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Néfertiti : un visage pour l'éternité - Jacques CHUILON

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<strong>Néfertiti</strong> : <strong>un</strong> <strong>visage</strong> <strong>pour</strong> l’éternité<br />

En février 2009 paraissait <strong>un</strong> livre signé Henri Stierlin au titre explicite :<br />

La réponse serait dans la question… du moins l’auteur en est-il persuadé.<br />

On ne peut qu’être frappé par la manière de mettre en cause l’authenticité<br />

de la célèbre effigie, car elle ressemble étrangement à l’angle d’attaque<br />

refusant l’attribution de l’Hermès d’Olympie à Praxitèle. Pour résumer, il<br />

suffirait d’avancer que ces œuvres sont trop belles <strong>pour</strong> être véritables<br />

[Stielin écrit : « …Buste trop « parfait » <strong>pour</strong> être vrai. »] et le lecteur se<br />

convaincrait facilement qu’il ne peut être concevable de jouir d’<strong>un</strong> tel<br />

miracle, ce serait inespéré. Les chefs d’œuvre disparaissent plus sûrement<br />

que les œuvres médiocres, on le sait bien ! Avec le temps ne résonne que<br />

la légende à coup sûr embellie, des merveilles du passé, du Mausolée<br />

d’Halicarnasse au Colosse de Rhodes. Rien d’extraordinaire ne doit<br />

perdurer, excepté les œuvres secondaires alimentant nos rêves, nos<br />

soupirs <strong>pour</strong> ce qui nous manque. Le passé doit s’aborder avec indulgence<br />

et notre admiration doit se conditionner à cette relativisation : « <strong>pour</strong><br />

l’époque ». C’était audacieux <strong>pour</strong> ces temps reculés, exceptionnel étant<br />

1


<strong>Néfertiti</strong> de Thoutmosé<br />

2


Hermès de Praxitèle<br />

3


donnée la technologie rudimentaire dont on disposait. « …Et c’est peut-<br />

être mieux ainsi ! » concluaient souvent les documentaires du commandant<br />

Cousteau quand il devait reconnaître n’avoir pas réussi à élucider <strong>un</strong><br />

mystère, à découvrir <strong>un</strong> trésor ; et chaque téléspectateur de hocher la tête,<br />

comme on prononce <strong>un</strong> « Amen ! ». Il vaudrait mieux imaginer les chefs<br />

d’œuvre du passé que leur être confronté. On laisse entendre que c’est<br />

<strong>pour</strong> ne pas être déçu mais ce <strong>pour</strong>rait bien être par crainte d’en être<br />

écrasé, de perdre l’illusion que l’avenir est toujours meilleur. Il est<br />

intéressant de voir la force de persuasion que peut receler cette<br />

philosophie qui dévoile beaucoup sur le fondement de nos croyances…<br />

Certains prétendent qu’on ne connaîtrait auc<strong>un</strong> autre exemple de <strong>visage</strong><br />

au front si bombé, au modelé si lisse et si continu que l’on puisse dater du<br />

vivant de Praxitèle, donc, cela ne <strong>pour</strong>rait être. L’argument ne tient pas<br />

puisque nous ne possédons presque auc<strong>un</strong> original des grands sculpteurs<br />

grecs et notamment de Praxitèle. C’est bien le fait que la statue ne<br />

ressemble à auc<strong>un</strong>e copie qui devrait nous faire pencher <strong>pour</strong> son<br />

attribution au génie de la sculpture. Le poli du marbre nous étonne ;<br />

avons-nous oublié la façon d’entretenir les statues des grecs ? Les cheveux<br />

4


grossièrement taillés nous surprennent ? Mais quel coup de maître ! Un<br />

simple copiste aurait-il osé ce procédé audacieux ? Il n’y en pas pas<br />

d’exemple.<br />

Pour certains esprits timorés, il ne semble pas concevable que le génie de<br />

l’artiste ait pu anticiper l’avenir, ou plus exactement que les temps qui<br />

suivirent aient pu s’inspirer de son style. Et <strong>pour</strong>tant l’on admet<br />

couramment qu’<strong>un</strong> artiste de valeur doit être original et montrer ce que<br />

l’on n’imaginait pas avant lui et qui deviendra ensuite monnaie courante !<br />

La gloire de Praxitèle était immense de son vivant ; l’aurait-il obtenue avec<br />

des œuvres qui ne se distinguaient pas de celles de ses prédécesseurs ? On<br />

peut ranger dans la même catégorie l’observation que l’Hermès porte au<br />

pied <strong>un</strong> type de sandale dont on ne connaît pas d’exemple sculpté<br />

auparavant. Et <strong>pour</strong>quoi le faudrait-il ? Certains observateurs<br />

souligneront que le dos ne semble pas fini avec autant de soin que la face<br />

avant. Je ne vois pas que cette remarque prouve qu’il s’agit d’<strong>un</strong>e copie.<br />

On ne peut négliger de verser au dossier que la statue est en marbre de<br />

Paros et que le cas n’est pas fréquent <strong>pour</strong> <strong>un</strong>e copie romaine.<br />

5


Hermès : le dos paraît moins fini....<br />

6


L’oeuvre dérange et <strong>pour</strong>tant son style en est incontestablement<br />

praxitélien… Que devrait-on penser s’il ne l’était pas ? En fait, elle<br />

serait trop typique <strong>pour</strong> ceux qui la contestent… tout en agaçant par sa<br />

singularité. On ne peut avoir les deux, et lui reprocher de trop, et de ne<br />

pas assez, ressembler à l’image qu’on attend…<br />

La <strong>Néfertiti</strong>, aujourd’hui chef d’œuvre du musée de Berlin, laisse notre<br />

auteur perplexe parce qu’il n’y aurait pas d’autre exemple dans l’antiquité<br />

égyptienne de buste sans les épaules alors que l’époque moderne en<br />

fournit pléthore, mais c’est aussi la seule reine à porter cette coiffe et cela<br />

ne le trouble pas. Privilégier la banalité d’<strong>un</strong>e œuvre <strong>pour</strong> fonder son<br />

authenticité n’est pas sérieux, quand on sait justement que les faussaires<br />

ou les copistes, cherchent surtout à produire des objets qui n’ont rien <strong>pour</strong><br />

attirer l’attention, <strong>pour</strong> faire naître le soupçon ; rien qui sorte de<br />

l’ordinaire, ne serait-ce que par manque de l’imagination qui en aurait fait<br />

des artistes à part entière… (aussi Stierlin échafaude-t-il <strong>un</strong>e explication<br />

particulière que nous verrons plus loin...)<br />

7


Colosse d’Akhénaton<br />

8


Bas-relief d’Akhénaton, <strong>Néfertiti</strong> et leurs enfants<br />

9


Statuette polychrome d’Akhénaton et <strong>Néfertiti</strong><br />

10


Buste polychrome de Toutankhamon<br />

11


Tête « Salt », Musée du Louvre, ... sans épaules,<br />

époque « indéterminée »<br />

12


Il est surprenant que le chambardement esthétique apporté par<br />

Akhénaton, le monothéisme inattendu et les tentatives les plus diverses de<br />

réformes artistiques sans toujours de suite, n’aient pas plaidé <strong>pour</strong><br />

l’authenticité de la sculpture aux yeux de Stierlin, car la XVIIIème<br />

dynastie regorge d’innovations que l’on n’aurait pas supposées si l’on<br />

n’en avait pas découvert la preuve. Les déformations anatomiques<br />

« féminines » de certains colosses d’Akhénaton en sont <strong>un</strong> exemple. Il<br />

existe <strong>un</strong> buste polychrome de Toutankhamon dont le cou sort d’<strong>un</strong><br />

lotus dans <strong>un</strong>e construction qui n’est pas fréquente. Par ailleurs<br />

n’oublions pas que n’avoir pas retrouvé d’autre tête sans épaules<br />

n’implique pas qu’il n’en a pas existé… D’ailleurs, ce n’est justement<br />

pas le cas : Stierlin omettrait-il sciemment d’évoquer la « tête Salt » du<br />

Louvre, dont personne ne songe à contester l’authenticité ?<br />

Stierlin trouve que la <strong>Néfertiti</strong> ressemble à <strong>un</strong>e image Modern Style,<br />

