La face cachée d'"Intouchables" - Frères Capucins Province de France
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<strong>La</strong> <strong>face</strong> <strong>cachée</strong> d'"Intouchables"<br />
Extrait du <strong>Frères</strong> <strong>Capucins</strong> <strong>Province</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
https://freres-capucins.fr/<strong>La</strong>-<strong>face</strong>-cachee-d-Intouchables.html<br />
<strong>La</strong> <strong>face</strong> <strong>cachée</strong><br />
d'"Intouchables"<br />
- Culture - actualité culturelle -<br />
<strong>Frères</strong> <strong>Capucins</strong> <strong>Province</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong><br />
Date <strong>de</strong> mise en ligne : samedi 11 février 2012<br />
Mise à jour le : samedi 11 février 2012<br />
Copyright © <strong>Frères</strong> <strong>Capucins</strong> <strong>Province</strong> <strong>de</strong> <strong>France</strong> Page 1/4
<strong>La</strong> <strong>face</strong> <strong>cachée</strong> d'"Intouchables"<br />
UNE INDÉNIABLE COMÉDIE POPULAIRE<br />
J'ai longtemps résisté à mettre mon grain <strong>de</strong> sel aux commentaires enthousiastes qui ont salué la sortie du film «<br />
Intouchables » d'Olivier Nakache et Eric Toledano. Reconnaissons-le, c'est un film original dans sa forme et dans<br />
son fond. Voilà une comédie étourdissante, burlesque, loufoque qui allie les contraires : le luxe et la volupté d'un<br />
hôtel particulier <strong>de</strong>s beaux quartiers parisiens et la condition sordi<strong>de</strong> <strong>de</strong> sans papiers qui s'entassent dans un<br />
<strong>de</strong>ux-pièces <strong>de</strong> banlieue.<br />
On y retrouve les conventions grossières et les caricatures habituelles qui autorisent les préjugés les plus éculés :<br />
Philippe, l'aristocrate blanc, a toutes les facilités <strong>de</strong> mener une vie sans soucis, mais dans l'infortune <strong>de</strong> son sévère<br />
handicap physique, il a quand même besoin d'un plus petit que soi : Driss, un grand noir sorti <strong>de</strong> prison, socialement<br />
handicapé, mais sans complexe ni retenue et bien déterminé à sourire à la vie. N'ayant rien à perdre mais tout à<br />
gagner, dans son ingénuité native et ses bons sentiments, il bouscule les standards <strong>de</strong> la culture du grand bourgeois<br />
fortuné. Les fables <strong>de</strong> <strong>La</strong> Fontaine ne sont pas loin. L'aristocrate bien né croupit dans son infortune morale et la<br />
monotonie <strong>de</strong> sa solitu<strong>de</strong> dorée. L'infortuné d'origine, pauvre comme Job mais travaillé par ses obligations <strong>de</strong> chef<br />
<strong>de</strong> famille, nourrie <strong>de</strong> contre-culture et <strong>de</strong> chapardises, <strong>de</strong>vient le maître à penser iconoclaste <strong>de</strong> l'homme drapé<br />
dans sa superbe. Ce <strong>de</strong>rnier se trouve dépourvu d'amis sincères et sans perspective exaltante pour sa vie. Il souffre<br />
<strong>de</strong> ces manques plus encore que <strong>de</strong> sa paralysie totale <strong>de</strong>s membres inférieurs.<br />
On assiste donc à un pari inconcevable, à un défi inédit qui ressemble à ces histoires extraordinaires <strong>de</strong>s contes <strong>de</strong><br />
fée : une amitié naît d'un échange <strong>de</strong> services, entre celui qui désire gravir l'échelle sociale pour survivre, et celui qui<br />
recherche à mettre un peu <strong>de</strong> sel et <strong>de</strong> piquant à sa vie ennuyeuse. Philippe donne à Driss un salaire honnête et un<br />
toit qui l'ouvre sur la culture d'un mon<strong>de</strong> inimaginable. Driss apprend à Philippe à dépasser les limites physiques et<br />
psychologiques <strong>de</strong> sa vie en fauteuil roulant, à se moquer <strong>de</strong>s conventions culturelles et <strong>de</strong>s rigidités <strong>de</strong> son milieu<br />
pour conquérir une liberté plus haute. Driss s'essaie à vivre entre <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s, celui <strong>de</strong> sa famille du quart-mon<strong>de</strong>,<br />
acculée à vivre dans la débrouille perpétuelle, pressée par l'urgence d'une vie décente, éprise <strong>de</strong> justice et<br />
