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La fratrie face au handicap et à la mort - Paliped

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LA FRATRIE FACE AU HANDICAP, A LA MALADIE ET A LA MORT<br />

CONFERENCE PALIPED - 2 AVRIL 2013<br />

Clémence Dayan, psychologue clinicienne, chercheur <strong>au</strong> CESAP<br />

Les frères <strong>et</strong> sœurs ont longtemps été les oubliés du roman familial, ce qui est d’<strong>au</strong>tant plus<br />

vrai dans le contexte du <strong>handicap</strong> ou de <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die d’un enfant : les professionnels se sont<br />

centrés sur les parents <strong>et</strong> l’enfant atteint, <strong>et</strong> les parents se sont longtemps montrés résistants <strong>à</strong><br />

ce que les professionnels touchent <strong>au</strong> « corps sain » de <strong>la</strong> <strong>fratrie</strong>.<br />

De plus, quand <strong>la</strong> souffrance de <strong>la</strong> <strong>fratrie</strong> est repérée, elle est souvent mise sur le compte de <strong>la</strong><br />

souffrance parentale ; si ce que vit <strong>la</strong> <strong>fratrie</strong> est lié en partie <strong>au</strong> vécu parental, le lien fraternel<br />

peut être très affecté dans sa construction même : c’est le groupe <strong>fratrie</strong> qui est atteint.<br />

Je vais parler d’abord de ce qui a pu être repéré du vécu de <strong>la</strong> <strong>fratrie</strong> quand l’un des enfants<br />

est <strong>handicap</strong>é ou ma<strong>la</strong>de, puis parler du cas plus précis de l’accompagnement des FS d’un<br />

enfant qui va mourir. Le deuil de <strong>la</strong> <strong>fratrie</strong> dépend be<strong>au</strong>coup de <strong>la</strong> manière dont elle a traversé<br />

<strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die ou le <strong>handicap</strong> <strong>au</strong>x côtés de l’enfant concerné : c’est pour ce<strong>la</strong> qu’il importe de<br />

bien comprendre les spécificités du lien fraternel quand l’un des enfants est ma<strong>la</strong>de ou<br />

<strong>handicap</strong>é, pour pouvoir saisir ensuite ce qui se passe lors d’un deuil.<br />

1. Vécu des frères <strong>et</strong> sœurs <strong>et</strong> incidences de <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die ou du <strong>handicap</strong> sur les<br />

re<strong>la</strong>tions fraternelles<br />

1.1 Culpabilité <strong>et</strong> honte<br />

Deux sentiments sont partagés par tous les frères <strong>et</strong> sœurs en cas de <strong>handicap</strong> ou de ma<strong>la</strong>die<br />

de l’un des leurs : <strong>la</strong> culpabilité <strong>et</strong> <strong>la</strong> honte.<br />

Il existe plusieurs sources <strong>à</strong> <strong>la</strong> culpabilité :<br />

- ne pas pouvoir consoler, sou<strong>la</strong>ger les parents, agir pour améliorer les choses : les frères <strong>et</strong><br />

sœurs éprouvent un sentiment d’impuissance important. Or ils ont besoin de pouvoir prendre<br />

part <strong>à</strong> ce qui arrive en jouant un rôle dans l’histoire ; ne rien pouvoir faire est pour eux très<br />

culpabilisant.<br />

- Penser être <strong>à</strong> l’origine du <strong>handicap</strong> ou de <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die : ce<strong>la</strong> provient de <strong>la</strong> crainte d’une<br />

pensée magique, toute puissante ; dans cas du <strong>handicap</strong>, celle de n’avoir pas souhaité <strong>la</strong> venue<br />

du nouvel enfant pour atténuer <strong>la</strong> concurrence<br />

Ex d’une sœur aînée de 5 ans d’une fille IMC : lorsqu’elle a su qu’elle était en m<strong>au</strong>vaise santé, elle s’est<br />

souvenue de n’avoir pas voulu c<strong>et</strong>te naissance, <strong>et</strong> d’avoir été insupportable avec sa mère durant sa<br />

