Amarante et Turquoise PDF - Babelpocket
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AMARANTE ET TURQUOISE<br />
Lorsque le soleil <strong>Turquoise</strong>, qui était de couleur pourpre, comme son nom ne l'indique<br />
pas, détailla de plus près l'affiche placardée sur un mur, près de la j<strong>et</strong>ée donnant sur la<br />
Voie Lactée, il tapota songeusement sa pipe d'écume avant de la porter de nouveau à ses<br />
lèvres, en tirant d'odorantes <strong>et</strong> fantomatiques volutes bleues. Il y était écrit : Grand bal<br />
dans la Résidence d'Été du Solophe Meirios ! Toute personne de qualité y est la<br />
bienvenue, pourvu qu'elle soit accompagnée de sa moitié. Tout en continuant à tirer<br />
sur sa pipe d'écume, le soleil <strong>Turquoise</strong> qui s'était endimanché pour sa promenade du soir<br />
le long du littoral se prit à songer à part lui.<br />
Je suis une personne de qualité, il va de soi, puisque je suis un soleil, <strong>et</strong> ma dignité <strong>et</strong><br />
puissance est aussi grande que celle des Étoiles <strong>et</strong> de la Grande Nuit, des Lyres, des<br />
Mânnes ou bien des Solophes. Pourtant il ne me viendrait pas à l'idée de participer au<br />
Grand Bal du Solophe Meirios, puisque j'abhorre les mondanités <strong>et</strong> la fatuité, le quant à<br />
soi <strong>et</strong> la morgue de la Société Céleste.<br />
Sur ce plusieurs Puissances du Chaos venaient de s'approcher à leur tour, lisant<br />
l'affiche placardée par-dessus l'épaule du soleil <strong>Turquoise</strong>. Semblant deviner ses pensées<br />
l'une d'entre elles, après avoir relevé son large chapeau d'une chiquenaude, déclara.<br />
― Ne serait-ce pas plutôt que malgré tes belles paroles la vérité est toute autre,<br />
<strong>Turquoise</strong>, mon cher ami ?<br />
Le soleil <strong>Turquoise</strong> rougit violemment d'être de c<strong>et</strong>te manière interpellé par une<br />
Puissance du Chaos, se r<strong>et</strong>ournant en découvrant que ces dernières étaient au nombre de<br />
trois. Revêtues d'amples <strong>et</strong> longs habits noirs, avec de grands chapeaux de feutre gris <strong>et</strong><br />
des bottes montantes aux boucles brillant de mille feux.<br />
― D'abord, sachez, messieurs, qu'il est très malséant de lire dans les pensées d'un<br />
autre lorsque ce dernier ne vous y a pas invité, ce me semble. Ensuite, je ne pense pas que<br />
nous ayons été présentés, pour que vous puissiez ainsi me considérer un ami.<br />
Les Puissances du Chaos se mirent à rire bruyamment, attirant l'attention d'un groupe<br />
de jeunes Étoiles qui s'en passait par là <strong>et</strong> même d'un Mânne vénérable, qui promenait<br />
une minuscule comète au bout d'une longe. Les Puissances du Chaos possédaient une<br />
dentition remarquable, se prit à songer le soleil <strong>Turquoise</strong>, d'un éclat immaculé presque<br />
insoutenable. Il déplora également la trop grande familiarité des Puissances Chaotiques,<br />
avant de se souvenir que cela faisait partie intégrante de leur personnalité, joint à un sansgêne<br />
remarquable, avec, il faut bien le dire, un talent certain pour discerner les pensées<br />
rebelles <strong>et</strong> sous-jacentes.<br />
― Allons, <strong>Turquoise</strong>, ne vous m<strong>et</strong>tez pas ainsi en peine, reprit d'un ton de voix<br />
onctueux la première des Puissances du Chaos à s'être exprimée, vous allez gaspiller de<br />
votre précieuse énergie pour rien. Je voulais seulement vous faire remarquer que ce n'est<br />
pas, en vérité, votre indifférence envers les mondanités de la Haute Société Stellaire qui<br />
motive votre attitude, mais bien plutôt le fait, indubitable <strong>et</strong> certain, que vous n'avez pas<br />
de moitié.<br />
― Mais que dites-vous ! s'offusqua violemment le soleil <strong>Turquoise</strong>, dont le visage<br />
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d'albâtre, poupin <strong>et</strong> bouffi, venait de rougir une fois de plus.<br />
― C'est la vérité vraie, vous, les soleils, êtes la plupart du temps des solitaires, qui<br />
illuminent les mondes <strong>et</strong> les ténèbres aveuglés <strong>et</strong> obnubilés par votre propre grandeur,<br />
poursuivit l'une des Puissances du Chaos qui ne s'était pas encore exprimé jusqu'à<br />
maintenant. Mais vous êtes la plupart du temps des solitaires, rares sont les soleils vivant,<br />
aimant <strong>et</strong> décédant en couple, à l'unisson l'un de l'autre.<br />
― C'est pourquoi il y aura bientôt au grand bal du Solophe Meirios des Étoiles, des<br />
Mânnes <strong>et</strong> des Tricksters, des Élus <strong>et</strong> des Lyres, mais peu, très peu de soleils<br />
accompagnés de leur moitié, assura la troisième Puissance du Chaos.<br />
― Et surtout pas le soleil <strong>Turquoise</strong> ! s'esclaffa vivement une Puissance du Chaos,<br />
reprise en choeur par ses compagnons.<br />
― Mais que dites-vous ! ne put s'empêcher de déclarer le soleil, estomaqué par les<br />
dures <strong>et</strong> blessantes paroles des Puissances du Chaos.<br />
― Mais que dites-vous ! Mais que dites-vous ! répéta une Puissance Chaotique en<br />
singeant l'attitude du soleil <strong>Turquoise</strong>, tandis que le trio après avoir bien ri s'en repartait à<br />
ses affaires vers la cité de Stellaris.<br />
― Moi j'irais avec Maestre, ma douce force depuis longtemps... disait l'une.<br />
― Et moi, je demanderais à Justine dont l'image me hante, répliquait l'autre.<br />
Leur voix s'amenuisait déjà <strong>et</strong> il fut impossible au soleil <strong>Turquoise</strong> d'entendre les<br />
paroles de la dernière des Puissances. Tandis que son pouls battait avec force à ses<br />
tempes il ressentit le besoin d'effectuer une longue promenade dans les jardins attenant à<br />
la j<strong>et</strong>ée, afin d'apaiser les battements enfiévrés de son coeur. Il finit par s'asseoir sur un<br />
banc de bois à l'écart, après avoir longé des massifs de rosiers colorés sur des parterres de<br />
