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Des rapports de l'homme avec le démon (tome 1) - Le Vigilant

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DES RAPPORTS<br />

DE<br />

L'HOMME<br />

A V K C<br />

LE DÉMON<br />

ESSAI HISTORIQUE ET PHILOSOPHIQUE<br />

r A «<br />

JOSEPH BIZOUARD<br />

TOME PREMIER<br />

PARIS<br />

GAUME FRÈRES ET J. DUPREY, ÉDITEURS<br />

RCE CASSETTE, -i<br />

1863


DES RAPPORTS<br />

DE L'HOMME<br />

AVEC LE DÉMON


PRÉFACE<br />

Rien, dans notre sièc<strong>le</strong>, ne rencontre autant d'hostilité,<br />

ne provoque autant la rail<strong>le</strong>rie, que <strong>le</strong> surnaturel<br />

; aussi rien <strong>de</strong> plus commun que l'impiété. Déci<strong>de</strong>r<br />

cependant que <strong>le</strong> surnaturel est absur<strong>de</strong>, c'est saper<br />

la religion, c'est détruire sa base et en faire une invention<br />

purement humaine. Ainsi <strong>le</strong>s gens religieux, qui<br />

tiennent peu <strong>de</strong> compte <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s, ont moins <strong>de</strong><br />

logique que <strong>le</strong>s impies.<br />

<strong>Le</strong> mon<strong>de</strong> invisib<strong>le</strong> présente <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> prodiges<br />

: <strong>le</strong>s faits surnaturels, qui suspen<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s lois<br />

physiques ; et <strong>le</strong>s faits surhumains, résultant <strong>de</strong> l'emploi<br />

<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières pour opérer <strong>de</strong>s actes supérieurs<br />

à tout pouvoir humain.<br />

Si <strong>le</strong> surnaturel prouve l'existence d'un souverain<br />

être, <strong>le</strong> surhumain <strong>démon</strong>tre l'existence d'êtres inférieurs<br />

infiniment plus puissants que <strong>l'homme</strong>; l'étu<strong>de</strong><br />

qui prouve l'un et l'autre est donc éminemment importante<br />

, puisqu'el<strong>le</strong> met sous nos yeux une doub<strong>le</strong><br />

vérité fort ancienne : Dieu se révélant par <strong>de</strong>s mira-<br />

j. a


II<br />

PRÉFACE.<br />

<strong>de</strong>s; <strong>de</strong>s ôtres invisib<strong>le</strong>s se révélant par <strong>de</strong>s prodiges<br />

séductoiirs. Ce qui n'est pas moins important, c'est <strong>de</strong><br />

discerner <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s prodiges, puisque, si <strong>le</strong>s<br />

premiers sont <strong>le</strong> résultat d'un rapport entre Dieu et<br />

<strong>l'homme</strong>, ces <strong>de</strong>rniers sont éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> résultat d'un<br />

rapport <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s esprits trompeurs qui se font passer<br />

pour <strong>de</strong>s dieux.<br />

La gran<strong>de</strong> objection <strong>de</strong>s incrédu<strong>le</strong>s, c'est que <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />

sont un non-sens, Dieu ne pouvant ni suspendre<br />

ni changer ses lois : — <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> ceux qui admettent<br />

un Dieu puissant, intelligent et libre, cette objection<br />

est une ineptie; <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> ceux qui supposent<br />

que Dieu est i<strong>de</strong>ntique <strong>avec</strong> la nature, c'est <strong>le</strong> panthéisme,<br />

monstruosité dont la réfutation ne peut trouver<br />

sa place ici.<br />

Une autre objection, c'est qu'on ne peut concevoir<br />

que <strong>de</strong>s esprits puissent avoir action sur la matière ;.<br />

objection aussi puéri<strong>le</strong> que cel<strong>le</strong> d'un pauvre aveug<strong>le</strong><br />

qui voudrait raisonner sur <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs. Un homme<br />

atteint <strong>de</strong> cécité accepte sans raisonner ce que lui<br />

disent ceux qui ont <strong>de</strong> bons yeux ; pourquoi refuser la<br />

môme confiance à cette masse d'hommes éclairés par<br />

l'expérience et l'étu<strong>de</strong>, qui, dans tous <strong>le</strong>s temps, ont<br />

affirmé l'existence <strong>de</strong>s esprits?<br />

Admettons par hypothèse qu'il existe une î<strong>le</strong> inconnue<br />

qui ne soit habitée que par <strong>de</strong>s aveug<strong>le</strong>s : un<br />

voyageur jouissant <strong>de</strong> tous ses sens est jeté par la<br />

tempête au milieu <strong>de</strong> ces aveug<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong> naufragé <strong>le</strong>ur<br />

révè<strong>le</strong> <strong>le</strong>s merveil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la vision, et <strong>le</strong>ur dit : « Au<br />

moyen du sens qui vous manque, j'aperçois à dix, à<br />

vingt lieues et à <strong>de</strong>s distances plus gran<strong>de</strong>s encore,


PRÉFACE. 111<br />

<strong>de</strong>s montagnes, <strong>de</strong>s rochers, <strong>de</strong>s villages ; ce n'est pas<br />

ma main qui s'allonge, nul<strong>le</strong> partie <strong>de</strong> mon être ne<br />

va chercher ces objets qui restent eux-mêmes à <strong>le</strong>ur<br />

place, et pourtant, malgré la gran<strong>de</strong> distance qui m'en<br />

sépare, je las perçois, ils sont présents pour moi. » —<br />

Comme pour ces aveug<strong>le</strong>s percevoir ainsi n'est autre<br />

chose que toucher, malgré cette affirmation, ils <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ront,<br />

en hochant la tête, <strong>de</strong>s preuves, <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>strations,<br />

ce que <strong>le</strong> voyageur ne pourra <strong>le</strong>ur donner,<br />

et, fût-il accompagné <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ou trois personnes<br />

pourvues <strong>de</strong> bons yeux, affirmant comme lui, nos<br />

aveug<strong>le</strong>s supposeront que ce sont <strong>de</strong>s compères. —<br />

« Indépendamment <strong>de</strong> ces perceptions, <strong>le</strong>ur dira-t-il, je<br />

saisis dans <strong>le</strong>s objets ce que nous appelons, dans ma<br />

patrie, <strong>de</strong>s cou<strong>le</strong>urs, <strong>de</strong>s nuances, et mil<strong>le</strong> détails<br />

merveil<strong>le</strong>ux — Il <strong>de</strong>viendrait inuti<strong>le</strong> qu'il <strong>le</strong>ur parlât<br />

<strong>de</strong> la décomposition <strong>de</strong> la lumière, du spectre solaire,<br />

<strong>de</strong>s réfractions, etc., etc., ce serait peine perdue. —<br />

« Avez-vous assez plaisanté? lui répon<strong>de</strong>nt ces pauvres<br />

infirmes; nous prenez-vous pour <strong>de</strong>s idiots, ou bien<br />

vos malheurs vous auraient-ils dérangé <strong>le</strong> cerveau?...»<br />

Notre voyageur, qui a trouvé <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> quitter<br />

l'î<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Aveug<strong>le</strong>s, après <strong>de</strong> longs mois <strong>de</strong> navigation,<br />

est encore jeté par la tempête dans l'î<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Sourds; il<br />

apprend chez ceux-ci un alphabet qui <strong>le</strong>ur permet <strong>de</strong><br />

converser entre eux, et, en <strong>le</strong>ur parlant <strong>de</strong> son pays,<br />

il ne manque pas <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur révé<strong>le</strong>r la faculté <strong>de</strong> l'ouïe,<br />

dont tous <strong>le</strong>s habitants, chez lui, sont pourvus. —<br />

« Un homme, <strong>le</strong>ur dit-il, s'adresse d'un lieu é<strong>le</strong>vé à la<br />

fou<strong>le</strong> compacte qui l'entoure, et, en remuant ses<br />

lèvres, il l'ait vibrer l'air, et <strong>le</strong>s on<strong>de</strong>s sonores, dans


IV PRÉFACE.<br />

un rayon <strong>de</strong> quelques centaines <strong>de</strong> pas, vont frapper<br />

<strong>le</strong> tympan <strong>de</strong> chaque auditeur, remuent un cordon<br />

nerveux qui aboutit au cerveau, et arrivent ainsi à<br />

l'âme pensante ; alors chacun d'entre eux perçoit, non<br />

<strong>de</strong>s vibrations confuses, mais <strong>de</strong>s pensées* enfin cette<br />

fou<strong>le</strong> émue, frémissante, éprouve, à la volonté <strong>de</strong><br />

celui qui remue ainsi <strong>le</strong>s lèvres, la crainte, l'espérance,<br />

l'audace, la tristesse, la joie, etc. — « Comment,<br />

répondront ces sourds, ces molécu<strong>le</strong>s d'air qui<br />

s'entre-croisent, qui s'agitent tumultueusement dans<br />

l'espace pourraicnt-ciïcs parvenir à l'oreil<strong>le</strong> <strong>de</strong> chacun,<br />

nettes, sans se mê<strong>le</strong>r, et être <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> pensées?<br />

c'est absur<strong>de</strong>! — « Rien <strong>de</strong> plus vrai, réplique l'étranger;<br />

ce phénomène, dans la région que j'habite, est si<br />

commun, qu'on n'y fait pas même attention. » — Vainement<br />

dirait-il à ces pauvres sourds qu'il se trouve par<br />

exception dans sa patrie quelques individus atteints<br />

comme eux <strong>de</strong> la même infirmité, qui se ren<strong>de</strong>nt<br />

cependant au témoignage <strong>de</strong> ceux qui enten<strong>de</strong>nt. Ces<br />

sourds persisteront dans <strong>le</strong>ur incrédulité, parce qu'ils<br />

sont plusieurs centaines <strong>de</strong> mil<strong>le</strong> contre un seul.<br />

N'en est-il pas <strong>de</strong> môme parmi nous concernant <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s esprits? — Dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s spiritualistcs,<br />

quand <strong>de</strong>s millions <strong>de</strong> témoignages affirmaient son existence,<br />

qui eût osé douter?— <strong>Le</strong>s sourds et <strong>le</strong>s aveug<strong>le</strong>s<br />

spirituels se rendaient aisément; c'est <strong>le</strong> contraire dans<br />

<strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s matérialistes : la fou<strong>le</strong>- <strong>de</strong> ces pauvres infirmes,<br />

confiante dans son grand nombre, rejette <strong>avec</strong><br />

dédain l'enseignement <strong>de</strong> ceux qui sont pourvus<br />

d'yeux et d'oreil<strong>le</strong>s, et nie l'audition et la vision qu'el<strong>le</strong><br />

ne saurait comprendre.


PRÉFACE. V<br />

Laissons là <strong>le</strong>s figures. — Après un long temps <strong>de</strong><br />

matérialisme, peut-on espérer <strong>le</strong> retour du spiritualisme,<br />

c'est-à-dire <strong>le</strong> retour <strong>de</strong> ces temps où <strong>le</strong>s masses<br />

affirmaient l'action <strong>de</strong>s esprits, et où ceux qui étaient<br />

disposés à <strong>le</strong>s nier n'osaient <strong>le</strong> faire, <strong>de</strong> peur <strong>de</strong> révé<strong>le</strong>r<br />

une infirmité qui ne <strong>le</strong>s atteignait que par exception?<br />

— Je l'ignore; ce que je sais, c'est qu'il y a dix<br />

ans à peine, tout homme qui eût avoué sa croyance<br />

aux apparitions d'esprits et à <strong>le</strong>ur action sur la matière<br />

eût passé pour un cerveau bien mala<strong>de</strong> ; on aurait pu<br />

recueillir <strong>le</strong>s voix, et ceux même qui auraient en secret<br />

partagé sa croyance auraient porté sur lui <strong>le</strong> même<br />

jugement. Aujourd'hui, malgré <strong>le</strong>s causes qui ont modifié<br />

<strong>le</strong>s opinions <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> savants, <strong>le</strong>s masses veu<strong>le</strong>nt<br />

toujours paraître esprits forts, car la fausse lumière<br />

<strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s matérialistes luit <strong>de</strong>puis longtemps pour<br />

tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>; cependant un retour au spiritualisme<br />

semb<strong>le</strong> évi<strong>de</strong>nt.<br />

Je m'étais souvent <strong>de</strong>mandé comment une croyance<br />

si universel<strong>le</strong>, qui fut naguère cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s plus grands<br />

génies, était tombée dans un tel mépris, que <strong>de</strong>puis <strong>le</strong><br />

savant jusqu'au <strong>de</strong>rnier rustre, tous ont osé <strong>le</strong>s accuser<br />

ensuite d'une sotte crédulité ? Quel<strong>le</strong> logique, quel<strong>le</strong>s<br />

sciences, — me disais-je, — ont pu <strong>démon</strong>trer que<br />

nos pères, moins bons chimistes et bons physiciens que<br />

nous, mais infiniment meil<strong>le</strong>urs théologiens et métaphysiciens<br />

, se soient si stupi<strong>de</strong>ment trompés sur un<br />

sujet aussi peu connu <strong>de</strong> nos jours? — Trop naïf<br />

admirateur <strong>de</strong> mon sièc<strong>le</strong>, je ne savais que répondre,<br />

et je me rangeais un peu en traînard sous sa bannière,<br />

lorsqu'en 1841 <strong>le</strong> hasard fit tomber entre mes


VI PRÉFACE.<br />

mains, pour la première fois, trois ouvrages dont <strong>le</strong>s<br />

auteurs sont <strong>de</strong>puis longtemps flétris pour <strong>le</strong>ur crédulité<br />

et <strong>le</strong>ur cruauté : — <strong>de</strong> Lancre, conseil<strong>le</strong>r au par<strong>le</strong>ment<br />

<strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux; — Rcmi, procureur général du duc<br />

<strong>de</strong> Lorraine, et Bodin, avocat au par<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> Paris.<br />

Tous ont composé <strong>de</strong>s traités où ils ont voulu <strong>démon</strong>trer,<br />

par <strong>de</strong>s faits qu'ils avaient eu à examiner, l'existence<br />

<strong>de</strong>s esprits, <strong>de</strong> la magie, et la nécessité <strong>de</strong> la<br />

punir. Sujets <strong>de</strong>puis longtemps honnis ; livres dont la<br />

<strong>le</strong>cture est rebutante à cause <strong>de</strong> la vétusté du langage,<br />

et surtout <strong>de</strong>s extravagances, <strong>de</strong>s folies, <strong>de</strong>s atrocités,<br />

dit-on, qu'ils renferment; livres <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s d'ignorance<br />

enfin, qu'il faut jeter au feu.<br />

La curiosité, qui me <strong>le</strong>s fit acheter, me donna <strong>le</strong><br />

courage <strong>de</strong> <strong>le</strong>s lire; je <strong>le</strong> fis <strong>avec</strong> la défiance que <strong>de</strong>vait<br />

éprouver tout <strong>le</strong>cteur qui ne connaissait que <strong>le</strong> nom<br />

exécré <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs auteurs. Autant frappé du ton <strong>de</strong> conviction<br />

<strong>de</strong> ceux-ci que <strong>de</strong>s faits qu'ils rapportent, je<br />

pensais, malgré moi, que tout ne pouvait y être mensonge<br />

ou erreur; plusieurs faits me semblèrent si bien<br />

prouvés, que, refusant comme mes contemporains <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>s attribuer aux agents d'un mon<strong>de</strong> invisib<strong>le</strong>, je supposai<br />

qu'il y avait un fond <strong>de</strong> vérité <strong>avec</strong> beaucoup<br />

d'exagération. Marchant dans cette voie, je voulus,<br />

sans oser <strong>le</strong> dire, connaître d'autres traités, non moins<br />

méprises, sur la même matière. La même conviction<br />

s'y manifestait, <strong>le</strong>s mêmes prodiges <strong>avec</strong> toutes <strong>le</strong>urs<br />

horreurs y étaient retracés; bref, plus j'avançais, plus<br />

je découvrais qu'il faudrait nier <strong>le</strong>s témoignages <strong>de</strong>s<br />

anciens jurisconsultes, <strong>de</strong>s philosophes et <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins,<br />

comme étant tous <strong>de</strong>s niais ou <strong>de</strong>s fourbes, car


PRÉFACE. VII<br />

tous- exprimaient <strong>de</strong> même. Cotait une conviction<br />

inébranlab<strong>le</strong>, reposant sur <strong>de</strong>s faits nombreux qui<br />

n'ont trouvé dans <strong>le</strong>ur temps pour contradicteurs que<br />

quelques impies ou quelques épicuriens. Je voulus<br />

savoir ce que pensaient l'Église et ses docteurs. —<br />

C'était la même croyance, ou, si l'on veut, la même<br />

crédulité. La doctrine est restée invariab<strong>le</strong>. — De recherches<br />

en recherches, remontant aux sièc<strong>le</strong>s antérieurs<br />

à notre ère, je trouvai chez <strong>le</strong>s nations <strong>le</strong>s plus<br />

civilisées toujours <strong>le</strong>s mêmes faits, et <strong>de</strong>s châtiments<br />

sévères infligés à <strong>le</strong>urs auteurs. De toute nécessité il<br />

fallait déci<strong>de</strong>r que <strong>le</strong> dix-huitième sièc<strong>le</strong> était la<br />

gran<strong>de</strong> lumière qui avait illuminé <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, et qu'avant<br />

lui ce n'étaient encore que • ténèbres ; il <strong>le</strong> fallait,<br />

ou dire que lui-même se trompait. Mais c'était<br />

attaquer <strong>le</strong>s philosophes do ce sièc<strong>le</strong>, si généra<strong>le</strong>ment<br />

admirés il y a peu d'années encore : j'avoue que cela<br />

m'eût peu coûté, ils ne m'inspiraient pas p<strong>le</strong>ine confiance,<br />

car <strong>le</strong>urs négations, <strong>le</strong>urs plaisanteries, <strong>le</strong>s altérations<br />

qu'ils faisaient subir dans <strong>le</strong>urs écrits à ceux que<br />

j'avais lus, <strong>le</strong>urs plaidoyers .passionnés en faveur d'une<br />

secto naguère' universel<strong>le</strong>ment détestée, <strong>le</strong>ur impiété,<br />

<strong>le</strong>s attaques qu'ils livraient aux personnes et aux<br />

choses <strong>le</strong>s plus respectab<strong>le</strong>s, me causaient <strong>de</strong> la défiance;<br />

je voyais un parti pris <strong>de</strong> faire main basse sur<br />

tous <strong>le</strong>s faits dits surnaturels, quel qu'en fût l'agent.<br />

Poursuivant mes recherches, en parcourant <strong>le</strong>s traités<br />

sur <strong>le</strong>s cultes antiques, je voyais qu'ils avaient aussi<br />

<strong>le</strong>urs prodiges, ce qui me scandalisait, puisque je trouvais<br />

<strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>s religions fausses comme dans<br />

la religion qui se dit seu<strong>le</strong> vraie; je sentais qu'un culte


VIII PRÉFACE.<br />

vrai a besoin <strong>de</strong> prodiges vrais ; quel<strong>le</strong> que soit la beauté<br />

<strong>de</strong> sa mora<strong>le</strong>, il faut nécessairement que <strong>le</strong> surnaturel<br />

lui donne sa sanction, sinon ce n'est plus qu'une invention<br />

humaine : donc, en <strong>le</strong> supprimant, en prouvant<br />

qu'il n'est pas, la religion se trouve minée par sa base,<br />

et la mora<strong>le</strong> perd sa puissance sur <strong>le</strong> for intérieur.<br />

L'honneur reste sans doute; mais s'il s'oppose à certaines<br />

fautes publiques, il a pou <strong>de</strong> pouvoir contre<br />

cel<strong>le</strong>s qui sont secrètes, et aucun môme contre d'autres<br />

non moins graves que <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> pardonne aisément.<br />

En remarquant <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux partout, chez <strong>le</strong>s Gentils<br />

comme chez <strong>le</strong>s [Juifs et chez <strong>le</strong>s chrétiens, je disais<br />

: Dieu n'a pu comman<strong>de</strong>r ici ce qu'il défend là; il<br />

ne peut donc être partout l'auteur <strong>de</strong>s prodiges. Il faut<br />

absolument déci<strong>de</strong>r que ce sont <strong>de</strong>s fourberies humaines,<br />

ou admettre que tous ces prodiges n'émanent<br />

pas tous d'une source divine. Il fallait, avant d'examiner<br />

la nature <strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong>s idolâtres et la nature<br />

<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s chrétiens, savoir d'abord si tous n'étaient<br />

pas do pures jong<strong>le</strong>ries ; ce que j'avais lu dans nos Livres<br />

saints et dans <strong>le</strong>s auteurs qui en ont fait une étu<strong>de</strong><br />

spécia<strong>le</strong> , ce que je connaissais <strong>de</strong>s religions antiques,<br />

ce que j'avais vu dans <strong>le</strong>s traits relativement<br />

mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong> la sorcel<strong>le</strong>rie me montrait partout la<br />

bonne foi et une p<strong>le</strong>ine conviction. Mais j'avais remarqué<br />

que <strong>le</strong>s Gentils étaient infiniment plus moraux<br />

que <strong>le</strong>urs dieux, dont <strong>le</strong>s prodiges étaient ridicu<strong>le</strong>s,<br />

grotesques et parfois horrib<strong>le</strong>ment hi<strong>de</strong>ux et presque<br />

toujours condamnab<strong>le</strong>s; je remarquais enfin qu'il existait<br />

entre ces <strong>de</strong>rniers et ceux <strong>de</strong> la sorcel<strong>le</strong>rie une


PRÉFACE. IX<br />

analogie frappante. Forcé d'admettre la réalité du<br />

merveil<strong>le</strong>ux <strong>de</strong> la magie, non-seu<strong>le</strong>ment je conclus<br />

à la possibilité du merveil<strong>le</strong>ux du paganisme, mais je<br />

vis que ces prodiges se prouvaient si bien mutuel<strong>le</strong>ment,<br />

qu'il fallait tout nier ou tout admettre. <strong>Le</strong> premier<br />

parti, après <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s sérieuses, me <strong>de</strong>venant<br />

impossib<strong>le</strong>; il ne me restait que celui d'accepter.—<br />

<strong>Le</strong> christianisme admettait lui-môme <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong><br />

la magie comme ceux <strong>de</strong> l'idolâtrie; j'examinai ses<br />

arguments, sa doctrine et môme ses mirac<strong>le</strong>s, dont<br />

l'éclat me frappa : j'y vis une supériorité si marquée<br />

sur <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s idolâtres et <strong>de</strong>s magiciens, que<br />

tout ce qui m'avait embarrassé s'évanouissait; <strong>de</strong>s<br />

mirac<strong>le</strong>s divins avaient fondé la vraie religion ; puis<br />

<strong>l'homme</strong>, libre <strong>de</strong> s'aveug<strong>le</strong>r, avait choisi l'idolâtrie,<br />

séduit par <strong>de</strong>s prodiges qui lui plairont dans tous <strong>le</strong>s<br />

temps, parce qu'ils satisfont sa curiosité, ses passions<br />

et son amour du bien-être.<br />

Il restait à faire une étu<strong>de</strong> très-importante et peutêtre<br />

plus diffici<strong>le</strong> : prodiges et mirac<strong>le</strong>s pourraient, ii<br />

la rigueur, n'être ni divins ni diaboliques; n'existerait-il<br />

pas <strong>de</strong>s lois physiques occultes, une certaine<br />

puissance dans l'âme, dans l'imagination? Certaine<br />

surexcitation ou exaltation ne pourrait-el<strong>le</strong> rendre raison<br />

naturel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> faits universel<strong>le</strong>ment<br />

admis comme constants? — Toutes ces explications<br />

ont été essayées, mais un examen attentif et sans prévention<br />

m'en a <strong>démon</strong>tré la fausseté. — L'antiquité<br />

avait eu ses philosophes matérialistes, qui ne réussirent<br />

qu'à entasser mil<strong>le</strong> absurdités, tel<strong>le</strong>s que l'on ose<br />

à peine <strong>le</strong>s rapporter. Ceux qui <strong>le</strong>s suivirent, et d'au-


X PRÉFACE.<br />

très, fort mo<strong>de</strong>rnes, ont puisé chez <strong>le</strong>s premiers une<br />

gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> ces vieil<strong>le</strong>s inepties, et <strong>le</strong>urs idées aujourd'hui,<br />

quoique fort savantes, — qu'ils nous <strong>le</strong> pardonnent,<br />

— ne sont pas moins ridicu<strong>le</strong>s. Il fallait donc<br />

forcément arriver <strong>avec</strong> l'Église à une conclusion logique<br />

: l'existence du surnaturel divin et du surhumain<br />

diabolique. Tout alors s'expliquait : Jupiter, Pluton et<br />

Satan ont fait <strong>de</strong>s prodiges; Dieu seul fait <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s.—Toutes<br />

mes preuves <strong>de</strong> diverses natures étant<br />

éparses dans <strong>de</strong>s milliers <strong>de</strong> notes, il fallait <strong>le</strong>s coordonner;<br />

c'étaient <strong>le</strong>s matériaux d'un édifice démoli<br />

qu'il s'agissait <strong>de</strong> reconstruire ; tâche diffici<strong>le</strong>, car, voulais-je<br />

poser <strong>le</strong>s pierres d'assise, il me tombait sous la<br />

main tantôt un chapiteau, tantôt une base : par où commencer?<br />

Je marchais d'ail<strong>le</strong>urs entre <strong>de</strong>ux écueils ; <strong>le</strong><br />

sujet, étant inconnu, exigeait un nombre considérab<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> volumes, et <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> aime <strong>le</strong>s ouvrages courts et surtout<br />

amusants ; l'ébaucher en un ou <strong>de</strong>ux volumes, ce<br />

n'était pas la peine <strong>de</strong> l'entreprendre. J'arrivais à un<br />

monstre ou à un avorton. — Je pris un terme moyen ;<br />

aurai-je mieux réussi? J'ai coordonné mes matériaux<br />

<strong>le</strong> mieux que j'ai pu, redoutant sans cosse que l'enfant,<br />

fût-il né viab<strong>le</strong>, ne fût étouffé en naissant : en effet,<br />

ayant confié cette conception à quelques amis, nul ne<br />

m'en félicita. Un tel livre était si opposé aux idées<br />

vulgaires, que je vis qu'il serait loin <strong>de</strong> me faire honneur<br />

et d'être uti<strong>le</strong>. <strong>Le</strong>s uns souriaient <strong>avec</strong> malice ou<br />

<strong>de</strong> pitié en me regardant : à <strong>le</strong>urs yeux, c'était l'aliment<br />

d'un.esprit plutôt bizarre que sérieux; <strong>le</strong>s plus<br />

sympathiques me montraient l'inutilité <strong>de</strong> mes efforts.<br />

Quoique fort découragé, je me disais à peu près comme


PRÉFACE. XI<br />

Galilée : Pourtant je suis dans la vérité, mais on ne<br />

l'aime pas.<br />

<strong>Le</strong>s magnétiseurs acceptaient une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s<br />

faits, qu'ils expliquaient par <strong>le</strong>urs flui<strong>de</strong>s; mais la province<br />

ayant peu <strong>de</strong> magnétiseurs qui admettent <strong>le</strong>s<br />

faits du magnétisme transcendant, ils niaient <strong>le</strong> surplus.<br />

Mon œuvre, me disais-je, aurait donc <strong>le</strong> sort <strong>de</strong><br />

ces écarts <strong>de</strong> la nature qu'il faut bien se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> laisser<br />

paraître au jour, ou <strong>de</strong> ces conceptions d'une imagination<br />

exaltée où la froi<strong>de</strong> raison n'a point eu <strong>de</strong><br />

part.<br />

Notre zélé et pieux c<strong>le</strong>rgé pouvait-il m'encourager?<br />

II ne nie ni Satan, ni ses prodiges cités dans <strong>le</strong>s saintes<br />

Écritures, quoiqu'il s'occupe peu <strong>de</strong>s faits mo<strong>de</strong>rnes;<br />

il connaît d'ail<strong>le</strong>urs son sièc<strong>le</strong>, et se montre fort réservé<br />

sur une matière assez peu connue aujourd'hui<br />

<strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong> ses membres, constamment occupés<br />

du salut <strong>de</strong>s âmes. — Moi aussi, par une autre voie, je<br />

pensais au salut <strong>de</strong>s âmes ; — mais ces dignes prêtres<br />

me répondaient : «Vous ne serez point lu ; <strong>le</strong> titre seul<br />

<strong>de</strong> votre livre <strong>le</strong> fera juger défavorab<strong>le</strong>ment. »<br />

Cent fois tenté <strong>de</strong> briser ma plume, je me disais<br />

toujours : la <strong>démon</strong>ologie pourtant n'est pas une fausse<br />

science ; il serait bon que l'enseignement sur cette matière<br />

fût plus répandu et plus approfondi. Un ouvrage où<br />

l'on exposerait d'un côté <strong>le</strong>s faits surnaturels et la saine<br />

doctrine, <strong>de</strong> l'autre, <strong>le</strong>s explications <strong>de</strong>s savants et <strong>le</strong>s<br />

arguments <strong>de</strong>s philosophes, serait une œuvre uti<strong>le</strong> aune<br />

époque où <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux si conspué se multiplie. Si la<br />

science prétend expliquer naturel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s prodiges<br />

actuels, il faut logiquement admettre qu'el<strong>le</strong> explique


XII PRÉFACE.<br />

aussi ceux <strong>de</strong>s temps passés. La <strong>démon</strong>ologie, examinée<br />

d'après ces nouvel<strong>le</strong>s étu<strong>de</strong>s, montrerait que ses conclusions<br />

restent intactes, que l'Église n'a pas la crédulité<br />

qu'on lui suppose, qu'el<strong>le</strong> n'a été ni trompée,<br />

ni n'a voulu tromper; — on verrait l'origine <strong>de</strong>s faux<br />

cultes, la réalité <strong>de</strong>s anciens prodiges, et qu'on peut<br />

l'admettre sans encourir l'accusation <strong>de</strong> manichéisme ;<br />

tout ceci exposé, il sera constant que <strong>le</strong>s sciences naturel<strong>le</strong>s<br />

n'ont pu rien expliquer et que la doctrine du<br />

christianisme, loin <strong>de</strong> favoriser <strong>le</strong>s superstitions, en est<br />

la plus mortel<strong>le</strong> ennemie, puisqu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s extirpe toutes,<br />

non en niant <strong>le</strong>s faits, mais en signalant <strong>le</strong>ur véritab<strong>le</strong><br />

auteur, etc. — Ce disant, je reprenais ma plume, en<br />

désirant sincèrement qu'el<strong>le</strong> fût dans une main plus<br />

habi<strong>le</strong>, lorsqu'un événement imprévu mit en émoi plusieurs<br />

savants : simp<strong>le</strong> amusement pour <strong>le</strong> vulgaire, <strong>le</strong><br />

phénomène <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>s tournantes <strong>de</strong>vint une étu<strong>de</strong> sérieuse<br />

pour ces savants : mais <strong>le</strong>s uns recouraient à<br />

<strong>de</strong>s explications physiques insoutenab<strong>le</strong>s, ou à <strong>de</strong>s systèmes<br />

matérialistes ou panthéistes impies ; d'autres retombaient<br />

dans <strong>le</strong>s superstitions païennes. Ce fut alors<br />

que la science <strong>démon</strong>ologiquc me parut plus que jamais<br />

nécessaire; mieux connue, plus répandue, on n'aurait<br />

vu, me disais-je, ni magnétiseurs fluidistes ou spiritualistes,<br />

ni spiritistes, évoquant <strong>le</strong>s génies ou <strong>le</strong>s âmes<br />

<strong>de</strong>s morts <strong>avec</strong> une tab<strong>le</strong>, ni philosophes disposant<br />

<strong>de</strong> l'âme <strong>de</strong> l'univers pour opérer mil<strong>le</strong> prodiges<br />

effrayants, ni prêtres, comme il s'en est trouvé quelques-uns,<br />

acceptant <strong>de</strong>s théories fort péril<strong>le</strong>uses pour<br />

la foi.<br />

<strong>Des</strong> prélats, <strong>de</strong>s théologiens zélés et savants signalé-


PRÉFACE. XIII<br />

rent <strong>le</strong> mal... <strong>Des</strong> laïques instruits et non moins zélés 1<br />

s'efforcèrent aussi <strong>de</strong> projeter la lumière dans ces ténèbres.<br />

Plusieurs camps bientôt se trouvèrent formés: <strong>le</strong>s<br />

panthéistes, <strong>le</strong>s nécromans <strong>de</strong> toute sorte et <strong>le</strong>s partisans<br />

<strong>de</strong> la saine doctrine. Il ne s'agissait plus seu<strong>le</strong>ment<br />

<strong>de</strong> détourner <strong>de</strong>s épicuriens du chemin bourbeux qu'ils<br />

suivent <strong>de</strong>puis plus d'un sièc<strong>le</strong>, mais <strong>de</strong> prémunir contre<br />

une sorte <strong>de</strong> religion rationnel<strong>le</strong> qu'on veut fon<strong>de</strong>r,<br />

contre une sorte <strong>de</strong> paganisme qu'on voudrait rétablir.<br />

Consultant plutôt mon zè<strong>le</strong> que mes forces, j'ai osé,<br />

moi qui avais peut-être <strong>le</strong> premier colligé <strong>de</strong>s matériaux<br />

quand nul autre n'y songeait, j'ai osé, dis—je, me<br />

ranger dans <strong>le</strong> camp <strong>de</strong>s orthodoxes; à côté <strong>de</strong> ces<br />

rares et courageux champions, je suis entré en lice<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssein bien arrêté <strong>de</strong> combattre l'erreur et <strong>de</strong><br />

<strong>démon</strong>trer la vérité ; n'ignorant pas toutefois que pour<br />

la plupart sa clarté serait trop vive pour qu'ils voulussent<br />

la regar<strong>de</strong>r.<br />

J'ai pu espérer que cet ouvrage, malgré ses défauts,<br />

pourrait faire à d'autres quelque bien. S'il déplaît à certains<br />

esprits arriérés, engoués <strong>de</strong>s idées du dix-huitième<br />

sièc<strong>le</strong>, peut-être trouvera-t-il quelques partisans<br />

chez ceux qui aiment <strong>le</strong> vrai et qui <strong>le</strong> cherchent. C'est<br />

à ces <strong>de</strong>rniers que je m'adresse. — Depuis plus d'un<br />

sièc<strong>le</strong>, livres, brochures, revues, etc., battent en brèche<br />

<strong>le</strong> surnaturel, <strong>le</strong>s uns <strong>avec</strong> l'arme puissante du ridi-<br />

1. Tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> a nommé MM. <strong>de</strong>s Mousseaux, <strong>de</strong> Kesie, Thibou<strong>de</strong>t,<br />

<strong>le</strong> H. P. Matignon, etc., etc., et Je savant marquis <strong>de</strong> Mirvil<strong>le</strong>, ce maître<br />

docte et bloquent, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>quel j'ai du moins cet honneur, ôu ce travers<br />

commun, d'avoir commencé a m'occuper <strong>de</strong>s esprits, à une époque<br />

où l'on n'y songeait guère.


XIV PRÉFACE.<br />

cu<strong>le</strong>, d'autres <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s mil<strong>le</strong> engins du philosophisme;<br />

tout étant à refaire pour tous, chacun trouvera ici <strong>le</strong>s<br />

premiers matériaux pour réédificr.<br />

<strong>Le</strong> surnaturel, qu'on <strong>le</strong> sache bien, a une doub<strong>le</strong><br />

importance, on ne saurait trop <strong>le</strong> répéter; il est nonseu<strong>le</strong>ment<br />

la base d'une foi qui nous assure <strong>le</strong>s biens<br />

futurs, mais cette môme foi assurerait <strong>le</strong> bonheur et la<br />

sécurité <strong>de</strong>s sociétés dans la vie présente : <strong>le</strong> surhumain<br />

est trop étroitement lié au surnaturel pour n'avoir<br />

pas <strong>le</strong> môme <strong>de</strong>gré d'importance : l'un et l'autre<br />

prouvent Dieu et Satan : il faut reconnaître l'un pour<br />

l'adorer, et l'autre pour éviter ses pièges. Si l'on pouvait<br />

espérer <strong>le</strong> rétablissement <strong>de</strong> cette doub<strong>le</strong> croyance,<br />

<strong>le</strong> corps social ne serait plus comme <strong>le</strong> vaisseau agité<br />

par la tempête; sans doute el<strong>le</strong> mugirait encore, mais<br />

on ne craindrait plus autant <strong>de</strong> voir <strong>le</strong>s débris du navire<br />

flotter au gré <strong>de</strong>s vagues.<br />

Si l'impiété et ses suites ont passé <strong>de</strong>s vil<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>s<br />

moindres hameaux, <strong>de</strong>s classes é<strong>le</strong>vées jusqu'aux plus<br />

basses, c'est parce que, tournant <strong>le</strong> dosa la vérité, on<br />

s'est jeté dans ces théories ténébreuses et impies <strong>avec</strong><br />

<strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s on prétend régénérer <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> ; en voyant<br />

ce qu'el<strong>le</strong>s veu<strong>le</strong>nt et ce qu'el<strong>le</strong>s ont déjà produit, on<br />

se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>avec</strong> effroi ce qui nous attend dans l'avenir.<br />

Je ferai observer au <strong>le</strong>cteur qui voudra bien lire cet<br />

essai, <strong>de</strong> ne pas se borner à <strong>le</strong> feuil<strong>le</strong>ter pour y chercher<br />

<strong>de</strong>s faits curieux : il était faci<strong>le</strong> d'en compi<strong>le</strong>r une multitu<strong>de</strong>;<br />

mais tel n'était pas mon plan : <strong>le</strong>s faits qui composent<br />

<strong>le</strong> vaste ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong>s superstitions magiques<br />

<strong>avec</strong> toutes <strong>le</strong>urs branches, étant partout semblab<strong>le</strong>s,


PRÉFACE. XV<br />

j'ai dû, dans un ouvrage, d'ail<strong>le</strong>urs très-long, ne présenter<br />

que <strong>de</strong>s échantillons <strong>de</strong> chaque espèce dont mes<br />

appréciations s'appliquent à une immensité d'autres<br />

que je laisse à l'écart. Que l'on ne se borne donc pas<br />

simp<strong>le</strong>ment à parcourir ces volumes, ce serait rompre<br />

l'unité <strong>de</strong> l'œuvre, laquel<strong>le</strong> est son seul mérite, si el<strong>le</strong><br />

en a un, parce qu'el<strong>le</strong> conduit à une conclusion inévitab<strong>le</strong><br />

: l'existence partout et en tout temps du surnaturel<br />

et du surhumain. Nier l'un et l'autre ou vouloir <strong>le</strong>s<br />

expliquer physiquement, c'est une erreur aussi insigne<br />

que funeste dans ses conséquences. Admettre surtout<br />

<strong>le</strong>s prodiges sataniques comme divins, y recourir pour<br />

établir un nouveau culte et organiser un état social<br />

nouveau, c'est <strong>le</strong> très-antique et détestab<strong>le</strong> projet <strong>de</strong><br />

tous ceux que l'auteur <strong>de</strong> ces prodiges a séduits dans<br />

tous <strong>le</strong>s temps. S'il parvenait un jour à réussir, ce serait<br />

la ruine universel<strong>le</strong>.


INTRODUCTION<br />

Dans <strong>le</strong> déda<strong>le</strong> inextricab<strong>le</strong> <strong>de</strong>s systèmes sur l'origine <strong>de</strong>s<br />

religions polythéistes, en considérant <strong>le</strong> sujet sous son point<br />

<strong>de</strong> vue <strong>le</strong> plus large, il faut l'attribuer à l'altération d'une révélation<br />

primitive dont on retrouve <strong>de</strong>s vestiges chez tous<br />

<strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s ; à <strong>de</strong>s révélations 1<br />

ou communications succes­<br />

sives émanées d'une autre source, qui ont substitué au vrai<br />

Dieu <strong>de</strong> fausses divinités. <strong>Des</strong> prodiges naturel<strong>le</strong>ment inexplicab<strong>le</strong>s<br />

ont cimenté <strong>le</strong> culte usurpé qui en fut <strong>le</strong> résultat.<br />

—Moins aveuglés, <strong>le</strong>s hommes auraient pu reconnaître ces<br />

erreurs funestes; car ces dieux intrus se manifestaient sous la<br />

forme du serpent qui a séduit notre premier père, ou souvent<br />

sous <strong>de</strong>s formes épouvantab<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong> culte qu'ils commandaient<br />

était p<strong>le</strong>in d'effroyab<strong>le</strong>s dissolutions; <strong>le</strong>urs prophètes, convulsivement<br />

agités, rendaient <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s trop souvent véridiques<br />

pour être <strong>de</strong>s impostures humaines, et trop souvent<br />

mensongers pour être divins. <strong>Le</strong>urs prodiges, qui présentaient<br />

un singulier mélange <strong>de</strong> trivialité et <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur, <strong>de</strong><br />

bonté, <strong>de</strong> justice et <strong>de</strong> malignité, étaient opérés même par <strong>le</strong>s<br />

méchants, <strong>le</strong>urs révélations étaient p<strong>le</strong>ines <strong>de</strong> contradictions,<br />

<strong>le</strong>urs ordres fréquemment cruels. <strong>Le</strong>s dieux <strong>de</strong>s Gentils avaient<br />

<strong>le</strong>urs inspirés, <strong>le</strong>urs prêtres ; nul dans <strong>le</strong> principe n'eût voulu<br />

1. <strong>Le</strong> mot révélation ne convient qu'à Dieu communiquant <strong>avec</strong> <strong>l'homme</strong>.<br />

Cependant on l'emploie aussi en parlant fie Snlfin.


HV1H INTRODUCTION".<br />

douter <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur enseignement, qu'on respectait comme émané<br />

<strong>de</strong>s dieux, dont on <strong>le</strong>s considérait comme <strong>le</strong>s fils.<br />

Mais un jour vint où l'esprit s'émancipa ; <strong>le</strong>s premiers philosophes<br />

examinent, discutent, et osent rejeter plusieurs<br />

croyances jusque-là regardées comme inattaquab<strong>le</strong>s. Quel<strong>le</strong>s<br />

sont cel<strong>le</strong>s qui surnagèrent sur la mer sans rivage <strong>de</strong>s opinions<br />

et <strong>de</strong>s systèmes? c'est la réalité <strong>de</strong> l'existence <strong>de</strong>s esprits, <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>urs apparitions, <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs inspirations, <strong>de</strong>s guérisons, <strong>de</strong>s<br />

divinations, etc.—Tous <strong>le</strong>s philosophes admettaient cel<strong>le</strong>s-ci,<br />

non par crainte, ils en renversaient <strong>de</strong> non moins respectées,<br />

mais parce qu'el<strong>le</strong>s étaient trop constantes pour eux, pour<br />

qu'ils eussent l'impu<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> <strong>le</strong>s mépriser. <strong>Le</strong>s philosophes<br />

matérialistes qui osèrent attaquer l'existence même <strong>de</strong>s dieux,<br />

ne niaient point ces prodiges qu'ils attribuaient à <strong>de</strong>s corpuscu<strong>le</strong>s,<br />

à <strong>de</strong>s a<strong>tome</strong>s, etc. Aux époques d'épicurisme, la<br />

philosophie matérialiste et sceptique fait <strong>de</strong> nombreuses recrues;<br />

c'est ce qui eut lieu chez <strong>le</strong>s Grecs et chez <strong>le</strong>s Romains<br />

et ce qu'on observe constamment chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s<br />

voisins <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur déca<strong>de</strong>nce. <strong>Le</strong>s uns expliquèrent physiquement<br />

la plupart <strong>de</strong> ces prodiges, d'autres préférèrent la voie<br />

plus courte <strong>de</strong> <strong>le</strong>s nier. D'ordinaire, ces aberrations <strong>de</strong><br />

l'esprit humain sont <strong>de</strong> peu <strong>de</strong> durée ; en effet, comment<br />

peut-on nier <strong>le</strong>s prodiges que tous <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s ont vus et affirmés<br />

! et comment surtout attribuer à la matière brute <strong>de</strong>?<br />

actes qui ne peuvent émaner que d'êtres intelligents !<br />

Après l'avènement du Sauveur on vit ressusciter <strong>le</strong> spiritualisme,<br />

qui n'avait jamais été mort pour toutes <strong>le</strong>s sectes.<br />

L*une <strong>de</strong>s causes, ce furent <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s chrétiens, auxquels<br />

<strong>le</strong> néoplatonisme opposa ses prodiges ; <strong>le</strong>s apologistes<br />

du christianisme, par <strong>le</strong>s arguments et par <strong>de</strong>s moyens plus<br />

puissants encore, — <strong>le</strong>s faits, — <strong>démon</strong>traient chaque jour aux<br />

païens que <strong>le</strong>urs dieux étaient <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, en forçant ceux-ci<br />

<strong>de</strong> l'avouer et <strong>de</strong> sortir du corps <strong>de</strong>s prêtres qu'ils inspiraient.<br />

<strong>Le</strong> paganisme enfin, prêta succomber sous Julien, expira <strong>avec</strong><br />

lui, et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers néoplatoniciens se réfugièrent en Perse.<br />

La magie malfaisante ou goétie, pratiquée parallè<strong>le</strong>ment


l.NTHODUCTION. XIX<br />

<strong>avec</strong> la théurgie, conservait <strong>de</strong>s discip<strong>le</strong>s dans l'ombre ; il<br />

s'opéra un mélange monstrueux <strong>de</strong>s divers cultes faux <strong>avec</strong> <strong>le</strong><br />

christianisme. <strong>Le</strong>urs sectateurs s'assemblèrent secrètement<br />

dans <strong>le</strong>s forêts pour s'y livrer durant la nuit à <strong>de</strong>s cérémonies<br />

exécrab<strong>le</strong>s ; ils pratiquaient pondant <strong>le</strong> jour <strong>de</strong> nombreux<br />

méfaits. <strong>Le</strong> moyen âge en fut infesté, moins peut-être que <strong>le</strong>s<br />

sièc<strong>le</strong>s qui suivirent; <strong>le</strong>urs prodiges moins connus qu'après la<br />

renaissance, étaient conséquemment moins faci<strong>le</strong>ment admis,<br />

et il faut dire, contrairement au sentiment général, que celuilà<br />

semb<strong>le</strong>rait ainsi moins crédu<strong>le</strong> que cel<strong>le</strong>-ci.<br />

Dès <strong>le</strong> douzième et <strong>le</strong> treizième sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s <strong>rapports</strong> <strong>avec</strong><br />

l'Orient ayant importé dans l'Occi<strong>de</strong>nt la philosophie du vieux<br />

mon<strong>de</strong>, on voit déjà <strong>de</strong>s savants atteints du matérialisme et<br />

du scepticisme païen. Mais c'est surtout au quinzième et au<br />

seizième sièc<strong>le</strong> que <strong>de</strong>s philosophes voulurent réformer <strong>le</strong>s<br />

croyances vulgaires. <strong>Le</strong>s prodiges <strong>de</strong> la magie et <strong>de</strong> la sorcel<strong>le</strong>rie<br />

furent expliqués par <strong>le</strong>s corpuscu<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> flui<strong>de</strong> universel,<br />

par la sympathie, l'antipathie, etc. Pourtant l'intervention<br />

<strong>de</strong>s génies fut encore loin d'être niée. Cette tentative<br />

<strong>de</strong> réforme <strong>de</strong>s Paracelse, <strong>de</strong>s Pomponace, <strong>de</strong>s Porta, <strong>de</strong>s<br />

Alaxwel, <strong>de</strong>s Wirdig, etc., etc., aux seizième et dix-septième<br />

sièc<strong>le</strong>s, ne saurait être examinée sans nous causer quelque<br />

honte. On est douloureusement surpris <strong>de</strong> voir dans quel<strong>le</strong><br />

déraison peuvent tomber ceux qui préten<strong>de</strong>nt ne consulter<br />

que <strong>le</strong>ur raison. Ceux-ci croyaient à la puissance <strong>de</strong> l'âme, à<br />

cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'imagination et <strong>de</strong>s corpuscu<strong>le</strong>s, comme à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />

génies, et, selon <strong>le</strong> besoin, recouraient aux uns ou aux autres.<br />

On peut, disaient-ils, rendre quelqu'un mala<strong>de</strong> en faisant<br />

une émission <strong>de</strong> corpuscu<strong>le</strong>s vénéneux; on peut mouvoir<br />

<strong>avec</strong> la force animique un objet sans <strong>le</strong> toucher, et même<br />

terrasser un taureau. D'autres, pour ne point admettre ces<br />

absurdités, tombaient dans un autre; écart ils niaient <strong>le</strong>s faits.<br />

À dater <strong>de</strong> <strong>Des</strong>cartes et <strong>de</strong> Bacon, on veut, pour <strong>le</strong>s admettre,<br />

réitérer <strong>le</strong>s expériences; on exige l'évi<strong>de</strong>nce. Ce qu'il<br />

faut requérir pour l'examen <strong>de</strong>s causes physiques, était-il<br />

applicab<strong>le</strong> aux faits surnaturels produits par un agent qui se


XX INTRODUCTION.<br />

montre ou se cache à volonté? L'Église ne pouvait <strong>le</strong> penser,<br />

el<strong>le</strong> qui avait constamment attribué <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong> la magie<br />

aux esprits <strong>de</strong> ténèbres. <strong>Des</strong> hommes éclairés, instruits<br />

<strong>de</strong> sa doctrine et <strong>de</strong>s systèmes <strong>de</strong>s philosophes, signalaient,<br />

<strong>le</strong>s erreurs et <strong>le</strong>s dangers <strong>de</strong> ces innovations, ressuscitées<br />

du paganisme. Si rien ne fut, omis pour attaquer <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux,<br />

<strong>le</strong>s meil<strong>le</strong>urs arguments réfutèrent ses adversaires.<br />

C'est au dix-huitième sièc<strong>le</strong> surtout que, pour atteindre plus<br />

sûrement <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s chrétiens, on s'é<strong>le</strong>va contre <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux<br />

païen, qui fut attribué à l'imposture <strong>de</strong> ses prêtres.<br />

Encore ici, nos hommes du progrès furent terrassés par<br />

ceux qu'ils nommaient <strong>de</strong>s esprits rétrogra<strong>de</strong>s. <strong>Le</strong>s premiers<br />

avaient pris la défense <strong>de</strong>s sorciers, qui étaient, selon eux,<br />

<strong>de</strong> pauvres idiots ou <strong>de</strong>s insensés, et <strong>le</strong>urs juges <strong>de</strong>s hommes<br />

aussi cruels que crédu<strong>le</strong>s. Dès la fin du dix-septième sièc<strong>le</strong>,<br />

l'autorité fit en partie droit à ces diverses attaques en se montrant<br />

moins disposée à sévir. C'est alors que <strong>le</strong> par<strong>le</strong>ment <strong>de</strong><br />

Rouen lit à Louis XIV sa célèbre remontrance et lui rappela<br />

la réalité <strong>de</strong>là magie et la scélératesse <strong>de</strong> ceux qui s'y livrent,<br />

<strong>le</strong>s lois divines et humaiues <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s temps, etc.. « 11 n'y a<br />

point, disait-il, <strong>de</strong> secte si opposée a Dieu que cel<strong>le</strong> dont <strong>le</strong>s<br />

crimes vont à la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> la religion et à la ruine <strong>de</strong>s<br />

peup<strong>le</strong>s. »<br />

<strong>Le</strong>s maléfices, durant <strong>le</strong> dix-huitième sièc<strong>le</strong>, continuèrent,<br />

ainsi que <strong>le</strong>s possessions, dont <strong>le</strong>s signes infaillib<strong>le</strong>s étaient<br />

exposés dans tous <strong>le</strong>s rituels; mais <strong>le</strong>s lois étaient déjà moins<br />

rigoureuses et moins souvent appliquées. Parmi <strong>le</strong>s causes <strong>de</strong><br />

cette indulgence, était la difficulté <strong>de</strong> connaître la réalité d'un<br />

crime aussi secret, et l'opinion partout propagée qu'en cessant<br />

<strong>de</strong> poursuivre <strong>le</strong>s sorciers, on ne verrait plus <strong>de</strong> sorcel<strong>le</strong>rie.<br />

Dans la secon<strong>de</strong> moitié du même sièc<strong>le</strong>, la loi était tombée<br />

presque en désuétu<strong>de</strong> ; <strong>le</strong>s grands ne croyaient plus à Dieu,<br />

comment auraient-ils cru au diab<strong>le</strong>? Enfin, dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rnières<br />

années du sièc<strong>le</strong>, en 1791, la loi fut abolie; on ne reconnut<br />

plus <strong>de</strong> crimes <strong>de</strong> magie, mais on sévissait contre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins<br />

et <strong>le</strong>s guérisseurs comme escroquant l'argent <strong>de</strong>s dupes; <strong>le</strong>s


INTRODUCTION. XXI<br />

maléfices étant niés, <strong>le</strong>s sorciers, vrais ou prétendus, obtinrent<br />

<strong>de</strong> ceux qui se croyaient <strong>le</strong>urs victimes' <strong>de</strong>s dommages-intérêts.<br />

Heureux quand ces <strong>de</strong>rniers ne subissaient pas l'emprisonnement.<br />

Autre temps, autres mœurs,—tel<strong>le</strong> est la loi toujours<br />

respectab<strong>le</strong>.<br />

La magie et la sorcel<strong>le</strong>rie turent au dix-neuvième sièc<strong>le</strong><br />

considérées par la classe éclairée comme une croyance ridicu<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>s temps <strong>de</strong> barbarie et d'ignorance. <strong>Le</strong> peup<strong>le</strong> y a cru longtemps<br />

encore, puis il s'est tu; mais l'Église n'a modifié en rien<br />

sa doctrine, el<strong>le</strong> admet toujours l'existence <strong>de</strong>s esprits, <strong>le</strong>urs<br />

<strong>rapports</strong> <strong>avec</strong> <strong>l'homme</strong>, <strong>le</strong>s maléfices, <strong>le</strong>s possessions, etc., non<br />

pour soutenir obstinément <strong>le</strong> principe d'infaillibilité, mais par<br />

une conviction inébranlab<strong>le</strong>, basée sur <strong>le</strong> texte sacré et sur <strong>de</strong>s<br />

faits que ne saurait détruire l'inconstance <strong>de</strong>s opinions humaines.<br />

L'Eglise use selon l'exigence <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong> sa pru<strong>de</strong>nce<br />

habituel<strong>le</strong> : el<strong>le</strong> n'exerce quelque action contre <strong>le</strong>s magiciens<br />

qu'autant qu'ils se présentent au saint tribunal et s'accusent<br />

<strong>de</strong> maléfices. El<strong>le</strong> n'exorcise plus que rarement et en<br />

secret.<br />

Tandis que <strong>le</strong>s esprits forts continuaient <strong>le</strong>urs sarcasmes<br />

contre <strong>le</strong>s esprits crédu<strong>le</strong>s et remuaient encore <strong>le</strong>s cendres <strong>de</strong><br />

ces magistrats barbares qui avaient condamné <strong>le</strong>s innocents sorciers<br />

, survenait un fait étrange dans notre sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> lumières.<br />

Dans <strong>le</strong> magnétisme, prétendue science qu'on vient <strong>de</strong> découvrir,<br />

on a retrouvé la magie ; d'après ceux qui la pratiquent,<br />

c'est la magie tout entière, <strong>avec</strong> ses détails grotesques, hi<strong>de</strong>ux<br />

ou terrib<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> sorte que l'ancienne magie n'a fait réel<strong>le</strong>ment<br />

que changer <strong>de</strong> nom. 11 en est résulté que <strong>de</strong>s personnes judicieuses<br />

ont osé dire que <strong>le</strong>s hommes crédu<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s passés<br />

étaient <strong>le</strong>s plus clairvoyants, et nos soi-disant esprits forts<br />

assez faib<strong>le</strong>s et très-aveug<strong>le</strong>s.<br />

<strong>Le</strong>s philosophes, <strong>le</strong>s savants, il est vrai, ont attribué <strong>le</strong>s<br />

opérations magnétiques à l'émission d'un flui<strong>de</strong> bienfaisant ou<br />

vénéneux, à la puissance <strong>de</strong> la foi, <strong>de</strong> l'imagination, etc. Ce<br />

qui suffit déjà, cependant pour prouver aux esprits forts, que<br />

s'étant lour<strong>de</strong>ment trompés en niant <strong>le</strong>s faits, ils doivent <strong>de</strong>


XXII INTRODUCTION.<br />

gran<strong>de</strong>s excuses à ceux qu'ils ont si témérairement accusés.<br />

<strong>Le</strong> temps apporte 6es progrès : ceux qui ont approfondi <strong>le</strong><br />

magnétisme, ont constaté en fait l'intervention <strong>de</strong>s esprits et<br />

parfois fort méchants, puisqu'ils peuvent faire beaucoup <strong>de</strong><br />

mal ; que d'excuses à faire encore à ce petit nombre <strong>de</strong> sots<br />

qui admettent <strong>le</strong>s esprits! Mais, trop orgueil<strong>le</strong>ux sans doute<br />

pour revenir sur <strong>le</strong>urs pas, <strong>le</strong>s esprits forts nieront toujours :<br />

c'est pourtant l'argument <strong>de</strong>s ignorants et <strong>de</strong>s sols, quand il<br />

n'est pas celui <strong>de</strong> la mauvaise foi. En effet, qu'on y prenne<br />

gar<strong>de</strong>; nier sans motifs <strong>le</strong>s faits observés aujourd'hui par<br />

<strong>de</strong>s hommes instruits et sensés, jusque-là matérialistes et<br />

sceptiques, qui attestent sans autre espoir que d'obtenir un<br />

brevet <strong>de</strong> niais, <strong>de</strong> menteur ou d'insensé, est téméraire; car<br />

<strong>le</strong>ur nombre peut singulièrement grossir. Pourtant <strong>le</strong>s esprits<br />

forts résistent. Héritiers <strong>de</strong>s maximes d'un sièc<strong>le</strong> voluptueux<br />

et impie, ils ne peuvent se déjuger et reconnaître que <strong>le</strong>ur<br />

raison n'est pas infaillib<strong>le</strong>, et <strong>le</strong>s masses ignorantes se sout<br />

enrôlées sous <strong>le</strong>ur bannière. Cependant, il faut lo dire, <strong>le</strong>s<br />

magnétiseurs avaient déjà <strong>de</strong>s transfuges qui disaient à voix<br />

basse <strong>le</strong>s choses étranges ou horrib<strong>le</strong>s dont ils avaient été <strong>le</strong>s<br />

témoins, lorsqu'un autre évéuement, il y a dix ans, survint.<br />

Un paquebot apporta d'Amérique l'histoire stupéfiante <strong>de</strong>s<br />

esprits frappeurs et <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>s animées et <strong>de</strong> cent prodiges que<br />

<strong>le</strong> douzième sièc<strong>le</strong> eût refusé <strong>de</strong> croire ; <strong>le</strong>s procédés pour <strong>le</strong>s<br />

opérer furent peu à peu connus.<br />

Croire qu'une tab<strong>le</strong> peut s'animer, connaître nos pensées,<br />

y répondre, était diffici<strong>le</strong>; il <strong>le</strong> fallut bien, puisque toute l'Europe<br />

en fut témoin. Mais croire qu'une intelligence invisib<strong>le</strong><br />

est <strong>le</strong> moteur, répugnait à nos savants, qui firent, comme<br />

toujours, preuve <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s connaissances en physique et<br />

donnèrent <strong>de</strong>s explications fort ingénieuses, un peu ridicu<strong>le</strong>s,<br />

que lo vulgaire admira, mais que <strong>de</strong>s expérimentateurs sérieux<br />

rejetèrent. Il fut constant pour ceux-ci qu'une intelligence intervient;<br />

plusieurs, parmi <strong>le</strong>s plus hosti<strong>le</strong>s autrefois à cette<br />

opinion, la proclamèrent, et tandis que dans <strong>le</strong>s salons <strong>le</strong>s uns<br />

cessaient <strong>le</strong>s évolutions <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>s comme un amusement in-


INTRODUCTION. mu<br />

sipi<strong>de</strong> êt d'autres comme une pratique défendue, dès savants<br />

organisaient <strong>de</strong>s cerc<strong>le</strong>3 et dressaient gravement <strong>de</strong>s procèsverbaux.<br />

Étant évi<strong>de</strong>nt qu'une intelligence se manifestait, <strong>le</strong>s<br />

uns disaient : C'est la nôtre, c'est la partie inconsciente <strong>de</strong><br />

l'âme, qui répond au moi intelligent. — On objectait que<br />

cette force inconsciente était supérieure au moi conscient<br />

qui réfléchit ; car el<strong>le</strong> remue <strong>le</strong>s corps <strong>le</strong>s plus lourds sans <strong>le</strong>s<br />

toucher, tandis que celui-ci ne peut remuer un brin <strong>de</strong> pail<strong>le</strong><br />

ni ses membres perclus. Enfin, ce moi inintelligent, simp<strong>le</strong><br />

force vita<strong>le</strong>, a la clairvoyance, la divination, etc., etc., tandis<br />

que <strong>le</strong> moi intelligent ne voit pas souvent ce qui est <strong>le</strong> plus<br />

évi<strong>de</strong>nt. <strong>Le</strong>s savants en étaient une preuve : l'âme inconsciente<br />

d'un sot révélait <strong>de</strong>s merveil<strong>le</strong>s <strong>avec</strong> une tab<strong>le</strong> ou <strong>avec</strong><br />

un crayon, et <strong>le</strong> moi si intelligent <strong>de</strong>s savants ne disait sur ce<br />

sujet que <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s inepties. -— D'autres décidèrent que<br />

l'âme universel<strong>le</strong> venait animer <strong>le</strong>s tab<strong>le</strong>s. Comme cel<strong>le</strong>-ci est<br />

divine, el<strong>le</strong> sait tout. C'était spécieux. — Mais on <strong>le</strong>ur objectait<br />

que cette gran<strong>de</strong> âme, qui anime <strong>le</strong>s plantes et <strong>le</strong>s brutes,<br />

ne manifeste sa haute intelligence qu'autant que <strong>le</strong> sujet dans<br />

<strong>le</strong>quel el<strong>le</strong> s'enferme lui permet <strong>de</strong> se développer. Or, il est<br />

évi<strong>de</strong>nt qu'une tab<strong>le</strong> lui en fournit moins <strong>le</strong>s moyens, que<br />

l'animal <strong>le</strong> plus stupi<strong>de</strong> : on faisait une fou<strong>le</strong> d'autres objections;<br />

mais <strong>le</strong>s savants, quand il s'agit <strong>de</strong> renoncer à <strong>le</strong>ur sentiment,<br />

sont, comme on sait, fort rétifs. D'autres, mieux avisés, virent,<br />

à n'en pouvoir douter, que l'âme inconsciente et la prétendue<br />

âme <strong>de</strong> l'univers, par <strong>de</strong>s raisons qu'on ne peut citer ici, ne<br />

pouvaient être <strong>le</strong>s auteurs <strong>de</strong> ces étranges phénomènes ; décidant<br />

alors que c'étaient <strong>de</strong>s intelligences malignes et laissant<br />

à d'autres <strong>le</strong> soiu <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur trouver un nom, ils cessèrent <strong>de</strong>s<br />

pratiques qu'ils déclarèrent blâmab<strong>le</strong>s et dangereuses. Mais<br />

d'autres forcés aussi <strong>de</strong> reconnaître <strong>de</strong>s intelligences, peu<br />

disposés par vieil<strong>le</strong> habitu<strong>de</strong> à admettre <strong>de</strong>s anges ou <strong>de</strong>s<br />

diab<strong>le</strong>s, décidèrent que c'étaient <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts. A <strong>le</strong>ur<br />

appel, ceux-ci font venir, non du ciel, mais <strong>de</strong> l'immensité,<br />

non <strong>de</strong> l'enfer qui n'existe pas, non du purgatoire, mais <strong>de</strong>s<br />

planètes où el<strong>le</strong>s vivent agréab<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong> Robespierre,


XXIV INTRODUCTION.<br />

<strong>de</strong> Cartouche, <strong>de</strong> Swe<strong>de</strong>nborg, <strong>de</strong> Socrate, etc., etc. El<strong>le</strong>s<br />

forcent aussi <strong>de</strong> venir dans un guéridon, l'âme d'Abraham,<br />

<strong>de</strong> David, <strong>de</strong>Bossuet, <strong>de</strong> Fénelon, etc., etc., et toutes donnent<br />

<strong>de</strong>s preuves intelligentes et matériel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur présence.<br />

Ceux-ci, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s partisans <strong>de</strong> l'âme universel<strong>le</strong>, veu<strong>le</strong>nt<br />

établir une religion unitaire, rationnel<strong>le</strong>, désirée <strong>de</strong>puis longtemps<br />

par <strong>le</strong>s philosophes, mais il lui manquait <strong>le</strong>s prodiges<br />

qui cimentent <strong>le</strong>s religions, et qui maintenant ne lui feront,<br />

plus défaut. — <strong>Le</strong>s révélations <strong>de</strong> l'âme <strong>de</strong> l'univers et cel<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>s esprits, toutes plus ou moins contradictoires entre<br />

el<strong>le</strong>s, conservent en partie la mora<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'Évangi<strong>le</strong>, dont el<strong>le</strong>s<br />

rejettent plus ou moins <strong>le</strong>s dogmes 1<br />

. — C'est l'avènement<br />

prédit par <strong>le</strong>s sectes <strong>de</strong>s hérétiques et <strong>de</strong>s illuminés. <strong>Le</strong>s apotres<br />

<strong>de</strong> la religion unitaire qui se comptent, dit-on, déjà par<br />

millions sur <strong>le</strong> globe, ont formé dans <strong>le</strong>s grands centres <strong>de</strong><br />

population <strong>de</strong>s sociétés qui exercent une propagan<strong>de</strong> active.<br />

Ces mêmes apôtres par<strong>le</strong>nt dans <strong>le</strong>urs brochures <strong>de</strong> la religion<br />

unitaire, <strong>le</strong>s uns comme d'un bienfait, d'autres en font une<br />

menace, selon la position, sans doute, <strong>de</strong> ceux qui <strong>le</strong>s liront.<br />

En attendant, <strong>le</strong>s masses restent sceptiques, incrédu<strong>le</strong>s, insouciantes,<br />

vivent <strong>de</strong> la philosophie voltairienne qui maintenant<br />

perd chaque jour du terrain. <strong>Le</strong>s matérialistes restent<br />

stationnaircs; ceux qui admettent <strong>le</strong>s esprits, en revenant sur<br />

<strong>le</strong>urs pas, sont <strong>de</strong>venus hommes <strong>de</strong> progrès ; que l'on ail<strong>le</strong> en<br />

arrière ou en avant, c'est toujours marcher, et <strong>le</strong>s voltairiens<br />

ne marchent plus. <strong>Le</strong>s faux spiritualistes et <strong>le</strong>s sphïtis<strong>Le</strong>s,<br />

se rencontrent chemin faisant <strong>avec</strong> l'Église qui n'a jamais<br />

varié, <strong>avec</strong> cette différence que <strong>le</strong>s premiers ressuscitent <strong>le</strong><br />

paganisme <strong>avec</strong> ses monstrueuses erreurs et retombent dans<br />

la barbarie, tandis que <strong>le</strong> christianisme a civilisé <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

I. Si la réforme, comme l'a dit Lamennais, « fut forcée <strong>de</strong> joindre la lolé-<br />

nmrc du crime» la tolérance <strong>de</strong> l'erreur. » il en «ira <strong>de</strong> même, )in!ici|ia<strong>le</strong>mi.'nl<br />

dan» cette nouvel<strong>le</strong> religion.


DES<br />

RAPPORTS DE L'HOMME<br />

AVEC<br />

LIVRE PREMIER<br />

CHAPITRE I<br />

Essai sur l'origine <strong>de</strong> l'idolâtrie. — Oubli <strong>de</strong> la révélation primitive. — Révé­<br />

lations opposées ; Dieu ou <strong>de</strong>s dieux, lumière et ténèbres, se sont subs­<br />

titués au premier principe méconnu par <strong>le</strong>s Gentils.<br />

Essai sur l'origine <strong>de</strong> l'idolâtrie.<br />

On n'a point ici la prétention <strong>de</strong> vouloir parcourir<br />

<strong>le</strong> tortueux déda<strong>le</strong> où tant d'autres se sont égarés, et<br />

où il est pru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> ne point s'engager : une obscurité<br />

trop profon<strong>de</strong> cache à nos regards curieux l'origine <strong>de</strong>s<br />

religions. Dans ces sièc<strong>le</strong>s reculés, voisins du berceau<br />

du mon<strong>de</strong>, au lieu <strong>de</strong>s monuments historiques <strong>de</strong>s<br />

sièc<strong>le</strong>s adultes, on ne trouve que <strong>le</strong>s bégayements <strong>de</strong><br />

l'enfance, on <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce, ou <strong>de</strong>s contradictions. On n'en<br />

peut être surpris. <strong>Le</strong>s révolutions politiques ont entraîné<br />

<strong>le</strong>s révolutions religieuses : à un culte renversé<br />

on en a substitué un nouveau. Une religion, aujourd'hui<br />

dominante, étant persécutée <strong>le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, on<br />

i. 1


2 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

voit ses prêtres vénérés comme <strong>le</strong>s amis <strong>de</strong>s dieux, bientôt<br />

errants, vagabonds et méprisés comme <strong>de</strong> vils magiciens.<br />

Donc tout a concouru à ce que <strong>le</strong>s théogonies<br />

et <strong>le</strong>s doctrines religieuses fussent ignorées ou peu<br />

connues; <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s, en se civilisant, <strong>le</strong>s ont modifiées.<br />

<strong>Le</strong>s explications <strong>de</strong>s allégories, <strong>le</strong>s récits mythologiques,<br />

ont con<strong>de</strong>nsé <strong>de</strong>s ténèbres déjà trop épaisses :<br />

à certaines époques <strong>le</strong>s astres sont <strong>de</strong>s dieux, à une<br />

autre, ces dieux ont été <strong>de</strong>s hommes déifiés, puis dos<br />

philosophes ont prétendu que ces dieux étaient <strong>le</strong>s<br />

emblèmes <strong>de</strong> la nature, <strong>de</strong> la force génératrice, <strong>de</strong><br />

la conservation, <strong>de</strong> la <strong>de</strong>struction. Alors <strong>le</strong>s erreurs<br />

s'accumu<strong>le</strong>nt et <strong>le</strong>s fab<strong>le</strong>s remplacent l'histoire ; puis<br />

viennent <strong>le</strong>s savants mo<strong>de</strong>rnes qui établissent aussi<br />

chacun <strong>le</strong>urs systèmes plus ou moins ingénieux et souvent<br />

si opposés entre eux que l'on est tenté <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

rejeter tous, quoique tous, au milieu d'une fou<strong>le</strong> d'erreurs,<br />

offrent quelques vérités. Mais chaque auteur a<br />

eu <strong>le</strong> tort d'être exclusif. Huet, dans l'histoire <strong>de</strong>s<br />

dieux, n'a vu que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Moïse plus ou moins défigurée<br />

; Pluche a attribué l'idolâtrie à l'abus du langage<br />

astronomique; Banier pense qu'el<strong>le</strong> lire son origine<br />

du culte <strong>de</strong>s morts; Bergicr, <strong>avec</strong> plusieurs philosophes,<br />

<strong>de</strong>s historiens et <strong>de</strong>s poètes, repousse ce sentiment,<br />

etc., etc.<br />

On ne saurait exposer ici <strong>le</strong>s divers systèmes <strong>de</strong>s<br />

savants anciens et mo<strong>de</strong>rnes ; on dira seu<strong>le</strong>ment qu'il<br />

ne serait peut-être pas absolument impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

concilier. Celui qui établit que <strong>le</strong>s dieux ont été <strong>de</strong>s<br />

hommes, ne renverse pas celui qui <strong>le</strong>s i<strong>de</strong>ntifie <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />

astres; saint Justin, Taticn, Clément d'A<strong>le</strong>xandrie<br />

ont pu dire que <strong>le</strong>s premiers dieux furent <strong>de</strong>s génies,<br />

sans être en opposition <strong>avec</strong> Tcrtullien, qui disait<br />

aux Romains : « On sait où sont nés vos dieux et où


AVEC LE DÉMON. 3<br />

reposent <strong>le</strong>urs cendres. » Tous ces systèmes purent<br />

être vrais selon <strong>le</strong>s époques.<br />

D'après Eusèbe, quand on eut oublié <strong>le</strong> vrai Dieu,<br />

on tourna <strong>le</strong>s regards vers <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il et la lune qui <strong>de</strong>vinrent<br />

<strong>de</strong>s dieux, et plus tard furent i<strong>de</strong>ntifiés <strong>avec</strong><br />

<strong>le</strong>s rois; Bélus, premier roi <strong>de</strong>s Assyriens, fut confondu<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il. «<strong>Le</strong>s premiers dieux, dit Eusèbe,<br />

sont <strong>de</strong>s astres; à ces époques reculées on ne voit aucune<br />

trace <strong>de</strong> ces êtres qu'on a appelés dieux sous <strong>le</strong> nom<br />

<strong>de</strong> Jupiter, d'Apollon, etc. <strong>Le</strong>s dieux n'étaient alors<br />

ni mâ<strong>le</strong>s ni femel<strong>le</strong>s ; cette œuvre <strong>de</strong> dissolution appartient<br />

à <strong>de</strong>s temps postérieurs. » Combien <strong>de</strong> sièc<strong>le</strong>s<br />

se sont écoulés auparavant ? il ne <strong>le</strong> dit point. Sanchoniaton,<br />

qui écrivait avant la guerre <strong>de</strong> Troie, donnait<br />

déjà <strong>le</strong> titre <strong>de</strong> divinités à <strong>de</strong>s hommes et à <strong>de</strong>s femmes<br />

dissolus : <strong>le</strong>s premiers inventeurs d'arts uti<strong>le</strong>s<br />

étaient déifiés. Selon Eusèbe, Sanchoniaton aurait pu<br />

dissiper ces ténèbres déjà si épaisses et que <strong>de</strong>s prêtres<br />

augmentèrent encore, ne jugeant pas qu'il fût uti<strong>le</strong> aux<br />

peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong> connaître la vérité. Un voi<strong>le</strong> presque impénétrab<strong>le</strong><br />

cache donc <strong>le</strong>s religions <strong>de</strong> l'antiquité; la doctrine<br />

<strong>de</strong>s premiers sages était un mystère : <strong>le</strong>s anciens<br />

historiens et même <strong>le</strong>s auteurs néoplatoniciens doivent,<br />

la plupart, inspirer peu <strong>de</strong> confiance. <strong>Des</strong> traditions<br />

contradictoires, <strong>le</strong>s changements introduits par<br />

<strong>le</strong>s philosophes furent pour eux une source d'erreurs,<br />

aussi Strabon lui-même a recommandé la défiance.<br />

Quels sont <strong>le</strong>s moyens d'éclairer un peu ces ténèbres?<br />

En existe-t-il? On prétend que ce que <strong>le</strong>s anciens<br />

avaient dit <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>, on peut aujourd'hui <strong>le</strong> reconnaître<br />

; ce pays a conservé ses vieil<strong>le</strong>s traditions qui<br />

offrent une gran<strong>de</strong> analogie <strong>avec</strong> ce que l'on cite <strong>de</strong> la<br />

haute antiquité. Cette analogie, dit-on, est prouvée par<br />

<strong>le</strong>s auteurs, par <strong>le</strong>s explications <strong>de</strong>s allégories, par <strong>le</strong>s


4 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

récits <strong>de</strong>s philosophes qui avaient voyagé chez <strong>le</strong>s différents<br />

peup<strong>le</strong>s.<br />

On se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> comment <strong>le</strong>s religions se sont introduites?<br />

si on adora un seul dieu ou plusieurs dieux?<br />

Furent-el<strong>le</strong>s inventées? L'idée <strong>de</strong> la divinité et <strong>de</strong> son<br />

culte n'cst-el<strong>le</strong>due qu'aune sorte d'instinct qui <strong>de</strong>vance<br />

<strong>le</strong> raisonnement chez <strong>le</strong>s*peup<strong>le</strong>s juvéni<strong>le</strong>s? Ont-el<strong>le</strong>s<br />

pour source larévélation?—D'après <strong>le</strong>s Livres sacrés <strong>de</strong>s<br />

Juifs, Dieu s'est révélé, et selon ceux <strong>de</strong>s Gentils, la divinité<br />

s'est manifestée souvent aux hommes. <strong>Le</strong>s anciens<br />

chefs <strong>de</strong> famil<strong>le</strong> assuraient tous qu'ils tenaient <strong>le</strong>urs<br />

notions <strong>de</strong> la divinité d'el<strong>le</strong>-même ; ils n'avaient point<br />

inventé <strong>le</strong>s religions, et croyaient fermement à <strong>de</strong>s<br />

révélations. Aussi Platon voulait-il qu'on acceptât <strong>le</strong>s<br />

traditions <strong>de</strong>s anciens sans raisonner : « Ils ont, disait-il,<br />

connu la divinité comme <strong>le</strong>ur propre père,<br />

et on doit <strong>le</strong>s croire comme ses fils. » On verra dans<br />

la suite <strong>de</strong> cet ouvrage <strong>le</strong>s motifs <strong>de</strong> cette foi aux révélations,<br />

que <strong>de</strong>s communications à toutes <strong>le</strong>s époques<br />

ont corroborée. Sinon, la croyance à ces manifestations<br />

prétendues divines, loin <strong>de</strong> traverser <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s,<br />

serait <strong>de</strong>puis longtemps détruite.<br />

Une difficulté assez grave surgit : ces révélations se<br />

contredisent. Doit-il en être ainsi, si el<strong>le</strong>s émanent <strong>de</strong><br />

la divinité ?<br />

Oubli <strong>de</strong> la révélation primitive.<br />

11 y a <strong>de</strong>ux sources <strong>de</strong> révélations : l'une bonne, qui<br />

est la vérité même; l'autre mauvaise, origine <strong>de</strong> l'erreur.<br />

<strong>Le</strong>s unes émanent du Créateur, <strong>le</strong>s autres <strong>de</strong><br />

l'esprit malin, ennemi <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>. Moïse nous apprend<br />

que Dieu, dès <strong>le</strong> principe, se révéla à nos premiers<br />

parents ef; <strong>le</strong>ur fit une défense. Satan intervint


AVEC LE DÉMON. S<br />

et <strong>le</strong>ur dit qu'en la violant ils seraient comme <strong>de</strong>s<br />

dieux. Cette doub<strong>le</strong> manifestation a continué durant<br />

la longue suite <strong>de</strong>s âges ; si <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> Dieu el<strong>le</strong> est<br />

parfois accompagnée <strong>de</strong> mirac<strong>le</strong>s éclatants, <strong>de</strong> la<br />

part <strong>de</strong> Satan, c'est une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> prodiges trompeurs.<br />

De là cette distinction du surnaturel et du surhumain,<br />

si importante à faire ; la véritab<strong>le</strong> révélation avait fait<br />

connaître un Dieu éternel, unique, puissant, bon,<br />

juste, créateur <strong>de</strong> l'univers; el<strong>le</strong> s'altéra, <strong>le</strong>s hommes<br />

disséminés sur <strong>le</strong> globe l'oublièrent, <strong>le</strong>s esprits malins<br />

intervinrent et trompèrent <strong>le</strong>s premiers prêtres ou chefs<br />

<strong>de</strong> famil<strong>le</strong> par <strong>de</strong> fréquentes manifestations et <strong>de</strong> nombreux<br />

prodiges bien capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> séduire, car c'étaient :<br />

la divination qui flatte la curiosité <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, <strong>le</strong>s<br />

guérisons, <strong>le</strong>s révélations <strong>de</strong> secrets uti<strong>le</strong>s à son bienêtre<br />

ou propres à satisfaire sa cupidité ou ses passions.<br />

Selon <strong>de</strong>s traditions erronées ou <strong>de</strong>s révélations mensongères<br />

: Dieu est <strong>le</strong> fou principe, la lumière incréée,<br />

c'est un être indéfini qui n'est <strong>de</strong>venu saisissab<strong>le</strong><br />

qu'en s'incorporant <strong>avec</strong> la matière qui lui est coéternel<strong>le</strong>.<br />

C'est en tirant <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> du chaos que Dieu s'est<br />

manifesté : en même temps bon et mauvais, lumière et<br />

ténèbres. Ce Dieu, sans cesser d'être un, est une dualité<br />

et même une multiplicité, car c'est une âme universel<strong>le</strong><br />

qui se fractionne en parcel<strong>le</strong>s infinies qui forment<br />

la hiérarchie décroissante <strong>de</strong>s êtres <strong>de</strong>puis la lumière<br />

la plus pure jusqu'à la matière la plus opaque. La<br />

doctrine sortie <strong>de</strong> cette révélation contient en germe<br />

<strong>le</strong> Dieu nature <strong>de</strong>s matérialistes, l'âme universel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />

panthéistes, <strong>le</strong>s divinités innombrab<strong>le</strong>s du polythéisme<br />

et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux dieux rivaux du manichéisme.<br />

Que résulta-t-il <strong>de</strong> cette doctrine? Que <strong>le</strong> Dieu,<br />

premier principe éternel, fut méconnu; ce ne fut<br />

qu'un Dieu passif, inerte, inintelligent; <strong>le</strong> Dieu bon


6 DES RAPPORTS DE I/HOMME<br />

et mauvais qui régna en sa place parut seul investi <strong>de</strong><br />

la toute-puissance divine, et mérita seul aussi <strong>le</strong>s<br />

hommages <strong>de</strong>s mortels. <strong>Le</strong> Premier principe, fût-il<br />

intelligent, habite une lumière inaccessib<strong>le</strong> où il<br />

n'est occupé que <strong>de</strong> sa gloire, <strong>le</strong>s vœux qu'on lui<br />

adresse vont directement à celui ou à ceux qui <strong>le</strong><br />

remplacent. Qu'il ait été toujours passif ou qu'il ait<br />

abdiqué, ses lieutenants régnent, c'est donc à ceux-ci<br />

qu'il faut s'adresser. — Cette doctrine, si différente<br />

<strong>de</strong> cel<strong>le</strong> du mosaïsme et du christianisme, détrône<br />

Dieu, <strong>le</strong> dégra<strong>de</strong>. On aura souvent occasion <strong>de</strong> remarquer<br />

que ces dieux qui se sont substitués au vrai Dieu,<br />

sont bizarres et cruels, offrent un mélange <strong>de</strong> faib<strong>le</strong>sse<br />

et <strong>de</strong> puissance; ils connaissent l'avenir, et<br />

cependant se trompent si souve'nt, qu'on voit qu'il <strong>le</strong>ur<br />

est en partie caché, mais l'orgueil <strong>le</strong>ur permet rarement<br />

d'en faire l'aveu; on <strong>le</strong>s verra vindicatifs et<br />

colères, méchants et sanguinaires, prescrire <strong>de</strong>s rites<br />

dont on n'ose s'écarter, exiger <strong>de</strong>s sacrifices humains,<br />

etc.; on verra enfin que <strong>le</strong>s dieux, si sévères<br />

pour ceux qui <strong>le</strong>s supplient, tremb<strong>le</strong>nt <strong>de</strong>vant ceux<br />

qui <strong>le</strong>s menacent.<br />

En faisant un exposé succinct <strong>de</strong>s systèmes religieux<br />

<strong>de</strong>s Perses, <strong>de</strong>s Celtes, <strong>de</strong>s Indiens, <strong>de</strong>s Égyptiens,<br />

<strong>de</strong>s Phéniciens, etc., etc., autant que cela <strong>de</strong>vient ici<br />

possib<strong>le</strong>, on remarquera entre eux une gran<strong>de</strong> analogie<br />

, et que la doctrine d'un seul Dieu, principe<br />

éternel, créateur <strong>de</strong> toutes choses, ayant été altérée,<br />

cel<strong>le</strong> d'un Dieu éga<strong>le</strong>ment et lumières et ténèbres, qui<br />

se morcel<strong>le</strong> en une fou<strong>le</strong> innombrab<strong>le</strong> d'esprits bons et<br />

mauvais, lui fut substituée : tel<strong>le</strong> était sans doute la<br />

doctrine secrète <strong>de</strong>s initiés, car <strong>le</strong>s profanes admettaient,<br />

comme on sait, un grand nombre do dieux et <strong>de</strong><br />

déesses qui contractent <strong>de</strong>s mariages, et d'où naît une


AVEC LE DÉMON. 7<br />

postérité ; s'ils croyaient aux aventures scanda<strong>le</strong>uses<br />

<strong>de</strong> ces dieux, aux yeux <strong>de</strong>s initiés ce n'étaient que <strong>le</strong>s<br />

symbo<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s attributs divins; où <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> voyait<br />

se manifester la puissance <strong>de</strong> Baccbus, <strong>de</strong> Jupiter,<br />

d'Apollon, <strong>de</strong> Diane, <strong>de</strong> Némésis, <strong>de</strong> Junon, c'était,<br />

pour <strong>le</strong>s initiés, l'unité d'une âme universel<strong>le</strong>, la dualité<br />

divine, agissant dans <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, dans <strong>le</strong>s astres,<br />

dans <strong>le</strong>s éléments, partout où il y a vie et mouvement,<br />

et se fractionnant en conséquence en parcel<strong>le</strong>s infinies.<br />

Comme il était important d'étudier <strong>le</strong>s caractères et<br />

<strong>le</strong>s inclinations <strong>de</strong>s fractions <strong>de</strong> cette gran<strong>de</strong> âme,<br />

modifiée sans doute par <strong>le</strong>s corps dans <strong>le</strong>squels el<strong>le</strong><br />

opérait, ce fut là l'origine <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s pratiques superstitieuses<br />

propres à lier commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s génies<br />

et à se <strong>le</strong>s rendre favorab<strong>le</strong>s.<br />

Si ce sujet est obscur, si l'on croit y remarquer <strong>de</strong>s<br />

erreurs et <strong>de</strong>s contradictions, on répondra : Comment<br />

en serait-il autrement, puisqu'il était si ténébreux<br />

pour <strong>le</strong>s sages et p<strong>le</strong>in <strong>de</strong> contradictions même pour la<br />

caste sacerdota<strong>le</strong> ?<br />

Essayons <strong>de</strong> passer rapi<strong>de</strong>ment en revue ces divers<br />

systèmes religieux, et d'examiner ce qu'ils ont d'analogue<br />

entre eux; cet exposé sera bien incomp<strong>le</strong>t, car<br />

<strong>le</strong> sujet est très-vaste. Voici ce qui a paru <strong>le</strong> plus clair<br />

dans ce chaos.<br />

Révélations opposées; Dieu ou <strong>de</strong>s dieux, lumière et ténèbres se sont<br />

substitués au premier principe méconnu par <strong>le</strong>s Gentils.<br />

<strong>Le</strong>s sages <strong>de</strong> Chaldée reconnaissaient un feu, principe<br />

intelligent, lumière incréée, ayant pour ministres<br />

<strong>de</strong>s dieux bons et mauvais, qui n'ont qu'une surintendance<br />

généra<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s sept planètes ; il fallait<br />

se rendre propices ces dieux-ministres, parcel<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong> la lumière incréée qui remplit l'espace entre <strong>le</strong>s


8 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

astres, <strong>le</strong>s relie ensemb<strong>le</strong>, et <strong>le</strong>ur donne <strong>le</strong> mouvement.<br />

L'âme <strong>de</strong> la matière, ayant son siège à une<br />

gran<strong>de</strong> distance <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong>, perd son éclat à<br />

mesure qu'el<strong>le</strong> s'éloigne <strong>de</strong> sa source, dont la pureté<br />

et la clarté ne peuvent se concevoir ; <strong>de</strong>venue matériel<strong>le</strong><br />

au <strong>de</strong>gré <strong>le</strong> plus inférieur, el<strong>le</strong> forme <strong>le</strong> chaos,<br />

et son ensemb<strong>le</strong> la chaîne d'Osiris, dont l'une <strong>de</strong>s<br />

extrémités est la lumière, principe actif, et l'autre <strong>le</strong>s<br />

ténèbres, principe passif.<br />

En Perse, <strong>le</strong>s mages reconnaissaient <strong>de</strong>ux principes :<br />

l'un bon, l'autre mauvais. Oromase et Ahrimane,<br />

émanés <strong>de</strong> Mithra, Dieu suprême, feu intelligent,<br />

dont <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il est l'emblème. Mithra avait forcé <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux principes à se réunir : ceux-ci occupent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

extrémités <strong>de</strong> la chaîne et forment, l'un, la lumière,<br />

et l'autre, la matière brute ; <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux dieux se divisent<br />

en une vaste hiérarchie d'intelligences, <strong>le</strong>s unes pures,<br />

<strong>le</strong>s autres impures.<br />

Dans l'In<strong>de</strong>, <strong>le</strong>s gymnosophistes adoraient la lumière<br />

intelligente, immatériel<strong>le</strong> et infinie, et reconnaissaient<br />

aussi la matière, ou <strong>le</strong> chaos, à qui cette<br />

intelligence donna la forme sans pouvoir lui ôter<br />

son imperfection : ainsi la matière est coéternel<strong>le</strong><br />

au Dieu lumière. Vient ensuite la division en dieux<br />

subalternes qui ont p<strong>le</strong>in pouvoir pour gouverner <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong>, etc.<br />

Lasccte <strong>de</strong>s brahmesreconnaissait aussi un Dieu principe<br />

<strong>de</strong>s dieux inférieurs. Wichnou, Shiva et Brahma<br />

réunissent ensemb<strong>le</strong> tous <strong>le</strong>s attributs du Parabrama.<br />

Malgré l'obscurité <strong>de</strong>s théogonies égyptiennes, on<br />

peut y retrouver aussi la doctrine <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux principes,<br />

qu'un prêtre égyptien avait révélée à Plutarquc, <strong>le</strong>quel<br />

a discuté longuement ce sujet : « <strong>Le</strong>s matérialistes,


AVEC LE DÉMON. 9<br />

la mer. » Il rejette ces explications : « <strong>Le</strong>s platoniciens,<br />

dit-il, ont vu dans Isis, Osiris et Typhon, <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

dont <strong>le</strong>s uns sont bons, d'autres mauvais; <strong>le</strong>s principes<br />

<strong>de</strong> l'univers ne sont point inanimés, comme<br />

l'ont pensé <strong>le</strong>s épicuriens ; l'opinion <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux principes<br />

remonte à une haute antiquité, et el<strong>le</strong> est<br />

consacrée par <strong>le</strong>s mystères et <strong>le</strong>s sacrifices. H y a<br />

<strong>de</strong>ux puissances opposées, marquées sensib<strong>le</strong>ment<br />

dans <strong>le</strong>s fab<strong>le</strong>s égyptiennes; l'une fait <strong>le</strong> mal, l'autre<br />

est la cause du bien : Osiris et Typhon, en Egypte<br />

comme ail<strong>le</strong>urs, sont en opposition, c'est la lumière et<br />

<strong>le</strong>s ténèbres; Osiris s'applique aux génies bienfaisants,<br />

Typhon est <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong>s génies malfaisants, qui<br />

sont mensonges et ténèbres. » {Analyse à"unpassage <strong>de</strong><br />

Plutarque.)<br />

Inachus, Cadmus, Cécrops, ayant apporté <strong>le</strong>ur<br />

doctrine à la Grèce encore barbare, une confusion<br />

monstrueuse enfanta pour <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> <strong>le</strong>s fab<strong>le</strong>s allégoriques<br />

que Linus, Mélampus, Orphée se gardèrent<br />

d'expliquer à tous autres qu'aux initiés. Mais sous <strong>le</strong><br />

voi<strong>le</strong> <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s on retrouve encore <strong>le</strong> Premier principe<br />

; d'après Orphée, tout était dans <strong>le</strong> sein <strong>de</strong> Jupiter :<br />

l'Océan, <strong>le</strong> Tartare, la terre, 1 ether et <strong>le</strong>s dieux; une<br />

âme vivifiante était répandue partout. Cette unité ne<br />

s'opposait point à ce que <strong>le</strong>s Grecs reconnussent une<br />

dualité ; ils admettaient aussi l'existence <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux principes<br />

contraires. Selon Hésio<strong>de</strong>, <strong>le</strong> premier <strong>de</strong>s dieux<br />

est <strong>le</strong> Chaos ou <strong>le</strong>s Ténèbres; après la formation <strong>de</strong> la<br />

terre, ce qui est au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>vint <strong>le</strong> domaine <strong>de</strong>s dieux<br />

cé<strong>le</strong>stes, ce qui est au-<strong>de</strong>ssous <strong>le</strong> district <strong>de</strong>s dieux<br />

infernaux; l'amour, <strong>le</strong> souverain <strong>de</strong>s autres dieux,<br />

principe actif, gouverne tout dans <strong>le</strong> Ciel et dans <strong>le</strong><br />

Tartare ; partout où il est, sa lumière pure dissipe <strong>le</strong>s<br />

ténèbres du Chaos.


10 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

D'après la doctrine <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s, il existe <strong>de</strong>ux divinités<br />

principa<strong>le</strong>s : Taranis, dieu du tonnerre, et<br />

Teutatès, auquel on immo<strong>le</strong> dos victimes humaines,<br />

celui qu'on croit i<strong>de</strong>ntique <strong>avec</strong> Tuiston, dieu infernal<br />

<strong>de</strong>s Germains; <strong>le</strong> dieu du feu et celui <strong>de</strong> l'eau ont<br />

tout créé par <strong>le</strong>ur union, en se séparant ils causeront<br />

la ruine <strong>de</strong> l'univers. Dans cette doctrine trop peu<br />

connue pour l'examiner ici, il existe un Dieu suprême<br />

dont <strong>le</strong> nom est inconnu, il unit <strong>de</strong>ux dieux émanés<br />

<strong>de</strong> lui formant tantôt un Dieu unique, tantôt une<br />

dualité.<br />

C'est à Sanchoniaton, selon Mignot, qu'on doit <strong>de</strong><br />

connaître la cosmogonie <strong>de</strong>s Phéniciens; ceux-ci posaient<br />

pour principes <strong>de</strong> l'univers un air ténébreux,<br />

agité comme <strong>le</strong> vent, puis <strong>le</strong> chaos, c'est-à-dire la<br />

matière. Ces principes existaient dans un espace sans<br />

limites, l'esprit conçut <strong>de</strong> l'amour pour eux et s'y unit.<br />

Là sont encore <strong>de</strong>ux principes : l'air ténébreux et<br />

subtil et un sombre chaos, c'est <strong>le</strong> ciel et la matière<br />

dans <strong>le</strong>ur état primitif. L'être intelligent communique<br />

<strong>le</strong> mouvement au chaos et en coordonne <strong>le</strong>s parties<br />

pour former l'univers.<br />

D'après ceci, il faudrait conclure que, malgré la<br />

gran<strong>de</strong> obscurité <strong>de</strong> ces doctrines pour nous, et <strong>de</strong>s<br />

erreurs inévitab<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong>s présentent au fond une assez<br />

gran<strong>de</strong> analogie entre el<strong>le</strong>s.<br />

Une âme universel<strong>le</strong> assez aveug<strong>le</strong>, d'où surgissent<br />

<strong>de</strong>ux dieux, l'un bon, l'autre mauvais, ou même un<br />

seul Dieu en môme temps bon et mauvais, qui réglant<br />

tout et administrant tout en souverain maître, a<br />

fait oublier <strong>le</strong> premier être et s'est fait adorer à sa<br />

place<br />

. Pour ces documents, épars dans <strong>le</strong>s anciens historiens et exposés


AVEC LE DÉMON. 11<br />

Il nous reste à examiner une autre doctrine.<br />

On a dit en commençant que si Dieu avait fait primitivement<br />

une révélation, el<strong>le</strong> avait été oubliée et<br />

même altérée par <strong>de</strong>s manifestations que l'on crut divines.<br />

On verra qu'une petite nation qui possè<strong>de</strong> aussi<br />

<strong>de</strong>s livres sacrés <strong>de</strong> la plus haute antiquité, prétend<br />

conserver exclusivement la vraie tradition divine.<br />

D'après <strong>le</strong>s Livres sacrés <strong>de</strong>s Juifs, un Dieu existant<br />

<strong>de</strong> toute éternité a créé la matière visib<strong>le</strong> et <strong>de</strong>s êtres<br />

intelligents invisib<strong>le</strong>s; soumis à une épreuve, une<br />

portion <strong>de</strong> ces êtres succomba, d'autres persévérèrent<br />

dans <strong>le</strong> bien. Il créa <strong>l'homme</strong>, soumis lui-même à<br />

une épreuve; <strong>le</strong>s esprits déchus qui n'avaient rien<br />

perdu <strong>de</strong>s nob<strong>le</strong>s facultés inhérentes à <strong>le</strong>ur nature<br />

spirituel<strong>le</strong>, s'en servent pour <strong>le</strong> tenter, ce que Dieu<br />

permet dans certaines limites. Loin d'être <strong>le</strong>s rivaux<br />

en puissance du Dieu premier principe, loin <strong>de</strong> l'anéantir<br />

et <strong>de</strong> <strong>le</strong> supplanter, ils sont ses esclaves et<br />

ne cessent jamais d'être ses instruments, lors môme<br />

que livrés à toute <strong>le</strong>ur rage contre <strong>l'homme</strong>, ils s'efforcent<br />

<strong>de</strong> lui nuire et <strong>de</strong> l'aveug<strong>le</strong>r. L'insondab<strong>le</strong><br />

sagesse divine conduit tout. L'homme reste libre ; <strong>le</strong>s<br />

anges d'ail<strong>le</strong>urs qui ont persévéré dans <strong>le</strong> bien n'agissent<br />

qu'en Dieu et <strong>avec</strong> Dieu. Ils protègent<br />

<strong>l'homme</strong>, mais son choix est toujours volontaire au<br />

milieu <strong>de</strong> ces suggestions, dont <strong>le</strong> but est si opposé.<br />

d'une manière aussi confuse par <strong>le</strong>s mo<strong>de</strong>rnes que <strong>le</strong> sujet lui-mârne<br />

est obscur, on pourra consulter <strong>le</strong>s <strong>tome</strong>s XL, XLI, XLVI, LV, LVI<br />

et LXI <strong>de</strong>s Mémoires <strong>de</strong> littcr. <strong>de</strong> l'Académie roya<strong>le</strong> <strong>de</strong>s inscriptions et<br />

bel<strong>le</strong>s-<strong>le</strong>ttres, éd. in-12, <strong>le</strong>s trois <strong>tome</strong>s <strong>de</strong> Rol<strong>le</strong> sur <strong>Le</strong> culte <strong>de</strong> Bacchus,<br />

Oeuzertrad. par Guigniaut, etc., etc.


12 DES RAPPORTS DE l/HOMME<br />

CHAPITRE II<br />

Intervention d»,s dieux, croyance aux esprits et aux prodiges. — Noms divers<br />

donnés aux attributs divins, etc. —La divinité représentée par <strong>de</strong>s sym­<br />

bo<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong> bouc, <strong>le</strong> taureau, etc. — On attribue au serpent la paternité <strong>de</strong><br />

plusieurs illustres personnages- — Symbo<strong>le</strong>s pris parmi <strong>le</strong>s êtres inanimés.<br />

— <strong>Le</strong> Phallus a pu engendrer <strong>le</strong>s infamies <strong>de</strong>s mystères. — Feu sacré. — La<br />

divinité se manifeste dans <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s. — Mysticisme païen.<br />

Intervention <strong>de</strong>s dieux, croyance aux esprits et aux prodiges.<br />

Nous allons maintenant exposer : 4° que partout<br />

on a cru à l'intervention <strong>de</strong>s dieux ou <strong>de</strong>s génies,<br />

à <strong>le</strong>urs révélations et au pouvoir par eux donné à<br />

<strong>l'homme</strong> <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s prodiges; 2° que <strong>le</strong>s profanes<br />

prirent pour autant <strong>de</strong> dieux distincts <strong>le</strong>s attributs divins,<br />

auxquels on avait donné <strong>de</strong>s noms divers, <strong>de</strong><br />

sorte qu'il en résulta une fou<strong>le</strong> innombrab<strong>le</strong> <strong>de</strong> divinités.<br />

3° <strong>Le</strong>s attributs furent représentés par divers symbo<strong>le</strong>s<br />

; on par<strong>le</strong>ra <strong>de</strong>s principaux.<br />

Tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s ont eu la ferme conviction :<br />

que<br />

<strong>l'homme</strong> peut évoquer dos intelligences invisib<strong>le</strong>s, et<br />

qu'el<strong>le</strong>s peuvent aussi se manifester librement sans<br />

être évoquées, lui révé<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s secrets, soit en songe,<br />

soit dans <strong>le</strong> délire sacré, soit même dans l'état <strong>de</strong><br />

veil<strong>le</strong> ordinaire; lui donner <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> prédire, <strong>de</strong><br />

guérir, <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r à la nature, et même <strong>de</strong> faire<br />

<strong>le</strong> mal. On voit <strong>le</strong>s dieux s'emparer parfois <strong>de</strong> l'orga-


AVEC LE DÉMON. 13<br />

nisme humain et causer cet état fâcheux, connu,<br />

comme on <strong>le</strong> verra, sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> possession.<br />

Toutes <strong>le</strong>s religions admettent la communication<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s esprits. Dans l'In<strong>de</strong>, <strong>le</strong>s gymnosophistes s'adressent<br />

à eux pour en obtenir <strong>de</strong>s secours surnaturels<br />

dans <strong>le</strong>s malheurs publics; transportés <strong>de</strong> la fureur<br />

sacrée, un dieu par<strong>le</strong> par <strong>le</strong>ur bouche ; au milieu <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>urs danses frénétiques et <strong>de</strong> convulsions ils prédisent<br />

l'avenir. C'est à eux que Brahma révéla <strong>le</strong>s Védas<br />

diversement interprétés. Que <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt<br />

qu'on fasse cou<strong>le</strong>r <strong>le</strong> sang humain, <strong>le</strong> prêtre déchirera<br />

sa propre chair ; qu'ils lui ordonnent <strong>de</strong> se jeter au<br />

milieu d'un bûcher, il obéit sans hésiter et n'hésiterait<br />

pas davantage s'il lui était enjoint d'y faire<br />

précipiter <strong>de</strong>s victimes humaines moins pures que lui.<br />

Qu'on ouvre <strong>le</strong>s Védas, on y verra <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> dévouer<br />

ses ennemis à la mort : <strong>le</strong> Sankhya indique celui<br />

<strong>de</strong> parvenir à l'extase, laquel<strong>le</strong>, outre la faculté <strong>de</strong> <strong>de</strong>viner,<br />

donne cel<strong>le</strong> d'être invulnérab<strong>le</strong>.<br />

Toutes <strong>le</strong>s sectes ont <strong>le</strong>urs Yoguis qui font <strong>de</strong>s prodiges;<br />

un chapitre du Yoga-Sastra révè<strong>le</strong> diverses<br />

pratiques propres à faire connaître <strong>le</strong> passé, <strong>le</strong> présent<br />

et l'avenir, à faire vo<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s airs, marcher sur <strong>le</strong>s<br />

eaux, se métamorphoser, etc. Nous verrons ail<strong>le</strong>urs<br />

que <strong>le</strong>s dieux aiment <strong>le</strong>s femmes. Dans <strong>le</strong> Ramayana,<br />

la vierge Kara est ravie à sa mère par <strong>le</strong> dieu<br />

infernal ; dans <strong>le</strong> Mahabharata, <strong>de</strong>s génies feignent<br />

<strong>de</strong> vouloir épouser Damahyanti pour éprouver son<br />

amant Nata; celui-ci <strong>de</strong>vient jaloux, et pour l'en punir<br />

ils lui ôtent la raison, <strong>le</strong> possè<strong>de</strong>nt et l'obsè<strong>de</strong>nt.<br />

En Chine, la doctrine <strong>de</strong> Ki-Tseu, <strong>de</strong> Lao-Tseu, <strong>de</strong><br />

Confucius, offre <strong>le</strong>s mêmes convictions; Confucius<br />

reconnaît <strong>de</strong> nombreux génies, ministres du grand<br />

Tien, qui prési<strong>de</strong>nt à l'harmonie du mon<strong>de</strong> ; répandus


H DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

comme <strong>le</strong>s flots <strong>de</strong> l'Océan, nombreux comme <strong>le</strong>s<br />

a<strong>tome</strong>s qui s'agitent dans un rayon solaire', ils gouvernent<br />

<strong>le</strong>s éléments; il en est <strong>de</strong> bons et <strong>de</strong> fort méchants,<br />

qui s'efforcent <strong>de</strong> nuire ; ils se montrent sous<br />

la l'orme du serpent que nous verrons partout jouer<br />

un si grand rô<strong>le</strong>. La magie noire s'y présente <strong>avec</strong> son<br />

cortège ordinaire : divinations, songes, augures, présages,<br />

etc. Si la secte <strong>de</strong> Foé diffère, ce n'est pas concernant<br />

la croyance aux génies, qu'el<strong>le</strong> distingue aussi<br />

en bons et mauvais. <strong>Le</strong>s discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Lao-Tscu brû<strong>le</strong>nt<br />

<strong>de</strong>s parfums en l'honneur <strong>de</strong>s bons génies, <strong>avec</strong> certaines<br />

pratiques écartent <strong>le</strong>s mauvais, entretiennent<br />

par <strong>le</strong>s secrets magiques un commerce <strong>avec</strong> tous.<br />

Que l'on se transporte chez <strong>le</strong>s Celtes, on retrouvera<br />

<strong>le</strong>s mômes pratiques mystérieuses, après quoi <strong>le</strong>s dieux<br />

donnent <strong>de</strong>s signes sensib<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur présence. <strong>Le</strong><br />

drui<strong>de</strong> reçoit <strong>de</strong>s inspirations, ce qui n'appartient d'ordinaire<br />

qu'aux initiés; sans lui <strong>le</strong>s cérémonies magiques<br />

sont illégitimes; confi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s dieux, <strong>le</strong> passé, <strong>le</strong><br />

présent, l'avenir, tout ce que la nature a <strong>de</strong> plus caché<br />

lui est révélé; aussi <strong>le</strong> drui<strong>de</strong> peut-il bou<strong>le</strong>verser la nature,<br />

métamorphoser <strong>le</strong>s hommes, évoquer <strong>le</strong>s morts,<br />

dévouer ses ennemis. Toutes <strong>le</strong>s parties <strong>de</strong> l'univers<br />

sont p<strong>le</strong>ines <strong>de</strong> génies attentifs à lui faire opérer <strong>de</strong>s<br />

choses extraordinaires. <strong>Le</strong>s drui<strong>de</strong>s ont <strong>de</strong>s charmes qui<br />

<strong>le</strong>s ren<strong>de</strong>nt invulnérab<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s amu<strong>le</strong>ttes qui <strong>le</strong>s préservent<br />

<strong>de</strong> tous dangers; ils guérissent <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s et<br />

<strong>de</strong>s cérémonies, ou en chassant l'esprit qui a causé la<br />

maladie. Ils prési<strong>de</strong>nt aux épreuves par <strong>le</strong> fer rouge,<br />

l'eau froi<strong>de</strong> et l'eau bouillante, excitent <strong>de</strong>s tempêtes,<br />

déchaînent <strong>le</strong>s vents ou <strong>le</strong>s apaisent, détruisent <strong>le</strong>s<br />

récoltes, suscitent ou font périr <strong>le</strong>s insectes qui en<br />

sont <strong>le</strong> fléau ; ils peuvent rendre <strong>l'homme</strong> impuissant,<br />

mala<strong>de</strong>, furieux, etc. Nous pourrions montrer partout


AVEC LE DÉMON. 15<br />

<strong>le</strong>s mêmes prodiges s'opérant au moyen <strong>de</strong>s mêmes<br />

puissances. Soit qu'on, se transporte en Chaldée, en<br />

Egypte, en Perse, en Phénicie, chez <strong>le</strong>s Grecs, chez<br />

<strong>le</strong>s Romains, et jusque parmi <strong>le</strong>s peupla<strong>de</strong>s <strong>le</strong>s plus<br />

sauvages, partout mêmes pratiques, mômes prodiges,<br />

éga<strong>le</strong>s convictions, ainsi qu'on <strong>le</strong> verra dans un exposé<br />

moins bref.—<strong>Le</strong> prophète Daniel qui divise en quatre<br />

classes <strong>le</strong>s sages <strong>de</strong> Chaldée, signa<strong>le</strong> aussi <strong>le</strong>s bons et<br />

<strong>le</strong>s mauvais génies et <strong>le</strong>ur commerce <strong>avec</strong> <strong>l'homme</strong>,<br />

c'est-à-dire la divination, la magie, etc.<br />

Selon Mignot <strong>le</strong>s Phéniciens admettaient l'existence<br />

d'êtres mitoyens entre Dieu et <strong>l'homme</strong>, et<br />

étaient persuadés que Dieu se servait d'eux pour gouverner<br />

<strong>le</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

En Egypte, on retrouve <strong>le</strong>s pratiques <strong>le</strong>s plus occultes<br />

<strong>de</strong> la magie 2<br />

. <strong>Le</strong>s esprits se manifestent, ils<br />

exercent une action visib<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s statues.<br />

Donc tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s enfin étaient convaincus que<br />

<strong>de</strong>s prodiges étonnants et parfois même effrayants<br />

étaient opérés pas <strong>le</strong>s dieux ou <strong>le</strong>s génies. <strong>Le</strong>s Livres<br />

sacrés <strong>de</strong>s Juifs sont loin <strong>de</strong> <strong>le</strong> contester, mais ils font.<br />

connaître que ces dieux sont <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, c'est-à-dire<br />

<strong>de</strong>s esprits, tous mauvais, menteurs, trompeurs, qui<br />

1. Mém. <strong>de</strong> l'Acad., t. LXI.<br />

2. On sait que la magie existait en Egypte dès la plus haute antiquité<br />

: <strong>de</strong>s manuscrits sur papyrus, déchiffrés aujourd'hui par <strong>le</strong>s<br />

savants, viennent prouver qu'au moyen <strong>de</strong> formu<strong>le</strong>s on consacrait <strong>de</strong>s<br />

amu<strong>le</strong>ttes pour charmer l'eau, <strong>le</strong>s animaux, etc. On évoquait <strong>le</strong>s<br />

mânes, <strong>le</strong>s Khous; ceux-ci pouvaient s'emparer du corps <strong>de</strong>s vivants,<br />

y rési<strong>de</strong>r. Alors on était possédé par un méchant Khou, <strong>le</strong> dieu Khons<br />

expulsait heureusement <strong>le</strong>s Khous, qui pouvaient aussi obsé<strong>de</strong>r, vexer<br />

<strong>le</strong>s habitants <strong>de</strong>s maisons qu'ils hantaient. On pouvait fasciner, faire<br />

<strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> menh, figures sans doute pour envoûter. On avait enfin<br />

<strong>de</strong>s moyens d'opérer mil<strong>le</strong> horreurs, mil<strong>le</strong> méchancetés que <strong>le</strong>s lois<br />

punissaient <strong>de</strong> mort. (Chabas, Papyrus magique Jlarris.)


IO­ DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

ont altéré la vraie doctrine et séduit <strong>le</strong>s nations; ils<br />

montrent que <strong>le</strong>urs prodiges sont si inférieurs à ceux<br />

du Dieu <strong>de</strong>s patriarches et <strong>de</strong> Moïse, que ces dieux intrus<br />

sont forcés <strong>de</strong> subir et d'avouer même <strong>le</strong>ur défaite.<br />

Ce qu'on voit constamment <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> législateur hébreu<br />

luttant <strong>de</strong> prodiges <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s prêtres égyptiens,<br />

<strong>de</strong>puis Élie luttant <strong>avec</strong> ceux <strong>de</strong> Baal, <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s premiers<br />

chrétiens chassant <strong>le</strong>s esprits du corps <strong>de</strong>s possédés,<br />

jusqu'aux exorcistes <strong>de</strong> nos jours qui usent<br />

aussi contre eux <strong>de</strong> la même puissance. L'Ancien et <strong>le</strong><br />

Nouveau Testament proclament à chaque page l'existence<br />

<strong>de</strong>s esprits mauvais, en avertissant qu'ils se<br />

sont fait passer pour <strong>de</strong>s dieux. On verra que <strong>le</strong>urs<br />

prodiges mêmes <strong>le</strong>s dévoi<strong>le</strong>nt. <strong>Le</strong>s uns sont ridicu<strong>le</strong>s<br />

ou malfaisants, et ceux mêmes qui sont bienfaisants ne<br />

concernent que la vie matériel<strong>le</strong> et sensuel<strong>le</strong>. Il suffit<br />

<strong>de</strong> comparer <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s éclatants <strong>de</strong> Jéhovah <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />

prodiges grotesques <strong>de</strong>s dieux <strong>de</strong>s Gentils, pour reconnaître<br />

<strong>le</strong> cachet divin <strong>de</strong>s premiers et la fausseté <strong>de</strong>s<br />

seconds.<br />

Voici donc une croyance universel<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s philosophes<br />

anciens et mo<strong>de</strong>rnes ont partagée; il faut en<br />

excepter une seu<strong>le</strong> classe d'hommes, livrée au culte<br />

du bien-être matériel, qui ne <strong>de</strong>viennent nombreux<br />

qu'aux époques <strong>de</strong> déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s sociétés. Ceux-ci nient<br />

l'existence <strong>de</strong>s esprits, soutiennent que <strong>le</strong> surnaturel<br />

n'existe pas, et rejettent conséquemment tous <strong>le</strong>s prodiges<br />

qu'ils attribuent à la nature. Il ne s'agit pas actuel<strong>le</strong>ment<br />

<strong>de</strong> faire un choix parmi <strong>le</strong>s diverses doctrines<br />

religieuses, ni d'opter entre cel<strong>le</strong>s-ci et <strong>le</strong> système <strong>de</strong>s<br />

épicuriens. Notre unique but était <strong>de</strong> constater que <strong>le</strong>s<br />

livres sacrés <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s attestaient l'existence<br />

<strong>de</strong>s esprits et <strong>le</strong>urs prodiges.


AVEC LE DÉMON. 47<br />

Noms divers donnés aux attributs divins, etc.<br />

<strong>Le</strong>s profanes prirent <strong>le</strong>s divers noms donnés aux attributs<br />

divins pour autant <strong>de</strong> divinités distinctes. La<br />

même divinité avait chez <strong>le</strong> même peup<strong>le</strong> plusieursnoms,<br />

selon ses attributs et sa forme; lorsqu'el<strong>le</strong> était<br />

acceptée dans une nation étrangère, el<strong>le</strong> y prenait encore<br />

un autre nom et grossissait ainsi pour <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> la<br />

longue nomenclature <strong>de</strong>s divinités; mais toujours et<br />

partout on y retrouve <strong>le</strong> dieu bienfaisant i<strong>de</strong>ntique <strong>avec</strong><br />

<strong>le</strong> dieu malfaisant.<br />

Hérodote dit qu'Apollon est <strong>le</strong> même dieu que Bacchus,<br />

<strong>le</strong> même que Horus; Apollon était aussi confondu<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong> dieu Pan, représenté sous la forme du bouc.<br />

Ainsi <strong>le</strong> dieu <strong>de</strong> la musique, <strong>de</strong> la danse, <strong>de</strong> la lubricité<br />

était <strong>le</strong> même que <strong>le</strong> dieu <strong>de</strong>s enfers; par cette raison,<br />

Fulgence l'appel<strong>le</strong> Chtonien. D'après Plutarque, <strong>le</strong>s initiés<br />

se couronnaient <strong>de</strong> feuil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'arbre <strong>de</strong>s enfers,<br />

l'aune ou <strong>le</strong> peuplier. « Cette doctrine, dit Rol<strong>le</strong> qui<br />

i<strong>de</strong>ntifiait <strong>le</strong>s dieux cé<strong>le</strong>stes <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux infernaux,<br />

Bacchus <strong>avec</strong> Pluton, paraissait contradictoire aux initiés,<br />

auxquels on persuadait diffici<strong>le</strong>ment que ce Bacchus,<br />

qu'ils regardaient comme un dieu si grand et si<br />

pur, fût une divinité inferna<strong>le</strong>. » Plutarque ditque «<strong>le</strong>s<br />

prêtres ne communiquaient cette partie <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur doctrine<br />

qu'<strong>avec</strong> une gran<strong>de</strong> réserve et n'en parlaient qu'<strong>avec</strong><br />

une sorte d'horreur. » (Rol<strong>le</strong>.)<br />

D'après la doctrine qui considère <strong>le</strong>s astres comme<br />

<strong>de</strong>s dieux, il en est encore <strong>de</strong> même. Aviénus témoigne<br />

à Prétextatus (Macrobe) son étonnement <strong>de</strong> ce qu'on<br />

honore Apollon sous <strong>le</strong> noma<strong>de</strong> Dionysius, Bacchus et<br />

i. Recherches sur <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> Bacchus,, t. I er<br />

.<br />

2


18 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

autres dénominations, et <strong>le</strong> prie <strong>de</strong> lui expliquer, lui<br />

premier ministre <strong>de</strong> ce culte, la cause <strong>de</strong> cette multitu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> noms. Ce n'est pas sans raison, répond celui-ci,<br />

qu'on a rapporté au so<strong>le</strong>il presque toutes <strong>le</strong>s divinités,<br />

ni une vaine superstition. <strong>Le</strong> so<strong>le</strong>il est <strong>le</strong> chef et <strong>le</strong> modérateur<br />

<strong>de</strong>s astres, et si, selon plusieurs, <strong>le</strong>s autres<br />

planètes dirigent <strong>le</strong>s choses d'ici-bas ou <strong>le</strong>s pronostiquent,<br />

nous sommes forcés <strong>de</strong> <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r comme <strong>le</strong><br />

souverain régulateur; ses propriétés ont donné naissance<br />

à <strong>de</strong>s dieux différents : comme dieu <strong>de</strong> la divination<br />

et <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine c'est Apollon; comme Dieu <strong>de</strong><br />

la paro<strong>le</strong> c'est Mercure. On l'adore sous une infinité<br />

d'autres noms qui rentrent dans <strong>le</strong> culte secret, tous,<br />

selon la manière dont on <strong>le</strong> considère. D'après un<br />

dogme sacré <strong>de</strong>s mystères, quand <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il occupe l'hémisphère<br />

supérieur, on l'appel<strong>le</strong> Apollon, et Dionysius<br />

et Bacchus quand il parcourt l'hémisphère inférieur.<br />

Chez <strong>le</strong>s Thraces, on <strong>le</strong> nomme Sabazius ; Orphée<br />

l'appel<strong>le</strong> Phanès. C'est encore <strong>le</strong> même que Pluton;<br />

l'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong>Claros, consulté sur <strong>le</strong> dieu Iao, ou <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il,<br />

répondit : <strong>Le</strong>s initiés doivent tenir <strong>le</strong>s mystères secrets,<br />

car l'esprit <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> est faib<strong>le</strong> ; <strong>le</strong> plus grand <strong>de</strong>s<br />

dieux est Iao, <strong>le</strong>quel est Pluton en hiver, Jupiter au<br />

printemps, Apollon en été. Macrobe (XVII et XX), en<br />

faisant connaître <strong>le</strong>s noms divers d'un même dieu, dit<br />

aussi que Cérès et la Lune sont i<strong>de</strong>ntiques <strong>avec</strong> Sérapis,<br />

Hercu<strong>le</strong>, Némésis et Pan, dont <strong>le</strong>s cornes sont l'emblème<br />

<strong>de</strong>s rayons du so<strong>le</strong>il.<br />

Sans entrer dans un exposé trop fastidieux, disons<br />

que Bacchus, Jupiter, Osiris, Apollon, Horus, Pluton,<br />

Sérapis, etc., dieux cé<strong>le</strong>stes et dieux infernaux, étaient<br />

<strong>le</strong> même dieu, et que Diane, Proserpine, Némésis, Junon,<br />

Vénus, Hécate, etc., déesses cé<strong>le</strong>stes et inferna<strong>le</strong>s,<br />

étaient encore <strong>le</strong> même dieu que <strong>le</strong> premier,


AVEC LE DÉMON. 49<br />

<strong>de</strong> sorte que <strong>le</strong> dieu bon et mauvais avait une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

noms <strong>de</strong> divinités mâ<strong>le</strong>s et femel<strong>le</strong>s.<br />

Plutarque nous apprend que tantôt la lune est considérée<br />

comme dieu, tantôt comme déesse : dans l'Arménie<br />

et dans la Mésopotamie, on la représentait sous <strong>le</strong>s<br />

traits d'un homme, et Bacchus, <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s cornes<br />

et un visage <strong>de</strong> femme. Ceci vient surabondamment<br />

nous prouver quel<strong>le</strong> obscurité régnait dans <strong>le</strong>s doctrines<br />

religieuses <strong>de</strong>s Gentils; <strong>le</strong>s initiés eux-mêmes<br />

n'y comprirent guère plus que <strong>le</strong>s profanes. <strong>Le</strong>s orac<strong>le</strong>s<br />

semblaient prendre plaisir à augmenter encore ces ténèbres.<br />

Ce qui paraît <strong>le</strong> plus clair, c'est que <strong>le</strong> dieu prétendu<br />

bon et <strong>le</strong> dieu mauvais étaient un seul et même<br />

être. Cette i<strong>de</strong>ntité est aussi consignée dans l'Écriture<br />

sainte. Ainsi Bacchus est <strong>le</strong> Baal <strong>de</strong>s Chaldéens, <strong>le</strong> Bélus<br />

<strong>de</strong>s rives <strong>de</strong> l'Euphrate, l'Ammon <strong>de</strong>s Lybiens, l'Apis<br />

<strong>de</strong>s Égyptiens , <strong>le</strong> Jupiter <strong>de</strong>s Assyriens , <strong>le</strong> Moloch<br />

<strong>de</strong>s Ammonites, et l'Astaroth <strong>de</strong>s Phéniciens, l'Osiris<br />

et l'isis égyptiens, <strong>le</strong> Mithra <strong>de</strong>s Perses, tous i<strong>de</strong>ntiques<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il et la lune, etc.<br />

Belphégor, Chamos, Baal, ces dieux adorés par <strong>le</strong>s<br />

Moabites et <strong>le</strong>s Hébreux, sont <strong>le</strong>s mêmes qu'Adonis ou<br />

Osiris (<strong>le</strong> so<strong>le</strong>il). Phégor est <strong>le</strong> même que Belphégor,<br />

<strong>le</strong> dieu <strong>de</strong> la luxure, <strong>le</strong> même que Priape. Tous, d'après<br />

la sainte Écriture, ne sont autres que <strong>le</strong> dragon infernal.<br />

La divinité représentée par <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong> bouc, <strong>le</strong> taureau, etc.<br />

<strong>Le</strong>s attributs <strong>de</strong> la divinité, représentés par divers<br />

symbo<strong>le</strong>s, ayant multiplié <strong>le</strong>s dieux, plusieurs auteurs<br />

ont essayé <strong>de</strong> <strong>le</strong>s expliquer. Qu'en est-il résulté? une<br />

fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> volumes où <strong>de</strong>s explications plus ingénieuses<br />

que soli<strong>de</strong>s ont été émises : Pluche, Banier, Per-


20 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

nety, etc., ont montré beaucoup d'érudition et surtout<br />

<strong>de</strong> puissance d'imagination. L'obscurité est la<br />

même ; il en <strong>de</strong>vait être ainsi. <strong>Le</strong>s religions <strong>avec</strong> <strong>le</strong><br />

temps se sont modifiées: <strong>le</strong>s dieux d'une nation victorieuse<br />

ont obtenu un culte chez <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> conquis, <strong>le</strong>s<br />

dieux principes ont été confondus <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s astres,<br />

ceux-ci <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s hommes qu'on a divinisés. <strong>Le</strong> même<br />

personnage ayant reçu différents noms, on lui a prêté<br />

diverses aventures <strong>Le</strong>s profanes prirent <strong>le</strong>s emblèmes<br />

à la <strong>le</strong>ttre, et <strong>le</strong>s initiés eux-mêmes n'auraient<br />

pu débrouil<strong>le</strong>r ce chaos. Il faut remarquer toutefois<br />

que, s'il nous <strong>de</strong>vient impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> déchiffrer<br />

cette multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> symbo<strong>le</strong>s, si vainement <strong>le</strong>s anciens<br />

et <strong>le</strong>s mo<strong>de</strong>rnes ont essayé <strong>de</strong> <strong>le</strong>s expliquer, il y en a<br />

<strong>de</strong> moins indéchiffrab<strong>le</strong>s peut-être, qu'il est uti<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

connaître.<br />

On conçoit que <strong>le</strong> feu, la lumière, aient été choisis<br />

comme symbo<strong>le</strong>s du dieu-principe; on conçoit aussi<br />

que certains animaux aient été considérés comme<br />

propres à représenter certains attributs divins ; quoi,<br />

par exemp<strong>le</strong>, <strong>de</strong> plus propre que <strong>le</strong> taureau pour être<br />

l'emblème <strong>de</strong> la force, que <strong>le</strong> bouc, cet animal lascif,<br />

pour être celui <strong>de</strong> la génération et <strong>de</strong> la fécondité,<br />

et que l'organe <strong>de</strong> la génération pour représenter<br />

<strong>le</strong> principe créateur et vivifiant? La vache, <strong>le</strong> bélier,<br />

<strong>le</strong> chien, <strong>le</strong> chat, etc., furent aussi <strong>de</strong>s emblèmes vivants<br />

<strong>de</strong> la divinité ; nous retrouverons l'adoration du<br />

bouc et du taureau dans <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s bien voisins du<br />

nôtre. Quand on donnera au symbo<strong>le</strong> la forme humaine,<br />

tantôt il portera une tête <strong>de</strong> taureau, ou simp<strong>le</strong>ment<br />

<strong>le</strong>s cornes <strong>de</strong> cet animal ou du bélier; quelquefois<br />

il aura <strong>le</strong>s pieds du bouc. Avec <strong>le</strong> temps, et<br />

selon <strong>le</strong>s circonstances, on combinera <strong>le</strong>s membres<br />

d'un animal <strong>avec</strong> ceux d'une autre espèce. L'âme uni-


AVEC LE DÉMON. 21<br />

versel<strong>le</strong> animant <strong>le</strong>s astres, <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s en représen T<br />

teront aussi <strong>le</strong>s mouvements divers. Nul doute qu'il ne<br />

soit résulté pour <strong>le</strong> peup<strong>le</strong>, <strong>de</strong> ces symbo<strong>le</strong>s si multipliés<br />

et si diversement combinés, une confirmation <strong>de</strong><br />

l'histoire fabu<strong>le</strong>use <strong>de</strong>s dieux obscènes <strong>de</strong> la mythologie;<br />

ce sera un jour, pour <strong>le</strong>s philosophes, un grand<br />

embarras, car, rougissant <strong>de</strong>s infamies <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs divinités,<br />

ils s'efforceront d'expliquer allégoriquement tout<br />

par <strong>le</strong>s phénomènes <strong>de</strong> la nature : mais on <strong>le</strong>ur prouvera<br />

qu'ils se. trompent et qu'ils se contredisent. En<br />

effet, quoiqu'ils ne crussent point aux dieux mythologiques,<br />

ils admettaient <strong>le</strong>s dieux-principes, l'âme<br />

universel<strong>le</strong> <strong>de</strong> laquel<strong>le</strong> émanent <strong>de</strong>s myria<strong>de</strong>s d'intelligences<br />

et <strong>le</strong>s âmes humaines qui gouvernent <strong>le</strong>s<br />

astres. Or si <strong>le</strong>s dieux qui régissent <strong>le</strong>s sept planètes<br />

ont été <strong>de</strong>s hommes fort dissolus, comme ils ont la<br />

prééminence sur <strong>le</strong>s dieux secondaires, c'est reconnaître<br />

que <strong>le</strong>s principaux dieux ont été eux-mêmes<br />

fort impudiques. En vain <strong>le</strong>s prêtres voudront-ils un<br />

jour expliquer <strong>le</strong>s incestes <strong>de</strong> Jupiter par <strong>le</strong>s allégories,<br />

<strong>le</strong>ur doctrine ne sera guère plus sage que cel<strong>le</strong><br />

du peup<strong>le</strong>. Ils se trompent eux-mêmes dans <strong>le</strong>urs<br />

interprétations; Plutarque avoue" qu'aucune d'el<strong>le</strong>s<br />

n'est parfaite, « mais que toutes disent bien et droitement.<br />

» En effet, <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s s'appliquent assez<br />

bien à tous <strong>le</strong>s systèmes. Si <strong>le</strong>s astres étaient <strong>de</strong>s dieux,<br />

<strong>le</strong> taureau, <strong>le</strong> bélier, <strong>le</strong> serpent <strong>de</strong>venaient <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s<br />

astronomiques. Ainsi, quand <strong>le</strong> dieu Lumière, <strong>le</strong><br />

so<strong>le</strong>il divin, dont notre so<strong>le</strong>il visib<strong>le</strong> n'est lui-même<br />

qu'une parcel<strong>le</strong>, passera par <strong>le</strong> mouvement <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier<br />

dans <strong>le</strong> signe qu'on nomme <strong>le</strong> Taureau, il, sera <strong>le</strong><br />

grand régénérateur, car c'est sous ce signe que l'âme<br />

du mon<strong>de</strong> exerce son action régénératrice; quand <strong>le</strong><br />

môme astre passe dans <strong>le</strong> signe du Bélier, comme il


22 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

prési<strong>de</strong> alors l'hémisphère supérieur, ce sera Jupiter<br />

Ammon, représenté <strong>avec</strong> la tête du bélier: quand cet<br />

astre <strong>de</strong>scendra dans l'hémisphère inférieur, il passera<br />

dans <strong>le</strong> Scorpion. C'est <strong>le</strong> mauvais génie représenté<br />

par <strong>le</strong> serpent, c'est Typhon.<br />

Anubis, i<strong>de</strong>ntique <strong>avec</strong> Hécate et Proserpine, était<br />

représenté <strong>avec</strong> une tête <strong>de</strong> chien : c'était aussi <strong>le</strong><br />

symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong> « Saturne qui porte et engendre tout ; »<br />

Plutarque, qui essaye d'expliquer la raison du choix <strong>de</strong><br />

cet animal, dit que <strong>le</strong> culte d'Anubis est fort ancien;<br />

on sacrifiait <strong>de</strong>ux coqs à ces divinités i<strong>de</strong>ntiques. Hécate<br />

était représentée <strong>avec</strong> trois corps et <strong>de</strong>ux visages,<br />

on lui donnait la figure du chien ; à chaque néoménic<br />

on lui offrait un repas. El<strong>le</strong> pouvait faire sortir <strong>le</strong>s<br />

spectres <strong>de</strong>s enfers et réprimer <strong>le</strong>ur fureur. On pouvait<br />

faire apparaître cette déesse triforme protectrice<br />

<strong>de</strong>s plus fameux magiciens. (V. Porphyr. ap. Euseb.,<br />

Prœp. ev., V.) El<strong>le</strong> était confondue <strong>avec</strong> Diane ou la<br />

lune dans <strong>le</strong>s enchantements. <strong>Le</strong>s platoniciens considéraient<br />

Hécate et Sérapis comme <strong>le</strong>s premiers <strong>de</strong>s<br />

mauvais génies. Sainte-Croix, d'après Porphyre, dit<br />

qu'Hécate se plaisait à être invoquée sous <strong>le</strong>s noms<br />

du chien et du taureau. On pourra remarquer un jour<br />

dans une certaine secte, relativement très-mo<strong>de</strong>rne,<br />

<strong>de</strong>s vestiges <strong>de</strong> ce qu'on vient <strong>de</strong> citer.<br />

Osiris, Jupiter, Apollon, Sérapis, etc., dieux i<strong>de</strong>ntiques,<br />

avaient pour symbo<strong>le</strong>s <strong>le</strong> taureau, <strong>le</strong> bélier, <strong>le</strong><br />

serpent; la vache était celui d'Isis, <strong>le</strong> chat celui <strong>de</strong><br />

Diane, <strong>de</strong> la lune, etc.<br />

On a dit que l'on combinait ensemb<strong>le</strong> <strong>le</strong>s formes<br />

<strong>de</strong>s animaux : Hécate étant la même que Proserpine,<br />

qu'Isis représentée par la vache, que Diane symbolisée<br />

dans <strong>le</strong> chat, la divinilé avait quelquefois trois têtes,<br />

et souvent <strong>avec</strong> col<strong>le</strong> do l'animal qui était son symbo<strong>le</strong>,


AVEC LE DÉMON. 23<br />

on lui donnait <strong>le</strong> corps d'un animal symbo<strong>le</strong> d'une<br />

autre divinité.<br />

Chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s on adopta <strong>de</strong>s animaux comme<br />

symbo<strong>le</strong>s. Seraient-ce <strong>le</strong>s progrès faits par la suite<br />

dans la sculpture, qui firent choisir plus fréquemment<br />

la forme humaine? Quoi qu'il en soit, on ne renonça<br />

point aux animaux symboliques ni à <strong>le</strong>urs combinaisons<br />

; mais la tête d'une divinité à forme humaine fut<br />

souvent accompagnée <strong>de</strong> cornes, parce que, chez <strong>le</strong>s<br />

anciens, <strong>le</strong>s rois <strong>le</strong>s ajoutaient à <strong>le</strong>ur diadème comme<br />

emblème <strong>de</strong> puissance.<br />

Non-seu<strong>le</strong>ment tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s prirent <strong>de</strong>s animaux<br />

pour symbo<strong>le</strong>s, mais ils choisirent encore <strong>le</strong>s mêmes<br />

animaux symboliques.<br />

En Egypte, <strong>le</strong> taureau, symbo<strong>le</strong> du so<strong>le</strong>il et <strong>de</strong> la<br />

substance humi<strong>de</strong>, représentait Osiris, principe <strong>de</strong><br />

vie, fécondité suprême. On <strong>le</strong> considérait comme producteur<br />

et comme produit, comme père et fils en<br />

même temps.<br />

Là encore, la déesse Athyr, la même qu'Isis, Diane,<br />

Proserpine, Hécate, Vénus ténébreuse, Astarté, etc.,<br />

eut pour symbo<strong>le</strong> la vache ; el<strong>le</strong> était déesse inferna<strong>le</strong>,<br />

principe passif, la même que la nuit, l'érèbe ou <strong>le</strong><br />

chaos, d'où <strong>le</strong> principe bienfaisant, représenté quelquefois<br />

par un homme <strong>de</strong> la bouche duquel sort un<br />

œuf, avait tiré <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>.<br />

Encore là enfin, <strong>le</strong>s divinités étaient souvent représentées<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux sexes; Isis, mâ<strong>le</strong> dans ses <strong>rapports</strong><br />

<strong>avec</strong> la terre, était femel<strong>le</strong> dans ses <strong>rapports</strong> <strong>avec</strong><br />

<strong>le</strong> so<strong>le</strong>il. Chez <strong>le</strong>s Phéniciens, <strong>le</strong> principe passif, <strong>le</strong><br />

chaos, la matière, la nuit, fut représenté par <strong>le</strong> taureau.<br />

En Grèce, <strong>le</strong> même animal fut <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong> Dacchus,<br />

que <strong>le</strong>s femmes <strong>de</strong>s Éléens invoquaient on s'écriant<br />

: «Viens, viens, Bacchus, <strong>avec</strong> tes pieds <strong>de</strong>


24 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

bœuf, etc., » craignant qu'il ne prît une forme trop<br />

horrib<strong>le</strong>. Dans <strong>le</strong>s mystères, il <strong>de</strong>vint <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

l'être premier-né, dont l'action sur <strong>le</strong> chaos avait fait<br />

sortir <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>..<br />

<strong>Le</strong> taureau, ici comme en Egypte est <strong>le</strong> principe<br />

actif, tandis qu'on l'a vu principe passif en Phénicie ;<br />

cette contradiction, dans un sujet qui en présente si<br />

souvent, doit d'autant moins préoccuper qu'el<strong>le</strong> n'en<br />

a que l'apparence, puisque <strong>le</strong> bon et <strong>le</strong> mauvais principe<br />

étaient i<strong>de</strong>ntiques.<br />

En Grèce comme en Egypte, <strong>le</strong> taureau était <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong><br />

du so<strong>le</strong>il et <strong>de</strong> la substance humi<strong>de</strong>, en même<br />

temps père et fils.<br />

Junon 1<br />

était la même que la déesse Athyr d'Egypte,<br />

i<strong>de</strong>ntique <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s déesses portant cornes dont on a<br />

parlé et <strong>avec</strong> Typhon.<br />

Dans toutes <strong>le</strong>s religions, c'est un fait frappant et<br />

qui prouve une antiquité qui remonte aux premiers<br />

âges, <strong>le</strong> taureau a toujours été <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'esprit<br />

générateur. Qu'on parcoure la Perse et tout l'Orient :<br />

il est <strong>le</strong> Bacchus <strong>de</strong>s Arabes, l'Apis, <strong>le</strong> Mnevis <strong>de</strong>s<br />

Égyptiens, <strong>le</strong> Jupiter, l'Osiris <strong>de</strong>s Grecs, <strong>le</strong> Taureau<br />

lumineux du Zend-Avesta, <strong>le</strong> Taureau Mithriaque <strong>de</strong>s<br />

Perses, etc. Il est partout <strong>le</strong> bon principe. Qu'on se<br />

transporte aux In<strong>de</strong>s, au Japon et dans <strong>le</strong>s contrées <strong>le</strong>s<br />

plus glacées du Nord ; ce qu'on dit du dieu Taureau,<br />

on doit <strong>le</strong> dire du dieu Serpent, <strong>avec</strong> cette différence<br />

que celui-ci était en même temps symbo<strong>le</strong> d'Osiris et<br />

<strong>de</strong> Sérapis, c'est-à-dire du principe actif et du principe<br />

passif; il en résulte qu'on <strong>le</strong> représentait souvent <strong>avec</strong><br />

une tête <strong>de</strong> taureau et une queue <strong>de</strong> serpent, forme<br />

1. Chez <strong>le</strong>s Babyloniens Junon accompagnait Apis, ils représentaient<br />

ainsi <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux principes.


AVEC LE DÉMON. 23<br />

donnée aussi quelquefois au dieu Apis. <strong>Le</strong> serpent,<br />

chez tous <strong>le</strong>s anciens peup<strong>le</strong>s, était la gran<strong>de</strong> divinité<br />

cé<strong>le</strong>ste et inferna<strong>le</strong> (dualité et unité) dont <strong>le</strong> culte s'établit<br />

chez <strong>le</strong>s Grecs et chez <strong>le</strong>s Romains.<br />

Bacchus, en Grèce, <strong>de</strong>vint sous la forme du serpent<br />

<strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jupiter, <strong>de</strong> Sérapis, <strong>de</strong> PJuton.<br />

On attribue au serpent la paternité <strong>de</strong> plusieurs illustres personnages.<br />

On aurait une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> choses curieuses à citer sur<br />

<strong>le</strong> dieu Serpent dont <strong>le</strong> culte subsiste encore chez <strong>le</strong>s<br />

nations barbares ou sauvages. C'est dans <strong>le</strong> serpent<br />

comme dans <strong>le</strong> taureau, adorés l'un et l'autre dans <strong>le</strong>s<br />

temp<strong>le</strong>s, que la divinité vient s'incarner; c'est à lui<br />

qu'on a attribué la paternité <strong>de</strong> divers personnages<br />

illustres ; il est <strong>le</strong> génie tutélaire <strong>de</strong>s princes ; il a commencé<br />

la gran<strong>de</strong>ur future <strong>de</strong> plusieurs hommes célèbres<br />

; c'est lui qui accor<strong>de</strong> <strong>le</strong> don <strong>de</strong> divination.<br />

Gardiens et protecteurs <strong>de</strong>s lieux qu'ils habitent, <strong>le</strong>s<br />

serpents étaient d'un heureux présage pour ceux auxquels<br />

ils apparaissaient, et cependant, chez tous <strong>le</strong>s<br />

peup<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> serpent était <strong>le</strong> dieu <strong>de</strong>s enfers, l'attribut<br />

<strong>de</strong>s Euméni<strong>de</strong>s ; c'est par lui qu'on évoquait <strong>le</strong>s ombres;<br />

c'était <strong>le</strong> dieu dangereux, redoutab<strong>le</strong>, effroyab<strong>le</strong>, celui<br />

dont l'Écriture dit <strong>de</strong> se défier; enfin, c'est l'antique<br />

serpent, <strong>le</strong> dragon infernal. Moïse a défendu <strong>de</strong> <strong>de</strong>viner<br />

par <strong>le</strong> serpent.<br />

Jul. Firm. Maternus (De errore prof, relig., XXVII),<br />

rapportant cette formu<strong>le</strong> <strong>de</strong>s mystères <strong>de</strong> Mithra : « <strong>Le</strong><br />

taureau est père du serpent et <strong>le</strong> serpent père du taureau...<br />

» disait aux Gentils : « Vous nous avez enfin,<br />

ô <strong>démon</strong>, découvert votre nom!.... » — « C'est donc<br />

un serpent que vous adorez, continue-t-il, il ne peut<br />

plus se cacher, dès qu'il s'est trahi lui-même... »


26 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

On est surpris <strong>de</strong> voir <strong>le</strong> serpent, en exécration dans<br />

la seu<strong>le</strong> religion juive, être cependant <strong>le</strong> dieu cé<strong>le</strong>ste<br />

et infernal chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s gentils.<br />

Il semb<strong>le</strong> donc que Dieu n'ait point permis au séducteur,<br />

qui s'était fait <strong>le</strong> dieu <strong>de</strong>s Gentils, <strong>de</strong> dépouil<strong>le</strong>r<br />

la forme qui rappel<strong>le</strong> la perversité <strong>de</strong> sa nature et la<br />

chute du premier homme.<br />

Symbo<strong>le</strong>s pris parmi <strong>le</strong>s êtres inanimés.<br />

<strong>Le</strong>s animaux n'étaient point choisis exclusivement<br />

pour symbo<strong>le</strong>s : <strong>le</strong>s Celtes adoraient la divinité sous<br />

l'emblème d'un chêne séculaire ; l'eau, <strong>le</strong> feu étaient<br />

eux-mêmes symboliques, on choisissait pour s'assemb<strong>le</strong>r<br />

<strong>le</strong>s lieux où se trouvait un étang, une fontaine.<br />

On y allumait un grand feu, on adorait <strong>le</strong>s génies qui<br />

résidaient dans cet arbre ou dans <strong>le</strong>s éléments ; puis<br />

on se livrait aux diverses pratiques du culte.<br />

On ne dit rien ici d'autres symbo<strong>le</strong>s en usage dans<br />

<strong>le</strong>s mystères : <strong>le</strong> sabot, la toupie, <strong>le</strong> miroir, la toison,<br />

<strong>le</strong> glaive, <strong>le</strong> peigne, etc. (Euscb., Prœp. ev., II, 3),<br />

tous objets sacrés qui avaient sans doute une signification<br />

pour <strong>le</strong>s initiés, et sur <strong>le</strong>squels l'imagination <strong>de</strong>s<br />

crudits peut s'évertuer comme sur tant d'autres.<br />

La Phallus a pu engendrer <strong>le</strong>s infamies <strong>de</strong>s mystères.<br />

L'organe <strong>de</strong> la génération, emblème du principe<br />

actif, avait un rang important dans <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s Gentils.<br />

On <strong>le</strong> voit en Syrie, en Perse, dans l'Asie Mineure, en<br />

Grèce, chez <strong>le</strong>s Romains; on l'a retrouvé jusqu'en<br />

Amérique, qu'il s'appel<strong>le</strong> PhnIIm, Prinpe, Mvtvnus,<br />

Liïïr/am, etc. Partout il a la même signification et <strong>de</strong>vient<br />

l'objet dos mêmes pratiques.


AVEC LE DÉMON. 27<br />

D'où vient ce culte ? Est-il né <strong>de</strong> la corruption ?<br />

On ne <strong>le</strong> pense pas. Mais s'il n'est pas l'enfant <strong>de</strong>s<br />

mœurs corrompues, il est diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> nier qu'il ne<br />

soit <strong>le</strong> père <strong>de</strong>s infamies <strong>de</strong>s mystères. — Dérive-t-il<br />

du culte du bouc ou du taureau? — Si <strong>le</strong>s pieds ou<br />

<strong>le</strong>s cornes <strong>de</strong> cet animal avaient une signification',<br />

l'organe sexuel pouvait n'être pas moins significatif<br />

ni moins propre à <strong>de</strong>venir un symbo<strong>le</strong>. <strong>Le</strong>s prêtres<br />

attachaient une haute importance à l'organe générateur<br />

du bœuf Apis. Autrefois, d'ail<strong>le</strong>urs, toute l'antiquité,<br />

loin <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r cet organe comme honteux,<br />

<strong>le</strong> considérait comme <strong>le</strong> plus nob<strong>le</strong>, parce qu'il transmet<br />

la vie. Aucun autre n'était donc plus digne d'être<br />

<strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> du principe créateur et vivifiant.<br />

<strong>Le</strong> Dieu Iao, Osiris, Horus, <strong>le</strong> même que Priape,<br />

d'après Suidas, tous <strong>le</strong>s dieux So<strong>le</strong>il, étaient représentés<br />

<strong>avec</strong> un organe propre à <strong>de</strong>venir <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

la fécondité. Selon <strong>le</strong>s explications astronomiques, la<br />

mutilation d'Osiris, d'Atys, d'Adonis, <strong>de</strong> Bacchus et <strong>de</strong><br />

tant d'autres divinités, signifiaient <strong>le</strong>s vicissitu<strong>de</strong>s du<br />

so<strong>le</strong>il. On ne saurait rapporter ici toutes <strong>le</strong>s diverses raisons<br />

qui établissent <strong>le</strong> culte du Phallus, <strong>de</strong> Priape, du<br />

Bouc et du Taureau. La vénération qu'on <strong>le</strong>ur accordait<br />

dérivait surtout <strong>de</strong> ce qu'ils étaient <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s<br />

du principe créateur et <strong>de</strong> cette croyance généra<strong>le</strong> que la<br />

divinité s'enfermait dans <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s. Tel<strong>le</strong> fut la cause<br />

<strong>de</strong> tant d'infâmes prostitutions dans la plus haute antiquité,<br />

et <strong>de</strong>s défenses que <strong>le</strong> législateur hébreu adressait<br />

à son peup<strong>le</strong>. Belphégor, dieu <strong>de</strong>s Madianites,<br />

était <strong>le</strong> même que Priape, et Osée (IX, 10) dit que <strong>le</strong>s<br />

Hébreux initiés à son culte sont <strong>de</strong>venus abominab<strong>le</strong>s<br />

l. Chez <strong>le</strong>s Égyptiens <strong>le</strong>s divers membres du taureau étaient <strong>de</strong>s<br />

symbo<strong>le</strong>s: latflte, <strong>le</strong>s pieds indiquaient <strong>le</strong>s actes particuliers <strong>de</strong> la divinité<br />

ou <strong>de</strong> ses agents. (V. t. I er<br />

, Rol<strong>le</strong>, déjà cité.)


28 DBS RAPPORTS DE L'HOMME<br />

comme <strong>le</strong>s choses qu'ils ont aimées. Plusieurs motifs<br />

empêchent d'analyser ici <strong>le</strong>s explications <strong>de</strong>s commentateurs.<br />

11 suffit <strong>de</strong> dire qu'on offrait à Belphégor ce<br />

qu'on offrait au bouc <strong>de</strong> Mendès, et il semb<strong>le</strong>rait que<br />

la cérémonie se terminait en faisant participer <strong>le</strong>s assistants<br />

à l'offran<strong>de</strong> faite d'abord au dieu<br />

<strong>Le</strong>s adorations qui s'adressaient au principe générateur<br />

donnant lieu à l'acte lui-môme, il n'est pas surprenant<br />

qu'il soit <strong>de</strong>venu un <strong>de</strong>voir et l'expression du<br />

plus insigne honneur rendu au principe actif. Ce qui<br />

sera dit plus loin expliquera mieux ce sujet. Constatons,<br />

enfin, que chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s gentils ce symbo<strong>le</strong> était<br />

respecté—oserons-nous <strong>le</strong> dire—presque autant que<br />

chez nous <strong>le</strong> signe vénéré du salut. <strong>Des</strong> femmes <strong>le</strong><br />

portaient en procession suspendu à un long bâton, et<br />

on <strong>le</strong> faisait ainsi mouvoir au moyen d'une cor<strong>de</strong> : « 11<br />

y avait, dit Hérodote, une raison sainte et secrète qu'il<br />

lui est défendu <strong>de</strong> rapporter. » Après avoir exposé,<br />

cependant, <strong>le</strong>s motifs qui font admettre qu'il <strong>de</strong>vait<br />

être adoré, il ajoute « qu'un grand nombre <strong>de</strong> peup<strong>le</strong>s<br />

l'emploient comme un objet sacré dans <strong>le</strong>s mystères.<br />

» On sait que <strong>le</strong>s femmes <strong>le</strong> portaient suspendu<br />

à <strong>le</strong>ur cou, et qu'il servait <strong>de</strong> préservatif contre <strong>le</strong>s<br />

charmes.<br />

L'être générateur étant représenté sous l'emblème<br />

du bœuf a<br />

, c'est pour cette raison que <strong>le</strong>s quarante pre-<br />

1. C'est ce que l'on verra plus loin : ce qui se passait chez certaines<br />

sectes hérétiques <strong>le</strong> rend très-vraisemblab<strong>le</strong>.<br />

2. Ce bœuf étant l'emblème vivant <strong>de</strong>là divinité suprême, ses prêtres<br />

étaient pénétrés <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur lorsqu'ils l'avaient perdu. Nul doute que<br />

la divinité n'y résidât, car il avait <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> divination, et même,<br />

comme <strong>le</strong> serpent, la puissance <strong>de</strong> <strong>le</strong> communiquer. Quand <strong>le</strong>s enfants,<br />

qui formaient son cortège, se mettaient en marche en chantant<br />

<strong>de</strong>s hymnes, l'enthousiasme sacré <strong>le</strong>s saisissait, ils prédisaient l'avenir.<br />

Selon Élien, ceux qui voulaient connaître l'avenir invoquaient Apis,


AVEC LE DÉMON. 29<br />

miers jours après l'installation du bœuf Apis, <strong>le</strong>s femmes<br />

re<strong>le</strong>vaient <strong>le</strong>ur robe en sa présence... « El<strong>le</strong>s se présentaient<br />

à lui dans toute <strong>le</strong>ur nudité, » dit Diodore <strong>de</strong><br />

Sici<strong>le</strong> (I, 85).<br />

Feu sacré.<br />

Ce culte, qui avait lieu surtout en Perse, se retrouve<br />

aussi en Grèce et chez <strong>le</strong>s Romains, et partout peut-être,<br />

car <strong>le</strong> culte du feu suivit <strong>le</strong> culte du so<strong>le</strong>il. Originairement<br />

tombé du ciel, <strong>le</strong> feu sacré était gardé par <strong>de</strong>s<br />

prêtresses; plusieurs vil<strong>le</strong>s, plusieurs temp<strong>le</strong>s étaient célèbres<br />

par <strong>le</strong>ur feu miracu<strong>le</strong>ux : en Sici<strong>le</strong> , près d'Agrigente,<br />

sur une colline était un autel sur <strong>le</strong>quel il était<br />

inuti<strong>le</strong> d'apporter du feu; quand <strong>le</strong> sacrifice était<br />

agréab<strong>le</strong> à la divinité, <strong>le</strong> bois vert s'y allumait <strong>de</strong> luimême.<br />

Pausanias rapporte comme témoin oculaire que,<br />

dans <strong>de</strong>ux vil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Lydie, il y avait un temp<strong>le</strong>, et dans<br />

chacun était un autel sur <strong>le</strong>quel étaient <strong>de</strong>s cendres.<br />

<strong>Le</strong> prêtre, la tiare en tête, y plaçait du bois sec, récitait<br />

quelques prières, et il en sortait <strong>de</strong> suite, sans qu'on<br />

y mît <strong>le</strong> feu, une flamme très-brillante. Ce feu miracu<strong>le</strong>ux<br />

servait <strong>de</strong> présage. Suétone dit que ce feu annonça la<br />

gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Tibère. D'autres ont obtenu ce même présage.<br />

(V. Encyclopédie méth., v°Feu sacré.)<br />

La divinité se manifeste dans <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s.<br />

Quoiqu'il ne nous appartienne pas, dans une esquisse<br />

aussi incomplète, <strong>de</strong> pénétrer plus avant, cependant<br />

on désirerait savoir quels furent, parmi <strong>le</strong>s pierres, <strong>le</strong>s<br />

cl <strong>le</strong>s enfants qui jouaient hors <strong>de</strong> l'enceinte du temp<strong>le</strong>, saisis <strong>de</strong><br />

l'esprit divin, faisaient <strong>de</strong>s prédictions dont la certitu<strong>de</strong> était reconnue.<br />

(V. Rolln, t. I er<br />

, ouvrage cité, ch. iv.)


30 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

arbres, <strong>le</strong>s animaux ou <strong>le</strong>s éléments, ceux qui eurent la<br />

priorité comme symbo<strong>le</strong>s divins? — On <strong>le</strong>s voit adorés<br />

simultanément dans diverses régions. On retrouve <strong>le</strong>s<br />

pierres 1<br />

et <strong>le</strong>s arbres pris pour symbo<strong>le</strong>, même après<br />

l'établissement <strong>de</strong>s simulacres; en même temps qu'un<br />

temp<strong>le</strong> est érigé au so<strong>le</strong>il sous l'emblème du taureau, <strong>le</strong><br />

chêne était adoré comme symbo<strong>le</strong> du dieu fort; ici<br />

Apollon reçoit un culte sous une forme humaine, type<br />

<strong>de</strong> la beauté; là, Jupiter sous cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong>ur et<br />

<strong>de</strong> la majesté; ail<strong>le</strong>urs l'artiste s'est servi d'un ciseau<br />

presque divin pour sculpter un dieu qui a <strong>de</strong>s pieds <strong>de</strong><br />

bouc et <strong>de</strong>s cornes <strong>de</strong> bélier.<br />

Plus loin, on voit une image obscène que la plume se<br />

refuse à décrire, puis une divinité grimaçante qui représentera<br />

un jour <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> <strong>de</strong>s légen<strong>de</strong>s. Ces symbo<strong>le</strong>s<br />

divers ont partout <strong>le</strong>ur signification, qu'ils représentent<br />

<strong>de</strong>s attributs divins, <strong>de</strong>s conjonctions ou mouvements<br />

d'astres, ou autres allégories théologiques. Nonseu<strong>le</strong>ment<br />

on <strong>le</strong>s adore comme emblèmes <strong>de</strong> la divinité,<br />

mais, ainsi qu'on <strong>le</strong> verra bientôt, on croit qu'el<strong>le</strong> y<br />

rési<strong>de</strong>, parce qu'el<strong>le</strong> y donne <strong>de</strong>s signes manifestes <strong>de</strong><br />

sa présence.<br />

Mysticisme païen.<br />

La même divinité ayant plusieurs noms et surnoms<br />

et divers simulacres, <strong>le</strong> vulgaire y voyant plusieurs<br />

dieux <strong>le</strong>ur adressa ses vœux, ce qui nous conduit ici à<br />

abor<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s faits merveil<strong>le</strong>ux. Après une prière fervente,<br />

<strong>le</strong>s suppliants ont vu <strong>le</strong>s dieux qu'ils ont priés, donner<br />

signe <strong>de</strong> vie ; <strong>de</strong>s statues ont parlé, souri ou p<strong>le</strong>uré. Ce<br />

ne sont pas seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s dévots échauffés par la prière<br />

1. Tombait-il du ciel un aérolithe, c'était une divinité.


AVEC LE DÉMON. 31<br />

qui ont vu ces prodiges, mais <strong>le</strong>s têtes fortes, <strong>le</strong>s sceptiques<br />

du sièc<strong>le</strong> ; on n'en peut douter, la divinité résid;;<br />

dans ces simulacres. Si <strong>le</strong>s dévots ont obtenu <strong>de</strong> ces manifestations<br />

et même <strong>de</strong>s révélations, si <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s<br />

ont vu Sérapis <strong>le</strong>ur indiquer <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s, Brennus,<br />

qui voulait pil<strong>le</strong>r <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> d'Apollon, a vu ce dieu sous<br />

la figure d'un ado<strong>le</strong>scent d'une beauté surhumaine;<br />

Castor et Pollux apparaissant à un Romain, lui ont annoncé<br />

<strong>le</strong> gain d'une batail<strong>le</strong>, et Julien a vu <strong>de</strong>ux fois <strong>le</strong><br />

génie <strong>de</strong> l'empire. A d'autres, la terrib<strong>le</strong> Hécate s'est<br />

manifestée sous une forme effroyab<strong>le</strong> ; est-ce l'effet <strong>de</strong><br />

l'imagination, illusion, délire? Ces questions étaient<br />

moins étrangères qu'on ne pense à l'esprit <strong>de</strong>s anciens.<br />

Brennus redoutait-il <strong>le</strong> dieu qu'il venait dépouil<strong>le</strong>r?<br />

<strong>Le</strong>s soldats qui <strong>de</strong>mandèrent à Junon si el<strong>le</strong> consentait<br />

à être transportée à Rome attendaient-ils <strong>de</strong> sa statue<br />

un signe d'acquiescement? Celui qui sut à l'instant<br />

même par Castor et Pollux la victoire <strong>de</strong>s Romains <strong>le</strong><br />

pouvait-il naturel<strong>le</strong>ment? Ce n'est pas ici <strong>le</strong> lieu <strong>de</strong> discuter<br />

<strong>de</strong> tels prodiges.On se borne à constater, d'après<br />

l'histoire, que <strong>le</strong>s Gentils ont vu, ou, si l'on veut, cru<br />

voir <strong>le</strong>urs dieux sous la forme choisie pour <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s,<br />

et que <strong>de</strong>s phénomènes inexplicab<strong>le</strong>s, à raison <strong>de</strong>s circonstances,<br />

ont fait croire à <strong>de</strong>s manifestations divines;<br />

l'histoire est p<strong>le</strong>ine <strong>de</strong> faits semblab<strong>le</strong>s.<br />

« <strong>Le</strong>s prêtres et <strong>le</strong>s initiés qui ont fait fabriquer, dira-t-on,<br />

ces emblèmes, pouvaient-ils admettre <strong>le</strong>s apparitions<br />

<strong>de</strong> dieux auxquels ils ne croyaient pas et <strong>le</strong>urs<br />

révélations? S'ils ont feint d'y croire, c'étaient <strong>de</strong>s imposteurs<br />

; s'ils y ont cru, ils tombaient dans l'erreur du<br />

vulgaire ». » Il est constant qu'ils ont cru à la réalité <strong>de</strong><br />

l. Ils étaient bien forcés d'y croire. <strong>Le</strong>s dieux eux-mêmes révélaient<br />

et prescrivaient la matière et la forme <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs statues, et même <strong>le</strong>s


32 DES HAPPORTS DE L'HOMME<br />

ces apparitions et <strong>de</strong> ces révélations ; on <strong>le</strong> prouvera<br />

ail<strong>le</strong>urs : <strong>le</strong>s premiers apologistes chrétiens confirment<br />

<strong>le</strong>ur croyance, et ne doutaient point eux-mêmes <strong>de</strong> ces<br />

prodiges. Comment expliquer ces contradictions?<br />

La divinité étant dans sa dualité bonne et mauvaise,<br />

on représentait dans un simulacre un <strong>de</strong> ses attributs.<br />

Sérapis, par exemp<strong>le</strong>, révélait <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s, Apollon<br />

accordait la divination, la terrib<strong>le</strong> Hécate vengeait<br />

<strong>le</strong>s crimes, etc. Tous étaient cependant <strong>le</strong> môme dieu<br />

représenté par autant <strong>de</strong> simulacres qu'on lui reconnaissait<br />

d'attributs. La divinité enfin se fractionnait<br />

el<strong>le</strong>-même en une infinité d'esprits; on conçoit alors<br />

qu'el<strong>le</strong> ait pu se manifester dans <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s, et que<br />

<strong>le</strong>s prêtres en fussent convaincus, sans admettre cependant<br />

la pluralité <strong>de</strong>s dieux comme l'entendait <strong>le</strong> vulgaire<br />

profane. Ceux qui firent fabriquer <strong>le</strong>s premiers<br />

simulacres probab<strong>le</strong>ment n'en attendaient pas ces prodiges;<br />

mais <strong>le</strong>s esprits malins, toujours prêts à tromper<br />

<strong>le</strong>s hommes, intervinrent, et parmi <strong>le</strong>s secrets révélés,<br />

et parmi <strong>le</strong>s facultés que l'initiation conférait, <strong>le</strong>s prêtres,<br />

par certaines consécrations, eurent ensuite <strong>le</strong> pouvoir<br />

<strong>de</strong> faire entrer la divinité dans <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s. C'est<br />

ce qu'on nommait la théopée, hoc est, dit Hermès, <strong>de</strong>os<br />

facere. <strong>Le</strong>s divers effets <strong>de</strong> cette puissance prodigieuse<br />

se sont manifestés <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> manières et si souvent chez<br />

<strong>le</strong>s Gentils, que cette prétention, qui nous semblait si<br />

ridicu<strong>le</strong>, excite la stupéfaction, sans que nos doutes<br />

pourtant puissent complètement cesser.<br />

caractères symboliques sous <strong>le</strong>squels ils se renfermaient et qui <strong>de</strong>venaient<br />

comme une <strong>de</strong>meure sacrée. [Recueil d'orac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Porphyre cité<br />

dans Eusèbe. Prép. évang. c. il, 12, 13 et 15.)


AVEC LE DÉMON. 33<br />

CHAPITRE III<br />

<strong>Des</strong> mystères. — <strong>Le</strong>ur antiquité. — Moralité <strong>de</strong>s mystères. — Mystères, mer­<br />

veil<strong>le</strong>s qui s'y manifestaient. —Suite <strong>de</strong>s petits et <strong>de</strong>s grands mystères, ete.<br />

— Divers prodiges précédant ou accompagnant l'initiation.<br />

<strong>Des</strong> mystères.<br />

L'ancienne tradition enseignait que <strong>le</strong> secret <strong>de</strong>s mystères<br />

était la transmission d'une révélation faite par <strong>le</strong>s<br />

dieux à certains hommes. — <strong>Des</strong> philosophes plus tard<br />

ont prétendu que c'était <strong>le</strong> premier réveil <strong>de</strong> l'esprit<br />

humain.<br />

L'analyse la plus brève d'un sujet si obscur sur <strong>le</strong>quel<br />

on a beaucoup écrit nous est interdite ; on n'examinera<br />

donc ici que ce qui peut se rattacher à l'objet<br />

<strong>de</strong> cet ouvrage. Il y avait <strong>de</strong> petits mystères et<br />

<strong>de</strong> grands mystères; avant d'être initié à ceux-ci, on<br />

exigeait un noviciat <strong>de</strong> longues années. On appelait<br />

aussi mystères <strong>le</strong>s fêtes <strong>de</strong>s principa<strong>le</strong>s divinités. —<br />

Nous examinerons, en quelques pages seu<strong>le</strong>ment, ce<br />

qu'on peut penser 1° <strong>de</strong> l'antiquité et <strong>de</strong> la moralité<br />

<strong>de</strong>s mystères ; 2° <strong>de</strong>s secrets dévoilés aux initiés ; 3° <strong>de</strong>s<br />

prodiges qui s'y manifestaient.<br />

<strong>Le</strong>ur antiquité.<br />

<strong>Le</strong>s uns assurent qu'ils se per<strong>de</strong>nt dans la nuit <strong>de</strong>s<br />

temps; d'autres ne <strong>le</strong>s font remonter qu'aux temps historiques.<br />

t. 3


34 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

On a dit qu'Orphée en était l'auteur en Grèce; mais<br />

Orphée et Linus étaient contemporains d'Hercu<strong>le</strong>, et<br />

<strong>le</strong>s mystères étaient, dit-on, antérieurs à ce <strong>de</strong>mi-dieu.<br />

Si Orphée en a établi, il est certain aussi qu'ils existaient<br />

avant lui chez <strong>le</strong>s Grecs vivant à l'état sauvage, ce<br />

qui ne surprend point quand on sait que <strong>le</strong>s peupla<strong>de</strong>s<br />

sauvages partout ont <strong>de</strong>s cérémonies analogues. C'est<br />

par une sorte d'initiation que <strong>le</strong>urs prêtres sont mis en<br />

rapport <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s esprits, pour opérer tout ce qu'on<br />

cite <strong>de</strong> prodigieux <strong>de</strong> ces hommes auxquels nos pères<br />

donnaient <strong>le</strong> nom do sorciers et que nous nommons<br />

aujourd'hui jong<strong>le</strong>urs. Tout porte donc à penser que<br />

<strong>le</strong>s mystères remontent à une très-haute antiquité; <strong>le</strong>s<br />

révélations que <strong>le</strong>s dieux ont laites aux sages n'ont dû<br />

être transmises que sous <strong>le</strong> sceau du secret; et soit que<br />

la divinité <strong>le</strong>s ait communiquées à <strong>de</strong>s interval<strong>le</strong>s différents,<br />

soit que <strong>de</strong>s initiés aient transporté <strong>le</strong> secret chez<br />

<strong>le</strong>s nations étrangères, l'origine <strong>de</strong>s mystères a dû varier<br />

selon <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s ; mais il paraît constant que, loin d'être<br />

<strong>le</strong> fruit <strong>de</strong> la civilisation, <strong>le</strong>s mystères appartiendraient<br />

plutôt à l'état sauvage ou barbare d'une nation qu'à sa<br />

civilisation. On a <strong>de</strong> fortes raisons pour <strong>le</strong> penser; aussi<br />

<strong>le</strong>s retrouve-t-on chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'antiquité<br />

la plus reculée '.<br />

Moralité <strong>de</strong>s mystères.<br />

<strong>Le</strong>ur premier avantage, dit-on, fut <strong>de</strong> civiliser <strong>le</strong>s<br />

peup<strong>le</strong>s; <strong>le</strong> premier objet <strong>de</strong>s fêtes fut <strong>de</strong> perpétuer la<br />

l. On pourrait en donner <strong>de</strong>s preuves nombreuses. <strong>Le</strong> Lapon qui, .<br />

dans l'extase, voit ce qui se passe au loin, ne l'a appris que dans une<br />

sorte d'initiation; il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s prodiges qu'opèrent <strong>le</strong>s<br />

prêtres <strong>de</strong>s peupla<strong>de</strong>s sauvages. Giccron a fait aussi cette remarque relativement<br />

aux prodiges.


AVEC LE DÉMON. 35<br />

reconnaissance <strong>de</strong> ce bienfait ; <strong>de</strong> là <strong>le</strong>s so<strong>le</strong>nnités qui<br />

rappelaient <strong>le</strong>s obligations dues à ceux qui avaient<br />

délivré <strong>le</strong>s premiers hommes <strong>de</strong> la vie sauvage, fait<br />

connaître la Divinité, révélé l'immortalité <strong>de</strong> l'âme,<br />

<strong>le</strong>s récompenses d'une vie future, qui avaient inspiré<br />

<strong>le</strong>s vertus socia<strong>le</strong>s. L'initiation dévoilait toutes ces<br />

choses et beaucoup d'autres. Aussi fallait-il être pur;<br />

l'entrée <strong>de</strong>s mystères était interdite aux scélérats, aux<br />

magiciens, à ceux qui étaient possédés <strong>de</strong>s mauvais<br />

génies. — <strong>Le</strong> but <strong>de</strong>s mystères, enfin, dit-on encore,<br />

était non-seu<strong>le</strong>ment d'améliorer <strong>l'homme</strong>, <strong>de</strong> lui faire<br />

connaître sa gran<strong>de</strong> <strong>de</strong>stinée, mais d'affaiblir l'action<br />

<strong>de</strong> la matière sur l'âme, <strong>de</strong> la dégager <strong>de</strong> ses liens <strong>de</strong><br />

chair, ce à quoi on parvenait par <strong>le</strong>s lustrations, <strong>le</strong>s<br />

expiations, la continence.<br />

Que penser <strong>de</strong> ce beau portrait après celui qu'en ont<br />

fait <strong>le</strong>s Pères, dont plusieurs avaient été initiés?<br />

Cicéron fait un grand éloge <strong>de</strong>s mystères dans son<br />

Traité <strong>de</strong>s lois, et dit qu'ils sont une éco<strong>le</strong> <strong>de</strong> moralité;<br />

saint Augustin, dans sa Cité <strong>de</strong> Dieu, dit, au contraire,<br />

que <strong>le</strong>s prêtres veu<strong>le</strong>nt y feindre une honnêteté qui ne<br />

s'y trouve pas, et qu'on ne peut représenter sur <strong>le</strong><br />

théâtre rien <strong>de</strong> plus infâme que ce qu'on voit dans <strong>le</strong>s<br />

mystères <strong>de</strong> Vénus, <strong>de</strong> Junon, <strong>de</strong> Cérès, etc. Cependant<br />

il se commettait sur <strong>le</strong>s théâtres, en l'honneur<br />

<strong>de</strong>s dieux, <strong>de</strong>s turpitu<strong>de</strong>s plus gran<strong>de</strong>s que dans <strong>le</strong>s<br />

lieux <strong>de</strong> débauche. Il y avait tant d'infamies dans <strong>le</strong>s<br />

mystères <strong>de</strong> Liber qu'il ose à peine <strong>le</strong>s rapporter. Selon<br />

Tertullien, l'objet du culte secret <strong>de</strong>s initiés était <strong>le</strong> simulacre<br />

du membre viril, sinndacrwn membri virilis ;<br />

et, selon Théodoret, l'image <strong>de</strong> l'organe <strong>de</strong> la femme,<br />

naturœ muliebris imago. On pourrait citer ainsi plusieurs<br />

autres passages <strong>de</strong>s Pères. Clément d'A<strong>le</strong>xandrie en fait<br />

un tab<strong>le</strong>au tout aussi peu flatteur.—La nuit, dit-il,


3f> DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

révè<strong>le</strong> aux initiés <strong>le</strong>s mystères <strong>de</strong> l'impudicité; <strong>de</strong>s<br />

torches allumées éclairent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers excès <strong>de</strong> la débauche;<br />

la nuit n'a pas assez <strong>de</strong> ténèbres pour <strong>le</strong>s<br />

voi<strong>le</strong>r<br />

Si <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur trouve <strong>le</strong>s Pères suspects, qu'il consulte<br />

<strong>le</strong>s auteurs profanes. Tite-Live, citant <strong>de</strong>s faits contemporains,<br />

par<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Bacchana<strong>le</strong>s, qu'on fut obligé d'interdire;<br />

une assemblée d'hommes privés <strong>de</strong> raison 1<br />

prédisent l'avenir, dit-il, au milieu <strong>de</strong> contorsions<br />

horrib<strong>le</strong>s; <strong>de</strong>s femmes échevelées courent <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s<br />

torches ar<strong>de</strong>ntes au milieu d'une musique bruyante<br />

<strong>de</strong> tambours et <strong>de</strong> cymba<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong>s poussent <strong>de</strong>s cris<br />

affreux qui cependant ne peuvent couvrir ceux que<br />

font pousser aux néophytes <strong>le</strong>ur pu<strong>de</strong>ur outragée ; car<br />

on s'y livre par piété à <strong>de</strong>s infamies révoltantes.<br />

Maxime <strong>de</strong> Tyr, philosophe platonicien, avoue que<br />

dans <strong>le</strong>s fêtes <strong>de</strong> Bacchus tout était relatif à la volupté.<br />

Ovi<strong>de</strong> conseil<strong>le</strong> aux hommes <strong>de</strong> ne pas fuir <strong>le</strong> temp<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> Memphis, où l'on adore la génisse du Nil; cette<br />

Isis qui, séduite par Jupiter, engage tant <strong>de</strong> femmes<br />

ù suivre son exemp<strong>le</strong> Il recomman<strong>de</strong> ail<strong>le</strong>urs<br />

do ne point s'informer <strong>de</strong> ce qui se passe clans <strong>le</strong><br />

temp<strong>le</strong> d'Isis. (Ovi<strong>de</strong>, Arx amat., I, 77;— Amor.,<br />

II, u, 25.)<br />

Juvénal, en parlant <strong>de</strong> la lubricité <strong>de</strong>s femmes, s'écrie<br />

: Plût à Dieu que <strong>le</strong> culte et <strong>le</strong>s rits anciens<br />

fussent à couvert <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur profanation !... Il avait dit<br />

plus haut qu'à certains moments, au milieu <strong>de</strong>s mystères<br />

<strong>de</strong> la bonne déesse, el<strong>le</strong>s appelaient <strong>le</strong>s hommes<br />

à grands cris..., etc. (Ji/ven., VI, 329, 335.)<br />

Dulaure assure que <strong>le</strong>s turpitu<strong>de</strong>s qui se passaient<br />

i. C'est In délire sacré. Si <strong>le</strong>s mystères dont par<strong>le</strong> Tite-Live étaient<br />

condamnab<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s autres étaient-ils meil<strong>le</strong>ur??


AVEC LE DÉMOiV. 37<br />

dans <strong>le</strong>s Dionysiaques chez <strong>le</strong>s Grecs furent encore<br />

surpassées chez <strong>le</strong>s Romains.<br />

On a dit, il est vrai, que <strong>le</strong>s mystères respectab<strong>le</strong>s à<br />

<strong>le</strong>ur origine, lorsqu'on <strong>le</strong>s célébrait pendant <strong>le</strong> jour,<br />

<strong>de</strong>vinrent infâmes célébrés pendant la nuit. Mais Hérodote<br />

reconnaît que ces infamies étaient universel<strong>le</strong>s<br />

dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s; il semb<strong>le</strong> vouloir excepter <strong>le</strong>s Grecs,<br />

tandis que, selon Dulaure, tout prouve <strong>le</strong> contraire.<br />

Comment surtout concilier ce qui suit <strong>avec</strong> l'opinion<br />

<strong>de</strong> ceux qui préten<strong>de</strong>nt qu'ils étaient purs dans<br />

<strong>le</strong>ur origine? L'Écriture sainte nous apprend que <strong>le</strong>s<br />

mêmes infamies se commettaient dans <strong>le</strong>s anciens<br />

mystères. Osée, parlant <strong>de</strong> Belphégor, se plaint que<br />

<strong>le</strong>s Israélites se soient fait initier à ses abominab<strong>le</strong>s<br />

mystères. Ce dieu, d'après <strong>le</strong>s commentateurs, était<br />

Priape, c'est-à-dire <strong>le</strong> dieu <strong>de</strong> la turpitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong><br />

l'ignominie. Beyer, dans ses additions à l'ouvrage <strong>de</strong><br />

Sel<strong>de</strong>n sur <strong>le</strong>s Dieux <strong>de</strong>s Syriens, 5, conclut d'après <strong>le</strong><br />

texte sacré, que <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Moabites se prostituaient<br />

d'abord à l'ido<strong>le</strong>, puis aux Israélites. Ézéchiel reproche<br />

aux femmes <strong>de</strong> se livrer aux mêmes infamies<br />

sur <strong>le</strong>s hauts lieux <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s simulacres <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs dieux.<br />

(Ezech., XVI, 16 et 17.)<br />

Diodore <strong>de</strong> Sici<strong>le</strong> (I, 85) dit qu'à JNilopolis <strong>le</strong>s femmes,<br />

en visitant <strong>le</strong> dieu Taureau, lui offraient ce que<br />

la pu<strong>de</strong>ur défend <strong>de</strong> montrer; el<strong>le</strong>s en faisaient autant<br />

pour <strong>le</strong> bouc <strong>de</strong> Mendès.<br />

Quelques-uns ont pensé que <strong>le</strong>s Orphiques avaient<br />

pu altérer la pureté <strong>de</strong>s mystères, mais on sait qu'ils<br />

en étaient repoussés. Comment admettre qu'une institution<br />

aussi nob<strong>le</strong> que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s mystères aurait<br />

initié <strong>le</strong>s Orphiques, dont <strong>le</strong>s turpitu<strong>de</strong>s faisaient<br />

frémir. Ceux-ci, non moins méprisés pour <strong>le</strong>ur naissance<br />

que pour la secte à laquel<strong>le</strong> ils appartenaient,


38 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

étaient accusés <strong>de</strong> magie goétique et punis du <strong>de</strong>rnier<br />

supplice; ils admettaient, scion Rol<strong>le</strong>, la vertu <strong>de</strong>s<br />

formu<strong>le</strong>s magiques qui contraint <strong>le</strong>s génies d'obéir;<br />

c'étaient ces gueux dont par<strong>le</strong> Platon, qui parcouraient<br />

<strong>le</strong>s maisons <strong>de</strong>s riches en assurant qu'ils disposaient<br />

à <strong>le</strong>ur gré <strong>de</strong>s dieux dont ils se disaient <strong>le</strong>s ministres.<br />

Ces mystères étaient donc loin d'être purs, et s'il y<br />

en avait qui fussent <strong>de</strong>s éco<strong>le</strong>s <strong>de</strong> moralité 1<br />

, qu'on<br />

veuil<strong>le</strong> bien <strong>le</strong>s signa<strong>le</strong>r.<br />

Un passage <strong>de</strong> Cicéron déci<strong>de</strong>ra-t-il la question? —•<br />

On sait qu'il est <strong>le</strong> panégyriste <strong>de</strong>s mystères. Dans <strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>uxième livre <strong>de</strong>s Lois, Cicéron <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Atticus :<br />

Que <strong>de</strong>viendront facchus et nos Eumolpidcs et tous<br />

<strong>le</strong>s augustes mystères, si vous supprimez <strong>le</strong>s sacrifices<br />

nocturnes? — Vous exceptez, je pense, répond<br />

Atticus, <strong>le</strong>s mystères auxquels nous sommes initiés?<br />

— Je <strong>le</strong>s excepterais volontiers; rien no me paraît<br />

meil<strong>le</strong>ur que <strong>le</strong>s mystères qui ont fait passer <strong>l'homme</strong><br />

<strong>de</strong> la vie sauvage à <strong>de</strong>s mœurs douces... Mais ce qui<br />

déplaît dans <strong>le</strong>s mystères, <strong>le</strong>s poètes comiques l'indiquent<br />

assez... Nous <strong>de</strong>vons prescrire rigoureusement<br />

que l'éclat du jour protège l'honneur <strong>de</strong>s femmes...,<br />

etc. — Peut-on conclure <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières<br />

expressions que ces mystères auxquels Cicéron était<br />

initié méritassent d'être exceptés? En admettant qu'ils<br />

fussent très-moraux, l'honneur <strong>de</strong>s femmes y recevait<br />

d'assez ru<strong>de</strong>s at<strong>le</strong>inlcs pour que <strong>le</strong> grand orateur<br />

ait désiré que l'assemblée eût lieu pendant <strong>le</strong> jour.<br />

<strong>Le</strong> Phallus, dont l'origine est si reculée qu'on <strong>le</strong> retrouve<br />

partout 2<br />

comme symbo<strong>le</strong> du principe vivifiant<br />

1. aijincHant qu'il y eût <strong>de</strong>s mystères où regnftt la chasteté, il<br />

en oxislail d'horrib<strong>le</strong>s que l'autorité abhorrait, et qu'on ne doit pas<br />

confondre <strong>avec</strong>, 1ns Orphiques.<br />

2. Un voyageur, au sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong>rnier, l'a retrouvé dans <strong>le</strong> Congo.


AVEC LE DÉMON. 30<br />

du dieu Pan et du so<strong>le</strong>il printanier, et adoré comme<br />

<strong>le</strong> bouc <strong>de</strong> Mendès, comme <strong>le</strong> taureau : ce symbo<strong>le</strong>,<br />

on ne saurait en douter, causa <strong>le</strong>s dissolutions<br />

dans plusieurs mystères, si ce n'est dans tous : el<strong>le</strong>s<br />

dérivaient moins peut-être <strong>de</strong>s penchants vicieux <strong>de</strong><br />

la nature que <strong>de</strong>s pratiques religieuses ordonnées<br />

par <strong>de</strong>s dieux lubriques, fornicateurs, adultères, incestueux.<br />

<strong>Le</strong>s plus chastes s'y livraient par dévotion<br />

la meil<strong>le</strong>ure manière d'adorer l'emblème, n'était-ce pas<br />

<strong>de</strong> pratiquer l'acte? D'ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong>s circonstances favorisaient<br />

ce débor<strong>de</strong>ment ; ce fut d'abord sur <strong>le</strong>s montagnes,<br />

dans <strong>le</strong>s forêts, qu'eurent lieu ces assemblées ;<br />

c'était la nuit, l'exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong>s dieux y conviait, <strong>le</strong>ur<br />

précepte <strong>le</strong> commandait. Il est donc diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> penser<br />

que ces réunions fussent pures dans <strong>le</strong>ur origine, ou<br />

qu'el<strong>le</strong>s <strong>le</strong> soient <strong>de</strong>venues. Dans <strong>le</strong> principe c'étaient<br />

<strong>de</strong>s infamies, et, à l'époque où vivait Cicéron, selon<br />

Warburton, qui est <strong>le</strong>ur apologiste, mystères et abominations<br />

étaient synonymes. On laisse à d'autres <strong>le</strong> soin<br />

<strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r.<br />

Mystères, merveil<strong>le</strong>s qvi s'y manifestaient.<br />

L'obscurité signalée ail<strong>le</strong>urs existe surtout ici, car<br />

c'était un secret : d'abord un parjure était puni <strong>de</strong><br />

mort; ensuite <strong>le</strong>s bou<strong>le</strong>versements politiques et religieux<br />

et <strong>le</strong>s interprétations <strong>de</strong>s philosophes étaient<br />

bien propres à augmenter <strong>le</strong>s ténèbres. L'initié était<br />

1. <strong>Le</strong> pore Horace délia Ponna reprochait au grand Lama l'obscénité<br />

<strong>de</strong>s cérémonies religieuses du Thibct; celui-ci répondit : «Votre législateur<br />

ne connaît pas la magie secrète <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s; nos Mages embrassent<br />

<strong>le</strong>s femmes, mais ne consomment point l'acte <strong>avec</strong> el<strong>le</strong>s. » On<br />

n'essayera pas d'expliquer ces expressions, mais si <strong>le</strong>s Mages s'abstenaient<br />

par continence, <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> sans doute ne <strong>le</strong>s imitait pas.


40 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

peut-être d'ail<strong>le</strong>urs, ce qu'on peut remarquer dans<br />

d'autres initiations, obligé <strong>de</strong> <strong>de</strong>viner <strong>le</strong> mystère.<br />

Toutefois certaines parties sont bien connues, car<br />

toutes n'étaient point l'objet d'un secret. A l'établissement<br />

du Christianisme, <strong>de</strong>s Gentils initiés aux mystères<br />

et <strong>de</strong>venus chrétiens ne craignirent pas <strong>de</strong> dévoi<strong>le</strong>r<br />

ce qu'ils savaient; mais la plupart, comme<br />

<strong>le</strong>s francs-maçons <strong>de</strong> nos jours, que pouvaient-ils dévoi<strong>le</strong>r?<br />

ils voyaient <strong>de</strong>s cérémonies dont ils n'avaient<br />

pas la c<strong>le</strong>f. <strong>Le</strong>s explications que l'on donnait étaient<br />

énigmatiques el<strong>le</strong>s-mêmes. Clément d'A<strong>le</strong>xandrie, qui<br />

n'était peut-être initié qu'aux petits mystères, nous<br />

apprend fort peu <strong>de</strong> choses : « Ils ne font, dit-il, que<br />

<strong>de</strong>s folies et <strong>de</strong>s infamies. On y explique <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s<br />

ridicu<strong>le</strong>s qui font connaître <strong>le</strong>s aventures <strong>de</strong>s<br />

dieux ou <strong>le</strong>s interprètent naturel<strong>le</strong>ment. <strong>Le</strong> serpent<br />

qui se glisse dans <strong>le</strong> sein <strong>de</strong>s initiés, c'est l'inconstance,<br />

symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jupiter, qui a séduit sous la forme du serpent...<br />

Tous <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s sont ridicu<strong>le</strong>s, une toupie,<br />

un sabot, un miroir, etc. Tout cela conduit à connaître<br />

une fab<strong>le</strong> dont <strong>le</strong> sens reste caché... » Clément n'avait<br />

pas été initié sans doute aux grands mystères. Celui<br />

qui ne voyait que ce qu'on vient <strong>de</strong> citer était fort loin<br />

<strong>de</strong> connaître cette vérité découverte ail<strong>le</strong>urs, ce qu'on<br />

nommait l'autopsie : il est constant qu'une fou<strong>le</strong> d'initiés<br />

ne savaient encore que <strong>de</strong>s fab<strong>le</strong>s. Clément pourtant<br />

a pu <strong>de</strong>viner une partie du secret : déclamant contre<br />

ces assemblées, il <strong>le</strong>s met sur la même ligne que cel<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>s magiciens qui se livrent à <strong>de</strong>s opérations nocturnes,<br />

au rang <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s bacchantes et <strong>de</strong>s prêtres<br />

<strong>de</strong> Bacchus, qui, selon lui, sont tous dignes du feu.<br />

Quant aux prodiges, il n'en par<strong>le</strong> pas, et se borne à dire<br />

que <strong>le</strong>s fêtes <strong>de</strong> Bacchus se célèbrent dans <strong>le</strong> délire<br />

sacré en dévorant <strong>de</strong>s vian<strong>de</strong>s crues... — On verra que


AVEC LE DÉMON. 41<br />

ce délire sacré était une sorte d'extase dans laquel<strong>le</strong><br />

tous <strong>le</strong>s assistants ne tombaient pas indifféremment ; <strong>le</strong><br />

dieu choisissait celui qu'il trouvait digne <strong>de</strong> l'inspiration.<br />

On par<strong>le</strong>ra ail<strong>le</strong>urs plus complètement <strong>de</strong> cet état.<br />

L'initiation aux petits mystères était, sans doute, la<br />

préparation aux grands mystères.<br />

On nommait aussi petits mystères <strong>le</strong>s cérémonies <strong>de</strong><br />

certaines fêtes. Ce qui s'y passait était un mélange <strong>de</strong><br />

piété, d'infamie et <strong>de</strong> prodiges surprenants.<br />

" Dans <strong>le</strong>s Thesmophories, par exemp<strong>le</strong>, auxquel<strong>le</strong>s<br />

Hérodote donne <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> télète, Hésvchius celui <strong>de</strong><br />

mystères, et Aristophane celui à'orgies, <strong>le</strong>s femmes se<br />

préparaient par <strong>le</strong> jeûne et la continence et se rendaient<br />

au temp<strong>le</strong> à la clarté <strong>de</strong>s flambeaux. On y proférait<br />

<strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s obscènes pour adorer plus convenab<strong>le</strong>ment<br />

<strong>le</strong> signe vénéré du ctêis; on y dansait au<br />

son <strong>de</strong>s flûtes... <strong>Des</strong> prodiges s'y manifestaient, et <strong>le</strong><br />

sanctuaire du temp<strong>le</strong> s'ébranlait jusque dans ses fon<strong>de</strong>ments.<br />

Quant aux Orphiques, culte rendu à Bacchus par<br />

une sorte <strong>de</strong> confrérie non autorisée, <strong>de</strong>s prêtres, dépositaires<br />

<strong>de</strong> l'ancienne doctrine d'Orphée, appartenant<br />

sans doute à un culte déchu, y faisaient entendre ces<br />

cris : hyès, attès, plusieurs fois répétés, qu'on entendait<br />

dans <strong>le</strong>s fêtes sabaziennes et dans cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la mère <strong>de</strong>s<br />

dieux.<br />

Dans <strong>le</strong>s Dionysies, il y avait <strong>de</strong>s chœurs nombreux<br />

<strong>de</strong> musiciens et <strong>de</strong>s troupes <strong>de</strong> danseurs. C'est dans<br />

ces fêtes que la femme <strong>de</strong> l'archonte-roi passait la<br />

nuit, occupée du service secret. <strong>Le</strong>s détails <strong>de</strong> cette<br />

nuit d'une épouse donnée à Bacchus étaient tenus,<br />

secrets. On y baisait <strong>le</strong> phallus, <strong>le</strong>s assistants étaient<br />

remplis d'une sainte horreur; il y avait <strong>de</strong>s apparitions<br />

effrayantes.


42 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>Le</strong>s fêtes sabaziennes présentaient <strong>le</strong>s mêmes obscénités.<br />

<strong>Le</strong>s initiés, couverts <strong>de</strong> peaux <strong>de</strong> chèvre, couraient<br />

comme <strong>de</strong>s Ména<strong>de</strong>s et se livraient à <strong>de</strong>s turpitu<strong>de</strong>s<br />

et à <strong>de</strong>s extravagances dont il resta et restera<br />

peut-être longtemps <strong>de</strong>s vestiges.<br />

Dans <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> Mithra, originaire <strong>de</strong> Perse, on<br />

immolait <strong>de</strong>s victimes humaines pour découvrir l'avenir.<br />

On imprimait sur <strong>le</strong>s initiés une sorte <strong>de</strong> marque.<br />

Si on parlait <strong>de</strong>s Isiaques, <strong>de</strong>s mystères <strong>de</strong> Cotytto, on<br />

verrait <strong>le</strong>s mêmes infamies mélangées <strong>avec</strong> <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux<br />

: apparitions, tremb<strong>le</strong>ments <strong>de</strong> terre, fureur sacrée,<br />

état extatique dans <strong>le</strong>quel l'initié prédit l'avenir,<br />

et qu'on retrouvera dans certaines sectes hérétiques.<br />

qu'on retrouverait même jusque dans la hutte du sauvage<br />

dans tous <strong>le</strong>s temps ; concordance curieuse et qui<br />

mérite examen.<br />

Suite, ries petits et <strong>de</strong>s grands mystères, etc.<br />

Si <strong>le</strong>s initiés aux petits mystères étaient nombreux,<br />

<strong>le</strong> nombre <strong>de</strong>s initiés aux grands mystères dut être<br />

relativement infiniment petit. <strong>Le</strong>s grands secrets n'étaient<br />

révélés qu'aux prêtres et à certains sages. Un <strong>de</strong><br />

ces secrets dut être, sans doute, la notion <strong>de</strong> la divinité<br />

tel<strong>le</strong> qu'on l'a exposée précé<strong>de</strong>mment : vnitô, dualité<br />

ou tria<strong>de</strong> 1<br />

. Une explication embarrassante, c'était d'ap-<br />

J. On prétend que Je système <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux principes contraires n'était<br />

pas enseigné dans <strong>le</strong>s mystères, car c'eût été absur<strong>de</strong>, inadmissib<strong>le</strong>,<br />

l'hitarque pourtant (De 1K. et Osir.) enseigne positivement <strong>le</strong> contraire.<br />

Sainte-Croix et d'autres pensent éga<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong>s doctrines<br />

d'un bon et d'un mauvais principe étaient révélées.—Il est bien naturel<br />

<strong>de</strong> penser que <strong>le</strong> dogme <strong>de</strong> l'finie universel<strong>le</strong> produisant <strong>le</strong>s biens<br />

et <strong>le</strong>s maux, ou la croyance a un être indéterminé, d'où sont sortis<br />

<strong>de</strong>ux principes contraires n'en formant qu'un seul, durent être, révélés<br />

dans <strong>le</strong>s mystères.


AVEC LE DÉMON. 43<br />

prendre comment <strong>de</strong>s hommes souillés <strong>de</strong> crimes, dont<br />

la divinité était prouvée par <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s et <strong>de</strong>s prodiges,<br />

étaient <strong>de</strong>venus dieux. On sait qu'il vint une<br />

époque où l'on substitua à une théologie <strong>de</strong>venue<br />

ridicu<strong>le</strong>, même pour <strong>le</strong> peup<strong>le</strong>, la théologie allégorique<br />

; cel<strong>le</strong>-ci ne l'était guère moins. On expliquait<br />

<strong>le</strong>s aventures <strong>de</strong>s dieux par <strong>le</strong>s phénomènes<br />

<strong>de</strong> la nature. C'étaient, disaient <strong>le</strong>s philosophes, <strong>de</strong>s<br />

allégories. Ainsi, pour rejeter la théologie fabu<strong>le</strong>use,<br />

ils se jetèrent dans une sorte <strong>de</strong> matérialisme; on <strong>le</strong>ur<br />

montra que cette interprétation ne pouvait être vraie ;<br />

que ce prétendu secret dévoilé aux initiés permettait<br />

encore <strong>de</strong> <strong>le</strong> chercher. Ce n'était qu'une fausseté, non<br />

pas peut-être qu'on voulût tromper, mais parce qu'on<br />

n'avait nul autre moyen d'interprétation.<br />

Un autre secret qui n'a pas été divulgué, que <strong>le</strong>s<br />

Gentils <strong>de</strong>venus Chrétiens n'ont point voulu faire connaître<br />

par pu<strong>de</strong>ur, c'est la manière dont <strong>le</strong>s initiés adoraient<br />

l'emblème du principe <strong>de</strong> vie. — Un autre grand<br />

secret consistait dans <strong>le</strong>s rits au moyen <strong>de</strong>squels on<br />

pouvait entrer en commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, en recevoir<br />

<strong>de</strong>s révélations et en obtenir <strong>le</strong> pouvoir d'opérer<br />

<strong>de</strong>s prodiges.<br />

Divers prodiges précédant ou accompagnant l'initiation.<br />

D'après <strong>le</strong>s documents fournis par <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers théurgistes<br />

et par <strong>le</strong>s philosophes <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

notre ère, ces prodiges étaient nombreux. D'abord, la<br />

divinité <strong>de</strong>vait permettre l'initiation et en fixer l'époque.<br />

Parmi <strong>le</strong>s prêtres, aucun certainement n'aurait voulu<br />

s'exposer à la mort par une initiation téméraire. <strong>Le</strong><br />

candidat, dit Sainte-Croix, se plaçait dans <strong>le</strong> sanctuaire,<br />

<strong>de</strong>vant l'image <strong>de</strong> la déesse, et là. il voyait <strong>de</strong>s choses


44 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

qu'il n'est pas permis <strong>de</strong> révé<strong>le</strong>r. Il se préparait par <strong>de</strong>s<br />

lustrations, <strong>de</strong>s jeûnes, une continence sévère et <strong>de</strong>s<br />

ablutions. Lorsque <strong>le</strong> récipiendaire avait observé scrupu<strong>le</strong>usement<br />

<strong>le</strong>s rites prescrits, il était illuminé, il voyait<br />

<strong>le</strong>s dieux découvrir <strong>le</strong>ur essence et <strong>le</strong>urs attributs. Cet<br />

état <strong>le</strong> conduisait à l'union intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>, qui remplissait<br />

toutes <strong>le</strong>s puissances <strong>de</strong> son âme : c'est la sainte<br />

fureur, <strong>le</strong> délire sacré. Quels prodiges se manifestaient<br />

ensuite ? L'action <strong>de</strong> la divinité sur l'initié causait l'extase,<br />

établissait l'unification, et immédiatement l'intuition.<br />

Alors l'hiérophante chantait un hymne qui est<br />

<strong>de</strong> la plus haute antiquité, et dont voici <strong>le</strong> sens : « Je<br />

vais <strong>le</strong> révé<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s secrets sublimes. Contemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> roi<br />

du mon<strong>de</strong>, il est un, il est <strong>de</strong> lui-même; <strong>de</strong> lui seul<br />

tour, <strong>le</strong>s êtres sont nés ; il est en eux et au-<strong>de</strong>ssus<br />

d'eux , etc. » (Poésie orphiq., v. t. XLVI <strong>de</strong> l'Acad.<br />

<strong>de</strong>s Inscr.) <strong>Le</strong>s apparitions ne faisaient point partie<br />

du secret ordonné; <strong>le</strong>s théurgistes, frappés <strong>de</strong> l'analogie<br />

qui existait entre <strong>le</strong>s anciens mystères etlathéurgie<br />

<strong>de</strong>s néoplatoniciens, ont fait connaître ce qui se<br />

passait chez ceux-ci, et nous ont par là même révélé <strong>le</strong>s<br />

prodiges <strong>de</strong>s anciens mystères. On en trouve une <strong>de</strong>scription<br />

dans Claudien, dont voici la substance : « Déjà<br />

<strong>le</strong> délire, furor, dit l'initié, a chassé <strong>de</strong> mon cœur <strong>le</strong>s<br />

pensées <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>; Apollon a passé tout entier dans<br />

mon cœur qu'il réchauffe; je vois <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> s'agiter sur<br />

ses fon<strong>de</strong>ments ébranlés, une lumière éclatante jaillit<br />

<strong>de</strong> la voûte... il sort <strong>de</strong> la terre un bruit terrib<strong>le</strong>...<br />

on ouit <strong>de</strong>s mugissements... <strong>de</strong>s serpents font entendre<br />

<strong>le</strong>urs siff<strong>le</strong>ments... Hécate apparaît... puis Bacchus...<br />

et plus loin Pluton... Ce dieu, appuyé sur son tronc<br />

grossier, est assis terrib<strong>le</strong> dans sa sombre majesté... un<br />

nuage <strong>de</strong> tristesse rembrunit son front sourcil<strong>le</strong>ux...<br />

<strong>le</strong> tonnerre <strong>de</strong> sa voix se fait entendre..., etc. »


AVEC LE DÉMON.<br />

<strong>Le</strong>s mêmes apparitions frappaient-el<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s sens<br />

<strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s initiés? Nous l'ignorons; ce qui suit ne<br />

permet pas <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r. Pléthon dit qu'il apparaissait<br />

<strong>de</strong>s chiens dont on entendait <strong>le</strong>s aboiements :<br />

on voyait <strong>de</strong>s choses monstrueuses; <strong>de</strong>s flots <strong>de</strong> lumière<br />

inattendus venaient dissiper <strong>le</strong>s ténèbres ; <strong>de</strong>s<br />

coups <strong>de</strong> tonnerre se faisaient entendre; <strong>le</strong>s montagnes,<br />

<strong>le</strong>s forêts étaient agitées,» la terre mugissait et<br />

tremblait à l'arrivée d'Hécate, annoncée par d'horrib<strong>le</strong>s<br />

hur<strong>le</strong>ments; mil<strong>le</strong> spectres effrayants se manifestaient<br />

aux regards.<br />

Dion Chrysostomc par<strong>le</strong> aussi <strong>de</strong> ces apparitions<br />

fantastiques, et dit qu'on entendait une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

voix et que mil<strong>le</strong> choses extraordinaires effrayaient <strong>le</strong><br />

spectateur. Proclus atteste <strong>le</strong> même effroi chez <strong>le</strong> récipiendaire<br />

; il précédait même l'ouverture <strong>de</strong>s scènes<br />

mystiques. Thémistius rapporte que lorsqu'il fut sous<br />

<strong>le</strong> dôme mystique, il fut p<strong>le</strong>in d'étonnement et d'horreur.<br />

Numénius raconte que, s'étant fait initier par<br />

pure curiosité, il eut une vision clans laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

déesses irritées lui reprochèrent d'avoir offensé <strong>le</strong>s<br />

dieux.<br />

On lit dans Apulée qu'aussitôt-qu'il eut touché <strong>le</strong><br />

seuil <strong>de</strong> Proserpine, <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il lui parut bril<strong>le</strong>r d'une<br />

lumière éclatante, quoique ce fût la nuit; il adora <strong>le</strong>s<br />

dieux <strong>de</strong> fort près. Il ajoute qu'il fut aux portes du tombeau.<br />

Toutes ces merveil<strong>le</strong>s ne sont qu'un préliminaire <strong>de</strong><br />

cel<strong>le</strong>s que l'initié aura désormais <strong>le</strong> pouvoir d'opérer<br />

et qu'on verra dans la théurgie. <strong>Le</strong>s mêmes prodiges<br />

que nous avons rencontrés dans la plus haute antiquité<br />

chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s, nous <strong>le</strong>s retrouverons dans la<br />

longue suite <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s qui se sont écoulés <strong>de</strong>puis<br />

cette époque jusqu'à nous.


46 DES RAPPORTS DE I.'HOMME<br />

CIUPITRE IV<br />

Anciens prêtres et prêtresses enfants <strong>de</strong>s dieux. —Kntliousiasme sacré, délire,<br />

fureur, etc. —Apparition <strong>de</strong>s dieux. — Formes choisies pour apparaître. —<br />

Assemblées, ce (jui s'y passait; festins, musique, orgie. — Infamies ordon­<br />

nées par tes dieux, copulations, etc. — <strong>Le</strong>s dieux animent <strong>le</strong>s simulacres,<br />

s'emparent <strong>de</strong>s êtres -vivants. — <strong>Le</strong>s prêtres ont <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong>s faire <strong>de</strong>s­<br />

cendre dans <strong>le</strong>s statues.<br />

Anciens prêtres et prêtresses enfants <strong>de</strong>s dieux.<br />

<strong>Le</strong> sujet qu'on va traiter est si vaste, qu'il nous arrive,<br />

même en ne pouvant que l'eff<strong>le</strong>urer, <strong>de</strong> dépasser<br />

<strong>le</strong>s bornes que nous nous étions posées. Cependant<br />

ce qu'on va lire a paru nécessaire pour mieux concevoir<br />

et faire admettre ce qui sera exposé plus loin.<br />

Ce qui précè<strong>de</strong> concernait surtout <strong>le</strong>s initiés ; la plupart<br />

<strong>de</strong>s merveil<strong>le</strong>s suivantes concernaient et intéressaient<br />

tous <strong>le</strong>s Gentils. Ce sont <strong>le</strong>s croyances religieuses<br />

, <strong>le</strong>s prodiges qui peuvent être perçus et même<br />

opérés par <strong>de</strong>s profanes, <strong>le</strong>s apparitions-, <strong>le</strong>s communications<br />

<strong>de</strong>s dieux, se manifestant à <strong>le</strong>ur gré et à qui bon<br />

<strong>le</strong>ur semb<strong>le</strong>. C'est enfin la magie communiquée à tous,<br />

non cette magie malfaisante que nous exposerons en<br />

son lieu, mais cel<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s Grecs nommaient théurgie :<br />

<strong>le</strong>s cérémonies, <strong>le</strong>s rits par <strong>le</strong>squels on obtenait <strong>de</strong>s<br />

dieux diverses connaissances. Ces manifestations divines<br />

s'adressaient quelquefois aux plus indignes et à<br />

ceux mêmes qui ne <strong>le</strong>s sollicitaient pas, aussi bien


AVEC LE DÉMON. 47<br />

qu'aux prêtres et aux amis <strong>de</strong>s dieux. Presque tout<br />

ce qui va être cité sera puisé dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s antérieurs<br />

à notre ère, on ne s'astreindra à aucun ordre<br />

chronologique. A quelque époque qu'on examine <strong>le</strong>s<br />

superstitions païennes, au fond toutes se ressemb<strong>le</strong>nt,<br />

et ce qui doit surprendre, c'est que <strong>le</strong>s pratiques d'un<br />

culte <strong>de</strong>puis si longtemps proscrit ont traversé <strong>le</strong>s<br />

sièc<strong>le</strong>s et laissé parmi nous <strong>de</strong>s vestiges d'une ressemblance<br />

si frappante <strong>avec</strong> cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'antiquité, qu'on<br />

reconnaît encore parfaitement <strong>le</strong>ur filiation. Si <strong>le</strong>s diverses<br />

modifications du culte <strong>le</strong>ur ont fait subir quelque<br />

altération, l'examen <strong>le</strong> plus superficiel montre encore<br />

<strong>le</strong>s mêmes croyances et <strong>le</strong>s mêmes rites aujourd'hui.<br />

Avant d'entrer en matière, nous dirons quelques<br />

mots <strong>de</strong>s anciens sages, <strong>de</strong>s prêtres et <strong>de</strong>s prêtresses,<br />

sujet long et assez obscur.<br />

La divinité s'était manifestée aux hommes avant<br />

qu'il existât <strong>de</strong>s initiés, puisque l'initiation ne fut<br />

établie que pour transmettre <strong>le</strong>s révélations aux affiliés<br />

et <strong>le</strong>s mettre en rapport <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux pour en obtenir<br />

<strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s dieux pouvaient donc communiquer<br />

<strong>avec</strong> <strong>de</strong>s profanes, et il y eut constamment <strong>de</strong>s<br />

hommes et <strong>de</strong>s femmes qui en reçurent <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s faveurs.<br />

On n'examine pas ici l'accusation d'une supercherie<br />

qu'on nie, en attendant qu'on réfute <strong>le</strong>s accusateurs.<br />

Dans ces époques ténébreuses, <strong>le</strong>s noms <strong>de</strong>s premiers<br />

prêtres sont, je crois, inconnus. Nous savons<br />

qu'il a existé <strong>de</strong>s castes sacerdota<strong>le</strong>s sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong><br />

Cabires, <strong>de</strong> Curetés, <strong>de</strong> Dacty<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> Corybantes, etc.<br />

Zoroastre en Chaldée, Mercure Trismégiste, chez <strong>le</strong>s<br />

Égyptiens, Orphée chez <strong>le</strong>s Thraces, Linus, Musée,<br />

Mélampus, etc., nous apparaissent comme <strong>de</strong>s ombres


48 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

à travers la nuit profon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s. Ces personnages<br />

ont-ils existé? est-ce bien <strong>le</strong> nom d'un individu, n'estce<br />

pas plutôt celui d'une corporation? Parmi <strong>le</strong>s amis <strong>de</strong>s<br />

dieux qui en avaient reçu la communication <strong>de</strong> plusieurs<br />

secrets, il en est qui passaient pour <strong>le</strong>urs fils, et<br />

pour avoir été réel<strong>le</strong>ment engendrés par eux; on sait<br />

que <strong>le</strong>s Gentils croyaient ce fait possib<strong>le</strong>. Jusqu'à l'avénement<br />

<strong>de</strong> la philosophie, nul ne doutait <strong>de</strong> la vérité<br />

<strong>de</strong>s traditions ; et quand postérieurement l'incrédulité<br />

naquit, <strong>de</strong>s philosophes illustres la blâmèrent. Socra<strong>le</strong><br />

et Platon veu<strong>le</strong>nt qu'on croie sans raisonner aux traditions<br />

sublimes <strong>de</strong>s anciens. (V. Timée et Philèbe.)<br />

Platon dit ail<strong>le</strong>urs : Cela est certain, quoique long à<br />

prouver: il faut croire ces choses sur la foi <strong>de</strong> ceux<br />

qui <strong>le</strong>s ont dites, à moins iju'on n'ait, perdu l'esprit. —<br />

Son motif, c'est que <strong>le</strong>s premiers sages ont dû parfaitement<br />

connaître la vérité et qu'on doit <strong>le</strong>s croire<br />

comme fils <strong>de</strong>s dieux. Ce qui est plus surprenant,<br />

Aristote lui-même veut aussi qu'on s'en tienne à la<br />

tradition; dogme paternel, dit-il, qui ne vient certainement<br />

que <strong>de</strong>là paro<strong>le</strong> <strong>de</strong> Dieu. (Méùt/dujs. d!Aristote.)<br />

Pourquoi cel<strong>le</strong> foi aveug<strong>le</strong> <strong>de</strong>s philosophes à tant<br />

<strong>de</strong> choses si diffici<strong>le</strong>s à croire? pourquoi tant <strong>de</strong> respect<br />

pour la paro<strong>le</strong> d'hommes qui pouvaient tromper<br />

ou se tromper? C'est que partout, en Chaldée, en<br />

Perse, dans l'indc, chez <strong>le</strong>s Celtes comme en Chine,<br />

la caste sacerdota<strong>le</strong> était convaincue, et que la pureté<br />

<strong>de</strong> ses mœurs prouvait qu'el<strong>le</strong> était incapab<strong>le</strong> <strong>de</strong> tromper.<br />

Maintenant, pouvait-el<strong>le</strong> se tromper? Une raison<br />

péremptoire qu'el<strong>le</strong> ne se trompait pas, c'est que <strong>de</strong><br />

nombreux prodiges sanctionnaient tout ce que <strong>le</strong>s<br />

prêtres avançaient '.<br />

l. Moïse ne recourt pas a d'autres moyens, quand il veut prouver


AVEC LE DÉMON.<br />

• L'obscurité qui règne sur <strong>le</strong>s premiers prêtres existe<br />

aussi pour <strong>le</strong>s prêtresses. La mythologie s'en empara<br />

et en fit <strong>de</strong>s nymphes, qu'el<strong>le</strong> appela indifféremment<br />

fil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s dieux, discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s dieux ; <strong>de</strong> Diane,<br />

par exemp<strong>le</strong>, d'Apollon, <strong>de</strong> Jupiter, du so<strong>le</strong>il. Ces<br />

prêtresses n'avaient pas besoin d'étudier <strong>le</strong>s traditionsc<br />

<strong>Le</strong>s dieux <strong>le</strong>ur accordèrent <strong>le</strong> don <strong>de</strong> prédire<br />

et <strong>le</strong> pouvoir d'opérer <strong>de</strong>s prodiges sans étudier<br />

<strong>de</strong> longues formu<strong>le</strong>s. Ces concessions <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s<br />

dieux lubriques <strong>de</strong>s Gentils étaient rarement gratuites<br />

et ne <strong>le</strong>ur étaient faites que sous <strong>de</strong>s conditions qui<br />

<strong>de</strong>vaient alarmer <strong>le</strong>ur pu<strong>de</strong>ur.<br />

Si on examine <strong>le</strong>s nymphes grecques, tel<strong>le</strong>s que<br />

Églé, Calypso, Circé, OEnone, etc., si on essaye <strong>de</strong><br />

sou<strong>le</strong>ver <strong>le</strong> voi<strong>le</strong> dont l'antiquité <strong>le</strong>s couvre, ces prétendues<br />

divinités subalternes ne seront plus que <strong>de</strong><br />

simp<strong>le</strong>s mortel<strong>le</strong>s; <strong>le</strong>s unes, comme Cassandre, avaient<br />

reçu <strong>de</strong>s dieux <strong>le</strong> don <strong>de</strong> connaître l'avenir; d'autres,<br />

comme Circé, fil<strong>le</strong> du so<strong>le</strong>il et d'Hécate, celui d'opérer<br />

<strong>de</strong>s enchantements. Toutes, en commerce plus<br />

ou moins intime <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, vivent seu<strong>le</strong>s dans<br />

<strong>de</strong>s î<strong>le</strong>s ou retirées dans <strong>de</strong>s grottes au milieu <strong>de</strong>s<br />

forêts.<br />

Chez <strong>le</strong>s Celtes nous retrouvons ces femmes extraordinaires,<br />

connues, dans <strong>le</strong>s temps plus mo<strong>de</strong>rnes,<br />

sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> fées, dérivé <strong>de</strong> fatum qui vient <strong>de</strong> fando ;<br />

d'où fatui, <strong>le</strong>s dieux faunes; fatuœ, <strong>le</strong>s nymphes. <strong>Le</strong>s<br />

fées <strong>de</strong>s Celtes étaient comme <strong>le</strong>s nymphes grecques<br />

<strong>le</strong>s bien-aimées <strong>de</strong>s dieux et habitaient <strong>le</strong>s cavernes et<br />

<strong>le</strong>s forêts.<br />

<strong>Le</strong>s Walkyries, messagères <strong>de</strong>s dieux, qui traver-<br />

aux prêtres égyptiens, non qu'il est <strong>le</strong> confi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs dieux, mais<br />

du Dieu unique, seul véritab<strong>le</strong> et plus puissant que <strong>le</strong>urs prétendus<br />

dieux;il fait <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s qui surpassent ceux <strong>de</strong>s prêtres.<br />

I. 4


ÎiO DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

saient <strong>le</strong>s airs sur <strong>de</strong>s coursiers légers comme <strong>le</strong>s<br />

vents, étaient <strong>le</strong>s nymphes du Walhalla. <strong>Le</strong>urs sciences<br />

divines <strong>le</strong>s firent considérer comme <strong>de</strong>s divinités inférieures.<br />

Chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s prêtresses furent<br />

ainsi divinisées; chacune môme reçut <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> la<br />

déesse au culte <strong>de</strong> laquel<strong>le</strong> on l'attachait. On lui prêta<br />

sa puissance surnaturel<strong>le</strong> et il fut tout simp<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s<br />

sièc<strong>le</strong>s postérieurs d'i<strong>de</strong>ntifier <strong>le</strong>s prêtresses <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />

génies qu'el<strong>le</strong>s consultaient. Ce qui avait lieu chez<br />

<strong>le</strong>s Crées se voit aussi chez <strong>le</strong>s Celtes. Ainsi, <strong>le</strong>s<br />

neuf vierges qui habitaient l'î<strong>le</strong> <strong>de</strong> Sena et qu'on place<br />

au nombre <strong>de</strong>s génies, <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s avaient <strong>le</strong> pouvoir<br />

d'exciter <strong>de</strong>s tempêtes, <strong>de</strong> prédire et <strong>de</strong> métamorphoser,<br />

que l'Ëdda appel<strong>le</strong> nomes ou fées, n'étaient,<br />

d'après <strong>le</strong>s érudits, que <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>sses qu'on a divinisées.<br />

On peut <strong>le</strong> conclure d'après divers passages <strong>de</strong><br />

Pelloutier et autres auteurs.<br />

La fameuse Velléda chez <strong>le</strong>s Celtes, contemporaine<br />

<strong>de</strong> Ju<strong>le</strong>s-César, avait reçu <strong>de</strong>s dieux, comme Cassandre,<br />

<strong>le</strong> don <strong>de</strong> prédire, et fut placée dans l'ordre<br />

<strong>de</strong>s divinités féminines; cette drui<strong>de</strong>sse <strong>de</strong>vint une<br />

nymphe ou fée.<br />

Cette déification avait lieu aussi pour <strong>le</strong>s premiers<br />

ministres <strong>de</strong>s cultes antiques. <strong>Le</strong>s Cabircs, <strong>le</strong>s Dacty<strong>le</strong>s,<br />

<strong>le</strong>s Curetés, dont on a parlé, furent considérés tantôt<br />

comme <strong>de</strong>s prêtres, tantôt comme <strong>de</strong>s génies ou <strong>de</strong>s<br />

dieux. Sainte-Croix dit que <strong>le</strong>s Cabires ont été confondus<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s Dacty<strong>le</strong>s, et que ces <strong>de</strong>rniers ressemblaient<br />

aux jong<strong>le</strong>urs <strong>de</strong> l'Amérique exerçant la mé<strong>de</strong>cine<br />

d'incantation et faisant <strong>de</strong>s enchantements.<br />

C'est par là qu'ils se rendirent recommandab<strong>le</strong>s aux<br />

Phrygiens et aux habitants <strong>de</strong> Samothrace, qu'ils surprirent<br />

beaucoup, selon Diodore <strong>de</strong> Sici<strong>le</strong>, en <strong>le</strong>ur montrant<br />

<strong>le</strong>s effets <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur puissance par l'initiation. Orphée


AVEC LE DÉMON. 51<br />

<strong>de</strong>venu <strong>le</strong>ur discip<strong>le</strong> apprit <strong>de</strong>s pratiques peu différentes<br />

<strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s qu'on remarque chez <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins et <strong>le</strong>s jong<strong>le</strong>urs<br />

<strong>de</strong>s peupla<strong>de</strong>s sauvages. Tous ces personnages,<br />

confondus <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux inférieurs et appelés enfants<br />

<strong>de</strong>s dieux, faisaient <strong>de</strong>s prodiges réels, opérés encore<br />

aujourd'hui par <strong>le</strong>s prêtres <strong>de</strong>s sauvages ou <strong>le</strong>s ministres<br />

<strong>de</strong>s fausses religions, sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> magiciens,<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>vins ou <strong>de</strong> jong<strong>le</strong>urs, d'après <strong>de</strong>s secrets<br />

transmis par une sorte d'initiation ; mais secrets si<br />

bien gardés que nos savants <strong>le</strong>s ignorent encore, et<br />

qu'ils n'ont jamais su opérer par <strong>le</strong>ur science ce qui<br />

se fait chez <strong>de</strong>s hor<strong>de</strong>s sauvages.<br />

Nous allons maintenant passer rapi<strong>de</strong>ment en revue<br />

<strong>le</strong>s croyances religieuses, <strong>le</strong>s rits ou cérémonies, et <strong>le</strong>s<br />

prodiges divers <strong>de</strong>s Gentils, cet exposé étant nécessaire<br />

pour porter un jugement sur <strong>le</strong>s pratiques superstitieuses<br />

et sur certaines croyances subsistant encore<br />

aujourd'hui et si diversement appréciées parmi<br />

nous.<br />

Enthousiasme sacré, délire, fureur, etc.<br />

Tous ces mots sont synonymes pour exprimer l'état<br />

<strong>de</strong> la personne dont <strong>le</strong>s organes et surtout la voix paraissaient<br />

soumis à une intelligence étrangère qui en<br />

disposait à son gré. Tous <strong>le</strong>s monuments historiques<br />

attestent que <strong>le</strong>s initiés entraient dans cet état extraordinaire,<br />

mais on verra qu'il s'emparait même quelquefois<br />

<strong>de</strong> ceux auxquels <strong>le</strong>s grands secrets <strong>de</strong>s mystères<br />

étaient étrangers.<br />

Tout prouve que dans cette sorte d'extase, <strong>de</strong>s facultés<br />

admirab<strong>le</strong>s se manifestaient ; on avait <strong>de</strong>s apparitions,<br />

<strong>de</strong>s inspirations, <strong>de</strong>s révélations <strong>de</strong> l'avenir<br />

et <strong>de</strong>s secrets <strong>le</strong>s plus cachés, on pouvait guérir <strong>le</strong>s


52 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

maladies, voir au loin, commercer <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, etc.<br />

L'état physique était non moins étrange, <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s<br />

étaient entrecoupées, <strong>le</strong> regard farouche, et, <strong>le</strong> plus<br />

ordinairement, <strong>de</strong>s mouvements convulsifs frappaient<br />

<strong>le</strong>s spectateurs <strong>de</strong> crainte et d'épouvante; tout accusait<br />

la présence et l'action du dieu, dont Vin/lux, influxus,<br />

causait <strong>de</strong>s effets que nous aurons occasion d'examiner.<br />

<strong>Le</strong>s crimes étaient parfois punis par <strong>de</strong>s vexations,<br />

<strong>de</strong>s apparitions effrayantes. Oreste tue sa mère, et l'apparition<br />

<strong>de</strong>s Euméni<strong>de</strong>s, <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs serpents dont <strong>le</strong>s<br />

yeux distil<strong>le</strong>nt <strong>le</strong> sang, et qui poussent <strong>de</strong>s siff<strong>le</strong>ments<br />

aigus, <strong>le</strong> tourmente sans cesse. L'expiation faisait cesser<br />

cet état affreux.<br />

Si <strong>de</strong>s dieux amis daignaient entrer dans <strong>le</strong> corps<br />

<strong>de</strong>s simp<strong>le</strong>s mortels pour communiquer <strong>avec</strong> eux et<br />

<strong>le</strong>ur départir une faib<strong>le</strong> part <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur puissance, <strong>de</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s ennemis, comme <strong>le</strong> disait Homère, s'en cmparaient<br />

donc aussi pour <strong>le</strong>s vexer. Parmi ces génies,<br />

dont l'air était rempli, se trouvaient <strong>de</strong>s esprits immon<strong>de</strong>s,<br />

ministres <strong>de</strong> la justice <strong>de</strong>s dieux, qui n'étaient<br />

oceupés qu'à tromper <strong>le</strong>s hommes et à <strong>le</strong>ur faire du<br />

mal (Mém. <strong>de</strong> l'Acud. <strong>de</strong>s Inscr., t. LVi); tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s,<br />

on l'a vu, <strong>le</strong> pensaient. <strong>Le</strong>s âmes <strong>de</strong>s méchants,<br />

<strong>le</strong>s larves, venaient grossir la fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> ces esprits vagabonds<br />

auxquels on attribuait certaines maladies; ceux<br />

qu'ils tourmentaient étaient appelés Ceriti ou larvati,<br />

selon que ces maladies provenaient <strong>de</strong> Cérès ou d'Hécate,<br />

ou <strong>de</strong>s larves. <strong>Des</strong> prêtres, <strong>de</strong>s sages, pouvaient<br />

<strong>le</strong>s guérir par certains charmes ou par l'expiation, sorte<br />

d'exorcisme, chez <strong>le</strong>s Gentils; superbe privilège, si,<br />

comme on <strong>le</strong> verra, <strong>de</strong>s magiciens errants ne l'eussent<br />

pas aussi possédé.<br />

<strong>Le</strong>s dieux ne communiquaient pas <strong>avec</strong> tons; ils


faisaient spontanément un choix. Tous prennent <strong>le</strong><br />

thyrse, disait Socrate, mais tous ne sont pas inspirés<br />

par <strong>le</strong> dieu. Quand celui-ci avait quitté son domici<strong>le</strong><br />

d'emprunt, souvent un oubli comp<strong>le</strong>t succédait<br />

aux bel<strong>le</strong>s facultés dont il avait doué son favori;<br />

il était plus ordinaire <strong>de</strong> se rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s visions, <strong>le</strong>s<br />

inspirations. La môme ignorance antérieure survenant<br />

aussitôt après <strong>le</strong> dépai't <strong>de</strong> la divinité , il était évi<strong>de</strong>nt<br />

que d'el<strong>le</strong> seu<strong>le</strong> émanait tout ce qu'on avait vu d'admirab<strong>le</strong><br />

chez celui qu'el<strong>le</strong> avait visité.<br />

Apparition <strong>de</strong>s dieux.<br />

Cette faveur n'entraînait pas nécessairement l'état<br />

d'extase, ni n'exigeait l'initiation. <strong>Le</strong>s dieux se rendaient<br />

visib<strong>le</strong>s à qui et comment ils voulaient; ils donnaient<br />

souvent <strong>de</strong>s signes visib<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur présence,<br />

mais <strong>le</strong>ur évocation n'était pas constamment suivie<br />

d'une apparition divine même pour <strong>le</strong>s prêtres, surtout<br />

aux époques <strong>de</strong> scepticisme où ceux-ci <strong>de</strong>vinrent<br />

eux-mêmes incrédu<strong>le</strong>s. Ainsi Jamblique <strong>le</strong>s contemplait<br />

souvent et Porphyre a joui rarement <strong>de</strong> cette faveur.<br />

Il suffit <strong>de</strong> parcourir <strong>le</strong>s ouvrages <strong>de</strong> certains auteurs<br />

païens pour être convaincu que <strong>le</strong>s dieux favorisaient<br />

souvent l'incrédulité <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs prêtres. Mais s'ils<br />

ne se manifestaient pas toujours à ceux qui pouvaient<br />

<strong>le</strong>s évoquer, ils se montraient par compensation assez<br />

souvent à ceux qui ne <strong>le</strong>s évoquaient pas. Platon,<br />

Livre <strong>de</strong>s Lois, ne voudrait pas qu'on érigeât <strong>de</strong>s chapel<strong>le</strong>s<br />

aux esprits qui se montrent ainsi soit la nuit,<br />

soit <strong>le</strong> jour, et donnent naissance à <strong>de</strong> nouveaux dieux<br />

et à <strong>de</strong> nouveaux cultes. <strong>Des</strong> dieux complètement<br />

ignorés venaient inopinément révé<strong>le</strong>r <strong>le</strong>ur existence :<br />

Tagès, par exemp<strong>le</strong>, était inconnu en Étrurie, quand


54 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

un laboureur <strong>le</strong> vit sortir d'un sillon pour lui révé<strong>le</strong>r<br />

la science <strong>de</strong> l'aruspicine <strong>de</strong>venue si importante <strong>de</strong>puis.<br />

(Cicér., De Div., II, 23.)<br />

Un dieu annonça aux Romains l'arrivée <strong>de</strong>s Gaulois,<br />

et ce dieu, jusque-là inconnu, <strong>de</strong>vint l'objet d'un culte<br />

sous <strong>le</strong> nom d'Aius Loquens. (I/n'd., I, 45.)<br />

Pan, dit Hérodote , apparut à Philippi<strong>de</strong>s près du<br />

mont Parthénion au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> Tégée, se plaignant <strong>de</strong><br />

n'être pas honoré comme dieu, lui qui avait déjà<br />

donné tant <strong>de</strong> secours aux Athéniens. A dater <strong>de</strong> cette<br />

apparition Pan eut un temp<strong>le</strong> et un culte. (Hérodote,<br />

VI, 10.*).)<br />

Il était très-constant que <strong>le</strong>s dieux et <strong>le</strong>s génies,<br />

dont l'air était p<strong>le</strong>in, se montraient; c'était la croyance<br />

du vulgaire, <strong>de</strong>s philosophes comme <strong>de</strong>s initiés. Dans<br />

Homère on en trouve <strong>de</strong> nombreux exemp<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s<br />

poètes n'en étaient pas <strong>le</strong>s inventeurs, ils ont consigné<br />

dans <strong>le</strong>urs ouvrages immortels une croyance bien<br />

établie. <strong>Le</strong>s pythagoriciens étaient surpris, nous dit<br />

Aristote, qu'il put se trouver quelqu'un assurant qu'il<br />

n'avait pas vu <strong>de</strong> génies. Cette même conviction faisait<br />

dire à Apulée : Pourquoi Socra<strong>le</strong> n'aurait-il pu voir <strong>le</strong><br />

sien?<br />

Aussi l'épicurien Celse que l'on cite ici moins comme<br />

exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong> ceux qui croyaient, que pour prouver<br />

la croyance généra<strong>le</strong>, disait : « Est-il nécessaire <strong>de</strong><br />

par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> ces voix miracu<strong>le</strong>uses sorties <strong>de</strong> l'endroit <strong>le</strong><br />

plus sacré <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> ces signes merveil<strong>le</strong>ux, <strong>de</strong><br />

ces claires apparitions, dont on cite tant d'exemp<strong>le</strong>s. »<br />

(V. Orig., Contr. Cela., Viïl, 45.)<br />

Souvent <strong>le</strong>s faunes ont fait entendre <strong>le</strong>ur voix, dit<br />

Quintus, souvent <strong>le</strong>s dieux ont apparu sous <strong>de</strong>s formes<br />

si visib<strong>le</strong>s qu'il faudrait être impie ou stupi<strong>de</strong> pour en<br />

douter.(Cicéron, De Divin., 1. 45; De Nul. dcor.,\\, 2.)


