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Feuilleter la revue - ZéroQuatre

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N 12<br />

REVUE SEMESTRIELLE<br />

D’ART CONTEMPORAIN<br />

EN RHÔNE-ALPES<br />

SOMMAIRE<br />

2 ARTISTE<br />

Les affinités électives<br />

de Simon Feydieu<br />

entretien avec Karen Tanguy<br />

6 ExPOSITION<br />

Double révolution<br />

Focus sur « Sir Thomas Trope »,<br />

Vil<strong>la</strong> du Parc<br />

par Étienne Bernard<br />

8 TERRITOIRE<br />

Collections actives<br />

Musées et institutions d’art<br />

contemporain en Rhône-Alpes<br />

par Dorothée Deyries-Henry<br />

12 ESSAI<br />

De l’art de passer inaperçu :<br />

trois démarches furtives<br />

par Sophie Lapalu<br />

15 ANALySE<br />

Glissements de terrain<br />

dans l’espace public<br />

par Fabien Pinaroli<br />

19 INSERT<br />

par Diane Lentin et Agathe<br />

Lacalmontie, École supérieure<br />

d’art et design Saint-Étienne<br />

(option Art)<br />

27 COMPTES RENDUS<br />

Printemps 2013 Gratuit


ZÉROQUATRE N 12 Printemps 2013<br />

Édition<br />

Association Zéro4<br />

Rédactrice en chef<br />

Florence Meyssonnier<br />

Comité de rédaction<br />

Alexandrine Dhainaut, Fabrice Lauterjung,<br />

Aurélien Pelletier, Pascal Thevenet.<br />

Ont col<strong>la</strong>boré à ce numéro<br />

Franck Bal<strong>la</strong>nd, Carine Bel,<br />

Étienne Bernard, Dorothée Deyries-Henry,<br />

Alexandrine Dhainaut, Simon Feydieu,<br />

Agathe Lacalmontie, Sophie Lapalu,<br />

Aude Launay, Fabrice Lauterjung, Diane Lentin,<br />

Adeline Lépine, Florence Meyssonnier,<br />

Isabelle Moisy, Hugo Pernet, Fabien Pinaroli,<br />

Aurélien Pelletier, Karen Tanguy,<br />

Pascal Thevenet.<br />

redaction.zeroquatre@gmail.com<br />

www.zeroquatre.fr<br />

Graphisme<br />

Aurore Chassé<br />

www.aurorechasse.com<br />

Typographies<br />

DIN & Goudy Old Style<br />

Impression<br />

Imprimerie de Champagne, Langres<br />

Relecture<br />

Aude Launay & MP Launay<br />

Association Zéro4<br />

Président : Emmanuel Tibloux<br />

Vice-Présidentes : Anne Giffon-Selle<br />

et Sylvie Vojik<br />

Trésorier : Stéphane Sauzedde<br />

Secrétaire : Isabelle Bertolotti<br />

8 bis quai Saint-Vincent<br />

69001 Lyon<br />

<strong>ZéroQuatre</strong> est un supplément à 02<br />

Nº 65, édité par Zoo Galerie,<br />

4 rue de <strong>la</strong> Distillerie, 44000 Nantes<br />

www.zerodeux.fr<br />

Directeur de <strong>la</strong> publication<br />

Patrice Joly<br />

Retrouvez <strong>la</strong> <strong>revue</strong> téléchargeable en ligne<br />

www.zeroquatre.fr<br />

<strong>ZéroQuatre</strong> bénéficie du soutien<br />

de <strong>la</strong> Région Rhône-Alpes.<br />

Partenaires de <strong>ZéroQuatre</strong> :<br />

Grand Lyon ;<br />

Musée d’art moderne de Saint-Étienne Métropole ;<br />

Cité du design ;<br />

École supérieure d’art et design Saint-Étienne ;<br />

École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon ;<br />

École supérieure d’art et design Grenoble Valence ;<br />

Institut d’art contemporain, Villeurbanne /<br />

Rhône-Alpes ;<br />

Fondation Léa et Napoléon Bullukian, Lyon ;<br />

La Vil<strong>la</strong> du Parc.


exposition du 1 er mars<br />

au 28 avril 2013<br />

Saâdane Afif<br />

Blue Time 1,<br />

Blue Time,<br />

Blue Time...<br />

1. « Oh I’ve been waitin’ for days /<br />

It feels cool in this haze / Weeks, years,<br />

it seems a century / But there’s no need<br />

to worry / Cos waitin’ has to be my duty /<br />

No I’m not scared of infinity / Infinity’s<br />

the heavy duty / Of a songwriter like me »,<br />

in Blue Time, Lili Reynaud-Dewar / S.A., 2004.<br />

1


LES AffInITéS<br />

éLEcTIvES<br />

dE SImon fEydIEu<br />

entretien avec Simon Feydieu<br />

par Karen Tanguy<br />

1 Produit lors de Salon<br />

d’Automne (remix),<br />

L’assaut de <strong>la</strong> menuiserie,<br />

Saint-Étienne, 2011.<br />

2 C<strong>la</strong>ude Lévi-Strauss,<br />

La Pensée sauvage, Paris,<br />

Plon, 1960, p 27.<br />

KAREn TAnguy Vous faites souvent usage de matériaux<br />

qui relèvent du domaine de <strong>la</strong> construction (plâtre,<br />

tubes pvc, carre<strong>la</strong>ge…) mais vous précisez vouloir<br />

accentuer davantage le côté domestique que<br />

le côté monumental, par l’introduction d’éléments<br />

organiques. Le mortier du mur Bossanoïa est par<br />

exemple constitué de fruits qui scellent entre<br />

eux les carreaux de plâtre. Vous privilégiez<br />

« des agencements empiriques et provisoires à des<br />

formes définitives et immuables », c’est pourquoi<br />

vous avez présenté ce mur à quatre reprises mais<br />

toujours dans des configurations différentes :<br />

les fruits sont choisis en fonction des saisons et<br />

les dimensions du mur sont à chaque fois étudiées<br />

selon l’espace donné.<br />

SImon fEydIEu L’in situ entretient<br />

un rapport de concurrence et de domestication<br />

à l’espace. Si j’introduis des notions d’architectonique<br />

et de résistance des matériaux dans mes<br />

sculptures, mes œuvres sont plus liées à l’adaptabilité<br />

à un espace qu’à une mise en concurrence<br />

d’échelle avec celui-ci. Ce qui m’intéresse dans<br />

<strong>la</strong> standardisation de ces matériaux que j’emploie<br />

fréquemment, c’est leur capacité à s’adapter à<br />

n’importe quelle échelle de réalisation. D’autre<br />

part, ils sont faussement génériques car leur design<br />

et leur chimie peuvent varier selon les pays.<br />

Dans un deuxième temps, le scellement<br />

des fruits gorgés d’eau et de sucre avec le plâtre<br />

contribue à <strong>la</strong> cohésion du mur. Ce caractère<br />

ornemental est indissociable du processus<br />

de construction. Le choix et <strong>la</strong> collecte des fruits<br />

Bossanoïa, raisin b<strong>la</strong>nc, figue, citron vert, carreaux de plâtre, 660 × 250 × 5 cm, 2010. © DR<br />

font office de datation saisonnière de l’œuvre.<br />

Ce<strong>la</strong> peut aussi être une contrainte restrictive<br />

à sa réactivation. Mes protocoles de construction<br />

pointent certaines typologies d’objets selon des<br />

qualités matérielles qui ne leur sont pas nécessairement<br />

exclusives. Un peu comme un cocktail.<br />

De dimensions et de composants variables, chaque<br />

œuvre s’adapte au lieu d’accueil, embrassant<br />

un contexte <strong>la</strong>rge (temporalité de l’exposition,<br />

typologie de l’espace…).<br />

K.t. Kom, d’une dimension<br />

architectonique très prégnante, est une<br />

réactivation du Merzbau de Schwitters 1 .<br />

À première vue, le visiteur se trouve devant<br />

un mur monumental gris quelque peu déstructuré.<br />

Une fois derrière, il s’aperçoit que ce mur est<br />

constitué d’objets tels des éviers, des chaises,<br />

des réfrigérateurs que vous avez collectés<br />

au préa<strong>la</strong>ble dans les rues de Saint-Étienne.<br />

Votre démarche pourrait s’assimiler à du brico<strong>la</strong>ge,<br />

au sens induit par Lévi-Strauss, où « <strong>la</strong> règle<br />

de son enjeu est de toujours s’arranger avec<br />

les “moyens du bord” 2 ».<br />

s.f. Le concept de<br />

« Merz » (collecte de fragments hétéroclites réunis<br />

sous forme de col<strong>la</strong>ge ou d’assemb<strong>la</strong>ge) initié<br />

par Schwitters pourrait s’appliquer à <strong>la</strong> plupart<br />

de mes travaux. En dévoyant l’usage des objets<br />

et des matériaux, je leur trouve de nouvelles<br />

re<strong>la</strong>tions, des propriétés insoupçonnées. Ce qui<br />

me p<strong>la</strong>ît dans le concept de « brico<strong>la</strong>ge », c’est son<br />

caractère empirique : que <strong>la</strong> tâche relève ou non<br />

2 ARTISTE Les affinités éLectives de simon feydieu PaR KaRen tanGuy


3 L’imitatio était une<br />

pratique très répandue<br />

dans les Académies<br />

des beaux-arts pour<br />

que l’élève se perfectionne<br />

dans sa technique mais<br />

elle était aussi une forme<br />

d’hommage.<br />

4 Sans titre (2011) conjugue<br />

des pièces de Leopold<br />

Landrichter, Anna Kleberg,<br />

Caroline Molusson,<br />

Jean-A<strong>la</strong>in Corre<br />

& Pierre Bonnouvrier<br />

et de Simon Feydieu.<br />

5 Terme mis en exergue par<br />

Yoon Ja & Paul Devautour,<br />

eux-mêmes connus pour<br />

leur fameuse collection.<br />

d’un savoir-faire spécifique, il s’agit de l’exécuter<br />

avec <strong>la</strong> justesse de son économie présente.<br />

Bien que non anticipée, l’improvisation, au<br />

contraire de l’accident, est un acte responsable<br />

et conscient.<br />

K.t. Vos matières premières peuvent<br />

tout aussi bien être des œuvres d’art. Pour Kuss<br />

(d’après Modèle d’exposition de Caroline Molusson),<br />

vous vous appropriez l’œuvre de Caroline<br />

Molusson et <strong>la</strong> dupliquez en son sein à une échelle<br />

légèrement inférieure et avec des matériaux<br />

différents. À l’inverse de Sherrie Levine qui<br />

s’empare de travaux d’artistes de générations<br />

antérieures, vous travaillez avec des productions<br />

d’artistes de votre génération. De plus, dans ce cas<br />

précis, votre œuvre n’existe plus sans <strong>la</strong> pièce<br />

de Caroline Molusson à ses côtés. Elle est à <strong>la</strong> fois<br />

un parasite et une imitatio 3 .<br />

s.f. Je ne recherche<br />

ni l’écart ni <strong>la</strong> perfectibilité dans <strong>la</strong> copie. La figure<br />

copiée n’a pas nécessairement besoin de faire<br />

autorité mais on constate qu’elle est souvent choisie<br />

plus pour ce qu’elle représente que pour ce qu’elle<br />

est. Pour moi, il n’est d’ailleurs pas question de<br />

reproduire mais de travailler avec l’œuvre concrète.<br />

Pour Kuss (le baiser, en allemand), il s’agissait de<br />

dupliquer une figure et de les faire s’interpénétrer.<br />

Par extension de l’axiome de Philippe Thomas,<br />

« les ready-mades appartiennent à tout le monde »,<br />

je considère que les œuvres, qui sont ponctuellement<br />

à ma disposition, sont des matériaux plus<br />

économiques que certaines matières premières. Mes<br />

premiers col<strong>la</strong>ges avaient pour support des œuvres<br />

empruntées à une artothèque. Paradoxalement,<br />

il s’avère plus économique d’utiliser une œuvre<br />

encadrée que d’acheter un cadre. Pour moi, les<br />

œuvres d’art sont des matériaux ou des marchandises<br />

comme les autres : l’artiste n’est pas propriétaire<br />

de son œuvre et ce dans les deux sens du<br />

terme. Il y a toujours cette ambivalence de profiter<br />

et de promouvoir.<br />

K.t. Vous prenez donc <strong>la</strong> liberté<br />

de disposer d’œuvres d’artistes pour construire<br />

des pièces sous votre nom. Dans <strong>la</strong> perspective<br />

de votre seconde exposition personnelle chez Ilka<br />

Bree à Bordeaux en 2011, vous avez prospecté<br />

dans <strong>la</strong> réserve de <strong>la</strong> galerie pour é<strong>la</strong>borer Sans titre<br />

(2011) 4 . Sa temporalité est très limitée car elle<br />

n’existe que dans le temps de l’exposition. Il n’y a<br />

donc qu’un pas de <strong>la</strong> collecte à <strong>la</strong> collection.<br />

Vous explorez à nouveau <strong>la</strong> sphère domestique par<br />

le biais d’une collection privée éphémère constituée<br />

selon vos affinités. C’est peut-être dans ce<br />

sens que vous vous définissez comme un « opérateur<br />

de l’art 5 » ?<br />

ARTISTE<br />

a.<br />

b.<br />

a. Kuss (d’après Modèle d’exposition de Caroline Molusson), carton gris, fil,<br />

scotch, p<strong>la</strong>ques de plâtre, câble acier, 3 × 3 × 5 m, 2011. © Jean-A<strong>la</strong>in Corre<br />

b. Kom, techniques mixtes, 7,5 × 2,5 × 1,2 m, 2011. © Cyrille Cauvet<br />

S.f. La collection est intrinsèquement liée à <strong>la</strong><br />

notion de propriété. C’est l’acquisition, et non<br />

l’emprunt, qui valide une collection. D’autant plus<br />

qu’en France, les collections publiques sont inaliénables.<br />

Dans <strong>la</strong> sphère domestique, les collections<br />

privées, plus fluctuantes, sont pour moi le lieu<br />

d’exercice d’associations concrètes et décomplexées.<br />

Les affinités éLectives de simon feydieu PaR KaRen tanGuy<br />

3


c.<br />

4 ARTISTE Les affinités éLectives de simon feydieu PaR KaRen tanGuy


6 Sans titre (2011) réunit<br />

un double autoportrait<br />

de Rodney Graham,<br />

une reproduction d’une<br />

illustration du <strong>la</strong>pin d’Alice<br />

aux Pays des Merveilles<br />

de John Tudell et un extrait<br />

du tapuscrit Poisson<br />

d’argent, d’Orion Scohy.<br />

7 Philippe-A<strong>la</strong>in Michaud,<br />

Aby Warburg et l’image<br />

en mouvement, Paris,<br />

Éditions Macu<strong>la</strong>, 2012<br />

(3e édition), p. 321.<br />

C’est sans doute le fait de commencer à avoir<br />

des œuvres dans mon appartement qui m’amène<br />

à étendre mes agencements d’œuvres dans des<br />

compositions plus complexes. Un peu comme<br />

avec les fruits de saison, je cultive des contraintes<br />

restrictives à <strong>la</strong> réactivation de nombre de mes<br />

pièces. Il est peu aisé d’avoir l’accord des artistes<br />

ainsi que les œuvres à disposition sur demande.<br />

Mes sélections ne sont jamais <strong>la</strong>borieuses : ce<strong>la</strong><br />

doit rester intuitif, basé sur des associations libres<br />

et sur un fonds d’œuvres déterminé, un contexte<br />

restreint et local de sélection.<br />

Quant au terme d’opérateur, il reflète bien<br />

<strong>la</strong> multiplication de mes activités dans le champ<br />

de l’art. On a tendance à croire que l’artiste est<br />

un maillon privilégié et nécessaire à <strong>la</strong> machine<br />

exposition, ce dont je doute aujourd’hui. Je pense<br />

que <strong>la</strong> multiplication des opérateurs (administratifs,<br />

économiques, critiques et techniques) minore<br />

<strong>la</strong> marge de participation de l’artiste au sens de<br />

celui qui produit l’objet de l’exposition. J’apprécie<br />

donc d’enrichir mon travail en incorporant<br />

des compétences qui relèvent d’autres opérateurs<br />

du milieu de l’art.<br />

Un des gestes les plus manifestes est celui<br />

d’Haim Steinbach : <strong>la</strong> valeur qu’il confère<br />

à ses sculptures est <strong>la</strong> somme au cent près des objets<br />

achetés qui les constituent, plus <strong>la</strong> cote objective<br />

de l’artiste. C’est dans ces termes que je conçois<br />

<strong>la</strong> transaction de mes assemb<strong>la</strong>ges. Ce qui est<br />

comique est que <strong>la</strong> valeur de l’œuvre devient<br />

ridiculement élevée et que je suis censé revendiquer<br />

une commission. Je deviens un nouvel<br />

intermédiaire. Ce<strong>la</strong> peut évoquer certains écrits<br />

sur l’art de Baude<strong>la</strong>ire, où celui-ci, motivé par<br />

l’intéressement pécuniaire, proc<strong>la</strong>mait <strong>la</strong> nécessité<br />

du critique, statut alors informel et officieux,<br />

pour conseiller l’acheteur.<br />

K.T. Ces assemb<strong>la</strong>ges<br />

d’œuvres, comme Sans titre (2011), relèvent<br />

donc de l’association libre 6 . Cette démarche,<br />

couplée avec vos activités de commissaire<br />

d’exposition, n’est pas si éloignée de « l’iconologie<br />

des intervalles » d’Aby Warburg : « une iconologie<br />

qui porterait non sur <strong>la</strong> signification des figures<br />

[…] mais sur les re<strong>la</strong>tions que ces figures entretiennent<br />

entre elles dans un dispositif visuel<br />

autonome 7 ».<br />

S.f. C’est suite à des exercices<br />

récurrents d’accrochage d’œuvres sur un même<br />

mur en qualité de monteur d’exposition que<br />

je me suis mis à initier <strong>la</strong> sélection d’œuvres et leur<br />

agencement. Je me suis interrogé sur <strong>la</strong> désignation<br />

du diptyque et par extension, de tout<br />

polyptique. Deux œuvres se jouxtant sur un mur ?<br />

ARTISTE<br />

d.<br />

c. Sans titre, bois, verre, autoportrait de Rodney Graham, édition Rosascape<br />

(deux exemp<strong>la</strong>ires), reproduction sur affiche d’une illustration de John<br />

Tudell, reproduction sur affiche d’un extrait de Poisson d’argent, tapuscrit<br />

de Orion Scohy, 200 × 250 cm, 2011. © DR<br />

d. Aby Warburg, Mnemosyne-At<strong>la</strong>s, p<strong>la</strong>nche n° 58 de l’exposition Rembrandt,<br />

1926. © DR<br />

Du même auteur ? Auteur de leur production<br />

ou de leur réunion ?<br />

Chaque ensemble est comme <strong>la</strong> maquette<br />

inaltérable d’une exposition en puissance.<br />

La concentration des œuvres et leur agencement<br />

leur donnent <strong>la</strong> qualité d’un objet plus que<br />

d’un espace, d’une œuvre plus que d’une exposition,<br />

bien que l’on puisse y projeter des compétences<br />

relevant du collectionneur ou du commissaire<br />

(sélection, réunion et organisation<br />

d’un ensemble d’œuvres).<br />

Il y a quelques années, j’ai eu <strong>la</strong> chance de<br />

feuilleter une édition épuisée de Mnemosyne-At<strong>la</strong>s<br />

d’Aby Warburg. Ces associations de documents<br />

et de reproductions d’œuvres dépourvus d’annotations<br />

textuelles ont été décisives. Malgré <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté<br />

du dispositif (série de panneaux noirs numérotés<br />

et de même format), on prend p<strong>la</strong>isir à se perdre<br />

dans <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion et <strong>la</strong> contemp<strong>la</strong>tion des images.<br />

