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<strong>Citations</strong> <strong>Verlaine</strong> (1)<br />
1 -‐<strong>Verlaine</strong> s’évertuait à rendre confus le référent même de la parole :<br />
« C’est l’extase langoureuse,<br />
C’est la fatigue amoureuse,<br />
C’est tous les frissons des bois<br />
Parmi l’étreinte des brises,<br />
C’est, vers les ramures grises,<br />
Le chœur des petites voix. »<br />
2 -‐ syntaxe parfois introuvable comme dans la deuxième des « Ariettes oubliées » :<br />
« Ô mourir de cette mort seulette<br />
Que s’en vont, — cher amour qui t’épeures, —<br />
Balançant jeunes et vieilles heures ! »<br />
3 -‐ Comme on le voit dans la septième des « Ariettes oubliées », le dialogue est dialogue intérieur,<br />
façon de se parler à soi-‐même, que le lecteur reçoit en second. les dialogues étant des monologues<br />
déguisés.<br />
4 –poèmes adressés à Rimbaud (« Bruxelles, Simples fresques II », par exemple) ou à Mathilde<br />
(« Birds in the Night ») Rimbaud figure bien dans les RSP : il est cité en exergue de l’Ariette III, mais<br />
pour une phrase (un vers ?) — « Il pleut doucement sur la ville » -‐<br />
5 -‐ ce recueil est très ancré dans la biographie immédiate de son auteur, les poèmes des trois<br />
dernières sections du recueil —« Paysages belges », « Birds in the Night », « Aquarelles » — se<br />
déroulant au fil du périple de <strong>Verlaine</strong> et Rimbaud en Belgique et à Londres, tandis que la première<br />
section, « Ariettes oubliées » a été écrite juste avant la fuite des deux hommes. 1<br />
6 -‐ <strong>Verlaine</strong> crypte son texte, pour laisser deviner, sans la dire, sa relation avec Rimbaud. Ainsi, dans<br />
« Bruxelles, Simples fresques II », la question finale « Oh ! que notre amour / N’est-‐il là niché ! => : le<br />
poème ne comporte que des rimes masculines, ce qui serait façon de désigner la liaison<br />
homosexuelle.<br />
7 -‐ Réciproquement, l’utilisation de rimes exclusivement féminines dans l’Ariette IV ne laisse guère<br />
de doute sur l’homosexualité féminine évoquée dans le poème, d’autant que <strong>Verlaine</strong> avait déjà<br />
utilisé cette technique signifiante dans une plaquette intitulée Les Amies, scènes d’amours<br />
sapphiques, publiée en 1867<br />
1
8 -‐ Le spécialiste de <strong>Verlaine</strong> Steve Murphy estime ainsi que « Bruxelles, Simples fresques I et II »<br />
constitue un « diptyque métaphoriquement bisexuel », le premier poème n’étant composé que de<br />
rimes féminines et le second de rimes masculines.<br />
9 -‐ les trois points disposés en triangle qui séparent les « douzains » de « Birds in the Night »<br />
renverraient à la triade <strong>Verlaine</strong>-‐Mathilde-‐Rimbaud.<br />
10 -‐ Les RSP semblent mettre en scène une parole sans sujet : La cascade de questions qui constitue<br />
la deuxième strophe de l’ariette V pointe de même l’impossibilité d’élucider son mal-‐être par les<br />
mots, les questions sans réponse creusant en fait un vertige intérieur.<br />
11 -‐ , le mal-‐être, les sentiments s’expriment sans pouvoir être nommés (voir les Ariettes I, III, VII), et<br />
le « je » ne se construit pas par les mots, il s’évide jusqu’à disparaître dans une forme de lyrisme<br />
impersonnel.<br />
12 -‐ l’effacement du sujet est nécessaire pour que soit nécessaire la communion avec les choses et<br />
avec les autres à laquelle aspire <strong>Verlaine</strong> : Ariette 1 : il n’y a plus de frontière, de solution de<br />
continuité entre ce que ressent le poète et ce que semble ressentir la nature. Dans la première<br />
strophe, ce qui apparaît d’abord comme l’expression d’un état intérieur du poète — « C’est l’extase<br />
langoureuse, / C’est la fatigue amoureuse » — est mis exactement sur le même plan, grâce à l’emploi<br />
du même déictique, « c’est » que les sentiments, les émotions qui semblent animer la nature :<br />
« C’est tous le frissons des bois<br />
Parmi l’étreinte des brises,<br />
C’est, vers les ramures grises,<br />
Le chœur des petites voix. »<br />
= L’intérieur et l’extérieur communiquent<br />
13 -‐ à l’unisson de la nature, qui est elle-‐même dotée d’une sensibilité humaine comme l’indiquent<br />
les expressions « frissons des bois», « étreinte des brises », « cri doux / Que l’herbe agitée expire ».<br />
14 -‐ Ce que ressent le poète, ou ce qu’il tente de dire confusément dans ce poème n’est pas distinct<br />
de ce que ressent la nature, si bien que sa parole minimale, incertaine, brouillée se met à l’unisson<br />
des « paroles confuses » que la nature exhale : le « chœur des petites voix », le « frêle et frais<br />
