Dossier_presse_Cerisaie (PDF, 787 ko) - Théâtre du loup
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La <strong>Cerisaie</strong><br />
Une création <strong>du</strong> <strong>Théâtre</strong> en flammes<br />
<strong>Dossier</strong> de <strong>presse</strong><br />
Catherine Monney
Au <strong>Théâtre</strong> <strong>du</strong> Loup<br />
<strong>du</strong> 8 au 25 mars 2012<br />
Mardi, jeudi et samedi à 19h<br />
Mercredi et vendredi à 20h<br />
Dimanche à 17h (lundi relâche)<br />
Tournée<br />
Le Crochetan, Monthey, le 30 mars 2012<br />
<strong>Théâtre</strong> de Valère, Sion, le 24 avril 2012<br />
Nuithonie, Fribourg, les 26 et 27 avril 2012<br />
<strong>Théâtre</strong> <strong>du</strong> Jorat, Mézières, <strong>du</strong> 3 au 6 mai 2012<br />
Reprise à l’automne:<br />
Scène nationale La Comédie, Clermont-Ferrand F<br />
10, ch. de la Gravière, 1227 Acacias - GENEVE<br />
Contact: 0041 22 301 31 00<br />
info@theatre<strong>du</strong><strong>loup</strong>.ch www.theatre<strong>du</strong><strong>loup</strong>.ch<br />
La <strong>Cerisaie</strong><br />
Anton Tchekhov<br />
Une création <strong>du</strong><br />
<strong>Théâtre</strong> en flammes<br />
Lioubov Christine Vouilloz<br />
Ania Nora Steinig<br />
Varia Emilie Bobillo<br />
Douniacha Julia Perazzini<br />
Iacha Adrien Barazzone<br />
Lopakhine Pierre-Isaïe Duc<br />
Gaev Gilles Tschudi<br />
Trofimov Simon Guélat<br />
Charlotta Ariane Andereggen<br />
Pichtchik Bernard Kordylas<br />
Epi<strong>ko</strong>dov Léonard Bertholet<br />
Firs Philippe Vuilleumier<br />
Mise en scène Denis Maillefer<br />
Scénographie Yangalie Kohlbrenner<br />
Lumière Laurent Junod<br />
Costumes Isa Boucharlat et<br />
Marie Barone<br />
Son Philippe de Rham<br />
Maquillages Leticia Rochaix Ortis<br />
Administration Catherine Monney<br />
Denis Maillefer et son <strong>Théâtre</strong> en Flammes se pro<strong>du</strong>isent pour la première<br />
fois au Loup. Après les théâtres <strong>du</strong> Grütli, de St Gervais, de<br />
la Comédie, de Carouge, nous sommes heureux de l’accueillir sur notre<br />
scène <strong>du</strong> bord de l'Arve.<br />
D'autant plus qu'il vient d'être nommé - en compagnie d'Alexandre<br />
Doublet - directeur d'un tout nouveau théâtre, situé, lui, au bord <strong>du</strong><br />
Rhône mais un peu plus en amont : le théâtre-les-halles, à Sierre.<br />
Et qu'il y aura certainement d'autres collaborations entre nos deux<br />
maisons.<br />
Et d'autant plus bis que La <strong>Cerisaie</strong> est une si belle pièce, un fleuron<br />
<strong>du</strong> répertoire, s'il en est!<br />
Gageons que Denis Maillefer saura lui donner une tonalité résolument<br />
actuelle.<br />
Avec sa patte, son style, sa petite musique bien affirmés et reconnus<br />
dans le panorama des metteurs en scène suisses romands qui<br />
comptent.<br />
Le <strong>Théâtre</strong> <strong>du</strong> Loup<br />
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La <strong>Cerisaie</strong> / <strong>Théâtre</strong> en flammes<br />
au <strong>Théâtre</strong> <strong>du</strong> Loup<br />
Petites notes d’août<br />
Hier, j’ai regardé le téléjournal.<br />
Je ne fais jamais cela.<br />
Sauf parfois, justement, en août, lorsque je suis à la<br />
montagne.<br />
J’ai réalisé que je ne comprenais rien à ce qui était dit.<br />
Je ne comprenais pas ce que l’on m’expliquait sur la perte<br />
<strong>du</strong> triple A pour les finances américaines, pourtant c’était<br />
expliqué par la rédactrice en chef adjointe de Bilan,<br />
une femme sûre d’elle mais à la voix dévastée, une voix de<br />