Ce principe d’association et de combinaison pour<br />

créer un sens nouveau est d’ailleurs l’un des piliers<br />

de <strong>la</strong> postmodernité.<br />

La suite de cet entRetien seRa disPonibLe<br />

PRochainement suR *duuu / unités RadioPhoniques mobiLes,<br />

httP://duuuRadio.fR<br />

Les affinités éLectives de simon feydieu PaR KaRen tanGuy<br />

5


1 Une première version de<br />

l’exposition « Sir Thomas<br />

Trope » fut présentée en<br />

2011 dans <strong>la</strong> librairie HO<br />

à Marseille.<br />

6<br />

doubLE<br />

RévoLuTIon<br />

focuS SuR<br />

“SIR ThomAS TRopE”,<br />

vILLA du pARc<br />

par Étienne Bernard<br />

Le jeu de références commence dans le titre<br />

simplement prononcé. Il sent bon le boudoir<br />

ang<strong>la</strong>is. On s’imagine aisément invité par ce<br />

« Sir Thomas Trope » à partager un verre de scotch<br />

de dix-huit ans d’âge et découvrir ses obsessions<br />

compilées dans un intérieur british cosy tout<br />

de boiseries paré, avec son lot de cabinets dérobés,<br />

de bibliothèques riches de trésors soupçonnés.<br />

C’est d’ailleurs dans le quartier londonien<br />

d’Holborne que l’aventure dans <strong>la</strong>quelle Julien<br />

Tiberi et Aurélien Mole nous projettent,<br />

commence. En effet, en 1792, un certain Sir Joane<br />

Soane, architecte de Sa Majesté, acquiert au 13<br />

Lincoln’s Inn Fields un hôtel particulier qu’il<br />

réhabilitera dans le pur style georgien qui caractérise<br />

sa pratique pour accueillir sa fabuleuse autant<br />

qu’hirsute collection. On y trouve aussi bien<br />

de <strong>la</strong> peinture f<strong>la</strong>mande qu’italienne, des antiquités<br />

égyptiennes, des bronzes romains et des dessins<br />

d’architecture. Tout ceci installé dans un cabinet<br />

de curiosités où le jeu d’occupation visuelle<br />

de l’espace se structure à <strong>la</strong> fois par les goûts,<br />

les choix domestiques et urbains (au sens social<br />

du terme) du maître de céans. Sir Joane Soane<br />

ira même jusqu’à créer des cimaises escamotables<br />

pour libérer plus d’espace au mur.<br />

Si, pour les deux artistes français, <strong>la</strong> référence<br />

au modèle s’arrête bien à l’anecdote, il n’en reste<br />

pas moins que leur proposition pour <strong>la</strong> Vil<strong>la</strong><br />

du Parc 1 procède de l’exploration d’une collection<br />

de leur invention à travers les salons de cette<br />

demeure bougeoise – plus balzacienne que<br />

Sir Thomas Trope, Vil<strong>la</strong> du Parc, cimaise B. Série Eugène F<strong>la</strong>ndin (AM 2009), Le Salon (JT 2007/2012), Culbute (AM 2012),<br />

Amonite (AM 2011), The Ghostwriter (Syndicat/AM 2012), Portrait de l’autre (JT 2012), Réflexion (Olivier Nattes 2012).<br />

ExpoSITIon doubLe RévoLution PaR étienne beRnaRd<br />

patmorienne cette fois-ci – p<strong>la</strong>ntée au beau milieu<br />

d’un parc urbain. Et dès l’entrée dans les espaces,<br />

le visiteur découvre un accrochage certes normé<br />

et construit mais qui <strong>la</strong>isse libre champ à une<br />

pagaille généreuse dans <strong>la</strong> collusion des médiums.<br />

La salle des cimaises est ainsi obstruée en son<br />

centre par deux parois sur lesquelles se déploient<br />

dessins au trait, affiches, photographies ou objet<br />

modifié dans une perspective proprement surréaliste.<br />

Breton vantait d’ailleurs les mérites de<br />

<strong>la</strong> leçon de choses confrontées comme « manifestation<br />

de contrastes bizarres, d’une réalité secouée<br />

qui forge des associations inconscientes et rêvées ».<br />

Mais quand l’illustre auteur guidait volontiers<br />

avec autorité le regardeur dans ses échappées<br />

oniriques, Mole et Tiberi l’invitent à jouer avec<br />

eux. On découvre effectivement que ces cimaises<br />

sont montées sur pivots et tournent sur ellesmêmes,<br />

tandis que plusieurs œuvres sont également<br />

mobiles. L’exposition se meut en un ballet<br />

envoûtant et ludique à mesure qu’on en active<br />

les éléments. Et contrairement à Soane qui avait<br />

installé des cimaises pivotantes pour montrer<br />

plus que ce que son intérieur lui permettait,<br />

rien ici ne joue de l’accumu<strong>la</strong>tion. Au contraire,<br />

si « Sir Thomas Trope » appuie à loisir sur le bouton<br />

ludico-formel, au plus grand p<strong>la</strong>isir des visiteurs<br />

de 7 à 77 ans, c’est pour mieux affirmer une rigueur<br />

et une maîtrise de l’accrochage composé de<br />

renvois, de correspondances formelles, matérielles<br />

et sémantiques plurielles entre les œuvres et les<br />

espaces. Ainsi, le cabinet dérobé de <strong>la</strong> grande salle


2 Harald Szeeman, entretien<br />

avec Jean-Pierre Bordaz,<br />

in cat. Hors Limites,<br />

Éditions du Centre Georges<br />

Pompidou, Paris, 1994.<br />

de l’étage est structuré par <strong>la</strong> symétrie axiale<br />

comme le négatif du recto-verso des cimaises<br />

mobiles. De quoi revendiquer une approche<br />

résolument formelle du disp<strong>la</strong>y et répondre<br />

gentiment dans le même temps au regretté<br />

Harald Szeemann qui dit un jour à propos de<br />

« Quand les attitudes deviennent formes »<br />

que « le formalisme, c’est toujours le danger. C’est<br />

pour ça que j’ai réagi à ma façon et inventé une<br />

nouvelle forme d’exposition 2 ». Si l’enjeu n’est<br />

à l’évidence pas directement ici de s’inscrire dans<br />

le long et fastidieux débat quant à l’exposition<br />

comme surface de manipu<strong>la</strong>tion de l’œuvre,<br />

Mole et Tiberi écrivent néanmoins dans l’espace<br />

un pamphlet sur l’autonomie supposée de cette<br />

dernière. Les œuvres présentées sur ces murs<br />

dansants sont autant de figurants dans une<br />

chorégraphie optique. Ils se rapprochent,<br />

s’éloignent, communiquent ou s’ignorent au gré<br />

des activations du spectateur. Bref, ils col<strong>la</strong>borent.<br />

Et c’est certainement parce que cette salle dite<br />

« des cimaises » est manifeste de ce qu’est le projet<br />

« Sir Thomas Trope » dans son intégralité qu’elle<br />

en introduit le parcours. C’est une expérience<br />

col<strong>la</strong>borative dans <strong>la</strong>quelle s’entrecroisent<br />

démarches et œuvres des deux protagonistes dans<br />

l’idée d’ouvrir toujours, de désenc<strong>la</strong>ver. Et l’exposition<br />

de dresser une sorte de typologie de <strong>la</strong><br />

col<strong>la</strong>boration. Dans le commissariat à deux, pour<br />

commencer, en construisant dans le dialogue,<br />

comme un cadavre exquis, au fil de <strong>la</strong> discussion<br />

et en invitant d’autres artistes à leur emboîter<br />

le pas dans ce jeu de rôle d’un genre nouveau.<br />

Aurélien Mole leur propose ainsi de donner vie<br />

et futur aux Objets incomplets de leur choix ou<br />

d’intervenir au verso d’un de ses col<strong>la</strong>ges sur<br />

papier carbone pour créer un Dessin biface. La<br />

col<strong>la</strong>boration est aussi imaginée dans <strong>la</strong> création<br />

à deux. Il ne s’agit pas tant de produire à quatre<br />

mains que de tenter ensemble ce qui ne l’avait pas<br />

été jusqu’alors. La série des Peintures acryliques<br />

sur toiles pliées est l’occasion pour les deux artistes<br />

de s’essayer au monochrome et de faire de concert<br />

l’apprentissage des techniques, parfois fastidieuses,<br />

nécessaires à sa réalisation, comme le ponçage<br />

de <strong>la</strong> toile, par exemple. L’œuvre devient alors<br />

prétexte au partage d’expérience. Mais ce qui<br />

ressort de ce partenariat particulier entre deux<br />

artistes aux démarches, somme toute, très différentes,<br />

c’est aussi et même peut-être avant tout,<br />

un désir de bâtir ensemble pour mieux affirmer une<br />

autonomie des pratiques. Chacun se réserve des<br />

zones à lui qui ponctuent autant qu’elles structurent<br />

le parcours. Julien Tiberi signe ainsi <strong>la</strong> série<br />

de miroirs gravés L’Assemblée (2012) qui souligne<br />

ExpoSITIon doubLe RévoLution PaR étienne beRnaRd<br />

poétiquement son approche du croquis ou construit<br />

un cabinet de soixante dessins imprimés de son<br />

Histoire véritable (2009), tandis qu’Aurélien Mole<br />

installe son Objet inanimé (2009) comme un lustre<br />

surplombant une grande salle <strong>la</strong>issée vide.<br />

Car col<strong>la</strong>borer, c’est aussi cohabiter.<br />

a.<br />

b.<br />

auRéLien moLe et JuLien tibeRi, “siR thomas tRoPe”,<br />

du 23 novembRe 2012 au 16 févRieR 2013, viLLa du PaRc,<br />

annemasse.<br />

a. Dessins Bifaces, 2012. Olivier Soulerin, Clément Rodzielski, Eva Taulois,<br />

Roxane Borujerdi, Nico<strong>la</strong>s Chardon, Colombe Marcasiano, Julien Tiberi<br />

et Hippolyte Hentgen, Raphaël Julliard, Niels Trannois / Aurélien Mole.<br />

b. Sir Thomas Trope, Vil<strong>la</strong> du Parc. Cimaise B : Back from eternity éd. 2012<br />

(AM JT 2012), Portrait de l’autre (JT 2012), Réflexion (Olivier Nattes<br />

2012). Cimaise A : La disparue (JT 2012), Colifichet (AM 2012), Contenant<br />

(AM 2012), Le Salon (JT 2007/2012, Raw vision (JT 2012).<br />

7


coLLEcTIonS<br />

AcTIvES<br />

muSéES ET InSTITuTIonS<br />

d’ART conTEmpoRAIn<br />

En RhônE-ALpES<br />

par Dorothée Deyries-Henry<br />

1 Propos recueillis auprès<br />

de Marie-Cécile Burnichon<br />

et Pascal Neveux<br />

en novembre 2012.<br />

2 Nathalie Ergino,<br />

décembre 2012.<br />

Les institutions culturelles et patrimoniales<br />

n’échappent pas à <strong>la</strong> dynamique de l’événement.<br />

De toute évidence, elles en ont besoin.<br />

En communication, le zoom sur les chiffres et les<br />

expositions spectacles vise à susciter le dép<strong>la</strong>cement<br />

du public. Les expositions attirent<br />

et vivifient. Dans ce contexte, quelle p<strong>la</strong>ce<br />

occupent aujourd’hui les collections ?<br />

La discussion avec un certain nombre<br />

de directeurs d’institutions et l’observation des<br />

activités de quelques établissements de Rhône-<br />

Alpes font apparaître que les collections, constitutives<br />

des institutions, ont une vie à double vitesse,<br />

entre leur exposition dans ou hors les murs<br />

et leur conservation en réserves. Elles s’inscrivent<br />

en tout cas dans une dynamique de projets qui<br />

se distinguent par leur originalité et font émerger<br />

<strong>la</strong> capacité de l’art contemporain à activer<br />

une collection.<br />

Compte tenu du besoin de nouveauté et<br />

de renouvellement, des contraintes budgétaires,<br />

d’espace et de calendrier, les institutions ont<br />

adopté le principe de renouvellement des accrochages<br />

des collections, à travers des présentations<br />

monographiques ou thématiques. Riches en<br />

nombre, variées dans leurs matériaux et dispositifs,<br />

les collections en Rhône-Alpes sont présentées<br />

dans des espaces modu<strong>la</strong>bles, en alternance<br />

et comme des expositions temporaires :<br />

« Collection’12 » à l’Institut d’art contemporain<br />

de Villeurbanne / Rhône-Alpes (IAC), « Gustav<br />

Metzger » au MAC de Lyon, « Collection<br />

du musée : Le cortège de l’art » au Musée d’art<br />

Saâdane Afif, Mise à flot (<strong>la</strong> maquette), 2001. Günther Forg, Maison sans escalier, 1987.<br />

Vue de l’exposition « Scénographies – de Dan Graham à Hubert Robert », 2009, Lux Scène Nationale, Valence / Drôme.<br />

© B<strong>la</strong>ise Adilon<br />

moderne de Saint-Étienne Métropole… De même,<br />

<strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion des œuvres vers l’extérieur, sur<br />

le territoire, en France et à l’étranger, représente<br />

une <strong>la</strong>rge part de <strong>la</strong> vie des collections et de leur<br />

dynamique. Cette visibilité est bien sûr assurée<br />

par les FRAC, aux patrimoines essentiellement<br />

nomades – l’IAC en Rhône-Alpes –, mais aussi<br />

par les musées qui, lorsqu’ils ne bénéficient<br />

pas à proprement parler d’antennes ou de structures<br />

mobiles ont, en plus de leur politique de prêt,<br />

des projets hors les murs de plus en plus affirmés<br />

(citons un seul exemple car ils sont nombreux :<br />

l’exposition « Le corps-image, 1870-2005 »<br />

au musée d’art de Shangaï en 2010, qui regroupait<br />

des œuvres issues des collections du Musée<br />

de Grenoble, du MAC, de l’IAC, du Musée d’art<br />

moderne de Saint-Étienne, et du Musée des<br />

beaux-arts de Lyon). Dans une économie restreinte,<br />

mais pour aller plus avant dans le processus<br />

d’instal<strong>la</strong>tion et de circu<strong>la</strong>tion des œuvres<br />

et du public, les institutions misent aujourd’hui<br />

sur des bâtiments adaptés : extensions, nouvelles<br />

réserves ou encore « nouveaux FRAC » qui visent<br />

à prolonger <strong>la</strong> dimension partenariale, à favoriser<br />

<strong>la</strong> rencontre avec l’œuvre, à développer le rapport<br />

au public 1 . Toutes proportions gardées, c’est bien<br />

ainsi que l’on peut définir l’extension de <strong>la</strong> Tate<br />

Modern à Londres, car selon Chris Dercon,<br />

ses onze étages seront exclusivement dédiés<br />

aux activités éducatives et de médiation.<br />

Les collections sont ainsi plongées dans une<br />

double temporalité : celle de l’éphémère, à travers<br />

leur présentation et leur circu<strong>la</strong>tion, et celle<br />

8 TERRIToIRE coLLections actives PaR doRothée deyRies-henRy


a.<br />

b.<br />

c.<br />

a. Melik Ohanian, Invisible film, 2005. Vue de l’exposition « Collection’12 », Institut d’art contemporain,<br />

Villeurbanne / Rhône-Alpes, 2013. © B<strong>la</strong>ise Adilon<br />

b. La Monte Young et Marian Zazee<strong>la</strong>, Dream House, 1990. Vue de l’exposition, MAC Lyon, 2012.<br />

© B<strong>la</strong>ise Adilon<br />

c. Élisabeth Ballet, Road movie, 2008. Vue de l’exposition « Immersion » (Franz Ackermann / Élisabeth Ballet /<br />

James Turrell), Imprimerie Céas, Valence, 2011. © Marc Domage<br />

de <strong>la</strong> longue durée, du fait de leur inaliénabilité,<br />

de leur conservation, de leur dimension historique<br />

et patrimoniale en devenir. La production<br />

d’œuvres dans ces institutions se situe précisément<br />

à l’articu<strong>la</strong>tion du temporaire et du permanent.<br />

À l’IAC, par exemple, les commandes aux artistes<br />

pour une exposition donnent des possibilités<br />

d’achat mais, souligne Nathalie Ergino, mettent<br />

surtout en perspective le travail de l’artiste :<br />

<strong>la</strong> prise de recul étant indispensable à <strong>la</strong> sélection<br />

de l’œuvre qui rejoindra les collections 2 . Plus<br />

significativement encore, <strong>la</strong> production est de plus<br />

en plus associée au phénomène de reconfiguration,<br />

voire de dématérialisation de l’œuvre, donc<br />

à un principe d’activation. Le caractère protoco<strong>la</strong>ire<br />

de certaines pièces, des peintures murales<br />

aux instal<strong>la</strong>tions, conduit à de nouvelles formes<br />

de conservation et de présentation. On peut<br />

penser à Études d’espaces (2007) de Yona<br />

Friedman, Dream House Lyon de La Monte Young<br />

et Marian Zazee<strong>la</strong> au MAC, à des œuvres de<br />

Michel François, Véronique Joumard, Philippe<br />

Decrauzat à l’IAC. Un certain nombre d’œuvres<br />

« permanentes » se définissent donc en fonction<br />

des conditions d’exposition. Il n’y a qu’un pas<br />

pour que ce type d’œuvres soit envisagé dans<br />

sa dématérialisation totale et qu’ainsi, le rapport<br />

à <strong>la</strong> matérialité de l’œuvre et à sa gestion physique<br />

évolue. Le FRAC Lorraine, référence en <strong>la</strong><br />

matière, célèbre l’invisibilité, revendique l’effacement.<br />

Ici, l’achat d’un protocole et d’un fichier<br />

« révolutionne » <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> conservation<br />

et, selon le contrat avec l’artiste, modifie l’investissement.<br />

Ce processus inscrit radicalement ce type<br />

de collections dans <strong>la</strong> dynamique de projet,<br />

puisque l’œuvre existe uniquement le temps<br />

de son exposition.<br />

S’agissant d’art contemporain, les collections<br />

« permanentes » ont de quoi pencher vers<br />

le dynamique et le renouvellement, contenus<br />

dans <strong>la</strong> forme et le propos même des œuvres 3 .<br />

À partir des projets d’établissement, le processus<br />

de travail concilie le scientifique et une approche<br />

interprétative qui met en relief <strong>la</strong> singu<strong>la</strong>rité<br />

des pratiques et des approches des institutions.<br />

Leur point commun, c’est qu’à travers ces<br />

méthodes, <strong>la</strong> collection est toujours au plus près<br />

du présent. L’activation est en effet aussi une<br />

question de mise en regard, qui « réinvente »<br />

<strong>la</strong> collection : ce<strong>la</strong> peut prendre <strong>la</strong> forme de<br />