gazon, <strong>et</strong> dans l'ombre d'orangers aux blanches <strong>et</strong> délicates fleurs il sécha son front<br />
emperlé de sueur tout en tenant sa pipe d'écume de son autre main. Le soleil <strong>Turquoise</strong>,<br />
même s'il se refusait à l'adm<strong>et</strong>tre franchement, était troublé. Les Puissances du Chaos, en<br />
dépit de leur mordant <strong>et</strong> de leurs railleries, avaient vu juste. Il n'avait pas de moitié. Et il<br />
ne s'en portait pas moins comme un charme. Oui, cela ne lui manquait pas du tout. Mais<br />
alors, pourquoi ce tracas faisant vaciller son esprit ? Probablement avait-il encore quelque<br />
trace d'orgueil <strong>et</strong> de suffisance, qui lui faisait regr<strong>et</strong>ter, malgré ses innombrables <strong>et</strong><br />
visibles qualités, de ne pas faire partie de la Société Céleste <strong>et</strong> de côtoyer les Mânnes <strong>et</strong><br />
les Puissances, les Solophes <strong>et</strong> les Élus d'égal à égal.<br />
― Mais après tout, qui se soucie de pareilles bêtises ? se mit à parler à voix haute le<br />
soleil <strong>Turquoise</strong>, je suis ridicule, oui, vraiment ridicule !<br />
Il essuya son front emperlé de sueur une nouvelle fois <strong>et</strong> s'apprêta à tirer une bouffée<br />
nerveuse de sa pipe d'écume lorsqu'une voix s'éleva près de lui, l'arrêtant dans son élan.<br />
Une personne inconnue se tenait de l'autre côté du banc depuis le début, <strong>et</strong> ses pensées<br />
l'avaient obnubilées si fort qu'il n'avait pas pris conscience de ce fait. Aussitôt le soleil<br />
<strong>Turquoise</strong> ravala sa salive <strong>et</strong> reprit contenance, car la personne en question visiblement<br />
était une sorcière, à l'antiquité immémoriale.<br />
― Je vous observe depuis tout à l'heure <strong>et</strong> le moins que l'on puisse dire c'est que de<br />
grandes <strong>et</strong> puissantes pensées vous agitent, jugea la sorcière après un court moment de<br />
silence. Auriez-vous quelques soucis ? conclut-elle en lui tendant la main, lisse, blanche<br />
<strong>et</strong> adornée de bagues précieuses, le soleil <strong>Turquoise</strong> la baisant avec déférence. Je suis la<br />
sorcière <strong>Amarante</strong>.<br />
De la même façon le soleil <strong>Turquoise</strong> se présenta à son tour avant de répondre.<br />
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― Absolument pas, d'aucune façon, lui affirma le soleil en rajustant ses riches habits<br />
de satin blanc afin de dissimuler un début d'embonpoint, car la sorcière était très belle,<br />
comme toutes les sorcières dignes de ce nom. J'ai simplement eu une discussion avec des<br />
Puissances du Chaos, elles se sont raillées de ce que je ne pouvais aller au grand bal du<br />
Solophe Meirios, car je n'ai pas de moitié, je vis seul. Mais cela ne m'affecte en rien.<br />
Vraiment.<br />
Il lissa du revers de son pantalon immaculé ses souliers noirs brillants, car la sorcière<br />
<strong>Amarante</strong>, aux longs cheveux bouclés <strong>et</strong> éployés, à la ténébreuse clarté, était d'une beauté<br />
radieuse. Le soleil <strong>Turquoise</strong>, en comparaison, se sentait lourd <strong>et</strong> malhabile, rustre <strong>et</strong> laid.<br />
<strong>Amarante</strong> portait un long manteau gris sur des vêtements légers <strong>et</strong> échancrés, une<br />
ceinture de boucles d'or par-dessus une jupe plissée qui dévoilait des moll<strong>et</strong>s de fine<br />
porcelaine sur des mocassins de velours noir. Ses grands yeux de nuit étaient des puits<br />
devant lesquels le soleil <strong>Turquoise</strong> se sentit pris de vertige. Sa bouche cerise à l'incarnat<br />
délicat s'étira en un sourire gracieux <strong>et</strong> elle dévoila une rangée de dents à la blancheur<br />
irréelle.<br />
― Mais encore ?<br />
― Je ne crois pas à l'amour, je n'ai jamais aimé <strong>et</strong> je n'aimerais jamais personne, lâcha<br />
tout d'un trait le soleil <strong>Turquoise</strong> qui venait de s'exprimer quasiment sans réfléchir. Je ne<br />
croirais en l'amour que lorsque je le verrais. Mais l'amour n'existe pas.<br />
La sorcière <strong>Amarante</strong> émit un p<strong>et</strong>it rire de gorge ─ charmant, véritablement, songea à<br />
part lui le soleil <strong>Turquoise</strong> ─ <strong>et</strong> plaçant délicatement sa main sur la poitrine elle reprit.<br />
― Cher <strong>Turquoise</strong>, comme je vous comprends. Je suis moi-même une vieille <strong>et</strong><br />
vénérable sorcière <strong>et</strong> voici bien longtemps j'ai vaincu <strong>et</strong> tué l'Amour : jamais plus il n'a<br />
accepté de me revoir, <strong>et</strong> je me porte comme un charme. Car l'Amour est une illusion, la<br />
vérité vous est connue, l'Amour n'existe pas.<br />
― Je le savais qu'un grand esprit à votre image devait partager mon opinion ! se<br />
réjouit le soleil <strong>Turquoise</strong> en prenant entre ses paumes boudinées les délicates mains de la<br />
sorcière, les lâchant presque aussitôt en réalisant son impair.<br />
― L'Amour ne m'a jamais tiré une larme.<br />
― Félicitation !<br />
― Les choses du coeur me sont indifférentes, pis encore, je les méprise, assura<br />
<strong>Amarante</strong> en fixant durement l'horizon.<br />
― Encore bravo ! renchérit le soleil <strong>Turquoise</strong> en tapant bruyamment dans ses mains.<br />
― Jadis j'ai bardé mon coeur d'une carapace si épaisse que nul n'a jamais pu la briser,<br />
si fort soit-il. Car moi non plus je ne crois pas à l'amour, <strong>et</strong> moi aussi je crois uniquement<br />
en ce que je vois.<br />
― Quelle heureuse surprise pour moi de croiser une telle érudition jointe à un intellect<br />
si sagace ! s'exclama le soleil avant de terminer une octave plus bas, r<strong>et</strong>ombant dans sa<br />
tristesse précédente.<br />
La sorcière <strong>Amarante</strong> haussa un sourcil en observant le changement d'humeur de son<br />
interlocuteur.<br />
