, et <strong>le</strong> moi si intelligent <strong>de</strong>s savants ne disait sur ce<br />
sujet que <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s inepties. -— D'autres décidèrent que<br />
l'âme universel<strong>le</strong> venait animer <strong>le</strong>s tab<strong>le</strong>s. Comme cel<strong>le</strong>-ci est<br />
divine, el<strong>le</strong> sait tout. C'était spécieux. — Mais on <strong>le</strong>ur objectait<br />
que cette gran<strong>de</strong> âme, qui anime <strong>le</strong>s plantes et <strong>le</strong>s brutes,<br />
ne manifeste sa haute intelligence qu'autant que <strong>le</strong> sujet dans<br />
<strong>le</strong>quel el<strong>le</strong> s'enferme lui permet <strong>de</strong> se développer. Or, il est<br />
évi<strong>de</strong>nt qu'une tab<strong>le</strong> lui en fournit moins <strong>le</strong>s moyens, que<br />
l'animal <strong>le</strong> plus stupi<strong>de</strong> : on faisait une fou<strong>le</strong> d'autres objections;<br />
mais <strong>le</strong>s savants, quand il s'agit <strong>de</strong> renoncer à <strong>le</strong>ur sentiment,<br />
sont, comme on sait, fort rétifs. D'autres, mieux avisés, virent,<br />
à n'en pouvoir douter, que l'âme inconsciente et la prétendue<br />
âme <strong>de</strong> l'univers, par <strong>de</strong>s raisons qu'on ne peut citer ici, ne<br />
pouvaient être <strong>le</strong>s auteurs <strong>de</strong> ces étranges phénomènes ; décidant<br />
alors que c'étaient <strong>de</strong>s intelligences malignes et laissant<br />
à d'autres <strong>le</strong> soiu <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur trouver un nom, ils cessèrent <strong>de</strong>s<br />
pratiques qu'ils déclarèrent blâmab<strong>le</strong>s et dangereuses. Mais<br />
d'autres forcés aussi <strong>de</strong> reconnaître <strong>de</strong>s intelligences, peu<br />
disposés par vieil<strong>le</strong> habitu<strong>de</strong> à admettre <strong>de</strong>s anges ou <strong>de</strong>s<br />
diab<strong>le</strong>s, décidèrent que c'étaient <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts. A <strong>le</strong>ur<br />
appel, ceux-ci font venir, non du ciel, mais <strong>de</strong> l'immensité,<br />
non <strong>de</strong> l'enfer qui n'existe pas, non du purgatoire, mais <strong>de</strong>s<br />
planètes où el<strong>le</strong>s vivent agréab<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong> Robespierre,
XXIV INTRODUCTION.<br />
<strong>de</strong> Cartouche, <strong>de</strong> Swe<strong>de</strong>nborg, <strong>de</strong> Socrate, etc., etc. El<strong>le</strong>s<br />
forcent aussi <strong>de</strong> venir dans un guéridon, l'âme d'Abraham,<br />
<strong>de</strong> David, <strong>de</strong>Bossuet, <strong>de</strong> Fénelon, etc., etc., et toutes donnent<br />
<strong>de</strong>s preuves intelligentes et matériel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur présence.<br />
Ceux-ci, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s partisans <strong>de</strong> l'âme universel<strong>le</strong>, veu<strong>le</strong>nt<br />
établir une religion unitaire, rationnel<strong>le</strong>, désirée <strong>de</strong>puis longtemps<br />
par <strong>le</strong>s philosophes, mais il lui manquait <strong>le</strong>s prodiges<br />
qui cimentent <strong>le</strong>s religions, et qui maintenant ne lui feront,<br />
plus défaut. — <strong>Le</strong>s révélations <strong>de</strong> l'âme <strong>de</strong> l'univers et cel<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>s esprits, toutes plus ou moins contradictoires entre<br />
el<strong>le</strong>s, conservent en partie la mora<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'Évangi<strong>le</strong>, dont el<strong>le</strong>s<br />
rejettent plus ou moins <strong>le</strong>s dogmes 1<br />
. — C'est l'avènement<br />
prédit par <strong>le</strong>s sectes <strong>de</strong>s hérétiques et <strong>de</strong>s illuminés. <strong>Le</strong>s apotres<br />
<strong>de</strong> la religion unitaire qui se comptent, dit-on, déjà par<br />
millions sur <strong>le</strong> globe, ont formé dans <strong>le</strong>s grands centres <strong>de</strong><br />
population <strong>de</strong>s sociétés qui exercent une propagan<strong>de</strong> active.<br />
Ces mêmes apôtres par<strong>le</strong>nt dans <strong>le</strong>urs brochures <strong>de</strong> la religion<br />
unitaire, <strong>le</strong>s uns comme d'un bienfait, d'autres en font une<br />
menace, selon la position, sans doute, <strong>de</strong> ceux qui <strong>le</strong>s liront.<br />
En attendant, <strong>le</strong>s masses restent sceptiques, incrédu<strong>le</strong>s, insouciantes,<br />
vivent <strong>de</strong> la philosophie voltairienne qui maintenant<br />
perd chaque jour du terrain. <strong>Le</strong>s matérialistes restent<br />
stationnaircs; ceux qui admettent <strong>le</strong>s esprits, en revenant sur<br />
<strong>le</strong>urs pas, sont <strong>de</strong>venus hommes <strong>de</strong> progrès ; que l'on ail<strong>le</strong> en<br />
arrière ou en avant, c'est toujours marcher, et <strong>le</strong>s voltairiens<br />
ne marchent plus. <strong>Le</strong>s faux spiritualistes et <strong>le</strong>s sphïtis<strong>Le</strong>s,<br />
se rencontrent chemin faisant <strong>avec</strong> l'Église qui n'a jamais<br />
varié, <strong>avec</strong> cette différence que <strong>le</strong>s premiers ressuscitent <strong>le</strong><br />
paganisme <strong>avec</strong> ses monstrueuses erreurs et retombent dans<br />
la barbarie, tandis que <strong>le</strong> christianisme a civilisé <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>.<br />
I. Si la réforme, comme l'a dit Lamennais, « fut forcée <strong>de</strong> joindre la lolé-<br />
nmrc du crime» la tolérance <strong>de</strong> l'erreur. » il en «ira <strong>de</strong> même, )in!ici|ia<strong>le</strong>mi.'nl<br />
dan» cette nouvel<strong>le</strong> religion.
DES<br />
RAPPORTS DE L'HOMME<br />
AVEC<br />
LIVRE PREMIER<br />
CHAPITRE I<br />
Essai sur l'origine <strong>de</strong> l'idolâtrie. — Oubli <strong>de</strong> la révélation primitive. — Révé<br />
lations opposées ; Dieu ou <strong>de</strong>s dieux, lumière et ténèbres, se sont subs<br />
titués au premier principe méconnu par <strong>le</strong>s Gentils.<br />
Essai sur l'origine <strong>de</strong> l'idolâtrie.<br />
On n'a point ici la prétention <strong>de</strong> vouloir parcourir<br />
<strong>le</strong> tortueux déda<strong>le</strong> où tant d'autres se sont égarés, et<br />
où il est pru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> ne point s'engager : une obscurité<br />
trop profon<strong>de</strong> cache à nos regards curieux l'origine <strong>de</strong>s<br />
religions. Dans ces sièc<strong>le</strong>s reculés, voisins du berceau<br />
du mon<strong>de</strong>, au lieu <strong>de</strong>s monuments historiques <strong>de</strong>s<br />
sièc<strong>le</strong>s adultes, on ne trouve que <strong>le</strong>s bégayements <strong>de</strong><br />
l'enfance, on <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce, ou <strong>de</strong>s contradictions. On n'en<br />
peut être surpris. <strong>Le</strong>s révolutions politiques ont entraîné<br />
<strong>le</strong>s révolutions religieuses : à un culte renversé<br />
on en a substitué un nouveau. Une religion, aujourd'hui<br />
dominante, étant persécutée <strong>le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, on<br />
i. 1
2 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
voit ses prêtres vénérés comme <strong>le</strong>s amis <strong>de</strong>s dieux, bientôt<br />
errants, vagabonds et méprisés comme <strong>de</strong> vils magiciens.<br />
Donc tout a concouru à ce que <strong>le</strong>s théogonies<br />
et <strong>le</strong>s doctrines religieuses fussent ignorées ou peu<br />
connues; <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s, en se civilisant, <strong>le</strong>s ont modifiées.<br />
<strong>Le</strong>s explications <strong>de</strong>s allégories, <strong>le</strong>s récits mythologiques,<br />
ont con<strong>de</strong>nsé <strong>de</strong>s ténèbres déjà trop épaisses :<br />
à certaines époques <strong>le</strong>s astres sont <strong>de</strong>s dieux, à une<br />
autre, ces dieux ont été <strong>de</strong>s hommes déifiés, puis dos<br />
philosophes ont prétendu que ces dieux étaient <strong>le</strong>s<br />
emblèmes <strong>de</strong> la nature, <strong>de</strong> la force génératrice, <strong>de</strong><br />
la conservation, <strong>de</strong> la <strong>de</strong>struction. Alors <strong>le</strong>s erreurs<br />
s'accumu<strong>le</strong>nt et <strong>le</strong>s fab<strong>le</strong>s remplacent l'histoire ; puis<br />
viennent <strong>le</strong>s savants mo<strong>de</strong>rnes qui établissent aussi<br />
chacun <strong>le</strong>urs systèmes plus ou moins ingénieux et souvent<br />
si opposés entre eux que l'on est tenté <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />
rejeter tous, quoique tous, au milieu d'une fou<strong>le</strong> d'erreurs,<br />
offrent quelques vérités. Mais chaque auteur a<br />
eu <strong>le</strong> tort d'être exclusif. Huet, dans l'histoire <strong>de</strong>s<br />
dieux, n'a vu que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Moïse plus ou moins défigurée<br />
; Pluche a attribué l'idolâtrie à l'abus du langage<br />
astronomique; Banier pense qu'el<strong>le</strong> lire son origine<br />
du culte <strong>de</strong>s morts; Bergicr, <strong>avec</strong> plusieurs philosophes,<br />
<strong>de</strong>s historiens et <strong>de</strong>s poètes, repousse ce sentiment,<br />
etc., etc.<br />
On ne saurait exposer ici <strong>le</strong>s divers systèmes <strong>de</strong>s<br />
savants anciens et mo<strong>de</strong>rnes ; on dira seu<strong>le</strong>ment qu'il<br />
ne serait peut-être pas absolument impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />
concilier. Celui qui établit que <strong>le</strong>s dieux ont été <strong>de</strong>s<br />
hommes, ne renverse pas celui qui <strong>le</strong>s i<strong>de</strong>ntifie <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />
astres; saint Justin, Taticn, Clément d'A<strong>le</strong>xandrie<br />
ont pu dire que <strong>le</strong>s premiers dieux furent <strong>de</strong>s génies,<br />
sans être en opposition <strong>avec</strong> Tcrtullien, qui disait<br />
aux Romains : « On sait où sont nés vos dieux et où
AVEC LE DÉMON. 3<br />
reposent <strong>le</strong>urs cendres. » Tous ces systèmes purent<br />
être vrais selon <strong>le</strong>s époques.<br />
D'après Eusèbe, quand on eut oublié <strong>le</strong> vrai Dieu,<br />
on tourna <strong>le</strong>s regards vers <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il et la lune qui <strong>de</strong>vinrent<br />
<strong>de</strong>s dieux, et plus tard furent i<strong>de</strong>ntifiés <strong>avec</strong><br />
<strong>le</strong>s rois; Bélus, premier roi <strong>de</strong>s Assyriens, fut confondu<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il. «<strong>Le</strong>s premiers dieux, dit Eusèbe,<br />
sont <strong>de</strong>s astres; à ces époques reculées on ne voit aucune<br />
trace <strong>de</strong> ces êtres qu'on a appelés dieux sous <strong>le</strong> nom<br />
<strong>de</strong> Jupiter, d'Apollon, etc. <strong>Le</strong>s dieux n'étaient alors<br />
ni mâ<strong>le</strong>s ni femel<strong>le</strong>s ; cette œuvre <strong>de</strong> dissolution appartient<br />
à <strong>de</strong>s temps postérieurs. » Combien <strong>de</strong> sièc<strong>le</strong>s<br />
se sont écoulés auparavant ? il ne <strong>le</strong> dit point. Sanchoniaton,<br />
qui écrivait avant la guerre <strong>de</strong> Troie, donnait<br />
déjà <strong>le</strong> titre <strong>de</strong> divinités à <strong>de</strong>s hommes et à <strong>de</strong>s femmes<br />
dissolus : <strong>le</strong>s premiers inventeurs d'arts uti<strong>le</strong>s<br />
étaient déifiés. Selon Eusèbe, Sanchoniaton aurait pu<br />
dissiper ces ténèbres déjà si épaisses et que <strong>de</strong>s prêtres<br />
augmentèrent encore, ne jugeant pas qu'il fût uti<strong>le</strong> aux<br />
peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong> connaître la vérité. Un voi<strong>le</strong> presque impénétrab<strong>le</strong><br />
cache donc <strong>le</strong>s religions <strong>de</strong> l'antiquité; la doctrine<br />
<strong>de</strong>s premiers sages était un mystère : <strong>le</strong>s anciens<br />
historiens et même <strong>le</strong>s auteurs néoplatoniciens doivent,<br />
la plupart, inspirer peu <strong>de</strong> confiance. <strong>Des</strong> traditions<br />
contradictoires, <strong>le</strong>s changements introduits par<br />
<strong>le</strong>s philosophes furent pour eux une source d'erreurs,<br />
aussi Strabon lui-même a recommandé la défiance.<br />
Quels sont <strong>le</strong>s moyens d'éclairer un peu ces ténèbres?<br />
En existe-t-il? On prétend que ce que <strong>le</strong>s anciens<br />
avaient dit <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>, on peut aujourd'hui <strong>le</strong> reconnaître<br />
; ce pays a conservé ses vieil<strong>le</strong>s traditions qui<br />
offrent une gran<strong>de</strong> analogie <strong>avec</strong> ce que l'on cite <strong>de</strong> la<br />
haute antiquité. Cette analogie, dit-on, est prouvée par<br />
<strong>le</strong>s auteurs, par <strong>le</strong>s explications <strong>de</strong>s allégories, par <strong>le</strong>s
4 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
récits <strong>de</strong>s philosophes qui avaient voyagé chez <strong>le</strong>s différents<br />
peup<strong>le</strong>s.<br />
On se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> comment <strong>le</strong>s religions se sont introduites?<br />
si on adora un seul dieu ou plusieurs dieux?<br />
Furent-el<strong>le</strong>s inventées? L'idée <strong>de</strong> la divinité et <strong>de</strong> son<br />
culte n'cst-el<strong>le</strong>due qu'aune sorte d'instinct qui <strong>de</strong>vance<br />
<strong>le</strong> raisonnement chez <strong>le</strong>s*peup<strong>le</strong>s juvéni<strong>le</strong>s? Ont-el<strong>le</strong>s<br />
pour source larévélation?—D'après <strong>le</strong>s Livres sacrés <strong>de</strong>s<br />
Juifs, Dieu s'est révélé, et selon ceux <strong>de</strong>s Gentils, la divinité<br />
s'est manifestée souvent aux hommes. <strong>Le</strong>s anciens<br />
chefs <strong>de</strong> famil<strong>le</strong> assuraient tous qu'ils tenaient <strong>le</strong>urs<br />
notions <strong>de</strong> la divinité d'el<strong>le</strong>-même ; ils n'avaient point<br />
inventé <strong>le</strong>s religions, et croyaient fermement à <strong>de</strong>s<br />
révélations. Aussi Platon voulait-il qu'on acceptât <strong>le</strong>s<br />
traditions <strong>de</strong>s anciens sans raisonner : « Ils ont, disait-il,<br />
connu la divinité comme <strong>le</strong>ur propre père,<br />
et on doit <strong>le</strong>s croire comme ses fils. » On verra dans<br />
la suite <strong>de</strong> cet ouvrage <strong>le</strong>s motifs <strong>de</strong> cette foi aux révélations,<br />
que <strong>de</strong>s communications à toutes <strong>le</strong>s époques<br />
ont corroborée. Sinon, la croyance à ces manifestations<br />
prétendues divines, loin <strong>de</strong> traverser <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s,<br />
serait <strong>de</strong>puis longtemps détruite.<br />
Une difficulté assez grave surgit : ces révélations se<br />
contredisent. Doit-il en être ainsi, si el<strong>le</strong>s émanent <strong>de</strong><br />
la divinité ?<br />
Oubli <strong>de</strong> la révélation primitive.<br />
11 y a <strong>de</strong>ux sources <strong>de</strong> révélations : l'une bonne, qui<br />
est la vérité même; l'autre mauvaise, origine <strong>de</strong> l'erreur.<br />
<strong>Le</strong>s unes émanent du Créateur, <strong>le</strong>s autres <strong>de</strong><br />
l'esprit malin, ennemi <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>. Moïse nous apprend<br />
que Dieu, dès <strong>le</strong> principe, se révéla à nos premiers<br />
parents ef; <strong>le</strong>ur fit une défense. Satan intervint
AVEC LE DÉMON. S<br />
et <strong>le</strong>ur dit qu'en la violant ils seraient comme <strong>de</strong>s<br />
dieux. Cette doub<strong>le</strong> manifestation a continué durant<br />
la longue suite <strong>de</strong>s âges ; si <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> Dieu el<strong>le</strong> est<br />
parfois accompagnée <strong>de</strong> mirac<strong>le</strong>s éclatants, <strong>de</strong> la<br />
part <strong>de</strong> Satan, c'est une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> prodiges trompeurs.<br />
De là cette distinction du surnaturel et du surhumain,<br />
si importante à faire ; la véritab<strong>le</strong> révélation avait fait<br />
connaître un Dieu éternel, unique, puissant, bon,<br />
juste, créateur <strong>de</strong> l'univers; el<strong>le</strong> s'altéra, <strong>le</strong>s hommes<br />
disséminés sur <strong>le</strong> globe l'oublièrent, <strong>le</strong>s esprits malins<br />
intervinrent et trompèrent <strong>le</strong>s premiers prêtres ou chefs<br />
<strong>de</strong> famil<strong>le</strong> par <strong>de</strong> fréquentes manifestations et <strong>de</strong> nombreux<br />
prodiges bien capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> séduire, car c'étaient :<br />
la divination qui flatte la curiosité <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, <strong>le</strong>s<br />
guérisons, <strong>le</strong>s révélations <strong>de</strong> secrets uti<strong>le</strong>s à son bienêtre<br />
ou propres à satisfaire sa cupidité ou ses passions.<br />
Selon <strong>de</strong>s traditions erronées ou <strong>de</strong>s révélations mensongères<br />
: Dieu est <strong>le</strong> fou principe, la lumière incréée,<br />
c'est un être indéfini qui n'est <strong>de</strong>venu saisissab<strong>le</strong><br />
qu'en s'incorporant <strong>avec</strong> la matière qui lui est coéternel<strong>le</strong>.<br />
C'est en tirant <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> du chaos que Dieu s'est<br />
manifesté : en même temps bon et mauvais, lumière et<br />
ténèbres. Ce Dieu, sans cesser d'être un, est une dualité<br />
et même une multiplicité, car c'est une âme universel<strong>le</strong><br />
qui se fractionne en parcel<strong>le</strong>s infinies qui forment<br />
la hiérarchie décroissante <strong>de</strong>s êtres <strong>de</strong>puis la lumière<br />
la plus pure jusqu'à la matière la plus opaque. La<br />
doctrine sortie <strong>de</strong> cette révélation contient en germe<br />
<strong>le</strong> Dieu nature <strong>de</strong>s matérialistes, l'âme universel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />
panthéistes, <strong>le</strong>s divinités innombrab<strong>le</strong>s du polythéisme<br />
et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux dieux rivaux du manichéisme.<br />
Que résulta-t-il <strong>de</strong> cette doctrine? Que <strong>le</strong> Dieu,<br />
premier principe éternel, fut méconnu; ce ne fut<br />
qu'un Dieu passif, inerte, inintelligent; <strong>le</strong> Dieu bon
6 DES RAPPORTS DE I/HOMME<br />
et mauvais qui régna en sa place parut seul investi <strong>de</strong><br />
la toute-puissance divine, et mérita seul aussi <strong>le</strong>s<br />
hommages <strong>de</strong>s mortels. <strong>Le</strong> Premier principe, fût-il<br />
intelligent, habite une lumière inaccessib<strong>le</strong> où il<br />
n'est occupé que <strong>de</strong> sa gloire, <strong>le</strong>s vœux qu'on lui<br />
adresse vont directement à celui ou à ceux qui <strong>le</strong><br />
remplacent. Qu'il ait été toujours passif ou qu'il ait<br />
abdiqué, ses lieutenants régnent, c'est donc à ceux-ci<br />
qu'il faut s'adresser. — Cette doctrine, si différente<br />
<strong>de</strong> cel<strong>le</strong> du mosaïsme et du christianisme, détrône<br />
Dieu, <strong>le</strong> dégra<strong>de</strong>. On aura souvent occasion <strong>de</strong> remarquer<br />
que ces dieux qui se sont substitués au vrai Dieu,<br />
sont bizarres et cruels, offrent un mélange <strong>de</strong> faib<strong>le</strong>sse<br />
et <strong>de</strong> puissance; ils connaissent l'avenir, et<br />
cependant se trompent si souve'nt, qu'on voit qu'il <strong>le</strong>ur<br />
est en partie caché, mais l'orgueil <strong>le</strong>ur permet rarement<br />
d'en faire l'aveu; on <strong>le</strong>s verra vindicatifs et<br />
colères, méchants et sanguinaires, prescrire <strong>de</strong>s rites<br />
dont on n'ose s'écarter, exiger <strong>de</strong>s sacrifices humains,<br />
etc.; on verra enfin que <strong>le</strong>s dieux, si sévères<br />
pour ceux qui <strong>le</strong>s supplient, tremb<strong>le</strong>nt <strong>de</strong>vant ceux<br />
qui <strong>le</strong>s menacent.<br />
En faisant un exposé succinct <strong>de</strong>s systèmes religieux<br />
<strong>de</strong>s Perses, <strong>de</strong>s Celtes, <strong>de</strong>s Indiens, <strong>de</strong>s Égyptiens,<br />
<strong>de</strong>s Phéniciens, etc., etc., autant que cela <strong>de</strong>vient ici<br />
possib<strong>le</strong>, on remarquera entre eux une gran<strong>de</strong> analogie<br />
, et que la doctrine d'un seul Dieu, principe<br />
éternel, créateur <strong>de</strong> toutes choses, ayant été altérée,<br />
cel<strong>le</strong> d'un Dieu éga<strong>le</strong>ment et lumières et ténèbres, qui<br />
se morcel<strong>le</strong> en une fou<strong>le</strong> innombrab<strong>le</strong> d'esprits bons et<br />
mauvais, lui fut substituée : tel<strong>le</strong> était sans doute la<br />
doctrine secrète <strong>de</strong>s initiés, car <strong>le</strong>s profanes admettaient,<br />
comme on sait, un grand nombre do dieux et <strong>de</strong><br />
déesses qui contractent <strong>de</strong>s mariages, et d'où naît une
AVEC LE DÉMON. 7<br />
postérité ; s'ils croyaient aux aventures scanda<strong>le</strong>uses<br />
<strong>de</strong> ces dieux, aux yeux <strong>de</strong>s initiés ce n'étaient que <strong>le</strong>s<br />
symbo<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s attributs divins; où <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> voyait<br />
se manifester la puissance <strong>de</strong> Baccbus, <strong>de</strong> Jupiter,<br />
d'Apollon, <strong>de</strong> Diane, <strong>de</strong> Némésis, <strong>de</strong> Junon, c'était,<br />
pour <strong>le</strong>s initiés, l'unité d'une âme universel<strong>le</strong>, la dualité<br />
divine, agissant dans <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, dans <strong>le</strong>s astres,<br />
dans <strong>le</strong>s éléments, partout où il y a vie et mouvement,<br />
et se fractionnant en conséquence en parcel<strong>le</strong>s infinies.<br />
Comme il était important d'étudier <strong>le</strong>s caractères et<br />
<strong>le</strong>s inclinations <strong>de</strong>s fractions <strong>de</strong> cette gran<strong>de</strong> âme,<br />
modifiée sans doute par <strong>le</strong>s corps dans <strong>le</strong>squels el<strong>le</strong><br />
opérait, ce fut là l'origine <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s pratiques superstitieuses<br />
propres à lier commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s génies<br />
et à se <strong>le</strong>s rendre favorab<strong>le</strong>s.<br />
Si ce sujet est obscur, si l'on croit y remarquer <strong>de</strong>s<br />
erreurs et <strong>de</strong>s contradictions, on répondra : Comment<br />
en serait-il autrement, puisqu'il était si ténébreux<br />
pour <strong>le</strong>s sages et p<strong>le</strong>in <strong>de</strong> contradictions même pour la<br />
caste sacerdota<strong>le</strong> ?<br />
Essayons <strong>de</strong> passer rapi<strong>de</strong>ment en revue ces divers<br />
systèmes religieux, et d'examiner ce qu'ils ont d'analogue<br />
entre eux; cet exposé sera bien incomp<strong>le</strong>t, car<br />
<strong>le</strong> sujet est très-vaste. Voici ce qui a paru <strong>le</strong> plus clair<br />
dans ce chaos.<br />
Révélations opposées; Dieu ou <strong>de</strong>s dieux, lumière et ténèbres se sont<br />
substitués au premier principe méconnu par <strong>le</strong>s Gentils.<br />
<strong>Le</strong>s sages <strong>de</strong> Chaldée reconnaissaient un feu, principe<br />
intelligent, lumière incréée, ayant pour ministres<br />
<strong>de</strong>s dieux bons et mauvais, qui n'ont qu'une surintendance<br />
généra<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s sept planètes ; il fallait<br />
se rendre propices ces dieux-ministres, parcel<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong> la lumière incréée qui remplit l'espace entre <strong>le</strong>s
8 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
astres, <strong>le</strong>s relie ensemb<strong>le</strong>, et <strong>le</strong>ur donne <strong>le</strong> mouvement.<br />
L'âme <strong>de</strong> la matière, ayant son siège à une<br />
gran<strong>de</strong> distance <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong>, perd son éclat à<br />
mesure qu'el<strong>le</strong> s'éloigne <strong>de</strong> sa source, dont la pureté<br />
et la clarté ne peuvent se concevoir ; <strong>de</strong>venue matériel<strong>le</strong><br />
au <strong>de</strong>gré <strong>le</strong> plus inférieur, el<strong>le</strong> forme <strong>le</strong> chaos,<br />
et son ensemb<strong>le</strong> la chaîne d'Osiris, dont l'une <strong>de</strong>s<br />
extrémités est la lumière, principe actif, et l'autre <strong>le</strong>s<br />
ténèbres, principe passif.<br />
En Perse, <strong>le</strong>s mages reconnaissaient <strong>de</strong>ux principes :<br />
l'un bon, l'autre mauvais. Oromase et Ahrimane,<br />
émanés <strong>de</strong> Mithra, Dieu suprême, feu intelligent,<br />
dont <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il est l'emblème. Mithra avait forcé <strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>ux principes à se réunir : ceux-ci occupent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux<br />
extrémités <strong>de</strong> la chaîne et forment, l'un, la lumière,<br />
et l'autre, la matière brute ; <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux dieux se divisent<br />
en une vaste hiérarchie d'intelligences, <strong>le</strong>s unes pures,<br />
<strong>le</strong>s autres impures.<br />
Dans l'In<strong>de</strong>, <strong>le</strong>s gymnosophistes adoraient la lumière<br />
intelligente, immatériel<strong>le</strong> et infinie, et reconnaissaient<br />
aussi la matière, ou <strong>le</strong> chaos, à qui cette<br />
intelligence donna la forme sans pouvoir lui ôter<br />
son imperfection : ainsi la matière est coéternel<strong>le</strong><br />
au Dieu lumière. Vient ensuite la division en dieux<br />
subalternes qui ont p<strong>le</strong>in pouvoir pour gouverner <strong>le</strong><br />
mon<strong>de</strong>, etc.<br />
Lasccte <strong>de</strong>s brahmesreconnaissait aussi un Dieu principe<br />
<strong>de</strong>s dieux inférieurs. Wichnou, Shiva et Brahma<br />
réunissent ensemb<strong>le</strong> tous <strong>le</strong>s attributs du Parabrama.<br />
Malgré l'obscurité <strong>de</strong>s théogonies égyptiennes, on<br />
peut y retrouver aussi la doctrine <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux principes,<br />
qu'un prêtre égyptien avait révélée à Plutarquc, <strong>le</strong>quel<br />
a discuté longuement ce sujet : « <strong>Le</strong>s matérialistes,
AVEC LE DÉMON. 9<br />
la mer. » Il rejette ces explications : « <strong>Le</strong>s platoniciens,<br />
dit-il, ont vu dans Isis, Osiris et Typhon, <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
dont <strong>le</strong>s uns sont bons, d'autres mauvais; <strong>le</strong>s principes<br />
<strong>de</strong> l'univers ne sont point inanimés, comme<br />
l'ont pensé <strong>le</strong>s épicuriens ; l'opinion <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux principes<br />
remonte à une haute antiquité, et el<strong>le</strong> est<br />
consacrée par <strong>le</strong>s mystères et <strong>le</strong>s sacrifices. H y a<br />
<strong>de</strong>ux puissances opposées, marquées sensib<strong>le</strong>ment<br />
dans <strong>le</strong>s fab<strong>le</strong>s égyptiennes; l'une fait <strong>le</strong> mal, l'autre<br />
est la cause du bien : Osiris et Typhon, en Egypte<br />
comme ail<strong>le</strong>urs, sont en opposition, c'est la lumière et<br />
<strong>le</strong>s ténèbres; Osiris s'applique aux génies bienfaisants,<br />
Typhon est <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong>s génies malfaisants, qui<br />
sont mensonges et ténèbres. » {Analyse à"unpassage <strong>de</strong><br />
Plutarque.)<br />
Inachus, Cadmus, Cécrops, ayant apporté <strong>le</strong>ur<br />
doctrine à la Grèce encore barbare, une confusion<br />
monstrueuse enfanta pour <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> <strong>le</strong>s fab<strong>le</strong>s allégoriques<br />
que Linus, Mélampus, Orphée se gardèrent<br />
d'expliquer à tous autres qu'aux initiés. Mais sous <strong>le</strong><br />
voi<strong>le</strong> <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s on retrouve encore <strong>le</strong> Premier principe<br />
; d'après Orphée, tout était dans <strong>le</strong> sein <strong>de</strong> Jupiter :<br />
l'Océan, <strong>le</strong> Tartare, la terre, 1 ether et <strong>le</strong>s dieux; une<br />
âme vivifiante était répandue partout. Cette unité ne<br />
s'opposait point à ce que <strong>le</strong>s Grecs reconnussent une<br />
dualité ; ils admettaient aussi l'existence <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux principes<br />
contraires. Selon Hésio<strong>de</strong>, <strong>le</strong> premier <strong>de</strong>s dieux<br />
est <strong>le</strong> Chaos ou <strong>le</strong>s Ténèbres; après la formation <strong>de</strong> la<br />
terre, ce qui est au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>vint <strong>le</strong> domaine <strong>de</strong>s dieux<br />
cé<strong>le</strong>stes, ce qui est au-<strong>de</strong>ssous <strong>le</strong> district <strong>de</strong>s dieux<br />
infernaux; l'amour, <strong>le</strong> souverain <strong>de</strong>s autres dieux,<br />
principe actif, gouverne tout dans <strong>le</strong> Ciel et dans <strong>le</strong><br />
Tartare ; partout où il est, sa lumière pure dissipe <strong>le</strong>s<br />
ténèbres du Chaos.
10 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
D'après la doctrine <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s, il existe <strong>de</strong>ux divinités<br />
principa<strong>le</strong>s : Taranis, dieu du tonnerre, et<br />
Teutatès, auquel on immo<strong>le</strong> dos victimes humaines,<br />
celui qu'on croit i<strong>de</strong>ntique <strong>avec</strong> Tuiston, dieu infernal<br />
<strong>de</strong>s Germains; <strong>le</strong> dieu du feu et celui <strong>de</strong> l'eau ont<br />
tout créé par <strong>le</strong>ur union, en se séparant ils causeront<br />
la ruine <strong>de</strong> l'univers. Dans cette doctrine trop peu<br />
connue pour l'examiner ici, il existe un Dieu suprême<br />
dont <strong>le</strong> nom est inconnu, il unit <strong>de</strong>ux dieux émanés<br />
<strong>de</strong> lui formant tantôt un Dieu unique, tantôt une<br />
dualité.<br />
C'est à Sanchoniaton, selon Mignot, qu'on doit <strong>de</strong><br />
connaître la cosmogonie <strong>de</strong>s Phéniciens; ceux-ci posaient<br />
pour principes <strong>de</strong> l'univers un air ténébreux,<br />
agité comme <strong>le</strong> vent, puis <strong>le</strong> chaos, c'est-à-dire la<br />
matière. Ces principes existaient dans un espace sans<br />
limites, l'esprit conçut <strong>de</strong> l'amour pour eux et s'y unit.<br />
Là sont encore <strong>de</strong>ux principes : l'air ténébreux et<br />
subtil et un sombre chaos, c'est <strong>le</strong> ciel et la matière<br />
dans <strong>le</strong>ur état primitif. L'être intelligent communique<br />
<strong>le</strong> mouvement au chaos et en coordonne <strong>le</strong>s parties<br />
pour former l'univers.<br />
D'après ceci, il faudrait conclure que, malgré la<br />
gran<strong>de</strong> obscurité <strong>de</strong> ces doctrines pour nous, et <strong>de</strong>s<br />
erreurs inévitab<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong>s présentent au fond une assez<br />
gran<strong>de</strong> analogie entre el<strong>le</strong>s.<br />
Une âme universel<strong>le</strong> assez aveug<strong>le</strong>, d'où surgissent<br />
<strong>de</strong>ux dieux, l'un bon, l'autre mauvais, ou même un<br />
seul Dieu en môme temps bon et mauvais, qui réglant<br />
tout et administrant tout en souverain maître, a<br />
fait oublier <strong>le</strong> premier être et s'est fait adorer à sa<br />
place<br />
. Pour ces documents, épars dans <strong>le</strong>s anciens historiens et exposés
AVEC LE DÉMON. 11<br />
Il nous reste à examiner une autre doctrine.<br />
On a dit en commençant que si Dieu avait fait primitivement<br />
une révélation, el<strong>le</strong> avait été oubliée et<br />
même altérée par <strong>de</strong>s manifestations que l'on crut divines.<br />
On verra qu'une petite nation qui possè<strong>de</strong> aussi<br />
<strong>de</strong>s livres sacrés <strong>de</strong> la plus haute antiquité, prétend<br />
conserver exclusivement la vraie tradition divine.<br />
D'après <strong>le</strong>s Livres sacrés <strong>de</strong>s Juifs, un Dieu existant<br />
<strong>de</strong> toute éternité a créé la matière visib<strong>le</strong> et <strong>de</strong>s êtres<br />
intelligents invisib<strong>le</strong>s; soumis à une épreuve, une<br />
portion <strong>de</strong> ces êtres succomba, d'autres persévérèrent<br />
dans <strong>le</strong> bien. Il créa <strong>l'homme</strong>, soumis lui-même à<br />
une épreuve; <strong>le</strong>s esprits déchus qui n'avaient rien<br />
perdu <strong>de</strong>s nob<strong>le</strong>s facultés inhérentes à <strong>le</strong>ur nature<br />
spirituel<strong>le</strong>, s'en servent pour <strong>le</strong> tenter, ce que Dieu<br />
permet dans certaines limites. Loin d'être <strong>le</strong>s rivaux<br />
en puissance du Dieu premier principe, loin <strong>de</strong> l'anéantir<br />
et <strong>de</strong> <strong>le</strong> supplanter, ils sont ses esclaves et<br />
ne cessent jamais d'être ses instruments, lors môme<br />
que livrés à toute <strong>le</strong>ur rage contre <strong>l'homme</strong>, ils s'efforcent<br />
<strong>de</strong> lui nuire et <strong>de</strong> l'aveug<strong>le</strong>r. L'insondab<strong>le</strong><br />
sagesse divine conduit tout. L'homme reste libre ; <strong>le</strong>s<br />
anges d'ail<strong>le</strong>urs qui ont persévéré dans <strong>le</strong> bien n'agissent<br />
qu'en Dieu et <strong>avec</strong> Dieu. Ils protègent<br />
<strong>l'homme</strong>, mais son choix est toujours volontaire au<br />
milieu <strong>de</strong> ces suggestions, dont <strong>le</strong> but est si opposé.<br />
d'une manière aussi confuse par <strong>le</strong>s mo<strong>de</strong>rnes que <strong>le</strong> sujet lui-mârne<br />
est obscur, on pourra consulter <strong>le</strong>s <strong>tome</strong>s XL, XLI, XLVI, LV, LVI<br />
et LXI <strong>de</strong>s Mémoires <strong>de</strong> littcr. <strong>de</strong> l'Académie roya<strong>le</strong> <strong>de</strong>s inscriptions et<br />
bel<strong>le</strong>s-<strong>le</strong>ttres, éd. in-12, <strong>le</strong>s trois <strong>tome</strong>s <strong>de</strong> Rol<strong>le</strong> sur <strong>Le</strong> culte <strong>de</strong> Bacchus,<br />
Oeuzertrad. par Guigniaut, etc., etc.
12 DES RAPPORTS DE l/HOMME<br />
CHAPITRE II<br />
Intervention d»,s dieux, croyance aux esprits et aux prodiges. — Noms divers<br />
donnés aux attributs divins, etc. —La divinité représentée par <strong>de</strong>s sym<br />
bo<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong> bouc, <strong>le</strong> taureau, etc. — On attribue au serpent la paternité <strong>de</strong><br />
plusieurs illustres personnages- — Symbo<strong>le</strong>s pris parmi <strong>le</strong>s êtres inanimés.<br />
— <strong>Le</strong> Phallus a pu engendrer <strong>le</strong>s infamies <strong>de</strong>s mystères. — Feu sacré. — La<br />
divinité se manifeste dans <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s. — Mysticisme païen.<br />
Intervention <strong>de</strong>s dieux, croyance aux esprits et aux prodiges.<br />
Nous allons maintenant exposer : 4° que partout<br />
on a cru à l'intervention <strong>de</strong>s dieux ou <strong>de</strong>s génies,<br />
à <strong>le</strong>urs révélations et au pouvoir par eux donné à<br />
<strong>l'homme</strong> <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s prodiges; 2° que <strong>le</strong>s profanes<br />
prirent pour autant <strong>de</strong> dieux distincts <strong>le</strong>s attributs divins,<br />
auxquels on avait donné <strong>de</strong>s noms divers, <strong>de</strong><br />
sorte qu'il en résulta une fou<strong>le</strong> innombrab<strong>le</strong> <strong>de</strong> divinités.<br />
3° <strong>Le</strong>s attributs furent représentés par divers symbo<strong>le</strong>s<br />
; on par<strong>le</strong>ra <strong>de</strong>s principaux.<br />
Tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s ont eu la ferme conviction :<br />
que<br />
<strong>l'homme</strong> peut évoquer dos intelligences invisib<strong>le</strong>s, et<br />
qu'el<strong>le</strong>s peuvent aussi se manifester librement sans<br />
être évoquées, lui révé<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s secrets, soit en songe,<br />
soit dans <strong>le</strong> délire sacré, soit même dans l'état <strong>de</strong><br />
veil<strong>le</strong> ordinaire; lui donner <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> prédire, <strong>de</strong><br />
guérir, <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r à la nature, et même <strong>de</strong> faire<br />
<strong>le</strong> mal. On voit <strong>le</strong>s dieux s'emparer parfois <strong>de</strong> l'orga-
AVEC LE DÉMON. 13<br />
nisme humain et causer cet état fâcheux, connu,<br />
comme on <strong>le</strong> verra, sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> possession.<br />
Toutes <strong>le</strong>s religions admettent la communication<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s esprits. Dans l'In<strong>de</strong>, <strong>le</strong>s gymnosophistes s'adressent<br />
à eux pour en obtenir <strong>de</strong>s secours surnaturels<br />
dans <strong>le</strong>s malheurs publics; transportés <strong>de</strong> la fureur<br />
sacrée, un dieu par<strong>le</strong> par <strong>le</strong>ur bouche ; au milieu <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>urs danses frénétiques et <strong>de</strong> convulsions ils prédisent<br />
l'avenir. C'est à eux que Brahma révéla <strong>le</strong>s Védas<br />
diversement interprétés. Que <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt<br />
qu'on fasse cou<strong>le</strong>r <strong>le</strong> sang humain, <strong>le</strong> prêtre déchirera<br />
sa propre chair ; qu'ils lui ordonnent <strong>de</strong> se jeter au<br />
milieu d'un bûcher, il obéit sans hésiter et n'hésiterait<br />
pas davantage s'il lui était enjoint d'y faire<br />
précipiter <strong>de</strong>s victimes humaines moins pures que lui.<br />
Qu'on ouvre <strong>le</strong>s Védas, on y verra <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> dévouer<br />
ses ennemis à la mort : <strong>le</strong> Sankhya indique celui<br />
<strong>de</strong> parvenir à l'extase, laquel<strong>le</strong>, outre la faculté <strong>de</strong> <strong>de</strong>viner,<br />
donne cel<strong>le</strong> d'être invulnérab<strong>le</strong>.<br />
Toutes <strong>le</strong>s sectes ont <strong>le</strong>urs Yoguis qui font <strong>de</strong>s prodiges;<br />
un chapitre du Yoga-Sastra révè<strong>le</strong> diverses<br />
pratiques propres à faire connaître <strong>le</strong> passé, <strong>le</strong> présent<br />
et l'avenir, à faire vo<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s airs, marcher sur <strong>le</strong>s<br />
eaux, se métamorphoser, etc. Nous verrons ail<strong>le</strong>urs<br />
que <strong>le</strong>s dieux aiment <strong>le</strong>s femmes. Dans <strong>le</strong> Ramayana,<br />
la vierge Kara est ravie à sa mère par <strong>le</strong> dieu<br />
infernal ; dans <strong>le</strong> Mahabharata, <strong>de</strong>s génies feignent<br />
<strong>de</strong> vouloir épouser Damahyanti pour éprouver son<br />
amant Nata; celui-ci <strong>de</strong>vient jaloux, et pour l'en punir<br />
ils lui ôtent la raison, <strong>le</strong> possè<strong>de</strong>nt et l'obsè<strong>de</strong>nt.<br />
En Chine, la doctrine <strong>de</strong> Ki-Tseu, <strong>de</strong> Lao-Tseu, <strong>de</strong><br />
Confucius, offre <strong>le</strong>s mêmes convictions; Confucius<br />
reconnaît <strong>de</strong> nombreux génies, ministres du grand<br />
Tien, qui prési<strong>de</strong>nt à l'harmonie du mon<strong>de</strong> ; répandus
H DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
comme <strong>le</strong>s flots <strong>de</strong> l'Océan, nombreux comme <strong>le</strong>s<br />
a<strong>tome</strong>s qui s'agitent dans un rayon solaire', ils gouvernent<br />
<strong>le</strong>s éléments; il en est <strong>de</strong> bons et <strong>de</strong> fort méchants,<br />
qui s'efforcent <strong>de</strong> nuire ; ils se montrent sous<br />
la l'orme du serpent que nous verrons partout jouer<br />
un si grand rô<strong>le</strong>. La magie noire s'y présente <strong>avec</strong> son<br />
cortège ordinaire : divinations, songes, augures, présages,<br />
etc. Si la secte <strong>de</strong> Foé diffère, ce n'est pas concernant<br />
la croyance aux génies, qu'el<strong>le</strong> distingue aussi<br />
en bons et mauvais. <strong>Le</strong>s discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Lao-Tscu brû<strong>le</strong>nt<br />
<strong>de</strong>s parfums en l'honneur <strong>de</strong>s bons génies, <strong>avec</strong> certaines<br />
pratiques écartent <strong>le</strong>s mauvais, entretiennent<br />
par <strong>le</strong>s secrets magiques un commerce <strong>avec</strong> tous.<br />
Que l'on se transporte chez <strong>le</strong>s Celtes, on retrouvera<br />
<strong>le</strong>s mômes pratiques mystérieuses, après quoi <strong>le</strong>s dieux<br />
donnent <strong>de</strong>s signes sensib<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur présence. <strong>Le</strong><br />
drui<strong>de</strong> reçoit <strong>de</strong>s inspirations, ce qui n'appartient d'ordinaire<br />
qu'aux initiés; sans lui <strong>le</strong>s cérémonies magiques<br />
sont illégitimes; confi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s dieux, <strong>le</strong> passé, <strong>le</strong><br />
présent, l'avenir, tout ce que la nature a <strong>de</strong> plus caché<br />
lui est révélé; aussi <strong>le</strong> drui<strong>de</strong> peut-il bou<strong>le</strong>verser la nature,<br />
métamorphoser <strong>le</strong>s hommes, évoquer <strong>le</strong>s morts,<br />
dévouer ses ennemis. Toutes <strong>le</strong>s parties <strong>de</strong> l'univers<br />
sont p<strong>le</strong>ines <strong>de</strong> génies attentifs à lui faire opérer <strong>de</strong>s<br />
choses extraordinaires. <strong>Le</strong>s drui<strong>de</strong>s ont <strong>de</strong>s charmes qui<br />
<strong>le</strong>s ren<strong>de</strong>nt invulnérab<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s amu<strong>le</strong>ttes qui <strong>le</strong>s préservent<br />
<strong>de</strong> tous dangers; ils guérissent <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s et<br />
<strong>de</strong>s cérémonies, ou en chassant l'esprit qui a causé la<br />
maladie. Ils prési<strong>de</strong>nt aux épreuves par <strong>le</strong> fer rouge,<br />
l'eau froi<strong>de</strong> et l'eau bouillante, excitent <strong>de</strong>s tempêtes,<br />
déchaînent <strong>le</strong>s vents ou <strong>le</strong>s apaisent, détruisent <strong>le</strong>s<br />
récoltes, suscitent ou font périr <strong>le</strong>s insectes qui en<br />
sont <strong>le</strong> fléau ; ils peuvent rendre <strong>l'homme</strong> impuissant,<br />
mala<strong>de</strong>, furieux, etc. Nous pourrions montrer partout
AVEC LE DÉMON. 15<br />
<strong>le</strong>s mêmes prodiges s'opérant au moyen <strong>de</strong>s mêmes<br />
puissances. Soit qu'on, se transporte en Chaldée, en<br />
Egypte, en Perse, en Phénicie, chez <strong>le</strong>s Grecs, chez<br />
<strong>le</strong>s Romains, et jusque parmi <strong>le</strong>s peupla<strong>de</strong>s <strong>le</strong>s plus<br />
sauvages, partout mêmes pratiques, mômes prodiges,<br />
éga<strong>le</strong>s convictions, ainsi qu'on <strong>le</strong> verra dans un exposé<br />
moins bref.—<strong>Le</strong> prophète Daniel qui divise en quatre<br />
classes <strong>le</strong>s sages <strong>de</strong> Chaldée, signa<strong>le</strong> aussi <strong>le</strong>s bons et<br />
<strong>le</strong>s mauvais génies et <strong>le</strong>ur commerce <strong>avec</strong> <strong>l'homme</strong>,<br />
c'est-à-dire la divination, la magie, etc.<br />
Selon Mignot <strong>le</strong>s Phéniciens admettaient l'existence<br />
d'êtres mitoyens entre Dieu et <strong>l'homme</strong>, et<br />
étaient persuadés que Dieu se servait d'eux pour gouverner<br />
<strong>le</strong> mon<strong>de</strong>.<br />
En Egypte, on retrouve <strong>le</strong>s pratiques <strong>le</strong>s plus occultes<br />
<strong>de</strong> la magie 2<br />
. <strong>Le</strong>s esprits se manifestent, ils<br />
exercent une action visib<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s statues.<br />
Donc tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s enfin étaient convaincus que<br />
<strong>de</strong>s prodiges étonnants et parfois même effrayants<br />
étaient opérés pas <strong>le</strong>s dieux ou <strong>le</strong>s génies. <strong>Le</strong>s Livres<br />
sacrés <strong>de</strong>s Juifs sont loin <strong>de</strong> <strong>le</strong> contester, mais ils font.<br />
connaître que ces dieux sont <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, c'est-à-dire<br />
<strong>de</strong>s esprits, tous mauvais, menteurs, trompeurs, qui<br />
1. Mém. <strong>de</strong> l'Acad., t. LXI.<br />
2. On sait que la magie existait en Egypte dès la plus haute antiquité<br />
: <strong>de</strong>s manuscrits sur papyrus, déchiffrés aujourd'hui par <strong>le</strong>s<br />
savants, viennent prouver qu'au moyen <strong>de</strong> formu<strong>le</strong>s on consacrait <strong>de</strong>s<br />
amu<strong>le</strong>ttes pour charmer l'eau, <strong>le</strong>s animaux, etc. On évoquait <strong>le</strong>s<br />
mânes, <strong>le</strong>s Khous; ceux-ci pouvaient s'emparer du corps <strong>de</strong>s vivants,<br />
y rési<strong>de</strong>r. Alors on était possédé par un méchant Khou, <strong>le</strong> dieu Khons<br />
expulsait heureusement <strong>le</strong>s Khous, qui pouvaient aussi obsé<strong>de</strong>r, vexer<br />
<strong>le</strong>s habitants <strong>de</strong>s maisons qu'ils hantaient. On pouvait fasciner, faire<br />
<strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> menh, figures sans doute pour envoûter. On avait enfin<br />
<strong>de</strong>s moyens d'opérer mil<strong>le</strong> horreurs, mil<strong>le</strong> méchancetés que <strong>le</strong>s lois<br />
punissaient <strong>de</strong> mort. (Chabas, Papyrus magique Jlarris.)
IO DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
ont altéré la vraie doctrine et séduit <strong>le</strong>s nations; ils<br />
montrent que <strong>le</strong>urs prodiges sont si inférieurs à ceux<br />
du Dieu <strong>de</strong>s patriarches et <strong>de</strong> Moïse, que ces dieux intrus<br />
sont forcés <strong>de</strong> subir et d'avouer même <strong>le</strong>ur défaite.<br />
Ce qu'on voit constamment <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> législateur hébreu<br />
luttant <strong>de</strong> prodiges <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s prêtres égyptiens,<br />
<strong>de</strong>puis Élie luttant <strong>avec</strong> ceux <strong>de</strong> Baal, <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s premiers<br />
chrétiens chassant <strong>le</strong>s esprits du corps <strong>de</strong>s possédés,<br />
jusqu'aux exorcistes <strong>de</strong> nos jours qui usent<br />
aussi contre eux <strong>de</strong> la même puissance. L'Ancien et <strong>le</strong><br />
Nouveau Testament proclament à chaque page l'existence<br />
<strong>de</strong>s esprits mauvais, en avertissant qu'ils se<br />
sont fait passer pour <strong>de</strong>s dieux. On verra que <strong>le</strong>urs<br />
prodiges mêmes <strong>le</strong>s dévoi<strong>le</strong>nt. <strong>Le</strong>s uns sont ridicu<strong>le</strong>s<br />
ou malfaisants, et ceux mêmes qui sont bienfaisants ne<br />
concernent que la vie matériel<strong>le</strong> et sensuel<strong>le</strong>. Il suffit<br />
<strong>de</strong> comparer <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s éclatants <strong>de</strong> Jéhovah <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />
prodiges grotesques <strong>de</strong>s dieux <strong>de</strong>s Gentils, pour reconnaître<br />
<strong>le</strong> cachet divin <strong>de</strong>s premiers et la fausseté <strong>de</strong>s<br />
seconds.<br />
Voici donc une croyance universel<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s philosophes<br />
anciens et mo<strong>de</strong>rnes ont partagée; il faut en<br />
excepter une seu<strong>le</strong> classe d'hommes, livrée au culte<br />
du bien-être matériel, qui ne <strong>de</strong>viennent nombreux<br />
qu'aux époques <strong>de</strong> déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s sociétés. Ceux-ci nient<br />
l'existence <strong>de</strong>s esprits, soutiennent que <strong>le</strong> surnaturel<br />
n'existe pas, et rejettent conséquemment tous <strong>le</strong>s prodiges<br />
qu'ils attribuent à la nature. Il ne s'agit pas actuel<strong>le</strong>ment<br />
<strong>de</strong> faire un choix parmi <strong>le</strong>s diverses doctrines<br />
religieuses, ni d'opter entre cel<strong>le</strong>s-ci et <strong>le</strong> système <strong>de</strong>s<br />
épicuriens. Notre unique but était <strong>de</strong> constater que <strong>le</strong>s<br />
livres sacrés <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s attestaient l'existence<br />
<strong>de</strong>s esprits et <strong>le</strong>urs prodiges.
AVEC LE DÉMON. 47<br />
Noms divers donnés aux attributs divins, etc.<br />
<strong>Le</strong>s profanes prirent <strong>le</strong>s divers noms donnés aux attributs<br />
divins pour autant <strong>de</strong> divinités distinctes. La<br />
même divinité avait chez <strong>le</strong> même peup<strong>le</strong> plusieursnoms,<br />
selon ses attributs et sa forme; lorsqu'el<strong>le</strong> était<br />
acceptée dans une nation étrangère, el<strong>le</strong> y prenait encore<br />
un autre nom et grossissait ainsi pour <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> la<br />
longue nomenclature <strong>de</strong>s divinités; mais toujours et<br />
partout on y retrouve <strong>le</strong> dieu bienfaisant i<strong>de</strong>ntique <strong>avec</strong><br />
<strong>le</strong> dieu malfaisant.<br />
Hérodote dit qu'Apollon est <strong>le</strong> même dieu que Bacchus,<br />
<strong>le</strong> même que Horus; Apollon était aussi confondu<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong> dieu Pan, représenté sous la forme du bouc.<br />
Ainsi <strong>le</strong> dieu <strong>de</strong> la musique, <strong>de</strong> la danse, <strong>de</strong> la lubricité<br />
était <strong>le</strong> même que <strong>le</strong> dieu <strong>de</strong>s enfers; par cette raison,<br />
Fulgence l'appel<strong>le</strong> Chtonien. D'après Plutarque, <strong>le</strong>s initiés<br />
se couronnaient <strong>de</strong> feuil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'arbre <strong>de</strong>s enfers,<br />
l'aune ou <strong>le</strong> peuplier. « Cette doctrine, dit Rol<strong>le</strong> qui<br />
i<strong>de</strong>ntifiait <strong>le</strong>s dieux cé<strong>le</strong>stes <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux infernaux,<br />
Bacchus <strong>avec</strong> Pluton, paraissait contradictoire aux initiés,<br />
auxquels on persuadait diffici<strong>le</strong>ment que ce Bacchus,<br />
qu'ils regardaient comme un dieu si grand et si<br />
pur, fût une divinité inferna<strong>le</strong>. » Plutarque ditque «<strong>le</strong>s<br />
prêtres ne communiquaient cette partie <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur doctrine<br />
qu'<strong>avec</strong> une gran<strong>de</strong> réserve et n'en parlaient qu'<strong>avec</strong><br />
une sorte d'horreur. » (Rol<strong>le</strong>.)<br />
D'après la doctrine qui considère <strong>le</strong>s astres comme<br />
<strong>de</strong>s dieux, il en est encore <strong>de</strong> même. Aviénus témoigne<br />
à Prétextatus (Macrobe) son étonnement <strong>de</strong> ce qu'on<br />
honore Apollon sous <strong>le</strong> noma<strong>de</strong> Dionysius, Bacchus et<br />
i. Recherches sur <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> Bacchus,, t. I er<br />
.<br />
2
18 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
autres dénominations, et <strong>le</strong> prie <strong>de</strong> lui expliquer, lui<br />
premier ministre <strong>de</strong> ce culte, la cause <strong>de</strong> cette multitu<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> noms. Ce n'est pas sans raison, répond celui-ci,<br />
qu'on a rapporté au so<strong>le</strong>il presque toutes <strong>le</strong>s divinités,<br />
ni une vaine superstition. <strong>Le</strong> so<strong>le</strong>il est <strong>le</strong> chef et <strong>le</strong> modérateur<br />
<strong>de</strong>s astres, et si, selon plusieurs, <strong>le</strong>s autres<br />
planètes dirigent <strong>le</strong>s choses d'ici-bas ou <strong>le</strong>s pronostiquent,<br />
nous sommes forcés <strong>de</strong> <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r comme <strong>le</strong><br />
souverain régulateur; ses propriétés ont donné naissance<br />
à <strong>de</strong>s dieux différents : comme dieu <strong>de</strong> la divination<br />
et <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine c'est Apollon; comme Dieu <strong>de</strong><br />
la paro<strong>le</strong> c'est Mercure. On l'adore sous une infinité<br />
d'autres noms qui rentrent dans <strong>le</strong> culte secret, tous,<br />
selon la manière dont on <strong>le</strong> considère. D'après un<br />
dogme sacré <strong>de</strong>s mystères, quand <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il occupe l'hémisphère<br />
supérieur, on l'appel<strong>le</strong> Apollon, et Dionysius<br />
et Bacchus quand il parcourt l'hémisphère inférieur.<br />
Chez <strong>le</strong>s Thraces, on <strong>le</strong> nomme Sabazius ; Orphée<br />
l'appel<strong>le</strong> Phanès. C'est encore <strong>le</strong> même que Pluton;<br />
l'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong>Claros, consulté sur <strong>le</strong> dieu Iao, ou <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il,<br />
répondit : <strong>Le</strong>s initiés doivent tenir <strong>le</strong>s mystères secrets,<br />
car l'esprit <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> est faib<strong>le</strong> ; <strong>le</strong> plus grand <strong>de</strong>s<br />
dieux est Iao, <strong>le</strong>quel est Pluton en hiver, Jupiter au<br />
printemps, Apollon en été. Macrobe (XVII et XX), en<br />
faisant connaître <strong>le</strong>s noms divers d'un même dieu, dit<br />
aussi que Cérès et la Lune sont i<strong>de</strong>ntiques <strong>avec</strong> Sérapis,<br />
Hercu<strong>le</strong>, Némésis et Pan, dont <strong>le</strong>s cornes sont l'emblème<br />
<strong>de</strong>s rayons du so<strong>le</strong>il.<br />
Sans entrer dans un exposé trop fastidieux, disons<br />
que Bacchus, Jupiter, Osiris, Apollon, Horus, Pluton,<br />
Sérapis, etc., dieux cé<strong>le</strong>stes et dieux infernaux, étaient<br />
<strong>le</strong> même dieu, et que Diane, Proserpine, Némésis, Junon,<br />
Vénus, Hécate, etc., déesses cé<strong>le</strong>stes et inferna<strong>le</strong>s,<br />
étaient encore <strong>le</strong> même dieu que <strong>le</strong> premier,
AVEC LE DÉMON. 49<br />
<strong>de</strong> sorte que <strong>le</strong> dieu bon et mauvais avait une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
noms <strong>de</strong> divinités mâ<strong>le</strong>s et femel<strong>le</strong>s.<br />
Plutarque nous apprend que tantôt la lune est considérée<br />
comme dieu, tantôt comme déesse : dans l'Arménie<br />
et dans la Mésopotamie, on la représentait sous <strong>le</strong>s<br />
traits d'un homme, et Bacchus, <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s cornes<br />
et un visage <strong>de</strong> femme. Ceci vient surabondamment<br />
nous prouver quel<strong>le</strong> obscurité régnait dans <strong>le</strong>s doctrines<br />
religieuses <strong>de</strong>s Gentils; <strong>le</strong>s initiés eux-mêmes<br />
n'y comprirent guère plus que <strong>le</strong>s profanes. <strong>Le</strong>s orac<strong>le</strong>s<br />
semblaient prendre plaisir à augmenter encore ces ténèbres.<br />
Ce qui paraît <strong>le</strong> plus clair, c'est que <strong>le</strong> dieu prétendu<br />
bon et <strong>le</strong> dieu mauvais étaient un seul et même<br />
être. Cette i<strong>de</strong>ntité est aussi consignée dans l'Écriture<br />
sainte. Ainsi Bacchus est <strong>le</strong> Baal <strong>de</strong>s Chaldéens, <strong>le</strong> Bélus<br />
<strong>de</strong>s rives <strong>de</strong> l'Euphrate, l'Ammon <strong>de</strong>s Lybiens, l'Apis<br />
<strong>de</strong>s Égyptiens , <strong>le</strong> Jupiter <strong>de</strong>s Assyriens , <strong>le</strong> Moloch<br />
<strong>de</strong>s Ammonites, et l'Astaroth <strong>de</strong>s Phéniciens, l'Osiris<br />
et l'isis égyptiens, <strong>le</strong> Mithra <strong>de</strong>s Perses, tous i<strong>de</strong>ntiques<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il et la lune, etc.<br />
Belphégor, Chamos, Baal, ces dieux adorés par <strong>le</strong>s<br />
Moabites et <strong>le</strong>s Hébreux, sont <strong>le</strong>s mêmes qu'Adonis ou<br />
Osiris (<strong>le</strong> so<strong>le</strong>il). Phégor est <strong>le</strong> même que Belphégor,<br />
<strong>le</strong> dieu <strong>de</strong> la luxure, <strong>le</strong> même que Priape. Tous, d'après<br />
la sainte Écriture, ne sont autres que <strong>le</strong> dragon infernal.<br />
La divinité représentée par <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong> bouc, <strong>le</strong> taureau, etc.<br />
<strong>Le</strong>s attributs <strong>de</strong> la divinité, représentés par divers<br />
symbo<strong>le</strong>s, ayant multiplié <strong>le</strong>s dieux, plusieurs auteurs<br />
ont essayé <strong>de</strong> <strong>le</strong>s expliquer. Qu'en est-il résulté? une<br />
fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> volumes où <strong>de</strong>s explications plus ingénieuses<br />
que soli<strong>de</strong>s ont été émises : Pluche, Banier, Per-
20 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
nety, etc., ont montré beaucoup d'érudition et surtout<br />
<strong>de</strong> puissance d'imagination. L'obscurité est la<br />
même ; il en <strong>de</strong>vait être ainsi. <strong>Le</strong>s religions <strong>avec</strong> <strong>le</strong><br />
temps se sont modifiées: <strong>le</strong>s dieux d'une nation victorieuse<br />
ont obtenu un culte chez <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> conquis, <strong>le</strong>s<br />
dieux principes ont été confondus <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s astres,<br />
ceux-ci <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s hommes qu'on a divinisés. <strong>Le</strong> même<br />
personnage ayant reçu différents noms, on lui a prêté<br />
diverses aventures <strong>Le</strong>s profanes prirent <strong>le</strong>s emblèmes<br />
à la <strong>le</strong>ttre, et <strong>le</strong>s initiés eux-mêmes n'auraient<br />
pu débrouil<strong>le</strong>r ce chaos. Il faut remarquer toutefois<br />
que, s'il nous <strong>de</strong>vient impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> déchiffrer<br />
cette multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> symbo<strong>le</strong>s, si vainement <strong>le</strong>s anciens<br />
et <strong>le</strong>s mo<strong>de</strong>rnes ont essayé <strong>de</strong> <strong>le</strong>s expliquer, il y en a<br />
<strong>de</strong> moins indéchiffrab<strong>le</strong>s peut-être, qu'il est uti<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
connaître.<br />
On conçoit que <strong>le</strong> feu, la lumière, aient été choisis<br />
comme symbo<strong>le</strong>s du dieu-principe; on conçoit aussi<br />
que certains animaux aient été considérés comme<br />
propres à représenter certains attributs divins ; quoi,<br />
par exemp<strong>le</strong>, <strong>de</strong> plus propre que <strong>le</strong> taureau pour être<br />
l'emblème <strong>de</strong> la force, que <strong>le</strong> bouc, cet animal lascif,<br />
pour être celui <strong>de</strong> la génération et <strong>de</strong> la fécondité,<br />
et que l'organe <strong>de</strong> la génération pour représenter<br />
<strong>le</strong> principe créateur et vivifiant? La vache, <strong>le</strong> bélier,<br />
<strong>le</strong> chien, <strong>le</strong> chat, etc., furent aussi <strong>de</strong>s emblèmes vivants<br />
<strong>de</strong> la divinité ; nous retrouverons l'adoration du<br />
bouc et du taureau dans <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s bien voisins du<br />
nôtre. Quand on donnera au symbo<strong>le</strong> la forme humaine,<br />
tantôt il portera une tête <strong>de</strong> taureau, ou simp<strong>le</strong>ment<br />
<strong>le</strong>s cornes <strong>de</strong> cet animal ou du bélier; quelquefois<br />
il aura <strong>le</strong>s pieds du bouc. Avec <strong>le</strong> temps, et<br />
selon <strong>le</strong>s circonstances, on combinera <strong>le</strong>s membres<br />
d'un animal <strong>avec</strong> ceux d'une autre espèce. L'âme uni-
AVEC LE DÉMON. 21<br />
versel<strong>le</strong> animant <strong>le</strong>s astres, <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s en représen T<br />
teront aussi <strong>le</strong>s mouvements divers. Nul doute qu'il ne<br />
soit résulté pour <strong>le</strong> peup<strong>le</strong>, <strong>de</strong> ces symbo<strong>le</strong>s si multipliés<br />
et si diversement combinés, une confirmation <strong>de</strong><br />
l'histoire fabu<strong>le</strong>use <strong>de</strong>s dieux obscènes <strong>de</strong> la mythologie;<br />
ce sera un jour, pour <strong>le</strong>s philosophes, un grand<br />
embarras, car, rougissant <strong>de</strong>s infamies <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs divinités,<br />
ils s'efforceront d'expliquer allégoriquement tout<br />
par <strong>le</strong>s phénomènes <strong>de</strong> la nature : mais on <strong>le</strong>ur prouvera<br />
qu'ils se. trompent et qu'ils se contredisent. En<br />
effet, quoiqu'ils ne crussent point aux dieux mythologiques,<br />
ils admettaient <strong>le</strong>s dieux-principes, l'âme<br />
universel<strong>le</strong> <strong>de</strong> laquel<strong>le</strong> émanent <strong>de</strong>s myria<strong>de</strong>s d'intelligences<br />
et <strong>le</strong>s âmes humaines qui gouvernent <strong>le</strong>s<br />
astres. Or si <strong>le</strong>s dieux qui régissent <strong>le</strong>s sept planètes<br />
ont été <strong>de</strong>s hommes fort dissolus, comme ils ont la<br />
prééminence sur <strong>le</strong>s dieux secondaires, c'est reconnaître<br />
que <strong>le</strong>s principaux dieux ont été eux-mêmes<br />
fort impudiques. En vain <strong>le</strong>s prêtres voudront-ils un<br />
jour expliquer <strong>le</strong>s incestes <strong>de</strong> Jupiter par <strong>le</strong>s allégories,<br />
<strong>le</strong>ur doctrine ne sera guère plus sage que cel<strong>le</strong><br />
du peup<strong>le</strong>. Ils se trompent eux-mêmes dans <strong>le</strong>urs<br />
interprétations; Plutarque avoue" qu'aucune d'el<strong>le</strong>s<br />
n'est parfaite, « mais que toutes disent bien et droitement.<br />
» En effet, <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s s'appliquent assez<br />
bien à tous <strong>le</strong>s systèmes. Si <strong>le</strong>s astres étaient <strong>de</strong>s dieux,<br />
<strong>le</strong> taureau, <strong>le</strong> bélier, <strong>le</strong> serpent <strong>de</strong>venaient <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s<br />
astronomiques. Ainsi, quand <strong>le</strong> dieu Lumière, <strong>le</strong><br />
so<strong>le</strong>il divin, dont notre so<strong>le</strong>il visib<strong>le</strong> n'est lui-même<br />
qu'une parcel<strong>le</strong>, passera par <strong>le</strong> mouvement <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier<br />
dans <strong>le</strong> signe qu'on nomme <strong>le</strong> Taureau, il, sera <strong>le</strong><br />
grand régénérateur, car c'est sous ce signe que l'âme<br />
du mon<strong>de</strong> exerce son action régénératrice; quand <strong>le</strong><br />
môme astre passe dans <strong>le</strong> signe du Bélier, comme il
22 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
prési<strong>de</strong> alors l'hémisphère supérieur, ce sera Jupiter<br />
Ammon, représenté <strong>avec</strong> la tête du bélier: quand cet<br />
astre <strong>de</strong>scendra dans l'hémisphère inférieur, il passera<br />
dans <strong>le</strong> Scorpion. C'est <strong>le</strong> mauvais génie représenté<br />
par <strong>le</strong> serpent, c'est Typhon.<br />
Anubis, i<strong>de</strong>ntique <strong>avec</strong> Hécate et Proserpine, était<br />
représenté <strong>avec</strong> une tête <strong>de</strong> chien : c'était aussi <strong>le</strong><br />
symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong> « Saturne qui porte et engendre tout ; »<br />
Plutarque, qui essaye d'expliquer la raison du choix <strong>de</strong><br />
cet animal, dit que <strong>le</strong> culte d'Anubis est fort ancien;<br />
on sacrifiait <strong>de</strong>ux coqs à ces divinités i<strong>de</strong>ntiques. Hécate<br />
était représentée <strong>avec</strong> trois corps et <strong>de</strong>ux visages,<br />
on lui donnait la figure du chien ; à chaque néoménic<br />
on lui offrait un repas. El<strong>le</strong> pouvait faire sortir <strong>le</strong>s<br />
spectres <strong>de</strong>s enfers et réprimer <strong>le</strong>ur fureur. On pouvait<br />
faire apparaître cette déesse triforme protectrice<br />
<strong>de</strong>s plus fameux magiciens. (V. Porphyr. ap. Euseb.,<br />
Prœp. ev., V.) El<strong>le</strong> était confondue <strong>avec</strong> Diane ou la<br />
lune dans <strong>le</strong>s enchantements. <strong>Le</strong>s platoniciens considéraient<br />
Hécate et Sérapis comme <strong>le</strong>s premiers <strong>de</strong>s<br />
mauvais génies. Sainte-Croix, d'après Porphyre, dit<br />
qu'Hécate se plaisait à être invoquée sous <strong>le</strong>s noms<br />
du chien et du taureau. On pourra remarquer un jour<br />
dans une certaine secte, relativement très-mo<strong>de</strong>rne,<br />
<strong>de</strong>s vestiges <strong>de</strong> ce qu'on vient <strong>de</strong> citer.<br />
Osiris, Jupiter, Apollon, Sérapis, etc., dieux i<strong>de</strong>ntiques,<br />
avaient pour symbo<strong>le</strong>s <strong>le</strong> taureau, <strong>le</strong> bélier, <strong>le</strong><br />
serpent; la vache était celui d'Isis, <strong>le</strong> chat celui <strong>de</strong><br />
Diane, <strong>de</strong> la lune, etc.<br />
On a dit que l'on combinait ensemb<strong>le</strong> <strong>le</strong>s formes<br />
<strong>de</strong>s animaux : Hécate étant la même que Proserpine,<br />
qu'Isis représentée par la vache, que Diane symbolisée<br />
dans <strong>le</strong> chat, la divinilé avait quelquefois trois têtes,<br />
et souvent <strong>avec</strong> col<strong>le</strong> do l'animal qui était son symbo<strong>le</strong>,
AVEC LE DÉMON. 23<br />
on lui donnait <strong>le</strong> corps d'un animal symbo<strong>le</strong> d'une<br />
autre divinité.<br />
Chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s on adopta <strong>de</strong>s animaux comme<br />
symbo<strong>le</strong>s. Seraient-ce <strong>le</strong>s progrès faits par la suite<br />
dans la sculpture, qui firent choisir plus fréquemment<br />
la forme humaine? Quoi qu'il en soit, on ne renonça<br />
point aux animaux symboliques ni à <strong>le</strong>urs combinaisons<br />
; mais la tête d'une divinité à forme humaine fut<br />
souvent accompagnée <strong>de</strong> cornes, parce que, chez <strong>le</strong>s<br />
anciens, <strong>le</strong>s rois <strong>le</strong>s ajoutaient à <strong>le</strong>ur diadème comme<br />
emblème <strong>de</strong> puissance.<br />
Non-seu<strong>le</strong>ment tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s prirent <strong>de</strong>s animaux<br />
pour symbo<strong>le</strong>s, mais ils choisirent encore <strong>le</strong>s mêmes<br />
animaux symboliques.<br />
En Egypte, <strong>le</strong> taureau, symbo<strong>le</strong> du so<strong>le</strong>il et <strong>de</strong> la<br />
substance humi<strong>de</strong>, représentait Osiris, principe <strong>de</strong><br />
vie, fécondité suprême. On <strong>le</strong> considérait comme producteur<br />
et comme produit, comme père et fils en<br />
même temps.<br />
Là encore, la déesse Athyr, la même qu'Isis, Diane,<br />
Proserpine, Hécate, Vénus ténébreuse, Astarté, etc.,<br />
eut pour symbo<strong>le</strong> la vache ; el<strong>le</strong> était déesse inferna<strong>le</strong>,<br />
principe passif, la même que la nuit, l'érèbe ou <strong>le</strong><br />
chaos, d'où <strong>le</strong> principe bienfaisant, représenté quelquefois<br />
par un homme <strong>de</strong> la bouche duquel sort un<br />
œuf, avait tiré <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>.<br />
Encore là enfin, <strong>le</strong>s divinités étaient souvent représentées<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux sexes; Isis, mâ<strong>le</strong> dans ses <strong>rapports</strong><br />
<strong>avec</strong> la terre, était femel<strong>le</strong> dans ses <strong>rapports</strong> <strong>avec</strong><br />
<strong>le</strong> so<strong>le</strong>il. Chez <strong>le</strong>s Phéniciens, <strong>le</strong> principe passif, <strong>le</strong><br />
chaos, la matière, la nuit, fut représenté par <strong>le</strong> taureau.<br />
En Grèce, <strong>le</strong> même animal fut <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong> Dacchus,<br />
que <strong>le</strong>s femmes <strong>de</strong>s Éléens invoquaient on s'écriant<br />
: «Viens, viens, Bacchus, <strong>avec</strong> tes pieds <strong>de</strong>
24 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
bœuf, etc., » craignant qu'il ne prît une forme trop<br />
horrib<strong>le</strong>. Dans <strong>le</strong>s mystères, il <strong>de</strong>vint <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
l'être premier-né, dont l'action sur <strong>le</strong> chaos avait fait<br />
sortir <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>..<br />
<strong>Le</strong> taureau, ici comme en Egypte est <strong>le</strong> principe<br />
actif, tandis qu'on l'a vu principe passif en Phénicie ;<br />
cette contradiction, dans un sujet qui en présente si<br />
souvent, doit d'autant moins préoccuper qu'el<strong>le</strong> n'en<br />
a que l'apparence, puisque <strong>le</strong> bon et <strong>le</strong> mauvais principe<br />
étaient i<strong>de</strong>ntiques.<br />
En Grèce comme en Egypte, <strong>le</strong> taureau était <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong><br />
du so<strong>le</strong>il et <strong>de</strong> la substance humi<strong>de</strong>, en même<br />
temps père et fils.<br />
Junon 1<br />
était la même que la déesse Athyr d'Egypte,<br />
i<strong>de</strong>ntique <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s déesses portant cornes dont on a<br />
parlé et <strong>avec</strong> Typhon.<br />
Dans toutes <strong>le</strong>s religions, c'est un fait frappant et<br />
qui prouve une antiquité qui remonte aux premiers<br />
âges, <strong>le</strong> taureau a toujours été <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'esprit<br />
générateur. Qu'on parcoure la Perse et tout l'Orient :<br />
il est <strong>le</strong> Bacchus <strong>de</strong>s Arabes, l'Apis, <strong>le</strong> Mnevis <strong>de</strong>s<br />
Égyptiens, <strong>le</strong> Jupiter, l'Osiris <strong>de</strong>s Grecs, <strong>le</strong> Taureau<br />
lumineux du Zend-Avesta, <strong>le</strong> Taureau Mithriaque <strong>de</strong>s<br />
Perses, etc. Il est partout <strong>le</strong> bon principe. Qu'on se<br />
transporte aux In<strong>de</strong>s, au Japon et dans <strong>le</strong>s contrées <strong>le</strong>s<br />
plus glacées du Nord ; ce qu'on dit du dieu Taureau,<br />
on doit <strong>le</strong> dire du dieu Serpent, <strong>avec</strong> cette différence<br />
que celui-ci était en même temps symbo<strong>le</strong> d'Osiris et<br />
<strong>de</strong> Sérapis, c'est-à-dire du principe actif et du principe<br />
passif; il en résulte qu'on <strong>le</strong> représentait souvent <strong>avec</strong><br />
une tête <strong>de</strong> taureau et une queue <strong>de</strong> serpent, forme<br />
1. Chez <strong>le</strong>s Babyloniens Junon accompagnait Apis, ils représentaient<br />
ainsi <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux principes.
AVEC LE DÉMON. 23<br />
donnée aussi quelquefois au dieu Apis. <strong>Le</strong> serpent,<br />
chez tous <strong>le</strong>s anciens peup<strong>le</strong>s, était la gran<strong>de</strong> divinité<br />
cé<strong>le</strong>ste et inferna<strong>le</strong> (dualité et unité) dont <strong>le</strong> culte s'établit<br />
chez <strong>le</strong>s Grecs et chez <strong>le</strong>s Romains.<br />
Bacchus, en Grèce, <strong>de</strong>vint sous la forme du serpent<br />
<strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jupiter, <strong>de</strong> Sérapis, <strong>de</strong> PJuton.<br />
On attribue au serpent la paternité <strong>de</strong> plusieurs illustres personnages.<br />
On aurait une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> choses curieuses à citer sur<br />
<strong>le</strong> dieu Serpent dont <strong>le</strong> culte subsiste encore chez <strong>le</strong>s<br />
nations barbares ou sauvages. C'est dans <strong>le</strong> serpent<br />
comme dans <strong>le</strong> taureau, adorés l'un et l'autre dans <strong>le</strong>s<br />
temp<strong>le</strong>s, que la divinité vient s'incarner; c'est à lui<br />
qu'on a attribué la paternité <strong>de</strong> divers personnages<br />
illustres ; il est <strong>le</strong> génie tutélaire <strong>de</strong>s princes ; il a commencé<br />
la gran<strong>de</strong>ur future <strong>de</strong> plusieurs hommes célèbres<br />
; c'est lui qui accor<strong>de</strong> <strong>le</strong> don <strong>de</strong> divination.<br />
Gardiens et protecteurs <strong>de</strong>s lieux qu'ils habitent, <strong>le</strong>s<br />
serpents étaient d'un heureux présage pour ceux auxquels<br />
ils apparaissaient, et cependant, chez tous <strong>le</strong>s<br />
peup<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> serpent était <strong>le</strong> dieu <strong>de</strong>s enfers, l'attribut<br />
<strong>de</strong>s Euméni<strong>de</strong>s ; c'est par lui qu'on évoquait <strong>le</strong>s ombres;<br />
c'était <strong>le</strong> dieu dangereux, redoutab<strong>le</strong>, effroyab<strong>le</strong>, celui<br />
dont l'Écriture dit <strong>de</strong> se défier; enfin, c'est l'antique<br />
serpent, <strong>le</strong> dragon infernal. Moïse a défendu <strong>de</strong> <strong>de</strong>viner<br />
par <strong>le</strong> serpent.<br />
Jul. Firm. Maternus (De errore prof, relig., XXVII),<br />
rapportant cette formu<strong>le</strong> <strong>de</strong>s mystères <strong>de</strong> Mithra : « <strong>Le</strong><br />
taureau est père du serpent et <strong>le</strong> serpent père du taureau...<br />
» disait aux Gentils : « Vous nous avez enfin,<br />
ô <strong>démon</strong>, découvert votre nom!.... » — « C'est donc<br />
un serpent que vous adorez, continue-t-il, il ne peut<br />
plus se cacher, dès qu'il s'est trahi lui-même... »
26 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
On est surpris <strong>de</strong> voir <strong>le</strong> serpent, en exécration dans<br />
la seu<strong>le</strong> religion juive, être cependant <strong>le</strong> dieu cé<strong>le</strong>ste<br />
et infernal chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s gentils.<br />
Il semb<strong>le</strong> donc que Dieu n'ait point permis au séducteur,<br />
qui s'était fait <strong>le</strong> dieu <strong>de</strong>s Gentils, <strong>de</strong> dépouil<strong>le</strong>r<br />
la forme qui rappel<strong>le</strong> la perversité <strong>de</strong> sa nature et la<br />
chute du premier homme.<br />
Symbo<strong>le</strong>s pris parmi <strong>le</strong>s êtres inanimés.<br />
<strong>Le</strong>s animaux n'étaient point choisis exclusivement<br />
pour symbo<strong>le</strong>s : <strong>le</strong>s Celtes adoraient la divinité sous<br />
l'emblème d'un chêne séculaire ; l'eau, <strong>le</strong> feu étaient<br />
eux-mêmes symboliques, on choisissait pour s'assemb<strong>le</strong>r<br />
<strong>le</strong>s lieux où se trouvait un étang, une fontaine.<br />
On y allumait un grand feu, on adorait <strong>le</strong>s génies qui<br />
résidaient dans cet arbre ou dans <strong>le</strong>s éléments ; puis<br />
on se livrait aux diverses pratiques du culte.<br />
On ne dit rien ici d'autres symbo<strong>le</strong>s en usage dans<br />
<strong>le</strong>s mystères : <strong>le</strong> sabot, la toupie, <strong>le</strong> miroir, la toison,<br />
<strong>le</strong> glaive, <strong>le</strong> peigne, etc. (Euscb., Prœp. ev., II, 3),<br />
tous objets sacrés qui avaient sans doute une signification<br />
pour <strong>le</strong>s initiés, et sur <strong>le</strong>squels l'imagination <strong>de</strong>s<br />
crudits peut s'évertuer comme sur tant d'autres.<br />
La Phallus a pu engendrer <strong>le</strong>s infamies <strong>de</strong>s mystères.<br />
L'organe <strong>de</strong> la génération, emblème du principe<br />
actif, avait un rang important dans <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s Gentils.<br />
On <strong>le</strong> voit en Syrie, en Perse, dans l'Asie Mineure, en<br />
Grèce, chez <strong>le</strong>s Romains; on l'a retrouvé jusqu'en<br />
Amérique, qu'il s'appel<strong>le</strong> PhnIIm, Prinpe, Mvtvnus,<br />
Liïïr/am, etc. Partout il a la même signification et <strong>de</strong>vient<br />
l'objet dos mêmes pratiques.
AVEC LE DÉMON. 27<br />
D'où vient ce culte ? Est-il né <strong>de</strong> la corruption ?<br />
On ne <strong>le</strong> pense pas. Mais s'il n'est pas l'enfant <strong>de</strong>s<br />
mœurs corrompues, il est diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> nier qu'il ne<br />
soit <strong>le</strong> père <strong>de</strong>s infamies <strong>de</strong>s mystères. — Dérive-t-il<br />
du culte du bouc ou du taureau? — Si <strong>le</strong>s pieds ou<br />
<strong>le</strong>s cornes <strong>de</strong> cet animal avaient une signification',<br />
l'organe sexuel pouvait n'être pas moins significatif<br />
ni moins propre à <strong>de</strong>venir un symbo<strong>le</strong>. <strong>Le</strong>s prêtres<br />
attachaient une haute importance à l'organe générateur<br />
du bœuf Apis. Autrefois, d'ail<strong>le</strong>urs, toute l'antiquité,<br />
loin <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r cet organe comme honteux,<br />
<strong>le</strong> considérait comme <strong>le</strong> plus nob<strong>le</strong>, parce qu'il transmet<br />
la vie. Aucun autre n'était donc plus digne d'être<br />
<strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> du principe créateur et vivifiant.<br />
<strong>Le</strong> Dieu Iao, Osiris, Horus, <strong>le</strong> même que Priape,<br />
d'après Suidas, tous <strong>le</strong>s dieux So<strong>le</strong>il, étaient représentés<br />
<strong>avec</strong> un organe propre à <strong>de</strong>venir <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
la fécondité. Selon <strong>le</strong>s explications astronomiques, la<br />
mutilation d'Osiris, d'Atys, d'Adonis, <strong>de</strong> Bacchus et <strong>de</strong><br />
tant d'autres divinités, signifiaient <strong>le</strong>s vicissitu<strong>de</strong>s du<br />
so<strong>le</strong>il. On ne saurait rapporter ici toutes <strong>le</strong>s diverses raisons<br />
qui établissent <strong>le</strong> culte du Phallus, <strong>de</strong> Priape, du<br />
Bouc et du Taureau. La vénération qu'on <strong>le</strong>ur accordait<br />
dérivait surtout <strong>de</strong> ce qu'ils étaient <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s<br />
du principe créateur et <strong>de</strong> cette croyance généra<strong>le</strong> que la<br />
divinité s'enfermait dans <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s. Tel<strong>le</strong> fut la cause<br />
<strong>de</strong> tant d'infâmes prostitutions dans la plus haute antiquité,<br />
et <strong>de</strong>s défenses que <strong>le</strong> législateur hébreu adressait<br />
à son peup<strong>le</strong>. Belphégor, dieu <strong>de</strong>s Madianites,<br />
était <strong>le</strong> même que Priape, et Osée (IX, 10) dit que <strong>le</strong>s<br />
Hébreux initiés à son culte sont <strong>de</strong>venus abominab<strong>le</strong>s<br />
l. Chez <strong>le</strong>s Égyptiens <strong>le</strong>s divers membres du taureau étaient <strong>de</strong>s<br />
symbo<strong>le</strong>s: latflte, <strong>le</strong>s pieds indiquaient <strong>le</strong>s actes particuliers <strong>de</strong> la divinité<br />
ou <strong>de</strong> ses agents. (V. t. I er<br />
, Rol<strong>le</strong>, déjà cité.)
28 DBS RAPPORTS DE L'HOMME<br />
comme <strong>le</strong>s choses qu'ils ont aimées. Plusieurs motifs<br />
empêchent d'analyser ici <strong>le</strong>s explications <strong>de</strong>s commentateurs.<br />
11 suffit <strong>de</strong> dire qu'on offrait à Belphégor ce<br />
qu'on offrait au bouc <strong>de</strong> Mendès, et il semb<strong>le</strong>rait que<br />
la cérémonie se terminait en faisant participer <strong>le</strong>s assistants<br />
à l'offran<strong>de</strong> faite d'abord au dieu<br />
<strong>Le</strong>s adorations qui s'adressaient au principe générateur<br />
donnant lieu à l'acte lui-môme, il n'est pas surprenant<br />
qu'il soit <strong>de</strong>venu un <strong>de</strong>voir et l'expression du<br />
plus insigne honneur rendu au principe actif. Ce qui<br />
sera dit plus loin expliquera mieux ce sujet. Constatons,<br />
enfin, que chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s gentils ce symbo<strong>le</strong> était<br />
respecté—oserons-nous <strong>le</strong> dire—presque autant que<br />
chez nous <strong>le</strong> signe vénéré du salut. <strong>Des</strong> femmes <strong>le</strong><br />
portaient en procession suspendu à un long bâton, et<br />
on <strong>le</strong> faisait ainsi mouvoir au moyen d'une cor<strong>de</strong> : « 11<br />
y avait, dit Hérodote, une raison sainte et secrète qu'il<br />
lui est défendu <strong>de</strong> rapporter. » Après avoir exposé,<br />
cependant, <strong>le</strong>s motifs qui font admettre qu'il <strong>de</strong>vait<br />
être adoré, il ajoute « qu'un grand nombre <strong>de</strong> peup<strong>le</strong>s<br />
l'emploient comme un objet sacré dans <strong>le</strong>s mystères.<br />
» On sait que <strong>le</strong>s femmes <strong>le</strong> portaient suspendu<br />
à <strong>le</strong>ur cou, et qu'il servait <strong>de</strong> préservatif contre <strong>le</strong>s<br />
charmes.<br />
L'être générateur étant représenté sous l'emblème<br />
du bœuf a<br />
, c'est pour cette raison que <strong>le</strong>s quarante pre-<br />
1. C'est ce que l'on verra plus loin : ce qui se passait chez certaines<br />
sectes hérétiques <strong>le</strong> rend très-vraisemblab<strong>le</strong>.<br />
2. Ce bœuf étant l'emblème vivant <strong>de</strong>là divinité suprême, ses prêtres<br />
étaient pénétrés <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur lorsqu'ils l'avaient perdu. Nul doute que<br />
la divinité n'y résidât, car il avait <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> divination, et même,<br />
comme <strong>le</strong> serpent, la puissance <strong>de</strong> <strong>le</strong> communiquer. Quand <strong>le</strong>s enfants,<br />
qui formaient son cortège, se mettaient en marche en chantant<br />
<strong>de</strong>s hymnes, l'enthousiasme sacré <strong>le</strong>s saisissait, ils prédisaient l'avenir.<br />
Selon Élien, ceux qui voulaient connaître l'avenir invoquaient Apis,
AVEC LE DÉMON. 29<br />
miers jours après l'installation du bœuf Apis, <strong>le</strong>s femmes<br />
re<strong>le</strong>vaient <strong>le</strong>ur robe en sa présence... « El<strong>le</strong>s se présentaient<br />
à lui dans toute <strong>le</strong>ur nudité, » dit Diodore <strong>de</strong><br />
Sici<strong>le</strong> (I, 85).<br />
Feu sacré.<br />
Ce culte, qui avait lieu surtout en Perse, se retrouve<br />
aussi en Grèce et chez <strong>le</strong>s Romains, et partout peut-être,<br />
car <strong>le</strong> culte du feu suivit <strong>le</strong> culte du so<strong>le</strong>il. Originairement<br />
tombé du ciel, <strong>le</strong> feu sacré était gardé par <strong>de</strong>s<br />
prêtresses; plusieurs vil<strong>le</strong>s, plusieurs temp<strong>le</strong>s étaient célèbres<br />
par <strong>le</strong>ur feu miracu<strong>le</strong>ux : en Sici<strong>le</strong> , près d'Agrigente,<br />
sur une colline était un autel sur <strong>le</strong>quel il était<br />
inuti<strong>le</strong> d'apporter du feu; quand <strong>le</strong> sacrifice était<br />
agréab<strong>le</strong> à la divinité, <strong>le</strong> bois vert s'y allumait <strong>de</strong> luimême.<br />
Pausanias rapporte comme témoin oculaire que,<br />
dans <strong>de</strong>ux vil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Lydie, il y avait un temp<strong>le</strong>, et dans<br />
chacun était un autel sur <strong>le</strong>quel étaient <strong>de</strong>s cendres.<br />
<strong>Le</strong> prêtre, la tiare en tête, y plaçait du bois sec, récitait<br />
quelques prières, et il en sortait <strong>de</strong> suite, sans qu'on<br />
y mît <strong>le</strong> feu, une flamme très-brillante. Ce feu miracu<strong>le</strong>ux<br />
servait <strong>de</strong> présage. Suétone dit que ce feu annonça la<br />
gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Tibère. D'autres ont obtenu ce même présage.<br />
(V. Encyclopédie méth., v°Feu sacré.)<br />
La divinité se manifeste dans <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s.<br />
Quoiqu'il ne nous appartienne pas, dans une esquisse<br />
aussi incomplète, <strong>de</strong> pénétrer plus avant, cependant<br />
on désirerait savoir quels furent, parmi <strong>le</strong>s pierres, <strong>le</strong>s<br />
cl <strong>le</strong>s enfants qui jouaient hors <strong>de</strong> l'enceinte du temp<strong>le</strong>, saisis <strong>de</strong><br />
l'esprit divin, faisaient <strong>de</strong>s prédictions dont la certitu<strong>de</strong> était reconnue.<br />
(V. Rolln, t. I er<br />
, ouvrage cité, ch. iv.)
30 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
arbres, <strong>le</strong>s animaux ou <strong>le</strong>s éléments, ceux qui eurent la<br />
priorité comme symbo<strong>le</strong>s divins? — On <strong>le</strong>s voit adorés<br />
simultanément dans diverses régions. On retrouve <strong>le</strong>s<br />
pierres 1<br />
et <strong>le</strong>s arbres pris pour symbo<strong>le</strong>, même après<br />
l'établissement <strong>de</strong>s simulacres; en même temps qu'un<br />
temp<strong>le</strong> est érigé au so<strong>le</strong>il sous l'emblème du taureau, <strong>le</strong><br />
chêne était adoré comme symbo<strong>le</strong> du dieu fort; ici<br />
Apollon reçoit un culte sous une forme humaine, type<br />
<strong>de</strong> la beauté; là, Jupiter sous cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong>ur et<br />
<strong>de</strong> la majesté; ail<strong>le</strong>urs l'artiste s'est servi d'un ciseau<br />
presque divin pour sculpter un dieu qui a <strong>de</strong>s pieds <strong>de</strong><br />
bouc et <strong>de</strong>s cornes <strong>de</strong> bélier.<br />
Plus loin, on voit une image obscène que la plume se<br />
refuse à décrire, puis une divinité grimaçante qui représentera<br />
un jour <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> <strong>de</strong>s légen<strong>de</strong>s. Ces symbo<strong>le</strong>s<br />
divers ont partout <strong>le</strong>ur signification, qu'ils représentent<br />
<strong>de</strong>s attributs divins, <strong>de</strong>s conjonctions ou mouvements<br />
d'astres, ou autres allégories théologiques. Nonseu<strong>le</strong>ment<br />
on <strong>le</strong>s adore comme emblèmes <strong>de</strong> la divinité,<br />
mais, ainsi qu'on <strong>le</strong> verra bientôt, on croit qu'el<strong>le</strong> y<br />
rési<strong>de</strong>, parce qu'el<strong>le</strong> y donne <strong>de</strong>s signes manifestes <strong>de</strong><br />
sa présence.<br />
Mysticisme païen.<br />
La même divinité ayant plusieurs noms et surnoms<br />
et divers simulacres, <strong>le</strong> vulgaire y voyant plusieurs<br />
dieux <strong>le</strong>ur adressa ses vœux, ce qui nous conduit ici à<br />
abor<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s faits merveil<strong>le</strong>ux. Après une prière fervente,<br />
<strong>le</strong>s suppliants ont vu <strong>le</strong>s dieux qu'ils ont priés, donner<br />
signe <strong>de</strong> vie ; <strong>de</strong>s statues ont parlé, souri ou p<strong>le</strong>uré. Ce<br />
ne sont pas seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s dévots échauffés par la prière<br />
1. Tombait-il du ciel un aérolithe, c'était une divinité.
AVEC LE DÉMON. 31<br />
qui ont vu ces prodiges, mais <strong>le</strong>s têtes fortes, <strong>le</strong>s sceptiques<br />
du sièc<strong>le</strong> ; on n'en peut douter, la divinité résid;;<br />
dans ces simulacres. Si <strong>le</strong>s dévots ont obtenu <strong>de</strong> ces manifestations<br />
et même <strong>de</strong>s révélations, si <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s<br />
ont vu Sérapis <strong>le</strong>ur indiquer <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s, Brennus,<br />
qui voulait pil<strong>le</strong>r <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> d'Apollon, a vu ce dieu sous<br />
la figure d'un ado<strong>le</strong>scent d'une beauté surhumaine;<br />
Castor et Pollux apparaissant à un Romain, lui ont annoncé<br />
<strong>le</strong> gain d'une batail<strong>le</strong>, et Julien a vu <strong>de</strong>ux fois <strong>le</strong><br />
génie <strong>de</strong> l'empire. A d'autres, la terrib<strong>le</strong> Hécate s'est<br />
manifestée sous une forme effroyab<strong>le</strong> ; est-ce l'effet <strong>de</strong><br />
l'imagination, illusion, délire? Ces questions étaient<br />
moins étrangères qu'on ne pense à l'esprit <strong>de</strong>s anciens.<br />
Brennus redoutait-il <strong>le</strong> dieu qu'il venait dépouil<strong>le</strong>r?<br />
<strong>Le</strong>s soldats qui <strong>de</strong>mandèrent à Junon si el<strong>le</strong> consentait<br />
à être transportée à Rome attendaient-ils <strong>de</strong> sa statue<br />
un signe d'acquiescement? Celui qui sut à l'instant<br />
même par Castor et Pollux la victoire <strong>de</strong>s Romains <strong>le</strong><br />
pouvait-il naturel<strong>le</strong>ment? Ce n'est pas ici <strong>le</strong> lieu <strong>de</strong> discuter<br />
<strong>de</strong> tels prodiges.On se borne à constater, d'après<br />
l'histoire, que <strong>le</strong>s Gentils ont vu, ou, si l'on veut, cru<br />
voir <strong>le</strong>urs dieux sous la forme choisie pour <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s,<br />
et que <strong>de</strong>s phénomènes inexplicab<strong>le</strong>s, à raison <strong>de</strong>s circonstances,<br />
ont fait croire à <strong>de</strong>s manifestations divines;<br />
l'histoire est p<strong>le</strong>ine <strong>de</strong> faits semblab<strong>le</strong>s.<br />
« <strong>Le</strong>s prêtres et <strong>le</strong>s initiés qui ont fait fabriquer, dira-t-on,<br />
ces emblèmes, pouvaient-ils admettre <strong>le</strong>s apparitions<br />
<strong>de</strong> dieux auxquels ils ne croyaient pas et <strong>le</strong>urs<br />
révélations? S'ils ont feint d'y croire, c'étaient <strong>de</strong>s imposteurs<br />
; s'ils y ont cru, ils tombaient dans l'erreur du<br />
vulgaire ». » Il est constant qu'ils ont cru à la réalité <strong>de</strong><br />
l. Ils étaient bien forcés d'y croire. <strong>Le</strong>s dieux eux-mêmes révélaient<br />
et prescrivaient la matière et la forme <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs statues, et même <strong>le</strong>s
32 DES HAPPORTS DE L'HOMME<br />
ces apparitions et <strong>de</strong> ces révélations ; on <strong>le</strong> prouvera<br />
ail<strong>le</strong>urs : <strong>le</strong>s premiers apologistes chrétiens confirment<br />
<strong>le</strong>ur croyance, et ne doutaient point eux-mêmes <strong>de</strong> ces<br />
prodiges. Comment expliquer ces contradictions?<br />
La divinité étant dans sa dualité bonne et mauvaise,<br />
on représentait dans un simulacre un <strong>de</strong> ses attributs.<br />
Sérapis, par exemp<strong>le</strong>, révélait <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s, Apollon<br />
accordait la divination, la terrib<strong>le</strong> Hécate vengeait<br />
<strong>le</strong>s crimes, etc. Tous étaient cependant <strong>le</strong> môme dieu<br />
représenté par autant <strong>de</strong> simulacres qu'on lui reconnaissait<br />
d'attributs. La divinité enfin se fractionnait<br />
el<strong>le</strong>-même en une infinité d'esprits; on conçoit alors<br />
qu'el<strong>le</strong> ait pu se manifester dans <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s, et que<br />
<strong>le</strong>s prêtres en fussent convaincus, sans admettre cependant<br />
la pluralité <strong>de</strong>s dieux comme l'entendait <strong>le</strong> vulgaire<br />
profane. Ceux qui firent fabriquer <strong>le</strong>s premiers<br />
simulacres probab<strong>le</strong>ment n'en attendaient pas ces prodiges;<br />
mais <strong>le</strong>s esprits malins, toujours prêts à tromper<br />
<strong>le</strong>s hommes, intervinrent, et parmi <strong>le</strong>s secrets révélés,<br />
et parmi <strong>le</strong>s facultés que l'initiation conférait, <strong>le</strong>s prêtres,<br />
par certaines consécrations, eurent ensuite <strong>le</strong> pouvoir<br />
<strong>de</strong> faire entrer la divinité dans <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s. C'est<br />
ce qu'on nommait la théopée, hoc est, dit Hermès, <strong>de</strong>os<br />
facere. <strong>Le</strong>s divers effets <strong>de</strong> cette puissance prodigieuse<br />
se sont manifestés <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> manières et si souvent chez<br />
<strong>le</strong>s Gentils, que cette prétention, qui nous semblait si<br />
ridicu<strong>le</strong>, excite la stupéfaction, sans que nos doutes<br />
pourtant puissent complètement cesser.<br />
caractères symboliques sous <strong>le</strong>squels ils se renfermaient et qui <strong>de</strong>venaient<br />
comme une <strong>de</strong>meure sacrée. [Recueil d'orac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Porphyre cité<br />
dans Eusèbe. Prép. évang. c. il, 12, 13 et 15.)
AVEC LE DÉMON. 33<br />
CHAPITRE III<br />
<strong>Des</strong> mystères. — <strong>Le</strong>ur antiquité. — Moralité <strong>de</strong>s mystères. — Mystères, mer<br />
veil<strong>le</strong>s qui s'y manifestaient. —Suite <strong>de</strong>s petits et <strong>de</strong>s grands mystères, ete.<br />
— Divers prodiges précédant ou accompagnant l'initiation.<br />
<strong>Des</strong> mystères.<br />
L'ancienne tradition enseignait que <strong>le</strong> secret <strong>de</strong>s mystères<br />
était la transmission d'une révélation faite par <strong>le</strong>s<br />
dieux à certains hommes. — <strong>Des</strong> philosophes plus tard<br />
ont prétendu que c'était <strong>le</strong> premier réveil <strong>de</strong> l'esprit<br />
humain.<br />
L'analyse la plus brève d'un sujet si obscur sur <strong>le</strong>quel<br />
on a beaucoup écrit nous est interdite ; on n'examinera<br />
donc ici que ce qui peut se rattacher à l'objet<br />
<strong>de</strong> cet ouvrage. Il y avait <strong>de</strong> petits mystères et<br />
<strong>de</strong> grands mystères; avant d'être initié à ceux-ci, on<br />
exigeait un noviciat <strong>de</strong> longues années. On appelait<br />
aussi mystères <strong>le</strong>s fêtes <strong>de</strong>s principa<strong>le</strong>s divinités. —<br />
Nous examinerons, en quelques pages seu<strong>le</strong>ment, ce<br />
qu'on peut penser 1° <strong>de</strong> l'antiquité et <strong>de</strong> la moralité<br />
<strong>de</strong>s mystères ; 2° <strong>de</strong>s secrets dévoilés aux initiés ; 3° <strong>de</strong>s<br />
prodiges qui s'y manifestaient.<br />
<strong>Le</strong>ur antiquité.<br />
<strong>Le</strong>s uns assurent qu'ils se per<strong>de</strong>nt dans la nuit <strong>de</strong>s<br />
temps; d'autres ne <strong>le</strong>s font remonter qu'aux temps historiques.<br />
t. 3
34 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
On a dit qu'Orphée en était l'auteur en Grèce; mais<br />
Orphée et Linus étaient contemporains d'Hercu<strong>le</strong>, et<br />
<strong>le</strong>s mystères étaient, dit-on, antérieurs à ce <strong>de</strong>mi-dieu.<br />
Si Orphée en a établi, il est certain aussi qu'ils existaient<br />
avant lui chez <strong>le</strong>s Grecs vivant à l'état sauvage, ce<br />
qui ne surprend point quand on sait que <strong>le</strong>s peupla<strong>de</strong>s<br />
sauvages partout ont <strong>de</strong>s cérémonies analogues. C'est<br />
par une sorte d'initiation que <strong>le</strong>urs prêtres sont mis en<br />
rapport <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s esprits, pour opérer tout ce qu'on<br />
cite <strong>de</strong> prodigieux <strong>de</strong> ces hommes auxquels nos pères<br />
donnaient <strong>le</strong> nom do sorciers et que nous nommons<br />
aujourd'hui jong<strong>le</strong>urs. Tout porte donc à penser que<br />
<strong>le</strong>s mystères remontent à une très-haute antiquité; <strong>le</strong>s<br />
révélations que <strong>le</strong>s dieux ont laites aux sages n'ont dû<br />
être transmises que sous <strong>le</strong> sceau du secret; et soit que<br />
la divinité <strong>le</strong>s ait communiquées à <strong>de</strong>s interval<strong>le</strong>s différents,<br />
soit que <strong>de</strong>s initiés aient transporté <strong>le</strong> secret chez<br />
<strong>le</strong>s nations étrangères, l'origine <strong>de</strong>s mystères a dû varier<br />
selon <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s ; mais il paraît constant que, loin d'être<br />
<strong>le</strong> fruit <strong>de</strong> la civilisation, <strong>le</strong>s mystères appartiendraient<br />
plutôt à l'état sauvage ou barbare d'une nation qu'à sa<br />
civilisation. On a <strong>de</strong> fortes raisons pour <strong>le</strong> penser; aussi<br />
<strong>le</strong>s retrouve-t-on chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'antiquité<br />
la plus reculée '.<br />
Moralité <strong>de</strong>s mystères.<br />
<strong>Le</strong>ur premier avantage, dit-on, fut <strong>de</strong> civiliser <strong>le</strong>s<br />
peup<strong>le</strong>s; <strong>le</strong> premier objet <strong>de</strong>s fêtes fut <strong>de</strong> perpétuer la<br />
l. On pourrait en donner <strong>de</strong>s preuves nombreuses. <strong>Le</strong> Lapon qui, .<br />
dans l'extase, voit ce qui se passe au loin, ne l'a appris que dans une<br />
sorte d'initiation; il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s prodiges qu'opèrent <strong>le</strong>s<br />
prêtres <strong>de</strong>s peupla<strong>de</strong>s sauvages. Giccron a fait aussi cette remarque relativement<br />
aux prodiges.
AVEC LE DÉMON. 35<br />
reconnaissance <strong>de</strong> ce bienfait ; <strong>de</strong> là <strong>le</strong>s so<strong>le</strong>nnités qui<br />
rappelaient <strong>le</strong>s obligations dues à ceux qui avaient<br />
délivré <strong>le</strong>s premiers hommes <strong>de</strong> la vie sauvage, fait<br />
connaître la Divinité, révélé l'immortalité <strong>de</strong> l'âme,<br />
<strong>le</strong>s récompenses d'une vie future, qui avaient inspiré<br />
<strong>le</strong>s vertus socia<strong>le</strong>s. L'initiation dévoilait toutes ces<br />
choses et beaucoup d'autres. Aussi fallait-il être pur;<br />
l'entrée <strong>de</strong>s mystères était interdite aux scélérats, aux<br />
magiciens, à ceux qui étaient possédés <strong>de</strong>s mauvais<br />
génies. — <strong>Le</strong> but <strong>de</strong>s mystères, enfin, dit-on encore,<br />
était non-seu<strong>le</strong>ment d'améliorer <strong>l'homme</strong>, <strong>de</strong> lui faire<br />
connaître sa gran<strong>de</strong> <strong>de</strong>stinée, mais d'affaiblir l'action<br />
<strong>de</strong> la matière sur l'âme, <strong>de</strong> la dégager <strong>de</strong> ses liens <strong>de</strong><br />
chair, ce à quoi on parvenait par <strong>le</strong>s lustrations, <strong>le</strong>s<br />
expiations, la continence.<br />
Que penser <strong>de</strong> ce beau portrait après celui qu'en ont<br />
fait <strong>le</strong>s Pères, dont plusieurs avaient été initiés?<br />
Cicéron fait un grand éloge <strong>de</strong>s mystères dans son<br />
Traité <strong>de</strong>s lois, et dit qu'ils sont une éco<strong>le</strong> <strong>de</strong> moralité;<br />
saint Augustin, dans sa Cité <strong>de</strong> Dieu, dit, au contraire,<br />
que <strong>le</strong>s prêtres veu<strong>le</strong>nt y feindre une honnêteté qui ne<br />
s'y trouve pas, et qu'on ne peut représenter sur <strong>le</strong><br />
théâtre rien <strong>de</strong> plus infâme que ce qu'on voit dans <strong>le</strong>s<br />
mystères <strong>de</strong> Vénus, <strong>de</strong> Junon, <strong>de</strong> Cérès, etc. Cependant<br />
il se commettait sur <strong>le</strong>s théâtres, en l'honneur<br />
<strong>de</strong>s dieux, <strong>de</strong>s turpitu<strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s que dans <strong>le</strong>s<br />
lieux <strong>de</strong> débauche. Il y avait tant d'infamies dans <strong>le</strong>s<br />
mystères <strong>de</strong> Liber qu'il ose à peine <strong>le</strong>s rapporter. Selon<br />
Tertullien, l'objet du culte secret <strong>de</strong>s initiés était <strong>le</strong> simulacre<br />
du membre viril, sinndacrwn membri virilis ;<br />
et, selon Théodoret, l'image <strong>de</strong> l'organe <strong>de</strong> la femme,<br />
naturœ muliebris imago. On pourrait citer ainsi plusieurs<br />
autres passages <strong>de</strong>s Pères. Clément d'A<strong>le</strong>xandrie en fait<br />
un tab<strong>le</strong>au tout aussi peu flatteur.—La nuit, dit-il,
3f> DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
révè<strong>le</strong> aux initiés <strong>le</strong>s mystères <strong>de</strong> l'impudicité; <strong>de</strong>s<br />
torches allumées éclairent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers excès <strong>de</strong> la débauche;<br />
la nuit n'a pas assez <strong>de</strong> ténèbres pour <strong>le</strong>s<br />
voi<strong>le</strong>r<br />
Si <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur trouve <strong>le</strong>s Pères suspects, qu'il consulte<br />
<strong>le</strong>s auteurs profanes. Tite-Live, citant <strong>de</strong>s faits contemporains,<br />
par<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Bacchana<strong>le</strong>s, qu'on fut obligé d'interdire;<br />
une assemblée d'hommes privés <strong>de</strong> raison 1<br />
prédisent l'avenir, dit-il, au milieu <strong>de</strong> contorsions<br />
horrib<strong>le</strong>s; <strong>de</strong>s femmes échevelées courent <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s<br />
torches ar<strong>de</strong>ntes au milieu d'une musique bruyante<br />
<strong>de</strong> tambours et <strong>de</strong> cymba<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong>s poussent <strong>de</strong>s cris<br />
affreux qui cependant ne peuvent couvrir ceux que<br />
font pousser aux néophytes <strong>le</strong>ur pu<strong>de</strong>ur outragée ; car<br />
on s'y livre par piété à <strong>de</strong>s infamies révoltantes.<br />
Maxime <strong>de</strong> Tyr, philosophe platonicien, avoue que<br />
dans <strong>le</strong>s fêtes <strong>de</strong> Bacchus tout était relatif à la volupté.<br />
Ovi<strong>de</strong> conseil<strong>le</strong> aux hommes <strong>de</strong> ne pas fuir <strong>le</strong> temp<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> Memphis, où l'on adore la génisse du Nil; cette<br />
Isis qui, séduite par Jupiter, engage tant <strong>de</strong> femmes<br />
ù suivre son exemp<strong>le</strong> Il recomman<strong>de</strong> ail<strong>le</strong>urs<br />
do ne point s'informer <strong>de</strong> ce qui se passe clans <strong>le</strong><br />
temp<strong>le</strong> d'Isis. (Ovi<strong>de</strong>, Arx amat., I, 77;— Amor.,<br />
II, u, 25.)<br />
Juvénal, en parlant <strong>de</strong> la lubricité <strong>de</strong>s femmes, s'écrie<br />
: Plût à Dieu que <strong>le</strong> culte et <strong>le</strong>s rits anciens<br />
fussent à couvert <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur profanation !... Il avait dit<br />
plus haut qu'à certains moments, au milieu <strong>de</strong>s mystères<br />
<strong>de</strong> la bonne déesse, el<strong>le</strong>s appelaient <strong>le</strong>s hommes<br />
à grands cris..., etc. (Ji/ven., VI, 329, 335.)<br />
Dulaure assure que <strong>le</strong>s turpitu<strong>de</strong>s qui se passaient<br />
i. C'est In délire sacré. Si <strong>le</strong>s mystères dont par<strong>le</strong> Tite-Live étaient<br />
condamnab<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s autres étaient-ils meil<strong>le</strong>ur??
AVEC LE DÉMOiV. 37<br />
dans <strong>le</strong>s Dionysiaques chez <strong>le</strong>s Grecs furent encore<br />
surpassées chez <strong>le</strong>s Romains.<br />
On a dit, il est vrai, que <strong>le</strong>s mystères respectab<strong>le</strong>s à<br />
<strong>le</strong>ur origine, lorsqu'on <strong>le</strong>s célébrait pendant <strong>le</strong> jour,<br />
<strong>de</strong>vinrent infâmes célébrés pendant la nuit. Mais Hérodote<br />
reconnaît que ces infamies étaient universel<strong>le</strong>s<br />
dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s; il semb<strong>le</strong> vouloir excepter <strong>le</strong>s Grecs,<br />
tandis que, selon Dulaure, tout prouve <strong>le</strong> contraire.<br />
Comment surtout concilier ce qui suit <strong>avec</strong> l'opinion<br />
<strong>de</strong> ceux qui préten<strong>de</strong>nt qu'ils étaient purs dans<br />
<strong>le</strong>ur origine? L'Écriture sainte nous apprend que <strong>le</strong>s<br />
mêmes infamies se commettaient dans <strong>le</strong>s anciens<br />
mystères. Osée, parlant <strong>de</strong> Belphégor, se plaint que<br />
<strong>le</strong>s Israélites se soient fait initier à ses abominab<strong>le</strong>s<br />
mystères. Ce dieu, d'après <strong>le</strong>s commentateurs, était<br />
Priape, c'est-à-dire <strong>le</strong> dieu <strong>de</strong> la turpitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong><br />
l'ignominie. Beyer, dans ses additions à l'ouvrage <strong>de</strong><br />
Sel<strong>de</strong>n sur <strong>le</strong>s Dieux <strong>de</strong>s Syriens, 5, conclut d'après <strong>le</strong><br />
texte sacré, que <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Moabites se prostituaient<br />
d'abord à l'ido<strong>le</strong>, puis aux Israélites. Ézéchiel reproche<br />
aux femmes <strong>de</strong> se livrer aux mêmes infamies<br />
sur <strong>le</strong>s hauts lieux <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s simulacres <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs dieux.<br />
(Ezech., XVI, 16 et 17.)<br />
Diodore <strong>de</strong> Sici<strong>le</strong> (I, 85) dit qu'à JNilopolis <strong>le</strong>s femmes,<br />
en visitant <strong>le</strong> dieu Taureau, lui offraient ce que<br />
la pu<strong>de</strong>ur défend <strong>de</strong> montrer; el<strong>le</strong>s en faisaient autant<br />
pour <strong>le</strong> bouc <strong>de</strong> Mendès.<br />
Quelques-uns ont pensé que <strong>le</strong>s Orphiques avaient<br />
pu altérer la pureté <strong>de</strong>s mystères, mais on sait qu'ils<br />
en étaient repoussés. Comment admettre qu'une institution<br />
aussi nob<strong>le</strong> que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s mystères aurait<br />
initié <strong>le</strong>s Orphiques, dont <strong>le</strong>s turpitu<strong>de</strong>s faisaient<br />
frémir. Ceux-ci, non moins méprisés pour <strong>le</strong>ur naissance<br />
que pour la secte à laquel<strong>le</strong> ils appartenaient,
38 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
étaient accusés <strong>de</strong> magie goétique et punis du <strong>de</strong>rnier<br />
supplice; ils admettaient, scion Rol<strong>le</strong>, la vertu <strong>de</strong>s<br />
formu<strong>le</strong>s magiques qui contraint <strong>le</strong>s génies d'obéir;<br />
c'étaient ces gueux dont par<strong>le</strong> Platon, qui parcouraient<br />
<strong>le</strong>s maisons <strong>de</strong>s riches en assurant qu'ils disposaient<br />
à <strong>le</strong>ur gré <strong>de</strong>s dieux dont ils se disaient <strong>le</strong>s ministres.<br />
Ces mystères étaient donc loin d'être purs, et s'il y<br />
en avait qui fussent <strong>de</strong>s éco<strong>le</strong>s <strong>de</strong> moralité 1<br />
, qu'on<br />
veuil<strong>le</strong> bien <strong>le</strong>s signa<strong>le</strong>r.<br />
Un passage <strong>de</strong> Cicéron déci<strong>de</strong>ra-t-il la question? —•<br />
On sait qu'il est <strong>le</strong> panégyriste <strong>de</strong>s mystères. Dans <strong>le</strong><br />
<strong>de</strong>uxième livre <strong>de</strong>s Lois, Cicéron <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Atticus :<br />
Que <strong>de</strong>viendront facchus et nos Eumolpidcs et tous<br />
<strong>le</strong>s augustes mystères, si vous supprimez <strong>le</strong>s sacrifices<br />
nocturnes? — Vous exceptez, je pense, répond<br />
Atticus, <strong>le</strong>s mystères auxquels nous sommes initiés?<br />
— Je <strong>le</strong>s excepterais volontiers; rien no me paraît<br />
meil<strong>le</strong>ur que <strong>le</strong>s mystères qui ont fait passer <strong>l'homme</strong><br />
<strong>de</strong> la vie sauvage à <strong>de</strong>s mœurs douces... Mais ce qui<br />
déplaît dans <strong>le</strong>s mystères, <strong>le</strong>s poètes comiques l'indiquent<br />
assez... Nous <strong>de</strong>vons prescrire rigoureusement<br />
que l'éclat du jour protège l'honneur <strong>de</strong>s femmes...,<br />
etc. — Peut-on conclure <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières<br />
expressions que ces mystères auxquels Cicéron était<br />
initié méritassent d'être exceptés? En admettant qu'ils<br />
fussent très-moraux, l'honneur <strong>de</strong>s femmes y recevait<br />
d'assez ru<strong>de</strong>s at<strong>le</strong>inlcs pour que <strong>le</strong> grand orateur<br />
ait désiré que l'assemblée eût lieu pendant <strong>le</strong> jour.<br />
<strong>Le</strong> Phallus, dont l'origine est si reculée qu'on <strong>le</strong> retrouve<br />
partout 2<br />
comme symbo<strong>le</strong> du principe vivifiant<br />
1. aijincHant qu'il y eût <strong>de</strong>s mystères où regnftt la chasteté, il<br />
en oxislail d'horrib<strong>le</strong>s que l'autorité abhorrait, et qu'on ne doit pas<br />
confondre <strong>avec</strong>, 1ns Orphiques.<br />
2. Un voyageur, au sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong>rnier, l'a retrouvé dans <strong>le</strong> Congo.
AVEC LE DÉMON. 30<br />
du dieu Pan et du so<strong>le</strong>il printanier, et adoré comme<br />
<strong>le</strong> bouc <strong>de</strong> Mendès, comme <strong>le</strong> taureau : ce symbo<strong>le</strong>,<br />
on ne saurait en douter, causa <strong>le</strong>s dissolutions<br />
dans plusieurs mystères, si ce n'est dans tous : el<strong>le</strong>s<br />
dérivaient moins peut-être <strong>de</strong>s penchants vicieux <strong>de</strong><br />
la nature que <strong>de</strong>s pratiques religieuses ordonnées<br />
par <strong>de</strong>s dieux lubriques, fornicateurs, adultères, incestueux.<br />
<strong>Le</strong>s plus chastes s'y livraient par dévotion<br />
la meil<strong>le</strong>ure manière d'adorer l'emblème, n'était-ce pas<br />
<strong>de</strong> pratiquer l'acte? D'ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong>s circonstances favorisaient<br />
ce débor<strong>de</strong>ment ; ce fut d'abord sur <strong>le</strong>s montagnes,<br />
dans <strong>le</strong>s forêts, qu'eurent lieu ces assemblées ;<br />
c'était la nuit, l'exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong>s dieux y conviait, <strong>le</strong>ur<br />
précepte <strong>le</strong> commandait. Il est donc diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> penser<br />
que ces réunions fussent pures dans <strong>le</strong>ur origine, ou<br />
qu'el<strong>le</strong>s <strong>le</strong> soient <strong>de</strong>venues. Dans <strong>le</strong> principe c'étaient<br />
<strong>de</strong>s infamies, et, à l'époque où vivait Cicéron, selon<br />
Warburton, qui est <strong>le</strong>ur apologiste, mystères et abominations<br />
étaient synonymes. On laisse à d'autres <strong>le</strong> soin<br />
<strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r.<br />
Mystères, merveil<strong>le</strong>s qvi s'y manifestaient.<br />
L'obscurité signalée ail<strong>le</strong>urs existe surtout ici, car<br />
c'était un secret : d'abord un parjure était puni <strong>de</strong><br />
mort; ensuite <strong>le</strong>s bou<strong>le</strong>versements politiques et religieux<br />
et <strong>le</strong>s interprétations <strong>de</strong>s philosophes étaient<br />
bien propres à augmenter <strong>le</strong>s ténèbres. L'initié était<br />
1. <strong>Le</strong> pore Horace délia Ponna reprochait au grand Lama l'obscénité<br />
<strong>de</strong>s cérémonies religieuses du Thibct; celui-ci répondit : «Votre législateur<br />
ne connaît pas la magie secrète <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s; nos Mages embrassent<br />
<strong>le</strong>s femmes, mais ne consomment point l'acte <strong>avec</strong> el<strong>le</strong>s. » On<br />
n'essayera pas d'expliquer ces expressions, mais si <strong>le</strong>s Mages s'abstenaient<br />
par continence, <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> sans doute ne <strong>le</strong>s imitait pas.
40 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
peut-être d'ail<strong>le</strong>urs, ce qu'on peut remarquer dans<br />
d'autres initiations, obligé <strong>de</strong> <strong>de</strong>viner <strong>le</strong> mystère.<br />
Toutefois certaines parties sont bien connues, car<br />
toutes n'étaient point l'objet d'un secret. A l'établissement<br />
du Christianisme, <strong>de</strong>s Gentils initiés aux mystères<br />
et <strong>de</strong>venus chrétiens ne craignirent pas <strong>de</strong> dévoi<strong>le</strong>r<br />
ce qu'ils savaient; mais la plupart, comme<br />
<strong>le</strong>s francs-maçons <strong>de</strong> nos jours, que pouvaient-ils dévoi<strong>le</strong>r?<br />
ils voyaient <strong>de</strong>s cérémonies dont ils n'avaient<br />
pas la c<strong>le</strong>f. <strong>Le</strong>s explications que l'on donnait étaient<br />
énigmatiques el<strong>le</strong>s-mêmes. Clément d'A<strong>le</strong>xandrie, qui<br />
n'était peut-être initié qu'aux petits mystères, nous<br />
apprend fort peu <strong>de</strong> choses : « Ils ne font, dit-il, que<br />
<strong>de</strong>s folies et <strong>de</strong>s infamies. On y explique <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s<br />
ridicu<strong>le</strong>s qui font connaître <strong>le</strong>s aventures <strong>de</strong>s<br />
dieux ou <strong>le</strong>s interprètent naturel<strong>le</strong>ment. <strong>Le</strong> serpent<br />
qui se glisse dans <strong>le</strong> sein <strong>de</strong>s initiés, c'est l'inconstance,<br />
symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jupiter, qui a séduit sous la forme du serpent...<br />
Tous <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s sont ridicu<strong>le</strong>s, une toupie,<br />
un sabot, un miroir, etc. Tout cela conduit à connaître<br />
une fab<strong>le</strong> dont <strong>le</strong> sens reste caché... » Clément n'avait<br />
pas été initié sans doute aux grands mystères. Celui<br />
qui ne voyait que ce qu'on vient <strong>de</strong> citer était fort loin<br />
<strong>de</strong> connaître cette vérité découverte ail<strong>le</strong>urs, ce qu'on<br />
nommait l'autopsie : il est constant qu'une fou<strong>le</strong> d'initiés<br />
ne savaient encore que <strong>de</strong>s fab<strong>le</strong>s. Clément pourtant<br />
a pu <strong>de</strong>viner une partie du secret : déclamant contre<br />
ces assemblées, il <strong>le</strong>s met sur la même ligne que cel<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>s magiciens qui se livrent à <strong>de</strong>s opérations nocturnes,<br />
au rang <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s bacchantes et <strong>de</strong>s prêtres<br />
<strong>de</strong> Bacchus, qui, selon lui, sont tous dignes du feu.<br />
Quant aux prodiges, il n'en par<strong>le</strong> pas, et se borne à dire<br />
que <strong>le</strong>s fêtes <strong>de</strong> Bacchus se célèbrent dans <strong>le</strong> délire<br />
sacré en dévorant <strong>de</strong>s vian<strong>de</strong>s crues... — On verra que
AVEC LE DÉMON. 41<br />
ce délire sacré était une sorte d'extase dans laquel<strong>le</strong><br />
tous <strong>le</strong>s assistants ne tombaient pas indifféremment ; <strong>le</strong><br />
dieu choisissait celui qu'il trouvait digne <strong>de</strong> l'inspiration.<br />
On par<strong>le</strong>ra ail<strong>le</strong>urs plus complètement <strong>de</strong> cet état.<br />
L'initiation aux petits mystères était, sans doute, la<br />
préparation aux grands mystères.<br />
On nommait aussi petits mystères <strong>le</strong>s cérémonies <strong>de</strong><br />
certaines fêtes. Ce qui s'y passait était un mélange <strong>de</strong><br />
piété, d'infamie et <strong>de</strong> prodiges surprenants.<br />
" Dans <strong>le</strong>s Thesmophories, par exemp<strong>le</strong>, auxquel<strong>le</strong>s<br />
Hérodote donne <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> télète, Hésvchius celui <strong>de</strong><br />
mystères, et Aristophane celui à'orgies, <strong>le</strong>s femmes se<br />
préparaient par <strong>le</strong> jeûne et la continence et se rendaient<br />
au temp<strong>le</strong> à la clarté <strong>de</strong>s flambeaux. On y proférait<br />
<strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s obscènes pour adorer plus convenab<strong>le</strong>ment<br />
<strong>le</strong> signe vénéré du ctêis; on y dansait au<br />
son <strong>de</strong>s flûtes... <strong>Des</strong> prodiges s'y manifestaient, et <strong>le</strong><br />
sanctuaire du temp<strong>le</strong> s'ébranlait jusque dans ses fon<strong>de</strong>ments.<br />
Quant aux Orphiques, culte rendu à Bacchus par<br />
une sorte <strong>de</strong> confrérie non autorisée, <strong>de</strong>s prêtres, dépositaires<br />
<strong>de</strong> l'ancienne doctrine d'Orphée, appartenant<br />
sans doute à un culte déchu, y faisaient entendre ces<br />
cris : hyès, attès, plusieurs fois répétés, qu'on entendait<br />
dans <strong>le</strong>s fêtes sabaziennes et dans cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la mère <strong>de</strong>s<br />
dieux.<br />
Dans <strong>le</strong>s Dionysies, il y avait <strong>de</strong>s chœurs nombreux<br />
<strong>de</strong> musiciens et <strong>de</strong>s troupes <strong>de</strong> danseurs. C'est dans<br />
ces fêtes que la femme <strong>de</strong> l'archonte-roi passait la<br />
nuit, occupée du service secret. <strong>Le</strong>s détails <strong>de</strong> cette<br />
nuit d'une épouse donnée à Bacchus étaient tenus,<br />
secrets. On y baisait <strong>le</strong> phallus, <strong>le</strong>s assistants étaient<br />
remplis d'une sainte horreur; il y avait <strong>de</strong>s apparitions<br />
effrayantes.
42 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>Le</strong>s fêtes sabaziennes présentaient <strong>le</strong>s mêmes obscénités.<br />
<strong>Le</strong>s initiés, couverts <strong>de</strong> peaux <strong>de</strong> chèvre, couraient<br />
comme <strong>de</strong>s Ména<strong>de</strong>s et se livraient à <strong>de</strong>s turpitu<strong>de</strong>s<br />
et à <strong>de</strong>s extravagances dont il resta et restera<br />
peut-être longtemps <strong>de</strong>s vestiges.<br />
Dans <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> Mithra, originaire <strong>de</strong> Perse, on<br />
immolait <strong>de</strong>s victimes humaines pour découvrir l'avenir.<br />
On imprimait sur <strong>le</strong>s initiés une sorte <strong>de</strong> marque.<br />
Si on parlait <strong>de</strong>s Isiaques, <strong>de</strong>s mystères <strong>de</strong> Cotytto, on<br />
verrait <strong>le</strong>s mêmes infamies mélangées <strong>avec</strong> <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux<br />
: apparitions, tremb<strong>le</strong>ments <strong>de</strong> terre, fureur sacrée,<br />
état extatique dans <strong>le</strong>quel l'initié prédit l'avenir,<br />
et qu'on retrouvera dans certaines sectes hérétiques.<br />
qu'on retrouverait même jusque dans la hutte du sauvage<br />
dans tous <strong>le</strong>s temps ; concordance curieuse et qui<br />
mérite examen.<br />
Suite, ries petits et <strong>de</strong>s grands mystères, etc.<br />
Si <strong>le</strong>s initiés aux petits mystères étaient nombreux,<br />
<strong>le</strong> nombre <strong>de</strong>s initiés aux grands mystères dut être<br />
relativement infiniment petit. <strong>Le</strong>s grands secrets n'étaient<br />
révélés qu'aux prêtres et à certains sages. Un <strong>de</strong><br />
ces secrets dut être, sans doute, la notion <strong>de</strong> la divinité<br />
tel<strong>le</strong> qu'on l'a exposée précé<strong>de</strong>mment : vnitô, dualité<br />
ou tria<strong>de</strong> 1<br />
. Une explication embarrassante, c'était d'ap-<br />
J. On prétend que Je système <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux principes contraires n'était<br />
pas enseigné dans <strong>le</strong>s mystères, car c'eût été absur<strong>de</strong>, inadmissib<strong>le</strong>,<br />
l'hitarque pourtant (De 1K. et Osir.) enseigne positivement <strong>le</strong> contraire.<br />
Sainte-Croix et d'autres pensent éga<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong>s doctrines<br />
d'un bon et d'un mauvais principe étaient révélées.—Il est bien naturel<br />
<strong>de</strong> penser que <strong>le</strong> dogme <strong>de</strong> l'finie universel<strong>le</strong> produisant <strong>le</strong>s biens<br />
et <strong>le</strong>s maux, ou la croyance a un être indéterminé, d'où sont sortis<br />
<strong>de</strong>ux principes contraires n'en formant qu'un seul, durent être, révélés<br />
dans <strong>le</strong>s mystères.
AVEC LE DÉMON. 43<br />
prendre comment <strong>de</strong>s hommes souillés <strong>de</strong> crimes, dont<br />
la divinité était prouvée par <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s et <strong>de</strong>s prodiges,<br />
étaient <strong>de</strong>venus dieux. On sait qu'il vint une<br />
époque où l'on substitua à une théologie <strong>de</strong>venue<br />
ridicu<strong>le</strong>, même pour <strong>le</strong> peup<strong>le</strong>, la théologie allégorique<br />
; cel<strong>le</strong>-ci ne l'était guère moins. On expliquait<br />
<strong>le</strong>s aventures <strong>de</strong>s dieux par <strong>le</strong>s phénomènes<br />
<strong>de</strong> la nature. C'étaient, disaient <strong>le</strong>s philosophes, <strong>de</strong>s<br />
allégories. Ainsi, pour rejeter la théologie fabu<strong>le</strong>use,<br />
ils se jetèrent dans une sorte <strong>de</strong> matérialisme; on <strong>le</strong>ur<br />
montra que cette interprétation ne pouvait être vraie ;<br />
que ce prétendu secret dévoilé aux initiés permettait<br />
encore <strong>de</strong> <strong>le</strong> chercher. Ce n'était qu'une fausseté, non<br />
pas peut-être qu'on voulût tromper, mais parce qu'on<br />
n'avait nul autre moyen d'interprétation.<br />
Un autre secret qui n'a pas été divulgué, que <strong>le</strong>s<br />
Gentils <strong>de</strong>venus Chrétiens n'ont point voulu faire connaître<br />
par pu<strong>de</strong>ur, c'est la manière dont <strong>le</strong>s initiés adoraient<br />
l'emblème du principe <strong>de</strong> vie. — Un autre grand<br />
secret consistait dans <strong>le</strong>s rits au moyen <strong>de</strong>squels on<br />
pouvait entrer en commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, en recevoir<br />
<strong>de</strong>s révélations et en obtenir <strong>le</strong> pouvoir d'opérer<br />
<strong>de</strong>s prodiges.<br />
Divers prodiges précédant ou accompagnant l'initiation.<br />
D'après <strong>le</strong>s documents fournis par <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers théurgistes<br />
et par <strong>le</strong>s philosophes <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />
notre ère, ces prodiges étaient nombreux. D'abord, la<br />
divinité <strong>de</strong>vait permettre l'initiation et en fixer l'époque.<br />
Parmi <strong>le</strong>s prêtres, aucun certainement n'aurait voulu<br />
s'exposer à la mort par une initiation téméraire. <strong>Le</strong><br />
candidat, dit Sainte-Croix, se plaçait dans <strong>le</strong> sanctuaire,<br />
<strong>de</strong>vant l'image <strong>de</strong> la déesse, et là. il voyait <strong>de</strong>s choses
44 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
qu'il n'est pas permis <strong>de</strong> révé<strong>le</strong>r. Il se préparait par <strong>de</strong>s<br />
lustrations, <strong>de</strong>s jeûnes, une continence sévère et <strong>de</strong>s<br />
ablutions. Lorsque <strong>le</strong> récipiendaire avait observé scrupu<strong>le</strong>usement<br />
<strong>le</strong>s rites prescrits, il était illuminé, il voyait<br />
<strong>le</strong>s dieux découvrir <strong>le</strong>ur essence et <strong>le</strong>urs attributs. Cet<br />
état <strong>le</strong> conduisait à l'union intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>, qui remplissait<br />
toutes <strong>le</strong>s puissances <strong>de</strong> son âme : c'est la sainte<br />
fureur, <strong>le</strong> délire sacré. Quels prodiges se manifestaient<br />
ensuite ? L'action <strong>de</strong> la divinité sur l'initié causait l'extase,<br />
établissait l'unification, et immédiatement l'intuition.<br />
Alors l'hiérophante chantait un hymne qui est<br />
<strong>de</strong> la plus haute antiquité, et dont voici <strong>le</strong> sens : « Je<br />
vais <strong>le</strong> révé<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s secrets sublimes. Contemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> roi<br />
du mon<strong>de</strong>, il est un, il est <strong>de</strong> lui-même; <strong>de</strong> lui seul<br />
tour, <strong>le</strong>s êtres sont nés ; il est en eux et au-<strong>de</strong>ssus<br />
d'eux , etc. » (Poésie orphiq., v. t. XLVI <strong>de</strong> l'Acad.<br />
<strong>de</strong>s Inscr.) <strong>Le</strong>s apparitions ne faisaient point partie<br />
du secret ordonné; <strong>le</strong>s théurgistes, frappés <strong>de</strong> l'analogie<br />
qui existait entre <strong>le</strong>s anciens mystères etlathéurgie<br />
<strong>de</strong>s néoplatoniciens, ont fait connaître ce qui se<br />
passait chez ceux-ci, et nous ont par là même révélé <strong>le</strong>s<br />
prodiges <strong>de</strong>s anciens mystères. On en trouve une <strong>de</strong>scription<br />
dans Claudien, dont voici la substance : « Déjà<br />
<strong>le</strong> délire, furor, dit l'initié, a chassé <strong>de</strong> mon cœur <strong>le</strong>s<br />
pensées <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>; Apollon a passé tout entier dans<br />
mon cœur qu'il réchauffe; je vois <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> s'agiter sur<br />
ses fon<strong>de</strong>ments ébranlés, une lumière éclatante jaillit<br />
<strong>de</strong> la voûte... il sort <strong>de</strong> la terre un bruit terrib<strong>le</strong>...<br />
on ouit <strong>de</strong>s mugissements... <strong>de</strong>s serpents font entendre<br />
<strong>le</strong>urs siff<strong>le</strong>ments... Hécate apparaît... puis Bacchus...<br />
et plus loin Pluton... Ce dieu, appuyé sur son tronc<br />
grossier, est assis terrib<strong>le</strong> dans sa sombre majesté... un<br />
nuage <strong>de</strong> tristesse rembrunit son front sourcil<strong>le</strong>ux...<br />
<strong>le</strong> tonnerre <strong>de</strong> sa voix se fait entendre..., etc. »
AVEC LE DÉMON.<br />
<strong>Le</strong>s mêmes apparitions frappaient-el<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s sens<br />
<strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s initiés? Nous l'ignorons; ce qui suit ne<br />
permet pas <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r. Pléthon dit qu'il apparaissait<br />
<strong>de</strong>s chiens dont on entendait <strong>le</strong>s aboiements :<br />
on voyait <strong>de</strong>s choses monstrueuses; <strong>de</strong>s flots <strong>de</strong> lumière<br />
inattendus venaient dissiper <strong>le</strong>s ténèbres ; <strong>de</strong>s<br />
coups <strong>de</strong> tonnerre se faisaient entendre; <strong>le</strong>s montagnes,<br />
<strong>le</strong>s forêts étaient agitées,» la terre mugissait et<br />
tremblait à l'arrivée d'Hécate, annoncée par d'horrib<strong>le</strong>s<br />
hur<strong>le</strong>ments; mil<strong>le</strong> spectres effrayants se manifestaient<br />
aux regards.<br />
Dion Chrysostomc par<strong>le</strong> aussi <strong>de</strong> ces apparitions<br />
fantastiques, et dit qu'on entendait une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
voix et que mil<strong>le</strong> choses extraordinaires effrayaient <strong>le</strong><br />
spectateur. Proclus atteste <strong>le</strong> même effroi chez <strong>le</strong> récipiendaire<br />
; il précédait même l'ouverture <strong>de</strong>s scènes<br />
mystiques. Thémistius rapporte que lorsqu'il fut sous<br />
<strong>le</strong> dôme mystique, il fut p<strong>le</strong>in d'étonnement et d'horreur.<br />
Numénius raconte que, s'étant fait initier par<br />
pure curiosité, il eut une vision clans laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />
déesses irritées lui reprochèrent d'avoir offensé <strong>le</strong>s<br />
dieux.<br />
On lit dans Apulée qu'aussitôt-qu'il eut touché <strong>le</strong><br />
seuil <strong>de</strong> Proserpine, <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il lui parut bril<strong>le</strong>r d'une<br />
lumière éclatante, quoique ce fût la nuit; il adora <strong>le</strong>s<br />
dieux <strong>de</strong> fort près. Il ajoute qu'il fut aux portes du tombeau.<br />
Toutes ces merveil<strong>le</strong>s ne sont qu'un préliminaire <strong>de</strong><br />
cel<strong>le</strong>s que l'initié aura désormais <strong>le</strong> pouvoir d'opérer<br />
et qu'on verra dans la théurgie. <strong>Le</strong>s mêmes prodiges<br />
que nous avons rencontrés dans la plus haute antiquité<br />
chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s, nous <strong>le</strong>s retrouverons dans la<br />
longue suite <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s qui se sont écoulés <strong>de</strong>puis<br />
cette époque jusqu'à nous.
46 DES RAPPORTS DE I.'HOMME<br />
CIUPITRE IV<br />
Anciens prêtres et prêtresses enfants <strong>de</strong>s dieux. —Kntliousiasme sacré, délire,<br />
fureur, etc. —Apparition <strong>de</strong>s dieux. — Formes choisies pour apparaître. —<br />
Assemblées, ce (jui s'y passait; festins, musique, orgie. — Infamies ordon<br />
nées par tes dieux, copulations, etc. — <strong>Le</strong>s dieux animent <strong>le</strong>s simulacres,<br />
s'emparent <strong>de</strong>s êtres -vivants. — <strong>Le</strong>s prêtres ont <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong>s faire <strong>de</strong>s<br />
cendre dans <strong>le</strong>s statues.<br />
Anciens prêtres et prêtresses enfants <strong>de</strong>s dieux.<br />
<strong>Le</strong> sujet qu'on va traiter est si vaste, qu'il nous arrive,<br />
même en ne pouvant que l'eff<strong>le</strong>urer, <strong>de</strong> dépasser<br />
<strong>le</strong>s bornes que nous nous étions posées. Cependant<br />
ce qu'on va lire a paru nécessaire pour mieux concevoir<br />
et faire admettre ce qui sera exposé plus loin.<br />
Ce qui précè<strong>de</strong> concernait surtout <strong>le</strong>s initiés ; la plupart<br />
<strong>de</strong>s merveil<strong>le</strong>s suivantes concernaient et intéressaient<br />
tous <strong>le</strong>s Gentils. Ce sont <strong>le</strong>s croyances religieuses<br />
, <strong>le</strong>s prodiges qui peuvent être perçus et même<br />
opérés par <strong>de</strong>s profanes, <strong>le</strong>s apparitions-, <strong>le</strong>s communications<br />
<strong>de</strong>s dieux, se manifestant à <strong>le</strong>ur gré et à qui bon<br />
<strong>le</strong>ur semb<strong>le</strong>. C'est enfin la magie communiquée à tous,<br />
non cette magie malfaisante que nous exposerons en<br />
son lieu, mais cel<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s Grecs nommaient théurgie :<br />
<strong>le</strong>s cérémonies, <strong>le</strong>s rits par <strong>le</strong>squels on obtenait <strong>de</strong>s<br />
dieux diverses connaissances. Ces manifestations divines<br />
s'adressaient quelquefois aux plus indignes et à<br />
ceux mêmes qui ne <strong>le</strong>s sollicitaient pas, aussi bien
AVEC LE DÉMON. 47<br />
qu'aux prêtres et aux amis <strong>de</strong>s dieux. Presque tout<br />
ce qui va être cité sera puisé dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s antérieurs<br />
à notre ère, on ne s'astreindra à aucun ordre<br />
chronologique. A quelque époque qu'on examine <strong>le</strong>s<br />
superstitions païennes, au fond toutes se ressemb<strong>le</strong>nt,<br />
et ce qui doit surprendre, c'est que <strong>le</strong>s pratiques d'un<br />
culte <strong>de</strong>puis si longtemps proscrit ont traversé <strong>le</strong>s<br />
sièc<strong>le</strong>s et laissé parmi nous <strong>de</strong>s vestiges d'une ressemblance<br />
si frappante <strong>avec</strong> cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'antiquité, qu'on<br />
reconnaît encore parfaitement <strong>le</strong>ur filiation. Si <strong>le</strong>s diverses<br />
modifications du culte <strong>le</strong>ur ont fait subir quelque<br />
altération, l'examen <strong>le</strong> plus superficiel montre encore<br />
<strong>le</strong>s mêmes croyances et <strong>le</strong>s mêmes rites aujourd'hui.<br />
Avant d'entrer en matière, nous dirons quelques<br />
mots <strong>de</strong>s anciens sages, <strong>de</strong>s prêtres et <strong>de</strong>s prêtresses,<br />
sujet long et assez obscur.<br />
La divinité s'était manifestée aux hommes avant<br />
qu'il existât <strong>de</strong>s initiés, puisque l'initiation ne fut<br />
établie que pour transmettre <strong>le</strong>s révélations aux affiliés<br />
et <strong>le</strong>s mettre en rapport <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux pour en obtenir<br />
<strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s dieux pouvaient donc communiquer<br />
<strong>avec</strong> <strong>de</strong>s profanes, et il y eut constamment <strong>de</strong>s<br />
hommes et <strong>de</strong>s femmes qui en reçurent <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s faveurs.<br />
On n'examine pas ici l'accusation d'une supercherie<br />
qu'on nie, en attendant qu'on réfute <strong>le</strong>s accusateurs.<br />
Dans ces époques ténébreuses, <strong>le</strong>s noms <strong>de</strong>s premiers<br />
prêtres sont, je crois, inconnus. Nous savons<br />
qu'il a existé <strong>de</strong>s castes sacerdota<strong>le</strong>s sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong><br />
Cabires, <strong>de</strong> Curetés, <strong>de</strong> Dacty<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> Corybantes, etc.<br />
Zoroastre en Chaldée, Mercure Trismégiste, chez <strong>le</strong>s<br />
Égyptiens, Orphée chez <strong>le</strong>s Thraces, Linus, Musée,<br />
Mélampus, etc., nous apparaissent comme <strong>de</strong>s ombres
48 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
à travers la nuit profon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s. Ces personnages<br />
ont-ils existé? est-ce bien <strong>le</strong> nom d'un individu, n'estce<br />
pas plutôt celui d'une corporation? Parmi <strong>le</strong>s amis <strong>de</strong>s<br />
dieux qui en avaient reçu la communication <strong>de</strong> plusieurs<br />
secrets, il en est qui passaient pour <strong>le</strong>urs fils, et<br />
pour avoir été réel<strong>le</strong>ment engendrés par eux; on sait<br />
que <strong>le</strong>s Gentils croyaient ce fait possib<strong>le</strong>. Jusqu'à l'avénement<br />
<strong>de</strong> la philosophie, nul ne doutait <strong>de</strong> la vérité<br />
<strong>de</strong>s traditions ; et quand postérieurement l'incrédulité<br />
naquit, <strong>de</strong>s philosophes illustres la blâmèrent. Socra<strong>le</strong><br />
et Platon veu<strong>le</strong>nt qu'on croie sans raisonner aux traditions<br />
sublimes <strong>de</strong>s anciens. (V. Timée et Philèbe.)<br />
Platon dit ail<strong>le</strong>urs : Cela est certain, quoique long à<br />
prouver: il faut croire ces choses sur la foi <strong>de</strong> ceux<br />
qui <strong>le</strong>s ont dites, à moins iju'on n'ait, perdu l'esprit. —<br />
Son motif, c'est que <strong>le</strong>s premiers sages ont dû parfaitement<br />
connaître la vérité et qu'on doit <strong>le</strong>s croire<br />
comme fils <strong>de</strong>s dieux. Ce qui est plus surprenant,<br />
Aristote lui-même veut aussi qu'on s'en tienne à la<br />
tradition; dogme paternel, dit-il, qui ne vient certainement<br />
que <strong>de</strong>là paro<strong>le</strong> <strong>de</strong> Dieu. (Méùt/dujs. d!Aristote.)<br />
Pourquoi cel<strong>le</strong> foi aveug<strong>le</strong> <strong>de</strong>s philosophes à tant<br />
<strong>de</strong> choses si diffici<strong>le</strong>s à croire? pourquoi tant <strong>de</strong> respect<br />
pour la paro<strong>le</strong> d'hommes qui pouvaient tromper<br />
ou se tromper? C'est que partout, en Chaldée, en<br />
Perse, dans l'indc, chez <strong>le</strong>s Celtes comme en Chine,<br />
la caste sacerdota<strong>le</strong> était convaincue, et que la pureté<br />
<strong>de</strong> ses mœurs prouvait qu'el<strong>le</strong> était incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> tromper.<br />
Maintenant, pouvait-el<strong>le</strong> se tromper? Une raison<br />
péremptoire qu'el<strong>le</strong> ne se trompait pas, c'est que <strong>de</strong><br />
nombreux prodiges sanctionnaient tout ce que <strong>le</strong>s<br />
prêtres avançaient '.<br />
l. Moïse ne recourt pas a d'autres moyens, quand il veut prouver
AVEC LE DÉMON.<br />
• L'obscurité qui règne sur <strong>le</strong>s premiers prêtres existe<br />
aussi pour <strong>le</strong>s prêtresses. La mythologie s'en empara<br />
et en fit <strong>de</strong>s nymphes, qu'el<strong>le</strong> appela indifféremment<br />
fil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s dieux, discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s dieux ; <strong>de</strong> Diane,<br />
par exemp<strong>le</strong>, d'Apollon, <strong>de</strong> Jupiter, du so<strong>le</strong>il. Ces<br />
prêtresses n'avaient pas besoin d'étudier <strong>le</strong>s traditionsc<br />
<strong>Le</strong>s dieux <strong>le</strong>ur accordèrent <strong>le</strong> don <strong>de</strong> prédire<br />
et <strong>le</strong> pouvoir d'opérer <strong>de</strong>s prodiges sans étudier<br />
<strong>de</strong> longues formu<strong>le</strong>s. Ces concessions <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s<br />
dieux lubriques <strong>de</strong>s Gentils étaient rarement gratuites<br />
et ne <strong>le</strong>ur étaient faites que sous <strong>de</strong>s conditions qui<br />
<strong>de</strong>vaient alarmer <strong>le</strong>ur pu<strong>de</strong>ur.<br />
Si on examine <strong>le</strong>s nymphes grecques, tel<strong>le</strong>s que<br />
Églé, Calypso, Circé, OEnone, etc., si on essaye <strong>de</strong><br />
sou<strong>le</strong>ver <strong>le</strong> voi<strong>le</strong> dont l'antiquité <strong>le</strong>s couvre, ces prétendues<br />
divinités subalternes ne seront plus que <strong>de</strong><br />
simp<strong>le</strong>s mortel<strong>le</strong>s; <strong>le</strong>s unes, comme Cassandre, avaient<br />
reçu <strong>de</strong>s dieux <strong>le</strong> don <strong>de</strong> connaître l'avenir; d'autres,<br />
comme Circé, fil<strong>le</strong> du so<strong>le</strong>il et d'Hécate, celui d'opérer<br />
<strong>de</strong>s enchantements. Toutes, en commerce plus<br />
ou moins intime <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, vivent seu<strong>le</strong>s dans<br />
<strong>de</strong>s î<strong>le</strong>s ou retirées dans <strong>de</strong>s grottes au milieu <strong>de</strong>s<br />
forêts.<br />
Chez <strong>le</strong>s Celtes nous retrouvons ces femmes extraordinaires,<br />
connues, dans <strong>le</strong>s temps plus mo<strong>de</strong>rnes,<br />
sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> fées, dérivé <strong>de</strong> fatum qui vient <strong>de</strong> fando ;<br />
d'où fatui, <strong>le</strong>s dieux faunes; fatuœ, <strong>le</strong>s nymphes. <strong>Le</strong>s<br />
fées <strong>de</strong>s Celtes étaient comme <strong>le</strong>s nymphes grecques<br />
<strong>le</strong>s bien-aimées <strong>de</strong>s dieux et habitaient <strong>le</strong>s cavernes et<br />
<strong>le</strong>s forêts.<br />
<strong>Le</strong>s Walkyries, messagères <strong>de</strong>s dieux, qui traver-<br />
aux prêtres égyptiens, non qu'il est <strong>le</strong> confi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs dieux, mais<br />
du Dieu unique, seul véritab<strong>le</strong> et plus puissant que <strong>le</strong>urs prétendus<br />
dieux;il fait <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s qui surpassent ceux <strong>de</strong>s prêtres.<br />
I. 4
ÎiO DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
saient <strong>le</strong>s airs sur <strong>de</strong>s coursiers légers comme <strong>le</strong>s<br />
vents, étaient <strong>le</strong>s nymphes du Walhalla. <strong>Le</strong>urs sciences<br />
divines <strong>le</strong>s firent considérer comme <strong>de</strong>s divinités inférieures.<br />
Chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s prêtresses furent<br />
ainsi divinisées; chacune môme reçut <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> la<br />
déesse au culte <strong>de</strong> laquel<strong>le</strong> on l'attachait. On lui prêta<br />
sa puissance surnaturel<strong>le</strong> et il fut tout simp<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s<br />
sièc<strong>le</strong>s postérieurs d'i<strong>de</strong>ntifier <strong>le</strong>s prêtresses <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />
génies qu'el<strong>le</strong>s consultaient. Ce qui avait lieu chez<br />
<strong>le</strong>s Crées se voit aussi chez <strong>le</strong>s Celtes. Ainsi, <strong>le</strong>s<br />
neuf vierges qui habitaient l'î<strong>le</strong> <strong>de</strong> Sena et qu'on place<br />
au nombre <strong>de</strong>s génies, <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s avaient <strong>le</strong> pouvoir<br />
d'exciter <strong>de</strong>s tempêtes, <strong>de</strong> prédire et <strong>de</strong> métamorphoser,<br />
que l'Ëdda appel<strong>le</strong> nomes ou fées, n'étaient,<br />
d'après <strong>le</strong>s érudits, que <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>sses qu'on a divinisées.<br />
On peut <strong>le</strong> conclure d'après divers passages <strong>de</strong><br />
Pelloutier et autres auteurs.<br />
La fameuse Velléda chez <strong>le</strong>s Celtes, contemporaine<br />
<strong>de</strong> Ju<strong>le</strong>s-César, avait reçu <strong>de</strong>s dieux, comme Cassandre,<br />
<strong>le</strong> don <strong>de</strong> prédire, et fut placée dans l'ordre<br />
<strong>de</strong>s divinités féminines; cette drui<strong>de</strong>sse <strong>de</strong>vint une<br />
nymphe ou fée.<br />
Cette déification avait lieu aussi pour <strong>le</strong>s premiers<br />
ministres <strong>de</strong>s cultes antiques. <strong>Le</strong>s Cabircs, <strong>le</strong>s Dacty<strong>le</strong>s,<br />
<strong>le</strong>s Curetés, dont on a parlé, furent considérés tantôt<br />
comme <strong>de</strong>s prêtres, tantôt comme <strong>de</strong>s génies ou <strong>de</strong>s<br />
dieux. Sainte-Croix dit que <strong>le</strong>s Cabires ont été confondus<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s Dacty<strong>le</strong>s, et que ces <strong>de</strong>rniers ressemblaient<br />
aux jong<strong>le</strong>urs <strong>de</strong> l'Amérique exerçant la mé<strong>de</strong>cine<br />
d'incantation et faisant <strong>de</strong>s enchantements.<br />
C'est par là qu'ils se rendirent recommandab<strong>le</strong>s aux<br />
Phrygiens et aux habitants <strong>de</strong> Samothrace, qu'ils surprirent<br />
beaucoup, selon Diodore <strong>de</strong> Sici<strong>le</strong>, en <strong>le</strong>ur montrant<br />
<strong>le</strong>s effets <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur puissance par l'initiation. Orphée
AVEC LE DÉMON. 51<br />
<strong>de</strong>venu <strong>le</strong>ur discip<strong>le</strong> apprit <strong>de</strong>s pratiques peu différentes<br />
<strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s qu'on remarque chez <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins et <strong>le</strong>s jong<strong>le</strong>urs<br />
<strong>de</strong>s peupla<strong>de</strong>s sauvages. Tous ces personnages,<br />
confondus <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux inférieurs et appelés enfants<br />
<strong>de</strong>s dieux, faisaient <strong>de</strong>s prodiges réels, opérés encore<br />
aujourd'hui par <strong>le</strong>s prêtres <strong>de</strong>s sauvages ou <strong>le</strong>s ministres<br />
<strong>de</strong>s fausses religions, sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> magiciens,<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>vins ou <strong>de</strong> jong<strong>le</strong>urs, d'après <strong>de</strong>s secrets<br />
transmis par une sorte d'initiation ; mais secrets si<br />
bien gardés que nos savants <strong>le</strong>s ignorent encore, et<br />
qu'ils n'ont jamais su opérer par <strong>le</strong>ur science ce qui<br />
se fait chez <strong>de</strong>s hor<strong>de</strong>s sauvages.<br />
Nous allons maintenant passer rapi<strong>de</strong>ment en revue<br />
<strong>le</strong>s croyances religieuses, <strong>le</strong>s rits ou cérémonies, et <strong>le</strong>s<br />
prodiges divers <strong>de</strong>s Gentils, cet exposé étant nécessaire<br />
pour porter un jugement sur <strong>le</strong>s pratiques superstitieuses<br />
et sur certaines croyances subsistant encore<br />
aujourd'hui et si diversement appréciées parmi<br />
nous.<br />
Enthousiasme sacré, délire, fureur, etc.<br />
Tous ces mots sont synonymes pour exprimer l'état<br />
<strong>de</strong> la personne dont <strong>le</strong>s organes et surtout la voix paraissaient<br />
soumis à une intelligence étrangère qui en<br />
disposait à son gré. Tous <strong>le</strong>s monuments historiques<br />
attestent que <strong>le</strong>s initiés entraient dans cet état extraordinaire,<br />
mais on verra qu'il s'emparait même quelquefois<br />
<strong>de</strong> ceux auxquels <strong>le</strong>s grands secrets <strong>de</strong>s mystères<br />
étaient étrangers.<br />
Tout prouve que dans cette sorte d'extase, <strong>de</strong>s facultés<br />
admirab<strong>le</strong>s se manifestaient ; on avait <strong>de</strong>s apparitions,<br />
<strong>de</strong>s inspirations, <strong>de</strong>s révélations <strong>de</strong> l'avenir<br />
et <strong>de</strong>s secrets <strong>le</strong>s plus cachés, on pouvait guérir <strong>le</strong>s
52 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
maladies, voir au loin, commercer <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, etc.<br />
L'état physique était non moins étrange, <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s<br />
étaient entrecoupées, <strong>le</strong> regard farouche, et, <strong>le</strong> plus<br />
ordinairement, <strong>de</strong>s mouvements convulsifs frappaient<br />
<strong>le</strong>s spectateurs <strong>de</strong> crainte et d'épouvante; tout accusait<br />
la présence et l'action du dieu, dont Vin/lux, influxus,<br />
causait <strong>de</strong>s effets que nous aurons occasion d'examiner.<br />
<strong>Le</strong>s crimes étaient parfois punis par <strong>de</strong>s vexations,<br />
<strong>de</strong>s apparitions effrayantes. Oreste tue sa mère, et l'apparition<br />
<strong>de</strong>s Euméni<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs serpents dont <strong>le</strong>s<br />
yeux distil<strong>le</strong>nt <strong>le</strong> sang, et qui poussent <strong>de</strong>s siff<strong>le</strong>ments<br />
aigus, <strong>le</strong> tourmente sans cesse. L'expiation faisait cesser<br />
cet état affreux.<br />
Si <strong>de</strong>s dieux amis daignaient entrer dans <strong>le</strong> corps<br />
<strong>de</strong>s simp<strong>le</strong>s mortels pour communiquer <strong>avec</strong> eux et<br />
<strong>le</strong>ur départir une faib<strong>le</strong> part <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur puissance, <strong>de</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s ennemis, comme <strong>le</strong> disait Homère, s'en cmparaient<br />
donc aussi pour <strong>le</strong>s vexer. Parmi ces génies,<br />
dont l'air était rempli, se trouvaient <strong>de</strong>s esprits immon<strong>de</strong>s,<br />
ministres <strong>de</strong> la justice <strong>de</strong>s dieux, qui n'étaient<br />
oceupés qu'à tromper <strong>le</strong>s hommes et à <strong>le</strong>ur faire du<br />
mal (Mém. <strong>de</strong> l'Acud. <strong>de</strong>s Inscr., t. LVi); tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s,<br />
on l'a vu, <strong>le</strong> pensaient. <strong>Le</strong>s âmes <strong>de</strong>s méchants,<br />
<strong>le</strong>s larves, venaient grossir la fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> ces esprits vagabonds<br />
auxquels on attribuait certaines maladies; ceux<br />
qu'ils tourmentaient étaient appelés Ceriti ou larvati,<br />
selon que ces maladies provenaient <strong>de</strong> Cérès ou d'Hécate,<br />
ou <strong>de</strong>s larves. <strong>Des</strong> prêtres, <strong>de</strong>s sages, pouvaient<br />
<strong>le</strong>s guérir par certains charmes ou par l'expiation, sorte<br />
d'exorcisme, chez <strong>le</strong>s Gentils; superbe privilège, si,<br />
comme on <strong>le</strong> verra, <strong>de</strong>s magiciens errants ne l'eussent<br />
pas aussi possédé.<br />
<strong>Le</strong>s dieux ne communiquaient pas <strong>avec</strong> tons; ils
faisaient spontanément un choix. Tous prennent <strong>le</strong><br />
thyrse, disait Socrate, mais tous ne sont pas inspirés<br />
par <strong>le</strong> dieu. Quand celui-ci avait quitté son domici<strong>le</strong><br />
d'emprunt, souvent un oubli comp<strong>le</strong>t succédait<br />
aux bel<strong>le</strong>s facultés dont il avait doué son favori;<br />
il était plus ordinaire <strong>de</strong> se rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s visions, <strong>le</strong>s<br />
inspirations. La môme ignorance antérieure survenant<br />
aussitôt après <strong>le</strong> dépai't <strong>de</strong> la divinité , il était évi<strong>de</strong>nt<br />
que d'el<strong>le</strong> seu<strong>le</strong> émanait tout ce qu'on avait vu d'admirab<strong>le</strong><br />
chez celui qu'el<strong>le</strong> avait visité.<br />
Apparition <strong>de</strong>s dieux.<br />
Cette faveur n'entraînait pas nécessairement l'état<br />
d'extase, ni n'exigeait l'initiation. <strong>Le</strong>s dieux se rendaient<br />
visib<strong>le</strong>s à qui et comment ils voulaient; ils donnaient<br />
souvent <strong>de</strong>s signes visib<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur présence,<br />
mais <strong>le</strong>ur évocation n'était pas constamment suivie<br />
d'une apparition divine même pour <strong>le</strong>s prêtres, surtout<br />
aux époques <strong>de</strong> scepticisme où ceux-ci <strong>de</strong>vinrent<br />
eux-mêmes incrédu<strong>le</strong>s. Ainsi Jamblique <strong>le</strong>s contemplait<br />
souvent et Porphyre a joui rarement <strong>de</strong> cette faveur.<br />
Il suffit <strong>de</strong> parcourir <strong>le</strong>s ouvrages <strong>de</strong> certains auteurs<br />
païens pour être convaincu que <strong>le</strong>s dieux favorisaient<br />
souvent l'incrédulité <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs prêtres. Mais s'ils<br />
ne se manifestaient pas toujours à ceux qui pouvaient<br />
<strong>le</strong>s évoquer, ils se montraient par compensation assez<br />
souvent à ceux qui ne <strong>le</strong>s évoquaient pas. Platon,<br />
Livre <strong>de</strong>s Lois, ne voudrait pas qu'on érigeât <strong>de</strong>s chapel<strong>le</strong>s<br />
aux esprits qui se montrent ainsi soit la nuit,<br />
soit <strong>le</strong> jour, et donnent naissance à <strong>de</strong> nouveaux dieux<br />
et à <strong>de</strong> nouveaux cultes. <strong>Des</strong> dieux complètement<br />
ignorés venaient inopinément révé<strong>le</strong>r <strong>le</strong>ur existence :<br />
Tagès, par exemp<strong>le</strong>, était inconnu en Étrurie, quand
54 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
un laboureur <strong>le</strong> vit sortir d'un sillon pour lui révé<strong>le</strong>r<br />
la science <strong>de</strong> l'aruspicine <strong>de</strong>venue si importante <strong>de</strong>puis.<br />
(Cicér., De Div., II, 23.)<br />
Un dieu annonça aux Romains l'arrivée <strong>de</strong>s Gaulois,<br />
et ce dieu, jusque-là inconnu, <strong>de</strong>vint l'objet d'un culte<br />
sous <strong>le</strong> nom d'Aius Loquens. (I/n'd., I, 45.)<br />
Pan, dit Hérodote , apparut à Philippi<strong>de</strong>s près du<br />
mont Parthénion au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Tégée, se plaignant <strong>de</strong><br />
n'être pas honoré comme dieu, lui qui avait déjà<br />
donné tant <strong>de</strong> secours aux Athéniens. A dater <strong>de</strong> cette<br />
apparition Pan eut un temp<strong>le</strong> et un culte. (Hérodote,<br />
VI, 10.*).)<br />
Il était très-constant que <strong>le</strong>s dieux et <strong>le</strong>s génies,<br />
dont l'air était p<strong>le</strong>in, se montraient; c'était la croyance<br />
du vulgaire, <strong>de</strong>s philosophes comme <strong>de</strong>s initiés. Dans<br />
Homère on en trouve <strong>de</strong> nombreux exemp<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s<br />
poètes n'en étaient pas <strong>le</strong>s inventeurs, ils ont consigné<br />
dans <strong>le</strong>urs ouvrages immortels une croyance bien<br />
établie. <strong>Le</strong>s pythagoriciens étaient surpris, nous dit<br />
Aristote, qu'il put se trouver quelqu'un assurant qu'il<br />
n'avait pas vu <strong>de</strong> génies. Cette même conviction faisait<br />
dire à Apulée : Pourquoi Socra<strong>le</strong> n'aurait-il pu voir <strong>le</strong><br />
sien?<br />
Aussi l'épicurien Celse que l'on cite ici moins comme<br />
exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong> ceux qui croyaient, que pour prouver<br />
la croyance généra<strong>le</strong>, disait : « Est-il nécessaire <strong>de</strong><br />
par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> ces voix miracu<strong>le</strong>uses sorties <strong>de</strong> l'endroit <strong>le</strong><br />
plus sacré <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> ces signes merveil<strong>le</strong>ux, <strong>de</strong><br />
ces claires apparitions, dont on cite tant d'exemp<strong>le</strong>s. »<br />
(V. Orig., Contr. Cela., Viïl, 45.)<br />
Souvent <strong>le</strong>s faunes ont fait entendre <strong>le</strong>ur voix, dit<br />
Quintus, souvent <strong>le</strong>s dieux ont apparu sous <strong>de</strong>s formes<br />
si visib<strong>le</strong>s qu'il faudrait être impie ou stupi<strong>de</strong> pour en<br />
douter.(Cicéron, De Divin., 1. 45; De Nul. dcor.,\\, 2.)
AVEC LE DÉMON. 55<br />
Balbus (Cicéron, De Nat. <strong>de</strong>or., II, 2) dit qu'il ne faut<br />
attribuer l'épuration <strong>de</strong>s pratiques religieuses ni au<br />
hasard, ni aux caprices <strong>de</strong>s hommes, mais aux marques<br />
certaines que <strong>le</strong>s dieux donnent souvent <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur présence.<br />
Ces apparitions étaient si constantes que <strong>le</strong> nom<br />
<strong>de</strong> Epiphanès, qui est présent, qui apparaît, donné plus<br />
spécia<strong>le</strong>ment à Jupiter, était un nom commun à tous<br />
<strong>le</strong>s dieux. C'est surtout dans <strong>le</strong>s fêtes célébrées en<br />
<strong>le</strong>ur honneur que <strong>le</strong>s apparitions avaient lieu, et venaient<br />
singulièrement augmenter la vénération qu'on<br />
avait pour <strong>le</strong>urs statues. Cette croyance était la base<br />
<strong>de</strong> la science <strong>de</strong> la Ihéurgïe, dit Rol<strong>le</strong>. (V. Arnob.,<br />
Adv.ye/iL, VI, et Plutarque, Marcellus.)<br />
Formes choisies pour oppai'aîlre.<br />
El<strong>le</strong>s étaient très - variées ; quelquefois agréab<strong>le</strong>s,<br />
d'autres fois épouvantab<strong>le</strong>s. Dans <strong>le</strong>s présages ou prodiget:,<br />
on a vu <strong>le</strong>s dieux se manifester sous l'apparence<br />
d'une flamme ou d'un feu mystérieux. Nous verrons<br />
Jamblique assurer qu'ils apparaissaient ainsi dans<br />
<strong>le</strong>s sacrifices; par <strong>le</strong> plus ou moins d'éclat <strong>de</strong> ce feu,<br />
on distinguait <strong>le</strong>s dieux purs, <strong>de</strong>s dieux infernaux, ces<br />
<strong>de</strong>rniers n'offrant qu'une lueur sombre. (V. JambL,<br />
De Mystcriis sErjypl., et Lucien.) <strong>Le</strong> plus grand <strong>de</strong>s<br />
dieux, Jupiter, <strong>le</strong> même que Bacchus et autres,<br />
comme on l'a vu, se montrait <strong>avec</strong> <strong>de</strong>ux cornes au<br />
front, signe <strong>de</strong> sa puissance. <strong>Le</strong>s faunes et <strong>le</strong>s satyres,<br />
ces divinités grotesques, outre <strong>le</strong>s cornes, portaient<br />
une queue et ne marchaient que par sauts et par bonds.<br />
(Lucien, Bacchus, 1.)<br />
Quand Bacchus, <strong>le</strong> dieu taureau, dansait sur <strong>le</strong> mont<br />
Parnasse au milieu <strong>de</strong>s torches <strong>de</strong> pin, à son diadème,<br />
emblème <strong>de</strong> la royauté, <strong>de</strong>s cornes étaient fixées,
ofi DES HAPPOHTS DE L'HOMME<br />
comme chez <strong>le</strong>s Pharaons, et <strong>le</strong>s satyres qui formaient<br />
son cortège faisaient entendre <strong>le</strong>urs voix et retentir au<br />
loin une musique que dominait <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong>s cymba<strong>le</strong>s.<br />
<strong>Le</strong>s femmes <strong>de</strong> Thrace voyaient <strong>le</strong>urs danses et entendaient<br />
<strong>le</strong>ur musique bruyante. Nous verrons que tout<br />
ne se bornait point au doub<strong>le</strong> plaisir <strong>de</strong> la vue et <strong>de</strong><br />
l'ouïe. (He<strong>de</strong>lin, <strong>Des</strong> Satyres.)<br />
On a dit que lorsque <strong>le</strong>s femmes <strong>de</strong> la Grèce désiraient<br />
voir Jupiter, el<strong>le</strong>s s'écriaient :
AVEC hE DÉMO:-;. 57<br />
L'apparition était quelquefois loin d'être agréab<strong>le</strong> ;<br />
<strong>le</strong>s dieux prenaient la figure du serpent. Hécate n'avait<br />
point <strong>de</strong> forme fixe, se montrant tantôt sous cel<strong>le</strong> d'une<br />
femme, d'un bouc, d'un chien, etc.<br />
L'Empuse, ce fantôme horrib<strong>le</strong>, qui n'était autre<br />
que la déesse inferna<strong>le</strong>, changeait à tout instant <strong>de</strong><br />
forme et <strong>de</strong> figure. (Aristophane, Ban., 290.)<br />
assemblées, ce qui s'y passait; festins, musique, orgies-<br />
Avant qu'on eût érigé <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s, on s'assemblait<br />
sur <strong>le</strong>s hauts lieux et dans <strong>le</strong>s forêts sacrées. Après<br />
<strong>le</strong>ur érection même, on conserva l'ancien usage, dans<br />
certaines circonstances, <strong>de</strong> s'assemb<strong>le</strong>r en p<strong>le</strong>in air :<br />
mais plusieurs peup<strong>le</strong>s n'avaient d'autre temp<strong>le</strong> que la<br />
voûte du ciel, ou <strong>le</strong> branchage touffu <strong>de</strong>s forêts.—<br />
<strong>Le</strong>s Thraces avaient <strong>le</strong>urs sanctuaires au milieu <strong>de</strong>s<br />
sombres forêts. <strong>Le</strong>urs prêtres, dans cette fureur sacrée<br />
dont on verra tant d'exemp<strong>le</strong>s, se livraient à <strong>de</strong>s danses<br />
et à mil<strong>le</strong> pratiques étranges. Lamusique, <strong>le</strong>s banquets,<br />
<strong>le</strong>s orgies se présentent dans ces assemblées <strong>de</strong> divers<br />
peup<strong>le</strong>s qui n'avaient cependant entre eux aucun rapport.<br />
Chez <strong>le</strong>s Thraces, dont nous parlons, on s'assemblait<br />
près d'un étang, on y allumait un grand feu, on<br />
consultait <strong>le</strong>s génies inférieurs qui présidaient aux divers<br />
éléments, on excitait <strong>le</strong>s tempêtes ou on <strong>le</strong>s conjurait,<br />
on faisait <strong>le</strong>s épreuves du feu et <strong>de</strong> l'eau. On<br />
choisissait <strong>le</strong> voisinage d'un chemin ou d'un carrefour.<br />
—<strong>Le</strong>s Celtes, <strong>le</strong>s Hyperboréens, <strong>le</strong>s Perses, <strong>le</strong>s Scythes<br />
assemblés dans une forêt, surune haute montagne, commençaient<br />
la cérémonie par <strong>le</strong> sacrifice d'un homme.<br />
Hérodote, Strabon, Silius, Stace, Servius, etc., etc.,<br />
tous <strong>le</strong>s anciens auteurs entrent dans <strong>de</strong>s détails fort<br />
curieux sur ce sujet.
58 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>Le</strong>s Gaulois nos ancêtres (selon Pelloutier, Hisl. <strong>de</strong>s<br />
Cel<strong>le</strong>s) s'assemblaient la nuit dans <strong>le</strong>s forêts, usage qui<br />
n'a jamais, dit-il, entièrement cessé ; on sait qu'ils immolaient<br />
<strong>de</strong>s victimes humaines ; <strong>le</strong>s Germains avaient<br />
<strong>le</strong> même culte.<br />
<strong>Le</strong>s Celtibères choisissaient aussi <strong>le</strong>s forêts, où <strong>le</strong>s<br />
dieux donnaient <strong>de</strong>s signes sensib<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur présence,<br />
Strabon dit qu'on y faisait <strong>de</strong>s banquets.<br />
Moïse Maïmonidc avait lu dans <strong>le</strong>s livres <strong>de</strong>s Sabéens<br />
et <strong>de</strong>s Chaldéens que ceux-ci se rendaient dans <strong>de</strong>s<br />
lieux déserts, y faisaient <strong>de</strong>s .sacrifices et <strong>de</strong>s orgies, et<br />
répandaient autour d'une fosse <strong>le</strong> sang <strong>de</strong>s victimes ;<br />
puis on faisait un repas auquel <strong>le</strong> dieu lui-même présidait.<br />
(V. M. Salverte, Sciences occid/es.)<br />
Mêmes festins, mêmes lieux déserts et assemblées<br />
sous un arbre séculaire chez <strong>le</strong>s anciens habitants <strong>de</strong><br />
la Gran<strong>de</strong>-Bretagne.<br />
Dans tout l'Occi<strong>de</strong>nt, selon Pelloutier qui cite une<br />
fou<strong>le</strong> d'auteurs, c'étaient <strong>le</strong>s mêmes cérémonies. Gaulois,<br />
Al<strong>le</strong>mands, Celtes, Phrygiens, aborigènes d'Italie,<br />
dit-il, tous s'assemblaient dans <strong>le</strong>s forêts, près d'une<br />
fontaine ou d'un élang, sur une colline, et on y portait<br />
<strong>de</strong>s flambeaux. Dans une forêt non loin d'Aricie, près<br />
d'un étang, se trouvait un arbre consacré, auprès duquel<br />
se rendaient <strong>de</strong>s femmes portant <strong>de</strong>s flambeaux<br />
allumés. C'est là que Numa, initié à la secte <strong>de</strong> Pythagorc,<br />
conférait <strong>avec</strong> une divinité <strong>de</strong>s bois. Plusieurs<br />
peup<strong>le</strong>s choisissaient <strong>le</strong> point d'intersection <strong>de</strong> divers<br />
chemins. <strong>Le</strong>s Galatcs, <strong>le</strong>s Scnones, par exemp<strong>le</strong><br />
(V. Pelloutier, t. V), <strong>le</strong>s Édoniens,pour célébrer Colys,<br />
en avaient un qu'on appelait celui <strong>de</strong>s neuf chemins.<br />
Ainsi, lieux déserfs pour que l'action <strong>de</strong> la divinité ne<br />
pût être troublée, assemblées nocturnes, sacrifices humains,<br />
banquets, danses, divinations par l'inspection
AVEC LE DÉMON. S9<br />
<strong>de</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes humaines, dieux évoqués<br />
qui n'apparaissaient d'ordinaire dans <strong>le</strong>s temps <strong>de</strong> foi<br />
qu'autant que <strong>le</strong>s rites voulus par <strong>le</strong>s formu<strong>le</strong>s d'évocation<br />
avaient été observés , enfin , dissolutions qui<br />
font frémir, que la divinité comman<strong>de</strong>.<br />
Infamies ordonnées par <strong>le</strong>s dieux, copulations, etc.<br />
On n'a pas oublié que <strong>le</strong> phallus était adoré chez <strong>le</strong>s<br />
Gentils. Saint Augustin (De civ. Dei, VII, 21) s'indigne<br />
<strong>de</strong> ce qu'à la fête <strong>de</strong> Liber, célébrée au milieu<br />
<strong>de</strong> la débauche, la mère <strong>de</strong> famil<strong>le</strong> la plus respectab<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong>vait, en présence d'une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> spectateurs, couronner<br />
cet emblème obscène. A la fête <strong>de</strong> Vénus, qui<br />
se célébrait quelques jours après, <strong>le</strong>s dames romaines<br />
prenaient <strong>le</strong> phallus qu'el<strong>le</strong>s plaçaient dévotement dans<br />
<strong>le</strong> sein <strong>de</strong> Vénus, smus Vnieiis, id est organwn muliebre,<br />
(V. Pitiscus, v° Senacuhim). <strong>Le</strong>s jeunes mariées étaient<br />
obligées <strong>de</strong> venir s'asseoir sur l'organe <strong>de</strong> Priape, Priapi<br />
H-apam. (saint Augustin, De cio. Dei, Vil, 24), pour<br />
éviter divers ensorcel<strong>le</strong>ments ', entre autres l'impuissance.<br />
Avec ce signe suspendu au cou, on n'avait<br />
rien à redouter <strong>de</strong>s charmes. Quant au libertinage qui<br />
accompagnait ces cérémonies infâmes, non-seu<strong>le</strong>ment<br />
<strong>le</strong>s dieux l'avaient ordonné, mais ils punissaient quand<br />
on ne s'y livrait pas. Vénus châtiait rigoureusement<br />
ceux qui négligeaient <strong>de</strong> rendre ainsi hommage à son<br />
culte. On en cite <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s effrayants. On craignait<br />
sa vengeance. La pu<strong>de</strong>ur se révoltait contre ces pieuses<br />
infamies ; on rougissait <strong>de</strong> célébrer <strong>de</strong>vant Caton <strong>le</strong>s<br />
mystères <strong>de</strong> Priape, d'Adonis, <strong>de</strong> Cybè<strong>le</strong>, <strong>de</strong> Flora.<br />
(V. Bul<strong>le</strong>t, 220). On décernait, dit Philon, <strong>de</strong>s prix à<br />
1. V. Lactance, Tiefah. relig., etc.; Amon., IV.
60 DES JiAPPOHTS DE L'HOMME<br />
l'impudicité la plus honteuse, on ne se livrait à l'incontinence<br />
ordonnée par <strong>le</strong>s dieux qu'en luttant contre<br />
<strong>de</strong> chastes instincts.<br />
Aristote {Polit'if/., VII) regardait comme un acte<br />
blâmab<strong>le</strong> <strong>de</strong> représenter <strong>de</strong>s images obscènes ; il exceptait<br />
<strong>le</strong>s dieux qui veu<strong>le</strong>nt être honorés par <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s<br />
représentations. En Arménie, la Vénus Anaid exigeait<br />
que <strong>le</strong>s vierges <strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus illustres se<br />
prostituassent longtemps dans son temp<strong>le</strong>. (Strabon,<br />
XI, 10). Hérodote dit que la même chose se pratiquait<br />
en Lydie 1<br />
. A Byblos, el<strong>le</strong>s avaient <strong>le</strong> choix <strong>de</strong> se faire<br />
raser <strong>le</strong>s cheveux pour <strong>le</strong> <strong>de</strong>uil d'Adonis, ou <strong>de</strong> se<br />
prostituer pendant un jour aux étrangers, alternative<br />
bien funeste à la chasteté 1<br />
, que <strong>de</strong> forcer <strong>de</strong>s femmes à<br />
dépouil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>urs charmes naturels ou à s'abandonner<br />
aux penchants <strong>le</strong>s plus impérieux <strong>de</strong> la nature déchue.<br />
Pour accomplir ces actes <strong>de</strong> dévotion, <strong>le</strong>s Cypriotes,<br />
à certaines époques, emmenaient <strong>le</strong>urs fuies sur <strong>le</strong><br />
bord <strong>de</strong> la mer, pour consacrer <strong>le</strong>ur virginité à Vénus<br />
en se prostituant. (Justin, XVIII, 5.)<br />
A Corinthc, plus <strong>de</strong> mil<strong>le</strong> jeunes fil<strong>le</strong>s étaient<br />
ainsi consacrées à la déesse, pour se prostituer. Ces<br />
étranges actes <strong>de</strong> piété <strong>le</strong>ur concédaient, en quelque<br />
j. Uans un temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Rabylonc, dit Hérodote, <strong>de</strong>s femmes se prostituaient<br />
en l'honneur <strong>de</strong> Vénus. Solon érige» à Athènes un temp<strong>le</strong> à<br />
Vénus la Prostituée, qui était gardé et entretenu par <strong>de</strong>s femmes <strong>de</strong><br />
mauvaise vie. (V. Athénée, XIII.) — Comment <strong>le</strong>s Gentils auraient-ils<br />
pu éviter ces actes <strong>de</strong> lubricité révoltante que l'histoire nous a transmis!<br />
Il en résulta que <strong>de</strong>s hommes estimab<strong>le</strong>s recommandaient la<br />
luxure. Platon louait certains vices infâmes qu'il jugeait dignes <strong>de</strong> récompense<br />
en celte vie et en l'antre. Théocritc en a dit autant (Idyl<strong>le</strong>,<br />
12). Aussi Denys d'IIalicarnassc avouait que la mythologie grecque<br />
n'était propre qu'il corrompre, <strong>le</strong>s dieux étant sujets aux mêmes vices<br />
que <strong>l'homme</strong>, et <strong>le</strong>ur exemp<strong>le</strong> consacrant tes passions <strong>le</strong>s plus honteuses.
AVEC LE DÉMON. Ci<br />
sorte, <strong>le</strong> don <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong>s imploraient Vénus<br />
dans <strong>le</strong>s besoins <strong>de</strong> la république, et une inscription<br />
<strong>de</strong> Simoni<strong>de</strong> portait que, pour l'amour d'el<strong>le</strong>s, cette<br />
déesse avait sauvé la Grèce.—On pourrait citer nombre<br />
d'autres témoignages. Enfin, il faut bien <strong>le</strong> dire, on<br />
était convaincu que <strong>le</strong>s dieux étaient amoureux <strong>de</strong>s<br />
simp<strong>le</strong>s mortel<strong>le</strong>s, et l'on citait beaucoup <strong>de</strong> ces accointances<br />
qui n'avaient point été stéri<strong>le</strong>s.<br />
<strong>Le</strong>s dieux inférieurs, comme plus tard <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s,<br />
passaient pour incubes et succubes ; ainsi <strong>le</strong>s walkyries<br />
<strong>de</strong>s Scandinaves, <strong>le</strong>s éphialtes <strong>de</strong>s Grecs, <strong>le</strong>s dusiens<br />
chez <strong>le</strong>s Gaulois copulaient <strong>avec</strong> <strong>l'homme</strong> comme <strong>le</strong>s<br />
dieux supérieurs. (V. <strong>Le</strong>loyer, <strong>Des</strong> Spectres, p. 200).<br />
<strong>Le</strong>s anciennes traditions et <strong>le</strong>s faits journaliers ne<br />
permettaient pas <strong>le</strong> doute. Nous avons dabord <strong>le</strong>s<br />
poètes, qui n'ayant rien inventé, n'ont fait que transmettre<br />
<strong>de</strong>s faits historiques. Tous ont attribué une origine<br />
divine à certains personnages. Aristée, qui communiquait<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, qui fit cesser la peste en<br />
Grèce, passait pour fils <strong>de</strong> Vénus. La même déesse, sous<br />
la figure d'une bel<strong>le</strong> nymphe, avait accordé ses faveurs<br />
à Anchise, qui ne sut qu'à son réveil <strong>le</strong> danger qu'il<br />
avait couru. Un mortel payait quelquefois <strong>de</strong> sa vie cet<br />
insigne honneur. On voit Latéranus, dieu du foyer, se<br />
manifestant sous la forme d'un phallus, rendre Ocrésia<br />
mère <strong>de</strong> Servius Tullius. Pénélope, en gardant ses<br />
troupeaux sur <strong>le</strong> Taygète, reçut Mercure déguisé en<br />
bouc, et <strong>de</strong>vint mère du dieu Pan, etc.—Récits <strong>de</strong><br />
poëte, dit-on, fab<strong>le</strong> ridicu<strong>le</strong>... — Croyance <strong>de</strong>s mieux<br />
établies, car après <strong>le</strong>s poètes nous avons <strong>le</strong>s historiens.<br />
On attribuait à Scipion une origine divine. Jul. Obsequens<br />
rapporte qu'un serpent mystérieux avait été vu<br />
dans la chambre <strong>de</strong> sa mise : plusieurs personnages<br />
illustres prétendaient ainsi tirer <strong>le</strong>ur origine du ser-
62 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
petit ou l'avoir pour père immédiat. Aristomène était<br />
né d'un serpent, d'après <strong>le</strong>s Messéniens; et Aratus,<br />
selon <strong>le</strong>s Sicyoniens; A<strong>le</strong>xandre enfin, d'après <strong>le</strong>s Macédoniens.<br />
On a donné une origine cé<strong>le</strong>ste à Romulus<br />
et même à Platon. Ces quelques faits suffisent pour<br />
montrer une croyance qui appartient non-seu<strong>le</strong>ment aux<br />
sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> barbarie, mais encore aux sièc<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus<br />
civilisés. A une époque plus rapprochée, quand <strong>de</strong>s<br />
faits analogues se représenteront, peut-être que moins<br />
disposé à nier qu'une tel<strong>le</strong> croyance ait existé, on essayera<br />
<strong>de</strong> l'expliquer; en attendant, nous continuons <strong>de</strong><br />
la constater chez <strong>le</strong>s anciens. <strong>Le</strong>s femmes qui se consacraient<br />
au culte <strong>de</strong> Rhéa, et cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Thrace, dès<br />
qu'el<strong>le</strong>s entendaient <strong>le</strong> son <strong>de</strong>s tambours et <strong>de</strong>s divers<br />
instruments, gravissaient <strong>le</strong>s montagnes pour jouir du<br />
spectac<strong>le</strong>, voyaient danser <strong>le</strong>s faunes et <strong>le</strong>s satyres, et<br />
se retiraient dans l'épaisseur <strong>de</strong>s forêts pour goûter<br />
<strong>avec</strong> ces dieux lascifs <strong>le</strong>s plaisirs grossiers d'un commerce<br />
charnel. (V. Hé<strong>de</strong>lin, <strong>Des</strong> Satyres et <strong>de</strong>s Brutes,<br />
127, etLlorcnte, De F Inquisition, t. III, 458.)<br />
Dans <strong>le</strong>s dionysies, la femme <strong>de</strong> l'archonte-roi était<br />
présentée à Bacchus comme épouse ; faut-il dire à quoi<br />
l'engageait, selon <strong>le</strong>s Gentils, ce titre d'épouse? était-il<br />
purement honorifique? On était si convaincu du contraire,<br />
que <strong>le</strong>s historiens citent <strong>de</strong>s faits complètement<br />
étrangers au mysticisme pur : dans <strong>de</strong> rares circonstances<br />
<strong>de</strong> simp<strong>le</strong>s mortels s'étant substitués au dieu,<br />
sans qu'on s'en doutât, on doit donc penser que celui-ci<br />
agissait en tout comme un homme.<br />
<strong>Le</strong>s dames romaines étaient-el<strong>le</strong>s étonnées d'une proposition<br />
bien faite pour <strong>le</strong>s surprendre? Non certes,<br />
el<strong>le</strong>s s'en trouvaient fort honorées et <strong>le</strong>s maris y consentaient<br />
<strong>avec</strong> joie. « Si ce fait eût été sans exemp<strong>le</strong>,<br />
dit Binet {Idée yen. <strong>de</strong> la tkéol. pay., 138), comment
AVEC LE DÉMON. 63<br />
comprendre que la femme <strong>de</strong> ce chevalier dont par<strong>le</strong><br />
Josèphe, dame aussi illustre que vertueuse, s'y fût<br />
déterminée sans hésiter! On dit à Pauline qu'Anubis,<br />
qui passait pour <strong>le</strong> plus impudique <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s dieux,<br />
est amoureux d'el<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> <strong>le</strong> dit à son mari et s'en<br />
félicite auprès <strong>de</strong> ses amies; la nuit vient, tout se<br />
passe très-humainement <strong>avec</strong>Anubis. La dame raconte<br />
tout à son mari et s'en glorifie <strong>avec</strong> ses intimes amies;<br />
mais <strong>le</strong> faux Anubis, la rencontrant, lui dévoi<strong>le</strong> sa<br />
honte... La dame indignée porta plainte ; un châtiment<br />
sévère suivit <strong>le</strong> crime : <strong>le</strong>s prêtres qui avaient laissé<br />
Mundus s'introduire dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> furent crucifiés et<br />
<strong>le</strong> temp<strong>le</strong> fut rasé. » Si cela se pratiquait à Rome civilisée,<br />
dit Binet, que n'aura-t-on pas fait parmi <strong>le</strong>s barbares?<br />
Cet exemp<strong>le</strong> en vaut mil<strong>le</strong>; un historien tel que Josèphe<br />
n'aurait pas osé noter <strong>le</strong>s mystères d'infamie.<br />
Baylo dit : Si <strong>le</strong>s Athéniens eussent cru que ce n'étaient<br />
que <strong>de</strong>s fab<strong>le</strong>s, auraient-ils trouvé mauvais que Socrate<br />
désapprouvât qu'on eût <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s idées <strong>de</strong>s dieux? il n'y<br />
avait guère <strong>de</strong> choses plus contraires à la raison que <strong>de</strong><br />
. prétendre que <strong>le</strong>s plus gran<strong>de</strong>s divinités <strong>de</strong>scendaient<br />
du ciel pour coucher <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s femmes; cependant, dit-il<br />
ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s n'en doutaient .pas. <strong>Le</strong>s Romains<br />
attribuèrent la perte <strong>de</strong> la batail<strong>le</strong> <strong>de</strong> Cannes à la jalousie<br />
<strong>de</strong> Vénus, parce que Varron avait mis en sentinel<strong>le</strong><br />
un beau garçon dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jupiter<br />
J. Hay<strong>le</strong>, Pe?is. sur la comète, IV, 388-420. — <strong>Le</strong>s philosophes <strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong>rniers temps ont pensé que <strong>le</strong>s prêtres remplaçaient <strong>le</strong> dieu dans<br />
<strong>le</strong> commerce impur ; ce n'est pas ici <strong>le</strong> lieu <strong>de</strong> prendre la défense <strong>de</strong><br />
ce corps respectab<strong>le</strong>. Je ne ferai que quelques réf<strong>le</strong>xions et je dirai :<br />
que cette opinion pour celui qui a fait un examen un peu sérieux <strong>de</strong><br />
la matière n'est point admissib<strong>le</strong>, même en faisant une assez large<br />
part aux vices et aux faib<strong>le</strong>sses humaines. Nous ne voyons dans l'histoire<br />
grecque qu'un seul cas où l'amant d'une jeune fil<strong>le</strong> (non un<br />
prêtre) se substituât au dieu; c'est celui <strong>de</strong> Callirhoé qui crut faire
G4 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Ce qu'on vient <strong>de</strong> rapporter chez <strong>le</strong>s Grecs et chez <strong>le</strong>s<br />
Romains se retrouve chez <strong>le</strong>s Babyloniens : dans <strong>le</strong><br />
temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Bélus, une femme était conduite dans un lit<br />
magnifique, placé dans <strong>le</strong> sanctuaire. Personne, dit<br />
Hérodote, n'y passe la nuit, h moins que ce ne soit une<br />
hommage <strong>de</strong> sa virginité au dieu du f<strong>le</strong>uve; et <strong>de</strong>ux faits chez <strong>le</strong>s Romains<br />
: dans l'un, <strong>le</strong>s prêtres permettent à un jeune homme <strong>de</strong> se<br />
cacher dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong>, dans l'autre <strong>le</strong> prêtre lui-même commet cet<br />
exécrab<strong>le</strong> forfait, et on sait qu'un châtiment aussi prompt que terrib<strong>le</strong><br />
punit <strong>le</strong>s auteurs et <strong>le</strong>s complices. Or, cette cérémonie mystérieuse<br />
avait lieu souvent; il faut donc admettre, ou qu'une femme<br />
vertueuse (<strong>le</strong>s Gentils eux-mêmes en avaient <strong>de</strong> fort chastes, comme<br />
on sait) aura consenti à commettre un adultère <strong>avec</strong> un prêtre et que<br />
son mari l'aura vu <strong>avec</strong> joie, ou que l'un et l'autre ont été trompés,<br />
non chez une seu<strong>le</strong> natiou, chez toutes peut-être; non pendant un ou<br />
<strong>de</strong>ux sièc<strong>le</strong>s, mais pendant une longue suite <strong>de</strong> sièc<strong>le</strong>s; toutes <strong>le</strong>s<br />
femmes auront été trompées ou auront consenti ainsi à <strong>de</strong>venir infidè<strong>le</strong>s<br />
en copulanl <strong>avec</strong> un prêtre jeune, vieux, beau, laid, connu ou<br />
inconnu... Tous <strong>le</strong>s maris ont été constamment dupes; pendant <strong>de</strong><br />
longs sièc<strong>le</strong>s, il n'y a eu ni cette jalousie ni cette défiance qui sont <strong>de</strong><br />
tous <strong>le</strong>s temps, malgré enfin <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s qu'on vient <strong>de</strong> citer, qui<br />
avaient dû vivement impressionner <strong>le</strong>s parties intéressées. Mais si <strong>le</strong>s<br />
femmes, si <strong>le</strong>s maris ont pu concevoir <strong>de</strong> graves soupçons, <strong>le</strong> prêtre a<br />
dû redouter <strong>de</strong>s châtiments effroyab<strong>le</strong>s!... Cependant <strong>le</strong> mystère continue<br />
<strong>de</strong> s'opérer comme <strong>de</strong> coutume : <strong>le</strong>s femmes vont dévotement<br />
s'offrir au dieu, <strong>le</strong>s maris prient pendant cette sainte cérémonie que<br />
l'autorité respecte comme un mystère sacré; et tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> est content.<br />
Peut-on supposer une aussi constante et aussi universel<strong>le</strong> erreur<br />
ou bonhomie !... Oisons, ou attendaut plus amp<strong>le</strong> examen, qu'il fallait<br />
avoir <strong>de</strong> graves raisons <strong>de</strong> croire que, <strong>le</strong> Dieu lui-môme accordait<br />
<strong>de</strong> divines faveurs à. une simp<strong>le</strong> mortel<strong>le</strong>, puisque l'action sacrilège<br />
d'un impie ne fut pas plus capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> détruire celte pieuse conviction,<br />
que la découverte d'un mirac<strong>le</strong> fabriqué par un prêtre catholique ne<br />
détruirait dans l'esprit d'un chrétien pieux et éclairé la foi qu'il accor<strong>de</strong><br />
aux véritab<strong>le</strong>s. Nous espérons un jour expliquer ce mystère.—<br />
Ou a dit que <strong>le</strong> sacerdoce était un corps respectab<strong>le</strong>, et on <strong>le</strong> soutiendra.<br />
Si on voit <strong>de</strong> rares exemp<strong>le</strong>s comme celui du prêtre d'Anubis,<br />
on sera moins surpris quand on saura qu'il appartenait BU rite égyptien,<br />
culte étranger, longtemps tvjeté à I<strong>tome</strong>. On était arrivé alorsd<br />
une époque <strong>de</strong> corruption et d'impiété, qui a\ait atteint <strong>le</strong> sacerdoce<br />
lui-même.
AVEC LE DÉMON. 65<br />
femme, et <strong>le</strong>s prêtres disent, ce qui paraît incroyab<strong>le</strong>,<br />
que <strong>le</strong> dieu va se reposer dans ce lit. <strong>Le</strong> même Hérodote<br />
(I, 181, 182) dit que, s'il faut en croire <strong>le</strong>s<br />
Égyptiens, il en arrive autant dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jupiter<br />
Thébain, et on dit que <strong>le</strong>s femmes n'ont commerce<br />
<strong>avec</strong> aucun homme... La même chose se remarque à<br />
Patare... Quand <strong>le</strong> Dieu honore cette vil<strong>le</strong> <strong>de</strong> sa présence,<br />
la gran<strong>de</strong> prêtresse est enfermée dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong><br />
pendant la nuit.<br />
Cotys, roi <strong>de</strong> Thrace, faisait <strong>de</strong>s sacrifices dans une<br />
forêt sacrée ; la déesse venait <strong>le</strong> trouver après <strong>le</strong> banquet,<br />
et passait la nuit <strong>avec</strong> lui.<br />
Dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jagrenat, dit un auteur mo<strong>de</strong>rne,<br />
une jeune vierge épouse aussi <strong>le</strong> dieu qu'el<strong>le</strong> consulte<br />
sur <strong>le</strong>s récoltes. — On pourrait multiplier ces citations.<br />
Dans <strong>le</strong>s assemblées, dans certaines fêtes, il se passait<br />
donc <strong>de</strong>s faits qui ont fait croire à un intime commerce<br />
entre <strong>le</strong>s hommes et <strong>le</strong>s dieux, qui paraissaient désireux<br />
<strong>de</strong> jouir <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs embrassements; il était constant<br />
pour <strong>le</strong>s Gentils que <strong>le</strong>s dieux avaient <strong>le</strong>s mômes passions<br />
que <strong>le</strong>s hommes. (V. Jul. Firm. Maternus, De<br />
errore pvnfan. relig., et Apulée.)<br />
Ils aimaient la danse, la musique, <strong>le</strong>s banquets et<br />
<strong>le</strong>s femmes. Malgré <strong>le</strong>ur invraisemblance, ces faits<br />
étaient constants chez <strong>le</strong>s anciens, comme nous <strong>le</strong> verrons<br />
encore en poursuivant ce travail.<br />
Strabon (X, 3), parlant <strong>de</strong> Silène, <strong>de</strong>s satyres et du<br />
dieu Pan, dit qu'ils aiment Jes danses et font entendre<br />
dans <strong>le</strong>s fêtes <strong>le</strong> son <strong>de</strong>s tambours, <strong>de</strong>s flûtes et <strong>de</strong>s<br />
cymba<strong>le</strong>s.<br />
Eschy<strong>le</strong>, dans une pièce perdue, <strong>le</strong>s Édoni, invoque<br />
Cotys et introduit <strong>le</strong>s ministres <strong>de</strong> Bacchus se servant<br />
d'instruments montagnards... <strong>Le</strong> poète dit : «<strong>Le</strong> chant<br />
perce, et d'invisib<strong>le</strong>s mimes, imitateurs effrayants <strong>de</strong>s<br />
' 5
66 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
taureaux, accompagnent <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs mugissements. »<br />
(V. Rol<strong>le</strong>, Culte <strong>de</strong> Bacchus, I, 263.)<br />
Bacchus, <strong>le</strong> grand dieu cé<strong>le</strong>ste, n'était pas plus grave<br />
que <strong>le</strong>s petits dieux <strong>de</strong> sa suite : on affirme, dit Macrobe,<br />
que Bacchus portant <strong>de</strong>s thyrses et couvert <strong>de</strong><br />
peaux <strong>de</strong> faons, danse sur <strong>le</strong> Parnasse au milieu <strong>de</strong>s<br />
torches <strong>de</strong> pin... On y voit <strong>de</strong> nombreux rassemb<strong>le</strong>ments<br />
<strong>de</strong> satyres, on ouit <strong>le</strong>urs voix; <strong>le</strong> retentissement<br />
<strong>de</strong>s cymba<strong>le</strong>s, du haut <strong>de</strong> cette montagne, se fait entendre<br />
au loin — Nous savons que <strong>le</strong>s femmes<br />
accouraient alors et qu'il se passait ce qu'on a dit être<br />
arrivé dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s; on n'a pas oublié qu'el<strong>le</strong>s<br />
étaient dans cet état qu'on nomme délire sacré. Hé<strong>de</strong>lin,<br />
parlant <strong>de</strong>s satyres, dit que <strong>le</strong>ur voix était articulée,<br />
qu'on ignorait d'où el<strong>le</strong> pouvait venir, car on<br />
savait que la montagne n'était pas habitée. <strong>Le</strong> cri<br />
mystérieux <strong>de</strong>s orgies, dit-il ail<strong>le</strong>urs, était sabohél sabohél<br />
à cause du surnom <strong>de</strong> sabaziea donné à Bacchus.<br />
(V. Hé<strong>de</strong>l., 137.)<br />
Disons, pour terminer cet artic<strong>le</strong>, que nous verrons<br />
plus loin saint Augustin si convaincu <strong>de</strong> ces copulations<br />
étranges comme <strong>le</strong>s païens <strong>de</strong> son temps, qu'il dit:<br />
« que c'est une chose si publique que ce serait une impu<strong>de</strong>nce<br />
<strong>de</strong> la nier; » et Varron, qu'il regar<strong>de</strong> comme<br />
<strong>le</strong> plus savant <strong>de</strong>s Romains et <strong>le</strong> moins crédu<strong>le</strong>, ne sachant<br />
qu'en penser, déclare cependant que ce ne sont<br />
pas <strong>de</strong>s fictions <strong>de</strong> poète, mais <strong>de</strong>s mystères sacrés qui<br />
s'accomplissent dans <strong>le</strong>s-temp<strong>le</strong>s. Ce qu'il faudra dire<br />
ail<strong>le</strong>urs sur ce sujet n'a pas permis d'être ici plus succinct.
AVEC LE DÉMON. 67<br />
<strong>Le</strong>s dieux animent <strong>le</strong>s simulacres, s'emparent <strong>de</strong>s êtres vivants. —<strong>Le</strong>s<br />
prêtres ont <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong>s faire <strong>de</strong>scendre dans <strong>le</strong>s statues.<br />
On a dit que la divinité résidait dans <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s,<br />
qu'el<strong>le</strong> s'emparait momentanément <strong>de</strong> l'organisme<br />
humain dans la fureur sacrée, et que <strong>le</strong>s dieux s'incarnaient<br />
même, en"quelque sorte, dans <strong>le</strong>s animaux qui<br />
<strong>le</strong>ur étaient consacrés, tels que <strong>le</strong> bœuf et <strong>le</strong> serpent,<br />
et dans <strong>le</strong>s objets inanimés, tels que <strong>le</strong> chêne, un monolithe,<br />
etc.; dans tous ces objets souvent la divinité<br />
manifestait sa présence.<br />
<strong>Le</strong>s dieux avaient révélé <strong>de</strong>s moyens propres à <strong>le</strong>s<br />
faire <strong>de</strong>scendre dans <strong>le</strong>s statues ; c'était l'art divin<br />
d'unir <strong>le</strong>s êtres invisib<strong>le</strong>s aux choses visib<strong>le</strong>s, pouvoir<br />
immense du sacerdoce, <strong>de</strong> contraindre <strong>le</strong>s dieux, par<br />
certains rites, d'habiter <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s hommes, qu'il faut expliquer.<br />
La consécration du prêtre ayant introduit l'esprit<br />
dans une statue, cel<strong>le</strong>-ci ne cessait pas <strong>de</strong> rester matière<br />
inerte et sans vie, mais el<strong>le</strong> paraissait animée par<br />
la puissance du dieu. A cette consécration nommée<br />
théopée, qui liait <strong>le</strong> dieu à l'ido<strong>le</strong>, succéda la théurgie,<br />
consécration magique appelée aussi téléte, qui disposait<br />
<strong>le</strong>s âmes à la visite <strong>de</strong>s esprits, à la vision <strong>de</strong>s dieux et<br />
<strong>de</strong>s génies ; ces <strong>de</strong>ux consécrations, faites selon <strong>le</strong>s rites<br />
voulus, pouvaient ainsi contraindre <strong>le</strong>s dieux, qui,<br />
(l'autre part, avaient p<strong>le</strong>ine liberté d'opérer à <strong>le</strong>ur gré<br />
<strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong> la théopée et <strong>de</strong> la théurgie.<br />
<strong>Le</strong>s faits historiques propres à prouver ce qu'on<br />
vient d'avancer sont nombreux et attestés par <strong>le</strong>s autorités<br />
<strong>le</strong>s plus imposantes. Cette croyance, on ne saurait<br />
trop <strong>le</strong> répéter, n'était pas seu<strong>le</strong>ment cel<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
quelques femmes crédu<strong>le</strong>s, ni l'effet d'une imagina-
08 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
tion échauffée, ni due à quelque grossier prestige.<br />
Historiens, philosophes païens, Pères <strong>de</strong> l'Église, etc.,<br />
tous se réunissent pour affirmer que par <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong><br />
certaines évocations magiques on pouvait animer un<br />
simulacre. C'était une opinion fol<strong>le</strong>, dit <strong>le</strong> savant Bergier,<br />
c'était néanmoins une croyance, comme nous <strong>le</strong><br />
prouverons. {Dictionnaire <strong>de</strong> théologie <strong>de</strong> Bergier, au<br />
mot Ido<strong>le</strong>s.)<br />
Mil<strong>le</strong> témoignages, car tous <strong>le</strong>s historiens l'attestent,<br />
affirmaient qu'on avait vu <strong>de</strong>s statues s'agiter, suer,<br />
répandre <strong>de</strong>s larmes, sourire, par<strong>le</strong>r, etc.; dans certains<br />
temp<strong>le</strong>s ces prodiges étaient habituels. Nonseu<strong>le</strong>ment<br />
on avait entendu <strong>de</strong>s voix dans <strong>le</strong>s sanctuaires,<br />
mais on avait vu <strong>de</strong>s statues s'y promener<br />
seu<strong>le</strong>s. Ces merveil<strong>le</strong>s s'opéraient quelquefois en<br />
présence <strong>de</strong> plusieurs spectateurs; dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong><br />
d'Héliopolis, Apollon étant selon l'usage porté sur<br />
<strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s prêtres, il <strong>le</strong>s faisait à son gré avancer<br />
ou rétrogra<strong>de</strong>r. Un jour, il s'é<strong>le</strong>va d'un seul élan<br />
jusqu'à la voûte du temp<strong>le</strong>, et cela arrivait souvent.<br />
Macrobe (I, 23) dit aussi qu'à Héliopolis la statue<br />
du dieu So<strong>le</strong>il est portée sur un brancard par <strong>de</strong>s<br />
hommes <strong>de</strong> la première distinction qui ont mérité cet<br />
honneur par une longue continence. Courbés sous<br />
ce far<strong>de</strong>au, agités <strong>de</strong> l'esprit divin, ils sont forcés<br />
<strong>de</strong> suivre la direction qu'il <strong>le</strong>ur imprime. —11 paraît,<br />
d'après Macrobe, que <strong>le</strong>s sorts d'Antium et <strong>de</strong> Préneste<br />
étaient aussi <strong>de</strong>s statues qui se remuaient d'el<strong>le</strong>smêmes<br />
et dont <strong>le</strong>s mouvements différents servaient<br />
<strong>de</strong> réponse ou indiquaient si on pouvait <strong>le</strong>s consulter<br />
'.<br />
1. De lois faits sont fréquents dans l'histoire. Va<strong>le</strong>ro Maxime (F, 8)<br />
rapporte comme indubitab<strong>le</strong> que. <strong>le</strong>s images <strong>de</strong>s dieux-pénates qn'Knée<br />
avait apportés <strong>de</strong> Troie n> îran-['orlèrent <strong>de</strong>ux foi-; d'el<strong>le</strong>s-mêmes
A.VEC LE DÉMON. 69<br />
Val. Maxime rapporte que Furius Camillus, étant<br />
maître <strong>de</strong> Véies, ordonna à ses soldats <strong>de</strong> transporter à<br />
Rome la statue <strong>de</strong> Junon Moneia, principal objet du<br />
culte <strong>de</strong>s Véiens. Tandis qu'ils s'efforçaient <strong>de</strong> l'en<strong>le</strong>ver<br />
<strong>de</strong> son pié<strong>de</strong>stal, l'un d'entre eux lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en<br />
plaisantant si el<strong>le</strong> consent à al<strong>le</strong>r à Rome. <strong>Le</strong> badinage<br />
se changea en stupéfaction ; tous entendirent <strong>le</strong><br />
oui qu'el<strong>le</strong> prononça, et crurent emporter non une statue,<br />
mais Junon <strong>de</strong>scendue du ciel.<br />
Sur la voie latine, à quatre mil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Rome,— d'après<br />
<strong>le</strong> même historien, — existait un temp<strong>le</strong> dédié à<br />
Ja fortune <strong>de</strong>s femmes et dont la consécration remontait<br />
à l'époque où Coriolan fut désarmé par <strong>le</strong>s larmes<br />
<strong>de</strong> sa mère... Cette statue prononça jusqu'à <strong>de</strong>ux fois<br />
ces mots : Heureux <strong>le</strong>s auspices sous <strong>le</strong>squels vous m avez<br />
vue et sous <strong>le</strong>squels vous m'avez consacrée. (Val. Max.,<br />
1, 8.)<br />
Julius Obsequens dit qu'une statue d'Apollon répandit<br />
<strong>de</strong>s larmes pendant quatre jours; el<strong>le</strong> avait été<br />
apportée <strong>de</strong> Grèce et en présageait ainsi la ruine. <strong>Le</strong><br />
même auteur mentionne que dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s statues<br />
se tournaient, que souvent <strong>le</strong>s lances s'agitaient<br />
toutes seu<strong>le</strong>s; dans diverses circonstances, dit-il, <strong>le</strong><br />
sang a jailli <strong>de</strong>s statues, el<strong>le</strong>s ont sué, etc. Quintus<br />
l'atteste éga<strong>le</strong>ment. (Cicéron, De div.)<br />
Pausanias, en parlant <strong>de</strong> la statue <strong>de</strong> Diane taurique,<br />
<strong>de</strong>vant laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s Spartiates fouettaient <strong>le</strong>urs enfants<br />
jusqu'au sang, dit qu'il était naturel à cette statue<br />
d'aimer <strong>le</strong> sang humain, s'y étant accoutumée chez <strong>le</strong>s<br />
Barbares; il n'entendait pas par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> la statue el<strong>le</strong>même,<br />
mais <strong>de</strong> l'esprit qui y était renfermé. — Porpyhre<br />
dans la vil<strong>le</strong> <strong>de</strong> Lavinium. Saint Augustin par<strong>le</strong> <strong>de</strong> ce prodige, qui<br />
n'était pas supérieur au pouvoir <strong>de</strong>s dieux. (Cité <strong>de</strong> Dieu, III, 14.)