époque où elle fut trouvée. Il rappelle, observation très juste, que les faux<br />

sont baignés par la mode courante à l’époque de leur fabrication. Celle-ci<br />

les rend plus acceptables aux contemporains, mais elle sautera<br />

brutalement aux yeux des générations suivantes, ce qui les démasque<br />

immanquablement. Est-ce vraiment le cas de ce buste ?<br />

13


« La Nature » par Mucha<br />

14


Rose Beuret par Augute Rodin<br />

15


Apollon et Daphné par Le Bernin<br />

16


Aphrodite de Rhodes<br />

17


Voyons-nous vraiment à travers lui le style de Mucha, de Rodin ? Car il<br />

n’est pas rare non plus que des recherches esthétiques se rejoignent à<br />

travers les siècles. Le Baroque anticipe lui-aussi le Modern Style ; ainsi par<br />

exemple l’Apollon et Daphné du Bernin de la galerie Borghèse <strong>pour</strong>rait<br />

« presque » avoir été réalisé à la fin XIXème siècle, comme l’Aphrodite de<br />

Rhodes… A l’inverse il est des têtes égyptiennes que l’on ne sait pas dater<br />

avec certitude sur <strong>un</strong>e fourchette qui excède mille ans… Il ne faut jamais<br />

oublier, quand on affirme qu’<strong>un</strong> temps ne peut anticiper le suivant,<br />

malgré ses innovations [!], que le processus joue souvent en sens inverse<br />

et qu’<strong>un</strong>e époque donnée trouve dans <strong>un</strong> passé choisi <strong>un</strong>e source de rêve<br />

et d’inspiration, ainsi par exemple <strong>pour</strong> le « style pompéien » ou « retour<br />

d’Egypte ». Les préraphaélites veulent renouer avec la Renaissance, mais<br />

ils témoignent aussi du XIXème. Autrement dit, il est bien documenté que<br />

l’Art Nouveau doit beaucoup à <strong>un</strong>e réflexion sur l’art ancien.<br />

Stierlin n’hésite pas à écrire :<br />

« Le portrait polychrome de <strong>Néfertiti</strong> incarne ainsi <strong>un</strong> idéal esthétique du<br />

<strong>visage</strong> féminin qui ne tardera pas à se matérialiser <strong>pour</strong> les foules dans<br />

<strong>un</strong>e image de la femme par excellence, de la femme fatale : <strong>un</strong>e sorte<br />

18


d’icône à la Marlène Dietrich, dont le symbole s’impose désormais et<br />

sera diffusé, grâce au cinéma et au culte de la vedette, de la star, dans<br />

les années 20 en Allemagne, puis dans le monde entier. La<br />

convergence, en tout cas, entre le Buste polychrome et l’idéal de la<br />

femme moderne, tel qu’il s’établit à l’aube du XXe siècle, est l’<strong>un</strong>e des<br />

raisons majeures du succès de la statue. Cette identification avec<br />

l’image moderne s’explique mieux si l’on admet qu’il s’agit d’<strong>un</strong>e<br />

production contemporaine à l’Art Nouveau… »<br />

Page suivante on trouve :<br />

« Cette influence Art Nouveau que traduit le Buste de <strong>Néfertiti</strong>, si elle<br />

n’était guère perceptible <strong>pour</strong> les contemporains de Borchardt, éclate<br />

maintenant – <strong>un</strong> siècle plus tard – aux yeux des historiens de l’art. »<br />

Il semble que règne ici <strong>un</strong> certain niveau de confusion. Dans les années 20<br />

et même en 1910, l’Art Nouveau souple et végétal, était bien démodé ;<br />

l’Art Déco s’épanouissait désormais avec ses formes géométriques. Le<br />

Cubisme et l’Art Nègre étaient passés par là. Malgré ce qui est<br />

maladroitement suggéré, la <strong>Néfertiti</strong> n’est pas inspirée par Marlène<br />

19


Dietrich qui était bien allemande comme Ludwig Borchardt, mais qui<br />

n’avait pas onze ans au moment des découvertes à l’atelier de Thoutmosé!<br />

Ce serait plutôt le contraire ! Marlène Dietrich n’ignorait pas qu’elle se<br />

façonnait <strong>un</strong> masque inaltérable qui puisait son inspiration dans les<br />

cérémonies mystérieuses du plus lointain passé. Et si le cinéma des années<br />

20 a pu être influencé par l’antiquité c’est que de nombreuses découvertes<br />

archéologiques importantes avaient ravivé la fascination du public ;<br />

rien que de très normal.<br />

Pour asseoir son impression Stierlin ajoute ces lignes :<br />

«Dans ce débat, je ne résiste pas au plaisir de citer des « Notes de<br />

voyages » qu’en date du 26 mars 1967 m’adressait André Corboz. De<br />

retour de Berlin, il consigna dans son journal quelques réflexions qui se<br />

révèlent prémonitoires, car elles montrent que nous avons été frappés par<br />

les mêmes caractéristiques de l’œuvre.<br />

« « <strong>Néfertiti</strong> – <strong>un</strong> faux, à mon sens, exécuté par <strong>un</strong> (artiste) dont la<br />

production habituelle intéresse plus les vitrines de coiffeurs que la<br />

sculpture ; le caractère de faux était invisible, parce qu’il correspondait au<br />

goût dominant à l’époque où cette choses a été lancée sur le marché ;<br />

20


quand les dernières séquelles de ce [goût en<br />

vogue] auront disparu, il ne restera que le faux, et l’on s’étonnera d’avoir<br />

pu prendre <strong>pour</strong> <strong>un</strong> chef d’œuvre <strong>un</strong> objet aussi évidemment roublard. » »<br />

Ce commentaire laisse dubitatif. Traduit-il vraiment <strong>un</strong>e capacité de<br />

prendre du recul, d’aborder l’art avec objectivité, ou naît-il d’<strong>un</strong> préjugé<br />

sur ce que l’Art doit être nécessairement ? Ainsi, le passé ne <strong>pour</strong>rait<br />

jamais surprendre ?… Une vitrine de coiffeur ne <strong>pour</strong>rait recevoir quelque<br />

chose de beau, parce que c’est <strong>un</strong>e vitrine de coiffeur ! Dans ce regard<br />

éteint par les conventions, l’Art Nouveau doit obligatoirement<br />

correspondre à <strong>un</strong>e mode passagère, <strong>un</strong>e esthétique superficielle, kitsch,<br />

appelée à disparaître et ne peut être apprécié comme <strong>un</strong> Art Classique,<br />

durable… Parce qu’<strong>un</strong>e œuvre ressemblerait à ce Modern Style, elle ne<br />