― Mais alors, pourquoi c<strong>et</strong>te langueur ?<br />
N'en pouvant plus de devoir se taire, le soleil <strong>Turquoise</strong> délivra enfin ses pensées.<br />
― J'aimerais pouvoir faire partie de la Soci<strong>et</strong>é Céleste <strong>et</strong> pouvoir moi aussi aller au<br />
grand bal du Solophe Meirios côtoyer les Élus <strong>et</strong> les Mânnes, les Lyres <strong>et</strong> peut-être même<br />
le grand Aé. Mais je n'ai pas de moitié, <strong>et</strong> je dois supporter les moqueries des Puissances<br />
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du Chaos à cause de cela.<br />
― Oh.<br />
La voix de la sorcière <strong>Amarante</strong> avait été imperceptible, comme un soupir, mais le<br />
soleil <strong>Turquoise</strong> avait pu l'entendre <strong>et</strong> déjà c<strong>et</strong>te dernière avait repris.<br />
― C'est un p<strong>et</strong>it, p<strong>et</strong>it détail, en vérité, que toute bonne sorcière peut régler aisément,<br />
je vous assure. Désireriez-vous que je vous trouve une cavalière pour la soirée ?<br />
Le soleil <strong>Turquoise</strong> garda un silence troublé.<br />
― Désirez-vous que je vous trouve une cavalière pour le grand bal du Solophe<br />
Meirios, oui ou non ? demanda de nouveau la sorcière qui était au fait des choses du<br />
coeur <strong>et</strong> des hommes, car elle avait été une très grande amoureuse il y a longtemps de<br />
cela.<br />
― Oui, acquiesça le soleil <strong>Turquoise</strong> vers la sorcière, comme s'il faisait preuve en la<br />
matière d'un courage surnaturel.<br />
― Dans ce cas écoutez-moi bien, revenez ici même dans une semaine, à la même<br />
heure. Vous repartirez avec votre cavalière au grand bal du Solophe Meirios, <strong>et</strong><br />
l'apparition que je vous aurais concoctée durera jusqu'au p<strong>et</strong>it matin. Vous devrez avoir<br />
quitté le bal avant c<strong>et</strong>te période, évidemment.<br />
― Bien sûr, naturellement, il va de soi, accepta le soleil <strong>Turquoise</strong> en prenant<br />
d'instinct vers la sorcière millénaire une allure de conspirateur, mais les Élus <strong>et</strong> les<br />
Mânnes, le Solophe Meirios parmi tant d'autres, seront-ils dupes de notre stratagème ?<br />
― Souvent déjà j'ai trouvé ainsi des partenaires aux gens de l'endroit, je suis une<br />
vieille connaisseuse des choses de l'amour, je vous l'ai déjà dit. Et j'ai fini par découvrir<br />
que l'Amour était une illusion, que l'on peut ajouter une chimère à une tromperie. Les<br />
choses de l'amour sont un artifice, le nôtre ne détonnera donc pas. J'ai usé déjà de ce<br />
subterfuge à plusieurs reprises, sans incident notable.<br />
― À un grand bal de la Société Céleste ?<br />
Pour la première fois depuis le début de leur entr<strong>et</strong>ien, le soleil <strong>Turquoise</strong> vit une<br />
ombre grise planer sur la sereine <strong>et</strong> douce beauté de la sorcière <strong>Amarante</strong>.<br />
― À dire le vrai, non, mais cela ne fait pas de différence, j'en suis certaine. L'Amour<br />
n'existe pas, vous le savez aussi bien que moi.<br />
― Jolie p<strong>et</strong>ite madame, vous m'avez convaincu ! finit par lâcher le soleil <strong>Turquoise</strong> en<br />
se levant du banc de bois tel un ressort. Et combien le fait de pouvoir accéder au grand<br />
bal du Solophe Meirios va-t'il me coûter ?<br />
La sorcière <strong>Amarante</strong> eut un geste négligent, croisant ses jambes avec élégance dans la<br />
douceur suave de la soirée qui s'en venait paisiblement.<br />
― Nous verrons cela tantôt, mon cher <strong>Turquoise</strong>...<br />
Ce dernier s'en repartit vers sa maison en demandant à la sorcière <strong>Amarante</strong> d'activer<br />
ses philtres les plus puissants joints à d'efficients sortilèges, <strong>et</strong> après un bon repas dans sa<br />
coqu<strong>et</strong>te demeure, bordée de cyprès <strong>et</strong> environnée de rocailles, il se plongea dans son lit<br />
douill<strong>et</strong> en remuant d'obscures pensées, dont la dernière mais non la moindre était : Mais<br />
pourquoi s'obstinent-ils tous à m'appeler " mon cher <strong>Turquoise</strong>" ?<br />
Au p<strong>et</strong>it matin rosé le soleil <strong>Turquoise</strong> s'en alla vers son office céleste en illuminant<br />
plusieurs mondes <strong>et</strong> contrées des univers cosmiques, <strong>et</strong>, à la nuit tombée, lui qui<br />
d'habitude ne pipait grand-mot durant ni même après son travail il dit : « Bonjour ». La<br />
Nuit Étoilée était une belle femme brune qui avait depuis longtemps pris l'habitude de<br />
travailler la nuit, justement, <strong>et</strong> même si elle s'étonna de l'attitude inhabituellement joviale<br />
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du soleil <strong>Turquoise</strong> elle n'y attacha pas non plus une importance démesurée, car les<br />
soleils, souvent, sont coutumiers de tels cycles de mélancolie <strong>et</strong> de bonne humeur<br />
communicative. La Nuit Étoilée répondit comme il se doit à la salutation de son collègue<br />
de travail <strong>et</strong> n'y attacha plus d'importance. Mais le soleil <strong>Turquoise</strong> continua sur sa lancée<br />
<strong>et</strong> désirant clore c<strong>et</strong>te belle journée de travail par une période de détente il alla se placer à<br />
la terrasse d'un établissement où il avait ses habitudes, '' le Perroqu<strong>et</strong> Bleu ''. Il passa<br />
commande d'une boisson rafraîchissante <strong>et</strong> citronnée <strong>et</strong> s'était mis à la siroter<br />
songeusement en fixant la mer brasillante, en contrebas, car la p<strong>et</strong>ite ville de Stellaris<br />
était construite sur une pente verdoyante, lorsque des lazzis provenant d'une table voisine<br />
l'interpellèrent, <strong>et</strong>, se r<strong>et</strong>ournant, il releva son chapeau de paille en découvrant les trois<br />
Puissances du Chaos qui s'étaient déjà cruellement moquées de lui.<br />
