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Chagrin d'école

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Marie-Thé, coiffeuse de notre village – La Colle-sur-<br />

Loup –, mon amie aînée depuis ma prime enfance,<br />

m’avouait récemment que ma mère, s’épanchant sous le<br />

casque, lui avait confié son inquiétude quant à mon avenir,<br />

un peu soulagée, disait-elle, d’avoir obtenu de mes frères<br />

la promesse qu’ils prendraient soin de moi après sa<br />

disparition et celle de mon père.<br />

Toujours dans la même lettre, j’écrivais : « Vous avez<br />

eu trois fils intelligents et travailleurs… un autre un<br />

cancre, un féniant » (sic)… Suivait une étude comparée<br />

des performances de mes frères et des miennes et une<br />

vigoureuse supplique pour qu’on arrête le massacre, qu’on<br />

me retire de l’école et qu’on m’envoie « aux colonies »<br />

(famille de militaires), « dans un petit blède [sic] et là se<br />

serait [sic] le seul endroit où je serais [sic] heureux »<br />

(souligné deux fois). L’exil, au bout du monde en somme, le<br />

pis-aller du rêve, un projet de fuite à la Bardamu chez un fils<br />

de soldat.<br />

Dix ans plus tard, le 30 septembre 1969, je recevais<br />

une lettre de mon père, adressée au collège où j’exerçais<br />

depuis un mois le métier de professeur. C’était mon<br />

premier poste et c’était sa première lettre au fils devenu. Il<br />

sortait de l’hôpital, il me disait les douceurs de la<br />

convalescence, ses lentes promenades avec notre chien,<br />

me donnait des nouvelles de la famille, m’annonçait le

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