<strong>pour</strong>rait être admirée, car le faux serait inscrit dans sa perversion<br />

stylistique… Si Corboz ne va peut-être pas si loin, il induit <strong>pour</strong>tant de<br />

telles appréciations car son point de vue n’est pas clair, ne cherche pas à<br />

se clarifier, mais à exploiter les non-dits, les lieux comm<strong>un</strong>s de son<br />

lecteurs. Est-il sûr de ne pas être désorienté par la polychromie par son<br />

effet « moderne » ? Combien de fois n’a-t-on pas vanté au contraire<br />

l‘aspect étrangement moderne d’oeuvres millénaires ? Les idoles<br />

21


des Cyclades n’annoncent-elle pas Brancusi <strong>pour</strong> qui veut le voir<br />

ainsi ?<br />

Aristide Maillol n’aimait guère l’Hermès de Praxitèle (découvert en 1877);<br />

selon ses propres mots, il était sculpté dans du savon de Marseille,<br />

tellement la fluidité de son naturel s’éloignait <strong>pour</strong> lui de l’art Grec qu’il<br />

voyait d’<strong>un</strong>e certaine solennité, d’<strong>un</strong>e pesanteur <strong>un</strong> peu rigide, <strong>un</strong><br />

peu archaïque, qualités inscrites <strong>pour</strong> lui dans <strong>un</strong> passé dont il se<br />

sentait l’héritier. Ce qui doit faire réfléchir c’est la croyance que le<br />

même objet puisse être <strong>un</strong> chef d’œuvre s’il remonte à l’antiquité mais<br />

<strong>un</strong>e nullité s’il s’avère avoir été créé plus tard. Voila certainement <strong>un</strong>e<br />

étrange façon de considérer l’Art ; <strong>un</strong>e œuvre passerait du pinacle à la<br />

poubelle selon sa date de production ! D’évidence l’Art doit mériter<br />

notre admiration <strong>pour</strong> ses qualités intrinsèques et donc peu importe<br />

l’époque de son achèvement. En résumé : <strong>un</strong>e œuvre est bien<br />

construite ou mal ficelée, qu’elle soit antique ou moderne !<br />

22


Buste polychrome de <strong>Néfertiti</strong><br />

23


Buste polychrome de <strong>Néfertiti</strong><br />

24


Un autre point mérite l’attention : <strong>pour</strong> Stierlin, jamais <strong>un</strong> artiste n’aurait<br />

laissé <strong>un</strong> portrait royal avec <strong>un</strong> seul œil ; ce <strong>visage</strong> défiguré aurait été<br />

impardonnable. Cette remarque interpelle, mais elle n’établit pas que<br />

l’œuvre ait été de ce fait élaborée à l’époque moderne. Henri Stierlin<br />

ressent <strong>un</strong>e gêne à la vue d’<strong>un</strong> <strong>visage</strong> si parfait mais borgne, mais<br />

l’observateur n’est pas neutre et sa culture le suit. En d’autres termes cette<br />

particularité ne dérange-t-elle pas <strong>un</strong> regard occidental avec sa<br />

conception de l’espace tridimensionnel, de la perspective etc... ?<br />

Laissons le cas où le portrait aurait été imaginé <strong>pour</strong> être vu de profil<br />

et voyons plus attentivement comment est née la pénible impression :<br />

« Incontestablement, l’élégance avec laquelle la reine porte cette<br />

encombrante parure revêt <strong>un</strong> aspect fascinant. J’étais charmé par tant de<br />

« modernité » mais mon sentiment devant ce buste presque intact ne<br />

tarda pas à se muer en <strong>un</strong>e profonde gêne quand je découvris que son<br />

œil gauche était vide. La cavité parfaitement nette, laissée en blanc,<br />

paraissait inconvenante comparée à l’œil droit – si vivant ! – fait de<br />

matériaux semi précieux, figurant le globe oculaire, l’iris et la pupille de<br />

cristal de roche. Cette absence flagrante de l’œil gauche ne résultait<br />

visiblement ni d’<strong>un</strong>e perte ni d’<strong>un</strong>e détérioration due au temps ou au<br />

25


vandalisme. Il s’agissait d’<strong>un</strong> vide propre, comme clinique, reflétant la<br />

volonté de son auteur. C’est <strong>pour</strong>quoi je perçus comme insolite ce trou<br />

laissé en blanc. Il m’apparut comme <strong>un</strong> affreux crime de lèse-majesté. Se<br />

pouvait-il que le sculpteur ait assumé <strong>un</strong>e telle provocation ? Que<br />

signifiait cette lac<strong>un</strong>e béante, absurde ? Esquisse ou ébauche ? En tout<br />

cas, elle attestait <strong>un</strong> manque de respect <strong>pour</strong> le personnage figuré.<br />

Surtout si l’on connaît l’importance que les anciens égyptiens conféraient<br />

à l’image, au rôle magique de l’effigie, qui <strong>pour</strong> eux incluait en elle-même<br />

la valeur de l’être représenté. Déception, donc… et doute. »<br />

On voit que cet œil manquant est déterminant dans l’effet ressenti par<br />

Stierlin mais précisément parce qu’il pense qu’il a été voulu ainsi par le<br />

sculpteur. Qu’est-ce qui lui permet de le croire ? En réalité, rien de solide.<br />

Stierlin cite ces quelques lignes signée de Dorothea Arnold, conservatrice<br />

du Département d’Art égyptien au Metropolitan Museum :<br />

« Il serait intéressant d’avoir plus d’informations sur l’absence de l’œil<br />

gauche. Borchardt, <strong>pour</strong> sa part, avait déclaré avoir fait faire, par ses<br />

ouvriers, des recherches minutieuses, sans avoir trouvé d’autres débris<br />

26


dans les gravats. » Il reconnut par la suite « qu’il n’y avait pas de trace de<br />

colle dans la cavité oculaire, et que celle-ci était lisse et n’était pas<br />

destinée à recevoir <strong>un</strong>e incrustation ; il concluait que l’œil gauche<br />

n’avait été <strong>pour</strong>vu d’auc<strong>un</strong> élément rapporté et que la pupille gauche<br />

n’avait jamais existé. »<br />

On voit ici <strong>un</strong> défaut caractérisé de rigueur, d’esprit scientifique. Le fait<br />

qu’il n’y ait pas eu d’œil ne signifie pas qu’il n’allait pas y en avoir…<br />

Comment savoir si le sculpteur a voulu <strong>pour</strong> définitif l’état dans lequel a<br />

été trouvé le buste ? Sur quel élément établir cette opinion si ce n’est sur le<br />

fait que le buste est ainsi devant nos yeux puisque le temps se trouve en<br />

quelque sorte arrêté ? L’auteur semble manquer d’imagination sur les<br />

circonstances de production d’<strong>un</strong>e œuvre et sur les hasards qui peuvent<br />

la laisser inachevée. Alors qu’il reste le plus souvent sceptique devant sa<br />

parole, Stierlin admet l’explication donnée par l’égyptologue Borchardt,<br />

hasardant que l’œil gauche n’a jamais été prévu <strong>pour</strong> recevoir quoi que ce<br />

soit parce qu’il est propre. Il n’imagine pas que ç’aurait pu être le cas aussi<br />

de l’autre œil à l’origine. Peut-être Thoutmosé a-t-il essayé le buste<br />

d’abord avec les deux yeux vides, puis ayant changé d’avis, ou reçu<br />

l’ordre de modifier son travail, a commencé cette action sur l’œil droit<br />

27


Sarcophage de la tombe KV55<br />

28


Reconstitution du masque de la tombe KV55<br />

29


Statuette polychrome d’Akhénaton<br />

30


Statuette polychrome d’Akhénaton<br />

31


Buste en plâtre d’Akhénaton<br />

32


Masque f<strong>un</strong>éraire de Toutankhamon<br />

33


Buste de <strong>Néfertiti</strong><br />

34


<strong>Néfertiti</strong><br />

35


avant d’être interrompu par <strong>un</strong> évènement particulier. Le fait d’avoir au<br />

