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Les mafias attaquent-elles le fonctionnement ... - Denis Dupre

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<strong>Les</strong> <strong>mafias</strong> <strong>attaquent</strong>-<strong>el<strong>le</strong>s</strong> <strong>le</strong><br />

<strong>fonctionnement</strong> démocratique ?<br />

1


Introduction: la mafia<br />

1) Étymologie<br />

2) Structure interne de mafia italienne<br />

a) <strong>Les</strong> origines<br />

b) Hiérarchie<br />

c) Système de va<strong>le</strong>urs<br />

3) Généralités sur <strong>le</strong>s autres types de mafia<br />

a) <strong>Les</strong> différentes <strong>mafias</strong><br />

b) Mafia et mondialisation<br />

4) Activités économiques des <strong>mafias</strong><br />

a) Le trafic de narcotique<br />

b) Le blanchiment<br />

5) Leur rapport avec <strong>le</strong> pouvoir<br />

a) Leur préférence politique<br />

b) Objectifs<br />

c) Procédures<br />

1 ère partie: la mafia italienne et <strong>le</strong> cas Berlusconi<br />

1) Introduction sur <strong>le</strong>s <strong>mafias</strong> italiennes<br />

a) La Cosa Nostra<br />

b) La Stidda<br />

c) La 'Ndrangheta<br />

d) La Sacra Corona Unita<br />

e) La Camorra<br />

2) <strong>Les</strong> liens qui unissent la mafia et <strong>le</strong>s institutions<br />

3) Le cas Silvio Berlusconi: la corruption des politiques par la mafia<br />

a) La condamnation de Marcello Dell’Utri<br />

b) La paro<strong>le</strong> des repentis contre Berlusconi<br />

4) Le cas Silvio Berlusconi: une politique mafieuse utilisé a des fins<br />

personnels<br />

a) L'origine inconnue de la fortune de Berlusconi<br />

b) La loge « P2 » s'intéresse à Berlusconi<br />

c) La corruption était un phénomène généralisé<br />

2


5) L’utilisation de la justice par Silvio Berlusconi<br />

a) Berlusconi fait ses lois<br />

b) L’opposition de Berlusconi au pouvoir judiciaire<br />

c) L’exemp<strong>le</strong> de la situation dans <strong>le</strong> sud de l’Italie sous l’influence de la politique de<br />

Berlusconi<br />

2 ème partie: la mafia russe et ses investissements sur<br />

la Côte d'Azur<br />

1) La mafia russe<br />

a) La mafia et l’Etat Russe<br />

b) Le pouvoir de la mafia russe<br />

2) Le Sud-Est, terre d’accueil de la criminalité économique<br />

a) Une économie infiltrée par <strong>le</strong>s capitaux suspects<br />

b) Des mécanismes juridiques p<strong>le</strong>inement exploités<br />

3) Des institutions judiciaires affaiblies<br />

a) La pénétration du sud-est par <strong>le</strong>s organisations crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong><br />

b) L’inamovibilité pernicieuse des magistrats dans <strong>le</strong> sud-est<br />

c) Une délinquance financière impunie<br />

d) Une situation judiciaire très dégradée<br />

4) L'invasion des nouveaux tsars<br />

a) L'invasion des nouveaux tsars: acquisitions de résidences secondaires somptueuses<br />

et dépenses exubérantes<br />

b) Investissement dans des affaires<br />

3 ème partie: la véritab<strong>le</strong> « Mafia corse »<br />

1) L’organisation de la Brise de Mer<br />

a) Un noyau dur issu de bonnes famil<strong>le</strong>s<br />

b) <strong>Les</strong> règ<strong>le</strong>s strictes d’une organisation<br />

c) <strong>Les</strong> cerc<strong>le</strong>s de la Brise<br />

2) <strong>Les</strong> activités de la Brise de mer<br />

a) <strong>Les</strong> braquages<br />

b) Un vaste portefeuil<strong>le</strong> d’activité<br />

3) L’infiltration mafieuse économique et politique<br />

a) La pression mafieuse<br />

b) Le contrô<strong>le</strong> du pouvoir économique et politique<br />

3


4 ème partie: <strong>le</strong>s mouvements anti-mafia<br />

1) <strong>Les</strong> mouvements anti-mafia: <strong>le</strong> cas italien<br />

a) Evolution de la lutte contre la mafia<br />

b) Le Centre sicilien de documentation "Giuseppe Impastato" : contre la mafia une<br />

éthique de la radicalité<br />

c) Libera : associations, noms et nombres contre la mafia<br />

2) La mobilisation juridique des Etats: <strong>le</strong> cas de la France<br />

a) Réforme des SCI<br />

b) Rô<strong>le</strong> des banques : <strong>le</strong> dispositif de déclaration de soupçon<br />

3) Mobilisation internationa<strong>le</strong>: Comment faire face à la criminalité<br />

transnationa<strong>le</strong> ?<br />

a) La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationa<strong>le</strong> organisée<br />

b) Nouv<strong>el<strong>le</strong>s</strong> mesures européennes<br />

4) Conceptions éthiques de la lutte anti-mafia<br />

a) La loi, rien que la loi : Suffira-t-il pour venir à bout de la criminalité organisée que <strong>le</strong><br />

gouvernement légifère ?<br />

b) Le crime organisé et <strong>le</strong>s contradictions du système mondial<br />

4


Introduction : la mafia<br />

Selon la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationa<strong>le</strong> organisée,<br />

signée à Pa<strong>le</strong>rme en décembre 2000, un groupe criminel organisé désigne "un groupe<br />

structuré de trois personnes ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert<br />

dans <strong>le</strong> but de commettre un ou plusieurs crimes graves (…) pour tirer, directement ou<br />

indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel".<br />

Cette définition ressemb<strong>le</strong> à bien des égards à cel<strong>le</strong> de la loi anti-mafia italienne,<br />

approuvée en 1982, définissant pour la première fois l'association criminel<strong>le</strong> de type mafieux:<br />

l'association est de type mafieux lorsque ceux qui en font partie se servent de la force<br />

d'intimidation du lien associatif ainsi que des conditions d'assujetissement et de la loi du<br />

si<strong>le</strong>nce (omertà) qui en dérive, pour commettre des crimes, pour acquérir, de façon directe ou<br />

indirecte, la gestion ou <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> d'activités économiques, concessions, autorisations,<br />

adjudications et services publics, ou pour réaliser des profits ou des avantages injustes en soi<br />

ou pour <strong>le</strong>s autres.<br />

L'idée de mafia en tant qu'association criminel<strong>le</strong>, si el<strong>le</strong> saisit certains aspects<br />

essentiels du phénomène mafieux, n'est cependant pas exhaustive. La mafia n'est pas<br />

seu<strong>le</strong>ment une association criminel<strong>le</strong> pas plus qu'el<strong>le</strong> n'agit comme une entreprise, mais c'est<br />

aussi un sujet politique qui exerce un pouvoir qui lui est propre (la domination territoria<strong>le</strong>) et<br />

qui interagit avec <strong>le</strong>s systèmes institutionnels étatiques et politiques.<br />

Une Mafia est donc une organisation criminel<strong>le</strong> dont <strong>le</strong>s activités sont soumises à une<br />

direction collégia<strong>le</strong> occulte et qui repose sur une stratégie d'infiltration de la société civi<strong>le</strong> et<br />

des institutions. On par<strong>le</strong> éga<strong>le</strong>ment de système mafieux. <strong>Les</strong> membres sont appelés mafiosi<br />

(au singulier, mafioso).<br />

5


1) Étymologie<br />

Le terme mafia a diverse étymologies possib<strong>le</strong>s, plus ou moins vérifiab<strong>le</strong>s et réalistes.<br />

Ainsi, il serait une déformation :<br />

- de l'arabe Ma-Hias spacconeria, qui est en relation avec <strong>le</strong> courage dont font preuve <strong>le</strong>s<br />

membres de t<strong>el<strong>le</strong>s</strong> organisations<br />

- de l'arabe mu'afak ("protection des pauvres") ou maha ("grotte de pierre")<br />

- du mot toscan maffia qui signifie "misère" ou "ostentation voyante, orgueil<strong>le</strong>use".<br />

- des vêpres siciliennes et adopté comme sig<strong>le</strong> pour Morte Ai Francesi (Plantagenêt)<br />

Indipendenza Anela.<br />

On raconte traditionnel<strong>le</strong>ment qu'un soldat français nommé Droetto viola une jeune<br />

fil<strong>le</strong>. La mère, terrorisée par ce qui était arrivé à sa fil<strong>le</strong>, courut à travers <strong>le</strong>s rues en hurlant<br />

«Ma - ffia, Ma - ffia!» ou «mia figlia, mia figlia» ("Ma fil<strong>le</strong>, ma fil<strong>le</strong>"). Le cri de la mère fut<br />

répété par d'autres et depuis Pa<strong>le</strong>rme <strong>le</strong> terme se diffusa dans toute la Sici<strong>le</strong>. Le terme mafia<br />

devint ainsi <strong>le</strong> mot des mouvements de résistance, émergeant ansi de la lutte des siciliens.<br />

Le terme toscan entra dans la langue populaire en Sici<strong>le</strong> juste après l'unification de l'Italie en<br />

1862, où il subit <strong>le</strong> phénomène de l'affaiblissement phonétique, comme d'autres mots toscans<br />

entrés dans l'usage sicilien. Il servit alors à désigner d'une part l'organisation secrète des<br />

classes populaires, qui trouvaient dans la mafia la protection contre <strong>le</strong> pouvoir des classes<br />

dominantes. Et d'autre part <strong>le</strong> courage et l'ostentation des mafiosis de cette époque.<br />

Aujourd'hui encore, en Sici<strong>le</strong>, l'adjectif mafiusu est utilisé aussi pour désigner quelque chose<br />

de coûteux : un costume élégant ou une voiture prestigieuse sont "un vistitu mafiusu, na<br />

màchina mafiusa", car à l'époque <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> voyait dans <strong>le</strong>s mafiosis <strong>le</strong>urs défenseurs, mais<br />

aussi car il associait l'idée de la justice socia<strong>le</strong> avec cel<strong>le</strong> de l'avenance et de la prestance.<br />

Selon l'historique des traditions populaires de Giuseppe Pitrè, <strong>le</strong> terme était utilisé<br />

dans <strong>le</strong> par<strong>le</strong>r d'un quartier populaire de Pa<strong>le</strong>rme, comme synonyme de beauté et d'audace.<br />

L'expression mafia est devenue courante à partir de 1863, avec la pièce I mafiusi di la<br />

Vicaria de Giuseppe Rizzotto et Gaetano Mosca, qui eut un grand succès et fut traduit en<br />

Italien, Napolitain et Meneghino, diffusant <strong>le</strong> terme sur tout <strong>le</strong> territoire national.<br />

Dans cette pièce, <strong>le</strong> mafioso est <strong>le</strong> camorrista, l'"homme d'honneur", c'est-à-dire<br />

l'individu qui adhère à une société qui s'oppose aux institutions et qui exhibe courage et<br />

supériorité. Un document confidentiel signé par <strong>le</strong> préfet de Pa<strong>le</strong>rme Filippo Gualtiero en<br />

avril 1865, mentionne la "Mafia, o associazione malandrinesca" (en français "la Mafia, ou<br />

association de malandrins").<br />

Dans <strong>le</strong>s années 1860 commence la notoriété du terme, qui désigne par exemp<strong>le</strong> dans<br />

<strong>le</strong>s documents officiels, comme <strong>le</strong>s communications des fonctionnaires, à la fois une<br />

association de malfaiteurs et un comportement courant dans la société sicilienne.<br />

6


2) Structure interne de mafia italienne<br />

En étudiant la structure de la mafia, on peut affirmer qu’el<strong>le</strong> est une société parallè<strong>le</strong> à<br />

la nôtre, ayant une organisation et une hiérarchie préétablies qui servent à préserver l’ordre.<br />

En effet, on définit la mafia comme une « association clandestine à portée internationa<strong>le</strong>,<br />

fortement hiérarchisée et capab<strong>le</strong> de résister au temps, avec une tradition, des rites et des<br />

règ<strong>le</strong>s qui lui sont propres. El<strong>le</strong> vise à acquérir par la corruption et la vio<strong>le</strong>nce une richesse et<br />

un pouvoir illicite, et cela grâce à la complicité des autorités en place».<br />

a) <strong>Les</strong> origines<br />

Le phénomène de la mafia apparu en Sici<strong>le</strong> durant <strong>le</strong> XIXe sièc<strong>le</strong>. À cette époque, l’î<strong>le</strong><br />

est contrôlée par des puissances étrangères tels que <strong>le</strong> monde arabe, l’Autriche, l’Espagne, la<br />

France…Un groupe, qui deviendra la première mafia, prendra <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> des terres par la<br />

force. Ils réussissent à garder <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> patrimoine et <strong>le</strong>s entreprises grâce à<br />

l’intimidation, aidé par des partis politiques. Durant la Deuxième Guerre mondia<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s<br />

fascistes malmènent l’organisation mafieuse sicilienne. Ce sont <strong>le</strong>s Alliés qui aideront la<br />

mafia à regagner son prestige. Déjà, l’organisation sert de col<strong>le</strong>cteur de votes en faveur des<br />

partis conservateurs, notamment <strong>le</strong> parti de la Démocratie chrétienne. On voit ici que dès ses<br />

débuts, la mafia se joint au pouvoir politique et clérical pour s’assurer une certaine stabilité.<br />

Dans ses premières années de création, la mafia se limitait au contrô<strong>le</strong> du monde rural<br />

et des richesses foncières et agrico<strong>le</strong>s. Bien vite, la puissance des parrains investit la vil<strong>le</strong> en<br />

créant un contrô<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s secteurs de l’immobilier, des travaux publics et de la contrebande.<br />

Ce n’est que durant <strong>le</strong>s années 70 que la mafia a commencé à investir <strong>le</strong> terrain des<br />

narcotiques. À partir de ce moment, <strong>le</strong> parrain revêt beaucoup plus <strong>le</strong>s caractéristiques d’un<br />

homme d’affaire et <strong>le</strong> désir de l’argent l’emporte sur la mora<strong>le</strong> traditionnel<strong>le</strong>.<br />

7


) Hiérarchie<br />

[ Annexe 1]<br />

Au sommet de la pyramide de la hiérarchie mafieuse sicilienne ou Cosa Nostra, se<br />

trouve la Cupola ou commission interrégiona<strong>le</strong>, qui représente <strong>le</strong> parrain des parrains. Juste<br />

dessous, on retrouve <strong>le</strong>s parrains ou patrons des famil<strong>le</strong>s. Chaque famil<strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> un territoire<br />

donné. Ceux-ci dirigent une série de chefs et de sous-chefs qui sont tous des hommes<br />

d’honneur, c’est-à-dire des initiés. Au bas de la pyramide se trouve <strong>le</strong>s « soldats », utilisés<br />

comme hommes de main.<br />

La famil<strong>le</strong> (biologique, ou criminel<strong>le</strong>)<br />

Dans la tradition méditerranéenne, la famil<strong>le</strong> est tout, l'individu n'est rien. On compte,<br />

en 2004, ± 190 "famil<strong>le</strong>s" mafieuses en Sici<strong>le</strong> (± 5 200 membres), dont 89 dans la province de<br />

Pa<strong>le</strong>rme (± 3 200 membres) . Chacune d'entre <strong>el<strong>le</strong>s</strong> est indissociab<strong>le</strong>ment liée à une borgata<br />

(bourgade), à un territoire. Là se trouve son terreau, sous forme d'un dense réseau de relations<br />

et d'amis. C'est dans sa borgata que la famil<strong>le</strong> mafieuse recrute. Concrètement :<br />

l'agglomération de Pa<strong>le</strong>rme (vil<strong>le</strong>, banlieues et bourgs satellites), compte 3 200 hommes<br />

d'honneur. Si la moyenne de <strong>le</strong>urs relations personn<strong>el<strong>le</strong>s</strong> est de ± 50 personnes, l'assise<br />

mafieuse loca<strong>le</strong> est de 160 000 individus.<br />

Le chef de la famil<strong>le</strong> s'appel<strong>le</strong> son "représentant". C'est l'un des soldats du clan<br />

mafieux, choisi par ses pairs. Si <strong>le</strong> "représentant" est incapab<strong>le</strong> de diriger, l'autorité est<br />

exercée par un "régent", un homme d'honneur qui remplace <strong>le</strong> chef de famil<strong>le</strong> ou de canton.<br />

Aux côtés du "représentant", un conseil<strong>le</strong>r (consigliere) et un vice-chef. <strong>Les</strong> soldats sont<br />

organisés en "dizaines" (decina), dirigées par un capodecina (chef de dizaine).<br />

L'homme d'honneur<br />

Il est l'alpha et l'omega de toute la "philosophie" mafieuse. Comme la politique -<br />

comme toute organisation humaine - la mafia, c'est avant tout <strong>le</strong>s hommes qui la composent.<br />

En l'occurrence, <strong>le</strong>s hommes d'honneur. Un "règ<strong>le</strong>ment intérieur" impératif - D'abord et avant<br />

tout : un homme d'honneur ne doit révé<strong>le</strong>r à personne son appartenance - sous peine de mort<br />

immédiate.En langage mafieux, l'expression Cosa Nostra ("notre chose") qui sert à dire, sans<br />

dire explicitement - un mafieux n'emploiera jamais, à aucun prix, <strong>le</strong> mot mafia - que <strong>le</strong>s deux<br />

hommes qu'on présente l'un à l'autre "s'intéressent tous deux à notre chose".<br />

Ensuite - tout aussi important et lourd de conséquences : l'homme d'honneur doit (en<br />

théorie) la vérité à tous ses "collègues"; il est interdit aux mafieux - sous peine de mort encore<br />

- de se mentir entre eux, même lors de discussions d'affaires. D'où une profonde et constante<br />

méfiance, au sein même de l'organisation.<br />

Il va sans dire que la rupture de l'omertà est éga<strong>le</strong>ment punie de mort, même des<br />

décennies après la sentence, s'il <strong>le</strong> faut. Cela implique notamment que <strong>le</strong> mafieux n'écrive<br />

jamais rien, sous aucun prétexte, sur Cosa Nostra.<br />

8


Sont enfin strictement interdits :<br />

- L'adultère ostensib<strong>le</strong>.<br />

- L'alcoolisme<br />

- Le prêt usuraire, <strong>le</strong> proxénétisme, activités "déshonorantes".<br />

- <strong>Les</strong> enlèvements, du moins en Sici<strong>le</strong>. Ail<strong>le</strong>urs, ils sont tolérés.<br />

Homme d'honneur et business - La mafia n'est pas un métier. Tout mafieux a donc un<br />

emploi. S'agissant des affaires, <strong>le</strong>s mafieux ont p<strong>le</strong>ine liberté d'action - dans <strong>le</strong> cadre du code<br />

d'honneur, bien sûr.<br />

Homme d'honneur et politique - "Le mafieux en tant que tel n'est pas un politique et ne<br />

se passionne pas pour <strong>le</strong>s idées politiques. Il n'a pas de cou<strong>le</strong>ur, il choisit en fonction des<br />

intérêts du moment. Sa seu<strong>le</strong> idée : la sicilianité" (Buscetta). Seu<strong>le</strong> exception à cet<br />

opportunisme : la mafia sicilienne redoute <strong>le</strong>s extrêmes et ne soutient jamais ni <strong>le</strong>s<br />

communistes, ni <strong>le</strong>s fascistes.<br />

Homme d'honneur et répression - L'homme d'honneur peut avoir des contacts<br />

techniques, limités, à distance, avec des policiers ou des magistrats - pour <strong>le</strong>s corrompre,<br />

recueillir du renseignement, ou enfin "arranger" un procès. Al<strong>le</strong>r plus loin dans ce type de<br />

contact, c'est la mort assurée. Pour l'homme d'honneur, l'avocat est sacré. Mafieux ou pas, il<br />

est traité avec la même déférence et <strong>le</strong> même respect que ceux dûs à un homme d'honneur.<br />

Incarcéré, <strong>le</strong> mafieux ne s'évade jamais, pour ne pas causer de problèmes à sa<br />

"famil<strong>le</strong>", ni aux autres hommes d'honneur détenus. Moyennant quoi, <strong>le</strong> "représentant" assiste<br />

ses soldats incarcérés, couvre <strong>le</strong>urs frais en prison, soutient <strong>le</strong>urs famil<strong>le</strong>s, s'ils sont dans la<br />

gêne.<br />

9


c) Système de va<strong>le</strong>urs<br />

[voir ANNEXE 1]<br />

Règ<strong>le</strong>s, lois : voilà ce qui différencie une mafia d'une simp<strong>le</strong> bande criminel<strong>le</strong>. Ces<br />

lois, on <strong>le</strong>s connaît mal. C'est pourquoi, plutôt que de brosser <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au des <strong>mafias</strong> de par <strong>le</strong><br />

monde - tab<strong>le</strong>au aussi vite périmé que publié, s'agissant de structures en constante évolution,<br />

adaptation, transformation, il est plus uti<strong>le</strong> de présenter <strong>le</strong>s grandes règ<strong>le</strong>s régissant la plus<br />

structurée, la plus ancienne (en Europe) la plus célèbre - mais la plus méconnue aussi : Cosa<br />

Nostra, la mafia de Sici<strong>le</strong>.<br />

Le recrutement<br />

Sans exagération, il est plus aisé d'entrer au Jockey-club que dans la mafia sicilienne.<br />

D'abord, <strong>le</strong>s obligations absolues : être sicilien de père et de mère, de sexe masculin et<br />

catholique.<br />

Ensuite, <strong>le</strong>s interdits formels. Ne sont admis ni :<br />

- <strong>le</strong>s fils de policiers et de magistrats,<br />

- <strong>le</strong>s fils illégitimes, ou de parents divorcés, ou même séparés,<br />

- <strong>le</strong>s fils, ou frères, de femmes "légères",<br />

- <strong>le</strong>s communistes ou fils de militants communistes,<br />

- <strong>le</strong>s homosexuels,<br />

- <strong>le</strong>s fils d'hommes d'honneur tués par la mafia (<strong>le</strong> voeu de vérité entre hommes d'honneur <strong>le</strong>ur<br />

révé<strong>le</strong>rait <strong>le</strong> nom de l'assassin de <strong>le</strong>ur père, et déc<strong>le</strong>ncherait des vendettas sans fin).<br />

L'entrée dans la mafia sicilienne se fait jeune (17 ans, parfois) "par l'observation, de la<br />

part des plus vieux, des meil<strong>le</strong>urs parmi <strong>le</strong>s jeunes. <strong>Les</strong> mafiosi <strong>le</strong>s plus anciens, amis du père,<br />

parents de la mère, suivent <strong>le</strong>s petits, et quelques-uns ressortent du lot" (Buscetta).<br />

Parmi <strong>le</strong>s motifs de refus :<br />

- s'être disputé avec un homme d'honneur,<br />

- avoir eu une conduite "infamante" (pour un mafieux : avoir porté plainte en justice, avoir<br />

dénoncé quelqu'un, etc.)<br />

- être indécis, fourbe, ou affecté d'un autre défaut de caractère,<br />

- moralité incertaine des parents,<br />

- famil<strong>le</strong> biologique ayant subi des torts de la part d'un mafieux.<br />

Au moment de son initiation, <strong>le</strong> nouveau se voit édicter <strong>le</strong> code d'honneur suivant :<br />

- Ne pas courtiser <strong>le</strong>s femmes d'autres hommes d'honneur,<br />

- Ne pas vo<strong>le</strong>r, ne pas se livrer au proxénétisme,<br />

- Ne pas tuer d'autres hommes d'honneur, sauf ordre exprès et motivé,<br />

- Ne jamais évoquer Cosa Nostra devant des "civils",<br />

- Ne jamais se présenter soi-même comme homme d'honneur, même à d'autres hommes<br />

d'honneur,<br />

- Respecter l'omertà.<br />

La première épreuve post-initiation est souvent un meurtre : "tout homme d'honneur<br />

débutant doit exécuter sans hésiter la victime désignée en signe de soumission et d'obéissance<br />

10


à l'organisation. <strong>Les</strong> ordres ne sont jamais discutés". (Buscetta). Sont dispensés d'assassinat<br />

<strong>le</strong>s entrepreneurs, fonctionnaires, membres des professions libéra<strong>le</strong>s ou ecclésiastiques,<br />

formant ensemb<strong>le</strong> "la face insoupçonnée de la mafia".<br />

L'assassinat<br />

La mafia sicilienne tue, parfois beaucoup, mais en général en ultime recours. En tout<br />

cas, la mafia ne tue jamais sous <strong>le</strong> coup d'une émotion ou par hasard. Bien au contraire, sauf<br />

rare exception, l'assassinat s'entoure d'un luxe de préalab<strong>le</strong>s, de conditions, de règ<strong>le</strong>s et de<br />

protoco<strong>le</strong>s :<br />

- Pour tout assassinat prévu en Sici<strong>le</strong>, <strong>le</strong> consentement du chef du canton territorial (sur<br />

l'architecture mafieuse, voir plus bas "structures") où <strong>le</strong> meurtre est prévu est obligatoire,<br />

après préavis ;<br />

- Pour l'assassinat d'un "homme d'honneur", l'approbation de la commission provincia<strong>le</strong> est<br />

obligatoire, après préavis.<br />

L'omertà<br />

"Nun sacciu, nun vidi, nun ceru; e si ceru, dormivu" (Je ne sais rien, je n'ai rien vu, je n'étais<br />

même pas là - et si j'y étais, je dormais). Dicton sicilien exprimant l'omertà.<br />

L'omertà est bien plus qu'une injonction à se taire, plus même qu'une loi du si<strong>le</strong>nce;<br />

c'est une véritab<strong>le</strong> manière de vivre, une culture - l'élément central de la vision mafieuse du<br />

monde, pétrie de méfiance et de mystère "l'interprétation des signes, des messages, constitue<br />

l'une des principa<strong>le</strong>s activités de l'homme d'honneur" (Giovanni Falcone).<br />

Le secret a encore une autre fonction : protéger <strong>le</strong>s innocents et <strong>le</strong>s parents des<br />

hommes d'honneur. Cosa Nostra ne compte que des hommes d'expérience, souvent d'âge mûr.<br />

<strong>Les</strong> femmes, <strong>le</strong>s épouses, <strong>le</strong>s enfants et la parenté en demeurent exclus, ne doivent pas même<br />

comprendre ce que <strong>le</strong>s mafieux se disent entre eux, à la maison.<br />

11


3) Généralités sur <strong>le</strong>s autres types de mafia<br />

a) <strong>Les</strong> différentes <strong>mafias</strong><br />

Le terme "mafia" est aussi utilisé pour définir d'autres groupes criminels historiques<br />

comme la 'ndrangheta en Calabre et la camorra en Campanie, ou d'autres groupes plus<br />

récents, comme sacra corona unita (couronne sacrée unie) dans <strong>le</strong>s Pouil<strong>le</strong>s. On par<strong>le</strong> de<br />

mafia éga<strong>le</strong>ment pour définir des associations crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> opérant depuis longtemps dans<br />

d'autres pays, comme <strong>le</strong>s triades chinoises et la yakusa japonaise, ou de formation récente<br />

comme <strong>le</strong>s cartels colombiens, <strong>le</strong>s mafia russes, nigériennes, etc.<br />

Suivant <strong>le</strong>ur origine, <strong>le</strong>s organisations crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> portent différents noms :<br />

-Le Cartel (Colombie)<br />

-La Mafia, la Camorra, la N'dranghetta (Italie)<br />

-Le Milieu (France)<br />

-L'Organizatsiya (Russie)<br />

-<strong>Les</strong> Triades (Chine)<br />

-<strong>Les</strong> Yakuzas (Japon)<br />

La plupart des ces organisations peuvent opérer en dehors de <strong>le</strong>ur région d'origine.<br />

Ces groupes ont tous <strong>le</strong>urs propres spécificités mais ils ont aussi des points en<br />

communs avec la mafia sicilienne. Comme l'existence, sous de diverses formes, d'une<br />

structure organisationnel<strong>le</strong> ou <strong>le</strong> but de s'enrichir et d'acquérir une position de pouvoir par <strong>le</strong><br />

biais d'activités illicites ou encore, d'exercer un contrô<strong>le</strong> du territoire.<br />

Des processus d'homologation sont en cours. <strong>Les</strong> groupes criminels développent des<br />

activités de même type (ex., la production et la commercialisation de drogues), ils doivent<br />

affronter des problèmes identique (ex., <strong>le</strong> blanchiment d'argent sa<strong>le</strong>) enfin, ils favorisent<br />

l'établissement, dans <strong>le</strong>ur entourage, d'un réseau regroupant des personnes à même de fournir<br />

des services de base tels que l'utilisation de moyens technologiques plus ou moins<br />

sophistiqués, des renseignements sur <strong>le</strong>s moyens <strong>le</strong>s plus adaptés pour blanchir l'argent sa<strong>le</strong><br />

ou encore, <strong>le</strong> lien avec l'environnement local et <strong>le</strong>s institutions.<br />

12


<strong>Les</strong> organisations crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> considérées comme des <strong>mafias</strong> stricto sensu par <strong>le</strong>s<br />

criminologues sont, outre <strong>le</strong>s <strong>mafias</strong> italiennes, <strong>le</strong>s Triades chinoises, <strong>le</strong>s Boryokudan japonais<br />

(dont <strong>le</strong>s membres sont appelés « Yakuza »), la mafia italo-américaine, la Mafiya russe, la<br />

Maffya turque et la mafia albano-kosovare. D'autres groupes criminels tels que <strong>le</strong>s cartels<br />

colombiens, <strong>le</strong>s clans nigérians, <strong>le</strong>s posses jamaïcains, la pègre du sud de la France, etc. ne<br />

peuvent pas être qualifiés de « <strong>mafias</strong> » au sens strict, dans la mesure où <strong>le</strong>urs caractéristiques<br />

ne correspondent pas aux critères de définition d'une mafia.<br />

b) mafia et mondialisation<br />

La prolifération, dans de nombreux pays, de groupes criminels de type mafieux de même<br />

que la publication de documents sur <strong>le</strong>s rapports existant entre diverses organisations ou<br />

encore, la croissance de l'accumulation illéga<strong>le</strong>, sont des facteurs qui ont généré des visions<br />

hâtives et mystifiées comme cel<strong>le</strong> de la "Pieuvre universel<strong>le</strong>", pivot mondial du crime<br />

organisé. On a dit que <strong>le</strong> semi-analphabète Totò Riina, chef de la famil<strong>le</strong> mafieuse sicilienne<br />

des "cor<strong>le</strong>onesi" (du nom de Cor<strong>le</strong>one, village situé dans la province de Pa<strong>le</strong>rme qui est,<br />

depuis <strong>le</strong>s luttes paysannes, un centre important de mafia mais éga<strong>le</strong>ment de lutte anti-mafia)<br />

était, pendant un certain temps, à la tête de ce pivot. Ceci est une autre preuve que persistent<br />

des stéréotypes incongrus et erronés qui sont, de nos jours encore, plus répandus que <strong>le</strong>s<br />

analyses scientifiques.<br />

Ni la mafia sicilienne, ni <strong>le</strong>s autres organisations crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> n'ont <strong>le</strong> monopo<strong>le</strong> du<br />

crime mondial. Il n'existe pas une monarchie mais de nombreuses républiques. Ce n'est pas la<br />

mafia sicilienne qui a envahi <strong>le</strong> monde, c'est <strong>le</strong> monde qui a produit et produit toujours plus<br />

d'organisations de type mafieux.<br />

De nos jours, <strong>le</strong> crime organisé de type mafieux se développe tant dans <strong>le</strong>s périphéries<br />

que dans <strong>le</strong>s centres. On peut dire qu'il existe une voie criminel<strong>le</strong> vers <strong>le</strong> capitalisme et une<br />

voie criminel<strong>le</strong> du capitalisme. <strong>Les</strong> sujets illégaux ont <strong>le</strong>s mêmes buts que <strong>le</strong>s opérateurs<br />

légaux : richesse, succès, mobilité socia<strong>le</strong>. <strong>Les</strong> premiers utilisent des moyens illégaux.<br />

Toutefois, si l'on constate la présence de phénomènes de corruption au sein d'activités<br />

économiques regroupant des entrepreneurs, des professions libéra<strong>le</strong>s, des fonctionnaires ou<br />

des politiciens liés à des institutions publiques, on constate aussi que l'illégalité n'est pas<br />

uniquement pratiquée par <strong>le</strong>s groupes criminels.<br />

13


4) Activités économiques des <strong>mafias</strong><br />

La mafia fonctionne sur un modè<strong>le</strong> d'économie parallè<strong>le</strong> ou souterraine. El<strong>le</strong> cherche à<br />

contrô<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s marchés et <strong>le</strong>s activités où l'argent est abondant, circu<strong>le</strong> en numéraire (argent<br />

liquide) et est faci<strong>le</strong> à dissimu<strong>le</strong>r au fisc. La plupart des activités commercia<strong>le</strong>s usu<strong>el<strong>le</strong>s</strong> sont<br />

utilisées, que ce soit comme paravent à des activités illéga<strong>le</strong>s ou comme moyen de<br />

blanchiment de l'argent récolté.<br />

Ces activités recouvrent aujourd'hui <strong>le</strong>s domaines <strong>le</strong>s plus variés :<br />

- la vente d'armes<br />

- la contrefaçon<br />

- <strong>le</strong> trafic de drogue<br />

- e trafic d'êtres humains<br />

- <strong>le</strong>s jeux d'argent (paris, casinos ...)<br />

- <strong>le</strong> proxénétisme (la prostitution étant dépénalisée, voire léga<strong>le</strong>)<br />

- <strong>le</strong> racket<br />

- <strong>le</strong> vol (délit)<br />

<strong>Les</strong> deux principa<strong>le</strong>s activités économiques de la mafia :<br />

a) Le trafic de narcotique :<br />

Le trafic de narcotique permet de considérer l’amp<strong>le</strong>ur de l’influence des profits des<br />

activités économiques mafieuses. En fait, <strong>le</strong> département de statistiques du Fond Monétaire<br />

International estime <strong>le</strong> chiffre d’affaire annuel des activités mafieuses du monde entre 700 et<br />

1000 milliards de dollars américains dont près de 400 milliards pour <strong>le</strong> trafic de narcotique.<br />

