13.07.2013 Views

Perception du mouvement et mouvement propre

Perception du mouvement et mouvement propre

Perception du mouvement et mouvement propre

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Chapitre 1<br />

<strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong><br />

<strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

Nous avons choisi de consacrer ce premier chapitre à la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> au <strong>mouvement</strong><br />

<strong>propre</strong> pour deux raisons principales : d’une part parce que, comme nous l’avons aperçu<br />

auparavant, la représentation de l’espace dans le cerveau semble intimement liée à la perception <strong>du</strong><br />

<strong>mouvement</strong>, <strong>et</strong> d’autre part parce que les travaux réalisés pour notre thèse portent sur des signaux<br />

de <strong>mouvement</strong>, les signaux neuronaux relatifs au <strong>mouvement</strong> de la tête.<br />

La perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>, c’est-à-dire la perception <strong>du</strong> déplacement de l’observateur<br />

dans l’environnement (Warren 1990), repose sur un ensemble de signaux distincts, parmi lesquels les<br />

signaux vestibulaires, les signaux de flux sensoriels optiques ou tactiles, les signaux proprioceptifs<br />

ou kinesthésiques, ou encore les signaux de copie motrice efférente ou de décharges collatérales.<br />

Afin de cerner les bases de la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>, nous débuterons<br />

par la description <strong>du</strong> capteur spécialisé pour le <strong>mouvement</strong>, le capteur vestibulaire. Ensuite, nous<br />

consacrerons deux parties à l’étude <strong>du</strong> flux optique <strong>et</strong> aux informations sur le <strong>mouvement</strong> que le<br />

cerveau peut en extraire. Puis nous verrons comment la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> émerge<br />

de la fusion de plusieurs informations sensorielles. Nous finirons par une description sommaire des<br />

caractéristiques générales <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>, <strong>et</strong> <strong>du</strong> couplage entre perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

<strong>et</strong> action.<br />

1.1 Le système vestibulaire<br />

- Le sens vestibulaire donne des informations sur le <strong>mouvement</strong> physique de la tête. Bien qu’actif<br />

en permanence, il possède la particularité de n’arriver à la conscience que lorsqu’il pose problème.<br />

L’on prend généralement conscience de son existence en cas de mal des transports, d’intoxication<br />

alcoolique aiguë ou de vertiges (vertige de Ménière, vertige alternobarique déclenché par un<br />

différentiel de pression entre les deux oreilles moyennes, <strong>et</strong>c.).<br />

Du point de vue des indices <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>, les indices vestibulaires (<strong>et</strong> les indices<br />

somatosensoriels dépendants de l’inertie) ont deux particularités par rapport aux autres indices<br />

sensoriels (Mergner & Becker 1990). D’abord, ils ne peuvent pas être interrompus comme l’est par<br />

exemple le signal visuel lorsqu’on ferme les yeux. Ensuite, puisqu’ils mesurent l’accélération dans<br />

l’espace physique, un message non nul signifie automatiquement un déplacement dans l’espace. A<br />

l’opposé, les autres signaux sensoriels comme la vision ou l’audition peuvent être interrompus à<br />

volonté, <strong>et</strong> l’information qu’ils fournissent est ambiguë, puisqu’elle est relative. Ainsi, en se basant<br />

sur la seule vision, le suj<strong>et</strong> ne peut savoir si c’est lui ou l’environnement qui bouge.<br />

15


16 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

- La difficulté d’appréhender le sens vestibulaire est par ailleurs assez bien illustrée par son<br />

histoire (Guerrier & Mounier-Kuhn 1980). Le labyrinthe est découvert par d’Empédocle (535-475<br />

av J.C.), mais ce dernier le considère comme un organe de l’audition, affirmant que le son est<br />

capté par c<strong>et</strong> organe puis ensuite régularisé le long des canaux. On doit ensuite attendre Gabriel<br />

Fallope, au XVIe siècle, qui donne la première description anatomique complète de l’oreille interne,<br />

en distinguant ses deux cavités nommées labyrinthe <strong>et</strong> limaçon. Ce n’est que bien plus tard encore,<br />

au XIXe siècle, qu’une première hypothèse sur la fonction vestibulaire est avancée par Pierre-Jean-<br />

Marie Flourens, qui considère que le labyrinthe est l’organe périphérique dans lequel résideraient<br />

les forces modératrices des <strong>mouvement</strong>s. Le labyrinthe vestibulaire ne fait son entrée en clinique<br />

que vingt ans plus tard, en 1861, avec le fameux rapport de Prosper Ménière qui décrit le premier<br />

syndrome vertigineux en rapport avec l’oreille interne (maladie de Ménière). Enfin, c’est le physicien<br />

allemand Ernst Mach, qui en 1875, est le premier à décrire la géométrie des canaux semi-circulaires,<br />

notamment leur orientation respective ainsi que leur fonctionnement par couple (voir Henn 1997).<br />

1.1.1 Le labyrinthe : un capteur de <strong>mouvement</strong> tridimensionnel<br />

1.1.1.1 Anatomie <strong>et</strong> structure <strong>du</strong> capteur vestibulaire<br />

Le capteur vestibulaire, ou labyrinthe membraneux, est situé dans l’oreille interne (Fig. 1.1A). Il<br />

est composé de deux types de capteurs, les canaux semi-circulaires qui sont des capteurs de rotation<br />

de la tête, <strong>et</strong> les capteurs otolithiques ou maculaires qui perçoivent les accélérations linéaires,<br />

soit sous forme de translation de la tête ou d’orientation de celle-ci par rapport à la gravité. Les<br />

canaux semi-circulaires sont au nombre de trois, un canal antérieur, un canal postérieur <strong>et</strong> un canal<br />

horizontal (Fig. 1.1A : bleu cyan, vert <strong>et</strong> rouge, respectivement). Ces canaux sont composés d’une<br />

part <strong>du</strong> canal <strong>propre</strong>ment-dit (hémi-tore) <strong>et</strong> d’un renflement encore appelé ampoule, qui contient<br />

les cellules sensorielles. Les capteurs otolithiques sont au nombre de deux, l’utricule qui se trouve<br />

juste à la base des canaux semi-circulaires, <strong>et</strong> le saccule qui se trouve en dessous de ce dernier (Fig.<br />

1.1A : en orange).<br />

Les canaux semi-circulaires sont fixes par rapport à la tête, <strong>et</strong> sont orientés dans trois plans de<br />

l’espace physique. Le canal horizontal est incliné (d’environ 25 ◦ chez l’homme, voir Wilson & Melvill-<br />

Jones 1979, pp.15-19 ; environ 15 ◦ chez le singe, Reisine <strong>et</strong> al. 1988) par rapport au plan horizontal<br />

anatomique de la tête (plan de Horsley Clark ; Fig. 1.1B), ce qui entraîne qu’en conditions naturelles,<br />

les canaux horizontaux sont alignés avec l’horizontale définie par rapport à la terre. Les canaux<br />

verticaux antérieur <strong>et</strong> postérieur sont orientés diagonalement par rapport à la tête, suivant deux<br />

lignes passant par deux repères anatomiques (Fig. 1.1C). Plus généralement, l’organisation spatiale<br />

des canaux semi-circulaires suit trois grands principes : (1) une symétrie bilatérale (Fig. 1.1C), (2)<br />

une orthogonalité deux à deux des plans canalaires, <strong>et</strong> (3) un fonctionnement par couple excitateurinhibiteur<br />

(push-pull ; Graf 1988). Les deux premières propriétés ne sont toutefois vérifiées que<br />

partiellement, en particulier en raison de variabilité anatomique qui entraîne des déviations de<br />

l’orthogonalité ainsi que de l’alignement des deux canaux d’une paire d’environ 10 ◦ (Wilson &<br />

Melvill-Jones 1979, pp.15-19 ; Reisine <strong>et</strong> al. 1988). De telles déviations pourraient toutefois être<br />

compensées par le fonctionnement en couple (Wilson & Melvill-Jones 1979).<br />

Les capteurs otolithiques sont aussi orientés dans l’espace. Le capteur utriculaire est approximativement<br />

aligné avec le plan des canaux semi-circulaires horizontaux, <strong>et</strong> le capteur sacculaire est dans<br />

un plan vertical perpendiculaire à celui-ci (Wilson & Melvill-Jones, pp. 20-22). C<strong>et</strong>te disposition<br />

des otolithes montre leur rôle complémentaire, constituant ensemble un capteur gravito-inertiel.


Le système vestibulaire 17<br />

Fig. 1.1 –


18 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

FIG. 1.1 – Localisation crânienne <strong>du</strong> système vestibulaire. A Coupe frontale schématique montrant la<br />

localisation <strong>du</strong> système vestibulaire dans l’oreille interne. Celui-ci est composé d’une part des canaux semicirculaires,<br />

dont l’horizontal (en rouge), l’antérieur (en bleu cyan) <strong>et</strong> le postérieur (en vert), <strong>et</strong> d’autre<br />

part des otolithes (saccule <strong>et</strong> utricule ; en orange). Les canaux semi-circulaires sont composés <strong>du</strong> canal<br />

<strong>propre</strong>ment dit <strong>et</strong> d’un renflement situé au dessus de l’utricule, l’ampoule. B Vue latérale de la tête, <strong>et</strong><br />

position de l’appareil vestibulaire. Remarquons que le canal semi-circulaire horizontal (en rouge) n’est pas<br />

dans le plan horizontal <strong>du</strong> crane, mais est dévié de celui-ci d’un angle d’environ 25 ◦ . C Vue <strong>du</strong> dessus :<br />

les canaux semi-circulaires antérieurs (en bleu) <strong>et</strong> postérieurs (en vert) sont orientés à environ 45 ◦ <strong>du</strong> plan<br />

sagittal, <strong>et</strong> approximativement perpendiculaires entre eux. L’orientation des canaux antérieurs est définie<br />

par la ligne passant par le centre des structures vestibulo-cochléaires <strong>et</strong> le bord postérieur <strong>du</strong> foramen<br />

magnum, <strong>et</strong> l’orientation des canaux postérieurs est définie par la ligne passant par le centre des structures<br />

vestibulo-cochléaires <strong>et</strong> la selle turcique.<br />

Plus généralement, l’ensemble des capteurs vestibulaires dote le cerveau d’informations sur le<br />

<strong>mouvement</strong> de la tête dans l’espace physique tridimensionnel. L’importance <strong>du</strong> capteur vestibulaire<br />

<strong>et</strong> de sa structure peuvent être perçues à travers sa phylogénie. Les premiers organismes fossilisés<br />

possédant un labyrinthe sont les Ostracodermes (familles des Agnathes, 350-400 millions d’années).<br />

Ce labyrinthe primitif ne comprend que des canaux verticaux. Les descendants modernes des Gnathostomes<br />

(organismes pourvus de mâchoire), les poissons cartilagineux <strong>et</strong> osseux (Chondrichtiens<br />

<strong>et</strong> Ostéichtiens) acquièrent un nouvel élément : les canaux horizontaux. Si le labyrinthe des poissons<br />

osseux est identique à celui des Mammifères, celui des poissons cartilagineux ne possède pas de<br />

partie commune entre les canaux antérieur <strong>et</strong> postérieur, laissant penser au développement de deux<br />

solutions évolutives distinctes. Toutefois, remarquons que le capteur vestibulaire apparaît relativement<br />

tôt dans l’évolution des vertébrés, <strong>et</strong> que sa structure tri-dimensionnelle, une fois acquise,<br />

reste inchangée. Le labyrinthe est donc une solution évolutive stable pour percevoir le <strong>mouvement</strong><br />

dans l’espace tridimensionnel (Graf 1988).<br />

1.1.1.2 Les canaux semi-circulaires sont des capteurs de rotation<br />

Depuis la description de Mach en 1875, l’on sait que les canaux semi-circulaires sont adaptés<br />

pour percevoir les rotations de la tête en trois dimensions. Chaque canal a ainsi un axe de rotation<br />

céphalique préféré, c’est-à-dire qu’une rotation autour de c<strong>et</strong> axe provoque une réponse<br />

neuronale maximale (Fig. 1.2A). L’axe préféré n’est, en général, pas aligné avec l’axe anatomique<br />

<strong>du</strong> canal, mais diffère de celui-ci d’environ 10 ◦ en moyenne chez le primate (Reisine <strong>et</strong> al. 1988).<br />

Par ailleurs, les six canaux semi-circulaires fonctionnent en couple, définissant 3 axes de rotation<br />

majeurs. Les deux canaux horizontaux définissent l’axe vertical, les canaux antérieur-droit<br />

<strong>et</strong> postérieur-gauche définissent l’axe horizontal diagonal antérieur-droit postérieur-gauche, <strong>et</strong> les<br />

canaux antérieur-gauche <strong>et</strong> postérieur-droit définissent le deuxième axe horizontal diagonal.<br />

Le fonctionnement des canaux semi-circulaires est basé sur un mécanisme inertiel. Une translation<br />

de la tête, donc de l’ensemble des canaux semi-circulaires, ne provoque aucun eff<strong>et</strong> sur ces<br />

derniers. Par contre, dans le cas par exemple d’une rotation horizontale de la tête vers la droite, le<br />

canal horizontal droit est activé, le canal horizontal gauche inhibé (Fig. 1.2A). Le <strong>mouvement</strong> de<br />

rotation de la tête provoque, par inertie <strong>du</strong> liquide endolymphatique à l’intérieur <strong>du</strong> canal droit, un<br />

<strong>mouvement</strong> fluide vers la gauche, qui dévie la cupule de l’ampoule <strong>du</strong> canal droit vers la gauche (Fig.<br />

1.2B). C<strong>et</strong>te déviation entraîne un <strong>mouvement</strong> des cils –des cellules ciliées de la base ampoulaire–<br />

qui sont solidaires de la cupule. L’inclinaison des cils vers le kinocil provoque à son tour l’ouverture<br />

de canaux ioniques transmembranaires, aboutissant à l’excitation des cellules ciliées qui sont en<br />

contact avec les cellules bipolaires <strong>du</strong> ganglion de Scarpa.


Le système vestibulaire 19<br />

Fig. 1.2 – Trans<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> message vestibulaire. A Représentation schématique des canaux semi-circulaires.<br />

Les directions préférées de rotation de la tête sont représentées pour les canaux horizontaux (en rouge),<br />

antérieurs (en bleu) <strong>et</strong> postérieurs (en vert). Les canaux semi-circulaires fonctionnent par paire. Ainsi, lors<br />

d’une rotation horizontale de la tête vers la droite, le canal droit est activé <strong>et</strong> le gauche inhibé. B Agrandissement<br />

de l’ampoule <strong>du</strong> canal horizontal droit. Lors de la rotation de la tête vers la droite, le liquide<br />

endolymphatique, par inertie, déplace la cupule vers la gauche. Les cellules ciliées de la crête ampoulaire<br />

sont activées par la déviation conséquente de leurs cils apicaux (kinocils) qui entraîne l’ouverture de canaux<br />

ioniques transmembranaires. C Génération <strong>du</strong> message vestibulaire. En l’absence de <strong>mouvement</strong> (phase 1),<br />

les cellules bipolaires reliées aux cellules ciliées déchargent toniquement. Lors d’une augmentation de la vitesse<br />

de rotation de la tête (accélération positive, phase 2), les cils sont déviés vers le kinocil (grand cil noir),<br />

la cellule ciliée activée (EPSP), la fréquence de décharge de la cellule bipolaire augmente rapidement jusqu’au<br />

niveau de saturation qui est proportionnel à l’amplitude de l’accélération. A la fin de l’échelon d’accélération,<br />

la tête tourne à vitesse constante, la fréquence de décharge de la cellule diminue jusqu’au niveau de décharge<br />

tonique de repos (phase 3). Lors de la décélération de la tête (phase 4), les cils sont déviés à l’opposé de la<br />

direction préférée, la cellule ciliée inhibée (IPSP), la fréquence de décharge de la cellule bipolaire descend en<br />

dessous de la fréquence de repos, pour revenir progressivement vers celle-ci après la fin de la décélération.<br />

Ainsi, le système vestibulaire ne distingue pas l’immobilité (phase 1) de la rotation à vitesse<br />

constante (phase 3).


20 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

L’excitation des cellules ciliées aboutit à la génération d’un potentiel post-synaptique excitateur<br />

(EPSP), puis à la génération de potentiels d’action nerveux par les cellules bipôlaires (Fig.<br />

1.2C). A l’inverse, dans le canal horizontal gauche, les cils sont déviés dans l’autre sens (à opposé<br />

<strong>du</strong> kinocil), les canaux ioniques ouverts provoquent une hyperpolarisation des cellules ciliées <strong>et</strong><br />

une diminution de la décharge des cellules bipolaires : les deux canaux fonctionnement en couple<br />

excitation-inhibition.<br />

De par sa nature inertielle, le capteur canalaire n’est sensible qu’à l’accélération de la tête. Un<br />

<strong>mouvement</strong> à vitesse constante n’a pas d’eff<strong>et</strong> inertiel. Ainsi, le capteur canalaire ne peut distinguer<br />

entre l’absence de <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> un <strong>mouvement</strong> à vitesse constante (Fig. 1.2C).<br />

1.1.1.3 Les otholithes sont des capteurs d’accélération linéaire<br />

Les capteurs otolithiques sont aussi des capteurs inertiels, <strong>et</strong> leur fonctionnement intime présente<br />

de grandes similarités avec celui des canaux semi-circulaires. Ils se composent également de cellules<br />

ciliées incluses dans une lame basale maintenue par des cellules de soutien (Fig. 1.3A). Les cils des<br />

cellules ciliées se trouvent, quant à eux, solidaires d’amas de cristaux particuliers appelés otoconies,<br />

<strong>et</strong> qui ne sont r<strong>et</strong>enus que par les cils.<br />

Fig. 1.3 – Trans<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> message otholithique. A Les otolithes se composent d’une rangée de cellules<br />

sensitives ciliées soutenues par une lame basale qui contient les terminaisons afférentes <strong>du</strong> nerf sacculaire. Les<br />

cils de la partie apicale des cellules sensitives sont solidaires de cristaux appelés otoconies. Au repos, la tête<br />

verticale, aucune force n’est exercée sur les otoconies. Les cils ne sont pas déviés, aucun message sensoriel<br />

n’est pro<strong>du</strong>it. B Lorsque la tête est inclinée, la gravité exerce une force sur les otoconies, ce qui entraîne une<br />

déviation des cils des cellules sensitives <strong>et</strong> la génération <strong>du</strong> message nerveux. Une accélération linéaire de la<br />

tête pro<strong>du</strong>it une force analogue sur les otoconies, <strong>et</strong> génère un message nerveux par le même mécanisme. Les<br />

otolithes mesurent ainsi les accélérations linéaires <strong>et</strong> l’orientation de la tête par rapport à la gravité.<br />

Lorsque la tête est inclinée par rapport à la gravité (Fig. 1.3B), les otoconies ne sont plus<br />

orientés perpendiculairement à la gravité, <strong>et</strong> subissent une force gravitationnelle qui entraîne leur


Le système vestibulaire 21<br />

déplacement. Ce déplacement provoque l’inclinaisons des cils des cellules ciliées <strong>et</strong> la génération <strong>du</strong><br />

message nerveux. Ce type de réponse des otolithes à l’orientation de la tête constitue la fonction<br />

otolithique statique.<br />

De même, lorsque la tête subit un <strong>mouvement</strong> de translation avec une composante d’accélération,<br />

la résultante de la somme de l’accélération céphalique <strong>et</strong> de la gravité n’est plus perpendiculaire<br />

aux otoconies. Ceux-ci subissent alors une force gravito-inertielle qui provoque l’inclinaison des cils<br />

<strong>et</strong> la génération <strong>du</strong> message nerveux. C’est la fonction otolithique dynamique (voir Benson 1990,<br />

p. 153). En résumé, les capteurs otolithiques perçoivent les accélération linéaires, qu’elles soient<br />

provoquées par des <strong>mouvement</strong>s de translations de la tête, ou par une inclinaison de celle-ci par<br />

rapport à la gravité.<br />

La nature inertielle des capteurs otolithiques contraint ceux-ci aux mêmes limitations que les<br />

canaux semi-circulaires, à savoir l’impossibilité de distinguer l’immobilité d’un <strong>mouvement</strong> à vitesse<br />

constante.<br />

1.1.1.4 Aspects géométriques<br />

Si l’organisation spatiale des canaux semi-circulaire respecte la condition d’orthogonalité mutuelle,<br />

on pourrait se demander pourquoi la solution diagonale pour les canaux verticaux a été<br />

r<strong>et</strong>enue au lieu, comme chez la pieuvre par exemple, d’avoir les canaux orientés dans les plans<br />

corporels principaux (i.e. horizontal, frontal <strong>et</strong> sagittal ; Graf 1988). Sans pour autant prétendre<br />

apporter une réponse à c<strong>et</strong>te question, remarquons que les plans des canaux semi-circulaires sont<br />

remarquablement bien alignés avec ceux de certains de leurs effecteurs principaux, à savoir les<br />

muscles extra-oculaires (Fig. 1.4 ; voir aussi Wilson & Melvill-Jones 1979, p.255). De plus, il semblerait<br />

que le codage <strong>du</strong> monde visuel dans les neurones vestibulaires secondaires, ainsi que dans<br />

le système optique accessoire soit exprimé selon les mêmes coordonnées (Graf 1988, Simpson <strong>et</strong> al.<br />

1988 : études chez le lapin). Ainsi, si la raison de l’orientation particulière r<strong>et</strong>enue par l’évolution<br />

reste inexpliquée, l’alignement des axes des capteurs, de l’effecteur ainsi que de la représentation<br />

visuelle présente l’avantage certain de ré<strong>du</strong>ire les problèmes de changement de coordonnées, plaçant<br />

de fait le système vestibulaire au centre de la représentation de l’espace tridimensionnel.<br />

1.1.2 Les signaux <strong>du</strong> capteur vestibulaire<br />

1.1.2.1 Principales voies anatomiques vestibulaires<br />

Bien qu’une description exhaustive des voies vestibulaires soit en dehors <strong>du</strong> champ de c<strong>et</strong>te<br />

étude, il paraît néanmoins nécessaire de parcourir rapidement les principales, en particulier celle qui<br />

mène les signaux <strong>du</strong> capteur vestibulaire au cortex (Fig. 1.5). A partir des canaux semi-circulaires <strong>et</strong><br />

des otolithes, le signal vestibulaire passant par le ganglion de Scarpa arrive aux noyaux vestibulaires.<br />

Au sein de ceux-ci, les afférences vestibulaires sont distribuées dans des régions indépendantes pour<br />

une part, <strong>et</strong> se recouvrant d’autre part, perm<strong>et</strong>tant ainsi aux neurones vestibulaires secondaires<br />

(i.e. dont le corps cellulaire se trouve dans les noyaux vestibulaires) de transm<strong>et</strong>tre de l’information<br />

provenant d’un ou plusieurs capteurs à la fois (pour une revue, voir Wilson & Melvill-Jones 1979,<br />

chap. 5 ; Fig. 1.5 à droite). Des noyaux vestibulaires, le signal est envoyé au thalamus, dans le noyaux<br />

ventro-postérieur (Büttner & Henn 1976) <strong>et</strong> dans la région péri-genouillée (Magnin & Fuchs 1977).<br />

Du thalamus, le message vestibulaire arrive au cortex, se répartissant directement dans différentes<br />

aires dites vestibulaires (Guldin & Grüsser 1998 ; cf. chap 1.1.3).


22 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

Fig. 1.4 – Orientation 3D des plans des canaux semi-circulaires <strong>et</strong> des plans d’action des muscles extraoculaires<br />

chez un animal aux yeux frontaux. Il existe une correspondance <strong>du</strong> plan <strong>du</strong> canal horizontal <strong>et</strong> de<br />

celui des recti horizontaux (en rouge), <strong>du</strong> plan <strong>du</strong> canal antérieur <strong>et</strong> de celui des recti verticaux (en bleu),<br />

<strong>et</strong> enfin <strong>du</strong> plan <strong>du</strong> canal postérieur <strong>et</strong> des muscles obliques (en vert). Remarquons néanmoins que c<strong>et</strong>te<br />

correspondance n’est pas absolue : les paires de plans de même couleur ne sont pas tout à fait parallèles.<br />

(d’après Ezure & Graf 1984)<br />

Par ailleurs, le premier relais central (noyaux vestibulaires) est étroitement lié, par projection<br />

réciproque, au cervel<strong>et</strong>. Ce dernier aurait un rôle très important dans l’élaboration <strong>et</strong> le contrôle<br />

de l’activité réflexe liée au système vestibulaire.<br />

R<strong>et</strong>enons simplement pour la suite qu’il existe deux différences majeures avec la voie visuelle<br />

rétino-corticale. La première est la présence des noyaux vestibulaires, relais dans le tronc cérébral<br />

entre le capteur vestibulaire <strong>et</strong> le thalamus, alors que l’information visuelle de la rétine arrive<br />

directement au thalamus (noyau genouillé latéral). La deuxième est l’absence de cortex vestibulaire<br />

primaire, qui, à l’instar <strong>du</strong> cortex visuel primaire, serait l’aire corticale à partir de laquelle serait<br />

transmise l’information vers les autres aires <strong>du</strong> cortex. L’information vestibulaire thalamique est<br />

distribuée directement dans les aires corticales vestibulaires.


Le système vestibulaire 23<br />

Fig. 1.5 – Principales voies vestibulaires. Les afférences vestibulaires primaires provenant des canaux semicirculaires<br />

(a,p,h) arrivent au premier relais central, en passant par le ganglion de Scarpa : les noyaux<br />

vestibulaires (VNs) (détails à droite, points de couleur). Le canal horizontal proj<strong>et</strong>te sur les noyaux vestibulaires<br />

médian (nVM) <strong>et</strong> latéral (nVL). Les canaux antérieur <strong>et</strong> postérieur, tous deux impliqués dans la<br />

perception des rotations verticales <strong>et</strong> torsionnelles, proj<strong>et</strong>tent dans des régions voisines des noyaux vestibulaires<br />

médian (nVM) <strong>et</strong> antérieur (nVA). L’utricule proj<strong>et</strong>te sur le noyau médian (nVM) <strong>et</strong> inférieur (nVI),<br />

<strong>et</strong> le saccule sur le noyaux inférieur (nVI). Des noyaux vestibulaires, les signaux vestibulaires rejoignent<br />

le faisceau longitudinal médian <strong>du</strong> tronc cérébral, d’où partent différentes afférences, notamment vers la<br />

moelle (réflexe vestibulo-colique <strong>et</strong> coordination oculo-céphalique), vers les noyaux oculomoteurs (réflexevestibulo-oculaire),<br />

vers l’olive inférieure <strong>et</strong> le cervel<strong>et</strong> (vestibulocervel<strong>et</strong> : no<strong>du</strong>le, uvule, flocculus ; cortex<br />

cérébelleux ; coordination oculo-céphalique <strong>et</strong> mo<strong>du</strong>lation des réflexes vestibulaires), <strong>et</strong> enfin, vers le thalamus<br />

(noyau ventro-postérieur <strong>et</strong> région péri-genouillée) d’où partent les afférences vers les différentes régions<br />

vestibulaires <strong>du</strong> cortex.