départ conçu le buste avec les iris vides surprend-il ? Le sarcophage de la<br />

tombe KV55 que l’on pense être celui d’Akhenaton, et qui appartient du<br />

moins indubitablement à la XVIIIème dynastie, n’a pas non plus reçu de<br />

quoi remplir son oeil : fait surprenant, ou du moins inattendu <strong>pour</strong> <strong>un</strong><br />

masque dont l’authenticité n’est <strong>pour</strong>tant pas mise en doute… Une<br />

statuette d’Aménophis IV est monochrome et sans iris, avec seulement la<br />

coiffe colorée en bleu…<br />

S’il avait su au préalable que le sculpteur voulait continuer son travail,<br />

Stierlin n’aurait donc pas ressenti de gêne. Ce n’est donc pas l’objet<br />

lui-même qui pose problème. La volonté de démontrer la falsification<br />

repose sur la fragilité d’<strong>un</strong>e idée mal fondée…. Par ailleurs le masque<br />

mortuaire de Toutankhamon, avec ses deux yeux, mais privé lui-aussi de<br />

ses épaules ne peut-il pas faire naître <strong>un</strong> malaise comparable ? La vie figée<br />

dans la mort peut désorienter <strong>un</strong>e âme sensible, ou du moins la<br />

contemplation prolongée d’<strong>un</strong> objet inerte qui semble douée de vie d’<strong>un</strong>e<br />

telle intensité qu’elle conduit à douter de soi-même ?<br />

36


Hermès<br />

37


Hermès<br />

38


A la mise en cause de l’aspect et du style s’ajoute inévitablement le doute<br />

émis sur les moyens techniques de la réalisation… <strong>pour</strong> l’époque. Dans<br />

l’Hermès, certains ont souligné que le dos laisse apparaître des traces<br />

d’outils qui ne sont pas habituels encore à l’époque de Praxitèle, <strong>pour</strong> ce<br />

que nous en savons... Il est intéressant de s’apercevoir que la qualité<br />

magique de la statue, inégalée par auc<strong>un</strong>e copie de l’antiquité, ne pèse<br />

guère chez ceux qui établissent leur avis « scientifiquement », alors qu’il<br />

est évident qu’<strong>un</strong> artiste secondaire (<strong>pour</strong> ne pas dire <strong>un</strong> faussaire), ne<br />

possède par définition, pas la puissance créative d’<strong>un</strong> génie… Les raisons<br />

qui ont pu faire <strong>un</strong>e particularité, même si elle peut étonner, ne<br />

plaident pas <strong>pour</strong> <strong>un</strong> copiste et l’on <strong>pour</strong>rait faire l’effort de chercher<br />

diverses explications ; l’Hermès <strong>pour</strong>rait être <strong>un</strong>e œuvre tardive, pas<br />

complètement finie par l’artiste. Michel-ange n’a-t-il pas laissé des<br />

Esclaves inachevés ? L’œuvre de Praxitèle <strong>pour</strong>rait avoir été finies par <strong>un</strong><br />

élève de son atelier, ou restaurée parce que malencontreusement abîmée,<br />

ou placée de façon qu’on ne voie pas le dos et dans la précipitation d’<strong>un</strong>e<br />

occasion particulière…<br />

Le tenon qui relie la hanche au tronc d’arbre déplait à certains, mais le<br />

marbre l’impose et il n’y a pas de preuve que Praxitèle ait pu s’en passer.<br />

39


Les répliques de l’Apollon Sauroctone du Satyre au repos et de<br />

l’Aphrodite de Cnide y font appel et la peinture de Nicias <strong>pour</strong>rait l’avoir<br />

habilement camouflé… Le <strong>visage</strong> de l’enfant n’est pas assez soigné,<br />

mais Praxitèle <strong>pour</strong>rait avoir eu recours à <strong>un</strong> aide, et le bras tendu du<br />

petit Dionysos aujourd’hui manquant, le dissimulait… Le traitement<br />

du drapé sur l’arbre n’est pas courant… n’est-ce pas la preuve de la<br />

personnalité d’<strong>un</strong> grand artiste ? On le voit à chaque moment le doute<br />

ne repose sur rien de solide, alors que la découverte de la statue à<br />

l’endroit où Pausanias indique <strong>un</strong>e oeuvre de Praxitèle, le style<br />

tellement éloquent de l’artiste, et la beauté stupéfiante de l’oeuvre,<br />

devraient plaider <strong>pour</strong> l’authenticité. Mais justement ces éléments sont<br />

trop concordants <strong>pour</strong> les pessimistes!<br />

Il est symptomatique de trouver invoquées les pratiques techniques les<br />

plus courantes jusque dans le cas d’<strong>un</strong>e œuvre exceptionnelle. L’Athéna<br />

Parthénos de Phidias n’était-elle pas chryséléphantine ? On ne peut en<br />

douter, bien que l’on n’ait guère retrouvé de statues façonnées dans cette<br />

technique. Michel-Ange n’a-t-il pas fait incliner de manière inattendue<br />

le plan du Jugement Dernier ? Les exemples d’œuvres qui s’écartent des<br />

standards en vigueur à leur époque sont légion. Le choix du plâtre<br />

40


appliqué et remodelé sur pierre étonne Stierlin, mais ce cas, <strong>pour</strong> n’être<br />

pas très usité, existe bel et bien dans l’Egypte ancienne. On comprendra<br />

que l’argument des pigments antiques ne touche pas le sceptique car ils<br />

<strong>pour</strong>raient, selon lui, avoir été trouvés dans l’atelier de Thoutmosé et<br />

ensuite utilisés, le plâtre lui, ne pouvant être daté avec certitude dans l’état<br />

de la science… mais si cela ne prouve pas l’authenticité ces observations<br />

ne font pas non plus avancer la thèse d’<strong>un</strong>e falsification moderne… En<br />

d’autres termes, si rien ne prouve à l’heure actuelle que le buste est<br />

antique, rien ne prouve incontestablement non plus qu’il est du XXème<br />

siècle.<br />

Voici ce que propose Stierlin comme explication :<br />

« Si l’on met en doute l’authenticité d’<strong>un</strong>e œuvre, encore faut-il se<br />

demander dans quel but <strong>un</strong>e telle « copie » d’ancien aurait été produite :<br />

il est rare qu l’on confectionne méticuleusement <strong>un</strong> faux, que l’on parodie<br />

<strong>un</strong>e création pharaonique <strong>pour</strong> le simple plaisir de piéger quelques<br />

confrères. Cela arrive, certes, on l’a vu à propos d’<strong>un</strong>e manœuvre de<br />

Borchardt précisément… Mais, le plus souvent, le faussaire est mu par<br />

l’attrait du bénéfice qu’il <strong>pour</strong>ra tirer de son travail, en cas de succès,<br />

41


sur le marché de l’art (voir le négoce d’Aslanian). Pour ce qui est du buste<br />

de <strong>Néfertiti</strong>, en revanche, il ne semble pas que ce soit le cas. Car l’objet<br />

n’était pas destiné à la vente et ne visait certainement pas à<br />

ridiculiser <strong>un</strong> égyptologue..<br />

En général, il faut admettre qu’il existe <strong>un</strong> mobile fort <strong>pour</strong> qu’<strong>un</strong> artiste<br />

réalise <strong>un</strong>e œuvre de qualité, répondant à des préoccupations<br />

scientifiques. Dans le cas du Buste polychrome, quel <strong>pour</strong>rait être ce<br />

mobile, si ce n’est le besoin de réaliser <strong>un</strong>e « expérience scientifique ». Or<br />