Comme la plupart d’entre nous <strong>le</strong> savons déjà, la principa<strong>le</strong> activité économique de la mafia<br />

est <strong>le</strong> trafic de narcotique.<br />

En fait, cette activité est à la base de toute une structure de réinvestissements et de<br />

créations de profits. Donc, <strong>le</strong> trafic de narcotique génère une grosse somme de profits. Une<br />

partie de ces profits seront réinvestis directement à l’intérieur du marché noir, une partie sera<br />

non blanchie et une autre partie sera investie dans l’économie, soit dans <strong>le</strong> marché légal.<br />

14


) Le blanchiment :<br />

Ce processus se fait en trois étapes : <strong>le</strong> placement, l’empilage et l’intégration.<br />

La première étape, aussi appelée phase de conversion, consiste à convertir l’argent<br />

illicite sous d’autres formes comme <strong>le</strong> « dépôt sur des comptes bancaires d’hommes de pail<strong>le</strong><br />

et l’acquisition d’objets précieux faci<strong>le</strong>ment négociab<strong>le</strong>s partout dans <strong>le</strong> monde […]. La<br />

conversion est parfois précédée d’une phase d’évasion » qui consiste à déplacer l’argent,<br />

souvent dans un autre pays, avant d’effectuer la conversion qui constitue la phase la plus<br />

dangereuse du blanchiment.<br />

La deuxième phase, l’empilage, consiste à dissimu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s profits par <strong>le</strong> placement dans<br />

des sociétés commercia<strong>le</strong>s, tels que <strong>le</strong>s restaurants, la bourse ou l’immobilier. L’avantage de<br />

ces milieux est, qu’à <strong>le</strong>urs tours, ils génèreront des profits. La plupart des investissements ne<br />

pourront pas être retrouvés grâce à l’informatique (virements bancaires sur Internet). À cette<br />

étape, l’argent peut être investi dans des sociétés illicites comme licites.<br />

La dernière étape est l’intégration des profits dans des affaires complètement léga<strong>le</strong>s.<br />

À ce point, <strong>le</strong> blanchiment est complété et il sera alors impossib<strong>le</strong> de retracer <strong>le</strong>s profits du<br />

trafic de narcotique comme <strong>le</strong>s profits des investissements fait avec cet argent, dans<br />

l’économie internationa<strong>le</strong>.<br />

Willy Bruggeman, directeur adjoint d'Europol, explique: "<strong>Les</strong> entités crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> et <strong>le</strong>s<br />

organisations mafieuses recourent d'abord à la corruption et à l'intimidation, pas à la vio<strong>le</strong>nce.<br />

La corruption et l'intimidation servent contre des individus et des institutions, tant privées que<br />

publiques. <strong>Les</strong> entités crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> n'usent de la vio<strong>le</strong>nce qu'en dernière instance, car la<br />

vio<strong>le</strong>nce <strong>le</strong>s rend visib<strong>le</strong>s, révè<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur nature dangereuse et inquiète l'opinion publique.<br />

Corruption et intimidation permettent en revanche aux criminels d'atteindre <strong>le</strong>urs objectifs à<br />

moindre risque, et sapent de l'intérieur <strong>le</strong>s services publics".Il arrive régulièrement que pour<br />

se débarrasser de concurrents ou de témoins gênants ou de traîtres, <strong>le</strong>s <strong>mafias</strong> usent de<br />

méthodes bruta<strong>le</strong>s : guerres de gangs pour la prise de contrô<strong>le</strong> d'un territoire ou d'un marché,<br />

assassinat de témoins, de complices ou de juges avant un procès en sont quelques exemp<strong>le</strong>s.<br />

15


5) Leur rapport avec <strong>le</strong> pouvoir<br />

a) Leur préférence politique<br />

La mafia exerce une grande influence sur la politique dans notre société<br />

principa<strong>le</strong>ment grâce à la corruption qu’el<strong>le</strong> a réussi à établir sur <strong>le</strong>s partis au pouvoir. Il faut<br />

toujours se rappe<strong>le</strong>r que la mafia n’endosse aucun parti politique précis, plutôt <strong>le</strong> parti au<br />

pouvoir. La seu<strong>le</strong> préférence pouvant être notée serait <strong>le</strong>s partis à idéologies conservatrices ou<br />

à caractère catholique.<br />

b) Objectifs<br />

Pour la mafia, la corruption du pouvoir politique est un exercice purement fonctionnel.<br />

L’organisation « ne cherche pas à gouverner <strong>le</strong> monde, [el<strong>le</strong> veut] <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong>r. [Bref, il ne<br />

s’agit pas de] prendre <strong>le</strong> pouvoir mais s’en servir pour s’enrichir». La corruption a pour<br />

finalité de s’assurer des avantages en obtenant de l’information, des dérogations, des marchés<br />

et des autorisations.<br />

<strong>Les</strong> deux raisons d’être de la corruption de la mafia sont la défense et <strong>le</strong> fonctionnel.<br />

Pour s’assurer la défense, la mafia corrompt principa<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s fonctionnaires et <strong>le</strong> corps<br />

policier. La deuxième raison réside dans la corruption du pouvoir politique, du pouvoir de<br />

décision qui constitue <strong>le</strong> principal aspect de cette activité.<br />

c) Procédures<br />

Dès <strong>le</strong>s é<strong>le</strong>ctions, la mafia s’allie au parti politique en lui prêtant de l’argent<br />

(primordial en temps de campagne é<strong>le</strong>ctora<strong>le</strong>) et en exerçant un certain contrô<strong>le</strong> des votes.<br />

Une fois l’é<strong>le</strong>ction remportée, <strong>le</strong> parti politique au pouvoir a désormais une dette envers la<br />

mafia, non seu<strong>le</strong>ment pour <strong>le</strong> remboursement du prêt mais aussi par rapport aux déplacements<br />

de magistrats ou fonctionnaires gênants exécutés par la mafia.<br />

Dans tout <strong>le</strong> phénomène de la corruption politique, la mafia n’est en fait qu’un<br />

intermédiaire entre l’autorité et <strong>le</strong>s entreprises. Tous y gagnent dans ces transactions. Le<br />

pouvoir politique s’assure l’é<strong>le</strong>ctorat par la mafia. <strong>Les</strong> entreprises se font entendrent par <strong>le</strong><br />

pouvoir politique et s’assurent la protection de la mafia. En fait, ils n’auraient pas besoin de<br />

cette protection s’ils n’avaient pas fait affaire avec la mafia en premier lieu. En effet, la mafia<br />

utilisera <strong>le</strong>s entreprises, en prétextant <strong>le</strong> retour de service, pour ses activités illicites. Donc<br />

sans la mafia, <strong>le</strong>s entreprises n’auraient pas glissé vers l’illégalité et n’auraient ainsi pas eu<br />

besoin de la protection de la mafia. On comprend que la grande gagnante dans cette<br />

transaction est la mafia. El<strong>le</strong> s’assure la protection politique et toutes <strong>le</strong>s obtentions<br />

mentionnées plus haut et s’attribue de nouveaux marchés à inclure dans <strong>le</strong>ur blanchiment. On<br />

voit clairement que la mafia ne fait rien qui ne lui rapporte pas un avantage non négligeab<strong>le</strong>.<br />

16


1 ère partie : la mafia italienne et <strong>le</strong> cas Berlusconi<br />

1) Introduction sur <strong>le</strong>s <strong>mafias</strong> italiennes<br />

Le terme de " Mafia " désigne col<strong>le</strong>ctivement un ensemb<strong>le</strong> d'organisations crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong><br />

originaires du sud de l'Italie. Leurs motivations sont de nature essentiel<strong>le</strong>ment financière, et<br />

<strong>le</strong>s poussent généra<strong>le</strong>ment à utiliser et corrompre <strong>le</strong>s structures politiques existantes, plus qu'à<br />

en recréer de nouv<strong>el<strong>le</strong>s</strong>. El<strong>le</strong>s s'inscrivent donc rarement dans un processus révolutionnaire,<br />

même si la nature clandestine de <strong>le</strong>urs activités <strong>le</strong>s conduit souvent à collaborer avec des<br />

mouvements révolutionnaires.<br />

La Mafia vit essentiel<strong>le</strong>ment de trafics et d'activités crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> <strong>le</strong>s plus diverses.<br />

D'une manière globa<strong>le</strong>, la Mafia coûte à l'économie privée italienne environ 17 milliards de<br />

dollars (1999), dont environ 4,5 milliards de dollars pour <strong>le</strong> racket dans <strong>le</strong> seul sud de l'Italie.<br />

Le terme " Mafia " recouvre cinq grandes organisations qui se partagent <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> du sud de<br />

l'Italie, en s'affrontant parfois vio<strong>le</strong>mment. La Mafia élimine de manière sanglante ses traîtres,<br />

opposants et " non-coopérants ", mais, à la différence des autres mouvements terroristes,<br />

pratique généra<strong>le</strong>ment un terrorisme ciblé et rarement l'attentat aveug<strong>le</strong>.<br />

L'origine des Mafias italiennes, dans <strong>le</strong>ur forme moderne, remonte au début du XIXe<br />

sièc<strong>le</strong>, conséquence d'un système social latifundiste de type féodal où, d'une part <strong>le</strong>s riches<br />

tenaient de faire respecter une discipline socia<strong>le</strong>, et <strong>le</strong>s paysans qui tentent d'organiser <strong>le</strong>ur<br />

défense. La première mention officiel<strong>le</strong> de la Mafia date de 1837 en Sici<strong>le</strong>.<br />

Centrées sur des activités illicites à caractère lucratif, la Mafia ne semb<strong>le</strong> pas avoir<br />

d'objectifs politiques marqués. Malgré la participation de certains membres de la Mafia à la<br />

tentative de coup d'état du Prince Borghese en 1973 à Rome, la Mafia tend généra<strong>le</strong>ment à<br />

exploiter <strong>le</strong> système politique et <strong>le</strong>s élus en place que d'imposer un nouvel ordre politique.<br />

Dès la seconde moitié des années 80, la Mafia s'est engagée dans plusieurs actions terroristes<br />

visant des magistrats et représentants du pouvoir de Rome.<br />

Outre <strong>le</strong>urs zones d'opérations, ces organisations se différencient par <strong>le</strong>ur structure, <strong>le</strong>ur<br />

culture et <strong>le</strong>ur mode de <strong>fonctionnement</strong>.<br />

Cinq organisations mafieuses sont recensées en Italie méridiona<strong>le</strong>:<br />

-La Cosa Nostra (en Sici<strong>le</strong>)<br />

-La Stidda (en Sici<strong>le</strong>)<br />

-La 'Ndrangheta (en Calabre)<br />

-La Sacra Corona Unita (dans <strong>Les</strong> Pouil<strong>le</strong>s)<br />

-La Camorra (en Campanie)<br />

17


a) La Cosa Nostra<br />

La Cosa Nostra, basée en Sici<strong>le</strong> est l'organisation criminel<strong>le</strong> la plus importante<br />

d'Europe. Outre en Italie, el<strong>le</strong> a des ramifications en Al<strong>le</strong>magne, en France, en Suisse, en<br />

Grande-Bretagne, en Russie, au Canada et aux USA. Déjà célèbre pour ses activités<br />

crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong>, el<strong>le</strong> a déc<strong>le</strong>nché un vaste mouvement d'opposition en Italie à la suite des attentats<br />

contre <strong>le</strong>s juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino.<br />

El<strong>le</strong> est mentionnée pour la première fois officiel<strong>le</strong>ment en 1837 à Trapani. Il s'agissait<br />

au départ d'une milice privée opérant au profit des propriétaires fonciers pour la perception<br />

des redevances diverses. L'émigration sicilienne aux USA au début du XXe sièc<strong>le</strong> y importe<br />

la Cosa Nostra où el<strong>le</strong> s'organise rapidement en clans (famil<strong>le</strong>s). Durant la période fasciste,<br />

Mussolini a mené une guerre vio<strong>le</strong>nte contre la mafia. En 1943, afin de préparer <strong>le</strong><br />

débarquement allié, <strong>le</strong>s réseaux mafieux siciliens ont été réactivés depuis <strong>le</strong>s Etats-Unis par<br />

Lucky Luciano, à la demande des USA. La Mafia s'étend alors rapidement dans <strong>le</strong> sillage de<br />

la progression alliée et s'affirme comme force de l'ombre lors de la restauration de l'Etat<br />

italien après la guerre.<br />

Son organe supérieur est la Cupola, un conseil qui supervise et coordonne <strong>le</strong>s activités<br />

de ses différentes famil<strong>le</strong>s. A la fin des années 90, el<strong>le</strong> est dominée par la famil<strong>le</strong> des<br />

Cor<strong>le</strong>onesi. En Sici<strong>le</strong> même, l'organe <strong>le</strong> plus important de Cosa Nostra est la Commission<br />

Régiona<strong>le</strong> (Regione).<br />

El<strong>le</strong> est composée de " famil<strong>le</strong>s " (cosche), dont <strong>le</strong>s membres sont davantage liés par<br />

l'appartenance géographique (quartier de vil<strong>le</strong>, village, région) que par <strong>le</strong> sang. Le chef de<br />

famil<strong>le</strong> nomme son second (sottocapo), ses conseil<strong>le</strong>rs (consiglieri) et des chefs locaux<br />

(capidecina) qui commandent quelques " hommes d'honneur " (picciotti), ainsi désignés car<br />

ce sont eux qui récoltent <strong>le</strong> produit du racket (pizzu).<br />

<strong>Les</strong> famil<strong>le</strong>s se rassemb<strong>le</strong>nt par groupes régionaux n'ont pas la même importance.<br />

En Sici<strong>le</strong>, la mafia est articulée en près de 150 famil<strong>le</strong>s et compte un effectif estimé de 4 000<br />

membres permanents. Son chiffre d'affaires annuel est estimé à quelque 15 milliards de<br />

dollars pour <strong>le</strong>s activités illéga<strong>le</strong>s et 35 milliards de dollars pour <strong>le</strong>s fonds recyclés. Aux USA,<br />

ce chiffre d'affaires atteindrait 170 milliards de dollars.<br />

18


) La Stidda<br />

Organisation originaire de la région d'Agrigente en Sici<strong>le</strong>. Malgré des racines qui<br />

semb<strong>le</strong>nt très anciennes, l'apparition la Stidda est récente et en fait l'organisation mafieuse la<br />

moins bien connue. Ses effectifs totaux sont estimés à 5 000 membres. Certains d'entre eux<br />

sont des transfuges de Cosa Nostra. El<strong>le</strong> ne dispose pas d'organisation centralisée comme<br />

Cosa Nostra, mais se présente davantage comme une " fédération " d'organisations très<br />

loca<strong>le</strong>s. Certains estiment que la Stidda a été éliminée en 1995-96.<br />

<strong>Les</strong> membres de la Stidda sont désignés " Stiddari "ou " Stiddaroli " selon <strong>le</strong>s régions,<br />

et se reconnaissent au moyen d'un tatouage composé de cinq points placés en cerc<strong>le</strong>, entre <strong>le</strong><br />

pouce et l'index.<br />

c) La 'Ndrangheta<br />

Organisation criminel<strong>le</strong> née au XIXe sièc<strong>le</strong> en Calabre, où el<strong>le</strong> reste centrée. El<strong>le</strong><br />

compte quelques 155 " famil<strong>le</strong>s " (cosche) et environ 6 000 membres. Sa structure est<br />

essentiel<strong>le</strong>ment basée sur la famil<strong>le</strong> de sang. <strong>Les</strong> " alliances " entre " famil<strong>le</strong>s " résultent<br />

fréquemment de mariages. <strong>Les</strong> liens qui unissent <strong>le</strong>s membres d'une même " famil<strong>le</strong> " (aussi<br />

appelée " picciotteria ") sont donc très étroits et <strong>le</strong>s trahisons sont rares, et l'usage de la<br />

stratégie des " repentis " par <strong>le</strong>s forces de l'ordre est diffici<strong>le</strong>. Chaque famil<strong>le</strong> a un secteur<br />

dans <strong>le</strong>quel el<strong>le</strong> opère librement.<br />

<strong>Les</strong> structures, qui existent essentiel<strong>le</strong>ment à l'intérieur des famil<strong>le</strong>s, sont très rigides et<br />

form<strong>el<strong>le</strong>s</strong>, ponctuées de rites de passages. Chaque membre prononce un serment.<br />

<strong>Les</strong> activités de la 'Ndrangheta sont essentiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> trafic des armes, <strong>le</strong> trafic de stupéfiants<br />

et l'enlèvement avec extorsion.<br />

d) La Sacra Corona Unita<br />

Organisation mafieuse récente, centrée dans <strong>le</strong>s Pouil<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong> est issue des tentatives<br />

d'extension de la Nuova Camorra Organizzata dans <strong>le</strong>s Pouil<strong>le</strong>s au début des années 80. Ainsi<br />

est créée la Nuova Camorra Pugliese en 1981, par Pino Iannelli et A<strong>le</strong>ssandro Fusco. Le 25<br />

décembre 1983, Giuseppe Rogoli fonde la Sacra Corona Unita depuis sa prison de Lecce.<br />

Dès 1987, apparaît La Rosa, qui est une émanation de la Sacra Corona Unita, centrée dans la<br />

région de Bari.<br />

La Sacra Corona Unita est une organisation fédératrice de 47 clans indépendants<br />

totalisants quelque 1 561 membres permanents. El<strong>le</strong> est dirigée par Giuseppe Rogoli, dont a<br />

femme a repris <strong>le</strong>s fonctions administratives depuis son incarcération.<br />

19


e) La Camorra<br />

Organisation criminel<strong>le</strong> de la région de Nap<strong>le</strong>s, née au début du XIXe sièc<strong>le</strong>. Ses<br />

connexions avec <strong>le</strong>s hommes politiques napolitains lui a parfois conféré un rô<strong>le</strong> important<br />

dans la politique de la vil<strong>le</strong> et de la région napolitaine. Combattue tout au long du XIXe<br />

sièc<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> a été considérée comme éradiquée en 1915. Son étroite intégration dans la vie<br />

socia<strong>le</strong>, politique et culturel<strong>le</strong> napolitaine assure sa survie.<br />

Organisation essentiel<strong>le</strong>ment urbaine, el<strong>le</strong> a tenté de s'étendre en direction des Pouil<strong>le</strong>s<br />

et a donné naissance à la Sacra Corona Unita. El<strong>le</strong> a des ramifications importantes en Italie,<br />

en Europe et dans <strong>le</strong> monde entier.El<strong>le</strong> est composée de 111 " famil<strong>le</strong>s " et 6 700 membres<br />

permanents sans structure fédérative précise. Quelques tentatives de structuration des clans<br />

ont été entreprises depuis <strong>le</strong>s années 70. Créée par Raffae<strong>le</strong> Cutolo pour résister aux tentatives<br />

de " colonisation "de la Camorra par Cosa Nostra, la Nuova Camorra Organizzata est<br />

rapidement concurrencée par la Nuova Famiglia, créée par <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s Bardellino, Nuvo<strong>le</strong>tta<br />

et Alfieri, qui s'allie avec Cosa Nostra. La Nuova Camorra Organizzata disparaît en 1983, et<br />

laisse la place à la Nuova Camorra Pugliese, qui donnera naissance à la Sacra Corona Unita.<br />

En 1993, l'idée d'une structure de la Camorra selon <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> de Cosa Nostra donne naissance<br />

à la Nuova Mafia Campana, qui meurt avant même d'avoir réel<strong>le</strong>ment vu <strong>le</strong> jour.<br />

La structure interne des famil<strong>le</strong>s de la Camorra n'a pas de caractère formalisé. Une<br />

tentative a été effectuée avec la Nuova Camorra Organizzata, de reprendre des structures<br />

rigides, mais n'a pas été suivie.<br />

20


2) <strong>Les</strong> liens qui unissent la mafia et <strong>le</strong>s institutions<br />

Dans l'histoire de la mafia sicilienne, <strong>le</strong> rapport des groupes mafieux avec <strong>le</strong>s<br />

instituions est un aspect fondamental du processus de formation des classes dominantes et de<br />

la configuration concrète de la forme Etat.<br />

Dans ses relations avec l'Etat et <strong>le</strong>s institutions, la mafia est essentiel<strong>le</strong>ment dualiste.<br />

D'une part el<strong>le</strong> ne reconnaît pas <strong>le</strong> monopo<strong>le</strong> étatique de la coercition, el<strong>le</strong> a un code de<br />

conduite et une justice propres, de surcroît el<strong>le</strong> utilise l'homicide comme peine de mort. Dans<br />

ce cas la mafia est en dehors et contre l'Etat. D'autre part, el<strong>le</strong> tend à s'emparer de l'argent<br />

public à travers <strong>le</strong>s contrats d'œuvres publiques et prend une part active dans <strong>le</strong>s affaires<br />

publiques. El<strong>le</strong> est alors dans et avec l'Etat.<br />

L'Etat aussi a démontré une dualité fondamenta<strong>le</strong> en légitimant la mafia par une<br />

longue tradition d'impunités en renonçant de fait au monopo<strong>le</strong> étatique de la force. Pendant <strong>le</strong><br />

mouvement des paysans (des Fasci siciliens en 1891-94 à la moitié des années 50) la vio<strong>le</strong>nce<br />

mafieuse a joué un rô<strong>le</strong> décisif dans la répression des luttes : des centaines de paysans,<br />

dirigeants syndicalistes et politiciens ont été assassinés pour permettre aux propriétaires<br />

terriens et aux mafiosi d'imposer <strong>le</strong>ur domination.<br />

En Italie, pendant la "première République", la mafia était liée aux membres du<br />

gouvernement, en particulier à ceux de la Démocratie Chrétienne, <strong>le</strong> parti majoritaire, qui était<br />

un rempart contre <strong>le</strong> communisme et l'opposition de gauche.<br />

Durant la transition entre la première et la deuxième République, la vio<strong>le</strong>nce mafieuse<br />

a frappé magistrats, forces de l'ordre et membres du gouvernement, avec des actes auxquels<br />

<strong>le</strong>s institutions ont répondus par de nouv<strong>el<strong>le</strong>s</strong> lois, des arrestations de chefs, des procès et de<br />

nombreuses condamnations à perpétuité. Ces dernières années <strong>le</strong>s chefs de la mafia ont<br />

compris qu'il <strong>le</strong>ur était nécessaire de monopoliser la vio<strong>le</strong>nce pour pouvoir jouer un rô<strong>le</strong> social<br />

et acquérir de nouv<strong>el<strong>le</strong>s</strong> alliances.<br />

Aujourd'hui, <strong>le</strong> chef du gouvernement Berlusconi, impliqué dans de nombreuses<br />

enquêtes de corruption, pratique une politique que l'on peut définir comme une légalisation de<br />

l'illégalité. Berlusconi, vainqueur des dernières é<strong>le</strong>ctions, impose des lois qui protégent ses<br />

intérêts privés, réduisent ou abolissent <strong>le</strong>s contrô<strong>le</strong>s légaux. Jamais contexte n'a été aussi<br />

favorab<strong>le</strong> au retour de la mafia dans la vie socia<strong>le</strong> et institutionnel<strong>le</strong>.<br />

21


3) Le cas Silvio Berlusconi: la corruption des politiques par la mafia<br />

Avec une fortune estimée à 10 milliards de dollars, Silvio Berlusconi est, selon <strong>le</strong><br />

Financial Times, à la quatrième place des personnalités <strong>le</strong>s plus riches et puissantes du<br />

monde, derrière Bill Gates, Rupert Murdoch et George Soros.<br />

Mediaset, l'empire de communication de la famil<strong>le</strong> Berlusconi, a dégagé 369 millions<br />

d'euros de bénéfices en 2003. Son chiffre d'affaires, en hausse de 32,5 %, dépasse 3 milliards<br />

d'euros. Premier groupe de télévision privé italien avec trois chaînes nationa<strong>le</strong>s, Mediaset<br />

détient 66,9 % du marché publicitaire télévisuel.<br />

22


En avril 1994, Berlusconi est président du Conseil après la victoire de la droite aux<br />

législatives. Son gouvernement de coalition avec Alliance nationa<strong>le</strong> et la Ligue du Nord<br />

tombe sept mois plus tard à cause de la défection de cette dernière. En mai 2001, il gagne <strong>le</strong>s<br />

é<strong>le</strong>ctions avec la même coalition et devient chef du gouvernement <strong>le</strong> 10 juin 2001. Du fait de<br />

son sty<strong>le</strong> médiatique, Silvio Berlusconi a reçu <strong>le</strong>s surnoms suivants dans la péninsu<strong>le</strong> : Il<br />

Cavaliere et Sua Emittenza. Le qualificatif des cardinaux catholiques étant Sua Eminenza (son<br />

éminence), Berlusconi est appellé Emittenza pour son empire télévisuel et médiatique (de<br />

l'italien emittente, chaîne de télévision).<br />

23


a) La condamnation de Marcello Dell’Utri<br />

Le chef du gouvernement italien a essuyé un revers avec la condamnation, samedi 11<br />

décembre 2004, d'un de ses très proches "amis", <strong>le</strong> sénateur Marcello Dell'Utri, à neuf ans de<br />

réclusion pour complicité d'association mafieuse.<br />

[voir annexe 2]<br />

En effet, samedi 11 décembre 2004, Marcello Dell'Utri été condamné à neuf ans de<br />

prison par un tribunal de Pa<strong>le</strong>rme pour complicité d'association mafieuse. Le tribunal de<br />

Pa<strong>le</strong>rme, qui se prononçait en première instance, a éga<strong>le</strong>ment condamné Marcello Dell'Utri,<br />

63 ans, à une interdiction à vie d'exercer une charge publique. Le jugement a été annoncé par<br />

un groupe de trois juges après des délibérations particulièrement longues (13 jours) et à l'issue<br />

d'un procès de sept ans.<br />

L'origine de l'affaire remonte à 1994 et aux premières déclarations du repenti Salvatore<br />

Cancemi sur des versements d'argent du groupe Fininvest de Silvio Berlusconi à la Mafia. Le<br />

procès, qui s'est ouvert à Pa<strong>le</strong>rme <strong>le</strong> 5 novembre 1997, a nécessité la tenue de 256 audiences<br />

au cours desqu<strong>el<strong>le</strong>s</strong> la cour a entendu pas moins de 270 témoins, dont 42 repentis ou<br />

"collaborateurs de justice". Il a fallu 18 audiences pour entendre <strong>le</strong>s 2 500 pages du<br />

réquisitoire. Au cours de <strong>le</strong>urs plaidoiries, qui ont occupé 25 audiences, <strong>le</strong>s défenseurs de<br />

Marcello Dell'Utri ont fustigé "un désert de preuves.Marcello Dell'Utri est bien plus qu'"un<br />

proche de Silvio Berlusconi". C'est <strong>le</strong> seul, raconte-t-on, devant <strong>le</strong>quel <strong>le</strong> Cavaliere semb<strong>le</strong><br />

intimidé. Le seul qui puisse <strong>le</strong> contredire aussi. Et ce, semb<strong>le</strong>-t-il, au nom d'une amitié forte,<br />

née sur <strong>le</strong>s bancs de l'université et forgée dans <strong>le</strong>s débuts brumeux du groupe de<br />

M. Berlusconi, la Fininvest.<br />

Ancien sénateur italien et député européen, Marcello Dell'Utri est né à Pa<strong>le</strong>rme en<br />

1942. Il a commencé sa vie professionnel<strong>le</strong> comme employé de banque en Sici<strong>le</strong> avant de<br />

rejoindre la Fininvest, la holding de Silvio Berlusconi. Passé indemne à travers une enquête<br />

pour blanchiment d'argent sa<strong>le</strong> en 1977, ce Pa<strong>le</strong>rmitain, féru de <strong>le</strong>cture et propriétaire d'une<br />

bibliothèque d'ouvrages rares, devient l'homme fort du groupe. Nommé, en 1983, à la tête de<br />

Publitalia, la régie publicitaire, il en fera la pou<strong>le</strong> aux œufs d'or du groupe. En 1994, c'est à<br />

partir de Publitalia qu'il parviendra à créer de toutes pièces Forza Italia, exemp<strong>le</strong> unique de<br />

conquête du pouvoir en quelques semaines.<br />

24


Marcello Dell'Utri est un des créateurs de Forza Italia, <strong>le</strong> mouvement né en 1994 à<br />

partir des cadres de Publitalia, la régie publicitaire de l'empire médiatique du chef du<br />

gouvernement italien Silvio Berlusconi. Il aurait commencé dès 1992 à tâter <strong>le</strong> terrain en vue<br />

de la création d'un éventuel nouveau parti politique en commanditant notamment des premiers<br />

sondages ou analyses politiques. Proche de Silvio Berlusconi, il avait été désigné récemment<br />

comme l'un des quatre principaux responsab<strong>le</strong>s de l'encadrement de son parti, Forza Italia.<br />

Le parquet avait requis une peine de 11 ans de prison contre M. Dell’Utri, accusé<br />

notamment d’avoir apporté son concours aux investissements de la mafia sicilienne, la Cosa<br />

Nostra, depuis la fin des années 1970 dans la Fininvest, la holding de M. Berlusconi. <strong>Les</strong><br />

magistrats l’avaient qualifié durant <strong>le</strong> procès d’ambassadeur de la Cosa Nostra à Milan. Il était<br />

éga<strong>le</strong>ment accusé d’avoir été "l’intermédiaire et l’homme providentiel intervenu pour<br />

résoudre <strong>le</strong>s problèmes d’organisation de la mafia" en préparant l’arrivée sur la scène<br />

politique italienne de forces bien disposées à l’égard de la Cosa Nostra, selon <strong>le</strong> réquisitoire.<br />

L’accusation s’était notamment appuyée sur <strong>le</strong>s déclarations d’un mafieux repenti, Nino<br />

Giuffre, arrêté en 2002 et considéré comme étant un proche du chef suprême de la Cosa<br />

Nostra Bernardo Provenzano.<br />

Silvio Berlusconi, est ega<strong>le</strong>ment accusé de " liens " avec la Cosa Nostra par Antonino<br />

Giuffré devant <strong>le</strong> tribunal de Pa<strong>le</strong>rme et non pas uniquement dans <strong>le</strong> bureau du procureur de la<br />

République. "<br />

Malgré la menace du verdict qui pesait sur lui, Silvio Berlusconi a confié une nouvel<strong>le</strong><br />

charge à son vieil ami, pour relancer Forza Italia en sé<strong>le</strong>ctionnant un millier de jeunes<br />

nouveaux cadres du parti. Car malgré sa condamnation dont il va faire appel, Marcello<br />

Dell'Utri a annoncé qu'il accomplirait ses devoirs de sénateur…".<br />

25


L'innocence de son ami ne fait aucun doute pour M. Berlusconi : "Pour lui, je ne<br />

mettrais pas ma main au feu, je mettrais <strong>le</strong>s deux", avait-il déclaré à la veil<strong>le</strong> du jugement. "Ce<br />

n'est que la première étape du Giro - <strong>le</strong> Tour d'Italie cycliste -", a expliqué, serein,<br />

M. Dell'Utri, dont <strong>le</strong>s avocats ont fait appel. En Italie, <strong>le</strong> temps fait souvent <strong>le</strong> jeu des<br />

prévenus en raison de la <strong>le</strong>nteur de la justice et des délais de prescription à géométrie variab<strong>le</strong>.<br />

C'est grâce à un artifice de ce type que <strong>le</strong>s accusations de corruption de magistrats pesant sur<br />

M. Berlusconi ont été prescrites.<br />

Nous nous trouvons donc face à deux hommes au destin intimement lié dont l'un a été<br />

acquitté et l'autre condamné. Mais comment ne pas voir une complicité du premier face au<br />

comportement du second? Peut-on imaginer que Marcello Dell'Utri s'acoquinait avec la mafia<br />

sans <strong>le</strong> blanc-seing du grand patron? Et comment croire à la virginité de Silvio Berlusconi<br />

lorsque l'on sait que <strong>le</strong>s deux procès, celui de Milan et celui de Pa<strong>le</strong>rme, mettaient en cause la<br />

Fininvest?<br />

Sans réponse judiciaire claire, ces interrogations prennent une connotation résolument<br />

mora<strong>le</strong>. Si Silvio Berlusconi était une personne digne, il renoncerait à toute charge publique.<br />

A défaut, et pour sauver <strong>le</strong>s apparences, il pourrait au moins prendre ses distances à l'égard de<br />

Marcello Dell'Utri. Mais peut-être a-t-il peur que s'il lâchait son ami, celui-ci se mettrait alors<br />

à cracher dans la soupe. Toujours est-il qu'avant même de connaître <strong>le</strong> verdict pa<strong>le</strong>rmitain, il<br />

adoubait Marcello Dell'Utri en <strong>le</strong> nommant chef de campagne en vue des é<strong>le</strong>ctions régiona<strong>le</strong>s<br />

du printemps prochain. Il s'agira du dernier test avant <strong>le</strong>s législatives prévues en 2006.<br />

Selon Anna Finocchiaro, responsab<strong>le</strong> de la justice chez <strong>le</strong>s Démocrates de gauche<br />

(DS), "une démocratie ne peut supporter l'ombre d'une relation entre politique et Mafia".<br />

Pourtant convaincu de l'innocence de M. Dell'Utri, l'ancien président de la République et<br />

sénateur à vie, Francesco Cossiga, a estimé, lui, que la sentence "équivalait à une<br />

condamnation mora<strong>le</strong> de M. Berlusconi".<br />

26


) La paro<strong>le</strong> des repentis contre Berlusconi :<br />

<strong>Les</strong> "confessions" aléatoires des repentis sont régulièrement mises en<br />

cause.Plus de mil<strong>le</strong> "collaborateurs de justice" ont parlé dans des affaires<br />

mafieuses ou politiques et <strong>le</strong>urs aveux suscitent de vives polémiques.<br />

Depuis une vingtaine d'années, ils aiguil<strong>le</strong>nt enquêtes et procès: ce sont<br />

<strong>le</strong>s repentis ou plutôt <strong>le</strong>s collaborateurs de justice. Leur volonté de par<strong>le</strong>r<br />

a souvent peu à voir avec <strong>le</strong> besoin de se repentir comme on l'entend<br />

dans <strong>le</strong> monde catholique. Ils ont été déterminants dans <strong>le</strong>s affaires de<br />

terrorisme et de Mafia. <strong>Les</strong> rapports de cette dernière avec la politique,<br />

sans eux, n'auraient jamais été dévoilés.<br />

Ces collaborations sont rég<strong>le</strong>mentées par une loi qui prévoit des<br />

récompenses en terme judiciaire et une protection. Au total, 1 112<br />

repentis et 3 783 membres de <strong>le</strong>urs famil<strong>le</strong>s en bénéficient.<br />

