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Rapport de l'ordre des dominicains concernant la brochure ... - Kerit

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<strong>Rapport</strong> <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong>s <strong>dominicains</strong> <strong>concernant</strong> <strong>la</strong> <strong>brochure</strong><br />

publiée aux Pays-Bas sur « Ministères ordonnés et Eucharistie »<br />

Paris, janvier 2008<br />

Source : La Croix<br />

[Lecture ecclésiologique faite à <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du Maître <strong>de</strong> l’Ordre par le fr. Hervé<br />

Legrand op]<br />

***<br />

Devant le très grave manque <strong>de</strong> prêtres dans l’Église <strong>de</strong>s Pays-Bas, <strong>la</strong> province<br />

dominicaine a envoyé officiellement aux 1300 paroisses du pays un <strong>Rapport</strong> qui les<br />

exhorte à faire prési<strong>de</strong>r <strong>la</strong> célébration <strong>de</strong> l’eucharistie par <strong>de</strong>s chrétiens non ordonnés («<br />

We urge parishes to act in this way», p.29) ; ceci au cas où l’évêque refuserait<br />

d’ordonner le ou <strong>la</strong> chrétien(ne) désigné(e) à cet effet par les paroissiens 1 .<br />

Commandé par le provincial et son conseil, « reçu » et distribué par eux, ce <strong>Rapport</strong> est<br />

muni d’une introduction qui précise qu’il « n’est pas à prendre comme une directive<br />

(« gui<strong>de</strong>line ») ou comme une proposition doctrinale, mais comme une contribution pour<br />

renouveler et approfondir <strong>la</strong> discussion » (p.6). Telle quelle, cette précision appellera<br />

<strong>de</strong>ux commentaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> part <strong>de</strong> tout lecteur attentif.<br />

Premier commentaire cette précision s’imposait car, avec ou sans l’assistance <strong>de</strong> son<br />

conseil, le provincial d’un ordre religieux n’a, en tant que tel, ni compétence ni<br />

responsabilité pour donner <strong>de</strong>s directives aux paroisses <strong>de</strong> tout un pays 2 , et encore moins<br />

pour leur recomman<strong>de</strong>r d’agir contre <strong>la</strong> doctrine commune <strong>de</strong> l’Église catholique. Mais<br />

il est légitime, bien sûr, <strong>de</strong> proposer un débat pour approfondir tout grave problème mal<br />

résolu. Le droit canon assure cette liberté aux catholiques 3 et il leur en fait même un<br />

<strong>de</strong>voir, en certaines circonstances 4 . Le Nouveau Testament déjà encourage à soumettre<br />

1 Nous citons <strong>la</strong> pagination <strong>de</strong> <strong>la</strong> traduction ang<strong>la</strong>ise <strong>de</strong> Kerk en Ambt. On peut s’y fier<br />

car elle est l’œuvre <strong>de</strong> l’un <strong>de</strong>s rédacteurs du <strong>Rapport</strong>.<br />

2 Voire du mon<strong>de</strong> entier, puisque traduit en ang<strong>la</strong>is, il a été diffusé sur internet.<br />

3 Voir le canon 218 : « Ceux qui s’adonnent aux disciplines sacrées jouissent d’une juste liberté <strong>de</strong><br />

recherche comme aussi d’expression pru<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> leur opinion dans les matières où ils sont compétents, en<br />

gardant le respect dû au magistère <strong>de</strong> l’Église ».<br />

4 Voir le can. 212, § 3 : « Selon <strong>la</strong> science, <strong>la</strong> compétence et le prestige dont ils jouissent, ils ont le droit et<br />

même parfois le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> donner aux pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien <strong>de</strong> l’Église et


ses propres opinions au discernement <strong>de</strong>s autres chrétiens : « Je vous parle comme à <strong>de</strong>s<br />

personnes raisonnables », écrit Paul aux Corinthiens, n’hésitant pas à ajouter « jugez<br />

vous-même <strong>de</strong> ce que je vous dis » 5 , s’agissant précisément du Repas du Seigneur. Son<br />

conseil aux Thessaloniciens est également familier : «N’éteignez pas l’Esprit ; ne<br />

méprisez pas les dons <strong>de</strong> prophétie ; examinez tout avec discernement : retenez ce qui<br />

est bon ; tenez-vous à l’écart <strong>de</strong> toute espèce <strong>de</strong> mal » 6 .<br />

Deuxième commentaire, on est surpris <strong>de</strong> voir le provincial et son conseil qualifier<br />

d’invitation au dialogue un <strong>Rapport</strong> qui appelle, en réalité, à créer un fait accompli.<br />

Ils en atten<strong>de</strong>nt un relèvement du niveau <strong>de</strong> <strong>la</strong> discussion, alors que le <strong>Rapport</strong> se situe<br />

déjà au sta<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’action. De plus, comment peut-on appeler à célébrer l’eucharistie<br />

d’une manière contraire à <strong>la</strong> doctrine catholique, sans aucun précé<strong>de</strong>nt dans <strong>la</strong> tradition ?<br />

Le Repas du Seigneur, en effet, n’est pas seulement l’un <strong>de</strong>s sept sacrements. Il est le<br />

plus important d’entre eux et le sacrement même <strong>de</strong> l’unité <strong>de</strong>s chrétiens. Dès lors<br />

comment croire qu’un tel envoi n’est en rien une prise <strong>de</strong> position doctrinale ? Si elle<br />

n’est pas hypocrite, ou contradictoire, <strong>la</strong> démarche relève au moins <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

communication paradoxale 7 .<br />

Maintenant que le débat est <strong>la</strong>ncé autour <strong>de</strong> cette démarche, il convient <strong>de</strong> le mener<br />

selon <strong>de</strong>s règles c<strong>la</strong>ires et adéquates, comme tout débat méritant ce nom. A cet effet, on<br />

propose ici une analyse critique du <strong>Rapport</strong> sous l’angle précis <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

communication : elles supposent d’entendre tous ceux qui sont concernés ; et ce<strong>la</strong> selon<br />

<strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s correspondant aux questions soulevées, et dans le respect <strong>de</strong>s diverses<br />

compétences requises. Faute <strong>de</strong> quoi, on opposera en vain certaines convictions à<br />

d’autres et, au terme, <strong>la</strong> frustration sera générale, sans aucun profit pour une situation qui<br />

crie misère.<br />

I. LE DÉSARROI PASTORAL DES DIOCÈSES DES PAYS-BAS JUSTIFIE<br />

L’ALARME DES AUTEURS DU TEXTE : C’EST UN CRI DE CONSCIENCES<br />

CATHOLIQUES. CECI DOIT ÊTRE RECONNU, INDÉPENDAMMENT DE LA<br />

VALEUR INTRINSÈQUE DE L’ARGUMENTATION THÉOLOGIQUE ET<br />

PASTORALE.<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> faire connaître aux autres fidèles, restant sauves l’intégrité <strong>de</strong> <strong>la</strong> foi et <strong>de</strong>s mœurs et <strong>la</strong> révérence due<br />

aux pasteurs, et en tenant compte <strong>de</strong> l’utilité commune et <strong>la</strong> dignité <strong>de</strong>s personnes ».<br />

5<br />

I Co 10, 15.<br />

6<br />

I Thes. 5, 19-22<br />

7<br />

Ce type <strong>de</strong> communication, frappée <strong>de</strong> contradiction interne, a été étudié<br />

particulièrement par P. Watz<strong>la</strong>wik, voir du même, avec J. Helmick Beavin et D. Jackson,<br />

Pragmatics of Human Communication. .A Study of Interactional Patterns, Pathologies<br />

and Paradoxes, New York 1967 (tr. fr., Une logique <strong>de</strong> <strong>la</strong> communication, Paris,<br />

1972).