relectures thématiques, transversales, d’expositions<br />

monographiques, par différents commissaires<br />

(conservateurs, directeurs d’établissement, artistes,<br />

historiens, etc.). Chaque contexte, chaque mise<br />

en espace est un nouveau cadre de réception<br />

TERRIToIRE coLLections actives PaR doRothée deyRies-henRy<br />

9


3 Cf. sur cette question<br />

After Art de David Joselit,<br />

Princeton University Press,<br />

2012.<br />

4 Propos recueillis<br />

en novembre 2012.<br />

5 Idem.<br />

6 Propos recueillis<br />

en décembre 2012.<br />

7 Nathalie Ergino,<br />

décembre 2012.<br />

10 TERRIToIRE<br />

de l’œuvre. Ce n’est pas <strong>la</strong> même collection<br />

qui est à voir si les œuvres sont mises en re<strong>la</strong>tion<br />

avec celles d’autres artistes voire d’autres époques,<br />

dans un lieu d’art contemporain ou un lieu<br />

historique, ou si l’on est au plus près d’une œuvre,<br />

en présence directe de son histoire, de sa physicalité,<br />

ou de son immatérialité.<br />

« Privilégions l’individu ! », déc<strong>la</strong>re<br />

Thierry Raspail. Depuis sa création, le MAC<br />

relie étroitement <strong>la</strong> politique d’enrichissement<br />

des collections à leur présentation dans le musée.<br />

Détachée d’une volonté encyclopédique,<br />

voire d’un récit historien, <strong>la</strong> collection privilégie<br />

les histoires individuelles, les moments-clés<br />

de l’évolution d’une œuvre via l’acquisition<br />

et <strong>la</strong> présentation de pièces génériques (Supportive<br />

de Gustav Metzger, 2011-2013). Souvent monumentales<br />

(Composition for Violin and Voices (Male),<br />

1987 de John Baldessari ; Échappatoire, 2007<br />

de François Morellet), ou caractéristiques d’un<br />

moment, d’un angle particulier de <strong>la</strong> production<br />

des artistes (films de Jan Fabre), les œuvres sont<br />

comme des capsules temporaires : « au MAC,<br />

on entre directement dans l’œuvre, chez des<br />

individus particuliers 4 », précise Thierry Raspail.<br />

Les contraintes d’espace et de budget ont incité<br />

ce dernier à aller toujours plus loin dans cette<br />

direction, préférant <strong>la</strong> sélection au nombre,<br />

l’expérience de l’œuvre à l’histoire de l’art, toujours<br />

en privilégiant des créations et des volumes qui<br />

favorisent <strong>la</strong> rencontre entre l’art et le visiteur.<br />

Dans un autre registre, le Musée d’art moderne<br />

de Saint-Étienne met en exergue <strong>la</strong> dimension<br />

contextuelle, le rapport au monde et à ses évolutions<br />

à travers des œuvres biographiques, évocatrices<br />

de mythologies personnelles, autour<br />

d’artistes confirmés comme Annette Messager,<br />

Gilbert and George, Or<strong>la</strong>n, Roman Opalka, etc.<br />

une part étant <strong>la</strong>issée aux jeunes artistes dans<br />

<strong>la</strong> programmation et pour des acquisitions plus<br />

légères. À son arrivée au musée, Lóránd Hegyi<br />

annonce qu’il souhaite « apporter une vision<br />

globale, géographique et historique car <strong>la</strong> collection<br />

a besoin d’une ouverture géopolitique 5 ».<br />

Dès lors, les collections du musée et sa programmation<br />

s’ouvrent au reste de l’Europe (l’Arte<br />

povera, notamment, devient un nouveau<br />

chapitre de <strong>la</strong> collection), puis à l’Asie. Avec<br />

« Monumental ? », « Géométries variables »,<br />

« La figure humaine », les expositions de collections<br />

sont envisagées non comme des successions<br />

de mouvements dans une approche épistémologique<br />

de l’histoire de l’art mais comme les<br />

chapitres d’une histoire, aux côtés d’expositions<br />

comme « Micro-Narratives : tentations des petites<br />

réalités » (2008) ou « Îles jamais trouvées » (2009),<br />

pensées, elles, comme de véritables histoires.<br />

La notion d’histoire prend une toute autre<br />

forme dans les collections d’art contemporain<br />

des musées historiques. Au musée-château<br />

d’Annecy, parallèlement à une présentation<br />

chronologique c<strong>la</strong>ssique, le choix du thématique,<br />

autour notamment de l’observatoire régional<br />

des <strong>la</strong>cs alpins, permet, souligne Élodie Kohler,<br />

de « jouer sur les permanences et impermanences,<br />

de contextualiser les objets, de les expliciter<br />

les uns par rapport aux autres, de souligner le poids<br />

historique des œuvres 6 ». Dans les musées<br />

d’histoire ou de beaux-arts, <strong>la</strong> continuité s’impose,<br />

notamment dans <strong>la</strong> représentation des périodes<br />

et médiums de l’histoire de l’art. Mais en développant<br />

des collections d’art contemporain,<br />

ces musées introduisent des productions d’artistes<br />

qui échappent à tout mouvement ou filiation<br />

en tant que tels et expérimentent ainsi autrement<br />

l’idée de continuité.<br />

Les musées de Nantes ou, en Rhône-Alpes,<br />

de Valence, ciblent leurs acquisitions d’art<br />

contemporain sur une sélection de pièces majeures<br />

et emblématiques pour synthétiser ou former<br />

des ensembles thématiques qui leur permettent<br />

aussi de repenser et de présenter les collections<br />

à partir du présent. Et cette lecture-là de <strong>la</strong> collection<br />

crée des rapprochements aisés avec les<br />

institutions d’art contemporain proprement dites.<br />

« Scénographies de Dan Graham à Hubert<br />

Robert » (2009), une lecture à rebours des<br />

collections de l’Institut d’art contemporain et<br />

du musée de Valence, illustrait en effet le principe<br />

« d’une collection que l’on renouvelle par activation<br />

7 ». Cette notion est d’ailleurs au cœur<br />

du projet de l’IAC dans toutes ses dimensions.<br />

Le développement actuel de <strong>la</strong> collection est<br />

tourné vers des artistes investis dans l’é<strong>la</strong>rgissement<br />

des pratiques sculpturales, qui considèrent<br />

l’espace, <strong>la</strong> perception, comme matière première<br />

de l’œuvre et jouent sur sa malléabilité.<br />

Ces œuvres nous rappellent que les collections<br />

sont un processus (historique, constitutif<br />

et inachevé). Qu’elles soient constituées d’objets<br />

ou de protocoles, elles ont besoin d’être préservées,<br />

exposées, au contact de nouveaux contextes,<br />

à <strong>la</strong> rencontre de publics différents. Elles font<br />

événement car elles sont un matériau vivant.<br />

Remerciements : Thierry Raspail, Isabelle Bertolotti (Musée d’art contemporain<br />

de Lyon), Lóránd Hegyi (Musée d’art moderne de Saint-Étienne Métropole),<br />

Nathalie Ergino (Institut d’art contemporain-Villeurbanne), Élodie Kohler<br />

(Musée-château d’Annecy), Pascal Neveux (FRAC Provence-Alpes-<br />

Côte d’Azur), Marie-Cécile Burnichon (P<strong>la</strong>tform), Alice Fleury (Musée des<br />

beaux-arts de Nantes).<br />

coLLections actives PaR doRothée deyRies-henRy


d.<br />

e. f.<br />

d. © C<strong>la</strong>es Oldenburg et Coosje Van Bruggen, From the<br />

Entropic Library, 1989. Vue de l’exposition « Collection du<br />

Musée : Monumental ? », Musée d’art moderne de Saint-<br />

Étienne Métropole, 2012.<br />

e. Hans Schabus, vue de l’exposition « Hans Schabus, Nichts<br />

geht mehr », Institut d’art contemporain, Villeurbanne /<br />

Rhône-Alpes, 2011. © B<strong>la</strong>ise Adilon<br />

f. Gustav Metzger, vue de l’exposition « Supportive, 1966-<br />

2011 », MAC Lyon, 2013. Collection du Musée d’art<br />

contemporain de Lyon. © B<strong>la</strong>ise Adilon<br />

actuaLités :<br />

.mac Lyon : Gustav metzGeR, “suPPoRtive, 1966-2011”, Jusqu’au 14 avRiL 2013.<br />

.musée d’aRt modeRne de saint-etienne métRoPoLe : “coLLection du musée : Le coRtèGe de L’aRt”,<br />

Jusqu’à fin août 2013.<br />

.iac, viLLeuRbanne/Rhône-aLPes , dans Le cadRe de “Les PLéiades – 30 ans des fRac” :<br />

in situ : “exPosition coLLective suR une PRoPosition de LauRent montaRon”, 24 mai – 11 août 2013.<br />

ex situ : “La coLLection PaR vincent LamouRoux”, Le PLateau – hôteL de La RéGion Rhône-aLPes,<br />

13 avRiL – 20 JuiLLet 2013.<br />

La coLLection en Rhône-aLPes, esPace d’aRt fRançois-auGuste ducRos, GRiGnan, 22 Juin – 15 sePt. 2013.<br />

TERRIToIRE coLLections actives PaR doRothée deyRies-henRy<br />

11


dE L’ART dE<br />

pASSER InApERçu :<br />

TRoIS<br />

démARchES<br />

fuRTIvES<br />

1 www.elodiebremaud.com<br />

2 www.lesgensduterpan.com<br />

3 www.jeanchristophe<br />

norman.net<br />

par Sophie Lapalu<br />

Élodie Bremaud, 33 tours, Suée de l’île d’Yeu, 2012.<br />

Lorsqu’elle lui a répondu qu’elle était artiste,<br />

il fut rassuré, sou<strong>la</strong>gé. Les danseurs, eux, n’avaient<br />

pas l’autorisation des chorégraphes de répondre<br />

aux questions. Lui n’a pas parlé de son geste.<br />

Au cours de l’été 2012, Élodie Bremaud 1 fit<br />

trente-trois fois le tour de l’île d’Yeu durant autant<br />

de jours consécutifs, soit 1120 km à pied à raison<br />

de 34 km quotidiens. Vêtue du typique short-<br />

bleu-tee-shirt-marin-sac-à-dos du touriste désireux<br />

d’épouser les couleurs locales, elle « fait l’île »<br />

selon l’expression consacrée, c’est-à-dire « le tour<br />

de l’île », reprenant par là l’attitude <strong>la</strong>mbda d’un<br />

vacancier. N’invitant aucun spectateur à venir<br />

app<strong>la</strong>udir son exploit, sans ligne de départ ni<br />

d’arrivée si ce n’est <strong>la</strong> promesse un peu burlesque<br />

du titre du projet (33 tours), n’annonçant nulle<br />

part le caractère artistique de sa proposition, elle<br />

agit toutefois au vu et au su de tous. Si le touriste<br />

journalier ne put déceler le caractère répétitif<br />

de son geste, les insu<strong>la</strong>ires commencèrent quant<br />

à eux à souffrir de paramnésie répétée en voyant<br />

passer tous les jours, à peu de chose près à <strong>la</strong> même<br />

heure, au même endroit, habillée de <strong>la</strong> même<br />

manière, <strong>la</strong> même jeune fille.<br />

Un mois plus tard à Lodz, en Pologne, les<br />

citadins furent atteints du même mal : <strong>la</strong> compagnie<br />

des Gens d’Uterpan y présentait Topologie.<br />

Suivant dans <strong>la</strong> ville le tracé d’un « graphique<br />

étalon » (schème représentant une spatialisation<br />

idéale, en référence à <strong>la</strong> scène) dessiné par les<br />

chorégraphes Annie Vigier et Frank Apertet 2 sur<br />

le p<strong>la</strong>n de <strong>la</strong> cité à investir, les danseurs, durant<br />

deux jours de répétitions, repérèrent leur chemin,<br />

notèrent <strong>la</strong> série de mouvements nécessaires<br />

à leur parcours, entrèrent dans les administrations,<br />

commerces ou jardins privés, demandèrent des<br />

autorisations, augmentèrent même leur chorégraphie<br />

de désirs individuels. Ils traduisirent de<br />

<strong>la</strong> sorte le dessin en pas, foulées, attitudes, qu’ils<br />

mémorisèrent pour les interpréter au fil des neuf<br />

jours suivants. Ils rythmèrent <strong>la</strong> réalité à éprouver<br />

– <strong>la</strong> précision devint millimétrée. Essayer le même<br />

chapeau. Traverser le même jardin les pieds dans<br />

l’eau. Esca<strong>la</strong>der le même mur d’école. La structure<br />

du graphique suivi permettant <strong>la</strong> réunion de tous<br />

les danseurs en des points précis à des horaires<br />

exacts, il fut parfois nécessaire de courir, chaque<br />

parcours se terminant par le retour des interprètes<br />

au point de départ. Personne ne fut en mesure<br />

de distinguer le caractère artistique des gestes<br />

réalisés. Les danseurs furent vus, souvent « déjàvus<br />

», mais <strong>la</strong> chorégraphie resta insoupçonnée.<br />

Quelque temps plus tôt, à Berlin, Paris,<br />

Tokyo – je ne sais plus très bien ni où, ni quand,<br />

tant il semble ne jamais cesser – Jean-Christophe<br />

Norman 3 choisit quant à lui, de suivre un tracé<br />

parfaitement objectif, le contour d’une ville A,<br />

et de l’arpenter à l’intérieur d’une ville B.<br />

Lisbonne à Berlin en 2006, puis l’année suivante<br />

Piotrkow à Paris, ou Besançon à Tokyo, et vice<br />

versa (Walk in progress)... En 2008, il sectionne le<br />

pourtour de Vilnius pour le dessiner non plus dans<br />

une seule autre cité, mais par l’addition de parties<br />

parcourues dans sept villes de par le monde : Paris,<br />

Tokyo, Besançon, Berlin, Nice, Metz, New York<br />

(Constel<strong>la</strong>tion Walks). Don Quichotte cartographe,<br />

12 ESSAI de L’aRt de PasseR inaPeRçu : tRois démaRches fuRtives PaR soPhie LaPaLu


4 Écrits sur le signe,<br />

rassemblés traduits<br />

et commentés par<br />

Gérard Deledalle,<br />

coll. L’ordre philosophique,<br />

Le Seuil, Paris, 1978.<br />

5 Peirce l’appelle<br />

« l’interprétant logique<br />

final ». Elle permet<br />

à deux interlocuteurs,<br />

dans un contexte précis<br />

de communication,<br />

de comprendre de quoi<br />

ils parlent, coutumiers<br />

d’attribuer telle<br />

signification à tel signe<br />

dans tel contexte.<br />

6 Pour désigner ces gestes,<br />

nous reprenons <strong>la</strong><br />

terminologie de Patrice<br />

Loubier d’« art furtif »,<br />

qui décrit ainsi <strong>la</strong> façon<br />

dont l’art pénètre les<br />

espaces publics et sociaux<br />

et interroge alors <strong>la</strong> notion<br />

de spectateur idéal<br />

et attendu.<br />

7 J. Bouchet, Ep. mor. i,<br />

xiii ds Gdf. Compl.<br />

Dans Centre National des<br />

Ressources Textuelles et<br />

Lexicales, http://www.cnrtl.<br />

fr/definition/furtif, consulté<br />

le 22 janvier 2012.<br />

8 Louis Marin, « Logique<br />

du secret », dans Lectures<br />

traversières, Bibliothèque<br />

du collège international<br />

de philosophie, Albin<br />

Michel, Paris, 1992, p. 24.<br />

il tenta de faire correspondre une vérité normée à<br />

sa propre fiction, dép<strong>la</strong>çant <strong>la</strong> règle topographique<br />

au profit d’un jeu de p<strong>la</strong>ns superposés – bien<br />

entendu à <strong>la</strong> dérobée.<br />

Sans attaquer des moulins, ces trois artistes<br />

agissent anonymement dans l’espace public,<br />

au travers de gestes d’une banalité sourde, qui<br />

ne distinguent pas leurs auteurs de <strong>la</strong> masse des<br />

comportements quotidiens. Selon <strong>la</strong> théorie<br />

de <strong>la</strong> signification de Charles Sanders Peirce 4 ,<br />

tout acte de pensée est un signe. Le processus<br />

sémiotique serait donc, théoriquement, illimité.<br />

Dans <strong>la</strong> pratique, cependant, il est court-circuité<br />

par l’habitude 5 , celle que nous avons de donner<br />

tel sens à telle chose, tel geste. Le citadin pressé<br />

hâte le pas pour rejoindre un point dans un but<br />

précis. Le même devenu touriste effectue tranquillement<br />

le tour de l’île dans <strong>la</strong> journée. L’habitude<br />

endigue le renvoi infini d’un signe à un autre.<br />

Et si le vacancier se précipitait pour boucler<br />

un tour quotidiennement renouvelé, sans autre<br />

objectif ? Si l’habitant enlevait ses chaussures<br />

pour marcher les pieds dans l’eau du jardin public ?<br />

Les actions décrites précédemment semblent<br />

ambitionner de remettre en route ce processus<br />

sémiotique, afin de repenser ad infinitum nos usages<br />

ordinaires. Pressant l’allure vers <strong>la</strong> performance<br />

physique, comme si leurs actes pouvaient trouver<br />

une absurde reconnaissance sportive, ces artistes<br />

dissimulent le caractère artistique de leur proposition<br />

; aucun ne convoque de spectateurs.<br />

Ces actions, visibles, publiques, sont perçues<br />

– mais non pour ce qu’elles sont.<br />

Pour nommer ces pratiques, nous posons<br />

l’hypothèse d’une typologie nommée « actions<br />

artistiques furtives ». Le terme « action »<br />

Jean-Christophe Norman,<br />

Constel<strong>la</strong>tion walks (New York),<br />

2008.<br />

désigne ici un acte qui est autant <strong>la</strong> situation que<br />

sa propre terminaison, et se différencie de celui,<br />

public, de « performance ». L’adjectif « furtif 6 »,<br />

du <strong>la</strong>tin furtum (<strong>la</strong>rcin, vol), qualifie quant à lui<br />

ce « que l’on cache, dissimule, garde en secret<br />

comme on le ferait d’un <strong>la</strong>rcin 7 ». Il caractérise<br />

l’aspect fugace et éphémère des objets auquel il est<br />

affilié mais désigne avant tout ce qui est « secret »,<br />

caché intentionnellement.<br />

Paradoxalement, je suis en mesure de vous<br />

les décrire.<br />

Ce n’est en effet qu’une fois révélé que ce<br />

qui était dissimulé s’avère avoir été secret : « Le<br />

secret ne se constitue tel que de sa disparition 8 ».<br />

L’action « aura été furtive », et leurs auteurs ne<br />

sortent pas des « cadres de l’art » ou de ses procédés<br />

de légitimation. 33 tours d’Élodie Bremaud n’est<br />

qu’une partie d’un projet plus <strong>la</strong>rge (Devenir<br />

Is<strong>la</strong>ise : Ambition impossible pour artiste obstinée)<br />

au sein d’une résidence à l’été 2013, mise en p<strong>la</strong>ce<br />

par <strong>la</strong> mairie de l’île d’Yeu en partenariat avec<br />

<strong>la</strong> DRAC Pays de Loire. Par sa présence répétée,<br />

elle s’inscrit dans le paysage ; ses intentions filtrent<br />

au cours de conversations minimales, puis amicales,<br />

par distil<strong>la</strong>tion. Les habitants deviennent<br />

complices. Les Gens d’Uterpan étaient quant à<br />

eux conviés par le Musée Sztuki de Lodz, qui avait<br />

communiqué sur l’événement. Un p<strong>la</strong>n avec le<br />

graphique était à disposition des visiteurs du musée<br />

(qui se trouvaient cependant dans l’impossibilité<br />

de distinguer un passant <strong>la</strong>mbda d’un danseur),<br />

et <strong>la</strong> bande-son du projet fut diffusée à <strong>la</strong> radio.<br />