Leur utilisation systématique provoque un débat sans fin. Parfois, <strong>le</strong>s tribunaux croient<br />

à <strong>le</strong>urs révélations. D'autres fois pas. Ce qui peut arriver d'ail<strong>le</strong>urs au cours du même procès.<br />

C'est <strong>le</strong> cas par exemp<strong>le</strong> de Giulio Andreotti, jugé, à Pérouse, pour avoir été <strong>le</strong> commanditaire<br />

du meurtre du journaliste Mino Pecorelli. Acquitté en première instance, l'ancien président du<br />

conseil a été condamné en appel sur la base des mêmes déclarations de repentis.<br />

Mais <strong>le</strong>s repentis ont <strong>le</strong> mérite d'avoir permis <strong>le</strong> démantè<strong>le</strong>ment d'organisations<br />

diffici<strong>le</strong>ment attaquab<strong>le</strong>s autrement. C'est ainsi grâce à Patrizio Peci, <strong>le</strong> premier terroriste à<br />

collaborer avec la justice, que l'on est venu à bout des Brigades rouges. Tommaso Buscetta,<br />

lui, a <strong>le</strong>vé <strong>le</strong> voi<strong>le</strong> sur la Cosa Nostra. Un "soldat" de la Mafia, Leonardo Vita<strong>le</strong>, avait parlé<br />

avant lui, en 1973 : on <strong>le</strong> prit pour un fou. Pas la Mafia, qui l'élimina en 1984.<br />

C'est à Don Tommaso que l'on doit la révélation sur l'organisme central qui contrô<strong>le</strong><br />

Cosa Nostra, <strong>le</strong> fameux "théorème Buscetta" qui a ouvert la voie aux "maxi-procès" et aux<br />

dizaines de condamnation à perpétuité des parrains. Mais ce n'est qu'en 1993, sous <strong>le</strong> choc de<br />

la mort des juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, que <strong>le</strong> parrain se décida à par<strong>le</strong>r des<br />

liens entre Mafia et politique.Ses révélations, suivies par c<strong>el<strong>le</strong>s</strong> d'autres mafieux, devaient<br />

conduire au procès Andreotti [voir annexe 3] à Pa<strong>le</strong>rme. Pour la première fois, on tentait de<br />

juger un homme qui a été l'incarnation d'un pouvoir où <strong>le</strong>s zones d'ombre primaient. Celui qui<br />

était appelé "Belzébuth", sans perdre son habituel sang-froid, a répliqué, coup pour coup,<br />

jusqu'à son acquittement en première instance. On n'a pas cru Buscetta et <strong>le</strong>s autres, y compris<br />

Balduccio Di Maggio, qui avait parlé, lui, du baiser échangé entre "zi'Giulio" et <strong>le</strong> parrain des<br />

parrains, Toto Riina. A Pérouse, au contraire, en appel, on l'a écouté, et Giulio Andreotti a été<br />

condamné, en novembre dernier, à vingt-quatre ans de prison.<br />

<strong>Les</strong> repentis n'ont jamais rien fait pour être bien vus par l'opinion publique. Certains,<br />

sous protection policière, ont même réussi à éliminer <strong>le</strong>urs adversaires. D'autres ont donné<br />

l'impression d'utiliser <strong>le</strong>urs révélations comme une arme. D'où la réforme à la loi introduite en<br />

2001 : <strong>le</strong>s repentis ont six mois pour indiquer <strong>le</strong>s éléments dont ils entendent par<strong>le</strong>r. Ce qui<br />

peut être un temps trop limité dans certains cas. La commission par<strong>le</strong>mentaire antiMafia avait<br />

27


ainsi demandé de corriger la norme pour <strong>le</strong> dernier repenti en date, Nino Giuffré, ancien bras<br />

droit du chef de la Mafia, Bernardo Provenzano, arrêté en avril et passé aux aveux en juin.<br />

Antonino Giuffre, qui s'exprimait en vidéoconférence depuis son lieu de<br />

détention (secret), a joué <strong>le</strong>s vedettes, en multipliant <strong>le</strong>s détails, lors du procès du sénateur<br />

Marcello Dell'Utri, ami et allié politique de M.Berlusconi, accusé de complicité d'association<br />

mafieuse.<br />

Le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, aurait rencontré des parrains de la<br />

Mafia dans <strong>le</strong>s années 1980. Le dernier en date des grands repentis de Cosa Nostra, Antonino<br />

Giuffre, un temps puissant bras droit du "Boss" Bernardo Provenzano, vient de lancer cette<br />

grave accusation, jamais formulée aussi clairement jusque-là, devant un tribunal de Pa<strong>le</strong>rme,<br />

mardi 7 janvier 2003.Arrêté en avril, <strong>le</strong> repenti - une précieuse recrue car il peut témoigner sur<br />

des affaires récentes - avait décidé, dès l'été, de collaborer avec la justice. Pendant <strong>le</strong>s 180<br />

jours d'interrogatoires autorisés par la loi, il a sou<strong>le</strong>vé un coin du voi<strong>le</strong> qui cache depuis si<br />

longtemps, en Italie, <strong>le</strong>s rapports entre Mafia et politique. Entre autres révélations<br />

incandescentes, il a déjà expliqué que la Cosa Nostra avait soutenu Forza Italia, <strong>le</strong> parti créé<br />

en 1993 par M. Berlusconi, sans toutefois citer de noms ni de dates précises.<br />

Mais mardi, à Pa<strong>le</strong>rme, Antonino Giuffre a joué <strong>le</strong>s vedettes, en multipliant <strong>le</strong>s détails. Il n'a<br />

ainsi pas hésité à déclarer que, comme Silvio Berlusconi "avait peur des risques<br />

d'enlèvement", son collaborateur Marcello Dell’Utri, qui était à l'époque PDG de Publitalia, la<br />

société publicitaire de la Fininvest, empire médiatique de la famil<strong>le</strong> Berlusconi, lui avait<br />

présenté, sans doute pour <strong>le</strong> rassurer, une de ses connaissances. Ce personnage, Vittorio<br />

Mangano, avait alors été embauché comme pa<strong>le</strong>frenier dans la somptueuse propriété des<br />

Berlusconi, à Arcore, près de Milan. Mais, en réalité, Vittorio Mangano était un mafieux. Et<br />

Antonino Giuffre poursuivie, égrenant ses révélations sur un ton sans passion qui <strong>le</strong>s rend plus<br />

percutantes encore, par : "Quand Vittorio Mangano a été embauché à Arcore, <strong>le</strong> boss -de<br />

Pa<strong>le</strong>rme- Stefano Bontade et d'autres personnes qui lui étaient proches rencontraient<br />

Berlusconi avec l'excuse d'al<strong>le</strong>r chez Mangano".<br />

A l'époque, l'appartenance mafieuse du pa<strong>le</strong>frenier n'était pas connue : il n'a été arrêté<br />

que beaucoup plus tard. Mais Marcello Dell'Utri pouvait-il, lui, ignorer sa véritab<strong>le</strong> identité ?<br />

Non, si l'on suit <strong>le</strong> récit du repenti : "Marcello Dell'Utri était une personne proche de la Cosa<br />

Nostra, sérieuse et à laquel<strong>le</strong> on pouvait se fier." Il aurait respecté sa promesse de favoriser<br />

une politique positive pour la Mafia. Antonino Giuffre a éga<strong>le</strong>ment confirmé,lors de<br />

l'audience, que la Cosa Nostra a fait voter pour Forza Italia aux é<strong>le</strong>ctions législatives de 1994<br />

et de 2001.<br />

Quel crédit accorder à Antonino Giuffre, ce repenti qui a mis éga<strong>le</strong>ment en cause, pour<br />

collusion avec la Mafia, celui qui fut un pilier de la politique italienne des cinquante dernières<br />

années, l'ex-président du conseil Giulio Andreotti, actuel<strong>le</strong>ment jugé ? En dépit des<br />

polémiques sur <strong>le</strong> peu de fiabilité de certains repentis, <strong>le</strong> parquet de Pa<strong>le</strong>rme, lui, semb<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />

prendre au sérieux.L'un des porte-paro<strong>le</strong> de Silvio Berlusconi a sèchement démenti <strong>le</strong> repenti.<br />

Plusieurs repentis avaient déjà parlé de ces liens, ainsi que de versements pour Silvio<br />

Berlusconi à ses débuts comme entrepreneur. Mais l'enquête a été classée. Toutes ces<br />

déclarations n'ont pas été jugées suffisantes pour formaliser une accusation contre l'actuel<br />

président du conseil. <strong>Les</strong> révélations de Nino Giuffré, fondées surtout sur ce dont il a entendu<br />

par<strong>le</strong>r, n’ont pas changer <strong>le</strong>s choses à ce sujet.<br />

28


4) Le cas Silvio Berlusconi: une politique mafieuse utilisée a des fins<br />

personnels<br />

En 1992, au moment où l’Italie découvre <strong>le</strong>s affaires de corruption (scanda<strong>le</strong><br />

Tangentopoli), qui entraîneront à <strong>le</strong>ur perte la Démocratie chrétienne de Giulio Andreotti et <strong>le</strong><br />

Parti socialiste de Bettino Craxi, Silvio Berlusconi n’a pas encore fait par<strong>le</strong>r de lui. Certes, il<br />

est déjà connu pour son sens des affaires. Mais <strong>le</strong>s chefs d’entreprise sont pléthore en Italie.<br />

Pourquoi cet homme, à qui tout a déjà réussi, veut-il subitement entrer en politique?<br />

Est-ce une soudaine vocation ou plutôt une fuite en avant, parce qu’il pressent que seu<strong>le</strong> la<br />

politique peut encore occulter son passé et <strong>le</strong> protéger des investigations de ceux qui<br />

s’intéressent à la réussite inso<strong>le</strong>nte d’un petit représentant en aspirateurs, étudiant en droit,<br />

devenu subitement l’un des hommes <strong>le</strong>s plus riches d’Italie?<br />

Sa carrière de chef d’entreprise commence en 1961. C’est l’année où il fonde une<br />

holding immobilière et fait surgir de terre une première vil<strong>le</strong>-satellite, sans fonds propres ou<br />

presque. Puis dans la foulée, une deuxième et une troisième. Il <strong>le</strong>s finance généra<strong>le</strong>ment en se<br />

servant de comptes ouverts à Lugano.<br />

Aujourd’hui encore, personne ne sait comment ces comptes étaient alimentés. D’après<br />

la brigade financière du parquet de Milan, la mafia n’a cessé à cette époque de blanchir de<br />

l’argent sa<strong>le</strong> à Lugano. Il serait faci<strong>le</strong> pour Berlusconi de couper court aux soupçons selon<br />

<strong>le</strong>squels ces fonds auraient transité sur des comptes à son nom. Mais Berlusconi refuse<br />

toujours de remettre ses livres de comptes à la justice. Au contraire. A peine est-il élu une<br />

seconde fois à la présidence du Conseil qu’il s’emploie à faire capoter <strong>le</strong>s accords d’entraide<br />

judiciaire en voie d’être conclus entre l’Italie et la Suisse, et à <strong>le</strong>s rendre pratiquement<br />

impossib<strong>le</strong>s à l’avenir.<br />

29


a) L'origine inconnue de la fortune de Berlusconi<br />

<strong>Les</strong> activités de bâtisseur de Berlusconi et l’origine aujourd’hui encore inconnue de sa<br />

fortune restent donc <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s zones d’ombre de sa biographie. C’est avec cette fortune<br />

qu’il jette, dans <strong>le</strong>s années qui suivent, <strong>le</strong>s bases de son empire médiatique, et fait son entrée à<br />

la télévision.<br />

Quelques années plus tard, il est question pour la première fois du soutien conséquent<br />

que lui auraient apporté des amis interlopes et un réseau occulte.<br />

Lors d’une perquisition, la police de Milan découvre des documents qui permettent à<br />

la justice de remonter jusqu’à une organisation secrète, une loge franc-maçonnique connue<br />

plus tard sous <strong>le</strong> nom de « P2 ». La Loge regroupe des hommes politiques, des banquiers, des<br />

généraux des carabinieri et de l’Armée, mais aussi des agents secrets. Tous rêvent d’instaurer<br />

un État autoritaire calqué sur la Grèce, <strong>le</strong> Chili ou l’Argentine. Pour y parvenir, la presse et la<br />

télévision doivent être mises à profit. Le grand-maître de la Loge, Licio Gelli, qui se targue<br />

d’avoir été en son temps l’un des premiers à s’inscrire à la Fédération mussolinienne des<br />

journalistes, précise en 1976 comment ça doit fonctionner.<br />

Dans son « Plan de renaissance démocratique », il insiste surtout sur <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de la<br />

presse et de la télévision. Comme s’il inventait <strong>le</strong> personnage que campera Berlusconi par la<br />

suite, il prône « la mise en place rapide de la télévision câblée, qui doit tisser un réseau aux<br />

mail<strong>le</strong>s serrées couvrant tout <strong>le</strong> pays, et contrô<strong>le</strong>r ainsi l’opinion publique. » La réalisation de<br />

ce plan, poursuit-il, requiert <strong>le</strong> soutien d’hommes politiques, « moyennant finances s’il <strong>le</strong> faut<br />

». Bettino Craxi est mentionné comme un possib<strong>le</strong> allié politique.<br />

Alors, est-ce un hasard si Berlusconi adhère à cette Loge secrète en 1978 et si Bettino Craxi<br />

est celui qui aidera Berlusconi à bâtir son empire médiatique ?<br />

Est-ce un hasard encore si cela se produit au moment où presque tous <strong>le</strong>s médias italiens sont<br />

infiltrés par <strong>le</strong>s séides de Licio Gelli ?<br />

Ce dernier présente ainsi son projet subversif : « Il faut que nous ayons deux ou trois<br />

sous-marins dans tous <strong>le</strong>s journaux. La mission de ces journalistes consistera à coopérer avec<br />

des hommes politiques triés sur <strong>le</strong> vo<strong>le</strong>t ; dès que la corruption et l’infiltration commenceront<br />

à porter <strong>le</strong>urs fruits, il faudra dans un deuxième temps acheter plusieurs titres ‘de combat’ et<br />

charger une agence centra<strong>le</strong> de coordonner l’ensemb<strong>le</strong> de la presse régiona<strong>le</strong> et loca<strong>le</strong>. Il ne<br />

faut pas, dans ce contexte, perdre la RAI de vue. Pour obtenir la liberté télévisuel<strong>le</strong>, il faut<br />

dissoudre la RAI et supprimer son monopo<strong>le</strong>, puis créer aussitôt plusieurs chaînes câblées afin<br />

que l’opinion publique puisse être contrôlée. »<br />

30


) La loge « P2 » s'intéresse à Berlusconi<br />

C’est peut-être pourquoi <strong>le</strong>s banquiers, membres de la Loge « P2 », s’intéressent tout<br />

particulièrement à Berlusconi. Ils accordent à son empire médiatique des crédits dont<br />

l’amp<strong>le</strong>ur, selon un avis de la Banca d´Italia, dépasse de loin <strong>le</strong>s limites de l’acceptab<strong>le</strong>.<br />

D’autres bail<strong>le</strong>urs potentiels résidaient alors à Pa<strong>le</strong>rme. De gros bonnets de la mafia.<br />

Beaucoup d’entre eux ont entre-temps rallié la Loge. L’un d’eux est Stefano Bontade. Ce<br />

parrain d’une redoutab<strong>le</strong> intelligence décide de blanchir son argent sa<strong>le</strong> dans une industrie<br />

d’avenir : la télévision. Il se sert de Marcello Dell´Utri, bras droit de Berlusconi, comme<br />

intermédiaire. Selon <strong>le</strong>s dires d’un témoin, il dépose dans <strong>le</strong>s bureaux de Dell’Utri à Milan<br />

une valise remplie de grosses coupures à l’intention de Berlusconi. <strong>Les</strong> faits sont rapportés par<br />

<strong>le</strong> financier Filippo Alberto Rapisarda, qui a assisté à la transaction, et qui témoigne dans un<br />

procès où Dell’Utri est inculpé de collusion avec la mafia.<br />

On ne peut plus demander à Bontade si l’anecdote est vraie. Il a été assassiné peu<br />

après. Aux dires de Gioacchino Pennino, autre gros bonnet de la mafia, aujourd’hui témoin<br />

principal dans plusieurs procès, l’argent « pourrait être resté entre <strong>le</strong>s mains de ceux qui <strong>le</strong><br />

gèrent, autrement dit Marcello Dell´Utri et Silvio Berlusconi. »<br />

Aux problèmes d’argent chroniques engendrés par la croissance rapide de l’empire<br />

médiatique de Berlusconi, une autre difficulté s’ajoute alors : il manque un cadre légal pour<br />

que <strong>le</strong>s programmes de ses chaînes puissent être diffusés sur tout <strong>le</strong> territoire national. Qu’à<br />

cela ne tienne, l’ami de Berlusconi, Bettino Craxi, s’en charge. Il en a <strong>le</strong>s pouvoirs : il est <strong>le</strong><br />

président du Conseil. Une loi sur la télévision – taillée sur mesure pour Berlusconi – est<br />

adoptée. <strong>Les</strong> chaînes de Berlusconi obtiennent enfin l’autorisation d’émettre que <strong>le</strong> magnat<br />

demandait depuis longtemps.<br />

c) La corruption était un phénomène généralisé<br />

Pour de nombreux observateurs, Berlusconi n’est pas entré en politique par sens du<br />

devoir envers l’Etat mais parce que son immunité par<strong>le</strong>mentaire lui permettait de se soustraire<br />

aux poursuites. Il peut désormais reporter et organiser des campagnes pour discréditer <strong>le</strong><br />

système judiciaire. Et puis il n’était pas rare que cette justice fût compréhensive et cassât <strong>le</strong>s<br />

condamnations prononcées dans <strong>le</strong>s instances inférieures. <strong>Les</strong> motifs invoqués en disent long :<br />

« La corruption était alors un phénomène généralisé, peut-on lire dans l’une de ces décisions.<br />

Cela étant, et la vie publique et privée de l’inculpé requérant des circonstances atténuantes »,<br />

<strong>le</strong> tribunal renonce à prononcer une condamnation.<br />

Mais <strong>le</strong>s temps ont changé et <strong>le</strong>s é<strong>le</strong>cteurs italiens apprécient de moins en moins <strong>le</strong>s<br />

procès de corruption contre <strong>le</strong>s hommes politiques. Francesco Saverio Borelli, procureur<br />

général de Milan et un de ceux qui ont dénoncé <strong>le</strong> scanda<strong>le</strong> Tangentopoli, explique ainsi ce<br />

paradoxe : « Nous avons perdu l’adhésion de la population quand nous avons commencé à<br />

pousser plus avant nos investigations. » Autrement dit, <strong>le</strong>s dentistes, bijoutiers, restaurateurs,<br />

architectes, bref, toute la classe moyenne dont Berlusconi est issu et qui érige la fraude fisca<strong>le</strong><br />

en sport national voulait bien voir tomber <strong>le</strong>s têtes du système, mais ne voyait pas d’un bon<br />

œil une opération ‘mains propres’ qui s’immiscerait dans sa vie à el<strong>le</strong>. Berlusconi était <strong>le</strong>ur<br />

homme, <strong>le</strong> chouchou des travail<strong>le</strong>urs indépendants, des professions libéra<strong>le</strong>s, des petits chefs<br />

d’entreprise qui falsifiaient sans comp<strong>le</strong>xe <strong>le</strong>urs bilans et fraudaient <strong>le</strong> fisc, et qui au passage<br />

31


n’hésitaient pas à soudoyer des hommes politiques. Le moment était venu de faire de l’un des<br />

<strong>le</strong>urs <strong>le</strong> représentant du peup<strong>le</strong>, ce Berlusconi qui incarnait mieux que tout autre la classe<br />

moyenne.<br />

Personne ne crie donc au scanda<strong>le</strong> en juin 2001 quand Berlusconi est élu pour la<br />

seconde fois président du Conseil. Ni quand il commence à rég<strong>le</strong>r ses problèmes en faisant<br />

promulguer des lois qui lui sont favorab<strong>le</strong>s. Avec un aplomb inégalé, il se sert de ses amis de<br />

longue date. Du jamais vu. <strong>Les</strong> lois qui défi<strong>le</strong>nt en urgence devant <strong>le</strong>s commissions, <strong>le</strong><br />

Par<strong>le</strong>ment et <strong>le</strong> Sénat servent surtout ses propres intérêts et ceux de ses comparses, confrontés<br />

aux mêmes difficultés que lui.<br />

- La falsification de bilan n’est quasiment plus un délit.<br />

- <strong>Les</strong> capitaux transférés illéga<strong>le</strong>ment à l’étranger peuvent être rapatriés moyennant une<br />

pénalité de 2,5 pour cent. L’anonymat et la protection contre la répression des fraudes sont<br />

garantis.<br />

- Une nouvel<strong>le</strong> loi renforce <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> des assurances privées, ce qui ne peut que profiter aux<br />

compagnies d’assurance-vie de Berlusconi.<br />

- Une autre loi supprime <strong>le</strong>s droits successoraux. Un cadeau royal pour Berlusconi, qui pourra<br />

ainsi transmettre un jour à ses enfants une fortune estimée à 15 milliards d’euros.<br />

- Un autre projet de loi prévoit qu’à l’avenir, <strong>le</strong> Par<strong>le</strong>ment devra définir <strong>le</strong>s délits que <strong>le</strong>s juges<br />

auront <strong>le</strong> droit d’instruire. Si <strong>le</strong> projet aboutit, il marquera la fin de l’indépendance de la<br />

justice italienne et <strong>le</strong> début de la dictature, car tous <strong>le</strong>s régimes autoritaires du monde, sans<br />

exception, ont commencé par muse<strong>le</strong>r la justice.<br />

- Pour couronner <strong>le</strong> tout, <strong>le</strong> gouvernement introduit une nouvel<strong>le</strong> rég<strong>le</strong>mentation qui inverse<br />

<strong>le</strong>s effets de l’entraide judiciaire. A l’avenir, <strong>le</strong>s procureurs qui veu<strong>le</strong>nt produire des<br />

documents retrouvés à l’étranger devront présenter des copies notariées des originaux, en<br />

vertu d’une convention internationa<strong>le</strong> de 1959. Le but est de faire gagner du temps aux<br />

avocats de Berlusconi dans <strong>le</strong>s procès perdus d’avance, et de faire traîner <strong>le</strong>s choses jusqu’à<br />

ce que <strong>le</strong>s faits soient prescrits.<br />

- La dernière loi en date est proprement scanda<strong>le</strong>use: si <strong>le</strong>s inculpés soulèvent une<br />

présomption de partialité envers <strong>le</strong>urs juges, ils peuvent demander que <strong>le</strong> procès ait lieu dans<br />

une autre vil<strong>le</strong>. <strong>Les</strong> avocats de Berlusconi espèrent voir ainsi la fin des procès qui pourraient<br />

lui être fatals puisque, selon <strong>le</strong>s termes du magazine politique l’Espresso: « Maintenant, <strong>le</strong>s<br />

riches peuvent choisir eux-mêmes <strong>le</strong>urs juges. ». Mauvaises nouv<strong>el<strong>le</strong>s</strong> pour l’Europe.<br />

32


5) L’utilisation de la justice par Silvio Berlusconi :<br />

[Voir annexe 4]<br />

a) Berlusconi fait ses lois<br />

Réforme de la justice pour permettre de récuser <strong>le</strong>s juges, réorganisation de la<br />

télévision, législation sur <strong>le</strong>s faux en écriture... «Sua Emittenza» multiplie <strong>le</strong>s textes sur<br />

mesure.<br />

Le président du Conseil italien, plus grosse fortune d'Italie et propriétaire de la<br />

Fininvest, fait adopter des lois qui <strong>le</strong> mettent à l'abri de la justice. Une façon de déminer <strong>le</strong>s<br />

conséquences judiciaires de son conflit d'intérêts.(voir en annexe toutes <strong>le</strong>s affaires judiciaires<br />

de Berlusconi)<br />

Le Par<strong>le</strong>ment a en effet, voté définitivement la nouvel<strong>le</strong> loi sur la «suspicion légitime»<br />

(loi cirami du nom du député de Forza Italia qui l'a présentée). Une loi mirac<strong>le</strong> pour <strong>le</strong><br />

Cavaliere et pour son ami et avocat, <strong>le</strong> député Cesare Previti. Cette loi permet à un inculpé de<br />

demander <strong>le</strong> transfert de son dossier vers un autre tribunal s'il estime être devant un cas de «<br />

suspicion légitime », en clair si la cour qui <strong>le</strong> juge n'est pas impartia<strong>le</strong> Selon ce texte, <strong>le</strong>s<br />

inculpés pourront désormais changer de tribunal s'ils ont des doutes sur l'impartialité de <strong>le</strong>urs<br />

juges. Silvio Berlusconi et Cesare Previti, qui sont l'un et l'autre inculpé de corruption devant<br />

un tribunal de Milan, ont donc pu obtenir la suspension de la procédure et <strong>le</strong> transfert du<br />

dossier. «C'est une loi tout a fait légitime, qui existait en Italie jusqu'en 1989 et que l'on trouve<br />

dans de nombreux pays», assure-t-on dans <strong>le</strong>s rangs de la majorité. Il n'empêche qu'el<strong>le</strong> tombe<br />

à pic pour éviter au chef du gouvernement une condamnation gênante. D'autant plus que, si<br />

Berlusconi et Previti obtiennent de ne pas être jugés à Milan, <strong>le</strong>s délais pour transférer <strong>le</strong>urs<br />

dossiers aboutissent presque nécessairement à une prescription...<br />

La course contre la montre à laquel<strong>le</strong> s'est livré <strong>le</strong> gouvernement pour obtenir <strong>le</strong> vote<br />

de cette loi a irrité l'opposition et, surtout, a indigné une partie de l'opinion publique. Certains<br />

é<strong>le</strong>cteurs de Berlusconi - 30% d'entre eux, disent de récents sondages - déçus de voir que,<br />

depuis des mois, <strong>le</strong>s autorités, plutôt que de s'occuper du chômage ou du développement du<br />

Mezzogiorno, se consacrent en priorité à l'élaboration de nouveaux textes manifestement<br />

destinés à servir <strong>le</strong>s intérêts personnels du chef du gouvernement et de ses proches.<br />

La « Cirami » est désormais couramment invoquée par des terroristes ou des mafieux pour<br />

bloquer l'instruction de procès en cours.<br />

De plus, Voyant que <strong>le</strong>s « ombres judiciaires » risquaient de se traduire par une<br />

sentence avant <strong>le</strong> 1er juil<strong>le</strong>t et <strong>le</strong> début de la présidence italienne de l'Union, Berlusconi a fait<br />

adopter en un temps record une loi qui suspend tous <strong>le</strong>s procès visant <strong>le</strong>s cinq plus hauts<br />

personnages de l'Etat durant toute la durée de <strong>le</strong>ur mandat. La nouvel<strong>le</strong> loi concerne <strong>le</strong>s<br />

présidents de la République, de la Cour constitutionnel<strong>le</strong>, des deux chambres... et <strong>le</strong> chef du<br />

gouvernement ! Cette loi fut tout de même invalidée par <strong>le</strong> Conseil constitutionnel.<br />

Le cauchemar judiciaire dont Silvio Berlusconi veut de se libérer jusqu'à la fin de son<br />

mandat, en 2006, s'appel<strong>le</strong> SME, du nom d'un groupe public d'entreprises agroalimentaires<br />

que l'Etat italien avait voulu privatiser en 1985. Le capitaine d'industrie Carlo De Benedetti<br />

avait alors fait une offre équivalant à 248 millions d'euros. Mais Bettino Craxi, <strong>le</strong> président du<br />

Conseil de l'époque, jugea que cela revenait à brader la SME et il demanda à son ami Silvio<br />

33


Berlusconi de faire monter <strong>le</strong>s enchères. L'affaire finit devant <strong>le</strong>s tribunaux et, selon<br />

l'accusation, De Benedetti perdit <strong>le</strong> marché parce que l'avocat de Berlusconi, Cesare Previti,<br />

avait versé un pot-de-vin à un magistrat.<br />

Depuis, <strong>le</strong> président du Conseil a tout fait pour bloquer <strong>le</strong> procès qui s'éternise depuis<br />

quarante mois. Jouant de tous <strong>le</strong>s recours, comme la demande d'audition de 1 800 témoins,<br />

Berlusconi n'a cessé de dénoncer un « groupe de magistrats qui utilise la justice à des fins<br />

politiques, pour faire tomber <strong>le</strong> gouvernement ».<br />

Il a tout de même été relaxé dans son procès pour corruption de magistrats, à la grande<br />

satisfaction de ses alliés politiques, bénéficiant de la prescription pour un des faits qui lui<br />

étaient reprochés<br />

"Mieux vaut tard que jamais : j’avais raison d’être serein car j’avais p<strong>le</strong>inement conscience de<br />

n’avoir rien fait de mal", a déclaré M. Berlusconi après l’annonce de la sentence dans ce<br />

procès-f<strong>le</strong>uve ouvert en mars 2000.Ce jugement enlève en effet l’épée de Damoclès qui était<br />

suspendue sur la tête du chef du gouvernement. Ses avocats, Me Gaetano Peccorella et<br />

Niccolo Ghedini, ont annoncé qu’ils feraient appel pour que M. Berlusconi soit tota<strong>le</strong>ment<br />

blanchi dans cette affaire.<br />

Toujours au chapitre judiciaire, <strong>le</strong> gouvernement a révisé dans un sens restrictif la<br />

coopération avec la Suisse. Désormais, la quasi-totalité des documents bancaires fournis par<br />

<strong>le</strong> ministère de la Justice helvétique sont inutilisab<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>s procès italiens. « Il s'agit d'une<br />

loi qui n'a rien à voir avec <strong>le</strong> droit et est destinée à sauver différentes personnes du<br />

gouvernement italien », a déclaré Bernard Bertossa, <strong>le</strong> procureur général de Genève, qui ne<br />

passe pourtant pas pour un dangereux gauchiste. Heureux hasard : la plupart des documents<br />

concernant l'enquête sur <strong>le</strong>s fonds secrets de la Fininvest viennent de Suisse.<br />

Le président du Tribunal de Milan (nord), Francesco Castellano, a expliqué dans une<br />

sentence compliquée que M. Berlusconi a été complètement relaxé de l’accusation de<br />

corruption pour l’affaire SME. Il a d’autre part bénéficié de la prescription pour une autre<br />

accusation de corruption de magistrat, remontant à 1991 que <strong>le</strong> parquet estimait prouvée par<br />

des virements bancaires effectuées en Suisse. Le tribunal a accordé <strong>le</strong>s circonstances<br />

atténuantes au chef du gouvernement dans ce second vo<strong>le</strong>t, ce qui a eu pour conséquence de<br />

réduire de 15 à 7 ans et demi la durée de la prescription et a ainsi "éteint <strong>le</strong>s poursuites".<br />

« Sa stratégie dans toutes <strong>le</strong>s affaires judiciaires consiste à attaquer <strong>le</strong> ministère<br />

public, puis <strong>le</strong>s magistrats, estime plus prosaïquement l'ancien procureur général de Milan<br />

Gerardo D'Ambrosio. Puis il édicte des lois ad personam et maintenant il en arrive à modifier<br />

la Constitution ! »<br />

Force est de constater que, dans quelque domaine que ce soit, l'action du président du<br />

Conseil semb<strong>le</strong> effectivement dictée par la nécessité de se protéger de la curiosité des juges,<br />

de mettre ses proches à l'abri du besoin et d'assurer la pérennité de son empire. Un conflit<br />

d'intérêts entre action politique et intérêts privés que Silvio Berlusconi ne parvient pas à faire<br />

oublier depuis son entrée en politique, en 1994.<br />

« Lorsque <strong>le</strong> conseil des ministres aborde un sujet qui concerne mes entreprises, je<br />

quitte la pièce pour <strong>le</strong> laisser délibérer afin d'éviter toute interférence. » C'est avec cette<br />

apparente ingénuité qu'il expliquait sa méthode de travail après la formation de son premier<br />

34


gouvernement. Une gymnastique épuisante, puisque, à en juger par l'ordre du jour de certains<br />

conseils, il aurait dû quitter la tab<strong>le</strong> jusqu'à sept fois en une matinée !<br />

Même s'il n'en est plus président, Silvio Berlusconi est toujours propriétaire de la<br />

Fininvest, un empire qui va de l'audiovisuel aux services financiers en passant par l'édition, la<br />

publicité, <strong>le</strong> sport, <strong>le</strong>s assurances, et fait de lui l'homme <strong>le</strong> plus riche de la péninsu<strong>le</strong> avec un<br />

patrimoine évalué à 5,9 milliards de dollars. Et il n'est pas une semaine sans que <strong>le</strong><br />

gouvernement ait à légiférer sur une matière qui touche de près ou de loin aux intérêts privés<br />

du Cavaliere ou de ses plus proches collaborateurs. Ainsi, l'une des premières lois adoptées<br />

par <strong>le</strong> deuxième gouvernement Berlusconi a consisté à dépénaliser <strong>le</strong> délit de faux en écriture.<br />

Divine surprise : Adriano Galliani, président du Milan AC, <strong>le</strong> club de football du président du<br />

Conseil, a bénéficié de cette mesure alors qu'il était accusé d'avoir payé des joueurs au noir.<br />

Plus grave encore: c'est tout <strong>le</strong> dossier du procès All Iberian qui risque d'être réduit à néant.<br />

Dans cette affaire, Silvio Berlusconi est accusé d'avoir établi une doub<strong>le</strong> comptabilité pour la<br />

Fininvest à travers 64 sociétés offshore et d'avoir créé une caisse noire de 750 millions<br />

d'euros.<br />

En économie, <strong>le</strong>s mesures de relance prises depuis deux ans par <strong>le</strong> gouvernement<br />

Berlusconi ne semb<strong>le</strong>nt pas non plus dépourvues d'arrière-pensées. Le Par<strong>le</strong>ment s'est ainsi<br />

empressé de ressusciter un texte voté en 1994 lors du premier et éphémère gouvernement<br />