murmure », le « cela gazouille et susurre », le « cri doux / Que l’herbe agitée expire »<br />
15 – Ariette V : paronomase : « pleure »/ « pleut », la dilution-‐dissolution du sujet, l’abolition de la<br />
frontière entre sujet et objet.<br />
16 -‐ Les RSP font ainsi entendre paradoxalement une parole sans sujet.<br />
17 - dont deux sont placées sous signe de la musique —« Ariettes oubliées » et « Birds<br />
in the Night », titre d’une chanson d’Arthur Sullivan — et deux sous le signe de la<br />
peinture : « Paysages belges » et « Aquarelles ». <strong>Verlaine</strong> renoue ici avec l’ambition<br />
2
des Poèmes Saturniens, de créer « une harmonie étrange et fantastique / Qui tient de la<br />
musique et tient de la plastique. » (« Nocturne parisien »).<br />
18 – rejet du lyrisme romantique : « Je suis las des « crottes », des vers chiés comme en pleurant,<br />
autant que des tartines à la Lamartine (qui, cependant a des choses inouïes de beauté). »lettre à<br />
Lepelletier<br />
19 – aporie des mots: c’est l’impossibilité à s’appréhender que <strong>Verlaine</strong> exprime dans les faux<br />
dialogues ou les questions sans réponses des Ariettes I, III, V, VII, VIII ; c’est bien la difficulté à cerner<br />
le réel que traduisent l’usage de prépositions imprécises (« Parmi l’étreinte des brises », « Vers les<br />
ramures grises », Ariette I ; « vers la fenêtre », Ariette V ; « Parmi les buées », Ariette VIII ; « parmi les<br />
ramures réelles », Ariette IX), les modalisateurs (« Que voudrais-‐tu de moi, doux chant badin ? »,<br />
Ariette V ; « On croirait voir vivre / Et mourir la lune », Ariette VIII). Le ressassement où l’âme<br />
s’englue dit l’impossibilité d’élucider le sens de l’expérience amoureuse (Ariette VII). Les mots<br />
n’expriment ici que leur impuissance, et ne sont d’aucune aide pour se comprendre,<br />
20 – alternative : musique et peinture<br />
• Titre = autocitation du poème « À Clymène » des Fêtes Galantes :<br />
« Mystiques barcarolles,<br />
Romances sans paroles,<br />
Chère, puisque tes yeux,<br />
Couleur des cieux. »<br />
21 -‐ Le premier poème du recueil, c’est-‐à-‐dire la première des « Ariettes oubliées » s’intitulait<br />
d’abord « Romance sans paroles », avant de perdre ce titre qui deviendra, au pluriel, celui du recueil.<br />
On peut donc l’envisager comme le poème qui définit le programme poétique des RSP.<br />
22 -‐ , <strong>Verlaine</strong> appelle de ses vœux un vers musical, d’autant plus aérien (« envolée ») que sa<br />
matière en est imprécise (« Chose ») :<br />
« De la musique encore et toujours !<br />
Que ton vers soit la Chose envolée,<br />
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée<br />
Vers d’autres cieux à d’autres amours ! »<br />
23 -‐ L’esthétique de l’imprécision si caractéristique de <strong>Verlaine</strong> doit donc se comprendre comme un<br />
désir de se délester du sens, la parole visant cette capacité à suggérer qui est celle de la musique.<br />
« Il faut aussi que tu n’ailles point<br />
3
Choisir tes mots sans quelque méprise ;<br />
Rien de plus cher que la chanson grise<br />
Où l’indécis au précis se joint. » Art poétique<br />
24 – // « Nommer un objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du poème qui est faite<br />
du bonheur de deviner peu à peu ; le suggérer, voilà le rêve. » 2 mallarmé<br />
25 -‐ . En se référant à ces formes surannées que sont la romance et l’ariette, <strong>Verlaine</strong> affiche une<br />
prédilection pour des formes mineures et oubliées, qui témoigne d’une volonté d’abolir la hiérarchie<br />
des genres nobles et genres mineurs, d’abolir la frontière entre culture savante et culture populaire…<br />
Ariette V -‐ // Nerval<br />
« Il est un air pour qui je donnerais<br />
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber.<br />
Un air très vieux languissant et funèbre<br />
Qui pour moi seul a des charmes secrets.<br />
Or, chaque fois que je viens à l’entendre<br />
De deux cents ans mon âme rajeunit…»<br />
(Gérard de Nerval, « Odelettes rythmiques et lyriques », 1832)<br />
26 -‐ les poèmes des AO évoquent des airs qui viennent mourir dans le présent, affleurer à la<br />
conscience du poète, mais que celui-‐ci peine à identifier :<br />
« Je devine, à travers un murmure,<br />
Le contour subtil des voix anciennes… » (Ariette II)<br />
« La mienne, dis, et la tienne,<br />
Dont s’exhale l’humble antienne… » (Ariette I)<br />
« Que voudrais-‐tu de moi, doux chant badin ?<br />
Qu’as-‐tu voulu, fin refrain incertain… » (Ariette V)<br />
27 – absence de titre, les poèmes des « ariettes » se définissent comme « oubliables », cette absence<br />