Les statistiques reproduites dans le <strong>Rapport</strong>, que je n’ai pas vérifiées, sont<br />

impressionnantes. On en retiendra seulement que, dans le diocèse <strong>de</strong> Groningen, <strong>la</strong><br />

moitié <strong>de</strong>s célébrations dominicales se font en l’absence <strong>de</strong> prêtre. Dans le diocèse <strong>de</strong><br />

Bois-le Duc, pour <strong>la</strong> seule année 2004, 95 paroisses <strong>de</strong> plus sont restées sans messes, et<br />

seulement 50 ont pu rejoindre celles qui proposent <strong>de</strong>s célébrations dominicales sans<br />

messes 8 .<br />

Le <strong>Rapport</strong> révèle aussi une perception <strong>de</strong>s réalités liturgiques et ecclésiologiques <strong>de</strong><br />

plus en plus pauvre en termes théologiques. On est loin du climat dont témoigne <strong>la</strong><br />

réponse fameuse du prêtre Saturnin qui, au temps <strong>de</strong> Dioclétien, a rassemblé <strong>la</strong><br />

communauté chrétienne chez lui, le dimanche, malgré l’édit impérial, sachant que ce<strong>la</strong><br />

entraînerait sa condamnation à mort : « C’est en toute conscience que nous avons<br />

célébré le dominicum…Sine dominico esse non possumus » 9 . Aujourd’hui, les<br />

discussions se concentrent sur le pouvoir : qui a le pouvoir <strong>de</strong> désigner les ministres ?<br />

Qui a le pouvoir <strong>de</strong> consacrer ? Ou autour du statut personnel <strong>de</strong>s ministres : peuvent-ils<br />

être mariés ? Doivent-ils être célibataires ? Hommes ? Femmes ? Etc.<br />

La situation pastorale et théologique décrite apparaît aussi chaotique qu’aux premières<br />

décennies <strong>de</strong> <strong>la</strong> Réforme du XVIe siècle. Du moins, je l’ai ressenti ainsi.<br />

On comprend donc qu’à <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du chapitre <strong>de</strong> <strong>la</strong> province, le Provincial et son<br />

conseil aient pris sur eux <strong>de</strong> pousser un cri d’a<strong>la</strong>rme, tant <strong>la</strong> situation est grave. Le<br />

Maître <strong>de</strong> l’ordre et son conseil ont, pour leur part, pris acte <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation qui les<br />

motivait, tout en les interrogeant sur le contenu <strong>de</strong> leur <strong>Rapport</strong>, qu’ils ne peuvent<br />

approuver.<br />

*<br />

La présente analyse sera celle d’un théologien qui a surtout réfléchi à <strong>la</strong> théologie <strong>de</strong><br />

l’Église, discipline pratique et dogmatique. Le chapitre provincial avait <strong>de</strong>mandé «un<br />

comité ou groupe <strong>de</strong> travail, constitué d’experts […] pour étudier les aspects<br />

théologiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> question » 10 . La lecture <strong>de</strong>s 25 pages <strong>de</strong> leur <strong>Rapport</strong> <strong>la</strong>isse pourtant<br />

l’impression d’un réel manque d’esprit critique (II), peu soucieux <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

communication. Quant aux énoncés doctrinaux, comparés aux ressources qu’offre <strong>la</strong><br />

théologie, ils paraissent trop massifs (III).<br />

8 Au bas <strong>de</strong> <strong>la</strong> p.14 et au haut <strong>de</strong> <strong>la</strong> p. 15.<br />

9 T. Ruinart, Acta primorum martyrum sincera, Paris, 1649, p. 414. Signalons que <strong>la</strong><br />

Conférence <strong>de</strong>s évêques d’Italie a intitulé ainsi sa Lettre pastorale sur le dimanche, cf.<br />

« Senza <strong>la</strong> domenica non possiamo vivere » dans Il Regno-documenti 3/2005, 78-80, et<br />

qu’elle a très heureusement donné le même titre au Congrès eucharistique qu’elle a<br />

organisé à Bari en mai 2005.<br />

10 p. 5


Ces <strong>de</strong>ux faiblesses empêcheront ce <strong>Rapport</strong> d’atteindre son but. Disons pourquoi.<br />

II. UNE RÉFLEXION INSUFFISAMMENT CRITIQUE<br />

Pour rapprocher <strong>de</strong>s positions pastorales très éloignées les unes <strong>de</strong>s autres, il faut<br />

conjuguer l’argumentation théologique avec l’art <strong>de</strong> communiquer. On ne peut en rester<br />

aux idées générales non vérifiées. En l’absence d’une conceptualité critique, respectant<br />

<strong>la</strong> complexité du réel, on ne sera pas suivi.<br />

Absence <strong>de</strong> conceptualité critique<br />

Tout le <strong>Rapport</strong> est structuré autour <strong>de</strong> l’opposition entre <strong>la</strong> base et <strong>la</strong> hiérarchie. Peuton<br />

adhérer sans réserve à une idée aussi générale et aussi simple ? En 21 pages, on<br />

relève :<br />

-28 fois le terme d’autorité officielle (ou ses équivalents: « church authority », « church<br />

officials », « higher authority », etc.). Deux remarques s’imposent quant à <strong>la</strong> répétition<br />

<strong>de</strong> ces mots :<br />

1°) presque sans exception, l’usage <strong>de</strong>s ces termes est péjoratif. L’autorité se voit<br />

assimilée à blocage (p.10, fin 2 e §), à interdit (p.10, <strong>de</strong>rnier §), à obstacle (p.12, 1 ère<br />

ligne), à impossibilité (p.12, <strong>de</strong>rnière ligne). On ne retient <strong>de</strong> l’autorité que ses caractères<br />

négatifs.<br />

2°) <strong>de</strong> plus, les chrétiens, désignés comme « official bearers of authority », sont<br />

supposés être tous d’accord sur tout ; ce qui est peu probable. Ils sont rarement<br />

personnalisés : une seule fois un évêque est désigné comme tel (p.7). Ils ignoreraient<br />

systématiquement <strong>la</strong> « faith community experience ». Cette <strong>de</strong>rnière, en revanche, est<br />

valorisée comme ayant, en principe, toujours raison. En effet,<br />

-22 fois le <strong>Rapport</strong> oppose le haut (« official authority »), toujours négatif, et le bas<br />

(« below » ; « grassroots », « faith community level »), toujours positif.<br />

Cette opposition répétée cinquante fois en 21 pages (plus <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux fois par page)<br />

imprégnera l’inconscient <strong>de</strong> tout lecteur. Elle n’encouragera personne à rechercher un<br />

dialogue avec « l’autorité officielle », but pourtant recherché par le chapitre provincial.<br />

Premier déficit : Le <strong>Rapport</strong> disqualifie a priori une partie <strong>de</strong>s interlocuteurs<br />

intéressés. Ai<strong>de</strong>ra-il à instaurer le dialogue avec tous, <strong>de</strong>mandé par le<br />

chapitre provincial?<br />

Indépendamment <strong>de</strong> l’intention <strong>de</strong> ses rédacteurs, le <strong>Rapport</strong> ne donne pas <strong>la</strong> parole à<br />

tous. L’enquête mentionnée (« soundings », p.15) ne dit rien sur sa métho<strong>de</strong>, sur<br />

l’échantillon retenu, ne donne aucun chiffre. Dès lors, présenter <strong>la</strong> « base » comme<br />

globalement favorable à tous les objectifs du <strong>Rapport</strong> indistinctement, suscitera le


scepticisme <strong>de</strong> tout esprit moyennement critique et ne favorisera pas un dialogue<br />

ouvert 11 .<br />

D’autre part, on l’a vu, le <strong>Rapport</strong> disqualifie les évêques en tant que tels :<br />

administrateurs anonymes et légalistes, éloignés <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong> foi <strong>de</strong>s fidèles, ils<br />

savent seulement « interdire, bloquer, faire obstacle et rendre impossible » [cf. les<br />

chiffres cités plus haut]. Ainsi traités, quelle envie auront-ils <strong>de</strong> rencontrer leurs<br />

interlocuteurs ? En termes <strong>de</strong> sciences <strong>de</strong> <strong>la</strong> communication, en rendant soi-même<br />

impossible ce que l’on <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, on met en p<strong>la</strong>ce une « self-fulfilling prophecy » !<br />