Berlusconi. Celui-ci prévoit la suppression tota<strong>le</strong> des impôts sur 50 % des capitaux réinvestis<br />

par <strong>le</strong>s sociétés. Mediaset, la branche audiovisuel<strong>le</strong> de la Fininvest, a ainsi pu comptabiliser<br />

comme investissements défiscalisés à 50 % <strong>le</strong> rachat de droits de diffusion pour un montant<br />

de 1 milliard d'euros. Avec, toutefois, un détail étonnant : la transaction s'est faite entre deux<br />

sociétés satellites du groupe. Outre <strong>le</strong> fait que la Commission européenne soupçonne un cas<br />

de financement public illégal, l'affaire a valu la semaine dernière l'ouverture d'une nouvel<strong>le</strong><br />

enquête judiciaire pour fraude fisca<strong>le</strong> à l'encontre de Berlusconi. Enfin, en supprimant <strong>le</strong>s<br />

droits de succession, <strong>le</strong> ministre de l'Economie a indéniab<strong>le</strong>ment fait un beau cadeau aux<br />

futurs héritiers de la plus grande fortune transalpine.<br />

Toujours sous couvert d'aide au développement économique, <strong>le</strong> gouvernement a<br />

adopté en avril une loi intitulée « bouclier fiscal » qui autorise <strong>le</strong> rapatriement des capitaux<br />

exportés illéga<strong>le</strong>ment avec une très raisonnab<strong>le</strong> pénalité de 2,5 % des sommes détournées. La<br />

Fininvest en a-t-el<strong>le</strong> bénéficié ? Le fisc refuse de <strong>le</strong> dire, mais plusieurs procès en cours<br />

impliquant <strong>le</strong> groupe du président du Conseil sont fondés sur <strong>le</strong> soupçon de l'existence de<br />

nombreuses caisses noires à l'étranger. En outre, une généreuse amnistie fisca<strong>le</strong> adoptée en<br />

décembre dernier prévoit une régularisation des contribuab<strong>le</strong>s, personnes privées ou sociétés,<br />

en échange du versement de 10 % de l'impôt non acquitté. Le quotidien La Repubblica a<br />

calculé que cette mesure fera économiser entre 80 et 100 millions d'euros à la Fininvest !<br />

Avant même de devenir <strong>le</strong> président du Milan AC, <strong>le</strong> Cavaliere a toujours été un grand<br />

amateur de foot. Encore un secteur qui doit beaucoup à la sollicitude du gouvernement. Le<br />

décret adopté <strong>le</strong> 7 février permet aux clubs d'éta<strong>le</strong>r sur dix ans <strong>le</strong>s moins-values enregistrées<br />

en raison de la crise du football européen. Sans cet artifice comptab<strong>le</strong>, <strong>le</strong> Milan AC, dont <strong>le</strong><br />

bilan n'est pas en équilibre, risquait de se voir refuser l'inscription au prochain championnat et<br />

aux compétitions européennes.<br />

De plus, l'Etat garde <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> de la RAI privatisée car il n'y a pas que la justice ou<br />

l’économie. Un projet de loi concocté par <strong>le</strong> ministre de la Communication, Maurizio<br />

Gasparri, sur la diffusion des chaînes de télévision suscite éga<strong>le</strong>ment de nombreuses critiques.<br />

<strong>Les</strong> trois chaînes du groupe de Silvio Berlusconi, Mediaset, vont pouvoir continuer à<br />

35


cœxister, alors que, selon la législation en vigueur, l'une d'entre <strong>el<strong>le</strong>s</strong> aurait dû être transférée<br />

sur <strong>le</strong> satellite. Cela grâce à un tour de passe-passe qui a consisté à élargir <strong>le</strong> paysage<br />

audiovisuel italien à de nouv<strong>el<strong>le</strong>s</strong> petites chaînes. Du coup, <strong>le</strong> «gâteau» grossit et Mediaset<br />

peut garder toutes ses chaînes sans pour autant dépasser <strong>le</strong> seuil de 20% qui lui est imposé.<br />

Par ail<strong>le</strong>urs, l'interdiction du cumul de la propriété de chaînes de télévision et de quotidiens<br />

n'existe plus. Cela simplifie la situation de Silvio Berlusconi, qui avait dû dans <strong>le</strong> passé céder<br />

<strong>le</strong> quotidien milanais Il Giorna<strong>le</strong> à son petit frère Paolo, tandis que son épouse, Veronica<br />

Lario, finance <strong>le</strong> très sophistiqué Il Foglio. On sait déjà, en outre, que la privatisation partiel<strong>le</strong><br />

de la RAI, la télévision publique, sera accompagnée d'une clause interdisant à un actionnaire<br />

de détenir plus de 1% du capital. Aucun d'entre eux ne pourra donc peser sur <strong>le</strong>s choix du<br />

conseil d'administration, qui dépendront du ministère du Trésor, donc du gouvernement, l'Etat<br />

restant, dans un premier temps, l'actionnaire principal. En clair, «Sua Emittenza» pourra<br />

asseoir, plus étroitement encore, son contrô<strong>le</strong> sur la totalité des grandes chaînes italiennes.<br />

Déjà, <strong>le</strong>s nouveaux patrons de la RAI, récemment nommés, viennent de licencier plusieurs<br />

journalistes vedettes qui n'avaient pas l'air de plaire. L'un d'eux, notamment, avait enquêté sur<br />

<strong>le</strong>s liens existant entre l'entourage de Berlusconi et la Mafia...<br />

Et tout est à l'avenant. Déjà, <strong>le</strong> gouvernement avait pris une série de mesures qui<br />

visaient, de toute évidence, à résoudre des problèmes personnels. Comme la modification du<br />

droit des sociétés, qui diminue la gravité du délit de faux en écriture - une autre des<br />

inculpations qui pèsent sur Berlusconi - ou encore comme on la vu précédemment <strong>le</strong><br />

rapatriement sans pénalité des capitaux exportés illéga<strong>le</strong>ment, ou, surtout, la nouvel<strong>le</strong> loi sur<br />

<strong>le</strong>s commissions rogatoires, qui rend <strong>le</strong>s échanges de renseignements et de documents entre<br />

<strong>le</strong>s magistrats italiens et ceux des autres pays pratiquement impossib<strong>le</strong>s. Une véritab<strong>le</strong><br />

assurance contre toute accusation qui proviendrait de l'étranger. Silvio Berlusconi a peut-être<br />

déçu quelque peu ses é<strong>le</strong>cteurs, mais, en un an et demi, il a réussi à mettre l'Etat à son service.<br />

Tout en restant, face à une opposition de gauche de plus en plus divisée, il reste l'homme fort<br />

de la situation, irremplaçab<strong>le</strong>, pour l'instant en tout cas.<br />

Et encore une fois, l'inventivité de Silvio Berlusconi a pris tous <strong>le</strong>s observateurs de<br />

court. Alors que <strong>le</strong>s plus fins cerveaux de la péninsu<strong>le</strong> planchaient sur l'hypothèse d'une vente<br />

de son groupe ou l'attribution de sa direction à un blind trust, la loi propose non pas de<br />

toucher aux propriétés du Cavaliere, mais de contrô<strong>le</strong>r l'activité du gouvernement... Une<br />

commission de trois membres nommés par <strong>le</strong>s présidents des chambres - eux-mêmes issus de<br />

la majorité ! - veil<strong>le</strong>ra donc à ce que l'exécutif ne favorise pas <strong>le</strong>s intérêts privés de ses<br />

membres. La commission n'aura aucun pouvoir de sanction, si ce n'est de signa<strong>le</strong>r une<br />

éventuel<strong>le</strong> indélicatesse au Par<strong>le</strong>ment. Il reviendra alors à la Chambre de voter une motion de<br />

censure, hypothèse assez improbab<strong>le</strong> compte tenu de la confortab<strong>le</strong> majorité dont jouit <strong>le</strong> Pô<strong>le</strong><br />

des libertés, la coalition dirigée par Silvio Berlusconi.Le texte souligne en revanche une<br />

incompatibilité entre responsabilités politiques et certaines activités professionn<strong>el<strong>le</strong>s</strong>. Mais<br />

el<strong>le</strong> ne concerne pas <strong>le</strong>s propriétaires des entreprises ! Résultat : Fede<strong>le</strong> Confalonieri, <strong>le</strong><br />

président de la Fininvest, ne pourrait pas briguer la présidence du Conseil... contrairement à<br />

Silvio Berlusconi, propriétaire de cette même Fininvest. Le seul sacrifice qu'il devra consentir<br />

sera l'abandon de la présidence du Milan AC.<br />

Ainsi, Silvio Berlusconi délivre aux é<strong>le</strong>cteurs un message limpide: tout est bon pour<br />

atteindre l'objectif fixé, quitte à corrompre des juges et à s'allier avec la mafia.<br />

36


) L’opposition de Berlusconi au pouvoir judiciaire :<br />

La guerre entre <strong>le</strong>s juges et Silvio Berlusconi dure depuis des années. Berlusconi a<br />

réussi à marquer de nombreux points contre ces magistrats honnis qu'il accuse de parti pris. Il<br />

n'hésite pas à affirmer que « pour faire ce travail, il faut être menta<strong>le</strong>ment dérangé et s'ils <strong>le</strong><br />

font, c'est parce qu'ils sont anthropologiquement différents du reste de la race humaine ». Ces<br />

juges, qui ont balayé, à partir de 1992, la vieil<strong>le</strong> classe politique démocrate-chrétienne et<br />

socialiste avec <strong>le</strong>s enquêtes « Mani pulite » (« Mains propres »), restent des héros pour une<br />

partie de l'opinion, notamment à gauche. Mais <strong>le</strong>s formu<strong>le</strong>s aux accents populistes de Silvio<br />

Berlusconi ravissent tout un é<strong>le</strong>ctorat de petits entrepreneurs et commerçants et de<br />

« recyclés » des vieux partis, excédés par ce qu'ils considèrent être <strong>le</strong>s abus de la lutte<br />

anticorruption. <strong>Les</strong> juges se sentent aujourd'hui assez seuls.<br />

« L'opinion publique est lasse de l'interminab<strong>le</strong> guérilla entre <strong>le</strong> pouvoir politique et <strong>le</strong><br />

pouvoir judiciaire. <strong>Les</strong> juges, en outre, ne représentent plus l'ultime recours. L'opposition de<br />

gauche s'est réorganisée et même si el<strong>le</strong> demeure divisée, el<strong>le</strong> a retrouvé un <strong>le</strong>ader avec<br />

Romano Prodi, l'ex-président de la Commission européenne », analyse Marc Lazar,<br />

professeur à Sciences-Po et spécialiste de l'Italie. <strong>Les</strong> juges italiens ne jouent plus <strong>le</strong> rô<strong>le</strong><br />

politique crucial qu'ils ont eu entre 1992 et 2002 au point que l'on parlait d'une véritab<strong>le</strong><br />

« révolution judiciaire ». « Une parabo<strong>le</strong> s'achève, qui, en dix ans, est passée de la plus<br />

imposante vague d'enquêtes en matière de corruption politique menée en Europe à la série la<br />

plus massive d'interférences politiques dans <strong>le</strong> <strong>fonctionnement</strong> de la magistrature », estime<br />

Antoine Vauchez, de l'Institut européen de Florence, auteur d'une thèse sur la magistrature<br />

italienne.<br />

<strong>Les</strong> Italiens sont sur ce terrain volontiers versati<strong>le</strong>s. Tout au long des années 80, <strong>le</strong>s<br />

juges furent en première ligne contre <strong>le</strong> terrorisme « noir » (néofasciste), <strong>le</strong> terrorisme rouge<br />

et contre la mafia, en suppléant aux carences des autres corps de l'Etat. Mais déjà, <strong>le</strong>urs excès<br />

irritaient, et une majorité d'Italiens exprimère en 1989 ce ras-<strong>le</strong>-bol lors d'un référendum<br />

instaurant de fait une responsabilité péna<strong>le</strong> des magistrats en cas d'abus. Trois ans plus tard<br />

toutefois, <strong>le</strong>s juges redevenaient des héros quand, après l'arrestation à Milan de Mario Chiesa,<br />

petit baron socialiste local, ils démantelaient un vaste système de pots-de-vin impliquant la<br />

plupart des partis. Quelque 2 750 personnes furent inculpées dans la seu<strong>le</strong> capita<strong>le</strong> lombarde.<br />

De semblab<strong>le</strong>s enquêtes furent menées dans tout <strong>le</strong> pays, aboutissant à la mise en examen de<br />

200 sénateurs et 300 députés ainsi que de milliers d'élus locaux. Homme symbo<strong>le</strong> d'un demisièc<strong>le</strong><br />

de pouvoir démocrate-chrétien, Giulio Andreotti, accusé de liens avec la mafia, fut jugé<br />

à Pa<strong>le</strong>rme. Mais fina<strong>le</strong>ment absous en appel. L'écrasante majorité des politiciens mis en cause<br />

bénéficia ainsi d'acquittements, de prescription ou d'annulation de la procédure pour vice de<br />

forme.<br />

« Si <strong>le</strong> prestige acquis dans la lutte contre <strong>le</strong> terrorisme ou la mafia <strong>le</strong>ur a permis de<br />

s'attaquer à la classe politique, <strong>le</strong>s juges qui ont tenté d'entrer directement en politique comme<br />

Antonio Di Pietro, <strong>le</strong> juge symbo<strong>le</strong> de Mani pulite, ont eu des résultats consternants »,<br />

souligne Marc Lazar. Le triomphe é<strong>le</strong>ctoral de Silvio Berlusconi en avril 2001, malgré toutes<br />

ses affaires pendantes, a marqué un nouveau retournement de l'opinion. Il était bien décidé à<br />

remettre au pas cette magistrature qui, en 1994, lors de sa première et éphémère arrivée au<br />

pouvoir, n'avait pas hésité à annoncer sa mise en examen pour corruption alors qu'il présidait<br />

à Nap<strong>le</strong>s un sommet de l'ONU contre la criminalité et <strong>le</strong> blanchiment d'argent. L'an dernier, la<br />

commission justice du Par<strong>le</strong>ment décidait d'instituer une commission d'enquête sur l'opération<br />

« Mains propres » de Milan.<br />

37


« Dans un pays civilisé, <strong>le</strong>s juges ne doivent pas pouvoir mener de procès contre <strong>le</strong>s<br />

gouvernants », avait lancé <strong>le</strong> ministre de la Justice Roberto Castelli, membre de la très<br />

xénophobe Ligue du Nord. La loi de 2003 accordant l'immunité aux cinq plus hauts<br />

responsab<strong>le</strong>s de l'Etat fut néanmoins, comme on la vu précédemment, invalidée par <strong>le</strong> Conseil<br />

constitutionnel. En revanche, <strong>le</strong> gouvernement a réussi à faire passer sa réforme de la justice,<br />

qui signe une nette reprise en main des parquets jusque-là indépendants. Par trois fois, <strong>le</strong>s<br />

juges italiens ont massivement fait grève contre cette loi qu'ils dénoncent comme « erronée et<br />

inconstitutionnel<strong>le</strong> ».<br />

38


c) L’exemp<strong>le</strong> de la situation dans <strong>le</strong> sud de l’Italie sous l’influence de la politique de<br />

Berlusconi<br />

La Sici<strong>le</strong>, avec 30% de chômeurs, est la région la plus touchée d’Italie. Or, <strong>le</strong>s choix<br />

du gouvernement Berlusconi ont tendu à effacer toute intervention de l’Etat dans <strong>le</strong> Sud. On<br />

est ainsi passé d’un système clientéliste initié par la Démocratie chrétienne, à un système sans<br />

protection mis en place par la droite au pouvoir. Même la législation du travail a été modifiée<br />

pour répondre aux attentes des patrons du Nord. Bref, <strong>le</strong> mot d’ordre du gouvernement est<br />

précarisation. Et dans <strong>le</strong> Sud cela signifie <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> total du marché du travail par la Mafia.<br />

C’est el<strong>le</strong> qui décide d’embaucher, de faire naître ou mourir une activité économique. Soit par<br />

<strong>le</strong> « pizzo », c’est à dire la contribution versée par <strong>le</strong>s entreprises à la Mafia, soit par <strong>le</strong><br />

contrô<strong>le</strong> direct de l’économie par ses propres sociétés qui servent éga<strong>le</strong>ment à recyc<strong>le</strong>r son<br />

argent sa<strong>le</strong>.<br />

Au lieu de soutenir <strong>le</strong>s juges qui luttaient contre la Mafia, <strong>le</strong> ministre de la Justice de<br />

Berlusconi a développé une vio<strong>le</strong>nte campagne contre <strong>le</strong>s procureurs de Pa<strong>le</strong>rme, Nap<strong>le</strong>s,<br />

Milan. Selon ce ministre, <strong>le</strong>s enquêtes menées étaient politiques et donc au service des<br />

communistes... La Mafia a compris qu’el<strong>le</strong> avait trouvé là un nouvel interlocuteur en<br />

remplacement de la Démocratie chrétienne d’Andreotti. Ce n’est pas non plus un hasard si<br />

Berlusconi a essayé de bloquer <strong>le</strong>s enquêtes sur la corruption politique et économique et<br />

d’abroger tous <strong>le</strong>s instruments législatifs de la lutte anti-Mafia.<br />

Lors de la grande restructuration du capitalisme dans <strong>le</strong>s années quatre-vingt et la<br />

financiarisation de l’économie, on a réinvesti une très grande partie des capitaux mafieux. <strong>Les</strong><br />

données offici<strong>el<strong>le</strong>s</strong> avancent un chiffre d’affaires allant de 70.000 milliards à 100.000<br />

milliards de lires. De nombreuses enquêtes des juges se dirigent vers l’empire de la Fininvest,<br />

non seu<strong>le</strong>ment pour des questions de corruption politico-économique, mais aussi pour de<br />

grandes opérations de recyclage d’argent mafieux. Refondation communiste a ainsi dénoncé<br />

l’attitude du vice-ministre du Budget, I<strong>le</strong>ano Floresta, député de Forza Italia en Sici<strong>le</strong>,<br />

propriétaire de la plus grosse entreprise de téléphone du sud de l’Italie. Il avait des rapports<br />

d’affaires directs avec Gioacchino La Barbera, actuel<strong>le</strong>ment repenti, qui n’est autre que l’un<br />

des assassins du juge Falcone.<br />

Lorsque, pour des raisons politiques, un accord est passé avec la Mafia dans <strong>le</strong> Sud, on<br />

entre aussitôt dans un circuit où se rencontrent <strong>le</strong>s intérêts de l’organisation criminel<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s<br />

loges maçonniques, <strong>le</strong>s secteurs corrompus des services secrets et des appareils d’Etat.<br />

N’oublions pas que Silvio Berlusconi était inscrit dans la fameuse Loge P2 de Lucio Gelli.<br />

Celui-ci avait un programme politique qui s’appelait « Plan de renaissance démocratique » et<br />

comportait trois points fondamentaux : abolition du système é<strong>le</strong>ctoral à la proportionnel<strong>le</strong>,<br />

subordination du juridique à l’exécutif, démantè<strong>le</strong>ment du service audiovisuel public et<br />

concentration de l’information dans <strong>le</strong>s mains du privé. Vous remarquerez qu’il s’agit presque<br />

du programme de Berlusconi.<br />

Précisons tout d’abord que la Sici<strong>le</strong> possède un Par<strong>le</strong>ment autonome de quatre-vingtdix<br />

députés. Cinquante d’entre eux sont actuel<strong>le</strong>ment l’objet d’enquêtes pour corruption. Six<br />

sont en fuite et recherchés par la police. Certains sont en prison pour association mafieuse.<br />

C’est pourquoi, contrairement aux autres formations de gauche, ce Par<strong>le</strong>ment devrait être<br />

dissous. Sur une terre mafieuse, si la gauche ne récupère pas son autonomie, el<strong>le</strong> est<br />

obligatoirement compromise. Mais <strong>le</strong> combat contre la Mafia passe éga<strong>le</strong>ment par celui pour<br />

l’emploi. Si on ne crée pas une autre conception du développement qui sauve <strong>le</strong>s industries en<br />

39


Sici<strong>le</strong> tout en <strong>le</strong>s liant à la mise en va<strong>le</strong>ur de l’environnement, la Mafia seu<strong>le</strong> continuera à<br />

fournir du travail aux Siciliens.<br />

L'avenir de Berlusconi se jouera <strong>le</strong> 9 avril 2006<br />

Le 10 mars 2006, <strong>le</strong> Parquet de Milan réclame la tenue d'un procès contre Silvio<br />

Berlusconi dans l' affaire de corruption présumée impliquant éga<strong>le</strong>ment l'époux de la ministre<br />

de la Culture britannique. Berlusconi est poursuivi pour « corruption en actes judiciaires ». Il<br />

est soupçonné d'avoir versé 600 000 dollars à l'avocat d'affaires britannique David Mills en<br />

échange de faux témoignages et de destruction de documents lors de deux procès intentés<br />

contre lui en 1997 et 1998. Cette annonce tombe au plus mal pour <strong>le</strong> président du Conseil<br />

italien à un mois des é<strong>le</strong>ctions législatives des 9 et 10 avril, qui s'annoncent serrées.<br />

Le 14 décembre 2005, <strong>le</strong> Par<strong>le</strong>ment italien approuvait définitivement la réforme des é<strong>le</strong>ctions<br />

législatives, qui se feront désormais à la proportionnel<strong>le</strong>. Selon l'opposition (la coalition de<br />

centre gauche, menée par Romano Prodi), cette décision devrait favoriser <strong>le</strong> Président du<br />

Conseil Silvio Berlusconi pour ces législatives. Alors qu'en décembre 2005 <strong>le</strong>s intentions de<br />

vote se portaient à 53% sur <strong>le</strong> parti de centre gauche, cette réforme pourrait fragiliser la<br />

stabilité politique du pays. Des é<strong>le</strong>ctions à suivre de près <strong>le</strong> 9 avril 2006.<br />

40


2 ème partie: La mafia russe et ses investissements sur<br />

la Côte d'Azur<br />

1) La mafia russe<br />

a) La mafia et l’Etat Russe<br />

* La mafia, approche institutionnel<strong>le</strong><br />

La mafia est généra<strong>le</strong>ment rapportée aux réseaux de l’économie parallè<strong>le</strong>, aux réseaux<br />

de survie apparus spontanément durant la période soviétique et qui se sont généralisés à toutes<br />

<strong>le</strong>s sphères d’activités : éducation, santé, économie, etc. Mais depuis la fin de l’URSS, cette<br />

économie de l’ombre et la mafia sont deux réalités distinctes. Il faut distinguer <strong>le</strong>s petits<br />

arrangements entre connaissances du crime organisé dont l’impact économique dépasse<br />

largement <strong>le</strong> cadre national. L’affaire de New York en est une illustration.<br />

La pègre russe a mis en place des règ<strong>le</strong>s, une justice, un système de va<strong>le</strong>urs et de<br />

normes de comportement propres qui concurrencent <strong>le</strong> système légal et débordent <strong>le</strong>s<br />

frontières de l’Etat pour agir à l’échel<strong>le</strong> du globe.<br />

* Structure mafieuse et Etat duel<br />

Pourtant en Russie, la confusion est tenace car l’organisation des gangs mafieux est<br />

empreinte d’une culture loca<strong>le</strong> spécifique. A.N O<strong>le</strong>ynik, a mis en évidence la similitude très<br />

forte entre la structure particulière du système du mafieux dans la société post-soviétique et <strong>le</strong><br />

monde carcéral, hérité du régime totalitaire. Il décrit la prégnance des stigmates de l’univers<br />

pénitentiaire dont on retrouve des traces dans l’ensemb<strong>le</strong> de la société russe contemporaine, à<br />

sa base comme dans l’édifice institutionnel: un appareil de direction coupé de la société,<br />

administrant <strong>le</strong>s citoyens selon ses propres impératifs, des relations hiérarchiques autoritaires,<br />

l’absence de mécanismes de médiation et de représentation socia<strong>le</strong> privant <strong>le</strong>s individus de<br />

toute sortie du système, dont il décou<strong>le</strong> logiquement une grande vio<strong>le</strong>nce.<br />

A cela il faut superposer la survivance d’une forme de compromis tacite entre <strong>le</strong>s<br />

individus et l’Etat soviétique accordant une certaine autonomie aux citoyens en échange d’un<br />

laisser faire politique et d’une absence de remise en cause des fondements même de<br />

l’organisation politique. Ce pacte avec <strong>le</strong> diab<strong>le</strong> ne doit pas faire croire à une situation<br />

statique. Au contraire il s’est traduit par une oscillation constante entre rejet et acceptation du<br />

pouvoir, par des jeux d’influence transcendant <strong>le</strong>s divisions traditionn<strong>el<strong>le</strong>s</strong> public/privé qui<br />

marquent encore <strong>le</strong>s esprits aujourd’hui.<br />

L’Etat soviétique peut être rapproché de l’Etat exploiteur de Douglass North, ses<br />

intérêts coïncidant tantôt avec ceux des partisans d’un renforcement du contrô<strong>le</strong>, tantôt avec<br />

ceux d’une libéralisation de la vie quotidienne. C’était un appareil guidé par <strong>le</strong>s intérêts privés<br />

de ses agents pragmatiques dont <strong>le</strong>s choix sont fonction de la conjoncture socio-économique<br />

et de la pression des différents acteurs et groupes d’influence.<br />

41


* Mafia et pouvoir dans l’opinion publique<br />

<strong>Les</strong> Russes se représentent l’Etat comme un groupe de personnes monopolisant <strong>le</strong><br />

pouvoir grâce à l’importance de ses ressources, un acteur privé. Cette perception explique en<br />

partie l’amalgame fréquent entre Etat et mafia dans l’opinion publique. A la question “<br />

Qu’entendez-vous par Mafia ? ” posée par <strong>le</strong> VCIOM au début des années 90, plus de deux<br />

tiers des personnes interrogées évoquent l’Etat.<br />

Un Etat gangrené par des groupes de nomenklaturistes, de la famil<strong>le</strong> présidentiel<strong>le</strong> au<br />

KGB, qui s’approprient et “privatisent” l’espace public tandis que <strong>le</strong>s institutions de la société<br />

civi<strong>le</strong> se sclérosent, vivotent dans un “Etat“ de décomposition avancé. Ce jugement négatif<br />

porté sur <strong>le</strong>s institutions offici<strong>el<strong>le</strong>s</strong> témoigne de la méfiance envers des pouvoirs publics aux<br />

rouages opaques. Il révè<strong>le</strong> une fois encore <strong>le</strong> jugement pragmatique des individus qui<br />

retrouvent dans <strong>le</strong> <strong>fonctionnement</strong> de l’appareil <strong>le</strong>s mêmes principes que ceux prévalant dans<br />

<strong>le</strong> reste de la société, la primauté des intérêts privés sur l’intérêt général.<br />

<strong>Les</strong> Russes détestent l’Etat qu’ils considèrent injuste et vo<strong>le</strong>ur. Pour autant, la<br />

condamnation n’est jamais tota<strong>le</strong> puisque <strong>le</strong> pouvoir politique s’offre comme <strong>le</strong> miroir<br />

indécent du mode d’organisation de la société tout entière.<br />

Ainsi, on saisit plus faci<strong>le</strong>ment l’attitude de l’opinion envers <strong>le</strong> Président Poutine. Ce<br />

dernier bénéficie d’un large soutien des Russes bien que sa politique n’ait eu pour <strong>le</strong> moment<br />

de répercussion positive. Il a été élu président sans aucun programme. Malgré tout, plus de<br />

deux tiers des Russes (69% en avril 2000, 71% en mai 2000, 75% en février 2001) lui<br />

accordent toujours <strong>le</strong>ur confiance. Il ne s’agit pas d’une adoration béate puisque seuls 3% des<br />

Russes reconnaissent avoir de l’admiration devant Poutine. L’attitude dominante a son égard<br />

est même réservée : “Je ne peux dire rien de mal a propos de lui” est un propos récurrent.<br />

Ce constat déroutant vient confirmer notre hypothèse de départ selon laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

Russes oscil<strong>le</strong>nt entre un rejet d’un pouvoir défini comme froid et vénal et une<br />

condescendance envers des pratiques condamnab<strong>le</strong>s mais généralisées. “Il est comme nous”<br />

reconnaissent fina<strong>le</strong>ment 32% des Russes qui ressentent de la sympathie pour <strong>le</strong> Président.<br />

Néanmoins, pour une bonne <strong>le</strong>cture de la société contemporaine il ne faudrait pas,<br />

comme <strong>le</strong>s Russes, faire d’amalgame entre corruption et mafia, entre <strong>le</strong>s petits arrangements<br />

de la vie quotidienne auxquels participent tout un chacun et <strong>le</strong>s organisations crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong>,<br />

véritab<strong>le</strong>s réseaux mafieux structurés en “brigades”.<br />

42


* Etat-mafia ?<br />

Il ne fait aucun doute que la criminalité organisée fait partie du paysage de la Russie<br />

d’aujourd’hui. <strong>Les</strong> <strong>mafias</strong> couvrent et se querel<strong>le</strong>nt l’ensemb<strong>le</strong> du territoire, même depuis<br />

l’étranger. El<strong>le</strong>s ont pénétré tous <strong>le</strong>s secteurs d’activité et luttent maintenant pour <strong>le</strong><br />

monopo<strong>le</strong>.<br />

Une partie des Russes éprouve pour <strong>le</strong>s bandes crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> un sentiment de répulsion<br />

attraction qui s’exprime parfois dans une fascination pour <strong>le</strong>s succès fulgurants de ces riches<br />

hommes d’affaires qui rou<strong>le</strong>nt en 4x4 blindés et alignent des liasses de bil<strong>le</strong>ts verts sur <strong>le</strong>s<br />

comptoirs. Ce n’est d’ail<strong>le</strong>urs pas un hasard si ces derniers sont classés par la population<br />

parmi <strong>le</strong>s trois groupes socioprofessionnels qui ont bénéficié des réformes des années 90.<br />

La mafia a pris une place croissante dans <strong>le</strong> quotidien des gens. El<strong>le</strong> est entrée dans la<br />

vie quotidienne comme sur <strong>le</strong>s petits écrans, jusqu’à devenir un phénomène banal, dont la<br />

compréhension est d’autant plus comp<strong>le</strong>xe. El<strong>le</strong> s’est immiscée durab<strong>le</strong>ment dans la sphère<br />

économique et <strong>le</strong>s individus ne savent plus vraiment à qui ils ont affaire.<br />

43


) Le pouvoir de la mafia russe<br />

La mafia russe a réussi à faire en bientôt 10 ans ce que la mafia sicilienne a fait en 50.<br />

Son extraordinaire développement ne se résume qu'a ce simp<strong>le</strong> constat. El<strong>le</strong> s’est étendue à<br />

travers <strong>le</strong> monde comme une traînée de poudre et s'est même mise en concurrence avec<br />

d’autres groupes criminels.<br />

* Une extraordinaire expansion:<br />

El<strong>le</strong> a pris ces quartiers à New York dans <strong>le</strong> quartier de Brooklyn et de Litt<strong>le</strong> Odessa<br />

mais aussi à Los Ange<strong>le</strong>s qui abrite la deuxième plus importante colonie russe aux Etats-Unis.<br />

De plus el<strong>le</strong> s’est surtout installée en Israël et particulièrement à Tel-Aviv qui renferme pour<br />

sa part <strong>le</strong> plus grand nombre d’expatriés russes. El<strong>le</strong> est aussi très bien implantée sur la côte<br />

d'azur, à Londres, à Berlin, à Prague et à Anvers sans oublier Amsterdam.<br />

* D'où viennent ces mafieux, qui sont-ils?<br />

<strong>Les</strong> mafieux russes n'ont pas grandi dans la rue mais sur <strong>le</strong>s bancs des universités, ils<br />

sont donc doués de connaissances qui <strong>le</strong>s met en position de force. <strong>Les</strong> nouveaux riches que<br />

l'on voit acheter à coup de millions de fabu<strong>le</strong>uses résidences sur la côte d'azur sont pour la<br />

plupart en relation de loin ou parfois de très près avec <strong>le</strong>s réseaux criminels russes.<br />

<strong>Les</strong> groupes mafieux ont amassé <strong>le</strong>ur fortune et par voie de conséquence <strong>le</strong>ur pouvoir<br />

en exploitant <strong>le</strong>s erreurs d'une démocratie encore trop jeune. Le passage d'un régime<br />

communiste à un régime démocratique a aussi amené son lot de problèmes et certains en ont<br />

profité. Le changement a été assurément soit trop brutal ou soit mal préparé soit peut être<br />

même <strong>le</strong>s deux. Quand <strong>le</strong>s nombreuses sociétés étrangères, une fois parties, ont laissé libre <strong>le</strong>s<br />

marchés qu'<strong>el<strong>le</strong>s</strong> exploitaient, des mafieux ont reconquis avec <strong>le</strong>urs sociétés fictives basées<br />

dans des paradis fiscaux ces mêmes parts de marché. Ils ont maintenant acquis un certain<br />

monopo<strong>le</strong> comme c'est <strong>le</strong> cas pour <strong>le</strong> marché de l'essence qui est entièrement contrôlé par un<br />

clan de la mafia. Ils engrangent ainsi des profits monstres dont une partie est reversée aux<br />

fonctionnaires payés pour fermer <strong>le</strong>s yeux.<br />

La Russie est en p<strong>le</strong>ine jeunesse démocratique et a du mal à intégrer ces principes.<br />

Nous avons eu nous aussi <strong>le</strong>s mêmes difficultés lors de l'instauration d'un système<br />

démocratique et nous n'y sommes pas arrivés sans heurt. Seu<strong>le</strong>ment la Russie, à la chute de<br />

l'URSS n'a pas pris <strong>le</strong> bon chemin.<br />

* Leurs activités<br />

La mafia russe brasse des milliards de dollars et blanchit ces mêmes milliards grâce à<br />

ses compagnies offshores mais aussi grâce aux banques nombreuses qu'el<strong>le</strong> possède. On fait<br />

notamment référence au récent scanda<strong>le</strong> de la " Bank of New York " dont un membre de la<br />

haute direction qui avait la doub<strong>le</strong> nationalité a été impliqué sur une affaire de blanchiment<br />

portant sur plusieurs millions de dollars.<br />

44


<strong>Les</strong> ramifications de la mafia russe sont nombreuses et étendues jusqu'au plus haut<br />

sommet de l'état comme <strong>le</strong> reflète parfaitement <strong>le</strong>s accusations de corruption sur la famil<strong>le</strong><br />