24 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

1.1.2.2 Le message vestibulaire<br />

Différentes méthodes de test des fonctions vestibulaires se sont développées, perm<strong>et</strong>tant d’étudier<br />

séparément les différents capteurs. Ainsi, la chaise tournante de Barany perm<strong>et</strong> de stimuler une<br />

seule paire de canaux semi-circulaires, les stimulations caloriques perm<strong>et</strong>tent de stimuler un seul<br />

labyrinthe, <strong>et</strong> enfin, des changements de position de la tête testent la réponse des otolithes.<br />

La description détaillée des capteurs vestibulaires <strong>et</strong> de leur mécanisme inertiel a rapidement<br />

donné lieu à un modèle physique de la dynamique canal-cupule (Wilson & Melvill-Jones 1979, pp.<br />

41-76). Ce modèle montre que le déplacement inertiel <strong>du</strong> liquide endolymphatique est proportionnel<br />

à la (variation de) vitesse de la tête, avec en outre un eff<strong>et</strong> de ”remise à zéro” progressive <strong>du</strong><br />

déplacement cupulaire par l’élasticité de celle-ci. Ainsi, le modèle canalo-cupulaire prévoit que dans<br />

une bande de fréquences de stimulation moyenne, le capteur se comporte comme un trans<strong>du</strong>cteur<br />

de vitesse angulaire, déviant ensuite vers un ”accéléromètre angulaire fuyant” aux basses fréquences<br />

(Jones & Milsum 1965 ; Wilson & Melvill-Jones 1979).<br />

–Afférences primaires<br />

Canaux semi-circulaires<br />

La première étude électrophysiologique des afférences vestibulaires primaires (Ross 1936, chez<br />

la Grenouille) montre en eff<strong>et</strong> que, dans une bande de fréquence limitée, le système canalo-cupulaire<br />

intègre l’accélération <strong>et</strong> pro<strong>du</strong>it un signal de vitesse angulaire de la tête. Chez le singe, la première<br />

étude détaillée décrit deux caractéristiques principales de ces afférences (Fernandez & Goldberg<br />

1971). La fréquence de décharge spontanée est en moyenne très élevée (91.3 ± 1.7 sp/s, allant de<br />

10 à 170 sp/s), ce qui perm<strong>et</strong> un codage bi-directionnel (excitation-inhibition, cf. Fig. 1.2C). La<br />

deuxième caractéristique concerne la régularité de la fréquence de décharge de repos. Sont décrites<br />

des unités régulières, de une fréquence élevée, qui correspondent probablement à des fibres de p<strong>et</strong>it<br />

diamètre <strong>et</strong> qui sont en contact avec de nombreuses cellules ciliées <strong>et</strong> réalisent ainsi une sorte de<br />

moyennage afférent. D’autre part, les unités irrégulières, dont la fréquence de repos est plus faible<br />

que les précédentes, qui correspondent à des fibres de gros diamètre <strong>et</strong> qui ne sont en contact<br />

qu’avec un p<strong>et</strong>it nombre de cellules ciliées (voir aussi Wilson & Melvill-Jones 1979, p.95).<br />

La réponse des afférences canalaires primaires en fonction de la fréquence de stimulation a<br />

été étudiée pour la première fois chez le primate par Fernandez <strong>et</strong> Goldberg (1971 ; Fig. 1.6A),<br />

pour des unités régulières <strong>et</strong> irrégulières (symboles ouverts <strong>et</strong> symboles pleins, respectivement), à<br />

l’aide d’une stimulation sinusoïdale. La courbe continue représente la réponse théorique d’après<br />

le modèle biophysique. Dans la bande de fréquences moyennes (i.e. entre 0.1 <strong>et</strong> 1 Hz), le gain (Fig.<br />

1.6A, à gauche) est approximativement constant, la phase par rapport à la vitesse de la stimulation<br />

(Fig. 1.6A, à droite) est proche de zéro : les neurones répondent à la vitesse angulaire de rotation<br />

de la tête. A basse fréquence (< 0.1 Hz), les neurones se comportent comme des accéléromètres<br />

fuyants (la phase tend vers 90 ◦ <strong>et</strong> le gain tend vers 0). On note toutefois deux déviations principales<br />

des réponses <strong>du</strong> modèle biophysique : (1) les unités irrégulières sont en avance de phase même dans<br />

les gammes de fréquences moyennes <strong>et</strong> basses (phénomène d’adaptation des neurones), <strong>et</strong> (2) le<br />

gain <strong>et</strong> la phase augmentent pour les hautes fréquences (> 1 Hz), comme si les neurones étaient<br />

sensibles à la fois à la vitesse <strong>et</strong> à la position de la cupule.<br />

Otolithes<br />

Chez le primate, les neurones primaires sacculaires répondent préférentiellement à l’accélération<br />

linéaire verticale, <strong>et</strong> les neurones utriculaires à l’accélération horizontale (Fernandez & Goldberg<br />

1976). La fonction otolithique statique est étudiée à l’aide de rotations lentes (10 ◦ /s) qui perm<strong>et</strong>tent<br />

d’évaluer la réponse otolithique à l’orientation de la tête (Fig. 1.6B). Au cours d’un cycle de


Le système vestibulaire 25<br />

rotation dans le plan sagittal, la fréquence de décharge des neurones sacculaires varie continûment<br />

avec l’orientation de la tête par rapport à la gravité : ces neurones transm<strong>et</strong>tent bien un signal<br />

d’orientation (statique) de la tête.<br />

La fonction otolithique dynamique (i.e. réponse à des accélérations de translation ou centrifuges)<br />

est étudiée de manière analogue à celle des canaux semi-circulaire, à l’aide de stimulations<br />

sinusoïdales. Pour les unités régulières (Fig. 1.6C), le gain reste approximativement constant entre<br />

0 <strong>et</strong> 2 Hz, <strong>et</strong> la phase proche de 0 (± 10 ◦ ) entre 0 <strong>et</strong> 1 Hz : dans une large bande de fréquences, les<br />

neurones otolithiques (unités régulières) se comportent comme de très bons accéléromètres linéaires<br />

(Fernandez & Goldberg 1976 ; voir aussi Wilson & Melvill-Jones 1979, p.118). Comme dans le cas<br />

des afférences canalaires, les réponses des unités otolithiques irrégulières sont beaucoup plus variables<br />

que celles des unités régulières, <strong>et</strong> sont par conséquent moins ”fiables” par rapport au signal<br />

physique codé (Wilson & Melvill-Jones 1979, p.121).<br />

–Afférences secondaires (noyaux vestibulaires)<br />

En provenance des canaux semi-circulaires<br />

L’activité dans les noyaux vestibulaires est relativement différente de celle de leurs entrées vestibulaires<br />

(afférences primaires). Au contraire des neurones primaires qui répondent uniquement à<br />

la rotation angulaire ipsilatérale, divers types de réponses par rapport à la direction de <strong>mouvement</strong><br />

sont décrits dans les noyaux vestibulaires (Duensing & Schaefer 1958). Le type I correspond au<br />

neurones qui répondent au <strong>mouvement</strong> ipsilatéral. Le type II englobe ceux qui répondent au <strong>mouvement</strong><br />

controlatéral, le type III ceux qui sont activés par les <strong>mouvement</strong>s ipsi- <strong>et</strong> controlatéral, <strong>et</strong><br />

le type IV ceux qui sont inhibés par les <strong>mouvement</strong>s des deux côtés. Les types I <strong>et</strong> II sont largement<br />

majoritaires, avec une légère dominance <strong>du</strong> type I qui correspond aux réponses des afférences primaires.<br />

Par ailleurs, la fréquence de décharge de repos est inférieure à celle des neurones primaires,<br />

<strong>et</strong> de ce fait certains neurones secondaires sont silencieux pendant une partie <strong>du</strong> cycle de stimulation<br />

sinusoïdale. Le gain (donc la sensibilité) des neurones secondaires est généralement plus élevé<br />

que celui des neurones primaires, les neurones vestibulaires secondaires transm<strong>et</strong>tant toujours un<br />

signal de vitesse angulaire de la tête (Wilson & Melvill-Jones 1979, p.152). Notons aussi que les<br />

constantes de temps (i.e. vitesse de diminution de la décharge neuronale, cf. Fig. 1.2C) des neurones<br />

vestibulaires secondaires sont plus longues que celles des neurones afférents, atteignant la <strong>du</strong>rée des<br />

constantes de temps <strong>du</strong> nystagmus vestibulaire (<strong>mouvement</strong>s oculaires réflexes, voir plus loin), c<strong>et</strong><br />

eff<strong>et</strong> disparaissant sous anesthésie (Bu<strong>et</strong>tner <strong>et</strong> al. 1978).<br />

En provenance des otolithes<br />

Comme pour les neurones secondaires canalaires, on r<strong>et</strong>rouve les différents types de réponses<br />

par rapport à la direction des stimulations (les types α, β, γ, δ correspondent aux types I,II,III <strong>et</strong><br />

IV respectivement ; Wilson & Melvill-Jones 1979, p. 161-2). Par ailleurs, après cérébelectomie, on<br />

observe une augmentation <strong>du</strong> rapport <strong>du</strong> nombre de réponses statiques sur le nombre de réponses<br />

dynamiques trouvées, ce qui suggère un rôle <strong>du</strong> cervel<strong>et</strong> dans la distinction des réponses statique <strong>et</strong><br />

dynamique, autrement dit, dans la distinction de l’accélération gravitaire de l’accélération linéaire<br />

<strong>du</strong>e au <strong>mouvement</strong> (Wilson & Melvill-Jones 1979, p.166).<br />

Codage des <strong>mouvement</strong>s de la tête<br />

Les <strong>mouvement</strong>s naturels de la tête se composent en général à la fois de translations <strong>et</strong> de<br />

rotations : les canaux semi-circulaires <strong>et</strong> les otolithes sont donc stimulés conjointement. S’appuyant<br />

sur la variation de phase <strong>et</strong> de gain des neurones vestibulaires canalaires <strong>et</strong> otolithiques en fonction<br />

de la direction (3D) <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> de la tête, les travaux originaux de Holly <strong>et</strong> al. (1999) montrent<br />

qu’en théorie, ces variations perm<strong>et</strong>traient un codage précis <strong>du</strong> vecteur de <strong>mouvement</strong> céphalique,<br />

au niveau des noyaux vestibulaires, codage basé sur les différences de phase entre les neurones à<br />

chaque <strong>mouvement</strong>.


26 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

Fig. 1.6 – Caractéristiques des signaux vestibulaires canalaires (A) <strong>et</strong> otolithiques (B,C) pour des unités à<br />

fréquence de repos régulière. A Gain (à gauche) <strong>et</strong> phase (à droite) de la réponse des neurones vestibulaires<br />

primaires canalaires aux stimulations vestibulaires sinusoïdales. Entre 0.1 <strong>et</strong> 1 Hz, le gain reste constant,<br />

<strong>et</strong> la phase par rapport à la vitesse de la tête reste proche de 0. Ces neurones codent un signal de vitesse<br />

de rotation de la tête (d’après Fernandez <strong>et</strong> Goldberg 1971). B Réponse otholithique statique : on observe<br />

une mo<strong>du</strong>lation de la réponse des neurones en fonction de l’orientation de la tête par rapport à la gravité<br />

(saccule ; d’après Loe <strong>et</strong> al. 1973, travaux sur le chat). C Réponse otolithique dynamique : Gain (à gauche) <strong>et</strong><br />

phase (à droite) de la réponse des neurones vestibulaires primaires otolithiques aux stimulations vestibulaires<br />

sinusoïdales. La réponse aux deux types de stimulation (excitatrice <strong>et</strong> inhibitrice) contient de l’information<br />

sur l’accélération linéaire ou gravitationnelle (gain presque constant, phase par rapport à l’accélération proche<br />

de zéro) (saccule ; d’après Fernandez & Goldberg 1976)


Le système vestibulaire 27<br />

Autres signaux transmis par les neurones vestibulaires secondaires<br />

La nature multimodale sur sens vestibulaire apparaît très tôt, dans certains cas dès les afférences<br />

vestibulaires primaires. Ainsi, chez le poisson rouge (ou carassin doré, Goldfish), des réponses à de<br />

larges stimuli visuels (optocinétiques) ont été décrites dans les neurones reliés au canal horizontal<br />

(Klinke & Schmidt 1970). De telles réponses n’existent pas chez le primate (Keller 1976).<br />

Dans les noyaux vestibulaires, des réponses visuelles ont été mentionnées pour la première fois<br />

par Duensing <strong>et</strong> Schaefer (1958, chez le lapin). Dans la première étude détaillée chez le poisson<br />

rouge, Dichgans <strong>et</strong> al. (1973) ont montré que l’entrée visuelle perm<strong>et</strong> de lever l’ambiguïté vestibulaire<br />

sur l’absence de <strong>mouvement</strong> ou la présence d’un <strong>mouvement</strong> à vitesse constante, améliorant<br />

ainsi significativement la fonction de ”speedomètre” des neurones vestibulaires secondaires. Chez<br />

le singe, Henn <strong>et</strong> al. (1974) ont décrit des réponses visuelles dans les noyaux vestibulaires, réponses<br />

qui, puisqu’elles sont absentes dans les neurones vestibulaires afférents, définissent une activité<br />

vestibulaire centrale distincte de l’activité vestibulaire périphérique (Keller 1976).<br />

Plus généralement, les noyaux vestibulaires contiennent de nombreux types de neurones <strong>et</strong> de<br />

réponses différentes. Ainsi, en plus des réponses vestibulaires <strong>et</strong> visuelles, on trouve des réponses à<br />

diverses composantes <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> des yeux, notamment aux saccades oculaires (Miles 1974), à<br />

l’accélération angulaire (Fuchs & Kim 1975), à la poursuite oculaire (Keller & Kamath 1975) ou<br />

aux phases lentes <strong>du</strong> nystagmus optocinétique (Baker & Berthoz 1974). Parmi ces neurones liés au<br />

<strong>mouvement</strong> des yeux, certains répondent en phase avec la position <strong>et</strong> non pas avec la vitesse de la<br />

tête (Keller & Kamath 1975).<br />

Enfin, notons que les neurones otolithiques secondaires ont aussi des réponses visuelles, <strong>et</strong> qu’il<br />

existe une certaine convergence des afférences canalaires <strong>et</strong> otolithiques dans les noyaux vestibulaires<br />

(Wilson & Melvill-Jones, p.166, p. 176).<br />

1.1.2.3 Activité réflexe : une fonction importante <strong>du</strong> système vestibulaire<br />

Si une description exhaustive des activités réflexes impliquant le système vestibulaire est hors <strong>du</strong><br />

cadre de ce travail, nous en verrons néanmoins le principe général, dans le cas particulier <strong>du</strong> réflexe<br />

vestibulo-oculaire (VOR). De manière générale, l’activation <strong>du</strong> labyrinthe provoque un ensemble de<br />

réflexes dans de nombreuses parties <strong>du</strong> corps, ces réflexes ayant pour objectif principal de stabiliser<br />

le regard dans l’espace. Pour ce faire, ils provoquent des <strong>mouvement</strong>s compensatoires de la tête<br />

par rapport au corps ainsi que des ajustements posturaux (réflexes vestibulo-coliques <strong>et</strong> vestibulospinaux<br />

<strong>du</strong> système vestibulo-spinal ; Wilson & Melvill-Jones 1979, chap.7), <strong>et</strong> des <strong>mouvement</strong>s<br />

compensatoires des yeux par rapport à la tête (réflexe vestibulo-oculaire ; Wilson & Melvill-Jones<br />

1979, chap.8). L’ensemble de ces réflexes prend toute son importance lors d’une activité aussi<br />

courante que la marche, laquelle serait littéralement impossible si le regard n’était pas stabilisé (ce<br />

qui donnerait une vision similaire à celle d’un film tourné caméra au poing).<br />

Les caractéristiques géométriques des <strong>mouvement</strong>s réflexes sont bien définies, <strong>et</strong> ont été étudiées<br />

en premier lieu sur le VOR. Typiquement, lorsque la tête est tournée vers la droite, les yeux subissent<br />

une contre-rotation opposée de même amplitude, en l’occurrence vers la gauche. Il en est de même<br />

pour les autres directions de rotation céphalique (Fig. 1.7). Lorsque la stimulation <strong>du</strong> labyrinthe<br />

est prolongée, il apparaît des <strong>mouvement</strong>s oculaires rapides de repositionnement de l’oeil dans<br />

l’orbite, qui entrecoupent les <strong>mouvement</strong>s compensatoires plus lents : c<strong>et</strong> ensemble de <strong>mouvement</strong>s<br />

oculaires, phases lentes <strong>et</strong> phases rapides, est appelé nystagmus vestibulaire. Si l’on stimule les<br />

canaux semi-circulaires indivi<strong>du</strong>ellement, le nystagmus évoqué (rotation des yeux) est dans le plan<br />

<strong>du</strong> canal stimulé (Wilson & Melvill-Jones 1979, p.254).<br />

Le circuit neuronal minimal sous-tendant le VOR comprend seulement trois neurones : le<br />

neurone vestibulaire afférent (corps cellulaire dans le ganglion de Scarpa), le neurone vestibulaire


28 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

secondaire (corps cellulaire dans le noyau vestibulaire <strong>et</strong> proj<strong>et</strong>ant directement sur le motoneurone),<br />

<strong>et</strong> le motoneurone extraoculaire (des noyaux oculomoteurs <strong>et</strong> ab<strong>du</strong>cens pour les <strong>mouvement</strong><br />

horizontaux)(voir aussi Fig. 1.7). Le premier neurone transm<strong>et</strong> un signal de vitesse de la tête, mais<br />

qui n’est pas maintenu à vitesse constante. Le second reçoit le signal <strong>du</strong> premier, <strong>et</strong> aussi un signal<br />

visuel qui est proportionnel à la vitesse <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> visuel, <strong>et</strong> qui, s’ajoutant au premier signal,<br />

perm<strong>et</strong> le maintien de la réponse au <strong>mouvement</strong> de la tête même à vitesse constante (entrée optocinétique,<br />

Fig. 1.7). Le neurone vestibulaire secondaire est ainsi un speedomètre fiable. Le signal<br />

de <strong>mouvement</strong> de la tête est ensuite transmis au motoneurone, à la fois directement <strong>et</strong> après une<br />

intégration pour indiquer la position finale de l’oeil (signal supplémentaire de fixation). Le <strong>mouvement</strong><br />

de l’oeil généré par ce circuit est identique mais de direction opposée à celui de la tête. En<br />

pratique, le circuit tri-neuronal <strong>du</strong> VOR n’est pas isolé. La formation réticulée <strong>du</strong> tronc cérébral,<br />

ainsi que le vestibulo-cervel<strong>et</strong> contribuent également au VOR.<br />

Fig. 1.7 – Réflexe vestibulo-oculaire (VOR). Les entrées vestibulaire (V : ˙ θ ′ t,v, estimation de vitesse de la<br />

tête) <strong>et</strong> optocinétique (Oc : ˙ θ ′ t,o, estimation de la vitesse de l’oeil dans l’orbite) sont combinées au niveau des<br />

noyaux vestibulaires. Le signal de commande résultant ( ˙ θ ′ o) est ensuite transmis d’une part aux motoneurones<br />

extraoculaires (MN) directement <strong>et</strong> via un intégrateur pour fournir la commande motrice de vitesse <strong>et</strong> de<br />

position oculaires, <strong>et</strong> d’autre part ˙ θ ′ o est réinjecté en copie efférente pour calibrer le signal optocinétique<br />

provenant <strong>du</strong> glissement rétinien ( ˙ θ ′ gr). Le <strong>mouvement</strong> physique de la tête (vitesse ˙ θt) est ainsi transformé<br />

en un <strong>mouvement</strong> physique oculaire (vitesse ˙ θo) d’amplitude identique <strong>et</strong> de direction opposée, suivi d’une<br />

fixation de l’oeil à la nouvelle position. (d’après Robinson 1977)<br />

L’influence de ce dernier à été particulièrement étudiée depuis les travaux théoriques féconds<br />

de Ito (1972) qui propose que le cervel<strong>et</strong> agit comme un ”ordinateur” sur les réflexes vestibulaires,<br />

dans le sens où, lorsque la stabilisation est inadaptée, le cervel<strong>et</strong> agit sur le signal d’erreur pour<br />

réadapter le réflexe. Il a été démontré ensuite d’une part que le vestibulo-cervel<strong>et</strong> (en particulier le<br />

no<strong>du</strong>le) reçoit des informations visuelles, <strong>et</strong> d’autre part que les cellules de Purkinje pro<strong>du</strong>isent une<br />

inhibition sélective (par rapport aux plans des canaux) sur la connexion labyrinthe–motoneurones<br />

extraoculaires <strong>du</strong> circuit tri-neuronal (voir Wilson & Melvill-Jones 1979, pp.281-283, 302). En particulier,<br />

<strong>du</strong> fait de l’influence opposée des afférences visuelle <strong>et</strong> vestibulaire sur les cellules de Purkinje,<br />

ces dernières contribuent largement à l’inhibition <strong>du</strong> VOR pour perm<strong>et</strong>tre la fixation d’un obj<strong>et</strong><br />

pendant le <strong>mouvement</strong> de la tête. La boucle de rétroaction entre les noyaux vestibulaires <strong>et</strong> le<br />

vestibulo-cervel<strong>et</strong> perm<strong>et</strong> des adaptations rapides (i.e. passer <strong>du</strong> VOR à la fixation), par opposition


Le système vestibulaire 29<br />

à la plasticité adaptative <strong>du</strong> VOR –conséquente à une perturbation au long terme <strong>du</strong> rapport entre<br />

les afférentes visuelle <strong>et</strong> vestibulaire (port de prismes)– qui indique des changements plastiques <strong>et</strong><br />

de longue <strong>du</strong>rée <strong>du</strong> gain de VOR <strong>et</strong> qui dépend de l’intégrité <strong>du</strong> cortex vestibulaire cérébelleux<br />

(Wilson & Melvill-Jones 1979, p.310-316).<br />

1.1.2.4 Activité vestibulaire, nystagmus <strong>et</strong> sensation de <strong>mouvement</strong><br />

Dans certains cas, il existe des dissociations entre l’activité vestibulaire <strong>et</strong> le comportement<br />

(nystagmus) ou la sensation de <strong>mouvement</strong> de la tête (Henn 1982). Ainsi, lorsqu’on augmente la<br />

vitesse d’un stimulus optocinétique, la vitesse des yeux <strong>et</strong> la sensation de <strong>mouvement</strong> continuent à<br />

augmenter même après que les neurones vestibulaires aient atteint leur seuil de décharge maximale.<br />

Lors de la suppression <strong>du</strong> nystagmus, malgré l’absence de <strong>mouvement</strong>s des yeux, l’activité dans<br />

les noyaux vestibulaire <strong>et</strong> la sensation de <strong>mouvement</strong> restent inchangées. Enfin, lors d’un conflit<br />

visuo-vestibulaire où le stimulus visuel tourne avec l’animal, malgré la présence d’une stimulation<br />

vestibulaire, l’activité dans les noyaux vestibulaires est inhibée mais elle reste inchangée dans le<br />

nerf vestibulaire. Pour de faibles accélérations, la sensation de <strong>mouvement</strong> est nulle. La présence<br />

de ces dissociations entre l’activité vestibulaire d’une part, <strong>et</strong> le comportement ou la sensation<br />

de <strong>mouvement</strong> de l’autre, montre un degré de complexité supplémentaire <strong>du</strong> système vestibulaire,<br />

faisant probablement intervenir le cortex cérébral.<br />

1.1.3 Le réseau vestibulaire cortical<br />

1.1.3.1 De multiples aires corticales vestibulaires<br />

Ainsi que nous l’avons vu dans la section 1.1.2, après un premier relais tronculaire <strong>et</strong> un second<br />

thalamique, l’information vestibulaire arrive au cortex (Figure 1.5). La recherche de l’entrée<br />

corticale primaire, à l’instar <strong>du</strong> cortex visuel primaire, a donné chez le singe des résultats surprenants<br />

(comme auparavant chez le chat ; Sans <strong>et</strong> al. 1969). A l’aide de potentiels évoqués puis<br />

d’électrophysiologie, une première aire (2v) est mise en évidence à la pointe antérieure <strong>du</strong> sillon<br />

intrapariétal (Schwarz & Fredrickson 1971). Puis, dans l’aire somatosensorielle frontale 3a, des<br />

réponses vestibulaires sont découvertes, <strong>et</strong> ensuite dans l’aire somatosensorielle 7a, <strong>et</strong> aussi dans<br />

une région <strong>du</strong> cortex insulaire, le cortex vestibulaire pariéto-insulaire ou PIVC (Grüsser <strong>et</strong> al. 1990b ;<br />

Fig. 1.8A ; voir aussi Guldin & Grüsser 1998). Si toutes ces aires contiennent effectivement des neurones<br />

répondant à la stimulation vestibulaire, aucun de ces neurones ne répond exclusivement à<br />

c<strong>et</strong>te dernière.<br />

Dans l’aire 2v, les neurones vestibulaires répondent aussi à la rotation des articulations des<br />

membres supérieurs, <strong>et</strong> 80% d’entre eux répondent également à de larges stimuli visuels (stimuli<br />

optocinétiques ; Büttner & Bu<strong>et</strong>tner 1978). Dans l’aire 3a, les neurones vestibulaires répondent<br />

aussi à des stimulations somatosensorielles (nuccales), ce qui est aussi le cas des neurones de l’aire<br />

pariétale associative 7, <strong>et</strong> <strong>du</strong> PIVC. L’aire MST, quant à elle (Fig. 1.8A), fait partie de la voie<br />

visuelle dorsale <strong>et</strong> se trouve impliquée dans la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> (cf. section 1.3.2). Enfin,<br />

l’aire visuelle post-sylvienne (VPS ; Guldin & Grüsser 1998) possède, elle aussi, des neurones visuovestibulaires.<br />

Le cortex vestibulaire pariéto-insulaire a été étudié en détail par Akbarian <strong>et</strong> al. (1988) <strong>et</strong><br />

Grüsser <strong>et</strong> al. (1990b). Située au fond <strong>du</strong> sillon sylvien <strong>et</strong> s’étendant dans la partie rétroinsulaire,<br />

c’est une aire corticale multisensorielle possédant en plus des réponses vestibulaires, des réponses<br />

visuelles (80% des neurones vestibulaires) <strong>et</strong> somatosensorielles (100% des neurones vestibulaires).<br />

A ce titre, elle ressemble particulièrement à l’aire intrapariétale ventrale (qui est l’obj<strong>et</strong> principal<br />

de notre étude), sur laquelle elle se proj<strong>et</strong>te d’ailleurs (cf. section 2.5). Les réponses visuelles sont


30 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

évoquées principalement par des stimuli larges, <strong>et</strong> semblent codées dans un référentiel égocentrique<br />

(Grüsser <strong>et</strong> al. 1990b). Dans 2/3 des cas, la direction visuelle préférée est à l’opposé de la direction<br />

préférée de stimulation vestibulaire (réponse dite complémentaire, puisque, lors d’une rotation<br />

de la tête, le monde visuel subit un déplacement apparent dans la direction opposée à celle <strong>du</strong><br />

<strong>mouvement</strong> de la tête). Dans le dernier tiers, les directions préférées visuelles <strong>et</strong> vestibulaires sont<br />

identiques (réponse non-complémentaire), ce qui donne lieu, en temps normal, à une situation de<br />

conflit visuo-vestibulaire. Remarquons que la proportion de réponses non-complémentaires dans<br />

les noyaux vestibulaires est


Le système vestibulaire 31<br />

n’existe pas de cortex vestibulaire primaire par analogie aux cortex visuel ou auditif primaires.<br />

A partir des deux observations suivantes, Brandt & Di<strong>et</strong>erich (1999) nous livrent une<br />

hypothèse intéressant sur c<strong>et</strong>te absence de cortex vestibulaire primaire. D’une part, la stimulation<br />

naturelle <strong>du</strong> système vestibulaire pendant le <strong>mouvement</strong> de la tête <strong>et</strong> la locomotion est toujours<br />

multisensorielle. D’autre part, par contraste avec les stimuli visuels <strong>et</strong> auditifs, les caractéristiques<br />

physiques de la stimulation vestibulaire sont définies complètement par seulement deux paramètres,<br />

la direction <strong>et</strong> l’amplitude de l’accélération subie par la tête. Ainsi, il se pourrait tout simplement<br />

qu’une aire vestibulaire primaire ne soit pas nécessaire.<br />

1.1.3.2 Architecture <strong>du</strong> réseau vestibulaire cortical<br />

Partant <strong>du</strong> constat qu’il existe plusieurs aires vestibulaires chez différentes espèces de primates,<br />

Guldin & Grüsser (1998) postulent l’existence d’un véritable réseau vestibulaire cortical, dont PIVC<br />

serait la région centrale, en particulier parce qu’elle possède largement plus de neurones vestibulaires<br />

que les autres aires. Si chacune des aires vestibulaires possède sa <strong>propre</strong> entrée sensorielle thalamique<br />

<strong>et</strong> sa <strong>propre</strong> connexion corticofugale vers les noyaux vestibulaires, les travaux anatomiques de<br />

Guldin & Grüsser dévoilent n<strong>et</strong>tement l’existence d’un réseau cortico-cortical (Figure 1.9).<br />

Fig. 1.9 – Le réseau vestibulaire cortical. Seules sont représentées les aires corticales présentant un marquage<br />

dense après injection dans aux moins deux des trois aires vestibulaires représentées dans une ellipse. Toutes<br />

les aires corticales définies comme étant vestibulaires à partir de la physiologie sont r<strong>et</strong>rouvées (comparer<br />

avec la figure 1.8). Remarquer le nombre important de connexions entre les différentes aires vestibulaires <strong>et</strong><br />

en particulier les connexions réciproques, l’ensemble définissant un véritable réseau d’aires interagissant pour<br />

le traitement des informations vestibulaires dans le cortex. Remarquer cependant que seule PIVC reçoit des<br />

afférences de toutes les aires <strong>du</strong> réseau. PIVC serait ainsi la région centrale <strong>du</strong> réseau vestibulaire cortical<br />

(d’après Guldin & Grüsser 1998)<br />

Le rôle central de PIVC est confirmé par l’anatomie : c’est la seule aire vestibulaire qui reçoit<br />

des entrées de toutes les autres aires vestibulaires corticales. Guldin & Grüsser (1998) proposent<br />

que PIVC est l’aire où l’information des différents centres corticaux est réunie en un concept<br />

[d’information sur] la tête dans l’espace.