AVEC LE DÉMON. 55<br />

Balbus (Cicéron, De Nat. <strong>de</strong>or., II, 2) dit qu'il ne faut<br />

attribuer l'épuration <strong>de</strong>s pratiques religieuses ni au<br />

hasard, ni aux caprices <strong>de</strong>s hommes, mais aux marques<br />

certaines que <strong>le</strong>s dieux donnent souvent <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur présence.<br />

Ces apparitions étaient si constantes que <strong>le</strong> nom<br />

<strong>de</strong> Epiphanès, qui est présent, qui apparaît, donné plus<br />

spécia<strong>le</strong>ment à Jupiter, était un nom commun à tous<br />

<strong>le</strong>s dieux. C'est surtout dans <strong>le</strong>s fêtes célébrées en<br />

<strong>le</strong>ur honneur que <strong>le</strong>s apparitions avaient lieu, et venaient<br />

singulièrement augmenter la vénération qu'on<br />

avait pour <strong>le</strong>urs statues. Cette croyance était la base<br />

<strong>de</strong> la science <strong>de</strong> la Ihéurgïe, dit Rol<strong>le</strong>. (V. Arnob.,<br />

Adv.ye/iL, VI, et Plutarque, Marcellus.)<br />

Formes choisies pour oppai'aîlre.<br />

El<strong>le</strong>s étaient très - variées ; quelquefois agréab<strong>le</strong>s,<br />

d'autres fois épouvantab<strong>le</strong>s. Dans <strong>le</strong>s présages ou prodiget:,<br />

on a vu <strong>le</strong>s dieux se manifester sous l'apparence<br />

d'une flamme ou d'un feu mystérieux. Nous verrons<br />

Jamblique assurer qu'ils apparaissaient ainsi dans<br />

<strong>le</strong>s sacrifices; par <strong>le</strong> plus ou moins d'éclat <strong>de</strong> ce feu,<br />

on distinguait <strong>le</strong>s dieux purs, <strong>de</strong>s dieux infernaux, ces<br />

<strong>de</strong>rniers n'offrant qu'une lueur sombre. (V. JambL,<br />

De Mystcriis sErjypl., et Lucien.) <strong>Le</strong> plus grand <strong>de</strong>s<br />

dieux, Jupiter, <strong>le</strong> même que Bacchus et autres,<br />

comme on l'a vu, se montrait <strong>avec</strong> <strong>de</strong>ux cornes au<br />

front, signe <strong>de</strong> sa puissance. <strong>Le</strong>s faunes et <strong>le</strong>s satyres,<br />

ces divinités grotesques, outre <strong>le</strong>s cornes, portaient<br />

une queue et ne marchaient que par sauts et par bonds.<br />

(Lucien, Bacchus, 1.)<br />

Quand Bacchus, <strong>le</strong> dieu taureau, dansait sur <strong>le</strong> mont<br />

Parnasse au milieu <strong>de</strong>s torches <strong>de</strong> pin, à son diadème,<br />

emblème <strong>de</strong> la royauté, <strong>de</strong>s cornes étaient fixées,


ofi DES HAPPOHTS DE L'HOMME<br />

comme chez <strong>le</strong>s Pharaons, et <strong>le</strong>s satyres qui formaient<br />

son cortège faisaient entendre <strong>le</strong>urs voix et retentir au<br />

loin une musique que dominait <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong>s cymba<strong>le</strong>s.<br />

<strong>Le</strong>s femmes <strong>de</strong> Thrace voyaient <strong>le</strong>urs danses et entendaient<br />

<strong>le</strong>ur musique bruyante. Nous verrons que tout<br />

ne se bornait point au doub<strong>le</strong> plaisir <strong>de</strong> la vue et <strong>de</strong><br />

l'ouïe. (He<strong>de</strong>lin, <strong>Des</strong> Satyres.)<br />

On a dit que lorsque <strong>le</strong>s femmes <strong>de</strong> la Grèce désiraient<br />

voir Jupiter, el<strong>le</strong>s s'écriaient :


AVEC hE DÉMO:-;. 57<br />

L'apparition était quelquefois loin d'être agréab<strong>le</strong> ;<br />

<strong>le</strong>s dieux prenaient la figure du serpent. Hécate n'avait<br />

point <strong>de</strong> forme fixe, se montrant tantôt sous cel<strong>le</strong> d'une<br />

femme, d'un bouc, d'un chien, etc.<br />

L'Empuse, ce fantôme horrib<strong>le</strong>, qui n'était autre<br />

que la déesse inferna<strong>le</strong>, changeait à tout instant <strong>de</strong><br />

forme et <strong>de</strong> figure. (Aristophane, Ban., 290.)<br />

assemblées, ce qui s'y passait; festins, musique, orgies-<br />

Avant qu'on eût érigé <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s, on s'assemblait<br />

sur <strong>le</strong>s hauts lieux et dans <strong>le</strong>s forêts sacrées. Après<br />

<strong>le</strong>ur érection même, on conserva l'ancien usage, dans<br />

certaines circonstances, <strong>de</strong> s'assemb<strong>le</strong>r en p<strong>le</strong>in air :<br />

mais plusieurs peup<strong>le</strong>s n'avaient d'autre temp<strong>le</strong> que la<br />

voûte du ciel, ou <strong>le</strong> branchage touffu <strong>de</strong>s forêts.—<br />

<strong>Le</strong>s Thraces avaient <strong>le</strong>urs sanctuaires au milieu <strong>de</strong>s<br />

sombres forêts. <strong>Le</strong>urs prêtres, dans cette fureur sacrée<br />

dont on verra tant d'exemp<strong>le</strong>s, se livraient à <strong>de</strong>s danses<br />

et à mil<strong>le</strong> pratiques étranges. Lamusique, <strong>le</strong>s banquets,<br />

<strong>le</strong>s orgies se présentent dans ces assemblées <strong>de</strong> divers<br />

peup<strong>le</strong>s qui n'avaient cependant entre eux aucun rapport.<br />

Chez <strong>le</strong>s Thraces, dont nous parlons, on s'assemblait<br />

près d'un étang, on y allumait un grand feu, on<br />

consultait <strong>le</strong>s génies inférieurs qui présidaient aux divers<br />

éléments, on excitait <strong>le</strong>s tempêtes ou on <strong>le</strong>s conjurait,<br />

on faisait <strong>le</strong>s épreuves du feu et <strong>de</strong> l'eau. On<br />

choisissait <strong>le</strong> voisinage d'un chemin ou d'un carrefour.<br />

—<strong>Le</strong>s Celtes, <strong>le</strong>s Hyperboréens, <strong>le</strong>s Perses, <strong>le</strong>s Scythes<br />

assemblés dans une forêt, surune haute montagne, commençaient<br />

la cérémonie par <strong>le</strong> sacrifice d'un homme.<br />

Hérodote, Strabon, Silius, Stace, Servius, etc., etc.,<br />

tous <strong>le</strong>s anciens auteurs entrent dans <strong>de</strong>s détails fort<br />

curieux sur ce sujet.


58 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>Le</strong>s Gaulois nos ancêtres (selon Pelloutier, Hisl. <strong>de</strong>s<br />

Cel<strong>le</strong>s) s'assemblaient la nuit dans <strong>le</strong>s forêts, usage qui<br />

n'a jamais, dit-il, entièrement cessé ; on sait qu'ils immolaient<br />

<strong>de</strong>s victimes humaines ; <strong>le</strong>s Germains avaient<br />

<strong>le</strong> même culte.<br />

<strong>Le</strong>s Celtibères choisissaient aussi <strong>le</strong>s forêts, où <strong>le</strong>s<br />

dieux donnaient <strong>de</strong>s signes sensib<strong>le</strong>s <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur présence,<br />

Strabon dit qu'on y faisait <strong>de</strong>s banquets.<br />

Moïse Maïmonidc avait lu dans <strong>le</strong>s livres <strong>de</strong>s Sabéens<br />

et <strong>de</strong>s Chaldéens que ceux-ci se rendaient dans <strong>de</strong>s<br />

lieux déserts, y faisaient <strong>de</strong>s .sacrifices et <strong>de</strong>s orgies, et<br />

répandaient autour d'une fosse <strong>le</strong> sang <strong>de</strong>s victimes ;<br />

puis on faisait un repas auquel <strong>le</strong> dieu lui-même présidait.<br />

(V. M. Salverte, Sciences occid/es.)<br />

Mêmes festins, mêmes lieux déserts et assemblées<br />

sous un arbre séculaire chez <strong>le</strong>s anciens habitants <strong>de</strong><br />

la Gran<strong>de</strong>-Bretagne.<br />

Dans tout l'Occi<strong>de</strong>nt, selon Pelloutier qui cite une<br />

fou<strong>le</strong> d'auteurs, c'étaient <strong>le</strong>s mêmes cérémonies. Gaulois,<br />

Al<strong>le</strong>mands, Celtes, Phrygiens, aborigènes d'Italie,<br />

dit-il, tous s'assemblaient dans <strong>le</strong>s forêts, près d'une<br />

fontaine ou d'un élang, sur une colline, et on y portait<br />

<strong>de</strong>s flambeaux. Dans une forêt non loin d'Aricie, près<br />

d'un étang, se trouvait un arbre consacré, auprès duquel<br />

se rendaient <strong>de</strong>s femmes portant <strong>de</strong>s flambeaux<br />

allumés. C'est là que Numa, initié à la secte <strong>de</strong> Pythagorc,<br />

conférait <strong>avec</strong> une divinité <strong>de</strong>s bois. Plusieurs<br />

peup<strong>le</strong>s choisissaient <strong>le</strong> point d'intersection <strong>de</strong> divers<br />

chemins. <strong>Le</strong>s Galatcs, <strong>le</strong>s Scnones, par exemp<strong>le</strong><br />

(V. Pelloutier, t. V), <strong>le</strong>s Édoniens,pour célébrer Colys,<br />

en avaient un qu'on appelait celui <strong>de</strong>s neuf chemins.<br />

Ainsi, lieux déserfs pour que l'action <strong>de</strong> la divinité ne<br />

pût être troublée, assemblées nocturnes, sacrifices humains,<br />

banquets, danses, divinations par l'inspection


AVEC LE DÉMON. S9<br />

<strong>de</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes humaines, dieux évoqués<br />

qui n'apparaissaient d'ordinaire dans <strong>le</strong>s temps <strong>de</strong> foi<br />

qu'autant que <strong>le</strong>s rites voulus par <strong>le</strong>s formu<strong>le</strong>s d'évocation<br />

avaient été observés , enfin , dissolutions qui<br />

font frémir, que la divinité comman<strong>de</strong>.<br />

Infamies ordonnées par <strong>le</strong>s dieux, copulations, etc.<br />

On n'a pas oublié que <strong>le</strong> phallus était adoré chez <strong>le</strong>s<br />

Gentils. Saint Augustin (De civ. Dei, VII, 21) s'indigne<br />

<strong>de</strong> ce qu'à la fête <strong>de</strong> Liber, célébrée au milieu<br />

<strong>de</strong> la débauche, la mère <strong>de</strong> famil<strong>le</strong> la plus respectab<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>vait, en présence d'une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> spectateurs, couronner<br />

cet emblème obscène. A la fête <strong>de</strong> Vénus, qui<br />

se célébrait quelques jours après, <strong>le</strong>s dames romaines<br />

prenaient <strong>le</strong> phallus qu'el<strong>le</strong>s plaçaient dévotement dans<br />

<strong>le</strong> sein <strong>de</strong> Vénus, smus Vnieiis, id est organwn muliebre,<br />

(V. Pitiscus, v° Senacuhim). <strong>Le</strong>s jeunes mariées étaient<br />

obligées <strong>de</strong> venir s'asseoir sur l'organe <strong>de</strong> Priape, Priapi<br />

H-apam. (saint Augustin, De cio. Dei, Vil, 24), pour<br />

éviter divers ensorcel<strong>le</strong>ments ', entre autres l'impuissance.<br />

Avec ce signe suspendu au cou, on n'avait<br />

rien à redouter <strong>de</strong>s charmes. Quant au libertinage qui<br />

accompagnait ces cérémonies infâmes, non-seu<strong>le</strong>ment<br />

<strong>le</strong>s dieux l'avaient ordonné, mais ils punissaient quand<br />

on ne s'y livrait pas. Vénus châtiait rigoureusement<br />

ceux qui négligeaient <strong>de</strong> rendre ainsi hommage à son<br />

culte. On en cite <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s effrayants. On craignait<br />

sa vengeance. La pu<strong>de</strong>ur se révoltait contre ces pieuses<br />

infamies ; on rougissait <strong>de</strong> célébrer <strong>de</strong>vant Caton <strong>le</strong>s<br />

mystères <strong>de</strong> Priape, d'Adonis, <strong>de</strong> Cybè<strong>le</strong>, <strong>de</strong> Flora.<br />

(V. Bul<strong>le</strong>t, 220). On décernait, dit Philon, <strong>de</strong>s prix à<br />

1. V. Lactance, Tiefah. relig., etc.; Amon., IV.


60 DES JiAPPOHTS DE L'HOMME<br />

l'impudicité la plus honteuse, on ne se livrait à l'incontinence<br />

ordonnée par <strong>le</strong>s dieux qu'en luttant contre<br />

<strong>de</strong> chastes instincts.<br />

Aristote {Polit'if/., VII) regardait comme un acte<br />

blâmab<strong>le</strong> <strong>de</strong> représenter <strong>de</strong>s images obscènes ; il exceptait<br />

<strong>le</strong>s dieux qui veu<strong>le</strong>nt être honorés par <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s<br />

représentations. En Arménie, la Vénus Anaid exigeait<br />

que <strong>le</strong>s vierges <strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus illustres se<br />

prostituassent longtemps dans son temp<strong>le</strong>. (Strabon,<br />

XI, 10). Hérodote dit que la même chose se pratiquait<br />

en Lydie 1<br />

. A Byblos, el<strong>le</strong>s avaient <strong>le</strong> choix <strong>de</strong> se faire<br />

raser <strong>le</strong>s cheveux pour <strong>le</strong> <strong>de</strong>uil d'Adonis, ou <strong>de</strong> se<br />

prostituer pendant un jour aux étrangers, alternative<br />

bien funeste à la chasteté 1<br />

, que <strong>de</strong> forcer <strong>de</strong>s femmes à<br />

dépouil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>urs charmes naturels ou à s'abandonner<br />

aux penchants <strong>le</strong>s plus impérieux <strong>de</strong> la nature déchue.<br />

Pour accomplir ces actes <strong>de</strong> dévotion, <strong>le</strong>s Cypriotes,<br />

à certaines époques, emmenaient <strong>le</strong>urs fuies sur <strong>le</strong><br />

bord <strong>de</strong> la mer, pour consacrer <strong>le</strong>ur virginité à Vénus<br />

en se prostituant. (Justin, XVIII, 5.)<br />

A Corinthc, plus <strong>de</strong> mil<strong>le</strong> jeunes fil<strong>le</strong>s étaient<br />

ainsi consacrées à la déesse, pour se prostituer. Ces<br />

étranges actes <strong>de</strong> piété <strong>le</strong>ur concédaient, en quelque<br />

j. Uans un temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Rabylonc, dit Hérodote, <strong>de</strong>s femmes se prostituaient<br />

en l'honneur <strong>de</strong> Vénus. Solon érige» à Athènes un temp<strong>le</strong> à<br />

Vénus la Prostituée, qui était gardé et entretenu par <strong>de</strong>s femmes <strong>de</strong><br />

mauvaise vie. (V. Athénée, XIII.) — Comment <strong>le</strong>s Gentils auraient-ils<br />

pu éviter ces actes <strong>de</strong> lubricité révoltante que l'histoire nous a transmis!<br />

Il en résulta que <strong>de</strong>s hommes estimab<strong>le</strong>s recommandaient la<br />

luxure. Platon louait certains vices infâmes qu'il jugeait dignes <strong>de</strong> récompense<br />

en celte vie et en l'antre. Théocritc en a dit autant (Idyl<strong>le</strong>,<br />

12). Aussi Denys d'IIalicarnassc avouait que la mythologie grecque<br />

n'était propre qu'il corrompre, <strong>le</strong>s dieux étant sujets aux mêmes vices<br />

que <strong>l'homme</strong>, et <strong>le</strong>ur exemp<strong>le</strong> consacrant tes passions <strong>le</strong>s plus honteuses.


AVEC LE DÉMON. Ci<br />

sorte, <strong>le</strong> don <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong>s imploraient Vénus<br />

dans <strong>le</strong>s besoins <strong>de</strong> la république, et une inscription<br />

<strong>de</strong> Simoni<strong>de</strong> portait que, pour l'amour d'el<strong>le</strong>s, cette<br />

déesse avait sauvé la Grèce.—On pourrait citer nombre<br />

d'autres témoignages. Enfin, il faut bien <strong>le</strong> dire, on<br />

était convaincu que <strong>le</strong>s dieux étaient amoureux <strong>de</strong>s<br />

simp<strong>le</strong>s mortel<strong>le</strong>s, et l'on citait beaucoup <strong>de</strong> ces accointances<br />

qui n'avaient point été stéri<strong>le</strong>s.<br />

<strong>Le</strong>s dieux inférieurs, comme plus tard <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s,<br />

passaient pour incubes et succubes ; ainsi <strong>le</strong>s walkyries<br />

<strong>de</strong>s Scandinaves, <strong>le</strong>s éphialtes <strong>de</strong>s Grecs, <strong>le</strong>s dusiens<br />

chez <strong>le</strong>s Gaulois copulaient <strong>avec</strong> <strong>l'homme</strong> comme <strong>le</strong>s<br />

dieux supérieurs. (V. <strong>Le</strong>loyer, <strong>Des</strong> Spectres, p. 200).<br />

<strong>Le</strong>s anciennes traditions et <strong>le</strong>s faits journaliers ne<br />

permettaient pas <strong>le</strong> doute. Nous avons dabord <strong>le</strong>s<br />

poètes, qui n'ayant rien inventé, n'ont fait que transmettre<br />

<strong>de</strong>s faits historiques. Tous ont attribué une origine<br />

divine à certains personnages. Aristée, qui communiquait<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, qui fit cesser la peste en<br />

Grèce, passait pour fils <strong>de</strong> Vénus. La même déesse, sous<br />

la figure d'une bel<strong>le</strong> nymphe, avait accordé ses faveurs<br />

à Anchise, qui ne sut qu'à son réveil <strong>le</strong> danger qu'il<br />

avait couru. Un mortel payait quelquefois <strong>de</strong> sa vie cet<br />

insigne honneur. On voit Latéranus, dieu du foyer, se<br />

manifestant sous la forme d'un phallus, rendre Ocrésia<br />

mère <strong>de</strong> Servius Tullius. Pénélope, en gardant ses<br />

troupeaux sur <strong>le</strong> Taygète, reçut Mercure déguisé en<br />

bouc, et <strong>de</strong>vint mère du dieu Pan, etc.—Récits <strong>de</strong><br />

poëte, dit-on, fab<strong>le</strong> ridicu<strong>le</strong>... — Croyance <strong>de</strong>s mieux<br />

établies, car après <strong>le</strong>s poètes nous avons <strong>le</strong>s historiens.<br />

On attribuait à Scipion une origine divine. Jul. Obsequens<br />

rapporte qu'un serpent mystérieux avait été vu<br />

dans la chambre <strong>de</strong> sa mise : plusieurs personnages<br />

illustres prétendaient ainsi tirer <strong>le</strong>ur origine du ser-


62 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

petit ou l'avoir pour père immédiat. Aristomène était<br />

né d'un serpent, d'après <strong>le</strong>s Messéniens; et Aratus,<br />

selon <strong>le</strong>s Sicyoniens; A<strong>le</strong>xandre enfin, d'après <strong>le</strong>s Macédoniens.<br />

On a donné une origine cé<strong>le</strong>ste à Romulus<br />

et même à Platon. Ces quelques faits suffisent pour<br />

montrer une croyance qui appartient non-seu<strong>le</strong>ment aux<br />

sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> barbarie, mais encore aux sièc<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus<br />

civilisés. A une époque plus rapprochée, quand <strong>de</strong>s<br />

faits analogues se représenteront, peut-être que moins<br />

disposé à nier qu'une tel<strong>le</strong> croyance ait existé, on essayera<br />

<strong>de</strong> l'expliquer; en attendant, nous continuons <strong>de</strong><br />

la constater chez <strong>le</strong>s anciens. <strong>Le</strong>s femmes qui se consacraient<br />

au culte <strong>de</strong> Rhéa, et cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Thrace, dès<br />

qu'el<strong>le</strong>s entendaient <strong>le</strong> son <strong>de</strong>s tambours et <strong>de</strong>s divers<br />

instruments, gravissaient <strong>le</strong>s montagnes pour jouir du<br />

spectac<strong>le</strong>, voyaient danser <strong>le</strong>s faunes et <strong>le</strong>s satyres, et<br />

se retiraient dans l'épaisseur <strong>de</strong>s forêts pour goûter<br />

<strong>avec</strong> ces dieux lascifs <strong>le</strong>s plaisirs grossiers d'un commerce<br />

charnel. (V. Hé<strong>de</strong>lin, <strong>Des</strong> Satyres et <strong>de</strong>s Brutes,<br />

127, etLlorcnte, De F Inquisition, t. III, 458.)<br />

Dans <strong>le</strong>s dionysies, la femme <strong>de</strong> l'archonte-roi était<br />

présentée à Bacchus comme épouse ; faut-il dire à quoi<br />

l'engageait, selon <strong>le</strong>s Gentils, ce titre d'épouse? était-il<br />

purement honorifique? On était si convaincu du contraire,<br />

que <strong>le</strong>s historiens citent <strong>de</strong>s faits complètement<br />

étrangers au mysticisme pur : dans <strong>de</strong> rares circonstances<br />

<strong>de</strong> simp<strong>le</strong>s mortels s'étant substitués au dieu,<br />

sans qu'on s'en doutât, on doit donc penser que celui-ci<br />

agissait en tout comme un homme.<br />

<strong>Le</strong>s dames romaines étaient-el<strong>le</strong>s étonnées d'une proposition<br />

bien faite pour <strong>le</strong>s surprendre? Non certes,<br />

el<strong>le</strong>s s'en trouvaient fort honorées et <strong>le</strong>s maris y consentaient<br />

<strong>avec</strong> joie. « Si ce fait eût été sans exemp<strong>le</strong>,<br />

dit Binet {Idée yen. <strong>de</strong> la tkéol. pay., 138), comment


AVEC LE DÉMON. 63<br />

comprendre que la femme <strong>de</strong> ce chevalier dont par<strong>le</strong><br />

Josèphe, dame aussi illustre que vertueuse, s'y fût<br />

déterminée sans hésiter! On dit à Pauline qu'Anubis,<br />

qui passait pour <strong>le</strong> plus impudique <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s dieux,<br />

est amoureux d'el<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> <strong>le</strong> dit à son mari et s'en<br />

félicite auprès <strong>de</strong> ses amies; la nuit vient, tout se<br />

passe très-humainement <strong>avec</strong>Anubis. La dame raconte<br />

tout à son mari et s'en glorifie <strong>avec</strong> ses intimes amies;<br />

mais <strong>le</strong> faux Anubis, la rencontrant, lui dévoi<strong>le</strong> sa<br />

honte... La dame indignée porta plainte ; un châtiment<br />

sévère suivit <strong>le</strong> crime : <strong>le</strong>s prêtres qui avaient laissé<br />

Mundus s'introduire dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> furent crucifiés et<br />

<strong>le</strong> temp<strong>le</strong> fut rasé. » Si cela se pratiquait à Rome civilisée,<br />

dit Binet, que n'aura-t-on pas fait parmi <strong>le</strong>s barbares?<br />

Cet exemp<strong>le</strong> en vaut mil<strong>le</strong>; un historien tel que Josèphe<br />

n'aurait pas osé noter <strong>le</strong>s mystères d'infamie.<br />

Baylo dit : Si <strong>le</strong>s Athéniens eussent cru que ce n'étaient<br />

que <strong>de</strong>s fab<strong>le</strong>s, auraient-ils trouvé mauvais que Socrate<br />

désapprouvât qu'on eût <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s idées <strong>de</strong>s dieux? il n'y<br />

avait guère <strong>de</strong> choses plus contraires à la raison que <strong>de</strong><br />

. prétendre que <strong>le</strong>s plus gran<strong>de</strong>s divinités <strong>de</strong>scendaient<br />

du ciel pour coucher <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s femmes; cependant, dit-il<br />

ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s n'en doutaient .pas. <strong>Le</strong>s Romains<br />

attribuèrent la perte <strong>de</strong> la batail<strong>le</strong> <strong>de</strong> Cannes à la jalousie<br />

<strong>de</strong> Vénus, parce que Varron avait mis en sentinel<strong>le</strong><br />

un beau garçon dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jupiter<br />

J. Hay<strong>le</strong>, Pe?is. sur la comète, IV, 388-420. — <strong>Le</strong>s philosophes <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>rniers temps ont pensé que <strong>le</strong>s prêtres remplaçaient <strong>le</strong> dieu dans<br />

<strong>le</strong> commerce impur ; ce n'est pas ici <strong>le</strong> lieu <strong>de</strong> prendre la défense <strong>de</strong><br />

ce corps respectab<strong>le</strong>. Je ne ferai que quelques réf<strong>le</strong>xions et je dirai :<br />

que cette opinion pour celui qui a fait un examen un peu sérieux <strong>de</strong><br />

la matière n'est point admissib<strong>le</strong>, même en faisant une assez large<br />

part aux vices et aux faib<strong>le</strong>sses humaines. Nous ne voyons dans l'histoire<br />

grecque qu'un seul cas où l'amant d'une jeune fil<strong>le</strong> (non un<br />

prêtre) se substituât au dieu; c'est celui <strong>de</strong> Callirhoé qui crut faire


G4 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Ce qu'on vient <strong>de</strong> rapporter chez <strong>le</strong>s Grecs et chez <strong>le</strong>s<br />

Romains se retrouve chez <strong>le</strong>s Babyloniens : dans <strong>le</strong><br />

temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Bélus, une femme était conduite dans un lit<br />

magnifique, placé dans <strong>le</strong> sanctuaire. Personne, dit<br />

Hérodote, n'y passe la nuit, h moins que ce ne soit une<br />

hommage <strong>de</strong> sa virginité au dieu du f<strong>le</strong>uve; et <strong>de</strong>ux faits chez <strong>le</strong>s Romains<br />

: dans l'un, <strong>le</strong>s prêtres permettent à un jeune homme <strong>de</strong> se<br />

cacher dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong>, dans l'autre <strong>le</strong> prêtre lui-même commet cet<br />

exécrab<strong>le</strong> forfait, et on sait qu'un châtiment aussi prompt que terrib<strong>le</strong><br />

punit <strong>le</strong>s auteurs et <strong>le</strong>s complices. Or, cette cérémonie mystérieuse<br />

avait lieu souvent; il faut donc admettre, ou qu'une femme<br />

vertueuse (<strong>le</strong>s Gentils eux-mêmes en avaient <strong>de</strong> fort chastes, comme<br />

on sait) aura consenti à commettre un adultère <strong>avec</strong> un prêtre et que<br />

son mari l'aura vu <strong>avec</strong> joie, ou que l'un et l'autre ont été trompés,<br />

non chez une seu<strong>le</strong> natiou, chez toutes peut-être; non pendant un ou<br />

<strong>de</strong>ux sièc<strong>le</strong>s, mais pendant une longue suite <strong>de</strong> sièc<strong>le</strong>s; toutes <strong>le</strong>s<br />

femmes auront été trompées ou auront consenti ainsi à <strong>de</strong>venir infidè<strong>le</strong>s<br />

en copulanl <strong>avec</strong> un prêtre jeune, vieux, beau, laid, connu ou<br />

inconnu... Tous <strong>le</strong>s maris ont été constamment dupes; pendant <strong>de</strong><br />

longs sièc<strong>le</strong>s, il n'y a eu ni cette jalousie ni cette défiance qui sont <strong>de</strong><br />

tous <strong>le</strong>s temps, malgré enfin <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s qu'on vient <strong>de</strong> citer, qui<br />

avaient dû vivement impressionner <strong>le</strong>s parties intéressées. Mais si <strong>le</strong>s<br />

femmes, si <strong>le</strong>s maris ont pu concevoir <strong>de</strong> graves soupçons, <strong>le</strong> prêtre a<br />

dû redouter <strong>de</strong>s châtiments effroyab<strong>le</strong>s!... Cependant <strong>le</strong> mystère continue<br />

<strong>de</strong> s'opérer comme <strong>de</strong> coutume : <strong>le</strong>s femmes vont dévotement<br />

s'offrir au dieu, <strong>le</strong>s maris prient pendant cette sainte cérémonie que<br />

l'autorité respecte comme un mystère sacré; et tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> est content.<br />

Peut-on supposer une aussi constante et aussi universel<strong>le</strong> erreur<br />

ou bonhomie !... Oisons, ou attendaut plus amp<strong>le</strong> examen, qu'il fallait<br />

avoir <strong>de</strong> graves raisons <strong>de</strong> croire que, <strong>le</strong> Dieu lui-môme accordait<br />

<strong>de</strong> divines faveurs à. une simp<strong>le</strong> mortel<strong>le</strong>, puisque l'action sacrilège<br />

d'un impie ne fut pas plus capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> détruire celte pieuse conviction,<br />

que la découverte d'un mirac<strong>le</strong> fabriqué par un prêtre catholique ne<br />

détruirait dans l'esprit d'un chrétien pieux et éclairé la foi qu'il accor<strong>de</strong><br />

aux véritab<strong>le</strong>s. Nous espérons un jour expliquer ce mystère.—<br />

Ou a dit que <strong>le</strong> sacerdoce était un corps respectab<strong>le</strong>, et on <strong>le</strong> soutiendra.<br />

Si on voit <strong>de</strong> rares exemp<strong>le</strong>s comme celui du prêtre d'Anubis,<br />

on sera moins surpris quand on saura qu'il appartenait BU rite égyptien,<br />

culte étranger, longtemps tvjeté à I<strong>tome</strong>. On était arrivé alorsd<br />

une époque <strong>de</strong> corruption et d'impiété, qui a\ait atteint <strong>le</strong> sacerdoce<br />

lui-même.


AVEC LE DÉMON. 65<br />

femme, et <strong>le</strong>s prêtres disent, ce qui paraît incroyab<strong>le</strong>,<br />

que <strong>le</strong> dieu va se reposer dans ce lit. <strong>Le</strong> même Hérodote<br />

(I, 181, 182) dit que, s'il faut en croire <strong>le</strong>s<br />

Égyptiens, il en arrive autant dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jupiter<br />

Thébain, et on dit que <strong>le</strong>s femmes n'ont commerce<br />

<strong>avec</strong> aucun homme... La même chose se remarque à<br />

Patare... Quand <strong>le</strong> Dieu honore cette vil<strong>le</strong> <strong>de</strong> sa présence,<br />

la gran<strong>de</strong> prêtresse est enfermée dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong><br />

pendant la nuit.<br />

Cotys, roi <strong>de</strong> Thrace, faisait <strong>de</strong>s sacrifices dans une<br />

forêt sacrée ; la déesse venait <strong>le</strong> trouver après <strong>le</strong> banquet,<br />

et passait la nuit <strong>avec</strong> lui.<br />

Dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jagrenat, dit un auteur mo<strong>de</strong>rne,<br />

une jeune vierge épouse aussi <strong>le</strong> dieu qu'el<strong>le</strong> consulte<br />

sur <strong>le</strong>s récoltes. — On pourrait multiplier ces citations.<br />

Dans <strong>le</strong>s assemblées, dans certaines fêtes, il se passait<br />

donc <strong>de</strong>s faits qui ont fait croire à un intime commerce<br />

entre <strong>le</strong>s hommes et <strong>le</strong>s dieux, qui paraissaient désireux<br />

<strong>de</strong> jouir <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs embrassements; il était constant<br />

pour <strong>le</strong>s Gentils que <strong>le</strong>s dieux avaient <strong>le</strong>s mômes passions<br />

que <strong>le</strong>s hommes. (V. Jul. Firm. Maternus, De<br />

errore pvnfan. relig., et Apulée.)<br />

Ils aimaient la danse, la musique, <strong>le</strong>s banquets et<br />

<strong>le</strong>s femmes. Malgré <strong>le</strong>ur invraisemblance, ces faits<br />

étaient constants chez <strong>le</strong>s anciens, comme nous <strong>le</strong> verrons<br />

encore en poursuivant ce travail.<br />

Strabon (X, 3), parlant <strong>de</strong> Silène, <strong>de</strong>s satyres et du<br />

dieu Pan, dit qu'ils aiment Jes danses et font entendre<br />

dans <strong>le</strong>s fêtes <strong>le</strong> son <strong>de</strong>s tambours, <strong>de</strong>s flûtes et <strong>de</strong>s<br />

cymba<strong>le</strong>s.<br />

Eschy<strong>le</strong>, dans une pièce perdue, <strong>le</strong>s Édoni, invoque<br />

Cotys et introduit <strong>le</strong>s ministres <strong>de</strong> Bacchus se servant<br />

d'instruments montagnards... <strong>Le</strong> poète dit : «<strong>Le</strong> chant<br />

perce, et d'invisib<strong>le</strong>s mimes, imitateurs effrayants <strong>de</strong>s<br />

' 5


66 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

taureaux, accompagnent <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs mugissements. »<br />

(V. Rol<strong>le</strong>, Culte <strong>de</strong> Bacchus, I, 263.)<br />

Bacchus, <strong>le</strong> grand dieu cé<strong>le</strong>ste, n'était pas plus grave<br />

que <strong>le</strong>s petits dieux <strong>de</strong> sa suite : on affirme, dit Macrobe,<br />

que Bacchus portant <strong>de</strong>s thyrses et couvert <strong>de</strong><br />

peaux <strong>de</strong> faons, danse sur <strong>le</strong> Parnasse au milieu <strong>de</strong>s<br />

torches <strong>de</strong> pin... On y voit <strong>de</strong> nombreux rassemb<strong>le</strong>ments<br />

<strong>de</strong> satyres, on ouit <strong>le</strong>urs voix; <strong>le</strong> retentissement<br />

<strong>de</strong>s cymba<strong>le</strong>s, du haut <strong>de</strong> cette montagne, se fait entendre<br />

au loin — Nous savons que <strong>le</strong>s femmes<br />

accouraient alors et qu'il se passait ce qu'on a dit être<br />

arrivé dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s; on n'a pas oublié qu'el<strong>le</strong>s<br />

étaient dans cet état qu'on nomme délire sacré. Hé<strong>de</strong>lin,<br />

parlant <strong>de</strong>s satyres, dit que <strong>le</strong>ur voix était articulée,<br />

qu'on ignorait d'où el<strong>le</strong> pouvait venir, car on<br />

savait que la montagne n'était pas habitée. <strong>Le</strong> cri<br />

mystérieux <strong>de</strong>s orgies, dit-il ail<strong>le</strong>urs, était sabohél sabohél<br />

à cause du surnom <strong>de</strong> sabaziea donné à Bacchus.<br />

(V. Hé<strong>de</strong>l., 137.)<br />

Disons, pour terminer cet artic<strong>le</strong>, que nous verrons<br />

plus loin saint Augustin si convaincu <strong>de</strong> ces copulations<br />

étranges comme <strong>le</strong>s païens <strong>de</strong> son temps, qu'il dit:<br />

« que c'est une chose si publique que ce serait une impu<strong>de</strong>nce<br />

<strong>de</strong> la nier; » et Varron, qu'il regar<strong>de</strong> comme<br />

<strong>le</strong> plus savant <strong>de</strong>s Romains et <strong>le</strong> moins crédu<strong>le</strong>, ne sachant<br />

qu'en penser, déclare cependant que ce ne sont<br />

pas <strong>de</strong>s fictions <strong>de</strong> poète, mais <strong>de</strong>s mystères sacrés qui<br />

s'accomplissent dans <strong>le</strong>s-temp<strong>le</strong>s. Ce qu'il faudra dire<br />

ail<strong>le</strong>urs sur ce sujet n'a pas permis d'être ici plus succinct.


AVEC LE DÉMON. 67<br />

<strong>Le</strong>s dieux animent <strong>le</strong>s simulacres, s'emparent <strong>de</strong>s êtres vivants. —<strong>Le</strong>s<br />

prêtres ont <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong>s faire <strong>de</strong>scendre dans <strong>le</strong>s statues.<br />

On a dit que la divinité résidait dans <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s,<br />

qu'el<strong>le</strong> s'emparait momentanément <strong>de</strong> l'organisme<br />

humain dans la fureur sacrée, et que <strong>le</strong>s dieux s'incarnaient<br />

même, en"quelque sorte, dans <strong>le</strong>s animaux qui<br />

<strong>le</strong>ur étaient consacrés, tels que <strong>le</strong> bœuf et <strong>le</strong> serpent,<br />

et dans <strong>le</strong>s objets inanimés, tels que <strong>le</strong> chêne, un monolithe,<br />

etc.; dans tous ces objets souvent la divinité<br />

manifestait sa présence.<br />

<strong>Le</strong>s dieux avaient révélé <strong>de</strong>s moyens propres à <strong>le</strong>s<br />

faire <strong>de</strong>scendre dans <strong>le</strong>s statues ; c'était l'art divin<br />

d'unir <strong>le</strong>s êtres invisib<strong>le</strong>s aux choses visib<strong>le</strong>s, pouvoir<br />

immense du sacerdoce, <strong>de</strong> contraindre <strong>le</strong>s dieux, par<br />

certains rites, d'habiter <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s hommes, qu'il faut expliquer.<br />

La consécration du prêtre ayant introduit l'esprit<br />

dans une statue, cel<strong>le</strong>-ci ne cessait pas <strong>de</strong> rester matière<br />

inerte et sans vie, mais el<strong>le</strong> paraissait animée par<br />

la puissance du dieu. A cette consécration nommée<br />

théopée, qui liait <strong>le</strong> dieu à l'ido<strong>le</strong>, succéda la théurgie,<br />

consécration magique appelée aussi téléte, qui disposait<br />

<strong>le</strong>s âmes à la visite <strong>de</strong>s esprits, à la vision <strong>de</strong>s dieux et<br />

<strong>de</strong>s génies ; ces <strong>de</strong>ux consécrations, faites selon <strong>le</strong>s rites<br />

voulus, pouvaient ainsi contraindre <strong>le</strong>s dieux, qui,<br />

(l'autre part, avaient p<strong>le</strong>ine liberté d'opérer à <strong>le</strong>ur gré<br />

<strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong> la théopée et <strong>de</strong> la théurgie.<br />

<strong>Le</strong>s faits historiques propres à prouver ce qu'on<br />

vient d'avancer sont nombreux et attestés par <strong>le</strong>s autorités<br />

<strong>le</strong>s plus imposantes. Cette croyance, on ne saurait<br />

trop <strong>le</strong> répéter, n'était pas seu<strong>le</strong>ment cel<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

quelques femmes crédu<strong>le</strong>s, ni l'effet d'une imagina-


08 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

tion échauffée, ni due à quelque grossier prestige.<br />

Historiens, philosophes païens, Pères <strong>de</strong> l'Église, etc.,<br />

tous se réunissent pour affirmer que par <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong><br />

certaines évocations magiques on pouvait animer un<br />

simulacre. C'était une opinion fol<strong>le</strong>, dit <strong>le</strong> savant Bergier,<br />

c'était néanmoins une croyance, comme nous <strong>le</strong><br />

prouverons. {Dictionnaire <strong>de</strong> théologie <strong>de</strong> Bergier, au<br />

mot Ido<strong>le</strong>s.)<br />

Mil<strong>le</strong> témoignages, car tous <strong>le</strong>s historiens l'attestent,<br />

affirmaient qu'on avait vu <strong>de</strong>s statues s'agiter, suer,<br />

répandre <strong>de</strong>s larmes, sourire, par<strong>le</strong>r, etc.; dans certains<br />

temp<strong>le</strong>s ces prodiges étaient habituels. Nonseu<strong>le</strong>ment<br />

on avait entendu <strong>de</strong>s voix dans <strong>le</strong>s sanctuaires,<br />

mais on avait vu <strong>de</strong>s statues s'y promener<br />

seu<strong>le</strong>s. Ces merveil<strong>le</strong>s s'opéraient quelquefois en<br />

présence <strong>de</strong> plusieurs spectateurs; dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong><br />

d'Héliopolis, Apollon étant selon l'usage porté sur<br />

<strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s prêtres, il <strong>le</strong>s faisait à son gré avancer<br />

ou rétrogra<strong>de</strong>r. Un jour, il s'é<strong>le</strong>va d'un seul élan<br />

jusqu'à la voûte du temp<strong>le</strong>, et cela arrivait souvent.<br />

Macrobe (I, 23) dit aussi qu'à Héliopolis la statue<br />

du dieu So<strong>le</strong>il est portée sur un brancard par <strong>de</strong>s<br />

hommes <strong>de</strong> la première distinction qui ont mérité cet<br />

honneur par une longue continence. Courbés sous<br />

ce far<strong>de</strong>au, agités <strong>de</strong> l'esprit divin, ils sont forcés<br />

<strong>de</strong> suivre la direction qu'il <strong>le</strong>ur imprime. —11 paraît,<br />

d'après Macrobe, que <strong>le</strong>s sorts d'Antium et <strong>de</strong> Préneste<br />

étaient aussi <strong>de</strong>s statues qui se remuaient d'el<strong>le</strong>smêmes<br />

et dont <strong>le</strong>s mouvements différents servaient<br />

<strong>de</strong> réponse ou indiquaient si on pouvait <strong>le</strong>s consulter<br />

'.<br />

1. De lois faits sont fréquents dans l'histoire. Va<strong>le</strong>ro Maxime (F, 8)<br />

rapporte comme indubitab<strong>le</strong> que. <strong>le</strong>s images <strong>de</strong>s dieux-pénates qn'Knée<br />

avait apportés <strong>de</strong> Troie n> îran-['orlèrent <strong>de</strong>ux foi-; d'el<strong>le</strong>s-mêmes


A.VEC LE DÉMON. 69<br />

Val. Maxime rapporte que Furius Camillus, étant<br />

maître <strong>de</strong> Véies, ordonna à ses soldats <strong>de</strong> transporter à<br />

Rome la statue <strong>de</strong> Junon Moneia, principal objet du<br />

culte <strong>de</strong>s Véiens. Tandis qu'ils s'efforçaient <strong>de</strong> l'en<strong>le</strong>ver<br />

<strong>de</strong> son pié<strong>de</strong>stal, l'un d'entre eux lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en<br />

plaisantant si el<strong>le</strong> consent à al<strong>le</strong>r à Rome. <strong>Le</strong> badinage<br />

se changea en stupéfaction ; tous entendirent <strong>le</strong><br />

oui qu'el<strong>le</strong> prononça, et crurent emporter non une statue,<br />

mais Junon <strong>de</strong>scendue du ciel.<br />

Sur la voie latine, à quatre mil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Rome,— d'après<br />

<strong>le</strong> même historien, — existait un temp<strong>le</strong> dédié à<br />

Ja fortune <strong>de</strong>s femmes et dont la consécration remontait<br />

à l'époque où Coriolan fut désarmé par <strong>le</strong>s larmes<br />

<strong>de</strong> sa mère... Cette statue prononça jusqu'à <strong>de</strong>ux fois<br />

ces mots : Heureux <strong>le</strong>s auspices sous <strong>le</strong>squels vous m avez<br />

vue et sous <strong>le</strong>squels vous m'avez consacrée. (Val. Max.,<br />

1, 8.)<br />

Julius Obsequens dit qu'une statue d'Apollon répandit<br />

<strong>de</strong>s larmes pendant quatre jours; el<strong>le</strong> avait été<br />

apportée <strong>de</strong> Grèce et en présageait ainsi la ruine. <strong>Le</strong><br />

même auteur mentionne que dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s statues<br />

se tournaient, que souvent <strong>le</strong>s lances s'agitaient<br />

toutes seu<strong>le</strong>s; dans diverses circonstances, dit-il, <strong>le</strong><br />

sang a jailli <strong>de</strong>s statues, el<strong>le</strong>s ont sué, etc. Quintus<br />

l'atteste éga<strong>le</strong>ment. (Cicéron, De div.)<br />

Pausanias, en parlant <strong>de</strong> la statue <strong>de</strong> Diane taurique,<br />

<strong>de</strong>vant laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s Spartiates fouettaient <strong>le</strong>urs enfants<br />

jusqu'au sang, dit qu'il était naturel à cette statue<br />

d'aimer <strong>le</strong> sang humain, s'y étant accoutumée chez <strong>le</strong>s<br />

Barbares; il n'entendait pas par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> la statue el<strong>le</strong>même,<br />

mais <strong>de</strong> l'esprit qui y était renfermé. — Porpyhre<br />

dans la vil<strong>le</strong> <strong>de</strong> Lavinium. Saint Augustin par<strong>le</strong> <strong>de</strong> ce prodige, qui<br />

n'était pas supérieur au pouvoir <strong>de</strong>s dieux. (Cité <strong>de</strong> Dieu, III, 14.)


70 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

assure aussi que <strong>le</strong>s dieux habitent dans <strong>le</strong>s ido<strong>le</strong>s- —<br />

La place publique est remplie <strong>de</strong> statues, dont on ressent<br />

l'assistance, disait Maxime <strong>de</strong> Madaure. (V. Bergier,<br />

v° Ido<strong>le</strong>s.)<br />

Quand <strong>le</strong>s premiers chrétiens reprochaient aux<br />

païens d'adorer <strong>de</strong>s statues <strong>de</strong> bronze ou d'argent,<br />

ceux-ci <strong>le</strong>ur répondaient : « Vous vous trompez,<br />

nous ne croyons pas que <strong>le</strong> bronze et l'argent soient<br />

<strong>de</strong>s dieux; l'ouvrier qui sculpte <strong>de</strong>s statues ne fait<br />

pas <strong>de</strong>s dieux, mais celui qui <strong>le</strong>s consacre par <strong>de</strong>s cérémonies.<br />

» (Arnobe, VI, 17.) L'auteur <strong>de</strong>s Clémentines<br />

fait observer aussi que <strong>le</strong>s païens, pour justifier <strong>le</strong>ur<br />

culte, prétendaient qu'ils n'adoraient point la matière<br />

<strong>de</strong>s statues, mais l'esprit qui y résidait.<br />

Après tous ces témoignages, on est forcé <strong>de</strong> redire<br />

<strong>avec</strong> Bergier : « Il est incontestab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s païens,<br />

soit ignorants, soit philosophes, croyaient que <strong>le</strong>s<br />

ido<strong>le</strong>s étaient animées. »<br />

<strong>Le</strong>s Pères <strong>de</strong> l'Église pensaient comme <strong>le</strong>s païens,<br />

<strong>avec</strong> cette différence qu'au lieu <strong>de</strong> voir l'ido<strong>le</strong> agitée<br />

par une divinité, ils y voyaient l'action d'un mauvais<br />

génie. Ils n'ignoraient pas cependant que l'Écriture a<br />

dit : « El<strong>le</strong>s ont <strong>de</strong>s yeux el ne voient pas ; el<strong>le</strong>s ont <strong>de</strong>s<br />

oreil<strong>le</strong>s et ri enten<strong>de</strong>nt pas 1<br />

. Ce phénomène était aussi<br />

constant pour eux que l'est parmi nous, pour nombre<br />

<strong>de</strong> gens éclairés, ce qu'on rapporte <strong>de</strong> certaines images<br />

miracu<strong>le</strong>uses.<br />

Il est visib<strong>le</strong>, remarque saint Augustin (De civ. Dei,<br />

VII, 27), que l'objet <strong>de</strong> toute <strong>le</strong>ur théologie civi<strong>le</strong> était<br />

d'attirer <strong>le</strong>s esprits impurs dans <strong>le</strong>s statues. <strong>Le</strong> saint<br />

évoque <strong>le</strong> répète en plusieurs endroits.<br />

l. Eusèhc (Prœp. ev., IV, 15), dit qu'il ne faut pas regar<strong>de</strong>r comme<br />

<strong>de</strong>s dieux <strong>le</strong>s statues... ni <strong>le</strong>s mauvais <strong>démon</strong>s qui opèrent en el<strong>le</strong>s.


A.VEC LE DÉMON. 71<br />

Sozomène (Hist. eccl., VII, 15) rapporte que, <strong>de</strong>s<br />

ido<strong>le</strong>s ayant été brisées, un certain Olympius incitait<br />

<strong>le</strong>s païens à la révolte, et <strong>le</strong>ur disait : <strong>Le</strong>s statues ont<br />

été mises en pièces, el<strong>le</strong>s étaient sujettes à la corruption,<br />

mais la puissance qui était en el<strong>le</strong>s s'est<br />

retirée au ciel. —Ce qui prouve que <strong>le</strong> paganisme,<br />

même en expirant, laissait encore cette croyance dans<br />

toute sa force.<br />

On croyait aussi queies dieux agissaient dans l'eau,<br />

dans <strong>le</strong> feu, dans <strong>le</strong>s arbres, etc., qui <strong>le</strong>ur étaient<br />

consacrés. Nous aurons occasion d'en par<strong>le</strong>r. <strong>Le</strong>s<br />

épreuves par l'eau et <strong>le</strong> feu, l'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong> Dodone, et<br />

mil<strong>le</strong> faits que l'expérience a constatés, <strong>de</strong>puis la<br />

plus haute antiquité jusqu'à nous, prouveraient qu'une<br />

intelligence s'est manifestée dans <strong>le</strong>s objets <strong>le</strong>s plus<br />

matériels.<br />

La divinité, avons-nous dit, résidait dans <strong>le</strong>s animaux<br />

qui lui étaient consacrés. Selon <strong>le</strong>s prêtres<br />

égyptiens, Osiris s'emparait du bœuf Apis, qui prédisait<br />

et communiquait même cette faculté aux assistants.<br />

<strong>Le</strong>s enfants qui suivaient <strong>le</strong> cortège d'Apis<br />

étaient subitement saisis <strong>de</strong> l'enthousiasme sacré et<br />

prédisaient l'avenir, état où se trouvaient même <strong>le</strong>s<br />

enfants qui jouaient hors <strong>de</strong> l'enceinte du temp<strong>le</strong>'.<br />

(Rol<strong>le</strong>, I, 4.)<br />

I. <strong>Le</strong> Grand Lama offre <strong>le</strong> méirie fait. <strong>Le</strong> Grand Lama, ou Dalaï-<br />

Lama était un prince qui régnait, dit-on, 1026 ans avant J.-C, dans<br />

une partie <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>; il passa pour un Dieu qui s'était incarné. Étant<br />

mort, ses discip<strong>le</strong>s dirent qu'il renaîtrait dans <strong>le</strong> Grand-Lama, ido<strong>le</strong><br />

vivante, objet <strong>de</strong> l'adoration <strong>de</strong>s habitants du Thibet. Il a, selon eux,<br />

<strong>le</strong>s perfections <strong>de</strong>là divinité, possè<strong>de</strong> la science universel<strong>le</strong> et connaît<br />

<strong>le</strong>s secrets <strong>le</strong>s plus cachés. Il est immortel. Son corps paraît mourir,<br />

mais <strong>de</strong>s signes sûrs indiquent l'enfant qui doit <strong>le</strong> remplacer. 11 nous<br />

est interdit <strong>de</strong> répéter tout ce qui se manifeste <strong>de</strong> prodigieux dans <strong>le</strong><br />

rorps <strong>de</strong> l'enfant où <strong>le</strong> dieu va <strong>de</strong> nouveau s'incarner. <strong>Des</strong> prodiges


72 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

On était persuadé que la divinité avait sa <strong>de</strong>meure<br />

dans <strong>le</strong>s serpents sacrés nourris dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s.<br />

On sait que <strong>le</strong>s Romains, attaqués d'une peste affreuse<br />

<strong>de</strong>puis trois ans, envoyèrent, d'après <strong>le</strong> conseil<br />

<strong>de</strong> l'orac<strong>le</strong>, <strong>de</strong>s députés à Épidaure pour faire venir <strong>le</strong><br />

dieu Esculape à Rome. Comme ceux-ci admiraient sa<br />

statue, on vit sortir un serpent du temp<strong>le</strong>, il traversa<br />

la vil<strong>le</strong>, se rendit au vaisseau <strong>de</strong>s Romains, et entra<br />

dans la chambre d'Ogulnius. <strong>Le</strong>s députés ravis <strong>de</strong> ce<br />

prodige, se transportèrent à Antium, où ils séjournèrent.<br />

Pendant ce temps, <strong>le</strong> serpent se glissa dans <strong>le</strong><br />

temp<strong>le</strong> dédié à Esculape, revint au vaisseau quelques<br />

jours après et continua sa route, on remontant <strong>le</strong><br />

Tibre. Arrivé dans l'î<strong>le</strong> que forme cette rivière, il<br />

saute à terre, dans <strong>le</strong> môme lieu où on bâtit un<br />

temp<strong>le</strong>. Aussitôt la peste cessa. Valère Maxime (I, 8)<br />

rapporte ce fait historique, sur <strong>le</strong>quel plusieurs autours<br />

anciens ont discuté '.<br />

Quoi qu'il en soit, ce point n'est pas discutab<strong>le</strong><br />

maintenant. Il ne s'agit que <strong>de</strong> constater que <strong>le</strong>s serpents<br />

étaient <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s vivants <strong>de</strong> la divinité, et<br />

que <strong>le</strong>s Gentils étaient convaincus qu'ils lui servaient<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>meure.<br />

<strong>Le</strong> Bacchus Sabazius <strong>de</strong>s Grecs était un serpent qui<br />

avait aussi ses forets sacrées et ses prêtres. Xerxès s'étant<br />

emparé d'Athènes, <strong>le</strong>s habitants étaient indécis s'ils<br />

réels prouvent, dit-on, <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> 3000 ans cette incarnation dans<br />

<strong>le</strong> corps <strong>de</strong> l'enfant qui <strong>de</strong>vient Grand Lama à son tour.<br />

l. Serait-ce un conte? Il y a trop <strong>de</strong> raisons pour la négative. Étaitce<br />

un serpent apprivoisé? — Il est douteux qu'un serpent apprivoisé ail<br />

pu faire ce qu'on rapporte <strong>de</strong> celui-ci. La peste a cessé, — el<strong>le</strong> <strong>de</strong>vait,<br />

dira-t-on, avoir une fin. —Quoi qu'il en soit, dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s d'Épidaure,<br />

dé Cos, <strong>de</strong> Pergame, dans tous <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s si nombreux en<br />

Grèce, on voyait <strong>de</strong>s colonnes où étaient inscrits <strong>le</strong>s noms <strong>de</strong> ceux<br />

qui avaient été guéris.


AVEC LE DÉMON. 73<br />

quitteraient la vil<strong>le</strong>; mais <strong>le</strong>s prêtres effrayés accourent<br />

en disant que <strong>le</strong> serpent sacré a disparu Alors<br />

<strong>le</strong>s Athéniens <strong>de</strong> s'écrier : « Que tardons nous <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

suivre ? »<br />

Un roi <strong>de</strong>s In<strong>de</strong>s montrait mystérieusement à<br />

A<strong>le</strong>xandre la divinité vivante qu'on adorait dans un<br />

temp<strong>le</strong>. C'était un serpent monstrueux qui représentait<br />

Bacchus. — L'histoire religieuse <strong>de</strong>s Gentils est p<strong>le</strong>ine<br />

défaits d'apparitions <strong>de</strong> serpents. Ils se montraient pendant<br />

la veil<strong>le</strong>, on en recevait <strong>de</strong>s révélations en songe.<br />

Pendant <strong>le</strong> sommeil <strong>de</strong> Rosciusun serpent vient enlacer<br />

son corps. <strong>Le</strong> <strong>de</strong>vin consulté sur ce prodige répond<br />

que Roscius est <strong>de</strong>stiné à une gran<strong>de</strong> renommée. Ces<br />

sortes d'apparitions, si souvent rappelées dans l'antiquité,<br />

ne pouvaient, aux yeux <strong>de</strong>s Gentils, concerner<br />

<strong>de</strong>s serpents naturels.<br />

<strong>Des</strong> faits nombreux prouvaient aussi que <strong>le</strong>s dieux<br />

habitaient dans <strong>le</strong>s lieux qui <strong>le</strong>ur étaient consacrés et<br />

qu'ils y manifestaient souvent <strong>le</strong>ur présence l<br />

.<br />

1. Mithridate ayant mis <strong>le</strong> feu aux bois consacrés aux Furies, un<br />

grand éclat <strong>de</strong> rire se fît entendre. On ne put l'attribuer à nul être<br />

vivant.


74 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

CHAPITRE V<br />

Conjurations <strong>de</strong>s dieux. — <strong>Le</strong>s dévouements. — Révélations uti<strong>le</strong>s au bien-e tre<br />

matériel, clc. — <strong>Des</strong> guérisons divines. —Invulnérabilité, incombustibilité.<br />

— <strong>Le</strong>s dieux accor<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s faveurs nu châtient. — Divers moyens <strong>de</strong> con­<br />

naître l'avenir. — La Provi<strong>de</strong>nce, <strong>le</strong> <strong>Des</strong>tin. —Présages. —Augurie. —<br />

Aruspicine. — <strong>Des</strong> songes. — Astrologie. — Talismans, amu<strong>le</strong>ttes. —<strong>Des</strong><br />

orac<strong>le</strong>s. •— Nécromancie ou orac<strong>le</strong>s rendus par <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts. — Doc­<br />

trine <strong>de</strong>s Gentils sur l'origine <strong>de</strong>s Ames et <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>stination.<br />

Conjuration <strong>de</strong>s dieux.<br />

Outre ce pouvoir immense <strong>de</strong>s prêtres <strong>de</strong>s Gentils<br />

qui, p<strong>le</strong>ins <strong>de</strong> foi, en suivant <strong>le</strong>s rites prescrits, pouvaient<br />

faire <strong>de</strong>scendre <strong>le</strong>s dieux dans <strong>le</strong>s statues et<br />

<strong>le</strong>s faire apparaître, il <strong>le</strong>ur était encore donné par <strong>le</strong>s<br />

conjurations <strong>de</strong> participer à <strong>le</strong>ur puissance.<br />

On pouvait <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r : 1° qu'une chose se fît; 2° que<br />

tel malheur fût détourné, el3°sc mettre sous laprotection<br />

<strong>de</strong>s dieux pour l'éviter. Ces formu<strong>le</strong>s <strong>de</strong> conjurations,<br />

qui se distinguaient en impétraloires, aversoires et rccomtnandatoires,<br />

renferment tout. On <strong>de</strong>vait prendre<br />

<strong>le</strong>s précautions <strong>le</strong>s plus scrupu<strong>le</strong>uses en prononçant<br />

<strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s du rituel, cérémonie si grave qu'un homme<br />

était préposé pour <strong>le</strong> lire, un autre pour suivre attentivement<br />

chaque paro<strong>le</strong>, un troisième pour imposer <strong>le</strong><br />

plus grand si<strong>le</strong>nce, et un quatrième pour jouer <strong>de</strong> la<br />

flûte, <strong>de</strong> peur qu'on n'entendît rien <strong>de</strong> funeste pendant<br />

la récitation <strong>de</strong>s formu<strong>le</strong>s : <strong>de</strong> terrib<strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s prouvaient<br />

que, <strong>de</strong>s imprécations ayant interrompu la prière


AVEC LE DÉMON. 73<br />

ou la formu<strong>le</strong> ayant été mal récitée, <strong>le</strong>s présages étaient<br />

<strong>de</strong>venus funestes. S'agissait-il <strong>de</strong> consulter la divinité<br />

pour savoir si tel événement aurait une heureuse issue,<br />

on immolait une victime, on consultait ses entrail<strong>le</strong>s,<br />

et aussi promptement que la pensée, sans que la victime<br />

eût fait aucun mouvement, la tête, ou <strong>le</strong> cœur,<br />

ou <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong> cette victime disparaissaient ou se<br />

trouvaient doub<strong>le</strong>s. Et qui l'assure? Ce n'est pas un<br />

auteur disposé à croire aux prodiges divins, c'est Pline,<br />

qui ne voit que lois naturel<strong>le</strong>s partout. Ainsi, <strong>le</strong>s formu<strong>le</strong>s,<br />

dit-il, jouissaient d'un grand crédit; el<strong>le</strong>s étaient<br />

confirmées par <strong>le</strong>s événements <strong>de</strong> 830 années. Une<br />

simp<strong>le</strong> prière faite par <strong>le</strong>s vesta<strong>le</strong>s retenait <strong>le</strong>s esclaves<br />

fugitifs. <strong>Le</strong>s exemp<strong>le</strong>s existaient par milliers. Au moyen<br />

<strong>de</strong>s conjurations, on pouvait faire tomber la foudre ;<br />

aussi fallait-il se gar<strong>de</strong>r d'agir <strong>avec</strong> légèreté dans ces<br />

circonstances. On voit, dans <strong>le</strong>s anna<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s<br />

bien propres à causer <strong>de</strong> l'effroi. L'omission <strong>de</strong> quelques<br />

circonstances du rit avait causé la mort. Il était<br />

constant que <strong>le</strong>s conjurations avaient modifié <strong>de</strong> hautes<br />

<strong>de</strong>stinées, et qu'on changeait ainsi la va<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>s présages.<br />

(Pline, XXVIII, 3 et suiv.)<br />

<strong>Le</strong>s prêtres pouvaient causer <strong>le</strong>s orages, ils avaient<br />

aussi <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong>s détourner par certaines paro<strong>le</strong>s<br />

; ils avaient toute puissance sur <strong>le</strong>s météores.<br />

Pausanias rapporte que lorsque la campagne souffrait<br />

<strong>de</strong> la sécheresse, un prêtre <strong>de</strong> Jupiter, en Arcadie, agitait<br />

l'eau d'une fontaine <strong>avec</strong> un rameau <strong>de</strong> chêne; il<br />

s'é<strong>le</strong>vait une vapeur légère, une nuée se formait, et<br />

bientôt la pluie tombait par torrents. Pour obtenir <strong>le</strong><br />

même bienfait, <strong>le</strong>s Romains roulaient près du temp<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> Mars un cylindre en pierre qu'on nommait Manalis.<br />

Cette gran<strong>de</strong> puissance se manifestait dans <strong>le</strong>s dévouements<br />

d'une manière non moins frappante.


7(ï DES HAPP011TS DE L'HOMME<br />

<strong>Le</strong>s dévouements.<br />

<strong>Le</strong>s présages dont il sera parlé dans un <strong>de</strong>s paragraphes<br />

suivants pouvaient être modifiés par <strong>le</strong>s sacrifices<br />

et la prière, à moins que <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin n'eût décrété<br />

que <strong>le</strong> malheur annoncé ne pouvait être conjuré, ou<br />

que la volonté <strong>de</strong>s dieux infernaux ne fût contraire.<br />

Dans ce <strong>de</strong>rnier cas, on ne pouvait rien obtenir <strong>de</strong><br />

ces divinités terrib<strong>le</strong>s qu'en répandant <strong>le</strong> sang humain;<br />

<strong>de</strong> là <strong>le</strong>s sacrifices humains et <strong>le</strong>s dévouements.<br />

Si un crime avait attiré la malédiction sur une nation<br />

entière, un chef pouvait, en se chargeant d'imprécations,<br />

faire tomber uniquement sur sa tète la fureur<br />

<strong>de</strong>s esprits infernaux. Quand ils ne s'étaient pas contentés<br />

<strong>de</strong> victimes humaines d'un rang considérab<strong>le</strong>,<br />

<strong>le</strong>s rois eux-mêmes se dévouaient alors pour <strong>le</strong> salut<br />

<strong>de</strong> l'État. Chez <strong>le</strong>s Grecs, Cécrops sacrifie sa fil<strong>le</strong> pour<br />

faire cesser une guerre meurtrière ; Agamemnon immo<strong>le</strong><br />

Iphigénie; Ménécée, pour conjurer <strong>le</strong>s maux qui<br />

fon<strong>de</strong>nt sur <strong>le</strong>s Thébains, s'immo<strong>le</strong> lui-même quand<br />

<strong>le</strong> <strong>de</strong>vin Tirésias eut déclaré que <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>mandaient<br />

cette expiation. Un orac<strong>le</strong> promet la victoire à<br />

l'armée dont <strong>le</strong> chef mourra dans <strong>le</strong> combat, Codrus,<br />

déguisé en paysan, se fait massacrer dans <strong>le</strong> camp <strong>de</strong>s<br />

ennemis.<br />

<strong>Le</strong>s Romains nous donnent <strong>de</strong> pareils exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

dévouement. On connaît ceux <strong>de</strong> Curtius, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

Décius et <strong>de</strong> ces sénateurs qui, après la batail<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'Allia,<br />

se dévouèrent so<strong>le</strong>nnel<strong>le</strong>ment pour la patrie, exemp<strong>le</strong><br />

qui fut suivi par plusieurs prêtres. (Tite-Live, V; Encycl.<br />

mêth., v° Dévouement.)<br />

Curtius ne se précipita dans un gouffre que lorsque<br />

<strong>le</strong>s aruspices eurent déclaré que <strong>le</strong>s dieux Mânes <strong>de</strong>-


AVEC LE DÉMON. 77<br />

mandaient qu'on <strong>le</strong>ur envoyât un homme brave. (Mém.<br />


78 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

tiquité. On voit <strong>le</strong> roi <strong>de</strong>s Moabites engager Balaam à<br />

dévouer <strong>le</strong>s Israélites. Ainsi <strong>le</strong>s imprécations proférées<br />

par un prêtre causaient la maladie ou la mort <strong>de</strong> ceux<br />

qu'il dévouait. Quoique l'amour <strong>de</strong> la patrie et <strong>le</strong> zè<strong>le</strong><br />

religieux se fussent bien refroidis, on voit encore, au<br />

second sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> notre ère, Antinoiis se dévouer pour<br />

l'empereur Adrien. Si ces dévouements généreux sont<br />

rares alors, <strong>le</strong>s imprécations par <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s on dévouait<br />

<strong>le</strong>s ennemis ne l'étaient pas.<br />

Révélations uti<strong>le</strong>s au bien-être matériel, etc.<br />

<strong>Le</strong>s dieux avaient voulu communiquer <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />

hommes et se manifester par <strong>de</strong>s bienfaits. On peut<br />

remarquer qu'ils révélaient surtout ce qui concerne<br />

la vie matériel<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s biens temporels et <strong>le</strong>s guérisons<br />

<strong>de</strong>s maladies. Cependant ils révélaient aussi ce<br />

qui concernait <strong>le</strong>s <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong>s hommes envers eux. <strong>Le</strong>s<br />

mots barbares usités dans certaines opérations, <strong>le</strong>s<br />

formu<strong>le</strong>s inintelligib<strong>le</strong>s avaient été dictées par <strong>le</strong>s<br />

dieux, qui avaient aussi <strong>de</strong>mandé un culte et <strong>de</strong>s sacrifices.<br />

— « Ce que je vous dis est <strong>de</strong> la plus gran<strong>de</strong> vérité,<br />

disait Thémislius, et extrait <strong>de</strong> la doctrine <strong>de</strong>s<br />

anciens; à <strong>de</strong>s temps marqués, <strong>de</strong>s substances divines<br />

et éternel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>scendirent sur la terre pour l'utilité <strong>de</strong>s<br />

hommes, » etc., et Jambliquc assure qu'ils étaient<br />

<strong>le</strong>s auteurs <strong>de</strong> ces formu<strong>le</strong>s auxquel<strong>le</strong>s on attachait<br />

l'efficacité <strong>de</strong>s opérations et <strong>le</strong> pouvoir d'opérer <strong>de</strong>s<br />

prodiges.<br />

Toute l'antiquité atteste ce qu'on vient <strong>de</strong> lire.<br />

<strong>Des</strong> guérisons divines.<br />

Ce sujet est un <strong>de</strong>s plus intéressants, car <strong>le</strong>s guérisons<br />

surhumaines appartiennent à toutes <strong>le</strong>s religions,


AVEC LE DÉMON. 79<br />

à tous <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s, même aux sièc<strong>le</strong>s matérialistes, qui,<br />

refusant <strong>de</strong> <strong>le</strong>s attribuer à la divinité, préfèrent supposer<br />

l'action <strong>de</strong> quelques lois physiques inconnues.<br />

Quoi qu'il en soit, tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s, j'ignore si on doit<br />

en excepter un seul, ont cru que la divinité avait communiqué<br />

aux hommes, par une sorte <strong>de</strong> révélation, <strong>le</strong>s<br />

premières connaissances <strong>de</strong> l'art <strong>de</strong> guérir. <strong>Le</strong>s anciens<br />

Gentils, <strong>le</strong>s Grecs, <strong>le</strong>s Juifs et <strong>le</strong>s Chrétiens ont pensé<br />

que la mé<strong>de</strong>cine avait une origine cé<strong>le</strong>ste. Quels sont<br />

<strong>le</strong>s dieux qui ont fait ces révélations ? A quel<strong>le</strong> époque?<br />

Il règne tant d'obscurité sur ce sujet que la question<br />

reste insolub<strong>le</strong>. On cite une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> noms : Bacchus,<br />

Àmmon, Esculape, Apollon, Osiris, Sérapis, Anubis,<br />

Apis, Isis, Diane, etc., etc. Mais quelques-uns pensent<br />

que Bacchus était <strong>le</strong> même que Noé, que Ammon était<br />

<strong>le</strong> même que Cham, son fils; d'autres en font <strong>de</strong>s<br />

rois, <strong>de</strong>s princes ou <strong>de</strong>s prêtres, <strong>de</strong>s fils <strong>de</strong>s dieux.<br />

Osiris passe aussi pour l'inventeur <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine.<br />

On voyait dans la vil<strong>le</strong> <strong>de</strong> Nysa <strong>de</strong>s inscriptions qui<br />

portaient : « Mon père est Cronos, <strong>le</strong> plus jeune <strong>de</strong><br />

tous <strong>le</strong>s dieux, je suis <strong>le</strong> roi Osiris. » — Une autre<br />

était ainsi conçue : « Je suis Isis, instruite par Thoth,<br />

fil<strong>le</strong> aînée <strong>de</strong> Cronos, femme et sœur d'Osiris; c'est<br />

moi qui bril<strong>le</strong> dans la Canicu<strong>le</strong>.» —Ail<strong>le</strong>urs on voit<br />

que Thoth est <strong>le</strong> même que Hermès ou Mercure, et<br />

Jamblique dit qu'il y avait en Egypte <strong>de</strong>s colonnes remplies<br />

<strong>de</strong> sa doctrine, et que Pythagore avait puisé <strong>de</strong><br />

gran<strong>de</strong>s lumières dans <strong>le</strong>s livres sacrés qu'on lui attribue,<br />

et qui sont conservés soigneusement dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s.<br />

<strong>Le</strong>c<strong>le</strong>rc (Hist. <strong>de</strong> la mèd.) dit que si ces livres sont<br />

véritab<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> lui, il serait évi<strong>de</strong>nt que la mé<strong>de</strong>cine<br />

hermétique était fondée en gran<strong>de</strong> partie sur la magie<br />

et l'astrologie. Dans un <strong>de</strong> ces livres, l'Asclépius, il est<br />

question <strong>de</strong> statues qui donnent <strong>de</strong>s maladies, <strong>le</strong>s gué-


80 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

rissent, prédisent l'avenir et font cent autres prodiges.<br />

Osiris, Sérapis et Apis sont <strong>le</strong>s mômes qu'Esculape,<br />

dieu <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine ; mais il a existé plusieurs Esculape<br />

qui tous faisaient <strong>de</strong>s guérisons. Isis passe aussi<br />

pour avoir inventé divers médicaments; on pense que,<br />

mise ensuite au rang <strong>de</strong>s dieux, el<strong>le</strong> s'occupe encore<br />

<strong>de</strong> la santé <strong>de</strong>s hommes. Diodore assure que ceux qui<br />

l'invoquent sont visib<strong>le</strong>ment soulagés : — Ce n'est pas<br />

sur <strong>de</strong>s fab<strong>le</strong>s, disent <strong>le</strong>s historiens, que la réputation<br />

d'Isis s'est établie, mais sur l'évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s faits, et <strong>le</strong><br />

témoignage <strong>de</strong> l'univers entier <strong>le</strong>s atteste... On cite une<br />

fou<strong>le</strong> d'autres noms qui appartiennent à la plus haute<br />

antiquité, et sont évi<strong>de</strong>mment <strong>le</strong>s noms <strong>de</strong>s discip<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>s dieux, <strong>de</strong> ces favoris auxquels ils ont révélé <strong>le</strong>urs<br />

secrets. Ce que la tradition, au milieu <strong>de</strong> ces ténèbres,<br />

offre donc <strong>de</strong> plus certain, c'est que la divinité aurait<br />

révélé, entre autres secrets, celui do guérir, à <strong>de</strong>s<br />

personnages qui ont été confondus plus tard <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />

dieux ', ont été divinisés comme eux, et souvent en ont<br />

reçu <strong>le</strong>s noms. Il est constant que <strong>le</strong>s prêtres <strong>de</strong> l'Egypte,<br />

<strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>, <strong>de</strong> la Perse, <strong>le</strong>s Drui<strong>de</strong>s, etc., etc., guérissaient<br />

par <strong>de</strong>s expiations, <strong>de</strong>s lustrations, <strong>de</strong>s sacrifices,<br />

<strong>de</strong>s chants et par certaines paro<strong>le</strong>s magiques. Ces<br />

moyens étranges <strong>de</strong> guerison remontaient à la plus<br />

haute antiquité. Avant <strong>le</strong> siège <strong>de</strong> Troie, <strong>le</strong>s Cabires,<br />

<strong>le</strong>s Curètcs <strong>le</strong>s pratiquaient déjà 2<br />

. Lorsqu'on eut érigé<br />

<strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s mala<strong>de</strong>s s'y rendirent; <strong>le</strong>s Égyptiens<br />

allaient se coucher dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> d'Isis et d'Osiris,<br />

1. OEnone disait qu'Apollon lui avait enseigné <strong>le</strong>s simp<strong>le</strong>s propres<br />

;l guérir. — Diane avait fait connaître <strong>le</strong>urs vertus à Chiron.<br />

2. <strong>Le</strong>s Asclépiadcs étaient une corporation <strong>de</strong> prêtres qui ne transmetlninnt<strong>le</strong>ur<br />

moyens <strong>de</strong> guérir que par l'initiation. Ils joignaient ,ï la<br />

mé<strong>de</strong>cine divine certaines notions médica<strong>le</strong>s dont llippocrate se servit<br />

pour établir une mé<strong>de</strong>cine plus ralioniml<strong>le</strong>.


AVEC LE DÉMON. 81<br />

qui teur révélaient <strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s ou <strong>le</strong> régime qu'exigeait<br />

<strong>le</strong>ur maladie. Plus tard, Sérapis <strong>le</strong>s surpassa et<br />

<strong>le</strong>s fit oublier. N'oublions pas, cependant, que Sérapis<br />

était <strong>le</strong> même dieu qu'Osiris, que Pluton, que Jupiter.<br />

La vie la plus longue, disait Aristi<strong>de</strong> (Disc, sur Sérapis),<br />

ne suffirait pas pour décrire tous <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />

opérés par Sérapis : ressusciter <strong>de</strong>s morts, donner la<br />

santé et <strong>le</strong>s richesses, etc. Ses cures miracu<strong>le</strong>uses<br />

étaient consignées dans <strong>de</strong>s livres sacrés, et il avait<br />

partout un grand nombre <strong>de</strong> temp<strong>le</strong>s; en Egypte, du<br />

temps d'Aristi<strong>de</strong> 1<br />

, on en comptait quarante-trois. —<br />

Strabon dit que <strong>le</strong>s plus grands personnages avaient<br />

confiance au Sérapis du temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Canope; on s'y<br />

rendait pour obtenir <strong>de</strong>s songes, et <strong>le</strong>s ex-voto encombraient<br />

ses autels.<br />

Esculape, que quelques-uns confon<strong>de</strong>nt <strong>avec</strong> Apollon,<br />

tandis que d'autres en font un discip<strong>le</strong> d'Hermès,<br />

apparaissait aux mala<strong>de</strong>s dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s, après certaines<br />

cérémonies préliminaires, lustrations, sacrifices,<br />

et quand la foi ne manquait pas. Quelquefois <strong>le</strong>s mala<strong>de</strong>s<br />

ne voyaient en songe que <strong>le</strong>s médicaments;<br />

d'autres fois tout se présentait allégoriquement. On<br />

pouvait aussi obtenir <strong>de</strong>s songes chez soi : tous ces<br />

remè<strong>de</strong>s, comme on <strong>le</strong> verra ail<strong>le</strong>urs, étaient d'ordinaire<br />

très-bizarres et plus propres souvent à tuer un<br />

mala<strong>de</strong> qu'à <strong>le</strong> guérir 5<br />

.<br />

Toutes <strong>le</strong>s nations avaient ainsi <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s où se<br />

rendaient <strong>le</strong>s mala<strong>de</strong>s, ou bien ceux-ci y envoyaient<br />

<strong>le</strong>urs amis pour obtenir <strong>de</strong>s apparitions ou <strong>de</strong>s songes;<br />

1. Aristi<strong>de</strong>, orateur grec, est mort vers l'an 180 <strong>de</strong> notre ère.<br />

?. <strong>Le</strong>s prêtres se couchaient sur <strong>le</strong>s peaux <strong>de</strong>s victimes et obtenaient<br />

ainsi <strong>de</strong>s songes. Us conversaient <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, interrogeaient <strong>le</strong>s<br />

Miîncs, voyaient <strong>le</strong>s formes <strong>le</strong>s plus extraordinaires. (V. Aubin Gauthier,<br />

Histoire du somnambulisme, t. 2.)


82 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

quelquefois <strong>le</strong>s prêtres consentaient à se charger <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r la révélation d'un médicament salutaire ; *t<br />

ces remè<strong>de</strong>s naturel<strong>le</strong>ment inuti<strong>le</strong>s ou nuisib<strong>le</strong>s guérissaient,<br />

ainsi que l'attestent tous <strong>le</strong>s monuments historiques.<br />

<strong>Le</strong>s Hébreux en étaient si convaincus qu'ils<br />

furent entraînés dans l'idolâtrie ; Isaïe <strong>le</strong>ur reproche<br />

d'al<strong>le</strong>r dormir dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s (LXV, 4), Ochozias<br />

envoyait consulter <strong>le</strong> dieu d'Accaron. (IV lieg., I, 2.)<br />

Ce serait ici <strong>le</strong> lieu <strong>de</strong> citer <strong>de</strong> longs récits historiques<br />

<strong>de</strong> ces moyens curatifs indiqués en songe. Nous<br />

verrions à Athènes une statue <strong>de</strong> Pallas, dressée par<br />

ordre <strong>de</strong> Périclès, lui indiquer pendant son sommeil<br />

l'herbe qui guérira son esclave tombé du haut d'un<br />

temp<strong>le</strong>. (<strong>Le</strong>c<strong>le</strong>ro, Ifùt. <strong>de</strong> la niêd., p. 1.)<br />

Un dragon montre dans sa gueu<strong>le</strong>, à A<strong>le</strong>xandre, la<br />

plante qui doit rendre la santé à Ptolémée. (Cic, De<br />

div., II, 6G.)<br />

Nous citerions enfin la guérison <strong>de</strong> la jeune Aspasie,<br />

fil<strong>le</strong> d'Hermotime, défigurée par une grosse tumeur<br />

au visage- <strong>Le</strong>s mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong>mandant à son père une<br />

somme dont il ne pouvait disposer, la pauvre enfant<br />

se retire fondant en larmes. La nuit, dans un songe,<br />

une colombe lui apparaît; s'étant changée en femme,<br />

el<strong>le</strong> lui dit : «Aie bon courage, prends <strong>le</strong>s roses dont<br />

on fait <strong>de</strong>s guirlan<strong>de</strong>s pour Vénus; lorsqu'el<strong>le</strong>s seront<br />

<strong>de</strong>sséchées et pilées, applique-<strong>le</strong>s sur ta tumeur. »<br />

Cet ordre fut exécuté ponctuel<strong>le</strong>ment, et la tumeur disparut.<br />

Ç&lien, XII, 1.)<br />

<strong>Le</strong>s philosophes matérialistes pratiqueront un jour<br />

cette mé<strong>de</strong>cine sans croire qu'el<strong>le</strong> émane <strong>de</strong>s dieux.<br />

On verra dans Pline que <strong>le</strong>s philosophes naturalistes,<br />

en s'efforçant <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s vertus naturel<strong>le</strong>s dans<br />

certaines substances, manifestaient une crédulité plus<br />

fol<strong>le</strong> que ceux qui, ne voyant en el<strong>le</strong>s qu'un signe sen-


AVEC LE DÉMON.<br />

sib<strong>le</strong>, attribuaient la guérison au dieu qui <strong>le</strong>s avait ordonnées.<br />

Invulnérabilité, incombustibilité.<br />

C'était une prérogative attachée à l'initiation, comme<br />

on <strong>le</strong> verra plus amp<strong>le</strong>ment chez <strong>le</strong>s néoplatoniciens,<br />

où <strong>le</strong> feu ne pouvait <strong>le</strong>s brû<strong>le</strong>r, <strong>le</strong>s lances et <strong>le</strong>s épées<br />

ne pouvaient <strong>le</strong>s percer. <strong>Le</strong> même prodige avait lieu<br />

quelquefois pour ceux mêmes qui n'étaient pointinitiés,<br />

par exemp<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s épreuves. Ainsi nous voyons<br />

Sophoc<strong>le</strong>, cinq sièc<strong>le</strong>s avant Jésus-Christ, faire dire<br />

par <strong>le</strong>s gar<strong>de</strong>s auxquels on avait confié <strong>le</strong> corps <strong>de</strong><br />

Polynice : « Nous étions prêts ù manier <strong>le</strong> fer rouge<br />

et à passer à travers du feu, en prenant <strong>le</strong>s dieux<br />

à témoin, » etc. — Selon Pelloutier, cette coutume<br />

n'était en usage que chez <strong>le</strong>s Barbares, parmi <strong>le</strong>squels<br />

<strong>le</strong>s gar<strong>de</strong>s avaient été choisis. — Quoique ce soitsurtout<br />

chez <strong>le</strong>s Barbares et <strong>le</strong>s sauvages qu'on observe ces<br />

phénomènes, on <strong>le</strong>s verra ail<strong>le</strong>urs chez <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s civilisés;<br />

mais il paraît certain que ces gar<strong>de</strong>s n'avaient<br />

pas été initiés, et qu'ils ne comptaient sur l'invulnérabilité<br />

que pour prouver qu'ils disaient la vérité. <strong>Le</strong>s<br />

prêtres et certaines famil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>vaient <strong>le</strong>ur invulnérabilité<br />

à <strong>le</strong>ur caractère ou h <strong>le</strong>ur naissance; <strong>le</strong>s Hirpiens<br />

marchaient pieds nus sur un grand brasier, sans se<br />

brû<strong>le</strong>r, en présence <strong>de</strong> tout <strong>le</strong> peup<strong>le</strong>. En Cappadoce,<br />

dans un temp<strong>le</strong> dédié à Diane, <strong>le</strong>s prêtresses marchaient<br />

aussi sur <strong>de</strong>s charbons allumés; Zoroastre, chez <strong>le</strong>s<br />

Perses, a subi <strong>de</strong> plus fortes épreuves.<br />

Sous <strong>le</strong> règne <strong>de</strong> Sapor, un chef <strong>de</strong>s Mages, pour<br />

prouver la divinité <strong>de</strong> sa religion, se fit verser sur <strong>le</strong><br />

corps nu dix-huit livres <strong>de</strong> cuivre fondu. (Pell., t. VIII.)<br />

Acceptons ces faits sans discuter. On y reviendra dans<br />

<strong>le</strong> cours <strong>de</strong> cet ouvrage.


84 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>Le</strong>s dieux accor<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s faveurs ou châtient.<br />

<strong>Le</strong>s dieux intervenaient souvent pour récompenser<br />

ou punir. La vesta<strong>le</strong> Tuccia, accusée faussement d'avoir<br />

violé son


AVEC LE DÉMON. 8b<br />

<strong>Le</strong>s prêtres d'Hercu<strong>le</strong>, ayant omis <strong>le</strong>ur service accoutumé,<br />

<strong>de</strong>viennent muets et sont subitement guéris<br />

quand ils ont promis d'être plus fidè<strong>le</strong>s.<br />

<strong>Le</strong> censeur Appius conseil<strong>le</strong> à la famil<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Potitii,<br />

chargés du service du môme dieu, <strong>de</strong> l'abandonner<br />

au soin <strong>de</strong>s esclaves. Toute la famil<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Politii<br />

meurt dans l'année; ils étaient plus <strong>de</strong> trente, <strong>de</strong><br />

sorte que cette famil<strong>le</strong> fut éteinte. (Tite-Live, IX, 29.)<br />

<strong>Le</strong>s historiens citent une fou<strong>le</strong> d'exemp<strong>le</strong>s du courroux<br />

<strong>de</strong>s dieux — S'il était quelquefois tardif, ditValcre<br />

Maxime, la sévérité en compensait la <strong>le</strong>nteur.<br />

Un volume ne suffirait pas, dit Denys d'Halicarnasse,<br />

pour rapporter tous <strong>le</strong>s traits historiques où <strong>le</strong>s Furies<br />

poursuivent <strong>le</strong>s coupab<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s apparitions soudaines,<br />

<strong>le</strong>s morts effrayantes pour empêcher <strong>de</strong> grands attentats.<br />

Dans certains temp<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s asi<strong>le</strong>s étaient d'autant plus<br />

respectab<strong>le</strong>s qu'on savait que <strong>le</strong>s profanateurs y recevaient<br />

un châtiment plus prompt. Tel était celui <strong>de</strong>s<br />

dieux paliques. (V. Diod. <strong>de</strong> Sici<strong>le</strong>, et Hist. <strong>de</strong> l'Acad.,<br />

t. III, p. 44 2<br />

.)<br />

Divers moyens <strong>de</strong> connaître l'avenir. — La Provi<strong>de</strong>nce, <strong>le</strong> <strong>Des</strong>tin.<br />

On distinguait en général <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> divinations,<br />

l'une naturel<strong>le</strong>, l'autre artificiel<strong>le</strong>. A la première appartiennent<br />

<strong>le</strong> délire sacré dont on a parlé, <strong>le</strong>s songes, etc.<br />

A la secon<strong>de</strong>, l'auguric, l'aruspicine, la nécromancie,<br />

l'astrologie, <strong>le</strong>s présages, etc.<br />

1. <strong>Le</strong>s soldats d'A<strong>le</strong>xandre veu<strong>le</strong>nt pil<strong>le</strong>r <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Cérès à Mi<strong>le</strong>l<br />

et sont aveuglés par <strong>de</strong>s flammes. — Pyrrhus enlève <strong>le</strong>s trésors du<br />

temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Proserpine a Locres. La déesse excite une furieuse tempête<br />

qui ramène sur <strong>le</strong> rivage la flotte fort maltraitée, et <strong>le</strong>s trésors<br />

furent restitués. (Valère Maxime, I, 1.)<br />

2. Pour un crime inuti<strong>le</strong> à rappe<strong>le</strong>r ici, <strong>le</strong>s dieux révè<strong>le</strong>nt à Atticus<br />

qu'il faut célébrer <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong>s jeux. Mil<strong>le</strong> faits prouveraient ce<br />

qu'on a avancé.


86 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

L'homme est naturel<strong>le</strong>ment désireux <strong>de</strong> connaître<br />

sa <strong>de</strong>stinée. On voit partout <strong>le</strong>s fausses religions lui<br />

^donner une infinité <strong>de</strong> moyens <strong>de</strong> satisfaire une curiosité<br />

indiscrète ; révélations souvent mensongères, et<br />

qui souvent aussi se sont réalisées dans toutes <strong>le</strong>urs circonstances<br />

<strong>avec</strong> une suite qui frappe <strong>de</strong> stupeur. Un<br />

<strong>de</strong>stin inexorab<strong>le</strong>, fatal, dirigc-t-il nos actes? Croire à<br />

la divination, c'est <strong>le</strong> penser, ce semb<strong>le</strong>; et cependant<br />

une religion toute divine, <strong>de</strong> concert <strong>avec</strong> la raison,<br />

nous dit que nous sommes libres. — <strong>Le</strong>s Gentils, qui<br />

admettaient <strong>le</strong> <strong>Des</strong>tin, "la fatalité, qvod semel dictum<br />

est, dit Horace, reconnaissaient aussi la Provi<strong>de</strong>nce, à<br />

moins qu'ils ne fussent athées Ils pensaient que ce<br />

que <strong>le</strong> <strong>Des</strong>tin a fixé, et ce dont <strong>le</strong>s dieux nous menacent,<br />

peut être prédit; mais <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin n'est fixé irrévocab<strong>le</strong>ment<br />

que lorsque <strong>le</strong> maître <strong>de</strong>s dieux l'a décidé; une<br />

fois décrété, il est plus puissant que Jupiter, ou plutôt<br />

une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> passages <strong>de</strong>s tragiques grecs montrent que<br />

<strong>le</strong> <strong>Des</strong>tin n'est que la volonté irrévocab<strong>le</strong> <strong>de</strong> ce maître<br />

<strong>de</strong>s dieux. S'il est décidé qu'OEdipe tuera Laïus, l'orac<strong>le</strong><br />

qui a prédit cet événement, doit s'accomplir. 11 en résulterait<br />

que <strong>l'homme</strong> est fata<strong>le</strong>ment criminel, et, par<br />

une juste conséquence, que <strong>le</strong>s crimes ne lui sont point<br />

imputab<strong>le</strong>s.—<strong>Le</strong>s dieux pouvaient donc révé<strong>le</strong>r l'avenir<br />

aux hommes ; quelquefois c'était un <strong>de</strong>stin bien fixé,<br />

d'autres fois, il pouvait encore être changé. <strong>Le</strong>s Gentils<br />

faisaient ces distinctions; sinon à quoi bon <strong>le</strong>s prières,<br />

<strong>le</strong>s sacrifices et <strong>le</strong>s victimes immolées pour s'assurer<br />

si <strong>le</strong>s dieux se laisseraient toucher? — Par <strong>de</strong>s présages,<br />

<strong>de</strong>s songes, par l'aruspicine ou tout autre moyen, <strong>le</strong>s<br />

dieux ont parlé et dit que <strong>le</strong> consultant est menacé<br />

par un <strong>de</strong>stin contraire : celui-ci immo<strong>le</strong> <strong>de</strong>s victimes,<br />

consulte <strong>de</strong> nouveau <strong>le</strong>s dieux; mais si rien ne<br />

<strong>le</strong>s touche, il reconnaît alors qu'un <strong>de</strong>stin inexorab<strong>le</strong>


AVEC LE DÉMON. 87<br />

<strong>le</strong> force à subir l'événement qui lui a été révélé. <strong>Le</strong>s<br />

exemp<strong>le</strong>s dans l'antiquité ne manquent pas.<br />

Ce sentiment d'une Provi<strong>de</strong>nce tel qu'on vient <strong>de</strong><br />

l'exposer se retrouve chez toutes <strong>le</strong>s nations païennes.<br />

<strong>Le</strong>s Barbares, dit^Elien, ne la nient pas, tous adorent<br />

un dieu qui prend soin <strong>de</strong> nous. On était convaincu<br />

que rien n'arrivait par hasard. Plusieurs philosophes<br />

païens paraissent avoir eu là-<strong>de</strong>ssus une doctrine qui<br />

ressemblait beaucoup à cel<strong>le</strong> du christianisme. L'univers<br />

entier croyait à la Provi<strong>de</strong>nce et à la liberté <strong>de</strong><br />

<strong>l'homme</strong>. (V. Mignot, t. LVI <strong>de</strong>s Mém. <strong>de</strong> l'Acad.)<br />

Epicurc, dit-il, fut <strong>le</strong> premier, trois cents ans avant<br />

notre ère, qui enseigna publiquement que <strong>le</strong>s dieux<br />

ne prenaient aucun soin <strong>de</strong>s choses d'ici-bas. » Ce<br />

n'est pas ici qu'on peut exposer la variété <strong>de</strong>s doctrines,<br />

et examiner ce qu'on entendait par <strong>de</strong>stin,<br />

hasard, fortune, liberté. Plutarque trouvait compris<br />

sous <strong>le</strong> mot <strong>de</strong> <strong>de</strong>stin, <strong>le</strong> rontinyrnt, <strong>le</strong> possib<strong>le</strong>, ce qui<br />

est <strong>de</strong> notre choir, la fortune et ce qu'on appel<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />

hasard, <strong>le</strong>s acci<strong>de</strong>nts et tout ce qui peut être ou ne<br />

pas être. Dans un sujet si obscur par la diversité <strong>de</strong>s<br />

opinions <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s temps, on voit que la révélation<br />

<strong>de</strong> l'avenir pouvait donc souvent être uti<strong>le</strong> aux<br />

hommes, puisqu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur donnait <strong>le</strong> moyen d'invoquer<br />

la Provi<strong>de</strong>nce contre <strong>le</strong> malheur qu'il était encore possib<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> conjurer 1<br />

; mais la prédiction finissait par<br />

causer <strong>le</strong> désespoir, quand on voyait que <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin était<br />

irrévocab<strong>le</strong>ment fixé, et que supplication, sacrifice,<br />

victimes, tout avait été inuti<strong>le</strong>.<br />

1. Mais, d'autre part, quels moyens puissants pour <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong><br />

tromper l'humanité et <strong>de</strong> l'asservir!


88 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Présages. — Auguriez.<br />

<strong>Le</strong>s dieux envoyaient divers signes dont plusieurs<br />

étaient <strong>de</strong>s prodiges frappants, pour annoncer aux<br />

Gentils <strong>de</strong>s événements futurs plus ou moins importants<br />

; on disait que pour ceux qui auraient voulu tout<br />

observer, tout eût été présage. Chacun pouvait donc<br />

en trouver <strong>de</strong> nouveaux et obtenir ainsi pour son<br />

instruction particulière et ses besoins personnels un<br />

avertissement divin. Mais <strong>le</strong>s dieux qui intervenaient<br />

à chaque instant pour manifester l'avenir à ceux qui<br />

<strong>le</strong> désiraient, ne présageaient rien à ceux qui ne voulaient<br />

pas user <strong>de</strong> cet avantage. L'effet <strong>de</strong>s augures,<br />

dit Pline (XXVIII), dépend <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>; c'était un<br />

axiome dans la science augura<strong>le</strong> que « <strong>Le</strong>s imprécations<br />

et <strong>le</strong>s auspices sont nuls pour ceux qui n'y font<br />

aucune attention. »<br />

Tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s avaient été attentifs à observer<br />

<strong>le</strong>s prodiges qui révè<strong>le</strong>nt l'avenir. <strong>Le</strong>s Égyptiens en<br />

avaient fait un recueil plus comp<strong>le</strong>t que <strong>le</strong>s autres<br />

(Hérodote, H, 82); ils consignaient <strong>le</strong> signe par écrit<br />

et observaient ce qui surviendrait A une époque<br />

fort reculée, <strong>le</strong>s dieux avaient révélé l'augurie; <strong>le</strong>s<br />

Grecs l'attribuaient à Prométhée, à Mélampus... Mais<br />

<strong>le</strong>s Égyptiens, <strong>le</strong>s Chaldéens, la cultivaient avant <strong>le</strong>s<br />

Grecs, et on ignore qui l'avait fait connaître aux Gaulois.<br />

Ce qui est constant, c'est que partout révélée aux<br />

amis <strong>de</strong>s dieux, à ceux qui passaient pour <strong>le</strong>urs confi<strong>de</strong>nts,<br />

ceux-ci l'ont transmise aux peup<strong>le</strong>s. On voit<br />

parmi <strong>le</strong>s oiseaux, l'aig<strong>le</strong>, la chouette, <strong>le</strong> vautour, <strong>le</strong><br />

l. <strong>Le</strong>s Pères ont attribué à ces pratiques <strong>le</strong>.; tromperies <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s.<br />

<strong>Le</strong> présage ne signifiait rien par lui-môuic, mais il était accordé aux<br />

<strong>démon</strong>s d'aveug<strong>le</strong>r ceux qui <strong>le</strong>s consultaient.


AVEC LE DÉMOS. 80<br />

coq, <strong>le</strong> corbeau, etc., regardés comme <strong>de</strong>s messagers<br />

<strong>de</strong>s dieux. Ces croyances ayant survécu à cel<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> la religion, ont encore aujourd'hui, comme toutes<br />

<strong>le</strong>s superstitions, <strong>de</strong>s partisans môme chez <strong>le</strong>s impies.<br />

Parmi <strong>le</strong>s météores n'oublions pas <strong>le</strong> tonnerre, qui<br />

n'était pas toujours, ainsi qu'on <strong>le</strong> croit, un présage<br />

pour <strong>le</strong>s Gentils. <strong>Le</strong>s bruta fulmina ne signifiaient rien,<br />

<strong>le</strong>s fatidica fulmina ne pouvaient être expiés par aucun<br />

moyen ; mais certains tonnerres présageaient <strong>de</strong>s malheurs<br />

qu'on pouvait détourner. <strong>Le</strong>s Gentils reconnaissaient<br />

donc <strong>de</strong>s tonnerres prodiges, entendus même<br />

dans un temps serein, qui ramenaient parfois <strong>le</strong>s épicuriens<br />

au culte <strong>de</strong>s dieux ; Horace offre un exemp<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> ces conversions 1<br />

.<br />

11 faut distinguer <strong>de</strong>ux catégories <strong>de</strong> présages; <strong>le</strong>s<br />

uns, pour nous, s'expliquent physiquement, d'autres<br />

donnent lieu à diverses opinions. 1° <strong>Le</strong>s ^négations,<br />

dont nous ne dirons rien ici ; 2° enfin <strong>de</strong>s explications<br />

inacceptab<strong>le</strong>s. Julius Obsequens, Tite-Live, Valère<br />

Maxime, ont cité <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres,<br />

qui étaient consignés dans <strong>le</strong>s anna<strong>le</strong>s. Ce sont <strong>le</strong>s<br />

pluies <strong>de</strong> sang, <strong>de</strong> lait, <strong>de</strong> soufre, <strong>de</strong> mercure, <strong>de</strong><br />

chair, etc.; l'éclat d'un so<strong>le</strong>il pendant la nuit; <strong>de</strong>ux<br />

ou trois so<strong>le</strong>ils à la fois ; <strong>le</strong>s veaux à plusieurs têtes,<br />

<strong>le</strong>s pou<strong>le</strong>ts à quatre pieds, etc. Tous ces prodiges sont<br />

expliqués <strong>de</strong> nos jours par la science. Quant à la<br />

<strong>de</strong>uxième catégorie, niée, ou naturel<strong>le</strong>ment inexpli-<br />

l. Bay<strong>le</strong>, en parlant du prodige qui convertit Horace, dit : «Que ce<br />

mirac<strong>le</strong> n'en vaut pas la peine, puisque d'épicurien il <strong>de</strong>venait idolâtre.<br />

» Sans doute, si <strong>le</strong> prodige eût été opéré par <strong>le</strong> vrai Dieu, il eût<br />

manqué, son but. Mais <strong>le</strong> même Bay<strong>le</strong> a dit que l'idolâtrie était pire<br />

que l'athéisme. Si cela est, Satan y gagnait ; si au contraire l'idolâtrie<br />

est préférab<strong>le</strong> à l'athéisme, Satan n'y perdait rien, la conversion<br />

d'Horace <strong>le</strong> laissait sous son empire et affermissait la superstition que<br />

<strong>le</strong> Sauveur, peu <strong>de</strong> temps après, venait détruire.


90 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

cab<strong>le</strong> ou inexpliquée jusqu'ici d'une manière satisfaisante,<br />

ce sont <strong>le</strong>s musiques aériennes, <strong>le</strong>s animaux parlants,<br />

<strong>le</strong>s bœufs qui jettent <strong>de</strong>s flammes par la gueu<strong>le</strong>,<br />

<strong>le</strong>s voix mystérieuses, <strong>le</strong>s apparitions spontanées <strong>de</strong><br />

serpents prodigieux, si fréquentes dans l'antiquité;<br />

<strong>le</strong>s statues qui ont articulé <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s, qui se sont<br />

agitées, ont donné signe <strong>de</strong> vie ; <strong>le</strong>s enfants à la mamel<strong>le</strong><br />

qui ont parlé; <strong>le</strong>s armées cé<strong>le</strong>stes, <strong>le</strong>urs combats,<br />

<strong>le</strong>s cris <strong>de</strong>s combattants, <strong>le</strong> cliquetis <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

armes entendus par <strong>le</strong>s spectateurs; l'apparition<br />

d'une flamme, d'une lumière, la vision d'un spectre,<br />

l'extinction subite d'un flambeau, attribués à un esprit;<br />

l'audition <strong>de</strong> bruits étranges dans <strong>le</strong>s habitations<br />

attribués aux lémures ou aux larves, <strong>le</strong>s coups frappés,<br />

la tristesse sans cause et subite, que nous appelons<br />

pressentiment, etc., etc., tous ces présages enfin cl<br />

une fou<strong>le</strong> d'autres, dont plusieurs se retrouvant parmi<br />

nous, présentent <strong>de</strong>s phénomènes curieux, cffrayanls<br />

ou étranges, niés ou inexpliqués. Parmi <strong>le</strong>s divinations<br />

<strong>de</strong> l'augurie on en citera une seu<strong>le</strong> : c'est lo<br />

signe divin accordé dans une circonstance bien grave;<br />

signe si étrange qu'on a été disposé à <strong>le</strong> nier, et tel<strong>le</strong>ment<br />

prodigieux que <strong>le</strong>s uns ont supposé la fourberie,<br />

d'autres un état psychologique particulier, ne<br />

trouvant rien <strong>de</strong> mieux à dire.<br />

Il s'agit <strong>de</strong> l'é<strong>le</strong>ction d'un consul ; c'est au milieu<br />

<strong>de</strong> la nuit, <strong>le</strong> ciel est serein, sans vent et sans<br />

nuages, on se transporte sur une éminenec. L'augure,<br />

la tête voilée <strong>de</strong> la prétexte, se met en communication<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux; il prononce <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s sacramentel<strong>le</strong>s<br />

et trace <strong>avec</strong> <strong>le</strong> lituus l'espace dans <strong>le</strong> ciel où<br />

doivent apparaître <strong>le</strong>s signes <strong>de</strong>mandés aux dieux<br />

qu'il adjure ; il <strong>le</strong>s a suppliés d'envoyer six aig<strong>le</strong>s ou<br />

douze corneil<strong>le</strong>s, et soudain <strong>le</strong> prodige s'opère....


AVEC LE DÉMON. 91<br />

Cette première épreuve ne suffit pas ; à la rigueur, <strong>le</strong><br />

hasard a pu faire coïnci<strong>de</strong>r l'arrivée <strong>de</strong> ces oiseaux<br />

<strong>avec</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>; enfin, d'injustes soupçons peuvent<br />

supposer une frau<strong>de</strong> : un second signe doit confirmer<br />

<strong>le</strong> premier. L'augure <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que <strong>le</strong> tonnerre se<br />

fasse entendre, et aussitôt, au milieu <strong>de</strong> ce ciel serein,<br />

l'éclair bril<strong>le</strong>, <strong>le</strong> tonnerre éclate, et confirme <strong>le</strong><br />

premier présage, <strong>le</strong>s dieux ont sanctionné l'é<strong>le</strong>ction.<br />

Que <strong>de</strong> tels présages, appartenant à la haute antiquité,<br />

aient été niés ensuite par <strong>le</strong>s épicuriens <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s<br />

matérialistes, on <strong>le</strong> conçoit; mais il n'en est pas<br />

moins constant que <strong>le</strong>s Gentils y croyaient et pouvaient<br />

aussi bien y croire qu'à beaucoup d'autres<br />

phénomènes non moins étonnants pour nous.<br />

Aruspicine.<br />

Ce genre <strong>de</strong> divination se perd aussi dans la nuit<br />

<strong>de</strong>s temps. El<strong>le</strong> est plus ancienne que <strong>le</strong> Lévitique et <strong>le</strong><br />

I)eutéronome(Lw., XIX, 26; Beat., XV11I, 10), puisqu'el<strong>le</strong><br />

y est sévèrement défendue. Nous la retrouverons<br />

en Grèce, chez <strong>le</strong>s Asiatiques, chez <strong>le</strong>s Drui<strong>de</strong>s, dans<br />

<strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s. Quel en est l'inventeur? — Môme réponse<br />

pour toutes ces pratiques.—Ce sont <strong>le</strong>s dieux autrefois<br />

qui ont révélé <strong>le</strong>s sciences sacrées. Plus mo<strong>de</strong>rnes en<br />

Étrurie, on voit <strong>le</strong> dieu Tagès sortir tout à coup d'un<br />

sillon pour faire connaître l'auguric aux Étrusques.<br />

Enfin, nous l'observons partout et confiée aussi partout<br />

aux membres <strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus illustres, initiés<br />

<strong>de</strong> bonne heure à ses règ<strong>le</strong>s.<br />

On sait que <strong>le</strong>s aruspices avaient pour fonction<br />

d'examiner <strong>avec</strong> un soin scrupu<strong>le</strong>ux la rate, <strong>le</strong> foie,<br />

<strong>le</strong> cœur, la langue, <strong>le</strong>s reins <strong>de</strong> la victime, d'observer<br />

<strong>le</strong>s signes qui s'y manifesteraient, tous plus


92 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

ou moins prodigieux, car <strong>le</strong> cœur, par exemp<strong>le</strong>, disparaissait<br />

et, d'autres fois, on <strong>le</strong> trouvait doub<strong>le</strong>. L'intensité<br />

et la cou<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> la flamme qui brûlait <strong>le</strong>s<br />

intestins était aussi attentivement examinée, car il<br />

s'agissait souvent <strong>de</strong>s intérêts <strong>le</strong>s plus importants <strong>de</strong><br />

l'État.<br />

Chacun <strong>de</strong>vine que <strong>de</strong>s sentiments opposés pouvaient<br />

cxei'ccr une gran<strong>de</strong> influence dans ces graves<br />

cérémonies, quoique <strong>de</strong>s plus religieuses et <strong>de</strong>s plus<br />

sacrées, car <strong>le</strong>s passions se servent <strong>de</strong> tout ; <strong>le</strong>s observations<br />

<strong>de</strong>s aruspiecs pouvaient contrarier <strong>le</strong>s projets<br />

d'un chef. L'aruspice pouvait être influencé et<br />

tromper d'autant plus faci<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> chef qui recourait<br />

h son art, que celui-ci l'eût ignoré. Pour obvier à cet<br />

inconvénient, il y a <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> croire qu'il<br />

connaissait lui-même l'art divin <strong>de</strong>s aruspices, — nous<br />

l'examinerons plus loin,— qu'il était ordinairement<br />

présent ou représenté, et exerçait une surveillance<br />

active sur <strong>le</strong> <strong>de</strong>vin ; tout prouve aussi que cette pratique,<br />

comme toutes <strong>le</strong>s superstitions <strong>de</strong>s Gentils,<br />

n'était point infaillib<strong>le</strong>. Mais <strong>le</strong>s grands services qu'el<strong>le</strong><br />

avait rendus ne permettaient pas <strong>de</strong> la négliger. On<br />

avait vu <strong>de</strong>s généraux, sachant qu'el<strong>le</strong> trompait quelquefois,<br />

ou ne consultant que <strong>le</strong>ur courage, passer<br />

outre et la mépriser; mais l'histoire qui en cite <strong>le</strong>s<br />

funestes résultats a condamné cette impiété ou cette<br />

témérité. Un général romain perdit ainsi la batail<strong>le</strong><br />

et la vie pour n'avoir pas ajouté foi aux signes <strong>de</strong>s<br />

entrail<strong>le</strong>s.<br />

<strong>Le</strong> jour même <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> César, ayant immolé<br />

un bœuf, l'aruspice n'y trouva point <strong>le</strong> cœur: précé<strong>de</strong>mment<br />

tout avait annoncé cette mort. <strong>Le</strong>s sacrifices,<br />

<strong>le</strong>s songes, <strong>le</strong>s présages, <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin qui l'avait<br />

décidée, poussaient à sa perte César aveuglé; <strong>le</strong> jour


AVEC LE DÉMON. 9.7<br />

même <strong>de</strong> sa mort, se moquant <strong>de</strong> Spurinna, il lui disait<br />

en plaisantant: « El<strong>le</strong>s sont venues, <strong>le</strong>s i<strong>de</strong>s <strong>de</strong> mars!»<br />

El<strong>le</strong>s sont venues, répondait tristement I'aruspice, mais<br />

ne sont point passées; on sait <strong>le</strong> reste. César succomba;<br />

<strong>le</strong> souverain <strong>de</strong>s dieux l'avait ainsi décrété.<br />

On cite <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s où <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin semblait avoir<br />

parlé, et cependant une <strong>de</strong>rnière supplication prouvait<br />

qu'on s'était trompé, engageait à ne point épargner<br />

<strong>le</strong>s victimes et à continuer <strong>de</strong> prier. Mardonius avait<br />

attaqué <strong>le</strong>s Grecs <strong>avec</strong> succès, tout lui présageait la<br />

\ictoire sur <strong>le</strong>s ennemis, qui avaient immolé en vain<br />

<strong>de</strong>svictimes, et recouru à tous <strong>le</strong>s moyens que fournissaient<br />

<strong>le</strong>s sciences sacrées pour obtenir ces présages<br />

favorab<strong>le</strong>s qui annoncent que <strong>le</strong>s dieux se laissent<br />

toucher; tout avait été inuti<strong>le</strong>. Pausanias alors, se<br />

tournant vers <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> junon, invoqua la déesse,<br />

en lui <strong>de</strong>mandant <strong>de</strong> ne pas tromper sa confiance. Dès<br />

que cette prière fut faite, <strong>le</strong>s aruspiccs trouvèrent <strong>de</strong>s<br />

signes favorab<strong>le</strong>s, et <strong>le</strong>s Grecs furent vainqueurs. (Hérodote,<br />

IX, 61.)<br />

<strong>Des</strong> songes.<br />

Outre <strong>le</strong>s songes obtenus dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s personnes<br />

qui ne <strong>le</strong>s avaient ni sollicités ni provoqués<br />

avaient <strong>de</strong>s songes révélateurs <strong>de</strong> faits cachés ou d'événements<br />

appartenant à un avenir plus ou moins<br />

éloigné. Comme <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s dont il va être question, ils<br />

étaient tantôt obscurs et énigmatiques, tantôt fort clairs<br />

et évi<strong>de</strong>nts : si pour ceux-ci l'interprétation était inuti<strong>le</strong>,<br />

pour <strong>le</strong>s premiers il fallait recourir au ministère<br />

d'hommes auxquels une longue observation <strong>de</strong>s songes<br />

et <strong>de</strong>s événements qui <strong>le</strong>s avaient suivis permettait<br />

d'expliquer <strong>avec</strong> succès même <strong>le</strong>s plus obscurs. Tous


94 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

étaient envoyés par <strong>le</strong>s dieux, excepté <strong>le</strong>s songes naturels,<br />

qui souvent fournissent un diagnostic assez sûr<br />

<strong>de</strong> l'état sanitaire du songeur, et <strong>le</strong>s songes insignifiants<br />

éga<strong>le</strong>ment naturels, mais résultat du vagabondage<br />

<strong>de</strong> l'esprit sous l'influence quelquefois d'un estomac<br />

chargé d'aliments, ou sous l'empire <strong>de</strong>s passions et<br />

<strong>de</strong>s préoccupations <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> durant la veil<strong>le</strong>. <strong>Le</strong>s<br />

Gentils ne confondaient point ces songes naturels <strong>avec</strong><br />

<strong>le</strong>s songes divins, et distinguaient d'ordinaire trèsbien<br />

ces <strong>de</strong>ux classes do songes. Ceux envoyés par <strong>le</strong>s<br />

dieux <strong>de</strong>vant seuls nous occuper, nous en citerons<br />

quelques-uns transmis par <strong>le</strong>s historiens.<br />

Val. Maxime en fournit un exemp<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> songe<br />

d'Artorius, mé<strong>de</strong>cin d'Auguste, qui, dans la nuit qui<br />

précéda la batail<strong>le</strong> <strong>de</strong> Philippes, vit en dormant Minerve<br />

lui ordonner <strong>de</strong> dire au prince <strong>de</strong> prendre part au<br />

combat du <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main. Or, l'avis <strong>de</strong> Minerve était peu<br />

goûté par <strong>le</strong> mé<strong>de</strong>cin, Auguste étant dangereusement<br />

mala<strong>de</strong> ; il <strong>le</strong> suivit toutefois, et <strong>le</strong> prince lui-même<br />

obéit à Minerve. — Il avait, dit l'historien, <strong>de</strong> graves<br />

motifs pour croire aux songes. — Il se fit donc porter<br />

sur <strong>le</strong> champ <strong>de</strong> batail<strong>le</strong>, et s'en félicita, car, pendant<br />

qu'il remportait la victoire, Brutus, qui s'emparait <strong>de</strong><br />

son camp, aurait saisi <strong>de</strong> même sa personne, si Minerve<br />

ne l'eût averti. (Val. Maxime, I, 7.) — <strong>Le</strong> songe <strong>de</strong><br />

Calpurnie ne fut pas moins clair que <strong>le</strong> précé<strong>de</strong>nt :<br />

la nuit qui précéda la mort <strong>de</strong> Ju<strong>le</strong>s César, el<strong>le</strong> <strong>le</strong> vit<br />

couvert <strong>de</strong> b<strong>le</strong>ssures expirant dans ses bras...; effrayée<br />

<strong>de</strong> ce songe, el<strong>le</strong> <strong>le</strong> conjurait <strong>le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main <strong>de</strong> ne point<br />

al<strong>le</strong>r au sénat ; César méprisa ses craintes et tomba<br />

sous <strong>le</strong> fer <strong>de</strong>s parrici<strong>de</strong>s. (Plutarque, J. Cœs., LXIU.)<br />

Valère Maxime et Tite Livc rapportent que <strong>le</strong>s<br />

consuls Décins et Torquatus eurent chacun <strong>le</strong> même<br />

songe : <strong>le</strong>s dieux infernaux réclamaient <strong>le</strong> général <strong>de</strong>


AVEC LE DÉMON. 95<br />

l'un <strong>de</strong>s partis et l'armée entière <strong>de</strong> l'autre ; cel<strong>le</strong> du<br />

général qui se dévouerait serait donc victorieuse. <strong>Le</strong>s<br />

aruspices furent consultés sur ce songe, qu'ils confirmèrent.<br />

On sait que Décius se dévoua, et que ses<br />

troupes remportèrent la victoire.<br />

<strong>Le</strong> suivant est non moins clair que <strong>le</strong>s précé<strong>de</strong>nts :<br />

Atérius, chevalier romain, se trouvant à Syracuse pendant<br />

<strong>le</strong>s jeux <strong>de</strong> gladiateurs, vit en songe qu'un rétiaire<br />

<strong>le</strong> perçait <strong>de</strong> son épée ; <strong>le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, au spectac<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

ces jeux, il racontait son rêve, quand tout à coup, un<br />

rétiaire et un mirmillon s'étant introduits dans l'arène,<br />

Atérius reconnut <strong>le</strong> gladiateur qu'il avait vu en songe :<br />

«Oh! » s'écria-t-il, « voilà bien <strong>le</strong> rétiaire que j'ai vu<br />

et par qui j'ai cru avoir été tué. » La réalisation <strong>de</strong>


96 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Astrologie.<br />

<strong>Le</strong> culte <strong>de</strong>s astres enfanta l'astrologie, qui remonte<br />

ainsi à une très-haute antiquité. Dès qu'on put croire<br />

que <strong>le</strong>s astres étaient <strong>de</strong>s dieux, ils furent l'objet d'un<br />

culte. Pensant qu'il y avait entre <strong>le</strong>s astres et <strong>le</strong>s actes<br />

<strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> une étroite liaison, on étudia <strong>le</strong>urs cours,<br />

<strong>le</strong>urs conjonctions ; <strong>le</strong> ciel parut être un registre où<br />

chacun pouvait lire sa <strong>de</strong>stinée. <strong>Le</strong>s prêtres babyloniens<br />

furent <strong>le</strong>s premiers qui se livrèrent à cette prétendue<br />

science aussi fol<strong>le</strong> qu'impie, qui fut ensuite<br />

étudiée et admise partout. Hérodote dit que <strong>le</strong>s Égyptiens<br />

savaient à quel Dieu chaque jour, chaque mois<br />

sont consacrés. Puisque l'astre qu'il dirigeait était<br />

l'arbitre <strong>de</strong> la <strong>de</strong>stinée, il était naturel <strong>de</strong> l'étudier<br />

pour qu'il en révélât <strong>le</strong> secret. Tel astre donnait tel<br />

caractère, déterminait fata<strong>le</strong>ment tel événement. L'impiété<br />

alla jusqu'à tout soumettre à la discipline <strong>de</strong>s<br />

astres, <strong>le</strong>s révolutions religieuses el<strong>le</strong>s-mêmes ; <strong>le</strong> libre<br />

arbitre fut nié, toutes <strong>le</strong>s actions humaines dépendaient<br />

<strong>de</strong>s astres ou mieux <strong>de</strong>s intelligences qui y présidaient;<br />

« JNous sommes nés sous <strong>le</strong> même <strong>de</strong>stin,»<br />

s'écrie Andromaque apprenant <strong>le</strong> trépas d'Hector. (IL,<br />

XXII, U77 '.)— Il n'y a plus ni mérite ni démérite, ni<br />

vertus ni vices, donc ni récompenses ni peines. —<br />

<strong>Le</strong>s plus grands personnages s'infatuèrent d'astrologie.<br />

César et Pompée y croyaient comme Bélus, roi <strong>de</strong> Babylone.<br />

Ce n'est pas ici <strong>le</strong> lieu <strong>de</strong> rapporter, même<br />

succinctement, <strong>le</strong>s savantes et nébu<strong>le</strong>uses inepties <strong>de</strong>s<br />

astrologues. Bornons-nous à dire qu'on y crut fermement,<br />

parce que souvent, et très-souvent, chose in-<br />

i. C'est notre <strong>de</strong>stinée, disent encore aujourd'hui <strong>de</strong>s chrétiens.


AVEC LE DÉMON. 97<br />

croyab<strong>le</strong>, la réalisation <strong>de</strong>s événements prédits vint<br />

confirmer la croyance et établir une conviction inébranlab<strong>le</strong><br />

chez ceux même qui doutaient.<br />

L'origine <strong>de</strong> l'astrologie étant fort reculée est inconnue<br />

; quelques antiquaires l'ont attribuée à Cham ;<br />

d'autres ont fait <strong>de</strong> ce fils <strong>de</strong> Noé un dieu sous un<br />

autre nom. Plusieurs ont pensé qu'el<strong>le</strong> avait été, comme<br />

<strong>le</strong>s autres sciences sacrées, révélée par <strong>de</strong>s intelligences<br />

; nul doute qu'el<strong>le</strong> ne dérive <strong>de</strong> la même source<br />

et ne remonte à l'époque où <strong>le</strong> genre humain sortit <strong>de</strong><br />

son berceau.<br />

L'astrologie faisait connaître <strong>le</strong>s événements funestes<br />

décrétés par <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin, et ceux qu'on pouvait détourner<br />

par un recours à la Provi<strong>de</strong>nce. Comme on l'a vu, tout<br />

n'étant pas fata<strong>le</strong>ment décidé dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>stinées, l'astrologie<br />

offrait sans doute, en révélant l'avenir, <strong>le</strong><br />

moyen d'éviter certains malheurs; c'était son unique<br />

avantage, sinon on ne conçoit pas que chacun ait voulu<br />

connaître une <strong>de</strong>stinée, souvent affreuse, à laquel<strong>le</strong><br />

nul<strong>le</strong> puissance ne pouvait résister, que nul effort<br />

n'aurait su changer.<br />

Talismans, amu<strong>le</strong>ttes.<br />

La croyance au pouvoir <strong>de</strong>s astres donna naissance<br />

aux talismans ; tel<strong>le</strong> divinité résidant dans tel astre, il<br />

y eut un art <strong>de</strong> disposer <strong>le</strong>s pierres, <strong>le</strong>s métaux et<br />

autres corps <strong>de</strong> la nature à recevoir <strong>le</strong>s influences <strong>de</strong><br />

cette divinité; il consistait d'abord à l'invoquer, pour<br />

faire produire à ces métaux <strong>de</strong>s effets aussi surprenants.<br />

Il fallait ensuite <strong>le</strong>s fondre ou <strong>le</strong>s graver sous<br />

la constellation dont on voulait obtenir l'influence. Ces<br />

images ou talismans <strong>de</strong>venaient alors <strong>de</strong>s dieux tutélaires.<br />

L'usage <strong>de</strong>s médail<strong>le</strong>s, camaïeux imagiques et<br />

i. 7


98 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

talismaniques quelconques remonte à une haute antiquité,<br />

dit <strong>avec</strong> tous <strong>le</strong>s érudits <strong>le</strong> P. Ménestrier. <strong>Des</strong><br />

Orientaux il passa aux Égyptiens , <strong>de</strong> ceux-ci aux<br />

Hébreux. <strong>Le</strong>s Chaldéens représentèrent <strong>le</strong>s étoi<strong>le</strong>s sous<br />

diverses figures, d'où nous viennent <strong>le</strong>s signes du<br />

zodiaque. <strong>Le</strong>s talismans passèrent enfin aux Grecs et<br />

aux Romains.<br />

<strong>Le</strong>s ido<strong>le</strong>s talismaniques rendaient <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, prédisaient<br />

<strong>le</strong>s événements, écartaient <strong>le</strong>s malheurs dont<br />

une maison était menacée, et lui procuraient la prospérité.<br />

C'est d'après cette confiance, selon quelques-uns,<br />

que Rachel en<strong>le</strong>va à son père Laban ses Téraphim 1<br />

.<br />

Jacob, n'ignorant pas que c'était une superstition, <strong>le</strong>s fit<br />

enfouir en terre. (Gen., XXXI, 19; XXXV, 4.) Cet abus<br />

se perpétua parmi <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> <strong>de</strong> Dieu. (Jud. XVII.) La racine<br />

enfermée dans un anneau qui chassait <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

était une sorte <strong>de</strong> talisman. Ils se multiplièrent ainsi,<br />

variés à l'infini, chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s. On voit chez <strong>le</strong>s<br />

Romains <strong>le</strong> bouclier <strong>de</strong> Numa venu du ciel ; <strong>le</strong> sceptre<br />

<strong>de</strong> Priam, <strong>le</strong> palladium, la ceinture <strong>de</strong> Cécilia, qui<br />

guérissait <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s maux, la statue d'Hécate contre<br />

<strong>le</strong>s bêtes venimeuses, cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s pénates et dieux Lares<br />

honorées dans <strong>le</strong>s maisons; tous ces objets, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />

pierres gravées sous certaines constellations, étaient<br />

ce qu'on a nommé talismans, en hébreu tsé<strong>le</strong>m, image,<br />

en chaldéen tselmenaya. Toutes acquéraient une vertu<br />

divine par la consécration. <strong>Le</strong>s rats d'or et <strong>le</strong>s anus<br />

d'or dont il est parlé dans l'Ancien Testament (1 Reg.,<br />

VI, 5), n'étaient pas <strong>de</strong>s talismans, mais <strong>de</strong>s ex-voto.<br />

(V. De l'Is<strong>le</strong>, <strong>Des</strong> talismans; GaffarcI, Curiosités inouïes,<br />

et <strong>le</strong> père Ménestrier, Images énigmatiques.)<br />

1. <strong>Le</strong>s savants ne sont pas d'accord sur la signification du mot téraphim;<br />

étaient-ce <strong>de</strong>s talismans, <strong>de</strong>s dieux péna<strong>le</strong>s, etc.? on ne saurait<br />

faire que <strong>de</strong>s conjectures.


AVEC LE DÉMON. 99<br />

<strong>Le</strong>s amu<strong>le</strong>ttes, moyen <strong>de</strong> guérir ou <strong>de</strong> prévenir <strong>le</strong>s<br />

maladies, n'étaient pas moins anciennes que <strong>le</strong>s talis-»<br />

mans; <strong>de</strong>s auteurs ont pensé que fondées d'abord<br />

sur la vertu physique <strong>de</strong> la matière, el<strong>le</strong>s <strong>de</strong>vinrent<br />

superstitieuses lorsqu'on en abusa; nous pensons<br />

plutôt qu'on doit <strong>le</strong>s placer dans la catégorie <strong>de</strong> ces<br />

remè<strong>de</strong>s bizarres qu'on crut révélés par <strong>le</strong>s dieux; plus<br />

tard, <strong>le</strong>s philosophes matérialistes s'efforcèrent d'y<br />

trouver une vertu naturel<strong>le</strong> ; ce qui est constant, c'est<br />

que <strong>le</strong>s amu<strong>le</strong>ttes par el<strong>le</strong>s-mêmes n'avaient aucune<br />

vertu curative, que Pline s'en moque <strong>avec</strong> raison,<br />

quoiqu'il attribue à un certain nombre d'entre el<strong>le</strong>s une<br />

vertu qui, pour nous, est évi<strong>de</strong>mment pure superstition.<br />

Pline n'a rejeté que cel<strong>le</strong>s dont la folie lui a paru<br />

par trop manifeste.<br />

Amené à cette digression en parlant <strong>de</strong> l'astrologie<br />

et <strong>de</strong>s talismans comme moyen <strong>de</strong> divination, nous<br />

continuerons notre sujet en donnant une idée <strong>de</strong>s<br />

orac<strong>le</strong>s chez <strong>le</strong>s anciens et <strong>de</strong> la nécromancie ou évocation<br />

<strong>de</strong>s morts.<br />

<strong>Des</strong> orac<strong>le</strong>s.<br />

Il serait diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> déterminer l'origine précise <strong>de</strong>s<br />

orac<strong>le</strong>s. On pense qu'ils ont commencé <strong>avec</strong> l'idolâtrie.<br />

On voit dans Homère, qu'ils étaient consultés dès<br />

<strong>le</strong> temps <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong> Troie. — Ochozias, dans la<br />

Bib<strong>le</strong>, envoya consulter <strong>le</strong> dieu d'Accaron; Moïse<br />

enfin <strong>le</strong>s défendait aux Hébreux (Dent., XVIII, 11);<br />

tout ceci prouve que <strong>le</strong>ur origine se perd peut-être<br />

dans l'enfance du mon<strong>de</strong>. Ce qui surprend, c'est<br />

que nés dans <strong>le</strong>s temps <strong>de</strong> barbarie, <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s<br />

traversent <strong>le</strong>s époques philosophiques et opposent<br />

au scepticisme ou à l'incrédulité <strong>de</strong>s faits qu'on


100 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

ne saurait récuser. Aussi, voyons-nous <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s<br />

partout consultés et vénérés comme émanant <strong>de</strong>s<br />

dieux. Chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s anciens, en Egypte, en<br />

Grèce, en Italie... partout, <strong>le</strong>s souverains, <strong>le</strong>s républiques<br />

recourent à l'orac<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s intérêts publics,<br />

et <strong>le</strong>s particuliers pour <strong>le</strong>s intérêts privés. Cependant<br />

ils fournissaient contre eux d'excel<strong>le</strong>ntes armes aux<br />

philosophes <strong>de</strong> la secte d'Épicure ; quelquefois ils<br />

mentaient, souvent ils étaient ambigus... Comment,<br />

<strong>avec</strong> tant <strong>de</strong> motifs pour <strong>le</strong>s rejeter, a-t-on pu <strong>le</strong>s<br />

consulter si longtemps? S'ils n'eussent commandé que<br />

<strong>de</strong>s choses agréab<strong>le</strong>s et conformes aux désirs <strong>de</strong>s gouvernants,<br />

on pourrait dire que la politique, en en tirant<br />

avantage, <strong>le</strong>s aura conservés; mais quand l'orac<strong>le</strong> avait<br />

parlé, <strong>de</strong>s rois livraient <strong>le</strong>urs propres enfants; <strong>de</strong>s<br />

vil<strong>le</strong>s se dépeuplaient pour lui obéir ; d'où peut provenir<br />

un tel aveug<strong>le</strong>ment?— C'est que souvent l'orac<strong>le</strong><br />

était clair, précis, et sa paro<strong>le</strong> se vérifiait exactement.<br />

H n'est pas ici question d'expliquer ce phénomène,<br />

mais <strong>de</strong> constater un fait non moins étrange que <strong>le</strong>s<br />

précé<strong>de</strong>nts. <strong>Le</strong>s orac<strong>le</strong>s ont prédit souvent longtemps<br />

d'avance <strong>de</strong>s événements qui se sont réalisés dans<br />

toutes <strong>le</strong>urs circonstances, et on n'y saurait voir ni<br />

l'œuvre <strong>de</strong> la fourberie, ni une simp<strong>le</strong> conjecture. Ce<br />

n'est pas dire que l'un et l'autre n'ont jamais pu se<br />

présenter, mais si la fiction et <strong>le</strong> mensonge simu<strong>le</strong>nt<br />

parfois la vérité, quand on ne peut entièrement dévoi<strong>le</strong>r<br />

la fausseté, on doit alors gar<strong>de</strong>r une pru<strong>de</strong>nte<br />

réserve et ne rien déci<strong>de</strong>r. Ce <strong>de</strong>rnier parti ne peut<br />

être choisi pour certains orac<strong>le</strong>s ; il paraît incontestab<strong>le</strong><br />

que, véritab<strong>le</strong>s en tous points, c'est à tort que<br />

<strong>le</strong> scepticisme <strong>de</strong> nos jours voudrait <strong>le</strong>s nier. On<br />

espère <strong>le</strong> prouver ail<strong>le</strong>urs.<br />

II ne s'agit pas ici d'exposer tous <strong>le</strong>s genres d'orac<strong>le</strong>s;


AVEC LE DÉMON. 101<br />

nous dirons seu<strong>le</strong>ment que, pour l'ordinaire, ils étaient<br />

rendus par <strong>de</strong>s prêtresses, <strong>de</strong>s prêtres ou <strong>de</strong>vins qui<br />

semblaient par<strong>le</strong>r sous l'influence d'une intelligence<br />

étrangère; nous disons : ordinairement, car l'étu<strong>de</strong><br />

historique <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s montrerait d'autres moyens.<br />

Quand ils provenaient <strong>de</strong> Y influx divin ou <strong>de</strong> l'inspiration,<br />

qu'ils appartenaient au délire sacré ou aux songes,<br />

généra<strong>le</strong>ment celui qui subissait cet état ignorait ce<br />

qu'il articulait et souvent oubliait tout ce qui s'était<br />

passé.<br />

À Delphes, on choisissait pour prêtresse une jeune<br />

fil<strong>le</strong> simp<strong>le</strong> et ignorante , qu'on disposait par <strong>de</strong>s lustrations,<br />

<strong>de</strong>s sacrifices et diverses autres cérémonies.<br />

Soit que <strong>le</strong> dieu ne fût pas toujours disposé à inspirer<br />

la pythie, soit qu'el<strong>le</strong>-même fût rétive à l'influx divin,<br />

il fallait choisir <strong>le</strong> jour ou <strong>le</strong> moment propice, et<br />

savoir du dieu lui-même s'il consentirait à répondre.<br />

On amenait alors une victime, sur laquel<strong>le</strong> on répandait<br />

<strong>de</strong>s libations <strong>de</strong> vin ; certains frémissements <strong>de</strong><br />

l'holocauste indiquaient la présence du dieu, et s'il<br />

approuvait qu'on <strong>le</strong> consultât, une o<strong>de</strong>ur suave remplissait<br />

<strong>le</strong> lieu saint. On conduisait la pythie sur <strong>le</strong><br />

trépied sacré, l'exhalaison pénétrait dans ses en­<br />

trail<strong>le</strong>s 1<br />

, <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> tremblait jusque dans ses fon<strong>de</strong>­<br />

ments , <strong>le</strong> laurier d'Apollon planté à l'entrée était<br />

agité comme par une vio<strong>le</strong>nte tempête, et l'inspiration<br />

prophétique se produisait. <strong>Le</strong>s cheveux <strong>de</strong> la prêtresse<br />

se hérissaient sur sa tête, son regard <strong>de</strong>venait farouche,<br />

sa bouche écumait, son corps était agité <strong>de</strong> mouve-<br />

1. Pitiscus, dans son <strong>le</strong>xique, cite ce passage <strong>de</strong>s scholies sur <strong>le</strong><br />

riutus d'Aristophane, 39 : « Pythia insi<strong>de</strong>ns tripodi, et diducens fe-<br />

« mora malum inferne spiritum per verenda naturœ excipiebat, et<br />

• capillo soluto spumam ex ore exspuens, et furens, vaticinia, vel<br />

« verius <strong>de</strong>liramenta effabatur. »


102 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

ments convulsifs, et <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s entrecoupées, qui<br />

semblaient s'échapper <strong>de</strong> son ventre ou (selon quelques<br />

historiens anciens) d'un endroit que la pu<strong>de</strong>ur<br />

défend <strong>de</strong> nommer, étaient <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s tantôt clairs<br />

et précis, tantôt ambigus et énigmatiques. Ici <strong>le</strong>s épicuriens<br />

triomphaient, l'ambiguïté <strong>de</strong> l'orac<strong>le</strong> prouvait<br />

sa ruse et son ignorance, comment l'attribuer à la<br />

divinité? La foi <strong>de</strong>s philosophes plus profonds n'était<br />

point ébranlée; outre certains arguments qu'on no<br />

saurait rapporter, ils disaient que la découverte <strong>de</strong><br />

l'avenir est un labyrinthe dont <strong>le</strong>s dieux ne se<br />

tirent pas toujours <strong>avec</strong> honneur, et il <strong>le</strong>ur suffisait<br />

qu'ils eussent rendu <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s inattaquab<strong>le</strong>s. Comment<br />

oser enfin <strong>le</strong>s répudier quand on savait que<br />

ceux qui <strong>le</strong>s négligeaient mouraient misérab<strong>le</strong>ment<br />

(V. Origène, C. Celse), et que dans mil<strong>le</strong> circonstances<br />

on avait eu à se féliciter d'y recourir.<br />

L'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong> Claros différait <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Delphes :<br />

ici, <strong>le</strong> prêtre choisi par l'orac<strong>le</strong> pour être son organe,<br />

quoique très-ignorant, répondait en vers à la pensée,<br />

après avoir bu <strong>de</strong> l'eau d'une certaine grotte; il lui<br />

suffisait <strong>de</strong> savoir <strong>le</strong> nom et <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong>s consultants,<br />

(Tacite, Annal., II.)<br />

Dans d'autres temp<strong>le</strong>s, ceux d'Ësculape, <strong>de</strong> Mopsus,<br />

d'Amphiaraus, <strong>de</strong> Sérapis, etc., <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s se rendaient<br />

en songe. Comme on l'a vu, on dormait sur <strong>le</strong>s peaux<br />

<strong>de</strong>s victimes ; <strong>le</strong>s dieux faisaient voir ce qu'on désirait,<br />

indiquaient <strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s. On l'a dit, souvent bizarres,<br />

quelquefois dangereux ou contraires au mal, ils n'en<br />

opéraient cependant pas moins la guérison.<br />

Caïus, aveug<strong>le</strong>, fut averti en songe par l'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

s'approcher <strong>de</strong> l'autel, <strong>de</strong> s'y prosterner, <strong>de</strong> passer du<br />

côté droit au côté gauche, <strong>de</strong> mettre une main sur<br />

l'autel et <strong>de</strong> la porter ensuite à ses yeux : ce qu'ayant


AVEC LE DÉMON. 103<br />

fait, la vue lui fut rendue en présence <strong>de</strong> tout <strong>le</strong><br />

peup<strong>le</strong>.<br />

Lucius étant atteint d'une p<strong>le</strong>urésie et abandonné<br />

<strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins, l'orac<strong>le</strong> lui dit <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s cendres<br />

sur l'autel, <strong>de</strong> <strong>le</strong>s mê<strong>le</strong>r <strong>avec</strong> du vin et <strong>de</strong> <strong>le</strong>s appliquer<br />

sur son côté ; il fut guéri, et alla publiquement rendre<br />

grâces aux dieux <strong>de</strong> sa guérison. Après ces exemp<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong> guérisons singulières, nous aurons occasion <strong>de</strong> citer<br />

ail<strong>le</strong>urs <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s qui semb<strong>le</strong>nt contraires à la maladie.<br />

Dans d'autres lieux, l'orac<strong>le</strong> était consulté par <strong>de</strong>s<br />

bil<strong>le</strong>ts dont <strong>le</strong> cachet restait intact; cependant <strong>le</strong> <strong>de</strong>vin<br />

répondait à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> contenue dans <strong>le</strong> bil<strong>le</strong>t qui,<br />

quelquefois, était resté entre <strong>le</strong>s mains du consultant.<br />

Alors ce <strong>de</strong>rnier recevait la réponse en songe.<br />

Un Lydien s'étant rendu à Amphiaraûs, dit Plutarque,<br />

pour savoir quel<strong>le</strong> serait l'issue du combat <strong>de</strong><br />

Mardonius, s'endormit et vit en songe <strong>le</strong> ministre du<br />

dieu qui, <strong>le</strong> chassant, lui disait que <strong>le</strong> dieu n'y était<br />

pas; puis, <strong>le</strong> poussant (car celui-ci s'arrêtait), il saisit<br />

une grosse pierre et lui en asséna un coup sur la tête.<br />

L'orac<strong>le</strong> se vérifia : Mardonius fut défait par Pausanias<br />

et assassiné d'un coup <strong>de</strong> pierre. (Plutarque, De<br />

oracitl. <strong>de</strong>fectu.)<br />

Cyrus, après avoir sacrifié aux dieux, s'endort et<br />

voit un personnage qui lui dit <strong>de</strong> se préparer, qu'il<br />

allait rejoindre <strong>le</strong>s dieux. Cyrus mourut trois jours<br />

après. (Xénophon, Cyriinstit., VIII, 7.)<br />

D'après une fou<strong>le</strong> d'exemp<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s voyaient <strong>le</strong>s<br />

choses cachées et ce qui se passait dans <strong>le</strong>s lieux éloignés,<br />

ainsi que <strong>le</strong>s événements futurs. On remarquait<br />

que ceux-ci étaient d'autant plus ambigus et se vérifiaient<br />

d'autant plus rarement qu'ils concernaient un<br />

avenir plus lointain.


104 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

D'autres orac<strong>le</strong>s se rendaient différemment : par<br />

exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s chênes parlants <strong>de</strong> Dodone, <strong>le</strong>urs colombes,<br />

<strong>le</strong>urs bassins <strong>Le</strong>s dés gravés appelés<br />

sorts, <strong>le</strong>s statues <strong>de</strong> Préneste et d'Antium qui s'agitaient<br />

d'el<strong>le</strong>s-mêmes, etc., etc. Dans l'Achaïe, l'orac<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> Mercure se rendait ainsi : — On parlait mystérieusement<br />

à l'oreil<strong>le</strong> du dieu, et l'orac<strong>le</strong> consistait<br />

dans <strong>le</strong>s premières paro<strong>le</strong>s entendues en sortant du<br />

temp<strong>le</strong>.<br />

Celui <strong>de</strong> Vénus Aphacitis avait lieu en jetant dans<br />

un lac sacré <strong>de</strong>s présents pour la déesse ; si el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

agréait, ils allaient au fond; s'ils surnageaient, el<strong>le</strong><br />

<strong>le</strong>s rejetait. (Zosime, I, 58.) Ce simp<strong>le</strong> aperçu prouve<br />

que <strong>le</strong>s anciens orac<strong>le</strong>s ne se rendaient pas dans<br />

<strong>de</strong>s statues creuses, dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s pénétraient <strong>de</strong>s<br />

prêtres qui auraient répondu pour <strong>le</strong> dieu. Comme<br />

on l'a dit, cette question sera examinée amp<strong>le</strong>ment<br />

ail<strong>le</strong>urs.<br />

Nécromancie ou orac<strong>le</strong>s rendus par <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts.<br />

La croyance à l'existence <strong>de</strong>s âmes séparées du corps<br />

était universel<strong>le</strong>. On voit dans Hésio<strong>de</strong> qu'el<strong>le</strong>s <strong>de</strong>viennent<br />

<strong>de</strong>s génies. On sait que Platon ne voulait pas<br />

qu'on érigeât <strong>de</strong>s chapel<strong>le</strong>s aux mânes <strong>de</strong>venues dieux,<br />

quand el<strong>le</strong>s apparaissaient. Dès la plus haute antiquité,<br />

on cite <strong>de</strong>s communications établies entre <strong>le</strong>s vivants<br />

et <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts : Saiil, par exemp<strong>le</strong>, fait évoquer<br />

l'ombre <strong>de</strong> Samuel, malgré la défense expresse <strong>de</strong> la<br />

loi divine ; il est parlé <strong>de</strong> la nécromancie dans l'Odyssée<br />

; Hérodote en fait aussi mention et cite dans la<br />

Thcsprotie un lieu où l'on évoquait <strong>le</strong>s morts. Périandre,<br />

tyran <strong>de</strong> Corinthe, avait tué, dans un mouvement<br />

<strong>de</strong> colère, sa femme Mélisse qu'il aimait cepen-


AVEC LE DÉMON. 105<br />

dant <strong>avec</strong> passion. Un hôte <strong>de</strong> Périandre ayant confie<br />

ù la défunte un dépôt, on ignorait où el<strong>le</strong> l'avait mis.<br />

L'ayant vainement cherché, il ne restait qu'un seul<br />

moyen, c'était d'évoquer son ombre. On envoie dans<br />

laThesprotie, sur <strong>le</strong>s bords <strong>de</strong> l'Achéron (l'existence <strong>de</strong><br />

ce f<strong>le</strong>uve et son embouchure sont connues); l'ombre<br />

évoquée déclare qu'el<strong>le</strong> ne saurait répondre, ses vête­<br />

ments 1<br />

n'ayant point été brûlés, el<strong>le</strong> est accablée<br />

d'un froid glacial. Pour convaincre Périandre, el<strong>le</strong> dit<br />

qu'il veuil<strong>le</strong> se rappe<strong>le</strong>r ce qui s'est passé entre el<strong>le</strong> et<br />

lui après sa mort. — Périandre, qui aimait sa femme<br />

<strong>avec</strong> fureur, avait voulu lui donner, après son trépas,<br />

<strong>le</strong>s mêmes témoignages d'amour que si el<strong>le</strong> eût été vivante.<br />

<strong>Le</strong> tyran, convaincu, ordonne aussitôt à toutes<br />

<strong>le</strong>s femmes <strong>de</strong> Corinthe, esclaves et libres, <strong>de</strong> se rendre<br />

au temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Junon, parées comme en un jour do fête.<br />

Lorsqu'el<strong>le</strong>s y furent, <strong>le</strong>s gar<strong>de</strong>s s'emparèrent <strong>de</strong>s<br />

portes et <strong>le</strong>s forcèrent <strong>de</strong> quitter tous <strong>le</strong>urs vêtements<br />

qui furent brûlés sur la fosse <strong>de</strong> Mélisse, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s cérémonies<br />

d'usage : alors cel<strong>le</strong>-ci répondit sans difficulté.<br />

(Hérodote, V, 92.)<br />

Plutarque, en divers endroits <strong>de</strong> ses œuvres, cite plusieurs<br />

faits <strong>de</strong> nécromancie; l'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong> Delphes ayant<br />

refusé d'abord <strong>de</strong> répondre à Callondas qui avait tué <strong>le</strong><br />

poète Archiloque, il lui fut ordonné ensuite d'apaiser<br />

ses mânes; il se rendit à cet effet au cap Ténare auprès<br />

<strong>de</strong>s prêtres qui évoquaient <strong>le</strong>s morts. (Plutarque, De<br />

sera nwn.vind., XXXIV.)<br />

Lorsque Pausanias eut tué Cléonice, il ne cessa <strong>de</strong><br />

la voir lui annonçant la vengeance divine. Il se rendit<br />

à Héraclée dans une caverne où <strong>le</strong>s prêtres évoquèrent<br />

l. On <strong>de</strong>vait brû<strong>le</strong>r ce qui avait appartenu aux défunts. Nous <strong>le</strong><br />

venons dans Lucien.


106 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

l'ombre <strong>de</strong> cette jeune fil<strong>le</strong> qui déclara que Pausaniaà<br />

ne trouverait <strong>de</strong> repos qu'à Sparte. S'y étant rendu,<br />

comme on était informé <strong>de</strong> ses intelligences <strong>avec</strong> <strong>le</strong><br />

roi <strong>de</strong> Perse, on voulut s'emparer <strong>de</strong> lui, mais s'étant<br />

réfugié dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Minerve, on l'y laissa mourir<br />

<strong>de</strong> faim. Plus tard, comme on se reprocha d'avoir<br />

fait mourir un homme à qui la Grèce <strong>de</strong>vait en partie<br />

son salut, on envoya en Italie chercher <strong>de</strong>s psychagogues,<br />

<strong>de</strong>s évocateurs d'âmes pour évoquer aussi cel<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> Pausanias.<br />

<strong>Le</strong> même Plutarque cite enfin l'exemp<strong>le</strong> d'Élysius<br />

<strong>de</strong> Tcrina qui, ayant perdu son fils Euthynoiis, et<br />

soupçonnant qu'il était mort empoisonné, se rendit<br />

dans un temp<strong>le</strong> où on évoquait <strong>le</strong>s morts. Après<br />

<strong>le</strong>s cérémonies ordinaires, il s'endormit et vit en<br />

songe <strong>le</strong> spectre <strong>de</strong> ce fils, qui lui remit entre <strong>le</strong>s<br />

mains <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>ttes qu'il trouva à son réveil et par<br />

<strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s il l'avertissait <strong>de</strong> ne point p<strong>le</strong>urer sa mort,<br />

qu'el<strong>le</strong> était une faveur <strong>de</strong>s dieux. (Plut., De comol. ad<br />

Apoll.)<br />

Quels étaient <strong>le</strong>s rites observés pour ces évocations?<br />

On a pensé qu'ils différaient peu <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong>s sacrifices<br />

funèbres, et <strong>de</strong> ce qui est cité par Homère dans<br />

l'Odyssée. Il est néanmoins constant qu'il y avait différentes<br />

pratiques d'évocations ; l'un <strong>de</strong>s moyens consistait<br />

à égorger une victime dont <strong>le</strong> sang coulait dans<br />

une fosse, à faire <strong>de</strong>s libations <strong>de</strong> vin et <strong>de</strong> miel, et<br />

à appe<strong>le</strong>r à haute voix <strong>le</strong>s mânes qui venaient prendre<br />

part à ce festin ', etc. Il paraît constant que l'ombre<br />

1. Quoique Lucien, en sa qualité d'épicurien, veuil<strong>le</strong> plaisanter, il<br />

n'en cite pas moins <strong>le</strong>s cérémonies observées dans <strong>le</strong>s évocations. Cel<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>s Thébains se réduisaient A une sorlc d'enchantement, inmntatio.<br />

Cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Thessalicns se pratiquaient sur <strong>de</strong>s ossements <strong>avec</strong> un appareil<br />

formidab<strong>le</strong>.


AVEC LE DÉMON. 107<br />

<strong>de</strong> Samuel apparut sans recourir à toutes ces cérémonies.<br />

L'âme évoquée se manifestait aussi <strong>de</strong> plusieurs<br />

manières : on pensait généra<strong>le</strong>ment qu'on n'évoquait<br />

ni <strong>le</strong> corps, ni l'âme du défunt, mais ce que<br />

<strong>le</strong>s Latins appelaient simulacrwn, un nuage, une<br />

ombre. (L'âme inférieure.)<br />

La nécromancie établie chez diverses nations sauvages<br />

<strong>de</strong> l'Afrique paraît avoir existé chez tous <strong>le</strong>s<br />

Orientaux: on la voit en Phénicie, en Egypte... <strong>Le</strong><br />

Deutéronome (XVIII, 11 ) la montre chez <strong>le</strong>s Chananéens.<br />

Moïse recommandait aux Hébreux <strong>de</strong> se gar<strong>de</strong>r,<br />

lorsqu'ils y seraient entrés, d'imiter <strong>le</strong>s abominations<br />

<strong>de</strong> ce peup<strong>le</strong> qui consulte <strong>le</strong>s Oboth, ou qui interroge<br />

<strong>le</strong>s morts A cause <strong>de</strong> ces pratiques il <strong>le</strong>s détruira<br />

Peine <strong>de</strong> mort était décernée contre ceux<br />

qui <strong>de</strong>vinaient par Ob (Lévit., XX, 27), divination<br />

restreinte dans la suite aux seuls évocateurs <strong>de</strong>s âmes<br />

<strong>de</strong>s morts.<br />

Fréret, où l'on a puisé une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> ce<br />

qu'on vient <strong>de</strong> lire, a fait <strong>de</strong>s réf<strong>le</strong>xions fort judicieuses<br />

à l'occasion <strong>de</strong> la nécromancie<br />

Cette divination, faisant partie <strong>de</strong>s pratiques religieuses,<br />

était fort estimée, et fut cependant abandonnée<br />

dans la suite par <strong>le</strong>s prêtres <strong>de</strong>s Gentils qui<br />

furent convaincus, enfin, que <strong>le</strong>s esprits évoqués n'étaient<br />

pas <strong>de</strong>s âmes <strong>de</strong>s défunts, mais <strong>de</strong> mauvais<br />

<strong>démon</strong>s. On verra <strong>le</strong>s magiciens évoquer aussi<br />

l. Fréret dit qu'il est surpris <strong>de</strong> voir que la plupart <strong>de</strong>s commentateurs<br />

se plaignent <strong>de</strong> ne trouver dans l'Écriture aucune preuve<br />

claire que <strong>le</strong>s Juifs, au temps <strong>de</strong> Moïse, crussent à l'immortalité <strong>de</strong><br />

l'Ame. «Comment n'ont-ils pas vu, dit-il, que la pratique interdite<br />

aux Juifs et commune chez <strong>le</strong>s Chananécns suppose que l'existence<br />

<strong>de</strong>s Times, séparées du corps par la mort, était alors une opinion généra<strong>le</strong>......<br />

Il serait absur<strong>de</strong> <strong>de</strong> penser qu'on interrogeât ce qu'on ne<br />

croyait pas exister. » (Mcm. <strong>de</strong> Ut. <strong>de</strong> l'Acad. roy., t. 38, p. 309.)


108 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>le</strong>s morts et pour ce fait condamnés à l'exil; sous<br />

Constantin ils furent même punis <strong>de</strong> mort, et <strong>le</strong>s<br />

évocations furent considérées comme un crime trèsgrave<br />

et faisant partie <strong>de</strong>s noires pratiques <strong>de</strong> la<br />

magie.<br />

Doctrine <strong>de</strong>s Gentils sur l'origine <strong>de</strong>s dînes et <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>stination.<br />

<strong>Le</strong>s Chaldéens, <strong>le</strong>s Indiens, <strong>le</strong>s Perses, <strong>le</strong>s Grecs,<br />

pensaient que <strong>le</strong>s dieux inférieurs, <strong>le</strong>s âmes humaines,<br />

cel<strong>le</strong>s même <strong>de</strong>s animaux, qui ne différaient <strong>de</strong>s premières<br />

que par l'imperfection <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur organisme,<br />

étaient sortis <strong>de</strong> la divinité par émanation et procédaient<br />

<strong>de</strong> sa substance sans qu'el<strong>le</strong> en fût diminuée.<br />

C'est <strong>le</strong> flambeau qui en allume un autre Ces<br />

êtres ne sont ni consubstantiels, ni égaux entre eux;<br />

plusieurs philosophes <strong>le</strong>ur donnaient <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> verbes<br />

lé-pi. (V. Plutarque, Philon, etc.) On prétendait qu'ils<br />

avaient un corps éthéré; la plupart <strong>de</strong>s philosophes<br />

plaçaient ces intelligences dans <strong>le</strong>s astres, <strong>de</strong> là naquit<br />

l'astrologie; cel<strong>le</strong>s qui n'étaient pas dans <strong>le</strong>s<br />

astres remplissaient l'air, l'eau, etc., jusqu'aux métaux.<br />

L'émanation <strong>de</strong>s âmes humaines et <strong>de</strong>s animaux<br />

était l'effet d'une cause agissant <strong>de</strong> toute éternité;<br />

c'était l'opinion <strong>de</strong>s Chaldéens, <strong>de</strong>s Perses, <strong>de</strong>s Grecs,<br />

<strong>de</strong> Pythagore, <strong>de</strong> Platon, <strong>de</strong> Philon, etc. El<strong>le</strong>s<br />

émanent du ciel, c'est chose indubitab<strong>le</strong>, dit Macrobe.<br />

— <strong>Le</strong>s cabalistes distinguaient en Dieu un verbe ou<br />

raison interne, et un verbe ou raison externe. La<br />

première, disaient-ils, rési<strong>de</strong> toujours dans l'essence<br />

i. Ces émanations ne divisent pas Dieu ni ne <strong>le</strong> multiplient. La<br />

cause <strong>de</strong>meure en son entier.


AVEC LE DÉMON. 109<br />

divine, l'autre en sort par émanation ou procession,<br />

c'est la raison humaine.<br />

Plusieurs pensaient que <strong>le</strong>s intelligences supérieures,<br />

qui habitent <strong>le</strong>s astres, agissaient par <strong>de</strong>s esprits inférieurs,<br />

qu'el<strong>le</strong>s pouvaient abuser <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur liberté et<br />

être précipitées en terre. <strong>Le</strong>s Indiens, comme <strong>le</strong>s<br />

Chaldéens, enseignaient qu'el<strong>le</strong>s y <strong>de</strong>scendaient parce<br />

qu'el<strong>le</strong>s avaient dégénéré... On ne peut rapporter ici<br />

ni <strong>le</strong>s contradictions qui existent dans ces systèmes, ni<br />

<strong>le</strong>urs oppositions entre eux. <strong>Le</strong>s uns supposaient que<br />

cette <strong>de</strong>scente était volontaire, d'autres disaient qu'el<strong>le</strong><br />

était forcée, etc. L'opinion la plus généra<strong>le</strong>ment admise<br />

dans l'In<strong>de</strong>, c'est qu'el<strong>le</strong>s étaient précipitées <strong>de</strong><br />

sphère en sphère et emprisonnées dans un corps jusqu'à<br />

ce qu'el<strong>le</strong>s eussent récupéré <strong>le</strong>ur pureté primitive.<br />

Selon Platon, <strong>le</strong>s orphiques <strong>le</strong> pensaient ainsi :<br />

revêtir un corps était donc un châtiment. Macrobe<br />

explique, d'après <strong>le</strong>s pythagoriciens, <strong>le</strong>s changements<br />

qui avaient lieu à chaque migration par l'influence <strong>de</strong><br />

l'astre que l'âme habitait alors ; el<strong>le</strong> y prenait enfin un<br />

corps sans doute plus ou moins lumineux dont el<strong>le</strong> se<br />

revêtait comme d'un vêtement <strong>avec</strong> <strong>le</strong>quel el<strong>le</strong> entrait<br />

dans <strong>le</strong> corps humain ; ce corps lumineux (sorte<br />

<strong>de</strong> feu), et d'une matière, infiniment plus subti<strong>le</strong> que<br />

cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s corps terrestres, se nommait roeûpa, esprit,<br />

ou wuu.ot.Tixn ^vx*, âme spirituel<strong>le</strong>, ou ddvïoy, image;<br />

on supposait qu'el<strong>le</strong> avait la figure du corps humain,<br />

qu'el<strong>le</strong> était <strong>le</strong> siège <strong>de</strong>s sensations et <strong>de</strong>s passions...<br />

C'était l'âme sensitive, distincte <strong>de</strong> l'âme raisonnab<strong>le</strong>;<br />

<strong>le</strong>s Indiens appelaient pararnotma, cel<strong>le</strong> émanée <strong>de</strong><br />

Dieu, et la secon<strong>de</strong> sivatma, ou âme inférieure. Nous<br />

aurons occasion <strong>de</strong> voir ail<strong>le</strong>urs ces distinctions. —<br />

<strong>Le</strong>s Chinois admettaient aussi ces <strong>de</strong>ux sortes d'âmes.<br />

C'était une sorte <strong>de</strong> mort pour l'âme d'être contrainte


110 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>de</strong> prendre un corps; et celui-ci mourant, c'était la<br />

vie <strong>de</strong> l'âme; <strong>de</strong> là pour <strong>le</strong>s sages, dans <strong>le</strong>s In<strong>de</strong>s, <strong>le</strong><br />

bonheur <strong>de</strong> mourir, et <strong>le</strong>s vœux ar<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> se réunir<br />

au principe <strong>de</strong> vie. <strong>Le</strong>s âmes, disaient-ils, selon<br />

Gassendi, comme autant <strong>de</strong> particu<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'âme du<br />

mon<strong>de</strong>, sont renfermées dans <strong>le</strong> corps, qui est comme<br />

un vase p<strong>le</strong>in d'eau flottant dans la mer ; la mort, c'est<br />

<strong>le</strong> vase qui se brise dans un océan immense, qui est<br />

Dieu<br />

Il y a <strong>de</strong>ux moyens <strong>de</strong> s'unir à Dieu sans quitter Io<br />

corps, d'entrer dans une sorte d'anéantissement, <strong>de</strong><br />

mort ou <strong>de</strong> quiétu<strong>de</strong>. <strong>Le</strong>s uns pensaient qu'il y a un interval<strong>le</strong><br />

entre l'instant <strong>de</strong> la mort et la transmigration<br />

qui permet aux âmes <strong>de</strong> venir goûter <strong>le</strong>s offran<strong>de</strong>s;<br />

d'autres pensaient qu'el<strong>le</strong>s se rendaient <strong>de</strong> suite au ciel<br />

ou en enfer. <strong>Le</strong> ciel consistait dans la jouissance <strong>de</strong>s<br />

plaisirs sensuels; quant à l'enfer, pour plusieurs il<br />

n'était pas éternel; après un séjour plus ou moins<br />

long, <strong>le</strong>s âmes retournaient animer un corps, quelquefois<br />

celui <strong>de</strong> l'animal <strong>le</strong> plus vil.<br />

Selon Plutarque, Pythagore et Platon enseignaient<br />

que l'âme se réunissait à l'âme <strong>de</strong> l'univers. Dans ce<br />

système plus <strong>de</strong> métempsycose; selon Mignot, d'autres<br />

sentant l'avantage <strong>de</strong> cette doctrine, mais usant <strong>de</strong> réserve<br />

, dirent : que l'âme retournait à son principe,<br />

tandis que l'âme sensitive expiait ses fautes. Certains<br />

philosophes indiens distinguent <strong>de</strong>ux âmes, l'âme suprême<br />

émanée <strong>de</strong> Dieu, et l'âme sensitive. (V. entre<br />

autres <strong>le</strong> long artic<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'abbé Mignot dans <strong>le</strong>s Mémoires<br />

<strong>de</strong> l'Acud. roy. <strong>de</strong>s inscript., etc.)<br />

On n'entrera pas davantage dans <strong>le</strong>s profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong><br />

ce sujet, dont on n'a dit ici quelques mots que parce<br />

1. Dans <strong>le</strong> magnétisme nous retrouverons <strong>le</strong>s mêmes opinions.


AVEC LE DÉMON. 111<br />

qu'on verra un jour ces doctrines païennes ressuscites<br />

par <strong>de</strong>s chrétiens et préférées aux vérités du christianisme.<br />

Après avoir donné une idée <strong>de</strong> la magie divine ou<br />

théurgie, on va par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> la magie noire ou goétie.


DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

CHAPITRE VI<br />

Do la goélio ou magie malfaisante. — Son origine se perd dans la nuit <strong>de</strong>s<br />

temps. — <strong>Le</strong>s croyances et <strong>le</strong>s pratiques <strong>de</strong> théurgic et <strong>de</strong> goélio exposée»<br />

précé<strong>de</strong>mment se retrouvent dans <strong>le</strong>s plus anciens auteurs <strong>de</strong> l'antiquité. —<br />

Faux sacerdoce, aperçu <strong>de</strong> la magie noire pratiquée par <strong>le</strong>s goétistes <strong>de</strong> l'an­<br />

tiquité avant notre ère. —La magie était punie.<br />

De la goélie ou magie malfaisante.. — Son origine se perd dans la nuit<br />

<strong>de</strong>s temps.<br />

Si <strong>le</strong>s dieux, par <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> la théurgie ', donnaient<br />

aux prêtres et aux sages <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> produire <strong>de</strong>s<br />

effets supérieurs aux forces <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, dans la goélie<br />

<strong>le</strong>s méchants pouvaient, par l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s mauvais génies*,<br />

faire aussi <strong>de</strong>s prodiges, ordinairement dans un but <strong>de</strong><br />

perversité.<br />

<strong>Le</strong>s prêtres pouvaient eux-mêmes disposer <strong>de</strong>s esprits<br />

<strong>de</strong> ténèbres. C'était une <strong>de</strong>s prérogatives <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur ministère<br />

sacré. Comme <strong>le</strong> dit Baylc (Rép. aux quest.<br />

itun prou.) c'était une extension <strong>de</strong> la religion. Ainsi<br />

il <strong>le</strong>ur appartenait <strong>de</strong> recourir aux mauvais génies,<br />

comme à <strong>de</strong>s ministres, pour infliger <strong>de</strong> justes châtiments<br />

aux coupab<strong>le</strong>s, venger <strong>le</strong>s innocents, et dé-<br />

1. La théurgic (e^u^ia, en grec) est la même, ou du moins a uno<br />

gran<strong>de</strong> conformité <strong>avec</strong> la théologie païenne.<br />

2. Ces mauvais génies, c'étaient Hécate, Proserpine, etc., qui étaient<br />

en môme temps, comme on l'a vu, dieux supérieurs ayant <strong>le</strong>urs<br />

temp<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>urs statues. <strong>Le</strong>s dieux remplissaient ainsi toutes <strong>le</strong>s fonctions,<br />

comme cet unique va<strong>le</strong>t <strong>de</strong> l'Avare dans Molière.


AVEC LE DÉMON. 113<br />

vouer, pour <strong>le</strong> bien <strong>de</strong> la patrie, ses ennemis aux<br />

dieux infernaux; mais ils n'en étaient ni moins respectab<strong>le</strong>s<br />

ni moins vénérés ; ils n'étaient point goétistes,<br />

ils n'usaient pas comme ceux-ci <strong>de</strong> cet art détestab<strong>le</strong><br />

que nous verrons exiger d'exécrab<strong>le</strong>s pratiques, <strong>de</strong>s<br />

substances horrib<strong>le</strong>s, ossements <strong>de</strong> morts, victimes<br />

noires, etc. On ne doit pas enfin <strong>le</strong>s flétrir d'un titre<br />

connu seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes, celui <strong>de</strong> vils sorciers.<br />

Certaines pratiques qui firent plus tard punir <strong>le</strong>s magiciens<br />

<strong>de</strong> l'antiquité, tel<strong>le</strong>s que, par exemp<strong>le</strong>, l'évocation<br />

<strong>de</strong>s morts, alors n'étaient point criminel<strong>le</strong>s ; <strong>le</strong>s<br />

prêtres, en s'y livrant, avaient en <strong>le</strong>ur faveur la légalité<br />

et un but louab<strong>le</strong>; <strong>le</strong>s goétistes manquaient <strong>de</strong> l'un<br />

et <strong>de</strong> l'autre.<br />

La goétie, ou magie noire, était donc une sorte <strong>de</strong><br />

branche <strong>de</strong> la science sacerdota<strong>le</strong> <strong>de</strong>puis longtemps<br />

peut-être séparée du tronc, science abominab<strong>le</strong>, exploitée<br />

par une caste ténébreuse, justement abhorrée<br />

et méprisée, qui paraît ne s'être livrée aux opérations<br />

<strong>de</strong> la magie malfaisante que pour répondre aux mouvements<br />

d'un cœur corrompu.<br />

On a beaucoup discuté sur l'origine <strong>de</strong> la goétie :<br />

<strong>le</strong>s uns préten<strong>de</strong>nt que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux magies ont la môme<br />

source; d'autres, que <strong>le</strong>s goétistes sont d'une antiquité<br />

moins reculée que <strong>le</strong>s théurgistes, il en est qui considèrent<br />

la goétie comme cause du déluge qui en fut l'expiation.<br />

<strong>Le</strong>s enfants <strong>de</strong> Sem avaient parmi eux <strong>de</strong>s<br />

mages dont la science, dit-on, n'était autre que cette<br />

philosophie naturel<strong>le</strong> que Dieu infusa au premier<br />

homme. Cham trouva <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> la corrompre, et fit<br />

tant <strong>de</strong> prodiges par ses enchantements, que <strong>le</strong>s Bactriens<br />

<strong>le</strong> choisirent pour roi et <strong>le</strong> nommèrent Zoroastre.<br />

D'autres font vivre Zoroastre du temps <strong>de</strong> Darius. On<br />

a pensé aussi qu'il y avait eu plusieurs personnages<br />

i. «


1U DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>de</strong> ce nom. D'autres enfin ont pensé que Zoroastre<br />

était <strong>le</strong> nom d'une corporation <strong>de</strong> savants qui avaient<br />

porté <strong>le</strong>s sciences magiques en Chaldée; <strong>le</strong>s Grecs <strong>le</strong>s<br />

attribuent à Zoroastre, et Arnobe (I, 5) assure que<br />

<strong>le</strong>s opérations magiques furent employées <strong>de</strong> part et<br />

d'autre dans <strong>le</strong>s combats qui eurent lieu entre Zoroastre<br />

et Ninus, et prouve ainsi que <strong>le</strong> premier n'en peut être<br />

l'inventeur. AmmienMarcellin(XXlII, 6) dit qu'il ne fit<br />

qu'ajouter aux sciences magiques <strong>de</strong>s Chaldéens. Odin<br />

en a passé aussi pour l'inventeur. D'autres ne <strong>le</strong> pensent<br />

pas, car <strong>le</strong>s volvurs, qui étaient d'habi<strong>le</strong>s magiciennes,<br />

étaient <strong>le</strong>s prêtresses <strong>de</strong> la religion qu'il abolit. Ces prêtresses<br />

étaient-el<strong>le</strong>s au surplus d'ignob<strong>le</strong>s sorcièresî II<br />

est permis d'en douter. Au milieu <strong>de</strong> tant d'opinions,<br />

qu'y a-t-il <strong>de</strong> constant? C'est la haute antiquité et l'universalité<br />

<strong>de</strong> la magie : rien déplus obscur que son origine,<br />

rien <strong>de</strong> si contradictoire que <strong>le</strong>s opinions émises<br />

à cet égard ; el<strong>le</strong> paraît née dans chaque peup<strong>le</strong>, appartenir<br />

au sol, ou remonter aux premiers habitants du<br />

globe ; car on la rencontre parmi <strong>de</strong>s nations qui n'ont<br />

jamais eu <strong>de</strong> communications entre el<strong>le</strong>s, tant el<strong>le</strong>s sont<br />

éloignées, et chez <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s on voit cependant une tel<strong>le</strong><br />

i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s pratiques dolamagie, qu'on a pensé qu'el<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>vait être l'antique tradition d'une même souche, ou<br />

qu'une même cause avait produit partout <strong>le</strong>s mêmes<br />

effets. Eusèbe Salverte, voyant la difficulté d'asseoir<br />

une opinion, dit : « Qui trouvera l'origine <strong>de</strong>s sciences<br />

humaines et <strong>de</strong>s superstitions dira aussi l'origine <strong>de</strong> la<br />

magie.» Pline (XXX, 4), frappé <strong>de</strong>s mêmes difficultés,<br />

s'étonnait que la Gran<strong>de</strong>-Bretagne eût <strong>le</strong>s mômes superstitions<br />

que la Perse, <strong>avec</strong> laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong> n'avait nul<br />

rapport. Que peut-on conjecturer? Dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s héroïques<br />

, en Grèce, il semb<strong>le</strong> que la théurgie et lagoétie<br />

furent exploitées par <strong>de</strong>ux castes distinctes. Dans la


AVEC LE BÉMOïs'. 115<br />

fab<strong>le</strong>, qui n'est qu'un ref<strong>le</strong>t <strong>de</strong> la vérité historique, <strong>de</strong>s<br />

personnages qu'on ne flétrit pas du titre <strong>de</strong> gens abominab<strong>le</strong>s,<br />

se livrent à la goétie. Médée, Circé, n'appartenaient<br />

pas, ce semb<strong>le</strong>, à un sacerdoce léga<strong>le</strong>ment<br />

constitué ; el<strong>le</strong>s communiquaient <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux<br />

pour faire <strong>le</strong> mal, et cependant n'ont pas reçu un nom<br />

odieux; on dit qu'el<strong>le</strong>s sont fil<strong>le</strong>s d'Hécate; Apollon<br />

et Diane <strong>le</strong>ur font môme <strong>de</strong>s présents. — Lucine professe<br />

une magie aussi noire que <strong>le</strong>s magiciennes <strong>de</strong><br />

Tbessalie, mais Junon ne dédaigne pas <strong>de</strong> la séduire<br />

par <strong>de</strong>s caresses, pour qu'el<strong>le</strong> prolonge sept jours durant<br />

<strong>le</strong>s dou<strong>le</strong>urs d'enfantement d'Alcmène. Que conclure<br />

<strong>de</strong> ces fab<strong>le</strong>s? Que la goétie était pratiquée peutêtre<br />

<strong>avec</strong> la théurgie par <strong>de</strong>s personnes qui n'étaient<br />

pas investies du sacerdoce ; que <strong>le</strong>s dieux eux-mêmes<br />

l'approuvaient; qu'ils ont pu même communiquer aux<br />

uns <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> faire <strong>le</strong> bien, à d'autres celui <strong>de</strong> faire<br />

<strong>le</strong> mal. C'était indifférent à ces dieux ; ce sont <strong>le</strong>s<br />

hommes qui, plus tard, vénérèrent ies premiers et<br />

exécrèrent <strong>le</strong>s seconds. On pourrait donc conjecturer<br />

ainsi que la goétie s'est établie <strong>de</strong> la même manière et<br />

en même temps que la théurgie, quand <strong>le</strong>s sages reçurent<br />

<strong>de</strong>s dieux <strong>de</strong>s révélations pour opérer <strong>de</strong>s prodiges,<br />

ces dieux révélèrent à d'autres <strong>de</strong>s secrets trèsmall'aisants.<br />

On peut faire une autre conjecture : Une caste <strong>de</strong><br />

prêtres a pu abandonner la théurgie pour se livrer à la<br />

goétie. Pourquoi l'aura-t-el<strong>le</strong> fait? A quel<strong>le</strong> époque<br />

une tel<strong>le</strong> révolution a pu s'opérer?—E. Salverte pense<br />

que <strong>de</strong>s circonstances malheureuses ont pu amener <strong>le</strong>s<br />

prêtres à laisser tomber dans <strong>de</strong>s mains profanes<br />

quelque lambeau <strong>de</strong> la science occulte ; il <strong>le</strong>s cherche<br />

dans <strong>le</strong>s fastes historiques : « Est-ce quand <strong>le</strong>s religions<br />

riva<strong>le</strong>s se sont combattues? est-ce quand <strong>de</strong>vant


116 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Zoroastre et <strong>le</strong> culte du feu, ont reculé <strong>le</strong> Sabéisme,<br />

Shiva, Wichnou et Brahma? — Non. <strong>Le</strong>s prêtres indous<br />

et <strong>le</strong>s Chaldéens emportèrent <strong>avec</strong> eux <strong>le</strong>s arts sacrés...—Quand<br />

Moïse dispersa <strong>le</strong>s prêtres <strong>de</strong> Chanaan,<br />

ceux-ci ne léguèrent <strong>le</strong>urs secrets qu'à <strong>de</strong>s a<strong>de</strong>ptes,<br />

ils étaient peu nombreux; Saiil eut peine à trouver une<br />

femme qui évoquât <strong>le</strong>s morts... — Cambyse envoya au<br />

supplice <strong>le</strong>s prêtres d'Apis, mais ces vio<strong>le</strong>nces ne portèrent<br />

aucune atteinte aux secrets religieux, qui restèrent<br />

cachés aux profanes. La civilisation <strong>de</strong>puis longtemps<br />

germait, <strong>le</strong>s philosophes désirèrent la perfectionner<br />

et voyagèrent dans l'In<strong>de</strong>, en Chaldée et en<br />

Egypte pour s'instruire... ils se regardèrent comme <strong>de</strong>s<br />

initiés; pourtant tout se bornait à quelques notions<br />

sans théorie. Peu à peu la discrétion gardée dans <strong>le</strong>s<br />

temp<strong>le</strong>s cessa <strong>de</strong> régner dans <strong>le</strong>urs éco<strong>le</strong>s, mais dans<br />

<strong>le</strong>s pays mêmes où la civilisation perfectib<strong>le</strong> prodiguait<br />

ses bienfaits, <strong>le</strong> sacerdoce gardait toujours ses secrets...<br />

Cependant Démosthène signa<strong>le</strong> en Grèce, <strong>le</strong><br />

premier, l'existence <strong>de</strong>s sorciers... La science donc<br />

avait cessé d'être concentrée dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s, et<br />

quelques lambeaux étaient tombés dans <strong>de</strong>s mains<br />

profanes ; pour la cause <strong>de</strong> ce fait, il faut remonter<br />

à plus <strong>de</strong> 35 lustres : c'est <strong>le</strong> massacre <strong>de</strong>s Mages<br />

après la chute <strong>de</strong> Smerdis '. Ils ne succombèrent pas<br />

i. Dans un papyrus écrit en <strong>le</strong>ttres hiéroglyphiques, qui remonte<br />

à Hamsès III, communiqué à M. CJiabas par M. Goochvin, on voit un<br />

nommé Haï puni <strong>de</strong> mort pour crime <strong>de</strong> magie qu'il a apprise en se<br />

procurant fraudu<strong>le</strong>usement <strong>le</strong> livre <strong>de</strong>s formu<strong>le</strong>s du Pharaon, livre<br />

qu'il n'appartenait qu'au souverain et aux prêtres, ses conseil<strong>le</strong>rs, <strong>de</strong><br />

consulter. — Faut-il en conclure que nul profane ne <strong>le</strong> connaissait?<br />

La négative n'est pas douteuse .- La magicienne d'Lndor n'était pas du<br />

conseil du souverain ; 2° lu loi punissant <strong>de</strong> mort la magie et même<br />

l'élu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la magie, la conséquence est qu'el<strong>le</strong> était connue et pratiquée<br />

par <strong>de</strong>s gens étrangers a la caste sacerdota<strong>le</strong>. <strong>Le</strong>s Hébreux s'y<br />

livraient, donc la magie était connue <strong>de</strong>s profanes avant Smerdis.


AVEC LZ DÉMON.<br />

tous, ils se dispersèrent, et quand la politique <strong>de</strong> Darius<br />

voulut <strong>le</strong>s réunir, on peut croire qu'ils ne s'empressèrent<br />

pas <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir <strong>le</strong>s soutiens <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur principal<br />

assassin... S'étant trouvés au milieu <strong>de</strong>s Grecs<br />

disséminés dans la Perse et nés dans une civilisation<br />

perfectib<strong>le</strong>, ils <strong>le</strong>ur transmirent <strong>le</strong>urs secrets... Ces<br />

Grecs ayant admiré <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s Mages, donnèrent<br />

à <strong>le</strong>ur art <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> magie. Ayant ainsi profité <strong>de</strong>s<br />

occasions <strong>de</strong> s'instruire, <strong>de</strong> retour dans <strong>le</strong>ur patrie,<br />

ils en firent un métier lucratif... <strong>Le</strong>s conquêtes d'A<strong>le</strong>xandre<br />

ayant établi <strong>de</strong>s Grecs sur tous <strong>le</strong>s points <strong>de</strong><br />

l'Asie... <strong>le</strong>s prêtres nombreux <strong>de</strong> Phrygie et <strong>de</strong> Syrie<br />

se <strong>le</strong>s affilièrent par <strong>de</strong>s initiations... Dans Théocrite,<br />

une femme ordinaire fait une conjuration.—La magie<br />

avait donc pénétré déjà bien avant chez <strong>le</strong>s Grecs..,<br />

etc. » (Analyse du chap. ix du t. I er<br />

<strong>de</strong>s Sciences oc­<br />

cultes.)<br />

Il est peu probab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s mages aient ainsi communiqué<br />

<strong>le</strong>urs secrets aux Grecs, nés dans une civilisation<br />

perfectib<strong>le</strong>, on n'en voit pas <strong>le</strong> motif. <strong>Le</strong> sacerdoce<br />

et la philosophie sont, dans tous <strong>le</strong>s temps, peu<br />

sympathiques. D'ail<strong>le</strong>urs, cette magie malfaisante se<br />

retrouve chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus inconnus <strong>le</strong>s<br />

uns <strong>de</strong>s autres; la pythohisse d'Endor n'était pas une<br />

prêtresse ; la magie malfaisante <strong>de</strong>s Thraces, <strong>de</strong>s<br />

peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la Gau<strong>le</strong>, etc., était-el<strong>le</strong> pratiquée par <strong>le</strong>s<br />

prêtres, que nous verrons partout si vénérab<strong>le</strong>s et si<br />

respectés ?... La magie noire a paru si ancienne à <strong>de</strong>s<br />

savants, qu'ils ont pensé que <strong>le</strong> déluge fut <strong>le</strong> châtiment<br />

<strong>de</strong> ceux qui s'y livraient. — Il serait assez naturel<br />

d'abord, en considérant <strong>le</strong>s révolutions religieuses,<br />

<strong>de</strong> penser que <strong>le</strong>s prêtres d'un culte aboli,<br />

<strong>de</strong>venus errants et étant méprisés, ces tristes restes<br />

d'un sacerdoce si déchu n'appartenant plus à celui


M8 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

reconnu par l'État, se seraient livrés à l'une et l'antre<br />

magie pour satisfaire <strong>le</strong>s besoins ou <strong>le</strong>s passions <strong>de</strong><br />

ceux qui recouraient à <strong>le</strong>ur ministère. Tout prestige<br />

attaché à <strong>le</strong>ur rang étant perdu, ces prêtres d'un culte<br />

proscrit ne pouvaient, on <strong>le</strong> pensa sans doute, être en<br />

rapport qu'<strong>avec</strong> <strong>de</strong>s intelligences malfaisantes. En vain<br />

ils prétendaient pouvoir user <strong>de</strong> la toute-puissance <strong>de</strong> la<br />

théurgie, <strong>le</strong>ur dénûment, <strong>le</strong>ur abjection rendaient cette<br />

prétention ridicu<strong>le</strong>. <strong>Le</strong> pouvoir <strong>de</strong> faire <strong>le</strong> mal par <strong>le</strong>s<br />

mauvais génies dut paraître plus réel ; on recourut à<br />

eux pour l'opérer, et bientôt ils furent l'objet <strong>de</strong> la<br />

haine <strong>de</strong>s populations comme ils l'étaient <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur mépris,<br />

et purent aussi transmettre <strong>le</strong>urs secrets par l'initiation<br />

aux méchants.<br />

Il faut reconnaître qu'il s'est opéré, à <strong>de</strong>s époques si<br />

reculées qu'el<strong>le</strong>s nous sont inconnues, <strong>de</strong>s révolutions<br />

religieuses qui auront pu transformer en vils magiciens<br />

<strong>le</strong>s prêtres d'un culte aboli. On voit dans <strong>le</strong>s temps<br />

historiques la caste sacerdota<strong>le</strong> d'un pays tombé sous<br />

un joug étranger, perdre son crédit, sa puissance et son<br />

éclat. 11 est naturel que <strong>le</strong>s prêtres se soient livrés<br />

indifféremment à la goétie et à la théurgie; ainsi ceux<br />

d'Isis accoururent chez <strong>le</strong>s Romains, qu'ils infestèrent<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>urs pratiques superstitieuses. Nous verrons<br />

ce que <strong>de</strong>vinrent <strong>le</strong>s Drui<strong>de</strong>s. On peut donc penser qu'à<br />

différentes époques, <strong>de</strong>s prêtres fugitifs, mendiants noma<strong>de</strong>s<br />

, auront pratiqué la magie noire, plutôt que<br />

d'admettre que <strong>le</strong>s mages, après la chute <strong>de</strong> Smerdis,<br />

l'auraient bénévo<strong>le</strong>ment révolée aux Grecs. Mais l'opinion<br />

qui l'a fait naître en même temps que la théurgie<br />

et <strong>de</strong> la même cause paraît la plus admissib<strong>le</strong><br />

i. D'autres causes (l'initiation et la communication <strong>avec</strong> l'esprit <strong>de</strong><br />

ténèbres), que l'on aura occasion <strong>de</strong> signa<strong>le</strong>r quand on examinera la<br />

magie mo<strong>de</strong>rne, concourent souvent <strong>avec</strong> la tradition.


AVEC LE DÉMON. 119<br />

<strong>Le</strong>s croyances et <strong>le</strong>s pratiques <strong>de</strong> théurgie et <strong>de</strong> goétie exposées précé<strong>de</strong>ntment<br />

se retrouvent dans <strong>le</strong>s plus anciens auteurs <strong>de</strong> l'antiquité.<br />

A l'exposé si incomp<strong>le</strong>t <strong>de</strong>s croyances religieuses <strong>de</strong><br />

l'antiquité, à ce qui vient d'être dit sur la théurgie et<br />

la goétie, il serait bon <strong>de</strong> joindre divers passages<br />

pris dans différents auteurs <strong>de</strong> l'antiquité et chez plusieurs<br />

peup<strong>le</strong>s. Biais cette tâche n'entre pas dans ce<br />

plan : à la rigueur, un seul peup<strong>le</strong> et un seul auteur<br />

suffisent, ces croyances et ces pratiques étant à peu<br />

près <strong>le</strong>s mêmes partout. Cette nation, si on veut, ce<br />

sera la Grèce; cet auteur, ce sera Homère. <strong>Le</strong>s Grecs<br />

ont reçu <strong>le</strong>urs doctrines <strong>de</strong>s Phéniciens, <strong>de</strong>s Thraces,<br />

<strong>de</strong>s Égyptiens. Orphée, chez eux, fonda <strong>le</strong>s mystères<br />

; Cécrops <strong>le</strong>ur apporta la sagesse égyptienne ;<br />

Cadmus <strong>le</strong> premier érigea chez eux <strong>de</strong>s autels. <strong>Le</strong>s<br />

Grecs avaient déjà <strong>le</strong>urs pratiques superstitieuses, tel<strong>le</strong>s<br />

que divinations, orac<strong>le</strong>s, etc.; ils consultaient <strong>le</strong> chêne<br />

<strong>de</strong> Dodone, ils avaient enfin ce merveil<strong>le</strong>ux qu'on voit<br />

môme aujourd'hui chez <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus sauvages ;<br />

mais ces législateurs coordonnèrent <strong>le</strong>s croyances, réglèrent<br />

<strong>le</strong> culte, et apportèrent la notion d'un Dieu<br />

premier principe... Citer ces croyances et ces pratiques<br />

chez <strong>le</strong>s Grecs, c'est citer ce qu'on croyait et ce qu'on<br />

pratiquait chez <strong>le</strong>s vieux peup<strong>le</strong>s dont ils furent <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s.<br />

Mil<strong>le</strong> ans avant notre ère, Homère a composé un ouvrage<br />

immortel, que ce soit un poëme contenant <strong>de</strong>s<br />

Actions, peu nous importe s'il transmet <strong>le</strong>s croyances<br />

du temps, <strong>le</strong>s mœurs, <strong>le</strong>s superstitions. Ouvrons<br />

Y Ilia<strong>de</strong> et l'Odyssée, nous y verrons toutes <strong>le</strong>s croyances<br />

<strong>de</strong>s Grecs, citées <strong>avec</strong> plus <strong>de</strong> détails qu'on n'a droit<br />

<strong>de</strong> l'attendre d'un auteur qui n'en par<strong>le</strong> que par occa-


120 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

sion, ouvrons-<strong>le</strong>s, dis-je, et nous y trouverons <strong>le</strong>s<br />

orac<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s présages, la nécromancie, <strong>le</strong>s diverses divinations<br />

, <strong>le</strong>s prodiges qui 'présagent <strong>le</strong>s événements<br />

dirigés par <strong>le</strong>s dieux, <strong>le</strong>s songes, <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> transformer,<br />

<strong>de</strong> causer <strong>de</strong>s maladies et <strong>de</strong> guérir par <strong>de</strong>s<br />

charmes. La faculté <strong>de</strong> se rendre invisib<strong>le</strong>, l'enthousiasme<br />

prophétique, <strong>le</strong> don <strong>de</strong> prédire qu'on observe<br />

quelquefois chez <strong>le</strong>s mourants, l'augurie, la magie<br />

malfaisante, la magie bienfaisante, la magie prestigieuse,<br />

toutes ces choses que nous ferons remarquer<br />

dans <strong>le</strong>s livres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux, que nous retrouverions<br />

chez <strong>le</strong>s anciens sages d'Egypte et <strong>de</strong> Chaldée,<br />

qu'on verra aux époques historiques chez <strong>le</strong>s Grecs et<br />

chez <strong>le</strong>s Romains et parmi <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s mo<strong>de</strong>rnes ; tout<br />

cela, dis-je, est dans Y Ilia<strong>de</strong> et l'Odyssée.<br />

Ainsi, <strong>de</strong>puis une longue suite <strong>de</strong> sièc<strong>le</strong>s avant notre<br />

ore, <strong>le</strong>s Grecs consultaient <strong>le</strong>s augures et <strong>le</strong>s songes.<br />

— Achil<strong>le</strong> dit : Consultons un augure ou même un<br />

interprète <strong>de</strong>s songes, car ils sont envoyés par Jupiter.<br />

Calchas est consulté, pour qu'il fasse connaître la<br />

cause du courroux d'Apollon ; mais <strong>le</strong> <strong>de</strong>vin, qui connaît<br />

<strong>le</strong> passé, <strong>le</strong> présent et l'avenir, hésite <strong>de</strong> répondre;<br />

il serait forcé d'accuser Agamemnon —<br />

Ce courroux est excité, non par la gravité d'un crime,<br />

maispar la prière <strong>de</strong> Chrysès, prêtre d'Apollon. Ce dieu,<br />

l'ayant exaucé, afflige <strong>le</strong>s Grecs d'une épidémie qui ne<br />

cessera qu'après avoir immolé une hécatombe et renvoyé<br />

Chryséïs. (//., I.) — Bien <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s avant notre<br />

ère on pensait donc qu'un prêtre pouvait obtenir <strong>de</strong>s<br />

dieux qu'ils châtiassent <strong>le</strong>s coupab<strong>le</strong>s<br />

l. La malédiction ou excommunication remonte à l'origine du<br />

mon<strong>de</strong>. Caïn fut maudit après <strong>le</strong> meurtre d'Abel. L'excommunication


AVEC LE DÉMON. 121<br />

On croyait aux présages, aux prodiges... <strong>Le</strong> même<br />

<strong>de</strong>vin interpréta celui-ci : on avait vu un dragon, <strong>le</strong> dos<br />

marqué <strong>de</strong> sang, dévorer <strong>de</strong>s passereaux et paraître<br />

soudain pétrifié. (//., 11.)<br />

<strong>Le</strong>s songes annonçaient l'avenir. Homère nomme <strong>le</strong><br />

vieil Eurydamas interprète <strong>de</strong>s songes, qui avait négligé<br />

d'interpréter ceux <strong>de</strong> ses fils avant <strong>le</strong> combat.<br />

(//., V, 149, 150.)<br />

<strong>Le</strong> <strong>de</strong>vin Hélénus, inspiré par Apollon et Pallas,<br />

engage Hector à provoquer au combat <strong>le</strong> plus vaillant<br />

<strong>de</strong>s Grecs, en lui assurant qu'il ne succombera pas dans<br />

l'action. <strong>Le</strong>s dieux apparaissent alors sous la forme <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux vautours pour encourager <strong>le</strong> guerrier qui accepte<br />

cet heureux présage. (//., VII.)<br />

A cette époque, <strong>le</strong> tonnerre, comme il <strong>le</strong> fut chez<br />

<strong>le</strong>s Étrusques, était un présage. Plusieurs fois Jupiter<br />

tonnant sur <strong>le</strong> mont Ida, Hector y vit un signe <strong>de</strong> la<br />

victoire. Cependant il <strong>de</strong>vait succomber, carie <strong>de</strong>stin,<br />

plus puissant que Jupiter, l'avait décrété ; <strong>le</strong> héros a<br />

lancé sur Achil<strong>le</strong> un trait inuti<strong>le</strong>, que son bouclier<br />

divin [enchanté) a repoussé. Déiphobe apparaît à côté<br />

d'Hector, ce <strong>de</strong>rnier lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> sa lance; hélas!<br />

Déiphobe n'était qu'un fantôme trompeur, dont l'apparition<br />

présageait <strong>le</strong> trépas d'Hector. <strong>Le</strong>s dieux ont<br />

fasciné ses yeux..., vaincu bientôt et mortel<strong>le</strong>ment<br />

frappé, il fait cette prédiction : Paris, s'écrie-t-il, <strong>avec</strong><br />

l'ai<strong>de</strong> d'Apollon renversera un jour mon impitoyab<strong>le</strong><br />

vainqueur près <strong>de</strong>s portes Scées. (//., XXII.)<br />

Dans ce passage se voient <strong>de</strong>ux croyances, que <strong>le</strong><br />

temps n'a pu détruire. <strong>Le</strong>s mourants obtiennent par-<br />

livre aux puissances inferna<strong>le</strong>s; c'est la tradilio Satanœ <strong>de</strong>s Actes <strong>de</strong>s<br />

Apôtres. On la voit dans toutes <strong>le</strong>s religions, et <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s mûmes<br />

ressentent l'excommunication lancée contre <strong>le</strong>ur souverain.


122 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

fois <strong>le</strong> don <strong>de</strong> prédire, et souvent l'apparition d'un<br />

spectre a été <strong>le</strong> présage d'une mort prochaine<br />

On trouve même dans Homère <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s d'incrédulité<br />

qui prouvent qu'el<strong>le</strong> est <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s temps: Halitherse,<br />

habi<strong>le</strong> <strong>de</strong>vin par <strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s oiseaux, prédisait un<br />

malheur terrib<strong>le</strong> aux amants <strong>de</strong> Pénélope; l'un d'eux,<br />

Eurymaque, lui répond: Va, vieillard, va prophétiser<br />

à tes enfants Ton orac<strong>le</strong> va être anéanti par <strong>le</strong><br />

mien Que d'oiseaux voltigent sous <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, sontils<br />

tous <strong>de</strong>s interprètes certains <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>stinées?<br />

(OJys.,U.)<br />

Circé, par ses enchantements, domptait <strong>le</strong>s animaux<br />

<strong>le</strong>s plus féroces; sous l'influence <strong>de</strong> sa baguette et<br />

d'un breuvage magique, <strong>le</strong>s compagnons d'Ulysse<br />

furent métamorphosés en pourceaux; ils en eurent<br />

la tête, la forme et la voix, ils <strong>de</strong>vinrent comme eux<br />

hérissés <strong>de</strong> soie Cependant ils se reconnaissaient : à<br />

cet égard seu<strong>le</strong>ment la métamorphose n'était pas<br />

complète. Ainsi captifs, ils déploraient <strong>le</strong>ur malheureux<br />

sort qu'Ulysse n'évita qu'en recevant <strong>de</strong> Mercure<br />

une plante qui neutralisa <strong>le</strong>s enchantements <strong>de</strong> Circé.<br />

C'est en vain qu'il a bu <strong>le</strong> fatal breuvage, que Circé<br />

l'a frappé <strong>de</strong> sa baguette, Ulysse a conservé sa figure<br />

et sa forme. Son protecteur lui avait indiqué un secret<br />

pour désenchanter ses compagnons, c'était <strong>de</strong> se précipiter<br />

sur Circé en feignant <strong>de</strong> vouloir l'immo<strong>le</strong>r, alors<br />

non-seu<strong>le</strong>ment il évite lui-même la transformation,<br />

mais il obtient que ses guerriers recouvreront <strong>le</strong>ur<br />

première forme, ce qui eut lieu par l'onction d'une<br />

hui<strong>le</strong> magique. (Orfi/s., X.)<br />

On fera <strong>de</strong> suite observer que cette métamorphose,<br />

1. Pfitroclc mourant prédit a Hector que <strong>le</strong>. <strong>de</strong>stin a décidé qu'il<br />

tomberait bientôt sous <strong>le</strong> fer d'Achil<strong>le</strong> {IL, AVI).


AVEC LE DÉMON. 123<br />

dans la pensée du poëte, appartenait à l'art magique;<br />

que çe serait une erreur grave <strong>de</strong> l'attribuer à l'effet<br />

<strong>de</strong>s charmes naturels <strong>de</strong> Circé ou du vin, qui, bu <strong>avec</strong><br />

excès, assimi<strong>le</strong> <strong>l'homme</strong> à un animal immon<strong>de</strong>. La<br />

croyance aux transformations est trop constante chez<br />

<strong>le</strong>s anciens pour qu'on doive recourir à l'allégorie;<br />

ils en ont la voix, dit Homère, i\s eu ont la forme, ils<br />

sont même comme eux hérissés <strong>de</strong> soie Cette<br />

<strong>de</strong>scription n'est pas <strong>le</strong> portrait d'hommes ivres;<br />

ceux-ci ne se connaissent plus, et <strong>le</strong>s premiers se<br />

reconnaissaient en déplorant <strong>le</strong>ur sort. La manière<br />

dont Ulysse obtint <strong>le</strong> désenchantement <strong>de</strong> ses guerriers,<br />

et l'évita pour son propre compte, vient corroborer<br />

ce sentiment. — Voici donc un exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

transformations d'une haute antiquité; on y voit encore<br />

qu'à cette époque, comme chez <strong>le</strong>s mo<strong>de</strong>rnes,<br />

<strong>le</strong>s menaces étaient un préservatif contre <strong>le</strong>s "charmes<br />

ou en détruisaient l'effet.<br />

Après cet exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong> transformation, on en trouve<br />

un <strong>de</strong> nécromancie. Ulysse veut évoquer l'ombre <strong>de</strong><br />

Tirésias et s'adresse à Circé, qui, n'étant pas une<br />

nécromancienne, lui conseil<strong>le</strong> d'al<strong>le</strong>r à l'extrémité<br />

<strong>de</strong>s mers consulter ceux qui évoquent <strong>le</strong>s mânes;<br />

comme el<strong>le</strong> sait comman<strong>de</strong>r aux vents, <strong>le</strong> navire<br />

d'Ulysse, abandonné au souff<strong>le</strong> <strong>de</strong> Borée, vogue en<br />

suivant une route inconnue <strong>avec</strong> une vitesse prodigieuse,<br />

jusqu'à l'entrée <strong>de</strong>s enfers<br />

On voit souvent dans Homère <strong>le</strong>s dieux prendre<br />

un corps fantastique, et combattre pour <strong>le</strong>s mortels.<br />

— Achil<strong>le</strong> ayant fait une prière à Jupiter, Pallas et<br />

1. Grotte où résidaient <strong>le</strong>s nymphes ou prêtresses; cavernes habitues<br />

par <strong>le</strong>s fées. C'est dans une semblab<strong>le</strong> retraite que Julien consulta<br />

Maxime.


124 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Neptune, sous forme humaine, viennent <strong>le</strong> soutenir<br />

dans son combat et lui promettent qu'il ne succombera<br />

point sous l'effort du dieu du f<strong>le</strong>uve Xanthe.<br />

(//., XXI.)<br />

<strong>Le</strong>s dieux accordaient quelquefois la faculté d'être<br />

invisib<strong>le</strong>. Hector allait succomber si Apollon, au<br />

moyen d'un nuage, ne l'eût rendu invisib<strong>le</strong> aux regards<br />

d'Achil<strong>le</strong>. (//., XX, 444.)<br />

C'est ainsi que, sans être vu, Ulysse traversa la vil<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />

Phéaciens. Il en admira <strong>le</strong>s murail<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s places, et arriva<br />

jusqu'au palais d'Alcinous. Ce ne fut qu'en embrassant<br />

<strong>le</strong>s genoux <strong>de</strong> la reine que <strong>le</strong> charme cessa.<br />

(Odys., VII.)<br />

Avant l'époque chantée par Homère, on consultait<br />

<strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s. Ulysse se rend à Dodone pour y consulter<br />

<strong>le</strong> chêne et recevoir la réponse <strong>de</strong> Jupiter '.<br />

S'il était possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> s'étendre davantage, on citerait<br />

ainsi dans <strong>le</strong>s vieux monuments <strong>de</strong> l'antiquité<br />

mil<strong>le</strong> exemp<strong>le</strong>s propres à appuyer la doctrine <strong>de</strong>s<br />

Gentils.<br />

Apollon, amoureux <strong>de</strong> Cassandre 2<br />

, lui accor<strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

don <strong>de</strong> <strong>de</strong>vination.—Oh! ma mère, disait-el<strong>le</strong>, faut-il<br />

qu'Apollon m'ait choisie! qu'il m'ait saisie malgré<br />

1. Cet orac<strong>le</strong> doit ôtre antérieur à la première colonie conduite par<br />

Inachus, qui vivait près <strong>de</strong> 900 ans avant Homère.<br />

2. Apollon <strong>de</strong>vient amoureux <strong>de</strong> Cassandre, et lui accor<strong>de</strong> <strong>le</strong> don <strong>de</strong><br />

prédire dans l'enthousiasme sacré : rappelons-nous qu'Apollon est 1P<br />

infime dieu que Jupiter, que Bacchus, que Sérapis ; qu'il est même<br />

i<strong>de</strong>ntique <strong>avec</strong> Diane, Hécate, Némésis, Cérès... Apollon est <strong>le</strong> môme<br />

que Pan, que Priape, que lo dieu infernal. Cassandre est donc dans<br />

cet état qui donne <strong>le</strong> don <strong>de</strong> prévision. C'est une variété <strong>de</strong> la grandr<br />

catégorie à laquel<strong>le</strong> appartenaient <strong>le</strong>s Cerriti chez <strong>le</strong>s Romains. C'est un<br />

dieu qui l'inspire comme l'étaient la pythie chez <strong>le</strong>s Grecs, et comme<br />

<strong>le</strong>s gens que plus tard on nomma possédés. Cassandre était enfin dans<br />

un état qui établit l'antiquité <strong>de</strong> l'affection <strong>de</strong>s succubes et <strong>de</strong> la<br />

divination par l'extase.


AVEC LE DÉMON. 125<br />

moi <strong>de</strong> sa fureur!... Et bientôt, sous l'influx divin,<br />

el<strong>le</strong> s'écrie : Oh! mes sœurs, oh! Priam, oh! malheureux<br />

roi! que j'ai pitié <strong>de</strong> vous!... etc. Il bril<strong>le</strong>, <strong>le</strong><br />

flambeau <strong>de</strong> Pergame... — El<strong>le</strong> voit <strong>le</strong> carnage, el<strong>le</strong><br />

voit l'incendie.... Ce n'est plus Cassandre qui par<strong>le</strong>,<br />

c'est un dieu, dit Cicéron. (De div., I, 31.)<br />

OEnone 1<br />

reçut aussi <strong>le</strong>s caresses d'Apollon qui lui<br />

octroie <strong>le</strong> don <strong>de</strong> guérir. — Apollon, disait-el<strong>le</strong>, m'a<br />

lui-même enseigné son art ; tout ce qu'il y a d'herbes<br />

et <strong>de</strong> racines dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> est connu <strong>de</strong> moi. (V.<br />

Ovi<strong>de</strong>. — <strong>Le</strong>c<strong>le</strong>rc, Hist. <strong>de</strong> la méd., 1. I, chap. xxi.) —<br />

Selon Apulée, Chiron tenait <strong>de</strong> Diane la connaissance<br />

<strong>de</strong>là vertu <strong>de</strong> certaines plantes. (<strong>Le</strong>c<strong>le</strong>rc, id.) Médée 2<br />

avait appris à fond <strong>de</strong> sa mère l'art <strong>de</strong>s enchantements<br />

et réunissait la magie empoisonneuse à la prestigieuse.<br />

Pour déci<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Pélias à faire bouillir<br />

<strong>le</strong>ur père dans un chaudron pour <strong>le</strong> rajeunir, el<strong>le</strong> fit<br />

cuire d'abord un bélier, et ce n'est qu'en fascinant<br />

<strong>le</strong>urs yeux qu'el<strong>le</strong> en fit sortir la forme trompeuse<br />

d'un agneau. (Diod. <strong>de</strong> Sici<strong>le</strong>, IV, 52.)<br />

El<strong>le</strong> avait <strong>le</strong> pouvoir auquel prétendaient <strong>le</strong>siMédées<br />

<strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes : un jour el<strong>le</strong> s'é<strong>le</strong>va dans <strong>le</strong>s<br />

1. OEnone a la môme affection : el<strong>le</strong> a reçu <strong>de</strong>s dieux <strong>le</strong> don <strong>de</strong><br />

guérir. — Ces secrets, que <strong>le</strong>s mortels reçoivent <strong>de</strong>s dieux, nous <strong>le</strong>s<br />

verrons même révélés dans <strong>de</strong>s temps bien près <strong>de</strong> nous. (<strong>Le</strong>s sorciers,<br />

<strong>le</strong>s somnambu<strong>le</strong>s.)<br />

2. Médée est fil<strong>le</strong> d'Hécate; on sait ce qu'était ce parentage. Hécate<br />

est la même que Proserpine, Cérès, Sérapis... On conçoit que <strong>le</strong> So<strong>le</strong>il<br />

lui permette <strong>de</strong> voyager dans <strong>le</strong>s airs sur <strong>de</strong>s dragons. C'est aussi <strong>le</strong><br />

So<strong>le</strong>il ou Apollon qui, dans <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s postérieurs, donnera au Scythe<br />

Abanscette flèche d'or qui lui permettra <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s voyages aériens.<br />

C'est <strong>le</strong> même que Sérapis, que Pluton, celui qui fut appelé diabolos<br />

et qui, à une époque si rapprochée <strong>de</strong> la nôtre, ne donnera<br />

m sorciers ni char ni flèches d'or, mais un manche à balai chez<br />

nous, et une pique, une lance en Norvège, comme nous <strong>le</strong> verrons.