Enfin, Jean-Christophe Norman était invité<br />

par le Centre d’art Contemporain de Vilnius,<br />

où il présenta une vidéo de trottoirs qui défilent,<br />

caméra dirigée vers le sol. Les FRAC du Grand Est<br />

ESSAI de L’aRt de PasseR inaPeRçu : tRois démaRches fuRtives PaR soPhie LaPaLu<br />

13


9 Georges Perec,<br />

L’infra-ordinaire,<br />

Seuil, coll. La librairie<br />

du xxi e siècle, Paris,<br />

2011, p. 12.<br />

10 Andras Zempléni,<br />

« Secret et sujétion,<br />

Pourquoi ses “informateurs”<br />

parlent-ils à l’ethnologue ? »<br />

in Traverses « Le secret »,<br />

n° 30-31, Centre national<br />

d’art et de culture Georges<br />

Pompidou, 1984, p. 104.<br />

14 ESSAI<br />

le sollicitèrent également afin de réaliser une<br />

extension de ce travail, Les circonstances du hasard,<br />

où il dessina en 2011 les contours des cinq régions<br />

concernées (Alsace, Bourgogne, Champagne<br />

Ardennes, Franche-Comté, Lorraine) à l’intérieur<br />

de l’immense agglomération d’Istanbul.<br />

Non spectacu<strong>la</strong>ires, débusquant les « choses<br />

communes », les artistes sollicitent ainsi « ce qui<br />

semble tellement aller de soi que nous en avons<br />

oublié l’origine 9 » : les usages communs tout<br />

comme les idées reçues liées à l’art contemporain.<br />

En effet, le jugement artistique « Ceci est de l’art »<br />

apparaît en définitive plus souvent comme<br />

un jugement non descriptif ou appréciatif, mais<br />

dépréciatif : « Ceci n’est que de l’art » – annu<strong>la</strong>nt<br />

par-là toute effectivité. Au contraire, agir<br />

furtivement, dissimuler <strong>la</strong> nature artistique<br />

de l’action, permet non seulement d’échapper<br />

à cette suspension de valeur de vérité, mais<br />

également d’ouvrir les perspectives d’un art<br />

qui ne s’offre plus directement comme évènement<br />

ocu<strong>la</strong>ire à un spectateur contemp<strong>la</strong>tif, mais<br />

privilégie l’expérience au sein de <strong>la</strong> vie ordinaire.<br />

Celui qui perçoit ne peut alors se constituer<br />

ni comme témoin (il ne peut pas certifier avoir<br />

vu de l’art), ni comme spectateur (comment<br />

admirer un fait dont <strong>la</strong> nature est cachée ?),<br />

et permet aux chorégraphes des Gens d’Uterpan<br />

d’affirmer qu’en é<strong>la</strong>rgissant <strong>la</strong> scène à l’espace<br />

social, « l’audience » ne peut être autre que<br />

les citoyens.<br />

Aussi Élodie Bremaud n’aurait-elle peut-être<br />

pas dû dévoiler qu’elle était artiste à <strong>la</strong> seule<br />

personne qui lui demanda explicitement pourquoi<br />

elle tournait quotidiennement, afin que cette<br />

dernière ne cesse de s’interroger. Au contraire,<br />

l’habitude de considérer l’art contemporain<br />

comme contraire au sens commun rassura quant<br />

à sa santé mentale non <strong>la</strong> « 33 touriste », mais celle<br />

qui butait face à l’incompréhension. Annie Vigier<br />

et Frank Apertet l’ont bien compris : les danseurs<br />

ne sont pas autorisés à révéler le pourquoi<br />

de leurs actes furtifs, tandis que les marches<br />

de Jean-Christophe Norman passent tellement<br />

inaperçues qu’il n’est pas nécessaire d’expliciter<br />

à quiconque <strong>la</strong> raison de son parcours.<br />

Les trois derniers protagonistes de cet article<br />

se sont d’ailleurs réunis très récemment pour<br />

un projet commun dont ils ne dévoileront jamais<br />

ni <strong>la</strong> nature, ni le lieu de sa réalisation, ni <strong>la</strong> date<br />

de son accomplissement. Le secret ne sera donc<br />

a priori jamais révélé, jamais divulgué. Cependant,<br />

il est communiqué – je participe moi-même,<br />

au travers de cet article, à sa transmission.<br />

Jean-Christophe Norman et les Gens d’Uterpan<br />

dép<strong>la</strong>cent ainsi les limites, créent une sorte de fait<br />

social partagé par une communauté de confidents<br />

– dont les lecteurs de <strong>ZéroQuatre</strong> font désormais<br />

partie. Le furtif, le secret, ne pouvant subsister<br />

comme tel sans se signaler d’une manière ou<br />

d’une autre à ses destinataires, voire sans être validé<br />

de temps à autre par des « accusés de réception 10 »,<br />

il ne sera considéré par ses détenteurs comme<br />

« existant » que lorsque il sera acquis par une<br />

institution publique. Cette dernière se trouve<br />

réduite à son rôle de légitimation – jusqu’à ne pas<br />

connaître ce qu’elle valide. Le système de croyance<br />

réc<strong>la</strong>mé par toute œuvre d’art, habituellement assis<br />

sur le pouvoir institutionnel, est retourné. La<br />

responsabilité de chacun au sein d’un système a<br />

priori bien huilé est ébranlée ; d’autres géographies<br />

se dessinent, les lignes attendues se déforment.<br />

Les gens d’Uterpan, Topologie<br />

Île-de-France, 4–13 octobre 2012.<br />

Photo : Martin Argyroglo<br />

de L’aRt de PasseR inaPeRçu : tRois démaRches fuRtives PaR soPhie LaPaLu


gLISSEmEnTS<br />

dE TERRAIn<br />

dAnS<br />

L’ESpAcE pubLIc<br />

1 Raphaël Zarka, Free Ride :<br />

Skateboard, mécanique<br />

galiléenne et formes simples,<br />

B42, 2011.<br />

2 Voir Caroline Cros &<br />

Laurent Le Bon (dir.),<br />

L’art à ciel ouvert.<br />

Commandes publiques<br />

en France, 1983-2007,<br />

F<strong>la</strong>mmarion, 2008.<br />

3 http://manoeuvres.<br />

over-blog.net. Le film<br />

Manœuvre, de Demis<br />

Herenger est le seul objet<br />

visuel et pérenne,<br />

un film hybride fait<br />

de séquences filmées par<br />

les collégiens et lui.<br />

4 Cette phase devait avoir<br />

lieu en juillet 2012<br />

et a dû être annulée.<br />

par Fabien Pinaroli<br />

Il est un type d’art dans l’espace public appelé<br />

« drop sculpture », qui trouva son apogée dans<br />

les années d’après guerre, et qui est constitué<br />

d’œuvres considérées comme autonomes<br />

et parachutées (dropped) dans l’espace public pour<br />

embellir une architecture moderniste mal digérée.<br />

Raphaël Zarka a relevé des façons d’habiter cette<br />

sculpture, notamment chez les skateurs. Pour lui,<br />

si les passants, le public, <strong>la</strong> critique et l’histoire<br />

de l’art jugent les œuvres selon des critères<br />

esthétiques et conceptuels, les critères des skateurs<br />

sont plutôt mécaniques. « Plus irrévérencieuse<br />

que vandale, cette pratique de l’œuvre d’art<br />

souligne le dynamisme explicite de tout un pan<br />

de <strong>la</strong> sculpture moderne. Sur des sculptures le plus<br />

souvent abstraites et géométriques, les skateurs<br />

rendent effective l’idée de mouvement littéralement<br />

mise en œuvre par les artistes 1 ». On trouve<br />

une même sorte d’irrévérence dans <strong>la</strong> série<br />

What is public sculpture? de Franck Scurti, conçue<br />

comme une réminiscence de <strong>la</strong> drop sculpture<br />

couverte de tags.<br />

Depuis plus de quarante ans, on peut facilement<br />

attester une grande diversité des démarches<br />

d’artistes intervenus dans l’espace public.<br />

Ayant perdu son autonomie, l’art est aujourd’hui<br />

bien conscient des liens qu’il peut nouer avec<br />

<strong>la</strong> commande – qu’il s’amuse aussi à détourner<br />

le cas échéant – mais surtout avec le contexte<br />

géographique, social, historique, etc 2 . À l’initiative<br />

des artistes, il arrive que les commanditaires<br />

puissent entendre que les notions de monumentalité,<br />

de pérennité et de matérialité soient remises<br />

en question. En 2003, à Genève, Delphine Reist,<br />

AnALySE<br />

Delphine Reist, Parade, 2008. Des bottes en caoutchouc frappent le sol et l’eau. Bottes, électro-aimants.<br />

Manœuvre 1/3, Genève. © Laurent Faulon<br />

Laurent Faulon et Demis Herenger répondent<br />

à un concours de commande publique à l’occasion<br />

de <strong>la</strong> reconstruction du collège Sismondi. Au lieu<br />

de proposer un travail concret et pérenne, ils<br />

conçoivent une suite d’événements qui dématérialisent<br />

les qualités habituellement attachées<br />

à ce type d’œuvre. Les processus de travail proposés,<br />

totalement en accord avec leur mode d’action<br />

depuis plus de dix ans éprouvé, ont séduit un jury<br />

qui a préféré à l’orthodoxie formelle <strong>la</strong> pertinence<br />

et <strong>la</strong> force d’un propos. Le projet Manœuvres 3<br />

se déroule pendant <strong>la</strong> construction du nouveau<br />

bâtiment et consiste en trois temps forts d’occupation<br />

du chantier par les artistes et les œuvres 4 .<br />

Cette réponse postule que le caractère public<br />

d’une œuvre pourra lui être attribué par d’intenses<br />

rencontres éphémères avec des publics. La tenue<br />

systématique de repas collectifs ainsi que le<br />

caractère exceptionnel que prend l’ouverture<br />

d’un lieu généralement interdit d’accès ont permis<br />

<strong>la</strong> présence d’un public bigarré : enfants, adultes,<br />

collégiens, ouvriers, punks, passionnés de musique<br />

industrielle et amateurs d’art contemporain.<br />

Comme le montre le cas de Manœuvres,<br />

des glissements sont en cours dans les récents<br />

développements de l’art rattaché à l’espace public.<br />

Les formes artistiques qui ont émergé dans <strong>la</strong><br />

critique de l’autonomie, du pérenne ou du monumental<br />

de l’art sont parfois intégrées en amont,<br />

dans le cahier des charges. C’est peut-être pour<br />

cette raison que, de plus en plus, sont mis en p<strong>la</strong>ce<br />

des comités de pilotage pluridisciplinaires qui<br />

é<strong>la</strong>rgissent l’approche des contextes. Autre<br />

changement notoire, dans les deux programmes<br />

GLissements de teRRain dans L’esPace PubLic PaR fabien PinaRoLi<br />

15


a. b.<br />

5 http://www.8e-art.com<br />

16 AnALySE<br />

ambitieux que Lyon verra finalisés entre<br />

aujourd’hui et 2014 (8 e Art et Rives de Saône) :<br />

le principe de compétition ouverte à tout artiste<br />

selon un cahier des charges fourni par le commanditaire<br />

s’est transformé dans les deux cas en<br />

sélection d’un directeur artistique (par concours<br />

ou non) qui bâtit ensuite un programme à <strong>la</strong> façon<br />

d’un commissaire d’exposition. L’ultime conséquence<br />

de <strong>la</strong> présence de ce nouvel intermédiaire<br />

serait que les attentes des commanditaires,<br />

finalement, soient toujours prêtes à être déjouées<br />

– mais peut-être est-ce aller un peu loin. Enfin,<br />

les programmes sollicitent de plus en plus les<br />

artistes pour requalifier des espaces, leurs interventions<br />

étant certaines fois très diffuses : mobilier<br />

urbain, qualité des circu<strong>la</strong>tions ou invitation à<br />

reconsidérer le paysage. Quels en sont les impacts<br />

sur <strong>la</strong> façon dont les artistes créent dans le<br />

cadre de <strong>la</strong> commande publique ? Et quel serait<br />

le devenir d’un art qui ne se prête plus qu’à des<br />

usages, alors qu’il a longtemps été le lieu de débats,<br />

de commémorations et de représentations<br />

collectives au sein même de ce que l’on a appelé,<br />

jadis, l’espace public ? Y a-t-il, en fin de compte,<br />

incompatibilité ?<br />

8 e Art 5 est un programme de commande<br />

publique pour le quartier des États-Unis, dans le<br />

8 e arrondissement de Lyon, fortement marqué par<br />

l’histoire du logement social et qui désire créer<br />

un dialogue permanent entre l’art et les habitants.<br />

L’utopie que représente <strong>la</strong> Cité industrielle de<br />

Tony Garnier est le point de départ de ce projet<br />

centré sur le patrimoine, l’urbanité et <strong>la</strong> citoyenneté.<br />

Son mérite est de chercher à reconsidérer<br />

les enjeux du modernisme d’autant que les terribles<br />

exemples fournis par <strong>la</strong> reconstruction des années<br />

cinquante correspondent à l’enfouissement des<br />

espoirs que ce même modernisme avait fait naître.<br />

Une dizaine d’œuvres vont être installées. Si les<br />

jeunes artistes convoqués n’ont pas spécialement<br />

l’expérience d’un art destiné à l’espace public,<br />

<strong>la</strong> relecture du modernisme est une modalité<br />

centrale dans leur travail et leurs projets sont pour<br />

<strong>la</strong> plupart propices à établir une re<strong>la</strong>tion avec<br />

un public de proximité. Pour <strong>la</strong> première phase,<br />

les œuvres de Karina Bisch, Armando Andrade<br />

Tude<strong>la</strong> et Bojan Sarcevic vont être installées cette<br />

année et, dans <strong>la</strong> seconde phase, six nouveaux<br />

artistes seront choisis parmi onze propositions.<br />

Celle de Simon Starling, Rotary Cuttings, paraît<br />

<strong>la</strong> plus audacieuse car il intervient en accord<br />

avec les habitants dans deux appartements pour<br />

prélever dans leurs salons respectifs deux pans<br />

de mur circu<strong>la</strong>ires afin de les intervertir ; un film<br />

documentaire circule et deux photos au format<br />

4 × 3 sont présentes dans <strong>la</strong> rue. Bojan Sarcevic<br />

quant à lui, dans La traversée d’un ailleurs, prélève<br />

une portion de sol qui donnera l’impression<br />

GLissements de teRRain dans L’esPace PubLic PaR fabien PinaRoLi


c. d.<br />

a. Raphaël Zarka, Riding Modern Art, une collection photographique autour de Spatial<br />

Composition 3 (1928) de Katarzyna Kobro, instal<strong>la</strong>tion, 2007. Avec des photographies de :<br />

Éric Antoine, Loïc Benoit, Sébastion Charlot, Guil<strong>la</strong>ume Langlois, Dominic Marley,<br />

Bertrand Trichet, Marcel Veldman, Alexis Zavialoff. Collection FRAC Alsace, Selestat.<br />

Courtesy de l’artiste & galerie Michel Rein, Paris.<br />

6 http://www.lesrivesde<br />

saone.com<br />

d’onduler entre quatre arbres à l’image d’un<br />

papier froissé. L’intervention se fait dans un<br />

passage initialement sans qualité et l’adjonction<br />

de bancs autour des troncs rendra à nouveau<br />

possible des rencontres. Les priorités de 8 e Art<br />

visent à dynamiser <strong>la</strong> vie culturelle du quartier<br />

avec <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’une équipe de médiation<br />

qui s’active depuis deux ans auprès de différents<br />

publics. Le credo est que l’art contemporain est<br />

une affaire d’interre<strong>la</strong>tion et que sans un travail<br />

de médiation l’œuvre reste incomplète, ce qui<br />

semble poursuivre les dynamiques « re<strong>la</strong>tionnelles »<br />

initiées par certains artistes, il y a plus de deux<br />

décennies, intégrant <strong>la</strong> médiation dans les œuvres<br />

elles-mêmes.<br />

Bien différente dans sa conception comme<br />

dans sa mise en œuvre, <strong>la</strong> « superproduction »<br />

Rives de Saône est une requalification des berges<br />

sur plus de vingt km entre Rochetaillé-sur-Saône<br />

et le sud de Lyon. Les artistes ont été choisis<br />

au même moment que les urbanistes et paysagistes,<br />

assurant ainsi des équipes constituées en amont<br />

qui vont pouvoir s’imprégner des lieux et col<strong>la</strong>borer<br />

dans un véritable dialogue : « ils réaliseront<br />

une promenade alliant patrimoine naturel, historique<br />

et culturel, mettant en valeur et développant<br />

les usages […] pour que chacun vive <strong>la</strong> Saône<br />

et ses rives à son rythme, au gré de ses envies et<br />

de ses sensibilités 6 ». Les nombreuses instal<strong>la</strong>tions<br />

b. Franck Scurti, vue de l’exposition « What is Public Sculpture ? », Magasin CNAC, Grenoble,<br />

2007. Courtesy galerie Michel Rein, Paris.<br />

c. Simon Starling, Rotary Cuttings, maquette, 2011.<br />

d. Laurent Faulon, Ensemble, 2009. Manœuvres 2/3, Transmissions Genève, 2009.<br />