grossesse. Elle s’est alors persuadée que ses « m<strong>au</strong>vaises pensées <strong>et</strong> ses m<strong>au</strong>vais comportements »<br />

avaient eu un rôle dans le <strong>handicap</strong> de sa sœur.<br />

- se sentir coupable d’avoir été épargné par <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, ou d’être né sans <strong>handicap</strong>. Par<br />

exemple, les frères <strong>et</strong> sœurs d’un enfant <strong>handicap</strong>é peuvent s’imaginer qu’ils lui ont pris<br />

quelque chose.<br />

Un jume<strong>au</strong> d’un garçon IMC pense qu’il a trop mangé pendant <strong>la</strong> grossesse, vo<strong>la</strong>nt <strong>la</strong> part de son frère,<br />

<strong>et</strong> devenant ainsi responsable du <strong>handicap</strong>.<br />

Avec ce vécu de culpabilité, comment alors développer ses compétences ? Les frères <strong>et</strong> sœurs<br />

sont en eff<strong>et</strong> souvent tiraillés entre l’envie de réparer le <strong>handicap</strong> en étant de bons enfants<br />

pour leurs parents, <strong>la</strong> culpabilité d’accentuer les limites de l’enfant <strong>handicap</strong>é<br />

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<strong>La</strong> honte est <strong>au</strong>ssi un affect souvent ressenti, notamment en cas de <strong>handicap</strong> :<br />

- par identification <strong>à</strong> <strong>la</strong> honte parentale. Mais comme les parents, les FS ont honte d’avoir<br />

honte : <strong>la</strong> honte ternit l’image qu’ils sont d’eux-mêmes <strong>et</strong> de celui qu’ils aiment.<br />

- le regard des <strong>au</strong>tres renvoie rej<strong>et</strong>, agressivité, moquerie, voire dégoût. Les frères <strong>et</strong> sœurs<br />

peuvent avoir honte de leur frère, pour leur frère, ou d’eux-mêmes par eff<strong>et</strong> de contagion.<br />

Ces deux sentiments sont très fréquents, mais difficiles <strong>à</strong> dire, <strong>et</strong> vont pourtant avoir des<br />

conséquences sur <strong>la</strong> construction du lien fraternel ; ils vont notamment participer <strong>à</strong> l’inhibition<br />

des mouvements agressifs dans <strong>la</strong> <strong>fratrie</strong>.<br />

1.2 Inhibition des mouvements agressifs<br />

Agressivité, rivalité <strong>et</strong> jalousie participent <strong>à</strong> <strong>la</strong> structuration du lien fraternel.<br />

Mais ces mouvements supposent une re<strong>la</strong>tion d’égal <strong>à</strong> égal, sinon l’enfant ressent trop de<br />

culpabilité vis-<strong>à</strong>-vis des parents ou de lui-même. Ici les re<strong>la</strong>tions sont déséquilibrées, car les<br />

parents attendent souvent des frères <strong>et</strong> sœurs qu’ils soient protecteurs, gentils, attentionnés<br />

avec l’enfant <strong>handicap</strong>é ou ma<strong>la</strong>de, voire qu’ils prennent soin de lui, <strong>et</strong> les FS vont souvent<br />

accepter volontiers c<strong>et</strong>te mission.<br />

Le jeu de complicité, rivalité, amour <strong>et</strong> haine qui anime habituellement le lien fraternel est<br />

donc affecté, voire entravé ; il apparaît rapidement bien trop culpabilisant pour les frères <strong>et</strong><br />

sœurs d’exprimer leur jalousie ou de jouer <strong>la</strong> rivalité fraternelle avec un frère déj<strong>à</strong> diminué par<br />

<strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die ou le <strong>handicap</strong> : tout mouvement agressif envers lui est illégitime en regard de <strong>la</strong><br />

morale <strong>et</strong> des idé<strong>au</strong>x personnels <strong>et</strong> famili<strong>au</strong>x, <strong>et</strong> doit par conséquent être inhibé.<br />