semblant indiquer dans le même temps que l’objet du poème lui-‐même ne peut être cerné.<br />
4
28 -‐ Le retour de vers identiques (Ariette VII) ou de strophes identiques (Ariette VIII) qui rattache<br />
proprement les poèmes à la forme de la chanson est en fait la caractéristique d’uneparole qui<br />
devient musicale dans la mesure où elle ressasse de façon lancinante des questions, des énoncés<br />
énigmatiques (« Je ne me suis pas consolé / Bien que mon cœur s’en soit allé », Ariette VII), des<br />
visions dans lesquelles le sujet cherche à s’assurer de son existence. Dans l’ariette VIII, une des deux<br />
strophes qui revient à la manière d’un refrain :<br />
« Le ciel est de cuivre<br />
Sans lueur aucune<br />
On croirait voir vivre<br />
Et mourir la lune »<br />
exprime ainsi ce moment où la conscience se dilue<br />
29 -‐ questions sans réponses, monologues creusent le vertige d’une identité introuvable, d’un sujet<br />
inconsistant mais dans le même temps, la parole donne corps au sujet, donne voix au « je », et on<br />
peut d’ailleurs penser que pour tout poète, il n’est de présence du « je » que dans cette parole.<br />
30 -‐ La musicalité est bien cette dimension essentielle de la parole par lequel le sujet trouve à<br />
s’appréhender, à se dire sans déperdition.<br />
31 -‐ l’ariette I : le poète tente de restituer la musique de la nature —« chœur des petites voix »,<br />
« frêle et frais murmure », « cri doux que l’herbe agitée expire » « roulis sourd des cailloux » —<br />
32 -‐ Concrètement, la parole poétique devient équivalent de la musique des choses<br />
∗ par le recours aux synesthésies (qui reflètent les correspondances entre les choses<br />
que nous ne percevons pas, car la réalité arrive à notre conscience par les canaux<br />
dissociés de nos cinq sens), comme dans l’ariette II (« lueurs musiciennes », « œil<br />
double (…) où tremblote (…) l’ariette (…) de toutes lyres »)<br />
∗ ou par une écriture anagrammatique, qui relie les réalités décrites par des sonorités<br />
qui leur sont communes, la parenté des sons révélant la parenté des choses, comme<br />
dans cette strophe de « Charleroi », où les séquences phonétiques inversées is et si<br />
sont communes aux mots « sinistres », « bruissait », « sistres » :<br />
33 -‐ une plénitude du silence,<br />
. En poésie, les mots accueillent le silence, que ce soit sous la forme des blancs qui délimitent les<br />
strophes ou détachent les vers sur la page, que ce soit dans tout ce que la parole ne dit pas, laisse<br />
inexprimé (« Je devine, à travers un murmure, le contour subtil des voix anciennes », Ariette II), que<br />
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ce soit dans l’évocation de la réalité, qui n’est jamais aussi harmonieuse que lorsque le silence y<br />
imprime sa musique :<br />
« Les wagons filent en silence<br />
Parmi ces sites apaisés.<br />
Dormez, les vaches ! Reposez,<br />
Doux taureaux de la plaine immense,<br />
Sous vos cieux à peine irisés !<br />
Le train glisse sans un murmure,<br />
Chaque wagon est un salon<br />
Où l’on cause bas et d’où l’on<br />
Aime à loisir cette nature<br />
Faite à souhait pour Fénelon. «<br />
(« Malines »)<br />
34 – le silence comme espace de résonnance des mots<br />
35 -‐ La picturalité de la poésie verlainienne se manifeste de différentes façons dans les RSP :<br />
∗ Dans « Walcourt », <strong>Verlaine</strong> rejoint les thèmes traditionnels de la peinture<br />
flamande (les banquets de buveurs) auxquels il surimprime des images de<br />
modernité (les gares). Technique de surimpression que l’on retrouve dans<br />
« Charleroi » où les kobolds (esprits familiers considérés comme les gardiens des<br />
métaux précieux enfouis dans la terre dans la mythologie germanique) évoluent<br />
dans un paysage marqué par la violence industrielle des « forges rouges »,<br />
des« gares » qui « tonnent » et des « cris des métaux ».<br />
∗ L’ariette VIII et « Charleroi » évoquent la technique de l’eau-‐forte<br />
∗ Impressionnisme : , l’esthétique du brouillage que l’on trouve par exemple dans la<br />
première strophe de « Bruxelles, simples fresques »<br />
« La fuite est verdâtre et rose<br />
Des collines et des rampes,<br />
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Dans un demi-‐jour de lampes<br />
Qui vient brouiller toutes choses »<br />
∗ réalité tamisée, voilée, atomisée, diluée, que décrit la troisième strophe de l’« Art<br />
poétique » :<br />
« C’est des beaux yeux derrière des voiles,<br />
C’est le grand jour tremblant de midi,<br />
C’est, par un ciel d’automne attiédi ;<br />
Le bleu fouillis des claires étoiles ! »<br />
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