126 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

airs sur un char traîné par <strong>de</strong>s dragons, que lui avait<br />

donné <strong>le</strong> So<strong>le</strong>il, emportant <strong>avec</strong> el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s enfants qu'el<strong>le</strong><br />

avait eus <strong>de</strong> Jason. La mémo magicienne, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />

secrets d'Hécate, éteignait <strong>le</strong>s flammes, faisait rebrousser<br />

<strong>le</strong> cours <strong>de</strong>s f<strong>le</strong>uves et arrêtait celui <strong>de</strong>s<br />

astres.<br />

Ces citations, si faci<strong>le</strong>s à multiplier en parcourant<strong>le</strong>s<br />

chefs-d'œuvre que l'antiquité nous a légués, prouveraient<br />

tous la haute antiquité <strong>de</strong>s diverses branches<br />

<strong>de</strong> la magie. En vain nous dirait-on que nous voulons<br />

prouver l'existence <strong>de</strong> ces croyances par <strong>de</strong>s fictions<br />

sorties <strong>de</strong> l'imagination <strong>de</strong>s poètes !—<strong>Des</strong> fictions, vérités<br />

pour <strong>le</strong>s Chaldéeus, pour <strong>le</strong>s Égyptiens, pour <strong>le</strong>s<br />

peup<strong>le</strong>s qui civilisèrent la Grèce; <strong>de</strong>s fictions <strong>de</strong>venues<br />

la croyance <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s postérieurs, ne peuvent être<br />

l'œuvre <strong>de</strong> l'imagination <strong>de</strong>s poètes à une époque<br />

intermédiaire. 11 n'est pas permis <strong>de</strong> supposer que la<br />

Grèce, encore barbare, fut moins crédu<strong>le</strong> et moins<br />

superstitieuse que la Grèce civilisée. Ses habitants<br />

<strong>de</strong>vaient ressemb<strong>le</strong>r beaucoup aux peupla<strong>de</strong>s dont <strong>le</strong>s<br />

voyageurs nous dépeignent <strong>le</strong>s mœurs et qui nous<br />

offrent <strong>le</strong>s mêmes superstitions que cel<strong>le</strong>s dont par<strong>le</strong><br />

Homère. <strong>Le</strong> simp<strong>le</strong> bon sens n'est pas ici notre seul<br />

gui<strong>de</strong>. <strong>Le</strong>s érudits ont prouvé tous que <strong>le</strong>s anciens<br />

poèmes n'étaient pas <strong>de</strong> pures fictions, mais <strong>de</strong>s traditions<br />

antérieures aux poètes; <strong>le</strong>s Pères l'avaient dit.<br />

Selon Lactance, « ils ont transmis <strong>de</strong>s faits réels qu'ils<br />

ont tâché d'embellir. »<br />

Arnobe (Ado. gent.) s'exprime ainsi : « Pour couvrir<br />

l'indécence <strong>de</strong> vos dieux, vous dites que c'est l'ouvrage<br />

<strong>de</strong> l'imagination <strong>de</strong>s poètes; qui croira qu'ils aient<br />

chanté <strong>de</strong>s faits autres que ceux qui étaient dans la<br />

bouche <strong>de</strong> tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> et qu'ils aient été assez impu<strong>de</strong>nts<br />

et extravagants pour débiter <strong>de</strong>s choses qui


AVEC LE DÉMON. \11<br />

<strong>de</strong>vaient <strong>le</strong>ur attirer <strong>le</strong> courroux <strong>de</strong>s hommes et <strong>de</strong>s<br />

dieux... »<br />

Bay<strong>le</strong> dit lui-même : «qu'il y eut <strong>de</strong>s gens qui s'efforcèrent<br />

d'élu<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s coups portés à l'ancienne religion<br />

en rejetant sur <strong>le</strong>s licences poétiques ce qu'on lui<br />

reprochait, mais ce faib<strong>le</strong> retranchement fut forcé... On<br />

a prouvé, d'une manière <strong>démon</strong>strative, que ce que<br />

<strong>le</strong>s poètes avaient dit <strong>de</strong>s dieux était l'objet <strong>de</strong> la<br />

religion du peup<strong>le</strong>. » (Bay<strong>le</strong>, Rép. aux qiiest. d'improv.<br />

— Voir aussi Bacon et Avéranus, 33 e<br />

dissertation sur<br />

Virgi<strong>le</strong>.) Pour peu d'attention qu'on apporte, dit Bacon,<br />

à la <strong>le</strong>cture d'Homère et d'Hésio<strong>de</strong>, on voit que<br />

ce qu'ils rapportent vient <strong>de</strong> temps plus anciens, et<br />

que ce sont <strong>de</strong>s traditions.<br />

11 est donc constant (on ne peut trop insister sur<br />

ce point) que <strong>le</strong>s poètes n'ont fait que chanter <strong>de</strong>s traditions,<br />

car <strong>de</strong> semblab<strong>le</strong>s croyances sont consignées<br />

dans <strong>le</strong>s livres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux, infiniment plus<br />

anciens qu'Homère. Il faut en conclure que <strong>le</strong>s<br />

croyances avaient précédé <strong>le</strong>s poètes, et que, puisque<br />

<strong>le</strong> législateur hébreu punissait sévèrement <strong>le</strong>s pratiques<br />

citées par <strong>le</strong>s poètes, cel<strong>le</strong>s-ci n'étaient pas <strong>de</strong> vaines<br />

fictions; donc, la croyance postérieure,' loin d'être<br />

fabu<strong>le</strong>use à sa source, est née <strong>de</strong> faits réels.<br />

faux sacerdoce, aperçu <strong>de</strong> la magie noire pratiquée par <strong>le</strong>s Goétistes<br />

<strong>de</strong> l'antiquité avant notre ère.<br />

<strong>Le</strong>s membres d'une sorte <strong>de</strong> secte qui n'appartenaient<br />

pas à un sacerdoce légal étaient aux yeux <strong>de</strong>s<br />

gentils ce que sont encore aujourd'hui, dans quelques<br />

pays, certains <strong>de</strong>vins ou guérisseurs ; revêtus du même<br />

pouvoir que <strong>le</strong>s prêtres, ils guérissaient <strong>le</strong>s maladies,<br />

prédisaient, exorcisaient, chassaient <strong>le</strong>s esprits <strong>de</strong>s


DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

maisons hantées, délivraient ceux qui étaient obsédés<br />

ou possédés par <strong>le</strong>s larves, et auraient eu môme <strong>le</strong><br />

pouvoir <strong>de</strong> maléficier. Ceux-ci, quoiqu'en rendant ces<br />

services, n'étaient que tolérés et l'objet d'un mépris<br />

presque universel. Ces prêtres mendiants, en gagnant<br />

ainsi <strong>le</strong>ur vie auprès <strong>de</strong>s riches qui s'adressaient à<br />

eux, n'étaient ni respectés comme théurgistes, ni punis<br />

comme goétistes. <strong>Le</strong>s plus convaincus <strong>de</strong>s croyances<br />

<strong>de</strong> la gentilité méprisaient ces intrus dans <strong>le</strong>s sciences<br />

sacrées , plusieurs môme pensaient qu'ils n'avaient<br />

aucun pouvoir. On verra Quintus, quoique stoïcien<br />

et croyant aux prodiges, dire qu'il ne fait nul cas <strong>de</strong>s<br />

augures du pays <strong>de</strong>s Marses, ni <strong>de</strong>s astrologues du<br />

Cirque, ni <strong>de</strong>s prôtres d'isis, etc. : « Tous ces gens-là,<br />

dit-il, n'ont ni art ni connaissance, ce sont <strong>de</strong>s ignorants,<br />

<strong>de</strong>s fainéants et <strong>de</strong>s fous que la misère gourman<strong>de</strong>,<br />

qui promettent <strong>de</strong>s monts d'or en <strong>de</strong>mandant<br />

une drachme (Cic, <strong>de</strong>Div., I, 58).» Mais assez d'autres<br />

y avaient une confiance entière, qu'ils disaient justifiée<br />

par <strong>le</strong>s œuvres.<br />

Ces faux prôtres, nombreux sans doute, d'une caste<br />

tombée, que l'État tolérait, éprouvaient cependant<br />

quelquefois toute la sévérité <strong>de</strong>s lois; comme ils initiaient<br />

ceux qu'ils pouvaient recruter à <strong>le</strong>urs associations<br />

mystérieuses et nocturnes, <strong>le</strong>s magistrats furent<br />

chargés, dit Tite-Live, d'interdire la vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> cirque et<br />

<strong>le</strong> forum à ces prêtres et aux <strong>de</strong>vins, et on <strong>le</strong>ur infligea<br />

<strong>de</strong>s peines, ainsi qu'à <strong>le</strong>urs affiliés. L'historien entend<br />

par<strong>le</strong>r ici <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> ces assemblées où se commettaient<br />

<strong>le</strong>s abominations déjà citées ; mais l'indifférence<br />

en religion eut bientôt pour résultat d'admettre toutes<br />

ces doctrines et ces sociétés ; chez <strong>le</strong>s Romains, on<br />

<strong>le</strong>s punissait seu<strong>le</strong>ment quand ils se livraient à <strong>de</strong>s pratiques<br />

défendues.


AVEC LE DÉMON. 129<br />

A côté <strong>de</strong> ceux-ci une caste malfaisante et plus ténébreuse<br />

peut-être, tenant sans doute ses secrets <strong>de</strong> ses<br />

ancêtres, qui <strong>le</strong>s avaient reçus <strong>de</strong>s dieux infernaux, se<br />

livrait aux plus noires pratiques <strong>de</strong> la goétie; il n'entre<br />

pas dans ce plan d'en faire l'exposé historique avant<br />

notre ère; un temps viendra où, forcé d'esquisser <strong>le</strong><br />

hi<strong>de</strong>ux tab<strong>le</strong>au <strong>de</strong> la magie, nous n'aurons qu'une<br />

chose à affirmer, c'est que la sorcel<strong>le</strong>rie mo<strong>de</strong>rne est<br />

la continuation <strong>de</strong> la vieil<strong>le</strong> goétie. Quelques mots seu<strong>le</strong>ment<br />

sur ses pratiques détestab<strong>le</strong>s dans l'antiquité,<br />

sans nous attacher à en faire l'histoire chez un peup<strong>le</strong><br />

déterminé, suffiront pour montrer l'étendue <strong>de</strong> pouvoir<br />

<strong>de</strong>s goétistes.<br />

Citons au hasard et sans ordre <strong>de</strong>s passages pris dans<br />

<strong>le</strong>s historiens et chez <strong>le</strong>s poètes.<br />

<strong>Le</strong>s goétistes pouvaient faire tomber la grê<strong>le</strong> et exciter'une<br />

tempête. Properce dit qu'ils préparaient une<br />

fosse <strong>avec</strong> certaines cérémonies (IV, 5, 11).<br />

<strong>Le</strong>ur regard causait la mort. — Ériphy<strong>le</strong> faisait<br />

mourir ses victimes par <strong>le</strong> regard.<br />

lis pratiquaient ce qu'on nomme parmi nous l'envoûtement.<br />

Théocrite 1<br />

, Ovi<strong>de</strong>, etc., mentionnent l'usage<br />

<strong>de</strong>s images <strong>de</strong> cire et autres charmes pour faire mourir,<br />

qu'on sera surpris <strong>de</strong> retrouver dans <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s bien<br />

voisins du nôtre, et qui rappel<strong>le</strong>nt, comme l'a dit Bay<strong>le</strong>,<br />

<strong>le</strong> tison <strong>de</strong> Méléagre.<br />

Par Y incantation, on avait un empire presque absolu<br />

sur <strong>le</strong>s sentiments et <strong>le</strong>s passions : — Symaetha excitait<br />

ainsi jusqu'à la fureur l'amour <strong>de</strong> Delphis.<br />

L'œuf <strong>de</strong> serpent, chez <strong>le</strong>s Gaulois, avait <strong>le</strong> même<br />

pouvoir. <strong>Le</strong>s Romains en étaient si convaincus que,<br />

1. On voit dans Théocrite, Idyl<strong>le</strong> 2°, une conjuration et <strong>le</strong>s menaces<br />

d'un maléfice.<br />

i.<br />

9


130 DES RAPPORTS DË L'HOMME<br />

loin <strong>de</strong> méprfeer oette croyance populaire, ils punirent<br />

du <strong>de</strong>rnier supplice un chevalier gaulois qui, pour<br />

gagner sa cause, en avait caché un dans son sein,<br />

barbarie atroce, si à <strong>le</strong>urs yeux ce n'était qu'une pratique<br />

absur<strong>de</strong> (Pline, XXIX, 12).<br />

En prononçant certains vers, <strong>le</strong>s Thraces, selon <strong>le</strong>s<br />

historiens, enfonçaient un tison dans l'œil <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

ennemi sans <strong>le</strong> toucher, exemp<strong>le</strong> bien ancien <strong>de</strong> b<strong>le</strong>ssures<br />

faites à distance.<br />

Tous <strong>le</strong>s historiens rapportent que <strong>le</strong>s magiciennes<br />

<strong>de</strong> Thessalie faisaient é<strong>le</strong>ver <strong>de</strong>s tempêtes et <strong>de</strong>s orages,<br />

donnaient <strong>de</strong>s maladies mortel<strong>le</strong>s, faisaient périr<br />

<strong>le</strong>s troupeaux, causaient l'impuissance et une mort<br />

<strong>le</strong>nte au moyen d'images <strong>de</strong> cire à l'effigie <strong>de</strong> ceux<br />

qu'el<strong>le</strong>s voulaient maléfier, et qu'el<strong>le</strong>s perforaient<br />

d'aiguil<strong>le</strong>s.<br />

<strong>Le</strong>s tours rapi<strong>de</strong>s du rhombus, accompagnés dê<br />

paro<strong>le</strong>s mystérieuses, ramenaient un amant infidè<strong>le</strong>.<br />

<strong>Le</strong>s branches du laurier, arbre consacré à Apollon, <strong>le</strong>s<br />

lames gravées <strong>de</strong> caractères inconnus, <strong>le</strong>s clous arra^<br />

chés d'un gibet, <strong>de</strong>s crânes humains, <strong>de</strong>s ossements<br />

<strong>de</strong> morts mêlés <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s cheveux <strong>de</strong> l'inconstant ou <strong>avec</strong><br />

<strong>de</strong>s pièces <strong>de</strong> ses vêtements, établissaient ce qu'on<br />

appel<strong>le</strong>rait aujourd'hui <strong>le</strong> rapport, et contraignaient<br />

<strong>de</strong> revenir auprès <strong>de</strong> l'amante délaissée celui à qui<br />

ces cheveux et ces vêtements avaient appartenu. —»<br />

Amaryllis fait trois nœuds <strong>de</strong> diverses cou<strong>le</strong>urs, et<br />

contraint ainsi <strong>de</strong> revenir son volage Daphnis. (Virg.,<br />

vm e<br />

égl.) 1<br />

.<br />

Au moyen d'ossements, <strong>de</strong> parfums, <strong>de</strong> caractères<br />

bizarres, <strong>de</strong> regards, <strong>de</strong> signes, d'insufflations, <strong>de</strong><br />

1. Dans Virgi<strong>le</strong>, Horace, etc., etc., on voit ainsi <strong>de</strong>s sorcel<strong>le</strong>ries, <strong>le</strong>s<br />

mômes pour <strong>le</strong> but si el<strong>le</strong>s diffèrent dans la pratique.


AVEC LÉ DÉMON. 131<br />

paro<strong>le</strong>s prononcées d'une certaine manière, <strong>le</strong>s goétistes<br />

opéraient ainsi <strong>de</strong>s prodiges infernaux.<br />

Dans une nuit sombre, on invoquait Hécate, qui<br />

apparaissait au milieu <strong>de</strong>s hur<strong>le</strong>ments sinistres <strong>de</strong>s<br />

chiens qui annonçaient sa présence.<br />

<strong>Le</strong>s goétistes évoquaient <strong>le</strong>s morts : une fosse, <strong>de</strong>s<br />

ossements, <strong>de</strong>s lambeaux <strong>de</strong> chair humaine, <strong>de</strong>s cheveux<br />

<strong>de</strong> celui qu'on voulait évoquer, certaines herbes,<br />

<strong>le</strong> sang d'une brebis noire, <strong>de</strong>s libations, contraignaient<br />

l'ombre d'apparaître.<br />

L'impuissance causée par enchantement, appelée<br />

plus tard <strong>le</strong> nœud d'aiguil<strong>le</strong>tte, était un maléfice fort<br />

commun chez <strong>le</strong>s anciens. Démosthène cite l'exécution<br />

d'une sorcière convaincue <strong>de</strong> ce crime.<br />

Pausanias dit qu'on fut obligé, en Grèce, d'établir<br />

une chambre <strong>de</strong> justice exprès pour en punir <strong>le</strong>s<br />

auteurs.<br />

Hérodote cite divers exemp<strong>le</strong>s prouvant qu'on n'épargnait<br />

pas même <strong>le</strong>s plus augustes personnages.<br />

Platon avertit <strong>le</strong>s jeunes mariés <strong>de</strong> se défier <strong>de</strong>s ligatures.<br />

Il est fort inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> continuer cet exposé <strong>de</strong> la<br />

magie nuisib<strong>le</strong>. Il serait faci<strong>le</strong> <strong>de</strong> prouver non-seu<strong>le</strong>ment<br />

qu'el<strong>le</strong> existait avant notre ère, tel<strong>le</strong> qu'on l'a<br />

citée <strong>de</strong>puis cette époque. Mais el<strong>le</strong> est bien antérieure<br />

\ Démosthène, quoique Eusèbe Salverte ait écrit que<br />

Démosthène en avait <strong>le</strong> premier signalé l'existence<br />

récente en Grèce ; ce savant a-t-il donc oublié qu'el<strong>le</strong><br />

est mentionnée même dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s héroïques et<br />

flans <strong>le</strong>s plus anciens monuments <strong>de</strong> l'histoire?<br />

<strong>Le</strong>s goétistes, avons-nous dit, ne se livraient pas<br />

uniquement à <strong>de</strong>s pratiques meurtrières. Ils avaient <strong>de</strong>s<br />

formu<strong>le</strong>s pour calmer <strong>le</strong> courroux <strong>de</strong> ceux qui, ayant<br />

souffert une mort vio<strong>le</strong>nte, venaient effrayer <strong>le</strong>s vivants ;


132 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

pour chasser <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s <strong>de</strong>s habitations et <strong>de</strong>s corps,<br />

pour faire <strong>de</strong>s prestiges, pour se métamorphoser, se<br />

transporter par l'air, pour faire <strong>de</strong>s prédictions, <strong>de</strong>s<br />

guérisons, etc., etc. <strong>Le</strong>s magiciennes <strong>de</strong> Thessalie<br />

prétendaient, comme on sait, faire <strong>de</strong>scendre la lune<br />

par <strong>le</strong>urs conjurations, prétention qu'il sera bon d'expliquer.<br />

Ainsi, redisons-<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s goétistes étaient donc non<br />

moins puissants que <strong>le</strong>s théurgistes.<br />

<strong>Le</strong>s métamorphoses étaient si communes qu'Hérodote<br />

par<strong>le</strong> d'un peup<strong>le</strong> dont tous <strong>le</strong>s habitants passaient<br />

pour magiciens. On assure sous <strong>le</strong> serment, dit cet<br />

historien, que tous <strong>le</strong>s ans, pendant quelques jours,<br />

ils se transforment en loups. — Si ces transformations<br />

étaient moins fréquentes chez <strong>le</strong>s Grecs et chez <strong>le</strong>s<br />

Romains, <strong>le</strong>s poètes cependant ne <strong>le</strong>s ont point omises.<br />

J'ai vu, disait Amaryllis, Méris se changer en loup.<br />

His ego sccpe lupum fieri et se con<strong>de</strong>re silvis<br />

Mœrim<br />

(Virgi<strong>le</strong>, Égl. VIII, 97.)<br />

<strong>Le</strong> transport aérien chez <strong>le</strong>s anciens ressemb<strong>le</strong>,<br />

comme on <strong>le</strong> verra, à celui <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>rnes. Abaris<br />

tenait d'Apollon une flèche d'or <strong>avec</strong> laquel<strong>le</strong> il se<br />

transportait aussi vite que la pensée où bon lui<br />

semblait, traversant <strong>le</strong>s mers, abordant <strong>de</strong>s lieux<br />

inaccessib<strong>le</strong>s. Avec l'ai<strong>de</strong> du môme véhicu<strong>le</strong> on avait<br />

vu, <strong>le</strong> même jour, Pythagore à Scizzo en Sici<strong>le</strong> et à<br />

Métaponte en Calabre. Si ces <strong>de</strong>ux personnages ne<br />

sont point goétistes, <strong>de</strong>puis Médée jusqu'à Pamphi<strong>le</strong>,<br />

dont nous par<strong>le</strong>rons (V. Apulée), assez d'autres ont joui<br />

du même pouvoir locomoteur. Médée a reçu ses dragons,<br />

et Abaris sa flèche volante du même dieu ; nous


AVEC LE DÉMON. 133<br />

verrons un jour nos sorcières transportées sur un bâton,<br />

comme Abaris sur sa flèche, ou voyager sur <strong>le</strong> bouc<br />

infernal, comme Médée sur son char attelé <strong>de</strong> dragons.<br />

<strong>Le</strong>s goétistes avaient <strong>le</strong> pouvoir d'expulser <strong>le</strong>s esprits<br />

<strong>de</strong>s maisons.<br />

La mère d'Épicure se rendait ainsi dans <strong>le</strong>s habitations<br />

hantées par <strong>le</strong>s esprits malins pour <strong>le</strong>s exorciser.<br />

El<strong>le</strong> était <strong>de</strong> la même secte que la mère d'Eschine ;<br />

Démosthène (Orat. <strong>de</strong> Coron.), en parlant <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier,<br />

disait : Il est né parmi ces misérab<strong>le</strong>s que <strong>le</strong><br />

peup<strong>le</strong> abhorre; vous aidiez, lui dit-il, votre mère dans<br />

ses opérations magiques, votre mère que chacun appelait<br />

empusa (sorcière) ; c'est vous qui lisiez <strong>le</strong>s formu<strong>le</strong>s<br />

d'initiation, qui couvriez <strong>le</strong> candidat d'une peau <strong>de</strong><br />

faon, qui é<strong>le</strong>viez <strong>de</strong>s serpents sur votre tête en criant<br />

kohè, sabohê, sabohé, etc.<br />

Ils prétendaient faire <strong>de</strong>scendre la lune du ciel par<br />

<strong>de</strong>s conjurations; ceux qui ont pris ces expressions<br />

à la <strong>le</strong>ttre ont dit que sans doute <strong>le</strong>s magiciennes<br />

choisissaient l'instant d'une éclipse. Tout prouve qu'il<br />

De s'agit pas ici <strong>de</strong> l'astre qui nous éclaire durant la<br />

nuit, la prétention du magicien eût été absur<strong>de</strong>, et la<br />

crédulité <strong>de</strong> celui qui recourait à son art eût été <strong>de</strong> la<br />

démence, il y aurait eu trop <strong>de</strong> témoins affirmant <strong>le</strong><br />

contraire. La circonstance d'une éclipse lunaire ne<br />

ressemb<strong>le</strong> en rien d'ail<strong>le</strong>urs à la <strong>de</strong>scente <strong>de</strong> l'astre.<br />

<strong>Le</strong> fourbe enfin n'aurait pu en tirer parti que fort<br />

rarement, et il faudrait supposer chez <strong>le</strong>s magiciennes<br />

<strong>de</strong> Thessalie <strong>de</strong>s notions astronomiques que <strong>le</strong>s anciens<br />

sages ignoraient. Cette prétention s'explique en<br />

se rappelant que la lune n'était autre que Diane ou<br />

Hécate..., mais non l'astre visib<strong>le</strong> lui-même. Un passage<br />

<strong>de</strong> Lucien appuierait ce sentiment. Cléodème dit:<br />

J'étais aussi incrédu<strong>le</strong> que vous; après que j'eus vu,


134 DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LE DÉMON.<br />

je fus forcé <strong>de</strong> croire.. Puis, parlant <strong>de</strong>s prodiges d'un<br />

hyperboréen, il dit qu'il faisait <strong>de</strong>scendre la lune qui<br />

se montrait sous <strong>le</strong>s formes <strong>le</strong>s plus variées : femme,<br />

chienne, vache, symbo<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Diane, d'Hécate, etc.<br />

(V. Lucien, Philopseu<strong>de</strong>s ; et l'encyclopédie méthodique,<br />

Antiquités et Mytlwlogie).<br />

La magie était punie.<br />

Ce qui prouverait que <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong>s goétistes était<br />

très-constant aux yeux du législateur et <strong>de</strong>s magistrats,<br />

c'est qu'on <strong>le</strong>s châtiait sévèrement, non peut-être pour<br />

avoir exorcisé <strong>de</strong>s esprits et fait <strong>de</strong>s guérisons, mais<br />

pour maléfices, nécromancie, etc.; <strong>le</strong>s Égyptiens <strong>le</strong>s<br />

punissaient, <strong>le</strong>s Perses <strong>le</strong>ur écrasaient la tête, <strong>le</strong>s<br />

Athéniens <strong>le</strong>s condamnaient à mort. Une sorcière <strong>de</strong><br />

<strong>Le</strong>mnos fut ainsi exterminée, et on ne fit pas grâce<br />

même à ses enfants. Platon voulait que tous ceux qui<br />

par charmes, ligatures, paro<strong>le</strong>s, images <strong>de</strong> cire, etc.,<br />

auraient maléficié hommes ou bestiaux, fussent punis<br />

du <strong>de</strong>rnier supplice. (Platon, De <strong>Le</strong>g., L. 11. —<br />

Plutarque, Vie (FAi'ta.rercès.)<br />

A Rome, la loi <strong>de</strong>s Douze Tab<strong>le</strong>s défendait, sous la<br />

même peine, <strong>de</strong> nuire par dos enchantements, soit<br />

aux personnes, soit aux biens. Celui qui commettait ce<br />

crime était réputé abominab<strong>le</strong>, saeer erat, marque <strong>de</strong><br />

la plus haute indignation. (Pothicr, Pand., I, LXXX1X.)<br />

<strong>Le</strong> genre <strong>de</strong> mort élait d'ordinaire la décapitation, <strong>le</strong><br />

bûcher, l'exposition aux bêtes.<br />

<strong>Le</strong> bref exposé qu'on vient <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> la magie<br />

divine et <strong>de</strong> la magie noire renferme <strong>de</strong>s croyances<br />

constantes chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s idolâtres; on verra<br />

plus loin <strong>le</strong>s modifications qu'y apportèrent <strong>le</strong>s systèmes<br />

philosophiques.


LIVRE II<br />

CHAPITRE PREMIER<br />

De la philosophie chez <strong>le</strong>s Grecs. — On continue <strong>de</strong> croire aux esprits, aux<br />

génies et aux prodiges. — <strong>Le</strong>s matérialistes, <strong>le</strong>s sceptiques. — Socrate et ses<br />

discip<strong>le</strong>s. — Socra<strong>le</strong> et Platon, — Aristote. — Hippocrate. — Successeurs <strong>de</strong><br />

Platon. — Successeurs d'Arislo<strong>le</strong>. — <strong>Le</strong>s pénpaléticiens. — Ëpicure. —<br />

Zenon. — <strong>Le</strong>s stoïciens. — Déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la Grèce épicurienne et impie.<br />

De la philosophie chez <strong>le</strong>s Grecs. — On continue <strong>de</strong> croire aux esprits,<br />

aux génies et aux prodiges. — <strong>Le</strong>s matérialistes, <strong>le</strong>s sceptiques.<br />

<strong>Le</strong>s doctrines religieuses <strong>de</strong>s prêtres égyptiens <strong>de</strong> la<br />

Perse, <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong>, etc., avaient été pendant une longue<br />

suite <strong>de</strong> sièc<strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>ment transmises aux initiés et religieusement<br />

conservées; une âme universel<strong>le</strong>, un premier<br />

principe, <strong>de</strong>s génies ; <strong>le</strong>ur intervention signalée par<br />

<strong>de</strong>s prodiges, etc., tout cela ne causait pas <strong>le</strong> moindre<br />

doute. <strong>Le</strong>s anciens sages n'avaient pas porté plus loin<br />

<strong>le</strong>urs investigations, et <strong>le</strong>s prêtres transmettaient <strong>le</strong>s<br />

traditions comme un recueil <strong>de</strong> vérités que nul n'avait<br />

<strong>le</strong> droit d'examiner, lorsqu'un peup<strong>le</strong> nouveau relativement<br />

à ceux dont on vient <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r, illustré par<br />

ses victoires, instruit par son commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s nations<br />

étrangères, éprouva <strong>le</strong> besoin <strong>de</strong> réfléchir. Une


136 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

civilisation à peine à son aurore n'avait pu éclairer <strong>le</strong>s<br />

Grecs voisins encore <strong>de</strong> la barbarie et tout occupés <strong>de</strong>s<br />

besoins matériels; mais initiés aux doctrines <strong>de</strong>s sages<br />

<strong>de</strong>s diverses nations, <strong>le</strong>s Grecs pourront désormais analyser,<br />

comparer et juger.<br />

<strong>Le</strong>s doctrines, no différant que sur certains points,<br />

se réduisaient aux mêmes principes; mais brisant <strong>le</strong>s<br />

entraves imposées par <strong>le</strong>s traditions, <strong>le</strong>s philosophes<br />

<strong>le</strong>ur substitueront <strong>le</strong>urs systèmes, l'esprit humain va<br />

s'émanciper et discutera souvent ce qu'il ne peut connaître.<br />

Pourquoi <strong>le</strong>s sages <strong>de</strong> Chaldée, <strong>de</strong> l'Egypte, <strong>de</strong> la<br />

Perse, etc., ne l'avaient-ils pas fait? La faculté <strong>de</strong> comparer<br />

et <strong>de</strong> réfléchir manquait-el<strong>le</strong> à ces hommes qui<br />

passaient <strong>le</strong>ur vie à étudier <strong>le</strong>s choses divines? S'ils ont<br />

transmis <strong>le</strong>s doctrines sans y rien changer, ils <strong>le</strong>s ont crues<br />

divines, ou ils ont supposé qu'el<strong>le</strong>s étaient <strong>le</strong> suprême<br />

effort <strong>de</strong> l'esprit humain, qui no pouvant pénétrer plus<br />

loin ne peut créer que <strong>de</strong> vains systèmes ; aussi, en examinant<br />

la vanité <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs systèmes philosophiques, on<br />

est tenté <strong>de</strong> dire qu'ils n'ont fait qu'obscurcir <strong>le</strong> sujet do<br />

<strong>le</strong>urs étu<strong>de</strong>s. Alors, à mesure que <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s s'écou<strong>le</strong>ront,<br />

<strong>le</strong>s traditions <strong>de</strong>viendront <strong>de</strong> plus en plus ténébreuses<br />

et erronées par <strong>le</strong> mélange <strong>de</strong>s divers systèmes<br />

<strong>de</strong>s philosophes, <strong>de</strong> sorte qu'on est forcé <strong>de</strong> reconnaître<br />

que, dans <strong>le</strong>s temps <strong>le</strong>s plus reculés, il existait<br />

sur la divinité et ses prodiges une tradition plus sage<br />

que tous <strong>le</strong>s systèmes qui se sont succédé <strong>de</strong>puis ; aussi<br />

Socrate blâmait cette curiosité qui s'obstine à découvrir<br />

ce que <strong>le</strong>s dieux ont tenu caché.<br />

Il ne s'agit pas ici d'exposer <strong>le</strong>s systèmes sur <strong>le</strong>s effets<br />

et <strong>le</strong>s causes, sur la nature <strong>de</strong> l'âme et sa puissance, sur<br />

l'origine du mon<strong>de</strong>, sur la cause productrice <strong>de</strong>s phénomènes,<br />

etc., mais d'examiner seu<strong>le</strong>ment ce qui concerne<br />

notre sujet.


AVEC LE DÉMON. «37<br />

Plus <strong>de</strong> six sièc<strong>le</strong>s avant Jésus-Christ, à l'époque où<br />

vivait Thaïes, commence l'ère philosophique. Thaïes,<br />

chef <strong>de</strong> l'éco<strong>le</strong> d'Ionie, se livra plus particulièrement à<br />

l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la nature. A dater <strong>de</strong> ce philosophe, on explique<br />

<strong>le</strong>s comètes, on rend raison <strong>de</strong>s éclipses, on ridiculise<br />

<strong>le</strong>s prodiges ; la philosophie rejette comme <strong>de</strong>s<br />

fab<strong>le</strong>s toutes <strong>le</strong>s histoires <strong>de</strong>s dieux <strong>de</strong> la mythologie,<br />

et cependant Thaïes reconnaît, et Phérécy<strong>de</strong>, Anaximène,<br />

Pythagore, Empédoc<strong>le</strong>, Zenon, Heraclite, etc.,<br />

reconnaissent comme lui l'existence <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, <strong>de</strong>s<br />

génies et <strong>le</strong>ur intervention. L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces philosophes<br />

n'a pas encore altéré sensib<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s doctrines<br />

traditionnel<strong>le</strong>s.<br />

Pythagore, au lieu d'être physicien, fut porté par<br />

goût à étudier la métaphysique et <strong>le</strong>s religions. — Dieu<br />

est répandu partout, est l'auteur <strong>de</strong>s puissances et <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>urs œuvres; ces puissances sont <strong>le</strong>s astres, <strong>le</strong>s dieux<br />

inférieurs, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, <strong>le</strong>s âmes. C'est par eux qu'il<br />

opère tout. <strong>Le</strong>s pythagoriciens croyaient non-seu<strong>le</strong>ment<br />

à l'existence <strong>de</strong>s esprits, mais à <strong>le</strong>ur apparition:<br />

<strong>le</strong>ur doctrine renferme toutes <strong>le</strong>s superstitions <strong>de</strong> la<br />

magie, ses pratiques bizarres, la foi à la propriété <strong>de</strong>s<br />

nombres. Dieu régit tout comme cause <strong>de</strong>s causes; il<br />

faut donc interroger sa volonté dans <strong>le</strong>s présages, se<br />

mettre en rapport <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s êtres éternels, et pour y parvenir<br />

il faut affranchir l'âme. Cet état était l'enthousiasme<br />

(l'extase), obtenu par certaines pratiques et en<br />

invoquant <strong>le</strong>s esprits.<br />

Ocellus et Empédoc<strong>le</strong>, discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Pythagore, ne suivirent<br />

pas scrupu<strong>le</strong>usement sa doctrine, ils attribuèrent<br />

la production du mon<strong>de</strong> à <strong>de</strong>s forces différentes<br />

et opposées agissant sans intelligence ni liberté. —<br />

Timée <strong>de</strong> Locres suppose une intelligence qui a dirigé la<br />

force motrice, et qui a produit, d'après un plan, un


138 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

mon<strong>de</strong> régulier; mais tous, et <strong>avec</strong> eux Zenon, Heraclite,<br />

etc., pensent que l'atmosphère est p<strong>le</strong>ine <strong>de</strong> génies;<br />

ils voltigent dans l'air, il sont sur la terre, rési<strong>de</strong>nt<br />

dans <strong>le</strong>s eaux. Cependant Zenon et Empédoc<strong>le</strong><br />

appartenaient à l'éco<strong>le</strong> éléatique, qui avait pour chef<br />

Xénophane <strong>de</strong> Colophon, et d'après <strong>le</strong>s éléates, Dieu<br />

et <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> paraissaient i<strong>de</strong>ntiques ; <strong>le</strong>s phénomènes<br />

ne sont que <strong>de</strong>s perceptions <strong>de</strong> l'esprit. Ils niaient la<br />

divination; <strong>le</strong>s dieux d'Homère et d'Hésio<strong>de</strong> excitaient<br />

<strong>le</strong>urs rail<strong>le</strong>ries. Non-seu<strong>le</strong>ment pour <strong>le</strong>s éléates tout<br />

n'est qu'illusion pour <strong>le</strong>s sens, mais la raison n'est pas<br />

moins trompeuse... — Il n'y a rien <strong>de</strong> réel, rien <strong>de</strong> certain;<br />

l'univers est Dieu et agit nécessairement; donc<br />

tout ce qui arrive est l'effet <strong>de</strong>s lois éternel<strong>le</strong>s et immuab<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong> la nature; tous admettaient pourtant l'existence<br />

<strong>de</strong>s esprits, sauf <strong>le</strong>s modifications ci-après. —<br />

Cette éco<strong>le</strong> se divise en métaphysiciens et physiciens;<br />

à la première division appartiennent Zenon et Empédoc<strong>le</strong>,<br />

dont on vient <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r. Zenon passe pour l'instituteur<br />

<strong>de</strong> cette dia<strong>le</strong>ctique qui, soutenant éga<strong>le</strong>ment<br />

<strong>le</strong> pour et <strong>le</strong> contre , donna naissance aux sophistes.<br />

Empédoc<strong>le</strong> croyait aux prodiges <strong>de</strong>s pythagoriciens et<br />

en opérait lui-môme. Parméni<strong>de</strong> paraît avoir pensé<br />

comme son maître : — <strong>l'homme</strong> ne saurait connaître la<br />

vérité pure; la raison et <strong>le</strong>s sens nous trompent. On<br />

voit déjà l'esprit humain pousser ici jusqu'à l'abus sa<br />

faculté <strong>de</strong> réfléchir et <strong>de</strong> raisonner.<br />

A la secte <strong>de</strong>s éléates physiciens appartiennent <strong>Le</strong>ucippe<br />

et Démocritc : <strong>le</strong> premier est l'auteur du système<br />

<strong>de</strong>s a<strong>tome</strong>s ; <strong>le</strong> second admet la divisibilité à l'infini <strong>de</strong><br />

corpuscu<strong>le</strong>s qui se meuvent, s'associent, forment <strong>de</strong>s<br />

masses <strong>de</strong> différentes configurations, source <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s<br />

événements du mon<strong>de</strong>, a<strong>tome</strong>s subtils, ténus, qui<br />

émanent <strong>de</strong>s corps, se répan<strong>de</strong>nt partout, pénètrent


AVEC LE DÉMON. 139<br />

jusqu'à l'âme et y forment <strong>de</strong>s figures représentatives<br />

<strong>de</strong> ces substances. Il admet <strong>de</strong>s natures qui ne se manifestent<br />

que dans <strong>le</strong>s ténèbres, composées aussi d'a<strong>tome</strong>s<br />

: plus instruits que nous, ayant une voix, prévoyant<br />

<strong>le</strong>s événements et <strong>le</strong>s annonçant quelquefois,<br />

disséminés dans l'air, <strong>le</strong>s uns font du mal aux hommes,<br />

d'autres sont bienfaisants. Ainsi donc, Démocrite admettait<br />

plusieurs espèces <strong>de</strong> dieux et <strong>de</strong> génies, et<br />

cependant il ne reconnaissait ni divinité ni âme spirituel<strong>le</strong>,<br />

n'admettant que <strong>de</strong>s unités corporel<strong>le</strong>s ; <strong>le</strong>s génies,<br />

l'âme humaine n'étaient pour lui que <strong>de</strong>s fantômes<br />

composés d'a<strong>tome</strong>s sphériques; <strong>le</strong>s molécu<strong>le</strong>s, sorties<br />

du corps, en reprenant <strong>le</strong>ur configuration, ont donné<br />

lieu à la croyance <strong>de</strong>s spectres... — Démocrite était<br />

sensualiste ; à ses yeux, jouir étant <strong>le</strong> souverain bien,<br />

il ne veut pas que nul<strong>le</strong> crainte puisse <strong>le</strong> troub<strong>le</strong>r.<br />

Tel<strong>le</strong> est l'idée qu'on peut se faire, après ce rapi<strong>de</strong><br />

exposé, <strong>de</strong>s premières sectes philosophiques qui, abandonnant<br />

<strong>le</strong>s traditions, ne s'attachèrent qu'à étudier<br />

<strong>de</strong>s faits et à consulter <strong>le</strong>ur raison.<br />

On voit surgir <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux éco<strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s <strong>de</strong> philosophes<br />

qui vont désormais se partager <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> : <strong>le</strong>s<br />

spiritualistes et <strong>le</strong>s matérialistes. — Tous croyaient à<br />

l'existence <strong>de</strong>s mêmes phénomènes; mais <strong>le</strong>s uns <strong>le</strong>s<br />

expliquèrent par l'action <strong>de</strong>s génies, <strong>de</strong>s esprits, d'autres<br />

par <strong>de</strong>s corpuscu<strong>le</strong>s émanés <strong>de</strong>s corps qui, pénétrant<br />

notre âme matériel<strong>le</strong>, y représentent <strong>de</strong>s formes. Ainsi,<br />

d'après Démocrite, <strong>le</strong>s dieux ressemb<strong>le</strong>nt à nos songes,<br />

et <strong>le</strong>s images qui pénètrent dans l'âme ne sont que <strong>de</strong>s<br />

corpuscu<strong>le</strong>s qui agissent, sur el<strong>le</strong> à peu près comme<br />

dans <strong>le</strong>s songes ; el<strong>le</strong>s pouvaient même prédire ou annoncer<br />

<strong>de</strong>s événements, car ces molécu<strong>le</strong>s, en se transportant<br />

au loin, peuvent révé<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s acci<strong>de</strong>nts lointains<br />

et cent autres événements. Il faut donc bien remarquer


140 DES iUPPOBTS DE L'HOMME<br />

que ces <strong>de</strong>ux éco<strong>le</strong>s ne nient point <strong>le</strong>s faits, mais <strong>le</strong>s<br />

expliquent différemment. A ces <strong>de</strong>ux éco<strong>le</strong>s, il faut<br />

joindre cel<strong>le</strong> qui dit que tout n'est peut-être que vaine<br />

apparence, qu'on ne peut rien affirmer, qu'il n'y a rien<br />

<strong>de</strong> certain.<br />

Nous pouvons donc déci<strong>de</strong>r que toutes <strong>le</strong>s sectes<br />

philosophiques qui ont existé et qui existent appartiennent<br />

à ces trois catégories. On n'a pu rien inventer;<br />

on a combiné tous <strong>le</strong>s systèmes, on a fait <strong>de</strong> l'éc<strong>le</strong>ctisme,<br />

mais on n'est point sorti hors <strong>de</strong> ces idées généra<strong>le</strong>s,<br />

<strong>le</strong> nec plus ultra <strong>de</strong> la puissance <strong>de</strong> l'esprit<br />

humain.<br />

Ce fut dans <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> Périclès surtout, sous ce<br />

grand général, discip<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'éco<strong>le</strong> <strong>de</strong> Zenon, dont on<br />

vient <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r, et d'Anaxagore, philosophe bizarre,<br />

qui fut accusé d'impiété, que la Grèce, qui s'était illustrée<br />

par <strong>le</strong>s armes, se signala dans <strong>le</strong>s sciences et <strong>le</strong>s<br />

arts. El<strong>le</strong> était alors à l'apogée <strong>de</strong> sa puissance. Certains<br />

phénomènes regardés jusque-là comme surnaturels<br />

vont être examinés, discutés <strong>avec</strong> tous <strong>le</strong>s moyens<br />

que fournit une haute civilisation : <strong>de</strong>s rhéteurs emploieront<br />

la dia<strong>le</strong>ctique pour soutenir <strong>le</strong>s opinions <strong>le</strong>s<br />

plus absur<strong>de</strong>s. Au moyen <strong>de</strong> sophismes cachés sous un<br />

sty<strong>le</strong> f<strong>le</strong>uri, ils nieront <strong>le</strong>s vérités <strong>le</strong>s mieux établies.<br />

On a dépeint <strong>le</strong>s sophistes comme <strong>de</strong>s discoureurs hardis,<br />

discutant sans fin, usant <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s ressources<br />

du langage pour faire en termes obscurs <strong>de</strong>s raisonnements<br />

sans solidité. On ne <strong>de</strong>vrait point par<strong>le</strong>r ici <strong>de</strong>s<br />

sophistes, s'ils n'avaient contribué à l'avènement <strong>de</strong> la<br />

philosophie en multipliant <strong>le</strong>s idées. Mais laissons ces<br />

philosophes pour arriver aux vrais philosophes.


AVEC LE DEMON.<br />

Socrate et set discip<strong>le</strong>s.<br />

Socrate, né 470 ans avant Jésus-Christ, fils <strong>de</strong> sculpteur<br />

et sculpteur lui-même, crut à une vocation divine.<br />

11 quitta Athènes et son ciseau, et, après avoir combattu<br />

vaillamment <strong>le</strong>s ennemis <strong>de</strong> la patrie, il attaqua<br />

<strong>le</strong>s sophistes, qu'il dévoila comme <strong>de</strong>s hommes sans<br />

conviction, <strong>de</strong>s impu<strong>de</strong>nts qui ne cherchent qu'à tromper<br />

par un langage subtil. La seu<strong>le</strong> raison suffit pour<br />

manifester <strong>le</strong>s contradictions <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs discours. C'est à<br />

el<strong>le</strong> seu<strong>le</strong> aussi qu'il s'adresse. Cherchant la vérité <strong>de</strong><br />

bonne foi, il dépouil<strong>le</strong> tout préjugé, suppose qu'il ne<br />

sait rien, et s'étudie lui-même pour connaître <strong>l'homme</strong>.<br />

Ni tranchant, ni décisif, doutant souvent, décidant rarement,<br />

Socrate laisse la physique pour se livrer aux<br />

étu<strong>de</strong>s mora<strong>le</strong>s. Il trouvait bon qu'on étudiât la nature,<br />

mais jusqu'au point où son étu<strong>de</strong> est uti<strong>le</strong>; il blâmait<br />

<strong>le</strong>s spéculations <strong>de</strong> pure curiosité, et <strong>le</strong>s philosophes<br />

plus occupés à subtiliser qu'à rechercher <strong>le</strong> vrai. Il<br />

crut, on donnera plus tard la raison <strong>de</strong> cette affirmation,<br />

il crut certainement qu'il était inspiré par un génie;<br />

s'il rejette <strong>le</strong>s dieux du polythéisme tels que <strong>le</strong>s<br />

fab<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s présentent, s'il croit à l'unité <strong>de</strong> Dieu et<br />

s'il défend <strong>de</strong> trop approfondir ces matières, <strong>de</strong> peur<br />

qu'on ne tombe dans <strong>de</strong>s idées extravagantes, il croit<br />

fermement à ce qui lui paraît certain et <strong>démon</strong>tré,<br />

c'est-à-dire à la divination, aux présages, à l'existence<br />

<strong>de</strong>s génies qui nous avertissent <strong>de</strong>s périls qui nous menacent,<br />

etc. « Socrate ayant tout pesé <strong>avec</strong> ce jugement<br />

« droit et fixe qui a mis sa gloire au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> cel<strong>le</strong><br />

« <strong>de</strong>s plus grands hommes », dit <strong>Le</strong> Batteux (t. 57 <strong>de</strong><br />

YAcad. roy. <strong>de</strong>siixscript. et bel<strong>le</strong>s-<strong>le</strong>ttres), il mérite qu'on<br />

examine ses sentiments sur <strong>le</strong>s esprits et <strong>le</strong>ur interven-


DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

tion et sur la cause première, Dieu. 11 distingue <strong>de</strong>ux<br />

objets dans l'explication <strong>de</strong>s causes : 4° la cause qui<br />

meut vers certaine fin ; 2" l'objet qui, sous l'action <strong>de</strong><br />

la première cause, communique <strong>le</strong> mouvement. <strong>Le</strong>s<br />

autres philosophes imaginaient <strong>de</strong>s éthers, <strong>de</strong>s eaux,<br />

<strong>de</strong>s airs pour premier principe <strong>de</strong> causalité ; Socrate<br />

était loin <strong>de</strong> défendre <strong>de</strong> rechercher <strong>le</strong>s lois physiques,<br />

mais trouvait mauvais qu'on oubliât la cause première<br />

pour s'arrêter aux causes instrumenta<strong>le</strong>s; il condamnait<br />

cet effort ridicu<strong>le</strong> fait par <strong>le</strong>s philosophes pour expliquer,<br />

par <strong>le</strong>s causes mécaniques, la production <strong>de</strong> tous<br />

<strong>le</strong>s phénomènes. 11 eut plusieurs discip<strong>le</strong>s : — Platon<br />

fut spiritualistc ; Aristote, son discip<strong>le</strong>, fut fortement<br />

suspect <strong>de</strong> matérialisme. ÎNe pouvant citer toujours littéra<strong>le</strong>ment<br />

quelques passages <strong>de</strong> Platon, on rapportera<br />

substantiel<strong>le</strong>meut ses pensées, ainsi que cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Socrate<br />

.<br />

Socrate et Platon.<br />

Ni l'obscurité ni <strong>le</strong>s contradictions ne font défaut<br />

dans <strong>le</strong>s œuvres <strong>de</strong> Platon, qui nous a fait connaître<br />

Socrate.<br />

Il est manifeste que Socrate croyait aux dieux ; il<br />

s'est défendu <strong>de</strong> l'accusation <strong>de</strong> n'y pas croire. « N'estil<br />

pas vrai que j'admets <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s enfants <strong>de</strong>s dieux?<br />

dit-il à Mélitus, et qui pourrait croire qu'il y a <strong>de</strong>s en- 1<br />

fants <strong>de</strong>s dieux et qu'il n'y a pas <strong>de</strong> dieux ! » (Apologie.)<br />

Socrate croyait aux inspirations, soit en songe, soit<br />

pendant la veil<strong>le</strong>. 11 dit dans <strong>le</strong> Criton qu'il a vu en<br />

songe une bel<strong>le</strong> femme... D'après sa prédiction, qu'il<br />

trouve très-claire, quoique énigmatique, il doit mourir<br />

dans trois jours.<br />

« L'âme a une puissance prophétique. » (Phèdre.)


AVEC LE DÉMON. U3<br />

« La partie qui est auprès du foie, <strong>de</strong>venue tranquil<strong>le</strong><br />

pendant <strong>le</strong> sommeil, reçoit en songe <strong>de</strong>s avertissements,<br />

parce qu'el<strong>le</strong> est privée <strong>de</strong> raison et <strong>de</strong> sagesse...<br />

Ceux qui nous ont formés, se souvenant <strong>de</strong><br />

l'ordre que <strong>le</strong>ur avait donné <strong>le</strong>ur père..., accordèrent<br />

à cette partie la divination... » (Timée.)<br />

Ce qui prouve à Socrate que Dieu n'a donné à<br />

<strong>l'homme</strong> la divination que pour suppléer à la raison,<br />

c'est que nul homme sain d'esprit ne la possè<strong>de</strong> dans<br />

toute sa vérité, si ce n'est en songe, quand l'intelligence<br />

est suspendue, ou quand el<strong>le</strong> est égarée par la<br />

maladie ou l'enthousiasme. (Timée.)<br />

Ces expressions prouvent-el<strong>le</strong>s que Socrate et Platon<br />

reconnaissaient que l'âme avait une puissance prophétique?<br />

On ne <strong>le</strong> pense pas.<br />

Socrate dit à Diotime : « Dieu ne se manifeste point<br />

immédiatement à <strong>l'homme</strong> ; c'est par l'intermédiaire<br />

<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s que <strong>le</strong>s dieux commercent <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s hommes,<br />

soit dans la veil<strong>le</strong>, soit pendant <strong>le</strong> sommeil. Celui qui<br />

est savant dans ces choses est un <strong>démon</strong>iaque ou<br />

inspiré... » (<strong>Le</strong> Bcmqitet.)<br />

Nous savons que, averti par une voix, il exerçait<br />

une sorte <strong>de</strong> divination ; aussi Hermogène lui disait :<br />

«Il semb<strong>le</strong> que tu ren<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s comme <strong>le</strong>s inspirés»<br />

(Crutylé) (c'est-à-dire comme ceux qui par<strong>le</strong>nt<br />

sous l'influx divin). Ces inspirés disaient <strong>de</strong>s choses<br />

vraies et bel<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> l'aveu <strong>de</strong> Socrate et Platon, qui, sachant<br />

aussi qu'ils prédisaient <strong>de</strong>s choses vraies, disait<br />

cependant : « Ils ne savent aucune <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s dont ils<br />

par<strong>le</strong>nt. » (31énon.)<br />

Dans ce qui nous reste à dire, tout prouve que<br />

Socrate n'attribuait pas la divination à une faculté <strong>de</strong><br />

l'âme, mais à une inspiration divine.<br />

La faculté divinatrice étant une sorte <strong>de</strong> grâce, tous


144 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

n'en jouissaient pas; el<strong>le</strong> était accordée aussi quelquefois<br />

à ceux qui n'étaient ni endormis ni mala<strong>de</strong>s.<br />

« La faveur cé<strong>le</strong>ste, disait Socrate, m'a accordé un<br />

don merveil<strong>le</strong>ux qui <strong>de</strong>puis mon enfance ne m'a pas<br />

quitté; c'est une voix, etc. » Accusé d'introduire <strong>de</strong><br />

nouvel<strong>le</strong>s divinités, il s'en plaint : « Est-ce donc,<br />

dit-il à ses juges, parce que j'entends une voix qui<br />

m'avertit. » Il n'a rien dit <strong>de</strong> nouveau On consulte<br />

<strong>le</strong> chant <strong>de</strong>s oiseaux, <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s inopinées... <strong>le</strong> bruit<br />

du tonnerre, qui est certainement un grand augure... »<br />

C'est par la voix que la pythie rend ceux qu'el<strong>le</strong> tient du<br />

dieu... Si <strong>le</strong>s dieux communiquent <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s mortels par<br />

ces divers moyens, ils <strong>le</strong> peuvent aussi par <strong>de</strong>s voix... »<br />

« Que <strong>le</strong>s dieux sachent l'avenir et <strong>le</strong> révè<strong>le</strong>nt à qui<br />

il <strong>le</strong>ur plaît, tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> <strong>le</strong> dit et <strong>le</strong> croit <strong>de</strong> même<br />

que moi. » Il va plus loin ; n'ignorant pas que quelques-uns<br />

regardaient cela comme naturel, il dit :<br />

« Qu'on appel<strong>le</strong> augure, paro<strong>le</strong>s fortuites, présages <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>vin, ce dont ils tirent ces connaissances; moi, je<br />

l'appel<strong>le</strong> dieu ou <strong>démon</strong>, et je pense m'exprimer d'une<br />

manière plus vraie que ceux qui attribuent aux oiseaux<br />

un don propre aux dieux. » (Xénophon, Apol.)<br />

Ce que rapportent Xénophon, Simmias, <strong>de</strong> cette<br />

voix, prouve que cel<strong>le</strong> que Socrate croyait entendre<br />

ressemblait à un phénomène dont <strong>le</strong> moyen âge et <strong>le</strong>s<br />

sièc<strong>le</strong>s suivants offrent plusieurs exemp<strong>le</strong>s<br />

« Tout ce que je viens <strong>de</strong> dire, disait Socrate, il<br />

me semb<strong>le</strong> que je l'entends, et <strong>le</strong> son <strong>de</strong> ces paro<strong>le</strong>s<br />

résonne si fort à mon oreil<strong>le</strong> qu'il m'empêche d'entendre<br />

tout ce qu'on me dit ail<strong>le</strong>urs... » « Écoutezmoi<br />

en si<strong>le</strong>nce, » disait-il à Phèdre, « ce lieu a quelque<br />

chose <strong>de</strong> divin, et si <strong>le</strong>s nymphes qui l'habitent<br />

1. Jeanne «l'Arc, <strong>le</strong> Tasse, etc.


AVEC LE DÉMON. 145<br />

me causaient quelque transport frénétique, il ne faudrait<br />

pas s'en étonner... » (Phèdre.)<br />

11 dit ail<strong>le</strong>urs : « J'ai senti <strong>le</strong> signal qui m'est familier,<br />

j'ai cru entendre une voix qui me défendait <strong>de</strong><br />

partir.» N'ayant pas vu d'apparitions, il ne pensait<br />

pas que <strong>le</strong>s dieux apparussent, mais il écoutait attentivement<br />

ceux qui disaient avoir entendu une voix et<br />

<strong>le</strong>s questionnait <strong>avec</strong> empressement. Il dit ail<strong>le</strong>urs<br />

qu'il ne peut être compté pour un sage, rien ne vient<br />

<strong>de</strong> lui. (Apolog.)<br />

Ceux qui l'approchaient s'apercevaient <strong>de</strong> ses colloques.<br />

Car il s'isolait, pour être tout entier à la<br />

voix qui lui parlait, il s'arrêtait... : « Laissez-<strong>le</strong>, »<br />

disait Aristodème, « il lui arrive souvent <strong>de</strong> s'arrêter<br />

ainsi, ne <strong>le</strong> troub<strong>le</strong>z pas, ne vous occupez<br />

pas <strong>de</strong> lui. » — Plusieurs autres passages prouvent<br />

ainsi que Socrate était convaincu qu'un génie lui<br />

parlait, et que ses discip<strong>le</strong>s partageaient ses convictions.<br />

On n'exposera pas ici ce que Platon dit dans <strong>le</strong><br />

Timêe sur <strong>le</strong>s premières causes, sur l'intelligence,<br />

cause <strong>de</strong> tout ce qui se fait <strong>avec</strong> plan et <strong>de</strong>ssein, c'està-dire<br />

dieu; sur la nécessité, cause <strong>de</strong> ce qui résulte<br />

particulièrement <strong>de</strong> la nature <strong>de</strong>s corps, sur l'âme <strong>de</strong><br />

l'univers, sur l'âme <strong>de</strong> chaque astre, grave question,<br />

qu'il examine encore dans <strong>le</strong> traité <strong>de</strong>s Lois (IV). —<br />

«Si c'est une âme, dit-il, qui dirige <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, el<strong>le</strong> est<br />

<strong>de</strong>dans, et meut ce corps sphérique comme notre âme<br />

meut notre corps...; ou bien el<strong>le</strong> se donne un corps<br />

étranger, soit <strong>de</strong> feu, soit d'air, dont el<strong>le</strong> se sert pour<br />

mouvoir <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il..., ou, dégagée <strong>de</strong> corps, el<strong>le</strong> dirige <strong>le</strong>s<br />

astres par tout autre moyen admirab<strong>le</strong>; mais, quelque<br />

voie qu'el<strong>le</strong> prenne, on doit la regar<strong>de</strong>r comme une<br />

divinité. Ce serait <strong>le</strong> comb<strong>le</strong> <strong>de</strong> la folie <strong>de</strong> penser<br />

t i a


146 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

autrement. Quant aux autres astres, on doit dire aussi<br />

que ce sont <strong>de</strong>s dieux... —• L'univers en est donc<br />

p<strong>le</strong>in?... — Nul n'est assez insensé pour nier cela,»<br />

répond Clinias.<br />

Dieu, est-il dit dans <strong>le</strong> même traité (IV), a préposé<br />

<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s pour nous gouverner, etc.<br />

Certainement c'était <strong>le</strong> bien petit nombre qui eût<br />

mérité <strong>le</strong> titre d'insensé que Clinias donne à ceux qui<br />

douteraient que l'univers fût p<strong>le</strong>in <strong>de</strong> dieux ou <strong>de</strong><br />

génies. Aussi Platon, comme on l'a vu, recommandait<br />

expressément la foi aux traditions et aux récits <strong>de</strong>s<br />

anciens, qui <strong>le</strong>s avaient reçus <strong>de</strong>s dieux eux-mêmes.<br />

— Il ne s'agit pas ici d'examiner <strong>le</strong>s motifs <strong>de</strong> cette<br />

foi, il en est peu qui ne l'eussent point. La saine<br />

philosophie n'y avait porté nul<strong>le</strong> atteinte sérieuse,<br />

quoiqu'el<strong>le</strong> eût déjà attaqué bien <strong>de</strong>s croyances. Mais<br />

Platon ne craint pas <strong>de</strong> dire qu'Homère, Hésio<strong>de</strong>, etc.,<br />

ont débité sur <strong>le</strong>s dieux <strong>le</strong>s plus monstrueux mensonges:<br />

Ce serait <strong>de</strong>s vérités, dit-il, qu'il faudrait <strong>le</strong>s<br />

taire. Il blâme Homère et Eschy<strong>le</strong> d'avoir dit que<br />

<strong>le</strong>s dieux envoient <strong>de</strong>s songes trompeurs, qu'ils prennent<br />

diiFérentes formes pour errer pendant la nuit....<br />

Car c'est accuser <strong>le</strong>s dieux d'impostures et <strong>de</strong> mensonges.<br />

Comme la divinité no peut mentir, on ne dira<br />

pas dans sa république qu'el<strong>le</strong> trompe, soit pendant la<br />

veil<strong>le</strong>, soit dans <strong>le</strong> sommeil. On rejettera toutes <strong>le</strong>s<br />

infamies attribuées aux dieux, d'un si mauvais exemp<strong>le</strong><br />

pour l'enfance qui ne comprend pas <strong>le</strong>s allégories.<br />

On rejettera aussi <strong>le</strong>s noms <strong>de</strong> Cocyte et <strong>de</strong> Styx, qui<br />

causent do l'effroi, parce que la peur amollit <strong>le</strong> courage.<br />

(La République, IV.)<br />

La raison rejette tous <strong>le</strong>s discours étranges qu'on<br />

fait sur <strong>le</strong>s dieux. <strong>Le</strong>s <strong>de</strong>vins assiègent <strong>le</strong>s portes <strong>de</strong>s<br />

grands et <strong>le</strong>ur persua<strong>de</strong>nt qu'ils ont obtenu <strong>de</strong>s dieux


AVEC LE DÉMON. 147<br />

par <strong>de</strong>s charmes, <strong>de</strong>s sacrifices, etc., <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong><br />

remettre <strong>le</strong>s crimes.<br />

Ils se vantent <strong>de</strong> pouvoir nuire aux ennemis, <strong>de</strong> contraindre<br />

<strong>le</strong>s dieux par certains secrets. Ce n'est pas seu<strong>le</strong>ment<br />

<strong>le</strong> vulgaire qui <strong>le</strong> croit, mais <strong>le</strong>s hommes <strong>le</strong>s<br />

plus illustres... continue Platon. (La République, II.)<br />

Dans <strong>le</strong> dixième livre <strong>de</strong>s Lois, il dit qu'on punira<br />

ceux qui font accroire qu'ils savent évoquer <strong>le</strong>s âmes<br />

<strong>de</strong>s morts, charmer, fléchir <strong>le</strong>s dieux, renverser <strong>le</strong>s<br />

fortunes.<br />

On fera une loi contre <strong>le</strong>s superstitieux, il n'y<br />

aura d'autres sacrifices que ceux permis par <strong>le</strong>s lois;<br />

ni chapel<strong>le</strong>s, ni sacrifices particuliers aux génies<br />

qu'on aurait vus <strong>le</strong> jour ou la nuit. <strong>Le</strong>s apparitions<br />

étant fréquentes et donnant naissance à <strong>de</strong> nouveaux<br />

cultes, Platon punira <strong>le</strong>s auteurs et prendra <strong>de</strong>s mesures<br />

sévères pour que <strong>le</strong> culte soit purgé <strong>de</strong> ces absurdités<br />

et ne soit plus altéré. (Ib.)<br />

11 y a <strong>de</strong>ux espèces <strong>de</strong> maléfices dont la distinction<br />

semb<strong>le</strong> embarrasser Platon : ceux qui émanent d'hommes<br />

qui nuisent par <strong>de</strong>s moyens naturels, et ceux<br />

<strong>de</strong>s gens qui emploient <strong>le</strong>s charmes et <strong>le</strong>s ligatures. « Il<br />

est diffici<strong>le</strong>, dit-il, <strong>de</strong> savoir au juste ce qu'il y a <strong>de</strong><br />

vrai dans tout cela, et, quand on <strong>le</strong> saurait, il serait<br />

diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> convaincre <strong>le</strong>s esprits prévenus <strong>de</strong> ne pas<br />

s'inquiéter <strong>de</strong>s figures <strong>de</strong> cire qu'on place sous <strong>le</strong>s<br />

seuils et <strong>de</strong> <strong>le</strong>s mépriser, parce qu'ils croient à la<br />

vertu <strong>de</strong>s maléfices. Pourtant il invite à mépriser<br />

<strong>le</strong>s uns et <strong>le</strong>s autres, pour ne pas effrayer <strong>le</strong>s gens<br />

timi<strong>de</strong>s. »<br />

Celui qui emploie <strong>de</strong>s drogues, s'il n'est pas mé<strong>de</strong>cin,<br />

ne connaît pas <strong>le</strong>urs effets sur <strong>le</strong> corps; celui<br />

qui se sert <strong>de</strong> charmes ne peut <strong>de</strong> même <strong>le</strong>s connaître,<br />

s'il n'est versé dans la divination ou dans l'art


148 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

d'observer <strong>le</strong>s prodiges; celui qui se sera servi d'enchantements,<br />

s'il est <strong>de</strong>vin, sera puni <strong>de</strong> mort; s'il ne<br />

l'est pas, <strong>le</strong> tribunal déci<strong>de</strong>ra. — Platon expose ainsi<br />

<strong>le</strong>s sentiments d'une saine philosophie dans ces divers<br />

passages : Ruiner <strong>le</strong>s superstitions, préserver <strong>le</strong> culte<br />

<strong>de</strong> toute altération, détruire <strong>le</strong>s idées outrageuses<br />

qu'on avait <strong>de</strong>s dieux. Ce but était excel<strong>le</strong>nt.... —<br />

Croire enfin à tout ce que la tradition enseigne à moins<br />

d'être insensé, etc..— Mais il est fâcheux que ce<br />

philosophe n'ait point prouvé que <strong>le</strong>s croyances superstitieuses<br />

étaient aussi vaines qu'el<strong>le</strong>s étaient funestes,<br />

et que ces pensées qu'on avait <strong>de</strong>s dieux ne<br />

s'appuyaient sur rien ; il a fait voir combien ces opinions<br />

populaires étaient fâcheuses pour la société,<br />

mais il n'en a point <strong>démon</strong>tré la vanité. Et en vérité,<br />

l'aurait-il pu? el<strong>le</strong>s étaient non moins soli<strong>de</strong>ment<br />

établies que cel<strong>le</strong>s du culte, tel<strong>le</strong>ment confondues<br />

<strong>avec</strong> ces croyances, qu'en renversant <strong>le</strong>s unes on attaquait<br />

<strong>le</strong>s autres. Car el<strong>le</strong>s s'appuyaient sur <strong>de</strong>s faits<br />

non moins certains.<br />

D'après <strong>le</strong>s doutes que Platon semb<strong>le</strong> avoir eus du<br />

pouvoir <strong>de</strong>s magiciens, doit-on penser qu'il refuse ce<br />

même pouvoir aux prêtres et aux <strong>de</strong>vins?— Il n'est<br />

pas disposé à penser que <strong>le</strong>s dieux l'aient accordé<br />

aux méchants, aux gens sans aveu, qui n'appartiennent<br />

point au sacerdoce. Mais, en disant que l'enchanteur<br />

ne peut connaître la vertu <strong>de</strong>s charmes s'il n'est<br />

versé dans la divination, c'était admettre que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins,<br />

<strong>le</strong>s prêtres reconnus par l'État, possédaient cette<br />

science.<br />

Mais <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins n'étaient pas tous prêtres : ainsi<br />

Clinias, par exemp<strong>le</strong> (<strong>le</strong>s Lois, III), en parlant d'Épiméni<strong>de</strong>,<br />

dit : Cet homme, qui n'est véritab<strong>le</strong>ment<br />

que d'hier, surpasse <strong>le</strong>s plus habi<strong>le</strong>s. — Qu'était-ce


AVEC LE DÉMON. 149<br />

donc qu'Épiméni<strong>de</strong>? Un prophète crétois, un <strong>de</strong>vin<br />

guérissant, opérant <strong>de</strong>s prodiges, qui, étranger au sacerdoce<br />

, d'abord berger, puis thaumaturge, avait<br />

prédit que <strong>le</strong>s Perses, dont on regardait l'invasion<br />

comme prochaine, ne viendraient que dix ans après;<br />

puis, qu'ayant échoué dans <strong>le</strong>urs entreprises, ils s'en<br />

retourneraient, ayant fait moins <strong>de</strong> mal aux Grecs<br />

qu'ils n'en auraient reçu... Épiméni<strong>de</strong> avait délivré<br />

<strong>le</strong>s Athéniens d'un fléau épouvantab<strong>le</strong>, <strong>de</strong> l'apparition<br />

<strong>de</strong> furies qui causaient la mort d'une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

victimes, etc. Platon ne nie point tant <strong>de</strong> merveil<strong>le</strong>s,<br />

sans doute el<strong>le</strong>s ne sont refusées qu'aux méchants et<br />

non aux amis <strong>de</strong>s dieux. Quoique étrangers au sacerdoce,<br />

ces <strong>de</strong>vins peuvent donc opérer <strong>de</strong>s prodiges<br />

bienfaisants; mais s'ils en opéraient <strong>de</strong> malfaisants,<br />

ils seraient punis <strong>de</strong> mort. —N'est-ce pas reconnaître<br />

qu'il existe <strong>de</strong>s gens qui, n'étant point prêtres, ont <strong>le</strong><br />

pouvoir <strong>de</strong> maléficier? — Alors est-il donc si faci<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

mépriser <strong>le</strong>s charmes et <strong>le</strong>s ligatures? Malgré l'obscurité<br />

<strong>de</strong> ces passages <strong>de</strong> Platon, il ne semb<strong>le</strong> pas<br />

douteux qu'il ait pensé que <strong>le</strong>s méchants pussent<br />

maléficier et que ce pouvoir ne <strong>le</strong>ur fût donné par<br />

<strong>le</strong>s dieux, mais il ne fallait pas « effrayer <strong>le</strong>s gens<br />

timi<strong>de</strong>s. »<br />

11 est évi<strong>de</strong>nt que Platon pense que <strong>le</strong>s dieux accor<strong>de</strong>nt<br />

à certains hommes <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong>s fléchir, <strong>de</strong><br />

prédire, <strong>de</strong> guérir, etc. — « Un saint délire s'empare<br />

quelquefois <strong>de</strong> quelques mortels, dit-il, lorsque <strong>le</strong>s<br />

dieux envoient <strong>de</strong>s maladies ou <strong>de</strong>s fléaux. Il <strong>le</strong>s rend<br />

prophètes et <strong>le</strong>ur révè<strong>le</strong> <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s {Phèdre). Il recomman<strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>s cérémonies pour obtenir la protection<br />

<strong>de</strong>s dieux... Après avoir communiqué <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux<br />

<strong>de</strong> l'Olympe par <strong>le</strong>s sacrifices et <strong>le</strong>s prières, il faut, ditil,<br />

honorer <strong>le</strong>s dieux souterrains; <strong>le</strong> sage doit rendre un


160 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

culte convenab<strong>le</strong> aux <strong>démon</strong>s... Ail<strong>le</strong>urs (<strong>le</strong>s Lois, IV),<br />

il dit que <strong>le</strong> sacrifice sera renvoyé au douzième mois,<br />

assigné à Pluton ; il ne faut pas avoir d'aversion pour ce<br />

dieu, il faut l'honorer comme <strong>le</strong> bienfaiteur du genre<br />

humain (Ib., VIII). — Pour Platon, comme pour <strong>le</strong>s<br />

initiés, Pluton était <strong>le</strong> même dieu que Jupiter.<br />

Lorsqu'il dit que <strong>le</strong>s dieux ne prennent pas différentes<br />

formes pour apparaître pendant la nuit, il n'entend<br />

probab<strong>le</strong>ment par<strong>le</strong>r que <strong>de</strong>s apparitions aux superstitieux<br />

et <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs révélations trompeuses; car il croit<br />

aux apparitions divines. On lit dans <strong>le</strong> Timée que Dieu<br />

parla aux dieux qui bril<strong>le</strong>nt dans <strong>le</strong>s astres et à ceux<br />

qui n'apparaissent que lorsqu'il <strong>le</strong>ur plaît, etc. — Il y<br />

en a donc qui apparaissent quelquefois.<br />

Xénophon n'attribue point à la puissance prophétique<br />

<strong>de</strong> l'âme <strong>de</strong> Socrate ce phénomène <strong>de</strong> divination<br />

qu'on a signalé chez lui. 11 avouait franchement, dit-il,<br />

qu'un <strong>démon</strong> <strong>le</strong> conseillait; assez souvent il instruisait<br />

8es[amis <strong>de</strong> ce qu'ils <strong>de</strong>vaient ou ne <strong>de</strong>vaient pas faire,<br />

suivant ce qu'il en avait appris <strong>de</strong> son <strong>démon</strong> ; il ajoute<br />

que ceux qui <strong>le</strong> croyaient s'en trouvaient bien, que<br />

ceux qui ne l'écoutaicnt pas s'en repentaient. (Xénoph.,<br />

Hes memor.)<br />

Quand il croyait que <strong>le</strong>s dieux l'avaient averti <strong>de</strong><br />

faire quelque chose, on ne pouvait l'en empêcher, il<br />

regardait <strong>avec</strong> mépris la pru<strong>de</strong>nce humaine quand il la<br />

comparait à la sagesse divine.<br />

Hermogène l'engage à se concilier la bienveillance<br />

<strong>de</strong> ses juges... — Il répond qu'ayant médité <strong>de</strong>ux fois<br />

quelque chose pour se défendre, son <strong>démon</strong> s'y est opposé...<br />

«Peut-être <strong>le</strong> Dieu, par un effet <strong>de</strong> sa bonté,<br />

m'invite-t-il à terminer mes jours non-seu<strong>le</strong>ment dans<br />

<strong>le</strong> moment <strong>le</strong> plus favorab<strong>le</strong> <strong>de</strong> ma vie, mais <strong>de</strong> la manière<br />

la plus douce. »


AVEC LE DÉMON.<br />

Il publiait partout qu'il recevait <strong>de</strong>s conseils d'une<br />

divinité. Socrate ne croyait pas, selon Simmias, que<br />

<strong>le</strong>s dieux se montrent, mais qu'ils par<strong>le</strong>nt aux hommes.<br />

— Simmias dit qu'il a été souvent présent quand Socrate<br />

manifestait cette opinion, « ce qui nous donnait<br />

à penser, ajoute-t-il, que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> <strong>de</strong> Socrate<br />

n'était pas une vision, mais un sentiment <strong>de</strong> voix et<br />

une intelligence <strong>de</strong> paro<strong>le</strong>s qui venaient <strong>le</strong> toucher<br />

d'une manière incompréhensib<strong>le</strong> (Plut., De gen.<br />

Socr.) »<br />

Cependant plusieurs ont soutenu que Socrate et ses<br />

discip<strong>le</strong>s ne croyaient pas à une voix divine. S'il était<br />

permis <strong>de</strong> s'étendre davantage au lieu <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s<br />

citations tronquées, on verrait, du moins nous <strong>le</strong> pensons,<br />

que tout prouve <strong>le</strong> contraire. En parlant ainsi,<br />

on ne prétend pas vouloir expliquer <strong>le</strong> phénomène,<br />

mais dire seu<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s <strong>avec</strong> <strong>le</strong>ur maître<br />

l'attribuaient à un <strong>démon</strong> qui révélait à Socrate l'avenir,<br />

<strong>le</strong>s choses cachées, et lui donnait <strong>de</strong>s conseils<br />

fort uti<strong>le</strong>s; on espère <strong>le</strong> prouver mieux ail<strong>le</strong>urs. Donc,<br />

en attendant, on doit penser que Socrate et <strong>le</strong>s platoniciens<br />

admettaient <strong>le</strong>s songes, la divination par l'inspiration,<br />

l'intervention <strong>de</strong>s dieux ou génies, <strong>le</strong>s guérisons,<br />

etc., etc. Si Platon refuse aux prétendus <strong>de</strong>vins<br />

<strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> contraindre <strong>le</strong>s dieux par <strong>le</strong>urs conjurations...,<br />

s'il prétend qu'ils n'ont pu recevoir <strong>de</strong> ces<br />

dieux <strong>de</strong>s révélations mensongères, etc., c'est que<br />

Platon, ayant une haute idée <strong>de</strong> la divinité, ne pouvait<br />

croire <strong>le</strong>s infamies qu'on lui prêtait; il ne voulait pas<br />

que <strong>le</strong>s dieux fussent plus infâmes que <strong>le</strong>s hommes <strong>le</strong>s<br />

plus scélérats; ainsi <strong>le</strong> décidait la philosophie du bon<br />

sens, qui cependant ne cessait <strong>de</strong> croire au merveil<strong>le</strong>ux<br />

du culte <strong>de</strong>s Gentils, parce que <strong>le</strong>s faits l'y contraignaient.<br />

Si un philosophe <strong>le</strong>ur eût dit : Vos dieux


DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

ne sont que <strong>de</strong>s esprits déchus, ennemis <strong>de</strong> Dieu,<br />

auquel ils veu<strong>le</strong>nt se substituer, ennemis <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong><br />

qu'ils veu<strong>le</strong>nt tromper, <strong>le</strong>s platoniciens auraient compris<br />

<strong>le</strong> prétendu pouvoir <strong>de</strong>s magiciens, et que <strong>de</strong> tel?<br />

dieux pouvaient tromper et faire <strong>de</strong>s infamies; mais il<br />

n'appartenait qu'aux livres sacrés <strong>de</strong>s Juifs et ensuite<br />

à ceux <strong>de</strong>s chrétiens <strong>de</strong> faire une semblab<strong>le</strong> révélation.<br />

Aristote.<br />

En parlant <strong>de</strong>s causes, <strong>le</strong> chef <strong>de</strong>s péripatéticiens<br />

s'inquiète peu <strong>de</strong> Dieu, la première <strong>de</strong> toutes. Livré<br />

exclusivement à l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la nature, il paraît vouloir<br />

lui attribuer un pouvoir illimité; il confond <strong>le</strong> surnaturel<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong> naturel, ou plutôt il pense qu'il y a dans la<br />

nature <strong>de</strong>s propriétés qu'on peut <strong>démon</strong>trer et d'autres<br />

qui échappent à la <strong>démon</strong>stration ; d'ail<strong>le</strong>urs on ne sait<br />

trop ce qu'il entend par nature. Son raisonnement surun<br />

premier moteur, origine du mouvement, malgré son<br />

obscurité, laisse entrevoir <strong>le</strong> matérialisme <strong>de</strong> sa doctrine<br />

. On ne sait ce qu'on doit entendre par <strong>le</strong> dieu d'Aristote,<br />

qui admet cependant <strong>de</strong>s intelligences inférieures;<br />

il paraît que son moteur est intelligent, puisqu'il a créé<br />

<strong>de</strong>s intelligences préposées pour conserver l'harmonie<br />

du mon<strong>de</strong>; selon lui, la matière était inerte avant que<br />

<strong>le</strong> premier moteur en tirât l'univers, mais on ne voit<br />

pas que ce moteur ait eu un plan, comme Platon <strong>le</strong> pensait.<br />

Qu'on l'appel<strong>le</strong> Dieu ou premier moteur, il ne<br />

semb<strong>le</strong> être enfin dans la pensée d'Aristote qu'un être<br />

spéculatif, <strong>le</strong> même que la nature, force physique, vivante,<br />

universel<strong>le</strong>, mais aveug<strong>le</strong>.<br />

Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> dire qu'Aristote méprise <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong> la<br />

mythologie.


AVEC LE DÉMON. 153<br />

, Que pensait ce matérialiste <strong>de</strong>s diverses divinations ?<br />

Ce sujet l'embarrasse. Si Socrate et Platon pensent que<br />

<strong>le</strong>s songes viennent <strong>de</strong>s dieux, Aristote ne <strong>le</strong> croit pas;<br />

son motif, c'est parce qu'ils ne <strong>le</strong>s enverraient qu'aux<br />

plus sages, aux plus vertueux, tandis qu'il est constant<br />

qu'ils <strong>le</strong>s envoient indistinctement à tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> ; ce<br />

qui ne l'empêche pas <strong>de</strong> dire que <strong>le</strong>s plus habi<strong>le</strong>s mé<strong>de</strong>cins<br />

en recomman<strong>de</strong>nt l'examen. Il ne voit, dans<br />

certains songes, qu'un pronostic naturel d'affections<br />

qu'on oublie pendant <strong>le</strong> jour.<br />

<strong>Le</strong>s songes, dit-il, ne peuvent être envoyés par <strong>le</strong>s<br />

dieux, parce qu'il y a <strong>de</strong>s animaux qui songent. (Divin,<br />

dans <strong>le</strong> somm.)<br />

<strong>Le</strong>s hommes <strong>le</strong>s plus vils prévoient l'avenir et ont<br />

aussi <strong>de</strong>s songes ; ainsi <strong>le</strong>ur nature n'est donc pas divine,<br />

mais <strong>démon</strong>iaque.<br />

Cette expression veut-el<strong>le</strong> dire que <strong>le</strong>s songesviennent<br />

<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s ? On pourrait <strong>le</strong> penser. — D'après <strong>le</strong> Timée,<br />

<strong>le</strong>s hommes n'ayant point été créés par Dieu, mais<br />

par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, par <strong>le</strong>s intelligences, cel<strong>le</strong>s-ci pouvaient<br />

donc <strong>le</strong>ur envoyer <strong>de</strong>s songes. Mais Aristote ne<br />

partageait pas <strong>le</strong> sentiment <strong>de</strong> Platon sur la nature <strong>de</strong>s<br />

intelligences. <strong>Le</strong>s songes émanent d'un être intelligent<br />

qui, n'étant pas ce Dieu premier moteur, n'est peutêtre<br />

que ce simulacre, cette ombre dont il a été parlé<br />

au chapitre <strong>de</strong> la nécromancie, âme, nature, psyché,<br />

pneuma, qui prési<strong>de</strong> à l'économie et dirige tout pour la<br />

conservation ; ce n'est plus la nature, force universel<strong>le</strong>,<br />

mais individuel<strong>le</strong>. — Ceci exigerait, sans doute, plus<br />

<strong>de</strong> développement ; la discussion <strong>de</strong> ce sujet se présentant<br />

ail<strong>le</strong>urs pourra l'éclaircir.<br />

Quoi qu'il en soit, Aristote admet une divination par<br />

<strong>le</strong>s songes : « Qu'il existe, dit-il, une divination<br />

qui se manifeste par <strong>le</strong>s songes, c'est ce qu'il n'est pas


154 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

plus faci<strong>le</strong> <strong>de</strong> croire que <strong>de</strong> nier <strong>avec</strong> mépris. Si tous,<br />

ou au moins <strong>le</strong> plus grand nombre, pensent que <strong>le</strong>s<br />

songes ont une signification, c'est une preuve qu'ils se<br />

sont fondés sur l'expérience. »<br />

Aristote essaye <strong>de</strong> l'expliquer.<br />

Comme on songe la nuit, dit-il, à ce qui a préoccupé<br />

vivement <strong>le</strong> jour, il est possib<strong>le</strong> que ces impressions<br />

reçues en songe... agissent sur notre esprit et déterminent<br />

nos actions pendant la veil<strong>le</strong>.<br />

Certains mouvements, il <strong>le</strong> pense, certaines sensations<br />

peuvent parvenir à l'âme qui songe, et lui être communiquée<br />

par <strong>de</strong>s objets extérieurs; — c'est <strong>de</strong> là que<br />

Démocrite tirait ses copies et ses émanations <strong>de</strong>s choses.<br />

<strong>Le</strong>s impressions étant mieux senties la nuit que <strong>le</strong> jour<br />

pendant <strong>le</strong>quel <strong>le</strong>ur effet est contrarié par l'agitation et<br />

<strong>le</strong> troub<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'air, tandis que pendant <strong>le</strong> calme <strong>de</strong>s<br />

nuits on sent mieux dans <strong>le</strong> sommeil <strong>le</strong>s petites sensations<br />

intérieures qu'apportent <strong>le</strong>s visions qui mettent<br />

dans <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> présager sur <strong>le</strong>s choses mûmes d'où sont<br />

émanées <strong>le</strong>s impressions.<br />

Un exemp<strong>le</strong> dissipera l'obscurité qui pourrait exister<br />

pour quelques <strong>le</strong>cteurs dans la pensée d'Aristote. —<br />

Supposons qu'à dix lieues <strong>de</strong> ma <strong>de</strong>meure on égorge<br />

mon ami dans une hôtel<strong>le</strong>rie ; <strong>de</strong>s mouvements qui en<br />

partent, par une sorte d'ondulation, et qui font impression<br />

sur moi, pendant mon sommeil, se produit une<br />

image qui, pénétrant jusqu'à mon âme, me fait voir<br />

mon ami sanglant, expirant sous <strong>le</strong>s coups <strong>de</strong> son<br />

meurtrier.<br />

Si quelques extatiques prévoient l'avenir, dit Aristote,<br />

c'est qu'ils ne sont point iroublés par <strong>le</strong>s émotions<br />

ordinaires; au contraire, cel<strong>le</strong>s-ci étant entraînées loin<br />

d'eux, ils sont portés à mieux sentir tous <strong>le</strong>s mouvements<br />

qui <strong>le</strong>ur sont étrangers.


AVEC LE DÉMON.<br />

<strong>Le</strong>s mélancoliques saisissent rapi<strong>de</strong>ment <strong>le</strong> rapport<br />

qu'ils trouvent entre une chose et une autre, en opèrent<br />

la jonction et s'en font une image.<br />

11 dit encore ail<strong>le</strong>urs : Quoique engourdis par <strong>le</strong> sommeil,<br />

<strong>le</strong>s sensations se font mieux sentir en pénétrant<br />

dans notre intérieur qu'étant éveillés. <strong>Le</strong> plus petit<br />

bruit est un tonnerre, un peu <strong>de</strong> cha<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>vient un<br />

brasier: 1° cela vient <strong>de</strong> ce que, pendant la nuit, l'air,<br />

en général plus calme, transmet mieux <strong>le</strong>s sons; 2° <strong>le</strong>s<br />

autres sensations étant inertes, cel<strong>le</strong>s qui agissent sur<br />

l'âme ont plus <strong>de</strong> force et d'énergie. <strong>Le</strong>s petites impressions<br />

semblant gran<strong>de</strong>s , on saisit alors ce qui<br />

échapperait durant la veil<strong>le</strong>.<br />

C'est ainsi que <strong>le</strong>s songes peuvent faire présager <strong>le</strong>s<br />

maladies graves, car <strong>le</strong>s commencements <strong>de</strong>s maladies<br />

étant peu sensib<strong>le</strong>s, et se dérobant à l'attention <strong>de</strong>s sens<br />

pendant <strong>le</strong> jour, <strong>le</strong>urs légers symptômes doivent être<br />

plus clairs dans <strong>le</strong> sommeil que dans la veil<strong>le</strong>.<br />

On voit dans ces passages, qui sont souvent plutôt la<br />

pensée que l'expression même d'Aristote, <strong>de</strong>s réf<strong>le</strong>xions<br />

p<strong>le</strong>ines <strong>de</strong> justesse et <strong>de</strong> sens. Mais ce philosophe n'explique<br />

nul<strong>le</strong>ment par là toutes <strong>le</strong>s divinations, quoique<br />

plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mil<strong>le</strong> ans après lui d'autres philosophes<br />

aient paru neufs en exhumant ces sophismes matérialistes<br />

et soient fiers <strong>de</strong> <strong>le</strong>s présenter. En effet,<br />

comment l'état maladif, <strong>le</strong> tempérament pourraientils<br />

annoncer <strong>de</strong>s événements futurs? Comment <strong>de</strong>s<br />

mouvements qui partent du corps d'un mourant<br />

peuvent-ils se transmettre au loin pour annoncer sa<br />

mort ? De tel<strong>le</strong>s explications sont évi<strong>de</strong>mment absur<strong>de</strong>s,<br />

quand il s'agit <strong>de</strong> ces divinations, <strong>de</strong> ces orac<strong>le</strong>s<br />

admis par <strong>le</strong>s plus illustres philosophes <strong>de</strong> l'antiquité,<br />

comme on <strong>le</strong> verra.<br />

<strong>Le</strong>s péripatéticiens expliquaient beaucoup <strong>de</strong> choses


456 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

physiologiquement. Mais, arrivés à certains faits qui<br />

constituent <strong>le</strong> vrai merveil<strong>le</strong>ux, ils échouaient complètement.<br />

D'autres, <strong>avec</strong> un mélange <strong>de</strong> philosophie éléatique<br />

et d'épicuréisme, tranchaient la difficulté. <strong>Le</strong>s<br />

éléates disaient que <strong>le</strong>s sens nous trompent, ainsi<br />

que la raison, qu'il n'y a rien <strong>de</strong> certain, qu'on ne<br />

peut rien savoir— <strong>Le</strong>s épicuriens recommandaient<br />

<strong>de</strong> jouir, sans s'inquiéter du reste. Jouissons donc,<br />

disaient-ils, regardons <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux comme une chimère.<br />

Ceux-ci compteront un jour une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> discip<strong>le</strong>s<br />

qui penseront que tous <strong>le</strong>s faits surnaturels ne méritent<br />

pas <strong>le</strong> moindre examen.<br />

Avant <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s autres sectes, disons un mot<br />

d'Hippocrate et <strong>de</strong>s successeurs <strong>de</strong> Platon.<br />

Hippocrate.<br />

On ne cite pas Hippocrate comme appartenant à une<br />

éco<strong>le</strong> philosophique, mais comme mé<strong>de</strong>cin croyant<br />

à une divination dans <strong>le</strong>s songes, qu'il recomman<strong>de</strong><br />

d'observer <strong>avec</strong> soin. Il importe <strong>de</strong> savoir ce que<br />

l'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong> Cos pensait sur un sujet que l'antiquité<br />

trouvait si grave.<br />

Hippocrate reconnaît <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> divinations par<br />

<strong>le</strong>s songes : ceux qui indiquent <strong>le</strong>s choses bonnes ou<br />

mauvaises qui peuvent survenir aux États et aux particuliers,<br />

et ceux qui présagent <strong>le</strong>s maladies.<br />

Pour <strong>le</strong>s premiers, il avoue qu'il y a <strong>de</strong>s hommes<br />

qui ont un art certain ; mais, voulant aussi juger <strong>le</strong>s<br />

songes qui indiquent <strong>le</strong>s affections du corps, tantôt<br />

ils rencontrent juste, tantôt ils se trompent... Ils disent<br />

bien qu'il faut prendre gar<strong>de</strong> au mal qui peut<br />

survenir, mais n'enseignent pas comment on pourrait


AVEC LE DÉMON. 157<br />

l'éviter. Ils ordonnent <strong>de</strong>s prières aux dieux, etc.<br />

(Hippocr., <strong>de</strong>s Songes, liv. IV du Régime.)<br />

Hippocrate ne s'occupe que <strong>de</strong> l'importance médica<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>s songes qui annoncent <strong>de</strong>s maladies? De son<br />

temps on abusait <strong>de</strong> la divination; il abandonna <strong>le</strong>s<br />

songes divins comme ne pouvant être appliqués en<br />

mé<strong>de</strong>cine. Il recommanda d'étudier la nature <strong>de</strong>s maladies,<br />

disant toutefois « qu'il importe <strong>de</strong> discerner s'il<br />

y a que/que chose <strong>de</strong> divin dans <strong>le</strong>s maladies, car c'est<br />

encore un pronostic à apprendre '. »<br />

Hippocrate reconnaît <strong>le</strong>s songes divins comme tout<br />

<strong>le</strong> mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> son temps ; comme mé<strong>de</strong>cin il n'a pas à<br />

s'en occuper. Il croit donc à un genre <strong>de</strong> divination<br />

«'expliquant, et que quelques philosophes nient.<br />

Successeurs <strong>de</strong> Platon.<br />

Parmi <strong>le</strong>s anciens platoniciens, on distingue Speusippe,<br />

Xénocrate. <strong>Le</strong> premier s'éloignait peu <strong>de</strong> la doctrine<br />

<strong>de</strong> Platon ; comme <strong>le</strong>s pythagoriciens, il croyait<br />

à la vertu <strong>de</strong>s nombres.<br />

Xénocrate adopta <strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong>s pythagoriciens.<br />

Ce qu'il dit <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s prouve qu'il croyait à l'efficacité<br />

<strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong>s magiciens. C'est d'après Xénocrate<br />

que Plutarque a dit que <strong>le</strong>s jours malheureux, <strong>le</strong>s<br />

fêtes où l'on se bat, où l'on se frappe l'estomac, où l'on<br />

jeûne, où il se fait <strong>de</strong>s choses honteuses et dissolues,<br />

n'appartiennent ni aux dieux, ni aux bons <strong>démon</strong>s;<br />

1. Hippocrate, Pronostic, trad. Littré, t. II, p. 113. — <strong>Le</strong>s commentateurs,<br />

Galien, entre autres, se sont donné carrière sur ce mot divin<br />

(.•f n 8ETOV). On ne saurait mieux faire que <strong>de</strong> renvoyer à ce sujet <strong>le</strong><br />

<strong>le</strong>cteur à l'excel<strong>le</strong>nte note que M. <strong>le</strong> docteur Daremberg a placée<br />

p. 14 et suiv. <strong>de</strong> sa traduction <strong>de</strong>s Œuvres choisies d'Hippocrate,<br />

Paris, 1843.


158 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

qu'il y a dans l'air <strong>de</strong>s natures gran<strong>de</strong>s et puissantes, et<br />

cependant malignes, qui aiment qu'on fasse ces choses<br />

pour el<strong>le</strong>s. (Plutarque, <strong>de</strong>ls. et Osir., XXVI.)<br />

On verra, <strong>de</strong>puis Platon jusqu'à Cicéron, l'Académie<br />

se transformer plusieurs fois. Arcésilas fut l'auteur<br />

d'une nouvel<strong>le</strong> Académie qui poussa <strong>le</strong> scepticisme<br />

jusqu'à nier qu'il fût possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> savoir quelque<br />

chose.<br />

Successeurs d"Aristote. — tes péripatéticiens.<br />

<strong>Le</strong>s uns modifièrent un peu sa doctrine, défigurée<br />

par d'autres. Dicéarque prétendit qu'il n'y a qu'une<br />

âme pour tout l'univers; <strong>l'homme</strong>, n'étant animé que<br />

par el<strong>le</strong>, n'était pas, sous ce rapport, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la<br />

brute : s'il y a un Dieu il ne s'occupe pas <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong><br />

qui a toujours existé. C'était encore l'éco<strong>le</strong> éléatique<br />

<strong>avec</strong> quelques modifications, <strong>de</strong>puis Démocrite jusqu'à<br />

Épicure. Cet exposé suffit pour laisser entrevoir<br />

ce que ces philosophes pensaient <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s et <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>ur intervention.<br />

Épicure.<br />

Reconnu chef d'une secte qui porta son nom, Épicure<br />

n'aurait pas dû prétendre à cet honneur. C'était<br />

un modificateur <strong>de</strong> la secte éléatique, un successeur<br />

<strong>de</strong> Démocrite et même d'Aristote, quant au matérialisme<br />

<strong>de</strong> la doctrine.<br />

L'homme et <strong>le</strong>s animaux sont nés <strong>de</strong> la combinaison<br />

<strong>de</strong>s a<strong>tome</strong>s; toute la mora<strong>le</strong> consiste à jouir; la volupté<br />

est <strong>le</strong> souverain bien, il n'en faut point abuser. La pensée<br />

<strong>de</strong> l'Elysée et du Tartare pourrait troub<strong>le</strong>r <strong>l'homme</strong>,<br />

il faut se persua<strong>de</strong>r qu'il n'en est rien, faire tous se»


AVEC LE DÉMON. 159<br />

efforts pour ne pas s'en occuper : à quoi bon se donner<br />

<strong>de</strong>s craintes fantastiques? il n'y a pas <strong>de</strong> dieux. S'il y<br />

en a, ils ne s'occupent pas <strong>de</strong> nous. Du système <strong>de</strong>s<br />

a<strong>tome</strong>s dérivaient, entre autres opinions singulières ,<br />

que <strong>le</strong>s pieds n'étaient pas faits pour marcher, ni <strong>le</strong>s<br />

yeux pour voir. <strong>Le</strong>s épicuriens dédaignaient tout ce<br />

qui était en <strong>de</strong>hors d'une vie matériel<strong>le</strong> et sensuel<strong>le</strong>;<br />

peu d'instruction, mettant toute <strong>le</strong>ur philosophie à<br />

jouir du plaisir, comme <strong>le</strong>s cyniques à savoir s'en passer,<br />

ils ne méritaient guère <strong>le</strong> titre <strong>de</strong> philosophes. <strong>Le</strong>s<br />

épicuriens étaient <strong>de</strong>s éléates, moins la science ; ils ressemblaient<br />

à certains esprits forts, il n'en faut attendre<br />

ni pensées ni logique; c'étaient <strong>de</strong>s hommes purement<br />

matériels.<br />

Après Socrate comme avant lui, nous retrouvons <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s catégories <strong>de</strong> spiritualistes et <strong>de</strong> matérialistes,<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s modifications apportées par <strong>le</strong> caractère<br />

<strong>de</strong> chacun. <strong>Le</strong>s premiers reconnaissent l'existence<br />

<strong>de</strong>s dieux, <strong>de</strong>s génies, et <strong>le</strong>ur intervention, la divination,<br />

<strong>le</strong>s présages, <strong>le</strong>s prodiges. <strong>Le</strong>s <strong>de</strong>rniers ne voient<br />

que la nature et ses phénomènes <strong>le</strong>s plus ordinaires.<br />

S'il en est parmi eux qui reconnaissent l'existence <strong>de</strong><br />

phénomènes extraordinaires attribués par <strong>le</strong>s spiritualistes<br />

à une cause surnaturel<strong>le</strong>, ils s'obstinent à l'expliquer<br />

par <strong>le</strong>s a<strong>tome</strong>s, et torturent <strong>le</strong>s faits comme<br />

<strong>le</strong>urs raisons pour placer ces phénomènes sous l'empire<br />

<strong>de</strong>s lois physiques. Dès lors on conçoit cette bizarrerie,<br />

qu'il y ait parmi ces matérialistes <strong>de</strong>s hommes<br />

fort superstitieux qui se soient adonnés aux pratiques<br />

<strong>de</strong> la magie.<br />

Nul doute que si <strong>le</strong>ur système eût expliqué <strong>le</strong>s phénomènes<br />

d'une manière aussi satisfaisante que la doctrine<br />

qui faisait intervenir <strong>le</strong>s génies, qu'il n'eût obtenu<br />

la préférence; mais nier <strong>de</strong>s faits constants ou <strong>le</strong>ur


160 DES RAPPORTS SE L'HOMME<br />

donner <strong>de</strong>s explications ridicu<strong>le</strong>s, c'était un sûr moyen '<br />

<strong>de</strong> se faire accuser <strong>de</strong> mauvaise foi ou <strong>de</strong> défaut <strong>de</strong><br />

jugement; cette acusation ne <strong>le</strong>ur manqua point <strong>de</strong>là<br />

part <strong>de</strong>s vrais philosophes.<br />

Zenon. — <strong>Le</strong>s stoïciens.<br />

Une autre secte eut pour chef Zenon ; quoique un peu<br />

éléatique, son éco<strong>le</strong> admet l'existence <strong>de</strong>s esprits, <strong>le</strong>s<br />

prodiges, <strong>le</strong>s présages, <strong>le</strong>s divinations, etc. Comme <strong>le</strong>s<br />

platoniciens, comme <strong>le</strong>s éléates, el<strong>le</strong> pense que <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong> est vivant, que Dieu en est l'âme, que tous <strong>le</strong>s<br />

êtres en font partie. Par une force intrinsèque il a tiré<br />

<strong>le</strong> mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la matière qui lui est coéternel<strong>le</strong>, et l'a<br />

fait ce qu'il est, mais Dieu et <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> sont i<strong>de</strong>ntiques.<br />

Il existe dans l'univers une loi immuab<strong>le</strong>, un enchaînement<br />

<strong>de</strong> causes et d'effets par <strong>le</strong>quel tout se meut,<br />

tout se développe et produit <strong>le</strong>s divers phénomènes.<br />

Dieu est une sorte <strong>de</strong> feu qui remplit l'immensité <strong>de</strong><br />

l'espace; hors <strong>de</strong> lui c'est <strong>le</strong> vi<strong>de</strong> sans fin ; il n'est contraint<br />

que par la nature; en agissant conformément à<br />

el<strong>le</strong>, il n'en est ni moins libre ni moins puissant, puisqu'il<br />

est <strong>avec</strong> el<strong>le</strong>. On conçoit que <strong>le</strong>s stoïciens crussent<br />

à la fatalité; Dieu subit la loi du <strong>de</strong>stin, c'est-àdire<br />

cette combinaison éternel<strong>le</strong> <strong>de</strong> causes et d'effets<br />

tel<strong>le</strong> que tout ce qui est, ce qui fut et ce qui sera ne<br />

peut être autrement. Dieu, esprit universel, a donné<br />

naissance aux dieux et aux <strong>démon</strong>s; chaque homme<br />

a <strong>le</strong> sien qui <strong>le</strong> dirige, écou<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> l'âme universel<strong>le</strong>,<br />

ils retourneront un jour à <strong>le</strong>ur source. <strong>Le</strong> so<strong>le</strong>il<br />

est <strong>le</strong> premier <strong>de</strong>s dieux; <strong>le</strong>s astres font comme lui<br />

partie du feu divin; doués d'intelligence, pourquoi<br />

n'annonceraient-ils pas l'avenir et la <strong>de</strong>stinée? De là<br />

<strong>le</strong>s stoïciens croyaient à l'intervention d'êtres intelli-


AVEC LE DÉMON.<br />

gents qui parlaient à <strong>l'homme</strong> par <strong>de</strong>s signes et se manifestaient<br />

par <strong>de</strong>s apparitions. (Div., liv. I er<br />

.) <strong>Le</strong>s songes,<br />

<strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s oiseaux, <strong>le</strong>s modifications qui s'opèrent subitement<br />

dans <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes, enfin tous <strong>le</strong>s<br />

signes qui présageaient l'avenir aux hommes sont produits<br />

par cette vertu divine. Cette substance éthérée<br />

universel<strong>le</strong>ment répandue fut établie dès l'origine, <strong>de</strong><br />

manière que tel signe dût prédire tel événement. Nous<br />

aurons occasion <strong>de</strong> faire peut-être mieux connaître<br />

cette doctrine. À la suite <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s systèmes philosophiques<br />

et <strong>de</strong>s modifications qu'y apportèrent <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>s différents chefs d'éco<strong>le</strong>, qu'arriva-t-il, quels<br />

furent <strong>le</strong>s résultats? Une révolution se préparait <strong>de</strong>puis<br />

longtemps chez <strong>le</strong>s Grecs; <strong>le</strong>s platoniciens étaient<br />

tombés dans <strong>le</strong> pyrrhonisme, <strong>le</strong>s stoïciens, étaient <strong>de</strong>venus<br />

matérialistes, sans cesser d'être crédu<strong>le</strong>s et superstitieux;<br />

î'épicurisme enfin avait envahi la Grèce;<br />

sensuel<strong>le</strong>, affaiblie par <strong>le</strong> luxe, ne vivant que pour jouir,<br />

son courage s'est perdu ainsi que ses convictions; el<strong>le</strong><br />

s'avance vers sa décrépitu<strong>de</strong>.<br />

Déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la Grèce épicurienne et impie.<br />

Il ne m'appartient pas <strong>de</strong> signa<strong>le</strong>r toutes <strong>le</strong>s causes <strong>de</strong><br />

la déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la Grèce après ses victoires : l'orgueil<br />

délirant d'hommes obscurs rapportant dans <strong>le</strong>ur patrie<br />

<strong>le</strong>s vices <strong>de</strong>s pirates, l'autorité <strong>de</strong>venue populaire, un<br />

luxe ruineux, un désir effréné <strong>de</strong>s plaisirs, <strong>le</strong> sens moral<br />

anéanti, <strong>le</strong>s mœurs entièrement corrompues. La philosophie<br />

d'Épicure convenait à une tel<strong>le</strong> nation. Serait-ce<br />

bien téméraire <strong>de</strong> dire que l'impiété fut l'une <strong>de</strong>s principa<strong>le</strong>s<br />

causes <strong>de</strong> cette funeste transformation ? Effet ou<br />

cause, il est constant que si el<strong>le</strong> ne fut pas un poison pour<br />

la Grèce, el<strong>le</strong> fut loin d'être un obstac<strong>le</strong> à sa déca<strong>de</strong>nce.


DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>Le</strong> goût <strong>de</strong> la philosophie avait fait autant d'impies <strong>de</strong>s<br />

hommes faits pour gouverner la Grèce ; Alcibia<strong>de</strong>, instruit<br />

dans la philosophie <strong>de</strong> Socrate, n'y avait puisé<br />

que <strong>le</strong> mépris pour <strong>le</strong>s dieux mythologiques ; voluptueux,<br />

sans convictions, on l'accusa d'avoir, à la suite<br />

d'une orgie, renversé <strong>le</strong>s statues <strong>de</strong>s dieux, et même<br />

d'avoir profané <strong>le</strong>s mystères. Ce discip<strong>le</strong> <strong>de</strong> Socrate, si<br />

peu digne d'un tel maître, était cependant un homme<br />

accompli, qui trouva une jeunesse admiratrice <strong>de</strong> ses<br />

qualités, fort disposée à <strong>de</strong>venir complice <strong>de</strong> ses fautes.<br />

<strong>Le</strong>s disputes <strong>de</strong>s sophistes, la variété <strong>de</strong>s doctrines<br />

ayant préparé l'indifférence et amené <strong>le</strong> scepticisme,<br />

à travers cette fou<strong>le</strong> d'opinions qui divisaient <strong>le</strong>s penseurs<br />

, quel choix pouvait faire la multitu<strong>de</strong> qui ne<br />

pense pas?—L'épicurisme. —Vi<strong>de</strong>r la coupe du plaisir,<br />

abandonner <strong>le</strong>s dieux et se rire du Tartare, tel<strong>le</strong> était la<br />

Grèce, tel <strong>de</strong>vint tout l'Orient. Ce résultat eût été plus<br />

prompt si <strong>le</strong>s philosophes eussent osé proposer ouervtement<br />

<strong>le</strong>urs doctrines; mais rigoureusement surveillés<br />

d'abord, on avait fini par <strong>le</strong>s tolérer et par dire que<br />

la philosophie est un flambeau qui éclaire; on <strong>de</strong>vait<br />

penser qu'il peut aussi causer l'incendie qui dévore.<br />

L'Orient se mourait quand, dans un coin <strong>de</strong> l'Occi<strong>de</strong>nt,<br />

florissait un peup<strong>le</strong> naguère barbare, qui allait<br />

comman<strong>de</strong>r à la Grèce, à l'Ibérie, à l'Orient, et en<br />

adopter la philosophie.


AVEC LE DÉMOS. 163<br />

CHAPITRE II<br />

La philosophie grecque chez <strong>le</strong>s Romains. — Êpicurisme chez II» Romains. —<br />

Du stoïcisme chez <strong>le</strong>s Romains. — Existence et provi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s dieux prouvées<br />

par la divination, <strong>le</strong>s songes, etc. — L'Académie chez <strong>le</strong>s Romains. —<br />

Réfutation du stoïcisme. — Réfutation <strong>de</strong> l'épieurisme. — Réfutation du<br />

stoïcisme par Cotta. — Quelques réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong>s réfutations <strong>de</strong> Cicéron.<br />

La philosophie grecque chez <strong>le</strong>s Romains.<br />

<strong>Le</strong>s.Romains n'étaient occupés que <strong>de</strong> conquêtes,<br />

<strong>le</strong>urs mœurs étaient simp<strong>le</strong>s ; selon Denys d'Halicarnasse,<br />

<strong>le</strong>ur religion était plus raisonnab<strong>le</strong> qu'on ne<br />

l'avait supposé. Romulus avait rejeté la théologie poétique<br />

<strong>de</strong>s Grecs, comme puéri<strong>le</strong> et ridicu<strong>le</strong> ; plus tard, on<br />

l'accepta lorsqu'on sut que son enveloppe allégorique<br />

cachait une bel<strong>le</strong> doctrine, et Numa se fit initier à cel<strong>le</strong><br />

do Pythagore. La philosophie n'était point appréciée<br />

chez <strong>le</strong>s Romains, un peup<strong>le</strong> guerrier n'est pas métaphysicien.<br />

<strong>Le</strong>urs victoires en Orient, en Egypte, en Grèce<br />

<strong>le</strong>s mirent en rapport <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s philosophes célèbres.<br />

Trois philosophes grecs s'étant rendus à Rome pour<br />

une négociation, la jeunesse s'empressa <strong>de</strong> <strong>le</strong>s entendre<br />

: Caton s'alarma en vain <strong>de</strong> cet engouement; <strong>le</strong><br />

moment était venu pour <strong>le</strong>s Romains <strong>de</strong> s'initier aux<br />

doctrines philosophiques <strong>de</strong>s nations civilisées. Mais<br />

n'oublions pas qu'un peup<strong>le</strong> dégénéré, impie, <strong>le</strong>ur<br />

transmet ses doctrines. <strong>Le</strong>s Romains seront donc bien-


104 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

tôt sensuels, voluptueux et impies. <strong>Le</strong> platonisme,<br />

<strong>de</strong>venu sceptique, <strong>le</strong>ur apprendra à douter <strong>de</strong> tout;<br />

l'épicurisme <strong>le</strong>ur dira <strong>de</strong> ne craindre ni <strong>le</strong>s dieux ni<br />

<strong>le</strong> tartare. <strong>Le</strong> stoïcisme étant modifié, toutes <strong>le</strong>s sectes<br />

seront ainsi plus ou moins matérialistes; cependant<br />

<strong>le</strong> polythéisme continue <strong>de</strong> subsister par politique.<br />

Un personnage illustre nous a fait connaître cette<br />

nouvel<strong>le</strong> importation. Cicéron dit qu'il a composé<br />

plusieurs traités philosophiques, dans <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssein d'être<br />

uti<strong>le</strong> à ses concitoyens. Plus tard, il aspira à enrichir<br />

la langue latine <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s parties <strong>de</strong> la philosophie<br />

: « La jeunesse est tombée dans <strong>le</strong> désordre,<br />

dit-il : c'est rendre un grand service à la république<br />

que <strong>de</strong> l'en retirer; il sera glorieux pour <strong>le</strong>s Romains<br />

<strong>de</strong> n'avoir pas besoin <strong>de</strong> recourir à la langue grecque<br />

pour étudier la philosophie. » <strong>Le</strong> Truite <strong>de</strong> la Nature <strong>de</strong>s<br />

dieux et celui <strong>de</strong> la Divination, dans la pensée <strong>de</strong> l'auteur,<br />

doivent donc initier complètement ses <strong>le</strong>cteurs<br />

aux doctrines philosophiques <strong>de</strong>s Grecs. <strong>Le</strong>s trois<br />

sectes principa<strong>le</strong>s vont être passées en revue.<br />

Epicwisme chez <strong>le</strong>s Romains.<br />

Cicéron, dans ses Traités <strong>de</strong> la Nature <strong>de</strong>s dieux et<br />

<strong>de</strong> la Divination, fait intervenir <strong>de</strong>s interlocuteurs <strong>de</strong><br />

toutes <strong>le</strong>s sectes.<br />

Vellcius, en vrai épicurien, n'approfondit rien, déci<strong>de</strong><br />

hardiment <strong>de</strong> tout, se moque <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s doctrines,<br />

sape toutes <strong>le</strong>s religions. Ton tranchant, pensées<br />

vagues, raisonnement faux, obscur, captieux, qui<br />

plaît au vulgaire; Épicure, dit Vel<strong>le</strong>ius, est <strong>le</strong> seul<br />

qui ait pensé juste sur <strong>le</strong>s dieux. Ils sont immortels,<br />

dit-on, et souverainement heureux; heureux et sans<br />

passions, ils ne t'ont <strong>de</strong> mal à personne.— On pouvait


AVEC LE DÉMON. 16o<br />

s'arrêter là, et <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si on doit <strong>le</strong>s honorer.<br />

N'étant capab<strong>le</strong>s ni <strong>de</strong> colère, ni d'affection, on n'a<br />

rien à en redouter. Ainsi la réponse est faci<strong>le</strong>. Quel<strong>le</strong><br />

est <strong>le</strong>ur forme? Ce doit être la forme humaine, car<br />

c'est la plus bel<strong>le</strong> <strong>de</strong> toutes. Ils n'ont ni corps, ni<br />

sang; mais, comme un corps et comme du sang, ils<br />

ne sont pas -visib<strong>le</strong>s, mais intelligib<strong>le</strong>s. Ce ne sont pas<br />

<strong>de</strong>s corps soli<strong>de</strong>s, mais <strong>de</strong>s images passagères. Comme<br />

il y a <strong>de</strong>s a<strong>tome</strong>s à l'infini qui <strong>le</strong>s produisent, el<strong>le</strong>s<br />

sont inépuisab<strong>le</strong>s et se présentent en fou<strong>le</strong> à notre<br />

esprit, à qui el<strong>le</strong>s font comprendre l'état heureux <strong>de</strong>s<br />

êtres immortels. Comment vivent-ils? De la vie la plus<br />

délicieuse; ils ne font rien, n'entreprennent rien, ne<br />

s'embarrassent <strong>de</strong> rien. Un dieu gouvernant l'univers<br />

aurait une triste occupation... Aussi Épicure nous enseigne<br />

que <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> est l'ouvrage <strong>de</strong> la nature. Cela<br />

lui a coûté si peu, qu'el<strong>le</strong> fait et défait sans cesse une<br />

multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>s sans avoir besoin d'être guidée<br />

par une intelligence; une infinité d'a<strong>tome</strong>s voltigent<br />

dans <strong>le</strong> vi<strong>de</strong> immense, s'approchent, s'accrochent, et<br />

par <strong>le</strong>ur union forment tous <strong>le</strong>s corps. On met au<strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong> nous, dit Vel<strong>le</strong>ius, un maître éternel, dont<br />

on doit nuit et jour avoir peur. Comment.ne pas craindre<br />

un dieu qui sait tout, qui veut se mê<strong>le</strong>r <strong>de</strong> tout ?<br />

Pour nous, affranchis par Épicure, nous ne craignons<br />

pas <strong>le</strong>s dieux; nous savons qu'ils évitent toute espèce<br />

<strong>de</strong> chagrin et ne cherchent à inquiéter personne.<br />

Du stoïcisme chez <strong>le</strong>s Romains.<br />

Balbus, stoïcien, dit qu'on ne peut regar<strong>de</strong>r <strong>le</strong> ciel<br />

sans être convaincu qu'il est gouverné par une intelligence.<br />

Cette conviction a traversé <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s et s'est<br />

fortifiée, tandis que toutes <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s fictions ont dis-


lfiC DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

paru; à quoi l'attribuer, si ce n'est aux marques Cér*<br />

taines que <strong>le</strong>s dieux nous donnent souvent <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur présence<br />

? Balbus dévoi<strong>le</strong> alors toutes <strong>le</strong>s preuves <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

apparitions par Cent faits historiques; il en prouve<br />

encore l'existence par <strong>le</strong>s divinations. Quintus <strong>de</strong>vant<br />

développer bientôt ce sujet, laissons Balbus <strong>démon</strong>trer<br />

physiquement l'existence <strong>de</strong>s dieux. —• <strong>Le</strong>s animaux<br />

et <strong>le</strong>s plantes ont une cha<strong>le</strong>ur intérieure, dit-il, qui <strong>le</strong>s<br />

fait vivre; el<strong>le</strong> vient du principe vital qui agit dans<br />

tout l'univers. II établit qu'il y a du feu dans l'eau,<br />

dans l'air. L'univers n'existe que par lui, tout lui doit<br />

la vie... Ce principe vivifiant n'est dépourvu ni <strong>de</strong><br />

sentiment ni <strong>de</strong> raison. 11 y a dans <strong>le</strong>s animaux et<br />

dans <strong>le</strong>s plantes quelque chose qui ressemb<strong>le</strong> à l'en»<br />

fon<strong>de</strong>ment : c'est <strong>le</strong> principe <strong>de</strong>s appétits. Balbus ap*<br />

pel<strong>le</strong> partie supérieure ce qu'il y a <strong>de</strong> plus excel<strong>le</strong>nt<br />

dans <strong>le</strong> tout où la raison se trouve. Comme tout est<br />

portion <strong>de</strong> l'univers, tout est doué <strong>de</strong> raison; mais la<br />

partie supérieure <strong>de</strong> l'univers en est surtout éminem-ment<br />

douée, <strong>de</strong> sorte que l'univers est animé, et l'élément<br />

qui vivifie tout (<strong>le</strong> feu) doit avoir la souveraine<br />

raison en partage. Cette cha<strong>le</strong>ur qui anime tout est <strong>le</strong><br />

feu <strong>de</strong> l'éther, feu intelligent, plus clair, plus vif,<br />

plus propre à exciter <strong>le</strong>s sens que <strong>le</strong> feu qui agit en<br />

nous ; et cependant si celui qui agit dans <strong>l'homme</strong> et<br />

dans <strong>le</strong>s bêtes donne <strong>le</strong> sentiment et <strong>le</strong> mouvement,<br />

n'est-ce pas une absurdité <strong>de</strong> prétendre que <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>,<br />

qui est pénétré <strong>de</strong> l'éther dans toute son activité et<br />

sa pureté, en soit dépourvu? Platon dit que ce qui se<br />

meut soi-même est plus divin que ce qui est mû.<br />

Or <strong>le</strong> mouvement propre vient <strong>de</strong> l'âme; mais puisque<br />

dans l'univers tout mouvement vient <strong>de</strong> l'éther,<br />

qui se meut soi-même, l'éther est donc l'âme du<br />

mon<strong>de</strong>, doué d'une intelligence qui se prouve par sa


AVEC LE DÉMON. 167<br />

perfection, plus gran<strong>de</strong> que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s êtres particuliers.<br />

Nul être particulier n'équivalant à l'univers, la suprême<br />

sagesse est donc un <strong>de</strong> ses attributs. S'il en était<br />

autrement, <strong>l'homme</strong>, être particulier, vaudrait mieux<br />

que tout l'univers.<br />

En suivant la gradation <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s êtres <strong>le</strong>s plus vils,<br />

on arrive aux êtres supérieurs (<strong>le</strong>s dieux). En examinant<br />

la perfection relative <strong>de</strong> chaque gradation, on<br />

trouve au <strong>de</strong>rnier rang la nature, dont rien ne peut<br />

balancer <strong>le</strong> pouvoir; mais si, étant infiniment parfaite,<br />

el<strong>le</strong> domine tout, quel<strong>le</strong> ignorance <strong>de</strong> lui disputer<br />

la raison et la sagesse !<br />

<strong>Le</strong>s astres étant formés <strong>de</strong> ce que l'étber a <strong>de</strong> plus<br />

pur, la divinité <strong>le</strong>ur appartient aussi.<br />

L'air qui est entre <strong>le</strong> ciel et la mer a été féminisé<br />

parce qu'il est mou, et appelé Junon, sœur <strong>de</strong> Jupiter,<br />

parce que l'air ressemb<strong>le</strong> à l'éther et <strong>le</strong> touche <strong>de</strong><br />

près.<br />

L'invention pitoyab<strong>le</strong> <strong>de</strong>s faux dieux a donné lieu<br />

aux figures, aux généalogies, aux mariages <strong>de</strong>s dieux.<br />

En expliquant ces fab<strong>le</strong>s méprisab<strong>le</strong>s, on retrouve la<br />

doctrine d'un dieu répandu partout : dans la terre,<br />

sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Cérès ; dans la mer, sous celui <strong>de</strong> Neptune,<br />

etc.<br />

La doctrine <strong>de</strong>s stoïciens conduit donc â attribuer<br />

une âme et la divinité à l'univers, que la provi<strong>de</strong>nce<br />

<strong>de</strong>s dieux gouverne... — Que sont <strong>le</strong>s dieux? Ce sont<br />

<strong>le</strong>s astres, <strong>le</strong> ciel, <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> lui-même, la nature entière.<br />

Une souveraine intelligence se manifeste dans <strong>le</strong><br />

cours <strong>de</strong>s astres, dans la formation et dans <strong>le</strong>s mœurs<br />

<strong>de</strong>s animaux, dans <strong>le</strong>s campagnes qui se couvrent <strong>de</strong><br />

f<strong>le</strong>urs et <strong>de</strong> fruits, dans <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la terre, où l'on<br />

trouve tant <strong>de</strong> choses uti<strong>le</strong>s, etc. —Tout manifeste l'intelligence,<br />

la provi<strong>de</strong>nce. Cette <strong>de</strong>rnière est prouvée


1G.8 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

par la divination, par <strong>le</strong>s songes, par <strong>le</strong>s prodiges,<br />

par <strong>le</strong>s aruspices, <strong>le</strong>s augures, par <strong>le</strong>s apparitions<br />

mêmes.<br />

Existence et provi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s dieux prouvées par la divination, <strong>le</strong>s<br />

songes, etc.<br />

Cicéron ici fait intervenir son frère Quintus, stoïcien,<br />

comme interlocuteur. — Cicéron reconnaît luimême<br />

l'ancienneté et l'universalité <strong>de</strong> la foi accordée<br />

aux diverses manifestations divines : Il n'y a, dit-il,<br />

aucune nation, quelque polie, quelque savante, barbare<br />

ou ignorante qu'el<strong>le</strong> soit, qui ne croie qu'il existe<br />

<strong>de</strong>s signes annonçant l'avenir et <strong>de</strong>s personnes qui <strong>le</strong><br />

prédisent. Los États n'ont jamais rien entrepris sans y<br />

avoir recours. <strong>Le</strong>s philosophes ont voulu prouver la<br />

vérité <strong>de</strong> cette croyance, qu'un seul a niée, — Xénophane<br />

<strong>de</strong> Colophon ; — tous, excepté Épicure, qui ne<br />

fait que balbutier lorsqu'il par<strong>le</strong> <strong>de</strong>s dieux, ont admis<br />

la divination : Socrate et ses discip<strong>le</strong>s, Zenon et son<br />

éco<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s péripatéticiens, Pythagorc qui passait pour<br />

augure, Démocrite, Dicéarque et Gratippc, qui n'en<br />

reconnaissaient que <strong>de</strong>ux sortes, l'enthousiasme et <strong>le</strong>s<br />

songes, et <strong>le</strong>s stoïciens, qui <strong>le</strong>s admettaient presque<br />

toutes.<br />

Nous allons exposer <strong>le</strong>s opinions <strong>de</strong> l'un et <strong>de</strong> l'autre<br />

et <strong>le</strong>s raisons invoquées <strong>de</strong> part et d'autre pour <strong>le</strong>s<br />

appuyer.<br />

Quintus pense qu'il y a nécessairement corrélation<br />

entre la divinité et la divination : l'une prouvant l'autre.<br />

— Cicéron ne partage pas son sentiment. On espère<br />

que la matière va être examinée <strong>avec</strong> d'autant plus <strong>de</strong><br />

profon<strong>de</strong>ur et <strong>de</strong> conscience que <strong>le</strong> traité <strong>de</strong> Cicéron<br />

doit tenir lieu, comme il va <strong>le</strong> dire, <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s ou-


AVEC LE DÉMON. 169<br />

vrages philosophiques <strong>de</strong>s Grecs. La forme dialoguée,<br />

employée ail<strong>le</strong>urs par Cicéron, lui permet d'entrer ici<br />

dans une discussion propre à éclairer <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur,<br />

Quintus reconnaît une divination qui s'acquiert par<br />

l'art, et une toute naturel<strong>le</strong>. La première, en usage<br />

chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s, s'exerce <strong>de</strong> plusieurs manières.<br />

La secon<strong>de</strong> dérive d'une sorte d'instinct divin.<br />

11 passe en revue <strong>le</strong>s prodiges, <strong>le</strong>s présages, rapporte<br />

<strong>de</strong>s faits historiques aussi constants pour lui que surprenants<br />

pour <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur. Il se borne, dit-il, et il <strong>le</strong><br />

répétera très-souvent, à constater <strong>le</strong>s faits sans expliquer<br />

<strong>le</strong>s causes; mais il ne doute pas qu'il n'y ait<br />

quelque vertu naturel<strong>le</strong> qui fasse prédire.<br />

Tout vient prouver la science <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins ; rien là<br />

qu'on puisse attribuer au hasard. Si un pourceau, en<br />

fouillant la terre, formait par hasard un A, pourrait-on<br />

imaginer que <strong>le</strong> même hasard produirait toute l'Andromaque<br />

d'Ennius? Il y a <strong>de</strong>s faits qui ne sauraient être<br />

l'effet d'un hasard. Ne lui en <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z pas la raison,<br />

il ne la connaît pas. — H y a, dit-on, <strong>de</strong>s prédictions<br />

fausses. — Il en est ainsi <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s arts. La divination<br />

artificiel<strong>le</strong> étant basée sur <strong>de</strong>s conjectures peut<br />

quelquefois tromper; mais <strong>le</strong> ministère <strong>de</strong>s aruspices<br />

est si ancien, ils ont remarqué <strong>de</strong>puis si longtemps que<br />

<strong>le</strong>s mêmes signes étaient suivis <strong>de</strong>s mêmes événements,<br />

que <strong>le</strong>ur art est presque infaillib<strong>le</strong>. Il cite <strong>le</strong>s pays où<br />

on <strong>le</strong>s observe exactement et en raconte <strong>le</strong>s immenses<br />

avantages. A Rome, on <strong>le</strong>s néglige parce qu'on ne <strong>le</strong>s<br />

comprend plus. Caton s'est plaint <strong>de</strong>s funestes résultats<br />

<strong>de</strong> cet oubli. Quintus cite <strong>de</strong>s faits.<br />

La divination naturel<strong>le</strong> par <strong>le</strong>s songes, <strong>le</strong> délire, etc.,<br />

né conjecture point, mais on prétend aussi la renverser,<br />

parce qu'on ne peut trouver la raison <strong>de</strong> ces prédictions<br />

si soli<strong>de</strong>ment établies <strong>de</strong>puis longtemps; on ose


170 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

plaisanter sur <strong>de</strong>s événements réalisés conformément<br />

à la prédiction et que tant <strong>de</strong> témoignagnes authentiques<br />

confirment, sur <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong>s bienfaits sont<br />

attestés par <strong>de</strong> si riches présents. Us ont, dira-t*on,<br />

perdu <strong>le</strong>ur réputation aujourd'hui. Il est possib<strong>le</strong><br />

que la vertu <strong>de</strong> l'exhalaison qui inspirait la pythie se<br />

soit évaporée, qu'el<strong>le</strong> ait pris un autre cours... Quoi<br />

qu'il en soit, ce qui n'a pas lieu aujourd'hui ne détruit<br />

pas ce qui se faisait autrefois.<br />

Quintus cite ensuite <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> songes singuliers,<br />

constants, cités par <strong>de</strong>s auteurs graves, réalisés<br />

tels qu'on <strong>le</strong>s avait songes ou interprétés, songes révélateurs<br />

<strong>de</strong> remè<strong>de</strong>s, etc. A quoi bon <strong>le</strong>s rapporter,<br />

dit-il à Cicéron, lorsque vous en avez vous-même fait<br />

un qualifié par vous <strong>de</strong> merveil<strong>le</strong>ux. Il y a <strong>de</strong>s songes<br />

faux, que peut-on objecter contre <strong>le</strong>s véritab<strong>le</strong>s ? Ceuxci<br />

seraient plus fréquents, si on ne se mettait au lit<br />

l'estomac chargé <strong>de</strong> nourriture et <strong>de</strong> boisson. <strong>Le</strong>s dieux<br />

communiquent <strong>le</strong>s songes, l'âme voit l'avenir parce<br />

qu'el<strong>le</strong> est dégagée <strong>de</strong>s liens du corps. <strong>Le</strong>s mourants<br />

prédisent par la môme raison.<br />

Il y a dans <strong>l'homme</strong> une faculté <strong>de</strong> pressentir qui<br />

lui vient du <strong>de</strong>hors ; quand el<strong>le</strong> est vivement allumée,<br />

quand l'esprit dégagé du corps est agité par une impulsion<br />

divine, cet état s'appel<strong>le</strong> fureur.<br />

Donc, selon Quintus, <strong>le</strong>s dieux interviennent. Voudrait-on<br />

qu'ils vinssent se montrer sur <strong>le</strong>s places publiques?<br />

S'ils ne se découvrent pas, <strong>le</strong>ur vertu se répand<br />

partout, — <strong>le</strong>s événements viennent appuyer ses sentiments.<br />

Si <strong>le</strong>s barbares, si nos ancêtres, si tous <strong>le</strong>s<br />

peup<strong>le</strong>s croyaient aux divinations, dit-il, peut-on en<br />

douter? <strong>Le</strong> consentement universel est-il inuti<strong>le</strong>? <strong>Le</strong>s<br />

faits surprennent, on veut savoir <strong>le</strong> pourquoi. Ce n'est<br />

pas ce dont il s'agit, mais <strong>de</strong> savoir si cela est. De ce


AVEC LE DÉMON.<br />

qu'on ne saurait dire pourquoi l'aimant attire <strong>le</strong> fer,<br />

peut-On en nier la vertu?<br />

L'art divinatoire était si important partout, que <strong>le</strong>s<br />

Chefs <strong>de</strong>s États en remplissaient <strong>le</strong>s fonctions. En Perse,<br />

<strong>le</strong>s mages sont augures; <strong>le</strong> roi doit être instruit dans<br />

<strong>le</strong>ur science. A Rome, <strong>le</strong>s aruspices 1<br />

ont toujours<br />

prévu <strong>le</strong>s événements, après l'observation <strong>de</strong>s prodiges.<br />

L'arrivée <strong>de</strong>s Gaulois avait été prédite six ans avant ce<br />

malheur. <strong>Le</strong>s voix <strong>de</strong>s Faunes ont souvent présagé <strong>de</strong><br />

sinistres événements.<br />

Dans la divination par <strong>le</strong>s songes, comme dans cel<strong>le</strong><br />

par <strong>le</strong> délire, l'âme est excitée par <strong>le</strong>s dieux dont l'intelligence<br />

remplit tout; l'âme, comme dégagée, est en<br />

commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, el<strong>le</strong> voit tout et connaît tout.<br />

Comment voir ce qui n'est pas ? Question grave —<br />

(il y répondra plus loin). S'il y a <strong>de</strong>s dieux, si <strong>le</strong>ur<br />

provi<strong>de</strong>nce s'étend partout, ils peuvent donner <strong>de</strong>s<br />

signes <strong>de</strong> l'avenir.<br />

Mais, dit-on, c'est compromettre <strong>le</strong>ur majesté que<br />

d'intervenir à chaque inspection d'un foie, au vol<br />

d'un oiseau.—On répond que, dès l'origine, tout fut<br />

établi <strong>de</strong> manière que tel signe <strong>de</strong>vait précé<strong>de</strong>r tel événement.<br />

Si la nature divine remplit tout, el<strong>le</strong> peut<br />

prési<strong>de</strong>r au choix d'une victime, en modifier <strong>le</strong> foie><br />

diriger <strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s oiseaux, etc. Avant la mort <strong>de</strong> César,<br />

on fut surpris <strong>de</strong> trouver la victime sans cœur;<br />

<strong>le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, nouveau sacrifice : <strong>le</strong> foie fut trouvé sans<br />

tète. L'intelligence universel<strong>le</strong> avait anéanti <strong>le</strong>s organes<br />

au moment du sacrifice. <strong>Le</strong> <strong>de</strong>stin conduit tout<br />

par un enchaînement <strong>de</strong> causes liées entre el<strong>le</strong>s ; rien<br />

ne peut arriver dont la nature ne renferme <strong>le</strong>s causes...<br />

<strong>Le</strong> délire sacré, <strong>le</strong>s songes ont fait voir cet enchaîne-<br />

i. <strong>Le</strong>ur art découvrit que Gracchus n'avait pas pris <strong>le</strong>s auspices, il<br />

avoua sa faute, qu'il se hâta <strong>de</strong> réparer.


172 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

ment; il ne faut donc pas s'étonner lorsqu'on dit qu'on<br />

voit ce qui n'est pas ; tout existe : comme l'arbre est<br />

renfermé dans la semence, <strong>de</strong> même l'avenir est déjà<br />

dans ses causes. — Tel<strong>le</strong> était (trop succinctement<br />

exposée ici), la doctrine <strong>de</strong>s stoïciens sur <strong>le</strong>s divinations.<br />

On va voir, non moins brièvement, <strong>le</strong>s sentiments<br />

<strong>de</strong> l'Académie.<br />

L'Académie chez <strong>le</strong>s Romains.<br />

A l'époque où vivait Cicéron, l'académisme était à<br />

sa troisième ou quatrième transformation <strong>de</strong>puis Speusippe.<br />

Cicéron, représentant <strong>de</strong> la nouvel<strong>le</strong> Académie,<br />

fit <strong>de</strong> l'éc<strong>le</strong>ctisme : il se montre un peu platonicien,<br />

plus matérialiste, peut-être, qu'Aristote, sensualisto<br />

parfois comme Théophraste, un peu stoïcien et sceptique<br />

comme Arcésilas. Son entretien <strong>avec</strong> Quintus est<br />

p<strong>le</strong>in d'intérêt pour nous : il nous révè<strong>le</strong> la doctrine<br />

<strong>de</strong> sa secte; il renverse une croyance qu'il a dit luimôme<br />

appartenir à tous <strong>le</strong>s temps et à tous <strong>le</strong>s lieux;<br />

nous avons <strong>le</strong> droit d'attendre un travail d'autant plus<br />

sérieux qu'il est <strong>de</strong>stiné à remplacer <strong>de</strong>s traités que la<br />

jeunesse romaine ne pouvait se procurer que fort diffici<strong>le</strong>ment.<br />

Réfutation du stoïcisme.<br />

<strong>Le</strong>s <strong>de</strong>ux frères étaient dans la bel<strong>le</strong> villa <strong>de</strong> Tusculum,<br />

appartenant à Cicéron. Quintus avait fait l'exposé<br />

dont la substance vient d'être rapportée. S'étant suffisamment<br />

promenés, ils s'assirent dans la bibliothèque<br />

<strong>de</strong> Cicéron, et celui-ci prit la paro<strong>le</strong> à son tour. En<br />

homme poli, il félicita Quintus sur la manière dont il<br />

avait soutenu l'opinion <strong>de</strong>s stoïciens. —11 va répondre


AVEC LE DÉMON. 173<br />

sans rien affirmer, dit-il, mais en doutant. S'il affirmait,<br />

il ferait <strong>le</strong> <strong>de</strong>vin, et il prétend qu'il n'y a point <strong>de</strong><br />

divination.<br />

On sera plus long dans l'analyse <strong>de</strong> cette réfutation<br />

<strong>de</strong> la divination qu'on ne l'a été dans son exposé par<br />

Quiûtus, parce qu'on rapportera <strong>de</strong>s parties qui avaient<br />

été omises, pour être plus bref, et que d'ail<strong>le</strong>urs el<strong>le</strong>s<br />

seront suffisamment connues par <strong>le</strong>ur réfutation.<br />

La divination n'ayant aucun rapport <strong>avec</strong> ce qui concerne<br />

<strong>le</strong>s sens, n'étant en usage ni dans <strong>le</strong>s sciences,<br />

ni dans <strong>le</strong>s arts, Cicéron ne comprend pas quel peut<br />

être son objet.<br />

On ne peut prédire ce qui n'est fondé sur aucune<br />

cause. Un mé<strong>de</strong>cin, un pilote établissent <strong>le</strong>urs prévisions<br />

sur un raisonnement. Un <strong>de</strong>vin peut-il prédire<br />

ce qui arrive par hasard, ce que Dieu môme ignore?<br />

S'il <strong>le</strong> fait, c'est que l'événement doit arriver infaillib<strong>le</strong>ment;<br />

si c'est par hasard, comment peut-on <strong>le</strong> prédire?<br />

A quoi sert la divination, si <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin conduit tout?<br />

fjuintus avait dit qu'un présage avait fait retourner sur<br />

ses pas <strong>le</strong> roi Déjotarus, qui par là avait évité un grand<br />

malheur : Aurait-il pu l'éviter, dit Cicéron, si <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin<br />

l'eût voulu? Et si c'était un hasard, il ne pouvait être<br />

prédit.. Si <strong>le</strong>s événements arrivent par hasard ou fata<strong>le</strong>ment,<br />

à quoi servent <strong>le</strong>s aruspices?<br />

Arrivant aux <strong>de</strong>ux espèces <strong>de</strong> divinations, Cicéron<br />

témoigne <strong>de</strong>s doutes concernant <strong>le</strong>s faits cités; ils<br />

ont pu être inventés, s'être réalisés par hasard; la<br />

science <strong>de</strong>s aruspices vient-el<strong>le</strong> d'une longue suite d'observations,<br />

<strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s se sont-ils communiqué <strong>le</strong>urs<br />

résultats?— Non, dit Cicéron, puisque <strong>le</strong>s uns interprètent<br />

d'une manière, d'autres d'une autre.<br />

On examine <strong>le</strong>s signes du foie. Quel rapport entre


174 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

ces signes et la nature universel<strong>le</strong>? Cela serait, comment<br />

trouver une victime convenab<strong>le</strong>? <strong>Le</strong>s dieux, diton<br />

, prési<strong>de</strong>nt au choix, et font au moment du sacrifice<br />

paraître <strong>de</strong>s signes dans ses entrail<strong>le</strong>s. — Quoi!<br />

vous pensez que <strong>le</strong> même taureau aura ou n'aura pas<br />

une tête au foie? S'il est choisi par tel ou tel, cette tôte<br />

paraîtra ou disparaîtra subitement? <strong>Le</strong> hasard choisit<br />

la victime, la première n'a pas <strong>de</strong> tête au foie, la secon<strong>de</strong><br />

a <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s fort bel<strong>le</strong>s; que sont <strong>de</strong>venues <strong>le</strong>s<br />

menaces <strong>de</strong> la première? Dans <strong>le</strong> <strong>de</strong>rnier sacrifice fait<br />

par César, la victime n'avait pas <strong>de</strong> cœur ; ne pouvant<br />

vivre sans cœur, on pense qu'il a été anéanti. On voit<br />

bien que l'animal n'a pu vivre sans cœur, et on ne voit<br />

pas que cet organe n'a pu subitement s'envo<strong>le</strong>r, ni<br />

qu'il pouvait être si <strong>de</strong>sséché, si flétri, qu'on a cru qu'il<br />

n'existait pas. Pour soutenir <strong>le</strong>s aruspices, <strong>le</strong>s stoïciens<br />

bou<strong>le</strong>versent toute Ja nature.<br />

Après avoir renversé la divination par l'inspection<br />

<strong>de</strong>s entrail<strong>le</strong>s, Cicéron abor<strong>de</strong> cel<strong>le</strong> qui se faisait par<br />

<strong>le</strong>s foudres et <strong>le</strong>s prodiges. Un physicien attribuera-t-il<br />

un signe certain à <strong>de</strong>s choses incertaines dont l'effet<br />

est purement naturel? Si Jupiter voulait révé<strong>le</strong>r l'avenir<br />

par <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong> la foudre, la lancerait-il si souvent<br />

inuti<strong>le</strong>ment? El<strong>le</strong> tombe dans la mer, sur <strong>le</strong>s montagnes,<br />

dans <strong>le</strong>s déserts, dans <strong>le</strong>s pays où on ne l'observe<br />

pas ; à quoi sert-el<strong>le</strong> ? Vous examinez <strong>le</strong>s faits et<br />

non la cause... Mais il ne convient pas <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s faits,<br />

et un philosophe doit rechercher <strong>le</strong>s causes. Après<br />

avoir examiné plusieurs faits, Cicéron ne peut pas déci<strong>de</strong>r<br />

s'il faut y voir plutôt la provi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s dieux que<br />

<strong>le</strong> hasard. « Mais je n'en sais rien, dit-il, et je voudrais<br />

l'apprendre <strong>de</strong> vous. »<br />

J'attribue certaines prédictions au hasard, et vous<br />

me posez l'argument d'un pourceau qui, en fouillant,


AVEC LE DÉMON. 178<br />

forme une <strong>le</strong>ttre, mais ne saurait écrire un poëme.<br />

N'a-t-on pas observé dans <strong>le</strong>s nues la forme d'un lion,<br />

d'un centaure? <strong>Le</strong> hasard peut donc imiter la nature.<br />

On pourrait même trouver une tête <strong>de</strong> faune dans un<br />

bloc <strong>de</strong> marbre ; car une tête ne se sculpte qu'en retranchant<br />

<strong>de</strong> la matière. Praxitè<strong>le</strong> n'a fait autre chose, tout<br />

était dans <strong>le</strong> marbre.<br />

L'origine <strong>de</strong>s aruspices en Étrurie est due à Tagès,<br />

qui apparaît tout à coup dans un sillon ; qui sera assez<br />

l'on pour <strong>le</strong> croire? Si c'est un Dieu, pourquoi<br />

est-il resté si longtemps en terre? Si c'est un homme,<br />

comment a-t-il pu y vivre? <strong>Le</strong>s prédictions sont d'ail<strong>le</strong>urs<br />

restées sans effet. Ces signes, qu'on prétend<br />

venir <strong>de</strong>s dieux, pourquoi sont-ils si obscurs, inuti<strong>le</strong>s<br />

ou nuisib<strong>le</strong>s?<br />

Il a plu du sang, <strong>de</strong>s statues ont sué... Cela n'est<br />

pas possib<strong>le</strong>, <strong>de</strong>s physiciens ne <strong>le</strong> croiront pas. L'un<br />

ressemblait à du sang; l'autre, c'était <strong>de</strong> l'humidité.<br />

Cherchez la cause <strong>de</strong> tout ce qui vous paraît surnaturel;<br />

si vous ne la trouvez pas, n'en soyez pas moins<br />

sûr qu'el<strong>le</strong> existe. Ce qui se fait n'est point un prodige;<br />

ce qui ne peut se faire ne s'est jamais fait.<br />

Vous regar<strong>de</strong>z comme un présage funeste qu'un enseigne<br />

n'ait pu arracher son étendard, c'est qu'il l'avait<br />

planté hardiment et ne l'a arraché qu'à regret.<br />

<strong>Le</strong>s portes d'un temp<strong>le</strong> se sont ouvertes seu<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s<br />

boucliers se sont détachés. — C'est <strong>le</strong> hasard. — Une<br />

voix mystérieuse annonce l'arrivée <strong>de</strong>s Gaulois, et on<br />

érige un autel à ce dieu parlant ; pourquoi donc est-il<br />

re<strong>de</strong>venu muet?<br />

Cicéron en convient, à Rome on ne sait plus ce que<br />

c'est que <strong>le</strong>s aruspices ; il n'en était pas <strong>de</strong> même autrefois<br />

; chez <strong>le</strong>s autres peup<strong>le</strong>s, c'est moins un art qu'une<br />

superstition, ils <strong>le</strong>s consultent <strong>avec</strong> fruit, tandis que


m DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>le</strong>s consuls ne <strong>le</strong>s observent plus ; Cicéron néanmoins<br />

<strong>le</strong>s rejette, parce qu'ils viennent <strong>de</strong>s Barbares et qu'il<br />

n'y a pas d'uniformité dans <strong>le</strong>ur discipline. — <strong>Le</strong>s<br />

Grecs donnent tel<strong>le</strong> signification au tonnerre à droite,<br />

d'autres au tonnerre à gauche : l'ignorance, la superstition<br />

ont produit tout cela. Si rien n'est impossib<strong>le</strong><br />

aux dieux, « que n'ont-ils fait <strong>le</strong>s stoïciens sages!...»<br />

Cicéron combat <strong>le</strong>s prédictions <strong>de</strong>s Chaldéens, l'événement<br />

tous <strong>le</strong>s jours trompe <strong>le</strong>urs prévisions.<br />

La divination naturel<strong>le</strong> est examinée rapi<strong>de</strong>ment,<br />

quoique ce soit cel<strong>le</strong> à laquel<strong>le</strong> Quintus accor<strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

plus <strong>de</strong> confiance. Pour la première, il n'a rien répliqué,<br />

il a tout accepté ; désirant connaître <strong>le</strong> sentiment<br />

<strong>de</strong> Cicéron sur cel<strong>le</strong>-ci, l'opinion <strong>de</strong>s stoïciens <strong>de</strong>vient<br />

<strong>le</strong> sujet d'un rapi<strong>de</strong> examen <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> Cicéron.<br />

<strong>Le</strong>ur raisonnement, dit-il, est faux, <strong>le</strong>urs propositions<br />

très-contestab<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>urs opinions superstitieuses.<br />

<strong>Le</strong>s dieux aiment <strong>le</strong>s hommes ; — <strong>le</strong>s épicuriens<br />

nient qu'ils soient bienfaisants.— Ils savent tout : <strong>de</strong>s<br />

savants <strong>le</strong> contestent; —ils connaissent l'avenir,—<br />

on y a déjà répondu.<br />

Cratippe a dit, pour prouver la divination, qu'il suffit<br />

d'avoir une seu<strong>le</strong> fois <strong>de</strong>viné <strong>de</strong> manière à ne pouvoir<br />

l'attribuer au hasard. Or <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s sont nombreux,<br />

donc, etc. — Cicéron répond que s'il y a <strong>de</strong><br />

vraies prédictions, il y on a beaucoup <strong>de</strong> fausses ; cela lui<br />

suffit pour <strong>le</strong>s mettre toutes sur <strong>le</strong> compte du hasard.<br />

Il est surpris du privilège <strong>de</strong> l'enthousiasme, qui<br />

rend un insensé plus clairvoyant qu'un sage.<br />

<strong>Le</strong>s orac<strong>le</strong>s étaient obscurs. Us sont tombés dans <strong>le</strong><br />

mépris; Delphes n'en rend plus, <strong>le</strong>s exhalaisons, diton,<br />

se sont évaporées. — Ne scmb<strong>le</strong>-t-il pas qu'on<br />

par<strong>le</strong> <strong>de</strong> vin ou <strong>de</strong> quelque salaison; el<strong>le</strong>s se sont évaporées<br />

quand <strong>le</strong>s hommes ont été moins crédu<strong>le</strong>s.


AVEC LE DÉMON. 177<br />

Même erreur à l'égard <strong>de</strong>s songes : Pythagore, Platon<br />

veu<strong>le</strong>nt qu'on s'y prépare par une nourriture fruga<strong>le</strong>.<br />

Comme si <strong>le</strong>s vian<strong>de</strong>s chargeaient l'âme 1 On<br />

dit que <strong>le</strong>s songes viennent <strong>de</strong>s communications <strong>avec</strong><br />

<strong>le</strong>s esprits. Si on ne doit pas croire aux visions <strong>de</strong>s<br />

ivrognes, doit-on croire à cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s gens qui songent?<br />

Pour être guéri, faut-il s'adresser plutôt à ceux qui<br />

font <strong>de</strong>s songes qu'aux mé<strong>de</strong>cins ? Si la divinité nous<br />

révè<strong>le</strong> <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s dans un songe, pourquoi ne<br />

nous apprend-el<strong>le</strong> point à lire, à écrire, à composer?<br />

Comme cela n'est pas, Cicéron dit que <strong>le</strong> crédit <strong>de</strong>s<br />

songes est perdu ; fort peu <strong>de</strong> personnes y croient ou<br />

<strong>le</strong>s expliquent, peu s'en souviennent. On ne saurait<br />

penser que <strong>le</strong>s dieux envoient <strong>de</strong>s avertissements inuti<strong>le</strong>s<br />

: donc ils ne sont pas divins. Pourquoi ne <strong>le</strong>s envoient-ils<br />

pas <strong>de</strong> préférence pendant la veil<strong>le</strong>, pourquoi<br />

sont-ils obscurs, pourquoi faut-il <strong>le</strong>s interpréter?<br />

Si <strong>le</strong>s dieux veu<strong>le</strong>nt nous avertir, <strong>le</strong> ministère <strong>de</strong>s interprètes<br />

serait-il nécessaire? Nul ne contestera que <strong>le</strong>s<br />

songes ne se réalisent pas tous ; d'où viennent ceux qui<br />

sont faux? S'ils viennent aussi <strong>de</strong>s dieux, quel<strong>le</strong> frivo<strong>le</strong><br />

occupation que <strong>de</strong> troub<strong>le</strong>r l'esprit? Si <strong>le</strong>s uns sont<br />

naturels, <strong>le</strong>s autres divins, qui pourra <strong>le</strong>s discerner?<br />

<strong>Le</strong>quel est <strong>le</strong> plus probab<strong>le</strong>, que <strong>le</strong>s dieux courent <strong>de</strong><br />

grabats en grabats pour donner <strong>de</strong>s songes, ou <strong>de</strong> penser<br />

qu'ils sont tous naturels ?<br />

Cicéron, rappelant à Quintus <strong>le</strong>s songes qu'ils ont<br />

faits eux-mêmes, dit : « J'ai vu Marius; mais d'où venait<br />

son image? est-ce, comme pensait Démocrite, du<br />

corps que Marius avait autrefois?» L'illustre orateur,<br />

après <strong>de</strong> longs arguments, termine en disant que s'il a<br />

songé à Marius en dormant, c'est qu'il y avait songé<br />

pendant la veil<strong>le</strong> ; il en dit autant du songe <strong>de</strong> Quintus.<br />

Quoiqu'il eût été frappé <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux songes, il<br />

i?


178 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

finit par une bouta<strong>de</strong> : « S'il ne s'en réalisait aucun,<br />

dit-il, quel<strong>le</strong> est la femme qui voudrait y croire? »<br />

A<strong>le</strong>xandre vit en songe un dragon qui lui présentait<br />

dans sa gueu<strong>le</strong> la plante qui <strong>de</strong>vait guérir Ptoléméc.<br />

Cicéron trouve surprenant qu'un dragon ait pu par<strong>le</strong>r<br />

<strong>avec</strong> une herbe dans la gueu<strong>le</strong>. Rien, dit-il, n'est<br />

diffici<strong>le</strong> dans un songe. Pourquoi en a-t-il eu un si<br />

clair? pourquoi sont-ils ordinairement si obscurs?<br />

pourquoi A<strong>le</strong>xandre et lui-même n'ont-ils plus reçu<br />

d'avertissements en songe?<br />

Quintus gar<strong>de</strong> <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce. La conclusion, c'est la vanité<br />

<strong>de</strong>s songes. S'ils ne viennent point <strong>de</strong> Dieu, si <strong>le</strong>ur<br />

interprétation n'est qu'une subtilité, s'ils n'ont aucune<br />

connexité dans la nature, il faut <strong>le</strong>s rejeter comme une<br />

superstition, l'ennemie <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> la plus cruel<strong>le</strong>,<br />

qu'il faut se hâter <strong>de</strong> détruire.<br />

Quintus persistant dans son si<strong>le</strong>nce : il faut donc rejeter<br />

la divination par <strong>le</strong>s songes comme toutes <strong>le</strong>s<br />

autres. Sa cause est perdue.<br />

<strong>Le</strong>s songes seraient méprisés, continue Cicéron, si<br />

<strong>de</strong>s philosophes, <strong>de</strong>s hommes d'une gran<strong>de</strong> érudition,<br />

qui passeraient aujourd'hui pour <strong>le</strong>s seuls philosophes,<br />

n'en avaient pris la défense. C'est contre eux qu'il<br />

dispute; mais comme l'Académie n'affirme rien, qu'el<strong>le</strong><br />

ne signa<strong>le</strong> que ce qui lui paraît <strong>le</strong> plus vraisemblab<strong>le</strong>,<br />

qu'el<strong>le</strong> se borne à comparer <strong>le</strong>s sentiments divers, en<br />

laissant aux auditeurs <strong>le</strong> soin <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r, il s'en tiendra<br />

à la forme dubitative.<br />

Cicéron, dans son Traite <strong>de</strong>là Divination, a renversé<br />

<strong>le</strong> stoïcisme en forçant Quintus à gar<strong>de</strong>r <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce.<br />

Dans celui De la naturo <strong>de</strong>s Biciu:, il fajt intervenir<br />

Colla, autre académicien, qui attaque <strong>le</strong>s épicuriens cl<br />

<strong>le</strong>s stoïciens et <strong>le</strong>s renverse.


AVEC LE DÉMON. no<br />

Réfutation <strong>de</strong> Vépicurisme.<br />

CoLfa répond à Vel<strong>le</strong>ius et lui dit qu'il Cst plus aisé<br />

<strong>de</strong> nier que d'affirmer. —La véritab<strong>le</strong> opinion sur <strong>le</strong>s<br />

dieux est diffici<strong>le</strong> à établir. D'abord existent-ils? où<br />

sont-ils? d'où viennent-ils? <strong>Le</strong>s épicuriens donnent aux<br />

a<strong>tome</strong>s un empire absolu: si tout est p<strong>le</strong>in, il n'y a ni<br />

a<strong>tome</strong> ni vi<strong>de</strong>; si <strong>le</strong>s dieux sont formés d'a<strong>tome</strong>s, ils<br />

ne sont pas éternels, puisqu'ils se sont réunis et qu'ils<br />

auront une fin. Que <strong>de</strong>viendront alors ces êtres heureux?<br />

Cotta résume tout ce qui a été dit par Vel<strong>le</strong>ius,<br />

et lui prouve qu'il n'a avancé que <strong>de</strong>s folies. — On dit<br />

que <strong>de</strong>ux aruspices ne peuvent se regar<strong>de</strong>r sans rire ;<br />

on doit être encore plus surpris que <strong>de</strong>ux épicuriens<br />

puissent s'en empêcher lorsqu'ils discutent ensemb<strong>le</strong>.<br />

— Cotta termine en s'étonnant que <strong>de</strong> si fol<strong>le</strong>s rêveries<br />

aient pu donner lieu <strong>de</strong> s'é<strong>le</strong>ver contre <strong>le</strong>s doctrines<br />

<strong>de</strong> Pythagore et <strong>de</strong> Platon.<br />

Réfutation du stoïcisme par Cotta.<br />

Dans <strong>le</strong> même Traité <strong>de</strong> la Nature <strong>de</strong>s Dieux, Cicéron,<br />

sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Cotta, vient attaquer encore <strong>le</strong> stoïcisme :<br />

il avoue que cette opinion <strong>de</strong>s stoïciens, qu'il existe<br />

te dieux, est incontestab<strong>le</strong>, mais il n'y croit que sur<br />

la foi <strong>de</strong>s ancêtres, et non sur <strong>le</strong>s preuves <strong>de</strong>s stoïciens,<br />

qui n'en entassent autant que parce qu'el<strong>le</strong>s sont<br />

faib<strong>le</strong>s. — Je ne me fon<strong>de</strong>, dit-il, que sur la tradition;<br />

mais puisque vous invoquez la raison pour votre <strong>démon</strong>stration,<br />

je prétends que vos preuves n'aboutissent<br />

qua faire douter. Vous prouvez cette existence par <strong>le</strong><br />

cours <strong>de</strong>s astres, qui fait supposer qu'une intelligence<br />

<strong>le</strong>s gouverne. Vous la prouvez par l'apparition <strong>de</strong>s


180 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

dieux, ce sont <strong>de</strong>s fab<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s raisons alléguées sont<br />

<strong>le</strong>s mêmes que cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Cicéron au Traité <strong>de</strong> la divination.<br />

Cotta, enfin, <strong>démon</strong>tre longuement aux stoïciens<br />

que <strong>le</strong>urs dieux ne sont pas <strong>de</strong>s dieux.<br />

Quelques réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong>s réjutations <strong>de</strong> Cicéron.<br />

Forcé d'abréger, cette analyse est fort incomplète;<br />

espérons, toutefois, que ce qu'on vient d'exposer donnera,<br />

<strong>avec</strong> ce qui va être dit, une connaissance suffisante<br />

<strong>de</strong> la matière. On a peu parlé <strong>de</strong> l'épicurismc,<br />

qui n'avait pas besoin <strong>de</strong> réfutation; on s'est étendu<br />

davantage sur <strong>le</strong> stoïcisme ; c'est surtout sur ce qu'en<br />

a dit Cicéron que nous nous permettrons <strong>de</strong> faire quelques<br />

réf<strong>le</strong>xions.<br />

Cicéron avait fait <strong>de</strong> son travail un éloge fort pompeux.<br />

<strong>Le</strong> <strong>le</strong>cteur avait droit d'attendre un ouvrage d'autant<br />

plus grave et consciencieux qu'il <strong>de</strong>vait remplacer<br />

ceux dos philosophes grecs, la plupart perdus aujourd'hui,<br />

ainsi que <strong>le</strong>s réfutations <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs systèmes.<br />

Cicéron a-t-il tenu paro<strong>le</strong>?<br />

Sans doute nous admirons tous celui qui a stigmatisé,<br />

tantôt <strong>avec</strong> l'arme du ridicu<strong>le</strong>, ou <strong>avec</strong> <strong>le</strong> simp<strong>le</strong> bon<br />

sens, <strong>le</strong>s croyances superstitieuses <strong>de</strong>s anciens. En y<br />

réfléchissant, cependant, on pense que <strong>le</strong> bon sens est<br />

un assez mauvais juge en pareil<strong>le</strong> matière. Quant aux<br />

sarcasmes dont il use quelquefois, ils ne prouvent jamais<br />

rien. Donc, si nous admirons Cicéron, c'est qu'il pensait<br />

ce que nous pensons presque tous; et d'où vient notre<br />

opinion, si ce n'est <strong>de</strong> lui-même et <strong>de</strong> son éco<strong>le</strong>? Allonsnous<br />

donc nous constituer champion du stoïcisme?<br />

Pas <strong>le</strong> moins du mon<strong>de</strong> (ce n'est point ce dont il s'agit);<br />

mais <strong>de</strong> montrer que Quintus pouvait répondre ; que s'il<br />

ne l'a point fait, c'est que Cicéron ne l'a point voulu.


AVEC LE DÉMON. 181<br />

Quintus connaissait <strong>le</strong> fort et <strong>le</strong> faib<strong>le</strong> <strong>de</strong>s diverses doctrines;<br />

Quintus croyait fermement à <strong>de</strong>s faits. Celui<br />

d'entre nous qui, présent à la discussion, y aurait cru<br />

comme lui, qui avait tant <strong>de</strong> connaissances qui nous<br />

manquent, eût-il comme lui gardé <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce? ces réfutations<br />

l'eussent-el<strong>le</strong>s satisfait? Non. — Cicéron n'a<br />

pas voulu que Quintus répliquât. La forme dialoguée<br />

adoptée par lui dans d'autres écrits était fort propre .à<br />

entretenir la discussion et à approfondir <strong>le</strong> sujet. Cicéron<br />

ne l'a pas choisie ; tantôt il semb<strong>le</strong> dédaigner <strong>le</strong> sujet<br />

qu'il eff<strong>le</strong>ure, recourt à la plaisanterie, tantôt en appel<strong>le</strong><br />

à la raison et semb<strong>le</strong> l'éviter en se jouant. Ce travail n'est<br />

pas profond ; il n'a pas abordé franchement <strong>le</strong>s difficultés;<br />

il nous intéresse, cependant, parce qu'il nous<br />

fait connaître <strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong> l'Académie.<br />

En parcourant Cicéron, <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur se sent poussé à<br />

stimu<strong>le</strong>r Quintus, qui gar<strong>de</strong> <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce quand il pouvait<br />

répliquer. On voit enfin que Cicéron s'est ménagé une<br />

victoire faci<strong>le</strong>.— Une longue discussion n'est pas possib<strong>le</strong><br />

ici, mais on se permettra quelques observations,<br />

car il est évi<strong>de</strong>nt que Quintus n'a pas usé <strong>de</strong> toutes ses<br />

ressources.<br />

Cicéron a nié la divination, parce que,-en politique<br />

habi<strong>le</strong>, il condamne la croyance à la fatalité; <strong>de</strong>vait-i<br />

rejeter la divination que <strong>le</strong>s plus grands philosophes<br />

admettaient, et, comme il l'a dit lui-même, balbutier<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s épicuriens? Quintus ne pouvait-il reconnaître<br />

en même temps la divination, <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin et <strong>le</strong><br />

libre arbitre humain? Autrefois Pythagore et Platon<br />

croyaient à la divination, à la Provi<strong>de</strong>nce et au <strong>de</strong>stin.<br />

S'il menace, Dieu peut retenir ses coups. Sinon à quoi<br />

bon recomman<strong>de</strong>r <strong>de</strong> prier? <strong>Le</strong>s dieux peuvent révé<strong>le</strong>r<br />

nn malheur imminent, qu'on peut conjurer souvent<br />

par <strong>de</strong>s sacrifices.


182 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Lp roi Déjotarus ayant consulté <strong>le</strong>s aruspices, re*<br />

tourna sur ses pas et fit bien, car la charnbre où il avait<br />

couché s'écroula pendant la nuit. On ne peut nier que<br />

<strong>le</strong>s dieux n'aient prévu ce qu'un architecte aurait pu prévoir,<br />

ni nier qu'ils n'aient pu avertir Déjotarus par <strong>de</strong>s<br />

signes du malheur qui <strong>le</strong> menaçait ; — plusieurs présages<br />

avaient averti César pour <strong>le</strong> détourner do se rendre<br />

au sénat. <strong>Le</strong> <strong>de</strong>stin <strong>le</strong> menace, <strong>le</strong>s dieux l'avertissent;<br />

usant <strong>de</strong> sa liberté, il s'y rend néanmoins et y trouvera<br />

la mort. S'il eût cru aux présages il se serait sauvé.<br />

Maintenant admettons qu'un <strong>de</strong>stin fatal l'ait entraîné,<br />

cet avertissement inuti<strong>le</strong> était une sorte <strong>de</strong> cruauté,<br />

direz-vous. — Inuti<strong>le</strong>, non. — Il est vrai que <strong>le</strong>s dieux<br />

prévoient tout; que ce qu'ils ont décrété arrivera;<br />

que <strong>l'homme</strong> ne peut rien contre <strong>le</strong>ur décision. Ceci<br />

détruit, ce semb<strong>le</strong>, la liberté mora<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> ; c'est<br />

<strong>le</strong> fatum sur <strong>le</strong>quel nos <strong>de</strong>ux philosophes pouvaient<br />

argumenter longtemps : mais au fond, l'idée du <strong>de</strong>stin<br />

doit rendre religieuse envers <strong>le</strong>s dieux la créature qui<br />

en est si dépendante, et lui laisser encore l'espoir <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>s fléchir, puisque <strong>le</strong> plus ordinairement <strong>l'homme</strong> sait<br />

que <strong>le</strong>s présages annoncent <strong>de</strong>s malheurs qu'on évite<br />

eu implorant <strong>le</strong>s dieux.<br />

Prédisent-ils ce qui arrivera par hasard?—Supposez<br />

qu'un voyageur suive un chemin qui <strong>le</strong> conduirait au<br />

milieu d'une ban<strong>de</strong> d'assassins, ne puis-je l'avertir <strong>de</strong><br />

rétrogra<strong>de</strong>r? Je connais son <strong>de</strong>stin funeste, s'il s'obstine<br />

; je sais qu'il est sauvé, s'il m'écoute. Un autre,<br />

emporté par un cheval fougueux, va être lancé dans<br />

un précipice. Ma voix l'avertit en vain pour son corps;<br />

est-ce en vain pour son âme, prête à comparaître <strong>de</strong>vant<br />

soh juge ?<br />

Il y aurait beaucoup à dire, mais nos <strong>de</strong>ux interlocuteurs<br />

n'ont rien dit ; il est vrai que Quintus ne re-


AVEC LE DÉMON.<br />

connfiît plus <strong>le</strong> dieu <strong>Des</strong>tin ; <strong>le</strong> stoïcisme, tombé dans<br />

<strong>le</strong> matérialisme, l'a rejeté : c'était <strong>le</strong> cas d'examiner si<br />

<strong>le</strong>s stoïciens, en appelant <strong>de</strong>stin l'enchaînement nécessaire<br />

<strong>de</strong>s causes et <strong>de</strong>s effets, ne s'étaient pas fourvoyés,<br />

puisque ce système <strong>le</strong>s conduisait à nier <strong>le</strong> libre<br />

arbitre ou la divination. Supposez cet enchaînement,<br />

<strong>l'homme</strong> n'est plus qu'une machine mue fata<strong>le</strong>ment;<br />

il ne fallait pas se borner à exposer un seul système,<br />

il fallait <strong>le</strong>s examiner tous sous <strong>le</strong>urs diverses faces,<br />

ce qu'on n'a pas fait ici.<br />

Une raison puissante pour Cicéron <strong>de</strong> rejeter la divination,<br />

c'est que tout <strong>de</strong>vient présage pour <strong>le</strong> superstitieux;<br />

il n'est jamais tranquil<strong>le</strong>, son courage est<br />

amolli. Bien <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s après lui, <strong>le</strong> môme motif fera<br />

nier <strong>de</strong>s faits généra<strong>le</strong>ment admis ; cependant, s'ils<br />

existent, cette négation ne <strong>le</strong>s détruit pas.<br />

Cicéron a pu croire aux divinations comme <strong>le</strong>s stoïciens;<br />

mais <strong>l'homme</strong> politique nie, l'académicien conteste,<br />

l'épicurien plaisante.<br />

<strong>Le</strong>s faits ont pu être inventés ou être arrivés par hasard,<br />

dit Cicéron. — La science <strong>de</strong>s aruspices vientel<strong>le</strong><br />

d'une longue observation, <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s se <strong>le</strong>s sontils<br />

communiqués? Non. <strong>Le</strong>s uns interprètent d'une<br />

manière, d'autres d'une autre.<br />

Quintus était plus capab<strong>le</strong> que nous <strong>de</strong> répondre à<br />

!a question concernant <strong>le</strong>s faits. Quant à la secon<strong>de</strong><br />

proposition, il <strong>de</strong>vait dire que <strong>le</strong> même signe pouvait<br />

être interprété différemment, selon <strong>le</strong>s pays. Il en est<br />

<strong>de</strong>s signes qui annoncent un événement comme <strong>de</strong><br />

ceux qui servent aux hommes à manifester <strong>le</strong>urs pensées,<br />

ils sont purement <strong>de</strong> convention.<br />

Quel rapport entre la nature universel<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s signes<br />

d'un foie, etc.?— Je l'ignore, <strong>de</strong>vait dire Quintus,<br />

physiquement parlant. Mais <strong>le</strong>s philosophes admet-


184 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

tant <strong>de</strong>s signes émanés d'une vertu occulte et divine<br />

répandue partout, Cicéron ne doit plus raisonner en<br />

physicien uniquement, mais examiner longuement<br />

l'ancienne doctrine.<br />

On dit que <strong>le</strong>s dieux prési<strong>de</strong>nt au choix <strong>de</strong> la victime.<br />

<strong>Le</strong>s signes varieront au moment du sacrifice, ils<br />

se manifesteront ou disparaîtront subitement. La première<br />

victime aura <strong>de</strong>s signes funestes ; la secon<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s<br />

entrail<strong>le</strong>s fort bel<strong>le</strong>s. Que sont donc <strong>de</strong>venues <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong> la première? On voit bien qu'un animal n'a<br />

pu vivre sans cœur ; ou ne voit pas, dit Cicéron, que cet<br />

organe ait pu subitement s'envo<strong>le</strong>r, etc. — <strong>Le</strong>s stoïciens<br />

bou<strong>le</strong>versent toute la physique.<br />

Quintus pouvait répondre longuement à ces objections,<br />

ce que <strong>le</strong> défaut d'espace nous interdit <strong>de</strong> faire.<br />

Si nous étions Cicéron, nous accuserions <strong>le</strong>s aruspices<br />

<strong>de</strong> fourberie ; il ne l'a pas fait, pour lui c'était diffici<strong>le</strong>.<br />

On ne peut dire que <strong>le</strong> cœur se soit envolé, ni que la<br />

victime n'en ait jamais eu ; cependant il arrive <strong>de</strong> n'en<br />

pas trouver et il n'accuse pas d'escamotage; que dira<br />

donc Cicéron? Une absurdité, pour nier <strong>le</strong> prodige:<br />

«Cet organe est si flétri, qu'on n'a su <strong>le</strong> trouver. »<br />

Cicéron <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce que sont <strong>de</strong>venues <strong>le</strong>s menaces<br />

do la première victime. — II savait que <strong>le</strong>s dieux manifestaient<br />

<strong>le</strong>ur courroux par <strong>de</strong>s présages qu'il fallait<br />

expier ; on immolait ainsi <strong>de</strong>s victimes jusqu'à ce qu'ils<br />

se montrassent satisfaits ou que l'impossibilité <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

satisfaire fût évi<strong>de</strong>nte. — Quand <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s sont<br />

bel<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s dieux sont apaisés.<br />

Qu'il nous soit permis un instant <strong>de</strong> prendre Cicéron<br />

pour interlocuteur, et <strong>de</strong> répondre à ses arguments à<br />

la place <strong>de</strong> Quintus.<br />

Cicéron. — <strong>Le</strong>s stoïciens bou<strong>le</strong>versent la physique.<br />

Pour Quintus, qui croyait à ces prodiges, celte


AVEC LE DÉMON. 18o<br />

réponse était aussi peu raisonnab<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong> serait<br />

pour <strong>le</strong> chrétien qui croit aux mirac<strong>le</strong>s attestés par<br />

plusieurs milliers <strong>de</strong> témoins. Admettre <strong>le</strong>s prodiges,<br />

ce n'est pas bou<strong>le</strong>verser la physique, puisqu'ils sont <strong>de</strong><br />

l'ordre surnaturel; il fallait prouver que l'ordre surnaturel<br />

n'existe pas.<br />

Cicéron. — Si <strong>le</strong> tonnerre révè<strong>le</strong> l'avenir, pourquoi<br />

Jupiter lance-t-il si souvent inuti<strong>le</strong>ment la foudre?<br />

Quintus pouvait lui répondre : « Vous savez comme<br />

moi qu'il y a <strong>de</strong>s hommes experts en fulguration, qui<br />

distinguent parfaitement <strong>le</strong>s foudres naturel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s<br />

foudres prodiges. Niez-vous cel<strong>le</strong>s-ci? Vous n'ignorez<br />

pas qu'el<strong>le</strong>s ont rappelé <strong>de</strong>s épicuriens au culte <strong>de</strong>s<br />

dieux. » Il <strong>de</strong>vait lui rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s preuves historiques.<br />

<strong>Le</strong> raisonnement <strong>de</strong> Cicéron, qui peut paraître excel<strong>le</strong>nt,<br />

pour Quintus convaincu, était donc détestab<strong>le</strong>.<br />

Quand Cicéron ne peut découvrir <strong>le</strong>s causes, il nie<br />

<strong>le</strong>s faits. — Ce qui s'est fait n'est pas un prodige; ce<br />

qui ne peut se faire ne s'est jamais fait, etc<br />

La hardiesse <strong>de</strong> cet axiome n'en prouve point la vérité<br />

; il se fon<strong>de</strong> sur ce que la nature a <strong>de</strong>s lois invariab<strong>le</strong>s.<br />

Trouvé vrai par ceux qui n'ont jamais entendu<br />

par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> prodiges, il est faux pour ceux qui savent<br />

qu'il se produit <strong>de</strong>s faits hors <strong>de</strong>s lois naturel<strong>le</strong>s : aux<br />

Gentils convaincus <strong>de</strong> l'existence <strong>de</strong>s prodiges, il fallait<br />

prouver qu'ils étaient absur<strong>de</strong>s et que <strong>le</strong>s plus illustres<br />

philosophes se trompaient.<br />

Cicéron attribuant quelques prédictions au hasard,<br />

Quintus avait prévu l'objection, mais Cicéron, à l'exemp<strong>le</strong><br />

cité du pourceau qui, en fouillant, forme un A, et<br />

ne pourrait écrire un poème, avait répondu qu'on voit<br />

dans <strong>le</strong>s nues <strong>de</strong>s figures <strong>de</strong> lion et <strong>de</strong> centaure; qu'on<br />

peut trouver une tête <strong>de</strong> faune dans un bloc <strong>de</strong> marbre;<br />

Sa conclusion, c'est que <strong>le</strong> hasard peut imiter la nature.


i8C> DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Il est possib<strong>le</strong> qu'une nue imite grossièrernent la<br />

forme d'un lion; cette imitation n'ira jamais à représenter<br />

<strong>de</strong>s animaux ou <strong>de</strong>s hommes, dont on distinguerait<br />

la forme, <strong>le</strong>s mouvements, la cou<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>s yôte-;<br />

monts, <strong>le</strong>s armes, <strong>le</strong>s coursiers, <strong>le</strong>s évolutions dans Jps<br />

airs. Certaines divinations, par <strong>le</strong>urs détails, sont non<br />

moins exactes et non moins surprenantes. Dircz-vous<br />

que c'est <strong>le</strong> hasard? Je vous répondrai : Cessez <strong>de</strong> balbutier<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s épicuriens, vous savez bien que ce sont<br />

<strong>de</strong>s ignorants et <strong>de</strong>s sophistes.<br />

Quant à la tète do faune qui est dans un bloc <strong>de</strong><br />

marbre parce qu'une tète ne se forme qu'on la dégageant<br />

peu à peu, cette réponse ne méritait pas dp réplique<br />

: c'était une futilité.<br />

Cicéron. — Tagès apparut à un laboureur sous la<br />

forme d'un enfant qui serait sorti d'un sillon. Qui spra<br />

assez sot pour <strong>le</strong> croire ?<br />

Personne sans doute. Mais on croyait aux apparitions,<br />

et l'observation <strong>de</strong> Cicéron ne prouvait pas à<br />

Quintus qu'el<strong>le</strong>s fussent impossib<strong>le</strong>s. Nous dirions<br />

aujourd'hui que c'était une hallucination; Cicéron<br />

pouvait l'expliquer par <strong>le</strong>s simulacres <strong>de</strong> Démocrite;<br />

il a mieux aimé nier. Était-ce une raison pour Quintus<br />

<strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce?<br />

Cicéron. — <strong>Le</strong>s réponses <strong>de</strong>s aruspiecs sont restées<br />

sans effet. Qu'est-ce que ces avertissements? Pourquoi<br />

ces signes qui ont besoin d'interprètes?... pourquoi<br />

sont-ils obscurs, etc. ?<br />

<strong>Le</strong>s épicuriens avaient <strong>de</strong> fortes raisons pour <strong>le</strong>s<br />

attaquer, car <strong>le</strong>s signes étaient en effet énigniatiques,<br />

ambigus ; et pourquoi? dira-t-on. <strong>Le</strong>s dieux, en révélant<br />

l'avenir, ne voulaient-ils pas être compris, l'ignoraientils?<br />

Quintus ne pouvait-il répondre : Nous reconnaissons<br />

qu'il existe dos intelligences malignes; <strong>de</strong>s sages,


AVEC LE DÉMON. 187<br />

<strong>de</strong>s philosophes l'enseignent; ces esprits peuvent intervenir<br />

au lieu <strong>de</strong>s bons. Quoiqu'ils ignorent l'avenir, ils<br />

sont infiniment plus aptes que <strong>l'homme</strong> aie conjecturer:<br />

voilà pqurqupi <strong>le</strong>urs prédictions réussissent assez souvent<br />

et pourquoi el<strong>le</strong>s sont aussi quelquefois fausses...<br />

Ils font <strong>de</strong>s réponses ambiguës, pour qu'on ne puisse<br />

pas <strong>le</strong>s accuser <strong>de</strong> mensonge ou d'ignorance, préférant<br />

<strong>le</strong>ur réputation à cel<strong>le</strong> du <strong>de</strong>vin.<br />

Cicéron. —r- Vous regar<strong>de</strong>z comme un prodige que<br />

l'enseigne du premier centurion n'ait pu être arrachée,<br />

etc.<br />

Quintus <strong>de</strong>vait rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s circonstances <strong>de</strong> ce fait<br />

historique, où d'autres prodiges concoururent <strong>avec</strong> celui-ci<br />

pour annoncer l'insuccès d'une batail<strong>le</strong>. Pourquoi<br />

n'a-t-il pas dit que plusieurs soldats se réunirent vainement<br />

au porte-étendard pour arracher l'enseigne<br />

sans pouvoir réussir? Cicéron n'ayant pas nié <strong>le</strong> fait,<br />

son explication n'était qu'un bon mot.<br />

Cicéron. — <strong>Le</strong>s portes d'un temp<strong>le</strong> se sont ouvertes<br />

seu<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s boucliers se sont détachés, c'est par hasard,<br />

etc<br />

Ceci ne peut satisfaire ceux qui croyaient, comme<br />

Quintus, que <strong>le</strong>s portes étaient bien fermées et <strong>le</strong>s<br />

boucliers soli<strong>de</strong>ment attachés.<br />

Cicéron. — On érige un autel à un dieu qui a parlé;<br />

pourquoi est-il re<strong>de</strong>venu muet?<br />

On entendait quelquefois <strong>de</strong>s voix mystérieuses.<br />

C'était un fait si connu, qu'il y avait impu<strong>de</strong>nce à <strong>le</strong><br />

nier. <strong>Le</strong> si<strong>le</strong>nce postérieur ne détruit ni ce fait ni l'événement<br />

qui <strong>le</strong> suit. On donna un nom à cette voix,<br />

on en fit une nouvel<strong>le</strong> divinité; n'avait-el<strong>le</strong> jamais<br />

parlé, re<strong>de</strong>vint-el<strong>le</strong> muette ? c'était une question insolub<strong>le</strong><br />

et oiseuse.<br />

Cicéron. — <strong>Le</strong>s auspices ne sont plus qu'un simu-


188 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

lacre... Quoiqu'on <strong>le</strong>s consulte <strong>avec</strong> soin chez <strong>le</strong>s autres<br />

peup<strong>le</strong>s, cette science n'en est pas moins vaine; c'est<br />

une science perdue.<br />

Ceux qui l'ignorent, pouvait répondre Quintus,<br />

peuvent-ils la traiter <strong>de</strong> frivo<strong>le</strong>, tandis que ceux qui<br />

la connaissent y attachent une si haute importance et<br />

s'en félicitent tous <strong>le</strong>s jours?<br />

Cicéron. — <strong>Le</strong>s prédictions <strong>de</strong>s Chaldéens sont un<br />

incroyab<strong>le</strong> égarement; ils se trompent, etc<br />

Vraies ou fausses, ou réalisées quelquefois, plusieurs<br />

sièc<strong>le</strong>s après Cicéron cet égarement subsistait<br />

encore : on verra <strong>de</strong>s savants, en même temps qu'ils<br />

proclament que cette science est chimérique, avouer<br />

cependant que ces prédictions ne doivent pas <strong>le</strong>ur<br />

réalisation au hasard; ils en donnent l'explication<br />

et Quintus ne <strong>de</strong>vait point rester court. Si <strong>le</strong>s ennemis<br />

mômes <strong>de</strong> cette prétendue science y reconnaissent<br />

une vérité, Quintus certainement pouvait la défendre.<br />

Soutiendra-t-il mieux la cause <strong>de</strong> la divination naturel<strong>le</strong>,<br />

<strong>de</strong> laquel<strong>le</strong> il paraît mieux convaincu?<br />

Cicéron, ayant examiné <strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong>s stoïciens,<br />

<strong>le</strong>s trouve faux et très-contestab<strong>le</strong>s. En effet,<br />

ceux-ci prétendaient pouvoir nier l'existence <strong>de</strong>s dieux,<br />

s'ils n'accordaient pas la divination. « Étant bienfaisants,<br />

ils doivent, disaient-ils, nous avertir <strong>de</strong> ce qui<br />

peut nous nuire. » Cicéron ne s'arrête point là, il<br />

combat <strong>le</strong>s stoïciens par l'opinion d'Épicurc, qui niail<br />

que <strong>le</strong>s dieux s'occupent <strong>de</strong> nous.<br />

Quintus pouvait lui répondre : Vous dites vousmême<br />

que <strong>le</strong>s épicuriens ne font que balbutier lorsqu'ils<br />

par<strong>le</strong>nt <strong>de</strong>s dieux; laissez donc ces hommes,<br />

qui non-seu<strong>le</strong>ment nient que <strong>le</strong>s dieux soient bons,<br />

mais qui semb<strong>le</strong>nt nier même <strong>le</strong>ur existence.


AVEC LE DÉMON. 189<br />

Cicéron s'étonne <strong>de</strong> ce privilège qui rend un insensé<br />

plus clairvoyant qu'un sage.<br />

Celui que vous appe<strong>le</strong>z insensé, pouvait répondre<br />

Quintus, n'est que l'instrument passif <strong>de</strong> l'intelligence<br />

qui <strong>le</strong> gouverne... La pythie doit être simp<strong>le</strong> et ignorante<br />

; l'inspiré ne sait pas ce qu'il prédit, ne s'en<br />

souvient même pas. A quoi servirait la sagesse? qu'était-el<strong>le</strong><br />

en présence du dieu qui se manifeste par<br />

l'entremise <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s pendant <strong>le</strong> sommeil ou la<br />

veil<strong>le</strong>?<br />

L'âme reçoit en songe <strong>de</strong>s avertissements, dit Platon<br />

(Timée), parce qu'alors el<strong>le</strong> est privée <strong>de</strong> raison ;<br />

si el<strong>le</strong> pouvait la substituer à l'inspiration, el<strong>le</strong> y <strong>de</strong>viendrait<br />

rétive. Comment donc s'étonner <strong>de</strong> ce privilège<br />

<strong>de</strong> l'insensé, qui ne fait que prêter ses organes à<br />

une intelligence étrangère, et qui n'est mis par el<strong>le</strong><br />

dans cet état que pour dire <strong>le</strong>s choses vraies et bel<strong>le</strong>s<br />

qu'el<strong>le</strong> lui dicte.<br />

Cicéron examine longuement <strong>le</strong>s sibyl<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s<br />

obscurs, Delphes qui n'en a plus, etc.<br />

Quintus pouvait répondre ce que Sérapion dit dans<br />

Plutarque : — Quand l'orac<strong>le</strong>, non content d'annoncer<br />

<strong>le</strong>s événements, spécifie <strong>le</strong> temps, la manière, l'occasion,<br />

<strong>le</strong>s personnes..., ce n'est plus une conjecture, mais<br />

une prédiction; Théon a fait même observer pourquoi<br />

il fallait parfois employer l'équivoque, et signa<strong>le</strong> <strong>le</strong> cas<br />

où il y aurait eu du danger d'être trop clair 1<br />

.<br />

Cicéron. — Delphes ne rend plus d'orac<strong>le</strong>s ; l'exhalaison<br />

s'est évaporée, évanouie <strong>de</strong>puis que <strong>le</strong>s hommes<br />

sont moins crédu<strong>le</strong>s.<br />

Quintus pouvait dire qu'il n'affirmait pas qu'une ex-<br />

i. Il est permis <strong>de</strong> penser que dans certaines circonstances, on ne<br />

<strong>de</strong>mandait pas l'inspiration; on en voit <strong>le</strong>s raisons dans Plutarque.


100 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

halaison fût la cause <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s : l'un et l'autre, eti y<br />

réfléchissant bien, ne pouvaient raisonnab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong><br />

croire. Une exhalaison, comme l'a dit Plutarquo, aurait<br />

produit l'enthousiasme chez <strong>le</strong> premier venu. îl<br />

eût été inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> choisir une femme plutôt qu'un<br />

homme, <strong>de</strong> lui imposer la chasteté, etc. L'exhalaison<br />

était donc loin d'expliquer la cause <strong>de</strong> l'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong> Delphes,<br />

et Cicéron n'a cité cette cause que parce qu'el<strong>le</strong><br />

était ridicu<strong>le</strong>.<br />

Cicéron. — Démosthène s'est plaint que la pythie<br />

philippisuit..., etc.<br />

Préten<strong>de</strong>z-vous que la pythie n'ait joué qu'un rô<strong>le</strong><br />

do fourbe, expliquez alors ces agitations, ces postures<br />

étranges, ces convulsions qui ont quelquefois<br />

causé sa mort ! Lorsque l'orac<strong>le</strong> refusant l'inspiration,<br />

on voyait la prêtresse expirer sous <strong>le</strong>s tortures du dieu<br />

qui voulait rester muet, était-ce fourberie? — Se fait-on<br />

mourir pour mieux tromper? Ceci n'exclut point, il est<br />

vrai, <strong>le</strong>s impostures <strong>de</strong>s prêtres; <strong>de</strong>s substances vénéneuses,<br />

par exemp<strong>le</strong>, ont pu, dira-t-on, être administrées.<br />

— Mais alors comment expliquer que la pythie<br />

ait pu dire dans cet état <strong>de</strong>s choses «fraies et bel/es,»<br />

et annoncer <strong>de</strong>s événements réalisés dans <strong>le</strong>s moindres<br />

circonstances? — Vous dites que <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s se taisent<br />

parce qu'on est moins crédu<strong>le</strong>; qui donc est moins<br />

crédu<strong>le</strong>? sont-ce <strong>le</strong>s épicuriens, qui nient sans examiner?<br />

Car <strong>le</strong>s vrais philosophes n'ont jamais cessé <strong>de</strong><br />

croire, excepté <strong>le</strong>s académiciens, dont la doctrine est<br />

<strong>de</strong> douter. <strong>Le</strong>s sophistes ont discrédité <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s,<br />

mais <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s n'ont cessé do répondre que lorsqu'on<br />

est <strong>de</strong>venu défiant et impie.<br />

Cicéron. — Même erreur à l'égard <strong>de</strong>s songes. On<br />

recomman<strong>de</strong> <strong>de</strong> s'y préparer par la frugalité... <strong>Le</strong>s<br />

vian<strong>de</strong>s ne chargent pas l'âme, etc.


AVEC LE DÉMON. 191<br />

La moitié d'un volume serait peut-être nécessaire<br />

pour abor<strong>de</strong>r convenab<strong>le</strong>ment ce sujet <strong>de</strong>s songes,<br />

traité si légèrement par Cicéron. S'il est possib<strong>le</strong> et admis<br />

que <strong>de</strong>s intelligences instruisent <strong>le</strong>s hommes dans<br />

<strong>le</strong> sommeil, il est bon que la digestion ne soit pas trop<br />

pénib<strong>le</strong>, que la matière n'oppose pas trop d'obstac<strong>le</strong> à<br />

Xinflux divin. — Enfin <strong>le</strong>s songes étaient loin d'être toujoursobscurs,<br />

comme on <strong>le</strong>verra dans l'exposé <strong>de</strong>s faits.<br />

Cicéron. — <strong>Le</strong>s esprits <strong>de</strong>s hommes se meuvent-ils<br />

en dormant, comme l'a pensé Démocrite?<br />

Laissez donc Démocrite, son système est faux et ridicu<strong>le</strong>.<br />

Cicéron dit que <strong>le</strong>s songes n'enseignent ni la physique,<br />

ni la géométrie, qu'il faut recourir ù l'art; s'ils<br />

nous apprennent à faire <strong>de</strong>s cures, pourquoi ne nous<br />

apprennent-ils pas à lire et à écrire ?<br />

<strong>Le</strong>s songes merveil<strong>le</strong>ux nous sont envoyés pour connaître<br />

ce que nous ne pouvons naturel<strong>le</strong>ment savoir:<br />

ils peuvent l'être aussi pour manifester aux hommes<br />

la possibilité <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs <strong>rapports</strong> <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux. Si <strong>le</strong>s<br />

songes enfin apprenaient tout, on verrait en eux une<br />

cause toute naturel<strong>le</strong>, il n'y aurait rien <strong>de</strong> merveil<strong>le</strong>ux.<br />

Cicéron. — <strong>Le</strong>s songes qu'on cite sont peut-être supposés.<br />

Accuserez-vous Xénophon <strong>de</strong> mensonge? a dit Quintus;<br />

vous et moi, n'avons-nous pas fait un songe merveil<strong>le</strong>ux?<br />

que vous importe qu'il y en ait <strong>de</strong> supposés?<br />

Cicéron. — J'ai vu Marius en songe. — L'image <strong>de</strong><br />

Marius, selon Démocrite, émane <strong>de</strong>s corps...<br />

— Pourquoi toujours citer Démocrite? Ici, d'ail<strong>le</strong>urs,<br />

il s'agit moins <strong>de</strong> chercher la cause <strong>de</strong>s songes que <strong>de</strong><br />

constater la réalité <strong>de</strong>s songes divins et <strong>de</strong> celui que vous<br />

avez trouvé si merveil<strong>le</strong>ux... Pourquoi traitez-vous<br />

donc si légèrement un si grave sujet?


192 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Cicéron. —S'il ne s'en rencontrait jamais <strong>de</strong> véritab<strong>le</strong>s,<br />

la moindre femme n'y croirait pas.<br />

— Vous persistez donc à penser qu'ils s'accomplissent<br />

par hasard ; <strong>le</strong>s moindres circonstances qui se réalisent<br />

d'une manière si frappante prouvent <strong>le</strong> contraire.<br />

Un dragon a présenté dans sa gueu<strong>le</strong> la plante qui<br />

<strong>de</strong>vait guérir Ptolémée ; mais Cicéron s'étonne que ce<br />

dragon ait pu par<strong>le</strong>r <strong>avec</strong> une gueu<strong>le</strong> p<strong>le</strong>ine. — Pure<br />

plaisanterie, qui ne satisfait que ceux qui ignorent la<br />

certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s révélations dans <strong>le</strong>s songes.<br />

Ironie, sophismes, négations, tout a été bon à Cicéron<br />

pour renverser ce genre <strong>de</strong> divinations comme tous <strong>le</strong>s<br />

autres, parce qu'il veut détruire toutes <strong>le</strong>s superstitions<br />

qui ont subjugué <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. L'intention pouvait être<br />

bonne, mais <strong>le</strong>s moyens étaient mauvais : ni <strong>le</strong>s rail<strong>le</strong>ries,<br />

ni <strong>le</strong>s négations ne peuvent rien contre <strong>de</strong>s faits<br />

constants ; il ne convenait pas à Cicéron d'en par<strong>le</strong>r à<br />

la manière <strong>de</strong>s épicuriens, mais franchement, sérieusement;<br />

il <strong>de</strong>vait nier ce qui était réel<strong>le</strong>ment faux,<br />

s'abstenir pour <strong>le</strong>s faits douteux, discuter <strong>le</strong>s faits bien<br />

avérés, comparer ensemb<strong>le</strong> <strong>le</strong>s différents systèmes et<br />

essayer une explication.<br />

Cicéron avait-il réel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s opinions qu'il voulait<br />

imposer aux autres? — Il professait la philosophie <strong>de</strong><br />

son sièc<strong>le</strong> ; comme Épicure, plus préoccupé <strong>de</strong> la vie<br />

temporel<strong>le</strong> que <strong>de</strong> la vie future qui ne sert qu'à consister,<br />

il se disait sans doute: « Rejetons toutes ces<br />

vieil<strong>le</strong>ries qui nous troub<strong>le</strong>nt; auraient-el<strong>le</strong>s quelque<br />

chose <strong>de</strong> vrai, il faut <strong>le</strong>s exterminer sans pitié. »<br />

En pouvait-il être autrement sous <strong>le</strong> règne d'une<br />

philosophie matérialiste et sensuel<strong>le</strong>, qui repoussait la<br />

logique comme <strong>le</strong>s aridités métaphysiques? — Fait<br />

fâcheux, car la déca<strong>de</strong>nce d'une nation commence à


AVEC LE DÉMON. m<br />

l'instant même où el<strong>le</strong> tombe dans l'épicurisme et<br />

dans l'incrédulité. <strong>Le</strong> grand orateur vivait en vrai<br />

épicurien lui-même dans sa maison <strong>de</strong> campagne <strong>de</strong><br />

Pouzzo<strong>le</strong>s ; la contagion régnante l'ayant atteint, il en<br />

subissait l'influence funeste. On sait enfin que <strong>le</strong>s révolutions,<br />

source <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> malheurs et d'injustices,<br />

peuvent aussi faire naître chez ceux dont <strong>le</strong>s convictions<br />

sont faib<strong>le</strong>s un doute pénib<strong>le</strong>; on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

alors s'il existe réel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s dieux. Cicéron dans<br />

sa jeunesse avait été discip<strong>le</strong> d'Antiochus, qui pensait<br />

que <strong>le</strong> vrai et <strong>le</strong> faux sont si confondus qu'on<br />

ne saurait <strong>le</strong>s distinguer ; ayant étudié sous Phèdre et<br />

sous Zenon, philosophes épicuriens, il conçut pour<br />

<strong>le</strong>ur secte la plus gran<strong>de</strong> estime : on se tromperait<br />

donc si on <strong>le</strong> classait parmi <strong>le</strong>s philosophes graves. <strong>Le</strong>s<br />

penseurs, <strong>de</strong>puis l'antiquité jusqu'à nous, ont porté sur<br />

lui <strong>le</strong> même jugement. Saint Augustin dit que Cicéron<br />

aie toute science <strong>de</strong> choses à venir, et que selon lui, par<br />

conséquent, l'on ne saurait rien prédire...; il tâche d'anéantir<br />

toute prophétie par <strong>de</strong> vains raisonnements...;<br />

par un discours détestab<strong>le</strong>, il montre qu'il avait peur<br />

<strong>de</strong> tomber d'accord du <strong>de</strong>stin. Saint Augustin fait voir<br />

pourtant qu'il pouvait éviter cette erreur. :<br />

— Ail<strong>le</strong>urs il<br />

dit : Vir gravis Tullius et philosophaster (un prétendu<br />

philosophe).<br />

<strong>Le</strong> jugement d'un célèbre littérateur contemporain<br />

ne lui est guère plus favorab<strong>le</strong>: « Cicéron, dit M. Vil<strong>le</strong>main,<br />

n'a rien <strong>de</strong> déterminé, tantôt il rit <strong>de</strong>s croyances,<br />

tantôt il espère l'avenir d'une vie sans fin ; sceptique,<br />

matérialiste ou religieux, selon que son sujet <strong>le</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>,<br />

on ne peut rien dire <strong>de</strong> lui, son opinion n'est<br />

pas arrêtée. »<br />

Aux philosophes du dix-huitième et du dix-neuvième<br />

sièc<strong>le</strong> Cicéron a fourni <strong>de</strong>s armes contre tout ce qu'on<br />

t. i»


194 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

a nommé la superstition... Ils ont adopté non-seu<strong>le</strong>ment<br />

ses sentiments, mais souvent sa métho<strong>de</strong>, c'està-dire,<br />

ils ont quelquefois été frivo<strong>le</strong>s, ricaneurs, incrédu<strong>le</strong>s<br />

; ils ont méprisé <strong>de</strong>s croyances jusque-là respectées,<br />

et, pour asseoir <strong>le</strong> règne <strong>de</strong> la raison, ils ont trop<br />

souvent déraisonné.<br />

Cicéron favorisa l'incrédulité en montrant que <strong>le</strong>s<br />

traditions sur l'intervention <strong>de</strong>s dieux étaient <strong>de</strong>s<br />

puérilités et <strong>de</strong>s faussetés. Il favorisa <strong>le</strong> scepticisme<br />

en faisant voir, — ce qui est vrai, — que la<br />

philosophie seu<strong>le</strong> ne peut rien déci<strong>de</strong>r sur la divinité.<br />

Enfin il attaqua tout, renversa tout et n'édifia<br />

rien.<br />

<strong>Le</strong>s croyances <strong>de</strong>s Gentils étaient méprisab<strong>le</strong>s, détestab<strong>le</strong>s;<br />

était-ce donc une raison pour nier <strong>de</strong>s faits<br />

partout si bien attestés? <strong>Le</strong> but <strong>de</strong> Cicéron n'était pas<br />

d'éclairer, mais <strong>de</strong> détruire à tout prix <strong>le</strong>s superstitions;<br />

pour sortir d'un mal il tombait dans un plus<br />

fâcheux encore, l'indifférence en religion, <strong>le</strong> mépris<br />

pour <strong>le</strong>s faits qui l'établissent. Il se jetait dans l'impiété,<br />

et entraînait <strong>avec</strong> lui dans l'impiété qui mine <strong>le</strong>s sociétés<br />

; cel<strong>le</strong>-ci, fil<strong>le</strong> <strong>de</strong>s mœurs dépravées, en <strong>de</strong>vient<br />

aussi la mère et <strong>le</strong>s propage.<br />

Cicéron, auquel nous nous sommes peut-être trop<br />

arrêté, ne <strong>de</strong>vait pas se borner à montrer ce que <strong>le</strong>s<br />

opinions <strong>de</strong>s diverses sectes avaient d'erroné; et si<br />

toutes fournissaient <strong>de</strong>s armes contre el<strong>le</strong>s-mêmes,<br />

l'Académie, mélange bizarre <strong>de</strong> stoïcisme, <strong>de</strong> matérialisme,<br />

d'épicurisme et <strong>de</strong> scepticisme, n'avait guère<br />

<strong>le</strong> droit <strong>de</strong> <strong>le</strong>s attaquer. La doctrine platonicienne,<br />

malgré ses contradictions et ses erreurs, était moins<br />

déraisonnab<strong>le</strong>, puisqu'el<strong>le</strong> était moins en opposition<br />

<strong>avec</strong> <strong>de</strong>s faits qui ont <strong>le</strong>ur logique et <strong>le</strong>ur puissance;<br />

aussi, comme on va <strong>le</strong> voir, ces mêmes faits continue-


AVEC LE DÉMON. 195<br />

ront <strong>de</strong> se manifester et l'impiété régnera <strong>avec</strong> la superstition.<br />

On est loin <strong>de</strong> donner comme excel<strong>le</strong>ntes ces réf<strong>le</strong>xions<br />

écrites à mesure qu'el<strong>le</strong>s se présentaient à<br />

l'esprit : Quintus, on <strong>le</strong> répète, avait sans doute <strong>de</strong><br />

meil<strong>le</strong>urs arguments qui nous échappent.


DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

CHAPITRE III<br />

Résultais <strong>de</strong> la philosophie chez, <strong>le</strong>s Humain*. —L'incrédulité et l'impiété <strong>de</strong>­<br />

venues une <strong>de</strong>s causes <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur déca<strong>de</strong>nce.<br />

L'épicurisme produisit ce qu'il produira toujours,<br />

un sensualisme grossier; l'académisme avait pour résultat<br />

la mort <strong>de</strong> l'intelligence, l'immobilité <strong>de</strong> l'esprit.<br />

A quoi bon chercher la vérité lorsqu'on désespère dp<br />

pouvoir jamais la rencontrer? <strong>Le</strong> stoïcisme continua<br />

<strong>de</strong> croire à son dieu Nature. L'absurdité du polythéisme<br />

était reconnue ainsi que ses fab<strong>le</strong>s. « — Qu'il y<br />

ait <strong>de</strong>s enfers, <strong>de</strong>s mânes, <strong>de</strong>s milliers d'hommes qui<br />

passent dans une barque après <strong>le</strong>ur mort, dit Juvénal,<br />

<strong>le</strong>s enfants mômes ne <strong>le</strong> croient pas. » — On se flatte<br />

d'avoir secoué <strong>le</strong> joug <strong>de</strong>s vieil<strong>le</strong>s croyances, l'incrédulité<br />

et l'impiété parmi <strong>le</strong>s grands sont à <strong>le</strong>ur apogée ; on<br />

peut s'en convaincre lorsqu'on sait que César déclara<br />

un jour en p<strong>le</strong>in sénat que <strong>le</strong> dogme <strong>de</strong>s peines et<br />

<strong>de</strong>s récompenses était sans fon<strong>de</strong>ment. S'il ne jugeait<br />

pas qu'il fût uti<strong>le</strong> à sa politique <strong>de</strong> cacher un tel sentiment,<br />

il fallait que l'irréligion fût déjà bien répandue<br />

; toutefois il faut excepter <strong>le</strong> vulgaire, qui arrive<br />

à l'impiété plus tardivement. — Ce résultat ne peut<br />

surprendre; ce qui pourrait causer <strong>de</strong> 1 etonnement,<br />

c'est que la superstition remplaça la religion. <strong>Le</strong>s phi-


AVEC LE DÉMON. 197<br />

losophes ont voulu renverser <strong>le</strong>s croyances religieuses<br />

pour abolir <strong>le</strong>s superstitions, et on est plus superstitieux<br />

que jamais : on ne croit plus à la magie qui met<br />

en rapport <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, mais à une magie naturel<strong>le</strong>,<br />

dont la cause est occulte; César athée était superstitieux<br />

comme une femme, et n'osait monter en voiture<br />

avant d'avoir prononcé certaines paro<strong>le</strong>s. Tibère exigeait<br />

qu'on <strong>le</strong> saluât quand il éternuait, pour <strong>le</strong> préserver<br />

d'un péril imminent. Néron ne croyait plus aux<br />

dieux, mais il donnait un royaume à un prince barbare<br />

qui lui apprenait la magie. Tibère l'étudia sous Thrasyl<strong>le</strong>;<br />

el<strong>le</strong> lui causa tant d'horreur, qu'il fit mourir tous<br />

<strong>le</strong>s magiciens.<br />

Tout ce que la goétie et la théurgie opéraient <strong>de</strong><br />

plus merveil<strong>le</strong>ux, pourra-t-on <strong>le</strong> croire! continua <strong>de</strong><br />

se produire. Avec une philosophie qui niait tout, qui<br />

riait <strong>de</strong> tout,"qui doutait <strong>de</strong> tout, aurait-on soupçonné<br />

<strong>de</strong> pareils résultats? Où sont donc ceux que<br />

Cicéron attendait <strong>de</strong> son œuvre? Il attaquait <strong>de</strong>s faits<br />

i<strong>de</strong>ntiques partout, et dès que l'on put supposer qu'ils<br />

venaient d'une cause occulte toute physique qui n'avait<br />

nul besoin <strong>de</strong> l'intervention <strong>de</strong>s dieux, ces phénomènes<br />

si constants ne furent plus rejetés. <strong>Le</strong>s épicuriens,<br />

<strong>le</strong>s matérialistes ne nient plus; cet agent<br />

mystérieux est inconnu, mais <strong>le</strong>s a<strong>tome</strong>s d'Épicure<br />

peuvent expliquer toutes ces merveil<strong>le</strong>s, et nous savons<br />

que <strong>le</strong>s stoïciens <strong>le</strong>s attribuent à une âme universel<strong>le</strong>,<br />

à la nature intelligente. Quant aux académiciens,<br />

dont <strong>le</strong> propre est <strong>de</strong> douter, s'ils n'affirment<br />

pas, n'ayant du moins pas <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> nier, ils restent<br />

indifférents.<br />

Ainsi tout prouve que la superstition n'a pas perdu<br />

un seul pouce <strong>de</strong> terrain après Cicéron : histoire,<br />

œuvres <strong>de</strong>s philosophes, écrits <strong>de</strong>s poètes, etc., tout


198 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

atteste qu'on croit encore aux songes, aux orac<strong>le</strong>s, aui<br />

guérisons superstitieuses, à l'enthousiasme ou furenr<br />

prophétique, à la magie bienfaisante ou malfaisante,<br />

aux transformations, à la nécromancie, et généra<strong>le</strong>ment<br />

enfin à tout ce que l'antiquité avait constamment<br />

cru.


AVEC LE DÉMON. 199<br />

CHAPITRE IV<br />

<strong>Le</strong>* prodiges continuent <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> notre ère jusqu'au cin­<br />

quième. — Statues animées. — Divinations diverses. —Métamorphoses.—<br />

Orac<strong>le</strong>s. — Magie malfaisante. — Présages, prodiges. — Enthousiasme,<br />

fntaïf sacrée, extase, vue à distance, etc. — <strong>Le</strong>s dieux s'emparent <strong>de</strong><br />

l'hoitime, possessions. — Astrologie. — Aruspicine, augurie. — Guérisons<br />

ditines. — Lucrèce. — Pline.<br />

<strong>Le</strong>s prodiges continuent <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> notre ère<br />

jusqu'au cinquième.<br />

C'est vainement que Cicéron avait recommandé <strong>de</strong><br />

ne point ajouter foi aux songes. <strong>Le</strong>s monuments historiques<br />

en citent <strong>de</strong>s milliers qui se sont réalisés : ils rapportent<br />

<strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s obtenus en dormant dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s<br />

ou dans sa propre <strong>de</strong>meure. Pline (XXV, 6) par<strong>le</strong>,<br />

entre autres, d'une femme qui songea que son fds, soldat<br />

dans la gar<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'empereur, avait été mordu par<br />

an chien enragé, et qu'il serait guéri s'il buvait <strong>le</strong> suc<br />

<strong>de</strong> la racine <strong>de</strong> cynorrhodon. Quand la <strong>le</strong>ttre <strong>de</strong> la mère<br />

arriva, dit Pline, <strong>le</strong> mala<strong>de</strong> avait déjà horreur <strong>de</strong> l'eau;<br />

on essaya <strong>le</strong> remè<strong>de</strong>, et, contre tout espoir, <strong>le</strong> mala<strong>de</strong><br />

fut guéri.<br />

On ne par<strong>le</strong>ra pas ici <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> songes cités par <strong>de</strong><br />

graves personnages, et dont <strong>le</strong>s philosophes n'ont pas<br />

dédaigné l'étu<strong>de</strong> : on pourrait en rapporter une fou<strong>le</strong><br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s noms <strong>de</strong> ceux qui s'en sont occupés. Thémistins,<br />

fameux philosophe du quatrième sièc<strong>le</strong>, n'imita<br />

point la légèreté <strong>de</strong> Cicéron en traitant <strong>le</strong> sujet <strong>de</strong>s


200 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

songes. « Il n'y faut pas croire si légèrement, dit-il, ni<br />

résister opiniâtrement. Croire que <strong>le</strong>s songes annoncent<br />

l'avenir et qu'on puisse <strong>le</strong> découvrir en s'y appliquant,<br />

c'est une croyance si universel<strong>le</strong>ment répandue,<br />

qu'il faut bien admettre qu'el<strong>le</strong> a quelque<br />

fon<strong>de</strong>ment. »<br />

Parmi ces songes, <strong>le</strong>s uns révélaient l'avenir, d'autres<br />

<strong>de</strong>s faits cachés, inconnus ; <strong>le</strong>s uns étaient clairs,<br />

d'autres avaient besoin <strong>de</strong>s interprétations <strong>de</strong> l'onéirocritie.<br />

Artémidore ne redouta ni fatigues ni dépenses<br />

pour connaître tout ce qui avait été dit sur <strong>le</strong>ur interprétation<br />

; il crut qu'Apollon lui avait inspiré son art, et<br />

affirmait qu'il pouvait répondre à toutes <strong>le</strong>s questions,<br />

qu'il en convaincrait <strong>le</strong>s moins crédu<strong>le</strong>s.<br />

On verra ail<strong>le</strong>urs <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> songes obtenus<br />

dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s.<br />

Statut» animées.<br />

On continua <strong>de</strong> penser que, dans certaines circonstances,<br />

<strong>le</strong>s statues donnaient <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> vie. Martial<br />

, Proclus, Maxime <strong>de</strong> Madaure, etc., <strong>le</strong>s apologistes<br />

qui viennent après Cicéron, en ont parlé comme<br />

d'un fait aussi certain que connu. (Voy. Arnobe,<br />

1. VI, etc.)<br />

« <strong>Le</strong>s esprits, dit saint Cyprien, sont cachés dans <strong>le</strong>s<br />

statues qui <strong>le</strong>ur sont consacrées. (De idol. vanitate.VU.)»<br />

« <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s, dit Firmicus Maternus, sont attirés<br />

vers l'image <strong>de</strong> Sérapis par <strong>le</strong>s sacrifices qu'on lui fait,<br />

comme ils <strong>le</strong> sont vers <strong>le</strong>s autres simulacres. (De errnre<br />

prof, reltff., XIV.) »<br />

Hiéroclès assurait qu'Apollonius avait vu chez <strong>le</strong>s<br />

brahmanes <strong>de</strong>s trépieds <strong>de</strong> pierre se mouvant tout<br />

seuls, etc.


AVEC LE DÉMON. 20«<br />

Divinations diverses.<br />

<strong>Le</strong>s philosophes païens, <strong>le</strong>s historiens, <strong>le</strong>s Pères<br />

nous apprennent que <strong>le</strong>s divinations artificiel<strong>le</strong>s et naturel<strong>le</strong>s<br />

continuèrent, comme on <strong>le</strong> prouvera plus loin.<br />

Constantin punit <strong>de</strong> mort ceux qui se livraient à la<br />

nécromancie, et plusieurs empereurs, en exerçant l'aruspicine,<br />

commirent <strong>de</strong>s cruautés qui font frissonner.<br />

On pratiquait aussi l'hydromancie ou divination par<br />

l'eau, la divination par <strong>le</strong> miroir ou cristallomancie, la<br />

dactyliomancie ou divination par <strong>le</strong>s anneaux, décrite<br />

dansAmmien Marcellin, etc.<br />

Métamorphoses.<br />

<strong>Le</strong>s métamorphoses chantées par <strong>le</strong>s poètes <strong>de</strong>puis<br />

Circé, étant crues même par <strong>le</strong>s philosophes, nous verrons<br />

que Varron lui-même ne sait que dire <strong>de</strong> ces faits<br />

étranges. Saint Augustin en rapporte qui se sont passés<br />

<strong>de</strong> son temps (Cité <strong>de</strong> Dieu, XVIII, 18). On connaît<br />

l'histoire <strong>de</strong> la femme changée en jument et guérie<br />

par saint Macaire. D'après Nicéphore, Tiridate, sous<br />

Constantin, se métamorphosait en pourceau.Tous ceux<br />

qui <strong>le</strong> voyaient, dit-il, croyaient voir un pourceau.<br />

Virgi<strong>le</strong> attribue à certaines plantes <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong><br />

transformer. Il est donc bien constant que la vieil<strong>le</strong><br />

croyance subsistait après Cicéron.<br />

Orac<strong>le</strong>s.<br />

<strong>Le</strong>s orac<strong>le</strong>s, qui <strong>de</strong>viendront bientôt tous muets,<br />

étaient encore consultés ; la plupart avaient pour or-


202 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

gan.es <strong>de</strong>s prêtres ou <strong>de</strong>s prêtresses qui parlaient sous<br />

l'empire du souff<strong>le</strong> ou d'une exhalaison, et oubliaient<br />

tout ce qu'ils avaient dit. Trajan, d'après <strong>le</strong> récit <strong>de</strong>s<br />

prédictions étonnantes <strong>de</strong> l'orac<strong>le</strong> d'IIéliopolis, se décida<br />

à <strong>le</strong> consulter; pour n'être point la dupe d'un<br />

imposteur, il prit ses mesures et envoya une <strong>le</strong>ttre<br />

bien scellée, en <strong>de</strong>mandant Une réponse. L'orac<strong>le</strong> fit<br />

renvoyer un bil<strong>le</strong>t blanc bien plié. <strong>Le</strong>s prêtres, dit<br />

Macrobe, furent effrayés d'un tel ordre; mais Trajan<br />

fut dans l'admiration, car sa <strong>le</strong>ttre ne contenait rien.<br />

Tacite dit que Vespasien, étant à A<strong>le</strong>xandrie, vou-'<br />

lant consulter Sérapis pour savoir s'il serait empereur,<br />

et ayant ordonné qu'on <strong>le</strong> laissât seul dans <strong>le</strong><br />

temp<strong>le</strong>, tout à coup il aperçut <strong>de</strong>rrière lui un <strong>de</strong>s<br />

principaux Égyptiens, nommé Basili<strong>de</strong>s, qu'il savait<br />

être éloigné d'A<strong>le</strong>xandrie <strong>de</strong> plusieurs journées <strong>de</strong><br />

chemin et retenu mala<strong>de</strong> au lit. Fort surpris, en sortant<br />

du temp<strong>le</strong> il interroge <strong>le</strong>s prêtres et tous ceux<br />

qu'il rencontre, pour savoir si Basili<strong>de</strong>s était à A<strong>le</strong>xandrie;<br />

il envoie même <strong>de</strong>s cavaliers où résidait Basili<strong>de</strong>s,<br />

et acquiert la certitu<strong>de</strong> qu'il a eu une vision<br />

prophétique et symbolique. Basili<strong>de</strong>s vient du grec Baoù.tvç,<br />

qui signifie roi, et l'apparition <strong>de</strong>vint ainsi la réponse<br />

à sa <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Ce passage <strong>de</strong> Tacite, en faisant<br />

voir que <strong>le</strong>s Romains après Cicéron continuèrent<br />

d'avoir foi aux orac<strong>le</strong>s, montre en même temps<br />

que ceux-ci répondaient <strong>de</strong> différentes manières aux<br />

consultants. Loin <strong>de</strong> n'y plus croire, l'incrédulité<br />

, au contraire, s'évanouissait <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s épreuves.<br />

On voit après Cicéron <strong>le</strong>s empereurs consulter <strong>le</strong>s<br />

orac<strong>le</strong>s. Tibère, Néron, Caligula, Vespasien, Titus,<br />

Adrien, Sévère, Caracalla, etc., tousse montrent aussi<br />

croyants que jamais. Plutarque, Tacite et autres historiens<br />

qui rapportent <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, avouent qu'ils trom-


AVEC LE DÉMON. 203<br />

paient quelquefois, mais qu'ils étaient souvent trèsvéridiques,<br />

ou au moins fort prodigieux ; savants et<br />

ignorants y avaient gran<strong>de</strong> confiance, malgré <strong>le</strong> scepticisme<br />

et l'impiété <strong>de</strong> ce temps. Ainsi Tibère, voulant<br />

détruire <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s près <strong>de</strong> Rome, fit apporter,<br />

dit Suétone, dans un coffre bien scellé <strong>le</strong>s sorts <strong>de</strong><br />

Préneste, mais il fut épouvanté quand il <strong>le</strong>s trouva<br />

vi<strong>de</strong>s. —Disjicere conatus est... sed majestate prœnestinarwn<br />

sort mm territus <strong>de</strong>stitua etc.<br />

On pourrait citer ainsi, d'après <strong>le</strong>s historiens, diverses<br />

consultations faites aux orac<strong>le</strong>s par <strong>le</strong>s empereurs<br />

et <strong>de</strong>s réponses merveil<strong>le</strong>uses, si on ne craignait<br />

d'être trop long.<br />

De la magie malfaisante.<br />

<strong>Le</strong>s historiens, <strong>le</strong>s philosophes, <strong>le</strong>s poètes citent tous<br />

<strong>le</strong>s opérations magiques qui effrayaient <strong>le</strong>s populations.<br />

On charmait par <strong>le</strong> mauvais regard, par <strong>le</strong>s simulacres,<br />

on croyait au pouvoir <strong>de</strong> la magie, on <strong>le</strong> redoutait,<br />

etc. Apulée, accusé <strong>de</strong> magie, n'excipe point<br />

<strong>de</strong>vant ses juges <strong>de</strong> l'absurdité d'une tel<strong>le</strong> accusation;<br />

il n'en nie pas la puissance : il prouve que <strong>le</strong> sujet<br />

qu'on l'accusait d'avoir fasciné ne remplissait pas <strong>le</strong>s<br />

conditions exigées par l'art magique. — Pline paraît<br />

croire à l'efficacité <strong>de</strong> l'opération qui faisait passer<br />

un champ dans celui du voisin, crime prévu par la loi<br />

<strong>de</strong>s Douze Tab<strong>le</strong>s. Certainement on y croyait, puisque<br />

Furius fut appelé <strong>de</strong>vant ses juges pour répondre à<br />

cette accusation 1<br />

.<br />

). Il est vraisemblab<strong>le</strong> qu'il s'agissait moins ici du terrain lui-môme<br />

que <strong>de</strong> l'engrais qui <strong>le</strong> fertilise. Cette <strong>de</strong>rnière opinion est d'autant<br />

plus admissib<strong>le</strong>, que la première accusation serait absur<strong>de</strong>... La pra-


204 DES IIAPP0RTS DE L'HOMME<br />

Par la magie on causait <strong>de</strong>s maladies graves. Tacite<br />

nous apprend que Germanicus mourut bien convaincu<br />

que sa mort était causée par <strong>le</strong>s opérations magiques<br />

<strong>de</strong> Plancine et <strong>de</strong> Pison. <strong>Le</strong>s lambeaux <strong>de</strong> cadavres, <strong>le</strong>s<br />

tab<strong>le</strong>ttes <strong>de</strong> plomb sur <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s son nom était inscrit,<br />

<strong>le</strong>s caractères magiques, <strong>le</strong>s diverses substances qu'on<br />

trouva, prouvèrent l'existence d'un maléfice. (Tacite,<br />

Anna<strong>le</strong>s, II.)<br />

On croyait aux voyages aériens <strong>de</strong>s magiciens. Pamphi<strong>le</strong><br />

se déshabil<strong>le</strong>, dit Apulée (Mélamorph.), el<strong>le</strong><br />

ouvre un coffret, se frotte <strong>avec</strong> une substance <strong>de</strong>puis<br />

<strong>le</strong>s pieds jusqu'à la tète, marmotte quelques paro<strong>le</strong>s,<br />

paraît métamorphosée en hibou, prend son vol et disparaît<br />

à tire-d'ai<strong>le</strong>, comme on <strong>le</strong> racontera <strong>de</strong> nos sorcières.<br />

Que l'œuvre d'Apulée ne soit qu'une fiction, on<br />

ne discute pas cette question; toujours est-il vrai que<br />

la prétendue vertu <strong>de</strong> l'onguent magique et <strong>le</strong> transport<br />

aérien ne sont pas sortis du cerveau <strong>de</strong> nos sorcières.<br />

On charmait par <strong>le</strong> regard. Virgi<strong>le</strong> a dit, dans ses<br />

Bucoliques, qu'un œil envieux a ensorcelé ses agneaux,<br />

et Horace, en parlant <strong>de</strong> Canidie, écrit, qu'el<strong>le</strong> avait<br />

faç.onné certaines images, etc. ; <strong>de</strong> sorte que <strong>le</strong> pouvoir<br />

malfaisant <strong>de</strong>s simulacres se trouve historiquement établi<br />

<strong>de</strong>puis l'antiquité jusqu'à Horace, Horace au roi<br />

Duffus ', et <strong>de</strong> Dulfus jusqu'à nos jours.<br />

<strong>Le</strong>s Instituiez <strong>de</strong> Justinien reconnaissent qu'on peut<br />

maléficier <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s. On était donc convaincu,<br />

après Cicéron comme avant lui, que la magie pouvait<br />

calmer la fureur, l'exciter, maléficier, etc.<br />

tique qui consiste à faire passer ainsi l'engrais existait encore dans <strong>le</strong><br />

Morvan il y a quelques années ; pendant cei'taines nuits, <strong>le</strong>s propriétaires<br />

d'un champ se voyaient forcés <strong>de</strong> <strong>le</strong> gar<strong>de</strong>r.<br />

1. <strong>Le</strong>s historiens assurent que Char<strong>le</strong>s IX et Henri VI moururent<br />

aussi ensorcelés au moyen d'images exposées au feu.