d'éducation, et le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s riches occupés à soigner leur rang et leur image dans <strong>de</strong>s innovations perpétuelles.<br />
LES LIMITES DU GENRE<br />
Mais peut-on vivre plus longtemps une forte amitié née du choc <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s qui s'ignorent et dans l'ambiguïté<br />
<strong>de</strong> valeurs opposées ? Philippe reste le seigneur <strong>de</strong>s lieux et le patron qui définie les valeurs. Driss tient son rôle<br />
d'amuseur et <strong>de</strong> clown <strong>de</strong> service, qui casse un peu les habitu<strong>de</strong>s, mais <strong>de</strong>meure le loufiat toléré. Une complicité<br />
touchante les réunie doublée d'une compassion réelle partagée, mais ce sera insuffisant pour ouvrir un peu plus que<br />
<strong>de</strong>s brèches entre leurs univers opposés.<br />
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<strong>La</strong> <strong>face</strong> <strong>cachée</strong> d'"Intouchables"<br />
On rit beaucoup du côté Gaston <strong>La</strong>gaffe et <strong>de</strong>s prouesses audacieuses d'Omar Sy. On s'émeut <strong>de</strong> la finesse <strong>de</strong> son<br />
jeu bourré d'énergies et <strong>de</strong> sa tendresse <strong>cachée</strong>, <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong>s maladresses sans méchanceté. En contrepoint, la<br />
rigidité physique et morale <strong>de</strong> François Cluset, engoncé dans les principes d'une représentation sociale exigeante, et<br />
soumis aux jugements incessants <strong>de</strong> son milieu, nous rend perplexes quant à l'heureuse issue <strong>de</strong> cette sorte <strong>de</strong><br />
mariage arrangé, même si la fortune <strong>de</strong> l'un facilite considérablement la vie <strong>de</strong> l'autre.<br />
Le tour <strong>de</strong> force du film est <strong>de</strong> lever pendant <strong>de</strong>ux heures la chape <strong>de</strong> plomb et les tabous qui pèsent encore sur les<br />
malheurs <strong>de</strong>s grands paralysés que nos sociétés marginalisent si facilement, sans leur fournir assez <strong>de</strong> moyens <strong>de</strong><br />
vivre le plus possible comme tout le mon<strong>de</strong>. À ce sujet, « Intouchables » nous offre un réel service. Il ose parler <strong>de</strong> la<br />
vie diminuée <strong>de</strong>s victimes <strong>de</strong> handicaps lourds, même si Philippe est un handicapé bien particulier, bénéficiant <strong>de</strong><br />
beaucoup <strong>de</strong> moyens techniques et financiers et d'un entourage compétent pour l'ai<strong>de</strong>r. « Intouchables » vient aussi<br />
effleurer et retoucher les préjugés inconscients <strong>de</strong>s noirs <strong>face</strong> aux blancs et réciproquement, tout en montrant le fond<br />
<strong>de</strong> racisme ou <strong>de</strong> « délit <strong>de</strong> sale gueule » qui traînent encore dans nos sociétés et ren<strong>de</strong>nt vraiment intouchables ces<br />
<strong>de</strong>ux exceptions : Driss et Philippe, frappés par la grâce d'avoir franchi <strong>de</strong>s interdits et <strong>de</strong>s barrières sociales. On a<br />
du mal à croire qu'il ne reste aucune touche <strong>de</strong> ressentiment, aucun sentiment d'inégalité <strong>de</strong>s chances chez Driss et<br />
que Philippe puisse partager réellement les soucis quotidiens <strong>de</strong> la famille <strong>de</strong> Driss. Mais ne cassons pas le ressort<br />
du film : pour nos <strong>de</strong>ux héros, nécessité fait loi !<br />
UN FEU COUVE SOUS LES RIRES RAVAGEURS<br />
Derrière cette fiction qui trouve ses racines dans une histoire réelle, le film gomme cependant <strong>de</strong>s réalités culturelles<br />
et <strong>de</strong>s valeurs qui ne méritent pas d'être à ce point balayées, ou alors il ne restera bientôt rien <strong>de</strong> notre culture et <strong>de</strong><br />
nos valeurs occi<strong>de</strong>ntales.<br />
Ce film porte en lui un caractère iconoclaste et nihiliste par rapport à notre patrimoine et à <strong>de</strong>s siècles <strong>de</strong> culture<br />
occi<strong>de</strong>ntale. Avec désinvolture, et dans l'ignorance naïve <strong>de</strong> la valeur d'une peinture, d'une musique, d'un<br />