On est loin ainsi du vœu du chapitre provincial : «créer un dialogue ouvert auquel<br />

toutes les parties intéressées pourraient prendre part » 12 ?<br />

Deuxième déficit : en créditant <strong>la</strong> "base" <strong>de</strong> toutes les qualités attribuées autrefois<br />

au "sommet ", le <strong>Rapport</strong> se contente <strong>de</strong> renverser <strong>la</strong> problématique qu’il combat,<br />

sans ai<strong>de</strong>r à <strong>la</strong> dépasser.<br />

Le <strong>Rapport</strong> déplore l’opposition entre <strong>la</strong> base et <strong>la</strong> hiérarchie 13 , mais il n’en sort pas.<br />

C’est comme si on avait renversé le sablier, mais le même sable continue d’y couler.<br />

On peut le vérifier : "l’Église d’en bas", est mentionnée 22 fois et toujours positivement<br />

alors que sur les 28 mentions <strong>de</strong> "l’Église d’en haut", 24 sont négatives et seulement 4<br />

positives. Le seul enseignement retenu <strong>de</strong> Vatican II, souvent répété, est qu’avec l’ordre<br />

actuel <strong>de</strong>s chapitres 2 et 3 <strong>de</strong> Lumen Gentium, <strong>la</strong> pyrami<strong>de</strong> ecclésiale a été renversée.<br />

Pour « renouveler les discussions à un registre plus profond » 14 , - <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du chapitre<br />

provincial-, ce simple renversement <strong>de</strong> <strong>la</strong> pyrami<strong>de</strong> saurait-il suffire ?<br />

Troisième déficit : une valorisation systématique, mais peu réaliste, <strong>de</strong>s vertus <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

base<br />

Un peu <strong>de</strong> familiarité avec les sciences humaines aurait pu éviter au <strong>Rapport</strong> <strong>de</strong><br />

manifester à <strong>la</strong> « base » un crédit qui relève beaucoup plus <strong>de</strong> <strong>la</strong> croyance ou <strong>de</strong><br />

l’idéologie que d’une analyse scientifique, fondée sur l’histoire et <strong>la</strong> sociologie.<br />

L’histoire réelle montre que <strong>la</strong> base sociale peut récuser les progrès scientifiques (ceux<br />

<strong>de</strong> Darwin et <strong>de</strong> Pasteur), technologiques (rejet du machinisme), sociaux (refus <strong>de</strong><br />

l’instruction obligatoire ou <strong>de</strong>s cotisations sociales). Les mêmes attitu<strong>de</strong>s se vérifient<br />

dans le domaine artistique (en peinture par ex.), ou politique (populisme et<br />

xénophobie)…<br />

11 “create an open dialogue in which all interested parties might participate”,” think of a<br />

strategy to facilitate this open dialogue” p.5, lignes 1 et 3 du bas.<br />

12 Cf. note précé<strong>de</strong>nte.<br />

13 Ainsi p. 13, avant <strong>de</strong>rnier § on propose « une action combinée du haut et du bas » ;<br />

i<strong>de</strong>m, p.14, 2 e § ; souhait analogue p.19 bas ; le 2 e § <strong>de</strong> <strong>la</strong> p. 25, parle <strong>de</strong> <strong>la</strong> participation<br />

<strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong>s communautés voisines dans l’ordination <strong>de</strong> l’évêque local.<br />

14 « renewed discussions on a <strong>de</strong>eper level », p. 6, bas.


Dans <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> l’Église, on note <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s parallèles : refus <strong>de</strong> l’exégèse scientifique ou<br />

inclination vers le merveilleux (pseudo apparitions) ; on note même pire : en se mo<strong>de</strong><strong>la</strong>nt sans<br />

distance sur <strong>la</strong> démocratie, le luthéranisme allemand a été conduit à <strong>la</strong> catastrophe. Rappe<strong>la</strong>nt<br />

que <strong>la</strong> foi chrétienne ne pouvait se confondre avec les opinions <strong>de</strong> <strong>la</strong> base, fût-elle majoritaire, K.<br />

Barth, D. Bonhöffer et d’autres sauvèrent l’honneur en suscitant l’Église confessante.<br />

En valorisant à ce point <strong>la</strong> base, le <strong>Rapport</strong> véhicule donc un point aveugle au p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

sociologie <strong>de</strong> <strong>la</strong> connaissance, qui a son parallèle dans <strong>la</strong> manière dont le <strong>Rapport</strong><br />

présente l’enseignement <strong>de</strong> Vatican II sur le peuple <strong>de</strong> Dieu, à savoir comme si les <strong>la</strong>ïcs<br />

étaient le Peuple <strong>de</strong> Dieu à eux seuls, alors qu’il inclut toujours l’épiscopat.<br />

En termes <strong>de</strong> communication, un quatrième déficit doit encore être signalé.<br />

Quatrième déficit : le <strong>Rapport</strong> amalgame <strong>de</strong>s questions trop diverses, avec pour<br />

effet prévisible qu’aucune n’obtiendra <strong>de</strong> réponse.<br />

A son terme le <strong>Rapport</strong> énonce le critère normatif suivant pour sortir <strong>de</strong> <strong>la</strong> crise :<br />

« Qu’ils (= les prési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong> célébrations eucharistiques locales) soient hommes ou<br />

femmes, homo- ou hétérosexuels, mariés ou célibataires n’est d’aucune pertinence » 15 .<br />

Puisque le <strong>Rapport</strong> invite au débat fraternel, débattons. Il est important, en effet, dans<br />

une telle situation <strong>de</strong> crise, <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s critères <strong>de</strong> solution. Se vou<strong>la</strong>nt fidèle à <strong>la</strong><br />

vocation <strong>de</strong>s frères prêcheurs, le <strong>Rapport</strong> opte pour une attitu<strong>de</strong> qu’on peut appeler<br />

« prophétique », ici pour une militance qui veut venir à bout <strong>de</strong> tout préjugé, militance<br />

très répandue dans les médias contemporains, en Occi<strong>de</strong>nt seulement, notons-le. On y<br />

dénonce les archaïsmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture catholique avec ses attitu<strong>de</strong>s injustes, arrogantes ou<br />

blessantes, vis-à-vis <strong>de</strong>s gens mariés, <strong>de</strong>s femmes et <strong>de</strong>s homosexuels. Soit, mais<br />

débattons <strong>de</strong> <strong>la</strong> métho<strong>de</strong> qui consiste à énoncer à priori un tel critère normatif.<br />

Premier débat : 1°) une telle attitu<strong>de</strong> est contradictoire avec le but énoncé par le<br />

chapitre provincial: «créer un dialogue ouvert auquel toutes les parties intéressées<br />

pourraient prendre part ».<br />

En décidant que tel est le critère à mettre en œuvre, on <strong>de</strong>man<strong>de</strong> instamment aux<br />

lecteurs d’y adhérer et non pas d’en discuter ! Le <strong>Rapport</strong> mé<strong>la</strong>nge d’ailleurs<br />

constamment analyse et normativité 16 . Expertise et prophétie sont certes légitimes et<br />

nécessaires ; mais leur mé<strong>la</strong>nge simultané pose question: peut-on, en même temps, être<br />

expert, militant et déci<strong>de</strong>ur ?<br />

15 « Those who presi<strong>de</strong> in local celebrations […] whether they be men or women, homo-<br />

or heterosexual, married or unmarried is irrelevant » (p. 28 haut).<br />

16 Ainsi les pp.13-14 sont très normatives, bien que situées dans <strong>la</strong> partie analytique


Sans avoir lu Max Weber, on sait que c’est impossible. Les gouvernements évitent<br />

habituellement <strong>de</strong> nommer un paysan au ministère <strong>de</strong> l’agriculture ! Si l’on veut<br />

réellement un dialogue ouvert, il faut faire asseoir experts, militants et déci<strong>de</strong>urs à une<br />

même table ron<strong>de</strong>. En revanche, dans le <strong>Rapport</strong>, <strong>la</strong> parole militante occupe tout le<br />

terrain, avec le risque, c<strong>la</strong>irement prévisible, <strong>de</strong> crier dans le désert ! Ces lois <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

communication sociale s’imposent même à <strong>de</strong>s frères prêcheurs.<br />