C<strong>et</strong>te agressivité peut alors avoir plusieurs destins :<br />

- elle peut être transformée en son contraire, une sollicitude excessive : les frères <strong>et</strong> sœurs sont<br />

des soutiens pour leurs parents, des éducateurs pour leur frère. Ils en tirent des bénéfices :<br />

c<strong>et</strong>te attitude atténue <strong>la</strong> culpabilité, redore l’estime de soi, répare le narcissisme blessé des<br />

parents. Mais les frères <strong>et</strong> sœurs se privent du droit <strong>à</strong> être maternés, soutenus par les parents,<br />

<strong>et</strong> ont de lourdes responsabilités.<br />

Il y a donc un risque de parentification : il s’agit chez certains enfants d’une adaptation de<br />

sur<strong>face</strong>, qui cache en réalité un noy<strong>au</strong> dépressif : quand c<strong>et</strong>te « mission » de réussir pour deux,<br />

de materner l’enfant ma<strong>la</strong>de ou <strong>handicap</strong>é <strong>et</strong> de compenser ses manques est trop difficile <strong>à</strong><br />

mener <strong>à</strong> bien, elle peut provoquer des inhibitions <strong>et</strong> surtout, une dépression.<br />

- l’agressivité peut être dép<strong>la</strong>cée sur un tiers : camarade, 3 ème enfant de <strong>la</strong> <strong>fratrie</strong>…<br />

- elle peut enfin être r<strong>et</strong>ournée contre soi : symptômes, échec sco<strong>la</strong>ire, mises en danger de<br />

soi…, dans le but inconscient de ne pas agresser l’enfant <strong>handicap</strong>é <strong>et</strong> d’attirer l’attention sur<br />

soi.<br />

Si les mouvements agressifs participent <strong>à</strong> <strong>la</strong> construction du lien fraternel, l’identification en<br />

est également un processus central.<br />

1.3 Identification<br />

Tous les frères <strong>et</strong> sœurs sont pris d’un côté entre <strong>la</strong> nécessité de ressembler <strong>à</strong> leur frère en<br />

intériorisant une partie de ses caractéristiques (partager des éléments communs va perm<strong>et</strong>tre<br />

de se penser comme étant frères <strong>et</strong> sœurs), <strong>et</strong> de l’<strong>au</strong>tre côté de devoir se différencier les uns<br />

des <strong>au</strong>tres ; en cas de <strong>handicap</strong> ou de ma<strong>la</strong>die, ce mouvement devient complexe, <strong>et</strong> est<br />

toujours source d’angoisse pour les frères <strong>et</strong> sœurs. Il est en eff<strong>et</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> fois difficile de se<br />

2


econnaître dans le frère <strong>handicap</strong>é ou ma<strong>la</strong>de (trop de différences), <strong>et</strong> effrayant d’établir avec<br />

lui des ressemb<strong>la</strong>nces, <strong>et</strong> de prendre en soi des caractéristiques qui lui appartiennent.<br />

Le frère <strong>handicap</strong>é ou ma<strong>la</strong>de renvoie <strong>à</strong> l’enfant, dont l’identité n’est pas encore<br />

solidement établie, une image en miroir qui peut les déstabiliser : il peut être difficile, voire<br />

dangereux, de ressembler <strong>à</strong> ce frère abîmé : si je suis comme mon frère <strong>handicap</strong>é ou ma<strong>la</strong>de,<br />

est-ce je ne serais pas moi-même un peu <strong>handicap</strong>é ou ma<strong>la</strong>de ?<br />

Un fantasme de « contagion » ou de « contamination » circule souvent chez les frères <strong>et</strong> sœurs<br />

<strong>et</strong> les amène <strong>à</strong> penser : si nous sommes issus du même ventre, des mêmes gènes, peut-être<br />

suis-je moi <strong>au</strong>ssi <strong>handicap</strong>é ou ma<strong>la</strong>de, même si ça ne se voit pas.<br />