<strong>un</strong> tel mobile semble bel et bien exister : c’est, semble-t-il, le désir de<br />

Borchardt de réaliser <strong>un</strong>e reconstitution sérieuse permettant de faire <strong>un</strong>e<br />

démonstration dans <strong>un</strong> domaine esthétique. L’archéologue voulait étayer<br />

de manière plausible <strong>un</strong>e hypothèse dont dépendrait l’interprétation de<br />

l’art d’<strong>un</strong>e époque donnée. Je suis convaincu que le Buste de <strong>Néfertiti</strong> a<br />

été confectionné <strong>pour</strong> répondre à deux interrogations de Borchardt.<br />

1° Il désirait se rendre compte de ce que donnerait <strong>un</strong>e sculpture en<br />

ronde bosse figurant la reine d’Egypte surmontée de son étrange couvre-<br />

chef en forme de couronne tronconique, sculpture dont auc<strong>un</strong> exemple<br />

n’existait, alors que les tenons surmontant les portraits en quartzite du<br />

sculpteur Thoutmosé montraient qu’<strong>un</strong> couvre-chef était projeté, et que<br />

divers bas-reliefs en donnaient des figurations de profil ?<br />

42


2° Il voulait disposer d’<strong>un</strong> « modèle » <strong>pour</strong> se rendre compte de l’effet de<br />

polychromie et <strong>pour</strong> mieux connaître son rôle dans la statuaire<br />

égyptienne à l’époque amarnienne, en particulier dans les portraits de<br />

souverains. Il s’inscrivait ainsi dans <strong>un</strong> débat qui battait alors son plein.<br />

C’est probablement <strong>pour</strong> répondre à ces préoccupations que Ludwig<br />

Borchardt a fait réaliser à Tell el-Amarna, par le sculpteur de l’équipe de<br />

fouilles, le désormais célèbre Buste. »<br />

Ailleurs dans le livre on trouve :<br />

« Une chose est certaine : le Buste polychrome de <strong>Néfertiti</strong> apparaît en<br />

décembre 1912 ; il passe alors <strong>pour</strong> <strong>un</strong>e pièce « découverte » dans la<br />

journée du 6 décembre, jour où les Altesses de Saxe sont venues sur le<br />

chantier <strong>pour</strong> <strong>un</strong>e visite du site où ont eu lieu récemment des trouvailles<br />

archéologiques retentissantes. Coïncidences, coïncidences… Lorsque<br />

lesdites Altesses découvrent le Buste polychrome et se font<br />

photographier à son côté, elles sont persuadées qu’il s’agit bien de l’<strong>un</strong>e<br />

des merveilles mises au jour par Borchardt.<br />

…<br />

43


Mannequin polychrome de Toutankhamon avec coiffe<br />

44


Tête de <strong>Néfertiti</strong><br />

45


Plâtre de <strong>Néfertiti</strong> (?)<br />

46


Alors que la ou les photos furent publiées dans la presse, il n’était guère<br />

possible à Borchardt de signaler que l’objet photographié n’était pas<br />

ce que les Altesses royales croyaient. Ce serait revenu à ridiculiser ces<br />

dernières. Une telle idée était impensable à cette époque à l’égard d’<strong>un</strong>e<br />

famille régnante d’Allemagne. Je précise que la Saxe, en 1912, est<br />

encore <strong>un</strong> royaume. La monarchie ne s’effondrera qu’en 1918, sous<br />

Guillaume II, par la renonciation au trône de Frédéric-Auguste, qui aura<br />

régné de 1904 à 1918. Toute allusion à cette « bévue royale » aurait été<br />

considérée comme <strong>un</strong> crime de lèse-majesté. »<br />

Tout d’abord soulignons ce point ; que Borchardt se soit investi dans la<br />

dénonciation des faux antiques, notamment d’Oxan Aslanian (1887-1968)<br />

n’en fait pas <strong>un</strong> faussaire lui-même. Plus généralement, il faut reconnaître<br />

que l’hypothèse formulée paraît séduisante au premier abord, mais<br />

qu’elle présente quelques failles majeures. Tout d’abord, et <strong>pour</strong> aller <strong>un</strong><br />

peu dans son sens, il est surprenant que Stierlin ne suppose pas que ce<br />

buste exceptionnel aurait pu être fabriqué <strong>pour</strong> combler James Simon, le<br />

riche mécène de toute cette opération de fouilles, car c’est chez lui que le<br />

buste arrive après sa sortie d’Egypte et c’est dans sa collection privée<br />

47


que Borchardt, essayant d’empêcher <strong>un</strong>e trop grande exposition publique<br />

voulait le laisser.<br />

Mais <strong>un</strong>e autre constatation balaye toutes ces conjectures. Si Borchardt, au<br />

départ, en toute honnêteté scientifique, avait vraiment voulu constituer<br />

<strong>un</strong>e maquette, <strong>pour</strong>quoi aurait-il voulu que les oreilles et l’uraeus en<br />

soient cassés, <strong>pour</strong>quoi aurait-il demandé qu’<strong>un</strong> seul œil soit fini,<br />

<strong>pour</strong>quoi aurait-il souhaité que la peinture à l’arrière de la coiffe soit<br />

abîmée ? Ces éléments ne sont compatibles qu’avec la volonté de produire<br />

<strong>un</strong> faux et non pas avec celle de fabriquer <strong>un</strong> modèle <strong>pour</strong> comprendre à<br />

quoi pouvaient ressembler les bustes inachevées, évidemment prévus<br />

<strong>pour</strong> recevoir cette couronne si particulière… Stierlin ne veut même pas<br />

voir ce cas, et son hypothèse achoppe évidemment sur ces évidences.<br />

Précisons qu’en 1922, soit dix ans après, l’on trouvera dans la tombe de<br />

Toutankhamon <strong>un</strong> buste avec <strong>un</strong>e coiffe qui ressemble à celle de <strong>Néfertiti</strong>,<br />

mais moins haute, avec l’uraeus intact… et cela nous conduit à <strong>un</strong>e autre<br />

hypothèse ; Stierlin dénonce le flou avec lequel Borchardt relate sa<br />

découverte et doute que le buste ait pu être trouvé dans les gravats de<br />

l’atelier du sculpteur Thoutmosé, face contre terre, sans être plus détérioré<br />

48


Buste de <strong>Néfertiti</strong> de profil<br />

49


Buste de <strong>Néfertiti</strong><br />

50


Akhénaton<br />

51


qu’il n’est. C’est possible, comme il est possible que Borchardt ait trouvé<br />

cet objet légendaire ailleurs, et qu’il n’ait pas voulu révéler où.<br />

Cela ne fait pas de Borchardt <strong>un</strong> faussaire, mais seulement <strong>un</strong> menteur.<br />

Quand Stierlin s’étonne que Borchardt ait écrit que la <strong>Néfertiti</strong><br />

polychrome était en calcaire alors qu’il ne pouvait pas le savoir, le plâtre<br />

et la peinture le recouvrant totalement ; il néglige que l’archéologue ait pu<br />

simplement le supposer, car Borchardt n’était pas d’<strong>un</strong>e grande rigueur,<br />

on le voit par exemple quand il qualifie la tiare de la reine de « perruque ».<br />