Deuxième débat : une telle communication, parce qu’elle amalgame<br />

" prophétiquement " plusieurs questions hétérogènes, programme son propre échec en<br />

termes d’action, et retar<strong>de</strong> le bien possible au nom d’un idéal qu’on sait impossible.<br />

Les auteurs du <strong>Rapport</strong> ont le souci <strong>de</strong> communiquer en ang<strong>la</strong>is et ont donc accès aux<br />

media anglo-saxons. Ils sont donc informés <strong>de</strong>s effets réels produits par l’ordination<br />

d’un évêque homosexuel dans l’Église épiscopalienne <strong>de</strong>s USA : au p<strong>la</strong>n national,<br />

création <strong>de</strong> nouveaux diocèses schismatiques et concurrents; au p<strong>la</strong>n mondial, rupture <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> communion anglicane. Comment l’Église anglicane du Nigeria, <strong>la</strong> plus nombreuse du<br />

mon<strong>de</strong>, pourrait-elle accepter d’être en pleine communion avec cet évêque, dans un pays<br />

où l’is<strong>la</strong>m, légèrement majoritaire, est lour<strong>de</strong>ment fondamentaliste ? Être une<br />

communion mondiale est un enjeu chrétien très important : peut-il être atteint si les<br />

ministres <strong>de</strong> <strong>la</strong> communion <strong>de</strong>viennent cause <strong>de</strong> schisme ? De plus, une telle lutte contre<br />

l’homophobie, perçue comme indissociable <strong>de</strong> l’impérialisme culturel occi<strong>de</strong>ntal, ne l’at-elle<br />

pas renforcée dans <strong>de</strong> nombreuses régions du mon<strong>de</strong> ? Enfin, ceux qui s’isolent<br />

dans leur schisme cessent <strong>de</strong> pouvoir influencer <strong>la</strong> vaste communion anglicane. Le<br />

résultat obtenu peut-il réjouir les « militants » ? Est-il conforme à leurs intentions ?<br />

Revenons au <strong>Rapport</strong>. En énonçant un critère qui amalgame les ordinations d’hommes<br />

mariés, <strong>de</strong> chrétiennes, d’homosexuel(le)s, ses auteurs connaissaient ce précé<strong>de</strong>nt, qui<br />

représente un cas d’école. Qui ne voit que le <strong>Rapport</strong> éloigne ainsi <strong>la</strong> possibilité réelle<br />

d’ordonner <strong>de</strong>s chrétiens mariés ? Vouloir que tout change, ne contribue-t-il pas à ce<br />

que rien ne change ? En termes d’action, chacun connaît déjà <strong>la</strong> réponse.<br />

Le <strong>Rapport</strong> va plus loin. A son discours <strong>de</strong> conviction, il ajoute un appel à<br />

l’action qu’on a déjà relevé: « Nous pressons les paroisses d’agir en prenant ce chemin<br />

avec une forte confiance en soi et avec courage » 17 . Ce qui revient à encourager ces<br />

paroisses à s’excommunier d’elles-mêmes, si elles passent à l’acte. Alors que déjà saint<br />

Ignace d’Antioche écrivait vers l’an 120 : « Que cette eucharistie seule soit regardée<br />

comme légitime, qui se fait sous <strong>la</strong> prési<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> l’évêque ou <strong>de</strong> celui qu’il en aura<br />

17 ère<br />

p.29, 1 ligne : « We urge parishes to act in this way with a great amount of selfconfi<strong>de</strong>nce<br />

and courage »


chargé » 18 , et qu’ en 2007 toute eucharistie catholique continue <strong>de</strong> faire mémoire <strong>de</strong><br />

l’évêque du lieu !<br />

Le <strong>Rapport</strong>, on le voit, ne prend pas seulement le risque d’aggraver <strong>la</strong> po<strong>la</strong>risation au<br />

sein <strong>de</strong> l’Église <strong>de</strong>s Pays Bas, il prend aussi celui d’encourager au schisme dans le cadre<br />

même <strong>de</strong> <strong>la</strong> célébration du sacrement <strong>de</strong> l’unité.<br />

Conclusion<br />

Au terme <strong>de</strong> cette première lecture, faite en termes <strong>de</strong> communication, <strong>de</strong>ux conclusions<br />

se dégagent au p<strong>la</strong>n dominicain :<br />

1) Le <strong>Rapport</strong> et sa diffusion ne sont guère fidèles aux résolutions du chapitre<br />

provincial.<br />

On n’a pas suivi <strong>la</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’inclure dans le débat toutes les parties intéressées (all<br />

interested parties, p.5). On n’a pas fait travailler un comité d’experts capable <strong>de</strong><br />

« renouveler <strong>la</strong> discussion en profon<strong>de</strong>ur » (p.6), ou <strong>de</strong> « stratégie <strong>de</strong> communication »<br />

(p.6). Il n’y a rien <strong>de</strong> neuf dans une analyse opposant <strong>la</strong> base et <strong>la</strong> hiérarchie ; <strong>la</strong><br />

confiance non critique accordée à <strong>la</strong> base n’est pas très scientifique ; en mê<strong>la</strong>nt expertise<br />

et attitu<strong>de</strong>s prophétiques on ne fait pas preuve non plus <strong>de</strong> stratégie.<br />

2) Le <strong>Rapport</strong> et sa diffusion sont questionnables au p<strong>la</strong>n doctrinal parce qu’ils ont<br />

recours à <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> réflexion et d’action inadéquates.<br />

Le Provincial <strong>de</strong>s Pays-Bas et son conseil n’ont pas été suffisamment critiques sur<br />

leurs métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> réflexion et d’action. Un débat fructueux avec eux passe par cette<br />

prise <strong>de</strong> conscience. Leur opposer directement <strong>de</strong>s « raisons doctrinales », même si on<br />

peut et doit le faire, serait une erreur. Elles ne peuvent qu’être rejetées par ceux <strong>de</strong>s<br />

rédacteurs qui ont l’évi<strong>de</strong>nce d’avoir proposé <strong>la</strong> bonne solution et d’être les<br />

représentants d’une théologie évangélique ouverte, face aux « autorités » qui trahissent<br />

l’Évangile par leur institutionnalisme légaliste et leurs archaïsmes culturels. Le plus<br />

important, si l’on veut parvenir à un débat réellement doctrinal, est d’abord <strong>de</strong><br />

comprendre comment les intéressés ont pu s’établir dans un tel état d’esprit.<br />

III. LES CRITÈRES DOCTRINAUX PROPOSÉS PAR LE RAPPORT NE PEUVENT PAS<br />

FONDER LES INITIATIVES RECOMMANDÉES AUX PAROISSES.<br />

Pour l’examen <strong>de</strong> <strong>la</strong> justesse doctrinale <strong>de</strong>s initiatives recommandées aux paroisses,<br />

on se référera aux exigences du chapitre provincial, <strong>de</strong>mandant qu’un groupe <strong>de</strong> travail,<br />

constitué d’experts, étudie les aspects théologiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> question (p. 5) et renouvelle<br />

les discussions à un registre plus profond (p.6). Doctrinalement, le texte actuel, à notre<br />

18 Aux chrétiens <strong>de</strong> Smyrne, VIII, 1 (Sources chrétiennes, p.162-163)


avis du moins, ne correspond pas à ces exigences parce qu’il est trop faible dans nombre<br />

<strong>de</strong> ses énoncés particuliers (3.1) et surtout parce qu’il est erroné dans les fon<strong>de</strong>ments<br />

qu’il prétend donner à l’initiative recommandée aux paroisses : faire célébrer le Repas<br />

du Seigneur par un(e) chrétien(ne) que l’évêque a refusé d’ordonner (3.2).<br />

3.1. Le <strong>Rapport</strong> présente beaucoup <strong>de</strong> faiblesses dans ses affirmations<br />

particulières<br />

Le <strong>Rapport</strong> a voulu être simultanément un rapport « d’experts » et un appel adressé à<br />

toutes les paroisses du pays. Peut-être est-ce <strong>la</strong> source <strong>de</strong> bien gran<strong>de</strong>s simplifications<br />

historiques et <strong>de</strong> nombre d’affirmations doctrinales pour le moins approximatives ? On<br />

peut les illustrer par le haut <strong>de</strong> <strong>la</strong> p.18, typique <strong>de</strong> l’ensemble.<br />

