Cahier n°25 - cesat - Ministère de la Défense
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Sun Tzu<br />
<strong>de</strong>uxième lieu, viser ses alliances afin <strong>de</strong> l’isoler sur <strong>la</strong> scène diplomatique. L’attaque <strong>de</strong> son armée n’arrive qu’en troisième<br />
position. «La pire politique consiste à attaquer les villes. N’attaquez les villes que lorsqu’il n’y a pas d’autre solution». Une telle<br />
opération est en effet ruineuse au p<strong>la</strong>n militaire, les villes constituant un formidable multiplicateur <strong>de</strong> puissance pour le<br />
défenseur, comme au p<strong>la</strong>n économique, une ville saccagée perdant une bonne partie <strong>de</strong> sa valeur.<br />
Cet ordre idéal <strong>de</strong>s priorités est naturellement modifié dans <strong>la</strong> réalité par toutes sortes <strong>de</strong> facteurs. Ainsi, le p<strong>la</strong>n ne sera pas le<br />
même selon qu’on est en supériorité ou en infériorité numérique: à dix contre un, Sun Tzu préconise d’encercler l’ennemi; à<br />
cinq contre un, <strong>de</strong> l’attaquer; à <strong>de</strong>ux contre un, <strong>de</strong> le diviser. À un contre un, le combat est possible, mais aléatoire, et Sun Tzu<br />
ne manifeste aucune enthousiasme pour cette éventualité. Quant à <strong>la</strong> rencontre avec un ennemi supérieur, elle doit à tout prix<br />
être évitée; il faut alors faire retraite et adopter une posture défensive. Le grand art est <strong>de</strong> manœuvrer pour obtenir une<br />
supériorité locale lors même qu’on est en infériorité globale. C’est en effet le parti le plus faible qui est obligé <strong>de</strong> manœuvrer, le<br />
plus fort pouvant se contenter <strong>de</strong> cogner: aussi Sun Tzu définit-il <strong>la</strong> manœuvre comme ce qui permet <strong>de</strong> «changer <strong>la</strong> malchance<br />
en avantage». Elle est un mouvement que nous entreprenons pour faire perdre à l’ennemi un atout important: on peut par<br />
exemple l’inciter à quitter une position favorable «en l’appâtant» avec une fraction <strong>de</strong> nos forces cependant que notre gros se<br />
sur cette position «par <strong>de</strong>s voies détournées». Mais «rien n’est plus difficile que l’art <strong>de</strong> <strong>la</strong> manœuvre», à <strong>la</strong>quelle «l’avantage et<br />
le danger sont tous les <strong>de</strong>ux inhérents». En effet, si l’ennemi perce à jour notre manœuvre en cours d’exécution, il retrouvera<br />
ipso facto sa supériorité et nous infligera <strong>de</strong>s pertes d’autant plus lour<strong>de</strong>s qu’il nous surprendra en ordre <strong>de</strong> marche, non en<br />
ordre <strong>de</strong> bataille. Prise <strong>de</strong> risque maximale en vue d’un gain maximal, <strong>la</strong> manœuvre ne doit donc être tentée que par chefs très<br />
compétents et avec <strong>de</strong>s troupes très entraînées.<br />
La condition préa<strong>la</strong>ble <strong>de</strong> l’action militaire est le renseignement. Les informations dont on dispose en début <strong>de</strong> campagne<br />
donnent rarement une vision extensive du dispositif et du p<strong>la</strong>n adverses. Elles <strong>de</strong>vront donc être complétées par le<br />
renseignement opérationnel, celui qu’on va chercher au contact même <strong>de</strong> l’ennemi: «Agitez-le et découvrez le schéma général<br />
<strong>de</strong> ses mouvements. Eprouvez-le et ren<strong>de</strong>z-vous compte <strong>de</strong>s points sur lesquels il est en force et <strong>de</strong> ceux où il est déficient».<br />
Qui prend l’ascendant en termes <strong>de</strong> renseignement prend du même coup l’initiative et oblige son adversaire à se disperser. En<br />
effet, «si l’ennemi ignore où je compte livrer bataille, il <strong>de</strong>vra se tenir prêt en <strong>de</strong> multiples points. Et s’il se tient prêt en <strong>de</strong><br />
multiples points, les opposants que je trouverai en l’un quelconque <strong>de</strong> ces points seront peu nombreux. S’il se prépare partout,<br />
il sera faible partout». Par conséquent, «je pourrai utiliser <strong>la</strong> totalité <strong>de</strong> mes forces pour attaquer une fraction <strong>de</strong>s siennes.<br />
J’aurai donc <strong>la</strong> supériorité numérique».<br />
Vient <strong>la</strong> bataille proprement dite. «Utilisez <strong>la</strong> force normale pour engager le combat; utilisez <strong>la</strong> force extraordinaire pour<br />
remporter <strong>la</strong> victoire». Ce terme <strong>de</strong> «force extraordinaire» ne renvoie pas à ce que nous appelons aujourd’hui «forces<br />