Mais si les frères <strong>et</strong> sœurs sont pris par <strong>la</strong> crainte de trop ressembler <strong>à</strong> l’enfant <strong>handicap</strong>é, <strong>à</strong><br />

l’inverse ils sont parfois confrontés <strong>à</strong> <strong>la</strong> difficulté réelle de trouver du même en lui (surtout<br />

dans le cas du <strong>handicap</strong>) : leur frère leur apparaît si radicalement différent d’eux, qu’ils ne<br />

parviennent pas <strong>à</strong> reconnaître en lui des caractéristiques communes.<br />

L’enfant <strong>handicap</strong>é incarne alors pour eux un étranger, qu’ils ne comprennent pas, <strong>et</strong> qu’ils<br />

peinent parfois <strong>à</strong> reconnaître comme étant leur frère : incapables de saisir quelque chose de sa<br />

pensée, de <strong>la</strong> manière dont ils peuvent agir sur lui, <strong>et</strong> de ce qu’ils représentent pour lui (est-ce<br />

que l’enfant <strong>handicap</strong>é les investit comme des frères ?), ils rencontrent des difficultés <strong>à</strong> tisser<br />

le lien fraternel. Le risque est d’<strong>au</strong>tant plus grand dans le cas où l’enfant <strong>handicap</strong>é est très<br />

entravé dans son expression <strong>et</strong> sa communication (<strong>au</strong>tisme ou poly<strong>handicap</strong>).<br />

Toute <strong>la</strong> difficulté consiste donc pour les frères <strong>et</strong> sœurs <strong>à</strong> se positionner ni trop loin,<br />

ni trop proche de leur pair <strong>handicap</strong>é ou ma<strong>la</strong>de.<br />

De plus, sans le vouloir, les parents ne facilitent pas toujours les choses : en exigeant <strong>la</strong><br />

participation, l’investissement <strong>et</strong> <strong>la</strong> solidarité des frères <strong>et</strong> sœurs, ils peuvent parfois entraver<br />

<strong>la</strong> différenciation entre les enfants de <strong>la</strong> <strong>fratrie</strong>. A l’inverse, ils peuvent faire écran <strong>à</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion<br />

fraternelle car ils cherchent <strong>à</strong> protéger les enfants les uns des <strong>au</strong>tres : d’un côté, ils<br />

surprotègent l’enfant <strong>handicap</strong>é, de l’<strong>au</strong>tre, ils veulent préserver les <strong>au</strong>tres enfants de l’impact<br />

du <strong>handicap</strong> ou de <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die sur leur vie affective.<br />

Voil<strong>à</strong> un aperçu rapide des difficultés majeures rencontrées par les <strong>fratrie</strong>s confrontées <strong>au</strong><br />

<strong>handicap</strong> ou <strong>à</strong> <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die d’un des leurs. Mais <strong>la</strong> <strong>fratrie</strong> peut également constituer une<br />

ressource pour les enfants.<br />

2. <strong>La</strong> <strong>fratrie</strong> comme ressource pour l’enfant <strong>handicap</strong>é<br />

L’enfant <strong>handicap</strong>é ou ma<strong>la</strong>de, parce qu’il est souvent davantage en interaction avec des<br />

adultes qu’avec des enfants, parce que les parents cherchent <strong>à</strong> le protéger <strong>et</strong> <strong>à</strong> protéger les<br />

frères <strong>et</strong> sœurs, parce qu’on s’adresse souvent peu <strong>à</strong> lui pour lui parler de son <strong>handicap</strong> ou de<br />

sa ma<strong>la</strong>die, a peu d’occasion de communiquer avec ses pairs, ce qui entrave <strong>la</strong> possibilité qu’il<br />

se pense avant tout comme un enfant <strong>et</strong> un frère de… Son frère ou sa sœur va pouvoir l’aider.<br />