On y lit « qu’au cours <strong>de</strong> l’histoire» (sic), on en est arrivé à une vision « pyramidale ».<br />

Elle est décrite dans les termes du Ps-Denys qui n’a pourtant nullement influencé les<br />

textes liturgiques occi<strong>de</strong>ntaux 19 . Au XIIe s. encore, il n’a pas touché non plus<br />

l’équilibre <strong>de</strong>s ministères décrit par le bienheureux Guerric d’Igny comme suit :<br />

« Nous ne <strong>de</strong>vons pas croire que ces vertus dont on vient <strong>de</strong> parler soient nécessaires<br />

seulement au prêtre, comme s’il consacrait seul, comme s’il offrait seul le sacrifice du<br />

Christ Il ne sacrifie pas seul, il ne consacre pas seul, mais toute l’assemblée <strong>de</strong>s fidèles<br />

qui se tient autour <strong>de</strong> lui, avec lui consacre, avec lui offre le sacrifice » 20 .<br />

Sur ce point S. Thomas d’Aquin et <strong>la</strong> sco<strong>la</strong>stique introduiront certes une rupture, en<br />

comprenant l’action <strong>de</strong>s ministres selon <strong>la</strong> catégorie aristotélicienne <strong>de</strong> cause<br />

instrumentale, mais ce<strong>la</strong> revient à exclure les perspectives dionysiennes. En fait « le<br />

cours <strong>de</strong> l’histoire » se réduit à l’influence indéniable <strong>de</strong> Denys sur <strong>la</strong> figure du prêtre <strong>de</strong><br />

l’École Française, qui s’imposera au XIXe s. dans <strong>de</strong> <strong>la</strong>rges secteurs catholiques.<br />

Le paragraphe suivant affirme par <strong>de</strong>ux fois, sûrement par distraction, qu’en théologie<br />

catholique « les sacrements n’ont d’effets que s’ils sont administrés par <strong>de</strong>s ministres<br />

19 Il est facile <strong>de</strong> montrer que Denys n’a pas influencé <strong>la</strong> liturgie occi<strong>de</strong>ntale, voir par ex.<br />

Benedicta Droste, « Celebrare » in <strong>de</strong>r römischen Liturgiesprache. Eine liturgietheologische<br />

Untersuchung (Münchener Theologische Studien. II Systematische<br />

Abteilung, 26. Band), Max Hueber Ver<strong>la</strong>g, München 1963, conclut sa thèse : «<br />

" celebrare" est toujours une action <strong>de</strong> nature communautaire et publique ». Ou encore<br />

Rupert Berger, Die Wendung « offerre pro » in <strong>de</strong>r römischen Liturgie<br />

(Litugiegeschichtlichen Quellen und Forschungen 41), Aschendorff, Münster 1965 qui<br />

montre que le prêtre n’offre pas à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s fidèles qui n’offriraient pas <strong>de</strong> plein droit.<br />

20 Bx Guerric d'Igny, Sermon 5 sur <strong>la</strong> Purification, PL 185, 87 : « Neque cre<strong>de</strong>re<br />

<strong>de</strong>bemus quod soli sacerdoti supradictae virtutes sint necessariae, quasi solus<br />

consecret et et sacrificet corpus Christi. Non solus sacrificat, non solus consecrat, sed<br />

totus conventus fi<strong>de</strong>lium qui astat, cum illo consecrat, cum illo sacrificat »


ordonnés » 21 car chrétiennes et chrétiens peuvent baptiser en cas <strong>de</strong> nécessité et ils sont<br />

les ministres <strong>de</strong> leur mariage, <strong>la</strong> présence <strong>de</strong> leur curé évitant <strong>la</strong> c<strong>la</strong>n<strong>de</strong>stinité <strong>de</strong> l’acte.<br />

Mais on y avalise aussi, par trois fois, l’idée que, <strong>de</strong> par son ordination, « le prêtre est<br />

changé en son essence (« essentially changed ») parce que toute sa personne et son<br />

essence sont sanctifiés ». On ne trouve, bien entendu, rien <strong>de</strong> tel chez Thomas d’Aquin<br />

ou dans <strong>la</strong> sco<strong>la</strong>stique pour qui <strong>la</strong> grâce <strong>de</strong> l’ordination est une grâce pour les autres<br />

chrétiens, et non pour le prêtre lui-même: les manuels les plus médiocres n’enseignent<br />

rien d’autre à <strong>la</strong> veille <strong>de</strong> Vatican II 22 .<br />

La suite du texte affirme que « <strong>de</strong> cette façon, une ‘différence d’essence’ naît (comes<br />

into being) entre <strong>la</strong>ïcs et ministres ordonnés qui est indélébile ». L’adjectif « indélébile »<br />

doit être une allusion au fait qu’on ne peut recevoir <strong>de</strong>ux fois le baptême, <strong>la</strong> confirmation<br />

et l’ordination, un fait que le concile <strong>de</strong> Trente relie à l’impression d’une « marque<br />

ineffaçable dans l’âme ».Mais il n’a pas enseigné, pour autant, que le caractère opérait<br />

une transformation ontologique du prêtre 23 , ce qu’on répète ici 24 , et qu’on chercherait en<br />

vain dans les manuels <strong>de</strong> théologie postérieurs 25 . Si une telle erreur était répandue au<br />

niveau popu<strong>la</strong>ire chez certains catholiques néer<strong>la</strong>ndais, <strong>de</strong>s experts aurait dû <strong>la</strong> corriger.<br />

21<br />

« The sacraments…are only effective if they are used (sic) by ordained ministers » p.<br />

18, on y lit encore que ce<strong>la</strong> « a été enregistré dans le Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> droit canonique », et l’on<br />

répète : « c’est pourquoi [le prêtre ordonné] est le seul qui a le pouvoir <strong>de</strong> réaliser <strong>de</strong>s<br />

actions sacramentelles qui soient ‘vali<strong>de</strong>s’, c’est-à-dire reconnues par le droit ». On<br />

ajoute que ce<strong>la</strong> « a été enregistré dans le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> droit canonique », et l’on répète :<br />

« c’est pourquoi [le prêtre ordonné] est le seul qui a le pouvoir <strong>de</strong> réaliser <strong>de</strong>s actions<br />

sacramentelles qui soient ‘vali<strong>de</strong>s’, c’est-à-dire reconnues par le droit ».<br />

22<br />

Selon S. Thomas d’Aquin, Contra Gentiles IV, 74 : cette grâce est donnée pour <strong>la</strong><br />

"construction " <strong>de</strong> l’Église ; il ajoute que « <strong>la</strong> grâce <strong>de</strong> Dieu vient en ai<strong>de</strong> au ministre ».<br />

Le manuel très représentatif (on cite <strong>la</strong> 50ème et ultime édition) <strong>de</strong> J. M. Hervé,<br />

Manuale theologiae dogmaticae. Nova editio a C. Larnicol recognita. Paris 1962, p.409<br />

énonce seulement que l’ordination « infuse une augmentation <strong>de</strong> <strong>la</strong> grâce » à celui qui a<br />

déjà <strong>la</strong> grâce sanctifiante ; il en est ainsi « pour que l’ordonné puisse dispenser<br />

dignement les sacrements ». Absolument rien n’est dit d’une transformation<br />

ontologique !<br />

23<br />

On pourra lire à ce sujet <strong>la</strong> thèse, antérieure à Vatican II, du jésuite belge, professeur<br />

<strong>de</strong> dogmatique à <strong>la</strong> Grégorienne (Rome), J. Galot, La nature du caractère sacramentel.<br />

Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> théologie médiévale, Bruges, 1957, notamment p. 224 : " Trente a voulu<br />

expressément éviter toute détermination <strong>concernant</strong> <strong>la</strong> nature du caractère et ne<br />

condamne aucune opinion d'école, même pas celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> pure re<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> raison proposée<br />

par Durand <strong>de</strong> Saint Pourçain". On y lit encore: "(Trente) <strong>la</strong>isse expressément tomber<br />

une qualification du décret aux Arméniens, parce qu'elle engage une certaine doctrine<br />

sur <strong>la</strong> nature et <strong>la</strong> fonction du caractère".<br />

24 ère<br />

Pour <strong>la</strong> troisième fois, p. 19, l ligne : « transferred into a different or<strong>de</strong>r of being ».<br />

25<br />

Cf. supra note 22.