32 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

Remarquons toutefois que l’aire intrapariétale ventrale (VIP) ne figure pas dans le réseau vestibulaire<br />

décrit, alors que nous avons montré précédemment au laboratoire qu’elle possède de nombreuses<br />

réponses vestibulaires (Graf <strong>et</strong> al. 1995 ; Bremmer <strong>et</strong> al. 1997), <strong>et</strong> qu’elle est connectée<br />

directement aux aires 2v, 3a, 7, MST <strong>et</strong> PIVC (Lewis & Van Essen 2000a,b ; cf. section 3).<br />

1.1.3.3 Le cortex vestibulaire chez l’homme<br />

Comme chez le singe, la stimulation vestibulaire (stimulation calorique, activation des canaux<br />

semi-circulaires) provoque l’activation de multiples aires corticales chez l’homme (Fig. 1.8B). Brandt<br />

& Di<strong>et</strong>erich proposent que le cortex pariéto-insulaire de l’homme est l’équivalent de PIVC chez le<br />

singe. Deux différences semblent cependant exister : le cortex pariéto-insulaire est activé avec une<br />

dominance dans l’hémisphère cérébral droit, <strong>et</strong> il peut être activé par stimulation galvanique ce qui<br />

suggère une entrée otolithique dans c<strong>et</strong>te région chez l’homme. Or, aucune réponse à l’orientation<br />

statique par rapport à la gravité n’a été r<strong>et</strong>rouvée dans PIVC chez le singe (Grüsser <strong>et</strong> al. 1990b). La<br />

localisation exacte de l’équivalent chez l’homme <strong>du</strong> PIVC est toujours suj<strong>et</strong> de discussion, puisque<br />

d’autres études semblent le placer dans la partie postérieure <strong>du</strong> sillon latéral (Lobel <strong>et</strong> al. 1998 ; de<br />

Waele <strong>et</strong> al. 2001).<br />

L’existence d’entrées vestibulaires canalaires <strong>et</strong> otolithiques chez l’homme semble être confirmée<br />

par la pathologie. Lorsqu’il est lésé, le cortex pariéto-insulaire provoque deux ensembles symptomatiques.<br />

Le premier est une désorientation spatiale corticale statique, aboutissant à une inclinaison<br />

de la verticale subjective <strong>et</strong> une latéro-pulsion corporelle associée. Le second est une désorientation<br />

spatiale dynamique, avec <strong>mouvement</strong> apparent ou vertiges rotatoires (Brandt & Di<strong>et</strong>erich 1999).<br />

1.1.4 Psychophysique <strong>et</strong> pathologie<br />

1.1.4.1 Psychophysique vestibulaire<br />

– <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> angulaire<br />

Les résultats d’une expérience de psychophysique où les suj<strong>et</strong>s devaient détecter une rotation<br />

qui leur était imposée montre que la courbe de gain de la détection en fonction de la fréquence de<br />

stimulation se superpose à celle obtenue par Fernandez <strong>et</strong> Goldberg (1971) sur les neurones vestibulaires<br />

secondaires chez le singe (Benson 1990). Entre 0.1 <strong>et</strong> 1 Hz, il apparaît une prédominance de<br />

la vitesse dans le mécanisme sensoriel, <strong>et</strong> en dessous de 0.1 Hz, une prédominance de l’accélération<br />

(cf. Fig. 1.6).<br />

– <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> linéaire<br />

Testé avec des <strong>mouvement</strong>s linéaires ”aller-r<strong>et</strong>our” sinusoïdes, le seuil de détection <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

est plus faible dans le plan horizontal que pour les déplacements haut-bas (Benson 1990).<br />

Chez le singe, la différence de seuil vertical <strong>et</strong> horizontal est r<strong>et</strong>rouvée qualitativement, mais elle<br />

est quantitativement plus importante : la perception des stimuli linéaires à basse fréquence est<br />

déterminée principalement par la dynamique de trans<strong>du</strong>ction des otolithes (cf. aussi Fig. 1.6).<br />

– <strong>Perception</strong> de la verticale (posture)<br />

Des expériences à l’aide d’un siège orientable dans les plans sagittal <strong>et</strong> frontal montrent que<br />

les estimations des suj<strong>et</strong>s sains sont à 1 ◦ (± 2.2 ◦ ) de la verticale vraie. Avant d’attribuer ces<br />

performances aux otolithes, deux réserves sont à ém<strong>et</strong>tre. D’une part, les suj<strong>et</strong>s plongés dans une<br />

piscine, privés ainsi de vision <strong>et</strong> d’information somatosensorielle, ont beaucoup de mal à r<strong>et</strong>rouver<br />

la verticale (l’arc d’erreur devient ± 31 ◦ ). D’autre part, les patients labyrinthiques obtiennent des


Flux optique <strong>et</strong> autres informations sensorielles. 33<br />

performances seulement très faiblement inférieures aux suj<strong>et</strong>s sains (Benson 1990). Ainsi, la vision<br />

<strong>et</strong> la proprioception jouent un rôle prédominant dans la perception de la verticale.<br />

– Les limites de la fonction vestibulaire qui causent des erreurs de perception<br />

L’existence d’un seuil, en dessous <strong>du</strong>quel aucun message vestibulaire n’est généré, implique que<br />

de légers <strong>mouvement</strong>s peuvent être indétectables.<br />

Puisque le capteur vestibulaire est un capteur d’accélération, un <strong>mouvement</strong> à vitesse constante<br />

<strong>du</strong>rant plus longtemps que la constante de temps ne génère plus de message nerveux (cf. Fig. 1.2),<br />

ce qui peut entraîner des sensations erronées de <strong>mouvement</strong> angulaire. Un <strong>mouvement</strong> de la tête<br />

autour d’un axe après une rotation de longue <strong>du</strong>rée autour d’un axe perpendiculaire à ce dernier<br />

pro<strong>du</strong>it l’illusion d’un <strong>mouvement</strong> autour <strong>du</strong> troisième axe orthogonal aux deux premiers.<br />

Le système vestibulaire est incapable de distinguer l’influence de l’accélération de celle de la<br />

gravité. Ainsi, lors d’une décélération dans un avion, la résultante vectorielle de l’accélération <strong>et</strong><br />

de la gravité est dirigée vers l’arrière de l’appareil, donnant ainsi au pilote une fausse sensation<br />

d’ascension verticale : c’est l’illusion somatogravique.<br />

Enfin, la maladie des transports résulte d’une incohérence entre les informations reçues <strong>et</strong> celles<br />

atten<strong>du</strong>es par le cerveau, notamment les informations visuelles <strong>et</strong> vestibulaires.<br />

1.1.4.2 Le sens vestibulaire <strong>et</strong> la représentation de l’espace<br />

De nombreuses preuves expérimentales soulignent l’importance <strong>du</strong> sens vestibulaire dans la<br />

représentation de l’espace. Nous ne citerons que quelques exemples.<br />

– En ce qui concerne l’orientation spatiale <strong>et</strong> la mise à jour continue de la représentation<br />

interne de l’espace, l’importance <strong>du</strong> sens vestibulaire est démontrée par les déficits de mémoire<br />

spatiale consécutifs à un séjour prolongé en microgravité. La performance des suj<strong>et</strong>s dans une tâche<br />

de pointage vers une cible mémorisée est dégradée, à cause d’une erreur de jugement sur la position<br />

de la cible <strong>et</strong> non sur la direction <strong>du</strong> bras(Watt 1997).<br />

– Les pathologies <strong>du</strong> nystagmus vestibulaire, qui entraînent un nystagmus constant <strong>et</strong> irrépressible,<br />

provoquent également des désorientations spatiales dans la direction <strong>du</strong> nystagmus (Di<strong>et</strong>erich &<br />

Brandt 1999).<br />

– Enfin, des lésions tout au long des voies vestibulaires, ainsi que des séjours prolongés en<br />

microgravité, provoquent, lors d’un <strong>mouvement</strong> de la tête (stimulation vestibulaire), une illusion<br />

spatiale particulière. L’illusion de la pièce penchée (room tilt illusion) correspond à l’impression<br />

transitoire d’être à l’envers (la tête en bas), ou encore que la pièce dans laquelle on se trouve est<br />

tournée de 90 ◦ . Brandt (1999) propose que l’illusion de la pièce penchée proviendrait d’un défaut<br />

d’alignement transitoire des coordonnées spatiales 3D visuelles <strong>et</strong> vestibulaires. Ces disparités, d’une<br />

amplitude de 90 ◦ ou 180 ◦ seraient en fait la conséquence des ”essais” d’alignement des messages<br />

erronés (ou de résolution <strong>du</strong> conflit visuo-vestibulaire) au niveau <strong>du</strong> cortex. L’illusion disparaît<br />

lorsque le système visuel impose sa référence au système vestibulaire, autrement dit, lorsque la<br />

verticale basée sur des informations visuelles empiriques (sens vertical des meubles ou de la porte...)<br />

est déterminée comme la verticale unique.<br />

1.2 Flux optique <strong>et</strong> autres informations sensorielles.<br />

D’un point de vue pragmatique, si le système visuel sert à la locomotion, il doit représenter le<br />

<strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> dans une forme appropriée pour agir dans l’environnement. De plus, la locomotion<br />

comporte un grand nombre de tâches différentes qui à leur tour demandent des informations


34 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

visuelles différentes (spécifiques). Par conséquent, dans une certaine mesure, les informations pertinentes<br />

dépendent de la tâche locomotrice à réaliser. Ainsi, l’étude de la perception visuelle <strong>du</strong><br />

<strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> a été divisée en fonction des questions suivantes : comment savoir si on se<br />

déplace, à partir <strong>du</strong> moment où on se déplace ; vers où va-t-on ; <strong>et</strong> enfin, une fois qu’on est en route,<br />

comment éviter les obstacles ? Ces différentes questions ont engendré des champs de recherche<br />

distincts, à savoir : un champ de recherche théorique sur les indices disponibles qui caractérisent<br />

le <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> par opposition, par exemple, ou <strong>mouvement</strong> extérieur au suj<strong>et</strong> ; un champ<br />

consacré à la perception de la direction de déplacement (heading) ; <strong>et</strong> enfin, un champ consacré aux<br />

aspects de prédiction <strong>du</strong> temps de contact avec un obstacle (notamment la théorie τ ou time to<br />

contact). Dans ce chapitre, qui comme le précédent est consacré à la description des informations<br />

sensorielles relatives au <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>, le lecteur trouvera une présentation <strong>du</strong> flux optique<br />

dans une première partie, <strong>et</strong> une revue très succincte des autres informations sensorielles qui contribuent<br />

à la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>. Les autres questions relatives à l’information optique<br />

relative au <strong>mouvement</strong> méritent un chapitre à part entière, <strong>et</strong> seront développées en suivant.<br />

1.2.1 Considérations théoriques <strong>et</strong> définition <strong>du</strong> flux optique<br />

Avant de débuter, remarquons simplement avec Koenderink (1990) qu’en raison de l’absence<br />

d’eff<strong>et</strong> inertiel en optique, il est impossible de mesurer directement l’accélération optique comme<br />

dans un système mécanique (tel le système vestibulaire). Par conséquent, il faut extraire les paramètres<br />

optiques <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> par des procédés spatio-temporels à partir de l’image rétinienne<br />

qui varie dans le temps.<br />

1.2.1.1 Définition <strong>du</strong> flux optique<br />

C’est Gibson (1966) qui le premier remarque que le champ de <strong>mouvement</strong> visuel contient des<br />

informations pertinentes pour servir la locomotion. Il a notamment observé que l’ensemble des lignes<br />

reliant un obj<strong>et</strong> dans l’environnement à un point de référence (centre de l’oeil de l’observateur) subit<br />

un <strong>mouvement</strong> d’expansion lorsque le point de référence se déplace vers l’avant. Seule la ligne qui<br />

coïncide avec la direction de <strong>mouvement</strong> reste inchangée. C’est l’ensemble des vecteurs associés à<br />

chaque direction –qui décrivent le <strong>mouvement</strong>– qui est appelé flux optique, <strong>et</strong> son centre invariant<br />

le foyer d’expansion (voir Figure 1.10).<br />

Malheureusement, le flux optique est rarement aussi simple. Même pour un suj<strong>et</strong> en translation<br />

pure, la rétine étant fixée sur une série de supports mobiles (dont l’oeil <strong>et</strong> la tête) qui tournent<br />

les uns par rapport aux autres, le flux optique résultant est rarement purement expansif. Ceci<br />

amène a distingue le flux optique (optical flow, optic array) qui ne dépend que des <strong>mouvement</strong>s de<br />

translation <strong>du</strong> suj<strong>et</strong>, <strong>du</strong> flux rétinien (r<strong>et</strong>inal flow, optic flow) qui lui dépend de la translation <strong>du</strong><br />

suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> des <strong>mouvement</strong>s relatifs de rotation des différents segments <strong>du</strong> corps (Van den Berg 2000,<br />

Warren 1990). Du point de vue des formulations mathématiques <strong>du</strong> flux optique, il n’existe pas<br />

de consensus (Warren 1990). Ainsi, la description des différents formalismes dépasse le cadre de<br />

notre étude (voir par exemple Koenderink 1990 <strong>et</strong> Zacharias, 1990). Les équations proposées par<br />

les auteurs dépendent de la nature exacte <strong>du</strong> problème qu’ils se posent. Par exemple, Koenderink<br />

(1990) propose un formalisme plus adapté à la recherche de la direction de déplacement (heading),<br />

<strong>et</strong> Zacharias (1990) une formule dérivée adaptée à l’extraction de la forme à partir <strong>du</strong> flux optique.<br />

C’est pourquoi les deux formalismes diffèrent par leur expression de la rotation, le premier utilisant<br />

la rotation <strong>propre</strong> (egorotation) <strong>et</strong> le second la rotation in<strong>du</strong>ite par le <strong>mouvement</strong> (in<strong>du</strong>ced rotation).<br />

Ceci dit, les différents formalismes ont des caractéristiques communes. Le flux optique canonique est<br />

défini comme tout champ de vecteurs dont les éléments indivi<strong>du</strong>els changent leur position optique en<br />

fonction d’équations dérivées sous les hypothèse d’un environnement rigide <strong>et</strong> de traj<strong>et</strong> rectiligne de


Flux optique <strong>et</strong> autres informations sensorielles. 35<br />

Fig. 1.10 – Représentation d’un flux optique simulant un <strong>mouvement</strong> vers l’avant. Au centre (en rouge),<br />

le foyer d’expansion. Chaque vecteur de <strong>mouvement</strong> (lignes fléchées, noires) est caractérisé par sa ligne de<br />

direction (ligne pointillée, en vert) le reliant au foyer d’expansion. Chacun de ces vecteurs représente le<br />

<strong>mouvement</strong> visuel provoqué par le déplacement de l’observateur.<br />

la lumière (Warren 1990, p.15). Ces formalismes incorporent à la fois les <strong>mouvement</strong>s de translation<br />

<strong>et</strong> de rotation <strong>du</strong> point de référence (observateur). Enfin, elles sont souvent suffisamment générales<br />

pour pouvoir être exprimées indépendamment d’un système de coordonnées particulier (cf. par<br />

exemple Warren 1990).<br />

1.2.1.2 les différents indices disponibles<br />

- indices directement basés sur le flux optique<br />

(i) Considérons les cas théoriques d’une translation <strong>et</strong> d’une rotation pures de l’observateur dans<br />

un environnement régulier <strong>et</strong> stable (Figure 1.11 ; Koenderink 1990). Dans le cas d’une translation<br />

pure (Figure 1.11A), la direction des lignes de champs indique celle <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> de translation.<br />

Les pôles, situés sur l’horizon, correspondent aux lieux d’où l’on vient <strong>et</strong> où l’on va (Warren, 1990,<br />

p.16). Par contre, l’amplitude optique dépend de la distance de l’observateur à l’obj<strong>et</strong> qui génère<br />

le flux optique. Pour une rotation pure (Figure 1.11B), l’axe défini par les deux pôles est l’axe<br />

<strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> de rotation, <strong>et</strong> l’amplitude de la rotation est directement déterminée par celle des<br />

vecteurs de champ. C<strong>et</strong>te fois, l’amplitude ne dépend pas de la configuration de l’environnement.<br />

Ainsi, les flux optiques conséquents à une translation <strong>et</strong> une rotation ne donnent par les mêmes<br />

information sur le <strong>mouvement</strong>. La situation se complique encore dans la réalité parce que le champ<br />

visuel ne couvre pas 360 ◦ (voir Figs. 1.11 C <strong>et</strong> D pour un <strong>mouvement</strong> de translation <strong>et</strong> de rotation,<br />

respectivement). Il s’agit alors d’extraire l’information sur le type de <strong>mouvement</strong> en cours à partir


36 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

Fig. 1.11 – A Représentation <strong>du</strong> flux optique total dû à un <strong>mouvement</strong> de translation pur. Les lignes de<br />

champ sont des demi-cercles (ou méridiens) qui connectent les pôles. B Flux optique dû à un <strong>mouvement</strong> de<br />

rotation pur. Les lignes de champ sont des cercles parallèles (ou latitudes). Les deux pôles définissent l’axe<br />

de la rotation. C Champ visuel restreint <strong>du</strong> flux optique de translation (A). Noter la difficulté de déterminer<br />

la position des pôles. Une p<strong>et</strong>ite incertitude sur les directions des vecteurs entraînerait de grandes variations<br />

dans l’estimation des pôles. D Champ visuel restreint <strong>du</strong> flux optique de rotation (B). Pour déterminer la<br />

position des pôles, il faut estimer l’axe des centres de courbure de ces lignes de champ. Une p<strong>et</strong>ite incertitude<br />

sur ces direction peut même rendre c<strong>et</strong>te détermination impossible. (d’après Koenderink, 1990)<br />

des lignes de champs visibles. On comprend alors l’importance des problèmes posés par l’incertitude<br />

de mesure des directions, par exemple, qui peut rendre la tâche d’extraction très délicate. De plus,<br />

notons que les figures 1.11C <strong>et</strong> D sont assez ressemblantes. Ainsi, si le champ visuel est très restreint,<br />

il peut devenir impossible de distinguer translation <strong>et</strong> rotation. Enfin, les <strong>mouvement</strong>s naturels<br />

comprennent en général translation <strong>et</strong> rotation, ajoutant un degré de complexité supplémentaire<br />

au problème d’extraction des paramètres <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> à partir des informations <strong>du</strong> flux<br />

optique.<br />

(ii) à propos de la distance<br />

Dans le système visuel, les seules mesures disponibles sont des mesures d’angle, ce qui pose<br />

un certain nombre de difficultés pour mesurer les distances en profondeur (Koenderink 1990 ; cf.<br />

discussion de Wertheim (1990) sur le suj<strong>et</strong>). Cependant, dans la majorité des cas de la vie de tous<br />

les jours, l’environnement est composé d’ensembles d’obj<strong>et</strong>s distribués dans l’espace, <strong>et</strong> chaque<br />

ensemble possède son ordre <strong>propre</strong> de profondeurs relatives. L’information spatiale (de profondeur)<br />

est souvent partielle. De plus, elle n’est pas forcément nécessaire en tant que telle : d’abord, il<br />

est peu probable que l’on extraie la forme des obj<strong>et</strong>s à partir de la distance, <strong>et</strong> ensuite, dans<br />

de nombreuse situation, l’on peut s’affranchir d’estimer les distances <strong>et</strong> calculer directement des<br />

descripteurs spatiaux d’ordre supérieur (tilt, slant, curvature, ...). Par exemple, si un obj<strong>et</strong> A


Flux optique <strong>et</strong> autres informations sensorielles. 37<br />

occlut partiellement un obj<strong>et</strong> B <strong>et</strong> que l’on peut identifier (la structure de) l’obj<strong>et</strong> A à partir de<br />

la structure <strong>du</strong> recouvrement, de la dynamique de l’occlusion, ou d’autres indices visuels, il est<br />

facile de déterminer la direction <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> à réaliser pour avoir une vue complète de l’obj<strong>et</strong><br />

caché. Aucune information de distance n’est nécessaire, seules les relations radiales (radial orders)<br />

suffisent (Koenderink 1990).<br />

Dans la mesure où le flux optique est un champ de vecteurs de <strong>mouvement</strong>, d’autres propriétés<br />

plus globales que la direction <strong>et</strong> l’amplitude des vecteurs indivi<strong>du</strong>els peuvent apporter des<br />

informations précieuses, par exemple les gradients, la divergence, <strong>et</strong> les traj<strong>et</strong>s ou traces optiques<br />

(intégration dans le temps) (Warren, 1990).<br />

En dehors des informations vectorielles sur le <strong>mouvement</strong>, celles qui concernent la structure<br />

de l’environnement ont aussi leur importance (Koenderink, 1990). Trois ordres d’information sont<br />

distingués. L’ordre zéro est simplement la position des repères. Le 1 er ordre est la description<br />

des surfaces, le paramètre principal étant l’orientation des unités de surfaces, qui généralement<br />

dépendent de la position. Enfin, le 2 e ordre décrit la courbure des unités de surface, pouvant être<br />

décrite par un tenseur spécifiant la rotation de la normale à l’unité de surface pour tout déplacement<br />

unitaire de l’observateur. De fait, c<strong>et</strong>te catégorie dépend de la position <strong>et</strong> de l’unité de surface en<br />

question. Il est remarquable que l’observateur humain semble capable d’extraire les propriétés de<br />

zéro, premier <strong>et</strong> second ordre indépendamment. Nous verrons des utilisations pratiques de c<strong>et</strong>te<br />

catégorisation formelle à travers l’étude <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> relatif (section 1.3.1), de l’extraction de la<br />

structure à partir <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> (section 2.1.1.2) <strong>et</strong> d’une approche théorique sur la métrique de<br />

l’espace (2.7).<br />

- indices indirects<br />

Un certain nombre de ces indices indirects dérive de l’étude de la perception de la vitesse<br />

<strong>propre</strong> (egospeed) <strong>et</strong> de l’altitude (Warren, 1990). La perception de la vitesse varie avec l’altitude,<br />

elle est maximale dans un véhicule très bas sur la route, minimale dans un avion à haute altitude.<br />

Ainsi, on définit des variables telles que la variation de flux global qui est le quotient de la<br />

vitesse par l’altitude (v/h), la densité optique globale comme le quotient de l’altitude sur la<br />

taille des éléments visibles au sol <strong>et</strong> la variation de texture optique définies comme le nombre<br />

d’éléments de référence dépassés par unité de temps. L’influence des différentes variables peut<br />

être illustrée par des situations expérimentales. Par exemple, lorsqu’un con<strong>du</strong>cteur de véhicule se<br />

déplace sur une route bordée de platanes à vitesse constante, si l’espacement entre les éléments<br />

de références (les arbres) diminue, le con<strong>du</strong>cteur aura la sensation d’accélérer, <strong>et</strong> inversement si<br />

l’espacement augmente, il croira ralentir. C<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> peut être encore plus dramatique en vol, puisque<br />

une diminution de densité optique globale (v apparente diminue)couplée aux eff<strong>et</strong>s de la variation<br />

de flux global (v/h) donnera l’illusion au pilote d’une augmentation de son altitude.<br />

- flux non canoniques<br />

La définition formelle <strong>du</strong> flux optique canonique (cf. 1.2.1.1) comprend l’hypothèse d’un déplacement<br />

dans un environnement rigide. L’on parle de flux optique non canonique lorsque l’une au<br />

moins des hypothèses initiales n’est par respectée. Ainsi, un déplacement dans un environnement<br />

non rigide, ou donne lieu à un flux non canonique (Warren 1990). Un primate se déplaçant dans un<br />

arbre aux branches secouées par le vent, un navigateur sur une mer agitée ou un passant dans une<br />

foule en <strong>mouvement</strong> en sont quelques exemples. Le fait qu’il soit néanmoins possible dans ce genre<br />

de situation de percevoir son <strong>propre</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> de se déplacer sans difficulté illustre un degré de<br />

complexité supplémentaire dans la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>, ce qui amène Warren (1990)


38 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

à s’interroger sur la notion information perceptible, <strong>et</strong> l’impossibilité de s’affranchir artificiellement<br />

ou de contourner le lien perception/action.<br />

1.2.1.3 Limites <strong>du</strong> système visuel<br />

L’existence de limites <strong>du</strong> système visuel, <strong>et</strong> leur analyse, doivent être considérées dans les hypothèses<br />

sur les paramètres (optiques) <strong>du</strong> flux optique supposés pouvoir être extraits par le cerveau<br />

(comme la variation de texture optique, voir 1.2.1.2). Nakayama (1990) résume les principales limites.<br />

- La résolution spatiale est variable : des expériences de perception <strong>du</strong> contraste (utilisant des<br />

grilles dont le contraste varie dans l’espace selon une fonction sinusoïde) montrent qu’elle diminue<br />

linéairement <strong>du</strong> centre vers la périphérie de la rétine. Le seuil y est alors 35 fois plus important<br />

qu’au centre. Ce phénomène est d’ailleurs accentué par l’amplification visuelle corticale de la région<br />

centrale de la rétine (c’est-à-dire le fait qu’environ autant de surface corticale est dédiée à la rétine<br />

centrale qu’à la rétine périphérique malgré une grande différence de surface entre ces deux régions).<br />

- La résolution temporelle est variable : pour être perçus au centre de la rétine, les stimuli visuels<br />

doivent être au moins deux fois plus lents que les plus rapides pouvant être perçus en périphérie.<br />

- L’établissement de courbes spatio-temporelles montre qu’à chaque vitesse correspond une<br />

bande restreinte de fréquences spatiales visibles : à faible vitesse, seules les fréquences spatiales très<br />

élevées sont perçues, <strong>et</strong> plus la vitesse augmente, plus les fréquences spatiales visibles diminuent. Le<br />

paramètre qui semble constant est la fréquence temporelle (ftemp = fspa∗Vdepl). Ainsi, il existe donc<br />

une sorte de filtrage des fréquences spatiales visibles en fonction de la vitesse de déplacement. Ces<br />

limites (temporelles) sont probablement fixées très tôt, dès le niveau des photorécepteurs (Nakayama<br />

1990).<br />

Ces résultats sont potentiellement très importants pour préciser le rôle des informations optiques<br />

dans la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> en particulier.<br />

1.2.2 Les autres messages sensoriels influant sur la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

<strong>propre</strong><br />

Hormis les informations sensorielles vestibulaires (cf. 1.1.2, 1.4.1) <strong>et</strong> visuelles (cf. 1.2 ,1.3), il<br />

existe encore deux types de signaux principaux qui peuvent contribuer à la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

<strong>propre</strong>, l’information somatosensorielle <strong>et</strong> les copies motrices efférentes (Barlow 1964).<br />

L’information somatosensorielle se compose de deux éléments. D’une part, les informations<br />

proprioceptives (fuseaux neuro-musculaire, fibres α <strong>et</strong> récepteurs sensoriels tendineux) <strong>et</strong> kinesthésiques<br />

(arthrokinésie, récepteurs articulaires) –qui influent sur la sensation de <strong>mouvement</strong><br />

<strong>propre</strong> in<strong>du</strong>ite visuellement (vection, cf. 1.4.1, Mergner <strong>et</strong> al. 1993, 1997)–, <strong>et</strong> d’autre part les flux<br />

sensoriels tactiles (récepteurs intra-dermiques) –qui peuvent aussi in<strong>du</strong>ire une sensation de <strong>mouvement</strong><br />

<strong>propre</strong> (Dichgans & Brandt 1978, cf. 1.4.1), <strong>et</strong> qui se r<strong>et</strong>rouvent intimement liés aux flux<br />

sensoriels visuels dans les neurones <strong>du</strong> cortex pariétal (aire VIP, Duhamel <strong>et</strong> al. 1991, cf. 2.5).<br />

Enfin, les informations motrices, en particulier oculomotrices <strong>et</strong> céphalomotrices, puisqu’elles<br />

con- cernent directement le <strong>mouvement</strong> des capteurs visuels <strong>et</strong> vestibulaires par rapport au corps<br />

<strong>et</strong> dans l’espace, jouent aussi un rôle dans la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>. Ces informations,<br />

telles que les copies efférentes des commandes motrices (Von Holst & Mittelstaedt 1950) ou<br />

les décharges collatérales (copies des signaux des motoneurones, par exemple) participent par<br />

exemple à la décomposition <strong>du</strong> flux optique nécessaire à la perception de la direction <strong>du</strong> déplacement<br />

de l’observateur (Crowell <strong>et</strong> al. 1998 ; cf. 1.3.3).