― Eh bien, mon cher <strong>Turquoise</strong>, avez-vous du mal à digérer votre déception d'hier,<br />
qu'il vous faille la faire passer avec de l'eau ? raillait l'une des Puissances Chaotiques.<br />
― Avez-vous réfléchi sur votre venue au grand bal du Solophe Meirios ? gloussait une<br />
autre en soulevant une chope de bière blonde à la mousse presque aussi blanche que sa<br />
dentition.<br />
Le soleil <strong>Turquoise</strong> avait reposé calmement sur la table vernie son verre tube de citron<br />
glace pilée avant de répondre, toussant discrètement en plaçant son poing fermé devant la<br />
bouche afin de s'éclaircir la voix.<br />
― Tout d'abord, messieurs, apprenez que vous êtes toujours aussi butors <strong>et</strong> grossiers<br />
que je vous ai laissé hier, messieurs les Puissances du Chaos. Ceci n'est pas de l'eau,<br />
comme vous auriez pu vous en rendre compte si vous vous en étiez donné la peine, mais<br />
du citron glace pilée. Romuald, le serveur, m'en amène souvent à ma demande expresse.<br />
Les Puissances Chaotiques se mirent à rire de plus belle en s'attirant les regards<br />
intrigués des convives attablés sur la terrasse, près de là, mais le soleil <strong>Turquoise</strong> n'en eut<br />
cure <strong>et</strong> il poursuivit sa péroraison d'un ton de voix égal.<br />
― Et de plus, je n'ai pas encore arrêté ma décision en ce qui concerne ma venue au<br />
grand bal du Solophe Meirios. Il se pourrait bien qu'une grande surprise vous attende, ce<br />
soir-là. Oui, il se pourrait bien, en définitive.<br />
Le soleil <strong>Turquoise</strong> se leva de table après avoir disposé quelques pièces de monnaie en<br />
une écuelle d'onyx ─ des sols, naturellement ─ lorsque les commérages reprirent de plus<br />
belle.<br />
― Essaieriez-vous de nous préparer à votre venue ? se moquait l'une des Puissances<br />
Chaotiques. Serait-ce à dire que vous auriez trouvé une partenaire ?<br />
― Probablement partira-t'elle en fumée au douzième coup de minuit, comme tant<br />
d'autres !<br />
― La belle affaire que voilà ! conclut la troisième Puissance du Chaos, en j<strong>et</strong>ant un<br />
trouble intense chez le soleil <strong>Turquoise</strong>, qui ne pût s'empêcher de répliquer, la lippe<br />
tremblante d'une excitation mal maîtrisée.<br />
― Mais que dites-vous !<br />
― Mais que dites-vous ! Mais que dites-vous ! s'exclamèrent alors en choeur les<br />
Puissances Chaotiques devant l'auditoire amusé, <strong>et</strong> le soleil <strong>Turquoise</strong> s'en repartit dans<br />
sa demeure, le rouge aux joues <strong>et</strong> l'esprit embrouillé.<br />
Sa bonne humeur s'était définitivement envolée, <strong>et</strong> c'est avec un sombre pressentiment<br />
qu'après un repas frugal il s'endormit sous la chaude <strong>et</strong> multicolore cou<strong>et</strong>te de sa couche,<br />
tandis qu'à ses pieds, près de la grande fenêtre vitrée, s'assoupissait son p<strong>et</strong>it chat tigré<br />
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lanc <strong>et</strong> roux, michel. Lorsqu'il se réveilla au terme d'une nuit sans rêves, les jambes<br />
lourdes <strong>et</strong> la tête comme prête à exploser, le soleil <strong>Turquoise</strong> comprit qu'il venait de<br />
tomber malade. Il n'en alla pas moins travailler, comme à son habitude, <strong>et</strong> jour après jour<br />
ses collègues de travail ─ la Nuit Constellée, les Étoiles des différentes galaxies <strong>et</strong><br />
systèmes alentour avec les Nuages de Gaz ─ virent comment le soleil <strong>Turquoise</strong><br />
dépérissait <strong>et</strong> vacillait de jour en jour. Son éclat ne diminuait pourtant pas, certes non,<br />
mais il vacillait dans l'infini intergalactique <strong>et</strong> il souffrait de pertes d'éclats jointes à des<br />
surcroîts de luminosité inexplicables. Cela en vint, au fil des jours, à atteindre une telle<br />
proportion que ses chefs de service s'en émurent <strong>et</strong> vinrent le trouver, afin de s'enquérir<br />
de son état si mystérieux. Un grand soleil blanc <strong>et</strong> une autre de moindre taille, écarlate <strong>et</strong><br />
carmin, lui parlèrent sans détour au terme de sa dernière <strong>et</strong> ultime journée de travail de la<br />
semaine.<br />
― Eh bien, <strong>Turquoise</strong>, mon garçon, que vous arrive-t-il ? lui demandèrent ces derniers<br />
avec un mélange de bonhommie <strong>et</strong> de rudesse, car les soleils dans leur office sont ainsi<br />
familiers même s'ils ne se départissent jamais d'une camaraderie confinant à la tendresse.<br />
― Il ne m'arrive rien que je ne puisse expliquer, affirma le soleil <strong>Turquoise</strong> qui depuis<br />
plusieurs jours déjà, au regard appuyé de ses différents confrères célestes, voyait bien que<br />
chez lui quelque chose ne tournait pas rond. Je souffre d'une légère indisposition, qui ne<br />
durera pas au-delà de c<strong>et</strong>te semaine, j'en suis certain. Très bientôt je redeviendrai comme<br />
avant, <strong>et</strong> tout ira pour le mieux.<br />
― Mais votre camarade, la Nuit Étoilée, nous a confié ses soucis quant à votre état de<br />
santé, reprit le p<strong>et</strong>it soleil écarlate <strong>et</strong> carmin.<br />
― Sottise ! Bêtise ! s'emporta le soleil <strong>Turquoise</strong>, <strong>et</strong> disant cela il s'était placé dans la<br />
lumière d'un lampadaire de bronze bordant la grande voie pavée menant à sa maison, <strong>et</strong><br />
tant le grand soleil blanc comme le p<strong>et</strong>it écarlate <strong>et</strong> carmin frémirent en constatant les<br />
changements survenus au physique de <strong>Turquoise</strong>.<br />
Il souffrait d'éruptions cutanées sur son visage poupin, <strong>et</strong> des taches sombres<br />
maculaient son teint de peau clair <strong>et</strong> diaphane, presque blanc. Ses cheveux immaculés<br />
étaient coiffés à la diable <strong>et</strong> ses traits tirés lui conféraient une expression inquiétante. Les<br />