Ici, dans un pays confessionnellement divisé, ils reprennent à leur compte un préjugé<br />

protestant qu’on trouve jusque dans <strong>de</strong>s encyclopédies scientifiques 26 .<br />

On objectera : il est dommage bien sûr que <strong>de</strong>s paroissiens reçoivent <strong>de</strong>s informations<br />

inexactes et même erronées. Mais par rapport au problème <strong>de</strong> fond que soulève le<br />

<strong>Rapport</strong>, n’est-ce pas là « filtrer le moucheron et avaler le chameau » (Mt 23, 24) ?<br />

C’est parce que le problème <strong>de</strong> fond posé par le <strong>Rapport</strong> est considérable qu’on doit<br />

s’assurer <strong>de</strong> <strong>la</strong> compétence <strong>de</strong> l’expertise alléguée. Ce qui précè<strong>de</strong> aura montré qu’elle<br />

n’est pas <strong>de</strong> première qualité scientifique 27 . Il reste encore à constater que sur l’essentiel<br />

elle est encore plus déficiente<br />

3.2. Le <strong>Rapport</strong> ne démontre en rien son affirmation centrale selon <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong><br />

tradition, Vatican II et l’état actuel <strong>de</strong> <strong>la</strong> théologie fon<strong>de</strong>nt l’authenticité d’une<br />

eucharistie célébrée par <strong>de</strong>s chrétiens élus par les paroissiens mais non ordonnés<br />

par l’évêque.<br />

Il faut relire l’appel à l’action qui conclut le <strong>Rapport</strong>. On débattra <strong>de</strong>s trois thèses<br />

essentielles qui y sont formulées, l’une après l’autre. Si <strong>la</strong> première thèse est acceptable,<br />

les <strong>de</strong>ux autres, qui restent sans démonstration, sont irrecevables en doctrine catholique.<br />

1) La participation <strong>de</strong>s paroissiens à l’élection <strong>de</strong>s ministres ordonnés est<br />

théologiquement légitime : « Avec une réelle insistance, nous exhortons les<br />

paroisses à choisir en leur sein leur dirigeant ou leur équipe <strong>de</strong> dirigeants »<br />

(p.28).<br />

26 Dans <strong>la</strong> Theologische Realenzyklopädie, à l'article Amt/Aemter, C.H. Ratschow<br />

(Université <strong>de</strong> Marburg) assure p. 611: "Es bleibt im Katholizismus zwischen g<strong>la</strong>übigen<br />

Christen und <strong>de</strong>n Träger <strong>de</strong>s Amtes ein Wesensunterschied (LG 10). Diese ist in <strong>de</strong>n<br />

evangelischen Erfassungen <strong>de</strong>s Amtes aber nicht <strong>de</strong>r Fall. [Trad. : il <strong>de</strong>meure dans le<br />

catholicisme une différence d'essence entre le fidèle et le détenteur du ministère (LG 10).<br />

Mais ce<strong>la</strong> n'est pas le cas dans les conceptions protestantes du ministère"]. On trouve <strong>la</strong><br />

même interprétation erronée <strong>de</strong> Lumen Gentium 10 dans L'Encyclopédie du<br />

Protestantisme (Ed. du Cerf, 1995) à l’article Prêtre <strong>de</strong> P. L. Dubied (Neuchâtel),<br />

p.1208 : " Des aspects [<strong>de</strong>]<strong>la</strong> figure du prêtre <strong>de</strong> l'Église romaine du XVIe siècle<br />

<strong>de</strong>meurent jusqu'au concile Vatican II inclus (cf. <strong>la</strong> différence d'essence liée au ministère<br />

ordonné) ». Voici le texte <strong>de</strong> Lumen Gentium : « Le sacerdoce commun [sacerdotium<br />

commune] <strong>de</strong>s fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique [sacerdotium<br />

ministeriale seu hierarchicum], bien qu’il y ait entre eux une différence essentielle et<br />

non pas <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré [licet essentia et non gradu tantum differant], sont cependant ordonnés<br />

l’un à l’autre : l’un et l’autre, en effet, selon son mo<strong>de</strong> propre, participent <strong>de</strong> l’unique<br />

sacerdoce du Christ ». On ne peut le comprendre comme ces protestants que si l’on<br />

confond <strong>la</strong> personne et <strong>la</strong> fonction, lisant sacerdotes (nomen personarum), là où Vatican<br />

II a écrit sacerdotium (nomen actionis) !<br />

27 Les théologiens constateront que le renouveau liturgique n’y a guère d’influence : quasi-absence <strong>de</strong><br />

l’épiclèse ; articu<strong>la</strong>tion insatisfaisante entre un/tous/quelques-uns [p. 13 le souhait que tous prononcent les<br />

paroles <strong>de</strong> <strong>la</strong> consécration n’est pas fondamentalement réfuté, mais un bon développement p.14] ; <strong>la</strong><br />

fixation sur <strong>la</strong> consécration <strong>de</strong>s hosties est heureusement dénoncée comme ambiguïté, mais pas très<br />

corrigée alors qu’elle traverse toute l’enquête ; <strong>la</strong> réduction du presbytérat au ministère sacerdotal est<br />

certes déplorée, mais sa spécificité comme ministère <strong>de</strong> <strong>la</strong> Parole et pastorat est peu déployée : on semble<br />

<strong>la</strong>isser croire que le prêtre est un « diseur <strong>de</strong> messes vali<strong>de</strong>s ».


Cette participation ne soulève aucune difficulté théologique ; reste à en apprécier <strong>la</strong><br />

faisabilité et l’opportunité. L’histoire montre, en tout cas, que c’était une pratique<br />

fréquente dans les pays germaniques et en Italie, jusqu’à <strong>la</strong> Réforme et même au-<strong>de</strong>là 28 .<br />

Sur ce point l’expertise générale du rapport est bonne (p. 13 milieu ; p.24 bas et p. 25<br />

haut). Elle aurait simplement pu insister sur le fait que si l’élection fait partie du<br />

processus <strong>de</strong> l’ordination, être élu n’a jamais suffi pour être ordonné. La section III,<br />

traitant <strong>de</strong> l’eucharistie, reste malheureusement muette sur <strong>la</strong> stricte corré<strong>la</strong>tion entre<br />

communion eucharistique et communion ecclésiale, position absolument unanime<br />

<strong>de</strong>puis les origines <strong>de</strong> l’Église. On y perd <strong>de</strong> vue que le Repas du Seigneur est le<br />

sacrement <strong>de</strong> l’unité <strong>de</strong> l’Église, puisqu’on trouve normal que <strong>de</strong>s non chrétiens y<br />

prennent part 29 . L’exhortation à célébrer l’eucharistie par un chrétien que son évêque a<br />

refusé d’ordonner est <strong>la</strong> plus c<strong>la</strong>ire négation <strong>de</strong> cette corré<strong>la</strong>tion.<br />

2) La célébration <strong>de</strong> l’eucharistie par un chrétien que l’évêque n’a pas<br />

ordonné est contraire à <strong>la</strong> doctrine catholique et se trouve être une conduite<br />

schismatique. « Sur le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> <strong>la</strong> priorité du ‘peuple <strong>de</strong> Dieu’ sur <strong>la</strong> hiérarchie<br />

[…] si un évêque diocésain refuse d’ordonner (cette ou ces personne(s), les paroisses<br />

doivent être assurées qu’elles ont alors néanmoins <strong>la</strong> capacité <strong>de</strong> célébrer une<br />

eucharistie réelle et authentique (« real and genuine ») (p. 28) ; « nous les exhortons à<br />

agir <strong>de</strong> <strong>la</strong> sorte avec une gran<strong>de</strong> confiance en elles-mêmes et avec courage » (p.29).<br />