70 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
assure aussi que <strong>le</strong>s dieux habitent dans <strong>le</strong>s ido<strong>le</strong>s- —<br />
La place publique est remplie <strong>de</strong> statues, dont on ressent<br />
l'assistance, disait Maxime <strong>de</strong> Madaure. (V. Bergier,<br />
v° Ido<strong>le</strong>s.)<br />
Quand <strong>le</strong>s premiers chrétiens reprochaient aux<br />
païens d'adorer <strong>de</strong>s statues <strong>de</strong> bronze ou d'argent,<br />
ceux-ci <strong>le</strong>ur répondaient : « Vous vous trompez,<br />
nous ne croyons pas que <strong>le</strong> bronze et l'argent soient<br />
<strong>de</strong>s dieux; l'ouvrier qui sculpte <strong>de</strong>s statues ne fait<br />
pas <strong>de</strong>s dieux, mais celui qui <strong>le</strong>s consacre par <strong>de</strong>s cérémonies.<br />
» (Arnobe, VI, 17.) L'auteur <strong>de</strong>s Clémentines<br />
fait observer aussi que <strong>le</strong>s païens, pour justifier <strong>le</strong>ur<br />
culte, prétendaient qu'ils n'adoraient point la matière<br />
<strong>de</strong>s statues, mais l'esprit qui y résidait.<br />
Après tous ces témoignages, on est forcé <strong>de</strong> redire<br />
<strong>avec</strong> Bergier : « Il est incontestab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s païens,<br />
soit ignorants, soit philosophes, croyaient que <strong>le</strong>s<br />
ido<strong>le</strong>s étaient animées. »<br />
<strong>Le</strong>s Pères <strong>de</strong> l'Église pensaient comme <strong>le</strong>s païens,<br />
<strong>avec</strong> cette différence qu'au lieu <strong>de</strong> voir l'ido<strong>le</strong> agitée<br />
par une divinité, ils y voyaient l'action d'un mauvais<br />
génie. Ils n'ignoraient pas cependant que l'Écriture a<br />
dit : « El<strong>le</strong>s ont <strong>de</strong>s yeux el ne voient pas ; el<strong>le</strong>s ont <strong>de</strong>s<br />
oreil<strong>le</strong>s et ri enten<strong>de</strong>nt pas 1<br />
. Ce phénomène était aussi<br />
constant pour eux que l'est parmi nous, pour nombre<br />
<strong>de</strong> gens éclairés, ce qu'on rapporte <strong>de</strong> certaines images<br />
miracu<strong>le</strong>uses.<br />
Il est visib<strong>le</strong>, remarque saint Augustin (De civ. Dei,<br />
VII, 27), que l'objet <strong>de</strong> toute <strong>le</strong>ur théologie civi<strong>le</strong> était<br />
d'attirer <strong>le</strong>s esprits impurs dans <strong>le</strong>s statues. <strong>Le</strong> saint<br />
évoque <strong>le</strong> répète en plusieurs endroits.<br />
l. Eusèhc (Prœp. ev., IV, 15), dit qu'il ne faut pas regar<strong>de</strong>r comme<br />
<strong>de</strong>s dieux <strong>le</strong>s statues... ni <strong>le</strong>s mauvais <strong>démon</strong>s qui opèrent en el<strong>le</strong>s.
A.VEC LE DÉMON. 71<br />
Sozomène (Hist. eccl., VII, 15) rapporte que, <strong>de</strong>s<br />
ido<strong>le</strong>s ayant été brisées, un certain Olympius incitait<br />
<strong>le</strong>s païens à la révolte, et <strong>le</strong>ur disait : <strong>Le</strong>s statues ont<br />
été mises en pièces, el<strong>le</strong>s étaient sujettes à la corruption,<br />
mais la puissance qui était en el<strong>le</strong>s s'est<br />
retirée au ciel. —Ce qui prouve que <strong>le</strong> paganisme,<br />
même en expirant, laissait encore cette croyance dans<br />
toute sa force.<br />
On croyait aussi queies dieux agissaient dans l'eau,<br />
dans <strong>le</strong> feu, dans <strong>le</strong>s arbres, etc., qui <strong>le</strong>ur étaient<br />
consacrés. Nous aurons occasion d'en par<strong>le</strong>r. <strong>Le</strong>s<br />
épreuves par l'eau et <strong>le</strong> feu, l'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong> Dodone, et<br />
mil<strong>le</strong> faits que l'expérience a constatés, <strong>de</strong>puis la<br />
plus haute antiquité jusqu'à nous, prouveraient qu'une<br />
intelligence s'est manifestée dans <strong>le</strong>s objets <strong>le</strong>s plus<br />
matériels.<br />
La divinité, avons-nous dit, résidait dans <strong>le</strong>s animaux<br />
qui lui étaient consacrés. Selon <strong>le</strong>s prêtres<br />
égyptiens, Osiris s'emparait du bœuf Apis, qui prédisait<br />
et communiquait même cette faculté aux assistants.<br />
<strong>Le</strong>s enfants qui suivaient <strong>le</strong> cortège d'Apis<br />
étaient subitement saisis <strong>de</strong> l'enthousiasme sacré et<br />
prédisaient l'avenir, état où se trouvaient même <strong>le</strong>s<br />
enfants qui jouaient hors <strong>de</strong> l'enceinte du temp<strong>le</strong>'.<br />
(Rol<strong>le</strong>, I, 4.)<br />
I. <strong>Le</strong> Grand Lama offre <strong>le</strong> méirie fait. <strong>Le</strong> Grand Lama, ou Dalaï-<br />
Lama était un prince qui régnait, dit-on, 1026 ans avant J.-C, dans<br />
une partie <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>; il passa pour un Dieu qui s'était incarné. Étant<br />
mort, ses discip<strong>le</strong>s dirent qu'il renaîtrait dans <strong>le</strong> Grand-Lama, ido<strong>le</strong><br />
vivante, objet <strong>de</strong> l'adoration <strong>de</strong>s habitants du Thibet. Il a, selon eux,<br />
<strong>le</strong>s perfections <strong>de</strong>là divinité, possè<strong>de</strong> la science universel<strong>le</strong> et connaît<br />
<strong>le</strong>s secrets <strong>le</strong>s plus cachés. Il est immortel. Son corps paraît mourir,<br />
mais <strong>de</strong>s signes sûrs indiquent l'enfant qui doit <strong>le</strong> remplacer. 11 nous<br />
est interdit <strong>de</strong> répéter tout ce qui se manifeste <strong>de</strong> prodigieux dans <strong>le</strong><br />
rorps <strong>de</strong> l'enfant où <strong>le</strong> dieu va <strong>de</strong> nouveau s'incarner. <strong>Des</strong> prodiges
72 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
On était persuadé que la divinité avait sa <strong>de</strong>meure<br />
dans <strong>le</strong>s serpents sacrés nourris dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s.<br />
On sait que <strong>le</strong>s Romains, attaqués d'une peste affreuse<br />
<strong>de</strong>puis trois ans, envoyèrent, d'après <strong>le</strong> conseil<br />
<strong>de</strong> l'orac<strong>le</strong>, <strong>de</strong>s députés à Épidaure pour faire venir <strong>le</strong><br />
dieu Esculape à Rome. Comme ceux-ci admiraient sa<br />
statue, on vit sortir un serpent du temp<strong>le</strong>, il traversa<br />
la vil<strong>le</strong>, se rendit au vaisseau <strong>de</strong>s Romains, et entra<br />
dans la chambre d'Ogulnius. <strong>Le</strong>s députés ravis <strong>de</strong> ce<br />
prodige, se transportèrent à Antium, où ils séjournèrent.<br />
Pendant ce temps, <strong>le</strong> serpent se glissa dans <strong>le</strong><br />
temp<strong>le</strong> dédié à Esculape, revint au vaisseau quelques<br />
jours après et continua sa route, on remontant <strong>le</strong><br />
Tibre. Arrivé dans l'î<strong>le</strong> que forme cette rivière, il<br />
saute à terre, dans <strong>le</strong> môme lieu où on bâtit un<br />
temp<strong>le</strong>. Aussitôt la peste cessa. Valère Maxime (I, 8)<br />
rapporte ce fait historique, sur <strong>le</strong>quel plusieurs autours<br />
anciens ont discuté '.<br />
Quoi qu'il en soit, ce point n'est pas discutab<strong>le</strong><br />
maintenant. Il ne s'agit que <strong>de</strong> constater que <strong>le</strong>s serpents<br />
étaient <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s vivants <strong>de</strong> la divinité, et<br />
que <strong>le</strong>s Gentils étaient convaincus qu'ils lui servaient<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>meure.<br />
<strong>Le</strong> Bacchus Sabazius <strong>de</strong>s Grecs était un serpent qui<br />
avait aussi ses forets sacrées et ses prêtres. Xerxès s'étant<br />
emparé d'Athènes, <strong>le</strong>s habitants étaient indécis s'ils<br />
réels prouvent, dit-on, <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> 3000 ans cette incarnation dans<br />
<strong>le</strong> corps <strong>de</strong> l'enfant qui <strong>de</strong>vient Grand Lama à son tour.<br />
l. Serait-ce un conte? Il y a trop <strong>de</strong> raisons pour la négative. Étaitce<br />
un serpent apprivoisé? — Il est douteux qu'un serpent apprivoisé ail<br />
pu faire ce qu'on rapporte <strong>de</strong> celui-ci. La peste a cessé, — el<strong>le</strong> <strong>de</strong>vait,<br />
dira-t-on, avoir une fin. —Quoi qu'il en soit, dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s d'Épidaure,<br />
dé Cos, <strong>de</strong> Pergame, dans tous <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s si nombreux en<br />
Grèce, on voyait <strong>de</strong>s colonnes où étaient inscrits <strong>le</strong>s noms <strong>de</strong> ceux<br />
qui avaient été guéris.
AVEC LE DÉMON. 73<br />
quitteraient la vil<strong>le</strong>; mais <strong>le</strong>s prêtres effrayés accourent<br />
en disant que <strong>le</strong> serpent sacré a disparu Alors<br />
<strong>le</strong>s Athéniens <strong>de</strong> s'écrier : « Que tardons nous <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />
suivre ? »<br />
Un roi <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>s montrait mystérieusement à<br />
A<strong>le</strong>xandre la divinité vivante qu'on adorait dans un<br />
temp<strong>le</strong>. C'était un serpent monstrueux qui représentait<br />
Bacchus. — L'histoire religieuse <strong>de</strong>s Gentils est p<strong>le</strong>ine<br />
défaits d'apparitions <strong>de</strong> serpents. Ils se montraient pendant<br />
la veil<strong>le</strong>, on en recevait <strong>de</strong>s révélations en songe.<br />
Pendant <strong>le</strong> sommeil <strong>de</strong> Rosciusun serpent vient enlacer<br />
son corps. <strong>Le</strong> <strong>de</strong>vin consulté sur ce prodige répond<br />
que Roscius est <strong>de</strong>stiné à une gran<strong>de</strong> renommée. Ces<br />
sortes d'apparitions, si souvent rappelées dans l'antiquité,<br />
ne pouvaient, aux yeux <strong>de</strong>s Gentils, concerner<br />
<strong>de</strong>s serpents naturels.<br />
<strong>Des</strong> faits nombreux prouvaient aussi que <strong>le</strong>s dieux<br />
habitaient dans <strong>le</strong>s lieux qui <strong>le</strong>ur étaient consacrés et<br />
qu'ils y manifestaient souvent <strong>le</strong>ur présence l<br />
.<br />
1. Mithridate ayant mis <strong>le</strong> feu aux bois consacrés aux Furies, un<br />
grand éclat <strong>de</strong> rire se fît entendre. On ne put l'attribuer à nul être<br />
vivant.
74 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
CHAPITRE V<br />
Conjurations <strong>de</strong>s dieux. — <strong>Le</strong>s dévouements. — Révélations uti<strong>le</strong>s au bien-e tre<br />
matériel, clc. — <strong>Des</strong> guérisons divines. —Invulnérabilité, incombustibilité.<br />
— <strong>Le</strong>s dieux accor<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s faveurs nu châtient. — Divers moyens <strong>de</strong> con<br />
naître l'avenir. — La Provi<strong>de</strong>nce, <strong>le</strong> <strong>Des</strong>tin. —Présages. —Augurie. —<br />
Aruspicine. — <strong>Des</strong> songes. — Astrologie. — Talismans, amu<strong>le</strong>ttes. —<strong>Des</strong><br />
orac<strong>le</strong>s. •— Nécromancie ou orac<strong>le</strong>s rendus par <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts. — Doc<br />
trine <strong>de</strong>s Gentils sur l'origine <strong>de</strong>s Ames et <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>stination.<br />
Conjuration <strong>de</strong>s dieux.<br />
Outre ce pouvoir immense <strong>de</strong>s prêtres <strong>de</strong>s Gentils<br />
qui, p<strong>le</strong>ins <strong>de</strong> foi, en suivant <strong>le</strong>s rites prescrits, pouvaient<br />
faire <strong>de</strong>scendre <strong>le</strong>s dieux dans <strong>le</strong>s statues et<br />
<strong>le</strong>s faire apparaître, il <strong>le</strong>ur était encore donné par <strong>le</strong>s<br />
conjurations <strong>de</strong> participer à <strong>le</strong>ur puissance.<br />
On pouvait <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r : 1° qu'une chose se fît; 2° que<br />
tel malheur fût détourné, el3°sc mettre sous laprotection<br />
<strong>de</strong>s dieux pour l'éviter. Ces formu<strong>le</strong>s <strong>de</strong> conjurations,<br />
qui se distinguaient en impétraloires, aversoires et rccomtnandatoires,<br />
renferment tout. On <strong>de</strong>vait prendre<br />
<strong>le</strong>s précautions <strong>le</strong>s plus scrupu<strong>le</strong>uses en prononçant<br />
<strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s du rituel, cérémonie si grave qu'un homme<br />
était préposé pour <strong>le</strong> lire, un autre pour suivre attentivement<br />
chaque paro<strong>le</strong>, un troisième pour imposer <strong>le</strong><br />
plus grand si<strong>le</strong>nce, et un quatrième pour jouer <strong>de</strong> la<br />
flûte, <strong>de</strong> peur qu'on n'entendît rien <strong>de</strong> funeste pendant<br />
la récitation <strong>de</strong>s formu<strong>le</strong>s : <strong>de</strong> terrib<strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s prouvaient<br />
que, <strong>de</strong>s imprécations ayant interrompu la prière
AVEC LE DÉMON. 73<br />
ou la formu<strong>le</strong> ayant été mal récitée, <strong>le</strong>s présages étaient<br />
<strong>de</strong>venus funestes. S'agissait-il <strong>de</strong> consulter la divinité<br />
pour savoir si tel événement aurait une heureuse issue,<br />
on immolait une victime, on consultait ses entrail<strong>le</strong>s,<br />
et aussi promptement que la pensée, sans que la victime<br />
eût fait aucun mouvement, la tête, ou <strong>le</strong> cœur,<br />
ou <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong> cette victime disparaissaient ou se<br />
trouvaient doub<strong>le</strong>s. Et qui l'assure? Ce n'est pas un<br />
auteur disposé à croire aux prodiges divins, c'est Pline,<br />
qui ne voit que lois naturel<strong>le</strong>s partout. Ainsi, <strong>le</strong>s formu<strong>le</strong>s,<br />
dit-il, jouissaient d'un grand crédit; el<strong>le</strong>s étaient<br />
confirmées par <strong>le</strong>s événements <strong>de</strong> 830 années. Une<br />
simp<strong>le</strong> prière faite par <strong>le</strong>s vesta<strong>le</strong>s retenait <strong>le</strong>s esclaves<br />
fugitifs. <strong>Le</strong>s exemp<strong>le</strong>s existaient par milliers. Au moyen<br />
<strong>de</strong>s conjurations, on pouvait faire tomber la foudre ;<br />
aussi fallait-il se gar<strong>de</strong>r d'agir <strong>avec</strong> légèreté dans ces<br />
circonstances. On voit, dans <strong>le</strong>s anna<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s<br />
bien propres à causer <strong>de</strong> l'effroi. L'omission <strong>de</strong> quelques<br />
circonstances du rit avait causé la mort. Il était<br />
constant que <strong>le</strong>s conjurations avaient modifié <strong>de</strong> hautes<br />
<strong>de</strong>stinées, et qu'on changeait ainsi la va<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>s présages.<br />
(Pline, XXVIII, 3 et suiv.)<br />
<strong>Le</strong>s prêtres pouvaient causer <strong>le</strong>s orages, ils avaient<br />
aussi <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong>s détourner par certaines paro<strong>le</strong>s<br />
; ils avaient toute puissance sur <strong>le</strong>s météores.<br />
Pausanias rapporte que lorsque la campagne souffrait<br />
<strong>de</strong> la sécheresse, un prêtre <strong>de</strong> Jupiter, en Arcadie, agitait<br />
l'eau d'une fontaine <strong>avec</strong> un rameau <strong>de</strong> chêne; il<br />
s'é<strong>le</strong>vait une vapeur légère, une nuée se formait, et<br />
bientôt la pluie tombait par torrents. Pour obtenir <strong>le</strong><br />
même bienfait, <strong>le</strong>s Romains roulaient près du temp<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> Mars un cylindre en pierre qu'on nommait Manalis.<br />
Cette gran<strong>de</strong> puissance se manifestait dans <strong>le</strong>s dévouements<br />
d'une manière non moins frappante.
7(ï DES HAPP011TS DE L'HOMME<br />
<strong>Le</strong>s dévouements.<br />
<strong>Le</strong>s présages dont il sera parlé dans un <strong>de</strong>s paragraphes<br />
suivants pouvaient être modifiés par <strong>le</strong>s sacrifices<br />
et la prière, à moins que <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin n'eût décrété<br />
que <strong>le</strong> malheur annoncé ne pouvait être conjuré, ou<br />
que la volonté <strong>de</strong>s dieux infernaux ne fût contraire.<br />
Dans ce <strong>de</strong>rnier cas, on ne pouvait rien obtenir <strong>de</strong><br />
ces divinités terrib<strong>le</strong>s qu'en répandant <strong>le</strong> sang humain;<br />
<strong>de</strong> là <strong>le</strong>s sacrifices humains et <strong>le</strong>s dévouements.<br />
Si un crime avait attiré la malédiction sur une nation<br />
entière, un chef pouvait, en se chargeant d'imprécations,<br />
faire tomber uniquement sur sa tète la fureur<br />
<strong>de</strong>s esprits infernaux. Quand ils ne s'étaient pas contentés<br />
<strong>de</strong> victimes humaines d'un rang considérab<strong>le</strong>,<br />
<strong>le</strong>s rois eux-mêmes se dévouaient alors pour <strong>le</strong> salut<br />
<strong>de</strong> l'État. Chez <strong>le</strong>s Grecs, Cécrops sacrifie sa fil<strong>le</strong> pour<br />
faire cesser une guerre meurtrière ; Agamemnon immo<strong>le</strong><br />
Iphigénie; Ménécée, pour conjurer <strong>le</strong>s maux qui<br />
fon<strong>de</strong>nt sur <strong>le</strong>s Thébains, s'immo<strong>le</strong> lui-même quand<br />
<strong>le</strong> <strong>de</strong>vin Tirésias eut déclaré que <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>mandaient<br />
cette expiation. Un orac<strong>le</strong> promet la victoire à<br />
l'armée dont <strong>le</strong> chef mourra dans <strong>le</strong> combat, Codrus,<br />
déguisé en paysan, se fait massacrer dans <strong>le</strong> camp <strong>de</strong>s<br />
ennemis.<br />
<strong>Le</strong>s Romains nous donnent <strong>de</strong> pareils exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />
dévouement. On connaît ceux <strong>de</strong> Curtius, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />
Décius et <strong>de</strong> ces sénateurs qui, après la batail<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'Allia,<br />
se dévouèrent so<strong>le</strong>nnel<strong>le</strong>ment pour la patrie, exemp<strong>le</strong><br />
qui fut suivi par plusieurs prêtres. (Tite-Live, V; Encycl.<br />
mêth., v° Dévouement.)<br />
Curtius ne se précipita dans un gouffre que lorsque<br />
<strong>le</strong>s aruspices eurent déclaré que <strong>le</strong>s dieux Mânes <strong>de</strong>-
AVEC LE DÉMON. 77<br />
mandaient qu'on <strong>le</strong>ur envoyât un homme brave. (Mém.<br />
78 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
tiquité. On voit <strong>le</strong> roi <strong>de</strong>s Moabites engager Balaam à<br />
dévouer <strong>le</strong>s Israélites. Ainsi <strong>le</strong>s imprécations proférées<br />
par un prêtre causaient la maladie ou la mort <strong>de</strong> ceux<br />
qu'il dévouait. Quoique l'amour <strong>de</strong> la patrie et <strong>le</strong> zè<strong>le</strong><br />
religieux se fussent bien refroidis, on voit encore, au<br />
second sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> notre ère, Antinoiis se dévouer pour<br />
l'empereur Adrien. Si ces dévouements généreux sont<br />
rares alors, <strong>le</strong>s imprécations par <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s on dévouait<br />
<strong>le</strong>s ennemis ne l'étaient pas.<br />
Révélations uti<strong>le</strong>s au bien-être matériel, etc.<br />
<strong>Le</strong>s dieux avaient voulu communiquer <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />
hommes et se manifester par <strong>de</strong>s bienfaits. On peut<br />
remarquer qu'ils révélaient surtout ce qui concerne<br />
la vie matériel<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s biens temporels et <strong>le</strong>s guérisons<br />
<strong>de</strong>s maladies. Cependant ils révélaient aussi ce<br />
qui concernait <strong>le</strong>s <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong>s hommes envers eux. <strong>Le</strong>s<br />
mots barbares usités dans certaines opérations, <strong>le</strong>s<br />
formu<strong>le</strong>s inintelligib<strong>le</strong>s avaient été dictées par <strong>le</strong>s<br />
dieux, qui avaient aussi <strong>de</strong>mandé un culte et <strong>de</strong>s sacrifices.<br />
— « Ce que je vous dis est <strong>de</strong> la plus gran<strong>de</strong> vérité,<br />
disait Thémislius, et extrait <strong>de</strong> la doctrine <strong>de</strong>s<br />
anciens; à <strong>de</strong>s temps marqués, <strong>de</strong>s substances divines<br />
et éternel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>scendirent sur la terre pour l'utilité <strong>de</strong>s<br />
hommes, » etc., et Jambliquc assure qu'ils étaient<br />
<strong>le</strong>s auteurs <strong>de</strong> ces formu<strong>le</strong>s auxquel<strong>le</strong>s on attachait<br />
l'efficacité <strong>de</strong>s opérations et <strong>le</strong> pouvoir d'opérer <strong>de</strong>s<br />
prodiges.<br />
Toute l'antiquité atteste ce qu'on vient <strong>de</strong> lire.<br />
<strong>Des</strong> guérisons divines.<br />
Ce sujet est un <strong>de</strong>s plus intéressants, car <strong>le</strong>s guérisons<br />
surhumaines appartiennent à toutes <strong>le</strong>s religions,
AVEC LE DÉMON. 79<br />
à tous <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s, même aux sièc<strong>le</strong>s matérialistes, qui,<br />
refusant <strong>de</strong> <strong>le</strong>s attribuer à la divinité, préfèrent supposer<br />
l'action <strong>de</strong> quelques lois physiques inconnues.<br />
Quoi qu'il en soit, tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s, j'ignore si on doit<br />
en excepter un seul, ont cru que la divinité avait communiqué<br />
aux hommes, par une sorte <strong>de</strong> révélation, <strong>le</strong>s<br />
premières connaissances <strong>de</strong> l'art <strong>de</strong> guérir. <strong>Le</strong>s anciens<br />
Gentils, <strong>le</strong>s Grecs, <strong>le</strong>s Juifs et <strong>le</strong>s Chrétiens ont pensé<br />
que la mé<strong>de</strong>cine avait une origine cé<strong>le</strong>ste. Quels sont<br />
<strong>le</strong>s dieux qui ont fait ces révélations ? A quel<strong>le</strong> époque?<br />
Il règne tant d'obscurité sur ce sujet que la question<br />
reste insolub<strong>le</strong>. On cite une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> noms : Bacchus,<br />
Àmmon, Esculape, Apollon, Osiris, Sérapis, Anubis,<br />
Apis, Isis, Diane, etc., etc. Mais quelques-uns pensent<br />
que Bacchus était <strong>le</strong> même que Noé, que Ammon était<br />
<strong>le</strong> même que Cham, son fils; d'autres en font <strong>de</strong>s<br />
rois, <strong>de</strong>s princes ou <strong>de</strong>s prêtres, <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong>s dieux.<br />
Osiris passe aussi pour l'inventeur <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine.<br />
On voyait dans la vil<strong>le</strong> <strong>de</strong> Nysa <strong>de</strong>s inscriptions qui<br />
portaient : « Mon père est Cronos, <strong>le</strong> plus jeune <strong>de</strong><br />
tous <strong>le</strong>s dieux, je suis <strong>le</strong> roi Osiris. » — Une autre<br />
était ainsi conçue : « Je suis Isis, instruite par Thoth,<br />
fil<strong>le</strong> aînée <strong>de</strong> Cronos, femme et sœur d'Osiris; c'est<br />
moi qui bril<strong>le</strong> dans la Canicu<strong>le</strong>.» —Ail<strong>le</strong>urs on voit<br />
que Thoth est <strong>le</strong> même que Hermès ou Mercure, et<br />
Jamblique dit qu'il y avait en Egypte <strong>de</strong>s colonnes remplies<br />
<strong>de</strong> sa doctrine, et que Pythagore avait puisé <strong>de</strong><br />
gran<strong>de</strong>s lumières dans <strong>le</strong>s livres sacrés qu'on lui attribue,<br />
et qui sont conservés soigneusement dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s.<br />
<strong>Le</strong>c<strong>le</strong>rc (Hist. <strong>de</strong> la mèd.) dit que si ces livres sont<br />
véritab<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> lui, il serait évi<strong>de</strong>nt que la mé<strong>de</strong>cine<br />
hermétique était fondée en gran<strong>de</strong> partie sur la magie<br />
et l'astrologie. Dans un <strong>de</strong> ces livres, l'Asclépius, il est<br />
question <strong>de</strong> statues qui donnent <strong>de</strong>s maladies, <strong>le</strong>s gué-
80 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
rissent, prédisent l'avenir et font cent autres prodiges.<br />
Osiris, Sérapis et Apis sont <strong>le</strong>s mômes qu'Esculape,<br />
dieu <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine ; mais il a existé plusieurs Esculape<br />
qui tous faisaient <strong>de</strong>s guérisons. Isis passe aussi<br />
pour avoir inventé divers médicaments; on pense que,<br />
mise ensuite au rang <strong>de</strong>s dieux, el<strong>le</strong> s'occupe encore<br />
<strong>de</strong> la santé <strong>de</strong>s hommes. Diodore assure que ceux qui<br />
l'invoquent sont visib<strong>le</strong>ment soulagés : — Ce n'est pas<br />
sur <strong>de</strong>s fab<strong>le</strong>s, disent <strong>le</strong>s historiens, que la réputation<br />
d'Isis s'est établie, mais sur l'évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s faits, et <strong>le</strong><br />
témoignage <strong>de</strong> l'univers entier <strong>le</strong>s atteste... On cite une<br />
fou<strong>le</strong> d'autres noms qui appartiennent à la plus haute<br />
antiquité, et sont évi<strong>de</strong>mment <strong>le</strong>s noms <strong>de</strong>s discip<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>s dieux, <strong>de</strong> ces favoris auxquels ils ont révélé <strong>le</strong>urs<br />
secrets. Ce que la tradition, au milieu <strong>de</strong> ces ténèbres,<br />
offre donc <strong>de</strong> plus certain, c'est que la divinité aurait<br />
révélé, entre autres secrets, celui do guérir, à <strong>de</strong>s<br />
personnages qui ont été confondus plus tard <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />
dieux ', ont été divinisés comme eux, et souvent en ont<br />
reçu <strong>le</strong>s noms. Il est constant que <strong>le</strong>s prêtres <strong>de</strong> l'Egypte,<br />
<strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>, <strong>de</strong> la Perse, <strong>le</strong>s Drui<strong>de</strong>s, etc., etc., guérissaient<br />
par <strong>de</strong>s expiations, <strong>de</strong>s lustrations, <strong>de</strong>s sacrifices,<br />
<strong>de</strong>s chants et par certaines paro<strong>le</strong>s magiques. Ces<br />
moyens étranges <strong>de</strong> guerison remontaient à la plus<br />
haute antiquité. Avant <strong>le</strong> siège <strong>de</strong> Troie, <strong>le</strong>s Cabires,<br />
<strong>le</strong>s Curètcs <strong>le</strong>s pratiquaient déjà 2<br />
. Lorsqu'on eut érigé<br />
<strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s mala<strong>de</strong>s s'y rendirent; <strong>le</strong>s Égyptiens<br />
allaient se coucher dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> d'Isis et d'Osiris,<br />
1. OEnone disait qu'Apollon lui avait enseigné <strong>le</strong>s simp<strong>le</strong>s propres<br />
;l guérir. — Diane avait fait connaître <strong>le</strong>urs vertus à Chiron.<br />
2. <strong>Le</strong>s Asclépiadcs étaient une corporation <strong>de</strong> prêtres qui ne transmetlninnt<strong>le</strong>ur<br />
moyens <strong>de</strong> guérir que par l'initiation. Ils joignaient ,ï la<br />
mé<strong>de</strong>cine divine certaines notions médica<strong>le</strong>s dont llippocrate se servit<br />
pour établir une mé<strong>de</strong>cine plus ralioniml<strong>le</strong>.
AVEC LE DÉMON. 81<br />
qui teur révélaient <strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s ou <strong>le</strong> régime qu'exigeait<br />
<strong>le</strong>ur maladie. Plus tard, Sérapis <strong>le</strong>s surpassa et<br />
<strong>le</strong>s fit oublier. N'oublions pas, cependant, que Sérapis<br />
était <strong>le</strong> même dieu qu'Osiris, que Pluton, que Jupiter.<br />
La vie la plus longue, disait Aristi<strong>de</strong> (Disc, sur Sérapis),<br />
ne suffirait pas pour décrire tous <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />
opérés par Sérapis : ressusciter <strong>de</strong>s morts, donner la<br />
santé et <strong>le</strong>s richesses, etc. Ses cures miracu<strong>le</strong>uses<br />
étaient consignées dans <strong>de</strong>s livres sacrés, et il avait<br />
partout un grand nombre <strong>de</strong> temp<strong>le</strong>s; en Egypte, du<br />
temps d'Aristi<strong>de</strong> 1<br />
, on en comptait quarante-trois. —<br />
Strabon dit que <strong>le</strong>s plus grands personnages avaient<br />
confiance au Sérapis du temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Canope; on s'y<br />
rendait pour obtenir <strong>de</strong>s songes, et <strong>le</strong>s ex-voto encombraient<br />
ses autels.<br />
Esculape, que quelques-uns confon<strong>de</strong>nt <strong>avec</strong> Apollon,<br />
tandis que d'autres en font un discip<strong>le</strong> d'Hermès,<br />
apparaissait aux mala<strong>de</strong>s dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s, après certaines<br />
cérémonies préliminaires, lustrations, sacrifices,<br />
et quand la foi ne manquait pas. Quelquefois <strong>le</strong>s mala<strong>de</strong>s<br />
ne voyaient en songe que <strong>le</strong>s médicaments;<br />
d'autres fois tout se présentait allégoriquement. On<br />
pouvait aussi obtenir <strong>de</strong>s songes chez soi : tous ces<br />
remè<strong>de</strong>s, comme on <strong>le</strong> verra ail<strong>le</strong>urs, étaient d'ordinaire<br />
très-bizarres et plus propres souvent à tuer un<br />
mala<strong>de</strong> qu'à <strong>le</strong> guérir 5<br />
.<br />
Toutes <strong>le</strong>s nations avaient ainsi <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s où se<br />
rendaient <strong>le</strong>s mala<strong>de</strong>s, ou bien ceux-ci y envoyaient<br />
<strong>le</strong>urs amis pour obtenir <strong>de</strong>s apparitions ou <strong>de</strong>s songes;<br />
1. Aristi<strong>de</strong>, orateur grec, est mort vers l'an 180 <strong>de</strong> notre ère.<br />
?. <strong>Le</strong>s prêtres se couchaient sur <strong>le</strong>s peaux <strong>de</strong>s victimes et obtenaient<br />
ainsi <strong>de</strong>s songes. Us conversaient <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, interrogeaient <strong>le</strong>s<br />
Miîncs, voyaient <strong>le</strong>s formes <strong>le</strong>s plus extraordinaires. (V. Aubin Gauthier,<br />
Histoire du somnambulisme, t. 2.)
82 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
quelquefois <strong>le</strong>s prêtres consentaient à se charger <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r la révélation d'un médicament salutaire ; *t<br />
ces remè<strong>de</strong>s naturel<strong>le</strong>ment inuti<strong>le</strong>s ou nuisib<strong>le</strong>s guérissaient,<br />
ainsi que l'attestent tous <strong>le</strong>s monuments historiques.<br />
<strong>Le</strong>s Hébreux en étaient si convaincus qu'ils<br />
furent entraînés dans l'idolâtrie ; Isaïe <strong>le</strong>ur reproche<br />
d'al<strong>le</strong>r dormir dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s (LXV, 4), Ochozias<br />
envoyait consulter <strong>le</strong> dieu d'Accaron. (IV lieg., I, 2.)<br />
Ce serait ici <strong>le</strong> lieu <strong>de</strong> citer <strong>de</strong> longs récits historiques<br />
<strong>de</strong> ces moyens curatifs indiqués en songe. Nous<br />
verrions à Athènes une statue <strong>de</strong> Pallas, dressée par<br />
ordre <strong>de</strong> Périclès, lui indiquer pendant son sommeil<br />
l'herbe qui guérira son esclave tombé du haut d'un<br />
temp<strong>le</strong>. (<strong>Le</strong>c<strong>le</strong>ro, Ifùt. <strong>de</strong> la niêd., p. 1.)<br />
Un dragon montre dans sa gueu<strong>le</strong>, à A<strong>le</strong>xandre, la<br />
plante qui doit rendre la santé à Ptolémée. (Cic, De<br />
div., II, 6G.)<br />
Nous citerions enfin la guérison <strong>de</strong> la jeune Aspasie,<br />
fil<strong>le</strong> d'Hermotime, défigurée par une grosse tumeur<br />
au visage- <strong>Le</strong>s mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong>mandant à son père une<br />
somme dont il ne pouvait disposer, la pauvre enfant<br />
se retire fondant en larmes. La nuit, dans un songe,<br />
une colombe lui apparaît; s'étant changée en femme,<br />
el<strong>le</strong> lui dit : «Aie bon courage, prends <strong>le</strong>s roses dont<br />
on fait <strong>de</strong>s guirlan<strong>de</strong>s pour Vénus; lorsqu'el<strong>le</strong>s seront<br />
<strong>de</strong>sséchées et pilées, applique-<strong>le</strong>s sur ta tumeur. »<br />
Cet ordre fut exécuté ponctuel<strong>le</strong>ment, et la tumeur disparut.<br />
Ç&lien, XII, 1.)<br />
<strong>Le</strong>s philosophes matérialistes pratiqueront un jour<br />
cette mé<strong>de</strong>cine sans croire qu'el<strong>le</strong> émane <strong>de</strong>s dieux.<br />
On verra dans Pline que <strong>le</strong>s philosophes naturalistes,<br />
en s'efforçant <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s vertus naturel<strong>le</strong>s dans<br />
certaines substances, manifestaient une crédulité plus<br />
fol<strong>le</strong> que ceux qui, ne voyant en el<strong>le</strong>s qu'un signe sen-
AVEC LE DÉMON.<br />
sib<strong>le</strong>, attribuaient la guérison au dieu qui <strong>le</strong>s avait ordonnées.<br />
Invulnérabilité, incombustibilité.<br />
C'était une prérogative attachée à l'initiation, comme<br />
on <strong>le</strong> verra plus amp<strong>le</strong>ment chez <strong>le</strong>s néoplatoniciens,<br />
où <strong>le</strong> feu ne pouvait <strong>le</strong>s brû<strong>le</strong>r, <strong>le</strong>s lances et <strong>le</strong>s épées<br />
ne pouvaient <strong>le</strong>s percer. <strong>Le</strong> même prodige avait lieu<br />
quelquefois pour ceux mêmes qui n'étaient pointinitiés,<br />
par exemp<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s épreuves. Ainsi nous voyons<br />
Sophoc<strong>le</strong>, cinq sièc<strong>le</strong>s avant Jésus-Christ, faire dire<br />
par <strong>le</strong>s gar<strong>de</strong>s auxquels on avait confié <strong>le</strong> corps <strong>de</strong><br />
Polynice : « Nous étions prêts ù manier <strong>le</strong> fer rouge<br />
et à passer à travers du feu, en prenant <strong>le</strong>s dieux<br />
à témoin, » etc. — Selon Pelloutier, cette coutume<br />
n'était en usage que chez <strong>le</strong>s Barbares, parmi <strong>le</strong>squels<br />
<strong>le</strong>s gar<strong>de</strong>s avaient été choisis. — Quoique ce soitsurtout<br />
chez <strong>le</strong>s Barbares et <strong>le</strong>s sauvages qu'on observe ces<br />
phénomènes, on <strong>le</strong>s verra ail<strong>le</strong>urs chez <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s civilisés;<br />
mais il paraît certain que ces gar<strong>de</strong>s n'avaient<br />
pas été initiés, et qu'ils ne comptaient sur l'invulnérabilité<br />
que pour prouver qu'ils disaient la vérité. <strong>Le</strong>s<br />
prêtres et certaines famil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>vaient <strong>le</strong>ur invulnérabilité<br />
à <strong>le</strong>ur caractère ou h <strong>le</strong>ur naissance; <strong>le</strong>s Hirpiens<br />
marchaient pieds nus sur un grand brasier, sans se<br />
brû<strong>le</strong>r, en présence <strong>de</strong> tout <strong>le</strong> peup<strong>le</strong>. En Cappadoce,<br />
dans un temp<strong>le</strong> dédié à Diane, <strong>le</strong>s prêtresses marchaient<br />
aussi sur <strong>de</strong>s charbons allumés; Zoroastre, chez <strong>le</strong>s<br />
Perses, a subi <strong>de</strong> plus fortes épreuves.<br />
Sous <strong>le</strong> règne <strong>de</strong> Sapor, un chef <strong>de</strong>s Mages, pour<br />
prouver la divinité <strong>de</strong> sa religion, se fit verser sur <strong>le</strong><br />
corps nu dix-huit livres <strong>de</strong> cuivre fondu. (Pell., t. VIII.)<br />
Acceptons ces faits sans discuter. On y reviendra dans<br />
<strong>le</strong> cours <strong>de</strong> cet ouvrage.
84 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>Le</strong>s dieux accor<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s faveurs ou châtient.<br />
<strong>Le</strong>s dieux intervenaient souvent pour récompenser<br />
ou punir. La vesta<strong>le</strong> Tuccia, accusée faussement d'avoir<br />
violé son
AVEC LE DÉMON. 8b<br />
<strong>Le</strong>s prêtres d'Hercu<strong>le</strong>, ayant omis <strong>le</strong>ur service accoutumé,<br />
<strong>de</strong>viennent muets et sont subitement guéris<br />
quand ils ont promis d'être plus fidè<strong>le</strong>s.<br />
<strong>Le</strong> censeur Appius conseil<strong>le</strong> à la famil<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Potitii,<br />
chargés du service du môme dieu, <strong>de</strong> l'abandonner<br />
au soin <strong>de</strong>s esclaves. Toute la famil<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Politii<br />
meurt dans l'année; ils étaient plus <strong>de</strong> trente, <strong>de</strong><br />
sorte que cette famil<strong>le</strong> fut éteinte. (Tite-Live, IX, 29.)<br />
<strong>Le</strong>s historiens citent une fou<strong>le</strong> d'exemp<strong>le</strong>s du courroux<br />
<strong>de</strong>s dieux — S'il était quelquefois tardif, ditValcre<br />
Maxime, la sévérité en compensait la <strong>le</strong>nteur.<br />
Un volume ne suffirait pas, dit Denys d'Halicarnasse,<br />
pour rapporter tous <strong>le</strong>s traits historiques où <strong>le</strong>s Furies<br />
poursuivent <strong>le</strong>s coupab<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s apparitions soudaines,<br />
<strong>le</strong>s morts effrayantes pour empêcher <strong>de</strong> grands attentats.<br />
Dans certains temp<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s asi<strong>le</strong>s étaient d'autant plus<br />
respectab<strong>le</strong>s qu'on savait que <strong>le</strong>s profanateurs y recevaient<br />
un châtiment plus prompt. Tel était celui <strong>de</strong>s<br />
dieux paliques. (V. Diod. <strong>de</strong> Sici<strong>le</strong>, et Hist. <strong>de</strong> l'Acad.,<br />
t. III, p. 44 2<br />
.)<br />
Divers moyens <strong>de</strong> connaître l'avenir. — La Provi<strong>de</strong>nce, <strong>le</strong> <strong>Des</strong>tin.<br />
On distinguait en général <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> divinations,<br />
l'une naturel<strong>le</strong>, l'autre artificiel<strong>le</strong>. A la première appartiennent<br />
<strong>le</strong> délire sacré dont on a parlé, <strong>le</strong>s songes, etc.<br />
A la secon<strong>de</strong>, l'auguric, l'aruspicine, la nécromancie,<br />
l'astrologie, <strong>le</strong>s présages, etc.<br />
1. <strong>Le</strong>s soldats d'A<strong>le</strong>xandre veu<strong>le</strong>nt pil<strong>le</strong>r <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Cérès à Mi<strong>le</strong>l<br />
et sont aveuglés par <strong>de</strong>s flammes. — Pyrrhus enlève <strong>le</strong>s trésors du<br />
temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Proserpine a Locres. La déesse excite une furieuse tempête<br />
qui ramène sur <strong>le</strong> rivage la flotte fort maltraitée, et <strong>le</strong>s trésors<br />
furent restitués. (Valère Maxime, I, 1.)<br />
2. Pour un crime inuti<strong>le</strong> à rappe<strong>le</strong>r ici, <strong>le</strong>s dieux révè<strong>le</strong>nt à Atticus<br />
qu'il faut célébrer <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong>s jeux. Mil<strong>le</strong> faits prouveraient ce<br />
qu'on a avancé.
86 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
L'homme est naturel<strong>le</strong>ment désireux <strong>de</strong> connaître<br />
sa <strong>de</strong>stinée. On voit partout <strong>le</strong>s fausses religions lui<br />
^donner une infinité <strong>de</strong> moyens <strong>de</strong> satisfaire une curiosité<br />
indiscrète ; révélations souvent mensongères, et<br />
qui souvent aussi se sont réalisées dans toutes <strong>le</strong>urs circonstances<br />
<strong>avec</strong> une suite qui frappe <strong>de</strong> stupeur. Un<br />
<strong>de</strong>stin inexorab<strong>le</strong>, fatal, dirigc-t-il nos actes? Croire à<br />
la divination, c'est <strong>le</strong> penser, ce semb<strong>le</strong>; et cependant<br />
une religion toute divine, <strong>de</strong> concert <strong>avec</strong> la raison,<br />
nous dit que nous sommes libres. — <strong>Le</strong>s Gentils, qui<br />
admettaient <strong>le</strong> <strong>Des</strong>tin, "la fatalité, qvod semel dictum<br />
est, dit Horace, reconnaissaient aussi la Provi<strong>de</strong>nce, à<br />
moins qu'ils ne fussent athées Ils pensaient que ce<br />
que <strong>le</strong> <strong>Des</strong>tin a fixé, et ce dont <strong>le</strong>s dieux nous menacent,<br />
peut être prédit; mais <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin n'est fixé irrévocab<strong>le</strong>ment<br />
que lorsque <strong>le</strong> maître <strong>de</strong>s dieux l'a décidé; une<br />
fois décrété, il est plus puissant que Jupiter, ou plutôt<br />
une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> passages <strong>de</strong>s tragiques grecs montrent que<br />
<strong>le</strong> <strong>Des</strong>tin n'est que la volonté irrévocab<strong>le</strong> <strong>de</strong> ce maître<br />
<strong>de</strong>s dieux. S'il est décidé qu'OEdipe tuera Laïus, l'orac<strong>le</strong><br />
qui a prédit cet événement, doit s'accomplir. 11 en résulterait<br />
que <strong>l'homme</strong> est fata<strong>le</strong>ment criminel, et, par<br />
une juste conséquence, que <strong>le</strong>s crimes ne lui sont point<br />
imputab<strong>le</strong>s.—<strong>Le</strong>s dieux pouvaient donc révé<strong>le</strong>r l'avenir<br />
aux hommes ; quelquefois c'était un <strong>de</strong>stin bien fixé,<br />
d'autres fois, il pouvait encore être changé. <strong>Le</strong>s Gentils<br />
faisaient ces distinctions; sinon à quoi bon <strong>le</strong>s prières,<br />
<strong>le</strong>s sacrifices et <strong>le</strong>s victimes immolées pour s'assurer<br />
si <strong>le</strong>s dieux se laisseraient toucher? — Par <strong>de</strong>s présages,<br />
<strong>de</strong>s songes, par l'aruspicine ou tout autre moyen, <strong>le</strong>s<br />
dieux ont parlé et dit que <strong>le</strong> consultant est menacé<br />
par un <strong>de</strong>stin contraire : celui-ci immo<strong>le</strong> <strong>de</strong>s victimes,<br />
consulte <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong>s dieux; mais si rien ne<br />
<strong>le</strong>s touche, il reconnaît alors qu'un <strong>de</strong>stin inexorab<strong>le</strong>
AVEC LE DÉMON. 87<br />
<strong>le</strong> force à subir l'événement qui lui a été révélé. <strong>Le</strong>s<br />
exemp<strong>le</strong>s dans l'antiquité ne manquent pas.<br />
Ce sentiment d'une Provi<strong>de</strong>nce tel qu'on vient <strong>de</strong><br />
l'exposer se retrouve chez toutes <strong>le</strong>s nations païennes.<br />
<strong>Le</strong>s Barbares, dit^Elien, ne la nient pas, tous adorent<br />
un dieu qui prend soin <strong>de</strong> nous. On était convaincu<br />
que rien n'arrivait par hasard. Plusieurs philosophes<br />
païens paraissent avoir eu là-<strong>de</strong>ssus une doctrine qui<br />
ressemblait beaucoup à cel<strong>le</strong> du christianisme. L'univers<br />
entier croyait à la Provi<strong>de</strong>nce et à la liberté <strong>de</strong><br />
<strong>l'homme</strong>. (V. Mignot, t. LVI <strong>de</strong>s Mém. <strong>de</strong> l'Acad.)<br />
Epicurc, dit-il, fut <strong>le</strong> premier, trois cents ans avant<br />
notre ère, qui enseigna publiquement que <strong>le</strong>s dieux<br />
ne prenaient aucun soin <strong>de</strong>s choses d'ici-bas. » Ce<br />
n'est pas ici qu'on peut exposer la variété <strong>de</strong>s doctrines,<br />
et examiner ce qu'on entendait par <strong>de</strong>stin,<br />
hasard, fortune, liberté. Plutarque trouvait compris<br />
sous <strong>le</strong> mot <strong>de</strong> <strong>de</strong>stin, <strong>le</strong> rontinyrnt, <strong>le</strong> possib<strong>le</strong>, ce qui<br />
est <strong>de</strong> notre choir, la fortune et ce qu'on appel<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />
hasard, <strong>le</strong>s acci<strong>de</strong>nts et tout ce qui peut être ou ne<br />
pas être. Dans un sujet si obscur par la diversité <strong>de</strong>s<br />
opinions <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s temps, on voit que la révélation<br />
<strong>de</strong> l'avenir pouvait donc souvent être uti<strong>le</strong> aux<br />
hommes, puisqu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur donnait <strong>le</strong> moyen d'invoquer<br />
la Provi<strong>de</strong>nce contre <strong>le</strong> malheur qu'il était encore possib<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> conjurer 1<br />
; mais la prédiction finissait par<br />
causer <strong>le</strong> désespoir, quand on voyait que <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin était<br />
irrévocab<strong>le</strong>ment fixé, et que supplication, sacrifice,<br />
victimes, tout avait été inuti<strong>le</strong>.<br />
1. Mais, d'autre part, quels moyens puissants pour <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong><br />
tromper l'humanité et <strong>de</strong> l'asservir!
88 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Présages. — Auguriez.<br />
<strong>Le</strong>s dieux envoyaient divers signes dont plusieurs<br />
étaient <strong>de</strong>s prodiges frappants, pour annoncer aux<br />
Gentils <strong>de</strong>s événements futurs plus ou moins importants<br />
; on disait que pour ceux qui auraient voulu tout<br />
observer, tout eût été présage. Chacun pouvait donc<br />
en trouver <strong>de</strong> nouveaux et obtenir ainsi pour son<br />
instruction particulière et ses besoins personnels un<br />
avertissement divin. Mais <strong>le</strong>s dieux qui intervenaient<br />
à chaque instant pour manifester l'avenir à ceux qui<br />
<strong>le</strong> désiraient, ne présageaient rien à ceux qui ne voulaient<br />
pas user <strong>de</strong> cet avantage. L'effet <strong>de</strong>s augures,<br />
dit Pline (XXVIII), dépend <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>; c'était un<br />
axiome dans la science augura<strong>le</strong> que « <strong>Le</strong>s imprécations<br />
et <strong>le</strong>s auspices sont nuls pour ceux qui n'y font<br />
aucune attention. »<br />
Tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s avaient été attentifs à observer<br />
<strong>le</strong>s prodiges qui révè<strong>le</strong>nt l'avenir. <strong>Le</strong>s Égyptiens en<br />
avaient fait un recueil plus comp<strong>le</strong>t que <strong>le</strong>s autres<br />
(Hérodote, H, 82); ils consignaient <strong>le</strong> signe par écrit<br />
et observaient ce qui surviendrait A une époque<br />
fort reculée, <strong>le</strong>s dieux avaient révélé l'augurie; <strong>le</strong>s<br />
Grecs l'attribuaient à Prométhée, à Mélampus... Mais<br />
<strong>le</strong>s Égyptiens, <strong>le</strong>s Chaldéens, la cultivaient avant <strong>le</strong>s<br />
Grecs, et on ignore qui l'avait fait connaître aux Gaulois.<br />
Ce qui est constant, c'est que partout révélée aux<br />
amis <strong>de</strong>s dieux, à ceux qui passaient pour <strong>le</strong>urs confi<strong>de</strong>nts,<br />
ceux-ci l'ont transmise aux peup<strong>le</strong>s. On voit<br />
parmi <strong>le</strong>s oiseaux, l'aig<strong>le</strong>, la chouette, <strong>le</strong> vautour, <strong>le</strong><br />
l. <strong>Le</strong>s Pères ont attribué à ces pratiques <strong>le</strong>.; tromperies <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s.<br />
<strong>Le</strong> présage ne signifiait rien par lui-môuic, mais il était accordé aux<br />
<strong>démon</strong>s d'aveug<strong>le</strong>r ceux qui <strong>le</strong>s consultaient.
AVEC LE DÉMOS. 80<br />
coq, <strong>le</strong> corbeau, etc., regardés comme <strong>de</strong>s messagers<br />
<strong>de</strong>s dieux. Ces croyances ayant survécu à cel<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> la religion, ont encore aujourd'hui, comme toutes<br />
<strong>le</strong>s superstitions, <strong>de</strong>s partisans môme chez <strong>le</strong>s impies.<br />
Parmi <strong>le</strong>s météores n'oublions pas <strong>le</strong> tonnerre, qui<br />
n'était pas toujours, ainsi qu'on <strong>le</strong> croit, un présage<br />
pour <strong>le</strong>s Gentils. <strong>Le</strong>s bruta fulmina ne signifiaient rien,<br />
<strong>le</strong>s fatidica fulmina ne pouvaient être expiés par aucun<br />
moyen ; mais certains tonnerres présageaient <strong>de</strong>s malheurs<br />
qu'on pouvait détourner. <strong>Le</strong>s Gentils reconnaissaient<br />
donc <strong>de</strong>s tonnerres prodiges, entendus même<br />
dans un temps serein, qui ramenaient parfois <strong>le</strong>s épicuriens<br />
au culte <strong>de</strong>s dieux ; Horace offre un exemp<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> ces conversions 1<br />
.<br />
11 faut distinguer <strong>de</strong>ux catégories <strong>de</strong> présages; <strong>le</strong>s<br />
uns, pour nous, s'expliquent physiquement, d'autres<br />
donnent lieu à diverses opinions. 1° <strong>Le</strong>s ^négations,<br />
dont nous ne dirons rien ici ; 2° enfin <strong>de</strong>s explications<br />
inacceptab<strong>le</strong>s. Julius Obsequens, Tite-Live, Valère<br />
Maxime, ont cité <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres,<br />
qui étaient consignés dans <strong>le</strong>s anna<strong>le</strong>s. Ce sont <strong>le</strong>s<br />
pluies <strong>de</strong> sang, <strong>de</strong> lait, <strong>de</strong> soufre, <strong>de</strong> mercure, <strong>de</strong><br />
chair, etc.; l'éclat d'un so<strong>le</strong>il pendant la nuit; <strong>de</strong>ux<br />
ou trois so<strong>le</strong>ils à la fois ; <strong>le</strong>s veaux à plusieurs têtes,<br />
<strong>le</strong>s pou<strong>le</strong>ts à quatre pieds, etc. Tous ces prodiges sont<br />
expliqués <strong>de</strong> nos jours par la science. Quant à la<br />
<strong>de</strong>uxième catégorie, niée, ou naturel<strong>le</strong>ment inexpli-<br />
l. Bay<strong>le</strong>, en parlant du prodige qui convertit Horace, dit : «Que ce<br />
mirac<strong>le</strong> n'en vaut pas la peine, puisque d'épicurien il <strong>de</strong>venait idolâtre.<br />
» Sans doute, si <strong>le</strong> prodige eût été opéré par <strong>le</strong> vrai Dieu, il eût<br />
manqué, son but. Mais <strong>le</strong> même Bay<strong>le</strong> a dit que l'idolâtrie était pire<br />
que l'athéisme. Si cela est, Satan y gagnait ; si au contraire l'idolâtrie<br />
est préférab<strong>le</strong> à l'athéisme, Satan n'y perdait rien, la conversion<br />
d'Horace <strong>le</strong> laissait sous son empire et affermissait la superstition que<br />
<strong>le</strong> Sauveur, peu <strong>de</strong> temps après, venait détruire.
90 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
cab<strong>le</strong> ou inexpliquée jusqu'ici d'une manière satisfaisante,<br />
ce sont <strong>le</strong>s musiques aériennes, <strong>le</strong>s animaux parlants,<br />
<strong>le</strong>s bœufs qui jettent <strong>de</strong>s flammes par la gueu<strong>le</strong>,<br />
<strong>le</strong>s voix mystérieuses, <strong>le</strong>s apparitions spontanées <strong>de</strong><br />
serpents prodigieux, si fréquentes dans l'antiquité;<br />
<strong>le</strong>s statues qui ont articulé <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s, qui se sont<br />
agitées, ont donné signe <strong>de</strong> vie ; <strong>le</strong>s enfants à la mamel<strong>le</strong><br />
qui ont parlé; <strong>le</strong>s armées cé<strong>le</strong>stes, <strong>le</strong>urs combats,<br />
<strong>le</strong>s cris <strong>de</strong>s combattants, <strong>le</strong> cliquetis <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />
armes entendus par <strong>le</strong>s spectateurs; l'apparition<br />
d'une flamme, d'une lumière, la vision d'un spectre,<br />
l'extinction subite d'un flambeau, attribués à un esprit;<br />
l'audition <strong>de</strong> bruits étranges dans <strong>le</strong>s habitations<br />
attribués aux lémures ou aux larves, <strong>le</strong>s coups frappés,<br />
la tristesse sans cause et subite, que nous appelons<br />
pressentiment, etc., etc., tous ces présages enfin cl<br />
une fou<strong>le</strong> d'autres, dont plusieurs se retrouvant parmi<br />
nous, présentent <strong>de</strong>s phénomènes curieux, cffrayanls<br />
ou étranges, niés ou inexpliqués. Parmi <strong>le</strong>s divinations<br />
<strong>de</strong> l'augurie on en citera une seu<strong>le</strong> : c'est lo<br />
signe divin accordé dans une circonstance bien grave;<br />
signe si étrange qu'on a été disposé à <strong>le</strong> nier, et tel<strong>le</strong>ment<br />
prodigieux que <strong>le</strong>s uns ont supposé la fourberie,<br />
d'autres un état psychologique particulier, ne<br />
trouvant rien <strong>de</strong> mieux à dire.<br />
Il s'agit <strong>de</strong> l'é<strong>le</strong>ction d'un consul ; c'est au milieu<br />
<strong>de</strong> la nuit, <strong>le</strong> ciel est serein, sans vent et sans<br />
nuages, on se transporte sur une éminenec. L'augure,<br />
la tête voilée <strong>de</strong> la prétexte, se met en communication<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux; il prononce <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s sacramentel<strong>le</strong>s<br />
et trace <strong>avec</strong> <strong>le</strong> lituus l'espace dans <strong>le</strong> ciel où<br />
doivent apparaître <strong>le</strong>s signes <strong>de</strong>mandés aux dieux<br />
qu'il adjure ; il <strong>le</strong>s a suppliés d'envoyer six aig<strong>le</strong>s ou<br />
douze corneil<strong>le</strong>s, et soudain <strong>le</strong> prodige s'opère....
AVEC LE DÉMON. 91<br />
Cette première épreuve ne suffit pas ; à la rigueur, <strong>le</strong><br />
hasard a pu faire coïnci<strong>de</strong>r l'arrivée <strong>de</strong> ces oiseaux<br />
<strong>avec</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>; enfin, d'injustes soupçons peuvent<br />
supposer une frau<strong>de</strong> : un second signe doit confirmer<br />
<strong>le</strong> premier. L'augure <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que <strong>le</strong> tonnerre se<br />
fasse entendre, et aussitôt, au milieu <strong>de</strong> ce ciel serein,<br />
l'éclair bril<strong>le</strong>, <strong>le</strong> tonnerre éclate, et confirme <strong>le</strong><br />
premier présage, <strong>le</strong>s dieux ont sanctionné l'é<strong>le</strong>ction.<br />
Que <strong>de</strong> tels présages, appartenant à la haute antiquité,<br />
aient été niés ensuite par <strong>le</strong>s épicuriens <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s<br />
matérialistes, on <strong>le</strong> conçoit; mais il n'en est pas<br />
moins constant que <strong>le</strong>s Gentils y croyaient et pouvaient<br />
aussi bien y croire qu'à beaucoup d'autres<br />
phénomènes non moins étonnants pour nous.<br />
Aruspicine.<br />
Ce genre <strong>de</strong> divination se perd aussi dans la nuit<br />
<strong>de</strong>s temps. El<strong>le</strong> est plus ancienne que <strong>le</strong> Lévitique et <strong>le</strong><br />
I)eutéronome(Lw., XIX, 26; Beat., XV11I, 10), puisqu'el<strong>le</strong><br />
y est sévèrement défendue. Nous la retrouverons<br />
en Grèce, chez <strong>le</strong>s Asiatiques, chez <strong>le</strong>s Drui<strong>de</strong>s, dans<br />
<strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s. Quel en est l'inventeur? — Môme réponse<br />
pour toutes ces pratiques.—Ce sont <strong>le</strong>s dieux autrefois<br />
qui ont révélé <strong>le</strong>s sciences sacrées. Plus mo<strong>de</strong>rnes en<br />
Étrurie, on voit <strong>le</strong> dieu Tagès sortir tout à coup d'un<br />
sillon pour faire connaître l'auguric aux Étrusques.<br />
Enfin, nous l'observons partout et confiée aussi partout<br />
aux membres <strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus illustres, initiés<br />
<strong>de</strong> bonne heure à ses règ<strong>le</strong>s.<br />
On sait que <strong>le</strong>s aruspices avaient pour fonction<br />
d'examiner <strong>avec</strong> un soin scrupu<strong>le</strong>ux la rate, <strong>le</strong> foie,<br />
<strong>le</strong> cœur, la langue, <strong>le</strong>s reins <strong>de</strong> la victime, d'observer<br />
<strong>le</strong>s signes qui s'y manifesteraient, tous plus
92 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
ou moins prodigieux, car <strong>le</strong> cœur, par exemp<strong>le</strong>, disparaissait<br />
et, d'autres fois, on <strong>le</strong> trouvait doub<strong>le</strong>. L'intensité<br />
et la cou<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> la flamme qui brûlait <strong>le</strong>s<br />
intestins était aussi attentivement examinée, car il<br />
s'agissait souvent <strong>de</strong>s intérêts <strong>le</strong>s plus importants <strong>de</strong><br />
l'État.<br />
Chacun <strong>de</strong>vine que <strong>de</strong>s sentiments opposés pouvaient<br />
cxei'ccr une gran<strong>de</strong> influence dans ces graves<br />
cérémonies, quoique <strong>de</strong>s plus religieuses et <strong>de</strong>s plus<br />
sacrées, car <strong>le</strong>s passions se servent <strong>de</strong> tout ; <strong>le</strong>s observations<br />
<strong>de</strong>s aruspiecs pouvaient contrarier <strong>le</strong>s projets<br />
d'un chef. L'aruspice pouvait être influencé et<br />
tromper d'autant plus faci<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> chef qui recourait<br />
h son art, que celui-ci l'eût ignoré. Pour obvier à cet<br />
inconvénient, il y a <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> croire qu'il<br />
connaissait lui-même l'art divin <strong>de</strong>s aruspices, — nous<br />
l'examinerons plus loin,— qu'il était ordinairement<br />
présent ou représenté, et exerçait une surveillance<br />
active sur <strong>le</strong> <strong>de</strong>vin ; tout prouve aussi que cette pratique,<br />
comme toutes <strong>le</strong>s superstitions <strong>de</strong>s Gentils,<br />
n'était point infaillib<strong>le</strong>. Mais <strong>le</strong>s grands services qu'el<strong>le</strong><br />
avait rendus ne permettaient pas <strong>de</strong> la négliger. On<br />
avait vu <strong>de</strong>s généraux, sachant qu'el<strong>le</strong> trompait quelquefois,<br />
ou ne consultant que <strong>le</strong>ur courage, passer<br />
outre et la mépriser; mais l'histoire qui en cite <strong>le</strong>s<br />
funestes résultats a condamné cette impiété ou cette<br />
témérité. Un général romain perdit ainsi la batail<strong>le</strong><br />
et la vie pour n'avoir pas ajouté foi aux signes <strong>de</strong>s<br />
entrail<strong>le</strong>s.<br />
<strong>Le</strong> jour même <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> César, ayant immolé<br />
un bœuf, l'aruspice n'y trouva point <strong>le</strong> cœur: précé<strong>de</strong>mment<br />
tout avait annoncé cette mort. <strong>Le</strong>s sacrifices,<br />
<strong>le</strong>s songes, <strong>le</strong>s présages, <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin qui l'avait<br />
décidée, poussaient à sa perte César aveuglé; <strong>le</strong> jour
AVEC LE DÉMON. 9.7<br />
même <strong>de</strong> sa mort, se moquant <strong>de</strong> Spurinna, il lui disait<br />
en plaisantant: « El<strong>le</strong>s sont venues, <strong>le</strong>s i<strong>de</strong>s <strong>de</strong> mars!»<br />
El<strong>le</strong>s sont venues, répondait tristement I'aruspice, mais<br />
ne sont point passées; on sait <strong>le</strong> reste. César succomba;<br />
<strong>le</strong> souverain <strong>de</strong>s dieux l'avait ainsi décrété.<br />
On cite <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s où <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin semblait avoir<br />
parlé, et cependant une <strong>de</strong>rnière supplication prouvait<br />
qu'on s'était trompé, engageait à ne point épargner<br />
<strong>le</strong>s victimes et à continuer <strong>de</strong> prier. Mardonius avait<br />
attaqué <strong>le</strong>s Grecs <strong>avec</strong> succès, tout lui présageait la<br />
\ictoire sur <strong>le</strong>s ennemis, qui avaient immolé en vain<br />
<strong>de</strong>svictimes, et recouru à tous <strong>le</strong>s moyens que fournissaient<br />
<strong>le</strong>s sciences sacrées pour obtenir ces présages<br />
favorab<strong>le</strong>s qui annoncent que <strong>le</strong>s dieux se laissent<br />
toucher; tout avait été inuti<strong>le</strong>. Pausanias alors, se<br />
tournant vers <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> junon, invoqua la déesse,<br />
en lui <strong>de</strong>mandant <strong>de</strong> ne pas tromper sa confiance. Dès<br />
que cette prière fut faite, <strong>le</strong>s aruspiccs trouvèrent <strong>de</strong>s<br />
signes favorab<strong>le</strong>s, et <strong>le</strong>s Grecs furent vainqueurs. (Hérodote,<br />
IX, 61.)<br />
<strong>Des</strong> songes.<br />
Outre <strong>le</strong>s songes obtenus dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s personnes<br />
qui ne <strong>le</strong>s avaient ni sollicités ni provoqués<br />
avaient <strong>de</strong>s songes révélateurs <strong>de</strong> faits cachés ou d'événements<br />
appartenant à un avenir plus ou moins<br />
éloigné. Comme <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s dont il va être question, ils<br />
étaient tantôt obscurs et énigmatiques, tantôt fort clairs<br />
et évi<strong>de</strong>nts : si pour ceux-ci l'interprétation était inuti<strong>le</strong>,<br />
pour <strong>le</strong>s premiers il fallait recourir au ministère<br />
d'hommes auxquels une longue observation <strong>de</strong>s songes<br />
et <strong>de</strong>s événements qui <strong>le</strong>s avaient suivis permettait<br />
d'expliquer <strong>avec</strong> succès même <strong>le</strong>s plus obscurs. Tous
94 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
étaient envoyés par <strong>le</strong>s dieux, excepté <strong>le</strong>s songes naturels,<br />
qui souvent fournissent un diagnostic assez sûr<br />
<strong>de</strong> l'état sanitaire du songeur, et <strong>le</strong>s songes insignifiants<br />
éga<strong>le</strong>ment naturels, mais résultat du vagabondage<br />
<strong>de</strong> l'esprit sous l'influence quelquefois d'un estomac<br />
chargé d'aliments, ou sous l'empire <strong>de</strong>s passions et<br />
<strong>de</strong>s préoccupations <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> durant la veil<strong>le</strong>. <strong>Le</strong>s<br />
Gentils ne confondaient point ces songes naturels <strong>avec</strong><br />
<strong>le</strong>s songes divins, et distinguaient d'ordinaire trèsbien<br />
ces <strong>de</strong>ux classes do songes. Ceux envoyés par <strong>le</strong>s<br />
dieux <strong>de</strong>vant seuls nous occuper, nous en citerons<br />
quelques-uns transmis par <strong>le</strong>s historiens.<br />
Val. Maxime en fournit un exemp<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> songe<br />
d'Artorius, mé<strong>de</strong>cin d'Auguste, qui, dans la nuit qui<br />
précéda la batail<strong>le</strong> <strong>de</strong> Philippes, vit en dormant Minerve<br />
lui ordonner <strong>de</strong> dire au prince <strong>de</strong> prendre part au<br />
combat du <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main. Or, l'avis <strong>de</strong> Minerve était peu<br />
goûté par <strong>le</strong> mé<strong>de</strong>cin, Auguste étant dangereusement<br />
mala<strong>de</strong> ; il <strong>le</strong> suivit toutefois, et <strong>le</strong> prince lui-même<br />
obéit à Minerve. — Il avait, dit l'historien, <strong>de</strong> graves<br />
motifs pour croire aux songes. — Il se fit donc porter<br />
sur <strong>le</strong> champ <strong>de</strong> batail<strong>le</strong>, et s'en félicita, car, pendant<br />
qu'il remportait la victoire, Brutus, qui s'emparait <strong>de</strong><br />
son camp, aurait saisi <strong>de</strong> même sa personne, si Minerve<br />
ne l'eût averti. (Val. Maxime, I, 7.) — <strong>Le</strong> songe <strong>de</strong><br />
Calpurnie ne fut pas moins clair que <strong>le</strong> précé<strong>de</strong>nt :<br />
la nuit qui précéda la mort <strong>de</strong> Ju<strong>le</strong>s César, el<strong>le</strong> <strong>le</strong> vit<br />
couvert <strong>de</strong> b<strong>le</strong>ssures expirant dans ses bras...; effrayée<br />
<strong>de</strong> ce songe, el<strong>le</strong> <strong>le</strong> conjurait <strong>le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main <strong>de</strong> ne point<br />
al<strong>le</strong>r au sénat ; César méprisa ses craintes et tomba<br />
sous <strong>le</strong> fer <strong>de</strong>s parrici<strong>de</strong>s. (Plutarque, J. Cœs., LXIU.)<br />
Valère Maxime et Tite Livc rapportent que <strong>le</strong>s<br />
consuls Décins et Torquatus eurent chacun <strong>le</strong> même<br />
songe : <strong>le</strong>s dieux infernaux réclamaient <strong>le</strong> général <strong>de</strong>
AVEC LE DÉMON. 95<br />
l'un <strong>de</strong>s partis et l'armée entière <strong>de</strong> l'autre ; cel<strong>le</strong> du<br />
général qui se dévouerait serait donc victorieuse. <strong>Le</strong>s<br />
aruspices furent consultés sur ce songe, qu'ils confirmèrent.<br />
On sait que Décius se dévoua, et que ses<br />
troupes remportèrent la victoire.<br />
<strong>Le</strong> suivant est non moins clair que <strong>le</strong>s précé<strong>de</strong>nts :<br />
Atérius, chevalier romain, se trouvant à Syracuse pendant<br />
<strong>le</strong>s jeux <strong>de</strong> gladiateurs, vit en songe qu'un rétiaire<br />
<strong>le</strong> perçait <strong>de</strong> son épée ; <strong>le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, au spectac<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
ces jeux, il racontait son rêve, quand tout à coup, un<br />
rétiaire et un mirmillon s'étant introduits dans l'arène,<br />
Atérius reconnut <strong>le</strong> gladiateur qu'il avait vu en songe :<br />
«Oh! » s'écria-t-il, « voilà bien <strong>le</strong> rétiaire que j'ai vu<br />
et par qui j'ai cru avoir été tué. » La réalisation <strong>de</strong>
96 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Astrologie.<br />
<strong>Le</strong> culte <strong>de</strong>s astres enfanta l'astrologie, qui remonte<br />
ainsi à une très-haute antiquité. Dès qu'on put croire<br />
que <strong>le</strong>s astres étaient <strong>de</strong>s dieux, ils furent l'objet d'un<br />
culte. Pensant qu'il y avait entre <strong>le</strong>s astres et <strong>le</strong>s actes<br />
<strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> une étroite liaison, on étudia <strong>le</strong>urs cours,<br />
<strong>le</strong>urs conjonctions ; <strong>le</strong> ciel parut être un registre où<br />
chacun pouvait lire sa <strong>de</strong>stinée. <strong>Le</strong>s prêtres babyloniens<br />
furent <strong>le</strong>s premiers qui se livrèrent à cette prétendue<br />
science aussi fol<strong>le</strong> qu'impie, qui fut ensuite<br />
étudiée et admise partout. Hérodote dit que <strong>le</strong>s Égyptiens<br />
savaient à quel Dieu chaque jour, chaque mois<br />
sont consacrés. Puisque l'astre qu'il dirigeait était<br />
l'arbitre <strong>de</strong> la <strong>de</strong>stinée, il était naturel <strong>de</strong> l'étudier<br />
pour qu'il en révélât <strong>le</strong> secret. Tel astre donnait tel<br />
caractère, déterminait fata<strong>le</strong>ment tel événement. L'impiété<br />
alla jusqu'à tout soumettre à la discipline <strong>de</strong>s<br />
astres, <strong>le</strong>s révolutions religieuses el<strong>le</strong>s-mêmes ; <strong>le</strong> libre<br />
arbitre fut nié, toutes <strong>le</strong>s actions humaines dépendaient<br />
<strong>de</strong>s astres ou mieux <strong>de</strong>s intelligences qui y présidaient;<br />
« JNous sommes nés sous <strong>le</strong> même <strong>de</strong>stin,»<br />
s'écrie Andromaque apprenant <strong>le</strong> trépas d'Hector. (IL,<br />
XXII, U77 '.)— Il n'y a plus ni mérite ni démérite, ni<br />
vertus ni vices, donc ni récompenses ni peines. —<br />
<strong>Le</strong>s plus grands personnages s'infatuèrent d'astrologie.<br />
César et Pompée y croyaient comme Bélus, roi <strong>de</strong> Babylone.<br />
Ce n'est pas ici <strong>le</strong> lieu <strong>de</strong> rapporter, même<br />
succinctement, <strong>le</strong>s savantes et nébu<strong>le</strong>uses inepties <strong>de</strong>s<br />
astrologues. Bornons-nous à dire qu'on y crut fermement,<br />
parce que souvent, et très-souvent, chose in-<br />
i. C'est notre <strong>de</strong>stinée, disent encore aujourd'hui <strong>de</strong>s chrétiens.
AVEC LE DÉMON. 97<br />
croyab<strong>le</strong>, la réalisation <strong>de</strong>s événements prédits vint<br />
confirmer la croyance et établir une conviction inébranlab<strong>le</strong><br />
chez ceux même qui doutaient.<br />
L'origine <strong>de</strong> l'astrologie étant fort reculée est inconnue<br />
; quelques antiquaires l'ont attribuée à Cham ;<br />
d'autres ont fait <strong>de</strong> ce fils <strong>de</strong> Noé un dieu sous un<br />
autre nom. Plusieurs ont pensé qu'el<strong>le</strong> avait été, comme<br />
<strong>le</strong>s autres sciences sacrées, révélée par <strong>de</strong>s intelligences<br />
; nul doute qu'el<strong>le</strong> ne dérive <strong>de</strong> la même source<br />
et ne remonte à l'époque où <strong>le</strong> genre humain sortit <strong>de</strong><br />
son berceau.<br />
L'astrologie faisait connaître <strong>le</strong>s événements funestes<br />
décrétés par <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin, et ceux qu'on pouvait détourner<br />
par un recours à la Provi<strong>de</strong>nce. Comme on l'a vu, tout<br />
n'étant pas fata<strong>le</strong>ment décidé dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>stinées, l'astrologie<br />
offrait sans doute, en révélant l'avenir, <strong>le</strong><br />
moyen d'éviter certains malheurs; c'était son unique<br />
avantage, sinon on ne conçoit pas que chacun ait voulu<br />
connaître une <strong>de</strong>stinée, souvent affreuse, à laquel<strong>le</strong><br />
nul<strong>le</strong> puissance ne pouvait résister, que nul effort<br />
n'aurait su changer.<br />
Talismans, amu<strong>le</strong>ttes.<br />
La croyance au pouvoir <strong>de</strong>s astres donna naissance<br />
aux talismans ; tel<strong>le</strong> divinité résidant dans tel astre, il<br />
y eut un art <strong>de</strong> disposer <strong>le</strong>s pierres, <strong>le</strong>s métaux et<br />
autres corps <strong>de</strong> la nature à recevoir <strong>le</strong>s influences <strong>de</strong><br />
cette divinité; il consistait d'abord à l'invoquer, pour<br />
faire produire à ces métaux <strong>de</strong>s effets aussi surprenants.<br />
Il fallait ensuite <strong>le</strong>s fondre ou <strong>le</strong>s graver sous<br />
la constellation dont on voulait obtenir l'influence. Ces<br />
images ou talismans <strong>de</strong>venaient alors <strong>de</strong>s dieux tutélaires.<br />
L'usage <strong>de</strong>s médail<strong>le</strong>s, camaïeux imagiques et<br />
i. 7
98 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
talismaniques quelconques remonte à une haute antiquité,<br />
dit <strong>avec</strong> tous <strong>le</strong>s érudits <strong>le</strong> P. Ménestrier. <strong>Des</strong><br />
Orientaux il passa aux Égyptiens , <strong>de</strong> ceux-ci aux<br />
Hébreux. <strong>Le</strong>s Chaldéens représentèrent <strong>le</strong>s étoi<strong>le</strong>s sous<br />
diverses figures, d'où nous viennent <strong>le</strong>s signes du<br />
zodiaque. <strong>Le</strong>s talismans passèrent enfin aux Grecs et<br />
aux Romains.<br />
<strong>Le</strong>s ido<strong>le</strong>s talismaniques rendaient <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, prédisaient<br />
<strong>le</strong>s événements, écartaient <strong>le</strong>s malheurs dont<br />
une maison était menacée, et lui procuraient la prospérité.<br />
C'est d'après cette confiance, selon quelques-uns,<br />
que Rachel en<strong>le</strong>va à son père Laban ses Téraphim 1<br />
.<br />
Jacob, n'ignorant pas que c'était une superstition, <strong>le</strong>s fit<br />
enfouir en terre. (Gen., XXXI, 19; XXXV, 4.) Cet abus<br />
se perpétua parmi <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> <strong>de</strong> Dieu. (Jud. XVII.) La racine<br />
enfermée dans un anneau qui chassait <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
était une sorte <strong>de</strong> talisman. Ils se multiplièrent ainsi,<br />
variés à l'infini, chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s. On voit chez <strong>le</strong>s<br />
Romains <strong>le</strong> bouclier <strong>de</strong> Numa venu du ciel ; <strong>le</strong> sceptre<br />
<strong>de</strong> Priam, <strong>le</strong> palladium, la ceinture <strong>de</strong> Cécilia, qui<br />
guérissait <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s maux, la statue d'Hécate contre<br />
<strong>le</strong>s bêtes venimeuses, cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s pénates et dieux Lares<br />
honorées dans <strong>le</strong>s maisons; tous ces objets, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />
pierres gravées sous certaines constellations, étaient<br />
ce qu'on a nommé talismans, en hébreu tsé<strong>le</strong>m, image,<br />
en chaldéen tselmenaya. Toutes acquéraient une vertu<br />
divine par la consécration. <strong>Le</strong>s rats d'or et <strong>le</strong>s anus<br />
d'or dont il est parlé dans l'Ancien Testament (1 Reg.,<br />
VI, 5), n'étaient pas <strong>de</strong>s talismans, mais <strong>de</strong>s ex-voto.<br />
(V. De l'Is<strong>le</strong>, <strong>Des</strong> talismans; GaffarcI, Curiosités inouïes,<br />
et <strong>le</strong> père Ménestrier, Images énigmatiques.)<br />
1. <strong>Le</strong>s savants ne sont pas d'accord sur la signification du mot téraphim;<br />
étaient-ce <strong>de</strong>s talismans, <strong>de</strong>s dieux péna<strong>le</strong>s, etc.? on ne saurait<br />
faire que <strong>de</strong>s conjectures.
AVEC LE DÉMON. 99<br />
<strong>Le</strong>s amu<strong>le</strong>ttes, moyen <strong>de</strong> guérir ou <strong>de</strong> prévenir <strong>le</strong>s<br />
maladies, n'étaient pas moins anciennes que <strong>le</strong>s talis-»<br />
mans; <strong>de</strong>s auteurs ont pensé que fondées d'abord<br />
sur la vertu physique <strong>de</strong> la matière, el<strong>le</strong>s <strong>de</strong>vinrent<br />
superstitieuses lorsqu'on en abusa; nous pensons<br />
plutôt qu'on doit <strong>le</strong>s placer dans la catégorie <strong>de</strong> ces<br />
remè<strong>de</strong>s bizarres qu'on crut révélés par <strong>le</strong>s dieux; plus<br />
tard, <strong>le</strong>s philosophes matérialistes s'efforcèrent d'y<br />
trouver une vertu naturel<strong>le</strong> ; ce qui est constant, c'est<br />
que <strong>le</strong>s amu<strong>le</strong>ttes par el<strong>le</strong>s-mêmes n'avaient aucune<br />
vertu curative, que Pline s'en moque <strong>avec</strong> raison,<br />
quoiqu'il attribue à un certain nombre d'entre el<strong>le</strong>s une<br />
vertu qui, pour nous, est évi<strong>de</strong>mment pure superstition.<br />
Pline n'a rejeté que cel<strong>le</strong>s dont la folie lui a paru<br />
par trop manifeste.<br />
Amené à cette digression en parlant <strong>de</strong> l'astrologie<br />
et <strong>de</strong>s talismans comme moyen <strong>de</strong> divination, nous<br />
continuerons notre sujet en donnant une idée <strong>de</strong>s<br />
orac<strong>le</strong>s chez <strong>le</strong>s anciens et <strong>de</strong> la nécromancie ou évocation<br />
<strong>de</strong>s morts.<br />
<strong>Des</strong> orac<strong>le</strong>s.<br />
Il serait diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> déterminer l'origine précise <strong>de</strong>s<br />
orac<strong>le</strong>s. On pense qu'ils ont commencé <strong>avec</strong> l'idolâtrie.<br />
On voit dans Homère, qu'ils étaient consultés dès<br />
<strong>le</strong> temps <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> Troie. — Ochozias, dans la<br />
Bib<strong>le</strong>, envoya consulter <strong>le</strong> dieu d'Accaron; Moïse<br />
enfin <strong>le</strong>s défendait aux Hébreux (Dent., XVIII, 11);<br />
tout ceci prouve que <strong>le</strong>ur origine se perd peut-être<br />
dans l'enfance du mon<strong>de</strong>. Ce qui surprend, c'est<br />
que nés dans <strong>le</strong>s temps <strong>de</strong> barbarie, <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s<br />
traversent <strong>le</strong>s époques philosophiques et opposent<br />
au scepticisme ou à l'incrédulité <strong>de</strong>s faits qu'on
100 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
ne saurait récuser. Aussi, voyons-nous <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s<br />
partout consultés et vénérés comme émanant <strong>de</strong>s<br />
dieux. Chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s anciens, en Egypte, en<br />
Grèce, en Italie... partout, <strong>le</strong>s souverains, <strong>le</strong>s républiques<br />
recourent à l'orac<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s intérêts publics,<br />
et <strong>le</strong>s particuliers pour <strong>le</strong>s intérêts privés. Cependant<br />
ils fournissaient contre eux d'excel<strong>le</strong>ntes armes aux<br />
philosophes <strong>de</strong> la secte d'Épicure ; quelquefois ils<br />
mentaient, souvent ils étaient ambigus... Comment,<br />
<strong>avec</strong> tant <strong>de</strong> motifs pour <strong>le</strong>s rejeter, a-t-on pu <strong>le</strong>s<br />
consulter si longtemps? S'ils n'eussent commandé que<br />
<strong>de</strong>s choses agréab<strong>le</strong>s et conformes aux désirs <strong>de</strong>s gouvernants,<br />
on pourrait dire que la politique, en en tirant<br />
avantage, <strong>le</strong>s aura conservés; mais quand l'orac<strong>le</strong> avait<br />
parlé, <strong>de</strong>s rois livraient <strong>le</strong>urs propres enfants; <strong>de</strong>s<br />
vil<strong>le</strong>s se dépeuplaient pour lui obéir ; d'où peut provenir<br />
un tel aveug<strong>le</strong>ment?— C'est que souvent l'orac<strong>le</strong><br />
était clair, précis, et sa paro<strong>le</strong> se vérifiait exactement.<br />
H n'est pas ici question d'expliquer ce phénomène,<br />
mais <strong>de</strong> constater un fait non moins étrange que <strong>le</strong>s<br />
précé<strong>de</strong>nts. <strong>Le</strong>s orac<strong>le</strong>s ont prédit souvent longtemps<br />
d'avance <strong>de</strong>s événements qui se sont réalisés dans<br />
toutes <strong>le</strong>urs circonstances, et on n'y saurait voir ni<br />
l'œuvre <strong>de</strong> la fourberie, ni une simp<strong>le</strong> conjecture. Ce<br />
n'est pas dire que l'un et l'autre n'ont jamais pu se<br />
présenter, mais si la fiction et <strong>le</strong> mensonge simu<strong>le</strong>nt<br />
parfois la vérité, quand on ne peut entièrement dévoi<strong>le</strong>r<br />
la fausseté, on doit alors gar<strong>de</strong>r une pru<strong>de</strong>nte<br />
réserve et ne rien déci<strong>de</strong>r. Ce <strong>de</strong>rnier parti ne peut<br />
être choisi pour certains orac<strong>le</strong>s ; il paraît incontestab<strong>le</strong><br />
que, véritab<strong>le</strong>s en tous points, c'est à tort que<br />
<strong>le</strong> scepticisme <strong>de</strong> nos jours voudrait <strong>le</strong>s nier. On<br />
espère <strong>le</strong> prouver ail<strong>le</strong>urs.<br />
II ne s'agit pas ici d'exposer tous <strong>le</strong>s genres d'orac<strong>le</strong>s;
AVEC LE DÉMON. 101<br />
nous dirons seu<strong>le</strong>ment que, pour l'ordinaire, ils étaient<br />
rendus par <strong>de</strong>s prêtresses, <strong>de</strong>s prêtres ou <strong>de</strong>vins qui<br />
semblaient par<strong>le</strong>r sous l'influence d'une intelligence<br />
étrangère; nous disons : ordinairement, car l'étu<strong>de</strong><br />
historique <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s montrerait d'autres moyens.<br />
Quand ils provenaient <strong>de</strong> Y influx divin ou <strong>de</strong> l'inspiration,<br />
qu'ils appartenaient au délire sacré ou aux songes,<br />
généra<strong>le</strong>ment celui qui subissait cet état ignorait ce<br />
qu'il articulait et souvent oubliait tout ce qui s'était<br />
passé.<br />
À Delphes, on choisissait pour prêtresse une jeune<br />
fil<strong>le</strong> simp<strong>le</strong> et ignorante , qu'on disposait par <strong>de</strong>s lustrations,<br />
<strong>de</strong>s sacrifices et diverses autres cérémonies.<br />
Soit que <strong>le</strong> dieu ne fût pas toujours disposé à inspirer<br />
la pythie, soit qu'el<strong>le</strong>-même fût rétive à l'influx divin,<br />
il fallait choisir <strong>le</strong> jour ou <strong>le</strong> moment propice, et<br />
savoir du dieu lui-même s'il consentirait à répondre.<br />
On amenait alors une victime, sur laquel<strong>le</strong> on répandait<br />
<strong>de</strong>s libations <strong>de</strong> vin ; certains frémissements <strong>de</strong><br />
l'holocauste indiquaient la présence du dieu, et s'il<br />
approuvait qu'on <strong>le</strong> consultât, une o<strong>de</strong>ur suave remplissait<br />
<strong>le</strong> lieu saint. On conduisait la pythie sur <strong>le</strong><br />
trépied sacré, l'exhalaison pénétrait dans ses en<br />
trail<strong>le</strong>s 1<br />
, <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> tremblait jusque dans ses fon<strong>de</strong><br />
ments , <strong>le</strong> laurier d'Apollon planté à l'entrée était<br />
agité comme par une vio<strong>le</strong>nte tempête, et l'inspiration<br />
prophétique se produisait. <strong>Le</strong>s cheveux <strong>de</strong> la prêtresse<br />
se hérissaient sur sa tête, son regard <strong>de</strong>venait farouche,<br />
sa bouche écumait, son corps était agité <strong>de</strong> mouve-<br />
1. Pitiscus, dans son <strong>le</strong>xique, cite ce passage <strong>de</strong>s scholies sur <strong>le</strong><br />
riutus d'Aristophane, 39 : « Pythia insi<strong>de</strong>ns tripodi, et diducens fe-<br />
« mora malum inferne spiritum per verenda naturœ excipiebat, et<br />
• capillo soluto spumam ex ore exspuens, et furens, vaticinia, vel<br />
« verius <strong>de</strong>liramenta effabatur. »
102 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
ments convulsifs, et <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s entrecoupées, qui<br />
semblaient s'échapper <strong>de</strong> son ventre ou (selon quelques<br />
historiens anciens) d'un endroit que la pu<strong>de</strong>ur<br />
défend <strong>de</strong> nommer, étaient <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s tantôt clairs<br />
et précis, tantôt ambigus et énigmatiques. Ici <strong>le</strong>s épicuriens<br />
triomphaient, l'ambiguïté <strong>de</strong> l'orac<strong>le</strong> prouvait<br />
sa ruse et son ignorance, comment l'attribuer à la<br />
divinité? La foi <strong>de</strong>s philosophes plus profonds n'était<br />
point ébranlée; outre certains arguments qu'on no<br />
saurait rapporter, ils disaient que la découverte <strong>de</strong><br />
l'avenir est un labyrinthe dont <strong>le</strong>s dieux ne se<br />
tirent pas toujours <strong>avec</strong> honneur, et il <strong>le</strong>ur suffisait<br />
qu'ils eussent rendu <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s inattaquab<strong>le</strong>s. Comment<br />
oser enfin <strong>le</strong>s répudier quand on savait que<br />
ceux qui <strong>le</strong>s négligeaient mouraient misérab<strong>le</strong>ment<br />
(V. Origène, C. Celse), et que dans mil<strong>le</strong> circonstances<br />
on avait eu à se féliciter d'y recourir.<br />
L'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong> Claros différait <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Delphes :<br />
ici, <strong>le</strong> prêtre choisi par l'orac<strong>le</strong> pour être son organe,<br />
quoique très-ignorant, répondait en vers à la pensée,<br />
après avoir bu <strong>de</strong> l'eau d'une certaine grotte; il lui<br />
suffisait <strong>de</strong> savoir <strong>le</strong> nom et <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong>s consultants,<br />
(Tacite, Annal., II.)<br />
Dans d'autres temp<strong>le</strong>s, ceux d'Ësculape, <strong>de</strong> Mopsus,<br />
d'Amphiaraus, <strong>de</strong> Sérapis, etc., <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s se rendaient<br />
en songe. Comme on l'a vu, on dormait sur <strong>le</strong>s peaux<br />
<strong>de</strong>s victimes ; <strong>le</strong>s dieux faisaient voir ce qu'on désirait,<br />
indiquaient <strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s. On l'a dit, souvent bizarres,<br />
quelquefois dangereux ou contraires au mal, ils n'en<br />
opéraient cependant pas moins la guérison.<br />
Caïus, aveug<strong>le</strong>, fut averti en songe par l'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
s'approcher <strong>de</strong> l'autel, <strong>de</strong> s'y prosterner, <strong>de</strong> passer du<br />
côté droit au côté gauche, <strong>de</strong> mettre une main sur<br />
l'autel et <strong>de</strong> la porter ensuite à ses yeux : ce qu'ayant
AVEC LE DÉMON. 103<br />
fait, la vue lui fut rendue en présence <strong>de</strong> tout <strong>le</strong><br />
peup<strong>le</strong>.<br />
Lucius étant atteint d'une p<strong>le</strong>urésie et abandonné<br />
<strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins, l'orac<strong>le</strong> lui dit <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s cendres<br />
sur l'autel, <strong>de</strong> <strong>le</strong>s mê<strong>le</strong>r <strong>avec</strong> du vin et <strong>de</strong> <strong>le</strong>s appliquer<br />
sur son côté ; il fut guéri, et alla publiquement rendre<br />
grâces aux dieux <strong>de</strong> sa guérison. Après ces exemp<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong> guérisons singulières, nous aurons occasion <strong>de</strong> citer<br />
ail<strong>le</strong>urs <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s qui semb<strong>le</strong>nt contraires à la maladie.<br />
Dans d'autres lieux, l'orac<strong>le</strong> était consulté par <strong>de</strong>s<br />
bil<strong>le</strong>ts dont <strong>le</strong> cachet restait intact; cependant <strong>le</strong> <strong>de</strong>vin<br />
répondait à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> contenue dans <strong>le</strong> bil<strong>le</strong>t qui,<br />
quelquefois, était resté entre <strong>le</strong>s mains du consultant.<br />
Alors ce <strong>de</strong>rnier recevait la réponse en songe.<br />
Un Lydien s'étant rendu à Amphiaraûs, dit Plutarque,<br />
pour savoir quel<strong>le</strong> serait l'issue du combat <strong>de</strong><br />
Mardonius, s'endormit et vit en songe <strong>le</strong> ministre du<br />
dieu qui, <strong>le</strong> chassant, lui disait que <strong>le</strong> dieu n'y était<br />
pas; puis, <strong>le</strong> poussant (car celui-ci s'arrêtait), il saisit<br />
une grosse pierre et lui en asséna un coup sur la tête.<br />
L'orac<strong>le</strong> se vérifia : Mardonius fut défait par Pausanias<br />
et assassiné d'un coup <strong>de</strong> pierre. (Plutarque, De<br />
oracitl. <strong>de</strong>fectu.)<br />
Cyrus, après avoir sacrifié aux dieux, s'endort et<br />
voit un personnage qui lui dit <strong>de</strong> se préparer, qu'il<br />
allait rejoindre <strong>le</strong>s dieux. Cyrus mourut trois jours<br />
après. (Xénophon, Cyriinstit., VIII, 7.)<br />
D'après une fou<strong>le</strong> d'exemp<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s voyaient <strong>le</strong>s<br />
choses cachées et ce qui se passait dans <strong>le</strong>s lieux éloignés,<br />
ainsi que <strong>le</strong>s événements futurs. On remarquait<br />
que ceux-ci étaient d'autant plus ambigus et se vérifiaient<br />
d'autant plus rarement qu'ils concernaient un<br />
avenir plus lointain.
104 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
D'autres orac<strong>le</strong>s se rendaient différemment : par<br />
exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s chênes parlants <strong>de</strong> Dodone, <strong>le</strong>urs colombes,<br />
<strong>le</strong>urs bassins <strong>Le</strong>s dés gravés appelés<br />
sorts, <strong>le</strong>s statues <strong>de</strong> Préneste et d'Antium qui s'agitaient<br />
d'el<strong>le</strong>s-mêmes, etc., etc. Dans l'Achaïe, l'orac<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> Mercure se rendait ainsi : — On parlait mystérieusement<br />
à l'oreil<strong>le</strong> du dieu, et l'orac<strong>le</strong> consistait<br />
dans <strong>le</strong>s premières paro<strong>le</strong>s entendues en sortant du<br />
temp<strong>le</strong>.<br />
Celui <strong>de</strong> Vénus Aphacitis avait lieu en jetant dans<br />
un lac sacré <strong>de</strong>s présents pour la déesse ; si el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />
agréait, ils allaient au fond; s'ils surnageaient, el<strong>le</strong><br />
<strong>le</strong>s rejetait. (Zosime, I, 58.) Ce simp<strong>le</strong> aperçu prouve<br />
que <strong>le</strong>s anciens orac<strong>le</strong>s ne se rendaient pas dans<br />
<strong>de</strong>s statues creuses, dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s pénétraient <strong>de</strong>s<br />
prêtres qui auraient répondu pour <strong>le</strong> dieu. Comme<br />
on l'a dit, cette question sera examinée amp<strong>le</strong>ment<br />
ail<strong>le</strong>urs.<br />
Nécromancie ou orac<strong>le</strong>s rendus par <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts.<br />
La croyance à l'existence <strong>de</strong>s âmes séparées du corps<br />
était universel<strong>le</strong>. On voit dans Hésio<strong>de</strong> qu'el<strong>le</strong>s <strong>de</strong>viennent<br />
<strong>de</strong>s génies. On sait que Platon ne voulait pas<br />
qu'on érigeât <strong>de</strong>s chapel<strong>le</strong>s aux mânes <strong>de</strong>venues dieux,<br />
quand el<strong>le</strong>s apparaissaient. Dès la plus haute antiquité,<br />
on cite <strong>de</strong>s communications établies entre <strong>le</strong>s vivants<br />
et <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts : Saiil, par exemp<strong>le</strong>, fait évoquer<br />
l'ombre <strong>de</strong> Samuel, malgré la défense expresse <strong>de</strong> la<br />
loi divine ; il est parlé <strong>de</strong> la nécromancie dans l'Odyssée<br />
; Hérodote en fait aussi mention et cite dans la<br />
Thcsprotie un lieu où l'on évoquait <strong>le</strong>s morts. Périandre,<br />
tyran <strong>de</strong> Corinthe, avait tué, dans un mouvement<br />
<strong>de</strong> colère, sa femme Mélisse qu'il aimait cepen-
AVEC LE DÉMON. 105<br />
dant <strong>avec</strong> passion. Un hôte <strong>de</strong> Périandre ayant confie<br />
ù la défunte un dépôt, on ignorait où el<strong>le</strong> l'avait mis.<br />
L'ayant vainement cherché, il ne restait qu'un seul<br />
moyen, c'était d'évoquer son ombre. On envoie dans<br />
laThesprotie, sur <strong>le</strong>s bords <strong>de</strong> l'Achéron (l'existence <strong>de</strong><br />
ce f<strong>le</strong>uve et son embouchure sont connues); l'ombre<br />
évoquée déclare qu'el<strong>le</strong> ne saurait répondre, ses vête<br />
ments 1<br />
n'ayant point été brûlés, el<strong>le</strong> est accablée<br />
d'un froid glacial. Pour convaincre Périandre, el<strong>le</strong> dit<br />
qu'il veuil<strong>le</strong> se rappe<strong>le</strong>r ce qui s'est passé entre el<strong>le</strong> et<br />
lui après sa mort. — Périandre, qui aimait sa femme<br />
<strong>avec</strong> fureur, avait voulu lui donner, après son trépas,<br />
<strong>le</strong>s mêmes témoignages d'amour que si el<strong>le</strong> eût été vivante.<br />
<strong>Le</strong> tyran, convaincu, ordonne aussitôt à toutes<br />
<strong>le</strong>s femmes <strong>de</strong> Corinthe, esclaves et libres, <strong>de</strong> se rendre<br />
au temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Junon, parées comme en un jour do fête.<br />
Lorsqu'el<strong>le</strong>s y furent, <strong>le</strong>s gar<strong>de</strong>s s'emparèrent <strong>de</strong>s<br />
portes et <strong>le</strong>s forcèrent <strong>de</strong> quitter tous <strong>le</strong>urs vêtements<br />
qui furent brûlés sur la fosse <strong>de</strong> Mélisse, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s cérémonies<br />
d'usage : alors cel<strong>le</strong>-ci répondit sans difficulté.<br />
(Hérodote, V, 92.)<br />
Plutarque, en divers endroits <strong>de</strong> ses œuvres, cite plusieurs<br />
faits <strong>de</strong> nécromancie; l'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong> Delphes ayant<br />
refusé d'abord <strong>de</strong> répondre à Callondas qui avait tué <strong>le</strong><br />
poète Archiloque, il lui fut ordonné ensuite d'apaiser<br />
ses mânes; il se rendit à cet effet au cap Ténare auprès<br />
<strong>de</strong>s prêtres qui évoquaient <strong>le</strong>s morts. (Plutarque, De<br />
sera nwn.vind., XXXIV.)<br />
Lorsque Pausanias eut tué Cléonice, il ne cessa <strong>de</strong><br />
la voir lui annonçant la vengeance divine. Il se rendit<br />
à Héraclée dans une caverne où <strong>le</strong>s prêtres évoquèrent<br />
l. On <strong>de</strong>vait brû<strong>le</strong>r ce qui avait appartenu aux défunts. Nous <strong>le</strong><br />
venons dans Lucien.
106 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
l'ombre <strong>de</strong> cette jeune fil<strong>le</strong> qui déclara que Pausaniaà<br />
ne trouverait <strong>de</strong> repos qu'à Sparte. S'y étant rendu,<br />
comme on était informé <strong>de</strong> ses intelligences <strong>avec</strong> <strong>le</strong><br />
roi <strong>de</strong> Perse, on voulut s'emparer <strong>de</strong> lui, mais s'étant<br />
réfugié dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Minerve, on l'y laissa mourir<br />
<strong>de</strong> faim. Plus tard, comme on se reprocha d'avoir<br />
fait mourir un homme à qui la Grèce <strong>de</strong>vait en partie<br />
son salut, on envoya en Italie chercher <strong>de</strong>s psychagogues,<br />
<strong>de</strong>s évocateurs d'âmes pour évoquer aussi cel<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> Pausanias.<br />
<strong>Le</strong> même Plutarque cite enfin l'exemp<strong>le</strong> d'Élysius<br />
<strong>de</strong> Tcrina qui, ayant perdu son fils Euthynoiis, et<br />
soupçonnant qu'il était mort empoisonné, se rendit<br />
dans un temp<strong>le</strong> où on évoquait <strong>le</strong>s morts. Après<br />
<strong>le</strong>s cérémonies ordinaires, il s'endormit et vit en<br />
songe <strong>le</strong> spectre <strong>de</strong> ce fils, qui lui remit entre <strong>le</strong>s<br />
mains <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>ttes qu'il trouva à son réveil et par<br />
<strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s il l'avertissait <strong>de</strong> ne point p<strong>le</strong>urer sa mort,<br />
qu'el<strong>le</strong> était une faveur <strong>de</strong>s dieux. (Plut., De comol. ad<br />
Apoll.)<br />
Quels étaient <strong>le</strong>s rites observés pour ces évocations?<br />
On a pensé qu'ils différaient peu <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong>s sacrifices<br />
funèbres, et <strong>de</strong> ce qui est cité par Homère dans<br />
l'Odyssée. Il est néanmoins constant qu'il y avait différentes<br />
pratiques d'évocations ; l'un <strong>de</strong>s moyens consistait<br />
à égorger une victime dont <strong>le</strong> sang coulait dans<br />
une fosse, à faire <strong>de</strong>s libations <strong>de</strong> vin et <strong>de</strong> miel, et<br />
à appe<strong>le</strong>r à haute voix <strong>le</strong>s mânes qui venaient prendre<br />
part à ce festin ', etc. Il paraît constant que l'ombre<br />
1. Quoique Lucien, en sa qualité d'épicurien, veuil<strong>le</strong> plaisanter, il<br />
n'en cite pas moins <strong>le</strong>s cérémonies observées dans <strong>le</strong>s évocations. Cel<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>s Thébains se réduisaient A une sorlc d'enchantement, inmntatio.<br />
Cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Thessalicns se pratiquaient sur <strong>de</strong>s ossements <strong>avec</strong> un appareil<br />
formidab<strong>le</strong>.
AVEC LE DÉMON. 107<br />
<strong>de</strong> Samuel apparut sans recourir à toutes ces cérémonies.<br />
L'âme évoquée se manifestait aussi <strong>de</strong> plusieurs<br />
manières : on pensait généra<strong>le</strong>ment qu'on n'évoquait<br />
ni <strong>le</strong> corps, ni l'âme du défunt, mais ce que<br />
<strong>le</strong>s Latins appelaient simulacrwn, un nuage, une<br />
ombre. (L'âme inférieure.)<br />
La nécromancie établie chez diverses nations sauvages<br />
<strong>de</strong> l'Afrique paraît avoir existé chez tous <strong>le</strong>s<br />
Orientaux: on la voit en Phénicie, en Egypte... <strong>Le</strong><br />
Deutéronome (XVIII, 11 ) la montre chez <strong>le</strong>s Chananéens.<br />
Moïse recommandait aux Hébreux <strong>de</strong> se gar<strong>de</strong>r,<br />
lorsqu'ils y seraient entrés, d'imiter <strong>le</strong>s abominations<br />
<strong>de</strong> ce peup<strong>le</strong> qui consulte <strong>le</strong>s Oboth, ou qui interroge<br />
<strong>le</strong>s morts A cause <strong>de</strong> ces pratiques il <strong>le</strong>s détruira<br />
Peine <strong>de</strong> mort était décernée contre ceux<br />
qui <strong>de</strong>vinaient par Ob (Lévit., XX, 27), divination<br />
restreinte dans la suite aux seuls évocateurs <strong>de</strong>s âmes<br />
<strong>de</strong>s morts.<br />
Fréret, où l'on a puisé une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> ce<br />
qu'on vient <strong>de</strong> lire, a fait <strong>de</strong>s réf<strong>le</strong>xions fort judicieuses<br />
à l'occasion <strong>de</strong> la nécromancie<br />
Cette divination, faisant partie <strong>de</strong>s pratiques religieuses,<br />
était fort estimée, et fut cependant abandonnée<br />
dans la suite par <strong>le</strong>s prêtres <strong>de</strong>s Gentils qui<br />
furent convaincus, enfin, que <strong>le</strong>s esprits évoqués n'étaient<br />
pas <strong>de</strong>s âmes <strong>de</strong>s défunts, mais <strong>de</strong> mauvais<br />
<strong>démon</strong>s. On verra <strong>le</strong>s magiciens évoquer aussi<br />
l. Fréret dit qu'il est surpris <strong>de</strong> voir que la plupart <strong>de</strong>s commentateurs<br />
se plaignent <strong>de</strong> ne trouver dans l'Écriture aucune preuve<br />
claire que <strong>le</strong>s Juifs, au temps <strong>de</strong> Moïse, crussent à l'immortalité <strong>de</strong><br />
l'Ame. «Comment n'ont-ils pas vu, dit-il, que la pratique interdite<br />
aux Juifs et commune chez <strong>le</strong>s Chananécns suppose que l'existence<br />
<strong>de</strong>s Times, séparées du corps par la mort, était alors une opinion généra<strong>le</strong>......<br />
Il serait absur<strong>de</strong> <strong>de</strong> penser qu'on interrogeât ce qu'on ne<br />
croyait pas exister. » (Mcm. <strong>de</strong> Ut. <strong>de</strong> l'Acad. roy., t. 38, p. 309.)
108 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>le</strong>s morts et pour ce fait condamnés à l'exil; sous<br />
Constantin ils furent même punis <strong>de</strong> mort, et <strong>le</strong>s<br />
évocations furent considérées comme un crime trèsgrave<br />
et faisant partie <strong>de</strong>s noires pratiques <strong>de</strong> la<br />
magie.<br />
Doctrine <strong>de</strong>s Gentils sur l'origine <strong>de</strong>s dînes et <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>stination.<br />
<strong>Le</strong>s Chaldéens, <strong>le</strong>s Indiens, <strong>le</strong>s Perses, <strong>le</strong>s Grecs,<br />
pensaient que <strong>le</strong>s dieux inférieurs, <strong>le</strong>s âmes humaines,<br />
cel<strong>le</strong>s même <strong>de</strong>s animaux, qui ne différaient <strong>de</strong>s premières<br />
que par l'imperfection <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur organisme,<br />
étaient sortis <strong>de</strong> la divinité par émanation et procédaient<br />
<strong>de</strong> sa substance sans qu'el<strong>le</strong> en fût diminuée.<br />
C'est <strong>le</strong> flambeau qui en allume un autre Ces<br />
êtres ne sont ni consubstantiels, ni égaux entre eux;<br />
plusieurs philosophes <strong>le</strong>ur donnaient <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> verbes<br />
lé-pi. (V. Plutarque, Philon, etc.) On prétendait qu'ils<br />
avaient un corps éthéré; la plupart <strong>de</strong>s philosophes<br />
plaçaient ces intelligences dans <strong>le</strong>s astres, <strong>de</strong> là naquit<br />
l'astrologie; cel<strong>le</strong>s qui n'étaient pas dans <strong>le</strong>s<br />
astres remplissaient l'air, l'eau, etc., jusqu'aux métaux.<br />
L'émanation <strong>de</strong>s âmes humaines et <strong>de</strong>s animaux<br />
était l'effet d'une cause agissant <strong>de</strong> toute éternité;<br />
c'était l'opinion <strong>de</strong>s Chaldéens, <strong>de</strong>s Perses, <strong>de</strong>s Grecs,<br />
<strong>de</strong> Pythagore, <strong>de</strong> Platon, <strong>de</strong> Philon, etc. El<strong>le</strong>s<br />
émanent du ciel, c'est chose indubitab<strong>le</strong>, dit Macrobe.<br />
— <strong>Le</strong>s cabalistes distinguaient en Dieu un verbe ou<br />
raison interne, et un verbe ou raison externe. La<br />
première, disaient-ils, rési<strong>de</strong> toujours dans l'essence<br />
i. Ces émanations ne divisent pas Dieu ni ne <strong>le</strong> multiplient. La<br />
cause <strong>de</strong>meure en son entier.
AVEC LE DÉMON. 109<br />
divine, l'autre en sort par émanation ou procession,<br />
c'est la raison humaine.<br />
Plusieurs pensaient que <strong>le</strong>s intelligences supérieures,<br />
qui habitent <strong>le</strong>s astres, agissaient par <strong>de</strong>s esprits inférieurs,<br />
qu'el<strong>le</strong>s pouvaient abuser <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur liberté et<br />
être précipitées en terre. <strong>Le</strong>s Indiens, comme <strong>le</strong>s<br />
Chaldéens, enseignaient qu'el<strong>le</strong>s y <strong>de</strong>scendaient parce<br />
qu'el<strong>le</strong>s avaient dégénéré... On ne peut rapporter ici<br />
ni <strong>le</strong>s contradictions qui existent dans ces systèmes, ni<br />
<strong>le</strong>urs oppositions entre eux. <strong>Le</strong>s uns supposaient que<br />
cette <strong>de</strong>scente était volontaire, d'autres disaient qu'el<strong>le</strong><br />
était forcée, etc. L'opinion la plus généra<strong>le</strong>ment admise<br />
dans l'In<strong>de</strong>, c'est qu'el<strong>le</strong>s étaient précipitées <strong>de</strong><br />
sphère en sphère et emprisonnées dans un corps jusqu'à<br />
ce qu'el<strong>le</strong>s eussent récupéré <strong>le</strong>ur pureté primitive.<br />
Selon Platon, <strong>le</strong>s orphiques <strong>le</strong> pensaient ainsi :<br />
revêtir un corps était donc un châtiment. Macrobe<br />
explique, d'après <strong>le</strong>s pythagoriciens, <strong>le</strong>s changements<br />
qui avaient lieu à chaque migration par l'influence <strong>de</strong><br />
l'astre que l'âme habitait alors ; el<strong>le</strong> y prenait enfin un<br />
corps sans doute plus ou moins lumineux dont el<strong>le</strong> se<br />
revêtait comme d'un vêtement <strong>avec</strong> <strong>le</strong>quel el<strong>le</strong> entrait<br />
dans <strong>le</strong> corps humain ; ce corps lumineux (sorte<br />
<strong>de</strong> feu), et d'une matière, infiniment plus subti<strong>le</strong> que<br />
cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s corps terrestres, se nommait roeûpa, esprit,<br />
ou wuu.ot.Tixn ^vx*, âme spirituel<strong>le</strong>, ou ddvïoy, image;<br />
on supposait qu'el<strong>le</strong> avait la figure du corps humain,<br />
qu'el<strong>le</strong> était <strong>le</strong> siège <strong>de</strong>s sensations et <strong>de</strong>s passions...<br />
C'était l'âme sensitive, distincte <strong>de</strong> l'âme raisonnab<strong>le</strong>;<br />
<strong>le</strong>s Indiens appelaient pararnotma, cel<strong>le</strong> émanée <strong>de</strong><br />
Dieu, et la secon<strong>de</strong> sivatma, ou âme inférieure. Nous<br />
aurons occasion <strong>de</strong> voir ail<strong>le</strong>urs ces distinctions. —<br />
<strong>Le</strong>s Chinois admettaient aussi ces <strong>de</strong>ux sortes d'âmes.<br />
C'était une sorte <strong>de</strong> mort pour l'âme d'être contrainte
110 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>de</strong> prendre un corps; et celui-ci mourant, c'était la<br />
vie <strong>de</strong> l'âme; <strong>de</strong> là pour <strong>le</strong>s sages, dans <strong>le</strong>s In<strong>de</strong>s, <strong>le</strong><br />
bonheur <strong>de</strong> mourir, et <strong>le</strong>s vœux ar<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> se réunir<br />
au principe <strong>de</strong> vie. <strong>Le</strong>s âmes, disaient-ils, selon<br />
Gassendi, comme autant <strong>de</strong> particu<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'âme du<br />
mon<strong>de</strong>, sont renfermées dans <strong>le</strong> corps, qui est comme<br />
un vase p<strong>le</strong>in d'eau flottant dans la mer ; la mort, c'est<br />
<strong>le</strong> vase qui se brise dans un océan immense, qui est<br />
Dieu<br />
Il y a <strong>de</strong>ux moyens <strong>de</strong> s'unir à Dieu sans quitter Io<br />
corps, d'entrer dans une sorte d'anéantissement, <strong>de</strong><br />
mort ou <strong>de</strong> quiétu<strong>de</strong>. <strong>Le</strong>s uns pensaient qu'il y a un interval<strong>le</strong><br />
entre l'instant <strong>de</strong> la mort et la transmigration<br />
qui permet aux âmes <strong>de</strong> venir goûter <strong>le</strong>s offran<strong>de</strong>s;<br />
d'autres pensaient qu'el<strong>le</strong>s se rendaient <strong>de</strong> suite au ciel<br />
ou en enfer. <strong>Le</strong> ciel consistait dans la jouissance <strong>de</strong>s<br />
plaisirs sensuels; quant à l'enfer, pour plusieurs il<br />
n'était pas éternel; après un séjour plus ou moins<br />
long, <strong>le</strong>s âmes retournaient animer un corps, quelquefois<br />
celui <strong>de</strong> l'animal <strong>le</strong> plus vil.<br />
Selon Plutarque, Pythagore et Platon enseignaient<br />
que l'âme se réunissait à l'âme <strong>de</strong> l'univers. Dans ce<br />
système plus <strong>de</strong> métempsycose; selon Mignot, d'autres<br />
sentant l'avantage <strong>de</strong> cette doctrine, mais usant <strong>de</strong> réserve<br />
, dirent : que l'âme retournait à son principe,<br />
tandis que l'âme sensitive expiait ses fautes. Certains<br />
philosophes indiens distinguent <strong>de</strong>ux âmes, l'âme suprême<br />
émanée <strong>de</strong> Dieu, et l'âme sensitive. (V. entre<br />
autres <strong>le</strong> long artic<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'abbé Mignot dans <strong>le</strong>s Mémoires<br />
<strong>de</strong> l'Acud. roy. <strong>de</strong>s inscript., etc.)<br />
On n'entrera pas davantage dans <strong>le</strong>s profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong><br />
ce sujet, dont on n'a dit ici quelques mots que parce<br />
1. Dans <strong>le</strong> magnétisme nous retrouverons <strong>le</strong>s mêmes opinions.
AVEC LE DÉMON. 111<br />
qu'on verra un jour ces doctrines païennes ressuscites<br />
par <strong>de</strong>s chrétiens et préférées aux vérités du christianisme.<br />
Après avoir donné une idée <strong>de</strong> la magie divine ou<br />
théurgie, on va par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> la magie noire ou goétie.
DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
CHAPITRE VI<br />
Do la goélio ou magie malfaisante. — Son origine se perd dans la nuit <strong>de</strong>s<br />
temps. — <strong>Le</strong>s croyances et <strong>le</strong>s pratiques <strong>de</strong> théurgic et <strong>de</strong> goélio exposée»<br />
précé<strong>de</strong>mment se retrouvent dans <strong>le</strong>s plus anciens auteurs <strong>de</strong> l'antiquité. —<br />
Faux sacerdoce, aperçu <strong>de</strong> la magie noire pratiquée par <strong>le</strong>s goétistes <strong>de</strong> l'an<br />
tiquité avant notre ère. —La magie était punie.<br />
De la goélie ou magie malfaisante.. — Son origine se perd dans la nuit<br />
<strong>de</strong>s temps.<br />
Si <strong>le</strong>s dieux, par <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> la théurgie ', donnaient<br />
aux prêtres et aux sages <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> produire <strong>de</strong>s<br />
effets supérieurs aux forces <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, dans la goélie<br />
<strong>le</strong>s méchants pouvaient, par l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s mauvais génies*,<br />
faire aussi <strong>de</strong>s prodiges, ordinairement dans un but <strong>de</strong><br />
perversité.<br />
<strong>Le</strong>s prêtres pouvaient eux-mêmes disposer <strong>de</strong>s esprits<br />
<strong>de</strong> ténèbres. C'était une <strong>de</strong>s prérogatives <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur ministère<br />
sacré. Comme <strong>le</strong> dit Baylc (Rép. aux quest.<br />
itun prou.) c'était une extension <strong>de</strong> la religion. Ainsi<br />
il <strong>le</strong>ur appartenait <strong>de</strong> recourir aux mauvais génies,<br />
comme à <strong>de</strong>s ministres, pour infliger <strong>de</strong> justes châtiments<br />
aux coupab<strong>le</strong>s, venger <strong>le</strong>s innocents, et dé-<br />
1. La théurgic (e^u^ia, en grec) est la même, ou du moins a uno<br />
gran<strong>de</strong> conformité <strong>avec</strong> la théologie païenne.<br />
2. Ces mauvais génies, c'étaient Hécate, Proserpine, etc., qui étaient<br />
en môme temps, comme on l'a vu, dieux supérieurs ayant <strong>le</strong>urs<br />
temp<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>urs statues. <strong>Le</strong>s dieux remplissaient ainsi toutes <strong>le</strong>s fonctions,<br />
comme cet unique va<strong>le</strong>t <strong>de</strong> l'Avare dans Molière.
AVEC LE DÉMON. 113<br />
vouer, pour <strong>le</strong> bien <strong>de</strong> la patrie, ses ennemis aux<br />
dieux infernaux; mais ils n'en étaient ni moins respectab<strong>le</strong>s<br />
ni moins vénérés ; ils n'étaient point goétistes,<br />
ils n'usaient pas comme ceux-ci <strong>de</strong> cet art détestab<strong>le</strong><br />
que nous verrons exiger d'exécrab<strong>le</strong>s pratiques, <strong>de</strong>s<br />
substances horrib<strong>le</strong>s, ossements <strong>de</strong> morts, victimes<br />
noires, etc. On ne doit pas enfin <strong>le</strong>s flétrir d'un titre<br />
connu seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes, celui <strong>de</strong> vils sorciers.<br />
Certaines pratiques qui firent plus tard punir <strong>le</strong>s magiciens<br />
<strong>de</strong> l'antiquité, tel<strong>le</strong>s que, par exemp<strong>le</strong>, l'évocation<br />
<strong>de</strong>s morts, alors n'étaient point criminel<strong>le</strong>s ; <strong>le</strong>s<br />
prêtres, en s'y livrant, avaient en <strong>le</strong>ur faveur la légalité<br />
et un but louab<strong>le</strong>; <strong>le</strong>s goétistes manquaient <strong>de</strong> l'un<br />
et <strong>de</strong> l'autre.<br />
La goétie, ou magie noire, était donc une sorte <strong>de</strong><br />
branche <strong>de</strong> la science sacerdota<strong>le</strong> <strong>de</strong>puis longtemps<br />
peut-être séparée du tronc, science abominab<strong>le</strong>, exploitée<br />
par une caste ténébreuse, justement abhorrée<br />
et méprisée, qui paraît ne s'être livrée aux opérations<br />
<strong>de</strong> la magie malfaisante que pour répondre aux mouvements<br />
d'un cœur corrompu.<br />
On a beaucoup discuté sur l'origine <strong>de</strong> la goétie :<br />
<strong>le</strong>s uns préten<strong>de</strong>nt que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux magies ont la môme<br />
source; d'autres, que <strong>le</strong>s goétistes sont d'une antiquité<br />
moins reculée que <strong>le</strong>s théurgistes, il en est qui considèrent<br />
la goétie comme cause du déluge qui en fut l'expiation.<br />
<strong>Le</strong>s enfants <strong>de</strong> Sem avaient parmi eux <strong>de</strong>s<br />
mages dont la science, dit-on, n'était autre que cette<br />
philosophie naturel<strong>le</strong> que Dieu infusa au premier<br />
homme. Cham trouva <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> la corrompre, et fit<br />
tant <strong>de</strong> prodiges par ses enchantements, que <strong>le</strong>s Bactriens<br />
<strong>le</strong> choisirent pour roi et <strong>le</strong> nommèrent Zoroastre.<br />
D'autres font vivre Zoroastre du temps <strong>de</strong> Darius. On<br />
a pensé aussi qu'il y avait eu plusieurs personnages<br />
i. «
1U DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>de</strong> ce nom. D'autres enfin ont pensé que Zoroastre<br />
était <strong>le</strong> nom d'une corporation <strong>de</strong> savants qui avaient<br />
porté <strong>le</strong>s sciences magiques en Chaldée; <strong>le</strong>s Grecs <strong>le</strong>s<br />
attribuent à Zoroastre, et Arnobe (I, 5) assure que<br />
<strong>le</strong>s opérations magiques furent employées <strong>de</strong> part et<br />
d'autre dans <strong>le</strong>s combats qui eurent lieu entre Zoroastre<br />
et Ninus, et prouve ainsi que <strong>le</strong> premier n'en peut être<br />
l'inventeur. AmmienMarcellin(XXlII, 6) dit qu'il ne fit<br />
qu'ajouter aux sciences magiques <strong>de</strong>s Chaldéens. Odin<br />
en a passé aussi pour l'inventeur. D'autres ne <strong>le</strong> pensent<br />
pas, car <strong>le</strong>s volvurs, qui étaient d'habi<strong>le</strong>s magiciennes,<br />
étaient <strong>le</strong>s prêtresses <strong>de</strong> la religion qu'il abolit. Ces prêtresses<br />
étaient-el<strong>le</strong>s au surplus d'ignob<strong>le</strong>s sorcièresî II<br />
est permis d'en douter. Au milieu <strong>de</strong> tant d'opinions,<br />
qu'y a-t-il <strong>de</strong> constant? C'est la haute antiquité et l'universalité<br />
<strong>de</strong> la magie : rien déplus obscur que son origine,<br />
rien <strong>de</strong> si contradictoire que <strong>le</strong>s opinions émises<br />
à cet égard ; el<strong>le</strong> paraît née dans chaque peup<strong>le</strong>, appartenir<br />
au sol, ou remonter aux premiers habitants du<br />
globe ; car on la rencontre parmi <strong>de</strong>s nations qui n'ont<br />
jamais eu <strong>de</strong> communications entre el<strong>le</strong>s, tant el<strong>le</strong>s sont<br />
éloignées, et chez <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s on voit cependant une tel<strong>le</strong><br />
i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s pratiques dolamagie, qu'on a pensé qu'el<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong>vait être l'antique tradition d'une même souche, ou<br />
qu'une même cause avait produit partout <strong>le</strong>s mêmes<br />
effets. Eusèbe Salverte, voyant la difficulté d'asseoir<br />
une opinion, dit : « Qui trouvera l'origine <strong>de</strong>s sciences<br />
humaines et <strong>de</strong>s superstitions dira aussi l'origine <strong>de</strong> la<br />
magie.» Pline (XXX, 4), frappé <strong>de</strong>s mêmes difficultés,<br />
s'étonnait que la Gran<strong>de</strong>-Bretagne eût <strong>le</strong>s mômes superstitions<br />
que la Perse, <strong>avec</strong> laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong> n'avait nul<br />
rapport. Que peut-on conjecturer? Dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s héroïques<br />
, en Grèce, il semb<strong>le</strong> que la théurgie et lagoétie<br />
furent exploitées par <strong>de</strong>ux castes distinctes. Dans la
AVEC LE BÉMOïs'. 115<br />
fab<strong>le</strong>, qui n'est qu'un ref<strong>le</strong>t <strong>de</strong> la vérité historique, <strong>de</strong>s<br />
personnages qu'on ne flétrit pas du titre <strong>de</strong> gens abominab<strong>le</strong>s,<br />
se livrent à la goétie. Médée, Circé, n'appartenaient<br />
pas, ce semb<strong>le</strong>, à un sacerdoce léga<strong>le</strong>ment<br />
constitué ; el<strong>le</strong>s communiquaient <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux<br />
pour faire <strong>le</strong> mal, et cependant n'ont pas reçu un nom<br />
odieux; on dit qu'el<strong>le</strong>s sont fil<strong>le</strong>s d'Hécate; Apollon<br />
et Diane <strong>le</strong>ur font môme <strong>de</strong>s présents. — Lucine professe<br />
une magie aussi noire que <strong>le</strong>s magiciennes <strong>de</strong><br />
Tbessalie, mais Junon ne dédaigne pas <strong>de</strong> la séduire<br />
par <strong>de</strong>s caresses, pour qu'el<strong>le</strong> prolonge sept jours durant<br />
<strong>le</strong>s dou<strong>le</strong>urs d'enfantement d'Alcmène. Que conclure<br />
<strong>de</strong> ces fab<strong>le</strong>s? Que la goétie était pratiquée peutêtre<br />
<strong>avec</strong> la théurgie par <strong>de</strong>s personnes qui n'étaient<br />
pas investies du sacerdoce ; que <strong>le</strong>s dieux eux-mêmes<br />
l'approuvaient; qu'ils ont pu même communiquer aux<br />
uns <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> faire <strong>le</strong> bien, à d'autres celui <strong>de</strong> faire<br />
<strong>le</strong> mal. C'était indifférent à ces dieux ; ce sont <strong>le</strong>s<br />
hommes qui, plus tard, vénérèrent ies premiers et<br />
exécrèrent <strong>le</strong>s seconds. On pourrait donc conjecturer<br />
ainsi que la goétie s'est établie <strong>de</strong> la même manière et<br />
en même temps que la théurgie, quand <strong>le</strong>s sages reçurent<br />
<strong>de</strong>s dieux <strong>de</strong>s révélations pour opérer <strong>de</strong>s prodiges,<br />
ces dieux révélèrent à d'autres <strong>de</strong>s secrets trèsmall'aisants.<br />
On peut faire une autre conjecture : Une caste <strong>de</strong><br />
prêtres a pu abandonner la théurgie pour se livrer à la<br />
goétie. Pourquoi l'aura-t-el<strong>le</strong> fait? A quel<strong>le</strong> époque<br />
une tel<strong>le</strong> révolution a pu s'opérer?—E. Salverte pense<br />
que <strong>de</strong>s circonstances malheureuses ont pu amener <strong>le</strong>s<br />
prêtres à laisser tomber dans <strong>de</strong>s mains profanes<br />
quelque lambeau <strong>de</strong> la science occulte ; il <strong>le</strong>s cherche<br />
dans <strong>le</strong>s fastes historiques : « Est-ce quand <strong>le</strong>s religions<br />
riva<strong>le</strong>s se sont combattues? est-ce quand <strong>de</strong>vant
116 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Zoroastre et <strong>le</strong> culte du feu, ont reculé <strong>le</strong> Sabéisme,<br />
Shiva, Wichnou et Brahma? — Non. <strong>Le</strong>s prêtres indous<br />
et <strong>le</strong>s Chaldéens emportèrent <strong>avec</strong> eux <strong>le</strong>s arts sacrés...—Quand<br />
Moïse dispersa <strong>le</strong>s prêtres <strong>de</strong> Chanaan,<br />
ceux-ci ne léguèrent <strong>le</strong>urs secrets qu'à <strong>de</strong>s a<strong>de</strong>ptes,<br />
ils étaient peu nombreux; Saiil eut peine à trouver une<br />
femme qui évoquât <strong>le</strong>s morts... — Cambyse envoya au<br />
supplice <strong>le</strong>s prêtres d'Apis, mais ces vio<strong>le</strong>nces ne portèrent<br />
aucune atteinte aux secrets religieux, qui restèrent<br />
cachés aux profanes. La civilisation <strong>de</strong>puis longtemps<br />
germait, <strong>le</strong>s philosophes désirèrent la perfectionner<br />
et voyagèrent dans l'In<strong>de</strong>, en Chaldée et en<br />
Egypte pour s'instruire... ils se regardèrent comme <strong>de</strong>s<br />
initiés; pourtant tout se bornait à quelques notions<br />
sans théorie. Peu à peu la discrétion gardée dans <strong>le</strong>s<br />
temp<strong>le</strong>s cessa <strong>de</strong> régner dans <strong>le</strong>urs éco<strong>le</strong>s, mais dans<br />
<strong>le</strong>s pays mêmes où la civilisation perfectib<strong>le</strong> prodiguait<br />
ses bienfaits, <strong>le</strong> sacerdoce gardait toujours ses secrets...<br />
Cependant Démosthène signa<strong>le</strong> en Grèce, <strong>le</strong><br />
premier, l'existence <strong>de</strong>s sorciers... La science donc<br />
avait cessé d'être concentrée dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s, et<br />
quelques lambeaux étaient tombés dans <strong>de</strong>s mains<br />
profanes ; pour la cause <strong>de</strong> ce fait, il faut remonter<br />
à plus <strong>de</strong> 35 lustres : c'est <strong>le</strong> massacre <strong>de</strong>s Mages<br />
après la chute <strong>de</strong> Smerdis '. Ils ne succombèrent pas<br />
i. Dans un papyrus écrit en <strong>le</strong>ttres hiéroglyphiques, qui remonte<br />
à Hamsès III, communiqué à M. CJiabas par M. Goochvin, on voit un<br />
nommé Haï puni <strong>de</strong> mort pour crime <strong>de</strong> magie qu'il a apprise en se<br />
procurant fraudu<strong>le</strong>usement <strong>le</strong> livre <strong>de</strong>s formu<strong>le</strong>s du Pharaon, livre<br />
qu'il n'appartenait qu'au souverain et aux prêtres, ses conseil<strong>le</strong>rs, <strong>de</strong><br />
consulter. — Faut-il en conclure que nul profane ne <strong>le</strong> connaissait?<br />
La négative n'est pas douteuse .- La magicienne d'Lndor n'était pas du<br />
conseil du souverain ; 2° lu loi punissant <strong>de</strong> mort la magie et même<br />
l'élu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la magie, la conséquence est qu'el<strong>le</strong> était connue et pratiquée<br />
par <strong>de</strong>s gens étrangers a la caste sacerdota<strong>le</strong>. <strong>Le</strong>s Hébreux s'y<br />
livraient, donc la magie était connue <strong>de</strong>s profanes avant Smerdis.
AVEC LZ DÉMON.<br />
tous, ils se dispersèrent, et quand la politique <strong>de</strong> Darius<br />
voulut <strong>le</strong>s réunir, on peut croire qu'ils ne s'empressèrent<br />
pas <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir <strong>le</strong>s soutiens <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur principal<br />
assassin... S'étant trouvés au milieu <strong>de</strong>s Grecs<br />
disséminés dans la Perse et nés dans une civilisation<br />
perfectib<strong>le</strong>, ils <strong>le</strong>ur transmirent <strong>le</strong>urs secrets... Ces<br />
Grecs ayant admiré <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s Mages, donnèrent<br />
à <strong>le</strong>ur art <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> magie. Ayant ainsi profité <strong>de</strong>s<br />
occasions <strong>de</strong> s'instruire, <strong>de</strong> retour dans <strong>le</strong>ur patrie,<br />
ils en firent un métier lucratif... <strong>Le</strong>s conquêtes d'A<strong>le</strong>xandre<br />
ayant établi <strong>de</strong>s Grecs sur tous <strong>le</strong>s points <strong>de</strong><br />
l'Asie... <strong>le</strong>s prêtres nombreux <strong>de</strong> Phrygie et <strong>de</strong> Syrie<br />
se <strong>le</strong>s affilièrent par <strong>de</strong>s initiations... Dans Théocrite,<br />
une femme ordinaire fait une conjuration.—La magie<br />
avait donc pénétré déjà bien avant chez <strong>le</strong>s Grecs..,<br />
etc. » (Analyse du chap. ix du t. I er<br />
<strong>de</strong>s Sciences oc<br />
cultes.)<br />
Il est peu probab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s mages aient ainsi communiqué<br />
<strong>le</strong>urs secrets aux Grecs, nés dans une civilisation<br />
perfectib<strong>le</strong>, on n'en voit pas <strong>le</strong> motif. <strong>Le</strong> sacerdoce<br />
et la philosophie sont, dans tous <strong>le</strong>s temps, peu<br />
sympathiques. D'ail<strong>le</strong>urs, cette magie malfaisante se<br />
retrouve chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus inconnus <strong>le</strong>s<br />
uns <strong>de</strong>s autres; la pythohisse d'Endor n'était pas une<br />
prêtresse ; la magie malfaisante <strong>de</strong>s Thraces, <strong>de</strong>s<br />
peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la Gau<strong>le</strong>, etc., était-el<strong>le</strong> pratiquée par <strong>le</strong>s<br />
prêtres, que nous verrons partout si vénérab<strong>le</strong>s et si<br />
respectés ?... La magie noire a paru si ancienne à <strong>de</strong>s<br />
savants, qu'ils ont pensé que <strong>le</strong> déluge fut <strong>le</strong> châtiment<br />
<strong>de</strong> ceux qui s'y livraient. — Il serait assez naturel<br />
d'abord, en considérant <strong>le</strong>s révolutions religieuses,<br />
<strong>de</strong> penser que <strong>le</strong>s prêtres d'un culte aboli,<br />
<strong>de</strong>venus errants et étant méprisés, ces tristes restes<br />
d'un sacerdoce si déchu n'appartenant plus à celui
M8 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
reconnu par l'État, se seraient livrés à l'une et l'antre<br />
magie pour satisfaire <strong>le</strong>s besoins ou <strong>le</strong>s passions <strong>de</strong><br />
ceux qui recouraient à <strong>le</strong>ur ministère. Tout prestige<br />
attaché à <strong>le</strong>ur rang étant perdu, ces prêtres d'un culte<br />
proscrit ne pouvaient, on <strong>le</strong> pensa sans doute, être en<br />
rapport qu'<strong>avec</strong> <strong>de</strong>s intelligences malfaisantes. En vain<br />
ils prétendaient pouvoir user <strong>de</strong> la toute-puissance <strong>de</strong> la<br />
théurgie, <strong>le</strong>ur dénûment, <strong>le</strong>ur abjection rendaient cette<br />
prétention ridicu<strong>le</strong>. <strong>Le</strong> pouvoir <strong>de</strong> faire <strong>le</strong> mal par <strong>le</strong>s<br />
mauvais génies dut paraître plus réel ; on recourut à<br />
eux pour l'opérer, et bientôt ils furent l'objet <strong>de</strong> la<br />
haine <strong>de</strong>s populations comme ils l'étaient <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur mépris,<br />
et purent aussi transmettre <strong>le</strong>urs secrets par l'initiation<br />
aux méchants.<br />
Il faut reconnaître qu'il s'est opéré, à <strong>de</strong>s époques si<br />
reculées qu'el<strong>le</strong>s nous sont inconnues, <strong>de</strong>s révolutions<br />
religieuses qui auront pu transformer en vils magiciens<br />
<strong>le</strong>s prêtres d'un culte aboli. On voit dans <strong>le</strong>s temps<br />
historiques la caste sacerdota<strong>le</strong> d'un pays tombé sous<br />
un joug étranger, perdre son crédit, sa puissance et son<br />
éclat. 11 est naturel que <strong>le</strong>s prêtres se soient livrés<br />
indifféremment à la goétie et à la théurgie; ainsi ceux<br />
d'Isis accoururent chez <strong>le</strong>s Romains, qu'ils infestèrent<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>urs pratiques superstitieuses. Nous verrons<br />
ce que <strong>de</strong>vinrent <strong>le</strong>s Drui<strong>de</strong>s. On peut donc penser qu'à<br />
différentes époques, <strong>de</strong>s prêtres fugitifs, mendiants noma<strong>de</strong>s<br />
, auront pratiqué la magie noire, plutôt que<br />
d'admettre que <strong>le</strong>s mages, après la chute <strong>de</strong> Smerdis,<br />
l'auraient bénévo<strong>le</strong>ment révolée aux Grecs. Mais l'opinion<br />
qui l'a fait naître en même temps que la théurgie<br />
et <strong>de</strong> la même cause paraît la plus admissib<strong>le</strong><br />
i. D'autres causes (l'initiation et la communication <strong>avec</strong> l'esprit <strong>de</strong><br />
ténèbres), que l'on aura occasion <strong>de</strong> signa<strong>le</strong>r quand on examinera la<br />
magie mo<strong>de</strong>rne, concourent souvent <strong>avec</strong> la tradition.
AVEC LE DÉMON. 119<br />
<strong>Le</strong>s croyances et <strong>le</strong>s pratiques <strong>de</strong> théurgie et <strong>de</strong> goétie exposées précé<strong>de</strong>ntment<br />
se retrouvent dans <strong>le</strong>s plus anciens auteurs <strong>de</strong> l'antiquité.<br />
A l'exposé si incomp<strong>le</strong>t <strong>de</strong>s croyances religieuses <strong>de</strong><br />
l'antiquité, à ce qui vient d'être dit sur la théurgie et<br />
la goétie, il serait bon <strong>de</strong> joindre divers passages<br />
pris dans différents auteurs <strong>de</strong> l'antiquité et chez plusieurs<br />
peup<strong>le</strong>s. Biais cette tâche n'entre pas dans ce<br />
plan : à la rigueur, un seul peup<strong>le</strong> et un seul auteur<br />
suffisent, ces croyances et ces pratiques étant à peu<br />
près <strong>le</strong>s mêmes partout. Cette nation, si on veut, ce<br />
sera la Grèce; cet auteur, ce sera Homère. <strong>Le</strong>s Grecs<br />
ont reçu <strong>le</strong>urs doctrines <strong>de</strong>s Phéniciens, <strong>de</strong>s Thraces,<br />
<strong>de</strong>s Égyptiens. Orphée, chez eux, fonda <strong>le</strong>s mystères<br />
; Cécrops <strong>le</strong>ur apporta la sagesse égyptienne ;<br />
Cadmus <strong>le</strong> premier érigea chez eux <strong>de</strong>s autels. <strong>Le</strong>s<br />
Grecs avaient déjà <strong>le</strong>urs pratiques superstitieuses, tel<strong>le</strong>s<br />
que divinations, orac<strong>le</strong>s, etc.; ils consultaient <strong>le</strong> chêne<br />
<strong>de</strong> Dodone, ils avaient enfin ce merveil<strong>le</strong>ux qu'on voit<br />
môme aujourd'hui chez <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus sauvages ;<br />
mais ces législateurs coordonnèrent <strong>le</strong>s croyances, réglèrent<br />
<strong>le</strong> culte, et apportèrent la notion d'un Dieu<br />
premier principe... Citer ces croyances et ces pratiques<br />
chez <strong>le</strong>s Grecs, c'est citer ce qu'on croyait et ce qu'on<br />
pratiquait chez <strong>le</strong>s vieux peup<strong>le</strong>s dont ils furent <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s.<br />
Mil<strong>le</strong> ans avant notre ère, Homère a composé un ouvrage<br />
immortel, que ce soit un poëme contenant <strong>de</strong>s<br />
Actions, peu nous importe s'il transmet <strong>le</strong>s croyances<br />
du temps, <strong>le</strong>s mœurs, <strong>le</strong>s superstitions. Ouvrons<br />
Y Ilia<strong>de</strong> et l'Odyssée, nous y verrons toutes <strong>le</strong>s croyances<br />
<strong>de</strong>s Grecs, citées <strong>avec</strong> plus <strong>de</strong> détails qu'on n'a droit<br />
<strong>de</strong> l'attendre d'un auteur qui n'en par<strong>le</strong> que par occa-
120 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
sion, ouvrons-<strong>le</strong>s, dis-je, et nous y trouverons <strong>le</strong>s<br />
orac<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s présages, la nécromancie, <strong>le</strong>s diverses divinations<br />
, <strong>le</strong>s prodiges qui 'présagent <strong>le</strong>s événements<br />
dirigés par <strong>le</strong>s dieux, <strong>le</strong>s songes, <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> transformer,<br />
<strong>de</strong> causer <strong>de</strong>s maladies et <strong>de</strong> guérir par <strong>de</strong>s<br />
charmes. La faculté <strong>de</strong> se rendre invisib<strong>le</strong>, l'enthousiasme<br />
prophétique, <strong>le</strong> don <strong>de</strong> prédire qu'on observe<br />
quelquefois chez <strong>le</strong>s mourants, l'augurie, la magie<br />
malfaisante, la magie bienfaisante, la magie prestigieuse,<br />
toutes ces choses que nous ferons remarquer<br />
dans <strong>le</strong>s livres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux, que nous retrouverions<br />
chez <strong>le</strong>s anciens sages d'Egypte et <strong>de</strong> Chaldée,<br />
qu'on verra aux époques historiques chez <strong>le</strong>s Grecs et<br />
chez <strong>le</strong>s Romains et parmi <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s mo<strong>de</strong>rnes ; tout<br />
cela, dis-je, est dans Y Ilia<strong>de</strong> et l'Odyssée.<br />
Ainsi, <strong>de</strong>puis une longue suite <strong>de</strong> sièc<strong>le</strong>s avant notre<br />
ore, <strong>le</strong>s Grecs consultaient <strong>le</strong>s augures et <strong>le</strong>s songes.<br />
— Achil<strong>le</strong> dit : Consultons un augure ou même un<br />
interprète <strong>de</strong>s songes, car ils sont envoyés par Jupiter.<br />
Calchas est consulté, pour qu'il fasse connaître la<br />
cause du courroux d'Apollon ; mais <strong>le</strong> <strong>de</strong>vin, qui connaît<br />
<strong>le</strong> passé, <strong>le</strong> présent et l'avenir, hésite <strong>de</strong> répondre;<br />
il serait forcé d'accuser Agamemnon —<br />
Ce courroux est excité, non par la gravité d'un crime,<br />
maispar la prière <strong>de</strong> Chrysès, prêtre d'Apollon. Ce dieu,<br />
l'ayant exaucé, afflige <strong>le</strong>s Grecs d'une épidémie qui ne<br />
cessera qu'après avoir immolé une hécatombe et renvoyé<br />
Chryséïs. (//., I.) — Bien <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s avant notre<br />
ère on pensait donc qu'un prêtre pouvait obtenir <strong>de</strong>s<br />
dieux qu'ils châtiassent <strong>le</strong>s coupab<strong>le</strong>s<br />
l. La malédiction ou excommunication remonte à l'origine du<br />
mon<strong>de</strong>. Caïn fut maudit après <strong>le</strong> meurtre d'Abel. L'excommunication
AVEC LE DÉMON. 121<br />
On croyait aux présages, aux prodiges... <strong>Le</strong> même<br />
<strong>de</strong>vin interpréta celui-ci : on avait vu un dragon, <strong>le</strong> dos<br />
marqué <strong>de</strong> sang, dévorer <strong>de</strong>s passereaux et paraître<br />
soudain pétrifié. (//., 11.)<br />
<strong>Le</strong>s songes annonçaient l'avenir. Homère nomme <strong>le</strong><br />
vieil Eurydamas interprète <strong>de</strong>s songes, qui avait négligé<br />
d'interpréter ceux <strong>de</strong> ses fils avant <strong>le</strong> combat.<br />
(//., V, 149, 150.)<br />
<strong>Le</strong> <strong>de</strong>vin Hélénus, inspiré par Apollon et Pallas,<br />
engage Hector à provoquer au combat <strong>le</strong> plus vaillant<br />
<strong>de</strong>s Grecs, en lui assurant qu'il ne succombera pas dans<br />
l'action. <strong>Le</strong>s dieux apparaissent alors sous la forme <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux vautours pour encourager <strong>le</strong> guerrier qui accepte<br />
cet heureux présage. (//., VII.)<br />
A cette époque, <strong>le</strong> tonnerre, comme il <strong>le</strong> fut chez<br />
<strong>le</strong>s Étrusques, était un présage. Plusieurs fois Jupiter<br />
tonnant sur <strong>le</strong> mont Ida, Hector y vit un signe <strong>de</strong> la<br />
victoire. Cependant il <strong>de</strong>vait succomber, carie <strong>de</strong>stin,<br />
plus puissant que Jupiter, l'avait décrété ; <strong>le</strong> héros a<br />
lancé sur Achil<strong>le</strong> un trait inuti<strong>le</strong>, que son bouclier<br />
divin [enchanté) a repoussé. Déiphobe apparaît à côté<br />
d'Hector, ce <strong>de</strong>rnier lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> sa lance; hélas!<br />
Déiphobe n'était qu'un fantôme trompeur, dont l'apparition<br />
présageait <strong>le</strong> trépas d'Hector. <strong>Le</strong>s dieux ont<br />
fasciné ses yeux..., vaincu bientôt et mortel<strong>le</strong>ment<br />
frappé, il fait cette prédiction : Paris, s'écrie-t-il, <strong>avec</strong><br />
l'ai<strong>de</strong> d'Apollon renversera un jour mon impitoyab<strong>le</strong><br />
vainqueur près <strong>de</strong>s portes Scées. (//., XXII.)<br />
Dans ce passage se voient <strong>de</strong>ux croyances, que <strong>le</strong><br />
temps n'a pu détruire. <strong>Le</strong>s mourants obtiennent par-<br />
livre aux puissances inferna<strong>le</strong>s; c'est la tradilio Satanœ <strong>de</strong>s Actes <strong>de</strong>s<br />
Apôtres. On la voit dans toutes <strong>le</strong>s religions, et <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s mûmes<br />
ressentent l'excommunication lancée contre <strong>le</strong>ur souverain.
122 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
fois <strong>le</strong> don <strong>de</strong> prédire, et souvent l'apparition d'un<br />
spectre a été <strong>le</strong> présage d'une mort prochaine<br />
On trouve même dans Homère <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s d'incrédulité<br />
qui prouvent qu'el<strong>le</strong> est <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s temps: Halitherse,<br />
habi<strong>le</strong> <strong>de</strong>vin par <strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s oiseaux, prédisait un<br />
malheur terrib<strong>le</strong> aux amants <strong>de</strong> Pénélope; l'un d'eux,<br />
Eurymaque, lui répond: Va, vieillard, va prophétiser<br />
à tes enfants Ton orac<strong>le</strong> va être anéanti par <strong>le</strong><br />
mien Que d'oiseaux voltigent sous <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, sontils<br />
tous <strong>de</strong>s interprètes certains <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>stinées?<br />
(OJys.,U.)<br />
Circé, par ses enchantements, domptait <strong>le</strong>s animaux<br />
<strong>le</strong>s plus féroces; sous l'influence <strong>de</strong> sa baguette et<br />
d'un breuvage magique, <strong>le</strong>s compagnons d'Ulysse<br />
furent métamorphosés en pourceaux; ils en eurent<br />
la tête, la forme et la voix, ils <strong>de</strong>vinrent comme eux<br />
hérissés <strong>de</strong> soie Cependant ils se reconnaissaient : à<br />
cet égard seu<strong>le</strong>ment la métamorphose n'était pas<br />
complète. Ainsi captifs, ils déploraient <strong>le</strong>ur malheureux<br />
sort qu'Ulysse n'évita qu'en recevant <strong>de</strong> Mercure<br />
une plante qui neutralisa <strong>le</strong>s enchantements <strong>de</strong> Circé.<br />
C'est en vain qu'il a bu <strong>le</strong> fatal breuvage, que Circé<br />
l'a frappé <strong>de</strong> sa baguette, Ulysse a conservé sa figure<br />
et sa forme. Son protecteur lui avait indiqué un secret<br />
pour désenchanter ses compagnons, c'était <strong>de</strong> se précipiter<br />
sur Circé en feignant <strong>de</strong> vouloir l'immo<strong>le</strong>r, alors<br />
non-seu<strong>le</strong>ment il évite lui-même la transformation,<br />
mais il obtient que ses guerriers recouvreront <strong>le</strong>ur<br />
première forme, ce qui eut lieu par l'onction d'une<br />
hui<strong>le</strong> magique. (Orfi/s., X.)<br />
On fera <strong>de</strong> suite observer que cette métamorphose,<br />
1. Pfitroclc mourant prédit a Hector que <strong>le</strong>. <strong>de</strong>stin a décidé qu'il<br />
tomberait bientôt sous <strong>le</strong> fer d'Achil<strong>le</strong> {IL, AVI).
AVEC LE DÉMON. 123<br />
dans la pensée du poëte, appartenait à l'art magique;<br />
que çe serait une erreur grave <strong>de</strong> l'attribuer à l'effet<br />
<strong>de</strong>s charmes naturels <strong>de</strong> Circé ou du vin, qui, bu <strong>avec</strong><br />
excès, assimi<strong>le</strong> <strong>l'homme</strong> à un animal immon<strong>de</strong>. La<br />
croyance aux transformations est trop constante chez<br />
<strong>le</strong>s anciens pour qu'on doive recourir à l'allégorie;<br />
ils en ont la voix, dit Homère, i\s eu ont la forme, ils<br />
sont même comme eux hérissés <strong>de</strong> soie Cette<br />
<strong>de</strong>scription n'est pas <strong>le</strong> portrait d'hommes ivres;<br />
ceux-ci ne se connaissent plus, et <strong>le</strong>s premiers se<br />
reconnaissaient en déplorant <strong>le</strong>ur sort. La manière<br />
dont Ulysse obtint <strong>le</strong> désenchantement <strong>de</strong> ses guerriers,<br />
et l'évita pour son propre compte, vient corroborer<br />
ce sentiment. — Voici donc un exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
transformations d'une haute antiquité; on y voit encore<br />
qu'à cette époque, comme chez <strong>le</strong>s mo<strong>de</strong>rnes,<br />
<strong>le</strong>s menaces étaient un préservatif contre <strong>le</strong>s "charmes<br />
ou en détruisaient l'effet.<br />
Après cet exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong> transformation, on en trouve<br />
un <strong>de</strong> nécromancie. Ulysse veut évoquer l'ombre <strong>de</strong><br />
Tirésias et s'adresse à Circé, qui, n'étant pas une<br />
nécromancienne, lui conseil<strong>le</strong> d'al<strong>le</strong>r à l'extrémité<br />
<strong>de</strong>s mers consulter ceux qui évoquent <strong>le</strong>s mânes;<br />
comme el<strong>le</strong> sait comman<strong>de</strong>r aux vents, <strong>le</strong> navire<br />
d'Ulysse, abandonné au souff<strong>le</strong> <strong>de</strong> Borée, vogue en<br />
suivant une route inconnue <strong>avec</strong> une vitesse prodigieuse,<br />
jusqu'à l'entrée <strong>de</strong>s enfers<br />
On voit souvent dans Homère <strong>le</strong>s dieux prendre<br />
un corps fantastique, et combattre pour <strong>le</strong>s mortels.<br />
— Achil<strong>le</strong> ayant fait une prière à Jupiter, Pallas et<br />
1. Grotte où résidaient <strong>le</strong>s nymphes ou prêtresses; cavernes habitues<br />
par <strong>le</strong>s fées. C'est dans une semblab<strong>le</strong> retraite que Julien consulta<br />
Maxime.
124 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Neptune, sous forme humaine, viennent <strong>le</strong> soutenir<br />
dans son combat et lui promettent qu'il ne succombera<br />
point sous l'effort du dieu du f<strong>le</strong>uve Xanthe.<br />
(//., XXI.)<br />
<strong>Le</strong>s dieux accordaient quelquefois la faculté d'être<br />
invisib<strong>le</strong>. Hector allait succomber si Apollon, au<br />
moyen d'un nuage, ne l'eût rendu invisib<strong>le</strong> aux regards<br />
d'Achil<strong>le</strong>. (//., XX, 444.)<br />
C'est ainsi que, sans être vu, Ulysse traversa la vil<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />
Phéaciens. Il en admira <strong>le</strong>s murail<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s places, et arriva<br />
jusqu'au palais d'Alcinous. Ce ne fut qu'en embrassant<br />
<strong>le</strong>s genoux <strong>de</strong> la reine que <strong>le</strong> charme cessa.<br />
(Odys., VII.)<br />
Avant l'époque chantée par Homère, on consultait<br />
<strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s. Ulysse se rend à Dodone pour y consulter<br />
<strong>le</strong> chêne et recevoir la réponse <strong>de</strong> Jupiter '.<br />
S'il était possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> s'étendre davantage, on citerait<br />
ainsi dans <strong>le</strong>s vieux monuments <strong>de</strong> l'antiquité<br />
mil<strong>le</strong> exemp<strong>le</strong>s propres à appuyer la doctrine <strong>de</strong>s<br />
Gentils.<br />
Apollon, amoureux <strong>de</strong> Cassandre 2<br />
, lui accor<strong>de</strong> <strong>le</strong><br />
don <strong>de</strong> <strong>de</strong>vination.—Oh! ma mère, disait-el<strong>le</strong>, faut-il<br />
qu'Apollon m'ait choisie! qu'il m'ait saisie malgré<br />
1. Cet orac<strong>le</strong> doit ôtre antérieur à la première colonie conduite par<br />
Inachus, qui vivait près <strong>de</strong> 900 ans avant Homère.<br />
2. Apollon <strong>de</strong>vient amoureux <strong>de</strong> Cassandre, et lui accor<strong>de</strong> <strong>le</strong> don <strong>de</strong><br />
prédire dans l'enthousiasme sacré : rappelons-nous qu'Apollon est 1P<br />
infime dieu que Jupiter, que Bacchus, que Sérapis ; qu'il est même<br />
i<strong>de</strong>ntique <strong>avec</strong> Diane, Hécate, Némésis, Cérès... Apollon est <strong>le</strong> môme<br />
que Pan, que Priape, que lo dieu infernal. Cassandre est donc dans<br />
cet état qui donne <strong>le</strong> don <strong>de</strong> prévision. C'est une variété <strong>de</strong> la grandr<br />
catégorie à laquel<strong>le</strong> appartenaient <strong>le</strong>s Cerriti chez <strong>le</strong>s Romains. C'est un<br />
dieu qui l'inspire comme l'étaient la pythie chez <strong>le</strong>s Grecs, et comme<br />
<strong>le</strong>s gens que plus tard on nomma possédés. Cassandre était enfin dans<br />
un état qui établit l'antiquité <strong>de</strong> l'affection <strong>de</strong>s succubes et <strong>de</strong> la<br />
divination par l'extase.
AVEC LE DÉMON. 125<br />
moi <strong>de</strong> sa fureur!... Et bientôt, sous l'influx divin,<br />
el<strong>le</strong> s'écrie : Oh! mes sœurs, oh! Priam, oh! malheureux<br />
roi! que j'ai pitié <strong>de</strong> vous!... etc. Il bril<strong>le</strong>, <strong>le</strong><br />
flambeau <strong>de</strong> Pergame... — El<strong>le</strong> voit <strong>le</strong> carnage, el<strong>le</strong><br />
voit l'incendie.... Ce n'est plus Cassandre qui par<strong>le</strong>,<br />
c'est un dieu, dit Cicéron. (De div., I, 31.)<br />
OEnone 1<br />
reçut aussi <strong>le</strong>s caresses d'Apollon qui lui<br />
octroie <strong>le</strong> don <strong>de</strong> guérir. — Apollon, disait-el<strong>le</strong>, m'a<br />
lui-même enseigné son art ; tout ce qu'il y a d'herbes<br />
et <strong>de</strong> racines dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> est connu <strong>de</strong> moi. (V.<br />
Ovi<strong>de</strong>. — <strong>Le</strong>c<strong>le</strong>rc, Hist. <strong>de</strong> la méd., 1. I, chap. xxi.) —<br />
Selon Apulée, Chiron tenait <strong>de</strong> Diane la connaissance<br />
<strong>de</strong>là vertu <strong>de</strong> certaines plantes. (<strong>Le</strong>c<strong>le</strong>rc, id.) Médée 2<br />
avait appris à fond <strong>de</strong> sa mère l'art <strong>de</strong>s enchantements<br />
et réunissait la magie empoisonneuse à la prestigieuse.<br />
Pour déci<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Pélias à faire bouillir<br />
<strong>le</strong>ur père dans un chaudron pour <strong>le</strong> rajeunir, el<strong>le</strong> fit<br />
cuire d'abord un bélier, et ce n'est qu'en fascinant<br />
<strong>le</strong>urs yeux qu'el<strong>le</strong> en fit sortir la forme trompeuse<br />
d'un agneau. (Diod. <strong>de</strong> Sici<strong>le</strong>, IV, 52.)<br />
El<strong>le</strong> avait <strong>le</strong> pouvoir auquel prétendaient <strong>le</strong>siMédées<br />
<strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes : un jour el<strong>le</strong> s'é<strong>le</strong>va dans <strong>le</strong>s<br />
1. OEnone a la môme affection : el<strong>le</strong> a reçu <strong>de</strong>s dieux <strong>le</strong> don <strong>de</strong><br />
guérir. — Ces secrets, que <strong>le</strong>s mortels reçoivent <strong>de</strong>s dieux, nous <strong>le</strong>s<br />
verrons même révélés dans <strong>de</strong>s temps bien près <strong>de</strong> nous. (<strong>Le</strong>s sorciers,<br />
<strong>le</strong>s somnambu<strong>le</strong>s.)<br />
2. Médée est fil<strong>le</strong> d'Hécate; on sait ce qu'était ce parentage. Hécate<br />
est la même que Proserpine, Cérès, Sérapis... On conçoit que <strong>le</strong> So<strong>le</strong>il<br />
lui permette <strong>de</strong> voyager dans <strong>le</strong>s airs sur <strong>de</strong>s dragons. C'est aussi <strong>le</strong><br />
So<strong>le</strong>il ou Apollon qui, dans <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s postérieurs, donnera au Scythe<br />
Abanscette flèche d'or qui lui permettra <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s voyages aériens.<br />
C'est <strong>le</strong> même que Sérapis, que Pluton, celui qui fut appelé diabolos<br />
et qui, à une époque si rapprochée <strong>de</strong> la nôtre, ne donnera<br />
m sorciers ni char ni flèches d'or, mais un manche à balai chez<br />
nous, et une pique, une lance en Norvège, comme nous <strong>le</strong> verrons.
126 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
airs sur un char traîné par <strong>de</strong>s dragons, que lui avait<br />
donné <strong>le</strong> So<strong>le</strong>il, emportant <strong>avec</strong> el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s enfants qu'el<strong>le</strong><br />
avait eus <strong>de</strong> Jason. La mémo magicienne, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />
secrets d'Hécate, éteignait <strong>le</strong>s flammes, faisait rebrousser<br />
<strong>le</strong> cours <strong>de</strong>s f<strong>le</strong>uves et arrêtait celui <strong>de</strong>s<br />
astres.<br />
Ces citations, si faci<strong>le</strong>s à multiplier en parcourant<strong>le</strong>s<br />
chefs-d'œuvre que l'antiquité nous a légués, prouveraient<br />
tous la haute antiquité <strong>de</strong>s diverses branches<br />
<strong>de</strong> la magie. En vain nous dirait-on que nous voulons<br />
prouver l'existence <strong>de</strong> ces croyances par <strong>de</strong>s fictions<br />
sorties <strong>de</strong> l'imagination <strong>de</strong>s poètes !—<strong>Des</strong> fictions, vérités<br />
pour <strong>le</strong>s Chaldéeus, pour <strong>le</strong>s Égyptiens, pour <strong>le</strong>s<br />
peup<strong>le</strong>s qui civilisèrent la Grèce; <strong>de</strong>s fictions <strong>de</strong>venues<br />
la croyance <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s postérieurs, ne peuvent être<br />
l'œuvre <strong>de</strong> l'imagination <strong>de</strong>s poètes à une époque<br />
intermédiaire. 11 n'est pas permis <strong>de</strong> supposer que la<br />
Grèce, encore barbare, fut moins crédu<strong>le</strong> et moins<br />
superstitieuse que la Grèce civilisée. Ses habitants<br />
<strong>de</strong>vaient ressemb<strong>le</strong>r beaucoup aux peupla<strong>de</strong>s dont <strong>le</strong>s<br />
voyageurs nous dépeignent <strong>le</strong>s mœurs et qui nous<br />
offrent <strong>le</strong>s mêmes superstitions que cel<strong>le</strong>s dont par<strong>le</strong><br />
Homère. <strong>Le</strong> simp<strong>le</strong> bon sens n'est pas ici notre seul<br />
gui<strong>de</strong>. <strong>Le</strong>s érudits ont prouvé tous que <strong>le</strong>s anciens<br />
poèmes n'étaient pas <strong>de</strong> pures fictions, mais <strong>de</strong>s traditions<br />
antérieures aux poètes; <strong>le</strong>s Pères l'avaient dit.<br />
Selon Lactance, « ils ont transmis <strong>de</strong>s faits réels qu'ils<br />
ont tâché d'embellir. »<br />
Arnobe (Ado. gent.) s'exprime ainsi : « Pour couvrir<br />
l'indécence <strong>de</strong> vos dieux, vous dites que c'est l'ouvrage<br />
<strong>de</strong> l'imagination <strong>de</strong>s poètes; qui croira qu'ils aient<br />
chanté <strong>de</strong>s faits autres que ceux qui étaient dans la<br />
bouche <strong>de</strong> tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> et qu'ils aient été assez impu<strong>de</strong>nts<br />
et extravagants pour débiter <strong>de</strong>s choses qui
AVEC LE DÉMON. \11<br />
<strong>de</strong>vaient <strong>le</strong>ur attirer <strong>le</strong> courroux <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s<br />
dieux... »<br />
Bay<strong>le</strong> dit lui-même : «qu'il y eut <strong>de</strong>s gens qui s'efforcèrent<br />
d'élu<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s coups portés à l'ancienne religion<br />
en rejetant sur <strong>le</strong>s licences poétiques ce qu'on lui<br />
reprochait, mais ce faib<strong>le</strong> retranchement fut forcé... On<br />
a prouvé, d'une manière <strong>démon</strong>strative, que ce que<br />
<strong>le</strong>s poètes avaient dit <strong>de</strong>s dieux était l'objet <strong>de</strong> la<br />
religion du peup<strong>le</strong>. » (Bay<strong>le</strong>, Rép. aux qiiest. d'improv.<br />
— Voir aussi Bacon et Avéranus, 33 e<br />
dissertation sur<br />
Virgi<strong>le</strong>.) Pour peu d'attention qu'on apporte, dit Bacon,<br />
à la <strong>le</strong>cture d'Homère et d'Hésio<strong>de</strong>, on voit que<br />
ce qu'ils rapportent vient <strong>de</strong> temps plus anciens, et<br />
que ce sont <strong>de</strong>s traditions.<br />
11 est donc constant (on ne peut trop insister sur<br />
ce point) que <strong>le</strong>s poètes n'ont fait que chanter <strong>de</strong>s traditions,<br />
car <strong>de</strong> semblab<strong>le</strong>s croyances sont consignées<br />
dans <strong>le</strong>s livres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux, infiniment plus<br />
anciens qu'Homère. Il faut en conclure que <strong>le</strong>s<br />
croyances avaient précédé <strong>le</strong>s poètes, et que, puisque<br />
<strong>le</strong> législateur hébreu punissait sévèrement <strong>le</strong>s pratiques<br />
citées par <strong>le</strong>s poètes, cel<strong>le</strong>s-ci n'étaient pas <strong>de</strong> vaines<br />
fictions; donc, la croyance postérieure,' loin d'être<br />
fabu<strong>le</strong>use à sa source, est née <strong>de</strong> faits réels.<br />
faux sacerdoce, aperçu <strong>de</strong> la magie noire pratiquée par <strong>le</strong>s Goétistes<br />
<strong>de</strong> l'antiquité avant notre ère.<br />
<strong>Le</strong>s membres d'une sorte <strong>de</strong> secte qui n'appartenaient<br />
pas à un sacerdoce légal étaient aux yeux <strong>de</strong>s<br />
gentils ce que sont encore aujourd'hui, dans quelques<br />
pays, certains <strong>de</strong>vins ou guérisseurs ; revêtus du même<br />
pouvoir que <strong>le</strong>s prêtres, ils guérissaient <strong>le</strong>s maladies,<br />
prédisaient, exorcisaient, chassaient <strong>le</strong>s esprits <strong>de</strong>s
DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
maisons hantées, délivraient ceux qui étaient obsédés<br />
ou possédés par <strong>le</strong>s larves, et auraient eu môme <strong>le</strong><br />
pouvoir <strong>de</strong> maléficier. Ceux-ci, quoiqu'en rendant ces<br />
services, n'étaient que tolérés et l'objet d'un mépris<br />
presque universel. Ces prêtres mendiants, en gagnant<br />
ainsi <strong>le</strong>ur vie auprès <strong>de</strong>s riches qui s'adressaient à<br />
eux, n'étaient ni respectés comme théurgistes, ni punis<br />
comme goétistes. <strong>Le</strong>s plus convaincus <strong>de</strong>s croyances<br />
<strong>de</strong> la gentilité méprisaient ces intrus dans <strong>le</strong>s sciences<br />
sacrées , plusieurs môme pensaient qu'ils n'avaient<br />
aucun pouvoir. On verra Quintus, quoique stoïcien<br />
et croyant aux prodiges, dire qu'il ne fait nul cas <strong>de</strong>s<br />
augures du pays <strong>de</strong>s Marses, ni <strong>de</strong>s astrologues du<br />
Cirque, ni <strong>de</strong>s prôtres d'isis, etc. : « Tous ces gens-là,<br />
dit-il, n'ont ni art ni connaissance, ce sont <strong>de</strong>s ignorants,<br />
<strong>de</strong>s fainéants et <strong>de</strong>s fous que la misère gourman<strong>de</strong>,<br />
qui promettent <strong>de</strong>s monts d'or en <strong>de</strong>mandant<br />
une drachme (Cic, <strong>de</strong>Div., I, 58).» Mais assez d'autres<br />
y avaient une confiance entière, qu'ils disaient justifiée<br />
par <strong>le</strong>s œuvres.<br />
Ces faux prôtres, nombreux sans doute, d'une caste<br />
tombée, que l'État tolérait, éprouvaient cependant<br />
quelquefois toute la sévérité <strong>de</strong>s lois; comme ils initiaient<br />
ceux qu'ils pouvaient recruter à <strong>le</strong>urs associations<br />
mystérieuses et nocturnes, <strong>le</strong>s magistrats furent<br />
chargés, dit Tite-Live, d'interdire la vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> cirque et<br />
<strong>le</strong> forum à ces prêtres et aux <strong>de</strong>vins, et on <strong>le</strong>ur infligea<br />
<strong>de</strong>s peines, ainsi qu'à <strong>le</strong>urs affiliés. L'historien entend<br />
par<strong>le</strong>r ici <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> ces assemblées où se commettaient<br />
<strong>le</strong>s abominations déjà citées ; mais l'indifférence<br />
en religion eut bientôt pour résultat d'admettre toutes<br />
ces doctrines et ces sociétés ; chez <strong>le</strong>s Romains, on<br />
<strong>le</strong>s punissait seu<strong>le</strong>ment quand ils se livraient à <strong>de</strong>s pratiques<br />
défendues.
AVEC LE DÉMON. 129<br />
A côté <strong>de</strong> ceux-ci une caste malfaisante et plus ténébreuse<br />
peut-être, tenant sans doute ses secrets <strong>de</strong> ses<br />
ancêtres, qui <strong>le</strong>s avaient reçus <strong>de</strong>s dieux infernaux, se<br />
livrait aux plus noires pratiques <strong>de</strong> la goétie; il n'entre<br />
pas dans ce plan d'en faire l'exposé historique avant<br />
notre ère; un temps viendra où, forcé d'esquisser <strong>le</strong><br />
hi<strong>de</strong>ux tab<strong>le</strong>au <strong>de</strong> la magie, nous n'aurons qu'une<br />
chose à affirmer, c'est que la sorcel<strong>le</strong>rie mo<strong>de</strong>rne est<br />
la continuation <strong>de</strong> la vieil<strong>le</strong> goétie. Quelques mots seu<strong>le</strong>ment<br />
sur ses pratiques détestab<strong>le</strong>s dans l'antiquité,<br />
sans nous attacher à en faire l'histoire chez un peup<strong>le</strong><br />
déterminé, suffiront pour montrer l'étendue <strong>de</strong> pouvoir<br />
<strong>de</strong>s goétistes.<br />
Citons au hasard et sans ordre <strong>de</strong>s passages pris dans<br />
<strong>le</strong>s historiens et chez <strong>le</strong>s poètes.<br />
<strong>Le</strong>s goétistes pouvaient faire tomber la grê<strong>le</strong> et exciter'une<br />
tempête. Properce dit qu'ils préparaient une<br />
fosse <strong>avec</strong> certaines cérémonies (IV, 5, 11).<br />
<strong>Le</strong>ur regard causait la mort. — Ériphy<strong>le</strong> faisait<br />
mourir ses victimes par <strong>le</strong> regard.<br />
lis pratiquaient ce qu'on nomme parmi nous l'envoûtement.<br />
Théocrite 1<br />
, Ovi<strong>de</strong>, etc., mentionnent l'usage<br />
<strong>de</strong>s images <strong>de</strong> cire et autres charmes pour faire mourir,<br />
qu'on sera surpris <strong>de</strong> retrouver dans <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s bien<br />
voisins du nôtre, et qui rappel<strong>le</strong>nt, comme l'a dit Bay<strong>le</strong>,<br />
<strong>le</strong> tison <strong>de</strong> Méléagre.<br />
Par Y incantation, on avait un empire presque absolu<br />
sur <strong>le</strong>s sentiments et <strong>le</strong>s passions : — Symaetha excitait<br />
ainsi jusqu'à la fureur l'amour <strong>de</strong> Delphis.<br />
L'œuf <strong>de</strong> serpent, chez <strong>le</strong>s Gaulois, avait <strong>le</strong> même<br />
pouvoir. <strong>Le</strong>s Romains en étaient si convaincus que,<br />
1. On voit dans Théocrite, Idyl<strong>le</strong> 2°, une conjuration et <strong>le</strong>s menaces<br />
d'un maléfice.<br />
i.<br />
9
130 DES RAPPORTS DË L'HOMME<br />
loin <strong>de</strong> méprfeer oette croyance populaire, ils punirent<br />
du <strong>de</strong>rnier supplice un chevalier gaulois qui, pour<br />
gagner sa cause, en avait caché un dans son sein,<br />
barbarie atroce, si à <strong>le</strong>urs yeux ce n'était qu'une pratique<br />
absur<strong>de</strong> (Pline, XXIX, 12).<br />
En prononçant certains vers, <strong>le</strong>s Thraces, selon <strong>le</strong>s<br />
historiens, enfonçaient un tison dans l'œil <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />
ennemi sans <strong>le</strong> toucher, exemp<strong>le</strong> bien ancien <strong>de</strong> b<strong>le</strong>ssures<br />
faites à distance.<br />
Tous <strong>le</strong>s historiens rapportent que <strong>le</strong>s magiciennes<br />
<strong>de</strong> Thessalie faisaient é<strong>le</strong>ver <strong>de</strong>s tempêtes et <strong>de</strong>s orages,<br />
donnaient <strong>de</strong>s maladies mortel<strong>le</strong>s, faisaient périr<br />
<strong>le</strong>s troupeaux, causaient l'impuissance et une mort<br />
<strong>le</strong>nte au moyen d'images <strong>de</strong> cire à l'effigie <strong>de</strong> ceux<br />
qu'el<strong>le</strong>s voulaient maléfier, et qu'el<strong>le</strong>s perforaient<br />
d'aiguil<strong>le</strong>s.<br />
<strong>Le</strong>s tours rapi<strong>de</strong>s du rhombus, accompagnés dê<br />
paro<strong>le</strong>s mystérieuses, ramenaient un amant infidè<strong>le</strong>.<br />
<strong>Le</strong>s branches du laurier, arbre consacré à Apollon, <strong>le</strong>s<br />
lames gravées <strong>de</strong> caractères inconnus, <strong>le</strong>s clous arra^<br />
chés d'un gibet, <strong>de</strong>s crânes humains, <strong>de</strong>s ossements<br />
<strong>de</strong> morts mêlés <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s cheveux <strong>de</strong> l'inconstant ou <strong>avec</strong><br />
<strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> ses vêtements, établissaient ce qu'on<br />
appel<strong>le</strong>rait aujourd'hui <strong>le</strong> rapport, et contraignaient<br />
<strong>de</strong> revenir auprès <strong>de</strong> l'amante délaissée celui à qui<br />
ces cheveux et ces vêtements avaient appartenu. —»<br />
Amaryllis fait trois nœuds <strong>de</strong> diverses cou<strong>le</strong>urs, et<br />
contraint ainsi <strong>de</strong> revenir son volage Daphnis. (Virg.,<br />
vm e<br />
égl.) 1<br />
.<br />
Au moyen d'ossements, <strong>de</strong> parfums, <strong>de</strong> caractères<br />
bizarres, <strong>de</strong> regards, <strong>de</strong> signes, d'insufflations, <strong>de</strong><br />
1. Dans Virgi<strong>le</strong>, Horace, etc., etc., on voit ainsi <strong>de</strong>s sorcel<strong>le</strong>ries, <strong>le</strong>s<br />
mômes pour <strong>le</strong> but si el<strong>le</strong>s diffèrent dans la pratique.
AVEC LÉ DÉMON. 131<br />
paro<strong>le</strong>s prononcées d'une certaine manière, <strong>le</strong>s goétistes<br />
opéraient ainsi <strong>de</strong>s prodiges infernaux.<br />
Dans une nuit sombre, on invoquait Hécate, qui<br />
apparaissait au milieu <strong>de</strong>s hur<strong>le</strong>ments sinistres <strong>de</strong>s<br />
chiens qui annonçaient sa présence.<br />
<strong>Le</strong>s goétistes évoquaient <strong>le</strong>s morts : une fosse, <strong>de</strong>s<br />
ossements, <strong>de</strong>s lambeaux <strong>de</strong> chair humaine, <strong>de</strong>s cheveux<br />
<strong>de</strong> celui qu'on voulait évoquer, certaines herbes,<br />
<strong>le</strong> sang d'une brebis noire, <strong>de</strong>s libations, contraignaient<br />
l'ombre d'apparaître.<br />
L'impuissance causée par enchantement, appelée<br />
plus tard <strong>le</strong> nœud d'aiguil<strong>le</strong>tte, était un maléfice fort<br />
commun chez <strong>le</strong>s anciens. Démosthène cite l'exécution<br />
d'une sorcière convaincue <strong>de</strong> ce crime.<br />
Pausanias dit qu'on fut obligé, en Grèce, d'établir<br />
une chambre <strong>de</strong> justice exprès pour en punir <strong>le</strong>s<br />
auteurs.<br />
Hérodote cite divers exemp<strong>le</strong>s prouvant qu'on n'épargnait<br />
pas même <strong>le</strong>s plus augustes personnages.<br />
Platon avertit <strong>le</strong>s jeunes mariés <strong>de</strong> se défier <strong>de</strong>s ligatures.<br />
Il est fort inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> continuer cet exposé <strong>de</strong> la<br />
magie nuisib<strong>le</strong>. Il serait faci<strong>le</strong> <strong>de</strong> prouver non-seu<strong>le</strong>ment<br />
qu'el<strong>le</strong> existait avant notre ère, tel<strong>le</strong> qu'on l'a<br />
citée <strong>de</strong>puis cette époque. Mais el<strong>le</strong> est bien antérieure<br />
\ Démosthène, quoique Eusèbe Salverte ait écrit que<br />
Démosthène en avait <strong>le</strong> premier signalé l'existence<br />
récente en Grèce ; ce savant a-t-il donc oublié qu'el<strong>le</strong><br />
est mentionnée même dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s héroïques et<br />
flans <strong>le</strong>s plus anciens monuments <strong>de</strong> l'histoire?<br />
<strong>Le</strong>s goétistes, avons-nous dit, ne se livraient pas<br />
uniquement à <strong>de</strong>s pratiques meurtrières. Ils avaient <strong>de</strong>s<br />
formu<strong>le</strong>s pour calmer <strong>le</strong> courroux <strong>de</strong> ceux qui, ayant<br />
souffert une mort vio<strong>le</strong>nte, venaient effrayer <strong>le</strong>s vivants ;
132 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
pour chasser <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s <strong>de</strong>s habitations et <strong>de</strong>s corps,<br />
pour faire <strong>de</strong>s prestiges, pour se métamorphoser, se<br />
transporter par l'air, pour faire <strong>de</strong>s prédictions, <strong>de</strong>s<br />
guérisons, etc., etc. <strong>Le</strong>s magiciennes <strong>de</strong> Thessalie<br />
prétendaient, comme on sait, faire <strong>de</strong>scendre la lune<br />
par <strong>le</strong>urs conjurations, prétention qu'il sera bon d'expliquer.<br />
Ainsi, redisons-<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s goétistes étaient donc non<br />
moins puissants que <strong>le</strong>s théurgistes.<br />
<strong>Le</strong>s métamorphoses étaient si communes qu'Hérodote<br />
par<strong>le</strong> d'un peup<strong>le</strong> dont tous <strong>le</strong>s habitants passaient<br />
pour magiciens. On assure sous <strong>le</strong> serment, dit cet<br />
historien, que tous <strong>le</strong>s ans, pendant quelques jours,<br />
ils se transforment en loups. — Si ces transformations<br />
étaient moins fréquentes chez <strong>le</strong>s Grecs et chez <strong>le</strong>s<br />
Romains, <strong>le</strong>s poètes cependant ne <strong>le</strong>s ont point omises.<br />
J'ai vu, disait Amaryllis, Méris se changer en loup.<br />
His ego sccpe lupum fieri et se con<strong>de</strong>re silvis<br />
Mœrim<br />
(Virgi<strong>le</strong>, Égl. VIII, 97.)<br />
<strong>Le</strong> transport aérien chez <strong>le</strong>s anciens ressemb<strong>le</strong>,<br />
comme on <strong>le</strong> verra, à celui <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes. Abaris<br />
tenait d'Apollon une flèche d'or <strong>avec</strong> laquel<strong>le</strong> il se<br />
transportait aussi vite que la pensée où bon lui<br />
semblait, traversant <strong>le</strong>s mers, abordant <strong>de</strong>s lieux<br />
inaccessib<strong>le</strong>s. Avec l'ai<strong>de</strong> du môme véhicu<strong>le</strong> on avait<br />
vu, <strong>le</strong> même jour, Pythagore à Scizzo en Sici<strong>le</strong> et à<br />
Métaponte en Calabre. Si ces <strong>de</strong>ux personnages ne<br />
sont point goétistes, <strong>de</strong>puis Médée jusqu'à Pamphi<strong>le</strong>,<br />
dont nous par<strong>le</strong>rons (V. Apulée), assez d'autres ont joui<br />
du même pouvoir locomoteur. Médée a reçu ses dragons,<br />
et Abaris sa flèche volante du même dieu ; nous
AVEC LE DÉMON. 133<br />
verrons un jour nos sorcières transportées sur un bâton,<br />
comme Abaris sur sa flèche, ou voyager sur <strong>le</strong> bouc<br />
infernal, comme Médée sur son char attelé <strong>de</strong> dragons.<br />
<strong>Le</strong>s goétistes avaient <strong>le</strong> pouvoir d'expulser <strong>le</strong>s esprits<br />
<strong>de</strong>s maisons.<br />
La mère d'Épicure se rendait ainsi dans <strong>le</strong>s habitations<br />
hantées par <strong>le</strong>s esprits malins pour <strong>le</strong>s exorciser.<br />
El<strong>le</strong> était <strong>de</strong> la même secte que la mère d'Eschine ;<br />
Démosthène (Orat. <strong>de</strong> Coron.), en parlant <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier,<br />
disait : Il est né parmi ces misérab<strong>le</strong>s que <strong>le</strong><br />
peup<strong>le</strong> abhorre; vous aidiez, lui dit-il, votre mère dans<br />
ses opérations magiques, votre mère que chacun appelait<br />
empusa (sorcière) ; c'est vous qui lisiez <strong>le</strong>s formu<strong>le</strong>s<br />
d'initiation, qui couvriez <strong>le</strong> candidat d'une peau <strong>de</strong><br />
faon, qui é<strong>le</strong>viez <strong>de</strong>s serpents sur votre tête en criant<br />
kohè, sabohê, sabohé, etc.<br />
Ils prétendaient faire <strong>de</strong>scendre la lune du ciel par<br />
<strong>de</strong>s conjurations; ceux qui ont pris ces expressions<br />
à la <strong>le</strong>ttre ont dit que sans doute <strong>le</strong>s magiciennes<br />
choisissaient l'instant d'une éclipse. Tout prouve qu'il<br />
De s'agit pas ici <strong>de</strong> l'astre qui nous éclaire durant la<br />
nuit, la prétention du magicien eût été absur<strong>de</strong>, et la<br />
crédulité <strong>de</strong> celui qui recourait à son art eût été <strong>de</strong> la<br />
démence, il y aurait eu trop <strong>de</strong> témoins affirmant <strong>le</strong><br />
contraire. La circonstance d'une éclipse lunaire ne<br />
ressemb<strong>le</strong> en rien d'ail<strong>le</strong>urs à la <strong>de</strong>scente <strong>de</strong> l'astre.<br />
<strong>Le</strong> fourbe enfin n'aurait pu en tirer parti que fort<br />
rarement, et il faudrait supposer chez <strong>le</strong>s magiciennes<br />
<strong>de</strong> Thessalie <strong>de</strong>s notions astronomiques que <strong>le</strong>s anciens<br />
sages ignoraient. Cette prétention s'explique en<br />
se rappelant que la lune n'était autre que Diane ou<br />
Hécate..., mais non l'astre visib<strong>le</strong> lui-même. Un passage<br />
<strong>de</strong> Lucien appuierait ce sentiment. Cléodème dit:<br />
J'étais aussi incrédu<strong>le</strong> que vous; après que j'eus vu,
134 DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LE DÉMON.<br />
je fus forcé <strong>de</strong> croire.. Puis, parlant <strong>de</strong>s prodiges d'un<br />
hyperboréen, il dit qu'il faisait <strong>de</strong>scendre la lune qui<br />
se montrait sous <strong>le</strong>s formes <strong>le</strong>s plus variées : femme,<br />
chienne, vache, symbo<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Diane, d'Hécate, etc.<br />
(V. Lucien, Philopseu<strong>de</strong>s ; et l'encyclopédie méthodique,<br />
Antiquités et Mytlwlogie).<br />
La magie était punie.<br />
Ce qui prouverait que <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong>s goétistes était<br />
très-constant aux yeux du législateur et <strong>de</strong>s magistrats,<br />
c'est qu'on <strong>le</strong>s châtiait sévèrement, non peut-être pour<br />
avoir exorcisé <strong>de</strong>s esprits et fait <strong>de</strong>s guérisons, mais<br />
pour maléfices, nécromancie, etc.; <strong>le</strong>s Égyptiens <strong>le</strong>s<br />
punissaient, <strong>le</strong>s Perses <strong>le</strong>ur écrasaient la tête, <strong>le</strong>s<br />
Athéniens <strong>le</strong>s condamnaient à mort. Une sorcière <strong>de</strong><br />
<strong>Le</strong>mnos fut ainsi exterminée, et on ne fit pas grâce<br />
même à ses enfants. Platon voulait que tous ceux qui<br />
par charmes, ligatures, paro<strong>le</strong>s, images <strong>de</strong> cire, etc.,<br />
auraient maléficié hommes ou bestiaux, fussent punis<br />
du <strong>de</strong>rnier supplice. (Platon, De <strong>Le</strong>g., L. 11. —<br />
Plutarque, Vie (FAi'ta.rercès.)<br />
A Rome, la loi <strong>de</strong>s Douze Tab<strong>le</strong>s défendait, sous la<br />
même peine, <strong>de</strong> nuire par dos enchantements, soit<br />
aux personnes, soit aux biens. Celui qui commettait ce<br />
crime était réputé abominab<strong>le</strong>, saeer erat, marque <strong>de</strong><br />
la plus haute indignation. (Pothicr, Pand., I, LXXX1X.)<br />
<strong>Le</strong> genre <strong>de</strong> mort élait d'ordinaire la décapitation, <strong>le</strong><br />
bûcher, l'exposition aux bêtes.<br />
<strong>Le</strong> bref exposé qu'on vient <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> la magie<br />
divine et <strong>de</strong> la magie noire renferme <strong>de</strong>s croyances<br />
constantes chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s idolâtres; on verra<br />
plus loin <strong>le</strong>s modifications qu'y apportèrent <strong>le</strong>s systèmes<br />
philosophiques.
LIVRE II<br />
CHAPITRE PREMIER<br />
De la philosophie chez <strong>le</strong>s Grecs. — On continue <strong>de</strong> croire aux esprits, aux<br />
génies et aux prodiges. — <strong>Le</strong>s matérialistes, <strong>le</strong>s sceptiques. — Socrate et ses<br />
discip<strong>le</strong>s. — Socra<strong>le</strong> et Platon, — Aristote. — Hippocrate. — Successeurs <strong>de</strong><br />
Platon. — Successeurs d'Arislo<strong>le</strong>. — <strong>Le</strong>s pénpaléticiens. — Ëpicure. —<br />
Zenon. — <strong>Le</strong>s stoïciens. — Déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la Grèce épicurienne et impie.<br />
De la philosophie chez <strong>le</strong>s Grecs. — On continue <strong>de</strong> croire aux esprits,<br />
aux génies et aux prodiges. — <strong>Le</strong>s matérialistes, <strong>le</strong>s sceptiques.<br />
<strong>Le</strong>s doctrines religieuses <strong>de</strong>s prêtres égyptiens <strong>de</strong> la<br />
Perse, <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>, etc., avaient été pendant une longue<br />
suite <strong>de</strong> sièc<strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>ment transmises aux initiés et religieusement<br />
conservées; une âme universel<strong>le</strong>, un premier<br />
principe, <strong>de</strong>s génies ; <strong>le</strong>ur intervention signalée par<br />
<strong>de</strong>s prodiges, etc., tout cela ne causait pas <strong>le</strong> moindre<br />
doute. <strong>Le</strong>s anciens sages n'avaient pas porté plus loin<br />
<strong>le</strong>urs investigations, et <strong>le</strong>s prêtres transmettaient <strong>le</strong>s<br />
traditions comme un recueil <strong>de</strong> vérités que nul n'avait<br />
<strong>le</strong> droit d'examiner, lorsqu'un peup<strong>le</strong> nouveau relativement<br />
à ceux dont on vient <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r, illustré par<br />
ses victoires, instruit par son commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s nations<br />
étrangères, éprouva <strong>le</strong> besoin <strong>de</strong> réfléchir. Une
136 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
civilisation à peine à son aurore n'avait pu éclairer <strong>le</strong>s<br />
Grecs voisins encore <strong>de</strong> la barbarie et tout occupés <strong>de</strong>s<br />
besoins matériels; mais initiés aux doctrines <strong>de</strong>s sages<br />
<strong>de</strong>s diverses nations, <strong>le</strong>s Grecs pourront désormais analyser,<br />
comparer et juger.<br />
<strong>Le</strong>s doctrines, no différant que sur certains points,<br />
se réduisaient aux mêmes principes; mais brisant <strong>le</strong>s<br />
entraves imposées par <strong>le</strong>s traditions, <strong>le</strong>s philosophes<br />
<strong>le</strong>ur substitueront <strong>le</strong>urs systèmes, l'esprit humain va<br />
s'émanciper et discutera souvent ce qu'il ne peut connaître.<br />
Pourquoi <strong>le</strong>s sages <strong>de</strong> Chaldée, <strong>de</strong> l'Egypte, <strong>de</strong> la<br />
Perse, etc., ne l'avaient-ils pas fait? La faculté <strong>de</strong> comparer<br />
et <strong>de</strong> réfléchir manquait-el<strong>le</strong> à ces hommes qui<br />
passaient <strong>le</strong>ur vie à étudier <strong>le</strong>s choses divines? S'ils ont<br />
transmis <strong>le</strong>s doctrines sans y rien changer, ils <strong>le</strong>s ont crues<br />
divines, ou ils ont supposé qu'el<strong>le</strong>s étaient <strong>le</strong> suprême<br />
effort <strong>de</strong> l'esprit humain, qui no pouvant pénétrer plus<br />
loin ne peut créer que <strong>de</strong> vains systèmes ; aussi, en examinant<br />
la vanité <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs systèmes philosophiques, on<br />
est tenté <strong>de</strong> dire qu'ils n'ont fait qu'obscurcir <strong>le</strong> sujet do<br />
<strong>le</strong>urs étu<strong>de</strong>s. Alors, à mesure que <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s s'écou<strong>le</strong>ront,<br />
<strong>le</strong>s traditions <strong>de</strong>viendront <strong>de</strong> plus en plus ténébreuses<br />
et erronées par <strong>le</strong> mélange <strong>de</strong>s divers systèmes<br />
<strong>de</strong>s philosophes, <strong>de</strong> sorte qu'on est forcé <strong>de</strong> reconnaître<br />
que, dans <strong>le</strong>s temps <strong>le</strong>s plus reculés, il existait<br />
sur la divinité et ses prodiges une tradition plus sage<br />
que tous <strong>le</strong>s systèmes qui se sont succédé <strong>de</strong>puis ; aussi<br />
Socrate blâmait cette curiosité qui s'obstine à découvrir<br />
ce que <strong>le</strong>s dieux ont tenu caché.<br />
Il ne s'agit pas ici d'exposer <strong>le</strong>s systèmes sur <strong>le</strong>s effets<br />
et <strong>le</strong>s causes, sur la nature <strong>de</strong> l'âme et sa puissance, sur<br />
l'origine du mon<strong>de</strong>, sur la cause productrice <strong>de</strong>s phénomènes,<br />
etc., mais d'examiner seu<strong>le</strong>ment ce qui concerne<br />
notre sujet.
AVEC LE DÉMON. «37<br />
Plus <strong>de</strong> six sièc<strong>le</strong>s avant Jésus-Christ, à l'époque où<br />
vivait Thaïes, commence l'ère philosophique. Thaïes,<br />
chef <strong>de</strong> l'éco<strong>le</strong> d'Ionie, se livra plus particulièrement à<br />
l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la nature. A dater <strong>de</strong> ce philosophe, on explique<br />
<strong>le</strong>s comètes, on rend raison <strong>de</strong>s éclipses, on ridiculise<br />
<strong>le</strong>s prodiges ; la philosophie rejette comme <strong>de</strong>s<br />
fab<strong>le</strong>s toutes <strong>le</strong>s histoires <strong>de</strong>s dieux <strong>de</strong> la mythologie,<br />
et cependant Thaïes reconnaît, et Phérécy<strong>de</strong>, Anaximène,<br />
Pythagore, Empédoc<strong>le</strong>, Zenon, Heraclite, etc.,<br />
reconnaissent comme lui l'existence <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, <strong>de</strong>s<br />
génies et <strong>le</strong>ur intervention. L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces philosophes<br />
n'a pas encore altéré sensib<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s doctrines<br />
traditionnel<strong>le</strong>s.<br />
Pythagore, au lieu d'être physicien, fut porté par<br />
goût à étudier la métaphysique et <strong>le</strong>s religions. — Dieu<br />
est répandu partout, est l'auteur <strong>de</strong>s puissances et <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>urs œuvres; ces puissances sont <strong>le</strong>s astres, <strong>le</strong>s dieux<br />
inférieurs, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, <strong>le</strong>s âmes. C'est par eux qu'il<br />
opère tout. <strong>Le</strong>s pythagoriciens croyaient non-seu<strong>le</strong>ment<br />
à l'existence <strong>de</strong>s esprits, mais à <strong>le</strong>ur apparition:<br />
<strong>le</strong>ur doctrine renferme toutes <strong>le</strong>s superstitions <strong>de</strong> la<br />
magie, ses pratiques bizarres, la foi à la propriété <strong>de</strong>s<br />
nombres. Dieu régit tout comme cause <strong>de</strong>s causes; il<br />
faut donc interroger sa volonté dans <strong>le</strong>s présages, se<br />
mettre en rapport <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s êtres éternels, et pour y parvenir<br />
il faut affranchir l'âme. Cet état était l'enthousiasme<br />
(l'extase), obtenu par certaines pratiques et en<br />
invoquant <strong>le</strong>s esprits.<br />
Ocellus et Empédoc<strong>le</strong>, discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Pythagore, ne suivirent<br />
pas scrupu<strong>le</strong>usement sa doctrine, ils attribuèrent<br />
la production du mon<strong>de</strong> à <strong>de</strong>s forces différentes<br />
et opposées agissant sans intelligence ni liberté. —<br />
Timée <strong>de</strong> Locres suppose une intelligence qui a dirigé la<br />
force motrice, et qui a produit, d'après un plan, un
138 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
mon<strong>de</strong> régulier; mais tous, et <strong>avec</strong> eux Zenon, Heraclite,<br />
etc., pensent que l'atmosphère est p<strong>le</strong>ine <strong>de</strong> génies;<br />
ils voltigent dans l'air, il sont sur la terre, rési<strong>de</strong>nt<br />
dans <strong>le</strong>s eaux. Cependant Zenon et Empédoc<strong>le</strong><br />
appartenaient à l'éco<strong>le</strong> éléatique, qui avait pour chef<br />
Xénophane <strong>de</strong> Colophon, et d'après <strong>le</strong>s éléates, Dieu<br />
et <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> paraissaient i<strong>de</strong>ntiques ; <strong>le</strong>s phénomènes<br />
ne sont que <strong>de</strong>s perceptions <strong>de</strong> l'esprit. Ils niaient la<br />
divination; <strong>le</strong>s dieux d'Homère et d'Hésio<strong>de</strong> excitaient<br />
<strong>le</strong>urs rail<strong>le</strong>ries. Non-seu<strong>le</strong>ment pour <strong>le</strong>s éléates tout<br />
n'est qu'illusion pour <strong>le</strong>s sens, mais la raison n'est pas<br />
moins trompeuse... — Il n'y a rien <strong>de</strong> réel, rien <strong>de</strong> certain;<br />
l'univers est Dieu et agit nécessairement; donc<br />
tout ce qui arrive est l'effet <strong>de</strong>s lois éternel<strong>le</strong>s et immuab<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong> la nature; tous admettaient pourtant l'existence<br />
<strong>de</strong>s esprits, sauf <strong>le</strong>s modifications ci-après. —<br />
Cette éco<strong>le</strong> se divise en métaphysiciens et physiciens;<br />
à la première division appartiennent Zenon et Empédoc<strong>le</strong>,<br />
dont on vient <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r. Zenon passe pour l'instituteur<br />
<strong>de</strong> cette dia<strong>le</strong>ctique qui, soutenant éga<strong>le</strong>ment<br />
<strong>le</strong> pour et <strong>le</strong> contre , donna naissance aux sophistes.<br />
Empédoc<strong>le</strong> croyait aux prodiges <strong>de</strong>s pythagoriciens et<br />
en opérait lui-môme. Parméni<strong>de</strong> paraît avoir pensé<br />
comme son maître : — <strong>l'homme</strong> ne saurait connaître la<br />
vérité pure; la raison et <strong>le</strong>s sens nous trompent. On<br />
voit déjà l'esprit humain pousser ici jusqu'à l'abus sa<br />
faculté <strong>de</strong> réfléchir et <strong>de</strong> raisonner.<br />
A la secte <strong>de</strong>s éléates physiciens appartiennent <strong>Le</strong>ucippe<br />
et Démocritc : <strong>le</strong> premier est l'auteur du système<br />
<strong>de</strong>s a<strong>tome</strong>s ; <strong>le</strong> second admet la divisibilité à l'infini <strong>de</strong><br />
corpuscu<strong>le</strong>s qui se meuvent, s'associent, forment <strong>de</strong>s<br />
masses <strong>de</strong> différentes configurations, source <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s<br />
événements du mon<strong>de</strong>, a<strong>tome</strong>s subtils, ténus, qui<br />
émanent <strong>de</strong>s corps, se répan<strong>de</strong>nt partout, pénètrent
AVEC LE DÉMON. 139<br />
jusqu'à l'âme et y forment <strong>de</strong>s figures représentatives<br />
<strong>de</strong> ces substances. Il admet <strong>de</strong>s natures qui ne se manifestent<br />
que dans <strong>le</strong>s ténèbres, composées aussi d'a<strong>tome</strong>s<br />
: plus instruits que nous, ayant une voix, prévoyant<br />
<strong>le</strong>s événements et <strong>le</strong>s annonçant quelquefois,<br />
disséminés dans l'air, <strong>le</strong>s uns font du mal aux hommes,<br />
d'autres sont bienfaisants. Ainsi donc, Démocrite admettait<br />
plusieurs espèces <strong>de</strong> dieux et <strong>de</strong> génies, et<br />
cependant il ne reconnaissait ni divinité ni âme spirituel<strong>le</strong>,<br />
n'admettant que <strong>de</strong>s unités corporel<strong>le</strong>s ; <strong>le</strong>s génies,<br />
l'âme humaine n'étaient pour lui que <strong>de</strong>s fantômes<br />
composés d'a<strong>tome</strong>s sphériques; <strong>le</strong>s molécu<strong>le</strong>s, sorties<br />
du corps, en reprenant <strong>le</strong>ur configuration, ont donné<br />
lieu à la croyance <strong>de</strong>s spectres... — Démocrite était<br />
sensualiste ; à ses yeux, jouir étant <strong>le</strong> souverain bien,<br />
il ne veut pas que nul<strong>le</strong> crainte puisse <strong>le</strong> troub<strong>le</strong>r.<br />
Tel<strong>le</strong> est l'idée qu'on peut se faire, après ce rapi<strong>de</strong><br />
exposé, <strong>de</strong>s premières sectes philosophiques qui, abandonnant<br />
<strong>le</strong>s traditions, ne s'attachèrent qu'à étudier<br />
<strong>de</strong>s faits et à consulter <strong>le</strong>ur raison.<br />
On voit surgir <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux éco<strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s <strong>de</strong> philosophes<br />
qui vont désormais se partager <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> : <strong>le</strong>s<br />
spiritualistes et <strong>le</strong>s matérialistes. — Tous croyaient à<br />
l'existence <strong>de</strong>s mêmes phénomènes; mais <strong>le</strong>s uns <strong>le</strong>s<br />
expliquèrent par l'action <strong>de</strong>s génies, <strong>de</strong>s esprits, d'autres<br />
par <strong>de</strong>s corpuscu<strong>le</strong>s émanés <strong>de</strong>s corps qui, pénétrant<br />
notre âme matériel<strong>le</strong>, y représentent <strong>de</strong>s formes. Ainsi,<br />
d'après Démocrite, <strong>le</strong>s dieux ressemb<strong>le</strong>nt à nos songes,<br />
et <strong>le</strong>s images qui pénètrent dans l'âme ne sont que <strong>de</strong>s<br />
corpuscu<strong>le</strong>s qui agissent, sur el<strong>le</strong> à peu près comme<br />
dans <strong>le</strong>s songes ; el<strong>le</strong>s pouvaient même prédire ou annoncer<br />
<strong>de</strong>s événements, car ces molécu<strong>le</strong>s, en se transportant<br />
au loin, peuvent révé<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s acci<strong>de</strong>nts lointains<br />
et cent autres événements. Il faut donc bien remarquer
140 DES iUPPOBTS DE L'HOMME<br />
que ces <strong>de</strong>ux éco<strong>le</strong>s ne nient point <strong>le</strong>s faits, mais <strong>le</strong>s<br />
expliquent différemment. A ces <strong>de</strong>ux éco<strong>le</strong>s, il faut<br />
joindre cel<strong>le</strong> qui dit que tout n'est peut-être que vaine<br />
apparence, qu'on ne peut rien affirmer, qu'il n'y a rien<br />
<strong>de</strong> certain.<br />
Nous pouvons donc déci<strong>de</strong>r que toutes <strong>le</strong>s sectes<br />
philosophiques qui ont existé et qui existent appartiennent<br />
à ces trois catégories. On n'a pu rien inventer;<br />
on a combiné tous <strong>le</strong>s systèmes, on a fait <strong>de</strong> l'éc<strong>le</strong>ctisme,<br />
mais on n'est point sorti hors <strong>de</strong> ces idées généra<strong>le</strong>s,<br />
<strong>le</strong> nec plus ultra <strong>de</strong> la puissance <strong>de</strong> l'esprit<br />
humain.<br />
Ce fut dans <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> Périclès surtout, sous ce<br />
grand général, discip<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'éco<strong>le</strong> <strong>de</strong> Zenon, dont on<br />
vient <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r, et d'Anaxagore, philosophe bizarre,<br />
qui fut accusé d'impiété, que la Grèce, qui s'était illustrée<br />
par <strong>le</strong>s armes, se signala dans <strong>le</strong>s sciences et <strong>le</strong>s<br />
arts. El<strong>le</strong> était alors à l'apogée <strong>de</strong> sa puissance. Certains<br />
phénomènes regardés jusque-là comme surnaturels<br />
vont être examinés, discutés <strong>avec</strong> tous <strong>le</strong>s moyens<br />
que fournit une haute civilisation : <strong>de</strong>s rhéteurs emploieront<br />
la dia<strong>le</strong>ctique pour soutenir <strong>le</strong>s opinions <strong>le</strong>s<br />
plus absur<strong>de</strong>s. Au moyen <strong>de</strong> sophismes cachés sous un<br />
sty<strong>le</strong> f<strong>le</strong>uri, ils nieront <strong>le</strong>s vérités <strong>le</strong>s mieux établies.<br />
On a dépeint <strong>le</strong>s sophistes comme <strong>de</strong>s discoureurs hardis,<br />
discutant sans fin, usant <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s ressources<br />
du langage pour faire en termes obscurs <strong>de</strong>s raisonnements<br />
sans solidité. On ne <strong>de</strong>vrait point par<strong>le</strong>r ici <strong>de</strong>s<br />
sophistes, s'ils n'avaient contribué à l'avènement <strong>de</strong> la<br />
philosophie en multipliant <strong>le</strong>s idées. Mais laissons ces<br />
philosophes pour arriver aux vrais philosophes.
AVEC LE DEMON.<br />
Socrate et set discip<strong>le</strong>s.<br />
Socrate, né 470 ans avant Jésus-Christ, fils <strong>de</strong> sculpteur<br />
et sculpteur lui-même, crut à une vocation divine.<br />
11 quitta Athènes et son ciseau, et, après avoir combattu<br />
vaillamment <strong>le</strong>s ennemis <strong>de</strong> la patrie, il attaqua<br />
<strong>le</strong>s sophistes, qu'il dévoila comme <strong>de</strong>s hommes sans<br />
conviction, <strong>de</strong>s impu<strong>de</strong>nts qui ne cherchent qu'à tromper<br />
par un langage subtil. La seu<strong>le</strong> raison suffit pour<br />
manifester <strong>le</strong>s contradictions <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs discours. C'est à<br />
el<strong>le</strong> seu<strong>le</strong> aussi qu'il s'adresse. Cherchant la vérité <strong>de</strong><br />
bonne foi, il dépouil<strong>le</strong> tout préjugé, suppose qu'il ne<br />
sait rien, et s'étudie lui-même pour connaître <strong>l'homme</strong>.<br />
Ni tranchant, ni décisif, doutant souvent, décidant rarement,<br />
Socrate laisse la physique pour se livrer aux<br />
étu<strong>de</strong>s mora<strong>le</strong>s. Il trouvait bon qu'on étudiât la nature,<br />
mais jusqu'au point où son étu<strong>de</strong> est uti<strong>le</strong>; il blâmait<br />
<strong>le</strong>s spéculations <strong>de</strong> pure curiosité, et <strong>le</strong>s philosophes<br />
plus occupés à subtiliser qu'à rechercher <strong>le</strong> vrai. Il<br />
crut, on donnera plus tard la raison <strong>de</strong> cette affirmation,<br />
il crut certainement qu'il était inspiré par un génie;<br />
s'il rejette <strong>le</strong>s dieux du polythéisme tels que <strong>le</strong>s<br />
fab<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s présentent, s'il croit à l'unité <strong>de</strong> Dieu et<br />
s'il défend <strong>de</strong> trop approfondir ces matières, <strong>de</strong> peur<br />
qu'on ne tombe dans <strong>de</strong>s idées extravagantes, il croit<br />
fermement à ce qui lui paraît certain et <strong>démon</strong>tré,<br />
c'est-à-dire à la divination, aux présages, à l'existence<br />
<strong>de</strong>s génies qui nous avertissent <strong>de</strong>s périls qui nous menacent,<br />
etc. « Socrate ayant tout pesé <strong>avec</strong> ce jugement<br />
« droit et fixe qui a mis sa gloire au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> cel<strong>le</strong><br />
« <strong>de</strong>s plus grands hommes », dit <strong>Le</strong> Batteux (t. 57 <strong>de</strong><br />
YAcad. roy. <strong>de</strong>siixscript. et bel<strong>le</strong>s-<strong>le</strong>ttres), il mérite qu'on<br />
examine ses sentiments sur <strong>le</strong>s esprits et <strong>le</strong>ur interven-
DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
tion et sur la cause première, Dieu. 11 distingue <strong>de</strong>ux<br />
objets dans l'explication <strong>de</strong>s causes : 4° la cause qui<br />
meut vers certaine fin ; 2" l'objet qui, sous l'action <strong>de</strong><br />
la première cause, communique <strong>le</strong> mouvement. <strong>Le</strong>s<br />
autres philosophes imaginaient <strong>de</strong>s éthers, <strong>de</strong>s eaux,<br />
<strong>de</strong>s airs pour premier principe <strong>de</strong> causalité ; Socrate<br />
était loin <strong>de</strong> défendre <strong>de</strong> rechercher <strong>le</strong>s lois physiques,<br />
mais trouvait mauvais qu'on oubliât la cause première<br />
pour s'arrêter aux causes instrumenta<strong>le</strong>s; il condamnait<br />
cet effort ridicu<strong>le</strong> fait par <strong>le</strong>s philosophes pour expliquer,<br />
par <strong>le</strong>s causes mécaniques, la production <strong>de</strong> tous<br />
<strong>le</strong>s phénomènes. 11 eut plusieurs discip<strong>le</strong>s : — Platon<br />
fut spiritualistc ; Aristote, son discip<strong>le</strong>, fut fortement<br />
suspect <strong>de</strong> matérialisme. ÎNe pouvant citer toujours littéra<strong>le</strong>ment<br />
quelques passages <strong>de</strong> Platon, on rapportera<br />
substantiel<strong>le</strong>meut ses pensées, ainsi que cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Socrate<br />
.<br />
Socrate et Platon.<br />
Ni l'obscurité ni <strong>le</strong>s contradictions ne font défaut<br />
dans <strong>le</strong>s œuvres <strong>de</strong> Platon, qui nous a fait connaître<br />
Socrate.<br />
Il est manifeste que Socrate croyait aux dieux ; il<br />
s'est défendu <strong>de</strong> l'accusation <strong>de</strong> n'y pas croire. « N'estil<br />
pas vrai que j'admets <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s enfants <strong>de</strong>s dieux?<br />
dit-il à Mélitus, et qui pourrait croire qu'il y a <strong>de</strong>s en- 1<br />
fants <strong>de</strong>s dieux et qu'il n'y a pas <strong>de</strong> dieux ! » (Apologie.)<br />
Socrate croyait aux inspirations, soit en songe, soit<br />
pendant la veil<strong>le</strong>. 11 dit dans <strong>le</strong> Criton qu'il a vu en<br />
songe une bel<strong>le</strong> femme... D'après sa prédiction, qu'il<br />
trouve très-claire, quoique énigmatique, il doit mourir<br />
dans trois jours.<br />
« L'âme a une puissance prophétique. » (Phèdre.)