Le Buste polychrome n’est pas le seul objet dont il ne précise pas la date et<br />

le lieu exact de découverte. Quand Borchardt publie face à face le profil du<br />

buste polychrome et symétriquement <strong>un</strong> buste en plâtre portant des<br />

indications originales de retouches et qu’il commente ce dernier de la<br />

sorte : « Etat antérieur du précédent modèle de portrait », Stierlin voit <strong>un</strong>e<br />

incohérence qui alerte sa sagacité, alors qu’il peut s’agir d’<strong>un</strong> relâchement<br />

de la pensée comme de la phrase ; Borchardt voulant dire qu’à son avis le<br />

portrait en plâtre était appelé à ressembler à l’autre.<br />

Stierlin voit à tort Borchardt comme <strong>un</strong> scientifique rigoureux ce qui le<br />

conduit à parier <strong>pour</strong> <strong>un</strong>e volonté de dissimulation. De plus il centre trop<br />

ses investigations sur <strong>un</strong>e seule pièce, négligeant d’autres<br />

52


invraisemblances qui permettraient de mieux cerner le personnage de<br />

Borchardt. Sa naïveté le rend d’ailleurs sympathique quand il suppose<br />

à tort la bienveillance <strong>pour</strong> ses recherches, d’officiels tels que Dietrich<br />

Wild<strong>un</strong>g et Rolf Krauss. Par ailleurs Stierlin n’est pas non plus exempt de<br />

laisser sa phrase dépasser sa pensée quand il qualifie à plusieurs reprises<br />

le buste d’ « intact » alors qu’il porte quelques marques, certes secondaires,<br />

de dégradations Et quand il dit à propos d’<strong>un</strong>e photo publiée que<br />

« l’oreille qui partout est cassée, est encore intacte ! », il semble ignorer<br />

l’angle de vue particulier du photographe et le travail que l’on peut<br />

effectuer <strong>pour</strong> retoucher <strong>un</strong> cliché. Mais <strong>pour</strong> continuer sur la prétendue<br />

réalisation en cachette d’<strong>un</strong>e reconstitution ; est-on sûr que Borchardt<br />

appréciait tant la polychromie qu’il ait voulu risquer <strong>un</strong> exemple aussi<br />

accompli, alors qu’<strong>un</strong> exemple avec seulement des rehauts de crayons<br />

aurait suffi ? L’égyptologue Rudolph Anthes, son cadet de 33 ans, lui,<br />

n’approuvait guère toutes ces couleurs ; l’avancée du savoir et du goût ne<br />

l’avait pas converti. Combien de fois n’a-t-on pas lu que les temples grecs,<br />

comme l’Hermès de Praxitèle, étaient bariolés de couleurs criardes que<br />

nos yeux raffinés ne supporteraient plus, bénis que nous sommes de<br />

pouvoir les apprécier tels qu’ils sont maintenant dans la blancheur<br />

immaculée du marbre !<br />

53


Voici comment Stierlin récapitule sa thèse :<br />

« Les scientifiques et les institutions chargés de veiller sur le Buste de<br />

<strong>Néfertiti</strong>, sachant que l’authenticité de l’œuvre est <strong>pour</strong> le moins<br />

discutable, ont tenté de la prouver en se fondant sur des démonstrations<br />

recourant à des procédés parfaitement scientifiques, mais qui n’ont rien<br />

changé au fait qu’en l’état de nos connaissances et techniques,<br />

l’ancienneté de l’œuvres est tout simplement indémontrable.<br />

[comme le contraire, d’ailleurs !]<br />

Borchardt lui-même a signalé avoir trouvé dans l’atelier du sculpteur<br />

Thoutmosé <strong>un</strong>e quantité de pigments anciens. On pouvait donc en tirer<br />

parti au XXe siècle. Le fait que les pigments qui couvrent <strong>un</strong>e œuvre sont<br />

authentiques, ne prouve pas que celle-ci le soit aussi… surtout lorsque<br />

l’on sait que l’équipe de Borchardt comprenait <strong>un</strong> sculpteur.<br />

[il n’a jamais été rare qu’<strong>un</strong>e équipe d’archéologues comprenne des artistes…]<br />

De même, le recours à la tomographie ne démontre rien : elle permet de<br />

décrire la structure interne de l’œuvre et de faire apparaître les repentirs<br />

de l’artiste, mais ne dit ni qui était ce dernier ni quand il a effectué son<br />

travail. Conclure que c’était Thoutmosé, simplement parce qu’on est<br />

parti de l’hypothèse que c’était lui, est purement tautologique – et <strong>un</strong><br />

peu simpliste.<br />

54


De cette enquête, il résulte <strong>un</strong> formidable [sic !] faisceau de preuves [ ?]<br />

et d’indices qui montrent que le Buste polychrome de Berlin, sans être <strong>un</strong><br />

faux destiné au marché des Antiquités, est le produit d’<strong>un</strong>e expérience<br />

moderne. Pour la clarté de l’exposé, je reprends ici, point par point, les<br />

données qui composent ce faisceau. Les voici, dans l’ordre où elles me<br />

sont apparues.<br />

1 Les épaules du Buste sont coupées verticalement, selon <strong>un</strong><br />

usage qui ne répond pas aux canons de la sculpture<br />

pharaonique, mais qui correspond à ceux du début du XXe siècle.<br />

2 L’œil gauche de la reine est vide et n’a jamais été réalisé ; son<br />

absence qui constitue <strong>un</strong> outrage à la souveraine, ne s’explique<br />

pas dans le contexte de la sculpture pharaonique ;<br />

3 Le caractère de ce Buste, sculpté dans <strong>un</strong>e épaisse couche de<br />

plâtre (ou de stuc) enveloppant <strong>un</strong> noyau de pierre, est inusité et<br />

en fait <strong>un</strong> hapax.<br />

4 Ludwig Borchardt dans son rapport, parle d’<strong>un</strong> buste de calcaire,<br />

alors qu’il était impossible de connaître le matériau contenu sous<br />

le plâtre avant d’avoir fait <strong>un</strong> examen aux rayons X.<br />

5 Les recherches modernes fournies par la « tomoscopie » et les<br />

55


ayons X n’apportent pas la preuve de l’authenticité de l’œuvre.<br />

Toute conclusion, de ce point de vue, ne saurait reposer que sur<br />

<strong>un</strong>e pétition de principe.<br />

6 Les preuves tirées de l’analyse des pigments n’ont pas plus de<br />

valeur, puisque Borchardt pouvait se servir de ceux qui ont été<br />

découverts lors des fouilles à Tell el-Amarna.<br />

7 L’histoire de la « sortie d’Egypte » du Buste en 1913, à la barbe<br />

des autorités des Antiquités d’Egypte, est purement<br />

rocambolesque. Jamais le Buste n’a été officiellement attribué à<br />

l’Allemagne.<br />

8 La volonté manifestée pendant dix ans par Ludwig Borchardt de<br />

soustraire l’œuvre à la vue du public et aux photographes atteste<br />

la gêne qu’il éprouvait à donner le Buste <strong>pour</strong> authentique.<br />

9 En offrant le Buste à Simon, Borchardt voulait éviter de le<br />

présenter officiellement au Musée et aux spécialistes de<br />

l’égyptologie. Il confirmait ainsi sa volonté de se défaire d’<strong>un</strong><br />

objet « encombrant » du point de vue scientifique.<br />

10 L’interdiction faite par Borchardt à Simon de « prêter » l’œuvre<br />

<strong>pour</strong> <strong>un</strong>e exposition consacrée aux découvertes de Tel el-<br />

Amarna à Berlin, en 1913, démontre [sic !] sa volonté de soustraire<br />

l’œuvre au regard des spécialistes.<br />

56


11 Le recours qu’il adresse à la Chancellerie d’Etat en 1918 <strong>pour</strong><br />

empêcher toute présentation publique de l’œuvre est <strong>un</strong>e<br />

tentative analogue, qui indique le malaise entourant le Buste ;<br />

12 Le refus de Borchardt, durant plus de 10 ans, de rédiger <strong>un</strong><br />

rapport de fouilles sur la découverte du Buste, et l’absence d’<strong>un</strong>e<br />