Lioubov après la fin de La <strong>Cerisaie</strong>. Donc, je ne comprenais<br />
rien, techniquement, et je ne comprenais pas non plus<br />
pourquoi on parlait : de la dette, des fêtes de Genève, <strong>du</strong><br />
franc fort. Et pourquoi on ne parlait plus de la famine<br />
dans la corne de l’Afrique, une famine qui arrange pas mal<br />
de monde. Et pas de ces émigrés qui fuient leurs pays parce<br />
que les politiques agricoles, soutenues par l’UBS et<br />
d’autres, les laissent sur le carreau, les font venir en<br />
Suisse où ils sont des profiteurs économiques et non de<br />
vrais réfugiés honorablement torturés, et donc renvoyés<br />
manu militari, comme dans « Vol spécial » de Fernand Melgar.<br />
Je ne fais pas le bobo, vraiment je ne comprends rien,<br />
même si je lis le Courrier international, le Temps et<br />
d’autres journaux. Je me sens inutile.<br />
La <strong>Cerisaie</strong> : J’ai aujourd’hui encore plus envie de monter<br />
cette pièce, même si cela ne changera rien à la Somalie<br />
(je sais, c’est absurde de dire cela).<br />
Raconter La <strong>Cerisaie</strong>, pour dire : essayons de comprendre,<br />
essayons de ne pas oublier que l’on va mourir bientôt, essayons<br />
de ne pas être trop ridicule et indécent avant. Essayons<br />
de faire une ou deux choses ensemble, qui aient un<br />
peu de sens.<br />
Je fais <strong>du</strong> théâtre pour cela. Essayer de faire que l’on se<br />
sente un peu plus réellement soi-même, simplement, et ne<br />
pas rester au milieu de cette triste comédie, si démuni et<br />
désarmé comme je le suis devant le téléjournal.<br />
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La <strong>Cerisaie</strong> / <strong>Théâtre</strong> en flammes<br />
au <strong>Théâtre</strong> <strong>du</strong> Loup<br />
Lausanne-Iachnevo, si loin, si près<br />
Je ne veux pas être riche, je veux être merveilleuse<br />
Marilyn Monroe<br />
Story<br />
Tout d’abord un résumé afin de s’y retrouver parmi les<br />
prénoms que je cite plus loin, pour celles et ceux qui<br />
n’ont pas encore lu ou relu la pièce.<br />
Lioubov est la maîtresse de maison de La <strong>Cerisaie</strong>. Elle est<br />
de retour from Paris. Le domaine va sans doute être ven<strong>du</strong><br />
pour dettes. Lopakhine, un nouveau riche, met en garde la<br />
famille contre ce risque. Gaev, le frère de Lioubov, est<br />
incapable de rien, inutile et charmant joueur de billard.<br />
Varia la fille adoptive tente de sauver ce qui peut l’être ;<br />
elle est censée épouser Lopakhine mais ce mariage est une<br />
chimère. Douniacha, la bonne, qui rêve d’amour, est<br />
passablement nymphomane, croit être éprise <strong>du</strong> comptable<br />
Epikhodov (un Mr catastrophe qui parle comme un livre pédant),<br />
mais s’amourache de Iacha, valet cynique et très<br />
proche de Lioubov. Charlotta la gouvernante germanophone<br />
fait des tours de magie et le vieux laquais Firs philosophe<br />
sur la cerise avant de mourir. Quant à Ania, elle aime semble-t-il<br />
l’étudiant Trofimov qui a de grandes vues sur la<br />
marche de l’histoire.<br />
Cela finira mal, bien sûr. Mais en rigolant beaucoup.<br />
Avec<br />
Je vis avec La <strong>Cerisaie</strong> depuis des années. Ce n’est pas une<br />
formule toute faite. Je l’ai montée en 1998, puis j’y suis<br />
revenu à deux reprises, tout d’abord à l’ESAD de Genève en<br />
2003, puis en 2010 à la HETSR de Lausanne avec des étudiants.<br />
Chaque fois, c’est l’occasion de donner rendez-vous aux<br />