AVEC LE DÉMON. U3<br />
« La partie qui est auprès du foie, <strong>de</strong>venue tranquil<strong>le</strong><br />
pendant <strong>le</strong> sommeil, reçoit en songe <strong>de</strong>s avertissements,<br />
parce qu'el<strong>le</strong> est privée <strong>de</strong> raison et <strong>de</strong> sagesse...<br />
Ceux qui nous ont formés, se souvenant <strong>de</strong><br />
l'ordre que <strong>le</strong>ur avait donné <strong>le</strong>ur père..., accordèrent<br />
à cette partie la divination... » (Timée.)<br />
Ce qui prouve à Socrate que Dieu n'a donné à<br />
<strong>l'homme</strong> la divination que pour suppléer à la raison,<br />
c'est que nul homme sain d'esprit ne la possè<strong>de</strong> dans<br />
toute sa vérité, si ce n'est en songe, quand l'intelligence<br />
est suspendue, ou quand el<strong>le</strong> est égarée par la<br />
maladie ou l'enthousiasme. (Timée.)<br />
Ces expressions prouvent-el<strong>le</strong>s que Socrate et Platon<br />
reconnaissaient que l'âme avait une puissance prophétique?<br />
On ne <strong>le</strong> pense pas.<br />
Socrate dit à Diotime : « Dieu ne se manifeste point<br />
immédiatement à <strong>l'homme</strong> ; c'est par l'intermédiaire<br />
<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s que <strong>le</strong>s dieux commercent <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s hommes,<br />
soit dans la veil<strong>le</strong>, soit pendant <strong>le</strong> sommeil. Celui qui<br />
est savant dans ces choses est un <strong>démon</strong>iaque ou<br />
inspiré... » (<strong>Le</strong> Bcmqitet.)<br />
Nous savons que, averti par une voix, il exerçait<br />
une sorte <strong>de</strong> divination ; aussi Hermogène lui disait :<br />
«Il semb<strong>le</strong> que tu ren<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s comme <strong>le</strong>s inspirés»<br />
(Crutylé) (c'est-à-dire comme ceux qui par<strong>le</strong>nt<br />
sous l'influx divin). Ces inspirés disaient <strong>de</strong>s choses<br />
vraies et bel<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> l'aveu <strong>de</strong> Socrate et Platon, qui, sachant<br />
aussi qu'ils prédisaient <strong>de</strong>s choses vraies, disait<br />
cependant : « Ils ne savent aucune <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s dont ils<br />
par<strong>le</strong>nt. » (31énon.)<br />
Dans ce qui nous reste à dire, tout prouve que<br />
Socrate n'attribuait pas la divination à une faculté <strong>de</strong><br />
l'âme, mais à une inspiration divine.<br />
La faculté divinatrice étant une sorte <strong>de</strong> grâce, tous
144 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
n'en jouissaient pas; el<strong>le</strong> était accordée aussi quelquefois<br />
à ceux qui n'étaient ni endormis ni mala<strong>de</strong>s.<br />
« La faveur cé<strong>le</strong>ste, disait Socrate, m'a accordé un<br />
don merveil<strong>le</strong>ux qui <strong>de</strong>puis mon enfance ne m'a pas<br />
quitté; c'est une voix, etc. » Accusé d'introduire <strong>de</strong><br />
nouvel<strong>le</strong>s divinités, il s'en plaint : « Est-ce donc,<br />
dit-il à ses juges, parce que j'entends une voix qui<br />
m'avertit. » Il n'a rien dit <strong>de</strong> nouveau On consulte<br />
<strong>le</strong> chant <strong>de</strong>s oiseaux, <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s inopinées... <strong>le</strong> bruit<br />
du tonnerre, qui est certainement un grand augure... »<br />
C'est par la voix que la pythie rend ceux qu'el<strong>le</strong> tient du<br />
dieu... Si <strong>le</strong>s dieux communiquent <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s mortels par<br />
ces divers moyens, ils <strong>le</strong> peuvent aussi par <strong>de</strong>s voix... »<br />
« Que <strong>le</strong>s dieux sachent l'avenir et <strong>le</strong> révè<strong>le</strong>nt à qui<br />
il <strong>le</strong>ur plaît, tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> <strong>le</strong> dit et <strong>le</strong> croit <strong>de</strong> même<br />
que moi. » Il va plus loin ; n'ignorant pas que quelques-uns<br />
regardaient cela comme naturel, il dit :<br />
« Qu'on appel<strong>le</strong> augure, paro<strong>le</strong>s fortuites, présages <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>vin, ce dont ils tirent ces connaissances; moi, je<br />
l'appel<strong>le</strong> dieu ou <strong>démon</strong>, et je pense m'exprimer d'une<br />
manière plus vraie que ceux qui attribuent aux oiseaux<br />
un don propre aux dieux. » (Xénophon, Apol.)<br />
Ce que rapportent Xénophon, Simmias, <strong>de</strong> cette<br />
voix, prouve que cel<strong>le</strong> que Socrate croyait entendre<br />
ressemblait à un phénomène dont <strong>le</strong> moyen âge et <strong>le</strong>s<br />
sièc<strong>le</strong>s suivants offrent plusieurs exemp<strong>le</strong>s<br />
« Tout ce que je viens <strong>de</strong> dire, disait Socrate, il<br />
me semb<strong>le</strong> que je l'entends, et <strong>le</strong> son <strong>de</strong> ces paro<strong>le</strong>s<br />
résonne si fort à mon oreil<strong>le</strong> qu'il m'empêche d'entendre<br />
tout ce qu'on me dit ail<strong>le</strong>urs... » « Écoutezmoi<br />
en si<strong>le</strong>nce, » disait-il à Phèdre, « ce lieu a quelque<br />
chose <strong>de</strong> divin, et si <strong>le</strong>s nymphes qui l'habitent<br />
1. Jeanne «l'Arc, <strong>le</strong> Tasse, etc.
AVEC LE DÉMON. 145<br />
me causaient quelque transport frénétique, il ne faudrait<br />
pas s'en étonner... » (Phèdre.)<br />
11 dit ail<strong>le</strong>urs : « J'ai senti <strong>le</strong> signal qui m'est familier,<br />
j'ai cru entendre une voix qui me défendait <strong>de</strong><br />
partir.» N'ayant pas vu d'apparitions, il ne pensait<br />
pas que <strong>le</strong>s dieux apparussent, mais il écoutait attentivement<br />
ceux qui disaient avoir entendu une voix et<br />
<strong>le</strong>s questionnait <strong>avec</strong> empressement. Il dit ail<strong>le</strong>urs<br />
qu'il ne peut être compté pour un sage, rien ne vient<br />
<strong>de</strong> lui. (Apolog.)<br />
Ceux qui l'approchaient s'apercevaient <strong>de</strong> ses colloques.<br />
Car il s'isolait, pour être tout entier à la<br />
voix qui lui parlait, il s'arrêtait... : « Laissez-<strong>le</strong>, »<br />
disait Aristodème, « il lui arrive souvent <strong>de</strong> s'arrêter<br />
ainsi, ne <strong>le</strong> troub<strong>le</strong>z pas, ne vous occupez<br />
pas <strong>de</strong> lui. » — Plusieurs autres passages prouvent<br />
ainsi que Socrate était convaincu qu'un génie lui<br />
parlait, et que ses discip<strong>le</strong>s partageaient ses convictions.<br />
On n'exposera pas ici ce que Platon dit dans <strong>le</strong><br />
Timêe sur <strong>le</strong>s premières causes, sur l'intelligence,<br />
cause <strong>de</strong> tout ce qui se fait <strong>avec</strong> plan et <strong>de</strong>ssein, c'està-dire<br />
dieu; sur la nécessité, cause <strong>de</strong> ce qui résulte<br />
particulièrement <strong>de</strong> la nature <strong>de</strong>s corps, sur l'âme <strong>de</strong><br />
l'univers, sur l'âme <strong>de</strong> chaque astre, grave question,<br />
qu'il examine encore dans <strong>le</strong> traité <strong>de</strong>s Lois (IV). —<br />
«Si c'est une âme, dit-il, qui dirige <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, el<strong>le</strong> est<br />
<strong>de</strong>dans, et meut ce corps sphérique comme notre âme<br />
meut notre corps...; ou bien el<strong>le</strong> se donne un corps<br />
étranger, soit <strong>de</strong> feu, soit d'air, dont el<strong>le</strong> se sert pour<br />
mouvoir <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il..., ou, dégagée <strong>de</strong> corps, el<strong>le</strong> dirige <strong>le</strong>s<br />
astres par tout autre moyen admirab<strong>le</strong>; mais, quelque<br />
voie qu'el<strong>le</strong> prenne, on doit la regar<strong>de</strong>r comme une<br />
divinité. Ce serait <strong>le</strong> comb<strong>le</strong> <strong>de</strong> la folie <strong>de</strong> penser<br />
t i a
146 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
autrement. Quant aux autres astres, on doit dire aussi<br />
que ce sont <strong>de</strong>s dieux... —• L'univers en est donc<br />
p<strong>le</strong>in?... — Nul n'est assez insensé pour nier cela,»<br />
répond Clinias.<br />
Dieu, est-il dit dans <strong>le</strong> même traité (IV), a préposé<br />
<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s pour nous gouverner, etc.<br />
Certainement c'était <strong>le</strong> bien petit nombre qui eût<br />
mérité <strong>le</strong> titre d'insensé que Clinias donne à ceux qui<br />
douteraient que l'univers fût p<strong>le</strong>in <strong>de</strong> dieux ou <strong>de</strong><br />
génies. Aussi Platon, comme on l'a vu, recommandait<br />
expressément la foi aux traditions et aux récits <strong>de</strong>s<br />
anciens, qui <strong>le</strong>s avaient reçus <strong>de</strong>s dieux eux-mêmes.<br />
— Il ne s'agit pas ici d'examiner <strong>le</strong>s motifs <strong>de</strong> cette<br />
foi, il en est peu qui ne l'eussent point. La saine<br />
philosophie n'y avait porté nul<strong>le</strong> atteinte sérieuse,<br />
quoiqu'el<strong>le</strong> eût déjà attaqué bien <strong>de</strong>s croyances. Mais<br />
Platon ne craint pas <strong>de</strong> dire qu'Homère, Hésio<strong>de</strong>, etc.,<br />
ont débité sur <strong>le</strong>s dieux <strong>le</strong>s plus monstrueux mensonges:<br />
Ce serait <strong>de</strong>s vérités, dit-il, qu'il faudrait <strong>le</strong>s<br />
taire. Il blâme Homère et Eschy<strong>le</strong> d'avoir dit que<br />
<strong>le</strong>s dieux envoient <strong>de</strong>s songes trompeurs, qu'ils prennent<br />
diiFérentes formes pour errer pendant la nuit....<br />
Car c'est accuser <strong>le</strong>s dieux d'impostures et <strong>de</strong> mensonges.<br />
Comme la divinité no peut mentir, on ne dira<br />
pas dans sa république qu'el<strong>le</strong> trompe, soit pendant la<br />
veil<strong>le</strong>, soit dans <strong>le</strong> sommeil. On rejettera toutes <strong>le</strong>s<br />
infamies attribuées aux dieux, d'un si mauvais exemp<strong>le</strong><br />
pour l'enfance qui ne comprend pas <strong>le</strong>s allégories.<br />
On rejettera aussi <strong>le</strong>s noms <strong>de</strong> Cocyte et <strong>de</strong> Styx, qui<br />
causent do l'effroi, parce que la peur amollit <strong>le</strong> courage.<br />
(La République, IV.)<br />
La raison rejette tous <strong>le</strong>s discours étranges qu'on<br />
fait sur <strong>le</strong>s dieux. <strong>Le</strong>s <strong>de</strong>vins assiègent <strong>le</strong>s portes <strong>de</strong>s<br />
grands et <strong>le</strong>ur persua<strong>de</strong>nt qu'ils ont obtenu <strong>de</strong>s dieux
AVEC LE DÉMON. 147<br />
par <strong>de</strong>s charmes, <strong>de</strong>s sacrifices, etc., <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong><br />
remettre <strong>le</strong>s crimes.<br />
Ils se vantent <strong>de</strong> pouvoir nuire aux ennemis, <strong>de</strong> contraindre<br />
<strong>le</strong>s dieux par certains secrets. Ce n'est pas seu<strong>le</strong>ment<br />
<strong>le</strong> vulgaire qui <strong>le</strong> croit, mais <strong>le</strong>s hommes <strong>le</strong>s<br />
plus illustres... continue Platon. (La République, II.)<br />
Dans <strong>le</strong> dixième livre <strong>de</strong>s Lois, il dit qu'on punira<br />
ceux qui font accroire qu'ils savent évoquer <strong>le</strong>s âmes<br />
<strong>de</strong>s morts, charmer, fléchir <strong>le</strong>s dieux, renverser <strong>le</strong>s<br />
fortunes.<br />
On fera une loi contre <strong>le</strong>s superstitieux, il n'y<br />
aura d'autres sacrifices que ceux permis par <strong>le</strong>s lois;<br />
ni chapel<strong>le</strong>s, ni sacrifices particuliers aux génies<br />
qu'on aurait vus <strong>le</strong> jour ou la nuit. <strong>Le</strong>s apparitions<br />
étant fréquentes et donnant naissance à <strong>de</strong> nouveaux<br />
cultes, Platon punira <strong>le</strong>s auteurs et prendra <strong>de</strong>s mesures<br />
sévères pour que <strong>le</strong> culte soit purgé <strong>de</strong> ces absurdités<br />
et ne soit plus altéré. (Ib.)<br />
11 y a <strong>de</strong>ux espèces <strong>de</strong> maléfices dont la distinction<br />
semb<strong>le</strong> embarrasser Platon : ceux qui émanent d'hommes<br />
qui nuisent par <strong>de</strong>s moyens naturels, et ceux<br />
<strong>de</strong>s gens qui emploient <strong>le</strong>s charmes et <strong>le</strong>s ligatures. « Il<br />
est diffici<strong>le</strong>, dit-il, <strong>de</strong> savoir au juste ce qu'il y a <strong>de</strong><br />
vrai dans tout cela, et, quand on <strong>le</strong> saurait, il serait<br />
diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> convaincre <strong>le</strong>s esprits prévenus <strong>de</strong> ne pas<br />
s'inquiéter <strong>de</strong>s figures <strong>de</strong> cire qu'on place sous <strong>le</strong>s<br />
seuils et <strong>de</strong> <strong>le</strong>s mépriser, parce qu'ils croient à la<br />
vertu <strong>de</strong>s maléfices. Pourtant il invite à mépriser<br />
<strong>le</strong>s uns et <strong>le</strong>s autres, pour ne pas effrayer <strong>le</strong>s gens<br />
timi<strong>de</strong>s. »<br />
Celui qui emploie <strong>de</strong>s drogues, s'il n'est pas mé<strong>de</strong>cin,<br />
ne connaît pas <strong>le</strong>urs effets sur <strong>le</strong> corps; celui<br />
qui se sert <strong>de</strong> charmes ne peut <strong>de</strong> même <strong>le</strong>s connaître,<br />
s'il n'est versé dans la divination ou dans l'art
148 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
d'observer <strong>le</strong>s prodiges; celui qui se sera servi d'enchantements,<br />
s'il est <strong>de</strong>vin, sera puni <strong>de</strong> mort; s'il ne<br />
l'est pas, <strong>le</strong> tribunal déci<strong>de</strong>ra. — Platon expose ainsi<br />
<strong>le</strong>s sentiments d'une saine philosophie dans ces divers<br />
passages : Ruiner <strong>le</strong>s superstitions, préserver <strong>le</strong> culte<br />
<strong>de</strong> toute altération, détruire <strong>le</strong>s idées outrageuses<br />
qu'on avait <strong>de</strong>s dieux. Ce but était excel<strong>le</strong>nt.... —<br />
Croire enfin à tout ce que la tradition enseigne à moins<br />
d'être insensé, etc..— Mais il est fâcheux que ce<br />
philosophe n'ait point prouvé que <strong>le</strong>s croyances superstitieuses<br />
étaient aussi vaines qu'el<strong>le</strong>s étaient funestes,<br />
et que ces pensées qu'on avait <strong>de</strong>s dieux ne<br />
s'appuyaient sur rien ; il a fait voir combien ces opinions<br />
populaires étaient fâcheuses pour la société,<br />
mais il n'en a point <strong>démon</strong>tré la vanité. Et en vérité,<br />
l'aurait-il pu? el<strong>le</strong>s étaient non moins soli<strong>de</strong>ment<br />
établies que cel<strong>le</strong>s du culte, tel<strong>le</strong>ment confondues<br />
<strong>avec</strong> ces croyances, qu'en renversant <strong>le</strong>s unes on attaquait<br />
<strong>le</strong>s autres. Car el<strong>le</strong>s s'appuyaient sur <strong>de</strong>s faits<br />
non moins certains.<br />
D'après <strong>le</strong>s doutes que Platon semb<strong>le</strong> avoir eus du<br />
pouvoir <strong>de</strong>s magiciens, doit-on penser qu'il refuse ce<br />
même pouvoir aux prêtres et aux <strong>de</strong>vins?— Il n'est<br />
pas disposé à penser que <strong>le</strong>s dieux l'aient accordé<br />
aux méchants, aux gens sans aveu, qui n'appartiennent<br />
point au sacerdoce. Mais, en disant que l'enchanteur<br />
ne peut connaître la vertu <strong>de</strong>s charmes s'il n'est<br />
versé dans la divination, c'était admettre que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins,<br />
<strong>le</strong>s prêtres reconnus par l'État, possédaient cette<br />
science.<br />
Mais <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins n'étaient pas tous prêtres : ainsi<br />
Clinias, par exemp<strong>le</strong> (<strong>le</strong>s Lois, III), en parlant d'Épiméni<strong>de</strong>,<br />
dit : Cet homme, qui n'est véritab<strong>le</strong>ment<br />
que d'hier, surpasse <strong>le</strong>s plus habi<strong>le</strong>s. — Qu'était-ce
AVEC LE DÉMON. 149<br />
donc qu'Épiméni<strong>de</strong>? Un prophète crétois, un <strong>de</strong>vin<br />
guérissant, opérant <strong>de</strong>s prodiges, qui, étranger au sacerdoce<br />
, d'abord berger, puis thaumaturge, avait<br />
prédit que <strong>le</strong>s Perses, dont on regardait l'invasion<br />
comme prochaine, ne viendraient que dix ans après;<br />
puis, qu'ayant échoué dans <strong>le</strong>urs entreprises, ils s'en<br />
retourneraient, ayant fait moins <strong>de</strong> mal aux Grecs<br />
qu'ils n'en auraient reçu... Épiméni<strong>de</strong> avait délivré<br />
<strong>le</strong>s Athéniens d'un fléau épouvantab<strong>le</strong>, <strong>de</strong> l'apparition<br />
<strong>de</strong> furies qui causaient la mort d'une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
victimes, etc. Platon ne nie point tant <strong>de</strong> merveil<strong>le</strong>s,<br />
sans doute el<strong>le</strong>s ne sont refusées qu'aux méchants et<br />
non aux amis <strong>de</strong>s dieux. Quoique étrangers au sacerdoce,<br />
ces <strong>de</strong>vins peuvent donc opérer <strong>de</strong>s prodiges<br />
bienfaisants; mais s'ils en opéraient <strong>de</strong> malfaisants,<br />
ils seraient punis <strong>de</strong> mort. —N'est-ce pas reconnaître<br />
qu'il existe <strong>de</strong>s gens qui, n'étant point prêtres, ont <strong>le</strong><br />
pouvoir <strong>de</strong> maléficier? — Alors est-il donc si faci<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
mépriser <strong>le</strong>s charmes et <strong>le</strong>s ligatures? Malgré l'obscurité<br />
<strong>de</strong> ces passages <strong>de</strong> Platon, il ne semb<strong>le</strong> pas<br />
douteux qu'il ait pensé que <strong>le</strong>s méchants pussent<br />
maléficier et que ce pouvoir ne <strong>le</strong>ur fût donné par<br />
<strong>le</strong>s dieux, mais il ne fallait pas « effrayer <strong>le</strong>s gens<br />
timi<strong>de</strong>s. »<br />
11 est évi<strong>de</strong>nt que Platon pense que <strong>le</strong>s dieux accor<strong>de</strong>nt<br />
à certains hommes <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong>s fléchir, <strong>de</strong><br />
prédire, <strong>de</strong> guérir, etc. — « Un saint délire s'empare<br />
quelquefois <strong>de</strong> quelques mortels, dit-il, lorsque <strong>le</strong>s<br />
dieux envoient <strong>de</strong>s maladies ou <strong>de</strong>s fléaux. Il <strong>le</strong>s rend<br />
prophètes et <strong>le</strong>ur révè<strong>le</strong> <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s {Phèdre). Il recomman<strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>s cérémonies pour obtenir la protection<br />
<strong>de</strong>s dieux... Après avoir communiqué <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux<br />
<strong>de</strong> l'Olympe par <strong>le</strong>s sacrifices et <strong>le</strong>s prières, il faut, ditil,<br />
honorer <strong>le</strong>s dieux souterrains; <strong>le</strong> sage doit rendre un
160 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
culte convenab<strong>le</strong> aux <strong>démon</strong>s... Ail<strong>le</strong>urs (<strong>le</strong>s Lois, IV),<br />
il dit que <strong>le</strong> sacrifice sera renvoyé au douzième mois,<br />
assigné à Pluton ; il ne faut pas avoir d'aversion pour ce<br />
dieu, il faut l'honorer comme <strong>le</strong> bienfaiteur du genre<br />
humain (Ib., VIII). — Pour Platon, comme pour <strong>le</strong>s<br />
initiés, Pluton était <strong>le</strong> même dieu que Jupiter.<br />
Lorsqu'il dit que <strong>le</strong>s dieux ne prennent pas différentes<br />
formes pour apparaître pendant la nuit, il n'entend<br />
probab<strong>le</strong>ment par<strong>le</strong>r que <strong>de</strong>s apparitions aux superstitieux<br />
et <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs révélations trompeuses; car il croit<br />
aux apparitions divines. On lit dans <strong>le</strong> Timée que Dieu<br />
parla aux dieux qui bril<strong>le</strong>nt dans <strong>le</strong>s astres et à ceux<br />
qui n'apparaissent que lorsqu'il <strong>le</strong>ur plaît, etc. — Il y<br />
en a donc qui apparaissent quelquefois.<br />
Xénophon n'attribue point à la puissance prophétique<br />
<strong>de</strong> l'âme <strong>de</strong> Socrate ce phénomène <strong>de</strong> divination<br />
qu'on a signalé chez lui. 11 avouait franchement, dit-il,<br />
qu'un <strong>démon</strong> <strong>le</strong> conseillait; assez souvent il instruisait<br />
8es[amis <strong>de</strong> ce qu'ils <strong>de</strong>vaient ou ne <strong>de</strong>vaient pas faire,<br />
suivant ce qu'il en avait appris <strong>de</strong> son <strong>démon</strong> ; il ajoute<br />
que ceux qui <strong>le</strong> croyaient s'en trouvaient bien, que<br />
ceux qui ne l'écoutaicnt pas s'en repentaient. (Xénoph.,<br />
Hes memor.)<br />
Quand il croyait que <strong>le</strong>s dieux l'avaient averti <strong>de</strong><br />
faire quelque chose, on ne pouvait l'en empêcher, il<br />
regardait <strong>avec</strong> mépris la pru<strong>de</strong>nce humaine quand il la<br />
comparait à la sagesse divine.<br />
Hermogène l'engage à se concilier la bienveillance<br />
<strong>de</strong> ses juges... — Il répond qu'ayant médité <strong>de</strong>ux fois<br />
quelque chose pour se défendre, son <strong>démon</strong> s'y est opposé...<br />
«Peut-être <strong>le</strong> Dieu, par un effet <strong>de</strong> sa bonté,<br />
m'invite-t-il à terminer mes jours non-seu<strong>le</strong>ment dans<br />
<strong>le</strong> moment <strong>le</strong> plus favorab<strong>le</strong> <strong>de</strong> ma vie, mais <strong>de</strong> la manière<br />
la plus douce. »
AVEC LE DÉMON.<br />
Il publiait partout qu'il recevait <strong>de</strong>s conseils d'une<br />
divinité. Socrate ne croyait pas, selon Simmias, que<br />
<strong>le</strong>s dieux se montrent, mais qu'ils par<strong>le</strong>nt aux hommes.<br />
— Simmias dit qu'il a été souvent présent quand Socrate<br />
manifestait cette opinion, « ce qui nous donnait<br />
à penser, ajoute-t-il, que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> <strong>de</strong> Socrate<br />
n'était pas une vision, mais un sentiment <strong>de</strong> voix et<br />
une intelligence <strong>de</strong> paro<strong>le</strong>s qui venaient <strong>le</strong> toucher<br />
d'une manière incompréhensib<strong>le</strong> (Plut., De gen.<br />
Socr.) »<br />
Cependant plusieurs ont soutenu que Socrate et ses<br />
discip<strong>le</strong>s ne croyaient pas à une voix divine. S'il était<br />
permis <strong>de</strong> s'étendre davantage au lieu <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s<br />
citations tronquées, on verrait, du moins nous <strong>le</strong> pensons,<br />
que tout prouve <strong>le</strong> contraire. En parlant ainsi,<br />
on ne prétend pas vouloir expliquer <strong>le</strong> phénomène,<br />
mais dire seu<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s <strong>avec</strong> <strong>le</strong>ur maître<br />
l'attribuaient à un <strong>démon</strong> qui révélait à Socrate l'avenir,<br />
<strong>le</strong>s choses cachées, et lui donnait <strong>de</strong>s conseils<br />
fort uti<strong>le</strong>s; on espère <strong>le</strong> prouver mieux ail<strong>le</strong>urs. Donc,<br />
en attendant, on doit penser que Socrate et <strong>le</strong>s platoniciens<br />
admettaient <strong>le</strong>s songes, la divination par l'inspiration,<br />
l'intervention <strong>de</strong>s dieux ou génies, <strong>le</strong>s guérisons,<br />
etc., etc. Si Platon refuse aux prétendus <strong>de</strong>vins<br />
<strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> contraindre <strong>le</strong>s dieux par <strong>le</strong>urs conjurations...,<br />
s'il prétend qu'ils n'ont pu recevoir <strong>de</strong> ces<br />
dieux <strong>de</strong>s révélations mensongères, etc., c'est que<br />
Platon, ayant une haute idée <strong>de</strong> la divinité, ne pouvait<br />
croire <strong>le</strong>s infamies qu'on lui prêtait; il ne voulait pas<br />
que <strong>le</strong>s dieux fussent plus infâmes que <strong>le</strong>s hommes <strong>le</strong>s<br />
plus scélérats; ainsi <strong>le</strong> décidait la philosophie du bon<br />
sens, qui cependant ne cessait <strong>de</strong> croire au merveil<strong>le</strong>ux<br />
du culte <strong>de</strong>s Gentils, parce que <strong>le</strong>s faits l'y contraignaient.<br />
Si un philosophe <strong>le</strong>ur eût dit : Vos dieux
DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
ne sont que <strong>de</strong>s esprits déchus, ennemis <strong>de</strong> Dieu,<br />
auquel ils veu<strong>le</strong>nt se substituer, ennemis <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong><br />
qu'ils veu<strong>le</strong>nt tromper, <strong>le</strong>s platoniciens auraient compris<br />
<strong>le</strong> prétendu pouvoir <strong>de</strong>s magiciens, et que <strong>de</strong> tel?<br />
dieux pouvaient tromper et faire <strong>de</strong>s infamies; mais il<br />
n'appartenait qu'aux livres sacrés <strong>de</strong>s Juifs et ensuite<br />
à ceux <strong>de</strong>s chrétiens <strong>de</strong> faire une semblab<strong>le</strong> révélation.<br />
Aristote.<br />
En parlant <strong>de</strong>s causes, <strong>le</strong> chef <strong>de</strong>s péripatéticiens<br />
s'inquiète peu <strong>de</strong> Dieu, la première <strong>de</strong> toutes. Livré<br />
exclusivement à l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la nature, il paraît vouloir<br />
lui attribuer un pouvoir illimité; il confond <strong>le</strong> surnaturel<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong> naturel, ou plutôt il pense qu'il y a dans la<br />
nature <strong>de</strong>s propriétés qu'on peut <strong>démon</strong>trer et d'autres<br />
qui échappent à la <strong>démon</strong>stration ; d'ail<strong>le</strong>urs on ne sait<br />
trop ce qu'il entend par nature. Son raisonnement surun<br />
premier moteur, origine du mouvement, malgré son<br />
obscurité, laisse entrevoir <strong>le</strong> matérialisme <strong>de</strong> sa doctrine<br />
. On ne sait ce qu'on doit entendre par <strong>le</strong> dieu d'Aristote,<br />
qui admet cependant <strong>de</strong>s intelligences inférieures;<br />
il paraît que son moteur est intelligent, puisqu'il a créé<br />
<strong>de</strong>s intelligences préposées pour conserver l'harmonie<br />
du mon<strong>de</strong>; selon lui, la matière était inerte avant que<br />
<strong>le</strong> premier moteur en tirât l'univers, mais on ne voit<br />
pas que ce moteur ait eu un plan, comme Platon <strong>le</strong> pensait.<br />
Qu'on l'appel<strong>le</strong> Dieu ou premier moteur, il ne<br />
semb<strong>le</strong> être enfin dans la pensée d'Aristote qu'un être<br />
spéculatif, <strong>le</strong> même que la nature, force physique, vivante,<br />
universel<strong>le</strong>, mais aveug<strong>le</strong>.<br />
Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> dire qu'Aristote méprise <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong> la<br />
mythologie.
AVEC LE DÉMON. 153<br />
, Que pensait ce matérialiste <strong>de</strong>s diverses divinations ?<br />
Ce sujet l'embarrasse. Si Socrate et Platon pensent que<br />
<strong>le</strong>s songes viennent <strong>de</strong>s dieux, Aristote ne <strong>le</strong> croit pas;<br />
son motif, c'est parce qu'ils ne <strong>le</strong>s enverraient qu'aux<br />
plus sages, aux plus vertueux, tandis qu'il est constant<br />
qu'ils <strong>le</strong>s envoient indistinctement à tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> ; ce<br />
qui ne l'empêche pas <strong>de</strong> dire que <strong>le</strong>s plus habi<strong>le</strong>s mé<strong>de</strong>cins<br />
en recomman<strong>de</strong>nt l'examen. Il ne voit, dans<br />
certains songes, qu'un pronostic naturel d'affections<br />
qu'on oublie pendant <strong>le</strong> jour.<br />
<strong>Le</strong>s songes, dit-il, ne peuvent être envoyés par <strong>le</strong>s<br />
dieux, parce qu'il y a <strong>de</strong>s animaux qui songent. (Divin,<br />
dans <strong>le</strong> somm.)<br />
<strong>Le</strong>s hommes <strong>le</strong>s plus vils prévoient l'avenir et ont<br />
aussi <strong>de</strong>s songes ; ainsi <strong>le</strong>ur nature n'est donc pas divine,<br />
mais <strong>démon</strong>iaque.<br />
Cette expression veut-el<strong>le</strong> dire que <strong>le</strong>s songesviennent<br />
<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s ? On pourrait <strong>le</strong> penser. — D'après <strong>le</strong> Timée,<br />
<strong>le</strong>s hommes n'ayant point été créés par Dieu, mais<br />
par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, par <strong>le</strong>s intelligences, cel<strong>le</strong>s-ci pouvaient<br />
donc <strong>le</strong>ur envoyer <strong>de</strong>s songes. Mais Aristote ne<br />
partageait pas <strong>le</strong> sentiment <strong>de</strong> Platon sur la nature <strong>de</strong>s<br />
intelligences. <strong>Le</strong>s songes émanent d'un être intelligent<br />
qui, n'étant pas ce Dieu premier moteur, n'est peutêtre<br />
que ce simulacre, cette ombre dont il a été parlé<br />
au chapitre <strong>de</strong> la nécromancie, âme, nature, psyché,<br />
pneuma, qui prési<strong>de</strong> à l'économie et dirige tout pour la<br />
conservation ; ce n'est plus la nature, force universel<strong>le</strong>,<br />
mais individuel<strong>le</strong>. — Ceci exigerait, sans doute, plus<br />
<strong>de</strong> développement ; la discussion <strong>de</strong> ce sujet se présentant<br />
ail<strong>le</strong>urs pourra l'éclaircir.<br />
Quoi qu'il en soit, Aristote admet une divination par<br />
<strong>le</strong>s songes : « Qu'il existe, dit-il, une divination<br />
qui se manifeste par <strong>le</strong>s songes, c'est ce qu'il n'est pas
154 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
plus faci<strong>le</strong> <strong>de</strong> croire que <strong>de</strong> nier <strong>avec</strong> mépris. Si tous,<br />
ou au moins <strong>le</strong> plus grand nombre, pensent que <strong>le</strong>s<br />
songes ont une signification, c'est une preuve qu'ils se<br />
sont fondés sur l'expérience. »<br />
Aristote essaye <strong>de</strong> l'expliquer.<br />
Comme on songe la nuit, dit-il, à ce qui a préoccupé<br />
vivement <strong>le</strong> jour, il est possib<strong>le</strong> que ces impressions<br />
reçues en songe... agissent sur notre esprit et déterminent<br />
nos actions pendant la veil<strong>le</strong>.<br />
Certains mouvements, il <strong>le</strong> pense, certaines sensations<br />
peuvent parvenir à l'âme qui songe, et lui être communiquée<br />
par <strong>de</strong>s objets extérieurs; — c'est <strong>de</strong> là que<br />
Démocrite tirait ses copies et ses émanations <strong>de</strong>s choses.<br />
<strong>Le</strong>s impressions étant mieux senties la nuit que <strong>le</strong> jour<br />
pendant <strong>le</strong>quel <strong>le</strong>ur effet est contrarié par l'agitation et<br />
<strong>le</strong> troub<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'air, tandis que pendant <strong>le</strong> calme <strong>de</strong>s<br />
nuits on sent mieux dans <strong>le</strong> sommeil <strong>le</strong>s petites sensations<br />
intérieures qu'apportent <strong>le</strong>s visions qui mettent<br />
dans <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> présager sur <strong>le</strong>s choses mûmes d'où sont<br />
émanées <strong>le</strong>s impressions.<br />
Un exemp<strong>le</strong> dissipera l'obscurité qui pourrait exister<br />
pour quelques <strong>le</strong>cteurs dans la pensée d'Aristote. —<br />
Supposons qu'à dix lieues <strong>de</strong> ma <strong>de</strong>meure on égorge<br />
mon ami dans une hôtel<strong>le</strong>rie ; <strong>de</strong>s mouvements qui en<br />
partent, par une sorte d'ondulation, et qui font impression<br />
sur moi, pendant mon sommeil, se produit une<br />
image qui, pénétrant jusqu'à mon âme, me fait voir<br />
mon ami sanglant, expirant sous <strong>le</strong>s coups <strong>de</strong> son<br />
meurtrier.<br />
Si quelques extatiques prévoient l'avenir, dit Aristote,<br />
c'est qu'ils ne sont point iroublés par <strong>le</strong>s émotions<br />
ordinaires; au contraire, cel<strong>le</strong>s-ci étant entraînées loin<br />
d'eux, ils sont portés à mieux sentir tous <strong>le</strong>s mouvements<br />
qui <strong>le</strong>ur sont étrangers.
AVEC LE DÉMON.<br />
<strong>Le</strong>s mélancoliques saisissent rapi<strong>de</strong>ment <strong>le</strong> rapport<br />
qu'ils trouvent entre une chose et une autre, en opèrent<br />
la jonction et s'en font une image.<br />
11 dit encore ail<strong>le</strong>urs : Quoique engourdis par <strong>le</strong> sommeil,<br />
<strong>le</strong>s sensations se font mieux sentir en pénétrant<br />
dans notre intérieur qu'étant éveillés. <strong>Le</strong> plus petit<br />
bruit est un tonnerre, un peu <strong>de</strong> cha<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>vient un<br />
brasier: 1° cela vient <strong>de</strong> ce que, pendant la nuit, l'air,<br />
en général plus calme, transmet mieux <strong>le</strong>s sons; 2° <strong>le</strong>s<br />
autres sensations étant inertes, cel<strong>le</strong>s qui agissent sur<br />
l'âme ont plus <strong>de</strong> force et d'énergie. <strong>Le</strong>s petites impressions<br />
semblant gran<strong>de</strong>s , on saisit alors ce qui<br />
échapperait durant la veil<strong>le</strong>.<br />
C'est ainsi que <strong>le</strong>s songes peuvent faire présager <strong>le</strong>s<br />
maladies graves, car <strong>le</strong>s commencements <strong>de</strong>s maladies<br />
étant peu sensib<strong>le</strong>s, et se dérobant à l'attention <strong>de</strong>s sens<br />
pendant <strong>le</strong> jour, <strong>le</strong>urs légers symptômes doivent être<br />
plus clairs dans <strong>le</strong> sommeil que dans la veil<strong>le</strong>.<br />
On voit dans ces passages, qui sont souvent plutôt la<br />
pensée que l'expression même d'Aristote, <strong>de</strong>s réf<strong>le</strong>xions<br />
p<strong>le</strong>ines <strong>de</strong> justesse et <strong>de</strong> sens. Mais ce philosophe n'explique<br />
nul<strong>le</strong>ment par là toutes <strong>le</strong>s divinations, quoique<br />
plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mil<strong>le</strong> ans après lui d'autres philosophes<br />
aient paru neufs en exhumant ces sophismes matérialistes<br />
et soient fiers <strong>de</strong> <strong>le</strong>s présenter. En effet,<br />
comment l'état maladif, <strong>le</strong> tempérament pourraientils<br />
annoncer <strong>de</strong>s événements futurs? Comment <strong>de</strong>s<br />
mouvements qui partent du corps d'un mourant<br />
peuvent-ils se transmettre au loin pour annoncer sa<br />
mort ? De tel<strong>le</strong>s explications sont évi<strong>de</strong>mment absur<strong>de</strong>s,<br />
quand il s'agit <strong>de</strong> ces divinations, <strong>de</strong> ces orac<strong>le</strong>s<br />
admis par <strong>le</strong>s plus illustres philosophes <strong>de</strong> l'antiquité,<br />
comme on <strong>le</strong> verra.<br />
<strong>Le</strong>s péripatéticiens expliquaient beaucoup <strong>de</strong> choses
456 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
physiologiquement. Mais, arrivés à certains faits qui<br />
constituent <strong>le</strong> vrai merveil<strong>le</strong>ux, ils échouaient complètement.<br />
D'autres, <strong>avec</strong> un mélange <strong>de</strong> philosophie éléatique<br />
et d'épicuréisme, tranchaient la difficulté. <strong>Le</strong>s<br />
éléates disaient que <strong>le</strong>s sens nous trompent, ainsi<br />
que la raison, qu'il n'y a rien <strong>de</strong> certain, qu'on ne<br />
peut rien savoir— <strong>Le</strong>s épicuriens recommandaient<br />
<strong>de</strong> jouir, sans s'inquiéter du reste. Jouissons donc,<br />
disaient-ils, regardons <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux comme une chimère.<br />
Ceux-ci compteront un jour une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> discip<strong>le</strong>s<br />
qui penseront que tous <strong>le</strong>s faits surnaturels ne méritent<br />
pas <strong>le</strong> moindre examen.<br />
Avant <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s autres sectes, disons un mot<br />
d'Hippocrate et <strong>de</strong>s successeurs <strong>de</strong> Platon.<br />
Hippocrate.<br />
On ne cite pas Hippocrate comme appartenant à une<br />
éco<strong>le</strong> philosophique, mais comme mé<strong>de</strong>cin croyant<br />
à une divination dans <strong>le</strong>s songes, qu'il recomman<strong>de</strong><br />
d'observer <strong>avec</strong> soin. Il importe <strong>de</strong> savoir ce que<br />
l'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong> Cos pensait sur un sujet que l'antiquité<br />
trouvait si grave.<br />
Hippocrate reconnaît <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> divinations par<br />
<strong>le</strong>s songes : ceux qui indiquent <strong>le</strong>s choses bonnes ou<br />
mauvaises qui peuvent survenir aux États et aux particuliers,<br />
et ceux qui présagent <strong>le</strong>s maladies.<br />
Pour <strong>le</strong>s premiers, il avoue qu'il y a <strong>de</strong>s hommes<br />
qui ont un art certain ; mais, voulant aussi juger <strong>le</strong>s<br />
songes qui indiquent <strong>le</strong>s affections du corps, tantôt<br />
ils rencontrent juste, tantôt ils se trompent... Ils disent<br />
bien qu'il faut prendre gar<strong>de</strong> au mal qui peut<br />
survenir, mais n'enseignent pas comment on pourrait
AVEC LE DÉMON. 157<br />
l'éviter. Ils ordonnent <strong>de</strong>s prières aux dieux, etc.<br />
(Hippocr., <strong>de</strong>s Songes, liv. IV du Régime.)<br />
Hippocrate ne s'occupe que <strong>de</strong> l'importance médica<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong>s songes qui annoncent <strong>de</strong>s maladies? De son<br />
temps on abusait <strong>de</strong> la divination; il abandonna <strong>le</strong>s<br />
songes divins comme ne pouvant être appliqués en<br />
mé<strong>de</strong>cine. Il recommanda d'étudier la nature <strong>de</strong>s maladies,<br />
disant toutefois « qu'il importe <strong>de</strong> discerner s'il<br />
y a que/que chose <strong>de</strong> divin dans <strong>le</strong>s maladies, car c'est<br />
encore un pronostic à apprendre '. »<br />
Hippocrate reconnaît <strong>le</strong>s songes divins comme tout<br />
<strong>le</strong> mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> son temps ; comme mé<strong>de</strong>cin il n'a pas à<br />
s'en occuper. Il croit donc à un genre <strong>de</strong> divination<br />
«'expliquant, et que quelques philosophes nient.<br />
Successeurs <strong>de</strong> Platon.<br />
Parmi <strong>le</strong>s anciens platoniciens, on distingue Speusippe,<br />
Xénocrate. <strong>Le</strong> premier s'éloignait peu <strong>de</strong> la doctrine<br />
<strong>de</strong> Platon ; comme <strong>le</strong>s pythagoriciens, il croyait<br />
à la vertu <strong>de</strong>s nombres.<br />
Xénocrate adopta <strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong>s pythagoriciens.<br />
Ce qu'il dit <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s prouve qu'il croyait à l'efficacité<br />
<strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong>s magiciens. C'est d'après Xénocrate<br />
que Plutarque a dit que <strong>le</strong>s jours malheureux, <strong>le</strong>s<br />
fêtes où l'on se bat, où l'on se frappe l'estomac, où l'on<br />
jeûne, où il se fait <strong>de</strong>s choses honteuses et dissolues,<br />
n'appartiennent ni aux dieux, ni aux bons <strong>démon</strong>s;<br />
1. Hippocrate, Pronostic, trad. Littré, t. II, p. 113. — <strong>Le</strong>s commentateurs,<br />
Galien, entre autres, se sont donné carrière sur ce mot divin<br />
(.•f n 8ETOV). On ne saurait mieux faire que <strong>de</strong> renvoyer à ce sujet <strong>le</strong><br />
<strong>le</strong>cteur à l'excel<strong>le</strong>nte note que M. <strong>le</strong> docteur Daremberg a placée<br />
p. 14 et suiv. <strong>de</strong> sa traduction <strong>de</strong>s Œuvres choisies d'Hippocrate,<br />
Paris, 1843.
158 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
qu'il y a dans l'air <strong>de</strong>s natures gran<strong>de</strong>s et puissantes, et<br />
cependant malignes, qui aiment qu'on fasse ces choses<br />
pour el<strong>le</strong>s. (Plutarque, <strong>de</strong>ls. et Osir., XXVI.)<br />
On verra, <strong>de</strong>puis Platon jusqu'à Cicéron, l'Académie<br />
se transformer plusieurs fois. Arcésilas fut l'auteur<br />
d'une nouvel<strong>le</strong> Académie qui poussa <strong>le</strong> scepticisme<br />
jusqu'à nier qu'il fût possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> savoir quelque<br />
chose.<br />
Successeurs d"Aristote. — tes péripatéticiens.<br />
<strong>Le</strong>s uns modifièrent un peu sa doctrine, défigurée<br />
par d'autres. Dicéarque prétendit qu'il n'y a qu'une<br />
âme pour tout l'univers; <strong>l'homme</strong>, n'étant animé que<br />
par el<strong>le</strong>, n'était pas, sous ce rapport, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la<br />
brute : s'il y a un Dieu il ne s'occupe pas <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong><br />
qui a toujours existé. C'était encore l'éco<strong>le</strong> éléatique<br />
<strong>avec</strong> quelques modifications, <strong>de</strong>puis Démocrite jusqu'à<br />
Épicure. Cet exposé suffit pour laisser entrevoir<br />
ce que ces philosophes pensaient <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s et <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>ur intervention.<br />
Épicure.<br />
Reconnu chef d'une secte qui porta son nom, Épicure<br />
n'aurait pas dû prétendre à cet honneur. C'était<br />
un modificateur <strong>de</strong> la secte éléatique, un successeur<br />
<strong>de</strong> Démocrite et même d'Aristote, quant au matérialisme<br />
<strong>de</strong> la doctrine.<br />
L'homme et <strong>le</strong>s animaux sont nés <strong>de</strong> la combinaison<br />
<strong>de</strong>s a<strong>tome</strong>s; toute la mora<strong>le</strong> consiste à jouir; la volupté<br />
est <strong>le</strong> souverain bien, il n'en faut point abuser. La pensée<br />
<strong>de</strong> l'Elysée et du Tartare pourrait troub<strong>le</strong>r <strong>l'homme</strong>,<br />
il faut se persua<strong>de</strong>r qu'il n'en est rien, faire tous se»
AVEC LE DÉMON. 159<br />
efforts pour ne pas s'en occuper : à quoi bon se donner<br />
<strong>de</strong>s craintes fantastiques? il n'y a pas <strong>de</strong> dieux. S'il y<br />
en a, ils ne s'occupent pas <strong>de</strong> nous. Du système <strong>de</strong>s<br />
a<strong>tome</strong>s dérivaient, entre autres opinions singulières ,<br />
que <strong>le</strong>s pieds n'étaient pas faits pour marcher, ni <strong>le</strong>s<br />
yeux pour voir. <strong>Le</strong>s épicuriens dédaignaient tout ce<br />
qui était en <strong>de</strong>hors d'une vie matériel<strong>le</strong> et sensuel<strong>le</strong>;<br />
peu d'instruction, mettant toute <strong>le</strong>ur philosophie à<br />
jouir du plaisir, comme <strong>le</strong>s cyniques à savoir s'en passer,<br />
ils ne méritaient guère <strong>le</strong> titre <strong>de</strong> philosophes. <strong>Le</strong>s<br />
épicuriens étaient <strong>de</strong>s éléates, moins la science ; ils ressemblaient<br />
à certains esprits forts, il n'en faut attendre<br />
ni pensées ni logique; c'étaient <strong>de</strong>s hommes purement<br />
matériels.<br />
Après Socrate comme avant lui, nous retrouvons <strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s catégories <strong>de</strong> spiritualistes et <strong>de</strong> matérialistes,<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s modifications apportées par <strong>le</strong> caractère<br />
<strong>de</strong> chacun. <strong>Le</strong>s premiers reconnaissent l'existence<br />
<strong>de</strong>s dieux, <strong>de</strong>s génies, et <strong>le</strong>ur intervention, la divination,<br />
<strong>le</strong>s présages, <strong>le</strong>s prodiges. <strong>Le</strong>s <strong>de</strong>rniers ne voient<br />
que la nature et ses phénomènes <strong>le</strong>s plus ordinaires.<br />
S'il en est parmi eux qui reconnaissent l'existence <strong>de</strong><br />
phénomènes extraordinaires attribués par <strong>le</strong>s spiritualistes<br />
à une cause surnaturel<strong>le</strong>, ils s'obstinent à l'expliquer<br />
par <strong>le</strong>s a<strong>tome</strong>s, et torturent <strong>le</strong>s faits comme<br />
<strong>le</strong>urs raisons pour placer ces phénomènes sous l'empire<br />
<strong>de</strong>s lois physiques. Dès lors on conçoit cette bizarrerie,<br />
qu'il y ait parmi ces matérialistes <strong>de</strong>s hommes<br />
fort superstitieux qui se soient adonnés aux pratiques<br />
<strong>de</strong> la magie.<br />
Nul doute que si <strong>le</strong>ur système eût expliqué <strong>le</strong>s phénomènes<br />
d'une manière aussi satisfaisante que la doctrine<br />
qui faisait intervenir <strong>le</strong>s génies, qu'il n'eût obtenu<br />
la préférence; mais nier <strong>de</strong>s faits constants ou <strong>le</strong>ur
160 DES RAPPORTS SE L'HOMME<br />
donner <strong>de</strong>s explications ridicu<strong>le</strong>s, c'était un sûr moyen '<br />
<strong>de</strong> se faire accuser <strong>de</strong> mauvaise foi ou <strong>de</strong> défaut <strong>de</strong><br />
jugement; cette acusation ne <strong>le</strong>ur manqua point <strong>de</strong>là<br />
part <strong>de</strong>s vrais philosophes.<br />
Zenon. — <strong>Le</strong>s stoïciens.<br />
Une autre secte eut pour chef Zenon ; quoique un peu<br />
éléatique, son éco<strong>le</strong> admet l'existence <strong>de</strong>s esprits, <strong>le</strong>s<br />
prodiges, <strong>le</strong>s présages, <strong>le</strong>s divinations, etc. Comme <strong>le</strong>s<br />
platoniciens, comme <strong>le</strong>s éléates, el<strong>le</strong> pense que <strong>le</strong><br />
mon<strong>de</strong> est vivant, que Dieu en est l'âme, que tous <strong>le</strong>s<br />
êtres en font partie. Par une force intrinsèque il a tiré<br />
<strong>le</strong> mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la matière qui lui est coéternel<strong>le</strong>, et l'a<br />
fait ce qu'il est, mais Dieu et <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> sont i<strong>de</strong>ntiques.<br />
Il existe dans l'univers une loi immuab<strong>le</strong>, un enchaînement<br />
<strong>de</strong> causes et d'effets par <strong>le</strong>quel tout se meut,<br />
tout se développe et produit <strong>le</strong>s divers phénomènes.<br />
Dieu est une sorte <strong>de</strong> feu qui remplit l'immensité <strong>de</strong><br />
l'espace; hors <strong>de</strong> lui c'est <strong>le</strong> vi<strong>de</strong> sans fin ; il n'est contraint<br />
que par la nature; en agissant conformément à<br />
el<strong>le</strong>, il n'en est ni moins libre ni moins puissant, puisqu'il<br />
est <strong>avec</strong> el<strong>le</strong>. On conçoit que <strong>le</strong>s stoïciens crussent<br />
à la fatalité; Dieu subit la loi du <strong>de</strong>stin, c'est-àdire<br />
cette combinaison éternel<strong>le</strong> <strong>de</strong> causes et d'effets<br />
tel<strong>le</strong> que tout ce qui est, ce qui fut et ce qui sera ne<br />
peut être autrement. Dieu, esprit universel, a donné<br />
naissance aux dieux et aux <strong>démon</strong>s; chaque homme<br />
a <strong>le</strong> sien qui <strong>le</strong> dirige, écou<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> l'âme universel<strong>le</strong>,<br />
ils retourneront un jour à <strong>le</strong>ur source. <strong>Le</strong> so<strong>le</strong>il<br />
est <strong>le</strong> premier <strong>de</strong>s dieux; <strong>le</strong>s astres font comme lui<br />
partie du feu divin; doués d'intelligence, pourquoi<br />
n'annonceraient-ils pas l'avenir et la <strong>de</strong>stinée? De là<br />
<strong>le</strong>s stoïciens croyaient à l'intervention d'êtres intelli-
AVEC LE DÉMON.<br />
gents qui parlaient à <strong>l'homme</strong> par <strong>de</strong>s signes et se manifestaient<br />
par <strong>de</strong>s apparitions. (Div., liv. I er<br />
.) <strong>Le</strong>s songes,<br />
<strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s oiseaux, <strong>le</strong>s modifications qui s'opèrent subitement<br />
dans <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes, enfin tous <strong>le</strong>s<br />
signes qui présageaient l'avenir aux hommes sont produits<br />
par cette vertu divine. Cette substance éthérée<br />
universel<strong>le</strong>ment répandue fut établie dès l'origine, <strong>de</strong><br />
manière que tel signe dût prédire tel événement. Nous<br />
aurons occasion <strong>de</strong> faire peut-être mieux connaître<br />
cette doctrine. À la suite <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s systèmes philosophiques<br />
et <strong>de</strong>s modifications qu'y apportèrent <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>s différents chefs d'éco<strong>le</strong>, qu'arriva-t-il, quels<br />
furent <strong>le</strong>s résultats? Une révolution se préparait <strong>de</strong>puis<br />
longtemps chez <strong>le</strong>s Grecs; <strong>le</strong>s platoniciens étaient<br />
tombés dans <strong>le</strong> pyrrhonisme, <strong>le</strong>s stoïciens, étaient <strong>de</strong>venus<br />
matérialistes, sans cesser d'être crédu<strong>le</strong>s et superstitieux;<br />
î'épicurisme enfin avait envahi la Grèce;<br />
sensuel<strong>le</strong>, affaiblie par <strong>le</strong> luxe, ne vivant que pour jouir,<br />
son courage s'est perdu ainsi que ses convictions; el<strong>le</strong><br />
s'avance vers sa décrépitu<strong>de</strong>.<br />
Déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la Grèce épicurienne et impie.<br />
Il ne m'appartient pas <strong>de</strong> signa<strong>le</strong>r toutes <strong>le</strong>s causes <strong>de</strong><br />
la déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la Grèce après ses victoires : l'orgueil<br />
délirant d'hommes obscurs rapportant dans <strong>le</strong>ur patrie<br />
<strong>le</strong>s vices <strong>de</strong>s pirates, l'autorité <strong>de</strong>venue populaire, un<br />
luxe ruineux, un désir effréné <strong>de</strong>s plaisirs, <strong>le</strong> sens moral<br />
anéanti, <strong>le</strong>s mœurs entièrement corrompues. La philosophie<br />
d'Épicure convenait à une tel<strong>le</strong> nation. Serait-ce<br />
bien téméraire <strong>de</strong> dire que l'impiété fut l'une <strong>de</strong>s principa<strong>le</strong>s<br />
causes <strong>de</strong> cette funeste transformation ? Effet ou<br />
cause, il est constant que si el<strong>le</strong> ne fut pas un poison pour<br />
la Grèce, el<strong>le</strong> fut loin d'être un obstac<strong>le</strong> à sa déca<strong>de</strong>nce.
DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>Le</strong> goût <strong>de</strong> la philosophie avait fait autant d'impies <strong>de</strong>s<br />
hommes faits pour gouverner la Grèce ; Alcibia<strong>de</strong>, instruit<br />
dans la philosophie <strong>de</strong> Socrate, n'y avait puisé<br />
que <strong>le</strong> mépris pour <strong>le</strong>s dieux mythologiques ; voluptueux,<br />
sans convictions, on l'accusa d'avoir, à la suite<br />
d'une orgie, renversé <strong>le</strong>s statues <strong>de</strong>s dieux, et même<br />
d'avoir profané <strong>le</strong>s mystères. Ce discip<strong>le</strong> <strong>de</strong> Socrate, si<br />
peu digne d'un tel maître, était cependant un homme<br />
accompli, qui trouva une jeunesse admiratrice <strong>de</strong> ses<br />
qualités, fort disposée à <strong>de</strong>venir complice <strong>de</strong> ses fautes.<br />
<strong>Le</strong>s disputes <strong>de</strong>s sophistes, la variété <strong>de</strong>s doctrines<br />
ayant préparé l'indifférence et amené <strong>le</strong> scepticisme,<br />
à travers cette fou<strong>le</strong> d'opinions qui divisaient <strong>le</strong>s penseurs<br />
, quel choix pouvait faire la multitu<strong>de</strong> qui ne<br />
pense pas?—L'épicurisme. —Vi<strong>de</strong>r la coupe du plaisir,<br />
abandonner <strong>le</strong>s dieux et se rire du Tartare, tel<strong>le</strong> était la<br />
Grèce, tel <strong>de</strong>vint tout l'Orient. Ce résultat eût été plus<br />
prompt si <strong>le</strong>s philosophes eussent osé proposer ouervtement<br />
<strong>le</strong>urs doctrines; mais rigoureusement surveillés<br />
d'abord, on avait fini par <strong>le</strong>s tolérer et par dire que<br />
la philosophie est un flambeau qui éclaire; on <strong>de</strong>vait<br />
penser qu'il peut aussi causer l'incendie qui dévore.<br />
L'Orient se mourait quand, dans un coin <strong>de</strong> l'Occi<strong>de</strong>nt,<br />
florissait un peup<strong>le</strong> naguère barbare, qui allait<br />
comman<strong>de</strong>r à la Grèce, à l'Ibérie, à l'Orient, et en<br />
adopter la philosophie.
AVEC LE DÉMOS. 163<br />
CHAPITRE II<br />
La philosophie grecque chez <strong>le</strong>s Romains. — Êpicurisme chez II» Romains. —<br />
Du stoïcisme chez <strong>le</strong>s Romains. — Existence et provi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s dieux prouvées<br />
par la divination, <strong>le</strong>s songes, etc. — L'Académie chez <strong>le</strong>s Romains. —<br />
Réfutation du stoïcisme. — Réfutation <strong>de</strong> l'épieurisme. — Réfutation du<br />
stoïcisme par Cotta. — Quelques réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong>s réfutations <strong>de</strong> Cicéron.<br />
La philosophie grecque chez <strong>le</strong>s Romains.<br />
<strong>Le</strong>s.Romains n'étaient occupés que <strong>de</strong> conquêtes,<br />
<strong>le</strong>urs mœurs étaient simp<strong>le</strong>s ; selon Denys d'Halicarnasse,<br />
<strong>le</strong>ur religion était plus raisonnab<strong>le</strong> qu'on ne<br />
l'avait supposé. Romulus avait rejeté la théologie poétique<br />
<strong>de</strong>s Grecs, comme puéri<strong>le</strong> et ridicu<strong>le</strong> ; plus tard, on<br />
l'accepta lorsqu'on sut que son enveloppe allégorique<br />
cachait une bel<strong>le</strong> doctrine, et Numa se fit initier à cel<strong>le</strong><br />
do Pythagore. La philosophie n'était point appréciée<br />
chez <strong>le</strong>s Romains, un peup<strong>le</strong> guerrier n'est pas métaphysicien.<br />
<strong>Le</strong>urs victoires en Orient, en Egypte, en Grèce<br />
<strong>le</strong>s mirent en rapport <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s philosophes célèbres.<br />
Trois philosophes grecs s'étant rendus à Rome pour<br />
une négociation, la jeunesse s'empressa <strong>de</strong> <strong>le</strong>s entendre<br />
: Caton s'alarma en vain <strong>de</strong> cet engouement; <strong>le</strong><br />
moment était venu pour <strong>le</strong>s Romains <strong>de</strong> s'initier aux<br />
doctrines philosophiques <strong>de</strong>s nations civilisées. Mais<br />
n'oublions pas qu'un peup<strong>le</strong> dégénéré, impie, <strong>le</strong>ur<br />
transmet ses doctrines. <strong>Le</strong>s Romains seront donc bien-
104 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
tôt sensuels, voluptueux et impies. <strong>Le</strong> platonisme,<br />
<strong>de</strong>venu sceptique, <strong>le</strong>ur apprendra à douter <strong>de</strong> tout;<br />
l'épicurisme <strong>le</strong>ur dira <strong>de</strong> ne craindre ni <strong>le</strong>s dieux ni<br />
<strong>le</strong> tartare. <strong>Le</strong> stoïcisme étant modifié, toutes <strong>le</strong>s sectes<br />
seront ainsi plus ou moins matérialistes; cependant<br />
<strong>le</strong> polythéisme continue <strong>de</strong> subsister par politique.<br />
Un personnage illustre nous a fait connaître cette<br />
nouvel<strong>le</strong> importation. Cicéron dit qu'il a composé<br />
plusieurs traités philosophiques, dans <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssein d'être<br />
uti<strong>le</strong> à ses concitoyens. Plus tard, il aspira à enrichir<br />
la langue latine <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s parties <strong>de</strong> la philosophie<br />
: « La jeunesse est tombée dans <strong>le</strong> désordre,<br />
dit-il : c'est rendre un grand service à la république<br />
que <strong>de</strong> l'en retirer; il sera glorieux pour <strong>le</strong>s Romains<br />
<strong>de</strong> n'avoir pas besoin <strong>de</strong> recourir à la langue grecque<br />
pour étudier la philosophie. » <strong>Le</strong> Truite <strong>de</strong> la Nature <strong>de</strong>s<br />
dieux et celui <strong>de</strong> la Divination, dans la pensée <strong>de</strong> l'auteur,<br />
doivent donc initier complètement ses <strong>le</strong>cteurs<br />
aux doctrines philosophiques <strong>de</strong>s Grecs. <strong>Le</strong>s trois<br />
sectes principa<strong>le</strong>s vont être passées en revue.<br />
Epicwisme chez <strong>le</strong>s Romains.<br />
Cicéron, dans ses Traités <strong>de</strong> la Nature <strong>de</strong>s dieux et<br />
<strong>de</strong> la Divination, fait intervenir <strong>de</strong>s interlocuteurs <strong>de</strong><br />
toutes <strong>le</strong>s sectes.<br />
Vellcius, en vrai épicurien, n'approfondit rien, déci<strong>de</strong><br />
hardiment <strong>de</strong> tout, se moque <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s doctrines,<br />
sape toutes <strong>le</strong>s religions. Ton tranchant, pensées<br />
vagues, raisonnement faux, obscur, captieux, qui<br />
plaît au vulgaire; Épicure, dit Vel<strong>le</strong>ius, est <strong>le</strong> seul<br />
qui ait pensé juste sur <strong>le</strong>s dieux. Ils sont immortels,<br />
dit-on, et souverainement heureux; heureux et sans<br />
passions, ils ne t'ont <strong>de</strong> mal à personne.— On pouvait
AVEC LE DÉMON. 16o<br />
s'arrêter là, et <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si on doit <strong>le</strong>s honorer.<br />
N'étant capab<strong>le</strong>s ni <strong>de</strong> colère, ni d'affection, on n'a<br />
rien à en redouter. Ainsi la réponse est faci<strong>le</strong>. Quel<strong>le</strong><br />
est <strong>le</strong>ur forme? Ce doit être la forme humaine, car<br />
c'est la plus bel<strong>le</strong> <strong>de</strong> toutes. Ils n'ont ni corps, ni<br />
sang; mais, comme un corps et comme du sang, ils<br />
ne sont pas -visib<strong>le</strong>s, mais intelligib<strong>le</strong>s. Ce ne sont pas<br />
<strong>de</strong>s corps soli<strong>de</strong>s, mais <strong>de</strong>s images passagères. Comme<br />
il y a <strong>de</strong>s a<strong>tome</strong>s à l'infini qui <strong>le</strong>s produisent, el<strong>le</strong>s<br />
sont inépuisab<strong>le</strong>s et se présentent en fou<strong>le</strong> à notre<br />
esprit, à qui el<strong>le</strong>s font comprendre l'état heureux <strong>de</strong>s<br />
êtres immortels. Comment vivent-ils? De la vie la plus<br />
délicieuse; ils ne font rien, n'entreprennent rien, ne<br />
s'embarrassent <strong>de</strong> rien. Un dieu gouvernant l'univers<br />
aurait une triste occupation... Aussi Épicure nous enseigne<br />
que <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> est l'ouvrage <strong>de</strong> la nature. Cela<br />
lui a coûté si peu, qu'el<strong>le</strong> fait et défait sans cesse une<br />
multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>s sans avoir besoin d'être guidée<br />
par une intelligence; une infinité d'a<strong>tome</strong>s voltigent<br />
dans <strong>le</strong> vi<strong>de</strong> immense, s'approchent, s'accrochent, et<br />
par <strong>le</strong>ur union forment tous <strong>le</strong>s corps. On met au<strong>de</strong>ssus<br />
<strong>de</strong> nous, dit Vel<strong>le</strong>ius, un maître éternel, dont<br />
on doit nuit et jour avoir peur. Comment.ne pas craindre<br />
un dieu qui sait tout, qui veut se mê<strong>le</strong>r <strong>de</strong> tout ?<br />
Pour nous, affranchis par Épicure, nous ne craignons<br />
pas <strong>le</strong>s dieux; nous savons qu'ils évitent toute espèce<br />
<strong>de</strong> chagrin et ne cherchent à inquiéter personne.<br />
Du stoïcisme chez <strong>le</strong>s Romains.<br />
Balbus, stoïcien, dit qu'on ne peut regar<strong>de</strong>r <strong>le</strong> ciel<br />
sans être convaincu qu'il est gouverné par une intelligence.<br />
Cette conviction a traversé <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s et s'est<br />
fortifiée, tandis que toutes <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s fictions ont dis-
lfiC DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
paru; à quoi l'attribuer, si ce n'est aux marques Cér*<br />
taines que <strong>le</strong>s dieux nous donnent souvent <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur présence<br />
? Balbus dévoi<strong>le</strong> alors toutes <strong>le</strong>s preuves <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />
apparitions par Cent faits historiques; il en prouve<br />
encore l'existence par <strong>le</strong>s divinations. Quintus <strong>de</strong>vant<br />
développer bientôt ce sujet, laissons Balbus <strong>démon</strong>trer<br />
physiquement l'existence <strong>de</strong>s dieux. —• <strong>Le</strong>s animaux<br />
et <strong>le</strong>s plantes ont une cha<strong>le</strong>ur intérieure, dit-il, qui <strong>le</strong>s<br />
fait vivre; el<strong>le</strong> vient du principe vital qui agit dans<br />
tout l'univers. II établit qu'il y a du feu dans l'eau,<br />
dans l'air. L'univers n'existe que par lui, tout lui doit<br />
la vie... Ce principe vivifiant n'est dépourvu ni <strong>de</strong><br />
sentiment ni <strong>de</strong> raison. 11 y a dans <strong>le</strong>s animaux et<br />
dans <strong>le</strong>s plantes quelque chose qui ressemb<strong>le</strong> à l'en»<br />
fon<strong>de</strong>ment : c'est <strong>le</strong> principe <strong>de</strong>s appétits. Balbus ap*<br />
pel<strong>le</strong> partie supérieure ce qu'il y a <strong>de</strong> plus excel<strong>le</strong>nt<br />
dans <strong>le</strong> tout où la raison se trouve. Comme tout est<br />
portion <strong>de</strong> l'univers, tout est doué <strong>de</strong> raison; mais la<br />
partie supérieure <strong>de</strong> l'univers en est surtout éminem-ment<br />
douée, <strong>de</strong> sorte que l'univers est animé, et l'élément<br />
qui vivifie tout (<strong>le</strong> feu) doit avoir la souveraine<br />
raison en partage. Cette cha<strong>le</strong>ur qui anime tout est <strong>le</strong><br />
feu <strong>de</strong> l'éther, feu intelligent, plus clair, plus vif,<br />
plus propre à exciter <strong>le</strong>s sens que <strong>le</strong> feu qui agit en<br />
nous ; et cependant si celui qui agit dans <strong>l'homme</strong> et<br />
dans <strong>le</strong>s bêtes donne <strong>le</strong> sentiment et <strong>le</strong> mouvement,<br />
n'est-ce pas une absurdité <strong>de</strong> prétendre que <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>,<br />
qui est pénétré <strong>de</strong> l'éther dans toute son activité et<br />
sa pureté, en soit dépourvu? Platon dit que ce qui se<br />
meut soi-même est plus divin que ce qui est mû.<br />
Or <strong>le</strong> mouvement propre vient <strong>de</strong> l'âme; mais puisque<br />
dans l'univers tout mouvement vient <strong>de</strong> l'éther,<br />
qui se meut soi-même, l'éther est donc l'âme du<br />
mon<strong>de</strong>, doué d'une intelligence qui se prouve par sa
AVEC LE DÉMON. 167<br />
perfection, plus gran<strong>de</strong> que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s êtres particuliers.<br />
Nul être particulier n'équivalant à l'univers, la suprême<br />
sagesse est donc un <strong>de</strong> ses attributs. S'il en était<br />
autrement, <strong>l'homme</strong>, être particulier, vaudrait mieux<br />
que tout l'univers.<br />
En suivant la gradation <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s êtres <strong>le</strong>s plus vils,<br />
on arrive aux êtres supérieurs (<strong>le</strong>s dieux). En examinant<br />
la perfection relative <strong>de</strong> chaque gradation, on<br />
trouve au <strong>de</strong>rnier rang la nature, dont rien ne peut<br />
balancer <strong>le</strong> pouvoir; mais si, étant infiniment parfaite,<br />
el<strong>le</strong> domine tout, quel<strong>le</strong> ignorance <strong>de</strong> lui disputer<br />
la raison et la sagesse !<br />
<strong>Le</strong>s astres étant formés <strong>de</strong> ce que l'étber a <strong>de</strong> plus<br />
pur, la divinité <strong>le</strong>ur appartient aussi.<br />
L'air qui est entre <strong>le</strong> ciel et la mer a été féminisé<br />
parce qu'il est mou, et appelé Junon, sœur <strong>de</strong> Jupiter,<br />
parce que l'air ressemb<strong>le</strong> à l'éther et <strong>le</strong> touche <strong>de</strong><br />
près.<br />
L'invention pitoyab<strong>le</strong> <strong>de</strong>s faux dieux a donné lieu<br />
aux figures, aux généalogies, aux mariages <strong>de</strong>s dieux.<br />
En expliquant ces fab<strong>le</strong>s méprisab<strong>le</strong>s, on retrouve la<br />
doctrine d'un dieu répandu partout : dans la terre,<br />
sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Cérès ; dans la mer, sous celui <strong>de</strong> Neptune,<br />
etc.<br />
La doctrine <strong>de</strong>s stoïciens conduit donc â attribuer<br />
une âme et la divinité à l'univers, que la provi<strong>de</strong>nce<br />
<strong>de</strong>s dieux gouverne... — Que sont <strong>le</strong>s dieux? Ce sont<br />
<strong>le</strong>s astres, <strong>le</strong> ciel, <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> lui-même, la nature entière.<br />
Une souveraine intelligence se manifeste dans <strong>le</strong><br />
cours <strong>de</strong>s astres, dans la formation et dans <strong>le</strong>s mœurs<br />
<strong>de</strong>s animaux, dans <strong>le</strong>s campagnes qui se couvrent <strong>de</strong><br />
f<strong>le</strong>urs et <strong>de</strong> fruits, dans <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la terre, où l'on<br />
trouve tant <strong>de</strong> choses uti<strong>le</strong>s, etc. —Tout manifeste l'intelligence,<br />
la provi<strong>de</strong>nce. Cette <strong>de</strong>rnière est prouvée
1G.8 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
par la divination, par <strong>le</strong>s songes, par <strong>le</strong>s prodiges,<br />
par <strong>le</strong>s aruspices, <strong>le</strong>s augures, par <strong>le</strong>s apparitions<br />
mêmes.<br />
Existence et provi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s dieux prouvées par la divination, <strong>le</strong>s<br />
songes, etc.<br />
Cicéron ici fait intervenir son frère Quintus, stoïcien,<br />
comme interlocuteur. — Cicéron reconnaît luimême<br />
l'ancienneté et l'universalité <strong>de</strong> la foi accordée<br />
aux diverses manifestations divines : Il n'y a, dit-il,<br />
aucune nation, quelque polie, quelque savante, barbare<br />
ou ignorante qu'el<strong>le</strong> soit, qui ne croie qu'il existe<br />
<strong>de</strong>s signes annonçant l'avenir et <strong>de</strong>s personnes qui <strong>le</strong><br />
prédisent. Los États n'ont jamais rien entrepris sans y<br />
avoir recours. <strong>Le</strong>s philosophes ont voulu prouver la<br />
vérité <strong>de</strong> cette croyance, qu'un seul a niée, — Xénophane<br />
<strong>de</strong> Colophon ; — tous, excepté Épicure, qui ne<br />
fait que balbutier lorsqu'il par<strong>le</strong> <strong>de</strong>s dieux, ont admis<br />
la divination : Socrate et ses discip<strong>le</strong>s, Zenon et son<br />
éco<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s péripatéticiens, Pythagorc qui passait pour<br />
augure, Démocrite, Dicéarque et Gratippc, qui n'en<br />
reconnaissaient que <strong>de</strong>ux sortes, l'enthousiasme et <strong>le</strong>s<br />
songes, et <strong>le</strong>s stoïciens, qui <strong>le</strong>s admettaient presque<br />
toutes.<br />
Nous allons exposer <strong>le</strong>s opinions <strong>de</strong> l'un et <strong>de</strong> l'autre<br />
et <strong>le</strong>s raisons invoquées <strong>de</strong> part et d'autre pour <strong>le</strong>s<br />
appuyer.<br />
Quintus pense qu'il y a nécessairement corrélation<br />
entre la divinité et la divination : l'une prouvant l'autre.<br />
— Cicéron ne partage pas son sentiment. On espère<br />
que la matière va être examinée <strong>avec</strong> d'autant plus <strong>de</strong><br />
profon<strong>de</strong>ur et <strong>de</strong> conscience que <strong>le</strong> traité <strong>de</strong> Cicéron<br />
doit tenir lieu, comme il va <strong>le</strong> dire, <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s ou-
AVEC LE DÉMON. 169<br />
vrages philosophiques <strong>de</strong>s Grecs. La forme dialoguée,<br />
employée ail<strong>le</strong>urs par Cicéron, lui permet d'entrer ici<br />
dans une discussion propre à éclairer <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur,<br />
Quintus reconnaît une divination qui s'acquiert par<br />
l'art, et une toute naturel<strong>le</strong>. La première, en usage<br />
chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s, s'exerce <strong>de</strong> plusieurs manières.<br />
La secon<strong>de</strong> dérive d'une sorte d'instinct divin.<br />
11 passe en revue <strong>le</strong>s prodiges, <strong>le</strong>s présages, rapporte<br />
<strong>de</strong>s faits historiques aussi constants pour lui que surprenants<br />
pour <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur. Il se borne, dit-il, et il <strong>le</strong><br />
répétera très-souvent, à constater <strong>le</strong>s faits sans expliquer<br />
<strong>le</strong>s causes; mais il ne doute pas qu'il n'y ait<br />
quelque vertu naturel<strong>le</strong> qui fasse prédire.<br />
Tout vient prouver la science <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins ; rien là<br />
qu'on puisse attribuer au hasard. Si un pourceau, en<br />
fouillant la terre, formait par hasard un A, pourrait-on<br />
imaginer que <strong>le</strong> même hasard produirait toute l'Andromaque<br />
d'Ennius? Il y a <strong>de</strong>s faits qui ne sauraient être<br />
l'effet d'un hasard. Ne lui en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z pas la raison,<br />
il ne la connaît pas. — H y a, dit-on, <strong>de</strong>s prédictions<br />
fausses. — Il en est ainsi <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s arts. La divination<br />
artificiel<strong>le</strong> étant basée sur <strong>de</strong>s conjectures peut<br />
quelquefois tromper; mais <strong>le</strong> ministère <strong>de</strong>s aruspices<br />
est si ancien, ils ont remarqué <strong>de</strong>puis si longtemps que<br />
<strong>le</strong>s mêmes signes étaient suivis <strong>de</strong>s mêmes événements,<br />
que <strong>le</strong>ur art est presque infaillib<strong>le</strong>. Il cite <strong>le</strong>s pays où<br />
on <strong>le</strong>s observe exactement et en raconte <strong>le</strong>s immenses<br />
avantages. A Rome, on <strong>le</strong>s néglige parce qu'on ne <strong>le</strong>s<br />
comprend plus. Caton s'est plaint <strong>de</strong>s funestes résultats<br />
<strong>de</strong> cet oubli. Quintus cite <strong>de</strong>s faits.<br />
La divination naturel<strong>le</strong> par <strong>le</strong>s songes, <strong>le</strong> délire, etc.,<br />
né conjecture point, mais on prétend aussi la renverser,<br />
parce qu'on ne peut trouver la raison <strong>de</strong> ces prédictions<br />
si soli<strong>de</strong>ment établies <strong>de</strong>puis longtemps; on ose
170 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
plaisanter sur <strong>de</strong>s événements réalisés conformément<br />
à la prédiction et que tant <strong>de</strong> témoignagnes authentiques<br />
confirment, sur <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong>s bienfaits sont<br />
attestés par <strong>de</strong> si riches présents. Us ont, dira-t*on,<br />
perdu <strong>le</strong>ur réputation aujourd'hui. Il est possib<strong>le</strong><br />
que la vertu <strong>de</strong> l'exhalaison qui inspirait la pythie se<br />
soit évaporée, qu'el<strong>le</strong> ait pris un autre cours... Quoi<br />
qu'il en soit, ce qui n'a pas lieu aujourd'hui ne détruit<br />
pas ce qui se faisait autrefois.<br />
Quintus cite ensuite <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> songes singuliers,<br />
constants, cités par <strong>de</strong>s auteurs graves, réalisés<br />
tels qu'on <strong>le</strong>s avait songes ou interprétés, songes révélateurs<br />
<strong>de</strong> remè<strong>de</strong>s, etc. A quoi bon <strong>le</strong>s rapporter,<br />
dit-il à Cicéron, lorsque vous en avez vous-même fait<br />
un qualifié par vous <strong>de</strong> merveil<strong>le</strong>ux. Il y a <strong>de</strong>s songes<br />
faux, que peut-on objecter contre <strong>le</strong>s véritab<strong>le</strong>s ? Ceuxci<br />
seraient plus fréquents, si on ne se mettait au lit<br />
l'estomac chargé <strong>de</strong> nourriture et <strong>de</strong> boisson. <strong>Le</strong>s dieux<br />
communiquent <strong>le</strong>s songes, l'âme voit l'avenir parce<br />
qu'el<strong>le</strong> est dégagée <strong>de</strong>s liens du corps. <strong>Le</strong>s mourants<br />
prédisent par la môme raison.<br />
Il y a dans <strong>l'homme</strong> une faculté <strong>de</strong> pressentir qui<br />
lui vient du <strong>de</strong>hors ; quand el<strong>le</strong> est vivement allumée,<br />
quand l'esprit dégagé du corps est agité par une impulsion<br />
divine, cet état s'appel<strong>le</strong> fureur.<br />
Donc, selon Quintus, <strong>le</strong>s dieux interviennent. Voudrait-on<br />
qu'ils vinssent se montrer sur <strong>le</strong>s places publiques?<br />
S'ils ne se découvrent pas, <strong>le</strong>ur vertu se répand<br />
partout, — <strong>le</strong>s événements viennent appuyer ses sentiments.<br />
Si <strong>le</strong>s barbares, si nos ancêtres, si tous <strong>le</strong>s<br />
peup<strong>le</strong>s croyaient aux divinations, dit-il, peut-on en<br />
douter? <strong>Le</strong> consentement universel est-il inuti<strong>le</strong>? <strong>Le</strong>s<br />
faits surprennent, on veut savoir <strong>le</strong> pourquoi. Ce n'est<br />
pas ce dont il s'agit, mais <strong>de</strong> savoir si cela est. De ce
AVEC LE DÉMON.<br />
qu'on ne saurait dire pourquoi l'aimant attire <strong>le</strong> fer,<br />
peut-On en nier la vertu?<br />
L'art divinatoire était si important partout, que <strong>le</strong>s<br />
Chefs <strong>de</strong>s États en remplissaient <strong>le</strong>s fonctions. En Perse,<br />
<strong>le</strong>s mages sont augures; <strong>le</strong> roi doit être instruit dans<br />
<strong>le</strong>ur science. A Rome, <strong>le</strong>s aruspices 1<br />
ont toujours<br />
prévu <strong>le</strong>s événements, après l'observation <strong>de</strong>s prodiges.<br />
L'arrivée <strong>de</strong>s Gaulois avait été prédite six ans avant ce<br />
malheur. <strong>Le</strong>s voix <strong>de</strong>s Faunes ont souvent présagé <strong>de</strong><br />
sinistres événements.<br />
Dans la divination par <strong>le</strong>s songes, comme dans cel<strong>le</strong><br />
par <strong>le</strong> délire, l'âme est excitée par <strong>le</strong>s dieux dont l'intelligence<br />
remplit tout; l'âme, comme dégagée, est en<br />
commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, el<strong>le</strong> voit tout et connaît tout.<br />
Comment voir ce qui n'est pas ? Question grave —<br />
(il y répondra plus loin). S'il y a <strong>de</strong>s dieux, si <strong>le</strong>ur<br />
provi<strong>de</strong>nce s'étend partout, ils peuvent donner <strong>de</strong>s<br />
signes <strong>de</strong> l'avenir.<br />
Mais, dit-on, c'est compromettre <strong>le</strong>ur majesté que<br />
d'intervenir à chaque inspection d'un foie, au vol<br />
d'un oiseau.—On répond que, dès l'origine, tout fut<br />
établi <strong>de</strong> manière que tel signe <strong>de</strong>vait précé<strong>de</strong>r tel événement.<br />
Si la nature divine remplit tout, el<strong>le</strong> peut<br />
prési<strong>de</strong>r au choix d'une victime, en modifier <strong>le</strong> foie><br />
diriger <strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s oiseaux, etc. Avant la mort <strong>de</strong> César,<br />
on fut surpris <strong>de</strong> trouver la victime sans cœur;<br />
<strong>le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, nouveau sacrifice : <strong>le</strong> foie fut trouvé sans<br />
tète. L'intelligence universel<strong>le</strong> avait anéanti <strong>le</strong>s organes<br />
au moment du sacrifice. <strong>Le</strong> <strong>de</strong>stin conduit tout<br />
par un enchaînement <strong>de</strong> causes liées entre el<strong>le</strong>s ; rien<br />
ne peut arriver dont la nature ne renferme <strong>le</strong>s causes...<br />
<strong>Le</strong> délire sacré, <strong>le</strong>s songes ont fait voir cet enchaîne-<br />
i. <strong>Le</strong>ur art découvrit que Gracchus n'avait pas pris <strong>le</strong>s auspices, il<br />
avoua sa faute, qu'il se hâta <strong>de</strong> réparer.
172 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
ment; il ne faut donc pas s'étonner lorsqu'on dit qu'on<br />
voit ce qui n'est pas ; tout existe : comme l'arbre est<br />
renfermé dans la semence, <strong>de</strong> même l'avenir est déjà<br />
dans ses causes. — Tel<strong>le</strong> était (trop succinctement<br />
exposée ici), la doctrine <strong>de</strong>s stoïciens sur <strong>le</strong>s divinations.<br />
On va voir, non moins brièvement, <strong>le</strong>s sentiments<br />
<strong>de</strong> l'Académie.<br />
L'Académie chez <strong>le</strong>s Romains.<br />
A l'époque où vivait Cicéron, l'académisme était à<br />
sa troisième ou quatrième transformation <strong>de</strong>puis Speusippe.<br />
Cicéron, représentant <strong>de</strong> la nouvel<strong>le</strong> Académie,<br />
fit <strong>de</strong> l'éc<strong>le</strong>ctisme : il se montre un peu platonicien,<br />
plus matérialiste, peut-être, qu'Aristote, sensualisto<br />
parfois comme Théophraste, un peu stoïcien et sceptique<br />
comme Arcésilas. Son entretien <strong>avec</strong> Quintus est<br />
p<strong>le</strong>in d'intérêt pour nous : il nous révè<strong>le</strong> la doctrine<br />
<strong>de</strong> sa secte; il renverse une croyance qu'il a dit luimôme<br />
appartenir à tous <strong>le</strong>s temps et à tous <strong>le</strong>s lieux;<br />
nous avons <strong>le</strong> droit d'attendre un travail d'autant plus<br />
sérieux qu'il est <strong>de</strong>stiné à remplacer <strong>de</strong>s traités que la<br />
jeunesse romaine ne pouvait se procurer que fort diffici<strong>le</strong>ment.<br />
Réfutation du stoïcisme.<br />
<strong>Le</strong>s <strong>de</strong>ux frères étaient dans la bel<strong>le</strong> villa <strong>de</strong> Tusculum,<br />
appartenant à Cicéron. Quintus avait fait l'exposé<br />
dont la substance vient d'être rapportée. S'étant suffisamment<br />
promenés, ils s'assirent dans la bibliothèque<br />
<strong>de</strong> Cicéron, et celui-ci prit la paro<strong>le</strong> à son tour. En<br />
homme poli, il félicita Quintus sur la manière dont il<br />
avait soutenu l'opinion <strong>de</strong>s stoïciens. —11 va répondre
AVEC LE DÉMON. 173<br />
sans rien affirmer, dit-il, mais en doutant. S'il affirmait,<br />
il ferait <strong>le</strong> <strong>de</strong>vin, et il prétend qu'il n'y a point <strong>de</strong><br />
divination.<br />
On sera plus long dans l'analyse <strong>de</strong> cette réfutation<br />
<strong>de</strong> la divination qu'on ne l'a été dans son exposé par<br />
Quiûtus, parce qu'on rapportera <strong>de</strong>s parties qui avaient<br />
été omises, pour être plus bref, et que d'ail<strong>le</strong>urs el<strong>le</strong>s<br />
seront suffisamment connues par <strong>le</strong>ur réfutation.<br />
La divination n'ayant aucun rapport <strong>avec</strong> ce qui concerne<br />
<strong>le</strong>s sens, n'étant en usage ni dans <strong>le</strong>s sciences,<br />
ni dans <strong>le</strong>s arts, Cicéron ne comprend pas quel peut<br />
être son objet.<br />
On ne peut prédire ce qui n'est fondé sur aucune<br />
cause. Un mé<strong>de</strong>cin, un pilote établissent <strong>le</strong>urs prévisions<br />
sur un raisonnement. Un <strong>de</strong>vin peut-il prédire<br />
ce qui arrive par hasard, ce que Dieu môme ignore?<br />
S'il <strong>le</strong> fait, c'est que l'événement doit arriver infaillib<strong>le</strong>ment;<br />
si c'est par hasard, comment peut-on <strong>le</strong> prédire?<br />
A quoi sert la divination, si <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin conduit tout?<br />
fjuintus avait dit qu'un présage avait fait retourner sur<br />
ses pas <strong>le</strong> roi Déjotarus, qui par là avait évité un grand<br />
malheur : Aurait-il pu l'éviter, dit Cicéron, si <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin<br />
l'eût voulu? Et si c'était un hasard, il ne pouvait être<br />
prédit.. Si <strong>le</strong>s événements arrivent par hasard ou fata<strong>le</strong>ment,<br />
à quoi servent <strong>le</strong>s aruspices?<br />
Arrivant aux <strong>de</strong>ux espèces <strong>de</strong> divinations, Cicéron<br />
témoigne <strong>de</strong>s doutes concernant <strong>le</strong>s faits cités; ils<br />
ont pu être inventés, s'être réalisés par hasard; la<br />
science <strong>de</strong>s aruspices vient-el<strong>le</strong> d'une longue suite d'observations,<br />
<strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s se sont-ils communiqué <strong>le</strong>urs<br />
résultats?— Non, dit Cicéron, puisque <strong>le</strong>s uns interprètent<br />
d'une manière, d'autres d'une autre.<br />
On examine <strong>le</strong>s signes du foie. Quel rapport entre
174 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
ces signes et la nature universel<strong>le</strong>? Cela serait, comment<br />
trouver une victime convenab<strong>le</strong>? <strong>Le</strong>s dieux, diton<br />
, prési<strong>de</strong>nt au choix, et font au moment du sacrifice<br />
paraître <strong>de</strong>s signes dans ses entrail<strong>le</strong>s. — Quoi!<br />
vous pensez que <strong>le</strong> même taureau aura ou n'aura pas<br />
une tête au foie? S'il est choisi par tel ou tel, cette tôte<br />
paraîtra ou disparaîtra subitement? <strong>Le</strong> hasard choisit<br />
la victime, la première n'a pas <strong>de</strong> tête au foie, la secon<strong>de</strong><br />
a <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s fort bel<strong>le</strong>s; que sont <strong>de</strong>venues <strong>le</strong>s<br />
menaces <strong>de</strong> la première? Dans <strong>le</strong> <strong>de</strong>rnier sacrifice fait<br />
par César, la victime n'avait pas <strong>de</strong> cœur ; ne pouvant<br />
vivre sans cœur, on pense qu'il a été anéanti. On voit<br />
bien que l'animal n'a pu vivre sans cœur, et on ne voit<br />
pas que cet organe n'a pu subitement s'envo<strong>le</strong>r, ni<br />
qu'il pouvait être si <strong>de</strong>sséché, si flétri, qu'on a cru qu'il<br />
n'existait pas. Pour soutenir <strong>le</strong>s aruspices, <strong>le</strong>s stoïciens<br />
bou<strong>le</strong>versent toute Ja nature.<br />
Après avoir renversé la divination par l'inspection<br />
<strong>de</strong>s entrail<strong>le</strong>s, Cicéron abor<strong>de</strong> cel<strong>le</strong> qui se faisait par<br />
<strong>le</strong>s foudres et <strong>le</strong>s prodiges. Un physicien attribuera-t-il<br />
un signe certain à <strong>de</strong>s choses incertaines dont l'effet<br />
est purement naturel? Si Jupiter voulait révé<strong>le</strong>r l'avenir<br />
par <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong> la foudre, la lancerait-il si souvent<br />
inuti<strong>le</strong>ment? El<strong>le</strong> tombe dans la mer, sur <strong>le</strong>s montagnes,<br />
dans <strong>le</strong>s déserts, dans <strong>le</strong>s pays où on ne l'observe<br />
pas ; à quoi sert-el<strong>le</strong> ? Vous examinez <strong>le</strong>s faits et<br />
non la cause... Mais il ne convient pas <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s faits,<br />
et un philosophe doit rechercher <strong>le</strong>s causes. Après<br />
avoir examiné plusieurs faits, Cicéron ne peut pas déci<strong>de</strong>r<br />
s'il faut y voir plutôt la provi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s dieux que<br />
<strong>le</strong> hasard. « Mais je n'en sais rien, dit-il, et je voudrais<br />
l'apprendre <strong>de</strong> vous. »<br />
J'attribue certaines prédictions au hasard, et vous<br />
me posez l'argument d'un pourceau qui, en fouillant,
AVEC LE DÉMON. 178<br />
forme une <strong>le</strong>ttre, mais ne saurait écrire un poëme.<br />
N'a-t-on pas observé dans <strong>le</strong>s nues la forme d'un lion,<br />
d'un centaure? <strong>Le</strong> hasard peut donc imiter la nature.<br />
On pourrait même trouver une tête <strong>de</strong> faune dans un<br />
bloc <strong>de</strong> marbre ; car une tête ne se sculpte qu'en retranchant<br />
<strong>de</strong> la matière. Praxitè<strong>le</strong> n'a fait autre chose, tout<br />
était dans <strong>le</strong> marbre.<br />
L'origine <strong>de</strong>s aruspices en Étrurie est due à Tagès,<br />
qui apparaît tout à coup dans un sillon ; qui sera assez<br />
l'on pour <strong>le</strong> croire? Si c'est un Dieu, pourquoi<br />
est-il resté si longtemps en terre? Si c'est un homme,<br />
comment a-t-il pu y vivre? <strong>Le</strong>s prédictions sont d'ail<strong>le</strong>urs<br />
restées sans effet. Ces signes, qu'on prétend<br />
venir <strong>de</strong>s dieux, pourquoi sont-ils si obscurs, inuti<strong>le</strong>s<br />
ou nuisib<strong>le</strong>s?<br />
Il a plu du sang, <strong>de</strong>s statues ont sué... Cela n'est<br />
pas possib<strong>le</strong>, <strong>de</strong>s physiciens ne <strong>le</strong> croiront pas. L'un<br />
ressemblait à du sang; l'autre, c'était <strong>de</strong> l'humidité.<br />
Cherchez la cause <strong>de</strong> tout ce qui vous paraît surnaturel;<br />
si vous ne la trouvez pas, n'en soyez pas moins<br />
sûr qu'el<strong>le</strong> existe. Ce qui se fait n'est point un prodige;<br />
ce qui ne peut se faire ne s'est jamais fait.<br />
Vous regar<strong>de</strong>z comme un présage funeste qu'un enseigne<br />
n'ait pu arracher son étendard, c'est qu'il l'avait<br />
planté hardiment et ne l'a arraché qu'à regret.<br />
<strong>Le</strong>s portes d'un temp<strong>le</strong> se sont ouvertes seu<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s<br />
boucliers se sont détachés. — C'est <strong>le</strong> hasard. — Une<br />
voix mystérieuse annonce l'arrivée <strong>de</strong>s Gaulois, et on<br />
érige un autel à ce dieu parlant ; pourquoi donc est-il<br />
re<strong>de</strong>venu muet?<br />
Cicéron en convient, à Rome on ne sait plus ce que<br />
c'est que <strong>le</strong>s aruspices ; il n'en était pas <strong>de</strong> même autrefois<br />
; chez <strong>le</strong>s autres peup<strong>le</strong>s, c'est moins un art qu'une<br />
superstition, ils <strong>le</strong>s consultent <strong>avec</strong> fruit, tandis que
m DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>le</strong>s consuls ne <strong>le</strong>s observent plus ; Cicéron néanmoins<br />
<strong>le</strong>s rejette, parce qu'ils viennent <strong>de</strong>s Barbares et qu'il<br />
n'y a pas d'uniformité dans <strong>le</strong>ur discipline. — <strong>Le</strong>s<br />
Grecs donnent tel<strong>le</strong> signification au tonnerre à droite,<br />
d'autres au tonnerre à gauche : l'ignorance, la superstition<br />
ont produit tout cela. Si rien n'est impossib<strong>le</strong><br />
aux dieux, « que n'ont-ils fait <strong>le</strong>s stoïciens sages!...»<br />
Cicéron combat <strong>le</strong>s prédictions <strong>de</strong>s Chaldéens, l'événement<br />
tous <strong>le</strong>s jours trompe <strong>le</strong>urs prévisions.<br />
La divination naturel<strong>le</strong> est examinée rapi<strong>de</strong>ment,<br />
quoique ce soit cel<strong>le</strong> à laquel<strong>le</strong> Quintus accor<strong>de</strong> <strong>le</strong><br />
plus <strong>de</strong> confiance. Pour la première, il n'a rien répliqué,<br />
il a tout accepté ; désirant connaître <strong>le</strong> sentiment<br />
<strong>de</strong> Cicéron sur cel<strong>le</strong>-ci, l'opinion <strong>de</strong>s stoïciens <strong>de</strong>vient<br />
<strong>le</strong> sujet d'un rapi<strong>de</strong> examen <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> Cicéron.<br />
<strong>Le</strong>ur raisonnement, dit-il, est faux, <strong>le</strong>urs propositions<br />
très-contestab<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>urs opinions superstitieuses.<br />
<strong>Le</strong>s dieux aiment <strong>le</strong>s hommes ; — <strong>le</strong>s épicuriens<br />
nient qu'ils soient bienfaisants.— Ils savent tout : <strong>de</strong>s<br />
savants <strong>le</strong> contestent; —ils connaissent l'avenir,—<br />
on y a déjà répondu.<br />
Cratippe a dit, pour prouver la divination, qu'il suffit<br />
d'avoir une seu<strong>le</strong> fois <strong>de</strong>viné <strong>de</strong> manière à ne pouvoir<br />
l'attribuer au hasard. Or <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s sont nombreux,<br />
donc, etc. — Cicéron répond que s'il y a <strong>de</strong><br />
vraies prédictions, il y on a beaucoup <strong>de</strong> fausses ; cela lui<br />
suffit pour <strong>le</strong>s mettre toutes sur <strong>le</strong> compte du hasard.<br />
Il est surpris du privilège <strong>de</strong> l'enthousiasme, qui<br />
rend un insensé plus clairvoyant qu'un sage.<br />
<strong>Le</strong>s orac<strong>le</strong>s étaient obscurs. Us sont tombés dans <strong>le</strong><br />
mépris; Delphes n'en rend plus, <strong>le</strong>s exhalaisons, diton,<br />
se sont évaporées. — Ne scmb<strong>le</strong>-t-il pas qu'on<br />
par<strong>le</strong> <strong>de</strong> vin ou <strong>de</strong> quelque salaison; el<strong>le</strong>s se sont évaporées<br />
quand <strong>le</strong>s hommes ont été moins crédu<strong>le</strong>s.
AVEC LE DÉMON. 177<br />
Même erreur à l'égard <strong>de</strong>s songes : Pythagore, Platon<br />
veu<strong>le</strong>nt qu'on s'y prépare par une nourriture fruga<strong>le</strong>.<br />
Comme si <strong>le</strong>s vian<strong>de</strong>s chargeaient l'âme 1 On<br />
dit que <strong>le</strong>s songes viennent <strong>de</strong>s communications <strong>avec</strong><br />
<strong>le</strong>s esprits. Si on ne doit pas croire aux visions <strong>de</strong>s<br />
ivrognes, doit-on croire à cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s gens qui songent?<br />
Pour être guéri, faut-il s'adresser plutôt à ceux qui<br />
font <strong>de</strong>s songes qu'aux mé<strong>de</strong>cins ? Si la divinité nous<br />
révè<strong>le</strong> <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s dans un songe, pourquoi ne<br />
nous apprend-el<strong>le</strong> point à lire, à écrire, à composer?<br />
Comme cela n'est pas, Cicéron dit que <strong>le</strong> crédit <strong>de</strong>s<br />
songes est perdu ; fort peu <strong>de</strong> personnes y croient ou<br />
<strong>le</strong>s expliquent, peu s'en souviennent. On ne saurait<br />
penser que <strong>le</strong>s dieux envoient <strong>de</strong>s avertissements inuti<strong>le</strong>s<br />
: donc ils ne sont pas divins. Pourquoi ne <strong>le</strong>s envoient-ils<br />
pas <strong>de</strong> préférence pendant la veil<strong>le</strong>, pourquoi<br />
sont-ils obscurs, pourquoi faut-il <strong>le</strong>s interpréter?<br />
Si <strong>le</strong>s dieux veu<strong>le</strong>nt nous avertir, <strong>le</strong> ministère <strong>de</strong>s interprètes<br />
serait-il nécessaire? Nul ne contestera que <strong>le</strong>s<br />
songes ne se réalisent pas tous ; d'où viennent ceux qui<br />
sont faux? S'ils viennent aussi <strong>de</strong>s dieux, quel<strong>le</strong> frivo<strong>le</strong><br />
occupation que <strong>de</strong> troub<strong>le</strong>r l'esprit? Si <strong>le</strong>s uns sont<br />
naturels, <strong>le</strong>s autres divins, qui pourra <strong>le</strong>s discerner?<br />
<strong>Le</strong>quel est <strong>le</strong> plus probab<strong>le</strong>, que <strong>le</strong>s dieux courent <strong>de</strong><br />
grabats en grabats pour donner <strong>de</strong>s songes, ou <strong>de</strong> penser<br />
qu'ils sont tous naturels ?<br />
Cicéron, rappelant à Quintus <strong>le</strong>s songes qu'ils ont<br />
faits eux-mêmes, dit : « J'ai vu Marius; mais d'où venait<br />
son image? est-ce, comme pensait Démocrite, du<br />
corps que Marius avait autrefois?» L'illustre orateur,<br />
après <strong>de</strong> longs arguments, termine en disant que s'il a<br />
songé à Marius en dormant, c'est qu'il y avait songé<br />
pendant la veil<strong>le</strong> ; il en dit autant du songe <strong>de</strong> Quintus.<br />
Quoiqu'il eût été frappé <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux songes, il<br />
i?
178 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
finit par une bouta<strong>de</strong> : « S'il ne s'en réalisait aucun,<br />
dit-il, quel<strong>le</strong> est la femme qui voudrait y croire? »<br />
A<strong>le</strong>xandre vit en songe un dragon qui lui présentait<br />
dans sa gueu<strong>le</strong> la plante qui <strong>de</strong>vait guérir Ptoléméc.<br />
Cicéron trouve surprenant qu'un dragon ait pu par<strong>le</strong>r<br />
<strong>avec</strong> une herbe dans la gueu<strong>le</strong>. Rien, dit-il, n'est<br />
diffici<strong>le</strong> dans un songe. Pourquoi en a-t-il eu un si<br />
clair? pourquoi sont-ils ordinairement si obscurs?<br />
pourquoi A<strong>le</strong>xandre et lui-même n'ont-ils plus reçu<br />
d'avertissements en songe?<br />
Quintus gar<strong>de</strong> <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce. La conclusion, c'est la vanité<br />
<strong>de</strong>s songes. S'ils ne viennent point <strong>de</strong> Dieu, si <strong>le</strong>ur<br />
interprétation n'est qu'une subtilité, s'ils n'ont aucune<br />
connexité dans la nature, il faut <strong>le</strong>s rejeter comme une<br />
superstition, l'ennemie <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> la plus cruel<strong>le</strong>,<br />
qu'il faut se hâter <strong>de</strong> détruire.<br />
Quintus persistant dans son si<strong>le</strong>nce : il faut donc rejeter<br />
la divination par <strong>le</strong>s songes comme toutes <strong>le</strong>s<br />
autres. Sa cause est perdue.<br />
<strong>Le</strong>s songes seraient méprisés, continue Cicéron, si<br />
<strong>de</strong>s philosophes, <strong>de</strong>s hommes d'une gran<strong>de</strong> érudition,<br />
qui passeraient aujourd'hui pour <strong>le</strong>s seuls philosophes,<br />
n'en avaient pris la défense. C'est contre eux qu'il<br />
dispute; mais comme l'Académie n'affirme rien, qu'el<strong>le</strong><br />
ne signa<strong>le</strong> que ce qui lui paraît <strong>le</strong> plus vraisemblab<strong>le</strong>,<br />
qu'el<strong>le</strong> se borne à comparer <strong>le</strong>s sentiments divers, en<br />
laissant aux auditeurs <strong>le</strong> soin <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r, il s'en tiendra<br />
à la forme dubitative.<br />
Cicéron, dans son Traite <strong>de</strong>là Divination, a renversé<br />
<strong>le</strong> stoïcisme en forçant Quintus à gar<strong>de</strong>r <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce.<br />
Dans celui De la naturo <strong>de</strong>s Biciu:, il fajt intervenir<br />
Colla, autre académicien, qui attaque <strong>le</strong>s épicuriens cl<br />
<strong>le</strong>s stoïciens et <strong>le</strong>s renverse.
AVEC LE DÉMON. no<br />
Réfutation <strong>de</strong> Vépicurisme.<br />
CoLfa répond à Vel<strong>le</strong>ius et lui dit qu'il Cst plus aisé<br />
<strong>de</strong> nier que d'affirmer. —La véritab<strong>le</strong> opinion sur <strong>le</strong>s<br />
dieux est diffici<strong>le</strong> à établir. D'abord existent-ils? où<br />
sont-ils? d'où viennent-ils? <strong>Le</strong>s épicuriens donnent aux<br />
a<strong>tome</strong>s un empire absolu: si tout est p<strong>le</strong>in, il n'y a ni<br />
a<strong>tome</strong> ni vi<strong>de</strong>; si <strong>le</strong>s dieux sont formés d'a<strong>tome</strong>s, ils<br />
ne sont pas éternels, puisqu'ils se sont réunis et qu'ils<br />
auront une fin. Que <strong>de</strong>viendront alors ces êtres heureux?<br />
Cotta résume tout ce qui a été dit par Vel<strong>le</strong>ius,<br />
et lui prouve qu'il n'a avancé que <strong>de</strong>s folies. — On dit<br />
que <strong>de</strong>ux aruspices ne peuvent se regar<strong>de</strong>r sans rire ;<br />
on doit être encore plus surpris que <strong>de</strong>ux épicuriens<br />
puissent s'en empêcher lorsqu'ils discutent ensemb<strong>le</strong>.<br />
— Cotta termine en s'étonnant que <strong>de</strong> si fol<strong>le</strong>s rêveries<br />
aient pu donner lieu <strong>de</strong> s'é<strong>le</strong>ver contre <strong>le</strong>s doctrines<br />
<strong>de</strong> Pythagore et <strong>de</strong> Platon.<br />
Réfutation du stoïcisme par Cotta.<br />
Dans <strong>le</strong> même Traité <strong>de</strong> la Nature <strong>de</strong>s Dieux, Cicéron,<br />
sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Cotta, vient attaquer encore <strong>le</strong> stoïcisme :<br />
il avoue que cette opinion <strong>de</strong>s stoïciens, qu'il existe<br />
te dieux, est incontestab<strong>le</strong>, mais il n'y croit que sur<br />
la foi <strong>de</strong>s ancêtres, et non sur <strong>le</strong>s preuves <strong>de</strong>s stoïciens,<br />
qui n'en entassent autant que parce qu'el<strong>le</strong>s sont<br />
faib<strong>le</strong>s. — Je ne me fon<strong>de</strong>, dit-il, que sur la tradition;<br />
mais puisque vous invoquez la raison pour votre <strong>démon</strong>stration,<br />
je prétends que vos preuves n'aboutissent<br />
qua faire douter. Vous prouvez cette existence par <strong>le</strong><br />
cours <strong>de</strong>s astres, qui fait supposer qu'une intelligence<br />
<strong>le</strong>s gouverne. Vous la prouvez par l'apparition <strong>de</strong>s
180 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
dieux, ce sont <strong>de</strong>s fab<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s raisons alléguées sont<br />
<strong>le</strong>s mêmes que cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Cicéron au Traité <strong>de</strong> la divination.<br />
Cotta, enfin, <strong>démon</strong>tre longuement aux stoïciens<br />
que <strong>le</strong>urs dieux ne sont pas <strong>de</strong>s dieux.<br />
Quelques réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong>s réjutations <strong>de</strong> Cicéron.<br />
Forcé d'abréger, cette analyse est fort incomplète;<br />
espérons, toutefois, que ce qu'on vient d'exposer donnera,<br />
<strong>avec</strong> ce qui va être dit, une connaissance suffisante<br />
<strong>de</strong> la matière. On a peu parlé <strong>de</strong> l'épicurismc,<br />
qui n'avait pas besoin <strong>de</strong> réfutation; on s'est étendu<br />
davantage sur <strong>le</strong> stoïcisme ; c'est surtout sur ce qu'en<br />
a dit Cicéron que nous nous permettrons <strong>de</strong> faire quelques<br />
réf<strong>le</strong>xions.<br />
Cicéron avait fait <strong>de</strong> son travail un éloge fort pompeux.<br />
<strong>Le</strong> <strong>le</strong>cteur avait droit d'attendre un ouvrage d'autant<br />
plus grave et consciencieux qu'il <strong>de</strong>vait remplacer<br />
ceux dos philosophes grecs, la plupart perdus aujourd'hui,<br />
ainsi que <strong>le</strong>s réfutations <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs systèmes.<br />
Cicéron a-t-il tenu paro<strong>le</strong>?<br />
Sans doute nous admirons tous celui qui a stigmatisé,<br />
tantôt <strong>avec</strong> l'arme du ridicu<strong>le</strong>, ou <strong>avec</strong> <strong>le</strong> simp<strong>le</strong> bon<br />
sens, <strong>le</strong>s croyances superstitieuses <strong>de</strong>s anciens. En y<br />
réfléchissant, cependant, on pense que <strong>le</strong> bon sens est<br />
un assez mauvais juge en pareil<strong>le</strong> matière. Quant aux<br />
sarcasmes dont il use quelquefois, ils ne prouvent jamais<br />
rien. Donc, si nous admirons Cicéron, c'est qu'il pensait<br />
ce que nous pensons presque tous; et d'où vient notre<br />
opinion, si ce n'est <strong>de</strong> lui-même et <strong>de</strong> son éco<strong>le</strong>? Allonsnous<br />
donc nous constituer champion du stoïcisme?<br />
Pas <strong>le</strong> moins du mon<strong>de</strong> (ce n'est point ce dont il s'agit);<br />
mais <strong>de</strong> montrer que Quintus pouvait répondre ; que s'il<br />
ne l'a point fait, c'est que Cicéron ne l'a point voulu.
AVEC LE DÉMON. 181<br />
Quintus connaissait <strong>le</strong> fort et <strong>le</strong> faib<strong>le</strong> <strong>de</strong>s diverses doctrines;<br />
Quintus croyait fermement à <strong>de</strong>s faits. Celui<br />
d'entre nous qui, présent à la discussion, y aurait cru<br />
comme lui, qui avait tant <strong>de</strong> connaissances qui nous<br />
manquent, eût-il comme lui gardé <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce? ces réfutations<br />
l'eussent-el<strong>le</strong>s satisfait? Non. — Cicéron n'a<br />
pas voulu que Quintus répliquât. La forme dialoguée<br />
adoptée par lui dans d'autres écrits était fort propre .à<br />
entretenir la discussion et à approfondir <strong>le</strong> sujet. Cicéron<br />
ne l'a pas choisie ; tantôt il semb<strong>le</strong> dédaigner <strong>le</strong> sujet<br />
qu'il eff<strong>le</strong>ure, recourt à la plaisanterie, tantôt en appel<strong>le</strong><br />
à la raison et semb<strong>le</strong> l'éviter en se jouant. Ce travail n'est<br />
pas profond ; il n'a pas abordé franchement <strong>le</strong>s difficultés;<br />
il nous intéresse, cependant, parce qu'il nous<br />
fait connaître <strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong> l'Académie.<br />
En parcourant Cicéron, <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur se sent poussé à<br />
stimu<strong>le</strong>r Quintus, qui gar<strong>de</strong> <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce quand il pouvait<br />
répliquer. On voit enfin que Cicéron s'est ménagé une<br />
victoire faci<strong>le</strong>.— Une longue discussion n'est pas possib<strong>le</strong><br />
ici, mais on se permettra quelques observations,<br />
car il est évi<strong>de</strong>nt que Quintus n'a pas usé <strong>de</strong> toutes ses<br />
ressources.<br />
Cicéron a nié la divination, parce que,-en politique<br />
habi<strong>le</strong>, il condamne la croyance à la fatalité; <strong>de</strong>vait-i<br />
rejeter la divination que <strong>le</strong>s plus grands philosophes<br />
admettaient, et, comme il l'a dit lui-même, balbutier<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s épicuriens? Quintus ne pouvait-il reconnaître<br />
en même temps la divination, <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin et <strong>le</strong><br />
libre arbitre humain? Autrefois Pythagore et Platon<br />
croyaient à la divination, à la Provi<strong>de</strong>nce et au <strong>de</strong>stin.<br />
S'il menace, Dieu peut retenir ses coups. Sinon à quoi<br />
bon recomman<strong>de</strong>r <strong>de</strong> prier? <strong>Le</strong>s dieux peuvent révé<strong>le</strong>r<br />
nn malheur imminent, qu'on peut conjurer souvent<br />
par <strong>de</strong>s sacrifices.
182 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Lp roi Déjotarus ayant consulté <strong>le</strong>s aruspices, re*<br />
tourna sur ses pas et fit bien, car la charnbre où il avait<br />
couché s'écroula pendant la nuit. On ne peut nier que<br />
<strong>le</strong>s dieux n'aient prévu ce qu'un architecte aurait pu prévoir,<br />
ni nier qu'ils n'aient pu avertir Déjotarus par <strong>de</strong>s<br />
signes du malheur qui <strong>le</strong> menaçait ; — plusieurs présages<br />
avaient averti César pour <strong>le</strong> détourner do se rendre<br />
au sénat. <strong>Le</strong> <strong>de</strong>stin <strong>le</strong> menace, <strong>le</strong>s dieux l'avertissent;<br />
usant <strong>de</strong> sa liberté, il s'y rend néanmoins et y trouvera<br />
la mort. S'il eût cru aux présages il se serait sauvé.<br />
Maintenant admettons qu'un <strong>de</strong>stin fatal l'ait entraîné,<br />
cet avertissement inuti<strong>le</strong> était une sorte <strong>de</strong> cruauté,<br />
direz-vous. — Inuti<strong>le</strong>, non. — Il est vrai que <strong>le</strong>s dieux<br />
prévoient tout; que ce qu'ils ont décrété arrivera;<br />
que <strong>l'homme</strong> ne peut rien contre <strong>le</strong>ur décision. Ceci<br />
détruit, ce semb<strong>le</strong>, la liberté mora<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> ; c'est<br />
<strong>le</strong> fatum sur <strong>le</strong>quel nos <strong>de</strong>ux philosophes pouvaient<br />
argumenter longtemps : mais au fond, l'idée du <strong>de</strong>stin<br />
doit rendre religieuse envers <strong>le</strong>s dieux la créature qui<br />
en est si dépendante, et lui laisser encore l'espoir <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>s fléchir, puisque <strong>le</strong> plus ordinairement <strong>l'homme</strong> sait<br />
que <strong>le</strong>s présages annoncent <strong>de</strong>s malheurs qu'on évite<br />
eu implorant <strong>le</strong>s dieux.<br />
Prédisent-ils ce qui arrivera par hasard?—Supposez<br />
qu'un voyageur suive un chemin qui <strong>le</strong> conduirait au<br />
milieu d'une ban<strong>de</strong> d'assassins, ne puis-je l'avertir <strong>de</strong><br />
rétrogra<strong>de</strong>r? Je connais son <strong>de</strong>stin funeste, s'il s'obstine<br />
; je sais qu'il est sauvé, s'il m'écoute. Un autre,<br />
emporté par un cheval fougueux, va être lancé dans<br />
un précipice. Ma voix l'avertit en vain pour son corps;<br />
est-ce en vain pour son âme, prête à comparaître <strong>de</strong>vant<br />
soh juge ?<br />
Il y aurait beaucoup à dire, mais nos <strong>de</strong>ux interlocuteurs<br />
n'ont rien dit ; il est vrai que Quintus ne re-
AVEC LE DÉMON.<br />
connfiît plus <strong>le</strong> dieu <strong>Des</strong>tin ; <strong>le</strong> stoïcisme, tombé dans<br />
<strong>le</strong> matérialisme, l'a rejeté : c'était <strong>le</strong> cas d'examiner si<br />
<strong>le</strong>s stoïciens, en appelant <strong>de</strong>stin l'enchaînement nécessaire<br />
<strong>de</strong>s causes et <strong>de</strong>s effets, ne s'étaient pas fourvoyés,<br />
puisque ce système <strong>le</strong>s conduisait à nier <strong>le</strong> libre<br />
arbitre ou la divination. Supposez cet enchaînement,<br />
<strong>l'homme</strong> n'est plus qu'une machine mue fata<strong>le</strong>ment;<br />
il ne fallait pas se borner à exposer un seul système,<br />
il fallait <strong>le</strong>s examiner tous sous <strong>le</strong>urs diverses faces,<br />
ce qu'on n'a pas fait ici.<br />
Une raison puissante pour Cicéron <strong>de</strong> rejeter la divination,<br />
c'est que tout <strong>de</strong>vient présage pour <strong>le</strong> superstitieux;<br />
il n'est jamais tranquil<strong>le</strong>, son courage est<br />
amolli. Bien <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s après lui, <strong>le</strong> môme motif fera<br />
nier <strong>de</strong>s faits généra<strong>le</strong>ment admis ; cependant, s'ils<br />
existent, cette négation ne <strong>le</strong>s détruit pas.<br />
Cicéron a pu croire aux divinations comme <strong>le</strong>s stoïciens;<br />
mais <strong>l'homme</strong> politique nie, l'académicien conteste,<br />
l'épicurien plaisante.<br />
<strong>Le</strong>s faits ont pu être inventés ou être arrivés par hasard,<br />
dit Cicéron. — La science <strong>de</strong>s aruspices vientel<strong>le</strong><br />
d'une longue observation, <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s se <strong>le</strong>s sontils<br />
communiqués? Non. <strong>Le</strong>s uns interprètent d'une<br />
manière, d'autres d'une autre.<br />
Quintus était plus capab<strong>le</strong> que nous <strong>de</strong> répondre à<br />
!a question concernant <strong>le</strong>s faits. Quant à la secon<strong>de</strong><br />
proposition, il <strong>de</strong>vait dire que <strong>le</strong> même signe pouvait<br />
être interprété différemment, selon <strong>le</strong>s pays. Il en est<br />
<strong>de</strong>s signes qui annoncent un événement comme <strong>de</strong><br />
ceux qui servent aux hommes à manifester <strong>le</strong>urs pensées,<br />
ils sont purement <strong>de</strong> convention.<br />
Quel rapport entre la nature universel<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s signes<br />
d'un foie, etc.?— Je l'ignore, <strong>de</strong>vait dire Quintus,<br />
physiquement parlant. Mais <strong>le</strong>s philosophes admet-
184 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
tant <strong>de</strong>s signes émanés d'une vertu occulte et divine<br />
répandue partout, Cicéron ne doit plus raisonner en<br />
physicien uniquement, mais examiner longuement<br />
l'ancienne doctrine.<br />
On dit que <strong>le</strong>s dieux prési<strong>de</strong>nt au choix <strong>de</strong> la victime.<br />
<strong>Le</strong>s signes varieront au moment du sacrifice, ils<br />
se manifesteront ou disparaîtront subitement. La première<br />
victime aura <strong>de</strong>s signes funestes ; la secon<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s<br />
entrail<strong>le</strong>s fort bel<strong>le</strong>s. Que sont donc <strong>de</strong>venues <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong> la première? On voit bien qu'un animal n'a<br />
pu vivre sans cœur ; ou ne voit pas, dit Cicéron, que cet<br />
organe ait pu subitement s'envo<strong>le</strong>r, etc. — <strong>Le</strong>s stoïciens<br />
bou<strong>le</strong>versent toute la physique.<br />
Quintus pouvait répondre longuement à ces objections,<br />
ce que <strong>le</strong> défaut d'espace nous interdit <strong>de</strong> faire.<br />
Si nous étions Cicéron, nous accuserions <strong>le</strong>s aruspices<br />
<strong>de</strong> fourberie ; il ne l'a pas fait, pour lui c'était diffici<strong>le</strong>.<br />
On ne peut dire que <strong>le</strong> cœur se soit envolé, ni que la<br />
victime n'en ait jamais eu ; cependant il arrive <strong>de</strong> n'en<br />
pas trouver et il n'accuse pas d'escamotage; que dira<br />
donc Cicéron? Une absurdité, pour nier <strong>le</strong> prodige:<br />
«Cet organe est si flétri, qu'on n'a su <strong>le</strong> trouver. »<br />
Cicéron <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce que sont <strong>de</strong>venues <strong>le</strong>s menaces<br />
do la première victime. — II savait que <strong>le</strong>s dieux manifestaient<br />
<strong>le</strong>ur courroux par <strong>de</strong>s présages qu'il fallait<br />
expier ; on immolait ainsi <strong>de</strong>s victimes jusqu'à ce qu'ils<br />
se montrassent satisfaits ou que l'impossibilité <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />
satisfaire fût évi<strong>de</strong>nte. — Quand <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s sont<br />
bel<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s dieux sont apaisés.<br />
Qu'il nous soit permis un instant <strong>de</strong> prendre Cicéron<br />
pour interlocuteur, et <strong>de</strong> répondre à ses arguments à<br />
la place <strong>de</strong> Quintus.<br />
Cicéron. — <strong>Le</strong>s stoïciens bou<strong>le</strong>versent la physique.<br />
Pour Quintus, qui croyait à ces prodiges, celte
AVEC LE DÉMON. 18o<br />
réponse était aussi peu raisonnab<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong> serait<br />
pour <strong>le</strong> chrétien qui croit aux mirac<strong>le</strong>s attestés par<br />
plusieurs milliers <strong>de</strong> témoins. Admettre <strong>le</strong>s prodiges,<br />
ce n'est pas bou<strong>le</strong>verser la physique, puisqu'ils sont <strong>de</strong><br />
l'ordre surnaturel; il fallait prouver que l'ordre surnaturel<br />
n'existe pas.<br />
Cicéron. — Si <strong>le</strong> tonnerre révè<strong>le</strong> l'avenir, pourquoi<br />
Jupiter lance-t-il si souvent inuti<strong>le</strong>ment la foudre?<br />
Quintus pouvait lui répondre : « Vous savez comme<br />
moi qu'il y a <strong>de</strong>s hommes experts en fulguration, qui<br />
distinguent parfaitement <strong>le</strong>s foudres naturel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s<br />
foudres prodiges. Niez-vous cel<strong>le</strong>s-ci? Vous n'ignorez<br />
pas qu'el<strong>le</strong>s ont rappelé <strong>de</strong>s épicuriens au culte <strong>de</strong>s<br />
dieux. » Il <strong>de</strong>vait lui rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s preuves historiques.<br />
<strong>Le</strong> raisonnement <strong>de</strong> Cicéron, qui peut paraître excel<strong>le</strong>nt,<br />
pour Quintus convaincu, était donc détestab<strong>le</strong>.<br />
Quand Cicéron ne peut découvrir <strong>le</strong>s causes, il nie<br />
<strong>le</strong>s faits. — Ce qui s'est fait n'est pas un prodige; ce<br />
qui ne peut se faire ne s'est jamais fait, etc<br />
La hardiesse <strong>de</strong> cet axiome n'en prouve point la vérité<br />
; il se fon<strong>de</strong> sur ce que la nature a <strong>de</strong>s lois invariab<strong>le</strong>s.<br />
Trouvé vrai par ceux qui n'ont jamais entendu<br />
par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> prodiges, il est faux pour ceux qui savent<br />
qu'il se produit <strong>de</strong>s faits hors <strong>de</strong>s lois naturel<strong>le</strong>s : aux<br />
Gentils convaincus <strong>de</strong> l'existence <strong>de</strong>s prodiges, il fallait<br />
prouver qu'ils étaient absur<strong>de</strong>s et que <strong>le</strong>s plus illustres<br />
philosophes se trompaient.<br />
Cicéron attribuant quelques prédictions au hasard,<br />
Quintus avait prévu l'objection, mais Cicéron, à l'exemp<strong>le</strong><br />
cité du pourceau qui, en fouillant, forme un A, et<br />
ne pourrait écrire un poème, avait répondu qu'on voit<br />
dans <strong>le</strong>s nues <strong>de</strong>s figures <strong>de</strong> lion et <strong>de</strong> centaure; qu'on<br />
peut trouver une tête <strong>de</strong> faune dans un bloc <strong>de</strong> marbre;<br />
Sa conclusion, c'est que <strong>le</strong> hasard peut imiter la nature.
i8C> DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Il est possib<strong>le</strong> qu'une nue imite grossièrernent la<br />
forme d'un lion; cette imitation n'ira jamais à représenter<br />
<strong>de</strong>s animaux ou <strong>de</strong>s hommes, dont on distinguerait<br />
la forme, <strong>le</strong>s mouvements, la cou<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>s yôte-;<br />
monts, <strong>le</strong>s armes, <strong>le</strong>s coursiers, <strong>le</strong>s évolutions dans Jps<br />
airs. Certaines divinations, par <strong>le</strong>urs détails, sont non<br />
moins exactes et non moins surprenantes. Dircz-vous<br />
que c'est <strong>le</strong> hasard? Je vous répondrai : Cessez <strong>de</strong> balbutier<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s épicuriens, vous savez bien que ce sont<br />
<strong>de</strong>s ignorants et <strong>de</strong>s sophistes.<br />
Quant à la tète do faune qui est dans un bloc <strong>de</strong><br />
marbre parce qu'une tète ne se forme qu'on la dégageant<br />
peu à peu, cette réponse ne méritait pas dp réplique<br />
: c'était une futilité.<br />
Cicéron. — Tagès apparut à un laboureur sous la<br />
forme d'un enfant qui serait sorti d'un sillon. Qui spra<br />
assez sot pour <strong>le</strong> croire ?<br />
Personne sans doute. Mais on croyait aux apparitions,<br />
et l'observation <strong>de</strong> Cicéron ne prouvait pas à<br />
Quintus qu'el<strong>le</strong>s fussent impossib<strong>le</strong>s. Nous dirions<br />
aujourd'hui que c'était une hallucination; Cicéron<br />
pouvait l'expliquer par <strong>le</strong>s simulacres <strong>de</strong> Démocrite;<br />
il a mieux aimé nier. Était-ce une raison pour Quintus<br />
<strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce?<br />
Cicéron. — <strong>Le</strong>s réponses <strong>de</strong>s aruspiecs sont restées<br />
sans effet. Qu'est-ce que ces avertissements? Pourquoi<br />
ces signes qui ont besoin d'interprètes?... pourquoi<br />
sont-ils obscurs, etc. ?<br />
<strong>Le</strong>s épicuriens avaient <strong>de</strong> fortes raisons pour <strong>le</strong>s<br />
attaquer, car <strong>le</strong>s signes étaient en effet énigniatiques,<br />
ambigus ; et pourquoi? dira-t-on. <strong>Le</strong>s dieux, en révélant<br />
l'avenir, ne voulaient-ils pas être compris, l'ignoraientils?<br />
Quintus ne pouvait-il répondre : Nous reconnaissons<br />
qu'il existe dos intelligences malignes; <strong>de</strong>s sages,
AVEC LE DÉMON. 187<br />
<strong>de</strong>s philosophes l'enseignent; ces esprits peuvent intervenir<br />
au lieu <strong>de</strong>s bons. Quoiqu'ils ignorent l'avenir, ils<br />
sont infiniment plus aptes que <strong>l'homme</strong> aie conjecturer:<br />
voilà pqurqupi <strong>le</strong>urs prédictions réussissent assez souvent<br />
et pourquoi el<strong>le</strong>s sont aussi quelquefois fausses...<br />
Ils font <strong>de</strong>s réponses ambiguës, pour qu'on ne puisse<br />
pas <strong>le</strong>s accuser <strong>de</strong> mensonge ou d'ignorance, préférant<br />
<strong>le</strong>ur réputation à cel<strong>le</strong> du <strong>de</strong>vin.<br />
Cicéron. —r- Vous regar<strong>de</strong>z comme un prodige que<br />
l'enseigne du premier centurion n'ait pu être arrachée,<br />
etc.<br />
Quintus <strong>de</strong>vait rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s circonstances <strong>de</strong> ce fait<br />
historique, où d'autres prodiges concoururent <strong>avec</strong> celui-ci<br />
pour annoncer l'insuccès d'une batail<strong>le</strong>. Pourquoi<br />
n'a-t-il pas dit que plusieurs soldats se réunirent vainement<br />
au porte-étendard pour arracher l'enseigne<br />
sans pouvoir réussir? Cicéron n'ayant pas nié <strong>le</strong> fait,<br />
son explication n'était qu'un bon mot.<br />
Cicéron. — <strong>Le</strong>s portes d'un temp<strong>le</strong> se sont ouvertes<br />
seu<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s boucliers se sont détachés, c'est par hasard,<br />
etc<br />
Ceci ne peut satisfaire ceux qui croyaient, comme<br />
Quintus, que <strong>le</strong>s portes étaient bien fermées et <strong>le</strong>s<br />
boucliers soli<strong>de</strong>ment attachés.<br />
Cicéron. — On érige un autel à un dieu qui a parlé;<br />
pourquoi est-il re<strong>de</strong>venu muet?<br />
On entendait quelquefois <strong>de</strong>s voix mystérieuses.<br />
C'était un fait si connu, qu'il y avait impu<strong>de</strong>nce à <strong>le</strong><br />
nier. <strong>Le</strong> si<strong>le</strong>nce postérieur ne détruit ni ce fait ni l'événement<br />
qui <strong>le</strong> suit. On donna un nom à cette voix,<br />
on en fit une nouvel<strong>le</strong> divinité; n'avait-el<strong>le</strong> jamais<br />
parlé, re<strong>de</strong>vint-el<strong>le</strong> muette ? c'était une question insolub<strong>le</strong><br />
et oiseuse.<br />
Cicéron. — <strong>Le</strong>s auspices ne sont plus qu'un simu-
188 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
lacre... Quoiqu'on <strong>le</strong>s consulte <strong>avec</strong> soin chez <strong>le</strong>s autres<br />
peup<strong>le</strong>s, cette science n'en est pas moins vaine; c'est<br />
une science perdue.<br />
Ceux qui l'ignorent, pouvait répondre Quintus,<br />
peuvent-ils la traiter <strong>de</strong> frivo<strong>le</strong>, tandis que ceux qui<br />
la connaissent y attachent une si haute importance et<br />
s'en félicitent tous <strong>le</strong>s jours?<br />
Cicéron. — <strong>Le</strong>s prédictions <strong>de</strong>s Chaldéens sont un<br />
incroyab<strong>le</strong> égarement; ils se trompent, etc<br />
Vraies ou fausses, ou réalisées quelquefois, plusieurs<br />
sièc<strong>le</strong>s après Cicéron cet égarement subsistait<br />
encore : on verra <strong>de</strong>s savants, en même temps qu'ils<br />
proclament que cette science est chimérique, avouer<br />
cependant que ces prédictions ne doivent pas <strong>le</strong>ur<br />
réalisation au hasard; ils en donnent l'explication<br />
et Quintus ne <strong>de</strong>vait point rester court. Si <strong>le</strong>s ennemis<br />
mômes <strong>de</strong> cette prétendue science y reconnaissent<br />
une vérité, Quintus certainement pouvait la défendre.<br />
Soutiendra-t-il mieux la cause <strong>de</strong> la divination naturel<strong>le</strong>,<br />
<strong>de</strong> laquel<strong>le</strong> il paraît mieux convaincu?<br />
Cicéron, ayant examiné <strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong>s stoïciens,<br />
<strong>le</strong>s trouve faux et très-contestab<strong>le</strong>s. En effet,<br />
ceux-ci prétendaient pouvoir nier l'existence <strong>de</strong>s dieux,<br />
s'ils n'accordaient pas la divination. « Étant bienfaisants,<br />
ils doivent, disaient-ils, nous avertir <strong>de</strong> ce qui<br />
peut nous nuire. » Cicéron ne s'arrête point là, il<br />
combat <strong>le</strong>s stoïciens par l'opinion d'Épicurc, qui niail<br />
que <strong>le</strong>s dieux s'occupent <strong>de</strong> nous.<br />
Quintus pouvait lui répondre : Vous dites vousmême<br />
que <strong>le</strong>s épicuriens ne font que balbutier lorsqu'ils<br />
par<strong>le</strong>nt <strong>de</strong>s dieux; laissez donc ces hommes,<br />
qui non-seu<strong>le</strong>ment nient que <strong>le</strong>s dieux soient bons,<br />
mais qui semb<strong>le</strong>nt nier même <strong>le</strong>ur existence.
AVEC LE DÉMON. 189<br />
Cicéron s'étonne <strong>de</strong> ce privilège qui rend un insensé<br />
plus clairvoyant qu'un sage.<br />
Celui que vous appe<strong>le</strong>z insensé, pouvait répondre<br />
Quintus, n'est que l'instrument passif <strong>de</strong> l'intelligence<br />
qui <strong>le</strong> gouverne... La pythie doit être simp<strong>le</strong> et ignorante<br />
; l'inspiré ne sait pas ce qu'il prédit, ne s'en<br />
souvient même pas. A quoi servirait la sagesse? qu'était-el<strong>le</strong><br />
en présence du dieu qui se manifeste par<br />
l'entremise <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s pendant <strong>le</strong> sommeil ou la<br />
veil<strong>le</strong>?<br />
L'âme reçoit en songe <strong>de</strong>s avertissements, dit Platon<br />
(Timée), parce qu'alors el<strong>le</strong> est privée <strong>de</strong> raison ;<br />
si el<strong>le</strong> pouvait la substituer à l'inspiration, el<strong>le</strong> y <strong>de</strong>viendrait<br />
rétive. Comment donc s'étonner <strong>de</strong> ce privilège<br />
<strong>de</strong> l'insensé, qui ne fait que prêter ses organes à<br />
une intelligence étrangère, et qui n'est mis par el<strong>le</strong><br />
dans cet état que pour dire <strong>le</strong>s choses vraies et bel<strong>le</strong>s<br />
qu'el<strong>le</strong> lui dicte.<br />
Cicéron examine longuement <strong>le</strong>s sibyl<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s<br />
obscurs, Delphes qui n'en a plus, etc.<br />
Quintus pouvait répondre ce que Sérapion dit dans<br />
Plutarque : — Quand l'orac<strong>le</strong>, non content d'annoncer<br />
<strong>le</strong>s événements, spécifie <strong>le</strong> temps, la manière, l'occasion,<br />
<strong>le</strong>s personnes..., ce n'est plus une conjecture, mais<br />
une prédiction; Théon a fait même observer pourquoi<br />
il fallait parfois employer l'équivoque, et signa<strong>le</strong> <strong>le</strong> cas<br />
où il y aurait eu du danger d'être trop clair 1<br />
.<br />
Cicéron. — Delphes ne rend plus d'orac<strong>le</strong>s ; l'exhalaison<br />
s'est évaporée, évanouie <strong>de</strong>puis que <strong>le</strong>s hommes<br />
sont moins crédu<strong>le</strong>s.<br />
Quintus pouvait dire qu'il n'affirmait pas qu'une ex-<br />
i. Il est permis <strong>de</strong> penser que dans certaines circonstances, on ne<br />
<strong>de</strong>mandait pas l'inspiration; on en voit <strong>le</strong>s raisons dans Plutarque.
100 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
halaison fût la cause <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s : l'un et l'autre, eti y<br />
réfléchissant bien, ne pouvaient raisonnab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong><br />
croire. Une exhalaison, comme l'a dit Plutarquo, aurait<br />
produit l'enthousiasme chez <strong>le</strong> premier venu. îl<br />
eût été inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> choisir une femme plutôt qu'un<br />
homme, <strong>de</strong> lui imposer la chasteté, etc. L'exhalaison<br />
était donc loin d'expliquer la cause <strong>de</strong> l'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong> Delphes,<br />
et Cicéron n'a cité cette cause que parce qu'el<strong>le</strong><br />
était ridicu<strong>le</strong>.<br />
Cicéron. — Démosthène s'est plaint que la pythie<br />
philippisuit..., etc.<br />
Préten<strong>de</strong>z-vous que la pythie n'ait joué qu'un rô<strong>le</strong><br />
do fourbe, expliquez alors ces agitations, ces postures<br />
étranges, ces convulsions qui ont quelquefois<br />
causé sa mort ! Lorsque l'orac<strong>le</strong> refusant l'inspiration,<br />
on voyait la prêtresse expirer sous <strong>le</strong>s tortures du dieu<br />
qui voulait rester muet, était-ce fourberie? — Se fait-on<br />
mourir pour mieux tromper? Ceci n'exclut point, il est<br />
vrai, <strong>le</strong>s impostures <strong>de</strong>s prêtres; <strong>de</strong>s substances vénéneuses,<br />
par exemp<strong>le</strong>, ont pu, dira-t-on, être administrées.<br />
— Mais alors comment expliquer que la pythie<br />
ait pu dire dans cet état <strong>de</strong>s choses «fraies et bel/es,»<br />
et annoncer <strong>de</strong>s événements réalisés dans <strong>le</strong>s moindres<br />
circonstances? — Vous dites que <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s se taisent<br />
parce qu'on est moins crédu<strong>le</strong>; qui donc est moins<br />
crédu<strong>le</strong>? sont-ce <strong>le</strong>s épicuriens, qui nient sans examiner?<br />
Car <strong>le</strong>s vrais philosophes n'ont jamais cessé <strong>de</strong><br />
croire, excepté <strong>le</strong>s académiciens, dont la doctrine est<br />
<strong>de</strong> douter. <strong>Le</strong>s sophistes ont discrédité <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s,<br />
mais <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s n'ont cessé do répondre que lorsqu'on<br />
est <strong>de</strong>venu défiant et impie.<br />
Cicéron. — Même erreur à l'égard <strong>de</strong>s songes. On<br />
recomman<strong>de</strong> <strong>de</strong> s'y préparer par la frugalité... <strong>Le</strong>s<br />
vian<strong>de</strong>s ne chargent pas l'âme, etc.
AVEC LE DÉMON. 191<br />
La moitié d'un volume serait peut-être nécessaire<br />
pour abor<strong>de</strong>r convenab<strong>le</strong>ment ce sujet <strong>de</strong>s songes,<br />
traité si légèrement par Cicéron. S'il est possib<strong>le</strong> et admis<br />
que <strong>de</strong>s intelligences instruisent <strong>le</strong>s hommes dans<br />
<strong>le</strong> sommeil, il est bon que la digestion ne soit pas trop<br />
pénib<strong>le</strong>, que la matière n'oppose pas trop d'obstac<strong>le</strong> à<br />
Xinflux divin. — Enfin <strong>le</strong>s songes étaient loin d'être toujoursobscurs,<br />
comme on <strong>le</strong>verra dans l'exposé <strong>de</strong>s faits.<br />
Cicéron. — <strong>Le</strong>s esprits <strong>de</strong>s hommes se meuvent-ils<br />
en dormant, comme l'a pensé Démocrite?<br />
Laissez donc Démocrite, son système est faux et ridicu<strong>le</strong>.<br />
Cicéron dit que <strong>le</strong>s songes n'enseignent ni la physique,<br />
ni la géométrie, qu'il faut recourir ù l'art; s'ils<br />
nous apprennent à faire <strong>de</strong>s cures, pourquoi ne nous<br />
apprennent-ils pas à lire et à écrire ?<br />
<strong>Le</strong>s songes merveil<strong>le</strong>ux nous sont envoyés pour connaître<br />
ce que nous ne pouvons naturel<strong>le</strong>ment savoir:<br />
ils peuvent l'être aussi pour manifester aux hommes<br />
la possibilité <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs <strong>rapports</strong> <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux. Si <strong>le</strong>s<br />
songes enfin apprenaient tout, on verrait en eux une<br />
cause toute naturel<strong>le</strong>, il n'y aurait rien <strong>de</strong> merveil<strong>le</strong>ux.<br />
Cicéron. — <strong>Le</strong>s songes qu'on cite sont peut-être supposés.<br />
Accuserez-vous Xénophon <strong>de</strong> mensonge? a dit Quintus;<br />
vous et moi, n'avons-nous pas fait un songe merveil<strong>le</strong>ux?<br />
que vous importe qu'il y en ait <strong>de</strong> supposés?<br />
Cicéron. — J'ai vu Marius en songe. — L'image <strong>de</strong><br />
Marius, selon Démocrite, émane <strong>de</strong>s corps...<br />
— Pourquoi toujours citer Démocrite? Ici, d'ail<strong>le</strong>urs,<br />
il s'agit moins <strong>de</strong> chercher la cause <strong>de</strong>s songes que <strong>de</strong><br />
constater la réalité <strong>de</strong>s songes divins et <strong>de</strong> celui que vous<br />
avez trouvé si merveil<strong>le</strong>ux... Pourquoi traitez-vous<br />
donc si légèrement un si grave sujet?
192 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Cicéron. —S'il ne s'en rencontrait jamais <strong>de</strong> véritab<strong>le</strong>s,<br />
la moindre femme n'y croirait pas.<br />
— Vous persistez donc à penser qu'ils s'accomplissent<br />
par hasard ; <strong>le</strong>s moindres circonstances qui se réalisent<br />
d'une manière si frappante prouvent <strong>le</strong> contraire.<br />
Un dragon a présenté dans sa gueu<strong>le</strong> la plante qui<br />
<strong>de</strong>vait guérir Ptolémée ; mais Cicéron s'étonne que ce<br />
dragon ait pu par<strong>le</strong>r <strong>avec</strong> une gueu<strong>le</strong> p<strong>le</strong>ine. — Pure<br />
plaisanterie, qui ne satisfait que ceux qui ignorent la<br />
certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s révélations dans <strong>le</strong>s songes.<br />
Ironie, sophismes, négations, tout a été bon à Cicéron<br />
pour renverser ce genre <strong>de</strong> divinations comme tous <strong>le</strong>s<br />
autres, parce qu'il veut détruire toutes <strong>le</strong>s superstitions<br />
qui ont subjugué <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. L'intention pouvait être<br />
bonne, mais <strong>le</strong>s moyens étaient mauvais : ni <strong>le</strong>s rail<strong>le</strong>ries,<br />
ni <strong>le</strong>s négations ne peuvent rien contre <strong>de</strong>s faits<br />
constants ; il ne convenait pas à Cicéron d'en par<strong>le</strong>r à<br />
la manière <strong>de</strong>s épicuriens, mais franchement, sérieusement;<br />
il <strong>de</strong>vait nier ce qui était réel<strong>le</strong>ment faux,<br />
s'abstenir pour <strong>le</strong>s faits douteux, discuter <strong>le</strong>s faits bien<br />
avérés, comparer ensemb<strong>le</strong> <strong>le</strong>s différents systèmes et<br />
essayer une explication.<br />
Cicéron avait-il réel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s opinions qu'il voulait<br />
imposer aux autres? — Il professait la philosophie <strong>de</strong><br />
son sièc<strong>le</strong> ; comme Épicure, plus préoccupé <strong>de</strong> la vie<br />
temporel<strong>le</strong> que <strong>de</strong> la vie future qui ne sert qu'à consister,<br />
il se disait sans doute: « Rejetons toutes ces<br />
vieil<strong>le</strong>ries qui nous troub<strong>le</strong>nt; auraient-el<strong>le</strong>s quelque<br />
chose <strong>de</strong> vrai, il faut <strong>le</strong>s exterminer sans pitié. »<br />
En pouvait-il être autrement sous <strong>le</strong> règne d'une<br />
philosophie matérialiste et sensuel<strong>le</strong>, qui repoussait la<br />
logique comme <strong>le</strong>s aridités métaphysiques? — Fait<br />
fâcheux, car la déca<strong>de</strong>nce d'une nation commence à
AVEC LE DÉMON. m<br />
l'instant même où el<strong>le</strong> tombe dans l'épicurisme et<br />
dans l'incrédulité. <strong>Le</strong> grand orateur vivait en vrai<br />
épicurien lui-même dans sa maison <strong>de</strong> campagne <strong>de</strong><br />
Pouzzo<strong>le</strong>s ; la contagion régnante l'ayant atteint, il en<br />
subissait l'influence funeste. On sait enfin que <strong>le</strong>s révolutions,<br />
source <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> malheurs et d'injustices,<br />
peuvent aussi faire naître chez ceux dont <strong>le</strong>s convictions<br />
sont faib<strong>le</strong>s un doute pénib<strong>le</strong>; on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />
alors s'il existe réel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s dieux. Cicéron dans<br />
sa jeunesse avait été discip<strong>le</strong> d'Antiochus, qui pensait<br />
que <strong>le</strong> vrai et <strong>le</strong> faux sont si confondus qu'on<br />
ne saurait <strong>le</strong>s distinguer ; ayant étudié sous Phèdre et<br />
sous Zenon, philosophes épicuriens, il conçut pour<br />
<strong>le</strong>ur secte la plus gran<strong>de</strong> estime : on se tromperait<br />
donc si on <strong>le</strong> classait parmi <strong>le</strong>s philosophes graves. <strong>Le</strong>s<br />
penseurs, <strong>de</strong>puis l'antiquité jusqu'à nous, ont porté sur<br />
lui <strong>le</strong> même jugement. Saint Augustin dit que Cicéron<br />
aie toute science <strong>de</strong> choses à venir, et que selon lui, par<br />
conséquent, l'on ne saurait rien prédire...; il tâche d'anéantir<br />
toute prophétie par <strong>de</strong> vains raisonnements...;<br />
par un discours détestab<strong>le</strong>, il montre qu'il avait peur<br />
<strong>de</strong> tomber d'accord du <strong>de</strong>stin. Saint Augustin fait voir<br />
pourtant qu'il pouvait éviter cette erreur. :<br />
— Ail<strong>le</strong>urs il<br />
dit : Vir gravis Tullius et philosophaster (un prétendu<br />
philosophe).<br />
<strong>Le</strong> jugement d'un célèbre littérateur contemporain<br />
ne lui est guère plus favorab<strong>le</strong>: « Cicéron, dit M. Vil<strong>le</strong>main,<br />
n'a rien <strong>de</strong> déterminé, tantôt il rit <strong>de</strong>s croyances,<br />
tantôt il espère l'avenir d'une vie sans fin ; sceptique,<br />
matérialiste ou religieux, selon que son sujet <strong>le</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>,<br />
on ne peut rien dire <strong>de</strong> lui, son opinion n'est<br />
pas arrêtée. »<br />
Aux philosophes du dix-huitième et du dix-neuvième<br />
sièc<strong>le</strong> Cicéron a fourni <strong>de</strong>s armes contre tout ce qu'on<br />
t. i»
194 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
a nommé la superstition... Ils ont adopté non-seu<strong>le</strong>ment<br />
ses sentiments, mais souvent sa métho<strong>de</strong>, c'està-dire,<br />
ils ont quelquefois été frivo<strong>le</strong>s, ricaneurs, incrédu<strong>le</strong>s<br />
; ils ont méprisé <strong>de</strong>s croyances jusque-là respectées,<br />
et, pour asseoir <strong>le</strong> règne <strong>de</strong> la raison, ils ont trop<br />
souvent déraisonné.<br />
Cicéron favorisa l'incrédulité en montrant que <strong>le</strong>s<br />
traditions sur l'intervention <strong>de</strong>s dieux étaient <strong>de</strong>s<br />
puérilités et <strong>de</strong>s faussetés. Il favorisa <strong>le</strong> scepticisme<br />
en faisant voir, — ce qui est vrai, — que la<br />
philosophie seu<strong>le</strong> ne peut rien déci<strong>de</strong>r sur la divinité.<br />
Enfin il attaqua tout, renversa tout et n'édifia<br />
rien.<br />
<strong>Le</strong>s croyances <strong>de</strong>s Gentils étaient méprisab<strong>le</strong>s, détestab<strong>le</strong>s;<br />
était-ce donc une raison pour nier <strong>de</strong>s faits<br />
partout si bien attestés? <strong>Le</strong> but <strong>de</strong> Cicéron n'était pas<br />
d'éclairer, mais <strong>de</strong> détruire à tout prix <strong>le</strong>s superstitions;<br />
pour sortir d'un mal il tombait dans un plus<br />
fâcheux encore, l'indifférence en religion, <strong>le</strong> mépris<br />
pour <strong>le</strong>s faits qui l'établissent. Il se jetait dans l'impiété,<br />
et entraînait <strong>avec</strong> lui dans l'impiété qui mine <strong>le</strong>s sociétés<br />
; cel<strong>le</strong>-ci, fil<strong>le</strong> <strong>de</strong>s mœurs dépravées, en <strong>de</strong>vient<br />
aussi la mère et <strong>le</strong>s propage.<br />
Cicéron, auquel nous nous sommes peut-être trop<br />
arrêté, ne <strong>de</strong>vait pas se borner à montrer ce que <strong>le</strong>s<br />
opinions <strong>de</strong>s diverses sectes avaient d'erroné; et si<br />
toutes fournissaient <strong>de</strong>s armes contre el<strong>le</strong>s-mêmes,<br />
l'Académie, mélange bizarre <strong>de</strong> stoïcisme, <strong>de</strong> matérialisme,<br />
d'épicurisme et <strong>de</strong> scepticisme, n'avait guère<br />
<strong>le</strong> droit <strong>de</strong> <strong>le</strong>s attaquer. La doctrine platonicienne,<br />
malgré ses contradictions et ses erreurs, était moins<br />
déraisonnab<strong>le</strong>, puisqu'el<strong>le</strong> était moins en opposition<br />
<strong>avec</strong> <strong>de</strong>s faits qui ont <strong>le</strong>ur logique et <strong>le</strong>ur puissance;<br />
aussi, comme on va <strong>le</strong> voir, ces mêmes faits continue-
AVEC LE DÉMON. 195<br />
ront <strong>de</strong> se manifester et l'impiété régnera <strong>avec</strong> la superstition.<br />
On est loin <strong>de</strong> donner comme excel<strong>le</strong>ntes ces réf<strong>le</strong>xions<br />
écrites à mesure qu'el<strong>le</strong>s se présentaient à<br />
l'esprit : Quintus, on <strong>le</strong> répète, avait sans doute <strong>de</strong><br />
meil<strong>le</strong>urs arguments qui nous échappent.
DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
CHAPITRE III<br />
Résultais <strong>de</strong> la philosophie chez, <strong>le</strong>s Humain*. —L'incrédulité et l'impiété <strong>de</strong><br />
venues une <strong>de</strong>s causes <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur déca<strong>de</strong>nce.<br />
L'épicurisme produisit ce qu'il produira toujours,<br />
un sensualisme grossier; l'académisme avait pour résultat<br />
la mort <strong>de</strong> l'intelligence, l'immobilité <strong>de</strong> l'esprit.<br />
A quoi bon chercher la vérité lorsqu'on désespère dp<br />
pouvoir jamais la rencontrer? <strong>Le</strong> stoïcisme continua<br />
<strong>de</strong> croire à son dieu Nature. L'absurdité du polythéisme<br />
était reconnue ainsi que ses fab<strong>le</strong>s. « — Qu'il y<br />
ait <strong>de</strong>s enfers, <strong>de</strong>s mânes, <strong>de</strong>s milliers d'hommes qui<br />
passent dans une barque après <strong>le</strong>ur mort, dit Juvénal,<br />
<strong>le</strong>s enfants mômes ne <strong>le</strong> croient pas. » — On se flatte<br />
d'avoir secoué <strong>le</strong> joug <strong>de</strong>s vieil<strong>le</strong>s croyances, l'incrédulité<br />
et l'impiété parmi <strong>le</strong>s grands sont à <strong>le</strong>ur apogée ; on<br />
peut s'en convaincre lorsqu'on sait que César déclara<br />
un jour en p<strong>le</strong>in sénat que <strong>le</strong> dogme <strong>de</strong>s peines et<br />
<strong>de</strong>s récompenses était sans fon<strong>de</strong>ment. S'il ne jugeait<br />
pas qu'il fût uti<strong>le</strong> à sa politique <strong>de</strong> cacher un tel sentiment,<br />
il fallait que l'irréligion fût déjà bien répandue<br />
; toutefois il faut excepter <strong>le</strong> vulgaire, qui arrive<br />
à l'impiété plus tardivement. — Ce résultat ne peut<br />
surprendre; ce qui pourrait causer <strong>de</strong> 1 etonnement,<br />
c'est que la superstition remplaça la religion. <strong>Le</strong>s phi-
AVEC LE DÉMON. 197<br />
losophes ont voulu renverser <strong>le</strong>s croyances religieuses<br />
pour abolir <strong>le</strong>s superstitions, et on est plus superstitieux<br />
que jamais : on ne croit plus à la magie qui met<br />
en rapport <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, mais à une magie naturel<strong>le</strong>,<br />
dont la cause est occulte; César athée était superstitieux<br />
comme une femme, et n'osait monter en voiture<br />
avant d'avoir prononcé certaines paro<strong>le</strong>s. Tibère exigeait<br />
qu'on <strong>le</strong> saluât quand il éternuait, pour <strong>le</strong> préserver<br />
d'un péril imminent. Néron ne croyait plus aux<br />
dieux, mais il donnait un royaume à un prince barbare<br />
qui lui apprenait la magie. Tibère l'étudia sous Thrasyl<strong>le</strong>;<br />
el<strong>le</strong> lui causa tant d'horreur, qu'il fit mourir tous<br />
<strong>le</strong>s magiciens.<br />
Tout ce que la goétie et la théurgie opéraient <strong>de</strong><br />
plus merveil<strong>le</strong>ux, pourra-t-on <strong>le</strong> croire! continua <strong>de</strong><br />
se produire. Avec une philosophie qui niait tout, qui<br />
riait <strong>de</strong> tout,"qui doutait <strong>de</strong> tout, aurait-on soupçonné<br />
<strong>de</strong> pareils résultats? Où sont donc ceux que<br />
Cicéron attendait <strong>de</strong> son œuvre? Il attaquait <strong>de</strong>s faits<br />
i<strong>de</strong>ntiques partout, et dès que l'on put supposer qu'ils<br />
venaient d'une cause occulte toute physique qui n'avait<br />
nul besoin <strong>de</strong> l'intervention <strong>de</strong>s dieux, ces phénomènes<br />
si constants ne furent plus rejetés. <strong>Le</strong>s épicuriens,<br />
<strong>le</strong>s matérialistes ne nient plus; cet agent<br />
mystérieux est inconnu, mais <strong>le</strong>s a<strong>tome</strong>s d'Épicure<br />
peuvent expliquer toutes ces merveil<strong>le</strong>s, et nous savons<br />
que <strong>le</strong>s stoïciens <strong>le</strong>s attribuent à une âme universel<strong>le</strong>,<br />
à la nature intelligente. Quant aux académiciens,<br />
dont <strong>le</strong> propre est <strong>de</strong> douter, s'ils n'affirment<br />
pas, n'ayant du moins pas <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> nier, ils restent<br />
indifférents.<br />
Ainsi tout prouve que la superstition n'a pas perdu<br />
un seul pouce <strong>de</strong> terrain après Cicéron : histoire,<br />
œuvres <strong>de</strong>s philosophes, écrits <strong>de</strong>s poètes, etc., tout
198 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
atteste qu'on croit encore aux songes, aux orac<strong>le</strong>s, aui<br />
guérisons superstitieuses, à l'enthousiasme ou furenr<br />
prophétique, à la magie bienfaisante ou malfaisante,<br />
aux transformations, à la nécromancie, et généra<strong>le</strong>ment<br />
enfin à tout ce que l'antiquité avait constamment<br />
cru.
AVEC LE DÉMON. 199<br />
CHAPITRE IV<br />
<strong>Le</strong>* prodiges continuent <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> notre ère jusqu'au cin<br />
quième. — Statues animées. — Divinations diverses. —Métamorphoses.—<br />
Orac<strong>le</strong>s. — Magie malfaisante. — Présages, prodiges. — Enthousiasme,<br />
fntaïf sacrée, extase, vue à distance, etc. — <strong>Le</strong>s dieux s'emparent <strong>de</strong><br />
l'hoitime, possessions. — Astrologie. — Aruspicine, augurie. — Guérisons<br />
ditines. — Lucrèce. — Pline.<br />
<strong>Le</strong>s prodiges continuent <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> notre ère<br />
jusqu'au cinquième.<br />
C'est vainement que Cicéron avait recommandé <strong>de</strong><br />
ne point ajouter foi aux songes. <strong>Le</strong>s monuments historiques<br />
en citent <strong>de</strong>s milliers qui se sont réalisés : ils rapportent<br />
<strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s obtenus en dormant dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s<br />
ou dans sa propre <strong>de</strong>meure. Pline (XXV, 6) par<strong>le</strong>,<br />
entre autres, d'une femme qui songea que son fds, soldat<br />
dans la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'empereur, avait été mordu par<br />
an chien enragé, et qu'il serait guéri s'il buvait <strong>le</strong> suc<br />
<strong>de</strong> la racine <strong>de</strong> cynorrhodon. Quand la <strong>le</strong>ttre <strong>de</strong> la mère<br />
arriva, dit Pline, <strong>le</strong> mala<strong>de</strong> avait déjà horreur <strong>de</strong> l'eau;<br />
on essaya <strong>le</strong> remè<strong>de</strong>, et, contre tout espoir, <strong>le</strong> mala<strong>de</strong><br />
fut guéri.<br />
On ne par<strong>le</strong>ra pas ici <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> songes cités par <strong>de</strong><br />
graves personnages, et dont <strong>le</strong>s philosophes n'ont pas<br />
dédaigné l'étu<strong>de</strong> : on pourrait en rapporter une fou<strong>le</strong><br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s noms <strong>de</strong> ceux qui s'en sont occupés. Thémistins,<br />
fameux philosophe du quatrième sièc<strong>le</strong>, n'imita<br />
point la légèreté <strong>de</strong> Cicéron en traitant <strong>le</strong> sujet <strong>de</strong>s
200 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
songes. « Il n'y faut pas croire si légèrement, dit-il, ni<br />
résister opiniâtrement. Croire que <strong>le</strong>s songes annoncent<br />
l'avenir et qu'on puisse <strong>le</strong> découvrir en s'y appliquant,<br />
c'est une croyance si universel<strong>le</strong>ment répandue,<br />
qu'il faut bien admettre qu'el<strong>le</strong> a quelque<br />
fon<strong>de</strong>ment. »<br />
Parmi ces songes, <strong>le</strong>s uns révélaient l'avenir, d'autres<br />
<strong>de</strong>s faits cachés, inconnus ; <strong>le</strong>s uns étaient clairs,<br />
d'autres avaient besoin <strong>de</strong>s interprétations <strong>de</strong> l'onéirocritie.<br />
Artémidore ne redouta ni fatigues ni dépenses<br />
pour connaître tout ce qui avait été dit sur <strong>le</strong>ur interprétation<br />
; il crut qu'Apollon lui avait inspiré son art, et<br />
affirmait qu'il pouvait répondre à toutes <strong>le</strong>s questions,<br />
qu'il en convaincrait <strong>le</strong>s moins crédu<strong>le</strong>s.<br />
On verra ail<strong>le</strong>urs <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> songes obtenus<br />
dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s.<br />
Statut» animées.<br />
On continua <strong>de</strong> penser que, dans certaines circonstances,<br />
<strong>le</strong>s statues donnaient <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> vie. Martial<br />
, Proclus, Maxime <strong>de</strong> Madaure, etc., <strong>le</strong>s apologistes<br />
qui viennent après Cicéron, en ont parlé comme<br />
d'un fait aussi certain que connu. (Voy. Arnobe,<br />
1. VI, etc.)<br />
« <strong>Le</strong>s esprits, dit saint Cyprien, sont cachés dans <strong>le</strong>s<br />
statues qui <strong>le</strong>ur sont consacrées. (De idol. vanitate.VU.)»<br />
« <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s, dit Firmicus Maternus, sont attirés<br />
vers l'image <strong>de</strong> Sérapis par <strong>le</strong>s sacrifices qu'on lui fait,<br />
comme ils <strong>le</strong> sont vers <strong>le</strong>s autres simulacres. (De errnre<br />
prof, reltff., XIV.) »<br />
Hiéroclès assurait qu'Apollonius avait vu chez <strong>le</strong>s<br />
brahmanes <strong>de</strong>s trépieds <strong>de</strong> pierre se mouvant tout<br />
seuls, etc.
AVEC LE DÉMON. 20«<br />
Divinations diverses.<br />
<strong>Le</strong>s philosophes païens, <strong>le</strong>s historiens, <strong>le</strong>s Pères<br />
nous apprennent que <strong>le</strong>s divinations artificiel<strong>le</strong>s et naturel<strong>le</strong>s<br />
continuèrent, comme on <strong>le</strong> prouvera plus loin.<br />
Constantin punit <strong>de</strong> mort ceux qui se livraient à la<br />
nécromancie, et plusieurs empereurs, en exerçant l'aruspicine,<br />
commirent <strong>de</strong>s cruautés qui font frissonner.<br />
On pratiquait aussi l'hydromancie ou divination par<br />
l'eau, la divination par <strong>le</strong> miroir ou cristallomancie, la<br />
dactyliomancie ou divination par <strong>le</strong>s anneaux, décrite<br />
dansAmmien Marcellin, etc.<br />
Métamorphoses.<br />
<strong>Le</strong>s métamorphoses chantées par <strong>le</strong>s poètes <strong>de</strong>puis<br />
Circé, étant crues même par <strong>le</strong>s philosophes, nous verrons<br />
que Varron lui-même ne sait que dire <strong>de</strong> ces faits<br />
étranges. Saint Augustin en rapporte qui se sont passés<br />
<strong>de</strong> son temps (Cité <strong>de</strong> Dieu, XVIII, 18). On connaît<br />
l'histoire <strong>de</strong> la femme changée en jument et guérie<br />
par saint Macaire. D'après Nicéphore, Tiridate, sous<br />
Constantin, se métamorphosait en pourceau.Tous ceux<br />
qui <strong>le</strong> voyaient, dit-il, croyaient voir un pourceau.<br />
Virgi<strong>le</strong> attribue à certaines plantes <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong><br />
transformer. Il est donc bien constant que la vieil<strong>le</strong><br />
croyance subsistait après Cicéron.<br />
Orac<strong>le</strong>s.<br />
<strong>Le</strong>s orac<strong>le</strong>s, qui <strong>de</strong>viendront bientôt tous muets,<br />
étaient encore consultés ; la plupart avaient pour or-
202 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
gan.es <strong>de</strong>s prêtres ou <strong>de</strong>s prêtresses qui parlaient sous<br />
l'empire du souff<strong>le</strong> ou d'une exhalaison, et oubliaient<br />
tout ce qu'ils avaient dit. Trajan, d'après <strong>le</strong> récit <strong>de</strong>s<br />
prédictions étonnantes <strong>de</strong> l'orac<strong>le</strong> d'IIéliopolis, se décida<br />
à <strong>le</strong> consulter; pour n'être point la dupe d'un<br />
imposteur, il prit ses mesures et envoya une <strong>le</strong>ttre<br />
bien scellée, en <strong>de</strong>mandant Une réponse. L'orac<strong>le</strong> fit<br />
renvoyer un bil<strong>le</strong>t blanc bien plié. <strong>Le</strong>s prêtres, dit<br />
Macrobe, furent effrayés d'un tel ordre; mais Trajan<br />
fut dans l'admiration, car sa <strong>le</strong>ttre ne contenait rien.<br />
Tacite dit que Vespasien, étant à A<strong>le</strong>xandrie, vou-'<br />
lant consulter Sérapis pour savoir s'il serait empereur,<br />
et ayant ordonné qu'on <strong>le</strong> laissât seul dans <strong>le</strong><br />
temp<strong>le</strong>, tout à coup il aperçut <strong>de</strong>rrière lui un <strong>de</strong>s<br />
principaux Égyptiens, nommé Basili<strong>de</strong>s, qu'il savait<br />
être éloigné d'A<strong>le</strong>xandrie <strong>de</strong> plusieurs journées <strong>de</strong><br />
chemin et retenu mala<strong>de</strong> au lit. Fort surpris, en sortant<br />
du temp<strong>le</strong> il interroge <strong>le</strong>s prêtres et tous ceux<br />
qu'il rencontre, pour savoir si Basili<strong>de</strong>s était à A<strong>le</strong>xandrie;<br />
il envoie même <strong>de</strong>s cavaliers où résidait Basili<strong>de</strong>s,<br />
et acquiert la certitu<strong>de</strong> qu'il a eu une vision<br />
prophétique et symbolique. Basili<strong>de</strong>s vient du grec Baoù.tvç,<br />
qui signifie roi, et l'apparition <strong>de</strong>vint ainsi la réponse<br />
à sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Ce passage <strong>de</strong> Tacite, en faisant<br />
voir que <strong>le</strong>s Romains après Cicéron continuèrent<br />
d'avoir foi aux orac<strong>le</strong>s, montre en même temps<br />
que ceux-ci répondaient <strong>de</strong> différentes manières aux<br />
consultants. Loin <strong>de</strong> n'y plus croire, l'incrédulité<br />
, au contraire, s'évanouissait <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s épreuves.<br />
On voit après Cicéron <strong>le</strong>s empereurs consulter <strong>le</strong>s<br />
orac<strong>le</strong>s. Tibère, Néron, Caligula, Vespasien, Titus,<br />
Adrien, Sévère, Caracalla, etc., tousse montrent aussi<br />
croyants que jamais. Plutarque, Tacite et autres historiens<br />
qui rapportent <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, avouent qu'ils trom-
AVEC LE DÉMON. 203<br />
paient quelquefois, mais qu'ils étaient souvent trèsvéridiques,<br />
ou au moins fort prodigieux ; savants et<br />
ignorants y avaient gran<strong>de</strong> confiance, malgré <strong>le</strong> scepticisme<br />
et l'impiété <strong>de</strong> ce temps. Ainsi Tibère, voulant<br />
détruire <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s près <strong>de</strong> Rome, fit apporter,<br />
dit Suétone, dans un coffre bien scellé <strong>le</strong>s sorts <strong>de</strong><br />
Préneste, mais il fut épouvanté quand il <strong>le</strong>s trouva<br />
vi<strong>de</strong>s. —Disjicere conatus est... sed majestate prœnestinarwn<br />
sort mm territus <strong>de</strong>stitua etc.<br />
On pourrait citer ainsi, d'après <strong>le</strong>s historiens, diverses<br />
consultations faites aux orac<strong>le</strong>s par <strong>le</strong>s empereurs<br />
et <strong>de</strong>s réponses merveil<strong>le</strong>uses, si on ne craignait<br />
d'être trop long.<br />
De la magie malfaisante.<br />
<strong>Le</strong>s historiens, <strong>le</strong>s philosophes, <strong>le</strong>s poètes citent tous<br />
<strong>le</strong>s opérations magiques qui effrayaient <strong>le</strong>s populations.<br />
On charmait par <strong>le</strong> mauvais regard, par <strong>le</strong>s simulacres,<br />
on croyait au pouvoir <strong>de</strong> la magie, on <strong>le</strong> redoutait,<br />
etc. Apulée, accusé <strong>de</strong> magie, n'excipe point<br />
<strong>de</strong>vant ses juges <strong>de</strong> l'absurdité d'une tel<strong>le</strong> accusation;<br />
il n'en nie pas la puissance : il prouve que <strong>le</strong> sujet<br />
qu'on l'accusait d'avoir fasciné ne remplissait pas <strong>le</strong>s<br />
conditions exigées par l'art magique. — Pline paraît<br />
croire à l'efficacité <strong>de</strong> l'opération qui faisait passer<br />
un champ dans celui du voisin, crime prévu par la loi<br />
<strong>de</strong>s Douze Tab<strong>le</strong>s. Certainement on y croyait, puisque<br />
Furius fut appelé <strong>de</strong>vant ses juges pour répondre à<br />
cette accusation 1<br />
.<br />
). Il est vraisemblab<strong>le</strong> qu'il s'agissait moins ici du terrain lui-môme<br />
que <strong>de</strong> l'engrais qui <strong>le</strong> fertilise. Cette <strong>de</strong>rnière opinion est d'autant<br />
plus admissib<strong>le</strong>, que la première accusation serait absur<strong>de</strong>... La pra-
204 DES IIAPP0RTS DE L'HOMME<br />
Par la magie on causait <strong>de</strong>s maladies graves. Tacite<br />
nous apprend que Germanicus mourut bien convaincu<br />
que sa mort était causée par <strong>le</strong>s opérations magiques<br />
<strong>de</strong> Plancine et <strong>de</strong> Pison. <strong>Le</strong>s lambeaux <strong>de</strong> cadavres, <strong>le</strong>s<br />
tab<strong>le</strong>ttes <strong>de</strong> plomb sur <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s son nom était inscrit,<br />
<strong>le</strong>s caractères magiques, <strong>le</strong>s diverses substances qu'on<br />
trouva, prouvèrent l'existence d'un maléfice. (Tacite,<br />
Anna<strong>le</strong>s, II.)<br />
On croyait aux voyages aériens <strong>de</strong>s magiciens. Pamphi<strong>le</strong><br />
se déshabil<strong>le</strong>, dit Apulée (Mélamorph.), el<strong>le</strong><br />
ouvre un coffret, se frotte <strong>avec</strong> une substance <strong>de</strong>puis<br />
<strong>le</strong>s pieds jusqu'à la tète, marmotte quelques paro<strong>le</strong>s,<br />
paraît métamorphosée en hibou, prend son vol et disparaît<br />
à tire-d'ai<strong>le</strong>, comme on <strong>le</strong> racontera <strong>de</strong> nos sorcières.<br />
Que l'œuvre d'Apulée ne soit qu'une fiction, on<br />
ne discute pas cette question; toujours est-il vrai que<br />
la prétendue vertu <strong>de</strong> l'onguent magique et <strong>le</strong> transport<br />
aérien ne sont pas sortis du cerveau <strong>de</strong> nos sorcières.<br />
On charmait par <strong>le</strong> regard. Virgi<strong>le</strong> a dit, dans ses<br />
Bucoliques, qu'un œil envieux a ensorcelé ses agneaux,<br />
et Horace, en parlant <strong>de</strong> Canidie, écrit, qu'el<strong>le</strong> avait<br />
faç.onné certaines images, etc. ; <strong>de</strong> sorte que <strong>le</strong> pouvoir<br />
malfaisant <strong>de</strong>s simulacres se trouve historiquement établi<br />
<strong>de</strong>puis l'antiquité jusqu'à Horace, Horace au roi<br />
Duffus ', et <strong>de</strong> Dulfus jusqu'à nos jours.<br />
<strong>Le</strong>s Instituiez <strong>de</strong> Justinien reconnaissent qu'on peut<br />
maléficier <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s. On était donc convaincu,<br />
après Cicéron comme avant lui, que la magie pouvait<br />
calmer la fureur, l'exciter, maléficier, etc.<br />
tique qui consiste à faire passer ainsi l'engrais existait encore dans <strong>le</strong><br />
Morvan il y a quelques années ; pendant cei'taines nuits, <strong>le</strong>s propriétaires<br />
d'un champ se voyaient forcés <strong>de</strong> <strong>le</strong> gar<strong>de</strong>r.<br />
1. <strong>Le</strong>s historiens assurent que Char<strong>le</strong>s IX et Henri VI moururent<br />
aussi ensorcelés au moyen d'images exposées au feu.
AVEC LE DÉMON. 20S<br />
Présages, prodiges.<br />
On pourrait penser, d'après Tite-Live, que <strong>de</strong> son<br />
temps on ne croyait plus aux présages envoyés par<br />
<strong>le</strong>s dieux; car il dit que, » par suite <strong>de</strong> cette incrédulité,<br />
on perdit l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> consigner <strong>le</strong>s prodiges<br />
dans <strong>le</strong>s anna<strong>le</strong>s. » — Sans doute, on reconnut<br />
que certains phénomènes, considérés longtemps<br />
comme prodiges, étaient naturels. Mais il en restait une<br />
certaine classe qui, quoiqu'on eût cessé <strong>de</strong> <strong>le</strong>s enregistrer,<br />
préoccupaient encore. Parmi <strong>le</strong>s anciens présages,<br />
plusieurs troublaient assez vivement l'esprit <strong>de</strong>s<br />
philosophes, malgré tout ce que Cicéron avait pu dire :<br />
c'étaient toujours <strong>le</strong>s apparitions <strong>de</strong> spectres, <strong>le</strong>s voix<br />
mystérieuses, <strong>le</strong>s armées aériennes et certains animaux<br />
qui continuèrent d'être regardés comme <strong>de</strong>s messagers<br />
<strong>de</strong> malheur. Cicéron vit lui-même un fait qui dut ébran<strong>le</strong>r<br />
son scepticisme. Valère-Maxime dit qu'un instant<br />
avant qu'on <strong>le</strong> prît dans sa villa <strong>de</strong> Caïète pour <strong>le</strong><br />
faire mourir, un corbeau arracha <strong>de</strong>vant Cicéron l'aiguil<strong>le</strong><br />
d'un cadran solaire; puis, s'attachant par <strong>le</strong> bec<br />
à sa tunique, il ne quitta prise qu'à l'arrivée <strong>de</strong> l'esclave<br />
qui annonça <strong>le</strong>s soldats chargés <strong>de</strong> <strong>le</strong> mettre à<br />
mort.<br />
On lit dans Dion Cassius que Drusus allait traverser<br />
l'Elbe, quand une femme gigantesque lui apparut; el<strong>le</strong><br />
lui dit, en lui reprochant son ambition, que son <strong>de</strong>stin<br />
ne lui permettait pas d'al<strong>le</strong>r plus loin. Peu après il<br />
mourut d'une chute <strong>de</strong> cheval.<br />
Dion lui-même eut un présage <strong>de</strong> sa mort et <strong>de</strong> cel<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> son fils. Plutarque raconte que Dion, assis un soir<br />
<strong>de</strong>vant sa porte, vit une gran<strong>de</strong> femme, qui, par son
206 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
costume, ressemblait aux furies <strong>de</strong>s tragédies, laquel<strong>le</strong><br />
se mit à balayer sa maison. Dion, effrayé, appela ses<br />
amis, <strong>le</strong>s priant <strong>de</strong> lui tenir compagnie pendant la nuit,<br />
craignant <strong>le</strong> retour du spectre. Quelques jours après,<br />
son fils se tua en tombant du haut d'un toit, et Dion<br />
lui-même fut mis à mort. (Plut., Vie <strong>de</strong> Dion.)<br />
Plutarque ( Vie d'A<strong>le</strong>xandre), en parlant <strong>de</strong>s prodiges<br />
qui précédèrent la mort <strong>de</strong> ce monarque, dit qu'il faut<br />
se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> mépriser ces signes, ainsi que <strong>de</strong> tout<br />
craindre.<br />
Ammien Marcellin (XXV, 2) rapporte que Julien,<br />
dont il était <strong>le</strong> secrétaire, dit un jour à ses confi<strong>de</strong>nts<br />
que l'apparition qu'on pensait être cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> son bon<br />
génie paraissait l'avoir abandonné; il <strong>le</strong>ur confia qu'étant<br />
pendant la nuit profondément occupé d'un sujet<br />
philosophique, il avait vu la figure du génie <strong>de</strong> l'empire<br />
lui apparaître <strong>avec</strong> un extérieur défait et bien différent<br />
<strong>de</strong> la manière qu'il lui était apparu quand il fut<br />
salué du titre d'Auguste; sa tête, sa corne d'abondance<br />
étaient voilées ; il <strong>le</strong> vit ensuite sortir d'un air triste.<br />
Julien ne put se défendre d'une certaine émotion;<br />
mais, se résignant 1<br />
, il se <strong>le</strong>va pour offrir <strong>de</strong>s sacrifices<br />
et conjurer <strong>le</strong>s maux qui <strong>le</strong> menaçaient; il eut plusieurs<br />
autres présages <strong>de</strong> sa mort.<br />
<strong>Le</strong> même historien cite, parmi <strong>le</strong>s présages <strong>de</strong> la<br />
mort <strong>de</strong> Va<strong>le</strong>ntinien, l'apparition <strong>de</strong> sa femme, alors<br />
absente, qu'il vit assise près <strong>de</strong> lui, <strong>le</strong>s cheveux épars<br />
1. Au même instant, Julien vit en sortant une longue traînée <strong>de</strong><br />
lumière sillonner l'air et s'évanouir. — Ammien Marcellin reconnaît<br />
que c'était un météore. Cependant, dit-il, <strong>de</strong>s aruspices, sur l'autorité<br />
du livre <strong>de</strong> Tarquitius{De rcb. divinis), <strong>de</strong>mandèrent que Julien<br />
ne livrât point batail<strong>le</strong> ; mais il n'en tint compte, etc.<br />
On examinera un jour comment il peut se faire que <strong>de</strong>s météores<br />
<strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s présages.
AVEC LE DÉMON. 207<br />
et vêtue d'habits <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil. <strong>Le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, contre son<br />
habitu<strong>de</strong>, son cheval se cabrait <strong>de</strong>vant l'écuyer et refusait<br />
do se laisser monter; <strong>le</strong> même jour, Va<strong>le</strong>ntinien<br />
mourut d'un coup <strong>de</strong> sang. On ne consignait donc plus,<br />
il est vrai, <strong>le</strong>s prodiges dans <strong>le</strong>s anna<strong>le</strong>s; mais il faudrait<br />
peut-être <strong>de</strong>s volumes pour contenir ceux auxquels<br />
<strong>de</strong> grands personnages ont ajouté foi <strong>de</strong>puis<br />
Auguste seu<strong>le</strong>ment jusqu'à la chute du paganisme 1<br />
.<br />
Non-seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s historiens rapportent <strong>le</strong>s prodiges<br />
qui concernaient <strong>de</strong>s personnages plus ou moins fameux,<br />
mais ceux qui annonçaient ces grands événements<br />
politiques qui changent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>stinées <strong>de</strong>s nations.<br />
L'apparition d'une croix à Constantin annonça aux<br />
païens que <strong>le</strong> christianisme allait triompher.<br />
Julien veut rebâtir <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m ; d'après<br />
l'aveu d'Ammien Marcellin (XXIII), <strong>de</strong>s globes <strong>de</strong> feu<br />
s'y opposent, et prouvent que la religion <strong>de</strong> Moïse a fait<br />
place à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jésus. On assure que <strong>de</strong>s croix apparurent<br />
partout. <strong>Le</strong>s aruspices en trouvaient jusque dans<br />
<strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes. (Athan. Kircher, De crucibus<br />
proàg., part. I.)<br />
Josèphe, entre autres prodiges par lui cités comme<br />
annonçant la ruine <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m, dit qu'il arriva, <strong>le</strong><br />
27 mai..., une chose qu'il craindrait <strong>de</strong> rapporter, si<br />
i. On sait que <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s fortuites étaient el<strong>le</strong>s-mêmes un présage.<br />
Val. Max., 1. I, cite entre autres celui-ci: — Caecilia, femme <strong>de</strong> Métcllus,<br />
avait une nièce prête à se marier, qu'el<strong>le</strong> mena, comme c'était<br />
la coutume, dans une chapel<strong>le</strong> pour chercher <strong>de</strong>s présages nuptiaux.<br />
La tante s'assit, la nièce se tint <strong>de</strong>bout ; el<strong>le</strong>s furent longtemps<br />
ainsi, sans rien entendre. La nièce, lasse d'être <strong>de</strong>bout, pria sa tante<br />
<strong>de</strong> la laisser asseoir pour quelques instants. — Très-volontiers, répondit<br />
la tante, je vous cè<strong>de</strong> ma place. Ces paro<strong>le</strong>s furent <strong>le</strong> présage qu'on<br />
cherchait. Cœcilia mourut bientôt, et son mari épousa sa jeune nièce.
•208 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>de</strong>s personnes qui l'ont vue n'étaient encore vivantes...<br />
Avant <strong>le</strong> <strong>le</strong>ver du so<strong>le</strong>il, on aperçut en l'air <strong>de</strong>s gens<br />
armés qui semblaient vouloir enfermer la vil<strong>le</strong>.<br />
Tacite (Histor., V, 3), en rapportant ces prodiges,<br />
blâme <strong>le</strong>s Juifs <strong>de</strong> n'avoir pas essayé <strong>de</strong> détourner ces<br />
funestes présages par <strong>de</strong>s sacrifices.<br />
Cherchez la cause <strong>de</strong> tout cela, avait dit Cicéron (en<br />
parlant <strong>de</strong>s prodiges), si cela s'est fait, ce n'est point un<br />
prodige... — L'épicurien qui avait applaudi ces paro<strong>le</strong>s<br />
n'invoquait plus la Divinité pour en conjurer <strong>le</strong>s menaces,<br />
mais souvent, épouvanté en présence <strong>de</strong>s faits,<br />
on <strong>le</strong> voyait dans son impiété plus superstitieux que jamais:<br />
ce fut <strong>le</strong> seul fruit que la philosophie matérialiste<br />
<strong>de</strong>vait recueillir <strong>de</strong> ses négations et <strong>de</strong> ses sophismes,<br />
car on ne cessa <strong>de</strong> croire aux faits, malgré <strong>le</strong>s raisonnements<br />
<strong>de</strong> Cicéron.<br />
Pline dit (II, 58) qu'on a vu, dans <strong>le</strong> temps <strong>de</strong>là<br />
guerre contre <strong>le</strong>s habitants d'Améria, <strong>de</strong>s armées et <strong>de</strong>s<br />
combats dans <strong>le</strong>s airs, et on a entendu, dans cel<strong>le</strong> contre<br />
<strong>le</strong>s Cimbres, <strong>le</strong> son <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs trompettes, <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>urs armes, ce qui est arrivé plusieurs fois auparavant,<br />
ajoute-t-ii, et <strong>de</strong>puis.<br />
Enthousiasme, fureur sacrée, exlase, vue à dislance, elc.<br />
Cicéron a montré à Quintus toute la surprise qu'il<br />
éprouvait du privilège <strong>de</strong> l'enthousiasme qui rendrait<br />
un insensé plus clairvoyant qu'un sage. Après Cicéron<br />
pourtant, comme avant lui, <strong>le</strong>s faits se multiplient;<br />
l'enthousiasme ou délire sacré se manifestait souvent;<br />
on en a vu la preuve en parlant <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, qui cependant<br />
cesseront bientôt <strong>de</strong> répondre. Mais la fureur sacrée<br />
s'emparait encore <strong>de</strong>s païens longtemps après<br />
Cicéron : « Quand j'étais jeune, dit saint Augustin (Cité
AVEC LE DÉMON. 20»<br />
<strong>de</strong> Dieu, 11,4), j'allais à ces spectac<strong>le</strong>s sacrilèges, je contemplais<br />
<strong>le</strong>s postures étranges <strong>de</strong> ceux qui étaient pris<br />
<strong>de</strong> fureur...» — On ne doutait point qu'on ne vît dans<br />
une sorte d'extase ce qui se passait au loin. Aulu-Gel<strong>le</strong>,<br />
cent trente ans après Cicéron, bien convaincu <strong>de</strong> ce<br />
phénomène, rapporte encore celui <strong>de</strong> Cornélius, qui<br />
avait vu en p<strong>le</strong>in jour la batail<strong>le</strong> qui se donna entre César<br />
et Pompée, et racontait dans <strong>le</strong>s moindres détails <strong>le</strong>s<br />
péripéties <strong>de</strong> l'action et ses diverses circonstances. Comment<br />
douter <strong>de</strong>s faits passés, puisqu'on en voyait <strong>de</strong><br />
semblab<strong>le</strong>s? Apollonius, que <strong>le</strong>s païens, à cause <strong>de</strong> ses<br />
prodiges,opposaient à Jésus-Christ comme un homme<br />
divin, et que <strong>le</strong>s chrétiens considéraient comme magicien,<br />
n'avait-il pas vu la mort <strong>de</strong> Domitien, quoique fort<br />
éloigné du lieu où il était? Dion et Philostrate racontent<br />
qu'Apollonius, monté sur un tertre, d'où il parlait à<br />
une nombreuse assemblée, s'écria tout à coup que<br />
Domitien était tué. Il semblait qu'il fût présent à l'action,<br />
disent-ils— «C'est bienfait! Etienne, s'écriait<br />
Apollonius. Courage, Etienne, frappe <strong>le</strong> tyran, <strong>l'homme</strong><br />
sanguinaire... » Il fut vérifié qu'à la même heure Domitien<br />
avait succombé <strong>de</strong> la même manière.<br />
Didyme, philosophe à A<strong>le</strong>xandrie, étant comme en<br />
extase dans sa chaise, — dit Sozomène (VI, 2), « vit <strong>de</strong>s<br />
chevaux blancs qui couraient en l'air, et il entendit crier<br />
à ceux qui étaient <strong>de</strong>ssus : Al<strong>le</strong>z dire à Didyme que<br />
Julien vient d'être tué... et qu'il apprenne cette nouvel<strong>le</strong><br />
à Athanase. » En effet, Julien était mort.<br />
Théodoret (Hist. <strong>de</strong> l'Égl., III, 24) rapporte qu'un<br />
moine du nom <strong>de</strong> Julien, dit Sabas, priait <strong>avec</strong> ferveur,<br />
connaissant <strong>le</strong>s menaces <strong>de</strong> Julien contre l'Église. Quoique<br />
son monastère fût à plus <strong>de</strong> vingt journées du camp<br />
<strong>de</strong>s Romains, un jour, tandis qu'il priait <strong>avec</strong> larmes,<br />
ses gémissements se changèrent tout à coup en signes<br />
i. 14
210 DES RAPPORTS DR L'HOMME<br />
d'allégresse; ses amis lui en <strong>de</strong>mandant la cause, il<br />
répondit que <strong>le</strong> sanglier qui avait ravagé la vigne du<br />
Seigneur était mort. Effectivement, dit Théodoret, sa<br />
mort était arrivée au jour et à l'heure même où ce vieillard<br />
l'avait annoncée 1<br />
.<br />
Cette faculté <strong>de</strong> voir <strong>le</strong>s choses éloignées ou cachées,<br />
dont il no s'agit pas encore <strong>de</strong> rechercher la cause,<br />
n'était pas constamment due à un état extatique.<br />
Dos que Jarchas, <strong>le</strong> plus fameux <strong>de</strong>s brahmanes selon<br />
saint Jérôme, eut envisagé Apollonius, il <strong>le</strong> salua par<br />
son nom en grec, lui <strong>de</strong>manda une <strong>le</strong>ttre que Phraorte<br />
l'avait chargé <strong>de</strong> lui remettre, vit avant <strong>de</strong> l'ouvrir<br />
qu'il y manquait une <strong>le</strong>ttre. C'était un d. Jarchas dit à<br />
Apollonius <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> son père, <strong>de</strong> sa mère, <strong>de</strong> se9<br />
parents ; il sait quel<strong>le</strong> est son instruction, connaît ses<br />
voyages, <strong>le</strong>ur durée, ce qui lui est arrivé, ce qu'il a dit<br />
en chemin, ce qu'il a fait, eto., etc. (Réponse dEusèbe<br />
à Hièroclès.)<br />
<strong>Le</strong>s dieux s'emparent <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, jmssessions.<br />
On ne dira qu'un mot <strong>de</strong> cet état, qui sera examiné<br />
amp<strong>le</strong>ment un jour. —Cette maladie extraordinaire,<br />
que <strong>le</strong>s chrétiens nomment possession, était connue <strong>de</strong>s<br />
Gentils dès la plus haute antiquité. — Homère, en parlant<br />
d'un patient, ditqu'un <strong>démon</strong> ennemi est entré dans<br />
i. Ces faits no sont point rapportes ici comme exemp<strong>le</strong>s d'extases<br />
diaboliques, mais comme exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> vues à distance. Sans vouloir<br />
encore expliquer <strong>le</strong> phénomène, on note que ces faits <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> vue<br />
se présentent dans tous <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s et chez tons <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s. — Sparticn<br />
écrit qu'un enfant découvrit, par la secon<strong>de</strong> vue, à JJidius Julianus,<br />
l'arrivée <strong>de</strong> César et <strong>le</strong> départ <strong>de</strong> Julien. — Un solitaire vit, <strong>de</strong>puis<br />
Constanlinop<strong>le</strong>, l'empereur Vu<strong>le</strong>ns périr dans une grange où il s'était<br />
réfugié, cl où <strong>le</strong>s fîolhs avaient mis <strong>le</strong> fou. Cet enfant en était a plus<br />
<strong>de</strong> dix lieues. — Nicéphorc, 1. 2, c. KO.
AVEC LE DËMOJV.<br />
son corps (V. Massé). On attribuait à Salomon certains<br />
secrets pour chasser <strong>le</strong>s esprits. Saiil, dans l'Ancien<br />
Testament, était possédé, hescerrùi, <strong>le</strong>s larvarvmp<strong>le</strong>ni<br />
se montrent, comme Saûl, <strong>avec</strong> l'esprit troublé; ils<br />
prédisaient l'avenir, <strong>de</strong>s phénomènes étranges se manifestaient.<br />
C'est surtout à la venue du Christ qu'ils se<br />
multiplièrent. Bientôt après, ces phénomènes <strong>de</strong>vinrent<br />
épouvantab<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong> délire sacré était une sorte <strong>de</strong> possession.<br />
Ce qu'il faut constater ici, c'est que <strong>le</strong>s personnes<br />
atteintes <strong>de</strong> cet état après Cicéron, <strong>de</strong>vinrent<br />
plus nombreuses et l'état lui-même <strong>de</strong>vint plus épouvantab<strong>le</strong>.<br />
La mère d'un jeune homme possédé du <strong>démon</strong> <strong>de</strong>puis<br />
<strong>de</strong>ux ans se présente à Jarchas, lui raconte qu'el<strong>le</strong><br />
désirait lui amener son fils, mais <strong>le</strong> <strong>démon</strong> l'a menacée<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong> faire mourir Jarchas l'écoute <strong>avec</strong> bonté et lui<br />
dit ; n Ayez p<strong>le</strong>ine confiance, <strong>le</strong> <strong>démon</strong> ne tuera pas<br />
votre fils, si vous lui portez ceci à lire, » et <strong>le</strong> sage<br />
Indien lui remit une <strong>le</strong>ttre, etc.. (Rép. dEusèbe.)<br />
On pourrait grossir <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong> ces citations.<br />
Astrologie.<br />
On continua d'étudier l'astrologie. — Que <strong>le</strong>s astres,<br />
disait-on, soient gouvernés par <strong>de</strong>s intelligences, ou<br />
qu'un esprit universel intelligent <strong>le</strong>s dirige comme <strong>le</strong>s<br />
autres parties <strong>de</strong> notre vaste univers, il est hors <strong>de</strong><br />
doute qu'ils ont un empire sur nous. On prouverait par<br />
<strong>de</strong>s faits qu'on ne cessa <strong>de</strong> se livrer à cette science.<br />
Suétone, liv. 1", dit que Tibère négligeait <strong>le</strong>s dieux et<br />
la religion, mais s'occupait d'astrologie.<br />
Jruspicine, augurie.<br />
L'aruspicine, malgré tout ce que Cicéron avait dit
212 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
contre cette prétendue science, fut plus consultée peutêtre<br />
que jamais. <strong>Le</strong>s faits parlaient plus haut que <strong>le</strong>s<br />
déclamations <strong>de</strong>s sceptiques. Ammien Marcellin (XX)<br />
s'exprime ainsi : « <strong>Le</strong>s entrail<strong>le</strong>s prophétiques, qui<br />
prennent, comme on sait, <strong>de</strong>s formes sans nombre,<br />
découvrent l'avenir à ceux qui <strong>le</strong>s consultent <strong>avec</strong> attention.<br />
»<br />
Celse fait entrer dans <strong>le</strong>s diverses divinations tout ce<br />
qu'on apprend par <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes. (V. Orig.<br />
c. Celse.)<br />
Pline dit : « On donne comme certain, c'est une opinion<br />
généra<strong>le</strong>, que <strong>de</strong>s imprécations ayant interrompu<br />
la prière... soudain <strong>le</strong> cœur et <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes<br />
ont disparu ou se sont trouvés doub<strong>le</strong>s sans qu'el<strong>le</strong>s<br />
eussent fait aucun mouvement. » (Pline, XXVIII, 3.)<br />
<strong>Le</strong>s empereurs ont été accusés d'avoir, en pratiquant<br />
l'aruspicine, commis <strong>de</strong>s atrocités si affreuses,<br />
que la gran<strong>de</strong> conviction qu'ils avaient <strong>de</strong>s avantages<br />
qu'en retirait <strong>le</strong>ur politique ne saurait jamais <strong>le</strong>s excuser.<br />
Ammien Marcellin veut disculper Julien son maître<br />
<strong>de</strong> ces monstruosités, mais il avoue ses pratiques superstitieuses.<br />
11 étudia, dit-il, l'art <strong>de</strong>s augures et y fit<br />
<strong>de</strong>s progrès; il apprit par ce moyen qu'il succé<strong>de</strong>rait à<br />
Constance, dont la mort lui fut révélée.<br />
On doit en dire autant <strong>de</strong> l'augurie; <strong>de</strong> sorte qu'on<br />
pourrait croire que <strong>le</strong>s augures, quelques sièc<strong>le</strong>s après<br />
Cicéron, plus instruits que lui dans l'augurie, ne riaient<br />
plus en se regardant. — « Ce n'est pas la fantaisie <strong>de</strong>s<br />
oiseaux, dit AmmienMarcellin, qui nous révè<strong>le</strong> l'avenir,<br />
qu'eux-mêmes ignorent, nul n'est assez dépourvu <strong>de</strong><br />
sens pour <strong>le</strong> dire ; la Divinité dirige <strong>le</strong>ur vol... il en est<br />
<strong>de</strong> même pour <strong>le</strong>urs cris...; rendue favorab<strong>le</strong> par <strong>de</strong>s<br />
cérémonies, el<strong>le</strong> suggère <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s. »
AVEC LE DÉMON. 213<br />
Guérisons divines.<br />
Lorsqu'on parcourt <strong>le</strong>s auteurs qui par<strong>le</strong>nt <strong>de</strong>s cures<br />
<strong>de</strong>s dieux et <strong>de</strong>s songes ; en voyant ce grand nombre <strong>de</strong><br />
faits extraordinaires après Cicéron comme avant lui,<br />
on est étonné qu'il ait osé nier <strong>de</strong>s faits qui paraissent<br />
avoir été si journaliers, si publics.<br />
Esculape, dit Celse, a été et est encore vu <strong>de</strong> plusieurs,<br />
tant Grecs que Barbares, guérissant <strong>le</strong>s mala<strong>de</strong>s,<br />
prédisant l'avenir, accordant divers bienfaits.<br />
(Orig. c. Celse, 1. III.)<br />
Hérodien dit que Caracalla se rendit dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong><br />
d'Esculape pour obtenir <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s en songe. (I, 8.)<br />
Marc-Aurè<strong>le</strong> remercie Sérapis <strong>de</strong> lui avoir indiqué<br />
en songe différents remè<strong>de</strong>s. Tantôt, dit-il, ce dieu<br />
ordonne à celui-ci <strong>de</strong> monter à cheval, à celui-là <strong>de</strong><br />
se faire verser <strong>de</strong> l'eau froi<strong>de</strong> sur <strong>le</strong> corps, à un autre<br />
<strong>de</strong> marcher nu-pieds sur la terre. (Pens., c. u.)<br />
Esculape, dit Galien, prescrivit un jour à un lépreux<br />
<strong>de</strong> faire un Uniment <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s vipères... et <strong>de</strong> s'en frotter<br />
tout <strong>le</strong> corps ; il fut entièrement guéri.<br />
Un Athénien et un Juif atteints chacun- d'une maladie<br />
différente, ayant consulté Esculape, en reçurent<br />
tous <strong>de</strong>ux la même ordonnance, <strong>de</strong> manger du porc.<br />
<strong>Le</strong> premier négligea <strong>de</strong> la suivre; mais <strong>le</strong> Juif s'en<br />
trouva si bien, que, malgré la loi mosaïque, <strong>le</strong> porc fut<br />
sa nourriture habituel<strong>le</strong>. (V. Philostrate, Vie a"Apolhmhis,<br />
1. III.)<br />
Sérapis ordonne à un mala<strong>de</strong> qui crachait <strong>le</strong> sang une<br />
boisson <strong>de</strong> sang <strong>de</strong> taureau, considéré comme poison<br />
dangereux; il en but et fut guéri. (V. iElien.)<br />
<strong>Le</strong> dieu ordonna à un autre <strong>de</strong> manger <strong>de</strong> la chair<br />
d'âne, qui <strong>le</strong> guérit <strong>de</strong> sa phthisie.
«14 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Un autre étant mala<strong>de</strong> pour avoir avalé <strong>de</strong>s œufs <strong>de</strong><br />
serpent, Sérapis lui ordonna <strong>de</strong> se faire mordre la<br />
main par une murène, et il recouvra la santé.<br />
Philostrate, parlant <strong>de</strong> la divination .et <strong>de</strong> ses avantages,<br />
disait que <strong>le</strong> plus grand était la mé<strong>de</strong>cine. «<strong>Le</strong>s<br />
mé<strong>de</strong>cins n'auraient jamais connu la mé<strong>de</strong>cine, si<br />
Esculapc, fils d'Apollon, n'eût composé ses remè<strong>de</strong>s<br />
d'après <strong>le</strong>s révélations <strong>de</strong> son père : <strong>de</strong> là, dit-il, vient<br />
la mé<strong>de</strong>cine. Jamais on n'eût osé se servir <strong>de</strong>s poisons<br />
comme remè<strong>de</strong>s. ( Vie d'Apollonius, III, 18.)<br />
Pline, Galien, Aristi<strong>de</strong>, Synésius attestent avoir<br />
évité <strong>de</strong> très-grands dangers par <strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s qui <strong>le</strong>ur<br />
ont été ainsi révélés, citent plusieurs plantes indiquées<br />
en songe, et confirment ainsi ce qu'on a dit précé<strong>de</strong>mment<br />
<strong>de</strong>s révélations <strong>de</strong>s dieux.<br />
<strong>Le</strong>s inscriptions, <strong>le</strong>s ex-voto 1<br />
sont <strong>de</strong>s monuments<br />
authentiques <strong>de</strong> ces guérisons divines qu'on retrouve<br />
dans <strong>le</strong>s débris <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s.<br />
Pierius Va<strong>le</strong>rianus cite l'inscription d'un monument<br />
érigé par un certain Frontanianus, qui déclare<br />
l'avoir fait pour avoir eu l'apparition d'Esculape et<br />
<strong>de</strong>s autres divinités.<br />
On aurait à faire ainsi mil<strong>le</strong> citations qui prouveraient<br />
ces songes et ces cures. Julien, Caracalla, Antonin<br />
y avaient une très-gran<strong>de</strong> confiance. Ce <strong>de</strong>rnier, pour<br />
témoigner sa reconnaissance à Sérapis, fit frapper plusieurs<br />
médail<strong>le</strong>s en son honneur. Dacier dit que rien<br />
n'est plus commun chez <strong>le</strong>s anciens que <strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s<br />
ainsi révélés, et il ajoute qu'il n'attacherait aucune importance<br />
à <strong>le</strong>urs coutumes crédu<strong>le</strong>s et superstitieuses,<br />
i. <strong>Le</strong>s ex-voto particulièrement, si nombreux et si intéressants,<br />
même au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la pathologie, mériteraient un chapitre<br />
spécial, s'il nous était permis d'être moins bref.
AVEC LB DÉMOS. Ut»<br />
si <strong>de</strong>s hommes très-sages, très-dignes <strong>de</strong> foi n'avaient<br />
parlé <strong>de</strong> ce qui <strong>le</strong>ur était arrivé dans <strong>le</strong>urs songes, etc...<br />
Dans Origène (c. Celse) on trouve confirmée la réalité<br />
<strong>de</strong> ces nombreuses guérisons. Grecs et Barbares, tous<br />
attestaient avoir vu <strong>le</strong> dieu, non en apparence, mais<br />
lui-même, prouvant sa présence par ses orac<strong>le</strong>s ou par<br />
<strong>le</strong>s guérisons qu'iL opérait.<br />
L'empereur Clau<strong>de</strong>, selon Suétone, fit un décret<br />
portant que tous <strong>le</strong>s esclaves qui se rendraient dans<br />
<strong>le</strong> temp<strong>le</strong> d'Esculape, situé dans une î<strong>le</strong>, seraient<br />
libres ; car <strong>le</strong>s maîtres trouvaient très-agréab<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />
faire guérir <strong>de</strong> cette manière. — Quel<strong>le</strong> fut la raison <strong>de</strong><br />
l'empereur, on l'ignore ; peut-être <strong>le</strong>s prêtres se plaignirent-ils<br />
<strong>de</strong> cette gran<strong>de</strong> affluence; el<strong>le</strong> prouverait,<br />
du reste, el<strong>le</strong>-même ces guérisons, qui remontaient à<br />
une haute antiquité, puisque tous <strong>le</strong>s anciens historiens,<br />
tels qu'Hérodote, Pausanias, Tite-Live, Varron,<br />
Strabon, etc., étaient unanimes pour <strong>le</strong>s attester.<br />
On verra <strong>le</strong>s Hébreux, ainsi séduits, se livrer aux mêmes<br />
pratiques que <strong>le</strong>s Gentils ; <strong>le</strong>s Pères eux-mêmes avouent<br />
ces cures merveil<strong>le</strong>uses chantées aussi par <strong>le</strong>s poètes.<br />
[V. Tibul<strong>le</strong>, etc.)<br />
On termine par une <strong>de</strong> ces cures qu'on va rapporter<br />
<strong>avec</strong> quelques développements. Aristi<strong>de</strong>, orateur<br />
grec, né au <strong>de</strong>uxième sièc<strong>le</strong>, raconte <strong>avec</strong> <strong>de</strong> longs<br />
détails (ce qu'on ne saurait faire ici) que <strong>le</strong> dieu Esculape<br />
l'avait <strong>de</strong>puis longtemps prévenu <strong>de</strong> se défier<br />
<strong>de</strong> l'hydropisie, et lui avait recommandé la chaussure<br />
égyptienne. Il eut une tumeur qui grossit d'une manière<br />
effrayante. <strong>Le</strong>s mé<strong>de</strong>cins ordonnaient l'incision,<br />
<strong>le</strong>dieu la défendait... Comme cette tumeurcroissait toujours,<br />
ses amis inquiets lui reprochaient, <strong>le</strong>s uns, son<br />
. trop <strong>de</strong> confiance... d'autres disaient autre chose; mais<br />
<strong>le</strong> dieu résistait, affirmant que cette tumeur <strong>le</strong> sauve-
216 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
rait, et accusait <strong>le</strong>s mé<strong>de</strong>cins d'ignorance; pendant<br />
quatre mois qu'el<strong>le</strong> augmenta, <strong>le</strong> dieu lui donnait ainsi<br />
chaque nuit <strong>de</strong>s prescriptions toutes plus merveil<strong>le</strong>uses<br />
<strong>le</strong>s unes que <strong>le</strong>s autres : c'étaient <strong>de</strong>s courses nu-pieds<br />
au milieu <strong>de</strong> l'hiver, et l'exercice à cheval, fort diffici<strong>le</strong><br />
dans sa position, car <strong>le</strong>s aines, particulièrement, étaient<br />
horrib<strong>le</strong>ment enflées ; l'enflure montait jusqu'au nombril...;<br />
Esculape ne l'abandonna pas, mais il se montrait<br />
parfois fort bizarre. Ainsi, par exemp<strong>le</strong>, il recommanda<br />
une nuit à son père nourricier, nommé Zozimc,<br />
<strong>de</strong> se rendre auprès d'Aristi<strong>de</strong> pour connaître ce qu'il lui<br />
avait prescrit, puis il ordonna à Aristi<strong>de</strong> d'al<strong>le</strong>r auprès<br />
<strong>de</strong> Zozime pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qu'il avait dit à ce <strong>de</strong>rnier.<br />
Ils se communiquèrent <strong>le</strong>s ordonnances d'Esculape;<br />
bref, tout alla bien, la tumeur d'Aristi<strong>de</strong> diminua<br />
considérab<strong>le</strong>ment. <strong>Le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, ses amis <strong>le</strong> complimentaient<br />
, quoique un peu défiants, et <strong>le</strong>s mé<strong>de</strong>cins<br />
voulaient toujours intervenir. Esculape ne <strong>le</strong> voulut<br />
pas. La suppuration étant excessive, <strong>le</strong>s chairs pouvaient<br />
s'altérer; <strong>le</strong> dieu ordonna <strong>de</strong> faire un Uniment <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s<br />
œufs, et en peu <strong>de</strong> jours la plaie fut si bien cicatrisée,<br />
qu'on n'y vit plus rien. (Aristi<strong>de</strong>, Disc, sacrés.)<br />
Dans ces nombreuses relations, <strong>le</strong>s songeurs n'avaient<br />
aucunes notions <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine ; souvent la maladie<br />
était incurab<strong>le</strong>, et <strong>le</strong>s mé<strong>de</strong>cins avaient échoué.<br />
Aristi<strong>de</strong> dit qu'il avait épuisé tous <strong>le</strong>s moyens à Rome et<br />
à Pergame, où <strong>le</strong>s mé<strong>de</strong>cins lui avaient déclaré ne rien<br />
connaître à sa maladie. La relation <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> d'Aristi<strong>de</strong><br />
peut faire naître <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s réf<strong>le</strong>xions. — A Ëlée, <strong>le</strong><br />
dieu lui prescrit un bain <strong>de</strong> mer, l'assurant qu'il trouvera<br />
près du portun vaisseau portant <strong>le</strong> nom d'Esculape;<br />
il <strong>de</strong>vra y entrer, et il entendra sortir <strong>de</strong> la bouche<br />
<strong>de</strong>s matelots <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s qui concor<strong>de</strong>ront <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />
événements du jour. Il se rend à Éléc, y trouve <strong>le</strong> bâti-
AVEC LE DÉMON. 217<br />
ment indiqué, et entend <strong>le</strong>s matelots chantant <strong>le</strong>s<br />
cures d'Esculape.<br />
Un jour <strong>le</strong> dieu avait prescrit à Aristi<strong>de</strong> une potion<br />
fort inusitée ; son mé<strong>de</strong>cin Théodose n'osant rien déci<strong>de</strong>r,<br />
on consulta <strong>le</strong> gardien du temp<strong>le</strong>, qui entendait<br />
souvent raconter <strong>de</strong>s songes; celui-ci répondit qu'un<br />
<strong>de</strong> ses collègues avait eu pendant la nuit <strong>le</strong> même<br />
songe, ce que ce <strong>de</strong>rnier confirma. — Quoique <strong>le</strong> remè<strong>de</strong><br />
fût très-dangereux, <strong>le</strong> mala<strong>de</strong> s'en trouva fort<br />
bien...<br />
Un jeune mala<strong>de</strong> s'était rendu dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> pour<br />
avoir en songe la révélation d'un remè<strong>de</strong>. Mais, au lieu<br />
<strong>de</strong> faire ce qui lui était prescrit, il mangea beaucoup,<br />
but jusqu'à s'enivrer et n'eut pas <strong>de</strong> songe. Un jour<br />
qu'il s'était emporté, Esculape lui dit en songe <strong>de</strong> s'adresser<br />
à Apollonius...; il se rendit alors à Éphèse, et<br />
celui-ci lui fit comprendre que <strong>le</strong>s dieux ne guérissaient<br />
que ceux qui tenaient à guérir.<br />
Quelquefois <strong>le</strong>s mala<strong>de</strong>s se communiquaient <strong>le</strong>urs<br />
songes, qui avaient parfois entre eux un rapport frappant.<br />
« A côté <strong>de</strong> moi, à Pergame, dit Aristi<strong>de</strong>, se<br />
trouvait un sénateur qui attendait aussi un songe. <strong>Le</strong><br />
dieu lui prescrivit une saignée, en lui disant qu'il venait<br />
aussi <strong>de</strong> me la prescrire, ce qui était vrai. »<br />
(Disc, sacrés.)<br />
Ce qu'on vient <strong>de</strong> rapporter suffira sans doute pour<br />
prouver que <strong>le</strong>s arguments fournis par Cicéron contro<br />
la divination et contre tout <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux en général<br />
eurent un résultat nul, en ce sens que l'on continua<br />
<strong>de</strong> se livrer à toutes ces pratiques et <strong>de</strong> croire aux<br />
mêmes faits; mais la plupart <strong>de</strong> ceux qui <strong>le</strong>s admettaient<br />
essayaient <strong>de</strong> <strong>le</strong>s expliquer par <strong>le</strong>s lois physiques,<br />
ainsi qu'on va <strong>le</strong> voir.<br />
Lorsqu'on ne niait pas <strong>le</strong>s phénomènes, on <strong>le</strong>s
218 DES RAPPORTS DB L'HOMME<br />
attribuait d'ordinaire à la nature. — La superstition '<br />
triompha, mais la religion tomba.<br />
<strong>Le</strong> peu <strong>de</strong> développement imposé par <strong>le</strong> plan <strong>de</strong> cet<br />
ouvrage à l'exposé qu'on vient <strong>de</strong> faire suffira, je<br />
pense, pour montrer que la superstition avait remplacé<br />
la religion; tel n'était pas <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> Cicéron, qui<br />
avait déclaré formel<strong>le</strong>ment qu'il voulait détruire la<br />
superstition et maintenir <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s dieux. (Divination,<br />
1. II.) On n'examinera pas si cette entreprise était<br />
praticab<strong>le</strong>, si el<strong>le</strong> <strong>de</strong>vient possib<strong>le</strong> à ceux qui nient <strong>le</strong><br />
surnaturel. On va voir ce qu'on fit pour expliquer ce<br />
qui avait été jusque-là considéré comme divin. — D'abord,<br />
quand <strong>le</strong>s faits semblaient inexplicab<strong>le</strong>s aux philosophes,<br />
ils <strong>le</strong>s rejetaient volontiers comme absur<strong>de</strong>s;<br />
et s'ils étaient trop bien attestés pour qu'on pût <strong>le</strong>s nier,<br />
dans ce cas on disait <strong>avec</strong> Cicéron : « Si <strong>le</strong> fait est vrai,<br />
soyez SÛT qu'il est naturel. » On comptait alors sur<br />
l'avenir <strong>de</strong> la science pour <strong>le</strong>s expliquer.<br />
Avant <strong>de</strong> poursuivre, il est bon peut-être <strong>de</strong> prévenir<br />
une objection sur <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux : <strong>le</strong>s historiens,<br />
dira-t-on, n'étaient-ils pas <strong>de</strong>s hommes crédu<strong>le</strong>s, imbus<br />
<strong>de</strong>s récits populaires qu'ils ont acceptés sans critique?<br />
ou bien n'ont-ils pas feint d'y croire, afin d'égayer<br />
<strong>le</strong>ur récit par <strong>de</strong>s fab<strong>le</strong>s dont ils sentaient la fausseté?<br />
etc. — Il n'en est pas ainsi ; il était constant à<br />
peu près pour toutes <strong>le</strong>s sectes qu'il se produisait <strong>de</strong>s<br />
1. On entend ici par superstition <strong>de</strong>s pratiques vaincs <strong>avec</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s<br />
on obtenait <strong>de</strong>s effets surprenants attribués à une cause fausse ou occulte.<br />
— Plusieurs, sans doute, croyaient au dieu Esculape, mais généra<strong>le</strong>ment<br />
ce n'était plus que <strong>le</strong> nom donné à cette cause occulte. Ainsi<br />
l'épicurien Celso, qui vantait <strong>le</strong>s cures d'Ksculape, ne croyait nul<strong>le</strong>ment<br />
à cette divinité. —Lorsqu'aujourd'bui <strong>le</strong>s magnétiscurs-/?u idi'sfes<br />
enten<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>urs somnambu<strong>le</strong>s dire qu'el<strong>le</strong>s voient <strong>de</strong>s esprits, ils n'en<br />
sont pas moins convaincu» que <strong>le</strong>s guérisons <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s-ci sont dues<br />
à <strong>le</strong>ur flui<strong>de</strong>.