Célébrer l’eucharistie en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> <strong>la</strong> communion <strong>de</strong> l’Église et contre l’évêque du lieu<br />

a été compris, dès les origines, comme l’instauration d’un schisme et son signe par<br />

excellence par s. Ignace d’Antioche (vers 120) 30 , s. Cyprien (vers 250) 31 , s. Jérôme<br />

(début du Ve s.) 32 , s. Augustin (début du V e s.) 33 , le pape Pé<strong>la</strong>ge (milieu du VI e siècle) 34 .<br />

28<br />

cf. D. Kurze, Pfarrerwahl im Mitte<strong>la</strong>lter, Cologne, Böh<strong>la</strong>u Ver<strong>la</strong>g, 1966. Cette<br />

élection persiste toujours formellement par ex. dans le diocèse <strong>de</strong> Saint-Gall en Suisse.<br />

29<br />

Comme on le lit dans le <strong>Rapport</strong> p.22, si nous le comprenons bien : « The Eucharist<br />

[…] is a table which is open for people from different religious traditions ». On n’a pas<br />

écrit “christian traditions”.<br />

30<br />

Cf. lettre aux Magnésiens 7, 2 (Sources chrétiennes 10 bis, p.101).<br />

31<br />

Vers 250, S. Cyprien écrit « Croit-il donc être avec le Christ celui qui célèbre dans<br />

l’opposition aux évêques ? […] qui a l‘audace dans le mépris pour les évêques d’ériger<br />

un autre autel ? », L’unité <strong>de</strong> l’Église 17 (Sources chrétiennes 500, p. 224-227) ; voir<br />

aussi sa Lettre 43,5 « Un autre autel ne peut être érigé, un autre sacerdoce ne peut être<br />

institué en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l’unique autel, <strong>de</strong> l’unique sacerdoce » ; et Lettre 73, 2, où il décrit<br />

le schisme <strong>de</strong> Novatien comme « dressant l’autel contre l’autel et offrant <strong>de</strong>s sacrifices<br />

illégitimes».<br />

32<br />

« Dire un seul autel, c’est dire comme une seule foi, un seul baptême, une seule<br />

Église », In Isaiam prophetam<br />

5, 19 (PL 24, 186).<br />

33<br />

« Si nous sommes dans l’unité, pourquoi <strong>de</strong>ux autels dans une même ville ? », In<br />

Epist. Joh. 3, 7 (PL 35, 2001).


D’ailleurs, <strong>de</strong> façon immémoriale jusqu’aujourd’hui, à chaque célébration eucharistique,<br />

on commémore l’évêque du lieu pour le signifier.<br />

L’appui qu’on prétend trouver dans <strong>la</strong> priorité du peuple <strong>de</strong> Dieu sur <strong>la</strong> hiérarchie à<br />

Vatican II, -unique argument fourni pour affirmer qu’une eucharistie, célébrée dans le<br />

refus <strong>de</strong> <strong>la</strong> communion <strong>de</strong> l’évêque diocésain, est « réelle et authentique »-, est purement<br />

fal<strong>la</strong>cieux : on ne peut avancer un seul texte en ce sens. S’il y en avait, le débat serait<br />

clos.<br />

La réalité du peuple <strong>de</strong> Dieu 35 implique celle d’un ministère qui est à <strong>la</strong> fois dans<br />

l’Église et en vis-à-vis d’elle 36 . Quand on supprime ce « dans » et ce « vis-à-vis », on a<br />

perdu <strong>la</strong> clé fondamentale tant <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s ministres que <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s communautés<br />

en tant que communautés locales 37 .<br />

L’assemblée locale qui déci<strong>de</strong>rait <strong>de</strong> suivre l’exhortation du <strong>Rapport</strong> opterait pour une<br />

ecclésiologie tournant le dos à l’ecclésiologie du Peuple <strong>de</strong> Dieu, pour se dissoudre en<br />

secte. Elle tournerait aussi le dos à l’ecclésiologie réformée qui accepte certes,<br />

exceptionnellement et en cas <strong>de</strong> nécessité, que <strong>de</strong>s non ordonnés prési<strong>de</strong>nt <strong>la</strong> Sainte<br />

Cène, mais obligatoirement avec une délégation <strong>de</strong> l’autorité pastorale et non pas contre<br />

cette autorité. Aucun théologien, quelle que soit son appartenance ecclésiale, ne<br />

reconnaîtra dans le <strong>Rapport</strong> l’ecclésiologie <strong>de</strong> l’Église catholique ou <strong>de</strong> l’Église<br />

orthodoxe : toutes <strong>de</strong>ux mettent un lien infrangible entre communion eucharistique et<br />

communion ecclésiale. Récuser ce lien fondateur (cf. <strong>la</strong> I ère aux Corinthiens XI, 17-34)<br />

ne résoudra rien, car c’est lui, au contraire, qui réc<strong>la</strong>me que l’on ordonne <strong>de</strong>s pasteurs.<br />

34 « Il n’y a qu’un seul corps du Christ, qu’une seule Église. Un autel séparé du reste du<br />

corps ne peut pas consacrer véritablement le Corps du Christ », Ep 24, 14 (ed. Gasso-<br />

Battle, p.76).<br />

35 Le dominicain Y. Congar, qui a quelque autorité pour interpréter Lumen Gentium,<br />

comprend <strong>la</strong> constitution sur l’Église bien différemment : « La catégorie peuple <strong>de</strong> Dieu<br />

permet d’affirmer à <strong>la</strong> fois (souligné par l’A.) l’égalité <strong>de</strong> tous les fidèles dans <strong>la</strong> dignité<br />

<strong>de</strong> l’existence chrétienne et l’inégalité organique ou fonctionnelle <strong>de</strong>s membres » et il<br />

ajoute « l’idée <strong>de</strong> peuple <strong>de</strong> Dieu, si riche théologiquement et pastoralement, est<br />

insuffisante à exprimer, seule, <strong>la</strong> réalité <strong>de</strong> l’Église », « L’Église comme peuple <strong>de</strong><br />

Dieu », Concilium 1, 1965, pp. 24 et 31-32.<br />

36 Ceci a été entrevu dans le <strong>Rapport</strong> p. 13, quand on décrit l’ordination comme<br />

« combined action of ‘below’ and ‘above’ », ou, dans un vocabu<strong>la</strong>ire un peu plus<br />

heureux, p.25 « l’imposition <strong>de</strong>s mains <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong>s Églises voisines exprime <strong>la</strong><br />

collégialité entre les communautés ecclésiales locales ».<br />

37 Le Cal W. Kasper fon<strong>de</strong> sur ce point l’axiome suivant : « Une communauté sans prêtre<br />

est une contradiction en elle-même, et une célébration <strong>de</strong> l’eucharistie sans le ministère<br />

presbytéral est une chose impossible…Ce<strong>la</strong> vaut également pour les situations <strong>de</strong><br />

détresse extrêmes […] <strong>la</strong> règle vaut à plus forte raison pour notre situation <strong>de</strong> manque<br />

re<strong>la</strong>tif <strong>de</strong> prêtres, à savoir que <strong>de</strong>s prêtres ne peuvent être remp<strong>la</strong>cés que par <strong>de</strong>s<br />

prêtres », Sacrement <strong>de</strong> l’unité. Eucharistie et Église, Paris, Éditions du Cerf, 2005, p.25<br />

(original : Sakrament <strong>de</strong>r Einheit. Eucharistie und Kirche, Freiburg i. B., 2004).