En eff<strong>et</strong>, les enfants, plus que les adultes, vont avoir tendance <strong>à</strong> percevoir l’enfant <strong>handicap</strong>é<br />

ou ma<strong>la</strong>de comme un enfant <strong>et</strong> non d’abord comme un <strong>handicap</strong>é ou un ma<strong>la</strong>de, <strong>et</strong> ce sera<br />

d’une grande aide pour lui.<br />

L’enfant voit bien que son frère ne marche pas, que ce n’est pas comme lui mais son premier<br />

réflexe ne va pas être d’aller chercher sur intern<strong>et</strong> pour savoir si c’est normal ou pas…Les<br />

enfants sont donc capables de percevoir <strong>la</strong> différence mais ne cheminent pas comme nous.<br />

3


Ex : Lors d’un groupe <strong>fratrie</strong>, Matthias dira en présentant sa sœur qu’elle n’a pas de problème ; il n’est<br />

pas dans le déni (il va par <strong>la</strong> suite raconter ce que fait sa sœur <strong>et</strong> ce qu’elle ne peut pas faire), mais ne <strong>la</strong><br />

définit pas par son <strong>handicap</strong>.<br />

Donc les enfants transforment le <strong>handicap</strong> ou <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, les voient différemment des adultes,<br />

ce qui leur perm<strong>et</strong> de penser c<strong>et</strong>te réalité douloureuse, <strong>et</strong> de <strong>la</strong> rendre plus acceptable avec les<br />

moyens qu’ils ont, que ce soit pour l’enfant <strong>handicap</strong>é ou ma<strong>la</strong>de lui-même ou pour ses frères<br />

<strong>et</strong> sœurs.<br />

Ex : une p<strong>et</strong>ite fille est atteinte d’une ma<strong>la</strong>die qui menace sa vie. Elle <strong>et</strong> sa sœur ne sont pas sensées être<br />

<strong>au</strong> courant de c<strong>et</strong>te situation. Pourtant, ensemble, elles dessinent un monstre noir dont elles finiront par<br />

avoir <strong>la</strong> pe<strong>au</strong>. Autrement dit, elles ont construit ensemble une réalité pensable <strong>au</strong>tour de <strong>la</strong> <strong>mort</strong>.<br />

D’où l’importance de créer <strong>et</strong> favoriser des occasions pour que les enfants parlent entre eux,<br />

entre frères, du <strong>handicap</strong>, de <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, pour que chacun puisse se construire avec.<br />

Maintenant que l’on a une p<strong>et</strong>ite idée des caractéristiques du lien fraternel dans un contexte de<br />

<strong>handicap</strong> ou de ma<strong>la</strong>die, on va pouvoir s’intéresser <strong>au</strong>x difficultés des frères <strong>et</strong> sœurs dans <strong>la</strong><br />

situation où l’un des enfants va mourir <strong>et</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> manière d’accompagner le lien fraternel.<br />

3. Accompagner le lien fraternel quand l’un des enfants va mourir<br />

Si <strong>la</strong> souffrance fraternelle n’est pas superposable <strong>à</strong> <strong>la</strong> souffrance parentale, il est évident que<br />

les frères <strong>et</strong> sœurs sont affectés par <strong>la</strong> souffrance de leurs parents.<br />

3.1 Les frères <strong>et</strong> sœurs <strong>face</strong> <strong>à</strong> <strong>la</strong> souffrance parentale<br />

Quand ils savent leur enfant condamné, les parents sont transformés par l’inquiétude <strong>et</strong> <strong>la</strong><br />

souffrance ; souvent ils deviennent alors, vis-<strong>à</strong>-vis des <strong>au</strong>tres enfants, tantôt agressifs, fuyants,<br />

rej<strong>et</strong>ants, mutiques ou trop demandeurs. Ils sont en difficulté pour parler <strong>au</strong>x frères <strong>et</strong> sœurs,<br />

parce qu’eux-mêmes ont du mal <strong>à</strong> comprendre <strong>et</strong> intégrer ce qui se passe : <strong>la</strong> fonction<br />

contenante de Bion (idée que l’enfant s’appuie sur <strong>la</strong> capacité de pensée de l’adulte pour<br />