AVBC LE DÉMON.<br />
phénomènes qu'on ne peut assimi<strong>le</strong>r pour <strong>le</strong>ur certitu<strong>de</strong><br />
à cet oiseau fabu<strong>le</strong>ux (<strong>le</strong> phénix) qu'on n'a jamais<br />
vu ni connu. Il s'agit ici <strong>de</strong> faits journaliers observés<br />
par une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> personnes ; <strong>de</strong> faits que <strong>le</strong>s épicuriens<br />
étaient intéressés à nier, car ils avaient alimenté la<br />
superstition, et ils avaient trop à cœur <strong>de</strong> l'anéantir<br />
pour admettre ce qui n'était propre qu'à l'entretenir.<br />
Si on s'est donné la peine <strong>de</strong> chercher une explication,<br />
si on a torturé <strong>le</strong> bon sens surtout pour en trouver une,<br />
soyez certains qu'on croyait fermement. On n'essaye<br />
pas d'expliquer ce qu'on a longtemps nié, ce qu'on a<br />
tant d'intérêt à rejeter.<br />
Une doctrine peut triompher, être généra<strong>le</strong>ment<br />
admise, mais ce n'est pas dire cependant que cel<strong>le</strong><br />
qui est méprisée n'ait plus <strong>de</strong> partisans. Ainsi on peut<br />
distinguer encore trois catégories <strong>de</strong> philosophes pendant<br />
l'existence du matérialisme après Cicéron : <strong>le</strong>s<br />
épicuriens, qui veu<strong>le</strong>nt jouir sans raisonner ; <strong>le</strong>s matérialistes,<br />
qui cherchent <strong>le</strong>s causes physiques et reconnaissent<br />
pour maître Démocrite ou Aristote ; ceux-ci<br />
pensaient que si on ne peut <strong>démon</strong>trer toujours <strong>le</strong> pouvoir<br />
<strong>de</strong> la nature, il n'en est pas moins sans limite ;<br />
et enfin <strong>de</strong>s philosophes célèbres, <strong>de</strong>s hommes graves<br />
qui continuent <strong>de</strong> suivre la doctrine spiritualiste et<br />
n'admettent pas qu'il soit possib<strong>le</strong> d'expliquer certains<br />
phénomènes sans l'intervention <strong>de</strong>s esprits.<br />
L'opinion <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>s philosophes n'est pas<br />
souvent assez marquée pour qu'on puisse <strong>le</strong>s classer<br />
nettement dans tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> éco<strong>le</strong>, car ils sont plus ou<br />
moins éc<strong>le</strong>ctiques. Il semb<strong>le</strong> qu'on n'ait rien à dire ici<br />
<strong>de</strong>s épicuriens ; c'est <strong>le</strong> contraire, parce que plusieurs<br />
d'entre eux appartiennent à la catégorie <strong>de</strong>s matérialistes,<br />
qui expliquent bizarrement <strong>le</strong>s faits.
220 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Lucrèce.<br />
Ce philosophe était un épicurien, qui essaya <strong>de</strong> concilier<br />
dans un long poëme <strong>le</strong> système d'Épicure, l'infini<br />
d'Anaximandre 1<br />
et <strong>le</strong>s a<strong>tome</strong>s <strong>de</strong> Démocrite. Son<br />
but avoué était encore <strong>de</strong> détruire la superstition, son<br />
vrai but ne fut-il pas plutôt d'établir l'athéisme?<br />
Citons la substance <strong>de</strong> quelques passages du poëme<br />
<strong>de</strong> Natura renmi. — Que pensait Lucrèce <strong>de</strong>s esprits,<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>urs apparitions? D'abord il croit aux faits; voici<br />
comment il <strong>le</strong>s explique : On affirme avoir vu <strong>de</strong>s esprits.<br />
Ce sont <strong>de</strong>s a<strong>tome</strong>s qui ont pris une forme. Il faut<br />
expliquer ce que nous appelons <strong>le</strong>s images <strong>de</strong>s choses...<br />
Ce sont comme <strong>de</strong>s membranes qui se détachent <strong>de</strong> la<br />
surface <strong>de</strong>s corps et qu'on prend pour <strong>de</strong>s spectres effrayants.<br />
.. —Lucrèce espère guérir <strong>de</strong> la crainte du retour<br />
<strong>de</strong>s âmes, et qu'on sera persuadé que <strong>le</strong>s ombres<br />
qui errent parmi <strong>le</strong>s vivants sont une pure fab<strong>le</strong>, et<br />
qu'on sera convaincu enfin qu'il ne reste rien <strong>de</strong> nous<br />
après notre mort. <strong>Le</strong>s apparitions semblaient prouver <strong>le</strong><br />
contraire; il <strong>le</strong>s explique. — Il est certain, dit-il, que<br />
<strong>le</strong>s corps envoient perpétuel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur surface<br />
<strong>de</strong>s images déliées, <strong>de</strong>s espèces <strong>de</strong> membranes ou<br />
d'écorces qui, quoique détachées, en conservent la<br />
forme... Il y a <strong>de</strong>s molécu<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong>s unes ressemb<strong>le</strong>nt<br />
à la fumée, d'autres dont <strong>le</strong>s parties <strong>le</strong>s plus<br />
con<strong>de</strong>nsées ressemb<strong>le</strong>nt à. la dépouil<strong>le</strong> <strong>de</strong>s ciga<strong>le</strong>s ou<br />
du serpent... Puisque l'expérience <strong>le</strong> confirme, il sort<br />
donc <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s corps une image superficiel<strong>le</strong> et dé-<br />
l. Ne pouvant exposer <strong>le</strong>s systèmes <strong>de</strong>s philosophes sur l'origine<br />
du mon<strong>de</strong>, on n'a rien dit <strong>de</strong> l'infini d'Anaximandre. C'était une sorte<br />
<strong>de</strong> chaos doué cependant <strong>de</strong> mouvement, résultat d'une force vita<strong>le</strong>.
AVEC LE DÉMON. 221<br />
liée... — Ce qu'on déci<strong>de</strong> en faveur <strong>de</strong>s corps visib<strong>le</strong>s,<br />
Lucrèce dit qu'on doit <strong>le</strong> déci<strong>de</strong>r aussi pour ceux qui,<br />
plus subtils, échappent à la vue... Ces corpuscu<strong>le</strong>s<br />
peuvent se détacher dans l'ordre <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur situation, la<br />
disposition extérieure <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs parties s'opposant à ce<br />
que rien ne s'altère dans la configuration qu'ils avaient<br />
avant <strong>le</strong>ur départ; quoique invisib<strong>le</strong>s séparément, une<br />
émanation continuel<strong>le</strong> finit par <strong>le</strong>s con<strong>de</strong>nser, alors ils<br />
frappent nos regards, il y a apparition.<br />
On ne peut suivre Lucrèce dans ses longues dissertations.<br />
Disons seu<strong>le</strong>ment qu'il pense que <strong>de</strong>s a<strong>tome</strong>s<br />
peuvent pareil<strong>le</strong>ment se réunir dans l'air. — Il ne faut<br />
pas s'imaginer, dit-il, que <strong>le</strong>s images s'écou<strong>le</strong>nt seu<strong>le</strong>ment<br />
du fond et <strong>de</strong> la surface <strong>de</strong>s corps, el<strong>le</strong>s sont<br />
quelquefois <strong>le</strong>ur propre ouvrage, apparaissent dans <strong>le</strong>s<br />
airs et y prennent toute sorte <strong>de</strong> figures.<br />
<strong>Le</strong>s apparitions étant expliquées <strong>de</strong> la sorte, il explique<br />
éga<strong>le</strong>ment la cause <strong>de</strong> certains bruits... — L'oreil<strong>le</strong><br />
ne perçoit un son que parce que ce son, étant<br />
corporel, a frappé cet organe. Alors, expliquant aussi<br />
<strong>le</strong>s échos, il y trouve la cause <strong>de</strong> ces voix qu'on a<br />
prises quelquefois pour <strong>de</strong>s voix <strong>de</strong> faunes, et montre<br />
qu'el<strong>le</strong>s sont produites par <strong>le</strong>s échos <strong>de</strong>s collines : il y<br />
en a qui répètent cinq et six fois <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s... Ainsi on<br />
affirme qu'on entend <strong>le</strong>s jeux <strong>de</strong>s satyres, <strong>de</strong>s nymphes,<br />
et <strong>le</strong>ur musique ; on assure qu'on a entendu Pan<br />
jouer <strong>de</strong> la flûte en branlant la couronne <strong>de</strong> pin qui<br />
pare sa tête cornue... On croit ces récits, mais ces bruits<br />
ne peuvent nous surprendre, la voix pénétrant partout...<br />
Il n'est pas étonnant qu'on l'enten<strong>de</strong> dans <strong>le</strong><br />
si<strong>le</strong>nce <strong>de</strong> la nuit, etc<br />
Lucrèce explique tout aussi matériel<strong>le</strong>ment la pensée...—Il<br />
y a un nombre prodigieux d'images qui se<br />
dispersent sous différentes formes ; <strong>le</strong>ur nature étant
222 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
extrêmement déliée, on s'imagine aisément que, se rencontrant<br />
dans l'air, el<strong>le</strong>s s'unissent entre el<strong>le</strong>s comme<br />
<strong>de</strong>s toi<strong>le</strong>s d'araignées ; <strong>le</strong>ur texture étant plus déliée<br />
que tout ce qu'on voit, el<strong>le</strong>s s'insinuent dans <strong>le</strong> corps,<br />
meuvent <strong>le</strong> sentiment et font connaître à la nature<br />
subti<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'esprit <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur impulsion. C'est<br />
à <strong>le</strong>ur émanation qu'il faut attribuer, dit Lucrèce, la<br />
vision <strong>de</strong>s centaures, <strong>de</strong>s cerbères à face <strong>de</strong> chien, <strong>de</strong>s<br />
spectres, etc. Il existe ainsi <strong>de</strong>s images <strong>de</strong> toute espèce<br />
, dont l'écou<strong>le</strong>ment intarissab<strong>le</strong> remplit toute la<br />
nature. <strong>Le</strong>s unes se forment d'el<strong>le</strong>s-mêmes, d'autres<br />
naissent du fond ou <strong>de</strong> la superficie <strong>de</strong>s choses, et<br />
d'autres <strong>de</strong> la réunion <strong>de</strong> figures dissemblab<strong>le</strong>s. L'image<br />
d'un centaure, par exemp<strong>le</strong>, n'émane pas d'un<br />
être qui ait jamais existé ; mais l'image qui s'échappe<br />
d'un cheval se rencontrant par hasard <strong>avec</strong> cel<strong>le</strong> qui<br />
sort d'un homme, el<strong>le</strong>s s'unissent et n'en forment<br />
qu'une seu<strong>le</strong> qui tient <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux natures.<br />
L'enten<strong>de</strong>ment, dit plus loin Lucrèce, est un assemblage<br />
<strong>de</strong> principes déliés... — Est-il rien qui persua<strong>de</strong><br />
mieux que la pensée est l'effet nécessaire <strong>de</strong>s<br />
images? etc.. — De sorte que l'esprit, d'après Lucrèce,<br />
est un être matériel, <strong>le</strong>quel, ébranlé par <strong>de</strong>s corpuscu<strong>le</strong>s<br />
qui ont pris <strong>de</strong>s formes diverses, perçoit <strong>de</strong>s<br />
apparitions do toute sorte. <strong>Le</strong>s corpuscu<strong>le</strong>s qui s'échappent<br />
d'un ami, d'un parent, fût-il mort ou vivant,<br />
peuvent affecter la forme du corps et révé<strong>le</strong>r à<br />
la nature déliée <strong>de</strong> notre esprit <strong>le</strong>s éléments qui survivent<br />
au corps. — On ne dira rien <strong>de</strong> ces explications;<br />
on aura plus tard occasion do faire voir ce qu'on doit<br />
penser <strong>de</strong> ces extravagances, qui ont trouvé <strong>de</strong> nombreux<br />
partisans.<br />
On va expliquer non moins physiquement la magie<br />
malfaisante et bienfaisante, <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s, etc.
AVEC LE DÉMON. ZZ3<br />
Pline,<br />
On vient <strong>de</strong> voir comment on expliquait <strong>le</strong>s apparitions<br />
et <strong>le</strong>s voix mystérieuses ; <strong>le</strong> surplus n'était pas<br />
moins faci<strong>le</strong>. Pline, matérialiste comme Lucrèce, lorsque<br />
<strong>le</strong>s faits étaient constants, ne reculait pas <strong>de</strong>vant<br />
<strong>le</strong>s explications <strong>le</strong>s plus absur<strong>de</strong>s. — Voyons d'abord<br />
sa profession <strong>de</strong> foi : « Dieu, quel qu'il soit, s'il en est<br />
un autre que <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, est tout yeux, tout oreil<strong>le</strong>,<br />
toute vie, etc..» (Pline, II, 5.) Croire <strong>le</strong>s dieux innombrab<strong>le</strong>s,<br />
ou, comme Démocrite, n'en admettre<br />
que <strong>de</strong>ux, la récompense et la peine, c'est folie—<br />
Pline trouve qu'il n'y a pas moins <strong>de</strong> folie à croire que<br />
ces dieux sont vieux, jeunes, mariés, etc. Toutes <strong>le</strong>s<br />
croyances et tous <strong>le</strong>s systèmes religieux ne lui semb<strong>le</strong>nt<br />
pa8plus sages <strong>le</strong>s uns que <strong>le</strong>s autres. Celui-là, dit-il,<br />
est un dieu pour <strong>le</strong>s hommes, qui <strong>le</strong>ur rend service...<br />
Jupiter, Mercure, etc., ne sont que <strong>de</strong>s nomenclatures<br />
symboliques <strong>de</strong> la nature... C'est folie <strong>de</strong> croire que<br />
l'Être suprême, quel qu'il soit, s'occupe <strong>de</strong> nous; toutefois,<br />
pour <strong>le</strong>s sociétés, il est uti<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong> croire, etc..<br />
L epicurisme <strong>de</strong> Pline n'étant plus douteux, voyons ce<br />
qu'il pense <strong>de</strong>s phénomènes considérés si longtemps<br />
comme surnaturels.<br />
La magie exercée par <strong>le</strong>s intrus dans <strong>le</strong>s sciences<br />
sacrées embarrassait <strong>le</strong>s philosophes. On a vu ce que<br />
disait Platon, ce que pensait Quintus <strong>de</strong>s prêtres d'I-<br />
BÎS. Il était logique <strong>de</strong> croire que <strong>le</strong>s dieux n'accordaient<br />
point à <strong>de</strong>s scélérats, à <strong>de</strong>s gens sans aveu la<br />
puissance d'opérer <strong>de</strong>s prodiges. Pline, comme épicurien,<br />
<strong>de</strong>vait refuser ce pouvoir aux uns et aux autres.<br />
« La magie est une science trompeuse, frivo<strong>le</strong>, » ditil<br />
(XXX); ce qui <strong>le</strong> lui prouve, c'est que Néron y a
224 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
renoncé, n'ayant pu apprendre <strong>de</strong> Tiridate <strong>le</strong> moyen<br />
<strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r aux dieux ; ce qui <strong>le</strong> lui prouve encore,<br />
c'est que dans <strong>le</strong>s mystères on emploie la taupe, qui<br />
est <strong>le</strong> rebut <strong>de</strong> la nature. La magie offre une ombre <strong>de</strong><br />
vérité, c'est cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s empoisonnements.—<strong>Le</strong>s substances<br />
employées étaient-el<strong>le</strong>s toutes naturel<strong>le</strong>ment propres à<br />
empoisonner, on ne <strong>le</strong> pensera pas en parcourant <strong>le</strong>s<br />
œuvres <strong>de</strong> Pline.<br />
11 est constant qu'il se moque <strong>de</strong>s superstitions<br />
magiques et <strong>de</strong> l'excessive crédulité <strong>de</strong>s anciens<br />
(XXVI, 0) : — Sans rien garantir, il rapporte <strong>le</strong>s<br />
pratiques et <strong>le</strong>s usages <strong>de</strong>s Barbares (XXVIII); il prévient<br />
qu'il a choisi <strong>le</strong>s recettes sanctionnées par une<br />
approbation à peu près unanime ; mais certains remè<strong>de</strong>s<br />
ne sont pour lui que <strong>de</strong>s rêveries, tant ils sont<br />
ridicu<strong>le</strong>s ou monstrueux : ainsi <strong>le</strong> sang <strong>de</strong> gladiateur<br />
contre l'épi<strong>le</strong>psie, et <strong>le</strong>s os du crâne d'un criminel<br />
employés par Démocrite contre certaines maladies,<br />
sont, aux yeux <strong>de</strong> Pline, <strong>de</strong>s recettes qui ne conviennent<br />
qu'aux Barbares. <strong>Le</strong>s vertus attribuées à certains<br />
végétaux sont absur<strong>de</strong>s : ainsi la plante œlhiopis, qui<br />
<strong>de</strong>ssèche un étang, et dont <strong>le</strong> seul contact ouvre <strong>le</strong>s<br />
endroits fermés; la plante achêmenis (XXVI, 9),<br />
qui jette <strong>le</strong> désordre dans <strong>le</strong>s rangs ennemis, excitent<br />
un sourire <strong>de</strong> pitié chez <strong>le</strong> grand naturaliste;<br />
cependant, quoiqu'il nie ainsi <strong>le</strong>s vertus chimériques<br />
que la superstition accor<strong>de</strong> à certaines substances, il<br />
en admet d'autres qui ne <strong>le</strong> sont pas moins. Aussi l'annotateur<br />
du livre I er<br />
<strong>de</strong> Pline (col<strong>le</strong>ction Panckoucke) a<br />
dit, en parlant <strong>de</strong> lui : « Nous regrettons, non pas <strong>de</strong><br />
« voir un homme inférieur à son sièc<strong>le</strong>, mais tout<br />
« juste au niveau..., incrédu<strong>le</strong> par bouta<strong>de</strong>, et crédu<strong>le</strong><br />
« lorsqu'il trouve sur sa route <strong>le</strong>s merveil<strong>le</strong>s du sang<br />
« <strong>de</strong> be<strong>le</strong>tte, etc. (XXVIII.)
AVEC LE DÉMON. 225<br />
Pline paraît croire à la vertu <strong>de</strong>s formu<strong>le</strong>s. « Il convient,<br />
dit-il, <strong>de</strong> la rapporter à <strong>l'homme</strong>. » Il croit que<br />
<strong>le</strong> cœur, <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes dans l'aruspicine<br />
disparaissent soudain ou se trouvent doub<strong>le</strong>s. — Comment<br />
ne <strong>le</strong> croirait-il pas? « La force <strong>de</strong> ces formu<strong>le</strong>s est<br />
confirmée par <strong>le</strong>s événements <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> huit sièc<strong>le</strong>s. »<br />
Pline croit qu'une simp<strong>le</strong> prière <strong>de</strong>s Vesta<strong>le</strong>s retient<br />
<strong>le</strong>s esclaves fugitifs..., « <strong>de</strong>s milliers d'exemp<strong>le</strong>s <strong>le</strong><br />
prouvent ; il est non moins avéré qu'il y a <strong>de</strong>s formu<strong>le</strong>s<br />
capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> faire tomber la foudre. Combien<br />
d'autres exemp<strong>le</strong>s ont fait voir qu'on change <strong>de</strong> hautes<br />
<strong>de</strong>stinées ou qu'on modifie <strong>le</strong>s présages »— » L'effet<br />
<strong>de</strong>s augures dépend <strong>de</strong> la manière qu'on <strong>le</strong>s reçoit, dit-il<br />
ail<strong>le</strong>urs. C'est un axiome reçu dans la science augura<strong>le</strong>,<br />
que <strong>le</strong>s auspices sont nuls pour ceux qui n'y font pas<br />
attention. »<br />
Il y a <strong>de</strong> l'audace à croire qu'on peut comman<strong>de</strong>r à<br />
la nature ; il n'y a pas moins <strong>de</strong> stupidité à oser <strong>le</strong><br />
nier,, quand <strong>le</strong>s interprètes <strong>de</strong> la foudre poussent la<br />
science jusqu'à prédire à jour fixe <strong>le</strong>s événements.<br />
Pline dit qu'on n'a pas encore résolu un grand problème,<br />
c'est <strong>de</strong> savoir si <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s ont une vertu médicina<strong>le</strong><br />
; si cela est, il faut nécessairement la rapporter<br />
à <strong>l'homme</strong>. (XXVIII, 3.)— Cette expression doit<br />
signifier que cette vertu ne peut venir que <strong>de</strong> la volonté<br />
humaine, qui dispose d'une force curative, tandis que,<br />
au contraire, <strong>le</strong>s malédictions envoient un principe<br />
vénéneux. — « Il n'y a personne, dit-il, qui ne redoute<br />
<strong>le</strong>s malédictions... » — Si l'intention <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>,<br />
d'après Pline, peut guérir ou maléficier, il faut nécessairement<br />
supposer une émanation tantôt salutaire,<br />
tantôt vénéneuse.<br />
« C'est par une raison contraire, continue Pline,<br />
qu'on se fait <strong>de</strong>s souhaits <strong>de</strong> bonne année et qu'on sai.<br />
iâ
226 DES RAPPORTS DS L'HOMME<br />
lue ceux qui éternuent. Il dit ail<strong>le</strong>urs : « ïl n'est personne<br />
qui ne redoute l'effet <strong>de</strong>s imprécations accompagnées<br />
<strong>de</strong> perforations...; plusieurs pensent qu'el<strong>le</strong>s<br />
pourraient briser <strong>le</strong>s ouvrages <strong>de</strong> poterie... » En parlant<br />
du pouvoir <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s, qui va jusqu'à arrêter même<br />
<strong>le</strong>s incendies, il dit qu'on a peu <strong>de</strong> confiance en quelques-unes<br />
<strong>de</strong> ces formu<strong>le</strong>s à cause <strong>de</strong>s termes bizarres<br />
ou ridicu<strong>le</strong>s dont el<strong>le</strong>s sont hérissées.<br />
Il dit encore qu'une femme est plus tôt délivrée,<br />
lorsque celui dont el<strong>le</strong> est enceinte lui met sa ceinture<br />
en prononçant : Si j'ai pu te lier etc.<br />
Tous ces effets, selon Pline, <strong>de</strong>vaient provenir d'une<br />
vertu et d'une émanation <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> mise en action<br />
par sa volonté; <strong>le</strong> passage suivant <strong>le</strong> prouverait, a II y<br />
a, dit-il, <strong>de</strong>s hommes dont tout <strong>le</strong> corps est médicinal.<br />
» Il cite (XXVIII) <strong>le</strong>s Psyl<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s Marses, et en<br />
rapporte <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s curieux. <strong>Le</strong> souff<strong>le</strong> et <strong>le</strong> regard,<br />
selon lui, ont une vertu naturel<strong>le</strong>, ainsi que la salive.<br />
Il recomman<strong>de</strong> <strong>de</strong> cracher dans la main <strong>de</strong> celui<br />
qu'on a frappé, si l'on s'en repent, et celui qui a reçu<br />
<strong>le</strong> coup en sera soulagé.<br />
Il n'oublie ni <strong>le</strong>s amu<strong>le</strong>ttes, ni <strong>le</strong>s talismans comme<br />
préservatifs <strong>de</strong>s maladies, <strong>de</strong> la grê<strong>le</strong>, etc.<br />
La première <strong>de</strong>nt qui tombe à un enfant <strong>de</strong>vient une<br />
amu<strong>le</strong>tte contre <strong>le</strong>s maux <strong>de</strong> matrice.<br />
Nous renvoyons aux ouvrages <strong>de</strong> Pline ceux qui<br />
désirent connaître <strong>le</strong>s recettes aussi bizarres que nombreuses<br />
qu'il rapporte ; on y verra peut-être quand il<br />
croit à <strong>le</strong>ur efficacité ou quand il n'y croit pas. C'est là<br />
qu'on apprendra que la main d'un enfant mort guérit<br />
<strong>le</strong>s écroucl<strong>le</strong>s en <strong>le</strong>s touchant; qu'en décrivant un<br />
cerc<strong>le</strong> <strong>avec</strong> un ossement humain autour d'un ulcère,<br />
on l'empêche <strong>de</strong> s'étendre, etc. (XXVIII); qu'en<br />
portant en amu<strong>le</strong>tte <strong>de</strong>s grenouil<strong>le</strong>s dépouillées <strong>de</strong>
AVEC LE DÉMON. 227<br />
<strong>le</strong>nrs ong<strong>le</strong>s, après avoir enveloppé <strong>le</strong>ur cœur dans un<br />
morceau <strong>de</strong> drap moitié blanc, moitié noir, on guérit<br />
la fièvre quarte ; que la fièvre tierce est éga<strong>le</strong>ment guérie<br />
en portant sur soi <strong>le</strong>s yeux d'un cancre mutilé sans<br />
<strong>le</strong> tuer, etc.— Ces recettes, prises au hasard dans Pline,<br />
ne sont qu'un faib<strong>le</strong> échantillon <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s qu'il a rapportées<br />
1<br />
.<br />
Est-ce donc <strong>le</strong> vulgaire seul qui croyait à cette puissance?<br />
On pourrait citer <strong>de</strong>s noms illustres : Caton et<br />
Varron prononçaient <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s pour guérir la goutte<br />
et <strong>le</strong>s luxations. Tout son sièc<strong>le</strong>, dit l'annotateur qu'on<br />
vient <strong>de</strong> citer, croyait à cette thérapeutique au moins<br />
autant qu'aux orac<strong>le</strong>s et à la magie.<br />
Pline enfin paraît persuadé qu'il y avait <strong>de</strong> son<br />
temps en Afrique <strong>de</strong>s enchanteurs dont <strong>le</strong> regard portait<br />
la désolation et la mort. —<strong>Le</strong>s enfants, <strong>le</strong>s adultes<br />
mêmes tombaient en langueur, <strong>le</strong>s maisons s'écroulaient,<br />
la végétation cessait sous ces yeux exterminateurs;<br />
il dit que <strong>le</strong>sTribal<strong>le</strong>s, en Bulgarie, n'avaient<br />
pas <strong>de</strong>s yeux moins meurtriers... C'était bien autre<br />
chose en Scythie.<br />
<strong>Le</strong>s doigts, entrelacés d'une certaine manière auprès<br />
d'une femme enceinte, empêchaient l'accouchement,<br />
et <strong>le</strong>s généraux, dans <strong>le</strong>s assemblées, défen-<br />
l. On guérissait aussi la fièvre en imbibant <strong>de</strong> sang menstruel la<br />
laine d'un bélier noir renfermée dans un brace<strong>le</strong>t d'argent. Un simp<strong>le</strong><br />
fil suffisait. (XXVIII, 23.) <strong>Le</strong> sang menstruel avait une fou<strong>le</strong> d'autres<br />
propriétés : ainsi <strong>le</strong>s grê<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s foudres, <strong>le</strong>s tempêtes étaient détournées<br />
par une femme qui se découvrait ayant ses règ<strong>le</strong>s. Sur mer, il n'était<br />
pas nécessaire qu'el<strong>le</strong> eût ses règ<strong>le</strong>s. (16.) — « On conçoit, dit<br />
Pline. (ï6.), et c'est ce que je crois <strong>le</strong> plus volontiers, qu'il suffit <strong>de</strong><br />
loucher <strong>avec</strong> ce sang <strong>le</strong>s poteaux d'une porte, pour rendre vains <strong>le</strong>s<br />
maléfices <strong>de</strong>s magiciens. » — Il est fort curieux <strong>de</strong> voir dans Pline<br />
<strong>le</strong>s vertus que <strong>le</strong>s matérialistes, d'après Démocrite, attachaient à certaines<br />
substances ou à certaines pratiques.
228 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
daient <strong>de</strong> placer un doigt sur <strong>le</strong> genou... C'eût été un<br />
obstac<strong>le</strong> à l'objet <strong>de</strong> la réunion.<br />
Pline croyait aux songes : ail<strong>le</strong>urs on en a cité un,<br />
d'après lui, qui est fort surprenant. 11 appel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />
drui<strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins, et croit sans doute à la divination.<br />
Comment n'y eût-il pas cru? Il cite différentes substances<br />
qui faisaient <strong>de</strong>viner ; il croit aux divers présages<br />
qui annoncent l'avenir aux hommes : voix, sons<br />
<strong>de</strong> trompette dans <strong>le</strong>s airs, armées cé<strong>le</strong>stes, pluies <strong>de</strong><br />
pierres, dont il ne doute pas.<br />
Que l'on parcoure <strong>le</strong>s historiens, <strong>le</strong>s poètes, <strong>le</strong>s<br />
philosophes, <strong>le</strong>s mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong> cette époque, on verra<br />
qu'à ce merveil<strong>le</strong>ux attribué aux intelligences on a<br />
substitué une cause toute naturel<strong>le</strong>. Dans un dialogue<br />
<strong>de</strong> Lucien ', plusieurs chefs <strong>de</strong> secte, éminents en savoir,<br />
dissertent sur <strong>le</strong>s moyens <strong>de</strong> guérir la goutte <strong>de</strong><br />
l'un d'entre eux nommé Eucrate; Ion, platonicien, Cléodème,<br />
péripatéticien, et autres, étaient venus féliciter <strong>le</strong><br />
mala<strong>de</strong>, qui allait mieux : la goutte était <strong>de</strong>scendue<br />
dans <strong>le</strong>s jambes, et chacun indiquait <strong>le</strong> remè<strong>de</strong> qu'il<br />
croyait propre à la chasser. La conversation, interrompue<br />
un instant par l'arrivée <strong>de</strong> Lucien sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong><br />
Tychia<strong>de</strong>s, reprend aussitôt, et Cléodème dit qu'un<br />
moyen excel<strong>le</strong>nt <strong>de</strong> guérir la goutte, c'est <strong>de</strong> <strong>le</strong>ver <strong>de</strong><br />
la main gauche la <strong>de</strong>nt d'une be<strong>le</strong>tte tuée <strong>de</strong> certaine<br />
manière..., <strong>de</strong> l'envelopper dans la peau d'un lion nouvel<strong>le</strong>ment<br />
écorché et d'y placer <strong>le</strong>s jambes du mala<strong>de</strong>.<br />
Dinomaque répond que ce n'est pas la peau d'un lion,<br />
mais d'une biche, parce que cet animal est plus agi<strong>le</strong>...<br />
i. Faisons observer qu'il cel<strong>le</strong> époque où vivait Lucien, on revenait<br />
aux doctrines anciennes <strong>de</strong> Pythagore et <strong>de</strong> Platon, et ce qu'on va<br />
lire est plutôt pour prouver <strong>le</strong> peu <strong>de</strong> solidité <strong>de</strong>s explications matérialistes,<br />
que pour montrer <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs partisans, qui avait<br />
singulièrement diminué.
AVEC LE DÉMON. 229<br />
La discussion s'anime , un <strong>de</strong>s interlocuteurs prétend<br />
qu'il faut y ajouter <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s... Lucien, qui est épicurien<br />
et sceptique, <strong>le</strong>ur dit que c'est folie d'imaginer<br />
que <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s puissent guérir... On rit <strong>de</strong> son ignorance...<br />
— Vous ne savez donc pas, lui dit Cléodème,<br />
que tous <strong>le</strong>s jours on guérit <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s charmes,<br />
qu'on fascine <strong>le</strong>s serpents, qu'on fait toutes sortes <strong>de</strong><br />
cures <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s?...—Lucien ne peut pas croire<br />
que la fièvre, par exemp<strong>le</strong>, ait <strong>de</strong>s oreil<strong>le</strong>s. Ces<br />
hommes graves, qui ne mentent jamais (Philoclès <strong>le</strong><br />
fait observer à Lucien), invoquent alors l'autorité <strong>de</strong>s<br />
faits. Ion, pour <strong>le</strong> convaincre, raconte ce qu'il a vu.<br />
—Un jour, on vint dire à son père que son esclave<br />
se mourait <strong>de</strong> la morsure d'un serpent. Son corps<br />
était enflé et livi<strong>de</strong>. — Mon père, dit Ion, se désolait;<br />
mais un <strong>de</strong> ses amis lui dit : «Ne craignez rien, je<br />
vais chercher un Chaldéen qui <strong>le</strong> guérira. » Celuici<br />
étant venu prononça quelques paro<strong>le</strong>s, suspendit<br />
au pied du mala<strong>de</strong> un fragment <strong>de</strong> la pierre sépulcra<strong>le</strong><br />
d'une jeune fil<strong>le</strong> morte <strong>de</strong>puis peu, et <strong>le</strong><br />
mala<strong>de</strong> fut si subitement guéri qu'il retourna <strong>de</strong><br />
suite travail<strong>le</strong>r à la vigne. — Notre épicurien persiste<br />
à nier, et <strong>le</strong>s philosophes en sont offensés, car<br />
ces faits sont quotidiens et prouvent que <strong>le</strong>s lois<br />
<strong>de</strong> la nature sont aussi merveil<strong>le</strong>uses que peu connues.<br />
Galien lui-même avait méprisé la vertu <strong>de</strong>s charmes<br />
comme <strong>de</strong>s contes <strong>de</strong> vieil<strong>le</strong>s ; mais il se rendit au<br />
témoignage <strong>de</strong>s sens; l'expérience, fil<strong>le</strong> du temps, lui<br />
ayant prouvé jusqu'à l'évi<strong>de</strong>nce qu'il y avait dans <strong>le</strong>s<br />
paro<strong>le</strong>s une puissance... « Temporis aittemprocessu(dit<br />
Galien) ab his quœ evi<strong>de</strong>nter apparent pensuasus sum, vim<br />
inipsis esse, »<br />
Ces faits étaient assez étranges pour qu'on fût peu
230 DES RAPPORTS DE- L'HOMME<br />
disposé à <strong>le</strong>s croire, Que dire? il fallait bien se rendre<br />
quand on voyait.<br />
Oserons-nous répéter, d'après Proclus, que l'oignon<br />
<strong>de</strong> mer, placé sous <strong>le</strong> seuil d'une porte, détruit <strong>le</strong>s<br />
charmes, que <strong>le</strong> chardon béni fait apparaître <strong>le</strong>s esprits;<br />
d'après Apulée, que <strong>le</strong> basilic <strong>le</strong>s chasse? <strong>Le</strong>s minéraux<br />
chassaient aussi <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ; <strong>le</strong> diamant <strong>le</strong>s<br />
expulsait, même très-<strong>le</strong>stement. Un clou arraché d'un<br />
sépulcre éloignait <strong>le</strong>s spectres; une épée <strong>le</strong>s effrayait.<br />
<strong>Le</strong>s larves,, <strong>le</strong>s fantômes étaient expulsés par <strong>de</strong>s<br />
moyens tout naturels. Certaine racine chassait <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
<strong>de</strong>s corps <strong>de</strong>s possédés; Pline, déjà cité, dit<br />
qu'on <strong>le</strong>s aspergeait <strong>avec</strong> du sang <strong>de</strong> taupe ; que ceux<br />
qui étaient vexés par <strong>le</strong>s faunes étaient délivrés <strong>avec</strong><br />
une plante nommée la langue <strong>de</strong> dragon. ( Pline, XXX.<br />
— V. aussi Juvénal, Claudien, etc.)<br />
Peut-être accusera-t-on <strong>le</strong>s païens <strong>de</strong> se contredire.<br />
Si <strong>le</strong>s épicuriens ne croyaient pas aux esprits, ils ne<br />
pouvaient ni <strong>le</strong>s voir ni <strong>le</strong>s chasser. — On répondra<br />
que ceux qui croyaient aux esprits (c'était <strong>le</strong> petit<br />
nombre) pensaient que ces moyens naturels avaient<br />
sur eux un grand empire; comment <strong>de</strong>s fumigations,<br />
certaines plantes, la vue d'une épée, par exemp<strong>le</strong>,<br />
faisaient-el<strong>le</strong>s fuir <strong>le</strong>s esprits? Ils l'ignoraient, mais<br />
l'expérience était là. Quant aux épicuriens, <strong>le</strong>s configurations<br />
d'a<strong>tome</strong>s expliquant <strong>le</strong>s apparitions ; <strong>le</strong>s substances<br />
citées détruisaient <strong>le</strong> phénomène, qui pouvait<br />
être aussi l'effet d'un état pathologique particulier. C'est<br />
ainsi qu'Arétée attribuait à la folie certaines facultés<br />
considérées par <strong>le</strong>s spiritualistes comme signes <strong>de</strong> la<br />
présence d'un dieu ou d'un <strong>démon</strong> dans <strong>le</strong> corps<br />
d'un mala<strong>de</strong>. Qu'il fût <strong>de</strong>venu astronome subitement,<br />
poëte ou philosophe, ou qu'il prédît l'avenir, pour<br />
Arétée et ceux <strong>de</strong> la même secte, ce mala<strong>de</strong> était
AVEO LE DÉMON. 23»<br />
un fou qu'on pouvait guérir par <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s naturels.<br />
Avant <strong>de</strong> terminer ce chapitre, on doit dire que dans<br />
tous <strong>le</strong>s temps cependant, et bien avant l'époque du<br />
matérialisme, plusieurs déjà attribuaient à <strong>de</strong>s agents<br />
très-physiques <strong>le</strong>s mêmes vertus que d'autres accordaient<br />
aux intelligences, mais ce qui était l'exception<br />
<strong>de</strong>vint alors règ<strong>le</strong> généra<strong>le</strong>. On prétendit trouver dans<br />
la matière tout ce que <strong>le</strong>s anciens attribuaient aux espritsi<br />
— 1<br />
Extravagance que sentait très-bien Sénèque<br />
lui-même. <strong>Le</strong>s habitants <strong>de</strong> Cléone chassaient <strong>le</strong>s nuées<br />
eu immolant <strong>de</strong>s agneaux ou en se faisant <strong>de</strong>s incisions<br />
d'où <strong>le</strong> sang coulait : que disaient <strong>le</strong>s matérialistes<br />
pour expliquer ce prodige? « La vapeur <strong>de</strong> ce sang<br />
montant jusqu'à la nue, l'écarté et la dissipe. » Mais<br />
Sénèque se moque d'eux, en disant qu'il vaudrait mieux<br />
soutenir que c'est une fab<strong>le</strong>, un mensonge. Quanta<br />
(ipedùius erat dicere mendacium et fabula est. (Quœst.<br />
nat., IV, 7.)<br />
<strong>Le</strong>s stoïciens ne croyaient à la puissance <strong>de</strong>s imprécations<br />
que comme présages. Quintus disait : <strong>Le</strong>s imprécations<br />
d'Atéius n'ont point été cause <strong>de</strong> la défaite<br />
<strong>de</strong> Crassus, el<strong>le</strong>s n'en ont été que <strong>le</strong> présage. On respiraitdonc<br />
partout une atmosphère d'incrédulité relativement<br />
aux esprits. Pendant que <strong>le</strong>s matérialistes expliquaient<br />
tout, ainsi qu'on vient <strong>de</strong> <strong>le</strong> rapporter, on voit<br />
certains épicuriens nier tout court, ou faire mil<strong>le</strong> plaisanteries<br />
au lieu d'arguments. Nous aurons occasion <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>s faire connaître dans Lucien.<br />
Après avoir montré que <strong>le</strong>s faits persistaient malgré<br />
<strong>le</strong>s rires <strong>de</strong>s épicuriens, il nous reste à signa<strong>le</strong>r la tendance<br />
d'un retour aux anciennes doctrines.
232 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
CHAPITRE V<br />
Retour aux vieil<strong>le</strong>s doctrines spiritualistes. — Examen <strong>de</strong>s faits merveil<strong>le</strong>ux, dis<br />
cussion <strong>de</strong> Plufarque. — Plutarque. — Cause <strong>de</strong> la cessation <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s.<br />
— Apulée. — Incrédulité et ignorance <strong>de</strong>s prêtres païens ; ils contrefont <strong>de</strong>»<br />
prodiges.<br />
Retour aux uieiUes doctrines spiritualistes.<br />
L'épicurisme et <strong>le</strong> scepticisme ayant subsisté durant<br />
plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux sièc<strong>le</strong>s et causé tous <strong>le</strong>s maux qu'ils entraînent<br />
à <strong>le</strong>ur suite, il se manifesta une tendance vers<br />
<strong>le</strong>s opinions spiritualistes. D'où vint cette disposition?<br />
fut-el<strong>le</strong> due à l'instabilité <strong>de</strong> l'esprit qui ne peut rester<br />
constamment dans <strong>le</strong> même cerc<strong>le</strong> d'idées? — Ce fut<br />
peut-être une <strong>de</strong>s causes, mais on en signa<strong>le</strong>ra ail<strong>le</strong>urs<br />
<strong>de</strong>ux autres qui opérèrent un retour plus comp<strong>le</strong>t,<br />
— <strong>le</strong> christianisme et <strong>le</strong> néoplatonisme x<br />
. Lucien,<br />
avouant que <strong>de</strong> son temps toutes <strong>le</strong>s sectes croyaient à la<br />
magie et à ce qu'el<strong>le</strong> a <strong>de</strong> plus prodigieux, nous montre<br />
déjà cette tendance à admettre l'intervention <strong>de</strong>s génies.<br />
Cet épicurien nous a déjà introduit dans un cerc<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> philosophes qui expliquaient naturel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s<br />
i. <strong>Le</strong> spiritualisme n'avait jamais cessé d'avoir quelques adhérents,<br />
pendant l'époque d'épicurisme et <strong>de</strong>matérialisme; seu<strong>le</strong>ment ceux-ci<br />
l'emportaient, quand <strong>le</strong> christianisme s'établit par <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s ; <strong>le</strong><br />
néoplatonisme voulant arrêter ses progrès par ses prodiges, cette lutte<br />
combattit <strong>le</strong> matérialisme et ressuscita <strong>le</strong>s opinions spiritualistes.
AVEC LE DÉMON. 233<br />
cures merveil<strong>le</strong>uses, mais nous avions omis <strong>de</strong> citer<br />
ceux qui parmi eux croyaient fermement aux esprits ;<br />
car <strong>le</strong>s prodiges, <strong>de</strong>venant plus nombreux que jamais,<br />
vont bientôt forcer <strong>de</strong> reconnaître cette intervention,<br />
et <strong>le</strong> grand mouvement néoplatonique se produira.<br />
On regrette <strong>de</strong> ne pouvoir rapporter ici, dans toute<br />
son étendue, un dialogue <strong>de</strong> Lucien (De l'incrédu<strong>le</strong>);<br />
ce Voltaire <strong>de</strong>s Grecs y fait par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s philosophes pythagoriciens,<br />
platoniciens, péripatéticiens et stoïciens.<br />
Lui-même intervient comme épicurien; ilasoin <strong>de</strong> nous<br />
faire observer que ce sont <strong>de</strong>s hommes ennemis du<br />
mensonge, alliant la science à la vertu, attestant non<br />
ce qu'ils ont appris, mais vu <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs yeux et même<br />
opéré. — Ion, <strong>le</strong> platonicien, affirme avoir vu un Chaldéen<br />
qui, après avoir tracé un grand cerc<strong>le</strong> dont il fit<br />
<strong>le</strong> tour trois fois en prononçant sept mots dans un grimoire,<br />
contraignit tous <strong>le</strong>s serpents qui se trouvaient<br />
dans un champ d'accourir, alors il souffla <strong>de</strong>ssus et<br />
tous périrent. Comme Lucien plaisante, un péripatéticien<br />
nommé Cléodème lui dit qu'il a été comme lui<br />
fort incrédu<strong>le</strong>, mais que <strong>de</strong>puis qu'il a vu un Hyperboréen<br />
vo<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s airs, marcher sur <strong>le</strong>s eaux, chasser<br />
<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s et faire <strong>de</strong>scendre Hécate, il a été forcé<br />
<strong>de</strong> croire. Cléodème cite un autre fait : 11 avait un discip<strong>le</strong><br />
nommé Glauoias, fort studieux, qui, étant <strong>de</strong>venu<br />
amoureux d'une certaine Chrysis, gardée par un père<br />
sévère, ne faisait plus <strong>de</strong> progrès dans la philosophie;<br />
que fit Cléodème, touché <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong> son discip<strong>le</strong>? 11<br />
alla trouver l'Hyperboréen, qui évoqua l'ombre du père<br />
<strong>de</strong>Glaucias; l'ombre se fâche d'abord, puis s'apaise et<br />
enfin permet... Alors l'Hyperboréen fait son opération<br />
(el<strong>le</strong> est décrite dans Lucien) et Chrysis se présente aussitôt...<br />
— Cléodème triomphant, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Lucien si,<br />
après avoir vu <strong>de</strong> pareils prodiges, il douterait encore.
234 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
— Lucien répond qu'il est excusab<strong>le</strong>, n'ayant riefl VtJ<br />
<strong>de</strong> semblab<strong>le</strong>: mais Chrysis, dit-il, a entendu <strong>le</strong> son <strong>de</strong><br />
l'argent, et comme Chrysis ne rebute personne, <strong>le</strong> magicien<br />
était fort inuti<strong>le</strong>.;. —L'argument <strong>de</strong> Lucien dut<br />
toucher peu nos philosophes ; car enfin Cléodème eût<br />
pu lui dire que Chrysis était sous la gar<strong>de</strong> d'un père<br />
sévère, que <strong>de</strong>puis longtemps Glaucias languissait,<br />
et qu'il eût sans doute langui longtemps encore sans<br />
<strong>le</strong> magicien, car el<strong>le</strong> n'est venue qu'à la suite <strong>de</strong> seâ<br />
conjurations. — Cependant Ion espère toujours vaincre<br />
l'incrédulité <strong>de</strong> Lucien. Il <strong>le</strong> trouve insupportab<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
ne rien croire, et lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce qu'il répondra à ceux<br />
qui chassent <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s 1<br />
; il cite un"<br />
Syrien <strong>de</strong> la Pa<strong>le</strong>stine que tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> connaît, qui<br />
délivre <strong>le</strong>s possédés, interroge <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, qui répon<strong>de</strong>nt<br />
en grec et en latin sans que <strong>le</strong> patient remue <strong>le</strong>s<br />
lèvres ; Ion assure qu'il a vu lui-même un <strong>démon</strong> tout<br />
noir sortir du corps d'un possédé.<br />
L'incrédulité <strong>de</strong> Lucien persiste. — Eucrate prend<br />
la paro<strong>le</strong>, et dit qu'on n'est pas <strong>le</strong> seul qui ait vu <strong>de</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s. Cela lui est arrivé souvent; effrayé d'abord,<br />
il s'y est accoutumé... — « Tous mes gens vous diraient<br />
comment une <strong>de</strong> mes statues d'airain (qui, par parenthèse,<br />
l'a guéri <strong>de</strong> sa fièvre) quittait la nuit son pié<strong>de</strong>stal<br />
et courait partout; si on ne la dérangeait pas, el<strong>le</strong> ne<br />
faisait <strong>de</strong> mal à personne, el<strong>le</strong> marchait, chantait, agitait<br />
l'eau <strong>de</strong> la fontaine, etc— »<br />
Lucien plaisantant <strong>de</strong> plus bel<strong>le</strong>, Eucrate croit <strong>de</strong>voir<br />
lui dire <strong>de</strong> ménager ses expressions, car la statue<br />
sait se venger... Il raconte ce qu'el<strong>le</strong> a fait à un <strong>de</strong> ses<br />
pa<strong>le</strong>freniers qui avait volé ses offran<strong>de</strong>s. Chaque nuit<br />
la statue battait et tourmentait sa victime. On voyait<br />
i. II est évi<strong>de</strong>nt qu'il s'agit ici <strong>de</strong>s chrétiens.
AVEC LE- DÉMON. -235<br />
<strong>le</strong> matin <strong>le</strong>s contusions ; et ces vexations firent mourir<br />
l'esclave. — Que répond Lucien à ces philosophes qui<br />
né mentent pas? — que ce qui est <strong>de</strong> l'airain ne sera<br />
jamais que <strong>de</strong> l'airain. — Un mé<strong>de</strong>cin qui était présent<br />
lui assure aussi que parfois <strong>le</strong>s statues marchaient...<br />
11 en a une d'Hippocrate, qui, rôdant toutes <strong>le</strong>s nuits,<br />
met tout sens <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>ssous ; el<strong>le</strong> ouvre <strong>le</strong>s portes <strong>avec</strong><br />
grand bruit, mélange toutes ses drogues, etc., quand<br />
on néglige <strong>de</strong> lui faire un sacrifice. — Lucien trouve<br />
plaisant qu'Hippocrate exige <strong>de</strong>s sacrifices.<br />
Eucrate appel<strong>le</strong> l'attention <strong>de</strong> Lucien sur un <strong>de</strong>rnier<br />
fait qui lui est personnel. —>Ilya cinq ans, se promenant<br />
seul dans un bois, il entendit <strong>le</strong> bruit d'une<br />
chasse; d'abord il crut que c'était son fils; mais <strong>le</strong><br />
bruit se rapproche, et que voit-il? un spectre haut <strong>de</strong><br />
près d'un <strong>de</strong>mi-sta<strong>de</strong>, une torche dans une main, une<br />
épée dans l'autre, la tête <strong>de</strong> Méduse couronnée <strong>de</strong> serpents,<br />
et <strong>le</strong> corps d'un dragon ; <strong>de</strong>s chiens noirs, hérissés,<br />
tout souillés, l'accompagnaient. Tournant en<br />
<strong>de</strong>dans <strong>de</strong> sa main la pierre <strong>de</strong> l'anneau qu'il avait au<br />
doigt, il vit <strong>le</strong> spectre disparaître et se précipiter en enfer :<br />
mais il en eut tant d'effroi, qu'il en éprouve encore en <strong>le</strong><br />
racontant. En effet, dit Lucien, nous voyions, pendant<br />
son récit, <strong>le</strong> poil <strong>de</strong> ses bras se hérisser. — Son témoignage<br />
fut suivi <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Pyrrhias, qui avait entendu<br />
l'aboiement <strong>de</strong>s chiens et vu bril<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s flambeaux. —<br />
Lucien rit <strong>de</strong> ce témoin.—Cléodème ayant fait un autre<br />
récit; en ce moment <strong>le</strong>s enfants d'Eucrate revenaient<br />
du gymnase. — Puissé-je être sûr que ces enfants feront<br />
moh bonheur, s'écria <strong>le</strong>ur père, en <strong>le</strong>s montrant, comme<br />
ce que je vais vous dire est véritab<strong>le</strong> ! Il raconta alors<br />
très-do<strong>le</strong>mment qu'après la mort <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur mère il fit<br />
brû<strong>le</strong>r, comme cela se pratique, tout ce qu'el<strong>le</strong> avait <strong>de</strong><br />
plus précieux; que cependant, sept jours après, el<strong>le</strong> lui
23« DES «APPORTS DE L'HOMME<br />
apparut en lui reprochant <strong>de</strong> n'avoir pas brûlé tout ce qui<br />
lui appartenait. On chercha, et en effet on trouva <strong>de</strong>rrière<br />
un co/fre une pantouf<strong>le</strong> brodée en or, qu'on brûla<br />
comme <strong>le</strong> reste, et el<strong>le</strong> ne revint plus... — Refuserczvous<br />
encore <strong>de</strong> croire?— Non, dit Lucien, je mériterais<br />
<strong>de</strong> recevoir <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> cette pantouf<strong>le</strong>, si j'en doutais<br />
tant soit peu.—Arignote <strong>le</strong> pythagoricien survint alors;<br />
on l'avait surnommé <strong>le</strong> Divin à cause <strong>de</strong> son éminent<br />
savoir. Lucien se réjouissait <strong>de</strong> son arrivée, pensant que<br />
c'était un auxiliaire pour lui.— Après <strong>le</strong>s compliments<br />
d'usage, celui-ci engage à continuer la conversation,<br />
voyant qu'on traitait un sujet sérieux. — Nous tâchions<br />
<strong>de</strong> gagner cet incrédu<strong>le</strong>, dit Eucrate en montrant Lucien :<br />
il ne veut croire ni aux <strong>démon</strong>s, ni qu'il revienne <strong>de</strong>s<br />
esprits. — Peut-être, dit <strong>le</strong> pythagoricien, n'entend-il<br />
par<strong>le</strong>r que <strong>de</strong> ceux qui sont morts <strong>de</strong> mort naturel<strong>le</strong>?...<br />
— Il ne distingue pas, dit <strong>le</strong> stoïcien. —Quoi ! vous niez<br />
<strong>de</strong>s choses si manifestes, ce dont presque tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong><br />
a été témoin ! ajouta <strong>le</strong> pythagoricien en regardant Lucien<br />
<strong>de</strong> travers. — Je ne trouve pas étrange, répondit<br />
Lucien, que ceux qui ont vu croient ; moi, qui n'ai rien<br />
vu, il est bien permis que je ne croie pas —Si vous<br />
al<strong>le</strong>z jamais à Corinthe, poursuit <strong>le</strong> pythagoricien, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z<br />
la maison d'Eubati<strong>de</strong> : —un spectre la rendant<br />
inhabitab<strong>le</strong>, il raconte comment il <strong>le</strong> chassa en récitant<br />
certaines formu<strong>le</strong>s dans un livre égyptien... D'abord cet<br />
esprit se changea en chien, en taureau, en lion, puis<br />
s'enfonça dans la terre... Ayant creusé dans cet endroit,<br />
on y trouva un cadavre dont il ne restait plus que <strong>le</strong>s<br />
os. — Tous <strong>le</strong>s assistants triomphaient en regardant<br />
Lucien. — Que répondra-t-il? — Quoi ! Arignote, vous<br />
que je prenais pour un sage, dit Lucien, vous trahissez<br />
ainsi la vérité que vous <strong>de</strong>vriez défendre! — Mais qui<br />
croirez-vous donc? reprit Arignote, si vous ne croyez ni
AVEC LE DÉMON. 237<br />
ceux-ci, ni moi; nommez-nous quelqu'un, enfin, que<br />
vous jugez digne <strong>de</strong> foi. — Alors Lucien cite Démocrite,<br />
en rapportant l'espièg<strong>le</strong>rie bien connue qui lui fut faite<br />
par <strong>de</strong>s jeunes gens déguisés en fantômes pour l'effrayer...<br />
Démocrite <strong>le</strong>ur dit, comme on sait, <strong>de</strong> cesser<br />
<strong>le</strong>ur badinage, tant il était persuadé, ajoute Lucien,<br />
que <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts ne reviennent pas. — Eucrate<br />
conclut au contraire que Démocrite était peu sage, s'il<br />
pensait ainsi ; et il raconte ce qu'il a vu en Egypte... —<br />
Pancratès, son maître, faisait mil<strong>le</strong> prodiges, et celui<br />
qui cause <strong>le</strong> plus d'étonnement, c'est qu'il pouvait,<br />
dit-il, animer un objet quelconque qui alors exécutait<br />
ses ordres... —A cette <strong>de</strong>rnière histoire, Lucien, perdant<br />
patience, <strong>le</strong>ur dit <strong>de</strong> cesser <strong>de</strong> raconter <strong>de</strong>s absurdités<br />
qui remplissent <strong>de</strong> terreur <strong>le</strong>s jeunes gens<br />
pendant <strong>le</strong> reste <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur vie, et il se retira.<br />
<strong>Le</strong>s Dialogues <strong>de</strong> Lucien sont un modè<strong>le</strong> charmant <strong>de</strong><br />
plaisanterie attique ; on croit entendre un <strong>de</strong> ces causeurs<br />
spirituels <strong>de</strong> la fin du dix-huitième sièc<strong>le</strong>, sceptique<br />
léger que rien ne saurait convaincre quand il est<br />
question du mon<strong>de</strong> invisib<strong>le</strong>, tant il est attaché au<br />
mon<strong>de</strong> matériel. Il ne croit pas, il ne saurait croire ; ne<br />
<strong>le</strong> tourmentez pas; <strong>de</strong> grâce, laissez-<strong>le</strong>-jouir en paix.<br />
Ici <strong>le</strong> hasiard a rassemblé <strong>de</strong>s hommes graves, savants<br />
, <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s sectes, <strong>de</strong>s hommes ennemis du<br />
mensonge, convaincus <strong>de</strong> tout ce merveil<strong>le</strong>ux dont on<br />
a ébauché l'histoire avant <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> Cicéron; tous<br />
forment une masse <strong>de</strong> témoignages capab<strong>le</strong>s d'ébran<strong>le</strong>r<br />
tout autre qu'un épicurien; mais rien ne peut toucher<br />
celui-ci, rien ne <strong>le</strong> convaincra, ni la qualité <strong>de</strong>s témoins,<br />
ni <strong>le</strong>ur nombre. Essayera-t-il d'expliquer <strong>de</strong>s<br />
convictions si singulières chez <strong>de</strong>s hommes instruits,<br />
éclairés, pru<strong>de</strong>nts? — Non , il n'a rien vu, il ne croit<br />
que ce qu'il voit, il rejette tous <strong>le</strong>s témoignages quand
238 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
il ne comprend pas; car tout ce qu'il ne comprend pas<br />
c'est pour lui extravagance et folie. — Voilà bien <strong>le</strong><br />
portrait <strong>de</strong>s épicuriens, dans tous <strong>le</strong>s temps.<br />
On n'a pu rapporter, en quelque sorte, que l'esprit<br />
<strong>de</strong> cette jolie fiction où. Lucien fait cependant si bien<br />
connaître <strong>le</strong>s croyances philosophiques <strong>de</strong> son sièc<strong>le</strong>.<br />
On évoque <strong>le</strong>s morts qui se courroucent en vain; la<br />
magie a un empire puissant sur <strong>le</strong>s sentiments; <strong>le</strong>s<br />
possédés sont nombreux, et <strong>le</strong>s signes qui manifestent<br />
une possession sont en partie cités : <strong>le</strong>s statues s'agitent,<br />
se promènent. Ce prodige d'évocation, qui a fait<br />
déifier tant d'hommes immoraux, cette croyance qui<br />
préoccupait la sagesse <strong>de</strong> Platon, sans qu'il osât précisément<br />
nier <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux <strong>de</strong> la cause ; cette folie si<br />
étrange pour la plupart d'entre nous continue <strong>de</strong> subsister<br />
après Cicéron; non-seu<strong>le</strong>ment Lucien l'a dit,<br />
nous avons une fou<strong>le</strong> d'autres témoignages. <strong>Le</strong>s personnes<br />
mortes, surtout cel<strong>le</strong>s mortes <strong>de</strong> mort vio<strong>le</strong>nte,<br />
et dont tous <strong>le</strong>s vêtements n'ont pas été brûlés, reviennent,<br />
et Lucien nous montre que ces esprits familiers<br />
auxquels on fait <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s, qui reçoivent un culte<br />
domestique, <strong>de</strong>viennent quelquefois <strong>de</strong>s hôtes bien<br />
cruels. Cette fiction, si vraie quant au fond pour <strong>le</strong>s<br />
croyances qu'el<strong>le</strong> présente, n'est pas seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au<br />
du merveil<strong>le</strong>ux au temps <strong>de</strong> Lucien, nous <strong>le</strong><br />
retrouverons, après <strong>de</strong> longs sièc<strong>le</strong>s, aussi ressemblant<br />
<strong>avec</strong> l'ancien que <strong>le</strong> changement <strong>de</strong> religion peut <strong>le</strong><br />
permettre. S'il y a parmi nous <strong>de</strong>s Lucien, il s'y trouve,<br />
mais secrètement, <strong>de</strong>s Cléodème, <strong>de</strong>s Arignote, <strong>de</strong>s<br />
Eucrate. — D'où vient cela...?— <strong>Le</strong>s négations, <strong>le</strong>s<br />
plaisanteries ne détruiront jamais <strong>de</strong>s faits bien avérés.<br />
Lucien avait plusieurs questions à examiner, — la<br />
véracité <strong>de</strong>s témoignages, l'état mental <strong>de</strong>s témoins, <strong>le</strong>s<br />
diverses causes possib<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s phénomènes.
AVEC LE DÉMON. 239<br />
4° Ces témoins n'étaient ni mauvais plaisants, ni<br />
moqueurs, mais <strong>de</strong>s hommes graves, dont <strong>le</strong> visage,<br />
a dit Lucien, à force d'être sévère, était presque terrib<strong>le</strong>.<br />
2° Ce sont <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> secte, dit-il, la fine f<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> la<br />
philosophie, célèbres, respectés pour <strong>le</strong>ur pru<strong>de</strong>nce. Sans<br />
examiner longuement cette <strong>de</strong>uxième question, il traite<br />
<strong>le</strong>s faits qu'ils rapportent d'absurdités et <strong>de</strong> faussetés;<br />
C'était déclarer que ces hommes sérieux, sages et savants<br />
sont ou <strong>de</strong>s insensés ou <strong>de</strong>s menteurs. Restait<br />
donc une troisième question qu'un simp<strong>le</strong> épicurien<br />
n'abor<strong>de</strong> jamais, c'est l'examen physique, profond, <strong>de</strong>s<br />
faits, <strong>le</strong>s lois inconnues qui peuvent <strong>le</strong>s produire, etc.<br />
— On n'avait dit, il est vrai, sur ce sujet que trop<br />
d'inepties; <strong>le</strong> bon sens <strong>de</strong> Lucien <strong>le</strong> sentait; mais il<br />
restait à considérer si à défaut <strong>de</strong> causes toutes matériel<strong>le</strong>s<br />
on ne pouvait soupçonner l'existence d'agents<br />
spirituels; il fallait enfin examiner <strong>avec</strong> attention <strong>le</strong><br />
pour et <strong>le</strong> contre, mais Lucien ne pouvait faire ce que<br />
n'avait pas fait Cicéron.<br />
Examen <strong>de</strong>s faits merveil<strong>le</strong>ux, discussion <strong>de</strong> Plutarque.<br />
On pardonne volontiers à un épicurien <strong>de</strong> nier <strong>le</strong>s<br />
signes <strong>le</strong>s plus manifestes du mon<strong>de</strong> invisib<strong>le</strong>, tant on<br />
est, dans un sièc<strong>le</strong> comme <strong>le</strong> nôtre, porté à l'imiter.<br />
<strong>Le</strong>s explications saugrenues <strong>de</strong>s matérialistes avaient<br />
pu éblouir pendant quelque temps ceux qui aiment <strong>le</strong>s<br />
idées nouvel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus excentriques, et <strong>le</strong>s préfèrent<br />
aux traditions <strong>le</strong>s plus respectab<strong>le</strong>s ; mais il vient un<br />
instant où <strong>le</strong> bon sens sort <strong>de</strong> son sommeil ; on examine<br />
ces explications, et <strong>le</strong> mépris doit succé<strong>de</strong>r à cet<br />
engouement matérialiste, lorsqu'on voit que ce qu'on<br />
avait pris pour <strong>de</strong> l'or n'était qu'un vil oripeau. — La
240 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
transition <strong>de</strong>s opinions matérialistes aux doctrines spiritualistes<br />
ne pouvait être brusque : el<strong>le</strong> s'opéra peu à<br />
peu, après mûr examen. Il est non-seu<strong>le</strong>ment impossib<strong>le</strong><br />
ici <strong>de</strong> passer en revue plusieurs philosophes, il<br />
<strong>le</strong> <strong>de</strong>vient même d'extraire <strong>de</strong> longs passages <strong>de</strong>s œuvres<br />
d'un seul; bornons-nous donc à analyser quelques<br />
morceaux <strong>de</strong> Plutarque et d'Apulée, qui suffiront pour<br />
prouver ce retour à l'ancienne croyance, et montrer <strong>le</strong><br />
mépris ou l'oubli <strong>de</strong> la philosophie <strong>de</strong> Cicéron et d'Épicure.<br />
Du temps <strong>de</strong> Lucien, comme on vient <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />
voir, nombre <strong>de</strong> philosophes fameux croyaient à l'intervention<br />
<strong>de</strong>s génies dans <strong>le</strong>s diverses divinations. On<br />
est curieux d'en connaître <strong>le</strong>s raisons dans Plutarque<br />
et dans Apulée.<br />
Ptularquc.<br />
Ce philosophe ne se borna point à étudier la philosophie<br />
dans la Grèce : il se rendit en Egypte pour <strong>le</strong><br />
même objet. É<strong>le</strong>vé parTrajan, dont il fut l'ami, à la<br />
dignité <strong>de</strong> proconsul, après la mort <strong>de</strong> ce prince, Plutarque<br />
retourna à Chéronée, sa patrie, où il fut promu<br />
aux plus hautes charges et fait prêtre d'Apollon. <strong>Le</strong><br />
sacerdoce n'était plus alors qu'une sorte <strong>de</strong> magistrature;<br />
<strong>le</strong> titre <strong>de</strong> ministre d'un culte n'engageait point à<br />
croire ce qu'il enseignait. Cicéron, é<strong>le</strong>vé à la dignité<br />
d'augure, n'en était pas moins incrédu<strong>le</strong>, et Plutarque,<br />
qui rejetait <strong>le</strong>s dieux du polythéisme, se montrait tel<strong>le</strong>ment<br />
l'ennemi <strong>de</strong>s pratiques superstitieuses du culte,<br />
qu'il a dit quelque part que la superstition ne valait<br />
guère mieux que l'athéisme, et qu'on offensait autant<br />
<strong>le</strong>s dieux en niant <strong>le</strong>ur existence qu'en disant qu'ils sont<br />
vicieux. Voyons donc, <strong>avec</strong> celte large part <strong>de</strong> scepticisme,<br />
ce qu'il pensait du merveil<strong>le</strong>ux païen.
AVEC LE DÉMON. 241<br />
Dans son Traité dIsis et dOsiris, rejetant <strong>avec</strong> dédain<br />
<strong>le</strong>s dieux mythologiques, il dit cependant que ce<br />
ne sont pas <strong>de</strong> vaines fictions ; ces fab<strong>le</strong>s rappel<strong>le</strong>nt <strong>de</strong><br />
grands événements; on ne doit pas écouter ceux qui<br />
pensent qu'el<strong>le</strong>s perpétuent la mémoire <strong>de</strong>s faits et <strong>de</strong>s<br />
aventures merveil<strong>le</strong>uses <strong>de</strong> quelques rois ou princes, —•<br />
cela conduit à l'athéisme, à faire accepter <strong>le</strong>s erreurs<br />
d'Evhémère, qui a changé <strong>le</strong>s dieux en amiraux et en<br />
grands capitaines... Il faut croire ceux qui, en parlant<br />
<strong>de</strong> Typhon, d'Isis et d'Osiris, ont dit que ce n'étaient<br />
point <strong>de</strong>s hommes, mais quelques grands <strong>démon</strong>s,<br />
comme <strong>le</strong> pensaient Pythagore, Platon, Xénocrate, suivant<br />
6n cela l'opinion <strong>de</strong>s plus anciens théologiens.<br />
Ceux-ci tenaient que ces êtres étaient supérieurs à<br />
<strong>l'homme</strong>, qu'ils n'avaient pas la divinité pure, mais<br />
étaient un composé <strong>de</strong> matière corporel<strong>le</strong> et spirituel<strong>le</strong>,<br />
capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> voluptés, <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>urs et <strong>de</strong> passions. Que<br />
sont donc ces <strong>de</strong>rniers? «Ils ont une nature mêlée, et<br />
une volonté et une affection inéga<strong>le</strong>s, dit <strong>le</strong> naïf traducteur<br />
<strong>de</strong> Plutarque, et tout ce qui est <strong>de</strong>xtre et impair<br />
appartient aux dieux <strong>de</strong> l'Olympe, et tout ce qui est<br />
sénesfee et pair aux <strong>démon</strong>s. »<br />
Il en reconnaît <strong>de</strong> bons et <strong>de</strong> mauvais. —Selon Xénocrate,<br />
<strong>le</strong>s jours où l'on .se bat, où l'on se frappe l'estomac,<br />
où l'on fait <strong>de</strong>s choses obscènes et honteuses,<br />
n'appartiennent ni aux dieux ni aux bons <strong>démon</strong>s... il<br />
y a dans l'air <strong>de</strong>s natures puissantes, mais malignes,<br />
mal accointab<strong>le</strong>s, qui éprouvent du plaisir à ce qu'on se<br />
fasse ces choses pour el<strong>le</strong>s... Hésio<strong>de</strong>, au contraire,<br />
nomme <strong>le</strong>s bons <strong>démon</strong>s gardiens <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>; Platon<br />
dit que ce sont nos médiateurs auprès <strong>de</strong>s dieux, dont<br />
ils nous transmettent <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s.<br />
Ainsi Plutarque revient aux vieil<strong>le</strong>s traditions. Peutêtre<br />
ne veut-il pas d'un seul dieu nature, comme <strong>le</strong>s<br />
i.
242 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
stoïciens, ce qui ne lui permettrait pas d'expliquer la<br />
cause du mal. — Après avoir rappelé <strong>le</strong>s opinions plus<br />
ou moins matérialistes qui dérivent <strong>de</strong>s fab<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong>s<br />
dieux et <strong>le</strong>s divers symbo<strong>le</strong>s, il dit que toutes pèchent<br />
au fond, quoique toutes disent bien et droitement. La<br />
vie, selon lui, est conduite par <strong>de</strong>ux principes, dont<br />
l'un nous dirige à droite et l'autre à gauche : c'est l'opinion<br />
<strong>de</strong>s plus sages. L'un est l'auteur <strong>de</strong> tout bien,<br />
l'autre <strong>de</strong> tous maux... c'est Oromase et Ahrimann... Il<br />
faut sacrifier à l'un pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s choses uti<strong>le</strong>s,<br />
et à l'autre pour l'empêcher <strong>de</strong> nous faire du mal.<br />
Pour éviter <strong>le</strong> matérialisme et <strong>le</strong> panthéisme, Plutarque<br />
tombe dans <strong>le</strong> manichéisme.<br />
Causes <strong>de</strong> la cessation <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s.<br />
Plutarque, dans <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses traités, introduit plusieurs<br />
interlocuteurs pour discuter la cause qui fait<br />
prédire, et pour répondre aux plaisanteries <strong>de</strong>s épicuriens<br />
sur <strong>le</strong>s vers <strong>de</strong> la pythie, etc.<br />
Pourquoi n'y avait-il plus en Béotic qu'un ou <strong>de</strong>ux<br />
orac<strong>le</strong>s? — Parce qu'on est moins crédu<strong>le</strong>, avait dit<br />
Cicéron. — C'est parce que l'impiété est si universel<strong>le</strong>,<br />
dit Démétrius, un <strong>de</strong>s interlocuteurs <strong>de</strong> Plutarque,<br />
qu'on ne <strong>de</strong>vrait pas <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pourquoi quelques-uns<br />
ont cessé, mais comment il se fait qu'il s'en trouve<br />
encore. <strong>Le</strong>s uns <strong>le</strong>s interrogent comme s'ils voulaient<br />
éprouver un sophiste, d'autres <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> révé<strong>le</strong>r<br />
<strong>de</strong>s trésors cachés, <strong>de</strong>s mariages clan<strong>de</strong>stins...<br />
Ammonius veut qu'on se gar<strong>de</strong> d'attribuer la cessation<br />
<strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s à d'autres causes qu'aux dieux; car ce<br />
serait <strong>le</strong>ur assigner une cause naturel<strong>le</strong>... — Il pense<br />
d'ail<strong>le</strong>urs que la dépopulation <strong>de</strong> la Grèce expliquerait<br />
cet anéantissement; où il fallait trois femmes pour
AVEC LE DÉMON. 243<br />
prophétiser, une seu<strong>le</strong> maintenant est plus que suffisante...<br />
Avouez-vous que c'est Dieu qui fait et défait <strong>le</strong>s<br />
orac<strong>le</strong>s? dit Cléombrote. — Je maintiens <strong>le</strong> contraire,<br />
dit un autre. Dieu préparc tout pour notre propre usage.<br />
Mais la matière finit par s'altérer ; il faut rechercher<br />
<strong>le</strong>s forces <strong>de</strong> la nature, en reconnaissant Dieu comme<br />
première cause. Il serait ridicu<strong>le</strong> et peu respectueux <strong>de</strong>,<br />
penser que Dieu par<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> ventre <strong>de</strong> la pythie...<br />
Cléombrote, qui est <strong>de</strong> cet avis, dit qu'il est diffici<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> savoir comment intervient cette provi<strong>de</strong>nce. Ceux<br />
qui la font cause <strong>de</strong> tout et ceux qui veu<strong>le</strong>nt qu'el<strong>le</strong><br />
n'intervienne en rien se trompent tous. Mais ceux qui<br />
ont supposé <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s comme médiateurs entre <strong>le</strong>s<br />
dieux et <strong>le</strong>s hommes ont résolu une bien gran<strong>de</strong> difficulté...<br />
En ôtant <strong>le</strong>ur intervention, on détruit tout<br />
commerce entre <strong>le</strong>s dieux et <strong>le</strong>s hommes, attendu<br />
qu'on supprime la nature qui sert <strong>de</strong> truchement à la<br />
divinité.<br />
On supprime ici une longue dissertation sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
qui meurent,... sur <strong>le</strong>s hommes qui <strong>de</strong>viennent<br />
<strong>de</strong>mi-dieux, etc. Enfin Plutarque reconnaît comme<br />
évi<strong>de</strong>nt qu'il existe <strong>de</strong>s natures moyennes qui sont<br />
<strong>le</strong> lien entre la divinité et l'humanité, mais sujettes<br />
aux passions, à subir <strong>de</strong>s changements.<br />
Plutarque ne pense pas qu'il y ait ni orac<strong>le</strong>s ni divinations<br />
sans divinité, et méprise <strong>le</strong> sentiment <strong>de</strong><br />
ceux qui disent que <strong>le</strong>s dieux n'écoutent pas <strong>le</strong>s hommes<br />
dans <strong>le</strong>s sacrifices; mais Dieu ne s'entremet pas<br />
en personne, il laisse ce soin aux <strong>démon</strong>s, qui vont,<br />
viennent partout, dirigent <strong>le</strong>s sacrifices, etc.<br />
Entre <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s il y a une gran<strong>de</strong> différence <strong>de</strong><br />
vertus... 11 y en a qui conservent quelques faib<strong>le</strong>s<br />
traces <strong>de</strong> l'âme sensitive qui n'est pas raisonnab<strong>le</strong>;
2H DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
à d'autres il en reste beaucoup... C'est ce qu'on voit<br />
très-bien, dit Plutarque, dans <strong>le</strong>s cérémonies, fêtes et<br />
sacrifices qu'on <strong>le</strong>ur fait... Quant aux mystères et cérémonies<br />
secrètes, qui permettent plus clairement que<br />
par nul<strong>le</strong> autre voie d'apercevoir « la vérité <strong>de</strong> la na-<br />
« ture <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, je n'en par<strong>le</strong> point quant à cela,<br />
« et en ai la bouche close, » comme dit Hérodote. Et<br />
quant à certaines fêtes, sacrifices sévères et tristes, où<br />
on mange chair crue, où l'on se déchire, etc., où l'on<br />
dit <strong>de</strong>s choses honteuses durant <strong>le</strong> sacrifice, je ne<br />
penserai jamais que ce soit pour <strong>de</strong>s dieux, mais pour<br />
apaiser la fureur <strong>de</strong> quelques <strong>démon</strong>s malicieux... Il<br />
n'est pas vraisemblab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s dieux aient <strong>de</strong>mandé<br />
qu'on <strong>le</strong>ur sacrifiât <strong>de</strong>s hommes... <strong>Le</strong>s rois n'ont immolé<br />
<strong>le</strong>urs propres enfants que pour détourner la colère<br />
<strong>de</strong> quelques malins esprits et pour assouvir <strong>le</strong>s<br />
tyranniques amours <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers.<br />
Après avoir reconnu l'intervention <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s dans<br />
<strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s divinations, Plutarque dit que si <strong>le</strong><br />
<strong>démon</strong> vient à manquer ou à passer ail<strong>le</strong>urs, la divination<br />
cesse dans ce lieu jusqu'à ce qu'il lui plaise d'y<br />
revenir.<br />
Selon un autre interlocuteur, il ne faut pas faire <strong>de</strong><br />
suppositions qui favorisent l'impiété; que <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
interviennent, c'est bien ; mais <strong>le</strong>ur attribuer <strong>de</strong>s<br />
crimes, <strong>de</strong>s calamités, prétendre que <strong>le</strong>s erreurs viennent<br />
<strong>de</strong>s dieux, c'est blâmab<strong>le</strong>.<br />
Cléombrote. — Si vous reconnaissez <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s et<br />
si vous soutenez qu'ils ne soient ni mortels ni méchants,<br />
en quoi diffèrent-ils <strong>de</strong>s dieux?... Empédoc<strong>le</strong><br />
n'est pas <strong>le</strong> seul qui ait dit qu'il en existait <strong>de</strong> mauvais,<br />
mais Platon, Xénocrate, Chrysippe, Démocrite<br />
lui-même ; puisqu'il priait pour rcnconti'er <strong>de</strong>s images<br />
heureuses, il faisait suffisamment entendre qu'il yen
AVEC LE DÉMON.<br />
avait <strong>de</strong> perverses, <strong>de</strong> malintentionnées. Cléombrote<br />
apporte <strong>le</strong>s raisons et cite <strong>de</strong>s faits propres à faire<br />
croire qu'ils sont mortels..., <strong>le</strong> récit <strong>de</strong> Thamos, par<br />
exemp<strong>le</strong>. <strong>Le</strong>s stoïciens mêmes partagent cette opinion ;<br />
ils pensent que parmi cette multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> dieux il n'y<br />
en a qu'un qui soit éternel ; tous <strong>le</strong>s autres, étant nés,<br />
doivent mourir... Quant aux épicuriens, il faut <strong>le</strong>s laisser<br />
nier, se fâcher, trouver étrange que <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
apparaissent... On ne doit pas s'occuper d'eux...; ils<br />
nient bien la Provi<strong>de</strong>nce; moquons-nous <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />
simulacres qui décou<strong>le</strong>nt <strong>de</strong>s corps, fussent-ils vivants,<br />
brûlés ou pourris, pour se montrer aux hommes et se<br />
promener...<br />
Ammonius partage l'opinion <strong>de</strong> Cléombrote ; si on<br />
la rejetait, il faudrait rejeter bien <strong>de</strong>s choses qu'on ne<br />
saurait expliquer autrement; si on l'adopte, el<strong>le</strong> ne<br />
présente rien d'impossib<strong>le</strong>....— Après une longue digression<br />
étrangère à ce sujet, on revient à la cessation<br />
<strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s ; <strong>le</strong> lieu où <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s <strong>le</strong>s rendaient est<br />
comparé à un instrument qui reste muet quand <strong>le</strong> musicien<br />
l'abandonne ; puis on examine comment <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
donnent aux <strong>de</strong>vins la divination, <strong>le</strong>s visions, etc.<br />
— Ce sont <strong>de</strong>s substances aériennes ; ils montrent l'avenir<br />
par <strong>de</strong>s visions', comme on montre par <strong>le</strong>ttres,<br />
écrits, regards, etc., <strong>de</strong>s choses déjà arrivées, ou que<br />
l'on pronostique cel<strong>le</strong>s qui arriveront...<br />
Vient ensuite l'examen <strong>de</strong> la question <strong>de</strong> savoir si<br />
nos âmes peuvent prédire comme <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s; n'étant<br />
pas probab<strong>le</strong> qu'en quittant <strong>le</strong>ur corps el<strong>le</strong>s acquièrent<br />
une nouvel<strong>le</strong> puissance, el<strong>le</strong>s ont sans doute cette<br />
faculté, dont l'action est empêchée par <strong>le</strong>ur union à la<br />
nature corporel<strong>le</strong>. C'est <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il à travers un brouillard;<br />
à la mort, l'astre s'échappe <strong>de</strong> la nue obscure...<br />
Rien là d'étrange... La mémoire, qui répond à la puis-
240 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Bance divinatrice, gar<strong>de</strong> <strong>le</strong>s faits qui cependant sont<br />
passés; l'âme, donnant ainsi l'être à ce qui n'est plus,<br />
peut voir éga<strong>le</strong>ment ce qui n'est pas encore ; l'avenir<br />
même lui appartient davantage, car el<strong>le</strong> s'y affectionne<br />
plus qu'au passé.<br />
Cette puissance innée mais obscurcie peut se manifester<br />
par songes, purifications, sacrifices, etc. <strong>Le</strong><br />
corps bien purifié acquiert une température particulière<br />
; la partie raisonnab<strong>le</strong> , délivrée <strong>de</strong> l'action <strong>de</strong>s<br />
choses présentes, s'unit à l'imagination pour voir l'avenir...<br />
La raison, qui conjecture, voit ce qui est <strong>le</strong> plus<br />
vraisemblab<strong>le</strong>, mais la vertu divinatrice n'a pas besoin<br />
<strong>de</strong> la raison, c'est la tab<strong>le</strong> rase propre à recevoir<br />
<strong>de</strong>s impressions sans raisonner... Quand el<strong>le</strong> s'éloigne<br />
du présent, el<strong>le</strong> voit l'avenir par une disposition du<br />
corps transformé, qu'on a nommée inspiration. <strong>Le</strong><br />
corps a souvent cette disposition, la terre lui envoie<br />
<strong>de</strong>s exhalaisons qui transportent l'âme hors d'el<strong>le</strong>même,<br />
ce qui arrive aussi dans certaines maladies...<br />
Or ce souff<strong>le</strong> (ou inspiration) étant très-divin, soit<br />
qu'il vienne par l'air, soit <strong>de</strong> quelque vapeur humi<strong>de</strong>,<br />
il donne au corps une disposition étrange quand il l'a<br />
pénétré; il est sans doute diffici<strong>le</strong> d'en exprimer la<br />
propriété, cependant on <strong>le</strong> peut par conjecture <strong>de</strong><br />
plusieurs manières... : par sa cha<strong>le</strong>ur, il peut ouvrir<br />
<strong>de</strong>s porcs où se trouve une force imaginative <strong>de</strong> l'avenir;<br />
comme <strong>le</strong> vin qui, en nous excitant, fait révé<strong>le</strong>r<br />
nos secrets... L'âme, étant surexcitée, dépouil<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />
craintes causées par <strong>le</strong>s préoccupations qui empêchent<br />
l'effet <strong>de</strong> l'inspiration divine...—Plutarque recourt à<br />
<strong>de</strong>s comparaisons ; par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> fer qui se durcit<br />
par la trempe, etc. Il n'est donc pas étonnant que la<br />
terre envoyant plusieurs exhalaisons, il s'en trouve qui<br />
transportent <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong> fureur divine et <strong>le</strong>ur don-
AVEC LE DÉMON. 247<br />
nent la vision <strong>de</strong> l'avenir. La manière dont l'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
Delphes fut découvert semb<strong>le</strong> appuyer cette conjecture.<br />
<strong>Le</strong> berger tombé dans l'antre poussait <strong>de</strong>s cris<br />
dont on ne tint compte; mais quand on l'entendit prédire,<br />
on fut très-surpris. L'âme sans doute s'unit à<br />
l'exhalaison comme l'œil à la lumière ; cet organe ne<br />
peut rien sans el<strong>le</strong>, comme l'âme qui a la vertu divinatrice<br />
ne peut rien sans l'agent qui l'excite ; c'est pourquoi<br />
plusieurs pensent qu'Apollon et <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il sont <strong>le</strong><br />
môme dieu...<br />
<strong>Le</strong>s vertus latentes <strong>de</strong> la terre se manifestent ou cessent<br />
dans un lieu pour reparaître ou cesser encore<br />
après plusieurs révolutions, comme on voit apparaître<br />
ou disparaître <strong>de</strong>s sources d'eaux therma<strong>le</strong>s.<br />
Démétrius, l'un <strong>de</strong>s interlocuteurs, dit avoir vu <strong>le</strong>s<br />
orac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la Cilicie dans toute <strong>le</strong>ur force, et raconte,<br />
comme témoin, que <strong>le</strong> gouverneur entouré d'épicuriens,<br />
et étant lui-même impie, voulut éprouver l'orac<strong>le</strong><br />
et envoya un affranchi porteur d'une <strong>le</strong>ttre bien scellée;<br />
celui-ci déclara avoir vu en songe quelqu'un qui lui<br />
dit un seul mot : Nom. Démétrius dit : cela nous parut<br />
impertinent; il en fut autrement pour <strong>le</strong> gouverneur<br />
qui <strong>de</strong>mandait dans sa <strong>le</strong>ttre : « T'immo<strong>le</strong>rai-je un taureau<br />
noir ou blanc? »<br />
Ammonius fait observer qu'on a ôté la divination<br />
aux dieux pour la donner aux <strong>démon</strong>s, puis enfui aux<br />
exhalaisons. Cette explication, dit-il, anéantit toute<br />
intervention divine. Alors à quoi bon prier <strong>le</strong>s dieux,<br />
pour obtenir <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, si l'âme a une faculté prophé-<br />
' tique qu'une vapeur, que la température peuvent exciter?<br />
A quoi bon consacrer <strong>de</strong>s vierges pour prononcer<br />
l'orac<strong>le</strong>? pourquoi cel<strong>le</strong>s-ci gar<strong>de</strong>nt-el<strong>le</strong>s <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce, si<br />
la victime ne donne pas <strong>le</strong>s signes voulus quand on fait<br />
<strong>le</strong>s effusions? pourquoi, lorsqu'ils ne se montrent pas,
218 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
l'orac<strong>le</strong> se tait?... — Ce serait fort bien si on attribuait<br />
l'orac<strong>le</strong> à un dieu; mais si cela dépend d'une exhalaison,<br />
que <strong>le</strong>s signes aient lieu ou non, <strong>le</strong> ravissement<br />
d'esprit doit toujours se produire et disposer l'âme du<br />
premier venu. 11 serait oiseux et ridicu<strong>le</strong> <strong>de</strong> choisir<br />
une vierge, etc.. — Ces réf<strong>le</strong>xions embarrassent <strong>le</strong>s<br />
interlocuteurs. Lamprias est prié <strong>de</strong> dire son avis.<br />
J'y répondrai, dit celui-ci en invoquant l'autorité <strong>de</strong><br />
Platon, qui blâmait Anaxagore <strong>de</strong> s'être trop attaché<br />
aux causes naturel<strong>le</strong>s, et d'abandonner la cause efficiente<br />
et fina<strong>le</strong> qui est la plus importante; il faut attribuer<br />
à Dieu <strong>le</strong> principe d'action, sans cependant oublier<br />
que la matière est nécessaire pour l'œuvre qu'on<br />
opère. Celui qui explique comment on donne la trempe<br />
au fer n'ôte rien à l'action <strong>de</strong> l'ouvrier... <strong>Le</strong>s plus anciens<br />
théologiens ne voyaient que l'action divine, tandis<br />
que <strong>le</strong>s philosophes <strong>le</strong>s plus mo<strong>de</strong>rnes attribuent<br />
tout à la matière. <strong>Le</strong>s uns et <strong>le</strong>s autres laissent à désirer.<br />
Celui qui réunit l'intelligence qui meut, et la matière<br />
passive qui est mue, répond atout; car on ne<br />
prive la divination ni <strong>de</strong> l'action divine ni <strong>de</strong> la raison<br />
humaine, puisqu'on lui donne pour sujet l'âme et pour<br />
instrument <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> ou l'inspiration... La terre engendre<br />
<strong>le</strong>s exhalaisons; <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il (qui est un dieu,<br />
d'après la tradition) lui donne sa puissance. <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
interviennent comme surintendants et gardiens <strong>de</strong><br />
la température qui favorise cette exhalaison, et comme<br />
préposés pour la graduer, afin <strong>de</strong> ne pas tourmenter<br />
l'âme ni la transporter hors d'el<strong>le</strong>-même, mais donner<br />
la vertu nécessaire pour agir, sans causer <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur à<br />
celui qui la reçoit... <strong>Le</strong> but <strong>de</strong>s effusions sur la victime<br />
est pour s'assurer si l'orac<strong>le</strong> veut répondre... la divinité<br />
<strong>de</strong>vant indiquer si <strong>le</strong> moment est favorab<strong>le</strong>, etc..<br />
Plutarque invoque <strong>le</strong> témoignage <strong>de</strong> ceux qui ont
AVEC LE DÉMON. 240<br />
consulté l'orac<strong>le</strong>... La partie <strong>de</strong> l'âme <strong>de</strong> la pythie,<br />
qui doit être en rapport <strong>avec</strong> l'exhalaison, peut être<br />
plus ou moins disposée, plus ou moins sous l'empire<br />
du corps... L'âme étant bien préparée, l'inspiration a<br />
"lieu; sinon il survient un état convulsif et <strong>de</strong> fureur..,<br />
— Un fait récent est rappelé ; <strong>le</strong>s signes <strong>de</strong> la victime ne<br />
s'étaient pas montrés favorab<strong>le</strong>s, cependant <strong>le</strong>s prêtres<br />
continuaient <strong>le</strong>s effusions. On plaça la pythie comme<br />
malgré el<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> trépied; mais, dès <strong>le</strong>s premières paro<strong>le</strong>s,<br />
on vit qu'el<strong>le</strong> ne pouvait plus supporter l'exhalaison.<br />
P<strong>le</strong>ine d'un esprit muet et malin, el<strong>le</strong> pousse un<br />
cri épouvantab<strong>le</strong>, s'élance vers la porte, en se roulant<br />
par ferre; <strong>le</strong>s consultants effrayés s'enfuient, ainsi que<br />
<strong>le</strong> grand prêtre ; <strong>le</strong>s autres assistants étant rentrés,<br />
on l'emporta hors du lieu, et el<strong>le</strong> mourut <strong>de</strong>ux jours<br />
après. Voilà pourquoi on exige <strong>de</strong>s signes et certaines<br />
conditions ; la divinité sait quand la pythie est disposée<br />
à recevoir l'inspiration sans danger...<br />
Dans un autre traité (<strong>Des</strong> orac<strong>le</strong>s rendus envers), Plutarque<br />
par<strong>le</strong> <strong>de</strong>s vers <strong>de</strong> la pythie ; <strong>le</strong>s épicuriens en<br />
riaient, en disant que <strong>le</strong>s vers d'Apollon ne valaient<br />
pas ceux d'Homère.<br />
On répond que <strong>le</strong> dieu ne donne que l'inspiration ;<br />
ni la voix ni la diction ne lui appartiennent... — On<br />
dit que <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s étaient en vers, que maintenant ils<br />
sont en prose;—il y en a toujours eu en prose comme<br />
envers... — <strong>Le</strong> ravissement d'esprit vient <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
causes, <strong>de</strong> l'inspiration et <strong>de</strong> la nature; comme c'est<br />
la pythie qui prononce <strong>le</strong>s vers, peut-on faire rendre à<br />
un instrument <strong>de</strong>s sons qui n'appartiennent pas à sa<br />
nature et faire articu<strong>le</strong>r un bègue?<br />
La pythie doit être née <strong>de</strong> parents pauvres, être sans<br />
expérience... Dieu se sert <strong>de</strong>s croassements <strong>de</strong>s corbeaux,<br />
et nous voulons que la pythie s'exprime comme
250 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
un personnage <strong>de</strong> tragédie; quand el<strong>le</strong> parlait envers,<br />
c'était <strong>le</strong> goût <strong>de</strong> l'époque ; <strong>le</strong>s philosophes excités par<br />
la boisson en faisaient autant ; on aimait aussi <strong>le</strong> langage<br />
énigmatique; comme il fallait alors être obscur<br />
pour par<strong>le</strong>r à <strong>de</strong>s tyrans, <strong>le</strong>s vers étaient préférab<strong>le</strong>s;<br />
aujourd'hui qu'il n'y a plus <strong>de</strong> séditions ni d'usurpations<br />
<strong>de</strong> tyrannies, on préfère la clarté... — On ne<br />
consulte l'orac<strong>le</strong> que pour <strong>de</strong>s choses vulgaires, mariage,<br />
santé, commerce; on no craint pas que <strong>le</strong> lieu<br />
per<strong>de</strong> une réputation acquise par trois mil<strong>le</strong> ans <strong>de</strong><br />
durée, et qu'on l'abandonne comme l'éco<strong>le</strong> d'un sophiste,<br />
etc..<br />
<strong>Le</strong> langage <strong>de</strong> la pythie va droit à la vérité, on n'a<br />
pu jamais la convaincre <strong>de</strong> fausseté.<br />
On a vu que Plutarque n'estimait guère plus la théologie<br />
fabu<strong>le</strong>use que l'athéisme, il rejetait aussi <strong>le</strong>s<br />
explications athées do certains philosophes et <strong>le</strong> dieu<br />
nature <strong>de</strong>s stoïciens ; — il reconnaît <strong>de</strong>ux principes opposés<br />
dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, puis <strong>de</strong>s dieux supérieurs, <strong>de</strong>s<br />
dieux médiateurs et <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, qui, sujets aux passions,<br />
sont <strong>le</strong>s uns bons, d'autres mauvais ; il a remarqué<br />
enfin qu'en supposant l'existence <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s et<br />
<strong>le</strong>ur intervention, on donnait la solution <strong>de</strong> mil<strong>le</strong> difficultés<br />
insolub<strong>le</strong>s sans cette hypothèse.<br />
La divination, l'un <strong>de</strong>s phénomènes <strong>le</strong>s plus étranges<br />
qui puissent se manifester dans <strong>l'homme</strong>, n'est pas<br />
niée <strong>avec</strong> dédain, il y croit. <strong>Le</strong>s orac<strong>le</strong>s ont cessé<br />
dans beaucoup d'endroits; il ne dit pas que <strong>le</strong>ur célébrité<br />
soit due à la crédulité ; <strong>de</strong> son temps même, <strong>de</strong>s<br />
incrédu<strong>le</strong>s ayant été forcés d'y croire; il n'accuse<br />
ni <strong>le</strong>s prêtres <strong>de</strong> fourberie ni la pythie d'imposture,<br />
il ne paraît pas qu'il en ait eu même la pensée. C'est<br />
une fil<strong>le</strong> ignorante, dit-il, simp<strong>le</strong>, dont <strong>le</strong> langage est<br />
vrai; il ne croit pas que, pour mieux tromper, el<strong>le</strong> se
AVEC LE DÉMON. 251<br />
soit fait expirer dans <strong>de</strong>s convulsions épouvantab<strong>le</strong>s,<br />
ni que <strong>le</strong>s prêtres fussent capab<strong>le</strong>s d'une tel<strong>le</strong> cruauté ;<br />
en effet, s'ils n'étaient pas assez préparés, il <strong>le</strong>ur suffisait<br />
d'ajourner <strong>le</strong>s consultants, <strong>de</strong> faire une réponse<br />
ambiguë, comme on <strong>le</strong>s accusait <strong>de</strong> <strong>le</strong> faire. Plutarque<br />
avait cent raisons pour n'accuser ni <strong>le</strong>s prêtres ni la<br />
pythie. Ne doutant pas du phénomène, il s'agissait <strong>de</strong><br />
l'expliquer : <strong>de</strong>s matérialistes avaient soupçonné une<br />
exhalaison physique, mettant l'âme dans l'état où on<br />
suppose qu'el<strong>le</strong> sera, étant dégagée du corps. Cette explication,<br />
après examen, n'est pas satisfaisante. Autrefois<br />
on croyait que <strong>le</strong> dieu parlait dans <strong>le</strong> ventre <strong>de</strong> la<br />
pythie; pensant que c'était indigne <strong>de</strong> lui, on a voulu<br />
n'y voir ensuite qu'un agent naturel. Si la première<br />
opinion était irrévércnte, la secon<strong>de</strong> accor<strong>de</strong> trop à la<br />
nature; si une exhalaison fait prédire, à quoi bon effectivement<br />
tous ces signes, toutes ces conditions exigées?<br />
11 paraît donc assez raisonnab<strong>le</strong> <strong>de</strong> penser que <strong>le</strong>s dieux<br />
ne prononcent pas l'orac<strong>le</strong>, mais qu'ils l'inspirent, <strong>le</strong><br />
révè<strong>le</strong>nt à l'âme, mise dans un état convenab<strong>le</strong> par<br />
l'exhalaison; <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s en surveil<strong>le</strong>nt la température,<br />
et donnent <strong>le</strong>s signes indiquant si l'inspiration est<br />
possib<strong>le</strong>.<br />
Cicéron'<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s épicuriens s'était moins fatigué<br />
l'esprit; tandis qu'ils ont nié, Plutarque a examiné,<br />
recherché <strong>le</strong>s causes, ou plutôt exposé cel<strong>le</strong>s que donnaient<br />
d'autres philosophes non moins convaincus que<br />
lui. — Ont-ils trouvé la véritab<strong>le</strong> cause... ? — En attendant<br />
un nouvel examen, on doit savoir gré à Plutarque<br />
<strong>de</strong> ses recherches, <strong>le</strong> féliciter sur son courage et sa<br />
loyauté, et <strong>le</strong> louer <strong>de</strong> n'avoir pas craint <strong>de</strong> revenir<br />
aux anciennes doctrines quand <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s lui ont<br />
paru mauvaises.
232 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Apulée.<br />
Apulée reconnaissait, comme Platon, <strong>de</strong>s dieux supérieurs,<br />
<strong>de</strong>s dieux inférieurs, et <strong>de</strong>s esprits intermédiaires.<br />
<strong>Le</strong>s dieux immortels sont <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, la lune,<br />
<strong>le</strong>s cinq étoi<strong>le</strong>s errantes et douze astres, tels que Vesta,<br />
Jupiter, Vénus, etc. Ces dieux ont un père ; dégagé<br />
<strong>de</strong> la nécessité d'agir, il n'est soumis à aucun soin;<br />
comme il est incompréhensib<strong>le</strong>, on ne s'en peut faire<br />
une idée.<br />
<strong>Le</strong>s dieux immortels s'occupent <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, mais ce<br />
n'est que par l'intermédiaire <strong>de</strong>s puissances moyennes<br />
qui sont dans l'air; cel<strong>le</strong>s-ci transmettent nos prières,<br />
font connaître nos besoins; ce sont <strong>de</strong>s ambassa<strong>de</strong>urs<br />
qui communiquent la volonté <strong>de</strong>s dieux, par<br />
révélation, présages, prodiges. Chaque <strong>démon</strong> s'ac-.<br />
quitte du ministère qui lui est confié. <strong>Le</strong>s uns font<br />
naître <strong>de</strong>s songes, disposent <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes,<br />
gouvernent <strong>le</strong> vol ou <strong>le</strong> cri <strong>de</strong>s oiseaux, inspirent<br />
<strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins, font bril<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s éclairs, etc. Tout ce qui<br />
sert enfin à révé<strong>le</strong>r l'avenir est ordonné par <strong>le</strong>s dieux<br />
et exécuté par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ; il serait indigne <strong>de</strong>s dieux<br />
qu'il en fût autrement. Ces êtres qui habitent l'air sont<br />
lumineux, composés <strong>de</strong> sa partie la plus pure, la plus<br />
subti<strong>le</strong> Mais si <strong>le</strong>s dieux ont une égalité d'âme<br />
perpétuel<strong>le</strong>, si <strong>le</strong> père <strong>de</strong>s dieux ne ressent ni colère,<br />
ni pitié, ni joie, <strong>le</strong>s esprits ministres ont <strong>de</strong>s passions;<br />
<strong>le</strong> mépris <strong>le</strong>s révolte, <strong>le</strong> respect nous <strong>le</strong>s concilie ; on<br />
<strong>le</strong>s gagne par <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s. Apulée <strong>le</strong>s définit ainsi :<br />
Ce sont <strong>de</strong>s êtres animés dont l'esprit est raisonnab<strong>le</strong>,<br />
<strong>le</strong> corps aérien. Plutarque dit qu'ils meurent, mais<br />
Apulée dit que <strong>le</strong>ur durée est éternel<strong>le</strong>; <strong>le</strong>ur âme est<br />
passib<strong>le</strong> puisqu'el<strong>le</strong> souffre <strong>le</strong>s mêmes agitations que la
AVEC LE DÉMON. 253<br />
nôtre. <strong>Le</strong>s uns veu<strong>le</strong>nt un culte <strong>de</strong> nuit, d'autres un culte<br />
<strong>de</strong> jour; <strong>le</strong>s uns <strong>le</strong> veu<strong>le</strong>nt secret, d'autres qu'il soit<br />
public. <strong>Le</strong>s uns <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s gémissements, d'autres<br />
<strong>de</strong>s danses, <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong>s tambours et <strong>de</strong>s hautbois. <strong>Le</strong>s<br />
faits qui prouvent qu'ils sont colères sont si nombreux,<br />
si connus, que ceux qui ont voulu en faire un recueil<br />
en ont beaucoup plus omis qu'ils n'en ont rapporté.<br />
<strong>Le</strong>ur colère se manifeste dans <strong>le</strong>s songes, dans <strong>le</strong>s<br />
orac<strong>le</strong>s..., lorsqu'on a, par négligence ou par mépris,<br />
omis quelques circonstances du cérémonial. On appel<strong>le</strong><br />
aussi dbnom, dit-il, <strong>le</strong>s âmes affranchies <strong>de</strong>s liens<br />
du corps; il distingue <strong>le</strong>s larves, <strong>le</strong>s lémures; <strong>le</strong>s premiers<br />
tourmentent <strong>le</strong>s méchants; tous se nomment <strong>le</strong>s<br />
mânes.<br />
Ceux qui n'ont jamais été revêtus d'un corps sont<br />
bien supérieurs en dignité aux mânes qui ont eu un<br />
corps. Chaque homme a un <strong>de</strong> ces génies témoin <strong>de</strong><br />
ses pensées et <strong>de</strong> ses actes. En parlant <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Socrate,<br />
Apulée ne veut pas qu'on s'imagine que <strong>le</strong>s<br />
prévisions <strong>de</strong> ce philosophe fussent l'effet <strong>de</strong> sa pru<strong>de</strong>nce<br />
et <strong>de</strong> son expérience : « Platon, dit-il, en parlant<br />
<strong>de</strong> cette voix qui dirigeait Socrate, entendait quelque<br />
chose <strong>de</strong> divin, d'extraordinaire... » Apulée pense<br />
même que <strong>le</strong> génie se manifestait par <strong>de</strong>s signes visib<strong>le</strong>s.<br />
Un signe divin, assurait Socrate, vient <strong>de</strong> s'offrir<br />
à moi... — <strong>Le</strong>s pythagoriciens étaient étonnés, dit<br />
Aristote, lorsque quelqu'un <strong>le</strong>ur assurait n'avoir jamais<br />
vu <strong>de</strong> génie, et Apulée <strong>de</strong>man<strong>de</strong> alors pourquoi Socrate<br />
n'aurait pu voir <strong>le</strong> sien.<br />
Que l'ouvrage d'Apulée, intitulé l'Ane d'or, soit un<br />
livre historique, comme quelques-uns l'ont pensé, ou<br />
selon d'autres une fiction, il n'en reflète pas moins <strong>le</strong>s<br />
croyances <strong>de</strong> l'époque. Ainsi <strong>le</strong>s sorcières emploient<br />
<strong>de</strong>s lambeaux <strong>de</strong> chair pour <strong>le</strong>urs charmes, et s'achar-
254 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
nent tel<strong>le</strong>ment à muti<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s cadavres humains qu'on<br />
est obligé <strong>de</strong> <strong>le</strong>s gar<strong>de</strong>r pendant la nuit. Ces maudites<br />
femmes se transforment en chiens, en oiseaux, et<br />
se glissent <strong>avec</strong> tant d'adresse qu'el<strong>le</strong>s tromperaient,<br />
dit-il, <strong>le</strong>s yeux du so<strong>le</strong>il. On ne peut imaginer tout ce<br />
qu'el<strong>le</strong>s inventent pour en venir à <strong>le</strong>urs fins. En lisant<br />
<strong>le</strong>s remarques d'Apulée, on croit lire <strong>le</strong>s écrits <strong>de</strong>s<br />
<strong>démon</strong>ologues du quinzième et du seizième sièc<strong>le</strong>. La<br />
métamorphose <strong>de</strong> Pamphi<strong>le</strong>, qui, s'étant frottée, vo<strong>le</strong><br />
dans <strong>le</strong>s airs; <strong>le</strong>s conjurations pour se faire aimer;<br />
l'aventure <strong>de</strong> cette femme répudiée qui s'adresse aune<br />
sorcière pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r d'apaiser son mari ou <strong>de</strong><br />
lui envoyer <strong>de</strong>s spectres pour <strong>le</strong> tourmenter ; tout cela<br />
se retrouvera quinze sièc<strong>le</strong>s encore après Apulée, certifié<br />
par <strong>de</strong>s personnes qui n'ont jamais ouï par<strong>le</strong>r <strong>de</strong><br />
lui ni <strong>de</strong> ses œuvres. — <strong>Le</strong> mari <strong>de</strong> cette femme fut si<br />
épouvantab<strong>le</strong>ment vexé par <strong>le</strong>s larves, qu'il se pendit;<br />
et sa fil<strong>le</strong>, absente, eut un songe où son père, ayant la<br />
cor<strong>de</strong> au cou, apparut pour lui révé<strong>le</strong>r ce funeste événement.<br />
Apulée lui-môme fut accusé <strong>de</strong> magie 1<br />
; c'était,<br />
comme on l'a dit, <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> plaisanter <strong>avec</strong> Lucien, <strong>de</strong><br />
nier son pouvoir <strong>avec</strong> Cicéron, d'invoquer <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux sièc<strong>le</strong>s<br />
d'épicurisme qui ont ri <strong>de</strong>s dieux et <strong>de</strong>s hommes.<br />
<strong>Le</strong>s temps sont changés, comme on l'a vu; il se disculpe<br />
d'être magicien, avoue <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> la magie,<br />
est convaincu que l'âme simp<strong>le</strong> d'un enfant peut, par<br />
<strong>de</strong>s charmes et <strong>de</strong>s parfums, être en<strong>le</strong>vée à ce mon<strong>de</strong>,<br />
se dégager <strong>de</strong> son corps, être ramenée à sa nature immortel<strong>le</strong><br />
et divine, et dans une sorte <strong>de</strong> sommeil prédire<br />
l'avenir, etc. Il faut qu'il soit vierge, qu'il ait <strong>de</strong>s<br />
grâces, etc.<br />
1 Saint Jérôme, saint Augustin et beaucoup d'autres l'ont cru coupab<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> ce crime.
AVEC LE DÉMON. 255<br />
Si aux époques <strong>de</strong> spiritualisme il y avait <strong>de</strong>s épicuriens<br />
et <strong>de</strong>s sceptiques, on sent que, malgré <strong>le</strong> retour<br />
au spiritualisme, ceux-ci furent encore longtemps après<br />
assez nombreux. Ainsi, malgré la nouvel<strong>le</strong> tendance <strong>de</strong><br />
l'esprit au spiritualisme, favorisée par la continuation<br />
<strong>de</strong>s faits qui ne pouvaient guère s'expliquer que par<br />
lui; malgré <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux causes ci-<strong>de</strong>vant signalées et qui<br />
seront exposées en <strong>le</strong>ur lieu, il y avait toujours une<br />
fou<strong>le</strong> d'hommes qui, comme Lucien, niaient et plaisantaient,<br />
ou qui, comme Pline et Lucrèce, donnaient<br />
<strong>de</strong>s explications naturel<strong>le</strong>s ; car il est vrai que plusieurs<br />
ne peuvent ou ne veu<strong>le</strong>nt s'é<strong>le</strong>ver jusqu'au spiritualisme,<br />
et que d'autres sont épicuriens par caractère, tant <strong>le</strong>s<br />
conditions requises pour être discip<strong>le</strong>s d'Épicure resteront<br />
faci<strong>le</strong>s, tant la nature y convie. Il est donc bien<br />
vrai <strong>de</strong> dire que <strong>l'homme</strong> est plus disposé généra<strong>le</strong>ment<br />
à nier <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux qu'à l'accueillir, quoique l'on préten<strong>de</strong><br />
<strong>le</strong> contraire. Sans doute <strong>le</strong>s faits surnaturels <strong>le</strong><br />
frapperont, s'ils se présentent ; mais la régularité <strong>de</strong>s<br />
lois physiques <strong>le</strong>s fait bien promptement oublier et rejeter.<br />
Ce qu'on vient <strong>de</strong> dire et ce qui reste à exposer cause<br />
nn certain embarras. On a signalé <strong>de</strong>s contradictions<br />
et <strong>de</strong> l'obscurité dans <strong>le</strong>s religions <strong>de</strong> la haute antiquité.<br />
Dans <strong>le</strong> sujet qui nous occupe, on pourrait faire<br />
la même observation. <strong>Le</strong> sacerdoce est atteint du vice<br />
dominant : l'épicurisme et l'incrédulité. — Pourquoi?<br />
— Parce qu'il est tombé surtout dans l'ignorance <strong>de</strong>s<br />
pratiques du culte. Mais l'histoire, qui nous l'apprend,<br />
nous dit en même temps qu'on est revenu à ces pratiques.<br />
Où donc <strong>le</strong>s a-t-on retrouvées, si el<strong>le</strong>s étaient oubliées<br />
partout?
DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Incrédulité et ignorance <strong>de</strong>s prêtres païens; ils contrefont <strong>de</strong>s<br />
prodiges.<br />
Un grand événement, dont on par<strong>le</strong>ra plus loin,<br />
s'est accompli ; quoique prédit, quoique l'époque fût<br />
pressentie, il est resté inaperçu pour <strong>le</strong>s Juifs saducéens<br />
et pour <strong>le</strong>s épicuriens païens.— Chez <strong>le</strong>s Gentils,<br />
<strong>le</strong> culte existait encore, mais sans croyance. <strong>Le</strong>s magistrats,<br />
<strong>le</strong>s grands, <strong>le</strong> méprisaient; il ne subsistait que<br />
par politique. <strong>Le</strong> peup<strong>le</strong> lui-même, dont <strong>le</strong> zè<strong>le</strong> religieux<br />
s'était fort refroidi, restait polythéiste par habitu<strong>de</strong>.<br />
<strong>Le</strong>s prodiges, comme on vient <strong>de</strong> <strong>le</strong> dire, n'avaient<br />
pas cessé, mais il est permis <strong>de</strong> penser que <strong>le</strong> mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
manifestation <strong>de</strong>s faits dut quelquefois favoriser <strong>le</strong>s explications<br />
<strong>de</strong>s matérialistes et <strong>le</strong>s doutes <strong>de</strong>s sceptiques.<br />
Niés par <strong>le</strong>s uns, d'autres <strong>le</strong>s attribuaient à l'âme universel<strong>le</strong>,<br />
d'autres aux forces motrices <strong>de</strong> la nature. Tous<br />
ceux qui se croyaient éclairés, et partout <strong>le</strong> nombre en<br />
<strong>de</strong>vient bientôt immense, n'attribuèrent plus ce merveil<strong>le</strong>ux<br />
qui avait nourri la foi <strong>de</strong>s Gentils, ni à Jupiter,<br />
ni à Vénus, ni à Diane, à Sérapis ou Pluton. <strong>Le</strong>s noms<br />
restèrent, mais la foi, la piété disparurent, tandis que la<br />
superstition continuait d'asservir ces prétendus esprits<br />
forts. Adrien érigea <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s ù Antinous, ce favori<br />
qu'il aimait <strong>de</strong> cet amour infâme dont <strong>le</strong>s païens trouvaient<br />
<strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>urs dieux, et, d'après Spartien,<br />
ce nouveau dieu eut <strong>de</strong>s prêtres et rendit môme<br />
<strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s que l'empereur, dit-on, avait composés luimôme.<br />
Combien un fait semblab<strong>le</strong> <strong>de</strong>vait inspirer alors<br />
<strong>de</strong> mépris pour <strong>le</strong>s anciens orac<strong>le</strong>s, auxquels on ne dut<br />
pas soupçonner une origine plus respectab<strong>le</strong>, et que<strong>de</strong>vaient<br />
penser <strong>le</strong>s prêtres <strong>de</strong> ce nouveau dieu? Pourtant<br />
Adrien était adonné aux divinations et à la magie ; An-
AVEC LE DÉMON. 257<br />
tonin, Marc-Aurè<strong>le</strong> se livraient à toutes <strong>le</strong>s superstitions<br />
romaines et étrangères; ce <strong>de</strong>rnier ne croyait<br />
cependant ni aux bons ni aux mauvais génies, mais il<br />
pensait que son âme était une émanation <strong>de</strong> l'âme<br />
universel<strong>le</strong>, et cherchait à la dégager <strong>de</strong> la matière qui<br />
en paralysait <strong>le</strong>s facultés.<br />
Partout <strong>le</strong> sacerdoce avait ressenti <strong>le</strong> contre-coup <strong>de</strong>s<br />
révolutions, <strong>de</strong>s guerres, <strong>de</strong>s changements <strong>de</strong> dynastie<br />
et <strong>de</strong>s systèmes philosophiques. En Egypte, la caste<br />
sacerdota<strong>le</strong> avait subi <strong>de</strong>s persécutions qui altérèrent<br />
sa doctrine; el<strong>le</strong> perdit en gran<strong>de</strong> partie, par suite <strong>de</strong>s<br />
événements politiques, <strong>le</strong>s connaissances qui l'avaient<br />
rendue célèbre. Strabon, qui n'est pas <strong>le</strong> seul à l'accuser<br />
d'ignorance, a parlé d'un prêtre qui accompagnait<br />
iElius Gallus, comme d'un homme qui joignait<br />
à beaucoup <strong>de</strong> vanité encore plus d'ignorance; et Suidas<br />
par<strong>le</strong> d'un autre prêtre d'Héliopolis non moins<br />
ignorant ni moins vaniteux. Du temps <strong>de</strong> Strabon, cette<br />
déca<strong>de</strong>nce datait déjà <strong>de</strong> plusieurs sièc<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s traditions<br />
étaient abandonnées, <strong>le</strong>s collèges <strong>de</strong>s prêtres<br />
n'étaient plus fréquentés. Cet auteur dit qu'il vit au<br />
milieu <strong>de</strong>s ruines d'Héliopolis <strong>le</strong>s vastes édifices bâtis<br />
autrefois par <strong>le</strong>s prêtres égyptiens; mais, au lieu <strong>de</strong><br />
sages vénérés pour <strong>le</strong>ur science, il ne trouva que <strong>de</strong>s<br />
superstitieux faisant, pour vivre, <strong>le</strong> métier <strong>de</strong> sacrifier<br />
aux dieux, et expliquant d'après <strong>le</strong>ur imagination <strong>le</strong>s<br />
cérémonies du culte. Ces hommes, qui ignoraient <strong>le</strong>s<br />
vieux rites, tout en se piquant <strong>de</strong> science, obtenaient-ils<br />
<strong>de</strong>s prodiges? y croyaient-ils?—Ils étaient superstitieux,<br />
et <strong>le</strong>s pratiques importent peu à l'agent occulte qui<br />
opère <strong>le</strong>s prodiges... Il lui convient même <strong>de</strong> favoriser<br />
l'incrédulité et <strong>le</strong>s erreurs qui ont cours. Quand <strong>le</strong><br />
merveil<strong>le</strong>ux faisait défaut, nul doute que ces prêtres ne<br />
l'aient simulé. — En était-il ainsi <strong>de</strong> fous <strong>le</strong>s prêtres?<br />
i.<br />
17
258 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
On ne saurait <strong>le</strong> penser, puisque <strong>le</strong>s philosophes qui<br />
se rendirent en Egypte au <strong>de</strong>uxième sièc<strong>le</strong> y puisèrent<br />
la science qui, comme on <strong>le</strong> verra, rétablit plus fard la<br />
théurgie. Il faut croire que quelques savants personnages<br />
y conservaient <strong>le</strong>s traditions religieuses; sinon<br />
ce serait une contradiction <strong>de</strong> dire qu'on retrouva la<br />
science en Egypte si el<strong>le</strong> eut été complètement perdue.<br />
— Dans <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> druidisme, après la conquête,<br />
subit <strong>le</strong>s modifications que <strong>le</strong> vainqueur lui imposa,<br />
et fut ébranlé par ce coup terrib<strong>le</strong>, on <strong>le</strong> sait; Clau<strong>de</strong><br />
parvint à abolir presque entièrement <strong>le</strong>s sacrifices humains,<br />
ordonnés, soit lorsqu'il s'agissait <strong>de</strong> racheter la<br />
vie d'un homme par <strong>le</strong> sacrifice d'un autre, soit <strong>de</strong> prédire<br />
l'avenir dans <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s. Dès lors <strong>le</strong> sacrificateur<br />
dut se borner à faire une légère incision à la victime<br />
humaine, et la divinité fut obligée <strong>de</strong> se contenter <strong>de</strong><br />
quelques gouttes <strong>de</strong> son sang. On continua d'adorer<br />
Taranis et Teutalès ; <strong>le</strong>s Gaulois furent toujours experts<br />
dans <strong>le</strong>s divinations; mais ils joignirent à <strong>le</strong>ur culte<br />
celui <strong>de</strong>s vainqueurs ; <strong>le</strong>s ministres d'E<strong>le</strong>usis s'étant établis<br />
dans <strong>le</strong>s (îau<strong>le</strong>s, on y sacrifia à Cérès et à Proserpine<br />
; mais un culte transmis par <strong>le</strong>s Romains aune<br />
époque d'incrédulité et d'ignorance ne <strong>de</strong>vait être<br />
qu'une monierie. Quoi qu'il en soit, <strong>le</strong>s successeurs <strong>de</strong>s<br />
drui<strong>de</strong>s pratiquèrent une religion que l'on verra mélangée<br />
<strong>de</strong> druidisme, du paganisme romain, et <strong>de</strong> christianisme.<br />
Plusieurs traditions furent conservées; nous<br />
<strong>le</strong>s retrouverons un jour dans <strong>le</strong>s sectes du moyen<br />
âge; mais quel<strong>le</strong> comparaison établir entre <strong>le</strong>s drui<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxième et troisième sièc<strong>le</strong>s, par exemp<strong>le</strong>, et <strong>le</strong>s<br />
drui<strong>de</strong>s qui étudiaient durant vingt années <strong>le</strong>ur science<br />
dans <strong>le</strong>s forêts?<br />
Chez <strong>le</strong>s Romains, <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong>s dieux s'accrut <strong>de</strong><br />
tous <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s nations qu'ils soumettaient. Ayant
AVEC LE DÉMON 259<br />
refusé d'abord d'admettre <strong>le</strong>s mystères égyptiens et<br />
repoussé <strong>le</strong>s prêtres d'Isis, par indifférence religieuse<br />
et par politique, tout fut ensuite accepté, et <strong>le</strong>s divinités<br />
étrangères furent confondues <strong>avec</strong> cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Romains.<br />
Mais on ne croyait plus ni aux unes ni aux autres. <strong>Le</strong>s<br />
magistrats étaient revêtus d'un doub<strong>le</strong> caractère, c'està-dire<br />
à la fois prêtres et magistrats. Une époque vint<br />
où il n'y eut que <strong>de</strong>s magistrats et un fantôme <strong>de</strong> sacerdoce<br />
qui ignorait complètement sa religion. Cicéron,<br />
on l'a vu, avoue « qu'on ne sait plus ce que c'est que<br />
« <strong>le</strong>s auspices; qu'il n'en était pas <strong>de</strong> même autrefois;<br />
« que d'autres peup<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s observent encore <strong>avec</strong> soin,<br />
« qu'on <strong>le</strong>s rejette parce qu'ils viennent <strong>de</strong>s barbares,<br />
« et parce que c'est moins un art qu'une superstition. »<br />
On voit donc pourquoi Cicéron a répété après Caton<br />
« que l'on ne conçoit pas que <strong>de</strong>ux augures puissent<br />
se regar<strong>de</strong>r sans rire, » — c'est qu'ils ignoraient <strong>le</strong>s<br />
pratiques et <strong>le</strong> côté 1<br />
merveil<strong>le</strong>ux <strong>de</strong> cette science; certains<br />
rites étaient perdus <strong>de</strong>puis longtemps, on en sera<br />
convaincu quand on saura que quatre sièc<strong>le</strong>s après la<br />
mort <strong>de</strong> JN'uma, un rituel <strong>de</strong> ce roi ayant été retrouvé<br />
dans un coffre <strong>de</strong> pierre, on vit que <strong>le</strong>s cérémonies prescrites<br />
différaient tel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> ce qui se pratiquait, qu'il<br />
fut décidé, pour prévenir <strong>le</strong>s scrupu<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s simp<strong>le</strong>s,<br />
qu'on brû<strong>le</strong>rait ces formu<strong>le</strong>s ; on craignait aussi qu'on<br />
n'en abusât.<br />
1. On peut rire <strong>de</strong>s choses <strong>le</strong>s plus graves que l'on ne connaît pas.<br />
On <strong>le</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aujourd'hui aux hommes <strong>de</strong> foi. —S'il était possib<strong>le</strong><br />
qu'il se trouvât un jour <strong>de</strong>s prêtres assez ignorants ou assez impies pour<br />
dire qu'ils ne comprennent pas comment peut s'empêcher <strong>de</strong> rire <strong>le</strong><br />
minisire qui, <strong>avec</strong> une insufflation et certaines paro<strong>le</strong>s du rituel, chasse<br />
<strong>le</strong> <strong>démon</strong> du corps <strong>de</strong> l'enfant qu'il baptise, <strong>de</strong>vrait-on penser que <strong>le</strong>s<br />
saints docteurs qui ont, durant dix-huit sièc<strong>le</strong>s, employé <strong>le</strong>s exorcismes<br />
du baptême, n'y croyaient pas plus que ces prêtres ignorants<br />
dont on vient <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r? Devrait-ou déci<strong>de</strong>r que pour <strong>le</strong>s premiers ce<br />
fût une momerie ridicu<strong>le</strong>?
260 DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LE DÉMON.<br />
Maintenant est>-ii donc surprenant qu'à une certaine<br />
époque <strong>le</strong>s païens aient fabriqué <strong>de</strong>s prodiges, que<br />
l'on ait découvert, après l'abolition du paganisme, <strong>de</strong>s<br />
allées souterraines, <strong>de</strong>s statues creuses ; on trouvait<br />
bon <strong>de</strong> feindre <strong>de</strong>s prodiges qu'on ne pouvait plus obtenir<br />
(une autre cause sera citée plus loin). On se moquait<br />
donc à tort, comme Cicéron et Lucien, <strong>de</strong> ce<br />
que l'on ne comprenait point. — Mais l'époque où<br />
l'on va revivifier la théurgie dans ses sources approche;<br />
on voyagera pour consulter <strong>de</strong>s hommes plus instruits<br />
dans cette prétendue science, et <strong>le</strong> néoplatonisme luttera<br />
un jour par ses prodiges <strong>avec</strong> une religion nouvel<strong>le</strong><br />
qui doit bientôt remplir <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>.
LIVRE TROISIÈME<br />
CHAPITRE I<br />
Origine du néoplatonisme. —Éco<strong>le</strong> d'A<strong>le</strong>xandrie, sa doclrine, — Mosaïsme; ses<br />
iraditions, ses croyances. — Comparaison <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux doctrines. — Puissance<br />
<strong>de</strong>s esprits d'après l'Ancien Testament.<br />
Origine du néoplatonisme.<br />
On l'a montré longuement : après Cicéron, <strong>le</strong>s prodiges<br />
<strong>de</strong> la théurgie, <strong>de</strong> la goétie, <strong>le</strong>s présages, etc.,<br />
n'avaient pas cessé. <strong>Le</strong> délire sacré se produisait, plusieurs<br />
orac<strong>le</strong>s étaient muets, mais la pythie recevait encore<br />
l'inspiration , et, d'après <strong>le</strong> témoignage <strong>de</strong> Plutarque<br />
, rendait encore <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s très-véridiques,<br />
quoiqu'on ne la consultât plus que sur <strong>de</strong>s choses vulgaires,<br />
car <strong>le</strong>s magistrats n'y avaient plus <strong>de</strong> confiance.<br />
L'histoire nous apprend que, sous Tibère, il .y avait quelques<br />
prêtres aussi croyants que du temps d'Hérodote,<br />
qui remarquèrent que <strong>le</strong>s prodiges s'évanouissaient<br />
en présence <strong>de</strong>s incrédu<strong>le</strong>s, qu'ils appelaient profanes ;<br />
<strong>le</strong>s épicuriens étaient incapab<strong>le</strong>s d'être initiés, <strong>le</strong>ur
262 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
présence faisait échouer <strong>le</strong>s prodiges du dieu qui, refusant<br />
d'intervenir, exigeait ou la foi, ou la disposition<br />
à la recevoir, et favorisait même <strong>le</strong>s doutes <strong>de</strong>s sceptiques.<br />
Croyants et mécréants lui plaisaient éga<strong>le</strong>ment<br />
sans doute, car tous servaient ses <strong>de</strong>sseins. <strong>Le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />
du christianisme <strong>le</strong> forcèrent d'en changer, et<br />
<strong>le</strong>s sectateurs du paganisme s'y rattachèrent quand ils<br />
virent qu'il allait être renversé. — Après ce retour, l'ancien<br />
culte se rétablira-t-il d'une manière durab<strong>le</strong>? la<br />
société re<strong>de</strong>viendra-t-ellc sincèrement païenne, <strong>le</strong>s<br />
effets <strong>de</strong> l'épicurismc seront-ils évités? — Comme <strong>le</strong><br />
ver rongeur, qui attaque une plante par ses racines, la<br />
fait peu à peu se flétrir, se <strong>de</strong>ssécher et mourir, il en est<br />
<strong>de</strong> même <strong>de</strong> l'épicurismc sur une nation ; on est loin<br />
<strong>de</strong> dire au surplus qu'il ait été l'unique cause <strong>de</strong> la<br />
déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s Domains. — Gardons-nous d'anticiper,<br />
et surtout d'abor<strong>de</strong>r un sujet que d'autres ont plus<br />
complètement traité qu'on ne peut <strong>le</strong> faire ici<br />
Éco<strong>le</strong> d'A<strong>le</strong>xandrie, sa doctrine.<br />
A<strong>le</strong>xandre avait réuni à A<strong>le</strong>xandrie <strong>de</strong>s philosophes<br />
<strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s pays soumis à sa domination ; après sa<br />
mort, Ptolémée son successeur y accueillit aussi <strong>le</strong>s<br />
philosophes, qui y affluèrent <strong>de</strong> toutes parts ; il créa<br />
une académie où toutes <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s s'étant réunies,<br />
tous <strong>le</strong>s systèmes qui avaient entre eux quelque ana-<br />
1. D'après Montesquieu (Gra?id. et déc. <strong>de</strong>s Rom.), la secte d'Épicure<br />
qui s'introduisit à Rouie contribua beaucoup à gâter <strong>le</strong> cœur et l'esprit<br />
<strong>de</strong>s Romains. <strong>Le</strong>s Grecs qui en furent infatués avant eux en avaient<br />
été, dit-il, plus tôt corrompus. Montesquieu, <strong>avec</strong> son sièc<strong>le</strong>, n'a vu que<br />
<strong>de</strong>s momeries dans <strong>le</strong>s augures et <strong>le</strong>s auspices. Je pense différemment,<br />
mais je crois <strong>avec</strong> lui que l'impiété et la dépravation <strong>de</strong>s mœurs<br />
concoururent puissamment, <strong>avec</strong> d'autres causes, à la déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s<br />
Romains.
AVEC LE DÉMON. 263<br />
logie se confondirent. <strong>Le</strong>s doctrines que <strong>le</strong>s pythagoriciens<br />
et <strong>le</strong>s platoniciens avaient puisées en Egypte, en<br />
Perse, dans la Chaldée, comme on l'a vu, admettaient<br />
un être intelligent, feu, lumière, âme universel<strong>le</strong>...;<br />
tons pensaient que c'était une force agissant essentiel<strong>le</strong>ment,<br />
dont l'action, par décroissements successifs,<br />
aboutissait à produire la matière, et que <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>-ci <strong>le</strong>s<br />
génies avaient tiré tous <strong>le</strong>s corps. Selon Platon, la<br />
force créatrice avait agi <strong>avec</strong> plan ; l'harmonie qui<br />
règne dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> révè<strong>le</strong> une sagesse divine. Ces<br />
philosophes adoptèrent ce système et la croyance à<br />
l'existence <strong>de</strong>s génies continua; mais ils pensaient<br />
que lame humaine était une production <strong>de</strong> l'Être<br />
suprême, esclave <strong>de</strong> la matière et <strong>le</strong> jouet <strong>de</strong>s génies,<br />
tandis que selon Platon c'était une portion <strong>de</strong> l'âme du<br />
mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong>stinée à rentrer dans <strong>le</strong> sein <strong>de</strong> la Divinité.<br />
Cette <strong>de</strong>rnière opinion fut adoptée par <strong>le</strong>s diverses<br />
sectes <strong>de</strong> philosophes. C'est <strong>de</strong> la doctrine <strong>de</strong>s platoniciens,<br />
unie à cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Orientaux, que se forma la<br />
fameuse éco<strong>le</strong> d'A<strong>le</strong>xandrie, à côté <strong>de</strong> laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />
éco<strong>le</strong>s épicurienne , pyrrhonienne et matérialiste, <strong>de</strong>viennent<br />
si pâ<strong>le</strong>s. En résumé, que décida cet aréopage<br />
<strong>de</strong> philosophes <strong>le</strong>s plus illustres du mon<strong>de</strong>?<br />
Que l'intelligence qui a produit l'univers avait agi<br />
<strong>avec</strong> <strong>de</strong>ssein, selon un plan et que ce n'est pas une simp<strong>le</strong><br />
force; aussi sage que puissante, el<strong>le</strong> prési<strong>de</strong> à<br />
l'harmonie <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s, et communique <strong>avec</strong> <strong>l'homme</strong><br />
en employant <strong>le</strong> ministère <strong>de</strong>s génies chargés d'exécuter<br />
ses décrets, etc<br />
Sous <strong>le</strong> règne <strong>de</strong> Ptoléméc Physcon, il y eut une<br />
émigration d'un grand nombre <strong>de</strong> famil<strong>le</strong>s égyptiennes<br />
et étrangères qui apportèrent <strong>le</strong>urs connaissances en<br />
Orient. Ces doctrines ayant plu s'y propagèrent, et<br />
<strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> toute condition adoptèrent la philo-
26i DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
sophie <strong>de</strong>s a<strong>le</strong>xandrins ; et, comme Pythagorc, ils<br />
pensèrent aussi que l'ordre et l'harmonie <strong>de</strong> l'univers<br />
dépendaient <strong>de</strong>s <strong>rapports</strong> <strong>de</strong>s différentes parties entre<br />
el<strong>le</strong>s; que <strong>le</strong>s nombres ayant dirigé <strong>le</strong>s puissances<br />
créatrices, ils <strong>de</strong>vaient possé<strong>de</strong>r une force capab<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
déterminer ces puissances. <strong>Le</strong> grand secret pour <strong>le</strong>ur<br />
comman<strong>de</strong>r fut <strong>de</strong> connaître ces combinaisons; tous<br />
aspirèrent à ce but. L'âme étant dégradée par l'union<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong> corps, on chercha <strong>le</strong>s moyens <strong>de</strong> l'affranchir<br />
<strong>de</strong> ses liens ; <strong>de</strong>s pratiques singulières furent mises en<br />
usage pour la purifier, on <strong>le</strong>s employa éga<strong>le</strong>ment pour<br />
écarter <strong>le</strong>s génies malfaisants qui attachent <strong>l'homme</strong><br />
à la terre, etc. Cette philosophie ainsi modifiée fut<br />
adoptée dans presque tout l'Orient, et d'el<strong>le</strong> naquit <strong>le</strong><br />
néoplatonisme, c'est-à-dire la théurgie et <strong>le</strong> polythéisme<br />
raisonnes.<br />
Arrivons à la secon<strong>de</strong> cause qui renversa <strong>le</strong> matérialisme<br />
et ressuscita la doctrine spiritualiste au quatrième<br />
sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> notre ère.<br />
itosaïsme, ses traditions, ses croyances.<br />
11 est certain que pour arriver à une conclusion logique<br />
tout doit s'enchaîner; avant d'abor<strong>de</strong>r <strong>le</strong> christianisme,<br />
il faut donc dire un mot du mosaïsme. — Dans<br />
l'exposition précé<strong>de</strong>nte, on a vu que tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s<br />
reconnaissaient l'existence <strong>de</strong>s dieux et <strong>de</strong> génies se manifestant<br />
aux hommes et accordant, môme aux moins<br />
dignes, un pouvoir surhumain. Ces opinions, existant<br />
chez <strong>de</strong>s nations auxquel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>ur position topographique<br />
n'avait point permis <strong>de</strong> <strong>le</strong>s recevoir <strong>de</strong>s autres<br />
peup<strong>le</strong>s, nous forcent àreconnaîtro que <strong>le</strong>s mômes agents<br />
occultes ont opéré partout <strong>de</strong>s actes donnant lieu aux<br />
mêmes croyances. Cette impossibilité <strong>de</strong> communica-
AVEC LE DÉMON. 2R5<br />
tion n'existe pas, il est vrai, pour la nation juive; souvent<br />
esclave ou vassa<strong>le</strong> <strong>de</strong>s autres peup<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong> aurait<br />
pu y puiser ses croyances. Mais, ne pouvant discuter<br />
ici longuement cette question traitée amp<strong>le</strong>ment par <strong>de</strong><br />
plus instruits', on dira seu<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong>s Hébreux<br />
n'ont pas plus emprunté aux Chaldéens ce qu'ils pensaient<br />
<strong>de</strong>s intelligences que <strong>le</strong>s hor<strong>de</strong>s sauvages <strong>de</strong>s<br />
î<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus inconnues, qui pourtant croient aussi aux<br />
esprits. Dans l'histoire <strong>de</strong> Moïse, — la plus ancienne<br />
que l'on connaisse, — on voit que, loin <strong>de</strong> vouloir<br />
rien emprunter aux Gentils, <strong>le</strong>urs traditions sont rejetées<br />
comme fausses et erronées. Ce que <strong>le</strong>s livres<br />
saints disent <strong>de</strong>s esprits vient donc d'une autre source,<br />
puisqu'ils rejettent ou rectifient, loin <strong>de</strong> <strong>le</strong>s admettre,<br />
<strong>le</strong>s doctrines idolâtres. — <strong>Le</strong>s livres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux<br />
n'ont subi aucune modification, on n'y peut faire <strong>le</strong><br />
moindre changement, tant on <strong>le</strong>s respecte; aussi contiennent-ils<br />
<strong>de</strong>s récits à la honte <strong>de</strong> la nation, aussi bien<br />
que ses glorieux exploits. La naissance du premier<br />
homme né sans mère y est fixée à une époque fort<br />
rapprochée, système bien impru<strong>de</strong>nt, car si la science<br />
découvre qu'el<strong>le</strong> est infiniment plus ancienne, Moïse,<br />
qui prétend que Dieu lui a révélé cette origine, n'est<br />
plus qu'un ignorant et un fourbe.<br />
Ce contemporain <strong>de</strong> Dardanus et <strong>de</strong> Cécrops, qui<br />
n'a vécu que parmi <strong>le</strong>s polythéistes, n'admet qu'un<br />
seul Dieu, et n'en fait pas mystère au peup<strong>le</strong>. — Ce<br />
Dieu n'est ni <strong>le</strong> feu principe, ni l'vEther, ni un dieu<br />
lumineux et terrestre tout à la fois, ni un dieu oisif<br />
relégué par <strong>de</strong>là <strong>le</strong>s sphères dans l'immensité. <strong>Le</strong> Dieu<br />
qui s'est révélé à Moïse comme autrefois aux patriarches<br />
est <strong>le</strong> créateur <strong>de</strong> l'univers ; par lui tout subsiste,<br />
sa provi<strong>de</strong>nce s'étend jusqu'au ciron, et lui seul mérite<br />
nos adorations.
266 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Selon Moïse, <strong>le</strong>s traditions divines ont été faussées,<br />
obscurcies; ce serpent-dieu <strong>de</strong>s Gentils, qui dès l'origine<br />
a trompé <strong>l'homme</strong>, continue sur sa postérité ses<br />
moyens <strong>de</strong> séduction par <strong>de</strong>s révélations mensongères,<br />
<strong>de</strong>s apparitions, <strong>de</strong>s prédictions et mil<strong>le</strong> prodiges; <strong>de</strong><br />
sorte que <strong>le</strong> genre humain, déchu par <strong>le</strong> péché, séduit<br />
par <strong>le</strong>s esprits malins qui se sont substitués au vrai<br />
Dieu, <strong>le</strong>s a seuls adorés : d'où résulte que Satan,<br />
l'adversaire; Seddim, <strong>le</strong> <strong>de</strong>structeur; Schirim, <strong>le</strong> bouc;<br />
Belial, <strong>le</strong> révolté; Reehôbiiih, Dfoloch, Baal, Lucifer,<br />
l'antique serpent, qui sont <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s idolâtres, ne sont<br />
en réalité que d'exécrab<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s. Où <strong>le</strong>s patriarches,<br />
Moïse et <strong>le</strong>s prophètes <strong>de</strong> cette petite nation méprisée<br />
ont-ils donc puisé <strong>le</strong>ur doctrine? — Us préten<strong>de</strong>nt la<br />
tenir <strong>de</strong> Dieu même; el<strong>le</strong> remonte au berceau du genre<br />
humain ; ils la tiennent enfin d'une tradition qui n'a<br />
point été faussée, que d'éclatants mirac<strong>le</strong>s ont souvent<br />
confirmée. Il entrait dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>sseins provi<strong>de</strong>ntiels<br />
qu'une nation la conservât fidè<strong>le</strong>ment et fût gardienne<br />
<strong>de</strong>s archives <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> famil<strong>le</strong>. Aussi Moïse reçut<br />
<strong>le</strong>s lois divines <strong>de</strong>stinées à préserver <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> hébreu<br />
<strong>de</strong> la contagion <strong>de</strong>s Gentils. Satan règne sur ceux-ci par<br />
<strong>de</strong>s pratiques superstitieuses qui sont rigoureusement<br />
défendues aux Hébreux. — On n'adorera point <strong>le</strong>s dieux<br />
<strong>de</strong>s Gentils, on ne recourra pas aux divinations, aux<br />
augures, on ne consultera point <strong>le</strong>s songes, etc. — Tout<br />
vient <strong>démon</strong>trer, contrairement à l'opinion <strong>de</strong> plusieurs,<br />
que ces pratiques idolâtres, pour <strong>le</strong> législateur<br />
hébreu, n'étaient pas <strong>de</strong> pures chimères qu'il faut détruire<br />
parce qu'el<strong>le</strong>s> troub<strong>le</strong>nt l'esprit et peuvent amollir<br />
<strong>le</strong> courage ; il lui a été révélé qu'el<strong>le</strong>s constituent un<br />
commerce abominab<strong>le</strong> <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s esprits révoltés ; et en<br />
effet, quoiqu'il veuil<strong>le</strong> la multiplication du peup<strong>le</strong> hébreu,<br />
tout infracteur sera puni <strong>de</strong> mort, tant ces pra-
AVEC LE DÉMON. 267<br />
tiques, cel<strong>le</strong>s mômes qui semb<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s plus innocentes,<br />
sont abominab<strong>le</strong>s à Dieu. Ce qui prouve que Moïse ne<br />
blâme ces pratiques qu'en tant qu'el<strong>le</strong>s émanent d'une<br />
source impure, c'est qu'on <strong>le</strong>s voit admises par <strong>le</strong>s<br />
patriarches et dans la religion mosaïque el<strong>le</strong>-même :<br />
Dieu s'y manifeste par <strong>de</strong>s apparitions, dans <strong>le</strong>s visions,<br />
<strong>le</strong>s songes et par divers mirac<strong>le</strong>s ; mais il défend <strong>de</strong><br />
suivre <strong>le</strong>s superstitions <strong>de</strong>s Gentils. Il serait téméraire,<br />
même aux Hébreux, <strong>de</strong> croire qu'ils communiquent<br />
<strong>avec</strong> la Divinité, car <strong>le</strong> <strong>démon</strong> peut intervenir pour <strong>le</strong>s<br />
tromper. <strong>Le</strong>s communications divines <strong>de</strong>viennent plus<br />
rares lorsque la piété s'affaiblit : Dieu, qui se met en<br />
rapport <strong>avec</strong> <strong>de</strong> saints personnages, n'entre pas indifféremment<br />
en commerce <strong>avec</strong> tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. On comprend<br />
donc que Joseph ait eu une coupe pour augurer,<br />
qu'il interprétât <strong>le</strong>s songes, que Daniel <strong>le</strong>s ait<br />
expliqués, que Samuel ait fait retrouver à Saiil ses<br />
ânesses égarées, etc. ; qu'on <strong>de</strong>vinât par l'Éphod, par<br />
Urim et Thummim, etc. — Ceux qui recouraient à ces<br />
moyens, dis-je, étaient chers à Dieu ; mais quand on<br />
<strong>de</strong>vient criminel, il cesse <strong>de</strong> répondre. Saiil, ne pouvant<br />
obtenir <strong>de</strong> réponse <strong>de</strong> Jéhovah sur l'issue d'un combat,<br />
consulte une pythonisse, et Dieu <strong>le</strong> punit <strong>de</strong> sa doub<strong>le</strong><br />
faute.<br />
Maintenant que l'on comprend que <strong>le</strong>s saints patriarches<br />
et <strong>le</strong>s prophètes obtenaient <strong>de</strong>s révélations<br />
divines par diverses pratiques très-légitimes, on sent<br />
l'importance <strong>de</strong> la défense généra<strong>le</strong> faite aux Hébreux,<br />
puisque <strong>le</strong> <strong>démon</strong> est toujours prêt à contrefaire l'œuvre<br />
<strong>de</strong> Dieu.<br />
Que serait <strong>de</strong>venu ce peup<strong>le</strong> gardien <strong>de</strong>s vraies traditions,<br />
et d'où <strong>de</strong>vait sortir l'envoyé <strong>de</strong>s nations? L'idolâtrie<br />
triomphant partout, il eût été l'esclave <strong>de</strong> Satan,<br />
cf, chose impossib<strong>le</strong>, la promesse divine eût été vaine.
DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Comparaison <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux doctrines.<br />
Il résulte donc <strong>de</strong> la comparaison <strong>de</strong>s croyances <strong>de</strong>s<br />
Gentils et <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Hébreux, <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s, sur certains<br />
points capitaux , diffèrent essentiel<strong>le</strong>ment, que<br />
<strong>le</strong>s uns et <strong>le</strong>s autres ont reconnu l'existence <strong>de</strong>s intelligences<br />
et tout ce qui constitue <strong>le</strong> surnaturel et <strong>le</strong><br />
merveil<strong>le</strong>ux. Chez <strong>le</strong>s Gentils, <strong>le</strong>s manifestations <strong>de</strong>s<br />
dieux firent oublier <strong>le</strong> vrai Dieu, tandis que chez<br />
<strong>le</strong>s Hébreux, au contraire, Dieu <strong>de</strong>meura l'unique<br />
objet <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur adoration; <strong>le</strong>ur doctrine, il est vrai, distingue<br />
<strong>de</strong>s intelligences, mais soumises toutes, comme<br />
<strong>l'homme</strong>, à une épreuve : <strong>le</strong>s unes sont sorties triomphantes,<br />
ce sont <strong>le</strong>s anges, qu'ils honorent comme<br />
amis <strong>de</strong> Dieu et <strong>le</strong>s gui<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>; <strong>le</strong>s autres, ce<br />
sont <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s tous mauvais, tombés par <strong>le</strong>ur orgueil,<br />
qu'ils abhorrent comme ennemis <strong>de</strong> Dieu et <strong>de</strong> l'humanité.<br />
Toutes <strong>le</strong>s intelligences, par <strong>le</strong>ur nature angéliquc,<br />
peuvent opérer <strong>de</strong>s prodiges; <strong>le</strong>s anges, ministres<br />
du Très-Haut, font <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s et sont ses messagers<br />
auprès <strong>de</strong> nous; <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s font <strong>de</strong>s choses<br />
prodigieuses, surhumaines par rapport à nous, mais<br />
naturel<strong>le</strong>s relativement à Dieu, qui seul peut bou<strong>le</strong>verser<br />
<strong>le</strong>s lois physiques, anéantir et créer; s'ils font<br />
du mal, la sagesse divine <strong>le</strong> permet en vue d'un bien<br />
que <strong>l'homme</strong> ne soupçonne pas.<br />
En parcourant l'Ancien Testament, on verra, comme<br />
on l'a dit, que <strong>le</strong>s mauvais esprits ont contrefait, autant<br />
qu'ils l'ont pu, <strong>le</strong>s prodiges divins, et on pourra<br />
se convaincre que tout <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux que <strong>le</strong>s Gentils<br />
attribuaient à <strong>le</strong>urs dieux est une contrefaçon grossière<br />
<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jéhovah. Pour <strong>le</strong> prouver, on citera en<br />
substance quelques versets <strong>de</strong> la sainte Écriture. —
AVEC LE DÉMON. 269<br />
L'Ancien Testament, loin donc <strong>de</strong> nier <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux<br />
païen ou <strong>de</strong> l'expliquer comme <strong>le</strong>s épicuriens, loin <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong> proclamer divin comme <strong>le</strong>s sages du paganisme,<br />
comme <strong>le</strong>s pythagoriciens et <strong>le</strong>s platoniciens, lui assigne<br />
son véritab<strong>le</strong> nom ; c'est la magie, crime si détestab<strong>le</strong><br />
qu'on doit faire mourir <strong>le</strong>s magiciens.<br />
Ainsi tous ceux qui respectent la Bib<strong>le</strong> comme livre<br />
inspiré, et qui, malgré tous <strong>le</strong>s témoignages historiques,<br />
nieraient la réalité <strong>de</strong>s faits prodigieux exposés<br />
précé<strong>de</strong>mment, trouveront dans ce recueil, <strong>le</strong> plus<br />
ancien monument connu, un puissant motif <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />
accepter. — Ceux enfin qui rejetteraient tous ces témoignages<br />
historiques et la Bib<strong>le</strong> el<strong>le</strong>-même, comme étant<br />
tous autant <strong>de</strong> fab<strong>le</strong>s, seraient forcés, du moins, d'avouer<br />
qu'il est fort étrange <strong>de</strong> retrouver ces récits fabu<strong>le</strong>ux<br />
i<strong>de</strong>ntiques partout, et <strong>de</strong> <strong>le</strong>s retrouver surtout,<br />
comme on va <strong>le</strong> voir, dans <strong>le</strong>s livres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux,<br />
qui <strong>de</strong>vaient <strong>le</strong>s mépriser comme autant <strong>de</strong> croyances<br />
ridicu<strong>le</strong>s et <strong>de</strong> contes propres à favoriser <strong>de</strong>s superstitions<br />
dont Moïse voulait sauvegar<strong>de</strong>r sa nation.<br />
Puissance <strong>de</strong>s esprits d'après l'Ancien Testament.<br />
<strong>Le</strong>s livres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux nous apprennent que<br />
<strong>le</strong>s substances spirituel<strong>le</strong>s appelées anges, ministres,<br />
envoyés du Très-Haut, sont forts et puissants ! (Psal.<br />
CII,20,etc.)—L'Écriture sainte <strong>le</strong>s montre, en plusieurs<br />
endroits, agissant comme <strong>le</strong>s êtres corporels, exerçant<br />
sur la matière une force, une puissance incomparab<strong>le</strong>ment<br />
supérieure à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> ; ils se manifestent<br />
quelquefois aux regards <strong>de</strong>s créatures, mais <strong>le</strong>ur apparition<br />
ne produit pas toujours <strong>le</strong>s mêmes effets sur <strong>le</strong>s<br />
sens <strong>de</strong> tous (G
270 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
ne voit pas, tandis qu'une troisième voit et n'entend<br />
pas. (Dan., X, 7.)<br />
<strong>Le</strong>s animaux eux-mêmes peuvent avoir <strong>de</strong>s apparitions<br />
: l'ânesse <strong>de</strong> Balaam vit l'ange avant que Balaam<br />
l'eût vu lui-même. (Nimi., XXII, 31.)<br />
D'autres fois, l'apparition n'est accordée qu'à la<br />
prière. <strong>Le</strong> serviteur d'Elisée s'effrayait en voyantl'armée<br />
<strong>de</strong>s Syriens ; Elisée <strong>le</strong> rassure : Il y a plus <strong>de</strong><br />
mon<strong>de</strong> <strong>avec</strong> nous qu'<strong>avec</strong> eux, lui dit-il. Ayant <strong>de</strong>mandé<br />
à Dieu d'ouvrir <strong>le</strong>s yeux <strong>de</strong> son serviteur, ce*<br />
lui-ci vit aussitôt que la montagne était couverte <strong>de</strong><br />
chevaux et <strong>de</strong> chariots. (4 Deg., VI, 17.)<br />
<strong>Le</strong>s anges sont forts : quand Sé<strong>le</strong>ucus envoie Héliodore<br />
pour pil<strong>le</strong>r <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m, ceux qui l'accompagnent<br />
sont renversés par une vertu toute divine;<br />
un cheval monté par un homme terrib<strong>le</strong> fond surHéliodiore<br />
et <strong>le</strong> frappe sans relâche <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s pieds, tandis<br />
que <strong>de</strong>ux jeunes hommes p<strong>le</strong>ins <strong>de</strong> force et rayonnants<br />
<strong>de</strong> beauté <strong>le</strong> fustigent, <strong>le</strong> chassent du temp<strong>le</strong>; quoique<br />
entouré d'un grand nombre d'archers dont il invoque<br />
l'assistance, nul ne peut <strong>le</strong> secourir.<br />
Ils sont pnissunts, un seul ange extermine en une<br />
nuit 185,000 Assyriens.<br />
Ils sont d'une agilité surprenante : un ange transporte<br />
<strong>le</strong> prophète Habacuc <strong>de</strong> Judée en Chaldée, pour<br />
porter <strong>de</strong> la nourriture à Daniel, et <strong>le</strong> rapporte. —<strong>Le</strong><br />
voyage se fait <strong>avec</strong> tant <strong>de</strong> célérité que l'absence d'Habacuc<br />
ne fut point remarquée; exemp<strong>le</strong> ancien du<br />
transport par l'air.<br />
Un ange apporte au prophète Élie, dans <strong>le</strong> désert,<br />
un vase d'eau et un pain cuit sous la cendre. (3 Reg„<br />
(XIX, 6.)<br />
L'ange Raphaël, sous la forme d'un jeune homme,<br />
conduit Tobie chez Raguel, <strong>le</strong> délivre d'un poisson
AVEC LE DÉMON. 271<br />
prêt a l'ava<strong>le</strong>r ; lui indique la <strong>de</strong>meure <strong>de</strong> Raguel, lui<br />
apprend qu'il a une fil<strong>le</strong> du nom <strong>de</strong> Sara..., lui dit <strong>de</strong><br />
la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r en mariage, qu'il l'obtiendra, que ses sept<br />
maris ont été tués par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, que lui Tobie sera<br />
épargné. Rapbaël lui apprend que tous ceux sur <strong>le</strong>squels<br />
<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ont du pouvoir, ce sont <strong>le</strong>s incontinents,<br />
qui n'ont pas la crainte <strong>de</strong> Dieu. Après lui avoir<br />
donné ces conseils, il lui indique <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> guérir<br />
la cécité <strong>de</strong> son père... Tout réussit comme l'ange<br />
l'avait annoncé, et, avant <strong>de</strong> disparaître, Rapbaël lui<br />
confie que son père et lui ont été agréab<strong>le</strong>s au Seigneur,<br />
en pratiquant la vertu, etc.<br />
Dans ce récit biblique, si touchant, si poétique dans<br />
<strong>le</strong> texte sacré, on voit que <strong>le</strong>s anges peuvent prendre<br />
la forme humaine et paraître agir en tout comme<br />
<strong>l'homme</strong>; ils connaissent, ils prévoient...— Pour opérer<br />
laguérison <strong>de</strong> la cécité <strong>de</strong> Tobie, Raphaël indique un remè<strong>de</strong><br />
étrange; pour chasser <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, <strong>le</strong> moyen qu'il<br />
indique ne l'est pas moins. Ce n'est pas ici la substance<br />
qui opère, c'est la puissance du messager divin. Ces<br />
substances ne sont que <strong>le</strong> signe sensib<strong>le</strong>, <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong>.<br />
Raphaël ne s'attribue point <strong>le</strong> mérite <strong>de</strong> ses bienfaits ;<br />
il recomman<strong>de</strong> à Tobie <strong>de</strong>. bénir Dieu, <strong>de</strong> publier ses<br />
merveil<strong>le</strong>s. S'il y a quelque conformité entre l'œuvre<br />
<strong>de</strong> l'ange et cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, quel<strong>le</strong> différence ensuite<br />
! Ces <strong>de</strong>rniers, loin <strong>de</strong> rien attribuer à Dieu, s'attribuent<br />
tout à eux-mêmes, se substituent à la Divinité,<br />
et réclament l'adoration qui lui est due, etc.<br />
On pourrait multiplier ces passages, qui prouvent<br />
<strong>le</strong>s apparitions <strong>de</strong>s anges, la connaissance qu'ils ont<br />
<strong>de</strong> nos projets, <strong>de</strong> notre avenir, <strong>le</strong>ur pouvoir sur la<br />
matière, etc., etc.<br />
Dans <strong>le</strong>s mêmes livres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux, on voit<br />
que la puissance <strong>de</strong>s intelligences malignes n'est pas
272 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
moins considérab<strong>le</strong>, si Dieu <strong>le</strong> permet, que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />
auges; mais ayant constamment pour but <strong>de</strong> tromper<br />
<strong>l'homme</strong> et ordinairement <strong>de</strong> lui causer du mal, Dieu<br />
souvent l'anéantit ou la restreint. Il est dit dans <strong>le</strong><br />
livre <strong>de</strong> Job qu'il n'y a point <strong>de</strong> puissance sur la terre<br />
qui puisse être comparée au <strong>démon</strong>. Satan <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à<br />
Dieu d'exercer sa rage contre Job. — Va, lui dit <strong>le</strong><br />
Seigneur, tout ce qu'il a est en ton pouvoir ; mais n'étends<br />
point la main sur lui. (Job, I, 1 2.) L'épreuve continuant,<br />
Dieu permet que Satan <strong>le</strong> fasse souffrir physiquement<br />
sans pouvoir porter atteinte à sa vie. (Jo/;,II,G.)<br />
Il peut causer la mort; <strong>le</strong>s sept premiers maris <strong>de</strong><br />
Sara furent tués par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, à cause <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur incontinence.<br />
(Tob., VI, 14,16,17.) 11 lui est accordé quelquefois<br />
<strong>de</strong> sévir même sur <strong>le</strong>s justes, comme l'exemp<strong>le</strong><br />
précé<strong>de</strong>nt l'a prouvé.<br />
Dieu permet que Pharaon reste endurci <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s<br />
prodiges <strong>de</strong> Moïse; la magie <strong>de</strong>s sages d'Egypte qui<br />
ont contrefait <strong>le</strong>s prodiges divins l'aveug<strong>le</strong>, ils<br />
échouent cependant dans un <strong>de</strong>rnier prodige, et sont<br />
forcés <strong>de</strong> s'écrier : <strong>Le</strong> doigt <strong>de</strong> Dieu est là. (Exod., VII,<br />
VIII, IX, etc.)<br />
<strong>Le</strong>s fléaux, <strong>le</strong>s prodiges forcent enfin Pharaon <strong>de</strong><br />
reconnaître la supériorité du Dieu <strong>de</strong> Moïse ; ces fléaux<br />
cessent à la prière <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier. Mais Pharaon est l'image<br />
<strong>de</strong> l'impie dans tous <strong>le</strong>s temps, son endurcissement<br />
persiste..., car <strong>le</strong> <strong>démon</strong> aveug<strong>le</strong> ceux qu'il tient en son<br />
pouvoir, la vérité <strong>le</strong>ur reste cachée, ils sont dans <strong>le</strong>s<br />
ténèbres.<br />
Ces esprits <strong>de</strong> malice n'ont rien perdu <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur puissance<br />
par <strong>le</strong>ur chute, à moins que Dieu ne la paralyse<br />
: « Devant sa puissance (dit <strong>le</strong> Livre <strong>de</strong> la Sagesse,<br />
c. xvn), toutes <strong>le</strong>s illusions <strong>de</strong> l'art <strong>de</strong>s magiciens <strong>de</strong>viennent<br />
inuti<strong>le</strong>s. »
AVEC LE DÉMON. 273<br />
<strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s peuvent obsé<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s hommes. — Lorsque<br />
l'esprit du Seigneur se fut retiré <strong>de</strong> Saiil, l'esprit malin<br />
s'en empara et l'agitait. (1 Reg., XVI et suiv.)<br />
<strong>Le</strong> <strong>démon</strong> peut faire éclater la foudre, renverser <strong>le</strong>s<br />
édifices, faire périr <strong>le</strong>s hommes et <strong>le</strong>s bestiaux... Il<br />
fait tomber <strong>le</strong> feu du ciel, <strong>le</strong>s troupeaux <strong>de</strong> Job sont<br />
brûlés ; il excite une tempête qui renverse ses maisons ;<br />
il fait mourir ses enfants, ses serviteurs , et, lorsque<br />
Dieu l'eut permis, il frappa Job lui-même d'ulcères<br />
malins. (Job, I, 16, 19.)<br />
L'Ancien Testament cite <strong>de</strong>s prodiges divins si bien<br />
contrefaits 1<br />
par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, qu'on en a signalé <strong>de</strong> sem<br />
blab<strong>le</strong>s chez <strong>le</strong>s Gentils. Ainsi <strong>le</strong>s présages qu'on a cités<br />
chez ceux-ci se retrouvent dans l'Ancien Testament.<br />
Un doigt mystérieux trace en caractères <strong>de</strong> feu la prédiction<br />
<strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> Baltassar et annonce la <strong>de</strong>struction<br />
<strong>de</strong> son empire.<br />
Antiochus se préparant à porter la guerre en Judée,<br />
entre autres signes on vit pendant quarante jours<br />
dans <strong>le</strong>s airs <strong>de</strong>s cavaliers vêtus <strong>de</strong> drap d'or et armés<br />
<strong>de</strong> lances... Une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> gens armés faisaient <strong>de</strong>s<br />
évolutions, agitaient <strong>le</strong>urs boucliers ; on voyait bril<strong>le</strong>r<br />
<strong>le</strong>s casques, <strong>le</strong>s épées, etc.. On supplie Dieu <strong>de</strong> ne<br />
point permettre que ces prodiges tournent au désavantage<br />
<strong>de</strong> son peup<strong>le</strong>, etc. (2 Mach., 5.)<br />
L'Écriture sainte est donc loin <strong>de</strong> dire que <strong>le</strong>s présages<br />
soient toujours frivo<strong>le</strong>s ; au contraire, différents<br />
passages <strong>de</strong> l'Exo<strong>de</strong> et <strong>de</strong>s livres sacrés nous apprennent<br />
que <strong>de</strong>s signes apparaissent, afin que la toute-puissance,<br />
la vérité, la justice et la bonté <strong>de</strong> Dieu soient<br />
manifestées.<br />
1. Cette contrefaçon serait parfois diffici<strong>le</strong> à reconnaître, car qui<br />
pourrait toujours déci<strong>de</strong>r si <strong>le</strong> présage vient <strong>de</strong> Dieu ou du <strong>démon</strong> ?<br />
I. 18
274 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Mais si Dieu envoie quelquefois <strong>de</strong>s signes aux âmes<br />
fidè<strong>le</strong>s, on est averti que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> en fait paraître souvent<br />
aux superstitieux pour <strong>le</strong>s troub<strong>le</strong>r et <strong>le</strong>s tromper.<br />
On a vu Héliodore fustigé par <strong>de</strong>s anges pour avoir<br />
voulu pil<strong>le</strong>r <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m. — On sait aussi<br />
que <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s Gentils punissaient <strong>le</strong>s sacrilèges<br />
qui violaient <strong>le</strong>urs temp<strong>le</strong>s.<br />
<strong>Le</strong>s dieux <strong>de</strong>s Gentils combattaient pour eux;—dans<br />
l'Écriture, on voit cinq cavaliers, dont <strong>le</strong>s chevaux ont<br />
<strong>de</strong>s bri<strong>de</strong>s d'or, apparaître au ciel ; <strong>de</strong>ux d'entre eux<br />
veil<strong>le</strong>nt sur Judas Machabée, et lancent la foudre sur<br />
ses ennemis.<br />
Josué voit près <strong>de</strong> Jéricho un homme <strong>de</strong>bout, armé<br />
d'une épée nue. —Ètes-vous <strong>de</strong>s nôtres? lui dit Josué.<br />
— Je suis <strong>le</strong> prince <strong>de</strong> l'armée du Seigneur, dit l'apparition,<br />
qui vient à votre secours. (Josué, V, 13,14.)<br />
L'état <strong>de</strong> Nabuchodonosor, condamné par <strong>le</strong> Très-<br />
Haut à se nourrir d'herbes pendant sept ans comme<br />
un bœuf, ressemb<strong>le</strong>, d'après <strong>le</strong> texte biblique, tel<strong>le</strong>ment<br />
aux métamorphoses <strong>de</strong>s Gentils, que plusieurs<br />
commentateurs, et entre autres Tertullien, ont<br />
pensé que ce roi <strong>de</strong> Chaldée avait subi une métamorphose.<br />
<strong>Le</strong>s Gentils croyaient aux apparitions <strong>de</strong>s faunes et<br />
<strong>de</strong>s satyres dans <strong>le</strong>s forêts... —L'Écriture dit que <strong>le</strong>s<br />
esprits <strong>de</strong> ténèbres sont condamnés à errer dans <strong>le</strong>s<br />
lieux solitaires; <strong>le</strong> <strong>démon</strong> qui avait tué <strong>le</strong>s sept maris<br />
<strong>de</strong> Sara fut relégué dans <strong>le</strong> désert... Et Isaïe prédit<br />
que <strong>le</strong>s faunes gamba<strong>de</strong>ront un jour dans <strong>le</strong>s ruines du<br />
palais <strong>de</strong> Babylone. (Isaïe, XIII, 21.)<br />
<strong>Le</strong>s dieux envoyaient <strong>de</strong>s maladies, ils pouvaient<br />
guérir... L'Écriture est loin <strong>de</strong> nier <strong>le</strong>s guérisons <strong>de</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s et <strong>le</strong>ur pouvoir <strong>de</strong> causer <strong>de</strong>s maladies ou la<br />
mort.
AVEC LE DÉMON. 275<br />
Circé, Abaris, Pamphi<strong>le</strong> sont transportés par l'air;<br />
—on a vu <strong>le</strong>s anges transporter ainsi <strong>le</strong>s prophètes.<br />
<strong>Le</strong>s païens dévouaient <strong>le</strong>urs ennemis aux dieux infernaux.<br />
L'Ancien Testament ne traite pas ces cérémonies<br />
d'inventions politiques ni <strong>de</strong> superstitions. On lit<br />
que Balaam fut appelé par Balac pour dévouer <strong>le</strong>s enfants<br />
d'Israël. — Que Balaam fût augure chez <strong>le</strong>s Gentils<br />
ou prophète réprouvé <strong>de</strong> Dieu, peu nous importe ici;<br />
nous savons que Balaam n'hésite point à remplir sérieusement<br />
sa mission; vainement <strong>de</strong>s signes divins <strong>le</strong> lui<br />
défen<strong>de</strong>nt Un ange apparaît, et même son ânesse<br />
par<strong>le</strong> : Balaam n'en continue pas moins la cérémonie du<br />
dévouement, qu'il renouvel<strong>le</strong> trois fois... ; mais l'esprit,<br />
qui par<strong>le</strong> par sa bouche, <strong>le</strong> contraint, en disposant <strong>de</strong><br />
sa langue, à maudire Balac et à bénir Israël. — Tout<br />
prouve dans ce récit biblique que la cérémonie est<br />
prise au sérieux, soit <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> Balaam qui dévoue,<br />
soit <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Balac qui veut dévouer... Mais <strong>le</strong><br />
<strong>de</strong>vin, forcé <strong>de</strong> bénir, dit à ce <strong>de</strong>rnier que <strong>le</strong>s augures<br />
et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins ne peuvent rien contre Israël. (Num.,<br />
XXII.)<br />
<strong>Le</strong>s Israélites recouraient eux-mêmes au dévoue<br />
ment... — <strong>Le</strong>s prêtres feront sept fois <strong>le</strong> tour <strong>de</strong> la vil<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> Jéricho pendant sept jours, marchant <strong>de</strong>vant l'arche<br />
et sonnant <strong>de</strong> la trompette... <strong>Le</strong> peup<strong>le</strong> ensuite poussera<br />
un grand cri, en disant : « Que cotte vil<strong>le</strong> soit<br />
anathème !... etc.» <strong>Le</strong>s trompettes ont sonné sept<br />
fois; on achevait <strong>le</strong> septième tour, lorsque <strong>le</strong>s mil<strong>le</strong><br />
voix du peup<strong>le</strong> firent entendre un grand cri. — Aussitôt<br />
<strong>le</strong>s murail<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jéricho s'écroulèrent <strong>avec</strong> fracas, etc.<br />
On voit que la cérémonie <strong>de</strong> l'anathème est suivie d'un<br />
p<strong>le</strong>in succès contre <strong>le</strong>s Gentils, et que <strong>le</strong>s Israélites bravent<br />
<strong>le</strong>urs dévouements, lorsqu'ils se mettent sous la<br />
protection <strong>de</strong> Dieu et lui <strong>de</strong>meurent fidè<strong>le</strong>s. (Josué, VI.)
276 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
On voit aussi que c'est Dieu lui-même qui a prescrit<br />
ici la formu<strong>le</strong> du dévouement.<br />
"<strong>Le</strong>s Gentils croyaient à l'évocation <strong>de</strong>s mânes. L'Écriture<br />
sainte ne dit point que la nécromancie soit une<br />
pratique frivo<strong>le</strong>; mais el<strong>le</strong> vient du <strong>démon</strong>. Saiil ayant<br />
consulté la pythonisse, un spectre, ressemblant à Samuel,<br />
apparaît et lui annonce la défaite <strong>de</strong> son armée<br />
et sa mort. Si cet exemp<strong>le</strong> ne prouve pas la réalité <strong>de</strong>s<br />
évocations, il montre que Dieu révè<strong>le</strong> quelquefois l'avenir<br />
au <strong>démon</strong> pour punir <strong>le</strong>s impics.<br />
L'avenir est prédit par la pythie, agitée par <strong>de</strong>s convulsions<br />
affreuses. Si l'esprit qui l'inspire ment quelquefois,<br />
il dit souvent la vérité ; mais, chez <strong>le</strong>s Hébreux,<br />
<strong>le</strong> prophète qui prédit l'avenir est toujours véridique,<br />
et l'esprit <strong>de</strong> Dieu lui laisse sa tranquillité et toute<br />
liberté d'agir.<br />
Chez <strong>le</strong>s Gentils, on a vu que <strong>le</strong> feu sacré s'allumait<br />
<strong>de</strong> lui-même. — Môme prodige chez <strong>le</strong>s Hébreux. —<br />
Lorsque Nabuchodonosor s'empara <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m, Jérémie<br />
cacha <strong>le</strong> feu sacré dans une citerne à sec; au<br />
retour <strong>de</strong> la captivité, Néhémias étant allé <strong>le</strong> chercher,<br />
on ne trouva qu'une eau boueuse. Mais l'ayant répandue<br />
sur l'autel, il en jaillit un feu très-clair qui consuma <strong>le</strong>s<br />
victime. (2Mach., II.)<br />
Chez <strong>le</strong>s Gentils, l'apparition du feu était un présage.<br />
Chez <strong>le</strong>s Hébreux, on l'a vu tomber sur <strong>de</strong>s victimes<br />
immolées comme signe d'approbation. Plusieurs<br />
passages <strong>de</strong>s livres saints l'ont prouvé.<br />
<strong>Le</strong>s dieux apparaissaient sous la forme <strong>de</strong> feu chez<br />
<strong>le</strong>s Gentils. —On voit dans Moïse, Isaïe, Ézéchiel,etc,<br />
que Dieu a souvent apparu sous cette forme chez <strong>le</strong>s<br />
Hébreux.<br />
Si l'on continuait ce parallè<strong>le</strong>, on verrait que l'Ancien<br />
Testament admet <strong>de</strong>s faits merveil<strong>le</strong>ux, analogues à ceux
AVEC LE DÉMON. 277<br />
<strong>de</strong>s Gentils; mais ceux <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers émanent <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>urs dieux, qui sont <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, tandis que ceux<br />
<strong>de</strong>s Hébreux, qui procè<strong>de</strong>nt du vrai Dieu, se distinguent<br />
par <strong>le</strong>ur supériorité comme par la doctrine qu'ils<br />
cimentent; carie Dieu d'Israël n'est ni vicieux ni menteur.<br />
— Après ce court aperçu du merveil<strong>le</strong>ux dans <strong>le</strong>s<br />
livres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux, nous allons faire l'exposé<br />
non moins succinct <strong>de</strong> l'avènement du christianisme et<br />
<strong>de</strong> tout ce qu'il présente <strong>de</strong> prodigieux.
278 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
CHAPITRE II<br />
Avènement du médiateur attendu chez loutcs <strong>le</strong>s nations. — <strong>Le</strong> matérialisme et<br />
<strong>le</strong>s négations <strong>de</strong> l'épicurisme <strong>de</strong>venus impossib<strong>le</strong>s après <strong>le</strong>s nombreux mi<br />
rac<strong>le</strong>s du christianisme.'—<strong>Le</strong> néoplatonisme s'établit et multiplie ses pro<br />
diges (troisième et quatrième sièc<strong>le</strong>s), Ammonius, Plotin, etc.— Théurg<strong>le</strong>;<br />
à quel signe on distinguait <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s mauvais esprits. — Variétés d'opi<br />
nions entre l'iolin, Porphyre, Jamblique, etc. — <strong>Des</strong> objets animés parU<br />
Divinité,elsurlout <strong>de</strong>s talismans. —Est-il bien constant que <strong>le</strong>s néoplatoni<br />
ciens crussent à tant, <strong>de</strong> prodipes. — Julien, Maxime, Libanius, etc.; <strong>le</strong>ur»<br />
pratiques superstitieuses. — Chute du paganisme.<br />
Avènement du médiateur attendu chez toutes <strong>le</strong>s nations.<br />
On a vu, dans la plupart <strong>de</strong>s théogonies, qu'un ôlre<br />
intelligent, médiateur, verbe, esprit, voulut unir <strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>ux principes; mais on ne trouve dans cette dualité<br />
ou cette tria<strong>de</strong> aucune analogie <strong>avec</strong> l'expectative <strong>de</strong>s<br />
Juifs ; — d'après l'antique promesse d'un sauveur, faite<br />
aux patriarches et rappelée par <strong>le</strong>s prophètes <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s<br />
circonstances si frappantes, et accomplies en tout<br />
point par l'avènement du Messie, rien ne ressemb<strong>le</strong><br />
en effet à cet être qui sert <strong>de</strong> lien au principe actif et<br />
au principe passif. Nous n'avons donc pas davantage<br />
à nous occuper <strong>de</strong>s traditions si défigurées <strong>de</strong>s Gentils<br />
sur l'origine <strong>de</strong>s choses et sur l'esprit qui y prési<strong>de</strong> en<br />
qualité <strong>de</strong> médiateur; mais il faut reconnaître que chez<br />
ces <strong>de</strong>rniers, comme chez <strong>le</strong>s Juifs, on attendait partout<br />
vaguement un envoyé, un dominateur, un sauveur; pa-
AVEC LE DÉMON. 279<br />
reil<strong>le</strong> attente <strong>démon</strong>tre que cette promesse, qui remonte<br />
au berceau <strong>de</strong> l'humanité, n'avait pas été entièrement<br />
oubliée par <strong>le</strong>s Gentils, malgré <strong>le</strong>s causes multip<strong>le</strong>s qui<br />
<strong>de</strong>vaient produire ce résultat; sans doute, il entrait<br />
dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>sseins divins que <strong>le</strong>s nations idolâtres, appelées<br />
un jour à jouir d'un tel bienfait, n'en perdissent<br />
pas complètement l'espérance. Il est certain<br />
qu'une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> citations dans divers auteurs prouveraient<br />
que cette expectative était peut-être universel<strong>le</strong> ;<br />
et ce qui surprend davantage, c'est que chez plusieurs<br />
nations une vague rumeur précisait en quelque sorte<br />
l'époque <strong>de</strong> la venue <strong>de</strong> ce libérateur. (V. Mignot,<br />
t. LXV. — Pri<strong>de</strong>aux, Hist. <strong>de</strong>s Juifs, liv. III, etc.)<br />
Un auteur anglais, Faber, dit que l'attente d'un<br />
libérateur, vainqueur du serpent et fils du Dieu suprême,<br />
n'avait cessé <strong>de</strong> prévaloir chez tous <strong>le</strong>s païens.<br />
{Horœ Mosdicœ.)<br />
Maurice (Hist. <strong>de</strong> l'Indoustan, 1. II) a prouvé que <strong>de</strong>s<br />
traditions avaient appris à tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> païen qu'il<br />
<strong>de</strong>vait attendre un personnage sacré vers <strong>le</strong> temps <strong>de</strong><br />
la venue du Christ. Chez tous cependant cette croyance<br />
n'était pas aussi explicite. En parcourant <strong>le</strong>s écrits <strong>de</strong>s<br />
anciens, Jamblique, par exemp<strong>le</strong>, fait remarquer que<br />
<strong>le</strong>s Egyptiens, outre <strong>le</strong> Dieu suprême, avaient un second<br />
dieu conducteur, et Ramsay dit qu'il est manifeste<br />
que <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> admettait un dieu mitoyen, semblab<strong>le</strong> au<br />
ilithra <strong>de</strong>s Perses. (Disc, sur la Mytholog.)<br />
Parmi <strong>le</strong>s différents Hermès, il y en avait un que <strong>le</strong>s<br />
Chaldéens appelaient <strong>le</strong> Sauveur <strong>de</strong>s hommes. — <strong>Le</strong>s<br />
Sabéens reconnaissaient aussi tous, quoique <strong>de</strong> sectes<br />
différentes, la nécessité d'un médiateur. — Si ce qu'on<br />
vient <strong>de</strong> lire n'est pas assez formel, ce qui suit l'est<br />
davantage.<br />
Confucius espérait la venue d'un révélateur, la dési-
280 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
rait <strong>avec</strong> ar<strong>de</strong>ur, et ne se consolait qu'en songeant an<br />
bonheur <strong>de</strong> ceux qui la verraient.<br />
Une ancienne croyance <strong>de</strong>s Chinois était, qu'au culte<br />
<strong>de</strong>s ido<strong>le</strong>s, qui avait corrompu la première révélation,<br />
succé<strong>de</strong>rait la <strong>de</strong>rnière religion, qui durerait jusqu'à la<br />
fin du mon<strong>de</strong>. (De Guignes, Mém. <strong>de</strong>l'Acad., t. LXV.)<br />
Dans VJEdda, théologie <strong>de</strong>s peup<strong>le</strong>s du Nord, il est<br />
parlé d'un médiateur entre Dieu et <strong>l'homme</strong>, qui écrasera<br />
la tôte du grand serpent. C'était aussi la croyance<br />
<strong>de</strong>s Arabes.<br />
Chez <strong>le</strong>s Grecs, Socrate dit qu'on ignore quel<strong>le</strong> doit<br />
être la disposition du cœur <strong>de</strong> ceux qui offrent <strong>de</strong>s<br />
sacrifices à Dieu, etc , qu'il faut attendre jusqu'à<br />
ce que quelqu'un l'enseigne. — Quand viendra-t-il?<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> Alcibia<strong>de</strong>. Socrate lui répond : « C'est celui<br />
à qui, dès à présent, vous êtes cher... » — « Alcibia<strong>de</strong><br />
réplique qu'il fera mieux pour sacrifier d'attendre sa<br />
venue, et Socrate réplique à son tour que c'est plus sûr<br />
que <strong>de</strong> s'exposer à déplaire à Dieu. » — Donc on attendait<br />
un docteur universel. (Faucher, Mém. <strong>de</strong> l'Acad.,<br />
t. LXXI.)<br />
Virgi<strong>le</strong> voit s'avancer la gran<strong>de</strong> époque <strong>de</strong> la naissance<br />
<strong>de</strong> l'Enfant divin qui doit régner sur <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>,<br />
et <strong>le</strong> serpent, dit-il, expirera près <strong>de</strong> son berceau.<br />
(Bffloff. IV.) Suétone(Vespas., IV) et Tacite nous montrent<br />
tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'Orient, <strong>le</strong>s yeux fixés sur la<br />
Judée, attendant, d'après une antique tradition, <strong>le</strong> dominateur<br />
du mon<strong>de</strong> qui <strong>de</strong>vait en sortir à cette époque.<br />
(Tacite, Hist., V, 13.)<br />
Tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s lui donnaient un nom en rapport<br />
<strong>avec</strong> sa gran<strong>de</strong> mission : c'était <strong>le</strong> libérateur, <strong>le</strong> dominateur,<br />
<strong>le</strong> so<strong>le</strong>il <strong>de</strong> justice, etc.<br />
Terminons par <strong>le</strong> témoignage même <strong>de</strong>s philosophes<br />
incrédu<strong>le</strong>s. — Selon Boulanger, — Chinois, Japo-
AVEC LE DÉMON. 281<br />
nais,Siamois, Mexicains, Américains, etc., attendaient<br />
comme <strong>le</strong>s Hébreux un personnage extraordinaire; il<br />
ajoute : Il n'a existé aucun peup<strong>le</strong> qui n'ait eu cette<br />
expectative. —Voltaire dit que, <strong>de</strong> temps immémorial,<br />
<strong>le</strong>s Indiens et <strong>le</strong>s Chinois attendaient qu'un sage viendrait<br />
<strong>de</strong> l'Occi<strong>de</strong>nt (ce qui était l'Orient pour l'Europe).<br />
(Add. à VHist. gén.)<br />
D'après Volney, <strong>le</strong>s traditions sacrées <strong>de</strong>s anciens<br />
peup<strong>le</strong>s avaient répandu dans toute l'Asie la croyance<br />
d'un grand médiateur, qui <strong>de</strong>vait venir...; d'un juge<br />
final, d'un sauveur futur, roi, dieu, conquérant et<br />
législateur...., qui délivrerait <strong>le</strong>s hommes du mal.<br />
(<strong>Le</strong>s Ruines.)<br />
Inuti<strong>le</strong>, après ces quelques citations tronquées, <strong>de</strong><br />
par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s prophètes chez <strong>le</strong>s Hébreux; ceux-ci sont<br />
plus explicites, comme on sait.<br />
Donc, malgré <strong>le</strong> voi<strong>le</strong> qui couvrait <strong>le</strong>s prophéties,<br />
malgré l'obscurcissement <strong>de</strong> l'antique tradition chez<br />
<strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s idolâtres, on attendait l'envoyé, et on savait<br />
que <strong>le</strong> moment était proche.<br />
Nous sommes à l'an 4004 du mon<strong>de</strong>; Auguste est<br />
<strong>le</strong> chef du vaste empire romain. Il ne reste du vieux<br />
culte païen, pour un grand nombre <strong>de</strong> personnes,<br />
que <strong>le</strong> nom et <strong>de</strong>s cérémonies sans croyance. Une<br />
sour<strong>de</strong> rumeur tient <strong>le</strong>s Gentils eux-mêmes dans l'attente,<br />
et <strong>le</strong>s Juifs ne se déci<strong>de</strong>nt à lutter contre <strong>le</strong>s<br />
Romains que parce qu'un orac<strong>le</strong> ambigu annonçait,<br />
comme <strong>le</strong>urs Livres saints, qu'il allait sortir <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />
nation quelqu'un qui comman<strong>de</strong>rait à toute la terre.<br />
— On <strong>le</strong> sait, cet empire n'étant pas terrestre, une tel<strong>le</strong><br />
prédiction ne pouvait être comprise par <strong>de</strong>s hommes<br />
matériels; mais l'incrédulité, avait fait tab<strong>le</strong> rase du<br />
vieux culte païen, <strong>le</strong> moment était venu pour la Provi<strong>de</strong>nce<br />
d'édifier <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> chrétien.