Flux optique <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> 39<br />

1.3 Flux optique <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

C<strong>et</strong>te partie est plus particulièrement consacrée à étudier comment le système nerveux extrait<br />

<strong>du</strong> flux optique les informations sur le déplacement dans l’espace <strong>du</strong> suj<strong>et</strong>, ainsi que la direction <strong>du</strong><br />

déplacement en question.<br />

1.3.1 Flux optique <strong>et</strong> perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

Peut-on savoir, simplement à partir <strong>du</strong> flux optique, si l’on bouge ou non ? A priori, c<strong>et</strong>te<br />

question peut sembler triviale, puisque dans la réalité, l’information visuelle n’est jamais isolée.<br />

Cependant, <strong>du</strong> point de vue purement visuel, la réponse n’est pas aussi simple qu’il paraît au départ,<br />

parce que le <strong>mouvement</strong> visuel peut être provoqué soit par le <strong>mouvement</strong> <strong>du</strong> suj<strong>et</strong>, soit par un<br />

<strong>mouvement</strong> externe au suj<strong>et</strong>, ou encore les deux à la fois. Ainsi, Duncker (1929) définit le <strong>mouvement</strong><br />

relatif au suj<strong>et</strong> (subject relative motion) comme tout <strong>mouvement</strong> en référence à l’observateur, que<br />

celui-ci se perçoive (ou soit) en <strong>mouvement</strong> ou non. Un autre <strong>mouvement</strong> important, parce qu’il<br />

donne aussi des informations sur l’environnement, <strong>et</strong> qui est accessible par le flux optique, est le<br />

<strong>mouvement</strong> relatif entre obj<strong>et</strong>s (Duncker 1929 : object relative motion). Celui-ci peut être illusoire,<br />

comme dans le cas où les nuages en <strong>mouvement</strong> dans le ciel donnent l’impression que la lune se<br />

déplace. Dans c<strong>et</strong> exemple, remarquons que l’existence de l’illusion illustre que, pour le système<br />

visuel, le <strong>mouvement</strong> d’un obj<strong>et</strong> A par rapport à un obj<strong>et</strong> B n’est pas équivalent au <strong>mouvement</strong><br />

de l’obj<strong>et</strong> B par rapport à l’obj<strong>et</strong> A, mais dépend de la position des yeux. L’obj<strong>et</strong> poursuivi par<br />

le regard est automatiquement défini comme le point de référence, par rapport auquel se déplace<br />

le second obj<strong>et</strong>. Changer le point de fixation change la référence, donc change tout le percept<br />

(Johansson 1978). Nous verrons au chapitre suivant (1.4) que ce constat reste valable entre un<br />

obj<strong>et</strong> <strong>et</strong> l’égocentre.<br />

1.3.1.1 Comment extraire l’information sur les <strong>mouvement</strong>s à partir <strong>du</strong> flux optique ?<br />

Andersen (1990) propose trois étapes théorique pour la ségrégation <strong>du</strong> flux optique en deux<br />

composantes relatives au <strong>mouvement</strong> des obj<strong>et</strong>s d’une part, <strong>et</strong> au <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> d’autre part.<br />

La première étape consiste en l’extraction <strong>du</strong> champ des vecteurs 2D (flux optique 2D) à partir<br />

images optiques successives. La deuxième, c’est l’extraction des vitesses 3D à partir <strong>du</strong> flux 2D.<br />

La troisième <strong>et</strong> dernière étape consiste à décomposer les vitesses 3D en <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> <strong>et</strong><br />

<strong>mouvement</strong> d’obj<strong>et</strong>. La composante de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> est déterminée comme étant le vecteur<br />

3D (constant) qui est appliqué à tout le flux optique. Une fois ce vecteur soustrait, il reste les vitesses<br />

3D <strong>du</strong>es au <strong>mouvement</strong> des obj<strong>et</strong>s. Un certain nombre d’indices particuliers peuvent faciliter une<br />

telle décomposition, comme la profondeur relative, le <strong>mouvement</strong> commun (<strong>mouvement</strong> parallèle<br />

de deux points), le <strong>mouvement</strong> proportionnel, le type de flux (radial, parallèle,...) <strong>et</strong> la localisation<br />

rétinienne.<br />

En dehors des indices particuliers, notons qu’il existe aussi différentes contraintes pour l’extraction<br />

des paramètres 3D <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> <strong>et</strong> de la structure. En particulier, l’hypothèse de<br />

rigidité des obj<strong>et</strong>s est généralement largement satisfaite pendant le <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>, alors que<br />

de nombreux obj<strong>et</strong>s se déforment quand ils bougent (Cornilleau-Perez & Droulez 1990). D’où l’hypothèse<br />

de Droulez (1989) que la métrique utilisée par le système visuel pour extraire l’information<br />

3D <strong>du</strong> flux optique est calibrée essentiellement pendant le <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>. Les paramètres de<br />

c<strong>et</strong>te métrique sont ensuite ajustés pour minimiser la déformation optique de l’ensemble de l’image.<br />

Parallèlement, un autre ”indice” servant à extraire le <strong>mouvement</strong> <strong>du</strong> flux optique est celui de la<br />

localisation des vecteurs de <strong>mouvement</strong> sur la rétine. Un certain nombre de résultats expérimentaux<br />

sur la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> ont donné lieu à la théorie bimodale de la perception. Selon c<strong>et</strong>te


40 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

théorie, le mode focal correspondrait à perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> des obj<strong>et</strong>s qui serait basée sur<br />

rétine centrale. Le mode ambiant correspondrait au <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>, <strong>et</strong> serait plus dépendant<br />

de la rétine périphérique (voir la revue de Dichgans & Brandt 1978). Mais Wolpert (1990) présente<br />

un argument sérieux contre la théorie bimodale.<br />

Il teste l’hypothèse que le l’information disponible dans les deux secteurs de la ”matrice optique”<br />

(optic array)(i.e. centre <strong>et</strong> périphérie) est utilisée différentiellement en fonction de la tâche que<br />

l’observateur doit effectuer (p.116). Il réalise deux expériences, en croisant les facteurs de ”région<br />

rétinienne” stimulée (la stimulation visuelle correspondant toujours à celle que voient la rétine<br />

centrale <strong>et</strong> la rétine périphérique pendant pendant un <strong>mouvement</strong> normal) <strong>et</strong> de champ visuel.<br />

Placés dans un simulateur de vol, les suj<strong>et</strong>s doivent déterminer s’ils perdent de l’altitude dans la 1 re<br />

expérience, <strong>et</strong> s’ils accéléraient dans la deuxième. Les principaux résultats sont superposables pour<br />

les deux tâches. Les suj<strong>et</strong>s font moins d’erreurs pour la vue latérale par rapport à la vue frontale,<br />

<strong>et</strong> quand la stimulation est localisée sur la rétine centrale par rapport à la rétine périphérique.<br />

Ces résultats vont à l’encontre de la théorie bimodale. C’est la structure de l’information optique<br />

disponible dans la matrice optique (flux optique obtenu sur rétine périphérique en situation normale)<br />

latérale par opposition à celle dans la matrice optique frontale qui est critique, <strong>et</strong> non l’opposition<br />

rétine centrale–rétine périphérique.<br />

1.3.1.2 Mouvement relatif <strong>et</strong> stratégies comportementales<br />

En dehors des indices directement reliés au <strong>mouvement</strong>, il existe aussi un certain nombre<br />

d’”astuces” ou de stratégies comportementales possibles pour contourner la difficulté relative à<br />

l’extraction <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> relatif. En particulier, Koenderink (1990) fait remarquer que si l’on<br />

s’intéresse au 1 er ordre de description de l’environnement (surface, forme : voir section 1.2.1.2), il<br />

importe peu de connaître avec précision les <strong>mouvement</strong>s de translation <strong>et</strong> de rotation (<strong>du</strong> suj<strong>et</strong>). La<br />

seule composante <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> relatif qui a un eff<strong>et</strong> sur la forme de l’image, c’est la composante<br />

de rotation autour de l’axe (vertical) perpendiculaire au regard (voir Figure 1.12).<br />

Par ailleurs, pour résoudre des tâches de <strong>mouvement</strong> relatif apparemment complexes, au lieu de<br />

faire une analyse complexe pour déterminer la part <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> <strong>et</strong> celle <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> de<br />

l’obj<strong>et</strong> dans le flux optique, les suj<strong>et</strong>s peuvent choisir des stratégies comportementales très simples.<br />

Par exemple, pour attraper une balle en étant eux-mêmes en <strong>mouvement</strong>, les suj<strong>et</strong>s choisissent tout<br />

simplement de maintenir constant l’angle (optique) entre la balle <strong>et</strong> la main (constant bearing angle<br />

strategy) pendant toute la <strong>du</strong>rée de l’approche (Lenoir <strong>et</strong> al. 1999). C<strong>et</strong>te stratégie, basée uniquement<br />

sur l’annulation de la vitesse angulaire optique relative entre la main <strong>et</strong> la balle est suffisante<br />

<strong>et</strong> efficace pour l’interception. Une telle stratégie perm<strong>et</strong> de s’affranchir de calculs complexes sur le<br />

flux optique, ainsi que des calculs de prédictions.<br />

Pour finir, Berthelon <strong>et</strong> al. (1998) ont réalisé une expérience avec des suj<strong>et</strong>s sains indépendants<br />

<strong>et</strong> d’autres dépendants <strong>du</strong> champ (field independant and field dependent ; Shoptaugh & Whitacker<br />

1984), qui se distinguent par leur capacité (ou non) à percevoir un obj<strong>et</strong> indépendamment de son<br />

contexte <strong>et</strong> à adopter une attitude analytique dans la résolution d’un problème spatial. Les deux<br />

groupes ont été testés sur leur capacité à analyser le <strong>mouvement</strong> spécifique d’un autre véhicule<br />

pendant une simulation d’arrivée à un carrefour routier. D’une part, pour les deux groupes, la<br />

tâche s’est trouvée facilitée par la présence d’un panneau routier (signe local). Par conséquent,<br />

dans une situation complexe, les indices locaux (<strong>mouvement</strong> relatif) sont utilisés. D’autre part,


Flux optique <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> 41<br />

les suj<strong>et</strong>s indépendants sont bien meilleurs que les suj<strong>et</strong>s dépendants, donc plus aptes à extraire<br />

l’information pertinente (de <strong>mouvement</strong> relatif) dans un environnement complexe. Ainsi, au-delà<br />

des stratégies comportementales, l’analyse <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> relatif peut dépendre de styles perceptifs.<br />

Fig. 1.12 – A Description qualitative <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> de translation pure de l’observateur passant à côté<br />

d’un arbre. Observer le changement de l’orientation mutuelle entre l’obj<strong>et</strong> <strong>et</strong> l’observateur : la portion visible<br />

de l’obj<strong>et</strong> (demi-ellipse grise puis rouge) varie en fonction de la position <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> sur sa trajectoire. L’obj<strong>et</strong> <strong>et</strong><br />

l’observateur subissent un <strong>mouvement</strong> de rotation identique (ici dans le sens horaire, flèches) par rapport à<br />

la ligne qui connecte leurs centres (pointillés). Au moment <strong>du</strong> dépassement, la distance obj<strong>et</strong>-observateur est<br />

minimale, <strong>et</strong> la vitesse de rotation par rapport à la ligne connectrice est maximale. B Mouvement apparent<br />

de l’obj<strong>et</strong> autour de l’observateur. L’amplitude de la rotation correspondant à la totalité <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> est<br />

de 180 ◦ (d’après Koenderink, 1990).<br />

1.3.2 Bases neurales de la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

Dans une réflexion théorique, Koenderink (1986) suggère qu’un système particulièrement approprié<br />

pour analyser le flux optique, <strong>et</strong> notamment en extraire l’information sur la forme 3D<br />

des obj<strong>et</strong>s, serait un système sensible aux changements relatifs dans le temps de l’orientations des<br />

différents détails de l’image optique serait .<br />

Chez les mammifères, il existe trois voies afférentes des informations optiques dans le cerveau : la<br />

voie géniculo-corticale, la voie <strong>du</strong> tectum (colliculus supérieur), <strong>et</strong> le système optique accessoire. Des


42 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

neurones dont le champ récepteur (i.e. la partie de la rétine qui, lorsqu’elle est stimulée, provoque une<br />

réponse <strong>du</strong> neurone) exhibe les propriétés nécessaires en théorie, ont été décrits extensivement dans<br />

le cortex des mammifères (pour une revue, voir Bremmer <strong>et</strong> al. 2000), mais aussi dans le système<br />

optique accessoire situé dans le tronc cérébral. Ce dernier système présente des propriétés très<br />

intéressantes, en particulier celle d’exprimer le <strong>mouvement</strong> visuel dans une organisation géométrique<br />

commune avec le système vestibulaire (Simpson <strong>et</strong> al. 1988 ; étude chez le lapin ; voir aussi Frost<br />

& Wylie 2000). Il existe en eff<strong>et</strong> une similarité marquée entre les directions de <strong>mouvement</strong> visuel<br />

pro<strong>du</strong>ites par rotation autour des axes des trois canaux semi-circulaires <strong>et</strong> la direction préférée<br />

de la rotation visuelle des neurones <strong>du</strong> système optique accessoire. C<strong>et</strong>te cohérence géométrique<br />

rend ce système pontique particulièrement adapté à la perception des conséquences visuelles de<br />

la rotation de la tête. Dans la suite, nous nous concentrerons plus particulièrement sur les aires<br />

corticales impliquées dans le <strong>mouvement</strong> visuel, en exposant des données obtenues chez le primate.<br />

1.3.2.1 Cortex temporal<br />

Le flux de l’information visuelle dans le cortex est séparée en deux voies principales, la voie<br />

dorsale qui analyse principalement la localisation <strong>et</strong> le <strong>mouvement</strong> visuels, <strong>et</strong> la voie ventrale qui<br />

est impliquée dans l’analyse de la nature <strong>et</strong> la reconnaissance des obj<strong>et</strong>s (Ungerleider & Mishkin<br />

1982). Pour l’analyse <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong>, l’information visuelle transite depuis la rétine, passe par le<br />

thalamus (noyau genouillé latéral dorsal ; LGNd), arrive au cortex visuel primaire (V1, dans le lobe<br />

occipital) qui proj<strong>et</strong>te directement dans l’aire MT située sur la partie postérieure <strong>du</strong> sillon temporal<br />

supérieur (Ungerleider & Desimone 1986 ; voir Fig. 1.13).<br />

- aire MT<br />

L’aire médio-temporale se distingue de l’aire visuelle primaire en particulier par la sensibilité<br />

des neurones qui s’y trouvent au <strong>mouvement</strong> complexe. A l’instar des cellules de V1, les neurones<br />

de l’aire MT répondent à la direction <strong>et</strong> à la vitesse d’un stimulus visuel, ainsi qu’à l’orientation<br />

statique (Maunsell & Van Essen 1983 ; Albright 1984). Par contre, la réponse à l’orientation n’est<br />

pas maintenue dans le temps, comme pour les cellules de V1. Par ailleurs, lorsque sont présentées<br />

deux grilles en <strong>mouvement</strong> simultané, les neurones de V1 répondent au <strong>mouvement</strong> de l’une ou<br />

de l’autre, alors que ceux de MT répondent à la direction de <strong>mouvement</strong> apparent, c’est-à-dire au<br />

vecteur résultant de la somme vectorielle des deux vecteurs de <strong>mouvement</strong> des grilles (Movshon <strong>et</strong><br />

al. 1985). Dans le cas d’un <strong>mouvement</strong> transparent –composé de deux directions de <strong>mouvement</strong><br />

opposées dans la même zone <strong>du</strong> champ visuel–, les neurones de V1 continuent de répondre, alors<br />

que les neurones de MT cessent de décharger lorsqu’un tel stimulus leur est présenté, même si<br />

celui-ci contient un <strong>mouvement</strong> dans leur direction visuelle préférée (Snowden <strong>et</strong> al. 1991).


Flux optique <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> 43<br />

Fig. 1.13 – Principales aires corticales sensibles au <strong>mouvement</strong> dans la voie corticale visuelle dorsale chez<br />

le primate. Sur la vue latérale de l’hémisphère cérébral, le sillon temporal supérieur (STS) <strong>et</strong> le sillon intrapariétal<br />

(IP) sont dépliés pour m<strong>et</strong>tre en évidence les aires qu’ils contiennent. La représentation schématique<br />

souligne le flux de l’information visuelle depuis la rétine, ainsi que les connexions connues entre les différentes<br />

aires (connexion forte : ligne pleine ; connexion faible : ligne pointillée). LGN : noyau géniculé latéral. V1 :<br />

cortex strié. V2 : aire visuelle secondaire. MT : aire médio-temporale. MST : aire médio-temporale supérieure.<br />

VIP : aire intrapariétale ventrale. PM : aire prémotrice (d’après Bremmer <strong>et</strong> al. 2000 )<br />

Il existe une organisation anatomique topographique dans MT. Les neurones ayant une même<br />

direction préférée de <strong>mouvement</strong> sont organisés en colonnes (Maunsell & Van Essen 1983 ; Albright<br />

1984). Il en est de même pour les vitesses préférées (Lagae <strong>et</strong> al. 1993). Enfin, les neurones voisins<br />

ont leurs champs récepteurs (rétiniens) dans des régions voisines de la rétine (Tanaka <strong>et</strong> al. 1993).<br />

Des preuves de l’implication de MT dans la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> ont été amenées par des<br />

expériences comportementales chez le primate. L’inactivation chimique de l’aire MT entraîne une<br />

élévation <strong>du</strong> seuil de perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> visuel (Newsome & Paré 1988). De plus, des lésions<br />

focales de MT entraînent l’impossibilité d’analyser le <strong>mouvement</strong> visuel (dans la région rétinienne<br />

codée par MT) pour maintenir la poursuite oculaire (Newsome <strong>et</strong> al. 1985).<br />

L’ensemble de ces résultats amène Wurtz <strong>et</strong> al. (1990) à proposer que l’aire médio-temporale<br />

concentre le <strong>mouvement</strong> visuel pour toute activité dépendant de celui-ci, que ce soit la génération<br />

de <strong>mouvement</strong> ou bien la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong>.<br />

- aire MST<br />

Les neurones de l’aire médio-temporale supérieure ont des champs récepteurs de plus grande<br />

taille que ceux de MT (déjà plus larges que ceux de V1 ; Desimone & Ungerleider 1986), <strong>et</strong> la<br />

grande majorité de ces neurones répondent à la direction <strong>et</strong> à la vitesse d’un stimulus visuel (Saito<br />

<strong>et</strong> al. 1986). L’aire MST est divisée en deux parties, sur la base des représentations de la rétine <strong>et</strong><br />

des propriétés électrophysiologiques. La partie latéro-ventrale (MSTl) est plus spécialisée dans le<br />

maintien de la poursuite oculaire, alors que la partie dorsale (MSTd), répondant préférentiellement à<br />

des stimuli visuels de grande taille, est de ce fait plus susceptible d’être impliquée dans la perception<br />

<strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> (Komatsu & Wurtz 1988 ; Wurtz <strong>et</strong> al. 1990). De plus, certains neurones sont


44 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

sensibles à la disparité binoculaire. Dans ce cas, on trouve une interaction entre la disparité <strong>et</strong> la<br />

sensibilité au <strong>mouvement</strong>. Par exemple, un neurone sensible au <strong>mouvement</strong> vers la droite pour une<br />

disparité négative (i.e. en avant <strong>du</strong> point de fixation), sera sensible au <strong>mouvement</strong> vers la gauche<br />

au-delà <strong>du</strong> point de fixation (Roy & Wurtz 1990). Or c’est exactement ce type de <strong>mouvement</strong> visuel<br />

opposé en profondeur qui est généré lors d’une rotation de la tête, confirmant le rôle possible de<br />

MSTd dans la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>.<br />

La sélectivité des neurones de MST relative à des stimuli correspondant à des flux optiques<br />

générés pendant le <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> a été décrite initialement par Saito <strong>et</strong> al. en 1986. Une<br />

quantification plus systématique des réponses dans MST aux <strong>mouvement</strong>s plans (dans le plan<br />

frontoparallèle, correspondant à une translation <strong>du</strong> suj<strong>et</strong>, Fig. 1.14 A), radiaux (expansion ou<br />

contraction, correspondant à des <strong>mouvement</strong>s de translation vers l’avant ou l’arrière, Fig. 1.14 B),<br />

ou circulaires (rotations horaires ou anti-horaires correspondant à une rotation de la tête dans le<br />

plan frontoparallèle, Fig. 1.14 C) montre qu’il existe plusieurs catégories de neurones (Duffy &<br />

Wurtz 1991a,b).<br />

Fig. 1.14 – Composantes <strong>du</strong> flux optique. A Flux optique plan, correspondant successivement à un <strong>mouvement</strong><br />

<strong>propre</strong> simulé de translation vers la droite, la gauche, le haut <strong>et</strong> le bas. B Flux optique radial,<br />

correspondant successivement à un <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> vers l’arrière (contraction) <strong>et</strong> vers l’avant (expansion).<br />

C Flux optique circulaire, correspondant à une rotation de la tête <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> vers l’épaule droite <strong>et</strong> vers<br />

l’épaule gauche (d’après Duffy & Wurtz 1991a ).<br />

Certains répondent à une seule composante (plane, radiale ou circulaire), d’autres à deux composantes<br />

(réponses plano-radiales ou plano-circulaires) <strong>et</strong> d’autres encores aux trois composantes.<br />

Classer les neurones en fonction de leur type de sélectivité <strong>et</strong> de l’intensité de leur réponse est<br />

impossible : il existe un véritable continuum de réponses au flux optique dans MST. Les mêmes<br />

auteurs proposent que les réponses à plusieurs composantes seraient tout simplement le résultat de


Flux optique <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> 45<br />

la convergence sur le neurone en question de neurones répondant indivi<strong>du</strong>ellement à chacune des<br />

composantes.<br />

Ces derniers résultats ont soulevé la question de savoir si le cerveau analyse les flux optiques<br />

complexes à l’aide de tels neurones codant pour des <strong>mouvement</strong>s particuliers, <strong>et</strong> qui formeraient une<br />

base (au sens mathématique) de l’ensemble des <strong>mouvement</strong>s. Pour prendre un exemple simple, un<br />

<strong>mouvement</strong> vers l’avant couplé à une rotation de la tête vers la droite serait analysé par deux types<br />

de neurones, le premier répondant exclusivement (ou presque) au <strong>mouvement</strong> d’expansion, le second<br />

au <strong>mouvement</strong> plan. La recherche de catégories de neurones pouvant servir de base dans l’espace<br />

spiral (qui comprend les <strong>mouvement</strong>s d’expansion <strong>et</strong> les <strong>mouvement</strong>s circulaires) s’est révélée être<br />

un échec , puisqu’au lieu de catégories, il existe en fait un continuum de réponses, avec tous les<br />

intermédiaires possibles (Fig. 1.15 ; Graziano <strong>et</strong> al. 1994 ; voir aussi Andersen <strong>et</strong> al. 2000).<br />

Fig. 1.15 – Réponse d’un neurone dans l’espace spiral de stimulation visuelle A Réponse <strong>du</strong> neurone<br />

exprimée en coordonnées polaires. L’axe des abscisses est orienté des rotations visuelles dans le sens trigonométrique<br />

(CCW) vers le sens des aiguilles d’une montre (CW). L’axe des ordonnées est orienté des<br />

<strong>mouvement</strong>s visuels de contraction (correspondant à un déplacement <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> vers l’arrière) vers les <strong>mouvement</strong>s<br />

d’expansion (correspondant à un déplacement <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> vers l’avant). Le neurone représenté ne répond<br />

pas purement à une composante de l’un des axes, mais à une combinaison de contraction <strong>et</strong> de rotation dans<br />

le sens horaire. B Intensité de la réponse <strong>du</strong> neurone en fonction des divers types de <strong>mouvement</strong> spiral. La<br />

sélectivité <strong>du</strong> neurone est relativement large (d’après Graziano <strong>et</strong> al. 1994 )<br />

La réponse des neurones de MST à un type de <strong>mouvement</strong> particulier reste sélective (à la<br />

composante <strong>du</strong> flux optique préférée) si l’on déplace le stimulus visuel sur la rétine, <strong>et</strong> que par<br />

conséquent la direction <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> sur une région particulière de la rétine est modifiée (Graziano<br />

<strong>et</strong> al. 1994 ; Duffy 2000). Par contre, l’intensité de la réponse varie en fonction de la position<br />

rétinienne <strong>du</strong> stimulus. En plus de c<strong>et</strong>te relative invariance spatiale, les neurones de MST exhibent<br />

aussi une invariance par rapport à la forme des obj<strong>et</strong>s dont le <strong>mouvement</strong> constitue le flux optique<br />

(Geesaman & Andersen 1996). Ces deux propriétés d’invariance sont en accord avec l’hypothèse<br />

que MST analyse le flux optique pendant le <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>.<br />

Par ailleurs, le rôle de MST comme analyseur <strong>du</strong> flux optique se trouve renforcé par une étude<br />

de Duffy <strong>et</strong> Wurtz (1997) qui ont montré que les neurones de MST sont mo<strong>du</strong>lés par la distribution,<br />

non plus des directions des vecteurs de <strong>mouvement</strong>s <strong>du</strong> flux optique, mais des vitesses. Ainsi, ces<br />

neurones seraient capables de différencier les flux optiques générés par les deux images de la figure<br />

1.16.