© Marika Palocsay<br />

de Tadashi Kawamata – différentes structures,<br />

passages, habitats ou belvédères –, véritable<br />

fil rouge de cette promenade, sont des marqueurs<br />

importants par l’utilisation du bois, élément<br />

emprunté au végétal et qui entretient une certaine<br />

fraternité avec <strong>la</strong> rivière par leur histoire commune.<br />

Dans Rives de Saône, l’artiste fait figure<br />

de créateur ingénieux et enchanteur, proposant<br />

des expériences, agrémentant une ba<strong>la</strong>de urbaine<br />

d’équipements, d’aires ludiques ou d’instal<strong>la</strong>tions<br />

qui, sans sa présence, serait amputée d’une<br />

dimension culturelle. Elmgreen & Dragset se<br />

distinguent avec The Weight of One Self (le poids<br />

de soi-même), seule sculpture de facture très<br />

c<strong>la</strong>ssique et qui semble relever d’un art parachuté<br />

façon « drop sculpture » moderniste. Il sera intéressant<br />

de voir si ceci <strong>la</strong> prédestine à recevoir<br />

les mêmes tags que ses homologues modernistes.<br />

Puisque les aménagements priment, l’expérience<br />

esthétique semble s’é<strong>la</strong>rgir vers un partage<br />

de sensations ; elle dé<strong>la</strong>isse certaines préoccupations<br />

centrées sur l’ancienne autonomie de<br />

l’œuvre, mais peut-être cette expérience va-t-elle<br />

ouvrir sur de nouvelles significations esthétiques<br />

liées à des faits de sensibilité publique, en public,<br />

par le public ? Ou au contraire a-t-on affaire<br />

à une réduction, à une attitude de consommateur<br />

et de dilettante éloignant par là d’une certaine<br />

émancipation attachée habituellement à <strong>la</strong><br />

AnALySE GLissements de teRRain dans L’esPace PubLic PaR fabien PinaRoLi<br />

17


7 Christian Ruby, L’âge du<br />

public et du spectateur, essai<br />

sur les dispositions esthétiques<br />

et politiques du public<br />

moderne, collection Essais,<br />

La Lettre volée, 2007,<br />

p. 282.<br />

8 Christian Ruby, op.cit.,<br />

p. 181.<br />

18<br />

fréquentation de l’art ? Il est peut-être utile<br />

de convoquer à ce stade les réflexions de Christian<br />

Ruby à propos des apparitions et des mutations<br />

du phénomène d’esthétisation du public. Celle-ci<br />

est actuellement à son apogée et concerne « tant<br />

<strong>la</strong> pensée que le comportement, les mœurs et<br />

les re<strong>la</strong>tions sociales ; une esthétisation par fait<br />

de rôle accru de <strong>la</strong> sensibilité et des émotions dans<br />

<strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion avec les autres. Elle tend à un recentrement<br />

de chacun sur l’épanouissement du moi,<br />

corrélé avec un regard positif à l’égard d’une<br />

diversité contrôlée des pratiques, pour peu qu’elles<br />

puissent se juxtaposer ». L’état et les collectivités<br />

locales chercheraient à ramener à une unité<br />

perdue. « Mais une unité de juxtaposition à partir<br />

d’une instrumentalisation sociale, touristique,<br />

commerciale, en terme de prestige 7 . »<br />

Les usagers des berges de Saône et les habitants<br />

du 8 e arrondissement seraient-ils dans ce cas ?<br />

Il y a en effet toujours à chercher une instrumentalisation<br />

du fait artistique lorsqu’il est inscrit<br />

dans <strong>la</strong> sphère publique, ici par une collectivité<br />

Tadashi Kawamata, P<strong>la</strong>ges de Neuville, œuvre commandée par le Grand Lyon<br />

dans le cadre de l’aménagement des Rives de Saône, 2011. © Raphaël Lefeuvre<br />

La commande PubLique : “une démaRche aRtistique intéGRée” ?<br />

JouRnée séminaiRe oRGanisée PaR L’esadse et zéRoquatRe<br />

dans Le cadRe de La biennaLe inteRnationaLe desiGn saint-étienne,<br />

maRdi 26 maRs 2013, www.biennaLe-desiGn.com.<br />

territoriale et là par un bailleur social, c’est même<br />

<strong>la</strong> règle et l’on s’y est habitué depuis des siècles.<br />

Mais à un niveau plus global, pour sortir de<br />

<strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion aliénante que « l’ère des gens » tente<br />

aujourd’hui d’instituer – succédant à « l’ère<br />

du public », de l’époque moderne – Christian Ruby<br />

ouvre <strong>la</strong> piste de l’exercice esthétique qui est<br />

différent de l’expérience esthétique et s’y oppose<br />

même. Pour lui, c’est une re<strong>la</strong>tion d’interférence<br />

qui définit <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion à l’art et elle doit mener<br />

à une transformation de soi. L’intrusion de l’œuvre<br />

dans <strong>la</strong> sphère intime constitue alors « une<br />

introduction à une mise à l’épreuve de soi, de ses<br />

abdications et piétinements, de sa formation, de sa<br />

mémoire, de son goût, de son imagination […] et<br />

un exercice enfin qui ne s’intéresse qu’à lui-même,<br />

l’activité qu’il déploie est nécessaire mais tout<br />

rapport avec l’utile lui répugne 8 . » Encore faut-il<br />

que les œuvres permettent cet exercice du<br />

sujet. Les usagers, les habitants, les citoyens, les<br />

amateurs et professionnels de l’art contemporain<br />

en jugeront bientôt par eux-mêmes.<br />

AnALySE GLissements de teRRain dans L’esPace PubLic PaR fabien PinaRoLi


COMPTES RENDUS<br />

25


26 compTES REnduS


compTES REnduS<br />

expositions & lectures<br />

© Niek van de Steeg, La mine Jeffrey à Asbestos à ciel ouvert,<br />

fusain et pastel, 2012. Photo : Thierry Chassepoux<br />

nieK van de steeG, “La maison de La matièRe<br />

PRemièRe – dessins”<br />

du 11 octobre au 17 novembre 2012,<br />

art 3, Valence.<br />

Dans un entretien avec Hou Hanru, Niek van<br />

de Steeg avançait : « Mes expositions sont des<br />

sculptures et mes sculptures sont des expositions<br />

». À art3, l’artiste néer<strong>la</strong>ndais ne montre<br />

pas d’objets tridimensionnels sinon <strong>la</strong> boîte en<br />

céramique renfermant le tirage de tête de <strong>la</strong><br />

publication « <strong>la</strong> Maison de <strong>la</strong> Matière Première »<br />

éditée par Captures éditions en partenariat<br />

avec le Centre d’art Le Lait d’Albi. Captures<br />

éditions, à l’initiative de Valérie Cudel, a<br />

<strong>la</strong> particu<strong>la</strong>rité de considérer l’espace livresque<br />

comme un lieu, le volume devenant exposition.<br />

L’accrochage à art3 propose notamment<br />

un déroulé des dessins présentés dans l’édition,<br />

série où <strong>la</strong> couleur jaune, celle du yellowcake,<br />

est dominante. Le yellowcake est le surnom<br />

de l’uranium, une des matières premières, après<br />

le café et l’amiante, qui sert de fil à Niek van<br />

de Steeg pour explorer les stratégies d’exploitation<br />

et les mises en réseau qui y sont invariablement<br />

associées. Lise Guéhenneux pose<br />

ainsi <strong>la</strong> problématique : « comment l’homme<br />

sculpte-t-il le territoire pour prélever ces<br />

matières premières ? ». S’affirme ainsi l’idée que<br />

l’exploitation des ressources, dont <strong>la</strong> finalité<br />

est l’enrichissement selon les modalités<br />

libérales, serait un acte esthétique qui échappe<br />

aux exploitants dont le seul objectif est <strong>la</strong> plusvalue.<br />

Niek van de Steeg prend alors le statut de<br />

révé<strong>la</strong>teur de cet acte esthétique insoupçonné,<br />

son travail consistant en un décryptage des liens<br />

invisibles s’établissant entre enjeux économiques<br />

et transformation p<strong>la</strong>stique du monde. « Il situe<br />

<strong>la</strong> responsabilité de l’artiste face au monde<br />

là où il peut agir concrètement, sur le<br />

territoire de l’œuvre, issue du réel et générant<br />

de <strong>la</strong> fiction, dont les pouvoirs sur les structures<br />

mentales créent à leur tour de <strong>la</strong> réalité »<br />

écrit Jackie Ruth-Meyer. [Pascal Thevenet]<br />

compTES REnduS<br />

Vue de l’exposition « Aujourd’hui à 10 ans / This day at Ten » au Magasin-CNAC.<br />

© B<strong>la</strong>ise Adilon. Courtoisie de l’artiste et de <strong>la</strong> galerie Sfeir Semler<br />

aKRam zaataRi, “this day at ten”<br />

du 13 octobre 2012 au 6 janvier 2013,<br />

Le Magasin, Grenoble.<br />

Un palimpseste est un manuscrit gratté par<br />

les copistes afin d’y écrire à nouveau mais qui,<br />

selon un certain éc<strong>la</strong>irage, <strong>la</strong>isse transparaître<br />

le texte effacé.<br />

C’est à <strong>la</strong> lueur de cette définition que<br />

pourrait s’observer le travail d’Akram Zaatari.<br />

Des couches d’images et de textes sur l’histoire<br />

du Moyen-Orient 1 par lesquelles, selon <strong>la</strong><br />

formule benjaminienne, « l’Autrefois rencontre<br />

le Maintenant dans un éc<strong>la</strong>ir pour former<br />

une constel<strong>la</strong>tion ». La plus bril<strong>la</strong>nte étoile<br />

en serait un film réalisé en 2004 (prix son<br />

au FID Marseille), titré Aujourd’hui, et assumé<br />

par l’artiste comme <strong>la</strong> pièce maîtresse autour<br />

de <strong>la</strong>quelle s’articule son exposition. Le film est<br />

pris dans une mise en scène qui emprunte à<br />

<strong>la</strong> salle de cinéma ses strapontins, un écran de<br />

taille conséquente et l’indispensable pénombre<br />

sans <strong>la</strong>quelle une projection (cinématographique<br />

autant que vidéo) ne serait que du semb<strong>la</strong>nt.<br />

Reprise du dispositif cinématographique certes,<br />

mais sans chercher à tout prix à transformer<br />

l’espace d’exposition en salle. Ainsi, quand nous<br />

regardons et écoutons Aujourd’hui, se rejoue<br />

dans notre dos – en moins grand –, une scène<br />

du film 2 , comme un écho à celui-ci et un<br />

possible contre-champ. À moins que ce ne soit<br />

l’inverse. Car Zaatari est trop conscient des<br />

manipu<strong>la</strong>tions que médias et régimes politiques<br />

font subir aux images pour imposer aux siennes<br />

une lecture univoque. Il ne suffit pas de montrer,<br />

encore faut-il se demander comment, et<br />

pourquoi. Aujourd’hui est en ce<strong>la</strong> exemp<strong>la</strong>ire :<br />

il entremêle documents d’archives (photos,<br />

vidéos, télé, radio, Internet) tout en mettant<br />

son propre processus de création en abîme.<br />

Par-delà l’hétérogénéité formelle, ce sont<br />

des sédiments visuels et sonores avec lesquels<br />

l’artiste construit une pensée faite film.<br />

Peu surprenant alors que ce soit<br />

derrière l’écran d’Aujourd’hui que soit exposée<br />

<strong>la</strong> simu<strong>la</strong>tion de <strong>la</strong> Time Capsule, cette<br />

expérience d’enfouissement de documents<br />

précieux, illustrée, une salle plus loin, par une<br />

vidéo-making-of. Et là encore, making-of ne<br />

signifie pas simplement « accès aux coulisses »,<br />

mais nouvelle strate sédimentaire. Peu<br />

surprenant non plus qu’à l’enfouissement<br />

succède, par une vidéo titrée Le trou,<br />

l’extraction d’une lettre enterrée des années<br />

auparavant. Faire remonter à <strong>la</strong> surface<br />

l’histoire d’un peuple ou bien l’enfouir comme<br />

témoignage adressé aux générations futures :<br />

dans les deux cas, l’artiste devient passeur<br />

d’un récit qui s’écrit dans le temps. Comment<br />

ne pas penser à Godard et à ses Histoire(s)<br />

du cinéma qui ont influencé les premiers films<br />

de l’artiste 3 ? Et d’autres noms viennent<br />

spontanément à l’esprit : Harun Farocki déjà,<br />

autre grand arpenteur et archéologue<br />

d’images, dont certains passages du film Images<br />

du monde et inscriptions de <strong>la</strong> guerre 4 entrent<br />

en résonance avec Aujourd’hui. Walid Raad,<br />

bien sûr, avec qui Zaatari a col<strong>la</strong>boré, et dont<br />

le projet d’At<strong>la</strong>s Group Archive compile<br />

des documents sur l’histoire contemporaine<br />

du Liban. Et puis, Khalil Joreige et Joana<br />

Hadjithomas pour leurs « images <strong>la</strong>tentes ».<br />

Reste un film réalisé en 2008 : Nature<br />

morte 5 , avec lequel j’aurais tendance à vouloir<br />

clore l’exposition, à rebours du parcours qui<br />

semble indiqué. Tout commence dans un<br />

espace exigu : deux hommes travaillent de<br />

<strong>la</strong> nuit au petit jour. Sont-ils des civils engagés<br />

dans une lutte armée ? Fabriquent-ils une<br />

bombe ? Où sont-ils et qui est l’ennemi ?<br />

Zaatari ne répond pas vraiment, il préfère <strong>la</strong>isser<br />

aux images leur part d’insu, et au spectateur<br />

sa responsabilité. [Fabrice Lauterjung]<br />

1 Akram Zaatari est<br />

co-fondateur de <strong>la</strong> FAI<br />

(Fondation Arabe pour<br />

l’Image).<br />

2 Une courte vidéo en réalité<br />

antérieure au film Aujourd’hui<br />

et dont il existe aussi une<br />

extension photographique.<br />

3 Il s’agit de <strong>la</strong> série Image +<br />

Son, composée de 7 films<br />

réalisés entre 1995 et 1996.<br />

4 Je pense aux passages<br />

consacrés aux photos de<br />

femmes algériennes, prises par<br />

Marc Garanger en 1960, pour<br />

le compte de l’armée française.<br />

5 C’est également le titre de<br />

deux grandes photos exposées<br />

dans <strong>la</strong> célèbre rue du Magasin,<br />

et supposées dialoguer avec<br />

l’exposition patrimoniale « L’Isère<br />

en relief » qui présente une<br />

immense maquette de Grenoble.<br />

27


Philippe Cognée, New York (détail), 2001, collection particulière. © ADAGP, Paris, 2013<br />

PhiLiPPe coGnée<br />

du 10 novembre 2012 au 3 février 2013,<br />

Musée de Grenoble.<br />

Premier vrai retour sur l’œuvre de Philippe<br />

Cognée, <strong>la</strong> rétrospective que lui consacre<br />

le Musée de Grenoble en donne à voir<br />

l’impressionnante prolificité. C’est un acteur<br />

majeur du paysage pictural français qu’il est ici<br />

donné à découvrir ou redécouvrir, dans<br />

des conditions exceptionnelles : une centaine<br />

de tableaux répartis dans pas moins de<br />

dix-huit salles sur quelques mille mètres carrés.<br />

La question du rapport à <strong>la</strong> photographie<br />

qui a jalonné le xx e siècle pictural retrouve<br />

là sa pleine actualité ; Philippe Cognée peint<br />

en effet principalement d’après photo (photos<br />

de vacances, photos de famille, photos prises<br />

au téléphone ou plus récemment, captures<br />

d’écran de Google Earth). Il commence par<br />

peindre directement sur les tirages 10 × 15<br />

en un recouvrement-dédoublement de l’image<br />

originelle (Sans titre, 1991-1995). En résulte<br />

un certain brutalisme ; une généricité du<br />

motif affleure par-delà sa représentation :<br />

le vélo, le niveau à bulle, le téléviseur,<br />

le panneau stop. En parallèle, paysages et<br />

natures mortes se succèdent (Paysage vert,<br />

1993 ; Pot de peinture, 1995, etc.) mais aussi<br />

les célèbres portraits de ses fils et de sa femme<br />

à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ge – c’est à ce moment qu’il inaugure<br />

sa fameuse technique de <strong>la</strong> peinture<br />

à l’encaustique chauffée au fer à repasser.<br />

L’exposition grenobloise adopte un parti<br />

pris chronologique auquel elle se permet<br />

tout de même de faire quelques entorses,<br />

notamment en insérant un cabinet graphique<br />

au cœur du disp<strong>la</strong>y, présentant des dessins<br />

pour <strong>la</strong> plupart de 2012. Châteaux de sable,<br />

cendriers, crânes, autoportraits, esquisses<br />

du désert de Namibie et de rayonnages de<br />

supermarché : autant de vanités récurrentes<br />

28 COMPTES RENDUS<br />

dans l’œuvre du peintre. C’est que les séries<br />

qu’il consacre à ses sujets ne sont jamais<br />

terminées, à l’image de celle des crânes dont<br />

il offre ici une admirable variation en six<br />

dessins sur papier photo : l’encre aquarellée<br />

se fait ombre évanescente, se fondant<br />

littéralement au papier glossy pourtant rétif<br />

sur l’un tandis que, juste à côté, elle incarne<br />

un trait d’un noir féroce.<br />

Hormis les portraits pour tels, peu<br />

de présence humaine se fait jour chez Cognée,<br />

ou alors fantomatique comme dans les tablées<br />

familiales (Anniversaire du père i, 2000)<br />

ou sous forme de micro-silhouettes dans<br />

les foules sans visage (Foule, 1999). Les villes<br />

sont toujours désertes, n’offrant qu’un abri<br />

géométrisé à l’entassement des êtres (Immeuble<br />

Beaulieu Nantes, 1997 ; Google L.A., 2006)<br />

et finissent par se ressembler étrangement,<br />

comme dans l’impressionnant tryptique TNYP<br />

(2010) qui fond Tokyo, New York et Paris en<br />

un même réseau de lignes qui s’entrecroisent.<br />

La subjectivité affective de <strong>la</strong> prise<br />

de vue alterne avec celle, désincarnée,<br />

des cadrages réalisés dans Google Street View.<br />

Il s’agit, pour le peintre, d’« accaparer l’espace<br />

photographique 1 », que ce dernier transcrive<br />

son propre vécu ou des vues proprement<br />

inhumaines car produites par recoupement<br />

et agglomération d’images satellitaires.<br />

« La photographie, pour moi, c’est juste<br />

un intermédiaire à faire quelque chose<br />

d’autre […] à créer de nouvelles [images]<br />

qui n’existent que dans <strong>la</strong> peinture. » Sa toute<br />

récente série de façades d’après Street View<br />

(Deux maisons quelque part dans <strong>la</strong> banlieue<br />

de Chicago, 2012) offre paradoxalement,<br />

dans <strong>la</strong> frontalité du motif, une abstraction<br />

du banal confondante. [Aude Launay]<br />

1 Toutes les citations sont<br />

extraites de l’entretien de<br />

Philippe Cognée avec Philippe<br />

Piguet publié dans le catalogue<br />

de l’exposition co-édité<br />

par Actes Sud, le Musée<br />

de Grenoble et le Musée<br />

des beaux-arts de Dole.<br />

© David Wolle, Fête cup, huile sur toile, 2012.<br />

david woLLe, “GRand Lisboa 1”<br />

du 6 septembre au 22 décembre 2012,<br />

Galerie Bernard Ceysson, Saint-Étienne.<br />

Face aux peintures de David Wolle, nous ne<br />

pouvons être absents au fait qu’une séduction,<br />

légèrement louche, opère. Nous ne sommes<br />

pas en face d’une peinture qui relève<br />

du fantasmagorique à <strong>la</strong> sauce surréaliste<br />

mais ce serait en fait plus rassurant.<br />

David Wolle avoue ne pouvoir peindre<br />

que ce qu’il a sous les yeux. Il s’est donc attelé<br />

à <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> représentation du sujet<br />

en peinture, et c’est peut-être un des rares<br />

aspects de ce travail qu’il faille prendre<br />

au sérieux. Le reste est soit trop dérisoire, soit<br />

carrément inquiétant malgré des titres aux<br />

résonances enfantines et loufoques. En effet,<br />

<strong>la</strong> technique à l’huile c<strong>la</strong>irement maîtrisée,<br />

les couleurs suaves et les textures toutes<br />

de guimauve ondoyante nous font c<strong>la</strong>irement<br />

sentir que le rapport entre le tableau et le sujet<br />

représenté a subi quelques secousses. Mais<br />

le type de secousse est par contre moins<br />

c<strong>la</strong>irement identifiable.<br />

Dans les peintures, des volumes bizarres<br />

baignés de lumière dans un espace toujours<br />

clos ou quasi abstrait <strong>la</strong>issent un goût étrange<br />

quant à l’identification même de leur nature.<br />

L’artiste fabrique tout ce<strong>la</strong> de bric et de broc :<br />

pâte à modeler, plâtre, polystyrène, papier<br />

découpé, etc. Il met en scène ces petites<br />

choses comme on le ferait dans un théâtre<br />

de marionnettes et photographie le tout,<br />

s’amusant follement, semble-t-il. L’objet de<br />

<strong>la</strong> représentation, on le comprend, existe mais<br />

n’existe pas. Il est vrai et il ne l’est pas. Disons<br />

que cet objet existe au point que sa vérité<br />

est malicieusement enfouie dans <strong>la</strong> possibilité<br />

de sa représentation ; représentation dont<br />

le fondement, on le sait, a toujours été une<br />

question d’artifice, de mensonge. Dès lors,<br />

se fendille et vacille toute identité, jusqu’à <strong>la</strong><br />

nôtre éventuellement. [Fabien Pinaroli]