Eltsine et particulièrement sur sa fil<strong>le</strong>.<br />

<strong>Les</strong> activités des criminels russes sont très diversifiées : cela va de la traditionnel<strong>le</strong><br />

prostitution dont on retrouve maintenant <strong>le</strong>s traces dans toutes <strong>le</strong>s grandes agglomérations, au<br />

problème " des fil<strong>le</strong>s de l'Est ", au trafic de drogue tout aussi classique en passant par <strong>le</strong> trafic<br />

d'arme de l'ex-armée rouge (on a d'ail<strong>le</strong>urs retrouvé des kalachnikov entre <strong>le</strong>s mains de l'UCK<br />

pendant la guerre du Kosovo) mais aussi <strong>le</strong> trafic très lucratif de la contrefaçon et notamment<br />

des cd-rom sans oublier <strong>le</strong> pillage des ressources natur<strong>el<strong>le</strong>s</strong> que représentent <strong>le</strong> pétro<strong>le</strong> et <strong>le</strong><br />

gaz naturel. D'autres trafics se sont aussi développés parallè<strong>le</strong>ment comme la fraude fisca<strong>le</strong>, <strong>le</strong><br />

trafic de voitures volées ou <strong>le</strong>s escroqueries à l'assurance qui consistent comme à la manière<br />

des corses à faire sauter des bâtiments pour ensuite se faire rembourser une somme bien plus<br />

importante que <strong>le</strong>s dégâts causés.<br />

* La puissance de la mafia russe<br />

<strong>Les</strong> agissements des groupes mafieux russes sont des plus vio<strong>le</strong>nts qui soient. Avec<br />

eux c'est ça passe ou ça casse, ils ne font pas dans <strong>le</strong> détail et ignorent <strong>le</strong>s compromis ou <strong>le</strong>s<br />

arrangements. Le problème de la mafia russe est considéré comme <strong>le</strong> plus important par <strong>le</strong>s<br />

autorités américaines ravissant ainsi la palme à la traditionnel " Cosa nostra " et plus<br />

particulièrement au cartel colombien de la drogue comme celui de Cali qui depuis quelques<br />

années tenait <strong>le</strong> haut du pavé.<br />

La mafia russe est en train de supplanter <strong>le</strong>s organisations dites traditionn<strong>el<strong>le</strong>s</strong>. C'est<br />

cette prise de conscience américaine qui a fait éclater au grand jour <strong>le</strong>s problèmes<br />

qu'entraînaient <strong>le</strong>s réseaux criminels russes. Il est important de souligner que <strong>le</strong>s Russes ont<br />

gagné l'estime craintive des " famil<strong>le</strong>s " siciliennes et américaines". <strong>Les</strong> Russes sont devenus<br />

respectés et se sont taillés une solide réputation.<br />

D'autre part ils ont bien compris que <strong>le</strong>s avances technologiques allaient <strong>le</strong>ur donner<br />

une puissance encore accrue, certains experts estiment que <strong>le</strong>s <strong>mafias</strong> russes maîtrisent et<br />

disposent d'équipements é<strong>le</strong>ctroniques qui sont presque du même niveau que ceux du KGB.<br />

* Le rô<strong>le</strong> de la mafia russe dans l'économie russe<br />

En Russie il est presque impossib<strong>le</strong> d'être un honnête homme d'affaire car <strong>le</strong> système<br />

en place ne <strong>le</strong> permet pas. C'est pourquoi la fraude, la corruption et l'évasion de capitaux sont<br />

aussi nécessaires à la santé d'une entreprise que <strong>le</strong> marketing en Occident. C'est tout<br />

simp<strong>le</strong>ment une petite <strong>le</strong>çon de gestion appliquée selon <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s du jeu de l'économie russe.<br />

La législation fisca<strong>le</strong> mouvante et incompréhensib<strong>le</strong> permet tous <strong>le</strong>s abus: c'est un jeu<br />

d'enfant que de contourner la loi et ceci n'est pas près de changer. <strong>Les</strong> propositions de réforme<br />

fisca<strong>le</strong> bril<strong>le</strong>nt par <strong>le</strong>ur discrétion. A ce sujet là un proverbe dit d'ail<strong>le</strong>urs que "Si une<br />

entreprise enregistre des pertes, son comptab<strong>le</strong> doit être un novice. Si el<strong>le</strong> affiche des profits,<br />

c'est que son PDG est fou!".<br />

45


<strong>Les</strong> dégâts causés par <strong>le</strong>s réseaux mafieux sont aussi réels qu'importants et très<br />

diffici<strong>le</strong> à surveil<strong>le</strong>r surtout quand la volonté politique ne suit pas. <strong>Les</strong> groupes mafieux font<br />

partie intégrante du paysage politico-économique en Russie. Le pays ne serait rien sans eux et<br />

c'est sans doute pour cela qu'on hésite à <strong>le</strong>s dé<strong>le</strong>ster de <strong>le</strong>ur pouvoir. Certains avaient même<br />

parlé de régulariser <strong>le</strong>s gens dont on savait qu'ils étaient malhonnêtes. L'idée peut paraître<br />

farfelue à nos yeux mais el<strong>le</strong> est d'une importance capita<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s Russes. Le débat n'est<br />

toujours pas tranché. Toute la sphère politique s'est refusée à pousser <strong>le</strong> débat plus loin.<br />

* La fuite des capitaux: une véritab<strong>le</strong> catastrophe!<br />

Un seul chiffre résume un fait grave concernant la fuite des capitaux russes: 1,7<br />

milliards d’euros ont été transférés en 1999 de Russie en France selon la banque de France. La<br />

fuite des capitaux ruine encore plus <strong>le</strong> pays, la monnaie nationa<strong>le</strong> perd de sa va<strong>le</strong>ur, ra<strong>le</strong>ntit<br />

<strong>le</strong>s importations et par voie de conséquence fait baisser <strong>le</strong> niveau de vie.<br />

<strong>Les</strong> capitaux, au lieu d'être réinvestis dans l'économie loca<strong>le</strong>, sont transférés dans <strong>le</strong>s<br />

pays occidentaux mais aussi et surtout dans <strong>le</strong>s paradis fiscaux nombreux aux Caraïbes. Làbas<br />

on est peu regardant sur l'origine des fonds qui sont aussi bien souvent protégés par un<br />

secret bancaire imperméab<strong>le</strong> à tout enquête. Trop souvent <strong>le</strong>s commissions rogatoires des<br />

juges s'arrêtent aux portes de ces paradis fiscaux. Sur certaines î<strong>le</strong>s il y a plus de banques que<br />

d'habitants!<br />

* Le traitement pour <strong>le</strong>s entreprises étrangères<br />

Depuis l'éclatement de l'URSS la criminalité qu'el<strong>le</strong> soit physique ou financière a<br />

explosé en Russie faisant fuir <strong>le</strong>s investisseurs étrangers qui ne peuvent travail<strong>le</strong>r dans un tel<br />

climat de vio<strong>le</strong>nce. El<strong>le</strong>s ne sont pas à l'abri d'extorsions de fond ni de chantages et d'attentats.<br />

L'activité fisca<strong>le</strong> de l'état russe est limitée à la réception de pots de vin, l'impôt ne<br />

rentre pas et pour cause <strong>le</strong>s entreprises emploient tous <strong>le</strong>s stratagèmes possib<strong>le</strong>s et<br />

imaginab<strong>le</strong>s pour afficher des pertes et ainsi échapper aux prélèvements. Ne pouvant<br />

récupérer d'argent du côté des entreprises nationa<strong>le</strong>s, l’Etat russe s'est retourné contre <strong>le</strong>s<br />

multinationa<strong>le</strong>s étrangères qui se disent harcelées par <strong>le</strong>s agents du fisc russe. Il est faci<strong>le</strong> de<br />

comprendre pourquoi on réfléchit à deux fois avant de s'implanter en Russie.<br />

* Que faisons-nous face à ce fléau?<br />

Etant lié de fraternité depuis plusieurs sièc<strong>le</strong>s avec la Russie, la France tarde à<br />

condamner <strong>le</strong>s pratiques et <strong>le</strong>s dérives en vigueur en Russie. La France a tendance à passer<br />

l'éponge mais encore pour combien de temps car certaines voix commencent sérieusement à<br />

s'é<strong>le</strong>ver pour dénoncer <strong>le</strong>s pratiques douteuses. Le meil<strong>le</strong>ur exemp<strong>le</strong> étant bien sûr <strong>le</strong>s<br />

soupçons de détournement de fonds provenant du fond Monétaire International par la famil<strong>le</strong><br />

Eltsine origina<strong>le</strong>ment destinés à soutenir <strong>le</strong>s réformes et non à remplir <strong>le</strong>s poches<br />

d'indésirab<strong>le</strong>s. Evidemment tout est nié en bloc du côté russe. Mais on ne peut pas nier<br />

l'évidence comme notamment <strong>le</strong>s différents comptes suisses qui ont été découvert au nom de<br />

la fil<strong>le</strong> de l'ancien président.<br />

46


<strong>Les</strong> fonds étrangers continuent tant bien que mal à arriver en Russie mais<br />

parallè<strong>le</strong>ment la fuite des capitaux s'accentue. Le principal danger est <strong>le</strong> fait que l'opinion<br />

publique n'est guère consciente du poids croissant que prennent <strong>le</strong>s <strong>mafias</strong> du monde car el<strong>le</strong><br />

est plus sensib<strong>le</strong> à la petite délinquance qu'el<strong>le</strong> rencontre dans la rue. Un malheur en cache un<br />

autre malheureusement, la grande délinquance nourrit la délinquance dite de rue, pourquoi<br />

donc s'attaquer à cette dernière, il faut prendre <strong>le</strong> mal à sa source. Sans grande délinquance<br />

plus de petite!<br />

* Le bilan<br />

Une question se pose : est-ce que <strong>le</strong> mal s'est suffisamment répandu pour qu'on ne<br />

puisse plus l'éradiquer? C'est vrai quels sont <strong>le</strong>s signes qui nous permettent d'avoir une autre<br />

opinion. L'avenir ne semb<strong>le</strong> pas très rose pour la Russie! Mais à long terme el<strong>le</strong> n'en ressortira<br />

que plus forte.<br />

47


2) Le Sud-Est, terre d’accueil de la criminalité économique<br />

La France n’est pas à l’abri de l’infiltration de son économie par <strong>le</strong>s capitaux d’origine<br />

crapu<strong>le</strong>use. Le blanchiment qui se réalise dans notre pays est un blanchiment élaboré qui<br />

utilise des mécanismes juridiques et financiers qui vont permettre l’intégration fina<strong>le</strong>, dans<br />

l’économie honorab<strong>le</strong>, des revenus et avoirs issus d’activités crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong>.<br />

Le Midi de la France constitue une des régions parmi d’autres touchées par <strong>le</strong><br />

phénomène du blanchiment.On ne s’attardera pas sur <strong>le</strong>s raisons qui conduisent à préférer <strong>le</strong><br />

so<strong>le</strong>il du midi aux brumes du nord de la France, ni sur l’intérêt que peut présenter une zone<br />

frontalière pour <strong>le</strong>s criminels.<br />

On ne s’étonnera pas non plus de la très grande vitalité du secteur de l’immobilier et de la<br />

pression considérab<strong>le</strong> qui s’exerce sur <strong>le</strong>s va<strong>le</strong>urs foncières, lorsqu’on sait, de surcroît, qu’il<br />

est possib<strong>le</strong> en France, grâce au mécanisme de la représentation fisca<strong>le</strong>, d’acquérir un bien<br />

sans faire apparaître l’identité de son véritab<strong>le</strong> propriétaire.<br />

C’est dans ce contexte géographique et juridique attractif que s’est développée,<br />

loca<strong>le</strong>ment, une léthargie politique et institutionnel<strong>le</strong> assurant aux délinquants une<br />

inadmissib<strong>le</strong> tranquillité.<br />

Il est vrai que la carrière de nombreux magistrats se dérou<strong>le</strong> de manière fort heureuse,<br />

pendant trente ans, entre Nice et Marseil<strong>le</strong>, avec un détour à Grasse ou à Aix-en-Provence.<br />

Nul<strong>le</strong> part ail<strong>le</strong>urs, en France, on n’enregistre, une tel<strong>le</strong> stabilité. De ce point de vue, la<br />

longévité géographique des carrières des magistrats du sud-est est comparab<strong>le</strong> à cel<strong>le</strong> dont ont<br />

bénéficié <strong>le</strong>s magistrats français détachés à Monaco, pérennité à laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong> ministre de la<br />

Justice vient opportunément de mettre un terme, il y a quelques semaines.<br />

Il est donc plus que temps, alors que des voix s’élèvent pour dénoncer la situation<br />

dégradée du <strong>fonctionnement</strong> de certaines juridictions dans <strong>le</strong> sud-est, de tirer <strong>le</strong>s <strong>le</strong>çons de<br />

l’absence de mobilité de certains magistrats en poste dans <strong>le</strong> midi de la France.<br />

Actuel<strong>le</strong>ment, la région du sud-est, devenue terre d’accueil des capitaux d’origine criminel<strong>le</strong>,<br />

à la recherche d’honorabilité, connaît donc, non seu<strong>le</strong>ment une infiltration économique via un<br />

certain type d’investissements, mais se trouve de surcroît gangrenée au niveau institutionnel.<br />

48


a) Une économie infiltrée par <strong>le</strong>s capitaux suspects<br />

On peut faire état d’une « infiltration économique très sophistiquée dont […] certaines<br />

organisations crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> des pays de l’Est se sont fait une véritab<strong>le</strong> spécialité »,en précisant<br />

que <strong>le</strong>s experts évaluaient à plus de 40 milliards de dollars <strong>le</strong>s seuls investissements russes en<br />

France (en 1999) avant de conclure : « Tous ces signes ne nous permettent pas d’évaluer<br />

exactement l’amp<strong>le</strong>ur du phénomène et du danger mais, aujourd’hui ils nous permettent<br />

d’être certains qu’il y a de véritab<strong>le</strong>s actions d’infiltration économique. »<br />

En l’an 2000, <strong>le</strong>s autorités russes ont, de <strong>le</strong>ur côté, estimé à 100 milliards de dollars <strong>le</strong>s<br />

activités financières non déclarées – soit 40 % du PIB – et <strong>le</strong>s fuites de capitaux à plus de 25<br />

milliards de dollars (1,7 milliard d’euros selon la Banque de France [voir précédemment] )<br />

dont la moitié proviendrait d’activités illéga<strong>le</strong>s. Pour M. Pino Arlacchi, ancien responsab<strong>le</strong><br />

aux Nations unies du programme de lutte contre <strong>le</strong> blanchiment des capitaux, <strong>le</strong> blanchiment<br />

coûterait actuel<strong>le</strong>ment à la Russie environ 2 % de son PIB.Ces estimations, toujours diffici<strong>le</strong>s<br />

à établir puisqu’il s’agit d’appréhender des phénomènes occultes, permettent néanmoins<br />

d’affirmer, de façon concordante, que <strong>le</strong>s montants à investir sont très é<strong>le</strong>vés et que la France<br />

constitue une des destinations privilégiées pour ces capitaux qui trouvent refuge massivement<br />

en I<strong>le</strong>-de-France et dans <strong>le</strong> sud-est.<br />

On peut souligner <strong>le</strong> « professionnalisme » de ces blanchisseurs qui savent s’adapter<br />

pour échapper aux regards indiscrets et acceptent d’investir dans toutes <strong>le</strong>s formes d’achats<br />

immobiliers.<br />

LES BLANCHISSEURS SE REPLIENT DANS L’ARRIERE-PAYS<br />

M. Jean-Paul DECORPS: Aujourd’hui, on trouve toutes <strong>le</strong>s formes d’investissements : des<br />

appartements anciens, des appartements neufs, des propriétés de caractère, etc.<br />

Aujourd’hui, de petites entreprises font l’objet de ces investissements ; c’est la raison pour laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

Italiens ont pris des mesures <strong>le</strong>s concernant, <strong>le</strong>s grosses propriétés et <strong>le</strong>s grosses entreprises étant<br />

beaucoup plus repérab<strong>le</strong>s.<br />

Il est donc diffici<strong>le</strong> de dire qu’il existe un type d’investissement privilégié par <strong>le</strong>s blanchisseurs et<br />

c’est ce qui rend la lutte d’autant plus diffici<strong>le</strong>.<br />

Extrait de l’audition de M. Jean-Paul Decorps, président du Conseil supérieur du notariat<br />

LA PROLIFERATION, DANS LES ALPES-MARITIMES, DES PATRIMOINES IMMOBILIERS<br />

DETENUS PAR DES SOCIETES DE DROIT INTERNATIONAL<br />

M. Alain BERTAUX : Le département des Alpes-Maritimes est confronté de p<strong>le</strong>in fouet au problème<br />

de l'immobilier qui constitue l'une des sources essenti<strong>el<strong>le</strong>s</strong> de la richesse de son tissu fiscal, que ce soit<br />

en termes d'assiette de l'impôt ou de rendement du contrô<strong>le</strong> fiscal. Nous gérons environ 20 000<br />

sociétés civi<strong>le</strong>s immobilières ; il s'agit de la principa<strong>le</strong> difficulté que nous rencontrons lorsque nous<br />

voulons cerner <strong>le</strong>s véritab<strong>le</strong>s détenteurs du parc immobilier des Alpes-Maritimes.<br />

En effet, <strong>le</strong>s investisseurs, que ce soit des personnes physiques ou des personnes mora<strong>le</strong>s, se<br />

dissimu<strong>le</strong>nt la plupart du temps derrière des sociétés écrans – dont des sociétés civi<strong>le</strong>s immobilières –<br />

de droit français ou de droit international.<br />

M. Alain BERTAUX <strong>Les</strong> Alpes- Maritimes sont un département de prédi<strong>le</strong>ction pour <strong>le</strong>s<br />

investissements d'origine étrangère, en particulier italienne ou russe, et des paradis fiscaux –<br />

Liechtenstein, Luxembourg.<br />

Nous avons éga<strong>le</strong>ment connaissance de ce phénomène dans <strong>le</strong> cadre des relations que nous pouvons<br />

avoir avec <strong>le</strong>s notaires, certains, étant tout à fait conscients qu'ils ne peuvent pas détourner la<br />

législation, ne sont pas enclins à se prêter à ce type de procédés. Ce phénomène est régulièrement<br />

identifié au travers des opérations de contrô<strong>le</strong> fiscal que nous conduisons dans <strong>le</strong> secteur de<br />

l'immobilier. »<br />

Audition de M. Alain Bertaux du 14 juin 2001, directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes.<br />

49


) Des mécanismes juridiques p<strong>le</strong>inement exploités<br />

Ces mécanismes ne sont pas une spécialité régiona<strong>le</strong>, mais ils sont très largement<br />

utilisés dans <strong>le</strong> sud-est, terre de prédi<strong>le</strong>ction des investisseurs blanchisseurs.<br />

* La représentation fisca<strong>le</strong><br />

<strong>Les</strong> criminels organisés n’ont pas choisi par hasard <strong>le</strong> secteur de l’immobilier qui, en<br />

France, bénéficie du principe de la représentation fisca<strong>le</strong>.<br />

LA FRANCE ACCEPTE DE NE PAS CONNAITRE LE PROPRIETAIRE D’UN BIEN<br />

IMMOBILIER<br />

Mme Eva JOLY: En France, nous tolérons de ne pas connaître <strong>le</strong>s propriétaires d’un bien<br />

immobilier. Le système dit « de représentation fisca<strong>le</strong> » permet de ne pas déclarer que vous êtes<br />

propriétaire d’un immeub<strong>le</strong> : il vous suffit d’acquitter un impôt forfaitaire de 3 % de la va<strong>le</strong>ur du bien<br />

et l’on ne cherche pas à connaître votre nom.<br />

Extrait de l’audition de Mme Eva Joly, juge d’instruction, devant la Mission, <strong>le</strong> 9 mai 2000.<br />

Cette taxe de 3 % prévue notamment par l’artic<strong>le</strong> 164 C du code général des impôts<br />

représente <strong>le</strong> prix, très abordab<strong>le</strong>, de l’anonymat et <strong>le</strong> problème se pose avec une acuité<br />

particulière lorsque cette facilité est exploitée par <strong>le</strong>s SCI monégasques.<br />

* Le recours aux sociétés civi<strong>le</strong>s immobilières<br />

La très grande majorité des sociétés civi<strong>le</strong>s immobilières (SCI) se constituent à des<br />

fins de transmission patrimonia<strong>le</strong>, afin de bénéficier d’une fiscalité allégée.<br />

<strong>Les</strong> SCI sont immatriculées au registre du commerce depuis 1978 ce qui n’était pas <strong>le</strong><br />

cas pour c<strong>el<strong>le</strong>s</strong> constituées antérieurement; <strong>el<strong>le</strong>s</strong> doivent déposer <strong>le</strong>urs statuts au moment de<br />

<strong>le</strong>ur constitution et, chaque année, déposer une déclaration fisca<strong>le</strong>.<br />

<strong>Les</strong> notaires estiment recevoir environ 85 % des actes concernant <strong>le</strong>s SCI, mais<br />

malheureusement, ce sont <strong>le</strong>s 15 % restants qui sont potentiel<strong>le</strong>ment des vecteurs de<br />

blanchiment.<br />

Il faut en effet rappe<strong>le</strong>r que la constitution d’une SCI est dispensée de l’acte<br />

authentique et peut se faire sans avoir à passer par un notaire et que la cession de parts d’une<br />

SCI permet très faci<strong>le</strong>ment de transférer la propriété du capital en l’absence de tout contrô<strong>le</strong><br />

public et de toute traçabilité de ces mouvements de fonds.<br />

LA FRANCE EST VULNERABLE AU BLANCHIMENT DU FAIT DES SCI<br />

M. Jean-Paul DECORPS: Une SCI peut se constituer avec des hommes de pail<strong>le</strong> ; <strong>le</strong>s cessions de<br />

parts qui se dérou<strong>le</strong>nt ensuite sont des cessions en blanc, des sortes de bons au porteur – donc<br />

anonymes. Le cédant inscrit son nom, <strong>le</strong> cessionnaire est en blanc, on lui remet <strong>le</strong> document et <strong>le</strong>s<br />

virements se font par des paradis fiscaux ; de ce fait plus aucun contrô<strong>le</strong> n’est exercé. Des immeub<strong>le</strong>s<br />

de plusieurs millions de francs sont ainsi cédés sur la Croisette, la Promenade des Anglais ou <strong>le</strong>s<br />

Champs-Elysées.<br />

Ces mécanismes de blanchiment sont de surcroît source de fraude fisca<strong>le</strong> puisque aucun droit n’est<br />

perçu alors que des millions de francs sont transmis et de détournement de la loi car, dans ce cas, il<br />

est fait fi des droits de préemption des col<strong>le</strong>ctivités, des locataires, et de la législation immobilière<br />

concernant la superficie, l’amiante, etc.<br />

50


La France est un pays vulnérab<strong>le</strong>, s’agissant de l’immobilier, essentiel<strong>le</strong>ment du fait des SCI. Par<br />

ail<strong>le</strong>urs, il est sans doute plus agréab<strong>le</strong> de vivre sur <strong>le</strong>s bords de la Méditerranée qu’au fin fond du<br />

Danemark ou en Al<strong>le</strong>magne du nord !<br />

Extrait de l’audition de M. Jean-Paul Decorps du 27 octobre 1999.<br />

La facilité avec laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s bénéficiaires réels d’un bien ou d’un investissement<br />

immobilier peuvent camouf<strong>le</strong>r <strong>le</strong>ur identité, en cédant non pas <strong>le</strong> bien lui-même mais des parts<br />

de SCI, est systématiquement utilisée par <strong>le</strong>s délinquants. Le premier obstac<strong>le</strong> est celui de<br />

l’identification.<br />

Il va sans dire, dans ces conditions, que l’établissement de l’identité du véritab<strong>le</strong><br />

propriétaire nécessite des mois ou des années de travail pour <strong>le</strong>s magistrats instructeurs, dès<br />

lors qu’une procédure judiciaire est engagée et, malgré cela, il n’est pas certain que <strong>le</strong>s<br />

commissions rogatoires qui sont lancées puissent aboutir.<br />

LES BLANCHISSEURS CAMOUFLENT LEUR IDENTITE DERRIERE DES SCI OU DES<br />

SOCIETES ETRANGERES<br />

Il n'y a pas une personne qui compte dans la région qui soit propriétaire du bien immobilier où el<strong>le</strong><br />

vit. Tout cela est toujours masqué derrière une société, une Anstalt, un trust ou une société fiduciaire<br />

en Suisse. Le premier obstac<strong>le</strong> est que l'on ne peut plus identifier, sauf à mener une enquête, fouillée et<br />

diffici<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s propriétaires des biens immobiliers<br />

Extrait de l’audition de M. Philippe Dorcet, juge d’instruction au Tribunal de grande instance de<br />

Nice, devant la Mission, <strong>le</strong> 9 mai 2001.<br />

A ces facilités de <strong>fonctionnement</strong> et de constitution des SCI, s’ajoute éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> fait<br />

qu’avant 1978, il n’existait pas, pour ces sociétés, d’obligation d’immatriculation au registre<br />

du commerce. En conséquence, il y avait, selon <strong>le</strong>s estimations faites par <strong>le</strong>s notaires euxmêmes,<br />

environ 300000 sociétés non immatriculées, constituées avant 1978, qui n’étaient<br />

référencées ni au registre du commerce, ni à celui des sociétés, ni à l’INSEE, ni au registre<br />

SIREN.<br />

Ces sociétés « coquil<strong>le</strong>s vides » sont toujours extrêmement recherchées par <strong>le</strong>s<br />

spécialistes du blanchiment qui n’hésitent pas à démarcher <strong>le</strong>s professionnels.<br />

La proposition du Procureur général au Tribunal de grande instance de Nice, Eric de<br />

Montgolfier, est de rendre obligatoire la production de justificatifs de l’origine des fonds<br />

lorsque l’achat immobilier atteint un certain montant.<br />

LE MARCHE IMMOBILIER DE LA COTE D’AZUR ME LAISSE PERPLEXE<br />

M. Eric de MONTGOLFIER: Le marché immobilier de la Côte d’Azur me laisse perp<strong>le</strong>xe. On y voit<br />

des propriétés extraordinaires. Le législateur ne pourrait-il pas imposer quelques précautions qui, au<br />

demeurant, existent déjà dans <strong>le</strong> domaine des sociétés. Certaines règ<strong>le</strong>s devraient être imposées. Par<br />

exemp<strong>le</strong>, rendre obligatoire la production de justificatifs à partir du paiement d’une certaine somme.<br />

Car je constate qu’en matière fisca<strong>le</strong>, nous arrivons toujours trop tard.Il faut mettre au point un<br />

système un peu simpliste, certes pas très libéral. Mais <strong>le</strong> libéralisme et la délinquance financière, ne<br />

l’oublions pas, constituent un coup<strong>le</strong> infernal. Pourquoi attendre que <strong>le</strong> mal se produise ? Pourquoi<br />

ne pas prendre des précautions ?<br />

Extrait de l’entretien du Rapporteur avec M. Eric de Montgolfier du 11 juil<strong>le</strong>t 2000.<br />

La région du sud-est apparaît donc comme fortement perméab<strong>le</strong> et exposée aux<br />

infiltrations délinquantes. Or, c’est dans ce contexte fragi<strong>le</strong> que l’on constate, de surcroît, de<br />

graves dys<strong>fonctionnement</strong>s de l’institution judiciaire.<br />

51


3) Des institutions judiciaires affaiblies<br />

« La difficulté à travail<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong> sud-est est réel<strong>le</strong>. Je l’ai ressentie… C’est un climat.<br />

Ce sont des petites choses qui font que, parfois, vous n’avez pas d’explications – rationn<strong>el<strong>le</strong>s</strong>,<br />

logiques ou juridiques – sur la conduite d’un dossier. C’est ce que j’appel<strong>le</strong> ma difficulté à<br />

travail<strong>le</strong>r. » (Isabel<strong>le</strong> Arnal, entretien avec <strong>le</strong> Rapporteur, <strong>le</strong> 20 juin 2001).<br />

Ces propos traduisent <strong>le</strong> climat de malaise profondément ressenti par un certain nombre de<br />

magistrats du siège comme du Parquet.<br />

Le <strong>fonctionnement</strong> de l’institution judiciaire dans la région du sud-est, confrontée à<br />

une très forte délinquance financière, pâtit d’une absence de politique péna<strong>le</strong> claire définissant<br />

des priorités, d’une insuffisance de moyens, de surcroît mal utilisés, et de l’existence d’une<br />

magistrature trop intégrée au tissu économique, social et politique pour pouvoir exercer ses<br />

fonctions dans <strong>le</strong> respect des exigences d’impartialité et de rapidité que chaque citoyen est en<br />

droit d’attendre.<br />

a) La pénétration du sud-est par <strong>le</strong>s organisations crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong><br />

L’appartenance éventuel<strong>le</strong> de tel<strong>le</strong> ou tel<strong>le</strong> personnalité à un club, une association, une<br />

amica<strong>le</strong> quelconque ou son engagement supposé dans la franc-maçonnerie relève p<strong>le</strong>inement<br />

d’un choix personnel et ne nous intéresse en rien.<br />

En revanche, <strong>le</strong> fait que de t<strong>el<strong>le</strong>s</strong> structures se soient retrouvées possib<strong>le</strong>ment infiltrées par des<br />

organisations crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> qui, de façon délibérée, ont développé une stratégie de pénétration<br />

en y captant l’influence de personnalités représentant <strong>le</strong>s institutions de la République, mérite<br />

un examen attentif.<br />

LE CRIME ORGANISE A DECIDE D’ENTRER EN MAÇONNERIE<br />

M. Philippe DORCET : J'ai appris, en discutant, de manière officieuse, avec des officiers de police<br />

judiciaire, que la mafia calabraise est organisée selon un régime de loges – <strong>le</strong>s cosche. Dans <strong>le</strong>s<br />

Alpes-Maritimes, sept cosche sont établies, la cosca mère étant à Juan-<strong>le</strong>s-Pins, et dépendent toutes<br />

de la cosca de Vintimil<strong>le</strong>. Enzo Ciconte 2 cite trois raisons pour <strong>le</strong>squ<strong>el<strong>le</strong>s</strong> <strong>le</strong> crime organisé a décidé<br />

d'entrer en maçonnerie : intégrer <strong>le</strong> tissu économique local, avoir des liens au sein des institutions et<br />

approcher <strong>le</strong>s magistrats. […]<br />

[…] Ce n'est pas la franc-maçonnerie qui est en cause, mais je pense qu'à un moment donné, el<strong>le</strong> a été<br />

un réseau décisif où se sont croisées, à l’abri du secret, des personnes venant d'horizons très<br />

différents.Tout ce mixage entre gens qui n’avaient pas tous <strong>le</strong> souci de l’intérêt commun, a pu<br />

favoriser, à un moment donné, des dérapages importants.<br />

Extrait de l’audition de M. Philippe Dorcet du 9 mai 2001.<br />

Ainsi, l’existence, à Nice, de relations socia<strong>le</strong>s parallè<strong>le</strong>s qui se sont instaurées, par<br />

exemp<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong> cadre de certaines loges maçonniques où se côtoient, se fréquentent et<br />

s’entraident un certain nombre de personnes que tout devrait opposer dans la société civi<strong>le</strong>,<br />

entrave <strong>le</strong> <strong>fonctionnement</strong> régulier des institutions de la République.<br />

L’ancien directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes, M. Alain Bertaux, s’est<br />

montré troublé par l’issue très favorab<strong>le</strong> qu’ont pu connaître certains dossiers fiscaux qui<br />

méritaient, à l’évidence, un autre sort que l’abandon des poursuites.<br />

52


POUR DES RAISONS INCOMPREHENSIBLES, DES PROCEDURES FISCALES<br />

N’ABOUTISSENT PAS<br />

M. Alain BERTAUX: Il est un fait patent, c'est que dans un certain nombre de cas, on se demande<br />

véritab<strong>le</strong>ment pourquoi certaines décisions d'abandon pur et simp<strong>le</strong> de procédures qui, fisca<strong>le</strong>ment,<br />

tenaient la route, ont été prises. […]<br />

<strong>Les</strong> agents – <strong>le</strong>s vérificateurs et <strong>le</strong>ur chef de brigade – qui se sont investis dans <strong>le</strong>s contrô<strong>le</strong>s se posent<br />

des questions et se demandent pourquoi, sur des dossiers qui sont fisca<strong>le</strong>ment bouclés, ils reçoivent<br />

l'ordre de dégrever tota<strong>le</strong>ment. Je pense à une affaire qui a été traitée notamment par M. Jean-Paul<br />

Biancamaria, dans laquel<strong>le</strong> il y a eu une tentative de corruption en cours de vérification, <strong>le</strong> prix à<br />

payer était de 10<br />

% du montant de la notification de redressement qui était de 40 millions de francs. On a donc offert à<br />

M. Biancamaria 4 millions de francs pour abandonner la procédure !<br />

M. <strong>le</strong> Rapporteur : M. Biancamaria, vous pouvez confirmer ces faits ?<br />

M. Jean-Paul BIANCAMARIA : Absolument.<br />

M. <strong>le</strong> Rapporteur : Qui était <strong>le</strong> contribuab<strong>le</strong> ?<br />

M. Jean-Paul BIANCAMARIA : Une SCI. En cours de vérification.<br />

Extrait de l’audition de M. Alain Bertaux, accompagné de M. Jean-Paul Biancamaria, <strong>le</strong> 14 juin<br />