deux supérieurs hiérarchiques du soleil <strong>Turquoise</strong> secouèrent tristement la tête en<br />
constatant l'état de santé de ce dernier <strong>et</strong> lui parlèrent sans détour.<br />
― <strong>Turquoise</strong>, mon cher <strong>Turquoise</strong>, cela ne peut continuer ainsi longtemps, <strong>et</strong> vous le<br />
savez très bien.<br />
Le soleil placé devant le jugement silencieux de ses pairs baissa la tête avec gêne, car<br />
dans ses tréfonds il en était parfaitement conscient.<br />
― Vous devez vous soigner <strong>et</strong> améliorer votre état au plus vite, la luminosité de votre<br />
aura en dépend, poursuivit le grand soleil blanc, en gourmandant <strong>Turquoise</strong> de son index.<br />
― Nous les soleils de la voûte céleste, nous sommes tous très inqui<strong>et</strong>s pour vous,<br />
<strong>Turquoise</strong>, assura le p<strong>et</strong>it soleil carmin.<br />
― Et malgré la tendresse que nous vous portons, <strong>Turquoise</strong>, déclara le soleil blanc, si<br />
votre travail continue à pâtir de votre condition il nous faudra songer à vous changer de<br />
poste, en un recoin éloigné du Quatrième Monde, ou même ailleurs. Croyez bien que cela<br />
nous chagrinerait, mais vous savez comme nous que la finalité des soleils est d'éclairer <strong>et</strong><br />
d'illuminer les mondes, <strong>et</strong> nous ne pouvons souffrir aucun dysfonctionnement dans ce<br />
sens au sein de nos rangs.<br />
― Si dans trois jours, jour pour jour, votre travail céleste n'est pas revenu à son niveau<br />
6
de qualité initial, trancha le p<strong>et</strong>it soleil carmin, il nous faudra envisager sérieusement<br />
votre mutation, en un canton intergalactique éloigné. Soignez-vous bien, mon cher<br />
<strong>Turquoise</strong>.<br />
Sur ces amènes paroles les deux soleils d'importance s'évanouirent dans l'éther sans<br />
autre forme de procès, <strong>et</strong> <strong>Turquoise</strong> qui venait d'être ainsi abordé sur le chemin de sa<br />
p<strong>et</strong>ite maison, poursuivit sa route en remâchant de sombres pensées.<br />
Me voilà dans de beaux draps, songeait-il en tripotant nerveusement sa lippe, je suis<br />
malade depuis de longs jours sans même savoir pourquoi, <strong>et</strong> je n'ai plus la tête à mon<br />
travail. Mes supérieurs viennent de s'en alarmer, <strong>et</strong> je risque de perdre mon emploi.<br />
Dans sa p<strong>et</strong>ite cuisine carrelée aux meubles de bois fleurant bon l'encaustique il<br />
prépara puis rapidement fit honneur à son repas du soir, <strong>et</strong> vite il alla se coucher car il se<br />
sentait las au-delà de toute expression <strong>et</strong> mesure. Dans sa chambre au parfum de lavande<br />
il laissa la grande fenêtre entr'ouverte afin que l'air du soir rafraîchisse ses pensées, même<br />
s'il doutait un peu du résultat, mais la brise fit danser les voilages de tulle <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te belle<br />
image soulagea son coeur meurtri.<br />
― Miaou, fit son p<strong>et</strong>it chat tigré.<br />
― Bonne nuit à toi aussi, michel, lui dit le soleil <strong>Turquoise</strong> en lui accordant une<br />
caresse distraite, car il n'était vraiment pas dans son assi<strong>et</strong>te ces derniers temps.<br />
Il se r<strong>et</strong>ourna sous la chaude cou<strong>et</strong>te de son lit <strong>et</strong> tenta de s'assoupir, mais en vain. Car<br />
les derniers évènements venaient de le troubler grandement, <strong>et</strong> l'attitude des Puissances<br />
du Chaos l'avait inquiété. Et si le stratagème ourdi par lui <strong>et</strong> la sorcière <strong>Amarante</strong> venait à<br />
échouer ? Le scandale serait énorme dans la Société Céleste, <strong>et</strong> il en serait fini à jamais de<br />
sa réputation. Peut-être même perdrait-il son travail, si ses problèmes de santé ne le<br />
faisaient pas d'abord, évidemment. Et puis d'abord, n'avait-il pas oublié quelque chose<br />
d'important ayant trait à c<strong>et</strong>te jolie personne, la sorcière <strong>Amarante</strong> ? Le soleil <strong>Turquoise</strong><br />
qui avait coiffé un bonn<strong>et</strong> de nuit de coton beige se mariant à ravir avec sa chemise de<br />
nuit se releva d'un bond sur sa couche, infligeant une jolie peur à michel, son p<strong>et</strong>it chat.<br />
― Bon sang, le rendez-vous avec <strong>Amarante</strong>, c'était pour ce soir !<br />
Ni une ni deux le soleil <strong>Turquoise</strong> s'était j<strong>et</strong>é à bas de son lit <strong>et</strong> chaussant ses<br />
pantoufles il s'était précipité vers la pièce où il faisait ses ablutions matinales, afin de<br />
changer de vêtements au plus vite. Il enfila un pantalon de toile claire mais garda,<br />
distraction fatale, ses pantoufles, une chemise de lin blanc avec une courte veste de<br />
velours. Dans sa précipitation il oublia d'enlever son bonn<strong>et</strong> de nuit <strong>et</strong> courant dans la<br />
nuit cloutée d'étoiles de Stellaris il s'en alla en laissant la porte de sa p<strong>et</strong>ite maison grande<br />
ouverte, tant était grand son émoi. Son p<strong>et</strong>it chat michel exhiba devant la porte d'entrée sa<br />
frimousse curieuse, <strong>et</strong> il entreprit de suivre son maître dans la nuit.<br />
<strong>Turquoise</strong> se savait en r<strong>et</strong>ard, bigrement en r<strong>et</strong>ard. Tout en dévalant les ruelles en<br />
pentes <strong>et</strong> les p<strong>et</strong>its ponts de fer forgé recouverts de mousse il consultait une grosse<br />
montre à gouss<strong>et</strong> avant de la rem<strong>et</strong>tre régulièrement dans la poche de sa chemise.<br />
― Je suis en r<strong>et</strong>ard, sacrebleu, très en r<strong>et</strong>ard !<br />
Les boulangers de Stellaris qui travaillaient jusque tard dans la nuit regardaient c<strong>et</strong><br />
étrange équipage filer dans les ténèbres ponctuées par les réverbères de bronze de la cité<br />
portuaire, un soleil agité de sentiments confus suivi à distance par un chat minuscule, <strong>et</strong><br />