s’approprier <strong>et</strong> symboliser ce qui arrive) est en échec.<br />

Les parents vont donc avoir du mal <strong>à</strong> expliquer <strong>au</strong>x frères <strong>et</strong> sœurs les traitements, l’évolution<br />

de <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, <strong>et</strong> surtout <strong>à</strong> leur parler de <strong>la</strong> <strong>mort</strong> de l’enfant ma<strong>la</strong>de : ils ont peur de leur c<strong>au</strong>ser<br />

du chagrin, <strong>et</strong>, plus inconsciemment, de rendre <strong>la</strong> <strong>mort</strong> réelle en en par<strong>la</strong>nt. Si on <strong>la</strong> nomme,<br />

c’est donc qu’elle va bel <strong>et</strong> bien arriver.<br />

Les fantasmes de pensée magique <strong>et</strong> de toute-puissance des frères <strong>et</strong> sœurs <strong>au</strong>ront d’<strong>au</strong>tant<br />

plus de p<strong>la</strong>ce <strong>et</strong> risquent d’envahir leur pensée, ce qui sera encore renforcé par leur âge : plus<br />

un enfant sera jeune plus il risquera de penser qu’il a quelque chose <strong>à</strong> voir avec <strong>la</strong> <strong>mort</strong><br />

prochaine de l’enfant ma<strong>la</strong>de : il s’en rendra inconsciemment responsable. Le sentiment de<br />

culpabilité est alors intense <strong>et</strong> envahissant chez ces enfants.<br />

De plus, les frères <strong>et</strong> sœurs, percevant très bien <strong>la</strong> souffrance parentale, vont vouloir les<br />

protéger. Pour ce<strong>la</strong>, ils vont se faire tout p<strong>et</strong>its, <strong>et</strong> s’empêcher d’être tristes, de régresser ou de<br />

s’effondrer, alors que ce sont des processus nécessaires <strong>à</strong> l’é<strong>la</strong>boration du deuil.<br />

Que se passe-t-il maintenant <strong>au</strong> sein même du lien fraternel ?<br />

3.2 Le lien fraternel<br />

On a vu que l’identification est souvent difficile <strong>à</strong> négocier quand l’un des enfants est ma<strong>la</strong>de<br />

ou <strong>handicap</strong>é : <strong>la</strong> différenciation n’est pas forcément très c<strong>la</strong>ire pour les frères <strong>et</strong> sœurs.<br />

Quand l’un des enfants de <strong>la</strong> <strong>fratrie</strong> va mourir, les frères <strong>et</strong> sœurs peuvent craindre de mourir<br />

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eux <strong>au</strong>ssi, d’<strong>au</strong>tant plus que l’enfant condamné envahit <strong>la</strong> pensée <strong>et</strong> <strong>la</strong> vie des parents : il f<strong>au</strong>t<br />

donc risquer de mourir pour attirer leur attention ?<br />

Les professionnels qui ont une expérience de l’accompagnement des <strong>fratrie</strong>s repèrent<br />

également une grande ambivalence des frères <strong>et</strong> sœurs vis-<strong>à</strong>-vis de l’enfant ma<strong>la</strong>de : ils<br />

éprouvent de l’amour, <strong>la</strong> crainte de le perdre, ils y sont très attachés, mais en même temps ils<br />

ressentent <strong>au</strong>ssi souvent be<strong>au</strong>coup de jalousie <strong>face</strong> <strong>à</strong> celui qui ravit toute l’attention <strong>et</strong> <strong>la</strong><br />

disponibilité des parents. Ils peuvent même en venir <strong>à</strong> souhaiter que <strong>la</strong> <strong>mort</strong> survienne<br />

rapidement pour r<strong>et</strong>rouver leurs parents d’avant. Les frères <strong>et</strong> sœurs vont souvent cacher ces<br />

sentiments, parce qu’ils en s’en sentiront très coupables, <strong>et</strong> en <strong>au</strong>ront honte, ce qui peut c<strong>au</strong>ser<br />