282 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
On ne rappel<strong>le</strong>ra point ici la naissance <strong>de</strong> cet enfant<br />
merveil<strong>le</strong>ux annoncé par <strong>de</strong>s anges, visité par <strong>le</strong>s<br />
mages <strong>de</strong> Chaldée guidés par une étoi<strong>le</strong> miracu<strong>le</strong>use.<br />
<strong>Le</strong>s païens avaient accordé à certains personnages une<br />
origine divine. Jésus ne <strong>de</strong>scend ni <strong>de</strong> Jupiter, ni d'Apollon;<br />
c'est <strong>le</strong> fils <strong>de</strong> Jéhovah subsistant avant tous <strong>le</strong>s<br />
sièc<strong>le</strong>s ; c'est l'envoyé <strong>de</strong> Dieu, <strong>le</strong> désiré <strong>de</strong>s nations ; on<br />
ne par<strong>le</strong>ra ni <strong>de</strong> sa mora<strong>le</strong> sublime, ni <strong>de</strong> ses mirac<strong>le</strong>s;<br />
nul n'en peut sérieusement contester ni la réalité, ni<br />
la supériorité sur ceux que <strong>le</strong>s dieux opéraient dans <strong>le</strong>s<br />
temp<strong>le</strong>s. Quel<strong>le</strong> comparaison établir entre <strong>le</strong>s guérisons<br />
d'Esculape, opérées <strong>le</strong>ntement en usant <strong>de</strong> recettes<br />
bizarres ou <strong>de</strong> cérémonies ridicu<strong>le</strong>s, et <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />
Jésus, <strong>le</strong>quel, d'un seul mot, vient à la mort ravir sa<br />
proie? D'où vient cette puissance? — <strong>Le</strong>s uns disent:<br />
c'est un grand magicien qui aura puisé sa science en<br />
Egypte. — Il fait ce que nul n'a jamais fait, disent<br />
d'autres ; peut-être a-t-il dérobé dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>le</strong> vrai<br />
nom <strong>de</strong> Dieu. — Mais pourquoi <strong>le</strong> grand-prêtre, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rons-nous,<br />
à qui ce nom était connu, n'opérait-il<br />
pas <strong>le</strong>s mêmes prodiges?... — Il guérit par Béelzébuth,<br />
prince <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, s'écrient <strong>de</strong>s pharisiens. — <strong>Le</strong> bon<br />
sens populaire fait justice <strong>de</strong> ces stupi<strong>de</strong>s blasphèmes:<br />
Satan voudrait-il donc détruire Satan? Celui qui vient<br />
substituer aux extravagances et aux infamies païennes<br />
<strong>de</strong>s dogmes si sublimes et une mora<strong>le</strong> si pure peut-il<br />
être <strong>le</strong> suppôt <strong>de</strong> Satan?<br />
Quoique la doctrine <strong>de</strong> Jésus soit opposée aux passions<br />
humaines et aux mœurs <strong>de</strong> l'époque, <strong>le</strong>s conversions<br />
s'opèrent par milliers; il ne cherche pas à séduire<br />
par <strong>le</strong>s promesses d'une égalité trompeuse; <strong>de</strong>s riches,<br />
<strong>de</strong>s puissants, <strong>de</strong>s proconsuls, <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> synagogue,<br />
sont entraînés par ses mirac<strong>le</strong>s ; bravent <strong>le</strong>s reproches<br />
et même <strong>le</strong>s supplices, et <strong>de</strong> persécuteurs acharnés
AVEC LE DÉMON. 283<br />
<strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s prosélytes ar<strong>de</strong>nts. Ce n'est point ici<br />
Je lieu d'exposer ce nouveau prodige. Que l'on consulte<br />
<strong>le</strong>s historiens sacrés, ecclésiastiques et profanes,<br />
et, quand on aura connu ce personnage si supérieur<br />
aux autres, on désirera savoir comment cet homme<br />
prodigieux, si sincère, si ennemi du mensonge, va<br />
expliquer <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux païen. — Cet homme divin<br />
(ainsi <strong>le</strong> nommaient plusieurs païens) n'explique <strong>le</strong><br />
merveil<strong>le</strong>ux ni par <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> l'âme, ni par <strong>le</strong>s fantômes<br />
<strong>de</strong> Démocrite ou <strong>le</strong>s corpuscu<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Lucrèce,<br />
ni par la combinaison <strong>de</strong>s nombres, ni par la vertu<br />
<strong>de</strong> certaines paro<strong>le</strong>s, ni par <strong>de</strong>s hallucinations épidémiques<br />
et contagieuses. D'abord il ne nie point. —<br />
<strong>Le</strong>s faits qui constituent <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux sont pour lui<br />
constants, soit qu'ils consistent en divinations, guérisons<br />
, possessions, apparitions, tout ce dont <strong>le</strong>s épicuriens<br />
plaisantent; il reconnaît, dans <strong>le</strong> Nouveau Testament,<br />
et proclame l'existence <strong>de</strong>s esprits bons ou<br />
mauvais, il déclare que <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s dieux du polythéisme<br />
sont dus aux <strong>démon</strong>s. — Il ne nous appartient<br />
pas ici d'exposer tout ce qu'il a dit <strong>de</strong> lui-même; restons<br />
dans <strong>le</strong>s limites <strong>de</strong> notre plan.<br />
Ouvrons <strong>le</strong> Nouveau Testament, ce livre dont tout<br />
chrétien doit croire <strong>le</strong> contenu comme étant l'expression<br />
d'une vérité qu'il faut accepter sous peine d'anathème<br />
: — on y atteste l'existence <strong>de</strong>s anges, êtres spirituels<br />
qui revêtent quelquefois la forme humaine, qui<br />
ont un langage et exercent, comme <strong>le</strong>s êtres corporels,<br />
une action sur la matière, mais incomparab<strong>le</strong>ment plus<br />
puissante. Ce fut un ange qui renversa la pierre du sépulcre.<br />
(Matth., XXVIII, 2.)<br />
Ce fut un ange qui ouvrit aux apôtres <strong>le</strong>s portes <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>ur prison et brisa <strong>le</strong>urs chaînes. (Acfor., V, 19.)<br />
<strong>Le</strong>s anges transportent <strong>le</strong>s corps : quand saint Phi-
284 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
lippe eut baptisé l'eunuque <strong>de</strong> la reine d'Ethiopie, un<br />
ange en<strong>le</strong>va saint Philippe, <strong>de</strong> sorte que l'eunuque ne<br />
<strong>le</strong> vit plus ; quant à Philippe, il se trouva dans Azot, où<br />
il prêcha l'Évangi<strong>le</strong>. (Actor., VIII, 39, 40.)<br />
<strong>Le</strong>s apparitions n'ont pas lieu toujours en frappant<br />
<strong>le</strong>s sens ; ceux <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s spectateurs seraient éga<strong>le</strong>ment<br />
frappés, ce qui n'est pas. Ainsi Saul, sur <strong>le</strong> chemin<br />
<strong>de</strong> Damas, voit une vive lumière et entend une<br />
voix. Ceux qui l'accompagnaient ne virent pas la lumière<br />
et n'entendirent que la voix.<br />
Outre <strong>le</strong>s passages nombreux attestant l'intervention<br />
<strong>de</strong>s bons anges, on voit aussi cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s mauvais que<br />
Dieu a précipités dans l'abîme. (2 Petr.)<br />
<strong>Le</strong> Nouveau Testament apprend que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s sont<br />
puissants. L'apôtre saint Paul <strong>le</strong>s nomme princes du<br />
mon<strong>de</strong>... Il <strong>le</strong>ur reste l'emploi <strong>de</strong> tromperies hommes...<br />
Nous n'avons, dit-il, à combattre ni la chair, ni <strong>le</strong><br />
sang, ni aucune force visib<strong>le</strong>... mais <strong>de</strong>s principautés,<br />
<strong>de</strong>s puissances, <strong>de</strong>s malices spirituel<strong>le</strong>s. — Jésus-<br />
Christ appel<strong>le</strong> Satan <strong>le</strong> fort armé (Luc, XI, 21), et<br />
saint Jean <strong>le</strong> nomme prince du mon<strong>de</strong>. (V. <strong>le</strong>s différents<br />
passages du Nouveau Testament qui attestent<br />
cette puissance.)<br />
La haine que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s portent aux hommes <strong>le</strong>s<br />
incite à <strong>le</strong>ur faire tout <strong>le</strong> mal que Dieu <strong>le</strong>ur permet, et<br />
dans la mesure qu'il a fixée dans sa sagesse.<br />
Si <strong>le</strong> <strong>démon</strong> veut crib<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s apôtres comme on crib<strong>le</strong><br />
<strong>le</strong> froment, il en <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Dieu la permission.<br />
(Luc, XXII, 31.) Non-seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s malins esprits<br />
tentent <strong>le</strong>s hommes, mais ils <strong>le</strong>ur causent diverses<br />
maladies, <strong>le</strong>s obsè<strong>de</strong>nt, <strong>le</strong>s possè<strong>de</strong>nt, à moins que<br />
Dieu ne <strong>le</strong>s arrête Ils exerceraient <strong>de</strong> même <strong>le</strong>ur<br />
rage sur <strong>le</strong>s animaux appartenant à <strong>l'homme</strong>, si Dieu<br />
<strong>le</strong> permettait. Lorsque Jésus-Christ voulut <strong>le</strong>s chasser
AVEC LE DÉMON. 285<br />
du corps du possédé <strong>de</strong> Gérasa, ils <strong>de</strong>mandèrent à entrer<br />
dans une troupe <strong>de</strong> pourceaux; et, dès qu'il l'eut<br />
permis, ces animaux se précipitèrent tous dans un lac.<br />
Aussitôt que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s sont expulsés du corps <strong>de</strong>s<br />
possédés, <strong>le</strong>s maladies que causait <strong>le</strong>ur présence sont<br />
subitement guéries. — Dieu appel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s apôtres et <strong>le</strong>ur<br />
donne autorité sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s et <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> guérir<br />
<strong>le</strong>s maladies. (Luc, IX, 1.)<br />
<strong>Le</strong> <strong>démon</strong> révè<strong>le</strong> l'avenir. Une fil<strong>le</strong> gagnait beaucoup<br />
d'argent par ses divinations dues à un esprit <strong>de</strong> Python,<br />
qui la possédait; dès que saint Paul l'eut chassé, el<strong>le</strong><br />
ne sut plus <strong>de</strong>viner, et ses maîtres en murmurèrent.<br />
{Actor., XVI, 16.)<br />
<strong>Le</strong> Nouve&u Testament constate l'existence <strong>de</strong> la magie,<br />
<strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong>s magiciens. C'est ainsi que Simon<br />
séduisit <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s et renversa l'esprit <strong>de</strong>s Samaritains<br />
par ses enchantements; on <strong>le</strong> surnomma la Gran<strong>de</strong><br />
Vertu <strong>de</strong> Dieu. (Actor., VIII, 9.)<br />
<strong>Le</strong> magicien Bar-Jésu s'efforçait d'empêcher <strong>le</strong> proconsul<br />
Sergius d'embrasser la foi ; saint Paul, regardant<br />
fixement cet homme, lui dit : « Enfant du diab<strong>le</strong>, la main<br />
du Seigneur s'étend sur toi, tu vas <strong>de</strong>venir aveug<strong>le</strong>. »<br />
Bar-Jésu perdit aussitôt la vue, et <strong>le</strong> proconsul, témoin<br />
<strong>de</strong> ce mirac<strong>le</strong>, embrassa la foi. (Actor., Xlll.) Jésus,<br />
loin <strong>de</strong> nier <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, vient donc<br />
attester <strong>le</strong>ur pouvoir d'en opérer.<br />
S. Paul, après avoir recommandé <strong>de</strong> ne pas se troub<strong>le</strong>r<br />
ni <strong>de</strong> croire trop légèrement au second avènement,<br />
dit que l'impie viendra, accompagné <strong>de</strong> la puissance<br />
<strong>de</strong> Satan, faisant toutes sortes <strong>de</strong> mirac<strong>le</strong>s, <strong>de</strong><br />
signes et <strong>de</strong> prodiges trompeurs, qui pourront porter<br />
à l'iniquité ceux qui ne recherchent pas la vérité...<br />
Pour ceux-ci, Dieu permettra ces illusions. Plus loin,<br />
il recomman<strong>de</strong> <strong>de</strong> bien conserver <strong>le</strong>s traditions. Avant
286 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
il avait dit : « <strong>Le</strong> mystère d'iniquité, dont l'œuvre est<br />
<strong>de</strong> renverser <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> Dieu pour asseoir 1<br />
<strong>le</strong> règne <strong>de</strong><br />
l'Autechrist, se forme dès à présent. » (2Thess.,U.)<br />
Ces versets, qui prouvent que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> continuera<br />
<strong>de</strong> vouloir se substituer à la Divinité, nous apprennent<br />
comment, dans <strong>le</strong> passé, l'oubli <strong>de</strong> Dieu a pu survenir...<br />
C'est en oubliant <strong>le</strong>s traditions, en croyant aux<br />
prodiges trompeurs <strong>de</strong> Satan, que Dieu permet, et qui<br />
portent à l'impiété ceux qui ne recherchent point la<br />
vérité, mais <strong>le</strong> mensonge.<br />
Saint Matthieu dit que ces prodiges seront si grands,<br />
qu'ils séduiraient <strong>le</strong>s élus, s'il était possib<strong>le</strong>...<br />
Saint Jean nous en révè<strong>le</strong> l'espèce... —11 fera <strong>de</strong>scendre<br />
<strong>le</strong> feu du ciel, fera par<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s statues, <strong>le</strong>s animaux<br />
, rendra sain et sauf un <strong>de</strong>s siens b<strong>le</strong>ssé à mort.<br />
(Apoc., XIII.)<br />
Cette puissance n'appartiendra-t-el<strong>le</strong> au <strong>démon</strong> que<br />
lors du second avènement? Saint Paul a dit que <strong>le</strong><br />
mystère d'iniquité se formait déjà; on a vu que <strong>le</strong>s<br />
enchantements d'Élymas, <strong>de</strong> Simon, nuisaient à l'établissement<br />
du christianisme ; <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
qui ont établi l'erreur dans <strong>le</strong> passé, qui séduiront<br />
lors <strong>de</strong> la venue <strong>de</strong> l'Antéchrist, peuvent être obtenus<br />
dès aujourd'hui par ceux qui consentent à s'aveug<strong>le</strong>r.<br />
<strong>Le</strong>s Juifs, ne pouvant douter <strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
chez <strong>le</strong>s Gentils, pensaient que Jésus opérait <strong>le</strong>s siens<br />
par Béelzébuth ; mais ceux qui parmi eux se convertirent<br />
surent discerner <strong>le</strong>s prodiges sataniques <strong>de</strong>s vrais<br />
mirac<strong>le</strong>s; tous, par l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s faits, croyaient à la<br />
puissance que Satan peut communiquer à ses adorateurs.<br />
— Pourquoi pensaient-ils que Jésus chassait <strong>le</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s par Béelzébuth? C'est parce que <strong>le</strong>s magiciens<br />
qui étaient parmi eux <strong>le</strong>s chassaient en vertu du pou-
AVEC LE DÉMON. 287<br />
voir que Satan <strong>le</strong>ur donnait sur <strong>le</strong>s autres <strong>démon</strong>s.<br />
(V.Cassien, Coll. VIII.)<br />
Dieu permet que <strong>le</strong> corps <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> soit abandonné<br />
quelquefois aux vexations du <strong>démon</strong> pour sauver<br />
son âme (c'est l'obsession). L'incestueux <strong>de</strong> Corinthe<br />
fut livré à Satan pour mortifier sa chair et afin<br />
que son âme fût sauvée au jour du jugement. (1 Cor.,<br />
V, 5.)<br />
A<strong>le</strong>xandre et Hyménée lui furent éga<strong>le</strong>ment livrés,<br />
pour qu'ils apprissent à ne plus blasphémer. (Tim.,<br />
1,20.)<br />
<strong>Le</strong> transport <strong>de</strong> Jésus sur <strong>le</strong> pinac<strong>le</strong> du temp<strong>le</strong> peut<br />
être considéré comme un premier exemp<strong>le</strong> du pouvoir<br />
du <strong>démon</strong> pour transporter <strong>le</strong>s corps. On en a un<br />
second dans cet autre transport sur une montagne<br />
é<strong>le</strong>vée... <strong>Le</strong> <strong>démon</strong>, ne pouvant que conjecturer que<br />
Jésus fût <strong>le</strong> Messie, veut <strong>le</strong> tenter par <strong>de</strong>s pensées<br />
d'ambition. (Matth., IV.)<br />
Jésus nous apprend ce que <strong>de</strong>vient l'esprit impur<br />
expulsé du corps <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> : il s'en va dans <strong>de</strong>s lieux<br />
ari<strong>de</strong>s, il erre autour <strong>de</strong>s tombeaux pour chercher un<br />
repos qu'il ne peut trouver. (Matth., XII,.43.)<br />
<strong>Le</strong>s dieux <strong>de</strong>s Gentils sont encore ici <strong>de</strong>s dénions.<br />
<strong>Le</strong> Nouveau Testament nomme <strong>le</strong> <strong>démon</strong> Baal, Béel-<br />
•jhith, etc.. Ces noms, qui désignaient <strong>de</strong>s dieux chez<br />
<strong>le</strong>sGentils, étaient synonymes <strong>avec</strong> <strong>le</strong> Diabolos <strong>de</strong>s Grecs,<br />
VBclial, <strong>le</strong> Satan <strong>de</strong>s Hébreux. Il y avait i<strong>de</strong>ntité entre<br />
<strong>le</strong>s princes <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s et <strong>le</strong>s dieux supérieurs <strong>de</strong>s Gentils.<br />
<strong>Le</strong> mot Baal, Beel, Bel, etc., signifiant maître,<br />
seigneur, était joint souvent au nom d'une divinité:<br />
Béelzébuth, dieu principal d'Accaron (4 Reg.); Belphégor,<br />
dieu <strong>de</strong>s Ammonites; Belséphon, à qui on donnait<br />
la forme du chien, etc.<br />
Si l'on voulait citer <strong>de</strong>s prodiges divins, on trouve-
288 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
rait dans <strong>le</strong> Nouveau Testament <strong>le</strong> don <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s<br />
langues inconnues, la révélation <strong>de</strong>s pensées, la vue<br />
<strong>de</strong>s choses cachées, <strong>le</strong>s prédictions <strong>de</strong> l'avenir; <strong>le</strong>s apparitions,<br />
<strong>le</strong>s songes, <strong>le</strong>s résurrections <strong>de</strong> morts, etc.;<br />
mais ce pouvoir n'est octroyé qu'à une foi profon<strong>de</strong>.<br />
Dès que <strong>le</strong>s apôtres eurent reçu l'Esprit-Saint, <strong>le</strong>s<br />
Juifs, venus <strong>de</strong> toutes parts à Jérusa<strong>le</strong>m, furent émerveillés<br />
en <strong>le</strong>s entendant par<strong>le</strong>r l'idiome <strong>de</strong> vingt régions<br />
étrangères; ceux qui ignoraient ces langues disaient<br />
qu'ils étaient ivres et s'en moquaient. (Actor., II.)<br />
<strong>Le</strong>s apôtres connaissaient <strong>le</strong>s pensées. Ananie et<br />
Saphire avaient retenu par tromperie une partie du<br />
prix <strong>de</strong> la vente d'un champ : « Satan vous a tenté,<br />
dit Pierre à Ananie...; pourquoi mentez-vous à Dieu?»<br />
Ananie expire aussitôt... Trois heures après, Saphire<br />
vient faire <strong>le</strong> même mensonge, reçoit <strong>le</strong> même reproche<br />
et rend aussitôt l'esprit. (Actor., V.)<br />
Dieu par<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s songes : Joseph est instruit <strong>de</strong><br />
la sainteté <strong>de</strong> Marie et averti <strong>de</strong> fuir en Egypte. — La<br />
femme <strong>de</strong> Pilate est inquiétée dans un songe concernant<br />
Jésus-Christ.<br />
Paul et Silas sont dans un cachot, <strong>le</strong>urs pieds sont<br />
serrés dans <strong>de</strong>s ceps, ils prient : la terre tremb<strong>le</strong>, <strong>le</strong>urs<br />
liens tombent, <strong>le</strong>s portes <strong>de</strong> la prison s'ouvrent... : s'étant<br />
réveillé, <strong>le</strong> geôlier veut se tuer; Paul l'arrête:<br />
« Nous voici, lui dit-il. » — <strong>Le</strong> geôlier, en voyant ce<br />
mirac<strong>le</strong>, se convertit. (Actor., XVI.)<br />
<strong>Le</strong>s impies auront beau contrefaire <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la<br />
religion nouvel<strong>le</strong>, l'infériorité est évi<strong>de</strong>nte, <strong>le</strong> doigt <strong>de</strong><br />
Dieu est encore là pour <strong>le</strong>s arrêter.<br />
Simon <strong>le</strong> Magicien fait <strong>de</strong>s prodiges qui <strong>le</strong> font surnommer<br />
la Gran<strong>de</strong> Vertu <strong>de</strong> Dieu ; mais témoin luimême<br />
<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> saint Philippe, étonné <strong>de</strong>s effets<br />
surnaturels opérés par l'Esprit-Saint, il ose <strong>de</strong>man-
AVEC LE DÉMON. 289<br />
<strong>de</strong>r qu'on lui ven<strong>de</strong> <strong>le</strong> moyen d'opérer <strong>de</strong> tels prodiges.<br />
Il suffit à Paul <strong>de</strong> prononcer une paro<strong>le</strong> pour causer<br />
la cécité d'Élymas.<br />
<strong>Le</strong>s fils <strong>de</strong> Scéva, voyant qu'il suffisait aux apôtres<br />
<strong>de</strong> prononcer <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Jésus pour chasser <strong>le</strong>s esprits,<br />
pensèrent qu'<strong>avec</strong> <strong>le</strong> même nom ils obtiendraient <strong>le</strong><br />
môme résultat. Mais <strong>le</strong> <strong>démon</strong> <strong>le</strong>s maltraite : « Je connais<br />
Jésus, <strong>le</strong>ur dit-il; mais vous, qui êtes-vous? »<br />
Réponse qui apprend à tous <strong>le</strong>s exorcistes présents et<br />
futurs, que ce n'est point un nom ni <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s qui<br />
chassent <strong>le</strong>s esprits, mais la foi en Jésus-Christ, et que<br />
<strong>le</strong>s exorcismes sont <strong>de</strong>s armes inuti<strong>le</strong>s, dangereuses<br />
même pour ceux qui n'ont ni assez <strong>de</strong> foi ni assez <strong>de</strong><br />
piété pour comman<strong>de</strong>r aux <strong>démon</strong>s.<br />
L'action <strong>de</strong> Satan sur <strong>le</strong>s Juifs <strong>le</strong>s incite à persécuter<br />
<strong>le</strong>s apôtres : c'est ce qui a empêché Paul d'al<strong>le</strong>r trouver<br />
ses frères, quoiqu'il en eût <strong>de</strong>ux fois formé <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssein ;<br />
c'est pourquoi il dit : Satan nous en a empêchés. (J T/iess.,<br />
11,18.)<br />
Dans la 2 e<br />
aux Corinthiens, XII, saint Paul dit que<br />
Dieu a voulu qu'il ressentît dans sa chair comme un<br />
aiguillon, qui est l'ange <strong>de</strong> Satan...<br />
<strong>Le</strong> <strong>démon</strong>, dit saint Luc (VIII, 12), enlève la paro<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> Dieu <strong>de</strong> nos cœurs.<br />
Il aveug<strong>le</strong> l'esprit <strong>de</strong> ceux qui ne croient pas ; il se<br />
transforme en ange <strong>de</strong> lumière (2 Corinth., XI, 14);<br />
il tourne autour <strong>de</strong> nous pour nous dévorer... (1 Pet.,<br />
V,8.)<br />
<strong>Le</strong> Nouveau Testament reconnaît donc ainsi que<br />
l'ancien : 1° l'existence <strong>de</strong>s bons et <strong>de</strong>s mauvais esprits<br />
(il est en ceci d'accord <strong>avec</strong> ce qu'on a vu chez <strong>le</strong>s<br />
Gentils) ; 2° une puissance inhérente à la nature <strong>de</strong> ces<br />
<strong>de</strong>rniers, s'exerçant sur <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> matériel, agitant,<br />
i. 19
29 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
transportant <strong>le</strong>s corpa, remuant <strong>le</strong>s statues, exerçant <strong>de</strong>s<br />
cruautés sur <strong>l'homme</strong> et môme sur <strong>le</strong>s animaux, etc.,<br />
ayant un certain empire sur <strong>le</strong>s sentiments, <strong>le</strong>s actes,<br />
<strong>le</strong>s pensées, etc.<br />
<strong>Le</strong> Nouveau Testament n'est pas un cours <strong>de</strong> <strong>démon</strong>ologie<br />
pour disserter sur <strong>le</strong>s opérations diaboliques;<br />
pourtant ce qu'il exprime suffisait autrefois pour prémunir<br />
ceux qui étaient témoins <strong>de</strong>s faits et doit suffire<br />
aujourd'hui, à moins que, méprisant l'Écriture sainte,<br />
on ne s'obstine à'nier <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux, comme <strong>le</strong>s épicuriens,<br />
ou • à vouloir l'expliquer comme <strong>le</strong>s matérialistes.<br />
<strong>Le</strong> matérialisme et <strong>le</strong>s négations <strong>de</strong> Vépieurisme <strong>de</strong>venus impossib<strong>le</strong>s<br />
après <strong>le</strong>s nombreux mirac<strong>le</strong>s du christianisme.<br />
<strong>Le</strong>s sectateurs d'un faux culte ont quelquefois poussé<br />
<strong>le</strong> fanatisme jusqu'à s'immo<strong>le</strong>r à <strong>le</strong>urs divinités. La conviction<br />
<strong>de</strong>s premiers chrétiens, opérée par <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />
était si ferme", qu'ils ont aussi, durant trois sièc<strong>le</strong>s, souffert<br />
<strong>le</strong> martyre pour l'attester. <strong>Le</strong>s premiers étaient<br />
<strong>de</strong>s fanatiques qui aspiraient à se réunir à <strong>le</strong>urs dieux<br />
plus promptement ; <strong>le</strong>s seconds préfèrent la mort<br />
plutôt que <strong>de</strong> renier Dieu, qui s'est manifesté par<br />
d'éclatants mirac<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s convictions <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s<br />
autres étaient soli<strong>de</strong>s et basées, on ne saurait se <strong>le</strong><br />
dissimu<strong>le</strong>r, sur <strong>de</strong>s motifs puissants. A l'époque où<br />
nous sommes arrivés, <strong>le</strong>s prodiges païens et <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />
chrétiens furent si nombreux que l'épicnrisme<br />
et <strong>le</strong> matérialisme <strong>de</strong>vaient subir une défaite ; <strong>le</strong>s néoplatoniciens,<br />
il est vrai, ne se sacrifieront point, mais<br />
ils sont très-hosti<strong>le</strong>s aux chrétiens, prêts à tout souffrir<br />
pour <strong>le</strong>ur foi ; ainsi, malgré sa mora<strong>le</strong> si pure et peutêtre<br />
à cause d'el<strong>le</strong>, <strong>le</strong> christianisme avait <strong>de</strong>s ennemis<br />
acharnés. Un seul <strong>de</strong> ses mirac<strong>le</strong>s aurait dû convertir
AVEC LE DÉMON. 291<br />
une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> païens (ce qui arrivait souvent),<br />
mais plus souvent encore ceux qui ne voyaient pas persistaient<br />
à nier ; et parmi ceux qui voyaient, plusieurs,<br />
par mauvais vouloir, restaient dans l'aveug<strong>le</strong>ment. <strong>Le</strong>s<br />
chefs <strong>de</strong> secte, d'ail<strong>le</strong>urs, combattaient <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s subtilités<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur dia<strong>le</strong>ctique, et <strong>le</strong>s ministres du culte et<br />
<strong>le</strong>s pontifes, soutenus par <strong>le</strong> pouvoir, invoquaient la<br />
sévérité <strong>de</strong>s lois contre <strong>le</strong>s chrétiens, qui n'opposaient<br />
que <strong>le</strong>ur résignation et <strong>le</strong> calme <strong>de</strong> l'innocence. Ceux<br />
qui ne pouvaient nier <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s ni <strong>le</strong>s expliquer <strong>le</strong>s<br />
attribuaient au <strong>démon</strong> ; il eût été inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur montrer<br />
que la gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s prodiges et <strong>le</strong>s vertus <strong>de</strong>s<br />
thaumaturges repoussaient une aussi noire calomnie,<br />
car <strong>le</strong>ur endurcissement était volontaire ; pouvait-il<br />
en être autrement pour <strong>de</strong>s hommes corrompus? La<br />
nouvel<strong>le</strong> doctrine substituait une mora<strong>le</strong> sublime et<br />
<strong>le</strong>s austérités <strong>de</strong> la' pénitence aux infamies païennes,<br />
el<strong>le</strong> voulait rendre humb<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s hommes orgueil<strong>le</strong>ux;<br />
chastes <strong>de</strong>s hommes adonnés à la luxure ; pénitents <strong>de</strong>s<br />
hommes sensuels et voluptueux ; convaincre <strong>de</strong>s épicuriens<br />
et <strong>de</strong>s sceptiques; el<strong>le</strong> en<strong>le</strong>vait à un fantôme <strong>de</strong><br />
sacerdoce sa puissance.<br />
Malgré tant <strong>de</strong> corruption, malgré <strong>le</strong>s persécutions,<br />
malgré la vigilance du pouvoir et ses rigueurs, <strong>le</strong>s<br />
rangs <strong>de</strong>s ennemis du christianisme s'éclaircissaient<br />
tous <strong>le</strong>s jours; <strong>le</strong> sens commun, <strong>de</strong>vant l'évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s<br />
faits, méprisait <strong>le</strong> rire stupi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s ignorants et la bave<br />
<strong>de</strong>s impies.— Cel<strong>le</strong>-ci causant <strong>de</strong>s nausées comme <strong>le</strong><br />
venin du serpent; <strong>le</strong> dégoût et l'horreur saisissaient<br />
<strong>le</strong>s âmes honnêtes. <strong>Le</strong> peu <strong>de</strong> vie du paganisme peu à<br />
peu s'éteignait. On a vu déjà que <strong>le</strong>s philosophes avaient<br />
une gran<strong>de</strong> tendance à rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s doctrines.<br />
Dans l'impuissance d'expliquer naturel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux,<br />
on sentit qu'il fallait revenir à reconnaître
292 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
l'intervention <strong>de</strong> la divinité; <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s d'ail<strong>le</strong>urs se<br />
rendaient encore et, comme on l'a dit, <strong>le</strong>s guérisons<br />
d'Esculape et <strong>de</strong> Sérapis s'opéraient dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s.<br />
<strong>Le</strong> vieux culte aurait donc conservé et récupéré <strong>de</strong>s<br />
sectateurs, s'il eût été possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong> purger <strong>de</strong> ses absurdités.<br />
11 plaisait en favorisant <strong>de</strong> honteux penchants,<br />
ses fêtes charmaient <strong>le</strong>s imaginations poétiques et ceux<br />
qui aiment <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s souvenirs.<br />
Enfin l'antique serpent qui ne dort pas ne pouvait<br />
ainsi renoncer à sa proie. — <strong>Le</strong>s chrétiens instruits<br />
dans la vraie doctrine sentaient que Dieu permettrait<br />
une épreuve ; Satan voyait que son royaume lui échappait<br />
; — il avait amené <strong>le</strong>s hommes au matérialisme, il<br />
<strong>le</strong>s avait fait tomber dans l'athéisme, pire que l'idolâtrie,<br />
et <strong>le</strong>s faits miracu<strong>le</strong>ux renversaient l'athéisme;<br />
l'épicurisme était méprisé par <strong>le</strong>s stoïciens alors nombreux,<br />
et <strong>le</strong> polythéisme, sous l'empire d'une raison<br />
plus épurée, faisait place au christianisme. — Que fera<br />
donc Satan ? — 11 essayera bientôt <strong>de</strong> concilier <strong>le</strong> polythéisme<br />
<strong>avec</strong> la raison, ce sera <strong>le</strong> néoplatonisme, et<br />
comme il lui est permis <strong>de</strong> crib<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s nouveaux chrétiens,<br />
nous verrons aussi qu'il fit surgir <strong>le</strong>s hérésies;<br />
il continuera enfin <strong>de</strong> susciter contre <strong>le</strong>s chrétiens la<br />
haine <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs ennemis. En effet, on accusait <strong>le</strong>s premiers<br />
<strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s calamités, si <strong>le</strong> Nil n'inondait pas<br />
assez <strong>le</strong>s terres d'Egypte, si <strong>le</strong> Tibre débordait dans<br />
<strong>le</strong>s campagnes voisines <strong>de</strong> Rome ; s'il survenait pluies<br />
ou sécheresse, tremb<strong>le</strong>ments <strong>de</strong> terre, guerres, famines<br />
ou grê<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> accusait toujours <strong>le</strong>s chrétiens : ces<br />
ennemis <strong>de</strong>s dieux étaient cause <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s fléaux, et<br />
accusés même <strong>de</strong> la multiplication <strong>de</strong>s rats et <strong>de</strong>s sauterel<strong>le</strong>s<br />
; alors <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> criait <strong>de</strong> toutes parts : A bas<br />
<strong>le</strong>s chrétiens, exposez-<strong>le</strong>s aux bétesl<br />
On <strong>le</strong> sait, l'épreuve (Dieu la permettait) fut terrib<strong>le</strong>;
AVEC LE DÉMON. 293<br />
Satan criblait et cribla tant dès <strong>le</strong> premier sièc<strong>le</strong>, qu'un<br />
instant on vit <strong>le</strong> grain du Seigneur diminuer. On lit dans<br />
nne correspondance <strong>de</strong> Pline <strong>avec</strong> Trajan que <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s<br />
païens, qu'on croyait abandonnés, <strong>de</strong>vinrent un<br />
instant plus fréquentés. En parlant du christianisme,<br />
Pline disait : « Ce mal contagieux n'a pas seu<strong>le</strong>ment infecté<br />
<strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s, il a gagné <strong>le</strong>s villages, <strong>le</strong>s campagnes,<br />
maison peut y remédier... Ce qu'il y a <strong>de</strong> certain, c'est<br />
que nos temp<strong>le</strong>s, qui étaient presque déserts, sont fréquentés,<br />
et que <strong>le</strong>s sacrifices longtemps négligés recommencent...<br />
»<br />
On aurait pu penser que <strong>le</strong> christianisme, malgré la<br />
promesse du Maître, succomberait sous tant <strong>de</strong> coups.<br />
La nature dépravée <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> lui suscitait partout<br />
<strong>de</strong>s ennemis, car il ne promet ici-bas que <strong>de</strong>s croix et<br />
<strong>de</strong>s souffrances ; mais il assurait aussi au <strong>de</strong>là un bonheur<br />
sans fin ; et comme garant, c'étaient <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />
éclatants, publics; <strong>de</strong>s maladies incurab<strong>le</strong>s guéries,<br />
<strong>de</strong>s morts ressuscites ; <strong>de</strong> sorte qu'une religion prêchée<br />
par <strong>de</strong> pauvres artisans bravait toutes <strong>le</strong>s puissances<br />
<strong>de</strong> l'enfer et du mon<strong>de</strong>.<br />
S'il y a <strong>de</strong>s défections <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> quelques chrétiens<br />
peu affermis, la foi <strong>de</strong> ceux qui restent fidè<strong>le</strong>s se<br />
réchauffe. Dieu a dit que <strong>le</strong>s ennemis <strong>de</strong> son Église ne<br />
prévaudraient jamais contre el<strong>le</strong>; quoique attaquée<br />
par tous <strong>le</strong>s moyens que la ruse et la rage <strong>de</strong> Satan<br />
peuvent suggérer aux hommes, tout se remplit <strong>de</strong><br />
chrétiens <strong>de</strong> tout état, <strong>de</strong> toute condition, d'hommes<br />
qui ne sont ni crédu<strong>le</strong>s ni avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> nouveautés. Contre<br />
<strong>le</strong>s vociférations <strong>de</strong> la multitu<strong>de</strong>, la hache <strong>de</strong>s bourreaux<br />
et <strong>le</strong>s rugissements <strong>de</strong>s lions, on observe la sérénité<br />
du juste dont l'âme aspire à s'envo<strong>le</strong>r au ciel.<br />
Contre <strong>le</strong> néoplatonisme, dont nous allons par<strong>le</strong>r <strong>avec</strong><br />
quelque étendue, surgiront, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s du chris-
294 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
tianisme, <strong>de</strong>s écrivains qui ont été païens, initiés aux<br />
mystères; philosophes, orateurs, hommes savants,<br />
illustres, qui connaissent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux religions et la vanité<br />
<strong>de</strong>s sectes philosophiques; ils exposeront <strong>le</strong>s motifs <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>ur conversion, et pourquoi ils ont abandonné une<br />
religion dont <strong>le</strong>s dieux donnaient l'exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong> tous<br />
<strong>le</strong>s vices, pour en suivre une qui prêchait <strong>le</strong> renoncement<br />
à tous <strong>le</strong>s biens <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> et à tous ses plaisirs;<br />
ces hommes <strong>de</strong>viendront <strong>le</strong>s apologistes <strong>de</strong> la religion<br />
du crucifié.<br />
Avant d'exposer <strong>le</strong>urs écrits, examinons d'abord <strong>le</strong><br />
néoplatonisme, ce moyen puissant <strong>de</strong> rétablir <strong>le</strong> paganisme<br />
sur sa base ; nous verrons un jour <strong>le</strong>s hérésies,<br />
arme non moins terrib<strong>le</strong>, suggérées par <strong>le</strong> même adversaire.<br />
<strong>Le</strong> néoplatonisme multiplie ses prodiges {troisième et quatrième sièc<strong>le</strong>s);<br />
Ammonius, Plotin, etc.<br />
Satan, pour par<strong>le</strong>r <strong>le</strong> langage <strong>de</strong>s chrétiens, a changé<br />
<strong>de</strong> batterie, l'épicurisme tombe, <strong>le</strong> polythéisme fait<br />
entendre <strong>le</strong>s râ<strong>le</strong>ments <strong>de</strong> son agonie, on croit nécessaire,<br />
pour <strong>le</strong> ressusciter, <strong>de</strong> <strong>le</strong> mettre en harmonie <strong>avec</strong><br />
la philosophie, qui va el<strong>le</strong>-même être modifiée; cel<strong>le</strong>-ci<br />
n'a su que détruire; mais n'ayant pu trouver la vérité<br />
dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> visib<strong>le</strong>, il faut la chercher dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong><br />
invisib<strong>le</strong> et unir l'illuminisme à la philosophie; on ne<br />
sera plus sceptique, mais idéaliste, éc<strong>le</strong>ctique et mystique.<br />
Tel fut <strong>le</strong> moyen que suggéra Satan pour empêcher<br />
que la religion <strong>de</strong> Jésus ne remplaçât cel<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
Jupiter et d'Osiris.<br />
L'Orient soufflait <strong>de</strong> nouveau, comme il a été dit,<br />
<strong>le</strong>s doctrines <strong>de</strong> Pythagore et <strong>de</strong> Platon ; Ammonius,<br />
portefaix d'A<strong>le</strong>xandrie, en conciliant Platon <strong>avec</strong> Aris-
AVEC LE DÉMON. 295<br />
tote, donna un merveil<strong>le</strong>ux éclat à l'éco<strong>le</strong> d'A<strong>le</strong>xandrie.<br />
Plutarque dit qu'il forma <strong>le</strong> projet <strong>de</strong> ooncilier toutes<br />
<strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s philosophiques. Il choisit dans <strong>le</strong> christianisme<br />
ce qui s'accordait <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s doctrines égyptiennes<br />
et cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Platon ; Ge qui était contraire à son système<br />
fut rejeté comme <strong>de</strong>s altérations faites par <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s<br />
du Christ.<br />
Ce système consiste à reconnaître un être nécessaire<br />
(Dieu), <strong>de</strong> la substance duquel sont sortis tous <strong>le</strong>s autres<br />
êtres, la fou<strong>le</strong> <strong>de</strong>s génies, <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, et l'âme humaine.<br />
Plusieurs philosophes pensaient que certains<br />
minéraux, certaines plantes pouvaient donner à l'âme<br />
nn <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> subtilité propre à faire voir <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s.<br />
D'autres, dédaignant ce commerce, s'unissaient à l'Être<br />
suprême par l'extase. Ammonius attribua aux génies et<br />
aux <strong>démon</strong>s <strong>le</strong>s divers prodiges <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s religions,<br />
et pensa que <strong>le</strong> but <strong>de</strong> la philosophie <strong>de</strong>vait être d'é<strong>le</strong>ver<br />
l'âme au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s impressions corporel<strong>le</strong>s, d'exciter<br />
sa partie sensib<strong>le</strong> pour la mettre en rapport <strong>avec</strong><br />
<strong>le</strong>s esprits. On avait été forcé <strong>de</strong> reconnaître <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />
du Christ, qu'on assimilait à Pythagore, à Empédoc<strong>le</strong>,<br />
à Apollonius, etc., <strong>le</strong>squels, comme on sait, commerçaient<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s puissances cé<strong>le</strong>stes. Plotin, Origène,<br />
Porphyre, Amélius, Hiéroclès, Jamblique, etc., furent<br />
<strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'éco<strong>le</strong> d'Ammonius : dès que Plotin<br />
l'entendit par<strong>le</strong>r, il s'écria : C'est celui-là même que je<br />
cherchais. Après avoir écouté ses <strong>le</strong>çons pendant onze<br />
ans, il alla étudier <strong>le</strong>s doctrines <strong>de</strong>s sages <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong> et<br />
suivit l'empereur Gordien pour entendre ceux <strong>de</strong> la<br />
Perse. <strong>Le</strong>s néoplatoniciens eurent <strong>de</strong> nombreux discip<strong>le</strong>s,<br />
et parmi ceux-ci <strong>le</strong>s personnes <strong>le</strong>s plus considérab<strong>le</strong>s<br />
: <strong>de</strong>s hommes d'État, <strong>de</strong>s sénateurs. Tous ces personnages,<br />
la plupart d'un génie é<strong>le</strong>vé, vaste et pénétrant,<br />
furent convaincus que <strong>l'homme</strong> peut se mettre en rapport
296 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s génies et opérer <strong>de</strong>s prodiges. — Combien <strong>le</strong>s<br />
temps sont changés ! Plotin et tous ses discip<strong>le</strong>s étaient<br />
persuadés, comme lui, qu'il était sous la protection<br />
d'un génie, non <strong>de</strong> ceux qu'on nomme <strong>démon</strong>s, mais<br />
dieux; son discip<strong>le</strong> Porphyre raconte qu'un prêtre<br />
d'Isis, voulant évoquer <strong>le</strong> génie <strong>de</strong> Plotin, reconnut que<br />
ce génie était un dieu. Plotin lui-même était si fier <strong>de</strong><br />
ce privilège, qu'étant prié par Amélius d'assister à un<br />
sacrifice fait aux génies, il répondit fièrement : — « C'est<br />
à eux <strong>de</strong> venir à moi et non pas à moi d'al<strong>le</strong>r à eux, »<br />
— réponse orgueil<strong>le</strong>use qui ne s'explique que par la<br />
conviction qu'avait Plotin <strong>de</strong> la supériorité <strong>de</strong>s intelligences<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s il communiquait. — Non-seu<strong>le</strong>ment<br />
Plotin prédisait, découvrait <strong>le</strong>s choses cachées,<br />
mais <strong>le</strong>s génies étaient impuissants contre lui. Ainsi, <strong>le</strong><br />
magicien Olympius, voulant <strong>le</strong> maléficier, vit que tous<br />
<strong>le</strong>s maléfices qu'il voulait faire tomber sur Plotin,<br />
étant repoussés, retombaient sur lui-même, et il avoua<br />
qu'il était bien puissant, puisqu'il renvoyait à ses ennemis<br />
<strong>le</strong>s traits que ceux-ci lui décochaient. — Ce<br />
qu'il y a <strong>de</strong> plus admirab<strong>le</strong>, dit Bay<strong>le</strong>, c'est que Plotin<br />
connût <strong>le</strong>s machinations magiques <strong>de</strong> son ennemi. « <strong>Le</strong><br />
corps d'Olympius, disait Plotin, est en ce moment plissé<br />
comme une bourse, ses membres se froissent, etc.»<br />
Ainsi la religion expirante s'est revivifiée : <strong>le</strong>s néoplatoniciens<br />
ont pu rallumer son flambeau, presque éteint,<br />
au feu sacré <strong>de</strong>s antiques religions <strong>de</strong> l'Egypte, <strong>de</strong><br />
l'In<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la Perse. Nous voudrions abor<strong>de</strong>r quelques<br />
détails dans un sujet si intéressant et si peu connu,<br />
mais il faudrait encore ici <strong>de</strong>s volumes où l'on ne peut<br />
écrire que quelques pages.<br />
Selon Plotin, <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> est éternel et la forme du<br />
principe éternel; c'est <strong>le</strong> panthéisme mystique: l'âme<br />
humaine est <strong>de</strong> la môme nature que Dieu d'où el<strong>le</strong> est
AVEC LE DÉMON. 297<br />
, émanée, et dès cette vie tend à retourner à sa source<br />
divine; el<strong>le</strong> peut récupérer sa puissance par la magie.<br />
Dieu est l'âme du mon<strong>de</strong>, toutes <strong>le</strong>s âmes en sont émanées,<br />
comme <strong>le</strong>s rayons solaires émanent du so<strong>le</strong>il.<br />
Plotin, en expirant, disait : « Je fais un <strong>de</strong>rnier effort<br />
pour ramener ce qu'il y a <strong>de</strong> divin en moi à ce qu'il y<br />
a <strong>de</strong> divin dans l'univers. » C'est l'ancien stoïcisme;<br />
voyons ce que la nouvel<strong>le</strong> doctrine y ajoutait.<br />
La secte éc<strong>le</strong>ctique <strong>de</strong>s néoplatoniciens absorbant<br />
presque toutes <strong>le</strong>s sectes, excepté cel<strong>le</strong> d'Épicure déjà<br />
presque anéantie, <strong>le</strong> néoplatonisme emprunta au christianisme<br />
sa trinité, son médiateur, son verbe, ses<br />
anges, ses <strong>démon</strong>s, sa théorie <strong>de</strong> la grâce, sa pénitence,<br />
sa prière ; il eut ses inspirés, ses prophètes, ses prodiges.<br />
On retrouvait chez <strong>le</strong>s anciens quelque chose<br />
d'analogue à ceci, mais non tel que la doctrine néoplatonique<br />
l'enseigne.— La substance éthérée dont <strong>le</strong> rayon<br />
solaire est <strong>le</strong> principe prési<strong>de</strong> immédiatement à la conservation<br />
du mon<strong>de</strong> éternel ; au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> cette substance<br />
est <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> intelligib<strong>le</strong>; au <strong>de</strong>gré suprême,<br />
Dieu: <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il est au mon<strong>de</strong> visib<strong>le</strong> ce que Dieu est à<br />
l'égard du mon<strong>de</strong> intelligib<strong>le</strong>. H y a dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> supérieur<br />
un so<strong>le</strong>il <strong>de</strong> vérité dont la lumière, qui est l'action<br />
d'un esprit pur, propage la clarté dans l'univers.<br />
(Julien, Panég. du so<strong>le</strong>il. —Mém. <strong>de</strong> l'Acad. <strong>de</strong>s inscr.)<br />
L'homme s'élève à Dieu par l'extase, qui réduit l'âme<br />
à l'état d'essence pure ; il lui est révélé ce qu'il n'est pas<br />
donné à <strong>l'homme</strong> <strong>de</strong> connaître par lui-même ; — c'était<br />
<strong>le</strong> délire (uWa) <strong>de</strong> Platon, auquel l'âme parvient par la<br />
théurgie, qui établit l'unification <strong>avec</strong> Dieu par l'extase.<br />
— Dans <strong>le</strong> mysticisme <strong>de</strong> Plotin, <strong>l'homme</strong> se trouvait<br />
donc changé en Dieu, et nous verrons dans Jamblique<br />
que la théurgie lui en communique la puissance. Ainsi la<br />
nouvel<strong>le</strong> philosophie ressuscite <strong>le</strong>s anciennes croyances,
298 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
en <strong>le</strong>ur faisant subir <strong>de</strong>s modifications. Tous <strong>le</strong>s efforts<br />
<strong>de</strong> la philosophie l'ont conduite, après <strong>de</strong> longues<br />
étu<strong>de</strong>s, à avouer qu'el<strong>le</strong> ne peut rien savoir, puis à reconnaître<br />
, après <strong>le</strong>s erreurs <strong>de</strong> plusieurs sièc<strong>le</strong>s, que<br />
<strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s traditions étaient encore ce qu'il y avait <strong>de</strong><br />
meil<strong>le</strong>ur.<br />
Tliéurgie : à quel signe on distinguait <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s mauvais esprits.<br />
Variété <strong>de</strong>s opinions entre Plotin, Porphyre, Jambtique, etc.<br />
La théurgie (V. Hist. <strong>de</strong> l'Acadêm., art. Théurgie)<br />
avait <strong>le</strong>s mômes rites que <strong>le</strong>s anciens mystères, el<strong>le</strong><br />
produisait <strong>le</strong>s mômes merveil<strong>le</strong>s ; Porphyre et Jamblique,<br />
qui s'étaient fait initier à E<strong>le</strong>usis, nous l'apprennent.<br />
<strong>Le</strong>s mêmes divinités y étaient invoquées ; nonseu<strong>le</strong>ment<br />
on y retrouvait ces dieux qui autorisent<br />
<strong>le</strong>s vices, mais on voyait qu'on ne <strong>le</strong>s sert bien qu'en se<br />
livrant à toute la fougue <strong>de</strong>s passions, et cependant, par<br />
une contradiction qu'on a déjà dû remarquer, pour parvenir<br />
à cet état divin où l'âme, dégagée <strong>de</strong>s liens corporels,<br />
voit l'essence divine et est unie <strong>avec</strong> el<strong>le</strong> intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>ment<br />
, il fallait recourir à la médiation <strong>de</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s, employer la prière, <strong>le</strong>s ablutions, <strong>le</strong>s parfums,<br />
la pratique <strong>de</strong>s sacrifices et gar<strong>de</strong>r la continence.<br />
Pour réussir, on ^<strong>de</strong>vait observer exactement<br />
tout ce que prescrivait <strong>le</strong> formulaire. <strong>Des</strong> paro<strong>le</strong>s qui<br />
n'appartenaient à aucune langue et n'avaient aucun<br />
sens étaient prononcées ; dès la plus haute antiquité,<br />
el<strong>le</strong>s avaient passé chez <strong>le</strong>s Grecs : Porphyre en témoignait<br />
un jour sa surprise à Jamblique; celui-ci lui assura<br />
que ces mots bizarres avaient une signification pour<br />
<strong>le</strong>s dieux et n'en étaient même que plus respectab<strong>le</strong>s.<br />
<strong>Le</strong>s Égyptiens, <strong>le</strong>s Assyriens s'en servirent <strong>le</strong>s premiers,<br />
dit-il, et <strong>le</strong>s cérémonies perdraient toute <strong>le</strong>ur
AVEC LE DÉMON. 299<br />
vertu si on y substituait <strong>de</strong>s rites nouveaux et d'autres<br />
paro<strong>le</strong>s. On s'est relâché sur ce point dans <strong>le</strong>s temps<br />
mo<strong>de</strong>rnes... —Qu'est-il arrivé? —<strong>Le</strong>s évocations restaient<br />
sans effet.<br />
Porphyre 1<br />
, croyant à <strong>de</strong> bons et à <strong>de</strong> mauvais <strong>démon</strong>s,<br />
était d'avis qu'il fallait apaiser ces <strong>de</strong>rniers,<br />
mais se délivrer <strong>de</strong> tout ce qui <strong>le</strong>ur est soumis ; c'est<br />
pourquoi il recomman<strong>de</strong> l'abstinence. — Jamblique eut<br />
<strong>de</strong>s <strong>rapports</strong> plus intimes <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux que Porphyre;<br />
sa science théurgique l'emportait sur cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier,<br />
qui <strong>le</strong> consulta sur divers sujets qui l'embarrassaient.<br />
Ainsi il lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pourquoi, après avoir invoqué <strong>le</strong>s<br />
bons esprits, on comman<strong>de</strong> aux mauvais d'exécuter <strong>le</strong>s<br />
volontés injustes <strong>de</strong>s hommes ; il est surpris qu'on <strong>le</strong>ur<br />
fasse <strong>de</strong>s menaces pour <strong>le</strong>s contraindre. — Porphyre ne<br />
niait pas <strong>le</strong>s apparitions <strong>de</strong>s dieux pendant la célébration<br />
<strong>de</strong>s mystères; mais la difficulté <strong>de</strong> discerner <strong>le</strong>s bons<br />
esprits <strong>de</strong>s mauvais <strong>le</strong> troublait ; il interroge Jamblique<br />
sur l'opinion <strong>de</strong> ceux qui pensent que toutes <strong>le</strong>s prédictions<br />
émanent <strong>de</strong>s mauvais <strong>démon</strong>s; Apulée était <strong>de</strong> ce<br />
nombre ; on a vu qu'il <strong>le</strong>ur attribuait <strong>le</strong>s passions <strong>de</strong><br />
<strong>l'homme</strong>, <strong>le</strong>s prédictions <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins et <strong>le</strong>s opérations<br />
<strong>de</strong> la magie. Porphyre paraissait adopter ce sentiment<br />
et penser que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins recevaient <strong>le</strong>ur pouvoir d'esprits<br />
fourbes qui prennent toutes sortes <strong>de</strong> formes,<br />
etc.... Porphyre propose ainsi à Jamblique différentes<br />
difficultés qu'il est impossib<strong>le</strong> d'analyser toutes<br />
ici.<br />
Jamblique, dans son Traité <strong>de</strong>s mystères, donne <strong>de</strong>s<br />
I. Ce philosophe, discip<strong>le</strong> <strong>de</strong> Plotin, outre ses connaissances théurgiques,<br />
avait un savoir qui. dit-on, s'étendait à tout. Il a fait un grand<br />
nombre d'ouvrages. <strong>Le</strong> plus célèbre est celui qu'il composa contre <strong>le</strong>s<br />
chrétiens; <strong>le</strong> plus dangereux sans doute, et <strong>le</strong> plus répandu, puisqu'une<br />
partie <strong>de</strong>s saints Pères s'occupa <strong>de</strong> <strong>le</strong> réfuter.
300 DBS RAPPORTS DE L'HOMME<br />
règ<strong>le</strong>s pour discerner <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s bons ou <strong>de</strong>s mauvais<br />
<strong>démon</strong>s. <strong>Le</strong>s dieux apparaissent, dit-il, quand on<br />
<strong>le</strong>s évoque, <strong>le</strong>s uns sous une forme, <strong>le</strong>s autres sous<br />
une autre (il ne paraît pas que Porphyre é<strong>le</strong>vât <strong>de</strong> difficulté<br />
sur <strong>le</strong>ur apparition). La forme <strong>de</strong>s dieux est nob<strong>le</strong>,<br />
majestueuse, et ne cause que <strong>de</strong> la joie; il en est <strong>de</strong><br />
même <strong>de</strong>s bons <strong>démon</strong>s, quoique <strong>le</strong>ur aspect soit moins<br />
nob<strong>le</strong>. Mais l'apparition <strong>de</strong>s mauvais est effrayante;<br />
spectres bizarres, ils changent souvent <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur et<br />
<strong>de</strong> forme : tandis que <strong>le</strong>s premiers donnent au corps la<br />
santé, à l'esprit l'énergie et la sérénité, <strong>le</strong>s mauvais ne<br />
causent que <strong>de</strong> la terreur et du mal.— On ne peut suivre<br />
Jamblique dans son exposé; disons, après lui, que la<br />
beauté distingue <strong>le</strong>s dieux; qu'une lumière que <strong>le</strong>s<br />
yeux ne peuvent fixer, brillante comme jamais on<br />
n'en vit, rayonne autour d'eux et semb<strong>le</strong> illuminer<br />
l'univers; cel<strong>le</strong> qui reluit autour <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s a moins<br />
d'éclat; cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s mauvais a quelque chose d'obscur,<br />
d'opaque, <strong>de</strong> circonscrit, dont <strong>le</strong>s spectateurs qui ont<br />
vu <strong>le</strong> feu divin feront peu <strong>de</strong> cas. Celui <strong>de</strong>s dieux ne<br />
change pas; celui <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s est changeant, tumultueux...<br />
La vue <strong>de</strong>s dieux inspire une joie ineffab<strong>le</strong>,<br />
l'amour divin...; l'arrivée <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s n'inspire que<br />
<strong>de</strong>s goûts matériels, l'appétit vénérien, etc..<br />
Porphyre dit que l'opinion commune est que <strong>le</strong>s<br />
anges et <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s apparaissent <strong>avec</strong> la môme ostentation<br />
que <strong>le</strong>s dieux : Cum apparent ostentare se et jac'<br />
tare mirificc. Jamblique répond que <strong>le</strong>s dieux ne permettraient<br />
pas aux intelligences <strong>de</strong> paraître plus qu'el<strong>le</strong>s<br />
ne sont effectivement : Neque possunt sibi ultra qiiam<br />
sint arrogare. Il reconnaît cependant que si <strong>le</strong> ministre<br />
ne remplissait pas toutes <strong>le</strong>s conditions voulues pour<br />
la théurgie, <strong>le</strong>s mauvais <strong>démon</strong>s pourraient se présenter<br />
à la place <strong>de</strong>s Ions et s'arroger une qualité
AVEC LE DÉMON. 301<br />
qu'ils n'ont pas ; il faut donc que <strong>le</strong>s prêtres examinent<br />
<strong>le</strong>s apparitions d'après toutes <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s, qu'ils se<br />
souviennent que la jactance n'appartient pas aux bons<br />
esprits, et qu'ils se gar<strong>de</strong>nt surtout <strong>de</strong> s'écarter du<br />
rituel. 11 dit enfin que si <strong>le</strong>s mauvais esprits trompent,<br />
<strong>le</strong>s bons se reconnaissent toujours par <strong>le</strong> feu, qui ne<br />
peut tromper : Circa ignem veridici. (Extrait du chapitre<br />
Quando alia numina appareant, etc.)<br />
Jamblique explique pourquoi on prie tantôt <strong>le</strong>s esprits<br />
comme <strong>de</strong>s maîtres, et tantôt on <strong>le</strong>ur comman<strong>de</strong><br />
comme à <strong>de</strong>s va<strong>le</strong>ts : « Il y a autour <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>s esprits<br />
médiateurs qui inspirent aux hommes la justice et <strong>le</strong>s<br />
détournent <strong>de</strong> ce qui est injuste, et qui renvoient aux<br />
méchants ce qu'ils voudraient faire souffrir aux autres,<br />
comme il existe <strong>de</strong>s intelligences malignes et malavisées,<br />
auxquel<strong>le</strong>s il n'est départi que <strong>le</strong> pouvoir d'agir.<br />
En invoquant tous <strong>le</strong>s esprits, on s'adresse à ceux qui<br />
peuvent tout comme à ceux qui ne peuvent qu'une<br />
seu<strong>le</strong> chose, mais à ces <strong>de</strong>rniers comme à <strong>de</strong>s inférieurs;<br />
car la nature humaine qui est intelligente est<br />
plus nob<strong>le</strong> que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> ces esprits qui ne l'est pas,<br />
quoiqu'ils aient sur <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> un pouvoir plus étendu<br />
que <strong>l'homme</strong> ; <strong>le</strong> prêtre est donc là non-seu<strong>le</strong>ment un<br />
homme, mais <strong>le</strong> représentant <strong>de</strong>s dieux, en vertu du<br />
mandat qu'il tient du sacrifice qui lui donne <strong>le</strong> pouvoir<br />
<strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r aux esprits inférieurs.»<br />
Jamblique dit que la bonté <strong>de</strong>s dieux pour <strong>l'homme</strong><br />
est si admirab<strong>le</strong> que <strong>le</strong> moindre rapport <strong>avec</strong> eux suffit<br />
pour qu'ils nous écoutent.<br />
L'observance <strong>de</strong> ce qui était ordonné pour obtenir<br />
l'union <strong>avec</strong> la divinité conférait <strong>le</strong> pouvoir qu'on nommait<br />
virtus sacramentorum, puissance admirab<strong>le</strong> qui<br />
n'était connue que <strong>de</strong>s dieux. — On ne peut rien extraire<br />
<strong>de</strong> ce chapitre.
302 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>Le</strong> pouvoir <strong>de</strong> prédire, selon Jamblique, n'appartient<br />
ni à l'art, ni à la nature ; mais on doit <strong>le</strong> rapporter<br />
aux dieux : Potestas prœsaga refertur ad <strong>de</strong>os.<br />
Après avoir reconnu que <strong>le</strong>s songes sont dus à diverses<br />
causes naturel<strong>le</strong>s, Jamblique dit que ceux qui<br />
viennent <strong>de</strong>s dieux n'arrivent pas comme <strong>le</strong>s premiers;<br />
on peut <strong>le</strong>s avoir môme dans la veil<strong>le</strong>, alors on entend<br />
<strong>de</strong>s voix qui disent brièvement ce qu'on doit faire.<br />
Il traite ensuite <strong>de</strong> l'inspiration pendant la veil<strong>le</strong>;<br />
Porphyre avait parlé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux genres d'inspiration, l'un<br />
dans <strong>le</strong> sommeil, l'autre dans la veil<strong>le</strong> qui faisaient<br />
prédire l'inspiré. Jamblique dit que celui qui semb<strong>le</strong><br />
être dans <strong>le</strong> sommeil ne dort pas, et que celui qui paraît<br />
éveillé n'est pas proprement dans l'état <strong>de</strong> veil<strong>le</strong>...<br />
<strong>le</strong>ur vie est sous l'empire du dieu qui donne l'inspiration.<br />
Dans <strong>le</strong> chapitre Inspivatus habet <strong>de</strong>um pro anima,<br />
Jamblique dit : <strong>Le</strong> plus grand signe <strong>de</strong> l'inspiration,<br />
c'est <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>scendre l'esprit, et d'être conduit et<br />
enseigné mystiquement par lui. L'inspiré, avant <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />
recevoir, voit une certaine apparence <strong>de</strong> feu ; quelquefois<br />
<strong>le</strong>s spectateurs <strong>le</strong> voient comme lui, soit quand<br />
il arrive, soit quand il se retire : —Advenicnte sive rece<strong>de</strong>n<strong>le</strong>.<br />
— Ceux qui sont experts dans ces choses distinguent<br />
à quel ordre appartient <strong>le</strong> dieu et quel<strong>le</strong> est sa<br />
puissance... L'inspiré ne fait et ne dit rien par luimôme<br />
étant entièrement conduit par l'esprit divin.<br />
Porphyre disait que l'inspiration était un mouvement<br />
<strong>de</strong> l'âme uni au souff<strong>le</strong> divin; Jamblique soutient<br />
qu'il n'y a rien d'humain, mais la divinité s'empare<br />
<strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s puissances <strong>de</strong> l'âme. Jamblique expose<br />
<strong>le</strong>s divers sentiments relatifs à la cause qui fait <strong>de</strong>viner;<br />
— el<strong>le</strong> n'appartient, dit-il, ni au corps ni à l'âme, il<br />
eu donne <strong>le</strong>s raisons. La cause, ce sont <strong>le</strong>s dieux qui
AVEC LE DÉMON. 303<br />
<strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt en nous, qui s'emparent <strong>de</strong> tons nos organes,<br />
et qui par<strong>le</strong>nt par la bouche <strong>de</strong> celui qui est<br />
transporté <strong>de</strong> la fureur sacrée : Per os furentis.<br />
Porphyre pensait que <strong>le</strong>s dieux étaient contraints<br />
par <strong>l'homme</strong> qui <strong>le</strong>s évoque, Jamblique nie qu'il en<br />
soit ainsi. L'invocation rapproche <strong>le</strong> prêtre du dieu<br />
par une sorte d'assimilation, mais il ne fait pas vio<strong>le</strong>nce<br />
à la divinité.<br />
<strong>Le</strong>s prodiges et <strong>le</strong>s divinations n'ont lieu par aucune<br />
vertu ni <strong>de</strong>s actes, ni <strong>de</strong>s corps, ni <strong>de</strong> l'âme, mais par<br />
la libre puissance <strong>de</strong> Dieu, ce que Jamblique expose<br />
dans cinq pages. Douze autres pages traitent <strong>de</strong>s songes<br />
divins et humains.<br />
Porphyre consulte encore Jamblique sur une opinion<br />
qu'il ûe partage pas, qui attribuait <strong>le</strong>s prédictions et<br />
<strong>le</strong>s guérisons aux mauvais <strong>démon</strong>s qui feignent être <strong>de</strong>s<br />
dieux ou <strong>de</strong> grands <strong>démon</strong>s, ou <strong>de</strong>s âmes <strong>de</strong> trépassés.<br />
Quoique Jamblique se fasse une sorte <strong>de</strong> scrupu<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
mélanger <strong>le</strong> sacré <strong>avec</strong> <strong>le</strong> profane, il répond : Que <strong>le</strong>s<br />
sages <strong>de</strong> Chaldée lui ont appris que <strong>le</strong>s dieux accordaient<br />
aux bons par <strong>le</strong>s sacrifices <strong>le</strong> vrai bien, et que<br />
<strong>le</strong>ur présence chassait <strong>le</strong>s mauvais comme la lumière<br />
dissipe <strong>le</strong>s ténèbres. Un sacrificateur pieux ne peut être<br />
troublé par eux, celui qui serait vicieux, qui n'observerait<br />
pas <strong>le</strong>s rites, ne pourrait faire venir <strong>le</strong>s dieux.<br />
<strong>Le</strong>s mauvais <strong>démon</strong>s accourraient, il serait aussitôt<br />
rempli d'un esprit fort méchant, <strong>le</strong>s prêtres profanes<br />
<strong>de</strong>viendraient dissolus et méchants comme lui...—Dans<br />
<strong>le</strong>s sacrifices légaux cela n'arrive pas, <strong>le</strong>s dieux embrasent<br />
<strong>le</strong> ministre <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur feu divin et <strong>le</strong>s méchants<br />
<strong>démon</strong>s disparaissent comme la foudre. Vous avez donc<br />
agi témérairement, ô Porphyre ! lui dit Jamblique en<br />
rappelant l'opinion <strong>de</strong> ceux qui attribuent la divination<br />
aux mauvais <strong>démon</strong>s : sachez que ceux-ci sont dès <strong>le</strong>
304 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
commencement dans <strong>le</strong>s ténèbres, et ne peuvent ni<br />
discerner <strong>le</strong> vrai du faux, ni comprendre <strong>le</strong>s causes<br />
<strong>de</strong>s événements.<br />
Ceci n'étant qu'un extrait fort tronqué, ne doit pas<br />
empêcher <strong>le</strong>s <strong>le</strong>cteurs curieux <strong>de</strong> connaître <strong>le</strong> sujet si<br />
intéressant du merveil<strong>le</strong>ux chez <strong>le</strong>s néoplatoniciens,<br />
<strong>de</strong> recourir à Jamblique ; il nous reste à par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s<br />
prodiges <strong>de</strong> la théurgie. —On a déjà parlé au chapitre<br />
<strong>de</strong>s mystères <strong>de</strong>s apparitions <strong>de</strong>s dieux ; quoique forcé<br />
d'être court, nous en dirons encore ici quelques mots<br />
pour donner une idée plus complète du pouvoir conféré<br />
aux prêtres dans <strong>le</strong>s mystères.<br />
Jamblique, pontife <strong>de</strong>s mystères secrets, répond à<br />
Porphyre, qui lui <strong>de</strong>mandait plusieurs éclaircissements<br />
sur divers points faisant <strong>le</strong> sujet d'une <strong>le</strong>ttre adressée à<br />
Anebon : après avoir dit que c'est par la théurgie que<br />
l'âme se dégage <strong>de</strong> ses liens charnels, après avoir dit<br />
que <strong>le</strong>s anges entourent en grand nombre ceux qui exercent<br />
<strong>le</strong> ministère sacré et <strong>le</strong>s élèvent à un état divin, il<br />
expose qu'ils ne sont plus maîtres d'eux-mêmes, ils<br />
prédisent l'avenir, par<strong>le</strong>nt un langage divin, ne vivent<br />
plus <strong>de</strong> la vie anima<strong>le</strong>... <strong>Le</strong> feu n'a plus <strong>de</strong> pouvoir sur<br />
eux, ils peuvent marcher sur <strong>de</strong>s brasiers ar<strong>de</strong>nts sans<br />
<strong>le</strong> sentir, <strong>le</strong> dieu qui <strong>le</strong>s anime en repousse l'ar<strong>de</strong>ur ;<br />
s'ils en éprouvent <strong>le</strong>s atteintes, il ne <strong>le</strong>ur cause nul<strong>le</strong><br />
dou<strong>le</strong>ur, ils sont insensib<strong>le</strong>s aux piqûres et aux écorchures.<br />
11 y a plus, ils sont invulnérab<strong>le</strong>s, on <strong>le</strong>s perce<br />
<strong>avec</strong> <strong>de</strong>s lances et <strong>de</strong>s épées, il n'en reste pas <strong>de</strong> vestiges;<br />
<strong>le</strong>urs actions n'étant plus humaines, ils peuvent<br />
passer dans <strong>de</strong>s lieux impénétrab<strong>le</strong>s, inaccessib<strong>le</strong>s...,<br />
marcher sur <strong>le</strong>s eaux comme sur <strong>de</strong>s chemins soli<strong>de</strong>s ;<br />
tous n'opèrent pas <strong>le</strong>s mêmes prodiges, <strong>le</strong>s opérations<br />
et <strong>le</strong>urs effets diffèrent selon <strong>le</strong>s personnes.... Chez <strong>le</strong>s<br />
uns, tous <strong>le</strong>s membres du corps sont agités à la fois,
AVEC LE DÉMON. 305<br />
d'autres n'éprouvent <strong>de</strong>s mouvements convulsifs que<br />
dans un seul membre. A ces mouvements divers succè<strong>de</strong><br />
un repos profond, un calme subit; dans cet état<br />
ils enten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s bruits <strong>de</strong> toute sorte, mélodieux, effrayants,<br />
lugubres ; tantôt ce sont <strong>de</strong>s voix qui chantent<br />
en chœur, tantôt <strong>de</strong>s voix discordantes, continues,<br />
ou <strong>avec</strong> interruption... Parmi ces inspirés, <strong>le</strong>s uns se<br />
livrent à <strong>de</strong>s danses, d'autres à <strong>de</strong>s chants... Il en est<br />
dont <strong>le</strong> corps grandit parfois comme un colosse,<br />
d'autres fois il se rapetisse comme celui d'un enfant....<br />
On voit <strong>le</strong>s uns s'é<strong>le</strong>ver en l'air, se diriger horizonta<strong>le</strong>ment,<br />
puis, se laissant tomber, ils ne sont point b<strong>le</strong>ssés...;<br />
tout cela n'effraye personne, car ce prodige se<br />
manifeste souvent. La plus insigne marque d'intervention<br />
divine, c'est <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>scendre l'esprit, comme<br />
on l'a dit précé<strong>de</strong>mment.<br />
On ne peut rapporter ici <strong>le</strong>s réponses que donne<br />
Jamblique aux diverses questions que lui fait Porphyre ;<br />
—Ce <strong>de</strong>rnier pensait que l'âme <strong>de</strong>vinait dans <strong>le</strong>s songes.<br />
Jamblique lui répond que <strong>le</strong>s songes qui viennent <strong>de</strong><br />
causes humaines ne sont pas véritab<strong>le</strong>s ou ne se réalisent<br />
que par hasard.<br />
Porphyre, outre <strong>le</strong>s prédictions ou <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s obtenus<br />
publiquement, par<strong>le</strong> <strong>de</strong>s divinations particulières faites<br />
par certains moyens qui attirent <strong>le</strong>s esprits pour prédire.<br />
Jamblique <strong>le</strong>s rejette; ceux qui se confient, dit-il,<br />
à ces signes négligent la religion et ne peuvent communiquer<br />
<strong>avec</strong> la Divinité, qui fait seu<strong>le</strong> <strong>de</strong> véritab<strong>le</strong>s prédictions<br />
; ils tombent sous la puissance <strong>de</strong>s mauvais<br />
<strong>démon</strong>s qui mentent et trompent..., qui mentiuntur et<br />
falluni, etc.<br />
Jamblique dit plus loin que <strong>le</strong>s dieux donnent <strong>de</strong>s<br />
signes qui annoncent l'avenir par <strong>le</strong> ministère <strong>de</strong> la nature<br />
universel<strong>le</strong> ou par <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s ministres<br />
i- 20
306 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
qui gouvernent toute la nature, selon la volonté <strong>de</strong>s<br />
dieux. Ils opèrent <strong>de</strong>s changements dans <strong>le</strong>s viscères<br />
<strong>de</strong>s victimes pour avertir <strong>le</strong>s hommes. Il est manifeste<br />
que cela se fait par opération divine, car souvent on<br />
ne trouve plus <strong>le</strong>s organes indispensab<strong>le</strong>s à la vie,<br />
ils ont été en<strong>le</strong>vés subitement.<br />
Porphyre s'étonne que <strong>le</strong>s dieux révè<strong>le</strong>nt l'avenir<br />
par la farine... — Jamblique lui répond qu'ils <strong>le</strong> font<br />
par un excès <strong>de</strong> bonté ; la Provi<strong>de</strong>nce est si disposée à<br />
nous annoncer l'avenir par divers signes que <strong>le</strong>s pierres,<br />
<strong>le</strong>s baguettes, <strong>le</strong> bois, <strong>le</strong> froment, la farine, etc., sont<br />
pour el<strong>le</strong> <strong>de</strong>s moyens : el<strong>le</strong> anime <strong>le</strong>s objets inanimés,<br />
donne <strong>le</strong> mouvement aux choses inertes et l'intelligence<br />
à ce qui est dépourvu <strong>de</strong> raison. La Divinité qui<br />
par<strong>le</strong> dans la bouche <strong>de</strong>s fous se sert ainsi <strong>de</strong>s choses<br />
<strong>le</strong>s plus vi<strong>le</strong>s, etc. Impiratus... habet Deum pro anima.<br />
S'il était permis <strong>de</strong> continuer cet examen, on verrait<br />
que la science du discip<strong>le</strong> l'emporte sur cel<strong>le</strong> du<br />
maître. Porphyre est éclairé ainsi par Jamblique sur différents<br />
points <strong>de</strong> la doctrine religieuse. Cependant <strong>le</strong>s<br />
sentiments <strong>de</strong> Jamblique n'étaient pas généra<strong>le</strong>ment<br />
admis, <strong>le</strong>s païens n'étaient pas d'accord sur tous <strong>le</strong>s<br />
chefs : l'un avait une opinion que l'autre rejetait, parce<br />
que <strong>le</strong>ur commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux <strong>le</strong>s trompait; tout<br />
y était ténébreux et contradictoire. •<br />
L'auteur <strong>de</strong>s Orac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Zoroastre, en attestant aussi<br />
<strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong> la théurgie, indique ce qu'on doit faire<br />
suivant la forme que prennent <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s : « Quelquefois<br />
, dit-il, vous verrez dans <strong>le</strong>s mystères sacrés <strong>de</strong>s<br />
temp<strong>le</strong>s un feu d'une figure et d'une cou<strong>le</strong>ur étrange qui<br />
passe <strong>avec</strong> rapidité ; vous enten<strong>de</strong>z <strong>de</strong>s voix confuses,<br />
<strong>avec</strong> un bruit, un fracas qui ressemb<strong>le</strong> à celui du tonnerre;<br />
vous apercevez, au milieu <strong>de</strong>s flammes, un coursier<br />
fougueux monté par un cavalier nu, d'autres fois
AVEC LE DÉMON. 307<br />
<strong>avec</strong> <strong>de</strong>s vêtements resp<strong>le</strong>ndissants d'or... Un moment<br />
après, tout est dans <strong>le</strong> troub<strong>le</strong> et dans l'horreur, <strong>le</strong> ciel<br />
n'aplus sa forme sphérique, <strong>le</strong>s astres ne donnent plus <strong>de</strong><br />
lumière, la lune apparaît toute noire, la terre tremb<strong>le</strong>,<br />
il sort <strong>de</strong> son sein <strong>de</strong>s chiens ou d'autres animaux menaçants<br />
qui effrayent, etc. Mais ce sont <strong>le</strong>s dieux qui<br />
vous présentent ces choses et vous honorent <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur visite;<br />
pour la mériter, il faut que votre âme soit purifiée<br />
par <strong>le</strong>s sacrifices. » — Il paraît donc que l'auteur <strong>de</strong> ce<br />
fragment ne possédait pas, pour discerner <strong>le</strong>s esprits,<br />
<strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jamblique, puisque ces apparitions, qui<br />
étaient pour lui toutes divines, n'étaient, d'après <strong>le</strong> sage<br />
<strong>de</strong> Chaldée, que <strong>de</strong>s apparitions <strong>de</strong> mauvais esprits. On<br />
croyait généra<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s était<br />
tout terrestre. Celse, Apulée, pensaient qu'en étudiant<br />
la magie théurgique, il fallait se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> trop se livrer<br />
à l'amour <strong>de</strong>s choses corporel<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s sages avertissaient<br />
que presque tous <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s avaient une passion<br />
désordonnée pour lès voluptés charnel<strong>le</strong>s, étaient avi<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong> sang et <strong>de</strong> sacrifices, couraient après <strong>le</strong>s concerts, ne<br />
pouvaient rien opérer <strong>de</strong> mieux que <strong>de</strong>s guérisons, faire<br />
<strong>de</strong>s prédictions et tout ce qui concerne la vie périssab<strong>le</strong>.<br />
Il est constant qu'il n'y avait rien <strong>de</strong> bien fixe sur certains<br />
points <strong>de</strong> la théurgie ; quelques-uns y voyaient encore<br />
une cause naturel<strong>le</strong> jointe à l'influx divin; mais <strong>le</strong>s<br />
plus instruits n'y voyaient que la Divinité s'emparant<br />
<strong>de</strong>s prophètes ou <strong>de</strong>vins; grand nombre <strong>de</strong> passages<br />
dans Jamblique, instruit aux bonnes sources, viennent<br />
<strong>le</strong> prouver.<br />
Ils différaient ainsi <strong>de</strong> sentiment dans <strong>le</strong> discernement<br />
<strong>de</strong>s esprits et ne distinguaient pas faci<strong>le</strong>ment la<br />
ihéurgie <strong>de</strong> la goétie, source <strong>de</strong> difficultés insurmontab<strong>le</strong>s,<br />
d'autant plus graves que <strong>le</strong>s opinions mêmes <strong>de</strong>s
308 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
plus savants étaient parfois fort opposées entre el<strong>le</strong>s.<br />
— Vous préten<strong>de</strong>z qu'on doit regar<strong>de</strong>r comme <strong>de</strong>s magiciens<br />
<strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Pythagore et d'Orphée,<br />
disait Apollonius <strong>de</strong> Tyane, et vous attachez à ce titre<br />
l'idée la plus odieuse; moi je soutiens qu'ils sont <strong>le</strong>s<br />
plus fidè<strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jupiter, s'ils mènent, comme ils<br />
<strong>le</strong> doivent, une vie divine : quiconque n'est pas magicien<br />
est un athée... — Il entendait par<strong>le</strong>r sans doute <strong>de</strong><br />
la magie théurgique et non <strong>de</strong> la goétie ; car, pour<br />
cel<strong>le</strong>-ci, Philostrate dit qu'Apollonius avait <strong>de</strong>s sentiments<br />
d'horreur.<br />
Au milieu <strong>de</strong> ces opinions nécessairement divergentes,<br />
parce que <strong>le</strong>s dieux <strong>le</strong> voulaient ainsi; ce qu'on<br />
voit chez tous <strong>le</strong>s néoplatoniciens c'est la ferme croyance<br />
aux apparitions <strong>de</strong>s dieux, à l'existence <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
bons et mauvais, et <strong>de</strong>s âmes <strong>de</strong>s défunts qui, grossissant<br />
<strong>le</strong>ur nombre, apparaissaient comme <strong>le</strong>s dieux<br />
et <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ; la ferme croyance aux orac<strong>le</strong>s et aux<br />
diverses divinations, à tous <strong>le</strong>s prodiges enfin qui vont<br />
maintenant se multiplier, simu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s du christianisme<br />
et jeter ainsi <strong>le</strong> troub<strong>le</strong> chez <strong>le</strong>s nouveaux<br />
chrétiens. Parmi <strong>le</strong>s païens, <strong>le</strong>s uns prétendaient que<br />
<strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s mauvais <strong>démon</strong>s n'étaient que <strong>de</strong>s illusions<br />
ainsi que <strong>le</strong>ur apparition; <strong>le</strong>s vrais prodiges, <strong>le</strong>s<br />
apparitions réel<strong>le</strong>s n'appartenaient qu'aux dieux. Pour<br />
<strong>le</strong>s chrétiens, <strong>le</strong>s dieux et <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s étant <strong>le</strong>s mêmes, ils<br />
soutenaient que tous <strong>le</strong>s prodiges du paganisme étaient<br />
<strong>de</strong>s impostures diaboliques, et que <strong>le</strong>s païens <strong>de</strong>venaient<br />
<strong>le</strong> jouet <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s 1<br />
.<br />
l. Jamblique dit que <strong>le</strong>s apparitions <strong>de</strong>s dieux ne sont point fantastiques,<br />
mais réel<strong>le</strong>s ; tandis que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s mauvais esprits est imaginaire<br />
et trompeuse.
AVEC LE DÉMON. 309<br />
<strong>Des</strong> objets animés par la Divinité et surtout <strong>de</strong>s talismans.<br />
En parlant du merveil<strong>le</strong>ux chez <strong>le</strong>s néoplatoniciens,<br />
on ne peut passer sous si<strong>le</strong>nce ce qui fait <strong>le</strong> sujet <strong>de</strong> ce<br />
paragraphe. <strong>Le</strong>s néoplatoniciens, comme discip<strong>le</strong>s d'Orphée,<br />
<strong>de</strong> Pythagore, etc., qui avaient donné aux Grecs la<br />
pratique <strong>de</strong>s talismans, <strong>de</strong>vaient y attacher la môme importance<br />
que ces <strong>de</strong>rniers. — La théurgie, outre la purification<br />
<strong>de</strong> l'âme, perfectionnait <strong>le</strong>s ôtres corporels, <strong>le</strong>s<br />
mettait dans un rapport convenab<strong>le</strong> <strong>avec</strong> la nature universel<strong>le</strong>.<br />
L'art <strong>de</strong> la théurgie consistait à trouver <strong>le</strong>s<br />
moyens <strong>de</strong> disposer <strong>le</strong>s pierres, <strong>le</strong>s métaux, <strong>le</strong>s parfums,<br />
tous <strong>le</strong>s corps enfin, à recevoir l'influence divine, par<br />
l'entremise <strong>de</strong>s esprits qui animent <strong>le</strong>s astres. Par certaines<br />
pratiques, ces corps étaient rendus sacrés, et se<br />
îrouvaient remplis <strong>de</strong> la Divinité qui venait rési<strong>de</strong>r en<br />
eux pour être uti<strong>le</strong> aux hommes. D'après ces principes,<br />
on fabriquait <strong>de</strong>s statues auxquel<strong>le</strong>s on attribuait, en<br />
vertu <strong>de</strong>s influences <strong>de</strong> l'astre, <strong>de</strong> vrais prodiges. Ainsi<br />
h statues parlaient, s'agitaient;... — <strong>avec</strong> une Vénus<br />
couchée on faisait cesser la grê<strong>le</strong>, etc. (De l'Is<strong>le</strong>, <strong>de</strong>s<br />
Talismans.) C'est pourquoi Apollonius laissait, en<br />
parcourant la Grèce, <strong>de</strong>s talismans partout où il passait.—<br />
Constantinop<strong>le</strong> étant extraordinairement fatiguée<br />
par <strong>le</strong>s serpents et <strong>le</strong>s scorpions, il grava sur <strong>le</strong><br />
cuivre <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> ces repti<strong>le</strong>s, en ayant soin d'observer<br />
la vertu planétaire, et aussitôt <strong>le</strong>s habitants furent<br />
délivrés. Ce fut aussi par un talisman qu'il empêcha<br />
<strong>le</strong>s inondations du f<strong>le</strong>uve Lyeus (Cedremis in Claud.);<br />
pouvoir admirab<strong>le</strong> reconnu <strong>de</strong>s la plus haute antiquité ;<br />
Trismégiste disait à Asclépius : « Considérez quel est <strong>le</strong><br />
pouvoir <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>; voyez ces statues animées qui<br />
rat un esprit qui <strong>le</strong>ur donne la vie..., qui font tant <strong>de</strong>,
340 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
gran<strong>de</strong>s choses..., qui envoient <strong>de</strong>s maladies et qui <strong>le</strong>s<br />
guérissent,» etc., etc. (S. Aug., Cité <strong>de</strong> Dieu, VIII,23.)<br />
Est-il bien constant que <strong>le</strong>s néoplatoniciens crussent à tant <strong>de</strong><br />
prodiges ?<br />
La première pensée qui se présente à l'esprit, c'est<br />
la question <strong>de</strong> savoir si, après une si longue incrédulité,<br />
à une époque <strong>de</strong> très-haute civilisation, <strong>de</strong>s hommes<br />
revêtus <strong>de</strong>s plus hautes charges <strong>de</strong> l'Etat, <strong>de</strong>s philosophes<br />
<strong>le</strong>s plus éclairés <strong>de</strong> ce temps, ont cru réel<strong>le</strong>ment<br />
aux prodiges du néoplatonisme ; s'ils n'ont pas plutôt<br />
feint d'y croire et favorisé <strong>le</strong>s jong<strong>le</strong>ries <strong>de</strong> quelques<br />
prestidigitateurs pour <strong>le</strong>s opposer aux mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s<br />
chrétiens. — Pour toute réponse, on pourrait inviter <strong>le</strong><br />
<strong>le</strong>cteur à parcourir <strong>le</strong>s historiens profanes, <strong>le</strong>s traités<br />
philosophiques, <strong>le</strong>s Pères <strong>de</strong> l'Eglise et <strong>le</strong>s historiens<br />
ecclésiastiques; car il ne douterait plus <strong>de</strong> l'entière conviction<br />
<strong>de</strong>s néoplatoniciens.<br />
Il est très-constant que <strong>le</strong>s platoniciens qui avaient<br />
été sceptiques, re<strong>de</strong>vinrent croyants aux prodiges dont<br />
ils furent <strong>le</strong>s acteurs ou <strong>le</strong>s témoins. Ce fut une raison<br />
pour réhabiliter tous ceux que l'épicurisme avait niés, et<br />
pour exhumer <strong>le</strong>s vieux prodiges et <strong>le</strong>s anciens orac<strong>le</strong>s;<br />
mais <strong>le</strong>s uns, comme Celsc, dans <strong>le</strong> but <strong>de</strong> faire douter<br />
<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s chrétiens comme on doutait <strong>de</strong>s prodiges<br />
païens; d'autres, enfin, fermement convaincus <strong>de</strong>s uns<br />
et <strong>de</strong>s autres, pour essayer, mais en vain, <strong>de</strong> <strong>démon</strong>trer<br />
la supériorité <strong>de</strong>s prodiges païens. — Celse, rappelant<br />
<strong>le</strong>s cures d'Esculape et <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s d'Apollon, disait:<br />
Pourquoi oublier <strong>le</strong>s prodiges d'Aristée, d'Abaris, <strong>de</strong><br />
Cléomèdc, tandis qu'on vante ceux <strong>de</strong> Jésus?... — <strong>Le</strong><br />
premier s'était montré à Cyzique un instant après qu'il<br />
se fut enfermé chez un foulon, à Proconèse; <strong>le</strong> se-
AVEC LE DÉMON. 311<br />
oond, comme on sait, chevauchait en l'air sur une flèche ;<br />
et <strong>le</strong> troisième, s'étant caché dans un coffre, s'y était<br />
rendu invisib<strong>le</strong> à ceux qui <strong>le</strong> poursuivaient, et l'orac<strong>le</strong><br />
avait déclaré que c'étaient là <strong>de</strong> vrais prodiges.<br />
Jésus connaissait la mauvaise vie <strong>de</strong> la femme adultère<br />
qu'il n'avait jamais vue. Plotin n'avait-il pas découvert<br />
<strong>le</strong> vol secret d'un collier <strong>de</strong> per<strong>le</strong>s... prédit la<br />
mort d'un <strong>de</strong> ses discip<strong>le</strong>s, et connu la résolution qu'avait<br />
prise Porphyre, dans sa mélancolie, <strong>de</strong> se faire<br />
mourir? Plotin ne voyait-il pas <strong>le</strong>s dieux, ne conversait-il<br />
pas familièrement <strong>avec</strong> eux? L'orac<strong>le</strong> ne déclarat-il<br />
pas après sa mort qu'il était au nombre <strong>de</strong>s divinités?<br />
Porphyre, moins favorisé <strong>de</strong>s dieux, ignorant,<br />
sceptique même sur quelques points, ne <strong>le</strong>s avait vus<br />
qu'une seu<strong>le</strong> fois ; cependant il avait chassé d'un bain<br />
<strong>le</strong> <strong>démon</strong> qui s'en était emparé, et obtenu un orac<strong>le</strong><br />
important... Mais Jamblique voyait souvent <strong>le</strong>s dieux;<br />
on l'a trouvé quelquefois, lorsqu'il était en contemplation,<br />
é<strong>le</strong>vé en l'air <strong>de</strong> dix coudées, et on a vu son corps<br />
bril<strong>le</strong>r <strong>de</strong> la plus vive lumière.<br />
Édèse, son discip<strong>le</strong>, n'a-t-il pas <strong>de</strong>s visions quand il<br />
veut, après avoir récité certaine prière? <strong>Le</strong>s dieux lui<br />
révè<strong>le</strong>nt l'avenir dans son sommeil, et un jour qu'il<br />
avait oublié ces divins orac<strong>le</strong>s, son va<strong>le</strong>t lui fit remarquer<br />
qu'ils étaient écrits sur <strong>le</strong> dos <strong>de</strong> sa main.<br />
Esculape apparaît en songe et guérit <strong>de</strong>s maladies :<br />
Jamblique, Julien, etc., l'assurent; il se fait tant <strong>de</strong><br />
choses extraordinaires, que cela surpasse tout ce qu'on<br />
peut en dire. — Ainsi s'exprimaient beaucoup <strong>de</strong> païens<br />
frappés <strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong>s néoplatoniciens : « Si <strong>le</strong>s<br />
simulacres que nous érigeons ne sont pas <strong>de</strong>s dieux,<br />
disaient - ils, pourquoi donc ont-ils tant <strong>de</strong> puissance?<br />
Est-il vraisemblab<strong>le</strong> que <strong>de</strong>s statues inanimées,<br />
immobi<strong>le</strong>s aient un tel pouvoir? » <strong>Le</strong>s dieux, disait
312 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Porphyre, sont dans <strong>le</strong>s statues comme dans un lieu<br />
saint ; Jamblique fit un ouvrage pour <strong>le</strong> prouver à ceux<br />
qui auraient pu en douter. »<br />
Celse faisait voir que la religion païenne était sanctionnée<br />
par <strong>le</strong>s opérations extraordinaires <strong>de</strong>s génies et<br />
par <strong>de</strong>s prédictions.<br />
« Est-il besoin, disait-il, <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s<br />
prophètes, <strong>de</strong>s inspirés ? Que <strong>de</strong> choses <strong>le</strong>s dieux<br />
n'ont-ils pas révélées à ceux qui <strong>le</strong>ur offraient <strong>de</strong>s<br />
victimes? Par combien <strong>de</strong> prodiges la Divinité n'at—el<strong>le</strong><br />
pas fait connaître qu'el<strong>le</strong> était présente dans<br />
<strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s... <strong>Le</strong>s dieux se sont montrés, ils ont puni<br />
ou récompensé, frappé <strong>le</strong>s uns <strong>de</strong> maladie, <strong>le</strong>s ont fait<br />
tomber en démence, et forcés d'avouer <strong>le</strong>urs crimes secrets...<br />
— D'autres ont été guéris, délivrés <strong>de</strong> la colère<br />
<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s... (Orig. c. Celse, VII, VIII.)— Qu'on se<br />
transporte dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Trophonius, d'Amphiaraiis,<br />
<strong>de</strong> Mopsus, où <strong>le</strong>s dieux apparaissent sous la<br />
forme humaine, réel<strong>le</strong>, évi<strong>de</strong>nte.— Ces prodiges étant<br />
actuels, il n'était guère possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> nier ceux <strong>de</strong>s temps<br />
passés. On pouvait se transporter à Tricca, Cos, Épidaure,<br />
Claros, Pergame, etc., où <strong>le</strong> souvenir <strong>de</strong> tant <strong>de</strong><br />
guérisons et <strong>de</strong> prédictions obtenues n'était point perdu.<br />
Mais si on veut être mieux assuré <strong>de</strong> cette profon<strong>de</strong><br />
conviction <strong>de</strong>s païens <strong>le</strong>s plus éclairés, dont plusieurs<br />
<strong>de</strong>vinrent chrétiens, on peut consulter Eusèbe, Athénagore,<br />
Maxime <strong>de</strong> Madaure, Ammien-Marcellin, Lucien,<br />
Celse, Mïïen, Tacite, Suétone, Dion, Eunape,<br />
Justin, Philostrate, Zozime, Valère-Maxime,» etc., etc.<br />
<strong>Le</strong>s païens avaient <strong>de</strong>s arguments non moins puissants<br />
[que <strong>le</strong>urs prodiges : « Comment vou<strong>le</strong>z-vous,<br />
disaient-ils aux chrétiens, que nous ajoutions foi à vos<br />
paro<strong>le</strong>s, et que nous abandonnions <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> nos dieux<br />
pour <strong>le</strong> vôtre (Minucius Félix)'! Ils rappelaient alors
AVEC LE DÉMON. 313<br />
<strong>le</strong>s bienfaits qu'ils en avaient reçus, en faisant envisager<br />
aux chrétiens <strong>le</strong>ur triste position, forcés d'errer<br />
çà et là, punis du <strong>de</strong>rnier supplice, etc. — <strong>Le</strong> Dieu <strong>de</strong>s<br />
Juifs est si inférieur aux nôtres, disaient-ils encore,<br />
que nous l'avons fait captif, ainsi que la nation qui<br />
l'adorait. » Puis ils se moquaient <strong>de</strong> la crédulité <strong>de</strong>s<br />
chrétiens, qui croient qu'une vierge a enfanté, que <strong>le</strong>s<br />
corps ressusciteront, qui ont reçu <strong>le</strong>ur doctrine <strong>de</strong>s<br />
Barbares... Ils <strong>le</strong>ur reprochaient jusqu'à <strong>le</strong>urs macérations,<br />
<strong>le</strong>urs jeûnes, <strong>le</strong>ur mépris <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong>s biens<br />
terrestres. Une accusation plus grave contre <strong>le</strong>s chrétiens,<br />
c'était d'égorger un enfant, <strong>de</strong> <strong>le</strong> manger, et,<br />
après avoir éteint <strong>le</strong>s lumières, <strong>de</strong> se livrer à d'infâmes<br />
impudicités. A ce sujet, saint Théophi<strong>le</strong>, patriarche<br />
d'Antioche, disait à Autolycus : «Malgré votre<br />
pru<strong>de</strong>nce, vous ajoutez foi à ce que vous disent <strong>de</strong>s<br />
insensés. Comment avez-vous pu croire <strong>le</strong>s faux bruits<br />
que <strong>le</strong>s impies ont répandus?... » — Pline fit une information<br />
juridique et reconnut la calomnie.— Mais ce mépris<br />
dont <strong>le</strong>s chrétiens étaient l'objet, la crédulité qu'on<br />
<strong>le</strong>ur reprochait, l'accusation <strong>de</strong> magie, <strong>le</strong>s horreurs<br />
dont on vient <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r, <strong>le</strong> reproche d'être la cause <strong>de</strong>s<br />
châtiments <strong>de</strong>s dieux, etc., s'opposaient,-concurremment<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s prodiges païens, à l'établissement du<br />
christianisme; cependant, en dépit <strong>de</strong> ces divers obstac<strong>le</strong>s,<br />
il triomphera. <strong>Le</strong>s apologistes nous apprendront<br />
par quels moyens <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s païens vont bientôt être<br />
renversés, malgré <strong>le</strong>s oppositions <strong>de</strong> toute nature, malgré<br />
l'intérêt <strong>de</strong>s prêtres à soutenir <strong>le</strong> néoplatonisme,<br />
etmalgré la ferme résolution <strong>de</strong>s magistrats, prêts à tout<br />
entreprendre pour écraser <strong>le</strong> nouveau culte. Quelques<br />
mauvais chrétiens, qui connaissaient <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s et la<br />
doctrine du christianisme, apostasièrent; ils pouvaient<br />
en divulguer <strong>le</strong>s secrets, et s'ils avaient reconnu <strong>de</strong>s
314 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
prestiges et <strong>de</strong>s impostures dans <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s dévoi<strong>le</strong>r;<br />
pourtant nul ne <strong>le</strong>s attaqua; <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong><br />
la théurgie osèrent lutter contre <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s<br />
contrefaire, mais nul n'osa en nier l'éclat. L'apparition<br />
d'une croix à Constantin et à son armée décida la<br />
conversion <strong>de</strong> cet empereur, qui favorisa <strong>le</strong>s progrès<br />
du christianisme, donna <strong>de</strong> la sp<strong>le</strong>n<strong>de</strong>ur à son culte<br />
et proscrivit l'idolâtrie. Ce n'est pas ici <strong>le</strong> lieu <strong>de</strong> <strong>démon</strong>trer<br />
la sincérité <strong>de</strong> la conversion <strong>de</strong> ce prince.<br />
Quatre historiens contemporains ont parlé <strong>de</strong> cette<br />
apparition qui remplit d'étonnement l'armée, qui en<br />
fut cllc-mômo témoin ; el<strong>le</strong> est attestée aussi par <strong>de</strong>s<br />
médail<strong>le</strong>s frappées en mémoire <strong>de</strong> cet événement.<br />
(Y. Euscb., Vie <strong>de</strong> Constantin.)<br />
L'épreuve <strong>de</strong>vait continuer, Satan <strong>de</strong>vait crib<strong>le</strong>r<br />
encore; Dieu ne voulait pas que <strong>le</strong> zè<strong>le</strong> <strong>de</strong>s vrais chrétiens<br />
pût se refroidir. Après trente ans <strong>de</strong> paix et <strong>de</strong><br />
triomphe, <strong>le</strong> christianisme <strong>de</strong>vint l'objet <strong>de</strong> la haine<br />
<strong>de</strong> Julien, qui ne renouvela point d'abord <strong>le</strong>s anciennes<br />
persécutions ; mais cet empereur, en rétablissant <strong>le</strong><br />
paganisme, en ôtant à l'Église du Christ ses privilèges,<br />
en excluant <strong>le</strong>s chrétiens <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s charges, en <strong>le</strong>ur<br />
défendant même l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s sciences, en tolérant ou<br />
excitant contre eux <strong>de</strong>s émeutes, en fomentant surtout<br />
<strong>le</strong>s hérésies, lui portait <strong>de</strong>s coups non moins funestes<br />
qu'en répandant <strong>le</strong> sang <strong>de</strong>s martyrs.<br />
Julien, Maxime, Libanius, etc.; <strong>le</strong>urs pratiques superstitieuses.<br />
S'il était possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> douter encore <strong>de</strong>s convictions<br />
<strong>de</strong>s néoplatoniciens, on pense que <strong>le</strong> doute ne serait<br />
plus permis en lisant la Vie <strong>de</strong> Julien.<br />
Julien, qui était chrétien, re<strong>de</strong>vint païen.— D'où vint<br />
cette apostasie? — Né <strong>avec</strong> un esprit vif, un désir insa-
AVEC LE DÉMON. 315<br />
tiab<strong>le</strong> <strong>de</strong> tout connaître, il voulut étudier la philosophie,<br />
qui, comme on sait, était unie à la théurgie; il<br />
avait conservé aussi, dit-on, un secret penchant pour<br />
l'ancien culte. —La philosophie théurgique était <strong>de</strong>venue<br />
l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s hommes <strong>le</strong>s plus distingués, qui pratiquaient<br />
tous la'magie. Julien, âgé <strong>de</strong> vingt-quatre<br />
ans, étant à Athènes, voulut lui-même s'appliquer à la<br />
magie, à l'astrologie, aux divinations et à toutes <strong>le</strong>s<br />
superstitions. <strong>Des</strong> <strong>de</strong>vins lui ayant prédit qu'il serait<br />
empereur, sa curiosité sacrilège pour <strong>le</strong>s divinations<br />
en fut plus vive ; il se fit initier à la théurgie, en approfondit<br />
<strong>le</strong>s mystères et en adopta <strong>le</strong>s pratiques. Un <strong>de</strong>s<br />
points <strong>de</strong> la doctrine chrétienne, c'est que Dieu permet<br />
l'aveug<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> ceux qui se livrent aux <strong>démon</strong>s :<br />
ce fut donc <strong>le</strong> crime <strong>de</strong> Julien qui causa son apostasie.<br />
. <strong>Le</strong>s historiens et <strong>le</strong>s Pères nous apprennent unanimement<br />
qu'il pratiqua <strong>le</strong>s arts magiques et appela <strong>le</strong>s<br />
philosophes <strong>le</strong>s plus fameux, entre autres Maxime <strong>le</strong><br />
Cynique, discip<strong>le</strong> d'Édèse. —Eunape racontait à Julien<br />
ce qu'il avait vu <strong>avec</strong> plusieurs autres philosophes :<br />
— Maxime, disait Eunape, nous a conduits dans <strong>le</strong><br />
temp<strong>le</strong> d'Hécate ; lorsque nous eûmes salué la déesse,<br />
il nous fit asseoir : ayant purifié un. grain d'encens et<br />
récité tout bas un hymne, la déesse se mit à sourire,<br />
<strong>le</strong>s flambeaux s'allumèrent d'eux-mêmes, etc.... (Eunape,<br />
Vie <strong>de</strong> Maxime.)—Voilà <strong>l'homme</strong> que je cherche,<br />
dit Julien. Il se fit initier par Maxime, qui ayant évoqué<br />
<strong>le</strong>s dieux, ceux-ci apparurent sous <strong>de</strong>s formes si<br />
épouvantab<strong>le</strong>s, que Julien fit par habitu<strong>de</strong> <strong>le</strong> signe <strong>de</strong><br />
la croix; à ce signe, tout disparut. La cérémonie étant<br />
ainsi troublée, <strong>le</strong> <strong>de</strong>vin s'en plaignit; mais Julien lui<br />
montra son étonnement <strong>de</strong> ce que ce signe avait eu ce<br />
pouvoir; Maxime, <strong>le</strong> rassurant, lui répondit : « <strong>Le</strong>s<br />
dieux ne craignent pas la croix, mais ils ont eu votre
316 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
action en horreur. » — Julien, initié aux secrets <strong>de</strong> la<br />
théurgie, selon l'expression <strong>de</strong> saint Grégoire, sortit<br />
fanatisé par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, p<strong>le</strong>in, dit-il, <strong>de</strong> ce que <strong>le</strong>s<br />
théurgistes, dans <strong>le</strong>ur langage, nomment enthousiasme,<br />
fureur sacrée.<br />
Sozomène (Hist. eccl., II, 5), qui assure n'avoir<br />
écrit que ce qu'il a vu ou appris <strong>de</strong> témoins dignes<br />
<strong>de</strong> foi, dit aussi que Julien renonça au christianisme<br />
<strong>avec</strong> une impu<strong>de</strong>nce si horrib<strong>le</strong>, qu'il recourut à <strong>de</strong>s<br />
sacrifices et à <strong>de</strong>s expiations pour effacer son baptême,<br />
et que soit en public, soit en particulier, il s'adonna<br />
aux augures et à toutes <strong>le</strong>s superstitions païennes.<br />
« <strong>Le</strong>s secrets exécrab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la magie à laquel<strong>le</strong> il<br />
s'adonnait, dit Théodoret (Hist.eccl., III, 2G.), furent<br />
découverts après sa mort et se voient encore à Carras;<br />
Julien, passant par cette vil<strong>le</strong>, entra dans un temp<strong>le</strong>, en<br />
fit fermer <strong>le</strong>s portes et plaça <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s pour empêcher<br />
d'y pénétrer avant son retour. Lorsqu'on eut appris<br />
sa mort, dit Théodoret, étant entré dans ce lieu,<br />
on y trouva <strong>le</strong>s restes <strong>de</strong> ses sacrilèges ; une femme<br />
pendue par <strong>le</strong>s cheveux, <strong>le</strong>s bras étendus, <strong>le</strong> ventre<br />
ouvert; ce qui avait été fait sans doute par cet impie,<br />
pour consulter ses entrail<strong>le</strong>s concernant sa guerre contre<br />
<strong>le</strong>s Perses. » <strong>Des</strong> preuves semblab<strong>le</strong>s furent trouvées à<br />
Antioche.<br />
Ammien-Marcellin, secrétaire et ami <strong>de</strong> Julien, avoue<br />
<strong>le</strong>s pratiques magiques <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier ; en essayant <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong> disculper <strong>de</strong> ce qu'el<strong>le</strong>s ont <strong>de</strong> monstrueux Il ne<br />
détruit pas l'accusation <strong>de</strong> magie. — La malignité,<br />
dit-il, a prétendu qu'il était parvenu par <strong>de</strong>s voies<br />
détestab<strong>le</strong>s «à connaître l'avenir; — examinant comment<br />
on acquiert cette science, il déclare que par<br />
diverses cérémonies on se rend <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s favorab<strong>le</strong>s,<br />
que ceux-ci suggèrent <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, etc.. — Après avoir
AVEC LE DÉMON. 317<br />
parlé <strong>de</strong> l'augurie, il dit encore que <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s<br />
animaux prennent, comme on sait, différentes formes<br />
et découvrent l'avenir. (Am. Marcell., XXI, 1.)<br />
Julien, dit-il, étudia l'augurie et y fit <strong>de</strong>s progrès; il<br />
avait consulté <strong>le</strong>s augures et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins pour savoir s'il<br />
parviendrait à l'empire... — Ail<strong>le</strong>urs il dit qu'il eut<br />
plusieurs présages <strong>de</strong> sa mort... ; — enfin il avoue que,<br />
plus curieux que plusieurs <strong>de</strong> ses sujets <strong>de</strong> connaître<br />
l'avenir, il entreprit <strong>de</strong> déboucher la fontaine <strong>de</strong> Caslalie...<br />
Multorum curiosior Jidianus novam consilii viam<br />
ingressus est, etc. (Id., XXII, 12.)<br />
Tout ce qui vient d'être dit prouve que Julien recourait<br />
à toutes <strong>le</strong>s pratiques usitées pour savoir l'avenir,<br />
et rien ne vient <strong>le</strong> disculper <strong>de</strong>s atrocités dont<br />
l'accusent <strong>le</strong>s historiens contemporains. <strong>Le</strong>s entrail<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>s animaux révélaient l'avenir, cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes<br />
humaines <strong>de</strong>vaient être encore plus efficaces; enfin il<br />
était initié aux plus grands secrets <strong>de</strong> la théurgie.<br />
Aussi, <strong>le</strong> philosophe Libanius lui disait : « Vous êtes<br />
en si gran<strong>de</strong> familiarité <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, qu'ils agréent<br />
non-seu<strong>le</strong>ment vos sacrifices, mais vous révè<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s<br />
choses cachées par <strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s oiseaux et par <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>s victimes; ils vous accor<strong>de</strong>nt <strong>le</strong> don <strong>de</strong> prédire<br />
l'avenir,—vous éveil<strong>le</strong>nt, vous découvrent <strong>le</strong>s embûches<br />
qu'on vous dresse, indiquent <strong>le</strong>s lieux où vous<br />
<strong>de</strong>vez combattre, etc. » Il dit à Julien que «c'est lui<br />
qui voit <strong>le</strong>s dieux, c'est à lui qu'il est donné <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />
entendre..., <strong>de</strong> sorte qu'il peut dire : Minerve me par<strong>le</strong><br />
à présent, Jupiter me par<strong>le</strong> à cette heure; en ce moment,<br />
j'entends la voix d'Apollon, d'Hercu<strong>le</strong>, <strong>de</strong> Pan,<br />
<strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s dieux, <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s déesses. » (Libanius,<br />
Disc. d'Ambass. à Julien.)<br />
Était-ce flatterie <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> Libanius? — On ne reprochera<br />
pas à ce philosophe d'avoir voulu flatter Julien ;
318 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
— Libanius, d'un caractère fier et altier, refusa <strong>de</strong><br />
se rendre à la cour <strong>de</strong> Julien, qui voulait <strong>le</strong> nommer<br />
préfet du prétoire. Julien étant irrité contre <strong>le</strong>s habitants<br />
d'Antioche, Libanius lui parla <strong>avec</strong> une si courageuse<br />
liberté, qu'un <strong>de</strong>s assistants lui dit qu'il était<br />
bien près du f<strong>le</strong>uve Oronte pour par<strong>le</strong>r si hardiment.<br />
Libanius, regardant ce <strong>de</strong>rnier <strong>avec</strong> dédain, lui répondit<br />
: « Courtisan ! La menace que tu me fais ne peut<br />
déshonorer que ton maître...» et il continua... — Ce<br />
commerce entre <strong>le</strong>s dieux et Julien était constant pour<br />
Libanius, comme pour ses contemporains. Aussi <strong>le</strong><br />
môme Libanius dit que Julien fut mis par <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s<br />
au rang <strong>de</strong>s dieux après sa mort, et qu'il avait exaucé<br />
une personne qui lui <strong>de</strong>mandait une grâce... —Julien<br />
avait donc été si grand théurgistc qu'il mérita, comme<br />
Plotin, <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir un dieu après son trépas. (Libanius,<br />
Oraison funèb. <strong>de</strong> Julien.)<br />
Julien lui-môme parlait <strong>de</strong> ses <strong>rapports</strong> <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />
dieux <strong>de</strong> manière à confirmer tout ce qu'on disait <strong>de</strong><br />
ses opérations théurgiquos. Un temp<strong>le</strong> est incendié a<br />
Antioche; Julien dit qu'il était persuadé avant l'incendie<br />
qu'Apollon avait abandonné son temp<strong>le</strong> : La<br />
première fois que j'y entrai, dit-il, la statue mê<strong>le</strong> fit<br />
d'abord connaître... Si quelqu'un refuse <strong>de</strong> me croire,<br />
je prends <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il à témoin <strong>de</strong> la vérité <strong>de</strong> ce que<br />
j'avance : serment grave dans la bouche d'un souverain<br />
pontife aussi croyant que Julien. (Alisopogon.)<br />
Dans sa <strong>le</strong>ttre au sénat il dit que, tandis que <strong>le</strong>s<br />
soldats <strong>le</strong> proclamaient auguste, ayant prié Jupiter <strong>de</strong><br />
lui envoyer un présage, il eut aussitôt une vision dans<br />
laquel<strong>le</strong> il lui fut ordonné <strong>de</strong> ne point s'opposer à l'é<strong>le</strong>ction.<br />
Il dit encore que la nuit qui précéda <strong>le</strong> jour où il<br />
fut é<strong>le</strong>vé à l'empire, ignorant <strong>le</strong>s <strong>de</strong>sseins <strong>de</strong> l'armée,
AVEC LE DÉMON. 319<br />
il ent une autre vision ; un ado<strong>le</strong>scent, sous la forme<br />
du génie <strong>de</strong> l'empire, lui dit qu'il s'occupait <strong>de</strong>puis<br />
longtemps <strong>de</strong> son é<strong>le</strong>ction : Si tu refuses <strong>de</strong> me recevoir,<br />
je m'en irai, continua <strong>le</strong> génie; mais souviens-toi<br />
que <strong>de</strong> ce jour je cesse d'habiter <strong>avec</strong> toi. (Amm.<br />
Marcell., XX, 6.) — C'était peut-être déjà un présage<br />
<strong>de</strong> sa fin que Julien n'eût pas supposé, s'il n'avait parlé<br />
qu'en homme politique.<br />
Il serait surprenant que Julien n'eût pas reçu <strong>de</strong><br />
prescriptions médica<strong>le</strong>s dans ses maladies; mais luimême<br />
nous apprend qu'étant mala<strong>de</strong> d'un vomissement<br />
<strong>de</strong> sang, tandis qu'on désespérait <strong>de</strong> sa guérison,<br />
Esculape lui ordonna <strong>de</strong> prendre sur son autel <strong>de</strong>s<br />
grains <strong>de</strong> pomme <strong>de</strong> pin et d'en manger <strong>avec</strong> du miel<br />
pendant trois jours. Ce qu'ayant fait, il fut guéri et<br />
alla publiquement remercier <strong>le</strong>s dieux. (Gruter.)<br />
Comme ce ne fut point par politique que Constantin<br />
se fit chrétien, ce n'est pas par imposture, et en feignant<br />
<strong>de</strong>s convictions qui lui manquaient que Julien <strong>de</strong>vint<br />
païen ; il fut séduit par <strong>de</strong>s prodiges et, comme ceux<br />
qui <strong>le</strong>s opèrent, entraîné par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s. —On n'accumu<strong>le</strong>ra<br />
pas d'autres preuves <strong>de</strong>s croyances théurgiques<br />
<strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier ; redisons-<strong>le</strong>, dès que ce prince qui avait<br />
tant <strong>de</strong> foi aux divinations fut initié aux mystères <strong>de</strong> la<br />
théurgie, il fut aveuglé. Un jour, on aura l'occasion <strong>de</strong><br />
citer <strong>de</strong>s faits analogues. Si <strong>le</strong> christianisme a ses prophètes,<br />
ses mirac<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> paganisme a donc ses <strong>de</strong>vins,<br />
ses prodiges, ses orac<strong>le</strong>s, ses guérisons ; ce sont <strong>de</strong>s<br />
faits qu'on ne peut nier.<br />
Julien, dans ses réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong> christianisme, se<br />
montre païen convaincu et adversaire acharné <strong>de</strong> la<br />
religion chrétienne ; pour la flétrir, il n'omet rien et<br />
emploie contre el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s raisons <strong>le</strong>s plus spécieuses.<br />
Parmi <strong>le</strong>s mil<strong>le</strong> reproches qu'il adresse auxGaliléens, il
320 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>le</strong>s blâme <strong>de</strong> ne plus se faire circoncire, <strong>de</strong> ne pas imiter<br />
Abraham, qui se livrait aux divinations et consultait<br />
<strong>le</strong>s augures. Il dit que <strong>le</strong> Dieu <strong>de</strong>s Hébreux est<br />
un envieux; qu'il s'est fâché contre <strong>le</strong> serpent, qui<br />
voulait faire connaître la sagesse aux hommes. <strong>Le</strong> récit<br />
<strong>de</strong> l'expulsion d'Adam du Paradis, pour l'avoir écouté,<br />
ne peut être excusé en disant que c'est une fab<strong>le</strong>;<br />
c'est, dit-il, un blasphème.<br />
Si Dieu qui a créé tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s a tous abandonnés,<br />
excepté <strong>le</strong>s Hébreux, c'est un dieu partial, envieux.<br />
«Mais, bien loin qu'il en soit ainsi, poursuiUulien,<br />
voyez combien la Divinité nous accor<strong>de</strong> <strong>de</strong> bienfaits<br />
qui vous sont inconnus ! el<strong>le</strong> nous a donné <strong>de</strong>s dieux et<br />
<strong>de</strong>s protecteurs qui ne sont point inférieurs à ceux <strong>de</strong>s<br />
Hébreux..., et ce qui prouve évi<strong>de</strong>mment que <strong>le</strong> Créateur<br />
a vu que nous avions <strong>de</strong> lui une notion plus vraie <strong>de</strong><br />
sa divinité que <strong>le</strong>s Hébreux, c'est qu'il nous a comblés<br />
<strong>de</strong> biens... ; qu'il nous a donné abondamment ceux du<br />
corps et <strong>de</strong> l'esprit, en envoyant aux Gentils <strong>de</strong>s législateurs<br />
bien supérieurs à Moïse. Si <strong>le</strong> Dieu <strong>de</strong> Moïse<br />
est <strong>le</strong> Dieu suprême, nous l'avons mieux connu que<br />
lui...; nous qui <strong>le</strong> regardons comme <strong>le</strong> roi <strong>de</strong> l'univers,<br />
nous ne croyons pas que, parmi <strong>le</strong>s dieux qu'il<br />
a donnés aux peup<strong>le</strong>s et auxquels il en a confié <strong>le</strong> soin,<br />
il ait favorisé l'un beaucoup plus que l'autre. » —<br />
Julien dit que, si cela était, <strong>le</strong> dieu à qui il aurait attribué<br />
<strong>le</strong> gouvernement <strong>de</strong> l'univers presque entier, serait<br />
mieux favorisé que celui à qui il n'aurait confié<br />
qu'un petit peup<strong>le</strong>.<br />
Si, d'après Moïse, votre Dieu, Galiléens, est un Dieu<br />
jaloux, pourquoi adorez-vous ce prétendu fils que vous<br />
lui donnez?<br />
Ce Dieu jaloux et sanguinaire se livre à <strong>de</strong> tels accès<br />
<strong>de</strong> colère qu'il a menacé plusieurs fois <strong>de</strong> détruire
AVEC LE DÉMON. 321<br />
même la nation <strong>de</strong>s Juifs, son peup<strong>le</strong> chéri. — Julien<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> alors ce que n'ont pas à redouter <strong>le</strong>s anges,<br />
<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s et <strong>le</strong> genre humain tout entier sous un<br />
dieu aussi vio<strong>le</strong>nt. Tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s ont reçu <strong>de</strong>s bienfaits<br />
<strong>de</strong>s dieux. <strong>Le</strong>s Hébreux sont loin d'être seuls protégés;<br />
<strong>le</strong>s sages <strong>de</strong>s nations sont supérieurs à Moïse;<br />
<strong>le</strong>urs guerriers, <strong>le</strong>urs monarques sont supérieurs à un<br />
Samson, à un David, qui méritent plutôt <strong>le</strong> mépris que<br />
l'estime <strong>de</strong>s gens éclairés.<br />
<strong>Le</strong>quel est préférab<strong>le</strong>, d'être toujours libre et <strong>de</strong><br />
comman<strong>de</strong>r pendant <strong>de</strong>ux mil<strong>le</strong> ans, ou d'être assujetti<br />
à l'étranger? Montrez-nous, chez <strong>le</strong>s Juifs, un<br />
A<strong>le</strong>xandre, un César!<br />
Votre Jésus, qu'a-t-il fait, dit-il ail<strong>le</strong>urs? Il a séduit<br />
quelques juifs méprisab<strong>le</strong>s ; il n'a guéri que quelques<br />
boiteux et quelques <strong>démon</strong>iaques dans <strong>le</strong>s petits<br />
villages <strong>de</strong> Bethsaï<strong>de</strong> et <strong>de</strong> Béthanie... — <strong>Le</strong>s Galiléens<br />
refusent d'adorer <strong>le</strong> bouclier qui est tombé du ciel, tandis<br />
qu'ils adorent <strong>le</strong> bois d'une croix Doit-on mépriser<br />
ou haïr ceux qui tombent dans <strong>de</strong> si funestes<br />
erreurs? Insensés qui, après avoir abandonné <strong>le</strong>s<br />
dieux <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs pères, prennent pour Dieu un homme<br />
mort chez <strong>le</strong>s Juifs !<br />
Après avoir parlé <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> divination que Jupiter<br />
a substitués aux orac<strong>le</strong>s qui cessent en quelques<br />
lieux, il dit qu'un <strong>de</strong> ses plus grands bienfaits, c'est d'avoir<br />
envoyé un dieu sous forme humaine 1<br />
(Esculape)<br />
pour guérir <strong>le</strong>s maladies... « <strong>Le</strong>s Hébreux, dit Julien,<br />
pourraient-ils se vanter d'avoir reçu un pareil bienfait?<br />
Cependant, Galiléens, vous nous avez quittés<br />
et vous êtes passés comme transfuges chez <strong>le</strong>s Hé-<br />
J. « Jupiter ayant engendré Esculape. Ce sont, dit Julien, <strong>de</strong>s vérités<br />
couvertes par la fab<strong>le</strong>, et que l'esprit seul peut connaître. »<br />
I. 9*
322 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
breux Vous n'avez pas pris chez eux ce qu'il y avait<br />
<strong>de</strong> bon; mais comme <strong>le</strong>s sangsues, vous n'avez tiré<br />
que <strong>le</strong> sang oorrompu... Vous ne <strong>le</strong>s avez imités que<br />
dans la fureur <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs vices... Vous ne soutenez que<br />
<strong>le</strong>s chimères que vous avez inventées » — «Jésuset<br />
Paul ne sont parvenus qu'à tromper quelques servantes<br />
et quelques hommes du peup<strong>le</strong>, » dit-il plus loin.<br />
« Ah ! je sens, dit <strong>le</strong> prince apostat, un mouvement<br />
qui paraît m'ôtre inspiré et qui me contraint <strong>de</strong> vous<br />
dire : Pourquoi, Galiléens, avez-vous déserté <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong> nos dieux pour fuir chez <strong>le</strong>s Hébreux? Serait-ce<br />
donc parce que <strong>le</strong>s dieux ont donné à Rome l'empire<br />
<strong>de</strong> l'univers et que <strong>le</strong>s Juifs ont été presque toujours<br />
<strong>le</strong>s esclaves <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s nations? . »<br />
Ces quelques lignes sont extraites <strong>de</strong>s réf<strong>le</strong>xions <strong>de</strong><br />
Julien, conservées dans <strong>le</strong>s réfutations <strong>de</strong> saint Cyril<strong>le</strong>,<br />
et dont je ne rapporte que la substance; on<br />
peut penser que l'original ne manque ainsi ni <strong>de</strong> verve,<br />
ni même d'éloquence ; la passion et la haine <strong>de</strong> l'apostat<br />
s'y montrent à chaque page.<br />
On y voit <strong>de</strong>s objections plus ou moins spécieuses<br />
renouvelées <strong>de</strong> nos jours et mil<strong>le</strong> fois réfutées. Julien<br />
préconise <strong>le</strong>s biens temporels comme preuve <strong>de</strong> l'amour<br />
<strong>de</strong>s dieux et <strong>de</strong> l'excel<strong>le</strong>nce du culte <strong>de</strong>s païens;<br />
on trouve ici ces matérialistes toujours aveuglés qui ne<br />
voient que l'existence matériel<strong>le</strong> et sensuel<strong>le</strong> : ignorant<br />
l'épreuve à laquel<strong>le</strong> <strong>l'homme</strong> est soumis, ils ne savent<br />
pas que <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s du Christ doivent, pour al<strong>le</strong>r au<br />
ciel, suivre un chemin épineux 1<br />
Julien put croire, dans son aveug<strong>le</strong>ment, que <strong>le</strong><br />
christianisme était faux, et que <strong>le</strong> paganisme, rajeuni<br />
dans la philosophie, triompherait; l'oppression <strong>de</strong>s<br />
chrétiens, <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux païen, tous ses nombreux<br />
prodiges étaient bien propres à séduire <strong>le</strong>s faib<strong>le</strong>s. En
AVEC LE DÉMON.<br />
effet, si on pouvait en douter encore, on invoquerait <strong>le</strong><br />
témoignage <strong>de</strong>s chrétiens eux-mêmes, qui, loin <strong>de</strong> rejeter<br />
<strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong> la théurgie, <strong>le</strong>s attestent <strong>avec</strong> unanimité.—<strong>Le</strong>s<br />
Pères en font l'aveu. «JNous ne nions pas,<br />
disent-ils, que dans certains lieux, dans certaines vil<strong>le</strong>s,<br />
il ne s'opère <strong>de</strong>s merveil<strong>le</strong>s sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong>s ido<strong>le</strong>s;.. » —<br />
Ce merveil<strong>le</strong>ux confirmait <strong>le</strong>s païens dans <strong>le</strong>urs erreurs,<br />
retenait <strong>le</strong> esprits vacillants, ébranlait <strong>le</strong>s chrétiens peu<br />
fervents ; plusieurs, trompés par une sorte d'analogie<br />
entre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux religions, n'y voyant qu'une différence<br />
plus nomina<strong>le</strong> que réel<strong>le</strong>, apostasiaient. Dieu ne fait<br />
pas vio<strong>le</strong>nce au libre arbitre humain : <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />
éclatants prouvaient assez la divinité <strong>de</strong> la religion<br />
pour convaincre ceux qui aimaient la vérité; mais Dieu<br />
laisse toujours libre <strong>de</strong> la méconnaître.<br />
Chute du paganisme.<br />
<strong>Le</strong> christianismepourra-t-il résister?— Qu'y avait-il<br />
<strong>de</strong> plus propre à consoli<strong>de</strong>r <strong>le</strong> paganisme que <strong>de</strong> voir<br />
nn chrétien apostat monté sur <strong>le</strong> trône, y appliquer sa<br />
puissance et son zè<strong>le</strong> ? Julien n'a plus recours au bourreau'<br />
; il sait que <strong>le</strong>s chrétiens sont avi<strong>de</strong>s du martyre,<br />
et il <strong>le</strong>s traite comme <strong>de</strong> pauvres insensés. <strong>Le</strong> polythéisme,<br />
méprisé par <strong>le</strong>s philosophes, s'est allié à la<br />
philosophie ; <strong>avec</strong> l'autorité souveraine qui lui donne<br />
sou appui, il peut tout braver. On a montré à ceux qui<br />
seraient tentés d'être chrétiens que Dieu n'est pas pour<br />
eux. S'il <strong>le</strong>s aimait, eût-il permis que <strong>le</strong>ur sang rougît<br />
<strong>le</strong>s cirques et <strong>le</strong>s amphithéâtres? <strong>Le</strong>s mirac<strong>le</strong>s, parmi<br />
<strong>le</strong>s chrétiens, <strong>de</strong>viennent moins fréquents; <strong>le</strong>s pro^<br />
diges, chez <strong>le</strong>s néoplatoniciens, se multiplient, et<br />
l. Cependant, il finit par tolérer ouvertement la persécution.
324 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
tandis que ceux-ci donnent l'essor à <strong>le</strong>urs passions, ils<br />
rient ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> ces chrétiens stupi<strong>de</strong>s, exténués par<br />
<strong>le</strong>s jeûnes et dont l'ha<strong>le</strong>ine sent mauvais.<br />
Avec <strong>le</strong> renoncement à tout sentiment d'orgueil ou<br />
d'amour-propre, un phénomène non moins étonnant,<br />
c'est <strong>le</strong> mépris, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s chrétiens, pour ce qui fait<br />
l'objet d'une vive sollicitu<strong>de</strong> pour <strong>l'homme</strong> : — l'intérêt<br />
<strong>de</strong> sa santé et <strong>de</strong> sa vie. — S'il s'opérait parmi <strong>le</strong>s chrétiens<br />
<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> guérison, et même <strong>de</strong> résurrection,<br />
ils étaient déjà plus rares, et plutôt faits comme<br />
manifestations <strong>de</strong> la divinité <strong>de</strong> la religion que dans un<br />
intérêt purement humain. Chez <strong>le</strong>s païens, <strong>le</strong>s guérisons,<br />
aisément et fréquemment obtenues, n'exigeaient<br />
ni prières ferventes ni piété; observer quelques cérémonies,<br />
obtenir un songe, prononcer quelques paro<strong>le</strong>s bizarres,<br />
cela suffisait. Julien avait été ainsi guéri. — On<br />
sait quel<strong>le</strong> éminente vertu était requise dans <strong>le</strong>s saints<br />
pour que Dieu <strong>le</strong>ur octroyât <strong>le</strong> don <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s, mais on<br />
a vu et on verra amp<strong>le</strong>ment un jour combien il est faci<strong>le</strong><br />
d'opérer <strong>de</strong>s prodiges, et surtout d'être guérisseur; en<br />
attendant ces nombreux exemp<strong>le</strong>s, qu'on se rappel<strong>le</strong> la<br />
guérison opérée par Vespasien, citée par Tacite.<br />
Cependant <strong>le</strong> christianisme ne sera point renversé;<br />
il ne peut triompher sans combattre ; il fera <strong>de</strong>s pertes,<br />
sans doute; <strong>le</strong>s coups <strong>de</strong> crib<strong>le</strong> réitérés laisseront<br />
échapper <strong>le</strong> mauvais grain, mais <strong>le</strong> froment <strong>le</strong> plus pur<br />
restera, <strong>le</strong> nouveau culte subsistera. Jésus-Christ l'avait<br />
assuré dans un temps où cette promesse pouvait ressemb<strong>le</strong>r<br />
aux paro<strong>le</strong>s d'un enthousiaste ou d'un sectaire<br />
présomptueux; comment expliquer ce prodige? <strong>Le</strong><br />
paganisme, malgré ses merveil<strong>le</strong>s et malgré tout cet<br />
assemblage <strong>de</strong> séductions, a perdu son prestige; on<br />
l'abandonne pour <strong>le</strong> christianisme, qu'on avait tant <strong>de</strong><br />
motifs pour repousser. <strong>Le</strong>s riches qui veu<strong>le</strong>nt être par-
AVEC LE DÉMON. 323<br />
faits renoncent à tout. On dira peut-être que <strong>le</strong> mobi<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> tant <strong>de</strong> conversions parmi <strong>le</strong>s pauvres, ce fut <strong>de</strong> profiter<br />
<strong>de</strong>s biens que <strong>le</strong>ur abandonnaient quelques riches<br />
fanatisés. <strong>Le</strong>s aumônes se faisaient aux malheureux<br />
sans distinction <strong>de</strong> culte. Julien disait : « <strong>Le</strong>s impies<br />
Galiléens, outre <strong>le</strong>urs pauvres, nourrissent môme <strong>le</strong>s<br />
nôtres, que nous laissons manquer <strong>de</strong> tout. » (Julien,<br />
<strong>Le</strong>ttre à Arsacivs.)<br />
11 ne s'agissait pas pour <strong>le</strong>s chrétiens d'obtenir une<br />
égalité impossib<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s biens, mais <strong>de</strong> mépriser <strong>de</strong>s<br />
biens périssab<strong>le</strong>s qui <strong>de</strong>viennent un obstac<strong>le</strong> pour ob<strong>le</strong>nir<br />
<strong>le</strong> ciel, seul vrai bien. Nous avons même pour<br />
garant un autre ennemi <strong>de</strong>s chrétiens. — Celse disait<br />
« que <strong>le</strong>s chrétiens méprisent <strong>le</strong>s biens <strong>de</strong> la vie prémite.<br />
» (Orig. c. Celse, III, 78.)<br />
Que ceux qui ne comprendraient point une tel<strong>le</strong><br />
abnégation ne s'imaginent donc pas que la conversion<br />
<strong>de</strong>s pauvres ait été due aux avantages d'un nivel<strong>le</strong>ment<br />
<strong>de</strong> fortune dans la société <strong>de</strong>s chrétiens. Ce nivel<strong>le</strong>ment<br />
n'était point ordonné et ne fut jamais tenté. <strong>Des</strong><br />
riches donnaient sans se rien réserver, mais ils <strong>le</strong> faisaient<br />
volontairement ; Dieu ne punit dans Saphire et<br />
Ananic que <strong>le</strong> mensonge.<br />
La gran<strong>de</strong> famil<strong>le</strong> <strong>de</strong>s chrétiens ne se préoccupait<br />
que <strong>de</strong>s biens du ciel ; on savait que Dieu donnait <strong>le</strong><br />
surplus par surcroît.<br />
Disons-<strong>le</strong> enfin d'après Julien, cet ennemi <strong>de</strong>s chrétiens.<br />
« Ceux qui embrassaient <strong>le</strong> christianisme étaient<br />
auparavant <strong>de</strong>s adultères, <strong>de</strong>s vo<strong>le</strong>urs, <strong>de</strong>s ravisseurs,<br />
<strong>de</strong>s ivrognes, <strong>de</strong>s calomniateurs, en un mot, <strong>de</strong>s<br />
hommes plongés dans <strong>le</strong>s plus infâmes désordres. »<br />
Réfutation <strong>de</strong> Julien par saint Cyril<strong>le</strong>.) — En croyant<br />
jeter <strong>le</strong> mépris sur <strong>le</strong>s sectateurs du christianisme,<br />
Julien prouve <strong>le</strong>urs convictions et l'excel<strong>le</strong>nce <strong>de</strong> la
326 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
doctrine ; car ces hommes, si vicieux étant païens, dès<br />
qu'ils sont chrétiens <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s modè<strong>le</strong>s <strong>de</strong> vertu.<br />
En attendant l'examen plus comp<strong>le</strong>t <strong>de</strong>s causes d'un<br />
tel prodige, nous avons à constater que <strong>le</strong> paganisme<br />
était réel<strong>le</strong>ment mourant sous Julien.<br />
Dans une <strong>le</strong>ttre à Aristomène, Julien se plaint <strong>de</strong><br />
n'avoir trouvé personne qui revînt <strong>avec</strong> joie au culte <strong>de</strong>s<br />
dieux. « On ne sacrifie qu'à regret... ceux qui <strong>le</strong> font<br />
<strong>de</strong> bon cœur sont en petit nombre et ignorent <strong>le</strong>s<br />
règ<strong>le</strong>s du sacrifice. » (Jul. op., Par., 1630, Ep. 4.)<br />
Dans une <strong>le</strong>ttre à Libanius, il se plaint que son dis*<br />
cours aux habitants <strong>de</strong> Bérée, pour <strong>le</strong>s engager à revenir<br />
à la religion <strong>de</strong>s ancêtres, ait été sans succès..,<br />
Il y avait passé un jour entier, avait visité la cita<strong>de</strong>l<strong>le</strong>,<br />
offert so<strong>le</strong>nnel<strong>le</strong>ment un taureau blanc, et fait au sénat<br />
un discours fort touchant sur la religion Il n'a<br />
gagné presque personne. (16., Ep. 27.)<br />
Même déception à Antioche, où Julien était allé pour<br />
une fête d'Apollon... Il dit qu'il croyait y trouver toute<br />
la pompe qu'Antioche peut lui donner, il ne rêvait que<br />
victimes, libations, parfums, etc. ; il se rend au temp<strong>le</strong>,<br />
il n'y trouve ni victimes, ni gâteaux, ni un grain d'encens;<br />
il pense que <strong>le</strong>s préparatifs sont au <strong>de</strong>hors, qu'on<br />
attend ses ordres ; il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> au prêtre ce que la vil<strong>le</strong><br />
offre dans un jour si so<strong>le</strong>nnel. Rien, répond <strong>le</strong> prêtre;<br />
voici seu<strong>le</strong>ment une oie que j'apporte <strong>de</strong> chez moi....<br />
Julien répriman<strong>de</strong> <strong>le</strong> sénat... — Quoi ! une vil<strong>le</strong> si considérab<strong>le</strong>,<br />
d'où <strong>le</strong>s dieux ont chassé l'athéisme, ne peut<br />
pas immo<strong>le</strong>r un bœuf par tribu? <strong>Le</strong> prêtre... au lieu<br />
d'emporter sa part <strong>de</strong>s sacrifices, est <strong>le</strong> seul qui ait sacrifié!...<br />
(Ib., Misopogon.) En vain Julien par<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'indignation<br />
<strong>de</strong>s dieux, et s'indigne lui-même. <strong>Le</strong> paganisme<br />
n'existait plus que <strong>de</strong> nom. En vain Julien,<br />
voulant faire mentir <strong>le</strong>s prophéties, s'efforce-t-il <strong>de</strong>
AVEC LE DÉMON. 327<br />
rebâtir <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m ; d'après un témoignage<br />
qui en vaut mil<strong>le</strong>, — celui d'Ammien Marcellin, — <strong>de</strong>s<br />
globes <strong>de</strong> feu s'échappent <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments du temp<strong>le</strong>,<br />
détruisent <strong>le</strong>s travaux, font périr <strong>le</strong>s ouvriers, et <strong>de</strong><br />
nombreux présages annoncent la fin du prince apostat<br />
lui-même.<br />
<strong>Le</strong>s prodiges <strong>de</strong> la théurgie, <strong>le</strong>s efforts <strong>de</strong>s néoplatoniciens,<br />
<strong>le</strong>ur culte favorab<strong>le</strong> aux passions, <strong>le</strong>s calomnies<br />
contre <strong>le</strong>s chrétiens, <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> ceux-ci qu'on assimi<strong>le</strong><br />
à ceux <strong>de</strong>s Égyptiens, qui chassent <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s,<br />
guérissent <strong>le</strong>s maladies et font paraître <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>s chargées<br />
<strong>de</strong> mets, etc. Tout cela fut vain ; rien ne put arrêter<br />
la chute du paganisme réformé. Semblab<strong>le</strong> à un<br />
vieil arbre qu'on a tronçonné pour lui donner un peu<br />
dévie, après avoir végété sous Julien, il se <strong>de</strong>ssécha<br />
et mourut <strong>avec</strong> lui. Vainement la philosophie veut ranimer<br />
sa séve; <strong>le</strong> néoplatonisme n'est plus qu'une<br />
éco<strong>le</strong> <strong>avec</strong> Proclus; son existence cesse sous Justinien,<br />
et ses discip<strong>le</strong>s vont chercher un asi<strong>le</strong> en Perse.<br />
Nous verrons un jour, <strong>de</strong>s lambeaux <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs doctrines<br />
s'en former <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s qui ne ressusciteront point <strong>le</strong><br />
paganisme, mais n'en seront pas moins funestes à ceux<br />
qui ne s'attacheraient pas aux dogmes chrétiens comme<br />
aune ancre <strong>de</strong> salut.
LIVRE QUATRIÈME<br />
CHAPITRE I<br />
Eiposi! sommaire <strong>de</strong>s causes qni firent triompher <strong>le</strong> christianisme. — Expose 1<br />
<strong>de</strong>» attaques <strong>de</strong>s apologistes contre <strong>le</strong> paganisme. — Preuves spéculatives<br />
î<strong>le</strong>s apologistes. — Lactance (<strong>Des</strong> Institutions divines). — Tertullien. —<br />
Ensebe. — Saint Augustin. — Minucius Félix. — Clément d'A<strong>le</strong>xandrie. —<br />
Saint Justin. — Saint Cyprien. — Résumé — Preuves matériel<strong>le</strong>s, expul<br />
sion <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s qui se faisaient passer pour <strong>de</strong>s dieux.— Ces faits étaient<br />
connus <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>spaïens, qui pouvaient eux-mêmes l'attester et se con<br />
vertissaient. — <strong>Le</strong> signe <strong>de</strong> la croix, plusieurs l'attestaient, suffisait pour<br />
chasser <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s.<br />
Exposé <strong>de</strong>s causes gui firent triompher <strong>le</strong> christianisme.<br />
Cet étonnant prodige du triomphe du christianisme<br />
sur <strong>le</strong> paganisme tient à <strong>de</strong>s causes multip<strong>le</strong>s qu'on a<br />
déjà entrevues, parmi <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s figurent d'abord <strong>le</strong>s<br />
prophéties, puis <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s. Si on compare <strong>le</strong>s prophètes<br />
<strong>de</strong>s Livres saints <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins,<br />
on voit une supériorité immense chez <strong>le</strong>s premiers ; <strong>le</strong><br />
prophète, maître <strong>de</strong> lui-même, dévoi<strong>le</strong> au moyen <strong>de</strong><br />
l'inspiration divine <strong>le</strong>s événements futurs; il menace,<br />
il promet, au nom <strong>de</strong> Dieu, et ces menaces et ces promesses<br />
ne sont jamais vaines; il annonce aux Juifs un<br />
ré<strong>de</strong>mpteur, en exposant d'une manière énigmatique,
330 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
il est vrai, ses souffrances et sa mort; la <strong>de</strong>struction du<br />
temp<strong>le</strong>, la cessation <strong>de</strong>s sacrifices sont prédites aussi;<br />
tout s'accomplit. A ces révélations aussi importantes que<br />
vraies, si nous comparons <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s divinations<br />
<strong>de</strong>s Gentils, nous éprouvons un sentiment <strong>de</strong> frayeur<br />
mêlé <strong>de</strong> mépris, en entendant sortir <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>vins<br />
agités par d'effroyab<strong>le</strong>s convulsions, <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s entrecoupées,<br />
orac<strong>le</strong>s tantôt vrais, tantôt faux, qui ne concernent,<br />
<strong>le</strong> plus ordinairement, qu'un avenir prochain,<br />
et <strong>le</strong>s intérêts vils et matériels <strong>de</strong>s particuliers, il<br />
nous suffit d'indiquer sommairement cette différence.<br />
<strong>Le</strong>s chrétiens, qui connaissaient la sublimité <strong>de</strong>s prophéties,<br />
méprisèrent bientôt <strong>le</strong>s esprits <strong>de</strong> python, surtout<br />
lorsqu'ils virent, comme nous <strong>le</strong> dirons, que <strong>le</strong><br />
premier venu parmi <strong>le</strong>s chrétiens <strong>le</strong>ur imposait si<strong>le</strong>nce.<br />
Nous sommes forcé d'être non moins succinct en<br />
parlant <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s; quel<strong>le</strong> comparaison établir entre<br />
<strong>le</strong>s prodiges d'Aristée, d'Abaris, <strong>de</strong> Cléomè<strong>de</strong>, <strong>de</strong><br />
Plotin, d'Apollonius, <strong>de</strong> Jamblique, etc., <strong>avec</strong> ceux<br />
<strong>de</strong>s apôtres? Peut-on comparer <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s du Christ<br />
<strong>avec</strong> ceux d'Esculape? Il est inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> faire remarquer<br />
<strong>le</strong>s formu<strong>le</strong>s ineptes, puéri<strong>le</strong>s et ridicu<strong>le</strong>s qui servent<br />
à obtenir <strong>le</strong>s uns, et la spontanéité et la sublimité<br />
<strong>de</strong>s autres. — <strong>Le</strong>vez-vous, marchez, ouvrez <strong>le</strong>s yeux<br />
et <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s, voyez et enten<strong>de</strong>z. Aussitôt <strong>le</strong>s boiteux<br />
marchent, <strong>le</strong>s aveug<strong>le</strong>s nés voient et <strong>le</strong>s sourds enten<strong>de</strong>nt<br />
: Swge, et <strong>le</strong>s morts ressuscitent. Que <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur<br />
se rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s prodiges païens précé<strong>de</strong>mment cités;<br />
<strong>le</strong>ur différence <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s sera aussi frappante<br />
pour lui qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong> fut pour <strong>le</strong>s premiers chrétiens. Un<br />
fait plus propre que tous <strong>le</strong>s autres à faire discerner<br />
la vérité et à renverser <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> l'ancien serpent,<br />
c'était <strong>de</strong> <strong>le</strong> forcer à déclarer lui-même qu'il était <strong>le</strong><br />
<strong>démon</strong>; c'était <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong> chasser du corps <strong>de</strong>s
AVEC LE DÉMON. 331<br />
possédés en prononçant <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Jésus; c'était enfin<br />
<strong>de</strong> voir ceux qui avaient communié indignement livrés<br />
à Satan, et la manifestation subite <strong>de</strong> ces phénomènes<br />
épouvantab<strong>le</strong>s connus sous la dénomination <strong>de</strong> possession<br />
: quel<strong>le</strong> différence entre <strong>le</strong>s thaumaturges <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />
religions ; entre <strong>le</strong> païen d'une moralité souvent trèsdouteuse<br />
et <strong>le</strong> vrai chrétien, type <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s vertus.<br />
Quel<strong>le</strong> différence, enfin, entre l'adorateur <strong>de</strong> ces dieux<br />
qui protègent <strong>le</strong>s vo<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s filoux, <strong>le</strong>s adultères, <strong>le</strong>s<br />
incestueux, qui comman<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s prostitutions, qui,<br />
dans <strong>le</strong>urs châtiments ou <strong>le</strong>urs récompenses, mani-r<br />
festent la perversité <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur nature, et l'adorateur du<br />
Dieu dont la mora<strong>le</strong> est exposée dans l'Évangi<strong>le</strong>.<br />
Exposé <strong>de</strong>s attaques <strong>de</strong>s apologistes contre <strong>le</strong> paganisme.<br />
11 fallait que <strong>le</strong>s preuves du christianisme fussent<br />
bien frappantes pour opérer <strong>de</strong>s conversions aussi étonnantes.<br />
La vérité ne se prouvait pas invincib<strong>le</strong>ment<br />
par la mora<strong>le</strong>, quelque bel<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> fût, mais par « une<br />
<strong>démon</strong>stration présentant un caractère divin, disait<br />
Origène, laquel<strong>le</strong> ne permet pas qu'on lui compare<br />
la dia<strong>le</strong>ctique grecque. C'est, la <strong>démon</strong>stration que<br />
l'Apôtre appel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'esprit et <strong>de</strong> la puissance ; <strong>de</strong><br />
l'esprit, ce sont <strong>le</strong>s prophéties dont l'évi<strong>de</strong>nce opère<br />
la conviction; <strong>de</strong> la puissance, ce sont <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />
étonnants qui confirment sa doctrine; et cependant,<br />
disait Origène, si un Grec savant venait parmi nous, il<br />
confirmerait notre doctrine par <strong>le</strong>s arguments, il en<br />
<strong>démon</strong>trerait la vérité selon <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'éco<strong>le</strong>. »<br />
(Orig. c Celse, 1. I er<br />
.)<br />
On voit, dès <strong>le</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s savants, <strong>de</strong>s<br />
philosophes païens se convertir au christianisme et<br />
<strong>de</strong>venir ses apologistes. Qui ne connaît <strong>le</strong>s noms <strong>de</strong>s
332 DES RAPPORTS DK L'HOMME<br />
Tertullien, <strong>de</strong>s Justin, <strong>de</strong>s Origène, <strong>de</strong>s Tatien, <strong>de</strong>s<br />
Lactance, <strong>de</strong>s Cyprien, <strong>de</strong>s Minucius Félix, <strong>de</strong>s Clément<br />
d'A<strong>le</strong>xandrie, etc., etc. ?<br />
La plupart <strong>de</strong> ces grands hommes avaient été initiés<br />
aux mystères du paganisme ; ils connaissaient <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux<br />
religions; ils <strong>le</strong>s avaient examinées, comparées, et la vanité<br />
<strong>de</strong>s sectes philosophiques <strong>le</strong>ur était connue; aussi<br />
ils exposent <strong>le</strong>s nombreux motifs <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur conversion.<br />
Témoins <strong>de</strong> la lutte <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux religions, pour distinguer<br />
<strong>le</strong> bon droit, il ne <strong>le</strong>ur a fallu que <strong>de</strong>s yeux, du bon<br />
sens et <strong>le</strong> bon vouloir : on <strong>de</strong>vine que si Satan eût lutté à<br />
forces éga<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s conversions n'auraient pu s'opérer;<br />
mais pour <strong>de</strong>venir chrétien, il suffisait d'aimer la vérité,<br />
<strong>de</strong> n'être point hosti<strong>le</strong> à son influence, quoi qu'il<br />
pût en coûter.<br />
La vérité ne se rencontrait ni dans <strong>le</strong>s divers systèmes<br />
<strong>de</strong> la philosophie antique, ni dans <strong>le</strong> vieux polythéisme,<br />
ni dans l'édifice mo<strong>de</strong>rne construit <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />
débris <strong>de</strong> l'une et <strong>de</strong> l'autre. L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'Écriture sainte<br />
donnait une solution satisfaisante aux problèmes insolub<strong>le</strong>s<br />
qui jusque-là avaient embarrassé <strong>le</strong>s savants...<br />
La folie <strong>de</strong> la croix, <strong>le</strong>s dogmes et <strong>le</strong>s préceptes gênants<br />
du christianisme ; rien ne put détruire ni même affaiblir<br />
la foi <strong>de</strong> ces hommes éminents. La divinité <strong>de</strong> la<br />
religion <strong>le</strong>ur était <strong>démon</strong>trée par <strong>de</strong>s preuves d'une<br />
tel<strong>le</strong> gravité, que l'incrédulité et son sourire <strong>de</strong>venaient<br />
impossib<strong>le</strong>s. Faisant abstraction <strong>de</strong>s faits, si on suppose<br />
<strong>de</strong>s hommes assez fourbes, assez menteurs pour<br />
avancer <strong>de</strong>s impostures, peut-on <strong>le</strong>s supposer assez<br />
fous ou assez opiniâtres pour <strong>le</strong>s soutenir au prix <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>ur sang? et peut-on, s'ils attestent <strong>de</strong>s mensonges,<br />
<strong>le</strong>s supposer assez stupi<strong>de</strong>s pour <strong>le</strong>s appuyer sur <strong>de</strong>s<br />
extravagances qui révoltent la raison? Ces extravagances<br />
se retrouvent dans toutes <strong>le</strong>s religions, dira-
AVEC LE DÉMON. 333<br />
t-on, et toutes ont eu <strong>le</strong>urs fanatiques; — oui, sans<br />
doute, parce que toutes ont eu <strong>de</strong>s prodiges supérieurs<br />
à tout pouvoir humain, tous propres à <strong>le</strong>s convaincre;<br />
mais <strong>le</strong> christianisme seul a <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s ; et <strong>le</strong>s chrétiens<br />
ont montré, comme on vient <strong>de</strong> <strong>le</strong> dire, et <strong>le</strong>s<br />
apologistes signa<strong>le</strong>ront, comme on <strong>le</strong> verra bientôt, <strong>le</strong>s<br />
marques incontestab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> divinité <strong>de</strong> la religion qu'ils<br />
ont été conduits à choisir.<br />
Il serait avantageux d'esquisser au moins <strong>le</strong>s écrits<br />
<strong>de</strong>s Pères pour avoir une idée <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs œuvres immortel<strong>le</strong>s,<br />
si peu connues; nous apprendrions <strong>le</strong>s motifs <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>ur conversion, action si insensée pour <strong>le</strong>s païens<br />
aveuglés, et nous connaîtrions en même temps <strong>le</strong>s<br />
ouvrages <strong>de</strong> Celse, <strong>de</strong> Porphyre, <strong>de</strong> Hiéroclès, <strong>de</strong><br />
Julien, etc., <strong>de</strong> tous ces philosophes qui attaquaient<br />
tantôt <strong>avec</strong> l'ironie, tantôt <strong>avec</strong> l'acharnement d'une<br />
vio<strong>le</strong>nte haine, <strong>le</strong> christianisme et ses mirac<strong>le</strong>s qu'ils<br />
ne niaient point. Jésus-Christ était, disaient-ils, initié<br />
à la théurgie; c'était un sage comme Orphée, comme<br />
Apollonius...—L'orac<strong>le</strong> d'Apollon, étant consulté sur<br />
Jésus, répondit qu'il n'était qu'un homme, mais fameux<br />
par ses prodiges ; — entre ses discip<strong>le</strong>s qui disaient que<br />
c'était un dieu et l'orac<strong>le</strong> qui déclarait qu'il n'était<br />
qu'un homme, un païen aveuglé <strong>de</strong>vait-il hésiter? <strong>Le</strong>s<br />
discip<strong>le</strong>s du Christ ne pouvaient être que <strong>de</strong>s imposteurs<br />
qui avaient corrompu sa doctrine ; imposteurs, il<br />
est vrai, qui faisaient <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s aussi étonnants que<br />
<strong>le</strong>ur maître ! — Un spectac<strong>le</strong> p<strong>le</strong>in d'intérêt serait donc<br />
<strong>de</strong> voir <strong>le</strong>s apologistes entrer en lice <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s néoplatoniciens;<br />
mais comment oser abor<strong>de</strong>r ce sujet dont la<br />
plus courte analyse exigerait <strong>de</strong>s volumes, et qui cependant<br />
perdra tout à n'être qu'eff<strong>le</strong>uré? En lisant <strong>le</strong>s Pères,<br />
la conviction passe dans l'âme, non par la puissance <strong>de</strong><br />
l'éloquence et d'une argumentation subti<strong>le</strong>, mais par
334 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
la force irrésistib<strong>le</strong> que la simp<strong>le</strong> vérité a sur ceux qui<br />
l'aimcnti<br />
<strong>Le</strong>s philosophes païens sont combattus par <strong>le</strong>urs<br />
propres arguments; <strong>le</strong> paganisme, par <strong>le</strong>s aveux <strong>de</strong> ses<br />
défenseurs <strong>le</strong>s plus zélés. La mora<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'Évangi<strong>le</strong> est<br />
comparée aux turpitu<strong>de</strong>s et aux absurdités païennes;<br />
<strong>le</strong>s prophéties qui ont annoncé Jésus-Christ et ses mirac<strong>le</strong>s<br />
sont mis en parallè<strong>le</strong> <strong>avec</strong> ce merveil<strong>le</strong>ux païen<br />
que l'antiquité vénérait, que Cicéron traite <strong>avec</strong> tant<br />
<strong>de</strong> dédain, que <strong>le</strong>s épicuriens nient, etc..<br />
<strong>Le</strong>s apologistes pouvaient admettre <strong>le</strong>s faits surnarels<br />
du christianisme sans cesser d'être <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong> cetlo philosophie commo<strong>de</strong> qui niait <strong>le</strong>s prodiges<br />
païens; <strong>le</strong>ur rô<strong>le</strong> était faci<strong>le</strong>. — Vous osez par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> vos<br />
orac<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> vos présages, lisez donc Cicéron, pou*<br />
vaicnt-ils dire... Vous osez par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s apparitions <strong>de</strong>s<br />
dieux, — mensonges, illusions; du pouvoir <strong>de</strong>s théurgistes<br />
et <strong>de</strong>sgoétistes, —fourberie, crédulité; du délire<br />
sacré, — état simulé, folie contagieuse ; <strong>de</strong> la divination,<br />
-—coïnci<strong>de</strong>nce heureuse; <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, — ce sont<br />
<strong>de</strong>s réponses si habi<strong>le</strong>ment combinées que l'événement<br />
favorise presque toujours <strong>le</strong> <strong>de</strong>vin; <strong>le</strong>s présages, enfin,<br />
sont <strong>de</strong>s craintes puéri<strong>le</strong>s. — Que serait-il resté? —<br />
Ces hommes loyaux n'useront pas <strong>de</strong> moyens si faci<strong>le</strong>s;<br />
ils admettent, eux, si savants dans ces choses, <strong>avec</strong> la<br />
simplicité apparente du vulgaire, ces faits que l'épicu^<br />
risme nie, que <strong>le</strong>s philosophes expliquent si contradic*<br />
toirement, et ce qui pour ces <strong>de</strong>rniers était une énigme<br />
est rendu, par <strong>le</strong>s apologistes, intelligib<strong>le</strong> à tous.<br />
En se bornant à rapporter ici en substance quelques<br />
passages, tronqués et décolorés <strong>de</strong>s Pères, on sent<br />
combien on altère <strong>de</strong>s œuvres qui, pour ne rien perdre<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur solidité et <strong>de</strong> <strong>le</strong>Ur beauté, <strong>de</strong>vraient être<br />
citées en entier; cependant on éprouve <strong>le</strong> besoin,
AVEC LE DÉMON. 335<br />
dans un travail tel que celui-ci, d'initier <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur à<br />
quelques-unes <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs pensées * à quelques-uns <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>urs arguments, ne serait-ce que pour l'engager à parcourir<br />
ces ouvrages, aujourd'hui si peu lus.<br />
Preuves spéculatives <strong>de</strong>s apologistes.<br />
<strong>Le</strong>s apologistes exposent <strong>le</strong>s preuves nombreuses<br />
<strong>de</strong> la vanité <strong>de</strong>s différents systèmes philosophiques, ils<br />
<strong>démon</strong>trent la fausseté du paganisme, et prouvent par<br />
nue fou<strong>le</strong> d'arguments que <strong>le</strong>urs dieux ne sont point<br />
<strong>de</strong>s dieux ; ils vont plus loin, ces prétendus dieux<br />
sont <strong>de</strong> mauvais <strong>démon</strong>s : ces preuves ne naissent pas<br />
seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs arguments, ils <strong>le</strong>s puisent dans<br />
<strong>le</strong>s ouvrages mêmes <strong>de</strong>s philosophes païens, dans<br />
<strong>le</strong>s aveux <strong>de</strong>s prêtres, dans <strong>le</strong>s prescriptions, dans <strong>le</strong>s<br />
contradictions, dans <strong>le</strong>s mensonges <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s ; ils <strong>le</strong>s<br />
puisent enfin dans certaines preuves <strong>de</strong> fait que fournissent<br />
<strong>le</strong>s possessions ; par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s aveux forcés<br />
<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s expulsés par <strong>le</strong>s chrétiens.<br />
On va, comme on l'a dit, remarquer que <strong>le</strong>s apologistes,<br />
loin <strong>de</strong> nier <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s Gentils, comme <strong>le</strong><br />
soutiennent <strong>de</strong> nos jours plusieurs bons chrétiens <strong>avec</strong><br />
<strong>le</strong>s libres penseurs, <strong>le</strong>s ont tous reconnus; mais <strong>le</strong>s Pères<br />
et <strong>le</strong>s docteurs <strong>de</strong> l'Église, en avouant que ce ne sont<br />
pas <strong>de</strong>s fab<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s attribuent aussi tous aux <strong>démon</strong>s.<br />
On va voir enfin que <strong>le</strong>ur doctrine explique parfaitement<br />
ces prodiges qui causaient tant d'embarras à ceux<br />
qui <strong>le</strong>s rapportaient à <strong>le</strong>urs dieux.<br />
Lactance (<strong>Des</strong> Institutions divines).<br />
Lactance, habi<strong>le</strong> orateur, fut appelé à Nicomédie<br />
par Dioctétien, pour enseigner la rhétorique ; son mé-
336 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
rite et ses vertus <strong>le</strong> rendirent si célèbre que Constantin<br />
lui confia l'éducation <strong>de</strong> son fils. On ignore <strong>le</strong>s<br />
causes et l'époque <strong>de</strong> sa conversion ; on sait seu<strong>le</strong>ment<br />
qu'il vécut pauvre au milieu <strong>de</strong>s cours, qu'il ne reçut<br />
<strong>de</strong>s présents <strong>de</strong>s empereurs que pour <strong>le</strong>s distribuer<br />
aux indigents, et qu'il vécut au commencement du<br />
quatrième sièc<strong>le</strong> : Lactance réfuta la philosophie et <strong>le</strong>s<br />
chimères du paganisme dans son Traité <strong>de</strong>s Institutions<br />
divines.<br />
La philosophie vantait ses bienfaits; il en examine<br />
<strong>le</strong>s résultats d'après <strong>le</strong>s philosophes eux-mêmes... —<br />
C'est la recherche <strong>de</strong> la sagesse, <strong>le</strong>ur dit-il ; est-el<strong>le</strong><br />
raisonnab<strong>le</strong>, puisque, d'après votre propre aveu, on<br />
ne peut la trouver?... Il montre, d'après Socrate et<br />
l'Académie, qu'il est impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> découvrir <strong>le</strong>s causes<br />
naturel<strong>le</strong>s : Zenon et <strong>le</strong>s stoïciens rejettent <strong>le</strong>s conjectures<br />
; si on ne peut être sûr <strong>de</strong> rien par la science,<br />
s'il ne faut pas recourir aux conjectures, la philosophie<br />
est renversée, et c'est encore l'opinion <strong>de</strong> tous<br />
<strong>le</strong>s autres philosophes qui se divisent en différentes<br />
sectes... Où donc trouver la vérité?<br />
Il dit que <strong>le</strong>s philosophes s'égorgent tous comme<br />
<strong>le</strong>s enfants <strong>de</strong> Cadmus; l'impossibilité <strong>de</strong> s'entendre<br />
engagea Arcésilas à instituer une philosophie qui consistait<br />
à n'en admettre aucune.<br />
De ce que la science humaine est un mélange d'ignorance<br />
et <strong>de</strong> vérité, il résulte que <strong>de</strong>ux extrêmes<br />
doivent être évités : il ne faut pas imiter <strong>le</strong>s académiciens,<br />
qui, ayant vu <strong>de</strong>s choses obscures, ont pensé<br />
qu'on n'en pouvait connaître aucune ; ni <strong>le</strong>s physiciens,<br />
qui, ayant découvert quelques vérités, en ont conclu<br />
qu'ils pouvaient tout connaître.<br />
En mora<strong>le</strong>, il n'y a pas d'uniformité dans <strong>le</strong>s préceptes<br />
<strong>de</strong>s philosophes... 11 passe en revue toutes <strong>le</strong>s
AVEC LE DÉMON. 337<br />
sectes, et il voit que toutes diffèrent : « <strong>Le</strong>squel<strong>le</strong>s suivrons-nous?<br />
dit-il, <strong>le</strong>ur autorité est éga<strong>le</strong>. »<br />
Que nous reste-t-il à faire? sinon <strong>de</strong> renoncer à ces<br />
disputes opiniâtres, et nous soumettre à un juge qui<br />
déci<strong>de</strong>ra nos questions et nous donnera la sagesse<br />
pure et <strong>le</strong> vrai bien.<br />
Quel est <strong>le</strong> souverain bien? Ici <strong>le</strong>s philosophes se<br />
contredisent ; <strong>le</strong>s uns <strong>le</strong> font consister dans la vertu ;<br />
il montre qu'el<strong>le</strong> n'est pas <strong>le</strong> souverain bien, el<strong>le</strong> y<br />
conduit... <strong>Le</strong> vrai bien, c'est la religion, et <strong>le</strong>s philosophes,<br />
qui pour délivrer <strong>l'homme</strong> <strong>de</strong> toute sorte <strong>de</strong><br />
crainte la lui ont ôtée, ne pouvaient rien faire <strong>de</strong><br />
plus contraire à l'humanité et à la raison... Or, sans<br />
religion, <strong>l'homme</strong> vit comme la brute ; <strong>le</strong> bon sens du<br />
peup<strong>le</strong> l'emporte donc sur la sagesse <strong>de</strong>s philosophes.<br />
Quoique son culte soit erroné, il n'oublie pas l'excel<strong>le</strong>nce<br />
<strong>de</strong> sa nature...<br />
11 montre <strong>le</strong> grand égarement <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> fait pour<br />
la religion et la sagesse; quand il embrasse l'une, il<br />
abandonne l'autre, tandis qu'el<strong>le</strong>s <strong>de</strong>vraient rester<br />
unies. Adonné seu<strong>le</strong>ment à la religion, il repousse la<br />
sagesse qui lui dit qu'il ne peut exister plusieurs<br />
dieux, ou bien il rejette la religion vraie pour suivre<br />
une fausse sagesse.<br />
Après avoir prouvé la fausseté <strong>de</strong> la religion et <strong>de</strong> la<br />
philosophie, et fait voir qu'el<strong>le</strong>s sont incomplètes chez<br />
<strong>le</strong>s païens, il montre que nul<strong>le</strong> autre religion que <strong>le</strong><br />
christianisme ne remplit toutes <strong>le</strong>s conditions.<br />
Cicéron a dit que la philosophie était la science <strong>de</strong>s<br />
choses divines et humaines; il n'a parlé qu'en déclarnateur...<br />
« Vous vous vantez, lui dit-il, <strong>de</strong> connaître<br />
<strong>le</strong>s opinions <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s sectes, veuil<strong>le</strong>z donc nous<br />
dire où vous avez trouvé la vérité ! » Après avoir montré<br />
que Cicéron s'est contredit dans ses ouvrages, il dit<br />
I. 22
338 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
que si la philosophie donne seu<strong>le</strong> <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la sagesse,<br />
que <strong>le</strong>s philosophes seuls aussi seront hommes<br />
<strong>de</strong> bien, et Lactance <strong>le</strong>s montre sujets cependant à<br />
toutes <strong>le</strong>s passions, faisant en secret ce qu'ils condamnent<br />
dans <strong>le</strong>urs éco<strong>le</strong>s... La philosophie est donc inuti<strong>le</strong><br />
; loin <strong>de</strong> rendre vertueux, ce n'est qu'un pur passetemps.<br />
« Quel bien a-t-cl<strong>le</strong> fait? dit-il ail<strong>le</strong>urs, puisqu'el<strong>le</strong><br />
n'a rendu meil<strong>le</strong>urs ni <strong>le</strong>s maîtres, ni <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s...<br />
Lorsque la religion manque, il n'y a plus <strong>de</strong> discernement<br />
du bien et du mal, et <strong>le</strong> lien social est rompu...»<br />
Sénèque a dit que la sagesse n'était connue que <strong>de</strong>puis<br />
mil<strong>le</strong> ans ; si el<strong>le</strong> est conforme à la nature, el<strong>le</strong> doit<br />
être non moins ancienne ; aussi Lactance prouvet-il<br />
qu'on l'a connue avant la philosophie, et conclut<br />
que philosophie et sagesse ne sont pas synonymes.<br />
Après avoir pulvérisé la philosophie et <strong>le</strong>s plus illustres<br />
philosophes, il examine <strong>le</strong>s opinions do ceux<br />
qui <strong>le</strong>ur sont inférieurs —<strong>Le</strong>s uns se tuent par<br />
crainte <strong>de</strong> mourir; d'autres mettent la compassion au<br />
rang <strong>de</strong>s vices ; d'autres disent que la neige est noire,<br />
puis ils sont forcés <strong>de</strong> dire que la poix est blanche.<br />
La doctrine chétienne est la vraie sagesse, el<strong>le</strong> opère<br />
ce que <strong>le</strong>s philosophes ont voulu et n'ont pu faire<br />
Comment <strong>de</strong>s hommes sans conviction pourraient-ils<br />
persua<strong>de</strong>r? Comment ceux qui avouent que <strong>le</strong>urs passions<br />
l'emportent sur <strong>le</strong>ur raison pourraient-ils réprimer<br />
cel<strong>le</strong>s d'autrui? L'expérience prouve la puissance<br />
<strong>de</strong>s préceptes divins.—- «Donnez-m'en un, dit Lactance,<br />
qui soit emporté, je <strong>le</strong> rendrai doux ; avare, je <strong>le</strong> rendrai<br />
libéral... Qu'on approche <strong>de</strong> nous sans crainte...., etc. »<br />
Quel est <strong>le</strong> philosophe qui pourrait en faire autant?<br />
Après avoir prouvé l'unité <strong>de</strong> Dieu d'après <strong>le</strong>s philosophes,<br />
il dit qu'il est entouré d'esprits glorieux <strong>de</strong> <strong>le</strong>
AVEC LE DÉMON. 339<br />
servir, qui ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt ni autels, ni sacrifices...;<br />
que <strong>le</strong>s adorateurs <strong>de</strong>s fausses divinités <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt à<br />
cel<strong>le</strong>s-ci <strong>le</strong> nom qu'on peut <strong>le</strong>ur donner sans crime... ;<br />
qu'on apprenne d'Apollon lui-même ce qu'on doit penser<br />
<strong>de</strong> Jupiter et <strong>de</strong>s dieux moindres que lui ; il dira<br />
que ce ne sont pas <strong>de</strong>s dieux, mais tout au plus <strong>le</strong>s ministres<br />
du vrai Dieu, sans excepter Jupiter lui-même ;<br />
et quoique Apollon ait l'audace <strong>de</strong> se placer au nombre<br />
<strong>de</strong>s intelligences bienheureuses, il est contraint d'a-<br />
Touer quelquefois qu'il n'est qu'un esprit impur. Lactance<br />
cite <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s où Apollon avoue qu'il est Lucifer...<br />
; d'autres où il a déclaré que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s gémissent<br />
sous la pesanteur <strong>de</strong>s coups que Dieu fait tomber sur<br />
eux sans relâche, etc.<br />
Lactance expose <strong>le</strong>s contradictions que présente la<br />
doctrine <strong>de</strong>s religions fausses, examine tous ces dieux<br />
livrés à tous <strong>le</strong>s vices, aux passions <strong>le</strong>s plus honteuses :<br />
«Poètes, historiens, philosophes, dit-il, tous sont d'accord<br />
sur <strong>le</strong>urs vices On dit que ce sont <strong>de</strong>s allégories,<br />
<strong>de</strong>s erreurs grossières introduites par la théologie<br />
fabu<strong>le</strong>use, que <strong>le</strong>s phénomènes <strong>de</strong> la nature y ont<br />
donné lieu, etc., etc. — Vos dieux sont donc <strong>le</strong> produit<br />
<strong>de</strong> l'imagination!... — D'autres disent que c'étaient<br />
<strong>de</strong>s hommes qu'on a divinisés pour <strong>le</strong>ur courage; <strong>le</strong><br />
courage rend-il <strong>l'homme</strong> meil<strong>le</strong>ur? D'autres l'ont été<br />
pour <strong>le</strong>urs bienfaits Cérès et Bacchus ont trouvé <strong>le</strong><br />
blé et <strong>le</strong> raisin — Cela mérite-t-il la divinité? » Il<br />
montre que c'est à tort d'ail<strong>le</strong>urs qu'on croit <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>voir<br />
ces présents. «D'après l'Écriture sainte, plus ancienne<br />
que vos dieux, poursuit Lactance, on se servait<br />
déjà du blé et du vin » Il passe en revue <strong>le</strong>s divinités<br />
grecques et romaines, <strong>le</strong>urs mystères, <strong>le</strong>urs sacrifices,<br />
en montre l'absurdité et l'infamie : — <strong>de</strong>s dieux<br />
gui veu<strong>le</strong>nt <strong>de</strong>s sacrifices humains; <strong>de</strong>squels on n'ob-
340 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
tient rien qu'en se faisant dans la chair <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s<br />
incisions 1<br />
... Un Saturne père <strong>de</strong>s dieux, venu quelques<br />
sièc<strong>le</strong>s avant la guerre <strong>de</strong> Troie..., etc.<br />
Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ail<strong>le</strong>urs à quoi servent <strong>le</strong>s simulacres<br />
où <strong>le</strong>s dieux viennent rési<strong>de</strong>r par la consécration, et<br />
qui ne sont que <strong>de</strong>s représentations <strong>de</strong> personnes<br />
mortes; peut-on être assez insensé pour <strong>le</strong>s adorer.....<br />
Si ce sont <strong>de</strong>s défunts et si <strong>le</strong>s dieux sont absents, vous<br />
ne <strong>le</strong> <strong>de</strong>vez point... et si vos dieux sont répandus partout,<br />
vos simulacres sont inuti<strong>le</strong>s, etc.<br />
Lactance ne conteste pas que <strong>le</strong>ur divinité ne soit<br />
prouvée par <strong>le</strong>urs orac<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>urs prodiges. Pour qu'il<br />
n'y ait rien d'obscur, dit-il, « Je ferai voir que <strong>le</strong>s prodiges<br />
et <strong>le</strong>s songes n'étaient que <strong>de</strong>s illusions dont<br />
<strong>le</strong> <strong>démon</strong> s'est servi pour tromper <strong>le</strong>s hommes »<br />
Il fait connaître, d'après la vraie doctrine, la nature<br />
<strong>de</strong> cet esprit corrompu par l'envie, et pourquoi Dieu<br />
a permis son action — Il par<strong>le</strong> <strong>de</strong> la matière<br />
que <strong>de</strong>s philosophes pensent être antérieure à Dieu, et<br />
dit, au contraire, que c'est <strong>de</strong> lui qu'el<strong>le</strong> a reçu sa<br />
force... Pour que la nature ait pu faire quelque chose,<br />
il faudrait qu'el<strong>le</strong> fût intelligente. Si cela était, el<strong>le</strong><br />
1. A Salamine on immolait un homme à Jupiter. — <strong>Le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />
la Tauri<strong>de</strong> immolaient Diane à tous <strong>le</strong>s étrangers que la mauvaise<br />
fortune jetait sur <strong>le</strong>urs eû<strong>le</strong>s. — <strong>Le</strong>s Gaulois n'apaisaient <strong>le</strong>urs dieux<br />
qu'en répandant <strong>le</strong> sang humain. <strong>Le</strong> Jupiter du Latium n'était pas<br />
moins cruel. — Saturne aimait aussi ce culte; mais, pour diversifier,<br />
on précipitait la victime dans <strong>le</strong> Tibre.— <strong>Le</strong>s Carthaginois, pour calmer,<br />
après une défaite, la colère <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur dieu, immolèrent <strong>de</strong>ux cents<br />
jeunes gens choisis parmi <strong>le</strong>ur plus illustre nob<strong>le</strong>sse. Cybèlc inspire<br />
à ses initiés <strong>de</strong> lui sacrilier <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs propres mains ce que cette déesse<br />
jalouse arracha au malheureux Atys. — <strong>Le</strong>s prêtres <strong>de</strong> Bellonc,<br />
poussés par l'esprit <strong>de</strong> vertige, se font, en tenant un poignard <strong>de</strong><br />
chaque main, <strong>de</strong>s incisions profon<strong>de</strong>s dans <strong>le</strong>s membres, courent, se<br />
rou<strong>le</strong>nt, s'agitent... et <strong>le</strong>ur raison se perd <strong>avec</strong> <strong>le</strong>ur sang, etc., etc.<br />
(Extrait du liv. 1", 21.)
AVEC LE DÉMON. 341<br />
serait Dieu ; alors on déraisonne, car c'est nier que Dieu<br />
ait fait <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> et avouer qu'il l'a fait... — Mais la<br />
matière, dit-on, est coéternel<strong>le</strong> à Dieu... C'est reconnaître<br />
<strong>de</strong>ux dieux <strong>de</strong> puissance opposée, et il est clair<br />
qu'il n'en peut exister qu'un seul : ou Dieu est sorti <strong>de</strong><br />
la matière, ou bien c'est Dieu qui l'a créée; mais ce<br />
irai est matériel ne peut produire ce qui est spirituel...,<br />
etc. C'est ainsi que Lactance, par une série d'arguments<br />
qui échappent à notre analyse, prouve l'unité<br />
d'un être spirituel, éternel. Il par<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'origine <strong>de</strong> l'idolâtrie<br />
qui succéda au sabéisme.... explique la fab<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
Jupiter détrônant Saturne... L'âge d'or, c'était <strong>le</strong> culte<br />
du vrai Dieu; l'idolâtrie n'était point née, ni la philosophie<br />
inventée... Quand Jupiter eut détrôné son père,<br />
la vérité disparut, <strong>le</strong>s crimes pullulèrent, car l'impiété<br />
naquit. Tous <strong>le</strong>s malheurs viennent <strong>de</strong> l'oubli <strong>de</strong> Dieu<br />
poursuivre <strong>de</strong>s superstitions extravagantes.<br />
Au tab<strong>le</strong>au hi<strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s maux causés par l'idolâtrie,<br />
Lactance oppose <strong>le</strong>s lumières <strong>de</strong>lafoi ; au dévergondage<br />
philosophique, la doctrine <strong>de</strong>s apôtres... On <strong>le</strong>ur reproche<br />
<strong>le</strong>ur grossièreté, <strong>le</strong>ur ignorance; cela s'accor<strong>de</strong>t-il<br />
<strong>avec</strong> l'art <strong>de</strong> tromper?.. .vie austère, mépris <strong>de</strong> ce que<br />
<strong>le</strong> mon<strong>de</strong> convoite, enfin <strong>le</strong>urs souffrances, <strong>le</strong>ur mort<br />
pour soutenir ce qu'ils attestent... et on ose <strong>le</strong>s accuser<br />
d'être <strong>de</strong>s brigands ; mais on n'a pas osé nier ni <strong>le</strong>urs<br />
mirac<strong>le</strong>s, ni ceux <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur maître, qu'on a comparés aux<br />
prodiges d'Apollonius; pourquoi donc celui-ci n'a-t-il<br />
pas été adoré comme Jésus? <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jésus sont<br />
donc supérieurs !<br />
Il oppose au paganisme <strong>le</strong>s bienfaits du christianisme<br />
: la charité, qui unit <strong>le</strong>s chrétiens... Plus d'embûches,<br />
<strong>de</strong> frau<strong>de</strong>s, d'impureté, d'idolâtrie, plus <strong>de</strong><br />
femmes obligées <strong>de</strong> se prostituer, on pourvoit à <strong>le</strong>urs<br />
besoins; plus <strong>de</strong> crimes, c'est <strong>le</strong> retour <strong>de</strong> l'âge d'or.
342 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Après ce tab<strong>le</strong>au si vrai et si beau peint par Lactance<br />
et qu'on ne peut qu'esquisser ici, qui osera sou<strong>le</strong>ver<br />
<strong>avec</strong> lui un coin du voi<strong>le</strong> qui couvrait <strong>le</strong>s turpitu<strong>de</strong>s<br />
païennes... <strong>Le</strong>s prix décernés à l'impudicité, <strong>le</strong>s<br />
vierges nourries dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s pour s'y prostituer,<br />
<strong>le</strong> don <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s accordé à ces infamies, <strong>de</strong>s mystères<br />
qui font rougir <strong>le</strong>s plus impudiques, <strong>de</strong>s images<br />
obscènes que <strong>le</strong>s hommes repoussent par pu<strong>de</strong>ur, que<br />
<strong>le</strong>s dieux exigent; dieux menteurs, en contradiction <strong>avec</strong><br />
eux-mêmes, sanguinaires, vicieux. D'après <strong>le</strong> portrait<br />
ébauché précé<strong>de</strong>mment, Lactance montre combien,<br />
aux yeux <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> <strong>de</strong> bien, <strong>le</strong> christianisme l'emporte<br />
sur <strong>le</strong> paganisme ! S'il y avait <strong>de</strong>s conversions,<br />
Lactance nous apprend aussi pourquoi il y avait tant<br />
<strong>de</strong> païens rétifs... «Voyez <strong>le</strong>ur conduite, dit-il : loin <strong>de</strong><br />
chercher la vérité et <strong>de</strong> la reconnaître, ils persécutent<br />
ceux qui l'ont trouvée... Supposons un instant que<br />
notre doctrine ne soit pas la véritab<strong>le</strong> ; si cel<strong>le</strong> qu'ils<br />
cherchent se présentait à eux, comment pourraient-ils<br />
la recevoir? De <strong>le</strong>ur propre aveu, ils font mourir ceux<br />
qui imitent <strong>le</strong>s justes; par aversion pour la vertu, ils<br />
traitent <strong>le</strong>s innocents comme <strong>le</strong>s plus grands coupab<strong>le</strong>s<br />
: comment osent-ils par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> justice.'... Lactance<br />
expose <strong>le</strong>s motifs <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs actes... <strong>Le</strong>s méchants ne<br />
veu<strong>le</strong>nt pas <strong>de</strong> ces vertueux incommo<strong>de</strong>s, dont la conduite<br />
est un reproche contre la corruption du sièc<strong>le</strong>...<br />
<strong>Le</strong>s chrétiens n'étant ni fourbes, ni adultères, ni<br />
impudiques, ni parjures.... il faut s'en défaire... :<br />
ce sont <strong>de</strong>s désespérés, <strong>de</strong>s impies... Sont-ce <strong>le</strong>s<br />
adorateurs <strong>de</strong>s dieux ou <strong>le</strong>s chrétiens qui sont <strong>de</strong>s<br />
désespérés et <strong>de</strong>s impics? qu'ils réfléchissent!... Ce<br />
sont <strong>le</strong>s premiers qui atten<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s passants sur <strong>le</strong>s<br />
grands chemins, qui courent <strong>le</strong>s mers pour vo<strong>le</strong>r; qui,<br />
lorsqu'ils ne peuvent tuer, préparent <strong>de</strong>s poisons;
AVEC LE DÉMON. 343<br />
qui se défont <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs femmes pour profiter <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />
dots; ce sont <strong>le</strong>urs femmes qui se débarrassent <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>urs maris pour épouser <strong>le</strong>urs amants. Ce sont eux<br />
qui étrang<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>urs enfants, ce sont eux que <strong>le</strong> respect<br />
<strong>de</strong> la nature et <strong>de</strong> la religion ne détournent<br />
point <strong>de</strong> commettre <strong>de</strong>s incestes <strong>avec</strong> <strong>le</strong>urs fil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>urs<br />
sœurs, <strong>le</strong>urs bel<strong>le</strong>s-mères, etc.; ce sont eux qui<br />
conjurent contre <strong>le</strong>ur patrie, sans craindre <strong>le</strong>s peines<br />
réservées aux traîtres; ce sont eux qui profanent et<br />
pil<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s, qui supposent <strong>de</strong>s testaments, qui<br />
frustrent <strong>le</strong>s héritiers légitimes, qui se prostituent aux<br />
plus infâmes débauches; qui souffrent ce que <strong>le</strong>s<br />
femmes perdues ont peine à souffrir... Ce sont eux<br />
qui se laissent corrompre pour condamner <strong>de</strong>s innocents<br />
ou absoudre <strong>de</strong>s coupab<strong>le</strong>s, etc., etc. Voilà,<br />
continue Lactance, jusqu'où va l'inso<strong>le</strong>nce <strong>de</strong>s adorateurs<br />
<strong>de</strong>s dieux... Il n'a fait qu'esquisser, et renvoie<br />
aux livres <strong>de</strong>s païens eux-mêmes pour avoir un tab<strong>le</strong>au<br />
plus exact <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs crimes... « Peut-on, dit-il,<br />
reprocher rien <strong>de</strong> semblab<strong>le</strong> aux chrétiens, dont tous<br />
<strong>le</strong>s efforts consistent à mener une vie exempte <strong>de</strong> péché?<br />
»<br />
Tout ce que Lactance disait ainsi <strong>de</strong>s païens <strong>de</strong> son<br />
temps ne s'applique-t-il point aux païens <strong>de</strong> nos jours,<br />
c'est-à-dire à ceux qui n'ont d'autres dieux que <strong>le</strong>s<br />
voluptés, la débauche, <strong>le</strong>s injustices, <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> la<br />
chair?<br />
Tertutlien.<br />
Si on s'était astreint à suivre l'ordre chronologique,<br />
Tertullien aurait dû précé<strong>de</strong>r Lactance. Ce premier<br />
avait étudié <strong>le</strong>s systèmes <strong>de</strong>s diverses sectes, et joignait<br />
l'éloquence à la philosophie ; s'étant converti au
314 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
christianisme, il en <strong>de</strong>vint un <strong>de</strong>s apologistes <strong>le</strong>s plus<br />
ar<strong>de</strong>nts. Il ne s'agit pas d'exposer ici ses erreurs; s'il<br />
adopta une partie <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Montan, il put être entraîné<br />
par son caractère ; frappé <strong>de</strong> tout ce qu'il voyait,<br />
sa sévérité naturel<strong>le</strong> <strong>le</strong> porta à proclamer une discipline<br />
plus austère que cel<strong>le</strong> qu'on enseignait. Ce qu'on<br />
va citer en substance est extrait <strong>de</strong> l'apologie qu'il<br />
publia à Rome pour <strong>le</strong>s chrétiens; el<strong>le</strong> passe pour un<br />
chef-d'œuvre d'éloquence et d'érudition.<br />
<strong>Le</strong> savant apologiste expose que <strong>le</strong>s livres sacrés <strong>de</strong><br />
Moïse <strong>de</strong>vancent <strong>de</strong> plusieurs sièc<strong>le</strong>s ce que <strong>le</strong>s païens<br />
ont <strong>de</strong> plus antique; histoire, vil<strong>le</strong>s, monuments, notions,<br />
etc. « Je n'en dis pas assez, dit-il; ils sont antérieurs<br />
<strong>de</strong> plusieurs sièc<strong>le</strong>s à vos dieux, à vos orac<strong>le</strong>s,<br />
etc.. » Moïse est antérieur <strong>de</strong> près <strong>de</strong> huit cents<br />
ans à la fondation <strong>de</strong> Rome, d'environ mil<strong>le</strong> ans à<br />
Priam 1<br />
; il précè<strong>de</strong> Homère <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> cinq cents ans.<br />
Tertullien prouve ensuite la divinité <strong>de</strong>s Livres<br />
saints : — tout ce qui arrive a été prédit par <strong>le</strong>s prophètes...<br />
«L'accomplissement <strong>de</strong>s prophéties dans <strong>le</strong><br />
passé nous est, dit-il, un garant qu'el<strong>le</strong>s s'accompliront<br />
dans l'avenir...» — On disait que <strong>le</strong> christianisme<br />
venait <strong>de</strong> naître: — «Nous n'avons, répond Tertullien,<br />
d'autre Dieu que celui <strong>de</strong>s Juifs, <strong>le</strong>urs livres sont <strong>le</strong>s<br />
nôtres... » Il expose succinctement <strong>le</strong>s menaces <strong>de</strong>s<br />
saints orac<strong>le</strong>s qui ont annoncé la dispersion, <strong>le</strong> bannissement<br />
<strong>de</strong>s Juifs; la naissance d'un fils <strong>de</strong> Dieu, qui<br />
dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers sièc<strong>le</strong>s se choisirait parmi tous <strong>le</strong>s<br />
peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s adorateurs plus fidè<strong>le</strong>s que <strong>le</strong>s Juifs...,<br />
qui réformerait <strong>le</strong> genre humain... Ce fils ne sera dû<br />
ni à l'inceste d'une sœur, ni à la faib<strong>le</strong>sse d'une fil<strong>le</strong>,<br />
l. Pour l'exactitu<strong>de</strong> chronologique, il faudrait plus <strong>de</strong> trois cents<br />
ans.
AVEC LE DÉMON. 345<br />
ni à un père métamorphosé en serpent ou en taureau...<br />
Tertullien en explique la nature, la puissance... —Il<br />
s'est incarné dans <strong>le</strong> sein d'une vierge, il naît uni à<br />
Dieu... « En attendant que je vous prouve sa divinité,<br />
recevez cette doctrine, ne fût-ce qu'une fab<strong>le</strong> semblab<strong>le</strong><br />
aux vôtres. » <strong>Le</strong>s Juifs l'atten<strong>de</strong>nt encore, poursuit<br />
Tertullien...; il explique comment il se fait qu'ils<br />
n'ont pu <strong>le</strong> reconnaître.... — Il était écrit dans <strong>le</strong>urs<br />
livres que Dieu, pour <strong>le</strong>s punir, <strong>le</strong>ur ôterait la sagesse<br />
et l'intelligence... — L'abaissement <strong>de</strong> Jésus, pris pour<br />
un magicien, son jugement, sa mort, sa mission, cel<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong>s apôtres, sont exposés par Tertullien, qui dit :<br />
«Voilà notre histoire... Nous confessons publiquement<br />
au milieu <strong>de</strong>s tortures la divinité <strong>de</strong> Jésus-<br />
Christ... Examinez donc s'il est Dieu..., si sa religion<br />
rend meil<strong>le</strong>ur..., il s'ensuivra que toutes cel<strong>le</strong>s qui lui<br />
sont opposées sont fausses, lors même qu'el<strong>le</strong>s prouveraient<br />
<strong>le</strong>ur divinité par quelques orac<strong>le</strong>s et quelques<br />
prodiges... » — Ceci conduit Tertullien à par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s... «Nous connaissons, dit-il, <strong>de</strong>s substances<br />
spirituel<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong> nom n'est pas nouveau... <strong>Le</strong>s philosophes<br />
savent qu'il y a <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, <strong>le</strong>s poètes aussi,<br />
comme <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> même <strong>le</strong> plus ignorant...; <strong>le</strong>s magiciens<br />
nous l'apprennent éga<strong>le</strong>ment... » Il arrive ensuite<br />
à <strong>le</strong>urs opérations... « Si vos dieux, poursuit Tertullien,<br />
ne font pas <strong>de</strong>s prodiges plus éclatants que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s,<br />
où se trouve donc la prééminence qui caractérise la<br />
nature divine?...» Quant à la divinité du Christ, outre<br />
<strong>le</strong>s prophéties qui l'ont annoncé et <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s qu'il<br />
a faits : « Nous vous produirons <strong>de</strong>s témoins irréprochab<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong> sa divinité... — Qui donc?... — Ceux même<br />
que vous adorez... » — Et en effet, nous verrons plus<br />
loin, dans <strong>le</strong>s Pères, que <strong>le</strong>s dieux étaient contraints<br />
d'avouer qu'ils sont <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s et que Jésus-Christ est
346 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Dieu; et qu'il n'y en a pas d'autre que lui. — « Nous<br />
n'avons pas besoin d'autres preuves pour nous justifier<br />
d'avoir offensé la religion <strong>de</strong>s Romains, continue Tertullien,<br />
c'est d'avoir <strong>démon</strong>tré la fausseté <strong>de</strong>s dieux. »<br />
— 11 abor<strong>de</strong> l'argument <strong>de</strong> Julien, qui donnait comme<br />
preuve <strong>de</strong> la vérité du paganisme que ses sectateurs<br />
étaient <strong>le</strong>s plus puissants.— Mais ne pouvant exposer<br />
ici <strong>le</strong>s réponses <strong>de</strong> Tertullien, il suffira <strong>de</strong> dire qu'il<br />
anéantit d'avance <strong>le</strong>s arguments employés plus tard<br />
par Julien... « Ceux, dit-il, que <strong>le</strong>s Romains ont<br />
vaincus, n'avaient-ils pas aussi <strong>le</strong>urs religions!... <strong>Le</strong>s<br />
Babyloniens régnaient avant vos pontifes, <strong>le</strong>s Mè<strong>de</strong>s<br />
avant vos quindécemvirs, <strong>le</strong>s Égyptiens avant vos Saliens,<br />
<strong>le</strong>s Assyriens avant vos Luperques... Si vos dieux<br />
disposent <strong>de</strong>s empires, <strong>le</strong>s contempteurs <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s<br />
dieux n'eussent jamais régné. »<br />
Nous pourrions exposer ici ce que <strong>le</strong>s Pères pensaient<br />
<strong>de</strong>s mystères; mais on a vu déjà <strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong> Clément<br />
d'A<strong>le</strong>xandrie, <strong>de</strong> saint Augustin, etc.. Un <strong>de</strong>rnier<br />
mot encore sur ce sujet.<br />
Arnobe (adv. Genl.es) dit que <strong>le</strong> nom seul <strong>de</strong>s fausses<br />
divinités est un opprobre : « Vous ne voudriez pas, dit<br />
ce Père aux païens, que vos enfants ressemblassent à<br />
vos dieux, ni que vos fil<strong>le</strong>s assistassent aux initiations<br />
<strong>de</strong> Cérès. »<br />
Eusèbe dit aussi : « <strong>Le</strong>s païens se sont fait <strong>de</strong>s dieux ;<br />
<strong>de</strong> là sont venus <strong>le</strong>s mystères impurs, etc. » (Panée/,<br />
<strong>de</strong> Cimst.)<br />
Saint Augustin, dont on a rapporté divers passages<br />
concernant <strong>le</strong>s mystères, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce qu'il faut penser<br />
<strong>de</strong>s impuretés qui s'y commettent en secret <strong>avec</strong> ces<br />
hommes énervés et infâmes (<strong>le</strong>s eunuques, prêtres <strong>de</strong><br />
Cybèlc); « au moins n'ont-ils pu cacher la honte <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />
dégradation. » (Cité <strong>de</strong> Dieu, VI, 7.) On a vu que <strong>le</strong>s
AVBO LB DÉMON. 347<br />
païens eux-mêmes, moins dissolus que <strong>le</strong>urs dieux,<br />
s'exprimaient <strong>de</strong> la sorte.<br />
Eusète.<br />
On a dit <strong>de</strong> l'évêque <strong>de</strong> Césarée qu'il savait tout ce qui<br />
avait été.écrit avant lui. Entre autres excel<strong>le</strong>nts ouvrages,<br />
ses traités <strong>de</strong> la Préparation et <strong>de</strong> la Démonstration<br />
évangélique sont <strong>le</strong>s plus savants que l'antiquité nous<br />
fournisse pour <strong>démon</strong>trer la vérité du christianisme et<br />
la fausseté du paganisme. — 11 y bat en brèche <strong>avec</strong><br />
<strong>le</strong> même succès la philosophie et la théologie <strong>de</strong>s Gentils.<br />
Il y prouve que <strong>le</strong>s sages se sont contredits et gravement<br />
trompés; il <strong>le</strong>s combat par <strong>le</strong>urs propres armes,<br />
il prouve que <strong>le</strong>s dieux ont menti, se sont eux-mêmes<br />
contredits, et qu'ils sont i<strong>de</strong>ntiques enfin <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s mauvais<br />
esprits.<br />
<strong>Le</strong>s dieux dissolus <strong>de</strong> la fab<strong>le</strong> <strong>de</strong>vinrent pour <strong>le</strong>s<br />
initiés, dit Eusèbe, <strong>de</strong>s allégories qu'on expliqua dans<br />
<strong>le</strong>s mystères Il <strong>le</strong>s dépeint comme un tissu d'impiétés,<br />
<strong>de</strong> fourberies, <strong>de</strong> sa<strong>le</strong>s orgies ; il met dans la<br />
même catégorie <strong>le</strong>s magiciens, <strong>le</strong>s prêtres <strong>de</strong> Bacchus,<br />
<strong>le</strong>s initiés, et tous ceux qui se livrent aux opérations<br />
nocturnes <strong>Le</strong>s ténèbres <strong>le</strong>s plus obscures ne sauraient<br />
jamais assez cacher ces impudicités.<br />
La théologie allégorique n'est pas plus satisfaisante<br />
que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> la fab<strong>le</strong> ; il prouve que <strong>le</strong>s interprétations<br />
sont forcées, mensongères, que Platon se contredit,<br />
que Plutarque <strong>le</strong>s contourne en vain pour <strong>le</strong>s expliquer...<br />
11 prouve d'ail<strong>le</strong>urs que ces allégories substitueraient<br />
<strong>le</strong> panthéisme au vrai Dieu ; la Divinité n'étant<br />
plus alors qu'une agglomération d'êtres matériels...,<br />
<strong>l'homme</strong> perdrait tout respect pour el<strong>le</strong>. Ce système est<br />
donc l'oubli <strong>de</strong> Dieu ; mais Eusèbe prouve que <strong>le</strong>s phi-
348 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
losophes sont en contradiction <strong>avec</strong> <strong>le</strong>ur doctrine ; euxmêmes,<br />
en adorant <strong>de</strong>s ido<strong>le</strong>s qu'ils croient inanimées,<br />
confirment <strong>le</strong>s erreurs mythologiques. Il signa<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />
mêmes contradictions dans <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s, qui tantôt confirment<br />
<strong>le</strong>s croyances fabu<strong>le</strong>uses, tantôt appuient la doctrine<br />
<strong>de</strong>s allégories. 11 <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ensuite si l'infamie,<br />
l'erreur, <strong>le</strong>s contradictions peuvent émaner <strong>de</strong> la source<br />
<strong>de</strong> toute pureté, <strong>de</strong> toute vérité. 11 passe à la théologie<br />
politique qui admettait, comme faits bien constants,<br />
<strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s divinations, <strong>le</strong>s prodiges, <strong>le</strong>s cures miracu<strong>le</strong>uses<br />
, <strong>le</strong>s statues qui semblaient parfois douées<br />
<strong>de</strong> vie... Eusèbe dit que, pour détruire cet appareil idolâtrique,<br />
on pourrait puiser <strong>de</strong>s arguments chez <strong>le</strong>s<br />
païens eux-mêmes; plusieurs sectes, <strong>le</strong>s épicuriens,<br />
par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s lui fourniraient... <strong>Le</strong> champ serait<br />
vaste ; mais il n'est pas dans son <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> suivre cette<br />
métho<strong>de</strong>.<br />
11 faut reconnaître, dit Eusèbe, qu'avant Jésus-<br />
Christ <strong>le</strong>s nations s'étaient laissé séduire par <strong>de</strong>s esprits<br />
pervers, <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s méchants... Quel jugement<br />
porter sur ces puissances qui agitent ces ido<strong>le</strong>s? Sont-ce<br />
<strong>de</strong>s dieux ou <strong>de</strong> mauvais <strong>démon</strong>s? L'Écriture n'en<br />
reconnaît pas <strong>de</strong> bons... Eusèbe, pour éviter toute polémique,<br />
ne prendra pas ses autorités parmi <strong>le</strong>s chrétiens;<br />
cent païens <strong>le</strong>s lui fourniraient, mais un seul<br />
suffit: c'est Porphyre, auteur d'un recueil d'orac<strong>le</strong>s; en<br />
commerce intime <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, il est <strong>le</strong> plus capab<strong>le</strong><br />
do nous apprendre ce que sont <strong>le</strong>s dieux ; Eusèbe,<br />
d'après cet initié, examine si ces puissances sont <strong>de</strong>s<br />
dieux ou <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s... Un orac<strong>le</strong>,ayant fixé <strong>le</strong>s hiérarchies<br />
divines, recomman<strong>de</strong> d'immo<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s victimes aux<br />
dieux cé<strong>le</strong>stes ; il n'oublie point ceux <strong>de</strong>s enfers, et<br />
prescrit pour chaque ordre un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> sacrifices...<br />
Cependant <strong>le</strong> même Porphyre, au Traité <strong>de</strong> l'absti-
AVEC LE DÉMON. 349<br />
nence, établit, par <strong>le</strong>s arguments <strong>le</strong>s plus soli<strong>de</strong>s, que<br />
<strong>le</strong>s dieux suprêmes et <strong>le</strong>s dieux inférieurs ne peuvent<br />
être honorés par <strong>de</strong>s holocaustes ; ceux qui en exigent<br />
ne sont pas <strong>de</strong>s dieux... <strong>Le</strong>s victimes ne conviennent<br />
qu'aux <strong>démon</strong>s... <strong>Le</strong>s prétendues divinités auxquel<strong>le</strong>s<br />
l'orac<strong>le</strong> ordonne d'offrir <strong>de</strong>s victimes, dit Eusèbe, ne<br />
sont donc pas <strong>de</strong>s dieux, mais <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s.<br />
Porphyre, même traité, dit qu'on ne doit offrir au<br />
Dieu souverain que <strong>le</strong> culte du cœur, <strong>le</strong>s objets matériels<br />
n'étant pas dignes <strong>de</strong> lui... On ne doit éga<strong>le</strong>ment<br />
donner aux dieux qui en procè<strong>de</strong>nt que <strong>de</strong>s témoignages<br />
<strong>de</strong> gratitu<strong>de</strong>... —Cette doctrine n'était pas<br />
particulière à Porphyre; d'après Apollonius, celui qui<br />
n'immo<strong>le</strong> pas <strong>de</strong> victimes à la Divinité a trouvé <strong>le</strong> seul<br />
culte qui lui soit agréab<strong>le</strong> : et Théophraste disait qu'el<strong>le</strong><br />
s'indigne <strong>de</strong> ces sacrifices cruels... — Il était prouvé,<br />
d'après <strong>le</strong>s sages eux-mêmes, que c'est un crime...—<br />
« Puisque l'orac<strong>le</strong>, dit Eusèbe, ordonne d'immo<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s<br />
victimes pour lui et pour <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s ordres,<br />
ni lui, ni ceux-ci ne sont donc dieux, ce sont <strong>de</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s... Tous <strong>le</strong>s théologiens reconnaissent, poursuit<br />
Eusèbe, que <strong>le</strong>s uns sont bons, <strong>le</strong>s autres méchants;<br />
or ceux qui sont bons font du bien... Mais si Jupiter,<br />
Junon, Bacchus, etc., aiment <strong>le</strong>s sacrifices d'hommes<br />
ou d'animaux, sacrifices exécrab<strong>le</strong>s selon ces autorités,<br />
ce sont donc <strong>de</strong>s dieux malfaisants..., etc. »<br />
Eusèbe, parcourant l'histoire, voit partout <strong>de</strong>s sacrifices<br />
humains prescrits pour Jupiter, Apollon, etc.,<br />
et <strong>le</strong>s terrib<strong>le</strong>s fléaux qui en suivent l'omission : sécheresse,<br />
mortalité, famine; l'orac<strong>le</strong> en déclare la cause;<br />
— on a oublié <strong>de</strong> faire cou<strong>le</strong>r <strong>le</strong> sang humain ; — <strong>le</strong>s<br />
historiens <strong>le</strong>s plus célèbres l'attestent. L'Écriture reproche<br />
aux nations ces sacrifices ; el<strong>le</strong> dit qu'ils sont<br />
exigés par <strong>le</strong>urs dieux, qui sont <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s.
350 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
« Eh effet, dit Eusèbe, &i c'étaient <strong>de</strong> bons génies, ils<br />
seraient bienfaisants, <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s auraient interdit ces<br />
cruautés, tandis qu'ils <strong>le</strong>s ordonnent : autre preuve<br />
enfin <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur méchanceté, c'est qu'ils veu<strong>le</strong>nt être partout<br />
honorés par <strong>de</strong>s abominations... »<br />
« S'il y a <strong>de</strong> mauvais <strong>démon</strong>s qui exigent ces monstruosités,<br />
continue Eusèbe, on objectera peut-être qu'il<br />
faut <strong>le</strong>s distinguer <strong>de</strong>s bons, honorés comme dieux souverains<br />
: mais alors je <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai où étaient ces bons<br />
génies qui ne peuvent éloigner <strong>le</strong>s mauvais ni protéger<br />
<strong>le</strong>urs serviteurs fidè<strong>le</strong>s? Nul d'entre eux n'a démasqué<br />
ces fausses divinités. Pourquoi ces dieux bons et véritab<strong>le</strong>s<br />
gardaient-ils <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce? pourquoi ne dévoilaientils<br />
pas <strong>le</strong>s dieux méchants? C'était à eux à dénoncer<br />
ces dieux cruels et lubriques ; or aucun d'eux ne l'a<br />
fait. Seul <strong>le</strong> Dieu <strong>de</strong>s Hébreux a défendu d'honorer <strong>le</strong>s<br />
méchants <strong>démon</strong>s...; il est donc aussi seul véritab<strong>le</strong> :<br />
donc la religion <strong>de</strong>s Gentils est fausse et l'œuvre <strong>de</strong>s<br />
mauvais esprits, puisqu'on retrouve chez tous <strong>le</strong>s idolâtres<br />
<strong>le</strong>s mêmes sacrifices, <strong>le</strong>s mêmes impuretés...<br />
Qu'on n'objecte pas qu'ils ne sont offerts qu'aux mauvais<br />
<strong>démon</strong>s, puisque c'est à Saturne, à Junon, à Bacchus,<br />
au grand Jupiter, divinités bienfaisantes, qui<br />
<strong>de</strong>vaient s'é<strong>le</strong>ver contre un pareil culte, loin <strong>de</strong> l'accepter...<br />
La raison humaine, qui <strong>le</strong>s proscrivait, était<br />
donc supérieure à ces esprits qui <strong>le</strong>s réclamaient. »<br />
<strong>Le</strong> même Porphyre proclame que tous <strong>le</strong>s soins du<br />
sage doivent être <strong>de</strong> purifier son âme, <strong>de</strong> la mettre à<br />
l'abri <strong>de</strong> l'attaque <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, <strong>de</strong> renoncer à tout<br />
commerce <strong>avec</strong> eux, <strong>de</strong> rechercher <strong>le</strong> vrai bien et <strong>de</strong> ne<br />
point s'attacher, comme <strong>le</strong>s pervers, aux choses matériel<strong>le</strong>s<br />
: — dès lors, plus <strong>de</strong> divinations, plus <strong>de</strong> présages,<br />
d'entrail<strong>le</strong>s fumantes, ni <strong>de</strong> ces pratiques qui révè<strong>le</strong>nt<br />
l'avenir, etc....
AVEC lE DÉMON. 361<br />
« Que penserons-nous donc <strong>de</strong> ceci? dit Eusèbe,<br />
—puisque, d'après Porphyre lui-même, ce ne sont que<br />
<strong>de</strong>s artifices <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s ; <strong>le</strong>s anciens sages qui s'y livraient<br />
n'étaient donc point <strong>de</strong> vrais sages : or tous <strong>le</strong>s<br />
peup<strong>le</strong>s l'ont fait, donc tous étaient dans l'erreur...<br />
Apollon ordonnait qu'on fît <strong>de</strong>s sacrifices aux mauvais<br />
esprits, il était donc <strong>le</strong>ur ami; or nous n'avons guère<br />
pour amis que ceux qui nous ressemb<strong>le</strong>nt. »<br />
D'après Porphyre, l'orac<strong>le</strong> a dit que, pour secon<strong>de</strong>r<br />
<strong>le</strong>s efforts <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins et obtenir <strong>le</strong>s manifestations du<br />
dieu, il fallait offrir une victime expiatoire aux mauvais<br />
<strong>démon</strong>s..., et, selon <strong>le</strong> même Porphyre, la raison<br />
veut qu'on purifie son âme, car <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ne peuvent<br />
rien sur une âme pure... — Quel nom faut-il donner<br />
à un tel orac<strong>le</strong>? —Oh! dit ce Père, voilà pourquoi<br />
<strong>le</strong>s chrétiens, éclairés par l'Écriture sainte, rejettent<br />
un culte impur pour une vie chaste; voilà pourquoi ils<br />
ont renoncé à vos orac<strong>le</strong>s, à vos divinations, et ont<br />
méprisé tous <strong>le</strong>s prestiges dont <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s se servent<br />
pour séduire... : c'est que Jésus-Christ <strong>le</strong>ur a appris<br />
aies rejeter. (Prép. évang., IV.)<br />
«Porphyre, en parlant <strong>de</strong>s esprits, poursuit Eusèbe,<br />
dit qu'ils portent à la concupiscence, excitent <strong>le</strong>s passions,<br />
empruntent mil<strong>le</strong> figures diverses. <strong>Le</strong>s plus<br />
méchants sont ceux qui changent <strong>le</strong> plus souvent <strong>de</strong><br />
formes : astucieux , cruels, il n'y a mal qu'ils ne tentent...<br />
Dépourvus <strong>de</strong> toute puissance divine, tantôt<br />
ils cachent <strong>le</strong>urs embûches, tantôt ils usent <strong>de</strong> force<br />
ouverte; tout <strong>le</strong>ur but est <strong>de</strong> nous donner une fausse<br />
idée <strong>de</strong> la divinité, que souvent ils ont osé contrefaire<br />
pour nous amener à <strong>le</strong>ur culte; ils flattent <strong>le</strong>s<br />
passions <strong>le</strong>s plus vi<strong>le</strong>s, se jouent <strong>de</strong> notre impru<strong>de</strong>nce,<br />
et gagnent ainsi non-seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s gens crédu<strong>le</strong>s,<br />
mais <strong>le</strong>s plus grands philosophes... C'est par <strong>le</strong>ur pou-
352 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
voir, ajoute Porphyre, que s'opèrent <strong>le</strong>s prestiges <strong>de</strong>s<br />
magiciens ; ce sont eux qui ont fasciné <strong>le</strong> genre humain<br />
par mil<strong>le</strong> prodiges étonnants, etc »<br />
« Cet aveu, dit Eusèbe, qui prouve que <strong>le</strong>s plus grands<br />
philosophes ont honoré <strong>le</strong>s mauvais esprits comme <strong>de</strong>s<br />
dieux, nous surprend : c'est avouer la source <strong>de</strong> l'erreur<br />
<strong>de</strong>s nations; aveu bien important <strong>de</strong> la part d'un personnage<br />
initié aux mystères et aux superstitions <strong>de</strong>s<br />
Gentils ; c'est reconnaître que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s se font passer<br />
pour <strong>de</strong>s dieux. »<br />
<strong>Le</strong> même Porphyre avait dit que ce n'était pas sans<br />
raison qu'on regardait Sérapis comme chef <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s;<br />
celui-ci, qui était i<strong>de</strong>ntique <strong>avec</strong> Pluton, avait<br />
fait connaître qu'ils prenaient toutes sortes <strong>de</strong> formes<br />
et remplissaient <strong>le</strong>s habitations et <strong>le</strong>s corps ; <strong>le</strong>s moyens<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>s expulser avaient été révélés... <strong>Le</strong>s prêtres <strong>le</strong>s<br />
chassaient par <strong>de</strong>s lustrations, afin que <strong>le</strong>s dieux pussent<br />
ensuite se manifester, etc—<br />
On ne peut suivre Eusèbe plus loin, mais ceci seul<br />
prouve combien <strong>de</strong> tels aveux étaient favorab<strong>le</strong>s à sa<br />
cause, et combien il était faci<strong>le</strong> aux apologistes <strong>de</strong><br />
triompher du paganisme. Hécate était la même que<br />
Sérapis ; celui-ci <strong>le</strong> même dieu qu'Apollon : <strong>le</strong>s initiés<br />
avouaient donc que <strong>le</strong>urs dieux supérieurs étaient <strong>de</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s. Cet aveug<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s païens eût étonné <strong>le</strong>s<br />
apologistes s'ils n'en eussent connu la cause... — Sans<br />
s'en douter, <strong>le</strong>s mêmes païens attestaient l'avènement<br />
<strong>de</strong> Jésus-Christ, qui <strong>de</strong>vait détruire l'empire <strong>de</strong> Satan;<br />
on <strong>le</strong> voyait par la cessation <strong>de</strong>s sacrifices barbares,<br />
par <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, par l'anéantissement <strong>de</strong> la<br />
puissance <strong>de</strong>s dieux..., etc. Aussi Porphyre se plaint<br />
qu'on n'éprouve plus <strong>le</strong>s heureux effets <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur intervention,<br />
ni l'assistance d'Esculape ni <strong>de</strong> nul autre...<br />
Ayant dit précé<strong>de</strong>mment qu'il y avait eu accroisse-
AVEC LE DÉMON. 353<br />
ment <strong>de</strong> prodiges, il semb<strong>le</strong> qu'il y ait ici contradiction....<br />
— L'intervention <strong>de</strong>s esprits se manifesta davantage<br />
dans <strong>le</strong>s arts sacrés, mais <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s<br />
guérisons dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s faisaient souvent défaut. <strong>Le</strong><br />
corps <strong>de</strong> saint Babylas, enterré près d'un temp<strong>le</strong>, rendit<br />
muet l'orac<strong>le</strong> d'Apollon, qui en déclara lui-même la<br />
causé. Julien, voyant que <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s cessaient, nous<br />
apprend que Jupiter snppléa à ce défaut en donnant <strong>le</strong>s<br />
arts sacrés. (S. Cyril<strong>le</strong>, Rèfut. <strong>de</strong> Jirfien.) — <strong>Le</strong> même<br />
Julien ayant fait en<strong>le</strong>ver <strong>le</strong> corps <strong>de</strong> saint Babylas,<br />
l'orac<strong>le</strong> parla <strong>de</strong> nouveau. (Bul<strong>le</strong>t, Hi'st. <strong>de</strong> l'établ. du<br />
Christian,, p. 207.)<br />
Après cette digression, revenons à Eusèbe : « Pourquoi<br />
se sont-ils donc retirés (<strong>le</strong>s dieux) <strong>de</strong>vant un<br />
simp<strong>le</strong> mortel? dit-il; quoi! Jésus-Christ <strong>le</strong>ur a ôté<br />
<strong>le</strong>ur divinité, il a substitué son culte au <strong>le</strong>ur, et ils n'ont<br />
pas extirpé cette erreur malgré tous <strong>le</strong>urs efforts!... »<br />
Eusèbe rappel<strong>le</strong> une croyance commune aux païens<br />
et aux chrétiens. : <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s errant dans l'atmosphère<br />
aiment <strong>le</strong>s cadavres et <strong>le</strong>s tombeaux... <strong>Le</strong>urs<br />
chefs, voyant qu'on é<strong>le</strong>vait <strong>de</strong>s statues aux morts, agitèrent<br />
ces statues, établirent <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s et firent <strong>de</strong>s<br />
gTiérisons, tantôt parce que <strong>le</strong> mal était curab<strong>le</strong>, tantôt<br />
parce qu'ils cessaient <strong>de</strong> tourmenter <strong>le</strong> mala<strong>de</strong>...<br />
Ma fit croire à une intervention divine. <strong>Le</strong> polythéisme<br />
s'établit ainsi par <strong>le</strong>s prestiges <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, et <strong>le</strong>s prêtres,<br />
sous <strong>le</strong>urs inspirations, en multiplièrent <strong>le</strong>s merveil<strong>le</strong>s.<br />
Eusèbe, après avoir rappelé que <strong>le</strong>s mauvais esprits<br />
apparaissent tantôt sous la forme <strong>de</strong>s dieux supérieurs,<br />
tantôt sous cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s dieux inférieurs, dit que souvent<br />
ils ne prennent pas la peine <strong>de</strong> se transformer et donnent<br />
bien <strong>de</strong>s preuves évi<strong>de</strong>ntes <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur nature perverse;<br />
la variété <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs apparitions fut la source <strong>de</strong><br />
i. 23
354 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
mil<strong>le</strong> erreurs^ puisque, pour <strong>le</strong>s uns, ils furent <strong>de</strong>s<br />
dieux, et pour d'autres, <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s qu'on distingua<br />
en bons et méchants ; mais si l'on accorda un culte aux<br />
premiers pour obtenir <strong>le</strong>ur médiation, on <strong>le</strong> fit pour <strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>rniers afin <strong>de</strong> détourner <strong>le</strong>ur fureur. Il invoque <strong>le</strong><br />
témoignage d'un païen. —Plutarque a pensé (De oracul,<br />
<strong>de</strong>fectu) que <strong>le</strong>s sages avaient <strong>le</strong>vé une gran<strong>de</strong> difficulté<br />
en plaçant, entre <strong>le</strong>s dieux et <strong>le</strong>s hommes, <strong>de</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s médiateurs , et dit qu'il ne croit pas se tromper<br />
en déclarant que <strong>le</strong>s esprits qui prési<strong>de</strong>nt aux orac<strong>le</strong>s<br />
ne sont pas <strong>de</strong>s dieux, puisque ceux-ci ne peuvent<br />
avoir un commerce immédiat <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s choses terrestres,<br />
mais que ce sont <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s.—Dira-t-ou que co sont<br />
<strong>de</strong> bons <strong>démon</strong>s? Plutarque ne pouvait <strong>le</strong> penser; <strong>le</strong>s<br />
sacrifices humains, selon lui, n'ont pu être ordonnés<br />
que pour détourner la colère <strong>de</strong>s mauvais esprits..., et<br />
on sait combien <strong>de</strong> fois l'orac<strong>le</strong> a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s<br />
victimes! — Eusèbe prouve enfin que <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s aurions<br />
s'adressait aux esprits du mal... — Plutarque<br />
rapporte, d'après <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s traditions, que tout ce<br />
qu'on raconte <strong>de</strong> Typhon, d'Isis et d'Osiris, doit être<br />
attribué non à <strong>de</strong>s dieux, mais aux <strong>démon</strong>s...<br />
Eusèbe dit ail<strong>le</strong>urs que Porphyre a raconté que l'apparition<br />
du dieu Pan, serviteur <strong>de</strong> Bacchus, à <strong>de</strong>s laboureurs<br />
avait causé <strong>le</strong>ur mort. — « Un dieu bon se<br />
fait bénir par ses bienfaits, continue Eusèbe. — Eh<br />
bien! rien <strong>de</strong> tout cela, etc. 1<br />
. »<br />
Un autre orac<strong>le</strong> a déclaré que si Diane n'eût retenu<br />
sa colère, tous <strong>le</strong>s bûcherons d'une forêt auraient cessé<br />
<strong>de</strong> vivre. — « Voilà cel<strong>le</strong> qu'il vous faut fléchir! » —<br />
Porphyre n'a pas nié que quelques bons <strong>démon</strong>s ne<br />
i. On se souvient, en effet, que Pan était i<strong>de</strong>ntique aussi av«<br />
Jupiter.
AVEC LE DÉMON. 355<br />
soient lubriques ; d'autres aiment <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong>s tambours<br />
et <strong>le</strong> chant <strong>de</strong>s femmes — Il s'étonne que<br />
<strong>le</strong>s bons, comme <strong>le</strong>s mauvais, soient soumis aux passions...<br />
— Us veu<strong>le</strong>nt la justice, dit-on, dans ceux<br />
jui <strong>le</strong>s honorent, et commettent mil<strong>le</strong> injustices; ils<br />
rejettent <strong>le</strong>s prières <strong>de</strong> ceux qui se livrent aux jouissances<br />
grossières, et portent <strong>le</strong>s hommes aux plus infâmes<br />
voluptés ; ils veu<strong>le</strong>nt que <strong>le</strong>urs ministres s'abstiennent<br />
<strong>de</strong> vian<strong>de</strong>s, et ils aiment l'o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s holocaustes;<br />
ils défen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> toucher un cadavre, et certaines<br />
évocations ne s'obtiennent qu'en immolant <strong>de</strong>s victimes...<br />
— On ne voit donc dans <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s païens<br />
que contradictions, et rien surtout qui porte <strong>le</strong>s<br />
hommes à la vertu.<br />
Porphyre donne comme vérité incontestab<strong>le</strong> qu'ils<br />
n'apparaissent pas <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur p<strong>le</strong>in gré; lorsqu'on <strong>le</strong>s<br />
évoque, ils cè<strong>de</strong>nt à une impérieuse fatalité... Ils font<br />
du mal quand on <strong>le</strong>s évoque <strong>avec</strong> négligence ; mais ils<br />
n'obéissent qu'à une force irrésistib<strong>le</strong> : c'est encore<br />
l'orac<strong>le</strong> qui l'apprend. Hécate dit qu'el<strong>le</strong> ne quitte l'Olympe<br />
qu'en cédant à <strong>de</strong>s invocations dont la force secrète<br />
est un charme... Porphyre cite un grand nombre<br />
^'orac<strong>le</strong>s qui prouvent tous que <strong>le</strong>s dieux- sont contraints<br />
par la fatalité plus puissante qu'eux. — Eusèbe<br />
fait observer qu'il n'y a rien <strong>de</strong> grand, rien <strong>de</strong> divin<br />
uns ces êtres dégradés qui se laissent arracher du ciel,<br />
non parce que ceux qui <strong>le</strong>s invoquent sont vertueux,<br />
mais parce qu'ils usent <strong>de</strong> vains prestiges. Donc ce ne<br />
sont ni <strong>de</strong>s dieux ni <strong>de</strong> bons <strong>démon</strong>s...<br />
« Ce seraient <strong>de</strong>s dieux, dit Eusèbe, ceux qui <strong>de</strong>viennent<br />
ainsi <strong>le</strong> jouet d'hommes méprisab<strong>le</strong>s sans pouvoir<br />
briser <strong>le</strong>urs chaînes ! ce seraient <strong>de</strong> bons <strong>démon</strong>s, ces<br />
esprits qu'il faut contraindre pour faire <strong>le</strong> bien ! Si <strong>le</strong>ur<br />
nature est bonne, pourquoi ne <strong>le</strong> font-ils pas d'eux-
336 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
mêmes ? pourquoi faut-il <strong>le</strong>s y forcer ? Si <strong>le</strong>ur apparition<br />
n'a pas pour résultat ce qui est honnête et uti<strong>le</strong>, comment<br />
peut-on <strong>le</strong>ur donner <strong>le</strong> titre <strong>de</strong> dieux? etc. »<br />
Porphyre, frappé <strong>de</strong>s contradictions et <strong>de</strong>s difficultés<br />
qui surgissent à l'occasion <strong>de</strong> ces dieux qui paraissent<br />
si peu d'accord <strong>avec</strong> eux-mêmes, est surtout vivement<br />
surpris, dit Eusèbe, que <strong>le</strong> premier venu puisse effrayer<br />
<strong>le</strong>s dieux cé<strong>le</strong>stes. Si <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il et la lune subissent <strong>de</strong>s<br />
acci<strong>de</strong>nts, il est clair qu'on s'en apercevrait, comme on<br />
s'aperçoit <strong>de</strong>s éclipses; non moins clair que s'ils nous<br />
écoutent, l'idiome n'y fait rien; tout cela est donc<br />
pure vanité...<br />
Ce sont <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, continue l'apologiste (Prwp.<br />
ecanyel., V), qui ont donné ces abominab<strong>le</strong>s <strong>le</strong>çons<br />
<strong>de</strong> jong<strong>le</strong>ries; ce sont eux qui ont révélé ces moyens<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>s enchaîner ; il invoque encore ici pour autorité<br />
l'orac<strong>le</strong> lui-même. Il est dit dans <strong>le</strong> recueil <strong>de</strong> Porphyre<br />
que <strong>le</strong>s dieux, entre autres choses, ont révélé<br />
comment on peut <strong>le</strong>s soumettre, indiqué <strong>le</strong>s victimes<br />
qui <strong>le</strong>ur plaisent, ordonné la forme <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs statues',<br />
tous <strong>le</strong>s rites <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur culte... Il en fournit <strong>de</strong>s preuves<br />
nombreuses... Enfin ils ont inspiré l'art magique...<br />
« Porphyre, dit Eusèbe, a parfaitement réussi à nous<br />
I. Ils ont révélé, dit Porphyre, non-seu<strong>le</strong>ment quel<strong>le</strong>s choses <strong>le</strong>ur<br />
sont agréab<strong>le</strong>s..., etc. ; mais ils ont appris aux hommes quel<strong>le</strong>s<br />
formes on doit donner à <strong>le</strong>urs statues, sous quel<strong>le</strong>s figures ils apparaissent,<br />
quels lieux ils habitent. Ils ont révélé tous <strong>le</strong>s rites qui<br />
s'observent, etc Ils ont déclaré quel<strong>le</strong> matière <strong>de</strong>vait Ctre employée<br />
pour faire <strong>le</strong>urs ido<strong>le</strong>s. Dans un orac<strong>le</strong>, Hécate prescrit tout<br />
ce qui doit entrer dans la composition <strong>de</strong> sa statue. C'est sur <strong>le</strong><br />
modè<strong>le</strong> qu'ils ont donné qu'on a fait <strong>le</strong>urs statues. — D'après Pan<br />
lui-même, <strong>le</strong> front <strong>de</strong> ce dieu est orné d'une doub<strong>le</strong> corne; il a 1rs<br />
jambes d'un bouc et aime <strong>le</strong>s jouissances <strong>de</strong> la ivolupté. Hécate ici<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu'on la représente <strong>avec</strong> une robe blanche, <strong>de</strong>s sanda<strong>le</strong>s d'or<br />
et une ceinture <strong>de</strong> longs serpents... Quant à la matière, ce sera du<br />
marbra <strong>de</strong> Parosou l'ivoire ciselé, (lb., V, H, 12, 13.)
A.VEC LE DÉMON. 357<br />
montrer <strong>le</strong>s artifices <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s et <strong>le</strong>s pièges qu'ils<br />
nous ten<strong>de</strong>nt... Mais à quoi servent cette magie et ces<br />
enchantements, pour <strong>le</strong> bonheur...? Il examine <strong>le</strong>s<br />
orac<strong>le</strong>s dont l'ambiguïté a causé la mort <strong>de</strong>s princes,<br />
h perte <strong>de</strong>s empires ; ils se sont joués <strong>de</strong> ceux qui <strong>le</strong>s<br />
consultaient; ils ont allumé <strong>le</strong>s guerres, la discor<strong>de</strong>;<br />
<strong>le</strong>urs réponses sont inuti<strong>le</strong>s ou ridicu<strong>le</strong>s... ; ils prennent<br />
parti pour <strong>de</strong>s causes injustes; ils louent l'immoralité;<br />
ils font rendre <strong>le</strong>s honneurs divins à <strong>de</strong>s athlètes, à la<br />
matière brute ; ils flattent <strong>le</strong>s tyrans. » Eusèbe continue<br />
<strong>de</strong> prouver, par l'examen d'un grand nombre d'orac<strong>le</strong>s,<br />
qu'ils ne peuvent émaner <strong>de</strong> la Divinité... Lorsqu'ils<br />
annoncent l'avenir que régit <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin, ils ne <strong>le</strong><br />
connaissent que par l'inspection <strong>de</strong>s astres ; <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s<br />
déclarent que c'est d'après cette inspection qu'ils prédisent<br />
<strong>le</strong> sexe d'un enfant, <strong>le</strong>s maladies..., etc.<br />
<strong>Le</strong> <strong>de</strong>stin qui a décrété que tel temp<strong>le</strong> serait détruit<br />
par la foudre, tel autre incendié est donc plus puissant<br />
que vos dieux, dit Eusèbe, puisqu'ils ne peuvent<br />
s'y opposer.<br />
Alors à quoi bon ces libations, ces victimes... Cependant,<br />
arrêtez, poursuit Eusèbe, l'orac<strong>le</strong> a dit qu'il<br />
fallait recourir à la magie pour se soustraire au <strong>de</strong>stin ;<br />
puisque la magie est un moyen accordé par <strong>le</strong>s dieux<br />
pour triompher du <strong>de</strong>stin, pourquoi n'ont-ils pas donné<br />
<strong>de</strong>s moyens magiques pour préserver <strong>le</strong>urs temp<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />
lafoudre? (Prœp. evang., VI.) — Profitons <strong>de</strong> l'aveu,<br />
dit Eusèbe; — Porphyre lui-même reconnaît qu'ils ne<br />
disent pas toujours la vérité... Parce qu'il est impossib<strong>le</strong><br />
à certains <strong>démon</strong>s <strong>de</strong> connaître parfaitement <strong>le</strong><br />
mouvement <strong>de</strong>s astres; si <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s sont faux, ce<br />
n'est pas qu'ils mentent, « c'est, dit-on, l'air environnant<br />
qui <strong>le</strong>s trompe... » — Il est donc évi<strong>de</strong>nt, répond<br />
Eusèbe, qu'ils n'ont rien <strong>de</strong> divin, car la divinité ne
358 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
peut ni se tromper ni mentir ; ils usent <strong>de</strong> ces stratagèmes<br />
pour en imposer à la crédulité, ils font croire<br />
à la fatalité ; mais <strong>avec</strong> cel<strong>le</strong>-ci que <strong>de</strong>viennent donc<br />
nos passions, notre volonté? etc..<br />
Il faut renoncer à citer ici, en substance, <strong>le</strong>s arguments<br />
d'Eusèbe contre <strong>le</strong>s fausses religions. <strong>Le</strong>s quinze<br />
livres <strong>de</strong> la Préparation évangélique et <strong>le</strong>s dix <strong>de</strong> la<br />
Démonstration évangélique doivent être lus dans l'auteur;<br />
car il <strong>de</strong>vient impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> donner une idée <strong>de</strong><br />
ces traités vraiment admirab<strong>le</strong>s, où Eusèbe a pulvérisé<br />
<strong>le</strong> paganisme et la philosophie, et prouvé la vérité du<br />
christianisme.<br />
Saint Augustin.<br />
Dans ce qui vient d'ôtre exposé, <strong>le</strong> principal but<br />
était <strong>de</strong> réfuter <strong>le</strong>s philosophes païens et <strong>de</strong> <strong>démon</strong>trer<br />
que tout <strong>le</strong> paganisme était une chimère introduite<br />
par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ; il serait inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> citer d'autres<br />
Pères, ce sont toujours à peu près <strong>le</strong>s mômes arguments.<br />
Saint Augustin, contemporain <strong>de</strong> Julien, complétant<br />
et résumant dans ses ouvrages <strong>le</strong>s Pères <strong>de</strong>s<br />
sièc<strong>le</strong>s précé<strong>de</strong>nts, prouve <strong>de</strong> môme que <strong>le</strong>s dieux sont<br />
<strong>de</strong> malins esprits, que la théurgie est, comme la goétic,<br />
un commerce établi entre <strong>l'homme</strong> et <strong>le</strong>s puissances<br />
inferna<strong>le</strong>s. L'existence <strong>de</strong> la magie et <strong>de</strong> ses prodiges<br />
malfaisants ou bienfaisants est aussi par lui proclamée<br />
et <strong>démon</strong>trée.<br />
Il fait sentir <strong>le</strong> ridicu<strong>le</strong> <strong>de</strong> la doctrine qui regar<strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s comme <strong>de</strong>s médiateurs... — Quoi! <strong>de</strong>s médiateurs,<br />
dit-il, qui aiment <strong>le</strong>s' ordures <strong>de</strong>s théâtres et <strong>le</strong>s<br />
maléfices <strong>de</strong> la magie!... La pureté, l'innocence n'obtiendront<br />
rien par <strong>le</strong>ur propre mérite, il faudra recourir<br />
à <strong>le</strong>urs ennemis !
AVEC LE DÉMON. 359<br />
S'il faut adorer <strong>le</strong>s auteurs <strong>de</strong> la magie, pourquoi<br />
la punissez-vous?... Lorsqu'Apulée en fut accusé, si<br />
el<strong>le</strong> était innocente, non-seu<strong>le</strong>ment il l'eût avouée, il<br />
aurait encore blâmé la loi qui la condamnait..., mais<br />
il a voulu s'en disculper... — <strong>Le</strong>s chrétiens ne font<br />
pas comme Apulée, ils avouent hautement <strong>le</strong>ur foi et<br />
souffrent la mort pour el<strong>le</strong>.<br />
Saint Augustin trouve absur<strong>de</strong> que <strong>le</strong>s dieux aiment<br />
? communiquer <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, qui usurpent la divinité<br />
et lui imputent <strong>de</strong> faux crimes, tandis qu'ils rejettent<br />
<strong>l'homme</strong> humb<strong>le</strong> et pénitent.<br />
On dit que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s habitant l'air, qui est entre<br />
<strong>le</strong> ciel et la terre, ils sont nécessairement nos médiateurs<br />
par <strong>le</strong> lieu qu'ils occupent.<br />
Saint Augustin trouve étrange que <strong>le</strong>s dieux connaissent<br />
mieux <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, à cause <strong>de</strong> la proximité<br />
loca<strong>le</strong>, que <strong>le</strong>s hommes pour la pureté <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur âme...<br />
Si <strong>le</strong>s dieux, dit-il, voient nos pensées, à quoi sert l'entremise<br />
<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s?<br />
Ayant fait clairement ressortir l'absurdité d'une<br />
tel<strong>le</strong> doctrine, il dit qu'el<strong>le</strong> est inventée par ces esprits<br />
envieux, superbes et méchants; — ce ne sont point <strong>de</strong>s<br />
médiateurs; <strong>de</strong>puis qu'ils ont été chassés du ciel,<br />
<strong>l'homme</strong> est au-<strong>de</strong>ssus d'eux, parce qu'il adore Dieu;<br />
mais ceux-ci ne régnent que sur ceux auxquels ils ont<br />
su persua<strong>de</strong>r, par lc:;rs prédictions et <strong>le</strong>urs prestiges,<br />
qu'ils étaient <strong>de</strong>s dieux.<br />
La plupart <strong>de</strong>s philosophes distinguent <strong>de</strong>ux sortes<br />
<strong>de</strong> <strong>démon</strong>s, <strong>de</strong>s bons et <strong>de</strong>s mauvais, —ces <strong>de</strong>rniers ne<br />
pouvant être nos médiateurs, ce ne pourrait être que<br />
<strong>le</strong>spremiers; mais saint Augustin (Cité<strong>de</strong>Dien,VIII, 14)<br />
fait observer que <strong>le</strong>s uns et <strong>le</strong>s autres, d'après Apulée, ;<br />
étant très-passionnés, persécutent ou protègent <strong>le</strong>s<br />
hommes, selon qu'ils <strong>le</strong>s haïssent ou <strong>le</strong>s aiment. C'est
DBS RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Jésus-Christ, dit-il, qui est notre seul médiateur,<br />
puisqu'il possè<strong>de</strong> <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux natures. <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s sont <strong>de</strong><br />
faux médiateurs qui s'interposent pour nous tromper.<br />
D'après l'Écriture il n'y en a point <strong>de</strong> bons. (Iô., IX.)<br />
<strong>Le</strong>s mirac<strong>le</strong>s, dit saint Augustin, n'ont eu lieu que<br />
pour établir <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> Dieu, et <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong> la<br />
magie sont obtenus par <strong>le</strong> commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s.<br />
On obtient <strong>le</strong>s premiers par <strong>le</strong>s vertus chrétiennes<br />
et la foi; ces <strong>de</strong>rniers par <strong>de</strong>s charmes, une curiosité<br />
criminel<strong>le</strong>.<br />
La théurgie, comme la goétie, émane <strong>de</strong>s malins<br />
esprits. Porphyre avoue que ni l'une ni l'autre ne conduisent<br />
à Dieu... ; mais tantôt il dit d'éviter la théurgie,<br />
tantôt il excite à y recourir, non pour purifier la partie<br />
intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'âme..., mais la partie spirituel<strong>le</strong> qui<br />
reçoit <strong>le</strong>s images <strong>de</strong>s corps; selon lui, <strong>le</strong>s conjurations<br />
théurgiques ren<strong>de</strong>nt apte à recevoir l'inspiration <strong>de</strong>s<br />
esprits et <strong>le</strong>s visions <strong>de</strong>s dieux... II avoue aussi pourtant<br />
que par la théurgie, on contracte <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s esprits<br />
qui envient à l'âme sa purgation, ou du moins favorisent<br />
<strong>le</strong>s mauvaises passions <strong>de</strong> ceux qui l'envient... — Il cite<br />
un Chaldéen qui, ayant pris beaucoup <strong>de</strong> peine pour<br />
purifier son âme, n'y put réussir, parce qu'un savant<br />
théurgiste avait lié <strong>le</strong>s puissances par <strong>de</strong>s consécrations...<br />
— Vos dieux, dit saint Augustin, sont donc soumis<br />
aux passions, s'il peuvent être gagnés ou effrayés...<br />
S'ils étaient bons, celui qui veut être purifié l'emporterait<br />
auprès d'eux sur ceux qui lui porteraient envie.<br />
Il est bien étonnant que ce théurgiste ait trouvé un<br />
dieu supérieur qui servît son envie, et que ce brave<br />
Chaldéen n'en ait pu trouver un plus puissant encore<br />
qui obligeât ces dieux effrayés <strong>de</strong> faire <strong>le</strong> bien qu'on<br />
<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>mandait, soit en <strong>le</strong>s effrayant davantage, soit en<br />
<strong>le</strong>s délivrant <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur crainte.