AVEC LE DÉMON. 20S<br />

Présages, prodiges.<br />

On pourrait penser, d'après Tite-Live, que <strong>de</strong> son<br />

temps on ne croyait plus aux présages envoyés par<br />

<strong>le</strong>s dieux; car il dit que, » par suite <strong>de</strong> cette incrédulité,<br />

on perdit l'habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> consigner <strong>le</strong>s prodiges<br />

dans <strong>le</strong>s anna<strong>le</strong>s. » — Sans doute, on reconnut<br />

que certains phénomènes, considérés longtemps<br />

comme prodiges, étaient naturels. Mais il en restait une<br />

certaine classe qui, quoiqu'on eût cessé <strong>de</strong> <strong>le</strong>s enregistrer,<br />

préoccupaient encore. Parmi <strong>le</strong>s anciens présages,<br />

plusieurs troublaient assez vivement l'esprit <strong>de</strong>s<br />

philosophes, malgré tout ce que Cicéron avait pu dire :<br />

c'étaient toujours <strong>le</strong>s apparitions <strong>de</strong> spectres, <strong>le</strong>s voix<br />

mystérieuses, <strong>le</strong>s armées aériennes et certains animaux<br />

qui continuèrent d'être regardés comme <strong>de</strong>s messagers<br />

<strong>de</strong> malheur. Cicéron vit lui-même un fait qui dut ébran<strong>le</strong>r<br />

son scepticisme. Valère-Maxime dit qu'un instant<br />

avant qu'on <strong>le</strong> prît dans sa villa <strong>de</strong> Caïète pour <strong>le</strong><br />

faire mourir, un corbeau arracha <strong>de</strong>vant Cicéron l'aiguil<strong>le</strong><br />

d'un cadran solaire; puis, s'attachant par <strong>le</strong> bec<br />

à sa tunique, il ne quitta prise qu'à l'arrivée <strong>de</strong> l'esclave<br />

qui annonça <strong>le</strong>s soldats chargés <strong>de</strong> <strong>le</strong> mettre à<br />

mort.<br />

On lit dans Dion Cassius que Drusus allait traverser<br />

l'Elbe, quand une femme gigantesque lui apparut; el<strong>le</strong><br />

lui dit, en lui reprochant son ambition, que son <strong>de</strong>stin<br />

ne lui permettait pas d'al<strong>le</strong>r plus loin. Peu après il<br />

mourut d'une chute <strong>de</strong> cheval.<br />

Dion lui-même eut un présage <strong>de</strong> sa mort et <strong>de</strong> cel<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> son fils. Plutarque raconte que Dion, assis un soir<br />

<strong>de</strong>vant sa porte, vit une gran<strong>de</strong> femme, qui, par son


206 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

costume, ressemblait aux furies <strong>de</strong>s tragédies, laquel<strong>le</strong><br />

se mit à balayer sa maison. Dion, effrayé, appela ses<br />

amis, <strong>le</strong>s priant <strong>de</strong> lui tenir compagnie pendant la nuit,<br />

craignant <strong>le</strong> retour du spectre. Quelques jours après,<br />

son fils se tua en tombant du haut d'un toit, et Dion<br />

lui-même fut mis à mort. (Plut., Vie <strong>de</strong> Dion.)<br />

Plutarque ( Vie d'A<strong>le</strong>xandre), en parlant <strong>de</strong>s prodiges<br />

qui précédèrent la mort <strong>de</strong> ce monarque, dit qu'il faut<br />

se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> mépriser ces signes, ainsi que <strong>de</strong> tout<br />

craindre.<br />

Ammien Marcellin (XXV, 2) rapporte que Julien,<br />

dont il était <strong>le</strong> secrétaire, dit un jour à ses confi<strong>de</strong>nts<br />

que l'apparition qu'on pensait être cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> son bon<br />

génie paraissait l'avoir abandonné; il <strong>le</strong>ur confia qu'étant<br />

pendant la nuit profondément occupé d'un sujet<br />

philosophique, il avait vu la figure du génie <strong>de</strong> l'empire<br />

lui apparaître <strong>avec</strong> un extérieur défait et bien différent<br />

<strong>de</strong> la manière qu'il lui était apparu quand il fut<br />

salué du titre d'Auguste; sa tête, sa corne d'abondance<br />

étaient voilées ; il <strong>le</strong> vit ensuite sortir d'un air triste.<br />

Julien ne put se défendre d'une certaine émotion;<br />

mais, se résignant 1<br />

, il se <strong>le</strong>va pour offrir <strong>de</strong>s sacrifices<br />

et conjurer <strong>le</strong>s maux qui <strong>le</strong> menaçaient; il eut plusieurs<br />

autres présages <strong>de</strong> sa mort.<br />

<strong>Le</strong> même historien cite, parmi <strong>le</strong>s présages <strong>de</strong> la<br />

mort <strong>de</strong> Va<strong>le</strong>ntinien, l'apparition <strong>de</strong> sa femme, alors<br />

absente, qu'il vit assise près <strong>de</strong> lui, <strong>le</strong>s cheveux épars<br />

1. Au même instant, Julien vit en sortant une longue traînée <strong>de</strong><br />

lumière sillonner l'air et s'évanouir. — Ammien Marcellin reconnaît<br />

que c'était un météore. Cependant, dit-il, <strong>de</strong>s aruspices, sur l'autorité<br />

du livre <strong>de</strong> Tarquitius{De rcb. divinis), <strong>de</strong>mandèrent que Julien<br />

ne livrât point batail<strong>le</strong> ; mais il n'en tint compte, etc.<br />

On examinera un jour comment il peut se faire que <strong>de</strong>s météores<br />

<strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s présages.


AVEC LE DÉMON. 207<br />

et vêtue d'habits <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil. <strong>Le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, contre son<br />

habitu<strong>de</strong>, son cheval se cabrait <strong>de</strong>vant l'écuyer et refusait<br />

do se laisser monter; <strong>le</strong> même jour, Va<strong>le</strong>ntinien<br />

mourut d'un coup <strong>de</strong> sang. On ne consignait donc plus,<br />

il est vrai, <strong>le</strong>s prodiges dans <strong>le</strong>s anna<strong>le</strong>s; mais il faudrait<br />

peut-être <strong>de</strong>s volumes pour contenir ceux auxquels<br />

<strong>de</strong> grands personnages ont ajouté foi <strong>de</strong>puis<br />

Auguste seu<strong>le</strong>ment jusqu'à la chute du paganisme 1<br />

.<br />

Non-seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s historiens rapportent <strong>le</strong>s prodiges<br />

qui concernaient <strong>de</strong>s personnages plus ou moins fameux,<br />

mais ceux qui annonçaient ces grands événements<br />

politiques qui changent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>stinées <strong>de</strong>s nations.<br />

L'apparition d'une croix à Constantin annonça aux<br />

païens que <strong>le</strong> christianisme allait triompher.<br />

Julien veut rebâtir <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m ; d'après<br />

l'aveu d'Ammien Marcellin (XXIII), <strong>de</strong>s globes <strong>de</strong> feu<br />

s'y opposent, et prouvent que la religion <strong>de</strong> Moïse a fait<br />

place à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jésus. On assure que <strong>de</strong>s croix apparurent<br />

partout. <strong>Le</strong>s aruspices en trouvaient jusque dans<br />

<strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes. (Athan. Kircher, De crucibus<br />

proàg., part. I.)<br />

Josèphe, entre autres prodiges par lui cités comme<br />

annonçant la ruine <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m, dit qu'il arriva, <strong>le</strong><br />

27 mai..., une chose qu'il craindrait <strong>de</strong> rapporter, si<br />

i. On sait que <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s fortuites étaient el<strong>le</strong>s-mêmes un présage.<br />

Val. Max., 1. I, cite entre autres celui-ci: — Caecilia, femme <strong>de</strong> Métcllus,<br />

avait une nièce prête à se marier, qu'el<strong>le</strong> mena, comme c'était<br />

la coutume, dans une chapel<strong>le</strong> pour chercher <strong>de</strong>s présages nuptiaux.<br />

La tante s'assit, la nièce se tint <strong>de</strong>bout ; el<strong>le</strong>s furent longtemps<br />

ainsi, sans rien entendre. La nièce, lasse d'être <strong>de</strong>bout, pria sa tante<br />

<strong>de</strong> la laisser asseoir pour quelques instants. — Très-volontiers, répondit<br />

la tante, je vous cè<strong>de</strong> ma place. Ces paro<strong>le</strong>s furent <strong>le</strong> présage qu'on<br />

cherchait. Cœcilia mourut bientôt, et son mari épousa sa jeune nièce.


•208 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>de</strong>s personnes qui l'ont vue n'étaient encore vivantes...<br />

Avant <strong>le</strong> <strong>le</strong>ver du so<strong>le</strong>il, on aperçut en l'air <strong>de</strong>s gens<br />

armés qui semblaient vouloir enfermer la vil<strong>le</strong>.<br />

Tacite (Histor., V, 3), en rapportant ces prodiges,<br />

blâme <strong>le</strong>s Juifs <strong>de</strong> n'avoir pas essayé <strong>de</strong> détourner ces<br />

funestes présages par <strong>de</strong>s sacrifices.<br />

Cherchez la cause <strong>de</strong> tout cela, avait dit Cicéron (en<br />

parlant <strong>de</strong>s prodiges), si cela s'est fait, ce n'est point un<br />

prodige... — L'épicurien qui avait applaudi ces paro<strong>le</strong>s<br />

n'invoquait plus la Divinité pour en conjurer <strong>le</strong>s menaces,<br />

mais souvent, épouvanté en présence <strong>de</strong>s faits,<br />

on <strong>le</strong> voyait dans son impiété plus superstitieux que jamais:<br />

ce fut <strong>le</strong> seul fruit que la philosophie matérialiste<br />

<strong>de</strong>vait recueillir <strong>de</strong> ses négations et <strong>de</strong> ses sophismes,<br />

car on ne cessa <strong>de</strong> croire aux faits, malgré <strong>le</strong>s raisonnements<br />

<strong>de</strong> Cicéron.<br />

Pline dit (II, 58) qu'on a vu, dans <strong>le</strong> temps <strong>de</strong>là<br />

guerre contre <strong>le</strong>s habitants d'Améria, <strong>de</strong>s armées et <strong>de</strong>s<br />

combats dans <strong>le</strong>s airs, et on a entendu, dans cel<strong>le</strong> contre<br />

<strong>le</strong>s Cimbres, <strong>le</strong> son <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs trompettes, <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>urs armes, ce qui est arrivé plusieurs fois auparavant,<br />

ajoute-t-ii, et <strong>de</strong>puis.<br />

Enthousiasme, fureur sacrée, exlase, vue à dislance, elc.<br />

Cicéron a montré à Quintus toute la surprise qu'il<br />

éprouvait du privilège <strong>de</strong> l'enthousiasme qui rendrait<br />

un insensé plus clairvoyant qu'un sage. Après Cicéron<br />

pourtant, comme avant lui, <strong>le</strong>s faits se multiplient;<br />

l'enthousiasme ou délire sacré se manifestait souvent;<br />

on en a vu la preuve en parlant <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, qui cependant<br />

cesseront bientôt <strong>de</strong> répondre. Mais la fureur sacrée<br />

s'emparait encore <strong>de</strong>s païens longtemps après<br />

Cicéron : « Quand j'étais jeune, dit saint Augustin (Cité


AVEC LE DÉMON. 20»<br />

<strong>de</strong> Dieu, 11,4), j'allais à ces spectac<strong>le</strong>s sacrilèges, je contemplais<br />

<strong>le</strong>s postures étranges <strong>de</strong> ceux qui étaient pris<br />

<strong>de</strong> fureur...» — On ne doutait point qu'on ne vît dans<br />

une sorte d'extase ce qui se passait au loin. Aulu-Gel<strong>le</strong>,<br />

cent trente ans après Cicéron, bien convaincu <strong>de</strong> ce<br />

phénomène, rapporte encore celui <strong>de</strong> Cornélius, qui<br />

avait vu en p<strong>le</strong>in jour la batail<strong>le</strong> qui se donna entre César<br />

et Pompée, et racontait dans <strong>le</strong>s moindres détails <strong>le</strong>s<br />

péripéties <strong>de</strong> l'action et ses diverses circonstances. Comment<br />

douter <strong>de</strong>s faits passés, puisqu'on en voyait <strong>de</strong><br />

semblab<strong>le</strong>s? Apollonius, que <strong>le</strong>s païens, à cause <strong>de</strong> ses<br />

prodiges,opposaient à Jésus-Christ comme un homme<br />

divin, et que <strong>le</strong>s chrétiens considéraient comme magicien,<br />

n'avait-il pas vu la mort <strong>de</strong> Domitien, quoique fort<br />

éloigné du lieu où il était? Dion et Philostrate racontent<br />

qu'Apollonius, monté sur un tertre, d'où il parlait à<br />

une nombreuse assemblée, s'écria tout à coup que<br />

Domitien était tué. Il semblait qu'il fût présent à l'action,<br />

disent-ils— «C'est bienfait! Etienne, s'écriait<br />

Apollonius. Courage, Etienne, frappe <strong>le</strong> tyran, <strong>l'homme</strong><br />

sanguinaire... » Il fut vérifié qu'à la même heure Domitien<br />

avait succombé <strong>de</strong> la même manière.<br />

Didyme, philosophe à A<strong>le</strong>xandrie, étant comme en<br />

extase dans sa chaise, — dit Sozomène (VI, 2), « vit <strong>de</strong>s<br />

chevaux blancs qui couraient en l'air, et il entendit crier<br />

à ceux qui étaient <strong>de</strong>ssus : Al<strong>le</strong>z dire à Didyme que<br />

Julien vient d'être tué... et qu'il apprenne cette nouvel<strong>le</strong><br />

à Athanase. » En effet, Julien était mort.<br />

Théodoret (Hist. <strong>de</strong> l'Égl., III, 24) rapporte qu'un<br />

moine du nom <strong>de</strong> Julien, dit Sabas, priait <strong>avec</strong> ferveur,<br />

connaissant <strong>le</strong>s menaces <strong>de</strong> Julien contre l'Église. Quoique<br />

son monastère fût à plus <strong>de</strong> vingt journées du camp<br />

<strong>de</strong>s Romains, un jour, tandis qu'il priait <strong>avec</strong> larmes,<br />

ses gémissements se changèrent tout à coup en signes<br />

i. 14


210 DES RAPPORTS DR L'HOMME<br />

d'allégresse; ses amis lui en <strong>de</strong>mandant la cause, il<br />

répondit que <strong>le</strong> sanglier qui avait ravagé la vigne du<br />

Seigneur était mort. Effectivement, dit Théodoret, sa<br />

mort était arrivée au jour et à l'heure même où ce vieillard<br />

l'avait annoncée 1<br />

.<br />

Cette faculté <strong>de</strong> voir <strong>le</strong>s choses éloignées ou cachées,<br />

dont il no s'agit pas encore <strong>de</strong> rechercher la cause,<br />

n'était pas constamment due à un état extatique.<br />

Dos que Jarchas, <strong>le</strong> plus fameux <strong>de</strong>s brahmanes selon<br />

saint Jérôme, eut envisagé Apollonius, il <strong>le</strong> salua par<br />

son nom en grec, lui <strong>de</strong>manda une <strong>le</strong>ttre que Phraorte<br />

l'avait chargé <strong>de</strong> lui remettre, vit avant <strong>de</strong> l'ouvrir<br />

qu'il y manquait une <strong>le</strong>ttre. C'était un d. Jarchas dit à<br />

Apollonius <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> son père, <strong>de</strong> sa mère, <strong>de</strong> se9<br />

parents ; il sait quel<strong>le</strong> est son instruction, connaît ses<br />

voyages, <strong>le</strong>ur durée, ce qui lui est arrivé, ce qu'il a dit<br />

en chemin, ce qu'il a fait, eto., etc. (Réponse dEusèbe<br />

à Hièroclès.)<br />

<strong>Le</strong>s dieux s'emparent <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, jmssessions.<br />

On ne dira qu'un mot <strong>de</strong> cet état, qui sera examiné<br />

amp<strong>le</strong>ment un jour. —Cette maladie extraordinaire,<br />

que <strong>le</strong>s chrétiens nomment possession, était connue <strong>de</strong>s<br />

Gentils dès la plus haute antiquité. — Homère, en parlant<br />

d'un patient, ditqu'un <strong>démon</strong> ennemi est entré dans<br />

i. Ces faits no sont point rapportes ici comme exemp<strong>le</strong>s d'extases<br />

diaboliques, mais comme exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> vues à distance. Sans vouloir<br />

encore expliquer <strong>le</strong> phénomène, on note que ces faits <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> vue<br />

se présentent dans tous <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s et chez tons <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s. — Sparticn<br />

écrit qu'un enfant découvrit, par la secon<strong>de</strong> vue, à JJidius Julianus,<br />

l'arrivée <strong>de</strong> César et <strong>le</strong> départ <strong>de</strong> Julien. — Un solitaire vit, <strong>de</strong>puis<br />

Constanlinop<strong>le</strong>, l'empereur Vu<strong>le</strong>ns périr dans une grange où il s'était<br />

réfugié, cl où <strong>le</strong>s fîolhs avaient mis <strong>le</strong> fou. Cet enfant en était a plus<br />

<strong>de</strong> dix lieues. — Nicéphorc, 1. 2, c. KO.


AVEC LE DËMOJV.<br />

son corps (V. Massé). On attribuait à Salomon certains<br />

secrets pour chasser <strong>le</strong>s esprits. Saiil, dans l'Ancien<br />

Testament, était possédé, hescerrùi, <strong>le</strong>s larvarvmp<strong>le</strong>ni<br />

se montrent, comme Saûl, <strong>avec</strong> l'esprit troublé; ils<br />

prédisaient l'avenir, <strong>de</strong>s phénomènes étranges se manifestaient.<br />

C'est surtout à la venue du Christ qu'ils se<br />

multiplièrent. Bientôt après, ces phénomènes <strong>de</strong>vinrent<br />

épouvantab<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong> délire sacré était une sorte <strong>de</strong> possession.<br />

Ce qu'il faut constater ici, c'est que <strong>le</strong>s personnes<br />

atteintes <strong>de</strong> cet état après Cicéron, <strong>de</strong>vinrent<br />

plus nombreuses et l'état lui-même <strong>de</strong>vint plus épouvantab<strong>le</strong>.<br />

La mère d'un jeune homme possédé du <strong>démon</strong> <strong>de</strong>puis<br />

<strong>de</strong>ux ans se présente à Jarchas, lui raconte qu'el<strong>le</strong><br />

désirait lui amener son fils, mais <strong>le</strong> <strong>démon</strong> l'a menacée<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong> faire mourir Jarchas l'écoute <strong>avec</strong> bonté et lui<br />

dit ; n Ayez p<strong>le</strong>ine confiance, <strong>le</strong> <strong>démon</strong> ne tuera pas<br />

votre fils, si vous lui portez ceci à lire, » et <strong>le</strong> sage<br />

Indien lui remit une <strong>le</strong>ttre, etc.. (Rép. dEusèbe.)<br />

On pourrait grossir <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong> ces citations.<br />

Astrologie.<br />

On continua d'étudier l'astrologie. — Que <strong>le</strong>s astres,<br />

disait-on, soient gouvernés par <strong>de</strong>s intelligences, ou<br />

qu'un esprit universel intelligent <strong>le</strong>s dirige comme <strong>le</strong>s<br />

autres parties <strong>de</strong> notre vaste univers, il est hors <strong>de</strong><br />

doute qu'ils ont un empire sur nous. On prouverait par<br />

<strong>de</strong>s faits qu'on ne cessa <strong>de</strong> se livrer à cette science.<br />

Suétone, liv. 1", dit que Tibère négligeait <strong>le</strong>s dieux et<br />

la religion, mais s'occupait d'astrologie.<br />

Jruspicine, augurie.<br />

L'aruspicine, malgré tout ce que Cicéron avait dit


212 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

contre cette prétendue science, fut plus consultée peutêtre<br />

que jamais. <strong>Le</strong>s faits parlaient plus haut que <strong>le</strong>s<br />

déclamations <strong>de</strong>s sceptiques. Ammien Marcellin (XX)<br />

s'exprime ainsi : « <strong>Le</strong>s entrail<strong>le</strong>s prophétiques, qui<br />

prennent, comme on sait, <strong>de</strong>s formes sans nombre,<br />

découvrent l'avenir à ceux qui <strong>le</strong>s consultent <strong>avec</strong> attention.<br />

»<br />

Celse fait entrer dans <strong>le</strong>s diverses divinations tout ce<br />

qu'on apprend par <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes. (V. Orig.<br />

c. Celse.)<br />

Pline dit : « On donne comme certain, c'est une opinion<br />

généra<strong>le</strong>, que <strong>de</strong>s imprécations ayant interrompu<br />

la prière... soudain <strong>le</strong> cœur et <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes<br />

ont disparu ou se sont trouvés doub<strong>le</strong>s sans qu'el<strong>le</strong>s<br />

eussent fait aucun mouvement. » (Pline, XXVIII, 3.)<br />

<strong>Le</strong>s empereurs ont été accusés d'avoir, en pratiquant<br />

l'aruspicine, commis <strong>de</strong>s atrocités si affreuses,<br />

que la gran<strong>de</strong> conviction qu'ils avaient <strong>de</strong>s avantages<br />

qu'en retirait <strong>le</strong>ur politique ne saurait jamais <strong>le</strong>s excuser.<br />

Ammien Marcellin veut disculper Julien son maître<br />

<strong>de</strong> ces monstruosités, mais il avoue ses pratiques superstitieuses.<br />

11 étudia, dit-il, l'art <strong>de</strong>s augures et y fit<br />

<strong>de</strong>s progrès; il apprit par ce moyen qu'il succé<strong>de</strong>rait à<br />

Constance, dont la mort lui fut révélée.<br />

On doit en dire autant <strong>de</strong> l'augurie; <strong>de</strong> sorte qu'on<br />

pourrait croire que <strong>le</strong>s augures, quelques sièc<strong>le</strong>s après<br />

Cicéron, plus instruits que lui dans l'augurie, ne riaient<br />

plus en se regardant. — « Ce n'est pas la fantaisie <strong>de</strong>s<br />

oiseaux, dit AmmienMarcellin, qui nous révè<strong>le</strong> l'avenir,<br />

qu'eux-mêmes ignorent, nul n'est assez dépourvu <strong>de</strong><br />

sens pour <strong>le</strong> dire ; la Divinité dirige <strong>le</strong>ur vol... il en est<br />

<strong>de</strong> même pour <strong>le</strong>urs cris...; rendue favorab<strong>le</strong> par <strong>de</strong>s<br />

cérémonies, el<strong>le</strong> suggère <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s. »


AVEC LE DÉMON. 213<br />

Guérisons divines.<br />

Lorsqu'on parcourt <strong>le</strong>s auteurs qui par<strong>le</strong>nt <strong>de</strong>s cures<br />

<strong>de</strong>s dieux et <strong>de</strong>s songes ; en voyant ce grand nombre <strong>de</strong><br />

faits extraordinaires après Cicéron comme avant lui,<br />

on est étonné qu'il ait osé nier <strong>de</strong>s faits qui paraissent<br />

avoir été si journaliers, si publics.<br />

Esculape, dit Celse, a été et est encore vu <strong>de</strong> plusieurs,<br />

tant Grecs que Barbares, guérissant <strong>le</strong>s mala<strong>de</strong>s,<br />

prédisant l'avenir, accordant divers bienfaits.<br />

(Orig. c. Celse, 1. III.)<br />

Hérodien dit que Caracalla se rendit dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong><br />

d'Esculape pour obtenir <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s en songe. (I, 8.)<br />

Marc-Aurè<strong>le</strong> remercie Sérapis <strong>de</strong> lui avoir indiqué<br />

en songe différents remè<strong>de</strong>s. Tantôt, dit-il, ce dieu<br />

ordonne à celui-ci <strong>de</strong> monter à cheval, à celui-là <strong>de</strong><br />

se faire verser <strong>de</strong> l'eau froi<strong>de</strong> sur <strong>le</strong> corps, à un autre<br />

<strong>de</strong> marcher nu-pieds sur la terre. (Pens., c. u.)<br />

Esculape, dit Galien, prescrivit un jour à un lépreux<br />

<strong>de</strong> faire un Uniment <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s vipères... et <strong>de</strong> s'en frotter<br />

tout <strong>le</strong> corps ; il fut entièrement guéri.<br />

Un Athénien et un Juif atteints chacun- d'une maladie<br />

différente, ayant consulté Esculape, en reçurent<br />

tous <strong>de</strong>ux la même ordonnance, <strong>de</strong> manger du porc.<br />

<strong>Le</strong> premier négligea <strong>de</strong> la suivre; mais <strong>le</strong> Juif s'en<br />

trouva si bien, que, malgré la loi mosaïque, <strong>le</strong> porc fut<br />

sa nourriture habituel<strong>le</strong>. (V. Philostrate, Vie a"Apolhmhis,<br />

1. III.)<br />

Sérapis ordonne à un mala<strong>de</strong> qui crachait <strong>le</strong> sang une<br />

boisson <strong>de</strong> sang <strong>de</strong> taureau, considéré comme poison<br />

dangereux; il en but et fut guéri. (V. iElien.)<br />

<strong>Le</strong> dieu ordonna à un autre <strong>de</strong> manger <strong>de</strong> la chair<br />

d'âne, qui <strong>le</strong> guérit <strong>de</strong> sa phthisie.


«14 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Un autre étant mala<strong>de</strong> pour avoir avalé <strong>de</strong>s œufs <strong>de</strong><br />

serpent, Sérapis lui ordonna <strong>de</strong> se faire mordre la<br />

main par une murène, et il recouvra la santé.<br />

Philostrate, parlant <strong>de</strong> la divination .et <strong>de</strong> ses avantages,<br />

disait que <strong>le</strong> plus grand était la mé<strong>de</strong>cine. «<strong>Le</strong>s<br />

mé<strong>de</strong>cins n'auraient jamais connu la mé<strong>de</strong>cine, si<br />

Esculapc, fils d'Apollon, n'eût composé ses remè<strong>de</strong>s<br />

d'après <strong>le</strong>s révélations <strong>de</strong> son père : <strong>de</strong> là, dit-il, vient<br />

la mé<strong>de</strong>cine. Jamais on n'eût osé se servir <strong>de</strong>s poisons<br />

comme remè<strong>de</strong>s. ( Vie d'Apollonius, III, 18.)<br />

Pline, Galien, Aristi<strong>de</strong>, Synésius attestent avoir<br />

évité <strong>de</strong> très-grands dangers par <strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s qui <strong>le</strong>ur<br />

ont été ainsi révélés, citent plusieurs plantes indiquées<br />

en songe, et confirment ainsi ce qu'on a dit précé<strong>de</strong>mment<br />

<strong>de</strong>s révélations <strong>de</strong>s dieux.<br />

<strong>Le</strong>s inscriptions, <strong>le</strong>s ex-voto 1<br />

sont <strong>de</strong>s monuments<br />

authentiques <strong>de</strong> ces guérisons divines qu'on retrouve<br />

dans <strong>le</strong>s débris <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s.<br />

Pierius Va<strong>le</strong>rianus cite l'inscription d'un monument<br />

érigé par un certain Frontanianus, qui déclare<br />

l'avoir fait pour avoir eu l'apparition d'Esculape et<br />

<strong>de</strong>s autres divinités.<br />

On aurait à faire ainsi mil<strong>le</strong> citations qui prouveraient<br />

ces songes et ces cures. Julien, Caracalla, Antonin<br />

y avaient une très-gran<strong>de</strong> confiance. Ce <strong>de</strong>rnier, pour<br />

témoigner sa reconnaissance à Sérapis, fit frapper plusieurs<br />

médail<strong>le</strong>s en son honneur. Dacier dit que rien<br />

n'est plus commun chez <strong>le</strong>s anciens que <strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s<br />

ainsi révélés, et il ajoute qu'il n'attacherait aucune importance<br />

à <strong>le</strong>urs coutumes crédu<strong>le</strong>s et superstitieuses,<br />

i. <strong>Le</strong>s ex-voto particulièrement, si nombreux et si intéressants,<br />

même au point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la pathologie, mériteraient un chapitre<br />

spécial, s'il nous était permis d'être moins bref.


AVEC LB DÉMOS. Ut»<br />

si <strong>de</strong>s hommes très-sages, très-dignes <strong>de</strong> foi n'avaient<br />

parlé <strong>de</strong> ce qui <strong>le</strong>ur était arrivé dans <strong>le</strong>urs songes, etc...<br />

Dans Origène (c. Celse) on trouve confirmée la réalité<br />

<strong>de</strong> ces nombreuses guérisons. Grecs et Barbares, tous<br />

attestaient avoir vu <strong>le</strong> dieu, non en apparence, mais<br />

lui-même, prouvant sa présence par ses orac<strong>le</strong>s ou par<br />

<strong>le</strong>s guérisons qu'iL opérait.<br />

L'empereur Clau<strong>de</strong>, selon Suétone, fit un décret<br />

portant que tous <strong>le</strong>s esclaves qui se rendraient dans<br />

<strong>le</strong> temp<strong>le</strong> d'Esculape, situé dans une î<strong>le</strong>, seraient<br />

libres ; car <strong>le</strong>s maîtres trouvaient très-agréab<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

faire guérir <strong>de</strong> cette manière. — Quel<strong>le</strong> fut la raison <strong>de</strong><br />

l'empereur, on l'ignore ; peut-être <strong>le</strong>s prêtres se plaignirent-ils<br />

<strong>de</strong> cette gran<strong>de</strong> affluence; el<strong>le</strong> prouverait,<br />

du reste, el<strong>le</strong>-même ces guérisons, qui remontaient à<br />

une haute antiquité, puisque tous <strong>le</strong>s anciens historiens,<br />

tels qu'Hérodote, Pausanias, Tite-Live, Varron,<br />

Strabon, etc., étaient unanimes pour <strong>le</strong>s attester.<br />

On verra <strong>le</strong>s Hébreux, ainsi séduits, se livrer aux mêmes<br />

pratiques que <strong>le</strong>s Gentils ; <strong>le</strong>s Pères eux-mêmes avouent<br />

ces cures merveil<strong>le</strong>uses chantées aussi par <strong>le</strong>s poètes.<br />

[V. Tibul<strong>le</strong>, etc.)<br />

On termine par une <strong>de</strong> ces cures qu'on va rapporter<br />

<strong>avec</strong> quelques développements. Aristi<strong>de</strong>, orateur<br />

grec, né au <strong>de</strong>uxième sièc<strong>le</strong>, raconte <strong>avec</strong> <strong>de</strong> longs<br />

détails (ce qu'on ne saurait faire ici) que <strong>le</strong> dieu Esculape<br />

l'avait <strong>de</strong>puis longtemps prévenu <strong>de</strong> se défier<br />

<strong>de</strong> l'hydropisie, et lui avait recommandé la chaussure<br />

égyptienne. Il eut une tumeur qui grossit d'une manière<br />

effrayante. <strong>Le</strong>s mé<strong>de</strong>cins ordonnaient l'incision,<br />

<strong>le</strong>dieu la défendait... Comme cette tumeurcroissait toujours,<br />

ses amis inquiets lui reprochaient, <strong>le</strong>s uns, son<br />

. trop <strong>de</strong> confiance... d'autres disaient autre chose; mais<br />

<strong>le</strong> dieu résistait, affirmant que cette tumeur <strong>le</strong> sauve-


216 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

rait, et accusait <strong>le</strong>s mé<strong>de</strong>cins d'ignorance; pendant<br />

quatre mois qu'el<strong>le</strong> augmenta, <strong>le</strong> dieu lui donnait ainsi<br />

chaque nuit <strong>de</strong>s prescriptions toutes plus merveil<strong>le</strong>uses<br />

<strong>le</strong>s unes que <strong>le</strong>s autres : c'étaient <strong>de</strong>s courses nu-pieds<br />

au milieu <strong>de</strong> l'hiver, et l'exercice à cheval, fort diffici<strong>le</strong><br />

dans sa position, car <strong>le</strong>s aines, particulièrement, étaient<br />

horrib<strong>le</strong>ment enflées ; l'enflure montait jusqu'au nombril...;<br />

Esculape ne l'abandonna pas, mais il se montrait<br />

parfois fort bizarre. Ainsi, par exemp<strong>le</strong>, il recommanda<br />

une nuit à son père nourricier, nommé Zozimc,<br />

<strong>de</strong> se rendre auprès d'Aristi<strong>de</strong> pour connaître ce qu'il lui<br />

avait prescrit, puis il ordonna à Aristi<strong>de</strong> d'al<strong>le</strong>r auprès<br />

<strong>de</strong> Zozime pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qu'il avait dit à ce <strong>de</strong>rnier.<br />

Ils se communiquèrent <strong>le</strong>s ordonnances d'Esculape;<br />

bref, tout alla bien, la tumeur d'Aristi<strong>de</strong> diminua<br />

considérab<strong>le</strong>ment. <strong>Le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, ses amis <strong>le</strong> complimentaient<br />

, quoique un peu défiants, et <strong>le</strong>s mé<strong>de</strong>cins<br />

voulaient toujours intervenir. Esculape ne <strong>le</strong> voulut<br />

pas. La suppuration étant excessive, <strong>le</strong>s chairs pouvaient<br />

s'altérer; <strong>le</strong> dieu ordonna <strong>de</strong> faire un Uniment <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s<br />

œufs, et en peu <strong>de</strong> jours la plaie fut si bien cicatrisée,<br />

qu'on n'y vit plus rien. (Aristi<strong>de</strong>, Disc, sacrés.)<br />

Dans ces nombreuses relations, <strong>le</strong>s songeurs n'avaient<br />

aucunes notions <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine ; souvent la maladie<br />

était incurab<strong>le</strong>, et <strong>le</strong>s mé<strong>de</strong>cins avaient échoué.<br />

Aristi<strong>de</strong> dit qu'il avait épuisé tous <strong>le</strong>s moyens à Rome et<br />

à Pergame, où <strong>le</strong>s mé<strong>de</strong>cins lui avaient déclaré ne rien<br />

connaître à sa maladie. La relation <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> d'Aristi<strong>de</strong><br />

peut faire naître <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s réf<strong>le</strong>xions. — A Ëlée, <strong>le</strong><br />

dieu lui prescrit un bain <strong>de</strong> mer, l'assurant qu'il trouvera<br />

près du portun vaisseau portant <strong>le</strong> nom d'Esculape;<br />

il <strong>de</strong>vra y entrer, et il entendra sortir <strong>de</strong> la bouche<br />

<strong>de</strong>s matelots <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s qui concor<strong>de</strong>ront <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />

événements du jour. Il se rend à Éléc, y trouve <strong>le</strong> bâti-


AVEC LE DÉMON. 217<br />

ment indiqué, et entend <strong>le</strong>s matelots chantant <strong>le</strong>s<br />

cures d'Esculape.<br />

Un jour <strong>le</strong> dieu avait prescrit à Aristi<strong>de</strong> une potion<br />

fort inusitée ; son mé<strong>de</strong>cin Théodose n'osant rien déci<strong>de</strong>r,<br />

on consulta <strong>le</strong> gardien du temp<strong>le</strong>, qui entendait<br />

souvent raconter <strong>de</strong>s songes; celui-ci répondit qu'un<br />

<strong>de</strong> ses collègues avait eu pendant la nuit <strong>le</strong> même<br />

songe, ce que ce <strong>de</strong>rnier confirma. — Quoique <strong>le</strong> remè<strong>de</strong><br />

fût très-dangereux, <strong>le</strong> mala<strong>de</strong> s'en trouva fort<br />

bien...<br />

Un jeune mala<strong>de</strong> s'était rendu dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> pour<br />

avoir en songe la révélation d'un remè<strong>de</strong>. Mais, au lieu<br />

<strong>de</strong> faire ce qui lui était prescrit, il mangea beaucoup,<br />

but jusqu'à s'enivrer et n'eut pas <strong>de</strong> songe. Un jour<br />

qu'il s'était emporté, Esculape lui dit en songe <strong>de</strong> s'adresser<br />

à Apollonius...; il se rendit alors à Éphèse, et<br />

celui-ci lui fit comprendre que <strong>le</strong>s dieux ne guérissaient<br />

que ceux qui tenaient à guérir.<br />

Quelquefois <strong>le</strong>s mala<strong>de</strong>s se communiquaient <strong>le</strong>urs<br />

songes, qui avaient parfois entre eux un rapport frappant.<br />

« A côté <strong>de</strong> moi, à Pergame, dit Aristi<strong>de</strong>, se<br />

trouvait un sénateur qui attendait aussi un songe. <strong>Le</strong><br />

dieu lui prescrivit une saignée, en lui disant qu'il venait<br />

aussi <strong>de</strong> me la prescrire, ce qui était vrai. »<br />

(Disc, sacrés.)<br />

Ce qu'on vient <strong>de</strong> rapporter suffira sans doute pour<br />

prouver que <strong>le</strong>s arguments fournis par Cicéron contro<br />

la divination et contre tout <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux en général<br />

eurent un résultat nul, en ce sens que l'on continua<br />

<strong>de</strong> se livrer à toutes ces pratiques et <strong>de</strong> croire aux<br />

mêmes faits; mais la plupart <strong>de</strong> ceux qui <strong>le</strong>s admettaient<br />

essayaient <strong>de</strong> <strong>le</strong>s expliquer par <strong>le</strong>s lois physiques,<br />

ainsi qu'on va <strong>le</strong> voir.<br />

Lorsqu'on ne niait pas <strong>le</strong>s phénomènes, on <strong>le</strong>s


218 DES RAPPORTS DB L'HOMME<br />

attribuait d'ordinaire à la nature. — La superstition '<br />

triompha, mais la religion tomba.<br />

<strong>Le</strong> peu <strong>de</strong> développement imposé par <strong>le</strong> plan <strong>de</strong> cet<br />

ouvrage à l'exposé qu'on vient <strong>de</strong> faire suffira, je<br />

pense, pour montrer que la superstition avait remplacé<br />

la religion; tel n'était pas <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> Cicéron, qui<br />

avait déclaré formel<strong>le</strong>ment qu'il voulait détruire la<br />

superstition et maintenir <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s dieux. (Divination,<br />

1. II.) On n'examinera pas si cette entreprise était<br />

praticab<strong>le</strong>, si el<strong>le</strong> <strong>de</strong>vient possib<strong>le</strong> à ceux qui nient <strong>le</strong><br />

surnaturel. On va voir ce qu'on fit pour expliquer ce<br />

qui avait été jusque-là considéré comme divin. — D'abord,<br />

quand <strong>le</strong>s faits semblaient inexplicab<strong>le</strong>s aux philosophes,<br />

ils <strong>le</strong>s rejetaient volontiers comme absur<strong>de</strong>s;<br />

et s'ils étaient trop bien attestés pour qu'on pût <strong>le</strong>s nier,<br />

dans ce cas on disait <strong>avec</strong> Cicéron : « Si <strong>le</strong> fait est vrai,<br />

soyez SÛT qu'il est naturel. » On comptait alors sur<br />

l'avenir <strong>de</strong> la science pour <strong>le</strong>s expliquer.<br />

Avant <strong>de</strong> poursuivre, il est bon peut-être <strong>de</strong> prévenir<br />

une objection sur <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux : <strong>le</strong>s historiens,<br />

dira-t-on, n'étaient-ils pas <strong>de</strong>s hommes crédu<strong>le</strong>s, imbus<br />

<strong>de</strong>s récits populaires qu'ils ont acceptés sans critique?<br />

ou bien n'ont-ils pas feint d'y croire, afin d'égayer<br />

<strong>le</strong>ur récit par <strong>de</strong>s fab<strong>le</strong>s dont ils sentaient la fausseté?<br />

etc. — Il n'en est pas ainsi ; il était constant à<br />

peu près pour toutes <strong>le</strong>s sectes qu'il se produisait <strong>de</strong>s<br />

1. On entend ici par superstition <strong>de</strong>s pratiques vaincs <strong>avec</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s<br />

on obtenait <strong>de</strong>s effets surprenants attribués à une cause fausse ou occulte.<br />

— Plusieurs, sans doute, croyaient au dieu Esculape, mais généra<strong>le</strong>ment<br />

ce n'était plus que <strong>le</strong> nom donné à cette cause occulte. Ainsi<br />

l'épicurien Celso, qui vantait <strong>le</strong>s cures d'Ksculape, ne croyait nul<strong>le</strong>ment<br />

à cette divinité. —Lorsqu'aujourd'bui <strong>le</strong>s magnétiscurs-/?u idi'sfes<br />

enten<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>urs somnambu<strong>le</strong>s dire qu'el<strong>le</strong>s voient <strong>de</strong>s esprits, ils n'en<br />

sont pas moins convaincu» que <strong>le</strong>s guérisons <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s-ci sont dues<br />

à <strong>le</strong>ur flui<strong>de</strong>.


AVBC LE DÉMON.<br />

phénomènes qu'on ne peut assimi<strong>le</strong>r pour <strong>le</strong>ur certitu<strong>de</strong><br />

à cet oiseau fabu<strong>le</strong>ux (<strong>le</strong> phénix) qu'on n'a jamais<br />

vu ni connu. Il s'agit ici <strong>de</strong> faits journaliers observés<br />

par une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> personnes ; <strong>de</strong> faits que <strong>le</strong>s épicuriens<br />

étaient intéressés à nier, car ils avaient alimenté la<br />

superstition, et ils avaient trop à cœur <strong>de</strong> l'anéantir<br />

pour admettre ce qui n'était propre qu'à l'entretenir.<br />

Si on s'est donné la peine <strong>de</strong> chercher une explication,<br />

si on a torturé <strong>le</strong> bon sens surtout pour en trouver une,<br />

soyez certains qu'on croyait fermement. On n'essaye<br />

pas d'expliquer ce qu'on a longtemps nié, ce qu'on a<br />

tant d'intérêt à rejeter.<br />

Une doctrine peut triompher, être généra<strong>le</strong>ment<br />

admise, mais ce n'est pas dire cependant que cel<strong>le</strong><br />

qui est méprisée n'ait plus <strong>de</strong> partisans. Ainsi on peut<br />

distinguer encore trois catégories <strong>de</strong> philosophes pendant<br />

l'existence du matérialisme après Cicéron : <strong>le</strong>s<br />

épicuriens, qui veu<strong>le</strong>nt jouir sans raisonner ; <strong>le</strong>s matérialistes,<br />

qui cherchent <strong>le</strong>s causes physiques et reconnaissent<br />

pour maître Démocrite ou Aristote ; ceux-ci<br />

pensaient que si on ne peut <strong>démon</strong>trer toujours <strong>le</strong> pouvoir<br />

<strong>de</strong> la nature, il n'en est pas moins sans limite ;<br />

et enfin <strong>de</strong>s philosophes célèbres, <strong>de</strong>s hommes graves<br />

qui continuent <strong>de</strong> suivre la doctrine spiritualiste et<br />

n'admettent pas qu'il soit possib<strong>le</strong> d'expliquer certains<br />

phénomènes sans l'intervention <strong>de</strong>s esprits.<br />

L'opinion <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>s philosophes n'est pas<br />

souvent assez marquée pour qu'on puisse <strong>le</strong>s classer<br />

nettement dans tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> éco<strong>le</strong>, car ils sont plus ou<br />

moins éc<strong>le</strong>ctiques. Il semb<strong>le</strong> qu'on n'ait rien à dire ici<br />

<strong>de</strong>s épicuriens ; c'est <strong>le</strong> contraire, parce que plusieurs<br />

d'entre eux appartiennent à la catégorie <strong>de</strong>s matérialistes,<br />

qui expliquent bizarrement <strong>le</strong>s faits.


220 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Lucrèce.<br />

Ce philosophe était un épicurien, qui essaya <strong>de</strong> concilier<br />

dans un long poëme <strong>le</strong> système d'Épicure, l'infini<br />

d'Anaximandre 1<br />

et <strong>le</strong>s a<strong>tome</strong>s <strong>de</strong> Démocrite. Son<br />

but avoué était encore <strong>de</strong> détruire la superstition, son<br />

vrai but ne fut-il pas plutôt d'établir l'athéisme?<br />

Citons la substance <strong>de</strong> quelques passages du poëme<br />

<strong>de</strong> Natura renmi. — Que pensait Lucrèce <strong>de</strong>s esprits,<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>urs apparitions? D'abord il croit aux faits; voici<br />

comment il <strong>le</strong>s explique : On affirme avoir vu <strong>de</strong>s esprits.<br />

Ce sont <strong>de</strong>s a<strong>tome</strong>s qui ont pris une forme. Il faut<br />

expliquer ce que nous appelons <strong>le</strong>s images <strong>de</strong>s choses...<br />

Ce sont comme <strong>de</strong>s membranes qui se détachent <strong>de</strong> la<br />

surface <strong>de</strong>s corps et qu'on prend pour <strong>de</strong>s spectres effrayants.<br />

.. —Lucrèce espère guérir <strong>de</strong> la crainte du retour<br />

<strong>de</strong>s âmes, et qu'on sera persuadé que <strong>le</strong>s ombres<br />

qui errent parmi <strong>le</strong>s vivants sont une pure fab<strong>le</strong>, et<br />

qu'on sera convaincu enfin qu'il ne reste rien <strong>de</strong> nous<br />

après notre mort. <strong>Le</strong>s apparitions semblaient prouver <strong>le</strong><br />

contraire; il <strong>le</strong>s explique. — Il est certain, dit-il, que<br />

<strong>le</strong>s corps envoient perpétuel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur surface<br />

<strong>de</strong>s images déliées, <strong>de</strong>s espèces <strong>de</strong> membranes ou<br />

d'écorces qui, quoique détachées, en conservent la<br />

forme... Il y a <strong>de</strong>s molécu<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong>s unes ressemb<strong>le</strong>nt<br />

à la fumée, d'autres dont <strong>le</strong>s parties <strong>le</strong>s plus<br />

con<strong>de</strong>nsées ressemb<strong>le</strong>nt à. la dépouil<strong>le</strong> <strong>de</strong>s ciga<strong>le</strong>s ou<br />

du serpent... Puisque l'expérience <strong>le</strong> confirme, il sort<br />

donc <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s corps une image superficiel<strong>le</strong> et dé-<br />

l. Ne pouvant exposer <strong>le</strong>s systèmes <strong>de</strong>s philosophes sur l'origine<br />

du mon<strong>de</strong>, on n'a rien dit <strong>de</strong> l'infini d'Anaximandre. C'était une sorte<br />

<strong>de</strong> chaos doué cependant <strong>de</strong> mouvement, résultat d'une force vita<strong>le</strong>.


AVEC LE DÉMON. 221<br />

liée... — Ce qu'on déci<strong>de</strong> en faveur <strong>de</strong>s corps visib<strong>le</strong>s,<br />

Lucrèce dit qu'on doit <strong>le</strong> déci<strong>de</strong>r aussi pour ceux qui,<br />

plus subtils, échappent à la vue... Ces corpuscu<strong>le</strong>s<br />

peuvent se détacher dans l'ordre <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur situation, la<br />

disposition extérieure <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs parties s'opposant à ce<br />

que rien ne s'altère dans la configuration qu'ils avaient<br />

avant <strong>le</strong>ur départ; quoique invisib<strong>le</strong>s séparément, une<br />

émanation continuel<strong>le</strong> finit par <strong>le</strong>s con<strong>de</strong>nser, alors ils<br />

frappent nos regards, il y a apparition.<br />

On ne peut suivre Lucrèce dans ses longues dissertations.<br />

Disons seu<strong>le</strong>ment qu'il pense que <strong>de</strong>s a<strong>tome</strong>s<br />

peuvent pareil<strong>le</strong>ment se réunir dans l'air. — Il ne faut<br />

pas s'imaginer, dit-il, que <strong>le</strong>s images s'écou<strong>le</strong>nt seu<strong>le</strong>ment<br />

du fond et <strong>de</strong> la surface <strong>de</strong>s corps, el<strong>le</strong>s sont<br />

quelquefois <strong>le</strong>ur propre ouvrage, apparaissent dans <strong>le</strong>s<br />

airs et y prennent toute sorte <strong>de</strong> figures.<br />

<strong>Le</strong>s apparitions étant expliquées <strong>de</strong> la sorte, il explique<br />

éga<strong>le</strong>ment la cause <strong>de</strong> certains bruits... — L'oreil<strong>le</strong><br />

ne perçoit un son que parce que ce son, étant<br />

corporel, a frappé cet organe. Alors, expliquant aussi<br />

<strong>le</strong>s échos, il y trouve la cause <strong>de</strong> ces voix qu'on a<br />

prises quelquefois pour <strong>de</strong>s voix <strong>de</strong> faunes, et montre<br />

qu'el<strong>le</strong>s sont produites par <strong>le</strong>s échos <strong>de</strong>s collines : il y<br />

en a qui répètent cinq et six fois <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s... Ainsi on<br />

affirme qu'on entend <strong>le</strong>s jeux <strong>de</strong>s satyres, <strong>de</strong>s nymphes,<br />

et <strong>le</strong>ur musique ; on assure qu'on a entendu Pan<br />

jouer <strong>de</strong> la flûte en branlant la couronne <strong>de</strong> pin qui<br />

pare sa tête cornue... On croit ces récits, mais ces bruits<br />

ne peuvent nous surprendre, la voix pénétrant partout...<br />

Il n'est pas étonnant qu'on l'enten<strong>de</strong> dans <strong>le</strong><br />

si<strong>le</strong>nce <strong>de</strong> la nuit, etc<br />

Lucrèce explique tout aussi matériel<strong>le</strong>ment la pensée...—Il<br />

y a un nombre prodigieux d'images qui se<br />

dispersent sous différentes formes ; <strong>le</strong>ur nature étant


222 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

extrêmement déliée, on s'imagine aisément que, se rencontrant<br />

dans l'air, el<strong>le</strong>s s'unissent entre el<strong>le</strong>s comme<br />

<strong>de</strong>s toi<strong>le</strong>s d'araignées ; <strong>le</strong>ur texture étant plus déliée<br />

que tout ce qu'on voit, el<strong>le</strong>s s'insinuent dans <strong>le</strong> corps,<br />

meuvent <strong>le</strong> sentiment et font connaître à la nature<br />

subti<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'esprit <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur impulsion. C'est<br />

à <strong>le</strong>ur émanation qu'il faut attribuer, dit Lucrèce, la<br />

vision <strong>de</strong>s centaures, <strong>de</strong>s cerbères à face <strong>de</strong> chien, <strong>de</strong>s<br />

spectres, etc. Il existe ainsi <strong>de</strong>s images <strong>de</strong> toute espèce<br />

, dont l'écou<strong>le</strong>ment intarissab<strong>le</strong> remplit toute la<br />

nature. <strong>Le</strong>s unes se forment d'el<strong>le</strong>s-mêmes, d'autres<br />

naissent du fond ou <strong>de</strong> la superficie <strong>de</strong>s choses, et<br />

d'autres <strong>de</strong> la réunion <strong>de</strong> figures dissemblab<strong>le</strong>s. L'image<br />

d'un centaure, par exemp<strong>le</strong>, n'émane pas d'un<br />

être qui ait jamais existé ; mais l'image qui s'échappe<br />

d'un cheval se rencontrant par hasard <strong>avec</strong> cel<strong>le</strong> qui<br />

sort d'un homme, el<strong>le</strong>s s'unissent et n'en forment<br />

qu'une seu<strong>le</strong> qui tient <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux natures.<br />

L'enten<strong>de</strong>ment, dit plus loin Lucrèce, est un assemblage<br />

<strong>de</strong> principes déliés... — Est-il rien qui persua<strong>de</strong><br />

mieux que la pensée est l'effet nécessaire <strong>de</strong>s<br />

images? etc.. — De sorte que l'esprit, d'après Lucrèce,<br />

est un être matériel, <strong>le</strong>quel, ébranlé par <strong>de</strong>s corpuscu<strong>le</strong>s<br />

qui ont pris <strong>de</strong>s formes diverses, perçoit <strong>de</strong>s<br />

apparitions do toute sorte. <strong>Le</strong>s corpuscu<strong>le</strong>s qui s'échappent<br />

d'un ami, d'un parent, fût-il mort ou vivant,<br />

peuvent affecter la forme du corps et révé<strong>le</strong>r à<br />

la nature déliée <strong>de</strong> notre esprit <strong>le</strong>s éléments qui survivent<br />

au corps. — On ne dira rien <strong>de</strong> ces explications;<br />

on aura plus tard occasion do faire voir ce qu'on doit<br />

penser <strong>de</strong> ces extravagances, qui ont trouvé <strong>de</strong> nombreux<br />

partisans.<br />

On va expliquer non moins physiquement la magie<br />

malfaisante et bienfaisante, <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s, etc.


AVEC LE DÉMON. ZZ3<br />

Pline,<br />

On vient <strong>de</strong> voir comment on expliquait <strong>le</strong>s apparitions<br />

et <strong>le</strong>s voix mystérieuses ; <strong>le</strong> surplus n'était pas<br />

moins faci<strong>le</strong>. Pline, matérialiste comme Lucrèce, lorsque<br />

<strong>le</strong>s faits étaient constants, ne reculait pas <strong>de</strong>vant<br />

<strong>le</strong>s explications <strong>le</strong>s plus absur<strong>de</strong>s. — Voyons d'abord<br />

sa profession <strong>de</strong> foi : « Dieu, quel qu'il soit, s'il en est<br />

un autre que <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, est tout yeux, tout oreil<strong>le</strong>,<br />

toute vie, etc..» (Pline, II, 5.) Croire <strong>le</strong>s dieux innombrab<strong>le</strong>s,<br />

ou, comme Démocrite, n'en admettre<br />

que <strong>de</strong>ux, la récompense et la peine, c'est folie—<br />

Pline trouve qu'il n'y a pas moins <strong>de</strong> folie à croire que<br />

ces dieux sont vieux, jeunes, mariés, etc. Toutes <strong>le</strong>s<br />

croyances et tous <strong>le</strong>s systèmes religieux ne lui semb<strong>le</strong>nt<br />

pa8plus sages <strong>le</strong>s uns que <strong>le</strong>s autres. Celui-là, dit-il,<br />

est un dieu pour <strong>le</strong>s hommes, qui <strong>le</strong>ur rend service...<br />

Jupiter, Mercure, etc., ne sont que <strong>de</strong>s nomenclatures<br />

symboliques <strong>de</strong> la nature... C'est folie <strong>de</strong> croire que<br />

l'Être suprême, quel qu'il soit, s'occupe <strong>de</strong> nous; toutefois,<br />

pour <strong>le</strong>s sociétés, il est uti<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong> croire, etc..<br />

L epicurisme <strong>de</strong> Pline n'étant plus douteux, voyons ce<br />

qu'il pense <strong>de</strong>s phénomènes considérés si longtemps<br />

comme surnaturels.<br />

La magie exercée par <strong>le</strong>s intrus dans <strong>le</strong>s sciences<br />

sacrées embarrassait <strong>le</strong>s philosophes. On a vu ce que<br />

disait Platon, ce que pensait Quintus <strong>de</strong>s prêtres d'I-<br />

BÎS. Il était logique <strong>de</strong> croire que <strong>le</strong>s dieux n'accordaient<br />

point à <strong>de</strong>s scélérats, à <strong>de</strong>s gens sans aveu la<br />

puissance d'opérer <strong>de</strong>s prodiges. Pline, comme épicurien,<br />

<strong>de</strong>vait refuser ce pouvoir aux uns et aux autres.<br />

« La magie est une science trompeuse, frivo<strong>le</strong>, » ditil<br />

(XXX); ce qui <strong>le</strong> lui prouve, c'est que Néron y a


224 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

renoncé, n'ayant pu apprendre <strong>de</strong> Tiridate <strong>le</strong> moyen<br />

<strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r aux dieux ; ce qui <strong>le</strong> lui prouve encore,<br />

c'est que dans <strong>le</strong>s mystères on emploie la taupe, qui<br />

est <strong>le</strong> rebut <strong>de</strong> la nature. La magie offre une ombre <strong>de</strong><br />

vérité, c'est cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s empoisonnements.—<strong>Le</strong>s substances<br />

employées étaient-el<strong>le</strong>s toutes naturel<strong>le</strong>ment propres à<br />

empoisonner, on ne <strong>le</strong> pensera pas en parcourant <strong>le</strong>s<br />

œuvres <strong>de</strong> Pline.<br />

11 est constant qu'il se moque <strong>de</strong>s superstitions<br />

magiques et <strong>de</strong> l'excessive crédulité <strong>de</strong>s anciens<br />

(XXVI, 0) : — Sans rien garantir, il rapporte <strong>le</strong>s<br />

pratiques et <strong>le</strong>s usages <strong>de</strong>s Barbares (XXVIII); il prévient<br />

qu'il a choisi <strong>le</strong>s recettes sanctionnées par une<br />

approbation à peu près unanime ; mais certains remè<strong>de</strong>s<br />

ne sont pour lui que <strong>de</strong>s rêveries, tant ils sont<br />

ridicu<strong>le</strong>s ou monstrueux : ainsi <strong>le</strong> sang <strong>de</strong> gladiateur<br />

contre l'épi<strong>le</strong>psie, et <strong>le</strong>s os du crâne d'un criminel<br />

employés par Démocrite contre certaines maladies,<br />

sont, aux yeux <strong>de</strong> Pline, <strong>de</strong>s recettes qui ne conviennent<br />

qu'aux Barbares. <strong>Le</strong>s vertus attribuées à certains<br />

végétaux sont absur<strong>de</strong>s : ainsi la plante œlhiopis, qui<br />

<strong>de</strong>ssèche un étang, et dont <strong>le</strong> seul contact ouvre <strong>le</strong>s<br />

endroits fermés; la plante achêmenis (XXVI, 9),<br />

qui jette <strong>le</strong> désordre dans <strong>le</strong>s rangs ennemis, excitent<br />

un sourire <strong>de</strong> pitié chez <strong>le</strong> grand naturaliste;<br />

cependant, quoiqu'il nie ainsi <strong>le</strong>s vertus chimériques<br />

que la superstition accor<strong>de</strong> à certaines substances, il<br />

en admet d'autres qui ne <strong>le</strong> sont pas moins. Aussi l'annotateur<br />

du livre I er<br />

<strong>de</strong> Pline (col<strong>le</strong>ction Panckoucke) a<br />

dit, en parlant <strong>de</strong> lui : « Nous regrettons, non pas <strong>de</strong><br />

« voir un homme inférieur à son sièc<strong>le</strong>, mais tout<br />

« juste au niveau..., incrédu<strong>le</strong> par bouta<strong>de</strong>, et crédu<strong>le</strong><br />

« lorsqu'il trouve sur sa route <strong>le</strong>s merveil<strong>le</strong>s du sang<br />

« <strong>de</strong> be<strong>le</strong>tte, etc. (XXVIII.)


AVEC LE DÉMON. 225<br />

Pline paraît croire à la vertu <strong>de</strong>s formu<strong>le</strong>s. « Il convient,<br />

dit-il, <strong>de</strong> la rapporter à <strong>l'homme</strong>. » Il croit que<br />

<strong>le</strong> cœur, <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes dans l'aruspicine<br />

disparaissent soudain ou se trouvent doub<strong>le</strong>s. — Comment<br />

ne <strong>le</strong> croirait-il pas? « La force <strong>de</strong> ces formu<strong>le</strong>s est<br />

confirmée par <strong>le</strong>s événements <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> huit sièc<strong>le</strong>s. »<br />

Pline croit qu'une simp<strong>le</strong> prière <strong>de</strong>s Vesta<strong>le</strong>s retient<br />

<strong>le</strong>s esclaves fugitifs..., « <strong>de</strong>s milliers d'exemp<strong>le</strong>s <strong>le</strong><br />

prouvent ; il est non moins avéré qu'il y a <strong>de</strong>s formu<strong>le</strong>s<br />

capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> faire tomber la foudre. Combien<br />

d'autres exemp<strong>le</strong>s ont fait voir qu'on change <strong>de</strong> hautes<br />

<strong>de</strong>stinées ou qu'on modifie <strong>le</strong>s présages »— » L'effet<br />

<strong>de</strong>s augures dépend <strong>de</strong> la manière qu'on <strong>le</strong>s reçoit, dit-il<br />

ail<strong>le</strong>urs. C'est un axiome reçu dans la science augura<strong>le</strong>,<br />

que <strong>le</strong>s auspices sont nuls pour ceux qui n'y font pas<br />

attention. »<br />

Il y a <strong>de</strong> l'audace à croire qu'on peut comman<strong>de</strong>r à<br />

la nature ; il n'y a pas moins <strong>de</strong> stupidité à oser <strong>le</strong><br />

nier,, quand <strong>le</strong>s interprètes <strong>de</strong> la foudre poussent la<br />

science jusqu'à prédire à jour fixe <strong>le</strong>s événements.<br />

Pline dit qu'on n'a pas encore résolu un grand problème,<br />

c'est <strong>de</strong> savoir si <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s ont une vertu médicina<strong>le</strong><br />

; si cela est, il faut nécessairement la rapporter<br />

à <strong>l'homme</strong>. (XXVIII, 3.)— Cette expression doit<br />

signifier que cette vertu ne peut venir que <strong>de</strong> la volonté<br />

humaine, qui dispose d'une force curative, tandis que,<br />

au contraire, <strong>le</strong>s malédictions envoient un principe<br />

vénéneux. — « Il n'y a personne, dit-il, qui ne redoute<br />

<strong>le</strong>s malédictions... » — Si l'intention <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>,<br />

d'après Pline, peut guérir ou maléficier, il faut nécessairement<br />

supposer une émanation tantôt salutaire,<br />

tantôt vénéneuse.<br />

« C'est par une raison contraire, continue Pline,<br />

qu'on se fait <strong>de</strong>s souhaits <strong>de</strong> bonne année et qu'on sai.<br />


226 DES RAPPORTS DS L'HOMME<br />

lue ceux qui éternuent. Il dit ail<strong>le</strong>urs : « ïl n'est personne<br />

qui ne redoute l'effet <strong>de</strong>s imprécations accompagnées<br />

<strong>de</strong> perforations...; plusieurs pensent qu'el<strong>le</strong>s<br />

pourraient briser <strong>le</strong>s ouvrages <strong>de</strong> poterie... » En parlant<br />

du pouvoir <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s, qui va jusqu'à arrêter même<br />

<strong>le</strong>s incendies, il dit qu'on a peu <strong>de</strong> confiance en quelques-unes<br />

<strong>de</strong> ces formu<strong>le</strong>s à cause <strong>de</strong>s termes bizarres<br />

ou ridicu<strong>le</strong>s dont el<strong>le</strong>s sont hérissées.<br />

Il dit encore qu'une femme est plus tôt délivrée,<br />

lorsque celui dont el<strong>le</strong> est enceinte lui met sa ceinture<br />

en prononçant : Si j'ai pu te lier etc.<br />

Tous ces effets, selon Pline, <strong>de</strong>vaient provenir d'une<br />

vertu et d'une émanation <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> mise en action<br />

par sa volonté; <strong>le</strong> passage suivant <strong>le</strong> prouverait, a II y<br />

a, dit-il, <strong>de</strong>s hommes dont tout <strong>le</strong> corps est médicinal.<br />

» Il cite (XXVIII) <strong>le</strong>s Psyl<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s Marses, et en<br />

rapporte <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s curieux. <strong>Le</strong> souff<strong>le</strong> et <strong>le</strong> regard,<br />

selon lui, ont une vertu naturel<strong>le</strong>, ainsi que la salive.<br />

Il recomman<strong>de</strong> <strong>de</strong> cracher dans la main <strong>de</strong> celui<br />

qu'on a frappé, si l'on s'en repent, et celui qui a reçu<br />

<strong>le</strong> coup en sera soulagé.<br />

Il n'oublie ni <strong>le</strong>s amu<strong>le</strong>ttes, ni <strong>le</strong>s talismans comme<br />

préservatifs <strong>de</strong>s maladies, <strong>de</strong> la grê<strong>le</strong>, etc.<br />

La première <strong>de</strong>nt qui tombe à un enfant <strong>de</strong>vient une<br />

amu<strong>le</strong>tte contre <strong>le</strong>s maux <strong>de</strong> matrice.<br />

Nous renvoyons aux ouvrages <strong>de</strong> Pline ceux qui<br />

désirent connaître <strong>le</strong>s recettes aussi bizarres que nombreuses<br />

qu'il rapporte ; on y verra peut-être quand il<br />

croit à <strong>le</strong>ur efficacité ou quand il n'y croit pas. C'est là<br />

qu'on apprendra que la main d'un enfant mort guérit<br />

<strong>le</strong>s écroucl<strong>le</strong>s en <strong>le</strong>s touchant; qu'en décrivant un<br />

cerc<strong>le</strong> <strong>avec</strong> un ossement humain autour d'un ulcère,<br />

on l'empêche <strong>de</strong> s'étendre, etc. (XXVIII); qu'en<br />

portant en amu<strong>le</strong>tte <strong>de</strong>s grenouil<strong>le</strong>s dépouillées <strong>de</strong>


AVEC LE DÉMON. 227<br />

<strong>le</strong>nrs ong<strong>le</strong>s, après avoir enveloppé <strong>le</strong>ur cœur dans un<br />

morceau <strong>de</strong> drap moitié blanc, moitié noir, on guérit<br />

la fièvre quarte ; que la fièvre tierce est éga<strong>le</strong>ment guérie<br />

en portant sur soi <strong>le</strong>s yeux d'un cancre mutilé sans<br />

<strong>le</strong> tuer, etc.— Ces recettes, prises au hasard dans Pline,<br />

ne sont qu'un faib<strong>le</strong> échantillon <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s qu'il a rapportées<br />

1<br />

.<br />

Est-ce donc <strong>le</strong> vulgaire seul qui croyait à cette puissance?<br />

On pourrait citer <strong>de</strong>s noms illustres : Caton et<br />

Varron prononçaient <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s pour guérir la goutte<br />

et <strong>le</strong>s luxations. Tout son sièc<strong>le</strong>, dit l'annotateur qu'on<br />

vient <strong>de</strong> citer, croyait à cette thérapeutique au moins<br />

autant qu'aux orac<strong>le</strong>s et à la magie.<br />

Pline enfin paraît persuadé qu'il y avait <strong>de</strong> son<br />

temps en Afrique <strong>de</strong>s enchanteurs dont <strong>le</strong> regard portait<br />

la désolation et la mort. —<strong>Le</strong>s enfants, <strong>le</strong>s adultes<br />

mêmes tombaient en langueur, <strong>le</strong>s maisons s'écroulaient,<br />

la végétation cessait sous ces yeux exterminateurs;<br />

il dit que <strong>le</strong>sTribal<strong>le</strong>s, en Bulgarie, n'avaient<br />

pas <strong>de</strong>s yeux moins meurtriers... C'était bien autre<br />

chose en Scythie.<br />

<strong>Le</strong>s doigts, entrelacés d'une certaine manière auprès<br />

d'une femme enceinte, empêchaient l'accouchement,<br />

et <strong>le</strong>s généraux, dans <strong>le</strong>s assemblées, défen-<br />

l. On guérissait aussi la fièvre en imbibant <strong>de</strong> sang menstruel la<br />

laine d'un bélier noir renfermée dans un brace<strong>le</strong>t d'argent. Un simp<strong>le</strong><br />

fil suffisait. (XXVIII, 23.) <strong>Le</strong> sang menstruel avait une fou<strong>le</strong> d'autres<br />

propriétés : ainsi <strong>le</strong>s grê<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s foudres, <strong>le</strong>s tempêtes étaient détournées<br />

par une femme qui se découvrait ayant ses règ<strong>le</strong>s. Sur mer, il n'était<br />

pas nécessaire qu'el<strong>le</strong> eût ses règ<strong>le</strong>s. (16.) — « On conçoit, dit<br />

Pline. (ï6.), et c'est ce que je crois <strong>le</strong> plus volontiers, qu'il suffit <strong>de</strong><br />

loucher <strong>avec</strong> ce sang <strong>le</strong>s poteaux d'une porte, pour rendre vains <strong>le</strong>s<br />

maléfices <strong>de</strong>s magiciens. » — Il est fort curieux <strong>de</strong> voir dans Pline<br />

<strong>le</strong>s vertus que <strong>le</strong>s matérialistes, d'après Démocrite, attachaient à certaines<br />

substances ou à certaines pratiques.


228 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

daient <strong>de</strong> placer un doigt sur <strong>le</strong> genou... C'eût été un<br />

obstac<strong>le</strong> à l'objet <strong>de</strong> la réunion.<br />

Pline croyait aux songes : ail<strong>le</strong>urs on en a cité un,<br />

d'après lui, qui est fort surprenant. 11 appel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

drui<strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins, et croit sans doute à la divination.<br />

Comment n'y eût-il pas cru? Il cite différentes substances<br />

qui faisaient <strong>de</strong>viner ; il croit aux divers présages<br />

qui annoncent l'avenir aux hommes : voix, sons<br />

<strong>de</strong> trompette dans <strong>le</strong>s airs, armées cé<strong>le</strong>stes, pluies <strong>de</strong><br />

pierres, dont il ne doute pas.<br />

Que l'on parcoure <strong>le</strong>s historiens, <strong>le</strong>s poètes, <strong>le</strong>s<br />

philosophes, <strong>le</strong>s mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong> cette époque, on verra<br />

qu'à ce merveil<strong>le</strong>ux attribué aux intelligences on a<br />

substitué une cause toute naturel<strong>le</strong>. Dans un dialogue<br />

<strong>de</strong> Lucien ', plusieurs chefs <strong>de</strong> secte, éminents en savoir,<br />

dissertent sur <strong>le</strong>s moyens <strong>de</strong> guérir la goutte <strong>de</strong><br />

l'un d'entre eux nommé Eucrate; Ion, platonicien, Cléodème,<br />

péripatéticien, et autres, étaient venus féliciter <strong>le</strong><br />

mala<strong>de</strong>, qui allait mieux : la goutte était <strong>de</strong>scendue<br />

dans <strong>le</strong>s jambes, et chacun indiquait <strong>le</strong> remè<strong>de</strong> qu'il<br />

croyait propre à la chasser. La conversation, interrompue<br />

un instant par l'arrivée <strong>de</strong> Lucien sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong><br />

Tychia<strong>de</strong>s, reprend aussitôt, et Cléodème dit qu'un<br />

moyen excel<strong>le</strong>nt <strong>de</strong> guérir la goutte, c'est <strong>de</strong> <strong>le</strong>ver <strong>de</strong><br />

la main gauche la <strong>de</strong>nt d'une be<strong>le</strong>tte tuée <strong>de</strong> certaine<br />

manière..., <strong>de</strong> l'envelopper dans la peau d'un lion nouvel<strong>le</strong>ment<br />

écorché et d'y placer <strong>le</strong>s jambes du mala<strong>de</strong>.<br />

Dinomaque répond que ce n'est pas la peau d'un lion,<br />

mais d'une biche, parce que cet animal est plus agi<strong>le</strong>...<br />

i. Faisons observer qu'il cel<strong>le</strong> époque où vivait Lucien, on revenait<br />

aux doctrines anciennes <strong>de</strong> Pythagore et <strong>de</strong> Platon, et ce qu'on va<br />

lire est plutôt pour prouver <strong>le</strong> peu <strong>de</strong> solidité <strong>de</strong>s explications matérialistes,<br />

que pour montrer <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs partisans, qui avait<br />

singulièrement diminué.


AVEC LE DÉMON. 229<br />

La discussion s'anime , un <strong>de</strong>s interlocuteurs prétend<br />

qu'il faut y ajouter <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s... Lucien, qui est épicurien<br />

et sceptique, <strong>le</strong>ur dit que c'est folie d'imaginer<br />

que <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s puissent guérir... On rit <strong>de</strong> son ignorance...<br />

— Vous ne savez donc pas, lui dit Cléodème,<br />

que tous <strong>le</strong>s jours on guérit <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s charmes,<br />

qu'on fascine <strong>le</strong>s serpents, qu'on fait toutes sortes <strong>de</strong><br />

cures <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s?...—Lucien ne peut pas croire<br />

que la fièvre, par exemp<strong>le</strong>, ait <strong>de</strong>s oreil<strong>le</strong>s. Ces<br />

hommes graves, qui ne mentent jamais (Philoclès <strong>le</strong><br />

fait observer à Lucien), invoquent alors l'autorité <strong>de</strong>s<br />

faits. Ion, pour <strong>le</strong> convaincre, raconte ce qu'il a vu.<br />

—Un jour, on vint dire à son père que son esclave<br />

se mourait <strong>de</strong> la morsure d'un serpent. Son corps<br />

était enflé et livi<strong>de</strong>. — Mon père, dit Ion, se désolait;<br />

mais un <strong>de</strong> ses amis lui dit : «Ne craignez rien, je<br />

vais chercher un Chaldéen qui <strong>le</strong> guérira. » Celuici<br />

étant venu prononça quelques paro<strong>le</strong>s, suspendit<br />

au pied du mala<strong>de</strong> un fragment <strong>de</strong> la pierre sépulcra<strong>le</strong><br />

d'une jeune fil<strong>le</strong> morte <strong>de</strong>puis peu, et <strong>le</strong><br />

mala<strong>de</strong> fut si subitement guéri qu'il retourna <strong>de</strong><br />

suite travail<strong>le</strong>r à la vigne. — Notre épicurien persiste<br />

à nier, et <strong>le</strong>s philosophes en sont offensés, car<br />

ces faits sont quotidiens et prouvent que <strong>le</strong>s lois<br />

<strong>de</strong> la nature sont aussi merveil<strong>le</strong>uses que peu connues.<br />

Galien lui-même avait méprisé la vertu <strong>de</strong>s charmes<br />

comme <strong>de</strong>s contes <strong>de</strong> vieil<strong>le</strong>s ; mais il se rendit au<br />

témoignage <strong>de</strong>s sens; l'expérience, fil<strong>le</strong> du temps, lui<br />

ayant prouvé jusqu'à l'évi<strong>de</strong>nce qu'il y avait dans <strong>le</strong>s<br />

paro<strong>le</strong>s une puissance... « Temporis aittemprocessu(dit<br />

Galien) ab his quœ evi<strong>de</strong>nter apparent pensuasus sum, vim<br />

inipsis esse, »<br />

Ces faits étaient assez étranges pour qu'on fût peu


230 DES RAPPORTS DE- L'HOMME<br />

disposé à <strong>le</strong>s croire, Que dire? il fallait bien se rendre<br />

quand on voyait.<br />

Oserons-nous répéter, d'après Proclus, que l'oignon<br />

<strong>de</strong> mer, placé sous <strong>le</strong> seuil d'une porte, détruit <strong>le</strong>s<br />

charmes, que <strong>le</strong> chardon béni fait apparaître <strong>le</strong>s esprits;<br />

d'après Apulée, que <strong>le</strong> basilic <strong>le</strong>s chasse? <strong>Le</strong>s minéraux<br />

chassaient aussi <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ; <strong>le</strong> diamant <strong>le</strong>s<br />

expulsait, même très-<strong>le</strong>stement. Un clou arraché d'un<br />

sépulcre éloignait <strong>le</strong>s spectres; une épée <strong>le</strong>s effrayait.<br />

<strong>Le</strong>s larves,, <strong>le</strong>s fantômes étaient expulsés par <strong>de</strong>s<br />

moyens tout naturels. Certaine racine chassait <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

<strong>de</strong>s corps <strong>de</strong>s possédés; Pline, déjà cité, dit<br />

qu'on <strong>le</strong>s aspergeait <strong>avec</strong> du sang <strong>de</strong> taupe ; que ceux<br />

qui étaient vexés par <strong>le</strong>s faunes étaient délivrés <strong>avec</strong><br />

une plante nommée la langue <strong>de</strong> dragon. ( Pline, XXX.<br />

— V. aussi Juvénal, Claudien, etc.)<br />

Peut-être accusera-t-on <strong>le</strong>s païens <strong>de</strong> se contredire.<br />

Si <strong>le</strong>s épicuriens ne croyaient pas aux esprits, ils ne<br />

pouvaient ni <strong>le</strong>s voir ni <strong>le</strong>s chasser. — On répondra<br />

que ceux qui croyaient aux esprits (c'était <strong>le</strong> petit<br />

nombre) pensaient que ces moyens naturels avaient<br />

sur eux un grand empire; comment <strong>de</strong>s fumigations,<br />

certaines plantes, la vue d'une épée, par exemp<strong>le</strong>,<br />

faisaient-el<strong>le</strong>s fuir <strong>le</strong>s esprits? Ils l'ignoraient, mais<br />

l'expérience était là. Quant aux épicuriens, <strong>le</strong>s configurations<br />

d'a<strong>tome</strong>s expliquant <strong>le</strong>s apparitions ; <strong>le</strong>s substances<br />

citées détruisaient <strong>le</strong> phénomène, qui pouvait<br />

être aussi l'effet d'un état pathologique particulier. C'est<br />

ainsi qu'Arétée attribuait à la folie certaines facultés<br />

considérées par <strong>le</strong>s spiritualistes comme signes <strong>de</strong> la<br />

présence d'un dieu ou d'un <strong>démon</strong> dans <strong>le</strong> corps<br />

d'un mala<strong>de</strong>. Qu'il fût <strong>de</strong>venu astronome subitement,<br />

poëte ou philosophe, ou qu'il prédît l'avenir, pour<br />

Arétée et ceux <strong>de</strong> la même secte, ce mala<strong>de</strong> était


AVEO LE DÉMON. 23»<br />

un fou qu'on pouvait guérir par <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s naturels.<br />

Avant <strong>de</strong> terminer ce chapitre, on doit dire que dans<br />

tous <strong>le</strong>s temps cependant, et bien avant l'époque du<br />

matérialisme, plusieurs déjà attribuaient à <strong>de</strong>s agents<br />

très-physiques <strong>le</strong>s mêmes vertus que d'autres accordaient<br />

aux intelligences, mais ce qui était l'exception<br />

<strong>de</strong>vint alors règ<strong>le</strong> généra<strong>le</strong>. On prétendit trouver dans<br />

la matière tout ce que <strong>le</strong>s anciens attribuaient aux espritsi<br />

— 1<br />

Extravagance que sentait très-bien Sénèque<br />

lui-même. <strong>Le</strong>s habitants <strong>de</strong> Cléone chassaient <strong>le</strong>s nuées<br />

eu immolant <strong>de</strong>s agneaux ou en se faisant <strong>de</strong>s incisions<br />

d'où <strong>le</strong> sang coulait : que disaient <strong>le</strong>s matérialistes<br />

pour expliquer ce prodige? « La vapeur <strong>de</strong> ce sang<br />

montant jusqu'à la nue, l'écarté et la dissipe. » Mais<br />

Sénèque se moque d'eux, en disant qu'il vaudrait mieux<br />

soutenir que c'est une fab<strong>le</strong>, un mensonge. Quanta<br />

(ipedùius erat dicere mendacium et fabula est. (Quœst.<br />

nat., IV, 7.)<br />

<strong>Le</strong>s stoïciens ne croyaient à la puissance <strong>de</strong>s imprécations<br />

que comme présages. Quintus disait : <strong>Le</strong>s imprécations<br />

d'Atéius n'ont point été cause <strong>de</strong> la défaite<br />

<strong>de</strong> Crassus, el<strong>le</strong>s n'en ont été que <strong>le</strong> présage. On respiraitdonc<br />

partout une atmosphère d'incrédulité relativement<br />

aux esprits. Pendant que <strong>le</strong>s matérialistes expliquaient<br />

tout, ainsi qu'on vient <strong>de</strong> <strong>le</strong> rapporter, on voit<br />

certains épicuriens nier tout court, ou faire mil<strong>le</strong> plaisanteries<br />

au lieu d'arguments. Nous aurons occasion <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>s faire connaître dans Lucien.<br />

Après avoir montré que <strong>le</strong>s faits persistaient malgré<br />

<strong>le</strong>s rires <strong>de</strong>s épicuriens, il nous reste à signa<strong>le</strong>r la tendance<br />

d'un retour aux anciennes doctrines.


232 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

CHAPITRE V<br />

Retour aux vieil<strong>le</strong>s doctrines spiritualistes. — Examen <strong>de</strong>s faits merveil<strong>le</strong>ux, dis­<br />

cussion <strong>de</strong> Plufarque. — Plutarque. — Cause <strong>de</strong> la cessation <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s.<br />

— Apulée. — Incrédulité et ignorance <strong>de</strong>s prêtres païens ; ils contrefont <strong>de</strong>»<br />

prodiges.<br />

Retour aux uieiUes doctrines spiritualistes.<br />

L'épicurisme et <strong>le</strong> scepticisme ayant subsisté durant<br />

plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux sièc<strong>le</strong>s et causé tous <strong>le</strong>s maux qu'ils entraînent<br />

à <strong>le</strong>ur suite, il se manifesta une tendance vers<br />

<strong>le</strong>s opinions spiritualistes. D'où vint cette disposition?<br />

fut-el<strong>le</strong> due à l'instabilité <strong>de</strong> l'esprit qui ne peut rester<br />

constamment dans <strong>le</strong> même cerc<strong>le</strong> d'idées? — Ce fut<br />

peut-être une <strong>de</strong>s causes, mais on en signa<strong>le</strong>ra ail<strong>le</strong>urs<br />

<strong>de</strong>ux autres qui opérèrent un retour plus comp<strong>le</strong>t,<br />

— <strong>le</strong> christianisme et <strong>le</strong> néoplatonisme x<br />

. Lucien,<br />

avouant que <strong>de</strong> son temps toutes <strong>le</strong>s sectes croyaient à la<br />

magie et à ce qu'el<strong>le</strong> a <strong>de</strong> plus prodigieux, nous montre<br />

déjà cette tendance à admettre l'intervention <strong>de</strong>s génies.<br />

Cet épicurien nous a déjà introduit dans un cerc<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> philosophes qui expliquaient naturel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s<br />

i. <strong>Le</strong> spiritualisme n'avait jamais cessé d'avoir quelques adhérents,<br />

pendant l'époque d'épicurisme et <strong>de</strong>matérialisme; seu<strong>le</strong>ment ceux-ci<br />

l'emportaient, quand <strong>le</strong> christianisme s'établit par <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s ; <strong>le</strong><br />

néoplatonisme voulant arrêter ses progrès par ses prodiges, cette lutte<br />

combattit <strong>le</strong> matérialisme et ressuscita <strong>le</strong>s opinions spiritualistes.


AVEC LE DÉMON. 233<br />

cures merveil<strong>le</strong>uses, mais nous avions omis <strong>de</strong> citer<br />

ceux qui parmi eux croyaient fermement aux esprits ;<br />

car <strong>le</strong>s prodiges, <strong>de</strong>venant plus nombreux que jamais,<br />

vont bientôt forcer <strong>de</strong> reconnaître cette intervention,<br />

et <strong>le</strong> grand mouvement néoplatonique se produira.<br />

On regrette <strong>de</strong> ne pouvoir rapporter ici, dans toute<br />

son étendue, un dialogue <strong>de</strong> Lucien (De l'incrédu<strong>le</strong>);<br />

ce Voltaire <strong>de</strong>s Grecs y fait par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s philosophes pythagoriciens,<br />

platoniciens, péripatéticiens et stoïciens.<br />

Lui-même intervient comme épicurien; ilasoin <strong>de</strong> nous<br />

faire observer que ce sont <strong>de</strong>s hommes ennemis du<br />

mensonge, alliant la science à la vertu, attestant non<br />

ce qu'ils ont appris, mais vu <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs yeux et même<br />

opéré. — Ion, <strong>le</strong> platonicien, affirme avoir vu un Chaldéen<br />

qui, après avoir tracé un grand cerc<strong>le</strong> dont il fit<br />

<strong>le</strong> tour trois fois en prononçant sept mots dans un grimoire,<br />

contraignit tous <strong>le</strong>s serpents qui se trouvaient<br />

dans un champ d'accourir, alors il souffla <strong>de</strong>ssus et<br />

tous périrent. Comme Lucien plaisante, un péripatéticien<br />

nommé Cléodème lui dit qu'il a été comme lui<br />

fort incrédu<strong>le</strong>, mais que <strong>de</strong>puis qu'il a vu un Hyperboréen<br />

vo<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s airs, marcher sur <strong>le</strong>s eaux, chasser<br />

<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s et faire <strong>de</strong>scendre Hécate, il a été forcé<br />

<strong>de</strong> croire. Cléodème cite un autre fait : 11 avait un discip<strong>le</strong><br />

nommé Glauoias, fort studieux, qui, étant <strong>de</strong>venu<br />

amoureux d'une certaine Chrysis, gardée par un père<br />

sévère, ne faisait plus <strong>de</strong> progrès dans la philosophie;<br />

que fit Cléodème, touché <strong>de</strong> l'état <strong>de</strong> son discip<strong>le</strong>? 11<br />

alla trouver l'Hyperboréen, qui évoqua l'ombre du père<br />

<strong>de</strong>Glaucias; l'ombre se fâche d'abord, puis s'apaise et<br />

enfin permet... Alors l'Hyperboréen fait son opération<br />

(el<strong>le</strong> est décrite dans Lucien) et Chrysis se présente aussitôt...<br />

— Cléodème triomphant, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Lucien si,<br />

après avoir vu <strong>de</strong> pareils prodiges, il douterait encore.


234 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

— Lucien répond qu'il est excusab<strong>le</strong>, n'ayant riefl VtJ<br />

<strong>de</strong> semblab<strong>le</strong>: mais Chrysis, dit-il, a entendu <strong>le</strong> son <strong>de</strong><br />

l'argent, et comme Chrysis ne rebute personne, <strong>le</strong> magicien<br />

était fort inuti<strong>le</strong>.;. —L'argument <strong>de</strong> Lucien dut<br />

toucher peu nos philosophes ; car enfin Cléodème eût<br />

pu lui dire que Chrysis était sous la gar<strong>de</strong> d'un père<br />

sévère, que <strong>de</strong>puis longtemps Glaucias languissait,<br />

et qu'il eût sans doute langui longtemps encore sans<br />

<strong>le</strong> magicien, car el<strong>le</strong> n'est venue qu'à la suite <strong>de</strong> seâ<br />

conjurations. — Cependant Ion espère toujours vaincre<br />

l'incrédulité <strong>de</strong> Lucien. Il <strong>le</strong> trouve insupportab<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

ne rien croire, et lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce qu'il répondra à ceux<br />

qui chassent <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s 1<br />

; il cite un"<br />

Syrien <strong>de</strong> la Pa<strong>le</strong>stine que tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> connaît, qui<br />

délivre <strong>le</strong>s possédés, interroge <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, qui répon<strong>de</strong>nt<br />

en grec et en latin sans que <strong>le</strong> patient remue <strong>le</strong>s<br />

lèvres ; Ion assure qu'il a vu lui-même un <strong>démon</strong> tout<br />

noir sortir du corps d'un possédé.<br />

L'incrédulité <strong>de</strong> Lucien persiste. — Eucrate prend<br />

la paro<strong>le</strong>, et dit qu'on n'est pas <strong>le</strong> seul qui ait vu <strong>de</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s. Cela lui est arrivé souvent; effrayé d'abord,<br />

il s'y est accoutumé... — « Tous mes gens vous diraient<br />

comment une <strong>de</strong> mes statues d'airain (qui, par parenthèse,<br />

l'a guéri <strong>de</strong> sa fièvre) quittait la nuit son pié<strong>de</strong>stal<br />

et courait partout; si on ne la dérangeait pas, el<strong>le</strong> ne<br />

faisait <strong>de</strong> mal à personne, el<strong>le</strong> marchait, chantait, agitait<br />

l'eau <strong>de</strong> la fontaine, etc— »<br />

Lucien plaisantant <strong>de</strong> plus bel<strong>le</strong>, Eucrate croit <strong>de</strong>voir<br />

lui dire <strong>de</strong> ménager ses expressions, car la statue<br />

sait se venger... Il raconte ce qu'el<strong>le</strong> a fait à un <strong>de</strong> ses<br />

pa<strong>le</strong>freniers qui avait volé ses offran<strong>de</strong>s. Chaque nuit<br />

la statue battait et tourmentait sa victime. On voyait<br />

i. II est évi<strong>de</strong>nt qu'il s'agit ici <strong>de</strong>s chrétiens.


AVEC LE- DÉMON. -235<br />

<strong>le</strong> matin <strong>le</strong>s contusions ; et ces vexations firent mourir<br />

l'esclave. — Que répond Lucien à ces philosophes qui<br />

né mentent pas? — que ce qui est <strong>de</strong> l'airain ne sera<br />

jamais que <strong>de</strong> l'airain. — Un mé<strong>de</strong>cin qui était présent<br />

lui assure aussi que parfois <strong>le</strong>s statues marchaient...<br />

11 en a une d'Hippocrate, qui, rôdant toutes <strong>le</strong>s nuits,<br />

met tout sens <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>ssous ; el<strong>le</strong> ouvre <strong>le</strong>s portes <strong>avec</strong><br />

grand bruit, mélange toutes ses drogues, etc., quand<br />

on néglige <strong>de</strong> lui faire un sacrifice. — Lucien trouve<br />

plaisant qu'Hippocrate exige <strong>de</strong>s sacrifices.<br />

Eucrate appel<strong>le</strong> l'attention <strong>de</strong> Lucien sur un <strong>de</strong>rnier<br />

fait qui lui est personnel. —>Ilya cinq ans, se promenant<br />

seul dans un bois, il entendit <strong>le</strong> bruit d'une<br />

chasse; d'abord il crut que c'était son fils; mais <strong>le</strong><br />

bruit se rapproche, et que voit-il? un spectre haut <strong>de</strong><br />

près d'un <strong>de</strong>mi-sta<strong>de</strong>, une torche dans une main, une<br />

épée dans l'autre, la tête <strong>de</strong> Méduse couronnée <strong>de</strong> serpents,<br />

et <strong>le</strong> corps d'un dragon ; <strong>de</strong>s chiens noirs, hérissés,<br />

tout souillés, l'accompagnaient. Tournant en<br />

<strong>de</strong>dans <strong>de</strong> sa main la pierre <strong>de</strong> l'anneau qu'il avait au<br />

doigt, il vit <strong>le</strong> spectre disparaître et se précipiter en enfer :<br />

mais il en eut tant d'effroi, qu'il en éprouve encore en <strong>le</strong><br />

racontant. En effet, dit Lucien, nous voyions, pendant<br />

son récit, <strong>le</strong> poil <strong>de</strong> ses bras se hérisser. — Son témoignage<br />

fut suivi <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Pyrrhias, qui avait entendu<br />

l'aboiement <strong>de</strong>s chiens et vu bril<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s flambeaux. —<br />

Lucien rit <strong>de</strong> ce témoin.—Cléodème ayant fait un autre<br />

récit; en ce moment <strong>le</strong>s enfants d'Eucrate revenaient<br />

du gymnase. — Puissé-je être sûr que ces enfants feront<br />

moh bonheur, s'écria <strong>le</strong>ur père, en <strong>le</strong>s montrant, comme<br />

ce que je vais vous dire est véritab<strong>le</strong> ! Il raconta alors<br />

très-do<strong>le</strong>mment qu'après la mort <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur mère il fit<br />

brû<strong>le</strong>r, comme cela se pratique, tout ce qu'el<strong>le</strong> avait <strong>de</strong><br />

plus précieux; que cependant, sept jours après, el<strong>le</strong> lui


23« DES «APPORTS DE L'HOMME<br />

apparut en lui reprochant <strong>de</strong> n'avoir pas brûlé tout ce qui<br />

lui appartenait. On chercha, et en effet on trouva <strong>de</strong>rrière<br />

un co/fre une pantouf<strong>le</strong> brodée en or, qu'on brûla<br />

comme <strong>le</strong> reste, et el<strong>le</strong> ne revint plus... — Refuserczvous<br />

encore <strong>de</strong> croire?— Non, dit Lucien, je mériterais<br />

<strong>de</strong> recevoir <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> cette pantouf<strong>le</strong>, si j'en doutais<br />

tant soit peu.—Arignote <strong>le</strong> pythagoricien survint alors;<br />

on l'avait surnommé <strong>le</strong> Divin à cause <strong>de</strong> son éminent<br />

savoir. Lucien se réjouissait <strong>de</strong> son arrivée, pensant que<br />

c'était un auxiliaire pour lui.— Après <strong>le</strong>s compliments<br />

d'usage, celui-ci engage à continuer la conversation,<br />

voyant qu'on traitait un sujet sérieux. — Nous tâchions<br />

<strong>de</strong> gagner cet incrédu<strong>le</strong>, dit Eucrate en montrant Lucien :<br />

il ne veut croire ni aux <strong>démon</strong>s, ni qu'il revienne <strong>de</strong>s<br />

esprits. — Peut-être, dit <strong>le</strong> pythagoricien, n'entend-il<br />

par<strong>le</strong>r que <strong>de</strong> ceux qui sont morts <strong>de</strong> mort naturel<strong>le</strong>?...<br />

— Il ne distingue pas, dit <strong>le</strong> stoïcien. —Quoi ! vous niez<br />

<strong>de</strong>s choses si manifestes, ce dont presque tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong><br />

a été témoin ! ajouta <strong>le</strong> pythagoricien en regardant Lucien<br />

<strong>de</strong> travers. — Je ne trouve pas étrange, répondit<br />

Lucien, que ceux qui ont vu croient ; moi, qui n'ai rien<br />

vu, il est bien permis que je ne croie pas —Si vous<br />

al<strong>le</strong>z jamais à Corinthe, poursuit <strong>le</strong> pythagoricien, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z<br />

la maison d'Eubati<strong>de</strong> : —un spectre la rendant<br />

inhabitab<strong>le</strong>, il raconte comment il <strong>le</strong> chassa en récitant<br />

certaines formu<strong>le</strong>s dans un livre égyptien... D'abord cet<br />

esprit se changea en chien, en taureau, en lion, puis<br />

s'enfonça dans la terre... Ayant creusé dans cet endroit,<br />

on y trouva un cadavre dont il ne restait plus que <strong>le</strong>s<br />

os. — Tous <strong>le</strong>s assistants triomphaient en regardant<br />

Lucien. — Que répondra-t-il? — Quoi ! Arignote, vous<br />

que je prenais pour un sage, dit Lucien, vous trahissez<br />

ainsi la vérité que vous <strong>de</strong>vriez défendre! — Mais qui<br />

croirez-vous donc? reprit Arignote, si vous ne croyez ni


AVEC LE DÉMON. 237<br />

ceux-ci, ni moi; nommez-nous quelqu'un, enfin, que<br />

vous jugez digne <strong>de</strong> foi. — Alors Lucien cite Démocrite,<br />

en rapportant l'espièg<strong>le</strong>rie bien connue qui lui fut faite<br />

par <strong>de</strong>s jeunes gens déguisés en fantômes pour l'effrayer...<br />

Démocrite <strong>le</strong>ur dit, comme on sait, <strong>de</strong> cesser<br />

<strong>le</strong>ur badinage, tant il était persuadé, ajoute Lucien,<br />

que <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts ne reviennent pas. — Eucrate<br />

conclut au contraire que Démocrite était peu sage, s'il<br />

pensait ainsi ; et il raconte ce qu'il a vu en Egypte... —<br />

Pancratès, son maître, faisait mil<strong>le</strong> prodiges, et celui<br />

qui cause <strong>le</strong> plus d'étonnement, c'est qu'il pouvait,<br />

dit-il, animer un objet quelconque qui alors exécutait<br />

ses ordres... —A cette <strong>de</strong>rnière histoire, Lucien, perdant<br />

patience, <strong>le</strong>ur dit <strong>de</strong> cesser <strong>de</strong> raconter <strong>de</strong>s absurdités<br />

qui remplissent <strong>de</strong> terreur <strong>le</strong>s jeunes gens<br />

pendant <strong>le</strong> reste <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur vie, et il se retira.<br />

<strong>Le</strong>s Dialogues <strong>de</strong> Lucien sont un modè<strong>le</strong> charmant <strong>de</strong><br />

plaisanterie attique ; on croit entendre un <strong>de</strong> ces causeurs<br />

spirituels <strong>de</strong> la fin du dix-huitième sièc<strong>le</strong>, sceptique<br />

léger que rien ne saurait convaincre quand il est<br />

question du mon<strong>de</strong> invisib<strong>le</strong>, tant il est attaché au<br />

mon<strong>de</strong> matériel. Il ne croit pas, il ne saurait croire ; ne<br />

<strong>le</strong> tourmentez pas; <strong>de</strong> grâce, laissez-<strong>le</strong>-jouir en paix.<br />

Ici <strong>le</strong> hasiard a rassemblé <strong>de</strong>s hommes graves, savants<br />

, <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s sectes, <strong>de</strong>s hommes ennemis du<br />

mensonge, convaincus <strong>de</strong> tout ce merveil<strong>le</strong>ux dont on<br />

a ébauché l'histoire avant <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> Cicéron; tous<br />

forment une masse <strong>de</strong> témoignages capab<strong>le</strong>s d'ébran<strong>le</strong>r<br />

tout autre qu'un épicurien; mais rien ne peut toucher<br />

celui-ci, rien ne <strong>le</strong> convaincra, ni la qualité <strong>de</strong>s témoins,<br />

ni <strong>le</strong>ur nombre. Essayera-t-il d'expliquer <strong>de</strong>s<br />

convictions si singulières chez <strong>de</strong>s hommes instruits,<br />

éclairés, pru<strong>de</strong>nts? — Non , il n'a rien vu, il ne croit<br />

que ce qu'il voit, il rejette tous <strong>le</strong>s témoignages quand


238 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

il ne comprend pas; car tout ce qu'il ne comprend pas<br />

c'est pour lui extravagance et folie. — Voilà bien <strong>le</strong><br />

portrait <strong>de</strong>s épicuriens, dans tous <strong>le</strong>s temps.<br />

On n'a pu rapporter, en quelque sorte, que l'esprit<br />

<strong>de</strong> cette jolie fiction où. Lucien fait cependant si bien<br />

connaître <strong>le</strong>s croyances philosophiques <strong>de</strong> son sièc<strong>le</strong>.<br />

On évoque <strong>le</strong>s morts qui se courroucent en vain; la<br />

magie a un empire puissant sur <strong>le</strong>s sentiments; <strong>le</strong>s<br />

possédés sont nombreux, et <strong>le</strong>s signes qui manifestent<br />

une possession sont en partie cités : <strong>le</strong>s statues s'agitent,<br />

se promènent. Ce prodige d'évocation, qui a fait<br />

déifier tant d'hommes immoraux, cette croyance qui<br />

préoccupait la sagesse <strong>de</strong> Platon, sans qu'il osât précisément<br />

nier <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux <strong>de</strong> la cause ; cette folie si<br />

étrange pour la plupart d'entre nous continue <strong>de</strong> subsister<br />

après Cicéron; non-seu<strong>le</strong>ment Lucien l'a dit,<br />

nous avons une fou<strong>le</strong> d'autres témoignages. <strong>Le</strong>s personnes<br />

mortes, surtout cel<strong>le</strong>s mortes <strong>de</strong> mort vio<strong>le</strong>nte,<br />

et dont tous <strong>le</strong>s vêtements n'ont pas été brûlés, reviennent,<br />

et Lucien nous montre que ces esprits familiers<br />

auxquels on fait <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s, qui reçoivent un culte<br />

domestique, <strong>de</strong>viennent quelquefois <strong>de</strong>s hôtes bien<br />

cruels. Cette fiction, si vraie quant au fond pour <strong>le</strong>s<br />

croyances qu'el<strong>le</strong> présente, n'est pas seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au<br />

du merveil<strong>le</strong>ux au temps <strong>de</strong> Lucien, nous <strong>le</strong><br />

retrouverons, après <strong>de</strong> longs sièc<strong>le</strong>s, aussi ressemblant<br />

<strong>avec</strong> l'ancien que <strong>le</strong> changement <strong>de</strong> religion peut <strong>le</strong><br />

permettre. S'il y a parmi nous <strong>de</strong>s Lucien, il s'y trouve,<br />

mais secrètement, <strong>de</strong>s Cléodème, <strong>de</strong>s Arignote, <strong>de</strong>s<br />

Eucrate. — D'où vient cela...?— <strong>Le</strong>s négations, <strong>le</strong>s<br />

plaisanteries ne détruiront jamais <strong>de</strong>s faits bien avérés.<br />

Lucien avait plusieurs questions à examiner, — la<br />

véracité <strong>de</strong>s témoignages, l'état mental <strong>de</strong>s témoins, <strong>le</strong>s<br />

diverses causes possib<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s phénomènes.


AVEC LE DÉMON. 239<br />

4° Ces témoins n'étaient ni mauvais plaisants, ni<br />

moqueurs, mais <strong>de</strong>s hommes graves, dont <strong>le</strong> visage,<br />

a dit Lucien, à force d'être sévère, était presque terrib<strong>le</strong>.<br />

2° Ce sont <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> secte, dit-il, la fine f<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> la<br />

philosophie, célèbres, respectés pour <strong>le</strong>ur pru<strong>de</strong>nce. Sans<br />

examiner longuement cette <strong>de</strong>uxième question, il traite<br />

<strong>le</strong>s faits qu'ils rapportent d'absurdités et <strong>de</strong> faussetés;<br />

C'était déclarer que ces hommes sérieux, sages et savants<br />

sont ou <strong>de</strong>s insensés ou <strong>de</strong>s menteurs. Restait<br />

donc une troisième question qu'un simp<strong>le</strong> épicurien<br />

n'abor<strong>de</strong> jamais, c'est l'examen physique, profond, <strong>de</strong>s<br />

faits, <strong>le</strong>s lois inconnues qui peuvent <strong>le</strong>s produire, etc.<br />

— On n'avait dit, il est vrai, sur ce sujet que trop<br />

d'inepties; <strong>le</strong> bon sens <strong>de</strong> Lucien <strong>le</strong> sentait; mais il<br />

restait à considérer si à défaut <strong>de</strong> causes toutes matériel<strong>le</strong>s<br />

on ne pouvait soupçonner l'existence d'agents<br />

spirituels; il fallait enfin examiner <strong>avec</strong> attention <strong>le</strong><br />

pour et <strong>le</strong> contre, mais Lucien ne pouvait faire ce que<br />

n'avait pas fait Cicéron.<br />

Examen <strong>de</strong>s faits merveil<strong>le</strong>ux, discussion <strong>de</strong> Plutarque.<br />

On pardonne volontiers à un épicurien <strong>de</strong> nier <strong>le</strong>s<br />

signes <strong>le</strong>s plus manifestes du mon<strong>de</strong> invisib<strong>le</strong>, tant on<br />

est, dans un sièc<strong>le</strong> comme <strong>le</strong> nôtre, porté à l'imiter.<br />

<strong>Le</strong>s explications saugrenues <strong>de</strong>s matérialistes avaient<br />

pu éblouir pendant quelque temps ceux qui aiment <strong>le</strong>s<br />

idées nouvel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus excentriques, et <strong>le</strong>s préfèrent<br />

aux traditions <strong>le</strong>s plus respectab<strong>le</strong>s ; mais il vient un<br />

instant où <strong>le</strong> bon sens sort <strong>de</strong> son sommeil ; on examine<br />

ces explications, et <strong>le</strong> mépris doit succé<strong>de</strong>r à cet<br />

engouement matérialiste, lorsqu'on voit que ce qu'on<br />

avait pris pour <strong>de</strong> l'or n'était qu'un vil oripeau. — La


240 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

transition <strong>de</strong>s opinions matérialistes aux doctrines spiritualistes<br />

ne pouvait être brusque : el<strong>le</strong> s'opéra peu à<br />

peu, après mûr examen. Il est non-seu<strong>le</strong>ment impossib<strong>le</strong><br />

ici <strong>de</strong> passer en revue plusieurs philosophes, il<br />

<strong>le</strong> <strong>de</strong>vient même d'extraire <strong>de</strong> longs passages <strong>de</strong>s œuvres<br />

d'un seul; bornons-nous donc à analyser quelques<br />

morceaux <strong>de</strong> Plutarque et d'Apulée, qui suffiront pour<br />

prouver ce retour à l'ancienne croyance, et montrer <strong>le</strong><br />

mépris ou l'oubli <strong>de</strong> la philosophie <strong>de</strong> Cicéron et d'Épicure.<br />

Du temps <strong>de</strong> Lucien, comme on vient <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

voir, nombre <strong>de</strong> philosophes fameux croyaient à l'intervention<br />

<strong>de</strong>s génies dans <strong>le</strong>s diverses divinations. On<br />

est curieux d'en connaître <strong>le</strong>s raisons dans Plutarque<br />

et dans Apulée.<br />

Ptularquc.<br />

Ce philosophe ne se borna point à étudier la philosophie<br />

dans la Grèce : il se rendit en Egypte pour <strong>le</strong><br />

même objet. É<strong>le</strong>vé parTrajan, dont il fut l'ami, à la<br />

dignité <strong>de</strong> proconsul, après la mort <strong>de</strong> ce prince, Plutarque<br />

retourna à Chéronée, sa patrie, où il fut promu<br />

aux plus hautes charges et fait prêtre d'Apollon. <strong>Le</strong><br />

sacerdoce n'était plus alors qu'une sorte <strong>de</strong> magistrature;<br />

<strong>le</strong> titre <strong>de</strong> ministre d'un culte n'engageait point à<br />

croire ce qu'il enseignait. Cicéron, é<strong>le</strong>vé à la dignité<br />

d'augure, n'en était pas moins incrédu<strong>le</strong>, et Plutarque,<br />

qui rejetait <strong>le</strong>s dieux du polythéisme, se montrait tel<strong>le</strong>ment<br />

l'ennemi <strong>de</strong>s pratiques superstitieuses du culte,<br />

qu'il a dit quelque part que la superstition ne valait<br />

guère mieux que l'athéisme, et qu'on offensait autant<br />

<strong>le</strong>s dieux en niant <strong>le</strong>ur existence qu'en disant qu'ils sont<br />

vicieux. Voyons donc, <strong>avec</strong> celte large part <strong>de</strong> scepticisme,<br />

ce qu'il pensait du merveil<strong>le</strong>ux païen.


AVEC LE DÉMON. 241<br />

Dans son Traité dIsis et dOsiris, rejetant <strong>avec</strong> dédain<br />

<strong>le</strong>s dieux mythologiques, il dit cependant que ce<br />

ne sont pas <strong>de</strong> vaines fictions ; ces fab<strong>le</strong>s rappel<strong>le</strong>nt <strong>de</strong><br />

grands événements; on ne doit pas écouter ceux qui<br />

pensent qu'el<strong>le</strong>s perpétuent la mémoire <strong>de</strong>s faits et <strong>de</strong>s<br />

aventures merveil<strong>le</strong>uses <strong>de</strong> quelques rois ou princes, —•<br />

cela conduit à l'athéisme, à faire accepter <strong>le</strong>s erreurs<br />

d'Evhémère, qui a changé <strong>le</strong>s dieux en amiraux et en<br />

grands capitaines... Il faut croire ceux qui, en parlant<br />

<strong>de</strong> Typhon, d'Isis et d'Osiris, ont dit que ce n'étaient<br />

point <strong>de</strong>s hommes, mais quelques grands <strong>démon</strong>s,<br />

comme <strong>le</strong> pensaient Pythagore, Platon, Xénocrate, suivant<br />

6n cela l'opinion <strong>de</strong>s plus anciens théologiens.<br />

Ceux-ci tenaient que ces êtres étaient supérieurs à<br />

<strong>l'homme</strong>, qu'ils n'avaient pas la divinité pure, mais<br />

étaient un composé <strong>de</strong> matière corporel<strong>le</strong> et spirituel<strong>le</strong>,<br />

capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> voluptés, <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>urs et <strong>de</strong> passions. Que<br />

sont donc ces <strong>de</strong>rniers? «Ils ont une nature mêlée, et<br />

une volonté et une affection inéga<strong>le</strong>s, dit <strong>le</strong> naïf traducteur<br />

<strong>de</strong> Plutarque, et tout ce qui est <strong>de</strong>xtre et impair<br />

appartient aux dieux <strong>de</strong> l'Olympe, et tout ce qui est<br />

sénesfee et pair aux <strong>démon</strong>s. »<br />

Il en reconnaît <strong>de</strong> bons et <strong>de</strong> mauvais. —Selon Xénocrate,<br />

<strong>le</strong>s jours où l'on .se bat, où l'on se frappe l'estomac,<br />

où l'on fait <strong>de</strong>s choses obscènes et honteuses,<br />

n'appartiennent ni aux dieux ni aux bons <strong>démon</strong>s... il<br />

y a dans l'air <strong>de</strong>s natures puissantes, mais malignes,<br />

mal accointab<strong>le</strong>s, qui éprouvent du plaisir à ce qu'on se<br />

fasse ces choses pour el<strong>le</strong>s... Hésio<strong>de</strong>, au contraire,<br />

nomme <strong>le</strong>s bons <strong>démon</strong>s gardiens <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>; Platon<br />

dit que ce sont nos médiateurs auprès <strong>de</strong>s dieux, dont<br />

ils nous transmettent <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s.<br />

Ainsi Plutarque revient aux vieil<strong>le</strong>s traditions. Peutêtre<br />

ne veut-il pas d'un seul dieu nature, comme <strong>le</strong>s<br />

i.


242 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

stoïciens, ce qui ne lui permettrait pas d'expliquer la<br />

cause du mal. — Après avoir rappelé <strong>le</strong>s opinions plus<br />

ou moins matérialistes qui dérivent <strong>de</strong>s fab<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong>s<br />

dieux et <strong>le</strong>s divers symbo<strong>le</strong>s, il dit que toutes pèchent<br />

au fond, quoique toutes disent bien et droitement. La<br />

vie, selon lui, est conduite par <strong>de</strong>ux principes, dont<br />

l'un nous dirige à droite et l'autre à gauche : c'est l'opinion<br />

<strong>de</strong>s plus sages. L'un est l'auteur <strong>de</strong> tout bien,<br />

l'autre <strong>de</strong> tous maux... c'est Oromase et Ahrimann... Il<br />

faut sacrifier à l'un pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s choses uti<strong>le</strong>s,<br />

et à l'autre pour l'empêcher <strong>de</strong> nous faire du mal.<br />

Pour éviter <strong>le</strong> matérialisme et <strong>le</strong> panthéisme, Plutarque<br />

tombe dans <strong>le</strong> manichéisme.<br />

Causes <strong>de</strong> la cessation <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s.<br />

Plutarque, dans <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses traités, introduit plusieurs<br />

interlocuteurs pour discuter la cause qui fait<br />

prédire, et pour répondre aux plaisanteries <strong>de</strong>s épicuriens<br />

sur <strong>le</strong>s vers <strong>de</strong> la pythie, etc.<br />

Pourquoi n'y avait-il plus en Béotic qu'un ou <strong>de</strong>ux<br />

orac<strong>le</strong>s? — Parce qu'on est moins crédu<strong>le</strong>, avait dit<br />

Cicéron. — C'est parce que l'impiété est si universel<strong>le</strong>,<br />

dit Démétrius, un <strong>de</strong>s interlocuteurs <strong>de</strong> Plutarque,<br />

qu'on ne <strong>de</strong>vrait pas <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pourquoi quelques-uns<br />

ont cessé, mais comment il se fait qu'il s'en trouve<br />

encore. <strong>Le</strong>s uns <strong>le</strong>s interrogent comme s'ils voulaient<br />

éprouver un sophiste, d'autres <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> révé<strong>le</strong>r<br />

<strong>de</strong>s trésors cachés, <strong>de</strong>s mariages clan<strong>de</strong>stins...<br />

Ammonius veut qu'on se gar<strong>de</strong> d'attribuer la cessation<br />

<strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s à d'autres causes qu'aux dieux; car ce<br />

serait <strong>le</strong>ur assigner une cause naturel<strong>le</strong>... — Il pense<br />

d'ail<strong>le</strong>urs que la dépopulation <strong>de</strong> la Grèce expliquerait<br />

cet anéantissement; où il fallait trois femmes pour


AVEC LE DÉMON. 243<br />

prophétiser, une seu<strong>le</strong> maintenant est plus que suffisante...<br />

Avouez-vous que c'est Dieu qui fait et défait <strong>le</strong>s<br />

orac<strong>le</strong>s? dit Cléombrote. — Je maintiens <strong>le</strong> contraire,<br />

dit un autre. Dieu préparc tout pour notre propre usage.<br />

Mais la matière finit par s'altérer ; il faut rechercher<br />

<strong>le</strong>s forces <strong>de</strong> la nature, en reconnaissant Dieu comme<br />

première cause. Il serait ridicu<strong>le</strong> et peu respectueux <strong>de</strong>,<br />

penser que Dieu par<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> ventre <strong>de</strong> la pythie...<br />

Cléombrote, qui est <strong>de</strong> cet avis, dit qu'il est diffici<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> savoir comment intervient cette provi<strong>de</strong>nce. Ceux<br />

qui la font cause <strong>de</strong> tout et ceux qui veu<strong>le</strong>nt qu'el<strong>le</strong><br />

n'intervienne en rien se trompent tous. Mais ceux qui<br />

ont supposé <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s comme médiateurs entre <strong>le</strong>s<br />

dieux et <strong>le</strong>s hommes ont résolu une bien gran<strong>de</strong> difficulté...<br />

En ôtant <strong>le</strong>ur intervention, on détruit tout<br />

commerce entre <strong>le</strong>s dieux et <strong>le</strong>s hommes, attendu<br />

qu'on supprime la nature qui sert <strong>de</strong> truchement à la<br />

divinité.<br />

On supprime ici une longue dissertation sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

qui meurent,... sur <strong>le</strong>s hommes qui <strong>de</strong>viennent<br />

<strong>de</strong>mi-dieux, etc. Enfin Plutarque reconnaît comme<br />

évi<strong>de</strong>nt qu'il existe <strong>de</strong>s natures moyennes qui sont<br />

<strong>le</strong> lien entre la divinité et l'humanité, mais sujettes<br />

aux passions, à subir <strong>de</strong>s changements.<br />

Plutarque ne pense pas qu'il y ait ni orac<strong>le</strong>s ni divinations<br />

sans divinité, et méprise <strong>le</strong> sentiment <strong>de</strong><br />

ceux qui disent que <strong>le</strong>s dieux n'écoutent pas <strong>le</strong>s hommes<br />

dans <strong>le</strong>s sacrifices; mais Dieu ne s'entremet pas<br />

en personne, il laisse ce soin aux <strong>démon</strong>s, qui vont,<br />

viennent partout, dirigent <strong>le</strong>s sacrifices, etc.<br />

Entre <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s il y a une gran<strong>de</strong> différence <strong>de</strong><br />

vertus... 11 y en a qui conservent quelques faib<strong>le</strong>s<br />

traces <strong>de</strong> l'âme sensitive qui n'est pas raisonnab<strong>le</strong>;


2H DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

à d'autres il en reste beaucoup... C'est ce qu'on voit<br />

très-bien, dit Plutarque, dans <strong>le</strong>s cérémonies, fêtes et<br />

sacrifices qu'on <strong>le</strong>ur fait... Quant aux mystères et cérémonies<br />

secrètes, qui permettent plus clairement que<br />

par nul<strong>le</strong> autre voie d'apercevoir « la vérité <strong>de</strong> la na-<br />

« ture <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, je n'en par<strong>le</strong> point quant à cela,<br />

« et en ai la bouche close, » comme dit Hérodote. Et<br />

quant à certaines fêtes, sacrifices sévères et tristes, où<br />

on mange chair crue, où l'on se déchire, etc., où l'on<br />

dit <strong>de</strong>s choses honteuses durant <strong>le</strong> sacrifice, je ne<br />

penserai jamais que ce soit pour <strong>de</strong>s dieux, mais pour<br />

apaiser la fureur <strong>de</strong> quelques <strong>démon</strong>s malicieux... Il<br />

n'est pas vraisemblab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s dieux aient <strong>de</strong>mandé<br />

qu'on <strong>le</strong>ur sacrifiât <strong>de</strong>s hommes... <strong>Le</strong>s rois n'ont immolé<br />

<strong>le</strong>urs propres enfants que pour détourner la colère<br />

<strong>de</strong> quelques malins esprits et pour assouvir <strong>le</strong>s<br />

tyranniques amours <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers.<br />

Après avoir reconnu l'intervention <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s dans<br />

<strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s divinations, Plutarque dit que si <strong>le</strong><br />

<strong>démon</strong> vient à manquer ou à passer ail<strong>le</strong>urs, la divination<br />

cesse dans ce lieu jusqu'à ce qu'il lui plaise d'y<br />

revenir.<br />

Selon un autre interlocuteur, il ne faut pas faire <strong>de</strong><br />

suppositions qui favorisent l'impiété; que <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

interviennent, c'est bien ; mais <strong>le</strong>ur attribuer <strong>de</strong>s<br />

crimes, <strong>de</strong>s calamités, prétendre que <strong>le</strong>s erreurs viennent<br />

<strong>de</strong>s dieux, c'est blâmab<strong>le</strong>.<br />

Cléombrote. — Si vous reconnaissez <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s et<br />

si vous soutenez qu'ils ne soient ni mortels ni méchants,<br />

en quoi diffèrent-ils <strong>de</strong>s dieux?... Empédoc<strong>le</strong><br />

n'est pas <strong>le</strong> seul qui ait dit qu'il en existait <strong>de</strong> mauvais,<br />

mais Platon, Xénocrate, Chrysippe, Démocrite<br />

lui-même ; puisqu'il priait pour rcnconti'er <strong>de</strong>s images<br />

heureuses, il faisait suffisamment entendre qu'il yen


AVEC LE DÉMON.<br />

avait <strong>de</strong> perverses, <strong>de</strong> malintentionnées. Cléombrote<br />

apporte <strong>le</strong>s raisons et cite <strong>de</strong>s faits propres à faire<br />

croire qu'ils sont mortels..., <strong>le</strong> récit <strong>de</strong> Thamos, par<br />

exemp<strong>le</strong>. <strong>Le</strong>s stoïciens mêmes partagent cette opinion ;<br />

ils pensent que parmi cette multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> dieux il n'y<br />

en a qu'un qui soit éternel ; tous <strong>le</strong>s autres, étant nés,<br />

doivent mourir... Quant aux épicuriens, il faut <strong>le</strong>s laisser<br />

nier, se fâcher, trouver étrange que <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

apparaissent... On ne doit pas s'occuper d'eux...; ils<br />

nient bien la Provi<strong>de</strong>nce; moquons-nous <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

simulacres qui décou<strong>le</strong>nt <strong>de</strong>s corps, fussent-ils vivants,<br />

brûlés ou pourris, pour se montrer aux hommes et se<br />

promener...<br />

Ammonius partage l'opinion <strong>de</strong> Cléombrote ; si on<br />

la rejetait, il faudrait rejeter bien <strong>de</strong>s choses qu'on ne<br />

saurait expliquer autrement; si on l'adopte, el<strong>le</strong> ne<br />

présente rien d'impossib<strong>le</strong>....— Après une longue digression<br />

étrangère à ce sujet, on revient à la cessation<br />

<strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s ; <strong>le</strong> lieu où <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s <strong>le</strong>s rendaient est<br />

comparé à un instrument qui reste muet quand <strong>le</strong> musicien<br />

l'abandonne ; puis on examine comment <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

donnent aux <strong>de</strong>vins la divination, <strong>le</strong>s visions, etc.<br />

— Ce sont <strong>de</strong>s substances aériennes ; ils montrent l'avenir<br />

par <strong>de</strong>s visions', comme on montre par <strong>le</strong>ttres,<br />

écrits, regards, etc., <strong>de</strong>s choses déjà arrivées, ou que<br />

l'on pronostique cel<strong>le</strong>s qui arriveront...<br />

Vient ensuite l'examen <strong>de</strong> la question <strong>de</strong> savoir si<br />

nos âmes peuvent prédire comme <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s; n'étant<br />

pas probab<strong>le</strong> qu'en quittant <strong>le</strong>ur corps el<strong>le</strong>s acquièrent<br />

une nouvel<strong>le</strong> puissance, el<strong>le</strong>s ont sans doute cette<br />

faculté, dont l'action est empêchée par <strong>le</strong>ur union à la<br />

nature corporel<strong>le</strong>. C'est <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il à travers un brouillard;<br />

à la mort, l'astre s'échappe <strong>de</strong> la nue obscure...<br />

Rien là d'étrange... La mémoire, qui répond à la puis-


240 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Bance divinatrice, gar<strong>de</strong> <strong>le</strong>s faits qui cependant sont<br />

passés; l'âme, donnant ainsi l'être à ce qui n'est plus,<br />

peut voir éga<strong>le</strong>ment ce qui n'est pas encore ; l'avenir<br />

même lui appartient davantage, car el<strong>le</strong> s'y affectionne<br />

plus qu'au passé.<br />

Cette puissance innée mais obscurcie peut se manifester<br />

par songes, purifications, sacrifices, etc. <strong>Le</strong><br />

corps bien purifié acquiert une température particulière<br />

; la partie raisonnab<strong>le</strong> , délivrée <strong>de</strong> l'action <strong>de</strong>s<br />

choses présentes, s'unit à l'imagination pour voir l'avenir...<br />

La raison, qui conjecture, voit ce qui est <strong>le</strong> plus<br />

vraisemblab<strong>le</strong>, mais la vertu divinatrice n'a pas besoin<br />

<strong>de</strong> la raison, c'est la tab<strong>le</strong> rase propre à recevoir<br />

<strong>de</strong>s impressions sans raisonner... Quand el<strong>le</strong> s'éloigne<br />

du présent, el<strong>le</strong> voit l'avenir par une disposition du<br />

corps transformé, qu'on a nommée inspiration. <strong>Le</strong><br />

corps a souvent cette disposition, la terre lui envoie<br />

<strong>de</strong>s exhalaisons qui transportent l'âme hors d'el<strong>le</strong>même,<br />

ce qui arrive aussi dans certaines maladies...<br />

Or ce souff<strong>le</strong> (ou inspiration) étant très-divin, soit<br />

qu'il vienne par l'air, soit <strong>de</strong> quelque vapeur humi<strong>de</strong>,<br />

il donne au corps une disposition étrange quand il l'a<br />

pénétré; il est sans doute diffici<strong>le</strong> d'en exprimer la<br />

propriété, cependant on <strong>le</strong> peut par conjecture <strong>de</strong><br />

plusieurs manières... : par sa cha<strong>le</strong>ur, il peut ouvrir<br />

<strong>de</strong>s porcs où se trouve une force imaginative <strong>de</strong> l'avenir;<br />

comme <strong>le</strong> vin qui, en nous excitant, fait révé<strong>le</strong>r<br />

nos secrets... L'âme, étant surexcitée, dépouil<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

craintes causées par <strong>le</strong>s préoccupations qui empêchent<br />

l'effet <strong>de</strong> l'inspiration divine...—Plutarque recourt à<br />

<strong>de</strong>s comparaisons ; par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> fer qui se durcit<br />

par la trempe, etc. Il n'est donc pas étonnant que la<br />

terre envoyant plusieurs exhalaisons, il s'en trouve qui<br />

transportent <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong> fureur divine et <strong>le</strong>ur don-


AVEC LE DÉMON. 247<br />

nent la vision <strong>de</strong> l'avenir. La manière dont l'orac<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

Delphes fut découvert semb<strong>le</strong> appuyer cette conjecture.<br />

<strong>Le</strong> berger tombé dans l'antre poussait <strong>de</strong>s cris<br />

dont on ne tint compte; mais quand on l'entendit prédire,<br />

on fut très-surpris. L'âme sans doute s'unit à<br />

l'exhalaison comme l'œil à la lumière ; cet organe ne<br />

peut rien sans el<strong>le</strong>, comme l'âme qui a la vertu divinatrice<br />

ne peut rien sans l'agent qui l'excite ; c'est pourquoi<br />

plusieurs pensent qu'Apollon et <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il sont <strong>le</strong><br />

môme dieu...<br />

<strong>Le</strong>s vertus latentes <strong>de</strong> la terre se manifestent ou cessent<br />

dans un lieu pour reparaître ou cesser encore<br />

après plusieurs révolutions, comme on voit apparaître<br />

ou disparaître <strong>de</strong>s sources d'eaux therma<strong>le</strong>s.<br />

Démétrius, l'un <strong>de</strong>s interlocuteurs, dit avoir vu <strong>le</strong>s<br />

orac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la Cilicie dans toute <strong>le</strong>ur force, et raconte,<br />

comme témoin, que <strong>le</strong> gouverneur entouré d'épicuriens,<br />

et étant lui-même impie, voulut éprouver l'orac<strong>le</strong><br />

et envoya un affranchi porteur d'une <strong>le</strong>ttre bien scellée;<br />

celui-ci déclara avoir vu en songe quelqu'un qui lui<br />

dit un seul mot : Nom. Démétrius dit : cela nous parut<br />

impertinent; il en fut autrement pour <strong>le</strong> gouverneur<br />

qui <strong>de</strong>mandait dans sa <strong>le</strong>ttre : « T'immo<strong>le</strong>rai-je un taureau<br />

noir ou blanc? »<br />

Ammonius fait observer qu'on a ôté la divination<br />

aux dieux pour la donner aux <strong>démon</strong>s, puis enfui aux<br />

exhalaisons. Cette explication, dit-il, anéantit toute<br />

intervention divine. Alors à quoi bon prier <strong>le</strong>s dieux,<br />

pour obtenir <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, si l'âme a une faculté prophé-<br />

' tique qu'une vapeur, que la température peuvent exciter?<br />

A quoi bon consacrer <strong>de</strong>s vierges pour prononcer<br />

l'orac<strong>le</strong>? pourquoi cel<strong>le</strong>s-ci gar<strong>de</strong>nt-el<strong>le</strong>s <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce, si<br />

la victime ne donne pas <strong>le</strong>s signes voulus quand on fait<br />

<strong>le</strong>s effusions? pourquoi, lorsqu'ils ne se montrent pas,


218 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

l'orac<strong>le</strong> se tait?... — Ce serait fort bien si on attribuait<br />

l'orac<strong>le</strong> à un dieu; mais si cela dépend d'une exhalaison,<br />

que <strong>le</strong>s signes aient lieu ou non, <strong>le</strong> ravissement<br />

d'esprit doit toujours se produire et disposer l'âme du<br />

premier venu. 11 serait oiseux et ridicu<strong>le</strong> <strong>de</strong> choisir<br />

une vierge, etc.. — Ces réf<strong>le</strong>xions embarrassent <strong>le</strong>s<br />

interlocuteurs. Lamprias est prié <strong>de</strong> dire son avis.<br />

J'y répondrai, dit celui-ci en invoquant l'autorité <strong>de</strong><br />

Platon, qui blâmait Anaxagore <strong>de</strong> s'être trop attaché<br />

aux causes naturel<strong>le</strong>s, et d'abandonner la cause efficiente<br />

et fina<strong>le</strong> qui est la plus importante; il faut attribuer<br />

à Dieu <strong>le</strong> principe d'action, sans cependant oublier<br />

que la matière est nécessaire pour l'œuvre qu'on<br />

opère. Celui qui explique comment on donne la trempe<br />

au fer n'ôte rien à l'action <strong>de</strong> l'ouvrier... <strong>Le</strong>s plus anciens<br />

théologiens ne voyaient que l'action divine, tandis<br />

que <strong>le</strong>s philosophes <strong>le</strong>s plus mo<strong>de</strong>rnes attribuent<br />

tout à la matière. <strong>Le</strong>s uns et <strong>le</strong>s autres laissent à désirer.<br />

Celui qui réunit l'intelligence qui meut, et la matière<br />

passive qui est mue, répond atout; car on ne<br />

prive la divination ni <strong>de</strong> l'action divine ni <strong>de</strong> la raison<br />

humaine, puisqu'on lui donne pour sujet l'âme et pour<br />

instrument <strong>le</strong> souff<strong>le</strong> ou l'inspiration... La terre engendre<br />

<strong>le</strong>s exhalaisons; <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il (qui est un dieu,<br />

d'après la tradition) lui donne sa puissance. <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

interviennent comme surintendants et gardiens <strong>de</strong><br />

la température qui favorise cette exhalaison, et comme<br />

préposés pour la graduer, afin <strong>de</strong> ne pas tourmenter<br />

l'âme ni la transporter hors d'el<strong>le</strong>-même, mais donner<br />

la vertu nécessaire pour agir, sans causer <strong>de</strong> dou<strong>le</strong>ur à<br />

celui qui la reçoit... <strong>Le</strong> but <strong>de</strong>s effusions sur la victime<br />

est pour s'assurer si l'orac<strong>le</strong> veut répondre... la divinité<br />

<strong>de</strong>vant indiquer si <strong>le</strong> moment est favorab<strong>le</strong>, etc..<br />

Plutarque invoque <strong>le</strong> témoignage <strong>de</strong> ceux qui ont


AVEC LE DÉMON. 240<br />

consulté l'orac<strong>le</strong>... La partie <strong>de</strong> l'âme <strong>de</strong> la pythie,<br />

qui doit être en rapport <strong>avec</strong> l'exhalaison, peut être<br />

plus ou moins disposée, plus ou moins sous l'empire<br />

du corps... L'âme étant bien préparée, l'inspiration a<br />

"lieu; sinon il survient un état convulsif et <strong>de</strong> fureur..,<br />

— Un fait récent est rappelé ; <strong>le</strong>s signes <strong>de</strong> la victime ne<br />

s'étaient pas montrés favorab<strong>le</strong>s, cependant <strong>le</strong>s prêtres<br />

continuaient <strong>le</strong>s effusions. On plaça la pythie comme<br />

malgré el<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> trépied; mais, dès <strong>le</strong>s premières paro<strong>le</strong>s,<br />

on vit qu'el<strong>le</strong> ne pouvait plus supporter l'exhalaison.<br />

P<strong>le</strong>ine d'un esprit muet et malin, el<strong>le</strong> pousse un<br />

cri épouvantab<strong>le</strong>, s'élance vers la porte, en se roulant<br />

par ferre; <strong>le</strong>s consultants effrayés s'enfuient, ainsi que<br />

<strong>le</strong> grand prêtre ; <strong>le</strong>s autres assistants étant rentrés,<br />

on l'emporta hors du lieu, et el<strong>le</strong> mourut <strong>de</strong>ux jours<br />

après. Voilà pourquoi on exige <strong>de</strong>s signes et certaines<br />

conditions ; la divinité sait quand la pythie est disposée<br />

à recevoir l'inspiration sans danger...<br />

Dans un autre traité (<strong>Des</strong> orac<strong>le</strong>s rendus envers), Plutarque<br />

par<strong>le</strong> <strong>de</strong>s vers <strong>de</strong> la pythie ; <strong>le</strong>s épicuriens en<br />

riaient, en disant que <strong>le</strong>s vers d'Apollon ne valaient<br />

pas ceux d'Homère.<br />

On répond que <strong>le</strong> dieu ne donne que l'inspiration ;<br />

ni la voix ni la diction ne lui appartiennent... — On<br />

dit que <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s étaient en vers, que maintenant ils<br />

sont en prose;—il y en a toujours eu en prose comme<br />

envers... — <strong>Le</strong> ravissement d'esprit vient <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

causes, <strong>de</strong> l'inspiration et <strong>de</strong> la nature; comme c'est<br />

la pythie qui prononce <strong>le</strong>s vers, peut-on faire rendre à<br />

un instrument <strong>de</strong>s sons qui n'appartiennent pas à sa<br />

nature et faire articu<strong>le</strong>r un bègue?<br />

La pythie doit être née <strong>de</strong> parents pauvres, être sans<br />

expérience... Dieu se sert <strong>de</strong>s croassements <strong>de</strong>s corbeaux,<br />

et nous voulons que la pythie s'exprime comme


250 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

un personnage <strong>de</strong> tragédie; quand el<strong>le</strong> parlait envers,<br />

c'était <strong>le</strong> goût <strong>de</strong> l'époque ; <strong>le</strong>s philosophes excités par<br />

la boisson en faisaient autant ; on aimait aussi <strong>le</strong> langage<br />

énigmatique; comme il fallait alors être obscur<br />

pour par<strong>le</strong>r à <strong>de</strong>s tyrans, <strong>le</strong>s vers étaient préférab<strong>le</strong>s;<br />

aujourd'hui qu'il n'y a plus <strong>de</strong> séditions ni d'usurpations<br />

<strong>de</strong> tyrannies, on préfère la clarté... — On ne<br />

consulte l'orac<strong>le</strong> que pour <strong>de</strong>s choses vulgaires, mariage,<br />

santé, commerce; on no craint pas que <strong>le</strong> lieu<br />

per<strong>de</strong> une réputation acquise par trois mil<strong>le</strong> ans <strong>de</strong><br />

durée, et qu'on l'abandonne comme l'éco<strong>le</strong> d'un sophiste,<br />

etc..<br />

<strong>Le</strong> langage <strong>de</strong> la pythie va droit à la vérité, on n'a<br />

pu jamais la convaincre <strong>de</strong> fausseté.<br />

On a vu que Plutarque n'estimait guère plus la théologie<br />

fabu<strong>le</strong>use que l'athéisme, il rejetait aussi <strong>le</strong>s<br />

explications athées do certains philosophes et <strong>le</strong> dieu<br />

nature <strong>de</strong>s stoïciens ; — il reconnaît <strong>de</strong>ux principes opposés<br />

dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, puis <strong>de</strong>s dieux supérieurs, <strong>de</strong>s<br />

dieux médiateurs et <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, qui, sujets aux passions,<br />

sont <strong>le</strong>s uns bons, d'autres mauvais ; il a remarqué<br />

enfin qu'en supposant l'existence <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s et<br />

<strong>le</strong>ur intervention, on donnait la solution <strong>de</strong> mil<strong>le</strong> difficultés<br />

insolub<strong>le</strong>s sans cette hypothèse.<br />

La divination, l'un <strong>de</strong>s phénomènes <strong>le</strong>s plus étranges<br />

qui puissent se manifester dans <strong>l'homme</strong>, n'est pas<br />

niée <strong>avec</strong> dédain, il y croit. <strong>Le</strong>s orac<strong>le</strong>s ont cessé<br />

dans beaucoup d'endroits; il ne dit pas que <strong>le</strong>ur célébrité<br />

soit due à la crédulité ; <strong>de</strong> son temps même, <strong>de</strong>s<br />

incrédu<strong>le</strong>s ayant été forcés d'y croire; il n'accuse<br />

ni <strong>le</strong>s prêtres <strong>de</strong> fourberie ni la pythie d'imposture,<br />

il ne paraît pas qu'il en ait eu même la pensée. C'est<br />

une fil<strong>le</strong> ignorante, dit-il, simp<strong>le</strong>, dont <strong>le</strong> langage est<br />

vrai; il ne croit pas que, pour mieux tromper, el<strong>le</strong> se


AVEC LE DÉMON. 251<br />

soit fait expirer dans <strong>de</strong>s convulsions épouvantab<strong>le</strong>s,<br />

ni que <strong>le</strong>s prêtres fussent capab<strong>le</strong>s d'une tel<strong>le</strong> cruauté ;<br />

en effet, s'ils n'étaient pas assez préparés, il <strong>le</strong>ur suffisait<br />

d'ajourner <strong>le</strong>s consultants, <strong>de</strong> faire une réponse<br />

ambiguë, comme on <strong>le</strong>s accusait <strong>de</strong> <strong>le</strong> faire. Plutarque<br />

avait cent raisons pour n'accuser ni <strong>le</strong>s prêtres ni la<br />

pythie. Ne doutant pas du phénomène, il s'agissait <strong>de</strong><br />

l'expliquer : <strong>de</strong>s matérialistes avaient soupçonné une<br />

exhalaison physique, mettant l'âme dans l'état où on<br />

suppose qu'el<strong>le</strong> sera, étant dégagée du corps. Cette explication,<br />

après examen, n'est pas satisfaisante. Autrefois<br />

on croyait que <strong>le</strong> dieu parlait dans <strong>le</strong> ventre <strong>de</strong> la<br />

pythie; pensant que c'était indigne <strong>de</strong> lui, on a voulu<br />

n'y voir ensuite qu'un agent naturel. Si la première<br />

opinion était irrévércnte, la secon<strong>de</strong> accor<strong>de</strong> trop à la<br />

nature; si une exhalaison fait prédire, à quoi bon effectivement<br />

tous ces signes, toutes ces conditions exigées?<br />

11 paraît donc assez raisonnab<strong>le</strong> <strong>de</strong> penser que <strong>le</strong>s dieux<br />

ne prononcent pas l'orac<strong>le</strong>, mais qu'ils l'inspirent, <strong>le</strong><br />

révè<strong>le</strong>nt à l'âme, mise dans un état convenab<strong>le</strong> par<br />

l'exhalaison; <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s en surveil<strong>le</strong>nt la température,<br />

et donnent <strong>le</strong>s signes indiquant si l'inspiration est<br />

possib<strong>le</strong>.<br />

Cicéron'<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s épicuriens s'était moins fatigué<br />

l'esprit; tandis qu'ils ont nié, Plutarque a examiné,<br />

recherché <strong>le</strong>s causes, ou plutôt exposé cel<strong>le</strong>s que donnaient<br />

d'autres philosophes non moins convaincus que<br />

lui. — Ont-ils trouvé la véritab<strong>le</strong> cause... ? — En attendant<br />

un nouvel examen, on doit savoir gré à Plutarque<br />

<strong>de</strong> ses recherches, <strong>le</strong> féliciter sur son courage et sa<br />

loyauté, et <strong>le</strong> louer <strong>de</strong> n'avoir pas craint <strong>de</strong> revenir<br />

aux anciennes doctrines quand <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s lui ont<br />

paru mauvaises.


232 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Apulée.<br />

Apulée reconnaissait, comme Platon, <strong>de</strong>s dieux supérieurs,<br />

<strong>de</strong>s dieux inférieurs, et <strong>de</strong>s esprits intermédiaires.<br />

<strong>Le</strong>s dieux immortels sont <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il, la lune,<br />

<strong>le</strong>s cinq étoi<strong>le</strong>s errantes et douze astres, tels que Vesta,<br />

Jupiter, Vénus, etc. Ces dieux ont un père ; dégagé<br />

<strong>de</strong> la nécessité d'agir, il n'est soumis à aucun soin;<br />

comme il est incompréhensib<strong>le</strong>, on ne s'en peut faire<br />

une idée.<br />

<strong>Le</strong>s dieux immortels s'occupent <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, mais ce<br />

n'est que par l'intermédiaire <strong>de</strong>s puissances moyennes<br />

qui sont dans l'air; cel<strong>le</strong>s-ci transmettent nos prières,<br />

font connaître nos besoins; ce sont <strong>de</strong>s ambassa<strong>de</strong>urs<br />

qui communiquent la volonté <strong>de</strong>s dieux, par<br />

révélation, présages, prodiges. Chaque <strong>démon</strong> s'ac-.<br />

quitte du ministère qui lui est confié. <strong>Le</strong>s uns font<br />

naître <strong>de</strong>s songes, disposent <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes,<br />

gouvernent <strong>le</strong> vol ou <strong>le</strong> cri <strong>de</strong>s oiseaux, inspirent<br />

<strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins, font bril<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s éclairs, etc. Tout ce qui<br />

sert enfin à révé<strong>le</strong>r l'avenir est ordonné par <strong>le</strong>s dieux<br />

et exécuté par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ; il serait indigne <strong>de</strong>s dieux<br />

qu'il en fût autrement. Ces êtres qui habitent l'air sont<br />

lumineux, composés <strong>de</strong> sa partie la plus pure, la plus<br />

subti<strong>le</strong> Mais si <strong>le</strong>s dieux ont une égalité d'âme<br />

perpétuel<strong>le</strong>, si <strong>le</strong> père <strong>de</strong>s dieux ne ressent ni colère,<br />

ni pitié, ni joie, <strong>le</strong>s esprits ministres ont <strong>de</strong>s passions;<br />

<strong>le</strong> mépris <strong>le</strong>s révolte, <strong>le</strong> respect nous <strong>le</strong>s concilie ; on<br />

<strong>le</strong>s gagne par <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s. Apulée <strong>le</strong>s définit ainsi :<br />

Ce sont <strong>de</strong>s êtres animés dont l'esprit est raisonnab<strong>le</strong>,<br />

<strong>le</strong> corps aérien. Plutarque dit qu'ils meurent, mais<br />

Apulée dit que <strong>le</strong>ur durée est éternel<strong>le</strong>; <strong>le</strong>ur âme est<br />

passib<strong>le</strong> puisqu'el<strong>le</strong> souffre <strong>le</strong>s mêmes agitations que la


AVEC LE DÉMON. 253<br />

nôtre. <strong>Le</strong>s uns veu<strong>le</strong>nt un culte <strong>de</strong> nuit, d'autres un culte<br />

<strong>de</strong> jour; <strong>le</strong>s uns <strong>le</strong> veu<strong>le</strong>nt secret, d'autres qu'il soit<br />

public. <strong>Le</strong>s uns <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s gémissements, d'autres<br />

<strong>de</strong>s danses, <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong>s tambours et <strong>de</strong>s hautbois. <strong>Le</strong>s<br />

faits qui prouvent qu'ils sont colères sont si nombreux,<br />

si connus, que ceux qui ont voulu en faire un recueil<br />

en ont beaucoup plus omis qu'ils n'en ont rapporté.<br />

<strong>Le</strong>ur colère se manifeste dans <strong>le</strong>s songes, dans <strong>le</strong>s<br />

orac<strong>le</strong>s..., lorsqu'on a, par négligence ou par mépris,<br />

omis quelques circonstances du cérémonial. On appel<strong>le</strong><br />

aussi dbnom, dit-il, <strong>le</strong>s âmes affranchies <strong>de</strong>s liens<br />

du corps; il distingue <strong>le</strong>s larves, <strong>le</strong>s lémures; <strong>le</strong>s premiers<br />

tourmentent <strong>le</strong>s méchants; tous se nomment <strong>le</strong>s<br />

mânes.<br />

Ceux qui n'ont jamais été revêtus d'un corps sont<br />

bien supérieurs en dignité aux mânes qui ont eu un<br />

corps. Chaque homme a un <strong>de</strong> ces génies témoin <strong>de</strong><br />

ses pensées et <strong>de</strong> ses actes. En parlant <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Socrate,<br />

Apulée ne veut pas qu'on s'imagine que <strong>le</strong>s<br />

prévisions <strong>de</strong> ce philosophe fussent l'effet <strong>de</strong> sa pru<strong>de</strong>nce<br />

et <strong>de</strong> son expérience : « Platon, dit-il, en parlant<br />

<strong>de</strong> cette voix qui dirigeait Socrate, entendait quelque<br />

chose <strong>de</strong> divin, d'extraordinaire... » Apulée pense<br />

même que <strong>le</strong> génie se manifestait par <strong>de</strong>s signes visib<strong>le</strong>s.<br />

Un signe divin, assurait Socrate, vient <strong>de</strong> s'offrir<br />

à moi... — <strong>Le</strong>s pythagoriciens étaient étonnés, dit<br />

Aristote, lorsque quelqu'un <strong>le</strong>ur assurait n'avoir jamais<br />

vu <strong>de</strong> génie, et Apulée <strong>de</strong>man<strong>de</strong> alors pourquoi Socrate<br />

n'aurait pu voir <strong>le</strong> sien.<br />

Que l'ouvrage d'Apulée, intitulé l'Ane d'or, soit un<br />

livre historique, comme quelques-uns l'ont pensé, ou<br />

selon d'autres une fiction, il n'en reflète pas moins <strong>le</strong>s<br />

croyances <strong>de</strong> l'époque. Ainsi <strong>le</strong>s sorcières emploient<br />

<strong>de</strong>s lambeaux <strong>de</strong> chair pour <strong>le</strong>urs charmes, et s'achar-


254 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

nent tel<strong>le</strong>ment à muti<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s cadavres humains qu'on<br />

est obligé <strong>de</strong> <strong>le</strong>s gar<strong>de</strong>r pendant la nuit. Ces maudites<br />

femmes se transforment en chiens, en oiseaux, et<br />

se glissent <strong>avec</strong> tant d'adresse qu'el<strong>le</strong>s tromperaient,<br />

dit-il, <strong>le</strong>s yeux du so<strong>le</strong>il. On ne peut imaginer tout ce<br />

qu'el<strong>le</strong>s inventent pour en venir à <strong>le</strong>urs fins. En lisant<br />

<strong>le</strong>s remarques d'Apulée, on croit lire <strong>le</strong>s écrits <strong>de</strong>s<br />

<strong>démon</strong>ologues du quinzième et du seizième sièc<strong>le</strong>. La<br />

métamorphose <strong>de</strong> Pamphi<strong>le</strong>, qui, s'étant frottée, vo<strong>le</strong><br />

dans <strong>le</strong>s airs; <strong>le</strong>s conjurations pour se faire aimer;<br />

l'aventure <strong>de</strong> cette femme répudiée qui s'adresse aune<br />

sorcière pour lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r d'apaiser son mari ou <strong>de</strong><br />

lui envoyer <strong>de</strong>s spectres pour <strong>le</strong> tourmenter ; tout cela<br />

se retrouvera quinze sièc<strong>le</strong>s encore après Apulée, certifié<br />

par <strong>de</strong>s personnes qui n'ont jamais ouï par<strong>le</strong>r <strong>de</strong><br />

lui ni <strong>de</strong> ses œuvres. — <strong>Le</strong> mari <strong>de</strong> cette femme fut si<br />

épouvantab<strong>le</strong>ment vexé par <strong>le</strong>s larves, qu'il se pendit;<br />

et sa fil<strong>le</strong>, absente, eut un songe où son père, ayant la<br />

cor<strong>de</strong> au cou, apparut pour lui révé<strong>le</strong>r ce funeste événement.<br />

Apulée lui-môme fut accusé <strong>de</strong> magie 1<br />

; c'était,<br />

comme on l'a dit, <strong>le</strong> cas <strong>de</strong> plaisanter <strong>avec</strong> Lucien, <strong>de</strong><br />

nier son pouvoir <strong>avec</strong> Cicéron, d'invoquer <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux sièc<strong>le</strong>s<br />

d'épicurisme qui ont ri <strong>de</strong>s dieux et <strong>de</strong>s hommes.<br />

<strong>Le</strong>s temps sont changés, comme on l'a vu; il se disculpe<br />

d'être magicien, avoue <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> la magie,<br />

est convaincu que l'âme simp<strong>le</strong> d'un enfant peut, par<br />

<strong>de</strong>s charmes et <strong>de</strong>s parfums, être en<strong>le</strong>vée à ce mon<strong>de</strong>,<br />

se dégager <strong>de</strong> son corps, être ramenée à sa nature immortel<strong>le</strong><br />

et divine, et dans une sorte <strong>de</strong> sommeil prédire<br />

l'avenir, etc. Il faut qu'il soit vierge, qu'il ait <strong>de</strong>s<br />

grâces, etc.<br />

1 Saint Jérôme, saint Augustin et beaucoup d'autres l'ont cru coupab<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> ce crime.


AVEC LE DÉMON. 255<br />

Si aux époques <strong>de</strong> spiritualisme il y avait <strong>de</strong>s épicuriens<br />

et <strong>de</strong>s sceptiques, on sent que, malgré <strong>le</strong> retour<br />

au spiritualisme, ceux-ci furent encore longtemps après<br />

assez nombreux. Ainsi, malgré la nouvel<strong>le</strong> tendance <strong>de</strong><br />

l'esprit au spiritualisme, favorisée par la continuation<br />

<strong>de</strong>s faits qui ne pouvaient guère s'expliquer que par<br />

lui; malgré <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux causes ci-<strong>de</strong>vant signalées et qui<br />

seront exposées en <strong>le</strong>ur lieu, il y avait toujours une<br />

fou<strong>le</strong> d'hommes qui, comme Lucien, niaient et plaisantaient,<br />

ou qui, comme Pline et Lucrèce, donnaient<br />

<strong>de</strong>s explications naturel<strong>le</strong>s ; car il est vrai que plusieurs<br />

ne peuvent ou ne veu<strong>le</strong>nt s'é<strong>le</strong>ver jusqu'au spiritualisme,<br />

et que d'autres sont épicuriens par caractère, tant <strong>le</strong>s<br />

conditions requises pour être discip<strong>le</strong>s d'Épicure resteront<br />

faci<strong>le</strong>s, tant la nature y convie. Il est donc bien<br />

vrai <strong>de</strong> dire que <strong>l'homme</strong> est plus disposé généra<strong>le</strong>ment<br />

à nier <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux qu'à l'accueillir, quoique l'on préten<strong>de</strong><br />

<strong>le</strong> contraire. Sans doute <strong>le</strong>s faits surnaturels <strong>le</strong><br />

frapperont, s'ils se présentent ; mais la régularité <strong>de</strong>s<br />

lois physiques <strong>le</strong>s fait bien promptement oublier et rejeter.<br />

Ce qu'on vient <strong>de</strong> dire et ce qui reste à exposer cause<br />

nn certain embarras. On a signalé <strong>de</strong>s contradictions<br />

et <strong>de</strong> l'obscurité dans <strong>le</strong>s religions <strong>de</strong> la haute antiquité.<br />

Dans <strong>le</strong> sujet qui nous occupe, on pourrait faire<br />

la même observation. <strong>Le</strong> sacerdoce est atteint du vice<br />

dominant : l'épicurisme et l'incrédulité. — Pourquoi?<br />

— Parce qu'il est tombé surtout dans l'ignorance <strong>de</strong>s<br />

pratiques du culte. Mais l'histoire, qui nous l'apprend,<br />

nous dit en même temps qu'on est revenu à ces pratiques.<br />

Où donc <strong>le</strong>s a-t-on retrouvées, si el<strong>le</strong>s étaient oubliées<br />

partout?


DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Incrédulité et ignorance <strong>de</strong>s prêtres païens; ils contrefont <strong>de</strong>s<br />

prodiges.<br />

Un grand événement, dont on par<strong>le</strong>ra plus loin,<br />

s'est accompli ; quoique prédit, quoique l'époque fût<br />

pressentie, il est resté inaperçu pour <strong>le</strong>s Juifs saducéens<br />

et pour <strong>le</strong>s épicuriens païens.— Chez <strong>le</strong>s Gentils,<br />

<strong>le</strong> culte existait encore, mais sans croyance. <strong>Le</strong>s magistrats,<br />

<strong>le</strong>s grands, <strong>le</strong> méprisaient; il ne subsistait que<br />

par politique. <strong>Le</strong> peup<strong>le</strong> lui-même, dont <strong>le</strong> zè<strong>le</strong> religieux<br />

s'était fort refroidi, restait polythéiste par habitu<strong>de</strong>.<br />

<strong>Le</strong>s prodiges, comme on vient <strong>de</strong> <strong>le</strong> dire, n'avaient<br />

pas cessé, mais il est permis <strong>de</strong> penser que <strong>le</strong> mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

manifestation <strong>de</strong>s faits dut quelquefois favoriser <strong>le</strong>s explications<br />

<strong>de</strong>s matérialistes et <strong>le</strong>s doutes <strong>de</strong>s sceptiques.<br />

Niés par <strong>le</strong>s uns, d'autres <strong>le</strong>s attribuaient à l'âme universel<strong>le</strong>,<br />

d'autres aux forces motrices <strong>de</strong> la nature. Tous<br />

ceux qui se croyaient éclairés, et partout <strong>le</strong> nombre en<br />

<strong>de</strong>vient bientôt immense, n'attribuèrent plus ce merveil<strong>le</strong>ux<br />

qui avait nourri la foi <strong>de</strong>s Gentils, ni à Jupiter,<br />

ni à Vénus, ni à Diane, à Sérapis ou Pluton. <strong>Le</strong>s noms<br />

restèrent, mais la foi, la piété disparurent, tandis que la<br />

superstition continuait d'asservir ces prétendus esprits<br />

forts. Adrien érigea <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s ù Antinous, ce favori<br />

qu'il aimait <strong>de</strong> cet amour infâme dont <strong>le</strong>s païens trouvaient<br />

<strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>urs dieux, et, d'après Spartien,<br />

ce nouveau dieu eut <strong>de</strong>s prêtres et rendit môme<br />

<strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s que l'empereur, dit-on, avait composés luimôme.<br />

Combien un fait semblab<strong>le</strong> <strong>de</strong>vait inspirer alors<br />

<strong>de</strong> mépris pour <strong>le</strong>s anciens orac<strong>le</strong>s, auxquels on ne dut<br />

pas soupçonner une origine plus respectab<strong>le</strong>, et que<strong>de</strong>vaient<br />

penser <strong>le</strong>s prêtres <strong>de</strong> ce nouveau dieu? Pourtant<br />

Adrien était adonné aux divinations et à la magie ; An-


AVEC LE DÉMON. 257<br />

tonin, Marc-Aurè<strong>le</strong> se livraient à toutes <strong>le</strong>s superstitions<br />

romaines et étrangères; ce <strong>de</strong>rnier ne croyait<br />

cependant ni aux bons ni aux mauvais génies, mais il<br />

pensait que son âme était une émanation <strong>de</strong> l'âme<br />

universel<strong>le</strong>, et cherchait à la dégager <strong>de</strong> la matière qui<br />

en paralysait <strong>le</strong>s facultés.<br />

Partout <strong>le</strong> sacerdoce avait ressenti <strong>le</strong> contre-coup <strong>de</strong>s<br />

révolutions, <strong>de</strong>s guerres, <strong>de</strong>s changements <strong>de</strong> dynastie<br />

et <strong>de</strong>s systèmes philosophiques. En Egypte, la caste<br />

sacerdota<strong>le</strong> avait subi <strong>de</strong>s persécutions qui altérèrent<br />

sa doctrine; el<strong>le</strong> perdit en gran<strong>de</strong> partie, par suite <strong>de</strong>s<br />

événements politiques, <strong>le</strong>s connaissances qui l'avaient<br />

rendue célèbre. Strabon, qui n'est pas <strong>le</strong> seul à l'accuser<br />

d'ignorance, a parlé d'un prêtre qui accompagnait<br />

iElius Gallus, comme d'un homme qui joignait<br />

à beaucoup <strong>de</strong> vanité encore plus d'ignorance; et Suidas<br />

par<strong>le</strong> d'un autre prêtre d'Héliopolis non moins<br />

ignorant ni moins vaniteux. Du temps <strong>de</strong> Strabon, cette<br />

déca<strong>de</strong>nce datait déjà <strong>de</strong> plusieurs sièc<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s traditions<br />

étaient abandonnées, <strong>le</strong>s collèges <strong>de</strong>s prêtres<br />

n'étaient plus fréquentés. Cet auteur dit qu'il vit au<br />

milieu <strong>de</strong>s ruines d'Héliopolis <strong>le</strong>s vastes édifices bâtis<br />

autrefois par <strong>le</strong>s prêtres égyptiens; mais, au lieu <strong>de</strong><br />

sages vénérés pour <strong>le</strong>ur science, il ne trouva que <strong>de</strong>s<br />

superstitieux faisant, pour vivre, <strong>le</strong> métier <strong>de</strong> sacrifier<br />

aux dieux, et expliquant d'après <strong>le</strong>ur imagination <strong>le</strong>s<br />

cérémonies du culte. Ces hommes, qui ignoraient <strong>le</strong>s<br />

vieux rites, tout en se piquant <strong>de</strong> science, obtenaient-ils<br />

<strong>de</strong>s prodiges? y croyaient-ils?—Ils étaient superstitieux,<br />

et <strong>le</strong>s pratiques importent peu à l'agent occulte qui<br />

opère <strong>le</strong>s prodiges... Il lui convient même <strong>de</strong> favoriser<br />

l'incrédulité et <strong>le</strong>s erreurs qui ont cours. Quand <strong>le</strong><br />

merveil<strong>le</strong>ux faisait défaut, nul doute que ces prêtres ne<br />

l'aient simulé. — En était-il ainsi <strong>de</strong> fous <strong>le</strong>s prêtres?<br />

i.<br />

17


258 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

On ne saurait <strong>le</strong> penser, puisque <strong>le</strong>s philosophes qui<br />

se rendirent en Egypte au <strong>de</strong>uxième sièc<strong>le</strong> y puisèrent<br />

la science qui, comme on <strong>le</strong> verra, rétablit plus fard la<br />

théurgie. Il faut croire que quelques savants personnages<br />

y conservaient <strong>le</strong>s traditions religieuses; sinon<br />

ce serait une contradiction <strong>de</strong> dire qu'on retrouva la<br />

science en Egypte si el<strong>le</strong> eut été complètement perdue.<br />

— Dans <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> druidisme, après la conquête,<br />

subit <strong>le</strong>s modifications que <strong>le</strong> vainqueur lui imposa,<br />

et fut ébranlé par ce coup terrib<strong>le</strong>, on <strong>le</strong> sait; Clau<strong>de</strong><br />

parvint à abolir presque entièrement <strong>le</strong>s sacrifices humains,<br />

ordonnés, soit lorsqu'il s'agissait <strong>de</strong> racheter la<br />

vie d'un homme par <strong>le</strong> sacrifice d'un autre, soit <strong>de</strong> prédire<br />

l'avenir dans <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s. Dès lors <strong>le</strong> sacrificateur<br />

dut se borner à faire une légère incision à la victime<br />

humaine, et la divinité fut obligée <strong>de</strong> se contenter <strong>de</strong><br />

quelques gouttes <strong>de</strong> son sang. On continua d'adorer<br />

Taranis et Teutalès ; <strong>le</strong>s Gaulois furent toujours experts<br />

dans <strong>le</strong>s divinations; mais ils joignirent à <strong>le</strong>ur culte<br />

celui <strong>de</strong>s vainqueurs ; <strong>le</strong>s ministres d'E<strong>le</strong>usis s'étant établis<br />

dans <strong>le</strong>s (îau<strong>le</strong>s, on y sacrifia à Cérès et à Proserpine<br />

; mais un culte transmis par <strong>le</strong>s Romains aune<br />

époque d'incrédulité et d'ignorance ne <strong>de</strong>vait être<br />

qu'une monierie. Quoi qu'il en soit, <strong>le</strong>s successeurs <strong>de</strong>s<br />

drui<strong>de</strong>s pratiquèrent une religion que l'on verra mélangée<br />

<strong>de</strong> druidisme, du paganisme romain, et <strong>de</strong> christianisme.<br />

Plusieurs traditions furent conservées; nous<br />

<strong>le</strong>s retrouverons un jour dans <strong>le</strong>s sectes du moyen<br />

âge; mais quel<strong>le</strong> comparaison établir entre <strong>le</strong>s drui<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxième et troisième sièc<strong>le</strong>s, par exemp<strong>le</strong>, et <strong>le</strong>s<br />

drui<strong>de</strong>s qui étudiaient durant vingt années <strong>le</strong>ur science<br />

dans <strong>le</strong>s forêts?<br />

Chez <strong>le</strong>s Romains, <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong>s dieux s'accrut <strong>de</strong><br />

tous <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s nations qu'ils soumettaient. Ayant


AVEC LE DÉMON 259<br />

refusé d'abord d'admettre <strong>le</strong>s mystères égyptiens et<br />

repoussé <strong>le</strong>s prêtres d'Isis, par indifférence religieuse<br />

et par politique, tout fut ensuite accepté, et <strong>le</strong>s divinités<br />

étrangères furent confondues <strong>avec</strong> cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Romains.<br />

Mais on ne croyait plus ni aux unes ni aux autres. <strong>Le</strong>s<br />

magistrats étaient revêtus d'un doub<strong>le</strong> caractère, c'està-dire<br />

à la fois prêtres et magistrats. Une époque vint<br />

où il n'y eut que <strong>de</strong>s magistrats et un fantôme <strong>de</strong> sacerdoce<br />

qui ignorait complètement sa religion. Cicéron,<br />

on l'a vu, avoue « qu'on ne sait plus ce que c'est que<br />

« <strong>le</strong>s auspices; qu'il n'en était pas <strong>de</strong> même autrefois;<br />

« que d'autres peup<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s observent encore <strong>avec</strong> soin,<br />

« qu'on <strong>le</strong>s rejette parce qu'ils viennent <strong>de</strong>s barbares,<br />

« et parce que c'est moins un art qu'une superstition. »<br />

On voit donc pourquoi Cicéron a répété après Caton<br />

« que l'on ne conçoit pas que <strong>de</strong>ux augures puissent<br />

se regar<strong>de</strong>r sans rire, » — c'est qu'ils ignoraient <strong>le</strong>s<br />

pratiques et <strong>le</strong> côté 1<br />

merveil<strong>le</strong>ux <strong>de</strong> cette science; certains<br />

rites étaient perdus <strong>de</strong>puis longtemps, on en sera<br />

convaincu quand on saura que quatre sièc<strong>le</strong>s après la<br />

mort <strong>de</strong> JN'uma, un rituel <strong>de</strong> ce roi ayant été retrouvé<br />

dans un coffre <strong>de</strong> pierre, on vit que <strong>le</strong>s cérémonies prescrites<br />

différaient tel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> ce qui se pratiquait, qu'il<br />

fut décidé, pour prévenir <strong>le</strong>s scrupu<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s simp<strong>le</strong>s,<br />

qu'on brû<strong>le</strong>rait ces formu<strong>le</strong>s ; on craignait aussi qu'on<br />

n'en abusât.<br />

1. On peut rire <strong>de</strong>s choses <strong>le</strong>s plus graves que l'on ne connaît pas.<br />

On <strong>le</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aujourd'hui aux hommes <strong>de</strong> foi. —S'il était possib<strong>le</strong><br />

qu'il se trouvât un jour <strong>de</strong>s prêtres assez ignorants ou assez impies pour<br />

dire qu'ils ne comprennent pas comment peut s'empêcher <strong>de</strong> rire <strong>le</strong><br />

minisire qui, <strong>avec</strong> une insufflation et certaines paro<strong>le</strong>s du rituel, chasse<br />

<strong>le</strong> <strong>démon</strong> du corps <strong>de</strong> l'enfant qu'il baptise, <strong>de</strong>vrait-on penser que <strong>le</strong>s<br />

saints docteurs qui ont, durant dix-huit sièc<strong>le</strong>s, employé <strong>le</strong>s exorcismes<br />

du baptême, n'y croyaient pas plus que ces prêtres ignorants<br />

dont on vient <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r? Devrait-ou déci<strong>de</strong>r que pour <strong>le</strong>s premiers ce<br />

fût une momerie ridicu<strong>le</strong>?


260 DES RAPPORTS DE L'HOMME AVEC LE DÉMON.<br />

Maintenant est>-ii donc surprenant qu'à une certaine<br />

époque <strong>le</strong>s païens aient fabriqué <strong>de</strong>s prodiges, que<br />

l'on ait découvert, après l'abolition du paganisme, <strong>de</strong>s<br />

allées souterraines, <strong>de</strong>s statues creuses ; on trouvait<br />

bon <strong>de</strong> feindre <strong>de</strong>s prodiges qu'on ne pouvait plus obtenir<br />

(une autre cause sera citée plus loin). On se moquait<br />

donc à tort, comme Cicéron et Lucien, <strong>de</strong> ce<br />

que l'on ne comprenait point. — Mais l'époque où<br />

l'on va revivifier la théurgie dans ses sources approche;<br />

on voyagera pour consulter <strong>de</strong>s hommes plus instruits<br />

dans cette prétendue science, et <strong>le</strong> néoplatonisme luttera<br />

un jour par ses prodiges <strong>avec</strong> une religion nouvel<strong>le</strong><br />

qui doit bientôt remplir <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>.


LIVRE TROISIÈME<br />

CHAPITRE I<br />

Origine du néoplatonisme. —Éco<strong>le</strong> d'A<strong>le</strong>xandrie, sa doclrine, — Mosaïsme; ses<br />

iraditions, ses croyances. — Comparaison <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux doctrines. — Puissance<br />

<strong>de</strong>s esprits d'après l'Ancien Testament.<br />

Origine du néoplatonisme.<br />

On l'a montré longuement : après Cicéron, <strong>le</strong>s prodiges<br />

<strong>de</strong> la théurgie, <strong>de</strong> la goétie, <strong>le</strong>s présages, etc.,<br />

n'avaient pas cessé. <strong>Le</strong> délire sacré se produisait, plusieurs<br />

orac<strong>le</strong>s étaient muets, mais la pythie recevait encore<br />

l'inspiration , et, d'après <strong>le</strong> témoignage <strong>de</strong> Plutarque<br />

, rendait encore <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s très-véridiques,<br />

quoiqu'on ne la consultât plus que sur <strong>de</strong>s choses vulgaires,<br />

car <strong>le</strong>s magistrats n'y avaient plus <strong>de</strong> confiance.<br />

L'histoire nous apprend que, sous Tibère, il .y avait quelques<br />

prêtres aussi croyants que du temps d'Hérodote,<br />

qui remarquèrent que <strong>le</strong>s prodiges s'évanouissaient<br />

en présence <strong>de</strong>s incrédu<strong>le</strong>s, qu'ils appelaient profanes ;<br />

<strong>le</strong>s épicuriens étaient incapab<strong>le</strong>s d'être initiés, <strong>le</strong>ur


262 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

présence faisait échouer <strong>le</strong>s prodiges du dieu qui, refusant<br />

d'intervenir, exigeait ou la foi, ou la disposition<br />

à la recevoir, et favorisait même <strong>le</strong>s doutes <strong>de</strong>s sceptiques.<br />

Croyants et mécréants lui plaisaient éga<strong>le</strong>ment<br />

sans doute, car tous servaient ses <strong>de</strong>sseins. <strong>Le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />

du christianisme <strong>le</strong> forcèrent d'en changer, et<br />

<strong>le</strong>s sectateurs du paganisme s'y rattachèrent quand ils<br />

virent qu'il allait être renversé. — Après ce retour, l'ancien<br />

culte se rétablira-t-il d'une manière durab<strong>le</strong>? la<br />

société re<strong>de</strong>viendra-t-ellc sincèrement païenne, <strong>le</strong>s<br />

effets <strong>de</strong> l'épicurismc seront-ils évités? — Comme <strong>le</strong><br />

ver rongeur, qui attaque une plante par ses racines, la<br />

fait peu à peu se flétrir, se <strong>de</strong>ssécher et mourir, il en est<br />

<strong>de</strong> même <strong>de</strong> l'épicurismc sur une nation ; on est loin<br />

<strong>de</strong> dire au surplus qu'il ait été l'unique cause <strong>de</strong> la<br />

déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s Domains. — Gardons-nous d'anticiper,<br />

et surtout d'abor<strong>de</strong>r un sujet que d'autres ont plus<br />

complètement traité qu'on ne peut <strong>le</strong> faire ici<br />

Éco<strong>le</strong> d'A<strong>le</strong>xandrie, sa doctrine.<br />

A<strong>le</strong>xandre avait réuni à A<strong>le</strong>xandrie <strong>de</strong>s philosophes<br />

<strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s pays soumis à sa domination ; après sa<br />

mort, Ptolémée son successeur y accueillit aussi <strong>le</strong>s<br />

philosophes, qui y affluèrent <strong>de</strong> toutes parts ; il créa<br />

une académie où toutes <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s s'étant réunies,<br />

tous <strong>le</strong>s systèmes qui avaient entre eux quelque ana-<br />

1. D'après Montesquieu (Gra?id. et déc. <strong>de</strong>s Rom.), la secte d'Épicure<br />

qui s'introduisit à Rouie contribua beaucoup à gâter <strong>le</strong> cœur et l'esprit<br />

<strong>de</strong>s Romains. <strong>Le</strong>s Grecs qui en furent infatués avant eux en avaient<br />

été, dit-il, plus tôt corrompus. Montesquieu, <strong>avec</strong> son sièc<strong>le</strong>, n'a vu que<br />

<strong>de</strong>s momeries dans <strong>le</strong>s augures et <strong>le</strong>s auspices. Je pense différemment,<br />

mais je crois <strong>avec</strong> lui que l'impiété et la dépravation <strong>de</strong>s mœurs<br />

concoururent puissamment, <strong>avec</strong> d'autres causes, à la déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s<br />

Romains.


AVEC LE DÉMON. 263<br />

logie se confondirent. <strong>Le</strong>s doctrines que <strong>le</strong>s pythagoriciens<br />

et <strong>le</strong>s platoniciens avaient puisées en Egypte, en<br />

Perse, dans la Chaldée, comme on l'a vu, admettaient<br />

un être intelligent, feu, lumière, âme universel<strong>le</strong>...;<br />

tons pensaient que c'était une force agissant essentiel<strong>le</strong>ment,<br />

dont l'action, par décroissements successifs,<br />

aboutissait à produire la matière, et que <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>-ci <strong>le</strong>s<br />

génies avaient tiré tous <strong>le</strong>s corps. Selon Platon, la<br />

force créatrice avait agi <strong>avec</strong> plan ; l'harmonie qui<br />

règne dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> révè<strong>le</strong> une sagesse divine. Ces<br />

philosophes adoptèrent ce système et la croyance à<br />

l'existence <strong>de</strong>s génies continua; mais ils pensaient<br />

que lame humaine était une production <strong>de</strong> l'Être<br />

suprême, esclave <strong>de</strong> la matière et <strong>le</strong> jouet <strong>de</strong>s génies,<br />

tandis que selon Platon c'était une portion <strong>de</strong> l'âme du<br />

mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong>stinée à rentrer dans <strong>le</strong> sein <strong>de</strong> la Divinité.<br />

Cette <strong>de</strong>rnière opinion fut adoptée par <strong>le</strong>s diverses<br />

sectes <strong>de</strong> philosophes. C'est <strong>de</strong> la doctrine <strong>de</strong>s platoniciens,<br />

unie à cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Orientaux, que se forma la<br />

fameuse éco<strong>le</strong> d'A<strong>le</strong>xandrie, à côté <strong>de</strong> laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

éco<strong>le</strong>s épicurienne , pyrrhonienne et matérialiste, <strong>de</strong>viennent<br />

si pâ<strong>le</strong>s. En résumé, que décida cet aréopage<br />

<strong>de</strong> philosophes <strong>le</strong>s plus illustres du mon<strong>de</strong>?<br />

Que l'intelligence qui a produit l'univers avait agi<br />

<strong>avec</strong> <strong>de</strong>ssein, selon un plan et que ce n'est pas une simp<strong>le</strong><br />

force; aussi sage que puissante, el<strong>le</strong> prési<strong>de</strong> à<br />

l'harmonie <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s, et communique <strong>avec</strong> <strong>l'homme</strong><br />

en employant <strong>le</strong> ministère <strong>de</strong>s génies chargés d'exécuter<br />

ses décrets, etc<br />

Sous <strong>le</strong> règne <strong>de</strong> Ptoléméc Physcon, il y eut une<br />

émigration d'un grand nombre <strong>de</strong> famil<strong>le</strong>s égyptiennes<br />

et étrangères qui apportèrent <strong>le</strong>urs connaissances en<br />

Orient. Ces doctrines ayant plu s'y propagèrent, et<br />

<strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong> toute condition adoptèrent la philo-


26i DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

sophie <strong>de</strong>s a<strong>le</strong>xandrins ; et, comme Pythagorc, ils<br />

pensèrent aussi que l'ordre et l'harmonie <strong>de</strong> l'univers<br />

dépendaient <strong>de</strong>s <strong>rapports</strong> <strong>de</strong>s différentes parties entre<br />

el<strong>le</strong>s; que <strong>le</strong>s nombres ayant dirigé <strong>le</strong>s puissances<br />

créatrices, ils <strong>de</strong>vaient possé<strong>de</strong>r une force capab<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

déterminer ces puissances. <strong>Le</strong> grand secret pour <strong>le</strong>ur<br />

comman<strong>de</strong>r fut <strong>de</strong> connaître ces combinaisons; tous<br />

aspirèrent à ce but. L'âme étant dégradée par l'union<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong> corps, on chercha <strong>le</strong>s moyens <strong>de</strong> l'affranchir<br />

<strong>de</strong> ses liens ; <strong>de</strong>s pratiques singulières furent mises en<br />

usage pour la purifier, on <strong>le</strong>s employa éga<strong>le</strong>ment pour<br />

écarter <strong>le</strong>s génies malfaisants qui attachent <strong>l'homme</strong><br />

à la terre, etc. Cette philosophie ainsi modifiée fut<br />

adoptée dans presque tout l'Orient, et d'el<strong>le</strong> naquit <strong>le</strong><br />

néoplatonisme, c'est-à-dire la théurgie et <strong>le</strong> polythéisme<br />

raisonnes.<br />

Arrivons à la secon<strong>de</strong> cause qui renversa <strong>le</strong> matérialisme<br />

et ressuscita la doctrine spiritualiste au quatrième<br />

sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> notre ère.<br />

itosaïsme, ses traditions, ses croyances.<br />

11 est certain que pour arriver à une conclusion logique<br />

tout doit s'enchaîner; avant d'abor<strong>de</strong>r <strong>le</strong> christianisme,<br />

il faut donc dire un mot du mosaïsme. — Dans<br />

l'exposition précé<strong>de</strong>nte, on a vu que tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s<br />

reconnaissaient l'existence <strong>de</strong>s dieux et <strong>de</strong> génies se manifestant<br />

aux hommes et accordant, môme aux moins<br />

dignes, un pouvoir surhumain. Ces opinions, existant<br />

chez <strong>de</strong>s nations auxquel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>ur position topographique<br />

n'avait point permis <strong>de</strong> <strong>le</strong>s recevoir <strong>de</strong>s autres<br />

peup<strong>le</strong>s, nous forcent àreconnaîtro que <strong>le</strong>s mômes agents<br />

occultes ont opéré partout <strong>de</strong>s actes donnant lieu aux<br />

mêmes croyances. Cette impossibilité <strong>de</strong> communica-


AVEC LE DÉMON. 2R5<br />

tion n'existe pas, il est vrai, pour la nation juive; souvent<br />

esclave ou vassa<strong>le</strong> <strong>de</strong>s autres peup<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong> aurait<br />

pu y puiser ses croyances. Mais, ne pouvant discuter<br />

ici longuement cette question traitée amp<strong>le</strong>ment par <strong>de</strong><br />

plus instruits', on dira seu<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong>s Hébreux<br />

n'ont pas plus emprunté aux Chaldéens ce qu'ils pensaient<br />

<strong>de</strong>s intelligences que <strong>le</strong>s hor<strong>de</strong>s sauvages <strong>de</strong>s<br />

î<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus inconnues, qui pourtant croient aussi aux<br />

esprits. Dans l'histoire <strong>de</strong> Moïse, — la plus ancienne<br />

que l'on connaisse, — on voit que, loin <strong>de</strong> vouloir<br />

rien emprunter aux Gentils, <strong>le</strong>urs traditions sont rejetées<br />

comme fausses et erronées. Ce que <strong>le</strong>s livres<br />

saints disent <strong>de</strong>s esprits vient donc d'une autre source,<br />

puisqu'ils rejettent ou rectifient, loin <strong>de</strong> <strong>le</strong>s admettre,<br />

<strong>le</strong>s doctrines idolâtres. — <strong>Le</strong>s livres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux<br />

n'ont subi aucune modification, on n'y peut faire <strong>le</strong><br />

moindre changement, tant on <strong>le</strong>s respecte; aussi contiennent-ils<br />

<strong>de</strong>s récits à la honte <strong>de</strong> la nation, aussi bien<br />

que ses glorieux exploits. La naissance du premier<br />

homme né sans mère y est fixée à une époque fort<br />

rapprochée, système bien impru<strong>de</strong>nt, car si la science<br />

découvre qu'el<strong>le</strong> est infiniment plus ancienne, Moïse,<br />

qui prétend que Dieu lui a révélé cette origine, n'est<br />

plus qu'un ignorant et un fourbe.<br />

Ce contemporain <strong>de</strong> Dardanus et <strong>de</strong> Cécrops, qui<br />

n'a vécu que parmi <strong>le</strong>s polythéistes, n'admet qu'un<br />

seul Dieu, et n'en fait pas mystère au peup<strong>le</strong>. — Ce<br />

Dieu n'est ni <strong>le</strong> feu principe, ni l'vEther, ni un dieu<br />

lumineux et terrestre tout à la fois, ni un dieu oisif<br />

relégué par <strong>de</strong>là <strong>le</strong>s sphères dans l'immensité. <strong>Le</strong> Dieu<br />

qui s'est révélé à Moïse comme autrefois aux patriarches<br />

est <strong>le</strong> créateur <strong>de</strong> l'univers ; par lui tout subsiste,<br />

sa provi<strong>de</strong>nce s'étend jusqu'au ciron, et lui seul mérite<br />

nos adorations.


266 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Selon Moïse, <strong>le</strong>s traditions divines ont été faussées,<br />

obscurcies; ce serpent-dieu <strong>de</strong>s Gentils, qui dès l'origine<br />

a trompé <strong>l'homme</strong>, continue sur sa postérité ses<br />

moyens <strong>de</strong> séduction par <strong>de</strong>s révélations mensongères,<br />

<strong>de</strong>s apparitions, <strong>de</strong>s prédictions et mil<strong>le</strong> prodiges; <strong>de</strong><br />

sorte que <strong>le</strong> genre humain, déchu par <strong>le</strong> péché, séduit<br />

par <strong>le</strong>s esprits malins qui se sont substitués au vrai<br />

Dieu, <strong>le</strong>s a seuls adorés : d'où résulte que Satan,<br />

l'adversaire; Seddim, <strong>le</strong> <strong>de</strong>structeur; Schirim, <strong>le</strong> bouc;<br />

Belial, <strong>le</strong> révolté; Reehôbiiih, Dfoloch, Baal, Lucifer,<br />

l'antique serpent, qui sont <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s idolâtres, ne sont<br />

en réalité que d'exécrab<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s. Où <strong>le</strong>s patriarches,<br />

Moïse et <strong>le</strong>s prophètes <strong>de</strong> cette petite nation méprisée<br />

ont-ils donc puisé <strong>le</strong>ur doctrine? — Us préten<strong>de</strong>nt la<br />

tenir <strong>de</strong> Dieu même; el<strong>le</strong> remonte au berceau du genre<br />

humain ; ils la tiennent enfin d'une tradition qui n'a<br />

point été faussée, que d'éclatants mirac<strong>le</strong>s ont souvent<br />

confirmée. Il entrait dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>sseins provi<strong>de</strong>ntiels<br />

qu'une nation la conservât fidè<strong>le</strong>ment et fût gardienne<br />

<strong>de</strong>s archives <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> famil<strong>le</strong>. Aussi Moïse reçut<br />

<strong>le</strong>s lois divines <strong>de</strong>stinées à préserver <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> hébreu<br />

<strong>de</strong> la contagion <strong>de</strong>s Gentils. Satan règne sur ceux-ci par<br />

<strong>de</strong>s pratiques superstitieuses qui sont rigoureusement<br />

défendues aux Hébreux. — On n'adorera point <strong>le</strong>s dieux<br />

<strong>de</strong>s Gentils, on ne recourra pas aux divinations, aux<br />

augures, on ne consultera point <strong>le</strong>s songes, etc. — Tout<br />

vient <strong>démon</strong>trer, contrairement à l'opinion <strong>de</strong> plusieurs,<br />

que ces pratiques idolâtres, pour <strong>le</strong> législateur<br />

hébreu, n'étaient pas <strong>de</strong> pures chimères qu'il faut détruire<br />

parce qu'el<strong>le</strong>s> troub<strong>le</strong>nt l'esprit et peuvent amollir<br />

<strong>le</strong> courage ; il lui a été révélé qu'el<strong>le</strong>s constituent un<br />

commerce abominab<strong>le</strong> <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s esprits révoltés ; et en<br />

effet, quoiqu'il veuil<strong>le</strong> la multiplication du peup<strong>le</strong> hébreu,<br />

tout infracteur sera puni <strong>de</strong> mort, tant ces pra-


AVEC LE DÉMON. 267<br />

tiques, cel<strong>le</strong>s mômes qui semb<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s plus innocentes,<br />

sont abominab<strong>le</strong>s à Dieu. Ce qui prouve que Moïse ne<br />

blâme ces pratiques qu'en tant qu'el<strong>le</strong>s émanent d'une<br />

source impure, c'est qu'on <strong>le</strong>s voit admises par <strong>le</strong>s<br />

patriarches et dans la religion mosaïque el<strong>le</strong>-même :<br />

Dieu s'y manifeste par <strong>de</strong>s apparitions, dans <strong>le</strong>s visions,<br />

<strong>le</strong>s songes et par divers mirac<strong>le</strong>s ; mais il défend <strong>de</strong><br />

suivre <strong>le</strong>s superstitions <strong>de</strong>s Gentils. Il serait téméraire,<br />

même aux Hébreux, <strong>de</strong> croire qu'ils communiquent<br />

<strong>avec</strong> la Divinité, car <strong>le</strong> <strong>démon</strong> peut intervenir pour <strong>le</strong>s<br />

tromper. <strong>Le</strong>s communications divines <strong>de</strong>viennent plus<br />

rares lorsque la piété s'affaiblit : Dieu, qui se met en<br />

rapport <strong>avec</strong> <strong>de</strong> saints personnages, n'entre pas indifféremment<br />

en commerce <strong>avec</strong> tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. On comprend<br />

donc que Joseph ait eu une coupe pour augurer,<br />

qu'il interprétât <strong>le</strong>s songes, que Daniel <strong>le</strong>s ait<br />

expliqués, que Samuel ait fait retrouver à Saiil ses<br />

ânesses égarées, etc. ; qu'on <strong>de</strong>vinât par l'Éphod, par<br />

Urim et Thummim, etc. — Ceux qui recouraient à ces<br />

moyens, dis-je, étaient chers à Dieu ; mais quand on<br />

<strong>de</strong>vient criminel, il cesse <strong>de</strong> répondre. Saiil, ne pouvant<br />

obtenir <strong>de</strong> réponse <strong>de</strong> Jéhovah sur l'issue d'un combat,<br />

consulte une pythonisse, et Dieu <strong>le</strong> punit <strong>de</strong> sa doub<strong>le</strong><br />

faute.<br />

Maintenant que l'on comprend que <strong>le</strong>s saints patriarches<br />

et <strong>le</strong>s prophètes obtenaient <strong>de</strong>s révélations<br />

divines par diverses pratiques très-légitimes, on sent<br />

l'importance <strong>de</strong> la défense généra<strong>le</strong> faite aux Hébreux,<br />

puisque <strong>le</strong> <strong>démon</strong> est toujours prêt à contrefaire l'œuvre<br />

<strong>de</strong> Dieu.<br />

Que serait <strong>de</strong>venu ce peup<strong>le</strong> gardien <strong>de</strong>s vraies traditions,<br />

et d'où <strong>de</strong>vait sortir l'envoyé <strong>de</strong>s nations? L'idolâtrie<br />

triomphant partout, il eût été l'esclave <strong>de</strong> Satan,<br />

cf, chose impossib<strong>le</strong>, la promesse divine eût été vaine.


DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Comparaison <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux doctrines.<br />

Il résulte donc <strong>de</strong> la comparaison <strong>de</strong>s croyances <strong>de</strong>s<br />

Gentils et <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Hébreux, <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s, sur certains<br />

points capitaux , diffèrent essentiel<strong>le</strong>ment, que<br />

<strong>le</strong>s uns et <strong>le</strong>s autres ont reconnu l'existence <strong>de</strong>s intelligences<br />

et tout ce qui constitue <strong>le</strong> surnaturel et <strong>le</strong><br />

merveil<strong>le</strong>ux. Chez <strong>le</strong>s Gentils, <strong>le</strong>s manifestations <strong>de</strong>s<br />

dieux firent oublier <strong>le</strong> vrai Dieu, tandis que chez<br />

<strong>le</strong>s Hébreux, au contraire, Dieu <strong>de</strong>meura l'unique<br />

objet <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur adoration; <strong>le</strong>ur doctrine, il est vrai, distingue<br />

<strong>de</strong>s intelligences, mais soumises toutes, comme<br />

<strong>l'homme</strong>, à une épreuve : <strong>le</strong>s unes sont sorties triomphantes,<br />

ce sont <strong>le</strong>s anges, qu'ils honorent comme<br />

amis <strong>de</strong> Dieu et <strong>le</strong>s gui<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>; <strong>le</strong>s autres, ce<br />

sont <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s tous mauvais, tombés par <strong>le</strong>ur orgueil,<br />

qu'ils abhorrent comme ennemis <strong>de</strong> Dieu et <strong>de</strong> l'humanité.<br />

Toutes <strong>le</strong>s intelligences, par <strong>le</strong>ur nature angéliquc,<br />

peuvent opérer <strong>de</strong>s prodiges; <strong>le</strong>s anges, ministres<br />

du Très-Haut, font <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s et sont ses messagers<br />

auprès <strong>de</strong> nous; <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s font <strong>de</strong>s choses<br />

prodigieuses, surhumaines par rapport à nous, mais<br />

naturel<strong>le</strong>s relativement à Dieu, qui seul peut bou<strong>le</strong>verser<br />

<strong>le</strong>s lois physiques, anéantir et créer; s'ils font<br />

du mal, la sagesse divine <strong>le</strong> permet en vue d'un bien<br />

que <strong>l'homme</strong> ne soupçonne pas.<br />

En parcourant l'Ancien Testament, on verra, comme<br />

on l'a dit, que <strong>le</strong>s mauvais esprits ont contrefait, autant<br />

qu'ils l'ont pu, <strong>le</strong>s prodiges divins, et on pourra<br />

se convaincre que tout <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux que <strong>le</strong>s Gentils<br />

attribuaient à <strong>le</strong>urs dieux est une contrefaçon grossière<br />

<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jéhovah. Pour <strong>le</strong> prouver, on citera en<br />

substance quelques versets <strong>de</strong> la sainte Écriture. —


AVEC LE DÉMON. 269<br />

L'Ancien Testament, loin donc <strong>de</strong> nier <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux<br />

païen ou <strong>de</strong> l'expliquer comme <strong>le</strong>s épicuriens, loin <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong> proclamer divin comme <strong>le</strong>s sages du paganisme,<br />

comme <strong>le</strong>s pythagoriciens et <strong>le</strong>s platoniciens, lui assigne<br />

son véritab<strong>le</strong> nom ; c'est la magie, crime si détestab<strong>le</strong><br />

qu'on doit faire mourir <strong>le</strong>s magiciens.<br />

Ainsi tous ceux qui respectent la Bib<strong>le</strong> comme livre<br />

inspiré, et qui, malgré tous <strong>le</strong>s témoignages historiques,<br />

nieraient la réalité <strong>de</strong>s faits prodigieux exposés<br />

précé<strong>de</strong>mment, trouveront dans ce recueil, <strong>le</strong> plus<br />

ancien monument connu, un puissant motif <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

accepter. — Ceux enfin qui rejetteraient tous ces témoignages<br />

historiques et la Bib<strong>le</strong> el<strong>le</strong>-même, comme étant<br />

tous autant <strong>de</strong> fab<strong>le</strong>s, seraient forcés, du moins, d'avouer<br />

qu'il est fort étrange <strong>de</strong> retrouver ces récits fabu<strong>le</strong>ux<br />

i<strong>de</strong>ntiques partout, et <strong>de</strong> <strong>le</strong>s retrouver surtout,<br />

comme on va <strong>le</strong> voir, dans <strong>le</strong>s livres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux,<br />

qui <strong>de</strong>vaient <strong>le</strong>s mépriser comme autant <strong>de</strong> croyances<br />

ridicu<strong>le</strong>s et <strong>de</strong> contes propres à favoriser <strong>de</strong>s superstitions<br />

dont Moïse voulait sauvegar<strong>de</strong>r sa nation.<br />

Puissance <strong>de</strong>s esprits d'après l'Ancien Testament.<br />

<strong>Le</strong>s livres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux nous apprennent que<br />

<strong>le</strong>s substances spirituel<strong>le</strong>s appelées anges, ministres,<br />

envoyés du Très-Haut, sont forts et puissants ! (Psal.<br />

CII,20,etc.)—L'Écriture sainte <strong>le</strong>s montre, en plusieurs<br />

endroits, agissant comme <strong>le</strong>s êtres corporels, exerçant<br />

sur la matière une force, une puissance incomparab<strong>le</strong>ment<br />

supérieure à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> ; ils se manifestent<br />

quelquefois aux regards <strong>de</strong>s créatures, mais <strong>le</strong>ur apparition<br />

ne produit pas toujours <strong>le</strong>s mêmes effets sur <strong>le</strong>s<br />

sens <strong>de</strong> tous (G


270 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

ne voit pas, tandis qu'une troisième voit et n'entend<br />

pas. (Dan., X, 7.)<br />

<strong>Le</strong>s animaux eux-mêmes peuvent avoir <strong>de</strong>s apparitions<br />

: l'ânesse <strong>de</strong> Balaam vit l'ange avant que Balaam<br />

l'eût vu lui-même. (Nimi., XXII, 31.)<br />

D'autres fois, l'apparition n'est accordée qu'à la<br />

prière. <strong>Le</strong> serviteur d'Elisée s'effrayait en voyantl'armée<br />

<strong>de</strong>s Syriens ; Elisée <strong>le</strong> rassure : Il y a plus <strong>de</strong><br />

mon<strong>de</strong> <strong>avec</strong> nous qu'<strong>avec</strong> eux, lui dit-il. Ayant <strong>de</strong>mandé<br />

à Dieu d'ouvrir <strong>le</strong>s yeux <strong>de</strong> son serviteur, ce*<br />

lui-ci vit aussitôt que la montagne était couverte <strong>de</strong><br />

chevaux et <strong>de</strong> chariots. (4 Deg., VI, 17.)<br />

<strong>Le</strong>s anges sont forts : quand Sé<strong>le</strong>ucus envoie Héliodore<br />

pour pil<strong>le</strong>r <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m, ceux qui l'accompagnent<br />

sont renversés par une vertu toute divine;<br />

un cheval monté par un homme terrib<strong>le</strong> fond surHéliodiore<br />

et <strong>le</strong> frappe sans relâche <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s pieds, tandis<br />

que <strong>de</strong>ux jeunes hommes p<strong>le</strong>ins <strong>de</strong> force et rayonnants<br />

<strong>de</strong> beauté <strong>le</strong> fustigent, <strong>le</strong> chassent du temp<strong>le</strong>; quoique<br />

entouré d'un grand nombre d'archers dont il invoque<br />

l'assistance, nul ne peut <strong>le</strong> secourir.<br />

Ils sont pnissunts, un seul ange extermine en une<br />

nuit 185,000 Assyriens.<br />

Ils sont d'une agilité surprenante : un ange transporte<br />

<strong>le</strong> prophète Habacuc <strong>de</strong> Judée en Chaldée, pour<br />

porter <strong>de</strong> la nourriture à Daniel, et <strong>le</strong> rapporte. —<strong>Le</strong><br />

voyage se fait <strong>avec</strong> tant <strong>de</strong> célérité que l'absence d'Habacuc<br />

ne fut point remarquée; exemp<strong>le</strong> ancien du<br />

transport par l'air.<br />

Un ange apporte au prophète Élie, dans <strong>le</strong> désert,<br />

un vase d'eau et un pain cuit sous la cendre. (3 Reg„<br />

(XIX, 6.)<br />

L'ange Raphaël, sous la forme d'un jeune homme,<br />

conduit Tobie chez Raguel, <strong>le</strong> délivre d'un poisson


AVEC LE DÉMON. 271<br />

prêt a l'ava<strong>le</strong>r ; lui indique la <strong>de</strong>meure <strong>de</strong> Raguel, lui<br />

apprend qu'il a une fil<strong>le</strong> du nom <strong>de</strong> Sara..., lui dit <strong>de</strong><br />

la <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r en mariage, qu'il l'obtiendra, que ses sept<br />

maris ont été tués par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, que lui Tobie sera<br />

épargné. Rapbaël lui apprend que tous ceux sur <strong>le</strong>squels<br />

<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ont du pouvoir, ce sont <strong>le</strong>s incontinents,<br />

qui n'ont pas la crainte <strong>de</strong> Dieu. Après lui avoir<br />

donné ces conseils, il lui indique <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> guérir<br />

la cécité <strong>de</strong> son père... Tout réussit comme l'ange<br />

l'avait annoncé, et, avant <strong>de</strong> disparaître, Rapbaël lui<br />

confie que son père et lui ont été agréab<strong>le</strong>s au Seigneur,<br />

en pratiquant la vertu, etc.<br />

Dans ce récit biblique, si touchant, si poétique dans<br />

<strong>le</strong> texte sacré, on voit que <strong>le</strong>s anges peuvent prendre<br />

la forme humaine et paraître agir en tout comme<br />

<strong>l'homme</strong>; ils connaissent, ils prévoient...— Pour opérer<br />

laguérison <strong>de</strong> la cécité <strong>de</strong> Tobie, Raphaël indique un remè<strong>de</strong><br />

étrange; pour chasser <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, <strong>le</strong> moyen qu'il<br />

indique ne l'est pas moins. Ce n'est pas ici la substance<br />

qui opère, c'est la puissance du messager divin. Ces<br />

substances ne sont que <strong>le</strong> signe sensib<strong>le</strong>, <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong>.<br />

Raphaël ne s'attribue point <strong>le</strong> mérite <strong>de</strong> ses bienfaits ;<br />

il recomman<strong>de</strong> à Tobie <strong>de</strong>. bénir Dieu, <strong>de</strong> publier ses<br />

merveil<strong>le</strong>s. S'il y a quelque conformité entre l'œuvre<br />

<strong>de</strong> l'ange et cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, quel<strong>le</strong> différence ensuite<br />

! Ces <strong>de</strong>rniers, loin <strong>de</strong> rien attribuer à Dieu, s'attribuent<br />

tout à eux-mêmes, se substituent à la Divinité,<br />

et réclament l'adoration qui lui est due, etc.<br />

On pourrait multiplier ces passages, qui prouvent<br />

<strong>le</strong>s apparitions <strong>de</strong>s anges, la connaissance qu'ils ont<br />

<strong>de</strong> nos projets, <strong>de</strong> notre avenir, <strong>le</strong>ur pouvoir sur la<br />

matière, etc., etc.<br />

Dans <strong>le</strong>s mêmes livres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux, on voit<br />

que la puissance <strong>de</strong>s intelligences malignes n'est pas


272 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

moins considérab<strong>le</strong>, si Dieu <strong>le</strong> permet, que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />

auges; mais ayant constamment pour but <strong>de</strong> tromper<br />

<strong>l'homme</strong> et ordinairement <strong>de</strong> lui causer du mal, Dieu<br />

souvent l'anéantit ou la restreint. Il est dit dans <strong>le</strong><br />

livre <strong>de</strong> Job qu'il n'y a point <strong>de</strong> puissance sur la terre<br />

qui puisse être comparée au <strong>démon</strong>. Satan <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à<br />

Dieu d'exercer sa rage contre Job. — Va, lui dit <strong>le</strong><br />

Seigneur, tout ce qu'il a est en ton pouvoir ; mais n'étends<br />

point la main sur lui. (Job, I, 1 2.) L'épreuve continuant,<br />

Dieu permet que Satan <strong>le</strong> fasse souffrir physiquement<br />

sans pouvoir porter atteinte à sa vie. (Jo/;,II,G.)<br />

Il peut causer la mort; <strong>le</strong>s sept premiers maris <strong>de</strong><br />

Sara furent tués par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, à cause <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur incontinence.<br />

(Tob., VI, 14,16,17.) 11 lui est accordé quelquefois<br />

<strong>de</strong> sévir même sur <strong>le</strong>s justes, comme l'exemp<strong>le</strong><br />

précé<strong>de</strong>nt l'a prouvé.<br />

Dieu permet que Pharaon reste endurci <strong>de</strong>vant <strong>le</strong>s<br />

prodiges <strong>de</strong> Moïse; la magie <strong>de</strong>s sages d'Egypte qui<br />

ont contrefait <strong>le</strong>s prodiges divins l'aveug<strong>le</strong>, ils<br />

échouent cependant dans un <strong>de</strong>rnier prodige, et sont<br />

forcés <strong>de</strong> s'écrier : <strong>Le</strong> doigt <strong>de</strong> Dieu est là. (Exod., VII,<br />

VIII, IX, etc.)<br />

<strong>Le</strong>s fléaux, <strong>le</strong>s prodiges forcent enfin Pharaon <strong>de</strong><br />

reconnaître la supériorité du Dieu <strong>de</strong> Moïse ; ces fléaux<br />

cessent à la prière <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier. Mais Pharaon est l'image<br />

<strong>de</strong> l'impie dans tous <strong>le</strong>s temps, son endurcissement<br />

persiste..., car <strong>le</strong> <strong>démon</strong> aveug<strong>le</strong> ceux qu'il tient en son<br />

pouvoir, la vérité <strong>le</strong>ur reste cachée, ils sont dans <strong>le</strong>s<br />

ténèbres.<br />

Ces esprits <strong>de</strong> malice n'ont rien perdu <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur puissance<br />

par <strong>le</strong>ur chute, à moins que Dieu ne la paralyse<br />

: « Devant sa puissance (dit <strong>le</strong> Livre <strong>de</strong> la Sagesse,<br />

c. xvn), toutes <strong>le</strong>s illusions <strong>de</strong> l'art <strong>de</strong>s magiciens <strong>de</strong>viennent<br />

inuti<strong>le</strong>s. »


AVEC LE DÉMON. 273<br />

<strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s peuvent obsé<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s hommes. — Lorsque<br />

l'esprit du Seigneur se fut retiré <strong>de</strong> Saiil, l'esprit malin<br />

s'en empara et l'agitait. (1 Reg., XVI et suiv.)<br />

<strong>Le</strong> <strong>démon</strong> peut faire éclater la foudre, renverser <strong>le</strong>s<br />

édifices, faire périr <strong>le</strong>s hommes et <strong>le</strong>s bestiaux... Il<br />

fait tomber <strong>le</strong> feu du ciel, <strong>le</strong>s troupeaux <strong>de</strong> Job sont<br />

brûlés ; il excite une tempête qui renverse ses maisons ;<br />

il fait mourir ses enfants, ses serviteurs , et, lorsque<br />

Dieu l'eut permis, il frappa Job lui-même d'ulcères<br />

malins. (Job, I, 16, 19.)<br />

L'Ancien Testament cite <strong>de</strong>s prodiges divins si bien<br />

contrefaits 1<br />

par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, qu'on en a signalé <strong>de</strong> sem­<br />

blab<strong>le</strong>s chez <strong>le</strong>s Gentils. Ainsi <strong>le</strong>s présages qu'on a cités<br />

chez ceux-ci se retrouvent dans l'Ancien Testament.<br />

Un doigt mystérieux trace en caractères <strong>de</strong> feu la prédiction<br />

<strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> Baltassar et annonce la <strong>de</strong>struction<br />

<strong>de</strong> son empire.<br />

Antiochus se préparant à porter la guerre en Judée,<br />

entre autres signes on vit pendant quarante jours<br />

dans <strong>le</strong>s airs <strong>de</strong>s cavaliers vêtus <strong>de</strong> drap d'or et armés<br />

<strong>de</strong> lances... Une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> gens armés faisaient <strong>de</strong>s<br />

évolutions, agitaient <strong>le</strong>urs boucliers ; on voyait bril<strong>le</strong>r<br />

<strong>le</strong>s casques, <strong>le</strong>s épées, etc.. On supplie Dieu <strong>de</strong> ne<br />

point permettre que ces prodiges tournent au désavantage<br />

<strong>de</strong> son peup<strong>le</strong>, etc. (2 Mach., 5.)<br />

L'Écriture sainte est donc loin <strong>de</strong> dire que <strong>le</strong>s présages<br />

soient toujours frivo<strong>le</strong>s ; au contraire, différents<br />

passages <strong>de</strong> l'Exo<strong>de</strong> et <strong>de</strong>s livres sacrés nous apprennent<br />

que <strong>de</strong>s signes apparaissent, afin que la toute-puissance,<br />

la vérité, la justice et la bonté <strong>de</strong> Dieu soient<br />

manifestées.<br />

1. Cette contrefaçon serait parfois diffici<strong>le</strong> à reconnaître, car qui<br />

pourrait toujours déci<strong>de</strong>r si <strong>le</strong> présage vient <strong>de</strong> Dieu ou du <strong>démon</strong> ?<br />

I. 18


274 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Mais si Dieu envoie quelquefois <strong>de</strong>s signes aux âmes<br />

fidè<strong>le</strong>s, on est averti que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> en fait paraître souvent<br />

aux superstitieux pour <strong>le</strong>s troub<strong>le</strong>r et <strong>le</strong>s tromper.<br />

On a vu Héliodore fustigé par <strong>de</strong>s anges pour avoir<br />

voulu pil<strong>le</strong>r <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m. — On sait aussi<br />

que <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s Gentils punissaient <strong>le</strong>s sacrilèges<br />

qui violaient <strong>le</strong>urs temp<strong>le</strong>s.<br />

<strong>Le</strong>s dieux <strong>de</strong>s Gentils combattaient pour eux;—dans<br />

l'Écriture, on voit cinq cavaliers, dont <strong>le</strong>s chevaux ont<br />

<strong>de</strong>s bri<strong>de</strong>s d'or, apparaître au ciel ; <strong>de</strong>ux d'entre eux<br />

veil<strong>le</strong>nt sur Judas Machabée, et lancent la foudre sur<br />

ses ennemis.<br />

Josué voit près <strong>de</strong> Jéricho un homme <strong>de</strong>bout, armé<br />

d'une épée nue. —Ètes-vous <strong>de</strong>s nôtres? lui dit Josué.<br />

— Je suis <strong>le</strong> prince <strong>de</strong> l'armée du Seigneur, dit l'apparition,<br />

qui vient à votre secours. (Josué, V, 13,14.)<br />

L'état <strong>de</strong> Nabuchodonosor, condamné par <strong>le</strong> Très-<br />

Haut à se nourrir d'herbes pendant sept ans comme<br />

un bœuf, ressemb<strong>le</strong>, d'après <strong>le</strong> texte biblique, tel<strong>le</strong>ment<br />

aux métamorphoses <strong>de</strong>s Gentils, que plusieurs<br />

commentateurs, et entre autres Tertullien, ont<br />

pensé que ce roi <strong>de</strong> Chaldée avait subi une métamorphose.<br />

<strong>Le</strong>s Gentils croyaient aux apparitions <strong>de</strong>s faunes et<br />

<strong>de</strong>s satyres dans <strong>le</strong>s forêts... —L'Écriture dit que <strong>le</strong>s<br />

esprits <strong>de</strong> ténèbres sont condamnés à errer dans <strong>le</strong>s<br />

lieux solitaires; <strong>le</strong> <strong>démon</strong> qui avait tué <strong>le</strong>s sept maris<br />

<strong>de</strong> Sara fut relégué dans <strong>le</strong> désert... Et Isaïe prédit<br />

que <strong>le</strong>s faunes gamba<strong>de</strong>ront un jour dans <strong>le</strong>s ruines du<br />

palais <strong>de</strong> Babylone. (Isaïe, XIII, 21.)<br />

<strong>Le</strong>s dieux envoyaient <strong>de</strong>s maladies, ils pouvaient<br />

guérir... L'Écriture est loin <strong>de</strong> nier <strong>le</strong>s guérisons <strong>de</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s et <strong>le</strong>ur pouvoir <strong>de</strong> causer <strong>de</strong>s maladies ou la<br />

mort.


AVEC LE DÉMON. 275<br />

Circé, Abaris, Pamphi<strong>le</strong> sont transportés par l'air;<br />

—on a vu <strong>le</strong>s anges transporter ainsi <strong>le</strong>s prophètes.<br />

<strong>Le</strong>s païens dévouaient <strong>le</strong>urs ennemis aux dieux infernaux.<br />

L'Ancien Testament ne traite pas ces cérémonies<br />

d'inventions politiques ni <strong>de</strong> superstitions. On lit<br />

que Balaam fut appelé par Balac pour dévouer <strong>le</strong>s enfants<br />

d'Israël. — Que Balaam fût augure chez <strong>le</strong>s Gentils<br />

ou prophète réprouvé <strong>de</strong> Dieu, peu nous importe ici;<br />

nous savons que Balaam n'hésite point à remplir sérieusement<br />

sa mission; vainement <strong>de</strong>s signes divins <strong>le</strong> lui<br />

défen<strong>de</strong>nt Un ange apparaît, et même son ânesse<br />

par<strong>le</strong> : Balaam n'en continue pas moins la cérémonie du<br />

dévouement, qu'il renouvel<strong>le</strong> trois fois... ; mais l'esprit,<br />

qui par<strong>le</strong> par sa bouche, <strong>le</strong> contraint, en disposant <strong>de</strong><br />

sa langue, à maudire Balac et à bénir Israël. — Tout<br />

prouve dans ce récit biblique que la cérémonie est<br />

prise au sérieux, soit <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> Balaam qui dévoue,<br />

soit <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Balac qui veut dévouer... Mais <strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>vin, forcé <strong>de</strong> bénir, dit à ce <strong>de</strong>rnier que <strong>le</strong>s augures<br />

et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins ne peuvent rien contre Israël. (Num.,<br />

XXII.)<br />

<strong>Le</strong>s Israélites recouraient eux-mêmes au dévoue<br />

ment... — <strong>Le</strong>s prêtres feront sept fois <strong>le</strong> tour <strong>de</strong> la vil<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> Jéricho pendant sept jours, marchant <strong>de</strong>vant l'arche<br />

et sonnant <strong>de</strong> la trompette... <strong>Le</strong> peup<strong>le</strong> ensuite poussera<br />

un grand cri, en disant : « Que cotte vil<strong>le</strong> soit<br />

anathème !... etc.» <strong>Le</strong>s trompettes ont sonné sept<br />

fois; on achevait <strong>le</strong> septième tour, lorsque <strong>le</strong>s mil<strong>le</strong><br />

voix du peup<strong>le</strong> firent entendre un grand cri. — Aussitôt<br />

<strong>le</strong>s murail<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jéricho s'écroulèrent <strong>avec</strong> fracas, etc.<br />

On voit que la cérémonie <strong>de</strong> l'anathème est suivie d'un<br />

p<strong>le</strong>in succès contre <strong>le</strong>s Gentils, et que <strong>le</strong>s Israélites bravent<br />

<strong>le</strong>urs dévouements, lorsqu'ils se mettent sous la<br />

protection <strong>de</strong> Dieu et lui <strong>de</strong>meurent fidè<strong>le</strong>s. (Josué, VI.)


276 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

On voit aussi que c'est Dieu lui-même qui a prescrit<br />

ici la formu<strong>le</strong> du dévouement.<br />

"<strong>Le</strong>s Gentils croyaient à l'évocation <strong>de</strong>s mânes. L'Écriture<br />

sainte ne dit point que la nécromancie soit une<br />

pratique frivo<strong>le</strong>; mais el<strong>le</strong> vient du <strong>démon</strong>. Saiil ayant<br />

consulté la pythonisse, un spectre, ressemblant à Samuel,<br />

apparaît et lui annonce la défaite <strong>de</strong> son armée<br />

et sa mort. Si cet exemp<strong>le</strong> ne prouve pas la réalité <strong>de</strong>s<br />

évocations, il montre que Dieu révè<strong>le</strong> quelquefois l'avenir<br />

au <strong>démon</strong> pour punir <strong>le</strong>s impics.<br />

L'avenir est prédit par la pythie, agitée par <strong>de</strong>s convulsions<br />

affreuses. Si l'esprit qui l'inspire ment quelquefois,<br />

il dit souvent la vérité ; mais, chez <strong>le</strong>s Hébreux,<br />

<strong>le</strong> prophète qui prédit l'avenir est toujours véridique,<br />

et l'esprit <strong>de</strong> Dieu lui laisse sa tranquillité et toute<br />

liberté d'agir.<br />

Chez <strong>le</strong>s Gentils, on a vu que <strong>le</strong> feu sacré s'allumait<br />

<strong>de</strong> lui-même. — Môme prodige chez <strong>le</strong>s Hébreux. —<br />

Lorsque Nabuchodonosor s'empara <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m, Jérémie<br />

cacha <strong>le</strong> feu sacré dans une citerne à sec; au<br />

retour <strong>de</strong> la captivité, Néhémias étant allé <strong>le</strong> chercher,<br />

on ne trouva qu'une eau boueuse. Mais l'ayant répandue<br />

sur l'autel, il en jaillit un feu très-clair qui consuma <strong>le</strong>s<br />

victime. (2Mach., II.)<br />

Chez <strong>le</strong>s Gentils, l'apparition du feu était un présage.<br />

Chez <strong>le</strong>s Hébreux, on l'a vu tomber sur <strong>de</strong>s victimes<br />

immolées comme signe d'approbation. Plusieurs<br />

passages <strong>de</strong>s livres saints l'ont prouvé.<br />

<strong>Le</strong>s dieux apparaissaient sous la forme <strong>de</strong> feu chez<br />

<strong>le</strong>s Gentils. —On voit dans Moïse, Isaïe, Ézéchiel,etc,<br />

que Dieu a souvent apparu sous cette forme chez <strong>le</strong>s<br />

Hébreux.<br />

Si l'on continuait ce parallè<strong>le</strong>, on verrait que l'Ancien<br />

Testament admet <strong>de</strong>s faits merveil<strong>le</strong>ux, analogues à ceux


AVEC LE DÉMON. 277<br />

<strong>de</strong>s Gentils; mais ceux <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers émanent <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>urs dieux, qui sont <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, tandis que ceux<br />

<strong>de</strong>s Hébreux, qui procè<strong>de</strong>nt du vrai Dieu, se distinguent<br />

par <strong>le</strong>ur supériorité comme par la doctrine qu'ils<br />

cimentent; carie Dieu d'Israël n'est ni vicieux ni menteur.<br />

— Après ce court aperçu du merveil<strong>le</strong>ux dans <strong>le</strong>s<br />

livres sacrés <strong>de</strong>s Hébreux, nous allons faire l'exposé<br />

non moins succinct <strong>de</strong> l'avènement du christianisme et<br />

<strong>de</strong> tout ce qu'il présente <strong>de</strong> prodigieux.


278 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

CHAPITRE II<br />

Avènement du médiateur attendu chez loutcs <strong>le</strong>s nations. — <strong>Le</strong> matérialisme et<br />

<strong>le</strong>s négations <strong>de</strong> l'épicurisme <strong>de</strong>venus impossib<strong>le</strong>s après <strong>le</strong>s nombreux mi­<br />

rac<strong>le</strong>s du christianisme.'—<strong>Le</strong> néoplatonisme s'établit et multiplie ses pro­<br />

diges (troisième et quatrième sièc<strong>le</strong>s), Ammonius, Plotin, etc.— Théurg<strong>le</strong>;<br />

à quel signe on distinguait <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s mauvais esprits. — Variétés d'opi­<br />

nions entre l'iolin, Porphyre, Jamblique, etc. — <strong>Des</strong> objets animés parU<br />

Divinité,elsurlout <strong>de</strong>s talismans. —Est-il bien constant que <strong>le</strong>s néoplatoni­<br />

ciens crussent à tant, <strong>de</strong> prodipes. — Julien, Maxime, Libanius, etc.; <strong>le</strong>ur»<br />

pratiques superstitieuses. — Chute du paganisme.<br />

Avènement du médiateur attendu chez toutes <strong>le</strong>s nations.<br />

On a vu, dans la plupart <strong>de</strong>s théogonies, qu'un ôlre<br />

intelligent, médiateur, verbe, esprit, voulut unir <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>ux principes; mais on ne trouve dans cette dualité<br />

ou cette tria<strong>de</strong> aucune analogie <strong>avec</strong> l'expectative <strong>de</strong>s<br />

Juifs ; — d'après l'antique promesse d'un sauveur, faite<br />

aux patriarches et rappelée par <strong>le</strong>s prophètes <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s<br />

circonstances si frappantes, et accomplies en tout<br />

point par l'avènement du Messie, rien ne ressemb<strong>le</strong><br />

en effet à cet être qui sert <strong>de</strong> lien au principe actif et<br />

au principe passif. Nous n'avons donc pas davantage<br />

à nous occuper <strong>de</strong>s traditions si défigurées <strong>de</strong>s Gentils<br />

sur l'origine <strong>de</strong>s choses et sur l'esprit qui y prési<strong>de</strong> en<br />

qualité <strong>de</strong> médiateur; mais il faut reconnaître que chez<br />

ces <strong>de</strong>rniers, comme chez <strong>le</strong>s Juifs, on attendait partout<br />

vaguement un envoyé, un dominateur, un sauveur; pa-


AVEC LE DÉMON. 279<br />

reil<strong>le</strong> attente <strong>démon</strong>tre que cette promesse, qui remonte<br />

au berceau <strong>de</strong> l'humanité, n'avait pas été entièrement<br />

oubliée par <strong>le</strong>s Gentils, malgré <strong>le</strong>s causes multip<strong>le</strong>s qui<br />

<strong>de</strong>vaient produire ce résultat; sans doute, il entrait<br />

dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>sseins divins que <strong>le</strong>s nations idolâtres, appelées<br />

un jour à jouir d'un tel bienfait, n'en perdissent<br />

pas complètement l'espérance. Il est certain<br />

qu'une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> citations dans divers auteurs prouveraient<br />

que cette expectative était peut-être universel<strong>le</strong> ;<br />

et ce qui surprend davantage, c'est que chez plusieurs<br />

nations une vague rumeur précisait en quelque sorte<br />

l'époque <strong>de</strong> la venue <strong>de</strong> ce libérateur. (V. Mignot,<br />

t. LXV. — Pri<strong>de</strong>aux, Hist. <strong>de</strong>s Juifs, liv. III, etc.)<br />

Un auteur anglais, Faber, dit que l'attente d'un<br />

libérateur, vainqueur du serpent et fils du Dieu suprême,<br />

n'avait cessé <strong>de</strong> prévaloir chez tous <strong>le</strong>s païens.<br />

{Horœ Mosdicœ.)<br />

Maurice (Hist. <strong>de</strong> l'Indoustan, 1. II) a prouvé que <strong>de</strong>s<br />

traditions avaient appris à tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> païen qu'il<br />

<strong>de</strong>vait attendre un personnage sacré vers <strong>le</strong> temps <strong>de</strong><br />

la venue du Christ. Chez tous cependant cette croyance<br />

n'était pas aussi explicite. En parcourant <strong>le</strong>s écrits <strong>de</strong>s<br />

anciens, Jamblique, par exemp<strong>le</strong>, fait remarquer que<br />

<strong>le</strong>s Egyptiens, outre <strong>le</strong> Dieu suprême, avaient un second<br />

dieu conducteur, et Ramsay dit qu'il est manifeste<br />

que <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> admettait un dieu mitoyen, semblab<strong>le</strong> au<br />

ilithra <strong>de</strong>s Perses. (Disc, sur la Mytholog.)<br />

Parmi <strong>le</strong>s différents Hermès, il y en avait un que <strong>le</strong>s<br />

Chaldéens appelaient <strong>le</strong> Sauveur <strong>de</strong>s hommes. — <strong>Le</strong>s<br />

Sabéens reconnaissaient aussi tous, quoique <strong>de</strong> sectes<br />

différentes, la nécessité d'un médiateur. — Si ce qu'on<br />

vient <strong>de</strong> lire n'est pas assez formel, ce qui suit l'est<br />

davantage.<br />

Confucius espérait la venue d'un révélateur, la dési-


280 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

rait <strong>avec</strong> ar<strong>de</strong>ur, et ne se consolait qu'en songeant an<br />

bonheur <strong>de</strong> ceux qui la verraient.<br />

Une ancienne croyance <strong>de</strong>s Chinois était, qu'au culte<br />

<strong>de</strong>s ido<strong>le</strong>s, qui avait corrompu la première révélation,<br />

succé<strong>de</strong>rait la <strong>de</strong>rnière religion, qui durerait jusqu'à la<br />

fin du mon<strong>de</strong>. (De Guignes, Mém. <strong>de</strong>l'Acad., t. LXV.)<br />

Dans VJEdda, théologie <strong>de</strong>s peup<strong>le</strong>s du Nord, il est<br />

parlé d'un médiateur entre Dieu et <strong>l'homme</strong>, qui écrasera<br />

la tôte du grand serpent. C'était aussi la croyance<br />

<strong>de</strong>s Arabes.<br />

Chez <strong>le</strong>s Grecs, Socrate dit qu'on ignore quel<strong>le</strong> doit<br />

être la disposition du cœur <strong>de</strong> ceux qui offrent <strong>de</strong>s<br />

sacrifices à Dieu, etc , qu'il faut attendre jusqu'à<br />

ce que quelqu'un l'enseigne. — Quand viendra-t-il?<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> Alcibia<strong>de</strong>. Socrate lui répond : « C'est celui<br />

à qui, dès à présent, vous êtes cher... » — « Alcibia<strong>de</strong><br />

réplique qu'il fera mieux pour sacrifier d'attendre sa<br />

venue, et Socrate réplique à son tour que c'est plus sûr<br />

que <strong>de</strong> s'exposer à déplaire à Dieu. » — Donc on attendait<br />

un docteur universel. (Faucher, Mém. <strong>de</strong> l'Acad.,<br />

t. LXXI.)<br />

Virgi<strong>le</strong> voit s'avancer la gran<strong>de</strong> époque <strong>de</strong> la naissance<br />

<strong>de</strong> l'Enfant divin qui doit régner sur <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>,<br />

et <strong>le</strong> serpent, dit-il, expirera près <strong>de</strong> son berceau.<br />

(Bffloff. IV.) Suétone(Vespas., IV) et Tacite nous montrent<br />

tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'Orient, <strong>le</strong>s yeux fixés sur la<br />

Judée, attendant, d'après une antique tradition, <strong>le</strong> dominateur<br />

du mon<strong>de</strong> qui <strong>de</strong>vait en sortir à cette époque.<br />

(Tacite, Hist., V, 13.)<br />

Tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s lui donnaient un nom en rapport<br />

<strong>avec</strong> sa gran<strong>de</strong> mission : c'était <strong>le</strong> libérateur, <strong>le</strong> dominateur,<br />

<strong>le</strong> so<strong>le</strong>il <strong>de</strong> justice, etc.<br />

Terminons par <strong>le</strong> témoignage même <strong>de</strong>s philosophes<br />

incrédu<strong>le</strong>s. — Selon Boulanger, — Chinois, Japo-


AVEC LE DÉMON. 281<br />

nais,Siamois, Mexicains, Américains, etc., attendaient<br />

comme <strong>le</strong>s Hébreux un personnage extraordinaire; il<br />

ajoute : Il n'a existé aucun peup<strong>le</strong> qui n'ait eu cette<br />

expectative. —Voltaire dit que, <strong>de</strong> temps immémorial,<br />

<strong>le</strong>s Indiens et <strong>le</strong>s Chinois attendaient qu'un sage viendrait<br />

<strong>de</strong> l'Occi<strong>de</strong>nt (ce qui était l'Orient pour l'Europe).<br />

(Add. à VHist. gén.)<br />

D'après Volney, <strong>le</strong>s traditions sacrées <strong>de</strong>s anciens<br />

peup<strong>le</strong>s avaient répandu dans toute l'Asie la croyance<br />

d'un grand médiateur, qui <strong>de</strong>vait venir...; d'un juge<br />

final, d'un sauveur futur, roi, dieu, conquérant et<br />

législateur...., qui délivrerait <strong>le</strong>s hommes du mal.<br />

(<strong>Le</strong>s Ruines.)<br />

Inuti<strong>le</strong>, après ces quelques citations tronquées, <strong>de</strong><br />

par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s prophètes chez <strong>le</strong>s Hébreux; ceux-ci sont<br />

plus explicites, comme on sait.<br />

Donc, malgré <strong>le</strong> voi<strong>le</strong> qui couvrait <strong>le</strong>s prophéties,<br />

malgré l'obscurcissement <strong>de</strong> l'antique tradition chez<br />

<strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s idolâtres, on attendait l'envoyé, et on savait<br />

que <strong>le</strong> moment était proche.<br />

Nous sommes à l'an 4004 du mon<strong>de</strong>; Auguste est<br />

<strong>le</strong> chef du vaste empire romain. Il ne reste du vieux<br />

culte païen, pour un grand nombre <strong>de</strong> personnes,<br />

que <strong>le</strong> nom et <strong>de</strong>s cérémonies sans croyance. Une<br />

sour<strong>de</strong> rumeur tient <strong>le</strong>s Gentils eux-mêmes dans l'attente,<br />

et <strong>le</strong>s Juifs ne se déci<strong>de</strong>nt à lutter contre <strong>le</strong>s<br />

Romains que parce qu'un orac<strong>le</strong> ambigu annonçait,<br />

comme <strong>le</strong>urs Livres saints, qu'il allait sortir <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

nation quelqu'un qui comman<strong>de</strong>rait à toute la terre.<br />

— On <strong>le</strong> sait, cet empire n'étant pas terrestre, une tel<strong>le</strong><br />

prédiction ne pouvait être comprise par <strong>de</strong>s hommes<br />

matériels; mais l'incrédulité, avait fait tab<strong>le</strong> rase du<br />

vieux culte païen, <strong>le</strong> moment était venu pour la Provi<strong>de</strong>nce<br />

d'édifier <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> chrétien.