une certaine souffrance psychologique.<br />

3.3 Comment accompagner alors les frères <strong>et</strong> sœurs pour atténuer leur<br />

souffrance ?<br />

Les frères <strong>et</strong> sœurs ont besoin d’être soutenus dans leur capacité <strong>à</strong> reconnaître, nommer <strong>et</strong><br />

ressentir leurs émotions. Ils doivent pouvoir exprimer leur jalousie, leur agressivité, leur<br />

souhait de <strong>mort</strong> : entendre que ces sentiments ne sont pas monstrueux mais communs <strong>à</strong> tous<br />

les enfants dans <strong>la</strong> même situation leur perm<strong>et</strong>tra de se sentir moins coupables, <strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tra<br />

que leur estime de soi ne soit pas trop endommagée.<br />

Par ailleurs, il est essentiel d’expliquer <strong>au</strong>x frères <strong>et</strong> sœurs ce qui se passe, ce qu’on fait pour<br />

l’enfant ma<strong>la</strong>de, les informer d’une <strong>mort</strong> possible, de sa c<strong>au</strong>se <strong>et</strong> de <strong>la</strong> temporalité de c<strong>et</strong>te<br />

<strong>mort</strong>. Il s’agit l<strong>à</strong> de jouer le rôle contenant que les parents ne peuvent souvent pas tenir dans<br />

ces moments-l<strong>à</strong>. Ce<strong>la</strong> perm<strong>et</strong>tra d’éviter <strong>au</strong>x enfants de se sentir responsables de <strong>la</strong> <strong>mort</strong> de<br />

leur frère ou de leur sœur <strong>et</strong> de se préparer <strong>au</strong> deuil <strong>à</strong> leur façon <strong>et</strong> <strong>à</strong> leur rythme.<br />

De même, il est important d’accompagner les frères <strong>et</strong> sœurs dans leur lien fraternel : ils ont<br />

souvent besoin d’être aidés pour comprendre l’enfant ma<strong>la</strong>de : c’est important pour eux de<br />

savoir ce qu’il ressent, ce qu’il vit, pour pouvoir s’y ajuster, <strong>et</strong> faire en sorte que l’enfant reste<br />

leur frère, même s’il est transformé par <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die. Il ne doit pas devenir un étranger pour eux.<br />

De plus, pouvoir comprendre les gestes, <strong>la</strong> posture, l’expression (même si elle est très limitée)<br />

de leur pair, perm<strong>et</strong>tra de garder en souvenir des images de l’enfant qui ont du sens pour eux :<br />

s’il ne me regardait plus, c’était <strong>à</strong> c<strong>au</strong>se de <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die, pas parce qu’il ne vou<strong>la</strong>it plus me voir.<br />

Donner du sens perm<strong>et</strong> d’atténuer le tr<strong>au</strong>matisme, <strong>et</strong> de préserver le lien fraternel jusqu’<strong>au</strong><br />

bout. Même si c’est difficile pour eux, les enfants ont besoin de prendre part <strong>à</strong> ce qui arrive,<br />

<strong>au</strong> décès de leur frère ou de leur sœur. S’ils sont écartés, l’é<strong>la</strong>boration de leur deuil sera<br />

d’<strong>au</strong>tant plus difficile.<br />

Concrètement, plusieurs propositions ont été faites par des professionnels travail<strong>la</strong>nt dans<br />

des services de soin palliatif ou d’oncologie :<br />

- penser l’accueil des frères <strong>et</strong> sœurs en équipe, leur donner une véritable p<strong>la</strong>ce dans le<br />

service, <strong>et</strong> par conséquent <strong>au</strong>près de l’enfant ma<strong>la</strong>de<br />

- m<strong>et</strong>tre en p<strong>la</strong>ce des groupes de parole après <strong>la</strong> <strong>mort</strong> de l’enfant<br />

- pouvoir accueillir les frères <strong>et</strong> sœurs après le décès : revenir dans le lieu où l’on s’est occupé<br />

de l’enfant leur perm<strong>et</strong> de le faire revivre symboliquement, <strong>et</strong> de voir qu’il a compté pour les<br />

équipes.<br />

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