AVEC LE DÉMON. 3tji<br />
Ces visions d'anges et <strong>de</strong> dieux, obtenues par ceux<br />
qui sont ainsi purifiés, sont donc produites par Satan,<br />
qui se transforme en ange <strong>de</strong> lumière. (Iè., X, 8,9,10.)<br />
Saint Augustin, d'après Porphyre lui-même, prouve<br />
que ce prêtre idolâtre n'a pas d'opinion arrêtée sur<br />
<strong>le</strong>s dieux ou <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, ceux-ci se montrant tantôt<br />
sous la figure <strong>de</strong>s dieux, tantôt sous cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
ou <strong>de</strong>s trépassés... La femme chrétienne la plus simp<strong>le</strong><br />
sait mieux discerner que Porphyre toute cette diab<strong>le</strong>rie<br />
qu'el<strong>le</strong> déteste, dit <strong>le</strong> saint évèque.<br />
<strong>Le</strong> même Porphyre s'étonne <strong>de</strong> ces menaces faites<br />
aux dieux par un homme pour <strong>le</strong>s contraindre, tel<strong>le</strong>s<br />
que divulguer <strong>le</strong>s mystères d'Isis et mettre en pièces <strong>le</strong>s<br />
membres d'Osiris. <strong>Le</strong>s effets <strong>de</strong>s imprécations émanent<br />
d'esprits imposteurs..., dit saint Augustin, et toutes<br />
ces fictions <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s apparaissant comme dieux ou<br />
âmes <strong>de</strong>s défunts, ne sont que <strong>de</strong>s badinages pour<br />
tromper; ainsi que <strong>le</strong>s cérémonies, tons <strong>de</strong> voix, figures<br />
astrologiques, etc., etc., qu'on croit capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> produire<br />
<strong>de</strong>s effets divers.<br />
<strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s ont inventé <strong>le</strong> tout pour se jouer <strong>de</strong>s<br />
hommes qu'ils ont aveuglés... Porphyre lui-même a<br />
entrevu cette vérité, dit-il, car il a remarqué que tout<br />
cela ne conduisait ni à la béatitu<strong>de</strong>, ni à la vraie sagesse,<br />
mais à rechercher <strong>de</strong>s biens temporels... — Ce ne<br />
sont donc ni <strong>de</strong>s dieux, ni <strong>de</strong> bons <strong>démon</strong>s.<br />
« Aussi, continue saint Augustin, comme il se fait<br />
par <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> la magie tant <strong>de</strong> choses qui surpassent<br />
toute la puissance humaine, que reste-t-il à dire?<br />
sinon que tout ce merveil<strong>le</strong>ux ne se rapportant point à<br />
Dieu, dont la jouissance peut seu<strong>le</strong> rendre <strong>l'homme</strong><br />
heureux, selon l'aveu <strong>de</strong>s platoniciens, on doit <strong>le</strong> considérer<br />
comme une illusion diabolique. »<br />
Il dit plus loin qu'il faut se gar<strong>de</strong>r d'écouter ceux
362 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
qui ne veu<strong>le</strong>nt pas que Dieu fasse <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s visib<strong>le</strong>s,<br />
tandis qu'ils reconnaissent qu'il a créé <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, ce<br />
qui est aussi incompréhensib<strong>le</strong> aux hommes que celui<br />
qui l'a fait...<br />
Dien ne dédaigne pas <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s visib<strong>le</strong>s<br />
pour exciter l'âme attachée aux choses matériel<strong>le</strong>s, et<br />
rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s hommes à l'adoration d'un Dieu invisib<strong>le</strong>.<br />
Saint Augustin répond ainsi à ceux qui accusent la Divinité<br />
<strong>de</strong> changer <strong>le</strong>s lois <strong>de</strong> la nature..., — et donne<br />
un critérium pour reconnaître <strong>de</strong> quel<strong>le</strong> source émanent<br />
<strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s..., c'est, dit-il, <strong>de</strong> savoir s'ils conduisent<br />
à Dieu'...<br />
« Penserons-nous, dit-il ail<strong>le</strong>urs, qu'il fail<strong>le</strong> ajouter<br />
foi, pour parvenir au ciel, aux anges qui veu<strong>le</strong>nt<br />
qu'on <strong>le</strong>ur ren<strong>de</strong> un culte, ou. aux anges qui disent<br />
qu'il n'est dû qu'à Dieu seul?... Puisque <strong>de</strong>s anges<br />
nous invitent par <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s à adorer Dieu, que d'autres<br />
en font pour nous porter à rendre un culte à euxmêmes...,<br />
<strong>le</strong>squels doit-on croire? Que <strong>le</strong>s platoniciens<br />
répon<strong>de</strong>nt, que <strong>le</strong>s philosophes répon<strong>de</strong>nt, que <strong>le</strong>s<br />
magiciens répon<strong>de</strong>nt, que tous <strong>le</strong>s hommes, en un<br />
mot, s'il <strong>le</strong>ur reste une étincel<strong>le</strong> <strong>de</strong> raison, répon<strong>de</strong>nt,<br />
et nous disent si l'on doit écouter <strong>de</strong> préfet once ceux<br />
qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s adorations pour eux-mêmes, ou <strong>le</strong>s<br />
anges qui <strong>le</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt uniquement pour Dieu. »<br />
Quand même ni <strong>le</strong>s uns ni <strong>le</strong>s autres ne feraient <strong>de</strong><br />
mirac<strong>le</strong>s, quand il n'y aurait que ce fait, que <strong>le</strong>s uns<br />
comman<strong>de</strong>nt <strong>le</strong> sacrifice pour eux, et que <strong>le</strong>s autres<br />
veu<strong>le</strong>nt qu'on n'adore que <strong>le</strong> vrai Dieu, il suffirait<br />
d'avoir un peu <strong>de</strong> piété, pour voir <strong>de</strong> quel côté est<br />
1. Quand <strong>le</strong> <strong>démon</strong> se transforme en ange <strong>de</strong> lumière, on pourrait<br />
encore s'y tromper, mais ce passage <strong>de</strong> saint Augustin n'est pas un<br />
traité du discernement <strong>de</strong>s esprits.
AVEC LE DÉMON. 363<br />
l'orgueil ou la véritab<strong>le</strong> religion... « Je dis plus, ajoute<br />
saint Augustin, lors même qu'il n'y aurait que <strong>le</strong>s<br />
esprits qui veu<strong>le</strong>nt un culte qui feraient <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s,<br />
lors même que <strong>le</strong>s autres dédaigneraient d'en faire, <strong>le</strong><br />
bon sens indique ceux qui doivent l'emporter; mais<br />
puisque Dieu, dans l'intérêt <strong>de</strong> la vérité, a voulu que<br />
<strong>le</strong>s anges qui ne veu<strong>le</strong>nt que sa gloire fissent <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />
plus certains, plus évi<strong>de</strong>nts que ceux qui usurpent<br />
un culte dû à Dieu seul, qui serait donc assez déraisonnab<strong>le</strong><br />
pour ne pas voir la vérité ? »<br />
Saint Augustin, parlant <strong>de</strong>s prodiges cités par <strong>le</strong>s historiens<br />
païens, distingue <strong>le</strong>s faits qui peuvent appartenir<br />
à <strong>de</strong>s causes occultes <strong>de</strong> ceux dont <strong>le</strong>s dieux sont <strong>le</strong>s<br />
auteurs; il dit que ces <strong>de</strong>rniers ne sont pas comparab<strong>le</strong>s<br />
aux mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la sainte Écriture. « <strong>Le</strong>s prodiges<br />
<strong>de</strong> la magie, dit-il, ne sont que <strong>de</strong>s illusions et <strong>de</strong>s<br />
fantômes... En vain quelques-uns <strong>de</strong> ces prestiges semb<strong>le</strong>nt<br />
éga<strong>le</strong>r quelques mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s serviteurs <strong>de</strong> Dieu,<br />
la fin pour laquel<strong>le</strong> ils sont faits montre que <strong>le</strong>s nôtres<br />
sont incomparab<strong>le</strong>ment plus excel<strong>le</strong>nts ; car <strong>le</strong>s premiers<br />
ont lieu pour établir <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> ceux qui veu<strong>le</strong>nt<br />
qu'on <strong>le</strong>ur sacrifie, au lieu que <strong>le</strong>s véritab<strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />
n'ont d'autre but que la gloire <strong>de</strong> Dieu. »<br />
A quoi bon multiplier ces citations? Tous <strong>le</strong>s Pères<br />
professaient la môme doctrine : <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s nations<br />
sont <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, dii gentwm dœmonia; non <strong>de</strong>s êtres<br />
chimériques, mais <strong>de</strong>s intelligences malfaisantes. Ce<br />
qui suit va <strong>le</strong> prouver d'une manière encore plus frappante.<br />
La ruse, <strong>le</strong> mensonge, <strong>le</strong>s turpitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s faux dieux,<br />
<strong>le</strong>ur cruauté, sont encore plus amp<strong>le</strong>ment dévoilés<br />
dans <strong>le</strong>s lignes suivantes. Sans s'astreindre à aucun<br />
ordre, on va rapporter quelques passages <strong>de</strong>s Pères<br />
déjà nommés, et d'autres qui ne l'ont pas été encore.
364 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Minucius Félix.<br />
Minucius Félix avoue que <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s ont dit quelquefois<br />
la vérité ; mais ce célèbre orateur veut, dit-il,<br />
remonter à la source <strong>de</strong> l'erreur... Il existe <strong>de</strong>s esprits<br />
malins et vagabonds qui, après avoir perdu <strong>le</strong>s avantages<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur nature et s'être plongés dans <strong>le</strong>s vices,<br />
s'elforcent, pour se conso<strong>le</strong>r, d'y précipiter <strong>le</strong>s autres;<br />
corrompus, ils ne se plaisent qu'à corrompre... <strong>Le</strong>s<br />
apôtres et <strong>le</strong>s philosophes <strong>le</strong>s appel<strong>le</strong>nt <strong>démon</strong>sce<br />
sont eux qui opèrent ce que <strong>le</strong>s magiciens font d'admirab<strong>le</strong>,<br />
qui donnent l'efficace à <strong>le</strong>urs enchantements,<br />
qui font voir ce qu'on ne voit pas, qui produisent enfin<br />
toutes ces merveil<strong>le</strong>s dont on par<strong>le</strong>... (Octachai, XXVI.)<br />
« Nous avons prouvé, dit-il, par l'autorité <strong>de</strong>s mages<br />
et <strong>de</strong>s philosophes, que ce sont <strong>de</strong>s esprits impurs qui<br />
se tiennent dans <strong>le</strong>s statues qu'on <strong>le</strong>ur consacre, et y<br />
acquièrent la puissance d'une divinité qui y serait<br />
présente ; ils inspirent <strong>le</strong>urs prophètes, habitent dans<br />
<strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s, gouvernent <strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s oiseaux, font palpiter<br />
<strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes, ren<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s<br />
mêlés <strong>de</strong> mensonge, trompent et sont trompés comme<br />
ceux qui ne savent pas bien la vérité...; ils troub<strong>le</strong>nt<br />
la vie, se glissent dans <strong>le</strong>s corps, forment <strong>le</strong>s maladies,<br />
épouvantent l'âme, tor<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s membres pour contraindre<br />
<strong>le</strong>s hommes à <strong>le</strong>s adorer ; lorsque, rassasiés<br />
<strong>de</strong> victimes, ils ont détruit <strong>le</strong>s charmes, on <strong>le</strong>ur attribue<br />
la guérison; ce sont eux qui tigitent vos <strong>de</strong>vins...<br />
Ce sont eux, dit-il ensuite, qui ont donné ces songes<br />
que vous attribuez à Jupiter, et fait ces prodiges dont<br />
<strong>le</strong>s historiens font mention, etc Ce sont eux qui<br />
causent toutes ces illusions, etc. » (/#., XXVII.)<br />
<strong>Le</strong> philosophe Athénagore (Àpol. à Marc-Aarè<strong>le</strong>) en
AVEC LE DÉMON. 365<br />
dit autant : — « Ce sont <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s qui entraînent <strong>le</strong>s<br />
hommes aux pieds <strong>de</strong>s ido<strong>le</strong>s, qui aiment <strong>le</strong> sang <strong>de</strong>s<br />
victimes, <strong>le</strong>s cruautés dans <strong>le</strong>s adorations, etc..»<br />
Clément d'A<strong>le</strong>xandrie.<br />
Clément d'A<strong>le</strong>xandrie, après avoir prouvé que <strong>le</strong>s<br />
dieux ne sont pas <strong>de</strong>s dieux, dit qu'il importe d'examiner<br />
si ce ne sont point <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s... — Après avoir<br />
rappelé <strong>le</strong>s sacrifices et <strong>le</strong>s libations <strong>de</strong> sang humain<br />
que ces dieux cruels ordonnent..., il dit : « Voyez<br />
l'amour que vous portent et quels biens peuvent vous<br />
faire ces esprits malfaisants... — Pouvez-vous, dit-il<br />
ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s regar<strong>de</strong>r comme <strong>de</strong>s dieux, ces <strong>démon</strong>s<br />
impurs, horrib<strong>le</strong>s, que tous reconnaissent pour <strong>de</strong>s<br />
êtres fangeux, errant autour <strong>de</strong>s tombeaux, apparaissant<br />
comme <strong>de</strong>s spectres dans <strong>le</strong>s ténèbres, comme <strong>de</strong>s<br />
fantômes affreux... <strong>Le</strong>s magiciens se vantent <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />
avoir aux ordres <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur impiété, et <strong>le</strong>s contraignent<br />
d'obéir par <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s. »<br />
Dans <strong>le</strong>s Stromates, il dit que certaines prédictions<br />
chez <strong>le</strong>s Grecs n'appartenaient qu'aux conjectures;<br />
mais d'autres furent inspirées par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s...<br />
Lactance déjà cité, parlant <strong>de</strong>s égarements <strong>de</strong>s<br />
païens, dit qu'ils viennent d'une puissance ennemie<br />
envieuse <strong>de</strong> notre bonheur... occupée à nous cacher<br />
la vérité...; il dit plus loin que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s sèment <strong>le</strong>s<br />
pièges, altèrent la santé, causent <strong>le</strong>s maladies, épouvantent<br />
l'imagination par <strong>de</strong>s songes, jettent dans <strong>de</strong>s<br />
transports furieux et forcent par <strong>le</strong>s maux qu'ils causent<br />
<strong>de</strong> recourir à <strong>le</strong>ur puissance, mais el<strong>le</strong> ne consiste<br />
qu'à nuire à ceux qui <strong>le</strong>s craignent et ne se mettent<br />
point sous la protection <strong>de</strong> Dieu.<br />
Eusèbe, précé<strong>de</strong>mment cité (Panégyrique <strong>de</strong> Cons-
36« DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
tantiri), dit que cet empereur a triomphé <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s.<br />
— Après avoir rappelé <strong>le</strong>s abominations et <strong>le</strong>s cruautés<br />
du culte païen, il s'écrie : — « Qui a donné <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong><br />
chasser <strong>le</strong>s esprits impurs par <strong>de</strong>s prières? qui donc<br />
a exterminé <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, qui <strong>de</strong>puis plusieurs sièc<strong>le</strong>s<br />
trompaient <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s, si ce n'est Jésus-Christ?... »<br />
Tertullien (De fc?j?r. anim., III) disait : « Si nous<br />
admettons l'existence <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, ce n'est pas assurément<br />
que nous soyons <strong>le</strong>urs partisans, nous qui savons<br />
<strong>le</strong>s chasser du corps <strong>de</strong>s possédés. » Un épicurien<br />
se moque <strong>de</strong> cette croyance, <strong>le</strong>s malédictions môme<br />
prouvent qu'on croit aux <strong>démon</strong>s et qu'on <strong>le</strong>s déteste.<br />
N'appel<strong>le</strong>-t-on pas <strong>démon</strong> un homme rempli <strong>de</strong> méchanceté,<br />
d'orgueil et d'impureté?... Quand un Gentil<br />
prononce <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Satan, c'est <strong>avec</strong> la môme horreur<br />
que <strong>le</strong> chrétien qui sait qu'il induit <strong>l'homme</strong> à pécher. ..j<br />
c'est reconnaître implicitement celui qui l'a perdu...<br />
Si <strong>le</strong>s chrétiens <strong>le</strong> reconnaissent plus explicitement que<br />
<strong>le</strong>s Gentils, ceux-ci, toutefois, <strong>le</strong> haïssent; et <strong>le</strong> haïr,<br />
n'est-ce pas <strong>le</strong> reconnaître?...<br />
Au livre De l'idolâtrie, Tertullien blâme sévèrement<br />
ceux qui fabriquèrent <strong>de</strong>s ido<strong>le</strong>s et qui donnèrent<br />
ainsi un corps aux <strong>démon</strong>s, dœmoniis corpora conferunl.<br />
(llK, VII.)<br />
Dans son exposé <strong>de</strong> tout ce qui se rattache à l'idolâtrie,<br />
il n'omet pas l'astrologie, qui est à la magie ce<br />
que l'espèce est au genre.<br />
Dans <strong>le</strong> traité Du vêtement <strong>de</strong>s femmes (II), il par<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong>s vaines sciences qu'ont inventées <strong>le</strong>s anges rebel<strong>le</strong>s<br />
livrés à Y amour <strong>de</strong>s femmes...; — ce sont entre autres <strong>le</strong>s<br />
enchantements, la révélation <strong>de</strong>s vertus médicina<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>s plantes, etc.<br />
Dans l'Apologétique, il dit encore : « Nous reconnaissons<br />
<strong>de</strong>s substances spirituel<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong> nom n'est pas
AVEC LE DÉMON. 3fi7<br />
nouveau.;. El<strong>le</strong>s causent <strong>de</strong>s maladies aux corps et <strong>de</strong><br />
funestes acci<strong>de</strong>nts, à l'âme <strong>de</strong>s émotions subites et<br />
désordonnées ; <strong>le</strong>ur subtilité qui échappe aux sens <strong>le</strong>s<br />
rend propres à agir sur notre doub<strong>le</strong> substance<br />
Vantez-nous, dit-il, <strong>le</strong>ur secours dans <strong>le</strong>s maladies.'...<br />
El<strong>le</strong>s commencent par <strong>le</strong>s donner, et prescrivent <strong>de</strong>s<br />
remè<strong>de</strong>s inouïs ou contraires; on croit qu'el<strong>le</strong>s ont<br />
guéri <strong>le</strong> mal, el<strong>le</strong>s ont seu<strong>le</strong>ment cessé d'en faire... »<br />
On n'aperçoit pas toujours ces esprits, on ne <strong>le</strong>s reconnaît<br />
qu'aux maux qu'ils causent...; ils se transportent<br />
partout <strong>avec</strong> vitesse...; la terre entière n'est<br />
pour eux qu'un seul et même lieu...; cette vélocité est<br />
<strong>le</strong> propre d'une nature qu'on ne connaît pas...; il <strong>le</strong>ur<br />
est ainsi faci<strong>le</strong> <strong>de</strong> savoir ce qui se passe au loin et d'être<br />
crus auteurs <strong>de</strong> ce qu'ils annoncent; c'est par ces divers<br />
moyens qu'ils ont pu se substituer à Dieu...<br />
Tertullien pense qu'il <strong>de</strong>vient inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> citer <strong>le</strong>urs<br />
prodiges... — Si <strong>le</strong>s magiciens font paraître <strong>de</strong>s fantômes,<br />
s'ils évoquent <strong>de</strong>s morts, s'ils font rendre <strong>de</strong>s<br />
orac<strong>le</strong>s à <strong>de</strong>s enfants, à <strong>de</strong>s chèvres, à <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>s, etc....<br />
— per quos et mensœ divinare consuevenmt ; — s'ils envoient<br />
<strong>de</strong>s songes par <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s qu'ils ont<br />
invoqués, etc..., à plus forte raison ces puissances<br />
séductrices feront pour el<strong>le</strong>s-mêmes ce qu'el<strong>le</strong>s opèrent<br />
pour <strong>le</strong>s autres ; mais si vos dieux ne- font rien <strong>de</strong><br />
plus que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, que <strong>de</strong>vient la prééminence qui<br />
caractérise la divinité, etc. t(Apolog., XXII, XXIII.)<br />
« Connaître <strong>le</strong> vrai Dieu, dit-il ail<strong>le</strong>urs (De bapt., V),<br />
c'est connaître <strong>le</strong>s artifices du <strong>démon</strong> toujours prêt à<br />
contrefaire <strong>le</strong>s œuvres <strong>de</strong> Dieu-..t »<br />
Tertullien nous apprend que Satan â ses sacrements,<br />
son baptême qu'il fait recevoir aux siens ; c'est l'impur<br />
qui purifie, etc..<br />
« Jul. Firmicus Maternus déclare que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> imite
368 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
nos mystères.... ; il a ses onctions, en quelque sorte<br />
ses christs, parce qu'il est l'antechrist... » (Deerrore<br />
prof, relig., XXIII.)<br />
Saint Justin.<br />
Saint Justin voit l'origine du polythéisme dans l'intervention<br />
<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, erreur dont Dieu n'arrête <strong>le</strong><br />
cours qu'en se manifestant quelquefois aux hommes.<br />
C'est ainsi qu'il dit à Moïse : « Je suis celui qui suis. »<br />
(Disc, aux Grecs, XXI.)<br />
<strong>Le</strong> même, première Apologie à l'empereur Antonin<br />
<strong>le</strong> Pieux, se plaint qu'on ne veuil<strong>le</strong> rien examiner...<br />
Vous n'écoutez que la haine; vous n'obéissez qu'à l'impulsion<br />
<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, dit-il; il importe <strong>de</strong> remonter à<br />
la cause — Alors il raconte que <strong>le</strong>s génies, ayant<br />
apparu sous <strong>de</strong>s formes trompeuses, corrompirent <strong>le</strong>s<br />
femmes et <strong>le</strong>s enfants, et effrayèrent <strong>le</strong>s hommes, qui,<br />
frappés <strong>de</strong> terreur et <strong>de</strong> vertige, ignorant l'existence<br />
<strong>de</strong>s mauvais esprits, en firent <strong>de</strong>s dieux Mais<br />
nous, continue saint Justin, c'est en Jésus-Christ que<br />
nous croyons, et nous déclarons imposteurs et pervers<br />
<strong>le</strong>s auteurs <strong>de</strong> tant d'impostures... Nous sommes persuadés<br />
que votre acharnement vient moins <strong>de</strong> vous que<br />
<strong>de</strong> l'esprit infernal qui égare la raison <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, etc.;<br />
Satan ne néglige pour séduire ni prestiges, ni songes,<br />
ni fantômes..., il met tout en œuvre...; il ne veut pas<br />
que vous lui échappiez comme nous l'avons fait nousmêmes...<br />
— <strong>Le</strong>s secrets <strong>de</strong> la nécromancie, l'inspection<br />
<strong>de</strong>s entrail<strong>le</strong>s, l'évocation <strong>de</strong>s mânes <strong>de</strong>s jeunes<br />
enfants, etc., sont <strong>de</strong>s présomptions qu'après la mort<br />
l'âme conserve <strong>le</strong> sentiment, etc..<br />
Saint Cyprien.<br />
Saint Cyprien (De viol, vanitate) expose la même doc-
AV{EC LE DÉMON. 3C9<br />
trine <strong>avec</strong> la même conviction. — « Ne me vantez<br />
plus, dit-il, <strong>le</strong>s auspices ni <strong>le</strong>s présages... où trouver la<br />
cause <strong>de</strong> cette démence, sinon dans <strong>de</strong>s illusions et <strong>de</strong>s<br />
prestiges qu'il faut imputer à <strong>de</strong>s esprits corrompus et<br />
vagabonds..., qui ne cherchent qu'à entraîner <strong>le</strong>s<br />
hommes dans <strong>le</strong>ur ruine ; l'antiquité <strong>le</strong>s a connus sous<br />
<strong>le</strong> nom <strong>de</strong> <strong>démon</strong>s, ils manifestent <strong>le</strong>ur puissance par <strong>de</strong>s<br />
prestiges et <strong>de</strong>s enchantements...» —Saint Cyprien,<br />
comme tous <strong>le</strong>s Pères, croit que <strong>le</strong>s statues donnent<br />
<strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> vie.— «Ce sont ces esprits déchus, dit-il,<br />
qui s'enferment dans <strong>le</strong>s statues consacrées, qui allument<br />
l'enthousiasme <strong>de</strong>s prêtres, font palpiter <strong>le</strong>s<br />
fibres <strong>de</strong>s victimes, gouvernent <strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s oiseaux, dirigent<br />
<strong>le</strong> <strong>de</strong>stin ; menteurs et trompés, ils enveloppent<br />
la vérité <strong>de</strong> ténèbres, troub<strong>le</strong>nt la vie, inquiètent <strong>le</strong><br />
sommeil, se glissent dans <strong>le</strong>s corps qu'ils possè<strong>de</strong>nt,<br />
bou<strong>le</strong>versent l'âme, tor<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s membres dans <strong>de</strong>s<br />
convulsions horrib<strong>le</strong>s, détruisent la santé, incitent<br />
<strong>l'homme</strong> à se faire guérir à <strong>le</strong>urs autels ; mais on nomme<br />
guérisons ce qui n'est que la cessation <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs outrages...<br />
— <strong>Le</strong>ur but, c'est <strong>de</strong> détourner du culte du vrai<br />
Dieu et <strong>de</strong> jeter dans la superstition...; » — il dit<br />
ail<strong>le</strong>urs, toujours en parlant du <strong>démon</strong>, qu'il tâche <strong>de</strong><br />
nous surprendre par une infinité <strong>de</strong> tentations. C'est<br />
un ennemi vieux et expérimenté, qui fait la guerre à<br />
<strong>l'homme</strong> <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> longs sièc<strong>le</strong>s, mais il ne saurait<br />
nuire que Dieu ne <strong>le</strong> lui permette.<br />
Saint Irénée, parlant <strong>de</strong> Marc et <strong>de</strong> Simon, attribue<br />
<strong>le</strong>urs œuvres aux <strong>démon</strong>s : — « Simon, dit-il, exerçait<br />
la magie et troublait l'esprit par ses enchantements.<br />
»<br />
Saint Justin (I Apol. déjà citée) dit que <strong>le</strong>s amours<br />
obscènes <strong>de</strong>s dieux, <strong>le</strong>urs crimes, ne peuvent venir<br />
que <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s. «Veuil<strong>le</strong>z aussi nous croire, dit ce<br />
24
370 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Père, ce sont eux qui ont donné comme <strong>de</strong>s faits vrais<br />
<strong>le</strong>s fab<strong>le</strong>s du paganisme, pour faire passer aussi pour une<br />
fab<strong>le</strong> la venue <strong>de</strong> Jésus-Christ; sachant cet événement<br />
par <strong>le</strong>s prophètes, ils firent croire à l'existence d'un<br />
grand nombre d'enfants <strong>de</strong> Jupiter, et pensèrent que la<br />
naissance du Christ semb<strong>le</strong>rait non moins absur<strong>de</strong> que<br />
<strong>le</strong>s récits fabu<strong>le</strong>ux...<br />
« Nous adorions comme vous Bacchus, Apollon, etc.,<br />
dont on ne peut dévoi<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s turpitu<strong>de</strong>s sans rougir...<br />
Vous célébrez encore <strong>le</strong>urs mystères honteux. Pourquoi<br />
sommes-nous plutôt persécutés que ces hommes<br />
envoyés par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s qui osent se donner pour <strong>de</strong>s<br />
dieux, et que vous comb<strong>le</strong>z d'honneurs?» —Saint Justin<br />
par<strong>le</strong> <strong>de</strong>s statues érigées à Simon et <strong>de</strong>s abominations<br />
<strong>de</strong> Marcion, hérétiques portant <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> chrétiens,<br />
dont <strong>le</strong>s prodiges ont été opérés par Satan, et dont <strong>le</strong><br />
but était d'empêcher <strong>l'homme</strong> d'arriver à Dieu...— « <strong>Le</strong>s<br />
esprits grossiers, dit ce Père, qui ne sauraient se dégager<br />
<strong>de</strong> la terre, il <strong>le</strong>s attache aux choses terrestres et<br />
sensib<strong>le</strong>s; ceux capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> plus hautes contemplations,<br />
mais dont <strong>le</strong> jugement n'est pas sain, ni la vie<br />
pure, ni <strong>le</strong> cœur affranchi <strong>de</strong> passions, il <strong>le</strong>s plonge<br />
dans l'impiété. »<br />
Il termine sa secon<strong>de</strong> apologie en priant <strong>le</strong> sénat <strong>de</strong><br />
la rendre publique : « Au milieu <strong>de</strong> cette capita<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s<br />
chrétiens triomphent <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, dit-il ; ils guérissent<br />
au nom <strong>de</strong> Jésus <strong>de</strong>s hommes dont <strong>le</strong>s malins esprits<br />
s'étaient emparés, contre <strong>le</strong>squels tout l'art <strong>de</strong>s magiciens<br />
avait été impuissant, » — autre preuve <strong>de</strong> fait qu'on<br />
examinera bientôt.<br />
Résumé.<br />
On pourrait multiplier ces extraits <strong>de</strong>s œuvres <strong>de</strong>s<br />
apologistes dont il <strong>de</strong>venait impossib<strong>le</strong> ici d'abor<strong>de</strong>r
AVEC LE DÉMON. 371<br />
tonte la profon<strong>de</strong>ur ; mais cet aperçu trop court étant<br />
déjà bien long et peut-être fastidieux pour la plupart<br />
<strong>de</strong>s <strong>le</strong>cteurs, il a fallu se restreindre, quoique à regret,<br />
car non-seu<strong>le</strong>ment on voit l'importance que <strong>le</strong>s Pères<br />
attachèrent à <strong>le</strong>ur sujet, mais on en est pénétré soimême.<br />
Quelques répétitions <strong>de</strong>venaient inévitab<strong>le</strong>s,<br />
en citant plusieurs fragments <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs œuvres ; pourtant<br />
il fallait montrer, dans la doctrine <strong>de</strong> tous, cette<br />
uniformité qui manque chez <strong>le</strong>s philosophes. — Quant<br />
il'ordre méthodique, il <strong>de</strong>venait impossib<strong>le</strong> dans <strong>de</strong>s<br />
citations tronquées, qui, prises çà et là, rompent la connexion<br />
<strong>de</strong>s diverses parties du sujet. 11 est donc bon<br />
peut-être <strong>de</strong> résumer ici <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s attaques livrées<br />
à la philosophie et au culte païen par <strong>le</strong>s Pères, qui en<br />
émettaient pourtant <strong>le</strong>s prodiges Ainsi nous avons<br />
1. Ce qu'on vient <strong>de</strong> lire a suffisamment prouvé que <strong>le</strong>s apologistes<br />
admettaient la réalité <strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong>s fausses religions; il serait<br />
faci<strong>le</strong> d'en multiplier <strong>le</strong>s preuves. Lactance, que sa gran<strong>de</strong> réputation<br />
fit appe<strong>le</strong>r à Mcomédie par Dioclétien, l'a exprimé longuement<br />
dans ses œuvres. — «Plusieurs ont recours, dit-il (Div. instit., II, 8),<br />
i <strong>de</strong>s histoires écrites par <strong>de</strong> célèbres auteurs, par <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s il semb<strong>le</strong><br />
justifié que ceux que nous prétendons n'être poini <strong>de</strong>s dieux ont fait<br />
loir par <strong>de</strong>s prodiges, <strong>de</strong>s songes, <strong>de</strong>s présages, <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, etc.,<br />
qu'ils étaient véritab<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s dieux. » Il cite Navius, qui, pour<br />
frouver l'augurie, coupa un caillou <strong>avec</strong> un rasoir. — L'apparition <strong>de</strong><br />
Castor et Pollux annonçant à Vatienus la défaite <strong>de</strong> Persée. — Junon<br />
ïoneta, qui avait parlé. — <strong>Le</strong>s prodiges, ci-<strong>de</strong>vant cités, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />
Vesta<strong>le</strong>s. — L'arrivée du serpent d'Épidaure qui fit cesser la peste.<br />
-<strong>Le</strong>s exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> vengeances <strong>de</strong>s dieux. —<strong>Le</strong>s divers songes prodigieux,<br />
etc. — «Pour no rien laisser d'obscur, poursuit Lactance, je<br />
ferai voir que ces prodiges n'étaient que <strong>de</strong>s illusions, dont <strong>le</strong> <strong>démon</strong><br />
i'cstsenï pour tromper <strong>le</strong>s hommes... » Après avoir montré <strong>le</strong>s œuvres<br />
<strong>de</strong> Dieu, <strong>le</strong>s causes <strong>de</strong> l'idolâtrie, etc., etc., il dit plus loin (16., 17.),<br />
que « l'astrologie, <strong>le</strong>s auspices, <strong>le</strong>s augures, <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s, la nécromancie,<br />
la magie, etc., sont <strong>de</strong>s inventions <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s. » — On est<br />
donc étonné que Mgr Duvoisin, évûque <strong>de</strong> Nantes, et quelques prêtres<br />
<strong>de</strong> nos jours, semb<strong>le</strong>nt penser que <strong>le</strong>s Pères n'y croyaient point,<br />
tout dans <strong>le</strong>urs œuvres prouve <strong>le</strong> contraire. On <strong>le</strong> <strong>démon</strong>trera un jour.<br />
(V. Duvoisin, Démonst. évang.)
372 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
vu que tous <strong>le</strong>s systèmes philosophiques sont plus ou<br />
moins absur<strong>de</strong>s et se détruisent mutuel<strong>le</strong>ment; ils n'ont<br />
produit et ne peuvent produire aucun bien ; <strong>le</strong> christianisme<br />
seul est la vraie sagesse.<br />
De l'aveu <strong>de</strong>s Gentils et <strong>de</strong> la doctrine <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs sages<br />
il résulte que <strong>le</strong>urs dieux et <strong>le</strong>urs bons et mauvais <strong>démon</strong>s<br />
sont <strong>de</strong>s êtres i<strong>de</strong>ntiques dont la malignité s'est<br />
dévoilée dans mil<strong>le</strong> circonstances; ils ne peuvent être<br />
tous que <strong>de</strong>s esprits malins, puisqu'ils ont proclamé<br />
<strong>de</strong> funestes maximes, qu'ils sont souvent menteurs et<br />
cruels dans <strong>le</strong>urs orac<strong>le</strong>s; c'est une engeance immon<strong>de</strong>,<br />
puisqu'ils comman<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s impudicités, qu'ils sont en<br />
rapport <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s hommes corrompus et pervers ; ce ne<br />
sont pas <strong>de</strong>s dieux bienfaisants, puisqu'ils contraignent<br />
<strong>l'homme</strong> d'immo<strong>le</strong>r ce qu'il a <strong>de</strong> plus cher au mon<strong>de</strong>;<br />
ils ne. sont ni justes, ni purs, puisqu'ils ne montrent<br />
ni honnêteté, ni justice; ils ont une haine épouvantab<strong>le</strong><br />
contre <strong>l'homme</strong> sur <strong>le</strong>quel ils exercent <strong>le</strong>ur cruauté, etc.<br />
Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> pousser plus loin cette «numération <strong>de</strong>s<br />
méchancetés <strong>de</strong>s dieux <strong>de</strong>s Gentils; la preuve <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />
perversité trouvera son complément en établissant un<br />
parallè<strong>le</strong> entre eux et <strong>le</strong> Dieu <strong>de</strong>s chrétiens. — <strong>Le</strong>s<br />
mirac<strong>le</strong>s divins, par <strong>le</strong>ur sublimité, <strong>le</strong>ur éclat, rappel<strong>le</strong>nt<br />
<strong>l'homme</strong> à Dieu ; <strong>le</strong>s prodiges païens seraient<br />
propres à en éloigner, tant la plupart sont ridicu<strong>le</strong>s,<br />
bur<strong>le</strong>sques et même nuisib<strong>le</strong>s. — Nous connaissons<br />
<strong>le</strong>urs étranges guérisons; mais à Dieu seul appartient<br />
<strong>de</strong> guérir spontanément et do rendre la vie à un cadavre.<br />
Dieu dérou<strong>le</strong> aux prophètes ce qui doit arriver dans<br />
la suite <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s <strong>de</strong>vins ne conjecturent que <strong>le</strong>s<br />
événements prochains et généra<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> peu d'importance.<br />
<strong>Le</strong>s révélations <strong>de</strong>s dieux, en proclamant un premier
AVEC LE DÉMON. 373<br />
principe sans volonté et sans action, et <strong>le</strong>s astres et la<br />
nature entière animés par <strong>de</strong>s dieux, se sont substitués<br />
au Dieu éternel et ont usurpé <strong>le</strong> culte qui n'est dû qu'à<br />
lui; en proclamant <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin, <strong>l'homme</strong>, qui cesse alors<br />
d'être libre, n'a plus ni mérite ni démérite, et pourtant<br />
ce <strong>de</strong>stin, plus puissant que <strong>le</strong>s dieux, obéit aux<br />
conjurations <strong>de</strong>s magiciens. — Quel<strong>le</strong>s réf<strong>le</strong>xions fait<br />
naître ce prétendu pouvoir du païen même <strong>le</strong> plus impie<br />
qui peut contraindre <strong>le</strong>s dieux par d'horrib<strong>le</strong>s menaces!<br />
— <strong>Le</strong> chrétien fait d'humb<strong>le</strong>s supplications, et<br />
s'il est exaucé il n'en conçoit point d'orgueil. L'humb<strong>le</strong><br />
thaumaturge, au contraire, remercie son Dieu et se reconnaît<br />
indigne d'une tel<strong>le</strong> faveur. — <strong>Le</strong> christianisme<br />
recomman<strong>de</strong> <strong>le</strong> pardon <strong>de</strong>s injures ; — mais la vengeance,<br />
c'est un axiome païen, est <strong>le</strong> plaisir <strong>de</strong>s dieux.<br />
— L'Évangi<strong>le</strong> recomman<strong>de</strong> la chasteté : c'est par <strong>de</strong>s<br />
actes impurs et lubriques qu'on se rend <strong>le</strong>s dieux propices.<br />
— L'Évangi<strong>le</strong> recomman<strong>de</strong> <strong>de</strong> rendre à chacun<br />
ce qui lui appartient : <strong>le</strong>s Gentils priaient Mercure <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>s secon<strong>de</strong>r dans <strong>le</strong>urs tromperies, et la déesse Lavernc<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>s rendre adroits dans <strong>le</strong> vol. — On brû<strong>le</strong> comme<br />
exécrab<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s révélations qu'une déesse fit à Numa, et<br />
même <strong>le</strong>s livres <strong>de</strong> la sibyl<strong>le</strong>. — <strong>Le</strong>s livres saints<br />
traversent <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s, bravent <strong>le</strong>s révolutions <strong>de</strong>s empires<br />
et sont respectés même par <strong>le</strong>s Gentils et <strong>le</strong>s barbares.<br />
A la gravité et à la sérénité <strong>de</strong>s prophètes du<br />
vrai Dieu, que l'on compare <strong>le</strong>s faux prophètes <strong>de</strong>s<br />
cultes idolâtres... Agités <strong>de</strong> mouvements convulsifs effrayants,<br />
<strong>le</strong>ur âme est p<strong>le</strong>ine <strong>de</strong> troub<strong>le</strong>, l'agent qui <strong>le</strong>s<br />
domine <strong>le</strong>ur ôte la raison, ils semb<strong>le</strong>nt privés <strong>de</strong> sentiment<br />
et même <strong>de</strong> vie ; on en a vu quelques-uns expirer<br />
parce que <strong>le</strong>ur dieu refusait <strong>de</strong> répondre ; il dispose<br />
enfin si tyranniquement <strong>de</strong> tout l'organisme <strong>de</strong><br />
son prophète, que celui-ci oublie ce qu'il a dit et
374 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
fait. — <strong>Le</strong>s dieux exigent quelquefois, il est vrai, la<br />
continence et <strong>de</strong>s purifications ; mais il est non moins<br />
vrai que, par une <strong>de</strong> ces contradictions étranges<br />
qu'on a signalées, ils préfèrent faire <strong>le</strong>urs révélations<br />
à <strong>de</strong>s hommes dissolus, à <strong>de</strong>s femmes perdues et à <strong>de</strong>s<br />
idiots.<br />
A quoi bon continuer ce parallè<strong>le</strong> où l'on voit, d'un<br />
côté l'humilité, la justice, la charité, la pureté, toutes<br />
<strong>le</strong>s vertus enfin recommandées, et où, <strong>de</strong> l'autre, on<br />
ne voit que vengeance, cruauté, orgueil, injustice,<br />
impureté dans <strong>le</strong>s œuvres, obscurité et contradictions<br />
dans la doctrine?<br />
<strong>Le</strong>s mauvaises passions, l'amour <strong>de</strong>s voluptés, l'intérêt<br />
matériel, etc., chez plusieurs païens, <strong>de</strong>vaient résister<br />
à <strong>de</strong>s arguments aussi puissants; mais la force<br />
<strong>de</strong> la vérité, chez celui qui n'en est pas l'ennemi décidé<br />
, <strong>de</strong>vait triompher, et en effet, comme on l'a vu,<br />
el<strong>le</strong> triompha. Tout païen qui n'avait pas perdu <strong>le</strong> sens<br />
moral, qui conservait encore dans son âme <strong>de</strong>s traces<br />
<strong>de</strong> sa nob<strong>le</strong> origine, put discerner la vérité <strong>de</strong> l'erreur,<br />
et <strong>le</strong> néoplatonisme parut évi<strong>de</strong>mment faux ; d'ail<strong>le</strong>urs,<br />
issu <strong>de</strong> la philosophie et <strong>de</strong> l'ancien culte, ces <strong>de</strong>ux<br />
éléments mauvais pouvaient-ils composer un tout qui<br />
fût bon? Ceux qui lurent nos apologistes <strong>le</strong> sentirent.<br />
<strong>Le</strong>s <strong>de</strong>ux religions avaient <strong>le</strong>urs prodiges, que <strong>le</strong>s épicuriens<br />
confondaient dans <strong>le</strong> même mépris; plusieurs<br />
d'entre eux <strong>de</strong>vinrent eux-mêmes moins rétifs, tous ne<br />
pouvaient être <strong>de</strong>s Lucien riant à tout propos ; <strong>le</strong>s arguments<br />
<strong>de</strong>s apologistes, la mora<strong>le</strong> du christianisme, ses<br />
prophéties, ses mirac<strong>le</strong>s formaient un ensemb<strong>le</strong> d'une<br />
force irrésistib<strong>le</strong>, et, <strong>de</strong>vant ce faisceau si soli<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
preuves, <strong>le</strong>s intelligences s'inclinèrent, et <strong>le</strong> triomphe<br />
du christianisme bientôt fut comp<strong>le</strong>t. Pouvait-il en être<br />
autrement? il avait <strong>de</strong>s preuves mora<strong>le</strong>s à la portée <strong>de</strong>
AVEC LE DÉMON. 373<br />
tous <strong>le</strong>s esprits droits que Satan ne tenait pas dans ses<br />
chaînes, et certaines preuves matériel<strong>le</strong>s furent trèscapab<strong>le</strong>s<br />
d'entraîner <strong>le</strong>s convictions <strong>de</strong>s intelligences<br />
<strong>le</strong>s moins é<strong>le</strong>vées. Nous allons exposer cet autre genre<br />
<strong>de</strong> preuves.<br />
Preuves matériel<strong>le</strong>s; expulsion <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s qui se faisaient passer<br />
pour <strong>de</strong>s dieux.<br />
Parmi toutes <strong>le</strong>s causes qui multiplièrent <strong>le</strong>s chrétiens,<br />
la plus frappante sans contredit, la plus émouvante,<br />
cel<strong>le</strong> pour laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s apologistes invoquent<br />
<strong>le</strong>s témoignages d'une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> témoins, cel<strong>le</strong> enfin<br />
dont nul spectateur ne pouvait contester la puissance,<br />
c'est l'expulsion <strong>de</strong>s dieux du corps <strong>de</strong>s possédés, et<br />
<strong>le</strong>ur aveu qu'ils étaient <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s ; c'est enfin ce<br />
châtiment imposé à ceux qui, ayant fait une communion<br />
sacrilège, <strong>de</strong>venaient <strong>le</strong>s victimes <strong>de</strong>s esprits <strong>de</strong><br />
ténèbres.<br />
Nous continuerons d'être simp<strong>le</strong> narrateur, en citant<br />
<strong>de</strong>s faits attestés par <strong>de</strong>s témoignages irrécusab<strong>le</strong>s, et<br />
sans vouloir, du moins à présent, ni <strong>le</strong>s critiquer, ni<br />
<strong>le</strong>s commenter.<br />
A ceux qui auraient pu se tromper encore sur la<br />
nature <strong>de</strong> ces intelligences, <strong>le</strong>s adorer comme <strong>de</strong>s<br />
dieux, ou croire <strong>le</strong>ur puissance éga<strong>le</strong> à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />
dieux, etc , il fallait, pour détruire <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s erreurs,<br />
que Satan lui-même fût forcé <strong>de</strong> se manifester,<br />
<strong>de</strong> se déclarer l'esclave <strong>de</strong> Jésus-Christ; il fallait entendre<br />
ces esprits immon<strong>de</strong>s avouer eux-mêmes ce qu'ils<br />
sont, et proclamer la divinité du Sauveur; il fallait<br />
enfin qu'il fût possib<strong>le</strong> aux chrétiens <strong>de</strong> paralyser <strong>le</strong>ur<br />
puissance, d'empêcher <strong>le</strong>urs prodiges et <strong>de</strong> <strong>le</strong>s chasser<br />
du corps même <strong>de</strong>s prêtres païens , qui se croyaient<br />
divinement inspirés. Souvent on a vu <strong>le</strong> nom seul <strong>de</strong>
376 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Jésus ou <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> la croix, dans ces temps <strong>de</strong> foi<br />
ar<strong>de</strong>nte, tenir lieu d'exorcisme.<br />
Soyons un instant par la pensée témoins du spectac<strong>le</strong><br />
épouvantab<strong>le</strong> que présentait un possédé tourmenté<br />
par <strong>le</strong>s dieux infernaux : il pousse <strong>de</strong>s cris affreux, <strong>de</strong>s<br />
hur<strong>le</strong>ments horrib<strong>le</strong>s, il profère mil<strong>le</strong> blasphèmes, mais<br />
à la voix d'un chrétien prononçant un nom sacré, <strong>le</strong>s<br />
divinités exécrab<strong>le</strong>s qui torturent ce malheureux manifestent<br />
<strong>le</strong>ur sortie sous la forme d'une flamme, d'une<br />
noire et puante fumée, d'un animal effrayant ou immon<strong>de</strong>.<br />
On est forcé d'avouer, ces faits étant admis,<br />
qu'un tel spectac<strong>le</strong> était <strong>de</strong>s plus propres à opérer <strong>de</strong><br />
nombreuses conversions; aussi, d'après <strong>le</strong>s historiens,<br />
ce fut une <strong>de</strong>s causes puissantes <strong>de</strong> l'établissement du<br />
christianisme.<br />
<strong>Le</strong>s apologistes, en s'adressant aux empereurs et<br />
aux philosophes, invoquaient <strong>le</strong> témoignage <strong>de</strong>s Gentils<br />
pour attester ce qu'ils avançaient. « Si ces faits n'eussent<br />
pas été notoires, fait observer <strong>le</strong> savant Bul<strong>le</strong>t, c'eut été<br />
folie. » (Hist. <strong>de</strong> l'établ. du Christ.)<br />
Saint Cyprien (Deidol. vanit., 7.) s'exprime ainsi :<br />
« <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s adjurés par <strong>le</strong> vrai dieu confessent incontinent<br />
la vérité et sont contraints <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong>s corps<br />
qu'ils possè<strong>de</strong>nt : à la paro<strong>le</strong> d'un chrétien, cédant à<br />
l'opération d'une puissance secrète, ils témoignent<br />
par <strong>le</strong>urs hur<strong>le</strong>ments, par <strong>le</strong>urs p<strong>le</strong>urs, qu'ils sont<br />
tourmentés, déchirés <strong>de</strong> coups, dévorés par <strong>le</strong>s flammes<br />
; ils confessent, en présence <strong>de</strong> ceux mêmes qui<br />
<strong>le</strong>s adorent, d'où ils viennent, et disent quand ils sortiront...<br />
»<br />
S'adressant à Démétrianus : « Si vous vouliez <strong>le</strong>s entendre,<br />
lui disait-il, lorsque nous <strong>le</strong>s conjurons par<strong>le</strong>s<br />
fouets spirituels, quand nous <strong>le</strong>s chassons <strong>de</strong>s corps et<br />
que nous <strong>le</strong>s obligeons d'avouer qu'ils doivent être
AVEC LE DÉMON. 377<br />
jugés!... venez en être témoin, vous verrez que nous<br />
ne disons rien qui ne soit vrai. » (AdDemetr., 15.)<br />
Minucius Félix, s'adressant aux Gentils, <strong>le</strong>ur disait :<br />
« Plusieurs d'entre vous savent bien que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
sont contraints d'avouer ces choses lorsque nous <strong>le</strong>s<br />
lourmentons pour <strong>le</strong>s chasser <strong>de</strong>s corps, que nous <strong>le</strong>s<br />
contraignons <strong>de</strong> sortir par ces paro<strong>le</strong>s qui <strong>le</strong>s tourmentent,<br />
par ces prières qui <strong>le</strong>s brû<strong>le</strong>nt... — Ce Saturne,<br />
ce Jupiter, ce Sérapis, tous ces autres que vous<br />
adorez, vaincus par la dou<strong>le</strong>ur, confessent ce qu'ils<br />
sont; et quoique la honte dût <strong>le</strong>ur faire cacher éternel<strong>le</strong>ment<br />
ce qu'ils révè<strong>le</strong>nt, et surtout en votre présence,<br />
ils avouent cependant <strong>le</strong>ur misérab<strong>le</strong> condition .Vous<br />
<strong>le</strong>s pouvez croire, puisqu'ils sont forcés <strong>de</strong> rendre<br />
témoignage à la vérité contre eux-mêmes. Lorsqu'on<br />
<strong>le</strong>s conjure par <strong>le</strong> Dieu vivant, ces misérab<strong>le</strong>s frémissent;<br />
et s'ils ne sortent <strong>de</strong> suite, ils se retirent du<br />
moins peu à peu, selon que la foi du patient ou la grâce<br />
du mé<strong>de</strong>cin sont plus ou moins gran<strong>de</strong>s... — Us sèment<br />
la haine <strong>de</strong> notre religion dans <strong>le</strong>s esprits faib<strong>le</strong>s...<br />
Rien <strong>de</strong> si naturel que <strong>de</strong> vouloir perdre ceux qu'on<br />
craint. » (Octavius, XXVII.) Origène s'exprimait <strong>de</strong><br />
même.<br />
« C'est une injustice <strong>de</strong> condamner ce qu'on ne connaîtpas,<br />
dit plus loin Minucius Félix (Ib., XXVIII);<br />
nous ne sommes pas sans nous repentir <strong>de</strong> cette faute ;<br />
vous savez que nous avons été comme vous et que nous<br />
avions <strong>le</strong>s mêmes sentiments, lorsque nous étions dans<br />
<strong>le</strong> même aveug<strong>le</strong>ment... »<br />
J. Firmicus Maternus à Constantin et à Constans(De<br />
error. relig.prof., XIV),combattant Porphyre, qui avait<br />
par<strong>le</strong> <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Sérapis, disait : « Nous vous<br />
sommes fort obligés <strong>de</strong> ce que vous nous avez expliqué<br />
la Dature <strong>de</strong> vos dieux et comment ils sont assujettis à
378 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
l'empire <strong>de</strong>s hommes... Un homme peut forcer Sérapis<br />
à lui obéir et l'enfermer dans un corps, pour l'obliger<br />
à déclarer ce qu'il voudrait cacher. — C'est à peu près<br />
ainsi, continue Maternus, que vos dieux, dans notre<br />
religion, sont punis par la vertu <strong>de</strong> nos paro<strong>le</strong>s, lorsqu'ils<br />
tourmentent <strong>le</strong>s corps qu'ils possè<strong>de</strong>nt... La paro<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> Dieu qui sort <strong>de</strong> la bouche <strong>de</strong>s chrétiens est<br />
comme un feu qui <strong>le</strong>s brû<strong>le</strong> : et en môme temps que<br />
vous <strong>le</strong>ur ren<strong>de</strong>z un souverain culte, nous <strong>le</strong>ur faisons<br />
souffrir <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers supplices. »<br />
Il dit à ces empereurs qu'il ne faut pas prier ceux<br />
auxquels on a droit <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r... « C'est <strong>le</strong> <strong>démon</strong>,<br />
dit-il, que vous honorez par ces sacrifices...,<br />
<strong>le</strong> <strong>démon</strong>, qui ne saurait entendre <strong>le</strong> nom do Jésus-<br />
Christ sans tremb<strong>le</strong>r.,., sans avouer qu'il se sent déchiré<br />
et brûlé, et sans confesser ses crimes. »<br />
Saint Irénce, parlant du don <strong>de</strong>s chrétiens d'opérer<br />
<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s, disait : « <strong>Le</strong>s uns chassent <strong>le</strong>s dénions<br />
<strong>avec</strong> une autorité si souveraine, si efficace, que ceux<br />
qui en étaient tourmentés, surpris et reconnaissants,<br />
se convertissent... » (Confr. hœr., II, 32.)<br />
Selon Origène, — Tous <strong>le</strong>s jours <strong>le</strong> seul nom <strong>de</strong><br />
Jésus chasse <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s. (On'fj. c Celsc, I, G7.)<br />
Saint Cypricn (Ep. ad Donat.) déclare que, entre<br />
autres privilèges, <strong>le</strong>s nouveaux baptisés chassent <strong>le</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s, <strong>le</strong>s forcent <strong>de</strong> confesser <strong>le</strong>ur misère ,<br />
<strong>le</strong>s flagel<strong>le</strong>nt, redoub<strong>le</strong>nt l'ar<strong>de</strong>ur du feu qui <strong>le</strong>s dévore...<br />
Lactance dit que « <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s redoutent <strong>le</strong>s chrétiens,<br />
qui par la seu<strong>le</strong> invocation <strong>de</strong> Dieu <strong>le</strong>s obligent<br />
<strong>de</strong> sortir au milieu d'affreux hur<strong>le</strong>ments, <strong>de</strong> confesser<br />
qu'ils sont <strong>démon</strong>s, <strong>de</strong> se nommer par <strong>le</strong>urs noms,<br />
quand on <strong>le</strong>s conjure au nom <strong>de</strong> Dieu. Que l'on assemb<strong>le</strong><br />
ceux qui font profession <strong>de</strong> rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s
AVEC LE DÉMON. 379<br />
enfers, qu'ils rappel<strong>le</strong>nt Jupiter, Neptune, Apollon,<br />
Saturne, etc., ils viendront, ils répondront; que ces<br />
mêmes personnes appel<strong>le</strong>nt Jésus-Christ, qu'ils tâchent<br />
<strong>de</strong> l'évoquer, il ne paraîtra point...» — Et ail<strong>le</strong>urs,<br />
«qu'on amène un homme réel<strong>le</strong>ment possédé, et en<br />
même temps <strong>le</strong> prêtre d'Apollon lui-même, ils frémi-.<br />
ront éga<strong>le</strong>ment l'un et l'autre, et Apollon sortira aussi<br />
vite <strong>de</strong> son prophète que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> sortira <strong>de</strong> ce possédé;<br />
donc <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, exécrés par <strong>le</strong>s païens sont<br />
<strong>le</strong>s mêmes que <strong>le</strong>s dieux qu'ils adorent. » (hist. div.,<br />
IV, 27.)<br />
Tertullien, après avoir justifié <strong>le</strong>s chrétiens dans sa<br />
défense adressée aux souverains magistrats <strong>de</strong> l'empire,<br />
dit (Apologet., X) : « Nous avons cessé d'adorer vos<br />
dieux <strong>de</strong>puis que nous avons reconnu qu'ils ne sont<br />
point dieux... Vous avez <strong>le</strong> droit d'en exiger <strong>de</strong> nous la<br />
preuve... » Après l'avoir donnée dans <strong>le</strong>s douze chapitres<br />
suivants, il termine ainsi : « Jusqu'ici, ce ne<br />
sont que <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s, mais voici une <strong>démon</strong>stration<br />
par <strong>le</strong>s faits, que <strong>le</strong>s dieux et <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s sont absolument<br />
<strong>le</strong>s mêmes. »<br />
« Qu'on fasse venir <strong>de</strong>vant vos tribunaux quelqu'un<br />
reconnu pour possédé du <strong>démon</strong>; qu'un chrétien, quel<br />
qu'il soit, <strong>le</strong> premier venu, comman<strong>de</strong> à cet esprit <strong>de</strong><br />
par<strong>le</strong>r, il avouera qu'il est véritab<strong>le</strong>ment <strong>démon</strong>, et<br />
qu'ail<strong>le</strong>urs, il se dit faussement dieu... »<br />
« Qu'on amène éga<strong>le</strong>ment quelqu'un <strong>de</strong> ceux qu'on<br />
croit agités par un dieu, qui, en respirant <strong>avec</strong> force<br />
sur <strong>le</strong>s autels, aient reçu la divinité <strong>avec</strong> la vapeur, qui<br />
par<strong>le</strong>nt <strong>avec</strong> effort et comme hors d'ha<strong>le</strong>ine... Si vos<br />
dieux, n'osant mentir à un chrétien, ne confessent pas<br />
qu'ils sont <strong>démon</strong>s, répan<strong>de</strong>z sur <strong>le</strong> lieu même <strong>le</strong> sang<br />
<strong>de</strong> ce chrétien téméraire...;» Tertullien <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce<br />
qu'il y aurait <strong>de</strong> plus manifeste qu'une pareil<strong>le</strong> preuve.
380 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
— Que pourra-t-on soupçonner? <strong>de</strong> la magie ou <strong>de</strong> la<br />
fourberie? — Vos yeux et vos oreil<strong>le</strong>s vous confondraient...<br />
Vous n'avez rien à opposer à l'évi<strong>de</strong>nce...—<br />
Or, si vos dieux sont véritab<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s dieux, pourquoi<br />
disent-ils faussement qu'ils sont <strong>démon</strong>s...? Estce<br />
par déférence pour nous? <strong>le</strong>ur divinité est donc<br />
soumise aux chrétiens... Si enfin ils sont anges ou<br />
<strong>démon</strong>s, pourquoi se donnent-ils ail<strong>le</strong>urs pour <strong>de</strong>s<br />
dieux?<br />
Ce pouvoir sur eux, dit-il, nous vient du nom <strong>de</strong><br />
Jésus-Christ et <strong>de</strong>s menaces que nous <strong>le</strong>ur faisons <strong>de</strong><br />
sa part..., ils sont soumis à ses serviteurs, etc...<br />
En notre présence, à notre comman<strong>de</strong>ment, effrayés<br />
par la pensée et l'image du feu éternel, vous <strong>le</strong>s voyez<br />
sortir du corps p<strong>le</strong>ins <strong>de</strong> fureur et couverts <strong>de</strong> honte;<br />
vous <strong>le</strong>s croyez lorsqu'ils vous trompent, croyez-<strong>le</strong>s<br />
lorsqu'ils vous disent la vérité... Tertullien ajoute que<br />
ces témoignages font beaucoup <strong>de</strong> chrétiens... «Or,<br />
comment <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s pourraient-ils se résoudre àperdre<br />
<strong>de</strong>s serviteurs si fidè<strong>le</strong>s..., s'il <strong>le</strong>ur était permis <strong>de</strong><br />
mentir? etc... »<br />
Ces faits étaient connus <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>s païens, qui pouvaient<br />
eux-mêmes <strong>le</strong>s attester et se convertissaient.<br />
Tertullien (Supplique au proconsul Scapula), après<br />
avoir manifesté l'horreur que <strong>le</strong>s chrétiens ont pour<br />
<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, disait : « Nous <strong>le</strong>s combattons, nous <strong>le</strong>s<br />
confondons, nous <strong>le</strong>s chassons tous <strong>le</strong>s jours, comme<br />
plusieurs d'entre vous <strong>le</strong> savent... Vos officiers même<br />
pourraient vous en instruire, puisqu'ils ont reçu <strong>de</strong>s<br />
chrétiens ces sortes <strong>de</strong> bienfaits... » <strong>Le</strong> greffier <strong>de</strong> l'un<br />
d'entre eux a été délivré par ce moyen du <strong>démon</strong> qui <strong>le</strong><br />
tourmentait, ainsi que <strong>le</strong> parent et <strong>le</strong> fils <strong>de</strong> quelques<br />
autres, etc.; et quommdam propinquus etpuerulus, et
AVEC LE DÉMON. 381<br />
combien <strong>de</strong> gens considérab<strong>le</strong>s, pour ne point par<strong>le</strong>r<br />
<strong>de</strong>s autres, ont été délivrés <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s ou guéris <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>urs maladies... Quanti konesti viri. (De vulgaribus<br />
enfin non dicimus, etc.)<br />
Saint Justin, dans son apologie à l'empereur et au<br />
sénat, disait : « Vous pouvez reconnaître la vérité <strong>de</strong><br />
ce que je dis par ce qui se passe tous <strong>le</strong>s jours sous<br />
vos yeux et en votre présence. Grand nombre dépossédés,<br />
tant dans votre vil<strong>le</strong> que dans <strong>le</strong> reste du mon<strong>de</strong><br />
qui n'avaient pu être délivrés par <strong>le</strong>s magiciens,<br />
ont été guéris par <strong>le</strong>s chrétiens en invoquant Jésus-<br />
Christ. »<br />
« Quel est celui qui ignore, dit Eusèbe, qu'il nous est<br />
ordinaire <strong>de</strong> chasser <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s par la seu<strong>le</strong> prononciation<br />
du nom <strong>de</strong> Jésus-Christ et par nos prières? »<br />
(Déni, év., III, 6.)<br />
Peut-on soupçonner <strong>le</strong> mensonge chez <strong>le</strong>s apologistes?<br />
Et ce qu'ils nommaient possession du <strong>démon</strong>,<br />
n'était-ce point une maladie tel<strong>le</strong> que l'épi<strong>le</strong>psie, par<br />
exemp<strong>le</strong>? C'est ce qu'on examinera un jour.<br />
<strong>Le</strong> si'jne <strong>de</strong> la croix, plusieurs l'attestaient, suffisait pour chasser<br />
<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s.<br />
Ceux qui ont vu, disait Lactance, comment <strong>le</strong> seul<br />
nom <strong>de</strong> Jésus-Christ force <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s à abandonner<br />
<strong>le</strong>s corps, savent aussi quel<strong>le</strong> est la vertu du signe<br />
<strong>de</strong> la, croix ; la preuve en est faci<strong>le</strong>, car <strong>le</strong>s païens<br />
ne sauraient ni offrir <strong>le</strong>urs sacrifices, ni tirer aucune<br />
réponse <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, en présence <strong>de</strong> ceux qui ont <strong>le</strong><br />
front marqué <strong>de</strong> ce signe ; il ajoute que c'est une cause<br />
<strong>de</strong> persécution. <strong>Le</strong>s chrétiens qui remplissaient <strong>le</strong>s<br />
charges <strong>de</strong> l'Etat, étant forcés d'assister aux sacrifices,<br />
dissipaient <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s par <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> la croix, et empêchaient<br />
<strong>le</strong>s présages <strong>de</strong> paraître dans <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s
352 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>de</strong>s victimes ; alors plusieurs païens, loin d'y voir la<br />
preuve <strong>de</strong> la divinité du Christ, se plaignant <strong>de</strong> ce que<br />
<strong>le</strong>s profanes troublaient <strong>le</strong>s sacrifices, disaient que<br />
c'était l'effet <strong>de</strong> la haine <strong>de</strong>s dieux pour <strong>le</strong>s chrétiens.<br />
— Lactance répond : que «<strong>le</strong>s dieux, au lieu <strong>de</strong> fuir, auraient<br />
agi d'une manière plus digne <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur majesté,<br />
s'ils avaient <strong>de</strong> suite puni <strong>le</strong>s chrétiens. » (Instit. divin.,<br />
XXVII.)<br />
On se rappel<strong>le</strong> ce qui arriva à Julien en présence<br />
<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s évoqués par Maxime; — saint Athanase<br />
confirme <strong>le</strong>s mêmes faits :—«<strong>Le</strong> seul signe <strong>de</strong> la croix,<br />
dit-il, fait évanouir <strong>le</strong>s prestiges et <strong>le</strong>s illusions <strong>de</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s... Que celui qui en veut faire l'expérience<br />
vienne, et qu'au milieu <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs prestiges, <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />
orac<strong>le</strong>s et <strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong> la magie, il fasse <strong>le</strong> signe<br />
<strong>de</strong> la croix dont <strong>le</strong>s païens se moquent, il verra comment<br />
<strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s cessent, comment tous <strong>le</strong>s enchantements<br />
<strong>de</strong> la magie restent sans effet... Quel est donc<br />
ce Christ? Si ce n'est qu'un homme, comment se fait-il<br />
qu'il surpasse la puissance <strong>de</strong> vos dieux?... Si c'est un<br />
magicien, comment se fait-il que ce magicien n'affermisse<br />
pas, mais détruise au contraire tout art magique?»<br />
(De Imam. Verb., 48.)<br />
Pourquoi <strong>le</strong> nom seul <strong>de</strong> Jésus-Christ et <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> la<br />
croix semblaient-ils quelquefois sans vertu, et ont-ils<br />
paru plus fard l'avoir perdue ?<strong>Le</strong>s Pères nousl'ont appris.<br />
« <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s sont expulsés, disait Origène, lorsque<br />
la prononciation du nom <strong>de</strong> Jésus-Christ se fait <strong>avec</strong> une<br />
conscience pure et une foi ferme.»<br />
Selon Minucius Félix, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s sortaient <strong>de</strong> suite,<br />
d'autres fois peu à peu, selon que la foi du patient<br />
était plus ou moins gran<strong>de</strong>, ou bien la grâce du mé<strong>de</strong>cin.—Saint<br />
Cyprien en a dit autant, dans <strong>le</strong>s mômes<br />
termes.
AVEC LE DÉMON. 383<br />
La fuite du <strong>démon</strong> <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> la croix<br />
était quelquefois une grâce qui n'était pas <strong>de</strong>mandée,<br />
tomme on l'a vu dans Julien, et qui cependant révélait<br />
la vérité à ceux même qui ne voulaient point la connaître.<br />
— On pourrait multiplier ces attestations. —<br />
Saint Grégoire <strong>de</strong> Nazianze disait : « Il m'est arrivé<br />
souvent qu'après avoir prononcé à peine <strong>le</strong> nom adorab<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> Jésus, <strong>le</strong> <strong>démon</strong> prenait la fuite en faisant entendre<br />
<strong>de</strong>s hur<strong>le</strong>ments... et la même chose m'est arrivée<br />
en formant seu<strong>le</strong>ment en l'air <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> la croix. »<br />
L'auteur <strong>de</strong>s questions sur l'Ancien et <strong>le</strong> Nouveau<br />
Testament (V. Baltus, Hist. <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, t. I er<br />
, 304), —<br />
gui paraît plus ancien que saint Augustin, — après avoir<br />
dit que <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s étaient nécessaires lors <strong>de</strong> l'établissement<br />
du christianisme, ajoute : « A présent encore<br />
<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s sont effrayés par <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> la croix et<br />
contraints <strong>de</strong> fuir...;» il fait observer que «s'ils ne<br />
sentaient qu'el<strong>le</strong> est un grand mystère, ils ne seraient<br />
point effrayés quand on la nomme..., etc. »<br />
Avant il avait dit qu'à la vue du signe <strong>de</strong> la croix<br />
tout <strong>le</strong> paganisme <strong>de</strong>venait muet, <strong>le</strong>s dieux n'osaient<br />
répondre..., etc. «Il est bien étonnant, poursuit l'auteur,<br />
que <strong>le</strong> paganisme, qu'ils appel<strong>le</strong>nt sagesse, appréhen<strong>de</strong><br />
si fort <strong>le</strong> christianisme, qu'ils traitent <strong>de</strong> folie. »<br />
(/«., 307.)<br />
Terminons par <strong>de</strong>s faits non moins propres à convaincre<br />
<strong>le</strong>s païens qu'à causer un effroi salutaire aux chrétiens,<br />
c'est ce châtiment cité dans <strong>le</strong>s Épîtres <strong>de</strong> saint Paul<br />
aux Corinthiens, contre l'incestueux <strong>de</strong> Corinthe, pour<br />
sa lubricité ; contre A<strong>le</strong>xandre et Hyménée pour <strong>le</strong>urs<br />
blasphèmes; il y est dit : qu'ils furent livrés à Satan.<br />
Cette tradition, connue sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> possession du<br />
<strong>démon</strong>, état affreux dont on exposera ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong>s signes,<br />
survenait souvent alors après une communion sacri-
384 DES HAPPORTS DE L'HOMME<br />
loge. Saint Cyprien 1<br />
cite plusieurs faits arrivés <strong>de</strong> son<br />
temps, <strong>démon</strong>stratifs <strong>de</strong> la présence réel<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s espèces<br />
eucharistiques et <strong>de</strong> la terrib<strong>le</strong> action sataniçuc<br />
l. Saint Cyprien (Dclapsis, XXV, XXVI). — Une petite fil<strong>le</strong> fut portée<br />
par sa nourrice aux magistrats, qui lui firent manger <strong>le</strong> reste du sacrifice<br />
<strong>de</strong>s païens à l'insu <strong>de</strong> sa mère, qui porta ensuite l'enfant, ditil,<br />
au sacrifice <strong>de</strong>s chrétiens;à peine entrée, l'enfant ne putsupporter<br />
l'assistance dans <strong>le</strong> lieu saint ; il semblait qu'el<strong>le</strong> subît la torture <strong>de</strong><br />
la question, et lorsque <strong>le</strong> diacre, selon l'usage, l'eut fait boire dans Je<br />
calice, <strong>le</strong> breuvage ne put rester dans <strong>de</strong>s entrail<strong>le</strong>s souillées; ce fut<br />
pour el<strong>le</strong> un poison qui lui causa <strong>de</strong>s tremb<strong>le</strong>ments et <strong>de</strong>s convulsions<br />
étranges. <strong>Le</strong> crime secret <strong>de</strong> la nourrice fut ainsi découvert.<br />
Il cite une femme qui, ayant ouvert <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s mains impures l'armoire<br />
où el<strong>le</strong> avait mis <strong>le</strong> Saint du Seigneur, il en sortit une flamme<br />
qui l'empêcha d'y toucher.<br />
Un homme dont la conscience n'était point pure eut la témérité <strong>de</strong><br />
prendre sa part du pain sacré ; mais il ne put, dit saint Cyprien, ni manger<br />
ni manier <strong>le</strong> Saint du Seigneur, il ne se trouva dans sa main qu'un<br />
peu <strong>de</strong> cendres, pour prouver, dit-il, que Notre-Seigneur se retire quand<br />
on <strong>le</strong> reçoit indignement, et que sa grâce salutaire est changée en<br />
cendres. Il dit, en continuant : « Combien en voyons-nous tous <strong>le</strong>s<br />
jours qui, ne faisant point pénitence <strong>de</strong> ce crime et ne <strong>le</strong> confessant<br />
point, sont possédés par<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s..., per<strong>de</strong>nt l'esprit, <strong>de</strong>viennent<br />
furieux..! Il n'est pas besoin, dit-il, <strong>de</strong> rapporter en particulier tous<br />
ces acci<strong>de</strong>nts funestes; la diversité <strong>de</strong>s châtiments est aussi gran<strong>de</strong> que<br />
<strong>le</strong> nombre <strong>de</strong>s coupab<strong>le</strong>s Qu'on ne se croie pas en sûreté, parce<br />
que <strong>le</strong> supplice est différé, il faut croire, au contraire, quela vengeance<br />
divine est d'autant plus gran<strong>de</strong> qu'el<strong>le</strong> est plus tardive. »<br />
Ce qu'on vient <strong>de</strong> lire suscite plusieurs réf<strong>le</strong>xions : ce n'est donc<br />
point dans <strong>le</strong>s ténèbres du moyen Age qu'on a établi la confession et<br />
cru à la présence réel<strong>le</strong>, comme <strong>le</strong> publient quelques savants <strong>de</strong> nos.<br />
jours. — La primitive Église, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s apOtres, croyait que <strong>le</strong> pain<br />
et <strong>le</strong> vin étaient réel<strong>le</strong>ment changés au corps et au sang <strong>de</strong> Jésus-<br />
Christ, et cette croyance était en outre confirmée par ce prodige<br />
épouvantab<strong>le</strong>, appelé possession. Qu'on veuil<strong>le</strong> bien consulter <strong>le</strong>s<br />
écrits <strong>de</strong>s Pères et <strong>le</strong>s historiens ecclésiastiques, <strong>le</strong> doute ne sera plus<br />
possib<strong>le</strong>.<br />
Du temps <strong>de</strong> saint Cyprien on croyait à la confession et à la présence<br />
réel<strong>le</strong>, comme on vient <strong>de</strong> <strong>le</strong> voir. Qu'était-ce donc que saint Cypricnî<br />
L'héritier d'une famil<strong>le</strong> aussi illustre que riche, <strong>le</strong>quel, ayant abjuré<br />
<strong>le</strong> paganisme et distribué tout son bien aux pauvres, fut é<strong>le</strong>vé au sacerdoce,<br />
puis, malgré ses oppositions, fait évoque <strong>de</strong> Carthage en 248 ou
AVEC LE DÉMON. 385<br />
contre <strong>le</strong>s coupab<strong>le</strong>s. Malgré <strong>le</strong> secret <strong>de</strong>s divins mystères,<br />
on trouve, dans <strong>le</strong>s Pères <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s,<br />
249. Donc, au milieu du troisième sièc<strong>le</strong>, on se confessait et on croyait<br />
que Jésus-Christ était dans l'Eucharistie, d'après un témoignage dont<br />
on ne saurait suspecter la véracité.<br />
Remontons plus haut : Tertullien, vers l'an 205, écrit à sa femme<br />
<strong>de</strong> ne point se remarier s'il meurt <strong>le</strong> premier, ou au moins d'épouser<br />
un chrétien. Il lui fait envisager toutes <strong>le</strong>s difficultés qui surgiraient<br />
pour el<strong>le</strong> dans un mariage païen pour remplir ses <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> chrétienne,<br />
qu'il énumère; jeûnes, visites <strong>de</strong>s pauvres, se <strong>le</strong>ver la nuit<br />
pour prier, etc. Poursuivant, il dit : « Ne saura-t-il point ce que vous<br />
prenez en secret avant toute nourriture, et s'il sait que c'est du pain,<br />
necroira-t-il point qu'il est tel que l'on dit? » (2 Ad wa:or.,V.) — Donc<br />
la communion au <strong>de</strong>uxième sièc<strong>le</strong>, se faisait à jeun, et l'Eucharistie<br />
n'était point du pain ordinaire aux yeux <strong>de</strong>s chrétiens.<br />
Remontons encore plus haut : Saint Justin, mort en 167, pensait<br />
comme Tertullien. « <strong>Le</strong> pain et <strong>le</strong> vin, dit-il, sont <strong>de</strong>venus l'Eucharistie<br />
en prononçant <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s dont Jésus-Christ lui-même est l'auteur,<br />
et sont la chair et <strong>le</strong> sang <strong>de</strong> Jésus incarné. » ltà etiam didicimus<br />
cibum, etc.. Pcr preces verbi, quod ab ipso est, Eucharistiam factum,<br />
illius incarnati carnem et sanguinem esse. (Apol., II ad Antonin.<br />
Piuni. — V. Duguet, Traité sur l'Euch., IV.)<br />
Saint Irénée, discip<strong>le</strong> <strong>de</strong> saint Polycarpc et <strong>de</strong> Papias (qui étaient<br />
eui-mômes discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> saint Jean l'Évangéliste), est encore plus explicite.<br />
— « Comme son incarnation est véritab<strong>le</strong>, dit-il, l'Eucharistie l'est<br />
aussi ; c'est pour cela que Jésus-Christ déclara hautement : « Que <strong>le</strong><br />
pain... était son corps, et que <strong>le</strong> vin du calice était son sang...» —<br />
Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ensuite comment <strong>le</strong>s hérétiques peuvent nier que notre<br />
chair nourrie <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jésus-Christ ne puisse avoir la vie éternel<strong>le</strong>. »<br />
[Contr. hœrescs, 1. IV et V.)<br />
Arrivons aux temps apostoliques. Saint Ignace, évoque d'Antioche,<br />
plus <strong>de</strong> trente ans avant la mort <strong>de</strong> l'apôtre saint Jean, dans sa <strong>le</strong>ttre<br />
à l'Église <strong>de</strong> Smyrne, après avoir dit que Jésus-Christ a véritab<strong>le</strong>ment<br />
souffert et s'est véritab<strong>le</strong>ment ressuscité, non pas en apparence, comme<br />
quelques infidè<strong>le</strong>s osent l'avancer en niant la vérité <strong>de</strong> ses souffrances,<br />
dit ensuite : — « Ils s'abstiennent <strong>de</strong> l'Eucharistie et n'assistent<br />
pas à la prière qui la consacre, parce qu'ils ne croient pas et ne<br />
confessent pas que l'Eucharistie est la chair <strong>de</strong> notre Sauveur Jésus-<br />
Christ, laquel<strong>le</strong> a tout souffert... etc. Ainsi, en s'opposaut au don <strong>de</strong><br />
Dieu, en <strong>le</strong> combattant par <strong>le</strong>urs disputes, ils se privent <strong>de</strong> la vie.»<br />
Ab Eucharistia et oratione abstinent, eo quod non confiteantur Eucharistiam<br />
carnem esse D. N. J.-C, etc. {Ad Smyrn., 1I-VII.) — En voyant<br />
I. 25
386 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
plusieurs preuves <strong>de</strong> la croyance au dogme <strong>de</strong> la présence<br />
réel<strong>le</strong>.<br />
ces monuments <strong>de</strong> la tradition <strong>de</strong> l'Église sur la présence réel<strong>le</strong>, qui<br />
pourrait encore s'étonner qu'el<strong>le</strong> nous apprenne en même temps que<br />
<strong>le</strong>s profanateurs d'unsi grand sacrement aient été livrés à Satan pour<br />
<strong>le</strong>ur punition ?
AVEC LE DÉMON.<br />
CHAPITRE II<br />
Doctrine <strong>de</strong> l'Église sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s; <strong>le</strong>urs mœurs, <strong>le</strong>urs prestiges, <strong>le</strong>urs divers<br />
prodiges, etc. — Divinations. — Guérisons. — Bruit», cris, apparitions,<br />
vexations, possessions. — Continuation du même sujet, orac<strong>le</strong>s, astrologie.<br />
— Présages. — Magie. — Augurie. — Délire sacré. — Nécromancie. —<br />
Songes. — Transformations. —Amours impurs <strong>de</strong>s dieux.<br />
Doctrine <strong>de</strong> l'Église sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s; <strong>le</strong>urs mœurs, <strong>le</strong>urs prestiges, <strong>le</strong>urs<br />
divers prodiges, etc.<br />
Une tradition universel<strong>le</strong>ment répandue, et dont<br />
l'origine se perd dans la nuit <strong>de</strong>s temps, établit la<br />
croyance à l'intervention d'agents spirituels; on a vu<br />
que <strong>de</strong>s phénomènes extraordinaires la confirmaient et<br />
la proclamaient comme une vérité irréfragab<strong>le</strong>. <strong>Le</strong>s<br />
livres sacrés <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong>s<br />
principa<strong>le</strong>s sectes <strong>de</strong> philosophes admettaient <strong>le</strong>s esprits;<br />
mais <strong>le</strong>s livres saints <strong>de</strong>s Juifs, <strong>le</strong> Nouveau Testament<br />
chez <strong>le</strong>s chrétiens, <strong>le</strong>s Pères, <strong>le</strong>s docteurs, répandirent<br />
la lumière sur ce sujet si ténébreux pour <strong>le</strong>s<br />
Gentils.<br />
<strong>Le</strong>s chrétiens rejetèrent dans <strong>le</strong>s croyances païennes<br />
tout ce qui était opposé à la doctrine <strong>de</strong>s saintes Écritures<br />
(S. Aug., De civ. Dei, XXI, 6); ce qui concordait<br />
<strong>avec</strong> el<strong>le</strong>, ce qui venait en ai<strong>de</strong> à l'explication<br />
du texte sacré, était admis; il suffisait que <strong>le</strong>s faits<br />
fussent bien établis; on ne décidait dogmatiquement
388 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
qu'autant qu'il était évi<strong>de</strong>nt que ces faits n'étaient pas<br />
contredits par <strong>le</strong> texte <strong>de</strong>s Écritures. Sur certains<br />
points peut-être insolub<strong>le</strong>s et assez indifférents, la<br />
doctrine a pu varier, mais <strong>le</strong> dogme est <strong>de</strong>meuré invariab<strong>le</strong>.<br />
Dieu a révélé ce qu'il était nécessaire <strong>de</strong> connaître<br />
, <strong>le</strong> surplus étant <strong>de</strong> pure curiosité, <strong>l'homme</strong><br />
livré à ses seu<strong>le</strong>s lumières ne <strong>le</strong> saura peut-être jamais.<br />
<strong>Le</strong> discernement <strong>de</strong>s esprits est aussi un don <strong>de</strong> Dieu,<br />
et, sans cette lumière divine, <strong>l'homme</strong> est sujet ù se<br />
tromper. L'humilité, la prière sont donc préférab<strong>le</strong>s à<br />
toutes <strong>le</strong>s recherches d'une raison orgueil<strong>le</strong>use dont<br />
Dieu permet l'aveug<strong>le</strong>ment. C'est ainsi que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
trompèrent autrefois ceux qui s'éloignèrent <strong>de</strong> la tradition<br />
divine, qu'ils trompèrent ensuite <strong>le</strong>s pythagoriciens,<br />
<strong>le</strong>s platoniciens, <strong>le</strong>s théurgistes par <strong>le</strong>urs prestiges,<br />
et enfin qu'ils aveuglèrent <strong>le</strong>s épicuriens.<br />
Plusieurs Pères pensaient, comme <strong>le</strong>s platoniciens,<br />
que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s avaient un corps éthéré qu'ils con<strong>de</strong>nsaient<br />
pour se rendre visib<strong>le</strong>s. Celte opinion n'étant ni<br />
hétérodoxe, ni dogmatique, était libre ; plusieurs, dès<br />
<strong>le</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s, pensaient <strong>le</strong> contraire qui a prévalu;<br />
c'est-à-dire qu'anges et <strong>démon</strong>s sont <strong>de</strong> purs esprits.<br />
La première opinion n'est peut-être pas soutenab<strong>le</strong><br />
sans témérité ; el<strong>le</strong> ne semb<strong>le</strong> point cependant<br />
répugner à la raison, car si l'âme humaine est jointe<br />
à un corps charnel, <strong>le</strong>s intelligences pourraient être<br />
unies à un corps formé d'air subtil.<br />
Ces esprits remplissent l'air; <strong>le</strong>ur célérité est si<br />
gran<strong>de</strong> qu'ils jouissent sur la terre d'une sorte d'ubiquité.<br />
Ces expressions, qui semb<strong>le</strong>nt contradictoires en<br />
parlant <strong>de</strong>s esprits, seront un jour expliquées.<br />
Quel<strong>le</strong> est <strong>le</strong>ur puissance? El<strong>le</strong> est très-gran<strong>de</strong>,<br />
n'ayant rien perdu <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> qui est inhérente à <strong>le</strong>ur nature<br />
angélique selon l'ordre hiérarchique. Mais Dieu
AVEC LE DÉMON. 389<br />
paralyse <strong>le</strong>s efforts qu'ils font sans cesse pour nuire soit<br />
à l'âme, soit au corps.<br />
Comment apparaissent-ils?—Ils impriment <strong>de</strong>s fantômes<br />
dans <strong>le</strong> cerveau, alors l'apparition n'est que prestigieuse;<br />
ils prennent la forme <strong>de</strong> serpents, <strong>de</strong> taureaux,<br />
<strong>de</strong> chiens, d'animaux féroces; cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> feu, <strong>de</strong><br />
flamme, etc. Us font entendre <strong>de</strong>s bruits étranges, tels<br />
que cris, coups frappés, siff<strong>le</strong>ments, plaintes, éclats <strong>de</strong><br />
rire, etc. Ces apparitions ne sont ordinairement pour<br />
<strong>le</strong> fidè<strong>le</strong> que <strong>de</strong> vains épouvantails : la foi, <strong>le</strong> signe du<br />
salut dissipent ces illusions. Ils peuvent frapper, b<strong>le</strong>sser,<br />
etc. 1<br />
; mais la grâce <strong>de</strong> Jésus-Christ rend inuti<strong>le</strong>s<br />
<strong>le</strong>s efforts du <strong>démon</strong>, qui, quoique enchaîné, pourrait<br />
se ruer sur l'impru<strong>de</strong>nt qui, méprisant <strong>le</strong>s avertissements,<br />
s'en approcherait <strong>de</strong> trop près. <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> peut<br />
aussi, sans doute, revêtir une forme matériel<strong>le</strong> en s'incorporant,<br />
comme on <strong>le</strong> dira plus loin, dans <strong>le</strong>s substances<br />
inertes ou dans <strong>le</strong>s corps vivants.<br />
<strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s peuvent aussi se transformer en anges<br />
<strong>de</strong> lumière : sous la forme <strong>de</strong> saints personnages, ils<br />
portent <strong>le</strong>s hommes à faire <strong>de</strong>s jeûnes excessifs, à prier<br />
sans relâche; comme ils peuvent détourner <strong>de</strong> la piété<br />
par<strong>le</strong> rigorisme; ils prêchent aussi quelquefois une<br />
mora<strong>le</strong> relâchée ou inventent d'autres dogmes. L'Église<br />
doit être <strong>le</strong> seul gui<strong>de</strong> du chrétien; un ange annoncerait-il<br />
un autre Évangi<strong>le</strong>, il ne faudrait pas l'écouter.<br />
Ce qui trompe <strong>le</strong>s hommes, ce sont <strong>le</strong>s prodiges qui<br />
ont permis aux <strong>démon</strong>s <strong>de</strong> se faire passer pour <strong>de</strong>s<br />
dieux: <strong>le</strong>s prédictions, <strong>le</strong>s guérisons, etc. — On se<br />
trompe gran<strong>de</strong>ment quand on prend pour marque certaine<br />
<strong>de</strong> puissance divine <strong>le</strong>s prodiges surhumains<br />
opérés par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s; <strong>le</strong>ur supériorité sur <strong>le</strong>s œuvres<br />
). S. Athanase, Vie <strong>de</strong> S. Antoine. — S. Jérôme, Vie <strong>de</strong> S. Hilarion.
390 DBS HAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> ne <strong>le</strong>s rend point miracu<strong>le</strong>ux. (S. Aug., Dû<br />
divin, dœm., III.)<br />
Ils ne font point <strong>de</strong> mirac<strong>le</strong>s ; ils ne peuvent ni créer,<br />
ni anéantir, ni changer <strong>le</strong>s lois physiques établies par<br />
<strong>le</strong> Créateur; mais ils peuvent infiniment mieux que<br />
<strong>l'homme</strong> se servir <strong>de</strong>s objets <strong>de</strong> la création. Ils ne <<br />
sont point créateurs, mais ils peuvent disposer <strong>de</strong>s<br />
germes répandus dans toute la nature. Saint Augustin<br />
pense qu'on peut expliquer ainsi <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s magiciens<br />
<strong>de</strong> Pharaon, qui purent faire apparaître <strong>de</strong> vraies<br />
grenouil<strong>le</strong>s et <strong>de</strong> vrais serpents. (S. Aug., De Trinit.,<br />
III, 8.) Il dit ail<strong>le</strong>urs que, par art magique, on peut faire<br />
ainsi <strong>de</strong>s prodiges surpassant toute conception humaine.<br />
(De civ. Dei, X, 12.) On est alors d'autant plus<br />
disposé à croire à un mirac<strong>le</strong>, que la célérité <strong>avec</strong> laquel<strong>le</strong><br />
<strong>le</strong>s esprits opèrent a été plus gran<strong>de</strong>, et que<br />
<strong>le</strong>ur action sur <strong>le</strong> corps est invisib<strong>le</strong> 1<br />
.<br />
<strong>Le</strong>s faits, d'accord <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dogmes, proclament l'action<br />
<strong>de</strong>s esprits sur la matière comme réel<strong>le</strong>. On no<br />
doit point alors être surpris <strong>de</strong>s merveil<strong>le</strong>s qui s'opéraient<br />
dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s; agitations <strong>de</strong> statues, rencontres<br />
d'animaux, changements opérés dans <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>s victimes, etc. Ils peuvent faire prononcer aux<br />
hommes <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s à <strong>le</strong>ur insu, ou <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ur faire écrire,<br />
et môme <strong>le</strong>ur inspirer <strong>de</strong>s pensées, <strong>de</strong>s sentiments en<br />
agissant sur l'encépha<strong>le</strong>.<br />
i. <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> peut, sans mirac<strong>le</strong>, rendre un corps invisib<strong>le</strong>. Il peut<br />
l'emporter <strong>avec</strong> la vitesse <strong>de</strong> la pensée, ou même l'apporter, et on<br />
pourra croire qu'il a créé ou anéanti, tandis qu'il n'y a que déplacement.<br />
Un corps peut se soutenir en l'air sans support, <strong>le</strong> <strong>démon</strong>,<br />
agent invisib<strong>le</strong>, <strong>le</strong> soutient. On examinera ce sujet à son ordre. On<br />
tiendra cette promesse que <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur trouvera peut-être trop souvent<br />
réitérée; mais on <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra <strong>le</strong>quel est préférab<strong>le</strong> <strong>de</strong> laisser <strong>le</strong> sujet<br />
incomp<strong>le</strong>t sans donner l'espoir d'y revenir ou <strong>de</strong> l'abor<strong>de</strong>r quand <strong>le</strong><br />
moment n'est pas encore venu.
AVEC LE DÉMON. 391<br />
Ces esprits inventeurs <strong>de</strong> la magie, <strong>de</strong>s divinations,<br />
varient, selon <strong>le</strong>s temps et selon <strong>le</strong>s individus, <strong>le</strong>urs<br />
moyens <strong>de</strong> séduction ; dans un sièc<strong>le</strong> matérialiste, ils<br />
cachent <strong>le</strong>ur action sous l'apparence <strong>de</strong>s lois physiques ;<br />
si <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> est spiritualiste, ils jettent dans l'idolâtrie,<br />
ou bien ils inventent <strong>le</strong>s hérésies. <strong>Le</strong>s hommes matériels<br />
sont attachés par eux à la vie sensuel<strong>le</strong>, ils excitent<br />
<strong>le</strong>urs appétits grossiers ; si <strong>le</strong>s hommes sont capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />
pensées é<strong>le</strong>vées, mais si <strong>le</strong>ur jugement n'est pas sain, et<br />
s'ils cè<strong>de</strong>nt à une curiosité condamnab<strong>le</strong>, ils tombent<br />
dans ces erreurs monstrueuses signalées dans <strong>le</strong> polythéisme<br />
et chez <strong>le</strong>s hérétiques.<br />
<strong>Le</strong>urs prodiges souvent sont <strong>de</strong> purs prestiges: rendre<br />
invisib<strong>le</strong> ce qui peut être vu, faire voir par hallucination<br />
diabolique ce qui n'existe pas, etc.<br />
C'est ainsi que <strong>le</strong>s évocations <strong>de</strong> la nécromancie<br />
sont <strong>de</strong>s illusions; il n'appartient pas au <strong>démon</strong>, dit<br />
Tertullien, <strong>de</strong> tirer <strong>le</strong>s âmes du ciel ou <strong>de</strong> l'enfer,<br />
mais il fait apparaître <strong>de</strong>s fantômes aux magiciens. <strong>Le</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s envoient <strong>de</strong>s songes qui sont <strong>de</strong> vrais orac<strong>le</strong>s,<br />
etc.<br />
Ils ont trompé en faisant croire qu'ils ont <strong>le</strong>s passions<br />
<strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, qu'ils sont comme lui sensib<strong>le</strong>s aux<br />
voluptés charnel<strong>le</strong>s. — Fiction, pur badinage, dit saint<br />
Augustin, inventés pour mieux séduire; <strong>de</strong>s esprits<br />
ne peuvent avoir <strong>le</strong>s passions <strong>de</strong>s êtres corporels et<br />
sensib<strong>le</strong>s; mais s'ils ne partagent point <strong>avec</strong> <strong>l'homme</strong><br />
<strong>le</strong>s vils penchants <strong>de</strong> sa nature déchue, ils sont du<br />
moins, <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>ur chute, hors <strong>de</strong> l'ordre et usent <strong>de</strong><br />
tous <strong>le</strong>s moyens propres à nous entraîner au mal <strong>avec</strong><br />
eux.<br />
L'illusion <strong>de</strong> la théurgie, que <strong>le</strong>s païens croyaient<br />
être un moyen <strong>de</strong> communiquer <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux pour<br />
opérer <strong>le</strong> bien, était non moins détestab<strong>le</strong> que la'goétie,
392 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
puisqu'el<strong>le</strong> émanait <strong>de</strong> la même source. (S. Aug., Ib.,<br />
X, 10.)<br />
Pour tromper et asservir ceux qui <strong>le</strong>s invoquent, <strong>le</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s exaucent <strong>le</strong>urs prières ; bienfaisants par ruse,<br />
ils accor<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>urs dons à ceux qui <strong>le</strong>s servent, ils <strong>le</strong>s<br />
lient ainsi par un pacte tacite; il faut se tenir d'autant<br />
plus sur ses gar<strong>de</strong>s que <strong>le</strong>urs prodiges sont plus merveil<strong>le</strong>ux;<br />
<strong>le</strong>urs ruses sont fort habi<strong>le</strong>s, puisqu'el<strong>le</strong>s<br />
sont proportionnées à <strong>le</strong>ur intelligence; mais s'ils sont<br />
si puissants, comme <strong>le</strong> dit saint Augustin, combien <strong>le</strong>s<br />
saints anges <strong>le</strong> sont-ils davantage ! (De civ. Dei, XXI, 6.)<br />
Ils agissent, dit saint Léon, <strong>avec</strong> tant <strong>de</strong> ruses qu'ils<br />
semb<strong>le</strong>nt frapper ou épargner à <strong>le</strong>ur gré (quoique cela<br />
ne soit pas).<br />
Ce qui est très-affligeant, c'est que <strong>le</strong>urs artifices<br />
trompent si bien, qu'il y en a plusieurs qui, redoutant<br />
<strong>le</strong>ur haine, veu<strong>le</strong>nt se <strong>le</strong>s rendre propices, tandis que<br />
<strong>le</strong>urs bienfaits sont plus funestes que <strong>le</strong>s plus grands<br />
maux, et qu'il vaut infiniment mieux mériter <strong>le</strong>ur<br />
aversion que <strong>le</strong>urs faveurs. (Sermo <strong>de</strong>Pass. Dont., XIX.)<br />
<strong>Le</strong> but <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs prodiges et <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs prestiges, c'est<br />
<strong>de</strong> se faire adorer comme <strong>de</strong>s dieux, <strong>de</strong> faire accréditer<br />
un culte qui <strong>le</strong>s rend maîtres <strong>de</strong> ceux qui trompent<br />
(c'est-à-dire <strong>le</strong>urs prôtres), et <strong>de</strong> ceux qui se laissent<br />
tromper. (S. Aug.)<br />
<strong>Le</strong>s prodiges qui s'opéraient dans <strong>le</strong>s statues retenaient<br />
<strong>le</strong>s païens dans une misérab<strong>le</strong> captivité ; la divinité<br />
étant présente dans l'ido<strong>le</strong>, soit pour accor<strong>de</strong>r<br />
<strong>de</strong>s bienfaits à ses adorateurs, soit pour <strong>le</strong>s punir s'ils<br />
la négligeaient.<br />
L'homme est infiniment moins puissant que <strong>le</strong>s esprits;<br />
mais s'il <strong>de</strong>vient <strong>le</strong>ur esclave, ils lui communiquent<br />
une partie <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur pouvoir surhumain ; <strong>de</strong> là <strong>le</strong>s<br />
prodiges <strong>de</strong>s magiciens en vertu d'un pacte explicite
AVEC LE DÉMON. 393<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s. Magi faciunt miracula per privatos<br />
contractes. (S. Aug., De div. quœst., LXXIX, 4.) — Nous<br />
verrons souvent <strong>de</strong> semblab<strong>le</strong>s contrats dans l'exposé<br />
<strong>de</strong> la magie.<br />
<strong>Le</strong>s païens croyaient que <strong>le</strong>s esprits étaient attirés<br />
par certaines substances, tel<strong>le</strong>s que pierre, bois, végétaux,<br />
animaux, ou par certains rites. <strong>Le</strong>s Pères savaient<br />
que toutes ces choses étaient autant <strong>de</strong> signes sensib<strong>le</strong>s<br />
révélés aux hommes par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s pour établir un<br />
rapport. Cette révélation était nécessaire. Comment <strong>le</strong>s<br />
premiers sages auraient-ils su, dit saint Augustin (De<br />
tiv. Dei, XXI, 6), «ce que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s aiment ou<br />
abhorrent ; ce qui <strong>le</strong>s contraint <strong>de</strong> venir, tout ce qui, en<br />
on mot, compose la science magique?»<br />
Il était bien constant que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s avaient appris<br />
aux hommes un grand nombre <strong>de</strong> secrets, et qu'ils disposaient<br />
<strong>de</strong>s choses <strong>de</strong> la nature, mais subordonnément<br />
à la volonté <strong>de</strong> Dieu. (S. Aug., De div. quœst.)<br />
Néanmoins <strong>le</strong>s Pères n'admettaient pas aveuglément<br />
tous <strong>le</strong>s faits merveil<strong>le</strong>ux, et ne se croyaient pas<br />
obligés <strong>de</strong> tout croire, mais ils se gardaient bien <strong>de</strong><br />
nier <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la magie : « car c'eût été, dit saint<br />
Augustin (De civ. Dei, XXI, 6), al<strong>le</strong>r contre <strong>le</strong> témoignage<br />
<strong>de</strong>s saintes Écritures. » — Non-seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>ur<br />
autorité obligeait <strong>de</strong> reconnaître la vérité <strong>de</strong>s faits<br />
merveil<strong>le</strong>ux dont el<strong>le</strong> cite plusieurs exemp<strong>le</strong>s, mais<br />
l'expérience venait el<strong>le</strong>-même imposer la croyance aux<br />
prodiges <strong>de</strong> l'enfer.<br />
Quoique <strong>le</strong>s Pères se soient souvent servis <strong>de</strong> l'expression<br />
<strong>de</strong> prestiges, en parlant <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers, ils<br />
n'entendaient donc point <strong>le</strong>s assimi<strong>le</strong>r aux tours <strong>de</strong><br />
passe-passe <strong>de</strong>s bate<strong>le</strong>urs ; tout ce qui était évi<strong>de</strong>mment<br />
supérieur à tout pouvoir humain avait une origine<br />
divine ou diabolique. — Comment <strong>le</strong>s discerner? —
394 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Comme on l'a dit, c'est chose quelquefois diffici<strong>le</strong> et qui<br />
exigerait <strong>de</strong>s principes qu'on ne peut développer ici :<br />
1° On <strong>le</strong>s distingue par <strong>le</strong> but, s'ils corrigent <strong>le</strong>s mœurs,<br />
ou s'ils causent du dommage au corps ou à l'âme;<br />
2° par <strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong> ceux qui <strong>le</strong>s opèrent : <strong>le</strong>s saints<br />
ne cherchent que la gloire <strong>de</strong> Dieu, <strong>le</strong>s magiciens à<br />
satisfaire <strong>le</strong>ur vanité, <strong>le</strong>ur orgueil ou <strong>le</strong>urs passions<br />
(S. Aug., De div. qnœsi., LXX'X, 4); 3° on <strong>le</strong>s distingue<br />
par la nalurc <strong>de</strong>s prodiges : <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s avaient<br />
un caractère <strong>de</strong> nob<strong>le</strong>sse et <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur qui manquait<br />
aux prodiges diaboliques ; <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> premier ordre<br />
étaient évi<strong>de</strong>mment supérieurs à lout autre pouvoir<br />
que celui du Créateur, tels que donner la vue aux<br />
aveug<strong>le</strong>s-nés et ressusciter <strong>de</strong>s morts. Tous <strong>le</strong>s prodiges<br />
supposaient un pouvoir surhumain, mais il était<br />
évi<strong>de</strong>nt qu'ils n'étaient pas tous surnaturels; —guérir<br />
subitement ou <strong>le</strong>ntement un mal incurab<strong>le</strong>, pour<br />
<strong>l'homme</strong> <strong>de</strong> la science, peut n'avoir rien <strong>de</strong> divin et<br />
être pourtant surhumain; Dieu voulait enfin que ces<br />
prodiges offrissent souvent un caractère vil et grotesque<br />
qu'on ne rencontre pas dans <strong>le</strong> mirac<strong>le</strong>.<br />
La certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s prodiges diaboliques bien constante<br />
pour <strong>le</strong>s païens, comme pour <strong>le</strong>s chrétiens, servait à<br />
ces <strong>de</strong>rniers à <strong>démon</strong>trer la possibilité <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s à<br />
ceux qui <strong>le</strong>s niaient. — « Quoi ! disait Origène, vous<br />
reconnaissez que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> peut en faire, et Dieu ne <strong>le</strong><br />
saurait! Nier qu'il y ait <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s divins sous prétexte<br />
qu'il y en a <strong>de</strong> diaboliques, c'est comme si on<br />
rejetait, dit-il, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>strations parce qu'il y a <strong>de</strong>s<br />
sophismes. Il est manifeste, — continue Origène, —<br />
qu'il y a un art magique dont <strong>le</strong>s méchants se servent<br />
auprès du diab<strong>le</strong> pour en obtenir certains prodiges ; il<br />
s'ensuit nécessairement qu'il doit s'en faire parmi nous<br />
par une vertu toute divine. » (Orig. c. Celse, II, 1.) ,
AVEC LE DÉMON. 395<br />
«Si <strong>le</strong>s esprits immon<strong>de</strong>s, dit aussi saint Augustin (De<br />
cw. Dei, XXI, 6), ont <strong>le</strong> pouvoir d'opérer <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s merveil<strong>le</strong>s,<br />
quel doit être celui <strong>de</strong>s saints anges? Quel est<br />
celui du Créateur, dont <strong>le</strong>s uns et <strong>le</strong>s autres tiennent<br />
toute <strong>le</strong>ur puissance? » 11 avoue que cel<strong>le</strong> dos <strong>démon</strong>s<br />
est quelquefois tel<strong>le</strong> que, sans <strong>le</strong> don <strong>de</strong> discernement, il<br />
serait impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> savoir ce qu'ils peuvent par <strong>le</strong>ur<br />
nature ou ce qu'ils ne peuvent pas. (De Trin., III, 9.)<br />
Mais si ces esprits sont si puissants, si <strong>le</strong>s magiciens<br />
ont pu faire croire qu'ils pouvaient troub<strong>le</strong>r ou<br />
calmer l'esprit <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> à <strong>le</strong>ur gré, arrêter <strong>le</strong>s flots,<br />
faire tremb<strong>le</strong>r la terre et évoquer <strong>le</strong>s ombres, combien<br />
il est plus faci<strong>le</strong> à Dieu <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s qui semb<strong>le</strong>nt<br />
incroyab<strong>le</strong>s !<br />
Un fait à signa<strong>le</strong>r, parer" qu'il a un caractère prophétique,<br />
c'est que <strong>le</strong>s Pères pensaient qu'il viendrait<br />
un temps où l'Église <strong>de</strong> Jésus-Christ ne ferait<br />
presque plus <strong>de</strong> mirac<strong>le</strong>s et où <strong>le</strong> <strong>démon</strong> seul en opérerait.<br />
« Tant que la vocation a la foi durera, disait saint<br />
Chrysosfome, <strong>le</strong>s serviteurs <strong>de</strong> Jésus-Christ feront <strong>de</strong>s<br />
mirac<strong>le</strong>s ; mais quand el<strong>le</strong> cessera, commencera la<br />
séduction... Alors <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> aura la puissance <strong>de</strong> faire<br />
non <strong>le</strong>s prodiges vains qu!il faisait autrefois (<strong>le</strong>s prestiges<br />
du temps <strong>de</strong> Simon), mais <strong>de</strong>s prodiges uti<strong>le</strong>s. »<br />
Cette prédiction s'est vérifiée, l'Église fait infiniment<br />
moins <strong>de</strong> mirac<strong>le</strong>s qn a l'époque où l'établissement<br />
du christianisme <strong>le</strong>s rendait nécessaires; mais on<br />
verra Satan opérer <strong>de</strong> nombreux prodiges qui, prouvant<br />
<strong>le</strong>s prodiges passés, montrent aussi ce qu'on doit<br />
attendre dans l'avenir du pouvoir <strong>de</strong> l'Antéchrist.<br />
Après cet exposé général <strong>de</strong> la doctrine <strong>de</strong> l'Église,<br />
on va passer alternativement en revue <strong>le</strong>s diverses<br />
croyances superstitieuses <strong>de</strong>s païens, on montrera ce
306 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
que <strong>le</strong>s Pères admettaient ou rejetaient, et surtout<br />
comment ils expliquaient plusieurs d'entre el<strong>le</strong>s.<br />
Divinations.<br />
<strong>Le</strong>s saints Pères condamnaient tous <strong>le</strong>s genres <strong>de</strong><br />
divination, et en général toutes <strong>le</strong>s superstitions dont<br />
on se servait pour connaître l'avenir. « Par un secret<br />
jugement <strong>de</strong> Dieu, dit saint Augustin (Doct. c//r., II,<br />
20-23), <strong>le</strong>s hommes, à cause <strong>de</strong> la dépravation <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>ur cœur, sont livrés aux illusions <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, etc.»<br />
On reconnaissait que, au moyen <strong>de</strong> certaines pratiques,<br />
on peut découvrir beaucoup <strong>de</strong> choses passées,<br />
et beaucoup même dans l'avenir qui arrivent précisément<br />
tel<strong>le</strong>s qu'el<strong>le</strong>s ont été prédites... <strong>Le</strong> succès <strong>de</strong>s<br />
vaines observances pique la curiosité et fait qu'on<br />
s'enlace dans <strong>le</strong>s fi<strong>le</strong>ts <strong>de</strong> l'erreur, disent <strong>le</strong>s Pères;<br />
l'Écriture nous avertit <strong>de</strong> n'y pas croire, lors même que<br />
<strong>le</strong>ur prédiction se vérifierait. Un chrétien doit rejeter<br />
tous ces arts, comme étant fondés sur la société <strong>de</strong>s<br />
hommes <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s... L'Écriture défend <strong>de</strong> croire<br />
aux prédictions <strong>de</strong>s malins esprits, parce, que l'avenir,<br />
appartenant 11 Dieu et au libre arbitre humain, ne<br />
peut être connu; cependant il faut reconnaître qu'ils<br />
conjecturent fort habi<strong>le</strong>ment, parce qu'ils ont une<br />
longue expérience, une très-gran<strong>de</strong> intelligence, et<br />
qu'ils nous sont enfin si supérieurs, que l'avenir est<br />
en quelque sorte présent à <strong>le</strong>ur sagacité. Comme un<br />
pilote, <strong>le</strong>s esprits prévoient dans <strong>le</strong>s signes atmosphériques<br />
<strong>le</strong> beau temps ou la tempête ; comme un mé<strong>de</strong>cin,<br />
ils voient l'issue d'une maladie; infiniment,<br />
mieux que l'un et l'autre, ils conjecturent tout ce qui<br />
peut arriver, quoique cependant ils puissent aussi se<br />
tromper. Revêtus d'un corps d'air, pouvant se trans-
AVEC LE DÉMON. 397<br />
porter presque aussi promptement que la pensée, ils<br />
précè<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s messagers moins agi<strong>le</strong>s ; c'est ainsi qu'ils<br />
annoncent l'arrivée d'un ami, parce qu'ils l'ont vu commencer<br />
sa route ou parce qu'ils connaissent ses projets.<br />
Ils prédisent une inondation, parce qu'ils voient dans<br />
<strong>de</strong>s pays lointains tomber <strong>le</strong>s pluies qui la causent ; ils<br />
prédisent parce qu'ils lisent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>sseins, qu'ils connaissent<br />
etvoient l'enchaînement <strong>de</strong>s événements. Mais<br />
ils prédisent surtout ce qu'ils veu<strong>le</strong>nt faire, et dans ce<br />
cas <strong>le</strong>urs prédictions ne se réalisent qu'autant que Dieu<br />
<strong>le</strong> permet, dit saint Augustin ; voilà pourquoi ils sont<br />
sujets à se tromper, et pourquoi <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s étaient<br />
quelquefois si obscurs... — Ils lisent <strong>le</strong>s pensées <strong>de</strong><br />
<strong>l'homme</strong>, qu'ils connaissent, dit <strong>le</strong> môme Père, par<br />
<strong>de</strong>s signes matériels, imperceptib<strong>le</strong>s aux créatures; ils<br />
<strong>le</strong>s connaissent aussi parce qu'ils <strong>le</strong>s suggèrent. On voit<br />
ainsi comment <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s pouvaient, dire la vérité concernant<br />
l'avenir, pourquoi ils prédisaient en termes<br />
ambigus et pourquoi ils mentaient. (S. Aug., Il, De yen.<br />
ad Litt., XXII; Tertullien, Apolog.; Lactance, Div.<br />
imt., II; S. Cyprien, De irfol. van.)<br />
Guérisons.<br />
<strong>Le</strong>s Pères reconnaissaient la possibilité <strong>de</strong>s guérisons<br />
magiques. (V. saint Justin, Origène, Eusèbe, Tertullien,<br />
saint Augustin, saint Jean Chrysos<strong>tome</strong>, etc.)<br />
Ce <strong>de</strong>rnier assure que par l'art <strong>de</strong>s faux dieux on peut<br />
guérir <strong>de</strong>s maladies.<br />
Tous admettaient aussi que souvent <strong>le</strong>s dieux donnent<br />
<strong>de</strong>s maladies pour forcer <strong>de</strong> recourir aux enchantements,<br />
qui sont <strong>de</strong> vrais sacrifices aux <strong>démon</strong>s...<br />
Alors ils guérissent <strong>le</strong>s maux qu'ils ont causés. — L'expérience<br />
prouve aussi qu'ils peuvent guérir <strong>de</strong>s mala-
308 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
dies naturel<strong>le</strong>s, mais <strong>le</strong> mal est sujet à retour ; et s'ils<br />
guérissent <strong>le</strong> corps, ils tuent l'âme. — Remè<strong>de</strong>s bizarres<br />
1<br />
, substances sans vertus, contraires souvent à<br />
la maladie, qui prouvent que la guérison n'est point<br />
due aux médicaments, mais à un agent spirituel : ce<br />
qui vient <strong>le</strong> prouver encore, c'est que cette guérison<br />
s'opère non moins efficacement par certains gestes ou<br />
par vaines paro<strong>le</strong>s ordonnées par <strong>le</strong>s dieux.<br />
Arnobe (Adv. gent., I, 48-49), en avouant ces guérisons,<br />
dit que tous ceux qui se rendaient dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s<br />
pour obtenir cette faveur n'étaient pas tous secourus;<br />
<strong>le</strong> <strong>démon</strong>, voulant contrefaire Dieu en tout, n'accor<strong>de</strong><br />
quelquefois <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong> guérison qu'à une foi ferme<br />
et à <strong>de</strong> ^gran<strong>de</strong>s supplications ; puis il fait observer<br />
que <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jésus-Christ avaient lieu sans recourir<br />
à tout cet attirail païen dont on a parlé.<br />
Il est donc bien constant que <strong>de</strong>s cures extraordinaires<br />
avaient été opérées; puisqu'el<strong>le</strong>s étaient avouées<br />
par <strong>le</strong>s Pères, qui font observer combien el<strong>le</strong>s différaient<br />
<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jésus-Christ. — Si <strong>le</strong>s Pères<br />
eussent pensé que Satan ne peut guérir, ils l'auraient<br />
dit sans détour; mais ils ne l'ont pas fait, et il eût été<br />
diffici<strong>le</strong> qu'il en fût autrement.<br />
Saint Augustin (De civ. Dei, X, 18), en parlant <strong>de</strong>s<br />
mirac<strong>le</strong>s chrétiens, s'exprime ainsi : — « Dira-t-on que<br />
ces mirac<strong>le</strong>s sont faux et inventés?... <strong>Le</strong>s dieux mêmes<br />
<strong>de</strong>s païens ne se sont fait adorer que par <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s,<br />
comme <strong>le</strong>urs histoires en font foi... Celui qui prétend<br />
qu'on ne doit ajouter foi pour ces choses à nul écrivain,<br />
peut aussi prétendre qu'aucun dieu n'a soin <strong>de</strong> ce<br />
l. Autre chose est <strong>de</strong> dire : Votre dou<strong>le</strong>ur cessera si vous prenez Je<br />
jus <strong>de</strong> tel<strong>le</strong> herbe, ou enfin <strong>de</strong> dire : el<strong>le</strong> cessera si vous la suspen<strong>de</strong>:<br />
à votre cou. (Saint Aug., De doctr. ehr., II, 29.)
AVEC LE DÉMON. 309<br />
mon<strong>de</strong> '. » — Il n'entend pas réfuter ici ceux qui nient<br />
la Divinité, ni ceux qui soutiennent qu'el<strong>le</strong> ne s'occupe<br />
pas <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> ; mais il veut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à ceux qui<br />
ue doutent pas <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s dieux, parce qu'ils s'en<br />
rapportent aux historiens ou aux livres <strong>de</strong> magie ou <strong>de</strong><br />
théurgie, pourquoi ils font difficulté <strong>de</strong> croire aux<br />
mirac<strong>le</strong>s chrétiens sur la foi <strong>de</strong>s Écritures, dont certainement<br />
l'autorité l'emporte sur <strong>le</strong>s livres <strong>de</strong>s<br />
païens*.<br />
Saint Justin avoue aussi <strong>le</strong>s cures <strong>de</strong>s dieux <strong>de</strong>s<br />
1. Quisguis hoc dicit, si <strong>de</strong> his rébus negat omnino ullis litteris esse<br />
ae<strong>de</strong>ndum, potest etiam dicere nec <strong>de</strong>os ullos curare mortalia. — Saint<br />
Augustin avait <strong>de</strong>viné la formu<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'éco<strong>le</strong> positiviste, où la négation<br />
du surnaturel se joint logiquement à l'athéisme.<br />
2. Quoi <strong>de</strong> plus propre à prouver la réalité <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s chrétiens<br />
que <strong>le</strong>s conversions <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> païens illustres qui souffraient <strong>le</strong> martyre<br />
pour attester ce qu'ils avaient vu ! Une preuve qui l'emporte sur<br />
<strong>le</strong>s livres et la tradition, une preuve qu'un témoin ne ment pas, c'est<br />
déverser son sang pour attester ce qu'il a dit. Ce n'est pas un simp<strong>le</strong><br />
récit fabu<strong>le</strong>ux qui déterminait <strong>le</strong>s Justin, <strong>le</strong>s Cyprien, etc., à renoncer<br />
à <strong>le</strong>urs fortunes ou à <strong>le</strong>urs fonctions pour se livrer au bourreau. <strong>Le</strong>s<br />
prodiges païens manquaient d'attestations aussi puissantes. <strong>Le</strong>s fausses<br />
religions ont eu <strong>de</strong>s adorateurs qui ont subi <strong>de</strong>s supplices volontaires;<br />
el<strong>le</strong>s auraient pu sans doute trouver aussi <strong>de</strong>s martyrs, parce qu'el<strong>le</strong>s<br />
avaient <strong>le</strong>urs prodiges ; cependant il y aurait toujours cette différence<br />
énorme, que <strong>le</strong>s idolâtres souffriraient la mort pour eonserver<strong>le</strong>ur vieux<br />
culte, tandis que <strong>le</strong>s nouveaux chrétiens souffraient <strong>le</strong> martyre pour en<br />
choisir un nouveau. Différence énorme, on <strong>le</strong> répète. —Mais la politique<br />
a aussi ses martyrs, dira-t-on ; el<strong>le</strong> a ses victimes innocentes. —<br />
Ce sont d'ordinaire <strong>de</strong>s séditieux punis, non <strong>de</strong>s martyrs. On ne court<br />
pas à la mort pour la politique, en l'évite, au contraire, autant qu'on<br />
<strong>le</strong> peut; on meurt <strong>avec</strong> plus ou moins <strong>de</strong> courage, mais ce n'est pas<br />
<strong>le</strong> martyre, c'est un supplice pour une cause bonne ou mauvaise. C'est<br />
LouisXVI ou Robespierre; ce n'est ni Justin ni Polyeucte — <strong>Le</strong>s<br />
prêtres indous, malgré <strong>le</strong>urs prodiges, que la science n'explique pas,<br />
n'ont jamais su faire adorer Brahma par nos voyageurs, la plupart,<br />
cependant, chrétiens peu zélés. Un amiral français n'aurait jamais eu<br />
i punir <strong>de</strong> mort un marin chrétien attestant au péril <strong>de</strong> sa vie la<br />
réalité <strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong> Wichnou.
400 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Gentils, puisqu'il explique pourquoi ils <strong>le</strong>s ont faites.<br />
« <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> sachant qu'un <strong>de</strong>s caractères du Messie<br />
serait <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s guérisons, en fit sous <strong>le</strong> nom d'Esculape,<br />
pour affaiblir par avance une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s preuves<br />
<strong>de</strong> la divinité du Sauveur et <strong>de</strong> sa mission. » Il dit aussi<br />
que, dans <strong>le</strong> même but, <strong>le</strong> <strong>démon</strong> supposa une progéniture<br />
à Jupiter à la suite <strong>de</strong> ses relations impures <strong>avec</strong><br />
<strong>de</strong> simp<strong>le</strong>s mortel<strong>le</strong>s, afin que ce fait, qui semb<strong>le</strong>rait<br />
une fab<strong>le</strong> à l'avènement du Sauveur, fit considérer la<br />
naissance <strong>de</strong> Jésus né d'une vierge comme une absurdité.<br />
<strong>Le</strong>s remè<strong>de</strong>s bizarres, <strong>le</strong>s substances qui paraissent<br />
être sans vertus, étaient condamnés (on l'a vu) comme<br />
<strong>de</strong>s pratiques diaboliques. Cependant, s'il n'y avait ni<br />
invocation, ni caractères magiques, on pouvait croire<br />
que ces substances, attachées au cou, étaient douées<br />
<strong>de</strong> quelques vertus naturel<strong>le</strong>s occultes ; il était licite,<br />
dans ce cas, d'en user à moins qu'on ne se doutât<br />
qu'el<strong>le</strong>s fussent <strong>le</strong> signe sensib<strong>le</strong> d'un pacte tacite <strong>avec</strong><br />
<strong>le</strong> <strong>démon</strong>. Selon saint Augustin, on doit y mettre d'autant<br />
plus <strong>de</strong> soin et <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce, que ce remè<strong>de</strong> aura<br />
paru plus efficace... —• « Quand on ignore la cause <strong>de</strong><br />
cette efficacité ', il importe beaucoup, dit-il, <strong>de</strong> voir<br />
dans quel esprit chacun s'en sert. » (De doct. christ.,<br />
II, 29.)<br />
Bruits, cris, apparitions, vexations, possessions.<br />
On a dit que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s peuvent se manifester <strong>de</strong><br />
plusieurs manières, s'incorporer dans la matière,<br />
l. Saint Augustin semb<strong>le</strong> nous apprendre ici que <strong>de</strong> quelque part<br />
que vienne la guérison, quand on ignore la cause, et quand on a agi<br />
<strong>avec</strong> simplicité et pureté d'intention, pensant que la cure diabolique<br />
était naturel<strong>le</strong>, on n'est point coupab<strong>le</strong> ; mais <strong>avec</strong> <strong>le</strong> simp<strong>le</strong> doute<br />
ce serait une faute.
AVEC LE DÉJIOK. 401<br />
exercer une action sur <strong>le</strong>s corps <strong>de</strong> la nature. Par cette<br />
puissance inhérente à <strong>le</strong>ur nature angélique, ils pourraient<br />
môme bou<strong>le</strong>verser l'univers, si Dieu <strong>le</strong> permetlait;<br />
mais <strong>le</strong> plus souvent, comme il a été dit aussi,<br />
tout se borne à <strong>de</strong>s vacarmes effroyab<strong>le</strong>s, à <strong>de</strong>s apparitions<br />
<strong>de</strong> spectres, etc.; Dieu veut quelquefois que<br />
l'agression et l'action <strong>de</strong> ces terrib<strong>le</strong>s ennemis, cessant<br />
d'être cachées, <strong>de</strong>viennent perceptib<strong>le</strong>s aux sens, car<br />
on s'en défierait moins si jamais on ne <strong>le</strong>s voyait.<br />
[Discours <strong>de</strong> saint Antoine, rapporté par saint Athanase.)<br />
Dieu, dans sa miséricor<strong>de</strong> ou sa justice, permet aux<br />
<strong>démon</strong>s d'exercer sur <strong>l'homme</strong> <strong>le</strong>urs sévices et <strong>de</strong>s<br />
vexations parfois si horrib<strong>le</strong>s qu'el<strong>le</strong>s pourraient, si<br />
Dieu ne jugeait dans sa sagesse <strong>de</strong>voir arrêter <strong>le</strong>urs<br />
coups, causer la mort du patient.<br />
Ainsi <strong>le</strong>s obsessions et <strong>le</strong>s possessions sont permises<br />
pour rendre manifeste la rage <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, pour rappe<strong>le</strong>r<br />
à Dieu <strong>le</strong> pécheur. Dieu <strong>le</strong>s permet quelquefois à<br />
l'égard <strong>de</strong> ses serviteurs <strong>le</strong>s plus fidè<strong>le</strong>s, pour augmenter<br />
<strong>le</strong>ur gloire dans <strong>le</strong> ciel, tandis que l'impie, qui<br />
sera la proie <strong>de</strong> Satan, et qui <strong>de</strong>vrait, ce semb<strong>le</strong>, être<br />
dès ce jour sa victime, est cependant épargné. C'est<br />
que Satan, satisfait <strong>de</strong> régner sur l'âme pour <strong>le</strong> triomphe<br />
<strong>de</strong> l'erreur et <strong>de</strong> l'impiété, laisse <strong>le</strong> corps tranquil<strong>le</strong>.<br />
S'il n'exerce pas ses vexations sur <strong>le</strong>s méchants,<br />
c'est pour mieux établir la concupiscence dans <strong>le</strong>ur<br />
cœur. Quand la sagesse divine <strong>le</strong>s permet sur l'impie,<br />
loin d'en murmurer, il en doit rendre grâce à Dieu,<br />
qui lui a fait connaître son cruel ennemi.<br />
L'état <strong>de</strong> possession se manifeste par <strong>de</strong>s signes<br />
étranges ou épouvantab<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong>s Pères, plus explicites<br />
que <strong>le</strong>s saintes Écritures, ont cité différents<br />
exemp<strong>le</strong>s. —<strong>Le</strong> possédé voit <strong>le</strong>s choses cachées, lit <strong>le</strong>s<br />
pensées, révè<strong>le</strong> quelquefois l'avenir; son corps se sou-<br />
I. 2G
402 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
tient éri l'air, contre <strong>le</strong>s lois <strong>de</strong> la gravilaUon; ses<br />
forces paraissent surhumaines. (S. Paulin, Nata<strong>le</strong>s S.<br />
Felicis, III et VII; Sulp. Sev., Dialog., III, 6.)<br />
Fort souvent, quoique <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s agissent trèsénergiquement<br />
sur <strong>le</strong> corps et sur l'esprit <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>,<br />
c'est une possession latente qui ne manifeste aucun<br />
<strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> l'action satanique et n'en est que plus<br />
déplorab<strong>le</strong> : <strong>le</strong> traître Judas, qui termina sa vie par <strong>le</strong><br />
suici<strong>de</strong>, en offre un exemp<strong>le</strong>. — D'autres fois <strong>le</strong> <strong>démon</strong>,<br />
s'étant emparé <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, en fait un enthousiaste,<br />
un <strong>de</strong>vin, un faux prophète; on en a vu <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s<br />
dans l'enthousiasme sacré <strong>de</strong>s Gentils, et on en verra<br />
<strong>de</strong> nombreux dans la magie et <strong>le</strong>s hérésies. <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
remuent <strong>le</strong>s corps inertes, qui semb<strong>le</strong>nt alors doue's<br />
<strong>de</strong> vie; ils infestent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>meures, particulièrement <strong>le</strong>s<br />
maisons inhabitées, car ils aiment <strong>le</strong>s lieux déserts ;<br />
ils fréquentent <strong>le</strong>s tombeaux, c'est là surtout que <strong>le</strong>s<br />
magiciens entrant en commerce <strong>avec</strong> eux croient vraiment<br />
<strong>le</strong>ur comman<strong>de</strong>r par <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s pt certains rites,<br />
tandis qu'en réalité ils en sont <strong>le</strong>s esclaves.<br />
Ces quelques pages rappel<strong>le</strong>ront brièvement ce qu'on<br />
a vu précé<strong>de</strong>mment et prépareront à tout ce qui reste<br />
à dire.<br />
Continuation du même sujef, orac<strong>le</strong>s, astrologie.<br />
Tout ce merveil<strong>le</strong>ux que <strong>le</strong>s Pères admettaient <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />
païens, mais qu'ils attribuaient aux esprits <strong>de</strong> malice, au<br />
lieu <strong>de</strong> l'attribuer à la Divinité, avait constamment, on<br />
l'a vu, embarrassé <strong>le</strong>s savants et toutes <strong>le</strong>s sectes <strong>de</strong><br />
philosophes; la plupart <strong>de</strong>s faits avaient paru même si<br />
extravagants, que lorsque la raison qui examine se fut<br />
substituée à la foi qui accepte sans critique, on trouva<br />
plus simp<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>s nier. Entre ces <strong>de</strong>ux extrémités,
AVEC LE DÉMON. 403<br />
nier <strong>de</strong>* qui était attesté par <strong>le</strong>s témoignages <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s<br />
temps et <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s lieux, ou accepter bénévo<strong>le</strong>ment<br />
ce qui semblait absur<strong>de</strong>, plusieurs philosophes hésitèrent<br />
d'autant moins à nier tout court, que certains faits<br />
invraisemblab<strong>le</strong>s semblaient se manifester plus rarement<br />
que dans <strong>le</strong>s temps anciens. <strong>Le</strong>s Pères <strong>avec</strong> la doctrine<br />
du christianisme sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s conciliaient ces graves<br />
difficultés et détruisaient <strong>le</strong>s dissi<strong>de</strong>nces.<br />
Ainsi, <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s par exemp<strong>le</strong> avaient été, comme<br />
on sait, <strong>le</strong> sujet <strong>de</strong> longues discussions; <strong>le</strong>s uns affirmaient,<br />
<strong>le</strong>s autres niaient, d'autres doutaient ; <strong>le</strong>s uns n'y<br />
voyaient que <strong>le</strong> fait <strong>de</strong> l'imposture, d'autres attribuaient<br />
<strong>le</strong>ur réalisation au hasard; peut-on <strong>le</strong>s nier? <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s<br />
peuvent-ils mentir? pourquoi sont-ils si ambigus?<br />
pourquoi refusent-ils <strong>de</strong> répondre? disaient <strong>le</strong>s épicuriens<br />
; — <strong>le</strong> sceptique, l'académicien continuent <strong>de</strong><br />
douter, l'épicurien hausse <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s en signe <strong>de</strong> pitié,<br />
Je stoïcien croit et affirme; en signalant <strong>le</strong>s faits, il n'entend<br />
point expliquer <strong>le</strong>s causes. <strong>Le</strong>s Pères intervenant,<br />
disaient aux sceptiques, aux épicuriens, et à tous: «Vous<br />
savez que vous n'avez pas <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> nier <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s,<br />
vous ne pouvez <strong>le</strong>s attribuer au hasard ni à l'imposture.<br />
» En effet, en examinant certaines prédictions réalisées<br />
dans <strong>le</strong>s plus petites circonstances, <strong>le</strong> doute n'était<br />
plus permis, et <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce forcé <strong>de</strong> tous <strong>de</strong>venait un acquiescement<br />
tacite ; cependant l'orac<strong>le</strong> ne peut émaner<br />
<strong>de</strong>s dieux; <strong>de</strong> quel<strong>le</strong> source émane-t-il donc?—Il procè<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>s intelligences malignes que vous reconnaissez<br />
presque tous, et que vous savez capab<strong>le</strong>s d'induire en<br />
erreur; qui mentent quelquefois parce qu'el<strong>le</strong>s aiment<br />
<strong>le</strong> mensonge, qui mentent aussi parce que la vérité <strong>le</strong>ur<br />
reste souvent cachée, qui dès lors sont énigmatiques<br />
dans <strong>le</strong>urs réponses, voulant cependant paraître véridiques.<br />
—<strong>Le</strong>s Pères, développant <strong>le</strong>s principes émis dans
404 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>le</strong> chapitre précé<strong>de</strong>nt, <strong>le</strong>ur prouvaient évi<strong>de</strong>mment que<br />
<strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s ne pouvaient venir <strong>de</strong> la fourberie humaine<br />
ni <strong>de</strong> Dieu, qui sait tout et ne ment jamais, ni <strong>de</strong> ses<br />
anges ; mais qu'il fallait <strong>de</strong> toute nécessité, en y reconnaissant<br />
une intelligence, déci<strong>de</strong>r qu'el<strong>le</strong> ne pouvait<br />
être que perverse. Alors toutes <strong>le</strong>s difficultés étaient<br />
aplanies et <strong>le</strong>s ténèbres dissipées.<br />
Que pouvait-on dire <strong>de</strong> l'astrologie? el<strong>le</strong> était la<br />
source <strong>de</strong> non moins graves discussions; si el<strong>le</strong> avait<br />
ses détracteurs, el<strong>le</strong> avait aussi <strong>de</strong> nombreux partisans.<br />
Selon Pythagore et Démocrite, cette prétendue<br />
science était ridicu<strong>le</strong>; Aristote et Platon la dédaignaient;<br />
<strong>le</strong>s astres étant matériels, disait-on, ne peuvent<br />
exercer d'empire sur l'âme qui est spirituel<strong>le</strong>...,<br />
et cependant <strong>de</strong>s hommes graves ayant étudié l'astrologie<br />
y croyaient, parce qu'el<strong>le</strong> aussi présentait <strong>de</strong>s<br />
exemp<strong>le</strong>s multipliés <strong>de</strong> prédictions bien vérifiées qui<br />
ne pouvaient venir du hasard; <strong>le</strong>s astres étant <strong>de</strong>s<br />
dieux, n'était-il pas naturel <strong>de</strong> <strong>le</strong>s considérer comme<br />
arbitres <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>stinée et capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> nous la révé<strong>le</strong>r?<br />
<strong>Le</strong> ciel était donc comme un registre que chacun<br />
pouvait consulter. — On ne saurait exposer ici tout ce<br />
que <strong>le</strong> simp<strong>le</strong> bon sens alléguait pour <strong>démon</strong>trer que<br />
c'était une folie, et une folie bien funeste, puisqu'el<strong>le</strong><br />
établissait la fatalité..., cependant <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong><br />
mérite persistaient dans <strong>le</strong>urs croyances. Clément d'A<strong>le</strong>xandrie<br />
raconte que son père Faustinien en était si<br />
persuadé, qu'il disait souvent à ses'enfants : Priez ou ne<br />
priez pas, ce que votre planète annonce arrivera. Faustinien,<br />
issu d'une famil<strong>le</strong> illustre, était un <strong>de</strong>s profonds<br />
mathématiciens <strong>de</strong> son sièc<strong>le</strong>.<br />
Comment se faisait-il qu'on crût à l'astrologie, malgré<br />
tous <strong>le</strong>s raisonnements qui établissaient qu'el<strong>le</strong><br />
était chimérique? C'était a. cause <strong>de</strong> la réalisation <strong>de</strong>
AVEC LE DÉMON. 40o<br />
prédictions astrologiques tel<strong>le</strong>s qu'on <strong>de</strong>vait repousser<br />
ces lieux communs <strong>de</strong> hasard, d'imposture, etc., si<br />
souvent répétés. Quel embarras pour <strong>le</strong>s philosophes<br />
païens ! Mais <strong>le</strong>s Pères n'étaient nul<strong>le</strong>ment embarrassés<br />
; grâce à <strong>le</strong>ur doctrine, ils anathématisent cette folie,<br />
et cependant ils sont convaincus que <strong>le</strong>s prédictions<br />
sont surhumainement véritab<strong>le</strong>s. Comment expliquer<br />
cela?— Saint Augustin, dont <strong>le</strong>s œuvres résument cel<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>s Pères qui l'ont précédé, prouve dans sa Cité <strong>de</strong><br />
Dieu, dans la Doctrine chrétienne, dans ses Confessions,<br />
etc., par <strong>de</strong> très-sages raisons que l'astrologie<br />
est une croyance insensée, mais il met d'accord partisans<br />
et détracteurs en expliquant comment el<strong>le</strong> dit<br />
vrai très-souvent.<br />
« Il arrive par je ne sais quel jugement secret <strong>de</strong><br />
Dieu, dit-il, que <strong>le</strong>s hommes touchés <strong>de</strong> ces vaines<br />
curiosités sont livrés aux erreurs et aux illusions que<br />
mérite la dépravation <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs désirs, et sont séduits et<br />
abusés par <strong>le</strong>s anges apostats, qui usent d'artifices et <strong>de</strong><br />
prestiges pour révé<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s choses passées ou futures...<br />
Plusieurs événements, ajoute-t-il, se trouvent conformes<br />
aux observations <strong>de</strong> ces insensés... L'Écriture nous a<br />
prémunis, en nous avertissant <strong>de</strong> fuir ces extravagances ;<br />
el<strong>le</strong> a dit : « Quand même ce qu'ils auront dit arriverait,<br />
ne vous fiez point à eux. » (Deuf., XIII, 1-3.)<br />
« Tout chrétien doit fuir ces superstitions qui entretiennent<br />
un commerce entre <strong>le</strong>s hommes et <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s,<br />
qui ne <strong>le</strong>s ont inventées que pour être <strong>le</strong>s conventions<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur fausse et perfi<strong>de</strong> amitié. » (Doctr. christ., II,23.)<br />
Dans ses Confessions, après avoir dit qu'il s'est appliqué<br />
à voir comment il pourrait <strong>le</strong> mieux ridiculiser<br />
ceux qui débitent <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s illusions, il termine à peu<br />
près ainsi : — « Cependant, par <strong>de</strong>s mouvements cachés<br />
<strong>de</strong> sa justice et <strong>de</strong> son admirab<strong>le</strong> sagesse (<strong>de</strong> Dieu), qui
406 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
ne sont connus ni <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins, ni <strong>de</strong> ceux qui <strong>le</strong>s consultent...,<br />
il arrive que chacun reçoit la réponse que méritent<br />
<strong>le</strong>s dispositions secrètes <strong>de</strong> son cœur. » (Conf.,'<br />
VII, 6.)<br />
Dans la Cité <strong>de</strong> Dieu, 1. V, après avoir montré en<br />
sept chapitres combien l'astrologie est une science<br />
frivo<strong>le</strong>, il termine en disant que c'est un moyen que<br />
<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s emploient pour établir la fausse et dangereuse<br />
opinion <strong>de</strong> la fatalité <strong>de</strong>s astres. Cela se fait par<br />
une secrète inspiration <strong>de</strong> ces <strong>démon</strong>s et non par l'inspection<br />
<strong>de</strong> l'horoscope, qui est entièrement vain. —<br />
Ainsi il est permis aux <strong>démon</strong>s <strong>de</strong> tromper ceux qui<br />
méprisent <strong>le</strong>s avertissements <strong>de</strong> la sainte Écriture.<br />
P/i-sages.<br />
<strong>Le</strong>s Gentils croyaient aux présages. L'Écriture nous<br />
apprend aussi que Dieu lui-même révè<strong>le</strong> quelquefois<br />
l'avenir par <strong>de</strong>s signes; mais chez <strong>le</strong>s premiers, tout,<br />
en quelque sorte, l'annonçait. Dans <strong>le</strong>ur curiosité excessive<br />
<strong>de</strong> savoir l'avenir, non contents d'observer <strong>le</strong>s<br />
présages ordinaires, ils en inventaient <strong>de</strong> nouveaux;<br />
ils en <strong>de</strong>mandaient constamment aux dieux ; esclaves<br />
<strong>de</strong>s vaines observances, el<strong>le</strong>s abrutissaient <strong>le</strong>ur intelligence,<br />
énervaient <strong>le</strong>ur courage; <strong>le</strong>s philosophes <strong>le</strong>s<br />
plus convaincus <strong>de</strong> la réalité <strong>de</strong>s signes divins, sentant<br />
et l'abus et <strong>le</strong> danger, étaient embarrassés par mil<strong>le</strong><br />
difficultés. Un dieu intervient dans <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s fumantes<br />
<strong>de</strong>s victimes, il intervient pour annoncer que<br />
la vapeur sera prophétique, il intervient dans <strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s<br />
oiseaux, dans la manière <strong>de</strong> becqueter <strong>de</strong>s pou<strong>le</strong>ts, etc.<br />
Pourquoi remplit-il si souvent un rô<strong>le</strong> si peu digne <strong>de</strong><br />
lui? pourquoi ne prédit-il pas lui-même? pourquoi<br />
envoyer <strong>de</strong>s signes pour prédire un malheur inévita-
AVEC LE DÉMON. 407<br />
b<strong>le</strong>? pourquoi choisir <strong>de</strong> tels moyens, etc., etc.? <strong>Le</strong>s<br />
discussions étaient interminab<strong>le</strong>s, insolub<strong>le</strong>s; prêtres<br />
et philosophes ne décidaient rien.<br />
La doctrine <strong>de</strong> l'Église répondait à tout. — C'est<br />
l'œuvre <strong>de</strong>s intelligences séductrices qui se sont substituées<br />
à Dieu ; <strong>le</strong>ur but est <strong>de</strong> tromper <strong>le</strong>s hommes, <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />
tyranniser ; — ils réalisent souvent ce qu'ils annoncent,<br />
ils multiplient <strong>le</strong>s signes et inspirent la pensée d'en inventer<br />
<strong>de</strong> nouveaux, pour troub<strong>le</strong>r l'esprit, désespérer<br />
ou au moins inquiéter. Riais <strong>le</strong>s signes divins rappel<strong>le</strong>nt<br />
<strong>l'homme</strong> à son Dieu, lui inspirent la joie, la confiance<br />
ou la résignation. — <strong>Le</strong>s présages <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s jettent<br />
dans l'abattement, causent la folie ou entraînent dans<br />
l'impiété. Ne cherchez ni ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z jamais <strong>de</strong> présages,<br />
dit la vraie doctrine; s'il s'en présente, sachez<br />
discerner ceux qui sont divins <strong>de</strong> ceux qui sont diaboliques.<br />
<strong>Le</strong> corps enseignant <strong>de</strong> l'Église sera votre<br />
gui<strong>de</strong>.<br />
Mwjie.<br />
On a vu qu'il a existé, dans tous <strong>le</strong>s temps, <strong>de</strong>s personnes<br />
qui, par <strong>de</strong>s opérations et certains rites, prétendaient<br />
opérer <strong>de</strong>s prodiges sans <strong>le</strong> "secours <strong>de</strong> la<br />
théurgie. Platon, ne voulant reconnaître ce pouvoir que<br />
dans la caste sacerdota<strong>le</strong>, a feint d'ignorer qu'il se trouvait<br />
aussi chez <strong>le</strong>s magiciens <strong>de</strong> la populace qui chassaient<br />
<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, guérissaient, prédisaient, servaient<br />
<strong>le</strong>s passions haineuses <strong>de</strong>s méchants et prétendaient<br />
même comman<strong>de</strong>r aux dieux. — D'autres niaient tout<br />
court. — Ce serait, disaient-ils, attribuer aux hommes<br />
<strong>le</strong>s plus vils ce que la raison ne permet pas <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />
accor<strong>de</strong>r. Ne pouvant admettre que <strong>le</strong>s dieux fussent<br />
ainsi contraints , il fallait bien nier : — Quintus ne
DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
croyait pas au pouvoir <strong>de</strong>s magiciens du' Cirque, et<br />
Pline, qui attribuait aux paro<strong>le</strong>s et à diverses substances<br />
<strong>de</strong>s propriétés si merveil<strong>le</strong>uses, riait <strong>de</strong>s prétentions<br />
<strong>de</strong>s magiciens, qui cependant étaient aussi<br />
puissants que <strong>le</strong>s théurgistes, parce qu'ils s'adressaient<br />
aux mômes agents. — L'erreur, disaient <strong>le</strong>s Pères, dérive<br />
<strong>de</strong> ce qu'on pense que la théurgie seu<strong>le</strong> peut<br />
mettre en rapport <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux ; mais ces prétendus<br />
dieux étant tous <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, théurgie et goétie ne sont<br />
qu'une fiction; la distinction est chimérique. La puissance<br />
n'est ni dans <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s, ni dans <strong>le</strong>s substances,<br />
el<strong>le</strong> n'appartient point à <strong>l'homme</strong>, mais aux <strong>démon</strong>s,<br />
qui, lorsqu'ils font <strong>le</strong> mal, aiment à faire croire aux<br />
hommes qu'ils <strong>le</strong>ur ont donné ce pouvoir, afin que<br />
ceux-ci soient au moins coupab<strong>le</strong>s par l'intention. La<br />
magie, qui n'a réel<strong>le</strong>ment ni lois n [.règ<strong>le</strong>s, peut donc être<br />
pratiquée par <strong>le</strong>s goétistes comme par <strong>le</strong>s théurgistes,<br />
puisqu'el<strong>le</strong> émane <strong>de</strong>s mêmes intelligences qui trompent<br />
<strong>le</strong>s uns et <strong>le</strong>s autres, et lors même qu'el<strong>le</strong>s font<br />
<strong>le</strong> bien, c'est toujours dans la prévision <strong>de</strong> causer <strong>le</strong><br />
mal... — <strong>Le</strong> moyen <strong>de</strong> n'avoir rien à redouter <strong>de</strong>s magiciens,<br />
c'est d'éviter <strong>le</strong> péché ; alors <strong>le</strong> <strong>démon</strong> <strong>de</strong>vient<br />
lui-même aussi impuissant que <strong>le</strong>s magiciens.<br />
Auguric.<br />
L'augurie <strong>de</strong>venait aussi la source <strong>de</strong>s systèmes <strong>le</strong>s<br />
plus contradictoires, <strong>le</strong>s uns niant, d'autres affirmant;<br />
<strong>le</strong>s uns expliquant, d'autres déclarant que c'était inexplicab<strong>le</strong>.<br />
Certains animaux sont <strong>de</strong> vrais prophètes, <strong>de</strong>s<br />
orac<strong>le</strong>s vivants qui répon<strong>de</strong>nt à nos pensées; l'augurie<br />
tient à une qualité occulte, à une sorte d'instinct, etc.<br />
— <strong>Le</strong>s uns, d'après <strong>le</strong>s principes <strong>de</strong> la métempsycose,<br />
pensaient que l'âme humaine avait pu se loger
AVEC LE DÉMON. 409<br />
dans <strong>le</strong> corps <strong>de</strong>s animaux. — D'autres prétendaient<br />
que l'instinct prophétique <strong>de</strong>s oiseaux, par exemp<strong>le</strong>,<br />
venait <strong>de</strong> l'élément qu'ils habitaient, qui, rendant <strong>le</strong>urs<br />
sensations plus subti<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s rendait aussi plus aptes à<br />
prédire. — D'autres pensaient qu'ils prophétisaient sans<br />
<strong>le</strong> savoir, que <strong>le</strong>s dieux dirigeaient <strong>le</strong>urs mouvements.<br />
<strong>Le</strong> dieu souverain, l'Élher, communiquait la vertu divinatrice;<br />
il s'agit <strong>de</strong> savoir se rendre <strong>le</strong>s dieux propices.<br />
Cicéron nie, tandis que Quintus se retranche <strong>de</strong>rrière<br />
une masse <strong>de</strong> faits; mais Cicéron réplique par un argument<br />
capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> fermer la bouche à tous ceux qui oseront<br />
attribuer aux dieux l'aruspicine ou l'augurie: —<br />
«Pourquoi donc <strong>le</strong>s dieux ne disent-ils pas toujours la<br />
vérité ?» — On sait quel<strong>le</strong> sera la réponse <strong>de</strong>s Pères. —<br />
C'est l'œuvre <strong>de</strong>s esprits menteurs, qui, pour séduire<br />
<strong>le</strong>s hommes, non-seu<strong>le</strong>ment s'enferment dans <strong>le</strong>s statues<br />
qu'ils agitent, mais inspirent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins, se glissent<br />
dans <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes, dirigent <strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s oiseaux,<br />
la rencontre <strong>de</strong>s animaux, etc.<br />
Délire sacré.<br />
Par la vertu <strong>de</strong>s exhalaisons, l'âme peut-el<strong>le</strong> récupérer<br />
<strong>le</strong> pouvoir inhérent à sa nature spirituel<strong>le</strong> et<br />
divine, comme <strong>le</strong> pensaient <strong>le</strong>s païens? Peut-el<strong>le</strong> être,<br />
par certaines cérémonies, délivrée <strong>de</strong>s entraves que lui<br />
oppose <strong>le</strong> corps, ou être placée dans un état propre à<br />
recevoir l'inspiration divine? Sort-el<strong>le</strong> du corps réel<strong>le</strong>ment?<br />
etc. Quel<strong>le</strong> que soit l'opinion qu'on adopte, il<br />
est certain qu'un <strong>de</strong>vin voit au loin, prévoit <strong>le</strong>s événements<br />
futurs, et se trompe souvent, etc. A cette<br />
question longuement débattue dans Plutarque, la saine<br />
doctrine répondait : — Ce sont <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s qui prédisent,<br />
mais, pouvant se tromper par diverses raisons,
410 DES hAPPOHTS DE L'HOMME<br />
<strong>le</strong>urs prédictions sont sujettes aussi à tromper, quoiqu'el<strong>le</strong>s<br />
soient très-souvent assez exactes. L'âme, enfin,<br />
ne peut sortir <strong>de</strong> son corps, ni voyager; pendant cette<br />
vie, el<strong>le</strong> n'est jamais sans sa chair, dit Tertullien. (De<br />
anima et rcmrrcct. carn.)<br />
Saint Athanase (Quœst. ad Antioch., XXXIII) soutient<br />
que l'âme n'a pu quitter <strong>le</strong> corps, quoique celuici<br />
soit sans sentiment. En parlant <strong>de</strong> l'extase diabolique,<br />
saint Augustin dit qu'el<strong>le</strong> n'est qu'une vive<br />
impression, une sorte <strong>de</strong> songe (De civ. Dei; — Ep- ad<br />
Evod.;—Auctor ap. eund. lihri <strong>de</strong> spir. et anima); il est<br />
naturel à l'âme <strong>de</strong> se laisser tromper par d'étranges<br />
visions, etc. De ce que <strong>le</strong> corps semb<strong>le</strong> privé <strong>de</strong> vie, il<br />
n'en faut donc pas conclure que l'âme l'ait quitté; mais<br />
cet état est souvent causé par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>... — On objecte<br />
que <strong>le</strong>s inspirés, dans <strong>le</strong>ur extase, disent <strong>de</strong>s choses<br />
véritab<strong>le</strong>s et prédisent... — Rien là <strong>de</strong> surprenant; <strong>le</strong><br />
<strong>démon</strong>, qui <strong>le</strong>s a mis dans cet état, a pu <strong>le</strong>ur communiquer<br />
ce qui se passe au loin, <strong>le</strong>ur révé<strong>le</strong>r ce qui est<br />
caché, etc.<br />
Nécromancie.<br />
<strong>Le</strong>s Gentils croyaient pouvoir évoquer <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s<br />
défunts; on a déjà vu ce que pensait Tertullien : — La<br />
pythonisse d'Endor qui, sur la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> Saiil, évoqua<br />
l'ombre <strong>de</strong> Samuel, a donné lieu à diverses opinions<br />
parmi <strong>le</strong>s Pères; mais cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> saint Basi<strong>le</strong>, <strong>de</strong><br />
Tertullien, <strong>de</strong> saint Grégoire <strong>de</strong> Nysse, qui prouvent<br />
que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> prit la forme <strong>de</strong> Samuel, rend parfaitement<br />
raison <strong>de</strong>s apparitions <strong>de</strong> la nécromancie. (On<br />
l'a dit ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ont <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> fasciner.)<br />
Quelques mots encore sur la divination avant d'arriver<br />
aux songes. — Il reste peu <strong>de</strong> chose à dire sur
AVEC LE DÉMON. 411<br />
la divination que Cicéron a rejetée : « Si on peut prédire<br />
l'avenir, dit-il, on est forcé d'admettre <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin et<br />
<strong>de</strong> nier <strong>le</strong> libre arbitre. » Tout arrive alors fata<strong>le</strong>ment;<br />
si cela n'est pas, comment <strong>le</strong>s dieux peuvent-ils révé<strong>le</strong>r<br />
l'avenir, puisqu'il n'existe pas?<br />
On y a déjà répondu : Il peut être conjecturé assez<br />
bien par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, qui peut aussi, Dieu <strong>le</strong> lui permettant,<br />
prédire <strong>le</strong>s événements qu'il dirigera, etc. Aussi<br />
saint Augustin disait : « Ceux qui veu<strong>le</strong>nt établir une<br />
fatalité dans <strong>le</strong>s astres sont plus supportab<strong>le</strong>s que Cicéron...<br />
Reconnaître un Dieu et nier qu'il sache l'avenir,<br />
c'est une folie manifeste...» (De civ. Dei, V, 9.) Quoi<br />
qu'il en soit <strong>de</strong>s disputes <strong>de</strong>s philosophes, poursuit-il,<br />
comme nous reconnaissons un Dieu souverain, nous<br />
reconnaissons aussi sa prescience, et ne craignons<br />
point que notre volonté soit liée, sous <strong>le</strong> prétexte que<br />
la prescience infaillib<strong>le</strong> <strong>de</strong> Dieu a prévu ce que nous<br />
ferions; ainsi la notion <strong>de</strong> l'avenir pour Dieu et la<br />
liberté pour <strong>l'homme</strong> peuvent exister simultanément.<br />
De cette question en naîtrait une secon<strong>de</strong> encore plus<br />
grave qui n'appartient pas à notre sujet.<br />
<strong>Des</strong> songes.<br />
Cicéron disait : « Si <strong>le</strong>s dieux envoient <strong>de</strong>s songes,<br />
pourquoi trompent-ils ? pourquoi font-ils connaître ce<br />
qu'il serait bon d'ignorer toujours? pourquoi faut-il <strong>de</strong>s<br />
interprètes? Ils ne peuvent donc venir <strong>de</strong>s dieux, » etc.<br />
— Quoique <strong>le</strong>s sceptiques eussent nié, cependant <strong>le</strong>s<br />
stoïciens y croyaient. — Que pensaient <strong>le</strong>s Pères?<br />
L'Écriture semb<strong>le</strong> ici être en contradiction <strong>avec</strong><br />
el<strong>le</strong>-même. — On y voit <strong>le</strong>s songes <strong>de</strong> Jacob, <strong>de</strong> Joseph,<br />
<strong>de</strong> Pharaon, etc. — D'après Job, Dieu nous avertit dans<br />
<strong>le</strong>s songes (XXXIII, 15.). Joël promet <strong>de</strong>s songes pro-
41-2 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
phétiques (II, 28). Mais <strong>le</strong> Lévitique <strong>le</strong>s défend (XIX,<br />
26.), ainsi que <strong>le</strong> Deutéronome(XIlI, 5). Jérémie invective<br />
contre ceux qui disent: j'ai songé... (XXIII, 25.)<br />
L'Ecclésiastique semb<strong>le</strong> expliquer ces prétendues contradictions.<br />
— « <strong>Le</strong>s impru<strong>de</strong>nts bâtissent sur <strong>le</strong>s<br />
songes, dit-il. Ce qui est impur peut-il rendre pur?<br />
La vérité sortira-t-el<strong>le</strong> du mensonge?... <strong>Le</strong>s songes<br />
<strong>de</strong>s méchants ne sont que vanité, à moins que <strong>le</strong> Très-<br />
Haut ne <strong>le</strong>s envoie... N'ajoutez point foi à ces effets<br />
<strong>de</strong> votre imagination... Plusieurs sont tombés dans<br />
l'égarement pour y avoir cru... » etc. (XXXIV.) Mais<br />
I'Ecclésiaste dit : « Où il y a beaucoup <strong>de</strong> songes, il y<br />
a beaucoup <strong>de</strong> vanité... Pour vous, craignez Dieu.»<br />
(V, 6.)<br />
Quel enseignement puisera-t-on dans <strong>le</strong> rapprochement<br />
<strong>de</strong> ces divers passages un peu obscurs? — Il<br />
y a plusieurs sortes <strong>de</strong> songes ; beaucoup sont vains<br />
et insignifiants, plusieurs se réalisent; il en est qui<br />
sont envoyés <strong>de</strong> Dieu, mais d'autres, d'où viennentils?<br />
<strong>Le</strong>s songes <strong>de</strong>s infidè<strong>le</strong>s et <strong>de</strong>s méchants ne<br />
peuvent certainement appartenir qu'à la classe <strong>de</strong>s<br />
songes vains ou diaboliques. Comme ils peuvent égarer,<br />
tromper, jeter dans la mélancolie, <strong>le</strong> désespoir ou<br />
dans <strong>de</strong> funestes erreurs, on ne doit point s'y appliquer.<br />
— <strong>Le</strong>s songes peuvent être divins, Dieu peut en<br />
envoyer aux justes, l'Écriture en offre <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s... ;<br />
mais qui peut se trouver assez pur pour communiquer<br />
<strong>avec</strong> Dieu par <strong>de</strong>s songes? Il est donc très-pru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />
ne point s'y arrêter avant d'avoir pu connaître <strong>le</strong>ur<br />
source. <strong>Le</strong>s songes <strong>de</strong>s Gentils, qui souvent ont annoncé<br />
l'avenir ou révélé <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s, ont aussi souvent<br />
induit en erreur, parce qu'ils émanaient d'une source<br />
impure ou <strong>de</strong> l'imagination, etc. — Ces songes avaient<br />
d'ordinaire besoin d'interprètes, car souvent ils étaient
AVEC LE DÉMON. 413<br />
énigmatiques. — Ce qui a été dit précé<strong>de</strong>mment sur<br />
<strong>le</strong>s prédictions <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s dispense d'entrer ici dans<br />
un plus grand développement.<br />
<strong>Le</strong>s Pères pensaient donc qu'il y avait <strong>de</strong>s songes faux<br />
et <strong>de</strong>s songes qui se réalisaient. Saint Cyprien, saint<br />
Jérôme, etc., admettent, comme on sait, cette vérité;<br />
il s'agit <strong>de</strong> savoir <strong>le</strong>s discerner : ceux <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, qui<br />
peuvent aussi être vrais, sont toujours dangereux. <strong>Le</strong><br />
péril, pour un esprit aussi borné que celui <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>,<br />
n'est pas faci<strong>le</strong>ment prévu, car <strong>le</strong> tigre infernal revêt<br />
quelquefois la forme <strong>de</strong> l'agneau... <strong>Le</strong> moindre mal,<br />
c'est d'effrayer ou d'inquiéter; aussi l'Ecclésiaste a<br />
dit ; « Pour vous, craignez Dieu. »<br />
<strong>Le</strong>s païens <strong>de</strong>mandaient <strong>de</strong>s songes; <strong>le</strong> chrétien doit<br />
se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> <strong>le</strong>s consulter. Quand Dieu en envoie à ses<br />
saints, il <strong>le</strong>ur révè<strong>le</strong> en même temps <strong>le</strong>ur cé<strong>le</strong>ste origine.<br />
— Combien encore ici la doctrine <strong>de</strong>s chrétiens<br />
l'emporte sur cel<strong>le</strong>s du paganisme !<br />
Transformations.<br />
Parmi <strong>le</strong>s croyances <strong>de</strong>s Gentils, on en a signalé une<br />
qui b<strong>le</strong>ssait tel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> sens commun, que plusieurs<br />
philosophes, ne pouvant l'expliquer, l'ont rejetée <strong>avec</strong><br />
dédain, ou bien ont gardé un si<strong>le</strong>nce pru<strong>de</strong>nt. La<br />
croyance aux transformations, transmise par la théologie<br />
traditionnel<strong>le</strong>, revivifiée dans tous <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s par<br />
<strong>de</strong>s faits nouveaux, ne put être anéantie, comme el<strong>le</strong><br />
aurait dû l'être <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> Circé. Toutes <strong>le</strong>s nations<br />
citaient <strong>de</strong> ces faits étranges, qui n'appartenaient<br />
point à l'imagination <strong>de</strong>s poètes, mais dont ils s'emparaient<br />
comme d'un sujet <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur domaine. <strong>Le</strong> docte<br />
Varron n'a point dédaigné d'abor<strong>de</strong>r une croyance trop<br />
répandue pour être entièrement dépourvue <strong>de</strong> vérité.
4H DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Si la plupart <strong>de</strong>s philosophes niaient, plusieurs étaient<br />
dans <strong>le</strong> doute; on trouvait toujours cette divergence<br />
d'opinions qu'on a fait remarquer concernant <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux<br />
païen.<br />
Que pensaient <strong>le</strong>s Pères? Accordaient-ils à l'empire<br />
déjà si vaste <strong>de</strong> la magie Je pouvoir <strong>de</strong> transformer?<br />
Se réuniront-ils aux philosophes qui n'y voient qu'une<br />
chimère? Nieront-ils aussi, par une sorte <strong>de</strong> respect<br />
humain qui craint <strong>le</strong> ridicu<strong>le</strong>? rien ne s'y opposait. —<br />
Ce sujet scabreux mérite examen. Saint Augustin n'ignorait<br />
pas tout ce qu'on racontait sur cette matière.<br />
« Si nous disons qu'il ne faut pas ajouter foi à ces sortes<br />
<strong>de</strong> choses, nous ne manquerons pas, même aujourd'hui,<br />
<strong>de</strong> gens qui assurent en avoir ouï ou expérimenté...»<br />
— <strong>Le</strong> <strong>le</strong>cteur attend que <strong>le</strong> saint évêque rejettera ou<br />
acceptera tout net. — « Que dirai-je, dit-il, sinon qu'il<br />
faut fuir la société <strong>de</strong>s mauvais anges et <strong>de</strong>s hommes<br />
impies, et nous retirer à grands pas vers Dieu... Plus<br />
nous voyons que la puissance <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s est gran<strong>de</strong>,<br />
plus on doit s'attacher au Médiateur... Ces choses sont<br />
si rares, dit-il plus loin, qu'on a raison <strong>de</strong> n'y pas<br />
ajouter foi. 11 faut pourtant croire que comme Dieu est<br />
tout-puissant, il peut tout ce qu'il veut pour faire grâce<br />
ou pour punir, et que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ne peuvent que ce<br />
qu'il <strong>le</strong>ur permet... 11 est constant quand ils font ces<br />
choses, qu'ils ne créent pas <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s natures, mais<br />
<strong>le</strong>s font paraître autres qu'el<strong>le</strong>s ne sont; ils ne sauraient<br />
opérer ce changement ni dans l'âme, ni dans <strong>le</strong><br />
corps ; ils ne peuvent qu'assoupir <strong>le</strong>s sens, agir sur l'imagination<br />
et faire qu'on se croie tel qu'on paraît aux<br />
autres. » Entre autres faits, il raconte celui du père <strong>de</strong><br />
Praestantius, qui crut être <strong>de</strong>venu cheval et avoir porté<br />
<strong>de</strong>s vivres à l'armée,— ce qui étaitvrai.— Si ces charges<br />
sont réel<strong>le</strong>s, ce sont <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s qui <strong>le</strong>s portent, afin <strong>de</strong>
AVEC T E DÉMON. 445<br />
Compléter l'illusion, afin <strong>de</strong> faire croire que la bête que<br />
l'on voit est aussi réel<strong>le</strong> que la charge qu'el<strong>le</strong> porte.<br />
«Ces choses, dit saint Augustin, nous ont été racontées<br />
par <strong>de</strong>s personnes dignes <strong>de</strong> foi, que nous aurions peine<br />
à démentir. » Il admet même aussi la possibilité d'une<br />
substitution, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s pouvant faire Ces prestiges.<br />
{De civ. Dei, XVIII, 17-1 S.) Saint Augustin est donc loin<br />
<strong>de</strong> nier <strong>le</strong>s transformations, qu'il explique par la puissance<br />
<strong>de</strong> Satan sur l'imagination et sur <strong>le</strong>s sens.<br />
Dans la Vie <strong>de</strong> saint Macaire par Palladius, évêque<br />
d'Hélénopolis, on voit la même doctrine et<strong>le</strong> même fait.<br />
On amène à saint Macaire une femme qu'un Égyptien,<br />
qui en était <strong>de</strong>venu amoureux sans pouvoir en jouir,<br />
avait fait métamorphoser en jument par un magicien;<br />
tous <strong>le</strong>s moyens avaient été vainement employés pour<br />
détruire <strong>le</strong> charme.— «Vos yeux sont fascinés, dit en<br />
souriant <strong>le</strong> saint personnage à ses discip<strong>le</strong>s et à ceux<br />
qui lui présentaient cette femme, il n'y a pas <strong>de</strong> transformation.<br />
» Il répandit l'eau sainte sur cel<strong>le</strong>-ci et sur<br />
<strong>le</strong>s assistants, et el<strong>le</strong> apparut à tous ce qu'el<strong>le</strong> n'avait<br />
jamais cessé d'être : l'illusion diabolique avait cessé.<br />
Ce qui est constant dans <strong>le</strong>s transformations, c'est <strong>le</strong><br />
prestige.<br />
Amours impurs <strong>de</strong>s dieux.<br />
Une croyance plus absur<strong>de</strong> encore, s'il est possib<strong>le</strong>,<br />
que cel<strong>le</strong> qu'on vient d'exposer, c'est <strong>le</strong> commerce<br />
charnel <strong>de</strong>s dieux <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s femmes. Il est certain que<br />
plusieurs Pères ont partagé <strong>avec</strong> <strong>le</strong>urs contemporains<br />
une tel<strong>le</strong> opinion, qui <strong>le</strong>s fait accuser <strong>de</strong> nos jours d'une<br />
excessive crédulité. D'après <strong>le</strong> livre apocryphe d'Hénoch,<br />
<strong>le</strong>s anges auraient eu commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>s hommes ; <strong>de</strong> sorte que saint Justin, Athénagore,
410 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Tatien, Lactance, Tertullien, etc., n'ont pas craint<br />
d'adopter cette opinion. — Malgré <strong>le</strong> respect que méritent<br />
tant d'hommes illustres, on n'a pu dissimu<strong>le</strong>r ici<br />
une erreur, d'ail<strong>le</strong>urs bien excusab<strong>le</strong>, puisqu'ils l'ont<br />
partagée <strong>avec</strong> une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> philosophes célèbres, et<br />
qu'el<strong>le</strong> s'explique.<br />
L'accoup<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s dieux <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s femmes était si<br />
généra<strong>le</strong>ment admis, comme on sait, qu'on <strong>le</strong>ur attribuait<br />
la naissance <strong>de</strong> certains personnages <strong>de</strong> l'antiquité,<br />
et <strong>le</strong>s hommes <strong>le</strong>s plus judicieux <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s postérieurs<br />
ne savaient qu'en penser. — « L'histoire nous<br />
apprend, dit saint Augustin (De civ. Dei, III, 4), que<br />
César n'a pas cru moins <strong>de</strong>scendre <strong>de</strong> Vénus que Romulus<br />
du dieu Mars. » — Cicéron, dans son scepticisme,<br />
s'étonnait, en parlant <strong>de</strong> Romulus, que cette<br />
origine divine eût été crue : « Car si dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s<br />
grossiers, disait-il, on croyait tout, il en était autrement<br />
du sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> Romulus, où, <strong>le</strong>s sciences florissant<br />
déjà, il était diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> rien feindre... Ce sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> Romulus<br />
était trop fin pour admettre rien qui no fût au<br />
moins vraisemblab<strong>le</strong> — et cependant on y croyait. » —<br />
Varron, <strong>le</strong> plus savant <strong>de</strong>s Romains, dit saint Augustin<br />
(lô., 4) en parlant <strong>de</strong> ces choses, tombe presque d'accord<br />
qu'el<strong>le</strong>s sont fausses, quoiqu'il n'ose l'assurer positivement.<br />
VaiTon, dit-il ail<strong>le</strong>urs (Ib., VI, 7), a rapporté<br />
<strong>de</strong>s faits qu'il n'attribue pas à la théologie fabu<strong>le</strong>use;<br />
ce sont <strong>de</strong>s aventures qu'il considère comme autant <strong>de</strong><br />
mystères qui s'accomplissent dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s et prouvent<br />
que <strong>le</strong>s dieux sont touchés <strong>de</strong>s mêmes plaisirs<br />
que <strong>le</strong>s hommes. Saint Augustin avance à ce sujet que<br />
<strong>le</strong>s malins esprits confirment ces opinions par <strong>de</strong>s prestiges,<br />
et que ce n'est pas sans raison qu'on représente<br />
<strong>le</strong>s gran<strong>de</strong>s infamies <strong>de</strong>s dieux sur <strong>le</strong>s théâtres.<br />
<strong>Le</strong> saint évoque d'Hippone est d'abord peu explicite
AVEC LE DÉMON- 417<br />
rorune croyance qui, quoique invraisemblab<strong>le</strong>, tenait<br />
encore <strong>le</strong>s philosophes <strong>de</strong> son temps dans la perp<strong>le</strong>xité.<br />
H avait dit (Ib., III, U) qu'il n'entendait point encore<br />
examiner si Vénus avait été la mère d'Énée et si <strong>le</strong> dieu<br />
Mars avait pu engendrer Romulus; il y a, dit-il, quelque<br />
chose dans <strong>le</strong>s Écritures qui pourrait faire <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />
si <strong>le</strong>s anges prévaricateurs ont eu commerce <strong>avec</strong><br />
<strong>le</strong>s fd<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s hommes ; mais il renvoie ail<strong>le</strong>urs cet<br />
examen. Enfin, au I. XV, c. 23, après avoir dit qu'il a<br />
déjà touché cette question sans la résoudre, il ajoute<br />
que l'Écriture apprend toutefois que <strong>le</strong>s anges ont apparu<br />
dans <strong>de</strong>s corps qu'on pouvait non-seu<strong>le</strong>ment voir,<br />
mais toucher ; puis il continue ainsi : « De plus, comme<br />
« c'est une chose publique et que plusieurs ont expéri-<br />
«mentée, ou apprise <strong>de</strong> ceux dont la foi ne peut être<br />
«suspecte, que <strong>le</strong>s sylvains, <strong>le</strong>s satyres et <strong>le</strong>s faunes,<br />
«qu'on appel<strong>le</strong> ordinairement incubes, ont souvent<br />
» tourmenté <strong>le</strong>s femmes et contenté <strong>le</strong>urs passions <strong>avec</strong><br />
« el<strong>le</strong>s, et que beaucoup <strong>de</strong> gens d'honneur assurent<br />
« que quelques <strong>démon</strong>s, nommés dimens par <strong>le</strong>s Gau-<br />
« lois, tentent et exécutent tous <strong>le</strong>s jours ces impure-<br />
« tés, en sorte qu'il y aurait <strong>de</strong> l'impu<strong>de</strong>nce à <strong>le</strong> nier;<br />
«je n'oserais me déterminer, ni dire s'il y a quelques<br />
« esprits revêtus d'un corps d'air qui soient capab<strong>le</strong>s<br />
« d'avoir ce commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s femmes. Je ne pense<br />
« pas néanmoins que <strong>le</strong>s saints anges aient pu tomber<br />
«dans ces faib<strong>le</strong>sses, etc. »<br />
Jusqu'ici on a vu la doctrine <strong>de</strong> l'Église manifester<br />
nne haute sagesse dans l'examen <strong>de</strong>s croyances <strong>de</strong>s<br />
païens et trancher <strong>de</strong>s difficultés inextricab<strong>le</strong>s pour<br />
enx. En est-il autrement dans <strong>le</strong> sujet qui nous occupe?<br />
<strong>Le</strong>s Pères ont été accusés d'une crédulité puéri<strong>le</strong>;<br />
on a dit que la doctrine sur <strong>le</strong>s accoup<strong>le</strong>ments <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s femmes était impertinente et ridicu<strong>le</strong> ;<br />
i. 27
413 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
cependant, comme nous retrouverons dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s<br />
qui se sont écoulés <strong>de</strong>puis saint Augustin jusqu'à nous<br />
une doctrine à peu près semblab<strong>le</strong> sur <strong>de</strong>s faits i<strong>de</strong>ntiques,<br />
il importe d'examiner si on peut l'accuser d'erreur,<br />
et si el<strong>le</strong> est aussi digne <strong>de</strong> risée qu'on <strong>le</strong> pense.<br />
Redisons avant tout, s'il y a crédulité à admettre<br />
<strong>de</strong>s faits universel<strong>le</strong>ment admis, que cette opinion est<br />
au moins fort excusab<strong>le</strong> chez <strong>le</strong>s Pères. S'ils sont crédu<strong>le</strong>s,<br />
bien plus encore étaient crédu<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s philosophes<br />
païens, qui pensaient que <strong>le</strong>urs dieux aimaient<br />
<strong>le</strong>s plaisirs charnels. On doit surtout taxer <strong>de</strong> crédulité<br />
ceux qui avaient pensé que l'acte générateur<br />
n'avait point été stéri<strong>le</strong>, et môme parmi <strong>le</strong>s Romains<br />
un homme tel que Varron 1<br />
, qui quoique <strong>le</strong> plus savant<br />
<strong>de</strong>s Romains, ne savait encore que déci<strong>de</strong>r à cet égard.<br />
D'abord y avait-il tant <strong>de</strong> crédulité chez <strong>le</strong>s païens<br />
<strong>de</strong> penser que <strong>le</strong>urs dieux pouvaient engendrer? Cela<br />
excédait-il <strong>le</strong>s bornes <strong>de</strong> la puissance <strong>de</strong>s dieux? étaitil<br />
nécessaire qu'ils aimassent <strong>le</strong>s voluptés charnel<strong>le</strong>s<br />
pour s'y livrer? — C'étaient, disaient-ils, autant <strong>de</strong><br />
mystères... — Si ce sont <strong>de</strong>s divinités inférieures,<br />
comme on <strong>le</strong>ur supposait un corps d'une matière fort<br />
subti<strong>le</strong>, cette substance légère, inconnue <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>,<br />
ne pouvait-el<strong>le</strong> communiquer la vie? Ces <strong>de</strong>rnières intelligences<br />
ne pouvaient-el<strong>le</strong>s avoir <strong>le</strong>s passions <strong>de</strong><br />
<strong>l'homme</strong>? Avouons-<strong>le</strong>, ce qui nous semb<strong>le</strong> aujourd'hui<br />
si insensé ne <strong>de</strong>vait point l'ôtre à une époque où <strong>le</strong>s<br />
faits s'étaient si multipliés qu'on n'aurait pu <strong>le</strong>s nier<br />
sans impu<strong>de</strong>nce.<br />
Plusieurs Pères, sans être sottement crédu<strong>le</strong>s, ont<br />
donc pu penser d'après ceci, et ayant pour autorité <strong>le</strong><br />
livre d'IIénoch, confirmé par un passage mal inter-<br />
2. Il mourut peu d'années avant notre brc.
AVEC LE DÉMON. 419<br />
prêté <strong>de</strong> la Genèse, que, <strong>le</strong>s anges s'étant livrés à<br />
l'amour <strong>de</strong>s femmes, il en était né <strong>de</strong>s géants".<br />
Mais ce sentiment <strong>de</strong> quelques Pères, était-ce bien 1*<br />
doctrine <strong>de</strong> l'Église? —Non, — il était personnel à<br />
quelques-uns; et <strong>le</strong> marquis d'Argens (Dissertât, sur<br />
Ocellus Lucanus, p. 98), aussi hardi philosophe que<br />
Bay<strong>le</strong>, dit qu'on ne doit pas être étonné que ces Pères<br />
se soient trompés sur la nature <strong>de</strong>s anges jusqu'à ce<br />
que l'Église eût décidé qu'ils étaient purement spirituels,<br />
et que l'infaillibilité <strong>de</strong>s conci<strong>le</strong>s eût appris 1<br />
comment il faut entendre <strong>le</strong> passage <strong>de</strong> la Genèse<br />
indiqué plus haut. D'Argens ajoute qu'il était presque<br />
impossib<strong>le</strong> aux Pères <strong>de</strong> l'expliquer autrement. D'après<br />
un philosophe esprit fort, l'opinion <strong>de</strong> ces Pères est<br />
donc déjà justifiée <strong>de</strong> crédulité.<br />
Et en effet, il s'agissait d'une croyance presque généra<strong>le</strong><br />
qui pouvait être admise tant que l'Église n'avait<br />
rien statué.<br />
Au quatrième sièc<strong>le</strong>, à l'époque ou vivait saint Augustin,<br />
on pensait déjà que <strong>le</strong>s anges bons ou mauvais<br />
sont <strong>de</strong>s substances spirituel<strong>le</strong>s ; <strong>le</strong> livre d'Hénoch était<br />
reconnu apocryphe, et on avait décidé que ce passage<br />
<strong>de</strong> l'Écriture qui par<strong>le</strong> <strong>de</strong>s anges signifie enfants <strong>de</strong><br />
Dieu, hommes <strong>de</strong> bien; ce qui est relatif aux géants est<br />
éga<strong>le</strong>ment expliqué d'une manière très-satisfaisante.<br />
(V.S. Aug., De civ. Dei, XV, 23; saint Jean Chrysost.<br />
et saint Ambroise.)—Dans saint Augustin, qui résume<br />
<strong>le</strong>s Pères, on voit quel<strong>le</strong> était alors la doctrine <strong>de</strong> l'Église<br />
relativement aux accoup<strong>le</strong>ments diaboliques. —<br />
«Tant <strong>de</strong> gens d'honneur <strong>le</strong>s certifient, a-t-il dit, qu'il<br />
y aurait <strong>de</strong> l'impu<strong>de</strong>nce à <strong>le</strong>s nier...» Mais il semb<strong>le</strong><br />
l. Cependant Sulpice Sévère, au cinquième sièc<strong>le</strong>, croit encore ce<br />
que croyaient quelques-uns <strong>de</strong>s premiers Pères.
420 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
n'oser rien déci<strong>de</strong>r, ni dire s'il y a quelques esprits revêtus<br />
d'un corps d'air qui soient capab<strong>le</strong>s d'un commerce<br />
charnel : puis il dit plus loin : « Quoique <strong>le</strong>s<br />
saints anges aient pris quelquefois un corps, <strong>de</strong> sorte<br />
qu'ils ont été vus et touchés, il ne pense pas qu'ils<br />
aient pu tomber dans ces faib<strong>le</strong>sses (ib.). Cela <strong>de</strong>vrait<br />
plutôt s'entendre <strong>de</strong>s anges révoltés. » Il regar<strong>de</strong> <strong>le</strong><br />
livre d'Hénoch comme apocryphe; il rejette l'interprétation<br />
erronée du passage <strong>de</strong> l'Écriture précé<strong>de</strong>mment<br />
cité, qui par<strong>le</strong> <strong>de</strong>s anges, attendu qu'el<strong>le</strong> a<br />
nommé quelquefois anges <strong>le</strong>s hommes <strong>de</strong> Dieu, etc.<br />
Poursuivons notre examen. — Saint Augustin penset—il,<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s païens et <strong>avec</strong> Varron, que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s recherchent<br />
<strong>le</strong>s voluptés dans <strong>le</strong>urs embrassements? Il<br />
dit seu<strong>le</strong>ment(lb., VI, 7) : Varron avoue que <strong>le</strong>s hommes<br />
croyaient que <strong>le</strong>urs dieux étaient touchés <strong>de</strong>s mêmes<br />
plaisirs qu'eux. — Croit-il que <strong>le</strong>s accoup<strong>le</strong>ments ont<br />
été féconds? En parlant <strong>de</strong> ces prétendues origines divines,<br />
il s'exprime ainsi : « Mais, dira quelqu'un, est-ce<br />
que vous croyez ces choses? —Non, vraiment, je ne<br />
<strong>le</strong>s crois pas, » répond saint Augustin (Ib., III, A). —<br />
Croit-il qu'ils goûtent du plaisir dans ces accoup<strong>le</strong>ments?—<br />
«Non, sans doute, » dit-il toujours. Mais en<br />
parlant <strong>de</strong> cette croyance <strong>de</strong>s païens, il s'exprime encore<br />
ainsi : « <strong>Le</strong>s malins esprits ne manquaient pas<br />
<strong>de</strong> confirmer ces opinions pernicieuses par <strong>de</strong>s prestiges.<br />
» (7£.,VI, 7.)<br />
Avant, il semblait hésiter; — « s'ils avaient un corps<br />
d'air d'une matière subti<strong>le</strong>, peut-être pourrait-il y avoir<br />
commerce charnel 1<br />
; mais si ce sont <strong>de</strong> purs esprits (et<br />
c'était l'opinion adoptée), tout y est prestigieux. »<br />
1. Kn effet, s'il eût été admis que <strong>le</strong>s esprits étaient composés d'un<br />
flui<strong>de</strong> subtil, il eût peut-être même été téméraire <strong>de</strong> soutenir qu'une<br />
aura seminalis ne pouvait opérer la fécondation.
AVEC LE DÉMON. 421<br />
Voyons, aprçs cet exposé, quel<strong>le</strong> est la doctrine <strong>de</strong><br />
l'Église et <strong>de</strong> saint Augustin? — Ces turpitu<strong>de</strong>s diaboliques<br />
sont si généra<strong>le</strong>ment crues qu'on ne peut <strong>le</strong>s<br />
nier sans impu<strong>de</strong>nce ; ces accoup<strong>le</strong>ments étant prestigieux,<br />
il n'en peut naître <strong>de</strong> postérité.<br />
<strong>Le</strong>s prétendus dieux, enfin, n'éprouvent point <strong>de</strong><br />
plaisir charnel, mais ils désirent porter au mal par <strong>le</strong>ur<br />
exemp<strong>le</strong>. — Tout y est donc fiction, car ils ne sont pas<br />
plus capab<strong>le</strong>s d'éprouver <strong>de</strong> la volupté que d'engendrer.<br />
— Pourtant, ne l'oublions pas, ils n'ont rien<br />
perdu <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur nature angélique; or, si <strong>le</strong>s bons anges<br />
ont paru sous la forme humaine agir en tout comme<br />
<strong>de</strong>s hommes ; si on <strong>le</strong>s a non-seu<strong>le</strong>ment vus, mais touchés,<br />
ces <strong>démon</strong>s séducteurs et artificieux ont pu faire<br />
croire aussi par <strong>le</strong>s mêmes moyens à <strong>de</strong>s accoup<strong>le</strong>ments<br />
véritab<strong>le</strong>s, car ils font tout ce qui dépend d'eux pour<br />
nous perdre, et un <strong>de</strong>s moyens <strong>le</strong>s plus efficaces, c'est<br />
l'impureté.<br />
Avec <strong>de</strong>s faits si bien attestés, ce sentiment <strong>de</strong>s<br />
Pères au quatrième sièc<strong>le</strong> dut paraître fort sage.<br />
Concluons donc : 1 0<br />
S'il y a eu crédulité <strong>de</strong> la part<br />
<strong>de</strong> quelques Pères, el<strong>le</strong> était fort excusab<strong>le</strong> pour plusieurs<br />
raisons ci-<strong>de</strong>vant exposées. La Genèse mal interprétée,<br />
<strong>le</strong> livre d'Hénoch avaient contribué à <strong>le</strong>ur<br />
faire adopter une erreur païenne que nul alors n'osait<br />
rejeter.<br />
2° El<strong>le</strong> était moins grave que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Gentils, qui<br />
croyaient que <strong>de</strong>s dieux tels que Jupiter copulaient<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s femmes, tandis que <strong>le</strong>s opinions personnel<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong> ces premiers Pères furent que ces dieux étaient<br />
<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s. Mais bientôt une doctrine infiniment plus<br />
sage fut adoptée, c'est cel<strong>le</strong> qu'on vient d'exposer. —<br />
Si el<strong>le</strong> l'emporte sur cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> quelques autres Pères,<br />
combien el<strong>le</strong> l'emporte surtout sur cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s plus
422 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
grands philosophes païens. Ici, comme ail<strong>le</strong>urs, la<br />
doctrine <strong>de</strong> l'Église explique donc <strong>de</strong>s faits inexplicab<strong>le</strong>s<br />
ou mal expliqués par <strong>le</strong>s païens. En toute circonstance,<br />
cel<strong>le</strong>-oi était donc <strong>le</strong> fanal propre à dissiper <strong>le</strong>s<br />
ténèbres du paganisme; en présence <strong>de</strong> faits qu'on ne<br />
saurait nier sans impu<strong>de</strong>nce, il était impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> dire,<br />
ce semb<strong>le</strong>, rien do plus judicieux.
AVEC LE DÉMON. 423<br />
CHAPITRE III<br />
<strong>Des</strong> hérésies, d'où -viennent-el<strong>le</strong>s? — Hérésiarques <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s.<br />
Simon. — Ménandre. — Marcion. — Marc. — Monlanisme. — Basili<strong>de</strong>.—<br />
Manichéisme, Manès. — <strong>Le</strong>s Gnostiques, etc. — Réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong>s hérésies,<br />
sentiments <strong>de</strong>s Pères sur <strong>le</strong>s hérétiques et <strong>le</strong>urs prodiges. — Supplément,<br />
la Caba<strong>le</strong>.<br />
<strong>Des</strong> hérésies, d'oii viennent-el<strong>le</strong>s ?<br />
On a dit précé<strong>de</strong>mment qu'il fut permis au <strong>démon</strong><br />
<strong>de</strong> crib<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s nouveaux chrétiens par <strong>le</strong>s hérésies. Petivit<br />
ut cribraret. <strong>Le</strong>s Pères, <strong>le</strong>s historiens nous ont fait<br />
connaître ce nouveau genre d'attaques, qui ne cessera<br />
qu'à la fin <strong>de</strong>s jours.<br />
Jésus-Christ avait averti son Église qu'après avoir<br />
semé <strong>le</strong> bon grain, l'ennemi sèmerait l'ivraie : la divine<br />
Sagesse ainsi <strong>le</strong> permettait pour éprouver la foi.<br />
Si l'on <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qui inspire <strong>le</strong>s hérésies, dit Tertullien<br />
(De prœscr., XL), je répondrai que c'est <strong>le</strong> diab<strong>le</strong>,<br />
dont l'office est <strong>de</strong> dérober aux hommes la vérité.<br />
<strong>Le</strong> Saint-Esprit nous a prévenus que <strong>le</strong>s prestiges du<br />
séducteur transformé en ange <strong>de</strong> lumière feraient<br />
inventer <strong>le</strong>s hérésies. (Ib., VI.) Tertullien fait voir<br />
que <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, dans <strong>le</strong>s mystères <strong>de</strong>s faux dieux, s'est<br />
efforcé constamment d'imiter <strong>le</strong>s saintes cérémonies<br />
du christianisme, comme 'il avait voulu copier <strong>le</strong>s rites<br />
<strong>de</strong> la loi mosaïque. (Ib., XL.)
424 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
« Qu'y a-t-il <strong>de</strong> plus adroit, disait saint Cyprien, que<br />
la manière dont <strong>le</strong> <strong>démon</strong> s'est conduit pour nous surprendre!...<br />
découvert et terrassé par l'avènement <strong>de</strong><br />
Jésus-Christ, ayant vu ses ido<strong>le</strong>s renversées et ses temp<strong>le</strong>s<br />
déserts, il s'est avisé d'un nouveau stratagème pour<br />
s'attirer <strong>de</strong>s discip<strong>le</strong>s, ceux qu'il ne peut retenir dans<br />
l'ancienne voie, il <strong>le</strong>s engage dans une nouvel<strong>le</strong> erreur.<br />
Il prend <strong>de</strong>s hommes dans l'Église même..., qui ne laissent<br />
pas <strong>de</strong> s'appe<strong>le</strong>r chrétiens et <strong>de</strong> croire qu'ils sont<br />
dans la lumière, quoiqu'ils marchent dans <strong>le</strong>s ténèbres;<br />
étant trompés par <strong>le</strong>s artifices <strong>de</strong> Satan, qui s'est<br />
transformé en ange <strong>de</strong> Dieu... Celui-ci aposte ses ministres<br />
pour faire passer la nuit pour <strong>le</strong> jour, Tantechrist<br />
pour Jésus-Christ. » — Saint Cyprien dit que la<br />
cause <strong>de</strong> ce mal, c'est qu'on s'écarte <strong>de</strong> la doctrine du<br />
Maître... Partout il se plaint <strong>de</strong> ce qu'on ne gar<strong>de</strong> pas<br />
l'unité <strong>de</strong> l'Église.<br />
Qu'on ne s'imagine pas, dit-il plus loin, que <strong>le</strong>s<br />
bons puissent sortir <strong>de</strong> l'Église : <strong>le</strong> vent n'emporte<br />
point <strong>le</strong> froment, mais la pail<strong>le</strong> légère... —Et ail<strong>le</strong>urs:<br />
« Jésus-Christpermet cette épreuve, pour faire connaître<br />
ceux dont la foi est ferme et sincère. Il faut qu'il y<br />
ait <strong>de</strong>s hérésies, dit <strong>le</strong> Saint-Esprit, afin qu'on distingue<br />
ceux qui sont véritab<strong>le</strong>ment gens <strong>de</strong> bien... Dès<br />
ici-bas, <strong>le</strong>s bons sont séparés <strong>de</strong>s méchants... » (S. Cyprien,<br />
De unit. Eco<strong>le</strong>s.)<br />
En vain l'Apôtre avait recommandé à la créature<br />
déchue par curiosité et par orgueil, <strong>de</strong> se mettre en<br />
gar<strong>de</strong> contre l'esprit philosophique qui veut tout connaître<br />
et tout son<strong>de</strong>r. La raison, malgré son impuissance,<br />
continue <strong>de</strong> vouloir tout expliquer. On se livre à<br />
<strong>de</strong>s disputes vaines, à <strong>de</strong>s recherches sans fin; on puise<br />
dans <strong>le</strong>s doctrines <strong>de</strong>s pythagoriciens, <strong>de</strong>s stoïciens,<br />
<strong>de</strong>s platoniciens, on essaye d'expliquer <strong>le</strong>s dogmes au
AVEC LE DÉMON. 425<br />
moyen <strong>de</strong> la magie, <strong>de</strong> la caba<strong>le</strong> et <strong>de</strong>s nombres...<br />
L'Esprit-Saint avait cependant prévenu <strong>de</strong>s attaques <strong>de</strong><br />
Satan, et dit qu'on ne <strong>de</strong>vait rien ajouter à la doctrine<br />
<strong>de</strong>s apôtres : ceux-ci n'ont rien inventé, et ont recommandé<br />
que, lors même qu'un ange <strong>de</strong>scendrait du ciel<br />
pour donner un autre Évangi<strong>le</strong>, il ne faudrait pas<br />
l'écouter. — Pour nous, dit Tertullien déjà cité, nous<br />
sommes en possession du symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong> notre foi... il faut<br />
éviter même <strong>le</strong>s disputes <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s hérétiques, el<strong>le</strong>s ne<br />
serviraient qu'à épuiser la tête et <strong>le</strong>s poumons... L'hérétique<br />
rejette dans l'Écriture <strong>le</strong>s livres qui ne lui conviennent<br />
pas, retranche <strong>de</strong>s uns, en altère d'autres,<br />
interprète comme il entend ceux qu'il reçoit entiers...<br />
L'audacieux novateur, ayant rejeté ce qui <strong>le</strong> confond,<br />
cite ce qu'il a falsifié : à quoi servirait la dispute? Il niera<br />
opiniâtrement ce que vous avancez ; il soutiendra ce que<br />
vous niez. Vous ne remporterez <strong>de</strong> là que <strong>de</strong> l'indignation<br />
et <strong>de</strong> la fatigue... Notre doctrine nous vient<br />
<strong>de</strong>s apôtres, toute doctrine opposée ne peut être que<br />
fausse; tout ce que nous avons à prouver, c'est que<br />
la nôtre a été constamment la même... Inspirée par<br />
<strong>le</strong> <strong>démon</strong>, l'hérésie, au fond, ne diffère pas <strong>de</strong> l'idolâtrie.<br />
Il dit que la conduite <strong>de</strong>s hérésiarques est frivo<strong>le</strong>,<br />
terrestre, humaine, sans gravité, sans autorité, sans<br />
discipline, assortie à <strong>le</strong>ur foi Opposés <strong>le</strong>s uns aux<br />
autres dans <strong>le</strong>urs croyances, tout est égal, pourvu<br />
qu'on se réunisse pour triompher <strong>de</strong> la vérité... <strong>Le</strong>s<br />
femmes exorcisent, dogmatisent, baptisent, promettent<br />
<strong>de</strong>s guérisons ; <strong>le</strong>s ordinations se font au hasard, par<br />
caprice; <strong>le</strong> laïque <strong>de</strong>vient prêtre, <strong>le</strong> prêtre <strong>de</strong>vient<br />
laïque... Ils sont décriés pour <strong>le</strong>ur commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />
magiciens, <strong>le</strong>s astrologues, <strong>le</strong>s philosophes, <strong>le</strong>s gens<br />
d'une curiosité effrénée... Par <strong>le</strong>urs mœurs, on juge
426 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur foi, ils enseignent <strong>le</strong>s doctrines <strong>le</strong>s plus pernicieuses<br />
1<br />
, etc. (Tertull., De prœscr., passim.)<br />
Cependant ces hérésiarques dont <strong>le</strong>s doctrines étaient<br />
opposées et la mora<strong>le</strong> souvent loin d'être pure, chacun<br />
d'eux prétendait possé<strong>de</strong>r la vérité; la vérité, qui est<br />
une, pouvait-el<strong>le</strong> se rencontrer parmi tant <strong>de</strong> sectes<br />
contradictoires, qui s'étaient toutes plus ou moins écar*<br />
técs <strong>de</strong> la doctrine <strong>de</strong>s apôtres? Chacune, pour soutenir<br />
ses prétentions, faisait <strong>de</strong>s prodiges et <strong>de</strong>s prédictions<br />
; tous ces sectaires orgueil<strong>le</strong>ux se prétendaient<br />
inspirés par l'Esprit-Saint. Un exposé succinct <strong>de</strong>s plus<br />
fameuses hérésies, et même <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs prodiges, dans <strong>le</strong><br />
cours <strong>de</strong> cet ouvrage, fera mieux connaître que tout ce<br />
qu'on pourrait dire ici ce que <strong>le</strong>s Pères considéraient<br />
comme l'œuvre <strong>de</strong> l'ange séducteur.<br />
Hérésiarques <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s.<br />
La doctrine <strong>de</strong>s hérétiques et <strong>le</strong>s prodiges qui la<br />
sanctionnaient étaient propres à en dévoi<strong>le</strong>r l'auteur.<br />
Comment ne pas <strong>le</strong> reconnaître? Orgueil<strong>le</strong>ux, brouillons,<br />
tracassiers, séditieux, ils étaient ce grain avorté,<br />
cette pail<strong>le</strong> légère que <strong>le</strong> moindre vent emporte : « Ils<br />
sont sortis d'<strong>avec</strong> nous, disait saint Cyprien, mais ih<br />
n'étaient pas <strong>avec</strong> nous, ils y seraient <strong>de</strong>meurés. »<br />
Simon.<br />
Du temps <strong>de</strong>s apôtres, nous voyons Simon, discip<strong>le</strong><br />
du magicien Dosithée, surpasser son maître dans l'art<br />
1. Qui <strong>le</strong> croirait ? Cet homme qui avait confondu <strong>le</strong>s hérétiques fut<br />
séduit par l'apparente piété <strong>de</strong>s montanistes : Satan a tant <strong>de</strong> moyens<br />
<strong>de</strong> séduction ; <strong>le</strong> relâchement chez <strong>le</strong>s uns, l'austérité excessive <strong>de</strong>s<br />
autres.
AVEC LE DÉMON. 427<br />
<strong>de</strong>s prestiges, et par ce moyen séduire <strong>le</strong>s Samaritains,<br />
qui <strong>le</strong> nommaient la gran<strong>de</strong> vertu <strong>de</strong> Dieu. <strong>Le</strong>s Actes <strong>de</strong>s<br />
Apôtres, qui attestent la gloire et <strong>le</strong>s enchantements <strong>de</strong><br />
Simon, nous apprennent aussi que saint Philippe, étant<br />
allé à Samarie, fit découvrir par ses mirac<strong>le</strong>s la nature<br />
<strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong> ce magicien, qui, étonné lui-môme, et<br />
regardant <strong>le</strong>s apôtres comme <strong>de</strong>s magiciens d'un ordre<br />
supérieur, se fit baptiser. Voulant se faire initier à ce<br />
qu'il appelait <strong>le</strong>ur magie, il ne quitta plus saint Philippe,<br />
et offrit à saint Pierre <strong>de</strong> l'argent pour qu'il lui<br />
apprît à faire <strong>de</strong>scendre visib<strong>le</strong>ment l'Esprit-Saint, qui<br />
concédait <strong>le</strong> don <strong>de</strong>s langues et celui <strong>de</strong> prophétie. On<br />
sait la vive répriman<strong>de</strong> que lui adressa l'Apôtre. Simon se<br />
retira confus, et s étant adjoint une courtisane nommée<br />
Hélène, il parcourut <strong>le</strong>s provinces pour combattre la doctrine<br />
<strong>de</strong>s apôtres, enseignant que Dieu n'avait pas produit<br />
immédiatement <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> ni créé <strong>l'homme</strong> ; s'il l'eût<br />
créé, disait-il, il ne lui aurait pas donné <strong>de</strong>s lois qu'il<br />
savait qu'il enfreindrait. Ce créateur, qui n'a voulu que<br />
<strong>de</strong>s coupab<strong>le</strong>s à punir, est un être ennemi <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>.<br />
— <strong>Le</strong>s platoniciens croyaient qu'il existait entre l'Être<br />
suprême et <strong>le</strong> genre humain une longue chaîne <strong>de</strong> génies<br />
auxquels on commandait par <strong>le</strong>s enchantements.<br />
Simon déclara qu'il était l'Être suprême, <strong>le</strong> Parac<strong>le</strong>t, <strong>le</strong><br />
Verbe <strong>de</strong> Dieu, etc. Il avait dans <strong>le</strong> temps créé <strong>de</strong>s intelligences<br />
puissantes à dos <strong>de</strong>grés divers ; mais, lorsqu'il<br />
voulut faire <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, la première d'entre el<strong>le</strong>s,<br />
ayant pénétré son <strong>de</strong>ssein, prévint sa volonté en créant<br />
el<strong>le</strong>-même <strong>de</strong>s substances spirituel<strong>le</strong>s auxquel<strong>le</strong>s el<strong>le</strong><br />
se garda bien <strong>de</strong> révé<strong>le</strong>r l'Être tout-puissant qui l'avait<br />
créée el<strong>le</strong>-même... Ces intelligences, à <strong>le</strong>ur tour, produisirent<br />
<strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, et, pour se faire adorer comme <strong>de</strong>s<br />
dieux suprêmes, el<strong>le</strong>s retinrent captive l'intelligence<br />
mère, l'outragèrent, l'empêchèrent <strong>de</strong> s'en retourner
DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
vers son père, puis l'enfermèrent dans <strong>le</strong> corps d'une<br />
femme... c'était Hélène, la même qui avait causé la<br />
guerre <strong>de</strong> Troie, et qui, <strong>de</strong> sièc<strong>le</strong> en sièc<strong>le</strong>, après plusieurs<br />
transmigrations, s'est vue réduite à être exposée<br />
dans un lieu <strong>de</strong> débauche. Simon, ayant pris une forme<br />
humaine, la chercha par tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, il vit dans son<br />
voyage que ces puissances ambitieuses et riva<strong>le</strong>s se disputant<br />
l'univers, exerçaient sur <strong>le</strong>s hommes une affreuse<br />
tyrannie et prescrivaient mil<strong>le</strong> pratiques insensées,<br />
il voulut rompre <strong>le</strong>urs chaînes, révéla que <strong>le</strong>s religions<br />
étaient l'œuvre <strong>de</strong> ces puissances qui avaient fait<br />
croire qu'il y avait <strong>de</strong>s actions bonnes et mauvaises,<br />
qu'il fallait se mortifier, se refuser <strong>le</strong>s plaisirs, etc.<br />
Simon est donc venu pour éclairer <strong>le</strong>s hommes, et <strong>le</strong>ur<br />
apprendre que <strong>le</strong>s actions sont indifférentes, que c'est<br />
par sa grâce et non par <strong>le</strong>urs mérites qu'ils seront<br />
soustraits à la domination tyrannique <strong>de</strong>s anges, qu'il<br />
ne peut y avoir <strong>de</strong> salut que pour ses discip<strong>le</strong>s, qu'il<br />
faut enfin croire à Hélène et à Simon, la gran<strong>de</strong> vertu<br />
<strong>de</strong> Dieu.<br />
Pour croire <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s inepties, dans <strong>le</strong>s plus beaux<br />
sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la civilisation, pour qu'environ cent trente ans<br />
après Simon (selon saint Justin), <strong>le</strong>s Samaritains et plusieurs<br />
autres en divers pays adorassent encore ce magicien<br />
comme <strong>le</strong> plus grand <strong>de</strong>s dieux, et même au<br />
troisième sièc<strong>le</strong> selon d'autres auteurs, il fallait que <strong>le</strong>s<br />
prodiges <strong>de</strong> Simon fussent bien surprenants, et que <strong>le</strong><br />
bruit <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s du Sauveur eût bien préparé <strong>le</strong>s esprits<br />
à accepter <strong>le</strong> grand mystère d'une incarnation;<br />
mais <strong>le</strong> fait n'est que trop véritab<strong>le</strong> ; pour l'honneur <strong>de</strong><br />
l'humanité, on voudrait pouvoir en douter. Simon baptisait,<br />
faisait <strong>de</strong>scendre <strong>le</strong> feu du ciel sur <strong>le</strong>s eaux..., etc.<br />
Sa doctrine sur l'origine du mal, sur la ré<strong>de</strong>mption<br />
<strong>de</strong>s hommes était contraire à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s apôtres, qui ex-
AVEC LE DÉMON. 429<br />
pliquaient, selon lui, fort mal ce dogme... 11 trompa<br />
beaucoup <strong>de</strong> inon<strong>de</strong>. Ses discip<strong>le</strong>s firent, comme lui,<br />
<strong>de</strong>s prodiges; il eut ses prêtres, ses adorateurs. Quelques-uns<br />
<strong>de</strong> ses discip<strong>le</strong>s, tel fut Ménandre, formèrent<br />
nne secte nouvel<strong>le</strong> qui se fit une doctrine. (V. Pluquet,<br />
Dictiomi. <strong>de</strong>s hérésies.)<br />
Qu'on ait érigé ou non une statue au dieu Simon,<br />
c'est ce qu'on ne discutera pas; on n'examinera même<br />
pas si ses prestiges étaient diaboliques ou naturels;<br />
<strong>de</strong>rnière opinion qu'on ne partage pas. Ce qui est<br />
conslant, c'est qu'il séduisit ses compatriotes, <strong>le</strong>s Samaritains,<br />
par <strong>de</strong>s prodiges que <strong>le</strong>s historiens et <strong>le</strong>s Pères<br />
attribuèrent aux <strong>démon</strong>s; c'est que sa doctrine enfin<br />
était opposée à cel<strong>le</strong> du christianisme.<br />
Ménandre.<br />
Ménandre, son discip<strong>le</strong>, prit <strong>le</strong> titre d'envoyé divin.<br />
- «De Dieu, auteur <strong>de</strong> la vie, disait-il, sont sortis une<br />
fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> génies qui ont formé l'univers : soit impuissance,<br />
soit méchanceté, ils ont enfermé l'âme humaine<br />
dans un corps, source <strong>de</strong> misères; <strong>de</strong>s génies bienfaisants,<br />
touchés <strong>de</strong> cet état, ont envoyé Ménandre pour<br />
apprendre aux hommes <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> triompher <strong>de</strong>s<br />
mauvais anges ; ce secret était <strong>de</strong> rendre <strong>le</strong>s organes<br />
inaltérab<strong>le</strong>s par l'emploi d'un bain magique qui ne permît<br />
plus <strong>de</strong> vieillir... — <strong>Le</strong>s ménandriens se crurent<br />
immortels; cette hérésie eut <strong>de</strong>s sectateurs sous d'autres<br />
noms, dans <strong>de</strong>s temps assez près du nôtre. <strong>Le</strong>s secrets<br />
<strong>de</strong> la caba<strong>le</strong> et l'alchimie furent la continuation <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />
fol<strong>le</strong>s prétentions.<br />
Afarcion.<br />
Marcîon, d'abord chrétien zélé, puis excommunié
430 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
pour certaines faib<strong>le</strong>sses, s'attacha à Cerdon et apprit<br />
<strong>de</strong> lui <strong>le</strong> système <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux principes, qu'il allia <strong>avec</strong><br />
quelques dogmes chrétiens et <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s idées pythagoriciennes,<br />
platoniciennes et stoïciennes. D'après lui,<br />
l'âme, tirant son origine d'une intelligence bienfaisante,<br />
s'était dégradée en s'unissant au corps.<br />
Ne pensant pas que l'intelligence suprême eût pu<br />
réunir l'âme au corps, il crut, <strong>avec</strong> Cerdon, que <strong>le</strong><br />
Dieu qui avait créé <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> et <strong>le</strong> corps <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong><br />
était fort différent du Dieu suprême. L'âme sort du bon<br />
principe et <strong>le</strong> corps du mauvais. <strong>Le</strong> premier, pour communiquer<br />
son bonheur, a créé <strong>le</strong>s âmes et la fou<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />
esprits; <strong>le</strong> second, pour troub<strong>le</strong>r ce bonheur, ayant<br />
créé la matière, a enchaîné <strong>le</strong>s âmes dans <strong>le</strong>s corps,<br />
<strong>le</strong>ur a donné <strong>de</strong>s lois, <strong>le</strong>s a assujetties à la terre, pour<br />
<strong>le</strong>s empêcher <strong>de</strong> se réunir au principe bienfaisant. L'histoire<br />
<strong>de</strong> Moïse, <strong>le</strong>s lois <strong>de</strong>s Juifs, <strong>le</strong>s châtiments qu'ils<br />
craignent, <strong>le</strong>s récompenses qu'ils espèrent, etc., en<br />
sont la preuve. Marcion a été envoyé pour annoncer<br />
que <strong>l'homme</strong> ne peut être heureux que par son union<br />
à son principe ; en conséquence, il condamne tout ce<br />
qui s'y oppose, tous <strong>le</strong>s penchants <strong>de</strong> la nature, <strong>le</strong>s<br />
plaisirs <strong>le</strong>s plus innocents, etc.. La continence est si<br />
essentiel<strong>le</strong>, selon Marcion, qu'il considère <strong>le</strong> mariage<br />
comme un crime.<br />
Il y a, selon lui, opposition entre l'Ancien et <strong>le</strong> Nouveau<br />
Testament, ce qui fait supposer qu'ils ont <strong>de</strong>ux<br />
principes tout différents; il ajouta aux livres saints ou<br />
en retrancha ce qui contrariait son système.<br />
On prétend qu'il adopta quelques principes <strong>de</strong> magie;<br />
peut-être lui permirent-ils d'appuyer ses erreurs<br />
par <strong>de</strong>s prodiges : il est certain qu'il séduisit beaucoup<br />
<strong>de</strong> mon<strong>de</strong>. Il reconnaissait que Jésus-Christ,<br />
fils du Dieu souverain, était venu, mais revêtu d'un
AVEC LE DÉMON. 431<br />
corps fantastique, pour faire mépriser <strong>le</strong> créateur <strong>de</strong>s<br />
corps.<br />
Apel<strong>le</strong>, son discip<strong>le</strong>, n'admit qu'un seul principe<br />
éternel ; mais la difficulté <strong>de</strong> concilier l'origine du mal<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong> bon principe lui fit penser que <strong>le</strong> principe<br />
qui avait fait <strong>le</strong>s anges ne prenait aucun soin <strong>de</strong> la<br />
terre; ayant créé <strong>de</strong>s anges, entre autres l'ange <strong>de</strong> feu,<br />
celui-ci créa <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, <strong>le</strong>quel est mauvais, car ce créateur<br />
était mauvais... Il pensait, comme Marcion, que<br />
Jésus-Christ était venu pour inspirer <strong>le</strong> mépris du<br />
créateur <strong>de</strong> la matière, mais il n'admettait pas qu'il eût<br />
nn corps fantastique... — Loin d'être continent comme<br />
Marcion, Apel<strong>le</strong> s'adonnait aux femmes; l'une d'el<strong>le</strong>s,<br />
qui était une prostituée, faisait <strong>de</strong>s prodiges et avait <strong>de</strong>s<br />
apparitions.<br />
Marc.<br />
Selon Marc, discip<strong>le</strong> <strong>de</strong> Va<strong>le</strong>ntin, Dieu a créé <strong>le</strong><br />
mon<strong>de</strong> en prononçant certaines paro<strong>le</strong>s ; ce n'était pas<br />
<strong>de</strong>s sons vagues ou arbitraires, ils n'auraient pu produire<br />
un être plutôt qu'un autre ; ces mots exprimaient<br />
<strong>de</strong>s êtres, et avaient une force productrice... qui existait<br />
aussi dans <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres...-<strong>Le</strong>s vingt-quatre <strong>le</strong>ttres <strong>de</strong><br />
i'alphabet renfermant ainsi toutes <strong>le</strong>s forces, toutes <strong>le</strong>s<br />
qualités possib<strong>le</strong>s, c'est pour cela que Jésus-Christ a dit<br />
qu'il est l'alpha et l'oméga.<br />
<strong>Le</strong>s sentiments varient sur <strong>le</strong> système <strong>de</strong> Marc ; <strong>le</strong>s<br />
iras préten<strong>de</strong>nt qu'il admettait trente éons, d'autres disent<br />
vingt-quatre, pour expliquer <strong>le</strong>s phénomènes...<br />
On ne peut abor<strong>de</strong>r ici ces détails sur la puissance <strong>de</strong>s<br />
éons et sur <strong>le</strong>s nombres dont la force était capab<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>s déterminer. Il paraît que <strong>le</strong>s éons produits par l'Être<br />
suprême étaient <strong>de</strong>s intelligences auxquel<strong>le</strong>s il avait
432 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
abandonné <strong>le</strong> soin du mon<strong>de</strong>. Quoi qu'il en soit, <strong>avec</strong><br />
<strong>le</strong>s éons on pouvait faire tous <strong>le</strong>s prodiges possib<strong>le</strong>s.<br />
— On sait déjà que <strong>le</strong>s Gentils attribuaient aux <strong>le</strong>ttres<br />
et aux paro<strong>le</strong>s une gran<strong>de</strong> puissance ; c'est par là, selon<br />
eux, que Jésus-Christ opérait ses prodiges. — Entre<br />
autres mirac<strong>le</strong>s, Marc changeait en sang 1<br />
, aux yeux <strong>de</strong>s<br />
spectateurs, <strong>le</strong> vin du saint sacrifice, qui, après une<br />
prière, bouillonnait dans <strong>le</strong> calice, et remplissait un<br />
grand vase : <strong>de</strong>s femmes illustres par <strong>le</strong>ur rang, qui<br />
admiraient <strong>le</strong> prodige accompli par Marc, remplies <strong>de</strong><br />
fureur divine, s'agitaient et prophétisaient. Marc, qui<br />
disait avoir la source <strong>de</strong> la grâce, choisissait <strong>le</strong>s moyens<br />
propres à la communiquer. Pour que <strong>le</strong>s femmes reçussentTEsprit-Saint,<br />
il fallait être disposé favorab<strong>le</strong>ment<br />
à servir la passion <strong>de</strong> Marc.. Ses prestiges perpétuèrent<br />
sa doctrine : tout était permis aux marcosiens.<br />
Si quelques femmes étaient retenues par un reste <strong>de</strong><br />
pu<strong>de</strong>ur, après certaines invocations, on se rendait invisib<strong>le</strong>,<br />
alors on ne craignait plus rien. Ils étaient persuadés,<br />
dit saint Irénée, qu'après avoir fait certaines<br />
prières, <strong>le</strong>urs turpitu<strong>de</strong>s étaient cachées sous un voi<strong>le</strong><br />
impénétrab<strong>le</strong>.<br />
Montanisme.<br />
Peu <strong>de</strong> temps après sa conversion, Montan prétendit<br />
qu'il était <strong>le</strong> prophète envoyé par Jésus-Christ pour<br />
annoncer <strong>de</strong>s vérités que l'Église, dans son enfance,<br />
l. Ce prestige prouve encore qu'au <strong>de</strong>uxième sièc<strong>le</strong> l'Église croyait<br />
que <strong>le</strong> vin consacré <strong>de</strong>venait du sang, autrement cet hérétique n'eût<br />
pas rendu ce changement sensib<strong>le</strong> par un faux mirac<strong>le</strong>. — Comme<br />
on ne peut entrer ici dans plus <strong>de</strong> développement concernant l'hérétique<br />
Marc, V. S. Irénée, Adv. hœres., I: — Théodore!, Livres <strong>de</strong>s<br />
hérétiques; — S. Philastrius, Liv. <strong>de</strong>s hérésies; — JJcrgier, Dict. théoh,<br />
v° Marcosiens, et Pluquet, Dict, <strong>de</strong>s hérésies.