282 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

On ne rappel<strong>le</strong>ra point ici la naissance <strong>de</strong> cet enfant<br />

merveil<strong>le</strong>ux annoncé par <strong>de</strong>s anges, visité par <strong>le</strong>s<br />

mages <strong>de</strong> Chaldée guidés par une étoi<strong>le</strong> miracu<strong>le</strong>use.<br />

<strong>Le</strong>s païens avaient accordé à certains personnages une<br />

origine divine. Jésus ne <strong>de</strong>scend ni <strong>de</strong> Jupiter, ni d'Apollon;<br />

c'est <strong>le</strong> fils <strong>de</strong> Jéhovah subsistant avant tous <strong>le</strong>s<br />

sièc<strong>le</strong>s ; c'est l'envoyé <strong>de</strong> Dieu, <strong>le</strong> désiré <strong>de</strong>s nations ; on<br />

ne par<strong>le</strong>ra ni <strong>de</strong> sa mora<strong>le</strong> sublime, ni <strong>de</strong> ses mirac<strong>le</strong>s;<br />

nul n'en peut sérieusement contester ni la réalité, ni<br />

la supériorité sur ceux que <strong>le</strong>s dieux opéraient dans <strong>le</strong>s<br />

temp<strong>le</strong>s. Quel<strong>le</strong> comparaison établir entre <strong>le</strong>s guérisons<br />

d'Esculape, opérées <strong>le</strong>ntement en usant <strong>de</strong> recettes<br />

bizarres ou <strong>de</strong> cérémonies ridicu<strong>le</strong>s, et <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

Jésus, <strong>le</strong>quel, d'un seul mot, vient à la mort ravir sa<br />

proie? D'où vient cette puissance? — <strong>Le</strong>s uns disent:<br />

c'est un grand magicien qui aura puisé sa science en<br />

Egypte. — Il fait ce que nul n'a jamais fait, disent<br />

d'autres ; peut-être a-t-il dérobé dans <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>le</strong> vrai<br />

nom <strong>de</strong> Dieu. — Mais pourquoi <strong>le</strong> grand-prêtre, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rons-nous,<br />

à qui ce nom était connu, n'opérait-il<br />

pas <strong>le</strong>s mêmes prodiges?... — Il guérit par Béelzébuth,<br />

prince <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, s'écrient <strong>de</strong>s pharisiens. — <strong>Le</strong> bon<br />

sens populaire fait justice <strong>de</strong> ces stupi<strong>de</strong>s blasphèmes:<br />

Satan voudrait-il donc détruire Satan? Celui qui vient<br />

substituer aux extravagances et aux infamies païennes<br />

<strong>de</strong>s dogmes si sublimes et une mora<strong>le</strong> si pure peut-il<br />

être <strong>le</strong> suppôt <strong>de</strong> Satan?<br />

Quoique la doctrine <strong>de</strong> Jésus soit opposée aux passions<br />

humaines et aux mœurs <strong>de</strong> l'époque, <strong>le</strong>s conversions<br />

s'opèrent par milliers; il ne cherche pas à séduire<br />

par <strong>le</strong>s promesses d'une égalité trompeuse; <strong>de</strong>s riches,<br />

<strong>de</strong>s puissants, <strong>de</strong>s proconsuls, <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> synagogue,<br />

sont entraînés par ses mirac<strong>le</strong>s ; bravent <strong>le</strong>s reproches<br />

et même <strong>le</strong>s supplices, et <strong>de</strong> persécuteurs acharnés


AVEC LE DÉMON. 283<br />

<strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s prosélytes ar<strong>de</strong>nts. Ce n'est point ici<br />

Je lieu d'exposer ce nouveau prodige. Que l'on consulte<br />

<strong>le</strong>s historiens sacrés, ecclésiastiques et profanes,<br />

et, quand on aura connu ce personnage si supérieur<br />

aux autres, on désirera savoir comment cet homme<br />

prodigieux, si sincère, si ennemi du mensonge, va<br />

expliquer <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux païen. — Cet homme divin<br />

(ainsi <strong>le</strong> nommaient plusieurs païens) n'explique <strong>le</strong><br />

merveil<strong>le</strong>ux ni par <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> l'âme, ni par <strong>le</strong>s fantômes<br />

<strong>de</strong> Démocrite ou <strong>le</strong>s corpuscu<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Lucrèce,<br />

ni par la combinaison <strong>de</strong>s nombres, ni par la vertu<br />

<strong>de</strong> certaines paro<strong>le</strong>s, ni par <strong>de</strong>s hallucinations épidémiques<br />

et contagieuses. D'abord il ne nie point. —<br />

<strong>Le</strong>s faits qui constituent <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux sont pour lui<br />

constants, soit qu'ils consistent en divinations, guérisons<br />

, possessions, apparitions, tout ce dont <strong>le</strong>s épicuriens<br />

plaisantent; il reconnaît, dans <strong>le</strong> Nouveau Testament,<br />

et proclame l'existence <strong>de</strong>s esprits bons ou<br />

mauvais, il déclare que <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s dieux du polythéisme<br />

sont dus aux <strong>démon</strong>s. — Il ne nous appartient<br />

pas ici d'exposer tout ce qu'il a dit <strong>de</strong> lui-même; restons<br />

dans <strong>le</strong>s limites <strong>de</strong> notre plan.<br />

Ouvrons <strong>le</strong> Nouveau Testament, ce livre dont tout<br />

chrétien doit croire <strong>le</strong> contenu comme étant l'expression<br />

d'une vérité qu'il faut accepter sous peine d'anathème<br />

: — on y atteste l'existence <strong>de</strong>s anges, êtres spirituels<br />

qui revêtent quelquefois la forme humaine, qui<br />

ont un langage et exercent, comme <strong>le</strong>s êtres corporels,<br />

une action sur la matière, mais incomparab<strong>le</strong>ment plus<br />

puissante. Ce fut un ange qui renversa la pierre du sépulcre.<br />

(Matth., XXVIII, 2.)<br />

Ce fut un ange qui ouvrit aux apôtres <strong>le</strong>s portes <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>ur prison et brisa <strong>le</strong>urs chaînes. (Acfor., V, 19.)<br />

<strong>Le</strong>s anges transportent <strong>le</strong>s corps : quand saint Phi-


284 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

lippe eut baptisé l'eunuque <strong>de</strong> la reine d'Ethiopie, un<br />

ange en<strong>le</strong>va saint Philippe, <strong>de</strong> sorte que l'eunuque ne<br />

<strong>le</strong> vit plus ; quant à Philippe, il se trouva dans Azot, où<br />

il prêcha l'Évangi<strong>le</strong>. (Actor., VIII, 39, 40.)<br />

<strong>Le</strong>s apparitions n'ont pas lieu toujours en frappant<br />

<strong>le</strong>s sens ; ceux <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s spectateurs seraient éga<strong>le</strong>ment<br />

frappés, ce qui n'est pas. Ainsi Saul, sur <strong>le</strong> chemin<br />

<strong>de</strong> Damas, voit une vive lumière et entend une<br />

voix. Ceux qui l'accompagnaient ne virent pas la lumière<br />

et n'entendirent que la voix.<br />

Outre <strong>le</strong>s passages nombreux attestant l'intervention<br />

<strong>de</strong>s bons anges, on voit aussi cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s mauvais que<br />

Dieu a précipités dans l'abîme. (2 Petr.)<br />

<strong>Le</strong> Nouveau Testament apprend que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s sont<br />

puissants. L'apôtre saint Paul <strong>le</strong>s nomme princes du<br />

mon<strong>de</strong>... Il <strong>le</strong>ur reste l'emploi <strong>de</strong> tromperies hommes...<br />

Nous n'avons, dit-il, à combattre ni la chair, ni <strong>le</strong><br />

sang, ni aucune force visib<strong>le</strong>... mais <strong>de</strong>s principautés,<br />

<strong>de</strong>s puissances, <strong>de</strong>s malices spirituel<strong>le</strong>s. — Jésus-<br />

Christ appel<strong>le</strong> Satan <strong>le</strong> fort armé (Luc, XI, 21), et<br />

saint Jean <strong>le</strong> nomme prince du mon<strong>de</strong>. (V. <strong>le</strong>s différents<br />

passages du Nouveau Testament qui attestent<br />

cette puissance.)<br />

La haine que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s portent aux hommes <strong>le</strong>s<br />

incite à <strong>le</strong>ur faire tout <strong>le</strong> mal que Dieu <strong>le</strong>ur permet, et<br />

dans la mesure qu'il a fixée dans sa sagesse.<br />

Si <strong>le</strong> <strong>démon</strong> veut crib<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s apôtres comme on crib<strong>le</strong><br />

<strong>le</strong> froment, il en <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à Dieu la permission.<br />

(Luc, XXII, 31.) Non-seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s malins esprits<br />

tentent <strong>le</strong>s hommes, mais ils <strong>le</strong>ur causent diverses<br />

maladies, <strong>le</strong>s obsè<strong>de</strong>nt, <strong>le</strong>s possè<strong>de</strong>nt, à moins que<br />

Dieu ne <strong>le</strong>s arrête Ils exerceraient <strong>de</strong> même <strong>le</strong>ur<br />

rage sur <strong>le</strong>s animaux appartenant à <strong>l'homme</strong>, si Dieu<br />

<strong>le</strong> permettait. Lorsque Jésus-Christ voulut <strong>le</strong>s chasser


AVEC LE DÉMON. 285<br />

du corps du possédé <strong>de</strong> Gérasa, ils <strong>de</strong>mandèrent à entrer<br />

dans une troupe <strong>de</strong> pourceaux; et, dès qu'il l'eut<br />

permis, ces animaux se précipitèrent tous dans un lac.<br />

Aussitôt que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s sont expulsés du corps <strong>de</strong>s<br />

possédés, <strong>le</strong>s maladies que causait <strong>le</strong>ur présence sont<br />

subitement guéries. — Dieu appel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s apôtres et <strong>le</strong>ur<br />

donne autorité sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s et <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> guérir<br />

<strong>le</strong>s maladies. (Luc, IX, 1.)<br />

<strong>Le</strong> <strong>démon</strong> révè<strong>le</strong> l'avenir. Une fil<strong>le</strong> gagnait beaucoup<br />

d'argent par ses divinations dues à un esprit <strong>de</strong> Python,<br />

qui la possédait; dès que saint Paul l'eut chassé, el<strong>le</strong><br />

ne sut plus <strong>de</strong>viner, et ses maîtres en murmurèrent.<br />

{Actor., XVI, 16.)<br />

<strong>Le</strong> Nouve&u Testament constate l'existence <strong>de</strong> la magie,<br />

<strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong>s magiciens. C'est ainsi que Simon<br />

séduisit <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s et renversa l'esprit <strong>de</strong>s Samaritains<br />

par ses enchantements; on <strong>le</strong> surnomma la Gran<strong>de</strong><br />

Vertu <strong>de</strong> Dieu. (Actor., VIII, 9.)<br />

<strong>Le</strong> magicien Bar-Jésu s'efforçait d'empêcher <strong>le</strong> proconsul<br />

Sergius d'embrasser la foi ; saint Paul, regardant<br />

fixement cet homme, lui dit : « Enfant du diab<strong>le</strong>, la main<br />

du Seigneur s'étend sur toi, tu vas <strong>de</strong>venir aveug<strong>le</strong>. »<br />

Bar-Jésu perdit aussitôt la vue, et <strong>le</strong> proconsul, témoin<br />

<strong>de</strong> ce mirac<strong>le</strong>, embrassa la foi. (Actor., Xlll.) Jésus,<br />

loin <strong>de</strong> nier <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, vient donc<br />

attester <strong>le</strong>ur pouvoir d'en opérer.<br />

S. Paul, après avoir recommandé <strong>de</strong> ne pas se troub<strong>le</strong>r<br />

ni <strong>de</strong> croire trop légèrement au second avènement,<br />

dit que l'impie viendra, accompagné <strong>de</strong> la puissance<br />

<strong>de</strong> Satan, faisant toutes sortes <strong>de</strong> mirac<strong>le</strong>s, <strong>de</strong><br />

signes et <strong>de</strong> prodiges trompeurs, qui pourront porter<br />

à l'iniquité ceux qui ne recherchent pas la vérité...<br />

Pour ceux-ci, Dieu permettra ces illusions. Plus loin,<br />

il recomman<strong>de</strong> <strong>de</strong> bien conserver <strong>le</strong>s traditions. Avant


286 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

il avait dit : « <strong>Le</strong> mystère d'iniquité, dont l'œuvre est<br />

<strong>de</strong> renverser <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> Dieu pour asseoir 1<br />

<strong>le</strong> règne <strong>de</strong><br />

l'Autechrist, se forme dès à présent. » (2Thess.,U.)<br />

Ces versets, qui prouvent que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> continuera<br />

<strong>de</strong> vouloir se substituer à la Divinité, nous apprennent<br />

comment, dans <strong>le</strong> passé, l'oubli <strong>de</strong> Dieu a pu survenir...<br />

C'est en oubliant <strong>le</strong>s traditions, en croyant aux<br />

prodiges trompeurs <strong>de</strong> Satan, que Dieu permet, et qui<br />

portent à l'impiété ceux qui ne recherchent point la<br />

vérité, mais <strong>le</strong> mensonge.<br />

Saint Matthieu dit que ces prodiges seront si grands,<br />

qu'ils séduiraient <strong>le</strong>s élus, s'il était possib<strong>le</strong>...<br />

Saint Jean nous en révè<strong>le</strong> l'espèce... —11 fera <strong>de</strong>scendre<br />

<strong>le</strong> feu du ciel, fera par<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s statues, <strong>le</strong>s animaux<br />

, rendra sain et sauf un <strong>de</strong>s siens b<strong>le</strong>ssé à mort.<br />

(Apoc., XIII.)<br />

Cette puissance n'appartiendra-t-el<strong>le</strong> au <strong>démon</strong> que<br />

lors du second avènement? Saint Paul a dit que <strong>le</strong><br />

mystère d'iniquité se formait déjà; on a vu que <strong>le</strong>s<br />

enchantements d'Élymas, <strong>de</strong> Simon, nuisaient à l'établissement<br />

du christianisme ; <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

qui ont établi l'erreur dans <strong>le</strong> passé, qui séduiront<br />

lors <strong>de</strong> la venue <strong>de</strong> l'Antéchrist, peuvent être obtenus<br />

dès aujourd'hui par ceux qui consentent à s'aveug<strong>le</strong>r.<br />

<strong>Le</strong>s Juifs, ne pouvant douter <strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

chez <strong>le</strong>s Gentils, pensaient que Jésus opérait <strong>le</strong>s siens<br />

par Béelzébuth ; mais ceux qui parmi eux se convertirent<br />

surent discerner <strong>le</strong>s prodiges sataniques <strong>de</strong>s vrais<br />

mirac<strong>le</strong>s; tous, par l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s faits, croyaient à la<br />

puissance que Satan peut communiquer à ses adorateurs.<br />

— Pourquoi pensaient-ils que Jésus chassait <strong>le</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s par Béelzébuth? C'est parce que <strong>le</strong>s magiciens<br />

qui étaient parmi eux <strong>le</strong>s chassaient en vertu du pou-


AVEC LE DÉMON. 287<br />

voir que Satan <strong>le</strong>ur donnait sur <strong>le</strong>s autres <strong>démon</strong>s.<br />

(V.Cassien, Coll. VIII.)<br />

Dieu permet que <strong>le</strong> corps <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> soit abandonné<br />

quelquefois aux vexations du <strong>démon</strong> pour sauver<br />

son âme (c'est l'obsession). L'incestueux <strong>de</strong> Corinthe<br />

fut livré à Satan pour mortifier sa chair et afin<br />

que son âme fût sauvée au jour du jugement. (1 Cor.,<br />

V, 5.)<br />

A<strong>le</strong>xandre et Hyménée lui furent éga<strong>le</strong>ment livrés,<br />

pour qu'ils apprissent à ne plus blasphémer. (Tim.,<br />

1,20.)<br />

<strong>Le</strong> transport <strong>de</strong> Jésus sur <strong>le</strong> pinac<strong>le</strong> du temp<strong>le</strong> peut<br />

être considéré comme un premier exemp<strong>le</strong> du pouvoir<br />

du <strong>démon</strong> pour transporter <strong>le</strong>s corps. On en a un<br />

second dans cet autre transport sur une montagne<br />

é<strong>le</strong>vée... <strong>Le</strong> <strong>démon</strong>, ne pouvant que conjecturer que<br />

Jésus fût <strong>le</strong> Messie, veut <strong>le</strong> tenter par <strong>de</strong>s pensées<br />

d'ambition. (Matth., IV.)<br />

Jésus nous apprend ce que <strong>de</strong>vient l'esprit impur<br />

expulsé du corps <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> : il s'en va dans <strong>de</strong>s lieux<br />

ari<strong>de</strong>s, il erre autour <strong>de</strong>s tombeaux pour chercher un<br />

repos qu'il ne peut trouver. (Matth., XII,.43.)<br />

<strong>Le</strong>s dieux <strong>de</strong>s Gentils sont encore ici <strong>de</strong>s dénions.<br />

<strong>Le</strong> Nouveau Testament nomme <strong>le</strong> <strong>démon</strong> Baal, Béel-<br />

•jhith, etc.. Ces noms, qui désignaient <strong>de</strong>s dieux chez<br />

<strong>le</strong>sGentils, étaient synonymes <strong>avec</strong> <strong>le</strong> Diabolos <strong>de</strong>s Grecs,<br />

VBclial, <strong>le</strong> Satan <strong>de</strong>s Hébreux. Il y avait i<strong>de</strong>ntité entre<br />

<strong>le</strong>s princes <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s et <strong>le</strong>s dieux supérieurs <strong>de</strong>s Gentils.<br />

<strong>Le</strong> mot Baal, Beel, Bel, etc., signifiant maître,<br />

seigneur, était joint souvent au nom d'une divinité:<br />

Béelzébuth, dieu principal d'Accaron (4 Reg.); Belphégor,<br />

dieu <strong>de</strong>s Ammonites; Belséphon, à qui on donnait<br />

la forme du chien, etc.<br />

Si l'on voulait citer <strong>de</strong>s prodiges divins, on trouve-


288 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

rait dans <strong>le</strong> Nouveau Testament <strong>le</strong> don <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s<br />

langues inconnues, la révélation <strong>de</strong>s pensées, la vue<br />

<strong>de</strong>s choses cachées, <strong>le</strong>s prédictions <strong>de</strong> l'avenir; <strong>le</strong>s apparitions,<br />

<strong>le</strong>s songes, <strong>le</strong>s résurrections <strong>de</strong> morts, etc.;<br />

mais ce pouvoir n'est octroyé qu'à une foi profon<strong>de</strong>.<br />

Dès que <strong>le</strong>s apôtres eurent reçu l'Esprit-Saint, <strong>le</strong>s<br />

Juifs, venus <strong>de</strong> toutes parts à Jérusa<strong>le</strong>m, furent émerveillés<br />

en <strong>le</strong>s entendant par<strong>le</strong>r l'idiome <strong>de</strong> vingt régions<br />

étrangères; ceux qui ignoraient ces langues disaient<br />

qu'ils étaient ivres et s'en moquaient. (Actor., II.)<br />

<strong>Le</strong>s apôtres connaissaient <strong>le</strong>s pensées. Ananie et<br />

Saphire avaient retenu par tromperie une partie du<br />

prix <strong>de</strong> la vente d'un champ : « Satan vous a tenté,<br />

dit Pierre à Ananie...; pourquoi mentez-vous à Dieu?»<br />

Ananie expire aussitôt... Trois heures après, Saphire<br />

vient faire <strong>le</strong> même mensonge, reçoit <strong>le</strong> même reproche<br />

et rend aussitôt l'esprit. (Actor., V.)<br />

Dieu par<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s songes : Joseph est instruit <strong>de</strong><br />

la sainteté <strong>de</strong> Marie et averti <strong>de</strong> fuir en Egypte. — La<br />

femme <strong>de</strong> Pilate est inquiétée dans un songe concernant<br />

Jésus-Christ.<br />

Paul et Silas sont dans un cachot, <strong>le</strong>urs pieds sont<br />

serrés dans <strong>de</strong>s ceps, ils prient : la terre tremb<strong>le</strong>, <strong>le</strong>urs<br />

liens tombent, <strong>le</strong>s portes <strong>de</strong> la prison s'ouvrent... : s'étant<br />

réveillé, <strong>le</strong> geôlier veut se tuer; Paul l'arrête:<br />

« Nous voici, lui dit-il. » — <strong>Le</strong> geôlier, en voyant ce<br />

mirac<strong>le</strong>, se convertit. (Actor., XVI.)<br />

<strong>Le</strong>s impies auront beau contrefaire <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la<br />

religion nouvel<strong>le</strong>, l'infériorité est évi<strong>de</strong>nte, <strong>le</strong> doigt <strong>de</strong><br />

Dieu est encore là pour <strong>le</strong>s arrêter.<br />

Simon <strong>le</strong> Magicien fait <strong>de</strong>s prodiges qui <strong>le</strong> font surnommer<br />

la Gran<strong>de</strong> Vertu <strong>de</strong> Dieu ; mais témoin luimême<br />

<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> saint Philippe, étonné <strong>de</strong>s effets<br />

surnaturels opérés par l'Esprit-Saint, il ose <strong>de</strong>man-


AVEC LE DÉMON. 289<br />

<strong>de</strong>r qu'on lui ven<strong>de</strong> <strong>le</strong> moyen d'opérer <strong>de</strong> tels prodiges.<br />

Il suffit à Paul <strong>de</strong> prononcer une paro<strong>le</strong> pour causer<br />

la cécité d'Élymas.<br />

<strong>Le</strong>s fils <strong>de</strong> Scéva, voyant qu'il suffisait aux apôtres<br />

<strong>de</strong> prononcer <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Jésus pour chasser <strong>le</strong>s esprits,<br />

pensèrent qu'<strong>avec</strong> <strong>le</strong> même nom ils obtiendraient <strong>le</strong><br />

môme résultat. Mais <strong>le</strong> <strong>démon</strong> <strong>le</strong>s maltraite : « Je connais<br />

Jésus, <strong>le</strong>ur dit-il; mais vous, qui êtes-vous? »<br />

Réponse qui apprend à tous <strong>le</strong>s exorcistes présents et<br />

futurs, que ce n'est point un nom ni <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s qui<br />

chassent <strong>le</strong>s esprits, mais la foi en Jésus-Christ, et que<br />

<strong>le</strong>s exorcismes sont <strong>de</strong>s armes inuti<strong>le</strong>s, dangereuses<br />

même pour ceux qui n'ont ni assez <strong>de</strong> foi ni assez <strong>de</strong><br />

piété pour comman<strong>de</strong>r aux <strong>démon</strong>s.<br />

L'action <strong>de</strong> Satan sur <strong>le</strong>s Juifs <strong>le</strong>s incite à persécuter<br />

<strong>le</strong>s apôtres : c'est ce qui a empêché Paul d'al<strong>le</strong>r trouver<br />

ses frères, quoiqu'il en eût <strong>de</strong>ux fois formé <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssein ;<br />

c'est pourquoi il dit : Satan nous en a empêchés. (J T/iess.,<br />

11,18.)<br />

Dans la 2 e<br />

aux Corinthiens, XII, saint Paul dit que<br />

Dieu a voulu qu'il ressentît dans sa chair comme un<br />

aiguillon, qui est l'ange <strong>de</strong> Satan...<br />

<strong>Le</strong> <strong>démon</strong>, dit saint Luc (VIII, 12), enlève la paro<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> Dieu <strong>de</strong> nos cœurs.<br />

Il aveug<strong>le</strong> l'esprit <strong>de</strong> ceux qui ne croient pas ; il se<br />

transforme en ange <strong>de</strong> lumière (2 Corinth., XI, 14);<br />

il tourne autour <strong>de</strong> nous pour nous dévorer... (1 Pet.,<br />

V,8.)<br />

<strong>Le</strong> Nouveau Testament reconnaît donc ainsi que<br />

l'ancien : 1° l'existence <strong>de</strong>s bons et <strong>de</strong>s mauvais esprits<br />

(il est en ceci d'accord <strong>avec</strong> ce qu'on a vu chez <strong>le</strong>s<br />

Gentils) ; 2° une puissance inhérente à la nature <strong>de</strong> ces<br />

<strong>de</strong>rniers, s'exerçant sur <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> matériel, agitant,<br />

i. 19


29 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

transportant <strong>le</strong>s corpa, remuant <strong>le</strong>s statues, exerçant <strong>de</strong>s<br />

cruautés sur <strong>l'homme</strong> et môme sur <strong>le</strong>s animaux, etc.,<br />

ayant un certain empire sur <strong>le</strong>s sentiments, <strong>le</strong>s actes,<br />

<strong>le</strong>s pensées, etc.<br />

<strong>Le</strong> Nouveau Testament n'est pas un cours <strong>de</strong> <strong>démon</strong>ologie<br />

pour disserter sur <strong>le</strong>s opérations diaboliques;<br />

pourtant ce qu'il exprime suffisait autrefois pour prémunir<br />

ceux qui étaient témoins <strong>de</strong>s faits et doit suffire<br />

aujourd'hui, à moins que, méprisant l'Écriture sainte,<br />

on ne s'obstine à'nier <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux, comme <strong>le</strong>s épicuriens,<br />

ou • à vouloir l'expliquer comme <strong>le</strong>s matérialistes.<br />

<strong>Le</strong> matérialisme et <strong>le</strong>s négations <strong>de</strong> Vépieurisme <strong>de</strong>venus impossib<strong>le</strong>s<br />

après <strong>le</strong>s nombreux mirac<strong>le</strong>s du christianisme.<br />

<strong>Le</strong>s sectateurs d'un faux culte ont quelquefois poussé<br />

<strong>le</strong> fanatisme jusqu'à s'immo<strong>le</strong>r à <strong>le</strong>urs divinités. La conviction<br />

<strong>de</strong>s premiers chrétiens, opérée par <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />

était si ferme", qu'ils ont aussi, durant trois sièc<strong>le</strong>s, souffert<br />

<strong>le</strong> martyre pour l'attester. <strong>Le</strong>s premiers étaient<br />

<strong>de</strong>s fanatiques qui aspiraient à se réunir à <strong>le</strong>urs dieux<br />

plus promptement ; <strong>le</strong>s seconds préfèrent la mort<br />

plutôt que <strong>de</strong> renier Dieu, qui s'est manifesté par<br />

d'éclatants mirac<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s convictions <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s<br />

autres étaient soli<strong>de</strong>s et basées, on ne saurait se <strong>le</strong><br />

dissimu<strong>le</strong>r, sur <strong>de</strong>s motifs puissants. A l'époque où<br />

nous sommes arrivés, <strong>le</strong>s prodiges païens et <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />

chrétiens furent si nombreux que l'épicnrisme<br />

et <strong>le</strong> matérialisme <strong>de</strong>vaient subir une défaite ; <strong>le</strong>s néoplatoniciens,<br />

il est vrai, ne se sacrifieront point, mais<br />

ils sont très-hosti<strong>le</strong>s aux chrétiens, prêts à tout souffrir<br />

pour <strong>le</strong>ur foi ; ainsi, malgré sa mora<strong>le</strong> si pure et peutêtre<br />

à cause d'el<strong>le</strong>, <strong>le</strong> christianisme avait <strong>de</strong>s ennemis<br />

acharnés. Un seul <strong>de</strong> ses mirac<strong>le</strong>s aurait dû convertir


AVEC LE DÉMON. 291<br />

une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> païens (ce qui arrivait souvent),<br />

mais plus souvent encore ceux qui ne voyaient pas persistaient<br />

à nier ; et parmi ceux qui voyaient, plusieurs,<br />

par mauvais vouloir, restaient dans l'aveug<strong>le</strong>ment. <strong>Le</strong>s<br />

chefs <strong>de</strong> secte, d'ail<strong>le</strong>urs, combattaient <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s subtilités<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur dia<strong>le</strong>ctique, et <strong>le</strong>s ministres du culte et<br />

<strong>le</strong>s pontifes, soutenus par <strong>le</strong> pouvoir, invoquaient la<br />

sévérité <strong>de</strong>s lois contre <strong>le</strong>s chrétiens, qui n'opposaient<br />

que <strong>le</strong>ur résignation et <strong>le</strong> calme <strong>de</strong> l'innocence. Ceux<br />

qui ne pouvaient nier <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s ni <strong>le</strong>s expliquer <strong>le</strong>s<br />

attribuaient au <strong>démon</strong> ; il eût été inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur montrer<br />

que la gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s prodiges et <strong>le</strong>s vertus <strong>de</strong>s<br />

thaumaturges repoussaient une aussi noire calomnie,<br />

car <strong>le</strong>ur endurcissement était volontaire ; pouvait-il<br />

en être autrement pour <strong>de</strong>s hommes corrompus? La<br />

nouvel<strong>le</strong> doctrine substituait une mora<strong>le</strong> sublime et<br />

<strong>le</strong>s austérités <strong>de</strong> la' pénitence aux infamies païennes,<br />

el<strong>le</strong> voulait rendre humb<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s hommes orgueil<strong>le</strong>ux;<br />

chastes <strong>de</strong>s hommes adonnés à la luxure ; pénitents <strong>de</strong>s<br />

hommes sensuels et voluptueux ; convaincre <strong>de</strong>s épicuriens<br />

et <strong>de</strong>s sceptiques; el<strong>le</strong> en<strong>le</strong>vait à un fantôme <strong>de</strong><br />

sacerdoce sa puissance.<br />

Malgré tant <strong>de</strong> corruption, malgré <strong>le</strong>s persécutions,<br />

malgré la vigilance du pouvoir et ses rigueurs, <strong>le</strong>s<br />

rangs <strong>de</strong>s ennemis du christianisme s'éclaircissaient<br />

tous <strong>le</strong>s jours; <strong>le</strong> sens commun, <strong>de</strong>vant l'évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s<br />

faits, méprisait <strong>le</strong> rire stupi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s ignorants et la bave<br />

<strong>de</strong>s impies.— Cel<strong>le</strong>-ci causant <strong>de</strong>s nausées comme <strong>le</strong><br />

venin du serpent; <strong>le</strong> dégoût et l'horreur saisissaient<br />

<strong>le</strong>s âmes honnêtes. <strong>Le</strong> peu <strong>de</strong> vie du paganisme peu à<br />

peu s'éteignait. On a vu déjà que <strong>le</strong>s philosophes avaient<br />

une gran<strong>de</strong> tendance à rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s doctrines.<br />

Dans l'impuissance d'expliquer naturel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux,<br />

on sentit qu'il fallait revenir à reconnaître


292 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

l'intervention <strong>de</strong> la divinité; <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s d'ail<strong>le</strong>urs se<br />

rendaient encore et, comme on l'a dit, <strong>le</strong>s guérisons<br />

d'Esculape et <strong>de</strong> Sérapis s'opéraient dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s.<br />

<strong>Le</strong> vieux culte aurait donc conservé et récupéré <strong>de</strong>s<br />

sectateurs, s'il eût été possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong> purger <strong>de</strong> ses absurdités.<br />

11 plaisait en favorisant <strong>de</strong> honteux penchants,<br />

ses fêtes charmaient <strong>le</strong>s imaginations poétiques et ceux<br />

qui aiment <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s souvenirs.<br />

Enfin l'antique serpent qui ne dort pas ne pouvait<br />

ainsi renoncer à sa proie. — <strong>Le</strong>s chrétiens instruits<br />

dans la vraie doctrine sentaient que Dieu permettrait<br />

une épreuve ; Satan voyait que son royaume lui échappait<br />

; — il avait amené <strong>le</strong>s hommes au matérialisme, il<br />

<strong>le</strong>s avait fait tomber dans l'athéisme, pire que l'idolâtrie,<br />

et <strong>le</strong>s faits miracu<strong>le</strong>ux renversaient l'athéisme;<br />

l'épicurisme était méprisé par <strong>le</strong>s stoïciens alors nombreux,<br />

et <strong>le</strong> polythéisme, sous l'empire d'une raison<br />

plus épurée, faisait place au christianisme. — Que fera<br />

donc Satan ? — 11 essayera bientôt <strong>de</strong> concilier <strong>le</strong> polythéisme<br />

<strong>avec</strong> la raison, ce sera <strong>le</strong> néoplatonisme, et<br />

comme il lui est permis <strong>de</strong> crib<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s nouveaux chrétiens,<br />

nous verrons aussi qu'il fit surgir <strong>le</strong>s hérésies;<br />

il continuera enfin <strong>de</strong> susciter contre <strong>le</strong>s chrétiens la<br />

haine <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs ennemis. En effet, on accusait <strong>le</strong>s premiers<br />

<strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s calamités, si <strong>le</strong> Nil n'inondait pas<br />

assez <strong>le</strong>s terres d'Egypte, si <strong>le</strong> Tibre débordait dans<br />

<strong>le</strong>s campagnes voisines <strong>de</strong> Rome ; s'il survenait pluies<br />

ou sécheresse, tremb<strong>le</strong>ments <strong>de</strong> terre, guerres, famines<br />

ou grê<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> accusait toujours <strong>le</strong>s chrétiens : ces<br />

ennemis <strong>de</strong>s dieux étaient cause <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s fléaux, et<br />

accusés même <strong>de</strong> la multiplication <strong>de</strong>s rats et <strong>de</strong>s sauterel<strong>le</strong>s<br />

; alors <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> criait <strong>de</strong> toutes parts : A bas<br />

<strong>le</strong>s chrétiens, exposez-<strong>le</strong>s aux bétesl<br />

On <strong>le</strong> sait, l'épreuve (Dieu la permettait) fut terrib<strong>le</strong>;


AVEC LE DÉMON. 293<br />

Satan criblait et cribla tant dès <strong>le</strong> premier sièc<strong>le</strong>, qu'un<br />

instant on vit <strong>le</strong> grain du Seigneur diminuer. On lit dans<br />

nne correspondance <strong>de</strong> Pline <strong>avec</strong> Trajan que <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s<br />

païens, qu'on croyait abandonnés, <strong>de</strong>vinrent un<br />

instant plus fréquentés. En parlant du christianisme,<br />

Pline disait : « Ce mal contagieux n'a pas seu<strong>le</strong>ment infecté<br />

<strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s, il a gagné <strong>le</strong>s villages, <strong>le</strong>s campagnes,<br />

maison peut y remédier... Ce qu'il y a <strong>de</strong> certain, c'est<br />

que nos temp<strong>le</strong>s, qui étaient presque déserts, sont fréquentés,<br />

et que <strong>le</strong>s sacrifices longtemps négligés recommencent...<br />

»<br />

On aurait pu penser que <strong>le</strong> christianisme, malgré la<br />

promesse du Maître, succomberait sous tant <strong>de</strong> coups.<br />

La nature dépravée <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> lui suscitait partout<br />

<strong>de</strong>s ennemis, car il ne promet ici-bas que <strong>de</strong>s croix et<br />

<strong>de</strong>s souffrances ; mais il assurait aussi au <strong>de</strong>là un bonheur<br />

sans fin ; et comme garant, c'étaient <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />

éclatants, publics; <strong>de</strong>s maladies incurab<strong>le</strong>s guéries,<br />

<strong>de</strong>s morts ressuscites ; <strong>de</strong> sorte qu'une religion prêchée<br />

par <strong>de</strong> pauvres artisans bravait toutes <strong>le</strong>s puissances<br />

<strong>de</strong> l'enfer et du mon<strong>de</strong>.<br />

S'il y a <strong>de</strong>s défections <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> quelques chrétiens<br />

peu affermis, la foi <strong>de</strong> ceux qui restent fidè<strong>le</strong>s se<br />

réchauffe. Dieu a dit que <strong>le</strong>s ennemis <strong>de</strong> son Église ne<br />

prévaudraient jamais contre el<strong>le</strong>; quoique attaquée<br />

par tous <strong>le</strong>s moyens que la ruse et la rage <strong>de</strong> Satan<br />

peuvent suggérer aux hommes, tout se remplit <strong>de</strong><br />

chrétiens <strong>de</strong> tout état, <strong>de</strong> toute condition, d'hommes<br />

qui ne sont ni crédu<strong>le</strong>s ni avi<strong>de</strong>s <strong>de</strong> nouveautés. Contre<br />

<strong>le</strong>s vociférations <strong>de</strong> la multitu<strong>de</strong>, la hache <strong>de</strong>s bourreaux<br />

et <strong>le</strong>s rugissements <strong>de</strong>s lions, on observe la sérénité<br />

du juste dont l'âme aspire à s'envo<strong>le</strong>r au ciel.<br />

Contre <strong>le</strong> néoplatonisme, dont nous allons par<strong>le</strong>r <strong>avec</strong><br />

quelque étendue, surgiront, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s du chris-


294 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

tianisme, <strong>de</strong>s écrivains qui ont été païens, initiés aux<br />

mystères; philosophes, orateurs, hommes savants,<br />

illustres, qui connaissent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux religions et la vanité<br />

<strong>de</strong>s sectes philosophiques; ils exposeront <strong>le</strong>s motifs <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>ur conversion, et pourquoi ils ont abandonné une<br />

religion dont <strong>le</strong>s dieux donnaient l'exemp<strong>le</strong> <strong>de</strong> tous<br />

<strong>le</strong>s vices, pour en suivre une qui prêchait <strong>le</strong> renoncement<br />

à tous <strong>le</strong>s biens <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> et à tous ses plaisirs;<br />

ces hommes <strong>de</strong>viendront <strong>le</strong>s apologistes <strong>de</strong> la religion<br />

du crucifié.<br />

Avant d'exposer <strong>le</strong>urs écrits, examinons d'abord <strong>le</strong><br />

néoplatonisme, ce moyen puissant <strong>de</strong> rétablir <strong>le</strong> paganisme<br />

sur sa base ; nous verrons un jour <strong>le</strong>s hérésies,<br />

arme non moins terrib<strong>le</strong>, suggérées par <strong>le</strong> même adversaire.<br />

<strong>Le</strong> néoplatonisme multiplie ses prodiges {troisième et quatrième sièc<strong>le</strong>s);<br />

Ammonius, Plotin, etc.<br />

Satan, pour par<strong>le</strong>r <strong>le</strong> langage <strong>de</strong>s chrétiens, a changé<br />

<strong>de</strong> batterie, l'épicurisme tombe, <strong>le</strong> polythéisme fait<br />

entendre <strong>le</strong>s râ<strong>le</strong>ments <strong>de</strong> son agonie, on croit nécessaire,<br />

pour <strong>le</strong> ressusciter, <strong>de</strong> <strong>le</strong> mettre en harmonie <strong>avec</strong><br />

la philosophie, qui va el<strong>le</strong>-même être modifiée; cel<strong>le</strong>-ci<br />

n'a su que détruire; mais n'ayant pu trouver la vérité<br />

dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> visib<strong>le</strong>, il faut la chercher dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong><br />

invisib<strong>le</strong> et unir l'illuminisme à la philosophie; on ne<br />

sera plus sceptique, mais idéaliste, éc<strong>le</strong>ctique et mystique.<br />

Tel fut <strong>le</strong> moyen que suggéra Satan pour empêcher<br />

que la religion <strong>de</strong> Jésus ne remplaçât cel<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

Jupiter et d'Osiris.<br />

L'Orient soufflait <strong>de</strong> nouveau, comme il a été dit,<br />

<strong>le</strong>s doctrines <strong>de</strong> Pythagore et <strong>de</strong> Platon ; Ammonius,<br />

portefaix d'A<strong>le</strong>xandrie, en conciliant Platon <strong>avec</strong> Aris-


AVEC LE DÉMON. 295<br />

tote, donna un merveil<strong>le</strong>ux éclat à l'éco<strong>le</strong> d'A<strong>le</strong>xandrie.<br />

Plutarque dit qu'il forma <strong>le</strong> projet <strong>de</strong> ooncilier toutes<br />

<strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s philosophiques. Il choisit dans <strong>le</strong> christianisme<br />

ce qui s'accordait <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s doctrines égyptiennes<br />

et cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Platon ; Ge qui était contraire à son système<br />

fut rejeté comme <strong>de</strong>s altérations faites par <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s<br />

du Christ.<br />

Ce système consiste à reconnaître un être nécessaire<br />

(Dieu), <strong>de</strong> la substance duquel sont sortis tous <strong>le</strong>s autres<br />

êtres, la fou<strong>le</strong> <strong>de</strong>s génies, <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, et l'âme humaine.<br />

Plusieurs philosophes pensaient que certains<br />

minéraux, certaines plantes pouvaient donner à l'âme<br />

nn <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> subtilité propre à faire voir <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s.<br />

D'autres, dédaignant ce commerce, s'unissaient à l'Être<br />

suprême par l'extase. Ammonius attribua aux génies et<br />

aux <strong>démon</strong>s <strong>le</strong>s divers prodiges <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s religions,<br />

et pensa que <strong>le</strong> but <strong>de</strong> la philosophie <strong>de</strong>vait être d'é<strong>le</strong>ver<br />

l'âme au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s impressions corporel<strong>le</strong>s, d'exciter<br />

sa partie sensib<strong>le</strong> pour la mettre en rapport <strong>avec</strong><br />

<strong>le</strong>s esprits. On avait été forcé <strong>de</strong> reconnaître <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />

du Christ, qu'on assimilait à Pythagore, à Empédoc<strong>le</strong>,<br />

à Apollonius, etc., <strong>le</strong>squels, comme on sait, commerçaient<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s puissances cé<strong>le</strong>stes. Plotin, Origène,<br />

Porphyre, Amélius, Hiéroclès, Jamblique, etc., furent<br />

<strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'éco<strong>le</strong> d'Ammonius : dès que Plotin<br />

l'entendit par<strong>le</strong>r, il s'écria : C'est celui-là même que je<br />

cherchais. Après avoir écouté ses <strong>le</strong>çons pendant onze<br />

ans, il alla étudier <strong>le</strong>s doctrines <strong>de</strong>s sages <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong> et<br />

suivit l'empereur Gordien pour entendre ceux <strong>de</strong> la<br />

Perse. <strong>Le</strong>s néoplatoniciens eurent <strong>de</strong> nombreux discip<strong>le</strong>s,<br />

et parmi ceux-ci <strong>le</strong>s personnes <strong>le</strong>s plus considérab<strong>le</strong>s<br />

: <strong>de</strong>s hommes d'État, <strong>de</strong>s sénateurs. Tous ces personnages,<br />

la plupart d'un génie é<strong>le</strong>vé, vaste et pénétrant,<br />

furent convaincus que <strong>l'homme</strong> peut se mettre en rapport


296 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s génies et opérer <strong>de</strong>s prodiges. — Combien <strong>le</strong>s<br />

temps sont changés ! Plotin et tous ses discip<strong>le</strong>s étaient<br />

persuadés, comme lui, qu'il était sous la protection<br />

d'un génie, non <strong>de</strong> ceux qu'on nomme <strong>démon</strong>s, mais<br />

dieux; son discip<strong>le</strong> Porphyre raconte qu'un prêtre<br />

d'Isis, voulant évoquer <strong>le</strong> génie <strong>de</strong> Plotin, reconnut que<br />

ce génie était un dieu. Plotin lui-même était si fier <strong>de</strong><br />

ce privilège, qu'étant prié par Amélius d'assister à un<br />

sacrifice fait aux génies, il répondit fièrement : — « C'est<br />

à eux <strong>de</strong> venir à moi et non pas à moi d'al<strong>le</strong>r à eux, »<br />

— réponse orgueil<strong>le</strong>use qui ne s'explique que par la<br />

conviction qu'avait Plotin <strong>de</strong> la supériorité <strong>de</strong>s intelligences<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s il communiquait. — Non-seu<strong>le</strong>ment<br />

Plotin prédisait, découvrait <strong>le</strong>s choses cachées,<br />

mais <strong>le</strong>s génies étaient impuissants contre lui. Ainsi, <strong>le</strong><br />

magicien Olympius, voulant <strong>le</strong> maléficier, vit que tous<br />

<strong>le</strong>s maléfices qu'il voulait faire tomber sur Plotin,<br />

étant repoussés, retombaient sur lui-même, et il avoua<br />

qu'il était bien puissant, puisqu'il renvoyait à ses ennemis<br />

<strong>le</strong>s traits que ceux-ci lui décochaient. — Ce<br />

qu'il y a <strong>de</strong> plus admirab<strong>le</strong>, dit Bay<strong>le</strong>, c'est que Plotin<br />

connût <strong>le</strong>s machinations magiques <strong>de</strong> son ennemi. « <strong>Le</strong><br />

corps d'Olympius, disait Plotin, est en ce moment plissé<br />

comme une bourse, ses membres se froissent, etc.»<br />

Ainsi la religion expirante s'est revivifiée : <strong>le</strong>s néoplatoniciens<br />

ont pu rallumer son flambeau, presque éteint,<br />

au feu sacré <strong>de</strong>s antiques religions <strong>de</strong> l'Egypte, <strong>de</strong><br />

l'In<strong>de</strong> et <strong>de</strong> la Perse. Nous voudrions abor<strong>de</strong>r quelques<br />

détails dans un sujet si intéressant et si peu connu,<br />

mais il faudrait encore ici <strong>de</strong>s volumes où l'on ne peut<br />

écrire que quelques pages.<br />

Selon Plotin, <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> est éternel et la forme du<br />

principe éternel; c'est <strong>le</strong> panthéisme mystique: l'âme<br />

humaine est <strong>de</strong> la môme nature que Dieu d'où el<strong>le</strong> est


AVEC LE DÉMON. 297<br />

, émanée, et dès cette vie tend à retourner à sa source<br />

divine; el<strong>le</strong> peut récupérer sa puissance par la magie.<br />

Dieu est l'âme du mon<strong>de</strong>, toutes <strong>le</strong>s âmes en sont émanées,<br />

comme <strong>le</strong>s rayons solaires émanent du so<strong>le</strong>il.<br />

Plotin, en expirant, disait : « Je fais un <strong>de</strong>rnier effort<br />

pour ramener ce qu'il y a <strong>de</strong> divin en moi à ce qu'il y<br />

a <strong>de</strong> divin dans l'univers. » C'est l'ancien stoïcisme;<br />

voyons ce que la nouvel<strong>le</strong> doctrine y ajoutait.<br />

La secte éc<strong>le</strong>ctique <strong>de</strong>s néoplatoniciens absorbant<br />

presque toutes <strong>le</strong>s sectes, excepté cel<strong>le</strong> d'Épicure déjà<br />

presque anéantie, <strong>le</strong> néoplatonisme emprunta au christianisme<br />

sa trinité, son médiateur, son verbe, ses<br />

anges, ses <strong>démon</strong>s, sa théorie <strong>de</strong> la grâce, sa pénitence,<br />

sa prière ; il eut ses inspirés, ses prophètes, ses prodiges.<br />

On retrouvait chez <strong>le</strong>s anciens quelque chose<br />

d'analogue à ceci, mais non tel que la doctrine néoplatonique<br />

l'enseigne.— La substance éthérée dont <strong>le</strong> rayon<br />

solaire est <strong>le</strong> principe prési<strong>de</strong> immédiatement à la conservation<br />

du mon<strong>de</strong> éternel ; au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> cette substance<br />

est <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> intelligib<strong>le</strong>; au <strong>de</strong>gré suprême,<br />

Dieu: <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il est au mon<strong>de</strong> visib<strong>le</strong> ce que Dieu est à<br />

l'égard du mon<strong>de</strong> intelligib<strong>le</strong>. H y a dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> supérieur<br />

un so<strong>le</strong>il <strong>de</strong> vérité dont la lumière, qui est l'action<br />

d'un esprit pur, propage la clarté dans l'univers.<br />

(Julien, Panég. du so<strong>le</strong>il. —Mém. <strong>de</strong> l'Acad. <strong>de</strong>s inscr.)<br />

L'homme s'élève à Dieu par l'extase, qui réduit l'âme<br />

à l'état d'essence pure ; il lui est révélé ce qu'il n'est pas<br />

donné à <strong>l'homme</strong> <strong>de</strong> connaître par lui-même ; — c'était<br />

<strong>le</strong> délire (uWa) <strong>de</strong> Platon, auquel l'âme parvient par la<br />

théurgie, qui établit l'unification <strong>avec</strong> Dieu par l'extase.<br />

— Dans <strong>le</strong> mysticisme <strong>de</strong> Plotin, <strong>l'homme</strong> se trouvait<br />

donc changé en Dieu, et nous verrons dans Jamblique<br />

que la théurgie lui en communique la puissance. Ainsi la<br />

nouvel<strong>le</strong> philosophie ressuscite <strong>le</strong>s anciennes croyances,


298 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

en <strong>le</strong>ur faisant subir <strong>de</strong>s modifications. Tous <strong>le</strong>s efforts<br />

<strong>de</strong> la philosophie l'ont conduite, après <strong>de</strong> longues<br />

étu<strong>de</strong>s, à avouer qu'el<strong>le</strong> ne peut rien savoir, puis à reconnaître<br />

, après <strong>le</strong>s erreurs <strong>de</strong> plusieurs sièc<strong>le</strong>s, que<br />

<strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s traditions étaient encore ce qu'il y avait <strong>de</strong><br />

meil<strong>le</strong>ur.<br />

Tliéurgie : à quel signe on distinguait <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s mauvais esprits.<br />

Variété <strong>de</strong>s opinions entre Plotin, Porphyre, Jambtique, etc.<br />

La théurgie (V. Hist. <strong>de</strong> l'Acadêm., art. Théurgie)<br />

avait <strong>le</strong>s mômes rites que <strong>le</strong>s anciens mystères, el<strong>le</strong><br />

produisait <strong>le</strong>s mômes merveil<strong>le</strong>s ; Porphyre et Jamblique,<br />

qui s'étaient fait initier à E<strong>le</strong>usis, nous l'apprennent.<br />

<strong>Le</strong>s mêmes divinités y étaient invoquées ; nonseu<strong>le</strong>ment<br />

on y retrouvait ces dieux qui autorisent<br />

<strong>le</strong>s vices, mais on voyait qu'on ne <strong>le</strong>s sert bien qu'en se<br />

livrant à toute la fougue <strong>de</strong>s passions, et cependant, par<br />

une contradiction qu'on a déjà dû remarquer, pour parvenir<br />

à cet état divin où l'âme, dégagée <strong>de</strong>s liens corporels,<br />

voit l'essence divine et est unie <strong>avec</strong> el<strong>le</strong> intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>ment<br />

, il fallait recourir à la médiation <strong>de</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s, employer la prière, <strong>le</strong>s ablutions, <strong>le</strong>s parfums,<br />

la pratique <strong>de</strong>s sacrifices et gar<strong>de</strong>r la continence.<br />

Pour réussir, on ^<strong>de</strong>vait observer exactement<br />

tout ce que prescrivait <strong>le</strong> formulaire. <strong>Des</strong> paro<strong>le</strong>s qui<br />

n'appartenaient à aucune langue et n'avaient aucun<br />

sens étaient prononcées ; dès la plus haute antiquité,<br />

el<strong>le</strong>s avaient passé chez <strong>le</strong>s Grecs : Porphyre en témoignait<br />

un jour sa surprise à Jamblique; celui-ci lui assura<br />

que ces mots bizarres avaient une signification pour<br />

<strong>le</strong>s dieux et n'en étaient même que plus respectab<strong>le</strong>s.<br />

<strong>Le</strong>s Égyptiens, <strong>le</strong>s Assyriens s'en servirent <strong>le</strong>s premiers,<br />

dit-il, et <strong>le</strong>s cérémonies perdraient toute <strong>le</strong>ur


AVEC LE DÉMON. 299<br />

vertu si on y substituait <strong>de</strong>s rites nouveaux et d'autres<br />

paro<strong>le</strong>s. On s'est relâché sur ce point dans <strong>le</strong>s temps<br />

mo<strong>de</strong>rnes... —Qu'est-il arrivé? —<strong>Le</strong>s évocations restaient<br />

sans effet.<br />

Porphyre 1<br />

, croyant à <strong>de</strong> bons et à <strong>de</strong> mauvais <strong>démon</strong>s,<br />

était d'avis qu'il fallait apaiser ces <strong>de</strong>rniers,<br />

mais se délivrer <strong>de</strong> tout ce qui <strong>le</strong>ur est soumis ; c'est<br />

pourquoi il recomman<strong>de</strong> l'abstinence. — Jamblique eut<br />

<strong>de</strong>s <strong>rapports</strong> plus intimes <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux que Porphyre;<br />

sa science théurgique l'emportait sur cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier,<br />

qui <strong>le</strong> consulta sur divers sujets qui l'embarrassaient.<br />

Ainsi il lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> pourquoi, après avoir invoqué <strong>le</strong>s<br />

bons esprits, on comman<strong>de</strong> aux mauvais d'exécuter <strong>le</strong>s<br />

volontés injustes <strong>de</strong>s hommes ; il est surpris qu'on <strong>le</strong>ur<br />

fasse <strong>de</strong>s menaces pour <strong>le</strong>s contraindre. — Porphyre ne<br />

niait pas <strong>le</strong>s apparitions <strong>de</strong>s dieux pendant la célébration<br />

<strong>de</strong>s mystères; mais la difficulté <strong>de</strong> discerner <strong>le</strong>s bons<br />

esprits <strong>de</strong>s mauvais <strong>le</strong> troublait ; il interroge Jamblique<br />

sur l'opinion <strong>de</strong> ceux qui pensent que toutes <strong>le</strong>s prédictions<br />

émanent <strong>de</strong>s mauvais <strong>démon</strong>s; Apulée était <strong>de</strong> ce<br />

nombre ; on a vu qu'il <strong>le</strong>ur attribuait <strong>le</strong>s passions <strong>de</strong><br />

<strong>l'homme</strong>, <strong>le</strong>s prédictions <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins et <strong>le</strong>s opérations<br />

<strong>de</strong> la magie. Porphyre paraissait adopter ce sentiment<br />

et penser que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins recevaient <strong>le</strong>ur pouvoir d'esprits<br />

fourbes qui prennent toutes sortes <strong>de</strong> formes,<br />

etc.... Porphyre propose ainsi à Jamblique différentes<br />

difficultés qu'il est impossib<strong>le</strong> d'analyser toutes<br />

ici.<br />

Jamblique, dans son Traité <strong>de</strong>s mystères, donne <strong>de</strong>s<br />

I. Ce philosophe, discip<strong>le</strong> <strong>de</strong> Plotin, outre ses connaissances théurgiques,<br />

avait un savoir qui. dit-on, s'étendait à tout. Il a fait un grand<br />

nombre d'ouvrages. <strong>Le</strong> plus célèbre est celui qu'il composa contre <strong>le</strong>s<br />

chrétiens; <strong>le</strong> plus dangereux sans doute, et <strong>le</strong> plus répandu, puisqu'une<br />

partie <strong>de</strong>s saints Pères s'occupa <strong>de</strong> <strong>le</strong> réfuter.


300 DBS RAPPORTS DE L'HOMME<br />

règ<strong>le</strong>s pour discerner <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s bons ou <strong>de</strong>s mauvais<br />

<strong>démon</strong>s. <strong>Le</strong>s dieux apparaissent, dit-il, quand on<br />

<strong>le</strong>s évoque, <strong>le</strong>s uns sous une forme, <strong>le</strong>s autres sous<br />

une autre (il ne paraît pas que Porphyre é<strong>le</strong>vât <strong>de</strong> difficulté<br />

sur <strong>le</strong>ur apparition). La forme <strong>de</strong>s dieux est nob<strong>le</strong>,<br />

majestueuse, et ne cause que <strong>de</strong> la joie; il en est <strong>de</strong><br />

même <strong>de</strong>s bons <strong>démon</strong>s, quoique <strong>le</strong>ur aspect soit moins<br />

nob<strong>le</strong>. Mais l'apparition <strong>de</strong>s mauvais est effrayante;<br />

spectres bizarres, ils changent souvent <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur et<br />

<strong>de</strong> forme : tandis que <strong>le</strong>s premiers donnent au corps la<br />

santé, à l'esprit l'énergie et la sérénité, <strong>le</strong>s mauvais ne<br />

causent que <strong>de</strong> la terreur et du mal.— On ne peut suivre<br />

Jamblique dans son exposé; disons, après lui, que la<br />

beauté distingue <strong>le</strong>s dieux; qu'une lumière que <strong>le</strong>s<br />

yeux ne peuvent fixer, brillante comme jamais on<br />

n'en vit, rayonne autour d'eux et semb<strong>le</strong> illuminer<br />

l'univers; cel<strong>le</strong> qui reluit autour <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s a moins<br />

d'éclat; cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s mauvais a quelque chose d'obscur,<br />

d'opaque, <strong>de</strong> circonscrit, dont <strong>le</strong>s spectateurs qui ont<br />

vu <strong>le</strong> feu divin feront peu <strong>de</strong> cas. Celui <strong>de</strong>s dieux ne<br />

change pas; celui <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s est changeant, tumultueux...<br />

La vue <strong>de</strong>s dieux inspire une joie ineffab<strong>le</strong>,<br />

l'amour divin...; l'arrivée <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s n'inspire que<br />

<strong>de</strong>s goûts matériels, l'appétit vénérien, etc..<br />

Porphyre dit que l'opinion commune est que <strong>le</strong>s<br />

anges et <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s apparaissent <strong>avec</strong> la môme ostentation<br />

que <strong>le</strong>s dieux : Cum apparent ostentare se et jac'<br />

tare mirificc. Jamblique répond que <strong>le</strong>s dieux ne permettraient<br />

pas aux intelligences <strong>de</strong> paraître plus qu'el<strong>le</strong>s<br />

ne sont effectivement : Neque possunt sibi ultra qiiam<br />

sint arrogare. Il reconnaît cependant que si <strong>le</strong> ministre<br />

ne remplissait pas toutes <strong>le</strong>s conditions voulues pour<br />

la théurgie, <strong>le</strong>s mauvais <strong>démon</strong>s pourraient se présenter<br />

à la place <strong>de</strong>s Ions et s'arroger une qualité


AVEC LE DÉMON. 301<br />

qu'ils n'ont pas ; il faut donc que <strong>le</strong>s prêtres examinent<br />

<strong>le</strong>s apparitions d'après toutes <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s, qu'ils se<br />

souviennent que la jactance n'appartient pas aux bons<br />

esprits, et qu'ils se gar<strong>de</strong>nt surtout <strong>de</strong> s'écarter du<br />

rituel. 11 dit enfin que si <strong>le</strong>s mauvais esprits trompent,<br />

<strong>le</strong>s bons se reconnaissent toujours par <strong>le</strong> feu, qui ne<br />

peut tromper : Circa ignem veridici. (Extrait du chapitre<br />

Quando alia numina appareant, etc.)<br />

Jamblique explique pourquoi on prie tantôt <strong>le</strong>s esprits<br />

comme <strong>de</strong>s maîtres, et tantôt on <strong>le</strong>ur comman<strong>de</strong><br />

comme à <strong>de</strong>s va<strong>le</strong>ts : « Il y a autour <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>s esprits<br />

médiateurs qui inspirent aux hommes la justice et <strong>le</strong>s<br />

détournent <strong>de</strong> ce qui est injuste, et qui renvoient aux<br />

méchants ce qu'ils voudraient faire souffrir aux autres,<br />

comme il existe <strong>de</strong>s intelligences malignes et malavisées,<br />

auxquel<strong>le</strong>s il n'est départi que <strong>le</strong> pouvoir d'agir.<br />

En invoquant tous <strong>le</strong>s esprits, on s'adresse à ceux qui<br />

peuvent tout comme à ceux qui ne peuvent qu'une<br />

seu<strong>le</strong> chose, mais à ces <strong>de</strong>rniers comme à <strong>de</strong>s inférieurs;<br />

car la nature humaine qui est intelligente est<br />

plus nob<strong>le</strong> que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> ces esprits qui ne l'est pas,<br />

quoiqu'ils aient sur <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> un pouvoir plus étendu<br />

que <strong>l'homme</strong> ; <strong>le</strong> prêtre est donc là non-seu<strong>le</strong>ment un<br />

homme, mais <strong>le</strong> représentant <strong>de</strong>s dieux, en vertu du<br />

mandat qu'il tient du sacrifice qui lui donne <strong>le</strong> pouvoir<br />

<strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r aux esprits inférieurs.»<br />

Jamblique dit que la bonté <strong>de</strong>s dieux pour <strong>l'homme</strong><br />

est si admirab<strong>le</strong> que <strong>le</strong> moindre rapport <strong>avec</strong> eux suffit<br />

pour qu'ils nous écoutent.<br />

L'observance <strong>de</strong> ce qui était ordonné pour obtenir<br />

l'union <strong>avec</strong> la divinité conférait <strong>le</strong> pouvoir qu'on nommait<br />

virtus sacramentorum, puissance admirab<strong>le</strong> qui<br />

n'était connue que <strong>de</strong>s dieux. — On ne peut rien extraire<br />

<strong>de</strong> ce chapitre.


302 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>Le</strong> pouvoir <strong>de</strong> prédire, selon Jamblique, n'appartient<br />

ni à l'art, ni à la nature ; mais on doit <strong>le</strong> rapporter<br />

aux dieux : Potestas prœsaga refertur ad <strong>de</strong>os.<br />

Après avoir reconnu que <strong>le</strong>s songes sont dus à diverses<br />

causes naturel<strong>le</strong>s, Jamblique dit que ceux qui<br />

viennent <strong>de</strong>s dieux n'arrivent pas comme <strong>le</strong>s premiers;<br />

on peut <strong>le</strong>s avoir môme dans la veil<strong>le</strong>, alors on entend<br />

<strong>de</strong>s voix qui disent brièvement ce qu'on doit faire.<br />

Il traite ensuite <strong>de</strong> l'inspiration pendant la veil<strong>le</strong>;<br />

Porphyre avait parlé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux genres d'inspiration, l'un<br />

dans <strong>le</strong> sommeil, l'autre dans la veil<strong>le</strong> qui faisaient<br />

prédire l'inspiré. Jamblique dit que celui qui semb<strong>le</strong><br />

être dans <strong>le</strong> sommeil ne dort pas, et que celui qui paraît<br />

éveillé n'est pas proprement dans l'état <strong>de</strong> veil<strong>le</strong>...<br />

<strong>le</strong>ur vie est sous l'empire du dieu qui donne l'inspiration.<br />

Dans <strong>le</strong> chapitre Inspivatus habet <strong>de</strong>um pro anima,<br />

Jamblique dit : <strong>Le</strong> plus grand signe <strong>de</strong> l'inspiration,<br />

c'est <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>scendre l'esprit, et d'être conduit et<br />

enseigné mystiquement par lui. L'inspiré, avant <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

recevoir, voit une certaine apparence <strong>de</strong> feu ; quelquefois<br />

<strong>le</strong>s spectateurs <strong>le</strong> voient comme lui, soit quand<br />

il arrive, soit quand il se retire : —Advenicnte sive rece<strong>de</strong>n<strong>le</strong>.<br />

— Ceux qui sont experts dans ces choses distinguent<br />

à quel ordre appartient <strong>le</strong> dieu et quel<strong>le</strong> est sa<br />

puissance... L'inspiré ne fait et ne dit rien par luimôme<br />

étant entièrement conduit par l'esprit divin.<br />

Porphyre disait que l'inspiration était un mouvement<br />

<strong>de</strong> l'âme uni au souff<strong>le</strong> divin; Jamblique soutient<br />

qu'il n'y a rien d'humain, mais la divinité s'empare<br />

<strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s puissances <strong>de</strong> l'âme. Jamblique expose<br />

<strong>le</strong>s divers sentiments relatifs à la cause qui fait <strong>de</strong>viner;<br />

— el<strong>le</strong> n'appartient, dit-il, ni au corps ni à l'âme, il<br />

eu donne <strong>le</strong>s raisons. La cause, ce sont <strong>le</strong>s dieux qui


AVEC LE DÉMON. 303<br />

<strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt en nous, qui s'emparent <strong>de</strong> tons nos organes,<br />

et qui par<strong>le</strong>nt par la bouche <strong>de</strong> celui qui est<br />

transporté <strong>de</strong> la fureur sacrée : Per os furentis.<br />

Porphyre pensait que <strong>le</strong>s dieux étaient contraints<br />

par <strong>l'homme</strong> qui <strong>le</strong>s évoque, Jamblique nie qu'il en<br />

soit ainsi. L'invocation rapproche <strong>le</strong> prêtre du dieu<br />

par une sorte d'assimilation, mais il ne fait pas vio<strong>le</strong>nce<br />

à la divinité.<br />

<strong>Le</strong>s prodiges et <strong>le</strong>s divinations n'ont lieu par aucune<br />

vertu ni <strong>de</strong>s actes, ni <strong>de</strong>s corps, ni <strong>de</strong> l'âme, mais par<br />

la libre puissance <strong>de</strong> Dieu, ce que Jamblique expose<br />

dans cinq pages. Douze autres pages traitent <strong>de</strong>s songes<br />

divins et humains.<br />

Porphyre consulte encore Jamblique sur une opinion<br />

qu'il ûe partage pas, qui attribuait <strong>le</strong>s prédictions et<br />

<strong>le</strong>s guérisons aux mauvais <strong>démon</strong>s qui feignent être <strong>de</strong>s<br />

dieux ou <strong>de</strong> grands <strong>démon</strong>s, ou <strong>de</strong>s âmes <strong>de</strong> trépassés.<br />

Quoique Jamblique se fasse une sorte <strong>de</strong> scrupu<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

mélanger <strong>le</strong> sacré <strong>avec</strong> <strong>le</strong> profane, il répond : Que <strong>le</strong>s<br />

sages <strong>de</strong> Chaldée lui ont appris que <strong>le</strong>s dieux accordaient<br />

aux bons par <strong>le</strong>s sacrifices <strong>le</strong> vrai bien, et que<br />

<strong>le</strong>ur présence chassait <strong>le</strong>s mauvais comme la lumière<br />

dissipe <strong>le</strong>s ténèbres. Un sacrificateur pieux ne peut être<br />

troublé par eux, celui qui serait vicieux, qui n'observerait<br />

pas <strong>le</strong>s rites, ne pourrait faire venir <strong>le</strong>s dieux.<br />

<strong>Le</strong>s mauvais <strong>démon</strong>s accourraient, il serait aussitôt<br />

rempli d'un esprit fort méchant, <strong>le</strong>s prêtres profanes<br />

<strong>de</strong>viendraient dissolus et méchants comme lui...—Dans<br />

<strong>le</strong>s sacrifices légaux cela n'arrive pas, <strong>le</strong>s dieux embrasent<br />

<strong>le</strong> ministre <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur feu divin et <strong>le</strong>s méchants<br />

<strong>démon</strong>s disparaissent comme la foudre. Vous avez donc<br />

agi témérairement, ô Porphyre ! lui dit Jamblique en<br />

rappelant l'opinion <strong>de</strong> ceux qui attribuent la divination<br />

aux mauvais <strong>démon</strong>s : sachez que ceux-ci sont dès <strong>le</strong>


304 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

commencement dans <strong>le</strong>s ténèbres, et ne peuvent ni<br />

discerner <strong>le</strong> vrai du faux, ni comprendre <strong>le</strong>s causes<br />

<strong>de</strong>s événements.<br />

Ceci n'étant qu'un extrait fort tronqué, ne doit pas<br />

empêcher <strong>le</strong>s <strong>le</strong>cteurs curieux <strong>de</strong> connaître <strong>le</strong> sujet si<br />

intéressant du merveil<strong>le</strong>ux chez <strong>le</strong>s néoplatoniciens,<br />

<strong>de</strong> recourir à Jamblique ; il nous reste à par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s<br />

prodiges <strong>de</strong> la théurgie. —On a déjà parlé au chapitre<br />

<strong>de</strong>s mystères <strong>de</strong>s apparitions <strong>de</strong>s dieux ; quoique forcé<br />

d'être court, nous en dirons encore ici quelques mots<br />

pour donner une idée plus complète du pouvoir conféré<br />

aux prêtres dans <strong>le</strong>s mystères.<br />

Jamblique, pontife <strong>de</strong>s mystères secrets, répond à<br />

Porphyre, qui lui <strong>de</strong>mandait plusieurs éclaircissements<br />

sur divers points faisant <strong>le</strong> sujet d'une <strong>le</strong>ttre adressée à<br />

Anebon : après avoir dit que c'est par la théurgie que<br />

l'âme se dégage <strong>de</strong> ses liens charnels, après avoir dit<br />

que <strong>le</strong>s anges entourent en grand nombre ceux qui exercent<br />

<strong>le</strong> ministère sacré et <strong>le</strong>s élèvent à un état divin, il<br />

expose qu'ils ne sont plus maîtres d'eux-mêmes, ils<br />

prédisent l'avenir, par<strong>le</strong>nt un langage divin, ne vivent<br />

plus <strong>de</strong> la vie anima<strong>le</strong>... <strong>Le</strong> feu n'a plus <strong>de</strong> pouvoir sur<br />

eux, ils peuvent marcher sur <strong>de</strong>s brasiers ar<strong>de</strong>nts sans<br />

<strong>le</strong> sentir, <strong>le</strong> dieu qui <strong>le</strong>s anime en repousse l'ar<strong>de</strong>ur ;<br />

s'ils en éprouvent <strong>le</strong>s atteintes, il ne <strong>le</strong>ur cause nul<strong>le</strong><br />

dou<strong>le</strong>ur, ils sont insensib<strong>le</strong>s aux piqûres et aux écorchures.<br />

11 y a plus, ils sont invulnérab<strong>le</strong>s, on <strong>le</strong>s perce<br />

<strong>avec</strong> <strong>de</strong>s lances et <strong>de</strong>s épées, il n'en reste pas <strong>de</strong> vestiges;<br />

<strong>le</strong>urs actions n'étant plus humaines, ils peuvent<br />

passer dans <strong>de</strong>s lieux impénétrab<strong>le</strong>s, inaccessib<strong>le</strong>s...,<br />

marcher sur <strong>le</strong>s eaux comme sur <strong>de</strong>s chemins soli<strong>de</strong>s ;<br />

tous n'opèrent pas <strong>le</strong>s mêmes prodiges, <strong>le</strong>s opérations<br />

et <strong>le</strong>urs effets diffèrent selon <strong>le</strong>s personnes.... Chez <strong>le</strong>s<br />

uns, tous <strong>le</strong>s membres du corps sont agités à la fois,


AVEC LE DÉMON. 305<br />

d'autres n'éprouvent <strong>de</strong>s mouvements convulsifs que<br />

dans un seul membre. A ces mouvements divers succè<strong>de</strong><br />

un repos profond, un calme subit; dans cet état<br />

ils enten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s bruits <strong>de</strong> toute sorte, mélodieux, effrayants,<br />

lugubres ; tantôt ce sont <strong>de</strong>s voix qui chantent<br />

en chœur, tantôt <strong>de</strong>s voix discordantes, continues,<br />

ou <strong>avec</strong> interruption... Parmi ces inspirés, <strong>le</strong>s uns se<br />

livrent à <strong>de</strong>s danses, d'autres à <strong>de</strong>s chants... Il en est<br />

dont <strong>le</strong> corps grandit parfois comme un colosse,<br />

d'autres fois il se rapetisse comme celui d'un enfant....<br />

On voit <strong>le</strong>s uns s'é<strong>le</strong>ver en l'air, se diriger horizonta<strong>le</strong>ment,<br />

puis, se laissant tomber, ils ne sont point b<strong>le</strong>ssés...;<br />

tout cela n'effraye personne, car ce prodige se<br />

manifeste souvent. La plus insigne marque d'intervention<br />

divine, c'est <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>scendre l'esprit, comme<br />

on l'a dit précé<strong>de</strong>mment.<br />

On ne peut rapporter ici <strong>le</strong>s réponses que donne<br />

Jamblique aux diverses questions que lui fait Porphyre ;<br />

—Ce <strong>de</strong>rnier pensait que l'âme <strong>de</strong>vinait dans <strong>le</strong>s songes.<br />

Jamblique lui répond que <strong>le</strong>s songes qui viennent <strong>de</strong><br />

causes humaines ne sont pas véritab<strong>le</strong>s ou ne se réalisent<br />

que par hasard.<br />

Porphyre, outre <strong>le</strong>s prédictions ou <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s obtenus<br />

publiquement, par<strong>le</strong> <strong>de</strong>s divinations particulières faites<br />

par certains moyens qui attirent <strong>le</strong>s esprits pour prédire.<br />

Jamblique <strong>le</strong>s rejette; ceux qui se confient, dit-il,<br />

à ces signes négligent la religion et ne peuvent communiquer<br />

<strong>avec</strong> la Divinité, qui fait seu<strong>le</strong> <strong>de</strong> véritab<strong>le</strong>s prédictions<br />

; ils tombent sous la puissance <strong>de</strong>s mauvais<br />

<strong>démon</strong>s qui mentent et trompent..., qui mentiuntur et<br />

falluni, etc.<br />

Jamblique dit plus loin que <strong>le</strong>s dieux donnent <strong>de</strong>s<br />

signes qui annoncent l'avenir par <strong>le</strong> ministère <strong>de</strong> la nature<br />

universel<strong>le</strong> ou par <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s ministres<br />

i- 20


306 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

qui gouvernent toute la nature, selon la volonté <strong>de</strong>s<br />

dieux. Ils opèrent <strong>de</strong>s changements dans <strong>le</strong>s viscères<br />

<strong>de</strong>s victimes pour avertir <strong>le</strong>s hommes. Il est manifeste<br />

que cela se fait par opération divine, car souvent on<br />

ne trouve plus <strong>le</strong>s organes indispensab<strong>le</strong>s à la vie,<br />

ils ont été en<strong>le</strong>vés subitement.<br />

Porphyre s'étonne que <strong>le</strong>s dieux révè<strong>le</strong>nt l'avenir<br />

par la farine... — Jamblique lui répond qu'ils <strong>le</strong> font<br />

par un excès <strong>de</strong> bonté ; la Provi<strong>de</strong>nce est si disposée à<br />

nous annoncer l'avenir par divers signes que <strong>le</strong>s pierres,<br />

<strong>le</strong>s baguettes, <strong>le</strong> bois, <strong>le</strong> froment, la farine, etc., sont<br />

pour el<strong>le</strong> <strong>de</strong>s moyens : el<strong>le</strong> anime <strong>le</strong>s objets inanimés,<br />

donne <strong>le</strong> mouvement aux choses inertes et l'intelligence<br />

à ce qui est dépourvu <strong>de</strong> raison. La Divinité qui<br />

par<strong>le</strong> dans la bouche <strong>de</strong>s fous se sert ainsi <strong>de</strong>s choses<br />

<strong>le</strong>s plus vi<strong>le</strong>s, etc. Impiratus... habet Deum pro anima.<br />

S'il était permis <strong>de</strong> continuer cet examen, on verrait<br />

que la science du discip<strong>le</strong> l'emporte sur cel<strong>le</strong> du<br />

maître. Porphyre est éclairé ainsi par Jamblique sur différents<br />

points <strong>de</strong> la doctrine religieuse. Cependant <strong>le</strong>s<br />

sentiments <strong>de</strong> Jamblique n'étaient pas généra<strong>le</strong>ment<br />

admis, <strong>le</strong>s païens n'étaient pas d'accord sur tous <strong>le</strong>s<br />

chefs : l'un avait une opinion que l'autre rejetait, parce<br />

que <strong>le</strong>ur commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux <strong>le</strong>s trompait; tout<br />

y était ténébreux et contradictoire. •<br />

L'auteur <strong>de</strong>s Orac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Zoroastre, en attestant aussi<br />

<strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong> la théurgie, indique ce qu'on doit faire<br />

suivant la forme que prennent <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s : « Quelquefois<br />

, dit-il, vous verrez dans <strong>le</strong>s mystères sacrés <strong>de</strong>s<br />

temp<strong>le</strong>s un feu d'une figure et d'une cou<strong>le</strong>ur étrange qui<br />

passe <strong>avec</strong> rapidité ; vous enten<strong>de</strong>z <strong>de</strong>s voix confuses,<br />

<strong>avec</strong> un bruit, un fracas qui ressemb<strong>le</strong> à celui du tonnerre;<br />

vous apercevez, au milieu <strong>de</strong>s flammes, un coursier<br />

fougueux monté par un cavalier nu, d'autres fois


AVEC LE DÉMON. 307<br />

<strong>avec</strong> <strong>de</strong>s vêtements resp<strong>le</strong>ndissants d'or... Un moment<br />

après, tout est dans <strong>le</strong> troub<strong>le</strong> et dans l'horreur, <strong>le</strong> ciel<br />

n'aplus sa forme sphérique, <strong>le</strong>s astres ne donnent plus <strong>de</strong><br />

lumière, la lune apparaît toute noire, la terre tremb<strong>le</strong>,<br />

il sort <strong>de</strong> son sein <strong>de</strong>s chiens ou d'autres animaux menaçants<br />

qui effrayent, etc. Mais ce sont <strong>le</strong>s dieux qui<br />

vous présentent ces choses et vous honorent <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur visite;<br />

pour la mériter, il faut que votre âme soit purifiée<br />

par <strong>le</strong>s sacrifices. » — Il paraît donc que l'auteur <strong>de</strong> ce<br />

fragment ne possédait pas, pour discerner <strong>le</strong>s esprits,<br />

<strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jamblique, puisque ces apparitions, qui<br />

étaient pour lui toutes divines, n'étaient, d'après <strong>le</strong> sage<br />

<strong>de</strong> Chaldée, que <strong>de</strong>s apparitions <strong>de</strong> mauvais esprits. On<br />

croyait généra<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s était<br />

tout terrestre. Celse, Apulée, pensaient qu'en étudiant<br />

la magie théurgique, il fallait se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> trop se livrer<br />

à l'amour <strong>de</strong>s choses corporel<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s sages avertissaient<br />

que presque tous <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s avaient une passion<br />

désordonnée pour lès voluptés charnel<strong>le</strong>s, étaient avi<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> sang et <strong>de</strong> sacrifices, couraient après <strong>le</strong>s concerts, ne<br />

pouvaient rien opérer <strong>de</strong> mieux que <strong>de</strong>s guérisons, faire<br />

<strong>de</strong>s prédictions et tout ce qui concerne la vie périssab<strong>le</strong>.<br />

Il est constant qu'il n'y avait rien <strong>de</strong> bien fixe sur certains<br />

points <strong>de</strong> la théurgie ; quelques-uns y voyaient encore<br />

une cause naturel<strong>le</strong> jointe à l'influx divin; mais <strong>le</strong>s<br />

plus instruits n'y voyaient que la Divinité s'emparant<br />

<strong>de</strong>s prophètes ou <strong>de</strong>vins; grand nombre <strong>de</strong> passages<br />

dans Jamblique, instruit aux bonnes sources, viennent<br />

<strong>le</strong> prouver.<br />

Ils différaient ainsi <strong>de</strong> sentiment dans <strong>le</strong> discernement<br />

<strong>de</strong>s esprits et ne distinguaient pas faci<strong>le</strong>ment la<br />

ihéurgie <strong>de</strong> la goétie, source <strong>de</strong> difficultés insurmontab<strong>le</strong>s,<br />

d'autant plus graves que <strong>le</strong>s opinions mêmes <strong>de</strong>s


308 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

plus savants étaient parfois fort opposées entre el<strong>le</strong>s.<br />

— Vous préten<strong>de</strong>z qu'on doit regar<strong>de</strong>r comme <strong>de</strong>s magiciens<br />

<strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Pythagore et d'Orphée,<br />

disait Apollonius <strong>de</strong> Tyane, et vous attachez à ce titre<br />

l'idée la plus odieuse; moi je soutiens qu'ils sont <strong>le</strong>s<br />

plus fidè<strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jupiter, s'ils mènent, comme ils<br />

<strong>le</strong> doivent, une vie divine : quiconque n'est pas magicien<br />

est un athée... — Il entendait par<strong>le</strong>r sans doute <strong>de</strong><br />

la magie théurgique et non <strong>de</strong> la goétie ; car, pour<br />

cel<strong>le</strong>-ci, Philostrate dit qu'Apollonius avait <strong>de</strong>s sentiments<br />

d'horreur.<br />

Au milieu <strong>de</strong> ces opinions nécessairement divergentes,<br />

parce que <strong>le</strong>s dieux <strong>le</strong> voulaient ainsi; ce qu'on<br />

voit chez tous <strong>le</strong>s néoplatoniciens c'est la ferme croyance<br />

aux apparitions <strong>de</strong>s dieux, à l'existence <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

bons et mauvais, et <strong>de</strong>s âmes <strong>de</strong>s défunts qui, grossissant<br />

<strong>le</strong>ur nombre, apparaissaient comme <strong>le</strong>s dieux<br />

et <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ; la ferme croyance aux orac<strong>le</strong>s et aux<br />

diverses divinations, à tous <strong>le</strong>s prodiges enfin qui vont<br />

maintenant se multiplier, simu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s du christianisme<br />

et jeter ainsi <strong>le</strong> troub<strong>le</strong> chez <strong>le</strong>s nouveaux<br />

chrétiens. Parmi <strong>le</strong>s païens, <strong>le</strong>s uns prétendaient que<br />

<strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s mauvais <strong>démon</strong>s n'étaient que <strong>de</strong>s illusions<br />

ainsi que <strong>le</strong>ur apparition; <strong>le</strong>s vrais prodiges, <strong>le</strong>s<br />

apparitions réel<strong>le</strong>s n'appartenaient qu'aux dieux. Pour<br />

<strong>le</strong>s chrétiens, <strong>le</strong>s dieux et <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s étant <strong>le</strong>s mêmes, ils<br />

soutenaient que tous <strong>le</strong>s prodiges du paganisme étaient<br />

<strong>de</strong>s impostures diaboliques, et que <strong>le</strong>s païens <strong>de</strong>venaient<br />

<strong>le</strong> jouet <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s 1<br />

.<br />

l. Jamblique dit que <strong>le</strong>s apparitions <strong>de</strong>s dieux ne sont point fantastiques,<br />

mais réel<strong>le</strong>s ; tandis que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s mauvais esprits est imaginaire<br />

et trompeuse.


AVEC LE DÉMON. 309<br />

<strong>Des</strong> objets animés par la Divinité et surtout <strong>de</strong>s talismans.<br />

En parlant du merveil<strong>le</strong>ux chez <strong>le</strong>s néoplatoniciens,<br />

on ne peut passer sous si<strong>le</strong>nce ce qui fait <strong>le</strong> sujet <strong>de</strong> ce<br />

paragraphe. <strong>Le</strong>s néoplatoniciens, comme discip<strong>le</strong>s d'Orphée,<br />

<strong>de</strong> Pythagore, etc., qui avaient donné aux Grecs la<br />

pratique <strong>de</strong>s talismans, <strong>de</strong>vaient y attacher la môme importance<br />

que ces <strong>de</strong>rniers. — La théurgie, outre la purification<br />

<strong>de</strong> l'âme, perfectionnait <strong>le</strong>s ôtres corporels, <strong>le</strong>s<br />

mettait dans un rapport convenab<strong>le</strong> <strong>avec</strong> la nature universel<strong>le</strong>.<br />

L'art <strong>de</strong> la théurgie consistait à trouver <strong>le</strong>s<br />

moyens <strong>de</strong> disposer <strong>le</strong>s pierres, <strong>le</strong>s métaux, <strong>le</strong>s parfums,<br />

tous <strong>le</strong>s corps enfin, à recevoir l'influence divine, par<br />

l'entremise <strong>de</strong>s esprits qui animent <strong>le</strong>s astres. Par certaines<br />

pratiques, ces corps étaient rendus sacrés, et se<br />

îrouvaient remplis <strong>de</strong> la Divinité qui venait rési<strong>de</strong>r en<br />

eux pour être uti<strong>le</strong> aux hommes. D'après ces principes,<br />

on fabriquait <strong>de</strong>s statues auxquel<strong>le</strong>s on attribuait, en<br />

vertu <strong>de</strong>s influences <strong>de</strong> l'astre, <strong>de</strong> vrais prodiges. Ainsi<br />

h statues parlaient, s'agitaient;... — <strong>avec</strong> une Vénus<br />

couchée on faisait cesser la grê<strong>le</strong>, etc. (De l'Is<strong>le</strong>, <strong>de</strong>s<br />

Talismans.) C'est pourquoi Apollonius laissait, en<br />

parcourant la Grèce, <strong>de</strong>s talismans partout où il passait.—<br />

Constantinop<strong>le</strong> étant extraordinairement fatiguée<br />

par <strong>le</strong>s serpents et <strong>le</strong>s scorpions, il grava sur <strong>le</strong><br />

cuivre <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> ces repti<strong>le</strong>s, en ayant soin d'observer<br />

la vertu planétaire, et aussitôt <strong>le</strong>s habitants furent<br />

délivrés. Ce fut aussi par un talisman qu'il empêcha<br />

<strong>le</strong>s inondations du f<strong>le</strong>uve Lyeus (Cedremis in Claud.);<br />

pouvoir admirab<strong>le</strong> reconnu <strong>de</strong>s la plus haute antiquité ;<br />

Trismégiste disait à Asclépius : « Considérez quel est <strong>le</strong><br />

pouvoir <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>; voyez ces statues animées qui<br />

rat un esprit qui <strong>le</strong>ur donne la vie..., qui font tant <strong>de</strong>,


340 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

gran<strong>de</strong>s choses..., qui envoient <strong>de</strong>s maladies et qui <strong>le</strong>s<br />

guérissent,» etc., etc. (S. Aug., Cité <strong>de</strong> Dieu, VIII,23.)<br />

Est-il bien constant que <strong>le</strong>s néoplatoniciens crussent à tant <strong>de</strong><br />

prodiges ?<br />

La première pensée qui se présente à l'esprit, c'est<br />

la question <strong>de</strong> savoir si, après une si longue incrédulité,<br />

à une époque <strong>de</strong> très-haute civilisation, <strong>de</strong>s hommes<br />

revêtus <strong>de</strong>s plus hautes charges <strong>de</strong> l'Etat, <strong>de</strong>s philosophes<br />

<strong>le</strong>s plus éclairés <strong>de</strong> ce temps, ont cru réel<strong>le</strong>ment<br />

aux prodiges du néoplatonisme ; s'ils n'ont pas plutôt<br />

feint d'y croire et favorisé <strong>le</strong>s jong<strong>le</strong>ries <strong>de</strong> quelques<br />

prestidigitateurs pour <strong>le</strong>s opposer aux mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s<br />

chrétiens. — Pour toute réponse, on pourrait inviter <strong>le</strong><br />

<strong>le</strong>cteur à parcourir <strong>le</strong>s historiens profanes, <strong>le</strong>s traités<br />

philosophiques, <strong>le</strong>s Pères <strong>de</strong> l'Eglise et <strong>le</strong>s historiens<br />

ecclésiastiques; car il ne douterait plus <strong>de</strong> l'entière conviction<br />

<strong>de</strong>s néoplatoniciens.<br />

Il est très-constant que <strong>le</strong>s platoniciens qui avaient<br />

été sceptiques, re<strong>de</strong>vinrent croyants aux prodiges dont<br />

ils furent <strong>le</strong>s acteurs ou <strong>le</strong>s témoins. Ce fut une raison<br />

pour réhabiliter tous ceux que l'épicurisme avait niés, et<br />

pour exhumer <strong>le</strong>s vieux prodiges et <strong>le</strong>s anciens orac<strong>le</strong>s;<br />

mais <strong>le</strong>s uns, comme Celsc, dans <strong>le</strong> but <strong>de</strong> faire douter<br />

<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s chrétiens comme on doutait <strong>de</strong>s prodiges<br />

païens; d'autres, enfin, fermement convaincus <strong>de</strong>s uns<br />

et <strong>de</strong>s autres, pour essayer, mais en vain, <strong>de</strong> <strong>démon</strong>trer<br />

la supériorité <strong>de</strong>s prodiges païens. — Celse, rappelant<br />

<strong>le</strong>s cures d'Esculape et <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s d'Apollon, disait:<br />

Pourquoi oublier <strong>le</strong>s prodiges d'Aristée, d'Abaris, <strong>de</strong><br />

Cléomèdc, tandis qu'on vante ceux <strong>de</strong> Jésus?... — <strong>Le</strong><br />

premier s'était montré à Cyzique un instant après qu'il<br />

se fut enfermé chez un foulon, à Proconèse; <strong>le</strong> se-


AVEC LE DÉMON. 311<br />

oond, comme on sait, chevauchait en l'air sur une flèche ;<br />

et <strong>le</strong> troisième, s'étant caché dans un coffre, s'y était<br />

rendu invisib<strong>le</strong> à ceux qui <strong>le</strong> poursuivaient, et l'orac<strong>le</strong><br />

avait déclaré que c'étaient là <strong>de</strong> vrais prodiges.<br />

Jésus connaissait la mauvaise vie <strong>de</strong> la femme adultère<br />

qu'il n'avait jamais vue. Plotin n'avait-il pas découvert<br />

<strong>le</strong> vol secret d'un collier <strong>de</strong> per<strong>le</strong>s... prédit la<br />

mort d'un <strong>de</strong> ses discip<strong>le</strong>s, et connu la résolution qu'avait<br />

prise Porphyre, dans sa mélancolie, <strong>de</strong> se faire<br />

mourir? Plotin ne voyait-il pas <strong>le</strong>s dieux, ne conversait-il<br />

pas familièrement <strong>avec</strong> eux? L'orac<strong>le</strong> ne déclarat-il<br />

pas après sa mort qu'il était au nombre <strong>de</strong>s divinités?<br />

Porphyre, moins favorisé <strong>de</strong>s dieux, ignorant,<br />

sceptique même sur quelques points, ne <strong>le</strong>s avait vus<br />

qu'une seu<strong>le</strong> fois ; cependant il avait chassé d'un bain<br />

<strong>le</strong> <strong>démon</strong> qui s'en était emparé, et obtenu un orac<strong>le</strong><br />

important... Mais Jamblique voyait souvent <strong>le</strong>s dieux;<br />

on l'a trouvé quelquefois, lorsqu'il était en contemplation,<br />

é<strong>le</strong>vé en l'air <strong>de</strong> dix coudées, et on a vu son corps<br />

bril<strong>le</strong>r <strong>de</strong> la plus vive lumière.<br />

Édèse, son discip<strong>le</strong>, n'a-t-il pas <strong>de</strong>s visions quand il<br />

veut, après avoir récité certaine prière? <strong>Le</strong>s dieux lui<br />

révè<strong>le</strong>nt l'avenir dans son sommeil, et un jour qu'il<br />

avait oublié ces divins orac<strong>le</strong>s, son va<strong>le</strong>t lui fit remarquer<br />

qu'ils étaient écrits sur <strong>le</strong> dos <strong>de</strong> sa main.<br />

Esculape apparaît en songe et guérit <strong>de</strong>s maladies :<br />

Jamblique, Julien, etc., l'assurent; il se fait tant <strong>de</strong><br />

choses extraordinaires, que cela surpasse tout ce qu'on<br />

peut en dire. — Ainsi s'exprimaient beaucoup <strong>de</strong> païens<br />

frappés <strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong>s néoplatoniciens : « Si <strong>le</strong>s<br />

simulacres que nous érigeons ne sont pas <strong>de</strong>s dieux,<br />

disaient - ils, pourquoi donc ont-ils tant <strong>de</strong> puissance?<br />

Est-il vraisemblab<strong>le</strong> que <strong>de</strong>s statues inanimées,<br />

immobi<strong>le</strong>s aient un tel pouvoir? » <strong>Le</strong>s dieux, disait


312 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Porphyre, sont dans <strong>le</strong>s statues comme dans un lieu<br />

saint ; Jamblique fit un ouvrage pour <strong>le</strong> prouver à ceux<br />

qui auraient pu en douter. »<br />

Celse faisait voir que la religion païenne était sanctionnée<br />

par <strong>le</strong>s opérations extraordinaires <strong>de</strong>s génies et<br />

par <strong>de</strong>s prédictions.<br />

« Est-il besoin, disait-il, <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s<br />

prophètes, <strong>de</strong>s inspirés ? Que <strong>de</strong> choses <strong>le</strong>s dieux<br />

n'ont-ils pas révélées à ceux qui <strong>le</strong>ur offraient <strong>de</strong>s<br />

victimes? Par combien <strong>de</strong> prodiges la Divinité n'at—el<strong>le</strong><br />

pas fait connaître qu'el<strong>le</strong> était présente dans<br />

<strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s... <strong>Le</strong>s dieux se sont montrés, ils ont puni<br />

ou récompensé, frappé <strong>le</strong>s uns <strong>de</strong> maladie, <strong>le</strong>s ont fait<br />

tomber en démence, et forcés d'avouer <strong>le</strong>urs crimes secrets...<br />

— D'autres ont été guéris, délivrés <strong>de</strong> la colère<br />

<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s... (Orig. c. Celse, VII, VIII.)— Qu'on se<br />

transporte dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Trophonius, d'Amphiaraiis,<br />

<strong>de</strong> Mopsus, où <strong>le</strong>s dieux apparaissent sous la<br />

forme humaine, réel<strong>le</strong>, évi<strong>de</strong>nte.— Ces prodiges étant<br />

actuels, il n'était guère possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> nier ceux <strong>de</strong>s temps<br />

passés. On pouvait se transporter à Tricca, Cos, Épidaure,<br />

Claros, Pergame, etc., où <strong>le</strong> souvenir <strong>de</strong> tant <strong>de</strong><br />

guérisons et <strong>de</strong> prédictions obtenues n'était point perdu.<br />

Mais si on veut être mieux assuré <strong>de</strong> cette profon<strong>de</strong><br />

conviction <strong>de</strong>s païens <strong>le</strong>s plus éclairés, dont plusieurs<br />

<strong>de</strong>vinrent chrétiens, on peut consulter Eusèbe, Athénagore,<br />

Maxime <strong>de</strong> Madaure, Ammien-Marcellin, Lucien,<br />

Celse, Mïïen, Tacite, Suétone, Dion, Eunape,<br />

Justin, Philostrate, Zozime, Valère-Maxime,» etc., etc.<br />

<strong>Le</strong>s païens avaient <strong>de</strong>s arguments non moins puissants<br />

[que <strong>le</strong>urs prodiges : « Comment vou<strong>le</strong>z-vous,<br />

disaient-ils aux chrétiens, que nous ajoutions foi à vos<br />

paro<strong>le</strong>s, et que nous abandonnions <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> nos dieux<br />

pour <strong>le</strong> vôtre (Minucius Félix)'! Ils rappelaient alors


AVEC LE DÉMON. 313<br />

<strong>le</strong>s bienfaits qu'ils en avaient reçus, en faisant envisager<br />

aux chrétiens <strong>le</strong>ur triste position, forcés d'errer<br />

çà et là, punis du <strong>de</strong>rnier supplice, etc. — <strong>Le</strong> Dieu <strong>de</strong>s<br />

Juifs est si inférieur aux nôtres, disaient-ils encore,<br />

que nous l'avons fait captif, ainsi que la nation qui<br />

l'adorait. » Puis ils se moquaient <strong>de</strong> la crédulité <strong>de</strong>s<br />

chrétiens, qui croient qu'une vierge a enfanté, que <strong>le</strong>s<br />

corps ressusciteront, qui ont reçu <strong>le</strong>ur doctrine <strong>de</strong>s<br />

Barbares... Ils <strong>le</strong>ur reprochaient jusqu'à <strong>le</strong>urs macérations,<br />

<strong>le</strong>urs jeûnes, <strong>le</strong>ur mépris <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong>s biens<br />

terrestres. Une accusation plus grave contre <strong>le</strong>s chrétiens,<br />

c'était d'égorger un enfant, <strong>de</strong> <strong>le</strong> manger, et,<br />

après avoir éteint <strong>le</strong>s lumières, <strong>de</strong> se livrer à d'infâmes<br />

impudicités. A ce sujet, saint Théophi<strong>le</strong>, patriarche<br />

d'Antioche, disait à Autolycus : «Malgré votre<br />

pru<strong>de</strong>nce, vous ajoutez foi à ce que vous disent <strong>de</strong>s<br />

insensés. Comment avez-vous pu croire <strong>le</strong>s faux bruits<br />

que <strong>le</strong>s impies ont répandus?... » — Pline fit une information<br />

juridique et reconnut la calomnie.— Mais ce mépris<br />

dont <strong>le</strong>s chrétiens étaient l'objet, la crédulité qu'on<br />

<strong>le</strong>ur reprochait, l'accusation <strong>de</strong> magie, <strong>le</strong>s horreurs<br />

dont on vient <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r, <strong>le</strong> reproche d'être la cause <strong>de</strong>s<br />

châtiments <strong>de</strong>s dieux, etc., s'opposaient,-concurremment<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s prodiges païens, à l'établissement du<br />

christianisme; cependant, en dépit <strong>de</strong> ces divers obstac<strong>le</strong>s,<br />

il triomphera. <strong>Le</strong>s apologistes nous apprendront<br />

par quels moyens <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s païens vont bientôt être<br />

renversés, malgré <strong>le</strong>s oppositions <strong>de</strong> toute nature, malgré<br />

l'intérêt <strong>de</strong>s prêtres à soutenir <strong>le</strong> néoplatonisme,<br />

etmalgré la ferme résolution <strong>de</strong>s magistrats, prêts à tout<br />

entreprendre pour écraser <strong>le</strong> nouveau culte. Quelques<br />

mauvais chrétiens, qui connaissaient <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s et la<br />

doctrine du christianisme, apostasièrent; ils pouvaient<br />

en divulguer <strong>le</strong>s secrets, et s'ils avaient reconnu <strong>de</strong>s


314 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

prestiges et <strong>de</strong>s impostures dans <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s dévoi<strong>le</strong>r;<br />

pourtant nul ne <strong>le</strong>s attaqua; <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong><br />

la théurgie osèrent lutter contre <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s<br />

contrefaire, mais nul n'osa en nier l'éclat. L'apparition<br />

d'une croix à Constantin et à son armée décida la<br />

conversion <strong>de</strong> cet empereur, qui favorisa <strong>le</strong>s progrès<br />

du christianisme, donna <strong>de</strong> la sp<strong>le</strong>n<strong>de</strong>ur à son culte<br />

et proscrivit l'idolâtrie. Ce n'est pas ici <strong>le</strong> lieu <strong>de</strong> <strong>démon</strong>trer<br />

la sincérité <strong>de</strong> la conversion <strong>de</strong> ce prince.<br />

Quatre historiens contemporains ont parlé <strong>de</strong> cette<br />

apparition qui remplit d'étonnement l'armée, qui en<br />

fut cllc-mômo témoin ; el<strong>le</strong> est attestée aussi par <strong>de</strong>s<br />

médail<strong>le</strong>s frappées en mémoire <strong>de</strong> cet événement.<br />

(Y. Euscb., Vie <strong>de</strong> Constantin.)<br />

L'épreuve <strong>de</strong>vait continuer, Satan <strong>de</strong>vait crib<strong>le</strong>r<br />

encore; Dieu ne voulait pas que <strong>le</strong> zè<strong>le</strong> <strong>de</strong>s vrais chrétiens<br />

pût se refroidir. Après trente ans <strong>de</strong> paix et <strong>de</strong><br />

triomphe, <strong>le</strong> christianisme <strong>de</strong>vint l'objet <strong>de</strong> la haine<br />

<strong>de</strong> Julien, qui ne renouvela point d'abord <strong>le</strong>s anciennes<br />

persécutions ; mais cet empereur, en rétablissant <strong>le</strong><br />

paganisme, en ôtant à l'Église du Christ ses privilèges,<br />

en excluant <strong>le</strong>s chrétiens <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s charges, en <strong>le</strong>ur<br />

défendant même l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s sciences, en tolérant ou<br />

excitant contre eux <strong>de</strong>s émeutes, en fomentant surtout<br />

<strong>le</strong>s hérésies, lui portait <strong>de</strong>s coups non moins funestes<br />

qu'en répandant <strong>le</strong> sang <strong>de</strong>s martyrs.<br />

Julien, Maxime, Libanius, etc.; <strong>le</strong>urs pratiques superstitieuses.<br />

S'il était possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> douter encore <strong>de</strong>s convictions<br />

<strong>de</strong>s néoplatoniciens, on pense que <strong>le</strong> doute ne serait<br />

plus permis en lisant la Vie <strong>de</strong> Julien.<br />

Julien, qui était chrétien, re<strong>de</strong>vint païen.— D'où vint<br />

cette apostasie? — Né <strong>avec</strong> un esprit vif, un désir insa-


AVEC LE DÉMON. 315<br />

tiab<strong>le</strong> <strong>de</strong> tout connaître, il voulut étudier la philosophie,<br />

qui, comme on sait, était unie à la théurgie; il<br />

avait conservé aussi, dit-on, un secret penchant pour<br />

l'ancien culte. —La philosophie théurgique était <strong>de</strong>venue<br />

l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s hommes <strong>le</strong>s plus distingués, qui pratiquaient<br />

tous la'magie. Julien, âgé <strong>de</strong> vingt-quatre<br />

ans, étant à Athènes, voulut lui-même s'appliquer à la<br />

magie, à l'astrologie, aux divinations et à toutes <strong>le</strong>s<br />

superstitions. <strong>Des</strong> <strong>de</strong>vins lui ayant prédit qu'il serait<br />

empereur, sa curiosité sacrilège pour <strong>le</strong>s divinations<br />

en fut plus vive ; il se fit initier à la théurgie, en approfondit<br />

<strong>le</strong>s mystères et en adopta <strong>le</strong>s pratiques. Un <strong>de</strong>s<br />

points <strong>de</strong> la doctrine chrétienne, c'est que Dieu permet<br />

l'aveug<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> ceux qui se livrent aux <strong>démon</strong>s :<br />

ce fut donc <strong>le</strong> crime <strong>de</strong> Julien qui causa son apostasie.<br />

. <strong>Le</strong>s historiens et <strong>le</strong>s Pères nous apprennent unanimement<br />

qu'il pratiqua <strong>le</strong>s arts magiques et appela <strong>le</strong>s<br />

philosophes <strong>le</strong>s plus fameux, entre autres Maxime <strong>le</strong><br />

Cynique, discip<strong>le</strong> d'Édèse. —Eunape racontait à Julien<br />

ce qu'il avait vu <strong>avec</strong> plusieurs autres philosophes :<br />

— Maxime, disait Eunape, nous a conduits dans <strong>le</strong><br />

temp<strong>le</strong> d'Hécate ; lorsque nous eûmes salué la déesse,<br />

il nous fit asseoir : ayant purifié un. grain d'encens et<br />

récité tout bas un hymne, la déesse se mit à sourire,<br />

<strong>le</strong>s flambeaux s'allumèrent d'eux-mêmes, etc.... (Eunape,<br />

Vie <strong>de</strong> Maxime.)—Voilà <strong>l'homme</strong> que je cherche,<br />

dit Julien. Il se fit initier par Maxime, qui ayant évoqué<br />

<strong>le</strong>s dieux, ceux-ci apparurent sous <strong>de</strong>s formes si<br />

épouvantab<strong>le</strong>s, que Julien fit par habitu<strong>de</strong> <strong>le</strong> signe <strong>de</strong><br />

la croix; à ce signe, tout disparut. La cérémonie étant<br />

ainsi troublée, <strong>le</strong> <strong>de</strong>vin s'en plaignit; mais Julien lui<br />

montra son étonnement <strong>de</strong> ce que ce signe avait eu ce<br />

pouvoir; Maxime, <strong>le</strong> rassurant, lui répondit : « <strong>Le</strong>s<br />

dieux ne craignent pas la croix, mais ils ont eu votre


316 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

action en horreur. » — Julien, initié aux secrets <strong>de</strong> la<br />

théurgie, selon l'expression <strong>de</strong> saint Grégoire, sortit<br />

fanatisé par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, p<strong>le</strong>in, dit-il, <strong>de</strong> ce que <strong>le</strong>s<br />

théurgistes, dans <strong>le</strong>ur langage, nomment enthousiasme,<br />

fureur sacrée.<br />

Sozomène (Hist. eccl., II, 5), qui assure n'avoir<br />

écrit que ce qu'il a vu ou appris <strong>de</strong> témoins dignes<br />

<strong>de</strong> foi, dit aussi que Julien renonça au christianisme<br />

<strong>avec</strong> une impu<strong>de</strong>nce si horrib<strong>le</strong>, qu'il recourut à <strong>de</strong>s<br />

sacrifices et à <strong>de</strong>s expiations pour effacer son baptême,<br />

et que soit en public, soit en particulier, il s'adonna<br />

aux augures et à toutes <strong>le</strong>s superstitions païennes.<br />

« <strong>Le</strong>s secrets exécrab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la magie à laquel<strong>le</strong> il<br />

s'adonnait, dit Théodoret (Hist.eccl., III, 2G.), furent<br />

découverts après sa mort et se voient encore à Carras;<br />

Julien, passant par cette vil<strong>le</strong>, entra dans un temp<strong>le</strong>, en<br />

fit fermer <strong>le</strong>s portes et plaça <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s pour empêcher<br />

d'y pénétrer avant son retour. Lorsqu'on eut appris<br />

sa mort, dit Théodoret, étant entré dans ce lieu,<br />

on y trouva <strong>le</strong>s restes <strong>de</strong> ses sacrilèges ; une femme<br />

pendue par <strong>le</strong>s cheveux, <strong>le</strong>s bras étendus, <strong>le</strong> ventre<br />

ouvert; ce qui avait été fait sans doute par cet impie,<br />

pour consulter ses entrail<strong>le</strong>s concernant sa guerre contre<br />

<strong>le</strong>s Perses. » <strong>Des</strong> preuves semblab<strong>le</strong>s furent trouvées à<br />

Antioche.<br />

Ammien-Marcellin, secrétaire et ami <strong>de</strong> Julien, avoue<br />

<strong>le</strong>s pratiques magiques <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier ; en essayant <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong> disculper <strong>de</strong> ce qu'el<strong>le</strong>s ont <strong>de</strong> monstrueux Il ne<br />

détruit pas l'accusation <strong>de</strong> magie. — La malignité,<br />

dit-il, a prétendu qu'il était parvenu par <strong>de</strong>s voies<br />

détestab<strong>le</strong>s «à connaître l'avenir; — examinant comment<br />

on acquiert cette science, il déclare que par<br />

diverses cérémonies on se rend <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s favorab<strong>le</strong>s,<br />

que ceux-ci suggèrent <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, etc.. — Après avoir


AVEC LE DÉMON. 317<br />

parlé <strong>de</strong> l'augurie, il dit encore que <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s<br />

animaux prennent, comme on sait, différentes formes<br />

et découvrent l'avenir. (Am. Marcell., XXI, 1.)<br />

Julien, dit-il, étudia l'augurie et y fit <strong>de</strong>s progrès; il<br />

avait consulté <strong>le</strong>s augures et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins pour savoir s'il<br />

parviendrait à l'empire... — Ail<strong>le</strong>urs il dit qu'il eut<br />

plusieurs présages <strong>de</strong> sa mort... ; — enfin il avoue que,<br />

plus curieux que plusieurs <strong>de</strong> ses sujets <strong>de</strong> connaître<br />

l'avenir, il entreprit <strong>de</strong> déboucher la fontaine <strong>de</strong> Caslalie...<br />

Multorum curiosior Jidianus novam consilii viam<br />

ingressus est, etc. (Id., XXII, 12.)<br />

Tout ce qui vient d'être dit prouve que Julien recourait<br />

à toutes <strong>le</strong>s pratiques usitées pour savoir l'avenir,<br />

et rien ne vient <strong>le</strong> disculper <strong>de</strong>s atrocités dont<br />

l'accusent <strong>le</strong>s historiens contemporains. <strong>Le</strong>s entrail<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>s animaux révélaient l'avenir, cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes<br />

humaines <strong>de</strong>vaient être encore plus efficaces; enfin il<br />

était initié aux plus grands secrets <strong>de</strong> la théurgie.<br />

Aussi, <strong>le</strong> philosophe Libanius lui disait : « Vous êtes<br />

en si gran<strong>de</strong> familiarité <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, qu'ils agréent<br />

non-seu<strong>le</strong>ment vos sacrifices, mais vous révè<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s<br />

choses cachées par <strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s oiseaux et par <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>s victimes; ils vous accor<strong>de</strong>nt <strong>le</strong> don <strong>de</strong> prédire<br />

l'avenir,—vous éveil<strong>le</strong>nt, vous découvrent <strong>le</strong>s embûches<br />

qu'on vous dresse, indiquent <strong>le</strong>s lieux où vous<br />

<strong>de</strong>vez combattre, etc. » Il dit à Julien que «c'est lui<br />

qui voit <strong>le</strong>s dieux, c'est à lui qu'il est donné <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

entendre..., <strong>de</strong> sorte qu'il peut dire : Minerve me par<strong>le</strong><br />

à présent, Jupiter me par<strong>le</strong> à cette heure; en ce moment,<br />

j'entends la voix d'Apollon, d'Hercu<strong>le</strong>, <strong>de</strong> Pan,<br />

<strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s dieux, <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s déesses. » (Libanius,<br />

Disc. d'Ambass. à Julien.)<br />

Était-ce flatterie <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> Libanius? — On ne reprochera<br />

pas à ce philosophe d'avoir voulu flatter Julien ;


318 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

— Libanius, d'un caractère fier et altier, refusa <strong>de</strong><br />

se rendre à la cour <strong>de</strong> Julien, qui voulait <strong>le</strong> nommer<br />

préfet du prétoire. Julien étant irrité contre <strong>le</strong>s habitants<br />

d'Antioche, Libanius lui parla <strong>avec</strong> une si courageuse<br />

liberté, qu'un <strong>de</strong>s assistants lui dit qu'il était<br />

bien près du f<strong>le</strong>uve Oronte pour par<strong>le</strong>r si hardiment.<br />

Libanius, regardant ce <strong>de</strong>rnier <strong>avec</strong> dédain, lui répondit<br />

: « Courtisan ! La menace que tu me fais ne peut<br />

déshonorer que ton maître...» et il continua... — Ce<br />

commerce entre <strong>le</strong>s dieux et Julien était constant pour<br />

Libanius, comme pour ses contemporains. Aussi <strong>le</strong><br />

môme Libanius dit que Julien fut mis par <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s<br />

au rang <strong>de</strong>s dieux après sa mort, et qu'il avait exaucé<br />

une personne qui lui <strong>de</strong>mandait une grâce... —Julien<br />

avait donc été si grand théurgistc qu'il mérita, comme<br />

Plotin, <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir un dieu après son trépas. (Libanius,<br />

Oraison funèb. <strong>de</strong> Julien.)<br />

Julien lui-môme parlait <strong>de</strong> ses <strong>rapports</strong> <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />

dieux <strong>de</strong> manière à confirmer tout ce qu'on disait <strong>de</strong><br />

ses opérations théurgiquos. Un temp<strong>le</strong> est incendié a<br />

Antioche; Julien dit qu'il était persuadé avant l'incendie<br />

qu'Apollon avait abandonné son temp<strong>le</strong> : La<br />

première fois que j'y entrai, dit-il, la statue mê<strong>le</strong> fit<br />

d'abord connaître... Si quelqu'un refuse <strong>de</strong> me croire,<br />

je prends <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il à témoin <strong>de</strong> la vérité <strong>de</strong> ce que<br />

j'avance : serment grave dans la bouche d'un souverain<br />

pontife aussi croyant que Julien. (Alisopogon.)<br />

Dans sa <strong>le</strong>ttre au sénat il dit que, tandis que <strong>le</strong>s<br />

soldats <strong>le</strong> proclamaient auguste, ayant prié Jupiter <strong>de</strong><br />

lui envoyer un présage, il eut aussitôt une vision dans<br />

laquel<strong>le</strong> il lui fut ordonné <strong>de</strong> ne point s'opposer à l'é<strong>le</strong>ction.<br />

Il dit encore que la nuit qui précéda <strong>le</strong> jour où il<br />

fut é<strong>le</strong>vé à l'empire, ignorant <strong>le</strong>s <strong>de</strong>sseins <strong>de</strong> l'armée,


AVEC LE DÉMON. 319<br />

il ent une autre vision ; un ado<strong>le</strong>scent, sous la forme<br />

du génie <strong>de</strong> l'empire, lui dit qu'il s'occupait <strong>de</strong>puis<br />

longtemps <strong>de</strong> son é<strong>le</strong>ction : Si tu refuses <strong>de</strong> me recevoir,<br />

je m'en irai, continua <strong>le</strong> génie; mais souviens-toi<br />

que <strong>de</strong> ce jour je cesse d'habiter <strong>avec</strong> toi. (Amm.<br />

Marcell., XX, 6.) — C'était peut-être déjà un présage<br />

<strong>de</strong> sa fin que Julien n'eût pas supposé, s'il n'avait parlé<br />

qu'en homme politique.<br />

Il serait surprenant que Julien n'eût pas reçu <strong>de</strong><br />

prescriptions médica<strong>le</strong>s dans ses maladies; mais luimême<br />

nous apprend qu'étant mala<strong>de</strong> d'un vomissement<br />

<strong>de</strong> sang, tandis qu'on désespérait <strong>de</strong> sa guérison,<br />

Esculape lui ordonna <strong>de</strong> prendre sur son autel <strong>de</strong>s<br />

grains <strong>de</strong> pomme <strong>de</strong> pin et d'en manger <strong>avec</strong> du miel<br />

pendant trois jours. Ce qu'ayant fait, il fut guéri et<br />

alla publiquement remercier <strong>le</strong>s dieux. (Gruter.)<br />

Comme ce ne fut point par politique que Constantin<br />

se fit chrétien, ce n'est pas par imposture, et en feignant<br />

<strong>de</strong>s convictions qui lui manquaient que Julien <strong>de</strong>vint<br />

païen ; il fut séduit par <strong>de</strong>s prodiges et, comme ceux<br />

qui <strong>le</strong>s opèrent, entraîné par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s. —On n'accumu<strong>le</strong>ra<br />

pas d'autres preuves <strong>de</strong>s croyances théurgiques<br />

<strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier ; redisons-<strong>le</strong>, dès que ce prince qui avait<br />

tant <strong>de</strong> foi aux divinations fut initié aux mystères <strong>de</strong> la<br />

théurgie, il fut aveuglé. Un jour, on aura l'occasion <strong>de</strong><br />

citer <strong>de</strong>s faits analogues. Si <strong>le</strong> christianisme a ses prophètes,<br />

ses mirac<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> paganisme a donc ses <strong>de</strong>vins,<br />

ses prodiges, ses orac<strong>le</strong>s, ses guérisons ; ce sont <strong>de</strong>s<br />

faits qu'on ne peut nier.<br />

Julien, dans ses réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong> christianisme, se<br />

montre païen convaincu et adversaire acharné <strong>de</strong> la<br />

religion chrétienne ; pour la flétrir, il n'omet rien et<br />

emploie contre el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s raisons <strong>le</strong>s plus spécieuses.<br />

Parmi <strong>le</strong>s mil<strong>le</strong> reproches qu'il adresse auxGaliléens, il


320 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>le</strong>s blâme <strong>de</strong> ne plus se faire circoncire, <strong>de</strong> ne pas imiter<br />

Abraham, qui se livrait aux divinations et consultait<br />

<strong>le</strong>s augures. Il dit que <strong>le</strong> Dieu <strong>de</strong>s Hébreux est<br />

un envieux; qu'il s'est fâché contre <strong>le</strong> serpent, qui<br />

voulait faire connaître la sagesse aux hommes. <strong>Le</strong> récit<br />

<strong>de</strong> l'expulsion d'Adam du Paradis, pour l'avoir écouté,<br />

ne peut être excusé en disant que c'est une fab<strong>le</strong>;<br />

c'est, dit-il, un blasphème.<br />

Si Dieu qui a créé tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s a tous abandonnés,<br />

excepté <strong>le</strong>s Hébreux, c'est un dieu partial, envieux.<br />

«Mais, bien loin qu'il en soit ainsi, poursuiUulien,<br />

voyez combien la Divinité nous accor<strong>de</strong> <strong>de</strong> bienfaits<br />

qui vous sont inconnus ! el<strong>le</strong> nous a donné <strong>de</strong>s dieux et<br />

<strong>de</strong>s protecteurs qui ne sont point inférieurs à ceux <strong>de</strong>s<br />

Hébreux..., et ce qui prouve évi<strong>de</strong>mment que <strong>le</strong> Créateur<br />

a vu que nous avions <strong>de</strong> lui une notion plus vraie <strong>de</strong><br />

sa divinité que <strong>le</strong>s Hébreux, c'est qu'il nous a comblés<br />

<strong>de</strong> biens... ; qu'il nous a donné abondamment ceux du<br />

corps et <strong>de</strong> l'esprit, en envoyant aux Gentils <strong>de</strong>s législateurs<br />

bien supérieurs à Moïse. Si <strong>le</strong> Dieu <strong>de</strong> Moïse<br />

est <strong>le</strong> Dieu suprême, nous l'avons mieux connu que<br />

lui...; nous qui <strong>le</strong> regardons comme <strong>le</strong> roi <strong>de</strong> l'univers,<br />

nous ne croyons pas que, parmi <strong>le</strong>s dieux qu'il<br />

a donnés aux peup<strong>le</strong>s et auxquels il en a confié <strong>le</strong> soin,<br />

il ait favorisé l'un beaucoup plus que l'autre. » —<br />

Julien dit que, si cela était, <strong>le</strong> dieu à qui il aurait attribué<br />

<strong>le</strong> gouvernement <strong>de</strong> l'univers presque entier, serait<br />

mieux favorisé que celui à qui il n'aurait confié<br />

qu'un petit peup<strong>le</strong>.<br />

Si, d'après Moïse, votre Dieu, Galiléens, est un Dieu<br />

jaloux, pourquoi adorez-vous ce prétendu fils que vous<br />

lui donnez?<br />

Ce Dieu jaloux et sanguinaire se livre à <strong>de</strong> tels accès<br />

<strong>de</strong> colère qu'il a menacé plusieurs fois <strong>de</strong> détruire


AVEC LE DÉMON. 321<br />

même la nation <strong>de</strong>s Juifs, son peup<strong>le</strong> chéri. — Julien<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> alors ce que n'ont pas à redouter <strong>le</strong>s anges,<br />

<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s et <strong>le</strong> genre humain tout entier sous un<br />

dieu aussi vio<strong>le</strong>nt. Tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s ont reçu <strong>de</strong>s bienfaits<br />

<strong>de</strong>s dieux. <strong>Le</strong>s Hébreux sont loin d'être seuls protégés;<br />

<strong>le</strong>s sages <strong>de</strong>s nations sont supérieurs à Moïse;<br />

<strong>le</strong>urs guerriers, <strong>le</strong>urs monarques sont supérieurs à un<br />

Samson, à un David, qui méritent plutôt <strong>le</strong> mépris que<br />

l'estime <strong>de</strong>s gens éclairés.<br />

<strong>Le</strong>quel est préférab<strong>le</strong>, d'être toujours libre et <strong>de</strong><br />

comman<strong>de</strong>r pendant <strong>de</strong>ux mil<strong>le</strong> ans, ou d'être assujetti<br />

à l'étranger? Montrez-nous, chez <strong>le</strong>s Juifs, un<br />

A<strong>le</strong>xandre, un César!<br />

Votre Jésus, qu'a-t-il fait, dit-il ail<strong>le</strong>urs? Il a séduit<br />

quelques juifs méprisab<strong>le</strong>s ; il n'a guéri que quelques<br />

boiteux et quelques <strong>démon</strong>iaques dans <strong>le</strong>s petits<br />

villages <strong>de</strong> Bethsaï<strong>de</strong> et <strong>de</strong> Béthanie... — <strong>Le</strong>s Galiléens<br />

refusent d'adorer <strong>le</strong> bouclier qui est tombé du ciel, tandis<br />

qu'ils adorent <strong>le</strong> bois d'une croix Doit-on mépriser<br />

ou haïr ceux qui tombent dans <strong>de</strong> si funestes<br />

erreurs? Insensés qui, après avoir abandonné <strong>le</strong>s<br />

dieux <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs pères, prennent pour Dieu un homme<br />

mort chez <strong>le</strong>s Juifs !<br />

Après avoir parlé <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> divination que Jupiter<br />

a substitués aux orac<strong>le</strong>s qui cessent en quelques<br />

lieux, il dit qu'un <strong>de</strong> ses plus grands bienfaits, c'est d'avoir<br />

envoyé un dieu sous forme humaine 1<br />

(Esculape)<br />

pour guérir <strong>le</strong>s maladies... « <strong>Le</strong>s Hébreux, dit Julien,<br />

pourraient-ils se vanter d'avoir reçu un pareil bienfait?<br />

Cependant, Galiléens, vous nous avez quittés<br />

et vous êtes passés comme transfuges chez <strong>le</strong>s Hé-<br />

J. « Jupiter ayant engendré Esculape. Ce sont, dit Julien, <strong>de</strong>s vérités<br />

couvertes par la fab<strong>le</strong>, et que l'esprit seul peut connaître. »<br />

I. 9*


322 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

breux Vous n'avez pas pris chez eux ce qu'il y avait<br />

<strong>de</strong> bon; mais comme <strong>le</strong>s sangsues, vous n'avez tiré<br />

que <strong>le</strong> sang oorrompu... Vous ne <strong>le</strong>s avez imités que<br />

dans la fureur <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs vices... Vous ne soutenez que<br />

<strong>le</strong>s chimères que vous avez inventées » — «Jésuset<br />

Paul ne sont parvenus qu'à tromper quelques servantes<br />

et quelques hommes du peup<strong>le</strong>, » dit-il plus loin.<br />

« Ah ! je sens, dit <strong>le</strong> prince apostat, un mouvement<br />

qui paraît m'ôtre inspiré et qui me contraint <strong>de</strong> vous<br />

dire : Pourquoi, Galiléens, avez-vous déserté <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong> nos dieux pour fuir chez <strong>le</strong>s Hébreux? Serait-ce<br />

donc parce que <strong>le</strong>s dieux ont donné à Rome l'empire<br />

<strong>de</strong> l'univers et que <strong>le</strong>s Juifs ont été presque toujours<br />

<strong>le</strong>s esclaves <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s nations? . »<br />

Ces quelques lignes sont extraites <strong>de</strong>s réf<strong>le</strong>xions <strong>de</strong><br />

Julien, conservées dans <strong>le</strong>s réfutations <strong>de</strong> saint Cyril<strong>le</strong>,<br />

et dont je ne rapporte que la substance; on<br />

peut penser que l'original ne manque ainsi ni <strong>de</strong> verve,<br />

ni même d'éloquence ; la passion et la haine <strong>de</strong> l'apostat<br />

s'y montrent à chaque page.<br />

On y voit <strong>de</strong>s objections plus ou moins spécieuses<br />

renouvelées <strong>de</strong> nos jours et mil<strong>le</strong> fois réfutées. Julien<br />

préconise <strong>le</strong>s biens temporels comme preuve <strong>de</strong> l'amour<br />

<strong>de</strong>s dieux et <strong>de</strong> l'excel<strong>le</strong>nce du culte <strong>de</strong>s païens;<br />

on trouve ici ces matérialistes toujours aveuglés qui ne<br />

voient que l'existence matériel<strong>le</strong> et sensuel<strong>le</strong> : ignorant<br />

l'épreuve à laquel<strong>le</strong> <strong>l'homme</strong> est soumis, ils ne savent<br />

pas que <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s du Christ doivent, pour al<strong>le</strong>r au<br />

ciel, suivre un chemin épineux 1<br />

Julien put croire, dans son aveug<strong>le</strong>ment, que <strong>le</strong><br />

christianisme était faux, et que <strong>le</strong> paganisme, rajeuni<br />

dans la philosophie, triompherait; l'oppression <strong>de</strong>s<br />

chrétiens, <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux païen, tous ses nombreux<br />

prodiges étaient bien propres à séduire <strong>le</strong>s faib<strong>le</strong>s. En


AVEC LE DÉMON.<br />

effet, si on pouvait en douter encore, on invoquerait <strong>le</strong><br />

témoignage <strong>de</strong>s chrétiens eux-mêmes, qui, loin <strong>de</strong> rejeter<br />

<strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong> la théurgie, <strong>le</strong>s attestent <strong>avec</strong> unanimité.—<strong>Le</strong>s<br />

Pères en font l'aveu. «JNous ne nions pas,<br />

disent-ils, que dans certains lieux, dans certaines vil<strong>le</strong>s,<br />

il ne s'opère <strong>de</strong>s merveil<strong>le</strong>s sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong>s ido<strong>le</strong>s;.. » —<br />

Ce merveil<strong>le</strong>ux confirmait <strong>le</strong>s païens dans <strong>le</strong>urs erreurs,<br />

retenait <strong>le</strong> esprits vacillants, ébranlait <strong>le</strong>s chrétiens peu<br />

fervents ; plusieurs, trompés par une sorte d'analogie<br />

entre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux religions, n'y voyant qu'une différence<br />

plus nomina<strong>le</strong> que réel<strong>le</strong>, apostasiaient. Dieu ne fait<br />

pas vio<strong>le</strong>nce au libre arbitre humain : <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />

éclatants prouvaient assez la divinité <strong>de</strong> la religion<br />

pour convaincre ceux qui aimaient la vérité; mais Dieu<br />

laisse toujours libre <strong>de</strong> la méconnaître.<br />

Chute du paganisme.<br />

<strong>Le</strong> christianismepourra-t-il résister?— Qu'y avait-il<br />

<strong>de</strong> plus propre à consoli<strong>de</strong>r <strong>le</strong> paganisme que <strong>de</strong> voir<br />

nn chrétien apostat monté sur <strong>le</strong> trône, y appliquer sa<br />

puissance et son zè<strong>le</strong> ? Julien n'a plus recours au bourreau'<br />

; il sait que <strong>le</strong>s chrétiens sont avi<strong>de</strong>s du martyre,<br />

et il <strong>le</strong>s traite comme <strong>de</strong> pauvres insensés. <strong>Le</strong> polythéisme,<br />

méprisé par <strong>le</strong>s philosophes, s'est allié à la<br />

philosophie ; <strong>avec</strong> l'autorité souveraine qui lui donne<br />

sou appui, il peut tout braver. On a montré à ceux qui<br />

seraient tentés d'être chrétiens que Dieu n'est pas pour<br />

eux. S'il <strong>le</strong>s aimait, eût-il permis que <strong>le</strong>ur sang rougît<br />

<strong>le</strong>s cirques et <strong>le</strong>s amphithéâtres? <strong>Le</strong>s mirac<strong>le</strong>s, parmi<br />

<strong>le</strong>s chrétiens, <strong>de</strong>viennent moins fréquents; <strong>le</strong>s pro^<br />

diges, chez <strong>le</strong>s néoplatoniciens, se multiplient, et<br />

l. Cependant, il finit par tolérer ouvertement la persécution.


324 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

tandis que ceux-ci donnent l'essor à <strong>le</strong>urs passions, ils<br />

rient ensemb<strong>le</strong> <strong>de</strong> ces chrétiens stupi<strong>de</strong>s, exténués par<br />

<strong>le</strong>s jeûnes et dont l'ha<strong>le</strong>ine sent mauvais.<br />

Avec <strong>le</strong> renoncement à tout sentiment d'orgueil ou<br />

d'amour-propre, un phénomène non moins étonnant,<br />

c'est <strong>le</strong> mépris, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s chrétiens, pour ce qui fait<br />

l'objet d'une vive sollicitu<strong>de</strong> pour <strong>l'homme</strong> : — l'intérêt<br />

<strong>de</strong> sa santé et <strong>de</strong> sa vie. — S'il s'opérait parmi <strong>le</strong>s chrétiens<br />

<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> guérison, et même <strong>de</strong> résurrection,<br />

ils étaient déjà plus rares, et plutôt faits comme<br />

manifestations <strong>de</strong> la divinité <strong>de</strong> la religion que dans un<br />

intérêt purement humain. Chez <strong>le</strong>s païens, <strong>le</strong>s guérisons,<br />

aisément et fréquemment obtenues, n'exigeaient<br />

ni prières ferventes ni piété; observer quelques cérémonies,<br />

obtenir un songe, prononcer quelques paro<strong>le</strong>s bizarres,<br />

cela suffisait. Julien avait été ainsi guéri. — On<br />

sait quel<strong>le</strong> éminente vertu était requise dans <strong>le</strong>s saints<br />

pour que Dieu <strong>le</strong>ur octroyât <strong>le</strong> don <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s, mais on<br />

a vu et on verra amp<strong>le</strong>ment un jour combien il est faci<strong>le</strong><br />

d'opérer <strong>de</strong>s prodiges, et surtout d'être guérisseur; en<br />

attendant ces nombreux exemp<strong>le</strong>s, qu'on se rappel<strong>le</strong> la<br />

guérison opérée par Vespasien, citée par Tacite.<br />

Cependant <strong>le</strong> christianisme ne sera point renversé;<br />

il ne peut triompher sans combattre ; il fera <strong>de</strong>s pertes,<br />

sans doute; <strong>le</strong>s coups <strong>de</strong> crib<strong>le</strong> réitérés laisseront<br />

échapper <strong>le</strong> mauvais grain, mais <strong>le</strong> froment <strong>le</strong> plus pur<br />

restera, <strong>le</strong> nouveau culte subsistera. Jésus-Christ l'avait<br />

assuré dans un temps où cette promesse pouvait ressemb<strong>le</strong>r<br />

aux paro<strong>le</strong>s d'un enthousiaste ou d'un sectaire<br />

présomptueux; comment expliquer ce prodige? <strong>Le</strong><br />

paganisme, malgré ses merveil<strong>le</strong>s et malgré tout cet<br />

assemblage <strong>de</strong> séductions, a perdu son prestige; on<br />

l'abandonne pour <strong>le</strong> christianisme, qu'on avait tant <strong>de</strong><br />

motifs pour repousser. <strong>Le</strong>s riches qui veu<strong>le</strong>nt être par-


AVEC LE DÉMON. 323<br />

faits renoncent à tout. On dira peut-être que <strong>le</strong> mobi<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> tant <strong>de</strong> conversions parmi <strong>le</strong>s pauvres, ce fut <strong>de</strong> profiter<br />

<strong>de</strong>s biens que <strong>le</strong>ur abandonnaient quelques riches<br />

fanatisés. <strong>Le</strong>s aumônes se faisaient aux malheureux<br />

sans distinction <strong>de</strong> culte. Julien disait : « <strong>Le</strong>s impies<br />

Galiléens, outre <strong>le</strong>urs pauvres, nourrissent môme <strong>le</strong>s<br />

nôtres, que nous laissons manquer <strong>de</strong> tout. » (Julien,<br />

<strong>Le</strong>ttre à Arsacivs.)<br />

11 ne s'agissait pas pour <strong>le</strong>s chrétiens d'obtenir une<br />

égalité impossib<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s biens, mais <strong>de</strong> mépriser <strong>de</strong>s<br />

biens périssab<strong>le</strong>s qui <strong>de</strong>viennent un obstac<strong>le</strong> pour ob<strong>le</strong>nir<br />

<strong>le</strong> ciel, seul vrai bien. Nous avons même pour<br />

garant un autre ennemi <strong>de</strong>s chrétiens. — Celse disait<br />

« que <strong>le</strong>s chrétiens méprisent <strong>le</strong>s biens <strong>de</strong> la vie prémite.<br />

» (Orig. c. Celse, III, 78.)<br />

Que ceux qui ne comprendraient point une tel<strong>le</strong><br />

abnégation ne s'imaginent donc pas que la conversion<br />

<strong>de</strong>s pauvres ait été due aux avantages d'un nivel<strong>le</strong>ment<br />

<strong>de</strong> fortune dans la société <strong>de</strong>s chrétiens. Ce nivel<strong>le</strong>ment<br />

n'était point ordonné et ne fut jamais tenté. <strong>Des</strong><br />

riches donnaient sans se rien réserver, mais ils <strong>le</strong> faisaient<br />

volontairement ; Dieu ne punit dans Saphire et<br />

Ananic que <strong>le</strong> mensonge.<br />

La gran<strong>de</strong> famil<strong>le</strong> <strong>de</strong>s chrétiens ne se préoccupait<br />

que <strong>de</strong>s biens du ciel ; on savait que Dieu donnait <strong>le</strong><br />

surplus par surcroît.<br />

Disons-<strong>le</strong> enfin d'après Julien, cet ennemi <strong>de</strong>s chrétiens.<br />

« Ceux qui embrassaient <strong>le</strong> christianisme étaient<br />

auparavant <strong>de</strong>s adultères, <strong>de</strong>s vo<strong>le</strong>urs, <strong>de</strong>s ravisseurs,<br />

<strong>de</strong>s ivrognes, <strong>de</strong>s calomniateurs, en un mot, <strong>de</strong>s<br />

hommes plongés dans <strong>le</strong>s plus infâmes désordres. »<br />

Réfutation <strong>de</strong> Julien par saint Cyril<strong>le</strong>.) — En croyant<br />

jeter <strong>le</strong> mépris sur <strong>le</strong>s sectateurs du christianisme,<br />

Julien prouve <strong>le</strong>urs convictions et l'excel<strong>le</strong>nce <strong>de</strong> la


326 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

doctrine ; car ces hommes, si vicieux étant païens, dès<br />

qu'ils sont chrétiens <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s modè<strong>le</strong>s <strong>de</strong> vertu.<br />

En attendant l'examen plus comp<strong>le</strong>t <strong>de</strong>s causes d'un<br />

tel prodige, nous avons à constater que <strong>le</strong> paganisme<br />

était réel<strong>le</strong>ment mourant sous Julien.<br />

Dans une <strong>le</strong>ttre à Aristomène, Julien se plaint <strong>de</strong><br />

n'avoir trouvé personne qui revînt <strong>avec</strong> joie au culte <strong>de</strong>s<br />

dieux. « On ne sacrifie qu'à regret... ceux qui <strong>le</strong> font<br />

<strong>de</strong> bon cœur sont en petit nombre et ignorent <strong>le</strong>s<br />

règ<strong>le</strong>s du sacrifice. » (Jul. op., Par., 1630, Ep. 4.)<br />

Dans une <strong>le</strong>ttre à Libanius, il se plaint que son dis*<br />

cours aux habitants <strong>de</strong> Bérée, pour <strong>le</strong>s engager à revenir<br />

à la religion <strong>de</strong>s ancêtres, ait été sans succès..,<br />

Il y avait passé un jour entier, avait visité la cita<strong>de</strong>l<strong>le</strong>,<br />

offert so<strong>le</strong>nnel<strong>le</strong>ment un taureau blanc, et fait au sénat<br />

un discours fort touchant sur la religion Il n'a<br />

gagné presque personne. (16., Ep. 27.)<br />

Même déception à Antioche, où Julien était allé pour<br />

une fête d'Apollon... Il dit qu'il croyait y trouver toute<br />

la pompe qu'Antioche peut lui donner, il ne rêvait que<br />

victimes, libations, parfums, etc. ; il se rend au temp<strong>le</strong>,<br />

il n'y trouve ni victimes, ni gâteaux, ni un grain d'encens;<br />

il pense que <strong>le</strong>s préparatifs sont au <strong>de</strong>hors, qu'on<br />

attend ses ordres ; il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> au prêtre ce que la vil<strong>le</strong><br />

offre dans un jour si so<strong>le</strong>nnel. Rien, répond <strong>le</strong> prêtre;<br />

voici seu<strong>le</strong>ment une oie que j'apporte <strong>de</strong> chez moi....<br />

Julien répriman<strong>de</strong> <strong>le</strong> sénat... — Quoi ! une vil<strong>le</strong> si considérab<strong>le</strong>,<br />

d'où <strong>le</strong>s dieux ont chassé l'athéisme, ne peut<br />

pas immo<strong>le</strong>r un bœuf par tribu? <strong>Le</strong> prêtre... au lieu<br />

d'emporter sa part <strong>de</strong>s sacrifices, est <strong>le</strong> seul qui ait sacrifié!...<br />

(Ib., Misopogon.) En vain Julien par<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'indignation<br />

<strong>de</strong>s dieux, et s'indigne lui-même. <strong>Le</strong> paganisme<br />

n'existait plus que <strong>de</strong> nom. En vain Julien,<br />

voulant faire mentir <strong>le</strong>s prophéties, s'efforce-t-il <strong>de</strong>


AVEC LE DÉMON. 327<br />

rebâtir <strong>le</strong> temp<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m ; d'après un témoignage<br />

qui en vaut mil<strong>le</strong>, — celui d'Ammien Marcellin, — <strong>de</strong>s<br />

globes <strong>de</strong> feu s'échappent <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments du temp<strong>le</strong>,<br />

détruisent <strong>le</strong>s travaux, font périr <strong>le</strong>s ouvriers, et <strong>de</strong><br />

nombreux présages annoncent la fin du prince apostat<br />

lui-même.<br />

<strong>Le</strong>s prodiges <strong>de</strong> la théurgie, <strong>le</strong>s efforts <strong>de</strong>s néoplatoniciens,<br />

<strong>le</strong>ur culte favorab<strong>le</strong> aux passions, <strong>le</strong>s calomnies<br />

contre <strong>le</strong>s chrétiens, <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> ceux-ci qu'on assimi<strong>le</strong><br />

à ceux <strong>de</strong>s Égyptiens, qui chassent <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s,<br />

guérissent <strong>le</strong>s maladies et font paraître <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>s chargées<br />

<strong>de</strong> mets, etc. Tout cela fut vain ; rien ne put arrêter<br />

la chute du paganisme réformé. Semblab<strong>le</strong> à un<br />

vieil arbre qu'on a tronçonné pour lui donner un peu<br />

dévie, après avoir végété sous Julien, il se <strong>de</strong>ssécha<br />

et mourut <strong>avec</strong> lui. Vainement la philosophie veut ranimer<br />

sa séve; <strong>le</strong> néoplatonisme n'est plus qu'une<br />

éco<strong>le</strong> <strong>avec</strong> Proclus; son existence cesse sous Justinien,<br />

et ses discip<strong>le</strong>s vont chercher un asi<strong>le</strong> en Perse.<br />

Nous verrons un jour, <strong>de</strong>s lambeaux <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs doctrines<br />

s'en former <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s qui ne ressusciteront point <strong>le</strong><br />

paganisme, mais n'en seront pas moins funestes à ceux<br />

qui ne s'attacheraient pas aux dogmes chrétiens comme<br />

aune ancre <strong>de</strong> salut.


LIVRE QUATRIÈME<br />

CHAPITRE I<br />

Eiposi! sommaire <strong>de</strong>s causes qni firent triompher <strong>le</strong> christianisme. — Expose 1<br />

<strong>de</strong>» attaques <strong>de</strong>s apologistes contre <strong>le</strong> paganisme. — Preuves spéculatives<br />

î<strong>le</strong>s apologistes. — Lactance (<strong>Des</strong> Institutions divines). — Tertullien. —<br />

Ensebe. — Saint Augustin. — Minucius Félix. — Clément d'A<strong>le</strong>xandrie. —<br />

Saint Justin. — Saint Cyprien. — Résumé — Preuves matériel<strong>le</strong>s, expul­<br />

sion <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s qui se faisaient passer pour <strong>de</strong>s dieux.— Ces faits étaient<br />

connus <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>spaïens, qui pouvaient eux-mêmes l'attester et se con­<br />

vertissaient. — <strong>Le</strong> signe <strong>de</strong> la croix, plusieurs l'attestaient, suffisait pour<br />

chasser <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s.<br />

Exposé <strong>de</strong>s causes gui firent triompher <strong>le</strong> christianisme.<br />

Cet étonnant prodige du triomphe du christianisme<br />

sur <strong>le</strong> paganisme tient à <strong>de</strong>s causes multip<strong>le</strong>s qu'on a<br />

déjà entrevues, parmi <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s figurent d'abord <strong>le</strong>s<br />

prophéties, puis <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s. Si on compare <strong>le</strong>s prophètes<br />

<strong>de</strong>s Livres saints <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins,<br />

on voit une supériorité immense chez <strong>le</strong>s premiers ; <strong>le</strong><br />

prophète, maître <strong>de</strong> lui-même, dévoi<strong>le</strong> au moyen <strong>de</strong><br />

l'inspiration divine <strong>le</strong>s événements futurs; il menace,<br />

il promet, au nom <strong>de</strong> Dieu, et ces menaces et ces promesses<br />

ne sont jamais vaines; il annonce aux Juifs un<br />

ré<strong>de</strong>mpteur, en exposant d'une manière énigmatique,


330 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

il est vrai, ses souffrances et sa mort; la <strong>de</strong>struction du<br />

temp<strong>le</strong>, la cessation <strong>de</strong>s sacrifices sont prédites aussi;<br />

tout s'accomplit. A ces révélations aussi importantes que<br />

vraies, si nous comparons <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s divinations<br />

<strong>de</strong>s Gentils, nous éprouvons un sentiment <strong>de</strong> frayeur<br />

mêlé <strong>de</strong> mépris, en entendant sortir <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>vins<br />

agités par d'effroyab<strong>le</strong>s convulsions, <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s entrecoupées,<br />

orac<strong>le</strong>s tantôt vrais, tantôt faux, qui ne concernent,<br />

<strong>le</strong> plus ordinairement, qu'un avenir prochain,<br />

et <strong>le</strong>s intérêts vils et matériels <strong>de</strong>s particuliers, il<br />

nous suffit d'indiquer sommairement cette différence.<br />

<strong>Le</strong>s chrétiens, qui connaissaient la sublimité <strong>de</strong>s prophéties,<br />

méprisèrent bientôt <strong>le</strong>s esprits <strong>de</strong> python, surtout<br />

lorsqu'ils virent, comme nous <strong>le</strong> dirons, que <strong>le</strong><br />

premier venu parmi <strong>le</strong>s chrétiens <strong>le</strong>ur imposait si<strong>le</strong>nce.<br />

Nous sommes forcé d'être non moins succinct en<br />

parlant <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s; quel<strong>le</strong> comparaison établir entre<br />

<strong>le</strong>s prodiges d'Aristée, d'Abaris, <strong>de</strong> Cléomè<strong>de</strong>, <strong>de</strong><br />

Plotin, d'Apollonius, <strong>de</strong> Jamblique, etc., <strong>avec</strong> ceux<br />

<strong>de</strong>s apôtres? Peut-on comparer <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s du Christ<br />

<strong>avec</strong> ceux d'Esculape? Il est inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> faire remarquer<br />

<strong>le</strong>s formu<strong>le</strong>s ineptes, puéri<strong>le</strong>s et ridicu<strong>le</strong>s qui servent<br />

à obtenir <strong>le</strong>s uns, et la spontanéité et la sublimité<br />

<strong>de</strong>s autres. — <strong>Le</strong>vez-vous, marchez, ouvrez <strong>le</strong>s yeux<br />

et <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s, voyez et enten<strong>de</strong>z. Aussitôt <strong>le</strong>s boiteux<br />

marchent, <strong>le</strong>s aveug<strong>le</strong>s nés voient et <strong>le</strong>s sourds enten<strong>de</strong>nt<br />

: Swge, et <strong>le</strong>s morts ressuscitent. Que <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur<br />

se rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s prodiges païens précé<strong>de</strong>mment cités;<br />

<strong>le</strong>ur différence <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s sera aussi frappante<br />

pour lui qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong> fut pour <strong>le</strong>s premiers chrétiens. Un<br />

fait plus propre que tous <strong>le</strong>s autres à faire discerner<br />

la vérité et à renverser <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> l'ancien serpent,<br />

c'était <strong>de</strong> <strong>le</strong> forcer à déclarer lui-même qu'il était <strong>le</strong><br />

<strong>démon</strong>; c'était <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong> chasser du corps <strong>de</strong>s


AVEC LE DÉMON. 331<br />

possédés en prononçant <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Jésus; c'était enfin<br />

<strong>de</strong> voir ceux qui avaient communié indignement livrés<br />

à Satan, et la manifestation subite <strong>de</strong> ces phénomènes<br />

épouvantab<strong>le</strong>s connus sous la dénomination <strong>de</strong> possession<br />

: quel<strong>le</strong> différence entre <strong>le</strong>s thaumaturges <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

religions ; entre <strong>le</strong> païen d'une moralité souvent trèsdouteuse<br />

et <strong>le</strong> vrai chrétien, type <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s vertus.<br />

Quel<strong>le</strong> différence, enfin, entre l'adorateur <strong>de</strong> ces dieux<br />

qui protègent <strong>le</strong>s vo<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s filoux, <strong>le</strong>s adultères, <strong>le</strong>s<br />

incestueux, qui comman<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s prostitutions, qui,<br />

dans <strong>le</strong>urs châtiments ou <strong>le</strong>urs récompenses, mani-r<br />

festent la perversité <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur nature, et l'adorateur du<br />

Dieu dont la mora<strong>le</strong> est exposée dans l'Évangi<strong>le</strong>.<br />

Exposé <strong>de</strong>s attaques <strong>de</strong>s apologistes contre <strong>le</strong> paganisme.<br />

11 fallait que <strong>le</strong>s preuves du christianisme fussent<br />

bien frappantes pour opérer <strong>de</strong>s conversions aussi étonnantes.<br />

La vérité ne se prouvait pas invincib<strong>le</strong>ment<br />

par la mora<strong>le</strong>, quelque bel<strong>le</strong> qu'el<strong>le</strong> fût, mais par « une<br />

<strong>démon</strong>stration présentant un caractère divin, disait<br />

Origène, laquel<strong>le</strong> ne permet pas qu'on lui compare<br />

la dia<strong>le</strong>ctique grecque. C'est, la <strong>démon</strong>stration que<br />

l'Apôtre appel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'esprit et <strong>de</strong> la puissance ; <strong>de</strong><br />

l'esprit, ce sont <strong>le</strong>s prophéties dont l'évi<strong>de</strong>nce opère<br />

la conviction; <strong>de</strong> la puissance, ce sont <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />

étonnants qui confirment sa doctrine; et cependant,<br />

disait Origène, si un Grec savant venait parmi nous, il<br />

confirmerait notre doctrine par <strong>le</strong>s arguments, il en<br />

<strong>démon</strong>trerait la vérité selon <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'éco<strong>le</strong>. »<br />

(Orig. c Celse, 1. I er<br />

.)<br />

On voit, dès <strong>le</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s savants, <strong>de</strong>s<br />

philosophes païens se convertir au christianisme et<br />

<strong>de</strong>venir ses apologistes. Qui ne connaît <strong>le</strong>s noms <strong>de</strong>s


332 DES RAPPORTS DK L'HOMME<br />

Tertullien, <strong>de</strong>s Justin, <strong>de</strong>s Origène, <strong>de</strong>s Tatien, <strong>de</strong>s<br />

Lactance, <strong>de</strong>s Cyprien, <strong>de</strong>s Minucius Félix, <strong>de</strong>s Clément<br />

d'A<strong>le</strong>xandrie, etc., etc. ?<br />

La plupart <strong>de</strong> ces grands hommes avaient été initiés<br />

aux mystères du paganisme ; ils connaissaient <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

religions; ils <strong>le</strong>s avaient examinées, comparées, et la vanité<br />

<strong>de</strong>s sectes philosophiques <strong>le</strong>ur était connue; aussi<br />

ils exposent <strong>le</strong>s nombreux motifs <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur conversion.<br />

Témoins <strong>de</strong> la lutte <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux religions, pour distinguer<br />

<strong>le</strong> bon droit, il ne <strong>le</strong>ur a fallu que <strong>de</strong>s yeux, du bon<br />

sens et <strong>le</strong> bon vouloir : on <strong>de</strong>vine que si Satan eût lutté à<br />

forces éga<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s conversions n'auraient pu s'opérer;<br />

mais pour <strong>de</strong>venir chrétien, il suffisait d'aimer la vérité,<br />

<strong>de</strong> n'être point hosti<strong>le</strong> à son influence, quoi qu'il<br />

pût en coûter.<br />

La vérité ne se rencontrait ni dans <strong>le</strong>s divers systèmes<br />

<strong>de</strong> la philosophie antique, ni dans <strong>le</strong> vieux polythéisme,<br />

ni dans l'édifice mo<strong>de</strong>rne construit <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />

débris <strong>de</strong> l'une et <strong>de</strong> l'autre. L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'Écriture sainte<br />

donnait une solution satisfaisante aux problèmes insolub<strong>le</strong>s<br />

qui jusque-là avaient embarrassé <strong>le</strong>s savants...<br />

La folie <strong>de</strong> la croix, <strong>le</strong>s dogmes et <strong>le</strong>s préceptes gênants<br />

du christianisme ; rien ne put détruire ni même affaiblir<br />

la foi <strong>de</strong> ces hommes éminents. La divinité <strong>de</strong> la<br />

religion <strong>le</strong>ur était <strong>démon</strong>trée par <strong>de</strong>s preuves d'une<br />

tel<strong>le</strong> gravité, que l'incrédulité et son sourire <strong>de</strong>venaient<br />

impossib<strong>le</strong>s. Faisant abstraction <strong>de</strong>s faits, si on suppose<br />

<strong>de</strong>s hommes assez fourbes, assez menteurs pour<br />

avancer <strong>de</strong>s impostures, peut-on <strong>le</strong>s supposer assez<br />

fous ou assez opiniâtres pour <strong>le</strong>s soutenir au prix <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>ur sang? et peut-on, s'ils attestent <strong>de</strong>s mensonges,<br />

<strong>le</strong>s supposer assez stupi<strong>de</strong>s pour <strong>le</strong>s appuyer sur <strong>de</strong>s<br />

extravagances qui révoltent la raison? Ces extravagances<br />

se retrouvent dans toutes <strong>le</strong>s religions, dira-


AVEC LE DÉMON. 333<br />

t-on, et toutes ont eu <strong>le</strong>urs fanatiques; — oui, sans<br />

doute, parce que toutes ont eu <strong>de</strong>s prodiges supérieurs<br />

à tout pouvoir humain, tous propres à <strong>le</strong>s convaincre;<br />

mais <strong>le</strong> christianisme seul a <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s ; et <strong>le</strong>s chrétiens<br />

ont montré, comme on vient <strong>de</strong> <strong>le</strong> dire, et <strong>le</strong>s<br />

apologistes signa<strong>le</strong>ront, comme on <strong>le</strong> verra bientôt, <strong>le</strong>s<br />

marques incontestab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> divinité <strong>de</strong> la religion qu'ils<br />

ont été conduits à choisir.<br />

Il serait avantageux d'esquisser au moins <strong>le</strong>s écrits<br />

<strong>de</strong>s Pères pour avoir une idée <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs œuvres immortel<strong>le</strong>s,<br />

si peu connues; nous apprendrions <strong>le</strong>s motifs <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>ur conversion, action si insensée pour <strong>le</strong>s païens<br />

aveuglés, et nous connaîtrions en même temps <strong>le</strong>s<br />

ouvrages <strong>de</strong> Celse, <strong>de</strong> Porphyre, <strong>de</strong> Hiéroclès, <strong>de</strong><br />

Julien, etc., <strong>de</strong> tous ces philosophes qui attaquaient<br />

tantôt <strong>avec</strong> l'ironie, tantôt <strong>avec</strong> l'acharnement d'une<br />

vio<strong>le</strong>nte haine, <strong>le</strong> christianisme et ses mirac<strong>le</strong>s qu'ils<br />

ne niaient point. Jésus-Christ était, disaient-ils, initié<br />

à la théurgie; c'était un sage comme Orphée, comme<br />

Apollonius...—L'orac<strong>le</strong> d'Apollon, étant consulté sur<br />

Jésus, répondit qu'il n'était qu'un homme, mais fameux<br />

par ses prodiges ; — entre ses discip<strong>le</strong>s qui disaient que<br />

c'était un dieu et l'orac<strong>le</strong> qui déclarait qu'il n'était<br />

qu'un homme, un païen aveuglé <strong>de</strong>vait-il hésiter? <strong>Le</strong>s<br />

discip<strong>le</strong>s du Christ ne pouvaient être que <strong>de</strong>s imposteurs<br />

qui avaient corrompu sa doctrine ; imposteurs, il<br />

est vrai, qui faisaient <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s aussi étonnants que<br />

<strong>le</strong>ur maître ! — Un spectac<strong>le</strong> p<strong>le</strong>in d'intérêt serait donc<br />

<strong>de</strong> voir <strong>le</strong>s apologistes entrer en lice <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s néoplatoniciens;<br />

mais comment oser abor<strong>de</strong>r ce sujet dont la<br />

plus courte analyse exigerait <strong>de</strong>s volumes, et qui cependant<br />

perdra tout à n'être qu'eff<strong>le</strong>uré? En lisant <strong>le</strong>s Pères,<br />

la conviction passe dans l'âme, non par la puissance <strong>de</strong><br />

l'éloquence et d'une argumentation subti<strong>le</strong>, mais par


334 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

la force irrésistib<strong>le</strong> que la simp<strong>le</strong> vérité a sur ceux qui<br />

l'aimcnti<br />

<strong>Le</strong>s philosophes païens sont combattus par <strong>le</strong>urs<br />

propres arguments; <strong>le</strong> paganisme, par <strong>le</strong>s aveux <strong>de</strong> ses<br />

défenseurs <strong>le</strong>s plus zélés. La mora<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'Évangi<strong>le</strong> est<br />

comparée aux turpitu<strong>de</strong>s et aux absurdités païennes;<br />

<strong>le</strong>s prophéties qui ont annoncé Jésus-Christ et ses mirac<strong>le</strong>s<br />

sont mis en parallè<strong>le</strong> <strong>avec</strong> ce merveil<strong>le</strong>ux païen<br />

que l'antiquité vénérait, que Cicéron traite <strong>avec</strong> tant<br />

<strong>de</strong> dédain, que <strong>le</strong>s épicuriens nient, etc..<br />

<strong>Le</strong>s apologistes pouvaient admettre <strong>le</strong>s faits surnarels<br />

du christianisme sans cesser d'être <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong> cetlo philosophie commo<strong>de</strong> qui niait <strong>le</strong>s prodiges<br />

païens; <strong>le</strong>ur rô<strong>le</strong> était faci<strong>le</strong>. — Vous osez par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> vos<br />

orac<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> vos présages, lisez donc Cicéron, pou*<br />

vaicnt-ils dire... Vous osez par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s apparitions <strong>de</strong>s<br />

dieux, — mensonges, illusions; du pouvoir <strong>de</strong>s théurgistes<br />

et <strong>de</strong>sgoétistes, —fourberie, crédulité; du délire<br />

sacré, — état simulé, folie contagieuse ; <strong>de</strong> la divination,<br />

-—coïnci<strong>de</strong>nce heureuse; <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, — ce sont<br />

<strong>de</strong>s réponses si habi<strong>le</strong>ment combinées que l'événement<br />

favorise presque toujours <strong>le</strong> <strong>de</strong>vin; <strong>le</strong>s présages, enfin,<br />

sont <strong>de</strong>s craintes puéri<strong>le</strong>s. — Que serait-il resté? —<br />

Ces hommes loyaux n'useront pas <strong>de</strong> moyens si faci<strong>le</strong>s;<br />

ils admettent, eux, si savants dans ces choses, <strong>avec</strong> la<br />

simplicité apparente du vulgaire, ces faits que l'épicu^<br />

risme nie, que <strong>le</strong>s philosophes expliquent si contradic*<br />

toirement, et ce qui pour ces <strong>de</strong>rniers était une énigme<br />

est rendu, par <strong>le</strong>s apologistes, intelligib<strong>le</strong> à tous.<br />

En se bornant à rapporter ici en substance quelques<br />

passages, tronqués et décolorés <strong>de</strong>s Pères, on sent<br />

combien on altère <strong>de</strong>s œuvres qui, pour ne rien perdre<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur solidité et <strong>de</strong> <strong>le</strong>Ur beauté, <strong>de</strong>vraient être<br />

citées en entier; cependant on éprouve <strong>le</strong> besoin,


AVEC LE DÉMON. 335<br />

dans un travail tel que celui-ci, d'initier <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur à<br />

quelques-unes <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs pensées * à quelques-uns <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>urs arguments, ne serait-ce que pour l'engager à parcourir<br />

ces ouvrages, aujourd'hui si peu lus.<br />

Preuves spéculatives <strong>de</strong>s apologistes.<br />

<strong>Le</strong>s apologistes exposent <strong>le</strong>s preuves nombreuses<br />

<strong>de</strong> la vanité <strong>de</strong>s différents systèmes philosophiques, ils<br />

<strong>démon</strong>trent la fausseté du paganisme, et prouvent par<br />

nue fou<strong>le</strong> d'arguments que <strong>le</strong>urs dieux ne sont point<br />

<strong>de</strong>s dieux ; ils vont plus loin, ces prétendus dieux<br />

sont <strong>de</strong> mauvais <strong>démon</strong>s : ces preuves ne naissent pas<br />

seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs arguments, ils <strong>le</strong>s puisent dans<br />

<strong>le</strong>s ouvrages mêmes <strong>de</strong>s philosophes païens, dans<br />

<strong>le</strong>s aveux <strong>de</strong>s prêtres, dans <strong>le</strong>s prescriptions, dans <strong>le</strong>s<br />

contradictions, dans <strong>le</strong>s mensonges <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s ; ils <strong>le</strong>s<br />

puisent enfin dans certaines preuves <strong>de</strong> fait que fournissent<br />

<strong>le</strong>s possessions ; par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s aveux forcés<br />

<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s expulsés par <strong>le</strong>s chrétiens.<br />

On va, comme on l'a dit, remarquer que <strong>le</strong>s apologistes,<br />

loin <strong>de</strong> nier <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s Gentils, comme <strong>le</strong><br />

soutiennent <strong>de</strong> nos jours plusieurs bons chrétiens <strong>avec</strong><br />

<strong>le</strong>s libres penseurs, <strong>le</strong>s ont tous reconnus; mais <strong>le</strong>s Pères<br />

et <strong>le</strong>s docteurs <strong>de</strong> l'Église, en avouant que ce ne sont<br />

pas <strong>de</strong>s fab<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s attribuent aussi tous aux <strong>démon</strong>s.<br />

On va voir enfin que <strong>le</strong>ur doctrine explique parfaitement<br />

ces prodiges qui causaient tant d'embarras à ceux<br />

qui <strong>le</strong>s rapportaient à <strong>le</strong>urs dieux.<br />

Lactance (<strong>Des</strong> Institutions divines).<br />

Lactance, habi<strong>le</strong> orateur, fut appelé à Nicomédie<br />

par Dioctétien, pour enseigner la rhétorique ; son mé-


336 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

rite et ses vertus <strong>le</strong> rendirent si célèbre que Constantin<br />

lui confia l'éducation <strong>de</strong> son fils. On ignore <strong>le</strong>s<br />

causes et l'époque <strong>de</strong> sa conversion ; on sait seu<strong>le</strong>ment<br />

qu'il vécut pauvre au milieu <strong>de</strong>s cours, qu'il ne reçut<br />

<strong>de</strong>s présents <strong>de</strong>s empereurs que pour <strong>le</strong>s distribuer<br />

aux indigents, et qu'il vécut au commencement du<br />

quatrième sièc<strong>le</strong> : Lactance réfuta la philosophie et <strong>le</strong>s<br />

chimères du paganisme dans son Traité <strong>de</strong>s Institutions<br />

divines.<br />

La philosophie vantait ses bienfaits; il en examine<br />

<strong>le</strong>s résultats d'après <strong>le</strong>s philosophes eux-mêmes... —<br />

C'est la recherche <strong>de</strong> la sagesse, <strong>le</strong>ur dit-il ; est-el<strong>le</strong><br />

raisonnab<strong>le</strong>, puisque, d'après votre propre aveu, on<br />

ne peut la trouver?... Il montre, d'après Socrate et<br />

l'Académie, qu'il est impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> découvrir <strong>le</strong>s causes<br />

naturel<strong>le</strong>s : Zenon et <strong>le</strong>s stoïciens rejettent <strong>le</strong>s conjectures<br />

; si on ne peut être sûr <strong>de</strong> rien par la science,<br />

s'il ne faut pas recourir aux conjectures, la philosophie<br />

est renversée, et c'est encore l'opinion <strong>de</strong> tous<br />

<strong>le</strong>s autres philosophes qui se divisent en différentes<br />

sectes... Où donc trouver la vérité?<br />

Il dit que <strong>le</strong>s philosophes s'égorgent tous comme<br />

<strong>le</strong>s enfants <strong>de</strong> Cadmus; l'impossibilité <strong>de</strong> s'entendre<br />

engagea Arcésilas à instituer une philosophie qui consistait<br />

à n'en admettre aucune.<br />

De ce que la science humaine est un mélange d'ignorance<br />

et <strong>de</strong> vérité, il résulte que <strong>de</strong>ux extrêmes<br />

doivent être évités : il ne faut pas imiter <strong>le</strong>s académiciens,<br />

qui, ayant vu <strong>de</strong>s choses obscures, ont pensé<br />

qu'on n'en pouvait connaître aucune ; ni <strong>le</strong>s physiciens,<br />

qui, ayant découvert quelques vérités, en ont conclu<br />

qu'ils pouvaient tout connaître.<br />

En mora<strong>le</strong>, il n'y a pas d'uniformité dans <strong>le</strong>s préceptes<br />

<strong>de</strong>s philosophes... 11 passe en revue toutes <strong>le</strong>s


AVEC LE DÉMON. 337<br />

sectes, et il voit que toutes diffèrent : « <strong>Le</strong>squel<strong>le</strong>s suivrons-nous?<br />

dit-il, <strong>le</strong>ur autorité est éga<strong>le</strong>. »<br />

Que nous reste-t-il à faire? sinon <strong>de</strong> renoncer à ces<br />

disputes opiniâtres, et nous soumettre à un juge qui<br />

déci<strong>de</strong>ra nos questions et nous donnera la sagesse<br />

pure et <strong>le</strong> vrai bien.<br />

Quel est <strong>le</strong> souverain bien? Ici <strong>le</strong>s philosophes se<br />

contredisent ; <strong>le</strong>s uns <strong>le</strong> font consister dans la vertu ;<br />

il montre qu'el<strong>le</strong> n'est pas <strong>le</strong> souverain bien, el<strong>le</strong> y<br />

conduit... <strong>Le</strong> vrai bien, c'est la religion, et <strong>le</strong>s philosophes,<br />

qui pour délivrer <strong>l'homme</strong> <strong>de</strong> toute sorte <strong>de</strong><br />

crainte la lui ont ôtée, ne pouvaient rien faire <strong>de</strong><br />

plus contraire à l'humanité et à la raison... Or, sans<br />

religion, <strong>l'homme</strong> vit comme la brute ; <strong>le</strong> bon sens du<br />

peup<strong>le</strong> l'emporte donc sur la sagesse <strong>de</strong>s philosophes.<br />

Quoique son culte soit erroné, il n'oublie pas l'excel<strong>le</strong>nce<br />

<strong>de</strong> sa nature...<br />

11 montre <strong>le</strong> grand égarement <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> fait pour<br />

la religion et la sagesse; quand il embrasse l'une, il<br />

abandonne l'autre, tandis qu'el<strong>le</strong>s <strong>de</strong>vraient rester<br />

unies. Adonné seu<strong>le</strong>ment à la religion, il repousse la<br />

sagesse qui lui dit qu'il ne peut exister plusieurs<br />

dieux, ou bien il rejette la religion vraie pour suivre<br />

une fausse sagesse.<br />

Après avoir prouvé la fausseté <strong>de</strong> la religion et <strong>de</strong> la<br />

philosophie, et fait voir qu'el<strong>le</strong>s sont incomplètes chez<br />

<strong>le</strong>s païens, il montre que nul<strong>le</strong> autre religion que <strong>le</strong><br />

christianisme ne remplit toutes <strong>le</strong>s conditions.<br />

Cicéron a dit que la philosophie était la science <strong>de</strong>s<br />

choses divines et humaines; il n'a parlé qu'en déclarnateur...<br />

« Vous vous vantez, lui dit-il, <strong>de</strong> connaître<br />

<strong>le</strong>s opinions <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s sectes, veuil<strong>le</strong>z donc nous<br />

dire où vous avez trouvé la vérité ! » Après avoir montré<br />

que Cicéron s'est contredit dans ses ouvrages, il dit<br />

I. 22


338 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

que si la philosophie donne seu<strong>le</strong> <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la sagesse,<br />

que <strong>le</strong>s philosophes seuls aussi seront hommes<br />

<strong>de</strong> bien, et Lactance <strong>le</strong>s montre sujets cependant à<br />

toutes <strong>le</strong>s passions, faisant en secret ce qu'ils condamnent<br />

dans <strong>le</strong>urs éco<strong>le</strong>s... La philosophie est donc inuti<strong>le</strong><br />

; loin <strong>de</strong> rendre vertueux, ce n'est qu'un pur passetemps.<br />

« Quel bien a-t-cl<strong>le</strong> fait? dit-il ail<strong>le</strong>urs, puisqu'el<strong>le</strong><br />

n'a rendu meil<strong>le</strong>urs ni <strong>le</strong>s maîtres, ni <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s...<br />

Lorsque la religion manque, il n'y a plus <strong>de</strong> discernement<br />

du bien et du mal, et <strong>le</strong> lien social est rompu...»<br />

Sénèque a dit que la sagesse n'était connue que <strong>de</strong>puis<br />

mil<strong>le</strong> ans ; si el<strong>le</strong> est conforme à la nature, el<strong>le</strong> doit<br />

être non moins ancienne ; aussi Lactance prouvet-il<br />

qu'on l'a connue avant la philosophie, et conclut<br />

que philosophie et sagesse ne sont pas synonymes.<br />

Après avoir pulvérisé la philosophie et <strong>le</strong>s plus illustres<br />

philosophes, il examine <strong>le</strong>s opinions do ceux<br />

qui <strong>le</strong>ur sont inférieurs —<strong>Le</strong>s uns se tuent par<br />

crainte <strong>de</strong> mourir; d'autres mettent la compassion au<br />

rang <strong>de</strong>s vices ; d'autres disent que la neige est noire,<br />

puis ils sont forcés <strong>de</strong> dire que la poix est blanche.<br />

La doctrine chétienne est la vraie sagesse, el<strong>le</strong> opère<br />

ce que <strong>le</strong>s philosophes ont voulu et n'ont pu faire<br />

Comment <strong>de</strong>s hommes sans conviction pourraient-ils<br />

persua<strong>de</strong>r? Comment ceux qui avouent que <strong>le</strong>urs passions<br />

l'emportent sur <strong>le</strong>ur raison pourraient-ils réprimer<br />

cel<strong>le</strong>s d'autrui? L'expérience prouve la puissance<br />

<strong>de</strong>s préceptes divins.—- «Donnez-m'en un, dit Lactance,<br />

qui soit emporté, je <strong>le</strong> rendrai doux ; avare, je <strong>le</strong> rendrai<br />

libéral... Qu'on approche <strong>de</strong> nous sans crainte...., etc. »<br />

Quel est <strong>le</strong> philosophe qui pourrait en faire autant?<br />

Après avoir prouvé l'unité <strong>de</strong> Dieu d'après <strong>le</strong>s philosophes,<br />

il dit qu'il est entouré d'esprits glorieux <strong>de</strong> <strong>le</strong>


AVEC LE DÉMON. 339<br />

servir, qui ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt ni autels, ni sacrifices...;<br />

que <strong>le</strong>s adorateurs <strong>de</strong>s fausses divinités <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt à<br />

cel<strong>le</strong>s-ci <strong>le</strong> nom qu'on peut <strong>le</strong>ur donner sans crime... ;<br />

qu'on apprenne d'Apollon lui-même ce qu'on doit penser<br />

<strong>de</strong> Jupiter et <strong>de</strong>s dieux moindres que lui ; il dira<br />

que ce ne sont pas <strong>de</strong>s dieux, mais tout au plus <strong>le</strong>s ministres<br />

du vrai Dieu, sans excepter Jupiter lui-même ;<br />

et quoique Apollon ait l'audace <strong>de</strong> se placer au nombre<br />

<strong>de</strong>s intelligences bienheureuses, il est contraint d'a-<br />

Touer quelquefois qu'il n'est qu'un esprit impur. Lactance<br />

cite <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s où Apollon avoue qu'il est Lucifer...<br />

; d'autres où il a déclaré que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s gémissent<br />

sous la pesanteur <strong>de</strong>s coups que Dieu fait tomber sur<br />

eux sans relâche, etc.<br />

Lactance expose <strong>le</strong>s contradictions que présente la<br />

doctrine <strong>de</strong>s religions fausses, examine tous ces dieux<br />

livrés à tous <strong>le</strong>s vices, aux passions <strong>le</strong>s plus honteuses :<br />

«Poètes, historiens, philosophes, dit-il, tous sont d'accord<br />

sur <strong>le</strong>urs vices On dit que ce sont <strong>de</strong>s allégories,<br />

<strong>de</strong>s erreurs grossières introduites par la théologie<br />

fabu<strong>le</strong>use, que <strong>le</strong>s phénomènes <strong>de</strong> la nature y ont<br />

donné lieu, etc., etc. — Vos dieux sont donc <strong>le</strong> produit<br />

<strong>de</strong> l'imagination!... — D'autres disent que c'étaient<br />

<strong>de</strong>s hommes qu'on a divinisés pour <strong>le</strong>ur courage; <strong>le</strong><br />

courage rend-il <strong>l'homme</strong> meil<strong>le</strong>ur? D'autres l'ont été<br />

pour <strong>le</strong>urs bienfaits Cérès et Bacchus ont trouvé <strong>le</strong><br />

blé et <strong>le</strong> raisin — Cela mérite-t-il la divinité? » Il<br />

montre que c'est à tort d'ail<strong>le</strong>urs qu'on croit <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>voir<br />

ces présents. «D'après l'Écriture sainte, plus ancienne<br />

que vos dieux, poursuit Lactance, on se servait<br />

déjà du blé et du vin » Il passe en revue <strong>le</strong>s divinités<br />

grecques et romaines, <strong>le</strong>urs mystères, <strong>le</strong>urs sacrifices,<br />

en montre l'absurdité et l'infamie : — <strong>de</strong>s dieux<br />

gui veu<strong>le</strong>nt <strong>de</strong>s sacrifices humains; <strong>de</strong>squels on n'ob-


340 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

tient rien qu'en se faisant dans la chair <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s<br />

incisions 1<br />

... Un Saturne père <strong>de</strong>s dieux, venu quelques<br />

sièc<strong>le</strong>s avant la guerre <strong>de</strong> Troie..., etc.<br />

Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ail<strong>le</strong>urs à quoi servent <strong>le</strong>s simulacres<br />

où <strong>le</strong>s dieux viennent rési<strong>de</strong>r par la consécration, et<br />

qui ne sont que <strong>de</strong>s représentations <strong>de</strong> personnes<br />

mortes; peut-on être assez insensé pour <strong>le</strong>s adorer.....<br />

Si ce sont <strong>de</strong>s défunts et si <strong>le</strong>s dieux sont absents, vous<br />

ne <strong>le</strong> <strong>de</strong>vez point... et si vos dieux sont répandus partout,<br />

vos simulacres sont inuti<strong>le</strong>s, etc.<br />

Lactance ne conteste pas que <strong>le</strong>ur divinité ne soit<br />

prouvée par <strong>le</strong>urs orac<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>urs prodiges. Pour qu'il<br />

n'y ait rien d'obscur, dit-il, « Je ferai voir que <strong>le</strong>s prodiges<br />

et <strong>le</strong>s songes n'étaient que <strong>de</strong>s illusions dont<br />

<strong>le</strong> <strong>démon</strong> s'est servi pour tromper <strong>le</strong>s hommes »<br />

Il fait connaître, d'après la vraie doctrine, la nature<br />

<strong>de</strong> cet esprit corrompu par l'envie, et pourquoi Dieu<br />

a permis son action — Il par<strong>le</strong> <strong>de</strong> la matière<br />

que <strong>de</strong>s philosophes pensent être antérieure à Dieu, et<br />

dit, au contraire, que c'est <strong>de</strong> lui qu'el<strong>le</strong> a reçu sa<br />

force... Pour que la nature ait pu faire quelque chose,<br />

il faudrait qu'el<strong>le</strong> fût intelligente. Si cela était, el<strong>le</strong><br />

1. A Salamine on immolait un homme à Jupiter. — <strong>Le</strong>s peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

la Tauri<strong>de</strong> immolaient Diane à tous <strong>le</strong>s étrangers que la mauvaise<br />

fortune jetait sur <strong>le</strong>urs eû<strong>le</strong>s. — <strong>Le</strong>s Gaulois n'apaisaient <strong>le</strong>urs dieux<br />

qu'en répandant <strong>le</strong> sang humain. <strong>Le</strong> Jupiter du Latium n'était pas<br />

moins cruel. — Saturne aimait aussi ce culte; mais, pour diversifier,<br />

on précipitait la victime dans <strong>le</strong> Tibre.— <strong>Le</strong>s Carthaginois, pour calmer,<br />

après une défaite, la colère <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur dieu, immolèrent <strong>de</strong>ux cents<br />

jeunes gens choisis parmi <strong>le</strong>ur plus illustre nob<strong>le</strong>sse. Cybèlc inspire<br />

à ses initiés <strong>de</strong> lui sacrilier <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs propres mains ce que cette déesse<br />

jalouse arracha au malheureux Atys. — <strong>Le</strong>s prêtres <strong>de</strong> Bellonc,<br />

poussés par l'esprit <strong>de</strong> vertige, se font, en tenant un poignard <strong>de</strong><br />

chaque main, <strong>de</strong>s incisions profon<strong>de</strong>s dans <strong>le</strong>s membres, courent, se<br />

rou<strong>le</strong>nt, s'agitent... et <strong>le</strong>ur raison se perd <strong>avec</strong> <strong>le</strong>ur sang, etc., etc.<br />

(Extrait du liv. 1", 21.)


AVEC LE DÉMON. 341<br />

serait Dieu ; alors on déraisonne, car c'est nier que Dieu<br />

ait fait <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> et avouer qu'il l'a fait... — Mais la<br />

matière, dit-on, est coéternel<strong>le</strong> à Dieu... C'est reconnaître<br />

<strong>de</strong>ux dieux <strong>de</strong> puissance opposée, et il est clair<br />

qu'il n'en peut exister qu'un seul : ou Dieu est sorti <strong>de</strong><br />

la matière, ou bien c'est Dieu qui l'a créée; mais ce<br />

irai est matériel ne peut produire ce qui est spirituel...,<br />

etc. C'est ainsi que Lactance, par une série d'arguments<br />

qui échappent à notre analyse, prouve l'unité<br />

d'un être spirituel, éternel. Il par<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'origine <strong>de</strong> l'idolâtrie<br />

qui succéda au sabéisme.... explique la fab<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

Jupiter détrônant Saturne... L'âge d'or, c'était <strong>le</strong> culte<br />

du vrai Dieu; l'idolâtrie n'était point née, ni la philosophie<br />

inventée... Quand Jupiter eut détrôné son père,<br />

la vérité disparut, <strong>le</strong>s crimes pullulèrent, car l'impiété<br />

naquit. Tous <strong>le</strong>s malheurs viennent <strong>de</strong> l'oubli <strong>de</strong> Dieu<br />

poursuivre <strong>de</strong>s superstitions extravagantes.<br />

Au tab<strong>le</strong>au hi<strong>de</strong>ux <strong>de</strong>s maux causés par l'idolâtrie,<br />

Lactance oppose <strong>le</strong>s lumières <strong>de</strong>lafoi ; au dévergondage<br />

philosophique, la doctrine <strong>de</strong>s apôtres... On <strong>le</strong>ur reproche<br />

<strong>le</strong>ur grossièreté, <strong>le</strong>ur ignorance; cela s'accor<strong>de</strong>t-il<br />

<strong>avec</strong> l'art <strong>de</strong> tromper?.. .vie austère, mépris <strong>de</strong> ce que<br />

<strong>le</strong> mon<strong>de</strong> convoite, enfin <strong>le</strong>urs souffrances, <strong>le</strong>ur mort<br />

pour soutenir ce qu'ils attestent... et on ose <strong>le</strong>s accuser<br />

d'être <strong>de</strong>s brigands ; mais on n'a pas osé nier ni <strong>le</strong>urs<br />

mirac<strong>le</strong>s, ni ceux <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur maître, qu'on a comparés aux<br />

prodiges d'Apollonius; pourquoi donc celui-ci n'a-t-il<br />

pas été adoré comme Jésus? <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jésus sont<br />

donc supérieurs !<br />

Il oppose au paganisme <strong>le</strong>s bienfaits du christianisme<br />

: la charité, qui unit <strong>le</strong>s chrétiens... Plus d'embûches,<br />

<strong>de</strong> frau<strong>de</strong>s, d'impureté, d'idolâtrie, plus <strong>de</strong><br />

femmes obligées <strong>de</strong> se prostituer, on pourvoit à <strong>le</strong>urs<br />

besoins; plus <strong>de</strong> crimes, c'est <strong>le</strong> retour <strong>de</strong> l'âge d'or.


342 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Après ce tab<strong>le</strong>au si vrai et si beau peint par Lactance<br />

et qu'on ne peut qu'esquisser ici, qui osera sou<strong>le</strong>ver<br />

<strong>avec</strong> lui un coin du voi<strong>le</strong> qui couvrait <strong>le</strong>s turpitu<strong>de</strong>s<br />

païennes... <strong>Le</strong>s prix décernés à l'impudicité, <strong>le</strong>s<br />

vierges nourries dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s pour s'y prostituer,<br />

<strong>le</strong> don <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s accordé à ces infamies, <strong>de</strong>s mystères<br />

qui font rougir <strong>le</strong>s plus impudiques, <strong>de</strong>s images<br />

obscènes que <strong>le</strong>s hommes repoussent par pu<strong>de</strong>ur, que<br />

<strong>le</strong>s dieux exigent; dieux menteurs, en contradiction <strong>avec</strong><br />

eux-mêmes, sanguinaires, vicieux. D'après <strong>le</strong> portrait<br />

ébauché précé<strong>de</strong>mment, Lactance montre combien,<br />

aux yeux <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> <strong>de</strong> bien, <strong>le</strong> christianisme l'emporte<br />

sur <strong>le</strong> paganisme ! S'il y avait <strong>de</strong>s conversions,<br />

Lactance nous apprend aussi pourquoi il y avait tant<br />

<strong>de</strong> païens rétifs... «Voyez <strong>le</strong>ur conduite, dit-il : loin <strong>de</strong><br />

chercher la vérité et <strong>de</strong> la reconnaître, ils persécutent<br />

ceux qui l'ont trouvée... Supposons un instant que<br />

notre doctrine ne soit pas la véritab<strong>le</strong> ; si cel<strong>le</strong> qu'ils<br />

cherchent se présentait à eux, comment pourraient-ils<br />

la recevoir? De <strong>le</strong>ur propre aveu, ils font mourir ceux<br />

qui imitent <strong>le</strong>s justes; par aversion pour la vertu, ils<br />

traitent <strong>le</strong>s innocents comme <strong>le</strong>s plus grands coupab<strong>le</strong>s<br />

: comment osent-ils par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> justice.'... Lactance<br />

expose <strong>le</strong>s motifs <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs actes... <strong>Le</strong>s méchants ne<br />

veu<strong>le</strong>nt pas <strong>de</strong> ces vertueux incommo<strong>de</strong>s, dont la conduite<br />

est un reproche contre la corruption du sièc<strong>le</strong>...<br />

<strong>Le</strong>s chrétiens n'étant ni fourbes, ni adultères, ni<br />

impudiques, ni parjures.... il faut s'en défaire... :<br />

ce sont <strong>de</strong>s désespérés, <strong>de</strong>s impies... Sont-ce <strong>le</strong>s<br />

adorateurs <strong>de</strong>s dieux ou <strong>le</strong>s chrétiens qui sont <strong>de</strong>s<br />

désespérés et <strong>de</strong>s impics? qu'ils réfléchissent!... Ce<br />

sont <strong>le</strong>s premiers qui atten<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s passants sur <strong>le</strong>s<br />

grands chemins, qui courent <strong>le</strong>s mers pour vo<strong>le</strong>r; qui,<br />

lorsqu'ils ne peuvent tuer, préparent <strong>de</strong>s poisons;


AVEC LE DÉMON. 343<br />

qui se défont <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs femmes pour profiter <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

dots; ce sont <strong>le</strong>urs femmes qui se débarrassent <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>urs maris pour épouser <strong>le</strong>urs amants. Ce sont eux<br />

qui étrang<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>urs enfants, ce sont eux que <strong>le</strong> respect<br />

<strong>de</strong> la nature et <strong>de</strong> la religion ne détournent<br />

point <strong>de</strong> commettre <strong>de</strong>s incestes <strong>avec</strong> <strong>le</strong>urs fil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>urs<br />

sœurs, <strong>le</strong>urs bel<strong>le</strong>s-mères, etc.; ce sont eux qui<br />

conjurent contre <strong>le</strong>ur patrie, sans craindre <strong>le</strong>s peines<br />

réservées aux traîtres; ce sont eux qui profanent et<br />

pil<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s, qui supposent <strong>de</strong>s testaments, qui<br />

frustrent <strong>le</strong>s héritiers légitimes, qui se prostituent aux<br />

plus infâmes débauches; qui souffrent ce que <strong>le</strong>s<br />

femmes perdues ont peine à souffrir... Ce sont eux<br />

qui se laissent corrompre pour condamner <strong>de</strong>s innocents<br />

ou absoudre <strong>de</strong>s coupab<strong>le</strong>s, etc., etc. Voilà,<br />

continue Lactance, jusqu'où va l'inso<strong>le</strong>nce <strong>de</strong>s adorateurs<br />

<strong>de</strong>s dieux... Il n'a fait qu'esquisser, et renvoie<br />

aux livres <strong>de</strong>s païens eux-mêmes pour avoir un tab<strong>le</strong>au<br />

plus exact <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs crimes... « Peut-on, dit-il,<br />

reprocher rien <strong>de</strong> semblab<strong>le</strong> aux chrétiens, dont tous<br />

<strong>le</strong>s efforts consistent à mener une vie exempte <strong>de</strong> péché?<br />

»<br />

Tout ce que Lactance disait ainsi <strong>de</strong>s païens <strong>de</strong> son<br />

temps ne s'applique-t-il point aux païens <strong>de</strong> nos jours,<br />

c'est-à-dire à ceux qui n'ont d'autres dieux que <strong>le</strong>s<br />

voluptés, la débauche, <strong>le</strong>s injustices, <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> la<br />

chair?<br />

Tertutlien.<br />

Si on s'était astreint à suivre l'ordre chronologique,<br />

Tertullien aurait dû précé<strong>de</strong>r Lactance. Ce premier<br />

avait étudié <strong>le</strong>s systèmes <strong>de</strong>s diverses sectes, et joignait<br />

l'éloquence à la philosophie ; s'étant converti au


314 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

christianisme, il en <strong>de</strong>vint un <strong>de</strong>s apologistes <strong>le</strong>s plus<br />

ar<strong>de</strong>nts. Il ne s'agit pas d'exposer ici ses erreurs; s'il<br />

adopta une partie <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Montan, il put être entraîné<br />

par son caractère ; frappé <strong>de</strong> tout ce qu'il voyait,<br />

sa sévérité naturel<strong>le</strong> <strong>le</strong> porta à proclamer une discipline<br />

plus austère que cel<strong>le</strong> qu'on enseignait. Ce qu'on<br />

va citer en substance est extrait <strong>de</strong> l'apologie qu'il<br />

publia à Rome pour <strong>le</strong>s chrétiens; el<strong>le</strong> passe pour un<br />

chef-d'œuvre d'éloquence et d'érudition.<br />

<strong>Le</strong> savant apologiste expose que <strong>le</strong>s livres sacrés <strong>de</strong><br />

Moïse <strong>de</strong>vancent <strong>de</strong> plusieurs sièc<strong>le</strong>s ce que <strong>le</strong>s païens<br />

ont <strong>de</strong> plus antique; histoire, vil<strong>le</strong>s, monuments, notions,<br />

etc. « Je n'en dis pas assez, dit-il; ils sont antérieurs<br />

<strong>de</strong> plusieurs sièc<strong>le</strong>s à vos dieux, à vos orac<strong>le</strong>s,<br />

etc.. » Moïse est antérieur <strong>de</strong> près <strong>de</strong> huit cents<br />

ans à la fondation <strong>de</strong> Rome, d'environ mil<strong>le</strong> ans à<br />

Priam 1<br />

; il précè<strong>de</strong> Homère <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> cinq cents ans.<br />

Tertullien prouve ensuite la divinité <strong>de</strong>s Livres<br />

saints : — tout ce qui arrive a été prédit par <strong>le</strong>s prophètes...<br />

«L'accomplissement <strong>de</strong>s prophéties dans <strong>le</strong><br />

passé nous est, dit-il, un garant qu'el<strong>le</strong>s s'accompliront<br />

dans l'avenir...» — On disait que <strong>le</strong> christianisme<br />

venait <strong>de</strong> naître: — «Nous n'avons, répond Tertullien,<br />

d'autre Dieu que celui <strong>de</strong>s Juifs, <strong>le</strong>urs livres sont <strong>le</strong>s<br />

nôtres... » Il expose succinctement <strong>le</strong>s menaces <strong>de</strong>s<br />

saints orac<strong>le</strong>s qui ont annoncé la dispersion, <strong>le</strong> bannissement<br />

<strong>de</strong>s Juifs; la naissance d'un fils <strong>de</strong> Dieu, qui<br />

dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers sièc<strong>le</strong>s se choisirait parmi tous <strong>le</strong>s<br />

peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s adorateurs plus fidè<strong>le</strong>s que <strong>le</strong>s Juifs...,<br />

qui réformerait <strong>le</strong> genre humain... Ce fils ne sera dû<br />

ni à l'inceste d'une sœur, ni à la faib<strong>le</strong>sse d'une fil<strong>le</strong>,<br />

l. Pour l'exactitu<strong>de</strong> chronologique, il faudrait plus <strong>de</strong> trois cents<br />

ans.


AVEC LE DÉMON. 345<br />

ni à un père métamorphosé en serpent ou en taureau...<br />

Tertullien en explique la nature, la puissance... —Il<br />

s'est incarné dans <strong>le</strong> sein d'une vierge, il naît uni à<br />

Dieu... « En attendant que je vous prouve sa divinité,<br />

recevez cette doctrine, ne fût-ce qu'une fab<strong>le</strong> semblab<strong>le</strong><br />

aux vôtres. » <strong>Le</strong>s Juifs l'atten<strong>de</strong>nt encore, poursuit<br />

Tertullien...; il explique comment il se fait qu'ils<br />

n'ont pu <strong>le</strong> reconnaître.... — Il était écrit dans <strong>le</strong>urs<br />

livres que Dieu, pour <strong>le</strong>s punir, <strong>le</strong>ur ôterait la sagesse<br />

et l'intelligence... — L'abaissement <strong>de</strong> Jésus, pris pour<br />

un magicien, son jugement, sa mort, sa mission, cel<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>s apôtres, sont exposés par Tertullien, qui dit :<br />

«Voilà notre histoire... Nous confessons publiquement<br />

au milieu <strong>de</strong>s tortures la divinité <strong>de</strong> Jésus-<br />

Christ... Examinez donc s'il est Dieu..., si sa religion<br />

rend meil<strong>le</strong>ur..., il s'ensuivra que toutes cel<strong>le</strong>s qui lui<br />

sont opposées sont fausses, lors même qu'el<strong>le</strong>s prouveraient<br />

<strong>le</strong>ur divinité par quelques orac<strong>le</strong>s et quelques<br />

prodiges... » — Ceci conduit Tertullien à par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s... «Nous connaissons, dit-il, <strong>de</strong>s substances<br />

spirituel<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong> nom n'est pas nouveau... <strong>Le</strong>s philosophes<br />

savent qu'il y a <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, <strong>le</strong>s poètes aussi,<br />

comme <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> même <strong>le</strong> plus ignorant...; <strong>le</strong>s magiciens<br />

nous l'apprennent éga<strong>le</strong>ment... » Il arrive ensuite<br />

à <strong>le</strong>urs opérations... « Si vos dieux, poursuit Tertullien,<br />

ne font pas <strong>de</strong>s prodiges plus éclatants que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s,<br />

où se trouve donc la prééminence qui caractérise la<br />

nature divine?...» Quant à la divinité du Christ, outre<br />

<strong>le</strong>s prophéties qui l'ont annoncé et <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s qu'il<br />

a faits : « Nous vous produirons <strong>de</strong>s témoins irréprochab<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong> sa divinité... — Qui donc?... — Ceux même<br />

que vous adorez... » — Et en effet, nous verrons plus<br />

loin, dans <strong>le</strong>s Pères, que <strong>le</strong>s dieux étaient contraints<br />

d'avouer qu'ils sont <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s et que Jésus-Christ est


346 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Dieu; et qu'il n'y en a pas d'autre que lui. — « Nous<br />

n'avons pas besoin d'autres preuves pour nous justifier<br />

d'avoir offensé la religion <strong>de</strong>s Romains, continue Tertullien,<br />

c'est d'avoir <strong>démon</strong>tré la fausseté <strong>de</strong>s dieux. »<br />

— 11 abor<strong>de</strong> l'argument <strong>de</strong> Julien, qui donnait comme<br />

preuve <strong>de</strong> la vérité du paganisme que ses sectateurs<br />

étaient <strong>le</strong>s plus puissants.— Mais ne pouvant exposer<br />

ici <strong>le</strong>s réponses <strong>de</strong> Tertullien, il suffira <strong>de</strong> dire qu'il<br />

anéantit d'avance <strong>le</strong>s arguments employés plus tard<br />

par Julien... « Ceux, dit-il, que <strong>le</strong>s Romains ont<br />

vaincus, n'avaient-ils pas aussi <strong>le</strong>urs religions!... <strong>Le</strong>s<br />

Babyloniens régnaient avant vos pontifes, <strong>le</strong>s Mè<strong>de</strong>s<br />

avant vos quindécemvirs, <strong>le</strong>s Égyptiens avant vos Saliens,<br />

<strong>le</strong>s Assyriens avant vos Luperques... Si vos dieux<br />

disposent <strong>de</strong>s empires, <strong>le</strong>s contempteurs <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s<br />

dieux n'eussent jamais régné. »<br />

Nous pourrions exposer ici ce que <strong>le</strong>s Pères pensaient<br />

<strong>de</strong>s mystères; mais on a vu déjà <strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong> Clément<br />

d'A<strong>le</strong>xandrie, <strong>de</strong> saint Augustin, etc.. Un <strong>de</strong>rnier<br />

mot encore sur ce sujet.<br />

Arnobe (adv. Genl.es) dit que <strong>le</strong> nom seul <strong>de</strong>s fausses<br />

divinités est un opprobre : « Vous ne voudriez pas, dit<br />

ce Père aux païens, que vos enfants ressemblassent à<br />

vos dieux, ni que vos fil<strong>le</strong>s assistassent aux initiations<br />

<strong>de</strong> Cérès. »<br />

Eusèbe dit aussi : « <strong>Le</strong>s païens se sont fait <strong>de</strong>s dieux ;<br />

<strong>de</strong> là sont venus <strong>le</strong>s mystères impurs, etc. » (Panée/,<br />

<strong>de</strong> Cimst.)<br />

Saint Augustin, dont on a rapporté divers passages<br />

concernant <strong>le</strong>s mystères, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce qu'il faut penser<br />

<strong>de</strong>s impuretés qui s'y commettent en secret <strong>avec</strong> ces<br />

hommes énervés et infâmes (<strong>le</strong>s eunuques, prêtres <strong>de</strong><br />

Cybèlc); « au moins n'ont-ils pu cacher la honte <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

dégradation. » (Cité <strong>de</strong> Dieu, VI, 7.) On a vu que <strong>le</strong>s


AVBO LB DÉMON. 347<br />

païens eux-mêmes, moins dissolus que <strong>le</strong>urs dieux,<br />

s'exprimaient <strong>de</strong> la sorte.<br />

Eusète.<br />

On a dit <strong>de</strong> l'évêque <strong>de</strong> Césarée qu'il savait tout ce qui<br />

avait été.écrit avant lui. Entre autres excel<strong>le</strong>nts ouvrages,<br />

ses traités <strong>de</strong> la Préparation et <strong>de</strong> la Démonstration<br />

évangélique sont <strong>le</strong>s plus savants que l'antiquité nous<br />

fournisse pour <strong>démon</strong>trer la vérité du christianisme et<br />

la fausseté du paganisme. — 11 y bat en brèche <strong>avec</strong><br />

<strong>le</strong> même succès la philosophie et la théologie <strong>de</strong>s Gentils.<br />

Il y prouve que <strong>le</strong>s sages se sont contredits et gravement<br />

trompés; il <strong>le</strong>s combat par <strong>le</strong>urs propres armes,<br />

il prouve que <strong>le</strong>s dieux ont menti, se sont eux-mêmes<br />

contredits, et qu'ils sont i<strong>de</strong>ntiques enfin <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s mauvais<br />

esprits.<br />

<strong>Le</strong>s dieux dissolus <strong>de</strong> la fab<strong>le</strong> <strong>de</strong>vinrent pour <strong>le</strong>s<br />

initiés, dit Eusèbe, <strong>de</strong>s allégories qu'on expliqua dans<br />

<strong>le</strong>s mystères Il <strong>le</strong>s dépeint comme un tissu d'impiétés,<br />

<strong>de</strong> fourberies, <strong>de</strong> sa<strong>le</strong>s orgies ; il met dans la<br />

même catégorie <strong>le</strong>s magiciens, <strong>le</strong>s prêtres <strong>de</strong> Bacchus,<br />

<strong>le</strong>s initiés, et tous ceux qui se livrent aux opérations<br />

nocturnes <strong>Le</strong>s ténèbres <strong>le</strong>s plus obscures ne sauraient<br />

jamais assez cacher ces impudicités.<br />

La théologie allégorique n'est pas plus satisfaisante<br />

que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> la fab<strong>le</strong> ; il prouve que <strong>le</strong>s interprétations<br />

sont forcées, mensongères, que Platon se contredit,<br />

que Plutarque <strong>le</strong>s contourne en vain pour <strong>le</strong>s expliquer...<br />

11 prouve d'ail<strong>le</strong>urs que ces allégories substitueraient<br />

<strong>le</strong> panthéisme au vrai Dieu ; la Divinité n'étant<br />

plus alors qu'une agglomération d'êtres matériels...,<br />

<strong>l'homme</strong> perdrait tout respect pour el<strong>le</strong>. Ce système est<br />

donc l'oubli <strong>de</strong> Dieu ; mais Eusèbe prouve que <strong>le</strong>s phi-


348 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

losophes sont en contradiction <strong>avec</strong> <strong>le</strong>ur doctrine ; euxmêmes,<br />

en adorant <strong>de</strong>s ido<strong>le</strong>s qu'ils croient inanimées,<br />

confirment <strong>le</strong>s erreurs mythologiques. Il signa<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

mêmes contradictions dans <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s, qui tantôt confirment<br />

<strong>le</strong>s croyances fabu<strong>le</strong>uses, tantôt appuient la doctrine<br />

<strong>de</strong>s allégories. 11 <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ensuite si l'infamie,<br />

l'erreur, <strong>le</strong>s contradictions peuvent émaner <strong>de</strong> la source<br />

<strong>de</strong> toute pureté, <strong>de</strong> toute vérité. 11 passe à la théologie<br />

politique qui admettait, comme faits bien constants,<br />

<strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s divinations, <strong>le</strong>s prodiges, <strong>le</strong>s cures miracu<strong>le</strong>uses<br />

, <strong>le</strong>s statues qui semblaient parfois douées<br />

<strong>de</strong> vie... Eusèbe dit que, pour détruire cet appareil idolâtrique,<br />

on pourrait puiser <strong>de</strong>s arguments chez <strong>le</strong>s<br />

païens eux-mêmes; plusieurs sectes, <strong>le</strong>s épicuriens,<br />

par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s lui fourniraient... <strong>Le</strong> champ serait<br />

vaste ; mais il n'est pas dans son <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong> suivre cette<br />

métho<strong>de</strong>.<br />

11 faut reconnaître, dit Eusèbe, qu'avant Jésus-<br />

Christ <strong>le</strong>s nations s'étaient laissé séduire par <strong>de</strong>s esprits<br />

pervers, <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s méchants... Quel jugement<br />

porter sur ces puissances qui agitent ces ido<strong>le</strong>s? Sont-ce<br />

<strong>de</strong>s dieux ou <strong>de</strong> mauvais <strong>démon</strong>s? L'Écriture n'en<br />

reconnaît pas <strong>de</strong> bons... Eusèbe, pour éviter toute polémique,<br />

ne prendra pas ses autorités parmi <strong>le</strong>s chrétiens;<br />

cent païens <strong>le</strong>s lui fourniraient, mais un seul<br />

suffit: c'est Porphyre, auteur d'un recueil d'orac<strong>le</strong>s; en<br />

commerce intime <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux, il est <strong>le</strong> plus capab<strong>le</strong><br />

do nous apprendre ce que sont <strong>le</strong>s dieux ; Eusèbe,<br />

d'après cet initié, examine si ces puissances sont <strong>de</strong>s<br />

dieux ou <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s... Un orac<strong>le</strong>,ayant fixé <strong>le</strong>s hiérarchies<br />

divines, recomman<strong>de</strong> d'immo<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s victimes aux<br />

dieux cé<strong>le</strong>stes ; il n'oublie point ceux <strong>de</strong>s enfers, et<br />

prescrit pour chaque ordre un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> sacrifices...<br />

Cependant <strong>le</strong> même Porphyre, au Traité <strong>de</strong> l'absti-


AVEC LE DÉMON. 349<br />

nence, établit, par <strong>le</strong>s arguments <strong>le</strong>s plus soli<strong>de</strong>s, que<br />

<strong>le</strong>s dieux suprêmes et <strong>le</strong>s dieux inférieurs ne peuvent<br />

être honorés par <strong>de</strong>s holocaustes ; ceux qui en exigent<br />

ne sont pas <strong>de</strong>s dieux... <strong>Le</strong>s victimes ne conviennent<br />

qu'aux <strong>démon</strong>s... <strong>Le</strong>s prétendues divinités auxquel<strong>le</strong>s<br />

l'orac<strong>le</strong> ordonne d'offrir <strong>de</strong>s victimes, dit Eusèbe, ne<br />

sont donc pas <strong>de</strong>s dieux, mais <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s.<br />

Porphyre, même traité, dit qu'on ne doit offrir au<br />

Dieu souverain que <strong>le</strong> culte du cœur, <strong>le</strong>s objets matériels<br />

n'étant pas dignes <strong>de</strong> lui... On ne doit éga<strong>le</strong>ment<br />

donner aux dieux qui en procè<strong>de</strong>nt que <strong>de</strong>s témoignages<br />

<strong>de</strong> gratitu<strong>de</strong>... —Cette doctrine n'était pas<br />

particulière à Porphyre; d'après Apollonius, celui qui<br />

n'immo<strong>le</strong> pas <strong>de</strong> victimes à la Divinité a trouvé <strong>le</strong> seul<br />

culte qui lui soit agréab<strong>le</strong> : et Théophraste disait qu'el<strong>le</strong><br />

s'indigne <strong>de</strong> ces sacrifices cruels... — Il était prouvé,<br />

d'après <strong>le</strong>s sages eux-mêmes, que c'est un crime...—<br />

« Puisque l'orac<strong>le</strong>, dit Eusèbe, ordonne d'immo<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s<br />

victimes pour lui et pour <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s ordres,<br />

ni lui, ni ceux-ci ne sont donc dieux, ce sont <strong>de</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s... Tous <strong>le</strong>s théologiens reconnaissent, poursuit<br />

Eusèbe, que <strong>le</strong>s uns sont bons, <strong>le</strong>s autres méchants;<br />

or ceux qui sont bons font du bien... Mais si Jupiter,<br />

Junon, Bacchus, etc., aiment <strong>le</strong>s sacrifices d'hommes<br />

ou d'animaux, sacrifices exécrab<strong>le</strong>s selon ces autorités,<br />

ce sont donc <strong>de</strong>s dieux malfaisants..., etc. »<br />

Eusèbe, parcourant l'histoire, voit partout <strong>de</strong>s sacrifices<br />

humains prescrits pour Jupiter, Apollon, etc.,<br />

et <strong>le</strong>s terrib<strong>le</strong>s fléaux qui en suivent l'omission : sécheresse,<br />

mortalité, famine; l'orac<strong>le</strong> en déclare la cause;<br />

— on a oublié <strong>de</strong> faire cou<strong>le</strong>r <strong>le</strong> sang humain ; — <strong>le</strong>s<br />

historiens <strong>le</strong>s plus célèbres l'attestent. L'Écriture reproche<br />

aux nations ces sacrifices ; el<strong>le</strong> dit qu'ils sont<br />

exigés par <strong>le</strong>urs dieux, qui sont <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s.


350 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

« Eh effet, dit Eusèbe, &i c'étaient <strong>de</strong> bons génies, ils<br />

seraient bienfaisants, <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s auraient interdit ces<br />

cruautés, tandis qu'ils <strong>le</strong>s ordonnent : autre preuve<br />

enfin <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur méchanceté, c'est qu'ils veu<strong>le</strong>nt être partout<br />

honorés par <strong>de</strong>s abominations... »<br />

« S'il y a <strong>de</strong> mauvais <strong>démon</strong>s qui exigent ces monstruosités,<br />

continue Eusèbe, on objectera peut-être qu'il<br />

faut <strong>le</strong>s distinguer <strong>de</strong>s bons, honorés comme dieux souverains<br />

: mais alors je <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rai où étaient ces bons<br />

génies qui ne peuvent éloigner <strong>le</strong>s mauvais ni protéger<br />

<strong>le</strong>urs serviteurs fidè<strong>le</strong>s? Nul d'entre eux n'a démasqué<br />

ces fausses divinités. Pourquoi ces dieux bons et véritab<strong>le</strong>s<br />

gardaient-ils <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce? pourquoi ne dévoilaientils<br />

pas <strong>le</strong>s dieux méchants? C'était à eux à dénoncer<br />

ces dieux cruels et lubriques ; or aucun d'eux ne l'a<br />

fait. Seul <strong>le</strong> Dieu <strong>de</strong>s Hébreux a défendu d'honorer <strong>le</strong>s<br />

méchants <strong>démon</strong>s...; il est donc aussi seul véritab<strong>le</strong> :<br />

donc la religion <strong>de</strong>s Gentils est fausse et l'œuvre <strong>de</strong>s<br />

mauvais esprits, puisqu'on retrouve chez tous <strong>le</strong>s idolâtres<br />

<strong>le</strong>s mêmes sacrifices, <strong>le</strong>s mêmes impuretés...<br />

Qu'on n'objecte pas qu'ils ne sont offerts qu'aux mauvais<br />

<strong>démon</strong>s, puisque c'est à Saturne, à Junon, à Bacchus,<br />

au grand Jupiter, divinités bienfaisantes, qui<br />

<strong>de</strong>vaient s'é<strong>le</strong>ver contre un pareil culte, loin <strong>de</strong> l'accepter...<br />

La raison humaine, qui <strong>le</strong>s proscrivait, était<br />

donc supérieure à ces esprits qui <strong>le</strong>s réclamaient. »<br />

<strong>Le</strong> même Porphyre proclame que tous <strong>le</strong>s soins du<br />

sage doivent être <strong>de</strong> purifier son âme, <strong>de</strong> la mettre à<br />

l'abri <strong>de</strong> l'attaque <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, <strong>de</strong> renoncer à tout<br />

commerce <strong>avec</strong> eux, <strong>de</strong> rechercher <strong>le</strong> vrai bien et <strong>de</strong> ne<br />

point s'attacher, comme <strong>le</strong>s pervers, aux choses matériel<strong>le</strong>s<br />

: — dès lors, plus <strong>de</strong> divinations, plus <strong>de</strong> présages,<br />

d'entrail<strong>le</strong>s fumantes, ni <strong>de</strong> ces pratiques qui révè<strong>le</strong>nt<br />

l'avenir, etc....


AVEC lE DÉMON. 361<br />

« Que penserons-nous donc <strong>de</strong> ceci? dit Eusèbe,<br />

—puisque, d'après Porphyre lui-même, ce ne sont que<br />

<strong>de</strong>s artifices <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s ; <strong>le</strong>s anciens sages qui s'y livraient<br />

n'étaient donc point <strong>de</strong> vrais sages : or tous <strong>le</strong>s<br />

peup<strong>le</strong>s l'ont fait, donc tous étaient dans l'erreur...<br />

Apollon ordonnait qu'on fît <strong>de</strong>s sacrifices aux mauvais<br />

esprits, il était donc <strong>le</strong>ur ami; or nous n'avons guère<br />

pour amis que ceux qui nous ressemb<strong>le</strong>nt. »<br />

D'après Porphyre, l'orac<strong>le</strong> a dit que, pour secon<strong>de</strong>r<br />

<strong>le</strong>s efforts <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins et obtenir <strong>le</strong>s manifestations du<br />

dieu, il fallait offrir une victime expiatoire aux mauvais<br />

<strong>démon</strong>s..., et, selon <strong>le</strong> même Porphyre, la raison<br />

veut qu'on purifie son âme, car <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ne peuvent<br />

rien sur une âme pure... — Quel nom faut-il donner<br />

à un tel orac<strong>le</strong>? —Oh! dit ce Père, voilà pourquoi<br />

<strong>le</strong>s chrétiens, éclairés par l'Écriture sainte, rejettent<br />

un culte impur pour une vie chaste; voilà pourquoi ils<br />

ont renoncé à vos orac<strong>le</strong>s, à vos divinations, et ont<br />

méprisé tous <strong>le</strong>s prestiges dont <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s se servent<br />

pour séduire... : c'est que Jésus-Christ <strong>le</strong>ur a appris<br />

aies rejeter. (Prép. évang., IV.)<br />

«Porphyre, en parlant <strong>de</strong>s esprits, poursuit Eusèbe,<br />

dit qu'ils portent à la concupiscence, excitent <strong>le</strong>s passions,<br />

empruntent mil<strong>le</strong> figures diverses. <strong>Le</strong>s plus<br />

méchants sont ceux qui changent <strong>le</strong> plus souvent <strong>de</strong><br />

formes : astucieux , cruels, il n'y a mal qu'ils ne tentent...<br />

Dépourvus <strong>de</strong> toute puissance divine, tantôt<br />

ils cachent <strong>le</strong>urs embûches, tantôt ils usent <strong>de</strong> force<br />

ouverte; tout <strong>le</strong>ur but est <strong>de</strong> nous donner une fausse<br />

idée <strong>de</strong> la divinité, que souvent ils ont osé contrefaire<br />

pour nous amener à <strong>le</strong>ur culte; ils flattent <strong>le</strong>s<br />

passions <strong>le</strong>s plus vi<strong>le</strong>s, se jouent <strong>de</strong> notre impru<strong>de</strong>nce,<br />

et gagnent ainsi non-seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s gens crédu<strong>le</strong>s,<br />

mais <strong>le</strong>s plus grands philosophes... C'est par <strong>le</strong>ur pou-


352 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

voir, ajoute Porphyre, que s'opèrent <strong>le</strong>s prestiges <strong>de</strong>s<br />

magiciens ; ce sont eux qui ont fasciné <strong>le</strong> genre humain<br />

par mil<strong>le</strong> prodiges étonnants, etc »<br />

« Cet aveu, dit Eusèbe, qui prouve que <strong>le</strong>s plus grands<br />

philosophes ont honoré <strong>le</strong>s mauvais esprits comme <strong>de</strong>s<br />

dieux, nous surprend : c'est avouer la source <strong>de</strong> l'erreur<br />

<strong>de</strong>s nations; aveu bien important <strong>de</strong> la part d'un personnage<br />

initié aux mystères et aux superstitions <strong>de</strong>s<br />

Gentils ; c'est reconnaître que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s se font passer<br />

pour <strong>de</strong>s dieux. »<br />

<strong>Le</strong> même Porphyre avait dit que ce n'était pas sans<br />

raison qu'on regardait Sérapis comme chef <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s;<br />

celui-ci, qui était i<strong>de</strong>ntique <strong>avec</strong> Pluton, avait<br />

fait connaître qu'ils prenaient toutes sortes <strong>de</strong> formes<br />

et remplissaient <strong>le</strong>s habitations et <strong>le</strong>s corps ; <strong>le</strong>s moyens<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>s expulser avaient été révélés... <strong>Le</strong>s prêtres <strong>le</strong>s<br />

chassaient par <strong>de</strong>s lustrations, afin que <strong>le</strong>s dieux pussent<br />

ensuite se manifester, etc—<br />

On ne peut suivre Eusèbe plus loin, mais ceci seul<br />

prouve combien <strong>de</strong> tels aveux étaient favorab<strong>le</strong>s à sa<br />

cause, et combien il était faci<strong>le</strong> aux apologistes <strong>de</strong><br />

triompher du paganisme. Hécate était la même que<br />

Sérapis ; celui-ci <strong>le</strong> même dieu qu'Apollon : <strong>le</strong>s initiés<br />

avouaient donc que <strong>le</strong>urs dieux supérieurs étaient <strong>de</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s. Cet aveug<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s païens eût étonné <strong>le</strong>s<br />

apologistes s'ils n'en eussent connu la cause... — Sans<br />

s'en douter, <strong>le</strong>s mêmes païens attestaient l'avènement<br />

<strong>de</strong> Jésus-Christ, qui <strong>de</strong>vait détruire l'empire <strong>de</strong> Satan;<br />

on <strong>le</strong> voyait par la cessation <strong>de</strong>s sacrifices barbares,<br />

par <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, par l'anéantissement <strong>de</strong> la<br />

puissance <strong>de</strong>s dieux..., etc. Aussi Porphyre se plaint<br />

qu'on n'éprouve plus <strong>le</strong>s heureux effets <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur intervention,<br />

ni l'assistance d'Esculape ni <strong>de</strong> nul autre...<br />

Ayant dit précé<strong>de</strong>mment qu'il y avait eu accroisse-


AVEC LE DÉMON. 353<br />

ment <strong>de</strong> prodiges, il semb<strong>le</strong> qu'il y ait ici contradiction....<br />

— L'intervention <strong>de</strong>s esprits se manifesta davantage<br />

dans <strong>le</strong>s arts sacrés, mais <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s<br />

guérisons dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s faisaient souvent défaut. <strong>Le</strong><br />

corps <strong>de</strong> saint Babylas, enterré près d'un temp<strong>le</strong>, rendit<br />

muet l'orac<strong>le</strong> d'Apollon, qui en déclara lui-même la<br />

causé. Julien, voyant que <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s cessaient, nous<br />

apprend que Jupiter snppléa à ce défaut en donnant <strong>le</strong>s<br />

arts sacrés. (S. Cyril<strong>le</strong>, Rèfut. <strong>de</strong> Jirfien.) — <strong>Le</strong> même<br />

Julien ayant fait en<strong>le</strong>ver <strong>le</strong> corps <strong>de</strong> saint Babylas,<br />

l'orac<strong>le</strong> parla <strong>de</strong> nouveau. (Bul<strong>le</strong>t, Hi'st. <strong>de</strong> l'établ. du<br />

Christian,, p. 207.)<br />

Après cette digression, revenons à Eusèbe : « Pourquoi<br />

se sont-ils donc retirés (<strong>le</strong>s dieux) <strong>de</strong>vant un<br />

simp<strong>le</strong> mortel? dit-il; quoi! Jésus-Christ <strong>le</strong>ur a ôté<br />

<strong>le</strong>ur divinité, il a substitué son culte au <strong>le</strong>ur, et ils n'ont<br />

pas extirpé cette erreur malgré tous <strong>le</strong>urs efforts!... »<br />

Eusèbe rappel<strong>le</strong> une croyance commune aux païens<br />

et aux chrétiens. : <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s errant dans l'atmosphère<br />

aiment <strong>le</strong>s cadavres et <strong>le</strong>s tombeaux... <strong>Le</strong>urs<br />

chefs, voyant qu'on é<strong>le</strong>vait <strong>de</strong>s statues aux morts, agitèrent<br />

ces statues, établirent <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s et firent <strong>de</strong>s<br />

gTiérisons, tantôt parce que <strong>le</strong> mal était curab<strong>le</strong>, tantôt<br />

parce qu'ils cessaient <strong>de</strong> tourmenter <strong>le</strong> mala<strong>de</strong>...<br />

Ma fit croire à une intervention divine. <strong>Le</strong> polythéisme<br />

s'établit ainsi par <strong>le</strong>s prestiges <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, et <strong>le</strong>s prêtres,<br />

sous <strong>le</strong>urs inspirations, en multiplièrent <strong>le</strong>s merveil<strong>le</strong>s.<br />

Eusèbe, après avoir rappelé que <strong>le</strong>s mauvais esprits<br />

apparaissent tantôt sous la forme <strong>de</strong>s dieux supérieurs,<br />

tantôt sous cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s dieux inférieurs, dit que souvent<br />

ils ne prennent pas la peine <strong>de</strong> se transformer et donnent<br />

bien <strong>de</strong>s preuves évi<strong>de</strong>ntes <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur nature perverse;<br />

la variété <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs apparitions fut la source <strong>de</strong><br />

i. 23


354 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

mil<strong>le</strong> erreurs^ puisque, pour <strong>le</strong>s uns, ils furent <strong>de</strong>s<br />

dieux, et pour d'autres, <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s qu'on distingua<br />

en bons et méchants ; mais si l'on accorda un culte aux<br />

premiers pour obtenir <strong>le</strong>ur médiation, on <strong>le</strong> fit pour <strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>rniers afin <strong>de</strong> détourner <strong>le</strong>ur fureur. Il invoque <strong>le</strong><br />

témoignage d'un païen. —Plutarque a pensé (De oracul,<br />

<strong>de</strong>fectu) que <strong>le</strong>s sages avaient <strong>le</strong>vé une gran<strong>de</strong> difficulté<br />

en plaçant, entre <strong>le</strong>s dieux et <strong>le</strong>s hommes, <strong>de</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s médiateurs , et dit qu'il ne croit pas se tromper<br />

en déclarant que <strong>le</strong>s esprits qui prési<strong>de</strong>nt aux orac<strong>le</strong>s<br />

ne sont pas <strong>de</strong>s dieux, puisque ceux-ci ne peuvent<br />

avoir un commerce immédiat <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s choses terrestres,<br />

mais que ce sont <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s.—Dira-t-ou que co sont<br />

<strong>de</strong> bons <strong>démon</strong>s? Plutarque ne pouvait <strong>le</strong> penser; <strong>le</strong>s<br />

sacrifices humains, selon lui, n'ont pu être ordonnés<br />

que pour détourner la colère <strong>de</strong>s mauvais esprits..., et<br />

on sait combien <strong>de</strong> fois l'orac<strong>le</strong> a <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s<br />

victimes! — Eusèbe prouve enfin que <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s aurions<br />

s'adressait aux esprits du mal... — Plutarque<br />

rapporte, d'après <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s traditions, que tout ce<br />

qu'on raconte <strong>de</strong> Typhon, d'Isis et d'Osiris, doit être<br />

attribué non à <strong>de</strong>s dieux, mais aux <strong>démon</strong>s...<br />

Eusèbe dit ail<strong>le</strong>urs que Porphyre a raconté que l'apparition<br />

du dieu Pan, serviteur <strong>de</strong> Bacchus, à <strong>de</strong>s laboureurs<br />

avait causé <strong>le</strong>ur mort. — « Un dieu bon se<br />

fait bénir par ses bienfaits, continue Eusèbe. — Eh<br />

bien! rien <strong>de</strong> tout cela, etc. 1<br />

. »<br />

Un autre orac<strong>le</strong> a déclaré que si Diane n'eût retenu<br />

sa colère, tous <strong>le</strong>s bûcherons d'une forêt auraient cessé<br />

<strong>de</strong> vivre. — « Voilà cel<strong>le</strong> qu'il vous faut fléchir! » —<br />

Porphyre n'a pas nié que quelques bons <strong>démon</strong>s ne<br />

i. On se souvient, en effet, que Pan était i<strong>de</strong>ntique aussi av«<br />

Jupiter.