Notice scientifique consacrée à sa description constituent la<br />

preuve [sic !] que l’objet ne pouvait, aux yeux mêmes de<br />

Borchardt, être classé parmi les trésors du Musée.<br />

13 La rédaction désinvolte de la Notice de 1923 manque<br />

singulièrement de rigueur scientifique et fourmille<br />

d’invraisemblances, ce qui est incompréhensible si l’on admet<br />

que l’œuvre représente <strong>un</strong>e découverte capitale de l’égyptologie.<br />

14 Le récit de l’apparition de la nuque du buste lors de sa prétendue<br />

exhumation est rigoureusement impossible, la position décrite<br />

de l’objet, face contre terre, l’interdisant absolument.<br />

15 L’occultation du de Borchardt, dont<br />

l’existence est par ailleurs attestée par les membres du Musée<br />

de Berlin-Est, démontre [sic !] qu’il contient des données que l’on<br />

veut aujourd’hui encore cacher au public. »<br />

57


Plâtre ... sans les épaules<br />

58


Plâtres d’Akhénaton et de <strong>Néfertiti</strong><br />

59


Nous avons répondu à l’essentiel de ces points, sans même souligner qu’il<br />

existe <strong>un</strong> plâtre amarnien que nul ne conteste, où les épaules sont absentes,<br />

mais il reste à formuler <strong>un</strong>e théorie que Stierlin n’a pas émise. L’attitude<br />

de Borchardt peut s’expliquer tout autrement ; il aurait pu avoir<br />

conscience d’avoir sorti frauduleusement <strong>un</strong> témoignage de la plus haute<br />

importance et redouter la réaction des autorités égyptiennes. Non<br />

seulement son pays, mais lui même aux yeux de ses contemporains,<br />

pouvaient être atteint douloureusement ; il se sera donc employé à éviter<br />

de « faire trop de vagues ». Comment a-t-il obtenu ce fameux buste ?<br />

Comment a-t-il réussi à lui faire passer les frontières ? Mystère ! Borchardt<br />

avait-il <strong>un</strong> accord secret avec Simon ? Est-ce parce que le mécène tenait<br />

beaucoup à ce buste qu’il ne fallait pas qu’enfle sa réputation <strong>pour</strong> en faire<br />

<strong>un</strong> objet qui revienne inévitablement à <strong>un</strong> musée ? Manœuvre qui se<br />

révéla impossible à réussir. Comment savoir?… Mais toutes ces zones<br />

d’ombre ne « prouvent » ni ne « démontrent » quoi que ce soit. Stierlin<br />

bizarrement, reste aveugle à ces possibilités et ne s’étonne pas plus que<br />

l’Egypte et ses experts (comme actuellement le terrible Zahi Hawass,<br />

Secrétaire général du Conseil suprême des Antiquités égyptiennes),<br />

tiennent autant à récupérer <strong>un</strong>e œuvre que lui persiste à croire<br />

60


mensongère… du moins ses « preuves » et ses « démonstrations » ne<br />

peuvent emporter totalement l’adhésion…<br />

Finalement, au travers de la remise en cause de l’Hermès de Praxitèle et<br />

du buste de <strong>Néfertiti</strong>, on voit que la question centrale est escamotée. Pour<br />

mieux comprendre la problématique il ne faut pas oublier le moteur de la<br />

querelle, l’étincelle du doute ; ces oeuvres seraient trop belles <strong>pour</strong> être<br />

vraies, l’éclat de leur beauté dépasse et de loin, leur temps dans lequel elle<br />

devrait rester limitée, et c’est <strong>pour</strong>quoi il y aurait « anguille sous roche ».<br />

Cela dévoile beaucoup sur la motivation des sceptiques ; <strong>un</strong>e œuvre du<br />

passé ne <strong>pour</strong>rait pas être aussi magnifique, il est inconcevable qu’on ait<br />

la chance de profiter d’<strong>un</strong>e telle beauté, nous ne le méritons pas, le sort ne<br />

saurait le tolérer… Il y a toujours des esprits malins <strong>pour</strong> affirmer que<br />

Shakespeare ou Molière n’ont pas écrit leurs pièces, croyant du même<br />

coup effacer le poids écrasant de leur génie.<br />

Pour finir et récapituler, se <strong>pour</strong>rait-il que l’Hermès soit dû à <strong>un</strong><br />

copiste peu fidèle ou à <strong>un</strong> sculpteur secondaire homonyme de Praxitèle<br />

et postérieur à la date que l’on croit, que le buste de <strong>Néfertiti</strong> soit le<br />

fruit d’<strong>un</strong> faussaire même bien intentionné du XXème siècle ? Se peut-il<br />

61


que d’obscurs praticiens aient élaborés <strong>un</strong> objet en remontant les<br />

arcanes du temps, <strong>pour</strong> atteindre avec <strong>un</strong>e telle intelligence le style de<br />

Praxitèle, celui de la XVIIIème dynastie ? Ces conditions de soumission ne<br />

devraient pas produire <strong>un</strong> chef d’œuvre, du moins dans <strong>un</strong>e certaine<br />

conception de l’Art. On comprend mieux la hargne <strong>pour</strong> quelques <strong>un</strong>s de<br />

les dénoncer… Et <strong>pour</strong>tant voici que surgissent des objets parmi les plus<br />

aimés, et durablement, car le public leur sera resté fidèle par delà les<br />

modes. Ce n’est pas en terminant son livre par « kitch » que l’auteur<br />

<strong>pour</strong>ra convaincre. Il a le droit de ne pas goûter cette œuvre, mais aurait-il<br />

raison sur l’erreur de datation, qu’<strong>un</strong> mystère encore plus grand<br />

s’ouvrirait sur la force de cette image. S’il était <strong>un</strong> objet de « style nouille »<br />

évoquant l’Egypte antique ? Quel mal à cela ? Pourquoi le mépriser, il n’en<br />

serait pas moins réussi. La Renaissance et le siècle qui suivit n’a-t-il pas<br />

favorisé la production de statues splendides « à l’antique » ? Si les<br />

faussaires produisent des œuvres plus belles que les artistes, alors<br />

<strong>pour</strong>quoi s’intéresser aux artistes ? Stierlin proclame :« Trop belle <strong>pour</strong><br />

être vraie », il reste à lui répondre : « Trop belle <strong>pour</strong> être fausse ».<br />

Il n’est pas tenable de soutenir que ces œuvres ne sont pas dignes de<br />

l’admiration <strong>un</strong>iquement parce que leur époque de fabrication n’est pas<br />

62


celle que l’on croit ou parce qu’il faut les attribuer à quelqu’<strong>un</strong> d’autre,<br />

comme si l’on devait trouver l’émotion artistique dans les renseignements<br />

contenus dans la plaquette de présentation plutôt que dans l’œuvre<br />

elle-même. Toute cette analyse est profitable car elle conduit à<br />

s’apercevoir qu’<strong>un</strong>e certaine façon de présenter l’importance de l’Art au<br />

travers de son histoire est caduque et qu’il faut chercher les qualités<br />

intrinsèques de ce qui se donne à voir. Si <strong>un</strong> artiste mineur, <strong>un</strong> obscur<br />

faussaire, peut créer <strong>un</strong>e œuvre aussi aimée que l’Hermès d’Olympie ou<br />

le buste de <strong>Néfertiti</strong>, alors il n’est plus <strong>un</strong>e figure secondaire et certains<br />

verrous que les experts veulent maintenir <strong>pour</strong> réguler l’histoire de l’art<br />

doivent sauter <strong>pour</strong> que se pose enfin la vraie question : <strong>pour</strong>quoi ces<br />

œuvres sont belles ?<br />

<strong>Jacques</strong> Chuilon<br />

Paris, 2009-2010<br />

chuilonjacques@aol.com<br />

http://www.chuilon.com/<br />

63<br />

suite...