Thierry Liegeois, Forest of the dead, 2012. Vue de l’exposition « Dystopia », Angle art contemporain, Saint-Paul-Trois-Châteaux/Drôme,<br />

10 octobre – 24 novembre 2012. © IAC / Galeries Nomades 2012 © B<strong>la</strong>ise Adilon<br />

“GaLeRies nomades 2012”<br />

du 28 septembre au 1 décembre 2012,<br />

VOG centre d’art contemporain, Fontaine ;<br />

Angle art contemporain, Saint-Paul-<br />

Trois-Châteaux ; Greenhouse et La Serre,<br />

Saint-Étienne.<br />

Le programme « Galeries Nomades »,<br />

porté par l’Institut d’art contemporain,<br />

développe deux types de rencontres : tous<br />

les deux ans, il permet de découvrir à <strong>la</strong> fois<br />

des jeunes artistes issus des quatre écoles<br />

supérieures d’art de Rhône-Alpes et des lieux<br />

d’art contemporain en région dont <strong>la</strong> visibilité<br />

a parfois du mal à franchir le seul périmètre<br />

de leur territoire.<br />

Ainsi en 2012, deux artistes diplômés<br />

de l’école d’Annecy et deux autres de celle<br />

de Lyon furent invités à présenter et à défendre<br />

leur travail dans des sites de <strong>la</strong> banlieue<br />

grenobloise, de <strong>la</strong> Drôme provençale et de<br />

Saint-Étienne.<br />

La proposition de Rémi dal Negro avait<br />

l’intelligence de dissimuler et de révéler<br />

le lieu – l’architecture de Greenhouse est<br />

celle, post-industrielle, d’une réoccupation des<br />

espaces à des fins non-productivistes – <strong>la</strong>issant<br />

le visiteur explorer les recoins de l’ancienne<br />

Brasserie Mosser. Monolithe, instal<strong>la</strong>tion<br />

constituée de bâches de protection translucides<br />

marquait cette respiration, soit en<br />

se gonf<strong>la</strong>nt jusqu’à occulter toute une partie<br />

de l’architecture, soit, vidée de son air,<br />

<strong>la</strong> dévoi<strong>la</strong>nt tout en <strong>la</strong>issant le sentiment<br />

inconfortable, mais drôle, d’un ratage<br />

du dispositif. Toujours à Saint-Étienne,<br />

La Serre est un jardin d’intérieur présentant<br />

COMPTES RENDUS<br />

deux massifs arborés desquels Johan Parent<br />

dut s’accommoder. Ses différentes pièces<br />

se jouèrent de <strong>la</strong> contrainte en incluant de<br />

manière efficace cette végétation contrastant<br />

avec l’aspect mécanique et technologique<br />

de l’univers de l’artiste. Néanmoins, <strong>la</strong> notice<br />

de Sans titre (2009), œuvre constituée de<br />

venti<strong>la</strong>teurs, spécifiait : « Sortes de prothèses<br />

de l’homme pour un monde meilleur, les<br />

objets semblent désormais se passer de leurs<br />

concepteurs et opérateurs ». « Semblent »<br />

seulement car malheureusement une panne<br />

d’électricité m’empêcha de goûter aux divers<br />

mouvements, sons et images articu<strong>la</strong>nt<br />

Asphalt. Faire appel à des lieux dotés de peu<br />

de moyens pose <strong>la</strong> question du projet<br />

artistique, de sa maintenance et de sa durée.<br />

L’exposition de Mathilde Barrio Nuevo<br />

était trop courte pour que j’aie l’occasion<br />

de m’y rendre. Quant au vernissage<br />

de Dystopia de Thierry Liégeois, un bouc<br />

y était attendu mais n’est jamais arrivé. Ces<br />

dysfonctionnements n’occultent cependant<br />

pas <strong>la</strong> qualité des recherches menées par<br />

ces quatre jeunes artistes et le profond<br />

attachement de ces « moindres-lieux »<br />

à diffuser <strong>la</strong> création <strong>la</strong> plus contemporaine.<br />

Ils ne remettent pas non plus en cause<br />

l’initiative de l’IAC qui permet l’expérience<br />

d’une première exposition monographique<br />

à de jeunes artistes qui se voient ainsi<br />

accompagnés tant au niveau curatorial<br />

qu’analytique puisque de jeunes critiques<br />

d’art sont aussi invités à produire des textes<br />

sur leur travail, publiés ensuite dans<br />

un numéro spécial de <strong>la</strong> <strong>revue</strong> Semaine.<br />

[Pascal Thevenet]<br />

Vue de l’exposition « Tricontinental, une étude graphique ».<br />

mathieu KLeyebe abonnenc, “tRicontinentaL,<br />

une étude GRaPhique” avec Léna aRaGuas,<br />

GaëLLe choisne, fabRice mabime, PabLo RéoL,<br />

fabien steichen<br />

du 19 au 25 novembre 2012, Réfectoire<br />

des nones, ENSBA Lyon.<br />

Après un mois de résidence à l’ENSBA<br />

de Lyon, Mathieu Kleyebe Abonnenc<br />

présente <strong>la</strong> restitution du workshop effectué<br />

avec cinq étudiants en art et en graphisme.<br />

La <strong>revue</strong> militante Tricontinental, publiée<br />

en 1967 à Cuba et un an plus tard en France<br />

aux éditions Maspero en est l’objet d’étude.<br />

Son but fut de donner <strong>la</strong> parole aux acteurs<br />

locaux des luttes armées qui se jouaient<br />

en Asie, Afrique et Amérique <strong>la</strong>tine.<br />

Le groupe a choisi un disp<strong>la</strong>y proche<br />

du studio ou de l’atelier, utilisant de fines barres<br />

métalliques parallèles pour les faire courir tout<br />

le long des murs du réfectoire. Les exemp<strong>la</strong>ires<br />

et les reproductions de <strong>la</strong> <strong>revue</strong> sont aimantés,<br />

se présentant comme des notes de musique<br />

sur une partition. Le sous-titre de l’exposition,<br />

« une étude graphique », semble alors s’appliquer<br />

tant à <strong>la</strong> recherche au sein de <strong>la</strong> <strong>revue</strong><br />

qu’à <strong>la</strong> restitution de cette étude.<br />

D’abord, un diaporama de détails nous<br />

offre un regard subjectif sur les parties visuelles<br />

de <strong>la</strong> <strong>revue</strong>, alors que les éléments graphiques<br />

les plus redondants sont isolés et présentés<br />

sur une affiche. Si on les compare aux formes<br />

géométriques très rectilignes des affiches de<br />

propagande soviétique, on voit ici l’utilisation<br />

de courbes qui donnent un côté plus « pop »<br />

au design de l’ensemble.<br />

Ensuite, l’étude s’est portée sur les<br />

différences entre les structures visuelles des<br />

éditions cubaine et française, autrement dit<br />

sur <strong>la</strong> manière dont le passage d’une <strong>la</strong>ngue et<br />

d’une culture à une autre pouvait se répercuter<br />

sur le graphisme. Il est étonnant de voir<br />

comment les numéros français suppriment<br />

une <strong>la</strong>rge part d’images et d’outils graphiques<br />

au profit du texte. La culture française<br />

privilégie c<strong>la</strong>irement <strong>la</strong> puissance du <strong>la</strong>ngage<br />

à celle des images. La part visuelle de l’édition<br />

cubaine s’avère ainsi beaucoup plus riche<br />

et percutante. [Aurélien Pelletier]<br />

29


© Jérémy Gobé, Quatre Mains, 2012.<br />

JéRémy Gobé, “monuments aux mains”<br />

du 1 er décembre 2012 au 16 février 2013,<br />

Fondation Bullukian, Lyon.<br />

La Fondation Bullukian a accueilli l’exposition<br />

« Monuments aux Mains » de Jérémy<br />

Gobé, <strong>la</strong>uréat de son Prix à <strong>la</strong> création 2011.<br />

Conçues au cours de sa résidence à Lyon,<br />

les œuvres du jeune artiste reposent sur un<br />

processus de récupération de matériaux<br />

et d’appropriation de savoir-faire. De ses<br />

rencontres naissent des formes p<strong>la</strong>stiques<br />

(sculpture, dessin, vidéo...) témoins ou<br />

hommages. Des chutes de tissus issues d’une<br />

usine désormais fermée (L’Usine, 2011),<br />

des meubles de l’atelier de <strong>la</strong> Fondation<br />

(Miroir et La Porte, 2012) et des vêtements<br />

récoltés (La Promesse, 2012) ont ainsi<br />

été réinvestis et transformés par l’artiste.<br />

Selon lui, sa « démarche vise […] à retrouver<br />

l’énergie qui a un jour habité ces objets ».<br />

Trois figures, plus particulièrement,<br />

traversent le projet. Un sac se réfère ainsi<br />

à sa grand-mère qui en réalisait, pendant<br />

<strong>la</strong> guerre, avec des matériaux trouvés (Sac,<br />

un foudre de guerre, 2012). Jérémy Gobé cite<br />

aussi Giovanni Anselmo dont il reprend le<br />

geste puis le titre pour <strong>la</strong> vidéo Torsion (2012).<br />

Enfin, il rend hommage à <strong>la</strong> sculptrice textile<br />

Simone Pheulpin en achevant une pièce<br />

qu’elle lui a offerte (Quatre Mains, 2012).<br />

Comme celle-ci affirme que ses « réalisations<br />

sont […] le reflet d’une harmonie avec le<br />

monde naturel », certains de ces « monuments »<br />

suscitent le même constat. Les formes<br />

organiques ou végétales des excroissances<br />

ornementales de Jérémy Gobé traduisent,<br />

certes, <strong>la</strong> dextérité technique et <strong>la</strong> visée<br />

esthétique exacerbée des gestes manuels<br />

répétitifs, mais peu les histoires singulières<br />

qu’elles sont censées conter. Les plis et replis,<br />

malgré <strong>la</strong> narration – à <strong>la</strong> première personne<br />

– des rencontres par l’artiste, tendent<br />

parfois vers une illustration « générique »<br />

des mémoires et des actes qui se juxtaposent.<br />

[Adeline Lépine]<br />

30 COMPTES RENDUS<br />

Anonyme (Fluxus), I wish to remain on Fluxus, mailing list,<br />

Collection du Musée d’Art Contemporain de Lyon, 1965.<br />

“fiat fLux : La nébuLeuse fLuxus, 1962-1978”<br />

du 27 octobre 2012 au 27 janvier 2013,<br />

Musée d’art moderne de Saint-Étienne.<br />

Fiat or not Fiat<br />

Le Musée d’art moderne de Saint-Étienne fête<br />

les cinquante ans de <strong>la</strong> naissance de Fluxus :<br />

Fiat Flux (que le flux soit). Ni mouvement<br />

cohérent, encore moins style identifiable,<br />

Fluxus est un réseau informel et international<br />

qui, à partir de 1962, a permis <strong>la</strong> mise<br />

en re<strong>la</strong>tion, <strong>la</strong> production et <strong>la</strong> diffusion des<br />

œuvres d’artistes qui ont renversé une<br />

conception alors figée de l’art. Englué dans<br />

<strong>la</strong> sphère du confort bourgeois et les hiérarchies<br />

de valeurs, ce dernier souffrait d’une trop<br />

grande importance accordée au savoir-faire,<br />

à <strong>la</strong> qualité et à <strong>la</strong> signature d’un artiste atteint<br />

du syndrome de <strong>la</strong> diva. L’esprit Fluxus prône<br />

un art d’attitude, accessible à tous et défiant<br />

toute grandeur artistique. Le détournement<br />

poétique des gestes quotidiens les plus simples<br />

permettait d’envisager une activité créatrice<br />

permanente et pour tous.<br />

Dans l’exposition, les passionnants<br />

diagrammes historiques de Georges Maciunas<br />

sont présents et un grand nombre de productions<br />

Fluxus en vitrines sous forme de boîtes,<br />

d’objets et de jeux. Les Fluxfilms sont projetés<br />

dans une salle, complétant celles qui énumèrent<br />

par le menu les différentes préoccupations<br />

des artistes de cette nébuleuse : le jeu,<br />

<strong>la</strong> fusion de l’art et de <strong>la</strong> vie, l’intermédia,<br />

<strong>la</strong> musique , l’indétermination, <strong>la</strong> commercialisation<br />

à bas prix de multiples et <strong>la</strong> mise en<br />

question de l’art. En outre, une frise historique,<br />

les journaux, les annonces promotionnelles,<br />

des photos de quelques performances<br />

permettent de visualiser <strong>la</strong> chronologie<br />

Fluxus autant que <strong>la</strong> qualité et <strong>la</strong> cohérence<br />

graphique de toutes ces productions. Enfin,<br />

un bonne moitié de l’exposition est dédiée<br />

à deux ensembles cohérents d’œuvres de Nam<br />

June Paik et Volf Vostell.<br />

Réaliser une exposition Fluxus revient<br />

à tenter de résoudre <strong>la</strong> quadrature du cercle<br />

tant le musée a tendance à mettre en boîte<br />

tout ce que l’art a de vivifiant, pourtant celui<br />

de Saint-Étienne s’y risque. Il ne prend pas<br />

le parti d’être Fluxus mais de faire une<br />

exposition sur Fluxus. Pourquoi pas, le musée<br />

assume être une institution dont le rôle est<br />

tout sauf de badiner. Un catalogue conséquent<br />

et un colloque rassemb<strong>la</strong>nt les spécialistes<br />

des questions autour de l’exposition de Fluxus<br />

en attestent 1 .<br />

Les enjeux inhérents à <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce<br />

de « Fiat Flux » auraient tout de même mérité<br />

d’être traités par les moyens mêmes que<br />

permet l’exposition, l’utilisant comme<br />

le moyen discursif qu’elle est. Entre autres<br />

questions qui auraient gagné à être traitées<br />

de <strong>la</strong> sorte, figure celle de <strong>la</strong> frontière entre art<br />

et non-art, de ce que l’on nomme le phénomène<br />

d’artification des documents d’archives,<br />

question tellement pointue lorsqu’on aborde<br />

cette période. Mais aussi celle de l’historiographie<br />

d’un phénomène car <strong>la</strong> multiplicité<br />

des récits, racontés différemment par chaque<br />

protagoniste, n’a pu être exposée dans<br />

sa complexité 2 , une des versions officielles<br />

étant livrée sans plus de distanciation.<br />

L’exposition peine à rendre compte de <strong>la</strong> force<br />

vitale, des intentions autant esthétiques<br />

que politiques et sociales qui ont été divergentes<br />

au sein de cette nébuleuse d’artistes,<br />

au cours des différentes périodes.<br />

[Fabien Pinaroli]<br />

1 Colloque « Fluxus,<br />

un triomphe amer ? »<br />

les 23 et 24 janvier 2013.<br />

2 Cf. Bertrand C<strong>la</strong>vez, « Fluxus<br />

à 50 ans : des histoires sans<br />

histoire » http://www.artpress.<br />

com/mobile/Fluxus-agrave-50ans--des-histoires-sans-histoire


Archipel, 2012 . Instal<strong>la</strong>tion, vidéo-projecteurs, p<strong>la</strong>ques de verre brisées avec film opaque de projection, résine capa, haut-parleurs,<br />

éc<strong>la</strong>irage multicolore. © Aurélie Lep<strong>la</strong>tre / La Salle de bains<br />

adRien missiKa, “aRchiPeL”<br />

du 20 novembre 2012 au 12 janvier 2013,<br />

La Salle de bains, Lyon.<br />

Tropes photogéniques<br />

Sous les variations colorées des lumières<br />

distribuées dans les recoins de <strong>la</strong> Salle de<br />

Bains, une impression mêlée de désenchantement<br />

et de rayonnement de l’être traverse<br />

l’exposition « Archipel » d’Adrien Missika.<br />

Une forme de minéralité s’y propage comme<br />

une douce ironie, qui viendrait raviver un<br />

monde que <strong>la</strong> surexploitation des ressources<br />

comme des images a fini par user. À l’instar<br />

de nombreux artistes de sa génération,<br />

<strong>la</strong> vision mé<strong>la</strong>ncolique néo-romantique que<br />

l’on prête souvent à Adrien Missika, s’assimile<br />

à une errance que l’on a aussi trop vite fait<br />

de rattacher à une contemp<strong>la</strong>tion nostalgique.<br />

Or si nombre d’artistes sont aujourd’hui attirés<br />

vers les restes de ce monde, c’est justement<br />

avec le désir de se <strong>la</strong>isser surprendre par<br />

ce qu’ils n’y cherchent pas. Alors qu’Adrien<br />

Missika se définit lui-même comme un<br />

« touriste professionnel », nous verrions plutôt,<br />

dans les aléas qui donnent naissance à ses<br />

œuvres, <strong>la</strong> posture du voyageur amateur,<br />

à rebours de celle du touriste de masse,<br />

adaptée à un monde hyperstructuré et prêt<br />

à consommer.<br />

Donnant son titre à l’exposition<br />

et en écho aux récents voyages de l’artiste,<br />

l’instal<strong>la</strong>tion vidéo produite à cette occasion<br />

affiche un artifice low fi, non dénué d’un<br />

certain raffinement. Des câbles relient au sol<br />

cinq petites projections d’images tournées<br />

sur différents sites volcaniques et projetées sur<br />

des p<strong>la</strong>ns de verre brisé p<strong>la</strong>ntés sur des amas<br />