personnages bien sûr, mais aussi à soi-même et aux spectateurs,<br />
à ce que l’on a appris, ou désappris, aux rêves<br />
abandonnés et/ou retrouvés, à l’idée de sa mort, à ses illusions,<br />
à sa vision de l’amour, de la bienséance et <strong>du</strong><br />
destin, <strong>du</strong> théâtre enfin.<br />
La <strong>Cerisaie</strong> est dans le cœur <strong>du</strong> temps, celui qui passe,<br />
celui qui est. Elle dit, dans un présent permanent et renouvelé,<br />
l’absolue désolation <strong>du</strong> temps qui passe. Non pas<br />
comme une nostalgie traditionnelle, « c’était mieux avant »,<br />
mais comme une nostalgie violente et inconsciente <strong>du</strong> temps<br />
des illusions.<br />
La littérature russe compte des « Possédés », et des Inadaptés,<br />
ceux de La <strong>Cerisaie</strong>, incapables de vivre dans leur<br />
temps, qui est perpétuellement le nôtre, celui d’aujourd’hui.<br />
Lioubov, (amour en russe) parfois un peu christique,<br />
amoureuse permanente, ne peut pas vivre dans le<br />
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La <strong>Cerisaie</strong> / <strong>Théâtre</strong> en flammes<br />
au <strong>Théâtre</strong> <strong>du</strong> Loup<br />
pragmatisme. La maison est ven<strong>du</strong>e pour dettes, bien sûr,<br />
mais le vrai problème n’est pas uniquement économique. Lioubov<br />
et les autres personnages ne peuvent simplement pas<br />
vivre dans ce monde. Le temps passe trop vite, et ils ne<br />
savent pas s’occuper de la vie, de la brutalité de la vie.<br />
Ils ne savent pas comment se débrouiller avec l’argent, les<br />
assurances, les papiers à remplir, les règlements, les impôts,<br />
les politesses.<br />
La <strong>Cerisaie</strong> dit la brutalité de l’exclusion. Lioubov,<br />
Gaev, Varia, et les autres sont expulsés <strong>du</strong> monde sérieux,<br />
ils sont trop naïfs, trop stupides, trop amoureux, trop<br />
tout. Le monde qui les entoure (qui nous entoure) ne tolère<br />
pas leur marginalité, leur absence de réalisme, leur sentimentalisme,<br />
leur rage désespérée d’aimer.<br />
Frères vivants<br />
Les personnages de La <strong>Cerisaie</strong> donnent l'impression d'exister<br />
vraiment. Comme s'ils se promenaient sur la planète,<br />
quelque part, et se voyaient de temps à autre, au gré des<br />
mises en scène. L’impression qu’ils traînent en coulisse,<br />
des fantômes si joyeux. La <strong>Cerisaie</strong> est d’aujourd’hui, car<br />
elle est hors <strong>du</strong> temps, elle échappe à la Révolution russe<br />
comme à la crise des subprimes. Elle dit, dans chaque<br />
journée de chaque époque, la perte.<br />
- Que vous vivez mal, Messieurs !<br />
dit un jour Tchekhov à quelques notables.<br />
Lioubov, malgré ses papiers russes, est apatride, car<br />
nulle part on n’aime et ne vit comme elle voudrait.<br />
Lioubov, un rôle dont on peut essayer sans fin de saisir<br />
les finesses et les possibles, un personnage si incroyable,<br />
si moderne, pourrait-on dire.<br />
- La vie, elle a passé, on a comme pas vécu<br />
dit Firs, et chaque fois cela fait un frisson de lire/entendre<br />
cela, la perte de cet amour pourtant impossible à<br />
perdre, la perte des illusions, de sa maison, de sa caissette,<br />
de son talent.<br />
La <strong>Cerisaie</strong> dit le refus de se laisser engloutir par les<br />
circonstances de la vie (Ramuz), par les contingences,<br />
elle dit la bagarre splendide de vivre et d’aimer.<br />
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La <strong>Cerisaie</strong> / <strong>Théâtre</strong> en flammes<br />