AVEC LE DÉMON. 355<br />

soient lubriques ; d'autres aiment <strong>le</strong> bruit <strong>de</strong>s tambours<br />

et <strong>le</strong> chant <strong>de</strong>s femmes — Il s'étonne que<br />

<strong>le</strong>s bons, comme <strong>le</strong>s mauvais, soient soumis aux passions...<br />

— Us veu<strong>le</strong>nt la justice, dit-on, dans ceux<br />

jui <strong>le</strong>s honorent, et commettent mil<strong>le</strong> injustices; ils<br />

rejettent <strong>le</strong>s prières <strong>de</strong> ceux qui se livrent aux jouissances<br />

grossières, et portent <strong>le</strong>s hommes aux plus infâmes<br />

voluptés ; ils veu<strong>le</strong>nt que <strong>le</strong>urs ministres s'abstiennent<br />

<strong>de</strong> vian<strong>de</strong>s, et ils aiment l'o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s holocaustes;<br />

ils défen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> toucher un cadavre, et certaines<br />

évocations ne s'obtiennent qu'en immolant <strong>de</strong>s victimes...<br />

— On ne voit donc dans <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s païens<br />

que contradictions, et rien surtout qui porte <strong>le</strong>s<br />

hommes à la vertu.<br />

Porphyre donne comme vérité incontestab<strong>le</strong> qu'ils<br />

n'apparaissent pas <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur p<strong>le</strong>in gré; lorsqu'on <strong>le</strong>s<br />

évoque, ils cè<strong>de</strong>nt à une impérieuse fatalité... Ils font<br />

du mal quand on <strong>le</strong>s évoque <strong>avec</strong> négligence ; mais ils<br />

n'obéissent qu'à une force irrésistib<strong>le</strong> : c'est encore<br />

l'orac<strong>le</strong> qui l'apprend. Hécate dit qu'el<strong>le</strong> ne quitte l'Olympe<br />

qu'en cédant à <strong>de</strong>s invocations dont la force secrète<br />

est un charme... Porphyre cite un grand nombre<br />

^'orac<strong>le</strong>s qui prouvent tous que <strong>le</strong>s dieux- sont contraints<br />

par la fatalité plus puissante qu'eux. — Eusèbe<br />

fait observer qu'il n'y a rien <strong>de</strong> grand, rien <strong>de</strong> divin<br />

uns ces êtres dégradés qui se laissent arracher du ciel,<br />

non parce que ceux qui <strong>le</strong>s invoquent sont vertueux,<br />

mais parce qu'ils usent <strong>de</strong> vains prestiges. Donc ce ne<br />

sont ni <strong>de</strong>s dieux ni <strong>de</strong> bons <strong>démon</strong>s...<br />

« Ce seraient <strong>de</strong>s dieux, dit Eusèbe, ceux qui <strong>de</strong>viennent<br />

ainsi <strong>le</strong> jouet d'hommes méprisab<strong>le</strong>s sans pouvoir<br />

briser <strong>le</strong>urs chaînes ! ce seraient <strong>de</strong> bons <strong>démon</strong>s, ces<br />

esprits qu'il faut contraindre pour faire <strong>le</strong> bien ! Si <strong>le</strong>ur<br />

nature est bonne, pourquoi ne <strong>le</strong> font-ils pas d'eux-


336 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

mêmes ? pourquoi faut-il <strong>le</strong>s y forcer ? Si <strong>le</strong>ur apparition<br />

n'a pas pour résultat ce qui est honnête et uti<strong>le</strong>, comment<br />

peut-on <strong>le</strong>ur donner <strong>le</strong> titre <strong>de</strong> dieux? etc. »<br />

Porphyre, frappé <strong>de</strong>s contradictions et <strong>de</strong>s difficultés<br />

qui surgissent à l'occasion <strong>de</strong> ces dieux qui paraissent<br />

si peu d'accord <strong>avec</strong> eux-mêmes, est surtout vivement<br />

surpris, dit Eusèbe, que <strong>le</strong> premier venu puisse effrayer<br />

<strong>le</strong>s dieux cé<strong>le</strong>stes. Si <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il et la lune subissent <strong>de</strong>s<br />

acci<strong>de</strong>nts, il est clair qu'on s'en apercevrait, comme on<br />

s'aperçoit <strong>de</strong>s éclipses; non moins clair que s'ils nous<br />

écoutent, l'idiome n'y fait rien; tout cela est donc<br />

pure vanité...<br />

Ce sont <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, continue l'apologiste (Prwp.<br />

ecanyel., V), qui ont donné ces abominab<strong>le</strong>s <strong>le</strong>çons<br />

<strong>de</strong> jong<strong>le</strong>ries; ce sont eux qui ont révélé ces moyens<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>s enchaîner ; il invoque encore ici pour autorité<br />

l'orac<strong>le</strong> lui-même. Il est dit dans <strong>le</strong> recueil <strong>de</strong> Porphyre<br />

que <strong>le</strong>s dieux, entre autres choses, ont révélé<br />

comment on peut <strong>le</strong>s soumettre, indiqué <strong>le</strong>s victimes<br />

qui <strong>le</strong>ur plaisent, ordonné la forme <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs statues',<br />

tous <strong>le</strong>s rites <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur culte... Il en fournit <strong>de</strong>s preuves<br />

nombreuses... Enfin ils ont inspiré l'art magique...<br />

« Porphyre, dit Eusèbe, a parfaitement réussi à nous<br />

I. Ils ont révélé, dit Porphyre, non-seu<strong>le</strong>ment quel<strong>le</strong>s choses <strong>le</strong>ur<br />

sont agréab<strong>le</strong>s..., etc. ; mais ils ont appris aux hommes quel<strong>le</strong>s<br />

formes on doit donner à <strong>le</strong>urs statues, sous quel<strong>le</strong>s figures ils apparaissent,<br />

quels lieux ils habitent. Ils ont révélé tous <strong>le</strong>s rites qui<br />

s'observent, etc Ils ont déclaré quel<strong>le</strong> matière <strong>de</strong>vait Ctre employée<br />

pour faire <strong>le</strong>urs ido<strong>le</strong>s. Dans un orac<strong>le</strong>, Hécate prescrit tout<br />

ce qui doit entrer dans la composition <strong>de</strong> sa statue. C'est sur <strong>le</strong><br />

modè<strong>le</strong> qu'ils ont donné qu'on a fait <strong>le</strong>urs statues. — D'après Pan<br />

lui-même, <strong>le</strong> front <strong>de</strong> ce dieu est orné d'une doub<strong>le</strong> corne; il a 1rs<br />

jambes d'un bouc et aime <strong>le</strong>s jouissances <strong>de</strong> la ivolupté. Hécate ici<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu'on la représente <strong>avec</strong> une robe blanche, <strong>de</strong>s sanda<strong>le</strong>s d'or<br />

et une ceinture <strong>de</strong> longs serpents... Quant à la matière, ce sera du<br />

marbra <strong>de</strong> Parosou l'ivoire ciselé, (lb., V, H, 12, 13.)


A.VEC LE DÉMON. 357<br />

montrer <strong>le</strong>s artifices <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s et <strong>le</strong>s pièges qu'ils<br />

nous ten<strong>de</strong>nt... Mais à quoi servent cette magie et ces<br />

enchantements, pour <strong>le</strong> bonheur...? Il examine <strong>le</strong>s<br />

orac<strong>le</strong>s dont l'ambiguïté a causé la mort <strong>de</strong>s princes,<br />

h perte <strong>de</strong>s empires ; ils se sont joués <strong>de</strong> ceux qui <strong>le</strong>s<br />

consultaient; ils ont allumé <strong>le</strong>s guerres, la discor<strong>de</strong>;<br />

<strong>le</strong>urs réponses sont inuti<strong>le</strong>s ou ridicu<strong>le</strong>s... ; ils prennent<br />

parti pour <strong>de</strong>s causes injustes; ils louent l'immoralité;<br />

ils font rendre <strong>le</strong>s honneurs divins à <strong>de</strong>s athlètes, à la<br />

matière brute ; ils flattent <strong>le</strong>s tyrans. » Eusèbe continue<br />

<strong>de</strong> prouver, par l'examen d'un grand nombre d'orac<strong>le</strong>s,<br />

qu'ils ne peuvent émaner <strong>de</strong> la Divinité... Lorsqu'ils<br />

annoncent l'avenir que régit <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin, ils ne <strong>le</strong><br />

connaissent que par l'inspection <strong>de</strong>s astres ; <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s<br />

déclarent que c'est d'après cette inspection qu'ils prédisent<br />

<strong>le</strong> sexe d'un enfant, <strong>le</strong>s maladies..., etc.<br />

<strong>Le</strong> <strong>de</strong>stin qui a décrété que tel temp<strong>le</strong> serait détruit<br />

par la foudre, tel autre incendié est donc plus puissant<br />

que vos dieux, dit Eusèbe, puisqu'ils ne peuvent<br />

s'y opposer.<br />

Alors à quoi bon ces libations, ces victimes... Cependant,<br />

arrêtez, poursuit Eusèbe, l'orac<strong>le</strong> a dit qu'il<br />

fallait recourir à la magie pour se soustraire au <strong>de</strong>stin ;<br />

puisque la magie est un moyen accordé par <strong>le</strong>s dieux<br />

pour triompher du <strong>de</strong>stin, pourquoi n'ont-ils pas donné<br />

<strong>de</strong>s moyens magiques pour préserver <strong>le</strong>urs temp<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

lafoudre? (Prœp. evang., VI.) — Profitons <strong>de</strong> l'aveu,<br />

dit Eusèbe; — Porphyre lui-même reconnaît qu'ils ne<br />

disent pas toujours la vérité... Parce qu'il est impossib<strong>le</strong><br />

à certains <strong>démon</strong>s <strong>de</strong> connaître parfaitement <strong>le</strong><br />

mouvement <strong>de</strong>s astres; si <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s sont faux, ce<br />

n'est pas qu'ils mentent, « c'est, dit-on, l'air environnant<br />

qui <strong>le</strong>s trompe... » — Il est donc évi<strong>de</strong>nt, répond<br />

Eusèbe, qu'ils n'ont rien <strong>de</strong> divin, car la divinité ne


358 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

peut ni se tromper ni mentir ; ils usent <strong>de</strong> ces stratagèmes<br />

pour en imposer à la crédulité, ils font croire<br />

à la fatalité ; mais <strong>avec</strong> cel<strong>le</strong>-ci que <strong>de</strong>viennent donc<br />

nos passions, notre volonté? etc..<br />

Il faut renoncer à citer ici, en substance, <strong>le</strong>s arguments<br />

d'Eusèbe contre <strong>le</strong>s fausses religions. <strong>Le</strong>s quinze<br />

livres <strong>de</strong> la Préparation évangélique et <strong>le</strong>s dix <strong>de</strong> la<br />

Démonstration évangélique doivent être lus dans l'auteur;<br />

car il <strong>de</strong>vient impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> donner une idée <strong>de</strong><br />

ces traités vraiment admirab<strong>le</strong>s, où Eusèbe a pulvérisé<br />

<strong>le</strong> paganisme et la philosophie, et prouvé la vérité du<br />

christianisme.<br />

Saint Augustin.<br />

Dans ce qui vient d'ôtre exposé, <strong>le</strong> principal but<br />

était <strong>de</strong> réfuter <strong>le</strong>s philosophes païens et <strong>de</strong> <strong>démon</strong>trer<br />

que tout <strong>le</strong> paganisme était une chimère introduite<br />

par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ; il serait inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> citer d'autres<br />

Pères, ce sont toujours à peu près <strong>le</strong>s mômes arguments.<br />

Saint Augustin, contemporain <strong>de</strong> Julien, complétant<br />

et résumant dans ses ouvrages <strong>le</strong>s Pères <strong>de</strong>s<br />

sièc<strong>le</strong>s précé<strong>de</strong>nts, prouve <strong>de</strong> môme que <strong>le</strong>s dieux sont<br />

<strong>de</strong> malins esprits, que la théurgie est, comme la goétic,<br />

un commerce établi entre <strong>l'homme</strong> et <strong>le</strong>s puissances<br />

inferna<strong>le</strong>s. L'existence <strong>de</strong> la magie et <strong>de</strong> ses prodiges<br />

malfaisants ou bienfaisants est aussi par lui proclamée<br />

et <strong>démon</strong>trée.<br />

Il fait sentir <strong>le</strong> ridicu<strong>le</strong> <strong>de</strong> la doctrine qui regar<strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s comme <strong>de</strong>s médiateurs... — Quoi! <strong>de</strong>s médiateurs,<br />

dit-il, qui aiment <strong>le</strong>s' ordures <strong>de</strong>s théâtres et <strong>le</strong>s<br />

maléfices <strong>de</strong> la magie!... La pureté, l'innocence n'obtiendront<br />

rien par <strong>le</strong>ur propre mérite, il faudra recourir<br />

à <strong>le</strong>urs ennemis !


AVEC LE DÉMON. 359<br />

S'il faut adorer <strong>le</strong>s auteurs <strong>de</strong> la magie, pourquoi<br />

la punissez-vous?... Lorsqu'Apulée en fut accusé, si<br />

el<strong>le</strong> était innocente, non-seu<strong>le</strong>ment il l'eût avouée, il<br />

aurait encore blâmé la loi qui la condamnait..., mais<br />

il a voulu s'en disculper... — <strong>Le</strong>s chrétiens ne font<br />

pas comme Apulée, ils avouent hautement <strong>le</strong>ur foi et<br />

souffrent la mort pour el<strong>le</strong>.<br />

Saint Augustin trouve absur<strong>de</strong> que <strong>le</strong>s dieux aiment<br />

? communiquer <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, qui usurpent la divinité<br />

et lui imputent <strong>de</strong> faux crimes, tandis qu'ils rejettent<br />

<strong>l'homme</strong> humb<strong>le</strong> et pénitent.<br />

On dit que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s habitant l'air, qui est entre<br />

<strong>le</strong> ciel et la terre, ils sont nécessairement nos médiateurs<br />

par <strong>le</strong> lieu qu'ils occupent.<br />

Saint Augustin trouve étrange que <strong>le</strong>s dieux connaissent<br />

mieux <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, à cause <strong>de</strong> la proximité<br />

loca<strong>le</strong>, que <strong>le</strong>s hommes pour la pureté <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur âme...<br />

Si <strong>le</strong>s dieux, dit-il, voient nos pensées, à quoi sert l'entremise<br />

<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s?<br />

Ayant fait clairement ressortir l'absurdité d'une<br />

tel<strong>le</strong> doctrine, il dit qu'el<strong>le</strong> est inventée par ces esprits<br />

envieux, superbes et méchants; — ce ne sont point <strong>de</strong>s<br />

médiateurs; <strong>de</strong>puis qu'ils ont été chassés du ciel,<br />

<strong>l'homme</strong> est au-<strong>de</strong>ssus d'eux, parce qu'il adore Dieu;<br />

mais ceux-ci ne régnent que sur ceux auxquels ils ont<br />

su persua<strong>de</strong>r, par lc:;rs prédictions et <strong>le</strong>urs prestiges,<br />

qu'ils étaient <strong>de</strong>s dieux.<br />

La plupart <strong>de</strong>s philosophes distinguent <strong>de</strong>ux sortes<br />

<strong>de</strong> <strong>démon</strong>s, <strong>de</strong>s bons et <strong>de</strong>s mauvais, —ces <strong>de</strong>rniers ne<br />

pouvant être nos médiateurs, ce ne pourrait être que<br />

<strong>le</strong>spremiers; mais saint Augustin (Cité<strong>de</strong>Dien,VIII, 14)<br />

fait observer que <strong>le</strong>s uns et <strong>le</strong>s autres, d'après Apulée, ;<br />

étant très-passionnés, persécutent ou protègent <strong>le</strong>s<br />

hommes, selon qu'ils <strong>le</strong>s haïssent ou <strong>le</strong>s aiment. C'est


DBS RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Jésus-Christ, dit-il, qui est notre seul médiateur,<br />

puisqu'il possè<strong>de</strong> <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux natures. <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s sont <strong>de</strong><br />

faux médiateurs qui s'interposent pour nous tromper.<br />

D'après l'Écriture il n'y en a point <strong>de</strong> bons. (Iô., IX.)<br />

<strong>Le</strong>s mirac<strong>le</strong>s, dit saint Augustin, n'ont eu lieu que<br />

pour établir <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> Dieu, et <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong> la<br />

magie sont obtenus par <strong>le</strong> commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s.<br />

On obtient <strong>le</strong>s premiers par <strong>le</strong>s vertus chrétiennes<br />

et la foi; ces <strong>de</strong>rniers par <strong>de</strong>s charmes, une curiosité<br />

criminel<strong>le</strong>.<br />

La théurgie, comme la goétie, émane <strong>de</strong>s malins<br />

esprits. Porphyre avoue que ni l'une ni l'autre ne conduisent<br />

à Dieu... ; mais tantôt il dit d'éviter la théurgie,<br />

tantôt il excite à y recourir, non pour purifier la partie<br />

intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'âme..., mais la partie spirituel<strong>le</strong> qui<br />

reçoit <strong>le</strong>s images <strong>de</strong>s corps; selon lui, <strong>le</strong>s conjurations<br />

théurgiques ren<strong>de</strong>nt apte à recevoir l'inspiration <strong>de</strong>s<br />

esprits et <strong>le</strong>s visions <strong>de</strong>s dieux... II avoue aussi pourtant<br />

que par la théurgie, on contracte <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s esprits<br />

qui envient à l'âme sa purgation, ou du moins favorisent<br />

<strong>le</strong>s mauvaises passions <strong>de</strong> ceux qui l'envient... — Il cite<br />

un Chaldéen qui, ayant pris beaucoup <strong>de</strong> peine pour<br />

purifier son âme, n'y put réussir, parce qu'un savant<br />

théurgiste avait lié <strong>le</strong>s puissances par <strong>de</strong>s consécrations...<br />

— Vos dieux, dit saint Augustin, sont donc soumis<br />

aux passions, s'il peuvent être gagnés ou effrayés...<br />

S'ils étaient bons, celui qui veut être purifié l'emporterait<br />

auprès d'eux sur ceux qui lui porteraient envie.<br />

Il est bien étonnant que ce théurgiste ait trouvé un<br />

dieu supérieur qui servît son envie, et que ce brave<br />

Chaldéen n'en ait pu trouver un plus puissant encore<br />

qui obligeât ces dieux effrayés <strong>de</strong> faire <strong>le</strong> bien qu'on<br />

<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>mandait, soit en <strong>le</strong>s effrayant davantage, soit en<br />

<strong>le</strong>s délivrant <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur crainte.


AVEC LE DÉMON. 3tji<br />

Ces visions d'anges et <strong>de</strong> dieux, obtenues par ceux<br />

qui sont ainsi purifiés, sont donc produites par Satan,<br />

qui se transforme en ange <strong>de</strong> lumière. (Iè., X, 8,9,10.)<br />

Saint Augustin, d'après Porphyre lui-même, prouve<br />

que ce prêtre idolâtre n'a pas d'opinion arrêtée sur<br />

<strong>le</strong>s dieux ou <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, ceux-ci se montrant tantôt<br />

sous la figure <strong>de</strong>s dieux, tantôt sous cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

ou <strong>de</strong>s trépassés... La femme chrétienne la plus simp<strong>le</strong><br />

sait mieux discerner que Porphyre toute cette diab<strong>le</strong>rie<br />

qu'el<strong>le</strong> déteste, dit <strong>le</strong> saint évèque.<br />

<strong>Le</strong> même Porphyre s'étonne <strong>de</strong> ces menaces faites<br />

aux dieux par un homme pour <strong>le</strong>s contraindre, tel<strong>le</strong>s<br />

que divulguer <strong>le</strong>s mystères d'Isis et mettre en pièces <strong>le</strong>s<br />

membres d'Osiris. <strong>Le</strong>s effets <strong>de</strong>s imprécations émanent<br />

d'esprits imposteurs..., dit saint Augustin, et toutes<br />

ces fictions <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s apparaissant comme dieux ou<br />

âmes <strong>de</strong>s défunts, ne sont que <strong>de</strong>s badinages pour<br />

tromper; ainsi que <strong>le</strong>s cérémonies, tons <strong>de</strong> voix, figures<br />

astrologiques, etc., etc., qu'on croit capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> produire<br />

<strong>de</strong>s effets divers.<br />

<strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s ont inventé <strong>le</strong> tout pour se jouer <strong>de</strong>s<br />

hommes qu'ils ont aveuglés... Porphyre lui-même a<br />

entrevu cette vérité, dit-il, car il a remarqué que tout<br />

cela ne conduisait ni à la béatitu<strong>de</strong>, ni à la vraie sagesse,<br />

mais à rechercher <strong>de</strong>s biens temporels... — Ce ne<br />

sont donc ni <strong>de</strong>s dieux, ni <strong>de</strong> bons <strong>démon</strong>s.<br />

« Aussi, continue saint Augustin, comme il se fait<br />

par <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> la magie tant <strong>de</strong> choses qui surpassent<br />

toute la puissance humaine, que reste-t-il à dire?<br />

sinon que tout ce merveil<strong>le</strong>ux ne se rapportant point à<br />

Dieu, dont la jouissance peut seu<strong>le</strong> rendre <strong>l'homme</strong><br />

heureux, selon l'aveu <strong>de</strong>s platoniciens, on doit <strong>le</strong> considérer<br />

comme une illusion diabolique. »<br />

Il dit plus loin qu'il faut se gar<strong>de</strong>r d'écouter ceux


362 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

qui ne veu<strong>le</strong>nt pas que Dieu fasse <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s visib<strong>le</strong>s,<br />

tandis qu'ils reconnaissent qu'il a créé <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, ce<br />

qui est aussi incompréhensib<strong>le</strong> aux hommes que celui<br />

qui l'a fait...<br />

Dien ne dédaigne pas <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s visib<strong>le</strong>s<br />

pour exciter l'âme attachée aux choses matériel<strong>le</strong>s, et<br />

rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s hommes à l'adoration d'un Dieu invisib<strong>le</strong>.<br />

Saint Augustin répond ainsi à ceux qui accusent la Divinité<br />

<strong>de</strong> changer <strong>le</strong>s lois <strong>de</strong> la nature..., — et donne<br />

un critérium pour reconnaître <strong>de</strong> quel<strong>le</strong> source émanent<br />

<strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s..., c'est, dit-il, <strong>de</strong> savoir s'ils conduisent<br />

à Dieu'...<br />

« Penserons-nous, dit-il ail<strong>le</strong>urs, qu'il fail<strong>le</strong> ajouter<br />

foi, pour parvenir au ciel, aux anges qui veu<strong>le</strong>nt<br />

qu'on <strong>le</strong>ur ren<strong>de</strong> un culte, ou. aux anges qui disent<br />

qu'il n'est dû qu'à Dieu seul?... Puisque <strong>de</strong>s anges<br />

nous invitent par <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s à adorer Dieu, que d'autres<br />

en font pour nous porter à rendre un culte à euxmêmes...,<br />

<strong>le</strong>squels doit-on croire? Que <strong>le</strong>s platoniciens<br />

répon<strong>de</strong>nt, que <strong>le</strong>s philosophes répon<strong>de</strong>nt, que <strong>le</strong>s<br />

magiciens répon<strong>de</strong>nt, que tous <strong>le</strong>s hommes, en un<br />

mot, s'il <strong>le</strong>ur reste une étincel<strong>le</strong> <strong>de</strong> raison, répon<strong>de</strong>nt,<br />

et nous disent si l'on doit écouter <strong>de</strong> préfet once ceux<br />

qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s adorations pour eux-mêmes, ou <strong>le</strong>s<br />

anges qui <strong>le</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt uniquement pour Dieu. »<br />

Quand même ni <strong>le</strong>s uns ni <strong>le</strong>s autres ne feraient <strong>de</strong><br />

mirac<strong>le</strong>s, quand il n'y aurait que ce fait, que <strong>le</strong>s uns<br />

comman<strong>de</strong>nt <strong>le</strong> sacrifice pour eux, et que <strong>le</strong>s autres<br />

veu<strong>le</strong>nt qu'on n'adore que <strong>le</strong> vrai Dieu, il suffirait<br />

d'avoir un peu <strong>de</strong> piété, pour voir <strong>de</strong> quel côté est<br />

1. Quand <strong>le</strong> <strong>démon</strong> se transforme en ange <strong>de</strong> lumière, on pourrait<br />

encore s'y tromper, mais ce passage <strong>de</strong> saint Augustin n'est pas un<br />

traité du discernement <strong>de</strong>s esprits.


AVEC LE DÉMON. 363<br />

l'orgueil ou la véritab<strong>le</strong> religion... « Je dis plus, ajoute<br />

saint Augustin, lors même qu'il n'y aurait que <strong>le</strong>s<br />

esprits qui veu<strong>le</strong>nt un culte qui feraient <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s,<br />

lors même que <strong>le</strong>s autres dédaigneraient d'en faire, <strong>le</strong><br />

bon sens indique ceux qui doivent l'emporter; mais<br />

puisque Dieu, dans l'intérêt <strong>de</strong> la vérité, a voulu que<br />

<strong>le</strong>s anges qui ne veu<strong>le</strong>nt que sa gloire fissent <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />

plus certains, plus évi<strong>de</strong>nts que ceux qui usurpent<br />

un culte dû à Dieu seul, qui serait donc assez déraisonnab<strong>le</strong><br />

pour ne pas voir la vérité ? »<br />

Saint Augustin, parlant <strong>de</strong>s prodiges cités par <strong>le</strong>s historiens<br />

païens, distingue <strong>le</strong>s faits qui peuvent appartenir<br />

à <strong>de</strong>s causes occultes <strong>de</strong> ceux dont <strong>le</strong>s dieux sont <strong>le</strong>s<br />

auteurs; il dit que ces <strong>de</strong>rniers ne sont pas comparab<strong>le</strong>s<br />

aux mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la sainte Écriture. « <strong>Le</strong>s prodiges<br />

<strong>de</strong> la magie, dit-il, ne sont que <strong>de</strong>s illusions et <strong>de</strong>s<br />

fantômes... En vain quelques-uns <strong>de</strong> ces prestiges semb<strong>le</strong>nt<br />

éga<strong>le</strong>r quelques mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s serviteurs <strong>de</strong> Dieu,<br />

la fin pour laquel<strong>le</strong> ils sont faits montre que <strong>le</strong>s nôtres<br />

sont incomparab<strong>le</strong>ment plus excel<strong>le</strong>nts ; car <strong>le</strong>s premiers<br />

ont lieu pour établir <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> ceux qui veu<strong>le</strong>nt<br />

qu'on <strong>le</strong>ur sacrifie, au lieu que <strong>le</strong>s véritab<strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />

n'ont d'autre but que la gloire <strong>de</strong> Dieu. »<br />

A quoi bon multiplier ces citations? Tous <strong>le</strong>s Pères<br />

professaient la môme doctrine : <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s nations<br />

sont <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, dii gentwm dœmonia; non <strong>de</strong>s êtres<br />

chimériques, mais <strong>de</strong>s intelligences malfaisantes. Ce<br />

qui suit va <strong>le</strong> prouver d'une manière encore plus frappante.<br />

La ruse, <strong>le</strong> mensonge, <strong>le</strong>s turpitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s faux dieux,<br />

<strong>le</strong>ur cruauté, sont encore plus amp<strong>le</strong>ment dévoilés<br />

dans <strong>le</strong>s lignes suivantes. Sans s'astreindre à aucun<br />

ordre, on va rapporter quelques passages <strong>de</strong>s Pères<br />

déjà nommés, et d'autres qui ne l'ont pas été encore.


364 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Minucius Félix.<br />

Minucius Félix avoue que <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s ont dit quelquefois<br />

la vérité ; mais ce célèbre orateur veut, dit-il,<br />

remonter à la source <strong>de</strong> l'erreur... Il existe <strong>de</strong>s esprits<br />

malins et vagabonds qui, après avoir perdu <strong>le</strong>s avantages<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur nature et s'être plongés dans <strong>le</strong>s vices,<br />

s'elforcent, pour se conso<strong>le</strong>r, d'y précipiter <strong>le</strong>s autres;<br />

corrompus, ils ne se plaisent qu'à corrompre... <strong>Le</strong>s<br />

apôtres et <strong>le</strong>s philosophes <strong>le</strong>s appel<strong>le</strong>nt <strong>démon</strong>sce<br />

sont eux qui opèrent ce que <strong>le</strong>s magiciens font d'admirab<strong>le</strong>,<br />

qui donnent l'efficace à <strong>le</strong>urs enchantements,<br />

qui font voir ce qu'on ne voit pas, qui produisent enfin<br />

toutes ces merveil<strong>le</strong>s dont on par<strong>le</strong>... (Octachai, XXVI.)<br />

« Nous avons prouvé, dit-il, par l'autorité <strong>de</strong>s mages<br />

et <strong>de</strong>s philosophes, que ce sont <strong>de</strong>s esprits impurs qui<br />

se tiennent dans <strong>le</strong>s statues qu'on <strong>le</strong>ur consacre, et y<br />

acquièrent la puissance d'une divinité qui y serait<br />

présente ; ils inspirent <strong>le</strong>urs prophètes, habitent dans<br />

<strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s, gouvernent <strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s oiseaux, font palpiter<br />

<strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes, ren<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s<br />

mêlés <strong>de</strong> mensonge, trompent et sont trompés comme<br />

ceux qui ne savent pas bien la vérité...; ils troub<strong>le</strong>nt<br />

la vie, se glissent dans <strong>le</strong>s corps, forment <strong>le</strong>s maladies,<br />

épouvantent l'âme, tor<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s membres pour contraindre<br />

<strong>le</strong>s hommes à <strong>le</strong>s adorer ; lorsque, rassasiés<br />

<strong>de</strong> victimes, ils ont détruit <strong>le</strong>s charmes, on <strong>le</strong>ur attribue<br />

la guérison; ce sont eux qui tigitent vos <strong>de</strong>vins...<br />

Ce sont eux, dit-il ensuite, qui ont donné ces songes<br />

que vous attribuez à Jupiter, et fait ces prodiges dont<br />

<strong>le</strong>s historiens font mention, etc Ce sont eux qui<br />

causent toutes ces illusions, etc. » (/#., XXVII.)<br />

<strong>Le</strong> philosophe Athénagore (Àpol. à Marc-Aarè<strong>le</strong>) en


AVEC LE DÉMON. 365<br />

dit autant : — « Ce sont <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s qui entraînent <strong>le</strong>s<br />

hommes aux pieds <strong>de</strong>s ido<strong>le</strong>s, qui aiment <strong>le</strong> sang <strong>de</strong>s<br />

victimes, <strong>le</strong>s cruautés dans <strong>le</strong>s adorations, etc..»<br />

Clément d'A<strong>le</strong>xandrie.<br />

Clément d'A<strong>le</strong>xandrie, après avoir prouvé que <strong>le</strong>s<br />

dieux ne sont pas <strong>de</strong>s dieux, dit qu'il importe d'examiner<br />

si ce ne sont point <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s... — Après avoir<br />

rappelé <strong>le</strong>s sacrifices et <strong>le</strong>s libations <strong>de</strong> sang humain<br />

que ces dieux cruels ordonnent..., il dit : « Voyez<br />

l'amour que vous portent et quels biens peuvent vous<br />

faire ces esprits malfaisants... — Pouvez-vous, dit-il<br />

ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s regar<strong>de</strong>r comme <strong>de</strong>s dieux, ces <strong>démon</strong>s<br />

impurs, horrib<strong>le</strong>s, que tous reconnaissent pour <strong>de</strong>s<br />

êtres fangeux, errant autour <strong>de</strong>s tombeaux, apparaissant<br />

comme <strong>de</strong>s spectres dans <strong>le</strong>s ténèbres, comme <strong>de</strong>s<br />

fantômes affreux... <strong>Le</strong>s magiciens se vantent <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

avoir aux ordres <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur impiété, et <strong>le</strong>s contraignent<br />

d'obéir par <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s. »<br />

Dans <strong>le</strong>s Stromates, il dit que certaines prédictions<br />

chez <strong>le</strong>s Grecs n'appartenaient qu'aux conjectures;<br />

mais d'autres furent inspirées par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s...<br />

Lactance déjà cité, parlant <strong>de</strong>s égarements <strong>de</strong>s<br />

païens, dit qu'ils viennent d'une puissance ennemie<br />

envieuse <strong>de</strong> notre bonheur... occupée à nous cacher<br />

la vérité...; il dit plus loin que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s sèment <strong>le</strong>s<br />

pièges, altèrent la santé, causent <strong>le</strong>s maladies, épouvantent<br />

l'imagination par <strong>de</strong>s songes, jettent dans <strong>de</strong>s<br />

transports furieux et forcent par <strong>le</strong>s maux qu'ils causent<br />

<strong>de</strong> recourir à <strong>le</strong>ur puissance, mais el<strong>le</strong> ne consiste<br />

qu'à nuire à ceux qui <strong>le</strong>s craignent et ne se mettent<br />

point sous la protection <strong>de</strong> Dieu.<br />

Eusèbe, précé<strong>de</strong>mment cité (Panégyrique <strong>de</strong> Cons-


36« DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

tantiri), dit que cet empereur a triomphé <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s.<br />

— Après avoir rappelé <strong>le</strong>s abominations et <strong>le</strong>s cruautés<br />

du culte païen, il s'écrie : — « Qui a donné <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong><br />

chasser <strong>le</strong>s esprits impurs par <strong>de</strong>s prières? qui donc<br />

a exterminé <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, qui <strong>de</strong>puis plusieurs sièc<strong>le</strong>s<br />

trompaient <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s, si ce n'est Jésus-Christ?... »<br />

Tertullien (De fc?j?r. anim., III) disait : « Si nous<br />

admettons l'existence <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, ce n'est pas assurément<br />

que nous soyons <strong>le</strong>urs partisans, nous qui savons<br />

<strong>le</strong>s chasser du corps <strong>de</strong>s possédés. » Un épicurien<br />

se moque <strong>de</strong> cette croyance, <strong>le</strong>s malédictions môme<br />

prouvent qu'on croit aux <strong>démon</strong>s et qu'on <strong>le</strong>s déteste.<br />

N'appel<strong>le</strong>-t-on pas <strong>démon</strong> un homme rempli <strong>de</strong> méchanceté,<br />

d'orgueil et d'impureté?... Quand un Gentil<br />

prononce <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Satan, c'est <strong>avec</strong> la môme horreur<br />

que <strong>le</strong> chrétien qui sait qu'il induit <strong>l'homme</strong> à pécher. ..j<br />

c'est reconnaître implicitement celui qui l'a perdu...<br />

Si <strong>le</strong>s chrétiens <strong>le</strong> reconnaissent plus explicitement que<br />

<strong>le</strong>s Gentils, ceux-ci, toutefois, <strong>le</strong> haïssent; et <strong>le</strong> haïr,<br />

n'est-ce pas <strong>le</strong> reconnaître?...<br />

Au livre De l'idolâtrie, Tertullien blâme sévèrement<br />

ceux qui fabriquèrent <strong>de</strong>s ido<strong>le</strong>s et qui donnèrent<br />

ainsi un corps aux <strong>démon</strong>s, dœmoniis corpora conferunl.<br />

(llK, VII.)<br />

Dans son exposé <strong>de</strong> tout ce qui se rattache à l'idolâtrie,<br />

il n'omet pas l'astrologie, qui est à la magie ce<br />

que l'espèce est au genre.<br />

Dans <strong>le</strong> traité Du vêtement <strong>de</strong>s femmes (II), il par<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>s vaines sciences qu'ont inventées <strong>le</strong>s anges rebel<strong>le</strong>s<br />

livrés à Y amour <strong>de</strong>s femmes...; — ce sont entre autres <strong>le</strong>s<br />

enchantements, la révélation <strong>de</strong>s vertus médicina<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>s plantes, etc.<br />

Dans l'Apologétique, il dit encore : « Nous reconnaissons<br />

<strong>de</strong>s substances spirituel<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong> nom n'est pas


AVEC LE DÉMON. 3fi7<br />

nouveau.;. El<strong>le</strong>s causent <strong>de</strong>s maladies aux corps et <strong>de</strong><br />

funestes acci<strong>de</strong>nts, à l'âme <strong>de</strong>s émotions subites et<br />

désordonnées ; <strong>le</strong>ur subtilité qui échappe aux sens <strong>le</strong>s<br />

rend propres à agir sur notre doub<strong>le</strong> substance<br />

Vantez-nous, dit-il, <strong>le</strong>ur secours dans <strong>le</strong>s maladies.'...<br />

El<strong>le</strong>s commencent par <strong>le</strong>s donner, et prescrivent <strong>de</strong>s<br />

remè<strong>de</strong>s inouïs ou contraires; on croit qu'el<strong>le</strong>s ont<br />

guéri <strong>le</strong> mal, el<strong>le</strong>s ont seu<strong>le</strong>ment cessé d'en faire... »<br />

On n'aperçoit pas toujours ces esprits, on ne <strong>le</strong>s reconnaît<br />

qu'aux maux qu'ils causent...; ils se transportent<br />

partout <strong>avec</strong> vitesse...; la terre entière n'est<br />

pour eux qu'un seul et même lieu...; cette vélocité est<br />

<strong>le</strong> propre d'une nature qu'on ne connaît pas...; il <strong>le</strong>ur<br />

est ainsi faci<strong>le</strong> <strong>de</strong> savoir ce qui se passe au loin et d'être<br />

crus auteurs <strong>de</strong> ce qu'ils annoncent; c'est par ces divers<br />

moyens qu'ils ont pu se substituer à Dieu...<br />

Tertullien pense qu'il <strong>de</strong>vient inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> citer <strong>le</strong>urs<br />

prodiges... — Si <strong>le</strong>s magiciens font paraître <strong>de</strong>s fantômes,<br />

s'ils évoquent <strong>de</strong>s morts, s'ils font rendre <strong>de</strong>s<br />

orac<strong>le</strong>s à <strong>de</strong>s enfants, à <strong>de</strong>s chèvres, à <strong>de</strong>s tab<strong>le</strong>s, etc....<br />

— per quos et mensœ divinare consuevenmt ; — s'ils envoient<br />

<strong>de</strong>s songes par <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s qu'ils ont<br />

invoqués, etc..., à plus forte raison ces puissances<br />

séductrices feront pour el<strong>le</strong>s-mêmes ce qu'el<strong>le</strong>s opèrent<br />

pour <strong>le</strong>s autres ; mais si vos dieux ne- font rien <strong>de</strong><br />

plus que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, que <strong>de</strong>vient la prééminence qui<br />

caractérise la divinité, etc. t(Apolog., XXII, XXIII.)<br />

« Connaître <strong>le</strong> vrai Dieu, dit-il ail<strong>le</strong>urs (De bapt., V),<br />

c'est connaître <strong>le</strong>s artifices du <strong>démon</strong> toujours prêt à<br />

contrefaire <strong>le</strong>s œuvres <strong>de</strong> Dieu-..t »<br />

Tertullien nous apprend que Satan â ses sacrements,<br />

son baptême qu'il fait recevoir aux siens ; c'est l'impur<br />

qui purifie, etc..<br />

« Jul. Firmicus Maternus déclare que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> imite


368 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

nos mystères.... ; il a ses onctions, en quelque sorte<br />

ses christs, parce qu'il est l'antechrist... » (Deerrore<br />

prof, relig., XXIII.)<br />

Saint Justin.<br />

Saint Justin voit l'origine du polythéisme dans l'intervention<br />

<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, erreur dont Dieu n'arrête <strong>le</strong><br />

cours qu'en se manifestant quelquefois aux hommes.<br />

C'est ainsi qu'il dit à Moïse : « Je suis celui qui suis. »<br />

(Disc, aux Grecs, XXI.)<br />

<strong>Le</strong> même, première Apologie à l'empereur Antonin<br />

<strong>le</strong> Pieux, se plaint qu'on ne veuil<strong>le</strong> rien examiner...<br />

Vous n'écoutez que la haine; vous n'obéissez qu'à l'impulsion<br />

<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, dit-il; il importe <strong>de</strong> remonter à<br />

la cause — Alors il raconte que <strong>le</strong>s génies, ayant<br />

apparu sous <strong>de</strong>s formes trompeuses, corrompirent <strong>le</strong>s<br />

femmes et <strong>le</strong>s enfants, et effrayèrent <strong>le</strong>s hommes, qui,<br />

frappés <strong>de</strong> terreur et <strong>de</strong> vertige, ignorant l'existence<br />

<strong>de</strong>s mauvais esprits, en firent <strong>de</strong>s dieux Mais<br />

nous, continue saint Justin, c'est en Jésus-Christ que<br />

nous croyons, et nous déclarons imposteurs et pervers<br />

<strong>le</strong>s auteurs <strong>de</strong> tant d'impostures... Nous sommes persuadés<br />

que votre acharnement vient moins <strong>de</strong> vous que<br />

<strong>de</strong> l'esprit infernal qui égare la raison <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, etc.;<br />

Satan ne néglige pour séduire ni prestiges, ni songes,<br />

ni fantômes..., il met tout en œuvre...; il ne veut pas<br />

que vous lui échappiez comme nous l'avons fait nousmêmes...<br />

— <strong>Le</strong>s secrets <strong>de</strong> la nécromancie, l'inspection<br />

<strong>de</strong>s entrail<strong>le</strong>s, l'évocation <strong>de</strong>s mânes <strong>de</strong>s jeunes<br />

enfants, etc., sont <strong>de</strong>s présomptions qu'après la mort<br />

l'âme conserve <strong>le</strong> sentiment, etc..<br />

Saint Cyprien.<br />

Saint Cyprien (De viol, vanitate) expose la même doc-


AV{EC LE DÉMON. 3C9<br />

trine <strong>avec</strong> la même conviction. — « Ne me vantez<br />

plus, dit-il, <strong>le</strong>s auspices ni <strong>le</strong>s présages... où trouver la<br />

cause <strong>de</strong> cette démence, sinon dans <strong>de</strong>s illusions et <strong>de</strong>s<br />

prestiges qu'il faut imputer à <strong>de</strong>s esprits corrompus et<br />

vagabonds..., qui ne cherchent qu'à entraîner <strong>le</strong>s<br />

hommes dans <strong>le</strong>ur ruine ; l'antiquité <strong>le</strong>s a connus sous<br />

<strong>le</strong> nom <strong>de</strong> <strong>démon</strong>s, ils manifestent <strong>le</strong>ur puissance par <strong>de</strong>s<br />

prestiges et <strong>de</strong>s enchantements...» —Saint Cyprien,<br />

comme tous <strong>le</strong>s Pères, croit que <strong>le</strong>s statues donnent<br />

<strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> vie.— «Ce sont ces esprits déchus, dit-il,<br />

qui s'enferment dans <strong>le</strong>s statues consacrées, qui allument<br />

l'enthousiasme <strong>de</strong>s prêtres, font palpiter <strong>le</strong>s<br />

fibres <strong>de</strong>s victimes, gouvernent <strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s oiseaux, dirigent<br />

<strong>le</strong> <strong>de</strong>stin ; menteurs et trompés, ils enveloppent<br />

la vérité <strong>de</strong> ténèbres, troub<strong>le</strong>nt la vie, inquiètent <strong>le</strong><br />

sommeil, se glissent dans <strong>le</strong>s corps qu'ils possè<strong>de</strong>nt,<br />

bou<strong>le</strong>versent l'âme, tor<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s membres dans <strong>de</strong>s<br />

convulsions horrib<strong>le</strong>s, détruisent la santé, incitent<br />

<strong>l'homme</strong> à se faire guérir à <strong>le</strong>urs autels ; mais on nomme<br />

guérisons ce qui n'est que la cessation <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs outrages...<br />

— <strong>Le</strong>ur but, c'est <strong>de</strong> détourner du culte du vrai<br />

Dieu et <strong>de</strong> jeter dans la superstition...; » — il dit<br />

ail<strong>le</strong>urs, toujours en parlant du <strong>démon</strong>, qu'il tâche <strong>de</strong><br />

nous surprendre par une infinité <strong>de</strong> tentations. C'est<br />

un ennemi vieux et expérimenté, qui fait la guerre à<br />

<strong>l'homme</strong> <strong>de</strong>puis <strong>de</strong> longs sièc<strong>le</strong>s, mais il ne saurait<br />

nuire que Dieu ne <strong>le</strong> lui permette.<br />

Saint Irénée, parlant <strong>de</strong> Marc et <strong>de</strong> Simon, attribue<br />

<strong>le</strong>urs œuvres aux <strong>démon</strong>s : — « Simon, dit-il, exerçait<br />

la magie et troublait l'esprit par ses enchantements.<br />

»<br />

Saint Justin (I Apol. déjà citée) dit que <strong>le</strong>s amours<br />

obscènes <strong>de</strong>s dieux, <strong>le</strong>urs crimes, ne peuvent venir<br />

que <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s. «Veuil<strong>le</strong>z aussi nous croire, dit ce<br />

24


370 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Père, ce sont eux qui ont donné comme <strong>de</strong>s faits vrais<br />

<strong>le</strong>s fab<strong>le</strong>s du paganisme, pour faire passer aussi pour une<br />

fab<strong>le</strong> la venue <strong>de</strong> Jésus-Christ; sachant cet événement<br />

par <strong>le</strong>s prophètes, ils firent croire à l'existence d'un<br />

grand nombre d'enfants <strong>de</strong> Jupiter, et pensèrent que la<br />

naissance du Christ semb<strong>le</strong>rait non moins absur<strong>de</strong> que<br />

<strong>le</strong>s récits fabu<strong>le</strong>ux...<br />

« Nous adorions comme vous Bacchus, Apollon, etc.,<br />

dont on ne peut dévoi<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s turpitu<strong>de</strong>s sans rougir...<br />

Vous célébrez encore <strong>le</strong>urs mystères honteux. Pourquoi<br />

sommes-nous plutôt persécutés que ces hommes<br />

envoyés par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s qui osent se donner pour <strong>de</strong>s<br />

dieux, et que vous comb<strong>le</strong>z d'honneurs?» —Saint Justin<br />

par<strong>le</strong> <strong>de</strong>s statues érigées à Simon et <strong>de</strong>s abominations<br />

<strong>de</strong> Marcion, hérétiques portant <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> chrétiens,<br />

dont <strong>le</strong>s prodiges ont été opérés par Satan, et dont <strong>le</strong><br />

but était d'empêcher <strong>l'homme</strong> d'arriver à Dieu...— « <strong>Le</strong>s<br />

esprits grossiers, dit ce Père, qui ne sauraient se dégager<br />

<strong>de</strong> la terre, il <strong>le</strong>s attache aux choses terrestres et<br />

sensib<strong>le</strong>s; ceux capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> plus hautes contemplations,<br />

mais dont <strong>le</strong> jugement n'est pas sain, ni la vie<br />

pure, ni <strong>le</strong> cœur affranchi <strong>de</strong> passions, il <strong>le</strong>s plonge<br />

dans l'impiété. »<br />

Il termine sa secon<strong>de</strong> apologie en priant <strong>le</strong> sénat <strong>de</strong><br />

la rendre publique : « Au milieu <strong>de</strong> cette capita<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s<br />

chrétiens triomphent <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, dit-il ; ils guérissent<br />

au nom <strong>de</strong> Jésus <strong>de</strong>s hommes dont <strong>le</strong>s malins esprits<br />

s'étaient emparés, contre <strong>le</strong>squels tout l'art <strong>de</strong>s magiciens<br />

avait été impuissant, » — autre preuve <strong>de</strong> fait qu'on<br />

examinera bientôt.<br />

Résumé.<br />

On pourrait multiplier ces extraits <strong>de</strong>s œuvres <strong>de</strong>s<br />

apologistes dont il <strong>de</strong>venait impossib<strong>le</strong> ici d'abor<strong>de</strong>r


AVEC LE DÉMON. 371<br />

tonte la profon<strong>de</strong>ur ; mais cet aperçu trop court étant<br />

déjà bien long et peut-être fastidieux pour la plupart<br />

<strong>de</strong>s <strong>le</strong>cteurs, il a fallu se restreindre, quoique à regret,<br />

car non-seu<strong>le</strong>ment on voit l'importance que <strong>le</strong>s Pères<br />

attachèrent à <strong>le</strong>ur sujet, mais on en est pénétré soimême.<br />

Quelques répétitions <strong>de</strong>venaient inévitab<strong>le</strong>s,<br />

en citant plusieurs fragments <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs œuvres ; pourtant<br />

il fallait montrer, dans la doctrine <strong>de</strong> tous, cette<br />

uniformité qui manque chez <strong>le</strong>s philosophes. — Quant<br />

il'ordre méthodique, il <strong>de</strong>venait impossib<strong>le</strong> dans <strong>de</strong>s<br />

citations tronquées, qui, prises çà et là, rompent la connexion<br />

<strong>de</strong>s diverses parties du sujet. 11 est donc bon<br />

peut-être <strong>de</strong> résumer ici <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s attaques livrées<br />

à la philosophie et au culte païen par <strong>le</strong>s Pères, qui en<br />

émettaient pourtant <strong>le</strong>s prodiges Ainsi nous avons<br />

1. Ce qu'on vient <strong>de</strong> lire a suffisamment prouvé que <strong>le</strong>s apologistes<br />

admettaient la réalité <strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong>s fausses religions; il serait<br />

faci<strong>le</strong> d'en multiplier <strong>le</strong>s preuves. Lactance, que sa gran<strong>de</strong> réputation<br />

fit appe<strong>le</strong>r à Mcomédie par Dioclétien, l'a exprimé longuement<br />

dans ses œuvres. — «Plusieurs ont recours, dit-il (Div. instit., II, 8),<br />

i <strong>de</strong>s histoires écrites par <strong>de</strong> célèbres auteurs, par <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s il semb<strong>le</strong><br />

justifié que ceux que nous prétendons n'être poini <strong>de</strong>s dieux ont fait<br />

loir par <strong>de</strong>s prodiges, <strong>de</strong>s songes, <strong>de</strong>s présages, <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, etc.,<br />

qu'ils étaient véritab<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s dieux. » Il cite Navius, qui, pour<br />

frouver l'augurie, coupa un caillou <strong>avec</strong> un rasoir. — L'apparition <strong>de</strong><br />

Castor et Pollux annonçant à Vatienus la défaite <strong>de</strong> Persée. — Junon<br />

ïoneta, qui avait parlé. — <strong>Le</strong>s prodiges, ci-<strong>de</strong>vant cités, <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

Vesta<strong>le</strong>s. — L'arrivée du serpent d'Épidaure qui fit cesser la peste.<br />

-<strong>Le</strong>s exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> vengeances <strong>de</strong>s dieux. —<strong>Le</strong>s divers songes prodigieux,<br />

etc. — «Pour no rien laisser d'obscur, poursuit Lactance, je<br />

ferai voir que ces prodiges n'étaient que <strong>de</strong>s illusions, dont <strong>le</strong> <strong>démon</strong><br />

i'cstsenï pour tromper <strong>le</strong>s hommes... » Après avoir montré <strong>le</strong>s œuvres<br />

<strong>de</strong> Dieu, <strong>le</strong>s causes <strong>de</strong> l'idolâtrie, etc., etc., il dit plus loin (16., 17.),<br />

que « l'astrologie, <strong>le</strong>s auspices, <strong>le</strong>s augures, <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s, la nécromancie,<br />

la magie, etc., sont <strong>de</strong>s inventions <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s. » — On est<br />

donc étonné que Mgr Duvoisin, évûque <strong>de</strong> Nantes, et quelques prêtres<br />

<strong>de</strong> nos jours, semb<strong>le</strong>nt penser que <strong>le</strong>s Pères n'y croyaient point,<br />

tout dans <strong>le</strong>urs œuvres prouve <strong>le</strong> contraire. On <strong>le</strong> <strong>démon</strong>trera un jour.<br />

(V. Duvoisin, Démonst. évang.)


372 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

vu que tous <strong>le</strong>s systèmes philosophiques sont plus ou<br />

moins absur<strong>de</strong>s et se détruisent mutuel<strong>le</strong>ment; ils n'ont<br />

produit et ne peuvent produire aucun bien ; <strong>le</strong> christianisme<br />

seul est la vraie sagesse.<br />

De l'aveu <strong>de</strong>s Gentils et <strong>de</strong> la doctrine <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs sages<br />

il résulte que <strong>le</strong>urs dieux et <strong>le</strong>urs bons et mauvais <strong>démon</strong>s<br />

sont <strong>de</strong>s êtres i<strong>de</strong>ntiques dont la malignité s'est<br />

dévoilée dans mil<strong>le</strong> circonstances; ils ne peuvent être<br />

tous que <strong>de</strong>s esprits malins, puisqu'ils ont proclamé<br />

<strong>de</strong> funestes maximes, qu'ils sont souvent menteurs et<br />

cruels dans <strong>le</strong>urs orac<strong>le</strong>s; c'est une engeance immon<strong>de</strong>,<br />

puisqu'ils comman<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s impudicités, qu'ils sont en<br />

rapport <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s hommes corrompus et pervers ; ce ne<br />

sont pas <strong>de</strong>s dieux bienfaisants, puisqu'ils contraignent<br />

<strong>l'homme</strong> d'immo<strong>le</strong>r ce qu'il a <strong>de</strong> plus cher au mon<strong>de</strong>;<br />

ils ne. sont ni justes, ni purs, puisqu'ils ne montrent<br />

ni honnêteté, ni justice; ils ont une haine épouvantab<strong>le</strong><br />

contre <strong>l'homme</strong> sur <strong>le</strong>quel ils exercent <strong>le</strong>ur cruauté, etc.<br />

Inuti<strong>le</strong> <strong>de</strong> pousser plus loin cette «numération <strong>de</strong>s<br />

méchancetés <strong>de</strong>s dieux <strong>de</strong>s Gentils; la preuve <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

perversité trouvera son complément en établissant un<br />

parallè<strong>le</strong> entre eux et <strong>le</strong> Dieu <strong>de</strong>s chrétiens. — <strong>Le</strong>s<br />

mirac<strong>le</strong>s divins, par <strong>le</strong>ur sublimité, <strong>le</strong>ur éclat, rappel<strong>le</strong>nt<br />

<strong>l'homme</strong> à Dieu ; <strong>le</strong>s prodiges païens seraient<br />

propres à en éloigner, tant la plupart sont ridicu<strong>le</strong>s,<br />

bur<strong>le</strong>sques et même nuisib<strong>le</strong>s. — Nous connaissons<br />

<strong>le</strong>urs étranges guérisons; mais à Dieu seul appartient<br />

<strong>de</strong> guérir spontanément et do rendre la vie à un cadavre.<br />

Dieu dérou<strong>le</strong> aux prophètes ce qui doit arriver dans<br />

la suite <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s <strong>de</strong>vins ne conjecturent que <strong>le</strong>s<br />

événements prochains et généra<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> peu d'importance.<br />

<strong>Le</strong>s révélations <strong>de</strong>s dieux, en proclamant un premier


AVEC LE DÉMON. 373<br />

principe sans volonté et sans action, et <strong>le</strong>s astres et la<br />

nature entière animés par <strong>de</strong>s dieux, se sont substitués<br />

au Dieu éternel et ont usurpé <strong>le</strong> culte qui n'est dû qu'à<br />

lui; en proclamant <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin, <strong>l'homme</strong>, qui cesse alors<br />

d'être libre, n'a plus ni mérite ni démérite, et pourtant<br />

ce <strong>de</strong>stin, plus puissant que <strong>le</strong>s dieux, obéit aux<br />

conjurations <strong>de</strong>s magiciens. — Quel<strong>le</strong>s réf<strong>le</strong>xions fait<br />

naître ce prétendu pouvoir du païen même <strong>le</strong> plus impie<br />

qui peut contraindre <strong>le</strong>s dieux par d'horrib<strong>le</strong>s menaces!<br />

— <strong>Le</strong> chrétien fait d'humb<strong>le</strong>s supplications, et<br />

s'il est exaucé il n'en conçoit point d'orgueil. L'humb<strong>le</strong><br />

thaumaturge, au contraire, remercie son Dieu et se reconnaît<br />

indigne d'une tel<strong>le</strong> faveur. — <strong>Le</strong> christianisme<br />

recomman<strong>de</strong> <strong>le</strong> pardon <strong>de</strong>s injures ; — mais la vengeance,<br />

c'est un axiome païen, est <strong>le</strong> plaisir <strong>de</strong>s dieux.<br />

— L'Évangi<strong>le</strong> recomman<strong>de</strong> la chasteté : c'est par <strong>de</strong>s<br />

actes impurs et lubriques qu'on se rend <strong>le</strong>s dieux propices.<br />

— L'Évangi<strong>le</strong> recomman<strong>de</strong> <strong>de</strong> rendre à chacun<br />

ce qui lui appartient : <strong>le</strong>s Gentils priaient Mercure <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>s secon<strong>de</strong>r dans <strong>le</strong>urs tromperies, et la déesse Lavernc<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>s rendre adroits dans <strong>le</strong> vol. — On brû<strong>le</strong> comme<br />

exécrab<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s révélations qu'une déesse fit à Numa, et<br />

même <strong>le</strong>s livres <strong>de</strong> la sibyl<strong>le</strong>. — <strong>Le</strong>s livres saints<br />

traversent <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s, bravent <strong>le</strong>s révolutions <strong>de</strong>s empires<br />

et sont respectés même par <strong>le</strong>s Gentils et <strong>le</strong>s barbares.<br />

A la gravité et à la sérénité <strong>de</strong>s prophètes du<br />

vrai Dieu, que l'on compare <strong>le</strong>s faux prophètes <strong>de</strong>s<br />

cultes idolâtres... Agités <strong>de</strong> mouvements convulsifs effrayants,<br />

<strong>le</strong>ur âme est p<strong>le</strong>ine <strong>de</strong> troub<strong>le</strong>, l'agent qui <strong>le</strong>s<br />

domine <strong>le</strong>ur ôte la raison, ils semb<strong>le</strong>nt privés <strong>de</strong> sentiment<br />

et même <strong>de</strong> vie ; on en a vu quelques-uns expirer<br />

parce que <strong>le</strong>ur dieu refusait <strong>de</strong> répondre ; il dispose<br />

enfin si tyranniquement <strong>de</strong> tout l'organisme <strong>de</strong><br />

son prophète, que celui-ci oublie ce qu'il a dit et


374 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

fait. — <strong>Le</strong>s dieux exigent quelquefois, il est vrai, la<br />

continence et <strong>de</strong>s purifications ; mais il est non moins<br />

vrai que, par une <strong>de</strong> ces contradictions étranges<br />

qu'on a signalées, ils préfèrent faire <strong>le</strong>urs révélations<br />

à <strong>de</strong>s hommes dissolus, à <strong>de</strong>s femmes perdues et à <strong>de</strong>s<br />

idiots.<br />

A quoi bon continuer ce parallè<strong>le</strong> où l'on voit, d'un<br />

côté l'humilité, la justice, la charité, la pureté, toutes<br />

<strong>le</strong>s vertus enfin recommandées, et où, <strong>de</strong> l'autre, on<br />

ne voit que vengeance, cruauté, orgueil, injustice,<br />

impureté dans <strong>le</strong>s œuvres, obscurité et contradictions<br />

dans la doctrine?<br />

<strong>Le</strong>s mauvaises passions, l'amour <strong>de</strong>s voluptés, l'intérêt<br />

matériel, etc., chez plusieurs païens, <strong>de</strong>vaient résister<br />

à <strong>de</strong>s arguments aussi puissants; mais la force<br />

<strong>de</strong> la vérité, chez celui qui n'en est pas l'ennemi décidé<br />

, <strong>de</strong>vait triompher, et en effet, comme on l'a vu,<br />

el<strong>le</strong> triompha. Tout païen qui n'avait pas perdu <strong>le</strong> sens<br />

moral, qui conservait encore dans son âme <strong>de</strong>s traces<br />

<strong>de</strong> sa nob<strong>le</strong> origine, put discerner la vérité <strong>de</strong> l'erreur,<br />

et <strong>le</strong> néoplatonisme parut évi<strong>de</strong>mment faux ; d'ail<strong>le</strong>urs,<br />

issu <strong>de</strong> la philosophie et <strong>de</strong> l'ancien culte, ces <strong>de</strong>ux<br />

éléments mauvais pouvaient-ils composer un tout qui<br />

fût bon? Ceux qui lurent nos apologistes <strong>le</strong> sentirent.<br />

<strong>Le</strong>s <strong>de</strong>ux religions avaient <strong>le</strong>urs prodiges, que <strong>le</strong>s épicuriens<br />

confondaient dans <strong>le</strong> même mépris; plusieurs<br />

d'entre eux <strong>de</strong>vinrent eux-mêmes moins rétifs, tous ne<br />

pouvaient être <strong>de</strong>s Lucien riant à tout propos ; <strong>le</strong>s arguments<br />

<strong>de</strong>s apologistes, la mora<strong>le</strong> du christianisme, ses<br />

prophéties, ses mirac<strong>le</strong>s formaient un ensemb<strong>le</strong> d'une<br />

force irrésistib<strong>le</strong>, et, <strong>de</strong>vant ce faisceau si soli<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

preuves, <strong>le</strong>s intelligences s'inclinèrent, et <strong>le</strong> triomphe<br />

du christianisme bientôt fut comp<strong>le</strong>t. Pouvait-il en être<br />

autrement? il avait <strong>de</strong>s preuves mora<strong>le</strong>s à la portée <strong>de</strong>


AVEC LE DÉMON. 373<br />

tous <strong>le</strong>s esprits droits que Satan ne tenait pas dans ses<br />

chaînes, et certaines preuves matériel<strong>le</strong>s furent trèscapab<strong>le</strong>s<br />

d'entraîner <strong>le</strong>s convictions <strong>de</strong>s intelligences<br />

<strong>le</strong>s moins é<strong>le</strong>vées. Nous allons exposer cet autre genre<br />

<strong>de</strong> preuves.<br />

Preuves matériel<strong>le</strong>s; expulsion <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s qui se faisaient passer<br />

pour <strong>de</strong>s dieux.<br />

Parmi toutes <strong>le</strong>s causes qui multiplièrent <strong>le</strong>s chrétiens,<br />

la plus frappante sans contredit, la plus émouvante,<br />

cel<strong>le</strong> pour laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s apologistes invoquent<br />

<strong>le</strong>s témoignages d'une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> témoins, cel<strong>le</strong> enfin<br />

dont nul spectateur ne pouvait contester la puissance,<br />

c'est l'expulsion <strong>de</strong>s dieux du corps <strong>de</strong>s possédés, et<br />

<strong>le</strong>ur aveu qu'ils étaient <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s ; c'est enfin ce<br />

châtiment imposé à ceux qui, ayant fait une communion<br />

sacrilège, <strong>de</strong>venaient <strong>le</strong>s victimes <strong>de</strong>s esprits <strong>de</strong><br />

ténèbres.<br />

Nous continuerons d'être simp<strong>le</strong> narrateur, en citant<br />

<strong>de</strong>s faits attestés par <strong>de</strong>s témoignages irrécusab<strong>le</strong>s, et<br />

sans vouloir, du moins à présent, ni <strong>le</strong>s critiquer, ni<br />

<strong>le</strong>s commenter.<br />

A ceux qui auraient pu se tromper encore sur la<br />

nature <strong>de</strong> ces intelligences, <strong>le</strong>s adorer comme <strong>de</strong>s<br />

dieux, ou croire <strong>le</strong>ur puissance éga<strong>le</strong> à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />

dieux, etc , il fallait, pour détruire <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s erreurs,<br />

que Satan lui-même fût forcé <strong>de</strong> se manifester,<br />

<strong>de</strong> se déclarer l'esclave <strong>de</strong> Jésus-Christ; il fallait entendre<br />

ces esprits immon<strong>de</strong>s avouer eux-mêmes ce qu'ils<br />

sont, et proclamer la divinité du Sauveur; il fallait<br />

enfin qu'il fût possib<strong>le</strong> aux chrétiens <strong>de</strong> paralyser <strong>le</strong>ur<br />

puissance, d'empêcher <strong>le</strong>urs prodiges et <strong>de</strong> <strong>le</strong>s chasser<br />

du corps même <strong>de</strong>s prêtres païens , qui se croyaient<br />

divinement inspirés. Souvent on a vu <strong>le</strong> nom seul <strong>de</strong>


376 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Jésus ou <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> la croix, dans ces temps <strong>de</strong> foi<br />

ar<strong>de</strong>nte, tenir lieu d'exorcisme.<br />

Soyons un instant par la pensée témoins du spectac<strong>le</strong><br />

épouvantab<strong>le</strong> que présentait un possédé tourmenté<br />

par <strong>le</strong>s dieux infernaux : il pousse <strong>de</strong>s cris affreux, <strong>de</strong>s<br />

hur<strong>le</strong>ments horrib<strong>le</strong>s, il profère mil<strong>le</strong> blasphèmes, mais<br />

à la voix d'un chrétien prononçant un nom sacré, <strong>le</strong>s<br />

divinités exécrab<strong>le</strong>s qui torturent ce malheureux manifestent<br />

<strong>le</strong>ur sortie sous la forme d'une flamme, d'une<br />

noire et puante fumée, d'un animal effrayant ou immon<strong>de</strong>.<br />

On est forcé d'avouer, ces faits étant admis,<br />

qu'un tel spectac<strong>le</strong> était <strong>de</strong>s plus propres à opérer <strong>de</strong><br />

nombreuses conversions; aussi, d'après <strong>le</strong>s historiens,<br />

ce fut une <strong>de</strong>s causes puissantes <strong>de</strong> l'établissement du<br />

christianisme.<br />

<strong>Le</strong>s apologistes, en s'adressant aux empereurs et<br />

aux philosophes, invoquaient <strong>le</strong> témoignage <strong>de</strong>s Gentils<br />

pour attester ce qu'ils avançaient. « Si ces faits n'eussent<br />

pas été notoires, fait observer <strong>le</strong> savant Bul<strong>le</strong>t, c'eut été<br />

folie. » (Hist. <strong>de</strong> l'établ. du Christ.)<br />

Saint Cyprien (Deidol. vanit., 7.) s'exprime ainsi :<br />

« <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s adjurés par <strong>le</strong> vrai dieu confessent incontinent<br />

la vérité et sont contraints <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong>s corps<br />

qu'ils possè<strong>de</strong>nt : à la paro<strong>le</strong> d'un chrétien, cédant à<br />

l'opération d'une puissance secrète, ils témoignent<br />

par <strong>le</strong>urs hur<strong>le</strong>ments, par <strong>le</strong>urs p<strong>le</strong>urs, qu'ils sont<br />

tourmentés, déchirés <strong>de</strong> coups, dévorés par <strong>le</strong>s flammes<br />

; ils confessent, en présence <strong>de</strong> ceux mêmes qui<br />

<strong>le</strong>s adorent, d'où ils viennent, et disent quand ils sortiront...<br />

»<br />

S'adressant à Démétrianus : « Si vous vouliez <strong>le</strong>s entendre,<br />

lui disait-il, lorsque nous <strong>le</strong>s conjurons par<strong>le</strong>s<br />

fouets spirituels, quand nous <strong>le</strong>s chassons <strong>de</strong>s corps et<br />

que nous <strong>le</strong>s obligeons d'avouer qu'ils doivent être


AVEC LE DÉMON. 377<br />

jugés!... venez en être témoin, vous verrez que nous<br />

ne disons rien qui ne soit vrai. » (AdDemetr., 15.)<br />

Minucius Félix, s'adressant aux Gentils, <strong>le</strong>ur disait :<br />

« Plusieurs d'entre vous savent bien que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

sont contraints d'avouer ces choses lorsque nous <strong>le</strong>s<br />

lourmentons pour <strong>le</strong>s chasser <strong>de</strong>s corps, que nous <strong>le</strong>s<br />

contraignons <strong>de</strong> sortir par ces paro<strong>le</strong>s qui <strong>le</strong>s tourmentent,<br />

par ces prières qui <strong>le</strong>s brû<strong>le</strong>nt... — Ce Saturne,<br />

ce Jupiter, ce Sérapis, tous ces autres que vous<br />

adorez, vaincus par la dou<strong>le</strong>ur, confessent ce qu'ils<br />

sont; et quoique la honte dût <strong>le</strong>ur faire cacher éternel<strong>le</strong>ment<br />

ce qu'ils révè<strong>le</strong>nt, et surtout en votre présence,<br />

ils avouent cependant <strong>le</strong>ur misérab<strong>le</strong> condition .Vous<br />

<strong>le</strong>s pouvez croire, puisqu'ils sont forcés <strong>de</strong> rendre<br />

témoignage à la vérité contre eux-mêmes. Lorsqu'on<br />

<strong>le</strong>s conjure par <strong>le</strong> Dieu vivant, ces misérab<strong>le</strong>s frémissent;<br />

et s'ils ne sortent <strong>de</strong> suite, ils se retirent du<br />

moins peu à peu, selon que la foi du patient ou la grâce<br />

du mé<strong>de</strong>cin sont plus ou moins gran<strong>de</strong>s... — Us sèment<br />

la haine <strong>de</strong> notre religion dans <strong>le</strong>s esprits faib<strong>le</strong>s...<br />

Rien <strong>de</strong> si naturel que <strong>de</strong> vouloir perdre ceux qu'on<br />

craint. » (Octavius, XXVII.) Origène s'exprimait <strong>de</strong><br />

même.<br />

« C'est une injustice <strong>de</strong> condamner ce qu'on ne connaîtpas,<br />

dit plus loin Minucius Félix (Ib., XXVIII);<br />

nous ne sommes pas sans nous repentir <strong>de</strong> cette faute ;<br />

vous savez que nous avons été comme vous et que nous<br />

avions <strong>le</strong>s mêmes sentiments, lorsque nous étions dans<br />

<strong>le</strong> même aveug<strong>le</strong>ment... »<br />

J. Firmicus Maternus à Constantin et à Constans(De<br />

error. relig.prof., XIV),combattant Porphyre, qui avait<br />

par<strong>le</strong> <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> Sérapis, disait : « Nous vous<br />

sommes fort obligés <strong>de</strong> ce que vous nous avez expliqué<br />

la Dature <strong>de</strong> vos dieux et comment ils sont assujettis à


378 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

l'empire <strong>de</strong>s hommes... Un homme peut forcer Sérapis<br />

à lui obéir et l'enfermer dans un corps, pour l'obliger<br />

à déclarer ce qu'il voudrait cacher. — C'est à peu près<br />

ainsi, continue Maternus, que vos dieux, dans notre<br />

religion, sont punis par la vertu <strong>de</strong> nos paro<strong>le</strong>s, lorsqu'ils<br />

tourmentent <strong>le</strong>s corps qu'ils possè<strong>de</strong>nt... La paro<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> Dieu qui sort <strong>de</strong> la bouche <strong>de</strong>s chrétiens est<br />

comme un feu qui <strong>le</strong>s brû<strong>le</strong> : et en môme temps que<br />

vous <strong>le</strong>ur ren<strong>de</strong>z un souverain culte, nous <strong>le</strong>ur faisons<br />

souffrir <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers supplices. »<br />

Il dit à ces empereurs qu'il ne faut pas prier ceux<br />

auxquels on a droit <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r... « C'est <strong>le</strong> <strong>démon</strong>,<br />

dit-il, que vous honorez par ces sacrifices...,<br />

<strong>le</strong> <strong>démon</strong>, qui ne saurait entendre <strong>le</strong> nom do Jésus-<br />

Christ sans tremb<strong>le</strong>r.,., sans avouer qu'il se sent déchiré<br />

et brûlé, et sans confesser ses crimes. »<br />

Saint Irénce, parlant du don <strong>de</strong>s chrétiens d'opérer<br />

<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s, disait : « <strong>Le</strong>s uns chassent <strong>le</strong>s dénions<br />

<strong>avec</strong> une autorité si souveraine, si efficace, que ceux<br />

qui en étaient tourmentés, surpris et reconnaissants,<br />

se convertissent... » (Confr. hœr., II, 32.)<br />

Selon Origène, — Tous <strong>le</strong>s jours <strong>le</strong> seul nom <strong>de</strong><br />

Jésus chasse <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s. (On'fj. c Celsc, I, G7.)<br />

Saint Cypricn (Ep. ad Donat.) déclare que, entre<br />

autres privilèges, <strong>le</strong>s nouveaux baptisés chassent <strong>le</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s, <strong>le</strong>s forcent <strong>de</strong> confesser <strong>le</strong>ur misère ,<br />

<strong>le</strong>s flagel<strong>le</strong>nt, redoub<strong>le</strong>nt l'ar<strong>de</strong>ur du feu qui <strong>le</strong>s dévore...<br />

Lactance dit que « <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s redoutent <strong>le</strong>s chrétiens,<br />

qui par la seu<strong>le</strong> invocation <strong>de</strong> Dieu <strong>le</strong>s obligent<br />

<strong>de</strong> sortir au milieu d'affreux hur<strong>le</strong>ments, <strong>de</strong> confesser<br />

qu'ils sont <strong>démon</strong>s, <strong>de</strong> se nommer par <strong>le</strong>urs noms,<br />

quand on <strong>le</strong>s conjure au nom <strong>de</strong> Dieu. Que l'on assemb<strong>le</strong><br />

ceux qui font profession <strong>de</strong> rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s


AVEC LE DÉMON. 379<br />

enfers, qu'ils rappel<strong>le</strong>nt Jupiter, Neptune, Apollon,<br />

Saturne, etc., ils viendront, ils répondront; que ces<br />

mêmes personnes appel<strong>le</strong>nt Jésus-Christ, qu'ils tâchent<br />

<strong>de</strong> l'évoquer, il ne paraîtra point...» — Et ail<strong>le</strong>urs,<br />

«qu'on amène un homme réel<strong>le</strong>ment possédé, et en<br />

même temps <strong>le</strong> prêtre d'Apollon lui-même, ils frémi-.<br />

ront éga<strong>le</strong>ment l'un et l'autre, et Apollon sortira aussi<br />

vite <strong>de</strong> son prophète que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> sortira <strong>de</strong> ce possédé;<br />

donc <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, exécrés par <strong>le</strong>s païens sont<br />

<strong>le</strong>s mêmes que <strong>le</strong>s dieux qu'ils adorent. » (hist. div.,<br />

IV, 27.)<br />

Tertullien, après avoir justifié <strong>le</strong>s chrétiens dans sa<br />

défense adressée aux souverains magistrats <strong>de</strong> l'empire,<br />

dit (Apologet., X) : « Nous avons cessé d'adorer vos<br />

dieux <strong>de</strong>puis que nous avons reconnu qu'ils ne sont<br />

point dieux... Vous avez <strong>le</strong> droit d'en exiger <strong>de</strong> nous la<br />

preuve... » Après l'avoir donnée dans <strong>le</strong>s douze chapitres<br />

suivants, il termine ainsi : « Jusqu'ici, ce ne<br />

sont que <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s, mais voici une <strong>démon</strong>stration<br />

par <strong>le</strong>s faits, que <strong>le</strong>s dieux et <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s sont absolument<br />

<strong>le</strong>s mêmes. »<br />

« Qu'on fasse venir <strong>de</strong>vant vos tribunaux quelqu'un<br />

reconnu pour possédé du <strong>démon</strong>; qu'un chrétien, quel<br />

qu'il soit, <strong>le</strong> premier venu, comman<strong>de</strong> à cet esprit <strong>de</strong><br />

par<strong>le</strong>r, il avouera qu'il est véritab<strong>le</strong>ment <strong>démon</strong>, et<br />

qu'ail<strong>le</strong>urs, il se dit faussement dieu... »<br />

« Qu'on amène éga<strong>le</strong>ment quelqu'un <strong>de</strong> ceux qu'on<br />

croit agités par un dieu, qui, en respirant <strong>avec</strong> force<br />

sur <strong>le</strong>s autels, aient reçu la divinité <strong>avec</strong> la vapeur, qui<br />

par<strong>le</strong>nt <strong>avec</strong> effort et comme hors d'ha<strong>le</strong>ine... Si vos<br />

dieux, n'osant mentir à un chrétien, ne confessent pas<br />

qu'ils sont <strong>démon</strong>s, répan<strong>de</strong>z sur <strong>le</strong> lieu même <strong>le</strong> sang<br />

<strong>de</strong> ce chrétien téméraire...;» Tertullien <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce<br />

qu'il y aurait <strong>de</strong> plus manifeste qu'une pareil<strong>le</strong> preuve.


380 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

— Que pourra-t-on soupçonner? <strong>de</strong> la magie ou <strong>de</strong> la<br />

fourberie? — Vos yeux et vos oreil<strong>le</strong>s vous confondraient...<br />

Vous n'avez rien à opposer à l'évi<strong>de</strong>nce...—<br />

Or, si vos dieux sont véritab<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s dieux, pourquoi<br />

disent-ils faussement qu'ils sont <strong>démon</strong>s...? Estce<br />

par déférence pour nous? <strong>le</strong>ur divinité est donc<br />

soumise aux chrétiens... Si enfin ils sont anges ou<br />

<strong>démon</strong>s, pourquoi se donnent-ils ail<strong>le</strong>urs pour <strong>de</strong>s<br />

dieux?<br />

Ce pouvoir sur eux, dit-il, nous vient du nom <strong>de</strong><br />

Jésus-Christ et <strong>de</strong>s menaces que nous <strong>le</strong>ur faisons <strong>de</strong><br />

sa part..., ils sont soumis à ses serviteurs, etc...<br />

En notre présence, à notre comman<strong>de</strong>ment, effrayés<br />

par la pensée et l'image du feu éternel, vous <strong>le</strong>s voyez<br />

sortir du corps p<strong>le</strong>ins <strong>de</strong> fureur et couverts <strong>de</strong> honte;<br />

vous <strong>le</strong>s croyez lorsqu'ils vous trompent, croyez-<strong>le</strong>s<br />

lorsqu'ils vous disent la vérité... Tertullien ajoute que<br />

ces témoignages font beaucoup <strong>de</strong> chrétiens... «Or,<br />

comment <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s pourraient-ils se résoudre àperdre<br />

<strong>de</strong>s serviteurs si fidè<strong>le</strong>s..., s'il <strong>le</strong>ur était permis <strong>de</strong><br />

mentir? etc... »<br />

Ces faits étaient connus <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>s païens, qui pouvaient<br />

eux-mêmes <strong>le</strong>s attester et se convertissaient.<br />

Tertullien (Supplique au proconsul Scapula), après<br />

avoir manifesté l'horreur que <strong>le</strong>s chrétiens ont pour<br />

<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, disait : « Nous <strong>le</strong>s combattons, nous <strong>le</strong>s<br />

confondons, nous <strong>le</strong>s chassons tous <strong>le</strong>s jours, comme<br />

plusieurs d'entre vous <strong>le</strong> savent... Vos officiers même<br />

pourraient vous en instruire, puisqu'ils ont reçu <strong>de</strong>s<br />

chrétiens ces sortes <strong>de</strong> bienfaits... » <strong>Le</strong> greffier <strong>de</strong> l'un<br />

d'entre eux a été délivré par ce moyen du <strong>démon</strong> qui <strong>le</strong><br />

tourmentait, ainsi que <strong>le</strong> parent et <strong>le</strong> fils <strong>de</strong> quelques<br />

autres, etc.; et quommdam propinquus etpuerulus, et


AVEC LE DÉMON. 381<br />

combien <strong>de</strong> gens considérab<strong>le</strong>s, pour ne point par<strong>le</strong>r<br />

<strong>de</strong>s autres, ont été délivrés <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s ou guéris <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>urs maladies... Quanti konesti viri. (De vulgaribus<br />

enfin non dicimus, etc.)<br />

Saint Justin, dans son apologie à l'empereur et au<br />

sénat, disait : « Vous pouvez reconnaître la vérité <strong>de</strong><br />

ce que je dis par ce qui se passe tous <strong>le</strong>s jours sous<br />

vos yeux et en votre présence. Grand nombre dépossédés,<br />

tant dans votre vil<strong>le</strong> que dans <strong>le</strong> reste du mon<strong>de</strong><br />

qui n'avaient pu être délivrés par <strong>le</strong>s magiciens,<br />

ont été guéris par <strong>le</strong>s chrétiens en invoquant Jésus-<br />

Christ. »<br />

« Quel est celui qui ignore, dit Eusèbe, qu'il nous est<br />

ordinaire <strong>de</strong> chasser <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s par la seu<strong>le</strong> prononciation<br />

du nom <strong>de</strong> Jésus-Christ et par nos prières? »<br />

(Déni, év., III, 6.)<br />

Peut-on soupçonner <strong>le</strong> mensonge chez <strong>le</strong>s apologistes?<br />

Et ce qu'ils nommaient possession du <strong>démon</strong>,<br />

n'était-ce point une maladie tel<strong>le</strong> que l'épi<strong>le</strong>psie, par<br />

exemp<strong>le</strong>? C'est ce qu'on examinera un jour.<br />

<strong>Le</strong> si'jne <strong>de</strong> la croix, plusieurs l'attestaient, suffisait pour chasser<br />

<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s.<br />

Ceux qui ont vu, disait Lactance, comment <strong>le</strong> seul<br />

nom <strong>de</strong> Jésus-Christ force <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s à abandonner<br />

<strong>le</strong>s corps, savent aussi quel<strong>le</strong> est la vertu du signe<br />

<strong>de</strong> la, croix ; la preuve en est faci<strong>le</strong>, car <strong>le</strong>s païens<br />

ne sauraient ni offrir <strong>le</strong>urs sacrifices, ni tirer aucune<br />

réponse <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, en présence <strong>de</strong> ceux qui ont <strong>le</strong><br />

front marqué <strong>de</strong> ce signe ; il ajoute que c'est une cause<br />

<strong>de</strong> persécution. <strong>Le</strong>s chrétiens qui remplissaient <strong>le</strong>s<br />

charges <strong>de</strong> l'Etat, étant forcés d'assister aux sacrifices,<br />

dissipaient <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s par <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> la croix, et empêchaient<br />

<strong>le</strong>s présages <strong>de</strong> paraître dans <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s


352 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>de</strong>s victimes ; alors plusieurs païens, loin d'y voir la<br />

preuve <strong>de</strong> la divinité du Christ, se plaignant <strong>de</strong> ce que<br />

<strong>le</strong>s profanes troublaient <strong>le</strong>s sacrifices, disaient que<br />

c'était l'effet <strong>de</strong> la haine <strong>de</strong>s dieux pour <strong>le</strong>s chrétiens.<br />

— Lactance répond : que «<strong>le</strong>s dieux, au lieu <strong>de</strong> fuir, auraient<br />

agi d'une manière plus digne <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur majesté,<br />

s'ils avaient <strong>de</strong> suite puni <strong>le</strong>s chrétiens. » (Instit. divin.,<br />

XXVII.)<br />

On se rappel<strong>le</strong> ce qui arriva à Julien en présence<br />

<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s évoqués par Maxime; — saint Athanase<br />

confirme <strong>le</strong>s mêmes faits :—«<strong>Le</strong> seul signe <strong>de</strong> la croix,<br />

dit-il, fait évanouir <strong>le</strong>s prestiges et <strong>le</strong>s illusions <strong>de</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s... Que celui qui en veut faire l'expérience<br />

vienne, et qu'au milieu <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs prestiges, <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

orac<strong>le</strong>s et <strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong> la magie, il fasse <strong>le</strong> signe<br />

<strong>de</strong> la croix dont <strong>le</strong>s païens se moquent, il verra comment<br />

<strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s cessent, comment tous <strong>le</strong>s enchantements<br />

<strong>de</strong> la magie restent sans effet... Quel est donc<br />

ce Christ? Si ce n'est qu'un homme, comment se fait-il<br />

qu'il surpasse la puissance <strong>de</strong> vos dieux?... Si c'est un<br />

magicien, comment se fait-il que ce magicien n'affermisse<br />

pas, mais détruise au contraire tout art magique?»<br />

(De Imam. Verb., 48.)<br />

Pourquoi <strong>le</strong> nom seul <strong>de</strong> Jésus-Christ et <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> la<br />

croix semblaient-ils quelquefois sans vertu, et ont-ils<br />

paru plus fard l'avoir perdue ?<strong>Le</strong>s Pères nousl'ont appris.<br />

« <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s sont expulsés, disait Origène, lorsque<br />

la prononciation du nom <strong>de</strong> Jésus-Christ se fait <strong>avec</strong> une<br />

conscience pure et une foi ferme.»<br />

Selon Minucius Félix, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s sortaient <strong>de</strong> suite,<br />

d'autres fois peu à peu, selon que la foi du patient<br />

était plus ou moins gran<strong>de</strong>, ou bien la grâce du mé<strong>de</strong>cin.—Saint<br />

Cyprien en a dit autant, dans <strong>le</strong>s mômes<br />

termes.


AVEC LE DÉMON. 383<br />

La fuite du <strong>démon</strong> <strong>de</strong>vant <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> la croix<br />

était quelquefois une grâce qui n'était pas <strong>de</strong>mandée,<br />

tomme on l'a vu dans Julien, et qui cependant révélait<br />

la vérité à ceux même qui ne voulaient point la connaître.<br />

— On pourrait multiplier ces attestations. —<br />

Saint Grégoire <strong>de</strong> Nazianze disait : « Il m'est arrivé<br />

souvent qu'après avoir prononcé à peine <strong>le</strong> nom adorab<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> Jésus, <strong>le</strong> <strong>démon</strong> prenait la fuite en faisant entendre<br />

<strong>de</strong>s hur<strong>le</strong>ments... et la même chose m'est arrivée<br />

en formant seu<strong>le</strong>ment en l'air <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> la croix. »<br />

L'auteur <strong>de</strong>s questions sur l'Ancien et <strong>le</strong> Nouveau<br />

Testament (V. Baltus, Hist. <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s, t. I er<br />

, 304), —<br />

gui paraît plus ancien que saint Augustin, — après avoir<br />

dit que <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s étaient nécessaires lors <strong>de</strong> l'établissement<br />

du christianisme, ajoute : « A présent encore<br />

<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s sont effrayés par <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> la croix et<br />

contraints <strong>de</strong> fuir...;» il fait observer que «s'ils ne<br />

sentaient qu'el<strong>le</strong> est un grand mystère, ils ne seraient<br />

point effrayés quand on la nomme..., etc. »<br />

Avant il avait dit qu'à la vue du signe <strong>de</strong> la croix<br />

tout <strong>le</strong> paganisme <strong>de</strong>venait muet, <strong>le</strong>s dieux n'osaient<br />

répondre..., etc. «Il est bien étonnant, poursuit l'auteur,<br />

que <strong>le</strong> paganisme, qu'ils appel<strong>le</strong>nt sagesse, appréhen<strong>de</strong><br />

si fort <strong>le</strong> christianisme, qu'ils traitent <strong>de</strong> folie. »<br />

(/«., 307.)<br />

Terminons par <strong>de</strong>s faits non moins propres à convaincre<br />

<strong>le</strong>s païens qu'à causer un effroi salutaire aux chrétiens,<br />

c'est ce châtiment cité dans <strong>le</strong>s Épîtres <strong>de</strong> saint Paul<br />

aux Corinthiens, contre l'incestueux <strong>de</strong> Corinthe, pour<br />

sa lubricité ; contre A<strong>le</strong>xandre et Hyménée pour <strong>le</strong>urs<br />

blasphèmes; il y est dit : qu'ils furent livrés à Satan.<br />

Cette tradition, connue sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> possession du<br />

<strong>démon</strong>, état affreux dont on exposera ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong>s signes,<br />

survenait souvent alors après une communion sacri-


384 DES HAPPORTS DE L'HOMME<br />

loge. Saint Cyprien 1<br />

cite plusieurs faits arrivés <strong>de</strong> son<br />

temps, <strong>démon</strong>stratifs <strong>de</strong> la présence réel<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s espèces<br />

eucharistiques et <strong>de</strong> la terrib<strong>le</strong> action sataniçuc<br />

l. Saint Cyprien (Dclapsis, XXV, XXVI). — Une petite fil<strong>le</strong> fut portée<br />

par sa nourrice aux magistrats, qui lui firent manger <strong>le</strong> reste du sacrifice<br />

<strong>de</strong>s païens à l'insu <strong>de</strong> sa mère, qui porta ensuite l'enfant, ditil,<br />

au sacrifice <strong>de</strong>s chrétiens;à peine entrée, l'enfant ne putsupporter<br />

l'assistance dans <strong>le</strong> lieu saint ; il semblait qu'el<strong>le</strong> subît la torture <strong>de</strong><br />

la question, et lorsque <strong>le</strong> diacre, selon l'usage, l'eut fait boire dans Je<br />

calice, <strong>le</strong> breuvage ne put rester dans <strong>de</strong>s entrail<strong>le</strong>s souillées; ce fut<br />

pour el<strong>le</strong> un poison qui lui causa <strong>de</strong>s tremb<strong>le</strong>ments et <strong>de</strong>s convulsions<br />

étranges. <strong>Le</strong> crime secret <strong>de</strong> la nourrice fut ainsi découvert.<br />

Il cite une femme qui, ayant ouvert <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s mains impures l'armoire<br />

où el<strong>le</strong> avait mis <strong>le</strong> Saint du Seigneur, il en sortit une flamme<br />

qui l'empêcha d'y toucher.<br />

Un homme dont la conscience n'était point pure eut la témérité <strong>de</strong><br />

prendre sa part du pain sacré ; mais il ne put, dit saint Cyprien, ni manger<br />

ni manier <strong>le</strong> Saint du Seigneur, il ne se trouva dans sa main qu'un<br />

peu <strong>de</strong> cendres, pour prouver, dit-il, que Notre-Seigneur se retire quand<br />

on <strong>le</strong> reçoit indignement, et que sa grâce salutaire est changée en<br />

cendres. Il dit, en continuant : « Combien en voyons-nous tous <strong>le</strong>s<br />

jours qui, ne faisant point pénitence <strong>de</strong> ce crime et ne <strong>le</strong> confessant<br />

point, sont possédés par<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s..., per<strong>de</strong>nt l'esprit, <strong>de</strong>viennent<br />

furieux..! Il n'est pas besoin, dit-il, <strong>de</strong> rapporter en particulier tous<br />

ces acci<strong>de</strong>nts funestes; la diversité <strong>de</strong>s châtiments est aussi gran<strong>de</strong> que<br />

<strong>le</strong> nombre <strong>de</strong>s coupab<strong>le</strong>s Qu'on ne se croie pas en sûreté, parce<br />

que <strong>le</strong> supplice est différé, il faut croire, au contraire, quela vengeance<br />

divine est d'autant plus gran<strong>de</strong> qu'el<strong>le</strong> est plus tardive. »<br />

Ce qu'on vient <strong>de</strong> lire suscite plusieurs réf<strong>le</strong>xions : ce n'est donc<br />

point dans <strong>le</strong>s ténèbres du moyen Age qu'on a établi la confession et<br />

cru à la présence réel<strong>le</strong>, comme <strong>le</strong> publient quelques savants <strong>de</strong> nos.<br />

jours. — La primitive Église, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s apOtres, croyait que <strong>le</strong> pain<br />

et <strong>le</strong> vin étaient réel<strong>le</strong>ment changés au corps et au sang <strong>de</strong> Jésus-<br />

Christ, et cette croyance était en outre confirmée par ce prodige<br />

épouvantab<strong>le</strong>, appelé possession. Qu'on veuil<strong>le</strong> bien consulter <strong>le</strong>s<br />

écrits <strong>de</strong>s Pères et <strong>le</strong>s historiens ecclésiastiques, <strong>le</strong> doute ne sera plus<br />

possib<strong>le</strong>.<br />

Du temps <strong>de</strong> saint Cyprien on croyait à la confession et à la présence<br />

réel<strong>le</strong>, comme on vient <strong>de</strong> <strong>le</strong> voir. Qu'était-ce donc que saint Cypricnî<br />

L'héritier d'une famil<strong>le</strong> aussi illustre que riche, <strong>le</strong>quel, ayant abjuré<br />

<strong>le</strong> paganisme et distribué tout son bien aux pauvres, fut é<strong>le</strong>vé au sacerdoce,<br />

puis, malgré ses oppositions, fait évoque <strong>de</strong> Carthage en 248 ou


AVEC LE DÉMON. 385<br />

contre <strong>le</strong>s coupab<strong>le</strong>s. Malgré <strong>le</strong> secret <strong>de</strong>s divins mystères,<br />

on trouve, dans <strong>le</strong>s Pères <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s,<br />

249. Donc, au milieu du troisième sièc<strong>le</strong>, on se confessait et on croyait<br />

que Jésus-Christ était dans l'Eucharistie, d'après un témoignage dont<br />

on ne saurait suspecter la véracité.<br />

Remontons plus haut : Tertullien, vers l'an 205, écrit à sa femme<br />

<strong>de</strong> ne point se remarier s'il meurt <strong>le</strong> premier, ou au moins d'épouser<br />

un chrétien. Il lui fait envisager toutes <strong>le</strong>s difficultés qui surgiraient<br />

pour el<strong>le</strong> dans un mariage païen pour remplir ses <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> chrétienne,<br />

qu'il énumère; jeûnes, visites <strong>de</strong>s pauvres, se <strong>le</strong>ver la nuit<br />

pour prier, etc. Poursuivant, il dit : « Ne saura-t-il point ce que vous<br />

prenez en secret avant toute nourriture, et s'il sait que c'est du pain,<br />

necroira-t-il point qu'il est tel que l'on dit? » (2 Ad wa:or.,V.) — Donc<br />

la communion au <strong>de</strong>uxième sièc<strong>le</strong>, se faisait à jeun, et l'Eucharistie<br />

n'était point du pain ordinaire aux yeux <strong>de</strong>s chrétiens.<br />

Remontons encore plus haut : Saint Justin, mort en 167, pensait<br />

comme Tertullien. « <strong>Le</strong> pain et <strong>le</strong> vin, dit-il, sont <strong>de</strong>venus l'Eucharistie<br />

en prononçant <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s dont Jésus-Christ lui-même est l'auteur,<br />

et sont la chair et <strong>le</strong> sang <strong>de</strong> Jésus incarné. » ltà etiam didicimus<br />

cibum, etc.. Pcr preces verbi, quod ab ipso est, Eucharistiam factum,<br />

illius incarnati carnem et sanguinem esse. (Apol., II ad Antonin.<br />

Piuni. — V. Duguet, Traité sur l'Euch., IV.)<br />

Saint Irénée, discip<strong>le</strong> <strong>de</strong> saint Polycarpc et <strong>de</strong> Papias (qui étaient<br />

eui-mômes discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> saint Jean l'Évangéliste), est encore plus explicite.<br />

— « Comme son incarnation est véritab<strong>le</strong>, dit-il, l'Eucharistie l'est<br />

aussi ; c'est pour cela que Jésus-Christ déclara hautement : « Que <strong>le</strong><br />

pain... était son corps, et que <strong>le</strong> vin du calice était son sang...» —<br />

Il <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ensuite comment <strong>le</strong>s hérétiques peuvent nier que notre<br />

chair nourrie <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jésus-Christ ne puisse avoir la vie éternel<strong>le</strong>. »<br />

[Contr. hœrescs, 1. IV et V.)<br />

Arrivons aux temps apostoliques. Saint Ignace, évoque d'Antioche,<br />

plus <strong>de</strong> trente ans avant la mort <strong>de</strong> l'apôtre saint Jean, dans sa <strong>le</strong>ttre<br />

à l'Église <strong>de</strong> Smyrne, après avoir dit que Jésus-Christ a véritab<strong>le</strong>ment<br />

souffert et s'est véritab<strong>le</strong>ment ressuscité, non pas en apparence, comme<br />

quelques infidè<strong>le</strong>s osent l'avancer en niant la vérité <strong>de</strong> ses souffrances,<br />

dit ensuite : — « Ils s'abstiennent <strong>de</strong> l'Eucharistie et n'assistent<br />

pas à la prière qui la consacre, parce qu'ils ne croient pas et ne<br />

confessent pas que l'Eucharistie est la chair <strong>de</strong> notre Sauveur Jésus-<br />

Christ, laquel<strong>le</strong> a tout souffert... etc. Ainsi, en s'opposaut au don <strong>de</strong><br />

Dieu, en <strong>le</strong> combattant par <strong>le</strong>urs disputes, ils se privent <strong>de</strong> la vie.»<br />

Ab Eucharistia et oratione abstinent, eo quod non confiteantur Eucharistiam<br />

carnem esse D. N. J.-C, etc. {Ad Smyrn., 1I-VII.) — En voyant<br />

I. 25


386 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

plusieurs preuves <strong>de</strong> la croyance au dogme <strong>de</strong> la présence<br />

réel<strong>le</strong>.<br />

ces monuments <strong>de</strong> la tradition <strong>de</strong> l'Église sur la présence réel<strong>le</strong>, qui<br />

pourrait encore s'étonner qu'el<strong>le</strong> nous apprenne en même temps que<br />

<strong>le</strong>s profanateurs d'unsi grand sacrement aient été livrés à Satan pour<br />

<strong>le</strong>ur punition ?


AVEC LE DÉMON.<br />

CHAPITRE II<br />

Doctrine <strong>de</strong> l'Église sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s; <strong>le</strong>urs mœurs, <strong>le</strong>urs prestiges, <strong>le</strong>urs divers<br />

prodiges, etc. — Divinations. — Guérisons. — Bruit», cris, apparitions,<br />

vexations, possessions. — Continuation du même sujet, orac<strong>le</strong>s, astrologie.<br />

— Présages. — Magie. — Augurie. — Délire sacré. — Nécromancie. —<br />

Songes. — Transformations. —Amours impurs <strong>de</strong>s dieux.<br />

Doctrine <strong>de</strong> l'Église sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s; <strong>le</strong>urs mœurs, <strong>le</strong>urs prestiges, <strong>le</strong>urs<br />

divers prodiges, etc.<br />

Une tradition universel<strong>le</strong>ment répandue, et dont<br />

l'origine se perd dans la nuit <strong>de</strong>s temps, établit la<br />

croyance à l'intervention d'agents spirituels; on a vu<br />

que <strong>de</strong>s phénomènes extraordinaires la confirmaient et<br />

la proclamaient comme une vérité irréfragab<strong>le</strong>. <strong>Le</strong>s<br />

livres sacrés <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong>s<br />

principa<strong>le</strong>s sectes <strong>de</strong> philosophes admettaient <strong>le</strong>s esprits;<br />

mais <strong>le</strong>s livres saints <strong>de</strong>s Juifs, <strong>le</strong> Nouveau Testament<br />

chez <strong>le</strong>s chrétiens, <strong>le</strong>s Pères, <strong>le</strong>s docteurs, répandirent<br />

la lumière sur ce sujet si ténébreux pour <strong>le</strong>s<br />

Gentils.<br />

<strong>Le</strong>s chrétiens rejetèrent dans <strong>le</strong>s croyances païennes<br />

tout ce qui était opposé à la doctrine <strong>de</strong>s saintes Écritures<br />

(S. Aug., De civ. Dei, XXI, 6); ce qui concordait<br />

<strong>avec</strong> el<strong>le</strong>, ce qui venait en ai<strong>de</strong> à l'explication<br />

du texte sacré, était admis; il suffisait que <strong>le</strong>s faits<br />

fussent bien établis; on ne décidait dogmatiquement


388 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

qu'autant qu'il était évi<strong>de</strong>nt que ces faits n'étaient pas<br />

contredits par <strong>le</strong> texte <strong>de</strong>s Écritures. Sur certains<br />

points peut-être insolub<strong>le</strong>s et assez indifférents, la<br />

doctrine a pu varier, mais <strong>le</strong> dogme est <strong>de</strong>meuré invariab<strong>le</strong>.<br />

Dieu a révélé ce qu'il était nécessaire <strong>de</strong> connaître<br />

, <strong>le</strong> surplus étant <strong>de</strong> pure curiosité, <strong>l'homme</strong><br />

livré à ses seu<strong>le</strong>s lumières ne <strong>le</strong> saura peut-être jamais.<br />

<strong>Le</strong> discernement <strong>de</strong>s esprits est aussi un don <strong>de</strong> Dieu,<br />

et, sans cette lumière divine, <strong>l'homme</strong> est sujet ù se<br />

tromper. L'humilité, la prière sont donc préférab<strong>le</strong>s à<br />

toutes <strong>le</strong>s recherches d'une raison orgueil<strong>le</strong>use dont<br />

Dieu permet l'aveug<strong>le</strong>ment. C'est ainsi que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

trompèrent autrefois ceux qui s'éloignèrent <strong>de</strong> la tradition<br />

divine, qu'ils trompèrent ensuite <strong>le</strong>s pythagoriciens,<br />

<strong>le</strong>s platoniciens, <strong>le</strong>s théurgistes par <strong>le</strong>urs prestiges,<br />

et enfin qu'ils aveuglèrent <strong>le</strong>s épicuriens.<br />

Plusieurs Pères pensaient, comme <strong>le</strong>s platoniciens,<br />

que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s avaient un corps éthéré qu'ils con<strong>de</strong>nsaient<br />

pour se rendre visib<strong>le</strong>s. Celte opinion n'étant ni<br />

hétérodoxe, ni dogmatique, était libre ; plusieurs, dès<br />

<strong>le</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s, pensaient <strong>le</strong> contraire qui a prévalu;<br />

c'est-à-dire qu'anges et <strong>démon</strong>s sont <strong>de</strong> purs esprits.<br />

La première opinion n'est peut-être pas soutenab<strong>le</strong><br />

sans témérité ; el<strong>le</strong> ne semb<strong>le</strong> point cependant<br />

répugner à la raison, car si l'âme humaine est jointe<br />

à un corps charnel, <strong>le</strong>s intelligences pourraient être<br />

unies à un corps formé d'air subtil.<br />

Ces esprits remplissent l'air; <strong>le</strong>ur célérité est si<br />

gran<strong>de</strong> qu'ils jouissent sur la terre d'une sorte d'ubiquité.<br />

Ces expressions, qui semb<strong>le</strong>nt contradictoires en<br />

parlant <strong>de</strong>s esprits, seront un jour expliquées.<br />

Quel<strong>le</strong> est <strong>le</strong>ur puissance? El<strong>le</strong> est très-gran<strong>de</strong>,<br />

n'ayant rien perdu <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> qui est inhérente à <strong>le</strong>ur nature<br />

angélique selon l'ordre hiérarchique. Mais Dieu


AVEC LE DÉMON. 389<br />

paralyse <strong>le</strong>s efforts qu'ils font sans cesse pour nuire soit<br />

à l'âme, soit au corps.<br />

Comment apparaissent-ils?—Ils impriment <strong>de</strong>s fantômes<br />

dans <strong>le</strong> cerveau, alors l'apparition n'est que prestigieuse;<br />

ils prennent la forme <strong>de</strong> serpents, <strong>de</strong> taureaux,<br />

<strong>de</strong> chiens, d'animaux féroces; cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> feu, <strong>de</strong><br />

flamme, etc. Us font entendre <strong>de</strong>s bruits étranges, tels<br />

que cris, coups frappés, siff<strong>le</strong>ments, plaintes, éclats <strong>de</strong><br />

rire, etc. Ces apparitions ne sont ordinairement pour<br />

<strong>le</strong> fidè<strong>le</strong> que <strong>de</strong> vains épouvantails : la foi, <strong>le</strong> signe du<br />

salut dissipent ces illusions. Ils peuvent frapper, b<strong>le</strong>sser,<br />

etc. 1<br />

; mais la grâce <strong>de</strong> Jésus-Christ rend inuti<strong>le</strong>s<br />

<strong>le</strong>s efforts du <strong>démon</strong>, qui, quoique enchaîné, pourrait<br />

se ruer sur l'impru<strong>de</strong>nt qui, méprisant <strong>le</strong>s avertissements,<br />

s'en approcherait <strong>de</strong> trop près. <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> peut<br />

aussi, sans doute, revêtir une forme matériel<strong>le</strong> en s'incorporant,<br />

comme on <strong>le</strong> dira plus loin, dans <strong>le</strong>s substances<br />

inertes ou dans <strong>le</strong>s corps vivants.<br />

<strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s peuvent aussi se transformer en anges<br />

<strong>de</strong> lumière : sous la forme <strong>de</strong> saints personnages, ils<br />

portent <strong>le</strong>s hommes à faire <strong>de</strong>s jeûnes excessifs, à prier<br />

sans relâche; comme ils peuvent détourner <strong>de</strong> la piété<br />

par<strong>le</strong> rigorisme; ils prêchent aussi quelquefois une<br />

mora<strong>le</strong> relâchée ou inventent d'autres dogmes. L'Église<br />

doit être <strong>le</strong> seul gui<strong>de</strong> du chrétien; un ange annoncerait-il<br />

un autre Évangi<strong>le</strong>, il ne faudrait pas l'écouter.<br />

Ce qui trompe <strong>le</strong>s hommes, ce sont <strong>le</strong>s prodiges qui<br />

ont permis aux <strong>démon</strong>s <strong>de</strong> se faire passer pour <strong>de</strong>s<br />

dieux: <strong>le</strong>s prédictions, <strong>le</strong>s guérisons, etc. — On se<br />

trompe gran<strong>de</strong>ment quand on prend pour marque certaine<br />

<strong>de</strong> puissance divine <strong>le</strong>s prodiges surhumains<br />

opérés par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s; <strong>le</strong>ur supériorité sur <strong>le</strong>s œuvres<br />

). S. Athanase, Vie <strong>de</strong> S. Antoine. — S. Jérôme, Vie <strong>de</strong> S. Hilarion.


390 DBS HAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> ne <strong>le</strong>s rend point miracu<strong>le</strong>ux. (S. Aug., Dû<br />

divin, dœm., III.)<br />

Ils ne font point <strong>de</strong> mirac<strong>le</strong>s ; ils ne peuvent ni créer,<br />

ni anéantir, ni changer <strong>le</strong>s lois physiques établies par<br />

<strong>le</strong> Créateur; mais ils peuvent infiniment mieux que<br />

<strong>l'homme</strong> se servir <strong>de</strong>s objets <strong>de</strong> la création. Ils ne <<br />

sont point créateurs, mais ils peuvent disposer <strong>de</strong>s<br />

germes répandus dans toute la nature. Saint Augustin<br />

pense qu'on peut expliquer ainsi <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s magiciens<br />

<strong>de</strong> Pharaon, qui purent faire apparaître <strong>de</strong> vraies<br />

grenouil<strong>le</strong>s et <strong>de</strong> vrais serpents. (S. Aug., De Trinit.,<br />

III, 8.) Il dit ail<strong>le</strong>urs que, par art magique, on peut faire<br />

ainsi <strong>de</strong>s prodiges surpassant toute conception humaine.<br />

(De civ. Dei, X, 12.) On est alors d'autant plus<br />

disposé à croire à un mirac<strong>le</strong>, que la célérité <strong>avec</strong> laquel<strong>le</strong><br />

<strong>le</strong>s esprits opèrent a été plus gran<strong>de</strong>, et que<br />

<strong>le</strong>ur action sur <strong>le</strong> corps est invisib<strong>le</strong> 1<br />

.<br />

<strong>Le</strong>s faits, d'accord <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dogmes, proclament l'action<br />

<strong>de</strong>s esprits sur la matière comme réel<strong>le</strong>. On no<br />

doit point alors être surpris <strong>de</strong>s merveil<strong>le</strong>s qui s'opéraient<br />

dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s; agitations <strong>de</strong> statues, rencontres<br />

d'animaux, changements opérés dans <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>s victimes, etc. Ils peuvent faire prononcer aux<br />

hommes <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s à <strong>le</strong>ur insu, ou <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ur faire écrire,<br />

et môme <strong>le</strong>ur inspirer <strong>de</strong>s pensées, <strong>de</strong>s sentiments en<br />

agissant sur l'encépha<strong>le</strong>.<br />

i. <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> peut, sans mirac<strong>le</strong>, rendre un corps invisib<strong>le</strong>. Il peut<br />

l'emporter <strong>avec</strong> la vitesse <strong>de</strong> la pensée, ou même l'apporter, et on<br />

pourra croire qu'il a créé ou anéanti, tandis qu'il n'y a que déplacement.<br />

Un corps peut se soutenir en l'air sans support, <strong>le</strong> <strong>démon</strong>,<br />

agent invisib<strong>le</strong>, <strong>le</strong> soutient. On examinera ce sujet à son ordre. On<br />

tiendra cette promesse que <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur trouvera peut-être trop souvent<br />

réitérée; mais on <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ra <strong>le</strong>quel est préférab<strong>le</strong> <strong>de</strong> laisser <strong>le</strong> sujet<br />

incomp<strong>le</strong>t sans donner l'espoir d'y revenir ou <strong>de</strong> l'abor<strong>de</strong>r quand <strong>le</strong><br />

moment n'est pas encore venu.


AVEC LE DÉMON. 391<br />

Ces esprits inventeurs <strong>de</strong> la magie, <strong>de</strong>s divinations,<br />

varient, selon <strong>le</strong>s temps et selon <strong>le</strong>s individus, <strong>le</strong>urs<br />

moyens <strong>de</strong> séduction ; dans un sièc<strong>le</strong> matérialiste, ils<br />

cachent <strong>le</strong>ur action sous l'apparence <strong>de</strong>s lois physiques ;<br />

si <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> est spiritualiste, ils jettent dans l'idolâtrie,<br />

ou bien ils inventent <strong>le</strong>s hérésies. <strong>Le</strong>s hommes matériels<br />

sont attachés par eux à la vie sensuel<strong>le</strong>, ils excitent<br />

<strong>le</strong>urs appétits grossiers ; si <strong>le</strong>s hommes sont capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

pensées é<strong>le</strong>vées, mais si <strong>le</strong>ur jugement n'est pas sain, et<br />

s'ils cè<strong>de</strong>nt à une curiosité condamnab<strong>le</strong>, ils tombent<br />

dans ces erreurs monstrueuses signalées dans <strong>le</strong> polythéisme<br />

et chez <strong>le</strong>s hérétiques.<br />

<strong>Le</strong>urs prodiges souvent sont <strong>de</strong> purs prestiges: rendre<br />

invisib<strong>le</strong> ce qui peut être vu, faire voir par hallucination<br />

diabolique ce qui n'existe pas, etc.<br />

C'est ainsi que <strong>le</strong>s évocations <strong>de</strong> la nécromancie<br />

sont <strong>de</strong>s illusions; il n'appartient pas au <strong>démon</strong>, dit<br />

Tertullien, <strong>de</strong> tirer <strong>le</strong>s âmes du ciel ou <strong>de</strong> l'enfer,<br />

mais il fait apparaître <strong>de</strong>s fantômes aux magiciens. <strong>Le</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s envoient <strong>de</strong>s songes qui sont <strong>de</strong> vrais orac<strong>le</strong>s,<br />

etc.<br />

Ils ont trompé en faisant croire qu'ils ont <strong>le</strong>s passions<br />

<strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, qu'ils sont comme lui sensib<strong>le</strong>s aux<br />

voluptés charnel<strong>le</strong>s. — Fiction, pur badinage, dit saint<br />

Augustin, inventés pour mieux séduire; <strong>de</strong>s esprits<br />

ne peuvent avoir <strong>le</strong>s passions <strong>de</strong>s êtres corporels et<br />

sensib<strong>le</strong>s; mais s'ils ne partagent point <strong>avec</strong> <strong>l'homme</strong><br />

<strong>le</strong>s vils penchants <strong>de</strong> sa nature déchue, ils sont du<br />

moins, <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>ur chute, hors <strong>de</strong> l'ordre et usent <strong>de</strong><br />

tous <strong>le</strong>s moyens propres à nous entraîner au mal <strong>avec</strong><br />

eux.<br />

L'illusion <strong>de</strong> la théurgie, que <strong>le</strong>s païens croyaient<br />

être un moyen <strong>de</strong> communiquer <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux pour<br />

opérer <strong>le</strong> bien, était non moins détestab<strong>le</strong> que la'goétie,


392 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

puisqu'el<strong>le</strong> émanait <strong>de</strong> la même source. (S. Aug., Ib.,<br />

X, 10.)<br />

Pour tromper et asservir ceux qui <strong>le</strong>s invoquent, <strong>le</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s exaucent <strong>le</strong>urs prières ; bienfaisants par ruse,<br />

ils accor<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>urs dons à ceux qui <strong>le</strong>s servent, ils <strong>le</strong>s<br />

lient ainsi par un pacte tacite; il faut se tenir d'autant<br />

plus sur ses gar<strong>de</strong>s que <strong>le</strong>urs prodiges sont plus merveil<strong>le</strong>ux;<br />

<strong>le</strong>urs ruses sont fort habi<strong>le</strong>s, puisqu'el<strong>le</strong>s<br />

sont proportionnées à <strong>le</strong>ur intelligence; mais s'ils sont<br />

si puissants, comme <strong>le</strong> dit saint Augustin, combien <strong>le</strong>s<br />

saints anges <strong>le</strong> sont-ils davantage ! (De civ. Dei, XXI, 6.)<br />

Ils agissent, dit saint Léon, <strong>avec</strong> tant <strong>de</strong> ruses qu'ils<br />

semb<strong>le</strong>nt frapper ou épargner à <strong>le</strong>ur gré (quoique cela<br />

ne soit pas).<br />

Ce qui est très-affligeant, c'est que <strong>le</strong>urs artifices<br />

trompent si bien, qu'il y en a plusieurs qui, redoutant<br />

<strong>le</strong>ur haine, veu<strong>le</strong>nt se <strong>le</strong>s rendre propices, tandis que<br />

<strong>le</strong>urs bienfaits sont plus funestes que <strong>le</strong>s plus grands<br />

maux, et qu'il vaut infiniment mieux mériter <strong>le</strong>ur<br />

aversion que <strong>le</strong>urs faveurs. (Sermo <strong>de</strong>Pass. Dont., XIX.)<br />

<strong>Le</strong> but <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs prodiges et <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs prestiges, c'est<br />

<strong>de</strong> se faire adorer comme <strong>de</strong>s dieux, <strong>de</strong> faire accréditer<br />

un culte qui <strong>le</strong>s rend maîtres <strong>de</strong> ceux qui trompent<br />

(c'est-à-dire <strong>le</strong>urs prôtres), et <strong>de</strong> ceux qui se laissent<br />

tromper. (S. Aug.)<br />

<strong>Le</strong>s prodiges qui s'opéraient dans <strong>le</strong>s statues retenaient<br />

<strong>le</strong>s païens dans une misérab<strong>le</strong> captivité ; la divinité<br />

étant présente dans l'ido<strong>le</strong>, soit pour accor<strong>de</strong>r<br />

<strong>de</strong>s bienfaits à ses adorateurs, soit pour <strong>le</strong>s punir s'ils<br />

la négligeaient.<br />

L'homme est infiniment moins puissant que <strong>le</strong>s esprits;<br />

mais s'il <strong>de</strong>vient <strong>le</strong>ur esclave, ils lui communiquent<br />

une partie <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur pouvoir surhumain ; <strong>de</strong> là <strong>le</strong>s<br />

prodiges <strong>de</strong>s magiciens en vertu d'un pacte explicite


AVEC LE DÉMON. 393<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s. Magi faciunt miracula per privatos<br />

contractes. (S. Aug., De div. quœst., LXXIX, 4.) — Nous<br />

verrons souvent <strong>de</strong> semblab<strong>le</strong>s contrats dans l'exposé<br />

<strong>de</strong> la magie.<br />

<strong>Le</strong>s païens croyaient que <strong>le</strong>s esprits étaient attirés<br />

par certaines substances, tel<strong>le</strong>s que pierre, bois, végétaux,<br />

animaux, ou par certains rites. <strong>Le</strong>s Pères savaient<br />

que toutes ces choses étaient autant <strong>de</strong> signes sensib<strong>le</strong>s<br />

révélés aux hommes par <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s pour établir un<br />

rapport. Cette révélation était nécessaire. Comment <strong>le</strong>s<br />

premiers sages auraient-ils su, dit saint Augustin (De<br />

tiv. Dei, XXI, 6), «ce que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s aiment ou<br />

abhorrent ; ce qui <strong>le</strong>s contraint <strong>de</strong> venir, tout ce qui, en<br />

on mot, compose la science magique?»<br />

Il était bien constant que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s avaient appris<br />

aux hommes un grand nombre <strong>de</strong> secrets, et qu'ils disposaient<br />

<strong>de</strong>s choses <strong>de</strong> la nature, mais subordonnément<br />

à la volonté <strong>de</strong> Dieu. (S. Aug., De div. quœst.)<br />

Néanmoins <strong>le</strong>s Pères n'admettaient pas aveuglément<br />

tous <strong>le</strong>s faits merveil<strong>le</strong>ux, et ne se croyaient pas<br />

obligés <strong>de</strong> tout croire, mais ils se gardaient bien <strong>de</strong><br />

nier <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la magie : « car c'eût été, dit saint<br />

Augustin (De civ. Dei, XXI, 6), al<strong>le</strong>r contre <strong>le</strong> témoignage<br />

<strong>de</strong>s saintes Écritures. » — Non-seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>ur<br />

autorité obligeait <strong>de</strong> reconnaître la vérité <strong>de</strong>s faits<br />

merveil<strong>le</strong>ux dont el<strong>le</strong> cite plusieurs exemp<strong>le</strong>s, mais<br />

l'expérience venait el<strong>le</strong>-même imposer la croyance aux<br />

prodiges <strong>de</strong> l'enfer.<br />

Quoique <strong>le</strong>s Pères se soient souvent servis <strong>de</strong> l'expression<br />

<strong>de</strong> prestiges, en parlant <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers, ils<br />

n'entendaient donc point <strong>le</strong>s assimi<strong>le</strong>r aux tours <strong>de</strong><br />

passe-passe <strong>de</strong>s bate<strong>le</strong>urs ; tout ce qui était évi<strong>de</strong>mment<br />

supérieur à tout pouvoir humain avait une origine<br />

divine ou diabolique. — Comment <strong>le</strong>s discerner? —


394 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Comme on l'a dit, c'est chose quelquefois diffici<strong>le</strong> et qui<br />

exigerait <strong>de</strong>s principes qu'on ne peut développer ici :<br />

1° On <strong>le</strong>s distingue par <strong>le</strong> but, s'ils corrigent <strong>le</strong>s mœurs,<br />

ou s'ils causent du dommage au corps ou à l'âme;<br />

2° par <strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong> ceux qui <strong>le</strong>s opèrent : <strong>le</strong>s saints<br />

ne cherchent que la gloire <strong>de</strong> Dieu, <strong>le</strong>s magiciens à<br />

satisfaire <strong>le</strong>ur vanité, <strong>le</strong>ur orgueil ou <strong>le</strong>urs passions<br />

(S. Aug., De div. qnœsi., LXX'X, 4); 3° on <strong>le</strong>s distingue<br />

par la nalurc <strong>de</strong>s prodiges : <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s avaient<br />

un caractère <strong>de</strong> nob<strong>le</strong>sse et <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur qui manquait<br />

aux prodiges diaboliques ; <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> premier ordre<br />

étaient évi<strong>de</strong>mment supérieurs à lout autre pouvoir<br />

que celui du Créateur, tels que donner la vue aux<br />

aveug<strong>le</strong>s-nés et ressusciter <strong>de</strong>s morts. Tous <strong>le</strong>s prodiges<br />

supposaient un pouvoir surhumain, mais il était<br />

évi<strong>de</strong>nt qu'ils n'étaient pas tous surnaturels; —guérir<br />

subitement ou <strong>le</strong>ntement un mal incurab<strong>le</strong>, pour<br />

<strong>l'homme</strong> <strong>de</strong> la science, peut n'avoir rien <strong>de</strong> divin et<br />

être pourtant surhumain; Dieu voulait enfin que ces<br />

prodiges offrissent souvent un caractère vil et grotesque<br />

qu'on ne rencontre pas dans <strong>le</strong> mirac<strong>le</strong>.<br />

La certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s prodiges diaboliques bien constante<br />

pour <strong>le</strong>s païens, comme pour <strong>le</strong>s chrétiens, servait à<br />

ces <strong>de</strong>rniers à <strong>démon</strong>trer la possibilité <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s à<br />

ceux qui <strong>le</strong>s niaient. — « Quoi ! disait Origène, vous<br />

reconnaissez que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> peut en faire, et Dieu ne <strong>le</strong><br />

saurait! Nier qu'il y ait <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s divins sous prétexte<br />

qu'il y en a <strong>de</strong> diaboliques, c'est comme si on<br />

rejetait, dit-il, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>strations parce qu'il y a <strong>de</strong>s<br />

sophismes. Il est manifeste, — continue Origène, —<br />

qu'il y a un art magique dont <strong>le</strong>s méchants se servent<br />

auprès du diab<strong>le</strong> pour en obtenir certains prodiges ; il<br />

s'ensuit nécessairement qu'il doit s'en faire parmi nous<br />

par une vertu toute divine. » (Orig. c. Celse, II, 1.) ,


AVEC LE DÉMON. 395<br />

«Si <strong>le</strong>s esprits immon<strong>de</strong>s, dit aussi saint Augustin (De<br />

cw. Dei, XXI, 6), ont <strong>le</strong> pouvoir d'opérer <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s merveil<strong>le</strong>s,<br />

quel doit être celui <strong>de</strong>s saints anges? Quel est<br />

celui du Créateur, dont <strong>le</strong>s uns et <strong>le</strong>s autres tiennent<br />

toute <strong>le</strong>ur puissance? » 11 avoue que cel<strong>le</strong> dos <strong>démon</strong>s<br />

est quelquefois tel<strong>le</strong> que, sans <strong>le</strong> don <strong>de</strong> discernement, il<br />

serait impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> savoir ce qu'ils peuvent par <strong>le</strong>ur<br />

nature ou ce qu'ils ne peuvent pas. (De Trin., III, 9.)<br />

Mais si ces esprits sont si puissants, si <strong>le</strong>s magiciens<br />

ont pu faire croire qu'ils pouvaient troub<strong>le</strong>r ou<br />

calmer l'esprit <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> à <strong>le</strong>ur gré, arrêter <strong>le</strong>s flots,<br />

faire tremb<strong>le</strong>r la terre et évoquer <strong>le</strong>s ombres, combien<br />

il est plus faci<strong>le</strong> à Dieu <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s qui semb<strong>le</strong>nt<br />

incroyab<strong>le</strong>s !<br />

Un fait à signa<strong>le</strong>r, parer" qu'il a un caractère prophétique,<br />

c'est que <strong>le</strong>s Pères pensaient qu'il viendrait<br />

un temps où l'Église <strong>de</strong> Jésus-Christ ne ferait<br />

presque plus <strong>de</strong> mirac<strong>le</strong>s et où <strong>le</strong> <strong>démon</strong> seul en opérerait.<br />

« Tant que la vocation a la foi durera, disait saint<br />

Chrysosfome, <strong>le</strong>s serviteurs <strong>de</strong> Jésus-Christ feront <strong>de</strong>s<br />

mirac<strong>le</strong>s ; mais quand el<strong>le</strong> cessera, commencera la<br />

séduction... Alors <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> aura la puissance <strong>de</strong> faire<br />

non <strong>le</strong>s prodiges vains qu!il faisait autrefois (<strong>le</strong>s prestiges<br />

du temps <strong>de</strong> Simon), mais <strong>de</strong>s prodiges uti<strong>le</strong>s. »<br />

Cette prédiction s'est vérifiée, l'Église fait infiniment<br />

moins <strong>de</strong> mirac<strong>le</strong>s qn a l'époque où l'établissement<br />

du christianisme <strong>le</strong>s rendait nécessaires; mais on<br />

verra Satan opérer <strong>de</strong> nombreux prodiges qui, prouvant<br />

<strong>le</strong>s prodiges passés, montrent aussi ce qu'on doit<br />

attendre dans l'avenir du pouvoir <strong>de</strong> l'Antéchrist.<br />

Après cet exposé général <strong>de</strong> la doctrine <strong>de</strong> l'Église,<br />

on va passer alternativement en revue <strong>le</strong>s diverses<br />

croyances superstitieuses <strong>de</strong>s païens, on montrera ce


306 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

que <strong>le</strong>s Pères admettaient ou rejetaient, et surtout<br />

comment ils expliquaient plusieurs d'entre el<strong>le</strong>s.<br />

Divinations.<br />

<strong>Le</strong>s saints Pères condamnaient tous <strong>le</strong>s genres <strong>de</strong><br />

divination, et en général toutes <strong>le</strong>s superstitions dont<br />

on se servait pour connaître l'avenir. « Par un secret<br />

jugement <strong>de</strong> Dieu, dit saint Augustin (Doct. c//r., II,<br />

20-23), <strong>le</strong>s hommes, à cause <strong>de</strong> la dépravation <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>ur cœur, sont livrés aux illusions <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, etc.»<br />

On reconnaissait que, au moyen <strong>de</strong> certaines pratiques,<br />

on peut découvrir beaucoup <strong>de</strong> choses passées,<br />

et beaucoup même dans l'avenir qui arrivent précisément<br />

tel<strong>le</strong>s qu'el<strong>le</strong>s ont été prédites... <strong>Le</strong> succès <strong>de</strong>s<br />

vaines observances pique la curiosité et fait qu'on<br />

s'enlace dans <strong>le</strong>s fi<strong>le</strong>ts <strong>de</strong> l'erreur, disent <strong>le</strong>s Pères;<br />

l'Écriture nous avertit <strong>de</strong> n'y pas croire, lors même que<br />

<strong>le</strong>ur prédiction se vérifierait. Un chrétien doit rejeter<br />

tous ces arts, comme étant fondés sur la société <strong>de</strong>s<br />

hommes <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s... L'Écriture défend <strong>de</strong> croire<br />

aux prédictions <strong>de</strong>s malins esprits, parce, que l'avenir,<br />

appartenant 11 Dieu et au libre arbitre humain, ne<br />

peut être connu; cependant il faut reconnaître qu'ils<br />

conjecturent fort habi<strong>le</strong>ment, parce qu'ils ont une<br />

longue expérience, une très-gran<strong>de</strong> intelligence, et<br />

qu'ils nous sont enfin si supérieurs, que l'avenir est<br />

en quelque sorte présent à <strong>le</strong>ur sagacité. Comme un<br />

pilote, <strong>le</strong>s esprits prévoient dans <strong>le</strong>s signes atmosphériques<br />

<strong>le</strong> beau temps ou la tempête ; comme un mé<strong>de</strong>cin,<br />

ils voient l'issue d'une maladie; infiniment,<br />

mieux que l'un et l'autre, ils conjecturent tout ce qui<br />

peut arriver, quoique cependant ils puissent aussi se<br />

tromper. Revêtus d'un corps d'air, pouvant se trans-


AVEC LE DÉMON. 397<br />

porter presque aussi promptement que la pensée, ils<br />

précè<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s messagers moins agi<strong>le</strong>s ; c'est ainsi qu'ils<br />

annoncent l'arrivée d'un ami, parce qu'ils l'ont vu commencer<br />

sa route ou parce qu'ils connaissent ses projets.<br />

Ils prédisent une inondation, parce qu'ils voient dans<br />

<strong>de</strong>s pays lointains tomber <strong>le</strong>s pluies qui la causent ; ils<br />

prédisent parce qu'ils lisent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>sseins, qu'ils connaissent<br />

etvoient l'enchaînement <strong>de</strong>s événements. Mais<br />

ils prédisent surtout ce qu'ils veu<strong>le</strong>nt faire, et dans ce<br />

cas <strong>le</strong>urs prédictions ne se réalisent qu'autant que Dieu<br />

<strong>le</strong> permet, dit saint Augustin ; voilà pourquoi ils sont<br />

sujets à se tromper, et pourquoi <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s étaient<br />

quelquefois si obscurs... — Ils lisent <strong>le</strong>s pensées <strong>de</strong><br />

<strong>l'homme</strong>, qu'ils connaissent, dit <strong>le</strong> môme Père, par<br />

<strong>de</strong>s signes matériels, imperceptib<strong>le</strong>s aux créatures; ils<br />

<strong>le</strong>s connaissent aussi parce qu'ils <strong>le</strong>s suggèrent. On voit<br />

ainsi comment <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s pouvaient, dire la vérité concernant<br />

l'avenir, pourquoi ils prédisaient en termes<br />

ambigus et pourquoi ils mentaient. (S. Aug., Il, De yen.<br />

ad Litt., XXII; Tertullien, Apolog.; Lactance, Div.<br />

imt., II; S. Cyprien, De irfol. van.)<br />

Guérisons.<br />

<strong>Le</strong>s Pères reconnaissaient la possibilité <strong>de</strong>s guérisons<br />

magiques. (V. saint Justin, Origène, Eusèbe, Tertullien,<br />

saint Augustin, saint Jean Chrysos<strong>tome</strong>, etc.)<br />

Ce <strong>de</strong>rnier assure que par l'art <strong>de</strong>s faux dieux on peut<br />

guérir <strong>de</strong>s maladies.<br />

Tous admettaient aussi que souvent <strong>le</strong>s dieux donnent<br />

<strong>de</strong>s maladies pour forcer <strong>de</strong> recourir aux enchantements,<br />

qui sont <strong>de</strong> vrais sacrifices aux <strong>démon</strong>s...<br />

Alors ils guérissent <strong>le</strong>s maux qu'ils ont causés. — L'expérience<br />

prouve aussi qu'ils peuvent guérir <strong>de</strong>s mala-


308 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

dies naturel<strong>le</strong>s, mais <strong>le</strong> mal est sujet à retour ; et s'ils<br />

guérissent <strong>le</strong> corps, ils tuent l'âme. — Remè<strong>de</strong>s bizarres<br />

1<br />

, substances sans vertus, contraires souvent à<br />

la maladie, qui prouvent que la guérison n'est point<br />

due aux médicaments, mais à un agent spirituel : ce<br />

qui vient <strong>le</strong> prouver encore, c'est que cette guérison<br />

s'opère non moins efficacement par certains gestes ou<br />

par vaines paro<strong>le</strong>s ordonnées par <strong>le</strong>s dieux.<br />

Arnobe (Adv. gent., I, 48-49), en avouant ces guérisons,<br />

dit que tous ceux qui se rendaient dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s<br />

pour obtenir cette faveur n'étaient pas tous secourus;<br />

<strong>le</strong> <strong>démon</strong>, voulant contrefaire Dieu en tout, n'accor<strong>de</strong><br />

quelquefois <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong> guérison qu'à une foi ferme<br />

et à <strong>de</strong> ^gran<strong>de</strong>s supplications ; puis il fait observer<br />

que <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jésus-Christ avaient lieu sans recourir<br />

à tout cet attirail païen dont on a parlé.<br />

Il est donc bien constant que <strong>de</strong>s cures extraordinaires<br />

avaient été opérées; puisqu'el<strong>le</strong>s étaient avouées<br />

par <strong>le</strong>s Pères, qui font observer combien el<strong>le</strong>s différaient<br />

<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jésus-Christ. — Si <strong>le</strong>s Pères<br />

eussent pensé que Satan ne peut guérir, ils l'auraient<br />

dit sans détour; mais ils ne l'ont pas fait, et il eût été<br />

diffici<strong>le</strong> qu'il en fût autrement.<br />

Saint Augustin (De civ. Dei, X, 18), en parlant <strong>de</strong>s<br />

mirac<strong>le</strong>s chrétiens, s'exprime ainsi : — « Dira-t-on que<br />

ces mirac<strong>le</strong>s sont faux et inventés?... <strong>Le</strong>s dieux mêmes<br />

<strong>de</strong>s païens ne se sont fait adorer que par <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s,<br />

comme <strong>le</strong>urs histoires en font foi... Celui qui prétend<br />

qu'on ne doit ajouter foi pour ces choses à nul écrivain,<br />

peut aussi prétendre qu'aucun dieu n'a soin <strong>de</strong> ce<br />

l. Autre chose est <strong>de</strong> dire : Votre dou<strong>le</strong>ur cessera si vous prenez Je<br />

jus <strong>de</strong> tel<strong>le</strong> herbe, ou enfin <strong>de</strong> dire : el<strong>le</strong> cessera si vous la suspen<strong>de</strong>:<br />

à votre cou. (Saint Aug., De doctr. ehr., II, 29.)


AVEC LE DÉMON. 309<br />

mon<strong>de</strong> '. » — Il n'entend pas réfuter ici ceux qui nient<br />

la Divinité, ni ceux qui soutiennent qu'el<strong>le</strong> ne s'occupe<br />

pas <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> ; mais il veut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à ceux qui<br />

ue doutent pas <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s dieux, parce qu'ils s'en<br />

rapportent aux historiens ou aux livres <strong>de</strong> magie ou <strong>de</strong><br />

théurgie, pourquoi ils font difficulté <strong>de</strong> croire aux<br />

mirac<strong>le</strong>s chrétiens sur la foi <strong>de</strong>s Écritures, dont certainement<br />

l'autorité l'emporte sur <strong>le</strong>s livres <strong>de</strong>s<br />

païens*.<br />

Saint Justin avoue aussi <strong>le</strong>s cures <strong>de</strong>s dieux <strong>de</strong>s<br />

1. Quisguis hoc dicit, si <strong>de</strong> his rébus negat omnino ullis litteris esse<br />

ae<strong>de</strong>ndum, potest etiam dicere nec <strong>de</strong>os ullos curare mortalia. — Saint<br />

Augustin avait <strong>de</strong>viné la formu<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'éco<strong>le</strong> positiviste, où la négation<br />

du surnaturel se joint logiquement à l'athéisme.<br />

2. Quoi <strong>de</strong> plus propre à prouver la réalité <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s chrétiens<br />

que <strong>le</strong>s conversions <strong>de</strong> tant <strong>de</strong> païens illustres qui souffraient <strong>le</strong> martyre<br />

pour attester ce qu'ils avaient vu ! Une preuve qui l'emporte sur<br />

<strong>le</strong>s livres et la tradition, une preuve qu'un témoin ne ment pas, c'est<br />

déverser son sang pour attester ce qu'il a dit. Ce n'est pas un simp<strong>le</strong><br />

récit fabu<strong>le</strong>ux qui déterminait <strong>le</strong>s Justin, <strong>le</strong>s Cyprien, etc., à renoncer<br />

à <strong>le</strong>urs fortunes ou à <strong>le</strong>urs fonctions pour se livrer au bourreau. <strong>Le</strong>s<br />

prodiges païens manquaient d'attestations aussi puissantes. <strong>Le</strong>s fausses<br />

religions ont eu <strong>de</strong>s adorateurs qui ont subi <strong>de</strong>s supplices volontaires;<br />

el<strong>le</strong>s auraient pu sans doute trouver aussi <strong>de</strong>s martyrs, parce qu'el<strong>le</strong>s<br />

avaient <strong>le</strong>urs prodiges ; cependant il y aurait toujours cette différence<br />

énorme, que <strong>le</strong>s idolâtres souffriraient la mort pour eonserver<strong>le</strong>ur vieux<br />

culte, tandis que <strong>le</strong>s nouveaux chrétiens souffraient <strong>le</strong> martyre pour en<br />

choisir un nouveau. Différence énorme, on <strong>le</strong> répète. —Mais la politique<br />

a aussi ses martyrs, dira-t-on ; el<strong>le</strong> a ses victimes innocentes. —<br />

Ce sont d'ordinaire <strong>de</strong>s séditieux punis, non <strong>de</strong>s martyrs. On ne court<br />

pas à la mort pour la politique, en l'évite, au contraire, autant qu'on<br />

<strong>le</strong> peut; on meurt <strong>avec</strong> plus ou moins <strong>de</strong> courage, mais ce n'est pas<br />

<strong>le</strong> martyre, c'est un supplice pour une cause bonne ou mauvaise. C'est<br />

LouisXVI ou Robespierre; ce n'est ni Justin ni Polyeucte — <strong>Le</strong>s<br />

prêtres indous, malgré <strong>le</strong>urs prodiges, que la science n'explique pas,<br />

n'ont jamais su faire adorer Brahma par nos voyageurs, la plupart,<br />

cependant, chrétiens peu zélés. Un amiral français n'aurait jamais eu<br />

i punir <strong>de</strong> mort un marin chrétien attestant au péril <strong>de</strong> sa vie la<br />

réalité <strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong> Wichnou.


400 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Gentils, puisqu'il explique pourquoi ils <strong>le</strong>s ont faites.<br />

« <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> sachant qu'un <strong>de</strong>s caractères du Messie<br />

serait <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s guérisons, en fit sous <strong>le</strong> nom d'Esculape,<br />

pour affaiblir par avance une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s preuves<br />

<strong>de</strong> la divinité du Sauveur et <strong>de</strong> sa mission. » Il dit aussi<br />

que, dans <strong>le</strong> même but, <strong>le</strong> <strong>démon</strong> supposa une progéniture<br />

à Jupiter à la suite <strong>de</strong> ses relations impures <strong>avec</strong><br />

<strong>de</strong> simp<strong>le</strong>s mortel<strong>le</strong>s, afin que ce fait, qui semb<strong>le</strong>rait<br />

une fab<strong>le</strong> à l'avènement du Sauveur, fit considérer la<br />

naissance <strong>de</strong> Jésus né d'une vierge comme une absurdité.<br />

<strong>Le</strong>s remè<strong>de</strong>s bizarres, <strong>le</strong>s substances qui paraissent<br />

être sans vertus, étaient condamnés (on l'a vu) comme<br />

<strong>de</strong>s pratiques diaboliques. Cependant, s'il n'y avait ni<br />

invocation, ni caractères magiques, on pouvait croire<br />

que ces substances, attachées au cou, étaient douées<br />

<strong>de</strong> quelques vertus naturel<strong>le</strong>s occultes ; il était licite,<br />

dans ce cas, d'en user à moins qu'on ne se doutât<br />

qu'el<strong>le</strong>s fussent <strong>le</strong> signe sensib<strong>le</strong> d'un pacte tacite <strong>avec</strong><br />

<strong>le</strong> <strong>démon</strong>. Selon saint Augustin, on doit y mettre d'autant<br />

plus <strong>de</strong> soin et <strong>de</strong> pru<strong>de</strong>nce, que ce remè<strong>de</strong> aura<br />

paru plus efficace... —• « Quand on ignore la cause <strong>de</strong><br />

cette efficacité ', il importe beaucoup, dit-il, <strong>de</strong> voir<br />

dans quel esprit chacun s'en sert. » (De doct. christ.,<br />

II, 29.)<br />

Bruits, cris, apparitions, vexations, possessions.<br />

On a dit que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s peuvent se manifester <strong>de</strong><br />

plusieurs manières, s'incorporer dans la matière,<br />

l. Saint Augustin semb<strong>le</strong> nous apprendre ici que <strong>de</strong> quelque part<br />

que vienne la guérison, quand on ignore la cause, et quand on a agi<br />

<strong>avec</strong> simplicité et pureté d'intention, pensant que la cure diabolique<br />

était naturel<strong>le</strong>, on n'est point coupab<strong>le</strong> ; mais <strong>avec</strong> <strong>le</strong> simp<strong>le</strong> doute<br />

ce serait une faute.


AVEC LE DÉJIOK. 401<br />

exercer une action sur <strong>le</strong>s corps <strong>de</strong> la nature. Par cette<br />

puissance inhérente à <strong>le</strong>ur nature angélique, ils pourraient<br />

môme bou<strong>le</strong>verser l'univers, si Dieu <strong>le</strong> permetlait;<br />

mais <strong>le</strong> plus souvent, comme il a été dit aussi,<br />

tout se borne à <strong>de</strong>s vacarmes effroyab<strong>le</strong>s, à <strong>de</strong>s apparitions<br />

<strong>de</strong> spectres, etc.; Dieu veut quelquefois que<br />

l'agression et l'action <strong>de</strong> ces terrib<strong>le</strong>s ennemis, cessant<br />

d'être cachées, <strong>de</strong>viennent perceptib<strong>le</strong>s aux sens, car<br />

on s'en défierait moins si jamais on ne <strong>le</strong>s voyait.<br />

[Discours <strong>de</strong> saint Antoine, rapporté par saint Athanase.)<br />

Dieu, dans sa miséricor<strong>de</strong> ou sa justice, permet aux<br />

<strong>démon</strong>s d'exercer sur <strong>l'homme</strong> <strong>le</strong>urs sévices et <strong>de</strong>s<br />

vexations parfois si horrib<strong>le</strong>s qu'el<strong>le</strong>s pourraient, si<br />

Dieu ne jugeait dans sa sagesse <strong>de</strong>voir arrêter <strong>le</strong>urs<br />

coups, causer la mort du patient.<br />

Ainsi <strong>le</strong>s obsessions et <strong>le</strong>s possessions sont permises<br />

pour rendre manifeste la rage <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, pour rappe<strong>le</strong>r<br />

à Dieu <strong>le</strong> pécheur. Dieu <strong>le</strong>s permet quelquefois à<br />

l'égard <strong>de</strong> ses serviteurs <strong>le</strong>s plus fidè<strong>le</strong>s, pour augmenter<br />

<strong>le</strong>ur gloire dans <strong>le</strong> ciel, tandis que l'impie, qui<br />

sera la proie <strong>de</strong> Satan, et qui <strong>de</strong>vrait, ce semb<strong>le</strong>, être<br />

dès ce jour sa victime, est cependant épargné. C'est<br />

que Satan, satisfait <strong>de</strong> régner sur l'âme pour <strong>le</strong> triomphe<br />

<strong>de</strong> l'erreur et <strong>de</strong> l'impiété, laisse <strong>le</strong> corps tranquil<strong>le</strong>.<br />

S'il n'exerce pas ses vexations sur <strong>le</strong>s méchants,<br />

c'est pour mieux établir la concupiscence dans <strong>le</strong>ur<br />

cœur. Quand la sagesse divine <strong>le</strong>s permet sur l'impie,<br />

loin d'en murmurer, il en doit rendre grâce à Dieu,<br />

qui lui a fait connaître son cruel ennemi.<br />

L'état <strong>de</strong> possession se manifeste par <strong>de</strong>s signes<br />

étranges ou épouvantab<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong>s Pères, plus explicites<br />

que <strong>le</strong>s saintes Écritures, ont cité différents<br />

exemp<strong>le</strong>s. —<strong>Le</strong> possédé voit <strong>le</strong>s choses cachées, lit <strong>le</strong>s<br />

pensées, révè<strong>le</strong> quelquefois l'avenir; son corps se sou-<br />

I. 2G


402 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

tient éri l'air, contre <strong>le</strong>s lois <strong>de</strong> la gravilaUon; ses<br />

forces paraissent surhumaines. (S. Paulin, Nata<strong>le</strong>s S.<br />

Felicis, III et VII; Sulp. Sev., Dialog., III, 6.)<br />

Fort souvent, quoique <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s agissent trèsénergiquement<br />

sur <strong>le</strong> corps et sur l'esprit <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>,<br />

c'est une possession latente qui ne manifeste aucun<br />

<strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> l'action satanique et n'en est que plus<br />

déplorab<strong>le</strong> : <strong>le</strong> traître Judas, qui termina sa vie par <strong>le</strong><br />

suici<strong>de</strong>, en offre un exemp<strong>le</strong>. — D'autres fois <strong>le</strong> <strong>démon</strong>,<br />

s'étant emparé <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, en fait un enthousiaste,<br />

un <strong>de</strong>vin, un faux prophète; on en a vu <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s<br />

dans l'enthousiasme sacré <strong>de</strong>s Gentils, et on en verra<br />

<strong>de</strong> nombreux dans la magie et <strong>le</strong>s hérésies. <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

remuent <strong>le</strong>s corps inertes, qui semb<strong>le</strong>nt alors doue's<br />

<strong>de</strong> vie; ils infestent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>meures, particulièrement <strong>le</strong>s<br />

maisons inhabitées, car ils aiment <strong>le</strong>s lieux déserts ;<br />

ils fréquentent <strong>le</strong>s tombeaux, c'est là surtout que <strong>le</strong>s<br />

magiciens entrant en commerce <strong>avec</strong> eux croient vraiment<br />

<strong>le</strong>ur comman<strong>de</strong>r par <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s pt certains rites,<br />

tandis qu'en réalité ils en sont <strong>le</strong>s esclaves.<br />

Ces quelques pages rappel<strong>le</strong>ront brièvement ce qu'on<br />

a vu précé<strong>de</strong>mment et prépareront à tout ce qui reste<br />

à dire.<br />

Continuation du même sujef, orac<strong>le</strong>s, astrologie.<br />

Tout ce merveil<strong>le</strong>ux que <strong>le</strong>s Pères admettaient <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />

païens, mais qu'ils attribuaient aux esprits <strong>de</strong> malice, au<br />

lieu <strong>de</strong> l'attribuer à la Divinité, avait constamment, on<br />

l'a vu, embarrassé <strong>le</strong>s savants et toutes <strong>le</strong>s sectes <strong>de</strong><br />

philosophes; la plupart <strong>de</strong>s faits avaient paru même si<br />

extravagants, que lorsque la raison qui examine se fut<br />

substituée à la foi qui accepte sans critique, on trouva<br />

plus simp<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>s nier. Entre ces <strong>de</strong>ux extrémités,


AVEC LE DÉMON. 403<br />

nier <strong>de</strong>* qui était attesté par <strong>le</strong>s témoignages <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s<br />

temps et <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s lieux, ou accepter bénévo<strong>le</strong>ment<br />

ce qui semblait absur<strong>de</strong>, plusieurs philosophes hésitèrent<br />

d'autant moins à nier tout court, que certains faits<br />

invraisemblab<strong>le</strong>s semblaient se manifester plus rarement<br />

que dans <strong>le</strong>s temps anciens. <strong>Le</strong>s Pères <strong>avec</strong> la doctrine<br />

du christianisme sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s conciliaient ces graves<br />

difficultés et détruisaient <strong>le</strong>s dissi<strong>de</strong>nces.<br />

Ainsi, <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s par exemp<strong>le</strong> avaient été, comme<br />

on sait, <strong>le</strong> sujet <strong>de</strong> longues discussions; <strong>le</strong>s uns affirmaient,<br />

<strong>le</strong>s autres niaient, d'autres doutaient ; <strong>le</strong>s uns n'y<br />

voyaient que <strong>le</strong> fait <strong>de</strong> l'imposture, d'autres attribuaient<br />

<strong>le</strong>ur réalisation au hasard; peut-on <strong>le</strong>s nier? <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s<br />

peuvent-ils mentir? pourquoi sont-ils si ambigus?<br />

pourquoi refusent-ils <strong>de</strong> répondre? disaient <strong>le</strong>s épicuriens<br />

; — <strong>le</strong> sceptique, l'académicien continuent <strong>de</strong><br />

douter, l'épicurien hausse <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s en signe <strong>de</strong> pitié,<br />

Je stoïcien croit et affirme; en signalant <strong>le</strong>s faits, il n'entend<br />

point expliquer <strong>le</strong>s causes. <strong>Le</strong>s Pères intervenant,<br />

disaient aux sceptiques, aux épicuriens, et à tous: «Vous<br />

savez que vous n'avez pas <strong>le</strong> droit <strong>de</strong> nier <strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s,<br />

vous ne pouvez <strong>le</strong>s attribuer au hasard ni à l'imposture.<br />

» En effet, en examinant certaines prédictions réalisées<br />

dans <strong>le</strong>s plus petites circonstances, <strong>le</strong> doute n'était<br />

plus permis, et <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce forcé <strong>de</strong> tous <strong>de</strong>venait un acquiescement<br />

tacite ; cependant l'orac<strong>le</strong> ne peut émaner<br />

<strong>de</strong>s dieux; <strong>de</strong> quel<strong>le</strong> source émane-t-il donc?—Il procè<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s intelligences malignes que vous reconnaissez<br />

presque tous, et que vous savez capab<strong>le</strong>s d'induire en<br />

erreur; qui mentent quelquefois parce qu'el<strong>le</strong>s aiment<br />

<strong>le</strong> mensonge, qui mentent aussi parce que la vérité <strong>le</strong>ur<br />

reste souvent cachée, qui dès lors sont énigmatiques<br />

dans <strong>le</strong>urs réponses, voulant cependant paraître véridiques.<br />

—<strong>Le</strong>s Pères, développant <strong>le</strong>s principes émis dans


404 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>le</strong> chapitre précé<strong>de</strong>nt, <strong>le</strong>ur prouvaient évi<strong>de</strong>mment que<br />

<strong>le</strong>s orac<strong>le</strong>s ne pouvaient venir <strong>de</strong> la fourberie humaine<br />

ni <strong>de</strong> Dieu, qui sait tout et ne ment jamais, ni <strong>de</strong> ses<br />

anges ; mais qu'il fallait <strong>de</strong> toute nécessité, en y reconnaissant<br />

une intelligence, déci<strong>de</strong>r qu'el<strong>le</strong> ne pouvait<br />

être que perverse. Alors toutes <strong>le</strong>s difficultés étaient<br />

aplanies et <strong>le</strong>s ténèbres dissipées.<br />

Que pouvait-on dire <strong>de</strong> l'astrologie? el<strong>le</strong> était la<br />

source <strong>de</strong> non moins graves discussions; si el<strong>le</strong> avait<br />

ses détracteurs, el<strong>le</strong> avait aussi <strong>de</strong> nombreux partisans.<br />

Selon Pythagore et Démocrite, cette prétendue<br />

science était ridicu<strong>le</strong>; Aristote et Platon la dédaignaient;<br />

<strong>le</strong>s astres étant matériels, disait-on, ne peuvent<br />

exercer d'empire sur l'âme qui est spirituel<strong>le</strong>...,<br />

et cependant <strong>de</strong>s hommes graves ayant étudié l'astrologie<br />

y croyaient, parce qu'el<strong>le</strong> aussi présentait <strong>de</strong>s<br />

exemp<strong>le</strong>s multipliés <strong>de</strong> prédictions bien vérifiées qui<br />

ne pouvaient venir du hasard; <strong>le</strong>s astres étant <strong>de</strong>s<br />

dieux, n'était-il pas naturel <strong>de</strong> <strong>le</strong>s considérer comme<br />

arbitres <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>stinée et capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> nous la révé<strong>le</strong>r?<br />

<strong>Le</strong> ciel était donc comme un registre que chacun<br />

pouvait consulter. — On ne saurait exposer ici tout ce<br />

que <strong>le</strong> simp<strong>le</strong> bon sens alléguait pour <strong>démon</strong>trer que<br />

c'était une folie, et une folie bien funeste, puisqu'el<strong>le</strong><br />

établissait la fatalité..., cependant <strong>de</strong>s hommes <strong>de</strong><br />

mérite persistaient dans <strong>le</strong>urs croyances. Clément d'A<strong>le</strong>xandrie<br />

raconte que son père Faustinien en était si<br />

persuadé, qu'il disait souvent à ses'enfants : Priez ou ne<br />

priez pas, ce que votre planète annonce arrivera. Faustinien,<br />

issu d'une famil<strong>le</strong> illustre, était un <strong>de</strong>s profonds<br />

mathématiciens <strong>de</strong> son sièc<strong>le</strong>.<br />

Comment se faisait-il qu'on crût à l'astrologie, malgré<br />

tous <strong>le</strong>s raisonnements qui établissaient qu'el<strong>le</strong><br />

était chimérique? C'était a. cause <strong>de</strong> la réalisation <strong>de</strong>


AVEC LE DÉMON. 40o<br />

prédictions astrologiques tel<strong>le</strong>s qu'on <strong>de</strong>vait repousser<br />

ces lieux communs <strong>de</strong> hasard, d'imposture, etc., si<br />

souvent répétés. Quel embarras pour <strong>le</strong>s philosophes<br />

païens ! Mais <strong>le</strong>s Pères n'étaient nul<strong>le</strong>ment embarrassés<br />

; grâce à <strong>le</strong>ur doctrine, ils anathématisent cette folie,<br />

et cependant ils sont convaincus que <strong>le</strong>s prédictions<br />

sont surhumainement véritab<strong>le</strong>s. Comment expliquer<br />

cela?— Saint Augustin, dont <strong>le</strong>s œuvres résument cel<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>s Pères qui l'ont précédé, prouve dans sa Cité <strong>de</strong><br />

Dieu, dans la Doctrine chrétienne, dans ses Confessions,<br />

etc., par <strong>de</strong> très-sages raisons que l'astrologie<br />

est une croyance insensée, mais il met d'accord partisans<br />

et détracteurs en expliquant comment el<strong>le</strong> dit<br />

vrai très-souvent.<br />

« Il arrive par je ne sais quel jugement secret <strong>de</strong><br />

Dieu, dit-il, que <strong>le</strong>s hommes touchés <strong>de</strong> ces vaines<br />

curiosités sont livrés aux erreurs et aux illusions que<br />

mérite la dépravation <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs désirs, et sont séduits et<br />

abusés par <strong>le</strong>s anges apostats, qui usent d'artifices et <strong>de</strong><br />

prestiges pour révé<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s choses passées ou futures...<br />

Plusieurs événements, ajoute-t-il, se trouvent conformes<br />

aux observations <strong>de</strong> ces insensés... L'Écriture nous a<br />

prémunis, en nous avertissant <strong>de</strong> fuir ces extravagances ;<br />

el<strong>le</strong> a dit : « Quand même ce qu'ils auront dit arriverait,<br />

ne vous fiez point à eux. » (Deuf., XIII, 1-3.)<br />

« Tout chrétien doit fuir ces superstitions qui entretiennent<br />

un commerce entre <strong>le</strong>s hommes et <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s,<br />

qui ne <strong>le</strong>s ont inventées que pour être <strong>le</strong>s conventions<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur fausse et perfi<strong>de</strong> amitié. » (Doctr. christ., II,23.)<br />

Dans ses Confessions, après avoir dit qu'il s'est appliqué<br />

à voir comment il pourrait <strong>le</strong> mieux ridiculiser<br />

ceux qui débitent <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s illusions, il termine à peu<br />

près ainsi : — « Cependant, par <strong>de</strong>s mouvements cachés<br />

<strong>de</strong> sa justice et <strong>de</strong> son admirab<strong>le</strong> sagesse (<strong>de</strong> Dieu), qui


406 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

ne sont connus ni <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins, ni <strong>de</strong> ceux qui <strong>le</strong>s consultent...,<br />

il arrive que chacun reçoit la réponse que méritent<br />

<strong>le</strong>s dispositions secrètes <strong>de</strong> son cœur. » (Conf.,'<br />

VII, 6.)<br />

Dans la Cité <strong>de</strong> Dieu, 1. V, après avoir montré en<br />

sept chapitres combien l'astrologie est une science<br />

frivo<strong>le</strong>, il termine en disant que c'est un moyen que<br />

<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s emploient pour établir la fausse et dangereuse<br />

opinion <strong>de</strong> la fatalité <strong>de</strong>s astres. Cela se fait par<br />

une secrète inspiration <strong>de</strong> ces <strong>démon</strong>s et non par l'inspection<br />

<strong>de</strong> l'horoscope, qui est entièrement vain. —<br />

Ainsi il est permis aux <strong>démon</strong>s <strong>de</strong> tromper ceux qui<br />

méprisent <strong>le</strong>s avertissements <strong>de</strong> la sainte Écriture.<br />

P/i-sages.<br />

<strong>Le</strong>s Gentils croyaient aux présages. L'Écriture nous<br />

apprend aussi que Dieu lui-même révè<strong>le</strong> quelquefois<br />

l'avenir par <strong>de</strong>s signes; mais chez <strong>le</strong>s premiers, tout,<br />

en quelque sorte, l'annonçait. Dans <strong>le</strong>ur curiosité excessive<br />

<strong>de</strong> savoir l'avenir, non contents d'observer <strong>le</strong>s<br />

présages ordinaires, ils en inventaient <strong>de</strong> nouveaux;<br />

ils en <strong>de</strong>mandaient constamment aux dieux ; esclaves<br />

<strong>de</strong>s vaines observances, el<strong>le</strong>s abrutissaient <strong>le</strong>ur intelligence,<br />

énervaient <strong>le</strong>ur courage; <strong>le</strong>s philosophes <strong>le</strong>s<br />

plus convaincus <strong>de</strong> la réalité <strong>de</strong>s signes divins, sentant<br />

et l'abus et <strong>le</strong> danger, étaient embarrassés par mil<strong>le</strong><br />

difficultés. Un dieu intervient dans <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s fumantes<br />

<strong>de</strong>s victimes, il intervient pour annoncer que<br />

la vapeur sera prophétique, il intervient dans <strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s<br />

oiseaux, dans la manière <strong>de</strong> becqueter <strong>de</strong>s pou<strong>le</strong>ts, etc.<br />

Pourquoi remplit-il si souvent un rô<strong>le</strong> si peu digne <strong>de</strong><br />

lui? pourquoi ne prédit-il pas lui-même? pourquoi<br />

envoyer <strong>de</strong>s signes pour prédire un malheur inévita-


AVEC LE DÉMON. 407<br />

b<strong>le</strong>? pourquoi choisir <strong>de</strong> tels moyens, etc., etc.? <strong>Le</strong>s<br />

discussions étaient interminab<strong>le</strong>s, insolub<strong>le</strong>s; prêtres<br />

et philosophes ne décidaient rien.<br />

La doctrine <strong>de</strong> l'Église répondait à tout. — C'est<br />

l'œuvre <strong>de</strong>s intelligences séductrices qui se sont substituées<br />

à Dieu ; <strong>le</strong>ur but est <strong>de</strong> tromper <strong>le</strong>s hommes, <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

tyranniser ; — ils réalisent souvent ce qu'ils annoncent,<br />

ils multiplient <strong>le</strong>s signes et inspirent la pensée d'en inventer<br />

<strong>de</strong> nouveaux, pour troub<strong>le</strong>r l'esprit, désespérer<br />

ou au moins inquiéter. Riais <strong>le</strong>s signes divins rappel<strong>le</strong>nt<br />

<strong>l'homme</strong> à son Dieu, lui inspirent la joie, la confiance<br />

ou la résignation. — <strong>Le</strong>s présages <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s jettent<br />

dans l'abattement, causent la folie ou entraînent dans<br />

l'impiété. Ne cherchez ni ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z jamais <strong>de</strong> présages,<br />

dit la vraie doctrine; s'il s'en présente, sachez<br />

discerner ceux qui sont divins <strong>de</strong> ceux qui sont diaboliques.<br />

<strong>Le</strong> corps enseignant <strong>de</strong> l'Église sera votre<br />

gui<strong>de</strong>.<br />

Mwjie.<br />

On a vu qu'il a existé, dans tous <strong>le</strong>s temps, <strong>de</strong>s personnes<br />

qui, par <strong>de</strong>s opérations et certains rites, prétendaient<br />

opérer <strong>de</strong>s prodiges sans <strong>le</strong> "secours <strong>de</strong> la<br />

théurgie. Platon, ne voulant reconnaître ce pouvoir que<br />

dans la caste sacerdota<strong>le</strong>, a feint d'ignorer qu'il se trouvait<br />

aussi chez <strong>le</strong>s magiciens <strong>de</strong> la populace qui chassaient<br />

<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, guérissaient, prédisaient, servaient<br />

<strong>le</strong>s passions haineuses <strong>de</strong>s méchants et prétendaient<br />

même comman<strong>de</strong>r aux dieux. — D'autres niaient tout<br />

court. — Ce serait, disaient-ils, attribuer aux hommes<br />

<strong>le</strong>s plus vils ce que la raison ne permet pas <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

accor<strong>de</strong>r. Ne pouvant admettre que <strong>le</strong>s dieux fussent<br />

ainsi contraints , il fallait bien nier : — Quintus ne


DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

croyait pas au pouvoir <strong>de</strong>s magiciens du' Cirque, et<br />

Pline, qui attribuait aux paro<strong>le</strong>s et à diverses substances<br />

<strong>de</strong>s propriétés si merveil<strong>le</strong>uses, riait <strong>de</strong>s prétentions<br />

<strong>de</strong>s magiciens, qui cependant étaient aussi<br />

puissants que <strong>le</strong>s théurgistes, parce qu'ils s'adressaient<br />

aux mômes agents. — L'erreur, disaient <strong>le</strong>s Pères, dérive<br />

<strong>de</strong> ce qu'on pense que la théurgie seu<strong>le</strong> peut<br />

mettre en rapport <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux ; mais ces prétendus<br />

dieux étant tous <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, théurgie et goétie ne sont<br />

qu'une fiction; la distinction est chimérique. La puissance<br />

n'est ni dans <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s, ni dans <strong>le</strong>s substances,<br />

el<strong>le</strong> n'appartient point à <strong>l'homme</strong>, mais aux <strong>démon</strong>s,<br />

qui, lorsqu'ils font <strong>le</strong> mal, aiment à faire croire aux<br />

hommes qu'ils <strong>le</strong>ur ont donné ce pouvoir, afin que<br />

ceux-ci soient au moins coupab<strong>le</strong>s par l'intention. La<br />

magie, qui n'a réel<strong>le</strong>ment ni lois n [.règ<strong>le</strong>s, peut donc être<br />

pratiquée par <strong>le</strong>s goétistes comme par <strong>le</strong>s théurgistes,<br />

puisqu'el<strong>le</strong> émane <strong>de</strong>s mêmes intelligences qui trompent<br />

<strong>le</strong>s uns et <strong>le</strong>s autres, et lors même qu'el<strong>le</strong>s font<br />

<strong>le</strong> bien, c'est toujours dans la prévision <strong>de</strong> causer <strong>le</strong><br />

mal... — <strong>Le</strong> moyen <strong>de</strong> n'avoir rien à redouter <strong>de</strong>s magiciens,<br />

c'est d'éviter <strong>le</strong> péché ; alors <strong>le</strong> <strong>démon</strong> <strong>de</strong>vient<br />

lui-même aussi impuissant que <strong>le</strong>s magiciens.<br />

Auguric.<br />

L'augurie <strong>de</strong>venait aussi la source <strong>de</strong>s systèmes <strong>le</strong>s<br />

plus contradictoires, <strong>le</strong>s uns niant, d'autres affirmant;<br />

<strong>le</strong>s uns expliquant, d'autres déclarant que c'était inexplicab<strong>le</strong>.<br />

Certains animaux sont <strong>de</strong> vrais prophètes, <strong>de</strong>s<br />

orac<strong>le</strong>s vivants qui répon<strong>de</strong>nt à nos pensées; l'augurie<br />

tient à une qualité occulte, à une sorte d'instinct, etc.<br />

— <strong>Le</strong>s uns, d'après <strong>le</strong>s principes <strong>de</strong> la métempsycose,<br />

pensaient que l'âme humaine avait pu se loger


AVEC LE DÉMON. 409<br />

dans <strong>le</strong> corps <strong>de</strong>s animaux. — D'autres prétendaient<br />

que l'instinct prophétique <strong>de</strong>s oiseaux, par exemp<strong>le</strong>,<br />

venait <strong>de</strong> l'élément qu'ils habitaient, qui, rendant <strong>le</strong>urs<br />

sensations plus subti<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s rendait aussi plus aptes à<br />

prédire. — D'autres pensaient qu'ils prophétisaient sans<br />

<strong>le</strong> savoir, que <strong>le</strong>s dieux dirigeaient <strong>le</strong>urs mouvements.<br />

<strong>Le</strong> dieu souverain, l'Élher, communiquait la vertu divinatrice;<br />

il s'agit <strong>de</strong> savoir se rendre <strong>le</strong>s dieux propices.<br />

Cicéron nie, tandis que Quintus se retranche <strong>de</strong>rrière<br />

une masse <strong>de</strong> faits; mais Cicéron réplique par un argument<br />

capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> fermer la bouche à tous ceux qui oseront<br />

attribuer aux dieux l'aruspicine ou l'augurie: —<br />

«Pourquoi donc <strong>le</strong>s dieux ne disent-ils pas toujours la<br />

vérité ?» — On sait quel<strong>le</strong> sera la réponse <strong>de</strong>s Pères. —<br />

C'est l'œuvre <strong>de</strong>s esprits menteurs, qui, pour séduire<br />

<strong>le</strong>s hommes, non-seu<strong>le</strong>ment s'enferment dans <strong>le</strong>s statues<br />

qu'ils agitent, mais inspirent <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins, se glissent<br />

dans <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s victimes, dirigent <strong>le</strong> vol <strong>de</strong>s oiseaux,<br />

la rencontre <strong>de</strong>s animaux, etc.<br />

Délire sacré.<br />

Par la vertu <strong>de</strong>s exhalaisons, l'âme peut-el<strong>le</strong> récupérer<br />

<strong>le</strong> pouvoir inhérent à sa nature spirituel<strong>le</strong> et<br />

divine, comme <strong>le</strong> pensaient <strong>le</strong>s païens? Peut-el<strong>le</strong> être,<br />

par certaines cérémonies, délivrée <strong>de</strong>s entraves que lui<br />

oppose <strong>le</strong> corps, ou être placée dans un état propre à<br />

recevoir l'inspiration divine? Sort-el<strong>le</strong> du corps réel<strong>le</strong>ment?<br />

etc. Quel<strong>le</strong> que soit l'opinion qu'on adopte, il<br />

est certain qu'un <strong>de</strong>vin voit au loin, prévoit <strong>le</strong>s événements<br />

futurs, et se trompe souvent, etc. A cette<br />

question longuement débattue dans Plutarque, la saine<br />

doctrine répondait : — Ce sont <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s qui prédisent,<br />

mais, pouvant se tromper par diverses raisons,


410 DES hAPPOHTS DE L'HOMME<br />

<strong>le</strong>urs prédictions sont sujettes aussi à tromper, quoiqu'el<strong>le</strong>s<br />

soient très-souvent assez exactes. L'âme, enfin,<br />

ne peut sortir <strong>de</strong> son corps, ni voyager; pendant cette<br />

vie, el<strong>le</strong> n'est jamais sans sa chair, dit Tertullien. (De<br />

anima et rcmrrcct. carn.)<br />

Saint Athanase (Quœst. ad Antioch., XXXIII) soutient<br />

que l'âme n'a pu quitter <strong>le</strong> corps, quoique celuici<br />

soit sans sentiment. En parlant <strong>de</strong> l'extase diabolique,<br />

saint Augustin dit qu'el<strong>le</strong> n'est qu'une vive<br />

impression, une sorte <strong>de</strong> songe (De civ. Dei; — Ep- ad<br />

Evod.;—Auctor ap. eund. lihri <strong>de</strong> spir. et anima); il est<br />

naturel à l'âme <strong>de</strong> se laisser tromper par d'étranges<br />

visions, etc. De ce que <strong>le</strong> corps semb<strong>le</strong> privé <strong>de</strong> vie, il<br />

n'en faut donc pas conclure que l'âme l'ait quitté; mais<br />

cet état est souvent causé par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>... — On objecte<br />

que <strong>le</strong>s inspirés, dans <strong>le</strong>ur extase, disent <strong>de</strong>s choses<br />

véritab<strong>le</strong>s et prédisent... — Rien là <strong>de</strong> surprenant; <strong>le</strong><br />

<strong>démon</strong>, qui <strong>le</strong>s a mis dans cet état, a pu <strong>le</strong>ur communiquer<br />

ce qui se passe au loin, <strong>le</strong>ur révé<strong>le</strong>r ce qui est<br />

caché, etc.<br />

Nécromancie.<br />

<strong>Le</strong>s Gentils croyaient pouvoir évoquer <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s<br />

défunts; on a déjà vu ce que pensait Tertullien : — La<br />

pythonisse d'Endor qui, sur la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> Saiil, évoqua<br />

l'ombre <strong>de</strong> Samuel, a donné lieu à diverses opinions<br />

parmi <strong>le</strong>s Pères; mais cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> saint Basi<strong>le</strong>, <strong>de</strong><br />

Tertullien, <strong>de</strong> saint Grégoire <strong>de</strong> Nysse, qui prouvent<br />

que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> prit la forme <strong>de</strong> Samuel, rend parfaitement<br />

raison <strong>de</strong>s apparitions <strong>de</strong> la nécromancie. (On<br />

l'a dit ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ont <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> fasciner.)<br />

Quelques mots encore sur la divination avant d'arriver<br />

aux songes. — Il reste peu <strong>de</strong> chose à dire sur


AVEC LE DÉMON. 411<br />

la divination que Cicéron a rejetée : « Si on peut prédire<br />

l'avenir, dit-il, on est forcé d'admettre <strong>le</strong> <strong>de</strong>stin et<br />

<strong>de</strong> nier <strong>le</strong> libre arbitre. » Tout arrive alors fata<strong>le</strong>ment;<br />

si cela n'est pas, comment <strong>le</strong>s dieux peuvent-ils révé<strong>le</strong>r<br />

l'avenir, puisqu'il n'existe pas?<br />

On y a déjà répondu : Il peut être conjecturé assez<br />

bien par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, qui peut aussi, Dieu <strong>le</strong> lui permettant,<br />

prédire <strong>le</strong>s événements qu'il dirigera, etc. Aussi<br />

saint Augustin disait : « Ceux qui veu<strong>le</strong>nt établir une<br />

fatalité dans <strong>le</strong>s astres sont plus supportab<strong>le</strong>s que Cicéron...<br />

Reconnaître un Dieu et nier qu'il sache l'avenir,<br />

c'est une folie manifeste...» (De civ. Dei, V, 9.) Quoi<br />

qu'il en soit <strong>de</strong>s disputes <strong>de</strong>s philosophes, poursuit-il,<br />

comme nous reconnaissons un Dieu souverain, nous<br />

reconnaissons aussi sa prescience, et ne craignons<br />

point que notre volonté soit liée, sous <strong>le</strong> prétexte que<br />

la prescience infaillib<strong>le</strong> <strong>de</strong> Dieu a prévu ce que nous<br />

ferions; ainsi la notion <strong>de</strong> l'avenir pour Dieu et la<br />

liberté pour <strong>l'homme</strong> peuvent exister simultanément.<br />

De cette question en naîtrait une secon<strong>de</strong> encore plus<br />

grave qui n'appartient pas à notre sujet.<br />

<strong>Des</strong> songes.<br />

Cicéron disait : « Si <strong>le</strong>s dieux envoient <strong>de</strong>s songes,<br />

pourquoi trompent-ils ? pourquoi font-ils connaître ce<br />

qu'il serait bon d'ignorer toujours? pourquoi faut-il <strong>de</strong>s<br />

interprètes? Ils ne peuvent donc venir <strong>de</strong>s dieux, » etc.<br />

— Quoique <strong>le</strong>s sceptiques eussent nié, cependant <strong>le</strong>s<br />

stoïciens y croyaient. — Que pensaient <strong>le</strong>s Pères?<br />

L'Écriture semb<strong>le</strong> ici être en contradiction <strong>avec</strong><br />

el<strong>le</strong>-même. — On y voit <strong>le</strong>s songes <strong>de</strong> Jacob, <strong>de</strong> Joseph,<br />

<strong>de</strong> Pharaon, etc. — D'après Job, Dieu nous avertit dans<br />

<strong>le</strong>s songes (XXXIII, 15.). Joël promet <strong>de</strong>s songes pro-


41-2 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

phétiques (II, 28). Mais <strong>le</strong> Lévitique <strong>le</strong>s défend (XIX,<br />

26.), ainsi que <strong>le</strong> Deutéronome(XIlI, 5). Jérémie invective<br />

contre ceux qui disent: j'ai songé... (XXIII, 25.)<br />

L'Ecclésiastique semb<strong>le</strong> expliquer ces prétendues contradictions.<br />

— « <strong>Le</strong>s impru<strong>de</strong>nts bâtissent sur <strong>le</strong>s<br />

songes, dit-il. Ce qui est impur peut-il rendre pur?<br />

La vérité sortira-t-el<strong>le</strong> du mensonge?... <strong>Le</strong>s songes<br />

<strong>de</strong>s méchants ne sont que vanité, à moins que <strong>le</strong> Très-<br />

Haut ne <strong>le</strong>s envoie... N'ajoutez point foi à ces effets<br />

<strong>de</strong> votre imagination... Plusieurs sont tombés dans<br />

l'égarement pour y avoir cru... » etc. (XXXIV.) Mais<br />

I'Ecclésiaste dit : « Où il y a beaucoup <strong>de</strong> songes, il y<br />

a beaucoup <strong>de</strong> vanité... Pour vous, craignez Dieu.»<br />

(V, 6.)<br />

Quel enseignement puisera-t-on dans <strong>le</strong> rapprochement<br />

<strong>de</strong> ces divers passages un peu obscurs? — Il<br />

y a plusieurs sortes <strong>de</strong> songes ; beaucoup sont vains<br />

et insignifiants, plusieurs se réalisent; il en est qui<br />

sont envoyés <strong>de</strong> Dieu, mais d'autres, d'où viennentils?<br />

<strong>Le</strong>s songes <strong>de</strong>s infidè<strong>le</strong>s et <strong>de</strong>s méchants ne<br />

peuvent certainement appartenir qu'à la classe <strong>de</strong>s<br />

songes vains ou diaboliques. Comme ils peuvent égarer,<br />

tromper, jeter dans la mélancolie, <strong>le</strong> désespoir ou<br />

dans <strong>de</strong> funestes erreurs, on ne doit point s'y appliquer.<br />

— <strong>Le</strong>s songes peuvent être divins, Dieu peut en<br />

envoyer aux justes, l'Écriture en offre <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s... ;<br />

mais qui peut se trouver assez pur pour communiquer<br />

<strong>avec</strong> Dieu par <strong>de</strong>s songes? Il est donc très-pru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

ne point s'y arrêter avant d'avoir pu connaître <strong>le</strong>ur<br />

source. <strong>Le</strong>s songes <strong>de</strong>s Gentils, qui souvent ont annoncé<br />

l'avenir ou révélé <strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s, ont aussi souvent<br />

induit en erreur, parce qu'ils émanaient d'une source<br />

impure ou <strong>de</strong> l'imagination, etc. — Ces songes avaient<br />

d'ordinaire besoin d'interprètes, car souvent ils étaient


AVEC LE DÉMON. 413<br />

énigmatiques. — Ce qui a été dit précé<strong>de</strong>mment sur<br />

<strong>le</strong>s prédictions <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s dispense d'entrer ici dans<br />

un plus grand développement.<br />

<strong>Le</strong>s Pères pensaient donc qu'il y avait <strong>de</strong>s songes faux<br />

et <strong>de</strong>s songes qui se réalisaient. Saint Cyprien, saint<br />

Jérôme, etc., admettent, comme on sait, cette vérité;<br />

il s'agit <strong>de</strong> savoir <strong>le</strong>s discerner : ceux <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, qui<br />

peuvent aussi être vrais, sont toujours dangereux. <strong>Le</strong><br />

péril, pour un esprit aussi borné que celui <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>,<br />

n'est pas faci<strong>le</strong>ment prévu, car <strong>le</strong> tigre infernal revêt<br />

quelquefois la forme <strong>de</strong> l'agneau... <strong>Le</strong> moindre mal,<br />

c'est d'effrayer ou d'inquiéter; aussi l'Ecclésiaste a<br />

dit ; « Pour vous, craignez Dieu. »<br />

<strong>Le</strong>s païens <strong>de</strong>mandaient <strong>de</strong>s songes; <strong>le</strong> chrétien doit<br />

se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> <strong>le</strong>s consulter. Quand Dieu en envoie à ses<br />

saints, il <strong>le</strong>ur révè<strong>le</strong> en même temps <strong>le</strong>ur cé<strong>le</strong>ste origine.<br />

— Combien encore ici la doctrine <strong>de</strong>s chrétiens<br />

l'emporte sur cel<strong>le</strong>s du paganisme !<br />

Transformations.<br />

Parmi <strong>le</strong>s croyances <strong>de</strong>s Gentils, on en a signalé une<br />

qui b<strong>le</strong>ssait tel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> sens commun, que plusieurs<br />

philosophes, ne pouvant l'expliquer, l'ont rejetée <strong>avec</strong><br />

dédain, ou bien ont gardé un si<strong>le</strong>nce pru<strong>de</strong>nt. La<br />

croyance aux transformations, transmise par la théologie<br />

traditionnel<strong>le</strong>, revivifiée dans tous <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s par<br />

<strong>de</strong>s faits nouveaux, ne put être anéantie, comme el<strong>le</strong><br />

aurait dû l'être <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> Circé. Toutes <strong>le</strong>s nations<br />

citaient <strong>de</strong> ces faits étranges, qui n'appartenaient<br />

point à l'imagination <strong>de</strong>s poètes, mais dont ils s'emparaient<br />

comme d'un sujet <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur domaine. <strong>Le</strong> docte<br />

Varron n'a point dédaigné d'abor<strong>de</strong>r une croyance trop<br />

répandue pour être entièrement dépourvue <strong>de</strong> vérité.


4H DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Si la plupart <strong>de</strong>s philosophes niaient, plusieurs étaient<br />

dans <strong>le</strong> doute; on trouvait toujours cette divergence<br />

d'opinions qu'on a fait remarquer concernant <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux<br />

païen.<br />

Que pensaient <strong>le</strong>s Pères? Accordaient-ils à l'empire<br />

déjà si vaste <strong>de</strong> la magie Je pouvoir <strong>de</strong> transformer?<br />

Se réuniront-ils aux philosophes qui n'y voient qu'une<br />

chimère? Nieront-ils aussi, par une sorte <strong>de</strong> respect<br />

humain qui craint <strong>le</strong> ridicu<strong>le</strong>? rien ne s'y opposait. —<br />

Ce sujet scabreux mérite examen. Saint Augustin n'ignorait<br />

pas tout ce qu'on racontait sur cette matière.<br />

« Si nous disons qu'il ne faut pas ajouter foi à ces sortes<br />

<strong>de</strong> choses, nous ne manquerons pas, même aujourd'hui,<br />

<strong>de</strong> gens qui assurent en avoir ouï ou expérimenté...»<br />

— <strong>Le</strong> <strong>le</strong>cteur attend que <strong>le</strong> saint évêque rejettera ou<br />

acceptera tout net. — « Que dirai-je, dit-il, sinon qu'il<br />

faut fuir la société <strong>de</strong>s mauvais anges et <strong>de</strong>s hommes<br />

impies, et nous retirer à grands pas vers Dieu... Plus<br />

nous voyons que la puissance <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s est gran<strong>de</strong>,<br />

plus on doit s'attacher au Médiateur... Ces choses sont<br />

si rares, dit-il plus loin, qu'on a raison <strong>de</strong> n'y pas<br />

ajouter foi. 11 faut pourtant croire que comme Dieu est<br />

tout-puissant, il peut tout ce qu'il veut pour faire grâce<br />

ou pour punir, et que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ne peuvent que ce<br />

qu'il <strong>le</strong>ur permet... 11 est constant quand ils font ces<br />

choses, qu'ils ne créent pas <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s natures, mais<br />

<strong>le</strong>s font paraître autres qu'el<strong>le</strong>s ne sont; ils ne sauraient<br />

opérer ce changement ni dans l'âme, ni dans <strong>le</strong><br />

corps ; ils ne peuvent qu'assoupir <strong>le</strong>s sens, agir sur l'imagination<br />

et faire qu'on se croie tel qu'on paraît aux<br />

autres. » Entre autres faits, il raconte celui du père <strong>de</strong><br />

Praestantius, qui crut être <strong>de</strong>venu cheval et avoir porté<br />

<strong>de</strong>s vivres à l'armée,— ce qui étaitvrai.— Si ces charges<br />

sont réel<strong>le</strong>s, ce sont <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s qui <strong>le</strong>s portent, afin <strong>de</strong>


AVEC T E DÉMON. 445<br />

Compléter l'illusion, afin <strong>de</strong> faire croire que la bête que<br />

l'on voit est aussi réel<strong>le</strong> que la charge qu'el<strong>le</strong> porte.<br />

«Ces choses, dit saint Augustin, nous ont été racontées<br />

par <strong>de</strong>s personnes dignes <strong>de</strong> foi, que nous aurions peine<br />

à démentir. » Il admet même aussi la possibilité d'une<br />

substitution, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s pouvant faire Ces prestiges.<br />

{De civ. Dei, XVIII, 17-1 S.) Saint Augustin est donc loin<br />

<strong>de</strong> nier <strong>le</strong>s transformations, qu'il explique par la puissance<br />

<strong>de</strong> Satan sur l'imagination et sur <strong>le</strong>s sens.<br />

Dans la Vie <strong>de</strong> saint Macaire par Palladius, évêque<br />

d'Hélénopolis, on voit la même doctrine et<strong>le</strong> même fait.<br />

On amène à saint Macaire une femme qu'un Égyptien,<br />

qui en était <strong>de</strong>venu amoureux sans pouvoir en jouir,<br />

avait fait métamorphoser en jument par un magicien;<br />

tous <strong>le</strong>s moyens avaient été vainement employés pour<br />

détruire <strong>le</strong> charme.— «Vos yeux sont fascinés, dit en<br />

souriant <strong>le</strong> saint personnage à ses discip<strong>le</strong>s et à ceux<br />

qui lui présentaient cette femme, il n'y a pas <strong>de</strong> transformation.<br />

» Il répandit l'eau sainte sur cel<strong>le</strong>-ci et sur<br />

<strong>le</strong>s assistants, et el<strong>le</strong> apparut à tous ce qu'el<strong>le</strong> n'avait<br />

jamais cessé d'être : l'illusion diabolique avait cessé.<br />

Ce qui est constant dans <strong>le</strong>s transformations, c'est <strong>le</strong><br />

prestige.<br />

Amours impurs <strong>de</strong>s dieux.<br />

Une croyance plus absur<strong>de</strong> encore, s'il est possib<strong>le</strong>,<br />

que cel<strong>le</strong> qu'on vient d'exposer, c'est <strong>le</strong> commerce<br />

charnel <strong>de</strong>s dieux <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s femmes. Il est certain que<br />

plusieurs Pères ont partagé <strong>avec</strong> <strong>le</strong>urs contemporains<br />

une tel<strong>le</strong> opinion, qui <strong>le</strong>s fait accuser <strong>de</strong> nos jours d'une<br />

excessive crédulité. D'après <strong>le</strong> livre apocryphe d'Hénoch,<br />

<strong>le</strong>s anges auraient eu commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>s hommes ; <strong>de</strong> sorte que saint Justin, Athénagore,


410 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Tatien, Lactance, Tertullien, etc., n'ont pas craint<br />

d'adopter cette opinion. — Malgré <strong>le</strong> respect que méritent<br />

tant d'hommes illustres, on n'a pu dissimu<strong>le</strong>r ici<br />

une erreur, d'ail<strong>le</strong>urs bien excusab<strong>le</strong>, puisqu'ils l'ont<br />

partagée <strong>avec</strong> une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> philosophes célèbres, et<br />

qu'el<strong>le</strong> s'explique.<br />

L'accoup<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s dieux <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s femmes était si<br />

généra<strong>le</strong>ment admis, comme on sait, qu'on <strong>le</strong>ur attribuait<br />

la naissance <strong>de</strong> certains personnages <strong>de</strong> l'antiquité,<br />

et <strong>le</strong>s hommes <strong>le</strong>s plus judicieux <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s postérieurs<br />

ne savaient qu'en penser. — « L'histoire nous<br />

apprend, dit saint Augustin (De civ. Dei, III, 4), que<br />

César n'a pas cru moins <strong>de</strong>scendre <strong>de</strong> Vénus que Romulus<br />

du dieu Mars. » — Cicéron, dans son scepticisme,<br />

s'étonnait, en parlant <strong>de</strong> Romulus, que cette<br />

origine divine eût été crue : « Car si dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s<br />

grossiers, disait-il, on croyait tout, il en était autrement<br />

du sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> Romulus, où, <strong>le</strong>s sciences florissant<br />

déjà, il était diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> rien feindre... Ce sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> Romulus<br />

était trop fin pour admettre rien qui no fût au<br />

moins vraisemblab<strong>le</strong> — et cependant on y croyait. » —<br />

Varron, <strong>le</strong> plus savant <strong>de</strong>s Romains, dit saint Augustin<br />

(lô., 4) en parlant <strong>de</strong> ces choses, tombe presque d'accord<br />

qu'el<strong>le</strong>s sont fausses, quoiqu'il n'ose l'assurer positivement.<br />

VaiTon, dit-il ail<strong>le</strong>urs (Ib., VI, 7), a rapporté<br />

<strong>de</strong>s faits qu'il n'attribue pas à la théologie fabu<strong>le</strong>use;<br />

ce sont <strong>de</strong>s aventures qu'il considère comme autant <strong>de</strong><br />

mystères qui s'accomplissent dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s et prouvent<br />

que <strong>le</strong>s dieux sont touchés <strong>de</strong>s mêmes plaisirs<br />

que <strong>le</strong>s hommes. Saint Augustin avance à ce sujet que<br />

<strong>le</strong>s malins esprits confirment ces opinions par <strong>de</strong>s prestiges,<br />

et que ce n'est pas sans raison qu'on représente<br />

<strong>le</strong>s gran<strong>de</strong>s infamies <strong>de</strong>s dieux sur <strong>le</strong>s théâtres.<br />

<strong>Le</strong> saint évoque d'Hippone est d'abord peu explicite


AVEC LE DÉMON- 417<br />

rorune croyance qui, quoique invraisemblab<strong>le</strong>, tenait<br />

encore <strong>le</strong>s philosophes <strong>de</strong> son temps dans la perp<strong>le</strong>xité.<br />

H avait dit (Ib., III, U) qu'il n'entendait point encore<br />

examiner si Vénus avait été la mère d'Énée et si <strong>le</strong> dieu<br />

Mars avait pu engendrer Romulus; il y a, dit-il, quelque<br />

chose dans <strong>le</strong>s Écritures qui pourrait faire <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />

si <strong>le</strong>s anges prévaricateurs ont eu commerce <strong>avec</strong><br />

<strong>le</strong>s fd<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s hommes ; mais il renvoie ail<strong>le</strong>urs cet<br />

examen. Enfin, au I. XV, c. 23, après avoir dit qu'il a<br />

déjà touché cette question sans la résoudre, il ajoute<br />

que l'Écriture apprend toutefois que <strong>le</strong>s anges ont apparu<br />

dans <strong>de</strong>s corps qu'on pouvait non-seu<strong>le</strong>ment voir,<br />

mais toucher ; puis il continue ainsi : « De plus, comme<br />

« c'est une chose publique et que plusieurs ont expéri-<br />

«mentée, ou apprise <strong>de</strong> ceux dont la foi ne peut être<br />

«suspecte, que <strong>le</strong>s sylvains, <strong>le</strong>s satyres et <strong>le</strong>s faunes,<br />

«qu'on appel<strong>le</strong> ordinairement incubes, ont souvent<br />

» tourmenté <strong>le</strong>s femmes et contenté <strong>le</strong>urs passions <strong>avec</strong><br />

« el<strong>le</strong>s, et que beaucoup <strong>de</strong> gens d'honneur assurent<br />

« que quelques <strong>démon</strong>s, nommés dimens par <strong>le</strong>s Gau-<br />

« lois, tentent et exécutent tous <strong>le</strong>s jours ces impure-<br />

« tés, en sorte qu'il y aurait <strong>de</strong> l'impu<strong>de</strong>nce à <strong>le</strong> nier;<br />

«je n'oserais me déterminer, ni dire s'il y a quelques<br />

« esprits revêtus d'un corps d'air qui soient capab<strong>le</strong>s<br />

« d'avoir ce commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s femmes. Je ne pense<br />

« pas néanmoins que <strong>le</strong>s saints anges aient pu tomber<br />

«dans ces faib<strong>le</strong>sses, etc. »<br />

Jusqu'ici on a vu la doctrine <strong>de</strong> l'Église manifester<br />

nne haute sagesse dans l'examen <strong>de</strong>s croyances <strong>de</strong>s<br />

païens et trancher <strong>de</strong>s difficultés inextricab<strong>le</strong>s pour<br />

enx. En est-il autrement dans <strong>le</strong> sujet qui nous occupe?<br />

<strong>Le</strong>s Pères ont été accusés d'une crédulité puéri<strong>le</strong>;<br />

on a dit que la doctrine sur <strong>le</strong>s accoup<strong>le</strong>ments <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s femmes était impertinente et ridicu<strong>le</strong> ;<br />

i. 27


413 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

cependant, comme nous retrouverons dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s<br />

qui se sont écoulés <strong>de</strong>puis saint Augustin jusqu'à nous<br />

une doctrine à peu près semblab<strong>le</strong> sur <strong>de</strong>s faits i<strong>de</strong>ntiques,<br />

il importe d'examiner si on peut l'accuser d'erreur,<br />

et si el<strong>le</strong> est aussi digne <strong>de</strong> risée qu'on <strong>le</strong> pense.<br />

Redisons avant tout, s'il y a crédulité à admettre<br />

<strong>de</strong>s faits universel<strong>le</strong>ment admis, que cette opinion est<br />

au moins fort excusab<strong>le</strong> chez <strong>le</strong>s Pères. S'ils sont crédu<strong>le</strong>s,<br />

bien plus encore étaient crédu<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s philosophes<br />

païens, qui pensaient que <strong>le</strong>urs dieux aimaient<br />

<strong>le</strong>s plaisirs charnels. On doit surtout taxer <strong>de</strong> crédulité<br />

ceux qui avaient pensé que l'acte générateur<br />

n'avait point été stéri<strong>le</strong>, et môme parmi <strong>le</strong>s Romains<br />

un homme tel que Varron 1<br />

, qui quoique <strong>le</strong> plus savant<br />

<strong>de</strong>s Romains, ne savait encore que déci<strong>de</strong>r à cet égard.<br />

D'abord y avait-il tant <strong>de</strong> crédulité chez <strong>le</strong>s païens<br />

<strong>de</strong> penser que <strong>le</strong>urs dieux pouvaient engendrer? Cela<br />

excédait-il <strong>le</strong>s bornes <strong>de</strong> la puissance <strong>de</strong>s dieux? étaitil<br />

nécessaire qu'ils aimassent <strong>le</strong>s voluptés charnel<strong>le</strong>s<br />

pour s'y livrer? — C'étaient, disaient-ils, autant <strong>de</strong><br />

mystères... — Si ce sont <strong>de</strong>s divinités inférieures,<br />

comme on <strong>le</strong>ur supposait un corps d'une matière fort<br />

subti<strong>le</strong>, cette substance légère, inconnue <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>,<br />

ne pouvait-el<strong>le</strong> communiquer la vie? Ces <strong>de</strong>rnières intelligences<br />

ne pouvaient-el<strong>le</strong>s avoir <strong>le</strong>s passions <strong>de</strong><br />

<strong>l'homme</strong>? Avouons-<strong>le</strong>, ce qui nous semb<strong>le</strong> aujourd'hui<br />

si insensé ne <strong>de</strong>vait point l'ôtre à une époque où <strong>le</strong>s<br />

faits s'étaient si multipliés qu'on n'aurait pu <strong>le</strong>s nier<br />

sans impu<strong>de</strong>nce.<br />

Plusieurs Pères, sans être sottement crédu<strong>le</strong>s, ont<br />

donc pu penser d'après ceci, et ayant pour autorité <strong>le</strong><br />

livre d'IIénoch, confirmé par un passage mal inter-<br />

2. Il mourut peu d'années avant notre brc.


AVEC LE DÉMON. 419<br />

prêté <strong>de</strong> la Genèse, que, <strong>le</strong>s anges s'étant livrés à<br />

l'amour <strong>de</strong>s femmes, il en était né <strong>de</strong>s géants".<br />

Mais ce sentiment <strong>de</strong> quelques Pères, était-ce bien 1*<br />

doctrine <strong>de</strong> l'Église? —Non, — il était personnel à<br />

quelques-uns; et <strong>le</strong> marquis d'Argens (Dissertât, sur<br />

Ocellus Lucanus, p. 98), aussi hardi philosophe que<br />

Bay<strong>le</strong>, dit qu'on ne doit pas être étonné que ces Pères<br />

se soient trompés sur la nature <strong>de</strong>s anges jusqu'à ce<br />

que l'Église eût décidé qu'ils étaient purement spirituels,<br />

et que l'infaillibilité <strong>de</strong>s conci<strong>le</strong>s eût appris 1<br />

comment il faut entendre <strong>le</strong> passage <strong>de</strong> la Genèse<br />

indiqué plus haut. D'Argens ajoute qu'il était presque<br />

impossib<strong>le</strong> aux Pères <strong>de</strong> l'expliquer autrement. D'après<br />

un philosophe esprit fort, l'opinion <strong>de</strong> ces Pères est<br />

donc déjà justifiée <strong>de</strong> crédulité.<br />

Et en effet, il s'agissait d'une croyance presque généra<strong>le</strong><br />

qui pouvait être admise tant que l'Église n'avait<br />

rien statué.<br />

Au quatrième sièc<strong>le</strong>, à l'époque ou vivait saint Augustin,<br />

on pensait déjà que <strong>le</strong>s anges bons ou mauvais<br />

sont <strong>de</strong>s substances spirituel<strong>le</strong>s ; <strong>le</strong> livre d'Hénoch était<br />

reconnu apocryphe, et on avait décidé que ce passage<br />

<strong>de</strong> l'Écriture qui par<strong>le</strong> <strong>de</strong>s anges signifie enfants <strong>de</strong><br />

Dieu, hommes <strong>de</strong> bien; ce qui est relatif aux géants est<br />

éga<strong>le</strong>ment expliqué d'une manière très-satisfaisante.<br />

(V.S. Aug., De civ. Dei, XV, 23; saint Jean Chrysost.<br />

et saint Ambroise.)—Dans saint Augustin, qui résume<br />

<strong>le</strong>s Pères, on voit quel<strong>le</strong> était alors la doctrine <strong>de</strong> l'Église<br />

relativement aux accoup<strong>le</strong>ments diaboliques. —<br />

«Tant <strong>de</strong> gens d'honneur <strong>le</strong>s certifient, a-t-il dit, qu'il<br />

y aurait <strong>de</strong> l'impu<strong>de</strong>nce à <strong>le</strong>s nier...» Mais il semb<strong>le</strong><br />

l. Cependant Sulpice Sévère, au cinquième sièc<strong>le</strong>, croit encore ce<br />

que croyaient quelques-uns <strong>de</strong>s premiers Pères.


420 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

n'oser rien déci<strong>de</strong>r, ni dire s'il y a quelques esprits revêtus<br />

d'un corps d'air qui soient capab<strong>le</strong>s d'un commerce<br />

charnel : puis il dit plus loin : « Quoique <strong>le</strong>s<br />

saints anges aient pris quelquefois un corps, <strong>de</strong> sorte<br />

qu'ils ont été vus et touchés, il ne pense pas qu'ils<br />

aient pu tomber dans ces faib<strong>le</strong>sses (ib.). Cela <strong>de</strong>vrait<br />

plutôt s'entendre <strong>de</strong>s anges révoltés. » Il regar<strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

livre d'Hénoch comme apocryphe; il rejette l'interprétation<br />

erronée du passage <strong>de</strong> l'Écriture précé<strong>de</strong>mment<br />

cité, qui par<strong>le</strong> <strong>de</strong>s anges, attendu qu'el<strong>le</strong> a<br />

nommé quelquefois anges <strong>le</strong>s hommes <strong>de</strong> Dieu, etc.<br />

Poursuivons notre examen. — Saint Augustin penset—il,<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s païens et <strong>avec</strong> Varron, que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s recherchent<br />

<strong>le</strong>s voluptés dans <strong>le</strong>urs embrassements? Il<br />

dit seu<strong>le</strong>ment(lb., VI, 7) : Varron avoue que <strong>le</strong>s hommes<br />

croyaient que <strong>le</strong>urs dieux étaient touchés <strong>de</strong>s mêmes<br />

plaisirs qu'eux. — Croit-il que <strong>le</strong>s accoup<strong>le</strong>ments ont<br />

été féconds? En parlant <strong>de</strong> ces prétendues origines divines,<br />

il s'exprime ainsi : « Mais, dira quelqu'un, est-ce<br />

que vous croyez ces choses? —Non, vraiment, je ne<br />

<strong>le</strong>s crois pas, » répond saint Augustin (Ib., III, A). —<br />

Croit-il qu'ils goûtent du plaisir dans ces accoup<strong>le</strong>ments?—<br />

«Non, sans doute, » dit-il toujours. Mais en<br />

parlant <strong>de</strong> cette croyance <strong>de</strong>s païens, il s'exprime encore<br />

ainsi : « <strong>Le</strong>s malins esprits ne manquaient pas<br />

<strong>de</strong> confirmer ces opinions pernicieuses par <strong>de</strong>s prestiges.<br />

» (7£.,VI, 7.)<br />

Avant, il semblait hésiter; — « s'ils avaient un corps<br />

d'air d'une matière subti<strong>le</strong>, peut-être pourrait-il y avoir<br />

commerce charnel 1<br />

; mais si ce sont <strong>de</strong> purs esprits (et<br />

c'était l'opinion adoptée), tout y est prestigieux. »<br />

1. Kn effet, s'il eût été admis que <strong>le</strong>s esprits étaient composés d'un<br />

flui<strong>de</strong> subtil, il eût peut-être même été téméraire <strong>de</strong> soutenir qu'une<br />

aura seminalis ne pouvait opérer la fécondation.


AVEC LE DÉMON. 421<br />

Voyons, aprçs cet exposé, quel<strong>le</strong> est la doctrine <strong>de</strong><br />

l'Église et <strong>de</strong> saint Augustin? — Ces turpitu<strong>de</strong>s diaboliques<br />

sont si généra<strong>le</strong>ment crues qu'on ne peut <strong>le</strong>s<br />

nier sans impu<strong>de</strong>nce ; ces accoup<strong>le</strong>ments étant prestigieux,<br />

il n'en peut naître <strong>de</strong> postérité.<br />

<strong>Le</strong>s prétendus dieux, enfin, n'éprouvent point <strong>de</strong><br />

plaisir charnel, mais ils désirent porter au mal par <strong>le</strong>ur<br />

exemp<strong>le</strong>. — Tout y est donc fiction, car ils ne sont pas<br />

plus capab<strong>le</strong>s d'éprouver <strong>de</strong> la volupté que d'engendrer.<br />

— Pourtant, ne l'oublions pas, ils n'ont rien<br />

perdu <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur nature angélique; or, si <strong>le</strong>s bons anges<br />

ont paru sous la forme humaine agir en tout comme<br />

<strong>de</strong>s hommes ; si on <strong>le</strong>s a non-seu<strong>le</strong>ment vus, mais touchés,<br />

ces <strong>démon</strong>s séducteurs et artificieux ont pu faire<br />

croire aussi par <strong>le</strong>s mêmes moyens à <strong>de</strong>s accoup<strong>le</strong>ments<br />

véritab<strong>le</strong>s, car ils font tout ce qui dépend d'eux pour<br />

nous perdre, et un <strong>de</strong>s moyens <strong>le</strong>s plus efficaces, c'est<br />

l'impureté.<br />

Avec <strong>de</strong>s faits si bien attestés, ce sentiment <strong>de</strong>s<br />

Pères au quatrième sièc<strong>le</strong> dut paraître fort sage.<br />

Concluons donc : 1 0<br />

S'il y a eu crédulité <strong>de</strong> la part<br />

<strong>de</strong> quelques Pères, el<strong>le</strong> était fort excusab<strong>le</strong> pour plusieurs<br />

raisons ci-<strong>de</strong>vant exposées. La Genèse mal interprétée,<br />

<strong>le</strong> livre d'Hénoch avaient contribué à <strong>le</strong>ur<br />

faire adopter une erreur païenne que nul alors n'osait<br />

rejeter.<br />

2° El<strong>le</strong> était moins grave que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Gentils, qui<br />

croyaient que <strong>de</strong>s dieux tels que Jupiter copulaient<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s femmes, tandis que <strong>le</strong>s opinions personnel<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong> ces premiers Pères furent que ces dieux étaient<br />

<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s. Mais bientôt une doctrine infiniment plus<br />

sage fut adoptée, c'est cel<strong>le</strong> qu'on vient d'exposer. —<br />

Si el<strong>le</strong> l'emporte sur cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> quelques autres Pères,<br />

combien el<strong>le</strong> l'emporte surtout sur cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s plus


422 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

grands philosophes païens. Ici, comme ail<strong>le</strong>urs, la<br />

doctrine <strong>de</strong> l'Église explique donc <strong>de</strong>s faits inexplicab<strong>le</strong>s<br />

ou mal expliqués par <strong>le</strong>s païens. En toute circonstance,<br />

cel<strong>le</strong>-oi était donc <strong>le</strong> fanal propre à dissiper <strong>le</strong>s<br />

ténèbres du paganisme; en présence <strong>de</strong> faits qu'on ne<br />

saurait nier sans impu<strong>de</strong>nce, il était impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> dire,<br />

ce semb<strong>le</strong>, rien do plus judicieux.


AVEC LE DÉMON. 423<br />

CHAPITRE III<br />

<strong>Des</strong> hérésies, d'où -viennent-el<strong>le</strong>s? — Hérésiarques <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s.<br />

Simon. — Ménandre. — Marcion. — Marc. — Monlanisme. — Basili<strong>de</strong>.—<br />

Manichéisme, Manès. — <strong>Le</strong>s Gnostiques, etc. — Réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong>s hérésies,<br />

sentiments <strong>de</strong>s Pères sur <strong>le</strong>s hérétiques et <strong>le</strong>urs prodiges. — Supplément,<br />

la Caba<strong>le</strong>.<br />

<strong>Des</strong> hérésies, d'oii viennent-el<strong>le</strong>s ?<br />

On a dit précé<strong>de</strong>mment qu'il fut permis au <strong>démon</strong><br />

<strong>de</strong> crib<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s nouveaux chrétiens par <strong>le</strong>s hérésies. Petivit<br />

ut cribraret. <strong>Le</strong>s Pères, <strong>le</strong>s historiens nous ont fait<br />

connaître ce nouveau genre d'attaques, qui ne cessera<br />

qu'à la fin <strong>de</strong>s jours.<br />

Jésus-Christ avait averti son Église qu'après avoir<br />

semé <strong>le</strong> bon grain, l'ennemi sèmerait l'ivraie : la divine<br />

Sagesse ainsi <strong>le</strong> permettait pour éprouver la foi.<br />

Si l'on <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qui inspire <strong>le</strong>s hérésies, dit Tertullien<br />

(De prœscr., XL), je répondrai que c'est <strong>le</strong> diab<strong>le</strong>,<br />

dont l'office est <strong>de</strong> dérober aux hommes la vérité.<br />

<strong>Le</strong> Saint-Esprit nous a prévenus que <strong>le</strong>s prestiges du<br />

séducteur transformé en ange <strong>de</strong> lumière feraient<br />

inventer <strong>le</strong>s hérésies. (Ib., VI.) Tertullien fait voir<br />

que <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, dans <strong>le</strong>s mystères <strong>de</strong>s faux dieux, s'est<br />

efforcé constamment d'imiter <strong>le</strong>s saintes cérémonies<br />

du christianisme, comme 'il avait voulu copier <strong>le</strong>s rites<br />

<strong>de</strong> la loi mosaïque. (Ib., XL.)


424 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

« Qu'y a-t-il <strong>de</strong> plus adroit, disait saint Cyprien, que<br />

la manière dont <strong>le</strong> <strong>démon</strong> s'est conduit pour nous surprendre!...<br />

découvert et terrassé par l'avènement <strong>de</strong><br />

Jésus-Christ, ayant vu ses ido<strong>le</strong>s renversées et ses temp<strong>le</strong>s<br />

déserts, il s'est avisé d'un nouveau stratagème pour<br />

s'attirer <strong>de</strong>s discip<strong>le</strong>s, ceux qu'il ne peut retenir dans<br />

l'ancienne voie, il <strong>le</strong>s engage dans une nouvel<strong>le</strong> erreur.<br />

Il prend <strong>de</strong>s hommes dans l'Église même..., qui ne laissent<br />

pas <strong>de</strong> s'appe<strong>le</strong>r chrétiens et <strong>de</strong> croire qu'ils sont<br />

dans la lumière, quoiqu'ils marchent dans <strong>le</strong>s ténèbres;<br />

étant trompés par <strong>le</strong>s artifices <strong>de</strong> Satan, qui s'est<br />

transformé en ange <strong>de</strong> Dieu... Celui-ci aposte ses ministres<br />

pour faire passer la nuit pour <strong>le</strong> jour, Tantechrist<br />

pour Jésus-Christ. » — Saint Cyprien dit que la<br />

cause <strong>de</strong> ce mal, c'est qu'on s'écarte <strong>de</strong> la doctrine du<br />

Maître... Partout il se plaint <strong>de</strong> ce qu'on ne gar<strong>de</strong> pas<br />

l'unité <strong>de</strong> l'Église.<br />

Qu'on ne s'imagine pas, dit-il plus loin, que <strong>le</strong>s<br />

bons puissent sortir <strong>de</strong> l'Église : <strong>le</strong> vent n'emporte<br />

point <strong>le</strong> froment, mais la pail<strong>le</strong> légère... —Et ail<strong>le</strong>urs:<br />

« Jésus-Christpermet cette épreuve, pour faire connaître<br />

ceux dont la foi est ferme et sincère. Il faut qu'il y<br />

ait <strong>de</strong>s hérésies, dit <strong>le</strong> Saint-Esprit, afin qu'on distingue<br />

ceux qui sont véritab<strong>le</strong>ment gens <strong>de</strong> bien... Dès<br />

ici-bas, <strong>le</strong>s bons sont séparés <strong>de</strong>s méchants... » (S. Cyprien,<br />

De unit. Eco<strong>le</strong>s.)<br />

En vain l'Apôtre avait recommandé à la créature<br />

déchue par curiosité et par orgueil, <strong>de</strong> se mettre en<br />

gar<strong>de</strong> contre l'esprit philosophique qui veut tout connaître<br />

et tout son<strong>de</strong>r. La raison, malgré son impuissance,<br />

continue <strong>de</strong> vouloir tout expliquer. On se livre à<br />

<strong>de</strong>s disputes vaines, à <strong>de</strong>s recherches sans fin; on puise<br />

dans <strong>le</strong>s doctrines <strong>de</strong>s pythagoriciens, <strong>de</strong>s stoïciens,<br />

<strong>de</strong>s platoniciens, on essaye d'expliquer <strong>le</strong>s dogmes au


AVEC LE DÉMON. 425<br />

moyen <strong>de</strong> la magie, <strong>de</strong> la caba<strong>le</strong> et <strong>de</strong>s nombres...<br />

L'Esprit-Saint avait cependant prévenu <strong>de</strong>s attaques <strong>de</strong><br />

Satan, et dit qu'on ne <strong>de</strong>vait rien ajouter à la doctrine<br />

<strong>de</strong>s apôtres : ceux-ci n'ont rien inventé, et ont recommandé<br />

que, lors même qu'un ange <strong>de</strong>scendrait du ciel<br />

pour donner un autre Évangi<strong>le</strong>, il ne faudrait pas<br />

l'écouter. — Pour nous, dit Tertullien déjà cité, nous<br />

sommes en possession du symbo<strong>le</strong> <strong>de</strong> notre foi... il faut<br />

éviter même <strong>le</strong>s disputes <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s hérétiques, el<strong>le</strong>s ne<br />

serviraient qu'à épuiser la tête et <strong>le</strong>s poumons... L'hérétique<br />

rejette dans l'Écriture <strong>le</strong>s livres qui ne lui conviennent<br />

pas, retranche <strong>de</strong>s uns, en altère d'autres,<br />

interprète comme il entend ceux qu'il reçoit entiers...<br />

L'audacieux novateur, ayant rejeté ce qui <strong>le</strong> confond,<br />

cite ce qu'il a falsifié : à quoi servirait la dispute? Il niera<br />

opiniâtrement ce que vous avancez ; il soutiendra ce que<br />

vous niez. Vous ne remporterez <strong>de</strong> là que <strong>de</strong> l'indignation<br />

et <strong>de</strong> la fatigue... Notre doctrine nous vient<br />

<strong>de</strong>s apôtres, toute doctrine opposée ne peut être que<br />

fausse; tout ce que nous avons à prouver, c'est que<br />

la nôtre a été constamment la même... Inspirée par<br />

<strong>le</strong> <strong>démon</strong>, l'hérésie, au fond, ne diffère pas <strong>de</strong> l'idolâtrie.<br />

Il dit que la conduite <strong>de</strong>s hérésiarques est frivo<strong>le</strong>,<br />

terrestre, humaine, sans gravité, sans autorité, sans<br />

discipline, assortie à <strong>le</strong>ur foi Opposés <strong>le</strong>s uns aux<br />

autres dans <strong>le</strong>urs croyances, tout est égal, pourvu<br />

qu'on se réunisse pour triompher <strong>de</strong> la vérité... <strong>Le</strong>s<br />

femmes exorcisent, dogmatisent, baptisent, promettent<br />

<strong>de</strong>s guérisons ; <strong>le</strong>s ordinations se font au hasard, par<br />

caprice; <strong>le</strong> laïque <strong>de</strong>vient prêtre, <strong>le</strong> prêtre <strong>de</strong>vient<br />

laïque... Ils sont décriés pour <strong>le</strong>ur commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />

magiciens, <strong>le</strong>s astrologues, <strong>le</strong>s philosophes, <strong>le</strong>s gens<br />

d'une curiosité effrénée... Par <strong>le</strong>urs mœurs, on juge


426 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur foi, ils enseignent <strong>le</strong>s doctrines <strong>le</strong>s plus pernicieuses<br />

1<br />

, etc. (Tertull., De prœscr., passim.)<br />

Cependant ces hérésiarques dont <strong>le</strong>s doctrines étaient<br />

opposées et la mora<strong>le</strong> souvent loin d'être pure, chacun<br />

d'eux prétendait possé<strong>de</strong>r la vérité; la vérité, qui est<br />

une, pouvait-el<strong>le</strong> se rencontrer parmi tant <strong>de</strong> sectes<br />

contradictoires, qui s'étaient toutes plus ou moins écar*<br />

técs <strong>de</strong> la doctrine <strong>de</strong>s apôtres? Chacune, pour soutenir<br />

ses prétentions, faisait <strong>de</strong>s prodiges et <strong>de</strong>s prédictions<br />

; tous ces sectaires orgueil<strong>le</strong>ux se prétendaient<br />

inspirés par l'Esprit-Saint. Un exposé succinct <strong>de</strong>s plus<br />

fameuses hérésies, et même <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs prodiges, dans <strong>le</strong><br />

cours <strong>de</strong> cet ouvrage, fera mieux connaître que tout ce<br />

qu'on pourrait dire ici ce que <strong>le</strong>s Pères considéraient<br />

comme l'œuvre <strong>de</strong> l'ange séducteur.<br />

Hérésiarques <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s.<br />

La doctrine <strong>de</strong>s hérétiques et <strong>le</strong>s prodiges qui la<br />

sanctionnaient étaient propres à en dévoi<strong>le</strong>r l'auteur.<br />

Comment ne pas <strong>le</strong> reconnaître? Orgueil<strong>le</strong>ux, brouillons,<br />

tracassiers, séditieux, ils étaient ce grain avorté,<br />

cette pail<strong>le</strong> légère que <strong>le</strong> moindre vent emporte : « Ils<br />

sont sortis d'<strong>avec</strong> nous, disait saint Cyprien, mais ih<br />

n'étaient pas <strong>avec</strong> nous, ils y seraient <strong>de</strong>meurés. »<br />

Simon.<br />

Du temps <strong>de</strong>s apôtres, nous voyons Simon, discip<strong>le</strong><br />

du magicien Dosithée, surpasser son maître dans l'art<br />

1. Qui <strong>le</strong> croirait ? Cet homme qui avait confondu <strong>le</strong>s hérétiques fut<br />

séduit par l'apparente piété <strong>de</strong>s montanistes : Satan a tant <strong>de</strong> moyens<br />

<strong>de</strong> séduction ; <strong>le</strong> relâchement chez <strong>le</strong>s uns, l'austérité excessive <strong>de</strong>s<br />

autres.