Exhorter les paroisses à agir en ce sens, c’est purement et simplement les exhorter au<br />

schisme.<br />

3) Les appels à l’action ne sont fondés ni sur Vatican II ni sur les travaux<br />

théologiques. « En conclusion, une fois encore, nous soulignons que notre thèse est<br />

fondée sur les déc<strong>la</strong>rations <strong>de</strong> Vatican II et sur les publications, <strong>de</strong>puis le concile, <strong>de</strong><br />

théologiens professionnels et d’experts en pastorale »( p.29) 38 .<br />

On chercherait en vain un seul texte <strong>de</strong> Vatican II qui fon<strong>de</strong>rait l’action préconisée par<br />

le <strong>Rapport</strong>. Ni sa lettre ni son « esprit » ne légitiment <strong>de</strong> célébrer l’eucharistie en<br />

récusant <strong>la</strong> communion avec l’évêque en cet acte même : Lumen Gentium le récuse<br />

explicitement 39 .<br />

Dans <strong>la</strong> bibliographie finale, renvoyant aux autorités théologiques, on cherchera aussi<br />

en vain une citation précise et vérifiable fondant cette thèse. Si le P. Schillebeeckx<br />

n’exclut pas, à titre d’hypothèse, qu’une eucharistie serait possible, en l’absence <strong>de</strong><br />

prêtre, en cas <strong>de</strong> nécessité extrême (persécution), il <strong>la</strong>isse cette hypothèse à l’état<br />

d‘hypothèse 40 . A fortiori, il n’envisage pas qu’un chrétien, que son évêque aurait refusé<br />

d’ordonner, cas très différent, pourrait prési<strong>de</strong>r l’eucharistie 41 .<br />

Les paroissiens auxquels le <strong>Rapport</strong> s’adresse auront sur cette question les mêmes<br />

exigences <strong>de</strong> sérieux que dans le reste <strong>de</strong> leur vie : si l’un <strong>de</strong> leurs est atteint d’une grave<br />

ma<strong>la</strong>die, ils feront confiance à un mé<strong>de</strong>cin reconnu par <strong>la</strong> faculté <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine ; en cas <strong>de</strong><br />

conflit judiciaire à un avocat appartenant à l’ordre avocats, etc. Dans le cas présent, ils se<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>ront sûrement s’ils peuvent considérer comme réellement théologique une<br />

proposition qu’aucune faculté <strong>de</strong> théologie catholique à travers le mon<strong>de</strong> ne soutiendrait.<br />

CONCLUSION GÉNÉRALE<br />

L’Ordre <strong>de</strong>s Frères prêcheurs pourrait-il approuver, plus que les facultés <strong>de</strong> théologie,<br />

<strong>la</strong> conclusion d’un <strong>Rapport</strong> qui, en contradiction c<strong>la</strong>ire avec <strong>la</strong> doctrine catholique,<br />

appelle l’ensemble <strong>de</strong>s paroisses du pays, voire du mon<strong>de</strong> entier, à passer à l’action ?<br />

Personne ne pourra s’étonner que le Maître <strong>de</strong> l’Ordre, non informé au préa<strong>la</strong>ble, prenne<br />

ses propres responsabilités <strong>de</strong>vant une initiative aussi publique : ses entretiens avec les<br />

38 « In conclusion, we would like to emphasize once more that our argument is based on<br />

statements of the Second Vatican Council and on publications of professional<br />

theologians and pastoral experts which have appeared since this council”.<br />

39 La constitution dogmatique sur l’Église dit expressément « Toute célébration légitime<br />

<strong>de</strong> l’Eucharistie est dirigée par l’évêque » (n. 26).<br />

40 Dans l’Épilogue <strong>de</strong> <strong>la</strong> version française <strong>de</strong> P<strong>la</strong>idoyer pour le peuple <strong>de</strong> Dieu, Paris<br />

1987, il reconnaît que « <strong>la</strong> charge <strong>de</strong> démontrer le bien-fondé <strong>de</strong>s célébrations<br />

d’exception revient à celui qui les considère comme légitimes » p.301, et on lit « ma<br />

soumission à <strong>la</strong> Constitution [Lumen Gentium] est totale », p.303. cf. <strong>la</strong> note<br />

précé<strong>de</strong>nte.<br />

41 Peut-être qu’une telle position est exprimée par <strong>de</strong>s auteurs néer<strong>la</strong>ndais que <strong>la</strong><br />

traduction ang<strong>la</strong>ise du <strong>Rapport</strong> n’a pas rendus accessibles.


esponsables provinciaux ne pourront probablement pas en rester au registre du débat. Il<br />

en jugera avec son conseil.<br />

Si l’on en reste au registre du débat théologique, on doit donner acte aux autorités<br />

provinciales du fait que leur cri d’a<strong>la</strong>rme est justifié en tant que tel. Il ne suffit pas <strong>de</strong><br />

relever leurs erreurs doctrinales et leurs ma<strong>la</strong>dresses <strong>de</strong> communication, bien qu’elles<br />

puissent retar<strong>de</strong>r <strong>la</strong> solution d’un problème qui les a amenés à s’exprimer avec le<br />

radicalisme que l’on a cru <strong>de</strong>voir critiquer avec vigueur.<br />

Le <strong>Rapport</strong> a raison <strong>de</strong> souligner que toutes les conséquences ecclésiologiques légitimes<br />

n’ont pas été tirées <strong>de</strong> Vatican II. C’est une évi<strong>de</strong>nce. De plus, selon le <strong>de</strong>rnier concile,<br />

le statut actuel <strong>de</strong>s prêtres n’est pas l’unique possible : Presbyterorum Ordinis 16 énonce<br />

que « <strong>la</strong> continence parfaite et perpétuelle n’est pas exigée par <strong>la</strong> nature du sacerdoce »<br />

et fait un éloge sans réserve <strong>de</strong>s prêtres catholiques actuellement mariés 42 . A <strong>la</strong> lumière<br />

aussi <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>rnière phrase du Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> droit canon (« Le salut <strong>de</strong>s âmes doit toujours<br />

être dans l’Église <strong>la</strong> loi suprême »), les pasteurs pourraient donc moduler <strong>la</strong> loi du<br />

célibat, si elle s’avérait aujourd’hui <strong>la</strong> cause principale du manque <strong>de</strong> prêtres.<br />

Toutefois l’envoi du <strong>Rapport</strong> à toutes les paroisses du pays a créé un réel problème : un<br />

tel acte dépasse <strong>de</strong> beaucoup l’appel à l’opinion publique catholique. Sur <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments<br />

nullement assurés, il contient une invitation à agir aux conséquences éventuellement très<br />

graves. Si elles reconnaissent que ce fut là plus qu’une ma<strong>la</strong>dresse, les autorités <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

province <strong>de</strong>s Pays-Bas <strong>de</strong>vraient pouvoir compter sur l’ai<strong>de</strong> du Maître <strong>de</strong> notre ordre,<br />

loin <strong>de</strong>s schémas d’une obéissance séculière, comprise comme « comman<strong>de</strong>ment et<br />

exécution », et peut-être vérifiera-t-on, dans <strong>la</strong> résolution <strong>de</strong> ce qui est <strong>de</strong>venu une<br />

« affaire », <strong>la</strong> vérité <strong>de</strong> Pr. 18,19 : « un frère aidé par son frère est comme une cité<br />

fortifiée » 43 ?<br />

Dans ce cas <strong>de</strong> figure, l’Ordre pourrait peut-être, en désavouant c<strong>la</strong>irement le texte<br />

actuel, dire publiquement sa préoccupation <strong>de</strong> voir tant <strong>de</strong> membres du peuple <strong>de</strong> Dieu<br />

continuer à errer comme « un troupeau sans pasteurs » (Mc 6, 34).<br />

fr. Hervé Legrand op<br />

maître en théologie<br />

professeur honoraire à l’Institut Catholique <strong>de</strong> Paris<br />

42 PO 16 continue : « Ce saint concile, avec toute son affection, exhorte les hommes<br />

mariés qui ont été ordonnés prêtres à persévérer dans leur sainte vocation et dans le don<br />

total et généreux <strong>de</strong> leur vie au troupeau qui leur a été confié ».<br />

43 Ce texte revient constamment, tant en Orient qu’en Occi<strong>de</strong>nt, pour illustrer le régime synodal <strong>de</strong><br />

l’Église. Il est cité ici selon sa traduction par <strong>la</strong> Septante puis par <strong>la</strong> Vulgate : « Frater, qui adjuvatur a<br />

fratre, quasi civitas firma et iudicia quasi vectes urbis sunt » ; littéralement : un frère aidé par son frère est<br />

comme une p<strong>la</strong>ce forte et leurs jugements sont comme les verrous d'une ville fortifiée.

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