au <strong>Théâtre</strong> <strong>du</strong> Loup<br />
Iachevno<br />
Un jour, j’irai à Iachnevo, juste à côté de Belgarod, pas<br />
loin de la frontière ukrainienne, à 50°38’25’’ de latitude<br />
nord et 36°34’43’’ de longitude est, après avoir rafraîchi<br />
un peu mon russe, chercher Varia, parler de La <strong>Cerisaie</strong>.<br />
C’est assez au sud, il y a un petit lac. Reste-t-il des<br />
habitants à Iachnevo ? La Russie perd presque un million<br />
d’habitants par année; ce pays démoralisé, dévasté par le<br />
stalinisme, les nazis, la famine, la perestroïka, les oligarques,<br />
l’alcool, une absence de confiance envers<br />
l’avenir, la campagne vidée, si vide. Donc, reste-t-il un<br />
habitant à Iachnevo ?, un habitant qui ait lu La <strong>Cerisaie</strong>,<br />
avec qui on puisse parler de Varia, de la perte, avec mon<br />
russe de cuisine, chanter une chanson, celle que j’ai chantée<br />
mille fois à mes enfants, Oï maroz maroz nie maroz<br />
minia (Oh le froid, le froid, ne me gèle pas), boire une<br />
vodka imbuvable, parler de l’âme, forcément, impossible de<br />
ne pas parler d’âme. Oui, aller à Iachnevo, parler de<br />
Tchekhov, tout le monde connaît La <strong>Cerisaie</strong> en Russie. Parler<br />
de La <strong>Cerisaie</strong> à Iachnevo et apprendre des secrets, une<br />
théorie nouvelle sur Varia (mais aime-t-elle Lopakhine, à<br />
la fin ?), se la faire décrire, elle porte <strong>du</strong> noir d’habitude,<br />
dire mon amour de Varia, maladroitement, comme un<br />
metteur en scène trop sentimental, oui, absolument. Un<br />
metteur en scène qui pense que si on ne pleure pas à la fin<br />
de La <strong>Cerisaie</strong>, sur soi, l’état <strong>du</strong> monde, Varia, Lioubov,<br />
Epikhodov, (je rêve que l’on me parle d’Epikhodov à la sortie,<br />
avant toute chose, Epikhodov qui, si l’on fait bien<br />
le boulot, fera rire pendant quatre actes et laissera pourtant<br />
une impression de drame total), si l’on ne pleure pas,<br />
donc, quand Gaev, au quatrième acte, dit :<br />
- ma sœur, ma sœur<br />
c’est raté, affreusement raté.<br />
Rire<br />
Mais on peut rire, aussi, et tout cela ne serait rien si<br />
on ne riait pas, et beaucoup. La <strong>Cerisaie</strong> est affreusement<br />
drôle, elle met en scène une assemblée hétéroclite de martiens<br />
descen<strong>du</strong>s sur terre. Maladroits, rêveurs, loufoques<br />
et géniaux. Des clowns en costumes respectables. Epikhodov<br />
est un personnage busterkeatonien, à moins que Buster<br />
Keaton ne soit epikhodovien. Gaev s’est construit un monde<br />
de billard et de bonbons pour survivre, et Charlotta la<br />
magicienne invente l’impossible avec ses tours. Tout cela<br />
n’est pas sérieux. Ils ne sont pas sérieux et ils nous rassurent,<br />
nous qui avons si peu envie de l’être, et qui allons<br />
au théâtre juste pour cela, pour savoir que nous ne<br />
sommes pas seuls à vouloir aimer plus fort, rire plus fort.<br />
Et c’est pour toutes ces raisons, et beaucoup d’autres, que<br />
je remonte La <strong>Cerisaie</strong>.<br />
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La <strong>Cerisaie</strong> / <strong>Théâtre</strong> en flammes<br />
au <strong>Théâtre</strong> <strong>du</strong> Loup<br />
Scénographie<br />
Je souhaite une scénographie qui ouvre le jeu. Quatre actes,<br />
trois lieux, dont un extérieur. Sans réalisme, je voudrais<br />
des espaces différents, parce que les questions de jeu sont<br />
différentes.<br />
Une scénographie fluide, évolutive tout au long <strong>du</strong> travail.<br />
