Edith Stein et Erich Przywara : la réconciliation du noétique et ... - Kerit
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EDITH STEIN ET ERICH PRZYWARA<br />
propre carrière. De plus, <strong>la</strong> col<strong>la</strong>boration entre <strong>Stein</strong> <strong>et</strong> Husserl était difficile dans <strong>la</strong><br />
mesure où Husserl n’accordait pas beaucoup d’attention à l’important travail<br />
d’édition <strong>et</strong> d’interprétation auquel elle consacrait d’innombrables heures. <strong>Stein</strong> estimait<br />
qu’il était important de ne pas <strong>la</strong>isser en p<strong>la</strong>n ce qui avait été fait, tandis que<br />
Husserl préférait consacrer son temps <strong>et</strong> son énergie à de nouveaux problèmes. Elle<br />
aurait souhaité que Husserl <strong>la</strong> traite comme une véritable col<strong>la</strong>boratrice alors qu’il ne<br />
posait aucun geste qui puisse promouvoir <strong>la</strong> carrière philosophique d’une femme25 .<br />
Ce<strong>la</strong> dit, dès 1917 <strong>Edith</strong> <strong>Stein</strong> faisait part à Roman Ingarden de sa divergence<br />
d’esprit avec l’idéalisme transcendantal mis de l’avant par Husserl26 . Elle tenta de<br />
convaincre Husserl de réévaluer sa position quant à <strong>la</strong> constitution de l’obj<strong>et</strong>. Si elle<br />
n’obtint pas satisfaction, <strong>du</strong> moins réussit-elle à lui faire préciser sa pensée27 . C’est<br />
sur <strong>la</strong> base de ce désaccord philosophique autour <strong>du</strong> problème de <strong>la</strong> constitution de<br />
l’obj<strong>et</strong>, abordé de façon insatisfaisante dans les Ideen, qu’<strong>Edith</strong> <strong>Stein</strong> cherchera à<br />
constituer sa propre vision philosophique. Même si elle n’y fait pas toujours explicitement<br />
mention de Husserl ou de <strong>la</strong> phénoménologie, l’évolution théorique qui<br />
s’effectue depuis les Recherches logiques jusqu’aux Idées constitue indéniablement<br />
l’arrière-p<strong>la</strong>n herméneutique de EES. Aussi tardivement qu’en 1931, à l’occasion<br />
d’une thèse (EP) présentée en vue de son habilitation possible à l’Université de Bres<strong>la</strong>u,<br />
<strong>Edith</strong> <strong>Stein</strong> considère encore que <strong>la</strong> méthode philosophique par excellence est <strong>la</strong><br />
phénoménologie28 . Dans <strong>la</strong> préface à EES, <strong>Edith</strong> <strong>Stein</strong> affirme que sa compréhension<br />
philosophique s’arrime toujours déjà à un horizon de pré-compréhension phénoménologique29<br />
. Pour mieux saisir l’essence de <strong>la</strong> phénoménologie steinienne, il faudrait à<br />
vrai dire explorer son lien avec les phénoménologies de Heidegger <strong>et</strong> de Hedwig<br />
Conrad-Martius (1888-1966) 30 . D’autant plus que EES s’écrit en dialogue avec ces<br />
deux disciples de Husserl. Qu’il suffise de dire pour les besoins de c<strong>et</strong> article que<br />
Heidegger <strong>et</strong> <strong>Stein</strong> sont unis par leur désir d’approfondir le sens de l’être31 tandis que<br />
25. Husserl s’était fermement opposé à l’Habilitation des femmes. Cf. Theresia WOBBE : « Sollte die akademische<br />
Laufbahn für Frauen geöffn<strong>et</strong> werden […] » (<strong>Edith</strong>-<strong>Stein</strong>-Jahrbuch, t. 2, 1996, p. 370).<br />
26. Briefe an Roman Ingarden (ESW, 14), p. 36.<br />
27. Ibid., p. 42.<br />
28. « Die philosophische M<strong>et</strong>hode, die wir suchten, besteht in der g<strong>et</strong>reuen Beschreibung der Phänomene, die<br />
wir als Phänomenologie bezeichnen. […] Wenn man den Charakter der Philosophie als Wesenswissenschaft<br />
ganz begriffen hat, dann wird auch verständlich werden, was zunächst wohl Bedenken erregen mag,<br />
daß die phänomenologische M<strong>et</strong>hode als die philosophische M<strong>et</strong>hode schlechthin, als der Weg zur Lösung<br />
aller fundamentalen philosophischen Probleme in Anspruch genommen wird » (ESW, 13, p. 35-36).<br />
29. ESW, 2, p. VIII.<br />
30. Hedwige Conrad-Martius avait été initiée aux travaux de Husserl par Moritz Geiger, représentant de l’École<br />
phénoménologique de Munich <strong>et</strong> s’était par <strong>la</strong> suite jointe au Cercle de Göttingen en 1910 (H. CONRAD-<br />
MARTIUS, « Heideggers Sein und Zeit », Schriften zur Philosophie, t. I, München, Kösel-Ver<strong>la</strong>g, 1963-<br />
1965, p. 185).<br />
31. Le rapprochement n’est pas <strong>du</strong> tout factice puisque dans son avant-propos, <strong>la</strong> philosophe précise qu’elle a<br />
lu Sein und Zeit, qu’elle en a été fortement impressionnée, <strong>et</strong> que Heidegger peut être considéré comme un<br />
de ses interlocuteurs dans EES (Vorwort, [ESW, 2], p. XII). Contrairement aux souhaits d’<strong>Edith</strong> <strong>Stein</strong>, les<br />
éditeurs de EES n’ont malheureusement pas inclus ses commentaires sur les œuvres ontologiques de Heidegger<br />
parce que celles-ci avaient été publiées avant 1936 <strong>et</strong> l’on craignait que les commentaires de <strong>Stein</strong><br />
ne soient en quelque sorte désu<strong>et</strong>s (L. GELBER, « Nachwort », dans ESW, 2, p. 496 ; Martin Heideggers<br />
Existentialphilosophie a cependant été publié en 1962 dans ESW, 6, p. 69-135).