Tomographie du buste de <strong>Néfertiti</strong><br />

64


ADDITIF<br />

Il y a quelques mois, <strong>un</strong>e équipe de scientifiques, faisait <strong>un</strong>e découverte<br />

fracassante ; le sourire de la Joconde serait dû au fait qu’elle était enceinte.<br />

Il faut se pincer <strong>pour</strong> ne pas éclater de rire ! Faut-il attendre <strong>un</strong> enfant <strong>pour</strong><br />

sourire ? Léonard n’a-t-il pas orné de cette même expression des<br />

personnages qui ne pouvaient rien espérer de ce côté, comme Saint<br />

Jean-Baptiste ? Mais la science ne se conteste pas sans blasphème !<br />

Tout récemment on pouvait lire sur de nombreux sites <strong>un</strong> message<br />

comme celui-ci :<br />

Celle qui est considérée comme la Mona Lisa du monde antique <strong>pour</strong>rait<br />

bien ne pas avoir été aussi belle. C’est ce que pensent certains<br />

scientifiques allemands. Le <strong>visage</strong> de Nefertiti, délicatement sculpté dans<br />

le calcaire suggère que le sculpteur royal de l’époque a sans doute lissé<br />

les plis autour de la bouche et modifié <strong>un</strong> nez bosselé <strong>pour</strong> représenter<br />

la « Beauté du Nil » d’<strong>un</strong>e façon plus flatteuse.<br />

…<br />

65


Le <strong>visage</strong> de <strong>Néfertiti</strong> a été « lifté ». C'est ce qu'affirment des chercheurs<br />

allemands dans le numéro d'avril du journal Une tomographie<br />

(technique d'imagerie médicale) de son <strong>visage</strong> en stuc, réalisé il y a 3 400<br />

ans et conservé au Neues Museum de Berlin, révèle qu'il a été sculpté en<br />

plusieurs étapes. Dans <strong>un</strong>e première version, la reine d'Egypte avait <strong>un</strong>e<br />

petite bosse sur le nez, des pommettes moins saillantes, des plis au<br />

niveau de la commissure des lèvres, et des paupières moins appuyées.<br />

La preuve d'<strong>un</strong>e opération de chirurgie esthétique ? La main du sculpteur<br />

a pu suffire à établir sa légendaire beauté <strong>pour</strong> des siècles et des siècles.<br />

Un peu comme aujourd'hui, Photoshop arrange le <strong>visage</strong> des stars...<br />

On voit que la science n’implique pas la rigueur de pensée. Passons sur le<br />

racolage de « Photoshop » et de « lifting » <strong>pour</strong> considérer le postulat<br />

indéfendable ; comme le nez au milieu de la figure, il pose que la reine<br />

ressemblait davantage au buste en pierre sous-jacent qu’à l’image<br />

légèrement différente de la surface peinte qui le recouvre... Probablement<br />

parce qu’elle serait moins belle ! Rien ne le prouve. Peut-être le sculpteur<br />

66


a-t-il au contraire corrigé son ébauche <strong>pour</strong> approcher au plus près de la<br />

réalité ? Un artiste procède généralement dans ce sens : du général au<br />

particulier… Mais peut-être son souci était-il d’<strong>un</strong>e toute autre nature, et<br />

cherchait-il à créer <strong>un</strong>e image idéale, <strong>un</strong> nouveau canon esthétique ? Le<br />

premier état n’approcherait pas plus de la réalité de <strong>Néfertiti</strong> que le<br />

second. Nous n’en savons rien, et ce n’est pas cette radio du volume caché<br />

qui permet de l’affirmer ; il aurait fallu rencontrer la reine <strong>pour</strong> le savoir.<br />

Et ce renseignement ne nous dit rien sur l’oeuvre d’art en elle-même, ou<br />

du moins nous laisse-t-elle effleurer que l’art n’a pas <strong>pour</strong> but de copier le<br />

réel et qu’il faut s’interroger sur son mécanisme sans que des informations<br />

discutables viennent perturber ce travail. L’on attendrait de gens sérieux<br />

qui prétendent s’appuyer sur des recherches incontestables, des<br />

conclusions moins fantaisistes. En d’autres termes il faut savoir<br />

interpréter ce que du matériel sophistiqué fait apparaître. Scientifique ne<br />

signifie pas obligatoirement vrai…<br />

Dans le journal Elle on voit à quel point le modèle et son portrait sont<br />

indissociables <strong>pour</strong> le public, car le journaliste n’hésite pas à extrapoler ...<br />

à moins que ce ne soit <strong>un</strong> exemple de téléphone Arabe :<br />

67


Si elle est devenue banale, la chirurgie esthétique n’est pas <strong>un</strong> phénomè-<br />

ne nouveau. La reine d’Egypte, connue <strong>pour</strong> sa beauté légendaire,<br />

<strong>Néfertiti</strong> aurait subi en son temps <strong>un</strong> lifting. C’est ce que prouvent les<br />

chercheurs de l’Ecole de médecine attachée à l’hôpital de la Charité de<br />

Berlin en réalisant <strong>un</strong>e étude <strong>pour</strong> la revue . En effectuant <strong>un</strong>e<br />

tomographie de la sculpture de <strong>Néfertiti</strong>, pièce majeure de la collection<br />

du Neues Museum de Berlin, les chercheurs ont découvert sous le stuc<br />

qui recouvre la pierre calcaire, que la reine avait à l'origine <strong>un</strong>e petite<br />

bosse sur le nez, des pommettes moins saillantes, des rides aux commis-<br />

sures des lèvres et des paupières moins marquées. Cette sculpture,<br />

régulièrement réclamée par l’Egypte a été découverte par l’archéologue<br />

Ludwig Borchardt au début du XXème siècle. Elle sera exposée au Neues<br />

Museum dès le mois d’octobre. J.DLR.<br />

31/03/2009<br />

La dérive est complète. Cette fois il n’y a plus d’ambiguïté ; ce n’est plus<br />

l’image de la reine qui a été améliorée, faussée, c’est elle-même qui a dû<br />

passer par le bistouri de la chirurgie esthétique afin de pouvoir être<br />

représentée de la sorte. Naïveté ! Ignorance !<br />

68


Pour résumer, il est fascinant d’apercevoir tous les efforts qui sont<br />

déployés <strong>pour</strong> détourner le spectateur d’approfondir l’approche d’<strong>un</strong>e<br />

oeuvre d’art. Il s’agit de « savoir des choses sur » et d’ « avoir des choses<br />

à dire sur » ; tout cela se substitue souvent à la capacité de voir ce que<br />

propose l’oeuvre d’art et qui est sa raison d’être. C’est en apparence<br />

le triomphe du savoir et de l’intelligence, mais c’est aussi la défaite<br />

approuvée du Beau et du plaisir esthétique qui se prennent tout<br />

autrement ; c’est donc l’incompréhension du phénomène artistique dans<br />

sa spécificité.<br />

<strong>Jacques</strong> Chuilon<br />

Paris, avril 2009-2010<br />

chuilonjacques@aol.com<br />

http://www.chuilon.com/<br />

69

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