46 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

Fig. 1.16 – Gradient de vitesse pro<strong>du</strong>it par un observateur avançant vers la scène visuelle A Les vitesses<br />

au centre de l’image sont inférieures à celles à la périphérie : le gradient est positif. B Les vitesses au centre<br />

de l’image sont supérieurs à celles à la périphérie : le gradient est négatif (d’après Duffy & Wurtz 1997).<br />

Enfin, les neurones de MST sont sensibles aux <strong>mouvement</strong>s oculaires (Newsome <strong>et</strong> al. 1988).<br />

Ils sont aussi mo<strong>du</strong>lés lorsque l’animal subit une rotation <strong>du</strong> corps dans l’obscurité (stimulation<br />

vestibulaire pure ; Thier & Erickson 1992) ou une translation <strong>du</strong> corps (Fig. 1.17, Bremmer <strong>et</strong> al.<br />

1999a ; Duffy 2000). L’interaction entre ces derniers types de réponses <strong>et</strong> les réponses visuelles au<br />

<strong>mouvement</strong> seront discutées plus loin, dans le cas particulier de la perception de la direction de<br />

déplacement.<br />

Fig. 1.17 – Réponses visuelle <strong>et</strong> vestibulaire d’un neurone de MST A La direction préférée de stimulation<br />

visuelle correspond à un flux optique simulant un <strong>mouvement</strong> vers l’avant (expansion). B La direction<br />

préférée de stimulation vestibulaire sagittale (avant-arrière) <strong>du</strong> même neurone est aussi vers l’avant. Dans<br />

ce cas, les réponses visuelle <strong>et</strong> vestibulaire sont cohérentes. (d’après Bremmer <strong>et</strong> al. 1999a)<br />

1.3.2.2 Cortex pariétal<br />

- aire VIP<br />

Contrairement aux deux aires décrites précédemment qui appartiennent au cortex temporal,<br />

celles dont nous allons parler se situent dans le cortex pariétal, plus particulièrement sa région


Flux optique <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> 47<br />

postérieure. L’aire VIP (aire intrapariétale ventrale) a été définie au départ comme la zone de<br />

projection de MT dans le cortex pariétal (Maunsell & Van Essen 1983 ; Ungerleider & Desimone<br />

1986). De c<strong>et</strong>te définition, on peut dé<strong>du</strong>ire que, à l’instar de ceux de MT, les neurones de VIP<br />

devraient répondre à la direction <strong>et</strong> à la vitesse d’un stimulus visuel, ce qui a été confirmé (Duhamel<br />

<strong>et</strong> al. 1991 ; Colby <strong>et</strong> al. 1993). Ces réponses visuelles différencient VIP des aires intrapariétales<br />

adjacentes (cf. Chapitre 2.5 ; Colby & Duhamel 1991). Mais VIP reçoit aussi des afférences de l’aire<br />

MSTd (Boussaoud <strong>et</strong> al. 1990). Par conséquent, on r<strong>et</strong>rouve dans environ 2/3 des neurones de<br />

VIP des réponses aux composantes <strong>du</strong> flux optique très similaires à celles des neurones de MSTd<br />

(Bremmer <strong>et</strong> al. 1995 ; Schaafsma & Duysens 1996). Une comparaison précise des réponses au flux<br />

optique dans MSTd <strong>et</strong> VIP a été réalisée par Schaafsma <strong>et</strong> Duysens (1996). Si les neurones de VIP<br />

répondent au flux optique plan, radial <strong>et</strong> circulaire ainsi qu’à des combinaisons de ces deux dernières<br />

composantes (<strong>mouvement</strong> spiral), il n’existe pas, en règle générale, de neurones répondant à une<br />

seule composante. Par contre, pour les <strong>mouvement</strong>s radiaux, l’expansion (simulant un <strong>mouvement</strong><br />

<strong>propre</strong> vers l’avant) est plus représentée que la contraction, <strong>et</strong> parmi l’ensemble des composantes<br />

<strong>du</strong> flux optique, les composantes radiales sont les plus représentées (Bremmer <strong>et</strong> al. 1997).<br />

Sur l’organisation spatiale des champs récepteurs, la réponse des neurones de VIP est globalement<br />

maintenue lorsque seule une partie <strong>du</strong> champ récepteur est stimulée, ou bien lorsque la taille<br />

<strong>du</strong> stimulus est ré<strong>du</strong>ite (tout en gardant les directions de <strong>mouvement</strong> constantes ; Schaafsma & Duysens<br />

1996). Ce dernier résultat semble compatible avec l’hypothèse d’une organisation en champ de<br />

vecteurs (vector field hypothesis), qui stipule que toutes les sous-parties <strong>du</strong> champ récepteur sont<br />

équivalentes. L’organisation spatiale des champs récepteurs de MSTd est, quant à elle, compatible<br />

avec l’hypothèse <strong>du</strong> champ de vecteurs pour certains neurones, <strong>et</strong> compatible avec l’hypothèse de<br />

mosaïque pour d’autres. C<strong>et</strong>te dernière propose que c’est l’ensemble des sous-parties <strong>du</strong> champ<br />

récepteur (dont chacune est spécialisée pour percevoir une direction de <strong>mouvement</strong> particulière)<br />

qui détermine la réponse au stimulus global (Duffy & Wurtz 1991a,b).<br />

Une autre question sur l’organisation spatiale des champs récepteurs est de savoir si les réponses<br />

aux stimuli de flux optique sont déterminées simplement par les caractéristiques <strong>du</strong> champ récepteur<br />

(localisation rétinienne, forme <strong>et</strong> surface) <strong>et</strong> la direction préférée de <strong>mouvement</strong> dans le plan frontoparallèle,<br />

ou bien si ces réponses sont particulières <strong>et</strong> ne peuvent pas êtres dé<strong>du</strong>ites des autres<br />

types de réponses (Fig. 1.18 ; Bremmer <strong>et</strong> al. 1997 ; Bremmer <strong>et</strong> al. 2000). En réalité, seul 50 % des<br />

neurones ont une réponse au flux optique pouvant être dé<strong>du</strong>ite de la direction préférée <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

frontoparallèle <strong>et</strong> des caractéristiques <strong>du</strong> champ récepteur (Fig. 1.18 A). Il est impossible de<br />

prévoir sur la même base la réponse au flux optique de l’autre moitié des neurones enregistrés (Fig.<br />

1.18 B). Ainsi, les réponses dans VIP aux stimuli optiques simulant des <strong>mouvement</strong>s <strong>propre</strong>s sont<br />

bien particulières : elles ne peuvent pas être expliquées simplement à partir des caractéristiques<br />

spatiales <strong>du</strong> champ récepteur <strong>et</strong> de la sensibilité à la direction <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> visuel. Il en est de<br />

même pour les neurones de MST (Lagae <strong>et</strong> al. 1994).<br />

Par ailleurs, des réponses à la poursuite oculaire (mais aucune réponse aux saccades oculaires)<br />

<strong>et</strong> des réponses à la stimulation tactile ont été documentées dans VIP (Duhamel <strong>et</strong> al. 1991). De<br />

plus, des réponses purement vestibulaires ont été décrites dans notre laboratoire (Bremmer <strong>et</strong> al.<br />

1995 ; Graf <strong>et</strong> al. 1996 ; Bremmer <strong>et</strong> al. 1997, 2000). Nous reviendrons sur ces deux derniers types<br />

de réponses sensorielles, qui montrent d’intéressantes propriétés spatiales pour les premières (cf.<br />

Chapitre 2.5), <strong>et</strong> qui ont fait l’obj<strong>et</strong> <strong>du</strong> travail expérimental de notre thèse pour les secondes (cf.<br />

Chapitres 3 <strong>et</strong> 4).


48 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

Fig. 1.18 – Champ récepteur, direction préférée <strong>et</strong> réponse de neurones de VIP au flux optique. 1 re ligne :<br />

Réponse à la direction <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> (graphique polaire) <strong>et</strong> cartographie <strong>du</strong> champ récepteur visuel. 2 e<br />

ligne : Direction des vecteurs de <strong>mouvement</strong> <strong>du</strong> flux optique surimposée sur le champ récepteur. 3 e ligne :<br />

Histogramme de réponse <strong>du</strong> neurone au flux optique. A : Le neurone répond préférentiellement pour un<br />

<strong>mouvement</strong> allant vers la droite (en haut). D’après les vecteurs de <strong>mouvement</strong>, on peut dé<strong>du</strong>ire que ce neurone<br />

répondra préférentiellement à un <strong>mouvement</strong> d’expansion (au milieu). Le neurone répond effectivement à<br />

l’expansion, <strong>et</strong> est inhibé par la contraction (en bas). Les réponses visuelles <strong>et</strong> au flux optique de ce neurone<br />

sont cohérentes. B : La direction préférée de ce neurone est vers la droite (en haut). Il est délicat de prévoir<br />

la réponse <strong>du</strong> neurone d’après les vecteurs de <strong>mouvement</strong>, mais on peut supposer que la réponse au flux<br />

optique circulaire sera faible (au milieu). Contrairement aux prédictions, le neurone répond préférentiellement<br />

au <strong>mouvement</strong> de rotation anti-horaire (d’après Bremmer <strong>et</strong> al. 2000).<br />

Colby <strong>et</strong> al. (1993) offrent quelques éléments de comparaison entre VIP <strong>et</strong> MT. Du point de<br />

vue anatomique, la taille de VIP (5 ∗ 8 mm) environ est de l’ordre de celle de MT. Du point de<br />

vue physiologique, les réponses de VIP au <strong>mouvement</strong> simple, <strong>et</strong> en particulier à la vitesse <strong>du</strong><br />

<strong>mouvement</strong>, sont similaire à celles de MT, bien que VIP réponde à des vitesses globalement plus<br />

grandes que les neurones de MT (voir aussi Bremmer <strong>et</strong> al. 1997). Enfin, au niveau des directions<br />

<strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> frontoparallèle, celles-ci sont représentées uniformément dans VIP, alors qu’il existe<br />

une sur-représentation de la direction vers le bas dans MT.<br />

Si l’on compare maintenant les réponses au flux optique de VIP <strong>et</strong> MST, les différences entre<br />

les deux aires sont plus faibles <strong>et</strong> moins nombreuses que leurs ressemblances (Schaafsma & Duysens<br />

1996). Il en est de même pour les réponses à la poursuite oculaire. En ce qui concerne la distance<br />

en profondeur, Duhamel <strong>et</strong> al. (1991) rapportent qu’environ 20 % des neurones de VIP répondent<br />

préférentiellement à des stimuli visuels présentés à moins de 20cm <strong>du</strong> visage. Certains neurones<br />

de MST répondent en fonction de la disparité (Wurtz <strong>et</strong> al. 1990), c’est-à-dire à la distance <strong>du</strong><br />

stimulus par rapport au point de fixation. Aucune étude systématique, comparant les deux aires,


Flux optique <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> 49<br />

n’a été réalisée sur la distance en profondeur. Par contre, VIP diffère n<strong>et</strong>tement de MST, en ce<br />

que ses réponses sont mo<strong>du</strong>lés par le comportement, ce qui est une caractéristique plus générale<br />

<strong>du</strong> cortex pariétal (Duhamel <strong>et</strong> al. 1991). VIP est aussi plus multimodale que MST, en particulier,<br />

aucune réponse à la stimulation tactile n’a été trouvée dans MST, alors que la majorité des neurones<br />

de VIP possèdent de telles réponses (Duhamel <strong>et</strong> al. 1991,1998). Enfin, VIP diffère de MST pour<br />

certaines propriétés spatiales en relation avec la position des yeux (cf. le point suivant) <strong>et</strong> aussi<br />

parce qu’elle proj<strong>et</strong>te directement dans une région spécifique <strong>du</strong> cortex prémoteur, spécifique <strong>du</strong><br />

<strong>mouvement</strong> de la tête <strong>et</strong> <strong>du</strong> cou (Fig. 1.13 ; Rizzolatti <strong>et</strong> al. 1998).<br />

1.3.2.3 Autres aires corticales<br />

Les aires MST <strong>et</strong> VIP proj<strong>et</strong>tent toutes deux sur l’aire pariétale 7A (Fig. 1.13). Ainsi, on<br />

r<strong>et</strong>rouve dans 7A des réponses au flux optique, qui pour certaines sont plus intenses pour une<br />

direction <strong>du</strong> flux (l’expansion est préférée à la contraction), <strong>et</strong> d’autres sont plus fortes pour une<br />

composante <strong>du</strong> flux optique (flux radial préféré au flux circulaire ; Sakata <strong>et</strong> al. 1985 ; Read & Siegel<br />

1997 ; Siegel & Read 1997). En outre, comme dans MST, les réponses au flux optique sont mo<strong>du</strong>lées<br />

par la position <strong>du</strong> stimulus sur la rétine, <strong>et</strong> par celle des yeux dans l’orbite (Bremmer <strong>et</strong> al. 2000 ;<br />

voir 1.3.3).<br />

Par ailleurs, l’analyse de l’information visuelle n’est pas entièrement séparée entre les deux<br />

grandes voies corticales. L’aire STPa (aire supéro-temporale polysensorielle antérieure) reçoit des<br />

afférences des aires MST <strong>et</strong> 7A de la voie dorsale, <strong>et</strong> de l’aire TEO de la voie ventrale (Boussaoud <strong>et</strong><br />

al. 1990 ; Distler <strong>et</strong> al. 1993). Des études électrophysiologiques (Heitanen & Perr<strong>et</strong> 1996a,b) utilisant<br />

des obj<strong>et</strong>s réels, ont montré que les neurones de STPa répondent uniquement au <strong>mouvement</strong> visuel<br />

provoqué par des obj<strong>et</strong>s. Ainsi, au contraire de VIP <strong>et</strong> MST, les neurones de STPa ne répondent<br />

pas au <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>.<br />

Chez l’homme, l’analyse <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> est aussi séparée en deux voies corticales (étude PET,<br />

Zeki <strong>et</strong> al. 1991). L’équivalent de MT (V5) <strong>du</strong> primate est activé par le <strong>mouvement</strong> visuel cohérent,<br />

mais pas par le <strong>mouvement</strong> incohérent (Cheng <strong>et</strong> al. 1995). Par contre, les stimuli de flux optique<br />

n’activent pas l’équivalent de MT, mais ils activent l’aire V3 dans l’hémisphère droit, ainsi que la<br />

région occipito-temporale ventrale bilatéralement. Ces résultats montrent une analyse spécifique <strong>du</strong><br />

flux optique dans les lobes pariétaux chez l’homme (De Jong <strong>et</strong> al. 1994).<br />

1.3.2.4 Voie dorsale <strong>et</strong> cortex vestibulaire<br />

En plus <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> visuel, le <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> in<strong>du</strong>it aussi une sensation vestibulaire (voir<br />

1.4). L’aire VIP est connectée réciproquement aux aires MST <strong>et</strong> 7a, <strong>et</strong> reçoit des entrées <strong>du</strong> PIVC.<br />

VIP est donc connectée directement au réseau cortical vestibulaire (Lewis & Van Essen 2000a,b ;<br />

cf. 1.1.3).<br />

Des mo<strong>du</strong>lations de la réponse en fonction de la direction de stimulation vestibulaire ont été<br />

décrites dans MST (Thier & Erickson 1992), <strong>et</strong> dans VIP (Graf <strong>et</strong> al. 1995 ; Bremmer <strong>et</strong> al. 1997,<br />

2000). Les neurones de VIP montrent un type d’interaction visuo-vestibulaire particulier puisque les<br />

directions préférées des stimulations visuelles <strong>et</strong> vestibulaires sont identiques (générant un conflit<br />

sensoriel). Seuls un tiers des neurones <strong>du</strong> cortex vestibulaire sont aussi ”non-complémentaires” (cf.<br />

1.1.3). C<strong>et</strong>te interaction visuo-vestibulaire dans l’aire VIP a fait l’obj<strong>et</strong> de la première partie de<br />

notre travail expérimental (Chapitre 3).


50 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

1.3.3 Flux optique <strong>et</strong> direction de déplacement (vers où va-t-on ?)<br />

1.3.3.1 <strong>Perception</strong> de la direction <strong>du</strong> déplacement (ou heading)<br />

Lors de la définition des composantes principales <strong>du</strong> flux optique, nous avons vu en particulier<br />

que le flux radial correspond à un <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> vers l’avant (expansion) ou vers l’arrière<br />

(contraction ; Fig. 1.14B). Dans ce cas, il existe une singularité dans la distribution des vecteurs de<br />

<strong>mouvement</strong>, qui est le point unique où le vecteur de <strong>mouvement</strong> est nul, autrement dit où la vitesse<br />

locale est nulle (comparer par exemple Fig. 1.14 A <strong>et</strong> B). C’est c<strong>et</strong>te singularité <strong>du</strong> flux optique,<br />

encore appelée foyer d’expansion, qui détermine la direction de déplacement de l’observateur. Aucun<br />

cadre de référence n’est nécessaire pour évaluer la direction de déplacement. C’est l’ensemble des<br />

obj<strong>et</strong>s visuels qui sert lui-même de référentiel au sein <strong>du</strong>quel la direction de déplacement est spécifiée<br />

visuellement. Par ailleurs, rappelons que le <strong>mouvement</strong> de translation a un eff<strong>et</strong> sur le flux optique<br />

inversement proportionnel à la distance entre l’observateur <strong>et</strong> les obj<strong>et</strong>s qui génèrent le flux (cf.<br />

1.2.1.1). Par contre, les <strong>mouvement</strong>s de rotation génèrent un flux optique uniforme sur la rétine, dont<br />

l’amplitude est indépendante de la distance. La direction <strong>et</strong> l’amplitude <strong>du</strong> flux généré dépendent en<br />

particulier de l’axe de rotation de l’oeil <strong>et</strong> de sa vitesse de rotation. En conséquence, les <strong>mouvement</strong>s<br />

des yeux, parce qu’ils génèrent un flux optique qui s’ajoute au flux provenant <strong>du</strong> déplacement de<br />

l’observateur, entraînent un déplacement <strong>du</strong> foyer d’expansion de la rétine, voire sa disparition<br />

(Warren & Hannon 1990 ; Lappe & Hoffmann 2000). Ainsi, les <strong>mouvement</strong>s des yeux font apparaître<br />

une ambiguïté en rompant la relation directe entre la position <strong>du</strong> foyer d’expansion sur la rétine<br />

<strong>et</strong> la direction de déplacement, ce qui complique la détermination de c<strong>et</strong>te dernière à partir <strong>du</strong><br />

flux optique (Fig. 1.19). Plus généralement, le flux optique sur la rétine dépend <strong>du</strong> déplacement <strong>du</strong><br />

suj<strong>et</strong>, de la direction <strong>du</strong> regard par rapport à celle <strong>du</strong> déplacement, <strong>et</strong> de la rotation des yeux.<br />

- temps d’apparition <strong>et</strong> précision de la perception de la direction de déplacement<br />

La totalité des études psychophysiques sur la perception de la direction <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

utilisent des <strong>mouvement</strong>s <strong>propre</strong>s simulés, réalisées à l’aide stimuli visuels présentés aux suj<strong>et</strong>s<br />

sur un écran digital. Contrairement à la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> in<strong>du</strong>ite visuellement<br />

(vection ; cf. 1.4.1) qui m<strong>et</strong> plusieurs secondes à se m<strong>et</strong>tre en place, la perception de la direction de<br />

déplacement apparaît en environ 400ms (Crowell <strong>et</strong> al. 1990 ; Hooge <strong>et</strong> al. 1999), indiquant que les<br />

mécanismes sous-jacents sont différents pour les deux types de perception.<br />

Warren <strong>et</strong> al. (1988) ont montré que la direction de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> par rapport à une cible<br />

de référence peut être déterminée à 1-2 ◦ d’angle visuel de précision. C<strong>et</strong>te précision est considérée<br />

comme suffisante pour pouvoir éviter des obstacles dans les situations de la vie courante (Cutting<br />

<strong>et</strong> al. 1992). Par ailleurs, la précision de jugement de la direction de déplacement varie peu en<br />

fonction <strong>du</strong> temps d’exposition au stimulus ou en fonction de la structure ou de la densité de<br />

l’environnement (Warren <strong>et</strong> al. 1988).<br />

Par contre, elle dépend de la localisation <strong>du</strong> stimulus visuel sur la rétine –elle diminue en<br />

fonction de l’excentricité–, <strong>et</strong> de la taille <strong>du</strong> stimulus optique. En particulier, si l’on offre au suj<strong>et</strong><br />

une ”vision tunnel”, l’amplitude de l’erreur de jugement augmente très fortement, surtout si le<br />

foyer d’expansion est hors <strong>du</strong> champ de vision (Crowell & Banks 1993).<br />

D’autre part, les suj<strong>et</strong>s humains arrivent très bien à différencier, sur la base <strong>du</strong> flux optique,<br />

une trajectoire courbe d’une trajectoire rectiligne (Turano & Wang 1994). Le seuil de détection<br />

de la courbure dans la trajectoire simulée est plus de trois fois inférieur au seuil de discrimination<br />

de la direction de déplacement. Ceci suggère l’existence de mécanismes spécialisés pour détecter<br />

la déviation d’une trajectoire rectiligne, qui pourraient par exemple être basés sur la perception<br />

d’asymétries de la distribution des vecteurs de <strong>mouvement</strong> <strong>du</strong> flux optique (Warren <strong>et</strong> al. 1991a).


Flux optique <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> 51<br />

Enfin, les eff<strong>et</strong>s sur la perception de la direction de déplacement des obj<strong>et</strong>s visuels se déplaçant<br />

indépendamment sont très ré<strong>du</strong>its, ce qui suggère que le <strong>mouvement</strong> d’obj<strong>et</strong> est largement supprimé<br />

lors de l’analyse de la direction <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> (Van den Berg 2000, revue).<br />

- le problème <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> des yeux<br />

La rotation de l’oeil provoque une modification voire la destruction <strong>du</strong> foyer d’expansion (Fig.<br />

1.19). Lorsque la position rétinienne <strong>du</strong> foyer d’expansion est modifiée, si les suj<strong>et</strong>s déterminent la<br />

direction de déplacement à partir de c<strong>et</strong>te position, ils font une erreur systématique. D’où l’idée<br />

d’étudier, toujours au moyen de <strong>mouvement</strong>s simulés, l’aptitude des suj<strong>et</strong>s humains à décomposer<br />

le flux optique rétinien pour en r<strong>et</strong>irer la composante pro<strong>du</strong>ite par la rotation des yeux. Ainsi,<br />

en particulier pour évaluer la contribution de signaux oculomoteurs extra rétiniens, de nombreux<br />

travaux ont été réalisés en comparant la perception de la direction de déplacement (ou l’aptitude<br />

à la décomposition <strong>du</strong> flux optique) avec soit des <strong>mouvement</strong>s de poursuite oculaire, soit des<br />

<strong>mouvement</strong>s de poursuite simulés <strong>et</strong> l’oeil stationnaire (Warren & Hannon 1988, les premiers à<br />

utiliser ce type de paradigme).<br />

Les erreurs de jugement de la direction de déplacement sont toujours de faible amplitude (2-4 ◦ )<br />

lorsque les suj<strong>et</strong>s réalisent le <strong>mouvement</strong> de poursuite, que le déplacement <strong>du</strong> regard soit provoqué<br />

par un <strong>mouvement</strong> des yeux ou de la tête (Warren & Hannon 1990, poursuite oculaire ; Crowell<br />

<strong>et</strong> al. 1998, <strong>mouvement</strong> de la tête). Lors de <strong>mouvement</strong>s simulés, si le flux simule un <strong>mouvement</strong><br />

par rapport au plan <strong>du</strong> sol (stimuli analogues à ceux de la Figure 1.19), on n’observe pas de<br />

dégradation de la précision de décomposition <strong>du</strong> flux optique (Warren & Hannon 1990). Par contre,<br />

la performance se dégrade lorsque le stimulus visuel n’inclut pas d’indices de profondeur, ou lorsque<br />

la vitesse de rotation simulée <strong>du</strong> regard dépasse 1.5 ◦ /s. C<strong>et</strong>te vitesse seuil correspond aux vitesses<br />

moyennes habituelles de poursuite lors d’un déplacement réel (marche à pied). La décomposition<br />

<strong>du</strong> flux optique est donc possible même avec un <strong>mouvement</strong> simulé (Warren & Hannon 1988, 1990).<br />

Avec des rotations simulées <strong>du</strong> regard à des vitesses supérieures, les résultats sont beaucoup plus<br />

variables (voir aussi Banks <strong>et</strong> al. 1996). Cependant, la décomposition est plus robuste lorsque la<br />

perturbation <strong>du</strong> flux optique est provoquée par un <strong>mouvement</strong> actif que lorsqu’il est simulé, ce qui<br />

implique l’influence d’un signal extra-rétinien (Van den Berg 1992).<br />

Trois types (au moins) d’indices sensoriels contribuent au signal extra-rétinien qui garantit la<br />

précision de la décomposition <strong>du</strong> flux optique (Crowell <strong>et</strong> al. 1998). Un signal vestibulaire canalaire,<br />

un signal de proprioception nuccale <strong>et</strong> une copie efférente des <strong>mouvement</strong>s des yeux <strong>et</strong> de la tête.<br />

Les signaux vestibulaire ou de proprioception nuccale seuls ne suffisent pas pour compenser. Mais<br />

lorsqu’ils sont couplés, dans une tâche de poursuite passive oeil-tête ou lors de la stabilisation <strong>du</strong><br />

regard sur le tronc en <strong>mouvement</strong>, ils suffisent à certains suj<strong>et</strong>s pour compenser la déviation <strong>du</strong><br />

foyer d’expansion sur la rétine <strong>du</strong>e au <strong>mouvement</strong> (Crowell <strong>et</strong> al. 1998).<br />

- stratégies comportementales pour résoudre le problème de la rotation<br />

Pour évaluer la direction <strong>du</strong> déplacement seule, que la trajectoire simulée soit rectiligne ou<br />

courbe, c’est la direction <strong>et</strong> non la vitesse (amplitude) des vecteurs de <strong>mouvement</strong> qui importe<br />

(Warren <strong>et</strong> al. 1991b). En eff<strong>et</strong>, aucune augmentation de l’erreur de jugement n’est constatée lorsque<br />

les vitesses des stimuli optiques sont modifiées aléatoirement, alors qu’il apparaît une sérieuse<br />

dégradation de la performance si ce sont les directions qui sont changées.