AVEC LE DÉMON. 427<br />

<strong>de</strong>s prestiges, et par ce moyen séduire <strong>le</strong>s Samaritains,<br />

qui <strong>le</strong> nommaient la gran<strong>de</strong> vertu <strong>de</strong> Dieu. <strong>Le</strong>s Actes <strong>de</strong>s<br />

Apôtres, qui attestent la gloire et <strong>le</strong>s enchantements <strong>de</strong><br />

Simon, nous apprennent aussi que saint Philippe, étant<br />

allé à Samarie, fit découvrir par ses mirac<strong>le</strong>s la nature<br />

<strong>de</strong>s prodiges <strong>de</strong> ce magicien, qui, étonné lui-môme, et<br />

regardant <strong>le</strong>s apôtres comme <strong>de</strong>s magiciens d'un ordre<br />

supérieur, se fit baptiser. Voulant se faire initier à ce<br />

qu'il appelait <strong>le</strong>ur magie, il ne quitta plus saint Philippe,<br />

et offrit à saint Pierre <strong>de</strong> l'argent pour qu'il lui<br />

apprît à faire <strong>de</strong>scendre visib<strong>le</strong>ment l'Esprit-Saint, qui<br />

concédait <strong>le</strong> don <strong>de</strong>s langues et celui <strong>de</strong> prophétie. On<br />

sait la vive répriman<strong>de</strong> que lui adressa l'Apôtre. Simon se<br />

retira confus, et s étant adjoint une courtisane nommée<br />

Hélène, il parcourut <strong>le</strong>s provinces pour combattre la doctrine<br />

<strong>de</strong>s apôtres, enseignant que Dieu n'avait pas produit<br />

immédiatement <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> ni créé <strong>l'homme</strong> ; s'il l'eût<br />

créé, disait-il, il ne lui aurait pas donné <strong>de</strong>s lois qu'il<br />

savait qu'il enfreindrait. Ce créateur, qui n'a voulu que<br />

<strong>de</strong>s coupab<strong>le</strong>s à punir, est un être ennemi <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>.<br />

— <strong>Le</strong>s platoniciens croyaient qu'il existait entre l'Être<br />

suprême et <strong>le</strong> genre humain une longue chaîne <strong>de</strong> génies<br />

auxquels on commandait par <strong>le</strong>s enchantements.<br />

Simon déclara qu'il était l'Être suprême, <strong>le</strong> Parac<strong>le</strong>t, <strong>le</strong><br />

Verbe <strong>de</strong> Dieu, etc. Il avait dans <strong>le</strong> temps créé <strong>de</strong>s intelligences<br />

puissantes à dos <strong>de</strong>grés divers ; mais, lorsqu'il<br />

voulut faire <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, la première d'entre el<strong>le</strong>s,<br />

ayant pénétré son <strong>de</strong>ssein, prévint sa volonté en créant<br />

el<strong>le</strong>-même <strong>de</strong>s substances spirituel<strong>le</strong>s auxquel<strong>le</strong>s el<strong>le</strong><br />

se garda bien <strong>de</strong> révé<strong>le</strong>r l'Être tout-puissant qui l'avait<br />

créée el<strong>le</strong>-même... Ces intelligences, à <strong>le</strong>ur tour, produisirent<br />

<strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, et, pour se faire adorer comme <strong>de</strong>s<br />

dieux suprêmes, el<strong>le</strong>s retinrent captive l'intelligence<br />

mère, l'outragèrent, l'empêchèrent <strong>de</strong> s'en retourner


DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

vers son père, puis l'enfermèrent dans <strong>le</strong> corps d'une<br />

femme... c'était Hélène, la même qui avait causé la<br />

guerre <strong>de</strong> Troie, et qui, <strong>de</strong> sièc<strong>le</strong> en sièc<strong>le</strong>, après plusieurs<br />

transmigrations, s'est vue réduite à être exposée<br />

dans un lieu <strong>de</strong> débauche. Simon, ayant pris une forme<br />

humaine, la chercha par tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, il vit dans son<br />

voyage que ces puissances ambitieuses et riva<strong>le</strong>s se disputant<br />

l'univers, exerçaient sur <strong>le</strong>s hommes une affreuse<br />

tyrannie et prescrivaient mil<strong>le</strong> pratiques insensées,<br />

il voulut rompre <strong>le</strong>urs chaînes, révéla que <strong>le</strong>s religions<br />

étaient l'œuvre <strong>de</strong> ces puissances qui avaient fait<br />

croire qu'il y avait <strong>de</strong>s actions bonnes et mauvaises,<br />

qu'il fallait se mortifier, se refuser <strong>le</strong>s plaisirs, etc.<br />

Simon est donc venu pour éclairer <strong>le</strong>s hommes, et <strong>le</strong>ur<br />

apprendre que <strong>le</strong>s actions sont indifférentes, que c'est<br />

par sa grâce et non par <strong>le</strong>urs mérites qu'ils seront<br />

soustraits à la domination tyrannique <strong>de</strong>s anges, qu'il<br />

ne peut y avoir <strong>de</strong> salut que pour ses discip<strong>le</strong>s, qu'il<br />

faut enfin croire à Hélène et à Simon, la gran<strong>de</strong> vertu<br />

<strong>de</strong> Dieu.<br />

Pour croire <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s inepties, dans <strong>le</strong>s plus beaux<br />

sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la civilisation, pour qu'environ cent trente ans<br />

après Simon (selon saint Justin), <strong>le</strong>s Samaritains et plusieurs<br />

autres en divers pays adorassent encore ce magicien<br />

comme <strong>le</strong> plus grand <strong>de</strong>s dieux, et même au<br />

troisième sièc<strong>le</strong> selon d'autres auteurs, il fallait que <strong>le</strong>s<br />

prodiges <strong>de</strong> Simon fussent bien surprenants, et que <strong>le</strong><br />

bruit <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s du Sauveur eût bien préparé <strong>le</strong>s esprits<br />

à accepter <strong>le</strong> grand mystère d'une incarnation;<br />

mais <strong>le</strong> fait n'est que trop véritab<strong>le</strong> ; pour l'honneur <strong>de</strong><br />

l'humanité, on voudrait pouvoir en douter. Simon baptisait,<br />

faisait <strong>de</strong>scendre <strong>le</strong> feu du ciel sur <strong>le</strong>s eaux..., etc.<br />

Sa doctrine sur l'origine du mal, sur la ré<strong>de</strong>mption<br />

<strong>de</strong>s hommes était contraire à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s apôtres, qui ex-


AVEC LE DÉMON. 429<br />

pliquaient, selon lui, fort mal ce dogme... 11 trompa<br />

beaucoup <strong>de</strong> inon<strong>de</strong>. Ses discip<strong>le</strong>s firent, comme lui,<br />

<strong>de</strong>s prodiges; il eut ses prêtres, ses adorateurs. Quelques-uns<br />

<strong>de</strong> ses discip<strong>le</strong>s, tel fut Ménandre, formèrent<br />

nne secte nouvel<strong>le</strong> qui se fit une doctrine. (V. Pluquet,<br />

Dictiomi. <strong>de</strong>s hérésies.)<br />

Qu'on ait érigé ou non une statue au dieu Simon,<br />

c'est ce qu'on ne discutera pas; on n'examinera même<br />

pas si ses prestiges étaient diaboliques ou naturels;<br />

<strong>de</strong>rnière opinion qu'on ne partage pas. Ce qui est<br />

conslant, c'est qu'il séduisit ses compatriotes, <strong>le</strong>s Samaritains,<br />

par <strong>de</strong>s prodiges que <strong>le</strong>s historiens et <strong>le</strong>s Pères<br />

attribuèrent aux <strong>démon</strong>s; c'est que sa doctrine enfin<br />

était opposée à cel<strong>le</strong> du christianisme.<br />

Ménandre.<br />

Ménandre, son discip<strong>le</strong>, prit <strong>le</strong> titre d'envoyé divin.<br />

- «De Dieu, auteur <strong>de</strong> la vie, disait-il, sont sortis une<br />

fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> génies qui ont formé l'univers : soit impuissance,<br />

soit méchanceté, ils ont enfermé l'âme humaine<br />

dans un corps, source <strong>de</strong> misères; <strong>de</strong>s génies bienfaisants,<br />

touchés <strong>de</strong> cet état, ont envoyé Ménandre pour<br />

apprendre aux hommes <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> triompher <strong>de</strong>s<br />

mauvais anges ; ce secret était <strong>de</strong> rendre <strong>le</strong>s organes<br />

inaltérab<strong>le</strong>s par l'emploi d'un bain magique qui ne permît<br />

plus <strong>de</strong> vieillir... — <strong>Le</strong>s ménandriens se crurent<br />

immortels; cette hérésie eut <strong>de</strong>s sectateurs sous d'autres<br />

noms, dans <strong>de</strong>s temps assez près du nôtre. <strong>Le</strong>s secrets<br />

<strong>de</strong> la caba<strong>le</strong> et l'alchimie furent la continuation <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

fol<strong>le</strong>s prétentions.<br />

Afarcion.<br />

Marcîon, d'abord chrétien zélé, puis excommunié


430 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

pour certaines faib<strong>le</strong>sses, s'attacha à Cerdon et apprit<br />

<strong>de</strong> lui <strong>le</strong> système <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux principes, qu'il allia <strong>avec</strong><br />

quelques dogmes chrétiens et <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s idées pythagoriciennes,<br />

platoniciennes et stoïciennes. D'après lui,<br />

l'âme, tirant son origine d'une intelligence bienfaisante,<br />

s'était dégradée en s'unissant au corps.<br />

Ne pensant pas que l'intelligence suprême eût pu<br />

réunir l'âme au corps, il crut, <strong>avec</strong> Cerdon, que <strong>le</strong><br />

Dieu qui avait créé <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> et <strong>le</strong> corps <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong><br />

était fort différent du Dieu suprême. L'âme sort du bon<br />

principe et <strong>le</strong> corps du mauvais. <strong>Le</strong> premier, pour communiquer<br />

son bonheur, a créé <strong>le</strong>s âmes et la fou<strong>le</strong> <strong>de</strong>s<br />

esprits; <strong>le</strong> second, pour troub<strong>le</strong>r ce bonheur, ayant<br />

créé la matière, a enchaîné <strong>le</strong>s âmes dans <strong>le</strong>s corps,<br />

<strong>le</strong>ur a donné <strong>de</strong>s lois, <strong>le</strong>s a assujetties à la terre, pour<br />

<strong>le</strong>s empêcher <strong>de</strong> se réunir au principe bienfaisant. L'histoire<br />

<strong>de</strong> Moïse, <strong>le</strong>s lois <strong>de</strong>s Juifs, <strong>le</strong>s châtiments qu'ils<br />

craignent, <strong>le</strong>s récompenses qu'ils espèrent, etc., en<br />

sont la preuve. Marcion a été envoyé pour annoncer<br />

que <strong>l'homme</strong> ne peut être heureux que par son union<br />

à son principe ; en conséquence, il condamne tout ce<br />

qui s'y oppose, tous <strong>le</strong>s penchants <strong>de</strong> la nature, <strong>le</strong>s<br />

plaisirs <strong>le</strong>s plus innocents, etc.. La continence est si<br />

essentiel<strong>le</strong>, selon Marcion, qu'il considère <strong>le</strong> mariage<br />

comme un crime.<br />

Il y a, selon lui, opposition entre l'Ancien et <strong>le</strong> Nouveau<br />

Testament, ce qui fait supposer qu'ils ont <strong>de</strong>ux<br />

principes tout différents; il ajouta aux livres saints ou<br />

en retrancha ce qui contrariait son système.<br />

On prétend qu'il adopta quelques principes <strong>de</strong> magie;<br />

peut-être lui permirent-ils d'appuyer ses erreurs<br />

par <strong>de</strong>s prodiges : il est certain qu'il séduisit beaucoup<br />

<strong>de</strong> mon<strong>de</strong>. Il reconnaissait que Jésus-Christ,<br />

fils du Dieu souverain, était venu, mais revêtu d'un


AVEC LE DÉMON. 431<br />

corps fantastique, pour faire mépriser <strong>le</strong> créateur <strong>de</strong>s<br />

corps.<br />

Apel<strong>le</strong>, son discip<strong>le</strong>, n'admit qu'un seul principe<br />

éternel ; mais la difficulté <strong>de</strong> concilier l'origine du mal<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong> bon principe lui fit penser que <strong>le</strong> principe<br />

qui avait fait <strong>le</strong>s anges ne prenait aucun soin <strong>de</strong> la<br />

terre; ayant créé <strong>de</strong>s anges, entre autres l'ange <strong>de</strong> feu,<br />

celui-ci créa <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, <strong>le</strong>quel est mauvais, car ce créateur<br />

était mauvais... Il pensait, comme Marcion, que<br />

Jésus-Christ était venu pour inspirer <strong>le</strong> mépris du<br />

créateur <strong>de</strong> la matière, mais il n'admettait pas qu'il eût<br />

nn corps fantastique... — Loin d'être continent comme<br />

Marcion, Apel<strong>le</strong> s'adonnait aux femmes; l'une d'el<strong>le</strong>s,<br />

qui était une prostituée, faisait <strong>de</strong>s prodiges et avait <strong>de</strong>s<br />

apparitions.<br />

Marc.<br />

Selon Marc, discip<strong>le</strong> <strong>de</strong> Va<strong>le</strong>ntin, Dieu a créé <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong> en prononçant certaines paro<strong>le</strong>s ; ce n'était pas<br />

<strong>de</strong>s sons vagues ou arbitraires, ils n'auraient pu produire<br />

un être plutôt qu'un autre ; ces mots exprimaient<br />

<strong>de</strong>s êtres, et avaient une force productrice... qui existait<br />

aussi dans <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres...-<strong>Le</strong>s vingt-quatre <strong>le</strong>ttres <strong>de</strong><br />

i'alphabet renfermant ainsi toutes <strong>le</strong>s forces, toutes <strong>le</strong>s<br />

qualités possib<strong>le</strong>s, c'est pour cela que Jésus-Christ a dit<br />

qu'il est l'alpha et l'oméga.<br />

<strong>Le</strong>s sentiments varient sur <strong>le</strong> système <strong>de</strong> Marc ; <strong>le</strong>s<br />

iras préten<strong>de</strong>nt qu'il admettait trente éons, d'autres disent<br />

vingt-quatre, pour expliquer <strong>le</strong>s phénomènes...<br />

On ne peut abor<strong>de</strong>r ici ces détails sur la puissance <strong>de</strong>s<br />

éons et sur <strong>le</strong>s nombres dont la force était capab<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>s déterminer. Il paraît que <strong>le</strong>s éons produits par l'Être<br />

suprême étaient <strong>de</strong>s intelligences auxquel<strong>le</strong>s il avait


432 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

abandonné <strong>le</strong> soin du mon<strong>de</strong>. Quoi qu'il en soit, <strong>avec</strong><br />

<strong>le</strong>s éons on pouvait faire tous <strong>le</strong>s prodiges possib<strong>le</strong>s.<br />

— On sait déjà que <strong>le</strong>s Gentils attribuaient aux <strong>le</strong>ttres<br />

et aux paro<strong>le</strong>s une gran<strong>de</strong> puissance ; c'est par là, selon<br />

eux, que Jésus-Christ opérait ses prodiges. — Entre<br />

autres mirac<strong>le</strong>s, Marc changeait en sang 1<br />

, aux yeux <strong>de</strong>s<br />

spectateurs, <strong>le</strong> vin du saint sacrifice, qui, après une<br />

prière, bouillonnait dans <strong>le</strong> calice, et remplissait un<br />

grand vase : <strong>de</strong>s femmes illustres par <strong>le</strong>ur rang, qui<br />

admiraient <strong>le</strong> prodige accompli par Marc, remplies <strong>de</strong><br />

fureur divine, s'agitaient et prophétisaient. Marc, qui<br />

disait avoir la source <strong>de</strong> la grâce, choisissait <strong>le</strong>s moyens<br />

propres à la communiquer. Pour que <strong>le</strong>s femmes reçussentTEsprit-Saint,<br />

il fallait être disposé favorab<strong>le</strong>ment<br />

à servir la passion <strong>de</strong> Marc.. Ses prestiges perpétuèrent<br />

sa doctrine : tout était permis aux marcosiens.<br />

Si quelques femmes étaient retenues par un reste <strong>de</strong><br />

pu<strong>de</strong>ur, après certaines invocations, on se rendait invisib<strong>le</strong>,<br />

alors on ne craignait plus rien. Ils étaient persuadés,<br />

dit saint Irénée, qu'après avoir fait certaines<br />

prières, <strong>le</strong>urs turpitu<strong>de</strong>s étaient cachées sous un voi<strong>le</strong><br />

impénétrab<strong>le</strong>.<br />

Montanisme.<br />

Peu <strong>de</strong> temps après sa conversion, Montan prétendit<br />

qu'il était <strong>le</strong> prophète envoyé par Jésus-Christ pour<br />

annoncer <strong>de</strong>s vérités que l'Église, dans son enfance,<br />

l. Ce prestige prouve encore qu'au <strong>de</strong>uxième sièc<strong>le</strong> l'Église croyait<br />

que <strong>le</strong> vin consacré <strong>de</strong>venait du sang, autrement cet hérétique n'eût<br />

pas rendu ce changement sensib<strong>le</strong> par un faux mirac<strong>le</strong>. — Comme<br />

on ne peut entrer ici dans plus <strong>de</strong> développement concernant l'hérétique<br />

Marc, V. S. Irénée, Adv. hœres., I: — Théodore!, Livres <strong>de</strong>s<br />

hérétiques; — S. Philastrius, Liv. <strong>de</strong>s hérésies; — JJcrgier, Dict. théoh,<br />

v° Marcosiens, et Pluquet, Dict, <strong>de</strong>s hérésies.


AVEC LE DÉMON. 433<br />

n'aurait pu comprendre. Agité <strong>de</strong> mouvements convulsifs,<strong>le</strong>suns<br />

<strong>le</strong> croyaient inspiré, d'autres pensaient qu'il<br />

était possédé; mais lui se disait inspiré par<strong>le</strong> Parac<strong>le</strong>t,<br />

pour enseigner une mora<strong>le</strong> plus parfaite. L'Église ne<br />

refuse pas <strong>le</strong> pardon aux grands criminels. Montan enseigne<br />

que l'Église ne peut <strong>le</strong>s absoudre; il multiplie<br />

<strong>le</strong>s austérités qu'el<strong>le</strong> a prescrites ; il regar<strong>de</strong> <strong>le</strong>s secon<strong>de</strong>s<br />

noces comme <strong>de</strong>s adultères, prétend qu'il n'est<br />

pas permis <strong>de</strong> fuir <strong>le</strong>s persécutions, etc.. Priscil<strong>le</strong> et<br />

Maximil<strong>le</strong> quittent <strong>le</strong>urs maris pour <strong>le</strong> suivre, et prophétisent<br />

comme lui. Bientôt surgit une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> prophètes<br />

montanistes que l'Église, après mûr examen,<br />

déclara faux et hérétiques. <strong>Le</strong>urs principes, loin <strong>de</strong><br />

favoriser la débauche, comme chez plusieurs hérésiarques,<br />

no furent pas moins dangereux par <strong>le</strong>ur excessive<br />

sévérité.<br />

<strong>Le</strong>urs prophéties, <strong>le</strong>ur doctrine austère, séduisirent<br />

plusieurs pays qui en furent infestés; cependant Montan<br />

et ses premiers discip<strong>le</strong>s menaient une vie absolument<br />

contraire à <strong>le</strong>ur doctrine qui n'était propre qu'à<br />

décourager <strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s; <strong>le</strong>urs prophéties, comme cel<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>s païens, étaient vraies quelquefois, souvent menteuses.<br />

<strong>Le</strong> prophète montaniste était agité comme la<br />

pythie. — Ces hérétiques essayèrent <strong>de</strong> tromper <strong>le</strong> pape<br />

saint Victor; Tertullien lui-môme fut séduit. Cette hérésie<br />

était <strong>le</strong> chef-d'œuvre <strong>de</strong> l'esprit <strong>de</strong> ténèbres transformé<br />

en ange <strong>de</strong> lumière. Mais, <strong>le</strong>s conci<strong>le</strong>s s'étant<br />

assemblés, l'agent séducteur fut découvert. — « <strong>Le</strong>s<br />

1. On assure (V. Eusèbe, Hist. ecclés., V, 16) que Maximil<strong>le</strong> et<br />

Montan sont morts comme Judas, ils se sont pendus... On prétend<br />

aussi que Théodote, <strong>le</strong> promoteur <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur prophétie, fut é<strong>le</strong>vé en l'air<br />

par l'esprit qui l'avait trompé, et ensuite précipité misérab<strong>le</strong>ment. —<br />

On dit que cela est arrivé <strong>de</strong> la sorte, ajoute Eusèbe, qui a soin aussi<br />

<strong>de</strong> dire que, ne l'ayant pas vu, il n'oserait l'assurer.<br />

1 et et


DES HAPPOHTS DE L'HOMME<br />

montanistes, dit saint Augustin, tiraient, par <strong>le</strong> moyen<br />

<strong>de</strong> piqûres pratiquées sur tout <strong>le</strong> corps d'un jeune enfant,<br />

son sang, qu'ils mêlaient <strong>avec</strong> <strong>de</strong> la cendre ; ils en<br />

faisaient un pain <strong>avec</strong> quoi ils préparaient <strong>le</strong>ur eucha­<br />

ristie 1<br />

. » — Montan n'attribuait point à Dieu la création<br />

du mon<strong>de</strong>, mais aux intelligences par lui créées, erreur<br />

commune à la plupart <strong>de</strong>s hérésiarques, adoptée pour<br />

concilier l'origine du mal <strong>avec</strong> la bonté <strong>de</strong> Dieu.<br />

Basili<strong>de</strong>.<br />

Basili<strong>de</strong>, adoptant aussi <strong>le</strong>s principes <strong>de</strong> Pythagore,<br />

s'infatua <strong>de</strong> la magie et <strong>de</strong> la caba<strong>le</strong>, prétendit qu'il<br />

y a <strong>de</strong>s nombres qui ont un rapport si essentiel <strong>avec</strong><br />

l'ordre et l'harmonie <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s, que l'intelligence<br />

créatrice ne pouvait s'en écarter en <strong>le</strong>s formant. Connaître<br />

ce rapport, c'est connaître la loi qui a dirigé cette<br />

intelligence. <strong>Le</strong> nombre 365, qui forme <strong>le</strong>s révolutions<br />

que <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il accomplit dans l'année, <strong>de</strong>vait être celui<br />

qui plaît <strong>le</strong> plus à cette intelligence. Ce nombre, exprimé<br />

par <strong>de</strong>s <strong>le</strong>ttres formant <strong>le</strong> mot abraxas, parut<br />

tout-puissant; on <strong>le</strong> grava sur <strong>de</strong>s pierres, on en fit ces<br />

talismans dont il sera parlé, qu'on voit encore dans <strong>le</strong>s<br />

cabinets <strong>de</strong>s curieux. Pythagore avait enseigné que l'intelligence<br />

productrice rési<strong>de</strong> dans <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il ; <strong>de</strong>s chrétiens<br />

pensèrent que Jésus-Christ était dans cet astre;<br />

ils portèrent sur eux <strong>de</strong>s abraxas où l'on grava sa figure,<br />

pour obtenir <strong>de</strong>s grâces.<br />

Manichéisme, Manès.<br />

L'existence <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux principes était admise, comme<br />

on l'a vu, chez tous <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s : Oromase et Ahriman,<br />

l, De hwres, XXVJ. C'est encore <strong>le</strong> sacrilice sanglant <strong>de</strong>s païens.


AVEC LE DÉMON.<br />

Osiris et Typhon, etc.. Partout enfin on avait reconnu<br />

un dieu lumière et un dieu ténèbres; <strong>de</strong>ux génies<br />

maîtres absolus, dont l'un faisait <strong>le</strong> bien et l'autre <strong>le</strong><br />

mal. On pensait que ces <strong>de</strong>ux principes <strong>de</strong>vaient être<br />

éternels et indépendants l'un <strong>de</strong> l'autre, sinon il n'y<br />

aurait eu que du bien ou du mal. Nous avons vu aussi<br />

précé<strong>de</strong>mment que c'était <strong>le</strong> même dieu qui formait une<br />

àtulilé, aussi <strong>le</strong>s manichéens supposaient <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux principes<br />

coétemels. — Il serait diffici<strong>le</strong> d'exposer ici ce système,<br />

puisqu'on a compté plus <strong>de</strong> soixante-dix sectes <strong>de</strong><br />

manichéens, qui se divisent et se contredisent. Quoi<br />

qu'il en soit, Manès reconnaissait <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux principes ;<br />

il disait aux chrétiens qu'il admettait comme eux une<br />

puissance <strong>de</strong> ténèbres; mais, ne pensant point qu'el<strong>le</strong> fût<br />

l'œuvre d'un dieu bon, il fallait supposer qu'el<strong>le</strong> était<br />

éternel<strong>le</strong> et incréée comme lui. Il n'était point l'inventeur<br />

<strong>de</strong> ce système, puisque Pythagore, Platon, etc.,<br />

supposaient cette coéternité. Loin <strong>de</strong> penser pourtant<br />

que <strong>le</strong> mauvais principe fût égal au bon, il supposait,<br />

au contraire, que <strong>le</strong> bon avait envoyé l'esprit vivant<br />

pour enchaîner dans <strong>le</strong>s airs ou reléguer sur la terre<br />

<strong>le</strong> <strong>démon</strong>, auquel il ne laissait <strong>de</strong> puissance et <strong>de</strong> liberté<br />

qu'autant qu'il <strong>le</strong> jugeait à propos pour ses <strong>de</strong>sseins<br />

; mais, <strong>le</strong> <strong>démon</strong> ayant usé <strong>de</strong> cette puissance<br />

pour former <strong>l'homme</strong> et la femme, l'âme uhie au corps,<br />

étant cé<strong>le</strong>ste, doit être purifiée avant <strong>de</strong> retourner à sa<br />

source divine, et ce n'est qu'après <strong>de</strong>s transmigrations<br />

nombreuses, après avoir animé différents corps, traversé<br />

la région <strong>de</strong> la matière, et passé dans la lune<br />

pour arriver au so<strong>le</strong>il qu'el<strong>le</strong> parvient à la colonne <strong>de</strong><br />

gloire.<br />

Il ne nous appartient pas <strong>de</strong> rapporter toutes <strong>le</strong>s<br />

extravagances <strong>de</strong> ces systèmes, dont <strong>le</strong>s conséquences<br />

furent si funestes, et dont on ne peut cependant se


436 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

dispenser <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r, puisqu'ils trouvent encore <strong>de</strong> nos<br />

jours <strong>de</strong>s partisans.<br />

<strong>Le</strong>s manichéens rejetaient l'Ancien Testament, en<br />

opposition, disaient-ils, <strong>avec</strong> <strong>le</strong> Nouveau. Ils condamnaient<br />

<strong>le</strong> mariage, qui ne sert qu'à perpétuer la captivité<br />

<strong>de</strong>s âmes. On <strong>le</strong>s accusait <strong>de</strong> se livrer à toutes <strong>le</strong>s<br />

turpitu<strong>de</strong>s que <strong>le</strong>s passions <strong>le</strong>s plus grossières peuvent<br />

inspirer. Manès accueillait toutes <strong>le</strong>s sectes; il admettait<br />

<strong>le</strong> principe d'égalité, jurait haine éternel<strong>le</strong> aux<br />

rois... « Tout appartient à tous, disait-il; il n'y a ni<br />

pauvres ni riches. » <strong>Le</strong>s manichéens rejetaient <strong>le</strong>s sacrements,<br />

<strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s saints, celui <strong>de</strong> la croix, <strong>de</strong>s<br />

reliques,- <strong>de</strong>s images, etc.<br />

D'après <strong>le</strong> manichéisme, <strong>le</strong> Dieu bon n'inspire aucune<br />

crainte pour <strong>le</strong>s crimes ; <strong>le</strong> mauvais, quoi qu'on<br />

fasse, est toujours notre perpétuel ennemi : <strong>avec</strong> eux<br />

tout est fatal, inévitab<strong>le</strong>, car chacun d'eux agit selon sa<br />

nature; il n'y a ni bien ni mal moral, mais bonheur et<br />

malheur.<br />

Manès, Persan é<strong>le</strong>vé dans la science <strong>de</strong>s mages,<br />

retourna en Perse, où Sapor <strong>le</strong> fit écorcher tout vif.<br />

Cet hérétique qui se disait aussi <strong>le</strong> Parac<strong>le</strong>t, quoique<br />

réfuté, laissa <strong>de</strong> nombreux discip<strong>le</strong>s à la croyance<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux principes, mais dissi<strong>de</strong>nts sur plusieurs<br />

chefs; il en naquit une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> sectes manichéennes.<br />

<strong>Le</strong> manichéisme a été considéré comme l'hérésie la<br />

plus funeste ; c'est la seu<strong>le</strong> qui ait été prédite <strong>avec</strong> tous ses<br />

caractères particuliers, c'est <strong>le</strong> vrai mystère d'iniquité<br />

prédit par l'apôtre saint Paul, c'est l'hérésie que l'Esprit-<br />

Saint a signalée comme étant la plus dangereuse, c'est<br />

enfin l'hérésie <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong>s temps. — Manès s'attribuait<br />

aussi <strong>le</strong> don <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s; nous verrons un jour<br />

<strong>le</strong>s réformés <strong>de</strong>venir ses discip<strong>le</strong>s, ce qui permettrait


AVEC LE DÉMON. 437<br />

<strong>de</strong> suivre la filiation du manichéisme jusqu'à nos<br />

jours 1<br />

.<br />

<strong>Le</strong>s gnos tiques, etc.<br />

Ce nom, qui signifie savants, éclairés, illuminés, fut<br />

pris par <strong>le</strong>s hérétiques du premier sièc<strong>le</strong>, qui se crurent<br />

plus éclairés que <strong>le</strong>s simp<strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s qui suivaient la<br />

seu<strong>le</strong> doctrine <strong>de</strong>s apôtres. — On doit peut-être considérer<br />

<strong>le</strong> gnosticisme moins comme une secte que<br />

comme un nom commun à toutes <strong>le</strong>s sectes <strong>de</strong> philosophes<br />

qui, plus instruits, se piquaient d'enseigner une<br />

doctrine plus é<strong>le</strong>vée. En effet, nourris dans <strong>le</strong>s divers<br />

systèmes philosophiques païens, en abjurant <strong>le</strong> paganisme,<br />

ils voulaient accommo<strong>de</strong>r la théologie chrétienne<br />

aux idées pythagoriciennes, platoniciennes ou<br />

l. Ce principe d'égalité, cette idée <strong>de</strong> communisme, Manès n'en fut<br />

point l'inventeur. On sait qu'el<strong>le</strong> a été réalisée en Grèce par Lycurgue,<br />

qui fit sa révolution par la terreur. Pour faire cesser l'envie <strong>de</strong>s pauvres<br />

et l'orgueil <strong>de</strong>s riches, il établit un partage égal <strong>de</strong>s terres; <strong>le</strong>s<br />

repas furent én commun, l'éducation <strong>de</strong>s enfants fut commune : arrachés<br />

à <strong>le</strong>urs famil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s exercices gymnastiques auxquels on <strong>le</strong>s assujettissait<br />

étaient si pénib<strong>le</strong>s, qu'où faisait mourir ceux qu'on jugeait<br />

ne pouvoir s'y soumettre.<br />

Platon, dans son plan d'une république, fut, comme on <strong>le</strong> dit aujourd'hui,<br />

plus radical; il pousse <strong>le</strong>s éléments du communisme à <strong>le</strong>urs<br />

<strong>de</strong>rnières conséquences ; il divise <strong>le</strong>s habitants en trois classes : <strong>le</strong>s<br />

mercenaires, <strong>le</strong>s guerriers, <strong>le</strong>s magistrats et <strong>le</strong>s philosophes. <strong>Le</strong>s premiers<br />

sont <strong>le</strong>s esclaves <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières classes; que la propriété<br />

appartienne à l'État ou à la classe <strong>de</strong>s travail<strong>le</strong>urs, cela importe peu,<br />

cel<strong>le</strong>-ci doit nourrir et servir <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux autres classes. <strong>Le</strong> mariage n'est<br />

qu'une union annuel<strong>le</strong>. Comme <strong>le</strong> principal but est d'obtenir <strong>de</strong>s enfants<br />

vigoureux, <strong>le</strong>s enfants mal constitués seront égorgés, et on fera<br />

avorter toute femme âgée <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> quarante ans. <strong>Le</strong>s enfants seront<br />

nourris dans un asi<strong>le</strong> commun et n'ont ainsi d'autres famil<strong>le</strong>s que<br />

l'État, qui se charge <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur éducation. — On verra un jour <strong>le</strong>s mûmes<br />

idées renaître parmi nous, à une époque où la philosophie puise trop<br />

souvent ses systèmes politiques et religieux chez <strong>le</strong>s Gentils.


438 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

stoïciennes. Vainement <strong>le</strong>s évangélistes et <strong>le</strong>s apôtres<br />

disaient : «Voici la doctrine du Maître, nous ne <strong>de</strong>vons<br />

point nous en écarter, c'est tout ce qu'il a bien voulu<br />

nous révé<strong>le</strong>r, une vaine curiosité n'en doit pas chercher<br />

davantage.» <strong>Le</strong>s gnostiques voulaient expliquer l'origine<br />

du mal, qu'ils tâchaient <strong>de</strong> concilier <strong>avec</strong> la bonté<br />

<strong>de</strong> Dieu. <strong>Le</strong> mon<strong>de</strong> n'a pas été créé par Dieu, disaient<br />

<strong>le</strong>s va<strong>le</strong>ntiniens, <strong>le</strong>s créatures sont trop imparfaites. <strong>Le</strong><br />

plérome, <strong>le</strong> Dieu suprême, a créé <strong>de</strong>s génies, dcs&ww,<br />

ce qui <strong>le</strong>ur permettait <strong>de</strong> tout expliquer...— Quoique<br />

divisés sur plusieurs points, <strong>le</strong>s gnostiques regardaient<br />

tous la matière comme étant éternel<strong>le</strong>, incréée, mauvaise,<br />

gouvernée par un esprit méchant qui asservit<br />

<strong>le</strong>s âmes attachées à la matière... Ils n'admettaient ni<br />

péché originel, ni ré<strong>de</strong>mption : Jésus-Christ était venu<br />

pour donner <strong>de</strong>s <strong>le</strong>çons <strong>de</strong> vertu... C'était un bon génie<br />

dont on ne niait pas la qualité <strong>de</strong> Verbe <strong>de</strong> Dieu ni <strong>le</strong>s<br />

mirac<strong>le</strong>s ; il n'avait pris un corps qu'en apparence, et<br />

après sa mission était remonté au ciel.— C'est un génie<br />

méchant qui a fait l'Ancien Testament; Dieu, disaientils,<br />

est puissant, mais son pouvoir n'est pas assez<br />

grand pour vaincre ce mauvais génie qui a fabriqué <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong>. 11 y a trois espèces d'hommes : il en est qui<br />

n'obéissent qu'aux mouvements <strong>de</strong> la matière et sont<br />

incapab<strong>le</strong>s d'idées; d'autres sont capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> raisonner,<br />

mais ne peuvent s'é<strong>le</strong>ver au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s appétits<br />

sensuels; il en est <strong>de</strong> spirituels; ceux-ci s'occcupenl<strong>de</strong><br />

<strong>le</strong>ur <strong>de</strong>stination, <strong>de</strong> la dignité <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur nature et triomphent<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>urs passions.<br />

Avec ces systèmes Dieu n'est pas libre, <strong>le</strong>s hommes<br />

eux-mêmes ne sont point libres, puisqu'ils sont nés<br />

matériels, sensuels ou spirituels. Terminons un exposé<br />

aussi incomp<strong>le</strong>t, en disant qu'on reprochait aux gnostiques<br />

<strong>de</strong> se livrer à la magie ; et qui <strong>le</strong>s en accuse ? Ce


AVEC LE DÉMON. 439<br />

ne sont pas seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s Pères, mais Plotin, ce philosophe<br />

platonicien dont nous avons parlé. Comme ils<br />

attribuaient aux éons un grand pouvoir, ils savaient<br />

aussi la manière <strong>de</strong> <strong>le</strong>s subjuguer par <strong>de</strong>s enchantements<br />

et par <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s magiques. — <strong>Des</strong> systèmes<br />

<strong>de</strong>s gnostiques dérivait enfin une mora<strong>le</strong> affreuse. Plusieurs<br />

prétendaient que, pour combattre <strong>le</strong>s passions<br />

<strong>avec</strong> succès, il fallait s'y livrer. — Saint Épiphane (Adv.<br />

lares.) fait aussi un tab<strong>le</strong>au effrayant <strong>de</strong>s crimes <strong>de</strong>s<br />

gnostiques; <strong>le</strong> jour <strong>de</strong> Noël, je crois, ils s'assemblaient<br />

dans <strong>de</strong>s cavernes, éteignaient <strong>le</strong>s lumières; <strong>le</strong> père et<br />

la fil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> frère et la sœur cohabitaient ensemb<strong>le</strong> au<br />

ksard. Au bout <strong>de</strong> neuf mois, on apportait <strong>le</strong>s fruits<br />

<strong>de</strong> ce commerce ; puis, ayant fait <strong>de</strong>s incisions dans <strong>le</strong><br />

corps <strong>de</strong>s enfants provenant <strong>de</strong> l'adultère ou <strong>de</strong> l'inceste,on<br />

mettait <strong>le</strong>ur sang dans <strong>de</strong>s fio<strong>le</strong>s, on <strong>le</strong> mélangeait<br />

<strong>avec</strong> <strong>de</strong> la cendre, qui servait ensuite d'assaisonnement<br />

à <strong>le</strong>urs mets. On n'explique pas ce symbo<strong>le</strong>, qui<br />

donna lieu sans doute aux calomnies contre <strong>le</strong>s chrétiens,<br />

ci-<strong>de</strong>vant rapportées.<br />

On n'ajoutera que quelques mots à ce court exposé<br />

<strong>de</strong>s hérésies <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s, puisé particulièrement<br />

dans <strong>le</strong> savant dictionnaire <strong>de</strong> Pluquet.<br />

<strong>Le</strong>s nicolaïtes adoptaient <strong>le</strong>s erreurs <strong>de</strong>s gnostiques<br />

sur l'origine du mon<strong>de</strong>; faib<strong>le</strong>s et superstitieux, ils<br />

alliaient la croyance aux <strong>démon</strong>s <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dogmes chrétiens;<br />

c'est-à-dire que ceux-ci, pour ne pas irriter <strong>le</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s, mangeaient <strong>de</strong>s vian<strong>de</strong>s offertes aux ido<strong>le</strong>s.<br />

Arius soutenait que <strong>le</strong> Verbe divin avait été produit<br />

par Dieu <strong>le</strong> Père avant tous <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s, et il s'en était<br />

servi pour créer Je mon<strong>de</strong> ; mais ce fils était fort inférieur<br />

à son père. On distinguait <strong>de</strong>ux sortes d'ébionites<br />

: <strong>le</strong>s uns croyaient que Jésus-Christ était né d'une<br />

Vierge ; d'autres, qu'il était né à la manière ordi-


440 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

naire; mais tous reconnaissaient qu'il était <strong>le</strong> Messie<br />

et réunissait tous <strong>le</strong>s caractères sous <strong>le</strong>squels il a été<br />

prédit.<br />

Cérinthe croyait comme Platon que Dieu n'avait pas<br />

crée l'univers : c'est un <strong>de</strong>s esprits qu'il a produits qui<br />

créa <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, etc. — L'apôtre saint Jean réfuta cet<br />

hérétique dans son Évangi<strong>le</strong>, où il dit : In principio<br />

erat Verbum, etc. — Ceux qui ont prétendu que la trinité<br />

chrétienne sort <strong>de</strong> l'éco<strong>le</strong> <strong>de</strong> Platon se trompent<br />

lour<strong>de</strong>ment; car Cérinthe, formé à cette éco<strong>le</strong>, loin<br />

•d'admettre une trinité, n'admet pas seu<strong>le</strong>ment une<br />

• dualité ; il ne suppose point <strong>le</strong> Fils égal au Père. Pour<br />

lui, c'est une créature née <strong>de</strong> Joseph et <strong>de</strong> Marie; à la<br />

vérité <strong>le</strong> Christ, <strong>de</strong>scendu sur lui en forme <strong>de</strong> colombe,<br />

lui avait donné <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s ; mais<br />

il s'en était séparé au moment <strong>de</strong> la passion <strong>de</strong> Jésus.<br />

Réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong>s hérésies; sentiments <strong>de</strong>s Pères sur <strong>le</strong>s hérétiques<br />

et <strong>le</strong>urs prodiges.<br />

On a vu <strong>le</strong> culte <strong>de</strong> Satan renversé par la chute du<br />

paganisme ; il restait à <strong>démon</strong>trer d'après <strong>le</strong>s Pères son<br />

action dans <strong>le</strong>s hérésies, <strong>de</strong> faire voir pourquoi Dieu<br />

<strong>le</strong>s permet, d'en signa<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s principaux caractères, <strong>de</strong><br />

donner une idée <strong>de</strong>s principa<strong>le</strong>s doctrines, ce qu'on a<br />

fait très-succinctement.<br />

Mais, tous <strong>le</strong>s hérétiques se disant exclusivement<br />

orthodoxes, il reste à savoir, nous dira-t-on, quels<br />

sont ceux qui méritent réel<strong>le</strong>ment ce titre. En nous<br />

reportant au premier sièc<strong>le</strong> par la pensée, <strong>le</strong>squels<br />

faut-il croire? ou ces hommes simp<strong>le</strong>s, sans <strong>le</strong>ttres,<br />

connus sous <strong>le</strong> nom d'apôtres? ou ces philosophes, ces<br />

savants qui seuls se préten<strong>de</strong>nt éclairés, connus sous<br />

<strong>le</strong> nom <strong>de</strong> gnostiques't — question ridicu<strong>le</strong> maintenant,<br />

à laquel<strong>le</strong> cependant on doit répondre.


AVEC LE DÉMON. 441<br />

A peine <strong>le</strong> christianisme est-il né, qu'il se divise en<br />

plusieurs sectes ayant toutes <strong>le</strong> nom générique <strong>de</strong><br />

chrétiens : —est-ce Pierre, Paul, Jean, Matthieu, etc.,<br />

qui enseignent la vraie doctrine ? n'est-ce pas plutôt Cérinthe,<br />

Marcion, Va<strong>le</strong>ntin, etc.? — Quels sont ceux qui<br />

entouraient <strong>le</strong> Christ? quels sont ceux qu'il chargea <strong>de</strong><br />

publier sa foi? Ce ne furent certainement ni Cérinthe,<br />

ni Marcion, ni Va<strong>le</strong>ntin ; dissi<strong>de</strong>nts d'ail<strong>le</strong>urs sur plusieurs<br />

points, tandis que la doctrine <strong>de</strong> Pierre, <strong>de</strong><br />

Paul, etc., est i<strong>de</strong>ntique. <strong>Le</strong>s noms <strong>de</strong>s premiers hérétiques<br />

ne sont cités ni dans <strong>le</strong>s écrits authentiques du<br />

Nouveau Testament, ni même dans <strong>le</strong>s livres apocryphes<br />

invoqués par <strong>le</strong>s hérétiques seuls, et rejetés par <strong>le</strong>s<br />

apôtres et <strong>le</strong>urs successeurs, qui accusent ces hérétiques<br />

d'avoir falsifié ou fabriqué à <strong>de</strong>ssein <strong>de</strong>s évangi<strong>le</strong>s<br />

pour établir <strong>le</strong>urs doctrines erronées. — Maintenant<br />

comment distinguera-t-on ces écrits apocryphes <strong>de</strong>s<br />

authentiques ? — Tertullien nous répondra : « C'est par<br />

<strong>le</strong>ur ancienneté. » Dès qu'il est constant pour tous que<br />

Pierre, Paul, Jean, etc., sont <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s du souverain<br />

maître, il est faci<strong>le</strong> <strong>de</strong> savoir quel<strong>le</strong> est la vraie doctrine ;<br />

cel<strong>le</strong> que l'on rejette comme ayant été altérée dans <strong>de</strong>s<br />

écrits postérieurs appartient évi<strong>de</strong>mment à ces novateurs<br />

qui avaient intérêt à la falsifier. Tertullien, qu'on<br />

regrette <strong>de</strong> ne pouvoir citer plus au long, dit : « <strong>Le</strong> vrai<br />

précè<strong>de</strong> <strong>le</strong> faux, qui en est la contrefaçon; or il est si<br />

constant que notre Évangi<strong>le</strong> est <strong>le</strong> plus ancien, que<br />

Marcion l'admettait autrefois, et que <strong>de</strong>puis il a prétendu<br />

<strong>le</strong> corriger. » (Advenus Marcion., IV, 4 et 5.)<br />

Il invoque la même autorité <strong>de</strong>s Églises en faveur<br />

<strong>de</strong>s Évangi<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Jean, <strong>de</strong> Marc, <strong>de</strong> Matthieu. Pourquoi,<br />

dit-il, refuse-t-on <strong>de</strong> <strong>le</strong>s reconnaître...? Tertullien<br />

montre que ce qui vient <strong>de</strong>s apôtres a été constamment<br />

respecté dans toutes <strong>le</strong>s Églises.... que l'on s'adresse


442 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

à cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Corinthe, <strong>de</strong> Galatie, <strong>de</strong> Philippes, <strong>de</strong><br />

Thcssalonique, d'Éphèse, <strong>de</strong> Rome... (Deprœscripi.)<br />

Tertullien ne se borne pas au témoignage <strong>de</strong>s Églises,<br />

il produit en faveur <strong>de</strong> la doctrine <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres écrites<br />

<strong>de</strong> la propre main <strong>de</strong>s apôtres. — Désirez-vous, dit-il,<br />

vous instruire en lisant <strong>le</strong>urs <strong>le</strong>ttres authentiques?—<br />

Après avoir cité dans l'Achaïe ou la Macédoine plusieurs<br />

vil<strong>le</strong>s, il nomme en Asie Éphèse, et en Italie<br />

Rome, qui fourniront <strong>de</strong>s preuves incontestab<strong>le</strong>s.<br />

- Saint Augustin (Contr. Faust., XIII) dit : « Peutêtre<br />

nous citerez-vous un écrit qui porte <strong>le</strong> nom d'un<br />

<strong>de</strong>s apôtres, ou il fait dire, par exemp<strong>le</strong>, que <strong>le</strong> Christ<br />

n'est pas né,<strong>de</strong> Marie. Si cet écrit prétendu apostolique<br />

et l'Évangi<strong>le</strong> <strong>de</strong> Matthieu ne peuvent subsister<br />

ensemb<strong>le</strong>, <strong>le</strong>quel faut-il admettre <strong>de</strong> celui que l'Église<br />

a reçu et conservé <strong>de</strong>puis son origine, ou <strong>de</strong> celui<br />

qu'el<strong>le</strong> rejette parce qu'el<strong>le</strong> ne l'a jamais connu?» —<br />

On n'analysera pas un plus grand nombre do ces passages<br />

qu'on affaiblit trop en <strong>le</strong>s tronquant. On s'abstiendra<br />

par <strong>le</strong> même motif <strong>de</strong> rien citer du pape saint<br />

Clément.<br />

Tout prouve que <strong>le</strong>s apôtres dès l'origine s'opposèrent<br />

aux nouvel<strong>le</strong>s doctrines, si contraires à l'enseignement<br />

du Maître, et à sa défense expresse <strong>de</strong> rien<br />

changer. Saint Paul, I rc<br />

ép. à Timothée (I, 4-7), lui re­<br />

comman<strong>de</strong> <strong>de</strong> ne pas imiter ceux qui s'amusent à <strong>de</strong>s<br />

fab<strong>le</strong>s, qui se séparent, et.qui s'imaginent être docteurs<br />

<strong>de</strong> la loi et ne savent ni ce qu'ils disent ni ce qu'ils<br />

blâment si hardiment. Il lui recomman<strong>de</strong> encore (Ih.,<br />

VI, 20) <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r <strong>le</strong> dépôt qui lui a été confié, <strong>de</strong> fuir<br />

<strong>le</strong>s nouveautés <strong>de</strong>s profanes et la doctrine qui porte<br />

faussement <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> gnose.<br />

Tous <strong>le</strong>s Évangi<strong>le</strong>s furent publiés peu d'années après<br />

l'ascension du Sauveur, excepté celui <strong>de</strong> saint Jean,


AVEC LE DÉMON. 443<br />

composé soixante-trois ans après, pour répondre à l'hérésie<br />

naissante <strong>de</strong> Cérinthe. <strong>Le</strong>s conci<strong>le</strong>s vinrent successivement<br />

s'opposer aux hérésies et conserver l'intégrité<br />

<strong>de</strong> la doctrine.<br />

C'est ainsi que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'Église <strong>de</strong> Rome est restée<br />

la même <strong>de</strong>puis <strong>le</strong>s apôtres. En vain <strong>de</strong>s novateurs<br />

orgueil<strong>le</strong>ux ont voulu discuter <strong>de</strong>s points <strong>de</strong> pure<br />

curiosité qu'il n'a pas plu à Dieu <strong>de</strong> révé<strong>le</strong>r; et, selon<br />

<strong>le</strong>ur gré, ajouter ou retrancher, expliquer et commenter<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong> secours <strong>de</strong>s divers systèmes philosophiques<br />

païens.— Qu'en est-il résulté? — Une doctrine<br />

p<strong>le</strong>ine d'absurdités et <strong>de</strong> contradictions, qui varie selon<br />

<strong>le</strong>s sectes et selon <strong>le</strong>s temps, qui a ressuscité <strong>de</strong>s systèmes<br />

erronés sur l'origine du mon<strong>de</strong> et sur Dieu... —<br />

<strong>Le</strong>s Pères montrent que <strong>le</strong>s hérétiques ont abandonné<br />

ainsi la doctrine écrite et ora<strong>le</strong> <strong>de</strong>s apôtres et <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

successeurs immédiats; <strong>le</strong>s dissi<strong>de</strong>nces <strong>de</strong>s hérésiarques<br />

étaient d'ail<strong>le</strong>urs une bonne <strong>démon</strong>stration <strong>de</strong> la fausseté<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>urs systèmes.<br />

Ce qu'il est bon <strong>de</strong> faire observer dans notre temps,<br />

si fécond en opinions hérétiques, c'est que <strong>le</strong>s hérétiques<br />

<strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s reconnaissent <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />

du Christ et sa divinité ; aucune <strong>de</strong> ces sectes, qui vivaient<br />

à ces époques si rapprochées du Christ, n'osa en<br />

faire un simp<strong>le</strong> mortel ni rejeter ses mirac<strong>le</strong>s; <strong>le</strong>s uns<br />

disent qu'il n'a pris un corps qu'en apparence ; d'autres<br />

veu<strong>le</strong>nt qu'à un corps humain soit venu se joindre <strong>le</strong><br />

Christ, qui, ne pouvant souffrir <strong>le</strong>s tourments <strong>de</strong> la<br />

croix, est remonté au ciel à l'instant où <strong>le</strong> corps fut livré<br />

aux. bourreaux. Nul n'a avancé que ce fût simp<strong>le</strong>ment un<br />

homme ; Arius lui-môme, en disant que <strong>le</strong> Verbe divin<br />

a créé <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, mais qu'il est inférieur à Dieu <strong>le</strong> Père,<br />

a'ose nier précisément sa divinité, comme Socin, quoiqu'il<br />

<strong>le</strong> fasse implicitement.


444 DES RAPPORTS SE L'HOMME<br />

Enfin, tous <strong>le</strong>s hérétiques ont cru à l'existence <strong>de</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s, ainsi qu'au pouvoir <strong>de</strong> ceux-ci d'opérer<br />

<strong>de</strong>s prodiges, croyance que la réforme ne combattit<br />

point.<br />

On ne peut rapporter la réfutation faite par <strong>le</strong>s Pères<br />

<strong>de</strong>s systèmes concernant la difficulté <strong>de</strong> concilier<br />

l'origine du mal <strong>avec</strong> la bonté <strong>de</strong> Dieu ; el<strong>le</strong> engagea<br />

la. plupart <strong>de</strong>s hérétiques à supposer <strong>de</strong>ux dieux,<br />

l'un mauvais et l'autre bon. Choqués <strong>de</strong>voir tous <strong>le</strong>s<br />

maux attachés à la nature physique, ils pensaient, en<br />

l'attribuant à un dieu malfaisant, trancher la difficulté.<br />

Il est certain qu'il se présente ici un mystère <strong>de</strong>s<br />

plus insondab<strong>le</strong>s, mais c'était une raison pour ne point<br />

s'y arrêter. — L'homme, ne pouvant considérer la nature<br />

dans son ensemb<strong>le</strong> harmonieux, rapportant tout<br />

à lui-même, ignorant la <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> l'immense machine<br />

dont il ne voit qu'un point, ignore aussi que <strong>le</strong><br />

désordre particulier qui <strong>le</strong> frappe forme l'ordre <strong>de</strong> ce<br />

grand tout qu'il ne connaît pas...; est-ce une raison <strong>de</strong><br />

penser que la nature physique soit l'œuvre d'un dieu<br />

méchant?<br />

Los hérétiques pensaient enfin qu'un dieu bon n'aurait<br />

pu faire une créature criminel<strong>le</strong>. «Comment, disaient-ils,<br />

n'a-t-il pas prévu qu'el<strong>le</strong> abuserait <strong>de</strong> sa<br />

liberté? Pourquoi sa bonté nel'arrête-t-el<strong>le</strong> point, etc.?<br />

— Un tel dieu ne peut être que méchant !<br />

La bonté divine <strong>de</strong>vait-el<strong>le</strong> douer <strong>l'homme</strong> d'une<br />

perfection infinie? étant infinie, il serait un dieu; —<br />

finie, bornée, la malice commence où cesse la perfection.<br />

La souveraine bonté exige-t-ellc que Dieu prévienne<br />

l'abus que <strong>l'homme</strong> peut faire <strong>de</strong> sa liberté?<br />

Dieu n'a-t-il pu vouloir qu'il ne fût heureux qu'en remplissant<br />

certaines conditions? sa sagesse n'a-t-ellc pu<br />

prescrire <strong>de</strong>s lois pour concé<strong>de</strong>r ce bonheur? <strong>de</strong>vait-il


AVEC LE DÉMON.<br />

en créant <strong>le</strong>s hommes faire <strong>de</strong>s automates? » — En<br />

attendant la solution <strong>de</strong> ces questions et d'une fou<strong>le</strong><br />

d'autres, il suffit <strong>de</strong> savoir qu'il est absur<strong>de</strong> <strong>de</strong> supposer<br />

<strong>de</strong>ux dieux coéternels et puissants. La raison dit qu'il<br />

ne saurait exister qu'un seul Dieu, mais souverainement<br />

juste et bon. Soyons donc certains que lors du<br />

gTand dénoûment cette bonté et cette justice seront<br />

reconnues; <strong>de</strong> notre ignorance seu<strong>le</strong> naissent nos<br />

murmures, et quand <strong>le</strong> mystère sera dévoilé, nous ne<br />

pourrons accuser Dieu ni d'injustice ni <strong>de</strong> méchanceté.<br />

<strong>Le</strong>s Pères blâmaient donc <strong>avec</strong> raison l'examen <strong>de</strong><br />

ces questions et <strong>le</strong>s systèmes extravagants qu'on croyait<br />

propres à <strong>le</strong>s expliquer; ils faisaient remarquer l'insigne<br />

contradiction <strong>de</strong> ces hérétiques, qui, proclamant<br />

un Dieu éternel, sans bornes dans sa puissance et dans<br />

ses perfections, reconnaissaient cependant doux principes<br />

qui se nuisent nécessairement dans <strong>le</strong>urs œuvres.<br />

Tertullien renversait la doctrine <strong>de</strong> Marcion ; celui-ci<br />

prétendait que <strong>le</strong> Dieu <strong>de</strong> l'Ancien Testament était méchant,<br />

et pourtant, dit Tertullien, ce livre est rempli <strong>de</strong><br />

traits <strong>de</strong> bonté ; Dieu n'y veut pas la mort du pécheur,<br />

mais sa conversion; est-il contraire à sa bonté d'infliger<br />

<strong>de</strong>s châtiments à ceux qu'il veut rappe<strong>le</strong>r à lui? Selon<br />

<strong>le</strong>s hérétiques eux-mêmes, un Dieu bon punit <strong>le</strong>s pécheurs...—<br />

Qui sait, enfin, si <strong>le</strong>s fléaux qui ont frappé<br />

<strong>le</strong>s Juifs ne tendaient pas au but que Dieu s'était proposé<br />

pour <strong>le</strong>ur bonheur?<br />

On faisait voir aux montanistes que <strong>le</strong>ur doctrine<br />

péchait par excès d'austérité... Vous condamnez <strong>le</strong>s<br />

secon<strong>de</strong>s noces comme adultères, vous êtes en opposition<br />

à la doctrine expresse <strong>de</strong> l'Apôtre, <strong>le</strong>ur disait-on;<br />

on <strong>le</strong>ur montrait surtout qu'ils étaient hypocrites; car,<br />

si <strong>le</strong>ur doctrine était trop austère, <strong>le</strong>ur conduite était<br />

fort corrompue.


446 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Saint Irénée fit une étu<strong>de</strong> sérieuse <strong>de</strong>s hérésies et<br />

réfuta <strong>le</strong>s hérésiarques.. « L'Écriture étant la règ<strong>le</strong><br />

immuab<strong>le</strong> <strong>de</strong> la foi, il faut, dit-il, l'expliquer conformément<br />

à la doctrine constante <strong>de</strong> la tradition. » — Et<br />

qui la connaissait mieux que saint Irénée, discip<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

saint Polycarpe, qui avait été lui-môme discip<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

saint Jean? — « L'Écriture, dit <strong>le</strong> saint évoque, ne renferme<br />

pas tout. Obscure en plusieurs endroits, il faut<br />

recourir à la tradition, c'est-à-dire à ce que Jésus-<br />

Christ et ses apôtres ont transmis <strong>de</strong> vive voix et qui<br />

se conserve et s'enseigne dans nos églises. » Il établit<br />

cette tradition par la succession <strong>de</strong>s évoques : <strong>le</strong>s<br />

apôtres ont reçu <strong>le</strong> dépôt entier <strong>de</strong>s vérités et l'ont<br />

confié aussi tout entier à <strong>le</strong>urs successeurs...— Il <strong>démon</strong>tre<br />

qu'il n'y a aucun hérétique qui ne puisse être<br />

convaincu d'avoir innové et quitté <strong>le</strong> fil <strong>de</strong> la tradition.<br />

Avant Val en tin et Marcion il n'y avait ni va<strong>le</strong>ntinions<br />

ni marcionites, etc.<br />

Saint Irénée recomman<strong>de</strong> la soumission à l'Église<br />

et aux pasteurs, qui méritent une confiance sans bornes<br />

par l'attention infinie qu'on a <strong>de</strong> choisir <strong>le</strong>s plus saints<br />

et <strong>le</strong>s plus instruits... «L'homme vraiment spirituel,<br />

continue-t-il, juge tous <strong>le</strong>s hérétiques ; dès qu'il entend<br />

une chose contraire à ce qu'il a toujours ouï dire, cette<br />

chose par là même est réprouvée. »<br />

Aux preuves précé<strong>de</strong>ntes, si mutilées dans cette<br />

analyse, se joint cel<strong>le</strong> résultant <strong>de</strong>s prodiges qui trompaient<br />

<strong>le</strong>s hérétiques, et que <strong>le</strong>s Pères attribuaient au<br />

<strong>démon</strong>. Ceux-ci ne traitent pas <strong>le</strong>s hérétiques d'insensés<br />

, ils ne <strong>le</strong>s accusent point <strong>de</strong> simu<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s prodiges.<br />

Tous <strong>le</strong>s hérétiques sont entraînés par l'orgueil,<br />

l'ambition, la curiosité; germes du crime funeste<br />

qui prend <strong>le</strong> nom d'hérésie, quand <strong>l'homme</strong> s'obstine<br />

à se croire plus instruit que l'Église, qui tient


AVEC LE DÉMON. 447<br />

sa doctrine <strong>de</strong>s apôtres. — Voyons-<strong>le</strong> chez <strong>le</strong>s messaliens.<br />

Ces hérétiques eurent pour chef Sabas, qui, prenant<br />

à la <strong>le</strong>ttre divers passages <strong>de</strong> l'Écriture, donna tous<br />

ses biens aux pauvres et se fît eunuque... Jésus-Christ<br />

n'a-t-il pas dit <strong>de</strong> ne point travail<strong>le</strong>r pour une nourriture<br />

qui périt?... Il a dit aussi que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> tourne<br />

autour <strong>de</strong> nous sans cesse; il a recommandé <strong>de</strong> prier<br />

sans relâche, etc.. Sabas, conséquemment, regar<strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

travail comme un crime, et se croit entouré <strong>de</strong> <strong>démon</strong>s<br />

et harcelé par eux. La prière suffît pour <strong>le</strong>s chasser; il<br />

proclame que <strong>le</strong>s sacrements sont indifférents...<br />

<strong>Le</strong>s messaliens voient, enten<strong>de</strong>nt et touchent <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s;<br />

ils <strong>le</strong>s respirent <strong>avec</strong> l'air, <strong>le</strong>s ava<strong>le</strong>nt <strong>avec</strong> <strong>le</strong>ur<br />

nourriture, font <strong>de</strong>s sauts prodigieux pour <strong>le</strong>s éviter;<br />

ils ont <strong>de</strong>s révélations et prédisent au milieu <strong>de</strong>s convulsions.—<br />

Étaient-ce donc <strong>de</strong>s fourbes ou <strong>de</strong>s insensés<br />

aux yeux <strong>de</strong>s Pères? Théodorct, <strong>le</strong> digne discip<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

saint Jean Chrysos<strong>tome</strong>, dont on ne peut citer ici <strong>le</strong><br />

chapitre relatif à l'hérésie <strong>de</strong>s messaliens, s'exprime<br />

ainsi:— «On <strong>le</strong>s appel<strong>le</strong> enthousiastes, parce qu'ils<br />

sont agités par un <strong>démon</strong> dont ils prennent la vio<strong>le</strong>nce<br />

pour un effet <strong>de</strong> la présence du Saint-Esprit. » ( Théodoret,<br />

Hist. eccL, IV, 11.)— On ne dit pas que ce sont<br />

<strong>de</strong>s fourbes; rien ne <strong>le</strong> prouve, en effet; rien aussi ne<br />

<strong>démon</strong>tre qu'ils fussent <strong>de</strong>s fous ou <strong>de</strong>s extravagants :<br />

tout prouve <strong>le</strong> contraire ; très-pru<strong>de</strong>nts, ils cachent <strong>le</strong>urs<br />

sentiments ; fort nombreux, ils infestaient même <strong>le</strong>s<br />

monastères; rail<strong>le</strong>urs, ils se moquaient <strong>de</strong> ces chrétiens<br />

stupi<strong>de</strong>s qui, disaient-ils, croient à la vertu <strong>de</strong>s sacrements.<br />

Tout prouvait à ceux qui connaissaient cette<br />

hérésie que <strong>le</strong>s messaliens étaient loin d'être <strong>de</strong>s insensés.<br />

<strong>Le</strong>s extases <strong>de</strong>s montanistes n'étaient pas attribuées


448 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

à l'imposture. Saint Épiphane dit que c'est <strong>le</strong> <strong>démon</strong><br />

qui <strong>le</strong>s cause... « Maximil<strong>le</strong> ne doit pas, dit-il, se vanter<br />

d'avoir reçu <strong>le</strong> Saint-Esprit, mais l'enthousiasme<br />

<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s. »<br />

Tertullien, parlant d'une montaniste, nous apprend<br />

qu'el<strong>le</strong> tombait en extase, conversait <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s anges,<br />

entendait <strong>le</strong>s révélations <strong>de</strong>s secrets cé<strong>le</strong>stes, connaissait<br />

l'intérieur <strong>de</strong>s cœurs et indiquait <strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s à<br />

ceux qui <strong>le</strong> désiraient. Tertullien tenait lui-même<br />

journal <strong>de</strong> ces phénomènes', qu'il serait d'autant plus<br />

diffici<strong>le</strong> aujourd'hui <strong>de</strong> nier, qu'on <strong>le</strong>s voit souvent<br />

se reproduire parmi nous.<br />

Eusèbe, d'après Apollinaire, dit que ce fut la gran<strong>de</strong><br />

ambition <strong>de</strong> Montan qui donna lieu au diab<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong><br />

séduire... « Rempli du <strong>démon</strong>, agité <strong>de</strong> fureur, il débitait,<br />

dit-il, <strong>de</strong>s extravagances impies contre la tradition<br />

<strong>de</strong> l'Église... Ceux qui, conformément à la<br />

volonté divine, désiraient qu'on évitât <strong>le</strong>s faux prophètes,<br />

<strong>le</strong> conjurèrent comme un possédé pour lui<br />

imposer si<strong>le</strong>nce... D'autres, oubliant <strong>le</strong>s marques auxquel<strong>le</strong>s<br />

on reconnaît ces faux prophètes, l'engagèrent<br />

à par<strong>le</strong>r... » (Eusèbe, Hist. ceci., V, 10.) <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> <strong>le</strong>s<br />

trompa, ils perdirent la foi. Alors Satan suscita <strong>de</strong>ux<br />

femmes auxquel<strong>le</strong>s il inspira <strong>le</strong>s mêmes erreurs qu'à<br />

Montan, et qui débitèrent <strong>le</strong>s mêmes impertinences...,<br />

Maximil<strong>le</strong> fit ses fausses prophéties, etc.. — L'accusa-t-on<br />

<strong>de</strong> fourberie? On n'y songea même point,<br />

mais on prouva qu'un vrai prophète ne parlait pas<br />

hors <strong>de</strong> soi comme la pythie, que <strong>le</strong> Saint-Esprit n'agitait<br />

pas <strong>le</strong>s vrais prophètes comme Satan agitait <strong>le</strong>s<br />

siens : on montra que ceux-ci avaient l'esprit troublé<br />

dès que Satan s'était emparé d'eux ; on montra enfin<br />

que, aussitôt que <strong>le</strong>s femmes étaient séduites, el<strong>le</strong>s<br />

abandonnaient <strong>le</strong>urs maris, recevaient <strong>de</strong> riches pré-


AVEC LE DÉMON. 449<br />

sents, s'adonnaient au vol, avaient <strong>le</strong> goût <strong>de</strong> la bonne<br />

chère, du luxe, du jeu, du prêt à usure, etc., etc. C'est<br />

ainsi qu'on prouvait <strong>de</strong> quel esprit el<strong>le</strong>s recevaient<br />

<strong>le</strong>urs inspirations ; mais on ne <strong>le</strong>ur imputait pas <strong>de</strong><br />

fourberie dans <strong>le</strong>urs prodiges.<br />

Saint Irénée attribue à <strong>de</strong>s prestiges diaboliques l'aveug<strong>le</strong>ment<br />

<strong>de</strong> Marc et <strong>de</strong> Simon. — Qu'étaient ces<br />

prestiges?—Ils consistaient à tromper <strong>le</strong>s yeux, dit <strong>le</strong><br />

saint évêque, en montrant <strong>de</strong>s fantômes qui disparaissaient<br />

aussitôt. Qculos <strong>de</strong>lu<strong>de</strong>ntes et phantasmata ostenkntes,<br />

statim cessxmtia. (Contr* hœres., II.) C'est la<br />

fascination"<strong>de</strong>s sens. <strong>Le</strong>s prestiges <strong>de</strong>s simoniens, <strong>de</strong>s<br />

carpôcratiens et autres hérétiques étaient une simp<strong>le</strong><br />

fascination... — SaintÉpiphane, Eusèbe, Justin, Nicéphore,<br />

saint Clément, etc., ne considèrent point <strong>le</strong>s<br />

prestiges <strong>de</strong> Simon comme <strong>de</strong>s tours d'un adroit bate<strong>le</strong>ur<br />

: c'est un magicien. — Que fait-il? Il traverse <strong>le</strong>s<br />

flammes sans se brû<strong>le</strong>r, vo<strong>le</strong> comme <strong>le</strong>s oiseaux, sait<br />

se métamorphoser <strong>de</strong> différentes manières, semb<strong>le</strong><br />

changer <strong>le</strong>s pierres en pain, etc.; mais ces prestiges sont<br />

toujours pour <strong>le</strong>s Pères <strong>le</strong> résultat d'un commerce diabolique.<br />

<strong>Le</strong>s Actes <strong>de</strong>s apôtres, moins explicites que<br />

<strong>le</strong>s écrits <strong>de</strong>s Pères, se bornent à attester que Simon<br />

troublait l'esprit par ses enchantements.<br />

Firmilien, dans sa fameuse <strong>le</strong>ttre à saint Cyprien, en<br />

traitant du baptême <strong>de</strong>s hérétiques et <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

séduction, est conduit à par<strong>le</strong>r aussi <strong>de</strong>s extases et <strong>de</strong>s<br />

prédictions d'une certaine prophétesse... : « Agitée<br />

<strong>de</strong>s principaux <strong>démon</strong>s, dit-il, el<strong>le</strong> séduisit grand<br />

nombre <strong>de</strong> ses frères par <strong>le</strong>s prodiges qu'el<strong>le</strong> opérait...<br />

Tandis qu'el<strong>le</strong> en trompait ainsi plusieurs, el<strong>le</strong><br />

osait offrir <strong>le</strong> sacrifice terrib<strong>le</strong> du pain et du vin...,<br />

conférait <strong>le</strong> baptême, en paraissant suivre en tout la<br />

règ<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'Église... C'est ainsi qu'el<strong>le</strong> séduisit un prêtre<br />

t. 29


450 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

et un diacre, etc. » —Firmilien ne voit point là d'imposture<br />

naturel<strong>le</strong>; il dit, au contraire, qu'un exorciste<br />

d'une gran<strong>de</strong> vertu s'é<strong>le</strong>va contre l'esprit qui agitait<br />

cette femme, lui résista vigoureusement, et prouva<br />

que cet esprit était très-mauvais, et non l'Esprit-Saint.<br />

Il eût été diffici<strong>le</strong> d'y voir <strong>de</strong> simp<strong>le</strong>s prestiges. Cette<br />

femme se vantant qu'el<strong>le</strong> causerait <strong>de</strong>s tremb<strong>le</strong>ments<br />

<strong>de</strong> terre à tel<strong>le</strong> époque, ils arrivèrent dans <strong>le</strong> lieu et à<br />

l'instant par el<strong>le</strong> indiqués... <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> avait prédit<br />

qu'nn incrédu<strong>le</strong> viendrait bientôt pour tenter cette<br />

femme : Ventnrum qucmdam adoersum et tenlalorcm infi~<br />

<strong>de</strong><strong>le</strong>m; ce qui eut lieu, comme on vient <strong>de</strong> <strong>le</strong> voir.<br />

<strong>Le</strong>s Pères, ont donc constamment signalé chez <strong>le</strong>s<br />

hérétiques <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong> Satan, que ceux-ci considéraient<br />

comme vrais mirac<strong>le</strong>s <strong>démon</strong>stratifs <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

doctrines. Saint Irénée, pour <strong>le</strong>ur en<strong>le</strong>ver cette <strong>de</strong>rnière<br />

ressource, comme il l'avait fait <strong>de</strong>s autres, montrait<br />

la différence qui existe entre <strong>le</strong>urs prodiges et <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s,<br />

si communs alors dans l'Église <strong>de</strong>s premiers<br />

chrétiens; ils consistaient, comme on sait, dans <strong>le</strong>s discours<br />

prophétiques, <strong>le</strong>s guérisons instantanées, etc., et<br />

dans lapreuve par excel<strong>le</strong>nce, la résurrection <strong>de</strong>s morts.<br />

— On ne peut, poursuit saint Irénée, dire <strong>le</strong> nombre<br />

<strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s opérés chaque jour par l'Église au nom <strong>de</strong><br />

Jésus-Christ ; el<strong>le</strong> <strong>le</strong> fait sans artifice et sans intérêt, et<br />

sans invocation superstitieuse. — On disait enfin aux<br />

hérétiques : Feriez-vous <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s, notre doctrine,<br />

étant plus sûre et plus autorisée qu'ils ne <strong>le</strong> sont, doit<br />

l'emporter. La séduction prédite pour <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers<br />

temps ayant déjà commencé, si d'autres mirac<strong>le</strong>s pouvaient<br />

étayer une nouvel<strong>le</strong> doctrine, cel<strong>le</strong>-ci détruirait<br />

la première. <strong>Le</strong> Sauveur a prouvé sa doctrine par ses<br />

mirac<strong>le</strong>s; aujourd'hui <strong>de</strong> nouveaux, fussent-ils réels, ne<br />

peuvent la renverser. <strong>Le</strong>s Pères ne niaient pas que Dieu


AVjEC LE DÉMON. 451<br />

n'en accordât quelquefois aux méchants pour diverses<br />

raisons; mais ce sujet diffici<strong>le</strong> nous entraînerait trop<br />

loin, il suffit <strong>de</strong> dire que c'est à l'Église seu<strong>le</strong> à donner<br />

<strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s pour juger la doctrine par <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s et<br />

ceux-ci par la doctrine. — En résumé, on disait aux hérétiques<br />

: Vous alléguez vos prodiges, nous ne <strong>le</strong>s nions<br />

pas, mais <strong>le</strong>s nôtres sont supérieurs aux vôtres ; vous<br />

prédisez l'avenir, comme <strong>le</strong>s païens, dans d'effroyab<strong>le</strong>s<br />

convulsions, vos cures ressemb<strong>le</strong>nt aux <strong>le</strong>urs, et comme<br />

eux vous ne pouvez ressusciter <strong>de</strong>s morts, etc., etc.<br />

Admettons que Dieu accor<strong>de</strong> à votre foi en Jésus-<br />

Christ, quoique hérétiques, <strong>de</strong> vrais mirac<strong>le</strong>s; examinons<br />

votre doctrine et <strong>le</strong>s motifs qui, ayant déterminé<br />

votre choix, vous ont séparés <strong>de</strong> nous; n'est-ce pas<br />

l'orgueil, la curiosité, l'ambition? Cette doctrine autre<br />

que cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s apôtres vous conduit à <strong>de</strong>s systèmes<br />

païens, et contient <strong>de</strong>s principes subversifs <strong>de</strong> la sainte<br />

mora<strong>le</strong> évangélique que vous altérez par un rigorisme<br />

décourageant ou par un relâchement corrupteur qui<br />

engendre la dépravation; donc tout vous condamne.<br />

Supplément. — la Caba<strong>le</strong>.<br />

Il y aurait infiniment <strong>de</strong> choses à dire sur la Caba<strong>le</strong>,<br />

qui rentre dans la magie et dans <strong>le</strong>s hérésies; el<strong>le</strong> apprenait<br />

à connaître l'essence divine, ses opérations,<br />

cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s esprits et <strong>de</strong>s forces <strong>de</strong> la nature. Au moyen<br />

<strong>de</strong> figures symboliques, <strong>de</strong> l'arrangement <strong>de</strong>s <strong>le</strong>ttres<br />

<strong>de</strong> l'alphabet, par la combinaison <strong>de</strong>s nombres, on<br />

déterminait l'action <strong>de</strong>s intelligences. On pense que<br />

cette prétendue science, à laquel<strong>le</strong> se livrèrent <strong>le</strong>s pythagoriciens<br />

et <strong>le</strong>s platoniciens, venait <strong>de</strong> Chaldée.<br />

On sait que, suivant la doctrine <strong>de</strong>s Chaldéens, Dieu<br />

est une lumière éclatante dont toute la création est une


4S2 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

émanation. Ce foyer lumineux, en perdant <strong>de</strong> son éclat<br />

peu à peu, compose d'abord <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s intelligences<br />

spirituel<strong>le</strong>s ; puis, s'obscurcissant toujours, il forme<br />

l'éther, région <strong>de</strong>s astres et <strong>de</strong>s planètes, où se trouvent<br />

<strong>le</strong>s êtres matériels. Nous savons enfin qu'il existe, dans<br />

ce mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s intelligences, <strong>de</strong>s êtres bienfaisants et<br />

d'autres malfaisants ; admettons que pour <strong>le</strong>s invoquer<br />

on doive <strong>le</strong>s appe<strong>le</strong>r par <strong>le</strong>ur nom : si on l'ignore, il faut<br />

<strong>le</strong>' chercher ; mais ce nom résultant <strong>de</strong> la combinaison<br />

ties <strong>le</strong>ttres, en essayant beaucoup <strong>de</strong> combinaisons, on<br />

finira par <strong>le</strong> trouver. Eh bien, <strong>de</strong> là <strong>le</strong>s mots bizarres<br />

en usage dans <strong>le</strong>s évocations, et cette croyance que <strong>le</strong><br />

nom du génie gravé ou écrit <strong>le</strong> fixera auprès <strong>de</strong> l'objet<br />

qui <strong>le</strong> porte, et <strong>de</strong> là <strong>le</strong>s talismans. On a parlé <strong>de</strong> ces<br />

combinaisons propres à déterminer la suprême intelligence<br />

à produire tel effet ou tel autre. Cette doctrine<br />

avait pénétré chez <strong>le</strong>s Juifs et chez <strong>le</strong>s Orientaux;<br />

ils trouvèrent quelque analogie <strong>avec</strong> cel<strong>le</strong> du christianisme<br />

; mais celui-ci n'expliquant pas tout ce que<br />

<strong>le</strong>ur curiosité désirait, ils y suppléèrent par cette<br />

alliance blâmab<strong>le</strong> et si condamnée <strong>de</strong>s dogmes chrétiens<br />

et du système <strong>de</strong>s émanations, <strong>de</strong> la combinaison<br />

<strong>de</strong>s <strong>le</strong>ttres et <strong>de</strong> la vertu <strong>de</strong>s nombres. <strong>Le</strong>s Juifs crurent<br />

trouver dans l'arrangement <strong>de</strong>s <strong>le</strong>ttres hébraïques <strong>de</strong><br />

grands mystères; mais, <strong>le</strong>urs sephiroth n'étant autres<br />

que <strong>le</strong>s éons <strong>de</strong>s Va<strong>le</strong>ntiniens, ils firent remonter ces<br />

connaissances à Moïse. La tradition (caba<strong>le</strong> signifie<br />

tradition) <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ur avait transmises. La verge <strong>de</strong> Moïse<br />

n'avait produit tant <strong>de</strong> prodiges que parce que <strong>le</strong> vrai<br />

nom <strong>de</strong> Dieu y était gravé \ — C'est ainsi que <strong>le</strong>s gnos-<br />

l. Un savant a refusé cependant <strong>de</strong> croire que l'antiquité ait été infatuée<br />

<strong>de</strong> la Caba<strong>le</strong> ; il prétend prouver (t. XIII Mém. <strong>de</strong> l'Acad. <strong>de</strong>s<br />

inscript., p. S8), qu'el<strong>le</strong> n'a qu'un rapport éloigné <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s idées astro-


AVEC LE DÉMON. 453<br />

tiques se crurent plus instruits que <strong>le</strong>s apôtres et voulurent<br />

joindre à la doctrine du souverain maître <strong>le</strong>s<br />

superstitions <strong>de</strong> la gentilité.<br />

On verra un jour <strong>le</strong>s quatre sortes d'êtres intermédiaires<br />

qui présidaient aux quatre éléments, figurer<br />

dans la science <strong>de</strong>s cabalistes sous <strong>le</strong>s noms <strong>de</strong> gnomes,<br />

<strong>de</strong> salamandres, <strong>de</strong> sylphes et d'ondines.<br />

logiques <strong>de</strong>s Chaldéens et <strong>le</strong>s nombres <strong>de</strong> Pythagore, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s observations<br />

<strong>de</strong>s Basilidiens, <strong>le</strong>s éons <strong>de</strong>s Va<strong>le</strong>ntiniens, etc. La Caba<strong>le</strong>, môme<br />

chez <strong>le</strong>s Juifs, ne remonterait que vers <strong>le</strong> dixième sièc<strong>le</strong> ; el<strong>le</strong> viendrait,<br />

selon lui, <strong>de</strong>s philosophes arabes. (V. Bergier, v° Caba<strong>le</strong>.)


454 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

CHAPITRE IV<br />

Chftlimonts infligés par <strong>le</strong>a magistrats aux goélislps jusqu'au cinquiômc sièc<strong>le</strong>;<br />

Jcs théurgislcs, après Julien, ne furent point épargnés.—Téni<strong>le</strong>ncc imposée<br />

par l'Église durant cel<strong>le</strong> pério<strong>de</strong>.<br />

Châtiments infligés par <strong>le</strong>s magistrats aux goetistes jusqu'au cinquième<br />

sièc<strong>le</strong>; <strong>le</strong>s théurgistes, après Julien, ne furent point épargnés,<br />

L'antiquité punissait la goétio ; Auguste y avait apporté<br />

beaucoup d'ar<strong>de</strong>ur, dit Suétone. On fit une perquisition<br />

<strong>de</strong>s livres <strong>de</strong> magie, et à Rome seu<strong>le</strong>ment on<br />

en brûla plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mil<strong>le</strong> volumes, quantité énorme<br />

à une époque où <strong>le</strong>s livres étaient fort rares. <strong>Le</strong>s nouveaux<br />

convertis à Ephèsc en apportèrent aux pieds<br />

<strong>de</strong>s apôtres pour une va<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> cinquante mil<strong>le</strong> pièces<br />

d'argent, ce qui n'empêcha point <strong>le</strong>s empereurs <strong>de</strong> s'y<br />

livrer tout en punissant ceux qui s'y livraient. Tibère,<br />

Néron punirent <strong>le</strong>s goetistes; ce <strong>de</strong>rnier chassa <strong>le</strong>s<br />

philosophes <strong>de</strong> peur que sous ce nom il no se cachfit<br />

quelque magicien ; s'il ne s'était agi que d'une chimère,<br />

c'eût été y attacher une bien gran<strong>de</strong> importance !<br />

<strong>Le</strong>s divinations n'étaient condamnées qu'autant que<br />

<strong>le</strong>s consultants auraient voulu connaître <strong>de</strong>s secrets<br />

relatifs au'chef do l'Etat. Ainsi <strong>le</strong>s lois répressives<br />

n'atteignaient point l'augurie, l'aruspicino, ni <strong>le</strong>s cérémonies<br />

sacrées qui mettaient en rapport <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s dieux;


AVEC LE DÉMON. 455<br />

et hors <strong>de</strong> l'enceinte <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong>s étaient tolérées ;<br />

mais Constantin, en 319, rendit une loi qui défendait<br />

à tous aruspices d'entrer dans une maison particulière<br />

pour son art, sous peine d'être brûlé et menaçait <strong>de</strong><br />

confiscation <strong>de</strong>s biens celui qui aurait requis son ministère.<br />

Une secon<strong>de</strong> loi déci<strong>de</strong> cependant qu'on n'a pas<br />

entendu défendre aux aruspices l'entrée <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s, et<br />

qu'il est permis aux prêtres <strong>de</strong> s'y livrer à l'aruspicine.<br />

En 321, une autre loi porte que c'est <strong>avec</strong> justice<br />

que <strong>le</strong>s lois usent d'une gran<strong>de</strong> sévérité envers <strong>le</strong>s magiciens,<br />

qui, par <strong>le</strong>ur art, nuisent aux hommes ou excitent<br />

<strong>le</strong>s personnes chastes à l'impudicité; mais on<br />

excepte ceux qui font <strong>de</strong>s guérisons, et qui par <strong>de</strong>s<br />

charmes conjurent <strong>le</strong>s tempêtes, la pluie et la grê<strong>le</strong>, etc.;<br />

il ne faut pas rechercher ceux-ci, puisque <strong>le</strong>ur art,<br />

loin <strong>de</strong> nuire, produit un grand bien. Était-ce chez<br />

Constantin une faib<strong>le</strong>sse qui trouve son excuse dans<br />

<strong>le</strong>s préjugés <strong>de</strong> sa première éducation, ignorance religieuse<br />

ou con<strong>de</strong>scendance commandée par sa politique?<br />

Quoi qu'il en soit, Constance, en 357, fut moins<br />

indulgent; une loi nouvel<strong>le</strong> défend <strong>de</strong> consulter <strong>le</strong>s<br />

augures, impose si<strong>le</strong>nce aux Chaldéens, sévit contre <strong>le</strong>s<br />

magiciens (nta<strong>le</strong>fîci) pour <strong>le</strong>s maux étranges qu'ils causent<br />

; défense est faite d'exercer <strong>le</strong>ur art sous peine<br />

d'être décapités.<br />

La même année, une secon<strong>de</strong> loi porte que plusieurs<br />

ont l'audace d'employer l'art magique pour évoquer<br />

<strong>le</strong>s morts, pour troub<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s éléments, faire mourir<br />

<strong>le</strong>urs ennemis, porter préjudice aux gens <strong>de</strong> bien.— Il<br />

faut détruire cette sorte <strong>de</strong> gens ennemis <strong>de</strong> la nature.<br />

Feralis pestis abmmat.<br />

<strong>Des</strong> lois aussi sévères n'empêchent ni <strong>le</strong>s magiciens,<br />

ni <strong>le</strong>s astrologues, ni <strong>le</strong>s aruspices <strong>de</strong> pullu<strong>le</strong>r môme<br />

à la cour, et on a vu en effet Julien trouver <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins


456 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

qui lui prédisent <strong>le</strong> trône, <strong>de</strong>s magiciens qui l'initient<br />

à <strong>le</strong>ur art. Constance, informé <strong>de</strong>s pernicieux engagements<br />

<strong>de</strong> Julien, adressa en 358, au préfet du prétoire<br />

une nouvel<strong>le</strong> loi qui porte que si, dans toutes <strong>le</strong>s<br />

parties <strong>de</strong> la terre, <strong>le</strong>s magiciens sont considérés<br />

comme ennemis du genre humain, il importe surtout<br />

que <strong>le</strong>s personnes qui composent la cour du prince<br />

soient exemptes <strong>de</strong> ce crime... Ordre en conséquence,<br />

s'il s'y trouve soit magicien, aruspice, <strong>de</strong>vin, augure ou<br />

observateur <strong>de</strong> songes, <strong>de</strong> l'arrêter. Si étant convaincu<br />

il ose dénier, il sera mis à la question, ses côtes seront<br />

déchirées <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s ong<strong>le</strong>s <strong>de</strong> fer, sans que <strong>le</strong> rang<br />

et <strong>le</strong>s privilèges accordés aux dignitaires qui <strong>le</strong>s exemptent<br />

<strong>de</strong> ces sortes <strong>de</strong> supplices puissent <strong>le</strong>s en préserver.<br />

Constance n'ayant régné que <strong>de</strong>ux ans, Julien<br />

parvenu à l'empire rétablit, comme on sait, toutes <strong>le</strong>s<br />

pratiques du paganisme, et <strong>le</strong> crédit <strong>de</strong>s aruspices et<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins.<br />

Après un règne <strong>de</strong> dix-neuf mois, Julien meurt.<br />

Sous Jovien, <strong>le</strong> christianisme triomphe, <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s<br />

ido<strong>le</strong>s sont fermés, <strong>le</strong>s sacrifices prohibés ; son règne,<br />

qui dura moins <strong>de</strong> huit mois, ne lui permit pas <strong>de</strong> faire<br />

davantage. <strong>Le</strong>s magiciens s'assemblaient la nuit; <strong>le</strong>s<br />

ténèbres couvraient <strong>le</strong>urs abominations.<br />

Va<strong>le</strong>ntinien et Va<strong>le</strong>ns, l'an 364, firent une loi qui<br />

porte que quiconque sacrifiera aux <strong>démon</strong>s ou fera<br />

<strong>de</strong>s enchantements pendant la nuit, sera puni <strong>de</strong><br />

mort.<br />

<strong>Le</strong>s astrologues, appelés aussi mathématiciens, prétendant<br />

que cette loi ne <strong>le</strong>s concernait point, voulurent<br />

continuer d'enseigner <strong>le</strong>urs erreurs; l'un d'eux fit un<br />

traité fameux dans <strong>le</strong> temps, qui donna lieu, en 370, à<br />

une loi <strong>de</strong> Va<strong>le</strong>ntinien, laquel<strong>le</strong> défend d'enseigner<br />

l'astrologie, soit en public, soit en secret, soit <strong>de</strong> jour,


AVEC LE DÉMON. 457<br />

soit <strong>de</strong> nuit. En cas <strong>de</strong> contravention, <strong>le</strong> maître et <strong>le</strong>s<br />

discip<strong>le</strong>s seront punis <strong>de</strong> mort.<br />

La loi <strong>de</strong>s Douze-Tab<strong>le</strong>s ayant décrété <strong>le</strong> crime <strong>de</strong><br />

magie abominab<strong>le</strong>, et <strong>le</strong> magicien exécrab<strong>le</strong> (sacer esta);<br />

d'après cette maxime, tout particulier <strong>de</strong>vait s'y opposer<br />

; ce qui donna lieu à divers abus : on tuait <strong>le</strong> magicien<br />

pour qu'il ne pût révé<strong>le</strong>r ses complices, ou bien,<br />

sous prétexte <strong>de</strong> magie, on se défaisait <strong>de</strong> ses ennemis.<br />

Ces abus firent rendre, en l'an 371, une loi qui ordonnait<br />

<strong>de</strong> conduire <strong>le</strong> magicien, aussitôt après son arrestation,<br />

<strong>de</strong>vant ses juges, et faisait défense très-expresse,<br />

sous peine <strong>de</strong> mort, d'attenter à la vie <strong>de</strong> ceux même<br />

notoirement connus comme goétistes (ou sorciers).<br />

Plusieurs exemp<strong>le</strong>s à cette époque prouveraient la<br />

sévérité <strong>de</strong>s lois contre <strong>le</strong>s goétistes et contre ceux<br />

même qui se livraient à la magie bienfaisante.<br />

Sous Va<strong>le</strong>ntinien, <strong>de</strong>s perquisitions sévères furent<br />

faites contre <strong>le</strong>s magiciens. Apronien, préfet <strong>de</strong> Rome,<br />

<strong>le</strong>s convainquit sans réplique <strong>de</strong>s crimes qu'on <strong>le</strong>ur<br />

imputait, et fut aidé par la déclaration <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs complices.<br />

La magie inspirait tant <strong>de</strong> crainte et d'horreur,<br />

qu'il suffisait d'avoir voulu l'étudier pour être condamné<br />

à mort. Un cocher, nommé Hilarin, subit cette<br />

peine pour <strong>le</strong> seul fait d'avoir confié son fils à un enchanteur<br />

qui <strong>de</strong>vait lui apprendre la magie, dit Ammien<br />

Marcellin. (XXVI, 3.)<br />

<strong>Le</strong> même historien dit que, sous Va<strong>le</strong>ns, <strong>le</strong>s châtiments<br />

étaient accompagnés <strong>de</strong> cruautés; il n'était pas<br />

permis aux femmes <strong>de</strong> p<strong>le</strong>urer la mort d'un époux.—<br />

On a déjà signalé <strong>de</strong> graves abus : dans son exécration,<br />

<strong>le</strong> peup<strong>le</strong> allait jusqu'à se charger quelquefois <strong>de</strong> l'office<br />

<strong>de</strong> bourreau. Ammien Marcellin prétend même<br />

qu'en mettant <strong>le</strong>s scellés il est arrivé <strong>de</strong> glisser <strong>de</strong>s sortilèges<br />

dans <strong>le</strong>s meub<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s personnes qu'on voulait


438 DES HAPPORTS DE L'HOMME<br />

faire accuser <strong>de</strong> magie. — Peut-être ne doit-on accepter<br />

ces faits qu'<strong>avec</strong> réserve; Ammien Marcellin, l'ami <strong>de</strong><br />

Julien, a pu <strong>le</strong>s dénaturer; d'autres peuvent être vrais.<br />

Nous verrons un jour <strong>le</strong> même crime, excitant la même<br />

horreur, produire <strong>de</strong>s voies <strong>de</strong> fait non moins blâmab<strong>le</strong>s<br />

: glisser <strong>de</strong>s charmes dans <strong>le</strong>s meub<strong>le</strong>s <strong>de</strong> ceux<br />

qu'on suspecte, pour <strong>le</strong>s atteindre plus sûrement, était<br />

bien loin d'être juridique; mais il serait si opposé à la<br />

nature <strong>de</strong> punir une épouse qui p<strong>le</strong>ure, que, pour l'honneur<br />

<strong>de</strong> l'humanité, on pense qu'il y a ici exagération<br />

<strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l'historien.<br />

On punissait même la magie bienfaisante, comme il<br />

a été dit. <strong>Le</strong> même Ammien Marcellin nous apprend<br />

qu'une vieil<strong>le</strong> femme fut condamnée a mort pour avoir<br />

guéri <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s la fièvre intermittente <strong>de</strong> la fil<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> Valons. Il dit que l'empereur, qui la récompensa<br />

ainsi, l'avait mandée lui-même.<br />

11 dit aussi qu'ayant surpris dans <strong>le</strong>s bains un jeune<br />

homme qui, en comptant sept voyel<strong>le</strong>s, approchait alternativement<br />

<strong>le</strong>s mains du marbre du bain et <strong>de</strong> sa<br />

poitrine pour guérir ses maux d'estomac, ce malheureux<br />

fut condamné à mort. A côté d'une tel<strong>le</strong> sévérité,<br />

on cite cependant <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s d'indulgence : <strong>le</strong> tribun<br />

Potentianus, convaincu d'avoir ouvert <strong>le</strong> ventre d'une<br />

femme enceinte pour consulter <strong>le</strong>s divinités inferna<strong>le</strong>s,<br />

fut absous, dit-on, malgré <strong>le</strong>s murmures <strong>de</strong>s sénateurs.<br />

On eût été moins indulgent s'il <strong>le</strong>s eût consultées<br />

sur la vie <strong>de</strong> l'empereur; toutefois, on doit dire<br />

aussi qu'il y a erreur <strong>de</strong> penser qu'on punissait seu<strong>le</strong>ment<br />

ceux qui voulaient connaître la durée d'un règne.<br />

<strong>Le</strong>s faits cités plus haut prouvent <strong>le</strong> contraire.<br />

Avec une tel<strong>le</strong> rigueur, <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong>s magiciens <strong>de</strong>vait<br />

diminuer, et cependant, d'après <strong>le</strong> même historien,<br />

<strong>le</strong> préjugé qui trouvait louab<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s pratiques ma-


AVEC LE DÉMON. 459<br />

giques propres à favoriser <strong>le</strong>s intérêts matériels, était<br />

si enraciné, qu'un sénateur confia un <strong>de</strong> ses esclaves<br />

à un magicien pour l'initier à son art, et qu'il put se racheter<br />

du supplice par une somme considérab<strong>le</strong>. <strong>Le</strong><br />

nombre enfin diminua, et l'injonction faite par Théodose<br />

à ceux qui connaîtraient <strong>de</strong>s magiciens <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

livrer aux magistrats <strong>de</strong>vait produire ce résultat; l'horreur<br />

qu'inspirait même la magie bienfaisante la fit repousser<br />

dans <strong>le</strong>s circonstances où l'on aurait dû se trouver<br />

heureux <strong>de</strong> l'accueillir. Ainsi, en 408, <strong>de</strong>s astrologues<br />

toscans ayant offert <strong>de</strong> faire <strong>le</strong>ver <strong>le</strong> siège mis<br />

<strong>de</strong>vant Rome par Alaric, en excitant <strong>de</strong>s tonnerres et<br />

<strong>de</strong>s tempêtes, quelques notab<strong>le</strong>s furent d'avis <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

permettre <strong>de</strong> faire, sur l'une <strong>de</strong>s places publiques, <strong>le</strong>urs<br />

sacrifices impurs; mais <strong>le</strong>s gens <strong>de</strong> bien en furent indignés,<br />

et quand l'ennemi se fut retiré, <strong>le</strong> pape Innocent<br />

I er<br />

et <strong>le</strong>s magistrats écrivirent à Honorius et à Théodose,<br />

à cette occasion, et une loi décréta l'expulsion <strong>de</strong>s<br />

astrologues : — « Perquisition sera faite <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs livres,<br />

qui seront brûlés, et si l'on découvre quelqu'un enseignant<br />

en secret ces erreurs, il sera banni dans <strong>le</strong>s î<strong>le</strong>s<br />

à perpétuité... » — Malgré <strong>le</strong>s lois, on crut pouvoir recourir<br />

quelquefois encore à la magie pour faire <strong>le</strong> bien ;<br />

mais la Novel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Léon vint combattre ces erreurs.<br />

El<strong>le</strong> porte que si quelqu'un se sert <strong>de</strong> charmes, soit<br />

pour recouvrer la santé, soit pour détourner <strong>le</strong>s fléaux<br />

qui font périr <strong>le</strong>s fruits <strong>de</strong> la terre, il sera puni du<br />

<strong>de</strong>rnier supplice. (V. De Lamare, Traité <strong>de</strong> la police,<br />

1. III, tit. 7.)<br />

Un si grand attachement à ces pratiques, tant <strong>de</strong> sévérité<br />

pour <strong>le</strong>ur répression, montrent, <strong>de</strong> part et d'autre,<br />

une forte conviction. Il fallait autre chose que <strong>de</strong> la<br />

fourberie, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s théurgistes toscans, pour oser<br />

proposer d'exciter <strong>de</strong>s tempêtes et <strong>de</strong>s tonnerres pro-


460 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

près à faire <strong>le</strong>ver un siège au moyen <strong>de</strong> sacrifices magiques<br />

sur une place publique ; s'ils n'avaient pas la<br />

confiance qu'ils manifestaient, ils étaient sûrs d'avance<br />

d'être au moins couverts <strong>de</strong> mépris et <strong>de</strong> honte ; s'ils<br />

avaient cette foi en <strong>le</strong>ur art, d'où <strong>le</strong>ur venait-el<strong>le</strong>? que<br />

pouvait ici <strong>le</strong>ur fourberie? Il y avait donc conviction<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur part; qu'est-ce qui peut la donner? sinon <strong>de</strong>s<br />

faits. Nous verrons ultérieurement d'autres faits dont<br />

l'examen permettra <strong>de</strong> montrer moins <strong>de</strong> perp<strong>le</strong>xité<br />

dans la solution <strong>de</strong> ce problème.<br />

Pénitence imposée par l'Église durant cette pério<strong>de</strong>.<br />

Jusqu'au troisième sièc<strong>le</strong>, l'Église n'inflige aucun<br />

châtiment aux hérétiques, ni à ceux qui se livrent encore<br />

aux pratiques païennes ; cel<strong>le</strong>s-ci d'ail<strong>le</strong>urs appartiennent<br />

à l'hérésie. Saint Paul dit à Tite (III, 10)<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>s avertir <strong>de</strong>ux fois, et s'ils ne se convertissent,<br />

d'éviter <strong>le</strong>ur présence.<br />

On a prétendu que <strong>le</strong>s chrétiens, durant <strong>le</strong>s trois<br />

premiers sièc<strong>le</strong>s, avaient abandonné <strong>le</strong>s pratiques <strong>de</strong> la<br />

goétie et <strong>de</strong> la théurgie. Cette opinion semb<strong>le</strong> peu soutenab<strong>le</strong>.<br />

<strong>Le</strong>s vrais fidè<strong>le</strong>s n'étaient point théurgistes;<br />

mais, dès avant Constantin, n'y avait-il pas <strong>de</strong>s chrétiens<br />

faib<strong>le</strong>s qui n'avaient pu secouer complètement <strong>le</strong>s erreurs<br />

du vieux culte? <strong>de</strong>s chrétiens mal convertis qui,<br />

se rendant aux assemblées nocturnes, se croyaient transportés<br />

par <strong>de</strong>s bêtes et y trouver Diane et Hérodia<strong>de</strong>?Un<br />

conci<strong>le</strong> tenu en 314, àAncyre, invite évoques etprêtres<br />

à déraciner cet art diabolique, à chasser ceux qui s'y<br />

livrent; car ce sont <strong>le</strong>s serfs du <strong>démon</strong>, a diabolo<br />

tenenîur capîivi; à <strong>le</strong>s avertir que tout cela est faux, etc.<br />

Il est constant que <strong>le</strong>s Pères se sont préoccupés vivement<br />

<strong>de</strong> la magie. Eusèbe (Dem. eu., III), saint Ba-


AVEC LE DÉMON. 461<br />

si<strong>le</strong> (Ep. ad Amphil.), saint Grégoire <strong>de</strong> Nysse (Ep. ad<br />

S. <strong>Le</strong>toium.), saint Jérôme, saint Chrysos<strong>tome</strong>, saint<br />

Augustin, etc., — tous ont dit que ce sont <strong>de</strong>s ruses <strong>de</strong><br />

l'esprit malin, qui, pour séduire <strong>le</strong>s hommes, veut entrer<br />

en commerce <strong>avec</strong> eux. <strong>Le</strong>s divinations excitent toute<br />

<strong>le</strong>ur sollicitu<strong>de</strong> ; <strong>le</strong>s conci<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s prohibent sous diverses<br />

peines. La première est cel<strong>le</strong> d'excommunication (V. <strong>le</strong><br />

conc. d'Elvire en 300, celui <strong>de</strong> Laodicée en 36G, <strong>le</strong> 4"<br />

conc. <strong>de</strong>Carthage en 398). <strong>Le</strong> conci<strong>le</strong> d'Elvire refusait la<br />

communion même à l'extrémité. Jusque-là ce n'étaient<br />

que <strong>de</strong>s peines spirituel<strong>le</strong>s; mais un capitulaire d'Hérard,<br />

archevêque <strong>de</strong> Tours, outre l'expulsion, ordonne une<br />

pénitence publique. D'après <strong>le</strong>s anciens canons pénitentiaux,<br />

il est infligea ceux qui recourent aux <strong>de</strong>vins,<br />

aux uns plusieurs mois, à d'autres une année. — Depuis<br />

l'époque où <strong>le</strong> paganisme est tombé, la goétie et<br />

la théurgie sont donc éga<strong>le</strong>ment condamnées. Cette<br />

<strong>de</strong>rnière n'est plus <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s dieux; comme culte <strong>de</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s, c'est une <strong>de</strong>s branches <strong>de</strong> la magie.


LIVRE CINQUIÈME<br />

CHAPITRE I<br />

Exposé do la magie du cinquième au quinzième sièc<strong>le</strong> ; introduction <strong>de</strong> la magie<br />

ou sorcel<strong>le</strong>rie au moyen âge. — Assemblées nocturnes, sabbat. — Châtiments<br />

infligés par l'Église du cinquième au quinzième sièc<strong>le</strong>. — Lois criminel<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong> l'État, plus sévères.<br />

Exposé <strong>de</strong> la magie du cinquième au quinzième sièc<strong>le</strong> ; introduction<br />

<strong>de</strong> la magie ou sorcel<strong>le</strong>rie au moyen âge.<br />

On a esquissé précé<strong>de</strong>mment <strong>le</strong>s croyances religieuses<br />

<strong>de</strong>s Gentils : on a montré l'Ancien et <strong>le</strong> Nouveau<br />

Testament déclarant que <strong>le</strong>urs dieux étaient <strong>de</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s. On a vu <strong>le</strong>s Pères <strong>le</strong> prouver par <strong>le</strong>s arguments<br />

et par l'exposé <strong>de</strong>s faits. <strong>Le</strong>s Romains, comme tant<br />

d'autres peup<strong>le</strong>s, ayant eu <strong>le</strong>ur enfance et <strong>le</strong>ur virilité,<br />

ont atteint <strong>le</strong>ur décrépitu<strong>de</strong>. <strong>Le</strong>s anciens cultes, qui se<br />

revivifient souvent dans <strong>le</strong>s persécutions, ont cependant<br />

à peu près cessé d'exister. La religion <strong>de</strong> Moïse a reçu<br />

son complément dans <strong>le</strong> christianisme, dont <strong>le</strong> divin<br />

fondateur est mort sur une croix. Cet instrument d'ignominie<br />

est <strong>de</strong>venu, <strong>de</strong> l'orient à l'occi<strong>de</strong>nt, du septen-


464 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

trion au midi, un signe vénéré. <strong>Le</strong>s divinités <strong>de</strong>s Gentils<br />

ont perdu <strong>le</strong>ur diadème ; ces cornes qui ornaient<br />

<strong>le</strong>ur tête, emblème <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur puissance, sont <strong>de</strong>venues <strong>le</strong><br />

signe caractéristique <strong>de</strong>s esprits <strong>de</strong> malice ; <strong>le</strong>s prêtres<br />

<strong>de</strong>s cultes proscrits et <strong>le</strong>s adorateurs <strong>de</strong>s faux dieux ne<br />

sont plus que <strong>de</strong>s magiciens, <strong>de</strong> vils sorciers.<br />

Cependant Satan continue son œuvre <strong>de</strong> séduction,<br />

comme on vient <strong>de</strong> <strong>le</strong> voir dans <strong>le</strong>s hérésies, parmi <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s<br />

vont figurer la magie et la sorcel<strong>le</strong>rie : quoique<br />

ces <strong>de</strong>ux mots semb<strong>le</strong>nt synonymes, on a cru <strong>de</strong>voir <strong>le</strong>s<br />

distinguer. La magie est une science : el<strong>le</strong> suppose une<br />

étu<strong>de</strong>, el<strong>le</strong> continue la théurgie dans sa doub<strong>le</strong> puissance<br />

; la sorcel<strong>le</strong>rie dérive du mot sorts ou divinations,<br />

contre <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s l'Église s'é<strong>le</strong>va dès <strong>le</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s.<br />

<strong>Le</strong>s sorciers peuvent guérir et maléficier, prédire<br />

comme <strong>le</strong>s théurgistes, se métamorphoser (dit-on), se<br />

transporter aux assemblées appelées sabbat; la sorcel<strong>le</strong>rie<br />

est une pratique et semb<strong>le</strong> être plutôt <strong>le</strong> partage<br />

<strong>de</strong>s gens vils, et la magie la science <strong>de</strong> classes plus é<strong>le</strong>vées,<br />

<strong>de</strong>s hommes instruits. S'il était possib<strong>le</strong> d'en entreprendre<br />

l'histoire dans l'univers entier, on serait<br />

surpris <strong>de</strong> la retrouver à peu près partout la même :<br />

nous sommes forcé <strong>de</strong> nous borner aux Celtes, c'est <strong>le</strong><br />

nom que <strong>le</strong>s anciens donnaient aux peup<strong>le</strong>s qui habitent<br />

aujourd'hui <strong>le</strong>s pays qui nous intéressent davantage<br />

: la France, l'Italie, l'Espagne, l'Al<strong>le</strong>magne, la<br />

Gran<strong>de</strong>-Bretagne, etc. (Pelloutier, Hist.<strong>de</strong>s Celtes, 1.1 er<br />

,<br />

c. 1-12.)<br />

Il est bon <strong>de</strong> jeter un coup d'œil rétrospectif sur <strong>le</strong>s<br />

documents historiques d'une époque plus reculée pour<br />

avoir une idée <strong>de</strong>s superstitions <strong>de</strong>s Gaulois et <strong>de</strong>s<br />

Francs. — Ces récits semi-fabu<strong>le</strong>ux sont <strong>de</strong>venus, pour<br />

la plupart, l'origine <strong>de</strong>s contes qui ont bercé notre<br />

enfance : que faut-il croire <strong>de</strong>s ogres et <strong>de</strong>s fées, <strong>de</strong>s


AVEC LE DÉMON. 405<br />

loups-garous et <strong>de</strong>s femmes dont la doub<strong>le</strong> prunel<strong>le</strong><br />

fait mourir ceux qu'el<strong>le</strong>s regar<strong>de</strong>nt? etc. En acceptant<br />

ces récits <strong>avec</strong> circonspection, on trouve <strong>de</strong>s vérités<br />

sous l'enveloppe <strong>de</strong> la fab<strong>le</strong>. Ces ogres qui mangeaient la<br />

chair humaine sont peut-être <strong>le</strong>s Celtes, qui, dans <strong>le</strong>urs<br />

assemblées nocturnes, immolaient <strong>de</strong>s victimes humaines<br />

; qui dévoraient, dans <strong>le</strong>urs horrib<strong>le</strong>s festins, <strong>de</strong><br />

jeunes enfants dont <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s palpitantes étaient<br />

consultées par <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>sses transportées <strong>de</strong> fureur<br />

divine; ces loups-garous sont l'œuvre <strong>de</strong> ce pouvoir<br />

<strong>de</strong> transformation si généra<strong>le</strong>ment admis ; quant aux<br />

femmes dont <strong>le</strong> regard est si meurtrier, nous ferons<br />

un jour <strong>avec</strong> el<strong>le</strong>s amp<strong>le</strong> connaissance.<br />

<strong>Le</strong>s Celtes, outre <strong>le</strong>urs dieux suprêmes, reconnaissaient<br />

<strong>de</strong>s intelligences présidant aux quatre éléments,<br />

exerçant chacune <strong>le</strong>ur souveraineté dans <strong>le</strong>ur district<br />

particulier. L'initiation <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> à la science magique<br />

lui concédait <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur comman<strong>de</strong>r. —<br />

C'eût été une impiété <strong>de</strong> donner une forme à la divinité<br />

et <strong>de</strong> circonscrire sa <strong>de</strong>meure ; on s'assemblait la nuit<br />

dans <strong>le</strong>s forêts, à la lueur <strong>de</strong> la lune ou à la clarté <strong>de</strong>s<br />

flambeaux; là on immolait <strong>de</strong>s victimes humaines, on<br />

faisait un banquet <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs chairs, on se livrait à <strong>de</strong>s<br />

danses frénétiques. (Pelloutier, t. VII, qui cite ses autorités,<br />

c'est-à-dire Tacite, Strabon, Procope, etc., prétend<br />

qu'ils ne reconnaissaient qu'un dieu suprême <strong>avec</strong><br />

<strong>de</strong>s intelligences.)<br />

On s'assemblait près d'une mare, d'une fontaine ou<br />

d'un étang; on prédisait l'avenir par <strong>le</strong> bruissement<br />

<strong>de</strong>s vents dans <strong>le</strong> feuillage, par <strong>le</strong>s configurations <strong>de</strong> la<br />

flamme, par <strong>le</strong> tourbillon <strong>de</strong>s eaux. (Pell., IV, 7.)<br />

On distinguait plusieurs sortes <strong>de</strong> drui<strong>de</strong>s obéissant<br />

à un souverain pontife qui résidait à Chartres, et plusieurs<br />

sortes <strong>de</strong> drui<strong>de</strong>sses. La première classe, dit Stra-


4GG DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

bon, faisait vœu <strong>de</strong> continence et ne quittait jamais <strong>le</strong>s<br />

forêts ; <strong>le</strong>s drui<strong>de</strong>sses <strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> <strong>le</strong>s quittaient une<br />

fois l'an pour visiter <strong>le</strong>urs maris; cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la troisième<br />

vivaient en famil<strong>le</strong> et se rendaient aux assemblées<br />

pour servir <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux premières classes : el<strong>le</strong>s se livraient<br />

aux divinations et autres cérémonies magiques. <strong>Le</strong>s<br />

unes répandaient <strong>le</strong> sang, d'autres observaient la manière<br />

dont il coulait, consultaient <strong>le</strong>s entrail<strong>le</strong>s do<br />

concert <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s eubages et sous l'inspection <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s<br />

du premier ordre ; <strong>le</strong>s dieux donnaient <strong>de</strong>s signes sensib<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>ur présence. (Pell., VII, 4.) La divinité<br />

paraissait révé<strong>le</strong>r <strong>de</strong> préférence l'avenir.aux femmes;<br />

<strong>de</strong> là <strong>le</strong>, respect qu'on <strong>le</strong>ur portait et <strong>le</strong> soin <strong>de</strong> <strong>le</strong>s consulter<br />

dans <strong>le</strong>s circonstances <strong>le</strong>s plus graves. <strong>Le</strong>s Romains<br />

s'adressèrent eux-mêmes aux drui<strong>de</strong>sses et <strong>le</strong>ur<br />

accordèrent une extrême confiance. (//>., p. 317.) On a<br />

parlé <strong>de</strong> la puissance mag-ique <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s; chacun<br />

avait col<strong>le</strong> que lui conférait <strong>le</strong> génie dont il était <strong>le</strong><br />

ministre; comme ceux-ci (<strong>le</strong>s génies) en différaient entre<br />

eux, ces ministres n'en étaient pas doués au même<br />

<strong>de</strong>gré. L'initiation, comme on l'a vu dans Jamblique,<br />

conférait aux drui<strong>de</strong>s une existence nouvel<strong>le</strong>, un merveil<strong>le</strong>ux<br />

pouvoir.<br />

Si l'on voulait racheter la vie d'un homme, on <strong>de</strong>vait<br />

aussitôt en sacrifier un autre, car rien n'était plus<br />

agréab<strong>le</strong> aux dieux que <strong>de</strong> tels sacrifices. On immolait <strong>le</strong>s<br />

prisonniers <strong>de</strong> guerre, mais <strong>le</strong>s citoyens du plus haut<br />

rang étaient eux-mêmes choisis, quand <strong>le</strong>s dieux préféraient<br />

<strong>de</strong>s victimes illustres. <strong>Le</strong> patriotisme commandait<br />

<strong>le</strong>s dévouements volontaires, dont on attendait <strong>le</strong>s plus<br />

heureux résultats. Il suffisait, chez certains peup<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

la Celtique, que l'esprit du dieu s'emparât <strong>de</strong> quelqu'un<br />

pour qu'on <strong>le</strong> crût choisi par la divinité ; alors on l'immolait<br />

à la Lune. (Pell., VIII, 4.)


AVEC LE DÉMON.<br />

On n'abor<strong>de</strong>ra pas <strong>le</strong> long détail <strong>de</strong>s divinations.<br />

La divinité dirigeait <strong>le</strong>s mouvements <strong>de</strong>s animaux, <strong>le</strong><br />

vol <strong>de</strong>s oiseaux... — Aux divinations par <strong>le</strong> feu se rapporte<br />

l'épreuve <strong>de</strong> l'eau bouillante et du fer chaud,<br />

laquel<strong>le</strong> variait selon <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s; ici on portait à la<br />

distance <strong>de</strong> neuf pieds neuf barres <strong>de</strong> fer rouge, là <strong>de</strong>s<br />

socs <strong>de</strong> charrue ; ail<strong>le</strong>urs on <strong>de</strong>vait mettre sa main<br />

dans un gante<strong>le</strong>t <strong>de</strong> fer rougi au feu; on enfonçait<br />

son bras jusqu'au cou<strong>de</strong> dans l'eau bouillante, ou<br />

bien on marchait sur <strong>de</strong>s charbons ar<strong>de</strong>nts sans éprouver<br />

<strong>le</strong>s atteintes du feu. (V. dans Pelloutier, Ib., <strong>le</strong>s<br />

auteurs qu'il a cités.)<br />

On recourait aussi à l'épreuve par l'eau froi<strong>de</strong>. Cet<br />

élément semblait alors doué d'intelligence, car l'eau<br />

froi<strong>de</strong> pouvait brû<strong>le</strong>r comme l'eau bouillante et,<br />

contrairement aux lois <strong>de</strong> l'hydrostatique, comme<br />

preuve d'innocence, l'accusé, au lieu d'al<strong>le</strong>r au fond,<br />

surnageait. On verra plus tard ce <strong>de</strong>rnier phénomène<br />

admis comme preuve <strong>de</strong> culpabilité. Ces épreuves<br />

existaient <strong>de</strong> temps immémorial chez <strong>le</strong>s Celtes.<br />

{Ib., c. 6.)<br />

On y retrouvait ainsi l'aéromancie, l'hydromancie,<br />

<strong>le</strong>s auspices, <strong>le</strong>s prestiges, comme chez <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s dont<br />

il a été ci-<strong>de</strong>vant parlé. (Ib., VIII, 4.) Mais tel signe,<br />

comme l'a dit Cicéron, indiquait ici <strong>le</strong> contraire <strong>de</strong> ce<br />

qu'il indiquait ail<strong>le</strong>urs; langage <strong>de</strong> convention, que<br />

chaque peup<strong>le</strong> tenait du génie qui <strong>le</strong> lui avait révélé.<br />

<strong>Le</strong>s Celtes ajoutèrent ensuite à <strong>le</strong>urs superstitions cel<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>s nations qu'ils fréquentèrent. La colonie qui s'établit<br />

à Marseil<strong>le</strong>, et plus tard la conquête <strong>de</strong>s Romains,<br />

vinrent modifier <strong>le</strong>s pratiques religieuses et augmenter<br />

<strong>le</strong>s pratiques superstitieuses <strong>de</strong>s Gaulois. On voit ensuite<br />

<strong>le</strong> pouvoir sacerdotal <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s s'affaiblir. Tibère<br />

voulut abolir <strong>le</strong>s sacrifices druidiques ; mais cette caste


DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

subsistait encore sous Clau<strong>de</strong> et même sous A<strong>le</strong>xandre<br />

Sévère. <strong>Le</strong>s drui<strong>de</strong>sses étaient si habi<strong>le</strong>s à prédire, que<br />

<strong>le</strong>s empereurs <strong>le</strong>s consultaient et <strong>le</strong>s vénéraient. On voit<br />

à la fin du quatrième sièc<strong>le</strong> <strong>le</strong>s drui<strong>de</strong>s jouir encore<br />

d'une sorte <strong>de</strong> considération; mais <strong>le</strong> christianisme<br />

s'étant établi peu à peu dans <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s, au quatrième<br />

sièc<strong>le</strong> il s'y affermit. Au cinquième, où commence<br />

notre examen, <strong>le</strong> baptême <strong>de</strong> Clovis dut donner <strong>le</strong> coup<br />

<strong>de</strong> grâce au druidisme dans ses États. Nous verrons<br />

bientôt s'il fut anéanti entièrement.<br />

Cet aperçu nous montre <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s asservies à <strong>de</strong>s<br />

croyances analogues à cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Grecs et <strong>de</strong>s Romains.<br />

On croyait à la magie, aux esprits, aux possessions,<br />

fréquentes à ces époques dans <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s; car on<br />

voit <strong>le</strong>s apôtres saint Denis, saint Martin, etc., délivrer<br />

un grand nombre <strong>de</strong> possédés. Nul doute que,<br />

dans <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s comme ail<strong>le</strong>urs, ces possessions ne<br />

fussent la gran<strong>de</strong> cause <strong>de</strong>s conversions qui s'y opéraient.<br />

<strong>Le</strong>s Francs, qui s'établirent soli<strong>de</strong>ment dans <strong>le</strong>s<br />

Gau<strong>le</strong>s vers l'an 418, y apportèrent aussi <strong>le</strong>urs croyances<br />

à la magie. Dans une loi que Sigebert suppose avoir été<br />

promulguée en 424, il est question du sabbat : — « Celui<br />

qui accusera quelqu'un d'avoir porté une chaudière<br />

au lieu où s'assemb<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s sorciers, s'il ne peut <strong>le</strong><br />

prouver, sera condamné à une amen<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mil<strong>le</strong><br />

cinq cents <strong>de</strong>niers. Si une sorcière est convaincue d'avoir<br />

dévoré un homme, el<strong>le</strong> sera condamnée à payer<br />

huit mil<strong>le</strong> <strong>de</strong>niers. » — D'après <strong>le</strong>s lois barbares, <strong>le</strong>s plus<br />

grands crimes se rachetaient par une amen<strong>de</strong>. — Chez<br />

<strong>le</strong>s Anglo-Saxons, en Espagne, chez <strong>le</strong>s anciens Bavarois,<br />

etc., etc., <strong>le</strong>s magiciens étaient punis soit par<br />

une amen<strong>de</strong>, la plus forte qu'on infligeât pour <strong>le</strong>s<br />

crimes <strong>le</strong>s plus graves, soit par la bastonna<strong>de</strong> ou la


AVEC LE DÉMON. m<br />

mort, tant on était convaincu <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur pouvoir <strong>de</strong> maléficier,<br />

<strong>de</strong> causer la grê<strong>le</strong>, <strong>de</strong> frapper <strong>de</strong> stérilité <strong>le</strong>s<br />

animaux ou <strong>le</strong>s végétaux, etc., etc.<br />

Assemblées nocturnes, sabbat.<br />

On a parlé ail<strong>le</strong>urs <strong>de</strong>s assemblées nocturnes <strong>de</strong>s<br />

Gentils, on <strong>le</strong>s a retrouvées chez <strong>le</strong>s Celtes : <strong>le</strong>s uns,<br />

comme on l'a dit, ont prétendu qu'après rétablissement<br />

du christianisme, <strong>le</strong>s chrétiens n'avaient pas<br />

dévié pendant <strong>le</strong>s trois premiers sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> notre ère ;<br />

d'autres cependant citent un canon du quatrième sièc<strong>le</strong>,<br />

qui n'a été connu qu'au dixième, <strong>le</strong>quel condamne <strong>le</strong>s<br />

croyances superstitieuses <strong>de</strong>s chrétiens. — <strong>Le</strong> conci<strong>le</strong><br />

d'Ancyre recomman<strong>de</strong> aux évêques et aux prêtres d'apporter<br />

tout <strong>le</strong>ur zè<strong>le</strong> à exterminer la magie et à chasser<br />

<strong>de</strong> l'Église <strong>le</strong>s magiciens : « C'est une apostasie, un retour<br />

aux vieil<strong>le</strong>s erreurs... <strong>Des</strong> femmes abominab<strong>le</strong>s se<br />

croient transportées sur <strong>de</strong>s animaux, pensent parcourir<br />

d'immenses espaces <strong>avec</strong> Diane et Hérodia<strong>de</strong> ; obéir<br />

à cette Diane qui <strong>le</strong>s appel<strong>le</strong> à son service. Ainsi trompées,<br />

el<strong>le</strong>s sont entraînées vers <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s païens,<br />

comme si à côté <strong>de</strong> Dieu il y avait d'autres dieux.<br />

Satan troub<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur esprit en <strong>le</strong>ur faisant accroire<br />

que cela se passe réel<strong>le</strong>ment, quoique n'existant que<br />

dans <strong>le</strong>ur imagination, in solo spiritu, non in corpore<br />

1<br />

, etc.»<br />

Nous ne discuterons pas maintenant l'authenticité<br />

<strong>de</strong> ce canon ; mais s'il y avait, comme on ne saurait en<br />

1. <strong>Le</strong>s correcteurs romains du décret <strong>de</strong> Gratien par<strong>le</strong>nt d'une ancienne<br />

Vie du pape Damase i er<br />

, dans laquel<strong>le</strong> il est question « harum<br />

imliemm quœ se putabant nocturno si<strong>le</strong>ntio cum Hérodia<strong>de</strong> et innumera<br />

mltitudine mulierum super bestias equitare, et mnlta terrarwn spatia<br />

ftrtransire. »


470 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

douter, <strong>de</strong>s chrétiens encore attachés aux vieil<strong>le</strong>s superstitions,<br />

il est très-vraisemblab<strong>le</strong> qu'ils se rendaient<br />

aux assemblées nocturnes, qui étaient loin d'avoir<br />

cessé complètement. <strong>Le</strong> transport n'était donc pas imaginaire,<br />

mais réel; il n'y aurait <strong>de</strong> doute que sur <strong>le</strong><br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> ce transport, — super bestias, — et sur l'apparition<br />

<strong>de</strong> Diane et d'Hérodia<strong>de</strong>, ce qui sera examiné<br />

plus loin.<br />

Combien <strong>de</strong> temps ont duré ces assemblées? Il a été<br />

dit précé<strong>de</strong>mment que <strong>le</strong> druidisme était tombé au cinquième<br />

sièc<strong>le</strong>, et nous allons voir <strong>de</strong>s chrétiens, même<br />

après cette époque, se rendre encore à ces réunions<br />

nocturnes. Courtépée (Hist. abrégée du duché <strong>de</strong> Bourgogne,<br />

1. I er<br />

, art. 1 er<br />

), après avoir cité un fait qui prouve<br />

l'oxistence du druidisme au sixième sièc<strong>le</strong>, ajoute,<br />

d'après Procope : « <strong>Le</strong>s Français, <strong>de</strong>venus chrétiens,<br />

observent une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs superstitions...,<br />

et pratiquent <strong>de</strong>s choses exécrab<strong>le</strong>s qu'ils font servir<br />

aux divinations. » — Courtépée n'attribue pas<br />

ces impiétés à <strong>de</strong>s chrétiens, il est vrai, mais aux<br />

drui<strong>de</strong>s gaulois, subsistant, d'après lui, encore au septième<br />

sièc<strong>le</strong>, car du temps <strong>de</strong> saint Éloi, dit-il, <strong>le</strong>s<br />

erreurs du paganisme triomphaient <strong>de</strong>s lumières <strong>de</strong><br />

l'Évangi<strong>le</strong> en plusieurs lieux <strong>de</strong> la France ; il ignore<br />

si <strong>le</strong>s drui<strong>de</strong>s continuaient <strong>de</strong> former un seul corps,<br />

s'ils conservaient <strong>le</strong>ur chef... Mais <strong>le</strong> christianisme<br />

rendit <strong>le</strong>ur nom aussi odieux qu'il avait été respectab<strong>le</strong>...<br />

Dans <strong>le</strong>s langues gauloises, on ne <strong>le</strong> donne<br />

qu'aux magiciens et aux sorciers ; « il est pris dans ce<br />

sens, dit-il, dans <strong>le</strong>s monuments anglo-saxons du<br />

sixième sièc<strong>le</strong> ; <strong>de</strong> là l'expression : c'est un vieux<br />

drui<strong>de</strong>, » en parlant <strong>de</strong>s sorciers.<br />

Si <strong>le</strong> druidisme subsistait, <strong>le</strong>s chrétiens s'y livraientils?—<br />

On n'en saurait douter. Pclloutier remarque qu'a-


AVEC LE DÉMON. 471<br />

près que la religion chrétienne se fut établie en Al<strong>le</strong>magne<br />

et dans <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s par autorité publique, <strong>le</strong>s<br />

personnes attachées à l'ancienne religion se rendaient<br />

secrètement pendant la nuit aux assemblées', qui se<br />

tenaient dans <strong>le</strong>s campagnes ou dans <strong>le</strong>s forêts. (Pell.,<br />

IV, 4.)<br />

« C'est ce qui donna occasion, dit-il, à quelques<br />

chrétiens peu éclairés d'accuser ceux qui restaient encore<br />

attachés au paganisme d'être <strong>de</strong>s sorciers qui traversaient<br />

l'air sur <strong>de</strong>s balais, qui faisaient <strong>de</strong>s cérémonies<br />

nocturnes <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, et dansaient autour<br />

du diab<strong>le</strong> en forme <strong>de</strong> bouc. » Pelloutier se montre<br />

surpris que l'Église ait ajouté foi à ces fab<strong>le</strong>s et qu'el<strong>le</strong><br />

ait défendu aux fidè<strong>le</strong>s <strong>de</strong> se rendre au sabbat. — <strong>Le</strong>s<br />

superstitions druidiques furent-el<strong>le</strong>s enfin abandonnées<br />

après <strong>le</strong> sixième et <strong>le</strong> septième sièc<strong>le</strong> ?<br />

Au huitième sièc<strong>le</strong>, dit Dulaure, <strong>le</strong>s païens, dont<br />

<strong>le</strong> culte secret existait encore, conservaient <strong>le</strong>s formes<br />

et <strong>le</strong>s dogmes <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs mystères; dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s qui<br />

suivirent, ils se propagèrent et allièrent <strong>le</strong>s pratiques<br />

<strong>de</strong> la magie <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s rites chrétiens... Il signa<strong>le</strong> l'existence<br />

<strong>de</strong> corporations secrètes, et reconnaît qu'une<br />

gran<strong>de</strong> multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> femmes se réunissaient la nuit<br />

pour faire <strong>de</strong>s danses et <strong>de</strong>s banquets; mais il pense<br />

que, pour étonner <strong>le</strong>s personnes crédu<strong>le</strong>s et cacher aux<br />

chrétiens <strong>le</strong> lieu <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs réunions, el<strong>le</strong>s feignaient <strong>de</strong><br />

faire rapi<strong>de</strong>ment ce voyage, montées sur <strong>de</strong>s bêtes 1<br />

...<br />

Nous verrons (ce qui e8t, je crois, plus certain que<br />

<strong>le</strong>s sentiments <strong>de</strong>s historiens mo<strong>de</strong>rnes) <strong>le</strong>s conci<strong>le</strong>s<br />

i. Si <strong>le</strong> but <strong>de</strong> ces assemblées n'avait été que <strong>de</strong> se livrer à <strong>de</strong>s<br />

danses, que <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s banquets et <strong>de</strong> pratiquer mémo <strong>de</strong>s superstitions<br />

innocentes, <strong>le</strong>s magistrats, <strong>le</strong>s évoques et <strong>le</strong>s peup<strong>le</strong>s s'en seraient<br />

moins vivement préoccupés.


472 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

et <strong>le</strong>s capitulaires, jusqu'au neuvième sièc<strong>le</strong>, sévir<br />

contre ces hommes qui font <strong>de</strong>s ligatures, excitent <strong>de</strong>s<br />

tempêtes, etc., et blâmer la conduite <strong>de</strong> ces insensés qui<br />

se ren<strong>de</strong>nt sous <strong>de</strong>s arbres auprès <strong>de</strong>s fontaines et <strong>de</strong>s<br />

pierres... (menhirs) et y allument <strong>de</strong>s flambeaux. —Il<br />

serait diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> ne point voir dans ces assemblées<br />

nocturnes, condamnées <strong>avec</strong> tant <strong>de</strong> zè<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers<br />

vestiges du druidisme et ses prodiges.<br />

L'idolâtrie avait-el<strong>le</strong> cessé partout au neuvième sièc<strong>le</strong>?<br />

Au dixième, on rendait encore un culte à Jupiter sur <strong>le</strong><br />

mont Joux. Saint Bernard <strong>de</strong> Menthon, en fondant, en<br />

962, l'hospice du mont Saint-Bernard, renversa <strong>le</strong> premier<br />

l'ido<strong>le</strong> <strong>de</strong> Jupiter, et chassa, dit-on, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

qui rendaient ce passage dangereux.<br />

Au douzième sièc<strong>le</strong>, dans l'Esclavonie, on rendait<br />

toujours un culte public à Priape, et on invoquait <strong>le</strong>s<br />

nymphes ou fées. Qui nous dira donc l'époque où cessa<br />

<strong>le</strong> culte proscrit, lorsqu'il était favorisé par certaines<br />

circonstances ; <strong>le</strong>s lieux déserts, <strong>le</strong>s forêts !<br />

Il est constant que <strong>le</strong>s désordres qui survinrent sous<br />

<strong>le</strong>s premiers successeurs <strong>de</strong> Cliar<strong>le</strong>magne favorisèrent<br />

<strong>le</strong> retour <strong>de</strong>s anciennes pratiques religieuses ; nonseu<strong>le</strong>ment<br />

il y eut relâchement <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s chrétiens,<br />

mais un assez grand nombre suivaient encore secrètement<br />

<strong>le</strong> culte proscrit. On remarque, selon <strong>le</strong>s pays,<br />

l'influence <strong>de</strong>s anciennes croyances païennes mélangées<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong> christianisme; c'était Diane en Italie,<br />

ail<strong>le</strong>urs c'était Hécate, etc., <strong>de</strong>venues Satan <strong>de</strong>puis <strong>le</strong><br />

christianisme..., mais un Satan qui, pour <strong>le</strong>s mauvais<br />

chrétiens, étant presque <strong>le</strong> rival <strong>de</strong> Dieu par la puissance,<br />

ne <strong>de</strong>vait point être négligé. Il y eut donc <strong>de</strong>s<br />

associations qui se rendirent la nuit dans <strong>le</strong>s lieux<br />

écartés pour se livrer plus librement à <strong>le</strong>urs pratiques.<br />

<strong>Le</strong>s chefs <strong>de</strong> ces réunions étaient tout naturel<strong>le</strong>ment


AVEC LE DÉMON. 473<br />

<strong>le</strong>s successeurs <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s, mais dégénérés, initiés<br />

à quelques rites, n'ayant conservé qu'une partie <strong>de</strong>s<br />

secrets <strong>de</strong> l'initiation, et ce qui pouvait <strong>le</strong>s mettre en<br />

rapport <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s intelligences; sacerdoce bâtard qui<br />

s'est transmis sans doute plus longtemps qu'on ne<br />

pense.<br />

<strong>Le</strong>s conci<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s traitent rYinsensés, expression qui<br />

n'est point, dans l'opinion <strong>de</strong>s Pères <strong>de</strong>s conci<strong>le</strong>s, synonyme<br />

<strong>avec</strong> aliénés. C'étaient <strong>de</strong>s insensés, il est vrai, <strong>de</strong><br />

s'obstiner à suivre <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s ; mais enfin<br />

c'étaient <strong>le</strong>s successeurs <strong>de</strong>s prêtres païens, <strong>de</strong>s anciens<br />

drui<strong>de</strong>s. Corporation savante autrefois, et respectée;<br />

successeurs bien déchus, assurément, bien moins instruits<br />

que <strong>le</strong>urs <strong>de</strong>vanciers, mais conservant assez <strong>de</strong><br />

lambeaux <strong>de</strong> la science sacerdota<strong>le</strong> pour communiquer<br />

à <strong>le</strong>urs affiliés <strong>le</strong> pouvoir d'opérer <strong>de</strong>s prodiges; ces<br />

<strong>de</strong>scendants ruinés, avilis, d'une nob<strong>le</strong> race, qui n'ont<br />

conservé que quelques malheureux débris <strong>de</strong> l'héritage<br />

<strong>de</strong> la famil<strong>le</strong>, ne sont donc pas <strong>de</strong>s insensés dans <strong>le</strong> sens<br />

propre ; mais l'Église <strong>le</strong>s regar<strong>de</strong> comme <strong>de</strong>s gens en<br />

commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong> diab<strong>le</strong>. <strong>Le</strong>s drui<strong>de</strong>s et <strong>le</strong>s sectateurs<br />

du druidisme en France <strong>de</strong>vinrent <strong>de</strong>s sorciers qui<br />

s'assemblaient sous un chêne, arbre consacré à Jupiter,<br />

et près d'une fontaine. Attachés à la mé<strong>de</strong>cine d'incantation,<br />

aux divers genres <strong>de</strong> divination et surtout<br />

aux maléfices : rejetés <strong>de</strong> la société qui <strong>le</strong>s hait, <strong>le</strong>s<br />

craint et <strong>le</strong>s méprise, désormais ils feront tout ce qui<br />

dépendra d'eux pour lui nuire.<br />

Il n'est donc pas douteux que postérieurement à<br />

l'établissement du christianisme <strong>le</strong>s successeurs <strong>de</strong>s<br />

drui<strong>de</strong>s n'aient continué, autant qu'ils l'ont pu, <strong>le</strong>ur culte<br />

dans <strong>le</strong>s profon<strong>de</strong>urs <strong>de</strong>s forêts; qu'on ait nommé <strong>le</strong>urs<br />

assemblées sabbat, que l'Église ait cru qu'on y adorait<br />

<strong>le</strong> <strong>démon</strong>, rien là d'extraordinaire. <strong>Le</strong> mot sabbat ex-


474 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

cite notre sourire, parce qu'il nous rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s récits<br />

<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>ographes, et réveil<strong>le</strong> en nous l'idée du ridicu<strong>le</strong><br />

et <strong>de</strong> la crédulité; mais ce sabbat nous fait ressouvenir<br />

<strong>de</strong>s assemblées <strong>de</strong>s païens, du culte rendu<br />

à Bacchus Sabaznts, surnom <strong>de</strong> Jupiter chez <strong>le</strong>sThraccs;<br />

<strong>de</strong> ces mystères nocturnes qui b<strong>le</strong>ssaient la pu<strong>de</strong>ur, <strong>de</strong><br />

ces femmes qui criaient : Evohé, Sabohé ! Ceux qui chez<br />

<strong>le</strong>s Thraces célébraient ces fêtes s'appelaient Sabas;<br />

on s'y rendait la nuit, on y dansait ; tout ce qui s'y passait<br />

autrefois ressemb<strong>le</strong> tel<strong>le</strong>ment au sabbat du moyen<br />

âge qu'on serait môme surpris que ce <strong>de</strong>rnier n'eût pas<br />

été considéré comme une continuation du premier, et<br />

que ceux qui dans <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s y assistaient n'eussent<br />

pas été appelés indifféremment drui<strong>de</strong>s ou sorciers. En<br />

attendant, ceci suffira peut-être pour <strong>démon</strong>trer qu'il<br />

est au moins très-vraisemblab<strong>le</strong> que <strong>le</strong> sabbat a dû continuer<br />

pendant la pério<strong>de</strong> qui nous occupe. Pour ne<br />

pas anticiper, on n'en dira pas davantage à présent.<br />

<strong>Des</strong> savants qu'on ne peut accuser d'incrédulité l'ont<br />

senti.<br />

Nous trouvons reçue parmi <strong>le</strong>s érudits l'opinion qui<br />

confond <strong>le</strong>s sorciers <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s drui<strong>de</strong>s. Walter Scott<br />

reconnaît qu'<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s débris du culte païen il se forma<br />

chez <strong>le</strong>s chrétiens la base d'un système <strong>démon</strong>ologiquc<br />

qui s'est perpétué jusqu'à nous. Cet antiquaire, en parlant<br />

<strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>sses, qui à cause <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs prédictions<br />

s'é<strong>le</strong>vaient à un plus haut rang dans <strong>le</strong>s conseils, dit qu'il<br />

n'était pas extraordinaire <strong>de</strong> <strong>le</strong>s voir é<strong>le</strong>vées au rang<br />

A'haxa ou gran<strong>de</strong> prêtresse, d'où vient, continue-t-il, <strong>le</strong><br />

mot hexe, universel<strong>le</strong>ment employé maintenant pour<br />

désigner une sorcière ; il dit que haxa en Ecosse est<br />

encore synonyme <strong>de</strong> drui<strong>de</strong>sse ou gran<strong>de</strong> prêtresse.<br />

Il ajoute que <strong>le</strong>s néophytes se disant chrétiens, ne<br />

s'étaient pas tous dépouillés <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs anciennes supers-


AVEC LE DÉMON. 475<br />

titions ni n'avaient renoncé au culte <strong>de</strong>s dieux subalternes.<br />

Pelloutier a dit que <strong>le</strong>s uns font venir l'étymologie<br />

du mot drui<strong>de</strong> <strong>de</strong> drus, qui signifie magicien dans <strong>le</strong><br />

vieux langage britannique; d'autres <strong>de</strong> <strong>de</strong>rouid, qui<br />

veut dire par<strong>le</strong>r <strong>avec</strong> Dieu.<br />

E. Salverte (Sciences occultes, I, 9), étonné du grand<br />

nombre <strong>de</strong> sorciers <strong>de</strong>s cinquième et sixième sièc<strong>le</strong>s,<br />

dit qu'avant saint Augustin, qui a parlé du sabbat, il<br />

n'y avait que <strong>de</strong>s magiciens isolés..., tandis que l'idée<br />

<strong>de</strong> sabbat implique cel<strong>le</strong> d'une société organisée, ayant<br />

ses gra<strong>de</strong>s, ses chefs, son initiation. — Cela ne <strong>de</strong>vrait<br />

pas surprendre E. Salverte, s'il voulait bien reconnaître<br />

que <strong>le</strong> sabbat <strong>de</strong>s faux chrétiens est la continuation<br />

parmi nous <strong>de</strong>s assemblées <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s. Maintenant s'y<br />

passait-il tout ce que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>ographes rapportent, ce<br />

n'est pas ce qu'il s'agit à présent d'examiner mais<br />

on veut constater seu<strong>le</strong>ment une sorte <strong>de</strong> filiation <strong>de</strong>s<br />

croyances mythologiques <strong>de</strong>s païens et du druidisme<br />

mélangés aux hérésies chrétiennes.<br />

Sommes-nous en droit, dit E. Salverte (Ib., p. 257),<br />

<strong>de</strong> donner pour successeurs aux sorciers du cinquième<br />

sièc<strong>le</strong> ceux dont <strong>le</strong>s réunions ont été déférées aux<br />

tribunaux jusqu'au dix^huitième? — Cette question<br />

pourra être complètement résolue, je pense, quand on<br />

aura fait l'exposé <strong>de</strong> la magie après <strong>le</strong> quinzième<br />

sièc<strong>le</strong>.<br />

1 Nul doute qu'il ne s'y passât, au moins dans l'imagination <strong>de</strong> ceux<br />

qui s'y rendaient, <strong>de</strong> choses extraordinaires. <strong>Le</strong> lieu solitaire, l'heure<br />

choisie pour que la divinité ne fût troublée par aucune cause étrangère<br />

dans ses manifestations, l'indiquent assez. «C'était <strong>le</strong> moment <strong>le</strong> plus<br />

propice pour entendre sa voix, dit Pelloutier (Hist. <strong>de</strong>s Celtes), pour<br />

observer ses avertissements; tout cela avait lieu la nuit où l'imagination<br />

b<strong>le</strong>ssée croit voir <strong>de</strong>s spectres et <strong>de</strong>s fantômes qui disparaissent<br />

quand <strong>le</strong> jour commence. »


476 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Châtiments infligés par l'Eglise <strong>de</strong>puis <strong>le</strong> cinquième au quinzième sièc<strong>le</strong>.<br />

En 506, <strong>le</strong> conci<strong>le</strong> d'Ag<strong>de</strong>, celui d'Orléans, en 511,<br />

défen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> recourir aux divinations et excommunient<br />

<strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins. En 586 environ, <strong>le</strong> conci<strong>le</strong> d'Auxerre défend<br />

d'acquitter <strong>de</strong>s vœux auprès <strong>de</strong>s arbres, <strong>de</strong>s buissons<br />

ou <strong>de</strong>s fontaines; en 589, <strong>le</strong> conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Narbonne<br />

retranche <strong>le</strong>s sorciers du nombre <strong>de</strong>s fidè<strong>le</strong>s ; il ordonne<br />

qu'ils soient fouettés publiquement, etc.<br />

Un conci<strong>le</strong> tenu à Reims en 625 avertit <strong>le</strong>s sorciers<br />

et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins <strong>de</strong> renoncer à la magie sous <strong>le</strong>s peines infligées<br />

par <strong>le</strong>s canons pénitentiaux.<br />

<strong>Le</strong> conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Tours, en 813, recomman<strong>de</strong> aux prêtres<br />

d'avertir <strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s que <strong>le</strong>s charmes pour guérir sont<br />

<strong>de</strong>s embûches <strong>de</strong> l'antique ennemi.<br />

<strong>Le</strong> conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Paris, en 829, déclare qu'il subsiste<br />

un mal très-pernicieux restant du paganisme, qui doit<br />

être rigoureusement puni ; c'est la magie, l'astrologie<br />

judiciaire, <strong>le</strong> sortilège, <strong>le</strong> maléfice... Il est hors <strong>de</strong><br />

doute qu'il y a <strong>de</strong>s gens, qui par <strong>le</strong>s prestiges du <strong>démon</strong><br />

gâtent tel<strong>le</strong>ment l'esprit <strong>de</strong>s hommes, qu'ils <strong>le</strong>s<br />

ren<strong>de</strong>nt stupi<strong>de</strong>s et <strong>le</strong>ur causent différents maux... Par<br />

d'autres maléfices, ils envoient <strong>de</strong>s grê<strong>le</strong>s et peuvent<br />

nuire aux fruits, etc... — <strong>Le</strong>s canons pénitentiaux,<br />

entre autres corrections, imposent sept ans <strong>de</strong> pénitence<br />

à celui qui aura fait <strong>de</strong>s enchantements ; pareil<strong>le</strong><br />

pénitence à celui qui aura envoyé <strong>de</strong>s tempêtes, et il<br />

jeûnera trois ans au pain et à l'eau... Celui qui aura<br />

fait <strong>de</strong>s charmes par paro<strong>le</strong>s fera trois carêmes au pain<br />

et à l'eau; celui qui cueil<strong>le</strong>ra <strong>de</strong>s herbes <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s<br />

paro<strong>le</strong>s d'enchantements, vingt jours.<br />

On voit l'Église multiplier ces défenses, <strong>le</strong>s renouve<strong>le</strong>r<br />

souvent, comme <strong>le</strong> prouvent <strong>le</strong>s conci<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s ncu-


AVEC LE DÉMON. 477<br />

I<br />

vième, onzième et dixième sièc<strong>le</strong>s. L'évêque d'Angers,<br />

au syno<strong>de</strong> <strong>de</strong> 1294, enjoint aux curés <strong>de</strong> son diocèse <strong>de</strong><br />

dénoncerai'officiai ceux qui s'adonnent aux sortilèges,<br />

à la magie, aux augures, etc.. — <strong>Le</strong> conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Valladolid,<br />

en 1322, porte en substance que, quoique <strong>le</strong> droit<br />

canon et <strong>le</strong>s lois civi<strong>le</strong>s aient condamné <strong>le</strong>s superstitions<br />

<strong>de</strong>s magiciens et <strong>de</strong>s enchanteurs, il y en a cependant<br />

encore un très-grand nombre... Il défend<br />

expressément <strong>de</strong> <strong>le</strong>s consulter sous peine d'excommunication<br />

ipso facto...<br />

Guillaume, archevêque <strong>de</strong> Cologne en 1357, dans<br />

ses statuts, excommunie <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins et <strong>le</strong>s sorciers, ordonne<br />

aux curés et vicaires <strong>de</strong> <strong>le</strong>s dénoncer publiquement<br />

pour excommuniés....<br />

En 1398, la faculté <strong>de</strong> théologie <strong>de</strong> Paris fit sa célèbre<br />

censure en 28 artic<strong>le</strong>s contre <strong>le</strong>s superstitions,<br />

trop longue à rapporter ici. L'artic<strong>le</strong> 1 "s'exprime ainsi :<br />

Dire qu'il n'y a point d'idolâtrie à rechercher la familiarité<br />

et <strong>le</strong> secours <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s par art magique et<br />

maléfices, c'est une erreur.<br />

Art. 18. Dire que par <strong>le</strong> moyen <strong>de</strong> la magie, <strong>de</strong>s<br />

sortilèges et <strong>de</strong>s invocations diaboliques, <strong>de</strong>s conjurations,<br />

etc., il ne s'ensuit jamais aucun effet par <strong>le</strong> ministère<br />

<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s ; c'est une erreur ; parce que Dieu<br />

permet quelquefois que certaines choses arrivent,<br />

comme il est visib<strong>le</strong> par quantité d'exemp<strong>le</strong>s.<br />

Art. 28. Dire que par la magie on peut arriver à la<br />

vision <strong>de</strong> Dieu, etc., c'est une erreur.<br />

En 1445, <strong>le</strong> conci<strong>le</strong> provincial <strong>de</strong> Rouen ordonne<br />

qUe ceux qui auront invoqué <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, s'ils sont<br />

laïques et s'ils s'opiniâtrent, seront abandonnés à la<br />

justice séculière ; s'ils sont ecclésiastiques, ils seront<br />

dégradés et mis dans une prison à perpétuité.<br />

Avec <strong>le</strong> temps, <strong>le</strong>s peines canoniques furent adou-


478 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

cies ; mais <strong>le</strong>s pénitences concernant <strong>le</strong>s superstitions<br />

sont encore souvent <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans, <strong>le</strong>s jeûnes au pain et à<br />

l'eau <strong>de</strong> dix jours et <strong>de</strong> cinq jours.<br />

<strong>Le</strong>s pénitences <strong>de</strong> cinq, <strong>de</strong> six et sept ans <strong>de</strong> l'ancien<br />

Pénitentiel romain furent réduites à un an par <strong>le</strong><br />

Pénitentiel <strong>de</strong> Théodore. Au onzième sièc<strong>le</strong>, l'évèque<br />

Burchard fît un recueil <strong>de</strong> décrets en vingt livres. Dans<br />

celui intitulé <strong>le</strong> Correcteur, la peine duc aux péchés est<br />

fort adoucie; cependant cel<strong>le</strong> qui est infligée pour avoir<br />

consulté <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins est encore <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans, quoique ce<br />

soit contre <strong>le</strong>s superstitieux qui veu<strong>le</strong>nt sérieusement<br />

se convertir.<br />

Lois criminel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'Etat plus sévères.<br />

<strong>Le</strong>s lois <strong>de</strong> l'État étaient plus sévères que cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

l'Église. On a vu que <strong>le</strong>s Francs, au cinquième sièc<strong>le</strong>,<br />

n'infligaient pas la peine <strong>de</strong> mort. Une société naissante<br />

épargne la vie <strong>de</strong> ses membres. Comme la magie est<br />

<strong>le</strong> crime <strong>le</strong> plus horrib<strong>le</strong>, l'accusateur était condamné<br />

à une amen<strong>de</strong> <strong>de</strong> 2,500 <strong>de</strong>niers ; mais si l'accusé était<br />

convaincu, il était condamné à payer 8,000 <strong>de</strong>niers.<br />

Childéric ordonna en 742 que <strong>le</strong>s magistrats s'entendraient<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s évèques pour abolir la magie, <strong>le</strong>s<br />

sortilèges, <strong>le</strong>s sacrifices profanes, etc.<br />

Au huitième sièc<strong>le</strong>, Char<strong>le</strong>magne réitère <strong>le</strong>s mômes<br />

ordres ; <strong>le</strong>s magiciens sont réputés exécrab<strong>le</strong>s ; on punit<br />

comme homici<strong>de</strong>s ceux qui causent <strong>de</strong>s tempêtes,<br />

qui maléficient. Dans quelques capitulaires, il s'adresse<br />

aux prêtres pour qu'ils s'opposent à ce que <strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s<br />

retombent dans <strong>le</strong> paganisme, pour que toutes <strong>le</strong>s souillures<br />

<strong>de</strong> la gentilité soient abandonnées, sortilèges,<br />

divinations, phylactères, auguries, ensorcel<strong>le</strong>ments.<br />

Dans un autre, on prévient ceux qui font <strong>de</strong>s liga-


AVEC LE DÉMON. 479<br />

tures, qui excitent <strong>de</strong>s tempêtes, etc., que partout où<br />

on <strong>le</strong>s trouvera ils seront punis ; on s'adresse à ces insensés<br />

qui se ren<strong>de</strong>nt auprès <strong>de</strong>s fontaines, <strong>de</strong>s arbres<br />

et <strong>de</strong>s pierres druidiques, y allument <strong>de</strong>s flambeaux et<br />

font d'autres cérémonies ; il faut anéantir ces coutumes<br />

exécrab<strong>le</strong>s partout où on <strong>le</strong>s trouvera.<br />

Autre capitulaire qui porte que dans <strong>le</strong>s paroisses<br />

où il y aurait <strong>de</strong>s infidè<strong>le</strong>s qui allument <strong>de</strong>s flambeaux<br />

et ren<strong>de</strong>nt un culte aux pierres, aux arbres ou aux<br />

fontaines, <strong>le</strong> curé qui négligera <strong>de</strong> corriger ces abus se<br />

rendrait coupab<strong>le</strong> <strong>de</strong> sacrilège. — Quelques prêtres<br />

même n'étaient peut-être pas exempts <strong>de</strong> ce crime,<br />

car nous voyons déjà <strong>le</strong> conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Laodicée (C.36) ordonner<br />

<strong>de</strong> chasser <strong>de</strong> l'Église prêtres ou c<strong>le</strong>rcs qui<br />

seraient enchanteurs, etc.<br />

Un capitulaire <strong>de</strong> l'an 805 déclare qu'il a plu au sacré<br />

conci<strong>le</strong> que ceux qui causeraient <strong>de</strong>s tempêtes ou d'autres<br />

maléfices... soient appréhendés... s'ils avouent <strong>le</strong><br />

mal qu'ils ont fait... On <strong>le</strong>s tiendra en prison jusqu'à<br />

ce qu'ils soient venus à repentir.<br />

En 873, un capitulaire porte qu'on est informé que<br />

<strong>de</strong>s magiciens et sorciers, dans plusieurs lieux du<br />

royaume, se livrent à <strong>de</strong>s maléfices dont plusieurs personnes<br />

seraient mortes. <strong>Le</strong> <strong>de</strong>voir du souverain est <strong>de</strong><br />

perdre ces impies et <strong>de</strong> ne laisser vivre ni <strong>le</strong>s sorciers<br />

ni <strong>le</strong>s magiciens; on ordonne que chaque comte, dans<br />

son ressort, s'efforcera <strong>de</strong> <strong>le</strong>s rechercher et s'en saisira.<br />

Si.<strong>le</strong>s faits sont prouvés, on <strong>le</strong>s exterminera; s'il n'y<br />

a que soupçon, on ordonnera <strong>le</strong> jugement <strong>de</strong> Dieu...<br />

Nous voyons dans <strong>le</strong>s Gau<strong>le</strong>s la sévérité <strong>de</strong>s peines<br />

s'accroître à mesure que <strong>le</strong>s crimes sont mieux connus.<br />

<strong>Le</strong>s conci<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s lois civi<strong>le</strong>s diminuèrent en France <strong>le</strong><br />

nombre <strong>de</strong>s coupab<strong>le</strong>s ; mais il en vint <strong>de</strong>s nations voisines,<br />

<strong>de</strong>venus si odieux par <strong>le</strong>urs détestab<strong>le</strong>s pratiques,


480 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

qu'une ordonnance <strong>de</strong> 1 490 porte qu'ils seront punis<br />

selon toute la rigueur <strong>de</strong>s lois... — En juil<strong>le</strong>t 1493, <strong>le</strong><br />

prévôt <strong>de</strong> Paris rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s dispositions <strong>de</strong> cette ordonnance<br />

jugée si uti<strong>le</strong>, que <strong>le</strong> crieurjuré en fit la publication<br />

dans tout Paris, assisté <strong>de</strong>s magistrats ; so<strong>le</strong>nnité<br />

requise dans <strong>le</strong>s affaires <strong>le</strong>s plus importantes.


AVEC LE DÉMON. 481<br />

CHAPITRE II<br />

Exposé succinct <strong>de</strong>s branches <strong>de</strong> la magie dorant la pério<strong>de</strong> du quatrième au<br />

quinzième sièc<strong>le</strong>. — Assemblées, sabbat. —Maléfices.—Magie prestigieuse.<br />

— <strong>Des</strong> divers moyens <strong>de</strong> connaître l'avenir et <strong>le</strong>s choses cachées, présages,<br />

songes. — Inspirations, secon<strong>de</strong> vue, etc. — Astrologie, talismans. — <strong>Des</strong><br />

épreuves au moyen âge ; épreuves par <strong>le</strong> feu. — Épreuves par l'eau. — Suite<br />

<strong>de</strong>s superstitions et faits magiques au moyen tige, mé<strong>de</strong>cine d'incantation.<br />

— Invasions diaboliques. — <strong>Des</strong> incubes et suceuhes. — Infcstations dc9<br />

maisons par <strong>le</strong>s esprits. — Obsessions.— Possessions.<br />

Exposé succinct <strong>de</strong>s branches <strong>de</strong> la magie durant la pério<strong>de</strong> du<br />

quatrième au quinzième sièc<strong>le</strong>.<br />

Il existe une gran<strong>de</strong> prévention contre la vérité <strong>de</strong>s<br />

faits merveil<strong>le</strong>ux cités dans <strong>le</strong>s anciennes chroniques,<br />

et peut-être quelquefois <strong>avec</strong> raison. Cependant, s'il y<br />

en a <strong>de</strong> faux ou d'exagérés, tous ne méritent pas <strong>le</strong> même<br />

dédain. Plusieurs raisons militeraient donc ici contre<br />

<strong>le</strong>ur complète omission; il est constant qu'ils ont trop<br />

vivement inquiété <strong>le</strong>s princes <strong>de</strong> l'Église, <strong>le</strong>s chefs <strong>de</strong><br />

l'État, pour être purement chimériques; on a porté<br />

contre ces crimes <strong>de</strong>s lois rigoureusement répressives;<br />

<strong>le</strong>s chroniqueurs <strong>le</strong>s plus sérieux, <strong>de</strong>s hommes ennemis<br />

du mensonge <strong>le</strong>s rapportent; il serait téméraire <strong>de</strong> dire<br />

qu'ils appartiennent à une époque trop crédu<strong>le</strong> pour<br />

qu'on daigne s'en occuper. <strong>Le</strong>ur analogie d'ail<strong>le</strong>urs<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux païen et <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s<br />

suivants permettrait-el<strong>le</strong> <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r entièrement <strong>le</strong><br />

i- 31


482 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

si<strong>le</strong>nce ? Pour continuer sans interruption la série <strong>de</strong>s<br />

faits magiques, on va donc citer ceux qui ont pour<br />

garants <strong>le</strong>s personnages <strong>le</strong>s plus recommandâmes.<br />

Quoique l'absence <strong>de</strong> documents authentiques fournis<br />

plus tard par <strong>le</strong>s tribunaux <strong>de</strong>s différents <strong>de</strong>grés nous<br />

ait privés <strong>de</strong> détails fort curieux, l'exposé <strong>de</strong>s faits sera<br />

suffisamment explicite.<br />

Assemblées, sabbat.<br />

Plusieurs ont nié l'analogie du sabbat <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s assemblées<br />

<strong>de</strong> l'antiquité et cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s temps mo<strong>de</strong>rnes. <strong>Le</strong>s<br />

Pères, dit-on, n'ont rien dit du sabbat <strong>de</strong>venu si effroyab<strong>le</strong>ment<br />

grotesque au seizième etau dix-septième sièc<strong>le</strong>.<br />

— Ce qui a été dit précé<strong>de</strong>mment prouve <strong>le</strong> contraire :<br />

<strong>le</strong>s païens ne par<strong>le</strong>nt pas <strong>de</strong> ces assemblées présidées<br />

par Satan; car, d'après <strong>le</strong>urs croyances, c'étaient <strong>le</strong>s<br />

dieux adorés dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s, sur <strong>le</strong>s hauts lieux ou<br />

dans <strong>le</strong>s forets : on n'a point dit que <strong>le</strong>s goétistes chez<br />

<strong>le</strong>s Gentils avaient adoré <strong>le</strong> Satan <strong>de</strong> nos sorcières,<br />

mais on a vu <strong>le</strong>s turpitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s mystères et ce qui s'accomplissait<br />

dans <strong>le</strong>s temp<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong> voi<strong>le</strong> dont cet infâme<br />

mysticisme est couvert est donc assez sou<strong>le</strong>vé pour<br />

reconnaître une i<strong>de</strong>ntité complète entre <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> cornu<br />

du sabbat et <strong>le</strong> dieu lubrique <strong>de</strong>s mystères, et pour<br />

oser supposer qu'il n'a pas disparu dans <strong>le</strong> temps intermédiaire.<br />

<strong>Le</strong> doute concernant l'existence <strong>de</strong>s assemblées<br />

nocturnes au moyen âge semb<strong>le</strong> donc impossib<strong>le</strong>,<br />

surtout <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s raisons suivantes.<br />

1° On voit la loi salique promulguée sous Clovis<br />

(Y. Par<strong>de</strong>ssus, Loi salique) constater l'existence du sabbat.<br />

2° <strong>Le</strong> canon Episcopi, du conci<strong>le</strong> d'Ancyre, dont on<br />

a parlé dans <strong>le</strong> chapitre précé<strong>de</strong>nt, fait mention <strong>de</strong> ce<br />

qu'il nomme <strong>de</strong>s illusions sataniques et d'un transport


AVEC LE DÉMON. 483<br />

à une assemblée présidée par Diane 3° Apulée a parlé<br />

d'un onguent magique qui permet <strong>de</strong> se transporter par<br />

l'airà<strong>de</strong> longues dislances. 4"<strong>Le</strong>snéoplatoniciens citent<br />

<strong>le</strong> transport comme un <strong>de</strong>s dons divins conférés par<br />

l'initiation. 5"<strong>Le</strong>s drui<strong>de</strong>s ont continué,'après l'établissement<br />

du christianisme, <strong>de</strong> s'assemb<strong>le</strong>r dans <strong>de</strong>s lieux<br />

déserts, <strong>le</strong>s pays montagneux et boisés favorisaient<br />

la continuation du vieux culte; <strong>le</strong>s hérésies enfin modifiant<br />

<strong>le</strong>s croyances mythologiques et druidiques, <strong>le</strong>urs<br />

sectateurs cachèrent <strong>le</strong>urs cérémonies abominab<strong>le</strong>s dans<br />

l'épaisseur <strong>de</strong>s sombres forêts. Si l'on objectait, d'après<br />

<strong>le</strong> canon Epîscopi, que tout ce qui se passait dans ces<br />

horrib<strong>le</strong>s assemblées n'était qu'imagination et illusions<br />

diaboliques, on ferait remarquer qu'il est bien extraordinaire<br />

que ces mêmes faits aient été tel<strong>le</strong>ment attestés<br />

et si souvent avoués dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s postérieurs aux<br />

ténèbres du moyen ùye, et attestés par <strong>de</strong>s témoignages<br />

si puissants, que <strong>le</strong>s docteurs en théologie, <strong>le</strong>s membres<br />

<strong>de</strong> nos par<strong>le</strong>ments, se soient vus forcés d'admettre<br />

ce qui avait été nié dans <strong>le</strong> moyen âge par <strong>de</strong>s hommes<br />

accusés pourtant aujourd'hui d'une extrême crédulité.<br />

Que <strong>le</strong>s recueils <strong>de</strong> canons faits par Yves <strong>de</strong> Chartres,<br />

Burchard, Gratien contiennent <strong>de</strong>s pièces douteuses<br />

parmi cel<strong>le</strong>s qui sont authentiques, cela nous importe<br />

peu; ce qu'il faut constater, c'est que ce dont ils font<br />

mention était admis par plusieurs autres. — Postérieurement,<br />

Jean <strong>de</strong> Salisbury, au douzième sièc<strong>le</strong>, a parlé<br />

du sabbat <strong>de</strong>s sorciers, <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs banquets nocturnes,<br />

i. Quel<strong>le</strong> que soit la date assignée à ce canon, qui a beaucoup occupé<br />

<strong>le</strong>s critiques, il paraît certain qu'el<strong>le</strong> est ancienne. Si el<strong>le</strong> ne<br />

remonte pas à l'année 314, époque du conci<strong>le</strong> d'Ancyre, <strong>de</strong>s auteurs<br />

graves ne font pas difficulté <strong>de</strong> la rapporter à l'an 382 et au conci<strong>le</strong><br />

romain, qui fut célébré alors sous <strong>le</strong> pape Damase 1 er<br />

. (V. Baronius,<br />

<strong>le</strong> P. l.abbe, D. Ceillicr, llist. <strong>de</strong>s aut. ecclés., III, 722.)


484 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>de</strong>s enfants qu'on y mange, etc., bien qu'il n'y voie<br />

qu'une illusion diabolique. (V. Polycratims, II, 17.)<br />

— Tout ce qu'il s'agit donc d'établir ici, c'est que, durant<br />

<strong>le</strong> moyen âge, bon nombre <strong>de</strong> personnes croyaient<br />

déjà au sabbat, c'est-à-dire à <strong>de</strong>s assemblées secrètes<br />

qui se rattachent à cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Gentils, et aussi bien constatées<br />

que possib<strong>le</strong>, à défaut <strong>de</strong>s documents fournis<br />

plus tard par <strong>le</strong>s procès nombreux <strong>de</strong>s seizième et dixseptième<br />

sièc<strong>le</strong>s. — On s'abstient maintenant <strong>de</strong> faire<br />

<strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au <strong>de</strong>s horrib<strong>le</strong>s merveil<strong>le</strong>s qui s'y passaient;<br />

trop <strong>de</strong> ténèbres, <strong>le</strong>s enveloppent encore, nous <strong>le</strong> renvoyons<br />

à une époque plus rapprochée <strong>de</strong> nous, pour<br />

passer très-succinctement en revue quelques faits appartenant<br />

à la magie du moyen âge.<br />

Maléfices.<br />

On serait dans l'erreur si l'on pensait que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers<br />

membres <strong>de</strong> la corporation <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s se livraient<br />

seuls à la magie. On a fait voir, à côté <strong>de</strong>s théurgislcs,<br />

<strong>de</strong>s gens très-malfaisants, n'appartenant à aucun sacerdoce,<br />

du moins reconnu. Quand <strong>le</strong> druidisme fut<br />

aboli, loin <strong>de</strong> craindre <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s prosélytes, <strong>le</strong>s<br />

drui<strong>de</strong>s durent désirer initier secrètement tous <strong>le</strong>s<br />

chrétiens qu'ils pouvaient entraîner, et <strong>le</strong>ur apprendre,<br />

sinon la science sacerdota<strong>le</strong> tout entière, — euxmêmes<br />

n'en possédaient pins que quelques lambeaux,<br />

— pas même peut-être tout ce qu'ils savaient, mais un<br />

recueil plus ou moins incomp<strong>le</strong>t <strong>de</strong> secrets magiques<br />

concernant <strong>le</strong>s guérisons superstitieuses, <strong>le</strong>s divinations,<br />

et surtout <strong>le</strong>s maléfices. Ceci nous expliquerait<br />

peut-être un jour comment parmi nos sorciers du<br />

moyen âge on trouve tant <strong>de</strong> <strong>de</strong>grés divers dans <strong>le</strong> pouvoir<br />

magique. — On voit, au moyen âge, <strong>de</strong>s personnes


AVEC LE DÉMON. 485<br />

d'un rang é<strong>le</strong>vé accusées <strong>de</strong> magie; on voit aussi <strong>de</strong>s<br />

hommes puissants se vanter <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre <strong>de</strong>s drui<strong>de</strong>s..,<br />

et d'autres, non moins éminents, assez confiants dans<br />

la magie pour s'adresser aux plus vils sorciers. Quelques<br />

faits historiques prouveront cette assertion. La magie<br />

était encore employée contre <strong>le</strong>s ennemis, et quelquefois<br />

môme dans <strong>le</strong>s combats corps à corps : <strong>de</strong> là l'exorcisme<br />

<strong>de</strong>s armes enchantées, dont un guerrier loyal et<br />

brave eût dédaigné <strong>le</strong> moyen. Ainsi <strong>le</strong>s Huns, combattant<br />

en 566 contre Sigebert, roi <strong>de</strong> Metz, recoururent à<br />

<strong>de</strong>s opérations magiques. — « Par la puissance <strong>de</strong> la<br />

magie, dit Débonnaire (Hht. <strong>de</strong> France et Chroniq. <strong>de</strong><br />

Metz), ils avaient rempli l'air <strong>de</strong> spectres. » — <strong>Le</strong>s<br />

plus anciens monuments historiques citent <strong>de</strong>s faits<br />

semblab<strong>le</strong>s. On sait que dans <strong>le</strong>s combats entre Ninus<br />

et Zoroastre, <strong>le</strong>s secrets <strong>de</strong> l'art infernal ne furent pas<br />

dédaignés.<br />

<strong>Le</strong>s sorcières maléficiaient <strong>le</strong>s personnes du rang <strong>le</strong><br />

plus é<strong>le</strong>vé. Un fils <strong>de</strong> Frédégon<strong>de</strong> meurt : <strong>de</strong>s sorcières<br />

avouent qu'el<strong>le</strong>s ont causé sa mort, à l'instigation<br />

du préfet Mummo<strong>le</strong>. Ce <strong>de</strong>rnier, ayant été maléficié,<br />

ne pouvait être sauvé qu'en lui substituant une<br />

victime illustre; <strong>le</strong> jeune prince fut choisi. On se souvient<br />

qu'une victime étant dévouée, ne pouvait se<br />

racheter que par une autre. Ces sorcières ayant subi <strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>rnier supplice, on instruisit la cause <strong>de</strong> Mummo<strong>le</strong> ;<br />

soumis à la torture, il nia <strong>le</strong> premier chef, avouant seu<strong>le</strong>ment<br />

qu'il avait charmé <strong>de</strong>s breuvages pour gagner<br />

la faveur roya<strong>le</strong>. Sorti <strong>de</strong> la torture sans avoir souffert<br />

<strong>de</strong> mal, il y fut soumis <strong>de</strong> nouveau, et, moins heureux,<br />

il perdit la vie, par suite <strong>de</strong>s dou<strong>le</strong>urs qu'il avait endurées.<br />

Frédégon<strong>de</strong> ayant perdu ses <strong>de</strong>ux autres enfants,<br />

Clovis, fils d'une première femme <strong>de</strong> Chilpéric, <strong>de</strong>venant<br />

héritier du trône, fut accusé aussi d'avoir employé


486 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

contre eux <strong>de</strong>s maléfices. Il aimait la fil<strong>le</strong> d'une magicienne;<br />

<strong>le</strong>s soupçons prirent tant <strong>de</strong> gravité, que Cliilpéric,<br />

convaincu du crime <strong>de</strong> son fils, fit informer.<br />

La jeune fil<strong>le</strong> fut suppliciée; sa mère, mise à la torture,<br />

avoua qu'el<strong>le</strong> avait contribué à la mort du prince, et <strong>le</strong><br />

roi, abandonnant son fils à la vengeance <strong>de</strong> Frédégou<strong>de</strong>,<br />

ce <strong>de</strong>rnier fut conduit dans un château, où on <strong>le</strong> trouva<br />

poignardé quelques jours après.<br />

Chilpéric, en permettant qu'on fît mourir l'héritier<br />

<strong>de</strong> sa couronne, ne doutait ni <strong>de</strong> son crime ni <strong>de</strong> la<br />

puissance <strong>de</strong> la magie. — Frédégondc el<strong>le</strong>-même y<br />

avait une gran<strong>de</strong> confiance, car si el<strong>le</strong> faisait mourir <strong>le</strong>s<br />

sorcières dont el<strong>le</strong> avait à se plaindre, el<strong>le</strong> protégeait<br />

cel<strong>le</strong>s dont el<strong>le</strong> espérait quelques avantages. Grégoire<br />

<strong>de</strong> Tours nous apprend (I. VII, A4) qu'el<strong>le</strong> prit sous sa<br />

protection une femme qui <strong>de</strong>vinait par un esprit <strong>de</strong><br />

python.<br />

La reine Brunebaut mérita, disent <strong>le</strong>s chroniqueurs,<br />

sa malheureuse fin. El<strong>le</strong> usa <strong>de</strong> charmes magiques<br />

contre sa bru, et avait tel<strong>le</strong>ment noué l'aiguil<strong>le</strong>tte au<br />

roi Thierri, « qu'il ne put, dit Pasquier, avoir connaissance<br />

d'Hermenberge. »<br />

<strong>Le</strong> duc <strong>de</strong> Bénévcnt, Grimoald , étant ennemi <strong>de</strong><br />

Char<strong>le</strong>magne, fut accusé d'avoir envoyé plusieurs personnes<br />

pour répandre <strong>de</strong>s poudres dont l'effet fût <strong>de</strong><br />

faire périr <strong>le</strong>s bœufs du grand monarque... On entendit<br />

ceux qui étaient accusés d'avoir jeté <strong>le</strong>s poudres, on<br />

fit comparaître ceux qui avaient souffert l'épreuve <strong>de</strong><br />

l'eau, tous avouèrent qu'ils avaient répandu ces poudres.<br />

Veut-on un exemp<strong>le</strong> du pouvoir <strong>de</strong>s sorciers sur <strong>de</strong>s<br />

personnes d'un rang inférieur? arrivons au douzième<br />

sièc<strong>le</strong>. Une femme adultère, est-il dit dans la vie <strong>de</strong> saint<br />

Bernard (Auct.GuitL, 1,10), tourmentait par <strong>de</strong>s sortilèges<br />

son mari, pauvre et habitant une chaumière non


AVEC LE DÉMON. 487<br />

loin du monastère du saint moine ; par ses ensorcel<strong>le</strong>ments,<br />

comme el<strong>le</strong> l'en avait menacé dans sa colère,<br />

el<strong>le</strong> avait obtenu que <strong>le</strong> corps <strong>de</strong> ce malheureux fût si<br />

consumé et si <strong>de</strong>sséché, qu'il ne pouvait ni vivre ni<br />

mourir. Sa vie ressemblait à une longue mort. <strong>Des</strong><br />

personnes, émues <strong>de</strong> compassion, l'amènent à saint<br />

Bernard, à qui on fait <strong>le</strong> récit <strong>de</strong> l'infortune <strong>de</strong> ce<br />

pauvre homme. <strong>Le</strong> saint, vivement indigné <strong>de</strong> tout ce<br />

qu'un chrétien avait enduré par la malice <strong>de</strong> l'antique<br />

ennemi, appela <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses moines, fit porter <strong>le</strong> moribond<br />

<strong>de</strong>vant l'autel, plaça sur sa tète <strong>le</strong> vase contenant<br />

la sainte Eucharistie, en défendant au <strong>démon</strong>,<br />

par la vertu <strong>de</strong> ce sacrement, <strong>de</strong> <strong>le</strong> tourmenter, et il<br />

fut aussitôt guéri.<br />

Citer un plus grand nombre <strong>de</strong> maléfices, ce serait<br />

se charger d'un bagage inuti<strong>le</strong>. Un temps viendra où<br />

trop <strong>de</strong> faits incontestab<strong>le</strong>s se multiplieront sous nos<br />

yeux. Nous ne parierons ici <strong>de</strong> l'envoûtement <strong>de</strong> Philippe<br />

VI que pour rappe<strong>le</strong>r un maléfice connu <strong>de</strong> la<br />

haute antiquité, par exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong>s images <strong>de</strong> cire exposées<br />

au feu, piquées, etc.<br />

Magie prestigieuse.<br />

Cel<strong>le</strong>-ci consiste à fasciner <strong>le</strong>s regards, do sorte<br />

qu'on croit voir ce qui réel<strong>le</strong>ment n'est pas. Ce qu'on<br />

va lire ne peut appartenir aux prestiges <strong>de</strong>s bate<strong>le</strong>urs;<br />

ne pouvant l'expliquer par l'adresse <strong>de</strong>s jong<strong>le</strong>urs, on<br />

est fort tenté <strong>de</strong> <strong>le</strong> nier, et cependant, si l'on admet<br />

<strong>de</strong>s faits <strong>de</strong> magie prestigieuse dans l'antiquité, dans<br />

la sainte Écriture, chez certains hérétiques, ceux non<br />

moins surprenants <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers sièc<strong>le</strong>s, et surtout <strong>le</strong>s<br />

phénomènes dont nous voyons <strong>le</strong>s magnétiseurs attester<br />

aujourd'hui la réalité <strong>avec</strong> une conviction si ferme, on


488 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

n'osera repousser trop opiniâtrement tant <strong>de</strong> faits du<br />

même genre au moyen âge.<br />

Selon <strong>de</strong>s auteurs anciens, Sédéchias, Juif et mé<strong>de</strong>cin,<br />

était si habi<strong>le</strong> à fasciner par <strong>de</strong>s prestiges, qu'il<br />

semblait aux spectateurs ava<strong>le</strong>r un chevalier armé,<br />

dévorer une voiture chargée <strong>de</strong> foin, sans excepter <strong>le</strong>s<br />

chevaux et <strong>le</strong> voiturier. Il coupait la tête, <strong>le</strong>s mains et<br />

<strong>le</strong>s pieds d'une personne, semblait <strong>le</strong>s placer dans<br />

un bassin, puis <strong>le</strong>s remettait en place ; il faisait voir<br />

<strong>de</strong>s chasses, <strong>de</strong>s courses, <strong>de</strong>s joutes en l'air... L'an 876,<br />

en p<strong>le</strong>in hiver, dans <strong>le</strong> palais <strong>de</strong> l'empereur Louis, on<br />

l'a vu créer <strong>de</strong>s vergers, <strong>de</strong>s jardins p<strong>le</strong>ins <strong>de</strong> plantes<br />

rares," <strong>de</strong> f<strong>le</strong>urs charmantes, et <strong>de</strong>s oiseaux dont <strong>le</strong>s<br />

chants étaient mélodieux. Quelqu'un tirait-il <strong>le</strong> pied<br />

d'un autre, ce pied suivait sans que celui-ci en souffrît.<br />

« Satan aime à provoquer <strong>le</strong> rire, dit Delrio : Amat<br />

Satan homines ad riswn provocare, ut lœti ac hilares imbibant<br />

impietatem; sic prœstigiatores, etc. » (Delrio,<br />

Disqnis. mat/., I, A.)<br />

Dans son Histoire <strong>de</strong> Bohême, ouvrage fort estimé,<br />

Dubravius par<strong>le</strong> d'un bohémien si expert en prestiges,<br />

que, au même instant, il se présentait <strong>avec</strong><br />

un visage, <strong>de</strong>s habits et une stature tout différents;<br />

pour amuser <strong>le</strong> roi, il faisait apparaître à sa tab<strong>le</strong><br />

ses courtisans <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s pieds <strong>de</strong> bœuf et <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s<br />

cornes au front. Ce magicien se faisait traîner dans un<br />

char attelé <strong>de</strong> chevaux métamorphosés en coq. Il changea<br />

un jour <strong>de</strong>s bottes <strong>de</strong> foin en pourceaux ; l'acheteur<br />

<strong>le</strong>s ayant conduits à la rivière, fut fort surpris <strong>de</strong><br />

voir autant <strong>de</strong> bottes <strong>de</strong> foin surnager et être emmenées<br />

par <strong>le</strong> courant (Dubravius, XXIII, Int. Rcr.<br />

bohein. script.).


AVEC LE DÉMON. 489<br />

<strong>Des</strong> divers moyens <strong>de</strong> connaître l'avenir et <strong>le</strong>s choses cachées, <strong>de</strong>s<br />

présages, inspirations, songes, etc.<br />

L'avenir, certains événements cachés peuvent être<br />

révélés sans invocations ni pratiques superstitieuses.—•<br />

Ainsi <strong>le</strong>s présages, <strong>le</strong>s pressentiments, <strong>le</strong>s songes, <strong>le</strong>s<br />

inspirations, la secon<strong>de</strong> vue, indépendamment <strong>de</strong>s diverses<br />

divinations artificiel<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s manifestations d'esprits,<br />

etc., etc., sont autant <strong>de</strong> moyens <strong>de</strong> connaître ce<br />

qui est caché.<br />

Comme l'antiquité païenne, <strong>le</strong> moyen âge eut ses<br />

présages; on pensa que la Divinité peut annoncer aux<br />

hommes <strong>le</strong>s malheurs prêts à fondre sur eux. La sainte<br />

Écriture citait <strong>de</strong>s exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> présages, et, <strong>de</strong> concert<br />

<strong>avec</strong> el<strong>le</strong>, l'histoire profane l'a fait pendant une longue<br />

suite <strong>de</strong> sièc<strong>le</strong>s. Si <strong>le</strong>s Gentils croyaient à <strong>de</strong>s prodiges<br />

qui s'expliquent aujourd'hui, tels que <strong>le</strong>s monstres à<br />

plusieurs têtes, <strong>le</strong>s parhélies, <strong>le</strong>s aérolithes, <strong>le</strong>s comètes,<br />

etc., il y avait <strong>de</strong>s signes inexplicab<strong>le</strong>s que <strong>le</strong>s<br />

auteurs du moyen âge ont rapportés <strong>avec</strong> la gravité<br />

et la bonne foi d'un historien très-convaincu <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur<br />

réalité. Grégoire <strong>de</strong> Tours cite <strong>de</strong>s prodiges à chaque<br />

page, comme Julius Obséquens et comme Tite-Live. —<br />

En 580, sous Chilpéric, on raconte que <strong>de</strong>s bruits<br />

effrayants, dont la cause ne put être connue, se firent<br />

entendre; du sang pur coula d'un pain quand on <strong>le</strong><br />

rompit, d'autres présages funestes annoncèrent <strong>le</strong>s<br />

malheurs sans nombre qui frappèrent <strong>le</strong> monarque et<br />

ses sujets. D'après Flodoart, en 842 et mars 848, on<br />

vit à différentes époques, dans <strong>le</strong>s airs, défi<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s armées<br />

au clair <strong>de</strong> la lune.<br />

Au dixième sièc<strong>le</strong>, à Reims, une semblab<strong>le</strong> apparition<br />

présagea la peste. Mi chaud a rapporté <strong>le</strong>s nom-


490 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

breux présages qui enflammèrent au onzième sièc<strong>le</strong> l'ar<strong>de</strong>ur<br />

<strong>de</strong>s croisés.<br />

Mézeray, règne <strong>de</strong> Philippe I er<br />

, dit qu'on vit <strong>de</strong>s armées<br />

s'entre-choquer <strong>avec</strong> un étrange tintamarre ; du<br />

pain cuit tout récemment répandit beaucoup <strong>de</strong> sang;<br />

un enfant parla disiinctement à l'instant même <strong>de</strong> sa<br />

naissance.<br />

En 4395, <strong>le</strong> même historien (règne <strong>de</strong> Char<strong>le</strong>s VI)<br />

par<strong>le</strong> <strong>de</strong> cinq petites étoi<strong>le</strong>s qu'on vit combattre contre<br />

une gran<strong>de</strong> étoi<strong>le</strong>, jusqu'au moment où une voix terrib<strong>le</strong><br />

venant du ciel se fit entendre ; puis un cavalier<br />

tout <strong>de</strong> feu transperça <strong>de</strong> sa lance <strong>de</strong> feu cette gran<strong>de</strong><br />

étoi<strong>le</strong> qui disparut.<br />

On vit aussi en Guyenne <strong>de</strong>s escadrons se heurter,<br />

on entendit <strong>le</strong>s hennissements <strong>de</strong>s chevaux, <strong>le</strong> cliquetis<br />

<strong>de</strong>s armes, <strong>le</strong>s cris <strong>de</strong>s combattants.<br />

Depuis J'apparition d'une croix à Constantin jusqu'à<br />

cel<strong>le</strong> qui apparut à trois mil<strong>le</strong> spectateurs en<br />

182(3, à Migné, on pourrait citer plusieurs apparitions<br />

semblab<strong>le</strong>s qui, tantôt furent <strong>de</strong>s présages heureux,<br />

tantôt <strong>de</strong> malheur. On en signa<strong>le</strong> au huitième<br />

sièc<strong>le</strong>. Au neuvième, <strong>le</strong> roi <strong>de</strong>s Pietés, près <strong>de</strong> livrer<br />

batail<strong>le</strong> au roi <strong>de</strong>s Ang<strong>le</strong>s, invoque saint André; une<br />

croix apparaît aussitôt dans <strong>le</strong> ciel, inspire <strong>le</strong> courage<br />

aux siens et jette l'épouvante parmi <strong>le</strong>s ennemis. A<br />

dater <strong>de</strong> ce jour, la croix <strong>de</strong> saint André fut placée sur<br />

<strong>le</strong>s drapeaux comme témoignage <strong>de</strong> ce prodige que <strong>le</strong><br />

calviniste Buchanan admet, mais n'explique point.<br />

En 1139, Alphonse, n'étant encore que comte <strong>de</strong> Portugal,<br />

avait à combattre contre cinq rois maures; il sentait<br />

<strong>le</strong> danger <strong>de</strong> sa position, car il y avait cent Maures<br />

contre un chrétien. Ses soldats étaient consternés, il était<br />

lui-même accablé <strong>de</strong> tristesse, disposition peu favorab<strong>le</strong><br />

pour combattre un ennemi aussi puissant. 11 supplia


AVEC LE DÉMON. 491<br />

<strong>le</strong> Seigneur <strong>de</strong> se montrer aux infidè<strong>le</strong>s, et aussitôt on<br />

vit dans <strong>le</strong> ciel un rayon lumineux; il augmente, puis<br />

apparaît une croix plus brillante que <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il. <strong>Des</strong><br />

anges environnaient <strong>le</strong> signe vénérab<strong>le</strong>... Alphonse<br />

alors triomphe d'un ennemi si confiant naguère. Laharpe,<br />

que l'on n'accusera point d'avoir été crédu<strong>le</strong><br />

avant sa conversion, dit que ce prodige est attesté<br />

par tous <strong>le</strong>s historiens espagnols, mais il n'essaye pas<br />

<strong>de</strong> l'expliquer. — On est loin <strong>de</strong> vouloir attribuer tous<br />

ces faits merveil<strong>le</strong>ux au môme agent; qu'ils soient<br />

divins, sataniques ou naturels, peu nous importe;<br />

mais la croyance aux présages continue, parce que<br />

<strong>le</strong>s phénomènes qui l'ont établie n'ont point cessé <strong>de</strong><br />

se manifester. On croira faci<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong>s chroniques<br />

fourniraient une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces présages, signalés<br />

chez <strong>le</strong>s anciens, comme signes précurseurs d'événements<br />

généraux ou particuliers, tels que voix entendues,<br />

coups frappés, apparitions <strong>de</strong> spectres, etc., etc.,<br />

la ressemblance est si frappante, ils se présentaient si<br />

souvent à cette époque, comme ils l'ont fait <strong>de</strong>puis,<br />

qu'il serait plus convenab<strong>le</strong> <strong>de</strong> rechercher <strong>le</strong>s causes<br />

et la nature <strong>de</strong> ces phénomènes que d'en dédaigner<br />

l'examen.<br />

, <strong>Des</strong> songes.<br />

L'illustre Cicéron était-il <strong>de</strong> bonne foi, lorsqu'il<br />

affectait <strong>de</strong> mépriser <strong>le</strong>s songes? S'il était possib<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

faire un recueil non <strong>de</strong>s songes extraordinaires qui<br />

n'ont jamais été écrits, quoique propres cependant à<br />

causer un vif étonnement aux sceptiques, mais <strong>de</strong> ceux<br />

qu'on peut lire dans <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s légen<strong>de</strong>s, <strong>le</strong>s chroniques<br />

et <strong>le</strong>s biographies, on obtiendrait au moyen âge<br />

un nombre immense, sans doute, <strong>de</strong> volumes <strong>de</strong> songes


4!J2 DES HAl'PORTS DE L'HOMME<br />

qui forcerait <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur <strong>de</strong> s'écrier, en s'adressant à<br />

l'orateur romain : « Grand Cicéron, vous saviez vousmême,<br />

en méprisant certains songes, que votre décision<br />

était fausse; <strong>le</strong> motif qui vous dirigeait, étant <strong>de</strong> combattre<br />

<strong>le</strong>s superstitions, peut-il vous excuser? — L'antiquité<br />

y a cru et l'Église indique encore aujourd'hui<br />

<strong>de</strong>s moyens pour <strong>le</strong>s discerner. Malgré <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s trèssages<br />

qu'el<strong>le</strong> nous donne, il se trouva cependant, nième<br />

parmi ses ministres, <strong>de</strong>s hommes héritiers <strong>de</strong>s vieil<strong>le</strong>s<br />

doctrines païennes qui, en interprétant <strong>le</strong>s songes,<br />

s'exposèrent aux tromperies <strong>de</strong> Satan. L'évêquo Synésius<br />

fit un traité pour expliquer <strong>le</strong>s songes naturels<br />

<strong>le</strong>s plus insignifiants ; à côté <strong>de</strong> ceux-ci, qu'il est permis<br />

au <strong>démon</strong> <strong>de</strong> réaliser quelquefois, on voit toujours <strong>le</strong>s<br />

songes divins et diaboliques. D'après saint Jérôme, on<br />

en citera un qu'il crut appartenir aux premiers. Une<br />

nuit, il songea qu'on <strong>le</strong> fouettait, parce qu'il aimait<br />

trop <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres profanes; à son réveil, <strong>le</strong>s marques parurent<br />

sur sa personne, aussi il ne douta point que ce<br />

songe ne fût divin. — Saint Augustin (De cura jiro<br />

mort., XI) cite un songe dont la source divine fut<br />

moins évi<strong>de</strong>nte : « On présente à un fils, en qualité<br />

d'héritier <strong>de</strong> son père, un bil<strong>le</strong>t souscrit par ce <strong>de</strong>rnier;<br />

ce fils, ignorant cette <strong>de</strong>tte, eut un songe dans <strong>le</strong>quel il<br />

vit son père lui assurant que la <strong>de</strong>tte était payée, et<br />

qui lui dit <strong>de</strong> chercher en tel endroit pour en trouver la<br />

preuve, ce qu'il fit <strong>avec</strong> p<strong>le</strong>in succès. » <strong>Le</strong> saint évoque<br />

n'attribue pas ce songe au défunt, mais aux esprits ; <strong>de</strong><br />

quel<strong>le</strong> nature était celui-ci? <strong>Le</strong> service rendu ne <strong>démon</strong>tre<br />

pas rigoureusement une source divine, et saint<br />

Augustin n'a rien décidé; —<strong>le</strong> <strong>démon</strong>, pour favoriser<br />

la croyance aux songes, a bien pu faire cette révélation.<br />

Pétrarque cite celui-ci : Un Italien songe qu'un <strong>de</strong>s<br />

lions <strong>de</strong> marbre ornant <strong>le</strong> parvis d'une église lui a fait


AVEC LE DÉMON. 493<br />

une morsure mortel<strong>le</strong>. <strong>Le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main, passant <strong>de</strong>vant<br />

une église, et voyant un lion <strong>de</strong> marbre, il raconte à<br />

ceux qui l'accompagnent son songe <strong>de</strong> la nuit, et mettant<br />

la main dans la gueu<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'animal, il dit : Voilà<br />

mon ennemi <strong>de</strong> la nuit <strong>de</strong>rnière ; malheureusement, il<br />

s'y trouvait un scorpion qui lui fit une b<strong>le</strong>ssure mortel<strong>le</strong>.<br />

— A la rigueur, la réalisation <strong>de</strong> ce songe pouvait<br />

venir du hasard; mais s'il est merveil<strong>le</strong>ux, est-il divin?<br />

— Ce songe était un mensonge si <strong>le</strong> songeur n'y eût<br />

pas fait attention; Dieu l'aurait-il donc envoyé pour<br />

qu'il <strong>de</strong>vînt la cause <strong>de</strong> l'acci<strong>de</strong>nt? On ne peut <strong>le</strong> supposer.<br />

D'autre part, si on l'attribue au <strong>démon</strong>, on en<br />

fait un prophète, et on sait qu'il ignore l'avenir : il<br />

faudrait donc admettre ici que <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> aurait conduit<br />

un scorpion dans la gueu<strong>le</strong> du lion, dirigé <strong>le</strong>s pas du<br />

songeur auprès du scorpion, et réalisé ainsi <strong>le</strong> songe<br />

qu!il aurait envoyé. On n'entreprendra point ici <strong>de</strong><br />

faire <strong>le</strong> discernement <strong>de</strong> ces songes, on constate uniquement<br />

l'existence <strong>de</strong>s trois catégories signalées précé<strong>de</strong>mment.<br />

Inspirations, secon<strong>de</strong>- vue, etc.<br />

L'inspiration diabolique se présente si souvent dans<br />

<strong>le</strong>s faits en simulant l'inspiration divine, qu'il est parfois<br />

fort diffici<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>s distinguer, tant <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> se montre<br />

habi<strong>le</strong> à se transformer en ange <strong>de</strong> lumière ; quelquefois<br />

aussi <strong>le</strong> <strong>démon</strong> s'ingénie à faire penser que ses<br />

inspirations sont dues à l'état pathologique ou simp<strong>le</strong>ment<br />

physiologique <strong>de</strong> l'inspiré, sujet ardu dans tous<br />

<strong>le</strong>s temps; un mala<strong>de</strong>, un fou prédisent, lisent <strong>le</strong>s secrets<br />

<strong>de</strong>s cœurs. Ce phénomène est naturel, dit-on,<br />

parce qu'il cesse <strong>avec</strong> la maladie qui l'a causé ; que déci<strong>de</strong>r<br />

alors du fait suivant?