sautillant. Les p<strong>et</strong>ites places bordées de vitrines sombres finirent par laisser place à de<br />
grands jardins, près de la j<strong>et</strong>ée, <strong>et</strong> courant à perdre haleine désormais sans craindre le<br />
qu'en dira-t'on le soleil <strong>Turquoise</strong> fila, fila jusque vers un p<strong>et</strong>it banc de bois verni où il ne<br />
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se trouvait personne. Un rapide coup d'oeil, le dernier, à sa montre de gouss<strong>et</strong> lui fit<br />
comprendre qu'il était tard, bien trop tard désormais. <strong>Turquoise</strong> se laissa tomber avec un<br />
souffle rauque sur le banc, essuyant de son mouchoir de dentelle les fil<strong>et</strong>s de sueur<br />
coulant sur son front <strong>et</strong> sa nuque de manière ininterrompue.<br />
― Je vous ai attendu, mon cher <strong>Turquoise</strong>. Vous m'avez cruellement déçu.<br />
Le soleil <strong>Turquoise</strong> tressaillit comme si on avait vidé sur sa personne un seau d'eau<br />
froide, <strong>et</strong> reconnaissant le ton de voix de la sorcière <strong>Amarante</strong> il se reprit de son mieux en<br />
avalant sa salive.<br />
― J'ai oublié notre rendez-vous parce que j'étais malade, expliqua-t'il, voyez, je<br />
souffre d'éruptions cutanées <strong>et</strong> de taches solaires sur le visage. Je vous assure !<br />
― Votre bouche est menteuse, soleil <strong>Turquoise</strong>, comme celle de tous les hommes,<br />
reprit la sorcière <strong>Amarante</strong> qui se tenait près de fourrés proches, visiblement elle venait<br />
de prendre la décision de partir lorsque le soleil <strong>Turquoise</strong> était arrivé en trombe.<br />
― Non, je ne mens pas ! se défendit de manière véhémente le soleil <strong>Turquoise</strong>, <strong>et</strong><br />
d'ailleurs je voulais vous dire...<br />
― Silence ! s'emporta la sorcière avant de baisser de plusieurs octaves le ton de sa<br />
voix. Oh ! Quel joli p<strong>et</strong>it chat !<br />
Le soleil <strong>Turquoise</strong> qui tentait encore de r<strong>et</strong>rouver son souffle haussa les sourcils en ne<br />
voyant pas où la sorcière <strong>Amarante</strong> voulait en venir, dans ce parc abandonné à la nuit,<br />
puis il découvrit que son p<strong>et</strong>it chat tigré l'avait suivi jusqu'ici, <strong>et</strong> cela lui fit venir aux<br />
lèvres un sourire de tendresse.<br />
― Il s'appelle michel...<br />
Miaulant faiblement le jeune chaton se r<strong>et</strong>rouva dans les mains en coupe de la<br />
sorcière, à la silhou<strong>et</strong>te harmonieuse, remarqua le soleil <strong>Turquoise</strong> dont le coeur battait<br />
par à-coups. Il se rapprocha tout doucement d'<strong>Amarante</strong>, <strong>et</strong> elle sursauta.<br />
― Je suis désolé d'être en r<strong>et</strong>ard, sincèrement, assura le soleil <strong>Turquoise</strong> après avoir<br />
r<strong>et</strong>iré son couvre-chef en signe d'hommage inconscient. Mais j'ai été vraiment malade,<br />
vous savez.<br />
― Ce n'est rien, à dire le vrai, j'ai été malade, moi aussi.<br />
La sorcière <strong>Amarante</strong> avait haussé des épaules, <strong>et</strong> s'était mise à marcher sans direction<br />
bien précise. Dans la nuit fraîche <strong>et</strong> parfumée de Stellaris, aux millions d'étoiles brillant<br />
dans le ciel, le soleil <strong>Turquoise</strong> lui emboîta le pas, sans trop savoir pourquoi. L'obscurité<br />
était grande mais de loin en loin des luminosités opalescentes trouaient les ténèbres,<br />
provenant de réverbères de bronze spiralés <strong>et</strong> ornementaux.<br />
― Je ne crois pas que créer magiquement une cavalière soit une bonne idée,<br />
<strong>Amarante</strong>, poursuivit le soleil <strong>Turquoise</strong> en sursautant à son tour lorsqu'ils pénétrèrent<br />
sous la douce clarté d'un lampadaire. Oh ! Mais qu'avez-vous sur la tête ? Et que portezvous<br />
exactement ?<br />
― Ceci, toussa la sorcière <strong>Amarante</strong> en posant un poing fermé devant sa bouche, est<br />
une robe de chambre, fuchsia plus précisément, <strong>et</strong> ce que vous voyez sur mes cheveux, ce<br />
sont des bigoudis.<br />
― Quoi ! Vous n'êtes donc pas bouclée naturellement ? demanda le soleil <strong>Turquoise</strong><br />
en croisant les bras sur sa poitrine.<br />
― Mais si, mais si, le rassura la sorcière en faisant bouffer ses cheveux, l'air<br />
passablement gênée. Et vous-même ? Qu'est-ce que c<strong>et</strong>te tenue ?<br />
― Moi ? Et bien, je... commença-t'il péniblement avant d'acquérir un ton plus assuré,<br />
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je dormais, en fait, <strong>et</strong> au milieu de mon sommeil je me suis souvenu de notre rendezvous,<br />
j'ai couru aussi vite que j'ai pu. Je me suis habillé à la va-vite.<br />
― Moi aussi je dormais, reconnut la sorcière <strong>Amarante</strong> en soupirant bruyamment, ne<br />
cessant de caresser pensivement le p<strong>et</strong>it chat tigré michel au creux de ses bras, <strong>et</strong> je suis<br />
venu à toute allure magiquement. Cela dit, je suis d'accord avec vous. Créer une cavalière<br />
enchantée pour le grand bal du Solophe Meirios n'était pas une bonne idée.<br />
― Non, pas du tout, acquiesça le soleil <strong>Turquoise</strong> tandis que leur marche erratique<br />
leur faisait quitter les abords boisés de la j<strong>et</strong>ée pour d'autres, en périphérie de la p<strong>et</strong>ite cité<br />
portuaire. Qu'allez-vous faire maintenant ?<br />
― Eh bien, aller dormir, je suppose, répondit la sorcière <strong>Amarante</strong> en détaillant une<br />
grande bâtisse illuminée, près de là, entourée de jardins somptueusement éclairés dans<br />
l'obscurité de la nuit. Et vous ?<br />
― Pareil, tout pareil, soupira le soleil <strong>Turquoise</strong> en croisant les bras derrière son dos.<br />
Mais qu'est-ce que cela ?<br />