2001.<br />

A Nice « où <strong>le</strong> monde des voyous côtoie souvent celui des honnêtes gens » la réalité est<br />

diffici<strong>le</strong> à appréhender.Comme <strong>le</strong> déclare M. Eric de Montgolfier « A Nice, <strong>le</strong> maitre mot<br />

est arrangement ». [Annexe5]<br />

L’affaire dite du juge Renard illustre parfaitement cette dérive de l’institution<br />

judiciaire dont certains « dignes représentants » détournent la finalité en se servant de<br />

l’autorité qui <strong>le</strong>ur est conférée à des fins partisanes qui n’ont plus rien à voir avec la défense<br />

de l’intérêt public commun.<br />

Il a en effet été reproché au doyen des juges d’instruction de Nice, membre jusqu’il y a<br />

peu, de la Grande Loge nationa<strong>le</strong> de France (GLNF), qui a admis <strong>le</strong>s faits, d’avoir fait établir<br />

un re<strong>le</strong>vé intégral des fiches de casier judiciaire en attribuant faussement cette demande à des<br />

dossiers en cours et d’avoir transmis ces informations concernant une trentaine de postulants à<br />

la GLNF. [Annexe 6]<br />

Le Conseil supérieur de la magistrature s’est fina<strong>le</strong>ment prononcé pour une simp<strong>le</strong> «<br />

réprimande » avec inscription au dossier, alors que la Chancel<strong>le</strong>rie avait demandé <strong>le</strong><br />

déplacement d’office du juge d’instruction niçois.<br />

Alors que l’intéressé a reconnu <strong>le</strong>s faits et que <strong>le</strong> Conseil supérieur de la magistrature a<br />

considéré que <strong>le</strong> juge Renard a fraudu<strong>le</strong>usement utilisé <strong>le</strong>s pouvoirs qu’il tenait de ses<br />

fonctions, comment ne pas s’interroger sur <strong>le</strong> sens d’une tel<strong>le</strong> décision de clémence. Cel<strong>le</strong>-ci<br />

manifeste, au mépris de la réalité des faits à sanctionner, la volonté de protéger <strong>le</strong>s intérêts<br />

particuliers de certains représentants de la magistrature aux dépens de la justice républicaine.<br />

On ne déplorera jamais assez, au vu de décisions de ce genre, l’échec de la réforme<br />

visant à modifier profondément la composition du Conseil supérieur de la magistrature.<br />

Cette instance, à l’évidence, n’a pas été insensib<strong>le</strong> à l’intervention favorab<strong>le</strong> de M.<br />

Yves Le Bourdon, Président de la Chambre d’accusation d’Aix-en-Provence.<br />

53


JE SUIS ALLE DIRE AU CONSEIL SUPERIEUR DE LA MAGISTRATURE QUE L’ON<br />

FAISAIT UN MAUVAIS PROCES AU JUGE RENARD<br />

M. Yves LE BOURDON : […] Je suis allé <strong>le</strong> défendre sur <strong>le</strong> problème de la suspension provisoire,<br />

car je pense que l’on a voulu créer une situation, comme je l’explique dans ce que j’ai dit devant <strong>le</strong><br />

CSM, qui n’aurait pas dû se présenter dans <strong>le</strong>s termes dans <strong>le</strong>squels on l’a présentée.<br />

Dans mon rô<strong>le</strong> de président de chambre de l’instruction, je suis allé dire au CSM que l’on était en<br />

train de faire un mauvais procès à un juge qui a peut-être failli personnel<strong>le</strong>ment mais qui, pour ce qui<br />

est des procédures que j’ai pu voir, avait travaillé tout à fait norma<strong>le</strong>ment. Il me paraît être un<br />

magistrat tout à fait compétent, et ce n’est pas moi qui <strong>le</strong> dit, ce sont tous <strong>le</strong>s présidents de chambre de<br />

l’instruction qui m’ont précédé depuis des années et, il a, me semb<strong>le</strong>-t-il, été désigné à la vindicte<br />

publique d’une manière tout à fait anorma<strong>le</strong>.[…]<br />

C’est une procédure que je n’accepte pas en tant que magistrat président de la chambre de<br />

l’instruction et eu égard, en plus, à ce que l’on faisait à M. Renard, car qu’il ait péché éventuel<strong>le</strong>ment,<br />

et même certainement puisqu’il est sanctionné, mais qu’on <strong>le</strong> traîne publiquement et de manière<br />

répétée dans la boue, ce n’est pas supportab<strong>le</strong>.[…]<br />

Extrait de l’entretien avec M. Yves Le Bourdon, Président de la Chambre d’accusation d’Aix-en-<br />

Provence, <strong>le</strong> 28 février 2002.<br />

Ces appréciations personn<strong>el<strong>le</strong>s</strong> du Président de la Chambre d’accusation d’Aix-en-<br />

Provence, à propos du juge Jean-Paul Renard, sont pourtant lourdement contredites par<br />

d’autres magistrats.<br />

On constatera que, par cette surprenante décision, M. Jean-Paul Renard, dont<br />

l’essentiel de la carrière s’est déroulé ces dernières années entre Nice et Grasse, conserve son<br />

poste de doyen des juges d’instruction et se voit conforter dans son implantation loca<strong>le</strong>, ce qui<br />

est inacceptab<strong>le</strong>. Une réforme de la composition du CSM est à imposer d’urgence.<br />

54


) L’inamovibilité pernicieuse des magistrats dans <strong>le</strong> sud-est<br />

Dans <strong>le</strong>s petits territoires géographiques (tel que Monaco ou <strong>le</strong> Liechtenstein),on<br />

remarque un obstac<strong>le</strong> constitué, dans ces univers clos, par la très grande proximité entre<br />

responsab<strong>le</strong>s économiques, responsab<strong>le</strong>s politiques et autorités judiciaires dont <strong>le</strong>s<br />

représentants ne se renouvel<strong>le</strong>nt pas.Le sud-est de la France, depuis des décennies, reproduit<br />

cette réalité puisque <strong>le</strong> dérou<strong>le</strong>ment, pendant trente ans dans cette même région, de la carrière<br />

de nombreux magistrats, place de fait ces derniers dans un rapport de proximité, voire de<br />

familiarité, avec l’ensemb<strong>le</strong> des personnalités économiques ou politiques loca<strong>le</strong>s.<br />

Des voix se sont é<strong>le</strong>vées contre ce principe d’inamovibilité qui place in fine en porte à<br />

faux <strong>le</strong>s magistrats face aux justiciab<strong>le</strong>s.La mobilité exigée partout ail<strong>le</strong>urs des magistrats<br />

pour progresser dans <strong>le</strong>ur carrière n’est pas nécessaire dans la région du midi.<br />

Cet aspect est particulièrement préoccupant et constitue un élément objectif qui paralyse <strong>le</strong><br />

<strong>fonctionnement</strong> normal de l’institution judiciaire.<br />

A cet égard, <strong>le</strong> Midi, et plus particulièrement la région niçoise, ont une spécificité, cel<strong>le</strong> des<br />

carrières au long cours.<br />

Une simp<strong>le</strong> observation de la carrière des magistrats niçois ou toulonnais suffit pour se<br />

rendre compte que <strong>le</strong>ur mobilité est quasiment nul<strong>le</strong>.<br />

Certes, <strong>le</strong> climat est agréab<strong>le</strong> mais pour réaliser ce tour de force, il faut des appuis<br />

politiques. Il faut, pour cela, avoir rendu bien sûr des services et, surtout, ne pas avoir montré<br />

un zè<strong>le</strong> intempestif dans l’exercice de la répression. Ainsi, <strong>le</strong> temps qui se prolonge et <strong>le</strong>s<br />

relations qui se nouent entre <strong>le</strong>s politiques locaux et <strong>le</strong>s magistrats, renforcent des liens qui,<br />

parfois, tournent à la collusion. Ainsi, se créent des réseaux d’influence et des échanges de<br />

bons services, avec la complicité des tribunaux de commerce, des syndics et des notab<strong>le</strong>s<br />

locaux.<br />

Ce problème a été sou<strong>le</strong>vé par <strong>le</strong> Procureur Eric de Montgolfier, dont <strong>le</strong>s<br />

interrogations de bon sens ne peuvent que gravement inquiéter quant à l’indépendance de<br />

certains magistrats sur la Côte d’Azur.<br />

JE SUIS ETONNE DU TRAIN DE VIE DE CERTAINS MAGISTRATS SUR LA COTE D’AZUR<br />

M. Eric de MONTGOLFIER: Il faut sortir d’un tel système pernicieux. Il faut en finir avec<br />

l’inamovibilité. Plus de dix ans de carrière à Nice, je ne suis pas persuadé que cela soit une bonne<br />

chose. Le système est d’autant plus corrupteur qu’il est agréab<strong>le</strong>. A tout prendre, on préfère avoir une<br />

villa avec piscine, mais il faudrait sans doute prendre quelques précautions s’agissant de certains<br />

magistrats dont <strong>le</strong>s signes extérieurs de richesse me laissent parfois songeur.<br />

M. <strong>le</strong> Rapporteur : Certains juges vivraient-ils au-dessus de <strong>le</strong>urs moyens ?<br />

M. Eric de MONTGOLFIER : Je suis étonné du train de vie de certains magistrats, en effet. Sur la<br />

côte d’Azur, une villa avec piscine, c’est très cher ! Mais peut-être nomme-t-on à Nice des gens qui<br />

disposent déjà d’une importante fortune personnel<strong>le</strong>… Quoi qu’il en soit, je crois qu’il serait uti<strong>le</strong><br />

d’examiner tous <strong>le</strong>s cinq ou six ans <strong>le</strong> train de vie de certains magistrats. <strong>Les</strong> services financiers<br />

pourraient mettre au point un plan de contrô<strong>le</strong> des ressources. Si l’on gagne au Loto, tant mieux, mais<br />

c’est faci<strong>le</strong>ment vérifiab<strong>le</strong>.<br />

Extrait de l’entretien de M. Eric de Montgolfier du 11 juil<strong>le</strong>t 2000.<br />

55


La dépendance de la carrière des magistrats à l’égard des pouvoirs économiques et<br />

politiques locaux constitue <strong>le</strong> problème de fond. Une carrière assurée sur place passerait-el<strong>le</strong><br />

inévitab<strong>le</strong>ment par « un sens de l’opportunité » des poursuites adapté à la réalité régiona<strong>le</strong> ?<br />

Comme l’a souligné M. Etienne Ceccaldi, <strong>le</strong>s dossiers qui traitent de la délinquance financière<br />

ou du blanchiment ne mettent pas en cause <strong>le</strong> délinquant lambda. Cette criminalité astucieuse<br />

est l’affaire de professionnels qualifiés et fait apparaître à un moment ou à un autre, au gré<br />

d’opérations comp<strong>le</strong>xes, une personnalité ou un notab<strong>le</strong>.<br />

Dans un contexte où notab<strong>le</strong>s, gens de pouvoir et représentants de l’autorité judiciaire<br />

entretiennent d’étroites relations, <strong>le</strong>s affaires de délinquance financière ou de blanchiment qui<br />

sortent et qui aboutissent sont des denrées rares. [Annexe 7]<br />

56


c) Une délinquance financière impunie<br />

Une première série de difficultés vient de l’absence de volonté clairement énoncée de<br />

faire de la lutte contre la délinquance financière et <strong>le</strong> blanchiment une priorité de la politique<br />

péna<strong>le</strong> dans la région et qu’une deuxième série de causes tient à l’inertie d’une partie de<br />

l’appareil judiciaire, peu empressé de voir sortir des affaires financières qui sanctionneraient<br />

des notabilités loca<strong>le</strong>s.<br />

* L’absence de priorité accordée à la lutte contre la délinquance financière<br />

Le contexte précédemment décrit conduit actuel<strong>le</strong>ment un certain nombre de<br />

magistrats à s’interroger sur l’utilité qu’il y aurait encore, dans ces conditions, à poursuivre la<br />

lutte contre la délinquance financière.<br />

La lutte contre la délinquance financière repose sur la volonté d’en faire un objectif<br />

prioritaire. En effet, à la différence des dossiers de droit commun qui arrivent, pourrait-on dire<br />

d’eux-mêmes, jusque dans <strong>le</strong>s bureaux de la justice, <strong>le</strong>s affaires de délinquance financière<br />

nécessitent d’être débusquées et demandent du temps et de l’obstination.<br />

Or, cette volonté de poursuivre en matière de délinquance financière semb<strong>le</strong> particulièrement<br />

défaillante aux dires des magistrats.<br />

Ce sentiment d’une absence de volonté d’aboutir sur <strong>le</strong>s dossiers économiques et<br />

financiers s’explique largement par la proximité, certains sont allés jusqu’à dire la collusion,<br />

entre <strong>le</strong> monde délinquant, <strong>le</strong> monde politique et celui de la justice, mais cette faib<strong>le</strong>sse du<br />

nombre des poursuites et des affaires qui sortent, résulte aussi d’un manque de moyens<br />

adaptés pour lutter contre cette délinquance astucieuse qui fait véritab<strong>le</strong>ment appel à des<br />

compétences techniques.<br />

* Des moyens insuffisants<br />

NOUS FINISSONS PAR NOUS DEMANDER SI UN TEL DENUEMENT DE MOYENS N’EST<br />

PAS VOLONTAIRE<br />

Cela fait de nombreuses années – bientôt douze ans en ce qui me concerne – que nous attirons<br />

l’attention sur cette difficulté, sans être vraiment entendus. Cela nous désespère et nous amène parfois<br />

à nous demander si ce n’est pas volontairement qu’on nous laisse dans un tel dénuement de moyens.<br />

D’autant que cela se répercute sur <strong>le</strong>s services de police qui connaissent <strong>le</strong>s mêmes problèmes<br />

d’effectifs.<br />

Cela aboutit à la situation actuel<strong>le</strong> à Grasse où chaque juge doit avoir plus de 220 dossiers en stock,<br />

c’est-à-dire parfois <strong>le</strong> trip<strong>le</strong> de ce qui est constaté sur <strong>le</strong> territoire national en moyenne. Non<br />

seu<strong>le</strong>ment, nous avons du mal à traiter dans des délais raisonnab<strong>le</strong>s nos procédures, mais nous<br />

devons parfois abandonner certaines prérogatives aux enquêteurs auxquels nous délivrons des<br />

commissions rogatoires sur <strong>le</strong>squ<strong>el<strong>le</strong>s</strong> nous avons peu de contrô<strong>le</strong>.<br />

Extrait de l’entretien du Rapporteur avec M. Jean-Pierre Murciano, juge d’instruction, <strong>le</strong> 20 mai<br />

2000 à Nice.<br />

57


Deux points sont particulièrement signalés par <strong>le</strong>s magistrats en poste dans <strong>le</strong> midi,<br />

celui des moyens de la police judiciaire et celui des assistants spécialisés.<br />

Ainsi, Marc Cimamonti, Procureur adjoint au Parquet de Marseil<strong>le</strong>, a souligné la<br />

difficulté d’obtenir, dans <strong>le</strong>s conditions de rapidité exigées par <strong>le</strong>s investigations en matière<br />

financière, <strong>le</strong> concours des officiers de police judiciaire.<br />

Interrogé précisément sur l’évaluation des besoins en OPJ, Marc Cimamonti a estimé<br />

qu’il faudrait une augmentation de 30 à 40 % des effectifs des OPJ pour enc<strong>le</strong>ncher des<br />

enquêtes d’initiative, faire des recoupements entre délinquance financière et criminalité<br />

organisée, s’intéresser aux agissements financiers de certaines personnes, etc.<br />

Ce manque de moyens et d’effectifs, soulève <strong>le</strong> problème de l’appréciation effective<br />

de la charge de travail des services de police judiciaire et du risque d’un transfert de<br />

prérogatives des magistrats au profit des Officiers de police judiciaire (OPJ).<br />

Cette question de l’arbitrage à effectuer entre <strong>le</strong>s différentes missions de la police<br />

judiciaire – police de proximité, police financière, etc. – se pose d’une façon généra<strong>le</strong> qui<br />

dépasse <strong>le</strong> cadre géographique du sud-est. Néanmoins, ce problème prend ici une dimension<br />

particulière, compte tenu de l’existence dans cette région d’une criminalité économique et<br />

financière importante.<br />

C’est cette nécessité d’opérer un choix qu’a soulignée <strong>le</strong> procureur Eric de<br />

Montgolfier, qui considère d’une part que la délinquance financière, compte tenu de ses<br />

caractéristiques, ne peut être correctement traitée dans <strong>le</strong>s petites juridictions et, d’autre part,<br />

requiert l’assistance d’experts spécialisés en plus grand nombre, malgré l’avancée que<br />

constitue la création des pô<strong>le</strong>s économiques et financiers.<br />

« A Nice, en particulier, la situation est pire que tout, alors que l’attente de la population en matière<br />

de justice, on <strong>le</strong> sent bien, est très forte. Pour ma part, je ne vois pas comment la satisfaire sans<br />

compromettre une branche d’activité. Actuel<strong>le</strong>ment, la justice consiste à faire des choix de pénurie :<br />

faut-il ne plus s’occuper de la petite délinquance ? Faut-il abandonner <strong>le</strong> traitement de la délinquance<br />

financière ? En fait, cel<strong>le</strong>-ci n’est pas traitée dans <strong>le</strong>s petites juridictions qui n’en ont pas <strong>le</strong>s moyens.<br />

La délinquance financière, ne l’oublions pas, demande du temps, des compétences et suffisamment de<br />

fonctionnaires.<br />

S’agissant des magistrats, chacun se plaint de ne pas en avoir assez – c’est souvent vrai. Par contre,<br />

ce qui est incontestab<strong>le</strong>, c’est que <strong>le</strong> traitement de la délinquance économique et financière manque<br />

singulièrement d’assistants.<br />

Nous avons donc besoin de gens compétents, de gens qui pourraient être détachés du Trésor ou des<br />

services fiscaux. […]<br />

Notre attention peut être attirée aussi sur <strong>le</strong>s structures de contrô<strong>le</strong> qui interviennent en<br />

amont de l’institution judiciaire. Le procureur Marc Cimamonti a ainsi rappelé l’importance<br />

des marchés publics dans <strong>le</strong>s affaires financières que <strong>le</strong>s magistrats du sud-est sont amenés à<br />

traiter. Il a indiqué par exemp<strong>le</strong> que <strong>le</strong> bureau de contrô<strong>le</strong> de légalité de la préfecture des<br />

Bouches-du-Rhône ne disposait, en l’an 2000, que de cinq fonctionnaires seu<strong>le</strong>ment pour<br />

analyser et décortiquer environ 5 000 marchés publics.<br />

Dans ces conditions, il est très diffici<strong>le</strong>, voire quasiment impossib<strong>le</strong>, d’étudier correctement la<br />

passation de ces marchés et d’informer, <strong>le</strong> cas échéant, <strong>le</strong> procureur, sur la base de l’artic<strong>le</strong> 40<br />

du code de procédure péna<strong>le</strong>, de tout fait susceptib<strong>le</strong> de constituer une infraction.Ajoutés <strong>le</strong>s<br />

uns aux autres, ces différents éléments du puzz<strong>le</strong> créent une situation insatisfaisante dans<br />

laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s institutions de la République peinent à fonctionner correctement.<br />

58


d) Une situation judiciaire très dégradée<br />

Le mélange de facteurs structurels – manque de moyens et d’effectifs, nécessité<br />

d’arbitrage entre <strong>le</strong>s objectifs de la police péna<strong>le</strong>, etc. – et de facteurs régionaux – absence de<br />

mobilité des magistrats, proximité des relations socia<strong>le</strong>s, présence de réseaux structurés, etc. –<br />

a pour résultat de faire du sud-est de la France une région où la criminalité économique et<br />

financière et <strong>le</strong> blanchiment bénéficient d’une quasi impunité.<br />

L’information est insuffisante et mal coordonnée, <strong>le</strong> temps manque aux magistrats<br />

pugnaces, à moins que la hiérarchie judiciaire ne décide el<strong>le</strong>-même de dessaisir tel juge, trop<br />

obstiné, du traitement d’une affaire financière quelque peu délicate ou politiquement sensib<strong>le</strong>.<br />

Inversement, ceux qui préfèrent éluder <strong>le</strong>s problèmes jouent à loisir des délais dont ils<br />

disposent, au point même que certains dossiers acquièrent la faculté de disparaître.<br />

* <strong>Les</strong> dossiers s’enlisent<br />

En matière judiciaire, <strong>le</strong>s ressources ne manquent pas pour faire traîner <strong>le</strong>s affaires en<br />

longueur et cette stratégie est fréquemment utilisée.<br />

Le Procureur Eric de Montgolfier a éga<strong>le</strong>ment fait état d’une prescription d’action<br />

concernant Anthony Tannouri, escroc local, objet de maintes poursuites judiciaires et<br />

actuel<strong>le</strong>ment en fuite.<br />

PENDANT QUATRE ANS, LE DOSSIER N’AVAIT CONNU AUCUNE ACTIVITE<br />

M. Eric de MONTGOLFIER: Cet escroc international avait en effet réussi à construire illéga<strong>le</strong>ment<br />

une villa du côté du Cap d’Antibes qui empiétait sur <strong>le</strong> domaine public. Or à la fin de l’année 1999,<br />

j’ai découvert que nous avions ouvert un dossier qui, pendant quatre ans, n’avait connu aucune<br />

activité. Je décide d’en savoir plus. Le procureur général me demande alors d’interroger <strong>le</strong> magistrat<br />

chargé du dossier. Celui-ci m’affirme qu’il n’arrive pas à expliquer cette situation, alors que dans <strong>le</strong><br />

même temps, <strong>le</strong> maire qui avait déposé plainte m’affirme qu’il a insisté à de multip<strong>le</strong>s reprises pour<br />

que l’affaire avance. Mais il est vrai que dans cette histoire, <strong>le</strong> procureur était âgé et à la veil<strong>le</strong> de la<br />

retraite…<br />

Extrait de l’entretien de M. Eric de Montgolfier du 11 juil<strong>le</strong>t 2000.<br />

A l’évidence, Anthony Tannouri aurait fait l’objet d’un traitement de faveur de la part<br />

de certaines autorités judiciaires.<br />

Aujourd’hui, Anthony Tannouri continue d’alimenter la chronique judiciaire loca<strong>le</strong>.<br />

On vient aussi d’apprendre que Maître Michel Cardix aurait servi de banquier à Anthony<br />

Tannouri et se trouve désormais mis en examen pour blanchiment.<br />

ANTHONY TANNOURI, UN ESCROC PROTEGE PAR LE MONDE JUDICIAIRE<br />

En 1998, <strong>le</strong> juge niçois Jean-Pierre Ferry estimait, dans un jugement, que l’homme d’affaires francolibanais,<br />

alors condamné pour fraude fisca<strong>le</strong> (il devait 124 465 912 francs au fisc), pouvait bénéficier<br />

d’une semi-liberté, au motif qu’il « appartient à une race, au sens nob<strong>le</strong> de ce terme, pour laquel<strong>le</strong> la<br />

« paro<strong>le</strong> donnée » revêt une importance quasireligieuse ; qu’au surplus, homme d’affaires<br />

international, Tannouri ne peut se permettre, dans ce monde des financiers internationaux où la<br />

confiance revêt une importance capita<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s rapports commerciaux, de donner l’image d’un<br />

renégat ». On sait ce qu’il advint de la paro<strong>le</strong> de Tony <strong>le</strong> Magnifique, en fuite depuis 1998. A ce jour,<br />

l’homme comptabiliserait treize condamnations, notamment pour escroquerie ; <strong>le</strong> fisc n’a récupéré<br />

qu’un centième des 44 millions d’euros qu’il lui réclame. […]<br />

59


Ouverte fin 1997 chez <strong>le</strong> juge Jean-Pierre Rousseau, l’instruction montre que certains chèques de<br />

Caprotti à Tannouri ont atterri sur <strong>le</strong> compte Carsan de Maître Cardix, compte établi au nom du<br />

frère, Icham.<br />

Avec ce compte norma<strong>le</strong>ment réservé à des actes liés à des procédures judiciaires, Maître Cardix a<br />

payé une Ferrari (officiel<strong>le</strong>ment destinée à Icham), une facture de bijouterie, des notes d’EDF et<br />

d’eau et, surtout, <strong>le</strong> rachat en sous-main, par Anthony Tannouri, de sa villa de Cap-d’Ail.<br />

Vendue aux enchères <strong>le</strong> 26 septembre 1996 pour 15,3 millions de francs, à la demande des créanciers<br />

désireux de récupérer un peu d’argent, la Colombe est rachetée, dix mois plus tard, et pour 4 millions<br />

de francs de plus, par Anthony Tannouri, via une SCI montée par son avocat libanais et son beaufrère.<br />

« Oui, j’ai payé [ce rachat], et sur instruction d’Anthony Tannouri, reconnaît Maître Cardix. Je<br />

n’ai jamais essayé de dissimu<strong>le</strong>r ça. »<br />

Artic<strong>le</strong> de Michel Henry dans Libération, du 7 mars 2002.<br />

Par des « hasards heureux », certains passent ainsi au travers des mail<strong>le</strong>s du fi<strong>le</strong>t de la<br />

justice qui sé<strong>le</strong>ctionne <strong>le</strong>s informations où <strong>le</strong>s personnes qui feront ou non l’objet de<br />

poursuites.<br />

Le traitement très « personnalisé » des dossiers financiers se révè<strong>le</strong> assez efficace, mais la<br />

solution plus radica<strong>le</strong> du dossier perdu est éga<strong>le</strong>ment très en usage dans <strong>le</strong>s Alpes-Maritimes.<br />

* <strong>Les</strong> dossiers se perdent<br />

L’activité judiciaire dans <strong>le</strong> sud-est et plus spécia<strong>le</strong>ment dans la région de Nice, outre<br />

qu’el<strong>le</strong> est particulièrement intense, est éga<strong>le</strong>ment riche en rebondissements. Parmi <strong>le</strong>s<br />

événements notab<strong>le</strong>s concernant <strong>le</strong>s affaires de délinquance financière, on peut citer la<br />

disparition des dossiers qui se révè<strong>le</strong> être une pratique relativement courante dans cette<br />

contrée. La disparition des dossiers jusqu’à l’arrivée à Nice du Procureur général Eric de<br />

Montgolfier en 1999, apparaît comme une technique d’autant plus utilisée que <strong>le</strong>s travaux<br />

entrepris au tribunal ont permis de justifier cette fâcheuse situation.<br />

Le juge Philippe Dorcet a confirmé qu’il avait été obligé de reconstituer entièrement un<br />

dossier qui s’était perdu entre <strong>le</strong> bureau du Président du tribunal et <strong>le</strong> sien. [Annexe 8]<br />

Aujourd’hui, la décision de placer <strong>le</strong>s dossiers sensib<strong>le</strong>s dans un coffre-fort évitera, il<br />

faut l’espérer, ce genre de désagrément.<br />

Répartir <strong>le</strong>s dossiers entre tel ou tel magistrat relève, à Nice, de la compétence du Président du<br />

tribunal. Or, s’il existe des critères objectifs d’attribution – un juge des mineurs n’instruira pas<br />

un dossier de délinquance financière – il y a aussi un réel pouvoir d’appréciation.<br />

Si d’aventure, tel ou tel magistrat se révè<strong>le</strong> ne pas convenir aux yeux de sa hiérarchie,<br />

il est toujours possib<strong>le</strong> de <strong>le</strong> dessaisir.<br />

60


* Des dessaisissements inhabituels<br />

A l’opposé de la stratégie de l’enlisement et de l’inertie pratiquée par certains juges<br />

d’instructions, existe aussi à l’encontre de magistrats plus pugnaces, qui se plaignent au<br />

contraire du manque de temps à consacrer aux dossiers financiers, la pratique du<br />

dessaisissement dont <strong>le</strong> juge d’instruction Jean-Pierre Murciano a fait l’objet à de multip<strong>le</strong>s<br />

reprises. [Annexe 9]<br />

La multiplication de ces incidents dans un contexte économique ouvert à la pénétration<br />

des capitaux d’origine criminel<strong>le</strong> ne peut qu’aboutir à la mise en échec de la lutte contre la<br />

délinquance financière et <strong>le</strong> blanchiment des capitaux dans la région du sud-est de la France.<br />

« Je vous ai parlé du <strong>fonctionnement</strong> de la justice à Nice. Aucun juge digne de ce nom ne peut<br />

pas ne pas s’inquiéter de cette situation. <strong>Les</strong> choses doivent être dites, car la mort de la démocratie,<br />

c’est <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce. Plus on par<strong>le</strong>ra, plus on aura la chance de modifier <strong>le</strong>s choses. » (Eric de Montgolfier,<br />

<strong>le</strong> 11 juil<strong>le</strong>t 2000).<br />

61


4) La Côte d'Azur, un eden pour l'argent sa<strong>le</strong><br />

Une véritab<strong>le</strong> « terre d’accueil » pour <strong>le</strong>s blanchisseurs d’argent sa<strong>le</strong> qui y opèrent<br />

dans une « quasi impunité ». C’est <strong>le</strong> constat accablant qu’a dressé jeudi <strong>le</strong> député socialiste<br />

Arnaud Montebourg pour <strong>le</strong> Sud Est de la France, en présentant <strong>le</strong> sixième et dernier rapport<br />

de l’Assemblée sur l’argent sa<strong>le</strong>, consacré cette fois à l’Hexagone. Et tout particulièrement à<br />

la Côte d’Azur, qui permet à la criminalité financière, mafia russe en tête, de recyc<strong>le</strong>r ses<br />

capitaux dans l’immobilier. Et cela grâce à un dispositif des plus opaques, <strong>le</strong>s SCI (Sociétés<br />

Civi<strong>le</strong>s Immobilières) qui permet d’acquérir dans l’anonymat et en espèces villas de luxe et<br />

autres biens immobiliers de la Riviera.<br />

a) L'invasion des nouveaux tsars: acquisitions de résidences secondaires somptueuses<br />

et dépenses exubérantes<br />

Proches d'Eltsine, amis de Poutine, anciens apparatchiks, nouveaux riches arrosent<br />

d'argent <strong>le</strong>s rives de la Grande B<strong>le</strong>ue. Un rapport de la Brigade de contrô<strong>le</strong> et de recherches<br />

des impôts dresse, pour la première fois, la liste de ces étonnants propriétaires et de <strong>le</strong>urs<br />

maisons de rêve<br />

L'église russe orthodoxe de Nice. Le fils d'un défunt archiprêtre semblait mêlé, lui, à des<br />

affaires pas très catholiques.<br />

A<strong>le</strong>xandra Feodorovna, veuve de Nicolas Ier, avait montré <strong>le</strong> chemin de la Côte<br />

d'Azur. C'était en 1857. Trois tsarévitchs et d'innombrab<strong>le</strong>s princesses, grands-ducs, comtes et<br />

comtesses lui emboîtèrent <strong>le</strong> pas. Un sièc<strong>le</strong> et demi plus tard, on assiste à un curieux remake :<br />

après <strong>le</strong>s Russes blancs, voici <strong>le</strong>s anciens rouges et l'argent noir. Lancés à la conquête de<br />

l'Ouest, <strong>le</strong>s nouveaux tsars ont, à <strong>le</strong>ur tour, choisi Nice et ses environs, comme ceux que <strong>le</strong>urs<br />

ancêtres avaient chassés du pouvoir.<br />

« L'origine des fonds employés n'est jamais parfaitement définie »<br />

Un rapport confidentiel de la Brigade de contrô<strong>le</strong> et de recherches (BCR) des impôts<br />

des Alpes-Maritimes, témoigne de l'importance et de l'ambiguïté de ce phénomène. <strong>Les</strong><br />

enquêteurs du fisc chiffrent à 230 millions d'euros <strong>le</strong>urs investissements : « Bien entendu,<br />

62


l'origine des fonds employés pour <strong>le</strong> financement de ces acquisitions n'est jamais parfaitement<br />

définie […]»<br />

Le rapport confidentiel de la Brigade de contrô<strong>le</strong> et de recherches, dans sa première<br />

partie, établit la liste, exhaustive, des propriétés, villas et appartements - rien que du haut de<br />

gamme - achetés par <strong>le</strong>s nababs venus du froid.<br />

Certains ont déjà défrayé la chronique. Comme l'homme d'affaires Boris Berezovski, 56 ans,<br />

qui s'est rendu acquéreur, par <strong>le</strong> biais de la Sarl Sifi, en décembre 1996, du château de la<br />

Garoupe et, en juil<strong>le</strong>t 1997, du Clocher de la Garoupe, deux des plus prestigieuses propriétés<br />

du Cap-d'Antibes, pour un total de 22,11 millions d'euros, d'ail<strong>le</strong>urs largement sous-estimé.<br />

« La Sifi, précisent <strong>le</strong>s enquêteurs, est contrôlée par la société de droit suisse Ovago AG, dont<br />

<strong>le</strong> président est l'avocat suisse Hans Peter Jenni. Nous savons que ce dernier préside<br />

éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> conseil d'administration de la société Forus Holding SA, sise à Luxembourg,<br />

avec à sa tête MM. Boris Berezovski et Nicolas Glouchkov. » `<br />

Après Berezovski, qui accueil<strong>le</strong> régulièrement Tatiana Datchenko, la fil<strong>le</strong> d'Eltsine, au<br />

château de la Garoupe, la deuxième « star » de la presqu'î<strong>le</strong> des milliardaires c'est Arcadi<br />

Gaydamak, mêlé aux ventes d'armes en Angola, aujourd'hui réfugié en Israël. Il a acquis, sous<br />

couvert de la société de droit luxembourgeois Palmetto, pour 8,13 millions d'euros, l'<br />

« Is<strong>le</strong>tte » située au bout du chemin de la mosquée du Cap-d'Antibes. Il s'agit de la fameuse<br />

villa Pel<strong>le</strong>rin, du nom du promoteur de la Défense qui l'a fait bâtir, avec ses 2 000 mètres<br />

carrés de construction illicite voués à la destruction.<br />

Moins connu, <strong>le</strong>ur voisin s'appel<strong>le</strong> Boris Birshtein. Né en 1947 à Vilnius (Lituanie), il<br />

possède la nationalité canadienne, comme son épouse. C'est d'ail<strong>le</strong>urs sous <strong>le</strong> nom de jeune<br />

fil<strong>le</strong> de cel<strong>le</strong>-ci que <strong>le</strong> coup<strong>le</strong> a acheté, en avril 1995, pour 1,3 million d'euros la villa la<br />

Cloute. <strong>Les</strong> enquêteurs du fisc indiquent que « Boris Birshtein développe la plus grande partie<br />

de ses activités commercia<strong>le</strong>s à partir de la Suisse où il dirige la société Seabaco AG [...] ».<br />

Si ces trois businessmen font dans la discrétion, on ne peut pas en dire autant d'un quatrième :<br />