COMPTES RENDUS<br />

de résine récupérée auprès de son voisin<br />

d’atelier. Sur ces monticules noirs à l’évidente<br />

résonance, chacune de ces vidéos se focalise<br />

sur une p<strong>la</strong>nte, lui associant une musique<br />

composée par Victor Tricard. Des sites<br />

parcourus à l’exposition, en passant par<br />

l’atelier, les mouvements de déterritorialisation<br />

et de reterritorialisation dans lesquels<br />

se produit l’œuvre se voient ainsi rassemblés<br />

dans cette figure de l’archipel et dans<br />

le délicat spectacle qui se déroule devant<br />

nous – l’artiste nous impose une vision<br />

distanciée. L’assemb<strong>la</strong>ge hétérogène y acquiert<br />

<strong>la</strong> photogénie d’une vue d’ensemble :<br />

<strong>la</strong> représentation d’un monde contemporain<br />

qui ne se saisirait pas dans <strong>la</strong> projection<br />

d’un espace-p<strong>la</strong>n ou d’un objet, mais dans<br />

<strong>la</strong> topologie de contextures mouvantes.<br />

À l’échelle de l’exposition, si chacune<br />

des œuvres semble aussi fonctionner en îlot<br />

(instal<strong>la</strong>tions multimédias, sculpture,<br />

impressions…), englobées dans les variations<br />

lumineuses et sonores, elles cristallisent<br />

ces transits dans lesquels les éléments naturels<br />

et synthétiques modulent leur existence.<br />

Aux p<strong>la</strong>ntes projetées sur ces monticules<br />

de <strong>la</strong>ve factice succède un cactus trônant<br />

sur un cache-pot dégoulinant de cette même<br />

résine (Élément Vertical Zéro), et dont<br />

l’artiste nous apporte d’étonnantes visions<br />

en « tranches » dans les impressions sur papier<br />

métallique de Cactus Frottage.<br />

Par un jeu de mises en abîme, ces<br />

archipels exposeraient tout autant <strong>la</strong> « forme »<br />

que le « faire » à l’œuvre chez Adrien Missika,<br />

les alliages y incarnant <strong>la</strong> fabrique d’un réalisme<br />

contemporain aussi désuet que fabuleux.<br />

[Florence Meyssonnier]<br />

© Sans titre (Donald Bud), 2012.<br />

GRout / mazéas, “oh GRavity, thou aRt<br />

a heaRtLess bitch !”<br />

du 26 octobre au 29 décembre 2012,<br />

Maison du Livre, de l’Image et du Son<br />

de Villeurbanne.<br />

Dans le champ re<strong>la</strong>tivement frileux de l’art<br />

contemporain français, peu semblent s’être<br />

autorisés à expérimenter <strong>la</strong> question de<br />

l’humour comme le font, depuis une quinzaine<br />

d’années, Sylvain Grout et Yann Mazéas.<br />

Au sein d’une scène qui éprouve bien plus<br />

de facilité à célébrer les références éculées que<br />

les propositions fondées sur le choix délibéré<br />

de s’inscrire en marge de <strong>la</strong> mode, il faut<br />

reconnaître que l’exercice est assez périlleux.<br />

À <strong>la</strong> MLIS, le duo d’artistes montpelliérain<br />

s’est employé à opérer un rapprochement<br />

entre <strong>la</strong> rigueur de <strong>la</strong> théorie scientifique<br />

et les b<strong>la</strong>gues de potaches des séries comiques<br />

américaines. Cette hybridation des styles,<br />

perceptible dès <strong>la</strong> lecture du titre de l’exposition,<br />

ne se limite cependant pas à quelques<br />

bonnes formules. Les œuvres se déploient<br />

dans l’espace du bâtiment de Mario Botta<br />

et entretiennent un dialogue quasi constant<br />

avec son architecture, suggérant que<br />

<strong>la</strong> vertigineuse colonne de lumière qui le<br />

traverse fut à l’origine d’une réflexion profane<br />

autour de <strong>la</strong> gravité. L’arrondi du lieu est<br />

ainsi recouvert de <strong>la</strong>rges bâches imprimées<br />

d’une « voie <strong>la</strong>ctée » de fruits et de légumes<br />

s’écrasant sur une table ; en face, au centre<br />

de trois hauts piliers, quatre packs de bières<br />

sont suspendus parallèlement, soigneusement<br />

alignés les uns sous les autres. Hommage<br />

iconoc<strong>la</strong>ste aux sculptures « étagées »<br />

de Donald Judd, cette composition sans titre,<br />

ironiquement sous-titrée Donald Bud, illustre<br />

le genre de facéties auxquelles se livrent<br />

les artistes. Un peu plus loin, dans un espace<br />

faiblement éc<strong>la</strong>iré aux allures de décor<br />

de western, deux tables en bois sont couchées,<br />

criblées de balles. Bien que le support soit mal<br />

approprié pour l’astronomie, les percées<br />

évoquent des constel<strong>la</strong>tions d’étoiles écroulées<br />

au sol. Flinguer les savoirs austères, soustraire<br />

l’art à toute forme de gravité – et rire<br />

de sa chute – tel pourrait être, en résumé,<br />

le modus operandi suivi par Grout / Mazéas.<br />

[Franck Bal<strong>la</strong>nd]<br />

31


Vue de l’exposition « Cage’s Satie. Composition for museum », MAC Lyon, 2012. © B<strong>la</strong>ise Adilon<br />

“caGe’s satie. comPosition foR museum”<br />

du 28 septembre au 30 décembre 2012,<br />

Musée d’Art Contemporain de Lyon.<br />

Cette « composition pour musée », attendue<br />

depuis longtemps, a <strong>la</strong>rgement divisé.<br />

Le projet était ambitieux. D’abord, exposer<br />

un artiste sonore, John Cage, à travers les liens<br />

qui le relient à un compositeur : Erik Satie ;<br />

des personnages qui, a priori, ne réalisaient pas<br />

d’objets, ou peu. Ensuite dans <strong>la</strong> forme<br />

retenue, une forme concertante, qui ne se veut<br />

ni exposition ni concert, mais plutôt comme<br />

une expérience dont <strong>la</strong> durée dépasserait<br />

chacun des deux. Un univers sonore et visuel<br />

qui invite à l’errance et <strong>la</strong> découverte.<br />

Cage est celui qui va redécouvrir Satie.<br />

Pour lui, il est le premier à avoir accordé<br />

une véritable considération au silence.<br />

Or, dans ses pièces, Cage entretient une<br />

re<strong>la</strong>tion d’équivalence entre le son et<br />

le silence avec, comme point d’orgue, ce qui<br />

apparaît comme le fondement commun<br />

aux deux : <strong>la</strong> durée.<br />

Le premier étage invite à <strong>la</strong> déambu<strong>la</strong>tion.<br />

L’espace a été <strong>la</strong>rgement ouvert par<br />

le retrait des cimaises. Les dispositifs sonores<br />

cachés dans <strong>la</strong> structure du bâtiment<br />

se déclenchent tour à tour à divers endroits<br />

du p<strong>la</strong>teau. Des chaises longues permettent<br />

de marquer de véritables temps d’arrêt<br />

et invitent le spectateur à s’abandonner<br />

à une écoute détendue. Au centre, des vidéos<br />

des chorégraphies de Merce Cunningham,<br />

écrites pour les œuvres de Cage, souffrent<br />

d’une mauvaise qualité et d’un éc<strong>la</strong>irage trop<br />

important. Aux murs sont accrochées<br />

32 COMPTES RENDUS<br />

des reproductions de partitions de Cage<br />

correspondant aux morceaux diffusés.<br />

Loin d’apparaître comme des objets ou des<br />

œuvres, ces éléments visuels deviennent ici<br />

des « documents d’ambiance » à fonction<br />

informative. Ce qui étonne dans cet art<br />

de l’aléatoire et du silence, c’est <strong>la</strong> précision<br />

avec <strong>la</strong>quelle semble être écrite chacune<br />

des compositions. Ces partitions qui, pour<br />

les non-initiés, oscillent entre formules<br />

chimiques et poésie formelle, paraissent<br />

néanmoins totalement maîtrisées.<br />

Le deuxième étage, qui ne compte pas<br />

de grand dispositif sonore mais des écoutes<br />

au casque ponctuelles et plus anecdotiques,<br />

souffre plus du phénomène de remplissage<br />

visuel. Il est néanmoins intéressant de voir<br />

les contributions d’artistes tels que Jasper<br />

Johns, Robert Ryman ou Sol LeWitt à The<br />

First Meeting of the Satie Society, livres conçus<br />

par Cage en hommage à Satie. La liste des<br />

différents participants à ces ouvrages réunis<br />

dans une valise de verre inspirée de Duchamp,<br />

permet de resituer le compositeur new-yorkais<br />

à travers ses re<strong>la</strong>tions et ses goûts pour d’autres<br />

grandes figures de l’art du xx e siècle. Enfin,<br />

une salle est consacrée à <strong>la</strong> collection<br />

de documents de Cage concernant Satie,<br />

où l’on découvre entre autre l’humour et les<br />

frasques de ce personnage haut en couleurs.<br />

Cette composition pour musée, bien<br />

qu’inégale, a le mérite d’expérimenter<br />

des formes d’exposition différentes, sans rester<br />

dans les carcans c<strong>la</strong>ssiques de l’institution.<br />

En mettant directement le son à l’œuvre,<br />

le premier étage s’avère toutefois plus en<br />

adéquation avec le projet. [Aurélien Pelletier]<br />

© Christine Crozat, Wallpaper pour Minnie, 2012 ; Les tournis de<br />

Minnie, sculptures moulées en cire, choco<strong>la</strong>t, sucre, 1998-2002.<br />

“Jeux d’aRtistes”<br />

du 15 décembre 2012 au 30 mars 2013,<br />

Musée-Château, Annecy.<br />

Tricotez cinéma d’animation et art contemporain,<br />

ajoutez une virée dans l’enfance,<br />

assaisonnez le tout avec une bonne dose<br />

d’ironie : vous obtenez une expo à visiter avec<br />

un p<strong>la</strong>isir fou. Dix-sept p<strong>la</strong>sticiens et douze<br />

cinéastes d’animation sont réunis dans un<br />

parcours qui mixe les générations et les genres<br />

et ne retient que <strong>la</strong> logique du jeu. Et ça<br />

marche ! Comme une activation de l’identité<br />

culturelle d’Annecy ancrée dans son festival<br />

du cinéma d’animation cinquantenaire, un<br />

passage ouvert dans <strong>la</strong> création, une invitation<br />

à se prendre aux jeux de construction,<br />

illusions d’optiques et détournements d’objets<br />

qui font œuvre. Entre le Château de cartes<br />

en verre de Luc Deleu et le morse poétique<br />

du Dot-Dash de Robert Breer, quelques œuvres<br />

de maîtres marquent le parcours, comme<br />

Anemic Cinema de Marcel Duchamp ou<br />

Chemin faisant, c’est <strong>la</strong> faute à Rousseau, des<br />

peintures originales de Georges Schwizgebel<br />

pour son nouveau film d’animation. Les<br />

travaux d’une dizaine d’artistes de <strong>la</strong> génération<br />

soixante-dix donnent le ton : mordant,<br />

ironique, moqueur puis tendre, désinvolte<br />

et rêveur. Dessin d’architecture aussi précis que<br />

bril<strong>la</strong>nt d’intelligence, Tradition of Excellence<br />

xii de Baptiste Debombourg représente une<br />

église dans le Walther PPK de James Bond ;<br />

Kiss & Fly de Carole Brandon étudie <strong>la</strong> notion<br />

de paysage à partir d’un dispositif interactif<br />

brouil<strong>la</strong>nt les frontières entre réel et visuel.<br />

Le jeu se termine par un retour en enfance<br />

devant les quarante dessins aquarellés de<br />

Doudous de Patricia Cartereau, <strong>la</strong> Trempette<br />

de schtroumpfs de Frédéric Malette, les Tournis<br />

de Minnie de Christine Crozat ou les peintures<br />

de Brice Postma Uzel, dressant des jouets sur<br />

une tête d’enfant. Gagnants ? Les manifestes<br />

décapants d’artistes trentenaires, en prise avec<br />

le burlesque de situations aussi improbables<br />

que réelles. Coup de cœur pour le catalogue<br />

de l’expo, livre-objet édité aux éditions<br />

du Chemin de fer. [Carine Bel]


East River, 2012, acrylique sur panneaux de bois et néon fluorescent. Vue de l’exposition personnelle de Lisa Beck, Endless,<br />

commissariat : Caroline Soyez-Petithomme. Photo : Bertrans Stofleth.<br />

Lisa becK, “endLess”<br />

du 8 décembre 2012 au 17 mars 2013,<br />

Fort du Bruissin, Francheville.<br />

John Constable a peint plusieurs études<br />

d’arcs-en-ciel sur papier, dont <strong>la</strong> plus célèbre,<br />

une huile de 1812 intitulée Moulin à vent<br />

à East Bergholt, avec un double arc-en-ciel,<br />

a été marouflée sur toile. L’arc-en-ciel,<br />

les phénomènes lumineux et météorologiques<br />

sont quelques-uns des sujets récurrents du<br />

naturalisme paysager mais aussi du romantisme<br />

ou du symbolisme. L’art de Lisa Beck<br />

a quelque chose à voir avec ces thématiques<br />

issues du xix e siècle : on y trouve des miroirs<br />

peints, des motifs dédoublés par réflexion, des<br />

allusions aux couchers de soleil, aux lumières<br />

de <strong>la</strong> ville miroitant sur l’eau ou aux éc<strong>la</strong>ts<br />

lumineux eux-mêmes. Dans le numéro 669<br />

des Cahiers du Cinéma, le chef opérateur<br />

du film Super 8 expliquait que J. J. Abrams<br />

avait voulu recréer l’éblouissement des films<br />

de Spielberg en exagérant volontairement<br />

les f<strong>la</strong>res, ces taches de lumière créées<br />

par <strong>la</strong> réverbération d’une source lumineuse<br />

sur l’objectif des caméras. De <strong>la</strong> même<br />

manière, l’art de l’Américaine apparaît<br />

comme une tentative pour renouer avec<br />

l’enchantement coloré (et les sources<br />

d’inspiration) de <strong>la</strong> peinture pré-abstraite.<br />

East River est peut-être l’œuvre de<br />

l’exposition qui illustre le mieux cette<br />

synthèse entre référence aux formes<br />

de l’abstraction et figuration implicite<br />

de <strong>la</strong> nature, du cosmos ou, ici, d’un paysage<br />

urbain. Elle est constituée de deux parties,<br />

deux tableaux : l’un au mur, peint de bandes<br />

COMPTES RENDUS<br />

verticales colorées surmontées d’un néon<br />

se réfléchissant sur l’autre, au sol (un peu<br />

à <strong>la</strong> manière de certaines compositions<br />

d’Ellsworth Kelly). L’incompatibilité entre<br />

autonomie supposée de <strong>la</strong> forme et évocation<br />

– évidemment affective – d’un panorama<br />

new-yorkais n’existe que sur le papier :<br />

de nombreuses œuvres dites minimalistes,<br />

comme celles d’Agnès Martin ou d’Anne<br />

Truitt, sont empreintes d’une même sensibilité<br />

romantique. Chez ces artistes, l’art et <strong>la</strong> nature<br />

sont deux choses distinctes, mais <strong>la</strong> nature<br />

peut encore servir de modèle à l’art : une<br />

œuvre d’art, une feuille d’arbre ne renvoient<br />

qu’à elles-mêmes. Elles font partie d’un tout<br />

qui implique <strong>la</strong> littéralité de chaque chose.<br />

Car un autre aspect évident du travail<br />

de Lisa Beck est <strong>la</strong> continuité des parties<br />

et du tout, des œuvres et de l’œuvre à<br />

proprement parler. Dans son art, <strong>la</strong> sérialité<br />

n’est pas liée à des protocoles rationnels<br />

ou mathématiques mais à une succession<br />

de choix instinctifs. L’histoire de l’art<br />

est le résultat des choix que font les artistes.<br />

Mais c’est aussi celui de leurs doutes, de leurs<br />

erreurs et des possibilités qu’ils ont abandonnées.<br />

Comme il est possible d’imaginer<br />

des mondes parallèles, il est possible d’imaginer<br />

des histoires de l’art parallèles. Par<br />

son jeu de résonance, de dédoublement et<br />

d’unification, l’exposition de Lisa Beck semble<br />

évoquer ce genre d’hypothèses, qui posent<br />

en négatif une question sans réponse :<br />

un artiste choisit-il réellement son destin,<br />

son style, ou ne fait-il que réaliser le programme<br />

inconscient d’une histoire dont il est<br />

l’instrument, le réflexe ? [Hugo Pernet]<br />

© Fabienne Bal<strong>la</strong>ndras, Coucou les enfants !!! (partie 1),<br />

photographie couleur.<br />

fabienne baLLandRas, “iL GueRRe ”<br />

du 19 janvier au 15 mars 2013, l’Angle,<br />

La Roche-sur-Foron.<br />

Roquettes, missiles, mitrailleuses, soldats<br />

en opération, manifestations, gisants :<br />

Fabienne Bal<strong>la</strong>ndras expose des images<br />

de guerre. Une série de photos issue du cahier<br />

de souvenirs d’un soldat en Irak déroule<br />

des projectiles qui ont muté en objets ludiques<br />

portant des messages comme une bouée<br />

à <strong>la</strong> mer : « coucou les enfants », « dans le cul<br />

Lulu ». En face, les portraits du soldat en tenue<br />

évoquent tour à tour <strong>la</strong> figure de l’aventurier<br />

ou <strong>la</strong> statuaire du héros grec. Les bombes<br />

ressemblent à des jouets, les scènes de combat<br />

à des mises en scène, les foules à des calligraphies.<br />

Changement d’échelle, transformation<br />

de <strong>la</strong> matière, lissage du contenu, l’artiste<br />

poursuit son traitement des flux médiatiques<br />

à partir d’un même dispositif : <strong>la</strong> collecte<br />

d’images reconstituées en maquettes puis<br />

reprises en photo. La collecte a <strong>la</strong> rigueur<br />

d’un travail de documentariste, le processus<br />

a <strong>la</strong> mécanique d’un double filtrage produisant<br />

une abstraction des données visuelles<br />

empruntées au champ du réel. Issue des<br />

opérations de mise à distance du sujet, l’image<br />

finale fait œuvre. Dans les derniers travaux<br />

de Fabienne Bal<strong>la</strong>ndras, <strong>la</strong> figure et le corps<br />

surgissent et avec eux un autre traitement :<br />

le dessin. Le trait active une nouvelle forme<br />

de mise à distance en un traitement gestuel<br />

de l’image, comme s’il s’agissait de mieux<br />

se l’approprier pour en libérer l’impact,<br />

l’œuvre se chargeant d’une intensité charnelle<br />

avec parfois un clin d’œil à <strong>la</strong> peinture<br />

c<strong>la</strong>ssique. Quelle part de fascination<br />

contiennent ces images ? L’ambiguïté est là,<br />

elle trouble, dérange, émeut. Répertoire<br />

visuel d’une époque de guerre ou mode<br />

de nettoyage d’un flux d’informations médiatiques<br />

dont le sens se perd dans <strong>la</strong> dramaturgie,<br />

« Il guerre » questionne avec une acuité<br />

inédite le traitement du corps au combat<br />

dans les médias et l’histoire de l’art.<br />

[Carine Bel]<br />

33


PhiLiPPe PiGuet “chaPeLLe de La visitation<br />

esPace d’aRt contemPoRain”,<br />

thonon-Les-bains, “semaine 2008-2011”<br />

éd. Analogues, août 2012.<br />

Rassemb<strong>la</strong>nt trois ans d’édition de <strong>la</strong> <strong>revue</strong><br />

Semaine, l’ouvrage retrace les douze premières<br />

expositions de <strong>la</strong> Chapelle de <strong>la</strong> Visitation.<br />