AVEC LE DÉMON. 433<br />
n'aurait pu comprendre. Agité <strong>de</strong> mouvements convulsifs,<strong>le</strong>suns<br />
<strong>le</strong> croyaient inspiré, d'autres pensaient qu'il<br />
était possédé; mais lui se disait inspiré par<strong>le</strong> Parac<strong>le</strong>t,<br />
pour enseigner une mora<strong>le</strong> plus parfaite. L'Église ne<br />
refuse pas <strong>le</strong> pardon aux grands criminels. Montan enseigne<br />
que l'Église ne peut <strong>le</strong>s absoudre; il multiplie<br />
<strong>le</strong>s austérités qu'el<strong>le</strong> a prescrites ; il regar<strong>de</strong> <strong>le</strong>s secon<strong>de</strong>s<br />
noces comme <strong>de</strong>s adultères, prétend qu'il n'est<br />
pas permis <strong>de</strong> fuir <strong>le</strong>s persécutions, etc.. Priscil<strong>le</strong> et<br />
Maximil<strong>le</strong> quittent <strong>le</strong>urs maris pour <strong>le</strong> suivre, et prophétisent<br />
comme lui. Bientôt surgit une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> prophètes<br />
montanistes que l'Église, après mûr examen,<br />
déclara faux et hérétiques. <strong>Le</strong>urs principes, loin <strong>de</strong><br />
favoriser la débauche, comme chez plusieurs hérésiarques,<br />
no furent pas moins dangereux par <strong>le</strong>ur excessive<br />
sévérité.<br />
<strong>Le</strong>urs prophéties, <strong>le</strong>ur doctrine austère, séduisirent<br />
plusieurs pays qui en furent infestés; cependant Montan<br />
et ses premiers discip<strong>le</strong>s menaient une vie absolument<br />
contraire à <strong>le</strong>ur doctrine qui n'était propre qu'à<br />
décourager <strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s; <strong>le</strong>urs prophéties, comme cel<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>s païens, étaient vraies quelquefois, souvent menteuses.<br />
<strong>Le</strong> prophète montaniste était agité comme la<br />
pythie. — Ces hérétiques essayèrent <strong>de</strong> tromper <strong>le</strong> pape<br />
saint Victor; Tertullien lui-môme fut séduit. Cette hérésie<br />
était <strong>le</strong> chef-d'œuvre <strong>de</strong> l'esprit <strong>de</strong> ténèbres transformé<br />
en ange <strong>de</strong> lumière. Mais, <strong>le</strong>s conci<strong>le</strong>s s'étant<br />
assemblés, l'agent séducteur fut découvert. — « <strong>Le</strong>s<br />
1. On assure (V. Eusèbe, Hist. ecclés., V, 16) que Maximil<strong>le</strong> et<br />
Montan sont morts comme Judas, ils se sont pendus... On prétend<br />
aussi que Théodote, <strong>le</strong> promoteur <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur prophétie, fut é<strong>le</strong>vé en l'air<br />
par l'esprit qui l'avait trompé, et ensuite précipité misérab<strong>le</strong>ment. —<br />
On dit que cela est arrivé <strong>de</strong> la sorte, ajoute Eusèbe, qui a soin aussi<br />
<strong>de</strong> dire que, ne l'ayant pas vu, il n'oserait l'assurer.<br />
1 et et
DES HAPPOHTS DE L'HOMME<br />
montanistes, dit saint Augustin, tiraient, par <strong>le</strong> moyen<br />
<strong>de</strong> piqûres pratiquées sur tout <strong>le</strong> corps d'un jeune enfant,<br />
son sang, qu'ils mêlaient <strong>avec</strong> <strong>de</strong> la cendre ; ils en<br />
faisaient un pain <strong>avec</strong> quoi ils préparaient <strong>le</strong>ur eucha<br />
ristie 1<br />
. » — Montan n'attribuait point à Dieu la création<br />
du mon<strong>de</strong>, mais aux intelligences par lui créées, erreur<br />
commune à la plupart <strong>de</strong>s hérésiarques, adoptée pour<br />
concilier l'origine du mal <strong>avec</strong> la bonté <strong>de</strong> Dieu.<br />
Basili<strong>de</strong>.<br />
Basili<strong>de</strong>, adoptant aussi <strong>le</strong>s principes <strong>de</strong> Pythagore,<br />
s'infatua <strong>de</strong> la magie et <strong>de</strong> la caba<strong>le</strong>, prétendit qu'il<br />
y a <strong>de</strong>s nombres qui ont un rapport si essentiel <strong>avec</strong><br />
l'ordre et l'harmonie <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s, que l'intelligence<br />
créatrice ne pouvait s'en écarter en <strong>le</strong>s formant. Connaître<br />
ce rapport, c'est connaître la loi qui a dirigé cette<br />
intelligence. <strong>Le</strong> nombre 365, qui forme <strong>le</strong>s révolutions<br />
que <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il accomplit dans l'année, <strong>de</strong>vait être celui<br />
qui plaît <strong>le</strong> plus à cette intelligence. Ce nombre, exprimé<br />
par <strong>de</strong>s <strong>le</strong>ttres formant <strong>le</strong> mot abraxas, parut<br />
tout-puissant; on <strong>le</strong> grava sur <strong>de</strong>s pierres, on en fit ces<br />
talismans dont il sera parlé, qu'on voit encore dans <strong>le</strong>s<br />
cabinets <strong>de</strong>s curieux. Pythagore avait enseigné que l'intelligence<br />
productrice rési<strong>de</strong> dans <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il ; <strong>de</strong>s chrétiens<br />
pensèrent que Jésus-Christ était dans cet astre;<br />
ils portèrent sur eux <strong>de</strong>s abraxas où l'on grava sa figure,<br />
pour obtenir <strong>de</strong>s grâces.<br />
Manichéisme, Manès.<br />
L'existence <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux principes était admise, comme<br />
on l'a vu, chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s : Oromase et Ahriman,<br />
l, De hwres, XXVJ. C'est encore <strong>le</strong> sacrilice sanglant <strong>de</strong>s païens.
AVEC LE DÉMON.<br />
Osiris et Typhon, etc.. Partout enfin on avait reconnu<br />
un dieu lumière et un dieu ténèbres; <strong>de</strong>ux génies<br />
maîtres absolus, dont l'un faisait <strong>le</strong> bien et l'autre <strong>le</strong><br />
mal. On pensait que ces <strong>de</strong>ux principes <strong>de</strong>vaient être<br />
éternels et indépendants l'un <strong>de</strong> l'autre, sinon il n'y<br />
aurait eu que du bien ou du mal. Nous avons vu aussi<br />
précé<strong>de</strong>mment que c'était <strong>le</strong> même dieu qui formait une<br />
àtulilé, aussi <strong>le</strong>s manichéens supposaient <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux principes<br />
coétemels. — Il serait diffici<strong>le</strong> d'exposer ici ce système,<br />
puisqu'on a compté plus <strong>de</strong> soixante-dix sectes <strong>de</strong><br />
manichéens, qui se divisent et se contredisent. Quoi<br />
qu'il en soit, Manès reconnaissait <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux principes ;<br />
il disait aux chrétiens qu'il admettait comme eux une<br />
puissance <strong>de</strong> ténèbres; mais, ne pensant point qu'el<strong>le</strong> fût<br />
l'œuvre d'un dieu bon, il fallait supposer qu'el<strong>le</strong> était<br />
éternel<strong>le</strong> et incréée comme lui. Il n'était point l'inventeur<br />
<strong>de</strong> ce système, puisque Pythagore, Platon, etc.,<br />
supposaient cette coéternité. Loin <strong>de</strong> penser pourtant<br />
que <strong>le</strong> mauvais principe fût égal au bon, il supposait,<br />
au contraire, que <strong>le</strong> bon avait envoyé l'esprit vivant<br />
pour enchaîner dans <strong>le</strong>s airs ou reléguer sur la terre<br />
<strong>le</strong> <strong>démon</strong>, auquel il ne laissait <strong>de</strong> puissance et <strong>de</strong> liberté<br />
qu'autant qu'il <strong>le</strong> jugeait à propos pour ses <strong>de</strong>sseins<br />
; mais, <strong>le</strong> <strong>démon</strong> ayant usé <strong>de</strong> cette puissance<br />
pour former <strong>l'homme</strong> et la femme, l'âme uhie au corps,<br />
étant cé<strong>le</strong>ste, doit être purifiée avant <strong>de</strong> retourner à sa<br />
source divine, et ce n'est qu'après <strong>de</strong>s transmigrations<br />
nombreuses, après avoir animé différents corps, traversé<br />
la région <strong>de</strong> la matière, et passé dans la lune<br />
pour arriver au so<strong>le</strong>il qu'el<strong>le</strong> parvient à la colonne <strong>de</strong><br />
gloire.<br />
Il ne nous appartient pas <strong>de</strong> rapporter toutes <strong>le</strong>s<br />
extravagances <strong>de</strong> ces systèmes, dont <strong>le</strong>s conséquences<br />
furent si funestes, et dont on ne peut cependant se
436 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
dispenser <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r, puisqu'ils trouvent encore <strong>de</strong> nos<br />
jours <strong>de</strong>s partisans.<br />
<strong>Le</strong>s manichéens rejetaient l'Ancien Testament, en<br />
opposition, disaient-ils, <strong>avec</strong> <strong>le</strong> Nouveau. Ils condamnaient<br />
<strong>le</strong> mariage, qui ne sert qu'à perpétuer la captivité<br />
<strong>de</strong>s âmes. On <strong>le</strong>s accusait <strong>de</strong> se livrer à toutes <strong>le</strong>s<br />
turpitu<strong>de</strong>s que <strong>le</strong>s passions <strong>le</strong>s plus grossières peuvent<br />
inspirer. Manès accueillait toutes <strong>le</strong>s sectes; il admettait<br />
<strong>le</strong> principe d'égalité, jurait haine éternel<strong>le</strong> aux<br />
rois... « Tout appartient à tous, disait-il; il n'y a ni<br />
pauvres ni riches. » <strong>Le</strong>s manichéens rejetaient <strong>le</strong>s sacrements,<br />
<strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s saints, celui <strong>de</strong> la croix, <strong>de</strong>s<br />
reliques,- <strong>de</strong>s images, etc.<br />
D'après <strong>le</strong> manichéisme, <strong>le</strong> Dieu bon n'inspire aucune<br />
crainte pour <strong>le</strong>s crimes ; <strong>le</strong> mauvais, quoi qu'on<br />
fasse, est toujours notre perpétuel ennemi : <strong>avec</strong> eux<br />
tout est fatal, inévitab<strong>le</strong>, car chacun d'eux agit selon sa<br />
nature; il n'y a ni bien ni mal moral, mais bonheur et<br />
malheur.<br />
Manès, Persan é<strong>le</strong>vé dans la science <strong>de</strong>s mages,<br />
retourna en Perse, où Sapor <strong>le</strong> fit écorcher tout vif.<br />
Cet hérétique qui se disait aussi <strong>le</strong> Parac<strong>le</strong>t, quoique<br />
réfuté, laissa <strong>de</strong> nombreux discip<strong>le</strong>s à la croyance<br />
<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux principes, mais dissi<strong>de</strong>nts sur plusieurs<br />
chefs; il en naquit une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> sectes manichéennes.<br />
<strong>Le</strong> manichéisme a été considéré comme l'hérésie la<br />
plus funeste ; c'est la seu<strong>le</strong> qui ait été prédite <strong>avec</strong> tous ses<br />
caractères particuliers, c'est <strong>le</strong> vrai mystère d'iniquité<br />
prédit par l'apôtre saint Paul, c'est l'hérésie que l'Esprit-<br />
Saint a signalée comme étant la plus dangereuse, c'est<br />
enfin l'hérésie <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong>s temps. — Manès s'attribuait<br />
aussi <strong>le</strong> don <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s; nous verrons un jour<br />
<strong>le</strong>s réformés <strong>de</strong>venir ses discip<strong>le</strong>s, ce qui permettrait
AVEC LE DÉMON. 437<br />
<strong>de</strong> suivre la filiation du manichéisme jusqu'à nos<br />
jours 1<br />
.<br />
<strong>Le</strong>s gnos tiques, etc.<br />
Ce nom, qui signifie savants, éclairés, illuminés, fut<br />
pris par <strong>le</strong>s hérétiques du premier sièc<strong>le</strong>, qui se crurent<br />
plus éclairés que <strong>le</strong>s simp<strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s qui suivaient la<br />
seu<strong>le</strong> doctrine <strong>de</strong>s apôtres. — On doit peut-être considérer<br />
<strong>le</strong> gnosticisme moins comme une secte que<br />
comme un nom commun à toutes <strong>le</strong>s sectes <strong>de</strong> philosophes<br />
qui, plus instruits, se piquaient d'enseigner une<br />
doctrine plus é<strong>le</strong>vée. En effet, nourris dans <strong>le</strong>s divers<br />
systèmes philosophiques païens, en abjurant <strong>le</strong> paganisme,<br />
ils voulaient accommo<strong>de</strong>r la théologie chrétienne<br />
aux idées pythagoriciennes, platoniciennes ou<br />
l. Ce principe d'égalité, cette idée <strong>de</strong> communisme, Manès n'en fut<br />
point l'inventeur. On sait qu'el<strong>le</strong> a été réalisée en Grèce par Lycurgue,<br />
qui fit sa révolution par la terreur. Pour faire cesser l'envie <strong>de</strong>s pauvres<br />
et l'orgueil <strong>de</strong>s riches, il établit un partage égal <strong>de</strong>s terres; <strong>le</strong>s<br />
repas furent én commun, l'éducation <strong>de</strong>s enfants fut commune : arrachés<br />
à <strong>le</strong>urs famil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s exercices gymnastiques auxquels on <strong>le</strong>s assujettissait<br />
étaient si pénib<strong>le</strong>s, qu'où faisait mourir ceux qu'on jugeait<br />
ne pouvoir s'y soumettre.<br />
Platon, dans son plan d'une république, fut, comme on <strong>le</strong> dit aujourd'hui,<br />
plus radical; il pousse <strong>le</strong>s éléments du communisme à <strong>le</strong>urs<br />
<strong>de</strong>rnières conséquences ; il divise <strong>le</strong>s habitants en trois classes : <strong>le</strong>s<br />
mercenaires, <strong>le</strong>s guerriers, <strong>le</strong>s magistrats et <strong>le</strong>s philosophes. <strong>Le</strong>s premiers<br />
sont <strong>le</strong>s esclaves <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières classes; que la propriété<br />
appartienne à l'État ou à la classe <strong>de</strong>s travail<strong>le</strong>urs, cela importe peu,<br />
cel<strong>le</strong>-ci doit nourrir et servir <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux autres classes. <strong>Le</strong> mariage n'est<br />
qu'une union annuel<strong>le</strong>. Comme <strong>le</strong> principal but est d'obtenir <strong>de</strong>s enfants<br />
vigoureux, <strong>le</strong>s enfants mal constitués seront égorgés, et on fera<br />
avorter toute femme âgée <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> quarante ans. <strong>Le</strong>s enfants seront<br />
nourris dans un asi<strong>le</strong> commun et n'ont ainsi d'autres famil<strong>le</strong>s que<br />
l'État, qui se charge <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur éducation. — On verra un jour <strong>le</strong>s mûmes<br />
idées renaître parmi nous, à une époque où la philosophie puise trop<br />
souvent ses systèmes politiques et religieux chez <strong>le</strong>s Gentils.
438 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
stoïciennes. Vainement <strong>le</strong>s évangélistes et <strong>le</strong>s apôtres<br />
disaient : «Voici la doctrine du Maître, nous ne <strong>de</strong>vons<br />
point nous en écarter, c'est tout ce qu'il a bien voulu<br />
nous révé<strong>le</strong>r, une vaine curiosité n'en doit pas chercher<br />
davantage.» <strong>Le</strong>s gnostiques voulaient expliquer l'origine<br />
du mal, qu'ils tâchaient <strong>de</strong> concilier <strong>avec</strong> la bonté<br />
<strong>de</strong> Dieu. <strong>Le</strong> mon<strong>de</strong> n'a pas été créé par Dieu, disaient<br />
<strong>le</strong>s va<strong>le</strong>ntiniens, <strong>le</strong>s créatures sont trop imparfaites. <strong>Le</strong><br />
plérome, <strong>le</strong> Dieu suprême, a créé <strong>de</strong>s génies, dcs&ww,<br />
ce qui <strong>le</strong>ur permettait <strong>de</strong> tout expliquer...— Quoique<br />
divisés sur plusieurs points, <strong>le</strong>s gnostiques regardaient<br />
tous la matière comme étant éternel<strong>le</strong>, incréée, mauvaise,<br />
gouvernée par un esprit méchant qui asservit<br />
<strong>le</strong>s âmes attachées à la matière... Ils n'admettaient ni<br />
péché originel, ni ré<strong>de</strong>mption : Jésus-Christ était venu<br />
pour donner <strong>de</strong>s <strong>le</strong>çons <strong>de</strong> vertu... C'était un bon génie<br />
dont on ne niait pas la qualité <strong>de</strong> Verbe <strong>de</strong> Dieu ni <strong>le</strong>s<br />
mirac<strong>le</strong>s ; il n'avait pris un corps qu'en apparence, et<br />
après sa mission était remonté au ciel.— C'est un génie<br />
méchant qui a fait l'Ancien Testament; Dieu, disaientils,<br />
est puissant, mais son pouvoir n'est pas assez<br />
grand pour vaincre ce mauvais génie qui a fabriqué <strong>le</strong><br />
mon<strong>de</strong>. 11 y a trois espèces d'hommes : il en est qui<br />
n'obéissent qu'aux mouvements <strong>de</strong> la matière et sont<br />
incapab<strong>le</strong>s d'idées; d'autres sont capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> raisonner,<br />
mais ne peuvent s'é<strong>le</strong>ver au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s appétits<br />
sensuels; il en est <strong>de</strong> spirituels; ceux-ci s'occcupenl<strong>de</strong><br />
<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>stination, <strong>de</strong> la dignité <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur nature et triomphent<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>urs passions.<br />
Avec ces systèmes Dieu n'est pas libre, <strong>le</strong>s hommes<br />
eux-mêmes ne sont point libres, puisqu'ils sont nés<br />
matériels, sensuels ou spirituels. Terminons un exposé<br />
aussi incomp<strong>le</strong>t, en disant qu'on reprochait aux gnostiques<br />
<strong>de</strong> se livrer à la magie ; et qui <strong>le</strong>s en accuse ? Ce
AVEC LE DÉMON. 439<br />
ne sont pas seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s Pères, mais Plotin, ce philosophe<br />
platonicien dont nous avons parlé. Comme ils<br />
attribuaient aux éons un grand pouvoir, ils savaient<br />
aussi la manière <strong>de</strong> <strong>le</strong>s subjuguer par <strong>de</strong>s enchantements<br />
et par <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s magiques. — <strong>Des</strong> systèmes<br />
<strong>de</strong>s gnostiques dérivait enfin une mora<strong>le</strong> affreuse. Plusieurs<br />
prétendaient que, pour combattre <strong>le</strong>s passions<br />
<strong>avec</strong> succès, il fallait s'y livrer. — Saint Épiphane (Adv.<br />
lares.) fait aussi un tab<strong>le</strong>au effrayant <strong>de</strong>s crimes <strong>de</strong>s<br />
gnostiques; <strong>le</strong> jour <strong>de</strong> Noël, je crois, ils s'assemblaient<br />
dans <strong>de</strong>s cavernes, éteignaient <strong>le</strong>s lumières; <strong>le</strong> père et<br />
la fil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> frère et la sœur cohabitaient ensemb<strong>le</strong> au<br />
ksard. Au bout <strong>de</strong> neuf mois, on apportait <strong>le</strong>s fruits<br />
<strong>de</strong> ce commerce ; puis, ayant fait <strong>de</strong>s incisions dans <strong>le</strong><br />
corps <strong>de</strong>s enfants provenant <strong>de</strong> l'adultère ou <strong>de</strong> l'inceste,on<br />
mettait <strong>le</strong>ur sang dans <strong>de</strong>s fio<strong>le</strong>s, on <strong>le</strong> mélangeait<br />
<strong>avec</strong> <strong>de</strong> la cendre, qui servait ensuite d'assaisonnement<br />
à <strong>le</strong>urs mets. On n'explique pas ce symbo<strong>le</strong>, qui<br />
donna lieu sans doute aux calomnies contre <strong>le</strong>s chrétiens,<br />
ci-<strong>de</strong>vant rapportées.<br />
On n'ajoutera que quelques mots à ce court exposé<br />
<strong>de</strong>s hérésies <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s, puisé particulièrement<br />
dans <strong>le</strong> savant dictionnaire <strong>de</strong> Pluquet.<br />
<strong>Le</strong>s nicolaïtes adoptaient <strong>le</strong>s erreurs <strong>de</strong>s gnostiques<br />
sur l'origine du mon<strong>de</strong>; faib<strong>le</strong>s et superstitieux, ils<br />
alliaient la croyance aux <strong>démon</strong>s <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dogmes chrétiens;<br />
c'est-à-dire que ceux-ci, pour ne pas irriter <strong>le</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s, mangeaient <strong>de</strong>s vian<strong>de</strong>s offertes aux ido<strong>le</strong>s.<br />
Arius soutenait que <strong>le</strong> Verbe divin avait été produit<br />
par Dieu <strong>le</strong> Père avant tous <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s, et il s'en était<br />
servi pour créer Je mon<strong>de</strong> ; mais ce fils était fort inférieur<br />
à son père. On distinguait <strong>de</strong>ux sortes d'ébionites<br />
: <strong>le</strong>s uns croyaient que Jésus-Christ était né d'une<br />
Vierge ; d'autres, qu'il était né à la manière ordi-
440 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
naire; mais tous reconnaissaient qu'il était <strong>le</strong> Messie<br />
et réunissait tous <strong>le</strong>s caractères sous <strong>le</strong>squels il a été<br />
prédit.<br />
Cérinthe croyait comme Platon que Dieu n'avait pas<br />
crée l'univers : c'est un <strong>de</strong>s esprits qu'il a produits qui<br />
créa <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, etc. — L'apôtre saint Jean réfuta cet<br />
hérétique dans son Évangi<strong>le</strong>, où il dit : In principio<br />
erat Verbum, etc. — Ceux qui ont prétendu que la trinité<br />
chrétienne sort <strong>de</strong> l'éco<strong>le</strong> <strong>de</strong> Platon se trompent<br />
lour<strong>de</strong>ment; car Cérinthe, formé à cette éco<strong>le</strong>, loin<br />
•d'admettre une trinité, n'admet pas seu<strong>le</strong>ment une<br />
• dualité ; il ne suppose point <strong>le</strong> Fils égal au Père. Pour<br />
lui, c'est une créature née <strong>de</strong> Joseph et <strong>de</strong> Marie; à la<br />
vérité <strong>le</strong> Christ, <strong>de</strong>scendu sur lui en forme <strong>de</strong> colombe,<br />
lui avait donné <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s ; mais<br />
il s'en était séparé au moment <strong>de</strong> la passion <strong>de</strong> Jésus.<br />
Réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong>s hérésies; sentiments <strong>de</strong>s Pères sur <strong>le</strong>s hérétiques<br />
et <strong>le</strong>urs prodiges.<br />
On a vu <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> Satan renversé par la chute du<br />
paganisme ; il restait à <strong>démon</strong>trer d'après <strong>le</strong>s Pères son<br />
action dans <strong>le</strong>s hérésies, <strong>de</strong> faire voir pourquoi Dieu<br />
<strong>le</strong>s permet, d'en signa<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s principaux caractères, <strong>de</strong><br />
donner une idée <strong>de</strong>s principa<strong>le</strong>s doctrines, ce qu'on a<br />
fait très-succinctement.<br />
Mais, tous <strong>le</strong>s hérétiques se disant exclusivement<br />
orthodoxes, il reste à savoir, nous dira-t-on, quels<br />
sont ceux qui méritent réel<strong>le</strong>ment ce titre. En nous<br />
reportant au premier sièc<strong>le</strong> par la pensée, <strong>le</strong>squels<br />
faut-il croire? ou ces hommes simp<strong>le</strong>s, sans <strong>le</strong>ttres,<br />
connus sous <strong>le</strong> nom d'apôtres? ou ces philosophes, ces<br />
savants qui seuls se préten<strong>de</strong>nt éclairés, connus sous<br />
<strong>le</strong> nom <strong>de</strong> gnostiques't — question ridicu<strong>le</strong> maintenant,<br />
à laquel<strong>le</strong> cependant on doit répondre.
AVEC LE DÉMON. 441<br />
A peine <strong>le</strong> christianisme est-il né, qu'il se divise en<br />
plusieurs sectes ayant toutes <strong>le</strong> nom générique <strong>de</strong><br />
chrétiens : —est-ce Pierre, Paul, Jean, Matthieu, etc.,<br />
qui enseignent la vraie doctrine ? n'est-ce pas plutôt Cérinthe,<br />
Marcion, Va<strong>le</strong>ntin, etc.? — Quels sont ceux qui<br />
entouraient <strong>le</strong> Christ? quels sont ceux qu'il chargea <strong>de</strong><br />
publier sa foi? Ce ne furent certainement ni Cérinthe,<br />
ni Marcion, ni Va<strong>le</strong>ntin ; dissi<strong>de</strong>nts d'ail<strong>le</strong>urs sur plusieurs<br />
points, tandis que la doctrine <strong>de</strong> Pierre, <strong>de</strong><br />
Paul, etc., est i<strong>de</strong>ntique. <strong>Le</strong>s noms <strong>de</strong>s premiers hérétiques<br />
ne sont cités ni dans <strong>le</strong>s écrits authentiques du<br />
Nouveau Testament, ni même dans <strong>le</strong>s livres apocryphes<br />
invoqués par <strong>le</strong>s hérétiques seuls, et rejetés par <strong>le</strong>s<br />
apôtres et <strong>le</strong>urs successeurs, qui accusent ces hérétiques<br />
d'avoir falsifié ou fabriqué à <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong>s évangi<strong>le</strong>s<br />
pour établir <strong>le</strong>urs doctrines erronées. — Maintenant<br />
comment distinguera-t-on ces écrits apocryphes <strong>de</strong>s<br />
authentiques ? — Tertullien nous répondra : « C'est par<br />
<strong>le</strong>ur ancienneté. » Dès qu'il est constant pour tous que<br />
Pierre, Paul, Jean, etc., sont <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s du souverain<br />
maître, il est faci<strong>le</strong> <strong>de</strong> savoir quel<strong>le</strong> est la vraie doctrine ;<br />
cel<strong>le</strong> que l'on rejette comme ayant été altérée dans <strong>de</strong>s<br />
écrits postérieurs appartient évi<strong>de</strong>mment à ces novateurs<br />
qui avaient intérêt à la falsifier. Tertullien, qu'on<br />
regrette <strong>de</strong> ne pouvoir citer plus au long, dit : « <strong>Le</strong> vrai<br />
précè<strong>de</strong> <strong>le</strong> faux, qui en est la contrefaçon; or il est si<br />
constant que notre Évangi<strong>le</strong> est <strong>le</strong> plus ancien, que<br />
Marcion l'admettait autrefois, et que <strong>de</strong>puis il a prétendu<br />
<strong>le</strong> corriger. » (Advenus Marcion., IV, 4 et 5.)<br />
Il invoque la même autorité <strong>de</strong>s Églises en faveur<br />
<strong>de</strong>s Évangi<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jean, <strong>de</strong> Marc, <strong>de</strong> Matthieu. Pourquoi,<br />
dit-il, refuse-t-on <strong>de</strong> <strong>le</strong>s reconnaître...? Tertullien<br />
montre que ce qui vient <strong>de</strong>s apôtres a été constamment<br />
respecté dans toutes <strong>le</strong>s Églises.... que l'on s'adresse
442 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
à cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Corinthe, <strong>de</strong> Galatie, <strong>de</strong> Philippes, <strong>de</strong><br />
Thcssalonique, d'Éphèse, <strong>de</strong> Rome... (Deprœscripi.)<br />
Tertullien ne se borne pas au témoignage <strong>de</strong>s Églises,<br />
il produit en faveur <strong>de</strong> la doctrine <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres écrites<br />
<strong>de</strong> la propre main <strong>de</strong>s apôtres. — Désirez-vous, dit-il,<br />
vous instruire en lisant <strong>le</strong>urs <strong>le</strong>ttres authentiques?—<br />
Après avoir cité dans l'Achaïe ou la Macédoine plusieurs<br />
vil<strong>le</strong>s, il nomme en Asie Éphèse, et en Italie<br />
Rome, qui fourniront <strong>de</strong>s preuves incontestab<strong>le</strong>s.<br />
- Saint Augustin (Contr. Faust., XIII) dit : « Peutêtre<br />
nous citerez-vous un écrit qui porte <strong>le</strong> nom d'un<br />
<strong>de</strong>s apôtres, ou il fait dire, par exemp<strong>le</strong>, que <strong>le</strong> Christ<br />
n'est pas né,<strong>de</strong> Marie. Si cet écrit prétendu apostolique<br />
et l'Évangi<strong>le</strong> <strong>de</strong> Matthieu ne peuvent subsister<br />
ensemb<strong>le</strong>, <strong>le</strong>quel faut-il admettre <strong>de</strong> celui que l'Église<br />
a reçu et conservé <strong>de</strong>puis son origine, ou <strong>de</strong> celui<br />
qu'el<strong>le</strong> rejette parce qu'el<strong>le</strong> ne l'a jamais connu?» —<br />
On n'analysera pas un plus grand nombre do ces passages<br />
qu'on affaiblit trop en <strong>le</strong>s tronquant. On s'abstiendra<br />
par <strong>le</strong> même motif <strong>de</strong> rien citer du pape saint<br />
Clément.<br />
Tout prouve que <strong>le</strong>s apôtres dès l'origine s'opposèrent<br />
aux nouvel<strong>le</strong>s doctrines, si contraires à l'enseignement<br />
du Maître, et à sa défense expresse <strong>de</strong> rien<br />
changer. Saint Paul, I rc<br />
ép. à Timothée (I, 4-7), lui re<br />
comman<strong>de</strong> <strong>de</strong> ne pas imiter ceux qui s'amusent à <strong>de</strong>s<br />
fab<strong>le</strong>s, qui se séparent, et.qui s'imaginent être docteurs<br />
<strong>de</strong> la loi et ne savent ni ce qu'ils disent ni ce qu'ils<br />
blâment si hardiment. Il lui recomman<strong>de</strong> encore (Ih.,<br />
VI, 20) <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r <strong>le</strong> dépôt qui lui a été confié, <strong>de</strong> fuir<br />
<strong>le</strong>s nouveautés <strong>de</strong>s profanes et la doctrine qui porte<br />
faussement <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> gnose.<br />
Tous <strong>le</strong>s Évangi<strong>le</strong>s furent publiés peu d'années après<br />
l'ascension du Sauveur, excepté celui <strong>de</strong> saint Jean,
AVEC LE DÉMON. 443<br />
composé soixante-trois ans après, pour répondre à l'hérésie<br />
naissante <strong>de</strong> Cérinthe. <strong>Le</strong>s conci<strong>le</strong>s vinrent successivement<br />
s'opposer aux hérésies et conserver l'intégrité<br />
<strong>de</strong> la doctrine.<br />
C'est ainsi que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'Église <strong>de</strong> Rome est restée<br />
la même <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s apôtres. En vain <strong>de</strong>s novateurs<br />
orgueil<strong>le</strong>ux ont voulu discuter <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> pure<br />
curiosité qu'il n'a pas plu à Dieu <strong>de</strong> révé<strong>le</strong>r; et, selon<br />
<strong>le</strong>ur gré, ajouter ou retrancher, expliquer et commenter<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong> secours <strong>de</strong>s divers systèmes philosophiques<br />
païens.— Qu'en est-il résulté? — Une doctrine<br />
p<strong>le</strong>ine d'absurdités et <strong>de</strong> contradictions, qui varie selon<br />
<strong>le</strong>s sectes et selon <strong>le</strong>s temps, qui a ressuscité <strong>de</strong>s systèmes<br />
erronés sur l'origine du mon<strong>de</strong> et sur Dieu... —<br />
<strong>Le</strong>s Pères montrent que <strong>le</strong>s hérétiques ont abandonné<br />
ainsi la doctrine écrite et ora<strong>le</strong> <strong>de</strong>s apôtres et <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />
successeurs immédiats; <strong>le</strong>s dissi<strong>de</strong>nces <strong>de</strong>s hérésiarques<br />
étaient d'ail<strong>le</strong>urs une bonne <strong>démon</strong>stration <strong>de</strong> la fausseté<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>urs systèmes.<br />
Ce qu'il est bon <strong>de</strong> faire observer dans notre temps,<br />
si fécond en opinions hérétiques, c'est que <strong>le</strong>s hérétiques<br />
<strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s reconnaissent <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />
du Christ et sa divinité ; aucune <strong>de</strong> ces sectes, qui vivaient<br />
à ces époques si rapprochées du Christ, n'osa en<br />
faire un simp<strong>le</strong> mortel ni rejeter ses mirac<strong>le</strong>s; <strong>le</strong>s uns<br />
disent qu'il n'a pris un corps qu'en apparence ; d'autres<br />
veu<strong>le</strong>nt qu'à un corps humain soit venu se joindre <strong>le</strong><br />
Christ, qui, ne pouvant souffrir <strong>le</strong>s tourments <strong>de</strong> la<br />
croix, est remonté au ciel à l'instant où <strong>le</strong> corps fut livré<br />
aux. bourreaux. Nul n'a avancé que ce fût simp<strong>le</strong>ment un<br />
homme ; Arius lui-môme, en disant que <strong>le</strong> Verbe divin<br />
a créé <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, mais qu'il est inférieur à Dieu <strong>le</strong> Père,<br />
a'ose nier précisément sa divinité, comme Socin, quoiqu'il<br />
<strong>le</strong> fasse implicitement.
444 DES RAPPORTS SE L'HOMME<br />
Enfin, tous <strong>le</strong>s hérétiques ont cru à l'existence <strong>de</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s, ainsi qu'au pouvoir <strong>de</strong> ceux-ci d'opérer<br />
<strong>de</strong>s prodiges, croyance que la réforme ne combattit<br />
point.<br />
On ne peut rapporter la réfutation faite par <strong>le</strong>s Pères<br />
<strong>de</strong>s systèmes concernant la difficulté <strong>de</strong> concilier<br />
l'origine du mal <strong>avec</strong> la bonté <strong>de</strong> Dieu ; el<strong>le</strong> engagea<br />
la. plupart <strong>de</strong>s hérétiques à supposer <strong>de</strong>ux dieux,<br />
l'un mauvais et l'autre bon. Choqués <strong>de</strong>voir tous <strong>le</strong>s<br />
maux attachés à la nature physique, ils pensaient, en<br />
l'attribuant à un dieu malfaisant, trancher la difficulté.<br />
Il est certain qu'il se présente ici un mystère <strong>de</strong>s<br />
plus insondab<strong>le</strong>s, mais c'était une raison pour ne point<br />
s'y arrêter. — L'homme, ne pouvant considérer la nature<br />
dans son ensemb<strong>le</strong> harmonieux, rapportant tout<br />
à lui-même, ignorant la <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> l'immense machine<br />
dont il ne voit qu'un point, ignore aussi que <strong>le</strong><br />
désordre particulier qui <strong>le</strong> frappe forme l'ordre <strong>de</strong> ce<br />
grand tout qu'il ne connaît pas...; est-ce une raison <strong>de</strong><br />
penser que la nature physique soit l'œuvre d'un dieu<br />
méchant?<br />
Los hérétiques pensaient enfin qu'un dieu bon n'aurait<br />
pu faire une créature criminel<strong>le</strong>. «Comment, disaient-ils,<br />
n'a-t-il pas prévu qu'el<strong>le</strong> abuserait <strong>de</strong> sa<br />
liberté? Pourquoi sa bonté nel'arrête-t-el<strong>le</strong> point, etc.?<br />
— Un tel dieu ne peut être que méchant !<br />
La bonté divine <strong>de</strong>vait-el<strong>le</strong> douer <strong>l'homme</strong> d'une<br />
perfection infinie? étant infinie, il serait un dieu; —<br />
finie, bornée, la malice commence où cesse la perfection.<br />
La souveraine bonté exige-t-ellc que Dieu prévienne<br />
l'abus que <strong>l'homme</strong> peut faire <strong>de</strong> sa liberté?<br />
Dieu n'a-t-il pu vouloir qu'il ne fût heureux qu'en remplissant<br />
certaines conditions? sa sagesse n'a-t-ellc pu<br />
prescrire <strong>de</strong>s lois pour concé<strong>de</strong>r ce bonheur? <strong>de</strong>vait-il
AVEC LE DÉMON.<br />
en créant <strong>le</strong>s hommes faire <strong>de</strong>s automates? » — En<br />
attendant la solution <strong>de</strong> ces questions et d'une fou<strong>le</strong><br />
d'autres, il suffit <strong>de</strong> savoir qu'il est absur<strong>de</strong> <strong>de</strong> supposer<br />
<strong>de</strong>ux dieux coéternels et puissants. La raison dit qu'il<br />
ne saurait exister qu'un seul Dieu, mais souverainement<br />
juste et bon. Soyons donc certains que lors du<br />
gTand dénoûment cette bonté et cette justice seront<br />
reconnues; <strong>de</strong> notre ignorance seu<strong>le</strong> naissent nos<br />
murmures, et quand <strong>le</strong> mystère sera dévoilé, nous ne<br />
pourrons accuser Dieu ni d'injustice ni <strong>de</strong> méchanceté.<br />
<strong>Le</strong>s Pères blâmaient donc <strong>avec</strong> raison l'examen <strong>de</strong><br />
ces questions et <strong>le</strong>s systèmes extravagants qu'on croyait<br />
propres à <strong>le</strong>s expliquer; ils faisaient remarquer l'insigne<br />
contradiction <strong>de</strong> ces hérétiques, qui, proclamant<br />
un Dieu éternel, sans bornes dans sa puissance et dans<br />
ses perfections, reconnaissaient cependant doux principes<br />
qui se nuisent nécessairement dans <strong>le</strong>urs œuvres.<br />
Tertullien renversait la doctrine <strong>de</strong> Marcion ; celui-ci<br />
prétendait que <strong>le</strong> Dieu <strong>de</strong> l'Ancien Testament était méchant,<br />
et pourtant, dit Tertullien, ce livre est rempli <strong>de</strong><br />
traits <strong>de</strong> bonté ; Dieu n'y veut pas la mort du pécheur,<br />
mais sa conversion; est-il contraire à sa bonté d'infliger<br />
<strong>de</strong>s châtiments à ceux qu'il veut rappe<strong>le</strong>r à lui? Selon<br />
<strong>le</strong>s hérétiques eux-mêmes, un Dieu bon punit <strong>le</strong>s pécheurs...—<br />
Qui sait, enfin, si <strong>le</strong>s fléaux qui ont frappé<br />
<strong>le</strong>s Juifs ne tendaient pas au but que Dieu s'était proposé<br />
pour <strong>le</strong>ur bonheur?<br />
On faisait voir aux montanistes que <strong>le</strong>ur doctrine<br />
péchait par excès d'austérité... Vous condamnez <strong>le</strong>s<br />
secon<strong>de</strong>s noces comme adultères, vous êtes en opposition<br />
à la doctrine expresse <strong>de</strong> l'Apôtre, <strong>le</strong>ur disait-on;<br />
on <strong>le</strong>ur montrait surtout qu'ils étaient hypocrites; car,<br />
si <strong>le</strong>ur doctrine était trop austère, <strong>le</strong>ur conduite était<br />
fort corrompue.
446 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Saint Irénée fit une étu<strong>de</strong> sérieuse <strong>de</strong>s hérésies et<br />
réfuta <strong>le</strong>s hérésiarques.. « L'Écriture étant la règ<strong>le</strong><br />
immuab<strong>le</strong> <strong>de</strong> la foi, il faut, dit-il, l'expliquer conformément<br />
à la doctrine constante <strong>de</strong> la tradition. » — Et<br />
qui la connaissait mieux que saint Irénée, discip<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
saint Polycarpe, qui avait été lui-môme discip<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
saint Jean? — « L'Écriture, dit <strong>le</strong> saint évoque, ne renferme<br />
pas tout. Obscure en plusieurs endroits, il faut<br />
recourir à la tradition, c'est-à-dire à ce que Jésus-<br />
Christ et ses apôtres ont transmis <strong>de</strong> vive voix et qui<br />
se conserve et s'enseigne dans nos églises. » Il établit<br />
cette tradition par la succession <strong>de</strong>s évoques : <strong>le</strong>s<br />
apôtres ont reçu <strong>le</strong> dépôt entier <strong>de</strong>s vérités et l'ont<br />
confié aussi tout entier à <strong>le</strong>urs successeurs...— Il <strong>démon</strong>tre<br />
qu'il n'y a aucun hérétique qui ne puisse être<br />
convaincu d'avoir innové et quitté <strong>le</strong> fil <strong>de</strong> la tradition.<br />
Avant Val en tin et Marcion il n'y avait ni va<strong>le</strong>ntinions<br />
ni marcionites, etc.<br />
Saint Irénée recomman<strong>de</strong> la soumission à l'Église<br />
et aux pasteurs, qui méritent une confiance sans bornes<br />
par l'attention infinie qu'on a <strong>de</strong> choisir <strong>le</strong>s plus saints<br />
et <strong>le</strong>s plus instruits... «L'homme vraiment spirituel,<br />
continue-t-il, juge tous <strong>le</strong>s hérétiques ; dès qu'il entend<br />
une chose contraire à ce qu'il a toujours ouï dire, cette<br />
chose par là même est réprouvée. »<br />
Aux preuves précé<strong>de</strong>ntes, si mutilées dans cette<br />
analyse, se joint cel<strong>le</strong> résultant <strong>de</strong>s prodiges qui trompaient<br />
<strong>le</strong>s hérétiques, et que <strong>le</strong>s Pères attribuaient au<br />
<strong>démon</strong>. Ceux-ci ne traitent pas <strong>le</strong>s hérétiques d'insensés<br />
, ils ne <strong>le</strong>s accusent point <strong>de</strong> simu<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s prodiges.<br />
Tous <strong>le</strong>s hérétiques sont entraînés par l'orgueil,<br />
l'ambition, la curiosité; germes du crime funeste<br />
qui prend <strong>le</strong> nom d'hérésie, quand <strong>l'homme</strong> s'obstine<br />
à se croire plus instruit que l'Église, qui tient
AVEC LE DÉMON. 447<br />
sa doctrine <strong>de</strong>s apôtres. — Voyons-<strong>le</strong> chez <strong>le</strong>s messaliens.<br />
Ces hérétiques eurent pour chef Sabas, qui, prenant<br />
à la <strong>le</strong>ttre divers passages <strong>de</strong> l'Écriture, donna tous<br />
ses biens aux pauvres et se fît eunuque... Jésus-Christ<br />
n'a-t-il pas dit <strong>de</strong> ne point travail<strong>le</strong>r pour une nourriture<br />
qui périt?... Il a dit aussi que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> tourne<br />
autour <strong>de</strong> nous sans cesse; il a recommandé <strong>de</strong> prier<br />
sans relâche, etc.. Sabas, conséquemment, regar<strong>de</strong> <strong>le</strong><br />
travail comme un crime, et se croit entouré <strong>de</strong> <strong>démon</strong>s<br />
et harcelé par eux. La prière suffît pour <strong>le</strong>s chasser; il<br />
proclame que <strong>le</strong>s sacrements sont indifférents...<br />
<strong>Le</strong>s messaliens voient, enten<strong>de</strong>nt et touchent <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s;<br />
ils <strong>le</strong>s respirent <strong>avec</strong> l'air, <strong>le</strong>s ava<strong>le</strong>nt <strong>avec</strong> <strong>le</strong>ur<br />
nourriture, font <strong>de</strong>s sauts prodigieux pour <strong>le</strong>s éviter;<br />
ils ont <strong>de</strong>s révélations et prédisent au milieu <strong>de</strong>s convulsions.—<br />
Étaient-ce donc <strong>de</strong>s fourbes ou <strong>de</strong>s insensés<br />
aux yeux <strong>de</strong>s Pères? Théodorct, <strong>le</strong> digne discip<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
saint Jean Chrysos<strong>tome</strong>, dont on ne peut citer ici <strong>le</strong><br />
chapitre relatif à l'hérésie <strong>de</strong>s messaliens, s'exprime<br />
ainsi:— «On <strong>le</strong>s appel<strong>le</strong> enthousiastes, parce qu'ils<br />
sont agités par un <strong>démon</strong> dont ils prennent la vio<strong>le</strong>nce<br />
pour un effet <strong>de</strong> la présence du Saint-Esprit. » ( Théodoret,<br />
Hist. eccL, IV, 11.)— On ne dit pas que ce sont<br />
<strong>de</strong>s fourbes; rien ne <strong>le</strong> prouve, en effet; rien aussi ne<br />
<strong>démon</strong>tre qu'ils fussent <strong>de</strong>s fous ou <strong>de</strong>s extravagants :<br />
tout prouve <strong>le</strong> contraire ; très-pru<strong>de</strong>nts, ils cachent <strong>le</strong>urs<br />
sentiments ; fort nombreux, ils infestaient même <strong>le</strong>s<br />
monastères; rail<strong>le</strong>urs, ils se moquaient <strong>de</strong> ces chrétiens<br />
stupi<strong>de</strong>s qui, disaient-ils, croient à la vertu <strong>de</strong>s sacrements.<br />
Tout prouvait à ceux qui connaissaient cette<br />
hérésie que <strong>le</strong>s messaliens étaient loin d'être <strong>de</strong>s insensés.<br />
<strong>Le</strong>s extases <strong>de</strong>s montanistes n'étaient pas attribuées
448 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
à l'imposture. Saint Épiphane dit que c'est <strong>le</strong> <strong>démon</strong><br />
qui <strong>le</strong>s cause... « Maximil<strong>le</strong> ne doit pas, dit-il, se vanter<br />
d'avoir reçu <strong>le</strong> Saint-Esprit, mais l'enthousiasme<br />
<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s. »<br />
Tertullien, parlant d'une montaniste, nous apprend<br />
qu'el<strong>le</strong> tombait en extase, conversait <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s anges,<br />
entendait <strong>le</strong>s révélations <strong>de</strong>s secrets cé<strong>le</strong>stes, connaissait<br />
l'intérieur <strong>de</strong>s cœurs et indiquait <strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s à<br />
ceux qui <strong>le</strong> désiraient. Tertullien tenait lui-même<br />
journal <strong>de</strong> ces phénomènes', qu'il serait d'autant plus<br />
diffici<strong>le</strong> aujourd'hui <strong>de</strong> nier, qu'on <strong>le</strong>s voit souvent<br />
se reproduire parmi nous.<br />
Eusèbe, d'après Apollinaire, dit que ce fut la gran<strong>de</strong><br />
ambition <strong>de</strong> Montan qui donna lieu au diab<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />
séduire... « Rempli du <strong>démon</strong>, agité <strong>de</strong> fureur, il débitait,<br />
dit-il, <strong>de</strong>s extravagances impies contre la tradition<br />
<strong>de</strong> l'Église... Ceux qui, conformément à la<br />
volonté divine, désiraient qu'on évitât <strong>le</strong>s faux prophètes,<br />
<strong>le</strong> conjurèrent comme un possédé pour lui<br />
imposer si<strong>le</strong>nce... D'autres, oubliant <strong>le</strong>s marques auxquel<strong>le</strong>s<br />
on reconnaît ces faux prophètes, l'engagèrent<br />
à par<strong>le</strong>r... » (Eusèbe, Hist. ceci., V, 10.) <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> <strong>le</strong>s<br />
trompa, ils perdirent la foi. Alors Satan suscita <strong>de</strong>ux<br />
femmes auxquel<strong>le</strong>s il inspira <strong>le</strong>s mêmes erreurs qu'à<br />
Montan, et qui débitèrent <strong>le</strong>s mêmes impertinences...,<br />
Maximil<strong>le</strong> fit ses fausses prophéties, etc.. — L'accusa-t-on<br />
<strong>de</strong> fourberie? On n'y songea même point,<br />
mais on prouva qu'un vrai prophète ne parlait pas<br />
hors <strong>de</strong> soi comme la pythie, que <strong>le</strong> Saint-Esprit n'agitait<br />
pas <strong>le</strong>s vrais prophètes comme Satan agitait <strong>le</strong>s<br />
siens : on montra que ceux-ci avaient l'esprit troublé<br />
dès que Satan s'était emparé d'eux ; on montra enfin<br />
que, aussitôt que <strong>le</strong>s femmes étaient séduites, el<strong>le</strong>s<br />
abandonnaient <strong>le</strong>urs maris, recevaient <strong>de</strong> riches pré-
AVEC LE DÉMON. 449<br />
sents, s'adonnaient au vol, avaient <strong>le</strong> goût <strong>de</strong> la bonne<br />
chère, du luxe, du jeu, du prêt à usure, etc., etc. C'est<br />
ainsi qu'on prouvait <strong>de</strong> quel esprit el<strong>le</strong>s recevaient<br />
<strong>le</strong>urs inspirations ; mais on ne <strong>le</strong>ur imputait pas <strong>de</strong><br />
fourberie dans <strong>le</strong>urs prodiges.<br />
Saint Irénée attribue à <strong>de</strong>s prestiges diaboliques l'aveug<strong>le</strong>ment<br />
<strong>de</strong> Marc et <strong>de</strong> Simon. — Qu'étaient ces<br />
prestiges?—Ils consistaient à tromper <strong>le</strong>s yeux, dit <strong>le</strong><br />
saint évêque, en montrant <strong>de</strong>s fantômes qui disparaissaient<br />
aussitôt. Qculos <strong>de</strong>lu<strong>de</strong>ntes et phantasmata ostenkntes,<br />
statim cessxmtia. (Contr* hœres., II.) C'est la<br />
fascination"<strong>de</strong>s sens. <strong>Le</strong>s prestiges <strong>de</strong>s simoniens, <strong>de</strong>s<br />
carpôcratiens et autres hérétiques étaient une simp<strong>le</strong><br />
fascination... — SaintÉpiphane, Eusèbe, Justin, Nicéphore,<br />
saint Clément, etc., ne considèrent point <strong>le</strong>s<br />
prestiges <strong>de</strong> Simon comme <strong>de</strong>s tours d'un adroit bate<strong>le</strong>ur<br />
: c'est un magicien. — Que fait-il? Il traverse <strong>le</strong>s<br />
flammes sans se brû<strong>le</strong>r, vo<strong>le</strong> comme <strong>le</strong>s oiseaux, sait<br />
se métamorphoser <strong>de</strong> différentes manières, semb<strong>le</strong><br />
changer <strong>le</strong>s pierres en pain, etc.; mais ces prestiges sont<br />
toujours pour <strong>le</strong>s Pères <strong>le</strong> résultat d'un commerce diabolique.<br />
<strong>Le</strong>s Actes <strong>de</strong>s apôtres, moins explicites que<br />
<strong>le</strong>s écrits <strong>de</strong>s Pères, se bornent à attester que Simon<br />
troublait l'esprit par ses enchantements.<br />
Firmilien, dans sa fameuse <strong>le</strong>ttre à saint Cyprien, en<br />
traitant du baptême <strong>de</strong>s hérétiques et <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />
séduction, est conduit à par<strong>le</strong>r aussi <strong>de</strong>s extases et <strong>de</strong>s<br />
prédictions d'une certaine prophétesse... : « Agitée<br />
<strong>de</strong>s principaux <strong>démon</strong>s, dit-il, el<strong>le</strong> séduisit grand<br />
nombre <strong>de</strong> ses frères par <strong>le</strong>s prodiges qu'el<strong>le</strong> opérait...<br />
Tandis qu'el<strong>le</strong> en trompait ainsi plusieurs, el<strong>le</strong><br />
osait offrir <strong>le</strong> sacrifice terrib<strong>le</strong> du pain et du vin...,<br />
conférait <strong>le</strong> baptême, en paraissant suivre en tout la<br />
règ<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'Église... C'est ainsi qu'el<strong>le</strong> séduisit un prêtre<br />
t. 29
450 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
et un diacre, etc. » —Firmilien ne voit point là d'imposture<br />
naturel<strong>le</strong>; il dit, au contraire, qu'un exorciste<br />
d'une gran<strong>de</strong> vertu s'é<strong>le</strong>va contre l'esprit qui agitait<br />
cette femme, lui résista vigoureusement, et prouva<br />
que cet esprit était très-mauvais, et non l'Esprit-Saint.<br />
Il eût été diffici<strong>le</strong> d'y voir <strong>de</strong> simp<strong>le</strong>s prestiges. Cette<br />
femme se vantant qu'el<strong>le</strong> causerait <strong>de</strong>s tremb<strong>le</strong>ments<br />
<strong>de</strong> terre à tel<strong>le</strong> époque, ils arrivèrent dans <strong>le</strong> lieu et à<br />
l'instant par el<strong>le</strong> indiqués... <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> avait prédit<br />
qu'nn incrédu<strong>le</strong> viendrait bientôt pour tenter cette<br />
femme : Ventnrum qucmdam adoersum et tenlalorcm infi~<br />
<strong>de</strong><strong>le</strong>m; ce qui eut lieu, comme on vient <strong>de</strong> <strong>le</strong> voir.<br />
<strong>Le</strong>s Pères, ont donc constamment signalé chez <strong>le</strong>s<br />
hérétiques <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong> Satan, que ceux-ci considéraient<br />
comme vrais mirac<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>stratifs <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />
doctrines. Saint Irénée, pour <strong>le</strong>ur en<strong>le</strong>ver cette <strong>de</strong>rnière<br />
ressource, comme il l'avait fait <strong>de</strong>s autres, montrait<br />
la différence qui existe entre <strong>le</strong>urs prodiges et <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s,<br />
si communs alors dans l'Église <strong>de</strong>s premiers<br />
chrétiens; ils consistaient, comme on sait, dans <strong>le</strong>s discours<br />
prophétiques, <strong>le</strong>s guérisons instantanées, etc., et<br />
dans lapreuve par excel<strong>le</strong>nce, la résurrection <strong>de</strong>s morts.<br />
— On ne peut, poursuit saint Irénée, dire <strong>le</strong> nombre<br />
<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s opérés chaque jour par l'Église au nom <strong>de</strong><br />
Jésus-Christ ; el<strong>le</strong> <strong>le</strong> fait sans artifice et sans intérêt, et<br />
sans invocation superstitieuse. — On disait enfin aux<br />
hérétiques : Feriez-vous <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s, notre doctrine,<br />
étant plus sûre et plus autorisée qu'ils ne <strong>le</strong> sont, doit<br />
l'emporter. La séduction prédite pour <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers<br />
temps ayant déjà commencé, si d'autres mirac<strong>le</strong>s pouvaient<br />
étayer une nouvel<strong>le</strong> doctrine, cel<strong>le</strong>-ci détruirait<br />
la première. <strong>Le</strong> Sauveur a prouvé sa doctrine par ses<br />
mirac<strong>le</strong>s; aujourd'hui <strong>de</strong> nouveaux, fussent-ils réels, ne<br />
peuvent la renverser. <strong>Le</strong>s Pères ne niaient pas que Dieu
AVjEC LE DÉMON. 451<br />
n'en accordât quelquefois aux méchants pour diverses<br />
raisons; mais ce sujet diffici<strong>le</strong> nous entraînerait trop<br />
loin, il suffit <strong>de</strong> dire que c'est à l'Église seu<strong>le</strong> à donner<br />
<strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s pour juger la doctrine par <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s et<br />
ceux-ci par la doctrine. — En résumé, on disait aux hérétiques<br />
: Vous alléguez vos prodiges, nous ne <strong>le</strong>s nions<br />
pas, mais <strong>le</strong>s nôtres sont supérieurs aux vôtres ; vous<br />
prédisez l'avenir, comme <strong>le</strong>s païens, dans d'effroyab<strong>le</strong>s<br />
convulsions, vos cures ressemb<strong>le</strong>nt aux <strong>le</strong>urs, et comme<br />
eux vous ne pouvez ressusciter <strong>de</strong>s morts, etc., etc.<br />
Admettons que Dieu accor<strong>de</strong> à votre foi en Jésus-<br />
Christ, quoique hérétiques, <strong>de</strong> vrais mirac<strong>le</strong>s; examinons<br />
votre doctrine et <strong>le</strong>s motifs qui, ayant déterminé<br />
votre choix, vous ont séparés <strong>de</strong> nous; n'est-ce pas<br />
l'orgueil, la curiosité, l'ambition? Cette doctrine autre<br />
que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s apôtres vous conduit à <strong>de</strong>s systèmes<br />
païens, et contient <strong>de</strong>s principes subversifs <strong>de</strong> la sainte<br />
mora<strong>le</strong> évangélique que vous altérez par un rigorisme<br />
décourageant ou par un relâchement corrupteur qui<br />
engendre la dépravation; donc tout vous condamne.<br />
Supplément. — la Caba<strong>le</strong>.<br />
Il y aurait infiniment <strong>de</strong> choses à dire sur la Caba<strong>le</strong>,<br />
qui rentre dans la magie et dans <strong>le</strong>s hérésies; el<strong>le</strong> apprenait<br />
à connaître l'essence divine, ses opérations,<br />
cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s esprits et <strong>de</strong>s forces <strong>de</strong> la nature. Au moyen<br />
<strong>de</strong> figures symboliques, <strong>de</strong> l'arrangement <strong>de</strong>s <strong>le</strong>ttres<br />
<strong>de</strong> l'alphabet, par la combinaison <strong>de</strong>s nombres, on<br />
déterminait l'action <strong>de</strong>s intelligences. On pense que<br />
cette prétendue science, à laquel<strong>le</strong> se livrèrent <strong>le</strong>s pythagoriciens<br />
et <strong>le</strong>s platoniciens, venait <strong>de</strong> Chaldée.<br />
On sait que, suivant la doctrine <strong>de</strong>s Chaldéens, Dieu<br />
est une lumière éclatante dont toute la création est une
4S2 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
émanation. Ce foyer lumineux, en perdant <strong>de</strong> son éclat<br />
peu à peu, compose d'abord <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s intelligences<br />
spirituel<strong>le</strong>s ; puis, s'obscurcissant toujours, il forme<br />
l'éther, région <strong>de</strong>s astres et <strong>de</strong>s planètes, où se trouvent<br />
<strong>le</strong>s êtres matériels. Nous savons enfin qu'il existe, dans<br />
ce mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s intelligences, <strong>de</strong>s êtres bienfaisants et<br />
d'autres malfaisants ; admettons que pour <strong>le</strong>s invoquer<br />
on doive <strong>le</strong>s appe<strong>le</strong>r par <strong>le</strong>ur nom : si on l'ignore, il faut<br />
<strong>le</strong>' chercher ; mais ce nom résultant <strong>de</strong> la combinaison<br />
ties <strong>le</strong>ttres, en essayant beaucoup <strong>de</strong> combinaisons, on<br />
finira par <strong>le</strong> trouver. Eh bien, <strong>de</strong> là <strong>le</strong>s mots bizarres<br />
en usage dans <strong>le</strong>s évocations, et cette croyance que <strong>le</strong><br />
nom du génie gravé ou écrit <strong>le</strong> fixera auprès <strong>de</strong> l'objet<br />
qui <strong>le</strong> porte, et <strong>de</strong> là <strong>le</strong>s talismans. On a parlé <strong>de</strong> ces<br />
combinaisons propres à déterminer la suprême intelligence<br />
à produire tel effet ou tel autre. Cette doctrine<br />
avait pénétré chez <strong>le</strong>s Juifs et chez <strong>le</strong>s Orientaux;<br />
ils trouvèrent quelque analogie <strong>avec</strong> cel<strong>le</strong> du christianisme<br />
; mais celui-ci n'expliquant pas tout ce que<br />
<strong>le</strong>ur curiosité désirait, ils y suppléèrent par cette<br />
alliance blâmab<strong>le</strong> et si condamnée <strong>de</strong>s dogmes chrétiens<br />
et du système <strong>de</strong>s émanations, <strong>de</strong> la combinaison<br />
<strong>de</strong>s <strong>le</strong>ttres et <strong>de</strong> la vertu <strong>de</strong>s nombres. <strong>Le</strong>s Juifs crurent<br />
trouver dans l'arrangement <strong>de</strong>s <strong>le</strong>ttres hébraïques <strong>de</strong><br />
grands mystères; mais, <strong>le</strong>urs sephiroth n'étant autres<br />
que <strong>le</strong>s éons <strong>de</strong>s Va<strong>le</strong>ntiniens, ils firent remonter ces<br />
connaissances à Moïse. La tradition (caba<strong>le</strong> signifie<br />
tradition) <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ur avait transmises. La verge <strong>de</strong> Moïse<br />
n'avait produit tant <strong>de</strong> prodiges que parce que <strong>le</strong> vrai<br />
nom <strong>de</strong> Dieu y était gravé \ — C'est ainsi que <strong>le</strong>s gnos-<br />
l. Un savant a refusé cependant <strong>de</strong> croire que l'antiquité ait été infatuée<br />
<strong>de</strong> la Caba<strong>le</strong> ; il prétend prouver (t. XIII Mém. <strong>de</strong> l'Acad. <strong>de</strong>s<br />
inscript., p. S8), qu'el<strong>le</strong> n'a qu'un rapport éloigné <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s idées astro-
AVEC LE DÉMON. 453<br />
tiques se crurent plus instruits que <strong>le</strong>s apôtres et voulurent<br />
joindre à la doctrine du souverain maître <strong>le</strong>s<br />
superstitions <strong>de</strong> la gentilité.<br />
On verra un jour <strong>le</strong>s quatre sortes d'êtres intermédiaires<br />
qui présidaient aux quatre éléments, figurer<br />
dans la science <strong>de</strong>s cabalistes sous <strong>le</strong>s noms <strong>de</strong> gnomes,<br />
<strong>de</strong> salamandres, <strong>de</strong> sylphes et d'ondines.<br />
logiques <strong>de</strong>s Chaldéens et <strong>le</strong>s nombres <strong>de</strong> Pythagore, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s observations<br />
<strong>de</strong>s Basilidiens, <strong>le</strong>s éons <strong>de</strong>s Va<strong>le</strong>ntiniens, etc. La Caba<strong>le</strong>, môme<br />
chez <strong>le</strong>s Juifs, ne remonterait que vers <strong>le</strong> dixième sièc<strong>le</strong> ; el<strong>le</strong> viendrait,<br />
selon lui, <strong>de</strong>s philosophes arabes. (V. Bergier, v° Caba<strong>le</strong>.)
454 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
CHAPITRE IV<br />
Chftlimonts infligés par <strong>le</strong>a magistrats aux goélislps jusqu'au cinquiômc sièc<strong>le</strong>;<br />
Jcs théurgislcs, après Julien, ne furent point épargnés.—Téni<strong>le</strong>ncc imposée<br />
par l'Église durant cel<strong>le</strong> pério<strong>de</strong>.<br />
Châtiments infligés par <strong>le</strong>s magistrats aux goetistes jusqu'au cinquième<br />
sièc<strong>le</strong>; <strong>le</strong>s théurgistes, après Julien, ne furent point épargnés,<br />
L'antiquité punissait la goétio ; Auguste y avait apporté<br />
beaucoup d'ar<strong>de</strong>ur, dit Suétone. On fit une perquisition<br />
<strong>de</strong>s livres <strong>de</strong> magie, et à Rome seu<strong>le</strong>ment on<br />
en brûla plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mil<strong>le</strong> volumes, quantité énorme<br />
à une époque où <strong>le</strong>s livres étaient fort rares. <strong>Le</strong>s nouveaux<br />
convertis à Ephèsc en apportèrent aux pieds<br />
<strong>de</strong>s apôtres pour une va<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> cinquante mil<strong>le</strong> pièces<br />
d'argent, ce qui n'empêcha point <strong>le</strong>s empereurs <strong>de</strong> s'y<br />
livrer tout en punissant ceux qui s'y livraient. Tibère,<br />
Néron punirent <strong>le</strong>s goetistes; ce <strong>de</strong>rnier chassa <strong>le</strong>s<br />
philosophes <strong>de</strong> peur que sous ce nom il no se cachfit<br />
quelque magicien ; s'il ne s'était agi que d'une chimère,<br />
c'eût été y attacher une bien gran<strong>de</strong> importance !<br />
<strong>Le</strong>s divinations n'étaient condamnées qu'autant que<br />
<strong>le</strong>s consultants auraient voulu connaître <strong>de</strong>s secrets<br />
relatifs au'chef do l'Etat. Ainsi <strong>le</strong>s lois répressives<br />
n'atteignaient point l'augurie, l'aruspicino, ni <strong>le</strong>s cérémonies<br />
sacrées qui mettaient en rapport <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux;
AVEC LE DÉMON. 455<br />
et hors <strong>de</strong> l'enceinte <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong>s étaient tolérées ;<br />
mais Constantin, en 319, rendit une loi qui défendait<br />
à tous aruspices d'entrer dans une maison particulière<br />
pour son art, sous peine d'être brûlé et menaçait <strong>de</strong><br />
confiscation <strong>de</strong>s biens celui qui aurait requis son ministère.<br />
Une secon<strong>de</strong> loi déci<strong>de</strong> cependant qu'on n'a pas<br />
entendu défendre aux aruspices l'entrée <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s, et<br />
qu'il est permis aux prêtres <strong>de</strong> s'y livrer à l'aruspicine.<br />
En 321, une autre loi porte que c'est <strong>avec</strong> justice<br />
que <strong>le</strong>s lois usent d'une gran<strong>de</strong> sévérité envers <strong>le</strong>s magiciens,<br />
qui, par <strong>le</strong>ur art, nuisent aux hommes ou excitent<br />
<strong>le</strong>s personnes chastes à l'impudicité; mais on<br />
excepte ceux qui font <strong>de</strong>s guérisons, et qui par <strong>de</strong>s<br />
charmes conjurent <strong>le</strong>s tempêtes, la pluie et la grê<strong>le</strong>, etc.;<br />
il ne faut pas rechercher ceux-ci, puisque <strong>le</strong>ur art,<br />
loin <strong>de</strong> nuire, produit un grand bien. Était-ce chez<br />
Constantin une faib<strong>le</strong>sse qui trouve son excuse dans<br />
<strong>le</strong>s préjugés <strong>de</strong> sa première éducation, ignorance religieuse<br />
ou con<strong>de</strong>scendance commandée par sa politique?<br />
Quoi qu'il en soit, Constance, en 357, fut moins<br />
indulgent; une loi nouvel<strong>le</strong> défend <strong>de</strong> consulter <strong>le</strong>s<br />
augures, impose si<strong>le</strong>nce aux Chaldéens, sévit contre <strong>le</strong>s<br />
magiciens (nta<strong>le</strong>fîci) pour <strong>le</strong>s maux étranges qu'ils causent<br />
; défense est faite d'exercer <strong>le</strong>ur art sous peine<br />
d'être décapités.<br />
La même année, une secon<strong>de</strong> loi porte que plusieurs<br />
ont l'audace d'employer l'art magique pour évoquer<br />
<strong>le</strong>s morts, pour troub<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s éléments, faire mourir<br />
<strong>le</strong>urs ennemis, porter préjudice aux gens <strong>de</strong> bien.— Il<br />
faut détruire cette sorte <strong>de</strong> gens ennemis <strong>de</strong> la nature.<br />
Feralis pestis abmmat.<br />
<strong>Des</strong> lois aussi sévères n'empêchent ni <strong>le</strong>s magiciens,<br />
ni <strong>le</strong>s astrologues, ni <strong>le</strong>s aruspices <strong>de</strong> pullu<strong>le</strong>r môme<br />
à la cour, et on a vu en effet Julien trouver <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins
456 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
qui lui prédisent <strong>le</strong> trône, <strong>de</strong>s magiciens qui l'initient<br />
à <strong>le</strong>ur art. Constance, informé <strong>de</strong>s pernicieux engagements<br />
<strong>de</strong> Julien, adressa en 358, au préfet du prétoire<br />
une nouvel<strong>le</strong> loi qui porte que si, dans toutes <strong>le</strong>s<br />
parties <strong>de</strong> la terre, <strong>le</strong>s magiciens sont considérés<br />
comme ennemis du genre humain, il importe surtout<br />
que <strong>le</strong>s personnes qui composent la cour du prince<br />
soient exemptes <strong>de</strong> ce crime... Ordre en conséquence,<br />
s'il s'y trouve soit magicien, aruspice, <strong>de</strong>vin, augure ou<br />
observateur <strong>de</strong> songes, <strong>de</strong> l'arrêter. Si étant convaincu<br />
il ose dénier, il sera mis à la question, ses côtes seront<br />
déchirées <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s ong<strong>le</strong>s <strong>de</strong> fer, sans que <strong>le</strong> rang<br />
et <strong>le</strong>s privilèges accordés aux dignitaires qui <strong>le</strong>s exemptent<br />
<strong>de</strong> ces sortes <strong>de</strong> supplices puissent <strong>le</strong>s en préserver.<br />
Constance n'ayant régné que <strong>de</strong>ux ans, Julien<br />
parvenu à l'empire rétablit, comme on sait, toutes <strong>le</strong>s<br />
pratiques du paganisme, et <strong>le</strong> crédit <strong>de</strong>s aruspices et<br />
<strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins.<br />
Après un règne <strong>de</strong> dix-neuf mois, Julien meurt.<br />
Sous Jovien, <strong>le</strong> christianisme triomphe, <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s<br />
ido<strong>le</strong>s sont fermés, <strong>le</strong>s sacrifices prohibés ; son règne,<br />
qui dura moins <strong>de</strong> huit mois, ne lui permit pas <strong>de</strong> faire<br />
davantage. <strong>Le</strong>s magiciens s'assemblaient la nuit; <strong>le</strong>s<br />
ténèbres couvraient <strong>le</strong>urs abominations.<br />
Va<strong>le</strong>ntinien et Va<strong>le</strong>ns, l'an 364, firent une loi qui<br />
porte que quiconque sacrifiera aux <strong>démon</strong>s ou fera<br />
<strong>de</strong>s enchantements pendant la nuit, sera puni <strong>de</strong><br />
mort.<br />
<strong>Le</strong>s astrologues, appelés aussi mathématiciens, prétendant<br />
que cette loi ne <strong>le</strong>s concernait point, voulurent<br />
continuer d'enseigner <strong>le</strong>urs erreurs; l'un d'eux fit un<br />
traité fameux dans <strong>le</strong> temps, qui donna lieu, en 370, à<br />
une loi <strong>de</strong> Va<strong>le</strong>ntinien, laquel<strong>le</strong> défend d'enseigner<br />
l'astrologie, soit en public, soit en secret, soit <strong>de</strong> jour,
AVEC LE DÉMON. 457<br />
soit <strong>de</strong> nuit. En cas <strong>de</strong> contravention, <strong>le</strong> maître et <strong>le</strong>s<br />
discip<strong>le</strong>s seront punis <strong>de</strong> mort.<br />
La loi <strong>de</strong>s Douze-Tab<strong>le</strong>s ayant décrété <strong>le</strong> crime <strong>de</strong><br />
magie abominab<strong>le</strong>, et <strong>le</strong> magicien exécrab<strong>le</strong> (sacer esta);<br />
d'après cette maxime, tout particulier <strong>de</strong>vait s'y opposer<br />
; ce qui donna lieu à divers abus : on tuait <strong>le</strong> magicien<br />
pour qu'il ne pût révé<strong>le</strong>r ses complices, ou bien,<br />
sous prétexte <strong>de</strong> magie, on se défaisait <strong>de</strong> ses ennemis.<br />
Ces abus firent rendre, en l'an 371, une loi qui ordonnait<br />
<strong>de</strong> conduire <strong>le</strong> magicien, aussitôt après son arrestation,<br />
<strong>de</strong>vant ses juges, et faisait défense très-expresse,<br />
sous peine <strong>de</strong> mort, d'attenter à la vie <strong>de</strong> ceux même<br />
notoirement connus comme goétistes (ou sorciers).<br />
Plusieurs exemp<strong>le</strong>s à cette époque prouveraient la<br />
sévérité <strong>de</strong>s lois contre <strong>le</strong>s goétistes et contre ceux<br />
même qui se livraient à la magie bienfaisante.<br />
Sous Va<strong>le</strong>ntinien, <strong>de</strong>s perquisitions sévères furent<br />
faites contre <strong>le</strong>s magiciens. Apronien, préfet <strong>de</strong> Rome,<br />
<strong>le</strong>s convainquit sans réplique <strong>de</strong>s crimes qu'on <strong>le</strong>ur<br />
imputait, et fut aidé par la déclaration <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs complices.<br />
La magie inspirait tant <strong>de</strong> crainte et d'horreur,<br />
qu'il suffisait d'avoir voulu l'étudier pour être condamné<br />
à mort. Un cocher, nommé Hilarin, subit cette<br />
peine pour <strong>le</strong> seul fait d'avoir confié son fils à un enchanteur<br />
qui <strong>de</strong>vait lui apprendre la magie, dit Ammien<br />
Marcellin. (XXVI, 3.)<br />
<strong>Le</strong> même historien dit que, sous Va<strong>le</strong>ns, <strong>le</strong>s châtiments<br />
étaient accompagnés <strong>de</strong> cruautés; il n'était pas<br />
permis aux femmes <strong>de</strong> p<strong>le</strong>urer la mort d'un époux.—<br />
On a déjà signalé <strong>de</strong> graves abus : dans son exécration,<br />
<strong>le</strong> peup<strong>le</strong> allait jusqu'à se charger quelquefois <strong>de</strong> l'office<br />
<strong>de</strong> bourreau. Ammien Marcellin prétend même<br />
qu'en mettant <strong>le</strong>s scellés il est arrivé <strong>de</strong> glisser <strong>de</strong>s sortilèges<br />
dans <strong>le</strong>s meub<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s personnes qu'on voulait
438 DES HAPPORTS DE L'HOMME<br />
faire accuser <strong>de</strong> magie. — Peut-être ne doit-on accepter<br />
ces faits qu'<strong>avec</strong> réserve; Ammien Marcellin, l'ami <strong>de</strong><br />
Julien, a pu <strong>le</strong>s dénaturer; d'autres peuvent être vrais.<br />
Nous verrons un jour <strong>le</strong> même crime, excitant la même<br />
horreur, produire <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> fait non moins blâmab<strong>le</strong>s<br />
: glisser <strong>de</strong>s charmes dans <strong>le</strong>s meub<strong>le</strong>s <strong>de</strong> ceux<br />
qu'on suspecte, pour <strong>le</strong>s atteindre plus sûrement, était<br />
bien loin d'être juridique; mais il serait si opposé à la<br />
nature <strong>de</strong> punir une épouse qui p<strong>le</strong>ure, que, pour l'honneur<br />
<strong>de</strong> l'humanité, on pense qu'il y a ici exagération<br />
<strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l'historien.<br />
On punissait même la magie bienfaisante, comme il<br />
a été dit. <strong>Le</strong> même Ammien Marcellin nous apprend<br />
qu'une vieil<strong>le</strong> femme fut condamnée a mort pour avoir<br />
guéri <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s la fièvre intermittente <strong>de</strong> la fil<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> Valons. Il dit que l'empereur, qui la récompensa<br />
ainsi, l'avait mandée lui-même.<br />
11 dit aussi qu'ayant surpris dans <strong>le</strong>s bains un jeune<br />
homme qui, en comptant sept voyel<strong>le</strong>s, approchait alternativement<br />
<strong>le</strong>s mains du marbre du bain et <strong>de</strong> sa<br />
poitrine pour guérir ses maux d'estomac, ce malheureux<br />
fut condamné à mort. A côté d'une tel<strong>le</strong> sévérité,<br />
on cite cependant <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s d'indulgence : <strong>le</strong> tribun<br />
Potentianus, convaincu d'avoir ouvert <strong>le</strong> ventre d'une<br />
femme enceinte pour consulter <strong>le</strong>s divinités inferna<strong>le</strong>s,<br />
fut absous, dit-on, malgré <strong>le</strong>s murmures <strong>de</strong>s sénateurs.<br />
On eût été moins indulgent s'il <strong>le</strong>s eût consultées<br />
sur la vie <strong>de</strong> l'empereur; toutefois, on doit dire<br />
aussi qu'il y a erreur <strong>de</strong> penser qu'on punissait seu<strong>le</strong>ment<br />
ceux qui voulaient connaître la durée d'un règne.<br />
<strong>Le</strong>s faits cités plus haut prouvent <strong>le</strong> contraire.<br />
Avec une tel<strong>le</strong> rigueur, <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong>s magiciens <strong>de</strong>vait<br />
diminuer, et cependant, d'après <strong>le</strong> même historien,<br />
<strong>le</strong> préjugé qui trouvait louab<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s pratiques ma-
AVEC LE DÉMON. 459<br />
giques propres à favoriser <strong>le</strong>s intérêts matériels, était<br />
si enraciné, qu'un sénateur confia un <strong>de</strong> ses esclaves<br />
à un magicien pour l'initier à son art, et qu'il put se racheter<br />
du supplice par une somme considérab<strong>le</strong>. <strong>Le</strong><br />
nombre enfin diminua, et l'injonction faite par Théodose<br />
à ceux qui connaîtraient <strong>de</strong>s magiciens <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />
livrer aux magistrats <strong>de</strong>vait produire ce résultat; l'horreur<br />
qu'inspirait même la magie bienfaisante la fit repousser<br />
dans <strong>le</strong>s circonstances où l'on aurait dû se trouver<br />
heureux <strong>de</strong> l'accueillir. Ainsi, en 408, <strong>de</strong>s astrologues<br />
toscans ayant offert <strong>de</strong> faire <strong>le</strong>ver <strong>le</strong> siège mis<br />
<strong>de</strong>vant Rome par Alaric, en excitant <strong>de</strong>s tonnerres et<br />
<strong>de</strong>s tempêtes, quelques notab<strong>le</strong>s furent d'avis <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />
permettre <strong>de</strong> faire, sur l'une <strong>de</strong>s places publiques, <strong>le</strong>urs<br />
sacrifices impurs; mais <strong>le</strong>s gens <strong>de</strong> bien en furent indignés,<br />
et quand l'ennemi se fut retiré, <strong>le</strong> pape Innocent<br />
I er<br />
et <strong>le</strong>s magistrats écrivirent à Honorius et à Théodose,<br />
à cette occasion, et une loi décréta l'expulsion <strong>de</strong>s<br />
astrologues : — « Perquisition sera faite <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs livres,<br />
qui seront brûlés, et si l'on découvre quelqu'un enseignant<br />
en secret ces erreurs, il sera banni dans <strong>le</strong>s î<strong>le</strong>s<br />
à perpétuité... » — Malgré <strong>le</strong>s lois, on crut pouvoir recourir<br />
quelquefois encore à la magie pour faire <strong>le</strong> bien ;<br />
mais la Novel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Léon vint combattre ces erreurs.<br />
El<strong>le</strong> porte que si quelqu'un se sert <strong>de</strong> charmes, soit<br />
pour recouvrer la santé, soit pour détourner <strong>le</strong>s fléaux<br />
qui font périr <strong>le</strong>s fruits <strong>de</strong> la terre, il sera puni du<br />
<strong>de</strong>rnier supplice. (V. De Lamare, Traité <strong>de</strong> la police,<br />
1. III, tit. 7.)<br />
Un si grand attachement à ces pratiques, tant <strong>de</strong> sévérité<br />
pour <strong>le</strong>ur répression, montrent, <strong>de</strong> part et d'autre,<br />
une forte conviction. Il fallait autre chose que <strong>de</strong> la<br />
fourberie, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s théurgistes toscans, pour oser<br />
proposer d'exciter <strong>de</strong>s tempêtes et <strong>de</strong>s tonnerres pro-
460 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
près à faire <strong>le</strong>ver un siège au moyen <strong>de</strong> sacrifices magiques<br />
sur une place publique ; s'ils n'avaient pas la<br />
confiance qu'ils manifestaient, ils étaient sûrs d'avance<br />
d'être au moins couverts <strong>de</strong> mépris et <strong>de</strong> honte ; s'ils<br />
avaient cette foi en <strong>le</strong>ur art, d'où <strong>le</strong>ur venait-el<strong>le</strong>? que<br />
pouvait ici <strong>le</strong>ur fourberie? Il y avait donc conviction<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur part; qu'est-ce qui peut la donner? sinon <strong>de</strong>s<br />
faits. Nous verrons ultérieurement d'autres faits dont<br />
l'examen permettra <strong>de</strong> montrer moins <strong>de</strong> perp<strong>le</strong>xité<br />
dans la solution <strong>de</strong> ce problème.<br />
Pénitence imposée par l'Église durant cette pério<strong>de</strong>.<br />
Jusqu'au troisième sièc<strong>le</strong>, l'Église n'inflige aucun<br />
châtiment aux hérétiques, ni à ceux qui se livrent encore<br />
aux pratiques païennes ; cel<strong>le</strong>s-ci d'ail<strong>le</strong>urs appartiennent<br />
à l'hérésie. Saint Paul dit à Tite (III, 10)<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>s avertir <strong>de</strong>ux fois, et s'ils ne se convertissent,<br />
d'éviter <strong>le</strong>ur présence.<br />
On a prétendu que <strong>le</strong>s chrétiens, durant <strong>le</strong>s trois<br />
premiers sièc<strong>le</strong>s, avaient abandonné <strong>le</strong>s pratiques <strong>de</strong> la<br />
goétie et <strong>de</strong> la théurgie. Cette opinion semb<strong>le</strong> peu soutenab<strong>le</strong>.<br />
<strong>Le</strong>s vrais fidè<strong>le</strong>s n'étaient point théurgistes;<br />
mais, dès avant Constantin, n'y avait-il pas <strong>de</strong>s chrétiens<br />
faib<strong>le</strong>s qui n'avaient pu secouer complètement <strong>le</strong>s erreurs<br />
du vieux culte? <strong>de</strong>s chrétiens mal convertis qui,<br />
se rendant aux assemblées nocturnes, se croyaient transportés<br />
par <strong>de</strong>s bêtes et y trouver Diane et Hérodia<strong>de</strong>?Un<br />
conci<strong>le</strong> tenu en 314, àAncyre, invite évoques etprêtres<br />
à déraciner cet art diabolique, à chasser ceux qui s'y<br />
livrent; car ce sont <strong>le</strong>s serfs du <strong>démon</strong>, a diabolo<br />
tenenîur capîivi; à <strong>le</strong>s avertir que tout cela est faux, etc.<br />
Il est constant que <strong>le</strong>s Pères se sont préoccupés vivement<br />
<strong>de</strong> la magie. Eusèbe (Dem. eu., III), saint Ba-
AVEC LE DÉMON. 461<br />
si<strong>le</strong> (Ep. ad Amphil.), saint Grégoire <strong>de</strong> Nysse (Ep. ad<br />
S. <strong>Le</strong>toium.), saint Jérôme, saint Chrysos<strong>tome</strong>, saint<br />
Augustin, etc., — tous ont dit que ce sont <strong>de</strong>s ruses <strong>de</strong><br />
l'esprit malin, qui, pour séduire <strong>le</strong>s hommes, veut entrer<br />
en commerce <strong>avec</strong> eux. <strong>Le</strong>s divinations excitent toute<br />
<strong>le</strong>ur sollicitu<strong>de</strong> ; <strong>le</strong>s conci<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s prohibent sous diverses<br />
peines. La première est cel<strong>le</strong> d'excommunication (V. <strong>le</strong><br />
conc. d'Elvire en 300, celui <strong>de</strong> Laodicée en 36G, <strong>le</strong> 4"<br />
conc. <strong>de</strong>Carthage en 398). <strong>Le</strong> conci<strong>le</strong> d'Elvire refusait la<br />
communion même à l'extrémité. Jusque-là ce n'étaient<br />
que <strong>de</strong>s peines spirituel<strong>le</strong>s; mais un capitulaire d'Hérard,<br />
archevêque <strong>de</strong> Tours, outre l'expulsion, ordonne une<br />
pénitence publique. D'après <strong>le</strong>s anciens canons pénitentiaux,<br />
il est infligea ceux qui recourent aux <strong>de</strong>vins,<br />
aux uns plusieurs mois, à d'autres une année. — Depuis<br />
l'époque où <strong>le</strong> paganisme est tombé, la goétie et<br />
la théurgie sont donc éga<strong>le</strong>ment condamnées. Cette<br />
<strong>de</strong>rnière n'est plus <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s dieux; comme culte <strong>de</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s, c'est une <strong>de</strong>s branches <strong>de</strong> la magie.
LIVRE CINQUIÈME<br />
CHAPITRE I<br />
Exposé do la magie du cinquième au quinzième sièc<strong>le</strong> ; introduction <strong>de</strong> la magie<br />
ou sorcel<strong>le</strong>rie au moyen âge. — Assemblées nocturnes, sabbat. — Châtiments<br />
infligés par l'Église du cinquième au quinzième sièc<strong>le</strong>. — Lois criminel<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong> l'État, plus sévères.<br />
Exposé <strong>de</strong> la magie du cinquième au quinzième sièc<strong>le</strong> ; introduction<br />
<strong>de</strong> la magie ou sorcel<strong>le</strong>rie au moyen âge.<br />
On a esquissé précé<strong>de</strong>mment <strong>le</strong>s croyances religieuses<br />
<strong>de</strong>s Gentils : on a montré l'Ancien et <strong>le</strong> Nouveau<br />
Testament déclarant que <strong>le</strong>urs dieux étaient <strong>de</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s. On a vu <strong>le</strong>s Pères <strong>le</strong> prouver par <strong>le</strong>s arguments<br />
et par l'exposé <strong>de</strong>s faits. <strong>Le</strong>s Romains, comme tant<br />
d'autres peup<strong>le</strong>s, ayant eu <strong>le</strong>ur enfance et <strong>le</strong>ur virilité,<br />
ont atteint <strong>le</strong>ur décrépitu<strong>de</strong>. <strong>Le</strong>s anciens cultes, qui se<br />
revivifient souvent dans <strong>le</strong>s persécutions, ont cependant<br />
à peu près cessé d'exister. La religion <strong>de</strong> Moïse a reçu<br />
son complément dans <strong>le</strong> christianisme, dont <strong>le</strong> divin<br />
fondateur est mort sur une croix. Cet instrument d'ignominie<br />
est <strong>de</strong>venu, <strong>de</strong> l'orient à l'occi<strong>de</strong>nt, du septen-
464 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
trion au midi, un signe vénéré. <strong>Le</strong>s divinités <strong>de</strong>s Gentils<br />
ont perdu <strong>le</strong>ur diadème ; ces cornes qui ornaient<br />
<strong>le</strong>ur tête, emblème <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur puissance, sont <strong>de</strong>venues <strong>le</strong><br />
signe caractéristique <strong>de</strong>s esprits <strong>de</strong> malice ; <strong>le</strong>s prêtres<br />
<strong>de</strong>s cultes proscrits et <strong>le</strong>s adorateurs <strong>de</strong>s faux dieux ne<br />
sont plus que <strong>de</strong>s magiciens, <strong>de</strong> vils sorciers.<br />
Cependant Satan continue son œuvre <strong>de</strong> séduction,<br />
comme on vient <strong>de</strong> <strong>le</strong> voir dans <strong>le</strong>s hérésies, parmi <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s<br />
vont figurer la magie et la sorcel<strong>le</strong>rie : quoique<br />
ces <strong>de</strong>ux mots semb<strong>le</strong>nt synonymes, on a cru <strong>de</strong>voir <strong>le</strong>s<br />
distinguer. La magie est une science : el<strong>le</strong> suppose une<br />
étu<strong>de</strong>, el<strong>le</strong> continue la théurgie dans sa doub<strong>le</strong> puissance<br />
; la sorcel<strong>le</strong>rie dérive du mot sorts ou divinations,<br />
contre <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s l'Église s'é<strong>le</strong>va dès <strong>le</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s.<br />
<strong>Le</strong>s sorciers peuvent guérir et maléficier, prédire<br />
comme <strong>le</strong>s théurgistes, se métamorphoser (dit-on), se<br />
transporter aux assemblées appelées sabbat; la sorcel<strong>le</strong>rie<br />
est une pratique et semb<strong>le</strong> être plutôt <strong>le</strong> partage<br />
<strong>de</strong>s gens vils, et la magie la science <strong>de</strong> classes plus é<strong>le</strong>vées,<br />
<strong>de</strong>s hommes instruits. S'il était possib<strong>le</strong> d'en entreprendre<br />
l'histoire dans l'univers entier, on serait<br />
surpris <strong>de</strong> la retrouver à peu près partout la même :<br />
nous sommes forcé <strong>de</strong> nous borner aux Celtes, c'est <strong>le</strong><br />
nom que <strong>le</strong>s anciens donnaient aux peup<strong>le</strong>s qui habitent<br />
aujourd'hui <strong>le</strong>s pays qui nous intéressent davantage<br />
: la France, l'Italie, l'Espagne, l'Al<strong>le</strong>magne, la<br />
Gran<strong>de</strong>-Bretagne, etc. (Pelloutier, Hist.<strong>de</strong>s Celtes, 1.1 er<br />
,<br />
c. 1-12.)<br />
Il est bon <strong>de</strong> jeter un coup d'œil rétrospectif sur <strong>le</strong>s<br />
documents historiques d'une époque plus reculée pour<br />
avoir une idée <strong>de</strong>s superstitions <strong>de</strong>s Gaulois et <strong>de</strong>s<br />
Francs. — Ces récits semi-fabu<strong>le</strong>ux sont <strong>de</strong>venus, pour<br />
la plupart, l'origine <strong>de</strong>s contes qui ont bercé notre<br />
enfance : que faut-il croire <strong>de</strong>s ogres et <strong>de</strong>s fées, <strong>de</strong>s
AVEC LE DÉMON. 405<br />
loups-garous et <strong>de</strong>s femmes dont la doub<strong>le</strong> prunel<strong>le</strong><br />
fait mourir ceux qu'el<strong>le</strong>s regar<strong>de</strong>nt? etc. En acceptant<br />
ces récits <strong>avec</strong> circonspection, on trouve <strong>de</strong>s vérités<br />
sous l'enveloppe <strong>de</strong> la fab<strong>le</strong>. Ces ogres qui mangeaient la<br />
chair humaine sont peut-être <strong>le</strong>s Celtes, qui, dans <strong>le</strong>urs<br />
assemblées nocturnes, immolaient <strong>de</strong>s victimes humaines<br />
; qui dévoraient, dans <strong>le</strong>urs horrib<strong>le</strong>s festins, <strong>de</strong><br />
jeunes enfants dont <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s palpitantes étaient<br />
consultées par <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>sses transportées <strong>de</strong> fureur<br />
divine; ces loups-garous sont l'œuvre <strong>de</strong> ce pouvoir<br />
<strong>de</strong> transformation si généra<strong>le</strong>ment admis ; quant aux<br />
femmes dont <strong>le</strong> regard est si meurtrier, nous ferons<br />
un jour <strong>avec</strong> el<strong>le</strong>s amp<strong>le</strong> connaissance.<br />
<strong>Le</strong>s Celtes, outre <strong>le</strong>urs dieux suprêmes, reconnaissaient<br />
<strong>de</strong>s intelligences présidant aux quatre éléments,<br />
exerçant chacune <strong>le</strong>ur souveraineté dans <strong>le</strong>ur district<br />
particulier. L'initiation <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> à la science magique<br />
lui concédait <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur comman<strong>de</strong>r. —<br />
C'eût été une impiété <strong>de</strong> donner une forme à la divinité<br />
et <strong>de</strong> circonscrire sa <strong>de</strong>meure ; on s'assemblait la nuit<br />
dans <strong>le</strong>s forêts, à la lueur <strong>de</strong> la lune ou à la clarté <strong>de</strong>s<br />
flambeaux; là on immolait <strong>de</strong>s victimes humaines, on<br />
faisait un banquet <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs chairs, on se livrait à <strong>de</strong>s<br />
danses frénétiques. (Pelloutier, t. VII, qui cite ses autorités,<br />
c'est-à-dire Tacite, Strabon, Procope, etc., prétend<br />
qu'ils ne reconnaissaient qu'un dieu suprême <strong>avec</strong><br />
<strong>de</strong>s intelligences.)<br />
On s'assemblait près d'une mare, d'une fontaine ou<br />
d'un étang; on prédisait l'avenir par <strong>le</strong> bruissement<br />
<strong>de</strong>s vents dans <strong>le</strong> feuillage, par <strong>le</strong>s configurations <strong>de</strong> la<br />
flamme, par <strong>le</strong> tourbillon <strong>de</strong>s eaux. (Pell., IV, 7.)<br />
On distinguait plusieurs sortes <strong>de</strong> drui<strong>de</strong>s obéissant<br />
à un souverain pontife qui résidait à Chartres, et plusieurs<br />
sortes <strong>de</strong> drui<strong>de</strong>sses. La première classe, dit Stra-
4GG DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
bon, faisait vœu <strong>de</strong> continence et ne quittait jamais <strong>le</strong>s<br />
forêts ; <strong>le</strong>s drui<strong>de</strong>sses <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> <strong>le</strong>s quittaient une<br />
fois l'an pour visiter <strong>le</strong>urs maris; cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la troisième<br />
vivaient en famil<strong>le</strong> et se rendaient aux assemblées<br />
pour servir <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux premières classes : el<strong>le</strong>s se livraient<br />
aux divinations et autres cérémonies magiques. <strong>Le</strong>s<br />
unes répandaient <strong>le</strong> sang, d'autres observaient la manière<br />
dont il coulait, consultaient <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s do<br />
concert <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s eubages et sous l'inspection <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s<br />
du premier ordre ; <strong>le</strong>s dieux donnaient <strong>de</strong>s signes sensib<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur présence. (Pell., VII, 4.) La divinité<br />
paraissait révé<strong>le</strong>r <strong>de</strong> préférence l'avenir.aux femmes;<br />
<strong>de</strong> là <strong>le</strong>, respect qu'on <strong>le</strong>ur portait et <strong>le</strong> soin <strong>de</strong> <strong>le</strong>s consulter<br />
dans <strong>le</strong>s circonstances <strong>le</strong>s plus graves. <strong>Le</strong>s Romains<br />
s'adressèrent eux-mêmes aux drui<strong>de</strong>sses et <strong>le</strong>ur<br />
accordèrent une extrême confiance. (//>., p. 317.) On a<br />
parlé <strong>de</strong> la puissance mag-ique <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s; chacun<br />
avait col<strong>le</strong> que lui conférait <strong>le</strong> génie dont il était <strong>le</strong><br />
ministre; comme ceux-ci (<strong>le</strong>s génies) en différaient entre<br />
eux, ces ministres n'en étaient pas doués au même<br />
<strong>de</strong>gré. L'initiation, comme on l'a vu dans Jamblique,<br />
conférait aux drui<strong>de</strong>s une existence nouvel<strong>le</strong>, un merveil<strong>le</strong>ux<br />
pouvoir.<br />
Si l'on voulait racheter la vie d'un homme, on <strong>de</strong>vait<br />
aussitôt en sacrifier un autre, car rien n'était plus<br />
agréab<strong>le</strong> aux dieux que <strong>de</strong> tels sacrifices. On immolait <strong>le</strong>s<br />
prisonniers <strong>de</strong> guerre, mais <strong>le</strong>s citoyens du plus haut<br />
rang étaient eux-mêmes choisis, quand <strong>le</strong>s dieux préféraient<br />
<strong>de</strong>s victimes illustres. <strong>Le</strong> patriotisme commandait<br />
<strong>le</strong>s dévouements volontaires, dont on attendait <strong>le</strong>s plus<br />
heureux résultats. Il suffisait, chez certains peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />
la Celtique, que l'esprit du dieu s'emparât <strong>de</strong> quelqu'un<br />
pour qu'on <strong>le</strong> crût choisi par la divinité ; alors on l'immolait<br />
à la Lune. (Pell., VIII, 4.)
AVEC LE DÉMON.<br />
On n'abor<strong>de</strong>ra pas <strong>le</strong> long détail <strong>de</strong>s divinations.<br />
La divinité dirigeait <strong>le</strong>s mouvements <strong>de</strong>s animaux, <strong>le</strong><br />
vol <strong>de</strong>s oiseaux... — Aux divinations par <strong>le</strong> feu se rapporte<br />
l'épreuve <strong>de</strong> l'eau bouillante et du fer chaud,<br />
laquel<strong>le</strong> variait selon <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s; ici on portait à la<br />
distance <strong>de</strong> neuf pieds neuf barres <strong>de</strong> fer rouge, là <strong>de</strong>s<br />
socs <strong>de</strong> charrue ; ail<strong>le</strong>urs on <strong>de</strong>vait mettre sa main<br />
dans un gante<strong>le</strong>t <strong>de</strong> fer rougi au feu; on enfonçait<br />
son bras jusqu'au cou<strong>de</strong> dans l'eau bouillante, ou<br />
bien on marchait sur <strong>de</strong>s charbons ar<strong>de</strong>nts sans éprouver<br />
<strong>le</strong>s atteintes du feu. (V. dans Pelloutier, Ib., <strong>le</strong>s<br />
auteurs qu'il a cités.)<br />
On recourait aussi à l'épreuve par l'eau froi<strong>de</strong>. Cet<br />
élément semblait alors doué d'intelligence, car l'eau<br />
froi<strong>de</strong> pouvait brû<strong>le</strong>r comme l'eau bouillante et,<br />
contrairement aux lois <strong>de</strong> l'hydrostatique, comme<br />
preuve d'innocence, l'accusé, au lieu d'al<strong>le</strong>r au fond,<br />
surnageait. On verra plus tard ce <strong>de</strong>rnier phénomène<br />
admis comme preuve <strong>de</strong> culpabilité. Ces épreuves<br />
existaient <strong>de</strong> temps immémorial chez <strong>le</strong>s Celtes.<br />
{Ib., c. 6.)<br />
On y retrouvait ainsi l'aéromancie, l'hydromancie,<br />
<strong>le</strong>s auspices, <strong>le</strong>s prestiges, comme chez <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s dont<br />
il a été ci-<strong>de</strong>vant parlé. (Ib., VIII, 4.) Mais tel signe,<br />
comme l'a dit Cicéron, indiquait ici <strong>le</strong> contraire <strong>de</strong> ce<br />
qu'il indiquait ail<strong>le</strong>urs; langage <strong>de</strong> convention, que<br />
chaque peup<strong>le</strong> tenait du génie qui <strong>le</strong> lui avait révélé.<br />
<strong>Le</strong>s Celtes ajoutèrent ensuite à <strong>le</strong>urs superstitions cel<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>s nations qu'ils fréquentèrent. La colonie qui s'établit<br />
à Marseil<strong>le</strong>, et plus tard la conquête <strong>de</strong>s Romains,<br />
vinrent modifier <strong>le</strong>s pratiques religieuses et augmenter<br />
<strong>le</strong>s pratiques superstitieuses <strong>de</strong>s Gaulois. On voit ensuite<br />
<strong>le</strong> pouvoir sacerdotal <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s s'affaiblir. Tibère<br />
voulut abolir <strong>le</strong>s sacrifices druidiques ; mais cette caste
DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
subsistait encore sous Clau<strong>de</strong> et même sous A<strong>le</strong>xandre<br />
Sévère. <strong>Le</strong>s drui<strong>de</strong>sses étaient si habi<strong>le</strong>s à prédire, que<br />
<strong>le</strong>s empereurs <strong>le</strong>s consultaient et <strong>le</strong>s vénéraient. On voit<br />
à la fin du quatrième sièc<strong>le</strong> <strong>le</strong>s drui<strong>de</strong>s jouir encore<br />
d'une sorte <strong>de</strong> considération; mais <strong>le</strong> christianisme<br />
s'étant établi peu à peu dans <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s, au quatrième<br />
sièc<strong>le</strong> il s'y affermit. Au cinquième, où commence<br />
notre examen, <strong>le</strong> baptême <strong>de</strong> Clovis dut donner <strong>le</strong> coup<br />
<strong>de</strong> grâce au druidisme dans ses États. Nous verrons<br />
bientôt s'il fut anéanti entièrement.<br />
Cet aperçu nous montre <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s asservies à <strong>de</strong>s<br />
croyances analogues à cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Grecs et <strong>de</strong>s Romains.<br />
On croyait à la magie, aux esprits, aux possessions,<br />
fréquentes à ces époques dans <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s; car on<br />
voit <strong>le</strong>s apôtres saint Denis, saint Martin, etc., délivrer<br />
un grand nombre <strong>de</strong> possédés. Nul doute que,<br />
dans <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s comme ail<strong>le</strong>urs, ces possessions ne<br />
fussent la gran<strong>de</strong> cause <strong>de</strong>s conversions qui s'y opéraient.<br />
<strong>Le</strong>s Francs, qui s'établirent soli<strong>de</strong>ment dans <strong>le</strong>s<br />
Gau<strong>le</strong>s vers l'an 418, y apportèrent aussi <strong>le</strong>urs croyances<br />
à la magie. Dans une loi que Sigebert suppose avoir été<br />
promulguée en 424, il est question du sabbat : — « Celui<br />
qui accusera quelqu'un d'avoir porté une chaudière<br />
au lieu où s'assemb<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s sorciers, s'il ne peut <strong>le</strong><br />
prouver, sera condamné à une amen<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mil<strong>le</strong><br />
cinq cents <strong>de</strong>niers. Si une sorcière est convaincue d'avoir<br />
dévoré un homme, el<strong>le</strong> sera condamnée à payer<br />
huit mil<strong>le</strong> <strong>de</strong>niers. » — D'après <strong>le</strong>s lois barbares, <strong>le</strong>s plus<br />
grands crimes se rachetaient par une amen<strong>de</strong>. — Chez<br />
<strong>le</strong>s Anglo-Saxons, en Espagne, chez <strong>le</strong>s anciens Bavarois,<br />
etc., etc., <strong>le</strong>s magiciens étaient punis soit par<br />
une amen<strong>de</strong>, la plus forte qu'on infligeât pour <strong>le</strong>s<br />
crimes <strong>le</strong>s plus graves, soit par la bastonna<strong>de</strong> ou la
AVEC LE DÉMON. m<br />
mort, tant on était convaincu <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur pouvoir <strong>de</strong> maléficier,<br />
<strong>de</strong> causer la grê<strong>le</strong>, <strong>de</strong> frapper <strong>de</strong> stérilité <strong>le</strong>s<br />
animaux ou <strong>le</strong>s végétaux, etc., etc.<br />
Assemblées nocturnes, sabbat.<br />
On a parlé ail<strong>le</strong>urs <strong>de</strong>s assemblées nocturnes <strong>de</strong>s<br />
Gentils, on <strong>le</strong>s a retrouvées chez <strong>le</strong>s Celtes : <strong>le</strong>s uns,<br />
comme on l'a dit, ont prétendu qu'après rétablissement<br />
du christianisme, <strong>le</strong>s chrétiens n'avaient pas<br />
dévié pendant <strong>le</strong>s trois premiers sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> notre ère ;<br />
d'autres cependant citent un canon du quatrième sièc<strong>le</strong>,<br />
qui n'a été connu qu'au dixième, <strong>le</strong>quel condamne <strong>le</strong>s<br />
croyances superstitieuses <strong>de</strong>s chrétiens. — <strong>Le</strong> conci<strong>le</strong><br />
d'Ancyre recomman<strong>de</strong> aux évêques et aux prêtres d'apporter<br />
tout <strong>le</strong>ur zè<strong>le</strong> à exterminer la magie et à chasser<br />
<strong>de</strong> l'Église <strong>le</strong>s magiciens : « C'est une apostasie, un retour<br />
aux vieil<strong>le</strong>s erreurs... <strong>Des</strong> femmes abominab<strong>le</strong>s se<br />
croient transportées sur <strong>de</strong>s animaux, pensent parcourir<br />
d'immenses espaces <strong>avec</strong> Diane et Hérodia<strong>de</strong> ; obéir<br />
à cette Diane qui <strong>le</strong>s appel<strong>le</strong> à son service. Ainsi trompées,<br />
el<strong>le</strong>s sont entraînées vers <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s païens,<br />
comme si à côté <strong>de</strong> Dieu il y avait d'autres dieux.<br />
Satan troub<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur esprit en <strong>le</strong>ur faisant accroire<br />
que cela se passe réel<strong>le</strong>ment, quoique n'existant que<br />
dans <strong>le</strong>ur imagination, in solo spiritu, non in corpore<br />
1<br />
, etc.»<br />
Nous ne discuterons pas maintenant l'authenticité<br />
<strong>de</strong> ce canon ; mais s'il y avait, comme on ne saurait en<br />
1. <strong>Le</strong>s correcteurs romains du décret <strong>de</strong> Gratien par<strong>le</strong>nt d'une ancienne<br />
Vie du pape Damase i er<br />
, dans laquel<strong>le</strong> il est question « harum<br />
imliemm quœ se putabant nocturno si<strong>le</strong>ntio cum Hérodia<strong>de</strong> et innumera<br />
mltitudine mulierum super bestias equitare, et mnlta terrarwn spatia<br />
ftrtransire. »
470 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
douter, <strong>de</strong>s chrétiens encore attachés aux vieil<strong>le</strong>s superstitions,<br />
il est très-vraisemblab<strong>le</strong> qu'ils se rendaient<br />
aux assemblées nocturnes, qui étaient loin d'avoir<br />
cessé complètement. <strong>Le</strong> transport n'était donc pas imaginaire,<br />
mais réel; il n'y aurait <strong>de</strong> doute que sur <strong>le</strong><br />
mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce transport, — super bestias, — et sur l'apparition<br />
<strong>de</strong> Diane et d'Hérodia<strong>de</strong>, ce qui sera examiné<br />
plus loin.<br />
Combien <strong>de</strong> temps ont duré ces assemblées? Il a été<br />
dit précé<strong>de</strong>mment que <strong>le</strong> druidisme était tombé au cinquième<br />
sièc<strong>le</strong>, et nous allons voir <strong>de</strong>s chrétiens, même<br />
après cette époque, se rendre encore à ces réunions<br />
nocturnes. Courtépée (Hist. abrégée du duché <strong>de</strong> Bourgogne,<br />
1. I er<br />
, art. 1 er<br />
), après avoir cité un fait qui prouve<br />
l'oxistence du druidisme au sixième sièc<strong>le</strong>, ajoute,<br />
d'après Procope : « <strong>Le</strong>s Français, <strong>de</strong>venus chrétiens,<br />
observent une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs superstitions...,<br />
et pratiquent <strong>de</strong>s choses exécrab<strong>le</strong>s qu'ils font servir<br />
aux divinations. » — Courtépée n'attribue pas<br />
ces impiétés à <strong>de</strong>s chrétiens, il est vrai, mais aux<br />
drui<strong>de</strong>s gaulois, subsistant, d'après lui, encore au septième<br />
sièc<strong>le</strong>, car du temps <strong>de</strong> saint Éloi, dit-il, <strong>le</strong>s<br />
erreurs du paganisme triomphaient <strong>de</strong>s lumières <strong>de</strong><br />
l'Évangi<strong>le</strong> en plusieurs lieux <strong>de</strong> la France ; il ignore<br />
si <strong>le</strong>s drui<strong>de</strong>s continuaient <strong>de</strong> former un seul corps,<br />
s'ils conservaient <strong>le</strong>ur chef... Mais <strong>le</strong> christianisme<br />
rendit <strong>le</strong>ur nom aussi odieux qu'il avait été respectab<strong>le</strong>...<br />
Dans <strong>le</strong>s langues gauloises, on ne <strong>le</strong> donne<br />
qu'aux magiciens et aux sorciers ; « il est pris dans ce<br />
sens, dit-il, dans <strong>le</strong>s monuments anglo-saxons du<br />
sixième sièc<strong>le</strong> ; <strong>de</strong> là l'expression : c'est un vieux<br />
drui<strong>de</strong>, » en parlant <strong>de</strong>s sorciers.<br />
Si <strong>le</strong> druidisme subsistait, <strong>le</strong>s chrétiens s'y livraientils?—<br />
On n'en saurait douter. Pclloutier remarque qu'a-
AVEC LE DÉMON. 471<br />
près que la religion chrétienne se fut établie en Al<strong>le</strong>magne<br />
et dans <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s par autorité publique, <strong>le</strong>s<br />
personnes attachées à l'ancienne religion se rendaient<br />
secrètement pendant la nuit aux assemblées', qui se<br />
tenaient dans <strong>le</strong>s campagnes ou dans <strong>le</strong>s forêts. (Pell.,<br />
IV, 4.)<br />
« C'est ce qui donna occasion, dit-il, à quelques<br />
chrétiens peu éclairés d'accuser ceux qui restaient encore<br />
attachés au paganisme d'être <strong>de</strong>s sorciers qui traversaient<br />
l'air sur <strong>de</strong>s balais, qui faisaient <strong>de</strong>s cérémonies<br />
nocturnes <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, et dansaient autour<br />
du diab<strong>le</strong> en forme <strong>de</strong> bouc. » Pelloutier se montre<br />
surpris que l'Église ait ajouté foi à ces fab<strong>le</strong>s et qu'el<strong>le</strong><br />
ait défendu aux fidè<strong>le</strong>s <strong>de</strong> se rendre au sabbat. — <strong>Le</strong>s<br />
superstitions druidiques furent-el<strong>le</strong>s enfin abandonnées<br />
après <strong>le</strong> sixième et <strong>le</strong> septième sièc<strong>le</strong> ?<br />
Au huitième sièc<strong>le</strong>, dit Dulaure, <strong>le</strong>s païens, dont<br />
<strong>le</strong> culte secret existait encore, conservaient <strong>le</strong>s formes<br />
et <strong>le</strong>s dogmes <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs mystères; dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s qui<br />
suivirent, ils se propagèrent et allièrent <strong>le</strong>s pratiques<br />
<strong>de</strong> la magie <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s rites chrétiens... Il signa<strong>le</strong> l'existence<br />
<strong>de</strong> corporations secrètes, et reconnaît qu'une<br />
gran<strong>de</strong> multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> femmes se réunissaient la nuit<br />
pour faire <strong>de</strong>s danses et <strong>de</strong>s banquets; mais il pense<br />
que, pour étonner <strong>le</strong>s personnes crédu<strong>le</strong>s et cacher aux<br />
chrétiens <strong>le</strong> lieu <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs réunions, el<strong>le</strong>s feignaient <strong>de</strong><br />
faire rapi<strong>de</strong>ment ce voyage, montées sur <strong>de</strong>s bêtes 1<br />
...<br />
Nous verrons (ce qui e8t, je crois, plus certain que<br />
<strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong>s historiens mo<strong>de</strong>rnes) <strong>le</strong>s conci<strong>le</strong>s<br />
i. Si <strong>le</strong> but <strong>de</strong> ces assemblées n'avait été que <strong>de</strong> se livrer à <strong>de</strong>s<br />
danses, que <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s banquets et <strong>de</strong> pratiquer mémo <strong>de</strong>s superstitions<br />
innocentes, <strong>le</strong>s magistrats, <strong>le</strong>s évoques et <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s s'en seraient<br />
moins vivement préoccupés.
472 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
et <strong>le</strong>s capitulaires, jusqu'au neuvième sièc<strong>le</strong>, sévir<br />
contre ces hommes qui font <strong>de</strong>s ligatures, excitent <strong>de</strong>s<br />
tempêtes, etc., et blâmer la conduite <strong>de</strong> ces insensés qui<br />
se ren<strong>de</strong>nt sous <strong>de</strong>s arbres auprès <strong>de</strong>s fontaines et <strong>de</strong>s<br />
pierres... (menhirs) et y allument <strong>de</strong>s flambeaux. —Il<br />
serait diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> ne point voir dans ces assemblées<br />
nocturnes, condamnées <strong>avec</strong> tant <strong>de</strong> zè<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers<br />
vestiges du druidisme et ses prodiges.<br />
L'idolâtrie avait-el<strong>le</strong> cessé partout au neuvième sièc<strong>le</strong>?<br />
Au dixième, on rendait encore un culte à Jupiter sur <strong>le</strong><br />
mont Joux. Saint Bernard <strong>de</strong> Menthon, en fondant, en<br />
962, l'hospice du mont Saint-Bernard, renversa <strong>le</strong> premier<br />
l'ido<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jupiter, et chassa, dit-on, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
qui rendaient ce passage dangereux.<br />
Au douzième sièc<strong>le</strong>, dans l'Esclavonie, on rendait<br />
toujours un culte public à Priape, et on invoquait <strong>le</strong>s<br />
nymphes ou fées. Qui nous dira donc l'époque où cessa<br />
<strong>le</strong> culte proscrit, lorsqu'il était favorisé par certaines<br />
circonstances ; <strong>le</strong>s lieux déserts, <strong>le</strong>s forêts !<br />
Il est constant que <strong>le</strong>s désordres qui survinrent sous<br />
<strong>le</strong>s premiers successeurs <strong>de</strong> Cliar<strong>le</strong>magne favorisèrent<br />
<strong>le</strong> retour <strong>de</strong>s anciennes pratiques religieuses ; nonseu<strong>le</strong>ment<br />
il y eut relâchement <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s chrétiens,<br />
mais un assez grand nombre suivaient encore secrètement<br />
<strong>le</strong> culte proscrit. On remarque, selon <strong>le</strong>s pays,<br />
l'influence <strong>de</strong>s anciennes croyances païennes mélangées<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong> christianisme; c'était Diane en Italie,<br />
ail<strong>le</strong>urs c'était Hécate, etc., <strong>de</strong>venues Satan <strong>de</strong>puis <strong>le</strong><br />
christianisme..., mais un Satan qui, pour <strong>le</strong>s mauvais<br />
chrétiens, étant presque <strong>le</strong> rival <strong>de</strong> Dieu par la puissance,<br />
ne <strong>de</strong>vait point être négligé. Il y eut donc <strong>de</strong>s<br />
associations qui se rendirent la nuit dans <strong>le</strong>s lieux<br />
écartés pour se livrer plus librement à <strong>le</strong>urs pratiques.<br />
<strong>Le</strong>s chefs <strong>de</strong> ces réunions étaient tout naturel<strong>le</strong>ment
AVEC LE DÉMON. 473<br />
<strong>le</strong>s successeurs <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s, mais dégénérés, initiés<br />
à quelques rites, n'ayant conservé qu'une partie <strong>de</strong>s<br />
secrets <strong>de</strong> l'initiation, et ce qui pouvait <strong>le</strong>s mettre en<br />
rapport <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s intelligences; sacerdoce bâtard qui<br />
s'est transmis sans doute plus longtemps qu'on ne<br />
pense.<br />
<strong>Le</strong>s conci<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s traitent rYinsensés, expression qui<br />
n'est point, dans l'opinion <strong>de</strong>s Pères <strong>de</strong>s conci<strong>le</strong>s, synonyme<br />
<strong>avec</strong> aliénés. C'étaient <strong>de</strong>s insensés, il est vrai, <strong>de</strong><br />
s'obstiner à suivre <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s ; mais enfin<br />
c'étaient <strong>le</strong>s successeurs <strong>de</strong>s prêtres païens, <strong>de</strong>s anciens<br />
drui<strong>de</strong>s. Corporation savante autrefois, et respectée;<br />
successeurs bien déchus, assurément, bien moins instruits<br />
que <strong>le</strong>urs <strong>de</strong>vanciers, mais conservant assez <strong>de</strong><br />
lambeaux <strong>de</strong> la science sacerdota<strong>le</strong> pour communiquer<br />
à <strong>le</strong>urs affiliés <strong>le</strong> pouvoir d'opérer <strong>de</strong>s prodiges; ces<br />
<strong>de</strong>scendants ruinés, avilis, d'une nob<strong>le</strong> race, qui n'ont<br />
conservé que quelques malheureux débris <strong>de</strong> l'héritage<br />
<strong>de</strong> la famil<strong>le</strong>, ne sont donc pas <strong>de</strong>s insensés dans <strong>le</strong> sens<br />
propre ; mais l'Église <strong>le</strong>s regar<strong>de</strong> comme <strong>de</strong>s gens en<br />
commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong> diab<strong>le</strong>. <strong>Le</strong>s drui<strong>de</strong>s et <strong>le</strong>s sectateurs<br />
du druidisme en France <strong>de</strong>vinrent <strong>de</strong>s sorciers qui<br />
s'assemblaient sous un chêne, arbre consacré à Jupiter,<br />
et près d'une fontaine. Attachés à la mé<strong>de</strong>cine d'incantation,<br />
aux divers genres <strong>de</strong> divination et surtout<br />
aux maléfices : rejetés <strong>de</strong> la société qui <strong>le</strong>s hait, <strong>le</strong>s<br />
craint et <strong>le</strong>s méprise, désormais ils feront tout ce qui<br />
dépendra d'eux pour lui nuire.<br />
Il n'est donc pas douteux que postérieurement à<br />
l'établissement du christianisme <strong>le</strong>s successeurs <strong>de</strong>s<br />
drui<strong>de</strong>s n'aient continué, autant qu'ils l'ont pu, <strong>le</strong>ur culte<br />
dans <strong>le</strong>s profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong>s forêts; qu'on ait nommé <strong>le</strong>urs<br />
assemblées sabbat, que l'Église ait cru qu'on y adorait<br />
<strong>le</strong> <strong>démon</strong>, rien là d'extraordinaire. <strong>Le</strong> mot sabbat ex-
474 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
cite notre sourire, parce qu'il nous rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s récits<br />
<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>ographes, et réveil<strong>le</strong> en nous l'idée du ridicu<strong>le</strong><br />
et <strong>de</strong> la crédulité; mais ce sabbat nous fait ressouvenir<br />
<strong>de</strong>s assemblées <strong>de</strong>s païens, du culte rendu<br />
à Bacchus Sabaznts, surnom <strong>de</strong> Jupiter chez <strong>le</strong>sThraccs;<br />
<strong>de</strong> ces mystères nocturnes qui b<strong>le</strong>ssaient la pu<strong>de</strong>ur, <strong>de</strong><br />
ces femmes qui criaient : Evohé, Sabohé ! Ceux qui chez<br />
<strong>le</strong>s Thraces célébraient ces fêtes s'appelaient Sabas;<br />
on s'y rendait la nuit, on y dansait ; tout ce qui s'y passait<br />
autrefois ressemb<strong>le</strong> tel<strong>le</strong>ment au sabbat du moyen<br />
âge qu'on serait môme surpris que ce <strong>de</strong>rnier n'eût pas<br />
été considéré comme une continuation du premier, et<br />
que ceux qui dans <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s y assistaient n'eussent<br />
pas été appelés indifféremment drui<strong>de</strong>s ou sorciers. En<br />
attendant, ceci suffira peut-être pour <strong>démon</strong>trer qu'il<br />
est au moins très-vraisemblab<strong>le</strong> que <strong>le</strong> sabbat a dû continuer<br />
pendant la pério<strong>de</strong> qui nous occupe. Pour ne<br />
pas anticiper, on n'en dira pas davantage à présent.<br />
<strong>Des</strong> savants qu'on ne peut accuser d'incrédulité l'ont<br />
senti.<br />
Nous trouvons reçue parmi <strong>le</strong>s érudits l'opinion qui<br />
confond <strong>le</strong>s sorciers <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s drui<strong>de</strong>s. Walter Scott<br />
reconnaît qu'<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s débris du culte païen il se forma<br />
chez <strong>le</strong>s chrétiens la base d'un système <strong>démon</strong>ologiquc<br />
qui s'est perpétué jusqu'à nous. Cet antiquaire, en parlant<br />
<strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>sses, qui à cause <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs prédictions<br />
s'é<strong>le</strong>vaient à un plus haut rang dans <strong>le</strong>s conseils, dit qu'il<br />
n'était pas extraordinaire <strong>de</strong> <strong>le</strong>s voir é<strong>le</strong>vées au rang<br />
A'haxa ou gran<strong>de</strong> prêtresse, d'où vient, continue-t-il, <strong>le</strong><br />
mot hexe, universel<strong>le</strong>ment employé maintenant pour<br />
désigner une sorcière ; il dit que haxa en Ecosse est<br />
encore synonyme <strong>de</strong> drui<strong>de</strong>sse ou gran<strong>de</strong> prêtresse.<br />
Il ajoute que <strong>le</strong>s néophytes se disant chrétiens, ne<br />
s'étaient pas tous dépouillés <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs anciennes supers-
AVEC LE DÉMON. 475<br />
titions ni n'avaient renoncé au culte <strong>de</strong>s dieux subalternes.<br />
Pelloutier a dit que <strong>le</strong>s uns font venir l'étymologie<br />
du mot drui<strong>de</strong> <strong>de</strong> drus, qui signifie magicien dans <strong>le</strong><br />
vieux langage britannique; d'autres <strong>de</strong> <strong>de</strong>rouid, qui<br />
veut dire par<strong>le</strong>r <strong>avec</strong> Dieu.<br />
E. Salverte (Sciences occultes, I, 9), étonné du grand<br />
nombre <strong>de</strong> sorciers <strong>de</strong>s cinquième et sixième sièc<strong>le</strong>s,<br />
dit qu'avant saint Augustin, qui a parlé du sabbat, il<br />
n'y avait que <strong>de</strong>s magiciens isolés..., tandis que l'idée<br />
<strong>de</strong> sabbat implique cel<strong>le</strong> d'une société organisée, ayant<br />
ses gra<strong>de</strong>s, ses chefs, son initiation. — Cela ne <strong>de</strong>vrait<br />
pas surprendre E. Salverte, s'il voulait bien reconnaître<br />
que <strong>le</strong> sabbat <strong>de</strong>s faux chrétiens est la continuation<br />
parmi nous <strong>de</strong>s assemblées <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s. Maintenant s'y<br />
passait-il tout ce que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>ographes rapportent, ce<br />
n'est pas ce qu'il s'agit à présent d'examiner mais<br />
on veut constater seu<strong>le</strong>ment une sorte <strong>de</strong> filiation <strong>de</strong>s<br />
croyances mythologiques <strong>de</strong>s païens et du druidisme<br />
mélangés aux hérésies chrétiennes.<br />
Sommes-nous en droit, dit E. Salverte (Ib., p. 257),<br />
<strong>de</strong> donner pour successeurs aux sorciers du cinquième<br />
sièc<strong>le</strong> ceux dont <strong>le</strong>s réunions ont été déférées aux<br />
tribunaux jusqu'au dix^huitième? — Cette question<br />
pourra être complètement résolue, je pense, quand on<br />
aura fait l'exposé <strong>de</strong> la magie après <strong>le</strong> quinzième<br />
sièc<strong>le</strong>.<br />
1 Nul doute qu'il ne s'y passât, au moins dans l'imagination <strong>de</strong> ceux<br />
qui s'y rendaient, <strong>de</strong> choses extraordinaires. <strong>Le</strong> lieu solitaire, l'heure<br />
choisie pour que la divinité ne fût troublée par aucune cause étrangère<br />
dans ses manifestations, l'indiquent assez. «C'était <strong>le</strong> moment <strong>le</strong> plus<br />
propice pour entendre sa voix, dit Pelloutier (Hist. <strong>de</strong>s Celtes), pour<br />
observer ses avertissements; tout cela avait lieu la nuit où l'imagination<br />
b<strong>le</strong>ssée croit voir <strong>de</strong>s spectres et <strong>de</strong>s fantômes qui disparaissent<br />
quand <strong>le</strong> jour commence. »
476 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Châtiments infligés par l'Eglise <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> cinquième au quinzième sièc<strong>le</strong>.<br />
En 506, <strong>le</strong> conci<strong>le</strong> d'Ag<strong>de</strong>, celui d'Orléans, en 511,<br />
défen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> recourir aux divinations et excommunient<br />
<strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins. En 586 environ, <strong>le</strong> conci<strong>le</strong> d'Auxerre défend<br />
d'acquitter <strong>de</strong>s vœux auprès <strong>de</strong>s arbres, <strong>de</strong>s buissons<br />
ou <strong>de</strong>s fontaines; en 589, <strong>le</strong> conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Narbonne<br />
retranche <strong>le</strong>s sorciers du nombre <strong>de</strong>s fidè<strong>le</strong>s ; il ordonne<br />
qu'ils soient fouettés publiquement, etc.<br />
Un conci<strong>le</strong> tenu à Reims en 625 avertit <strong>le</strong>s sorciers<br />
et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins <strong>de</strong> renoncer à la magie sous <strong>le</strong>s peines infligées<br />
par <strong>le</strong>s canons pénitentiaux.<br />
<strong>Le</strong> conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Tours, en 813, recomman<strong>de</strong> aux prêtres<br />
d'avertir <strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s que <strong>le</strong>s charmes pour guérir sont<br />
<strong>de</strong>s embûches <strong>de</strong> l'antique ennemi.<br />
<strong>Le</strong> conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Paris, en 829, déclare qu'il subsiste<br />
un mal très-pernicieux restant du paganisme, qui doit<br />
être rigoureusement puni ; c'est la magie, l'astrologie<br />
judiciaire, <strong>le</strong> sortilège, <strong>le</strong> maléfice... Il est hors <strong>de</strong><br />
doute qu'il y a <strong>de</strong>s gens, qui par <strong>le</strong>s prestiges du <strong>démon</strong><br />
gâtent tel<strong>le</strong>ment l'esprit <strong>de</strong>s hommes, qu'ils <strong>le</strong>s<br />
ren<strong>de</strong>nt stupi<strong>de</strong>s et <strong>le</strong>ur causent différents maux... Par<br />
d'autres maléfices, ils envoient <strong>de</strong>s grê<strong>le</strong>s et peuvent<br />
nuire aux fruits, etc... — <strong>Le</strong>s canons pénitentiaux,<br />
entre autres corrections, imposent sept ans <strong>de</strong> pénitence<br />
à celui qui aura fait <strong>de</strong>s enchantements ; pareil<strong>le</strong><br />
pénitence à celui qui aura envoyé <strong>de</strong>s tempêtes, et il<br />
jeûnera trois ans au pain et à l'eau... Celui qui aura<br />
fait <strong>de</strong>s charmes par paro<strong>le</strong>s fera trois carêmes au pain<br />
et à l'eau; celui qui cueil<strong>le</strong>ra <strong>de</strong>s herbes <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s<br />
paro<strong>le</strong>s d'enchantements, vingt jours.<br />
On voit l'Église multiplier ces défenses, <strong>le</strong>s renouve<strong>le</strong>r<br />
souvent, comme <strong>le</strong> prouvent <strong>le</strong>s conci<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s ncu-
AVEC LE DÉMON. 477<br />
I<br />
vième, onzième et dixième sièc<strong>le</strong>s. L'évêque d'Angers,<br />
au syno<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1294, enjoint aux curés <strong>de</strong> son diocèse <strong>de</strong><br />
dénoncerai'officiai ceux qui s'adonnent aux sortilèges,<br />
à la magie, aux augures, etc.. — <strong>Le</strong> conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Valladolid,<br />
en 1322, porte en substance que, quoique <strong>le</strong> droit<br />
canon et <strong>le</strong>s lois civi<strong>le</strong>s aient condamné <strong>le</strong>s superstitions<br />
<strong>de</strong>s magiciens et <strong>de</strong>s enchanteurs, il y en a cependant<br />
encore un très-grand nombre... Il défend<br />
expressément <strong>de</strong> <strong>le</strong>s consulter sous peine d'excommunication<br />
ipso facto...<br />
Guillaume, archevêque <strong>de</strong> Cologne en 1357, dans<br />
ses statuts, excommunie <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins et <strong>le</strong>s sorciers, ordonne<br />
aux curés et vicaires <strong>de</strong> <strong>le</strong>s dénoncer publiquement<br />
pour excommuniés....<br />
En 1398, la faculté <strong>de</strong> théologie <strong>de</strong> Paris fit sa célèbre<br />
censure en 28 artic<strong>le</strong>s contre <strong>le</strong>s superstitions,<br />
trop longue à rapporter ici. L'artic<strong>le</strong> 1 "s'exprime ainsi :<br />
Dire qu'il n'y a point d'idolâtrie à rechercher la familiarité<br />
et <strong>le</strong> secours <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s par art magique et<br />
maléfices, c'est une erreur.<br />
Art. 18. Dire que par <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> la magie, <strong>de</strong>s<br />
sortilèges et <strong>de</strong>s invocations diaboliques, <strong>de</strong>s conjurations,<br />
etc., il ne s'ensuit jamais aucun effet par <strong>le</strong> ministère<br />
<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s ; c'est une erreur ; parce que Dieu<br />
permet quelquefois que certaines choses arrivent,<br />
comme il est visib<strong>le</strong> par quantité d'exemp<strong>le</strong>s.<br />
Art. 28. Dire que par la magie on peut arriver à la<br />
vision <strong>de</strong> Dieu, etc., c'est une erreur.<br />
En 1445, <strong>le</strong> conci<strong>le</strong> provincial <strong>de</strong> Rouen ordonne<br />
qUe ceux qui auront invoqué <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, s'ils sont<br />
laïques et s'ils s'opiniâtrent, seront abandonnés à la<br />
justice séculière ; s'ils sont ecclésiastiques, ils seront<br />
dégradés et mis dans une prison à perpétuité.<br />
Avec <strong>le</strong> temps, <strong>le</strong>s peines canoniques furent adou-
478 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
cies ; mais <strong>le</strong>s pénitences concernant <strong>le</strong>s superstitions<br />
sont encore souvent <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans, <strong>le</strong>s jeûnes au pain et à<br />
l'eau <strong>de</strong> dix jours et <strong>de</strong> cinq jours.<br />
<strong>Le</strong>s pénitences <strong>de</strong> cinq, <strong>de</strong> six et sept ans <strong>de</strong> l'ancien<br />
Pénitentiel romain furent réduites à un an par <strong>le</strong><br />
Pénitentiel <strong>de</strong> Théodore. Au onzième sièc<strong>le</strong>, l'évèque<br />
Burchard fît un recueil <strong>de</strong> décrets en vingt livres. Dans<br />
celui intitulé <strong>le</strong> Correcteur, la peine duc aux péchés est<br />
fort adoucie; cependant cel<strong>le</strong> qui est infligée pour avoir<br />
consulté <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins est encore <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans, quoique ce<br />
soit contre <strong>le</strong>s superstitieux qui veu<strong>le</strong>nt sérieusement<br />
se convertir.<br />
Lois criminel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'Etat plus sévères.<br />
<strong>Le</strong>s lois <strong>de</strong> l'État étaient plus sévères que cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />
l'Église. On a vu que <strong>le</strong>s Francs, au cinquième sièc<strong>le</strong>,<br />
n'infligaient pas la peine <strong>de</strong> mort. Une société naissante<br />
épargne la vie <strong>de</strong> ses membres. Comme la magie est<br />
<strong>le</strong> crime <strong>le</strong> plus horrib<strong>le</strong>, l'accusateur était condamné<br />
à une amen<strong>de</strong> <strong>de</strong> 2,500 <strong>de</strong>niers ; mais si l'accusé était<br />
convaincu, il était condamné à payer 8,000 <strong>de</strong>niers.<br />
Childéric ordonna en 742 que <strong>le</strong>s magistrats s'entendraient<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s évèques pour abolir la magie, <strong>le</strong>s<br />
sortilèges, <strong>le</strong>s sacrifices profanes, etc.<br />
Au huitième sièc<strong>le</strong>, Char<strong>le</strong>magne réitère <strong>le</strong>s mômes<br />
ordres ; <strong>le</strong>s magiciens sont réputés exécrab<strong>le</strong>s ; on punit<br />
comme homici<strong>de</strong>s ceux qui causent <strong>de</strong>s tempêtes,<br />
qui maléficient. Dans quelques capitulaires, il s'adresse<br />
aux prêtres pour qu'ils s'opposent à ce que <strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s<br />
retombent dans <strong>le</strong> paganisme, pour que toutes <strong>le</strong>s souillures<br />
<strong>de</strong> la gentilité soient abandonnées, sortilèges,<br />
divinations, phylactères, auguries, ensorcel<strong>le</strong>ments.<br />
Dans un autre, on prévient ceux qui font <strong>de</strong>s liga-
AVEC LE DÉMON. 479<br />
tures, qui excitent <strong>de</strong>s tempêtes, etc., que partout où<br />
on <strong>le</strong>s trouvera ils seront punis ; on s'adresse à ces insensés<br />
qui se ren<strong>de</strong>nt auprès <strong>de</strong>s fontaines, <strong>de</strong>s arbres<br />
et <strong>de</strong>s pierres druidiques, y allument <strong>de</strong>s flambeaux et<br />
font d'autres cérémonies ; il faut anéantir ces coutumes<br />
exécrab<strong>le</strong>s partout où on <strong>le</strong>s trouvera.<br />
Autre capitulaire qui porte que dans <strong>le</strong>s paroisses<br />
où il y aurait <strong>de</strong>s infidè<strong>le</strong>s qui allument <strong>de</strong>s flambeaux<br />
et ren<strong>de</strong>nt un culte aux pierres, aux arbres ou aux<br />
fontaines, <strong>le</strong> curé qui négligera <strong>de</strong> corriger ces abus se<br />
rendrait coupab<strong>le</strong> <strong>de</strong> sacrilège. — Quelques prêtres<br />
même n'étaient peut-être pas exempts <strong>de</strong> ce crime,<br />
car nous voyons déjà <strong>le</strong> conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Laodicée (C.36) ordonner<br />
<strong>de</strong> chasser <strong>de</strong> l'Église prêtres ou c<strong>le</strong>rcs qui<br />
seraient enchanteurs, etc.<br />
Un capitulaire <strong>de</strong> l'an 805 déclare qu'il a plu au sacré<br />
conci<strong>le</strong> que ceux qui causeraient <strong>de</strong>s tempêtes ou d'autres<br />
maléfices... soient appréhendés... s'ils avouent <strong>le</strong><br />
mal qu'ils ont fait... On <strong>le</strong>s tiendra en prison jusqu'à<br />
ce qu'ils soient venus à repentir.<br />
En 873, un capitulaire porte qu'on est informé que<br />
<strong>de</strong>s magiciens et sorciers, dans plusieurs lieux du<br />
royaume, se livrent à <strong>de</strong>s maléfices dont plusieurs personnes<br />
seraient mortes. <strong>Le</strong> <strong>de</strong>voir du souverain est <strong>de</strong><br />
perdre ces impies et <strong>de</strong> ne laisser vivre ni <strong>le</strong>s sorciers<br />
ni <strong>le</strong>s magiciens; on ordonne que chaque comte, dans<br />
son ressort, s'efforcera <strong>de</strong> <strong>le</strong>s rechercher et s'en saisira.<br />
Si.<strong>le</strong>s faits sont prouvés, on <strong>le</strong>s exterminera; s'il n'y<br />
a que soupçon, on ordonnera <strong>le</strong> jugement <strong>de</strong> Dieu...<br />
Nous voyons dans <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s la sévérité <strong>de</strong>s peines<br />
s'accroître à mesure que <strong>le</strong>s crimes sont mieux connus.<br />
<strong>Le</strong>s conci<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s lois civi<strong>le</strong>s diminuèrent en France <strong>le</strong><br />
nombre <strong>de</strong>s coupab<strong>le</strong>s ; mais il en vint <strong>de</strong>s nations voisines,<br />
<strong>de</strong>venus si odieux par <strong>le</strong>urs détestab<strong>le</strong>s pratiques,
480 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
qu'une ordonnance <strong>de</strong> 1 490 porte qu'ils seront punis<br />
selon toute la rigueur <strong>de</strong>s lois... — En juil<strong>le</strong>t 1493, <strong>le</strong><br />
prévôt <strong>de</strong> Paris rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s dispositions <strong>de</strong> cette ordonnance<br />
jugée si uti<strong>le</strong>, que <strong>le</strong> crieurjuré en fit la publication<br />
dans tout Paris, assisté <strong>de</strong>s magistrats ; so<strong>le</strong>nnité<br />
requise dans <strong>le</strong>s affaires <strong>le</strong>s plus importantes.
AVEC LE DÉMON. 481<br />
CHAPITRE II<br />
Exposé succinct <strong>de</strong>s branches <strong>de</strong> la magie dorant la pério<strong>de</strong> du quatrième au<br />
quinzième sièc<strong>le</strong>. — Assemblées, sabbat. —Maléfices.—Magie prestigieuse.<br />
— <strong>Des</strong> divers moyens <strong>de</strong> connaître l'avenir et <strong>le</strong>s choses cachées, présages,<br />
songes. — Inspirations, secon<strong>de</strong> vue, etc. — Astrologie, talismans. — <strong>Des</strong><br />
épreuves au moyen âge ; épreuves par <strong>le</strong> feu. — Épreuves par l'eau. — Suite<br />
<strong>de</strong>s superstitions et faits magiques au moyen tige, mé<strong>de</strong>cine d'incantation.<br />
— Invasions diaboliques. — <strong>Des</strong> incubes et suceuhes. — Infcstations dc9<br />
maisons par <strong>le</strong>s esprits. — Obsessions.— Possessions.<br />
Exposé succinct <strong>de</strong>s branches <strong>de</strong> la magie durant la pério<strong>de</strong> du<br />
quatrième au quinzième sièc<strong>le</strong>.<br />
Il existe une gran<strong>de</strong> prévention contre la vérité <strong>de</strong>s<br />
faits merveil<strong>le</strong>ux cités dans <strong>le</strong>s anciennes chroniques,<br />
et peut-être quelquefois <strong>avec</strong> raison. Cependant, s'il y<br />
en a <strong>de</strong> faux ou d'exagérés, tous ne méritent pas <strong>le</strong> même<br />
dédain. Plusieurs raisons militeraient donc ici contre<br />
<strong>le</strong>ur complète omission; il est constant qu'ils ont trop<br />
vivement inquiété <strong>le</strong>s princes <strong>de</strong> l'Église, <strong>le</strong>s chefs <strong>de</strong><br />
l'État, pour être purement chimériques; on a porté<br />
contre ces crimes <strong>de</strong>s lois rigoureusement répressives;<br />
<strong>le</strong>s chroniqueurs <strong>le</strong>s plus sérieux, <strong>de</strong>s hommes ennemis<br />
du mensonge <strong>le</strong>s rapportent; il serait téméraire <strong>de</strong> dire<br />
qu'ils appartiennent à une époque trop crédu<strong>le</strong> pour<br />
qu'on daigne s'en occuper. <strong>Le</strong>ur analogie d'ail<strong>le</strong>urs<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux païen et <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s<br />
suivants permettrait-el<strong>le</strong> <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r entièrement <strong>le</strong><br />
i- 31
482 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
si<strong>le</strong>nce ? Pour continuer sans interruption la série <strong>de</strong>s<br />
faits magiques, on va donc citer ceux qui ont pour<br />
garants <strong>le</strong>s personnages <strong>le</strong>s plus recommandâmes.<br />
Quoique l'absence <strong>de</strong> documents authentiques fournis<br />
plus tard par <strong>le</strong>s tribunaux <strong>de</strong>s différents <strong>de</strong>grés nous<br />
ait privés <strong>de</strong> détails fort curieux, l'exposé <strong>de</strong>s faits sera<br />
suffisamment explicite.<br />
Assemblées, sabbat.<br />
Plusieurs ont nié l'analogie du sabbat <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s assemblées<br />
<strong>de</strong> l'antiquité et cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes. <strong>Le</strong>s<br />
Pères, dit-on, n'ont rien dit du sabbat <strong>de</strong>venu si effroyab<strong>le</strong>ment<br />
grotesque au seizième etau dix-septième sièc<strong>le</strong>.<br />
— Ce qui a été dit précé<strong>de</strong>mment prouve <strong>le</strong> contraire :<br />
<strong>le</strong>s païens ne par<strong>le</strong>nt pas <strong>de</strong> ces assemblées présidées<br />
par Satan; car, d'après <strong>le</strong>urs croyances, c'étaient <strong>le</strong>s<br />
dieux adorés dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s, sur <strong>le</strong>s hauts lieux ou<br />
dans <strong>le</strong>s forets : on n'a point dit que <strong>le</strong>s goétistes chez<br />
<strong>le</strong>s Gentils avaient adoré <strong>le</strong> Satan <strong>de</strong> nos sorcières,<br />
mais on a vu <strong>le</strong>s turpitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s mystères et ce qui s'accomplissait<br />
dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong> voi<strong>le</strong> dont cet infâme<br />
mysticisme est couvert est donc assez sou<strong>le</strong>vé pour<br />
reconnaître une i<strong>de</strong>ntité complète entre <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> cornu<br />
du sabbat et <strong>le</strong> dieu lubrique <strong>de</strong>s mystères, et pour<br />
oser supposer qu'il n'a pas disparu dans <strong>le</strong> temps intermédiaire.<br />
<strong>Le</strong> doute concernant l'existence <strong>de</strong>s assemblées<br />
nocturnes au moyen âge semb<strong>le</strong> donc impossib<strong>le</strong>,<br />
surtout <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s raisons suivantes.<br />
1° On voit la loi salique promulguée sous Clovis<br />
(Y. Par<strong>de</strong>ssus, Loi salique) constater l'existence du sabbat.<br />
2° <strong>Le</strong> canon Episcopi, du conci<strong>le</strong> d'Ancyre, dont on<br />
a parlé dans <strong>le</strong> chapitre précé<strong>de</strong>nt, fait mention <strong>de</strong> ce<br />
qu'il nomme <strong>de</strong>s illusions sataniques et d'un transport
AVEC LE DÉMON. 483<br />
à une assemblée présidée par Diane 3° Apulée a parlé<br />
d'un onguent magique qui permet <strong>de</strong> se transporter par<br />
l'airà<strong>de</strong> longues dislances. 4"<strong>Le</strong>snéoplatoniciens citent<br />
<strong>le</strong> transport comme un <strong>de</strong>s dons divins conférés par<br />
l'initiation. 5"<strong>Le</strong>s drui<strong>de</strong>s ont continué,'après l'établissement<br />
du christianisme, <strong>de</strong> s'assemb<strong>le</strong>r dans <strong>de</strong>s lieux<br />
déserts, <strong>le</strong>s pays montagneux et boisés favorisaient<br />
la continuation du vieux culte; <strong>le</strong>s hérésies enfin modifiant<br />
<strong>le</strong>s croyances mythologiques et druidiques, <strong>le</strong>urs<br />
sectateurs cachèrent <strong>le</strong>urs cérémonies abominab<strong>le</strong>s dans<br />
l'épaisseur <strong>de</strong>s sombres forêts. Si l'on objectait, d'après<br />
<strong>le</strong> canon Epîscopi, que tout ce qui se passait dans ces<br />
horrib<strong>le</strong>s assemblées n'était qu'imagination et illusions<br />
diaboliques, on ferait remarquer qu'il est bien extraordinaire<br />
que ces mêmes faits aient été tel<strong>le</strong>ment attestés<br />
et si souvent avoués dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s postérieurs aux<br />
ténèbres du moyen ùye, et attestés par <strong>de</strong>s témoignages<br />
si puissants, que <strong>le</strong>s docteurs en théologie, <strong>le</strong>s membres<br />
<strong>de</strong> nos par<strong>le</strong>ments, se soient vus forcés d'admettre<br />
ce qui avait été nié dans <strong>le</strong> moyen âge par <strong>de</strong>s hommes<br />
accusés pourtant aujourd'hui d'une extrême crédulité.<br />
Que <strong>le</strong>s recueils <strong>de</strong> canons faits par Yves <strong>de</strong> Chartres,<br />
Burchard, Gratien contiennent <strong>de</strong>s pièces douteuses<br />
parmi cel<strong>le</strong>s qui sont authentiques, cela nous importe<br />
peu; ce qu'il faut constater, c'est que ce dont ils font<br />
mention était admis par plusieurs autres. — Postérieurement,<br />
Jean <strong>de</strong> Salisbury, au douzième sièc<strong>le</strong>, a parlé<br />
du sabbat <strong>de</strong>s sorciers, <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs banquets nocturnes,<br />
i. Quel<strong>le</strong> que soit la date assignée à ce canon, qui a beaucoup occupé<br />
<strong>le</strong>s critiques, il paraît certain qu'el<strong>le</strong> est ancienne. Si el<strong>le</strong> ne<br />
remonte pas à l'année 314, époque du conci<strong>le</strong> d'Ancyre, <strong>de</strong>s auteurs<br />
graves ne font pas difficulté <strong>de</strong> la rapporter à l'an 382 et au conci<strong>le</strong><br />
romain, qui fut célébré alors sous <strong>le</strong> pape Damase 1 er<br />
. (V. Baronius,<br />
<strong>le</strong> P. l.abbe, D. Ceillicr, llist. <strong>de</strong>s aut. ecclés., III, 722.)
484 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>de</strong>s enfants qu'on y mange, etc., bien qu'il n'y voie<br />
qu'une illusion diabolique. (V. Polycratims, II, 17.)<br />
— Tout ce qu'il s'agit donc d'établir ici, c'est que, durant<br />
<strong>le</strong> moyen âge, bon nombre <strong>de</strong> personnes croyaient<br />
déjà au sabbat, c'est-à-dire à <strong>de</strong>s assemblées secrètes<br />
qui se rattachent à cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Gentils, et aussi bien constatées<br />
que possib<strong>le</strong>, à défaut <strong>de</strong>s documents fournis<br />
plus tard par <strong>le</strong>s procès nombreux <strong>de</strong>s seizième et dixseptième<br />
sièc<strong>le</strong>s. — On s'abstient maintenant <strong>de</strong> faire<br />
<strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au <strong>de</strong>s horrib<strong>le</strong>s merveil<strong>le</strong>s qui s'y passaient;<br />
trop <strong>de</strong> ténèbres, <strong>le</strong>s enveloppent encore, nous <strong>le</strong> renvoyons<br />
à une époque plus rapprochée <strong>de</strong> nous, pour<br />
passer très-succinctement en revue quelques faits appartenant<br />
à la magie du moyen âge.<br />
Maléfices.<br />
On serait dans l'erreur si l'on pensait que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers<br />
membres <strong>de</strong> la corporation <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s se livraient<br />
seuls à la magie. On a fait voir, à côté <strong>de</strong>s théurgislcs,<br />
<strong>de</strong>s gens très-malfaisants, n'appartenant à aucun sacerdoce,<br />
du moins reconnu. Quand <strong>le</strong> druidisme fut<br />
aboli, loin <strong>de</strong> craindre <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s prosélytes, <strong>le</strong>s<br />
drui<strong>de</strong>s durent désirer initier secrètement tous <strong>le</strong>s<br />
chrétiens qu'ils pouvaient entraîner, et <strong>le</strong>ur apprendre,<br />
sinon la science sacerdota<strong>le</strong> tout entière, — euxmêmes<br />
n'en possédaient pins que quelques lambeaux,<br />
— pas même peut-être tout ce qu'ils savaient, mais un<br />
recueil plus ou moins incomp<strong>le</strong>t <strong>de</strong> secrets magiques<br />
concernant <strong>le</strong>s guérisons superstitieuses, <strong>le</strong>s divinations,<br />
et surtout <strong>le</strong>s maléfices. Ceci nous expliquerait<br />
peut-être un jour comment parmi nos sorciers du<br />
moyen âge on trouve tant <strong>de</strong> <strong>de</strong>grés divers dans <strong>le</strong> pouvoir<br />
magique. — On voit, au moyen âge, <strong>de</strong>s personnes
AVEC LE DÉMON. 485<br />
d'un rang é<strong>le</strong>vé accusées <strong>de</strong> magie; on voit aussi <strong>de</strong>s<br />
hommes puissants se vanter <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s..,<br />
et d'autres, non moins éminents, assez confiants dans<br />
la magie pour s'adresser aux plus vils sorciers. Quelques<br />
faits historiques prouveront cette assertion. La magie<br />
était encore employée contre <strong>le</strong>s ennemis, et quelquefois<br />
môme dans <strong>le</strong>s combats corps à corps : <strong>de</strong> là l'exorcisme<br />
<strong>de</strong>s armes enchantées, dont un guerrier loyal et<br />
brave eût dédaigné <strong>le</strong> moyen. Ainsi <strong>le</strong>s Huns, combattant<br />
en 566 contre Sigebert, roi <strong>de</strong> Metz, recoururent à<br />
<strong>de</strong>s opérations magiques. — « Par la puissance <strong>de</strong> la<br />
magie, dit Débonnaire (Hht. <strong>de</strong> France et Chroniq. <strong>de</strong><br />
Metz), ils avaient rempli l'air <strong>de</strong> spectres. » — <strong>Le</strong>s<br />
plus anciens monuments historiques citent <strong>de</strong>s faits<br />
semblab<strong>le</strong>s. On sait que dans <strong>le</strong>s combats entre Ninus<br />
et Zoroastre, <strong>le</strong>s secrets <strong>de</strong> l'art infernal ne furent pas<br />
dédaignés.<br />
<strong>Le</strong>s sorcières maléficiaient <strong>le</strong>s personnes du rang <strong>le</strong><br />
plus é<strong>le</strong>vé. Un fils <strong>de</strong> Frédégon<strong>de</strong> meurt : <strong>de</strong>s sorcières<br />
avouent qu'el<strong>le</strong>s ont causé sa mort, à l'instigation<br />
du préfet Mummo<strong>le</strong>. Ce <strong>de</strong>rnier, ayant été maléficié,<br />
ne pouvait être sauvé qu'en lui substituant une<br />
victime illustre; <strong>le</strong> jeune prince fut choisi. On se souvient<br />
qu'une victime étant dévouée, ne pouvait se<br />
racheter que par une autre. Ces sorcières ayant subi <strong>le</strong><br />
<strong>de</strong>rnier supplice, on instruisit la cause <strong>de</strong> Mummo<strong>le</strong> ;<br />
soumis à la torture, il nia <strong>le</strong> premier chef, avouant seu<strong>le</strong>ment<br />
qu'il avait charmé <strong>de</strong>s breuvages pour gagner<br />
la faveur roya<strong>le</strong>. Sorti <strong>de</strong> la torture sans avoir souffert<br />
<strong>de</strong> mal, il y fut soumis <strong>de</strong> nouveau, et, moins heureux,<br />
il perdit la vie, par suite <strong>de</strong>s dou<strong>le</strong>urs qu'il avait endurées.<br />
Frédégon<strong>de</strong> ayant perdu ses <strong>de</strong>ux autres enfants,<br />
Clovis, fils d'une première femme <strong>de</strong> Chilpéric, <strong>de</strong>venant<br />
héritier du trône, fut accusé aussi d'avoir employé
486 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
contre eux <strong>de</strong>s maléfices. Il aimait la fil<strong>le</strong> d'une magicienne;<br />
<strong>le</strong>s soupçons prirent tant <strong>de</strong> gravité, que Cliilpéric,<br />
convaincu du crime <strong>de</strong> son fils, fit informer.<br />
La jeune fil<strong>le</strong> fut suppliciée; sa mère, mise à la torture,<br />
avoua qu'el<strong>le</strong> avait contribué à la mort du prince, et <strong>le</strong><br />
roi, abandonnant son fils à la vengeance <strong>de</strong> Frédégou<strong>de</strong>,<br />
ce <strong>de</strong>rnier fut conduit dans un château, où on <strong>le</strong> trouva<br />
poignardé quelques jours après.<br />
Chilpéric, en permettant qu'on fît mourir l'héritier<br />
<strong>de</strong> sa couronne, ne doutait ni <strong>de</strong> son crime ni <strong>de</strong> la<br />
puissance <strong>de</strong> la magie. — Frédégondc el<strong>le</strong>-même y<br />
avait une gran<strong>de</strong> confiance, car si el<strong>le</strong> faisait mourir <strong>le</strong>s<br />
sorcières dont el<strong>le</strong> avait à se plaindre, el<strong>le</strong> protégeait<br />
cel<strong>le</strong>s dont el<strong>le</strong> espérait quelques avantages. Grégoire<br />
<strong>de</strong> Tours nous apprend (I. VII, A4) qu'el<strong>le</strong> prit sous sa<br />
protection une femme qui <strong>de</strong>vinait par un esprit <strong>de</strong><br />
python.<br />
La reine Brunebaut mérita, disent <strong>le</strong>s chroniqueurs,<br />
sa malheureuse fin. El<strong>le</strong> usa <strong>de</strong> charmes magiques<br />
contre sa bru, et avait tel<strong>le</strong>ment noué l'aiguil<strong>le</strong>tte au<br />
roi Thierri, « qu'il ne put, dit Pasquier, avoir connaissance<br />
d'Hermenberge. »<br />
<strong>Le</strong> duc <strong>de</strong> Bénévcnt, Grimoald , étant ennemi <strong>de</strong><br />
Char<strong>le</strong>magne, fut accusé d'avoir envoyé plusieurs personnes<br />
pour répandre <strong>de</strong>s poudres dont l'effet fût <strong>de</strong><br />
faire périr <strong>le</strong>s bœufs du grand monarque... On entendit<br />
ceux qui étaient accusés d'avoir jeté <strong>le</strong>s poudres, on<br />
fit comparaître ceux qui avaient souffert l'épreuve <strong>de</strong><br />
l'eau, tous avouèrent qu'ils avaient répandu ces poudres.<br />
Veut-on un exemp<strong>le</strong> du pouvoir <strong>de</strong>s sorciers sur <strong>de</strong>s<br />
personnes d'un rang inférieur? arrivons au douzième<br />
sièc<strong>le</strong>. Une femme adultère, est-il dit dans la vie <strong>de</strong> saint<br />
Bernard (Auct.GuitL, 1,10), tourmentait par <strong>de</strong>s sortilèges<br />
son mari, pauvre et habitant une chaumière non
AVEC LE DÉMON. 487<br />
loin du monastère du saint moine ; par ses ensorcel<strong>le</strong>ments,<br />
comme el<strong>le</strong> l'en avait menacé dans sa colère,<br />
el<strong>le</strong> avait obtenu que <strong>le</strong> corps <strong>de</strong> ce malheureux fût si<br />
consumé et si <strong>de</strong>sséché, qu'il ne pouvait ni vivre ni<br />
mourir. Sa vie ressemblait à une longue mort. <strong>Des</strong><br />
personnes, émues <strong>de</strong> compassion, l'amènent à saint<br />
Bernard, à qui on fait <strong>le</strong> récit <strong>de</strong> l'infortune <strong>de</strong> ce<br />
pauvre homme. <strong>Le</strong> saint, vivement indigné <strong>de</strong> tout ce<br />
qu'un chrétien avait enduré par la malice <strong>de</strong> l'antique<br />
ennemi, appela <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses moines, fit porter <strong>le</strong> moribond<br />
<strong>de</strong>vant l'autel, plaça sur sa tète <strong>le</strong> vase contenant<br />
la sainte Eucharistie, en défendant au <strong>démon</strong>,<br />
par la vertu <strong>de</strong> ce sacrement, <strong>de</strong> <strong>le</strong> tourmenter, et il<br />
fut aussitôt guéri.<br />
Citer un plus grand nombre <strong>de</strong> maléfices, ce serait<br />
se charger d'un bagage inuti<strong>le</strong>. Un temps viendra où<br />
trop <strong>de</strong> faits incontestab<strong>le</strong>s se multiplieront sous nos<br />
yeux. Nous ne parierons ici <strong>de</strong> l'envoûtement <strong>de</strong> Philippe<br />
VI que pour rappe<strong>le</strong>r un maléfice connu <strong>de</strong> la<br />
haute antiquité, par exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong>s images <strong>de</strong> cire exposées<br />
au feu, piquées, etc.<br />
Magie prestigieuse.<br />
Cel<strong>le</strong>-ci consiste à fasciner <strong>le</strong>s regards, do sorte<br />
qu'on croit voir ce qui réel<strong>le</strong>ment n'est pas. Ce qu'on<br />
va lire ne peut appartenir aux prestiges <strong>de</strong>s bate<strong>le</strong>urs;<br />
ne pouvant l'expliquer par l'adresse <strong>de</strong>s jong<strong>le</strong>urs, on<br />
est fort tenté <strong>de</strong> <strong>le</strong> nier, et cependant, si l'on admet<br />
<strong>de</strong>s faits <strong>de</strong> magie prestigieuse dans l'antiquité, dans<br />
la sainte Écriture, chez certains hérétiques, ceux non<br />
moins surprenants <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers sièc<strong>le</strong>s, et surtout <strong>le</strong>s<br />
phénomènes dont nous voyons <strong>le</strong>s magnétiseurs attester<br />
aujourd'hui la réalité <strong>avec</strong> une conviction si ferme, on
488 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
n'osera repousser trop opiniâtrement tant <strong>de</strong> faits du<br />
même genre au moyen âge.<br />
Selon <strong>de</strong>s auteurs anciens, Sédéchias, Juif et mé<strong>de</strong>cin,<br />
était si habi<strong>le</strong> à fasciner par <strong>de</strong>s prestiges, qu'il<br />
semblait aux spectateurs ava<strong>le</strong>r un chevalier armé,<br />
dévorer une voiture chargée <strong>de</strong> foin, sans excepter <strong>le</strong>s<br />
chevaux et <strong>le</strong> voiturier. Il coupait la tête, <strong>le</strong>s mains et<br />
<strong>le</strong>s pieds d'une personne, semblait <strong>le</strong>s placer dans<br />
un bassin, puis <strong>le</strong>s remettait en place ; il faisait voir<br />
<strong>de</strong>s chasses, <strong>de</strong>s courses, <strong>de</strong>s joutes en l'air... L'an 876,<br />
en p<strong>le</strong>in hiver, dans <strong>le</strong> palais <strong>de</strong> l'empereur Louis, on<br />
l'a vu créer <strong>de</strong>s vergers, <strong>de</strong>s jardins p<strong>le</strong>ins <strong>de</strong> plantes<br />
rares," <strong>de</strong> f<strong>le</strong>urs charmantes, et <strong>de</strong>s oiseaux dont <strong>le</strong>s<br />
chants étaient mélodieux. Quelqu'un tirait-il <strong>le</strong> pied<br />
d'un autre, ce pied suivait sans que celui-ci en souffrît.<br />
« Satan aime à provoquer <strong>le</strong> rire, dit Delrio : Amat<br />
Satan homines ad riswn provocare, ut lœti ac hilares imbibant<br />
impietatem; sic prœstigiatores, etc. » (Delrio,<br />
Disqnis. mat/., I, A.)<br />
Dans son Histoire <strong>de</strong> Bohême, ouvrage fort estimé,<br />
Dubravius par<strong>le</strong> d'un bohémien si expert en prestiges,<br />
que, au même instant, il se présentait <strong>avec</strong><br />
un visage, <strong>de</strong>s habits et une stature tout différents;<br />
pour amuser <strong>le</strong> roi, il faisait apparaître à sa tab<strong>le</strong><br />
ses courtisans <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s pieds <strong>de</strong> bœuf et <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s<br />
cornes au front. Ce magicien se faisait traîner dans un<br />
char attelé <strong>de</strong> chevaux métamorphosés en coq. Il changea<br />
un jour <strong>de</strong>s bottes <strong>de</strong> foin en pourceaux ; l'acheteur<br />
<strong>le</strong>s ayant conduits à la rivière, fut fort surpris <strong>de</strong><br />
voir autant <strong>de</strong> bottes <strong>de</strong> foin surnager et être emmenées<br />
par <strong>le</strong> courant (Dubravius, XXIII, Int. Rcr.<br />
bohein. script.).
AVEC LE DÉMON. 489<br />
<strong>Des</strong> divers moyens <strong>de</strong> connaître l'avenir et <strong>le</strong>s choses cachées, <strong>de</strong>s<br />
présages, inspirations, songes, etc.<br />
L'avenir, certains événements cachés peuvent être<br />
révélés sans invocations ni pratiques superstitieuses.—•<br />
Ainsi <strong>le</strong>s présages, <strong>le</strong>s pressentiments, <strong>le</strong>s songes, <strong>le</strong>s<br />
inspirations, la secon<strong>de</strong> vue, indépendamment <strong>de</strong>s diverses<br />
divinations artificiel<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s manifestations d'esprits,<br />
etc., etc., sont autant <strong>de</strong> moyens <strong>de</strong> connaître ce<br />
qui est caché.<br />
Comme l'antiquité païenne, <strong>le</strong> moyen âge eut ses<br />
présages; on pensa que la Divinité peut annoncer aux<br />
hommes <strong>le</strong>s malheurs prêts à fondre sur eux. La sainte<br />
Écriture citait <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> présages, et, <strong>de</strong> concert<br />
<strong>avec</strong> el<strong>le</strong>, l'histoire profane l'a fait pendant une longue<br />
suite <strong>de</strong> sièc<strong>le</strong>s. Si <strong>le</strong>s Gentils croyaient à <strong>de</strong>s prodiges<br />
qui s'expliquent aujourd'hui, tels que <strong>le</strong>s monstres à<br />
plusieurs têtes, <strong>le</strong>s parhélies, <strong>le</strong>s aérolithes, <strong>le</strong>s comètes,<br />
etc., il y avait <strong>de</strong>s signes inexplicab<strong>le</strong>s que <strong>le</strong>s<br />
auteurs du moyen âge ont rapportés <strong>avec</strong> la gravité<br />
et la bonne foi d'un historien très-convaincu <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />
réalité. Grégoire <strong>de</strong> Tours cite <strong>de</strong>s prodiges à chaque<br />
page, comme Julius Obséquens et comme Tite-Live. —<br />
En 580, sous Chilpéric, on raconte que <strong>de</strong>s bruits<br />
effrayants, dont la cause ne put être connue, se firent<br />
entendre; du sang pur coula d'un pain quand on <strong>le</strong><br />
rompit, d'autres présages funestes annoncèrent <strong>le</strong>s<br />
malheurs sans nombre qui frappèrent <strong>le</strong> monarque et<br />
ses sujets. D'après Flodoart, en 842 et mars 848, on<br />
vit à différentes époques, dans <strong>le</strong>s airs, défi<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s armées<br />
au clair <strong>de</strong> la lune.<br />
Au dixième sièc<strong>le</strong>, à Reims, une semblab<strong>le</strong> apparition<br />
présagea la peste. Mi chaud a rapporté <strong>le</strong>s nom-
490 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
breux présages qui enflammèrent au onzième sièc<strong>le</strong> l'ar<strong>de</strong>ur<br />
<strong>de</strong>s croisés.<br />
Mézeray, règne <strong>de</strong> Philippe I er<br />
, dit qu'on vit <strong>de</strong>s armées<br />
s'entre-choquer <strong>avec</strong> un étrange tintamarre ; du<br />
pain cuit tout récemment répandit beaucoup <strong>de</strong> sang;<br />
un enfant parla disiinctement à l'instant même <strong>de</strong> sa<br />
naissance.<br />
En 4395, <strong>le</strong> même historien (règne <strong>de</strong> Char<strong>le</strong>s VI)<br />
par<strong>le</strong> <strong>de</strong> cinq petites étoi<strong>le</strong>s qu'on vit combattre contre<br />
une gran<strong>de</strong> étoi<strong>le</strong>, jusqu'au moment où une voix terrib<strong>le</strong><br />
venant du ciel se fit entendre ; puis un cavalier<br />
tout <strong>de</strong> feu transperça <strong>de</strong> sa lance <strong>de</strong> feu cette gran<strong>de</strong><br />
étoi<strong>le</strong> qui disparut.<br />
On vit aussi en Guyenne <strong>de</strong>s escadrons se heurter,<br />
on entendit <strong>le</strong>s hennissements <strong>de</strong>s chevaux, <strong>le</strong> cliquetis<br />
<strong>de</strong>s armes, <strong>le</strong>s cris <strong>de</strong>s combattants.<br />
Depuis J'apparition d'une croix à Constantin jusqu'à<br />
cel<strong>le</strong> qui apparut à trois mil<strong>le</strong> spectateurs en<br />
182(3, à Migné, on pourrait citer plusieurs apparitions<br />
semblab<strong>le</strong>s qui, tantôt furent <strong>de</strong>s présages heureux,<br />
tantôt <strong>de</strong> malheur. On en signa<strong>le</strong> au huitième<br />
sièc<strong>le</strong>. Au neuvième, <strong>le</strong> roi <strong>de</strong>s Pietés, près <strong>de</strong> livrer<br />
batail<strong>le</strong> au roi <strong>de</strong>s Ang<strong>le</strong>s, invoque saint André; une<br />
croix apparaît aussitôt dans <strong>le</strong> ciel, inspire <strong>le</strong> courage<br />
aux siens et jette l'épouvante parmi <strong>le</strong>s ennemis. A<br />
dater <strong>de</strong> ce jour, la croix <strong>de</strong> saint André fut placée sur<br />
<strong>le</strong>s drapeaux comme témoignage <strong>de</strong> ce prodige que <strong>le</strong><br />
calviniste Buchanan admet, mais n'explique point.<br />
En 1139, Alphonse, n'étant encore que comte <strong>de</strong> Portugal,<br />
avait à combattre contre cinq rois maures; il sentait<br />
<strong>le</strong> danger <strong>de</strong> sa position, car il y avait cent Maures<br />
contre un chrétien. Ses soldats étaient consternés, il était<br />
lui-même accablé <strong>de</strong> tristesse, disposition peu favorab<strong>le</strong><br />
pour combattre un ennemi aussi puissant. 11 supplia
AVEC LE DÉMON. 491<br />
<strong>le</strong> Seigneur <strong>de</strong> se montrer aux infidè<strong>le</strong>s, et aussitôt on<br />
vit dans <strong>le</strong> ciel un rayon lumineux; il augmente, puis<br />
apparaît une croix plus brillante que <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il. <strong>Des</strong><br />
anges environnaient <strong>le</strong> signe vénérab<strong>le</strong>... Alphonse<br />
alors triomphe d'un ennemi si confiant naguère. Laharpe,<br />
que l'on n'accusera point d'avoir été crédu<strong>le</strong><br />
avant sa conversion, dit que ce prodige est attesté<br />
par tous <strong>le</strong>s historiens espagnols, mais il n'essaye pas<br />
<strong>de</strong> l'expliquer. — On est loin <strong>de</strong> vouloir attribuer tous<br />
ces faits merveil<strong>le</strong>ux au môme agent; qu'ils soient<br />
divins, sataniques ou naturels, peu nous importe;<br />
mais la croyance aux présages continue, parce que<br />
<strong>le</strong>s phénomènes qui l'ont établie n'ont point cessé <strong>de</strong><br />
se manifester. On croira faci<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong>s chroniques<br />
fourniraient une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces présages, signalés<br />
chez <strong>le</strong>s anciens, comme signes précurseurs d'événements<br />
généraux ou particuliers, tels que voix entendues,<br />
coups frappés, apparitions <strong>de</strong> spectres, etc., etc.,<br />
la ressemblance est si frappante, ils se présentaient si<br />
souvent à cette époque, comme ils l'ont fait <strong>de</strong>puis,<br />
qu'il serait plus convenab<strong>le</strong> <strong>de</strong> rechercher <strong>le</strong>s causes<br />
et la nature <strong>de</strong> ces phénomènes que d'en dédaigner<br />
l'examen.<br />
, <strong>Des</strong> songes.<br />
L'illustre Cicéron était-il <strong>de</strong> bonne foi, lorsqu'il<br />
affectait <strong>de</strong> mépriser <strong>le</strong>s songes? S'il était possib<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
faire un recueil non <strong>de</strong>s songes extraordinaires qui<br />
n'ont jamais été écrits, quoique propres cependant à<br />
causer un vif étonnement aux sceptiques, mais <strong>de</strong> ceux<br />
qu'on peut lire dans <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s légen<strong>de</strong>s, <strong>le</strong>s chroniques<br />
et <strong>le</strong>s biographies, on obtiendrait au moyen âge<br />
un nombre immense, sans doute, <strong>de</strong> volumes <strong>de</strong> songes
4!J2 DES HAl'PORTS DE L'HOMME<br />
qui forcerait <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur <strong>de</strong> s'écrier, en s'adressant à<br />
l'orateur romain : « Grand Cicéron, vous saviez vousmême,<br />
en méprisant certains songes, que votre décision<br />
était fausse; <strong>le</strong> motif qui vous dirigeait, étant <strong>de</strong> combattre<br />
<strong>le</strong>s superstitions, peut-il vous excuser? — L'antiquité<br />
y a cru et l'Église indique encore aujourd'hui<br />
<strong>de</strong>s moyens pour <strong>le</strong>s discerner. Malgré <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s trèssages<br />
qu'el<strong>le</strong> nous donne, il se trouva cependant, nième<br />
parmi ses ministres, <strong>de</strong>s hommes héritiers <strong>de</strong>s vieil<strong>le</strong>s<br />
doctrines païennes qui, en interprétant <strong>le</strong>s songes,<br />
s'exposèrent aux tromperies <strong>de</strong> Satan. L'évêquo Synésius<br />
fit un traité pour expliquer <strong>le</strong>s songes naturels<br />
<strong>le</strong>s plus insignifiants ; à côté <strong>de</strong> ceux-ci, qu'il est permis<br />
au <strong>démon</strong> <strong>de</strong> réaliser quelquefois, on voit toujours <strong>le</strong>s<br />
songes divins et diaboliques. D'après saint Jérôme, on<br />
en citera un qu'il crut appartenir aux premiers. Une<br />
nuit, il songea qu'on <strong>le</strong> fouettait, parce qu'il aimait<br />
trop <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres profanes; à son réveil, <strong>le</strong>s marques parurent<br />
sur sa personne, aussi il ne douta point que ce<br />
songe ne fût divin. — Saint Augustin (De cura jiro<br />
mort., XI) cite un songe dont la source divine fut<br />
moins évi<strong>de</strong>nte : « On présente à un fils, en qualité<br />
d'héritier <strong>de</strong> son père, un bil<strong>le</strong>t souscrit par ce <strong>de</strong>rnier;<br />
ce fils, ignorant cette <strong>de</strong>tte, eut un songe dans <strong>le</strong>quel il<br />
vit son père lui assurant que la <strong>de</strong>tte était payée, et<br />
qui lui dit <strong>de</strong> chercher en tel endroit pour en trouver la<br />
preuve, ce qu'il fit <strong>avec</strong> p<strong>le</strong>in succès. » <strong>Le</strong> saint évoque<br />
n'attribue pas ce songe au défunt, mais aux esprits ; <strong>de</strong><br />
quel<strong>le</strong> nature était celui-ci? <strong>Le</strong> service rendu ne <strong>démon</strong>tre<br />
pas rigoureusement une source divine, et saint<br />
Augustin n'a rien décidé; —<strong>le</strong> <strong>démon</strong>, pour favoriser<br />
la croyance aux songes, a bien pu faire cette révélation.<br />
Pétrarque cite celui-ci : Un Italien songe qu'un <strong>de</strong>s<br />
lions <strong>de</strong> marbre ornant <strong>le</strong> parvis d'une église lui a fait
AVEC LE DÉMON. 493<br />
une morsure mortel<strong>le</strong>. <strong>Le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, passant <strong>de</strong>vant<br />
une église, et voyant un lion <strong>de</strong> marbre, il raconte à<br />
ceux qui l'accompagnent son songe <strong>de</strong> la nuit, et mettant<br />
la main dans la gueu<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'animal, il dit : Voilà<br />
mon ennemi <strong>de</strong> la nuit <strong>de</strong>rnière ; malheureusement, il<br />
s'y trouvait un scorpion qui lui fit une b<strong>le</strong>ssure mortel<strong>le</strong>.<br />
— A la rigueur, la réalisation <strong>de</strong> ce songe pouvait<br />
venir du hasard; mais s'il est merveil<strong>le</strong>ux, est-il divin?<br />
— Ce songe était un mensonge si <strong>le</strong> songeur n'y eût<br />
pas fait attention; Dieu l'aurait-il donc envoyé pour<br />
qu'il <strong>de</strong>vînt la cause <strong>de</strong> l'acci<strong>de</strong>nt? On ne peut <strong>le</strong> supposer.<br />
D'autre part, si on l'attribue au <strong>démon</strong>, on en<br />
fait un prophète, et on sait qu'il ignore l'avenir : il<br />
faudrait donc admettre ici que <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> aurait conduit<br />
un scorpion dans la gueu<strong>le</strong> du lion, dirigé <strong>le</strong>s pas du<br />
songeur auprès du scorpion, et réalisé ainsi <strong>le</strong> songe<br />
qu!il aurait envoyé. On n'entreprendra point ici <strong>de</strong><br />
faire <strong>le</strong> discernement <strong>de</strong> ces songes, on constate uniquement<br />
l'existence <strong>de</strong>s trois catégories signalées précé<strong>de</strong>mment.<br />
Inspirations, secon<strong>de</strong>- vue, etc.<br />
L'inspiration diabolique se présente si souvent dans<br />
<strong>le</strong>s faits en simulant l'inspiration divine, qu'il est parfois<br />
fort diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>s distinguer, tant <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> se montre<br />
habi<strong>le</strong> à se transformer en ange <strong>de</strong> lumière ; quelquefois<br />
aussi <strong>le</strong> <strong>démon</strong> s'ingénie à faire penser que ses<br />
inspirations sont dues à l'état pathologique ou simp<strong>le</strong>ment<br />
physiologique <strong>de</strong> l'inspiré, sujet ardu dans tous<br />
<strong>le</strong>s temps; un mala<strong>de</strong>, un fou prédisent, lisent <strong>le</strong>s secrets<br />
<strong>de</strong>s cœurs. Ce phénomène est naturel, dit-on,<br />
parce qu'il cesse <strong>avec</strong> la maladie qui l'a causé ; que déci<strong>de</strong>r<br />
alors du fait suivant?
494 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Grégoire <strong>de</strong> Tours cite l'histoire d'un bûcheron <strong>de</strong><br />
Bourges qui, ayant été piqué par <strong>le</strong>s abeil<strong>le</strong>s, fut insensé<br />
durant <strong>de</strong>ux ans ; plus tard, il se dit <strong>le</strong> Messie et conduisait<br />
<strong>avec</strong> lui une femme du nom <strong>de</strong> Marie... —<br />
Jusqu'ici rien <strong>de</strong> fort prodigieux ; mais bientôt on <strong>le</strong><br />
suit en fou<strong>le</strong>, parce qu'il guérit <strong>le</strong>s infirmes et prédit<br />
l'avenir; il annonce <strong>le</strong>s maladies qui surviendront, <strong>le</strong>s<br />
pertes qu'on subira : <strong>le</strong>s uns y virent une inspiration<br />
toute divine, d'autres, vu la cause qui semblait l'avoir<br />
provoquée, pensèrent qu'el<strong>le</strong> pouvait être naturel<strong>le</strong>.<br />
D'après Grégoire <strong>de</strong> Tours, il paraît cependant que ces<br />
facultés surprenantes furent généra<strong>le</strong>ment attribuées<br />
au <strong>démon</strong>. — Saint Augustin par<strong>le</strong> d'un certain Albicérius'qui<br />
paraissait instruit <strong>de</strong>s actions <strong>le</strong>s plus secrètes<br />
<strong>de</strong>s gens 1<br />
qu'il voyait, et d'un frénétique ayant<br />
<strong>le</strong> don <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> vue. Ces facultés extraordinaires se<br />
manifestaient môme dans l'état normal, comme chez la<br />
femme <strong>de</strong>vineresse dont se servait Frédégon<strong>de</strong>; chez<br />
cel<strong>le</strong>-ci, <strong>le</strong>s facultés surhumaines étaient assez pré-<br />
J. Saint Augustin (G. aead., I, art. 17) l'avait connu étant à Cartilage,<br />
et dit qu'il était il<strong>le</strong>ttré et qu'il répondait à tous ceux qui <strong>le</strong><br />
consultaient sur <strong>le</strong>s choses <strong>le</strong>s plus inconnues; il <strong>le</strong> sait par expérience,<br />
et invoque <strong>le</strong> témoignage d'Alypius,<strong>de</strong> Licentius, dcTrygelius,<br />
qui avaient comme lui consulté Alhicérius et étaient élonnés <strong>de</strong> ses<br />
réponses. On <strong>le</strong> consulta sur une perte..., sans hésiter, il répondit :<br />
— « C'est une cuil<strong>le</strong>r. Celui qui l'a volée l'a cachée en tel lieu..., etc. »<br />
— Ce qui se trouva vrai. Quelqu'un lui envoyait une certaine somme;<br />
celui qui la lui portait en avait détourné quelques pièces d'argent; il<br />
reconnaît <strong>le</strong> vol avant d'avoir vérifié la somme. Un savant nommé<br />
Flaccianus, voulant acheter un champ, consulta <strong>le</strong> <strong>de</strong>vin; il <strong>de</strong>vina <strong>le</strong><br />
nom <strong>de</strong> ce champ qui était fort hétéroclite, et exposa toutes <strong>le</strong>s circonstances<br />
relatives à cette affaire. Un jeune étudiant <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce<br />
qu'il a dans la pensée : « Un vers <strong>de</strong> Virgi<strong>le</strong>, » lui répondit-il; il <strong>le</strong> récita<br />
sur-<strong>le</strong>-champ, quoiqu'il n'eût pas étudié <strong>le</strong> latin. Saint Augustin<br />
dit <strong>de</strong> lui : « C'est un scélérat, Homo (lagitiosissimus. » (V. aussi<br />