Telman Ismaïlov, né en 1956 à Bakou (Azerbaïdjan). Heureux propriétaire, depuis juil<strong>le</strong>t<br />

1999, toujours au Cap-d'Antibes, de la villa l'Istana 5,59 millions d'euros, au patron des<br />

montres Tissot. Murs d'enceinte, allées, façades, balustrades, sols : tout est en marbre, à<br />

l'extérieur comme à l'intérieur de cette demeure hors du commun. Voilà qui n'était pas pour<br />

déplaire à son très riche acheteur, <strong>le</strong>quel ne dédaigne pas de se faire remarquer au volant de sa<br />

Bent<strong>le</strong>y décapotab<strong>le</strong> blanche.<br />

* Des regroupements par affinités<br />

Un saut de puce nous conduit à Marina Baie des Anges, cet ensemb<strong>le</strong> à l'architecture<br />

ondulante, construit « <strong>le</strong>s pieds dans l'eau », à l'intention de riches résidents. Une dizaine de<br />

Russes y ont élu domici<strong>le</strong> moyennant, chacun, de 200 000 euros à 1 million d’euro. <strong>Les</strong><br />

services spécialisés par<strong>le</strong>nt du « groupe de Vil<strong>le</strong>neuve-Loubet ». « Ces individus sont liés<br />

entre eux par des affaires qu'ils pilotent un peu partout en Europe », lit-on dans <strong>le</strong> rapport du<br />

fisc.<br />

On y retrouve Arcadi Gaydamak mais, éga<strong>le</strong>ment, Sergueï Rubinstein, né en 1971 à<br />

Odessa, qui fit partie de la quinzaine de Russes expulsés de Monaco entre 1994 et 1997. Ce<br />

qui, en application de la convention franco-monégasque, <strong>le</strong> contraignit à quitter, éga<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong><br />

63


département des Alpes-Maritimes. Domicilié à Berlin, il possède une société d'import-export<br />

largement alimentée par des sociétés russes : <strong>le</strong> rapport cite <strong>le</strong> chiffre de 9 millions de dollars.<br />

Ce que ne disent pas <strong>le</strong>s enquêteurs, c'est que Rubinstein loua, en août 1995, <strong>le</strong> voilier Club<br />

Med, ancré au large de Cannes, pour y recevoir <strong>le</strong>s 400 invités de son mariage. Coût des<br />

festivités: 1.5 millions d’euros, dont 15 000 euros uniquement pour la décoration flora<strong>le</strong>.<br />

Moins prestigieux, mais éga<strong>le</strong>ment montré du doigt, <strong>le</strong> programme Atoll Beach, en<br />

bordure du port de Saint-Laurent-du-Var, abrite quelques personnages hauts en cou<strong>le</strong>ur<br />

comme A<strong>le</strong>xandros Kazarian, né en 1951 à Tbilissi (Géorgie), qui, écrivent <strong>le</strong>s rapporteurs,<br />

« a acquis, en janvier 1996, pour <strong>le</strong> prix de 450 000 euros, auprès d'un dénommé A<strong>le</strong>xandros<br />

Pavlidis, un appartement de 200 mètres carrés. En réalité, Kazarian et Pavlidis ne seraient<br />

qu'une seu<strong>le</strong> et même personne [...] »<br />

.<br />

Rive droite du Var : <strong>le</strong>s proches d'Eltsine. Rive gauche : <strong>le</strong>s amis de Poutine<br />

On saute <strong>le</strong> Var et on arrive à Nice. Si la rive droite du f<strong>le</strong>uve est <strong>le</strong> domaine privilégié<br />

des proches d'Eltsine, la rive gauche accueil<strong>le</strong>rait, en majorité, <strong>le</strong>s amis de Poutine. Il ne faut y<br />

voir aucune symbolique politique mais, plutôt, un regroupement par affinités. Le plus<br />

prodigue est, sans conteste, un certain Sergueï Pougachev. Agé de 39 ans, ce banquier,<br />

titulaire d'un passeport diplomatique, a acheté successivement, entre mai 1997 et juin 1999,<br />

deux villas à Saint-Jean-Cap-Ferrat (1.5 et 1 millions d’euros), un cha<strong>le</strong>t à Valberg, une<br />

station de ski de l'arrière- pays niçois (210 000 euros), et <strong>le</strong> château de Gairaut, à Nice (5<br />

milllions d’euros), soit un incroyab<strong>le</strong> pacto<strong>le</strong> immobilier de 8 millions d’euros.<br />

Un autre ami de Poutine, Ilia Traber, né en 1950 à Omsk, est présenté par <strong>le</strong>s services français<br />

comme étant affilié au groupe Tambov, qui contrô<strong>le</strong>rait <strong>le</strong>s activités du port de Saint-<br />

Pétersbourg. Lui s'est contenté d'un dup<strong>le</strong>x de 1.2 millions d’euros dans une résidence de luxe<br />

du quartier résidentiel de Cimiez, à Nice. Non loin de la villa achetée 1.4 millions d’euros à<br />

un adjoint au maire de Nice, <strong>le</strong> 10 août 2001, par A<strong>le</strong>xander Pogorelski, un autre Russe marié<br />

à une Tchèque. Ici, c'est <strong>le</strong> circuit financier qui est intéressant. L'argent a afflué à Nice, en<br />

provenance, à la fois, de Moscou, de Nicosie et de Tel-Aviv, via Londres.<br />

64


Un « Yalta de la privatisation »<br />

Autre nouveau venu et, à ce titre, exempt de citation dans <strong>le</strong> rapport des contrô<strong>le</strong>urs du<br />

fisc, A<strong>le</strong>xander Sabadsh, 37 ans, lui aussi natif de Saint-Pétersbourg. Il achète, en juil<strong>le</strong>t 2001,<br />

la villa la Désirade à Saint-Jean-Cap-Ferrat, pour 10 millions d’euros payés par <strong>le</strong> biais d'une<br />

SCI dont il possède 99% des parts et son épouse, Larissa, <strong>le</strong> dernier centième.<br />

A<strong>le</strong>xeï Fedorichev, lui, est un passionné de sport. Il paie 2,3 millions d’euros par an pour que<br />

<strong>le</strong> nom de sa société - Fedcominvest - soit inscrit sur <strong>le</strong> maillot des joueurs de l'équipe de l'AS<br />

Monaco FC, pour <strong>le</strong> championnat de France de première division. Le club ne s'est pas qualifié<br />

cette année pour une coupe d'Europe, sinon la somme aurait été encore plus importante...<br />

Propriétaire d'un appartement, acheté 12,2 millions d’euros, à Monaco, et pour <strong>le</strong>quel il a<br />

dépensé 1,5 millions d’euros de travaux, A<strong>le</strong>xeï Fedorichev se présente comme <strong>le</strong> plus<br />

important producteur (en Russie, Ukraine et Lituanie) et exportateur d'engrais minéraux dans<br />

<strong>le</strong> monde. Et cela à travers deux sociétés créées dans l'î<strong>le</strong> de Man, en 1994, et à Monaco, en<br />

1996.<br />

b) Investissement dans des affaires<br />

Ces Russes rouge-blanc-noir ne sont pas seu<strong>le</strong>ment de simp<strong>le</strong>s touristes cinq étoi<strong>le</strong>s,<br />

fêtards, flambeurs et amateurs de résidences secondaires somptueuses. Dans la seconde partie<br />

du rapport confidentiel de la Brigade de contrô<strong>le</strong> et de recherches, <strong>le</strong>s limiers du fisc<br />

démontrent que bon nombre d'entre eux investissent, aussi, dans des affaires. Et cela, sans se<br />

préoccuper outre mesure de rentabilité à court terme. « D'une manière généra<strong>le</strong>, ces<br />

investissements sont réalisés dans des sociétés de services, d'import-export ou encore dans<br />

l'industrie cosmétique », écrivent-ils en préambu<strong>le</strong> à une liste... de personnages carrément<br />

douteux. Tel l'homme de confiance d'un mafieux patenté, qui recyc<strong>le</strong>rait à travers trois<br />

sociétés de négoce international, mais aussi de maçonnerie, l'argent du trafic de la drogue<br />

colombienne. Ou encore cet autre Russo-Grec, amateur de jeux de hasard, qui a réalisé 76<br />

millions de dollars pour <strong>le</strong>s cinq premiers mois de 1998 en vendant des cosmétiques dans <strong>le</strong>s<br />

pays de l'Est : « On peut se poser la question de savoir comment ces sociétés arrivent à<br />

conquérir des parts de marché auprès de populations qui ne peuvent pas se procurer <strong>le</strong>s<br />

produits de première nécessité tous <strong>le</strong>s jours. »<br />

<strong>Les</strong> Russes viennent aussi sur la Côte d'Azur simp<strong>le</strong>ment pour traiter <strong>le</strong>urs affaires<br />

dans un cadre agréab<strong>le</strong>...<br />

Témoin ces 30 voyageurs, genre hommes d'affaires en goguette, qui ont débarqué à l'aéroport<br />

de Nice en 1997, accompagnés par une quarantaine de jeunes femmes dites « de petite<br />

vertu ». Le groupe n'est pas passé inaperçu. Surtout aux yeux des policiers des<br />

Renseignements généraux, qui furent encore plus surpris de <strong>le</strong> voir se séparer à l'arrivée à<br />

Cannes : <strong>le</strong>s femmes gagnent <strong>le</strong>s palaces de la Croisette et <strong>le</strong>s hommes un yacht de 30 mètres,<br />

L'Inéké IV, qui s'en va naviguer hors des eaux territoria<strong>le</strong>s. C'est sur ce bateau que se tint, en<br />

août, ce que l'on peut appe<strong>le</strong>r « <strong>le</strong> Yalta de la privatisation ». C'est-à-dire <strong>le</strong> partage des<br />

grandes sociétés nationa<strong>le</strong>s russes rachetées à bas prix à l'Etat. Une « affaire » fêtée à grand<br />

renfort de vodka et de champagne. Entre hommes, à bord, puis dans <strong>le</strong>s chambres où ces<br />

dames attendaient <strong>le</strong> retour des nouveaux capitalistes.<br />

Photos, films, documents écrits : la police française aurait fait une moisson intéressante<br />

d'informations sur cet événement historique.<br />

65


« La stratégie de ces curieux touristes, diagnostique un commissaire de police cannois,<br />

comporte trois phases : <strong>le</strong>s investissements immobiliers comme points d'ancrage ; la mainmise<br />

sur des secteurs d'activité, grâce à des complicités loca<strong>le</strong>s, avec élimination de la concurrence<br />

par <strong>le</strong> rachat ou l'intimidation, et, pour finir, l'infiltration et <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> des institutions.<br />

La première phase est passée, la deuxième est entamée et la troisième n'est plus très<br />

éloignée. »<br />

Discrets, <strong>le</strong>s investissements russes furent d'abord des achats immobiliers effectués <strong>le</strong><br />

plus souvent en argent liquide. Au cours des dernières années, des hommes d'affaires russes se<br />

sont lancés dans la diversification. Des participations ont été prises au sein d'entreprises<br />

loca<strong>le</strong>s dans l'import-export. Pendant la période de forte croissance de la nouvel<strong>le</strong> économie,<br />

des start-up de la technopo<strong>le</strong> Sophia-Antipolis, dans l'arrière-pays niçois, ont bénéficié de<br />

l'argent russe. Aux dires de M. Bertaux, cet intérêt aurait été poussé plus loin.<br />

"On s'aperçoit que des ressortissants des pays de l'Est prennent <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> de sociétés qui<br />

sous-traitent pour des entreprises du secteur sensib<strong>le</strong> -hautes technologies, communication,<br />

armement- - on en compte une trentaine dans <strong>le</strong>s Alpes-Maritimes - afin de pénétrer <strong>le</strong> milieu<br />

et prendre connaissance d'informations confidenti<strong>el<strong>le</strong>s</strong>", indiquait-il aux par<strong>le</strong>mentaires.<br />

Selon une source policière niçoise, la préfecture transmet systématiquement au fisc <strong>le</strong>s<br />

renseignements sur <strong>le</strong>s investissements suspects. Peu de dossiers ont cependant abouti dans<br />

<strong>le</strong>s bureaux des juges d'instruction. Des signes ne laissent pas d'inquiéter <strong>le</strong>s policiers. Ils ont<br />

récemment découvert que des alliances étaient conclues entre mafieux russes et italiens. Ces<br />

derniers ont l'avantage de l'antériorité sur la Côte, et s'intéressent aussi à l'immobilier.<br />

66


3 ème partie: la véritab<strong>le</strong> « Mafia corse »<br />

L’Hexagone a aussi son propre milieu, un milieu qui prend ses racines dans la France<br />

« d’en bas »: Corse, Marseil<strong>le</strong>, Toulon.C’est un milieu qui ne cesse de s’adapter: avant <strong>le</strong><br />

voyou revendiquait sa marginalité aujourd’hui il recherche une façade de respectabilité et fait<br />

tout pour se fondre dans <strong>le</strong> paysage. Ce qui frappe <strong>le</strong>s pénalistes c’est la jeunesse du milieu.<br />

Qui sont-ils? <strong>Les</strong> policiers <strong>le</strong>s appel<strong>le</strong>nt par <strong>le</strong>ur nom de famil<strong>le</strong>. Ils disent <strong>le</strong>s «Barresi », <strong>le</strong>s<br />

« Maldera » parce que <strong>le</strong> grand banditisme est avant tout une affaire de clans et de fratries.<br />

Partout en France, il existe «un milieu» classique: braquages, jeux clandestins,<br />

machines à sous, proxénétisme, contrô<strong>le</strong> de bars et discothèques, négoce de stupéfiants. Mais<br />

dans <strong>le</strong> Midi il existe un véritab<strong>le</strong> terrain mafieux où <strong>le</strong> milieu et son entourage «tiennent» <strong>le</strong>s<br />

politiciens et se servent d’eux pour siphonner <strong>le</strong>s marchés publics. La caractéristique du<br />

milieu méridional est sa forte propension à tuer.Dans « <strong>le</strong> triang<strong>le</strong> de la mort » (de Grenob<strong>le</strong> à<br />

la frontière Italienne et de là à Perpignan) il y a eu, de mars 1993 à décembre 2004, 303 morts<br />

par règ<strong>le</strong>ment de comptes. Cette hécatombe, comparab<strong>le</strong> à cel<strong>le</strong> de la Camorra Napolitaine,<br />

est sans éga<strong>le</strong> dans l’union Européenne. Nous avons choisi de nous attarder sur <strong>le</strong>s parrains<br />

Corses avec un exemp<strong>le</strong> édifiant qu’est celui de la Brise de mer.<br />

En 1982-83, <strong>le</strong> grand banditisme Corse prend un nouveau visage. <strong>Les</strong> caïds à<br />

l’ancienne étaient fiers d’avoir sur l’î<strong>le</strong> une réputation intacte et d’être considérés comme des<br />

bienfaiteurs pour <strong>le</strong>ur village natal (redistribuant une partie de <strong>le</strong>ur richesse quitte à tirer profit<br />

de cette générosité en la négociant contre des mandats é<strong>le</strong>ctifs locaux).La génération montante<br />

incarnée par la Brise des mers affiche d’autres va<strong>le</strong>urs: c<strong>el<strong>le</strong>s</strong> de l’argent qui n’admet pas<br />

d’obstac<strong>le</strong>s. Ils tiennent <strong>le</strong>ur nom d’un bar où <strong>le</strong>s membres se réunissaient.<br />

1) L’organisation de la Brise de Mer<br />

a) Un noyau dur issu de bonnes famil<strong>le</strong>s<br />

On connaît grâce à l’OCRB (Office Central pour la Répression du Banditisme) la liste<br />

des noms du noyau dur de la Brise. Il y a d’abord eu Georges Seatelli, <strong>le</strong>s frères Santucci, <strong>le</strong>s<br />

frères Guazelli, Robert Moracchini, Richard Casanova, Seatelli, dit « <strong>le</strong> Gris » fils et petit fils<br />

de notaire, Moracchini, et dont la femme est de la famil<strong>le</strong> d’Emi<strong>le</strong> Zucarelli, député-maire de<br />

Bastia, membre d’une des famil<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus puissantes de Haute-Corse et futur ministre de la<br />

fonction publique au sein du gouvernement Jospin. C’est une autre caractéristique de la<br />

mafia Corse par rapport à la mafia Italienne: <strong>le</strong> clan ne concerne pas forcément toute la<br />

famil<strong>le</strong>.<br />

67


) <strong>Les</strong> règ<strong>le</strong>s strictes d’une organisation<br />

- <strong>Les</strong> membres se doivent entre eux une solidarité absolue.<br />

- Ses membres s’administrent par <strong>le</strong> biais d’une mini coupo<strong>le</strong> composée de fratries mais aussi<br />

d’individus sans attaches familia<strong>le</strong>s, admis pour <strong>le</strong>ur compétence.<br />

- Cette solidarité ne vaut que pour <strong>le</strong> noyau dur.<br />

- L’allégeance et la loyauté sont deux conditions essenti<strong>el<strong>le</strong>s</strong> pour appartenir au système.<br />

- Règ<strong>le</strong> d’or de la bande : la maîtrise tota<strong>le</strong> des coups. El<strong>le</strong> ne se joint jamais à des affaires<br />

contrôlées par d’autres équipes, el<strong>le</strong> gère seu<strong>le</strong> ses actions.<br />

- Unie, solide, organisée, la Brise s’impose dès <strong>le</strong>s années 80 comme un véritab<strong>le</strong> pouvoir<br />

insulaire.<br />

c) <strong>Les</strong> cerc<strong>le</strong>s de la Brise<br />

Il y a donc, tout d’abord <strong>le</strong> noyau dur. Au-delà, <strong>le</strong> premier cerc<strong>le</strong> est constitué<br />

d’hommes à tout faire, qui tout en continuant d’exercer <strong>le</strong>ur profession, s’occupent de <strong>le</strong>ur<br />

mentor et <strong>le</strong>ur sont dévoués comme des serviteurs à un maître: ils se lèvent à cinq heures du<br />

matin pour vérifier qu’il n’y a pas de descente de police, ils louent <strong>le</strong>s maisons qui serviront<br />

de planques, veil<strong>le</strong>nt sur <strong>le</strong>s enfants, <strong>le</strong>s maîtresses sur <strong>le</strong>s voitures, ouvrent la route afin de<br />

prévenir d’éventuels barrages! Le second cerc<strong>le</strong> comprend des associés souvent fidè<strong>le</strong>s de la<br />

première heure et qui mènent <strong>le</strong>urs propres affaires, parfois loin de la Corse, sans pour autant<br />

quitter « la maison mère ». Il y a ensuite <strong>le</strong>s alliés, restaurateurs, hôteliers, garagistes,<br />

policiers, élus politiques prêts à rendre service aux quatre coins du monde. Certains de ces<br />

soutiens n’ont jamais eu de souci avec la justice et sont honorab<strong>le</strong>ment connus. La relation est<br />

fondée sur des notions d’amitié et de solidarité indéfectib<strong>le</strong>.<br />

2) <strong>le</strong>s activités de la Brise de mer<br />

a) <strong>Les</strong> braquages<br />

<strong>Les</strong> membres de la Brise ont développé <strong>le</strong>urs propres réseaux de machines à sous, avec<br />

comme règ<strong>le</strong>: chacun son territoire. Ils vont commettre de nombreux forfaits.<br />

En avril 1982, des braqueurs pénètrent dans la sal<strong>le</strong> des coffres individuels du Crédit<br />

Lyonnais .Ils sont passés par <strong>le</strong>s sous-sols après avoir creusé un tunnel et ils ne laisseront pas<br />

un centime .Ni <strong>le</strong>s autorités, ni la banque n’oseront communiquer <strong>le</strong> montant du casse, arguant<br />

du refus de certaines victimes de déclarer <strong>le</strong> contenu exact de <strong>le</strong>urs coffres. Sur l’î<strong>le</strong> <strong>le</strong>s<br />

braquages vont se succéder, «des affaires données» c’est à dire réalisées si <strong>le</strong>s membres du<br />

68


commando disposent d’informations précises fournies par un employé ou un proche de la<br />

société visée.<br />

De fin 81 à fin 84, 62 banques sont ainsi attaquées par <strong>le</strong>s corses, à part éga<strong>le</strong>s entre<br />

Paris et la province, ce qui représente 3470 coffres dévalisés. Entre 84 et 88 la police impute à<br />

la Brise 35 attaques de transport de fonds ou de banques. <strong>Les</strong> enquêteurs soulignent la<br />

présence de certains de ses membres sur la côte d’azur, dans <strong>le</strong> Sud-ouest (Toulouse), l’Est<br />

(Colmar), dans <strong>le</strong> centre (C<strong>le</strong>rmont-Ferrand).<br />

<strong>Les</strong> « piliers » de la Brise de mer sont passés au travers des mail<strong>le</strong>s du fi<strong>le</strong>t judiciaire.<br />

La fortune <strong>le</strong>ur sourit. Hôtel<strong>le</strong>rie, grande distribution, résidences de luxe, bars-restaurants,<br />

discothèques…<strong>Les</strong> investissements réalisés, par <strong>le</strong> biais de prête-noms ou de proches, par <strong>le</strong>s<br />

piliers de la bande sont autant de signes de <strong>le</strong>ur réussite. Pour tenter de jugu<strong>le</strong>r cette expansion<br />

une opération est lancée par l’OCRB et la brigade nationa<strong>le</strong> d’enquêtes économiques (BNEE)<br />

contre des établissements suspectés d’appartenir à la Brise des mers: treize personnes sont<br />

interpellées mais rien ne permet de <strong>le</strong>s poursuivre pour association de malfaiteurs. En<br />

revanche Moracchini est inculpé pour abus de biens sociaux. Même si <strong>le</strong>s autorités se<br />

félicitent d’avoir montré que l’impunité dont semb<strong>le</strong>nt bénéficier certains truands notoires<br />

n’est pas sans limite, <strong>le</strong>s résultats réels ont l’allure de «coup d’épée dans l’eau»: quelques<br />

mois de prison pour Robert Moracchini. Le seul effet majeur de cette offensive sera de rendre<br />

la Brise de mer plus discrète dans ses investissements: el<strong>le</strong> va désormais placer son argent<br />

dans des secteurs moins visib<strong>le</strong>s que <strong>le</strong>s boîtes de nuit.<br />

Selon la justice loca<strong>le</strong>, l’argent sera investi pour une part dans <strong>le</strong> tissu économique<br />

local (blanchiment de proximité) et pour <strong>le</strong> plus gros des investissements à l’extérieur de l’î<strong>le</strong>.<br />

<strong>Les</strong> sommes à blanchir sont importantes et font peser sur la société Corse un poids qui<br />

modifie son équilibre: dès qu’une opportunité se présente, liquidation judiciaire ou ouverture<br />

d’un commerce, ses membres «rendent visite » au repreneur et lui imposent <strong>le</strong>ur intermédiaire<br />

qui se voit confier des responsabilités au sein de l’affaire. Ce racket peut se faire plus<br />

discrètement en convenant, par exemp<strong>le</strong> que <strong>le</strong> propriétaire de l’établissement choisira pour<br />

fournisseurs et au prix fort, des commerces ou des sociétés de distribution sous l’influence de<br />

la Brise de mer. La prise de contrô<strong>le</strong> économique a des moyens variés: <strong>le</strong>s voyous utilisent <strong>le</strong>s<br />

attentats pour punir <strong>le</strong>urs victimes.Une large majorité des attentats à l’explosif sont des<br />

initiatives personn<strong>el<strong>le</strong>s</strong> et non l’œuvre des nationalistes ce que l’opinion publique continenta<strong>le</strong><br />

a souvent du mal à réaliser.<br />

L’argent qu’ils possèdent, la crainte qu’ils inspirent, <strong>le</strong>ur organisation sophistiquée,<br />

une solidarité sans fail<strong>le</strong>, sans doute liée au phénomène d’insularité, vont permettre à la Brise<br />

de mer de pérenniser un système qui commence à re<strong>le</strong>ver plus de la criminalité organisée que<br />

de la simp<strong>le</strong> bande de voyous. Ils rayonnent dans <strong>le</strong> monde entier en s’investissant dans tous<br />

<strong>le</strong>s domaines de la criminalité.<br />

Parmi <strong>le</strong>s méfaits <strong>le</strong>s plus marquants qui <strong>le</strong>ur sont attribués il y a notamment <strong>le</strong> vol<br />

spectaculaire de fonds de la Banque de France convoyés par avion de Bastia à Paris: <strong>le</strong>s<br />

millions de francs embarqués dans la soute sont substitués par de vieux cartons par un<br />

complice caché dans une mal<strong>le</strong> enregistrée en bagage et qui disposait d’ une heure de vol pour<br />

transférer l’ argent de la Banque de France dans d’autre bagages avant de regagner sa mal<strong>le</strong>,<br />

récupérée ainsi que <strong>le</strong>s bagages contenant <strong>le</strong> pacto<strong>le</strong>, par des complices.(propos recueillis par<br />

l’un des auteurs en août 2003).<br />

69


En 1990, l’UBS (Union des banques Suisse) à Genève sera la victime du «casse du<br />

sièc<strong>le</strong>». Tous <strong>le</strong>s coffres et armoires blindés sont ouverts sans effraction. <strong>Les</strong> truands<br />

possèdent non seu<strong>le</strong>ment des informations sur <strong>le</strong> système d’alarme, mais aussi <strong>le</strong>s codes des<br />

armoires fortes. Plus de 220kg de bil<strong>le</strong>ts sont volés: un record! Ils ont bénéficié de la<br />

complicité du mari de la secrétaire personnel<strong>le</strong> du chef de service des monnaies étrangères à<br />

l’USB, Michel Ferrari ainsi que de cel<strong>le</strong> d’un caissier et d’un agent de sécurité. Richard<br />

Casanova, seul membre identifié du commando, en fuite 15 ans après <strong>le</strong> casse, disposera<br />

largement de quoi financer sa cava<strong>le</strong>. Il vient d’être arrêté en mars 2006.<br />

b) Un vaste portefeuil<strong>le</strong> d’activités<br />

Après 18 mois d’enquête, <strong>le</strong>s membres de la police judiciaire bastiaise aidés des<br />

services fiscaux ont établi une liste non exhaustive des actifs attribués à la Brise de mer pour<br />

la Haute-Corse: «400 comptes bancaires, 124 acquisitions immobilières, 60 sociétés, dont<br />

une dizaine de sociétés civi<strong>le</strong>s immobilières tenues par des proches de personnes liées au<br />

banditisme».<br />

<strong>Les</strong> biens acquis grâce à l’argent du crime sur <strong>le</strong> territoire contrôlé par la Brise se<br />

retrouvent dans des secteurs variés: restaurant, bars, discothèques mais aussi supérette,<br />

grandes surfaces de distribution alimentaire, d’ameub<strong>le</strong>ment, de bricolage, la location de<br />

bateaux, d’hélicoptères, <strong>le</strong>s concessions automobi<strong>le</strong>s, des sociétés de casse auto, des<br />

entreprises de bâtiment et de travaux publics, des magasins de prêt-à-porter, des associations<br />

sportives, des centres de remise en forme, <strong>le</strong> commerce en gros de café et<br />

l’approvisionnement exclusif auprès des bars et restaurants de l’î<strong>le</strong> toute entière, enfin des<br />

investissements immobiliers.<br />

3) L’infiltration mafieuse économique et politique<br />

a) La pression mafieuse<br />

En février 1998, 40000 personnes défi<strong>le</strong>nt dans <strong>le</strong>s rues de Corse suite à l’assassinat<br />

du préfet Erignac; cette démonstration de masse (au regard de la population tota<strong>le</strong> de l’î<strong>le</strong> qui<br />

est environ de 260000) se fait pour témoigner d’un réel désir de paix mais aussi pour<br />

dénoncer l’impuissance col<strong>le</strong>ctive de la société Corse face à ses dérives. Dans la fou<strong>le</strong>, des<br />

femmes, des hommes, des jeunes et des moins jeunes qui saturent de la vio<strong>le</strong>nce et de la peur:<br />

combien d’assassinats depuis <strong>le</strong> début des années 80?<br />

Des voyous, des nationalistes, des élus autant de morts rarement expliquées et dont <strong>le</strong>s auteurs<br />

ne sont souvent pas sanctionnés par <strong>le</strong>s tribunaux.<br />

<strong>Les</strong> traits communs de la Sici<strong>le</strong> et de la Corse sont la spécificité insulaire, la vio<strong>le</strong>nce,<br />

la loi du si<strong>le</strong>nce, <strong>le</strong> racket, <strong>le</strong>s assassinats impunis ou <strong>le</strong> détournement de l’argent public. La<br />

Brise de mers, à son échel<strong>le</strong>, a des «mœurs mafieuses». <strong>Les</strong> affaires des individus doivent<br />

s’effacer devant c<strong>el<strong>le</strong>s</strong> du groupe.<br />

La Brise exerce un contrô<strong>le</strong> strict sur son territoire. El<strong>le</strong> se doit de connaître l’essentiel<br />

des agissements criminels qui s’y dérou<strong>le</strong>nt (assassinats, braquages, rackets). Le noyau dur est<br />

informé, voire consulté par ceux qui envisagent de commettre un forfait dans son fief.<br />

70


La Brise grâce à ses fidè<strong>le</strong>s et des complices au sein des administrations contrô<strong>le</strong> ses zones<br />

d’influence tout aussi efficacement que la mafia italienne.<br />

La Brise bénéficiera de «complicité» au sein même du gouvernement: alors que<br />

Casanova est en cava<strong>le</strong>, une source signa<strong>le</strong> aux renseignements généraux sa présence dans<br />

une villa à Sagone. L’information remonte jusqu’au cabinet du ministre de l’intérieur de<br />

l’époque, Char<strong>le</strong>s Pasqua, duquel on sollicite <strong>le</strong> feu vert pour la mise en place d’un dispositif<br />

d’interception du suspect. L’un des conseil<strong>le</strong>rs de Pasqua bloque alors l’opération, arguant<br />

qu’il s’agit d’un ami! L’affaire en restera là!<br />

Début 2004, Solange Roussel, présidente du tribunal de Bastia depuis trois ans quitte<br />

la Corse, son constat est amer: «Aujourd’hui en Corse toute une partie de l’économie est aux<br />

mains du banditisme qui en 20 ans s’est diversifié: <strong>le</strong>s braquages, tout d’abord, puis la prise<br />

de contrô<strong>le</strong> des secteurs de la drogue, des machines à sous et du racket, et enfin<br />

l’investissement dans des secteurs économiques traditionnels, handicapés par l’étroitesse du<br />

marché local».<br />

La Brise soutient <strong>le</strong>s entreprises loca<strong>le</strong>s qui ont des difficultés d’obtention de prêts:<br />

el<strong>le</strong> s’implante dans l’économie loca<strong>le</strong> en l’acquérant.<br />

b) Le contrô<strong>le</strong> du pouvoir économique et politique<br />

En Corse un actif sur trois est fonctionnaire ce qui facilite <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> éventuel du<br />

secteur public par un groupe vio<strong>le</strong>nt et structuré.La faib<strong>le</strong>sse du tissu économique de l’î<strong>le</strong> ne<br />

lui permet pas de résister aux attaques crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong>: la plupart des entreprises y sont très petites<br />

(moins de 10 employés).<br />

<strong>Les</strong> règ<strong>le</strong>s d’administration fixées par <strong>le</strong> code des communes et des col<strong>le</strong>ctivités sont<br />

régulièrement contournées, des <strong>le</strong>ttres font état d’un certain « pouvoir personnel» du maire :<br />

2000m² de terrain constructib<strong>le</strong> vendu pour 300 euros !des soupçons de favoritisme dans <strong>le</strong>s<br />

marchés locaux, des irrégularités au crédit agrico<strong>le</strong> avec une répartition inéquitab<strong>le</strong> des fonds<br />

injectés en Corse. La sphère nationaliste et <strong>le</strong>s représentants du crime organisé ont peu à peu<br />

infiltré <strong>le</strong> système pour s’approprier une partie de la richesse publique.<br />

Des élus politiques sont approchés: on retrouve <strong>le</strong>s membres de la Brise comme agents<br />

é<strong>le</strong>ctoraux chargés de col<strong>le</strong>cter <strong>le</strong>s votes par procuration ou participant à des campagnes<br />

d’affichage ou comme garde du corps d’hommes politiques connus ou membres du service<br />

d’ordre.<br />

Certains représentants de la classe politique ont payé de <strong>le</strong>ur vie <strong>le</strong>ur résistance au<br />

pervertissement de la démocratie: assassinat du maire de Grossetto, ainsi que du président de<br />

la chambre d’agriculture en 90.<br />

La Corse d’aujourd’hui paraît de nouveau plongée dans la confusion et la peur,<br />

instaurées en l’espace de vingt-cinq ans par un véritab<strong>le</strong> système mafieux. La Corse d’ hier<br />

était asphyxiée par la pauvreté, cel<strong>le</strong> d’aujourd’hui l’est par <strong>le</strong>s menaces d’un système<br />

mafieux dont <strong>le</strong>s ramifications s’étendent au-delà de l’î<strong>le</strong> et s’infiltrent sur <strong>le</strong> continent au sein<br />

des administrations, de la justice et de la police .El<strong>le</strong> peuvent compter sur des relais dans <strong>le</strong>s<br />

milieux bancaires et politiques.<br />

71


4 ème partie: <strong>Les</strong> mouvements anti-mafia et la lutte<br />

contre <strong>le</strong> crime organisé<br />

Le phénomène mafieux a généré des réactions d’opposition aussi bien au niveau civil<br />

qu’étatique. Nous verrons <strong>le</strong>s moyens mis en œuvre face à la mafia à travers l’exemp<strong>le</strong> de<br />

l’Italie dont la mobilisation socia<strong>le</strong> est significative ; et celui de la France concernant <strong>le</strong>s<br />

mesures législatives. Puis nous verrons <strong>le</strong>s dispositions prises au niveau international et enfin<br />

<strong>le</strong>s implications éthiques de la lutte anti-mafia.<br />

1) <strong>Les</strong> mouvements anti-mafia : <strong>le</strong> cas italien<br />