comportement social, Driss renverse les valeurs d'un mon<strong>de</strong> où il avance « comme un éléphant dans un magasin <strong>de</strong><br />
porcelaines ». À sa défense, il est vrai que certaines scènes montrent l'artificiel et le ridicule <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> l'argent<br />
et <strong>de</strong> l'art, et font songer aux marchands du temple dont les étals sont renversés par Jésus. Le comportement <strong>de</strong><br />
Driss, qui n'entend rien à l'art et au mon<strong>de</strong> culturel <strong>de</strong> Philippe, donne à penser qu'il contribue utilement à renverser<br />
<strong>de</strong>s idoles, à assainir l'univers étouffant et mondain <strong>de</strong> Philippe. Mais est-ce si sûr ?<br />
C'est la réflexion du journaliste Marc Baudriller, dans un billet sur Radio Notre Dame intitulé « regard sur les Médias<br />
», qui m'a alerté sur les limites du film, parlant même <strong>de</strong> « négation <strong>de</strong> la culture ». Il est vrai que le comportement<br />
instinctif et généreux <strong>de</strong> Driss est plus que dérisoire et insuffisant pour juger <strong>de</strong> la valeur d'une culture, même si<br />
celle-ci se complaît parfois dans une adoration narcissique d'elle-même, avec insolence, esprit <strong>de</strong> domination et une<br />
insupportable vanité. N'oublions pas aussi qu'une partie importante <strong>de</strong> notre culture transporte aussi notre foi et les<br />
mille et une façons <strong>de</strong> se trouver incarnée dans le paysage physique, artistique et mental <strong>de</strong> notre pays.<br />
Il y a donc comme une démarche révolutionnaire, sectaire et barbare, <strong>de</strong> sans-culotte, dans le rejet instinctif <strong>de</strong><br />
Driss d'accepter les habitu<strong>de</strong>s et les goûts culturels <strong>de</strong> Philippe. Certes, nous rions <strong>de</strong> sa désinvolture quand il fait<br />
tabula rasa d'un mon<strong>de</strong> qui n'est pas le sien et dans lequel il ne pourra jamais vraiment entrer. Mais a-t-il vraiment le<br />
droit <strong>de</strong> détruire le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> Philippe ? Et que propose-t-il en remplacement <strong>de</strong> cette culture d'une élite<br />
incompréhensible à ses yeux ?<br />
UN CONTE DE FÉE QUI N'EST PAS ENCORE LE<br />
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PARADIS<br />
<strong>La</strong> <strong>face</strong> <strong>cachée</strong> d'"Intouchables"<br />
Le conte <strong>de</strong> fée s'arrête donc là, <strong>de</strong>vant le constat <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s encore incapables <strong>de</strong> se comprendre vraiment,<br />
<strong>de</strong> se respecter dans un vrai partage culturel. <strong>La</strong> comédie burlesque, la farce tendre sur un sujet délicat touche ici<br />
ses limites et accumule plus <strong>de</strong> rires jaunes inavoués que l'on ne croie. On s'empresse d'écarter ces ombres <strong>de</strong>vant<br />
le triomphe du film et la performance <strong>de</strong> ses acteurs.<br />
Par le biais d'un manque, celui d'une mobilité autonome et par celui d'avoir besoin d'autrui, on peut peut-être<br />
accé<strong>de</strong>r à un partage <strong>de</strong> vie plus ample et à la riche expérience <strong>de</strong> s'aimer les uns les autres, sans chercher à aimer<br />
systématiquement ceux qui vous aiment, à fréquenter ceux qui vous ressemblent etc. ...Alors, l'évangile n'est pas<br />
loin ... Mais ce n'est pas le propos du film qui ressemble davantage à une version aimable <strong>de</strong> la fable <strong>de</strong> Jean <strong>de</strong> <strong>La</strong><br />
Fontaine : « le loup et <strong>de</strong> l'agneau ».<br />
Prenons donc ce film comme une énorme comédie, une farce et attrape <strong>de</strong> génie plein d'étincelles qui<br />
s'entrechoquent entre <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s jamais invités à se rencontrer. Mais si un jour ces <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s : le haut du<br />
pavé et celui <strong>de</strong>s cages à poule fraternisaient pour <strong>de</strong> bon, nous serions aux portes du paradis !<br />
Frère Gilles Rivière, ofmcap. Paris<br />
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