L’espace doit s’adapter au jeu, et non l’inverse.<br />
Une <strong>Cerisaie</strong> nette, saignante, ten<strong>du</strong>e, et infiniment drôle.<br />
Au premier acte, nous sommes dans « la chambre des enfants ».<br />
Alors des meubles trop petits et colorés, sur lesquels les<br />
acteurs sont mal assis, des enfants trop grands et per<strong>du</strong>s.<br />
Ou alors une bonne douzaine de lits, comme dans un dortoir<br />
abandonné, comme attendant à jamais une famille nombreuse,<br />
des descendants, des cousins qui ne viendront jamais. Un<br />
cimetière de lits, alignés, petits, sur l'un desquels<br />
Lopakhine peut dormir au premier acte, après avoir subi qui<br />
sait les assauts de Douniacha qui veut toujours l’amour,<br />
toujours l’amour, comme dans la chanson de Eicher…<br />
Au deuxième acte, comment résoudre la notion d’extérieur ?<br />
La piscine est une grande tentation. Comment faire une<br />
piscine au théâtre, dans une logique autre que l’opéra (une<br />
vraie piscine…). Ou alors qui sait, un vieux court de tennis<br />
décati. Mais la piscine n’est pas mal. Elle fait ancien<br />
riche (en russe, nouveau riche se dit phonétiquement nouvorich).<br />
On peut être bien plus minimaliste, aussi. Une<br />
grande prairie de fleurs en plastique. Ou juste des toiles,<br />
à l’ancienne, avec de la vidéo, des pétales de fleurs.<br />
Le troisième acte de La <strong>Cerisaie</strong> est un cas d’école pour<br />
l’espace. Un bal, mais dans lequel on parle tout de même<br />
beaucoup, et qui est aussi le climax de la pièce. Dans cet<br />
acte, le lieu de la parole doit être exigu (une cuisine ??),<br />
et le lieu de la danse doit être grand. Un frigo, des<br />
bières, <strong>du</strong> passage, la cuisine est devenue aussi le lieu où<br />
l’on fume.<br />
Souvent au quatrième acte, qui se joue dans le même espace<br />
que le premier acte, les meubles sont protégés par des tissus.<br />
Mais cela pourrait aussi être vide, ou presque. Juste<br />
un lit de camp pour Epikhodov qui va rester là. Une réminiscence<br />
des lits d’enfant <strong>du</strong> premier acte, un campement de<br />
fortune, un endroit de réfugié de la vie, qui annonce tous<br />
les exilés et déportés <strong>du</strong> vingtième siècle, les déracinés de<br />
tout genre, les solitudes si nombreuses et si modernes.<br />
En tous les cas, trouver une esthétique qui laisse le champ<br />
libre aux acteurs. Eviter les fauteuils et les samovars,<br />
cette idée si romantique de Tchekhov, avec les grandes robes<br />
blanches. L’époque pourrait être contemporaine, mais sans<br />
références trop lisibles. Un peu la Russie d’il y a quelques<br />
années, comme je l’ai connue, avec des habits différents<br />
pour Lioubov qui rentre de Paris (mise comme une Parisienne,<br />
dit Pichtchik au premier acte).<br />
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La <strong>Cerisaie</strong> / <strong>Théâtre</strong> en flammes<br />
au <strong>Théâtre</strong> <strong>du</strong> Loup<br />
Direction d’acteurs<br />
La question <strong>du</strong> jeu est au centre de mon travail, comme celle<br />
de l’intimité. Et elles sont indissociables. J’aime accompagner<br />
les acteurs, et trouver une unité de jeu qui puisse<br />
donner une lecture claire <strong>du</strong> projet tout en laissant chaque<br />
acteur développer son propre univers sur le plateau.<br />
Ces dernières années, j’ai parfois proposé des formes où<br />
l’acteur suppléait le personnage, et même devenait un personnage<br />