― On dirait une réception organisée par la Haute Sociéte Céleste, murmura la sorcière<br />
<strong>Amarante</strong> en mordillant ses lèvres carmin.<br />
― Mais c'est le grand Bal du Solophe Meirios ! s'exclama le soleil <strong>Turquoise</strong> avant<br />
que la sorcière ne lui signifie un silence immédiat. Regardez tous ces gens venant par<br />
couples de tous lieux <strong>et</strong> de tous les mondes !<br />
Il venait effectivement de partout des Élus <strong>et</strong> des Compatissantes aux habits délicats,<br />
des Honnies <strong>et</strong> des Tünders, des Streghes <strong>et</strong> des Gabriels, tous par couples, également des<br />
Mânnes avec leur moitié, des Solophes <strong>et</strong>... les Puissances du Chaos. Les jardins près de<br />
la bâtisse à l'entrée joliment éclairée étaient peuplés d'une multitude chamarrée <strong>et</strong><br />
féerique.<br />
― Regardez ! Les méchantes Puissances du Chaos sont là, avec leur moitié !<br />
― Et aussi des Vigiles, accompagnés de Protecteurs ! souffla la sorcière <strong>Amarante</strong> en<br />
se raccrochant au bras du soleil <strong>Turquoise</strong>, tenant dans une main le p<strong>et</strong>it chat michel qui<br />
voulait ipso facto rejoindre tout ce beau monde. Cachons-nous, ou ils vont nous<br />
demander nos coeurs !<br />
Elle poussa un cri de surprise car comme par enchantement une sombre <strong>et</strong> haute<br />
silhou<strong>et</strong>te venait de se matérialiser derrière eux, leur infligeant à tous trois une belle<br />
frayeur.<br />
L'être était revêtu d'une cuirasse scintillante <strong>et</strong> moirée, avec un soleil gravé sur le<br />
thorax <strong>et</strong> une lune sur le dos. Il était de stature athlétique avec des bras puissants, portant<br />
un casque ouvragé <strong>et</strong> cornu, un pantalon de cuir à lac<strong>et</strong>s <strong>et</strong> des sandales spartiates. Il<br />
possédait un teint clair <strong>et</strong> des traits elfiques, des oreilles pointues ainsi que des yeux en<br />
amande, arborant des bijoux argentés <strong>et</strong> des anneaux aux oreilles avec une longue<br />
chevelure déliée.<br />
― Bonne soirée, messieurs-dames. Puis-je voir vos coeurs, s'il vous plaît.<br />
― Pardon ? bredouilla le soleil <strong>Turquoise</strong>, déstabilisé par la tournure des évènements.<br />
L'être de bonne taille secoua les épaules d'une manière imperceptible avant de se<br />
pencher vers eux <strong>et</strong> de reprendre, une ombre de lassitude dans la voix.<br />
― Je suis un Protecteur, mon nom est Dolos : <strong>et</strong> je répète que je voudrais voir vos<br />
coeurs. Vite.<br />
C<strong>et</strong>te dernière phrase semblait contenir une menace voilée <strong>et</strong> <strong>Turquoise</strong> comme<br />
<strong>Amarante</strong>, qui tenait toujours contre elle le p<strong>et</strong>it chat, restèrent statufiés devant<br />
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l'apparition car leur état allait lui être révélé sans fard, avec quelles conséquences pour<br />
eux ! Mais déjà le Protecteur Dolos à la lourde cuirasse ciselée avait eu un geste des<br />
mains curieux, souple <strong>et</strong> vif à la fois : le coeur respectif du soleil <strong>Turquoise</strong> <strong>et</strong> de la<br />
sorcière <strong>Amarante</strong> se trouvait au creux des mains gantées de cuir du Protecteur.<br />
― Mmm, Mmm, lâcha enfin le Protecteur Dolos en cessant d'examiner les coeurs<br />
écarlates <strong>et</strong> palpitants du couple. C'est que le grand bal du Solophe Meirios, est-il stipulé,<br />
est uniquement réservé aux personnes accompagnées de leur moitié, vous comprenez !<br />
― J'entends bien... bêla d'une voix tremblotante la sorcière <strong>Amarante</strong> tandis que le<br />
Protecteur Dolos d'un geste identique à celui qu'il avait eu précédemment rendait à<br />
chacun son dû. Je peux vous expliquer...<br />
― Oui, déclara enfin le soleil <strong>Turquoise</strong> après avoir avalé sa salive avec difficulté, en<br />
fait, c'est très simple...<br />
― Il n'y a rien à expliquer, trancha le Protecteur dont la cape d'apparat ténébreuse<br />
frôlait le sol, en dépit de sa haute stature, vous pouvez passer.<br />
― Quoi ? s'exclama la sorcière <strong>Amarante</strong>, tandis que le soleil <strong>Turquoise</strong> s'agrippait<br />
précipitamment à la sorcière.<br />
En eff<strong>et</strong> le sol venait de s'évanouir sous eux, <strong>et</strong> ils se trouvaient au coeur d'une<br />
multitude de couples dansant <strong>et</strong> tournoyant au sein d'une musique éthérée. Il y avait des<br />
colonnes de lumière dans une salle dont les coupoles en ogives semblaient trouer la nuit,<br />
car on voyait distinctement une pluie d'étoiles tournoyer dans les cieux, <strong>et</strong> le soleil<br />
<strong>Turquoise</strong> connaissait personnellement chacune d'entre elles, même celles qui étaient<br />
descendues pour la grande fête du Solophe Meirios.<br />
Ce dernier avec majesté <strong>et</strong> rigueur escorté de sa moitié aux riches atours <strong>et</strong> à l'allure<br />
princière menait la pavane d'Irlis dans la grande demeure, des musiciens d'outre-espace<br />
jouant en sourdine au fond de la salle. Les couples de Tünders étaient mêlés à ceux des<br />
Streghes <strong>et</strong> des Élus, l'Ange Exterminateur était là lui aussi avec sa belle dame, couleur<br />
de nuit noire. Il y avait des Mânnes en nombre, <strong>et</strong> des Solophes, puisque l'Orbe où se<br />
trouvait Stellaris était dévoué à ces derniers, également quelques Lyres venus en<br />
délégation, une poignée, tout au plus. Quantité de couples importants continuaient de<br />
venir de toute part, autour de la grande table réservée aux boissons <strong>et</strong> apéritifs l'animation<br />
ne désemplissait pas.<br />
― Pourquoi croyez-vous qu'il nous a laissé passer, mon cher <strong>Turquoise</strong> ? ne put<br />
s'empêcher d'interroger <strong>Amarante</strong> vers le soleil, qui à son image s'était rapproché d'elle,<br />