494 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Grégoire <strong>de</strong> Tours cite l'histoire d'un bûcheron <strong>de</strong><br />

Bourges qui, ayant été piqué par <strong>le</strong>s abeil<strong>le</strong>s, fut insensé<br />

durant <strong>de</strong>ux ans ; plus tard, il se dit <strong>le</strong> Messie et conduisait<br />

<strong>avec</strong> lui une femme du nom <strong>de</strong> Marie... —<br />

Jusqu'ici rien <strong>de</strong> fort prodigieux ; mais bientôt on <strong>le</strong><br />

suit en fou<strong>le</strong>, parce qu'il guérit <strong>le</strong>s infirmes et prédit<br />

l'avenir; il annonce <strong>le</strong>s maladies qui surviendront, <strong>le</strong>s<br />

pertes qu'on subira : <strong>le</strong>s uns y virent une inspiration<br />

toute divine, d'autres, vu la cause qui semblait l'avoir<br />

provoquée, pensèrent qu'el<strong>le</strong> pouvait être naturel<strong>le</strong>.<br />

D'après Grégoire <strong>de</strong> Tours, il paraît cependant que ces<br />

facultés surprenantes furent généra<strong>le</strong>ment attribuées<br />

au <strong>démon</strong>. — Saint Augustin par<strong>le</strong> d'un certain Albicérius'qui<br />

paraissait instruit <strong>de</strong>s actions <strong>le</strong>s plus secrètes<br />

<strong>de</strong>s gens 1<br />

qu'il voyait, et d'un frénétique ayant<br />

<strong>le</strong> don <strong>de</strong> secon<strong>de</strong> vue. Ces facultés extraordinaires se<br />

manifestaient môme dans l'état normal, comme chez la<br />

femme <strong>de</strong>vineresse dont se servait Frédégon<strong>de</strong>; chez<br />

cel<strong>le</strong>-ci, <strong>le</strong>s facultés surhumaines étaient assez pré-<br />

J. Saint Augustin (G. aead., I, art. 17) l'avait connu étant à Cartilage,<br />

et dit qu'il était il<strong>le</strong>ttré et qu'il répondait à tous ceux qui <strong>le</strong><br />

consultaient sur <strong>le</strong>s choses <strong>le</strong>s plus inconnues; il <strong>le</strong> sait par expérience,<br />

et invoque <strong>le</strong> témoignage d'Alypius,<strong>de</strong> Licentius, dcTrygelius,<br />

qui avaient comme lui consulté Alhicérius et étaient élonnés <strong>de</strong> ses<br />

réponses. On <strong>le</strong> consulta sur une perte..., sans hésiter, il répondit :<br />

— « C'est une cuil<strong>le</strong>r. Celui qui l'a volée l'a cachée en tel lieu..., etc. »<br />

— Ce qui se trouva vrai. Quelqu'un lui envoyait une certaine somme;<br />

celui qui la lui portait en avait détourné quelques pièces d'argent; il<br />

reconnaît <strong>le</strong> vol avant d'avoir vérifié la somme. Un savant nommé<br />

Flaccianus, voulant acheter un champ, consulta <strong>le</strong> <strong>de</strong>vin; il <strong>de</strong>vina <strong>le</strong><br />

nom <strong>de</strong> ce champ qui était fort hétéroclite, et exposa toutes <strong>le</strong>s circonstances<br />

relatives à cette affaire. Un jeune étudiant <strong>de</strong>man<strong>de</strong> ce<br />

qu'il a dans la pensée : « Un vers <strong>de</strong> Virgi<strong>le</strong>, » lui répondit-il; il <strong>le</strong> récita<br />

sur-<strong>le</strong>-champ, quoiqu'il n'eût pas étudié <strong>le</strong> latin. Saint Augustin<br />

dit <strong>de</strong> lui : « C'est un scélérat, Homo (lagitiosissimus. » (V. aussi<br />

D. Calm., <strong>Des</strong> apparitions, I, 240.)


AVEC LE DÉMON. 495<br />

cieuses; non-seu<strong>le</strong>ment el<strong>le</strong> <strong>de</strong>vinait l'avenir, découvrait<br />

<strong>le</strong>s vo<strong>le</strong>urs et retrouvait <strong>le</strong>s objets volés ; mais on<br />

reconnut un esprit <strong>de</strong> python, qui lui faisait ainsi gagner<br />

beaucoup d'argent. Agéric, évêque <strong>de</strong> Verdun,<br />

la fit arrêter et l'exorcisa... <strong>le</strong> <strong>démon</strong> refusant <strong>de</strong> sortir;<br />

on eût continué <strong>le</strong>s exorcismes ; mais Frédégon<strong>de</strong> intervint,<br />

et trouva sans doute qu'une faculté si uti<strong>le</strong> à<br />

ses intérêts et à sa curiosité n'était pas si détestab<strong>le</strong>.<br />

Saint Augustin traite ces gens <strong>de</strong> scélérats, parce que<br />

<strong>le</strong>s facultés divinatrices viennent ou <strong>de</strong> l'inspiration<br />

<strong>de</strong>s mauvais esprits, ou même <strong>de</strong> colloques <strong>avec</strong> eux<br />

dans <strong>le</strong>urs apparitions. Froissard rapporte dans ses<br />

Chroniques que, <strong>de</strong>ux ou trois sièc<strong>le</strong>s avant lui, un baron<br />

vassal du comte <strong>de</strong> Foix avait un esprit familier<br />

qui lui faisait connaître tout ce qui se passait. Rien ne<br />

se faisait, dit-il, « ni auprès, ni au loin, qu'il ne <strong>le</strong> sût<br />

« tout incontinent, et quant et quant en avertissait<br />

« <strong>le</strong> comte, <strong>le</strong>quel s'esbahissait bien fort <strong>de</strong> ce que<br />

« <strong>le</strong> baron lui contait <strong>de</strong>s choses qu'il n'était pas<br />

« possib<strong>le</strong> <strong>de</strong> savoir aussitôt par moyens humains. »<br />

(V. Massé, Impost. <strong>de</strong>s <strong>de</strong>v.) <strong>Le</strong> baron étant ami du comte<br />

finit par lui confier la familiarité qu'il avait <strong>avec</strong> cet<br />

esprit. Curieux, désireux <strong>de</strong> <strong>le</strong> connaître, <strong>le</strong> comte,<br />

aussi peu scrupu<strong>le</strong>ux que <strong>le</strong> baron, sollicita l'esprit,<br />

l'attira et lui fit quitter ce <strong>de</strong>rnier, qui en avait fait autant<br />

à un certain prêtre romain. Alors la science du<br />

baron cessa, et <strong>le</strong> comte <strong>de</strong> Foix sut tout ce qui se passait<br />

en sa seigneurie et même dans tous <strong>le</strong>s États du<br />

mon<strong>de</strong> ; il suffisait <strong>de</strong> consulter l'esprit.<br />

Astrologie, talismans.<br />

L'astrologie était une science aussi diffici<strong>le</strong> que chimérique;<br />

l'Occi<strong>de</strong>nt, au moyen âge, s'y livra fort peu:


DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>le</strong>s vrais savants, peu nombreux alors, en connaissaient<br />

trop bien la source impure pour vouloir l'étudier, et<br />

la classe ignorante ne <strong>le</strong> pouvait. Cultivée seu<strong>le</strong>ment<br />

chez <strong>le</strong>s Orientaux, et en Espagne par <strong>le</strong>s Sarrasins,<br />

c'est au douzième sièc<strong>le</strong>, par suite <strong>de</strong>s <strong>rapports</strong> établis<br />

entre l'Orient et l'Occi<strong>de</strong>nt, que cette prétendue science,<br />

importée parmi nous, prit un développement inconnu<br />

même <strong>de</strong>s anciens.<br />

Il n'entre pas dans ce plan <strong>de</strong> la faire connaître. <strong>Le</strong>s<br />

astrologues supposaient trois sortes do mon<strong>de</strong>s ; chacun<br />

reçoit <strong>le</strong>s influences du mon<strong>de</strong> supérieur qui <strong>le</strong> gouverne<br />

; <strong>le</strong> Créateur communique aux hommes sa toutepuissance<br />

par <strong>le</strong>s intelligences, par <strong>le</strong>s cieux, <strong>le</strong>s étoi<strong>le</strong>s,<br />

<strong>le</strong>s planètes, <strong>le</strong>s éléments, par <strong>le</strong>s animaux, <strong>le</strong>s pierres...<br />

Alors* il <strong>le</strong>ur est donné <strong>de</strong> pénétrer jusqu'à l'archétype,<br />

l'ouvrier <strong>de</strong> toutes choses.<br />

L'astrologie, qui avait déjà tant d'ennemis parmi <strong>le</strong>s<br />

philosophes gentils, en trouva d'autant plus au moyen<br />

âge, que <strong>le</strong>s vrais chrétiens la considéraient comme<br />

une imposture diabolique; mais <strong>le</strong>s sectes hérétiques<br />

s'y adonnèrent. <strong>Le</strong>s grands consultèrent <strong>le</strong>s astrologues,<br />

et on la verra, surtout après <strong>le</strong> quinzième sièc<strong>le</strong>,<br />

dominer <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>, inspirer <strong>de</strong> fausses espérances aux<br />

uns, ou troub<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s autres par <strong>de</strong>s craintes souvent chimériques.<br />

<strong>Le</strong>s talismans, comme l'astrologie, étaient à peu<br />

près tombés dans l'oubli durant <strong>le</strong> moyen âge; <strong>le</strong> savant<br />

Ménestrier dit que, renouvelés par <strong>le</strong>s gnostiques<br />

et autres hérésiarques <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s, ils furent<br />

<strong>de</strong> nouveau tirés <strong>de</strong>s ténèbres dans <strong>le</strong> seizième et <strong>le</strong> dixseptième<br />

sièc<strong>le</strong>. Il est donc possib<strong>le</strong> qu'ils fussent peu<br />

connus au moyen âge ;... cependant on y recourait encore<br />

trop souvent, puisque l'Église a fait <strong>de</strong>s efforts, à<br />

cette époque, pour proscrire ces abus; ses princes con-


AVEC LE DÉMON. 497<br />

damnent tout infracteur à <strong>de</strong>s peines sévères. En 721,<br />

un conci<strong>le</strong> tenu à Rome défend, sous peine d'excommunication,<br />

l'usage <strong>de</strong> ces ban<strong>de</strong>s sur <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s sont<br />

écrits <strong>de</strong>s versets <strong>de</strong>s livres saints, réunis à d'autres<br />

paro<strong>le</strong>s superstitieuses. Léon <strong>le</strong> Sage, au neuvième<br />

sièc<strong>le</strong>, pour abolir <strong>le</strong>s talismans, condamne à mort<br />

ceux qui s'en servent, et pourtant on voit, au treizième<br />

sièc<strong>le</strong>, Léopold, évêque <strong>de</strong> Freisingen, composer<br />

un traité sur l'influence <strong>de</strong>s astres et sur la manière<br />

<strong>de</strong> se <strong>le</strong>s rendre favorab<strong>le</strong>s par <strong>le</strong>s talismans. Ceci<br />

prouve que l'astrologie et <strong>le</strong>s talismans furent bien loin<br />

d'ôtre oubliés, puisque, malgré la défense <strong>de</strong> l'Église,<br />

quelques-uns <strong>de</strong> ses membres môme s'y adonnaient 1<br />

.<br />

. A la même époque, on voit enfin <strong>le</strong> moine Roger<br />

Bacon s'adonnera l'astrologie et composer divers écrits<br />

sur <strong>le</strong>s prétendues vertus occultes <strong>de</strong> la nature. <strong>Le</strong> général<br />

<strong>de</strong> son ordre, croyant qu'il était sorcier, <strong>le</strong> fît enfermer,<br />

« car il avait l'esprit <strong>de</strong> son sièc<strong>le</strong> (disent <strong>le</strong>s<br />

biographes <strong>de</strong> Bacon, — c'est-à-dire il croyait à l'intervention<br />

<strong>de</strong> Satan). Il fallut que <strong>le</strong> franciscain prouvât<br />

qu'il n'avait nul commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong> diab<strong>le</strong>. » — Cette assertion<br />

est une erreur, Roger Bacon fut enfermé parce<br />

qu'il s'était infatué d'astrologie, parce que ses écrits<br />

étaient remplis <strong>de</strong> superstitions... L'Église, voyant <strong>le</strong><br />

retour <strong>de</strong> l'astrologie, préoccupée <strong>de</strong> ses résultats et<br />

sachant quel en était l'auteur, crut <strong>de</strong>voir sévir contre<br />

ceux qui la pratiquaient.<br />

<strong>Des</strong> épreuves au moyen âge , épreuves par <strong>le</strong> feu.<br />

<strong>Le</strong>s épreuves rentrent dans <strong>le</strong>s pratiques <strong>de</strong> divination,<br />

comme étant un moyen <strong>de</strong> découvrir la culpabi-<br />

i. On attribuait l'influence <strong>de</strong>s talismans à une cause naturel<strong>le</strong>, ce<br />

qui disculpe un peu ceux qui y avaient recour:;.<br />

1. 32


498 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

lité ou l'innocence d'un accusé. L'antiquité païenne<br />

la plus reculée s'en était servie ; <strong>le</strong> moyen âge chrétien<br />

se crut d'autant mieux permis <strong>de</strong> recourir à ce moyen,<br />

que Dieu avait fait ainsi <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s pour sauver <strong>de</strong>s<br />

innocents; <strong>de</strong> sorte que ceux même qui n'avaient nul<br />

droit d'espérer un mirac<strong>le</strong>, tentèrent Dieu par <strong>le</strong>s<br />

épreuves. Saint Simplice au quatrième sièc<strong>le</strong>, il est<br />

vrai, et au cinquième saint Brice, s'étaient purgés par<br />

l'épreuve du feu ; ce <strong>de</strong>rnier, non content d'avoir porté<br />

dans ses vêtements restés intacts <strong>de</strong>s charbons ar<strong>de</strong>nts,<br />

fit apporter l'enfant dont on l'accusait d'être <strong>le</strong> père ; et,<br />

quoique trop jeune pour articu<strong>le</strong>r, celui-ci parla cependant<br />

pour nier cette paternité. Au sixième sièc<strong>le</strong>, un<br />

solitaire, partisan <strong>de</strong> l'hérésie <strong>de</strong> Sévère, voulant la<br />

prouver par une épreuve; Éphrem, patriarche d'Antioche,<br />

y consentit. « Quoique vous <strong>de</strong>viez m'obéir, lui<br />

dit-il, et que vous <strong>de</strong>mandiez une chose au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong><br />

mon pouvoir, j'ai tant <strong>de</strong> confiance en Dieu, que je ne<br />

m'y refuse pas. » Il fit préparer un bûcher, qui effraya<br />

cet hérétique présomptueux; <strong>le</strong> saint, l'ayant réprimandé,<br />

se borna ù y jeter sa tunique, qui en fut retirée<br />

intacte trois heures après. (P. <strong>Le</strong> Brun, Hist. critiq. <strong>de</strong>s<br />

supers!., II, 1G3.)<br />

Ces mirac<strong>le</strong>s inspirèrent <strong>de</strong> la confiance aux superstitieux;<br />

ils ignoraient que <strong>le</strong>s prodiges obtenus par <strong>le</strong>s<br />

méchants et <strong>le</strong>s infidè<strong>le</strong>s ne peuvent être divins, Dieu<br />

d'ordinaire n'exauce que <strong>le</strong>s prières <strong>de</strong>s saints. — <strong>Le</strong>s<br />

épreuves superstitieuses continuèrent donc, malgré <strong>le</strong>s<br />

défenses réitérées <strong>de</strong> l'Église ; <strong>le</strong>s Ripuaires et <strong>le</strong>s Frisons<br />

<strong>le</strong>s pratiquaient. Au huitième sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s Lombards,<br />

vaincus par Char<strong>le</strong>magne, y tenaient infiniment, et <strong>de</strong>s<br />

chrétiens peu éclairés s'opiniâtraient à y voir l'intervention<br />

divine. Agobard tonne contre ces abus; Louis<br />

<strong>le</strong> Débonnaire, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s évêques, <strong>le</strong>s condamnent; et


AVEC LE DÉMON. 499<br />

en 800 on voit encore l'épreuve du fer chaud dans la<br />

cause <strong>de</strong> la reine Thietberge, accusée d'inceste; — un<br />

homme fit pour el<strong>le</strong> l'épreuve <strong>de</strong> l'eau bouillante sans<br />

se brû<strong>le</strong>r. Plusieurs pensaient que la magie n'y était<br />

point étrangère, et cependant on tolérait ces pratiques.<br />

Hincmar consulté, fut d'avis qu'on pouvait, d'après<br />

l'Écriture, employer ces épreuves ; mais il tombait d'accord<br />

qu'on ne doit pas y recourir quand la vérité peut<br />

se découvrir par d'autres voies. Pourtant il soupçonnait<br />

vivement l'intervention diabolique ; car lorsque<br />

Gotescalc voulut entrer dans quatre tonneaux d'eau,<br />

d'hui<strong>le</strong>, <strong>de</strong> poix bouillantes, et dans un grand feu, successivement,<br />

en présence du roi, <strong>de</strong>s évéques, <strong>de</strong>s c<strong>le</strong>rcs<br />

et du peup<strong>le</strong>, on lè lui refusa, et Hincmar lui-même <strong>le</strong><br />

traita d'homme diabolique.<br />

En 876, <strong>le</strong> fils <strong>de</strong> Louis <strong>le</strong> Germanique prouva<br />

contre son onc<strong>le</strong> ses droits au trône; dix hommes firent<br />

l'éprouve par l'eau froi<strong>de</strong>, dix par l'eau bouillante,<br />

et dix autres en tenant un fer rouge sans se brû<strong>le</strong>r.<br />

Depuis cette époque jusqu'au treizième sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s<br />

éprouves continuèrent d'être fréquentes.<br />

En 895, <strong>le</strong> conci<strong>le</strong> <strong>de</strong> Tribur <strong>le</strong>s permit aux laïques.<br />

Au dixième sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong> Pénitentiel romain ordonne<br />

qu'un serviteur, accusé d'avoir tué un prôtre, se justifiera<br />

on marchant sur douze fers ar<strong>de</strong>nts. — On pourrait<br />

citer dans ces sièc<strong>le</strong>s plusieurs exemp<strong>le</strong>s : sainte Gunégon<strong>de</strong>,<br />

en 1024, pour se justifier d'une accusation<br />

d'adultère, porte en ses mains <strong>le</strong>s fers ar<strong>de</strong>nts comme<br />

el<strong>le</strong> eût porté un bouquet <strong>de</strong> f<strong>le</strong>urs. En 1063, un religieux,<br />

<strong>de</strong>venu évêque d'Albano et cardinal, honoré<br />

comme saint, entre pieds nus dans un grand brasier,<br />

pour prouver la simonie <strong>de</strong> Pierre <strong>de</strong> Florence.<br />

En 1103, <strong>le</strong> prêtre Luitprand accuse <strong>de</strong> simonie<br />

Grosulan, archevêque <strong>de</strong> Milan, et s'offre à subir <strong>le</strong>-


500 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

preuve du feu ; il fit préparer un bûcher <strong>de</strong> bois <strong>de</strong><br />

chêne, long <strong>de</strong> dix coudées sur quatre <strong>de</strong> hauteur. Deux<br />

pi<strong>le</strong>s <strong>de</strong> même dimension étaient séparées Tune <strong>de</strong><br />

l'autre seu<strong>le</strong>ment d'une coudée et <strong>de</strong>mie, c'est-à-dire laissaient<br />

à peine un espace pour passer. Luitprand avait fait<br />

son testament et indiqué <strong>le</strong> lieu où on l'inhumerait, préliminaires<br />

qui montrent qu'il n'était pas très-sûr du succès<br />

; alors, revêtu <strong>de</strong> ses habits sacerdotaux, il s'engage<br />

dans cet étroit passage. <strong>Le</strong>s tourbillons <strong>de</strong> flamme se<br />

divisent en <strong>de</strong>ux parts au nord et au midi, comme si<br />

<strong>de</strong>ux vents contraires eussent soufilé au centre du bûcher.<br />

Ses vêtements, son corps, sa robe <strong>de</strong> lin n'en<br />

furent point endommagés; la main droite, qui avait<br />

jeté l'eaù bénite et donné l'encens, souffrit seu<strong>le</strong> quelque<br />

atteinte. Ce qui fut suffisant pour absoudre l'accusé,<br />

dont l'accusateur alors se détermina à se retirer dans<br />

la Valteline, ne voulant plus habiter Milan.<br />

En 1098, Pierre Barthélémy sut par révélation qu'une<br />

lance trouvée dans l'église d'Antioche était cel<strong>le</strong> qui avait<br />

percé <strong>le</strong> côté <strong>de</strong> Notre-Seigneur. — Gran<strong>de</strong> dispute à ce<br />

sujet, à laquel<strong>le</strong> l'inspiré voulut mettre fin par l'épreuve<br />

du feu; el<strong>le</strong> se fit en présence <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> quarante<br />

mil<strong>le</strong> spectateurs. Barthélémy, n'ayant pour vêtements<br />

qu'une chemise, passe au milieu d'un feu <strong>de</strong>s plus terrib<strong>le</strong>s,<br />

portant la lance couverte d'un linge très-fin,<br />

sans se brû<strong>le</strong>r. Étant mort douze jours après, ceux<br />

qui niaient l'i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la lance répandirent <strong>le</strong> bruit<br />

que <strong>le</strong> trépas était arrivé par suite <strong>de</strong> l'épreuve, que<br />

cel<strong>le</strong>-ci n'était donc pas concluante... <strong>Le</strong>urs adversaires<br />

prétendirent qu'il était mort, au contraire, par<br />

suite <strong>de</strong>s contusions qu'il avait reçues d'une populace<br />

ivre d'admiration pour lui. « <strong>Le</strong> prodige est constant,<br />

disaient-ils, car Barthélémy <strong>de</strong>vait être asphyxié, grillé<br />

dans un aussi grand feu. » — <strong>Le</strong> bûcher était composé


AVEC LE DÉMON. 304<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux tas <strong>de</strong> bois longs <strong>de</strong> quatorze pieds, séparés<br />

l'un <strong>de</strong> l'autre d'un pied environ (spatium quasi uni us<br />

.pedis), formant un embrasement qui s'é<strong>le</strong>vait jusqu'à<br />

trente coudées <strong>de</strong> hauteur (œstuabat usque ad triginta<br />

cubitos), dont nul ne pouvait approcher. Raymond d'Agi<strong>le</strong>s,<br />

témoin oculaire, soutient que <strong>le</strong> feu ne causa<br />

point la mort <strong>de</strong> Barthélémy ; il invoque <strong>le</strong> témoignage<br />

<strong>de</strong> ceux qui, comme lui, ont vu Barthélémy<br />

traverser ce feu effroyab<strong>le</strong> : « Ni son corps, ni sa chemise,<br />

dit-il, ni <strong>le</strong> linge très-fin couvrant la lance, ne<br />

furent atteints; on vit seu<strong>le</strong>ment quelques légères<br />

marques <strong>de</strong> brûlure aux jambes. » <strong>Le</strong> prodige était donc<br />

constant. D'abord il se trouva une lance, conformément<br />

à la révélation ; cette lance pouvait être fausse, mais<br />

Dieu permit sans doute que la foi <strong>de</strong> Barthélémy <strong>le</strong> préservât,<br />

sans vouloir qu'il <strong>le</strong> fût entièrement, pour ne<br />

pas faire passer pour une vraie relique une lance qui<br />

peut-être n'était pas ce qu'on pensait. (V. Dict. encycl.<br />

<strong>de</strong> ia thèolog. cathol., v° Lance.)<br />

On croyait ainsi que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> pouvait intervenir<br />

dans toutes <strong>le</strong>s épreuves, dans cel<strong>le</strong>s même qui semblaient<br />

<strong>le</strong>s plus saintes ; qu'il se transformait en ange <strong>de</strong><br />

lumière pour tromper. On remarquait enfin que <strong>le</strong> feu<br />

favorisant tantôt l'innocent, tantôt <strong>le</strong> coupab<strong>le</strong>, quelque<br />

prodigieuses que fussent <strong>le</strong>s épreuves, el<strong>le</strong>s méritaient<br />

donc peu <strong>de</strong> confiance. <strong>Le</strong>s yeux se <strong>de</strong>ssillèrent.<br />

Yves <strong>de</strong> Chartres prouva qu'el<strong>le</strong>s étaient impies, superstitieuses,<br />

rappela <strong>le</strong>s condamnations dirigées autrefois<br />

contre el<strong>le</strong>s, et trois papes, Cé<strong>le</strong>stin III, Innocent III,<br />

et Honorius III réitérèrent ces défenses. Au treizième<br />

sièc<strong>le</strong>, el<strong>le</strong>s étaient jugées <strong>de</strong> tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>; en Orient,<br />

où on <strong>le</strong>s pratiquait <strong>de</strong> la même manière qu'en France,<br />

on fut aussi détrompé. Pachymère raconte avoir vu dans<br />

sa jeunesse ces épreuves pratiquées plusieurs fois au


S02 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

grand étonnement <strong>de</strong>s spectateurs. Ceux qui s'y soumettaient<br />

ne se brûlaient pas ; on s'en désabusa cependant<br />

partout. — Ces pratiques, disait-on, venant <strong>de</strong>s<br />

Barbares, appartenaient à la magie. <strong>Le</strong> prodige ne<br />

pouvant émaner <strong>de</strong> Dieu, il fallait déci<strong>de</strong>r qu'il était<br />

diabolique, car on ne pouvait <strong>le</strong> supposer naturel. Comment,<br />

d'ail<strong>le</strong>urs, admettre que <strong>de</strong>s sauvages eussent<br />

<strong>de</strong>s connaissances physiques ignorées <strong>de</strong>s nations civilisées<br />

, et possédassent un secret qui n'avait jamais<br />

transpiré? Ce qui suit désabusa mieux encore. Sous<br />

<strong>le</strong> règne d'Àndronxc, il s'était é<strong>le</strong>vé <strong>de</strong>s disputes sur<br />

divers sujets théologiques. Chaque parti étant convaincu<br />

<strong>de</strong> la bonté <strong>de</strong> sa cause, on convint d'allumer<br />

un grand feu dans <strong>le</strong>quel tous jetteraient <strong>le</strong>urs cahiers<br />

, chacun espérait bien voir <strong>le</strong>s siens préservés ;<br />

mais, ô déception! <strong>le</strong>s livres <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s contendants<br />

brûlèrent. On rit beaucoup <strong>de</strong> l'épreuve; on se moqua<br />

surtout <strong>de</strong>s théologiens, et <strong>le</strong> ridicu<strong>le</strong> opéra ce que<br />

n'avaient pu faire <strong>le</strong>s papes et tous <strong>le</strong>s conci<strong>le</strong>s.<br />

Épreuve par Veau.<br />

Quoiqu'on ne voie l'épreuve <strong>de</strong> l'eau en usage qu'au<br />

troisième sièc<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> ne doit pas être moins ancienne<br />

que <strong>le</strong>s épreuves du fer chaud. <strong>Le</strong>s Capitulaircs l'interdirent;<br />

Hincmar nous dit comment el<strong>le</strong> se pratiquait au<br />

neuvième sièc<strong>le</strong>. L'accusé nu, <strong>le</strong> pied droit lié <strong>avec</strong> la<br />

main gauche, soutenu par une cor<strong>de</strong>, était lancé dans<br />

l'eau; s'il enfonçait, il était déclaré innocent : c'était<br />

<strong>le</strong> contraire s'il surnageait. Cette éprouve, qui se fera<br />

plus tard uniquement pour <strong>le</strong>s sorciers, avait lieu<br />

pour divers crimes. I<strong>le</strong>rman et Loccénius font mention<br />

<strong>de</strong> quelques vo<strong>le</strong>urs qui, après avoir essayé en<br />

secret s'ils enfonceraient, <strong>de</strong>mandèrent use justifier


AVEC LE DÉMON. 303<br />

par l'eau; mais, lors <strong>de</strong> l'épreuve juridique, ils nagèrent<br />

comme du liège. Louis <strong>le</strong> Débonnaire, ayant indiqué<br />

pour l'an 829 <strong>de</strong>s conci<strong>le</strong>s à Paris, à Lyon, à<br />

Mayence et à Toulouse, avait <strong>de</strong>mandé qu'on examinât<br />

<strong>le</strong>s épreuves par l'eau. <strong>Le</strong> résultat fut la défense expresse,<br />

omnibus interdicantur ; cependant <strong>le</strong>s discussions<br />

<strong>de</strong>s savants <strong>le</strong>s firent rétablir sous Char<strong>le</strong>s <strong>le</strong> Chauve.<br />

Hincmar, malgré la décision <strong>de</strong>s quatre conci<strong>le</strong>s précé<strong>de</strong>nts,<br />

voulut justifier <strong>le</strong>s épreuves par l'eau, en citant<br />

divers mirac<strong>le</strong>s : « Noé, disait-il, a surnagé, et <strong>le</strong>s méchants<br />

enfoncèrent dans <strong>le</strong>s eaux. Depuis Jésus-Christ,<br />

l'eau, qui nous a sanctifiés par <strong>le</strong> baptême, ne peut recevoir<br />

<strong>le</strong>s méchants... <strong>Des</strong> hommes divins ont trouvé <strong>le</strong><br />

secret <strong>de</strong> découvrir <strong>de</strong>s faits cachés par l'épreuve <strong>de</strong><br />

l'eau froi<strong>de</strong>... » — D'autres citaient <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />

rapportés par Grégoire <strong>de</strong> Tours, concernant <strong>de</strong>ux<br />

femmes : l'une condamnée à être noyée, jetée dans<br />

<strong>le</strong> Rhône <strong>avec</strong> une grosse pierre au cou, ayant invoqué<br />

saint Genêt, surnagea; l'autre, accusée d'adultère,<br />

jetée dans la Saône ayant au cou une meu<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

moulin, ayant invoqué <strong>le</strong> Seigneur, fut préservée. Ces<br />

mirac<strong>le</strong>s ne ressemblaient en rien à l'épreuve <strong>de</strong> l'eau;<br />

<strong>le</strong>s innocents ici n'enfonçaient pas : c'était donc une<br />

bizarrerie suggérée par Satan, qui avait voulu faire<br />

enfoncer <strong>le</strong>s innocents et surnager <strong>le</strong>s coupab<strong>le</strong>s.<br />

Ainsi <strong>le</strong> pensaient <strong>le</strong>s gens sensés ; l'Église el<strong>le</strong>-même,<br />

en. permettant ces épreuves, soupçonnait vivement<br />

l'intervention <strong>de</strong> Satan, puisqu'el<strong>le</strong> recourait aux exorcismes<br />

pour l'empêcher. Ces hommes divins, selon<br />

Hincmar, étaient donc <strong>de</strong>s <strong>de</strong>vins, et non <strong>de</strong>s hommes<br />

divins; aussi déclare-t-il, et c'est <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur <strong>de</strong> son ouvrage,<br />

qu'il est prêt d'adopter <strong>le</strong> sentiment <strong>de</strong>s gens plus<br />

instruits que lui sur ce sujet. Cependant Hincmar, qui<br />

s'était trompé, en avait entraîné d'autres, et l'épreuve


504 DES HAPPOHTS DE L'HOMME<br />

continuait. En 1021, d'après <strong>le</strong> père Mabillon, pour<br />

s'assurer <strong>de</strong> l'envahissement illégitime <strong>de</strong>s biens d'une<br />

abbaye, on jeta à l'eau un enfant qui ne put enfoncer...<br />

— Tout, jusqu'à l'examen <strong>de</strong> conscience, se<br />

réglait par <strong>le</strong>s épreuves. El<strong>le</strong>s continuèrent au onzième,<br />

au douzième sièc<strong>le</strong> ; Dieu ne permit pas cependant,<br />

dit <strong>Le</strong> Brun, que l'épreuve fît confondre <strong>le</strong>s hérétiques<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s catholiques (<strong>Le</strong> Brun, Ib., p. 262). <strong>Le</strong>s<br />

Manichéens <strong>de</strong> Soissons, pour cacher <strong>le</strong>urs hérésies,<br />

employaient <strong>le</strong> parjure. Guibert engagea l'évoque <strong>de</strong><br />

Soissons à faire exorciser l'eau, célébrer la messe et<br />

administrer l'Eucharistie aux suspects; <strong>le</strong>ur chef, soumis<br />

à l'épreuve, surnagea comme <strong>le</strong> bois <strong>le</strong> plus léger.<br />

Saint Bernard en dit autant d'autres hérétiques qui<br />

niaient <strong>le</strong>urs erreurs. Soumis à l'épreuve, ne pouvant<br />

enfoncer, ils furent convaincus <strong>de</strong> mensonge.<br />

Au treizième sièc<strong>le</strong>, cette pratique cessa. <strong>Le</strong> conci<strong>le</strong><br />

<strong>de</strong> Latran, en 1215, défendit <strong>le</strong>s bénédictions et <strong>le</strong>s<br />

exorcismes qui précédaient <strong>le</strong>s épreuves, et cel<strong>le</strong>s-ci<br />

furent déclarées superstitieuses. Cujas, en disant qu'el<strong>le</strong>s<br />

viennent <strong>de</strong>s Lombards, prouva surabondamment <strong>le</strong>ur<br />

origine superstitieuse.<br />

Suite <strong>de</strong>s superstitions et faits magiques au moyen âge; mé<strong>de</strong>cine<br />

d'incantation.<br />

Nous nous bornerons à. constater ici l'existence <strong>de</strong><br />

la mé<strong>de</strong>cine d'incantation et la croyance aux métamorphoses<br />

pendant cette longue pério<strong>de</strong>. <strong>Le</strong> moyen<br />

âge ne fut ni au-<strong>de</strong>ssus ni au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s qui<br />

<strong>le</strong> précè<strong>de</strong>nt et qui <strong>le</strong> suivent : <strong>le</strong>s uns conservaient la<br />

tradition <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> guérir par <strong>de</strong>s simp<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s<br />

gestes ou <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s, moyens si curatifs, que la science<br />

<strong>le</strong>s eût enviés si la superstition n'eût été évi<strong>de</strong>nte pour


AVEC LE DÉMON. 505<br />

<strong>le</strong>s moins clairvoyants. Quelquefois un spectre révélait<br />

<strong>de</strong>s remè<strong>de</strong>s à <strong>de</strong>s ignorants, qui faisaient alors <strong>de</strong>s<br />

cures prodigieuses.<br />

Ce qui a été dit en traitant <strong>de</strong>s prestiges qui fascinaient<br />

l'œil <strong>de</strong> manière que <strong>de</strong>s chevaux semblaient<br />

être <strong>de</strong>s coqs, dispense <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s métamorphoses.<br />

La Renaissance, qui <strong>le</strong>s a admises, ne ressuscita point<br />

<strong>de</strong>s. faits oubliés pendant l'espace d'environ mil<strong>le</strong> ans;<br />

<strong>le</strong> moyen âge, si <strong>le</strong>s métamorphoses eussent cessé, aurait<br />

pu <strong>le</strong>s nier ; il en fut autrement, car, <strong>le</strong>s faits continuant,<br />

il atteste ce que l'antiquité avait affirmé, et <strong>le</strong>s<br />

sièc<strong>le</strong>s qui <strong>le</strong> suivront joindront <strong>le</strong>ur témoignage au<br />

sien. Quel faisceau <strong>de</strong> preuves pour <strong>de</strong>s faits extraordinaires<br />

que la postérité ne se lassera ni <strong>de</strong> nier ni <strong>de</strong><br />

proclamer !<br />

Invasions diaboliques.<br />

Sous ce titre fort comp<strong>le</strong>xe sont contenus <strong>le</strong>s incubes,<br />

<strong>le</strong>s succubes, <strong>le</strong>s infestations <strong>de</strong> maisons, <strong>le</strong>s<br />

obsessions, <strong>le</strong>s possessions, etc., phénomènes étonnants<br />

et terrib<strong>le</strong>s, qui ne sont point, comme on l'a vu,<br />

sortis au moyen âge du cerveau <strong>de</strong>s légendaires ; l'antiquité,<br />

<strong>le</strong>s historiens <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s attestent<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>urs mil<strong>le</strong> voix, et <strong>le</strong> seizième et <strong>le</strong> dix-septième,<br />

et même <strong>le</strong> dix-huitième sièc<strong>le</strong>, se joignent à<br />

eux pour rapporter encore <strong>le</strong>s mêmes faits <strong>avec</strong> une<br />

fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> circonstances omises jusqu'ici.<br />

<strong>Des</strong> incubes et succubes.<br />

Nous nous bornerons, sans exposer <strong>le</strong>s faits, à constater<br />

dans cette pério<strong>de</strong> une croyance qui lui est commune<br />

<strong>avec</strong> la haute antiquité et <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s premiers


506<br />

DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> notre ère; j'entends cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s copulations<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s esprits, mentionnée dans plusieurs auteurs.<br />

Ainsi saint Isidore, évoque <strong>de</strong> Sévil<strong>le</strong> au septième sièc<strong>le</strong>,<br />

dit que <strong>le</strong>s Dusiens se livrent journel<strong>le</strong>ment à cette<br />

impureté : Assidue peragmit hanc im?nunditiam, etc.<br />

(Etymolog., VIII ,11.)<br />

Hincmar, au neuvième sièc<strong>le</strong>, dit que, pour tromper<br />

<strong>le</strong>s femmes, ils prennent la forme <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs amaats.<br />

(De divort. Lot/iar., interrog. XV.) Saint Bernard<br />

guérit la femme d'un chevalier, à Nantes, qui s'était<br />

fiancée à un <strong>démon</strong> qui abusait d'el<strong>le</strong>, sous la forme<br />

d'un beau jeune homme, dans <strong>le</strong> lit même où couchait<br />

son époux. Cel<strong>le</strong>-ci cacha son crime pendant<br />

six ans. La septième année, <strong>le</strong>s remords la dévorent;<br />

el<strong>le</strong> craint <strong>le</strong>s jugements <strong>de</strong> Dieu, vient aux prêtres<br />

confesser sa faute, mais rien ne peut expulser Satan.<br />

Saint Bernard arrive, el<strong>le</strong> court se jeter à ses pieds;<br />

Satan l'avait prévenue <strong>de</strong> l'arrivée du saint homme,<br />

et lui avait défendu, <strong>avec</strong> menaces, <strong>de</strong> recourir à<br />

lui, et sous peine d'être son plus cruel persécuteur...<br />

Saint Bernard la rassure, lui remet son bâton, et<br />

ce bâton opère, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s prières du bienheureux et du<br />

c<strong>le</strong>rgé, ce que n'avaient pu faire jusque-là <strong>le</strong>s pè<strong>le</strong>rinages,,<br />

<strong>le</strong>s aumônes, <strong>le</strong>s confessions, etc. (Vit,<br />

S. Bem., auct. Emaldo, II, 6.)— Au quinzième sièc<strong>le</strong>,<br />

la question <strong>de</strong>s incubes fut discutée <strong>de</strong>vant l'empereur<br />

Sigismond. <strong>Le</strong>s faits étaient si bien attestés, qu'on<br />

déclara ces copulations possib<strong>le</strong>s. — 11 est constant<br />

que tout <strong>le</strong> moyen âge attribuait à <strong>de</strong>s êtres intermédiaires,<br />

fées, nymphes, sylphi<strong>de</strong>s, etc., <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong><br />

copu<strong>le</strong>r et même d'enfanter ou d'engendrer. <strong>Le</strong>s traditions<br />

<strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s États européens donnent<br />

à plusieurs rois ou princes une origine surhumaine,<br />

ce dont il convient peu <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r ici. — Raymondin,


AVEC LE DÉMON. S07<br />

comte <strong>de</strong> Poitiers, s'unit à la fée Mélusine, qui, dit-on,<br />

prenait souvent la forme d'un serpent. Brantôme dit<br />

sérieusement que lorsqu'on rasa <strong>le</strong> château <strong>de</strong> Lusignan,<br />

el<strong>le</strong> se montra moitié femme, moitié serpent...<br />

— Une tradition du duché <strong>de</strong> Clèves fait <strong>de</strong>scendre<br />

Go<strong>de</strong>froy <strong>de</strong> Bouillon directement d'un esprit qui avait<br />

pris la forme d'un cygne... — Bowmaker, auteur écossais<br />

, <strong>démon</strong>tre longuement que <strong>le</strong>s rois d'Ang<strong>le</strong>terre<br />

<strong>de</strong>scen<strong>de</strong>nt du diab<strong>le</strong> par <strong>le</strong>s femmes. — Sir David<br />

Lindsay dit que <strong>le</strong> premier duc <strong>de</strong> Guyenne est né<br />

d'une fée ou d'un <strong>démon</strong>. — Don Diego Lopez, seigneur<br />

<strong>de</strong> Biscaye, <strong>de</strong>vint amoureux d'une dame richement<br />

parée qui lui apparut à la chasse. Ayant un jour<br />

prononcé un nom sacré <strong>de</strong>vant cette dame, qui était<br />

<strong>de</strong>venue son épouse, cel<strong>le</strong>-ci <strong>de</strong>vint furieuse, s'é<strong>le</strong>va<br />

dans <strong>le</strong>s airs <strong>avec</strong> sa fil<strong>le</strong>, dirigea son vol vers <strong>le</strong>s<br />

montagnes en poussant <strong>de</strong> longs gémissements, et<br />

oncques on ne la revit, etc.<br />

Nous en avons peut-être trop dit, quoiqu'il reste<br />

beaucoup à dire ; mais on <strong>de</strong>vait montrer ici que l'antiquité<br />

fabu<strong>le</strong>use et <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s déjà civilisés <strong>de</strong>s Capétiens<br />

et <strong>de</strong>s Valois avaient eu <strong>de</strong>s croyances i<strong>de</strong>ntiques<br />

sur <strong>le</strong> résultat <strong>de</strong>s conjonctions <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong> <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />

esprits.<br />

Infestations <strong>de</strong>s maisons par <strong>le</strong>s esprits.<br />

Saint Augustin (De Civ. Dei, XXII, 8) rapporte<br />

que <strong>le</strong> tribun Hespérius possédait, au territoire <strong>de</strong> Fussalcs,<br />

une métairie nommée Zubedi; <strong>le</strong>s esprits malins<br />

tourmentaient ses esclaves et son bétail; il pria <strong>le</strong> saint<br />

évoque <strong>de</strong> s'y rendre pour <strong>le</strong>s chasser; saint Augustin,<br />

ne <strong>le</strong> pouvant lui-même, y envoya un <strong>de</strong> ses prêtres


508 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

qui offrit <strong>le</strong> saint sacrifice, et <strong>de</strong> suite la vexation<br />

cessa.<br />

Saint Césaire, du temps <strong>de</strong> Théodoric, rendit <strong>le</strong><br />

même service au mé<strong>de</strong>cin Elpi<strong>de</strong>, dont la maison était<br />

habitée par <strong>de</strong>s lutins qui lui jetaient <strong>de</strong>s pierres. « Scd<br />

et saxorurn


AVEC LE DÉMON. 309<br />

Obsessions.<br />

Si dans <strong>le</strong>s infestations on est inquiété par <strong>de</strong>s bruits,<br />

<strong>de</strong>s apparitions, <strong>de</strong>s coups frappés, et quelquefois<br />

même par <strong>de</strong>s coups administrés par un agent invisib<strong>le</strong>,<br />

c'est surtout dans <strong>le</strong>s obsessions que <strong>le</strong> <strong>démon</strong><br />

tourmente, assiège au <strong>de</strong>hors, harcè<strong>le</strong> ses victimes, et<br />

exerce sur el<strong>le</strong>s mil<strong>le</strong> cruautés. Saint Athanasc a rapporté<br />

<strong>avec</strong> <strong>de</strong> longs détails l'obsession <strong>de</strong> saint Antoine,<br />

si ridiculisée dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s d'incrédulité, et qui ressemb<strong>le</strong><br />

pourtant complètement aux obsessions <strong>de</strong>s<br />

temps mo<strong>de</strong>rnes. Tout commence ici par l'infestation;<br />

<strong>le</strong>s malins esprits troub<strong>le</strong>nt <strong>le</strong> saint personnage, lui<br />

livrent mil<strong>le</strong> petits combats pour l'empêcher <strong>de</strong> faire<br />

son salut; il résiste, et Dieu permet l'obsession. <strong>Le</strong><br />

corps <strong>de</strong> saint Antoine est livré aux vexations <strong>de</strong> Satan<br />

pour accroître ses mérites.<br />

Il n'est plus permis au <strong>démon</strong> <strong>de</strong> cacher ses attaques<br />

et ses embûches, il agit à découvert; <strong>le</strong> bienheureux<br />

voit toutes <strong>le</strong>s machinations <strong>de</strong> son ennemi,<br />

qui prend pour <strong>le</strong> tromper, tour à tour, <strong>de</strong>s formes<br />

effroyab<strong>le</strong>s ou séduisantes. Antoine résiste comme <strong>le</strong><br />

roc résiste aux flots ; il voit objectivement l'efficacité <strong>de</strong><br />

ses prières et <strong>de</strong> ses austérités. <strong>Le</strong>s tentations et <strong>le</strong>s<br />

vexations ordinaires avaient été impuissantes, Dieu<br />

lâche la bri<strong>de</strong> à Satan ; c'est un tintamarre dont on ne<br />

saurait se faire une idée, ce sont <strong>de</strong>s bruits effrayants;<br />

l'édifice même s'écrou<strong>le</strong>, ses murail<strong>le</strong>s s'entr'ouvrent;<br />

et <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s apparaissent sous la forme <strong>de</strong> lions, <strong>de</strong><br />

taureaux, etc.; ils attaquent saint Antoine <strong>avec</strong> rage;<br />

ils lui font <strong>de</strong>s b<strong>le</strong>ssures horrib<strong>le</strong>s; ils font entendre<br />

<strong>de</strong>s cris qui glaceraient d'épouvante <strong>le</strong>s plus hardis.<br />

Percé <strong>de</strong> coups, <strong>le</strong> saint ne perd point sa sérénité, il


310 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

sait que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> ne peut rien sur son âme, rien môme<br />

sur son corps si Dieu ne <strong>le</strong> permet. — Exercez, <strong>le</strong>ur<br />

disait-il, tout votre pouvoir contre moi, que tar<strong>de</strong>zvous<br />

!... — <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s font entendre dos grincements<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>nts terrib<strong>le</strong>s et avouent <strong>le</strong>ur défaite ; mais pour<br />

recommencer <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s attaques variées <strong>de</strong> mil<strong>le</strong><br />

manières... Souvent l'avenir étant inconnu <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s,<br />

peut-être espéraient-ils que tôt ou tard ils<br />

triompheraient d'Antoine.<br />

<strong>Le</strong>s fidè<strong>le</strong>s qui venaient visiter <strong>le</strong> bienheureux, ceux<br />

qui passaient <strong>le</strong>s jours et <strong>le</strong>s nuits près <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>meure,<br />

entendaient, au <strong>de</strong>dans <strong>de</strong> l'habitation, comme une<br />

troupe d'hommes qui faisaient un vacarme étrange, et<br />

<strong>de</strong>s voix lamentab<strong>le</strong>s qui s'écriaient : — Qu'es-tu venu<br />

faire dans ce désert? penses-tu résister à nos embûches?—<br />

On pouvait croire que <strong>de</strong>s gens avaient pénétré<br />

par escala<strong>de</strong> dans l'habitation d'Antoine; mais, en<br />

regardant à travers <strong>le</strong>s fentes <strong>de</strong>s portes et ne voyant<br />

rien, <strong>le</strong>s spectateurs, saisis d'épouvante, ne doutaient<br />

plus <strong>de</strong> la présence <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s... ils appelaient alors<br />

Antoine, qui <strong>le</strong>s rassurait, <strong>le</strong>ur disant <strong>de</strong> ne point<br />

craindre...<br />

La relation <strong>de</strong> l'obsession dont on vient <strong>de</strong> donner<br />

une si faib<strong>le</strong> idée fut écrite par saint Athanase sur la<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> plusieurs solitaires : il <strong>le</strong>ur recomman<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> croire tout ce qu'il rapporte <strong>de</strong> saint Antoine, qu'il a<br />

lui-môme vu très-souvent; il dit avoir appris aussi<br />

beaucoup <strong>de</strong> choses d'un solitaire qui a <strong>de</strong>meuré longtemps<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong> saint abbé. Non-seu<strong>le</strong>ment tout ce qu'il<br />

en cite est vrai; mais, loin <strong>de</strong> pouvoir raconter ses actions,<br />

il se hâte, ajoutc-t-il, d'écrire, parce que <strong>le</strong><br />

temps <strong>de</strong> la navigation passe; si quelqu'un raconte<br />

plus <strong>de</strong> merveil<strong>le</strong>s que lui, <strong>le</strong>ur multitu<strong>de</strong> ne doit rien<br />

ôter à la foi qu'el<strong>le</strong>s méritent, etc. — A ceux qui


AVEC LE DÉMON. SU<br />

soupçonneraient que saint Antoine était un pauvre<br />

halluciné, une sorte d'insensé,-on ferait observer qu'il<br />

sortit <strong>de</strong> sa retraite pour combattre <strong>le</strong>s Ariens, que <strong>le</strong>s<br />

païens accouraient pour <strong>le</strong> toucher, <strong>le</strong>s philosophes<br />

païens lo visitaient; enfin l'empereur et ses enfants<br />

lui écrivaient comme à <strong>le</strong>ur père. Quant à saint Athanase,<br />

l'un <strong>de</strong>s quatre grands docteurs <strong>de</strong> l'Église<br />

grecque, <strong>le</strong> respect qui l'entoure ne permet pas même<br />

d'é<strong>le</strong>ver un doute sur ce qu'il a écrit concernant saint<br />

Antoine. On ne saurait donc rejeter <strong>le</strong>s faits, il reste<br />

à <strong>le</strong>s expliquer.<br />

Cette obsession, qu'on aurait dû citer précé<strong>de</strong>mment,<br />

est une preuve manifeste <strong>de</strong> la puissance attribuée<br />

au <strong>démon</strong> par l'Église : coups frappés, voix entendues,<br />

pouvoir <strong>de</strong> renverser <strong>le</strong>s édifices, <strong>de</strong> faire<br />

<strong>de</strong>s b<strong>le</strong>ssures, <strong>de</strong> se montrer aux regards sous <strong>le</strong>s<br />

formes <strong>le</strong>s plus effroyab<strong>le</strong>s ou parfois <strong>le</strong>s plus gracieuses,<br />

etc. — <strong>Le</strong>s faits d'obsession furent très-nombreux<br />

au moyen âge ; nous <strong>le</strong>s retrouverons après lui.<br />

Possession.<br />

La possession est <strong>le</strong> complément <strong>de</strong>s attaques diaboliques<br />

: dans <strong>le</strong>s infestations, si <strong>le</strong> <strong>démon</strong> fait entendre<br />

<strong>de</strong>s bruits, s'il apparaît, là se borne <strong>le</strong> plus souventsespersécutions;<br />

dans l'obsession, il fait davantage,<br />

il attaque <strong>le</strong>s personnes, il <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>sse, <strong>le</strong>ur cause mil<strong>le</strong><br />

maux; mais, dans la possession, il s'empare <strong>de</strong> l'organisme<br />

du possédé, il <strong>le</strong> soulève, l'emporte, <strong>le</strong> soutient<br />

en l'air, <strong>le</strong> lance au loin, <strong>le</strong> contraint <strong>de</strong> faire, <strong>le</strong> force<br />

<strong>de</strong> s'abstenir, dispose <strong>de</strong> ses membres, <strong>de</strong> sa langue et<br />

même <strong>de</strong> son cerveau, car il y imprime ce qu'il veut;<br />

mais directement il ne peut rien sur l'âme; <strong>le</strong>s vies<br />

<strong>de</strong>s saints fourniraient <strong>de</strong> nombreux exemp<strong>le</strong>s <strong>de</strong> pos-


312 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

session. — Y voyait-on constamment <strong>le</strong>s signes caractéristiques<br />

exigés aujourd'hui par <strong>le</strong>s rituels? — 1° Ces<br />

signes, <strong>de</strong>venus nécessaires dans <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers temps,<br />

ne l'étaient point pour <strong>de</strong> saints personnages: outre <strong>le</strong><br />

pouvoir <strong>de</strong> guérir miracu<strong>le</strong>usement <strong>le</strong>s maladies, ils<br />

avaient celui d'en discerner <strong>le</strong>s causes; certaines affections<br />

qui nous semb<strong>le</strong>nt aujourd'hui naturel<strong>le</strong>s, Dieu<br />

<strong>le</strong>ur en révélait la cause diabolique. 2° On n'a pas<br />

jugé toujours à propos <strong>de</strong> transmettre <strong>le</strong>s phénomènes<br />

bien connus <strong>de</strong>s possessions si nombreuses dans ce<br />

temps-là. On se bornait à relater que tel saint avait<br />

délivré tel nombre <strong>de</strong> possédés. En se reportant<br />

môme aux premiers sièc<strong>le</strong>s, quelques relations, pourtant,<br />

q'uoiquc fort succinctes, présentaient déjà <strong>le</strong>s<br />

signes surnaturels, ce qui porte à penser qu'ils se<br />

manifestaient souvent. Quelques faits, avant <strong>le</strong> cinquième<br />

sièc<strong>le</strong>, nous montrent l'existence <strong>de</strong> ces signes.<br />

Saint Jérôme, dans la Vie <strong>de</strong> saint Hilarion, dit que<br />

l'un <strong>de</strong>s premiers citoyens <strong>de</strong> la vil<strong>le</strong> d'Ayla, nommé<br />

Orion, étant possédé par une légion <strong>de</strong> <strong>démon</strong>s, fut<br />

amené chargé <strong>de</strong> chaînes auprès <strong>de</strong> saint Hilarion,<br />

qui se promenait alors <strong>avec</strong> ses frères; dès qu'Orion<br />

l'aperçoit, il se jette sur <strong>le</strong> saint homme et <strong>le</strong> soulève<br />

très-haut en l'air. Tous <strong>le</strong>s assistants poussent <strong>le</strong>s hauts<br />

cris, tant ils craignent que ce corps exténué par <strong>le</strong>s<br />

jeûnes ne soit brisé. Mais <strong>le</strong> saint <strong>le</strong>ur dit en souriant :<br />

« Laissez-<strong>le</strong> faire... » 11 met une main sur <strong>le</strong>s cheveux<br />

d'Orion, <strong>de</strong> l'autre serre ses <strong>de</strong>ux mains en répétant<br />

<strong>de</strong>ux fois ces paro<strong>le</strong>s adressées aux <strong>démon</strong>s : « Soyez<br />

tourmenté*. » Orion pousse alors <strong>de</strong> grands cris, <strong>le</strong><br />

<strong>de</strong>rrière.<strong>de</strong> sa tôte se renverse et touche la terre; il<br />

p<strong>le</strong>ure, il supplie Jésus-Christ <strong>de</strong> <strong>le</strong> délivrer <strong>de</strong> sa misère;<br />

puis on entend, dit saint Jérôme, sortir <strong>de</strong> la<br />

bouche d'un seul homme différentes voix et <strong>le</strong>s cris


AVEC LE DÉMON. 313<br />

confus d'une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> peup<strong>le</strong> : et il fut aussitôt dé<br />

livré.<br />

Un jeune officier <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Constance étant possédé<br />

obtient <strong>de</strong> l'empereur la permission <strong>de</strong> se rendre<br />

auprès <strong>de</strong> saint Hilarion ; comme il était accompagné<br />

d'une gran<strong>de</strong> suite, saint Hilarion, la renvoyant, ne<br />

garda <strong>avec</strong> <strong>le</strong> possédé que <strong>le</strong>s officiers <strong>de</strong> celui-ci et<br />

ses serviteurs; il lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d'abord quel est <strong>le</strong> motif<br />

<strong>de</strong> sa venue, quoiqu'il <strong>le</strong> connût fort bien; à peine<br />

eut-il commencé d'interroger l'officier <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>s que<br />

celui-ci s'élève en l'air, touchant à peine la terre et<br />

rugissant d'une manière effroyab<strong>le</strong>. Ne connaissant que<br />

la langue <strong>de</strong> son pays, il répondait pourtant en un syriaque<br />

si pur, dit saint Jérôme, qu'il n'y manquait ni<br />

<strong>le</strong> siff<strong>le</strong>ment, ni l'aspiration, ni aucune marque <strong>de</strong><br />

l'idiome... <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> ayant confessé comment il était<br />

entré, saint Hilarion l'interrogea en grec pour se<br />

faire entendre <strong>de</strong>s truchements... <strong>le</strong> <strong>démon</strong> alléguant<br />

pour ses excuses qu'il avait été contraint par <strong>de</strong>s<br />

charmes... « Peu m'importe comment tu es entré, lui<br />

répliqua Hilarion, je t'adjure <strong>de</strong> sortir; et <strong>de</strong> suite<br />

l'officier fut délivré.»<br />

Voici un troisième fait cité dans la même Vie, mais où<br />

<strong>le</strong>s signes surnaturels font défaut. « Un possédé, nommé<br />

Marsitas, brisait ses chaînes et b<strong>le</strong>ssait tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>,<br />

comme un taureau furieux; à peine à force d'hommes<br />

et <strong>de</strong> bras avait-on pu <strong>le</strong> tenir enchaîné. Conduit auprès<br />

<strong>de</strong> saint Hilarion, <strong>le</strong>s frères du monastère sont<br />

épouvantés à la vue <strong>de</strong> ce furieux qu'une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> gens<br />

contenaient à peine. Néanmoins saint Hilarion comman<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong> délier. — Baisse la tête, lui dit-il, et<br />

viens ici : <strong>le</strong> possédé obéit en tremblant. <strong>Le</strong> saint ayant<br />

ensuite exorcisé <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, renvoya, dit saint Jérôme,<br />

cet homme parfaitement guéri. »— Ce qui se manifeste<br />

i. 33


514 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

ici n'offre rien <strong>de</strong> surnaturel au premier aperçu; on est<br />

surpris seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> l'empire exercé par un vieux solitaire<br />

sur un fou furieux, et d'une guérison aussi subite;<br />

mais si <strong>le</strong> même personnage déclare cet état causé par<br />

l'action du <strong>démon</strong>, il est assez naturel <strong>de</strong> penser que<br />

la même puissance qui lui a permis <strong>de</strong> chasser la maladie<br />

a pu lui en révé<strong>le</strong>r la cause.<br />

Était-ce l'effet <strong>de</strong> l'imagination? — Saint Jérôme dit<br />

qu'on amenait tous <strong>le</strong>s jours au saint <strong>de</strong>s animaux furieux<br />

dont <strong>le</strong> <strong>démon</strong> s'était emparé. Un jour on lui<br />

amena un énorme chameau, qui avait tué plusieurs<br />

personnes ; plus <strong>de</strong> trente hommes <strong>le</strong> traînaient <strong>avec</strong><br />

<strong>de</strong> grosses cor<strong>de</strong>s, ses yeux étaient sanguino<strong>le</strong>nts, sa<br />

bouchc-écumante, sa langue enflée et dans un mouvement<br />

perpétuel, ses effroyab<strong>le</strong>s rugissements remplissaient<br />

l'air d'un bruit étrange et sinistre... Hilarion<br />

ordonne <strong>de</strong> <strong>le</strong> délier; ceux qui l'avaient amené s'y refusent,<br />

un seul ose obéir; Hilarion s'avance, et dit en<br />

syriaque au <strong>démon</strong> : « Que tu sois dans un renard ou<br />

dans un chameau, tu es toujours <strong>le</strong> môme; tu ne m'effrayes<br />

pas. » <strong>Le</strong> saint, tenant la main étendue, reste<br />

ferme, et cette bête qui arrivait furieuse, comme si<br />

el<strong>le</strong> eût voulu <strong>le</strong> dévorer, tomba aussitôt la tête baissée<br />

contre terre, et chacun s'étonna <strong>de</strong> voir la gran<strong>de</strong> furie<br />

<strong>de</strong> cet animal changée en une si gran<strong>de</strong> douceur...<br />

— <strong>Le</strong> saint apprit à ceux qui l'entouraient que <strong>le</strong><br />

diab<strong>le</strong>, par haine pour <strong>l'homme</strong>, s'empare aussi <strong>de</strong>s<br />

animaux, etc.. (S. Hieron., Vila S. Ililarionis.)<br />

Ces maladies étaient-el<strong>le</strong>s menta<strong>le</strong>s? L'imagination<br />

a-t-el<strong>le</strong> pu <strong>le</strong>s guérir subitement? pouvaient-el<strong>le</strong>s faire<br />

par<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s langues inconnues? l'imagination d'un chameau,<br />

frappée par <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s d'un vieux moine, a-t-cllc<br />

pu <strong>le</strong> guérir <strong>de</strong> sa rage ? — 11 semb<strong>le</strong>ra plus aisé<br />

au <strong>le</strong>cteur <strong>de</strong> nier tout cela que <strong>de</strong> l'expliquer physi-


AVEC LE DÉMON. 315<br />

quement; mais l'un et l'autre nous semb<strong>le</strong> fort diffici<strong>le</strong>.<br />

On trouvera peut-être étrange que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> possè<strong>de</strong> un<br />

chameau...; mais, d'après ce qui a été dit précé<strong>de</strong>mment,<br />

<strong>le</strong>s esprits pouvaient s'emparer <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, <strong>de</strong>s<br />

animaux, <strong>de</strong>s statues, <strong>de</strong> la matière inerte, etc. <strong>Le</strong>s<br />

Gentils, loin d'en être surpris, en étaient convaincus;<br />

aujourd'hui <strong>le</strong>s magnétistcs, <strong>le</strong>s médium et <strong>le</strong>urs témoins,<br />

logiquement, pourraient-ils nier ces faits?<br />

<strong>Le</strong> même saint Jérôme (Epitaph. Puulœ ad Euslochhtm,<br />

13) dit qu'à Samarie, auprès <strong>de</strong>s tombeaux <strong>de</strong>s<br />

prophètes, et <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> saint Jean-Baptiste, Paulc<br />

frémissait d'horreur en entendant <strong>le</strong>s rugissements<br />

<strong>de</strong>s, <strong>démon</strong>s ; <strong>le</strong>s possédés, dit-el<strong>le</strong>, hurlaient, <strong>le</strong>s uns<br />

comme <strong>de</strong>s loups, aboyaient comme <strong>de</strong>s chiens, sifflaient<br />

comme <strong>de</strong>s serpents, mugissaient comme <strong>de</strong>s<br />

taureaux..., d'autres faisaient pirouetter <strong>le</strong>ur tête qui<br />

se renversait sur <strong>le</strong>s talons jusqu'à toucher la terre...;<br />

el<strong>le</strong> y vit enfin <strong>de</strong>s femmes soutenues en l'air, la tête<br />

en bas, et qui cependant restaient couvertes... — Saint<br />

Hilaire proclame <strong>le</strong>s mêmes prodiges; <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s mugissent,<br />

<strong>le</strong>s mala<strong>de</strong>s sont guéris, on voit <strong>avec</strong> admiration,<br />

dit-il, <strong>le</strong>s corps s'é<strong>le</strong>ver d'eux-mêmes en l'air,<br />

et <strong>le</strong>s femmes suspendues par <strong>le</strong>s pieds, sans que <strong>le</strong>urs<br />

vêtements retombent sur <strong>le</strong>ur tête '. (S. Hilar., Contr.<br />

Constant., n. 8.)<br />

Saint Paulin, au cinquième sièc<strong>le</strong>, parlant <strong>de</strong>s énergumènes<br />

délivrés par saint Félix, dit aussi : « On <strong>le</strong>s<br />

voyait s'é<strong>le</strong>ver brusquement en l'air et y <strong>de</strong>meurer suspendus<br />

<strong>le</strong>s pieds en haut, sans tenir à quoi que ce<br />

fût, et pourtant <strong>le</strong>urs habits <strong>de</strong>meuraient comme collés<br />

au corps. (S. Paulin, ln Natal. VII. S. Fel.)<br />

l. Dom Coustant, l'éditeur <strong>de</strong> saint Hilaire, ajoute ici : « Ilujusmodi<br />

portentum nostra n-tatc vidit lothannyia, uti fl<strong>de</strong>m faciunt Cornmentaria<br />

Marchioiris <strong>de</strong> Bcauvau gallice scripta, p. 0. »


alO DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Sulpice Sévère (Dialog. III <strong>de</strong> Virtut. B. Mart.)<br />

rapporte <strong>le</strong>s mômes merveil<strong>le</strong>s : « <strong>Le</strong> monastère (<strong>de</strong><br />

Marmoutier) était, dit-il, à <strong>de</strong>ux mil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Tours; dès<br />

que Martin mettait <strong>le</strong> pied hors <strong>de</strong> sa cellu<strong>le</strong> pour se<br />

rendre à l'église, on voyait <strong>le</strong>s énergumènes rugir et<br />

tremb<strong>le</strong>r, <strong>le</strong>s c<strong>le</strong>rcs étaient ainsi avertis chaque fois <strong>de</strong><br />

l'arrivée <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur évêque par <strong>le</strong>s gémissements <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s...<br />

— J'ai vu, ajoute <strong>le</strong> saint et savant discip<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

l'évoque <strong>de</strong> Tours, à l'arrivée <strong>de</strong> Martin, un énergumène<br />

é<strong>le</strong>vé en l'air, y rester suspendu, <strong>le</strong>s mains étendues,<br />

<strong>de</strong> sorte que ses pieds ne touchaient pas <strong>le</strong> sol.»<br />

(Vidi quemdum adpropiante Martino in acre raptum,<br />

manibus exteims in sublime suspendis itt nequaquum solum<br />

pedibvs -atlingeret.)<br />

Sulpice Sévère, après avoir cité d'autres prodiges, dit<br />

que pour prouver ce qu'il vient <strong>de</strong> dire, il n'apportera<br />

pas <strong>le</strong> témoignage d'un seul homme, mais <strong>de</strong> plusieurs<br />

milliers. (Ad hœcprobanda... non itniim ego hominem,<br />

sed mu/tu milliu producam. Ib.)<br />

« Lorsque Martin exorcisait, poursuit <strong>le</strong> même historien,<br />

il ne touchait personne, ne faisait pas <strong>de</strong> longs<br />

discours, comme plusieurs c<strong>le</strong>rcs qui emploient un<br />

tourbillon <strong>de</strong> paro<strong>le</strong>s; ayant fait approcher <strong>le</strong>s énergumènes<br />

et fait éloigner <strong>le</strong>s assistants, il ordonnait <strong>de</strong><br />

fermer <strong>le</strong>s portes <strong>de</strong> l'église ; puis, revêtu <strong>de</strong> son cilicc<br />

et couvert <strong>de</strong> cendre, il se prosternait à terre et priait;<br />

alors vous eussiez vu ces malheureux souffrir différemment<br />

lors <strong>de</strong> l'expulsion; <strong>le</strong>s uns, ayant <strong>le</strong>s pieds en<br />

l'air, étaient comme suspendus, <strong>le</strong>urs vêtements cependant<br />

ne retombaient point sur <strong>le</strong>ur figure, <strong>de</strong> peur<br />

que <strong>le</strong>ur nudité ne b<strong>le</strong>ssât la pu<strong>de</strong>ur 1<br />

; d'autres, tour-<br />

l. Tum vero ccrncrcs niiscros diverse exilu perurgeri, hos sulilalis<br />

in sublime yedibus quasi <strong>de</strong> nubc pen<strong>de</strong>rc, nec lumen vestes <strong>de</strong>iliiere<br />

super facicin, ne faeercl v«recundiain nudata pars c-orporiun.


AVEC LE DÉMON. 517<br />

mentes sans être interrogés, avouaient <strong>le</strong>urs crimes;<br />

<strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s déclaraient <strong>le</strong>urs noms, celui-ci disant<br />

qu'il était Jupiter, cet autre qu'il était Mercure ; enfin<br />

vous eussiez vu tous <strong>le</strong>s satellites du diab<strong>le</strong> souffrir<br />

<strong>avec</strong> lui. » (là.)<br />

<strong>Le</strong> moine Stagirius étant possédé, saint Chrysostôme<br />

lui écrivit une <strong>le</strong>ttre pour <strong>le</strong> conso<strong>le</strong>r... « Il n'était<br />

pas présent, il en remercie <strong>le</strong> Seigneur; mais on<br />

lui a raconté si exactement cet événement qu'il en<br />

connaît tous <strong>le</strong>s détails. Théophi<strong>le</strong> d'Éphèse, <strong>le</strong>ur ami<br />

commun, désespéré, vint <strong>le</strong> voir et lui raconta dans<br />

quel misérab<strong>le</strong> état on avait trouvé <strong>le</strong> pauvre moine;<br />

il lui parla du spectre horrib<strong>le</strong> qui, sous la forme d'un<br />

pourceau couvert <strong>de</strong> boue, s'élançait sur Stagirius et<br />

luttait <strong>avec</strong> lui. »<br />

Saint Chrysostôme, dans sa longue <strong>le</strong>ttre, ne décrit<br />

aucun <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> la possession, c'eut été inuti<strong>le</strong>...<br />

il se borne à témoigner à Stagirius la part qu'il prend<br />

à son malheur, lui recomman<strong>de</strong> la résignation, lui<br />

dit que c'est une épreuve. Ne sommes-nous pas cause<br />

<strong>de</strong>s maux qui nous arrivent? lui dit saint Chrysostôme.<br />

Ne nous plaignons point <strong>de</strong> Dieu qui a plusieurs<br />

voies pour nous conduire au but... Il lui par<strong>le</strong><br />

enfin <strong>de</strong> plusieurs personnes qui, ayant subi la même<br />

affliction, ont été promptement délivrées; — il ne cite<br />

qu'un seul signe, c'est celui d'être renversé... —«Vous<br />

avez honte quand on vous renverse, y a-t-il <strong>de</strong> la honte<br />

à tomber quand on vous terrasse, etc.?»—Malgré la<br />

brièveté <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> possessions, à cette époque,<br />

on voit déjà qu'il ne s'agit point d'une maladie ni d'une<br />

guérison ordinaires, tout y est surhumain.<br />

<strong>Le</strong>s possessions furent très-fréquentes au moyen âge ;<br />

tantôt c'est une épreuve, ou un châtiment, ou l'effet<br />

d'un sortilège. Au neuvième sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong> fils <strong>de</strong> Louis <strong>le</strong>


DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Bègue fut possédé, six hommes pouvaient à peine <strong>le</strong><br />

tenir; il fut guéri par <strong>le</strong>s oxorcismes. — On a vu dans<br />

l'antiquité <strong>le</strong>s profanateurs <strong>de</strong>s temp<strong>le</strong>s punis surnaturcl<strong>le</strong>mcnt.<br />

Grégoire <strong>de</strong> Tours rapporte que <strong>le</strong>s soldats<br />

<strong>de</strong> Thoodorio, ayant commis <strong>de</strong>s abominations dans la<br />

basilique <strong>de</strong> Saint-Julien en Auvergne, ils furent tous<br />

possédés du <strong>démon</strong>.<br />

Combien <strong>de</strong> volumes il faudrait écrire pour rapporter<br />

<strong>le</strong>s possessions du moyen âge dût-on se borner à<br />

compulser <strong>le</strong>s chroniques <strong>de</strong>s onzième, douzième et<br />

treizième sièc<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s Vies <strong>de</strong>s saints, <strong>le</strong>s écrits <strong>de</strong><br />

Pierre Damicn, <strong>de</strong> Pierre <strong>le</strong> Vénérab<strong>le</strong>, <strong>de</strong> saint Bernard,<br />

<strong>de</strong> saint Odilon, <strong>de</strong> saint Odon, etc., hommes<br />

graves qu'on doit être d'autant moins disposé à accuser<br />

<strong>de</strong> mensonge ' ou d'exagération que <strong>le</strong>s mômes<br />

faits se présenteront dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s mo<strong>de</strong>rnes; mais<br />

combien <strong>de</strong> possessions ignorées ! combien <strong>de</strong> faits,<br />

attestés et néanmoins niés <strong>avec</strong> mépris... — Pierre <strong>le</strong><br />

Vénérab<strong>le</strong>, Abbé <strong>de</strong> Cluny, a écrit l'aventure épouvantab<strong>le</strong><br />

d'un comte <strong>de</strong> Mâcon dont <strong>le</strong> châtiment fut<br />

aussi public que l'avaient été ses crimes. Un jour, dans<br />

son palais 2<br />

, entoure <strong>de</strong> ses gar<strong>de</strong>s, <strong>le</strong> <strong>démon</strong> <strong>le</strong> contraint<br />

<strong>de</strong> sortir et <strong>de</strong> monter à cheval. A peine eut-il obéi à<br />

ces injonctions, que cheval et cavalier furent en<strong>le</strong>vés<br />

en l'air. On entendit <strong>le</strong> comte crier jusqu'à ce qu'il eût<br />

disparu. (De miraciilis, II, 1.) — <strong>Le</strong> moyen âge cite <strong>de</strong><br />

ces faits prodigieux <strong>de</strong> gens emportés par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>,<br />

que oneques on ne revit; on est néanmoins disposé à <strong>le</strong>s<br />

nier, malgré l'accent <strong>de</strong> profon<strong>de</strong> conviction <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

pieux auteurs. Nous verrons encore <strong>de</strong>s faits analogues<br />

1. On prouvera ail<strong>le</strong>urs qu'on ne peut supposer <strong>le</strong> mensonge dans<br />

<strong>de</strong>s hommes qui auraient mieux aimé mourir que <strong>de</strong> mentir.<br />

2. « Cum eum... multitwlo tam militum qnam rlivcrsi ordinis circumsturet.<br />

»


AVEC LE DÉMON. 519<br />

après la renaissance. — Quel<strong>le</strong> crédulité! dira-t-on;<br />

— mais comment oser nier, répondrons-nous, que <strong>le</strong><br />

diab<strong>le</strong> puisse emporter <strong>le</strong> comte <strong>de</strong> Mâcon, lorsqu'on<br />

voyait <strong>le</strong>s possédés soutenus en l'air? Jésus-Christ<br />

porté par <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> pinac<strong>le</strong> du temp<strong>le</strong>, et <strong>le</strong>s sorciers<br />

traverser <strong>le</strong>s airs comme une troupe <strong>de</strong> corbeaux.<br />

On a vu, dans <strong>le</strong> premier sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s possédés être, <strong>le</strong><br />

plus ordinairement, délivrés par une simp<strong>le</strong> paro<strong>le</strong>;<br />

dans <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> saint Bernard et même du temps <strong>de</strong><br />

saint Jean Chrysos<strong>tome</strong>, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s sont déjà plus rétifs.—<br />

On en a énoncé la cause, — c'est l'incrédulité<br />

<strong>de</strong>s assistants : voilà sans doute aussi pourquoi saint<br />

Jean Chrysos<strong>tome</strong> et saint Bernard exhortaient <strong>le</strong><br />

peup<strong>le</strong> à prier <strong>avec</strong> eux pour <strong>le</strong> possédé, c'était pour<br />

n'être point trompés par Satan.<br />

On amène un jour à saint Bernard une femme <strong>de</strong><br />

condition, fort âgée et <strong>de</strong>puis longtemps possédée du<br />

<strong>démon</strong> : à peine pouvait-el<strong>le</strong> respirer. Privée <strong>de</strong> la vue,<br />

<strong>de</strong> l'ouïe et <strong>de</strong> la paro<strong>le</strong>, agitée <strong>de</strong> convulsions vio<strong>le</strong>ntes,<br />

el<strong>le</strong> tirait si affreusement la langue, que cet organe ressemblait<br />

à la trompe d'un éléphant (momtnnri, non<br />

femina vi<strong>de</strong>retur). Saint Bernard exhorta <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> à<br />

prier <strong>avec</strong> ferveur, ce qu'il fit lui-même dans <strong>le</strong> saint<br />

sacrifice qu'il offrit ensuite. Après l'Oraison dominica<strong>le</strong>,<br />

il pressa plus vivement l'ennemi. Mettant <strong>le</strong> sacré corps<br />

sur la patène, il <strong>le</strong> tint sur la tète <strong>de</strong> cette femme, en<br />

prononçant ces paro<strong>le</strong>s : Esprit malin, voici ton Juge,<br />

voici celui qui a une puissance souveraine..., voici... celui<br />

qui a dit : <strong>Le</strong> temps est venu où <strong>le</strong> prince <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> sera<br />

chassé <strong>de</strong> son empire... C'est par la puissance terrib<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

cette majesté que je te comman<strong>de</strong>... <strong>de</strong> sortir... du corps<br />

:1e sa servante... <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> torture alors cel<strong>le</strong>-ci d'autant<br />

plus cruel<strong>le</strong>ment qu'il est plus pressé <strong>de</strong> la quitter...<br />

Saint Bernard, étant remonté à l'autel, achève la frac-


520 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

tion <strong>de</strong> l'hostie, donne la paix au diacre, qui la communique<br />

au peup<strong>le</strong>, et à l'instant même, la possédée<br />

fut guérie. (S. Bern.Vita, auct. Ernaldo, III, 13-14.)<br />

Il reste taut <strong>de</strong> faits merveil<strong>le</strong>ux et surtout horrib<strong>le</strong>s<br />

à citer dans l'époque suivante, que l'on pense que ce<br />

qu'on vient <strong>de</strong> lire suffit pour établir <strong>le</strong>ur filiation;<br />

on va donc passer aux hérésies pendant <strong>le</strong> moyen âge.


A'VEC LE DÉMON. 321<br />

CHAPITRE III<br />

Introduction <strong>de</strong>s doctrines païennes aux douzième et treizième sièc<strong>le</strong>s. — On<br />

veut déjà réformer. — Hérésies. — <strong>Le</strong>s Templiers. — Francs-maçons. —<br />

Albigeois. — <strong>Le</strong>s faits magiques mieux connus seront moins niés. — Ten­<br />

dance <strong>de</strong> retour aux doctrines <strong>de</strong> l'antiquité païenne. — Roger Bacon et<br />

autres adoptent <strong>le</strong>s systèmes matérialistes.<br />

Introduction <strong>de</strong>s doctrines païennes aux douzième et treizième sièc<strong>le</strong>s.<br />

On veut déjà réformer. — Hérésies. ><br />

<strong>Le</strong>s <strong>rapports</strong> qui s'établirent entre <strong>le</strong>s Orientaux et<br />

<strong>le</strong>s Occi<strong>de</strong>ntaux répandirent chez ceux-ci <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s<br />

superstitions païennes, rajeunies, comme on l'a dit,<br />

dans <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s doctrines hérétiques et philosophiques.<br />

<strong>Le</strong>s Manichéens, formant une infinité <strong>de</strong> sectes,<br />

sévèrement punis par <strong>le</strong>s empereurs <strong>de</strong>venus chrétiens,<br />

se propagèrent dans <strong>le</strong>s ténèbres. On ne <strong>le</strong>s suivra<br />

point dans toutes <strong>le</strong>s péripéties <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur existence : ils<br />

s'accordaient pour rejeter <strong>le</strong>s sacrements, <strong>le</strong> culte <strong>de</strong><br />

la Vierge, <strong>de</strong>s saints, celui <strong>de</strong> la croix et <strong>de</strong>s images.<br />

Malgré <strong>le</strong>s variations établies par chaque chef <strong>de</strong> secte,<br />

on retrouvait chez tous <strong>le</strong>s Manichéens <strong>le</strong> dieu bon et<br />

<strong>le</strong> dieu mauvais, la caba<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s superstitions magiques;<br />

chez tous enfin l'esprit <strong>de</strong> révolte politique et religieuse.<br />

Déguisant adroitement <strong>le</strong>ur doctrine, ils se posaient<br />

en vrais chrétiens, et citaient hypocritement à<br />

tout propos <strong>le</strong>s vérités <strong>de</strong> la sainte Écriture ; tantôt,<br />

• s'alliant <strong>avec</strong> d'autres hérétiques, ils se transformaient


822 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

en une nouvel<strong>le</strong> secte; tantôt, se disputant entre<br />

eux, ils s'attaquaient <strong>avec</strong> acharnement et se séparaient...<br />

Ainsi, au septième sièc<strong>le</strong>, ils <strong>de</strong>viennent Pauliciens;<br />

au neuvième, divisés en sectes ennemies, ils se font<br />

entre eux une guerre sanglante... <strong>Le</strong>ur aversion pour<br />

la croix et <strong>le</strong> culte <strong>de</strong>s images <strong>le</strong>ur ayant concilié l'affection<br />

<strong>de</strong>s Sarrasins, ils se liguent <strong>avec</strong> eux contre <strong>le</strong>s<br />

empereurs ; ayant été défaits, plusieurs se réfugient en<br />

Bulgarie, où on <strong>le</strong>s connaît sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Bulgares.<br />

Cette hérésie ayant fait <strong>de</strong>s progrès dans <strong>le</strong> diocèse<br />

d'Albi, on <strong>le</strong>s nomma Albigeois. Au douzième et au<br />

treizième sièc<strong>le</strong>, ils sont aussi connus sous <strong>le</strong> nom<br />

d'J/enriciens, <strong>de</strong> Cathares, etc., et feront un jour<br />

germer en Al<strong>le</strong>magne l'hérésie <strong>de</strong>s Hussites, etc. —<br />

<strong>Le</strong>s Manichéens et <strong>le</strong>s Gnostiqucs, s'étant associés secrètement,<br />

perpétuèrent dans l'ombre <strong>le</strong> principe <strong>de</strong><br />

révolte et <strong>de</strong> sédition qui força d'établir l'inquisition,<br />

consentie par <strong>le</strong>s souverains et requise môme par eux;<br />

car l'invasion manichéenne s'efforçait <strong>de</strong> perpétuer<br />

parmi ses a<strong>de</strong>ptes non-seu<strong>le</strong>ment la volonté d'anéantir<br />

<strong>le</strong> catholicisme, mais <strong>de</strong> renverser <strong>le</strong>s rois, d'établir<br />

<strong>le</strong> règne <strong>de</strong> la liberté, <strong>de</strong> constituer une république<br />

universel<strong>le</strong> et la gran<strong>de</strong> fraternité religieuse, ou mieux<br />

l'indifférence pour tous <strong>le</strong>s cultes. <strong>Le</strong> manichéisme,<br />

allié au gnosticisme, corrompit <strong>le</strong>s Templiers et enfanta,<br />

dit-on, <strong>le</strong>s ancêtres <strong>de</strong>s francs-maçons. — Faisons un<br />

bref exposé <strong>de</strong>s hérésies, <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs pratiques et <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

doctrines.<br />

Au cinquième sièc<strong>le</strong>, selon saint Augustin (De<br />

h turcs.), <strong>le</strong>s Gnostiques étaient si décriés, qu'on réunissait<br />

ces divers hérétiques sous la même dénomination,<br />

horhorites, c'est-à-dire sa<strong>le</strong>s, à cause <strong>de</strong>s abominations<br />

pratiquées dans <strong>le</strong>urs mystères. 11 dit (Jb.)


AVE0 LE DÉMON.<br />

que <strong>le</strong>s Montanistes tiraient, comme on l'a vu, <strong>le</strong><br />

sang d'un enfant par <strong>de</strong>s piqûres, <strong>le</strong> mêlaient <strong>avec</strong> la<br />

cendre : c'était <strong>le</strong>ur eucharistie.—D'après <strong>de</strong>s enquêtes<br />

juridiques faites à Carthage et à Rome, et d'après <strong>le</strong>s<br />

aveux <strong>de</strong> ceux qui y avaient participé, <strong>le</strong>s Manichéens<br />

étaient contraints dans <strong>le</strong>urs assemblées relut eucharistiam<br />

conspersam cum semine humano suntere. (Ih.,<br />

XLVI.)<br />

Comme on l'a dit, <strong>le</strong>s Pauliciens, alliés <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s<br />

Messaliens, formèrent <strong>le</strong>s Bogomi<strong>le</strong>s en Bulgarie :<br />

Pscllus <strong>le</strong>s nomme gnosliques, euchites... Sortis <strong>de</strong> la<br />

Bulgarie, ils arrivèrent avant l'an 1000 en Italie", où<br />

on <strong>le</strong>s nomma Bulgares, du nom du pays qu'ils venaient<br />

<strong>de</strong> quitter. Se disant plus purs que <strong>le</strong>s autres<br />

hommes, ils s'appelèrent catharins, bégards, etc. Us<br />

admettaient trois principes : <strong>le</strong> père, qui règne dans<br />

<strong>le</strong>s régions supérieures, et <strong>de</strong>ux fils issus <strong>de</strong> lui. <strong>Le</strong><br />

plus jeune prési<strong>de</strong> aux choses cé<strong>le</strong>stes; <strong>le</strong> plus ancien,<br />

à notre mon<strong>de</strong>, seniori vero subcœ<strong>le</strong>stia. <strong>Le</strong>s Euchites<br />

adoraient l'un et l'autre ; Y ancien, <strong>de</strong> peur qu'il ne <strong>le</strong>ur<br />

fît du mal, caven/es vi<strong>de</strong>licel ne ma<strong>le</strong>faciat. Ils l'appelaient<br />

<strong>le</strong> premier né, créateur <strong>de</strong>s animaux, <strong>de</strong>s<br />

plantes, etc., mais aussi <strong>le</strong> dangereux, l'ennemi, verô<br />

pestifemm atque hostilém. Psellus fait remarquer cette<br />

doctrine du nombre trois, qui appartient à la fab<strong>le</strong><br />

grecque. « <strong>Le</strong>s Euchites et <strong>le</strong>s Gnostiques, dit-il, font<br />

<strong>de</strong>s sacrifices abominab<strong>le</strong>s aux <strong>démon</strong>s. <strong>Le</strong> soir du jour<br />

<strong>de</strong> la mort du Sauveur, ils se rassemb<strong>le</strong>nt <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s femmes,<br />

et après certaines cérémonies, <strong>le</strong>s lumières étant<br />

éteintes, ils se mê<strong>le</strong>nt ensemb<strong>le</strong>, Je père <strong>avec</strong> la fil<strong>le</strong>,<br />

<strong>le</strong> frère <strong>avec</strong> la sœur, etc Au bout <strong>de</strong> neuf mois, <strong>le</strong>s<br />

enfants nés <strong>de</strong> ces conjonctions sont égorgés ; on emplit<br />

<strong>de</strong>s vases <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur sang. <strong>Le</strong>s corps étant brûlés,<br />

ils mê<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>urs cendres <strong>avec</strong> ce sang et <strong>avec</strong> <strong>le</strong>urs ali-


524 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

ments. On croit que <strong>le</strong> caractère imprimé par <strong>le</strong>s sacrements<br />

se trouve ainsi effacé 1<br />

. — <strong>Le</strong>s Euchites peuvent<br />

ensuite chasser <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s et communiquer <strong>avec</strong> eux<br />

sans crainte. (Psellus, De opérât, dœmon.)<br />

Cette doctrine ayant pénétré en France, y fit <strong>de</strong>s<br />

progrès rapi<strong>de</strong>s; s'étant répandue en diverses provinces,<br />

plusieurs conci<strong>le</strong>s s'assemblèrent pour y porter<br />

remè<strong>de</strong>. Entravés par la guerre <strong>de</strong>s Albigeois, <strong>le</strong>s Euchites<br />

n'en envahirent pas moins l'Occi<strong>de</strong>nt, et au<br />

douzième sièc<strong>le</strong> ils infestaient déjà <strong>le</strong>s bords du Rhin,<br />

l'Ang<strong>le</strong>terre, l'Espagne, la Gascogne, etc.<br />

Au treizième sièc<strong>le</strong>, Bulgares, Albigeois, Cathares,<br />

etc., se subdivisaient en près <strong>de</strong> quatre-vingts<br />

sectes. En 1233, Grégoire IX <strong>le</strong>s signala dans ses<br />

<strong>Le</strong>ttres à quelques évoques d'Al<strong>le</strong>magne comme gens<br />

invoquant <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, qui apparaît dans <strong>le</strong>urs assemblées<br />

sous différentes formes, entre autres cel<strong>le</strong>s du<br />

chat, du crapaud, etc. Ils ont choisi Satan pour <strong>le</strong>ur<br />

maître; il se fait dans <strong>le</strong>urs réunions <strong>de</strong>s infamies,<br />

auxquel<strong>le</strong>s ils se livrent après avoir éteint <strong>le</strong>s lumières.<br />

Chaque année, après avoir communié, au lieu d'ava<strong>le</strong>r<br />

l'hostie, ils la jettent dans <strong>de</strong>s lieux immon<strong>de</strong>s. Us<br />

pensent que Lucifer a été, par ruse, chassé du ciel ;<br />

qu'il doit y retourner, qu'ils y seront heureux <strong>avec</strong><br />

lui 2<br />

, etc.<br />

1. Julien avait fait aussi une cérémonie pour effacer son baptême.<br />

2. « Hujus pestis initia talia perferuntur : nain dum novitius in ea<br />

quisquam recipitur, et perditorum primitus scholas inlrat, apparet ei<br />

spceiesqua^dam rame, quam bufonem consueverunt aliqui nominare:<br />

hanc qui<strong>de</strong>m a posterioribus... osculantes... Ha,>c apparet... quandoque<br />

in modum anseris, vel anatis... <strong>de</strong>nium novitio proce<strong>de</strong>nti occurrit<br />

miri palloris homo, nigerrimos habens oculos... hune novitius<br />

osculatur et sentit frigidum sicut glaciem.... Comp<strong>le</strong>to convivio, per<br />

quamdam slatuain... <strong>de</strong>scendit retrorsum ad modum canis mediocris<br />

gattusuiger retoila cauda, quem a posterioribus primo novitius, post


AVEC LE DÉMON. 525<br />

Au onzième sièc<strong>le</strong> déjà, <strong>le</strong> syno<strong>de</strong> d'Orléans ayant<br />

fait une enquête sur <strong>le</strong>s Manichéens transportés en<br />

Occi<strong>de</strong>nt, déclare qu'ils s'assemb<strong>le</strong>nt par interval<strong>le</strong><br />

dans une maison désignée ; là, un flambeau à la main, ils<br />

parcourent en chantant la liste <strong>de</strong> plusieurs <strong>démon</strong>s,<br />

jusqu'au moment où l'un d'eux <strong>de</strong>scend au milieu <strong>de</strong><br />

l'assemblée, sous la forme d'un petit animal (in simililudinem<br />

cnjnslibet. bestiolœ); alors on éteint <strong>le</strong>s lumières<br />

et chacun copu<strong>le</strong> <strong>avec</strong> la personne qu'il rencontre<br />

, fût-ce sa mère ou sa fil<strong>le</strong>. L'enfant né <strong>de</strong> cet<br />

accoup<strong>le</strong>ment est brûlé, et <strong>le</strong>s cendres sont respectées,<br />

oserons-nous <strong>le</strong> dire, comme <strong>le</strong>s catholiques vénèrent<br />

l'eucharistie, et soigneusement conservées, car la puissance<br />

du <strong>démon</strong> yrési<strong>de</strong>. (D'Achery, Spici<strong>le</strong>g., I, 605).<br />

Toutes ces infamies au fond se ressemb<strong>le</strong>nt.<br />

Au treizième sièc<strong>le</strong> et au commencement du quatorzième,<br />

on pourrait citer l'hérésie <strong>de</strong>s Fratricel<strong>le</strong>s ou<br />

Frérots, espèces <strong>de</strong> franciscains laïcs, qui renouvelèrent<br />

différentes erreurs <strong>de</strong>s Donatistes et <strong>de</strong>s Albigeois. Ne<br />

pouvant exposer ici ni <strong>le</strong>urs pratiques ni <strong>le</strong>ur doctrine,<br />

il suffira <strong>de</strong> dire qu'une fou<strong>le</strong> <strong>de</strong> sectes, sous <strong>le</strong><br />

nom <strong>de</strong> frérots, continuèrent <strong>le</strong>s infamies <strong>de</strong>s Gnostiques<br />

; ils prétendaient que Jésus-Christ et ses apôtres<br />

n'avaient pas manqué <strong>de</strong> femmes, ayant eu <strong>le</strong>urs<br />

propres femmes ou joui <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s autres ; que l'adultère<br />

ni l'inceste n'étaient pas <strong>de</strong>s crimes : <strong>le</strong>s femmes<br />

se rendaient par troupes à <strong>le</strong>urs assemblées, et là, toujours<br />

<strong>le</strong>s lumières éteintes, <strong>le</strong> célébrant, en invoquant<br />

magis<strong>le</strong>r, <strong>de</strong>in<strong>de</strong> singuli per ordineui osculantur. (Raynald. Annal,<br />

ecc<strong>le</strong>s., XIII, p. 447, n. 42 et 43.)<br />

En rapportant toutes ces hi<strong>de</strong>uses cérémonies, on ne peut s'empêcher<br />

<strong>de</strong> faire remarquer combien <strong>le</strong> <strong>démon</strong> se plaît à avilir <strong>l'homme</strong><br />

qui se livre à lui. Il semb<strong>le</strong> qu'il veuil<strong>le</strong> dans cette imaye do Dieu<br />

assouvir la haine qu'il porte au Créateur.


526 DBS RAPPORTS DE L'HOMME<br />

l'esprit, donnait <strong>le</strong> signal <strong>de</strong>s monstruosités signalées<br />

ci-<strong>de</strong>vant. <strong>Le</strong>s enfants, nés <strong>de</strong> ce commerce impur,<br />

étaient jetés <strong>de</strong> main en main par ces hérétiques formant<br />

<strong>le</strong> cerc<strong>le</strong>, jusqu'à ce que ces enfants expirassent.<br />

On <strong>le</strong>s brûlait ensuite, et <strong>le</strong>urs cendres, mêlées <strong>avec</strong><br />

<strong>le</strong> vin, étaient données en breuvage aux a<strong>de</strong>ptes<br />

dans <strong>le</strong>s initiations. <strong>Le</strong>s horreurs que l'on vient <strong>de</strong><br />

signa<strong>le</strong>r chez ces hérétiques se retrouveront au seizième<br />

et au dix-septième sièc<strong>le</strong> <strong>avec</strong> peu <strong>de</strong> modification chez<br />

<strong>le</strong>s sorciers \<br />

<strong>Des</strong> Templiers.<br />

On a prétendu que <strong>le</strong> manichéisme avait corrompu<br />

l'ordre <strong>de</strong>s Templiers ; il faut entrer ici dans quelques<br />

détails nécessaires. — <strong>Le</strong>s Templiers, pauvres dans<br />

l'origine, enrichis par <strong>le</strong>s libéralités <strong>de</strong>s souverains, se<br />

corrompirent, ils <strong>de</strong>vinrent orgueil<strong>le</strong>ux, ennemis <strong>de</strong><br />

l'autorité, voluptueux; ils se lièrent <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s infidè<strong>le</strong>s,<br />

et on <strong>le</strong>s accuse d'avoir alors adopté <strong>le</strong>s erreurs <strong>de</strong>s<br />

Manichéens et <strong>de</strong>s tinostiques, dont <strong>le</strong> but était, comme<br />

on sait, <strong>le</strong> renversement <strong>de</strong> la religion et <strong>de</strong>s gouvernements.<br />

Comme eux, <strong>le</strong>s Templiers juraient, dit-on,<br />

haine au Christ et à la royauté, et professaient comme<br />

eux <strong>le</strong>s principes <strong>de</strong> liberté et d'égalité ; entre autres<br />

accusations, on a prétendu qu'ils reniaient Jésus-Christ,<br />

qu'ils crachaient sur la croix, qu'ils se livraient enfin<br />

1. On a prétendu, dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong> lumière, qu'il fallait attribuer<br />

ces infamies a <strong>de</strong> fol<strong>le</strong>s imaginations. On <strong>de</strong>man<strong>de</strong> comment <strong>de</strong>s<br />

paysans ignorants et grossiers ont pu s'attribuer <strong>le</strong>s turpitu<strong>de</strong>s que<br />

l'on reprochait aux Manichéens <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s précé<strong>de</strong>nts? Comment <strong>de</strong>s<br />

rustres qui habitaient <strong>de</strong>s contrées s.uvvages ont-ils pu connaître dans<br />

toutes <strong>le</strong>urs circonstances <strong>le</strong>s infamies <strong>de</strong>s Cathares, <strong>de</strong>s Albigeois,<br />

<strong>de</strong>s Euchilcs, <strong>de</strong>s Bulgares, etc., à moins qu'ils n'aient fait partie<br />

d'une <strong>de</strong> ces sectes <strong>de</strong> Manichéens ?


AVEC LE DÉMON. S27<br />

entre eux à mil<strong>le</strong>'abominations, pratiquaient la magie,<br />

s'obligeaient à un secret impénétrab<strong>le</strong>, etc. — Serait-ce<br />

une calomnie? — Il est peut-être fâcheux pour ces religieux<br />

qu'ils n'aient guère eu pour apologistes que<br />

<strong>le</strong>s incrédu<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s impies, mais cela est ; et ces <strong>de</strong>rniers<br />

accusent Philippe <strong>le</strong> Bel d'avoir brûlé <strong>le</strong>s Templiers<br />

pour s'emparer <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs biens immenses ; ils possédaient<br />

en effet plus <strong>de</strong> six mil<strong>le</strong> convents ou seigneuries<br />

en 1312, et l'ordre avait été fondé en 1118. — Ne pouvant<br />

faire ici l'histoire <strong>de</strong> ce fameux procès, bornonsnous<br />

à dire qu'après la chute du royaume <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m,<br />

<strong>le</strong>s Templiers répandus dans <strong>le</strong>s divers États <strong>de</strong><br />

l'empire excitèrent <strong>de</strong>s séditions contre Philippe <strong>le</strong> Bel,<br />

qui fit <strong>le</strong>ur procès <strong>de</strong> ooncert <strong>avec</strong> Clément V. Une partie<br />

<strong>de</strong>s crimes dont on <strong>le</strong>s accusait furent avoués par<br />

cent quarante d'entre eux, sans torture; il n'y en eut<br />

que trois qui nièrent. <strong>Le</strong> pape interrogea soixante-douze<br />

accusés à Poitiers ; il était disposé à s'opposer aux poursuites<br />

et avait même écrit au roi; mais, d'après <strong>le</strong>urs<br />

aveux, Clément V consentit à ce que la procédure continuât.<br />

Cinquante-neuf, qu'on brûla, s'obstinèrent à<br />

nier, il est vrai; mais <strong>le</strong>urs dénégations en face <strong>de</strong>s<br />

preuves évi<strong>de</strong>ntes résultant <strong>de</strong>s aveux <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs frères,<br />

du grand nombre do témoins entendus, <strong>de</strong>vaient-el<strong>le</strong>s<br />

être accueillies? Tous <strong>le</strong>s témoins étaient-ils <strong>de</strong>s scélérats<br />

, tous <strong>le</strong>s commissaires nommés à Paris, Baycux,<br />

Rouen, Troyes, Cahors, Carcassonne, Caen, etc., etc.,<br />

étaient-ils <strong>de</strong>s scélérats? Tous <strong>le</strong>s cardinaux, évoques,<br />

inquisiteurs, officiers du roi, magistrats, docteurs,<br />

étaient-ils <strong>de</strong>s hommes vendus à Philippe <strong>le</strong> Bel? Faut-il<br />

en dire autant <strong>de</strong> l'Ang<strong>le</strong>terre, <strong>de</strong> l'Espagne do la Sici<strong>le</strong><br />

cl autres pays? <strong>Le</strong>s incrédu<strong>le</strong>s ont copié Villani,<br />

l'ennemi du pape, homme irrité contre Philippe, et on a<br />

répété partout ce que <strong>le</strong>s incrédu<strong>le</strong>s avaient dit ou écrit.


528 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Ce procès fut l'objet d'un examen sérieux; il dura six<br />

ans. On fut convaincu <strong>de</strong> la culpabilité <strong>de</strong>s Templiers;<br />

<strong>le</strong> roi ne profita point <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs dépouil<strong>le</strong>s, il <strong>de</strong>manda<br />

au Saint-Père que <strong>le</strong>s biens fussent donnés à un autre<br />

ordre militaire. <strong>Le</strong> protestant Mosheim a pu dire que<br />

Clément V était avare et vindicatif, accuser Philippe<br />

d'avidité, <strong>de</strong> rancune contre l'Ordre du Temp<strong>le</strong>, Voltaire<br />

a pu copier <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s assertions, mais il n'était<br />

besoin ni d'avarice ni <strong>de</strong> vengeance : par <strong>le</strong>s témoignages,<br />

comme par <strong>le</strong>urs propres aveux, ils furent convaincus<br />

d'idolâtrie, d'hérésie, <strong>de</strong> pratiques infâmes;<br />

ils avaient <strong>le</strong>urs assemblées secrètes... Jacques Molay<br />

a nié <strong>le</strong>s horreurs qui se passaient dans <strong>le</strong>s réceptions;<br />

ne pouvait-il exister <strong>de</strong>ux réceptions : l'une secrète,<br />

inconnue du grand maître; l'autre publique, selon <strong>le</strong>s<br />

anciens statuts? D'après ce qui a été dit, il n'est pas<br />

surprenant que <strong>le</strong>s Templiers aient eu <strong>de</strong>s x'apports<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s hérétiques répandus en Orient et ail<strong>le</strong>urs,<br />

qu'ils aient été par eux trompés, qu'ils aient cru adopter<br />

un christianisme réformé, qu'ils soient tombés dans<br />

l'hérésie <strong>de</strong>s Gnostiques, <strong>de</strong>s Va<strong>le</strong>ntiniens, <strong>de</strong>s Manichéens,<br />

mélangée <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s antiques erreurs païennes.<br />

L'espace manque pour traiter ce sujet; mais <strong>de</strong>s savants<br />

ont pensé que <strong>le</strong>s Templiers étaient initiés à la<br />

doctrine secrète <strong>de</strong>s sages <strong>de</strong> l'Orient. Hammer montre<br />

l'intime liaison <strong>de</strong>s doctrines hérétiques <strong>avec</strong> la cosmologie<br />

<strong>de</strong>s Persans, la mythologie <strong>de</strong>s Syriens et <strong>de</strong>s<br />

Égyptiens. D'autres rattachent <strong>le</strong>s doctrines <strong>de</strong>s Templiers,<br />

<strong>de</strong>s Rose-croix, <strong>de</strong>s Francs-maçons, <strong>avec</strong> cel<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>s Albigeois, etc., toutes ces sectes voulaient renverser<br />

<strong>le</strong>s gouvernements et la religion. Il paraît hors <strong>de</strong> doute<br />

que <strong>le</strong>s Templiers crachaient sur la croix, se livraient<br />

entre eux à un acte infâme. Jésus-Christ a dit qu'il est<br />

Y ni plia et Voméyn; <strong>le</strong>s Gnostiques et <strong>le</strong>s Manichéens di-


AVEC LE DÉMON. 520<br />

saient aussi que <strong>le</strong>ur maître <strong>le</strong>ur avait enseigné <strong>le</strong> commencement,<br />

<strong>le</strong> milieu et la fin... — <strong>Le</strong>s Templiers se<br />

donnaient un baiser symbolique sur la bouche, sur<br />

l'ombilic et in anu seu spina dorsi, pour représenter<br />

<strong>le</strong> commencement, <strong>le</strong> milieu et la fin. Il est inuti<strong>le</strong><br />

d'exposer <strong>avec</strong> plus <strong>de</strong> détails ces turpitu<strong>de</strong>s ; ce qui<br />

a été dit <strong>de</strong>s hérétiques, ce qu'on dira <strong>de</strong> la secte <strong>de</strong>s<br />

sorciers prouve suffisamment ce dont est capab<strong>le</strong> celui<br />

qui abandonne la bonne voie pour suivre l'erreur.<br />

Orgueil<strong>le</strong>ux, <strong>le</strong>s Templiers refusent l'obéissance aux<br />

patriarches <strong>de</strong> Jérusa<strong>le</strong>m ; ambitieux, ils envahissent<br />

<strong>le</strong>s biens <strong>de</strong> l'Église; impies, ils se lient <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s infidè<strong>le</strong>s<br />

contre <strong>le</strong>s princes chrétiens ; ils exercent enfin<br />

<strong>de</strong>s brigandages contre ceux qu'ils étaient chargés <strong>de</strong><br />

défendre, ils <strong>de</strong>viennent séditieux, corrompus. Ces<br />

faits connus ren<strong>de</strong>nt assez croyab<strong>le</strong>s ceux qu'ils cachaient<br />

1<br />

.<br />

Francs-maçons.<br />

On ne par<strong>le</strong>ra <strong>de</strong>s Francs-maçons, au moyen âge, que<br />

pour citer quelques opinions sur cette association obscure...<br />

— Nicolaï pense qu'el<strong>le</strong> vient <strong>de</strong>s Templiers;<br />

Barruel rattache <strong>le</strong>s doctrines <strong>de</strong>s Templiers et <strong>de</strong>s<br />

Francs-maçons à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s Albigeois. Hammer pense<br />

qu'ils sont plus anciens que <strong>le</strong>s Templiers, que cette<br />

société peut remonter à ces astrologues qu'on a vus<br />

chassés <strong>de</strong> Rome. Il considère comme première loge<br />

dés Francs-maçons cette maison <strong>de</strong> sagesse fondée au<br />

Caire à la fin du onzième sièc<strong>le</strong> ; il montre une gran<strong>de</strong><br />

analogie entre <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s Gnostiques et ceux <strong>de</strong>s<br />

1 Goerres, III e<br />

volume, dit qu'il ne serait pas étonnant qu'ils eussent<br />

ajouté aux vices <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur patrie ceux <strong>de</strong> l'Orient, et que, formant un<br />

ordre dans l'ordre, ils eussent conservé en secret <strong>le</strong>s pratiques <strong>de</strong>s<br />

Manichéens.


530 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Francs-maçons. La croix tronquée, signe du phallus,<br />

<strong>de</strong> la c<strong>le</strong>f <strong>de</strong> science, etc., est <strong>de</strong>venue, dit-il, <strong>le</strong> mail<strong>le</strong>t<br />

<strong>de</strong>s maçons ; <strong>le</strong> serpent, c'est <strong>le</strong> cordon <strong>de</strong>s Templiers<br />

et <strong>de</strong>s maçons : <strong>Le</strong> so<strong>le</strong>il, la lune, étaient adorés chez<br />

<strong>le</strong>s anciens; on retrouve aussi l'étoi<strong>le</strong> symbolique chez<br />

<strong>le</strong>s maçons; la <strong>le</strong>ttre G, inscrite dans ce signe, est<br />

l'initia<strong>le</strong> <strong>de</strong> gnosis, et rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong> gnosticisme <strong>de</strong>s uns<br />

et <strong>de</strong>s autres. On ne continuera pas d'exposer ici <strong>le</strong>s rapprochements<br />

entre <strong>le</strong>s Templiers et <strong>le</strong>s Francs-maçons;<br />

. peut-être ne sont-ils qu'ingénieux; quoiqu'il en soit,<br />

il y a parenfage, comme on <strong>le</strong> verra, entre <strong>le</strong>s hérétiques,<br />

<strong>le</strong>s Templiers et <strong>le</strong>s maçons. Comme <strong>le</strong>s Templiers,<br />

ils ont <strong>le</strong>urs doctrines secrètes, <strong>le</strong>urs symbo<strong>le</strong>s,<br />

qui tirent <strong>le</strong>ur origine <strong>de</strong>s fausses religions <strong>de</strong> l'antiquité;<br />

comme <strong>le</strong>s hérétiques, plusieurs maçons osent, au<br />

dix-neuvième sièc<strong>le</strong>, se dire <strong>le</strong>s vrais discip<strong>le</strong>s du Christ,<br />

dont ils respectent peu <strong>le</strong>s dogmes. Tous <strong>le</strong>s cultes<br />

<strong>le</strong>ur sont assez indifférents, la plupart n'en professent<br />

aucun; <strong>le</strong>ur théisme vague reconnaît l'existence d'un<br />

grand architecte <strong>de</strong> l'univers; ils admirent la mora<strong>le</strong><br />

évangélique, mais la plupart n'en sont pas moins trèsimmoraux<br />

: on <strong>le</strong> répète, c'est <strong>de</strong> la franc-maçonnerie<br />

mo<strong>de</strong>rne qu'on par<strong>le</strong> ici par anticipation, cel<strong>le</strong> du<br />

quinzième sièc<strong>le</strong> n'est pas connue, ou mieux, nous <strong>le</strong><br />

pensons, n'existait qu'à l'état d'embryon. Il en sera<br />

parlé plus amp<strong>le</strong>ment ail<strong>le</strong>urs. Disons encore, par anticipation,<br />

que s'ils se préten<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s vrais discip<strong>le</strong>s du<br />

Christ, l'Église <strong>le</strong>s rejette <strong>de</strong> son sein. Clément XII et<br />

Benoît XIV ont condamné cette association qui doit<br />

être toute mo<strong>de</strong>rne.<br />

Albigeois.<br />

<strong>Le</strong>s Albigeois, ces manichéens <strong>de</strong> Bulgarie, qui infestèrent<br />

<strong>le</strong> Languedoc à la fin du douzième sièc<strong>le</strong>, quoique


AVEC LE DÉMON.<br />

poursuivis et rigoureusement châtiés, enhardis par <strong>le</strong>s<br />

désordres du c<strong>le</strong>rgé, osèrent l'attaquer dans tout ce qui<br />

établissait sa considération ; <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> passant du mépris<br />

pour <strong>le</strong>s prêtres à celui <strong>de</strong> la religion, <strong>le</strong> résultat<br />

fut la propagation <strong>de</strong> l'hérésie <strong>de</strong>s Albigeois. Ces <strong>de</strong>rniers<br />

supposaient que Dieu ayant produit Lucifer, celui-ci<br />

s'étant révolté, il avait été chassé du ciel : ainsi<br />

expulsé, il fit <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> visib<strong>le</strong> et matériel sur <strong>le</strong>quel il<br />

règne ; Dieu produisit alors un second fils, Jésus-Christ,<br />

pour rétablir l'ordre... — Rien <strong>de</strong> nouveau, comme on<br />

<strong>le</strong> voit, c'est toujours <strong>le</strong> manichéisme.<br />

<strong>Le</strong>s Vaudois, discip<strong>le</strong>s <strong>de</strong> Pierre Valdo, se réunirent<br />

aux Albigeois et aux Henriciens ; au quinzième et au<br />

seizième sièc<strong>le</strong>, ces Vaudois furent confondus par <strong>le</strong><br />

peup<strong>le</strong> <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s sorciers.<br />

Ainsi donc se retrouvent partout au moyen âge, dans<br />

<strong>le</strong>s hérésies formées du druidisme et <strong>de</strong>s vieux cultes<br />

idolâtriques mélangés <strong>avec</strong> <strong>le</strong> christianisme, la doctrine<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux principes, <strong>le</strong>s assemblées nocturnes,<br />

<strong>le</strong>s sacrifices sanglants, <strong>le</strong>s enfants égorgés servant aux<br />

opérations magiques, <strong>de</strong>s dissolutions qui font frémir,<br />

l'eucharistie profanée, enfin <strong>de</strong>s pratiques si horrib<strong>le</strong>s,<br />

que tout a paru incroyab<strong>le</strong> lorsque <strong>le</strong>s procès <strong>de</strong> sorcel<strong>le</strong>rie<br />

ont révélé <strong>de</strong>s faits semblab<strong>le</strong>s.<br />

<strong>Le</strong>s faits magiques mieux connus seront moins niés.<br />

Si <strong>le</strong>s lois civi<strong>le</strong>s et religieuses punissaient <strong>le</strong>s faits<br />

magiques, il n'en faut pas conclure que la réalité <strong>de</strong><br />

tous, sans exception, fut admise; plusieurs, on l'a vu,<br />

étaient considérés comme étant, non ce qu'on appel<strong>le</strong>rait<br />

aujourd'hui <strong>de</strong>s hallucinations naturel<strong>le</strong>s, mais<br />

<strong>de</strong>s illusions diaboliques; <strong>le</strong> paragraphe suivant <strong>le</strong><br />

prouvera. Cependant <strong>de</strong>s témoignages très-recomman-


532 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

dab<strong>le</strong>s ayant renversé <strong>le</strong> scepticisme <strong>de</strong> plusieurs, on<br />

reconnut qu'il y avait conformité entre <strong>le</strong>s hérétiques<br />

et <strong>le</strong>s sorciers ; que si <strong>le</strong>s premiers ont <strong>de</strong>s assemblées<br />

réel<strong>le</strong>s, cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers peuvent bien ne pas être<br />

imaginaires. Au douzième sièc<strong>le</strong>, Gervais <strong>de</strong> Tilbury<br />

affirme, comme chose que nul ne nie, la transformation<br />

<strong>de</strong>s sorcières en chats : « On voit, dit-il, sur <strong>le</strong>ur corps<br />

<strong>le</strong>s traces <strong>de</strong>s b<strong>le</strong>ssures qu'el<strong>le</strong>s ont reçues. » —Au même<br />

sièc<strong>le</strong>, Alain <strong>de</strong> Lil<strong>le</strong>, surnommé <strong>le</strong> docteur universel,<br />

parmi <strong>le</strong>s étymologics qu'il donne du nom <strong>de</strong> catharins,<br />

cite cel<strong>le</strong> qui <strong>le</strong> fait dériver <strong>de</strong> catto, parce que,<br />

dit-il, Satan <strong>le</strong>ur apparaît sous la forme <strong>de</strong> chat, cujus<br />

posteriora osculantur. (Alanus, Cofirr. hœret., I, G3.)<br />

<strong>Le</strong> pape Jean XXII ordonne une enquête contre <strong>le</strong>s<br />

magiciens, qui se servent, dit-il, <strong>de</strong> miroirs et d'images<br />

qu'ils consacrent à <strong>le</strong>ur manière; placés en cerc<strong>le</strong>, ils<br />

invoquent <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s et tâchent par <strong>de</strong>s sortilèges do<br />

tuer ou <strong>de</strong> faire mourir <strong>de</strong> langueur; ils font entrer ces<br />

mauvais esprits dans un cerc<strong>le</strong> ou dans un anneau, et<br />

<strong>le</strong>s interrogent sur l'avenir ou sur <strong>le</strong>s choses secrètes,<br />

ils préten<strong>de</strong>nt ainsi faire mourir par <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s ou<br />

pouvoir guérir. — Dans une autre <strong>le</strong>ttre à l'évêquc <strong>de</strong><br />

Hié, il se plaint d'avoir été lui-même l'objet <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs<br />

attaques ; il possè<strong>de</strong> trois images que l'on avait percées<br />

<strong>avec</strong> <strong>de</strong>s aiguil<strong>le</strong>s, en prononçant certaines formu<strong>le</strong>s<br />

d'invocation et qui étaient <strong>de</strong>stinées à <strong>le</strong> faire mourir.<br />

Quelques prêtres et <strong>de</strong>s évêques furent eux-mêmes<br />

accusés d'avoir prêté hommage à Satan et <strong>de</strong> s'être<br />

entretenus <strong>avec</strong> lui. —Au treizième sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong> cardinal<br />

Godin ordonne <strong>de</strong> la part du souverain pontife, à l'inquisiteur<br />

<strong>de</strong> Carcassonne, <strong>de</strong> faire une enquête contre<br />

<strong>le</strong>s magiciens qui, sacrifiant aux <strong>démon</strong>s, font <strong>avec</strong> eux<br />

un pacte, et profanent <strong>le</strong> baptême en baptisant certaines<br />

ligures ou certains objets; il faut, étant assisté


AVEC LE DÉMON. 33.1<br />

<strong>de</strong>s évêques, procé<strong>de</strong>r contre eux comme on procè<strong>de</strong><br />

contre <strong>le</strong>s hérétiques.<br />

<strong>Le</strong>s faits <strong>de</strong> magie <strong>de</strong>vinrent plus fréquents, il s'y<br />

présentait <strong>de</strong> ces choses étranges, abominab<strong>le</strong>s, que<br />

l'on retrouvera dans tous <strong>le</strong>s procès <strong>de</strong>s sièc<strong>le</strong>s suivants.<br />

<strong>Le</strong> fameux jurisconsulte Bartho<strong>le</strong>, consulté par<br />

l'évèque <strong>de</strong> Novare relativement à une sorcière, répondit,<br />

qu'ayant renoncé au Christ et au baptême,<br />

foulé la croix aux pieds, adoré <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s, ensorcelé<br />

<strong>de</strong>s enfants, il fallait la condamner au feu, à moins<br />

qu'el<strong>le</strong> ne se repentît. Il <strong>le</strong> déci<strong>de</strong> ainsi d'après la Bib<strong>le</strong>,<br />

<strong>le</strong> droit canonique et <strong>le</strong> droit romain. (V. Goerrcs, III,<br />

p. 49 et suiv.)<br />

Quoique <strong>le</strong> moyen âge soit considéré comme une<br />

époque <strong>de</strong> crédulité, il est pourtant certain qu'on rejetait<br />

alors beaucoup <strong>de</strong> faits merveil<strong>le</strong>ux admis ensuite<br />

dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s postérieurs plus éclairés sur ce sujet.<br />

Ainsi on a vu <strong>le</strong> conci<strong>le</strong> d'Ancyre nier <strong>le</strong> transport<br />

réel <strong>de</strong>s sorcières sur <strong>de</strong>s bêtes, et déci<strong>de</strong>r qu'il y a<br />

illusion diabolique. — On rappelait, d'après un ancien<br />

récit, que saint Germain, entrant un jour dans une<br />

maison, trouva la tab<strong>le</strong> servie pour une assemblée <strong>de</strong><br />

sorcières; à l'heure dite, il arriva en effet une fou<strong>le</strong><br />

d'hommes et <strong>de</strong> femmes <strong>de</strong>s lieux circonvoisins et<br />

bien connus; mais <strong>le</strong> saint, qui reconnaît la piperie du<br />

diab<strong>le</strong>, ordonne à tous ces convives <strong>de</strong> rester, et charge<br />

quelqu'un d'al<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s maisons <strong>de</strong> ceux dont ils<br />

avaient pris la ressemblance, et tous, assure-t-on, furent<br />

trouvés dans <strong>le</strong>urs lits. Alors il força <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

d'avouer qu'ils trompaient ainsi <strong>le</strong>s hommes. — Saint<br />

Philastrius, évoque <strong>de</strong> Bresse au quatrième sièc<strong>le</strong>,<br />

pensait que la question <strong>de</strong>s incubes est une fab<strong>le</strong><br />

païenne. — Saint Jean Damasccne, au huitième sièc<strong>le</strong>,<br />

parlant <strong>de</strong>s dragons qui, selon <strong>le</strong>s Sarrasins, se chan-


S34 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

geaient en hommes pour en<strong>le</strong>ver <strong>le</strong>s femmes et copu<strong>le</strong>r<br />

<strong>avec</strong> el<strong>le</strong>s, traite d'ignorants ceux qui racontent <strong>le</strong>s<br />

voyages <strong>de</strong>s sorcières par l'air, <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s, malgré serrures,<br />

verrous et portes fermées, font mourir <strong>le</strong>s enfants<br />

en suçant <strong>le</strong>ur sang : quoique <strong>le</strong>s uns aient prétendu<br />

l'avoir vu, et d'autres <strong>le</strong> tenir <strong>de</strong> l'aveu <strong>de</strong> ces<br />

femmes, il n'en croit rien. Si el<strong>le</strong>s entraient <strong>le</strong>s portes<br />

fermées, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>ur corps ou même en esprit seu<strong>le</strong>ment,<br />

Jésus-Christ n'aurait rien fait <strong>de</strong> plus ; affirmer, dit-il,<br />

qu'el<strong>le</strong>s vont en âme seu<strong>le</strong>ment, meurent et ressuscitent,<br />

c'est dire qu'el<strong>le</strong>s font très-souvent ce qu'il n'a<br />

fait qu'une fois lors <strong>de</strong> sa passion ; ce sont <strong>de</strong>s prétentions<br />

<strong>de</strong>s hérétiques pour séduire <strong>le</strong>s simp<strong>le</strong>s, poursuit<br />

saint Jean Damascènc (De draronibus et sirygibus).<br />

Saint Agohard, évoque <strong>de</strong> Lyon, De grandinc et tonitruis,<br />

au neuvième sièc<strong>le</strong>, dit que nob<strong>le</strong>s et vilains, citadins<br />

et villageois, vieux et jeunes, presque tout <strong>le</strong><br />

mon<strong>de</strong>, croient que certaines gens peuvent faire tonner<br />

et grê<strong>le</strong>r, disant que c'est un temps artificiel produit<br />

par <strong>le</strong>s sorciers 1<br />

. Malgré <strong>le</strong>s affirmations <strong>de</strong> ceux<br />

qui citent <strong>le</strong> temps et <strong>le</strong> lieu, il <strong>le</strong> nie ; car ce serait attribuer<br />

aux hommes ce qui n'appartient qu'à Dieu...<br />

— Quant aux poudres que Grimoald, duc <strong>de</strong> Bénévent,<br />

était accusé d'avoir fait jeter dans <strong>le</strong>s prés et <strong>le</strong>s fontaines<br />

pour empoisonner <strong>le</strong> bétail, quoiqu'il ait vu <strong>le</strong>s<br />

accusés, et qu'ils lui aient déclaré s'être servis <strong>de</strong> cette<br />

poudre, il <strong>le</strong>s traite d'insensés. « Comment pourrait-il<br />

se faire, dit-il, qu'il y eût une poudre qui fît mourir<br />

<strong>le</strong>s bœufs et qui épargnât <strong>le</strong>s autres animaux?» — On<br />

voit un jour, à Lyon, trois hommes et une femme <strong>de</strong>scendre<br />

d'un navire aérien; on s'assemb<strong>le</strong> autour d'eux,<br />

on <strong>le</strong>s menace. On voulait <strong>le</strong>s lapi<strong>de</strong>r, et on l'eût fait<br />

t. On se rappel<strong>le</strong> sans doute <strong>le</strong>s fulmina fatidlra do l'antiquité.


AVEC LE DÉMON. 335<br />

sans l'intervention d'Agobard, qui n'y vit sans doute<br />

qu'une illusion diabolique.<br />

Jean <strong>de</strong> Salisbury, déjà cité, parlant du transport,<br />

par l'air, <strong>de</strong>s sorciers, <strong>de</strong>s assemblées, <strong>de</strong>s festins, <strong>de</strong><br />

Satan qui y prési<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s enfants coupés par morceaux,<br />

etc., attribue <strong>le</strong> tout à un aveug<strong>le</strong>ment causé<br />

par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, qui trompe <strong>le</strong>s gens simp<strong>le</strong>s qui <strong>le</strong><br />

croient. <strong>Le</strong> meil<strong>le</strong>ur moyen <strong>de</strong> ne pas croire à ces<br />

folies, c'est <strong>de</strong> se tenir attaché fermement à la foi<br />

chrétienne.<br />

<strong>Le</strong> Fortalitiumfi<strong>de</strong>i, composé, en 1459, par un Franciscain,<br />

regardait encore comme <strong>de</strong>s illusions ces prétentions<br />

<strong>de</strong> femmes qui disent s'assemb<strong>le</strong>r dans <strong>de</strong>s<br />

lieux déserts, y trouver un sanglier qu'el<strong>le</strong>s entourent<br />

<strong>avec</strong> <strong>de</strong>s flambeaux, oscitlant.es eum in anu suo. (Fortalit.<br />

fi<strong>de</strong>i, 1. V.)<br />

11 serait oiseux <strong>de</strong> grossir ainsi la liste <strong>de</strong>s gens qui<br />

refusaient <strong>de</strong> croire parce que <strong>le</strong>s faits, trop peu connus<br />

d'eux, répugnaient à <strong>le</strong>ur raison ou à <strong>le</strong>ur foi;<br />

mais <strong>le</strong>s faits qu'ils niaient seront reconnus et constatés<br />

dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s suivants, malgré <strong>le</strong>s causes qui s'y<br />

opposeront, tandis que d'autres viendront exhumer <strong>le</strong>s<br />

systèmes païens pour <strong>le</strong>s expliquer. .<br />

Tendance d'un retour aux doctrines <strong>de</strong> l'antiquité païenne.<br />

La doctrine <strong>de</strong> l'intervention <strong>de</strong>s esprits va trouver<br />

<strong>de</strong>s sceptiques, et l'esprit humain prélu<strong>de</strong> à une réforme.<br />

Au douzième et au treizième sièc<strong>le</strong>, <strong>le</strong> commerce<br />

<strong>de</strong> l'Occi<strong>de</strong>nt <strong>avec</strong> l'Orient portait déjà ses fruits.<br />

— Avant <strong>de</strong> poursuivre, on doit rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong> grand événement<br />

dont l'influence nous fait encore aujourd'hui<br />

sentir ses effets divers. — Au huitième sièc<strong>le</strong>, Char<strong>le</strong>magne<br />

s'efforça <strong>de</strong> rétablir <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s ; ce mouvement


S3(i DES RAPPORTS DE D'HOMME<br />

intel<strong>le</strong>ctuel eut peu <strong>de</strong> succès ; mais lorsque <strong>le</strong>s Arabes<br />

eurent vaincu l'Asie et l'Afrique, ils traduisirent <strong>le</strong>s<br />

anciens philosophes; Aristote surtout fut admiré, et<br />

sa philosophie eut beaucoup <strong>de</strong> discip<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong>s califes<br />

fondèrent diverses académies, où <strong>le</strong>s différents systèmes<br />

philosophiques furent discutés et commentés<br />

selon la métho<strong>de</strong> d'Aristote, dont <strong>le</strong>s théories furent<br />

acceptées. Il y eut <strong>de</strong>s péripatéticiens, <strong>de</strong>s a<strong>le</strong>xandrins,<br />

<strong>de</strong>s sceptiques, et même <strong>de</strong>s éc<strong>le</strong>ctiques. <strong>Le</strong>s philosophes<br />

arabes s'appliquèrent surtout à la mé<strong>de</strong>cine<br />

d'incantation, à l'alchimie, à l'astrologie, etc. — <strong>Le</strong><br />

grand mouvement <strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s communiqua enfin<br />

tous <strong>le</strong>s systèmes philosophiques à l'Occi<strong>de</strong>nt. Depuis<br />

l'époque où <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers a<strong>le</strong>xandrins s'étaient réfugiés<br />

en Perse, un petit nombre <strong>de</strong> personnes, dans tout<br />

l'Occi<strong>de</strong>nt, connaissaient <strong>le</strong>s systèmes antiques. Mais, à<br />

partir du douzième et du treizième sièc<strong>le</strong>, la philosophie<br />

païenne vint, <strong>avec</strong> ses doctrines diverses, renouve<strong>le</strong>r<br />

<strong>le</strong>s discussions ; et, <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s superstitions, comme on<br />

l'a dit, s'accréditant et se propageant, bientôt naîtra<br />

<strong>le</strong> libre examen et la tendance à donner une explication<br />

naturel<strong>le</strong> do phénomènes considérés jusque-là<br />

comme surnaturels. Tandis que <strong>le</strong>s uns expliqueront<br />

<strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux physiquement, d'autres, livrés au mysticisme<br />

a<strong>le</strong>xandrin, opéreront ce monstrueux assemblage<br />

<strong>de</strong> rêveries cabalistiques, <strong>de</strong> théurgie et <strong>de</strong><br />

christianisme qu'on a déjà remarqué dans <strong>le</strong>s hérésies.<br />

<strong>Le</strong>s explications physiques viennent établir partout la<br />

croyance à l'existence <strong>de</strong>s faits qu'on eût été tenté <strong>de</strong><br />

nier : on peut admettre encore, il est vrai, ou rejeter<br />

l'intervention <strong>de</strong>s esprits ; mais on croit généra<strong>le</strong>ment<br />

à <strong>de</strong>s phénomènes naturels merveil<strong>le</strong>ux ; on pense<br />

que <strong>de</strong>s fous prédisent l'avenir, que certains individus<br />

voient naturel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s choses cachées, que <strong>de</strong>s songes


AVEC LE DÉMON. S37<br />

se vérifient, qu'on peut guérir <strong>avec</strong> <strong>de</strong>s paro<strong>le</strong>s, que<br />

d'autres peuvent maléficier par <strong>le</strong> regard, etc. On peut<br />

croire tout cela et différer d'opinion sur <strong>le</strong>s causes,<br />

c'est-à-dire <strong>le</strong>s expliquer comme Épicure et Lucrèce.<br />

Avicenne, au dixième sièc<strong>le</strong>, et Averrhoës au douzième,<br />

avaient ressuscité <strong>le</strong>s extravagances <strong>de</strong>s vieux<br />

matérialistes. Avicenne, comme ses maîtres, accordait<br />

à l'âme <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s prodiges. Certaines<br />

âmes, s'é<strong>le</strong>vant au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la matière, pouvaient<br />

guérir <strong>le</strong>s mala<strong>de</strong>s à distance, mouvoir <strong>le</strong>s objets,<br />

faire tomber la pluie, maléficier, etc— Rapportant<br />

à l'imagination tout ce que d'autres considéraient<br />

comme surnaturels, Avicenne pensait qu'el<strong>le</strong> peut terrasser<br />

un taureau, et qu'on l'a vu, chez <strong>de</strong>s pou<strong>le</strong>s<br />

victorieuses d'un coq, <strong>le</strong>ur faire pousser un éperon.<br />

C'est, dit-il, parce que la nature obéit aux pensées.<br />

<strong>Le</strong> mé<strong>de</strong>cin arabe Averrhoës, ce grand admirateur<br />

d'Aristote, ce blasphémateur <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s religions,<br />

enseignait, contrairement à la doctrine chrétienne,<br />

qu'une même intelligence anime tous <strong>le</strong>s hommes; il<br />

rejetait l'existence <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s et niait qu'il existât <strong>de</strong>s<br />

esprits séparés d'un corps. « On doit voir tout ce que la<br />

nature a fait, disait-il, sinon son travail serait vain...<br />

L'imagination se forme <strong>de</strong>s apparences <strong>de</strong> diab<strong>le</strong>s,<br />

qu'el<strong>le</strong> transmet aux sens ; puis on croit voir et entendre<br />

ce qu'on a imaginé... » Non moins opposé à la<br />

saine doctrine sur la certitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s faits surnaturels, il<br />

soutenait que tout ce qu'on en dit « n'est ni constant<br />

ni prouvé... N'étant pas vraisemblab<strong>le</strong>, on doit <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r<br />

comme faux : pour s'assurer si une chose est<br />

vraie, il faut voir si <strong>le</strong> bon sens l'admet. On ne croit<br />

pas <strong>de</strong>s témoins qui attestent <strong>de</strong>s choses invraisemblab<strong>le</strong>s,<br />

etc.. » —Averrhoës aurait eu cent fois raison<br />

si <strong>le</strong> bon sens voyait tout et si l'invraisemblab<strong>le</strong> n'était


538 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

jamais vrai; mais <strong>le</strong> bon sens juge mal ce qu'il ignore,<br />

et l'invraisemblab<strong>le</strong> n'est souvent que trop vrai.<br />

<strong>Le</strong>s philosophes <strong>de</strong> cette catégorie soutenaient tous<br />

que, ne pouvant argumenter que sur <strong>le</strong>s substances<br />

tombant sous <strong>le</strong>s sens, <strong>le</strong>s apparitions d'esprits n'étaient<br />

pas un sujet sur <strong>le</strong>quel on pût raisonner, et ils <strong>le</strong>s rejetaient<br />

comme chimériques. D'autres avouaient la possibilité<br />

<strong>de</strong> l'existence <strong>de</strong>s esprits, mais niaient qu'ils<br />

pussent revêtir un corps... D'autres disaient : « Nous<br />

<strong>le</strong>s nions, parce que nous ne <strong>le</strong>s avons jamais vus ; »<br />

d'autres enfin pensaient que tout ce qu'on racontait<br />

<strong>de</strong>s spectres dérivait <strong>de</strong>s influences cé<strong>le</strong>stes, et concluaient<br />

<strong>de</strong> là que <strong>le</strong>s pratiques magiques venaient <strong>de</strong>s<br />

causes occultes <strong>de</strong>s astres; mais que la magie, en tant<br />

que diabolique, était vainc et fausse. Aristote, disaient-ils,<br />

ne doutait pas, ainsi que son éco<strong>le</strong>, qu'il y<br />

eût <strong>de</strong>s charmes; et ce qui pourrait faire penser qu'il<br />

admettait ce qu'on a dit <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s, c'est qu'il <strong>le</strong>s a<br />

mis au nombre <strong>de</strong>s animaux. Mais évi<strong>de</strong>mment il s'est<br />

trompé ; s'ils étaient <strong>de</strong>s animaux, ils seraient visib<strong>le</strong>s,<br />

palpab<strong>le</strong>s : on n'en voit pas, donc ils n'existent<br />

pas; et si on <strong>le</strong>s voit, ils sont naturels. — Tous ces<br />

péripatéticiens pensaient que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins prédisaient<br />

par une vertu naturel<strong>le</strong>, qui, ayant besoin d'excitation,<br />

pouvait être due à <strong>de</strong>s exhalaisons terrestres...<br />

Certaines pierres, certaines plantes, etc., pourraient<br />

aussi donner cette vertu ; n'est-ce point une semblab<strong>le</strong><br />

influence, disaient-ils, qui agit sur <strong>le</strong>s oiseaux et <strong>le</strong>s<br />

repti<strong>le</strong>s, qui présagent aussi l'avenir?...—Jusqu'aux<br />

quinzième et seizième sièc<strong>le</strong>s, où nous verrons <strong>le</strong>s doctrines<br />

<strong>de</strong> l'antiquité païenne et ses pratiques impies<br />

se multiplier et prendre un développement capab<strong>le</strong><br />

d'effrayer <strong>le</strong>s populations et d'alarmer l'autorité, qui<br />

sévira contre <strong>le</strong>s coupab<strong>le</strong>s, <strong>de</strong>s doctrines comme


AVEC LE DÉMON. 339<br />

cel<strong>le</strong>s d'Avicenne et d'Averrhoes eurent cependant peu<br />

<strong>de</strong> partisans.<br />

Roger Bacon et autres adoptent <strong>le</strong>s systèmes matérialistes.<br />

Un moine franciscain, Roger Bacon, surnommé <strong>le</strong><br />

Docteur admirab<strong>le</strong>, dès <strong>le</strong> treizième sièc<strong>le</strong>, paraît nonseu<strong>le</strong>ment<br />

avoir lu, mais avoir adopté <strong>le</strong>s systèmes<br />

matérialistes <strong>de</strong>s païens ; il croit à la plupart <strong>de</strong>s phénomènes<br />

merveil<strong>le</strong>ux, et surtout à l'astrologie judiciaire,<br />

qu'il professe, à l'alchimie et à la baguette divinatoire;<br />

mais il explique tout physiquement, et accuse<br />

d'ignorance ces dévots qui attribuent à Dieu ou au<br />

diab<strong>le</strong> <strong>le</strong>s faits dont ils ne peuvent rendre raison. Son<br />

traité De secretis operibus artis et naturœ et <strong>de</strong> nullitate<br />

magiœ dut <strong>le</strong> faire passer pour un homme admirab<strong>le</strong><br />

à certains esprits amoureux du progrès et <strong>de</strong>s<br />

nouveautés; mais d'autres l'accusèrent d'attribuer<br />

trop <strong>de</strong> pouvoir à la nature, et, sous <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> secrets<br />

naturels, <strong>de</strong> pratiquer la magie; il se livrait à l'astrologie,<br />

science <strong>de</strong>s plus chimériques aux yeux <strong>de</strong> la raison<br />

, et qui forçait quelquefois ses détracteurs à y voir<br />

l'intervention <strong>de</strong> Satan. Roger Bacon s'occupait d'alchimie,<br />

mais <strong>le</strong>s théologiens distinguaient <strong>le</strong>s cas où<br />

el<strong>le</strong> était permise <strong>de</strong> ceux où el<strong>le</strong> était illicite. Un alchimiste,<br />

se livrant à son insu à <strong>de</strong>s pratiques diaboliques,<br />

<strong>de</strong>venait ainsi souvent magicien sans <strong>le</strong> savoir.—L'opérateur<br />

croyait <strong>le</strong> tout naturel, parce que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> sait<br />

caute<strong>le</strong>usement se cacher sous l'apparence <strong>de</strong>s lois<br />

physiques... Mais l'alchimiste était bientôt amené à<br />

lier commerce <strong>avec</strong> l'esprit malin, qui ne se dévoilait<br />

complètement que lorsqu'il l'avait séduit.<br />

Bacon avait profité <strong>de</strong> ses <strong>le</strong>ctures <strong>de</strong>s matérialistes<br />

païens. <strong>Le</strong>s apparitions d'esprits, <strong>le</strong>s bruits insolites,


540 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

sont expliqués, selon lui, par <strong>le</strong>s erreurs <strong>de</strong> la vue, par<br />

<strong>le</strong>s illusions d'acoustique... « Si quelques-uns prédisent<br />

et connaissent <strong>le</strong>s choses cachées, c'est, dit-il, parce que<br />

<strong>le</strong>s hommes diffèrent beaucoup entre eux mora<strong>le</strong>ment<br />

et physiquement, parce qu'il y a différence très-gran<strong>de</strong><br />

aux enten<strong>de</strong>ments. Ils <strong>de</strong>vinent et voient <strong>le</strong>s secrets par<br />

conjecture ou par perspicacité d'esprit; <strong>le</strong> vulgaire <strong>le</strong>s<br />

nomme prophètes... <strong>Des</strong> enfants font <strong>de</strong>s choses admirab<strong>le</strong>s,<br />

comprennent <strong>le</strong>s conclusions et <strong>le</strong>s réduisent<br />

en principes : il n'est donc pas incroyab<strong>le</strong> que certains<br />

hommes, par vivacité d'esprit, connaissent l'avenir<br />

et voient <strong>le</strong>s choses occultes ; par <strong>le</strong> raisonnement, ils<br />

prévoient <strong>le</strong>s effets dérivant <strong>de</strong> tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> cause,<br />

comme <strong>le</strong> mé<strong>de</strong>cin qui révè<strong>le</strong> <strong>le</strong> passé et prédit l'infirmité<br />

future; si on ne <strong>le</strong> savait mé<strong>de</strong>cin, on <strong>le</strong> croirait<br />

prophète... — Certaines maladies empochent certaines<br />

opérations, mais donnent à <strong>l'homme</strong> <strong>le</strong> pouvoir d'en<br />

faire d'autres... Voilà pourquoi <strong>le</strong>s furieux prédisent<br />

l'avenir et découvrent <strong>le</strong>s choses cachées. » (<strong>Des</strong> opérât,<br />

<strong>de</strong> l'unie.)<br />

« On croit vulgairement, dit-il (Opérât, <strong>de</strong>s maiw.<br />

esprits), que <strong>le</strong>s furieux sont possédés <strong>de</strong>s malins esprits,<br />

qui <strong>le</strong>ur font faire <strong>de</strong>s merveil<strong>le</strong>s. » Il examine<br />

cette doub<strong>le</strong> question, et dit que la foi seu<strong>le</strong> <strong>le</strong> déci<strong>de</strong><br />

ainsi, mais non la raison,.. Si <strong>le</strong>s furieux prédisent, si<br />

un homme monte sans échel<strong>le</strong>, s'il engendre <strong>de</strong>s grenouil<strong>le</strong>s<br />

et <strong>de</strong>s insectes sur tout un pays comme <strong>le</strong>s<br />

magiciens d'Egypte, ces choses ne provenant pas <strong>de</strong><br />

Dieu, viennent encore moins <strong>de</strong> la nature..., il faudra<br />

donc <strong>le</strong>s attribuer aux mauvais esprits... ; mais n'est-ce<br />

pas sottise <strong>de</strong> croire qu'une vieil<strong>le</strong> sorcière puisse, en<br />

conjurant <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, <strong>le</strong> faire agir, et que <strong>le</strong> Seigneur<br />

<strong>le</strong> permettra sans motif, afin d'assujettir cel<strong>le</strong>-ci au<br />

<strong>démon</strong> ?


AVEC LE DÉMON. 341<br />

Rien <strong>de</strong> réel dans <strong>le</strong>s illusions magiques. Ceux qui<br />

se vantent <strong>de</strong> faire apparaître un veau et un f<strong>le</strong>uve en<br />

p<strong>le</strong>ine terre sont <strong>de</strong>s fourbes ; ils feraient, si cela était,<br />

<strong>de</strong>s gains énormes ; mais Racon n'a pu obtenir ni par<br />

prière ni par argent qu'on <strong>le</strong> fit <strong>de</strong>vant lui. Cela se<br />

pratiquait <strong>de</strong>vant d'autres, car on trompait <strong>le</strong>s spectateurs...<br />

11 a parlé à ceux qui affirmaient avoir vu<br />

ces choses, mais c'était mensonge ou ouï dire... —<br />

<strong>Le</strong>s possessions attribuées aux mauvais esprits sont<br />

une passion furieuse que <strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s peuvent guérir...<br />

On a vu <strong>de</strong>s prodiges dont <strong>le</strong>s savants ont rendu raison...<br />

— Néanmoins Bacon ne nie point que Dieu<br />

puisse faire <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s, ni qu'il permette aux <strong>démon</strong>s<br />

<strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choses merveil<strong>le</strong>uses <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s magiciens<br />

pour l'aveug<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s uns et <strong>le</strong> salut <strong>de</strong>s autres:<br />

— « mais il n'a fait et ne permet tel<strong>le</strong>s bour<strong>de</strong>s... Si <strong>le</strong>s<br />

divinateurs, malfaiteurs et misérab<strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s affirment<br />

et confessent avoir fait <strong>de</strong>s cas épouvantab<strong>le</strong>s,<br />

il ne faut ajouter foi à tel<strong>le</strong>s personnes, car el<strong>le</strong>s ne<br />

l'ont pas fait, quoiqu'el<strong>le</strong>s <strong>le</strong> pensent... <strong>Le</strong>s œuvres <strong>de</strong>s<br />

magiciens ne sont que déceptions ou illusions, etc. »<br />

Ainsi s'exprimait, au treizième sièc<strong>le</strong>, ce moine<br />

anglais, contemporain <strong>de</strong> saint Thomas, ce Franciscain<br />

né un sièc<strong>le</strong> et <strong>de</strong>mi avant Gerson. Tout ce qu'il a dit<br />

<strong>de</strong>s possessions, <strong>de</strong> la divination, <strong>de</strong> la magie et <strong>de</strong>s<br />

sorciers a été répété pendant cinq sièc<strong>le</strong>s après lui et<br />

l'est encore. Est-ce donc cette philosophie qui a fait<br />

surnommer Bacon <strong>le</strong> docteur admirab<strong>le</strong>? Serait-ce parce<br />

qu'il aurait <strong>le</strong> premier émis <strong>de</strong>s idées matérialistes<br />

anciennes qui parurent neuves à ses contemporains?<br />

Ces sentiments prouvent-ils une supériorité d'intelligence<br />

sur eux et qu'il ait possédé <strong>de</strong>s connaissances<br />

qui <strong>le</strong>ur étaient étrangères? — On se réserve d'examiner<br />

cette question. 11 est constant que toutes <strong>le</strong>s


542 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

nouvel<strong>le</strong>s doctrines léguées par <strong>le</strong> paganisme ne trouvaient<br />

alors que trop <strong>de</strong> partisans. Albert <strong>le</strong> Grand,<br />

qui avait voué une sorte <strong>de</strong> culte au péripatétisme,<br />

attribuait, dit-on, lui-même aux pierreries <strong>de</strong>s vertus<br />

semblab<strong>le</strong>s à cel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'aimant; il croyait à l'influence<br />

dés astres, ce qui a suffi pour qu'on lui attribuât faussement<br />

un recueil <strong>de</strong> secrets superstitieux indigne <strong>de</strong><br />

lui, et que l'on croit avoir été composé par un <strong>de</strong> ses<br />

discip<strong>le</strong>s, Henriette <strong>de</strong> Saxonia. Quoi qu'il en soit, au<br />

treizième sièc<strong>le</strong> on adoptait déjà <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>s idées<br />

matérialistes du sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong> Pline, renouvelées d'Aristote,<br />

sur <strong>le</strong>s vertus <strong>de</strong>s plantes, <strong>de</strong>s animaux et <strong>de</strong>s<br />

pierres. Cueillies sous tels signes, tel<strong>le</strong>s plantes acquéraient<br />

<strong>de</strong>s vertus prodigieuses, il en était <strong>de</strong> même<br />

<strong>de</strong>s minéraux. Tel<strong>le</strong> pierre faisait éviter <strong>de</strong>s dangers,<br />

tel<strong>le</strong> autre causait <strong>le</strong> succès <strong>de</strong>s entreprises. On interprétait<br />

naturel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s songes, et on <strong>de</strong>vinait l'avenir;<br />

on découvrait l'auteur d'un larcin. Tout, dans la nature,<br />

se meut vers son semblab<strong>le</strong>, disaient <strong>le</strong>s philosophes<br />

: la chair d'un animal stéri<strong>le</strong> rend stéri<strong>le</strong>...; la<br />

langue du chien excite la loquacité, etc., etc. — On a<br />

vu dans Pline et Lucien <strong>de</strong> tel<strong>le</strong>s extravagances philosophiques;<br />

on <strong>le</strong>s connaîtra mieux encore au seizième<br />

sièc<strong>le</strong>.<br />

Il nous reste à exposer la doctrine <strong>de</strong>s docteurs <strong>de</strong><br />

l'Église sur <strong>le</strong> pouvoir et l'action <strong>de</strong>s esprits sur la<br />

magie, etc., pendant <strong>le</strong> moyen âge.


AVEC LE DÉMON.<br />

CHAPITRE IV<br />

Doctrine <strong>de</strong> l'Église sur <strong>le</strong>s phénomènes attribués aux <strong>démon</strong>s par <strong>le</strong>s spiri-<br />

tualistes, et h <strong>de</strong>s causes physiques par <strong>le</strong>s nouveaux matérialistes. —<br />

Explications <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong> Satan dans cette pério<strong>de</strong>. — Saint Thomas.<br />

— Explication <strong>de</strong>s apparitions par saint Thomas. — <strong>Le</strong> même, <strong>de</strong>s supers­<br />

titions. — <strong>Le</strong> même, <strong>de</strong>s phylactères. — <strong>Le</strong> même, <strong>de</strong>s songes. —<strong>Le</strong> même,<br />

magie bienfaisante. —<strong>Le</strong> même, maléfices. — <strong>Le</strong> même, guérisons. —<strong>Le</strong><br />

même, <strong>de</strong> l'âme et <strong>de</strong> ses puissances. — <strong>Le</strong> même, copulations diaboliques.<br />

— Réf<strong>le</strong>xions.<br />

Doctrine <strong>de</strong> l'Église sur <strong>le</strong>s phénomènes attribués aux <strong>démon</strong>s par<br />

<strong>le</strong>s spiritualis<strong>le</strong>s, et à <strong>de</strong>s causes physiques par <strong>le</strong>s nouveaux ma-<br />

• iérialistes.<br />

<strong>Le</strong>s trésors philosophiques <strong>de</strong> l'antiquité, ignorés<br />

presque généra<strong>le</strong>ment jusqu'au douzième sièc<strong>le</strong>, modifieront-ils,<br />

quand ils seront connus, la doctrine <strong>de</strong><br />

l'Église sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s? Cette doctrine, au fond, reste<br />

immuab<strong>le</strong>; et si el<strong>le</strong> acquiert quelques développements,<br />

ce n'est point à la philosophie matérialiste qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

doit, mais aux faits, qui, plus nombreux, permettront<br />

<strong>de</strong> <strong>le</strong>s mieux observer. Ce qui venait <strong>de</strong> Dieu resta invariab<strong>le</strong><br />

comme lui ; ce qui pouvait être du domaine <strong>de</strong> la<br />

science était livré aux discussions. <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s ont-ils<br />

un corps d'air? Quelques Pères <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s <strong>le</strong><br />

pensaient, d'autres ne <strong>le</strong> pensaient pas. — C'étaient<br />

<strong>de</strong> purs esprits. Cette <strong>de</strong>rnière opinion, adoptée bien<br />

avant saint Thomas et professée par ce docteur, est<br />

restée un point doctrinal dans l'Église.


544 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Explications <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong> Satan dans cel<strong>le</strong> pério<strong>de</strong>.<br />

La révélation n'eût-el<strong>le</strong> point appris qu'il y a <strong>de</strong>s<br />

esprits, la raison eût montré qu'il existerait dans la<br />

gran<strong>de</strong> chaîne <strong>de</strong>s êtres une lacune entre Dieu et<br />

<strong>l'homme</strong>, si la hiérarchie <strong>de</strong>s intelligences spirituel<strong>le</strong>s<br />

ne la comblait. Ce dogme est donc logique, loin d'être<br />

ridicu<strong>le</strong>; mais que <strong>le</strong>s esprits <strong>le</strong>s plus rapprochés <strong>de</strong><br />

<strong>l'homme</strong> soient unis ou non à un impondérab<strong>le</strong>, c'est<br />

une question <strong>de</strong> pure curiosité et probab<strong>le</strong>ment insolub<strong>le</strong>.<br />

Saint Thomas.<br />

La doctrine qu'on va rapporter très-substantiel<strong>le</strong>ment<br />

ici est cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> saint Thomas et <strong>de</strong> l'Église.<br />

L'ange, dit <strong>le</strong> saint docteur, est un être spirituel;<br />

quoique incorporel par rapport à nous, il semb<strong>le</strong> être<br />

corporel relativement à Dieu... — On dit que sa substance<br />

est mobi<strong>le</strong>, mais son mouvement, c'est comprendre<br />

et vouloir... — Quoiqu'il ne puisse être contenu<br />

dans un lieu, il est cependant circonscrit comme substance...;<br />

quoiqu'il n'ait ni forme ni matière, il a<br />

l'acte et la puissance 1<br />

... (l a<br />

q. XLVII.) — N'ayant point<br />

<strong>de</strong> corps, ce n'est point par <strong>le</strong>s choses sensib<strong>le</strong>s qu'il<br />

connaît. (1 a<br />

q. L.)<br />

<strong>Le</strong>s anges prennent quelquefois un corps pour converser<br />

familièrement <strong>avec</strong> <strong>l'homme</strong>; il n'est uni à eux<br />

ni comme à un moteur, ni comme à une forme, c'est <strong>de</strong><br />

l. Consulter <strong>le</strong> <strong>Le</strong>xique <strong>de</strong>s termes scolastiques qui se trouvent<br />

dans la Somme. Ce qui est nécessaire pour ceux qui veu<strong>le</strong>nt connaître<br />

<strong>le</strong>s auteurs du moyen âge.


AVEC LE DÉMON. 545<br />

l'air con<strong>de</strong>nsé par une vertu divine ; ils n'accomplissent<br />

pas <strong>le</strong>s fonctions vita<strong>le</strong>s dans ce corps d'emprunt, ils<br />

semb<strong>le</strong>nt marcher, agir, par<strong>le</strong>r comme <strong>l'homme</strong> vivant,<br />

quoique cela ne soit pas ; ils ne prennent un corps que<br />

pour manifester <strong>le</strong>urs œuvres d'esprit, ce n'est pas <strong>le</strong>ur<br />

figure. (1 a<br />

q. Ll.)<br />

L'ange n'occupe un lieu que par contact virtuel, sa<br />

substance incorporel<strong>le</strong> <strong>le</strong> contient, mais n'y est point<br />

contenue... quant au lieu et à l'étendue, l'ange est indivisib<strong>le</strong>.<br />

(I a<br />

q. LU.)<br />

<strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s occupent <strong>de</strong>ux lieux d'action : l'enfer<br />

pour subir <strong>le</strong>urs peines, l'air ténébreux pour tenter<br />

<strong>l'homme</strong>. (1 a<br />

y. LX1V.)<br />

Saint Thomas établit, non-seu<strong>le</strong>ment d'après <strong>le</strong>s<br />

docteurs, mais encore d'après <strong>le</strong>s philosophes, que la<br />

matière obéit à la volonté <strong>de</strong> l'ange... 11 n'en faut pas<br />

conclure, dit-il, que toute la matière visib<strong>le</strong> lui obéisse<br />

constamment; à Dieu seul appartient d'en disposer<br />

comme il lui plaît.<br />

11 explique cette action... La nature corporel<strong>le</strong>,<br />

dit-il, peut être mue immédiatement par la nature spirituel<strong>le</strong><br />

; ainsi <strong>le</strong>s anges peuvent mouvoir la matière,<br />

comme l'âme meut <strong>le</strong>. corps; <strong>le</strong>ur pouvoir est même<br />

moins restreint, car la vertu motrice <strong>de</strong> l'âme n'est<br />

jointe qu'à un seul corps qu'el<strong>le</strong> anime, et par la médiation<br />

duquel il lui est possib<strong>le</strong> d'en mouvoir d'autres,<br />

tandis que <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> l'ange, n'étant point attaché<br />

à un corps unique, s'exercera sur tous <strong>le</strong>s corps, qu'il<br />

peut mouvoir loca<strong>le</strong>ment... On sent que ce qui est possib<strong>le</strong><br />

à une puissance inférieure l'est, à fortiori, à cel<strong>le</strong><br />

qui lui est supérieure, et que cette <strong>de</strong>rnière doit même<br />

la surpasser.<br />

Comme l'intelligence l'emporte sur <strong>le</strong>s sens pour<br />

connaître <strong>le</strong>s choses sensib<strong>le</strong>s, <strong>de</strong> même l'ange sur-<br />

i. ,\h


DES «APPORTS DE L'HOMME<br />

passe infiniment <strong>le</strong>s agents corporels pour agir sur la<br />

matière.<br />

<strong>Le</strong>s esprits, dit saint Thomas, n'ont ni la concupiscence<br />

ni la colère, ils ont ce qu'on appel<strong>le</strong> la volonté...<br />

<strong>Le</strong>s qualités inhérentes à la nature <strong>de</strong>s anges déchus<br />

sont encore entières et éclatantes, <strong>le</strong>urs connaissances<br />

n'ont été ni en<strong>le</strong>vées ni diminuées.<br />

Outre <strong>le</strong>urs lumières naturel<strong>le</strong>s, ils ont quelquefois <strong>de</strong>s<br />

révélations <strong>de</strong>s bons anges, auxquels, (quoiqu'ils diffèrent<br />

<strong>avec</strong> eux <strong>de</strong> volonté), ils ressemb<strong>le</strong>nt par conformité<br />

<strong>de</strong> nature intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>. Us connaissent aussi par<br />

• <strong>le</strong>ur longue expérience ; mais cel<strong>le</strong>-ci n'a rien qui<br />

vienne <strong>de</strong>s choses sensib<strong>le</strong>s.<br />

Saint Thomas <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si l'ange peut faire <strong>de</strong>s<br />

mirac<strong>le</strong>s, question qui s'applique aussi aux <strong>démon</strong>s.<br />

<strong>Le</strong>s mirac<strong>le</strong>s appartenant à l'ordre surnaturel, dit-il,<br />

Dieu seul peut en opérer... Lancer une pierre en l'air<br />

sans qu'el<strong>le</strong> retombe serait un mirac<strong>le</strong>, puisque d'après<br />

<strong>le</strong>s lois physiques el<strong>le</strong> doit retomber, et que Dieu seul<br />

peut <strong>le</strong>s vio<strong>le</strong>r. L'ange fait <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s en ce sens<br />

que <strong>le</strong>s lois naturel<strong>le</strong>s n'étant pas toutes connues, il<br />

peut opérer selon <strong>de</strong>s lois inconnues <strong>de</strong>s actes qui dépassent<br />

<strong>le</strong>s forces humaines; c'est un mirac<strong>le</strong>, mais<br />

seu<strong>le</strong>ment par rapport à nous; ainsi <strong>le</strong>s magiciens <strong>de</strong><br />

Pharaon opéraient par puissance diabolique 1<br />

; en se<br />

servant d'éléments matériels invisib<strong>le</strong>ment transportés<br />

d'un lieu à un autre; ils pouvaient faire ainsi tout<br />

i. <strong>Le</strong>s magiciens <strong>de</strong> Pharaon pouvaient faire <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s par la<br />

médiation du <strong>démon</strong>, non en créant <strong>le</strong>s substances, mais en <strong>le</strong>s transportant<br />

invisib<strong>le</strong>ment <strong>avec</strong> célérité. — Soutenir eu l'air un caillou<br />

peut se faire sans vio<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s lois <strong>de</strong> la gravitation, puisque la puissance<br />

du <strong>démon</strong> peut, l'y soutenir et faire invisib<strong>le</strong>ment ce que <strong>l'homme</strong><br />

fait d'une manière visib<strong>le</strong>.


AVEC LE DÉMO>\ o47<br />

ce qui se fait visib<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. (T q. CX<br />

et CX1V.)<br />

<strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s peuvent-ils changer la volonté <strong>de</strong><br />

<strong>l'homme</strong>? — Dieu seul <strong>le</strong> peut; <strong>le</strong> <strong>démon</strong> ne <strong>le</strong> pourrait<br />

qu'en excitant nos passions, en usant <strong>de</strong>s moyens<br />

<strong>de</strong> persuasion... L'inclination volontaire vient <strong>de</strong> Dieu,<br />

mais notre volonté pouvant être influencée par <strong>le</strong>s objets<br />

extérieurs, nul doute qu'un esprit ne puisse agir<br />

indirectement sur notre volonté. (1* q. CXI \)<br />

Explication <strong>de</strong>s apparitions par saint Thomas.<br />

<strong>Le</strong>s esprits peuvent-ils agir sur l'imagination, sur <strong>le</strong>s<br />

sens? Ce n'est pas douteux, et c'est un <strong>de</strong>s grands moyens<br />

employés pour tenter <strong>l'homme</strong>. Ils causent <strong>de</strong>s apparitions,<br />

dit saint Thomas, par la voie <strong>de</strong>s esprits animaux<br />

et par <strong>le</strong> mouvement <strong>de</strong>s humeurs... Après l'action <strong>de</strong>s<br />

objets extérieurs sur nos sens, <strong>le</strong>ur impression, subsistant<br />

encore, se grave dans la mémoire pour réagir ensuite<br />

sur <strong>le</strong>s sens... — L'apparition a lieu <strong>de</strong> la même<br />

manière que si <strong>le</strong> principe sensitif subissait l'action<br />

d'un objet extérieur, et <strong>le</strong> mouvement <strong>de</strong>s esprits se<br />

produira même durant la veil<strong>le</strong>. Comme on <strong>le</strong> voit chez<br />

<strong>le</strong>s frénétiques, <strong>le</strong>s bons et <strong>le</strong>s mauvais esprits peuvent<br />

produire un tel effet, quelquefois <strong>avec</strong> aliénation,<br />

d'autres fois sans aliénation <strong>de</strong>s sens.<br />

Ils peuvent agir sur <strong>l'homme</strong>, soit par un acte extérieur<br />

qui frappe ses sens, soit par un acte intérieur qui<br />

modifie ses esprits et ses humeurs : un mala<strong>de</strong>, par<br />

exemp<strong>le</strong>, trouve amer tout ce qu'il mange quoique ce<br />

l. <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> peut faire ici ce que ferait un homme, et infiniment<br />

mieux, agir comme substance sur <strong>le</strong> cerveau, agir sur <strong>le</strong> sang, ra<strong>le</strong>ntir<br />

ou précipiter la circulation, agir enfin sur <strong>le</strong>s nerfs et <strong>le</strong>s organes, et<br />

par là exciter <strong>le</strong>s passions.


548 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

soient <strong>le</strong>s mêmes aliments, car il n'y a <strong>de</strong> changement<br />

que dans <strong>le</strong>s organes du goût. <strong>Le</strong>s esprits opèrent <strong>de</strong><br />

même, puisqu'ils ont pouvoir d'agir sur l'organe luimême<br />

, ou par un objet matériel extérieur. — Ainsi<br />

saint Thomas entend que <strong>le</strong>s esprits pourraient causer<br />

dans <strong>le</strong>s sens <strong>le</strong>s mêmes effets qu'y causeraient <strong>le</strong>s objets,<br />

ou présenter <strong>le</strong>s objets eux-mêmes aux sens;<br />

<strong>le</strong>ur pouvoir sur la matière <strong>le</strong> permettant ainsi. (1 a<br />

q.<br />

CXI ; 2» q. CLXV.)<br />

<strong>Le</strong>s apparitions <strong>de</strong>s morts se font quelquefois par<br />

l'opération <strong>de</strong>s anges ou <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s. (1 a<br />

q. LXXXVII.)<br />

Ces <strong>de</strong>rniers feignent d'être <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts pour<br />

tromper. (•!• q. LXXXIX.)<br />

11 examine la question <strong>de</strong> savoir si <strong>le</strong> <strong>démon</strong> connaît<br />

nos pensées : — il <strong>le</strong>s connaît <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières, dit saint<br />

Thomas, par l'acte extérieur, par <strong>le</strong>s changements <strong>le</strong>s<br />

plus imperceptib<strong>le</strong>s 1<br />

qui s'opèrent dans notre corps;<br />

comme un mé<strong>de</strong>cin connaît l'état d'un mala<strong>de</strong> par son<br />

pouls..., ils connaissent, dit saint Augustin, non-seu<strong>le</strong>ment<br />

<strong>le</strong>s pensées exprimées, mais cel<strong>le</strong>s qui sont<br />

1. « D'après une loi fondamenta<strong>le</strong> <strong>de</strong> l'union <strong>de</strong>. l'Ame et du corps,<br />

dit Char<strong>le</strong>s Bonnet, t. XVI, p. Jî)7 et suiv., quand certaines fibres sont<br />

ébranlées, l'unie éprouve certaines sensations; cet ébran<strong>le</strong>ment a toujours<br />

lieu, soit qu'il provienne <strong>de</strong> quelque mouvement qui s'opère<br />

dans <strong>le</strong> cerveau, siège <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong> Filme; soit qu'il provienne <strong>de</strong><br />

l'action môme <strong>de</strong>s ohjcls. L'imagination et la mémoire dépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong><br />

l'organisation du cerveau ; <strong>le</strong> rappel <strong>de</strong> tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> idée dépend <strong>de</strong><br />

la reproduction <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong>s fibres sensib<strong>le</strong>s appropriées à ces<br />

idées.» —Ceci expliquerait comment <strong>le</strong> <strong>démon</strong> inspire <strong>le</strong>s pensées.<br />

Voici comment il peut <strong>le</strong>s voir : — « Si <strong>le</strong>s mouvements du cerveau, dit<br />

<strong>le</strong> même auteur, t. XVII, p. 2, répon<strong>de</strong>nt constamment dans l'âme à<br />

certaines idées, ces mouvements seront <strong>de</strong>s signes naturels <strong>de</strong>s idées<br />

qu'ils excitent, <strong>de</strong> sorte qu'une intelligence qui pourrait observer ces<br />

mouvements dans <strong>le</strong> cerveau y lirait comme dans un livre. » —Mais<br />

Dieu s'est réservé <strong>de</strong> permettre cette <strong>le</strong>cture aux esprits, quand et à<br />

qui il lui plaît.


AVEC LE DÉMON.<br />

simp<strong>le</strong>ment conçues, quand quelques signes extérieurs<br />

se manifestent dans <strong>le</strong>s corps..*— Comment cela se<br />

fait-il ? On l'ignore... Un homme ne lit pas <strong>le</strong>s pensées<br />

d'un autre, attendu que <strong>de</strong>ux choses s'y opposent, la<br />

grossièreté <strong>de</strong> la matière et la volonté qui cache son<br />

secret ; <strong>le</strong> premier obstac<strong>le</strong> n'existe pas pour <strong>le</strong>s esprits.<br />

(1 a<br />

q. LIV et L.VII.)<br />

S'il nous est impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> bien comprendre comment<br />

<strong>le</strong>s modifications imperceptib<strong>le</strong>s qui ont lieu<br />

dans l'organisme peuvent manifester <strong>le</strong>s pensées, il est<br />

une chose plus faci<strong>le</strong> à concevoir : c'est la connaissance<br />

parfaite qu'a <strong>le</strong> <strong>démon</strong> <strong>de</strong>s pensées qu'il suggère.<br />

<strong>Le</strong> même, <strong>de</strong>s superstitions.<br />

Saint Thomas, après avoir défini <strong>le</strong>s superstitions,<br />

dit qu'el<strong>le</strong>s procè<strong>de</strong>nt toutes d'un pacte exprès ou tacite<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong> <strong>démon</strong>; il en décrit <strong>le</strong>s espèces : c'est l'idolâtrie,<br />

<strong>le</strong>s divinations, <strong>le</strong>s guérisons, etc. — Toute<br />

divination vient du <strong>démon</strong>. Invoqué expressément ou<br />

tacitement, celui-ci révè<strong>le</strong> l'avenir par divers moyens<br />

que saint Thomas expose : apparitions, prestiges,<br />

songes, paro<strong>le</strong>s entendues, marques ou signes se manifestant<br />

dans <strong>le</strong>s objets inanimés, inspection <strong>de</strong>s<br />

astres, mouvement <strong>de</strong>s animaux, vol <strong>de</strong>s oiseaux, etc.<br />

Il examine ce qui peut être licite ou illicite dans ces<br />

pratiques. La divination <strong>de</strong>s événements fortuits par<br />

l'astrologie vient du <strong>démon</strong>; la <strong>de</strong>stinée <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong><br />

n'est pas soumise aux astres... <strong>Le</strong> cri <strong>de</strong>s oiseaux, à<br />

moins qu'il n'annonce un changement <strong>de</strong> température,<br />

ne peut faire connaître une chose fortuite : donc cette<br />

divination est illicite comme venant du <strong>démon</strong>.<br />

L'art notoire, ce moyen d'acquérir une science par<br />

<strong>de</strong>s pratiques qui n'ont aucune vertu pour faire obte-


530 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

nir ce résultat, est illicite... Comme <strong>le</strong> <strong>démon</strong> ne peut<br />

rendre l'ignorant tout à coup savant, c'est lui-même<br />

qui intervient et répond ; il pourrait cependant rendre<br />

l'intelligence plus apte à concevoir.<br />

« Lorsqu'on voit certains effets se produire, dit<br />

saint Thomas, il faut observer si cela peut se faire<br />

naturel<strong>le</strong>ment, ce serait licite ; s'il en était autrement,<br />

ce serait illicite, car il s'ensuivrait que <strong>le</strong>s moyens<br />

employés ne peuvent être regardés comme causes,<br />

mais seu<strong>le</strong>ment comme signes. »<br />

Ainsi <strong>le</strong>s observances pour connaître l'avenir sont<br />

<strong>de</strong>s superstitions; n'étant point <strong>de</strong>s causes, mais <strong>de</strong>s<br />

signes qui ne sont ni divins ni établis par autorité divine,<br />

mais par la vanité <strong>de</strong>s hommes et par l'opération<br />

d'esprits qui s'efforcent <strong>de</strong> <strong>le</strong>s séduire : ce sont enfin<br />

<strong>de</strong>s restes <strong>de</strong> l'idolâtrie... Saint Thomas excepte <strong>le</strong>s<br />

signes diagnostiques <strong>de</strong>s maladies.<br />

Ces observances, dit-il, ont commencé à se réaliser<br />

par hasard; <strong>le</strong>s hommes ensuite s'y sont attachés,<br />

car <strong>le</strong>s illusions diaboliques <strong>le</strong>s ont réalisées. (2 a<br />

q.<br />

XCV, XCVi.)<br />

<strong>Le</strong> même, <strong>de</strong>s phylactères.<br />

<strong>Le</strong>s Gentils suspendaient à <strong>le</strong>ur cou <strong>de</strong>s phylactères ;<br />

<strong>le</strong>s chrétiens crurent pouvoir <strong>le</strong>s remplacer par <strong>de</strong>s<br />

versets <strong>de</strong> la sainte Écriture. Saint Thomas, qui n'ose<br />

précisément <strong>le</strong>s défendre, dit qu'il serait mieux <strong>de</strong><br />

s'en abstenir... Il faut se défier <strong>de</strong>s mots inconnus, se<br />

gar<strong>de</strong>r qu'il n'y ait <strong>de</strong>s choses vaines, car l'effet ne<br />

pourrait venir <strong>de</strong> Dieu... Outre <strong>le</strong> signe <strong>de</strong> la croix, il<br />

peut y avoir <strong>de</strong>s caractères inscrits, on a pu mettre<br />

son espoir dans la manière <strong>de</strong> <strong>le</strong>s écrire ou <strong>de</strong> <strong>le</strong>s<br />

attacher.— « Si on invoque <strong>le</strong> nom <strong>de</strong> Dieu, dit-il, si on


AVEC LE DÉMON.<br />

attend tout <strong>de</strong> son secours, ce serait licite; sinon, il y<br />

aurait vaine observance. On peut porter sur soi <strong>de</strong>s<br />

reliques par une pieuse confiance, mais cette sainte<br />

pratique serait illicite si on mettait sa confiance dans<br />

<strong>de</strong>s choses vaines, dans la forme du reliquaire, par<br />

exemp<strong>le</strong>. »<br />

<strong>le</strong> mime, <strong>de</strong>s songes.<br />

« La divination par <strong>le</strong>s songes est divine ou naturel<strong>le</strong>,<br />

et alors très-licite; mais el<strong>le</strong> peut venir aussi du<br />

<strong>démon</strong>, il faut donc examiner... »<br />

C'est la question <strong>de</strong> discernement dont <strong>le</strong> saint docteur<br />

veut par<strong>le</strong>r ici, question qui est du domaine <strong>de</strong><br />

la théologie...<br />

<strong>Le</strong> même, magie bienfaisante.<br />

Saint Thomas se fait cette objection : Pourquoi ne<br />

pourrait-on se servir <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s pour faire du bien à<br />

soi ou aux autres ?<br />

« <strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s ne sont pas soumis à <strong>l'homme</strong>, dit-il;<br />

lorsqu'ils établissent un commerce exprès ou tacite<br />

<strong>avec</strong> lui, <strong>le</strong>ur but, c'est <strong>de</strong> nuire soit à son corps, soit<br />

à son âme; il semb<strong>le</strong> que <strong>l'homme</strong> lui intime <strong>de</strong>s<br />

ordres, mais c'est une imposture... Il faut donc fuir cet<br />

ennemi, qui fait à <strong>l'homme</strong> une guerre acharnée... —<br />

Dieu s'en sert, dira-t-on... — Dieu dispose comme il lui<br />

plaît <strong>de</strong> ses créatures, comme il veut et quand il veut;<br />

el<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>s instruments <strong>de</strong> sa volonté. Mais <strong>l'homme</strong><br />

n'a aucune puissance sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s; il ne peut que<br />

tomber dans <strong>le</strong> péril <strong>avec</strong> un adversaire aussi redoutab<strong>le</strong>.<br />

»


DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

<strong>le</strong> même, maléfices.<br />

« Quelques-uns disent que <strong>le</strong> maléfice n'est que dans<br />

l'imagination, dit saint Thomas, et qu'on traite <strong>de</strong> maléfices<br />

<strong>de</strong>s efi'ets très-naturels dont <strong>le</strong>s causes sont occultes...<br />

L'Église, continue saint Thomas, nous atteste<br />

la gran<strong>de</strong> puissance <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s sur <strong>le</strong>s corps et<br />

sur l'imagination <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, quand Dieu <strong>le</strong> permet :<br />

c'est <strong>de</strong> là que viennent <strong>le</strong>s prodiges <strong>de</strong>s magiciens. »<br />

Cette opinion, que <strong>le</strong>s maléfices sont naturels, a pour<br />

origine <strong>le</strong> manque <strong>de</strong> foi et l'incrédulité..., ajoute-t-il;<br />

car <strong>le</strong>s impies croient que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s existent seu<strong>le</strong>ment<br />

dans <strong>le</strong>s opinions du vulgaire, qui <strong>le</strong>ur impute<br />

ses frayeurs imaginaires...<br />

<strong>Le</strong> même, guérisons.<br />

« Rien ne s'oppose, dit saint Thomas, à ce que, par<br />

art diabolique, on ne puisse guérir plus promptement<br />

que ne <strong>le</strong> ferait la nature seu<strong>le</strong> ; » pourtant rien là <strong>de</strong> miracu<strong>le</strong>ux,<br />

puisqu'on voit la science obtenir cet effet...<br />

Il ne pense pas, toutefois, que <strong>le</strong> <strong>démon</strong> puisse faire<br />

<strong>de</strong>s guérisons subites, quoiqu'il puisse presque subitement<br />

produire plusieurs autres effets.— Après avoir<br />

dit que <strong>le</strong>s remè<strong>de</strong>s opèrent comme instrument, la<br />

nature étant <strong>le</strong> principal agent, etc., que dès lors <strong>le</strong>s<br />

<strong>démon</strong>s ne peuvent guérir lorsque <strong>le</strong>s forces sont<br />

éteintes, etc., il dit que, la guérison fût-el<strong>le</strong> opérée<br />

subitement, ce ne serait point encore un mirac<strong>le</strong>,<br />

puisque <strong>le</strong> <strong>démon</strong> opérerait <strong>avec</strong> <strong>le</strong> secours <strong>de</strong>s causes<br />

naturel<strong>le</strong>s.<br />

Saint Thomas avoue ail<strong>le</strong>urs que souvent plusieurs<br />

prodiges <strong>de</strong>s magiciens ressemb<strong>le</strong>nt h ceux dos servi­<br />

teurs <strong>de</strong> Dieu.


AVEC LE DÉMON. 5;>'.*<br />

On verra en effet que l'instantanéité, caractère <strong>de</strong>s<br />

guérisons divines, est très-rare dans cel<strong>le</strong>s qui sont<br />

diaboliques. Cependant ces <strong>de</strong>rnières pourraient paraître<br />

instantanées sans l'être en effet. 1° Si <strong>le</strong> mal est<br />

causé par <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, il cesse aussitôt qu'il se retire.<br />

2° Avant l'opération curative, qui peut consister en un<br />

geste, en une paro<strong>le</strong>, <strong>le</strong> <strong>démon</strong> a pu quelquefois d'avance<br />

préparer la cure... Comme il <strong>de</strong>vine <strong>le</strong>s pensées,<br />

et surtout comme il <strong>le</strong>s suggère, avant que son guérisseur<br />

n'ait entrepris sa cure, il a pu la commencer. Ce<br />

n'est pas, au reste, <strong>le</strong> lieu <strong>de</strong> traiter ce sujet, qui<br />

recevra ail<strong>le</strong>urs quelque développement.<br />

<strong>Le</strong> même, <strong>de</strong> l'âme et <strong>de</strong> ses puissances.<br />

On regrette <strong>de</strong> se voir contraint d'être si bref en<br />

tz'aitant un sujet si ardu, développé si largement par<br />

l'Ange <strong>de</strong> l'éco<strong>le</strong> : c'est dans la Somme <strong>de</strong> saint Thomas<br />

qu'il faut lire ce que cet illustre et saint personnage<br />

a écrit sur <strong>le</strong>s anges, <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s et sur l'âme<br />

humaine. Avant <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>-ci, il faut se rappe<strong>le</strong>r<br />

que quelques philosophes se montraient disposés à la<br />

gratifier du don naturel <strong>de</strong> divination. L'âme, l'imagination<br />

avaient un pouvoir immense, on <strong>le</strong> pensait du<br />

moins, et on crut pouvoir lui attribuer ce que d'autres<br />

attribuaient aux esprits. Saint Thomas fait observer<br />

que <strong>le</strong>s anges et <strong>le</strong>s âmes non stoit vniw speciei, puis il<br />

entre dans diverses considérations sur la nature <strong>de</strong><br />

l'âme. L'homme n'a qu'une âme; cel<strong>le</strong> qu'on appel<strong>le</strong><br />

sensitive ou végétative est la môme que cel<strong>le</strong> qui est<br />

spirituel<strong>le</strong>. Il établit même qu'il est impossib<strong>le</strong> qu'il<br />

en soit autrement.<br />

<strong>Le</strong>s puissances inorganiques appartiennent a l'âme<br />

seu<strong>le</strong>; cel<strong>le</strong>s qui sont organiques, au corps et à l'âme.


554 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

La volonté s'exerce sans organes ; mais voir, entendre,<br />

agir, etc., ont besoin du corps et <strong>de</strong> l'âme pour<br />

s'exercer.<br />

<strong>Le</strong>s puissances <strong>de</strong> l'âme subsistent-el<strong>le</strong>s après sa séparation<br />

d'<strong>avec</strong> <strong>le</strong> corps? — Affirmativement, pour cel<strong>le</strong>s<br />

qui sont dans l'âme comme appartenant à sa substance<br />

; mais cel<strong>le</strong>s qui résultent <strong>de</strong> son union <strong>avec</strong> <strong>le</strong><br />

corps ne survivent point à la dissolution <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier.<br />

(1 a<br />

q. LXXV, LXXVI etLXXVII.)<br />

La force <strong>de</strong> l'âme peut-el<strong>le</strong> modifier la matière corporel<strong>le</strong>?<br />

Dieu seul <strong>le</strong> peut, parce que la forme et la<br />

matière, materia et forma, préexistent virtuel<strong>le</strong>ment<br />

en lui comme cause première. Si <strong>le</strong>s anges mêmes ne<br />

peuvent opérer <strong>de</strong> changement qu'en employant <strong>le</strong>s<br />

agents corporels, bien moins encore l'âme pourraitel<strong>le</strong><br />

changer la matière ; quand el<strong>le</strong> agit sur el<strong>le</strong>, ce<br />

n'est que par l'intermédiaire <strong>de</strong>s corps.— Pour agir sur<br />

<strong>le</strong>s corps, l'ange n'a pas besoin d'organes, son action<br />

sur la matière est immédiate comme cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> notre âme<br />

sur nos organes ; ses opérations sont donc incomparab<strong>le</strong>ment<br />

plus puissantes. L'âme a bien aussi un pouvoir<br />

sur <strong>le</strong>s corps, mais médiatement et par l'entremise<br />

<strong>de</strong>s organes et <strong>de</strong>s instruments inventés pour <strong>le</strong>ur<br />

venir en ai<strong>de</strong> (1 a<br />

q. CXVII). Tous <strong>le</strong>s Pères enseignaient<br />

que Dieu gouverne <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> matériel par <strong>le</strong>s anges,<br />

qu'ils peuvent mouvoir <strong>le</strong>s corps d'un lieu à un autre,<br />

ils pensaient même que <strong>le</strong>s anges pouvaient mouvoir<br />

<strong>le</strong>s astres, tandis que notre âme ne peut remuer <strong>le</strong><br />

moindre corps extérieur sans ses membres pourvus do<br />

musc<strong>le</strong>s (1* q. CX). <strong>Le</strong>s anges, <strong>avec</strong> tous ces pouvoirs<br />

et celte prééminence, ne pourraient faire que <strong>le</strong> plomb,<br />

l'argent se changeassent en or et l'eau en vin, Dieu<br />

seul <strong>le</strong> peut; mais ils pourraient substituer <strong>le</strong> vin h<br />

l'eau et l'or au plomb sans avoir besoin d'organes. De


AVEC LE DÉMON.<br />

ce que la nature angélique peut agir si puissamment<br />

sur la matière, il n'en résulte pas que cela ait lieu constamment<br />

au gré <strong>de</strong> ces intelligences, car <strong>le</strong>s mauvais<br />

anges pourraient causer <strong>de</strong>s bou<strong>le</strong>versements épouvantab<strong>le</strong>s<br />

; Dieu n'a rien en<strong>le</strong>vé à <strong>le</strong>ur nature, mais <strong>le</strong>ur<br />

volonté n'étant plus conforme à la sienne <strong>de</strong>puis qu'ils<br />

sont tombés, il <strong>le</strong>s lie, <strong>le</strong>s enchaîne, et ne <strong>le</strong>ur permet<br />

d'agir que comme <strong>le</strong>s instruments <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>sseins.<br />

Lorsque <strong>le</strong>s saints font <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s, ce n'est point<br />

par la vertu <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur âme, dit saint Thomas, c'est par la<br />

grâce divine.<br />

Lorsqu'on prétend que la fascination a lieu parce<br />

que la nature corporel<strong>le</strong> doit obéir à la nature spirituel<strong>le</strong>,<br />

c'est une erreur; ni l'âme ni la force <strong>de</strong> l'imagination<br />

ne peuvent rien, car la matière n'obéit point<br />

à l'âme, cel<strong>le</strong>-ci n'ayant d'action que sur ses propres<br />

organes.<br />

Cependant saint Thomas semb<strong>le</strong> adopter l'erreur <strong>de</strong>s<br />

péripatéticiens concernant <strong>le</strong> maléfice par <strong>le</strong> regard,<br />

lorsqu'il dit que <strong>le</strong>s yeux peuvent infecter ceux qu'ils<br />

regar<strong>de</strong>nt jusqu'à une distance déterminée... 11 admet<br />

que <strong>le</strong>s miroirs <strong>de</strong>s femmes qui ont .<strong>le</strong>urs menstrues<br />

sont ainsi ternis par <strong>le</strong>urs regards, parce que Aristote<br />

avait dit que l'œil <strong>de</strong>s personnes irritées, comme celui<br />

<strong>de</strong> certaines vieil<strong>le</strong>s, par exemp<strong>le</strong>, était fort nuisib<strong>le</strong><br />

aux enfants. Saint Thomas, il est vrai, fait observer<br />

qu'il est possib<strong>le</strong> que, par quelque pacte entre ces<br />

vieil<strong>le</strong>s et <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, ce <strong>de</strong>rnier cause lui-même cernai,<br />

si Dieu <strong>le</strong> permet. (1 a<br />

q. CXVII.)<br />

L'âme étant séparée du corps peut-el<strong>le</strong> agir sur la<br />

matière? L'âme unie au corps ne meut qu'un corps<br />

vivifié, el<strong>le</strong> ne pourrait mouvoir un membre paralysé,<br />

séparé; ne vivifiant plus un corps, il n'en est<br />

aucun qui lui obéisse(/7».); el<strong>le</strong> ne saurait donc agir sur


356 DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

aucun, à moins qu'une vertu divine ne lui confère ce<br />

pouvoir.<br />

Dans <strong>l'homme</strong>, l'âme connaît-el<strong>le</strong> l'avenir? Il peut<br />

être connu dans lui-même ou dans ses causes; en<br />

lui-môme, Dieu seul <strong>le</strong> peut, dit saint Thomas; dans<br />

ses causes, on <strong>le</strong> pourrait <strong>avec</strong> certitu<strong>de</strong> si la cause<br />

était nécessaire, par exemp<strong>le</strong>, une éclipse. Mais <strong>le</strong>s<br />

causes pouvant varier, la connaissance <strong>de</strong> l'avenir<br />

<strong>de</strong>vient conjectura<strong>le</strong> ; tel est, par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> cas où<br />

<strong>de</strong>ux hommes ont <strong>de</strong>ssein d'accomplir un projet ;<br />

on peut, d'après <strong>le</strong>ur volonté du moment, prédire<br />

qu'ils l'accompliront, cependant on pourrait encore<br />

se tromper. <strong>Le</strong> <strong>démon</strong> ignore lui-même ce qui tient<br />

à <strong>de</strong>s causes fortuites, mais il conjecture infiniment<br />

mieux que <strong>l'homme</strong>.<br />

L'âme dégagée <strong>de</strong> ses sens peut-el<strong>le</strong> prédire? On a<br />

prétendu qu'el<strong>le</strong> <strong>le</strong> pouvait dans la frénésie, dans <strong>le</strong><br />

sommeil... Cette question), répond saint Thomas, serait<br />

raisonnab<strong>le</strong> si on établissait que l'âme reçoit la<br />

connaissance <strong>de</strong>s événements, comme disent <strong>le</strong>s Platoniciens,<br />

d'après la participation <strong>de</strong>s idées; l'âme connaîtrait<br />

ainsi, par sa nature, la cause physique <strong>de</strong> tous<br />

<strong>le</strong>s clfets; lorsqu'el<strong>le</strong> est dégagée, rendue à sa nature<br />

d'esprit, el<strong>le</strong> verrait l'avenir... Mais ce mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> connaître<br />

n'est pas naturel à notre enten<strong>de</strong>ment, dit-il, il<br />

a lieu par <strong>le</strong>s anges qui causent <strong>de</strong>s visions propres à<br />

révé<strong>le</strong>r l'avenir, ou lorsque <strong>le</strong> <strong>démon</strong> opère dans l'imagination<br />

quelque mouvement. (2 a<br />

q. XCV.)<br />

Traitant du ravissement et <strong>de</strong> l'extase, saint Thomas<br />

ne reconnaît pas cette séparation <strong>de</strong> l'âme d'<strong>avec</strong> <strong>le</strong><br />

corps, supposée comme on l'a vu. (Ib., q. CLXXV.)<br />

L'âme est arrachée au domaine <strong>de</strong>s sens, livrée aux<br />

communications divines, c'est la révélation; mais il<br />

n'y a là ni séparation ni dégagement; en<strong>le</strong>vée aux


AVEC LE DÉMON. a57<br />

choses sensib<strong>le</strong>s, l'âme reçoit <strong>le</strong>s révélations <strong>de</strong>s êtres<br />

spirituels.<br />

te même, copulations diaboliques.<br />

Saint Thomas pouvait, ce semb<strong>le</strong>, se dispenser <strong>de</strong><br />

traiter ce sujet. Quelques Pères, trompés par un ouvrage<br />

apocryphe, avaient cru au commerce <strong>de</strong>s anges<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s hommes ; dans <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> môme <strong>de</strong><br />

saint Augustin, cette erreur étant reconnue, n'avait<br />

point empêché <strong>le</strong> saint évoque d'Hippone d'admettre<br />

<strong>le</strong> commerce <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s femmes; mais <strong>de</strong> reconnaître<br />

en môme temps aussi que <strong>le</strong>s malins esprits<br />

n'ont point pour cel<strong>le</strong>s-ci <strong>le</strong>s passions <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>,<br />

tout ce qui se passe dans ce prétendu commerce étant<br />

une sorte d'illusion diabolique. Saint Thomas, comme<br />

saint Augustin, était loin <strong>de</strong> penser que ces copulations<br />

fussent convoitées par <strong>le</strong>s esprits ; mais la croyance<br />

subsistait toujours; on attribuait même à ces conjonctions<br />

étranges la naissance d'enfants non moins<br />

étranges. <strong>Le</strong> docteur angélique est forcé alors <strong>de</strong> s'exprimer<br />

<strong>de</strong> cette manière : Si tamen ex coitu dœmonwn<br />

aliqui intcrditm nasewitur, hoc non est per semen ab eis<br />

<strong>de</strong>cisum, aut a corporibus assumptis; sed per semen aîieujvs<br />

hominis ad hoc acceptum, etc. Il fallait au treizième<br />

sièc<strong>le</strong> <strong>de</strong>s faits bien multipliés, bien constants, pour<br />

oser traiter un pareil sujet et pour essayer d'expliquer<br />

ces naissances monstrueuses. Saint Thomas, admettant<br />

la puissance <strong>de</strong>s esprits sur la matière, <strong>le</strong> pouvoir<br />

<strong>de</strong> transporter <strong>le</strong>s corps aussi vite que la pensée, suppose<br />

aussi qu'ils peuvent être préservés <strong>de</strong> toute altération<br />

pendant ce trajet; tout ceci admis, <strong>le</strong> surplus<br />

n'aurait rien d'absur<strong>de</strong>; <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s ne désiraient ni ne<br />

pouvaient engendrer, la copulation était prestigieuse,


DES «APPORTS DE L'HuMMK<br />

niais <strong>le</strong> résultat ne l'étant point, il donnait la seu<strong>le</strong><br />

explication qui soit possib<strong>le</strong>. — On pourrait faire ici<br />

plusieurs objections qui trouvent ail<strong>le</strong>urs une place<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong>s réponses. ('l a<br />

q. Ll.)<br />

Entre autres objections, on dit: L'homme, <strong>de</strong>puis<br />

l'avènement du Sauveur, n'est plus <strong>le</strong> serf du <strong>démon</strong> ,<br />

celui-ci est enchaîné, etc. — Saint Thomas répond que,<br />

malgré la passion du Sauveur, <strong>le</strong> <strong>démon</strong>, quand Dieu<br />

<strong>le</strong> permet, peut encore tenter l'âme et vexer <strong>le</strong> corps...<br />

11 peut <strong>de</strong> même tromper <strong>le</strong>s hommes sous certaines<br />

formes, dans certains temps et certains lieux, selon la<br />

raison cachée <strong>de</strong> la divine sagesse; mais la passion <strong>de</strong><br />

Jésus-Christ est un remè<strong>de</strong> contre <strong>le</strong>s attaques diaboliques<br />

(3* q. XL1X.)<br />

<strong>Le</strong>s <strong>démon</strong>s peuvent produire la pluie et <strong>le</strong>s vents<br />

et autres phénomènes. (l a<br />

, 2 a<br />

q. LXXX.) — Ils se<br />

ren<strong>de</strong>nt familiers aux hommes pour <strong>le</strong>s tromper. (•!*,<br />

2 a<br />

q. LXXXIX.) — Ils sont attirés par divers genres<br />

d'herbes, d'animaux, <strong>de</strong> rites, par <strong>de</strong>s vers. (A*-q. CXV.)<br />

— Ils feignent quelquefois d'être <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts<br />

pour tromper. (1« q. LXXXIX.)<br />

<strong>Le</strong> diab<strong>le</strong> peut tenter <strong>le</strong>s hommes quanta l'Ame et<br />

<strong>le</strong>s tourmenter quant au corps ; pourtant la passion du<br />

Sauveur a préparé un remè<strong>de</strong> par <strong>le</strong>quel ils peuvent<br />

se défendre contre <strong>le</strong>s attaques <strong>de</strong> l'ennemi. (3 a<br />

q.<br />

XLIX 1<br />

.)<br />

1. On n'a rapporté que la substance <strong>de</strong> quelques conclusions prises<br />

çà et là dans la Somme <strong>de</strong> saint Thomas : dans un exposé aussi bref<br />

(simp<strong>le</strong> spécimen), on a quelquefois omis aussi <strong>de</strong> citer la partie <strong>de</strong> la<br />

Somme d'où ont été extraits ces quelques fragments; que <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur<br />

consulte <strong>le</strong>s tab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> la Somme, il y verra <strong>le</strong>s détails admirab<strong>le</strong>s dans<br />

<strong>le</strong>squels <strong>le</strong> docteur angélique est entré. — On a évité enfin <strong>de</strong> citer <strong>le</strong>s<br />

termes scolastiques, dont l'explication se trouve datis <strong>le</strong> glossaire, à.<br />

la fin du volume <strong>de</strong>s traductions françaises. Notre plan nous permet,<br />

s'il n'exige, cette omission.


AVEC LE DEMOS.<br />

Saint Thomas résume clans sa Somme la doctrine <strong>de</strong><br />

l'Église et <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s docteurs. Rien <strong>de</strong> changé au<br />

fond : que l'on parcoure du cinquième au quinzième<br />

sièc<strong>le</strong> <strong>le</strong>s écrits qu'el<strong>le</strong> approuve. — Plusieurs chrétiens<br />

se confiaient encore aux divinations, aux guérisons<br />

superstitieuses et à diverses pratiques païennes.<br />

<strong>Le</strong>s hérétiques se livraient à tout ce qu'on a exposé<br />

précé<strong>de</strong>mment. L'Église y signa<strong>le</strong> constamment l'intervention<br />

<strong>de</strong>s malins esprits, admettant toujours <strong>le</strong>s<br />

mêmes faits ; nul<strong>le</strong> autre explication n'est possib<strong>le</strong> à<br />

ses yeux.<br />

Saint Césaire, archevêque d'Ar<strong>le</strong>s au cinquième<br />

sièc<strong>le</strong>, disait : — «Vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>z quel mal vous faites<br />

en consultant <strong>le</strong>s augures et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>vins..., puisqu'ils vous<br />

disent fréquemment la vérité... <strong>Le</strong> Seigneur vous tente<br />

pour voir si vous <strong>le</strong> craignez; l'Écriture vous avait<br />

avertis— » — « Cependant, si on néglige <strong>de</strong> faire venir<br />

<strong>de</strong>s enchanteurs, plusieurs, direz-vous, sont en danger<br />

<strong>de</strong> mort...» — J'en conviens... Mais Dieu permet au<br />

diab<strong>le</strong> d'intervenir pour éprouver <strong>le</strong>s chrétiens, et<br />

ils croiront en lui, d'autant plus faci<strong>le</strong>ment que par<br />

<strong>de</strong>s voies sacrilèges ils auront pu sortir d'une infirmité...<br />

Veritm est, fraires charissimi, quia permittit<br />

hoc Deus diabolo... adprobandum christianum, etc.,<br />

(S. Cœsar., Serm. CCLXXVIII. — In Append., t. V<br />

op. S. Aug.); c'est-à-dire Dieu, après vous avoir suffisamment<br />

avertis, permet que vous soyez soumis à<br />

l'épreuve.<br />

Saint Anastase Sinaïte, au septième sièc<strong>le</strong>, ni<br />

moins explicite ni moins croyant au pouvoir <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s,<br />

avoue qu'ils font faire à <strong>le</strong>urs prophètes <strong>de</strong>s<br />

mirac<strong>le</strong>s et <strong>de</strong>s guérisons pour la propre séduction <strong>de</strong><br />

ceux-ci et <strong>de</strong>s autres ; ils paraissent même, dit-il,<br />

rappe<strong>le</strong>r <strong>de</strong>s morts à la vie, et ils feignent <strong>de</strong> <strong>le</strong>s faire


:;00 DES IUM'OUTS L'HOMME<br />

converser <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s vivants. (Quœsl. 20, ex Bibl. Pair.,<br />

t. IX.)<br />

Même sièc<strong>le</strong>, saint Isidore <strong>de</strong> Sévil<strong>le</strong>, surnommé <strong>le</strong><br />

nouvel ornement <strong>de</strong> l'Église..., distingue <strong>le</strong>s diverses<br />

espèces <strong>de</strong> sorciers et <strong>de</strong> magiciens : ceux qui tuent<br />

par <strong>le</strong>s paro<strong>le</strong>s, ceux qui troub<strong>le</strong>nt l'esprit, agitent <strong>le</strong>s<br />

hommes à volonté...; <strong>le</strong>s nécromanciens, qui évoquent<br />

<strong>le</strong>s morts pour la divination, etc., etc. — Magi,<br />

nu.<strong>de</strong>.fici, incuntatores, hurioli, augures, astrn/ogi, etc.<br />

(Eti/m., VIII, 1)'.) Saint Isidore est loin <strong>de</strong> nier <strong>le</strong>ur<br />

pouvoir.<br />

Au dixième sièc<strong>le</strong>, Rathère, évèque <strong>de</strong> Vérone, distingue<br />

la mé<strong>de</strong>cine naturel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong>s enchanteurs...<br />

11 reconnaît que <strong>le</strong>s <strong>de</strong>rniers obtiennent<br />

par <strong>le</strong>urs pratiques, quand Dieu <strong>le</strong> permet, <strong>le</strong>s mêmes<br />

résultats que toute la science médica<strong>le</strong>, ce qu'il prouve<br />

par <strong>de</strong>s faits... — Ail<strong>le</strong>urs il dit que Satan, tout méchant<br />

qu'il est, peut procurer tout aussi bien quelques<br />

cures, qu'il peut dire <strong>de</strong>s choses vraies, quoiqu'il ne<br />

soit plus dans la vérité. (Prceloq., I, tit. h.)<br />

<strong>Le</strong>s mirac<strong>le</strong>s divins, disait saint Bonaventure au<br />

treizième sièc<strong>le</strong>, diffèrent <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong> Satan, en ce<br />

que ceux <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier sont vils et souvent inuti<strong>le</strong>s,<br />

tandis que ceux <strong>de</strong> Dieu sont fort uti<strong>le</strong>s. Ceux-ci ne<br />

sont point faits pour plaire aux sens, ut humanos sensus<br />

<strong>de</strong>mulceant, etc., satisfaire la curiosité, mais pour<br />

édifier l'Église, ut Ecc<strong>le</strong>siam œdificent, etc... Tandis<br />

que ceux du <strong>démon</strong> sont <strong>de</strong>s prestiges qui divertissent,<br />

étonnent ou épouvantent, et n'ont rien <strong>de</strong> grand ni <strong>de</strong><br />

nob<strong>le</strong>.<br />

1. «In quibus omnibus ars du>uionum est ex quadam peslifera societalo<br />

hominum, et angelorum malorum exorta. Umlc cunc.ta vitanda<br />

•suni a Chrisfiano, et omni penilus exseeiatione repudianda alquc<br />

damnanda. » (lb.)


AVEC Lli DÉMON.<br />

Au quatorzième sièc<strong>le</strong>, Gcrson, <strong>le</strong> pieux chancelier<br />

<strong>de</strong> l'Université <strong>de</strong> Paris, expose la même doctrine<br />

dans ses écrits.<br />

Si <strong>le</strong> mirac<strong>le</strong> n'est ni nécessaire, ni avantageux à la<br />

piété, il est par là même suspect, et doit être rejeté,<br />

dit-il. Tels sont <strong>le</strong>s prestiges <strong>de</strong>s magiciens.<br />

11 distingue trois sortes d'opérations diaboliques :<br />

vio<strong>le</strong>nte, fraudu<strong>le</strong>use, maligne...; tantôt, <strong>le</strong> <strong>démon</strong> se<br />

transforme en ange <strong>de</strong> lumière, tantôt il porte aux<br />

excès <strong>le</strong>s plus monstrueux... — En fait d'égarement<br />

<strong>de</strong> l'esprit, il nous jette dans toutes sortes d'illusions;<br />

à l'imitation <strong>de</strong> l'Esprit-Saint, il confère <strong>de</strong>s grâces,<br />

distribue <strong>de</strong>s dons qui ressemb<strong>le</strong>nt à ceux <strong>de</strong> l'Église;<br />

Dieu <strong>le</strong> permettant, l'un reçoit <strong>le</strong> don <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r <strong>avec</strong><br />

sagesse, l'autre celui <strong>de</strong> science; celui-ci d'opérer <strong>de</strong>s<br />

prodiges, celui-là <strong>de</strong> guérir, un autre celui <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r<br />

diverses langues, etc., etc. «Tout cela, dit-il, n'est<br />

qu'apparent, n'existe pas, apparentes, sed non exsistentes<br />

: » — c'est-à-dire, ce nesontpoint <strong>de</strong>s dons réels,<br />

<strong>l'homme</strong> reste tel qu'il était, c'est <strong>le</strong> <strong>démon</strong> qui agit et<br />

par<strong>le</strong> en lui.<br />

« 11 existe, dit-il ail<strong>le</strong>urs, <strong>de</strong>s règ<strong>le</strong>s <strong>de</strong> discernement...<br />

On doit admettre tout ce qui est conforme<br />

aux Écritures, et rejeter comme hérétique et suspect<br />

tout ce qui ne s'accor<strong>de</strong> point <strong>avec</strong> el<strong>le</strong>s... » Il veut<br />

qu'on imite ces changeurs habi<strong>le</strong>s qui ne se laissent<br />

point éblouir par une surface brillante qui cache<br />

du plomb ou du cuivre, etc.; il veut enfin que <strong>le</strong>s mirac<strong>le</strong>s<br />

soient examinés par un théologien expérimenté<br />

et savant. (De dist. ver. vision, a fais.) L'illustre chancelier<br />

dit que l'action <strong>de</strong> Satan se manifeste encore par<br />

<strong>de</strong>s circonstances où dominent <strong>le</strong> ridicu<strong>le</strong> et <strong>le</strong> puéril,<br />

l'indécent et <strong>le</strong> cruel... Dans ce cas, <strong>le</strong> mirac<strong>le</strong> doit<br />

être rejeté comme indigne <strong>de</strong> Dieu.<br />

I. 3G


362 DUS RAPPORTS DE L'HOMME<br />

Toute.pratique, dit-il, employée pour obtenir un<br />

effet qu'on ne peut attendre ni <strong>de</strong> Dieu par mirac<strong>le</strong>,<br />

ni <strong>de</strong>s causes naturel<strong>le</strong>s, est superstitieuse, suspecte<br />

<strong>de</strong> pacte <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s. Tel<strong>le</strong> est, continue Gerson,<br />

la doctrine <strong>de</strong>s saints docteurs, <strong>de</strong>s Décrétâtes et <strong>de</strong> la<br />

Faculté <strong>de</strong> théologie <strong>de</strong> Paris. (De error. circa art. via//.)<br />

Comment, disait-on, il ne sera pas permis <strong>de</strong> faire<br />

ce qu'on peut pour sa propre guérison et pour soulager<br />

ses frères? — « D'accord, répliquait Gerson, pourvu<br />

qu'on se borne aux moyens suggérés par la raison, par<br />

la pru<strong>de</strong>nce et <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'art. » — Quoi ! disait-on<br />

encore, on appel<strong>le</strong>ra vaine et superstitieuse une pratique<br />

dont <strong>le</strong>s effets prouvent indubitab<strong>le</strong>ment l'utilité!<br />

— comme si nous prétendions, répliquait <strong>le</strong><br />

chancelier, que Satan et ses adorateurs ne peuvent<br />

rien opérer... Nous sommes bien éloignés <strong>de</strong> nier ce<br />

qu'ont fait <strong>le</strong>s magiciens <strong>de</strong> Pharaon, la pythonisse <strong>de</strong><br />

Saiil, <strong>le</strong>s exorcistes juifs, <strong>le</strong>s faux dieux et tout ce<br />

que l'Antéchrist doit produire ; nous confessons toutes<br />

ocs choses et rejetons tous ceux qui <strong>le</strong>s révoquent<br />

en doute... Mais comme la vraie foi mérite d'être<br />

illustrée par <strong>de</strong>s mirac<strong>le</strong>s, la fausse foi, pour sa condamnation<br />

et pour l'épreuve <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> bien, est<br />

digne d'être <strong>le</strong> jouet <strong>de</strong>s prodiges trompeurs et <strong>de</strong>s<br />

illusions... »<br />

Réf<strong>le</strong>xions.<br />

<strong>Des</strong> fragments aussi incomp<strong>le</strong>ts <strong>de</strong> la doctrine <strong>de</strong><br />

l'Église sur <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux au moyen âge prouvent<br />

cependant que <strong>le</strong>s théologiens l'admettaient comme <strong>le</strong><br />

vulgaire, tandis que <strong>de</strong> nouveaux systèmes, dès <strong>le</strong><br />

douzième sièc<strong>le</strong>, se substituaient peu à peu à la doctrine<br />

<strong>de</strong>s Pères et <strong>de</strong>s saints docteurs. — 11 s'agit main-


AVEC LE DÉMON. 303<br />

tenant <strong>de</strong> faire une option entre ces systèmes et cette<br />

doctrine.<br />

Depuis longtemps déjà cette <strong>de</strong>rnière est répudiée par<br />

<strong>le</strong>s incrédu<strong>le</strong>s. « — <strong>Le</strong> commerce <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s Orientaux,<br />

disent ses détracteurs, a importé dans l'Occi<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s<br />

systèmes philosophiques et <strong>le</strong>s diverses connaissances<br />

d'un mon<strong>de</strong> parvenu au plus haut point <strong>de</strong> la civilisation;<br />

que lui opposera donc <strong>le</strong> moyen âge? L'ignorance<br />

grossière <strong>de</strong>s peup<strong>le</strong>s tombés dans la barbarie;<br />

une crédulité qui accepte comme vrais <strong>le</strong>s récits <strong>le</strong>s plus<br />

ridicu<strong>le</strong>s Quels sont <strong>le</strong>s successeurs <strong>de</strong>s Pères <strong>de</strong><br />

l'Église? <strong>Des</strong> prêtres qui n'enten<strong>de</strong>nt pas même assez<br />

<strong>de</strong> latin pour traduire l'Oraison dominica<strong>le</strong>, qui savent à<br />

peine lire ; qui se livrent à <strong>de</strong>s frau<strong>de</strong>s pieuses, par piété<br />

ma<strong>le</strong>ntendue ou dans un intérêt purement financier. La<br />

corruption <strong>de</strong>s mœurs a remplacé la sainteté du sacerdoce;<br />

l'ignorance, <strong>le</strong> brigandage existent partout;<br />

toute la science consiste dans <strong>le</strong>s récits incroyab<strong>le</strong>s<br />

<strong>de</strong>s légen<strong>de</strong>s, dans <strong>de</strong>s croyances superstitieuses. 11<br />

est douteux que <strong>le</strong> grand empereur qui entreprit <strong>de</strong><br />

former <strong>de</strong>s éco<strong>le</strong>s sût signer son nom, et ces éco<strong>le</strong>s<br />

produisirent <strong>de</strong>s hommes qui, d'après <strong>le</strong>s tendances<br />

<strong>de</strong> l'esprit <strong>de</strong> cette époque, n'écrivirent que <strong>de</strong>s inepties.<br />

Jl est si constant qu'on voyait <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> et la magie<br />

partout, que Roger Bacon, s'étant instruit dans <strong>le</strong>s<br />

sciences naturel<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s anciens, ayant observé et réfléchi,<br />

parce qu'il avait étudié <strong>le</strong>s divers systèmes philosophiques,<br />

fut accusé <strong>de</strong> sortilège par <strong>le</strong> général <strong>de</strong><br />

son ordre, puis incarcéré... Osera-t-on citer encore<br />

<strong>le</strong>s docteurs du moyen âge? Ce sont <strong>le</strong>s discip<strong>le</strong>s trèsignorants<br />

<strong>de</strong>s Pères <strong>de</strong>s premiers sièc<strong>le</strong>s, qui la plupart<br />

étaient platoniciens. Ces prétendus grands hommes,<br />

mystiques atrabilaires, exclusivement adonnés à l'étu<strong>de</strong><br />

d'une métaphysique fausse et ténébreuse, sont venus,


OES R A P P O R T S DE L'HOMME<br />

<strong>le</strong>s uns avant que l'Occi<strong>de</strong>nt eût connu <strong>le</strong>s trésors <strong>de</strong><br />

l'antiquité, <strong>le</strong>s autres postérieurement, mais sans vouloir<br />

<strong>le</strong>s connaître. »<br />

On pourrait répondre : La fréquentation <strong>avec</strong> l'Orient<br />

a communiqué à l'Occi<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s trésors intel<strong>le</strong>ctuels<br />

du vieux mon<strong>de</strong>, fruits d'une longue civilisation : la<br />

sculpture, l'architecture, la littérature, l'histoire, la<br />

philosophie, mais éga<strong>le</strong>ment ses erreurs, ses superstitions<br />

et son impiété ; ce qui était bon servit <strong>de</strong> passeport<br />

;i ce qni était mauvais, ou mieux, on ne sut pas<br />

distinguer l'un <strong>de</strong> l'autre; tout fut accueilli <strong>avec</strong> <strong>le</strong><br />

même enthousiasme par <strong>le</strong>s amis du progrès, et on<br />

<strong>de</strong>vint théurgiste, manichéen, sceptique, épicurien,<br />

matérialiste, pour al<strong>le</strong>r ensuite, <strong>de</strong> progrès en progrès,<br />

se jeter dans <strong>le</strong> gouffre du dix-huitième sièc<strong>le</strong>, cet<br />

épicurisme grossier, ce sensualisme énervant que l'on<br />

a signalé chez <strong>le</strong>s anciens aux époques <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur déca<strong>de</strong>nce.<br />

Vous accusez <strong>le</strong> c<strong>le</strong>rgé du moyen âge <strong>de</strong> crédulité,<br />

et on a vu <strong>le</strong> transport <strong>de</strong>s sorciers par l'air être considéré<br />

par lui comme une illusion, et c'est après la renaissance<br />

qu'on en a constaté la réalité ; plusieurs refusaient<br />

<strong>de</strong> croire que <strong>le</strong>s sorcières pénétrassent dans <strong>le</strong>s<br />

maisons, qu'el<strong>le</strong>s pussent causer la grê<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s tempêtes.<br />

On a vu Agobard traiter d'insensés et ceux qui<br />

accusaient certains hommes d'avoir répandu une poudre<br />

<strong>de</strong>venue poison uniquement pour <strong>le</strong>s bœufs <strong>de</strong> Charlcmagne,<br />

et <strong>le</strong>s accusés qui l'avouaient; et cependant <strong>le</strong>s<br />

sièc<strong>le</strong>s qui suivent <strong>le</strong> moyen âge crurent à <strong>de</strong>s crimes<br />

i<strong>de</strong>ntiques. Agobard, Éginhard, etc., dans <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

ténèbres, étaient-ils plus judicieux et plus instruits que<br />

<strong>le</strong>s membres <strong>de</strong>s par<strong>le</strong>ments, que <strong>le</strong> c<strong>le</strong>rgé si savant<br />

dans <strong>le</strong> seizième et <strong>le</strong> dix-septième sièc<strong>le</strong>, qui tous connaissaient<br />

et savaient apprécier <strong>le</strong>s diverses richesses


AVEC LE DÉMON.<br />

léguées par l'antiquité. Que l'on suppose un instant<br />

•Éginhard, Agobard, <strong>le</strong>s membres <strong>de</strong> certains syno<strong>de</strong>s,<br />

consultant <strong>le</strong> c<strong>le</strong>rgé et la magistrature <strong>de</strong>s seizième<br />

et dix-septième sièc<strong>le</strong>s, tous ceux-ci <strong>le</strong>ur diraient :<br />

« De tels faits vous choquent, votre raison <strong>le</strong>s rejette;<br />

cependant, <strong>de</strong>puis vous, ils se sont tel<strong>le</strong>ment multipliés<br />

sous nos yeux, que nous <strong>le</strong>s constatons tous<br />

<strong>le</strong>s jours : <strong>le</strong>ur conformité <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s traditions <strong>de</strong> l'antiquité,<br />

<strong>avec</strong> l'enseignement <strong>de</strong> l'Église et <strong>le</strong>s explications<br />

d'hommes que <strong>le</strong>ur étu<strong>de</strong> a rendus compétents,<br />

nous y convient. Vous niez qu'une poudre<br />

puisse tuer et épargner tout à la fois; vous ignorez<br />

donc quel<strong>le</strong> est <strong>le</strong> signe sensib<strong>le</strong> sous <strong>le</strong>quel se cache<br />

l'intelligence qui agit? Pour l'ordinaire, <strong>de</strong> sa nature<br />

cette poudre est sans vertu ; mais <strong>le</strong> <strong>démon</strong> opère seul,<br />

et <strong>le</strong> mal se fait non e.r opère operato, mais ex opère<br />

opcrantis. L'antiquité païenne nous avait el<strong>le</strong>-même<br />

montré <strong>de</strong>s substances sans aucune vertu procurant<br />

<strong>le</strong> bien ou <strong>le</strong> mal, au gré <strong>de</strong> celui qui s'en servait.<br />

La conviction s'est accrue <strong>de</strong>puis en raison directe<br />

<strong>de</strong>s faits observés. Donc c'est <strong>le</strong> moyen âge qui souvent<br />

s'est montré disposé à nier,. et ce sont précisément<br />

<strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s suivants qui se sont vus contraints<br />

d'accepter. »<br />

« On accuse d'ignorance tout <strong>le</strong> moyen âge. Méprise<br />

étrange ! <strong>Des</strong> hommes illustres pâlissaient en étudiant<br />

l'Écriture et <strong>le</strong>s Pères, en approfondissant la théologie,<br />

sujet si vaste, si ardu, et que nos épicuriens, dans <strong>le</strong>ur<br />

ignorance, traitent <strong>avec</strong> une légèreté si niaise, sujet<br />

qui exigerait la durée d'une longue existence pour<br />

apprécier ses sublimes vérités, et sur <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> premier<br />

venu déci<strong>de</strong> pourtant si souverainement. »<br />

Si on citait au hasard quelques noms <strong>de</strong> cette<br />

époque, <strong>de</strong>puis saint Léon jusqu'à saint Thomas, on


Sfifi DES RAPPORTS DE L'HOMME<br />

nommerait saint Grégoire <strong>le</strong> Grand, Cassiodoro nu<br />

cinquième et au sixième sièc<strong>le</strong>; saint Jean Damascène,<br />

<strong>le</strong> vénérab<strong>le</strong> Bè<strong>de</strong>, saint Isidore <strong>de</strong> Sévillc au septième;<br />

au huitième et au neuvième Alcuin, Hincmar,<br />

Rhaban-Maur ; Gcrbert au dixième ; saint Anselme,<br />

Lanfranc <strong>de</strong> Pavie, Pierre Damicn, etc., au onzième;<br />

saint Bernard, Abélard au douzième; Albert <strong>le</strong> Grand,<br />

saint Thomas, etc., au treizième. Plusieurs d'entre<br />

eux étaient <strong>de</strong> hardis penseurs, et tous philosophes,<br />

théologiens, et savants si profonds, que <strong>le</strong>urs détracteurs<br />

aujourd'hui auraient peine à <strong>le</strong>s pénétrer. La<br />

plupart à la dia<strong>le</strong>ctique, à la métaphysique, à certaines<br />

connaissances <strong>de</strong>s temps antiques, joignaient<br />

cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> plusieurs langues. Si <strong>le</strong>ur latin ne vaut pas<br />

celui d'Horace ou <strong>de</strong> Virgi<strong>le</strong>, il vaut souvent mieux<br />

que celui <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs critiques. S'ils par<strong>le</strong>nt <strong>de</strong> mirac<strong>le</strong>s<br />

et <strong>de</strong> prodiges dont ils furent témoins, <strong>de</strong> possédés<br />

délivrés, <strong>de</strong> pratiques magiques, qui faut-il en accuser,<br />

sinon la multiplicité <strong>de</strong>s faits? ce qui ne porte<br />

pas plus d'atteinte à <strong>le</strong>ur science que <strong>le</strong> scepticisme<br />

d'une autre époque concernant <strong>le</strong> merveil<strong>le</strong>ux n'en<br />

porte à la réalité <strong>de</strong> certaines découvertes physiques<br />

regardées longtemps comme impossib<strong>le</strong>s.<br />

On voyait partout, dit-on, tel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> et la<br />

magie, que Roger Bacon, cet homme supérieur, fut<br />

accusé d'être sorcier parce qu'il entrevit dans la nature<br />

ce que d'autres n'y avaient point vu, et enfin parce<br />

qu'il étudiait l'alchimie. — Ses explications physiques<br />

ou ses négations ont-el<strong>le</strong>s satisfait <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur?<br />

Ce n'est pas ici <strong>le</strong> lieu d'examiner si <strong>le</strong>s apparitions<br />

d'esprits sont expliquées dans Bacon par <strong>le</strong>s erreurs <strong>de</strong><br />

la vue et <strong>de</strong> l'ouïe; s'il suffit, pour expliquer <strong>le</strong> don <strong>de</strong><br />

divination, <strong>de</strong> dire que <strong>le</strong>s hommes diffèrent beaucoup<br />

<strong>le</strong>s uns <strong>de</strong>s autres, etc., si la perspicacité, si certaines


AVEC LE DÉMON. «567<br />

maladies peuvent faire prédire, etc., etc., Bncon avait<br />

un autre gui<strong>de</strong> qu'Aristote et <strong>le</strong>s matérialistes; l'Écriture<br />

même, philosophiquement parlant, lui donnait<br />

une solution plus satisfaisante que <strong>le</strong> philosophe <strong>de</strong><br />

Stagire. Bacon s'étonne qu'une vieil<strong>le</strong> sorcière puisse<br />

faire agir <strong>le</strong>s esprits, que Dieu <strong>le</strong> permette sans<br />

cause, etc.. — Qu'un homme du mon<strong>de</strong> ignorant<br />

cette matière s'exprime ainsi, rien d'étonnant; mais<br />

il en <strong>de</strong>vait être autrement d'un moine qui avait lu<br />

l'Écriture et <strong>le</strong>s Pères !... — « <strong>Le</strong>s illusions <strong>de</strong> la<br />

magie n'ont rien <strong>de</strong> réel, » dit Bacon. — Qui dit <strong>le</strong><br />

contraire? — Ce sont souvent <strong>de</strong>s prestiges sataniqucs,<br />

non <strong>de</strong>s récits mensongers...; mais en se rappelant<br />

<strong>le</strong>s faits, <strong>le</strong>ur réalité objective souvent aussi<br />

n'est que trop constante, surtout lorsqu'il y a contusions<br />

ou b<strong>le</strong>ssures... — Bacon dit n'avoir jamais rien<br />

vu ni pu voir... — Qu'importe à ceux qui ont vu et<br />

senti, et à <strong>le</strong>urs nombreux témoins! Tout cela prouve<br />

que Satan était plus fin que Bacon ; s'il se fût montré<br />

à ce franciscain, celui-ci n'eût sans doute pas écrit un<br />

livre si propre à favoriser l'incrédulité... — Quant aux<br />

connaissances physiques <strong>de</strong> Bacon, on ne <strong>le</strong>s nie point:<br />

il pressentit <strong>de</strong>s découvertes faites plus ou moins <strong>de</strong><br />

temps après lui...'— Mais c'est bien <strong>l'homme</strong> du progrès,<br />

donnant tête baissée dans <strong>le</strong>s vieil<strong>le</strong>ries <strong>de</strong> l'antiquité,<br />

<strong>de</strong>venues <strong>de</strong>s nouveautés ; il a lu tous <strong>le</strong>s<br />

philosophes matérialistes hosti<strong>le</strong>s au surnaturalisme;<br />

mais <strong>le</strong>s opinions qu'il adopte n'ont pu ni faire oublier,<br />

ni remplacer la doctrine <strong>de</strong> l'Église et <strong>de</strong>s Pères,<br />

il na rien <strong>démon</strong>tré. Bacon s'infatua <strong>de</strong> l'astrologie,<br />

<strong>de</strong> l'alchimie; la première, comme science, était une<br />

extravagance; que déci<strong>de</strong>r, quand on est forcé d'admettre<br />

<strong>le</strong>s faits? il faut y voir, <strong>avec</strong> <strong>le</strong>s Pères, l'intervention<br />

d'une intelligence — L'alchimie, dans


f>08 DES «APPORTS DE I/HOMME<br />

certains cas, on <strong>le</strong> verra, pouvait rentrer dans la magie;<br />

donc <strong>le</strong> général <strong>de</strong> l'ordre pouvait répriman<strong>de</strong>r<br />

Bacon, et <strong>le</strong> punir s'il s'obstinait. Si ces prétendues<br />

sciences étaient naturel<strong>le</strong>s, Bacon <strong>de</strong>vait <strong>le</strong> prouver;<br />

disons-<strong>le</strong> hardiment, il eût été compris.<br />

En nous résumant : Bacon put être bon physicien<br />

pour son temps, bon astrologue, alchimiste, et partisan<br />

<strong>de</strong> la philosophie ; mais on peut douter qu'il fût bon<br />

théologien, et s'il connut <strong>le</strong>s arguments que fournissait<br />

la théologie contre <strong>le</strong>s idées matérialistes, Bacon<br />

s'obstinait alors dans un aveug<strong>le</strong>ment volontaire.<br />

<strong>Le</strong>s docteurs <strong>de</strong> l'Église, a-t-on dit, étaient <strong>de</strong>s mystiques<br />

exclusivement occupés <strong>de</strong> théologie, ennemis<br />

<strong>de</strong> toute idée neuve, <strong>le</strong>s méprisant sans <strong>le</strong>s connaître.<br />

— Saint Thomas avait étudié Aristote et lu <strong>le</strong>s philosophes<br />

arabes; il s'est peut-être môme montré trop<br />

faci<strong>le</strong>ment partisan <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs systèmes, quand il a parlé<br />

<strong>de</strong> l'ensorcel<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s enfants par <strong>de</strong>s effluves échappées<br />

<strong>de</strong>s yeux irrités <strong>de</strong>s vieil<strong>le</strong>s femmes. Cependant<br />

saint Thomas ne pensait pas comme Bacon.<br />

Gcrson, né plus d'un sièc<strong>le</strong> après Bacon, avait lu <strong>le</strong>s<br />

philosophes matérialistes; ce ne fut point par ignorance<br />

qu'il adopta la doctrine <strong>de</strong> l'intervention <strong>de</strong>s esprits,<br />

mais parce qu'el<strong>le</strong> lui parut logique, outre sa source<br />

divine : ces hommes illustres du treizième et du<br />

quatorzième sièc<strong>le</strong> étaient fort supérieurs au vulgaire<br />

croyant, parce qu'ils pouvaient comparer <strong>le</strong>s doctrines,<br />

et fort supérieurs surtout aux incrédu<strong>le</strong>s qui déraisonnaient<br />

et aux épicuriens qui raillaient. Gerson<br />

explique l'aveug<strong>le</strong>ment <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s autres. C'est<br />

une impiété, dit ce personnage aussi pieux que savant,<br />

et une erreur directement contraire aux saintes <strong>le</strong>ttres,<br />

que <strong>de</strong>nier que <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s soient auteurs <strong>de</strong> plusieurs<br />

elléts surprenants...


AVEC LE DÉMON. 509<br />

« Ceux qui regar<strong>de</strong>nt ce qu'on en dit comme une<br />

fab<strong>le</strong>, et qui se moquent <strong>de</strong>s théologiens mériteraient<br />

une sévère correction...<br />

« Quelquefois même <strong>de</strong>s savants sont susceptib<strong>le</strong>s <strong>de</strong><br />

cette erreur, parce qu'ils laissent affaiblir <strong>le</strong>ur foi et<br />

obscurcir <strong>le</strong>s lumières naturel<strong>le</strong>s; <strong>le</strong>ur âme, tout occupée<br />

<strong>de</strong>s choses sensib<strong>le</strong>s, rapporte tout aux corps et,<br />

ne peut s'é<strong>le</strong>ver jusqu'aux esprits... Ce qui empêche<br />

si fort <strong>de</strong> trouver la vérité, c'est <strong>de</strong> rapporter tout aux<br />

sens... On en voit <strong>le</strong>s preuves chez <strong>le</strong>s saducéens et<br />

chez <strong>le</strong>s épicuriens, qui, n'admettant que ce qui est<br />

corporel, se trouvaient au nombre <strong>de</strong> ces insensés dont<br />

par<strong>le</strong> l'Ecclésiaste, qui ont poussé la folie jusqu'à ne<br />

pouvoir reconnaître qu'ils avaient une âme, et qu'il<br />

y a <strong>de</strong>s effets qui ne peuvent être produits que par <strong>de</strong>s<br />

esprits. » (Gerson, De erroribus a'rcn artern magicam,<br />

I. Dict.)<br />

Ainsi <strong>le</strong>s partisans <strong>de</strong> la doctrine <strong>de</strong> l'intervention<br />

<strong>de</strong>s esprits y restèrent fermement attachés ; nous verrons<br />

un jour combien il <strong>le</strong>ur était faci<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>démon</strong>trer<br />

l'absurdité <strong>de</strong>s systèmes <strong>de</strong> <strong>le</strong>urs adversaires. — <strong>Le</strong>s<br />

théologiens étaient loin d'être <strong>de</strong>s mystiques crédu<strong>le</strong>s,<br />

plusieurs même étaient disposés à rejeter certains faits ;<br />

d'autres, outre l'étu<strong>de</strong> approfondie <strong>de</strong> ces mômes faits<br />

dans <strong>le</strong>s traités spéciaux, en avaient été eux-mêmes <strong>le</strong>s<br />

témoins; ils pouvaient donc s'adresser aux sceptiques<br />

et aux épicuriens, peu nombreux alors, et <strong>le</strong>ur montrer<br />

que ni <strong>le</strong>urs dénégations ni <strong>le</strong>urs rail<strong>le</strong>ries n'étaient<br />

capab<strong>le</strong>s d'ébran<strong>le</strong>r <strong>le</strong>urs convictions. Ces faits,<br />

étant certains, avaient une cause surnaturel<strong>le</strong> ou physique<br />

; dans l'un et l'autre cas el<strong>le</strong> méritait l'examen<br />

<strong>de</strong> tout homme sérieux. Vous niez comme absur<strong>de</strong>,<br />

pouvaient-ils dire aux uns, nous affirmons non-seu<strong>le</strong>ment<br />

comme possib<strong>le</strong>, mais comme réel; vous expli-


870 DES RAPPORTS DE L HOMME<br />

quez physiquement, nous vous <strong>démon</strong>trons que votre<br />

explication est ridicu<strong>le</strong>, pouvaient-ils dire aux autres ;<br />

vous vous targuez <strong>de</strong> votre science, nous nous présentons<br />

<strong>avec</strong> <strong>le</strong> doub<strong>le</strong> avantage <strong>de</strong> connaître toutee que vous<br />

savez, et môme ce que vous ne savez pas, — la science<br />

théologique, — que vous ignorez. Avec tous ces éléments<br />

propres à bien comparer, <strong>le</strong>s théologiens <strong>de</strong>vaient<br />

donc se croire aptes à bien juger et à conclure. Us signalaient<br />

enfin, môme chez ceux que la théologie eût pu<br />

éclairer, une autre cause d'aveug<strong>le</strong>ment bien puissante<br />

et fort propre à faire nier l'intervention satanique : ce<br />

sont <strong>le</strong>s passions intéressées à faire repousser la vérité<br />

qui déplaît; lorsqu'on s'est conduit <strong>de</strong> manière à laisser<br />

affaiblir sa foi, lorsqu'on s'est exclusivement livré aux<br />

choses matériel<strong>le</strong>s et finies, on ne saurait plus s'é<strong>le</strong>ver<br />

jusqu'à l'infini, jusqu'aux esprits. L'œil toujours fixé<br />

sur la terre s'éblouirait en regardant <strong>le</strong> ciel ; <strong>l'homme</strong><br />

matérialisé ne comprend plus ce qui est spirituel; s'il<br />

lui était possib<strong>le</strong> môme d'entrevoir la vérité qui l'effraye,<br />

il en détournerait son esprit, ou se hâterait <strong>de</strong><br />

se rappe<strong>le</strong>r ses sophismes.<br />

Néanmoins, à dater du treizième sièc<strong>le</strong>, la société va<br />

déjà se diviser en <strong>de</strong>ux camps dont <strong>le</strong>s doctrines seront<br />

fort opposées, et qui formeront <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux cités : cel<strong>le</strong> <strong>de</strong><br />

Dieu et cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> Satan : cette <strong>de</strong>rnière s'agrandira tous<br />

<strong>le</strong>s jours. <strong>Le</strong> progrès incontestab<strong>le</strong> <strong>de</strong>s sciences et <strong>de</strong>s<br />

arts aura <strong>le</strong> doub<strong>le</strong> résultat <strong>de</strong> matérialiser <strong>l'homme</strong> par<br />

<strong>le</strong>s jouissances du bien-être, et d'exciter son orgueil<br />

en <strong>le</strong> portant à croire que la science explique tout, ou<br />

du moins qu'el<strong>le</strong> pourra un jour tout expliquer. —Vint<br />

enfin l'imprimerie, qui propagea <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s doctrines<br />

nommées par <strong>le</strong>s uns lumières, et par d'autres ténèbres,<br />

erreurs funestes à la foi. Nous verrons bientôt, cependant,<br />

que la Provi<strong>de</strong>nce opposait un contre-poids à


AVEC LE DÉMON. 671<br />

l'invasion du matérialisme et <strong>de</strong> l'impiété" ; car, à dater<br />

du quinzième sièc<strong>le</strong>, la magie, la sorcel<strong>le</strong>rie et <strong>le</strong>s<br />

possessions eurent une tel<strong>le</strong> recru<strong>de</strong>scence, et sévirent<br />

si rigoureusement, que la société tout entière, plongée<br />

dans là consternation et l'épouvante, dut reconnaître<br />

l'intervention <strong>de</strong> l'antique ennemi du genre humain.<br />

FIN DU TOME PREMIER.


PRÉFACE<br />

ISTR0DL'CT10>"<br />

TABLE DES MATIÈRES<br />

LIVRE PREMIER<br />

CHAPITRE 1. — Essai sur l'origine <strong>de</strong> l'idolâtrie. — Oubli <strong>de</strong> la révé­<br />

lation primitive. —Révélations opposées; Dieu ou <strong>de</strong>s dieux, lu­<br />

mière et ténèbres, se sont substitués au premier principe méconnu<br />

par <strong>le</strong>s Gentils<br />

CHAP. II. — Intervention <strong>de</strong>s dieux, croyance aux esprits et aux pro­<br />

diges. — Noms divers donnés aux attributs divins, etc. — La Divi­<br />

nité représentée par <strong>de</strong>s symbo<strong>le</strong>s. <strong>Le</strong> bouc, <strong>le</strong> taureau, etc. — On<br />

attribne au serpent la paternité <strong>de</strong> plusieurs illustres personnages.<br />

— Symbo<strong>le</strong>s pris parmi <strong>le</strong>s êtres inanimés. — <strong>Le</strong> Phallus a pu en­<br />

gendrer <strong>le</strong>s infamies <strong>de</strong>s mystères. — Feu sacré. — La Divinité se<br />

manifeste dans <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s. — Mystieisme pa'fen<br />

CHAP. III. — <strong>Des</strong> mystères. — <strong>Le</strong>ur antiquité. — Moralité <strong>de</strong>s mys­<br />

tères. — Mystères, merveil<strong>le</strong>s qui s'y manifestaient. — Suite <strong>de</strong>s<br />

petits et <strong>de</strong>s grands mystères, etc. — Divers prodiges précédant ou<br />

accompagnant l'initiation ,<br />

CHAP. IV. — Anciens prêtres et prêtresses enfants <strong>de</strong>s dieux. — En­<br />

thousiasme sacré, délire, fureur, etc. —• Apparition <strong>de</strong>s dieux. —<br />

Formes choisies pour apparaître. — Assemblées, ce qui s'y passait ;<br />

festins, musique, orgie. — Infamies ordonnées par <strong>le</strong>s dieux, copu-<br />

Jalions, etc. — <strong>Le</strong>s dieux animent <strong>le</strong>s simulacres, s'emparent <strong>de</strong>s<br />

êtres vivants. — <strong>Le</strong>s prêtres ont <strong>le</strong> pouvoir <strong>de</strong> <strong>le</strong>s faire <strong>de</strong>scendre<br />

dans <strong>le</strong>s statues<br />

CjiAi -<br />

. V. — Conjurations <strong>de</strong>s dieux. — <strong>Le</strong>s dévouements. — Révélations<br />

uti<strong>le</strong>s an bien-être matériel, etc. — <strong>Des</strong>'guérisons divines. — Invul­<br />

nérabilité, incombustibililé. — <strong>Le</strong>s dieux accor<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s faveurs ou<br />

rln'iticul. — Divers moyens <strong>de</strong> connaître l'avenir.—La Provi<strong>de</strong>nce,<br />

<strong>le</strong> <strong>Des</strong>tin. — Présages. — Augurie. — Aruspicine. — <strong>Des</strong> songes.


TAULE i> '•: S M ATI HUES.<br />

— Astrologie. — Talismans, amu<strong>le</strong>ttes. — <strong>Des</strong> orac<strong>le</strong>!*. — ftérro-<br />

iiiancio ou orac<strong>le</strong>s rendus par <strong>le</strong>s âmes <strong>de</strong>s morts. — Doctrine <strong>de</strong>s<br />

Gentils sur l'origine <strong>de</strong>s amcs et <strong>le</strong>ur <strong>de</strong>stination 7 1<br />

CHAI*. VI. — De la goétie ou magie malfaisante. — .Son origine se<br />

perd dans la nuit <strong>de</strong>s temps. — <strong>Le</strong>s croyances et <strong>le</strong>s pratiques <strong>de</strong><br />

théurgie et <strong>de</strong> goétie exposées précé<strong>de</strong>mment se retrouvent dans <strong>le</strong>s<br />

plus anciens auteurs <strong>de</strong> l'antiquité. —Faux sacerdoce, aperçu <strong>de</strong>là<br />

magie noire pratiquée par <strong>le</strong>s goétistes <strong>de</strong> l'antiquité avant notre ère.<br />

— La magie était punie ' 112<br />

LIVRE DEUXIEME<br />

CHAPITRE I. — De la philosophie chez <strong>le</strong>s Grecs. — On continue <strong>de</strong><br />

croire aux esprits, aux génies et aux prodiges. — <strong>Le</strong>s matérialistes,<br />

<strong>le</strong>s sceptiques. — Socrate et ses discip<strong>le</strong>s. — Socrate et. Platon. —<br />

Aristote. — Hippocrato. — Successeurs <strong>de</strong> Platon. — Successeurs<br />

d'Aristolc. — <strong>Le</strong>s péripalélieiens. — Epicure. — Zenon. — <strong>Le</strong>s<br />

stoïciens.— Déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la Grèce épicurienne et impie 135<br />

CHAI 1<br />

. 1!. — La philosophie grecque chez <strong>le</strong>s llomains. —• Epieurisuie<br />

chez <strong>le</strong>s Romains. — Du stoïcisme chez <strong>le</strong>s Romains. — h'xistcnco et<br />

provi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s dieux prouvées par la divination, <strong>le</strong>s songes, etc. —<br />

L'Académie chez <strong>le</strong>s Romains, — Réfutation du stoïcisme. — Réfu­<br />

tation <strong>de</strong> I'épicurismc. — Réfutation du stoïcisme par Colla. —<br />

Quelques réf<strong>le</strong>xions sur <strong>le</strong>s réfutations <strong>de</strong> Cicéron Ifi3<br />

CHAP. III. — Résultats <strong>de</strong> la philosophie chez <strong>le</strong>s Romains. — L'incré­<br />

dulité et l'impiété <strong>de</strong>venues une <strong>de</strong>s causes <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur déca<strong>de</strong>nce l!)(i<br />

CIIAP. IV. — <strong>Le</strong>s prodiges continuent <strong>de</strong>puis los premiers sièc<strong>le</strong>s <strong>de</strong>,<br />

notre ère jusqu'au cinquième. — Statues animées. —• Divinations<br />

diverses. — Métamorphose». — Orac<strong>le</strong>s. — Magie malfaisante. —<br />

Présages, prodiges.—Enthousiasme, fureur sacrée, extase, vue à<br />

distance, etc.—<strong>Le</strong>s dieux s'emparent <strong>de</strong> <strong>l'homme</strong>, possessions. —<br />

Astrologie. — Aruspicinc, auguric. —Guérisons divines. — Lucrèce.<br />

— Pline 109<br />

CHAP. V. — Retour aux vieil<strong>le</strong>s doctrines spirilualistes. —» Examen <strong>de</strong>s<br />

faits merveil<strong>le</strong>ux, discussion <strong>de</strong> Plutarque. — Plutarque, — Causo<br />

<strong>de</strong> la cessation <strong>de</strong>s orac<strong>le</strong>s. — Apulée. — Incrédulité et ignorance<br />

<strong>de</strong>s prêtres païens ; ils contrefont <strong>de</strong>s prodiges , 232<br />

LIVRE TROISIÈME<br />

CHAPITRE 1. — Origine du néoplatonisme. — tëeolc d'A<strong>le</strong>xandrie. Ba<br />

doctrine — Mosaïsnic; ses traditions, ses croyances. — Compa­<br />

raison <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux doctrines. — Puissance <strong>de</strong>s osprils d'après l'Ancien<br />

Testament 2I<br />

CUAP. H. — Avènement du médiateur attendu chez toutes <strong>le</strong>s nations.<br />

— <strong>Le</strong> matérialisme et <strong>le</strong>s négations <strong>de</strong> I'épicurismc <strong>de</strong>venus impos-


TABLE DES MAT) EUES. •')7;i<br />

siblcs après <strong>le</strong>s nombreux mirac<strong>le</strong>s du christianisme. —''<strong>Le</strong> m'opia-<br />

lonismc s'établit et multiplie ses prodiges (troisième et quatrième<br />

sièc<strong>le</strong>s), Ammonius, Plotin, etc. — Théurgie ; à quel signe on dis­<br />

tinguait <strong>le</strong>s dieux <strong>de</strong>s mauvais esprits. — Variétés d'opinions entre<br />

Plotin, Porphyre, Jamblique, etc. — <strong>Des</strong> objets animés par la Di­<br />

vinité, et surtout <strong>de</strong>s talismans. —Est-il bien constant que <strong>le</strong>s néo­<br />

platoniciens crussent à tant <strong>de</strong> prodiges. — Julien, Maxime, Liba­<br />

nius, etc.; <strong>le</strong>urs pratiques superstitieuses. — Chute du paganisme.. 278<br />

LIVRE QUATRIÈME<br />

CHAPITRE 1. — Exposé sommaire <strong>de</strong>s causes qui firent triompher <strong>le</strong><br />

christianisme. — Exposé <strong>de</strong>s attaques <strong>de</strong>s apologistes contre <strong>le</strong> paga­<br />

nisme. — Preuves spéculatives <strong>de</strong>s apologistes. — Lactance (Drs<br />

Institutions divines). — Tertullien. — Eusèbe. — Saint Augustin.<br />

— MinuciusFélix. —Clément d'A<strong>le</strong>xandrie. — SaiiiUustln. — Salut<br />

C.yprien. — Résumé. — Preuves matériel<strong>le</strong>s, expulsion <strong>de</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

qui se faisaient passer pour dos dieux.— Ces faits étaient connus <strong>de</strong><br />

la plupart <strong>de</strong>s païens, qui pouvaient eux-mêmes l'attester et se conver­<br />

tissaient. — <strong>Le</strong> signe <strong>de</strong> la croix , plusieurs l'attestaient, suffisait<br />

pour chasser <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s<br />

CHAI-. II. — Doctrine <strong>de</strong> l'Église sur <strong>le</strong>s <strong>démon</strong>s; <strong>le</strong>urs mœurs, <strong>le</strong>urs<br />

prestiges, <strong>le</strong>urs divers prodiges, etc. — Divinations. — Guérisons.<br />

— Bruits, cris, apparitions, vexations, possessions. — Continuation<br />

du même sujet, orac<strong>le</strong>s, astrologie. — Présages. — Magie. — Au-<br />

gurie. — Délire sacré. — Nécromancie. — Songes. — Transfor­<br />

mations. — Amours impurs <strong>de</strong>s dieux<br />

CHAP. III. — <strong>Des</strong> hérésies, d'où viennent-el<strong>le</strong>s? — Hérésiarques <strong>de</strong>s<br />

premiers sièc<strong>le</strong>s. — Simon. — Ménandre. — Marcion. — Marc. —<br />

Montanisme. — Basili<strong>de</strong>. — Manichéisme , Manès. — <strong>Le</strong>s Gnos­<br />

tiques, etc. — Réf<strong>le</strong>xions Bur <strong>le</strong>s hérésies, sentiments <strong>de</strong>s Pères sur<br />

<strong>le</strong>s hérétiques et <strong>le</strong>urs prodiges. — Supplément, la Caba<strong>le</strong><br />

CHAP. IV. — Châtiments infligés par <strong>le</strong>s magistrats aux goétistes jus­<br />

qu'au cinquième sièc<strong>le</strong>; <strong>le</strong>s théurgistes, après,Julien, ne furent point<br />

épargnés. —Pénitence imposée par l'Église durant cette pério<strong>de</strong>...<br />

LIVRE CINQUIÈME<br />

CHAPITRE l. — Exposé <strong>de</strong> la magie du cinquième au quinzième sièc<strong>le</strong>;<br />

introduction <strong>de</strong> la magie ou sorcel<strong>le</strong>rie au moyen Age. — Assemblées<br />

nocturnes, sabbat.—Châtiments infligés par l'Église du cinquième<br />

au quinzième sièc<strong>le</strong>. — Lois criminel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'Ëlat, plus sévères.... 4u'3<br />

CAAP, II. — Exposé succinct <strong>de</strong>s branches <strong>de</strong> la magie durant la pé­<br />

rio<strong>de</strong> du quatrième au quinzième sièc<strong>le</strong>. — Assemblées, subbal. —<br />

Maléfices. — Magic prestigieuse. — <strong>Des</strong> divers moyens <strong>de</strong> connaître<br />

l'avenir et <strong>le</strong>s choses cachées, présages, songes. — Inspirations, se-<br />

320<br />

387<br />

423<br />

454


TAULE DES MATIÈRES.<br />

cou<strong>de</strong>, vue, clc. — Astrologie, talismans.— <strong>Des</strong> ('preuves au mmn<br />

«fie; eproines |iar lo feu. — Kpicines par l'eau. —Stiilc <strong>de</strong>s sup".-<br />

tilinns et faits ma^'upics au moyen âge, mé<strong>de</strong>cine n'im-anlaliim.<br />

— Imasions diaboliques. — <strong>Des</strong> incubes et succubes. — Inlcs-<br />

lations <strong>de</strong>s maisons par <strong>le</strong>s esprits. — Obsessions.— Possessions...<br />

CHAV. JII. — Introduction <strong>de</strong>s doctrines païennes aux dotiziimc cl<br />

treizième sièc<strong>le</strong>s. — On veut déjà réformer. — Hérésies. — <strong>le</strong>s<br />

Templiers. — IVancs-maçons. — Albigeois. — <strong>Le</strong>s l'ails magique."<br />

mieux connus seront moins nies. — Tendance do retour au\ dnr-<br />

irinrs <strong>de</strong> l'antiquité païenne. — Roger ltacnn et autres adoptent<br />

<strong>le</strong>s systèmes matérialistes<br />

(iliAe. IV. — Hoclrinc <strong>de</strong> l'Kylisusur <strong>le</strong>s phénomènes alli'ibiiés aux dé­<br />

nions par <strong>le</strong>s spiritualistes, et à <strong>de</strong>s causes physiques par <strong>le</strong>s nou­<br />

veaux inalérialislos. —Implications <strong>de</strong>s opérations (<strong>le</strong> Salan dans<br />

col<strong>le</strong> pério<strong>de</strong>. — SainL Thomas. — Implication <strong>de</strong>s apparilinns par<br />

saint 'l'hoinas. —l,e. même, <strong>de</strong>s superstitions.— <strong>Le</strong> même, (<strong>le</strong>s pln-<br />

laclères. — <strong>Le</strong> mémo, <strong>de</strong>s soutes. — Lo même, magie liionl'ais.'inlc.<br />

— <strong>Le</strong> même, maléfices. — <strong>Le</strong> même, giicnstins. — <strong>Le</strong> mémo, <strong>de</strong><br />

l'âme el <strong>de</strong>, ses puissances.— <strong>Le</strong> mémo, copulations (lialioliipies. —<br />

lïcflcvions<br />

TIN M-, t.A TAUI.l', DU TOMI-. !' lll'.MI lilt.<br />

l'ans. T\|>. <strong>de</strong> l'.-A. UULUDICH etl>', rue Alnzarine, 30.

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