spéciales», car Ho Yen Hsi, un glosateur <strong>de</strong> Sun Tzu, note qu’en cours d’opération, «<strong>la</strong> force normale est susceptible <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>venir l’extraordinaire et vice-versa». C’est donc par sa fonction et non par sa nature qu’une force est dite normale ou<br />
extraordinaire. Selon Li Ch’uang, un autre glosateur, «<strong>la</strong> force qui affronte l’ennemi, c’est <strong>la</strong> force normale; celle qui le prend <strong>de</strong><br />
f<strong>la</strong>nc, c’est <strong>la</strong> force extraordinaire». En d’autres termes, est normale <strong>la</strong> force qui fixe les troupes et l’attention <strong>de</strong> l’adversaire; est<br />
extraordinaire celle qui exploite cette fixation en portant ailleurs un coup auquel l’ennemi ne s’attend pas. Notons quand même<br />
que Li Ch’uang, s’il a bien i<strong>de</strong>ntifié le principe auquel renvoie ce verset <strong>de</strong> Sun Tzu – <strong>la</strong> surprise –, le réduit indûment à un<br />
procédé particulier, l’attaque <strong>de</strong> f<strong>la</strong>nc. Or, d’autres procédés sont concevables, ainsi celui qu’employait souvent Napoléon:<br />
1) Fixation <strong>de</strong> l’ennemi par une action <strong>de</strong> front,<br />
2) Mouvement <strong>de</strong> f<strong>la</strong>nc que l’ennemi prend pour <strong>la</strong> manœuvre principale et qu’il contre en engageant sa réserve sur l’aile<br />
menacée, d’où nouvelle fixation,<br />
3) Coup <strong>de</strong> boutoir <strong>de</strong> <strong>la</strong> réserve française sur le front; l’ennemi ne peut parer cette surprise, puisque sa réserve est déjà<br />
engagée.<br />
On est là dans un registre évoqué par Ho Yen Hsi: «Je fais en sorte que l’ennemi prenne ma force normale pour l’extraordinaire<br />
et ma force extraordinaire pour <strong>la</strong> normale», soit un niveau <strong>de</strong> ruse supplémentaire par rapport à Li Ch’uang. En tout cas, le<br />
grand avantage <strong>de</strong> <strong>la</strong> surprise est d’amener <strong>la</strong> dislocation psychologique <strong>de</strong> l’ennemi, solution moins coûteuse que son<br />
extermination physique. «Ne poussez pas à bout un ennemi aux abois», écrit à cet égard Sun Tzu, car qui n’a plus rien à perdre<br />
vendra chèrement sa peau.<br />
Napoléon disciple <strong>de</strong> Sun Tzu?<br />
La campagne <strong>de</strong> 1805 constitue un bon exemple <strong>de</strong> l’intemporalité <strong>de</strong> Sun Tzu, car chacune <strong>de</strong> ses phases illustre une maxime<br />
du général chinois:<br />
• «Le fin du fin, lorsqu’on dispose ses troupes, c’est <strong>de</strong> ne pas présenter une forme susceptible d’être définie c<strong>la</strong>irement.<br />
Dans ce cas, vous échappez aux espions les plus perspicaces et les esprits les plus sagaces ne pourront établir <strong>de</strong> p<strong>la</strong>n contre<br />
vous». En début <strong>de</strong> partie, <strong>la</strong> Gran<strong>de</strong> Armée quitte ses camps échelonnés <strong>de</strong> Brest au Hanovre et se porte vivement vers l’est.<br />
Ses sept corps <strong>de</strong>ssinent un front <strong>de</strong> plusieurs centaines <strong>de</strong> kilomètres, ce qui empêche les Coalisés <strong>de</strong> savoir précisément<br />
quel est son objectif. Du reste, gazettes et agents doubles à <strong>la</strong> sol<strong>de</strong> <strong>de</strong> Napoléon multiplient les fausses nouvelles pour<br />
intoxiquer l’adversaire.<br />
• «Une armée peut être comparée exactement à <strong>de</strong> l’eau car, <strong>de</strong> même que le flot qui coule évite les hauteurs et se<br />
presse vers les terres basses, <strong>de</strong> même une armée évite <strong>la</strong> force et frappe <strong>la</strong> faiblesse». Napoléon, qui compare ses sept corps<br />
d’armée à «sept torrents», sait que les Autrichiens sont postés autour d’Ulm et s’atten<strong>de</strong>nt à voir les Français surgir par l’ouest.<br />
Il les entretient dans cette croyance par quelques démonstrations <strong>de</strong> cavalerie, mais se gar<strong>de</strong> bien d’attaquer Ulm, qu’il débor<strong>de</strong><br />
par le nord.<br />
• «Créez <strong>de</strong>s changements <strong>de</strong> situation par <strong>de</strong>s dispersions et <strong>de</strong>s concentrations <strong>de</strong> forces». Les corps d’armée<br />
français, qui se sont rapprochés les uns <strong>de</strong>s autres au fur et à mesure <strong>de</strong> leur avance, achèvent leur concentration dans le dos<br />
<strong>de</strong>s Autrichiens. Coupés <strong>de</strong> leurs arrières, ceux-ci doivent se rendre. Napoléon gagne alors Vienne, puis Austerlitz, non loin <strong>de</strong><br />
l’endroit où d’autres forces autrichiennes ont fait leur jonction avec l’armée russe.<br />
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