En Sici<strong>le</strong>, mafia et mouvement anti-mafia coexistent depuis toujours. Au début, à<br />

l'époque du mouvement paysan, la lutte contre la mafia était un aspect spécifique de la lutte<br />

des classes. Ces dernières années, après <strong>le</strong>s massacres des années 90, on a constaté<br />

l'implication, sous formes variées, d'associations de la société civi<strong>le</strong>, implication étendue à<br />

tout <strong>le</strong> territoire national, même si de manière inéga<strong>le</strong>.<br />

a) Evolution de la lutte contre la mafia<br />

L’idée que la lutte contre la mafia a débuté en Sici<strong>le</strong> à la suite des tragédies de 1992 -<br />

et l’assassinat des juges Giovanni Falcone, Francesca Morvillo et Paolo Borsellino - est une<br />

croyance très répandue. Mais en réalité, la lutte contre la mafia est aussi vieil<strong>le</strong> que la mafia<br />

el<strong>le</strong>-même.<br />

Dès <strong>le</strong>s années 1890 jusqu’aux années 1950, c’est <strong>le</strong> mouvement paysan qui a<br />

combattu la mafia. Plusieurs mouvements de lutte paysanne se sont succédés mais la vio<strong>le</strong>nce<br />

mafieuse <strong>le</strong>s frappa très durement.<br />

Le mouvement anti-mafia demeura pendant des années l'héritage des organisations de<br />

la gauche, dont <strong>le</strong> poids dans la vie politique sicilienne ne cessa de décroître.<br />

La lutte ne reprit qu'après <strong>le</strong>s grands crimes du début des années 80, et, en particulier, après <strong>le</strong><br />

meurtre de l'ex-général et nouveau préfet de Pa<strong>le</strong>rme, Dalla Chiesa (3 septembre 1982). Après<br />

<strong>le</strong>s massacres de 1992, <strong>le</strong> mouvement croît à nouveau. Dans d'autres régions de l'Italie, monte<br />

de la même façon, au cours des dernières années, la mobilisation contre la criminalité<br />

organisée.<br />

Ces dernières années, cet engagement, qui était au départ un conflit social, a pris la<br />

forme d’un véritab<strong>le</strong> combat.<br />

A l'heure actuel<strong>le</strong>, <strong>le</strong> mouvement anti-mafia ne se borne pas à soutenir l'action de la<br />

justice et des forces de l'ordre engagées dans la répression, mais cherche à se transformer dans<br />

la perspective d'une action à long terme, tendant à avoir un effet sur la vie quotidienne des<br />

citoyens en coupant <strong>le</strong>s liens entre mafia et politique.<br />

72


) Le Centre sicilien de documentation "Giuseppe Impastato" : contre la mafia une<br />

éthique de la radicalité<br />

Le Centre sicilien de documentation est <strong>le</strong> premier centre d'études sur la mafia né en<br />

Italie. Fondé en 1977 par Umberto Santino, il s'est formel<strong>le</strong>ment constitué en Association<br />

culturel<strong>le</strong> en mai 1980 et a pris <strong>le</strong> nom du militant de la Nouvel<strong>le</strong> gauche, Giuseppe<br />

Impastato, assassiné par la mafia <strong>le</strong> 9 mai 1978. Depuis 1998, <strong>le</strong> Centre est une Organisation à<br />

but non lucratif. Le 9 mai 1979, <strong>le</strong> Centre sicilien de documentation organise la première<br />

manifestation nationa<strong>le</strong> contre la mafia de l'histoire italienne, à laquel<strong>le</strong> participèrent 2000<br />

personnes venant de tout <strong>le</strong> pays.<br />

Le Centre a pour but de développer la connaissance du phénomène mafieux et autres<br />

phénomènes assimilab<strong>le</strong>s, au niveau national et international ; de promouvoir des initiatives<br />

dans <strong>le</strong> but de combattre de tels phénomènes ; d'élaborer et de diffuser une culture juste de la<br />

légalité, du développement et de la participation démocratique.<br />

« Pour lutter contre la mafia avec efficacité, il nous faut aujourd'hui une éthique de la<br />

radicalité et du conflit. Si nous avons placé <strong>le</strong> Centre sicilien de documentation sous <strong>le</strong> nom<br />

de Giuseppe Impastato, c'est surtout parce que ce Sicilien avait rompu avec son père, ami des<br />

mafiosi, à l'âge de 15 ans. En quittant la maison paternel<strong>le</strong>, il nous donne un exemp<strong>le</strong> de la<br />

radicalité qui commence par soi-même et par sa propre famil<strong>le</strong> ».Umberto Santino.<br />

c) Libera : associations, noms et nombres contre la mafia<br />

«Libera, associations, noms et nombres contre la mafia» est une association née en<br />

1995 afin de soutenir la lutte contre la criminalité organisée à travers l’organisation<br />

d’initiatives cultur<strong>el<strong>le</strong>s</strong> et l’assistance à d’autres associations et coopératives qui agissent dans<br />

<strong>le</strong> même but.<br />

« Libera est née en 1995 avec l’intention de réunir et de représenter toutes <strong>le</strong>s réalités<br />

(associatives ou non) qui interviennent territoria<strong>le</strong>ment pour combattre <strong>le</strong>s organisations<br />

mafieuses. Aujourd’hui Libera est une organisation regroupant plus de 1.200 groupes,<br />

associations, éco<strong>le</strong>s et particuliers qui ont décidé de partager cet important engagement civil<br />

en faveur de la création d’une société alternative aux <strong>mafias</strong>».extrait du site Internet Libera.<br />

Le secteur éducatif est donc considéré comme l’un des éléments essentiels pour la création<br />

d’initiatives de défense des droits et pour la dénonciation des dégénérescences provoquées par<br />

<strong>le</strong>s organisations crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong>. Libera Université se veut ainsi être une structure de promotion<br />

et de coordination des initiatives de l’éducation à la légalité.<br />

Don Luigi Ciotti (fondateur d’une des plus populaires associations italiennes qui<br />

luttent contre la drogue) est <strong>le</strong> président de l’association, et Rita Borsellino (soeur du<br />

magistrat italien engagé dans la lutte contre la criminalité organisée, assassiné par la mafia)<br />

est <strong>le</strong> vice-président. Aujourd’hui, Libera est présente dans 11 régions italiennes et el<strong>le</strong> agit en<br />

collaboration permanente avec des nombreuses organisations loca<strong>le</strong>s, en organisant des<br />

événements et des campagnes d’information, surtout dans <strong>le</strong> Sud de l’Italie.<br />

Si <strong>le</strong> travail de récupération socia<strong>le</strong> continue en Europe et ail<strong>le</strong>urs, c’est surtout en<br />

Sici<strong>le</strong> que l’activité se concentre, sur <strong>le</strong> thème de la Libera Terra : un vrai projet de reprise des<br />

biens confisqués par <strong>le</strong>s mafieux, soutenu par la Préfecture de Pa<strong>le</strong>rme. Cette initiative a déjà<br />

73


obtenu la confiscation de plus de 175 hectares, avec l’objectif de créer des coopératives<br />

socia<strong>le</strong>s permettant <strong>le</strong> lancement d’activités agrico<strong>le</strong>s.<br />

Libera a promu la loi 109/96 sur l’utilisation des biens confisqués aux organisations<br />

crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong>. La loi prévoit l’assignation des patrimoines illégaux aux sujets –privé social,<br />

volontariat, coopératives, Municipalités - qui sont tenus de <strong>le</strong>s restituer avec <strong>le</strong>urs activités à<br />

la communauté, rendant ces actions symbo<strong>le</strong>s tangib<strong>le</strong>s du retour à la légalité. En 9 ans, la loi<br />

a permis la destination socia<strong>le</strong> de 2200 biens immobiliers.<br />

Une victoire de la légalité et une réaffirmation des droits civils contre l’arrogance et<br />

<strong>le</strong>s abus de pouvoir de la mafia. Le 30 novembre 2004, plusieurs milliers de manifestants se<br />

sont retrouvés dans <strong>le</strong>s rues de Nap<strong>le</strong>s, pour protester contre mafia loca<strong>le</strong> Camorra.<br />

L'Italie a donc réussi à donner quelques coups significatifs aux organisations<br />

mafieuses qui œuvraient sur son territoire et à partir de celui-ci. <strong>Les</strong> procès à grande échel<strong>le</strong><br />

(opération « mains propres ») dans <strong>le</strong>s années 1990 ont permis l'arrestation de plusieurs<br />

figures emblématiques de la mafia loca<strong>le</strong>, tout en mettant hors d'état de nuire de nombreux<br />

politiciens véreux.<br />

Mais la Cosa Nostra a beau être en difficulté, el<strong>le</strong> est loin d’avoir été vaincue,<br />

poursuivant ses activités crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> traditionn<strong>el<strong>le</strong>s</strong>, infiltrant <strong>le</strong>s marchés et profitant d’un<br />

manque de coordination internationa<strong>le</strong> dans la lutte antimafia. Le mouvement, s'il ne trouve<br />

pas la capacité de s'allier de larges couches de la population, en <strong>le</strong>s arrachant à la dépendance<br />

de la mafia et des nouveaux dominants, en liant lutte contre la mafia et lutte pour la<br />

démocratie, risque de ne jouer qu’un rô<strong>le</strong> mineur, davantage figuratif qu'essentiel dans une<br />

perspective de renouveau.<br />

74


2) La mobilisation juridique des Etats : <strong>le</strong> cas de la France<br />

La coexistence entre liberté tota<strong>le</strong> de circulation des capitaux et maintien des systèmes<br />

de supervision nationaux, ainsi que l’existence de places off-shore, créent un espace inédit où<br />

la criminalité prospère en se jouant de la légalité des Etats. Ceux-ci ont mis en œuvre un<br />

ensemb<strong>le</strong> de moyens juridiques en réponse à l’atteinte de <strong>le</strong>ur souveraineté démocratique.<br />

<strong>Les</strong> techniques de blanchiment d’argent, condition sine qua non de l’existence du<br />

crime organisé, s’appuient sur cette libéralisation accrue et la comp<strong>le</strong>xité du système. Il était<br />

donc urgent de s'attaquer au système bancaire et à certains produits financiers qui sont de<br />

véritab<strong>le</strong>s « pousse-au-crime ». C'est <strong>le</strong> cas des sociétés civi<strong>le</strong>s immobilières, <strong>le</strong>s SCI, qui<br />

permettent de transmettre la propriété de manière anonyme.<br />

a) Réforme des SCI<br />

- l’immatriculation obligatoire au Registre du commerce et des sociétés<br />

<strong>Les</strong> sociétés civi<strong>le</strong>s constituées avant <strong>le</strong> 1 er Juil<strong>le</strong>t 1978 pouvaient tout en conservant<br />

<strong>le</strong>ur personnalité mora<strong>le</strong>, ne pas se faire immatricu<strong>le</strong>r. El<strong>le</strong>s échappaient ainsi à toute<br />

formalité de publicité, du moins aussi longtemps que <strong>le</strong> ministère public ou tout intéressé ne<br />

<strong>le</strong>s mettait pas en demeure de <strong>le</strong> faire.Si l'on veut lutter efficacement contre <strong>le</strong> blanchiment<br />

d’argent en matière de sociétés immobilières de personnes, <strong>le</strong>s opérations <strong>le</strong>s concernant<br />

doivent être établies dans la plus grande transparence possib<strong>le</strong>. Ainsi, la législation a été<br />

réformée afin de satisfaire cet objectif en rendant obligatoire l’immatriculation des SCI :<br />

Artic<strong>le</strong> 44 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001. <strong>Les</strong> sociétés civi<strong>le</strong>s procèdent […] à <strong>le</strong>ur<br />

immatriculation au registre du commerce et des sociétés.<br />

Afin d'empêcher (ou de rendre plus diffici<strong>le</strong>) l'utilisation de sociétés civi<strong>le</strong>s dans des<br />

opérations de blanchiment d'argent, <strong>le</strong>s sociétés civi<strong>le</strong>s non encore immatriculées au Registre<br />

du commerce et des sociétés doivent donc impérativement procéder à <strong>le</strong>ur immatriculation. Le<br />

délai pour procéder à cette immatriculation courrait jusqu'au 1er novembre 2002. Au-delà, la<br />

société civi<strong>le</strong> qui ne serait pas immatriculée perdrait automatiquement sa personnalité mora<strong>le</strong><br />

(ce qui pourrait notamment avoir des conséquences sur <strong>le</strong> plan fiscal, comme par exemp<strong>le</strong><br />

l'imposition immédiate des plus-values latentes). Cette immatriculation implique de déposer<br />

<strong>le</strong>s statuts de la société, notamment de divulguer la domiciliation et l’Etat civil du gérant<br />

offrant ainsi une réel<strong>le</strong> opportunité de contrô<strong>le</strong>.<br />

La loi du 2 juil<strong>le</strong>t 1998 a imposé une obligation de déclaration à TRACFIN, fondée sur<br />

<strong>le</strong> soupçon, aux personnes qui réalisent, contrô<strong>le</strong>nt ou conseil<strong>le</strong>nt des opérations<br />

immobilières. Lorsque l'immeub<strong>le</strong> est détenu par une société de personnes, et spécia<strong>le</strong>ment<br />

par une société civi<strong>le</strong>, son transfert s'opère par <strong>le</strong> biais de la cession des droits sociaux,<br />

presque toujours actuel<strong>le</strong>ment par acte sous seing privé, sans intervention ni contrô<strong>le</strong> d'un<br />

officier public.<br />

75


- <strong>le</strong> problème de la cession des parts de SCI<br />

Le secteur de l’immobilier facilite <strong>le</strong>s investissements douteux car <strong>le</strong>s bénéficiaires<br />

réels d’un bien peuvent camouf<strong>le</strong>r <strong>le</strong>ur identité en cédant non <strong>le</strong> bien mais des parts de la SCI.<br />

Un contrô<strong>le</strong> des cessions de droits sociaux doit donc être envisagé prioritairement pour <strong>le</strong>s<br />

sociétés civi<strong>le</strong>s, domaine où la publicité n'est pas complètement organisée et où <strong>le</strong>s capitaux<br />

d'origine douteuse cherchent à se placer. Pour lutter contre l’utilisation de ces sociétés<br />

coquil<strong>le</strong>s et, plus largement, contre l’usage détourné des SCI, la question s’est posée de<br />

soumettre à un acte authentique la constitution des SCI, ainsi que toute modification ultérieure<br />

survenant dans la vie de ces sociétés et, notamment, <strong>le</strong>s cessions de parts.<br />

Cette obligation aurait d’abord une vertu préventive en rendant dissuasif <strong>le</strong> recours au<br />

mécanisme de la SCI pour procéder à une opération de blanchiment.De surcroît, l’acte<br />

authentique devant notaire permettrait de disposer d’informations sur la traçabilité des<br />

mouvements de fonds, puisqu’à cette occasion, l’acte notarié pourrait viser, outre l’identité<br />

des parties, <strong>le</strong> nom de la banque et <strong>le</strong> numéro du compte utilisé pour l’opération.<br />

L’obligation d’effectuer sous forme authentique la cession de parts de SCI a fait<br />

l’objet d’un amendement lors de la discussion de la loi NRE : « À défaut d'être passées par<br />

acte authentique, <strong>le</strong>s cessions de droits sociaux visées au présent artic<strong>le</strong> sont frappées de<br />

nullité. ». Cette proposition n’a pas été adoptée.<br />

Le débat reste ouvert sur cette question et il est indispensab<strong>le</strong>, à tout <strong>le</strong> moins si l’on<br />

ne souhaite pas imposer l’acte authentique, d’exiger sous peine de nullité, l’inscription au<br />

registre du commerce de toute modification des statuts ou de l’identité des propriétaires du<br />

capital.<br />

76


) Rô<strong>le</strong> des banques : <strong>le</strong> dispositif de déclaration de soupçon<br />

<strong>Les</strong> produits de l’activité criminel<strong>le</strong> sont déposés dans <strong>le</strong> réseau bancaire. L’argent<br />

sa<strong>le</strong> est canalisé vers <strong>le</strong>s paradis fiscaux mais aussi vers des investissements respectab<strong>le</strong>s sur<br />

<strong>le</strong>s marchés financiers. L’Etat a donc mis en place un dispositif mettant <strong>le</strong>s professionnels<br />

face à <strong>le</strong>urs responsabilités : la déclaration de soupçon auprès de TRACFIN (traitement du<br />

renseignement financier et action contre <strong>le</strong>s circuits clandestins), vo<strong>le</strong>t de renseignement<br />

financier de l’Etat.<br />

Sont soumis à cette obligation <strong>le</strong>s organismes financiers et d’autres entités t<strong>el<strong>le</strong>s</strong> que:<br />

- <strong>le</strong>s personnes qui réalisent, contrô<strong>le</strong>nt, ou conseil<strong>le</strong>nt des opérations portant sur l'acquisition,<br />

la vente, la cession ou la location de biens immobiliers<br />

- <strong>le</strong>s représentants légaux et directeurs responsab<strong>le</strong>s de casinos et groupements, cerc<strong>le</strong>s et<br />

sociétés organisant des jeux de hasard, des loteries, des paris, des pronostics sportifs ou<br />

hippiques<br />

- <strong>le</strong>s personnes se livrant habituel<strong>le</strong>ment au commerce ou organisant la vente de pierres<br />

précieuses, de matériaux précieux, d'antiquités et d'oeuvres d'art<br />

- <strong>le</strong>s experts-comptab<strong>le</strong>s et commissaires aux comptes<br />

- <strong>le</strong>s notaires, huissiers de justice, administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires à la<br />

liquidation des entreprises, avocats au Conseil d’Etat, à la Cour de cassation et avoués près<br />

des cours d’appels<br />

- <strong>le</strong>s commissaires priseurs judiciaires et sociétés de ventes volontaires de meub<strong>le</strong>s aux<br />

enchères publiques.<br />

Si la loi impose aux professionnels de porter à la connaissance <strong>le</strong>s opérations<br />

susceptib<strong>le</strong>s d’être liées au recyclage de fonds d’origine illicite, à la corruption, à des activités<br />

crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> organisées ou au financement du terrorisme ; la décision de procéder à une<br />

déclaration de soupçon <strong>le</strong>ur appartient sur la base de la connaissance de <strong>le</strong>ur client, de <strong>le</strong>ur<br />

expérience et de <strong>le</strong>ur analyse personnel<strong>le</strong> d’une situation donnée. Il n'existe pas de définition<br />

juridique du soupçon.<br />

En complément de ce dispositif basé sur <strong>le</strong> soupçon, il existe pour <strong>le</strong>s organismes<br />

financiers un régime de déclaration systématique s'appuyant sur des critères objectifs :<br />

- opérations réalisées avec <strong>le</strong>s pays ou territoires considérés comme non coopératifs (Nauru et<br />

Myanmar à ce jour)<br />

- opérations dont l’identité du donneur d’ordre ou du bénéficiaire reste douteuse malgré <strong>le</strong>s<br />

diligences effectuées<br />

- opérations dans <strong>le</strong>squ<strong>el<strong>le</strong>s</strong> interviennent un fond fiduciaire ou tout autre instrument de<br />

gestion dont l'identité des bénéficiaires ou constituants est inconnue.<br />

De même que la France, beaucoup d’Etats ont instaurés des dispositifs de lutte,<br />

notamment en créant des Commissions par<strong>le</strong>mentaires contre <strong>le</strong> crime organisé et des cellu<strong>le</strong>s<br />

de renseignements financiers.<br />

Par <strong>le</strong> biais des techniques de blanchiment, l’argent sa<strong>le</strong> se transforme en pouvoir<br />

économique et constitue donc, à terme, une menace pour <strong>le</strong>s démocraties. Mais la lutte contre<br />

<strong>le</strong> blanchiment a un coût. El<strong>le</strong> conduit à porter atteinte à la liberté du commerce, à la libre<br />

circulation des marchandises et des capitaux, au secret des professions, bref, à accepter<br />

davantage de régulation. Cel<strong>le</strong> –ci passe par une coordination internationa<strong>le</strong>.<br />

77


3) Mobilisation internationa<strong>le</strong>: comment faire face à la criminalité<br />

transnationa<strong>le</strong>?<br />

Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), <strong>le</strong>s revenus mondiaux annuels des<br />

organisations crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> transnationa<strong>le</strong>s (OCT) sont de l’ordre de 1 000 milliards de dollars<br />

Cette estimation prend en compte tant <strong>le</strong> produit du trafic de drogue, des ventes illicites<br />

d’armes, de la contrebande de matériaux nucléaires, etc., que <strong>le</strong>s profits des activités<br />

contrôlées par <strong>le</strong>s <strong>mafias</strong> (prostitution, jeux, marchés noirs de devises...). En revanche, el<strong>le</strong> ne<br />

mesure pas l’importance des investissements continus effectués par <strong>le</strong>s organisations<br />

crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> dans la prise de contrô<strong>le</strong> d’affaires légitimes.<br />

Dans un gigantesque partenariat, <strong>le</strong> crime organisé, appuyé par <strong>le</strong>s pouvoirs politiques<br />

et <strong>le</strong>s multinationa<strong>le</strong>s de la finance et des affaires, pénètre progressivement tous <strong>le</strong>s secteurs<br />

de l’économie mondia<strong>le</strong>, imposant ses systèmes de corruption en se jouant de la légalité des<br />

Etats. <strong>Les</strong> politiques de lutte contre <strong>le</strong>s organisations crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> se heurtent à l'adaptabilité de<br />

<strong>le</strong>urs structures, capab<strong>le</strong>s de délocaliser <strong>le</strong>urs activités et de diversifier <strong>le</strong>urs flux financiers<br />

dans <strong>le</strong> monde entier. Entreprendre des enquêtes transnationa<strong>le</strong>s devient alors presque<br />

impossib<strong>le</strong>, d'autant plus que certains pays ne font rien pour <strong>le</strong>ur faciliter la tâche.<br />

a) La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationa<strong>le</strong> organisée<br />

La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationa<strong>le</strong> organisée est<br />

l’instrument international principal de lutte. Cette convention, entrée en vigueur en Septembre<br />

2003, compte 147 Etats signataires.<br />

<strong>Les</strong> Nations Unies se sont dotés d’un office contre la drogue et <strong>le</strong> crime (ONUDC)<br />

afin de prendre des mesures efficaces contre <strong>le</strong> crime organisé. Celui-ci s’efforce de renforcer<br />

au niveau international l’entraide judiciaire et la coopération technique dans un objectif<br />

d’investigation. En conséquence, la Convention prévoit des dispositions étendues sur la<br />

coopération internationa<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s affaires crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong>. L'artic<strong>le</strong> <strong>le</strong> plus long de la convention<br />

est consacré à l'obligation d'entraide judiciaire. Il propose tout un éventail de mesures très<br />

concrètes que <strong>le</strong>s États peuvent prendre pour se soutenir mutuel<strong>le</strong>ment. De plus, une directive<br />

contre sur la lutte contre <strong>le</strong> blanchiment vient d’être adoptée.<br />

En ratifiant la convention, <strong>le</strong>s gouvernements se sont en outre engagés à criminaliser <strong>le</strong><br />

blanchiment de l'argent, la corruption et l'entrave au bon <strong>fonctionnement</strong> de la justice. <strong>Les</strong><br />

dispositions relatives au secret bancaire sont sans équivoque : « <strong>Les</strong> États ne peuvent invoquer<br />

<strong>le</strong> secret bancaire pour refuser de donner effet aux dispositions du présent paragraphe. » Cela<br />

pourrait bien constituer l'un des éléments <strong>le</strong>s plus efficaces de la convention de Pa<strong>le</strong>rme, dans<br />

la mesure où la criminalité perd une grande partie de son attrait s'il n'est pas possib<strong>le</strong> de<br />

conserver <strong>le</strong>s profits qu'on en retire.<br />

La convention forme la clé de voûte d'une stratégie internationa<strong>le</strong> encore en formation<br />

qui vise à combattre la criminalité transnationa<strong>le</strong> organisée.<br />

78


) Nouv<strong>el<strong>le</strong>s</strong> mesures européennes<br />

Dans la lutte contre <strong>le</strong> crime organisé, dont fait partie la lutte contre <strong>le</strong> blanchiment de<br />

capitaux, <strong>le</strong>s 25 pays membres de l'UE oeuvrent à la modernisation et au renforcement de<br />

<strong>le</strong>urs moyens. Ainsi, <strong>le</strong>s obligations de lutte anti-blanchiment qui s'appliquaient déjà au<br />

secteur financier et à d'autres domaines, devraient être renforcées et <strong>le</strong>s systèmes de vigilance<br />

adaptés à la gravité des risques. En outre, toute personne acceptant un règ<strong>le</strong>ment supérieur à<br />

15.000 euros devra aussi appliquer des règ<strong>le</strong>s de vigilance liées à l'identification de la<br />

clientè<strong>le</strong> pour, <strong>le</strong> cas échéant, informer la cellu<strong>le</strong> de renseignement financier qui sera présente<br />

dans chaque Etat. Une lutte qui est loin d'être facilitée par l'attitude de certains pays refusant,<br />

encore et toujours, de céder aux pressions internationa<strong>le</strong>s exercées sur <strong>le</strong>ur secret bancaire.<br />

79


4) Conceptions éthiques de la lutte anti-mafia<br />

a) La loi, rien que la loi : Suffira-t-il pour venir à bout de la criminalité organisée que <strong>le</strong><br />

gouvernement légifère?<br />

L’exemp<strong>le</strong> italien conduit à mitiger <strong>le</strong>s résultats d’une législation spécia<strong>le</strong> en matière<br />

de lutte contre la mafia. Certes, on ne peut nier <strong>le</strong>s succès de la magistrature et de la police<br />

italienne en matière de répression durant <strong>le</strong>s années 1990. Mais par ail<strong>le</strong>urs, ce système a pu<br />

connaître d’inquiétantes perversions. La création d’une législation spécia<strong>le</strong> anti-mafia a<br />

suspendu certaines garanties républicaines et mis à mal la défense des droits individuels. Le<br />

système des « collaborateurs de justice » a permis d’accuser et d’incarcérer de prétendus<br />

mafieux presque uniquement sur la base des témoignages de certains «repentis», parfois sans<br />

véritab<strong>le</strong>s preuves.<br />

En croyant la démocratie impuissante dans la lutte contre la mafia, il y a des gens qui<br />

croient y suppléer par la rhétorique, par des hur<strong>le</strong>ments, par des cortèges et, surtout, par ce<br />

qu'on a appelé «la culture du soupçon». Mais la démocratie n'est pas impuissante pour<br />

combattre la mafia. El<strong>le</strong> possède même l'instrument que la tyrannie n'a pas: <strong>le</strong> droit, la même<br />

loi pour tous, la balance de la justice. Sommes-nous face à une «culture des menottes»? Et ne<br />

faut-il pas craindre que cette culture se soit déjà insinuée dans <strong>le</strong>s lieux qui devraient la rejeter<br />

d'une manière plus résolue: dans la magistrature, dans <strong>le</strong> journalisme? Il est évident que la<br />

«culture des menottes» est favorisée par la culture préexistante de l'indiscrétion qui s'est<br />

établie entre certains bureaux judiciaires et <strong>le</strong>s journalistes.<br />

Mais surtout, la répression judiciaire et policière des phénomènes mafieux n’a pas été<br />

accompagnée par un travail sur <strong>le</strong>s racines socia<strong>le</strong>s, économiques et politiques de la<br />

criminalité organisée dans <strong>le</strong>s différents territoires concernés. L’influence de la mafia sur<br />

certaines régions méridiona<strong>le</strong>s s’est transformée sans forcément affaiblir sa présence dans<br />

l’économie et la société loca<strong>le</strong>.<br />

b) Le crime organisé et <strong>le</strong>s contradictions du système mondial<br />

Selon la thèse classique, la mafia et <strong>le</strong>s autres formes d'organisations crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong> sont<br />

<strong>le</strong> produit d'un déficit d'opportunités induit par des conditions retardataires et de sousdéveloppement.<br />

Cette définition a été reprise par <strong>le</strong>s organisations internationa<strong>le</strong>s. Dans <strong>le</strong>s<br />

pays capitalistes démocratiques, <strong>le</strong> libéralisme serait fondé sur deux piliers : <strong>le</strong> marché et <strong>le</strong><br />

droit. Dans <strong>le</strong>s derniers pays entrés dans l'économie capitaliste, il existerait un marché sans<br />

Etat ni lois. Un capitalisme sauvage (la "jung<strong>le</strong>"), sans règ<strong>le</strong>s, au sein duquel prévaudrait<br />

l'accumulation illéga<strong>le</strong>. <strong>Les</strong> pays en transition sont alors particulièrement vulnérab<strong>le</strong>s au crime<br />

organisé qui menace la réforme d’institutions t<strong>el<strong>le</strong>s</strong> que la police ou <strong>le</strong>s autorités judiciaires ce<br />

qui constitue un obstac<strong>le</strong> à la naissance de sociétés plus stab<strong>le</strong>s.<br />

Le capitalisme mondialisé engendre la criminalité, en particulier la criminalité<br />

organisée de type mafieux. Il produit des contradictions qui caractérisent <strong>le</strong> système social<br />

mondial. Il s'agit, d'une part, de la contradiction entre légalité et réalité (par exemp<strong>le</strong> la<br />

prohibition de la production et de l'utilisation des drogues favorisent <strong>le</strong>s activités de groupes<br />

criminels qui monopolisent l'offre), d'autre part des contradictions entre opacité du système<br />

80


financier (secret bancaire, paradis fiscaux, innovations financières, etc.) et tentatives de<br />

déjouer <strong>le</strong> recyclage de l'argent sa<strong>le</strong>.<br />

Ce contexte est producteur de crimes (criminogène) dans la mesure où, dans de<br />

nombreux pays, l’accumulation illéga<strong>le</strong> représente l’unique source de revenus pour un<br />

nombre considérab<strong>le</strong> de personnes. Nombre d’anciennes ou nouv<strong>el<strong>le</strong>s</strong> activités crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong><br />

(exploitation des mineurs, travail au noir, etc.) sont des formes de compétitivité et de<br />

f<strong>le</strong>xibilité requises par <strong>le</strong>s lois du marché. Le crime organisé est <strong>le</strong> gestionnaire de cette<br />

« armée de réserve », selon <strong>le</strong> centre sicilien de documentation, nécessaire à la pérennité du<br />

système mondial.<br />

Ainsi, l’effondrement de l’activité économique léga<strong>le</strong> a précipité un grand nombre de<br />

pays en développement dans la camiso<strong>le</strong> de la dette et de l’ajustement structurel. Il est des<br />

pays où <strong>le</strong> service de la dette excède <strong>le</strong> total des recettes d’exportations léga<strong>le</strong>s. Dans ces<br />

circonstances, <strong>le</strong>s revenus du commerce illicite procurent une source alternative de devises<br />

qui permet aux gouvernements endettés de remplir <strong>le</strong> service de la dette. C’est <strong>le</strong> cas des<br />

« narcodémocraties » d’Amérique latine, où <strong>le</strong>s narcodollars une fois blanchis dans <strong>le</strong> système<br />

bancaire, servent aux gouvernements pour remplir <strong>le</strong>urs obligations auprès des créanciers<br />

extérieurs.<br />

Dans ces circonstances, selon <strong>le</strong>s termes d’un rapport des Nations unies, «<strong>le</strong><br />

renforcement au niveau international des services chargés de faire respecter <strong>le</strong>s lois ne<br />

représente qu’un palliatif. A défaut d’un progrès simultané du développement économique et<br />

social, <strong>le</strong> crime organisé, à une échel<strong>le</strong> globa<strong>le</strong> et structurée, persistera».<br />

Si <strong>le</strong> contexte est criminogène, on ne peut donc se contenter uniquement d’enrail<strong>le</strong>r <strong>le</strong><br />

phénomène, mais il est nécessaire d’agir sur <strong>le</strong>s causes du crime. Selon la théorie de Thomas<br />

Kuhn sur <strong>le</strong>s révolutions scientifiques, on se trouve dans une guerre de paradigmes: l’ancien<br />

(fondé sur la dictature de l’économie) qui ne veut pas mourir et <strong>le</strong> nouveau qui éprouve des<br />

difficultés à naître (utilisation rationnel<strong>le</strong> des ressources, incohérence entre <strong>le</strong> mode de vie<br />

occidental et la protection de l’environnement). Aujourd’hui face à la mondialisation du crime<br />

<strong>le</strong> problème est de savoir : la mobilisation de la société civi<strong>le</strong> au niveau mondial est-el<strong>le</strong><br />

possib<strong>le</strong>? La lutte anti-mafia doit-el<strong>le</strong> assumer <strong>le</strong> caractère d’un mouvement antimondialisation?<br />

Quelque soit <strong>le</strong> point de vue sur ces questions, certains aspects de la mondialisation<br />

sont étroitement liés à l’essor du crime organisé, comme l’exprime Umberto Santino: «mon<br />

engagement personnel et celui du Centre sicilien de documentation, que j'ai fondé il y a 25<br />

ans, ont pour objectif de créer un lien entre <strong>le</strong> mouvement anti-mafia et <strong>le</strong> mouvement antiglobal.<br />

Ceux-ci peuvent se retrouver sur <strong>le</strong> terrain de la lutte contre <strong>le</strong>s aspects criminels et<br />

criminogènes de la mondialisation (déséquilibres territoriaux et inégalités socia<strong>le</strong>s, l'opacité<br />

du système financier)».<br />

81


Conclusion<br />

N'hésitant ni à tuer ni à corrompre, <strong>le</strong>s <strong>mafias</strong>, organisations crimin<strong>el<strong>le</strong>s</strong><br />

transnationa<strong>le</strong>s, brassent chaque année 30 à 50 milliards de dollars dont une partie est<br />

largement recyclé donc blanchi dans l'économie mondia<strong>le</strong>. La première source de profits est<br />

toujours <strong>le</strong> trafic des stupéfiants, puis celui des armes, des migrants clandestins...<br />

« Il faut protéger l’économie pour défendre la démocratie, parce que si l’économie<br />

réel<strong>le</strong> tombe entre <strong>le</strong>s mains de la criminalité, il n’y a plus de démocratie. Il faut éga<strong>le</strong>ment<br />

contrecarrer la principa<strong>le</strong> stratégie de la Mafia : détourner la confiance que <strong>le</strong>s citoyens ont en<br />

<strong>le</strong>urs institutions » (Pier Luigi Vigna, <strong>le</strong> procureur national anti-Mafia, cité par <strong>le</strong> Corriere<br />

della Sera, 2005)<br />

82


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84

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