(Je vous ai apporté un disque, La première fois).<br />
Dans ces spectacles, la position de l’acteur créateur était<br />
évidente. Elle l’est pour moi tout autant dans des structures<br />
dramatique plus classiques comme La <strong>Cerisaie</strong>. La pièce<br />
est si riche, si pleine de possibles, qu’il faut « empoigner »<br />
les rôles avec une vigueur et une invention énormes. Pour<br />
cette raison, et selon mes habitudes, la distribution est<br />
constituée de personnalités fortes et particulières qui ont<br />
la capacité d’apporter une vision propre au sein d’un projet<br />
commun.<br />
Au fil des ans et des projets, je ne travaille pas de la<br />
même manière, mais le jeu qui m’intéresse est toujours un<br />
jeu sincère et direct. Aujourd’hui, je laisse plus d’espace<br />
à l’acteur, mais dans un cadre également plus défini. Je<br />
pense avoir une forte conscience de l’impact possible <strong>du</strong><br />
jeu sur la salle. Et j’essaie de définir le plus clairement<br />
possible la direction <strong>du</strong> jeu, que je formule en termes d’objectifs,<br />
pour ré<strong>du</strong>ire la distance entre la scène et la<br />
salle, même (et surtout) dans des propositions de type<br />
« quatrième mur ».<br />
Ce qui se raconte sur le plateau, c’est toujours l’histoire<br />
de celle ou celui qui est en scène. Celle de son personnage,<br />
bien sûr, mais aussi sa propre histoire d’acteur, directement<br />
ou indirectement. Ce qui m’intéresse, c’est la narration<br />
de l’intimité de chacun.<br />
Dans La <strong>Cerisaie</strong> il y a certes une intrigue avec une forme<br />
de suspense, mais la pièce est émouvante, formidable, par<br />
l’incroyable capacité de Tchekhov à faire partager la vie<br />
intérieure de chacun. Je suis touché par ce qui se raconte<br />
de chacun, de ce que je me raconte de chacun, se dit le<br />
spectateur.<br />
La <strong>Cerisaie</strong> propose de faire entendre douze voix. Il y a peu<br />
de dialogue(s), juste des voix qui tentent de se faire entendre<br />
au milieu des autres. Je pense qu’il faut faire résonner<br />
fortement ce combat pour se faire entendre (dans tous<br />
les sens <strong>du</strong> terme). Chacun est très seul dans cette pièce,<br />
et monologue comme il le peut. Le jeu ne peut être retenu<br />
et petit. Il y a un trop plein d’énergie, de vie et de violence,<br />
et la puissance <strong>du</strong> jeu doit être à la hauteur <strong>du</strong><br />
désarroi affronté consciemment ou non par les personnages.<br />
Le jeu que je cherche dans ce projet a une pulsion très organique,<br />
mais il est construit, architecturé. Il va bien<br />
au-delà <strong>du</strong> réalisme, <strong>du</strong> naturalisme, bien que porteur d’une<br />
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La <strong>Cerisaie</strong> / <strong>Théâtre</strong> en flammes<br />
au <strong>Théâtre</strong> <strong>du</strong> Loup<br />
évidence absolue. Il est porté avec force par des acteurs<br />
dont les personnages se débattent dans le vide. Il y a de<br />
l’espace à remplir (au propre et au figuré aussi), il y a<br />
la vie qui va trop vite, chacun ne sait pas quoi faire, et<br />
alors il faut jouer avec force pour exister, survivre, se<br />
sauver qui sait.<br />
On a parlé parfois de petite musique à propos de Tchekhov.<br />
Je pense au contraire que ces douze-là sont un sacré orchestre<br />
et que cela doit sonner fort (avec puissance je veux<br />
dire, pas juste parler fort, je déteste cela…). La pièce est<br />
très violemment sentimentale (pas sentimentaliste, pas nostalgique<br />