52 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

Fig. 1.19 – Flux optique sur la rétine, direction <strong>du</strong> regard <strong>et</strong> rotation des yeux. A La direction <strong>du</strong> regard<br />

(symbolisée par le cercle) est parallèle à la direction de déplacement (DD ; croix). Le flux optique est un flux<br />

d’expansion pur. Le foyer d’expansion est centré sur la rétine. B L’observateur fixe un point sur l’horizon,<br />

décalé à gauche par rapport à la DD. Ceci ne provoque pas de <strong>mouvement</strong> des yeux. Le foyer d’expansion<br />

indique toujours la DD, mais il n’est plus centré sur la rétine. C Le regard de l’observateur est dirigé sur<br />

un point localisé sur le sol, en avant <strong>et</strong> à gauche de la DD. Ceci provoque (i) un déplacement de l’image<br />

rétinienne (de l’horizon) vers le haut, <strong>et</strong> (ii) un <strong>mouvement</strong> des yeux pour maintenir le regard sur le point<br />

fixé qui est en <strong>mouvement</strong> par rapport à l’observateur. Le flux optique se compose d’un flux radial dû au<br />

déplacement, auquel s’ajoute un flux circulaire dû à la rotation des yeux. La résultante est un flux spiral,<br />

dont la singularité est liée à la fixation <strong>du</strong> point sur le sol <strong>et</strong> n’est plus un indicateur de la DD. D Tout en<br />

avançant, l’observateur suit <strong>du</strong> regard un obj<strong>et</strong> qui se déplace sur l’horizon (vers la gauche). L’eff<strong>et</strong> de la<br />

poursuite oculaire est un déplacement de l’image rétinienne dans le sens opposé au <strong>mouvement</strong> des yeux (vers<br />

la droite). Le flux optique résultant de c<strong>et</strong>te combinaison d’un flux radial (déplacement de l’observateur) <strong>et</strong><br />

d’un flux plan (rotation des yeux) donne l’impression que l’observateur se déplace sur une trajectoire courbe.<br />

Il n’y a plus de singularité <strong>du</strong> flux optique. (d’après Lappe & Hoffmann 2000)


Flux optique <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> 53<br />

Par contre, lorsqu’il s’agit de décomposer le flux optique, direction <strong>et</strong> vitesse sont toutes deux<br />

importantes (Van den Berg, observations non publiées, Van den Berg 2000).<br />

Van den Berg (2000) a comparé les performances des suj<strong>et</strong>s décomposant le flux optique pour<br />

déterminer la direction de leur déplacement simulé dans un certain nombre d’études, <strong>et</strong> il a montré<br />

qu’il existe des ”observateurs rétiniens” –qui répondent à la position <strong>du</strong> foyer d’expansion sur la<br />

rétine, <strong>et</strong> donc ne compensent pas l’eff<strong>et</strong> de la rotation des yeux–, des ”observateurs de la direction<br />

<strong>du</strong> déplacement” –qui eux compensent parfaitement–, ainsi que tous les intermédiaires entre ces<br />

deux comportements extrêmes.<br />

Une stratégie simple pour résoudre le problème de décomposition est de fixer un point dans<br />

l’environnement, ce qui ré<strong>du</strong>it la recherche de la direction <strong>du</strong> déplacement à l’intersection entre le<br />

méridien de poursuite oculaire <strong>et</strong> l’horizon lorsque l’observateur se déplace parallèlement au sol.<br />

D’autre part, fixer un point dans l’environnement fait dépendre le décalage entre la direction de<br />

déplacement <strong>et</strong> la direction <strong>du</strong> regard (H) de la vitesse de rotation de l’oeil (R) :<br />

H = sin −1 ( R<br />

T/d )<br />

pour un <strong>mouvement</strong> (de l’observateur) en translation (T ) <strong>et</strong> une distance de fixation (d)<br />

constantes (Van den Berg 2000). Une telle stratégie peut effectivement être utilisée par des suj<strong>et</strong>s<br />

humains (Banks <strong>et</strong> al. 1996).<br />

Par ailleurs, le plan <strong>du</strong> sol fournit des informations sur la profondeur, indépendantes <strong>du</strong> flux<br />

rétinien, <strong>et</strong> qui peuvent également contribuer à la décomposition. Notons toutefois que si ces indices<br />

peuvent être utilisés, en particulier en situation expérimentale, ils n’apportent pas d’avantage<br />

significatif lorsque le bruit visuel est faible (grand rapport signal sur bruit ; Van den Berg, 2000).<br />

Par contre, le fait que différents points alignés en profondeur ne restent pas sur une même ligne<br />

sauf s’ils sont alignés avec la direction de déplacement, constitue un indice très fiable de la direction<br />

<strong>du</strong> déplacement (Cutting <strong>et</strong> al. 1992).<br />

- <strong>Perception</strong> de la direction de déplacement <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

D’une part, le flux optique influe sur le <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>, puisqu’il provoque des ajustements<br />

posturaux (cf. 1.4.1). D’autre part, le fait de marcher intro<strong>du</strong>it des oscillations horizontales <strong>et</strong><br />

verticales qui s’ajoutent au flux optique, donc modifient celui-ci. Mais ces oscillations ne modifient<br />

pas la perception de la direction de déplacement (Cutting <strong>et</strong> al. 1992).<br />

Par ailleurs, des suj<strong>et</strong>s dont le champ visuel est dévié latéralement par le port de prismes optiques<br />

marchent vers la cible visuelle en suivant une trajectoire courbe, alors que la stratégie consistant à<br />

maintenir la cible au foyer d’expansion prédit, malgré l’eff<strong>et</strong> des primes, une trajectoire rectiligne<br />

(Rushton <strong>et</strong> al. 1998). Ce dernier résultat, ainsi que d’autres résultats expérimentaux parallèles<br />

amènent Van den Berg (2000) à proposer que la direction de déplacement perçue à travers l’analyse<br />

<strong>du</strong> flux optique n’est peut-être simplement qu’un des éléments de l’information visuelle utilisée pour<br />

guider nos actions dans l’environnement.<br />

1.3.3.2 Bases physiologiques de la perception de la direction <strong>du</strong> déplacement<br />

- aire MST<br />

Les neurones de MST mo<strong>du</strong>lent leur réponse à un stimulus de flux optique en fonction de la<br />

position de la singularité <strong>du</strong> flux (foyer d’expansion pour les stimuli radiaux). Plus de 90% des


54 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

neurones ont une préférence pour la position de la singularité dans une certaine région de la rétine,<br />

<strong>et</strong> dans toute la population de ces neurones, l’ensemble de la rétine est représentée (Duffy & Wurtz<br />

1995 ; Duffy 2000). Cependant, la sélectivité à la position de la singularité est relativement large<br />

(modélisée par une sigmoïde 2D), la direction de déplacement ne peut donc pas être dé<strong>du</strong>ite de la<br />

réponse d’un seul neurone mais à partir de l’ensemble de la population (Lappe <strong>et</strong> al. 1996 ; Lappe<br />

2000). Lappe <strong>et</strong> al. (1996) ont montré qu’un modèle utilisant les moindres carrés pouvait, à partir<br />

de la population de neurones de MST qu’ils ont enregistrés, déterminer la position (rétinienne) de<br />

la singularité <strong>du</strong> flux optique (donc de la direction de déplacement) à 4.3 ◦ de précision.<br />

De plus, les neurones de MST peuvent compenser la perturbation <strong>du</strong> flux optique provoquée<br />

par un <strong>mouvement</strong> de poursuite oculaire (Bradley <strong>et</strong> al. 1996), <strong>et</strong> pourraient ainsi être à la base<br />

de la décomposition <strong>du</strong> flux optique (voir section précédente). En eff<strong>et</strong>, pendant la poursuite, on<br />

observe un glissement des courbes de sélectivité à la position de la singularité <strong>du</strong> flux optique sur la<br />

rétine dans la direction <strong>du</strong> déplacement de la singularité, déplacement provoqué par le <strong>mouvement</strong><br />

des yeux (Fig. 1.20).<br />

Ainsi, lorsque la poursuite s’ajoute à un flux radial d’expansion, la courbe de sélectivité est<br />

décalée dans la direction <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> de poursuite (Fig. 1.20A), lorsque la poursuite s’ajoute à<br />

un flux radial de contraction, la courbe de sélectivité est décalée dans la direction opposée à celle<br />

de la poursuite (Fig. 1.20B), <strong>et</strong> enfin lorsque c<strong>et</strong>te dernière s’ajoute à un flux circulaire, la courbe<br />

de sélectivité est décalée selon un axe orthogonal à celui <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> oculaire (Fig. 1.20C). Par<br />

conséquent, la courbe de sélectivité est toujours décalée de manière à compenser les eff<strong>et</strong>s optiques<br />

<strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> oculaire ; la sélectivité de ces neurones à la position de la singularité <strong>du</strong> flux optique<br />

est exprimée en coordonnées allocentriques (de l’écran) <strong>et</strong> non en coordonnées rétinocentriques.<br />

Remarquons toutefois que seule une partie des neurones compensent de la sorte, <strong>et</strong> que l’amplitude<br />

de la compensation est toujours inférieure à celle <strong>du</strong> déplacement de la singularité provoqué par la<br />

poursuite. En outre, les mesures de compensation sont réalisés dans la direction préférée de réponse<br />

à la poursuite. Aucune donnée n’est disponible pour un neurone dans un ensemble plus large de<br />

direction de <strong>mouvement</strong>s oculaires.<br />

Par ailleurs, dans les résultats de Bradley <strong>et</strong> al. (1996), les neurones compensent uniquement<br />

lorsque la déviation de la singularité est provoquée par des <strong>mouvement</strong>s (de poursuite) actifs.<br />

Lorsque ceux-ci sont simplement simulés, aucune compensation n’est observée. Cependant, Bremmer<br />

<strong>et</strong> al. (1998) ont montré que, si les stimuli optiques simulent un déplacement au-dessus <strong>du</strong> sol<br />

combiné avec un <strong>mouvement</strong> de poursuite (i.e. stimuli identiques à ceux de la Figure 1.19), certains<br />

neurones de MST (ainsi que d’autres de VIP) peuvent compenser. Lorsque la vitesse <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

de poursuite réalisé par les animaux augmente, le déplacement de la courbe de sélectivité augmente<br />

parallèlement, ce qui constitue un indice supplémentaire indiquant que la compensation observée<br />

est bien celle <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> des yeux (Shenoy <strong>et</strong> al. 1998).<br />

Enfin, des microstimulations de MST peuvent affecter la perception de la direction de déplacement<br />

(Britten & Van Wezel 1998). L’ensemble de ces résultats conforte le rôle de MST dans la perception<br />

<strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>, <strong>et</strong> particulièrement dans la détermination de la direction de déplacement.<br />

Plus généralement, les neurones de MST pourraient être impliqués dans la perception de la stabilité<br />

de l’espace pendant le <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> (Bradley <strong>et</strong> al. 1996).


Flux optique <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> 55<br />

Fig. 1.20 – Déplacement de la singularité avec la rotation de l’oeil pour différentes composantes <strong>du</strong> flux<br />

optique. Dans chaque cas, le vecteur de <strong>mouvement</strong> opposé à celui généré par la poursuite est indiqué en<br />

rouge. A Flux optique radial d’expansion. Lors de la combinaison avec un <strong>mouvement</strong> de poursuite vers<br />

la gauche, le foyer d’expansion est déplacé aussi vers la gauche, dans la direction identique à celle de la<br />

poursuite. B Flux optique radial de contraction. L’addition d’un <strong>mouvement</strong> de poursuite vers la gauche<br />

déplace le foyer de contraction vers la droite, dans la direction opposée à celle de la poursuite. C Flux<br />

optique circulaire. L’addition d’un <strong>mouvement</strong> de poursuite vers la gauche déplace la singularité sur un axe<br />

orthogonal à celui de la poursuite, en l’occurrence vers le haut. (d’après Bradley <strong>et</strong> al. 1996).


56 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

Shenoy <strong>et</strong> al. (1999) ont comparé le déplacement de la courbe de sélectivité à la position de la<br />

singularité <strong>du</strong> flux optique pendant des <strong>mouvement</strong>s de poursuite <strong>et</strong> de suppression <strong>du</strong> VOR (les<br />

animaux subissent une rotation de tout le corps <strong>et</strong> doivent maintenir la fixation sur une cible visuelle<br />

synchrone avec la rotation, ce qui provoque un <strong>mouvement</strong> de la tête dans l’espace, les yeux gardant<br />

une position orbitale constante). Leurs résultats indiquent que la compensation des neurones de<br />

MST est similaire dans les deux cas, c’est-à-dire que le <strong>mouvement</strong> <strong>du</strong> regard soit pro<strong>du</strong>it par une<br />

rotation de l’oeil ou par une rotation de la tête seule. Ces résultats constituent une preuve de plus de<br />

l’implication de MST dans l’analyse <strong>du</strong> flux optique pour déterminer la direction de déplacement.<br />

Par ailleurs, c<strong>et</strong>te compensation basée sur des signaux vestibulaires est intéressante, parce que les<br />

expériences de psychophysique montrent que les suj<strong>et</strong>s humains ne peuvent pas compenser de la<br />

sorte (Crowell <strong>et</strong> al. 1998). Shenoy <strong>et</strong> al. (1999) proposent que la sous-population de neurones qui<br />

compensent à l’aide des signaux vestibulaires ne participe pas à la perception de la direction de<br />

déplacement. Or, on pourrait aussi proposer que la perception de la direction de déplacement diffère<br />

quelque peu entre le macaque <strong>et</strong> l’homme. Il n’existe pas d’expériences de psychophysique chez le<br />

singe dans la tâche de suppression <strong>du</strong> VOR pour trancher.<br />

- aire VIP<br />

Nous insisterons surtout sur les différences des réponses de l’aire intrapariétale ventrale avec<br />

celles de MST. Comme dans MST, lorsqu’on varie la position de la singularité <strong>du</strong> flux optique, on<br />

observe une mo<strong>du</strong>lation de l’intensité de la réponse des neurones de VIP (Bremmer <strong>et</strong> al. 2000), <strong>et</strong><br />

l’ensemble des réponses de la population perm<strong>et</strong> de déterminer la position de la singularité sur la<br />

rétine (Duhamel <strong>et</strong> al. 1997a).<br />

Mais contrairement aux neurones de MST, de nombreux neurones de VIP codent l’information<br />

visuelle en coordonnées non rétinocentriques explicitement (Duhamel <strong>et</strong> al. 1997b ; voir aussi<br />

2.6), ce qui perm<strong>et</strong> en particulier de coder les autres informations sensorielles de ces neurones<br />

dans le même système de coordonnées, les coordonnées craniocentriques. A l’opposé, les champs<br />

récepteurs des neurones de MST, de 7a <strong>et</strong> plus généralement des aires <strong>du</strong> cortex pariétal postérieur<br />

sont rétinotopiques, avec simplement une mo<strong>du</strong>lation de l’intensité de décharge en fonction de la<br />

position des yeux, ce qui est considéré comme un codage non rétinocentrique implicite (théorie<br />

des gain fields, qui propose que la mo<strong>du</strong>lation de la réponse des neurones par la position de l’oeil<br />

agisse comme un gain, qui perm<strong>et</strong>trait alors, au niveau de la population, de r<strong>et</strong>rouver un codage<br />

craniocentrique ; Andersen <strong>et</strong> al. 1985 ; Andersen & Zipser 1988 ; Andersen <strong>et</strong> al. 2000 ; Bremmer <strong>et</strong><br />

al. 1997b ; Squatrito & Maioli 1996). Le codage non rétinocentrique explicite de VIP place c<strong>et</strong>te aire<br />

en premier lieu dans l’analyse <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>, de la direction <strong>du</strong> déplacement, <strong>et</strong> peut-être<br />

également dans l’analyse <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> des obj<strong>et</strong>s.<br />

1.4 Fusion multisensorielle <strong>et</strong> émergence de la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

<strong>propre</strong><br />

La perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> n’est pas dépendante d’un seul sens, mais elle émerge<br />

de l’interaction de plusieurs modalités sensorielles. Une des raisons de c<strong>et</strong>te situation réside dans<br />

l’incomplétude (ambiguïté) sensorielle, autrement dit, l’incapacité d’un seul sens à donner une<br />

image fiable <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> dans toutes les situations. Le système vestibulaire est inefficace<br />

pendant un déplacement à vitesse constante, <strong>et</strong> le système visuel seul ne peut pas vraiment<br />

déterminer l’origine (extérieure : <strong>mouvement</strong> d’obj<strong>et</strong>, ou <strong>propre</strong> : <strong>mouvement</strong> <strong>du</strong> suj<strong>et</strong>) <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

qu’il perçoit. L’émergence de la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> sera revue à travers trois


Fusion multisensorielle <strong>et</strong> émergence de la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> 57<br />

problématiques. D’abord l’interaction visuo-vestibulaire, ensuite à travers l’influence de la proprioception,<br />

<strong>et</strong> enfin en considérant une approche plus théorique.<br />

1.4.1 Le cas de la vection<br />

Un des moyens d’appréhender, au sein <strong>du</strong> système nerveux, les mécanismes de fusion multisensorielle<br />

qui sous-tendent la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>, est l’étude des illusions perceptives.<br />

Une des plus classiques dans le domaine est la vection, ou la sensation de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> in<strong>du</strong>ite<br />

visuellement (Dichgans & Brandt 1978 ; Mach 1875 ; von Helmholtz 1896). Chacun aura pu<br />

expérimenter la vection lorsque, par exemple, un train voisin démarre <strong>et</strong> que l’on a l’impression,<br />

pendant un moment, que c’est celui dans lequel on se trouve qui se m<strong>et</strong> en <strong>mouvement</strong>. Si le <strong>mouvement</strong><br />

in<strong>du</strong>it par la vision est rotatoire on parlera de vection circulaire, si c’est un <strong>mouvement</strong> de<br />

translation on parlera de vection linéaire (Dichgans & Brandt 1978), <strong>et</strong> s’il s’agit d’un <strong>mouvement</strong><br />

suivant une trajectoire courbe, on parlera de vection curvilinéaire (Sauvan & Bonn<strong>et</strong> 1995). En<br />

particulier, Dichgans <strong>et</strong> Brandt (1978) partent de l’hypothèse que l’illusion de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

de la vection provient <strong>du</strong> même mécanisme physiologique que celui qui maintient la perception <strong>du</strong><br />

<strong>mouvement</strong> réel <strong>du</strong> corps à vitesse constante. Un tel mécanisme de maintien de la perception <strong>du</strong><br />

<strong>mouvement</strong> à vitesse constante est ren<strong>du</strong> nécessaire en raison des déficiences <strong>du</strong> système vestibulaire<br />

pendant un tel <strong>mouvement</strong> (voir Fig.1.2C) : par sa nature de capteur d’accélération, le système vestibulaire<br />

seul ne peut pas faire la différence entre l’immobilité <strong>et</strong> un <strong>mouvement</strong> à vitesse constante.<br />

A la base <strong>du</strong> mécanisme de maintien de la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong>, ces auteurs postulent que les<br />

afférences visuelles <strong>et</strong> vestibulaires sont fusionnées très tôt, de telle sorte que lorsque les yeux sont<br />

ouverts, la vision compense directement les déficiences <strong>du</strong> message vestibulaire.<br />

L’in<strong>du</strong>ction d’une sensation de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> n’est pas l’appanage de la seule vision. En<br />

eff<strong>et</strong>, il existe aussi une vection circulaire audiocinétique (von Stein 1910, in Dichgans & Brandt<br />

1978), ou provoquée par le <strong>mouvement</strong> passif de l’épaule ou vection arthrocinétique (Brandt <strong>et</strong><br />

al. 1977), ou encore provoqué par la stimulation de la surface <strong>du</strong> corps ou vection haptocinétique<br />

(Dichgans & Brandt 1978).<br />

Le dispositif perm<strong>et</strong>tant de stimuler la sensation de vection est relativement simple. Pour la vection<br />

circulaire, il est constitué par une chaise tournante disposée au centre d’un cylindre, lui-même<br />

mobile indépendamment de la chaise. Les parois <strong>du</strong> cylindres sont peintes de bandes verticales,<br />

noires <strong>et</strong> blanches en alternance, provoquant un stimulus optocinétique sur l’ensemble <strong>du</strong> champ<br />

visuel lorsque le cylindre est mis en <strong>mouvement</strong>. Dans ce cas, la rotation <strong>du</strong> cylindre engendre<br />

une sensation de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> apparent, de sens opposé à celui <strong>du</strong> cylindre, <strong>et</strong> qui est identique<br />

à celle provoquée par une accélération lente réelle suivie d’un <strong>mouvement</strong> à vitesse constante<br />

(Dichgans & Brandt 1978).<br />

Les principales caractéristiques de la vection sont résumées sur la figure 1.21, dans le cas de la<br />

vection circulaire. La sensation de vection n’est pas immédiate, mais elle apparaît progressivement,<br />

au fur <strong>et</strong> à mesure que diminue la vitesse apparente <strong>du</strong> stimulus visuel. La vection a un seuil de<br />

vitesse, entre 90 <strong>et</strong> 120 ◦ /s, en deçà <strong>du</strong>quel elle est proportionnelle à la vitesse <strong>du</strong> stimulus visuel.<br />

Enfin, la vection dépend de la stimulation de la périphérie visuelle, en excentricité comme en profondeur<br />

(Fig. 1.21, colonnes 4 <strong>et</strong> 6 ; Dichgans & Brandt 1978). Toutefois, l’opposition centre-périphérie<br />

est remise en question par Post (1989) qui montre qu’il s’agirait plutôt d’une conséquence des<br />

différences quantitatives d’aire stimulée dans les deux conditions. Par ailleurs, Howard <strong>et</strong> Heckman<br />

(1989) ont montré qu’il est difficile de dissocier l’eff<strong>et</strong> ”centre-périphérie” de l’eff<strong>et</strong> ”premier<br />

plan-arrière plan” en montrant leur équivalence pour stimuler la vection.


58 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

Fig. 1.21 – Principales caractéristiques de la vection circulaire. 1 re col : Type de <strong>mouvement</strong> perçu par<br />

le suj<strong>et</strong>. 2 e col : Décours temporel : Au début <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> visuel, les suj<strong>et</strong>s se perçoivent stationnaires.<br />

Ensuite, la sensation de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> se m<strong>et</strong> en place progressivement, accompagnée par un ralentissement<br />

apparent <strong>du</strong> stimulus visuel ; perception mixte, <strong>mouvement</strong> de l’obj<strong>et</strong>, <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>. Enfin, à<br />

partir de 5 à 10 secondes, la vitesse <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> perçu est maximale, le stimulus visuel paraît<br />

immobile dans l’espace, la vection est saturée. 3 e col : Influence de la vitesse <strong>du</strong> stimulus visuel. Lorsque<br />

celle-ci est inférieure à 90-120 ◦ /s, le <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> apparent atteint une vitesse identique à celle <strong>du</strong><br />

stimulus visuel qui paraît totalement stable. Lorsque la vitesse <strong>du</strong> stimulus dépasse 120 ◦ /s, le <strong>mouvement</strong><br />

<strong>propre</strong> n’atteint pas la vitesse <strong>du</strong> stimulus visuel, celui-ci paraît alors aussi se déplace (perception mixte ;<br />

vection désaturée). 4 e col : Région <strong>du</strong> champ visuel <strong>et</strong> perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> : il apparaît une opposition<br />

claire centre-périphérie. Lorsque le stimulus visuel est limité à la région centrale <strong>du</strong> champ visuel, il est perçu<br />

comme étant mobile, sans sensation de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> associée. A mesure que le stimulus recouvre la<br />

périphérie <strong>du</strong> champ visuel, la sensation de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> augmente, celle <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> de l’obj<strong>et</strong><br />

diminue. 5 e col : La sensation de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> est déterminée par la proportion relative de stimuli<br />

ponctuels stables <strong>et</strong> en <strong>mouvement</strong>. 6 e col : Influence de la profondeur : lorsque le stimulus visuel se déplace<br />

devant un arrière-plan stable, son déplacement est perçu, il n’y a pas de sensation de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>. A<br />

l’inverse, lorsque l’arrière plan se déplace derrière un stimulus visuel fixe, la sensation de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

est maximale (vection saturée) (d’après Dichgans & Brandt 1978)


Fusion multisensorielle <strong>et</strong> émergence de la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> 59<br />

Par ailleurs, puisque le phénomène de vection résulte d’une interaction visuo-vestibulaire, son<br />

apparition est facilitée par une diminution <strong>du</strong> conflit visuo-vestibulaire potentiel. En particulier, la<br />

latence de la vection est diminuée par une accélération <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> dans la direction <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

<strong>propre</strong> perçu (Dichgans & Brandt 1978). Pour la même raison, la latence de la vection diminue<br />

avec l’augmentation <strong>du</strong> seuil de sensibilité vestibulaire des suj<strong>et</strong>s –un suj<strong>et</strong> moins sensible aura un<br />

conflit visuo-vestibulaire moins aigu– (Lepecq <strong>et</strong> al. 1999). Enfin, la vection apparaît plus tôt <strong>et</strong><br />

est plus forte chez des patients bilabyrinthectomisés, que chez des patients hémilabyrinthectomisés,<br />

eux-mêmes plus sensibles que les suj<strong>et</strong>s sains (Jonhson <strong>et</strong> al. 1999).<br />

La possibilité de provoquer la sensation d’un <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> vers l’avant par stimulation<br />

visuelle (vection linéaire ; Berthoz <strong>et</strong> al. 1975 ; in DB1978) prouve que l’activité des canaux semicirculaire<br />

n’est pas la seul à pouvoir être simulée, celle des otolithes peut l’être aussi (Dichgans &<br />

Brandt 1978). Par ailleurs, il est également possible de provoquer des sensations de <strong>mouvement</strong><br />

<strong>propre</strong>s dans les plans frontoparallèle <strong>et</strong> sagittal (roll vection <strong>et</strong> pitch vection). Dans ce cas, la<br />

sensation de <strong>mouvement</strong> continu est accompagnée par celle d’un déplacement limité, probablement<br />

en raison de l’apparition d’un conflit entre la vision <strong>et</strong> les gravicepteurs somatosensoriels <strong>et</strong> otolithiques<br />

(Dichgans & Brandt 1978). D’autres aspects de la vection, en relation avec l’espace, seront<br />

discutés dans la section 2.1.1.1 qui traite de l’interaction <strong>mouvement</strong>-espace.<br />

Dichgans <strong>et</strong> Brandt (1978) supposent que l’environnement est perçu comme stable pendant la<br />

vection parce que l’information qui arrive au cortex visuel est neutralisée par un signal collatéral<br />

provenant <strong>du</strong> système vestibulaire. Un certain nombre de corrélats neuronaux de la vection circulaire,<br />

<strong>et</strong> plus généralement de l’interaction visuo-vestibulaire dans le système nerveux, semblent<br />

leur donner raison.<br />

Tout d’abord, il est connu depuis longtemps qu’une grande majorité de neurones vestibulaires<br />

enregistrés chez le primate ont également des réponses aux stimuli optocinétiques, dès les noyaux<br />

vestibulaires (Henn <strong>et</strong> al. 1974 ; in DB78), <strong>et</strong> aussi dans le flocculus cérébelleux (Waespe & Henn<br />

1977 ; Waespe <strong>et</strong> al. 1981), dans le thalamus vestibulaire (Büttner & Henn 1976), <strong>et</strong> dans les cortex<br />

vestibulaires (aire PIVC : Grüsser <strong>et</strong> al. 1990 ; aire 2v : Büttner & Bu<strong>et</strong>tner 1978, Büttner &<br />

Henn 1981). Pendant la rotation sinusoïdale à basse fréquence de l’animal à la lumière, il apparaît<br />

dans les noyaux vestibulaires, un renforcement de la réponse vestibulaire par rapport à celle obtenue<br />

à l’obscurité, ainsi qu’une abolition de l’avance en phase caractéristique des réponses à basse<br />

fréquence (Henn <strong>et</strong> al. 1974). Tout se passe comme si la stimulation visuelle ”calait” la réponse vestibulaire<br />

aux paramètres <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong>. Il existe donc une certaine complémentarité des réponses<br />

neuronales visuelles <strong>et</strong> vestibulaires puisque, comme dans le cas de la vection au niveau perceptif,<br />

le système visuel pallie les déficiences <strong>du</strong> système vestibulaire à basse fréquence (Dichgans &<br />

Brandt 1978). Les voies anatomiques par lesquelles le signal visuel parvient au premier relais des<br />

afférences vestibulaires ne sont toujours pas clairement élucidées aujourd’hui. Ceci dit, la latence<br />

de 7 secondes pour les réponses visuelles dans les noyaux vestibulaires rapportée par Waespe <strong>et</strong><br />

Henn (1977) laisse présager, par son importance, une voie multisynaptique.<br />

Chez l’homme, des interactions visuo-vestibulaires ont été documentées au niveau cortical.<br />

Contrairement à ce que l’on aurait pu penser au départ, la stimulation vestibulaire entraîne une<br />

diminution de l’activité dans le cortex visuel (Wenzel <strong>et</strong> al. 1996), <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te inhibition semble être<br />

spécifique pour la direction <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> –elle n’est présente que lors de stimulations où la direction<br />

(<strong>et</strong> le sens) des stimulations visuelle <strong>et</strong> vestibulaire sont identiques– (Loose <strong>et</strong> al. 1999).<br />

Par ailleurs, des patients ayant une hémianopsie homonyme ne perçoivent pas la vection, ni ne<br />

présentent d’ajustements posturaux conséquents à une stimulation visuelle éten<strong>du</strong>e (Straube &<br />

Brandt 1987), ce qui souligne le rôle clef <strong>du</strong> cortex visuel dans la vection. A l’inverse de l’inhibition<br />

vestibulaire sur le système visuel, il existe aussi une inhibition <strong>du</strong> cortex vestibulaire par la stimu-


60 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

lation visuelle. Brandt <strong>et</strong> al. (1998) ont in<strong>du</strong>it la vection circulaire frontoparallèle chez des suj<strong>et</strong>s<br />

sains pendant l’acquisition d’images PET, <strong>et</strong> ont pu montrer une baisse de l’activité cérébrale dans<br />

l’insula postérieure (l’équivalent chez l’homme <strong>du</strong> cortex vestibulaire PIVC chez le singe), ainsi<br />

que dans le thalamus. L’ensemble de ces résultats a con<strong>du</strong>it Brandt <strong>et</strong> al. (1998) à postuler que<br />

l’interaction visuo-vestibulaire, en particulier dans le cas de la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>,<br />

est basée sur une inhibition réciproque au niveau cortical. Un tel mécanisme présenterait l’avantage<br />

pouvoir ré<strong>du</strong>ire les conflits sensoriels, en perm<strong>et</strong>tant notamment de faire basculer la dominance<br />

d’un sens à l’autre en fonction des besoins comportementaux. Elle perm<strong>et</strong>trait aussi, dans le cas<br />

de la vection, d’assurer une certaine stabilité de c<strong>et</strong>te dernière en évitant que de légères perturbations<br />

vestibulaires (comme des <strong>mouvement</strong>s de la tête pendant un traj<strong>et</strong> en voiture) ne viennent<br />

constamment interférer avec la sensation de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> (Brandt <strong>et</strong> al. 1998 ; Brandt 1999).<br />

Dans le cas de la vection linéaire, il est possible que les mécanismes mis en jeu soient différents.<br />