D. Calm., <strong>Des</strong> apparitions, I, 240.)
AVEC LE DÉMON. 495<br />
cieuses; non-seu<strong>le</strong>ment el<strong>le</strong> <strong>de</strong>vinait l'avenir, découvrait<br />
<strong>le</strong>s vo<strong>le</strong>urs et retrouvait <strong>le</strong>s objets volés ; mais on<br />
reconnut un esprit <strong>de</strong> python, qui lui faisait ainsi gagner<br />
beaucoup d'argent. Agéric, évêque <strong>de</strong> Verdun,<br />
la fit arrêter et l'exorcisa... <strong>le</strong> <strong>démon</strong> refusant <strong>de</strong> sortir;<br />
on eût continué <strong>le</strong>s exorcismes ; mais Frédégon<strong>de</strong> intervint,<br />
et trouva sans doute qu'une faculté si uti<strong>le</strong> à<br />
ses intérêts et à sa curiosité n'était pas si détestab<strong>le</strong>.<br />
Saint Augustin traite ces gens <strong>de</strong> scélérats, parce que<br />
<strong>le</strong>s facultés divinatrices viennent ou <strong>de</strong> l'inspiration<br />
<strong>de</strong>s mauvais esprits, ou même <strong>de</strong> colloques <strong>avec</strong> eux<br />
dans <strong>le</strong>urs apparitions. Froissard rapporte dans ses<br />
Chroniques que, <strong>de</strong>ux ou trois sièc<strong>le</strong>s avant lui, un baron<br />
vassal du comte <strong>de</strong> Foix avait un esprit familier<br />
qui lui faisait connaître tout ce qui se passait. Rien ne<br />
se faisait, dit-il, « ni auprès, ni au loin, qu'il ne <strong>le</strong> sût<br />
« tout incontinent, et quant et quant en avertissait<br />
« <strong>le</strong> comte, <strong>le</strong>quel s'esbahissait bien fort <strong>de</strong> ce que<br />
« <strong>le</strong> baron lui contait <strong>de</strong>s choses qu'il n'était pas<br />
« possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> savoir aussitôt par moyens humains. »<br />
(V. Massé, Impost. <strong>de</strong>s <strong>de</strong>v.) <strong>Le</strong> baron étant ami du comte<br />
finit par lui confier la familiarité qu'il avait <strong>avec</strong> cet<br />
esprit. Curieux, désireux <strong>de</strong> <strong>le</strong> connaître, <strong>le</strong> comte,<br />
aussi peu scrupu<strong>le</strong>ux que <strong>le</strong> baron, sollicita l'esprit,<br />
l'attira et lui fit quitter ce <strong>de</strong>rnier, qui en avait fait autant<br />
à un certain prêtre romain. Alors la science du<br />
baron cessa, et <strong>le</strong> comte <strong>de</strong> Foix sut tout ce qui se passait<br />
en sa seigneurie et même dans tous <strong>le</strong>s États du<br />
mon<strong>de</strong> ; il suffisait <strong>de</strong> consulter l'esprit.<br />
Astrologie, talismans.<br />
L'astrologie était une science aussi diffici<strong>le</strong> que chimérique;<br />
l'Occi<strong>de</strong>nt, au moyen âge, s'y livra fort peu:
DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>le</strong>s vrais savants, peu nombreux alors, en connaissaient<br />
trop bien la source impure pour vouloir l'étudier, et<br />
la classe ignorante ne <strong>le</strong> pouvait. Cultivée seu<strong>le</strong>ment<br />
chez <strong>le</strong>s Orientaux, et en Espagne par <strong>le</strong>s Sarrasins,<br />
c'est au douzième sièc<strong>le</strong>, par suite <strong>de</strong>s <strong>rapports</strong> établis<br />
entre l'Orient et l'Occi<strong>de</strong>nt, que cette prétendue science,<br />
importée parmi nous, prit un développement inconnu<br />
même <strong>de</strong>s anciens.<br />
Il n'entre pas dans ce plan <strong>de</strong> la faire connaître. <strong>Le</strong>s<br />
astrologues supposaient trois sortes do mon<strong>de</strong>s ; chacun<br />
reçoit <strong>le</strong>s influences du mon<strong>de</strong> supérieur qui <strong>le</strong> gouverne<br />
; <strong>le</strong> Créateur communique aux hommes sa toutepuissance<br />
par <strong>le</strong>s intelligences, par <strong>le</strong>s cieux, <strong>le</strong>s étoi<strong>le</strong>s,<br />
<strong>le</strong>s planètes, <strong>le</strong>s éléments, par <strong>le</strong>s animaux, <strong>le</strong>s pierres...<br />
Alors* il <strong>le</strong>ur est donné <strong>de</strong> pénétrer jusqu'à l'archétype,<br />
l'ouvrier <strong>de</strong> toutes choses.<br />
L'astrologie, qui avait déjà tant d'ennemis parmi <strong>le</strong>s<br />
philosophes gentils, en trouva d'autant plus au moyen<br />
âge, que <strong>le</strong>s vrais chrétiens la considéraient comme<br />
une imposture diabolique; mais <strong>le</strong>s sectes hérétiques<br />
s'y adonnèrent. <strong>Le</strong>s grands consultèrent <strong>le</strong>s astrologues,<br />
et on la verra, surtout après <strong>le</strong> quinzième sièc<strong>le</strong>,<br />
dominer <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, inspirer <strong>de</strong> fausses espérances aux<br />
uns, ou troub<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s autres par <strong>de</strong>s craintes souvent chimériques.<br />
<strong>Le</strong>s talismans, comme l'astrologie, étaient à peu<br />
près tombés dans l'oubli durant <strong>le</strong> moyen âge; <strong>le</strong> savant<br />
Ménestrier dit que, renouvelés par <strong>le</strong>s gnostiques<br />
et autres hérésiarques <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s, ils furent<br />
<strong>de</strong> nouveau tirés <strong>de</strong>s ténèbres dans <strong>le</strong> seizième et <strong>le</strong> dixseptième<br />
sièc<strong>le</strong>. Il est donc possib<strong>le</strong> qu'ils fussent peu<br />
connus au moyen âge ;... cependant on y recourait encore<br />
trop souvent, puisque l'Église a fait <strong>de</strong>s efforts, à<br />
cette époque, pour proscrire ces abus; ses princes con-
AVEC LE DÉMON. 497<br />
damnent tout infracteur à <strong>de</strong>s peines sévères. En 721,<br />
un conci<strong>le</strong> tenu à Rome défend, sous peine d'excommunication,<br />
l'usage <strong>de</strong> ces ban<strong>de</strong>s sur <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s sont<br />
écrits <strong>de</strong>s versets <strong>de</strong>s livres saints, réunis à d'autres<br />
paro<strong>le</strong>s superstitieuses. Léon <strong>le</strong> Sage, au neuvième<br />
sièc<strong>le</strong>, pour abolir <strong>le</strong>s talismans, condamne à mort<br />
ceux qui s'en servent, et pourtant on voit, au treizième<br />
sièc<strong>le</strong>, Léopold, évêque <strong>de</strong> Freisingen, composer<br />
un traité sur l'influence <strong>de</strong>s astres et sur la manière<br />
<strong>de</strong> se <strong>le</strong>s rendre favorab<strong>le</strong>s par <strong>le</strong>s talismans. Ceci<br />
prouve que l'astrologie et <strong>le</strong>s talismans furent bien loin<br />
d'ôtre oubliés, puisque, malgré la défense <strong>de</strong> l'Église,<br />
quelques-uns <strong>de</strong> ses membres môme s'y adonnaient 1<br />
.<br />
. A la même époque, on voit enfin <strong>le</strong> moine Roger<br />
Bacon s'adonnera l'astrologie et composer divers écrits<br />
sur <strong>le</strong>s prétendues vertus occultes <strong>de</strong> la nature. <strong>Le</strong> général<br />
<strong>de</strong> son ordre, croyant qu'il était sorcier, <strong>le</strong> fît enfermer,<br />
« car il avait l'esprit <strong>de</strong> son sièc<strong>le</strong> (disent <strong>le</strong>s<br />
biographes <strong>de</strong> Bacon, — c'est-à-dire il croyait à l'intervention<br />
<strong>de</strong> Satan). Il fallut que <strong>le</strong> franciscain prouvât<br />
qu'il n'avait nul commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong> diab<strong>le</strong>. » — Cette assertion<br />
est une erreur, Roger Bacon fut enfermé parce<br />
qu'il s'était infatué d'astrologie, parce que ses écrits<br />
étaient remplis <strong>de</strong> superstitions... L'Église, voyant <strong>le</strong><br />
retour <strong>de</strong> l'astrologie, préoccupée <strong>de</strong> ses résultats et<br />
sachant quel en était l'auteur, crut <strong>de</strong>voir sévir contre<br />
ceux qui la pratiquaient.<br />
<strong>Des</strong> épreuves au moyen âge , épreuves par <strong>le</strong> feu.<br />
<strong>Le</strong>s épreuves rentrent dans <strong>le</strong>s pratiques <strong>de</strong> divination,<br />
comme étant un moyen <strong>de</strong> découvrir la culpabi-<br />
i. On attribuait l'influence <strong>de</strong>s talismans à une cause naturel<strong>le</strong>, ce<br />
qui disculpe un peu ceux qui y avaient recour:;.<br />
1. 32
498 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
lité ou l'innocence d'un accusé. L'antiquité païenne<br />
la plus reculée s'en était servie ; <strong>le</strong> moyen âge chrétien<br />
se crut d'autant mieux permis <strong>de</strong> recourir à ce moyen,<br />
que Dieu avait fait ainsi <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s pour sauver <strong>de</strong>s<br />
innocents; <strong>de</strong> sorte que ceux même qui n'avaient nul<br />
droit d'espérer un mirac<strong>le</strong>, tentèrent Dieu par <strong>le</strong>s<br />
épreuves. Saint Simplice au quatrième sièc<strong>le</strong>, il est<br />
vrai, et au cinquième saint Brice, s'étaient purgés par<br />
l'épreuve du feu ; ce <strong>de</strong>rnier, non content d'avoir porté<br />
dans ses vêtements restés intacts <strong>de</strong>s charbons ar<strong>de</strong>nts,<br />
fit apporter l'enfant dont on l'accusait d'être <strong>le</strong> père ; et,<br />
quoique trop jeune pour articu<strong>le</strong>r, celui-ci parla cependant<br />
pour nier cette paternité. Au sixième sièc<strong>le</strong>, un<br />
solitaire, partisan <strong>de</strong> l'hérésie <strong>de</strong> Sévère, voulant la<br />
prouver par une épreuve; Éphrem, patriarche d'Antioche,<br />
y consentit. « Quoique vous <strong>de</strong>viez m'obéir, lui<br />
dit-il, et que vous <strong>de</strong>mandiez une chose au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />
mon pouvoir, j'ai tant <strong>de</strong> confiance en Dieu, que je ne<br />
m'y refuse pas. » Il fit préparer un bûcher, qui effraya<br />
cet hérétique présomptueux; <strong>le</strong> saint, l'ayant réprimandé,<br />
se borna ù y jeter sa tunique, qui en fut retirée<br />
intacte trois heures après. (P. <strong>Le</strong> Brun, Hist. critiq. <strong>de</strong>s<br />
supers!., II, 1G3.)<br />
Ces mirac<strong>le</strong>s inspirèrent <strong>de</strong> la confiance aux superstitieux;<br />
ils ignoraient que <strong>le</strong>s prodiges obtenus par <strong>le</strong>s<br />
méchants et <strong>le</strong>s infidè<strong>le</strong>s ne peuvent être divins, Dieu<br />
d'ordinaire n'exauce que <strong>le</strong>s prières <strong>de</strong>s saints. — <strong>Le</strong>s<br />
épreuves superstitieuses continuèrent donc, malgré <strong>le</strong>s<br />
défenses réitérées <strong>de</strong> l'Église ; <strong>le</strong>s Ripuaires et <strong>le</strong>s Frisons<br />
<strong>le</strong>s pratiquaient. Au huitième sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s Lombards,<br />
vaincus par Char<strong>le</strong>magne, y tenaient infiniment, et <strong>de</strong>s<br />
chrétiens peu éclairés s'opiniâtraient à y voir l'intervention<br />
divine. Agobard tonne contre ces abus; Louis<br />
<strong>le</strong> Débonnaire, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s évêques, <strong>le</strong>s condamnent; et
AVEC LE DÉMON. 499<br />
en 800 on voit encore l'épreuve du fer chaud dans la<br />
cause <strong>de</strong> la reine Thietberge, accusée d'inceste; — un<br />
homme fit pour el<strong>le</strong> l'épreuve <strong>de</strong> l'eau bouillante sans<br />
se brû<strong>le</strong>r. Plusieurs pensaient que la magie n'y était<br />
point étrangère, et cependant on tolérait ces pratiques.<br />
Hincmar consulté, fut d'avis qu'on pouvait, d'après<br />
l'Écriture, employer ces épreuves ; mais il tombait d'accord<br />
qu'on ne doit pas y recourir quand la vérité peut<br />
se découvrir par d'autres voies. Pourtant il soupçonnait<br />
vivement l'intervention diabolique ; car lorsque<br />
Gotescalc voulut entrer dans quatre tonneaux d'eau,<br />
d'hui<strong>le</strong>, <strong>de</strong> poix bouillantes, et dans un grand feu, successivement,<br />
en présence du roi, <strong>de</strong>s évéques, <strong>de</strong>s c<strong>le</strong>rcs<br />
et du peup<strong>le</strong>, on lè lui refusa, et Hincmar lui-même <strong>le</strong><br />
traita d'homme diabolique.<br />
En 876, <strong>le</strong> fils <strong>de</strong> Louis <strong>le</strong> Germanique prouva<br />
contre son onc<strong>le</strong> ses droits au trône; dix hommes firent<br />
l'éprouve par l'eau froi<strong>de</strong>, dix par l'eau bouillante,<br />
et dix autres en tenant un fer rouge sans se brû<strong>le</strong>r.<br />
Depuis cette époque jusqu'au treizième sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s<br />
éprouves continuèrent d'être fréquentes.<br />
En 895, <strong>le</strong> conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Tribur <strong>le</strong>s permit aux laïques.<br />
Au dixième sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong> Pénitentiel romain ordonne<br />
qu'un serviteur, accusé d'avoir tué un prôtre, se justifiera<br />
on marchant sur douze fers ar<strong>de</strong>nts. — On pourrait<br />
citer dans ces sièc<strong>le</strong>s plusieurs exemp<strong>le</strong>s : sainte Gunégon<strong>de</strong>,<br />
en 1024, pour se justifier d'une accusation<br />
d'adultère, porte en ses mains <strong>le</strong>s fers ar<strong>de</strong>nts comme<br />
el<strong>le</strong> eût porté un bouquet <strong>de</strong> f<strong>le</strong>urs. En 1063, un religieux,<br />
<strong>de</strong>venu évêque d'Albano et cardinal, honoré<br />
comme saint, entre pieds nus dans un grand brasier,<br />
pour prouver la simonie <strong>de</strong> Pierre <strong>de</strong> Florence.<br />
En 1103, <strong>le</strong> prêtre Luitprand accuse <strong>de</strong> simonie<br />
Grosulan, archevêque <strong>de</strong> Milan, et s'offre à subir <strong>le</strong>-
500 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
preuve du feu ; il fit préparer un bûcher <strong>de</strong> bois <strong>de</strong><br />
chêne, long <strong>de</strong> dix coudées sur quatre <strong>de</strong> hauteur. Deux<br />
pi<strong>le</strong>s <strong>de</strong> même dimension étaient séparées Tune <strong>de</strong><br />
l'autre seu<strong>le</strong>ment d'une coudée et <strong>de</strong>mie, c'est-à-dire laissaient<br />
à peine un espace pour passer. Luitprand avait fait<br />
son testament et indiqué <strong>le</strong> lieu où on l'inhumerait, préliminaires<br />
qui montrent qu'il n'était pas très-sûr du succès<br />
; alors, revêtu <strong>de</strong> ses habits sacerdotaux, il s'engage<br />
dans cet étroit passage. <strong>Le</strong>s tourbillons <strong>de</strong> flamme se<br />
divisent en <strong>de</strong>ux parts au nord et au midi, comme si<br />
<strong>de</strong>ux vents contraires eussent soufilé au centre du bûcher.<br />
Ses vêtements, son corps, sa robe <strong>de</strong> lin n'en<br />
furent point endommagés; la main droite, qui avait<br />
jeté l'eaù bénite et donné l'encens, souffrit seu<strong>le</strong> quelque<br />
atteinte. Ce qui fut suffisant pour absoudre l'accusé,<br />
dont l'accusateur alors se détermina à se retirer dans<br />
la Valteline, ne voulant plus habiter Milan.<br />
En 1098, Pierre Barthélémy sut par révélation qu'une<br />
lance trouvée dans l'église d'Antioche était cel<strong>le</strong> qui avait<br />
percé <strong>le</strong> côté <strong>de</strong> Notre-Seigneur. — Gran<strong>de</strong> dispute à ce<br />
sujet, à laquel<strong>le</strong> l'inspiré voulut mettre fin par l'épreuve<br />
du feu; el<strong>le</strong> se fit en présence <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> quarante<br />
mil<strong>le</strong> spectateurs. Barthélémy, n'ayant pour vêtements<br />
qu'une chemise, passe au milieu d'un feu <strong>de</strong>s plus terrib<strong>le</strong>s,<br />
portant la lance couverte d'un linge très-fin,<br />
sans se brû<strong>le</strong>r. Étant mort douze jours après, ceux<br />
qui niaient l'i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la lance répandirent <strong>le</strong> bruit<br />
que <strong>le</strong> trépas était arrivé par suite <strong>de</strong> l'épreuve, que<br />
cel<strong>le</strong>-ci n'était donc pas concluante... <strong>Le</strong>urs adversaires<br />
prétendirent qu'il était mort, au contraire, par<br />
suite <strong>de</strong>s contusions qu'il avait reçues d'une populace<br />
ivre d'admiration pour lui. « <strong>Le</strong> prodige est constant,<br />
disaient-ils, car Barthélémy <strong>de</strong>vait être asphyxié, grillé<br />
dans un aussi grand feu. » — <strong>Le</strong> bûcher était composé
AVEC LE DÉMON. 304<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux tas <strong>de</strong> bois longs <strong>de</strong> quatorze pieds, séparés<br />
l'un <strong>de</strong> l'autre d'un pied environ (spatium quasi uni us<br />
.pedis), formant un embrasement qui s'é<strong>le</strong>vait jusqu'à<br />
trente coudées <strong>de</strong> hauteur (œstuabat usque ad triginta<br />
cubitos), dont nul ne pouvait approcher. Raymond d'Agi<strong>le</strong>s,<br />
témoin oculaire, soutient que <strong>le</strong> feu ne causa<br />
point la mort <strong>de</strong> Barthélémy ; il invoque <strong>le</strong> témoignage<br />
<strong>de</strong> ceux qui, comme lui, ont vu Barthélémy<br />
traverser ce feu effroyab<strong>le</strong> : « Ni son corps, ni sa chemise,<br />
dit-il, ni <strong>le</strong> linge très-fin couvrant la lance, ne<br />
furent atteints; on vit seu<strong>le</strong>ment quelques légères<br />
marques <strong>de</strong> brûlure aux jambes. » <strong>Le</strong> prodige était donc<br />
constant. D'abord il se trouva une lance, conformément<br />
à la révélation ; cette lance pouvait être fausse, mais<br />
Dieu permit sans doute que la foi <strong>de</strong> Barthélémy <strong>le</strong> préservât,<br />
sans vouloir qu'il <strong>le</strong> fût entièrement, pour ne<br />
pas faire passer pour une vraie relique une lance qui<br />
peut-être n'était pas ce qu'on pensait. (V. Dict. encycl.<br />
<strong>de</strong> ia thèolog. cathol., v° Lance.)<br />
On croyait ainsi que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> pouvait intervenir<br />
dans toutes <strong>le</strong>s épreuves, dans cel<strong>le</strong>s même qui semblaient<br />
<strong>le</strong>s plus saintes ; qu'il se transformait en ange <strong>de</strong><br />
lumière pour tromper. On remarquait enfin que <strong>le</strong> feu<br />
favorisant tantôt l'innocent, tantôt <strong>le</strong> coupab<strong>le</strong>, quelque<br />
prodigieuses que fussent <strong>le</strong>s épreuves, el<strong>le</strong>s méritaient<br />
donc peu <strong>de</strong> confiance. <strong>Le</strong>s yeux se <strong>de</strong>ssillèrent.<br />
Yves <strong>de</strong> Chartres prouva qu'el<strong>le</strong>s étaient impies, superstitieuses,<br />
rappela <strong>le</strong>s condamnations dirigées autrefois<br />
contre el<strong>le</strong>s, et trois papes, Cé<strong>le</strong>stin III, Innocent III,<br />
et Honorius III réitérèrent ces défenses. Au treizième<br />
sièc<strong>le</strong>, el<strong>le</strong>s étaient jugées <strong>de</strong> tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>; en Orient,<br />
où on <strong>le</strong>s pratiquait <strong>de</strong> la même manière qu'en France,<br />
on fut aussi détrompé. Pachymère raconte avoir vu dans<br />
sa jeunesse ces épreuves pratiquées plusieurs fois au
S02 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
grand étonnement <strong>de</strong>s spectateurs. Ceux qui s'y soumettaient<br />
ne se brûlaient pas ; on s'en désabusa cependant<br />
partout. — Ces pratiques, disait-on, venant <strong>de</strong>s<br />
Barbares, appartenaient à la magie. <strong>Le</strong> prodige ne<br />
pouvant émaner <strong>de</strong> Dieu, il fallait déci<strong>de</strong>r qu'il était<br />
diabolique, car on ne pouvait <strong>le</strong> supposer naturel. Comment,<br />
d'ail<strong>le</strong>urs, admettre que <strong>de</strong>s sauvages eussent<br />
<strong>de</strong>s connaissances physiques ignorées <strong>de</strong>s nations civilisées<br />
, et possédassent un secret qui n'avait jamais<br />
transpiré? Ce qui suit désabusa mieux encore. Sous<br />
<strong>le</strong> règne d'Àndronxc, il s'était é<strong>le</strong>vé <strong>de</strong>s disputes sur<br />
divers sujets théologiques. Chaque parti étant convaincu<br />
<strong>de</strong> la bonté <strong>de</strong> sa cause, on convint d'allumer<br />
un grand feu dans <strong>le</strong>quel tous jetteraient <strong>le</strong>urs cahiers<br />
, chacun espérait bien voir <strong>le</strong>s siens préservés ;<br />
mais, ô déception! <strong>le</strong>s livres <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s contendants<br />
brûlèrent. On rit beaucoup <strong>de</strong> l'épreuve; on se moqua<br />
surtout <strong>de</strong>s théologiens, et <strong>le</strong> ridicu<strong>le</strong> opéra ce que<br />
n'avaient pu faire <strong>le</strong>s papes et tous <strong>le</strong>s conci<strong>le</strong>s.<br />
Épreuve par Veau.<br />
Quoiqu'on ne voie l'épreuve <strong>de</strong> l'eau en usage qu'au<br />
troisième sièc<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> ne doit pas être moins ancienne<br />
que <strong>le</strong>s épreuves du fer chaud. <strong>Le</strong>s Capitulaircs l'interdirent;<br />
Hincmar nous dit comment el<strong>le</strong> se pratiquait au<br />
neuvième sièc<strong>le</strong>. L'accusé nu, <strong>le</strong> pied droit lié <strong>avec</strong> la<br />
main gauche, soutenu par une cor<strong>de</strong>, était lancé dans<br />
l'eau; s'il enfonçait, il était déclaré innocent : c'était<br />
<strong>le</strong> contraire s'il surnageait. Cette éprouve, qui se fera<br />
plus tard uniquement pour <strong>le</strong>s sorciers, avait lieu<br />
pour divers crimes. I<strong>le</strong>rman et Loccénius font mention<br />
<strong>de</strong> quelques vo<strong>le</strong>urs qui, après avoir essayé en<br />
secret s'ils enfonceraient, <strong>de</strong>mandèrent use justifier
AVEC LE DÉMON. 303<br />
par l'eau; mais, lors <strong>de</strong> l'épreuve juridique, ils nagèrent<br />
comme du liège. Louis <strong>le</strong> Débonnaire, ayant indiqué<br />
pour l'an 829 <strong>de</strong>s conci<strong>le</strong>s à Paris, à Lyon, à<br />
Mayence et à Toulouse, avait <strong>de</strong>mandé qu'on examinât<br />
<strong>le</strong>s épreuves par l'eau. <strong>Le</strong> résultat fut la défense expresse,<br />
omnibus interdicantur ; cependant <strong>le</strong>s discussions<br />
<strong>de</strong>s savants <strong>le</strong>s firent rétablir sous Char<strong>le</strong>s <strong>le</strong> Chauve.<br />
Hincmar, malgré la décision <strong>de</strong>s quatre conci<strong>le</strong>s précé<strong>de</strong>nts,<br />
voulut justifier <strong>le</strong>s épreuves par l'eau, en citant<br />
divers mirac<strong>le</strong>s : « Noé, disait-il, a surnagé, et <strong>le</strong>s méchants<br />
enfoncèrent dans <strong>le</strong>s eaux. Depuis Jésus-Christ,<br />
l'eau, qui nous a sanctifiés par <strong>le</strong> baptême, ne peut recevoir<br />
<strong>le</strong>s méchants... <strong>Des</strong> hommes divins ont trouvé <strong>le</strong><br />
secret <strong>de</strong> découvrir <strong>de</strong>s faits cachés par l'épreuve <strong>de</strong><br />
l'eau froi<strong>de</strong>... » — D'autres citaient <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />
rapportés par Grégoire <strong>de</strong> Tours, concernant <strong>de</strong>ux<br />
femmes : l'une condamnée à être noyée, jetée dans<br />
<strong>le</strong> Rhône <strong>avec</strong> une grosse pierre au cou, ayant invoqué<br />
saint Genêt, surnagea; l'autre, accusée d'adultère,<br />
jetée dans la Saône ayant au cou une meu<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
moulin, ayant invoqué <strong>le</strong> Seigneur, fut préservée. Ces<br />
mirac<strong>le</strong>s ne ressemblaient en rien à l'épreuve <strong>de</strong> l'eau;<br />
<strong>le</strong>s innocents ici n'enfonçaient pas : c'était donc une<br />
bizarrerie suggérée par Satan, qui avait voulu faire<br />
enfoncer <strong>le</strong>s innocents et surnager <strong>le</strong>s coupab<strong>le</strong>s.<br />
Ainsi <strong>le</strong> pensaient <strong>le</strong>s gens sensés ; l'Église el<strong>le</strong>-même,<br />
en. permettant ces épreuves, soupçonnait vivement<br />
l'intervention <strong>de</strong> Satan, puisqu'el<strong>le</strong> recourait aux exorcismes<br />
pour l'empêcher. Ces hommes divins, selon<br />
Hincmar, étaient donc <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins, et non <strong>de</strong>s hommes<br />
divins; aussi déclare-t-il, et c'est <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> son ouvrage,<br />
qu'il est prêt d'adopter <strong>le</strong> sentiment <strong>de</strong>s gens plus<br />
instruits que lui sur ce sujet. Cependant Hincmar, qui<br />
s'était trompé, en avait entraîné d'autres, et l'épreuve
504 DES HAPPOHTS DE L'HOMME<br />
continuait. En 1021, d'après <strong>le</strong> père Mabillon, pour<br />
s'assurer <strong>de</strong> l'envahissement illégitime <strong>de</strong>s biens d'une<br />
abbaye, on jeta à l'eau un enfant qui ne put enfoncer...<br />
— Tout, jusqu'à l'examen <strong>de</strong> conscience, se<br />
réglait par <strong>le</strong>s épreuves. El<strong>le</strong>s continuèrent au onzième,<br />
au douzième sièc<strong>le</strong> ; Dieu ne permit pas cependant,<br />
dit <strong>Le</strong> Brun, que l'épreuve fît confondre <strong>le</strong>s hérétiques<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s catholiques (<strong>Le</strong> Brun, Ib., p. 262). <strong>Le</strong>s<br />
Manichéens <strong>de</strong> Soissons, pour cacher <strong>le</strong>urs hérésies,<br />
employaient <strong>le</strong> parjure. Guibert engagea l'évoque <strong>de</strong><br />
Soissons à faire exorciser l'eau, célébrer la messe et<br />
administrer l'Eucharistie aux suspects; <strong>le</strong>ur chef, soumis<br />
à l'épreuve, surnagea comme <strong>le</strong> bois <strong>le</strong> plus léger.<br />
Saint Bernard en dit autant d'autres hérétiques qui<br />
niaient <strong>le</strong>urs erreurs. Soumis à l'épreuve, ne pouvant<br />
enfoncer, ils furent convaincus <strong>de</strong> mensonge.<br />
Au treizième sièc<strong>le</strong>, cette pratique cessa. <strong>Le</strong> conci<strong>le</strong><br />
<strong>de</strong> Latran, en 1215, défendit <strong>le</strong>s bénédictions et <strong>le</strong>s<br />
exorcismes qui précédaient <strong>le</strong>s épreuves, et cel<strong>le</strong>s-ci<br />
furent déclarées superstitieuses. Cujas, en disant qu'el<strong>le</strong>s<br />
viennent <strong>de</strong>s Lombards, prouva surabondamment <strong>le</strong>ur<br />
origine superstitieuse.<br />
Suite <strong>de</strong>s superstitions et faits magiques au moyen âge; mé<strong>de</strong>cine<br />
d'incantation.<br />
Nous nous bornerons à. constater ici l'existence <strong>de</strong><br />
la mé<strong>de</strong>cine d'incantation et la croyance aux métamorphoses<br />
pendant cette longue pério<strong>de</strong>. <strong>Le</strong> moyen<br />
âge ne fut ni au-<strong>de</strong>ssus ni au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s qui<br />
<strong>le</strong> précè<strong>de</strong>nt et qui <strong>le</strong> suivent : <strong>le</strong>s uns conservaient la<br />
tradition <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> guérir par <strong>de</strong>s simp<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s<br />
gestes ou <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s, moyens si curatifs, que la science<br />
<strong>le</strong>s eût enviés si la superstition n'eût été évi<strong>de</strong>nte pour
AVEC LE DÉMON. 505<br />
<strong>le</strong>s moins clairvoyants. Quelquefois un spectre révélait<br />
<strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s à <strong>de</strong>s ignorants, qui faisaient alors <strong>de</strong>s<br />
cures prodigieuses.<br />
Ce qui a été dit en traitant <strong>de</strong>s prestiges qui fascinaient<br />
l'œil <strong>de</strong> manière que <strong>de</strong>s chevaux semblaient<br />
être <strong>de</strong>s coqs, dispense <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s métamorphoses.<br />
La Renaissance, qui <strong>le</strong>s a admises, ne ressuscita point<br />
<strong>de</strong>s. faits oubliés pendant l'espace d'environ mil<strong>le</strong> ans;<br />
<strong>le</strong> moyen âge, si <strong>le</strong>s métamorphoses eussent cessé, aurait<br />
pu <strong>le</strong>s nier ; il en fut autrement, car, <strong>le</strong>s faits continuant,<br />
il atteste ce que l'antiquité avait affirmé, et <strong>le</strong>s<br />
sièc<strong>le</strong>s qui <strong>le</strong> suivront joindront <strong>le</strong>ur témoignage au<br />
sien. Quel faisceau <strong>de</strong> preuves pour <strong>de</strong>s faits extraordinaires<br />
que la postérité ne se lassera ni <strong>de</strong> nier ni <strong>de</strong><br />
proclamer !<br />
Invasions diaboliques.<br />
Sous ce titre fort comp<strong>le</strong>xe sont contenus <strong>le</strong>s incubes,<br />
<strong>le</strong>s succubes, <strong>le</strong>s infestations <strong>de</strong> maisons, <strong>le</strong>s<br />
obsessions, <strong>le</strong>s possessions, etc., phénomènes étonnants<br />
et terrib<strong>le</strong>s, qui ne sont point, comme on l'a vu,<br />
sortis au moyen âge du cerveau <strong>de</strong>s légendaires ; l'antiquité,<br />
<strong>le</strong>s historiens <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s attestent<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>urs mil<strong>le</strong> voix, et <strong>le</strong> seizième et <strong>le</strong> dix-septième,<br />
et même <strong>le</strong> dix-huitième sièc<strong>le</strong>, se joignent à<br />
eux pour rapporter encore <strong>le</strong>s mêmes faits <strong>avec</strong> une<br />
fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> circonstances omises jusqu'ici.<br />
<strong>Des</strong> incubes et succubes.<br />
Nous nous bornerons, sans exposer <strong>le</strong>s faits, à constater<br />
dans cette pério<strong>de</strong> une croyance qui lui est commune<br />
<strong>avec</strong> la haute antiquité et <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s premiers
506<br />
DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> notre ère; j'entends cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s copulations<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s esprits, mentionnée dans plusieurs auteurs.<br />
Ainsi saint Isidore, évoque <strong>de</strong> Sévil<strong>le</strong> au septième sièc<strong>le</strong>,<br />
dit que <strong>le</strong>s Dusiens se livrent journel<strong>le</strong>ment à cette<br />
impureté : Assidue peragmit hanc im?nunditiam, etc.<br />
(Etymolog., VIII ,11.)<br />
Hincmar, au neuvième sièc<strong>le</strong>, dit que, pour tromper<br />
<strong>le</strong>s femmes, ils prennent la forme <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs amaats.<br />
(De divort. Lot/iar., interrog. XV.) Saint Bernard<br />
guérit la femme d'un chevalier, à Nantes, qui s'était<br />
fiancée à un <strong>démon</strong> qui abusait d'el<strong>le</strong>, sous la forme<br />
d'un beau jeune homme, dans <strong>le</strong> lit même où couchait<br />
son époux. Cel<strong>le</strong>-ci cacha son crime pendant<br />
six ans. La septième année, <strong>le</strong>s remords la dévorent;<br />
el<strong>le</strong> craint <strong>le</strong>s jugements <strong>de</strong> Dieu, vient aux prêtres<br />
confesser sa faute, mais rien ne peut expulser Satan.<br />
Saint Bernard arrive, el<strong>le</strong> court se jeter à ses pieds;<br />
Satan l'avait prévenue <strong>de</strong> l'arrivée du saint homme,<br />
et lui avait défendu, <strong>avec</strong> menaces, <strong>de</strong> recourir à<br />
lui, et sous peine d'être son plus cruel persécuteur...<br />
Saint Bernard la rassure, lui remet son bâton, et<br />
ce bâton opère, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s prières du bienheureux et du<br />
c<strong>le</strong>rgé, ce que n'avaient pu faire jusque-là <strong>le</strong>s pè<strong>le</strong>rinages,,<br />
<strong>le</strong>s aumônes, <strong>le</strong>s confessions, etc. (Vit,<br />
S. Bem., auct. Emaldo, II, 6.)— Au quinzième sièc<strong>le</strong>,<br />
la question <strong>de</strong>s incubes fut discutée <strong>de</strong>vant l'empereur<br />
Sigismond. <strong>Le</strong>s faits étaient si bien attestés, qu'on<br />
déclara ces copulations possib<strong>le</strong>s. — 11 est constant<br />
que tout <strong>le</strong> moyen âge attribuait à <strong>de</strong>s êtres intermédiaires,<br />
fées, nymphes, sylphi<strong>de</strong>s, etc., <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong><br />
copu<strong>le</strong>r et même d'enfanter ou d'engendrer. <strong>Le</strong>s traditions<br />
<strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s États européens donnent<br />
à plusieurs rois ou princes une origine surhumaine,<br />
ce dont il convient peu <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r ici. — Raymondin,
AVEC LE DÉMON. S07<br />
comte <strong>de</strong> Poitiers, s'unit à la fée Mélusine, qui, dit-on,<br />
prenait souvent la forme d'un serpent. Brantôme dit<br />
sérieusement que lorsqu'on rasa <strong>le</strong> château <strong>de</strong> Lusignan,<br />
el<strong>le</strong> se montra moitié femme, moitié serpent...<br />
— Une tradition du duché <strong>de</strong> Clèves fait <strong>de</strong>scendre<br />
Go<strong>de</strong>froy <strong>de</strong> Bouillon directement d'un esprit qui avait<br />
pris la forme d'un cygne... — Bowmaker, auteur écossais<br />
, <strong>démon</strong>tre longuement que <strong>le</strong>s rois d'Ang<strong>le</strong>terre<br />
<strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt du diab<strong>le</strong> par <strong>le</strong>s femmes. — Sir David<br />
Lindsay dit que <strong>le</strong> premier duc <strong>de</strong> Guyenne est né<br />
d'une fée ou d'un <strong>démon</strong>. — Don Diego Lopez, seigneur<br />
<strong>de</strong> Biscaye, <strong>de</strong>vint amoureux d'une dame richement<br />
parée qui lui apparut à la chasse. Ayant un jour<br />
prononcé un nom sacré <strong>de</strong>vant cette dame, qui était<br />
<strong>de</strong>venue son épouse, cel<strong>le</strong>-ci <strong>de</strong>vint furieuse, s'é<strong>le</strong>va<br />
dans <strong>le</strong>s airs <strong>avec</strong> sa fil<strong>le</strong>, dirigea son vol vers <strong>le</strong>s<br />
montagnes en poussant <strong>de</strong> longs gémissements, et<br />
oncques on ne la revit, etc.<br />
Nous en avons peut-être trop dit, quoiqu'il reste<br />
beaucoup à dire ; mais on <strong>de</strong>vait montrer ici que l'antiquité<br />
fabu<strong>le</strong>use et <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s déjà civilisés <strong>de</strong>s Capétiens<br />
et <strong>de</strong>s Valois avaient eu <strong>de</strong>s croyances i<strong>de</strong>ntiques<br />
sur <strong>le</strong> résultat <strong>de</strong>s conjonctions <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />
esprits.<br />
Infestations <strong>de</strong>s maisons par <strong>le</strong>s esprits.<br />
Saint Augustin (De Civ. Dei, XXII, 8) rapporte<br />
que <strong>le</strong> tribun Hespérius possédait, au territoire <strong>de</strong> Fussalcs,<br />
une métairie nommée Zubedi; <strong>le</strong>s esprits malins<br />
tourmentaient ses esclaves et son bétail; il pria <strong>le</strong> saint<br />
évoque <strong>de</strong> s'y rendre pour <strong>le</strong>s chasser; saint Augustin,<br />
ne <strong>le</strong> pouvant lui-même, y envoya un <strong>de</strong> ses prêtres
508 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
qui offrit <strong>le</strong> saint sacrifice, et <strong>de</strong> suite la vexation<br />
cessa.<br />
Saint Césaire, du temps <strong>de</strong> Théodoric, rendit <strong>le</strong><br />
même service au mé<strong>de</strong>cin Elpi<strong>de</strong>, dont la maison était<br />
habitée par <strong>de</strong>s lutins qui lui jetaient <strong>de</strong>s pierres. « Scd<br />
et saxorurn
AVEC LE DÉMON. 309<br />
Obsessions.<br />
Si dans <strong>le</strong>s infestations on est inquiété par <strong>de</strong>s bruits,<br />
<strong>de</strong>s apparitions, <strong>de</strong>s coups frappés, et quelquefois<br />
même par <strong>de</strong>s coups administrés par un agent invisib<strong>le</strong>,<br />
c'est surtout dans <strong>le</strong>s obsessions que <strong>le</strong> <strong>démon</strong><br />
tourmente, assiège au <strong>de</strong>hors, harcè<strong>le</strong> ses victimes, et<br />
exerce sur el<strong>le</strong>s mil<strong>le</strong> cruautés. Saint Athanasc a rapporté<br />
<strong>avec</strong> <strong>de</strong> longs détails l'obsession <strong>de</strong> saint Antoine,<br />
si ridiculisée dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s d'incrédulité, et qui ressemb<strong>le</strong><br />
pourtant complètement aux obsessions <strong>de</strong>s<br />
temps mo<strong>de</strong>rnes. Tout commence ici par l'infestation;<br />
<strong>le</strong>s malins esprits troub<strong>le</strong>nt <strong>le</strong> saint personnage, lui<br />
livrent mil<strong>le</strong> petits combats pour l'empêcher <strong>de</strong> faire<br />
son salut; il résiste, et Dieu permet l'obsession. <strong>Le</strong><br />
corps <strong>de</strong> saint Antoine est livré aux vexations <strong>de</strong> Satan<br />
pour accroître ses mérites.<br />
Il n'est plus permis au <strong>démon</strong> <strong>de</strong> cacher ses attaques<br />
et ses embûches, il agit à découvert; <strong>le</strong> bienheureux<br />
voit toutes <strong>le</strong>s machinations <strong>de</strong> son ennemi,<br />
qui prend pour <strong>le</strong> tromper, tour à tour, <strong>de</strong>s formes<br />
effroyab<strong>le</strong>s ou séduisantes. Antoine résiste comme <strong>le</strong><br />
roc résiste aux flots ; il voit objectivement l'efficacité <strong>de</strong><br />
ses prières et <strong>de</strong> ses austérités. <strong>Le</strong>s tentations et <strong>le</strong>s<br />
vexations ordinaires avaient été impuissantes, Dieu<br />
lâche la bri<strong>de</strong> à Satan ; c'est un tintamarre dont on ne<br />
saurait se faire une idée, ce sont <strong>de</strong>s bruits effrayants;<br />
l'édifice même s'écrou<strong>le</strong>, ses murail<strong>le</strong>s s'entr'ouvrent;<br />
et <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s apparaissent sous la forme <strong>de</strong> lions, <strong>de</strong><br />
taureaux, etc.; ils attaquent saint Antoine <strong>avec</strong> rage;<br />
ils lui font <strong>de</strong>s b<strong>le</strong>ssures horrib<strong>le</strong>s; ils font entendre<br />
<strong>de</strong>s cris qui glaceraient d'épouvante <strong>le</strong>s plus hardis.<br />
Percé <strong>de</strong> coups, <strong>le</strong> saint ne perd point sa sérénité, il
310 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
sait que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> ne peut rien sur son âme, rien môme<br />
sur son corps si Dieu ne <strong>le</strong> permet. — Exercez, <strong>le</strong>ur<br />
disait-il, tout votre pouvoir contre moi, que tar<strong>de</strong>zvous<br />
!... — <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s font entendre dos grincements<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>nts terrib<strong>le</strong>s et avouent <strong>le</strong>ur défaite ; mais pour<br />
recommencer <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s attaques variées <strong>de</strong> mil<strong>le</strong><br />
manières... Souvent l'avenir étant inconnu <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s,<br />
peut-être espéraient-ils que tôt ou tard ils<br />
triompheraient d'Antoine.<br />
<strong>Le</strong>s fidè<strong>le</strong>s qui venaient visiter <strong>le</strong> bienheureux, ceux<br />
qui passaient <strong>le</strong>s jours et <strong>le</strong>s nuits près <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>meure,<br />
entendaient, au <strong>de</strong>dans <strong>de</strong> l'habitation, comme une<br />
troupe d'hommes qui faisaient un vacarme étrange, et<br />
<strong>de</strong>s voix lamentab<strong>le</strong>s qui s'écriaient : — Qu'es-tu venu<br />
faire dans ce désert? penses-tu résister à nos embûches?—<br />
On pouvait croire que <strong>de</strong>s gens avaient pénétré<br />
par escala<strong>de</strong> dans l'habitation d'Antoine; mais, en<br />
regardant à travers <strong>le</strong>s fentes <strong>de</strong>s portes et ne voyant<br />
rien, <strong>le</strong>s spectateurs, saisis d'épouvante, ne doutaient<br />
plus <strong>de</strong> la présence <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s... ils appelaient alors<br />
Antoine, qui <strong>le</strong>s rassurait, <strong>le</strong>ur disant <strong>de</strong> ne point<br />
craindre...<br />
La relation <strong>de</strong> l'obsession dont on vient <strong>de</strong> donner<br />
une si faib<strong>le</strong> idée fut écrite par saint Athanase sur la<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> plusieurs solitaires : il <strong>le</strong>ur recomman<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> croire tout ce qu'il rapporte <strong>de</strong> saint Antoine, qu'il a<br />
lui-môme vu très-souvent; il dit avoir appris aussi<br />
beaucoup <strong>de</strong> choses d'un solitaire qui a <strong>de</strong>meuré longtemps<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong> saint abbé. Non-seu<strong>le</strong>ment tout ce qu'il<br />
en cite est vrai; mais, loin <strong>de</strong> pouvoir raconter ses actions,<br />
il se hâte, ajoutc-t-il, d'écrire, parce que <strong>le</strong><br />
temps <strong>de</strong> la navigation passe; si quelqu'un raconte<br />
plus <strong>de</strong> merveil<strong>le</strong>s que lui, <strong>le</strong>ur multitu<strong>de</strong> ne doit rien<br />
ôter à la foi qu'el<strong>le</strong>s méritent, etc. — A ceux qui
AVEC LE DÉMON. SU<br />
soupçonneraient que saint Antoine était un pauvre<br />
halluciné, une sorte d'insensé,-on ferait observer qu'il<br />
sortit <strong>de</strong> sa retraite pour combattre <strong>le</strong>s Ariens, que <strong>le</strong>s<br />
païens accouraient pour <strong>le</strong> toucher, <strong>le</strong>s philosophes<br />
païens lo visitaient; enfin l'empereur et ses enfants<br />
lui écrivaient comme à <strong>le</strong>ur père. Quant à saint Athanase,<br />
l'un <strong>de</strong>s quatre grands docteurs <strong>de</strong> l'Église<br />
grecque, <strong>le</strong> respect qui l'entoure ne permet pas même<br />
d'é<strong>le</strong>ver un doute sur ce qu'il a écrit concernant saint<br />
Antoine. On ne saurait donc rejeter <strong>le</strong>s faits, il reste<br />
à <strong>le</strong>s expliquer.<br />
Cette obsession, qu'on aurait dû citer précé<strong>de</strong>mment,<br />
est une preuve manifeste <strong>de</strong> la puissance attribuée<br />
au <strong>démon</strong> par l'Église : coups frappés, voix entendues,<br />
pouvoir <strong>de</strong> renverser <strong>le</strong>s édifices, <strong>de</strong> faire<br />
<strong>de</strong>s b<strong>le</strong>ssures, <strong>de</strong> se montrer aux regards sous <strong>le</strong>s<br />
formes <strong>le</strong>s plus effroyab<strong>le</strong>s ou parfois <strong>le</strong>s plus gracieuses,<br />
etc. — <strong>Le</strong>s faits d'obsession furent très-nombreux<br />
au moyen âge ; nous <strong>le</strong>s retrouverons après lui.<br />
Possession.<br />
La possession est <strong>le</strong> complément <strong>de</strong>s attaques diaboliques<br />
: dans <strong>le</strong>s infestations, si <strong>le</strong> <strong>démon</strong> fait entendre<br />
<strong>de</strong>s bruits, s'il apparaît, là se borne <strong>le</strong> plus souventsespersécutions;<br />
dans l'obsession, il fait davantage,<br />
il attaque <strong>le</strong>s personnes, il <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>sse, <strong>le</strong>ur cause mil<strong>le</strong><br />
maux; mais, dans la possession, il s'empare <strong>de</strong> l'organisme<br />
du possédé, il <strong>le</strong> soulève, l'emporte, <strong>le</strong> soutient<br />
en l'air, <strong>le</strong> lance au loin, <strong>le</strong> contraint <strong>de</strong> faire, <strong>le</strong> force<br />
<strong>de</strong> s'abstenir, dispose <strong>de</strong> ses membres, <strong>de</strong> sa langue et<br />
même <strong>de</strong> son cerveau, car il y imprime ce qu'il veut;<br />
mais directement il ne peut rien sur l'âme; <strong>le</strong>s vies<br />
<strong>de</strong>s saints fourniraient <strong>de</strong> nombreux exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> pos-
312 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
session. — Y voyait-on constamment <strong>le</strong>s signes caractéristiques<br />
exigés aujourd'hui par <strong>le</strong>s rituels? — 1° Ces<br />
signes, <strong>de</strong>venus nécessaires dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers temps,<br />
ne l'étaient point pour <strong>de</strong> saints personnages: outre <strong>le</strong><br />
pouvoir <strong>de</strong> guérir miracu<strong>le</strong>usement <strong>le</strong>s maladies, ils<br />
avaient celui d'en discerner <strong>le</strong>s causes; certaines affections<br />
qui nous semb<strong>le</strong>nt aujourd'hui naturel<strong>le</strong>s, Dieu<br />
<strong>le</strong>ur en révélait la cause diabolique. 2° On n'a pas<br />
jugé toujours à propos <strong>de</strong> transmettre <strong>le</strong>s phénomènes<br />
bien connus <strong>de</strong>s possessions si nombreuses dans ce<br />
temps-là. On se bornait à relater que tel saint avait<br />
délivré tel nombre <strong>de</strong> possédés. En se reportant<br />
môme aux premiers sièc<strong>le</strong>s, quelques relations, pourtant,<br />
q'uoiquc fort succinctes, présentaient déjà <strong>le</strong>s<br />
signes surnaturels, ce qui porte à penser qu'ils se<br />
manifestaient souvent. Quelques faits, avant <strong>le</strong> cinquième<br />
sièc<strong>le</strong>, nous montrent l'existence <strong>de</strong> ces signes.<br />
Saint Jérôme, dans la Vie <strong>de</strong> saint Hilarion, dit que<br />
l'un <strong>de</strong>s premiers citoyens <strong>de</strong> la vil<strong>le</strong> d'Ayla, nommé<br />
Orion, étant possédé par une légion <strong>de</strong> <strong>démon</strong>s, fut<br />
amené chargé <strong>de</strong> chaînes auprès <strong>de</strong> saint Hilarion,<br />
qui se promenait alors <strong>avec</strong> ses frères; dès qu'Orion<br />
l'aperçoit, il se jette sur <strong>le</strong> saint homme et <strong>le</strong> soulève<br />
très-haut en l'air. Tous <strong>le</strong>s assistants poussent <strong>le</strong>s hauts<br />
cris, tant ils craignent que ce corps exténué par <strong>le</strong>s<br />
jeûnes ne soit brisé. Mais <strong>le</strong> saint <strong>le</strong>ur dit en souriant :<br />
« Laissez-<strong>le</strong> faire... » 11 met une main sur <strong>le</strong>s cheveux<br />
d'Orion, <strong>de</strong> l'autre serre ses <strong>de</strong>ux mains en répétant<br />
<strong>de</strong>ux fois ces paro<strong>le</strong>s adressées aux <strong>démon</strong>s : « Soyez<br />
tourmenté*. » Orion pousse alors <strong>de</strong> grands cris, <strong>le</strong><br />
<strong>de</strong>rrière.<strong>de</strong> sa tôte se renverse et touche la terre; il<br />
p<strong>le</strong>ure, il supplie Jésus-Christ <strong>de</strong> <strong>le</strong> délivrer <strong>de</strong> sa misère;<br />
puis on entend, dit saint Jérôme, sortir <strong>de</strong> la<br />
bouche d'un seul homme différentes voix et <strong>le</strong>s cris
AVEC LE DÉMON. 313<br />
confus d'une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> peup<strong>le</strong> : et il fut aussitôt dé<br />
livré.<br />
Un jeune officier <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Constance étant possédé<br />
obtient <strong>de</strong> l'empereur la permission <strong>de</strong> se rendre<br />
auprès <strong>de</strong> saint Hilarion ; comme il était accompagné<br />
d'une gran<strong>de</strong> suite, saint Hilarion, la renvoyant, ne<br />
garda <strong>avec</strong> <strong>le</strong> possédé que <strong>le</strong>s officiers <strong>de</strong> celui-ci et<br />
ses serviteurs; il lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d'abord quel est <strong>le</strong> motif<br />
<strong>de</strong> sa venue, quoiqu'il <strong>le</strong> connût fort bien; à peine<br />
eut-il commencé d'interroger l'officier <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s que<br />
celui-ci s'élève en l'air, touchant à peine la terre et<br />
rugissant d'une manière effroyab<strong>le</strong>. Ne connaissant que<br />
la langue <strong>de</strong> son pays, il répondait pourtant en un syriaque<br />
si pur, dit saint Jérôme, qu'il n'y manquait ni<br />
<strong>le</strong> siff<strong>le</strong>ment, ni l'aspiration, ni aucune marque <strong>de</strong><br />
l'idiome... <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> ayant confessé comment il était<br />
entré, saint Hilarion l'interrogea en grec pour se<br />
faire entendre <strong>de</strong>s truchements... <strong>le</strong> <strong>démon</strong> alléguant<br />
pour ses excuses qu'il avait été contraint par <strong>de</strong>s<br />
charmes... « Peu m'importe comment tu es entré, lui<br />
répliqua Hilarion, je t'adjure <strong>de</strong> sortir; et <strong>de</strong> suite<br />
l'officier fut délivré.»<br />
Voici un troisième fait cité dans la même Vie, mais où<br />
<strong>le</strong>s signes surnaturels font défaut. « Un possédé, nommé<br />
Marsitas, brisait ses chaînes et b<strong>le</strong>ssait tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>,<br />
comme un taureau furieux; à peine à force d'hommes<br />
et <strong>de</strong> bras avait-on pu <strong>le</strong> tenir enchaîné. Conduit auprès<br />
<strong>de</strong> saint Hilarion, <strong>le</strong>s frères du monastère sont<br />
épouvantés à la vue <strong>de</strong> ce furieux qu'une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> gens<br />
contenaient à peine. Néanmoins saint Hilarion comman<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong> délier. — Baisse la tête, lui dit-il, et<br />
viens ici : <strong>le</strong> possédé obéit en tremblant. <strong>Le</strong> saint ayant<br />
ensuite exorcisé <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, renvoya, dit saint Jérôme,<br />
cet homme parfaitement guéri. »— Ce qui se manifeste<br />
i. 33
514 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
ici n'offre rien <strong>de</strong> surnaturel au premier aperçu; on est<br />
surpris seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> l'empire exercé par un vieux solitaire<br />
sur un fou furieux, et d'une guérison aussi subite;<br />
mais si <strong>le</strong> même personnage déclare cet état causé par<br />
l'action du <strong>démon</strong>, il est assez naturel <strong>de</strong> penser que<br />
la même puissance qui lui a permis <strong>de</strong> chasser la maladie<br />
a pu lui en révé<strong>le</strong>r la cause.<br />
Était-ce l'effet <strong>de</strong> l'imagination? — Saint Jérôme dit<br />
qu'on amenait tous <strong>le</strong>s jours au saint <strong>de</strong>s animaux furieux<br />
dont <strong>le</strong> <strong>démon</strong> s'était emparé. Un jour on lui<br />
amena un énorme chameau, qui avait tué plusieurs<br />
personnes ; plus <strong>de</strong> trente hommes <strong>le</strong> traînaient <strong>avec</strong><br />
<strong>de</strong> grosses cor<strong>de</strong>s, ses yeux étaient sanguino<strong>le</strong>nts, sa<br />
bouchc-écumante, sa langue enflée et dans un mouvement<br />
perpétuel, ses effroyab<strong>le</strong>s rugissements remplissaient<br />
l'air d'un bruit étrange et sinistre... Hilarion<br />
ordonne <strong>de</strong> <strong>le</strong> délier; ceux qui l'avaient amené s'y refusent,<br />
un seul ose obéir; Hilarion s'avance, et dit en<br />
syriaque au <strong>démon</strong> : « Que tu sois dans un renard ou<br />
dans un chameau, tu es toujours <strong>le</strong> môme; tu ne m'effrayes<br />
pas. » <strong>Le</strong> saint, tenant la main étendue, reste<br />
ferme, et cette bête qui arrivait furieuse, comme si<br />
el<strong>le</strong> eût voulu <strong>le</strong> dévorer, tomba aussitôt la tête baissée<br />
contre terre, et chacun s'étonna <strong>de</strong> voir la gran<strong>de</strong> furie<br />
<strong>de</strong> cet animal changée en une si gran<strong>de</strong> douceur...<br />
— <strong>Le</strong> saint apprit à ceux qui l'entouraient que <strong>le</strong><br />
diab<strong>le</strong>, par haine pour <strong>l'homme</strong>, s'empare aussi <strong>de</strong>s<br />
animaux, etc.. (S. Hieron., Vila S. Ililarionis.)<br />
Ces maladies étaient-el<strong>le</strong>s menta<strong>le</strong>s? L'imagination<br />
a-t-el<strong>le</strong> pu <strong>le</strong>s guérir subitement? pouvaient-el<strong>le</strong>s faire<br />
par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s langues inconnues? l'imagination d'un chameau,<br />
frappée par <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s d'un vieux moine, a-t-cllc<br />
pu <strong>le</strong> guérir <strong>de</strong> sa rage ? — 11 semb<strong>le</strong>ra plus aisé<br />
au <strong>le</strong>cteur <strong>de</strong> nier tout cela que <strong>de</strong> l'expliquer physi-
AVEC LE DÉMON. 315<br />
quement; mais l'un et l'autre nous semb<strong>le</strong> fort diffici<strong>le</strong>.<br />
On trouvera peut-être étrange que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> possè<strong>de</strong> un<br />
chameau...; mais, d'après ce qui a été dit précé<strong>de</strong>mment,<br />
<strong>le</strong>s esprits pouvaient s'emparer <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, <strong>de</strong>s<br />
animaux, <strong>de</strong>s statues, <strong>de</strong> la matière inerte, etc. <strong>Le</strong>s<br />
Gentils, loin d'en être surpris, en étaient convaincus;<br />
aujourd'hui <strong>le</strong>s magnétistcs, <strong>le</strong>s médium et <strong>le</strong>urs témoins,<br />
logiquement, pourraient-ils nier ces faits?<br />
<strong>Le</strong> même saint Jérôme (Epitaph. Puulœ ad Euslochhtm,<br />
13) dit qu'à Samarie, auprès <strong>de</strong>s tombeaux <strong>de</strong>s<br />
prophètes, et <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> saint Jean-Baptiste, Paulc<br />
frémissait d'horreur en entendant <strong>le</strong>s rugissements<br />
<strong>de</strong>s, <strong>démon</strong>s ; <strong>le</strong>s possédés, dit-el<strong>le</strong>, hurlaient, <strong>le</strong>s uns<br />
comme <strong>de</strong>s loups, aboyaient comme <strong>de</strong>s chiens, sifflaient<br />
comme <strong>de</strong>s serpents, mugissaient comme <strong>de</strong>s<br />
taureaux..., d'autres faisaient pirouetter <strong>le</strong>ur tête qui<br />
se renversait sur <strong>le</strong>s talons jusqu'à toucher la terre...;<br />
el<strong>le</strong> y vit enfin <strong>de</strong>s femmes soutenues en l'air, la tête<br />
en bas, et qui cependant restaient couvertes... — Saint<br />
Hilaire proclame <strong>le</strong>s mêmes prodiges; <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s mugissent,<br />
<strong>le</strong>s mala<strong>de</strong>s sont guéris, on voit <strong>avec</strong> admiration,<br />
dit-il, <strong>le</strong>s corps s'é<strong>le</strong>ver d'eux-mêmes en l'air,<br />
et <strong>le</strong>s femmes suspendues par <strong>le</strong>s pieds, sans que <strong>le</strong>urs<br />
vêtements retombent sur <strong>le</strong>ur tête '. (S. Hilar., Contr.<br />
Constant., n. 8.)<br />
Saint Paulin, au cinquième sièc<strong>le</strong>, parlant <strong>de</strong>s énergumènes<br />
délivrés par saint Félix, dit aussi : « On <strong>le</strong>s<br />
voyait s'é<strong>le</strong>ver brusquement en l'air et y <strong>de</strong>meurer suspendus<br />
<strong>le</strong>s pieds en haut, sans tenir à quoi que ce<br />
fût, et pourtant <strong>le</strong>urs habits <strong>de</strong>meuraient comme collés<br />
au corps. (S. Paulin, ln Natal. VII. S. Fel.)<br />
l. Dom Coustant, l'éditeur <strong>de</strong> saint Hilaire, ajoute ici : « Ilujusmodi<br />
portentum nostra n-tatc vidit lothannyia, uti fl<strong>de</strong>m faciunt Cornmentaria<br />
Marchioiris <strong>de</strong> Bcauvau gallice scripta, p. 0. »
alO DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Sulpice Sévère (Dialog. III <strong>de</strong> Virtut. B. Mart.)<br />
rapporte <strong>le</strong>s mômes merveil<strong>le</strong>s : « <strong>Le</strong> monastère (<strong>de</strong><br />
Marmoutier) était, dit-il, à <strong>de</strong>ux mil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Tours; dès<br />
que Martin mettait <strong>le</strong> pied hors <strong>de</strong> sa cellu<strong>le</strong> pour se<br />
rendre à l'église, on voyait <strong>le</strong>s énergumènes rugir et<br />
tremb<strong>le</strong>r, <strong>le</strong>s c<strong>le</strong>rcs étaient ainsi avertis chaque fois <strong>de</strong><br />
l'arrivée <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur évêque par <strong>le</strong>s gémissements <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s...<br />
— J'ai vu, ajoute <strong>le</strong> saint et savant discip<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
l'évoque <strong>de</strong> Tours, à l'arrivée <strong>de</strong> Martin, un énergumène<br />
é<strong>le</strong>vé en l'air, y rester suspendu, <strong>le</strong>s mains étendues,<br />
<strong>de</strong> sorte que ses pieds ne touchaient pas <strong>le</strong> sol.»<br />
(Vidi quemdum adpropiante Martino in acre raptum,<br />
manibus exteims in sublime suspendis itt nequaquum solum<br />
pedibvs -atlingeret.)<br />
Sulpice Sévère, après avoir cité d'autres prodiges, dit<br />
que pour prouver ce qu'il vient <strong>de</strong> dire, il n'apportera<br />
pas <strong>le</strong> témoignage d'un seul homme, mais <strong>de</strong> plusieurs<br />
milliers. (Ad hœcprobanda... non itniim ego hominem,<br />
sed mu/tu milliu producam. Ib.)<br />
« Lorsque Martin exorcisait, poursuit <strong>le</strong> même historien,<br />
il ne touchait personne, ne faisait pas <strong>de</strong> longs<br />
discours, comme plusieurs c<strong>le</strong>rcs qui emploient un<br />
tourbillon <strong>de</strong> paro<strong>le</strong>s; ayant fait approcher <strong>le</strong>s énergumènes<br />
et fait éloigner <strong>le</strong>s assistants, il ordonnait <strong>de</strong><br />
fermer <strong>le</strong>s portes <strong>de</strong> l'église ; puis, revêtu <strong>de</strong> son cilicc<br />
et couvert <strong>de</strong> cendre, il se prosternait à terre et priait;<br />
alors vous eussiez vu ces malheureux souffrir différemment<br />
lors <strong>de</strong> l'expulsion; <strong>le</strong>s uns, ayant <strong>le</strong>s pieds en<br />
l'air, étaient comme suspendus, <strong>le</strong>urs vêtements cependant<br />
ne retombaient point sur <strong>le</strong>ur figure, <strong>de</strong> peur<br />
que <strong>le</strong>ur nudité ne b<strong>le</strong>ssât la pu<strong>de</strong>ur 1<br />
; d'autres, tour-<br />
l. Tum vero ccrncrcs niiscros diverse exilu perurgeri, hos sulilalis<br />
in sublime yedibus quasi <strong>de</strong> nubc pen<strong>de</strong>rc, nec lumen vestes <strong>de</strong>iliiere<br />
super facicin, ne faeercl v«recundiain nudata pars c-orporiun.
AVEC LE DÉMON. 517<br />
mentes sans être interrogés, avouaient <strong>le</strong>urs crimes;<br />
<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s déclaraient <strong>le</strong>urs noms, celui-ci disant<br />
qu'il était Jupiter, cet autre qu'il était Mercure ; enfin<br />
vous eussiez vu tous <strong>le</strong>s satellites du diab<strong>le</strong> souffrir<br />
<strong>avec</strong> lui. » (là.)<br />
<strong>Le</strong> moine Stagirius étant possédé, saint Chrysostôme<br />
lui écrivit une <strong>le</strong>ttre pour <strong>le</strong> conso<strong>le</strong>r... « Il n'était<br />
pas présent, il en remercie <strong>le</strong> Seigneur; mais on<br />
lui a raconté si exactement cet événement qu'il en<br />
connaît tous <strong>le</strong>s détails. Théophi<strong>le</strong> d'Éphèse, <strong>le</strong>ur ami<br />
commun, désespéré, vint <strong>le</strong> voir et lui raconta dans<br />
quel misérab<strong>le</strong> état on avait trouvé <strong>le</strong> pauvre moine;<br />
il lui parla du spectre horrib<strong>le</strong> qui, sous la forme d'un<br />
pourceau couvert <strong>de</strong> boue, s'élançait sur Stagirius et<br />
luttait <strong>avec</strong> lui. »<br />
Saint Chrysostôme, dans sa longue <strong>le</strong>ttre, ne décrit<br />
aucun <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> la possession, c'eut été inuti<strong>le</strong>...<br />
il se borne à témoigner à Stagirius la part qu'il prend<br />
à son malheur, lui recomman<strong>de</strong> la résignation, lui<br />
dit que c'est une épreuve. Ne sommes-nous pas cause<br />
<strong>de</strong>s maux qui nous arrivent? lui dit saint Chrysostôme.<br />
Ne nous plaignons point <strong>de</strong> Dieu qui a plusieurs<br />
voies pour nous conduire au but... Il lui par<strong>le</strong><br />
enfin <strong>de</strong> plusieurs personnes qui, ayant subi la même<br />
affliction, ont été promptement délivrées; — il ne cite<br />
qu'un seul signe, c'est celui d'être renversé... —«Vous<br />
avez honte quand on vous renverse, y a-t-il <strong>de</strong> la honte<br />
à tomber quand on vous terrasse, etc.?»—Malgré la<br />
brièveté <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> possessions, à cette époque,<br />
on voit déjà qu'il ne s'agit point d'une maladie ni d'une<br />
guérison ordinaires, tout y est surhumain.<br />
<strong>Le</strong>s possessions furent très-fréquentes au moyen âge ;<br />
tantôt c'est une épreuve, ou un châtiment, ou l'effet<br />
d'un sortilège. Au neuvième sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong> fils <strong>de</strong> Louis <strong>le</strong>
DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Bègue fut possédé, six hommes pouvaient à peine <strong>le</strong><br />
tenir; il fut guéri par <strong>le</strong>s oxorcismes. — On a vu dans<br />
l'antiquité <strong>le</strong>s profanateurs <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s punis surnaturcl<strong>le</strong>mcnt.<br />
Grégoire <strong>de</strong> Tours rapporte que <strong>le</strong>s soldats<br />
<strong>de</strong> Thoodorio, ayant commis <strong>de</strong>s abominations dans la<br />
basilique <strong>de</strong> Saint-Julien en Auvergne, ils furent tous<br />
possédés du <strong>démon</strong>.<br />
Combien <strong>de</strong> volumes il faudrait écrire pour rapporter<br />
<strong>le</strong>s possessions du moyen âge dût-on se borner à<br />
compulser <strong>le</strong>s chroniques <strong>de</strong>s onzième, douzième et<br />
treizième sièc<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s Vies <strong>de</strong>s saints, <strong>le</strong>s écrits <strong>de</strong><br />
Pierre Damicn, <strong>de</strong> Pierre <strong>le</strong> Vénérab<strong>le</strong>, <strong>de</strong> saint Bernard,<br />
<strong>de</strong> saint Odilon, <strong>de</strong> saint Odon, etc., hommes<br />
graves qu'on doit être d'autant moins disposé à accuser<br />
<strong>de</strong> mensonge ' ou d'exagération que <strong>le</strong>s mômes<br />
faits se présenteront dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s mo<strong>de</strong>rnes; mais<br />
combien <strong>de</strong> possessions ignorées ! combien <strong>de</strong> faits,<br />
attestés et néanmoins niés <strong>avec</strong> mépris... — Pierre <strong>le</strong><br />
Vénérab<strong>le</strong>, Abbé <strong>de</strong> Cluny, a écrit l'aventure épouvantab<strong>le</strong><br />
d'un comte <strong>de</strong> Mâcon dont <strong>le</strong> châtiment fut<br />
aussi public que l'avaient été ses crimes. Un jour, dans<br />
son palais 2<br />
, entoure <strong>de</strong> ses gar<strong>de</strong>s, <strong>le</strong> <strong>démon</strong> <strong>le</strong> contraint<br />
<strong>de</strong> sortir et <strong>de</strong> monter à cheval. A peine eut-il obéi à<br />
ces injonctions, que cheval et cavalier furent en<strong>le</strong>vés<br />
en l'air. On entendit <strong>le</strong> comte crier jusqu'à ce qu'il eût<br />
disparu. (De miraciilis, II, 1.) — <strong>Le</strong> moyen âge cite <strong>de</strong><br />
ces faits prodigieux <strong>de</strong> gens emportés par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>,<br />
que oneques on ne revit; on est néanmoins disposé à <strong>le</strong>s<br />
nier, malgré l'accent <strong>de</strong> profon<strong>de</strong> conviction <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />
pieux auteurs. Nous verrons encore <strong>de</strong>s faits analogues<br />
1. On prouvera ail<strong>le</strong>urs qu'on ne peut supposer <strong>le</strong> mensonge dans<br />
<strong>de</strong>s hommes qui auraient mieux aimé mourir que <strong>de</strong> mentir.<br />
2. « Cum eum... multitwlo tam militum qnam rlivcrsi ordinis circumsturet.<br />
»
AVEC LE DÉMON. 519<br />
après la renaissance. — Quel<strong>le</strong> crédulité! dira-t-on;<br />
— mais comment oser nier, répondrons-nous, que <strong>le</strong><br />
diab<strong>le</strong> puisse emporter <strong>le</strong> comte <strong>de</strong> Mâcon, lorsqu'on<br />
voyait <strong>le</strong>s possédés soutenus en l'air? Jésus-Christ<br />
porté par <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> pinac<strong>le</strong> du temp<strong>le</strong>, et <strong>le</strong>s sorciers<br />
traverser <strong>le</strong>s airs comme une troupe <strong>de</strong> corbeaux.<br />
On a vu, dans <strong>le</strong> premier sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s possédés être, <strong>le</strong><br />
plus ordinairement, délivrés par une simp<strong>le</strong> paro<strong>le</strong>;<br />
dans <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> saint Bernard et même du temps <strong>de</strong><br />
saint Jean Chrysos<strong>tome</strong>, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s sont déjà plus rétifs.—<br />
On en a énoncé la cause, — c'est l'incrédulité<br />
<strong>de</strong>s assistants : voilà sans doute aussi pourquoi saint<br />
Jean Chrysos<strong>tome</strong> et saint Bernard exhortaient <strong>le</strong><br />
peup<strong>le</strong> à prier <strong>avec</strong> eux pour <strong>le</strong> possédé, c'était pour<br />
n'être point trompés par Satan.<br />
On amène un jour à saint Bernard une femme <strong>de</strong><br />
condition, fort âgée et <strong>de</strong>puis longtemps possédée du<br />
<strong>démon</strong> : à peine pouvait-el<strong>le</strong> respirer. Privée <strong>de</strong> la vue,<br />
<strong>de</strong> l'ouïe et <strong>de</strong> la paro<strong>le</strong>, agitée <strong>de</strong> convulsions vio<strong>le</strong>ntes,<br />
el<strong>le</strong> tirait si affreusement la langue, que cet organe ressemblait<br />
à la trompe d'un éléphant (momtnnri, non<br />
femina vi<strong>de</strong>retur). Saint Bernard exhorta <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> à<br />
prier <strong>avec</strong> ferveur, ce qu'il fit lui-même dans <strong>le</strong> saint<br />
sacrifice qu'il offrit ensuite. Après l'Oraison dominica<strong>le</strong>,<br />
il pressa plus vivement l'ennemi. Mettant <strong>le</strong> sacré corps<br />
sur la patène, il <strong>le</strong> tint sur la tète <strong>de</strong> cette femme, en<br />
prononçant ces paro<strong>le</strong>s : Esprit malin, voici ton Juge,<br />
voici celui qui a une puissance souveraine..., voici... celui<br />
qui a dit : <strong>Le</strong> temps est venu où <strong>le</strong> prince <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> sera<br />
chassé <strong>de</strong> son empire... C'est par la puissance terrib<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
cette majesté que je te comman<strong>de</strong>... <strong>de</strong> sortir... du corps<br />
:1e sa servante... <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> torture alors cel<strong>le</strong>-ci d'autant<br />
plus cruel<strong>le</strong>ment qu'il est plus pressé <strong>de</strong> la quitter...<br />
Saint Bernard, étant remonté à l'autel, achève la frac-
520 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
tion <strong>de</strong> l'hostie, donne la paix au diacre, qui la communique<br />
au peup<strong>le</strong>, et à l'instant même, la possédée<br />
fut guérie. (S. Bern.Vita, auct. Ernaldo, III, 13-14.)<br />
Il reste taut <strong>de</strong> faits merveil<strong>le</strong>ux et surtout horrib<strong>le</strong>s<br />
à citer dans l'époque suivante, que l'on pense que ce<br />
qu'on vient <strong>de</strong> lire suffit pour établir <strong>le</strong>ur filiation;<br />
on va donc passer aux hérésies pendant <strong>le</strong> moyen âge.
A'VEC LE DÉMON. 321<br />
CHAPITRE III<br />
Introduction <strong>de</strong>s doctrines païennes aux douzième et treizième sièc<strong>le</strong>s. — On<br />
veut déjà réformer. — Hérésies. — <strong>Le</strong>s Templiers. — Francs-maçons. —<br />
Albigeois. — <strong>Le</strong>s faits magiques mieux connus seront moins niés. — Ten<br />
dance <strong>de</strong> retour aux doctrines <strong>de</strong> l'antiquité païenne. — Roger Bacon et<br />
autres adoptent <strong>le</strong>s systèmes matérialistes.<br />
Introduction <strong>de</strong>s doctrines païennes aux douzième et treizième sièc<strong>le</strong>s.<br />
On veut déjà réformer. — Hérésies. ><br />
<strong>Le</strong>s <strong>rapports</strong> qui s'établirent entre <strong>le</strong>s Orientaux et<br />
<strong>le</strong>s Occi<strong>de</strong>ntaux répandirent chez ceux-ci <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s<br />
superstitions païennes, rajeunies, comme on l'a dit,<br />
dans <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s doctrines hérétiques et philosophiques.<br />
<strong>Le</strong>s Manichéens, formant une infinité <strong>de</strong> sectes,<br />
sévèrement punis par <strong>le</strong>s empereurs <strong>de</strong>venus chrétiens,<br />
se propagèrent dans <strong>le</strong>s ténèbres. On ne <strong>le</strong>s suivra<br />
point dans toutes <strong>le</strong>s péripéties <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur existence : ils<br />
s'accordaient pour rejeter <strong>le</strong>s sacrements, <strong>le</strong> culte <strong>de</strong><br />
la Vierge, <strong>de</strong>s saints, celui <strong>de</strong> la croix et <strong>de</strong>s images.<br />
Malgré <strong>le</strong>s variations établies par chaque chef <strong>de</strong> secte,<br />
on retrouvait chez tous <strong>le</strong>s Manichéens <strong>le</strong> dieu bon et<br />
<strong>le</strong> dieu mauvais, la caba<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s superstitions magiques;<br />
chez tous enfin l'esprit <strong>de</strong> révolte politique et religieuse.<br />
Déguisant adroitement <strong>le</strong>ur doctrine, ils se posaient<br />
en vrais chrétiens, et citaient hypocritement à<br />
tout propos <strong>le</strong>s vérités <strong>de</strong> la sainte Écriture ; tantôt,<br />
• s'alliant <strong>avec</strong> d'autres hérétiques, ils se transformaient
822 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
en une nouvel<strong>le</strong> secte; tantôt, se disputant entre<br />
eux, ils s'attaquaient <strong>avec</strong> acharnement et se séparaient...<br />
Ainsi, au septième sièc<strong>le</strong>, ils <strong>de</strong>viennent Pauliciens;<br />
au neuvième, divisés en sectes ennemies, ils se font<br />
entre eux une guerre sanglante... <strong>Le</strong>ur aversion pour<br />
la croix et <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s images <strong>le</strong>ur ayant concilié l'affection<br />
<strong>de</strong>s Sarrasins, ils se liguent <strong>avec</strong> eux contre <strong>le</strong>s<br />
empereurs ; ayant été défaits, plusieurs se réfugient en<br />
Bulgarie, où on <strong>le</strong>s connaît sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Bulgares.<br />
Cette hérésie ayant fait <strong>de</strong>s progrès dans <strong>le</strong> diocèse<br />
d'Albi, on <strong>le</strong>s nomma Albigeois. Au douzième et au<br />
treizième sièc<strong>le</strong>, ils sont aussi connus sous <strong>le</strong> nom<br />
d'J/enriciens, <strong>de</strong> Cathares, etc., et feront un jour<br />
germer en Al<strong>le</strong>magne l'hérésie <strong>de</strong>s Hussites, etc. —<br />
<strong>Le</strong>s Manichéens et <strong>le</strong>s Gnostiqucs, s'étant associés secrètement,<br />
perpétuèrent dans l'ombre <strong>le</strong> principe <strong>de</strong><br />
révolte et <strong>de</strong> sédition qui força d'établir l'inquisition,<br />
consentie par <strong>le</strong>s souverains et requise môme par eux;<br />
car l'invasion manichéenne s'efforçait <strong>de</strong> perpétuer<br />
parmi ses a<strong>de</strong>ptes non-seu<strong>le</strong>ment la volonté d'anéantir<br />
<strong>le</strong> catholicisme, mais <strong>de</strong> renverser <strong>le</strong>s rois, d'établir<br />
<strong>le</strong> règne <strong>de</strong> la liberté, <strong>de</strong> constituer une république<br />
universel<strong>le</strong> et la gran<strong>de</strong> fraternité religieuse, ou mieux<br />
l'indifférence pour tous <strong>le</strong>s cultes. <strong>Le</strong> manichéisme,<br />
allié au gnosticisme, corrompit <strong>le</strong>s Templiers et enfanta,<br />
dit-on, <strong>le</strong>s ancêtres <strong>de</strong>s francs-maçons. — Faisons un<br />
bref exposé <strong>de</strong>s hérésies, <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs pratiques et <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />
doctrines.<br />
Au cinquième sièc<strong>le</strong>, selon saint Augustin (De<br />
h turcs.), <strong>le</strong>s Gnostiques étaient si décriés, qu'on réunissait<br />
ces divers hérétiques sous la même dénomination,<br />
horhorites, c'est-à-dire sa<strong>le</strong>s, à cause <strong>de</strong>s abominations<br />
pratiquées dans <strong>le</strong>urs mystères. 11 dit (Jb.)
AVE0 LE DÉMON.<br />
que <strong>le</strong>s Montanistes tiraient, comme on l'a vu, <strong>le</strong><br />
sang d'un enfant par <strong>de</strong>s piqûres, <strong>le</strong> mêlaient <strong>avec</strong> la<br />
cendre : c'était <strong>le</strong>ur eucharistie.—D'après <strong>de</strong>s enquêtes<br />
juridiques faites à Carthage et à Rome, et d'après <strong>le</strong>s<br />
aveux <strong>de</strong> ceux qui y avaient participé, <strong>le</strong>s Manichéens<br />
étaient contraints dans <strong>le</strong>urs assemblées relut eucharistiam<br />
conspersam cum semine humano suntere. (Ih.,<br />
XLVI.)<br />
Comme on l'a dit, <strong>le</strong>s Pauliciens, alliés <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />
Messaliens, formèrent <strong>le</strong>s Bogomi<strong>le</strong>s en Bulgarie :<br />
Pscllus <strong>le</strong>s nomme gnosliques, euchites... Sortis <strong>de</strong> la<br />
Bulgarie, ils arrivèrent avant l'an 1000 en Italie", où<br />
on <strong>le</strong>s nomma Bulgares, du nom du pays qu'ils venaient<br />
<strong>de</strong> quitter. Se disant plus purs que <strong>le</strong>s autres<br />
hommes, ils s'appelèrent catharins, bégards, etc. Us<br />
admettaient trois principes : <strong>le</strong> père, qui règne dans<br />
<strong>le</strong>s régions supérieures, et <strong>de</strong>ux fils issus <strong>de</strong> lui. <strong>Le</strong><br />
plus jeune prési<strong>de</strong> aux choses cé<strong>le</strong>stes; <strong>le</strong> plus ancien,<br />
à notre mon<strong>de</strong>, seniori vero subcœ<strong>le</strong>stia. <strong>Le</strong>s Euchites<br />
adoraient l'un et l'autre ; Y ancien, <strong>de</strong> peur qu'il ne <strong>le</strong>ur<br />
fît du mal, caven/es vi<strong>de</strong>licel ne ma<strong>le</strong>faciat. Ils l'appelaient<br />
<strong>le</strong> premier né, créateur <strong>de</strong>s animaux, <strong>de</strong>s<br />
plantes, etc., mais aussi <strong>le</strong> dangereux, l'ennemi, verô<br />
pestifemm atque hostilém. Psellus fait remarquer cette<br />
doctrine du nombre trois, qui appartient à la fab<strong>le</strong><br />
grecque. « <strong>Le</strong>s Euchites et <strong>le</strong>s Gnostiques, dit-il, font<br />
<strong>de</strong>s sacrifices abominab<strong>le</strong>s aux <strong>démon</strong>s. <strong>Le</strong> soir du jour<br />
<strong>de</strong> la mort du Sauveur, ils se rassemb<strong>le</strong>nt <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s femmes,<br />
et après certaines cérémonies, <strong>le</strong>s lumières étant<br />
éteintes, ils se mê<strong>le</strong>nt ensemb<strong>le</strong>, Je père <strong>avec</strong> la fil<strong>le</strong>,<br />
<strong>le</strong> frère <strong>avec</strong> la sœur, etc Au bout <strong>de</strong> neuf mois, <strong>le</strong>s<br />
enfants nés <strong>de</strong> ces conjonctions sont égorgés ; on emplit<br />
<strong>de</strong>s vases <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur sang. <strong>Le</strong>s corps étant brûlés,<br />
ils mê<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>urs cendres <strong>avec</strong> ce sang et <strong>avec</strong> <strong>le</strong>urs ali-
524 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
ments. On croit que <strong>le</strong> caractère imprimé par <strong>le</strong>s sacrements<br />
se trouve ainsi effacé 1<br />
. — <strong>Le</strong>s Euchites peuvent<br />
ensuite chasser <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s et communiquer <strong>avec</strong> eux<br />
sans crainte. (Psellus, De opérât, dœmon.)<br />
Cette doctrine ayant pénétré en France, y fit <strong>de</strong>s<br />
progrès rapi<strong>de</strong>s; s'étant répandue en diverses provinces,<br />
plusieurs conci<strong>le</strong>s s'assemblèrent pour y porter<br />
remè<strong>de</strong>. Entravés par la guerre <strong>de</strong>s Albigeois, <strong>le</strong>s Euchites<br />
n'en envahirent pas moins l'Occi<strong>de</strong>nt, et au<br />
douzième sièc<strong>le</strong> ils infestaient déjà <strong>le</strong>s bords du Rhin,<br />
l'Ang<strong>le</strong>terre, l'Espagne, la Gascogne, etc.<br />
Au treizième sièc<strong>le</strong>, Bulgares, Albigeois, Cathares,<br />
etc., se subdivisaient en près <strong>de</strong> quatre-vingts<br />
sectes. En 1233, Grégoire IX <strong>le</strong>s signala dans ses<br />
<strong>Le</strong>ttres à quelques évoques d'Al<strong>le</strong>magne comme gens<br />
invoquant <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, qui apparaît dans <strong>le</strong>urs assemblées<br />
sous différentes formes, entre autres cel<strong>le</strong>s du<br />
chat, du crapaud, etc. Ils ont choisi Satan pour <strong>le</strong>ur<br />
maître; il se fait dans <strong>le</strong>urs réunions <strong>de</strong>s infamies,<br />
auxquel<strong>le</strong>s ils se livrent après avoir éteint <strong>le</strong>s lumières.<br />
Chaque année, après avoir communié, au lieu d'ava<strong>le</strong>r<br />
l'hostie, ils la jettent dans <strong>de</strong>s lieux immon<strong>de</strong>s. Us<br />
pensent que Lucifer a été, par ruse, chassé du ciel ;<br />
qu'il doit y retourner, qu'ils y seront heureux <strong>avec</strong><br />
lui 2<br />
, etc.<br />
1. Julien avait fait aussi une cérémonie pour effacer son baptême.<br />
2. « Hujus pestis initia talia perferuntur : nain dum novitius in ea<br />
quisquam recipitur, et perditorum primitus scholas inlrat, apparet ei<br />
spceiesqua^dam rame, quam bufonem consueverunt aliqui nominare:<br />
hanc qui<strong>de</strong>m a posterioribus... osculantes... Ha,>c apparet... quandoque<br />
in modum anseris, vel anatis... <strong>de</strong>nium novitio proce<strong>de</strong>nti occurrit<br />
miri palloris homo, nigerrimos habens oculos... hune novitius<br />
osculatur et sentit frigidum sicut glaciem.... Comp<strong>le</strong>to convivio, per<br />
quamdam slatuain... <strong>de</strong>scendit retrorsum ad modum canis mediocris<br />
gattusuiger retoila cauda, quem a posterioribus primo novitius, post
AVEC LE DÉMON. 525<br />
Au onzième sièc<strong>le</strong> déjà, <strong>le</strong> syno<strong>de</strong> d'Orléans ayant<br />
fait une enquête sur <strong>le</strong>s Manichéens transportés en<br />
Occi<strong>de</strong>nt, déclare qu'ils s'assemb<strong>le</strong>nt par interval<strong>le</strong><br />
dans une maison désignée ; là, un flambeau à la main, ils<br />
parcourent en chantant la liste <strong>de</strong> plusieurs <strong>démon</strong>s,<br />
jusqu'au moment où l'un d'eux <strong>de</strong>scend au milieu <strong>de</strong><br />
l'assemblée, sous la forme d'un petit animal (in simililudinem<br />
cnjnslibet. bestiolœ); alors on éteint <strong>le</strong>s lumières<br />
et chacun copu<strong>le</strong> <strong>avec</strong> la personne qu'il rencontre<br />
, fût-ce sa mère ou sa fil<strong>le</strong>. L'enfant né <strong>de</strong> cet<br />
accoup<strong>le</strong>ment est brûlé, et <strong>le</strong>s cendres sont respectées,<br />
oserons-nous <strong>le</strong> dire, comme <strong>le</strong>s catholiques vénèrent<br />
l'eucharistie, et soigneusement conservées, car la puissance<br />
du <strong>démon</strong> yrési<strong>de</strong>. (D'Achery, Spici<strong>le</strong>g., I, 605).<br />
Toutes ces infamies au fond se ressemb<strong>le</strong>nt.<br />
Au treizième sièc<strong>le</strong> et au commencement du quatorzième,<br />
on pourrait citer l'hérésie <strong>de</strong>s Fratricel<strong>le</strong>s ou<br />
Frérots, espèces <strong>de</strong> franciscains laïcs, qui renouvelèrent<br />
différentes erreurs <strong>de</strong>s Donatistes et <strong>de</strong>s Albigeois. Ne<br />
pouvant exposer ici ni <strong>le</strong>urs pratiques ni <strong>le</strong>ur doctrine,<br />
il suffira <strong>de</strong> dire qu'une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> sectes, sous <strong>le</strong><br />
nom <strong>de</strong> frérots, continuèrent <strong>le</strong>s infamies <strong>de</strong>s Gnostiques<br />
; ils prétendaient que Jésus-Christ et ses apôtres<br />
n'avaient pas manqué <strong>de</strong> femmes, ayant eu <strong>le</strong>urs<br />
propres femmes ou joui <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s autres ; que l'adultère<br />
ni l'inceste n'étaient pas <strong>de</strong>s crimes : <strong>le</strong>s femmes<br />
se rendaient par troupes à <strong>le</strong>urs assemblées, et là, toujours<br />
<strong>le</strong>s lumières éteintes, <strong>le</strong> célébrant, en invoquant<br />
magis<strong>le</strong>r, <strong>de</strong>in<strong>de</strong> singuli per ordineui osculantur. (Raynald. Annal,<br />
ecc<strong>le</strong>s., XIII, p. 447, n. 42 et 43.)<br />
En rapportant toutes ces hi<strong>de</strong>uses cérémonies, on ne peut s'empêcher<br />
<strong>de</strong> faire remarquer combien <strong>le</strong> <strong>démon</strong> se plaît à avilir <strong>l'homme</strong><br />
qui se livre à lui. Il semb<strong>le</strong> qu'il veuil<strong>le</strong> dans cette imaye do Dieu<br />
assouvir la haine qu'il porte au Créateur.
526 DBS RAPPORTS DE L'HOMME<br />
l'esprit, donnait <strong>le</strong> signal <strong>de</strong>s monstruosités signalées<br />
ci-<strong>de</strong>vant. <strong>Le</strong>s enfants, nés <strong>de</strong> ce commerce impur,<br />
étaient jetés <strong>de</strong> main en main par ces hérétiques formant<br />
<strong>le</strong> cerc<strong>le</strong>, jusqu'à ce que ces enfants expirassent.<br />
On <strong>le</strong>s brûlait ensuite, et <strong>le</strong>urs cendres, mêlées <strong>avec</strong><br />
<strong>le</strong> vin, étaient données en breuvage aux a<strong>de</strong>ptes<br />
dans <strong>le</strong>s initiations. <strong>Le</strong>s horreurs que l'on vient <strong>de</strong><br />
signa<strong>le</strong>r chez ces hérétiques se retrouveront au seizième<br />
et au dix-septième sièc<strong>le</strong> <strong>avec</strong> peu <strong>de</strong> modification chez<br />
<strong>le</strong>s sorciers \<br />
<strong>Des</strong> Templiers.<br />
On a prétendu que <strong>le</strong> manichéisme avait corrompu<br />
l'ordre <strong>de</strong>s Templiers ; il faut entrer ici dans quelques<br />
détails nécessaires. — <strong>Le</strong>s Templiers, pauvres dans<br />
l'origine, enrichis par <strong>le</strong>s libéralités <strong>de</strong>s souverains, se<br />
corrompirent, ils <strong>de</strong>vinrent orgueil<strong>le</strong>ux, ennemis <strong>de</strong><br />
l'autorité, voluptueux; ils se lièrent <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s infidè<strong>le</strong>s,<br />
et on <strong>le</strong>s accuse d'avoir alors adopté <strong>le</strong>s erreurs <strong>de</strong>s<br />
Manichéens et <strong>de</strong>s tinostiques, dont <strong>le</strong> but était, comme<br />
on sait, <strong>le</strong> renversement <strong>de</strong> la religion et <strong>de</strong>s gouvernements.<br />
Comme eux, <strong>le</strong>s Templiers juraient, dit-on,<br />
haine au Christ et à la royauté, et professaient comme<br />
eux <strong>le</strong>s principes <strong>de</strong> liberté et d'égalité ; entre autres<br />
accusations, on a prétendu qu'ils reniaient Jésus-Christ,<br />
qu'ils crachaient sur la croix, qu'ils se livraient enfin<br />
1. On a prétendu, dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> lumière, qu'il fallait attribuer<br />
ces infamies a <strong>de</strong> fol<strong>le</strong>s imaginations. On <strong>de</strong>man<strong>de</strong> comment <strong>de</strong>s<br />
paysans ignorants et grossiers ont pu s'attribuer <strong>le</strong>s turpitu<strong>de</strong>s que<br />
l'on reprochait aux Manichéens <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s précé<strong>de</strong>nts? Comment <strong>de</strong>s<br />
rustres qui habitaient <strong>de</strong>s contrées s.uvvages ont-ils pu connaître dans<br />
toutes <strong>le</strong>urs circonstances <strong>le</strong>s infamies <strong>de</strong>s Cathares, <strong>de</strong>s Albigeois,<br />
<strong>de</strong>s Euchilcs, <strong>de</strong>s Bulgares, etc., à moins qu'ils n'aient fait partie<br />
d'une <strong>de</strong> ces sectes <strong>de</strong> Manichéens ?
AVEC LE DÉMON. S27<br />
entre eux à mil<strong>le</strong>'abominations, pratiquaient la magie,<br />
s'obligeaient à un secret impénétrab<strong>le</strong>, etc. — Serait-ce<br />
une calomnie? — Il est peut-être fâcheux pour ces religieux<br />
qu'ils n'aient guère eu pour apologistes que<br />
<strong>le</strong>s incrédu<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s impies, mais cela est ; et ces <strong>de</strong>rniers<br />
accusent Philippe <strong>le</strong> Bel d'avoir brûlé <strong>le</strong>s Templiers<br />
pour s'emparer <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs biens immenses ; ils possédaient<br />
en effet plus <strong>de</strong> six mil<strong>le</strong> convents ou seigneuries<br />
en 1312, et l'ordre avait été fondé en 1118. — Ne pouvant<br />
faire ici l'histoire <strong>de</strong> ce fameux procès, bornonsnous<br />
à dire qu'après la chute du royaume <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m,<br />
<strong>le</strong>s Templiers répandus dans <strong>le</strong>s divers États <strong>de</strong><br />
l'empire excitèrent <strong>de</strong>s séditions contre Philippe <strong>le</strong> Bel,<br />
qui fit <strong>le</strong>ur procès <strong>de</strong> ooncert <strong>avec</strong> Clément V. Une partie<br />
<strong>de</strong>s crimes dont on <strong>le</strong>s accusait furent avoués par<br />
cent quarante d'entre eux, sans torture; il n'y en eut<br />
que trois qui nièrent. <strong>Le</strong> pape interrogea soixante-douze<br />
accusés à Poitiers ; il était disposé à s'opposer aux poursuites<br />
et avait même écrit au roi; mais, d'après <strong>le</strong>urs<br />
aveux, Clément V consentit à ce que la procédure continuât.<br />
Cinquante-neuf, qu'on brûla, s'obstinèrent à<br />
nier, il est vrai; mais <strong>le</strong>urs dénégations en face <strong>de</strong>s<br />
preuves évi<strong>de</strong>ntes résultant <strong>de</strong>s aveux <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs frères,<br />
du grand nombre do témoins entendus, <strong>de</strong>vaient-el<strong>le</strong>s<br />
être accueillies? Tous <strong>le</strong>s témoins étaient-ils <strong>de</strong>s scélérats<br />
, tous <strong>le</strong>s commissaires nommés à Paris, Baycux,<br />
Rouen, Troyes, Cahors, Carcassonne, Caen, etc., etc.,<br />
étaient-ils <strong>de</strong>s scélérats? Tous <strong>le</strong>s cardinaux, évoques,<br />
inquisiteurs, officiers du roi, magistrats, docteurs,<br />
étaient-ils <strong>de</strong>s hommes vendus à Philippe <strong>le</strong> Bel? Faut-il<br />
en dire autant <strong>de</strong> l'Ang<strong>le</strong>terre, <strong>de</strong> l'Espagne do la Sici<strong>le</strong><br />
cl autres pays? <strong>Le</strong>s incrédu<strong>le</strong>s ont copié Villani,<br />
l'ennemi du pape, homme irrité contre Philippe, et on a<br />
répété partout ce que <strong>le</strong>s incrédu<strong>le</strong>s avaient dit ou écrit.
528 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Ce procès fut l'objet d'un examen sérieux; il dura six<br />
ans. On fut convaincu <strong>de</strong> la culpabilité <strong>de</strong>s Templiers;<br />
<strong>le</strong> roi ne profita point <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs dépouil<strong>le</strong>s, il <strong>de</strong>manda<br />
au Saint-Père que <strong>le</strong>s biens fussent donnés à un autre<br />
ordre militaire. <strong>Le</strong> protestant Mosheim a pu dire que<br />
Clément V était avare et vindicatif, accuser Philippe<br />
d'avidité, <strong>de</strong> rancune contre l'Ordre du Temp<strong>le</strong>, Voltaire<br />
a pu copier <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s assertions, mais il n'était<br />
besoin ni d'avarice ni <strong>de</strong> vengeance : par <strong>le</strong>s témoignages,<br />
comme par <strong>le</strong>urs propres aveux, ils furent convaincus<br />
d'idolâtrie, d'hérésie, <strong>de</strong> pratiques infâmes;<br />
ils avaient <strong>le</strong>urs assemblées secrètes... Jacques Molay<br />
a nié <strong>le</strong>s horreurs qui se passaient dans <strong>le</strong>s réceptions;<br />
ne pouvait-il exister <strong>de</strong>ux réceptions : l'une secrète,<br />
inconnue du grand maître; l'autre publique, selon <strong>le</strong>s<br />
anciens statuts? D'après ce qui a été dit, il n'est pas<br />
surprenant que <strong>le</strong>s Templiers aient eu <strong>de</strong>s x'apports<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s hérétiques répandus en Orient et ail<strong>le</strong>urs,<br />
qu'ils aient été par eux trompés, qu'ils aient cru adopter<br />
un christianisme réformé, qu'ils soient tombés dans<br />
l'hérésie <strong>de</strong>s Gnostiques, <strong>de</strong>s Va<strong>le</strong>ntiniens, <strong>de</strong>s Manichéens,<br />
mélangée <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s antiques erreurs païennes.<br />
L'espace manque pour traiter ce sujet; mais <strong>de</strong>s savants<br />
ont pensé que <strong>le</strong>s Templiers étaient initiés à la<br />
doctrine secrète <strong>de</strong>s sages <strong>de</strong> l'Orient. Hammer montre<br />
l'intime liaison <strong>de</strong>s doctrines hérétiques <strong>avec</strong> la cosmologie<br />
<strong>de</strong>s Persans, la mythologie <strong>de</strong>s Syriens et <strong>de</strong>s<br />
Égyptiens. D'autres rattachent <strong>le</strong>s doctrines <strong>de</strong>s Templiers,<br />
<strong>de</strong>s Rose-croix, <strong>de</strong>s Francs-maçons, <strong>avec</strong> cel<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>s Albigeois, etc., toutes ces sectes voulaient renverser<br />
<strong>le</strong>s gouvernements et la religion. Il paraît hors <strong>de</strong> doute<br />
que <strong>le</strong>s Templiers crachaient sur la croix, se livraient<br />
entre eux à un acte infâme. Jésus-Christ a dit qu'il est<br />
Y ni plia et Voméyn; <strong>le</strong>s Gnostiques et <strong>le</strong>s Manichéens di-
AVEC LE DÉMON. 520<br />
saient aussi que <strong>le</strong>ur maître <strong>le</strong>ur avait enseigné <strong>le</strong> commencement,<br />
<strong>le</strong> milieu et la fin... — <strong>Le</strong>s Templiers se<br />
donnaient un baiser symbolique sur la bouche, sur<br />
l'ombilic et in anu seu spina dorsi, pour représenter<br />
<strong>le</strong> commencement, <strong>le</strong> milieu et la fin. Il est inuti<strong>le</strong><br />
d'exposer <strong>avec</strong> plus <strong>de</strong> détails ces turpitu<strong>de</strong>s ; ce qui<br />
a été dit <strong>de</strong>s hérétiques, ce qu'on dira <strong>de</strong> la secte <strong>de</strong>s<br />
sorciers prouve suffisamment ce dont est capab<strong>le</strong> celui<br />
qui abandonne la bonne voie pour suivre l'erreur.<br />
Orgueil<strong>le</strong>ux, <strong>le</strong>s Templiers refusent l'obéissance aux<br />
patriarches <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m ; ambitieux, ils envahissent<br />
<strong>le</strong>s biens <strong>de</strong> l'Église; impies, ils se lient <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s infidè<strong>le</strong>s<br />
contre <strong>le</strong>s princes chrétiens ; ils exercent enfin<br />
<strong>de</strong>s brigandages contre ceux qu'ils étaient chargés <strong>de</strong><br />
défendre, ils <strong>de</strong>viennent séditieux, corrompus. Ces<br />
faits connus ren<strong>de</strong>nt assez croyab<strong>le</strong>s ceux qu'ils cachaient<br />
1<br />
.<br />
Francs-maçons.<br />
On ne par<strong>le</strong>ra <strong>de</strong>s Francs-maçons, au moyen âge, que<br />
pour citer quelques opinions sur cette association obscure...<br />
— Nicolaï pense qu'el<strong>le</strong> vient <strong>de</strong>s Templiers;<br />
Barruel rattache <strong>le</strong>s doctrines <strong>de</strong>s Templiers et <strong>de</strong>s<br />
Francs-maçons à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Albigeois. Hammer pense<br />
qu'ils sont plus anciens que <strong>le</strong>s Templiers, que cette<br />
société peut remonter à ces astrologues qu'on a vus<br />
chassés <strong>de</strong> Rome. Il considère comme première loge<br />
dés Francs-maçons cette maison <strong>de</strong> sagesse fondée au<br />
Caire à la fin du onzième sièc<strong>le</strong> ; il montre une gran<strong>de</strong><br />
analogie entre <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Gnostiques et ceux <strong>de</strong>s<br />
1 Goerres, III e<br />
volume, dit qu'il ne serait pas étonnant qu'ils eussent<br />
ajouté aux vices <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur patrie ceux <strong>de</strong> l'Orient, et que, formant un<br />
ordre dans l'ordre, ils eussent conservé en secret <strong>le</strong>s pratiques <strong>de</strong>s<br />
Manichéens.
530 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Francs-maçons. La croix tronquée, signe du phallus,<br />
<strong>de</strong> la c<strong>le</strong>f <strong>de</strong> science, etc., est <strong>de</strong>venue, dit-il, <strong>le</strong> mail<strong>le</strong>t<br />
<strong>de</strong>s maçons ; <strong>le</strong> serpent, c'est <strong>le</strong> cordon <strong>de</strong>s Templiers<br />
et <strong>de</strong>s maçons : <strong>Le</strong> so<strong>le</strong>il, la lune, étaient adorés chez<br />
<strong>le</strong>s anciens; on retrouve aussi l'étoi<strong>le</strong> symbolique chez<br />
<strong>le</strong>s maçons; la <strong>le</strong>ttre G, inscrite dans ce signe, est<br />
l'initia<strong>le</strong> <strong>de</strong> gnosis, et rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong> gnosticisme <strong>de</strong>s uns<br />
et <strong>de</strong>s autres. On ne continuera pas d'exposer ici <strong>le</strong>s rapprochements<br />
entre <strong>le</strong>s Templiers et <strong>le</strong>s Francs-maçons;<br />
. peut-être ne sont-ils qu'ingénieux; quoiqu'il en soit,<br />
il y a parenfage, comme on <strong>le</strong> verra, entre <strong>le</strong>s hérétiques,<br />
<strong>le</strong>s Templiers et <strong>le</strong>s maçons. Comme <strong>le</strong>s Templiers,<br />
ils ont <strong>le</strong>urs doctrines secrètes, <strong>le</strong>urs symbo<strong>le</strong>s,<br />
qui tirent <strong>le</strong>ur origine <strong>de</strong>s fausses religions <strong>de</strong> l'antiquité;<br />
comme <strong>le</strong>s hérétiques, plusieurs maçons osent, au<br />
dix-neuvième sièc<strong>le</strong>, se dire <strong>le</strong>s vrais discip<strong>le</strong>s du Christ,<br />
dont ils respectent peu <strong>le</strong>s dogmes. Tous <strong>le</strong>s cultes<br />
<strong>le</strong>ur sont assez indifférents, la plupart n'en professent<br />
aucun; <strong>le</strong>ur théisme vague reconnaît l'existence d'un<br />
grand architecte <strong>de</strong> l'univers; ils admirent la mora<strong>le</strong><br />
évangélique, mais la plupart n'en sont pas moins trèsimmoraux<br />
: on <strong>le</strong> répète, c'est <strong>de</strong> la franc-maçonnerie<br />
mo<strong>de</strong>rne qu'on par<strong>le</strong> ici par anticipation, cel<strong>le</strong> du<br />
quinzième sièc<strong>le</strong> n'est pas connue, ou mieux, nous <strong>le</strong><br />
pensons, n'existait qu'à l'état d'embryon. Il en sera<br />
parlé plus amp<strong>le</strong>ment ail<strong>le</strong>urs. Disons encore, par anticipation,<br />
que s'ils se préten<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s vrais discip<strong>le</strong>s du<br />
Christ, l'Église <strong>le</strong>s rejette <strong>de</strong> son sein. Clément XII et<br />
Benoît XIV ont condamné cette association qui doit<br />
être toute mo<strong>de</strong>rne.<br />
Albigeois.<br />
<strong>Le</strong>s Albigeois, ces manichéens <strong>de</strong> Bulgarie, qui infestèrent<br />
<strong>le</strong> Languedoc à la fin du douzième sièc<strong>le</strong>, quoique
AVEC LE DÉMON.<br />
poursuivis et rigoureusement châtiés, enhardis par <strong>le</strong>s<br />
désordres du c<strong>le</strong>rgé, osèrent l'attaquer dans tout ce qui<br />
établissait sa considération ; <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> passant du mépris<br />
pour <strong>le</strong>s prêtres à celui <strong>de</strong> la religion, <strong>le</strong> résultat<br />
fut la propagation <strong>de</strong> l'hérésie <strong>de</strong>s Albigeois. Ces <strong>de</strong>rniers<br />
supposaient que Dieu ayant produit Lucifer, celui-ci<br />
s'étant révolté, il avait été chassé du ciel : ainsi<br />
expulsé, il fit <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> visib<strong>le</strong> et matériel sur <strong>le</strong>quel il<br />
règne ; Dieu produisit alors un second fils, Jésus-Christ,<br />
pour rétablir l'ordre... — Rien <strong>de</strong> nouveau, comme on<br />
<strong>le</strong> voit, c'est toujours <strong>le</strong> manichéisme.<br />
<strong>Le</strong>s Vaudois, discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Pierre Valdo, se réunirent<br />
aux Albigeois et aux Henriciens ; au quinzième et au<br />
seizième sièc<strong>le</strong>, ces Vaudois furent confondus par <strong>le</strong><br />
peup<strong>le</strong> <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s sorciers.<br />
Ainsi donc se retrouvent partout au moyen âge, dans<br />
<strong>le</strong>s hérésies formées du druidisme et <strong>de</strong>s vieux cultes<br />
idolâtriques mélangés <strong>avec</strong> <strong>le</strong> christianisme, la doctrine<br />
<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux principes, <strong>le</strong>s assemblées nocturnes,<br />
<strong>le</strong>s sacrifices sanglants, <strong>le</strong>s enfants égorgés servant aux<br />
opérations magiques, <strong>de</strong>s dissolutions qui font frémir,<br />
l'eucharistie profanée, enfin <strong>de</strong>s pratiques si horrib<strong>le</strong>s,<br />
que tout a paru incroyab<strong>le</strong> lorsque <strong>le</strong>s procès <strong>de</strong> sorcel<strong>le</strong>rie<br />
ont révélé <strong>de</strong>s faits semblab<strong>le</strong>s.<br />
<strong>Le</strong>s faits magiques mieux connus seront moins niés.<br />
Si <strong>le</strong>s lois civi<strong>le</strong>s et religieuses punissaient <strong>le</strong>s faits<br />
magiques, il n'en faut pas conclure que la réalité <strong>de</strong><br />
tous, sans exception, fut admise; plusieurs, on l'a vu,<br />
étaient considérés comme étant, non ce qu'on appel<strong>le</strong>rait<br />
aujourd'hui <strong>de</strong>s hallucinations naturel<strong>le</strong>s, mais<br />
<strong>de</strong>s illusions diaboliques; <strong>le</strong> paragraphe suivant <strong>le</strong><br />
prouvera. Cependant <strong>de</strong>s témoignages très-recomman-
532 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
dab<strong>le</strong>s ayant renversé <strong>le</strong> scepticisme <strong>de</strong> plusieurs, on<br />
reconnut qu'il y avait conformité entre <strong>le</strong>s hérétiques<br />
et <strong>le</strong>s sorciers ; que si <strong>le</strong>s premiers ont <strong>de</strong>s assemblées<br />
réel<strong>le</strong>s, cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers peuvent bien ne pas être<br />
imaginaires. Au douzième sièc<strong>le</strong>, Gervais <strong>de</strong> Tilbury<br />
affirme, comme chose que nul ne nie, la transformation<br />
<strong>de</strong>s sorcières en chats : « On voit, dit-il, sur <strong>le</strong>ur corps<br />
<strong>le</strong>s traces <strong>de</strong>s b<strong>le</strong>ssures qu'el<strong>le</strong>s ont reçues. » —Au même<br />
sièc<strong>le</strong>, Alain <strong>de</strong> Lil<strong>le</strong>, surnommé <strong>le</strong> docteur universel,<br />
parmi <strong>le</strong>s étymologics qu'il donne du nom <strong>de</strong> catharins,<br />
cite cel<strong>le</strong> qui <strong>le</strong> fait dériver <strong>de</strong> catto, parce que,<br />
dit-il, Satan <strong>le</strong>ur apparaît sous la forme <strong>de</strong> chat, cujus<br />
posteriora osculantur. (Alanus, Cofirr. hœret., I, G3.)<br />
<strong>Le</strong> pape Jean XXII ordonne une enquête contre <strong>le</strong>s<br />
magiciens, qui se servent, dit-il, <strong>de</strong> miroirs et d'images<br />
qu'ils consacrent à <strong>le</strong>ur manière; placés en cerc<strong>le</strong>, ils<br />
invoquent <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s et tâchent par <strong>de</strong>s sortilèges do<br />
tuer ou <strong>de</strong> faire mourir <strong>de</strong> langueur; ils font entrer ces<br />
mauvais esprits dans un cerc<strong>le</strong> ou dans un anneau, et<br />
<strong>le</strong>s interrogent sur l'avenir ou sur <strong>le</strong>s choses secrètes,<br />
ils préten<strong>de</strong>nt ainsi faire mourir par <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s ou<br />
pouvoir guérir. — Dans une autre <strong>le</strong>ttre à l'évêquc <strong>de</strong><br />
Hié, il se plaint d'avoir été lui-même l'objet <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />
attaques ; il possè<strong>de</strong> trois images que l'on avait percées<br />
<strong>avec</strong> <strong>de</strong>s aiguil<strong>le</strong>s, en prononçant certaines formu<strong>le</strong>s<br />
d'invocation et qui étaient <strong>de</strong>stinées à <strong>le</strong> faire mourir.<br />
Quelques prêtres et <strong>de</strong>s évêques furent eux-mêmes<br />
accusés d'avoir prêté hommage à Satan et <strong>de</strong> s'être<br />
entretenus <strong>avec</strong> lui. —Au treizième sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong> cardinal<br />
Godin ordonne <strong>de</strong> la part du souverain pontife, à l'inquisiteur<br />
<strong>de</strong> Carcassonne, <strong>de</strong> faire une enquête contre<br />
<strong>le</strong>s magiciens qui, sacrifiant aux <strong>démon</strong>s, font <strong>avec</strong> eux<br />
un pacte, et profanent <strong>le</strong> baptême en baptisant certaines<br />
ligures ou certains objets; il faut, étant assisté
AVEC LE DÉMON. 33.1<br />
<strong>de</strong>s évêques, procé<strong>de</strong>r contre eux comme on procè<strong>de</strong><br />
contre <strong>le</strong>s hérétiques.<br />
<strong>Le</strong>s faits <strong>de</strong> magie <strong>de</strong>vinrent plus fréquents, il s'y<br />
présentait <strong>de</strong> ces choses étranges, abominab<strong>le</strong>s, que<br />
l'on retrouvera dans tous <strong>le</strong>s procès <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s suivants.<br />
<strong>Le</strong> fameux jurisconsulte Bartho<strong>le</strong>, consulté par<br />
l'évèque <strong>de</strong> Novare relativement à une sorcière, répondit,<br />
qu'ayant renoncé au Christ et au baptême,<br />
foulé la croix aux pieds, adoré <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, ensorcelé<br />
<strong>de</strong>s enfants, il fallait la condamner au feu, à moins<br />
qu'el<strong>le</strong> ne se repentît. Il <strong>le</strong> déci<strong>de</strong> ainsi d'après la Bib<strong>le</strong>,<br />
<strong>le</strong> droit canonique et <strong>le</strong> droit romain. (V. Goerrcs, III,<br />
p. 49 et suiv.)<br />
Quoique <strong>le</strong> moyen âge soit considéré comme une<br />
époque <strong>de</strong> crédulité, il est pourtant certain qu'on rejetait<br />
alors beaucoup <strong>de</strong> faits merveil<strong>le</strong>ux admis ensuite<br />
dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s postérieurs plus éclairés sur ce sujet.<br />
Ainsi on a vu <strong>le</strong> conci<strong>le</strong> d'Ancyre nier <strong>le</strong> transport<br />
réel <strong>de</strong>s sorcières sur <strong>de</strong>s bêtes, et déci<strong>de</strong>r qu'il y a<br />
illusion diabolique. — On rappelait, d'après un ancien<br />
récit, que saint Germain, entrant un jour dans une<br />
maison, trouva la tab<strong>le</strong> servie pour une assemblée <strong>de</strong><br />
sorcières; à l'heure dite, il arriva en effet une fou<strong>le</strong><br />
d'hommes et <strong>de</strong> femmes <strong>de</strong>s lieux circonvoisins et<br />
bien connus; mais <strong>le</strong> saint, qui reconnaît la piperie du<br />
diab<strong>le</strong>, ordonne à tous ces convives <strong>de</strong> rester, et charge<br />
quelqu'un d'al<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s maisons <strong>de</strong> ceux dont ils<br />
avaient pris la ressemblance, et tous, assure-t-on, furent<br />
trouvés dans <strong>le</strong>urs lits. Alors il força <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
d'avouer qu'ils trompaient ainsi <strong>le</strong>s hommes. — Saint<br />
Philastrius, évoque <strong>de</strong> Bresse au quatrième sièc<strong>le</strong>,<br />
pensait que la question <strong>de</strong>s incubes est une fab<strong>le</strong><br />
païenne. — Saint Jean Damasccne, au huitième sièc<strong>le</strong>,<br />
parlant <strong>de</strong>s dragons qui, selon <strong>le</strong>s Sarrasins, se chan-
S34 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
geaient en hommes pour en<strong>le</strong>ver <strong>le</strong>s femmes et copu<strong>le</strong>r<br />
<strong>avec</strong> el<strong>le</strong>s, traite d'ignorants ceux qui racontent <strong>le</strong>s<br />
voyages <strong>de</strong>s sorcières par l'air, <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s, malgré serrures,<br />
verrous et portes fermées, font mourir <strong>le</strong>s enfants<br />
en suçant <strong>le</strong>ur sang : quoique <strong>le</strong>s uns aient prétendu<br />
l'avoir vu, et d'autres <strong>le</strong> tenir <strong>de</strong> l'aveu <strong>de</strong> ces<br />
femmes, il n'en croit rien. Si el<strong>le</strong>s entraient <strong>le</strong>s portes<br />
fermées, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>ur corps ou même en esprit seu<strong>le</strong>ment,<br />
Jésus-Christ n'aurait rien fait <strong>de</strong> plus ; affirmer, dit-il,<br />
qu'el<strong>le</strong>s vont en âme seu<strong>le</strong>ment, meurent et ressuscitent,<br />
c'est dire qu'el<strong>le</strong>s font très-souvent ce qu'il n'a<br />
fait qu'une fois lors <strong>de</strong> sa passion ; ce sont <strong>de</strong>s prétentions<br />
<strong>de</strong>s hérétiques pour séduire <strong>le</strong>s simp<strong>le</strong>s, poursuit<br />
saint Jean Damascènc (De draronibus et sirygibus).<br />
Saint Agohard, évoque <strong>de</strong> Lyon, De grandinc et tonitruis,<br />
au neuvième sièc<strong>le</strong>, dit que nob<strong>le</strong>s et vilains, citadins<br />
et villageois, vieux et jeunes, presque tout <strong>le</strong><br />
mon<strong>de</strong>, croient que certaines gens peuvent faire tonner<br />
et grê<strong>le</strong>r, disant que c'est un temps artificiel produit<br />
par <strong>le</strong>s sorciers 1<br />
. Malgré <strong>le</strong>s affirmations <strong>de</strong> ceux<br />
qui citent <strong>le</strong> temps et <strong>le</strong> lieu, il <strong>le</strong> nie ; car ce serait attribuer<br />
aux hommes ce qui n'appartient qu'à Dieu...<br />
— Quant aux poudres que Grimoald, duc <strong>de</strong> Bénévent,<br />
était accusé d'avoir fait jeter dans <strong>le</strong>s prés et <strong>le</strong>s fontaines<br />
pour empoisonner <strong>le</strong> bétail, quoiqu'il ait vu <strong>le</strong>s<br />
accusés, et qu'ils lui aient déclaré s'être servis <strong>de</strong> cette<br />
poudre, il <strong>le</strong>s traite d'insensés. « Comment pourrait-il<br />
se faire, dit-il, qu'il y eût une poudre qui fît mourir<br />
<strong>le</strong>s bœufs et qui épargnât <strong>le</strong>s autres animaux?» — On<br />
voit un jour, à Lyon, trois hommes et une femme <strong>de</strong>scendre<br />
d'un navire aérien; on s'assemb<strong>le</strong> autour d'eux,<br />
on <strong>le</strong>s menace. On voulait <strong>le</strong>s lapi<strong>de</strong>r, et on l'eût fait<br />
t. On se rappel<strong>le</strong> sans doute <strong>le</strong>s fulmina fatidlra do l'antiquité.
AVEC LE DÉMON. 335<br />
sans l'intervention d'Agobard, qui n'y vit sans doute<br />
qu'une illusion diabolique.<br />
Jean <strong>de</strong> Salisbury, déjà cité, parlant du transport,<br />
par l'air, <strong>de</strong>s sorciers, <strong>de</strong>s assemblées, <strong>de</strong>s festins, <strong>de</strong><br />
Satan qui y prési<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s enfants coupés par morceaux,<br />
etc., attribue <strong>le</strong> tout à un aveug<strong>le</strong>ment causé<br />
par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, qui trompe <strong>le</strong>s gens simp<strong>le</strong>s qui <strong>le</strong><br />
croient. <strong>Le</strong> meil<strong>le</strong>ur moyen <strong>de</strong> ne pas croire à ces<br />
folies, c'est <strong>de</strong> se tenir attaché fermement à la foi<br />
chrétienne.<br />
<strong>Le</strong> Fortalitiumfi<strong>de</strong>i, composé, en 1459, par un Franciscain,<br />
regardait encore comme <strong>de</strong>s illusions ces prétentions<br />
<strong>de</strong> femmes qui disent s'assemb<strong>le</strong>r dans <strong>de</strong>s<br />
lieux déserts, y trouver un sanglier qu'el<strong>le</strong>s entourent<br />
<strong>avec</strong> <strong>de</strong>s flambeaux, oscitlant.es eum in anu suo. (Fortalit.<br />
fi<strong>de</strong>i, 1. V.)<br />
11 serait oiseux <strong>de</strong> grossir ainsi la liste <strong>de</strong>s gens qui<br />
refusaient <strong>de</strong> croire parce que <strong>le</strong>s faits, trop peu connus<br />
d'eux, répugnaient à <strong>le</strong>ur raison ou à <strong>le</strong>ur foi;<br />
mais <strong>le</strong>s faits qu'ils niaient seront reconnus et constatés<br />
dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s suivants, malgré <strong>le</strong>s causes qui s'y<br />
opposeront, tandis que d'autres viendront exhumer <strong>le</strong>s<br />
systèmes païens pour <strong>le</strong>s expliquer. .<br />
Tendance d'un retour aux doctrines <strong>de</strong> l'antiquité païenne.<br />
La doctrine <strong>de</strong> l'intervention <strong>de</strong>s esprits va trouver<br />
<strong>de</strong>s sceptiques, et l'esprit humain prélu<strong>de</strong> à une réforme.<br />
Au douzième et au treizième sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong> commerce<br />
<strong>de</strong> l'Occi<strong>de</strong>nt <strong>avec</strong> l'Orient portait déjà ses fruits.<br />
— Avant <strong>de</strong> poursuivre, on doit rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong> grand événement<br />
dont l'influence nous fait encore aujourd'hui<br />
sentir ses effets divers. — Au huitième sièc<strong>le</strong>, Char<strong>le</strong>magne<br />
s'efforça <strong>de</strong> rétablir <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s ; ce mouvement
S3(i DES RAPPORTS DE D'HOMME<br />
intel<strong>le</strong>ctuel eut peu <strong>de</strong> succès ; mais lorsque <strong>le</strong>s Arabes<br />
eurent vaincu l'Asie et l'Afrique, ils traduisirent <strong>le</strong>s<br />
anciens philosophes; Aristote surtout fut admiré, et<br />
sa philosophie eut beaucoup <strong>de</strong> discip<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s califes<br />
fondèrent diverses académies, où <strong>le</strong>s différents systèmes<br />
philosophiques furent discutés et commentés<br />
selon la métho<strong>de</strong> d'Aristote, dont <strong>le</strong>s théories furent<br />
acceptées. Il y eut <strong>de</strong>s péripatéticiens, <strong>de</strong>s a<strong>le</strong>xandrins,<br />
<strong>de</strong>s sceptiques, et même <strong>de</strong>s éc<strong>le</strong>ctiques. <strong>Le</strong>s philosophes<br />
arabes s'appliquèrent surtout à la mé<strong>de</strong>cine<br />
d'incantation, à l'alchimie, à l'astrologie, etc. — <strong>Le</strong><br />
grand mouvement <strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s communiqua enfin<br />
tous <strong>le</strong>s systèmes philosophiques à l'Occi<strong>de</strong>nt. Depuis<br />
l'époque où <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers a<strong>le</strong>xandrins s'étaient réfugiés<br />
en Perse, un petit nombre <strong>de</strong> personnes, dans tout<br />
l'Occi<strong>de</strong>nt, connaissaient <strong>le</strong>s systèmes antiques. Mais, à<br />
partir du douzième et du treizième sièc<strong>le</strong>, la philosophie<br />
païenne vint, <strong>avec</strong> ses doctrines diverses, renouve<strong>le</strong>r<br />
<strong>le</strong>s discussions ; et, <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s superstitions, comme on<br />
l'a dit, s'accréditant et se propageant, bientôt naîtra<br />
<strong>le</strong> libre examen et la tendance à donner une explication<br />
naturel<strong>le</strong> do phénomènes considérés jusque-là<br />
comme surnaturels. Tandis que <strong>le</strong>s uns expliqueront<br />
<strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux physiquement, d'autres, livrés au mysticisme<br />
a<strong>le</strong>xandrin, opéreront ce monstrueux assemblage<br />
<strong>de</strong> rêveries cabalistiques, <strong>de</strong> théurgie et <strong>de</strong><br />
christianisme qu'on a déjà remarqué dans <strong>le</strong>s hérésies.<br />
<strong>Le</strong>s explications physiques viennent établir partout la<br />
croyance à l'existence <strong>de</strong>s faits qu'on eût été tenté <strong>de</strong><br />
nier : on peut admettre encore, il est vrai, ou rejeter<br />
l'intervention <strong>de</strong>s esprits ; mais on croit généra<strong>le</strong>ment<br />
à <strong>de</strong>s phénomènes naturels merveil<strong>le</strong>ux ; on pense<br />
que <strong>de</strong>s fous prédisent l'avenir, que certains individus<br />
voient naturel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s choses cachées, que <strong>de</strong>s songes
AVEC LE DÉMON. S37<br />
se vérifient, qu'on peut guérir <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s, que<br />
d'autres peuvent maléficier par <strong>le</strong> regard, etc. On peut<br />
croire tout cela et différer d'opinion sur <strong>le</strong>s causes,<br />
c'est-à-dire <strong>le</strong>s expliquer comme Épicure et Lucrèce.<br />
Avicenne, au dixième sièc<strong>le</strong>, et Averrhoës au douzième,<br />
avaient ressuscité <strong>le</strong>s extravagances <strong>de</strong>s vieux<br />
matérialistes. Avicenne, comme ses maîtres, accordait<br />
à l'âme <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s prodiges. Certaines<br />
âmes, s'é<strong>le</strong>vant au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la matière, pouvaient<br />
guérir <strong>le</strong>s mala<strong>de</strong>s à distance, mouvoir <strong>le</strong>s objets,<br />
faire tomber la pluie, maléficier, etc— Rapportant<br />
à l'imagination tout ce que d'autres considéraient<br />
comme surnaturels, Avicenne pensait qu'el<strong>le</strong> peut terrasser<br />
un taureau, et qu'on l'a vu, chez <strong>de</strong>s pou<strong>le</strong>s<br />
victorieuses d'un coq, <strong>le</strong>ur faire pousser un éperon.<br />
C'est, dit-il, parce que la nature obéit aux pensées.<br />
<strong>Le</strong> mé<strong>de</strong>cin arabe Averrhoës, ce grand admirateur<br />
d'Aristote, ce blasphémateur <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s religions,<br />
enseignait, contrairement à la doctrine chrétienne,<br />
qu'une même intelligence anime tous <strong>le</strong>s hommes; il<br />
rejetait l'existence <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s et niait qu'il existât <strong>de</strong>s<br />
esprits séparés d'un corps. « On doit voir tout ce que la<br />
nature a fait, disait-il, sinon son travail serait vain...<br />
L'imagination se forme <strong>de</strong>s apparences <strong>de</strong> diab<strong>le</strong>s,<br />
qu'el<strong>le</strong> transmet aux sens ; puis on croit voir et entendre<br />
ce qu'on a imaginé... » Non moins opposé à la<br />
saine doctrine sur la certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s faits surnaturels, il<br />
soutenait que tout ce qu'on en dit « n'est ni constant<br />
ni prouvé... N'étant pas vraisemblab<strong>le</strong>, on doit <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r<br />
comme faux : pour s'assurer si une chose est<br />
vraie, il faut voir si <strong>le</strong> bon sens l'admet. On ne croit<br />
pas <strong>de</strong>s témoins qui attestent <strong>de</strong>s choses invraisemblab<strong>le</strong>s,<br />
etc.. » —Averrhoës aurait eu cent fois raison<br />
si <strong>le</strong> bon sens voyait tout et si l'invraisemblab<strong>le</strong> n'était
538 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
jamais vrai; mais <strong>le</strong> bon sens juge mal ce qu'il ignore,<br />
et l'invraisemblab<strong>le</strong> n'est souvent que trop vrai.<br />
<strong>Le</strong>s philosophes <strong>de</strong> cette catégorie soutenaient tous<br />
que, ne pouvant argumenter que sur <strong>le</strong>s substances<br />
tombant sous <strong>le</strong>s sens, <strong>le</strong>s apparitions d'esprits n'étaient<br />
pas un sujet sur <strong>le</strong>quel on pût raisonner, et ils <strong>le</strong>s rejetaient<br />
comme chimériques. D'autres avouaient la possibilité<br />
<strong>de</strong> l'existence <strong>de</strong>s esprits, mais niaient qu'ils<br />
pussent revêtir un corps... D'autres disaient : « Nous<br />
<strong>le</strong>s nions, parce que nous ne <strong>le</strong>s avons jamais vus ; »<br />
d'autres enfin pensaient que tout ce qu'on racontait<br />
<strong>de</strong>s spectres dérivait <strong>de</strong>s influences cé<strong>le</strong>stes, et concluaient<br />
<strong>de</strong> là que <strong>le</strong>s pratiques magiques venaient <strong>de</strong>s<br />
causes occultes <strong>de</strong>s astres; mais que la magie, en tant<br />
que diabolique, était vainc et fausse. Aristote, disaient-ils,<br />
ne doutait pas, ainsi que son éco<strong>le</strong>, qu'il y<br />
eût <strong>de</strong>s charmes; et ce qui pourrait faire penser qu'il<br />
admettait ce qu'on a dit <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, c'est qu'il <strong>le</strong>s a<br />
mis au nombre <strong>de</strong>s animaux. Mais évi<strong>de</strong>mment il s'est<br />
trompé ; s'ils étaient <strong>de</strong>s animaux, ils seraient visib<strong>le</strong>s,<br />
palpab<strong>le</strong>s : on n'en voit pas, donc ils n'existent<br />
pas; et si on <strong>le</strong>s voit, ils sont naturels. — Tous ces<br />
péripatéticiens pensaient que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins prédisaient<br />
par une vertu naturel<strong>le</strong>, qui, ayant besoin d'excitation,<br />
pouvait être due à <strong>de</strong>s exhalaisons terrestres...<br />
Certaines pierres, certaines plantes, etc., pourraient<br />
aussi donner cette vertu ; n'est-ce point une semblab<strong>le</strong><br />
influence, disaient-ils, qui agit sur <strong>le</strong>s oiseaux et <strong>le</strong>s<br />
repti<strong>le</strong>s, qui présagent aussi l'avenir?...—Jusqu'aux<br />
quinzième et seizième sièc<strong>le</strong>s, où nous verrons <strong>le</strong>s doctrines<br />
<strong>de</strong> l'antiquité païenne et ses pratiques impies<br />
se multiplier et prendre un développement capab<strong>le</strong><br />
d'effrayer <strong>le</strong>s populations et d'alarmer l'autorité, qui<br />
sévira contre <strong>le</strong>s coupab<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s doctrines comme
AVEC LE DÉMON. 339<br />
cel<strong>le</strong>s d'Avicenne et d'Averrhoes eurent cependant peu<br />
<strong>de</strong> partisans.<br />
Roger Bacon et autres adoptent <strong>le</strong>s systèmes matérialistes.<br />
Un moine franciscain, Roger Bacon, surnommé <strong>le</strong><br />
Docteur admirab<strong>le</strong>, dès <strong>le</strong> treizième sièc<strong>le</strong>, paraît nonseu<strong>le</strong>ment<br />
avoir lu, mais avoir adopté <strong>le</strong>s systèmes<br />
matérialistes <strong>de</strong>s païens ; il croit à la plupart <strong>de</strong>s phénomènes<br />
merveil<strong>le</strong>ux, et surtout à l'astrologie judiciaire,<br />
qu'il professe, à l'alchimie et à la baguette divinatoire;<br />
mais il explique tout physiquement, et accuse<br />
d'ignorance ces dévots qui attribuent à Dieu ou au<br />
diab<strong>le</strong> <strong>le</strong>s faits dont ils ne peuvent rendre raison. Son<br />
traité De secretis operibus artis et naturœ et <strong>de</strong> nullitate<br />
magiœ dut <strong>le</strong> faire passer pour un homme admirab<strong>le</strong><br />
à certains esprits amoureux du progrès et <strong>de</strong>s<br />
nouveautés; mais d'autres l'accusèrent d'attribuer<br />
trop <strong>de</strong> pouvoir à la nature, et, sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> secrets<br />
naturels, <strong>de</strong> pratiquer la magie; il se livrait à l'astrologie,<br />
science <strong>de</strong>s plus chimériques aux yeux <strong>de</strong> la raison<br />
, et qui forçait quelquefois ses détracteurs à y voir<br />
l'intervention <strong>de</strong> Satan. Roger Bacon s'occupait d'alchimie,<br />
mais <strong>le</strong>s théologiens distinguaient <strong>le</strong>s cas où<br />
el<strong>le</strong> était permise <strong>de</strong> ceux où el<strong>le</strong> était illicite. Un alchimiste,<br />
se livrant à son insu à <strong>de</strong>s pratiques diaboliques,<br />
<strong>de</strong>venait ainsi souvent magicien sans <strong>le</strong> savoir.—L'opérateur<br />
croyait <strong>le</strong> tout naturel, parce que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> sait<br />
caute<strong>le</strong>usement se cacher sous l'apparence <strong>de</strong>s lois<br />
physiques... Mais l'alchimiste était bientôt amené à<br />
lier commerce <strong>avec</strong> l'esprit malin, qui ne se dévoilait<br />
complètement que lorsqu'il l'avait séduit.<br />
Bacon avait profité <strong>de</strong> ses <strong>le</strong>ctures <strong>de</strong>s matérialistes<br />
païens. <strong>Le</strong>s apparitions d'esprits, <strong>le</strong>s bruits insolites,
540 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
sont expliqués, selon lui, par <strong>le</strong>s erreurs <strong>de</strong> la vue, par<br />
<strong>le</strong>s illusions d'acoustique... « Si quelques-uns prédisent<br />
et connaissent <strong>le</strong>s choses cachées, c'est, dit-il, parce que<br />
<strong>le</strong>s hommes diffèrent beaucoup entre eux mora<strong>le</strong>ment<br />
et physiquement, parce qu'il y a différence très-gran<strong>de</strong><br />
aux enten<strong>de</strong>ments. Ils <strong>de</strong>vinent et voient <strong>le</strong>s secrets par<br />
conjecture ou par perspicacité d'esprit; <strong>le</strong> vulgaire <strong>le</strong>s<br />
nomme prophètes... <strong>Des</strong> enfants font <strong>de</strong>s choses admirab<strong>le</strong>s,<br />
comprennent <strong>le</strong>s conclusions et <strong>le</strong>s réduisent<br />
en principes : il n'est donc pas incroyab<strong>le</strong> que certains<br />
hommes, par vivacité d'esprit, connaissent l'avenir<br />
et voient <strong>le</strong>s choses occultes ; par <strong>le</strong> raisonnement, ils<br />
prévoient <strong>le</strong>s effets dérivant <strong>de</strong> tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> cause,<br />
comme <strong>le</strong> mé<strong>de</strong>cin qui révè<strong>le</strong> <strong>le</strong> passé et prédit l'infirmité<br />
future; si on ne <strong>le</strong> savait mé<strong>de</strong>cin, on <strong>le</strong> croirait<br />
prophète... — Certaines maladies empochent certaines<br />
opérations, mais donnent à <strong>l'homme</strong> <strong>le</strong> pouvoir d'en<br />
faire d'autres... Voilà pourquoi <strong>le</strong>s furieux prédisent<br />
l'avenir et découvrent <strong>le</strong>s choses cachées. » (<strong>Des</strong> opérât,<br />
<strong>de</strong> l'unie.)<br />
« On croit vulgairement, dit-il (Opérât, <strong>de</strong>s maiw.<br />
esprits), que <strong>le</strong>s furieux sont possédés <strong>de</strong>s malins esprits,<br />
qui <strong>le</strong>ur font faire <strong>de</strong>s merveil<strong>le</strong>s. » Il examine<br />
cette doub<strong>le</strong> question, et dit que la foi seu<strong>le</strong> <strong>le</strong> déci<strong>de</strong><br />
ainsi, mais non la raison,.. Si <strong>le</strong>s furieux prédisent, si<br />
un homme monte sans échel<strong>le</strong>, s'il engendre <strong>de</strong>s grenouil<strong>le</strong>s<br />
et <strong>de</strong>s insectes sur tout un pays comme <strong>le</strong>s<br />
magiciens d'Egypte, ces choses ne provenant pas <strong>de</strong><br />
Dieu, viennent encore moins <strong>de</strong> la nature..., il faudra<br />
donc <strong>le</strong>s attribuer aux mauvais esprits... ; mais n'est-ce<br />
pas sottise <strong>de</strong> croire qu'une vieil<strong>le</strong> sorcière puisse, en<br />
conjurant <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, <strong>le</strong> faire agir, et que <strong>le</strong> Seigneur<br />
<strong>le</strong> permettra sans motif, afin d'assujettir cel<strong>le</strong>-ci au<br />
<strong>démon</strong> ?
AVEC LE DÉMON. 341<br />
Rien <strong>de</strong> réel dans <strong>le</strong>s illusions magiques. Ceux qui<br />
se vantent <strong>de</strong> faire apparaître un veau et un f<strong>le</strong>uve en<br />
p<strong>le</strong>ine terre sont <strong>de</strong>s fourbes ; ils feraient, si cela était,<br />
<strong>de</strong>s gains énormes ; mais Racon n'a pu obtenir ni par<br />
prière ni par argent qu'on <strong>le</strong> fit <strong>de</strong>vant lui. Cela se<br />
pratiquait <strong>de</strong>vant d'autres, car on trompait <strong>le</strong>s spectateurs...<br />
11 a parlé à ceux qui affirmaient avoir vu<br />
ces choses, mais c'était mensonge ou ouï dire... —<br />
<strong>Le</strong>s possessions attribuées aux mauvais esprits sont<br />
une passion furieuse que <strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s peuvent guérir...<br />
On a vu <strong>de</strong>s prodiges dont <strong>le</strong>s savants ont rendu raison...<br />
— Néanmoins Bacon ne nie point que Dieu<br />
puisse faire <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s, ni qu'il permette aux <strong>démon</strong>s<br />
<strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choses merveil<strong>le</strong>uses <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s magiciens<br />
pour l'aveug<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s uns et <strong>le</strong> salut <strong>de</strong>s autres:<br />
— « mais il n'a fait et ne permet tel<strong>le</strong>s bour<strong>de</strong>s... Si <strong>le</strong>s<br />
divinateurs, malfaiteurs et misérab<strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s affirment<br />
et confessent avoir fait <strong>de</strong>s cas épouvantab<strong>le</strong>s,<br />
il ne faut ajouter foi à tel<strong>le</strong>s personnes, car el<strong>le</strong>s ne<br />
l'ont pas fait, quoiqu'el<strong>le</strong>s <strong>le</strong> pensent... <strong>Le</strong>s œuvres <strong>de</strong>s<br />
magiciens ne sont que déceptions ou illusions, etc. »<br />
Ainsi s'exprimait, au treizième sièc<strong>le</strong>, ce moine<br />
anglais, contemporain <strong>de</strong> saint Thomas, ce Franciscain<br />
né un sièc<strong>le</strong> et <strong>de</strong>mi avant Gerson. Tout ce qu'il a dit<br />
<strong>de</strong>s possessions, <strong>de</strong> la divination, <strong>de</strong> la magie et <strong>de</strong>s<br />
sorciers a été répété pendant cinq sièc<strong>le</strong>s après lui et<br />
l'est encore. Est-ce donc cette philosophie qui a fait<br />
surnommer Bacon <strong>le</strong> docteur admirab<strong>le</strong>? Serait-ce parce<br />
qu'il aurait <strong>le</strong> premier émis <strong>de</strong>s idées matérialistes<br />
anciennes qui parurent neuves à ses contemporains?<br />
Ces sentiments prouvent-ils une supériorité d'intelligence<br />
sur eux et qu'il ait possédé <strong>de</strong>s connaissances<br />
qui <strong>le</strong>ur étaient étrangères? — On se réserve d'examiner<br />
cette question. 11 est constant que toutes <strong>le</strong>s
542 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
nouvel<strong>le</strong>s doctrines léguées par <strong>le</strong> paganisme ne trouvaient<br />
alors que trop <strong>de</strong> partisans. Albert <strong>le</strong> Grand,<br />
qui avait voué une sorte <strong>de</strong> culte au péripatétisme,<br />
attribuait, dit-on, lui-même aux pierreries <strong>de</strong>s vertus<br />
semblab<strong>le</strong>s à cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'aimant; il croyait à l'influence<br />
dés astres, ce qui a suffi pour qu'on lui attribuât faussement<br />
un recueil <strong>de</strong> secrets superstitieux indigne <strong>de</strong><br />
lui, et que l'on croit avoir été composé par un <strong>de</strong> ses<br />
discip<strong>le</strong>s, Henriette <strong>de</strong> Saxonia. Quoi qu'il en soit, au<br />
treizième sièc<strong>le</strong> on adoptait déjà <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s idées<br />
matérialistes du sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> Pline, renouvelées d'Aristote,<br />
sur <strong>le</strong>s vertus <strong>de</strong>s plantes, <strong>de</strong>s animaux et <strong>de</strong>s<br />
pierres. Cueillies sous tels signes, tel<strong>le</strong>s plantes acquéraient<br />
<strong>de</strong>s vertus prodigieuses, il en était <strong>de</strong> même<br />
<strong>de</strong>s minéraux. Tel<strong>le</strong> pierre faisait éviter <strong>de</strong>s dangers,<br />
tel<strong>le</strong> autre causait <strong>le</strong> succès <strong>de</strong>s entreprises. On interprétait<br />
naturel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s songes, et on <strong>de</strong>vinait l'avenir;<br />
on découvrait l'auteur d'un larcin. Tout, dans la nature,<br />
se meut vers son semblab<strong>le</strong>, disaient <strong>le</strong>s philosophes<br />
: la chair d'un animal stéri<strong>le</strong> rend stéri<strong>le</strong>...; la<br />
langue du chien excite la loquacité, etc., etc. — On a<br />
vu dans Pline et Lucien <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s extravagances philosophiques;<br />
on <strong>le</strong>s connaîtra mieux encore au seizième<br />
sièc<strong>le</strong>.<br />
Il nous reste à exposer la doctrine <strong>de</strong>s docteurs <strong>de</strong><br />
l'Église sur <strong>le</strong> pouvoir et l'action <strong>de</strong>s esprits sur la<br />
magie, etc., pendant <strong>le</strong> moyen âge.
AVEC LE DÉMON.<br />
CHAPITRE IV<br />
Doctrine <strong>de</strong> l'Église sur <strong>le</strong>s phénomènes attribués aux <strong>démon</strong>s par <strong>le</strong>s spiri-<br />
tualistes, et h <strong>de</strong>s causes physiques par <strong>le</strong>s nouveaux matérialistes. —<br />
Explications <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong> Satan dans cette pério<strong>de</strong>. — Saint Thomas.<br />
— Explication <strong>de</strong>s apparitions par saint Thomas. — <strong>Le</strong> même, <strong>de</strong>s supers<br />
titions. — <strong>Le</strong> même, <strong>de</strong>s phylactères. — <strong>Le</strong> même, <strong>de</strong>s songes. —<strong>Le</strong> même,<br />
magie bienfaisante. —<strong>Le</strong> même, maléfices. — <strong>Le</strong> même, guérisons. —<strong>Le</strong><br />
même, <strong>de</strong> l'âme et <strong>de</strong> ses puissances. — <strong>Le</strong> même, copulations diaboliques.<br />
— Réf<strong>le</strong>xions.<br />
Doctrine <strong>de</strong> l'Église sur <strong>le</strong>s phénomènes attribués aux <strong>démon</strong>s par<br />
<strong>le</strong>s spiritualis<strong>le</strong>s, et à <strong>de</strong>s causes physiques par <strong>le</strong>s nouveaux ma-<br />
• iérialistes.<br />
<strong>Le</strong>s trésors philosophiques <strong>de</strong> l'antiquité, ignorés<br />
presque généra<strong>le</strong>ment jusqu'au douzième sièc<strong>le</strong>, modifieront-ils,<br />
quand ils seront connus, la doctrine <strong>de</strong><br />
l'Église sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s? Cette doctrine, au fond, reste<br />
immuab<strong>le</strong>; et si el<strong>le</strong> acquiert quelques développements,<br />
ce n'est point à la philosophie matérialiste qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />
doit, mais aux faits, qui, plus nombreux, permettront<br />
<strong>de</strong> <strong>le</strong>s mieux observer. Ce qui venait <strong>de</strong> Dieu resta invariab<strong>le</strong><br />
comme lui ; ce qui pouvait être du domaine <strong>de</strong> la<br />
science était livré aux discussions. <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s ont-ils<br />
un corps d'air? Quelques Pères <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s <strong>le</strong><br />
pensaient, d'autres ne <strong>le</strong> pensaient pas. — C'étaient<br />
<strong>de</strong> purs esprits. Cette <strong>de</strong>rnière opinion, adoptée bien<br />
avant saint Thomas et professée par ce docteur, est<br />
restée un point doctrinal dans l'Église.
544 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Explications <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong> Satan dans cel<strong>le</strong> pério<strong>de</strong>.<br />
La révélation n'eût-el<strong>le</strong> point appris qu'il y a <strong>de</strong>s<br />
esprits, la raison eût montré qu'il existerait dans la<br />
gran<strong>de</strong> chaîne <strong>de</strong>s êtres une lacune entre Dieu et<br />
<strong>l'homme</strong>, si la hiérarchie <strong>de</strong>s intelligences spirituel<strong>le</strong>s<br />
ne la comblait. Ce dogme est donc logique, loin d'être<br />
ridicu<strong>le</strong>; mais que <strong>le</strong>s esprits <strong>le</strong>s plus rapprochés <strong>de</strong><br />
<strong>l'homme</strong> soient unis ou non à un impondérab<strong>le</strong>, c'est<br />
une question <strong>de</strong> pure curiosité et probab<strong>le</strong>ment insolub<strong>le</strong>.<br />
Saint Thomas.<br />
La doctrine qu'on va rapporter très-substantiel<strong>le</strong>ment<br />
ici est cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> saint Thomas et <strong>de</strong> l'Église.<br />
L'ange, dit <strong>le</strong> saint docteur, est un être spirituel;<br />
quoique incorporel par rapport à nous, il semb<strong>le</strong> être<br />
corporel relativement à Dieu... — On dit que sa substance<br />
est mobi<strong>le</strong>, mais son mouvement, c'est comprendre<br />
et vouloir... — Quoiqu'il ne puisse être contenu<br />
dans un lieu, il est cependant circonscrit comme substance...;<br />
quoiqu'il n'ait ni forme ni matière, il a<br />
l'acte et la puissance 1<br />
... (l a<br />
q. XLVII.) — N'ayant point<br />
<strong>de</strong> corps, ce n'est point par <strong>le</strong>s choses sensib<strong>le</strong>s qu'il<br />
connaît. (1 a<br />
q. L.)<br />
<strong>Le</strong>s anges prennent quelquefois un corps pour converser<br />
familièrement <strong>avec</strong> <strong>l'homme</strong>; il n'est uni à eux<br />
ni comme à un moteur, ni comme à une forme, c'est <strong>de</strong><br />
l. Consulter <strong>le</strong> <strong>Le</strong>xique <strong>de</strong>s termes scolastiques qui se trouvent<br />
dans la Somme. Ce qui est nécessaire pour ceux qui veu<strong>le</strong>nt connaître<br />
<strong>le</strong>s auteurs du moyen âge.
AVEC LE DÉMON. 545<br />
l'air con<strong>de</strong>nsé par une vertu divine ; ils n'accomplissent<br />
pas <strong>le</strong>s fonctions vita<strong>le</strong>s dans ce corps d'emprunt, ils<br />
semb<strong>le</strong>nt marcher, agir, par<strong>le</strong>r comme <strong>l'homme</strong> vivant,<br />
quoique cela ne soit pas ; ils ne prennent un corps que<br />
pour manifester <strong>le</strong>urs œuvres d'esprit, ce n'est pas <strong>le</strong>ur<br />
figure. (1 a<br />
q. Ll.)<br />
L'ange n'occupe un lieu que par contact virtuel, sa<br />
substance incorporel<strong>le</strong> <strong>le</strong> contient, mais n'y est point<br />
contenue... quant au lieu et à l'étendue, l'ange est indivisib<strong>le</strong>.<br />
(I a<br />
q. LU.)<br />
<strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s occupent <strong>de</strong>ux lieux d'action : l'enfer<br />
pour subir <strong>le</strong>urs peines, l'air ténébreux pour tenter<br />
<strong>l'homme</strong>. (1 a<br />
y. LX1V.)<br />
Saint Thomas établit, non-seu<strong>le</strong>ment d'après <strong>le</strong>s<br />
docteurs, mais encore d'après <strong>le</strong>s philosophes, que la<br />
matière obéit à la volonté <strong>de</strong> l'ange... 11 n'en faut pas<br />
conclure, dit-il, que toute la matière visib<strong>le</strong> lui obéisse<br />
constamment; à Dieu seul appartient d'en disposer<br />
comme il lui plaît.<br />
11 explique cette action... La nature corporel<strong>le</strong>,<br />
dit-il, peut être mue immédiatement par la nature spirituel<strong>le</strong><br />
; ainsi <strong>le</strong>s anges peuvent mouvoir la matière,<br />
comme l'âme meut <strong>le</strong>. corps; <strong>le</strong>ur pouvoir est même<br />
moins restreint, car la vertu motrice <strong>de</strong> l'âme n'est<br />
jointe qu'à un seul corps qu'el<strong>le</strong> anime, et par la médiation<br />
duquel il lui est possib<strong>le</strong> d'en mouvoir d'autres,<br />
tandis que <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> l'ange, n'étant point attaché<br />
à un corps unique, s'exercera sur tous <strong>le</strong>s corps, qu'il<br />
peut mouvoir loca<strong>le</strong>ment... On sent que ce qui est possib<strong>le</strong><br />
à une puissance inférieure l'est, à fortiori, à cel<strong>le</strong><br />
qui lui est supérieure, et que cette <strong>de</strong>rnière doit même<br />
la surpasser.<br />
Comme l'intelligence l'emporte sur <strong>le</strong>s sens pour<br />
connaître <strong>le</strong>s choses sensib<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> même l'ange sur-<br />
i. ,\h
DES «APPORTS DE L'HOMME<br />
passe infiniment <strong>le</strong>s agents corporels pour agir sur la<br />
matière.<br />
<strong>Le</strong>s esprits, dit saint Thomas, n'ont ni la concupiscence<br />
ni la colère, ils ont ce qu'on appel<strong>le</strong> la volonté...<br />
<strong>Le</strong>s qualités inhérentes à la nature <strong>de</strong>s anges déchus<br />
sont encore entières et éclatantes, <strong>le</strong>urs connaissances<br />
n'ont été ni en<strong>le</strong>vées ni diminuées.<br />
Outre <strong>le</strong>urs lumières naturel<strong>le</strong>s, ils ont quelquefois <strong>de</strong>s<br />
révélations <strong>de</strong>s bons anges, auxquels, (quoiqu'ils diffèrent<br />
<strong>avec</strong> eux <strong>de</strong> volonté), ils ressemb<strong>le</strong>nt par conformité<br />
<strong>de</strong> nature intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>. Us connaissent aussi par<br />
• <strong>le</strong>ur longue expérience ; mais cel<strong>le</strong>-ci n'a rien qui<br />
vienne <strong>de</strong>s choses sensib<strong>le</strong>s.<br />
Saint Thomas <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si l'ange peut faire <strong>de</strong>s<br />
mirac<strong>le</strong>s, question qui s'applique aussi aux <strong>démon</strong>s.<br />
<strong>Le</strong>s mirac<strong>le</strong>s appartenant à l'ordre surnaturel, dit-il,<br />
Dieu seul peut en opérer... Lancer une pierre en l'air<br />
sans qu'el<strong>le</strong> retombe serait un mirac<strong>le</strong>, puisque d'après<br />
<strong>le</strong>s lois physiques el<strong>le</strong> doit retomber, et que Dieu seul<br />
peut <strong>le</strong>s vio<strong>le</strong>r. L'ange fait <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s en ce sens<br />
que <strong>le</strong>s lois naturel<strong>le</strong>s n'étant pas toutes connues, il<br />
peut opérer selon <strong>de</strong>s lois inconnues <strong>de</strong>s actes qui dépassent<br />
<strong>le</strong>s forces humaines; c'est un mirac<strong>le</strong>, mais<br />
seu<strong>le</strong>ment par rapport à nous; ainsi <strong>le</strong>s magiciens <strong>de</strong><br />
Pharaon opéraient par puissance diabolique 1<br />
; en se<br />
servant d'éléments matériels invisib<strong>le</strong>ment transportés<br />
d'un lieu à un autre; ils pouvaient faire ainsi tout<br />
i. <strong>Le</strong>s magiciens <strong>de</strong> Pharaon pouvaient faire <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s par la<br />
médiation du <strong>démon</strong>, non en créant <strong>le</strong>s substances, mais en <strong>le</strong>s transportant<br />
invisib<strong>le</strong>ment <strong>avec</strong> célérité. — Soutenir eu l'air un caillou<br />
peut se faire sans vio<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s lois <strong>de</strong> la gravitation, puisque la puissance<br />
du <strong>démon</strong> peut, l'y soutenir et faire invisib<strong>le</strong>ment ce que <strong>l'homme</strong><br />
fait d'une manière visib<strong>le</strong>.
AVEC LE DÉMO>\ o47<br />
ce qui se fait visib<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. (T q. CX<br />
et CX1V.)<br />
<strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s peuvent-ils changer la volonté <strong>de</strong><br />
<strong>l'homme</strong>? — Dieu seul <strong>le</strong> peut; <strong>le</strong> <strong>démon</strong> ne <strong>le</strong> pourrait<br />
qu'en excitant nos passions, en usant <strong>de</strong>s moyens<br />
<strong>de</strong> persuasion... L'inclination volontaire vient <strong>de</strong> Dieu,<br />
mais notre volonté pouvant être influencée par <strong>le</strong>s objets<br />
extérieurs, nul doute qu'un esprit ne puisse agir<br />
indirectement sur notre volonté. (1* q. CXI \)<br />
Explication <strong>de</strong>s apparitions par saint Thomas.<br />
<strong>Le</strong>s esprits peuvent-ils agir sur l'imagination, sur <strong>le</strong>s<br />
sens? Ce n'est pas douteux, et c'est un <strong>de</strong>s grands moyens<br />
employés pour tenter <strong>l'homme</strong>. Ils causent <strong>de</strong>s apparitions,<br />
dit saint Thomas, par la voie <strong>de</strong>s esprits animaux<br />
et par <strong>le</strong> mouvement <strong>de</strong>s humeurs... Après l'action <strong>de</strong>s<br />
objets extérieurs sur nos sens, <strong>le</strong>ur impression, subsistant<br />
encore, se grave dans la mémoire pour réagir ensuite<br />
sur <strong>le</strong>s sens... — L'apparition a lieu <strong>de</strong> la même<br />
manière que si <strong>le</strong> principe sensitif subissait l'action<br />
d'un objet extérieur, et <strong>le</strong> mouvement <strong>de</strong>s esprits se<br />
produira même durant la veil<strong>le</strong>. Comme on <strong>le</strong> voit chez<br />
<strong>le</strong>s frénétiques, <strong>le</strong>s bons et <strong>le</strong>s mauvais esprits peuvent<br />
produire un tel effet, quelquefois <strong>avec</strong> aliénation,<br />
d'autres fois sans aliénation <strong>de</strong>s sens.<br />
Ils peuvent agir sur <strong>l'homme</strong>, soit par un acte extérieur<br />
qui frappe ses sens, soit par un acte intérieur qui<br />
modifie ses esprits et ses humeurs : un mala<strong>de</strong>, par<br />
exemp<strong>le</strong>, trouve amer tout ce qu'il mange quoique ce<br />
l. <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> peut faire ici ce que ferait un homme, et infiniment<br />
mieux, agir comme substance sur <strong>le</strong> cerveau, agir sur <strong>le</strong> sang, ra<strong>le</strong>ntir<br />
ou précipiter la circulation, agir enfin sur <strong>le</strong>s nerfs et <strong>le</strong>s organes, et<br />
par là exciter <strong>le</strong>s passions.
548 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
soient <strong>le</strong>s mêmes aliments, car il n'y a <strong>de</strong> changement<br />
que dans <strong>le</strong>s organes du goût. <strong>Le</strong>s esprits opèrent <strong>de</strong><br />
même, puisqu'ils ont pouvoir d'agir sur l'organe luimême<br />
, ou par un objet matériel extérieur. — Ainsi<br />
saint Thomas entend que <strong>le</strong>s esprits pourraient causer<br />
dans <strong>le</strong>s sens <strong>le</strong>s mêmes effets qu'y causeraient <strong>le</strong>s objets,<br />
ou présenter <strong>le</strong>s objets eux-mêmes aux sens;<br />
<strong>le</strong>ur pouvoir sur la matière <strong>le</strong> permettant ainsi. (1 a<br />
q.<br />
CXI ; 2» q. CLXV.)<br />
<strong>Le</strong>s apparitions <strong>de</strong>s morts se font quelquefois par<br />
l'opération <strong>de</strong>s anges ou <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s. (1 a<br />
q. LXXXVII.)<br />
Ces <strong>de</strong>rniers feignent d'être <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts pour<br />
tromper. (•!• q. LXXXIX.)<br />
11 examine la question <strong>de</strong> savoir si <strong>le</strong> <strong>démon</strong> connaît<br />
nos pensées : — il <strong>le</strong>s connaît <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières, dit saint<br />
Thomas, par l'acte extérieur, par <strong>le</strong>s changements <strong>le</strong>s<br />
plus imperceptib<strong>le</strong>s 1<br />
qui s'opèrent dans notre corps;<br />
comme un mé<strong>de</strong>cin connaît l'état d'un mala<strong>de</strong> par son<br />
pouls..., ils connaissent, dit saint Augustin, non-seu<strong>le</strong>ment<br />
<strong>le</strong>s pensées exprimées, mais cel<strong>le</strong>s qui sont<br />
1. « D'après une loi fondamenta<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'union <strong>de</strong>. l'Ame et du corps,<br />
dit Char<strong>le</strong>s Bonnet, t. XVI, p. Jî)7 et suiv., quand certaines fibres sont<br />
ébranlées, l'unie éprouve certaines sensations; cet ébran<strong>le</strong>ment a toujours<br />
lieu, soit qu'il provienne <strong>de</strong> quelque mouvement qui s'opère<br />
dans <strong>le</strong> cerveau, siège <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong> Filme; soit qu'il provienne <strong>de</strong><br />
l'action môme <strong>de</strong>s ohjcls. L'imagination et la mémoire dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />
l'organisation du cerveau ; <strong>le</strong> rappel <strong>de</strong> tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> idée dépend <strong>de</strong><br />
la reproduction <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong>s fibres sensib<strong>le</strong>s appropriées à ces<br />
idées.» —Ceci expliquerait comment <strong>le</strong> <strong>démon</strong> inspire <strong>le</strong>s pensées.<br />
Voici comment il peut <strong>le</strong>s voir : — « Si <strong>le</strong>s mouvements du cerveau, dit<br />
<strong>le</strong> même auteur, t. XVII, p. 2, répon<strong>de</strong>nt constamment dans l'âme à<br />
certaines idées, ces mouvements seront <strong>de</strong>s signes naturels <strong>de</strong>s idées<br />
qu'ils excitent, <strong>de</strong> sorte qu'une intelligence qui pourrait observer ces<br />
mouvements dans <strong>le</strong> cerveau y lirait comme dans un livre. » —Mais<br />
Dieu s'est réservé <strong>de</strong> permettre cette <strong>le</strong>cture aux esprits, quand et à<br />
qui il lui plaît.
AVEC LE DÉMON.<br />
simp<strong>le</strong>ment conçues, quand quelques signes extérieurs<br />
se manifestent dans <strong>le</strong>s corps..*— Comment cela se<br />
fait-il ? On l'ignore... Un homme ne lit pas <strong>le</strong>s pensées<br />
d'un autre, attendu que <strong>de</strong>ux choses s'y opposent, la<br />
grossièreté <strong>de</strong> la matière et la volonté qui cache son<br />
secret ; <strong>le</strong> premier obstac<strong>le</strong> n'existe pas pour <strong>le</strong>s esprits.<br />
(1 a<br />
q. LIV et L.VII.)<br />
S'il nous est impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> bien comprendre comment<br />
<strong>le</strong>s modifications imperceptib<strong>le</strong>s qui ont lieu<br />
dans l'organisme peuvent manifester <strong>le</strong>s pensées, il est<br />
une chose plus faci<strong>le</strong> à concevoir : c'est la connaissance<br />
parfaite qu'a <strong>le</strong> <strong>démon</strong> <strong>de</strong>s pensées qu'il suggère.<br />
<strong>Le</strong> même, <strong>de</strong>s superstitions.<br />
Saint Thomas, après avoir défini <strong>le</strong>s superstitions,<br />
dit qu'el<strong>le</strong>s procè<strong>de</strong>nt toutes d'un pacte exprès ou tacite<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong> <strong>démon</strong>; il en décrit <strong>le</strong>s espèces : c'est l'idolâtrie,<br />
<strong>le</strong>s divinations, <strong>le</strong>s guérisons, etc. — Toute<br />
divination vient du <strong>démon</strong>. Invoqué expressément ou<br />
tacitement, celui-ci révè<strong>le</strong> l'avenir par divers moyens<br />
que saint Thomas expose : apparitions, prestiges,<br />
songes, paro<strong>le</strong>s entendues, marques ou signes se manifestant<br />
dans <strong>le</strong>s objets inanimés, inspection <strong>de</strong>s<br />
astres, mouvement <strong>de</strong>s animaux, vol <strong>de</strong>s oiseaux, etc.<br />
Il examine ce qui peut être licite ou illicite dans ces<br />
pratiques. La divination <strong>de</strong>s événements fortuits par<br />
l'astrologie vient du <strong>démon</strong>; la <strong>de</strong>stinée <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong><br />
n'est pas soumise aux astres... <strong>Le</strong> cri <strong>de</strong>s oiseaux, à<br />
moins qu'il n'annonce un changement <strong>de</strong> température,<br />
ne peut faire connaître une chose fortuite : donc cette<br />
divination est illicite comme venant du <strong>démon</strong>.<br />
L'art notoire, ce moyen d'acquérir une science par<br />
<strong>de</strong>s pratiques qui n'ont aucune vertu pour faire obte-
530 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
nir ce résultat, est illicite... Comme <strong>le</strong> <strong>démon</strong> ne peut<br />
rendre l'ignorant tout à coup savant, c'est lui-même<br />
qui intervient et répond ; il pourrait cependant rendre<br />
l'intelligence plus apte à concevoir.<br />
« Lorsqu'on voit certains effets se produire, dit<br />
saint Thomas, il faut observer si cela peut se faire<br />
naturel<strong>le</strong>ment, ce serait licite ; s'il en était autrement,<br />
ce serait illicite, car il s'ensuivrait que <strong>le</strong>s moyens<br />
employés ne peuvent être regardés comme causes,<br />
mais seu<strong>le</strong>ment comme signes. »<br />
Ainsi <strong>le</strong>s observances pour connaître l'avenir sont<br />
<strong>de</strong>s superstitions; n'étant point <strong>de</strong>s causes, mais <strong>de</strong>s<br />
signes qui ne sont ni divins ni établis par autorité divine,<br />
mais par la vanité <strong>de</strong>s hommes et par l'opération<br />
d'esprits qui s'efforcent <strong>de</strong> <strong>le</strong>s séduire : ce sont enfin<br />
<strong>de</strong>s restes <strong>de</strong> l'idolâtrie... Saint Thomas excepte <strong>le</strong>s<br />
signes diagnostiques <strong>de</strong>s maladies.<br />
Ces observances, dit-il, ont commencé à se réaliser<br />
par hasard; <strong>le</strong>s hommes ensuite s'y sont attachés,<br />
car <strong>le</strong>s illusions diaboliques <strong>le</strong>s ont réalisées. (2 a<br />
q.<br />
XCV, XCVi.)<br />
<strong>Le</strong> même, <strong>de</strong>s phylactères.<br />
<strong>Le</strong>s Gentils suspendaient à <strong>le</strong>ur cou <strong>de</strong>s phylactères ;<br />
<strong>le</strong>s chrétiens crurent pouvoir <strong>le</strong>s remplacer par <strong>de</strong>s<br />
versets <strong>de</strong> la sainte Écriture. Saint Thomas, qui n'ose<br />
précisément <strong>le</strong>s défendre, dit qu'il serait mieux <strong>de</strong><br />
s'en abstenir... Il faut se défier <strong>de</strong>s mots inconnus, se<br />
gar<strong>de</strong>r qu'il n'y ait <strong>de</strong>s choses vaines, car l'effet ne<br />
pourrait venir <strong>de</strong> Dieu... Outre <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> la croix, il<br />
peut y avoir <strong>de</strong>s caractères inscrits, on a pu mettre<br />
son espoir dans la manière <strong>de</strong> <strong>le</strong>s écrire ou <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />
attacher.— « Si on invoque <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Dieu, dit-il, si on
AVEC LE DÉMON.<br />
attend tout <strong>de</strong> son secours, ce serait licite; sinon, il y<br />
aurait vaine observance. On peut porter sur soi <strong>de</strong>s<br />
reliques par une pieuse confiance, mais cette sainte<br />
pratique serait illicite si on mettait sa confiance dans<br />
<strong>de</strong>s choses vaines, dans la forme du reliquaire, par<br />
exemp<strong>le</strong>. »<br />
<strong>le</strong> mime, <strong>de</strong>s songes.<br />
« La divination par <strong>le</strong>s songes est divine ou naturel<strong>le</strong>,<br />
et alors très-licite; mais el<strong>le</strong> peut venir aussi du<br />
<strong>démon</strong>, il faut donc examiner... »<br />
C'est la question <strong>de</strong> discernement dont <strong>le</strong> saint docteur<br />
veut par<strong>le</strong>r ici, question qui est du domaine <strong>de</strong><br />
la théologie...<br />
<strong>Le</strong> même, magie bienfaisante.<br />
Saint Thomas se fait cette objection : Pourquoi ne<br />
pourrait-on se servir <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s pour faire du bien à<br />
soi ou aux autres ?<br />
« <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s ne sont pas soumis à <strong>l'homme</strong>, dit-il;<br />
lorsqu'ils établissent un commerce exprès ou tacite<br />
<strong>avec</strong> lui, <strong>le</strong>ur but, c'est <strong>de</strong> nuire soit à son corps, soit<br />
à son âme; il semb<strong>le</strong> que <strong>l'homme</strong> lui intime <strong>de</strong>s<br />
ordres, mais c'est une imposture... Il faut donc fuir cet<br />
ennemi, qui fait à <strong>l'homme</strong> une guerre acharnée... —<br />
Dieu s'en sert, dira-t-on... — Dieu dispose comme il lui<br />
plaît <strong>de</strong> ses créatures, comme il veut et quand il veut;<br />
el<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s instruments <strong>de</strong> sa volonté. Mais <strong>l'homme</strong><br />
n'a aucune puissance sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s; il ne peut que<br />
tomber dans <strong>le</strong> péril <strong>avec</strong> un adversaire aussi redoutab<strong>le</strong>.<br />
»
DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
<strong>le</strong> même, maléfices.<br />
« Quelques-uns disent que <strong>le</strong> maléfice n'est que dans<br />
l'imagination, dit saint Thomas, et qu'on traite <strong>de</strong> maléfices<br />
<strong>de</strong>s efi'ets très-naturels dont <strong>le</strong>s causes sont occultes...<br />
L'Église, continue saint Thomas, nous atteste<br />
la gran<strong>de</strong> puissance <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s sur <strong>le</strong>s corps et<br />
sur l'imagination <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, quand Dieu <strong>le</strong> permet :<br />
c'est <strong>de</strong> là que viennent <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s magiciens. »<br />
Cette opinion, que <strong>le</strong>s maléfices sont naturels, a pour<br />
origine <strong>le</strong> manque <strong>de</strong> foi et l'incrédulité..., ajoute-t-il;<br />
car <strong>le</strong>s impies croient que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s existent seu<strong>le</strong>ment<br />
dans <strong>le</strong>s opinions du vulgaire, qui <strong>le</strong>ur impute<br />
ses frayeurs imaginaires...<br />
<strong>Le</strong> même, guérisons.<br />
« Rien ne s'oppose, dit saint Thomas, à ce que, par<br />
art diabolique, on ne puisse guérir plus promptement<br />
que ne <strong>le</strong> ferait la nature seu<strong>le</strong> ; » pourtant rien là <strong>de</strong> miracu<strong>le</strong>ux,<br />
puisqu'on voit la science obtenir cet effet...<br />
Il ne pense pas, toutefois, que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> puisse faire<br />
<strong>de</strong>s guérisons subites, quoiqu'il puisse presque subitement<br />
produire plusieurs autres effets.— Après avoir<br />
dit que <strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s opèrent comme instrument, la<br />
nature étant <strong>le</strong> principal agent, etc., que dès lors <strong>le</strong>s<br />
<strong>démon</strong>s ne peuvent guérir lorsque <strong>le</strong>s forces sont<br />
éteintes, etc., il dit que, la guérison fût-el<strong>le</strong> opérée<br />
subitement, ce ne serait point encore un mirac<strong>le</strong>,<br />
puisque <strong>le</strong> <strong>démon</strong> opérerait <strong>avec</strong> <strong>le</strong> secours <strong>de</strong>s causes<br />
naturel<strong>le</strong>s.<br />
Saint Thomas avoue ail<strong>le</strong>urs que souvent plusieurs<br />
prodiges <strong>de</strong>s magiciens ressemb<strong>le</strong>nt h ceux dos servi<br />
teurs <strong>de</strong> Dieu.
AVEC LE DÉMON. 5;>'.*<br />
On verra en effet que l'instantanéité, caractère <strong>de</strong>s<br />
guérisons divines, est très-rare dans cel<strong>le</strong>s qui sont<br />
diaboliques. Cependant ces <strong>de</strong>rnières pourraient paraître<br />
instantanées sans l'être en effet. 1° Si <strong>le</strong> mal est<br />
causé par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, il cesse aussitôt qu'il se retire.<br />
2° Avant l'opération curative, qui peut consister en un<br />
geste, en une paro<strong>le</strong>, <strong>le</strong> <strong>démon</strong> a pu quelquefois d'avance<br />
préparer la cure... Comme il <strong>de</strong>vine <strong>le</strong>s pensées,<br />
et surtout comme il <strong>le</strong>s suggère, avant que son guérisseur<br />
n'ait entrepris sa cure, il a pu la commencer. Ce<br />
n'est pas, au reste, <strong>le</strong> lieu <strong>de</strong> traiter ce sujet, qui<br />
recevra ail<strong>le</strong>urs quelque développement.<br />
<strong>Le</strong> même, <strong>de</strong> l'âme et <strong>de</strong> ses puissances.<br />
On regrette <strong>de</strong> se voir contraint d'être si bref en<br />
tz'aitant un sujet si ardu, développé si largement par<br />
l'Ange <strong>de</strong> l'éco<strong>le</strong> : c'est dans la Somme <strong>de</strong> saint Thomas<br />
qu'il faut lire ce que cet illustre et saint personnage<br />
a écrit sur <strong>le</strong>s anges, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s et sur l'âme<br />
humaine. Avant <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>-ci, il faut se rappe<strong>le</strong>r<br />
que quelques philosophes se montraient disposés à la<br />
gratifier du don naturel <strong>de</strong> divination. L'âme, l'imagination<br />
avaient un pouvoir immense, on <strong>le</strong> pensait du<br />
moins, et on crut pouvoir lui attribuer ce que d'autres<br />
attribuaient aux esprits. Saint Thomas fait observer<br />
que <strong>le</strong>s anges et <strong>le</strong>s âmes non stoit vniw speciei, puis il<br />
entre dans diverses considérations sur la nature <strong>de</strong><br />
l'âme. L'homme n'a qu'une âme; cel<strong>le</strong> qu'on appel<strong>le</strong><br />
sensitive ou végétative est la môme que cel<strong>le</strong> qui est<br />
spirituel<strong>le</strong>. Il établit même qu'il est impossib<strong>le</strong> qu'il<br />
en soit autrement.<br />
<strong>Le</strong>s puissances inorganiques appartiennent a l'âme<br />
seu<strong>le</strong>; cel<strong>le</strong>s qui sont organiques, au corps et à l'âme.
554 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
La volonté s'exerce sans organes ; mais voir, entendre,<br />
agir, etc., ont besoin du corps et <strong>de</strong> l'âme pour<br />
s'exercer.<br />
<strong>Le</strong>s puissances <strong>de</strong> l'âme subsistent-el<strong>le</strong>s après sa séparation<br />
d'<strong>avec</strong> <strong>le</strong> corps? — Affirmativement, pour cel<strong>le</strong>s<br />
qui sont dans l'âme comme appartenant à sa substance<br />
; mais cel<strong>le</strong>s qui résultent <strong>de</strong> son union <strong>avec</strong> <strong>le</strong><br />
corps ne survivent point à la dissolution <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier.<br />
(1 a<br />
q. LXXV, LXXVI etLXXVII.)<br />
La force <strong>de</strong> l'âme peut-el<strong>le</strong> modifier la matière corporel<strong>le</strong>?<br />
Dieu seul <strong>le</strong> peut, parce que la forme et la<br />
matière, materia et forma, préexistent virtuel<strong>le</strong>ment<br />
en lui comme cause première. Si <strong>le</strong>s anges mêmes ne<br />
peuvent opérer <strong>de</strong> changement qu'en employant <strong>le</strong>s<br />
agents corporels, bien moins encore l'âme pourraitel<strong>le</strong><br />
changer la matière ; quand el<strong>le</strong> agit sur el<strong>le</strong>, ce<br />
n'est que par l'intermédiaire <strong>de</strong>s corps.— Pour agir sur<br />
<strong>le</strong>s corps, l'ange n'a pas besoin d'organes, son action<br />
sur la matière est immédiate comme cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> notre âme<br />
sur nos organes ; ses opérations sont donc incomparab<strong>le</strong>ment<br />
plus puissantes. L'âme a bien aussi un pouvoir<br />
sur <strong>le</strong>s corps, mais médiatement et par l'entremise<br />
<strong>de</strong>s organes et <strong>de</strong>s instruments inventés pour <strong>le</strong>ur<br />
venir en ai<strong>de</strong> (1 a<br />
q. CXVII). Tous <strong>le</strong>s Pères enseignaient<br />
que Dieu gouverne <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> matériel par <strong>le</strong>s anges,<br />
qu'ils peuvent mouvoir <strong>le</strong>s corps d'un lieu à un autre,<br />
ils pensaient même que <strong>le</strong>s anges pouvaient mouvoir<br />
<strong>le</strong>s astres, tandis que notre âme ne peut remuer <strong>le</strong><br />
moindre corps extérieur sans ses membres pourvus do<br />
musc<strong>le</strong>s (1* q. CX). <strong>Le</strong>s anges, <strong>avec</strong> tous ces pouvoirs<br />
et celte prééminence, ne pourraient faire que <strong>le</strong> plomb,<br />
l'argent se changeassent en or et l'eau en vin, Dieu<br />
seul <strong>le</strong> peut; mais ils pourraient substituer <strong>le</strong> vin h<br />
l'eau et l'or au plomb sans avoir besoin d'organes. De
AVEC LE DÉMON.<br />
ce que la nature angélique peut agir si puissamment<br />
sur la matière, il n'en résulte pas que cela ait lieu constamment<br />
au gré <strong>de</strong> ces intelligences, car <strong>le</strong>s mauvais<br />
anges pourraient causer <strong>de</strong>s bou<strong>le</strong>versements épouvantab<strong>le</strong>s<br />
; Dieu n'a rien en<strong>le</strong>vé à <strong>le</strong>ur nature, mais <strong>le</strong>ur<br />
volonté n'étant plus conforme à la sienne <strong>de</strong>puis qu'ils<br />
sont tombés, il <strong>le</strong>s lie, <strong>le</strong>s enchaîne, et ne <strong>le</strong>ur permet<br />
d'agir que comme <strong>le</strong>s instruments <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>sseins.<br />
Lorsque <strong>le</strong>s saints font <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s, ce n'est point<br />
par la vertu <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur âme, dit saint Thomas, c'est par la<br />
grâce divine.<br />
Lorsqu'on prétend que la fascination a lieu parce<br />
que la nature corporel<strong>le</strong> doit obéir à la nature spirituel<strong>le</strong>,<br />
c'est une erreur; ni l'âme ni la force <strong>de</strong> l'imagination<br />
ne peuvent rien, car la matière n'obéit point<br />
à l'âme, cel<strong>le</strong>-ci n'ayant d'action que sur ses propres<br />
organes.<br />
Cependant saint Thomas semb<strong>le</strong> adopter l'erreur <strong>de</strong>s<br />
péripatéticiens concernant <strong>le</strong> maléfice par <strong>le</strong> regard,<br />
lorsqu'il dit que <strong>le</strong>s yeux peuvent infecter ceux qu'ils<br />
regar<strong>de</strong>nt jusqu'à une distance déterminée... 11 admet<br />
que <strong>le</strong>s miroirs <strong>de</strong>s femmes qui ont .<strong>le</strong>urs menstrues<br />
sont ainsi ternis par <strong>le</strong>urs regards, parce que Aristote<br />
avait dit que l'œil <strong>de</strong>s personnes irritées, comme celui<br />
<strong>de</strong> certaines vieil<strong>le</strong>s, par exemp<strong>le</strong>, était fort nuisib<strong>le</strong><br />
aux enfants. Saint Thomas, il est vrai, fait observer<br />
qu'il est possib<strong>le</strong> que, par quelque pacte entre ces<br />
vieil<strong>le</strong>s et <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, ce <strong>de</strong>rnier cause lui-même cernai,<br />
si Dieu <strong>le</strong> permet. (1 a<br />
q. CXVII.)<br />
L'âme étant séparée du corps peut-el<strong>le</strong> agir sur la<br />
matière? L'âme unie au corps ne meut qu'un corps<br />
vivifié, el<strong>le</strong> ne pourrait mouvoir un membre paralysé,<br />
séparé; ne vivifiant plus un corps, il n'en est<br />
aucun qui lui obéisse(/7».); el<strong>le</strong> ne saurait donc agir sur
356 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
aucun, à moins qu'une vertu divine ne lui confère ce<br />
pouvoir.<br />
Dans <strong>l'homme</strong>, l'âme connaît-el<strong>le</strong> l'avenir? Il peut<br />
être connu dans lui-même ou dans ses causes; en<br />
lui-môme, Dieu seul <strong>le</strong> peut, dit saint Thomas; dans<br />
ses causes, on <strong>le</strong> pourrait <strong>avec</strong> certitu<strong>de</strong> si la cause<br />
était nécessaire, par exemp<strong>le</strong>, une éclipse. Mais <strong>le</strong>s<br />
causes pouvant varier, la connaissance <strong>de</strong> l'avenir<br />
<strong>de</strong>vient conjectura<strong>le</strong> ; tel est, par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> cas où<br />
<strong>de</strong>ux hommes ont <strong>de</strong>ssein d'accomplir un projet ;<br />
on peut, d'après <strong>le</strong>ur volonté du moment, prédire<br />
qu'ils l'accompliront, cependant on pourrait encore<br />
se tromper. <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> ignore lui-même ce qui tient<br />
à <strong>de</strong>s causes fortuites, mais il conjecture infiniment<br />
mieux que <strong>l'homme</strong>.<br />
L'âme dégagée <strong>de</strong> ses sens peut-el<strong>le</strong> prédire? On a<br />
prétendu qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong> pouvait dans la frénésie, dans <strong>le</strong><br />
sommeil... Cette question), répond saint Thomas, serait<br />
raisonnab<strong>le</strong> si on établissait que l'âme reçoit la<br />
connaissance <strong>de</strong>s événements, comme disent <strong>le</strong>s Platoniciens,<br />
d'après la participation <strong>de</strong>s idées; l'âme connaîtrait<br />
ainsi, par sa nature, la cause physique <strong>de</strong> tous<br />
<strong>le</strong>s clfets; lorsqu'el<strong>le</strong> est dégagée, rendue à sa nature<br />
d'esprit, el<strong>le</strong> verrait l'avenir... Mais ce mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> connaître<br />
n'est pas naturel à notre enten<strong>de</strong>ment, dit-il, il<br />
a lieu par <strong>le</strong>s anges qui causent <strong>de</strong>s visions propres à<br />
révé<strong>le</strong>r l'avenir, ou lorsque <strong>le</strong> <strong>démon</strong> opère dans l'imagination<br />
quelque mouvement. (2 a<br />
q. XCV.)<br />
Traitant du ravissement et <strong>de</strong> l'extase, saint Thomas<br />
ne reconnaît pas cette séparation <strong>de</strong> l'âme d'<strong>avec</strong> <strong>le</strong><br />
corps, supposée comme on l'a vu. (Ib., q. CLXXV.)<br />
L'âme est arrachée au domaine <strong>de</strong>s sens, livrée aux<br />
communications divines, c'est la révélation; mais il<br />
n'y a là ni séparation ni dégagement; en<strong>le</strong>vée aux
AVEC LE DÉMON. a57<br />
choses sensib<strong>le</strong>s, l'âme reçoit <strong>le</strong>s révélations <strong>de</strong>s êtres<br />
spirituels.<br />
te même, copulations diaboliques.<br />
Saint Thomas pouvait, ce semb<strong>le</strong>, se dispenser <strong>de</strong><br />
traiter ce sujet. Quelques Pères, trompés par un ouvrage<br />
apocryphe, avaient cru au commerce <strong>de</strong>s anges<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s hommes ; dans <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> môme <strong>de</strong><br />
saint Augustin, cette erreur étant reconnue, n'avait<br />
point empêché <strong>le</strong> saint évoque d'Hippone d'admettre<br />
<strong>le</strong> commerce <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s femmes; mais <strong>de</strong> reconnaître<br />
en môme temps aussi que <strong>le</strong>s malins esprits<br />
n'ont point pour cel<strong>le</strong>s-ci <strong>le</strong>s passions <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>,<br />
tout ce qui se passe dans ce prétendu commerce étant<br />
une sorte d'illusion diabolique. Saint Thomas, comme<br />
saint Augustin, était loin <strong>de</strong> penser que ces copulations<br />
fussent convoitées par <strong>le</strong>s esprits ; mais la croyance<br />
subsistait toujours; on attribuait même à ces conjonctions<br />
étranges la naissance d'enfants non moins<br />
étranges. <strong>Le</strong> docteur angélique est forcé alors <strong>de</strong> s'exprimer<br />
<strong>de</strong> cette manière : Si tamen ex coitu dœmonwn<br />
aliqui intcrditm nasewitur, hoc non est per semen ab eis<br />
<strong>de</strong>cisum, aut a corporibus assumptis; sed per semen aîieujvs<br />
hominis ad hoc acceptum, etc. Il fallait au treizième<br />
sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong>s faits bien multipliés, bien constants, pour<br />
oser traiter un pareil sujet et pour essayer d'expliquer<br />
ces naissances monstrueuses. Saint Thomas, admettant<br />
la puissance <strong>de</strong>s esprits sur la matière, <strong>le</strong> pouvoir<br />
<strong>de</strong> transporter <strong>le</strong>s corps aussi vite que la pensée, suppose<br />
aussi qu'ils peuvent être préservés <strong>de</strong> toute altération<br />
pendant ce trajet; tout ceci admis, <strong>le</strong> surplus<br />
n'aurait rien d'absur<strong>de</strong>; <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ne désiraient ni ne<br />
pouvaient engendrer, la copulation était prestigieuse,
DES «APPORTS DE L'HuMMK<br />
niais <strong>le</strong> résultat ne l'étant point, il donnait la seu<strong>le</strong><br />
explication qui soit possib<strong>le</strong>. — On pourrait faire ici<br />
plusieurs objections qui trouvent ail<strong>le</strong>urs une place<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s réponses. ('l a<br />
q. Ll.)<br />
Entre autres objections, on dit: L'homme, <strong>de</strong>puis<br />
l'avènement du Sauveur, n'est plus <strong>le</strong> serf du <strong>démon</strong> ,<br />
celui-ci est enchaîné, etc. — Saint Thomas répond que,<br />
malgré la passion du Sauveur, <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, quand Dieu<br />
<strong>le</strong> permet, peut encore tenter l'âme et vexer <strong>le</strong> corps...<br />
11 peut <strong>de</strong> même tromper <strong>le</strong>s hommes sous certaines<br />
formes, dans certains temps et certains lieux, selon la<br />
raison cachée <strong>de</strong> la divine sagesse; mais la passion <strong>de</strong><br />
Jésus-Christ est un remè<strong>de</strong> contre <strong>le</strong>s attaques diaboliques<br />
(3* q. XL1X.)<br />
<strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s peuvent produire la pluie et <strong>le</strong>s vents<br />
et autres phénomènes. (l a<br />
, 2 a<br />
q. LXXX.) — Ils se<br />
ren<strong>de</strong>nt familiers aux hommes pour <strong>le</strong>s tromper. (•!*,<br />
2 a<br />
q. LXXXIX.) — Ils sont attirés par divers genres<br />
d'herbes, d'animaux, <strong>de</strong> rites, par <strong>de</strong>s vers. (A*-q. CXV.)<br />
— Ils feignent quelquefois d'être <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts<br />
pour tromper. (1« q. LXXXIX.)<br />
<strong>Le</strong> diab<strong>le</strong> peut tenter <strong>le</strong>s hommes quanta l'Ame et<br />
<strong>le</strong>s tourmenter quant au corps ; pourtant la passion du<br />
Sauveur a préparé un remè<strong>de</strong> par <strong>le</strong>quel ils peuvent<br />
se défendre contre <strong>le</strong>s attaques <strong>de</strong> l'ennemi. (3 a<br />
q.<br />
XLIX 1<br />
.)<br />
1. On n'a rapporté que la substance <strong>de</strong> quelques conclusions prises<br />
çà et là dans la Somme <strong>de</strong> saint Thomas : dans un exposé aussi bref<br />
(simp<strong>le</strong> spécimen), on a quelquefois omis aussi <strong>de</strong> citer la partie <strong>de</strong> la<br />
Somme d'où ont été extraits ces quelques fragments; que <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur<br />
consulte <strong>le</strong>s tab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la Somme, il y verra <strong>le</strong>s détails admirab<strong>le</strong>s dans<br />
<strong>le</strong>squels <strong>le</strong> docteur angélique est entré. — On a évité enfin <strong>de</strong> citer <strong>le</strong>s<br />
termes scolastiques, dont l'explication se trouve datis <strong>le</strong> glossaire, à.<br />
la fin du volume <strong>de</strong>s traductions françaises. Notre plan nous permet,<br />
s'il n'exige, cette omission.
AVEC LE DEMOS.<br />
Saint Thomas résume clans sa Somme la doctrine <strong>de</strong><br />
l'Église et <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s docteurs. Rien <strong>de</strong> changé au<br />
fond : que l'on parcoure du cinquième au quinzième<br />
sièc<strong>le</strong> <strong>le</strong>s écrits qu'el<strong>le</strong> approuve. — Plusieurs chrétiens<br />
se confiaient encore aux divinations, aux guérisons<br />
superstitieuses et à diverses pratiques païennes.<br />
<strong>Le</strong>s hérétiques se livraient à tout ce qu'on a exposé<br />
précé<strong>de</strong>mment. L'Église y signa<strong>le</strong> constamment l'intervention<br />
<strong>de</strong>s malins esprits, admettant toujours <strong>le</strong>s<br />
mêmes faits ; nul<strong>le</strong> autre explication n'est possib<strong>le</strong> à<br />
ses yeux.<br />
Saint Césaire, archevêque d'Ar<strong>le</strong>s au cinquième<br />
sièc<strong>le</strong>, disait : — «Vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z quel mal vous faites<br />
en consultant <strong>le</strong>s augures et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins..., puisqu'ils vous<br />
disent fréquemment la vérité... <strong>Le</strong> Seigneur vous tente<br />
pour voir si vous <strong>le</strong> craignez; l'Écriture vous avait<br />
avertis— » — « Cependant, si on néglige <strong>de</strong> faire venir<br />
<strong>de</strong>s enchanteurs, plusieurs, direz-vous, sont en danger<br />
<strong>de</strong> mort...» — J'en conviens... Mais Dieu permet au<br />
diab<strong>le</strong> d'intervenir pour éprouver <strong>le</strong>s chrétiens, et<br />
ils croiront en lui, d'autant plus faci<strong>le</strong>ment que par<br />
<strong>de</strong>s voies sacrilèges ils auront pu sortir d'une infirmité...<br />
Veritm est, fraires charissimi, quia permittit<br />
hoc Deus diabolo... adprobandum christianum, etc.,<br />
(S. Cœsar., Serm. CCLXXVIII. — In Append., t. V<br />
op. S. Aug.); c'est-à-dire Dieu, après vous avoir suffisamment<br />
avertis, permet que vous soyez soumis à<br />
l'épreuve.<br />
Saint Anastase Sinaïte, au septième sièc<strong>le</strong>, ni<br />
moins explicite ni moins croyant au pouvoir <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s,<br />
avoue qu'ils font faire à <strong>le</strong>urs prophètes <strong>de</strong>s<br />
mirac<strong>le</strong>s et <strong>de</strong>s guérisons pour la propre séduction <strong>de</strong><br />
ceux-ci et <strong>de</strong>s autres ; ils paraissent même, dit-il,<br />
rappe<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s morts à la vie, et ils feignent <strong>de</strong> <strong>le</strong>s faire
:;00 DES IUM'OUTS L'HOMME<br />
converser <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s vivants. (Quœsl. 20, ex Bibl. Pair.,<br />
t. IX.)<br />
Même sièc<strong>le</strong>, saint Isidore <strong>de</strong> Sévil<strong>le</strong>, surnommé <strong>le</strong><br />
nouvel ornement <strong>de</strong> l'Église..., distingue <strong>le</strong>s diverses<br />
espèces <strong>de</strong> sorciers et <strong>de</strong> magiciens : ceux qui tuent<br />
par <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s, ceux qui troub<strong>le</strong>nt l'esprit, agitent <strong>le</strong>s<br />
hommes à volonté...; <strong>le</strong>s nécromanciens, qui évoquent<br />
<strong>le</strong>s morts pour la divination, etc., etc. — Magi,<br />
nu.<strong>de</strong>.fici, incuntatores, hurioli, augures, astrn/ogi, etc.<br />
(Eti/m., VIII, 1)'.) Saint Isidore est loin <strong>de</strong> nier <strong>le</strong>ur<br />
pouvoir.<br />
Au dixième sièc<strong>le</strong>, Rathère, évèque <strong>de</strong> Vérone, distingue<br />
la mé<strong>de</strong>cine naturel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong>s enchanteurs...<br />
11 reconnaît que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers obtiennent<br />
par <strong>le</strong>urs pratiques, quand Dieu <strong>le</strong> permet, <strong>le</strong>s mêmes<br />
résultats que toute la science médica<strong>le</strong>, ce qu'il prouve<br />
par <strong>de</strong>s faits... — Ail<strong>le</strong>urs il dit que Satan, tout méchant<br />
qu'il est, peut procurer tout aussi bien quelques<br />
cures, qu'il peut dire <strong>de</strong>s choses vraies, quoiqu'il ne<br />
soit plus dans la vérité. (Prceloq., I, tit. h.)<br />
<strong>Le</strong>s mirac<strong>le</strong>s divins, disait saint Bonaventure au<br />
treizième sièc<strong>le</strong>, diffèrent <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong> Satan, en ce<br />
que ceux <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier sont vils et souvent inuti<strong>le</strong>s,<br />
tandis que ceux <strong>de</strong> Dieu sont fort uti<strong>le</strong>s. Ceux-ci ne<br />
sont point faits pour plaire aux sens, ut humanos sensus<br />
<strong>de</strong>mulceant, etc., satisfaire la curiosité, mais pour<br />
édifier l'Église, ut Ecc<strong>le</strong>siam œdificent, etc... Tandis<br />
que ceux du <strong>démon</strong> sont <strong>de</strong>s prestiges qui divertissent,<br />
étonnent ou épouvantent, et n'ont rien <strong>de</strong> grand ni <strong>de</strong><br />
nob<strong>le</strong>.<br />
1. «In quibus omnibus ars du>uionum est ex quadam peslifera societalo<br />
hominum, et angelorum malorum exorta. Umlc cunc.ta vitanda<br />
•suni a Chrisfiano, et omni penilus exseeiatione repudianda alquc<br />
damnanda. » (lb.)
AVEC Lli DÉMON.<br />
Au quatorzième sièc<strong>le</strong>, Gcrson, <strong>le</strong> pieux chancelier<br />
<strong>de</strong> l'Université <strong>de</strong> Paris, expose la même doctrine<br />
dans ses écrits.<br />
Si <strong>le</strong> mirac<strong>le</strong> n'est ni nécessaire, ni avantageux à la<br />
piété, il est par là même suspect, et doit être rejeté,<br />
dit-il. Tels sont <strong>le</strong>s prestiges <strong>de</strong>s magiciens.<br />
11 distingue trois sortes d'opérations diaboliques :<br />
vio<strong>le</strong>nte, fraudu<strong>le</strong>use, maligne...; tantôt, <strong>le</strong> <strong>démon</strong> se<br />
transforme en ange <strong>de</strong> lumière, tantôt il porte aux<br />
excès <strong>le</strong>s plus monstrueux... — En fait d'égarement<br />
<strong>de</strong> l'esprit, il nous jette dans toutes sortes d'illusions;<br />
à l'imitation <strong>de</strong> l'Esprit-Saint, il confère <strong>de</strong>s grâces,<br />
distribue <strong>de</strong>s dons qui ressemb<strong>le</strong>nt à ceux <strong>de</strong> l'Église;<br />
Dieu <strong>le</strong> permettant, l'un reçoit <strong>le</strong> don <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r <strong>avec</strong><br />
sagesse, l'autre celui <strong>de</strong> science; celui-ci d'opérer <strong>de</strong>s<br />
prodiges, celui-là <strong>de</strong> guérir, un autre celui <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r<br />
diverses langues, etc., etc. «Tout cela, dit-il, n'est<br />
qu'apparent, n'existe pas, apparentes, sed non exsistentes<br />
: » — c'est-à-dire, ce nesontpoint <strong>de</strong>s dons réels,<br />
<strong>l'homme</strong> reste tel qu'il était, c'est <strong>le</strong> <strong>démon</strong> qui agit et<br />
par<strong>le</strong> en lui.<br />
« 11 existe, dit-il ail<strong>le</strong>urs, <strong>de</strong>s règ<strong>le</strong>s <strong>de</strong> discernement...<br />
On doit admettre tout ce qui est conforme<br />
aux Écritures, et rejeter comme hérétique et suspect<br />
tout ce qui ne s'accor<strong>de</strong> point <strong>avec</strong> el<strong>le</strong>s... » Il veut<br />
qu'on imite ces changeurs habi<strong>le</strong>s qui ne se laissent<br />
point éblouir par une surface brillante qui cache<br />
du plomb ou du cuivre, etc.; il veut enfin que <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />
soient examinés par un théologien expérimenté<br />
et savant. (De dist. ver. vision, a fais.) L'illustre chancelier<br />
dit que l'action <strong>de</strong> Satan se manifeste encore par<br />
<strong>de</strong>s circonstances où dominent <strong>le</strong> ridicu<strong>le</strong> et <strong>le</strong> puéril,<br />
l'indécent et <strong>le</strong> cruel... Dans ce cas, <strong>le</strong> mirac<strong>le</strong> doit<br />
être rejeté comme indigne <strong>de</strong> Dieu.<br />
I. 3G
362 DUS RAPPORTS DE L'HOMME<br />
Toute.pratique, dit-il, employée pour obtenir un<br />
effet qu'on ne peut attendre ni <strong>de</strong> Dieu par mirac<strong>le</strong>,<br />
ni <strong>de</strong>s causes naturel<strong>le</strong>s, est superstitieuse, suspecte<br />
<strong>de</strong> pacte <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s. Tel<strong>le</strong> est, continue Gerson,<br />
la doctrine <strong>de</strong>s saints docteurs, <strong>de</strong>s Décrétâtes et <strong>de</strong> la<br />
Faculté <strong>de</strong> théologie <strong>de</strong> Paris. (De error. circa art. via//.)<br />
Comment, disait-on, il ne sera pas permis <strong>de</strong> faire<br />
ce qu'on peut pour sa propre guérison et pour soulager<br />
ses frères? — « D'accord, répliquait Gerson, pourvu<br />
qu'on se borne aux moyens suggérés par la raison, par<br />
la pru<strong>de</strong>nce et <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'art. » — Quoi ! disait-on<br />
encore, on appel<strong>le</strong>ra vaine et superstitieuse une pratique<br />
dont <strong>le</strong>s effets prouvent indubitab<strong>le</strong>ment l'utilité!<br />
— comme si nous prétendions, répliquait <strong>le</strong><br />
chancelier, que Satan et ses adorateurs ne peuvent<br />
rien opérer... Nous sommes bien éloignés <strong>de</strong> nier ce<br />
qu'ont fait <strong>le</strong>s magiciens <strong>de</strong> Pharaon, la pythonisse <strong>de</strong><br />
Saiil, <strong>le</strong>s exorcistes juifs, <strong>le</strong>s faux dieux et tout ce<br />
que l'Antéchrist doit produire ; nous confessons toutes<br />
ocs choses et rejetons tous ceux qui <strong>le</strong>s révoquent<br />
en doute... Mais comme la vraie foi mérite d'être<br />
illustrée par <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s, la fausse foi, pour sa condamnation<br />
et pour l'épreuve <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> bien, est<br />
digne d'être <strong>le</strong> jouet <strong>de</strong>s prodiges trompeurs et <strong>de</strong>s<br />
illusions... »<br />
Réf<strong>le</strong>xions.<br />
<strong>Des</strong> fragments aussi incomp<strong>le</strong>ts <strong>de</strong> la doctrine <strong>de</strong><br />
l'Église sur <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux au moyen âge prouvent<br />
cependant que <strong>le</strong>s théologiens l'admettaient comme <strong>le</strong><br />
vulgaire, tandis que <strong>de</strong> nouveaux systèmes, dès <strong>le</strong><br />
douzième sièc<strong>le</strong>, se substituaient peu à peu à la doctrine<br />
<strong>de</strong>s Pères et <strong>de</strong>s saints docteurs. — 11 s'agit main-
AVEC LE DÉMON. 303<br />
tenant <strong>de</strong> faire une option entre ces systèmes et cette<br />
doctrine.<br />
Depuis longtemps déjà cette <strong>de</strong>rnière est répudiée par<br />
<strong>le</strong>s incrédu<strong>le</strong>s. « — <strong>Le</strong> commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s Orientaux,<br />
disent ses détracteurs, a importé dans l'Occi<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s<br />
systèmes philosophiques et <strong>le</strong>s diverses connaissances<br />
d'un mon<strong>de</strong> parvenu au plus haut point <strong>de</strong> la civilisation;<br />
que lui opposera donc <strong>le</strong> moyen âge? L'ignorance<br />
grossière <strong>de</strong>s peup<strong>le</strong>s tombés dans la barbarie;<br />
une crédulité qui accepte comme vrais <strong>le</strong>s récits <strong>le</strong>s plus<br />
ridicu<strong>le</strong>s Quels sont <strong>le</strong>s successeurs <strong>de</strong>s Pères <strong>de</strong><br />
l'Église? <strong>Des</strong> prêtres qui n'enten<strong>de</strong>nt pas même assez<br />
<strong>de</strong> latin pour traduire l'Oraison dominica<strong>le</strong>, qui savent à<br />
peine lire ; qui se livrent à <strong>de</strong>s frau<strong>de</strong>s pieuses, par piété<br />
ma<strong>le</strong>ntendue ou dans un intérêt purement financier. La<br />
corruption <strong>de</strong>s mœurs a remplacé la sainteté du sacerdoce;<br />
l'ignorance, <strong>le</strong> brigandage existent partout;<br />
toute la science consiste dans <strong>le</strong>s récits incroyab<strong>le</strong>s<br />
<strong>de</strong>s légen<strong>de</strong>s, dans <strong>de</strong>s croyances superstitieuses. 11<br />
est douteux que <strong>le</strong> grand empereur qui entreprit <strong>de</strong><br />
former <strong>de</strong>s éco<strong>le</strong>s sût signer son nom, et ces éco<strong>le</strong>s<br />
produisirent <strong>de</strong>s hommes qui, d'après <strong>le</strong>s tendances<br />
<strong>de</strong> l'esprit <strong>de</strong> cette époque, n'écrivirent que <strong>de</strong>s inepties.<br />
Jl est si constant qu'on voyait <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> et la magie<br />
partout, que Roger Bacon, s'étant instruit dans <strong>le</strong>s<br />
sciences naturel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s anciens, ayant observé et réfléchi,<br />
parce qu'il avait étudié <strong>le</strong>s divers systèmes philosophiques,<br />
fut accusé <strong>de</strong> sortilège par <strong>le</strong> général <strong>de</strong><br />
son ordre, puis incarcéré... Osera-t-on citer encore<br />
<strong>le</strong>s docteurs du moyen âge? Ce sont <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s trèsignorants<br />
<strong>de</strong>s Pères <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s, qui la plupart<br />
étaient platoniciens. Ces prétendus grands hommes,<br />
mystiques atrabilaires, exclusivement adonnés à l'étu<strong>de</strong><br />
d'une métaphysique fausse et ténébreuse, sont venus,
OES R A P P O R T S DE L'HOMME<br />
<strong>le</strong>s uns avant que l'Occi<strong>de</strong>nt eût connu <strong>le</strong>s trésors <strong>de</strong><br />
l'antiquité, <strong>le</strong>s autres postérieurement, mais sans vouloir<br />
<strong>le</strong>s connaître. »<br />
On pourrait répondre : La fréquentation <strong>avec</strong> l'Orient<br />
a communiqué à l'Occi<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s trésors intel<strong>le</strong>ctuels<br />
du vieux mon<strong>de</strong>, fruits d'une longue civilisation : la<br />
sculpture, l'architecture, la littérature, l'histoire, la<br />
philosophie, mais éga<strong>le</strong>ment ses erreurs, ses superstitions<br />
et son impiété ; ce qui était bon servit <strong>de</strong> passeport<br />
;i ce qni était mauvais, ou mieux, on ne sut pas<br />
distinguer l'un <strong>de</strong> l'autre; tout fut accueilli <strong>avec</strong> <strong>le</strong><br />
même enthousiasme par <strong>le</strong>s amis du progrès, et on<br />
<strong>de</strong>vint théurgiste, manichéen, sceptique, épicurien,<br />
matérialiste, pour al<strong>le</strong>r ensuite, <strong>de</strong> progrès en progrès,<br />
se jeter dans <strong>le</strong> gouffre du dix-huitième sièc<strong>le</strong>, cet<br />
épicurisme grossier, ce sensualisme énervant que l'on<br />
a signalé chez <strong>le</strong>s anciens aux époques <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur déca<strong>de</strong>nce.<br />
Vous accusez <strong>le</strong> c<strong>le</strong>rgé du moyen âge <strong>de</strong> crédulité,<br />
et on a vu <strong>le</strong> transport <strong>de</strong>s sorciers par l'air être considéré<br />
par lui comme une illusion, et c'est après la renaissance<br />
qu'on en a constaté la réalité ; plusieurs refusaient<br />
<strong>de</strong> croire que <strong>le</strong>s sorcières pénétrassent dans <strong>le</strong>s<br />
maisons, qu'el<strong>le</strong>s pussent causer la grê<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s tempêtes.<br />
On a vu Agobard traiter d'insensés et ceux qui<br />
accusaient certains hommes d'avoir répandu une poudre<br />
<strong>de</strong>venue poison uniquement pour <strong>le</strong>s bœufs <strong>de</strong> Charlcmagne,<br />
et <strong>le</strong>s accusés qui l'avouaient; et cependant <strong>le</strong>s<br />
sièc<strong>le</strong>s qui suivent <strong>le</strong> moyen âge crurent à <strong>de</strong>s crimes<br />
i<strong>de</strong>ntiques. Agobard, Éginhard, etc., dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />
ténèbres, étaient-ils plus judicieux et plus instruits que<br />
<strong>le</strong>s membres <strong>de</strong>s par<strong>le</strong>ments, que <strong>le</strong> c<strong>le</strong>rgé si savant<br />
dans <strong>le</strong> seizième et <strong>le</strong> dix-septième sièc<strong>le</strong>, qui tous connaissaient<br />
et savaient apprécier <strong>le</strong>s diverses richesses
AVEC LE DÉMON.<br />
léguées par l'antiquité. Que l'on suppose un instant<br />
•Éginhard, Agobard, <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> certains syno<strong>de</strong>s,<br />
consultant <strong>le</strong> c<strong>le</strong>rgé et la magistrature <strong>de</strong>s seizième<br />
et dix-septième sièc<strong>le</strong>s, tous ceux-ci <strong>le</strong>ur diraient :<br />
« De tels faits vous choquent, votre raison <strong>le</strong>s rejette;<br />
cependant, <strong>de</strong>puis vous, ils se sont tel<strong>le</strong>ment multipliés<br />
sous nos yeux, que nous <strong>le</strong>s constatons tous<br />
<strong>le</strong>s jours : <strong>le</strong>ur conformité <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s traditions <strong>de</strong> l'antiquité,<br />
<strong>avec</strong> l'enseignement <strong>de</strong> l'Église et <strong>le</strong>s explications<br />
d'hommes que <strong>le</strong>ur étu<strong>de</strong> a rendus compétents,<br />
nous y convient. Vous niez qu'une poudre<br />
puisse tuer et épargner tout à la fois; vous ignorez<br />
donc quel<strong>le</strong> est <strong>le</strong> signe sensib<strong>le</strong> sous <strong>le</strong>quel se cache<br />
l'intelligence qui agit? Pour l'ordinaire, <strong>de</strong> sa nature<br />
cette poudre est sans vertu ; mais <strong>le</strong> <strong>démon</strong> opère seul,<br />
et <strong>le</strong> mal se fait non e.r opère operato, mais ex opère<br />
opcrantis. L'antiquité païenne nous avait el<strong>le</strong>-même<br />
montré <strong>de</strong>s substances sans aucune vertu procurant<br />
<strong>le</strong> bien ou <strong>le</strong> mal, au gré <strong>de</strong> celui qui s'en servait.<br />
La conviction s'est accrue <strong>de</strong>puis en raison directe<br />
<strong>de</strong>s faits observés. Donc c'est <strong>le</strong> moyen âge qui souvent<br />
s'est montré disposé à nier,. et ce sont précisément<br />
<strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s suivants qui se sont vus contraints<br />
d'accepter. »<br />
« On accuse d'ignorance tout <strong>le</strong> moyen âge. Méprise<br />
étrange ! <strong>Des</strong> hommes illustres pâlissaient en étudiant<br />
l'Écriture et <strong>le</strong>s Pères, en approfondissant la théologie,<br />
sujet si vaste, si ardu, et que nos épicuriens, dans <strong>le</strong>ur<br />
ignorance, traitent <strong>avec</strong> une légèreté si niaise, sujet<br />
qui exigerait la durée d'une longue existence pour<br />
apprécier ses sublimes vérités, et sur <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> premier<br />
venu déci<strong>de</strong> pourtant si souverainement. »<br />
Si on citait au hasard quelques noms <strong>de</strong> cette<br />
époque, <strong>de</strong>puis saint Léon jusqu'à saint Thomas, on
Sfifi DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />
nommerait saint Grégoire <strong>le</strong> Grand, Cassiodoro nu<br />
cinquième et au sixième sièc<strong>le</strong>; saint Jean Damascène,<br />
<strong>le</strong> vénérab<strong>le</strong> Bè<strong>de</strong>, saint Isidore <strong>de</strong> Sévillc au septième;<br />
au huitième et au neuvième Alcuin, Hincmar,<br />
Rhaban-Maur ; Gcrbert au dixième ; saint Anselme,<br />
Lanfranc <strong>de</strong> Pavie, Pierre Damicn, etc., au onzième;<br />
saint Bernard, Abélard au douzième; Albert <strong>le</strong> Grand,<br />
saint Thomas, etc., au treizième. Plusieurs d'entre<br />
eux étaient <strong>de</strong> hardis penseurs, et tous philosophes,<br />
théologiens, et savants si profonds, que <strong>le</strong>urs détracteurs<br />
aujourd'hui auraient peine à <strong>le</strong>s pénétrer. La<br />
plupart à la dia<strong>le</strong>ctique, à la métaphysique, à certaines<br />
connaissances <strong>de</strong>s temps antiques, joignaient<br />
cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> plusieurs langues. Si <strong>le</strong>ur latin ne vaut pas<br />
celui d'Horace ou <strong>de</strong> Virgi<strong>le</strong>, il vaut souvent mieux<br />
que celui <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs critiques. S'ils par<strong>le</strong>nt <strong>de</strong> mirac<strong>le</strong>s<br />
et <strong>de</strong> prodiges dont ils furent témoins, <strong>de</strong> possédés<br />
délivrés, <strong>de</strong> pratiques magiques, qui faut-il en accuser,<br />
sinon la multiplicité <strong>de</strong>s faits? ce qui ne porte<br />
pas plus d'atteinte à <strong>le</strong>ur science que <strong>le</strong> scepticisme<br />
d'une autre époque concernant <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux n'en<br />
porte à la réalité <strong>de</strong> certaines découvertes physiques<br />
regardées longtemps comme impossib<strong>le</strong>s.<br />
On voyait partout, dit-on, tel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> et la<br />
magie, que Roger Bacon, cet homme supérieur, fut<br />
accusé d'être sorcier parce qu'il entrevit dans la nature<br />
ce que d'autres n'y avaient point vu, et enfin parce<br />
qu'il étudiait l'alchimie. — Ses explications physiques<br />
ou ses négations ont-el<strong>le</strong>s satisfait <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur?<br />
Ce n'est pas ici <strong>le</strong> lieu d'examiner si <strong>le</strong>s apparitions<br />
d'esprits sont expliquées dans Bacon par <strong>le</strong>s erreurs <strong>de</strong><br />
la vue et <strong>de</strong> l'ouïe; s'il suffit, pour expliquer <strong>le</strong> don <strong>de</strong><br />
divination, <strong>de</strong> dire que <strong>le</strong>s hommes diffèrent beaucoup<br />
<strong>le</strong>s uns <strong>de</strong>s autres, etc., si la perspicacité, si certaines
AVEC LE DÉMON. «567<br />
maladies peuvent faire prédire, etc., etc., Bncon avait<br />
un autre gui<strong>de</strong> qu'Aristote et <strong>le</strong>s matérialistes; l'Écriture<br />
même, philosophiquement parlant, lui donnait<br />
une solution plus satisfaisante que <strong>le</strong> philosophe <strong>de</strong><br />
Stagire. Bacon s'étonne qu'une vieil<strong>le</strong> sorcière puisse<br />
faire agir <strong>le</strong>s esprits, que Dieu <strong>le</strong> permette sans<br />
cause, etc.. — Qu'un homme du mon<strong>de</strong> ignorant<br />
cette matière s'exprime ainsi, rien d'étonnant; mais<br />
il en <strong>de</strong>vait être autrement d'un moine qui avait lu<br />
l'Écriture et <strong>le</strong>s Pères !... — « <strong>Le</strong>s illusions <strong>de</strong> la<br />
magie n'ont rien <strong>de</strong> réel, » dit Bacon. — Qui dit <strong>le</strong><br />
contraire? — Ce sont souvent <strong>de</strong>s prestiges sataniqucs,<br />
non <strong>de</strong>s récits mensongers...; mais en se rappelant<br />
<strong>le</strong>s faits, <strong>le</strong>ur réalité objective souvent aussi<br />
n'est que trop constante, surtout lorsqu'il y a contusions<br />
ou b<strong>le</strong>ssures... — Bacon dit n'avoir jamais rien<br />
vu ni pu voir... — Qu'importe à ceux qui ont vu et<br />
senti, et à <strong>le</strong>urs nombreux témoins! Tout cela prouve<br />
que Satan était plus fin que Bacon ; s'il se fût montré<br />
à ce franciscain, celui-ci n'eût sans doute pas écrit un<br />
livre si propre à favoriser l'incrédulité... — Quant aux<br />
connaissances physiques <strong>de</strong> Bacon, on ne <strong>le</strong>s nie point:<br />
il pressentit <strong>de</strong>s découvertes faites plus ou moins <strong>de</strong><br />
temps après lui...'— Mais c'est bien <strong>l'homme</strong> du progrès,<br />
donnant tête baissée dans <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>ries <strong>de</strong> l'antiquité,<br />
<strong>de</strong>venues <strong>de</strong>s nouveautés ; il a lu tous <strong>le</strong>s<br />
philosophes matérialistes hosti<strong>le</strong>s au surnaturalisme;<br />
mais <strong>le</strong>s opinions qu'il adopte n'ont pu ni faire oublier,<br />
ni remplacer la doctrine <strong>de</strong> l'Église et <strong>de</strong>s Pères,<br />
il na rien <strong>démon</strong>tré. Bacon s'infatua <strong>de</strong> l'astrologie,<br />
<strong>de</strong> l'alchimie; la première, comme science, était une<br />
extravagance; que déci<strong>de</strong>r, quand on est forcé d'admettre<br />
<strong>le</strong>s faits? il faut y voir, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s Pères, l'intervention<br />
d'une intelligence — L'alchimie, dans
f>08 DES «APPORTS DE I/HOMME<br />
certains cas, on <strong>le</strong> verra, pouvait rentrer dans la magie;<br />
donc <strong>le</strong> général <strong>de</strong> l'ordre pouvait répriman<strong>de</strong>r<br />
Bacon, et <strong>le</strong> punir s'il s'obstinait. Si ces prétendues<br />
sciences étaient naturel<strong>le</strong>s, Bacon <strong>de</strong>vait <strong>le</strong> prouver;<br />
disons-<strong>le</strong> hardiment, il eût été compris.<br />
En nous résumant : Bacon put être bon physicien<br />
pour son temps, bon astrologue, alchimiste, et partisan<br />
<strong>de</strong> la philosophie ; mais on peut douter qu'il fût bon<br />
théologien, et s'il connut <strong>le</strong>s arguments que fournissait<br />
la théologie contre <strong>le</strong>s idées matérialistes, Bacon<br />
s'obstinait alors dans un aveug<strong>le</strong>ment volontaire.<br />
<strong>Le</strong>s docteurs <strong>de</strong> l'Église, a-t-on dit, étaient <strong>de</strong>s mystiques<br />
exclusivement occupés <strong>de</strong> théologie, ennemis<br />
<strong>de</strong> toute idée neuve, <strong>le</strong>s méprisant sans <strong>le</strong>s connaître.<br />
— Saint Thomas avait étudié Aristote et lu <strong>le</strong>s philosophes<br />
arabes; il s'est peut-être môme montré trop<br />
faci<strong>le</strong>ment partisan <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs systèmes, quand il a parlé<br />
<strong>de</strong> l'ensorcel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s enfants par <strong>de</strong>s effluves échappées<br />
<strong>de</strong>s yeux irrités <strong>de</strong>s vieil<strong>le</strong>s femmes. Cependant<br />
saint Thomas ne pensait pas comme Bacon.<br />
Gcrson, né plus d'un sièc<strong>le</strong> après Bacon, avait lu <strong>le</strong>s<br />
philosophes matérialistes; ce ne fut point par ignorance<br />
qu'il adopta la doctrine <strong>de</strong> l'intervention <strong>de</strong>s esprits,<br />
mais parce qu'el<strong>le</strong> lui parut logique, outre sa source<br />
divine : ces hommes illustres du treizième et du<br />
quatorzième sièc<strong>le</strong> étaient fort supérieurs au vulgaire<br />
croyant, parce qu'ils pouvaient comparer <strong>le</strong>s doctrines,<br />
et fort supérieurs surtout aux incrédu<strong>le</strong>s qui déraisonnaient<br />
et aux épicuriens qui raillaient. Gerson<br />
explique l'aveug<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres. C'est<br />
une impiété, dit ce personnage aussi pieux que savant,<br />
et une erreur directement contraire aux saintes <strong>le</strong>ttres,<br />
que <strong>de</strong>nier que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s soient auteurs <strong>de</strong> plusieurs<br />
elléts surprenants...
AVEC LE DÉMON. 509<br />
« Ceux qui regar<strong>de</strong>nt ce qu'on en dit comme une<br />
fab<strong>le</strong>, et qui se moquent <strong>de</strong>s théologiens mériteraient<br />
une sévère correction...<br />
« Quelquefois même <strong>de</strong>s savants sont susceptib<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />
cette erreur, parce qu'ils laissent affaiblir <strong>le</strong>ur foi et<br />
obscurcir <strong>le</strong>s lumières naturel<strong>le</strong>s; <strong>le</strong>ur âme, tout occupée<br />
<strong>de</strong>s choses sensib<strong>le</strong>s, rapporte tout aux corps et,<br />
ne peut s'é<strong>le</strong>ver jusqu'aux esprits... Ce qui empêche<br />
si fort <strong>de</strong> trouver la vérité, c'est <strong>de</strong> rapporter tout aux<br />
sens... On en voit <strong>le</strong>s preuves chez <strong>le</strong>s saducéens et<br />
chez <strong>le</strong>s épicuriens, qui, n'admettant que ce qui est<br />
corporel, se trouvaient au nombre <strong>de</strong> ces insensés dont<br />
par<strong>le</strong> l'Ecclésiaste, qui ont poussé la folie jusqu'à ne<br />
pouvoir reconnaître qu'ils avaient une âme, et qu'il<br />
y a <strong>de</strong>s effets qui ne peuvent être produits que par <strong>de</strong>s<br />
esprits. » (Gerson, De erroribus a'rcn artern magicam,<br />
I. Dict.)<br />
Ainsi <strong>le</strong>s partisans <strong>de</strong> la doctrine <strong>de</strong> l'intervention<br />
<strong>de</strong>s esprits y restèrent fermement attachés ; nous verrons<br />
un jour combien il <strong>le</strong>ur était faci<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>démon</strong>trer<br />
l'absurdité <strong>de</strong>s systèmes <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs adversaires. — <strong>Le</strong>s<br />
théologiens étaient loin d'être <strong>de</strong>s mystiques crédu<strong>le</strong>s,<br />
plusieurs même étaient disposés à rejeter certains faits ;<br />
d'autres, outre l'étu<strong>de</strong> approfondie <strong>de</strong> ces mômes faits<br />
dans <strong>le</strong>s traités spéciaux, en avaient été eux-mêmes <strong>le</strong>s<br />
témoins; ils pouvaient donc s'adresser aux sceptiques<br />
et aux épicuriens, peu nombreux alors, et <strong>le</strong>ur montrer<br />
que ni <strong>le</strong>urs dénégations ni <strong>le</strong>urs rail<strong>le</strong>ries n'étaient<br />
capab<strong>le</strong>s d'ébran<strong>le</strong>r <strong>le</strong>urs convictions. Ces faits,<br />
étant certains, avaient une cause surnaturel<strong>le</strong> ou physique<br />
; dans l'un et l'autre cas el<strong>le</strong> méritait l'examen<br />
<strong>de</strong> tout homme sérieux. Vous niez comme absur<strong>de</strong>,<br />
pouvaient-ils dire aux uns, nous affirmons non-seu<strong>le</strong>ment<br />
comme possib<strong>le</strong>, mais comme réel; vous expli-
870 DES RAPPORTS DE L HOMME<br />
quez physiquement, nous vous <strong>démon</strong>trons que votre<br />
explication est ridicu<strong>le</strong>, pouvaient-ils dire aux autres ;<br />
vous vous targuez <strong>de</strong> votre science, nous nous présentons<br />
<strong>avec</strong> <strong>le</strong> doub<strong>le</strong> avantage <strong>de</strong> connaître toutee que vous<br />
savez, et môme ce que vous ne savez pas, — la science<br />
théologique, — que vous ignorez. Avec tous ces éléments<br />
propres à bien comparer, <strong>le</strong>s théologiens <strong>de</strong>vaient<br />
donc se croire aptes à bien juger et à conclure. Us signalaient<br />
enfin, môme chez ceux que la théologie eût pu<br />
éclairer, une autre cause d'aveug<strong>le</strong>ment bien puissante<br />
et fort propre à faire nier l'intervention satanique : ce<br />
sont <strong>le</strong>s passions intéressées à faire repousser la vérité<br />
qui déplaît; lorsqu'on s'est conduit <strong>de</strong> manière à laisser<br />
affaiblir sa foi, lorsqu'on s'est exclusivement livré aux<br />
choses matériel<strong>le</strong>s et finies, on ne saurait plus s'é<strong>le</strong>ver<br />
jusqu'à l'infini, jusqu'aux esprits. L'œil toujours fixé<br />
sur la terre s'éblouirait en regardant <strong>le</strong> ciel ; <strong>l'homme</strong><br />
matérialisé ne comprend plus ce qui est spirituel; s'il<br />
lui était possib<strong>le</strong> môme d'entrevoir la vérité qui l'effraye,<br />
il en détournerait son esprit, ou se hâterait <strong>de</strong><br />
se rappe<strong>le</strong>r ses sophismes.<br />
Néanmoins, à dater du treizième sièc<strong>le</strong>, la société va<br />
déjà se diviser en <strong>de</strong>ux camps dont <strong>le</strong>s doctrines seront<br />
fort opposées, et qui formeront <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux cités : cel<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />
Dieu et cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Satan : cette <strong>de</strong>rnière s'agrandira tous<br />
<strong>le</strong>s jours. <strong>Le</strong> progrès incontestab<strong>le</strong> <strong>de</strong>s sciences et <strong>de</strong>s<br />
arts aura <strong>le</strong> doub<strong>le</strong> résultat <strong>de</strong> matérialiser <strong>l'homme</strong> par<br />
<strong>le</strong>s jouissances du bien-être, et d'exciter son orgueil<br />
en <strong>le</strong> portant à croire que la science explique tout, ou<br />
du moins qu'el<strong>le</strong> pourra un jour tout expliquer. —Vint<br />
enfin l'imprimerie, qui propagea <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s doctrines<br />
nommées par <strong>le</strong>s uns lumières, et par d'autres ténèbres,<br />
erreurs funestes à la foi. Nous verrons bientôt, cependant,<br />
que la Provi<strong>de</strong>nce opposait un contre-poids à
AVEC LE DÉMON. 671<br />
l'invasion du matérialisme et <strong>de</strong> l'impiété" ; car, à dater<br />
du quinzième sièc<strong>le</strong>, la magie, la sorcel<strong>le</strong>rie et <strong>le</strong>s<br />
possessions eurent une tel<strong>le</strong> recru<strong>de</strong>scence, et sévirent<br />
si rigoureusement, que la société tout entière, plongée<br />
dans là consternation et l'épouvante, dut reconnaître<br />
l'intervention <strong>de</strong> l'antique ennemi du genre humain.<br />
FIN DU TOME PREMIER.
PRÉFACE<br />
ISTR0DL'CT10>"<br />
TABLE DES MATIÈRES<br />
LIVRE PREMIER<br />
CHAPITRE 1. — Essai sur l'origine <strong>de</strong> l'idolâtrie. — Oubli <strong>de</strong> la révé<br />
lation primitive. —Révélations opposées; Dieu ou <strong>de</strong>s dieux, lu<br />
mière et ténèbres, se sont substitués au premier principe méconnu<br />
par <strong>le</strong>s Gentils<br />
CHAP. II. — Intervention <strong>de</strong>s dieux, croyance aux esprits et aux pro<br />
diges. — Noms divers donnés aux attributs divins, etc. — La Divi<br />
nité représentée par <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong> bouc, <strong>le</strong> taureau, etc. — On<br />
attribne au serpent la paternité <strong>de</strong> plusieurs illustres personnages.<br />
— Symbo<strong>le</strong>s pris parmi <strong>le</strong>s êtres inanimés. — <strong>Le</strong> Phallus a pu en<br />
gendrer <strong>le</strong>s infamies <strong>de</strong>s mystères. — Feu sacré. — La Divinité se<br />
manifeste dans <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s. — Mystieisme pa'fen<br />
CHAP. III. — <strong>Des</strong> mystères. — <strong>Le</strong>ur antiquité. — Moralité <strong>de</strong>s mys<br />
tères. — Mystères, merveil<strong>le</strong>s qui s'y manifestaient. — Suite <strong>de</strong>s<br />
petits et <strong>de</strong>s grands mystères, etc. — Divers prodiges précédant ou<br />
accompagnant l'initiation ,<br />
CHAP. IV. — Anciens prêtres et prêtresses enfants <strong>de</strong>s dieux. — En<br />
thousiasme sacré, délire, fureur, etc. —• Apparition <strong>de</strong>s dieux. —<br />
Formes choisies pour apparaître. — Assemblées, ce qui s'y passait ;<br />
festins, musique, orgie. — Infamies ordonnées par <strong>le</strong>s dieux, copu-<br />
Jalions, etc. — <strong>Le</strong>s dieux animent <strong>le</strong>s simulacres, s'emparent <strong>de</strong>s<br />
êtres vivants. — <strong>Le</strong>s prêtres ont <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong>s faire <strong>de</strong>scendre<br />
dans <strong>le</strong>s statues<br />
CjiAi -<br />
. V. — Conjurations <strong>de</strong>s dieux. — <strong>Le</strong>s dévouements. — Révélations<br />
uti<strong>le</strong>s an bien-être matériel, etc. — <strong>Des</strong>'guérisons divines. — Invul<br />
nérabilité, incombustibililé. — <strong>Le</strong>s dieux accor<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s faveurs ou<br />
rln'iticul. — Divers moyens <strong>de</strong> connaître l'avenir.—La Provi<strong>de</strong>nce,<br />
<strong>le</strong> <strong>Des</strong>tin. — Présages. — Augurie. — Aruspicine. — <strong>Des</strong> songes.
TAULE i> '•: S M ATI HUES.<br />
— Astrologie. — Talismans, amu<strong>le</strong>ttes. — <strong>Des</strong> orac<strong>le</strong>!*. — ftérro-<br />
iiiancio ou orac<strong>le</strong>s rendus par <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts. — Doctrine <strong>de</strong>s<br />
Gentils sur l'origine <strong>de</strong>s amcs et <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>stination 7 1<br />
CHAI*. VI. — De la goétie ou magie malfaisante. — .Son origine se<br />
perd dans la nuit <strong>de</strong>s temps. — <strong>Le</strong>s croyances et <strong>le</strong>s pratiques <strong>de</strong><br />
théurgie et <strong>de</strong> goétie exposées précé<strong>de</strong>mment se retrouvent dans <strong>le</strong>s<br />
plus anciens auteurs <strong>de</strong> l'antiquité. —Faux sacerdoce, aperçu <strong>de</strong>là<br />
magie noire pratiquée par <strong>le</strong>s goétistes <strong>de</strong> l'antiquité avant notre ère.<br />
— La magie était punie ' 112<br />
LIVRE DEUXIEME<br />
CHAPITRE I. — De la philosophie chez <strong>le</strong>s Grecs. — On continue <strong>de</strong><br />
croire aux esprits, aux génies et aux prodiges. — <strong>Le</strong>s matérialistes,<br />
<strong>le</strong>s sceptiques. — Socrate et ses discip<strong>le</strong>s. — Socrate et. Platon. —<br />
Aristote. — Hippocrato. — Successeurs <strong>de</strong> Platon. — Successeurs<br />
d'Aristolc. — <strong>Le</strong>s péripalélieiens. — Epicure. — Zenon. — <strong>Le</strong>s<br />
stoïciens.— Déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la Grèce épicurienne et impie 135<br />
CHAI 1<br />
. 1!. — La philosophie grecque chez <strong>le</strong>s llomains. —• Epieurisuie<br />
chez <strong>le</strong>s Romains. — Du stoïcisme chez <strong>le</strong>s Romains. — h'xistcnco et<br />
provi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s dieux prouvées par la divination, <strong>le</strong>s songes, etc. —<br />
L'Académie chez <strong>le</strong>s Romains, — Réfutation du stoïcisme. — Réfu<br />
tation <strong>de</strong> I'épicurismc. — Réfutation du stoïcisme par Colla. —<br />
Quelques réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong>s réfutations <strong>de</strong> Cicéron Ifi3<br />
CHAP. III. — Résultats <strong>de</strong> la philosophie chez <strong>le</strong>s Romains. — L'incré<br />
dulité et l'impiété <strong>de</strong>venues une <strong>de</strong>s causes <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur déca<strong>de</strong>nce l!)(i<br />
CIIAP. IV. — <strong>Le</strong>s prodiges continuent <strong>de</strong>puis los premiers sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong>,<br />
notre ère jusqu'au cinquième. — Statues animées. —• Divinations<br />
diverses. — Métamorphose». — Orac<strong>le</strong>s. — Magie malfaisante. —<br />
Présages, prodiges.—Enthousiasme, fureur sacrée, extase, vue à<br />
distance, etc.—<strong>Le</strong>s dieux s'emparent <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, possessions. —<br />
Astrologie. — Aruspicinc, auguric. —Guérisons divines. — Lucrèce.<br />
— Pline 109<br />
CHAP. V. — Retour aux vieil<strong>le</strong>s doctrines spirilualistes. —» Examen <strong>de</strong>s<br />
faits merveil<strong>le</strong>ux, discussion <strong>de</strong> Plutarque. — Plutarque, — Causo<br />
<strong>de</strong> la cessation <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s. — Apulée. — Incrédulité et ignorance<br />
<strong>de</strong>s prêtres païens ; ils contrefont <strong>de</strong>s prodiges , 232<br />
LIVRE TROISIÈME<br />
CHAPITRE 1. — Origine du néoplatonisme. — tëeolc d'A<strong>le</strong>xandrie. Ba<br />
doctrine — Mosaïsnic; ses traditions, ses croyances. — Compa<br />
raison <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux doctrines. — Puissance <strong>de</strong>s osprils d'après l'Ancien<br />
Testament 2I<br />
CUAP. H. — Avènement du médiateur attendu chez toutes <strong>le</strong>s nations.<br />
— <strong>Le</strong> matérialisme et <strong>le</strong>s négations <strong>de</strong> I'épicurismc <strong>de</strong>venus impos-
TABLE DES MAT) EUES. •')7;i<br />
siblcs après <strong>le</strong>s nombreux mirac<strong>le</strong>s du christianisme. —''<strong>Le</strong> m'opia-<br />
lonismc s'établit et multiplie ses prodiges (troisième et quatrième<br />
sièc<strong>le</strong>s), Ammonius, Plotin, etc. — Théurgie ; à quel signe on dis<br />
tinguait <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s mauvais esprits. — Variétés d'opinions entre<br />
Plotin, Porphyre, Jamblique, etc. — <strong>Des</strong> objets animés par la Di<br />
vinité, et surtout <strong>de</strong>s talismans. —Est-il bien constant que <strong>le</strong>s néo<br />
platoniciens crussent à tant <strong>de</strong> prodiges. — Julien, Maxime, Liba<br />
nius, etc.; <strong>le</strong>urs pratiques superstitieuses. — Chute du paganisme.. 278<br />
LIVRE QUATRIÈME<br />
CHAPITRE 1. — Exposé sommaire <strong>de</strong>s causes qui firent triompher <strong>le</strong><br />
christianisme. — Exposé <strong>de</strong>s attaques <strong>de</strong>s apologistes contre <strong>le</strong> paga<br />
nisme. — Preuves spéculatives <strong>de</strong>s apologistes. — Lactance (Drs<br />
Institutions divines). — Tertullien. — Eusèbe. — Saint Augustin.<br />
— MinuciusFélix. —Clément d'A<strong>le</strong>xandrie. — SaiiiUustln. — Salut<br />
C.yprien. — Résumé. — Preuves matériel<strong>le</strong>s, expulsion <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
qui se faisaient passer pour dos dieux.— Ces faits étaient connus <strong>de</strong><br />
la plupart <strong>de</strong>s païens, qui pouvaient eux-mêmes l'attester et se conver<br />
tissaient. — <strong>Le</strong> signe <strong>de</strong> la croix , plusieurs l'attestaient, suffisait<br />
pour chasser <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />
CHAI-. II. — Doctrine <strong>de</strong> l'Église sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s; <strong>le</strong>urs mœurs, <strong>le</strong>urs<br />
prestiges, <strong>le</strong>urs divers prodiges, etc. — Divinations. — Guérisons.<br />
— Bruits, cris, apparitions, vexations, possessions. — Continuation<br />
du même sujet, orac<strong>le</strong>s, astrologie. — Présages. — Magie. — Au-<br />
gurie. — Délire sacré. — Nécromancie. — Songes. — Transfor<br />
mations. — Amours impurs <strong>de</strong>s dieux<br />
CHAP. III. — <strong>Des</strong> hérésies, d'où viennent-el<strong>le</strong>s? — Hérésiarques <strong>de</strong>s<br />
premiers sièc<strong>le</strong>s. — Simon. — Ménandre. — Marcion. — Marc. —<br />
Montanisme. — Basili<strong>de</strong>. — Manichéisme , Manès. — <strong>Le</strong>s Gnos<br />
tiques, etc. — Réf<strong>le</strong>xions Bur <strong>le</strong>s hérésies, sentiments <strong>de</strong>s Pères sur<br />
<strong>le</strong>s hérétiques et <strong>le</strong>urs prodiges. — Supplément, la Caba<strong>le</strong><br />
CHAP. IV. — Châtiments infligés par <strong>le</strong>s magistrats aux goétistes jus<br />
qu'au cinquième sièc<strong>le</strong>; <strong>le</strong>s théurgistes, après,Julien, ne furent point<br />
épargnés. —Pénitence imposée par l'Église durant cette pério<strong>de</strong>...<br />
LIVRE CINQUIÈME<br />
CHAPITRE l. — Exposé <strong>de</strong> la magie du cinquième au quinzième sièc<strong>le</strong>;<br />
introduction <strong>de</strong> la magie ou sorcel<strong>le</strong>rie au moyen Age. — Assemblées<br />
nocturnes, sabbat.—Châtiments infligés par l'Église du cinquième<br />
au quinzième sièc<strong>le</strong>. — Lois criminel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'Ëlat, plus sévères.... 4u'3<br />
CAAP, II. — Exposé succinct <strong>de</strong>s branches <strong>de</strong> la magie durant la pé<br />
rio<strong>de</strong> du quatrième au quinzième sièc<strong>le</strong>. — Assemblées, subbal. —<br />
Maléfices. — Magic prestigieuse. — <strong>Des</strong> divers moyens <strong>de</strong> connaître<br />
l'avenir et <strong>le</strong>s choses cachées, présages, songes. — Inspirations, se-<br />
320<br />
387<br />
423<br />
454
TAULE DES MATIÈRES.<br />
cou<strong>de</strong>, vue, clc. — Astrologie, talismans.— <strong>Des</strong> ('preuves au mmn<br />
«fie; eproines |iar lo feu. — Kpicines par l'eau. —Stiilc <strong>de</strong>s sup".-<br />
tilinns et faits ma^'upics au moyen âge, mé<strong>de</strong>cine n'im-anlaliim.<br />
— Imasions diaboliques. — <strong>Des</strong> incubes et succubes. — Inlcs-<br />
lations <strong>de</strong>s maisons par <strong>le</strong>s esprits. — Obsessions.— Possessions...<br />
CHAV. JII. — Introduction <strong>de</strong>s doctrines païennes aux dotiziimc cl<br />
treizième sièc<strong>le</strong>s. — On veut déjà réformer. — Hérésies. — <strong>le</strong>s<br />
Templiers. — IVancs-maçons. — Albigeois. — <strong>Le</strong>s l'ails magique."<br />
mieux connus seront moins nies. — Tendance do retour au\ dnr-<br />
irinrs <strong>de</strong> l'antiquité païenne. — Roger ltacnn et autres adoptent<br />
<strong>le</strong>s systèmes matérialistes<br />
(iliAe. IV. — Hoclrinc <strong>de</strong> l'Kylisusur <strong>le</strong>s phénomènes alli'ibiiés aux dé<br />
nions par <strong>le</strong>s spiritualistes, et à <strong>de</strong>s causes physiques par <strong>le</strong>s nou<br />
veaux inalérialislos. —Implications <strong>de</strong>s opérations (<strong>le</strong> Salan dans<br />
col<strong>le</strong> pério<strong>de</strong>. — SainL Thomas. — Implication <strong>de</strong>s apparilinns par<br />
saint 'l'hoinas. —l,e. même, <strong>de</strong>s superstitions.— <strong>Le</strong> même, (<strong>le</strong>s pln-<br />
laclères. — <strong>Le</strong> mémo, <strong>de</strong>s soutes. — Lo même, magie liionl'ais.'inlc.<br />
— <strong>Le</strong> même, maléfices. — <strong>Le</strong> même, giicnstins. — <strong>Le</strong> mémo, <strong>de</strong><br />
l'âme el <strong>de</strong>, ses puissances.— <strong>Le</strong> mémo, copulations (lialioliipies. —<br />
lïcflcvions<br />
TIN M-, t.A TAUI.l', DU TOMI-. !' lll'.MI lilt.<br />
l'ans. T\|>. <strong>de</strong> l'.-A. UULUDICH etl>', rue Alnzarine, 30.