car leur étrange accoutrement, c'était le moins que l'on puisse dire, attirait l'attention au<br />
coeur de tous ces gens dont la noblesse auguste <strong>et</strong> la luxuriance dans l'habillement ne<br />
connaissait pas de limites.<br />
― Parce que... vous avez de très beaux yeux, certainement, expliqua <strong>Turquoise</strong> gêné<br />
d'être ainsi malgré lui le centre de l'attention générale.<br />
― Et vous, <strong>Turquoise</strong>, maintenant que vous n'avez plus vos éruptions cutanées <strong>et</strong> vos<br />
taches solaires sur le visage, êtes redevenu aussi gracieux <strong>et</strong> avenant qu'avant, assura la<br />
sorcière en voilant son regard d'ébène, car fixer longuement le soleil <strong>Turquoise</strong> troublait<br />
curieusement ses pensées.<br />
― Et moi qui voulais tant rejoindre la Société Céleste de Stellaris ! soupira <strong>Turquoise</strong>.<br />
Mais pas de c<strong>et</strong>te façon, avec ces habits si peu en rapport avec c<strong>et</strong> endroit recherché !<br />
Déjà le Solophe Meirios avec sa moitié avait souri vers les nouveaux arrivants en les<br />
enjoignant d'un geste de se joindre à la Pavane d'Irlis, danse raffinée en usage dans la<br />
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Société Céleste, qui s'était interrompue à leur arrivée.<br />
― Je ne sais que dire, je ne sais que faire, reconnut la sorcière <strong>Amarante</strong> avec<br />
embarras, mais déjà le soleil <strong>Turquoise</strong> avait repris en se redressant.<br />
― Lorsqu'on ne sait que dire ni que faire, il ne faut rien dire <strong>et</strong> faire comme les autres.<br />
― Ah, répondit la sorcière <strong>Amarante</strong> en refermant discrètement l'échancrure de sa<br />
robe de chambre, sous les lustres de la vaste <strong>et</strong> immense salle de fêtes. Et cela veut dire<br />
quoi, exactement ?<br />
― Eh bien, comme nous y invite gentiment le maître de cérémonie, il nous faut<br />
danser, tout simplement.<br />
― Parce que vous savez danser la Pavane d'Irlis, peut-être ? s'enquit la sorcière<br />
<strong>Amarante</strong> avec une expression dubitative, laissant enfin le p<strong>et</strong>it chat tigré s'ébattre tout à<br />
loisir sur le carrelage multicolore <strong>et</strong> brillant.<br />
― Mais chère p<strong>et</strong>ite madame, sourit mielleusement le soleil <strong>Turquoise</strong> en lui prenant<br />
la main <strong>et</strong> en l'entraînant dans la danse, qui reprit aussitôt, vous oubliez que je suis un<br />
soleil. Je me pavane depuis que je suis né.<br />
La sorcière <strong>Amarante</strong> partit d'un grand <strong>et</strong> franc éclat de rire, tandis qu'aussitôt après<br />
<strong>Turquoise</strong> sans lâcher sa partenaire s'escrimait à copier de son mieux le pas de danse<br />
régulier <strong>et</strong> ample des couples autour d'eux.<br />
― Oh, <strong>Turquoise</strong> ! Mon cher <strong>Turquoise</strong> !<br />
Le soleil <strong>Turquoise</strong> eut l'esprit de nouveau traversé par c<strong>et</strong>te pensée habituelle chez<br />
lui, à savoir ( Pourquoi donc tout le monde s'obstine-t'il à m'appeler mon cher <strong>Turquoise</strong><br />
? ) puis il se mit en devoir de danser la Pavane d'Irlis avec art <strong>et</strong> application, frôlant<br />
même l'exubérance artistique lorsque la sorcière <strong>Amarante</strong> se joignit à ses efforts. Éviter<br />
le p<strong>et</strong>it chat tigré gambadant autour d'eux ne fut pas le plus facile, mais leurs efforts<br />
méritoires finirent par être salués de discr<strong>et</strong>s applaudissements, de part <strong>et</strong> d'autre. La<br />
grande fête du Solophe Meirios, au coeur de la nuit de Stellaris, venait de trouver son<br />
couple royal.<br />
Les Puissances du Chaos, qui s'étaient placées avec leurs moitiés contre les lambris,<br />
près de la table des invités se répandaient en commentaires sans cesser d'ingurgiter des<br />
p<strong>et</strong>its fours, qu'ils faisaient passer de grandes rasades de liqueur ambrée.<br />
― La sorcière <strong>Amarante</strong> <strong>et</strong> le soleil <strong>Turquoise</strong> font partie des invités ! disait la<br />
première Puissance du Chaos qui pour l'occasion avec mis ses plus beaux atours, ainsi<br />
que la paume de sa main en visière au-dessus de ses yeux. Oh !<br />
― Le soleil <strong>Turquoise</strong> a un teint de lait <strong>et</strong> les yeux qui brillent ! Oh ! renchérit la<br />
seconde Puissance du Chaos.<br />
― La sorcière <strong>Amarante</strong> tient la main de <strong>Turquoise</strong> avec.... Oh ! Oh ! gloussa la<br />
dernière Puissance du Chaos qui paraissait manquer d'air devant le spectacle s'offrant à<br />
elle. Amour, eux ?<br />
― Mais que dites-vous ? vitupérait une épouse des trois Puissances Chaotiques, dont<br />
les yeux lourdement fardés contrastaient avec la longue chevelure éployée <strong>et</strong> blonde qui<br />
lui dégringolait en cascades soyeuses sur les reins. La sorcière <strong>Amarante</strong> est la reine de la<br />
soirée, <strong>et</strong> elle est en robe de chambre avec des bigoudis !<br />
― Mais que dites-vous ? poursuivait une seconde épouse dont l'habillement était d'un<br />
luxe étourdissant, <strong>et</strong> hors de prix. Pourtant le soleil <strong>Turquoise</strong> est coiffé de façon<br />
vulgaire, avec... un bonn<strong>et</strong> de nuit <strong>et</strong> des pantoufles !<br />
― Et ils sont le couple de la soirée du Solophe Meirios ?!<br />
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Les trois Puissances du Chaos avec leur conjoint respectif, près des colonnes de<br />
lumière chuchotèrent <strong>et</strong> murmurèrent à l'unisson.<br />
― Mais que dites-vous ! Mais que dites-vous !<br />
L.V. Cervera Minero<br />
Texte mis à disposition sous contrat Creative Commons<br />
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Aé Solsticia<br />
La Pérégrination de Timoleon Balsegobius<br />
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