: sentimentale), et donc elle est pleine de violence,<br />
d’excès.<br />
Il s’agit de prendre les indications de Tchekhov au sérieux.<br />
Lopakhine agite ses bras, Varia est au bord des larmes, il<br />
fait jour à trois heures <strong>du</strong> matin. Cela ne nous dit pas comment<br />
jouer, mais cela raconte un monde qui est celui de la<br />
pièce, un monde particulier, proche <strong>du</strong> réel mais pas<br />
réaliste, comme un univers que se seraient bâtis, inconsciemment,<br />
les protagonistes. Cet univers est esthétique, et<br />
il conditionne évidemment le jeu. Un espace assez vide,<br />
quelques objets, des lits d’enfant, une piscine, et douze<br />
personnages qui jouent leur avenir, qui brassent de l’air,<br />
qui se battent et se débattent, qui sont per<strong>du</strong>s et qui<br />
rêvent en direct avec une violence inouïe.<br />
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La <strong>Cerisaie</strong> / <strong>Théâtre</strong> en flammes<br />
au <strong>Théâtre</strong> <strong>du</strong> Loup<br />
Travailler dans le champ des cerises<br />
Afin de démonter les idées reçues et de faire partager l’ultra<br />
moderne solitude de ces personnages, commencer rapidement<br />
des rencontres avec les acteurs. Leur montrer des<br />
images, des films, écouter des musiques, lire dans et autour<br />
de la pièce. Leur présenter Irina Ivanova, professeur<br />
de russe à l’Université de Lausanne. L’écouter lire la pièce<br />
en VO, l’entendre parler les larmes aux yeux de Lioubov et<br />
des autres comme des amis. Lui demander de nous expliquer<br />
le sens des noms propres en russe. Lopakhine-la pelle. Lioubov-amour<br />
(ça on le sait…). Qu’elle nous montre des images<br />
de domaines russes qui pourraient être La <strong>Cerisaie</strong>.<br />
Et oublier la Russie. Ici et maintenant cette pièce de fulgurance.<br />
A jouer presque brutalement, directement. Comme<br />
les dernières répliques des personnages, comme les dernières<br />
répliques écrites par Tchekhov. Un testament à exécuter<br />
staccato mais avec profondeur. Dans l’urgence absolue <strong>du</strong><br />
temps qui a passé et de la dévastation de l’enfance qui<br />
s’éloigne. Relire peut être ensemble les dernières pages de<br />
Peter Pan, comme un pur drame.<br />
Et demander aux acteurs de raconter leur Ania, leur<br />
Epikhodov. Leurs habits, leurs musiques, leur déguisement<br />
pour le bal. Leur montrer des images brûlées de lumière (les<br />
photos dans le désert d’Anton Corbjin), des photos de<br />
piscine d’aujourd’hui, l’énergie suicidaire d’Amy Winehouse,<br />
la vie qui se consume si vite, bien trop vite, la<br />
rage de Lioubov et son besoin compulsif d’aimer. Leur parler<br />
de cela, leur faire jouer la pièce contre. Contre la bienséance,<br />
contre la mort, contre l’injustice, contre la<br />
saloperie, contre la laideur ; à chacun de trouver sa guerre<br />
pour défendre un bout de vie possible dans les hectares de<br />
La <strong>Cerisaie</strong>. Relire la Bible, le paradis per<strong>du</strong>, Lioubov est<br />
chassée <strong>du</strong> paradis sur terre, son paradis, et après on passe<br />
directement à l’apocalypse. Et les personnages le savent, au<br />
fond d’eux. Leur parler de cela, cet automne, et retourner<br />
le texte, regarder dessus dessous, entre les lignes, vérifier<br />
les mots russes, le son russe, mais ne pas chercher la<br />
couleur locale russe, si affreuse sur scène, ici.<br />
Denis Maillefer<br />
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