Il témoigne de l’action de l’historien et<br />

critique d’art Philippe Piguet auprès de <strong>la</strong> ville<br />

de Thonon désireuse d’inviter tous les publics<br />

à <strong>la</strong> découverte de l’art contemporain.<br />

C’est d’abord <strong>la</strong> parole d’un homme passionné,<br />

bavard, débordant d’enthousiasme, qui veut<br />

nous faire partager son appétit pour l’art<br />

contemporain comme une invitation à une<br />

bonne table. Il y explique ses choix, nous y<br />

confie ses coups de cœur, traçant une histoire<br />

de l’art inédite et complètement personnelle.<br />

Très structurée, sa programmation à <strong>la</strong><br />

Chapelle s’organise en trois cycles annuels :<br />

Art & Figure (2008-2009), Art & Nature<br />

(2009-2010), Art & Langage (2010-2011)<br />

rythmés d’une exposition par saison comme<br />

<strong>la</strong> monographie d’une figure majeure en été,<br />

une exposition collective en automne,<br />

<strong>la</strong> monographie d’un artiste émergent en hiver<br />

et <strong>la</strong> monographie d’un artiste déjà repéré<br />

au printemps. L’écrit suit le même découpage<br />

tout en se tenant très proche de <strong>la</strong> conversation.<br />

De Erró, le dévoreur d’images en passant<br />

par Le dessin évidem(m)ent de Mathias Schmied,<br />

L’étrange familiarité de Françoise Pétrovitch,<br />

<strong>la</strong> cosmogonie de Christian Lapie, Les mots<br />

et les lettres de Villeglé ou Joël Ducorroy<br />

– p<strong>la</strong>qué art, il fait état de <strong>la</strong> diversité des<br />

pratiques et des postures artistiques, tisse<br />

des liens, contextualise les œuvres pour<br />

en livrer le sens. Précis, documenté, il a les<br />

atouts d’un manuel d’histoire de l’art et se lit<br />

comme un roman truffé de rencontres et<br />

de découvertes. À parcourir, une très belle<br />

iconographie mê<strong>la</strong>nt les images d’œuvres avec<br />

parfois un zoom sur les détails et des vues<br />

d’exposition. [Carine Bel]<br />

34 COMPTES RENDUS<br />

benoît bRoisat<br />

éd. Adéra, 2012.<br />

Benoît Broisat n’a de cesse d’interroger<br />

le statut des images. Variant les médiums,<br />

l’artiste favorise avant tout le concept<br />

et le processus. Son projet P<strong>la</strong>ce Franz Liszt<br />

(2006) explorait <strong>la</strong> reconstruction du réel par<br />

l’imaginaire en représentant, par le biais de<br />

maquettes, modélisations 3D, croquis et vidéo,<br />

une p<strong>la</strong>ce parisienne à partir de témoignages<br />

collectés auprès des riverains, sans jamais<br />

l’avoir vue et en s’imposant de ne jamais <strong>la</strong><br />

voir. C’est aussi avec un certain sens du détail<br />

qu’il donne corps au flou d’un rêve (Dreams)<br />

ou d’un vague souvenir de son vil<strong>la</strong>ge<br />

d’enfance qu’il tente de recréer dans sa vidéo<br />

Bonneville. Œuvre qui entre directement<br />

en résonance avec le Test du vil<strong>la</strong>ge, observant<br />

<strong>la</strong> façon dont un enfant structure une ville<br />

d’après divers éléments dont il dispose et<br />

les stéréotypes qui en découlent. Dans le flux<br />

d’images – de presse notamment – qui<br />

circulent au quotidien, Benoît Broisat cherche<br />

<strong>la</strong> part tangible. Dans sa série Témoins, l’artiste<br />

endosse le rôle de détective, remontant<br />

le filon d’un objet-détail repéré dans l’image<br />

d’un article de presse (du drapeau tricolore<br />

trônant sur le toit du Grand Pa<strong>la</strong>is au pin’s<br />

d’un trader américain, en passant par<br />

<strong>la</strong> chemisette jaune de Houellebecq) et retenu<br />

pour sa teneur re<strong>la</strong>tivement neutre. L’image<br />

d’origine est alors confrontée à l’objet<br />

de toutes les investigations, comme pour<br />

en démontrer <strong>la</strong> fiabilité.<br />

Benoît Broisat montre les mécanismes<br />

de notre perception, du prisme par lequel<br />

on pense, observe et retranscrit <strong>la</strong> réalité.<br />

Il explore <strong>la</strong> part forcément <strong>la</strong>cunaire du<br />

souvenir ou du témoignage que l’imagination<br />

vient alors combler. De ces tentatives toujours<br />

renouvelées d’analyse / restitution / construction<br />

d’une image résulte un corpus d’œuvres<br />

rassemblées ici en un ouvrage sobre et élégant,<br />

entrecoupé de petits cartels signés Pierre<br />

Giquel et d’un texte de Florence Ostende.<br />

[Alexandrine Dhainaut]<br />

Le Gentil Garçon, L’arbre à poissons, œuvre commandée<br />

par le Grand Lyon dans le cadre de l’aménagement<br />

des Rives de Saône, 2011. © Fabien Astruc<br />

La commande PubLique :<br />

“une démaRche aRtistique intéGRée” ?<br />

Journée séminaire organisée par<br />

l’École supérieure d’art et design<br />

Saint-Étienne et <strong>ZéroQuatre</strong><br />

dans le cadre de <strong>la</strong> Biennale<br />

Internationale Design Saint-Étienne,<br />

mardi 26 mars 2013,<br />

www.biennale-design.com.<br />

Par des œuvres de commande ou<br />

d’infiltration, l’art public recoupe des<br />

situations variées mais reste chargé<br />

d’une histoire considérable dans<br />

<strong>la</strong>quelle se croisent des mouvements<br />

d’appropriation et d’affranchissement.<br />

Si dans les années soixante,<br />

l’investissement de <strong>la</strong> sphère publique<br />

par les artistes, souvent éphémère,<br />

renvoyait à une démarche anti-institutionnelle,<br />

il est aujourd’hui amplement<br />

intégré à d’importants dispositifs<br />

de commande à caractère durable,<br />

inscrits dans des politiques d’aménagement<br />

du territoire. La pratique<br />

artistique répond ici à un contexte<br />

spécifique et s’articule à un processus<br />

de réalisation traversé par de nombreux<br />

impératifs et de multiples voix.<br />

Dans le cadre de <strong>la</strong> Biennale<br />

Internationale Design Saint-Étienne,<br />

l’ESADSE propose en partenariat<br />

avec <strong>la</strong> <strong>revue</strong> <strong>ZéroQuatre</strong>, une journée<br />

interrogeant les approches des<br />

différents interlocuteurs et les enjeux<br />

d’une production artistique dans<br />

l’espace public. Cette rencontre<br />

constitue notamment l’occasion de<br />

revenir sur plusieurs projets rhônalpins,<br />

à travers le témoignage d’artistes mais<br />

aussi de commissaires ou de chargés<br />

de production – intermédiaires<br />

essentiels entre les commanditaires<br />

et les artistes. Au fil des discussions,<br />

elle questionnera l’interaction entre<br />

les œuvres et leurs modes d’inscription<br />

dans et avec <strong>la</strong> sphère publique.


a.<br />

a. Studio Gabillet et Vil<strong>la</strong>rd<br />

Curiosity Object, cloche<br />

lumineuse, chêne noirci<br />

et verre soufflé teinté,<br />

galerie Cat Berro,<br />

2012. © Felipe Ribon<br />

b. Lauren Alexander,<br />

Florian Conradi, Judith<br />

de Leeuw, Isabel Lucena,<br />

Vitor Peixoto, Ghalia<br />

Srakbi, Marco Ugolini,<br />

Judith Van der Velden,<br />

Dirk Vis, Kamiel<br />

Vorwerk, (Sandberg<br />

Instituut, Amsterdam),<br />

I Have Something to Hide,<br />

vidéo, 2008. © Video still<br />

– Marco Ugolini<br />

c. Mehdi Saeedi, Be Kind<br />

to All Animals, poster,<br />

2011. © Mehdi Saeedi<br />

d. Kuba Jagiello,<br />

Construction-<br />

Deconstruction Lamp,<br />

modules lumineux, 2010.<br />

© Kuba Jagiello<br />

© Przemek Szuba<br />

b.<br />

“L’EmpAThIE<br />

ou L’ExpéRIEncE dE L’AuTRE”<br />

bIEnnALE InTERnATIonALE dESIgn<br />

SAInT-éTIEnnE<br />

Pour sa 8 e édition, du 14 au 31 mars 2013, <strong>la</strong> Biennale<br />

Internationale Design Saint-Étienne revient avec<br />

quarante-neuf expositions et plus de vingt-sept<br />

rendez-vous d’envergure nationale et internationale.<br />

Depuis <strong>la</strong> dernière édition en 2010, quelques<br />

remaniements ont été opérés sur <strong>la</strong> forme même<br />

de l’événement : tout d’abord, <strong>la</strong> biennale passe de<br />

novembre à mars, elle amplifie aussi son développement<br />

en s’internationalisant avec des invitations et des<br />

propositions venues d’Europe et d’ailleurs et en intensifiant<br />

sa présence sur l’ensemble du territoire stéphanois,<br />

dans plus de soixante lieux différents cette année. Enfin,<br />

les équipes ont aussi connu quelques changements<br />

majeurs : Ludovic Noël a pris <strong>la</strong> tête de L’EPCC Cité<br />

du design – École supérieure d’art et design, succédant<br />

à Elsa Francès qui reste cependant directrice de <strong>la</strong><br />

Biennale et Yann Fabès remp<strong>la</strong>ce désormais Emmanuel<br />

Tibloux à <strong>la</strong> direction de l’école (ESADSE).<br />

Avec pour thématique cette année « L’empathie ou<br />

l’expérience de l’autre », <strong>la</strong> Biennale propose au visiteur<br />

de découvrir comment les pratiques du design abordent<br />

l’empathie et comment les designers s’y inscrivent<br />

en regard d’une production qui touche aujourd’hui tous<br />

les domaines du quotidien. « Nombreux sont les philosophes<br />

et les sociologues qui estiment urgent de repenser<br />

<strong>la</strong> société sur des bases plus respectueuses de <strong>la</strong> communauté<br />

humaine. […] L’empathie propose de regarder et<br />

de construire autrement le monde grâce à cette capacité<br />

d’appréhender et comprendre les sentiments et les<br />

émotions d’un autre ». Pour Elsa Francès, l’empathie serait<br />

événEmEnT<br />

c.<br />

du 14 au 31 mars 2013, www.biennale-design.com<br />

porteuse de l’espoir d’une société plus sensible et plus<br />

attentive à un moment où celle-ci serait en mal d’utopie.<br />

Si le designer est celui qui invente et produit une<br />

réponse aux besoins et aux nouveaux modes de vie des<br />

individus, l’empathie est, quant à elle, le dialogue entre<br />

le créateur et l’usager. C’est à partir des questions que<br />

suscite <strong>la</strong> mise en re<strong>la</strong>tion de ces deux termes qu’a été<br />

construit le programme de <strong>la</strong> Biennale, en confrontant<br />

les points de vue et en ouvrant les débats : empathie<br />

et création, innovation, appréhension et réponses à des<br />

attentes universelles, force d’investigation de l’empathie,<br />

re<strong>la</strong>tions aux marques, le designer comme médiateur.<br />

Au programme donc de cette nouvelle édition,<br />

sept expositions majeures dédiées aux perspectives et aux<br />

innovations en design : « Demain c’est aujourd’hui #4 »,<br />

« Les androïdes rêvent-ils de cochons électriques ? »,<br />

« Nano-ordinaire », « Traits d’union (objets d’empathie) »,<br />

« Artifact », « Singu<strong>la</strong>rité » et « L’Autre Jean »,<br />

une proposition de Marithé et François Girbaud ;<br />

quatre invitations internationales dont l’exposition<br />

« EmpathiCITY », sous le commissariat de <strong>la</strong> designer<br />

américaine Laetitia Wolff et de Josyane Franc de <strong>la</strong> Cité<br />

du design et six expositions en région destinées à mettre<br />

en lumière les savoir-faire. L’ESADSE et les projets<br />

étudiants sont aussi à l’honneur avec quatre expositions :<br />

« L’aventure c’est l’aventure », « The Dream Team »,<br />

« C’est pas mon genre ! » et « Faire école ». De quoi faire<br />

école, justement, en matière d’événement dédié aux<br />

pratiques et aux champs d’application du design en 2013.<br />

À voir impérativement. [Isabelle Moisy]<br />

d.<br />

35


C<br />

M<br />

J<br />

CM<br />

MJ<br />

CJ<br />

CMJ<br />

N<br />

36<br />

Gustav Metzger, Supportive, 2011<br />

Tests à Londres<br />

© collection mac LYON<br />

Huang Yong Ping, Mille bras de Bouddha, 2012<br />

Instal<strong>la</strong>tion, Biennale de Shanghai,<br />

Power Station of Art, 2012<br />

Courtesy de l’artiste et kamel mennour, Paris<br />

© Adagp Paris, 2013<br />

Latifa Echakhch,<br />

Mer d’encre et Tambour, 2012<br />

Vue de l’exposition « Tkaf »,<br />

kamel mennour, Paris, 2012<br />

© Latifa Echakhch Photo. Fabrice Seixas<br />

Courtesy de l’artiste et kamel mennour, Paris<br />

130206_zeroquatre_ap00.pdf 1 2/6/2013 5:22:39 PM<br />

12/13<br />

saison "Tea for Two"<br />

| l l |<br />

23 novembre 2012 _ 16 février 2013<br />

Sir Thomas Trope<br />

Aurélien Mole / Julien Tiberi<br />

01 mars 2013 _ 04 mai 2013<br />

Terrible Two<br />

Grout / Mazéas<br />

avec Emilie Brout & Maxime Marion, Berdaguer/Pejus,<br />

Jake & Dinos Chapman, Les Frères Chapuisat, Collectif Fact,<br />

Dewar et Gicquel, Iain Forsyth & Jane Pol<strong>la</strong>rd, Hippolyte Hentgen,<br />

McDermott & McGough, Ida Tursic & Wilfried Mille<br />

17 mai 2013 _20 juillet 2013<br />

Estefania Peñafiel Loaiza / Thu van Tran<br />

| vil<strong>la</strong> l du l parc |<br />

centre d'art contemporain<br />

Horaires d’ouverture<br />

du mercredi au dimanche<br />

de 11h à 18h<br />

www.mac-lyon.com<br />

parc montessuit _ 12 rue de genève _ 74100 annemasse _ france _ +33(0) 450 388 461 _ communication@vil<strong>la</strong>duparc.org<br />

www.vil<strong>la</strong>duparc.org _ ouvert du mardi au samedi de 14h à 18h30 et sur rendez-vous _ entrée libre


École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon<br />

sélection post-diplôme 2013-2014<br />

inscriptions ouvertes jusqu’au 24 mai 2013<br />

www.ensba-lyon.fr/post-diplome<br />

Je m’échappe, vidéo performance, 2010 / Xuanhe Wang, post-diplôme 2012-2013


38<br />

Pauline Fleuret et Félix Lachaize<br />

Instal<strong>la</strong>tion, dessin, vidéo et performance<br />

La brouette enragée et l’oiseau<br />

Exposition du 12 janvier au 23 mars 2013<br />

Espace arts p<strong>la</strong>stiques - Maison du Peuple<br />

Mehdi Chafik<br />

Shifting Lines Casab<strong>la</strong>nca<br />

Lieu d’art contemporain - La Halle<br />

Center Periphery Suède Médiathèque de St-Marcellin<br />

6 avril > 8 juin Vernissage à La Halle samedi 6 avril à 17h<br />

Séance d’art vidéo expérimental d’artistes marocains dvdproject.org une proposition de<br />

l’Atelier Cinématographique Ad Libitum adlibitum.sud-gresivaudan.org<br />

Un projet dans le cadre de <strong>la</strong> Biennale de Nord en Sud et en partenariat avec Cultures<br />

Interface culturesinterface.com et le service culturel de <strong>la</strong> ville de Saint-Marcellin.<br />

04 76 36 05 26 • La Halle • 38680 Pont-en-Royans • <strong>la</strong>halle-pontenroyans.org<br />

04 76 38 02 91 • Médiathèque • 1 Bd du Champ de Mars • 38160 St Marcellin<br />

Le Lieu d’art contemporain <strong>la</strong> Halle est soutenu par <strong>la</strong> commune de Pont-en-Royans, <strong>la</strong> Communauté de<br />

communes de <strong>la</strong> Bourne à l’Isère, le Syndicat mixte Pays du Sud Grésivaudan denordensud.<br />

sud-gresivaudan.org, le Conseil Général de l’Isère, <strong>la</strong> Région Rhône-Alpes, <strong>la</strong> DRAC Rhône-Alpes


En résonance à <strong>la</strong><br />

En partenariat avec<br />

C’EST BEAU<br />

UNE UNE VViLLE<br />

DEMAiN !<br />

14.03 → 17.03 | GRAND GRAND HÔTEL-DIEU<br />

HÔTEL-DIEU<br />

EXPOSITIONS, VISITES ET CONFÉRENCES<br />

Venez découvrir dans le Grand Hôtel-Dieu les objets<br />

et tendances de <strong>la</strong> ville de demain. Une vision de <strong>la</strong><br />

ville réinventée par les designers !<br />

Accès Grand Hôtel-Dieu :<br />

1, p<strong>la</strong>ce de l’Hôpital<br />

69002 Lyon<br />

Programme complet sur www.lyoncitydesign.fr<br />

ENTRÉE ENTRÉE ENTRÉE<br />

GRATUITE GRATUITE GRATUITE


40<br />

Charlotte Perriand, Chaise longue<br />

bambou, 1941. Photo Archives<br />

Perriand. © ADAGP, Paris, 2013.<br />

T. +33 (0)4 77 79 52 52<br />

WWW.MAM-ST-ETIENNE.FR<br />

Charlotte<br />

Perriand<br />

Christian<br />

Lhopital<br />

Charlotte<br />

perriand<br />

et le japon<br />

splendeur<br />

et déso<strong>la</strong>tion<br />

Barthélémy<br />

Toguo<br />

talking<br />

to the moon<br />

23 février - 26 mai 2013


École Supérieure d’Art et Design,<br />

www.esad-gv.fr — 25 rue Lesdiguières,<br />

38 000 •Grenoble ; Tél. +33 (0)4 76<br />

86 61 30, Fax +33 (0)4 76 85 28<br />

18, Mél. grenoble@esad-gv.fr — P<strong>la</strong>ce<br />

des Beaux-Arts, CS 40 074, 26 903<br />

•Valence cedex 9 ; Tél. +33 (0)4 75<br />

79 24 00, Fax +33 (0)4 75 79 24 40,<br />

Mél. valence@esad-gv.fr<br />

École Supérieure d’Art et Design,<br />

www.esad-gv.fr — 25 rue Lesdiguières,<br />

38 000 •Grenoble ; Tél. +33 (0)4 76<br />

86 61 30, Fax +33 (0)4 76 85 28<br />

18, Mél. grenoble@esad-gv.fr — P<strong>la</strong>ce<br />

des Beaux-Arts, CS 40 074, 26 903<br />

•Valence cedex 9 ; Tél. +33 (0)4 75<br />

79 24 00, Fax +33 (0)4 75 79 24 40,<br />

Mél. valence@esad-gv.fr


Philippe Decrauzat, One two three four five, 2005 et Can I Crash Here, 2005. Vue de l’exposition « Atmosphères »,<br />

Espace d’Art François-Auguste Ducros, Grignan / Drôme, 2011. © B<strong>la</strong>ise Adilon

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