Une étude de magnéto-encéphalographie (Nishiike <strong>et</strong> al. 2001) montre que pendant l’accélération<br />

in<strong>du</strong>ite (par l’accélération <strong>du</strong> stimulus visuel), il apparaît une activation de la région pari<strong>et</strong>otemporale<br />

corticale correspondant au sulcus temporal supérieur <strong>et</strong> à l’insula postérieure (aire MST<br />

<strong>et</strong> cortex vestibulaire respectivement). Il reste néanmoins possible que la différence de ces résultats<br />

avec ceux de Brandt <strong>et</strong> al. (1998) provienne de l’utilisation de stimuli accélérant <strong>et</strong> non à vitesse<br />

constante.<br />

1.4.2 Plasticité <strong>et</strong> interaction multisensorielle<br />

Lorsque des informations sensorielles de nature différentes concourent à l’émergence d’une perception<br />

unique, ces informations doivent être exprimées dans le même système de coordonnées, ou<br />

en tous cas interagir de manière efficace pour pro<strong>du</strong>ire une perception stable.<br />

En fonction de la tâche comportementale, il est parfois possible, voire nécessaire, de se baser<br />

sur l’information provenant d’un sens plutôt qu’un autre. Mergner & Becker (1990) ont étudié la<br />

plasticité de l’interaction visuo-vestibulaire, basée soit sur une référence visuelle (visual impression :<br />

<strong>mouvement</strong> d’obj<strong>et</strong>) ou soit sur une référence vestibulaire (bodily feeling : <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>), dans<br />

le cadre psychophysique de la vection circulaire. L’influence très forte des instructions données<br />

au suj<strong>et</strong> (fixer ou non le stimulus visuel, par exemple) sur la perception éprouvée par la suite<br />

(l’in<strong>du</strong>ction de la vection circulaire) suggère que les deux signaux référents (vestibulaire <strong>et</strong> visuel)<br />

sont présent à des niveaux cognitifs élevés, <strong>et</strong> que la dominance (en terme de signal référent) de l’un<br />

ou de l’autre sens est modifiable par la volonté. Par contre, les patients vestibulaires ne peuvent pas<br />

supprimer la vection (Mergner <strong>et</strong> al. 2000). Les auteurs proposent qu’en temps normal, la perception<br />

<strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> est définie en référence à l’environnement visuel considéré a priori comme<br />

étant stable, <strong>et</strong> que si l’environnement paraît bouger (<strong>mouvement</strong> d’obj<strong>et</strong>), le signal (référent) visuel<br />

est supprimé <strong>et</strong> la perception est alors basée sur l’information vestibulaire (Mergner <strong>et</strong> al. 2000). Le<br />

port de prismes m<strong>et</strong> en évidence que ce type d’interactions visuo-vestibulaires est plastique (Kohler<br />

1956).<br />

Par ailleurs, Mergner <strong>et</strong> Becker (1990) ont également cherché à préciser l’influence de différents<br />

signaux sensoriels sur la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>. Pour ce faire, ils ont mis en conflit les<br />

différents indices sensoriels –indice rétinien (obj<strong>et</strong> visuel), indice oculomoteur (suppression ou non<br />

des <strong>mouvement</strong>s oculaires), indice vestibulaire <strong>et</strong> proprioception nuccale (<strong>mouvement</strong> tête <strong>et</strong> corps<br />

ou corps seul)– , <strong>et</strong> demandé à leurs suj<strong>et</strong>s d’évaluer leur déplacement dans l’espace. En comparant<br />

indivi<strong>du</strong>ellement les convergences sensorielles suivantes, rétinienne-oculomotrice, rétinienne-nuccale<br />

<strong>et</strong> rétinienne-canalaire, les auteurs ont montré qu’en fait, il existe une sommation linéaire des eff<strong>et</strong>s<br />

des différents messages sensoriels sur la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>. Rappelons en passant


Fusion multisensorielle <strong>et</strong> émergence de la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> 61<br />

que Crowell <strong>et</strong> al. (1998) ont montré que des copies efférentes des <strong>mouvement</strong>s des yeux <strong>et</strong> de la<br />

tête, ainsi que des signaux vestibulaires <strong>et</strong> la proprioception nuccale, contribuent à la perception<br />

de la direction <strong>du</strong> déplacement de l’observateur à partir des informations <strong>du</strong> flux optique.<br />

Plus récemment, Mergner <strong>et</strong> al. (1993) ont observé que les eff<strong>et</strong>s sur la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

<strong>propre</strong> de la proprioception liée aux membres inférieurs sont analogues à ceux de la proprioception<br />

nuccale (Heimbrandt <strong>et</strong> al. 1990). Plus précisément, lors d’une stimulation vestibulo-proprioceptive<br />

combinée (par exemple deux rotations concomitantes de la tête <strong>et</strong> <strong>du</strong> tronc dans l’obscurité), la perception<br />

<strong>du</strong> déplacement de l’égocentre dans l’espace varie avec les deux informations afférentes. Par<br />

contre, lorsque l’une d’elles est absente, comme dans le cas des patients vestibulaires, la perception<br />

<strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> est erronée. Ces patients considèrent que leur tronc est stable dans l’espace<br />

dans tous les cas (Heimbrandt <strong>et</strong> al. 1990). Les auteurs proposent ainsi un modèle plus général d’interaction<br />

visuo-proprioceptive, où les différentes informations sensorielles se compléteraient pour<br />

aboutir à la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> (Mergner <strong>et</strong> al. 1993). Autrement dit, partant d’un<br />

signal (vestibulaire) de <strong>mouvement</strong> de la tête dans l’espace, les différentes informations proprioceptives<br />

sont ensuite combinées pour calculer successivement la position (<strong>et</strong> le <strong>mouvement</strong>) des<br />

parties <strong>du</strong> corps dans l’espace. Mergner <strong>et</strong> al. (1997) rajoutent au modèle un principe de migration<br />

d’information <strong>du</strong> bas vers le haut, en proposant que le support corporel puisse interagir avec<br />

(voire corriger) le percept d’espace ”physique” basé au départ sur la seule information vestibulaire<br />

: ainsi, les afférences proprioceptives sont impliquées dans une véritable boucle de rétroaction<br />

multisensorielle qui aboutit à la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> que nous ressentons.<br />

1.4.3 Considérations théoriques : <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> d’obj<strong>et</strong>s<br />

L’interaction visuo-vestibulaire qui préside à l’émergence de la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

pose en même temps la question de la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> des obj<strong>et</strong>s. En eff<strong>et</strong>, <strong>mouvement</strong><br />

<strong>propre</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> d’obj<strong>et</strong> sont liés, parce que tous deux sont perçus par le système visuel mais<br />

que sur la base de la vision seule, il est impossible de les distinguer.<br />

Il existe deux théories opposées sur la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> des<br />

obj<strong>et</strong>s (Wertheim 1990). La théorie de la perception directe dit que, par défaut, l’environnement est<br />

stable. En conséquence, le flux optique correspond uniquement au <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>. A l’opposé,<br />

la théorie inférentielle repose sur l’existence d’une comparaison d’un signal extrarétinien (copie<br />

efférente) au flux optique, qui serait à l’origine de la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>. Or, ces<br />

deux théories ont quelques difficultés avec l’apparition de la vection circulaire.<br />

Un suj<strong>et</strong> placé au centre d’un cylindre composé de bandes verticales que l’on fait tourner selon<br />

un axe vertical, perçoit dans un premier temps le <strong>mouvement</strong> <strong>du</strong> cylindre seul, puis gra<strong>du</strong>ellement,<br />

apparaît une sensation de tourner dans le sens contraire <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>du</strong> cylindre, le cylindre<br />

semblant ralentir puis s’arrêter, le suj<strong>et</strong> atteignant alors la sensation de vitesse maximale (égale mais<br />

opposée à la vitesse <strong>du</strong> cylindre initialement perçue). A ce moment, la vection circulaire est dite<br />

saturée (Dichgans & Brandt 1978 ; cf. 1.4.1). La théorie de perception directe prévoit la sensation de<br />

vection, puisque par défaut l’environnement est stable <strong>et</strong> que le flux optique généré par la rotation <strong>du</strong><br />

cylindre ne contient pas d’invariant susceptible d’indiquer une rotation de l’environnement. Mais<br />

l’apparition gra<strong>du</strong>elle de c<strong>et</strong>te sensation, avec au départ une perception <strong>du</strong> seul <strong>mouvement</strong> <strong>du</strong><br />

cylindre –qui suppose l’existence d’un invariant spécifiant la rotation de l’environnement– pose un<br />

sérieux problème. A l’opposé, la théorie inférentielle explique pourquoi le <strong>mouvement</strong> <strong>du</strong> cylindre<br />

est perçu. Le flux optique généré par le <strong>mouvement</strong> <strong>du</strong> cylindre est comparé à un signal extrarétinien<br />

nul (ou n’indiquant pas de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>), d’où la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> de<br />

l’environnement. Par contre, c<strong>et</strong>te théorie n’explique par l’apparition de la vection circulaire.<br />

Wertheim (1990) postule l’existence d’un signal de référence qui serait composé de plusieurs


62 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

éléments, notamment une copie efférente des signaux des muscles extra-oculaires (von Holst &<br />

Mittelstaedt 1950), un signal vestibulaire (<strong>mouvement</strong> de la tête), <strong>et</strong> un signal de flux optique (ou<br />

optocinétique), le tout serait envoyé ensuite au comparateur –comparant le signal de référence au<br />

signal visuel– dont la sortie spécifierait le <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>. La composante de flux optique <strong>du</strong><br />

signal de référence implique un principe d’autoréférence, puisque le signal rétinien participe à la<br />

fois au signal visuel <strong>et</strong> au signal de référence qui lui est comparé. Ainsi, la vitesse perçue d’un obj<strong>et</strong><br />

dépend de l’amplitude de la différence entre les signaux rétinien <strong>et</strong> référent, moins le seuil (plus<br />

p<strong>et</strong>ite différence perceptible : celle-ci augmente avec l’amplitude des signaux à comparer).<br />

Le principe d’autoréférence perm<strong>et</strong> de résoudre le problème théorique posé par la perception <strong>du</strong><br />

<strong>mouvement</strong> des obj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> de la stationarité dans l’installation <strong>et</strong> la saturation de la vection circulaire.<br />

Au début <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>du</strong> cylindre autour de l’observateur, un signal rétinien de <strong>mouvement</strong> de<br />

l’obj<strong>et</strong> (environnement) est généré immédiatement <strong>et</strong> est comparé au signal de référence qui est<br />

bien plus faible. S’ensuit une perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>du</strong> cylindre. Au cours de l’apparition de<br />

la vection, le signal de référence est gra<strong>du</strong>ellement amplifié par sa composante de flux optique. Le<br />

signal de référence augmente parallèlement à l’augmentation de la sensation de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>.<br />

La différence entre les signaux rétinien <strong>et</strong> de référence diminue, <strong>et</strong> avec elle la perception de la<br />

rotation <strong>du</strong> cylindre. Enfin, lorsque la vection est saturée, la sensation de <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> est<br />

maximale, le signal de référence atteint une amplitude comparable au signal rétinien, le cylindre<br />

semble immobile.<br />

Parmi les différentes prédictions <strong>du</strong> modèle proposé, nous ne r<strong>et</strong>iendrons que les plus importantes<br />

dans le cadre de notre suj<strong>et</strong>. –La vitesse perçue d’un obj<strong>et</strong> dépend de la différence entre la<br />

vitesse de c<strong>et</strong> obj<strong>et</strong> <strong>et</strong> le seuil de détection de la vitesse dans la direction <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong>. Ainsi,<br />

dans une tâche de poursuite oculaire, la vitesse <strong>du</strong> stimulus est sous-estimée par les suj<strong>et</strong>s parce<br />

que le seuil est augmenté dans la direction <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> de poursuite. De plus, l’arrêt rapide<br />

d’une poursuite oculaire à grande vitesse donne l’illusion que le stimulus poursuivi accélère. Ces<br />

phénomènes perceptifs sont, dans le modèle, une conséquence directe de la participation des <strong>mouvement</strong>s<br />

des yeux (copie efférente) au signal de référence, ce qui fait dépendre le seuil de perception<br />

de la différence entre les signaux rétinien <strong>et</strong> de référence de la vitesse de l’oeil. –L’influence de la<br />

composante vestibulaire <strong>du</strong> signal de référence a été vérifiée pendant le VOR, où elle est dans le sens<br />

opposé à la composante de <strong>mouvement</strong> des yeux (phases lentes). Les suj<strong>et</strong>s placés sur une chaise<br />

tournante dans le noir, à l’intérieur d’un cylindre peint de barres verticales, subissent une rotation<br />

sinusoïde d’axe vertical. Les murs <strong>du</strong> cylindres sont illuminés brièvement (400ms) au moment <strong>du</strong><br />

pic de vitesse de la trajectoire des suj<strong>et</strong>s. Ceux-ci, soit libres de bouger les yeux soit en train de<br />

supprimer leur VOR en fixant une diode solitaire de la chaise tournante, devaient estimer la vitesse<br />

de leur <strong>propre</strong> <strong>mouvement</strong>. Conformément à la prédiction <strong>du</strong> modèle, la vitesse apparente augmente<br />

lors de la suppression <strong>du</strong> VOR, c’est-à-dire lorsque le signal de <strong>mouvement</strong> des yeux, de direction<br />

opposée à celle <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> de la tête, est supprimé. –Les stimuli de grande taille (surround)<br />

sont fréquemment perçus comme étant stationnaires par rapports à des obj<strong>et</strong>s en <strong>mouvement</strong> plus<br />

p<strong>et</strong>its. Le modèle de Wertheim propose une explication alternative à celle qui voudrait que, par<br />

définition, les obj<strong>et</strong>s plus grands servent de cadres de référence (théorie de perception directe). Ces<br />

stimuli larges génèrent une grande composante optocinétique <strong>du</strong> signal de référence, d’où un seuil<br />

important de détection de leur <strong>mouvement</strong>, <strong>et</strong> par conséquent une tendance accrue à les considérer<br />

comme stables. –Au cours <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>, le signal de référence est augmenté par la composante<br />

vestibulaire, ce qui entraîne (dans le modèle) une augmentation <strong>du</strong> seuil de perception de<br />

la différence entre les signaux rétinien <strong>et</strong> de référence, d’où une diminution de la perception <strong>du</strong><br />

<strong>mouvement</strong>. Ceci explique un certain nombre d’observations psychophysiques comme par exemple<br />

l’augmentation <strong>du</strong> seuil de perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> d’un obj<strong>et</strong> <strong>et</strong> la diminution de sa vitesse<br />

apparente lors <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> (cf. 1.5.2). Ainsi, Wertheim souligne que les composantes


Caractéristiques générales <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> <strong>et</strong> couplage perception-action 63<br />

vestibulaire <strong>et</strong> optocinétique <strong>du</strong> signal de référence ont une fonction ”écologique” importante : elles<br />

interfacent la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> avec la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> des obj<strong>et</strong>s ou de<br />

la stationarité.<br />

En ce qui concerne les bases neurales possibles <strong>du</strong> signal de référence <strong>du</strong> modèle, l’auteur indique<br />

les neurones enregistrés dans les noyaux vestibulaires (Berthoz <strong>et</strong> al. 1981), dans le cervel<strong>et</strong> (Suzuki<br />

& Keller 1988) <strong>et</strong> dans le cortex vestibulaire (Büttner & Bu<strong>et</strong>tner 1978 ; Straube & Brandt 1987)<br />

qui répondent au déplacement physique de la rétine dans l’espace indépendamment de sa cause<br />

(<strong>mouvement</strong> des yeux, de la tête, ou des deux), <strong>et</strong> qui, pour certains, ont aussi des réponses visuelles.<br />

Plus récemment, Shenoy <strong>et</strong> al. (1999) ont montré que les neurones de l’aire supéro-temporale médiale<br />

dorsale (MSTd) ajustent la structure spatiale de leurs champs récepteurs visuels en fonction des<br />

<strong>mouvement</strong>s <strong>du</strong> regard, qu’ils soient provoqués par un <strong>mouvement</strong> des yeux ou de la tête. Par<br />

ailleurs, notons que le modèle proposé peut être généralisé à d’autres modalités sensorielles où le<br />

<strong>mouvement</strong> d’un obj<strong>et</strong> est perçu <strong>et</strong> le capteur de <strong>mouvement</strong> se déplace dans l’espace, comme par<br />

exemple la somatosensibilité manuelle ou digitale.<br />

1.5 Caractéristiques générales <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> <strong>et</strong> couplage<br />

perception-action<br />

Lorsque l’on s’intéresse aux <strong>mouvement</strong>s pro<strong>du</strong>its par un suj<strong>et</strong>, une distinction s’impose d’emblée<br />

entre d’une part les <strong>mouvement</strong>s actifs –réalisés directement par tout ou partie <strong>du</strong> corps <strong>du</strong> suj<strong>et</strong>–,<br />

<strong>et</strong> les <strong>mouvement</strong>s passifs, subits par le suj<strong>et</strong> dans un véhicule ou un support mobile. Les <strong>mouvement</strong>s<br />

actifs sont eux-mêmes séparés en <strong>mouvement</strong>s actifs volontaires (locomotion, orientation<br />

<strong>du</strong> regard) <strong>et</strong> en <strong>mouvement</strong>s actifs involontaires ou réflexes (cf. 1.1.2.3 réflexe vestibulo-oculaire,<br />

ou plus généralement l’ensemble des réflexes qui visent à stabiliser le suj<strong>et</strong> –réflexes posturaux– ou<br />

l’image <strong>du</strong> monde sur la rétine –réflexes de stabilisation <strong>du</strong> regard). Par leur fonction, les <strong>mouvement</strong>s<br />

réflexes interagissent avec les <strong>mouvement</strong>s volontaires <strong>et</strong> sont fortement contraints par ces<br />

derniers. Les <strong>mouvement</strong>s volontaires sont, quant à eux, gouvernés par les contraintes de but de<br />

l’action, <strong>et</strong> par le temps de l’action (interaction, réponse à une attaque de congénères, <strong>et</strong>c.). Dans<br />

ce qui suit, nous exposerons tout d’abord un certain nombre de caractéristiques spécifiques des<br />

<strong>mouvement</strong>s actifs, notamment des <strong>mouvement</strong>s des capteurs essentiels à la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

<strong>propre</strong> (à savoir les capteurs visuels <strong>et</strong> vestibulaires). Ensuite nous verrons comment l’étude<br />

<strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> peut aussi renseigner sur le cadre spatial des <strong>mouvement</strong>s des capteurs, <strong>et</strong> enfin,<br />

nous verrons que l’influence <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> sur la perception sensorielle n’est pas identique, suivant<br />

qu’il est généré activement ou subi passivement.<br />

1.5.1 Le <strong>mouvement</strong> 3D : problèmes spécifiques<br />

1.5.1.1 Description <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> formulation mathématique<br />

Tout <strong>mouvement</strong> tridimensionnel est décrit par six paramètres, trois paramètres de translation<br />

(en général selon les axes avant-arrière, droite-gauche, <strong>et</strong> haut-bas) <strong>et</strong> trois paramètres de rotation<br />

(Fig. 1.22A). Rappelons que la structure <strong>du</strong> capteur vestibulaire indique qu’il perçoit trois degrés<br />

de translations (les otolithes) <strong>et</strong> trois degrés de rotation (définis par l’orientation des canaux semicirculaires,<br />

cf. 1.1.1). Les rotations posent un problème spécifique, <strong>du</strong> fait de la non-commutativité<br />

<strong>du</strong> groupe des rotations 3D qui entraîne que le résultat final de la combinaison de plusieurs rotations<br />

dépende de l’ordre séquentiel des <strong>mouvement</strong>s (Tweed 1997 ; Fig. 1.22B).


64 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

Fig. 1.22 – A Les trois axes des rotations 3D. L’axe vertical (haut) est l’axe des rotations horizontales<br />

(droite-gauche). L’axe inter-aural (à droite) est l’axe des rotations de ”tangage” (<strong>mouvement</strong> haut-bas). Le<br />

troisième axe, qui pointe vers l’avant de la figure, est celui des rotations de ”roulis” (<strong>mouvement</strong> épaule<br />

droite-épaule gauche). B Non-commutativité des rotations <strong>et</strong> VOR. A partir d’une position initiale, le suj<strong>et</strong><br />

effectue deux rotations successives, mais dont l’ordre est inversé. Dans le 1 er cas (en haut), il réalise d’abord<br />

une rotation d’un quart de tour vers la droite, puis une rotation d’un quart de tour vers le bas. En position<br />

finale, la tête est dirigée vers le bas. Dans le 2 e cas, c’est d’abord un quart de tour vers le bas, puis un quart<br />

de tour vers la droite. En position finale, la tête est orientée horizontalement <strong>et</strong> dirigée vers le lecteur. Les<br />

deux positions finales de la tête sont donc très différentes : le résultat final d’une série de rotations dépend<br />

de l’ordre des rotations effectuées. Parallèlement, notons qu’un réflexe vestibulo-oculaire parfait, maintenant<br />

constante la direction <strong>du</strong> regard au cours des deux séries de rotations, aboutit à deux position des yeux<br />

(dans la tête) distinctes (regard dirigé vers la gauche dans le 1 er cas, <strong>et</strong> regard dirigé vers le haut dans le 2 e<br />

d’après Tweed 1997).


Caractéristiques générales <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> <strong>et</strong> couplage perception-action 65<br />

Partant de la non-commutativité des rotations, Tweed (1997) se pose le problème de l’intégrateur<br />

neuronal pour le VOR. Depuis le modèle de Robinson (1975), le VOR se conçoit en partant <strong>du</strong><br />

signal vestibulaire de vitesse de la tête (cf. 1.1.2), multiplié par -1 –parce que pour être compensateurs,<br />

les <strong>mouvement</strong>s des yeux sont à l’opposé des <strong>mouvement</strong>s de la tête– <strong>et</strong> ensuite intégré<br />

pour aboutir à un signal de position des yeux qui est envoyé aux motoneurones. Or, l’intégration<br />

mathématique est un opérateur commutatif, donc le résultat d’une intégration ne dépend pas de<br />

l’ordre séquentiel des <strong>mouvement</strong>s intégrés, ce qui n’est pas le cas pour le VOR (Fig. 1.22B).<br />

L’exemple précédent pose le problème des représentations mathématiques utilisées pour décrire<br />

une propriété donnée <strong>du</strong> cerveau, en l’occurrence le VOR. Manifestement, le modèle de Robinson<br />

(1975) qui repose sur une intégration de la vitesse angulaire de la tête ne décrit pas correctement le<br />

VOR. Tweed (1997) souligne l’intérêt de choisir des représentations mathématiques dont certaines<br />

au moins des propriétés sont partagées par les représentations dans le cerveau. Dans c<strong>et</strong>te optique,<br />

les quaternions sont particulièrement pertinents. –Ces obj<strong>et</strong>s mathématiques ont été définis au<br />

départ comme sous ensemble de R 4 ayant une structure de corps avec l’addition <strong>et</strong> la multiplication<br />

matricielle. C<strong>et</strong>te dernière n’étant pas commutative, le corps des quaternions est un corps non<br />

commutatif. Par ailleurs, on peut aussi voir ce corps à quatre dimensions comme l’espace ”plat” le<br />

plus p<strong>et</strong>it qui contient l’espace des rotations 3D –qui est un espace tridimensionnel ”courbe” (une<br />

rotation de 360 ◦ est identique à une rotation de 0 ◦ ). Par construction, les quaternions possèdent<br />

donc des propriétés très intéressantes pour l’étude des <strong>mouvement</strong>s oculaires 3D. En particulier, <strong>du</strong><br />

fait de la non commutativité de la multiplication des quaternions, la combinaison des rotations 3D<br />

devient une opération directe, tout comme la transformation de la vitesse angulaire en variation<br />

de position (Tweed 1997 ; Tweed <strong>et</strong> al. 1990)–. Ainsi, pour le VOR, Crawford & Vilis (1991) ont<br />

montré que, si l’on décrit les <strong>mouvement</strong>s des yeux avec des quaternions, le modèle <strong>du</strong> VOR décrit<br />

alors correctement le comportement biologique observé (Tweed 1997b).<br />

1.5.1.2 Lois dé<strong>du</strong>ites de l’étude des <strong>mouvement</strong>s des yeux<br />

L’étude des <strong>mouvement</strong>s des yeux reste encore actuellement très marquée par les travaux de<br />

deux précurseurs. Le premier, Frans Cornelis Donders, publie en 1848 un article dont la conclusion<br />

est connue aujourd’hui comme la loi de Donders : l’orientation tri-dimensionnelle de l’oeil pour une<br />

direction donnée <strong>du</strong> regard est toujours la même, quel que soit le chemin emprunté par l’oeil pour<br />

y arriver (Henn 1997 ; Fig. 1.23A). Une conséquence importante de c<strong>et</strong>te loi est que l’ensemble des<br />

positions 3D de l’oeil est limité à une surface bi-dimensionnelle (Vilis 1997). Remarquons cependant<br />

que la loi de Donders pose un problème, lié à la non-commutativité des rotations (Tweed & Vilis<br />

1990)). Si l’on imagine, comme sur la figure précédente (1.22 B), que l’oeil subisse une rotation<br />

horizontale puis une rotation verticale, <strong>et</strong> que l’on inverse ensuite l’ordre de ces rotations à partir<br />

d’une même position initiale, la direction <strong>du</strong> regard obtenue en empruntant ces deux chemins sera<br />

identique, mais la position 3D de l’oeil différente (en l’occurrence, les composantes horizontale <strong>et</strong><br />

verticale seront identiques, mais la composante torsionnelle différente ; cf. Fig. 1.23 A). La solution<br />

pour éviter c<strong>et</strong>te violation de la loi de Donders est la loi issue des travaux <strong>du</strong> deuxième précurseur,<br />

Listing. Johannes Benedict Listing publie en 1853 un traité d’optique physiologique où il définit<br />

sa future loi : la tête droite <strong>et</strong> immobile, toutes les positions (3D) des yeux peuvent être décrites<br />

par un axe de rotation unique à partir d’une position de référence, <strong>et</strong> tous ces axes font partie<br />

d’un plan unique (Fig.1.23B ; Henn 1997 ; Tweed <strong>et</strong> al. 1990). De c<strong>et</strong>te manière, Listing offre une<br />

quantification de la loi de Donders, en spécifiant la composante de torsion oculaire.


66 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

Fig. 1.23 – Les lois de l’oculomotricité. A Illustration des rotations oculaires <strong>et</strong> de la loi de Donders. Un<br />

<strong>mouvement</strong> des yeux est généralement constitué d’une composante de rotation horizontale (h), verticale (v)<br />

<strong>et</strong> torsionnelle (t). Selon la loi de Donders, si l’oeil est dans la position no.2 pour une certaine direction <strong>du</strong><br />

regard, il sera toujours dans la position 2 lorsque la direction <strong>du</strong> regard sera identique. B La loi de Listing :<br />

pour toute direction <strong>du</strong> regard, la position (3D) de l’oeil est obtenue par une rotation unique à partir de la<br />

position primaire (au centre). Les axes de rotation (en noir) correspondant à toutes les directions <strong>du</strong> regard<br />

sont contenus dans un plan, le plan de Listing (en bleu) (d’après Tweed <strong>et</strong> al. 1990).<br />

Des mesures expérimentales effectuées dans les conditions indiquées par Listing qui ont été<br />

réalisées chez le singe (Haslwanter <strong>et</strong> al. 1992 ; Henn 1997) <strong>et</strong> chez l’homme (Suzuki <strong>et</strong> al. 1994),<br />

confirment que les position oculaires sont confinées dans une surface plane dont l’épaisseur –qui<br />

représente la déviation par rapport au plan idéal– n’est que de 1 ◦ d’angle.<br />

Plusieurs interprétations des lois de Donders <strong>et</strong> de Listing sont proposées par Hepp <strong>et</strong> al. (1997).<br />

Concernant la première, les auteurs notent que la loi de Donders ”simplifie” la vision, puisque dans<br />

le cas contraire, l’image d’un obj<strong>et</strong> sur la fovea dépendrait de la trajectoire de l’oeil, rendant son<br />

identification plus difficile. A propos de la loi de Listing, Hepp <strong>et</strong> al. (1997) proposent plusieurs<br />

interprétations. La première, l’interprétation visuelle, dit que si la loi de Donders s’applique pour<br />

un champ oculomoteur circulaire, la loi de Listing minimise la composante de torsion oculaire.<br />

L’interprétation motrice est la démonstration qu’un ensemble de positions oculaires reliées par des<br />

saccades correspondant aux traj<strong>et</strong>s les plus courts dans l’espace des rotations 3D (géodésiques) sans<br />

pour autant violer la loi de Donders, est un plan de Listing. Enfin, la troisième, l’interprétation<br />

visuomotrice est la suivante : si une cible est fovéée par une saccade satisfaisant la loi de Listing,<br />

alors il y a une relation approximativement linéaire entre le vecteur saccadique –enten<strong>du</strong> comme<br />

différence entre les positions oculaires 3D initiale <strong>et</strong> finale– <strong>et</strong> l’erreur rétinienne –entre la direction<br />

de la cible <strong>et</strong> le centre de la rétine–. La linéarité de la relation entre le vecteur moteur <strong>et</strong><br />

l’erreur visuelle reste valable pour des excentricités inférieures à 30 ◦ , ce qui est le cas pour la<br />

majorité des <strong>mouvement</strong>s habituels. C<strong>et</strong>te propriété particulière, engendrée par la loi de Listing,<br />

servirait de base à la mise à jour de l’image visuelle au cours de la saccade oculaire, propriété<br />

indispensable pour avoir une perception stable de l’espace environnant. (cf. 2.1.2). Pour les auteurs<br />

c<strong>et</strong>te interprétation visuomotrice, à caractère ”écologique” est particulièrement attrayante, <strong>et</strong> elle<br />

constitue une justification suffisante pour la loi de Listing chez le singe <strong>et</strong> l’homme.<br />

Par ailleurs, la loi de Listing, <strong>et</strong> par conséquent celle de Donders, restent valables pour d’autres


Caractéristiques générales <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> <strong>et</strong> couplage perception-action 67<br />

types de <strong>mouvement</strong>s oculaires, avec toutefois quelques réserves. Pour les <strong>mouvement</strong>s de poursuite<br />

oculaire, les positions oculaires 3D pendant la poursuite sont contenues dans un plan chez le singe<br />

(Haslwanter <strong>et</strong> al. 1991) <strong>et</strong> chez l’homme (Tweed <strong>et</strong> al. 1992 ; Misslich 1997). Par contre, on observe<br />

des déviations par rapport à la loi de Listing lorsque la cible n’est plus ponctuelle, ou lors des<br />

changement de sens dans une tâche de poursuite d’une cible sur une trajectoire circulaire (Tweed <strong>et</strong><br />

al. 1992). En ce qui concerne les <strong>mouvement</strong>s de vergence, les plan de listing de chaque oeil tournent<br />

en fonction <strong>du</strong> degré de convergence : la loi de Listing au sens strict est donc violée (Nakayma 1983 ;<br />

Mikhael <strong>et</strong> al. 1995). Par contre, pour un degré de convergence donné, les positions oculaires suivent<br />

la loi de Listing, qui n’est donc violée que partiellement (Mok <strong>et</strong> al. 1992).<br />

Un autre aspect <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> tridimensionnel est le problème de la redondance : pour une<br />

direction donnée <strong>du</strong> regard, une infinité de positions oculaires 3D est possible en théorie. Les<br />

lois de Donders <strong>et</strong> de Listing sont une solution à ce problème de degrés de liberté surnuméraires,<br />

puisqu’elles font correspondre une position oculaire 3D unique à chaque direction <strong>du</strong> regard. En fait,<br />

il semble que c<strong>et</strong>te solution soit utilisée plus généralement par le système nerveux. En particulier,<br />

il a été montré que les lois de Donders <strong>et</strong> de Listing s’appliquent aussi aux <strong>mouvement</strong>s de la<br />

tête (Straumann <strong>et</strong> al. 1991) <strong>et</strong> des membres (Straumann <strong>et</strong> al. 1991 ; Gielen <strong>et</strong> al. 1997). Pour<br />

ces derniers, le problème de la redondance se pose aussi en raison de l’implication de plusieurs<br />

articulations indépendantes. Hormis la résolution <strong>du</strong> problème de redondance qui assure ainsi une<br />

certaine repro<strong>du</strong>ctibilité des <strong>mouvement</strong>s, un autre intérêt ”écologique” de ces lois est de faciliter<br />

la coordination des <strong>mouvement</strong>s de différents segments corporels (oeil, tête, bras) en restreignant<br />

les vecteurs de rotation 3D à des plans voisins (Straumann <strong>et</strong> al. 1991). Le problème <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

en 3D est ainsi ramené physiologiquement à un problème 2D.<br />

1.5.1.3 Mouvements des yeux <strong>et</strong> de la tête<br />

Les capteurs essentiels au <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> –l’oeil <strong>et</strong> le vestibule– étant localisés dans la tête,<br />

il a paru nécessaire de présenter quelques travaux relatifs aux <strong>mouvement</strong>s 3D de la tête <strong>et</strong> leur<br />

interaction avec les <strong>mouvement</strong>s des yeux.<br />

L’étude des <strong>mouvement</strong>s de la tête réalisés pendant l’orientation vers une série de cibles visuelles<br />

a montré que les positions 3D de la tête dévient substantiellement de la loi de Listing (chez le<br />

primate : Guitton & Crawford 1994). Tout se passe comme si, au lieu d’avoir des axes de rotations<br />

indépendants comme dans le cas des <strong>mouvement</strong>s oculaires, la tête se comportait comme un cardan<br />

de Fick (Fig. 1.24 ; Tweed <strong>et</strong> al. 1995). Ce comportement en cardan de Fick présente l’avantage<br />

d’in<strong>du</strong>ire des rotations verticales de la tête les plus courtes possibles, minimisant ainsi l’énergie<br />

nécessaire au maintien de la tête contre la gravité (Vilis 1997). Une autre raison possible est que c<strong>et</strong><br />

arrangement perm<strong>et</strong>trait d’éviter l’accumulation de torsion de la tête au cours de ses <strong>mouvement</strong>s<br />

(Tweed <strong>et</strong> al. 1992). En fait, la tête suit la loi de Donders, mais moins strictement que l’oeil. C<strong>et</strong><br />

argument contredit l’hypothèse de la commande motrice commune pour l’oeil <strong>et</strong> la tête formulée à<br />

l’origine par Robinson <strong>et</strong> Zee (1981).<br />

Crawford <strong>et</strong> al. (1997) proposent que le signal de commande existe, à la fois simultanément<br />

<strong>et</strong> de manière intermittente, dans de multiples systèmes de coordonnées motrices, en l’occurrence<br />

les systèmes de Listing <strong>et</strong> de Fick. Par ailleurs, il est possible que la différence observée entre les<br />

<strong>mouvement</strong>s des yeux <strong>et</strong> de la tête soit moins importante qu’elle n’y paraît a priori. Une expérience<br />

d’adaptation menée sur le primate portant un masque restreignant son champ visuel à la vision<br />

périfovéale a montré que lors de l’orientation vers des cibles visuelles, les <strong>mouvement</strong>s de la tête se<br />

rapprochaient de la loi de Listing (Crawford & Guitton 1995).


68 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

Fig. 1.24 – Cinématique des <strong>mouvement</strong>s de la tête. Les mesures des positions angulaires 3D de la tête<br />

montrent que celle-ci se comporte comme un cardan de Fick. Dans ce système, l’axe qui sous-tend les rotations<br />

verticales (v) est situé dans un dispositif solidaire de l’axe des rotations horizontales (h). Par conséquent,<br />

pour une position donnée de la tête, la rotation verticale est minimale (d’après Tweed <strong>et</strong> al. 1995).<br />

L’orientation statique a une influence sur le plan de Listing <strong>et</strong> la ”surface de Fick” (l’équivalent<br />

<strong>du</strong> plan de Listing pour la tête). Lorsque la tête est inclinée dans le plan frontoparallèle, l’oeil subit<br />

un <strong>mouvement</strong> de torsion dans le sens opposé (Haslwanter <strong>et</strong> al. 1992), ce qui amène le plan de<br />

Listing à tourner par rapport à la tête. Parallèlement, lorsque le corps est incliné, la tête contrebalance,<br />

ce qui entraîne une rotation de la surface de Fick (Misslisch <strong>et</strong> al. 1994). Mais l’amplitude<br />

de ces <strong>mouvement</strong>s de contre-rotation ne dépassant pas 10% de l’amplitude <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> initial,<br />

Vilis (1997) conclut que le plan de Listing <strong>et</strong> la surface de Fick peuvent être considérées comme fixes<br />

par rapport à la tête <strong>et</strong> au corps respectivement. D’une manière générale, le système oculomoteur<br />

minimise l’excentricité radiale (torsionnelle), <strong>et</strong> le système céphalo-moteur minimise l’excentricité<br />

verticale. Par ailleurs, si l’on mesure la position 3D des yeux dans l’espace, on s’aperçoit qu’elle<br />

ne se ré<strong>du</strong>it pas exactement à une surface de Fick (Radau <strong>et</strong> al. 1994). En d’autres termes, les<br />

suj<strong>et</strong>s ne choisissent pas des positions oculaires 3D identiques pour une direction <strong>du</strong> regard donnée<br />

atteinte par des <strong>mouvement</strong>s combinés de l’oeil <strong>et</strong> de la tête, mais des positions voisines : ceci<br />

semble exclure un rôle perceptif de la loi de Listing (Vilis 1997).<br />

Le devenir des lois de l’oculomotricité pendant le <strong>mouvement</strong> de la tête a été étudié sur le<br />

réflexe vestibulo-oculaire. Crawford <strong>et</strong> Vilis (1991) qui ont fait tourner des singes dans les trois<br />

plans (horizontal, sagittal <strong>et</strong> frontoparallèle) <strong>et</strong> mesuré les positions oculaires 3D à partir desquelles<br />

ont été calculées les vitesses angulaires 3D. Plusieurs systèmes de coordonnées ont été essayés pour<br />

exprimer leurs mesures. Les meilleurs résultats ayant été obtenus avec le système de coordonnées<br />

de Listing, les auteurs suggèrent que les coordonnées utilisées par le cerveau pour le contrôle <strong>du</strong><br />

VOR <strong>et</strong> les saccades sont identiques. La vitesse des phases lentes <strong>du</strong> VOR est plus faible selon<br />

l’axe de torsion, ce qui entraîne une légère mais systématique déviation de celle-ci par rapport à la<br />

vitesse de la tête. Ainsi, l’oeil ne contre-balance pas exactement le <strong>mouvement</strong> de la tête pendant<br />

les phases lentes. Cependant, la vitesse des phases lentes reste suffisamment proche de celle de la<br />

tête (qui réagit selon un cardan de Fick) pour dévier significativement de la loi de Listing. C<strong>et</strong>te<br />

déviation est ensuite compensée par les phases rapides, qui, en ramenant la torsion oculaire à zero,<br />

dévient l’oeil <strong>du</strong> plan de Listing à l’opposé de la déviation engendrée par les phases lentes. Ainsi,<br />

les phases rapides <strong>du</strong> VOR se comportent comme un opérateur de Listing, dans le sens où elles<br />

minimisent la torsion oculaire (Misslisch 1997). Des résultats similaires ont été obtenus sur le VOR


Caractéristiques générales <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> <strong>et</strong> couplage perception-action 69<br />

chez l’homme (Tweed <strong>et</strong> al. 1994).<br />

1.5.1.4 Vers un cadre de référence otholitique ?<br />

Deux types d’influences <strong>du</strong> signal sensoriel otolithique sur la position oculaire 3D ont été<br />

décrites. La première, l’influence otolithique statique a été explicitée dans la section précédente<br />

à propos de la stabilité <strong>du</strong> plan de Listing (cf. Haslwanter <strong>et</strong> al. 1992 ; Crawford & Vilis 1991) :<br />

pour une orientation donnée de la tête dans le plan frontoparallèle, une certaine quantité de torsion<br />

est ajoutée aux positions 3D de l’oeil au cours de la saccade <strong>et</strong> de la fixation. La deuxième<br />

influence otolithique (l’influence dynamique), est mise en évidence pendant des rotations lentes <strong>du</strong><br />

suj<strong>et</strong> d’expérience autour d’un axe légèrement décalé de la verticale. Ce dispositif expérimental<br />

perm<strong>et</strong> de faire varier continûment la direction <strong>du</strong> vecteur gravitaire par rapport à la tête, en<br />

stimulant exclusivement les otolithes. Angelaki <strong>et</strong> Hess (1996) ont décrit chez l’animal un réflexe<br />

otolitho-oculaire d’inclinaison associé à une mo<strong>du</strong>lation des composantes verticale <strong>et</strong> torsionnelle<br />

de la position oculaire 3D en phase avec la position de la tête par rapport à la gravité. Il existe<br />

donc une dépendance des coordonnées oculomotrices (de Listing) de l’orientation de la tête dans<br />

l’espace 3D.<br />

Ces derniers résultats ont fait naître l’idée que c<strong>et</strong>te influence <strong>du</strong> système otolithique pourrait<br />

être à la base d’un véritable cadre de référence fixé par rapport à l’espace. Un paradigme<br />

expérimental possible pour tester c<strong>et</strong>te hypothèse est le suivant. Après avoir subi une rotation<br />

d’axe verticale à vitesse constante suffisamment longue pour que les canaux semi-circulaires ne<br />

soient plus stimulés, le suj<strong>et</strong> est brusquement décéléré puis incliné dans le plan frontoparallèle ou<br />

le plan sagittal. On mesure alors la direction <strong>du</strong> nystagmus post-rotatoire. Si elle reste inchangée<br />

après l’inclinaison, le codage des signaux des canaux semi-circulaires est fixe par rapport à la tête.<br />

Dans le cas contraire, on postulera l’existence d’un système de coordonnées centrales inertielles.<br />

Angelaki <strong>et</strong> Hess (1994) ont utilisé le paradigme précédent sur le singe rhésus, <strong>et</strong> ont montré qu’il<br />

existe une réorganisation spatiale <strong>du</strong> VOR dans les trois plans de l’espace : la direction <strong>du</strong> nystagmus<br />

s’aligne parfaitement sur la gravité. Le mécanisme d’alignement diffère toutefois en fonction de<br />

la direction <strong>du</strong> VOR initial. Pour le VOR horizontal, la compensation post-inclinaison est réalisée<br />

par une rotation <strong>du</strong> vecteur de vitesse des yeux, alors que pour les VOR vertical <strong>et</strong> torsionnel, la<br />

compensation est obtenue par projection <strong>du</strong> vecteur de vitesse oculaire sur la direction de la gravité.<br />

Le clampage des canaux semi-circulaires n’a pas d’influence sur la compensation, ce qui prouve bien<br />

que ce mécanisme est otolithique (Angelaki & Hess 1995). Ainsi, chez le singe rhésus, le système<br />

otolithique est un système inertiel dont la fonction principale serait de transformer l’activité des<br />

canaux semi-circulaires en vitesse angulaire de la tête exprimée dans des coordonnées spatiales, une<br />

information utilisée pour contrôler les <strong>mouvement</strong>s de l’oeil, de la tête <strong>et</strong> <strong>du</strong> corps dans l’espace<br />

3D (Misslisch 1997). Par contre, chez l’homme, aucun alignement de la vitesse de l’oeil par rapport<br />

à la gravité n’a été observé, que l’inclinaison de la tête aie été générée passivement (F<strong>et</strong>ter <strong>et</strong> al.<br />

1996) ou activement (F<strong>et</strong>ter <strong>et</strong> al. 1992). Force est de conclure que chez l’homme, le codage de<br />

l’information sur le <strong>mouvement</strong> de la tête est fixe par rapport à la tête (Misslisch 1997). L’utilisation<br />

de référentiels différents chez le singe <strong>et</strong> l’homme con<strong>du</strong>it à penser qu’il existe des différences<br />

interspécifiques importantes en termes de perception spatiale <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>. Autrement<br />

dit, l’étude de l’action perm<strong>et</strong> d’inférer l’existence de différentes caractéristiques au niveau de la<br />

perception.<br />

1.5.2 Mouvements <strong>propre</strong>s passif <strong>et</strong> actif<br />

Dès lors qu’on s’intéresse au <strong>mouvement</strong>, <strong>et</strong> plus particulièrement au couplage perception-action,<br />

il convient de s’interroger avec Gibson (1966) pour savoir si l’observateur passif peut extraire la


70 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

même information pendant la locomotion que l’observateur actif qui contrôle sa locomotion.<br />

Autrement dit, il s’agit d’évaluer si ces deux modes de déplacement ont une influence différente sur<br />

la perception de l’environnement <strong>et</strong> des <strong>mouvement</strong>s que l’on y réalise. Intuitivement, l’engagement<br />

dans l’action semble avoir un eff<strong>et</strong> perceptif au moins dans la situation de conflit sensoriel qu’est<br />

le mal des transports. Pendant un voyage sur une route montagne, le con<strong>du</strong>cteur <strong>du</strong> véhicule, qui<br />

contrôle le <strong>mouvement</strong>, n’est jamais malade. Par contre, si le con<strong>du</strong>cteur susceptible cède le volant,<br />

il deviendra malade.<br />

1.5.2.1 Résultats psychophysiques<br />

–Sens <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> de son <strong>propre</strong> corps<br />

En ce qui concerne le sens <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong> positionnement <strong>du</strong> corps (kinesthésie), Craske<br />

<strong>et</strong> Crawshaw (1975) ont montré que les suj<strong>et</strong>s plongés dans l’obscurité indiquent plus précisément<br />

la position de leur main après un <strong>mouvement</strong> actif qu’après le même <strong>mouvement</strong> de leur bras réalisé<br />

par l’expérimentateur. Le <strong>mouvement</strong> <strong>du</strong> bras étant identique dans les deux cas, la différence de<br />

perception de la position de la main montre la contribution significative d’un signal que l’on peut<br />

qualifier de commande motrice ou encore de ré-afférence (von Holst 1954).<br />

–Mouvements oculaires, céphaliques, <strong>et</strong> perception visuelle <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

Les <strong>mouvement</strong>s des yeux <strong>et</strong> de la tête, parce qu’ils entraînent des déplacement des capteurs<br />

rétiniens dans l’espace, sont susceptibles d’interagir avec la perception visuelle <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong>.<br />

Ainsi, s’il est vrai que les <strong>mouvement</strong>s des yeux semblent peu influencer la sensation de <strong>mouvement</strong><br />

<strong>propre</strong> in<strong>du</strong>ite visuellement (Dichgans & Brandt 1978, cf. 1.4.1), la perception de la direction<br />

de déplacement <strong>du</strong> corps (heading) est n<strong>et</strong>tement plus précise lorsque le flux optique complexe à<br />

analyser est pro<strong>du</strong>it par des <strong>mouvement</strong>s actifs <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> (Crowell <strong>et</strong> al. 1998, cf. 1.3.3).<br />

Par ailleurs, les <strong>mouvement</strong>s actifs des yeux <strong>et</strong> de la tête influent sur la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

des obj<strong>et</strong>s. D’une part, les <strong>mouvement</strong>s de poursuite oculaire élèvent le seuil de perception <strong>du</strong><br />

<strong>mouvement</strong> de l’arrière-plan sur lequel se déplace la cible poursuivie (Wertheim 1981). D’autre<br />

part, les <strong>mouvement</strong>s actifs de la tête élèvent eux aussi le seuil de perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> d’un<br />

obj<strong>et</strong>. C<strong>et</strong>te élévation <strong>du</strong> seuil augmente avec la fréquence <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> céphalique <strong>et</strong> atteint à<br />

1.5Hz trois fois le seuil mesuré lorsque le suj<strong>et</strong> est immobile. Des <strong>mouvement</strong>s passifs de la tête<br />

seule, obtenus par déplacement des suj<strong>et</strong>s alors qu’ils fixent une cible visuelle solidaire de leur<br />

tête, augmentent aussi le seuil de perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> d’un obj<strong>et</strong> (Probst & Wist 1982). La<br />

conséquence de c<strong>et</strong>te augmentation <strong>du</strong> seuil est la diminution de la vitesse apparente de l’obj<strong>et</strong> en<br />

<strong>mouvement</strong> (Berthoz & Droulez 1982).<br />

Enfin, dans la situation de déplacement passif-actif <strong>du</strong> corps qu’est la con<strong>du</strong>ite de véhicule, la<br />

perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>du</strong> véhicule qui précède est également fortement diminuée par rapport<br />

au même <strong>mouvement</strong> visuel observé par un suj<strong>et</strong> immobile (Probst <strong>et</strong> al. 1984). C<strong>et</strong> ensemble de<br />

résultats semble pointer n<strong>et</strong>tement une nouvelle variable de la perception <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> –qu’il soit<br />

externe au suj<strong>et</strong> ou réalisé par celui-ci : le <strong>mouvement</strong> pro<strong>du</strong>it par le suj<strong>et</strong> observateur. Probst <strong>et</strong><br />

al. (1984) suggèrent que la diminution <strong>du</strong> seuil de perception <strong>et</strong> de la vitesse apparente des obj<strong>et</strong>s<br />

environnants fait partie d’une hypothèse plus générale que fait le cerveau, qui est que l’on se déplace<br />

dans un environnement majoritairement stable.<br />

–Coordination oculo-manuelle<br />

Les premiers travaux sur la comparaison <strong>mouvement</strong> actif-passif ont été réalisés dans le cadre de<br />

l’apprentissage de tâches visuo-manuelles spatiales, suite aux travaux précurseurs sur la nécessité<br />

de signaux ré-afférents ou stimulations provenant de l’action <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> de von Holst (1954). Held &


Caractéristiques générales <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> <strong>et</strong> couplage perception-action 71<br />

Hein (1958) ont utilisé une tâche de pointage manuel aveugle (les suj<strong>et</strong>s ne pouvant pas voir leur<br />

main pendant qu’ils pointent), avant <strong>et</strong> après le port prolongé de prismes décalant l’image visuelle<br />

vers la droite ou la gauche. Les suj<strong>et</strong>s compensent la déviation <strong>du</strong>e au prismes si <strong>et</strong> seulement s’ils<br />

ont la possibilité de bouger leur main eux-mêmes pendant qu’ils portent les prismes. Si par contre,<br />

l’expérimentateur déplace la main des suj<strong>et</strong>s, offrant à ceux-ci une stimulation somatosensorielle<br />

<strong>et</strong> visuelle cohérente mais sans <strong>mouvement</strong> actif, aucune compensation n’apparaît. Ainsi, l’apprentissage<br />

d’une tâche visuo-manuelle spatiale est contingente des signaux ré-afférents ; le <strong>mouvement</strong><br />

seul ne suffit pas, il doit être actif. De même, l’apprentissage au cours <strong>du</strong> développement de comportements<br />

spatiaux guidés par la vision ne peut se passer des informations fournies par le <strong>mouvement</strong><br />

actif (Riesen 1958 chez le singe, Hein & Diamond 1983 chez le chat).<br />

Mais l’influence <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> actif sur les performances motrices spatiales n’apparaît pas<br />

uniquement à travers l’apprentissage. La poursuite d’une cible visuelle déplacée par le suj<strong>et</strong> est<br />

plus efficace que si le suj<strong>et</strong> poursuit tout en ayant la main déplacée passivement selon le même<br />

<strong>mouvement</strong> que celui de la cible (Vercher <strong>et</strong> al. 1996). De plus, les suj<strong>et</strong>s déafférentés réalisent des<br />

performances temporelles identiques aux suj<strong>et</strong>s sains. C’est donc le signal ré-afférent de commande<br />

motrice qui est impliqué dans les aspects temporels de la poursuite de la cible manipulée par le<br />

suj<strong>et</strong>, alors que le signal de proprioception motrice est impliqué dans les ajustements paramétriques<br />

de la poursuite (Vercher <strong>et</strong> al. 1996). Par ailleurs, le <strong>mouvement</strong> actif modifie aussi l’anticipation de<br />

la trajectoire visuelle d’un obj<strong>et</strong>. Lorsque le suj<strong>et</strong> manipule lui-même un obj<strong>et</strong> qui se déplace, puis<br />

qui est caché tout en continuant à se déplacer en fonction <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> de la main, l’estimation<br />

de la position de l’obj<strong>et</strong> est plus avancée (le long de la trajectoire) que sa position réelle, <strong>et</strong> surtout<br />

plus avancée que l’estimation que donne le suj<strong>et</strong> à propos <strong>du</strong> même déplacement de l’obj<strong>et</strong> que<br />

celui qu’il a réalisé précédemment, mais exécuté par l’ordinateur (Wexler & Klam 2001). Ainsi,<br />

pour un déplacement de l’obj<strong>et</strong> identique, autrement dit pour une stimulation visuelle identique,<br />

l’engagement ou non dans une action motrice sur l’obj<strong>et</strong> modifie la perception de la trajectoire de<br />

l’obj<strong>et</strong>.<br />

–Déplacements de la tête <strong>et</strong> perception spatiale<br />

Comme pour les tâches spatiales de coordination oculo-manuelle, bouger soi-même ou être<br />

déplacé dans un environnement –tout en portant des prismes déplaçant l’image horizontalement–<br />

ne revient pas au même. Les suj<strong>et</strong>s auxquels Held & Bossom (1961) ont demandé d’indiquer la<br />

direction ”droit devant”, après une période d’exposition à la modification des interactions visuomotrices<br />

<strong>du</strong>e au port de prismes, ne compensent le biais in<strong>du</strong>it que lorsqu’ils se sont déplacés<br />

activement dans l’environnement.<br />

Plus récemment, Wexler <strong>et</strong> al. (2001) ont montré un eff<strong>et</strong> immédiat <strong>du</strong> déplacement actif de<br />

la tête sur la perception (visuelle) de la structure de l’environnement. Dans la condition active,<br />

les suj<strong>et</strong>s provoquent leur <strong>propre</strong> déplacement. Dans la condition passive, ils reçoivent la même<br />

stimulation visuelle que dans la condition active, mais ne bougent pas. En utilisant un obj<strong>et</strong> virtuel<br />

à l’aide <strong>du</strong>quel les indices spatiaux issus de la perspective <strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> sont mis en conflit,<br />

les auteurs ont pu montrer que, d’une part, l’information sur le <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> fait partie<br />

intégrante de l’analyse visuelle de la structure 3D de l’environnement –l’eff<strong>et</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> actif<br />

ne se ré<strong>du</strong>it pas seulement à la modification <strong>du</strong> flux optique qu’il entraîne–, <strong>et</strong>, d’autre part, que les<br />

suj<strong>et</strong>s préfèrent la solution où l’obj<strong>et</strong> reste stationnaire dans l’espace (un référentiel allocentrique)<br />

même si celui-ci se déforme. L’équivalence implicite dans les études consacrées à l’extraction de la<br />

structure spatiale 3D à partir des informations de <strong>mouvement</strong> entre un suj<strong>et</strong> statique observant<br />

des obj<strong>et</strong>s rigides subissant un <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> un suj<strong>et</strong> en <strong>mouvement</strong> actif observant des obj<strong>et</strong>s<br />

stationnaires est donc erronée.<br />

Dans une deuxième série d’expériences, Wexler (2002) a comparé plus spécifiquement mou-


72 <strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

vement actif <strong>et</strong> <strong>mouvement</strong> passif dans une tâche spatial utilisant à nouveau un obj<strong>et</strong> virtuel<br />

ambigu. Il existe deux solutions possibles de <strong>mouvement</strong> pour ce stimulus ambigu, l’une dans<br />

un référentiel égocentrique <strong>et</strong> l’autre dans un référentiel allocentrique. Ces deux solutions correspondent<br />

à des axes de rotation de l’obj<strong>et</strong> séparés de 90 ◦ . La tâche <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> étant d’indiquer l’axe<br />

de rotation, le grand intérêt de ce paradigme est qu’il ne fait pas appel directement à un jugement<br />

spatial égo/allocentrique. Les résultats montrent que le <strong>mouvement</strong> actif influe sur la perception<br />

immédiate <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>et</strong> de l’espace 3D : les suj<strong>et</strong>s ont tendance à utiliser plus fréquemment<br />

le référentiel allocentrique pendant le <strong>mouvement</strong> actif, alors que pendant un <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong><br />

passif équivalent, ils utilisent de préférence le référentiel égocentrique. Ainsi, <strong>du</strong> point de vue de la<br />

perception de l’espace 3D, un <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> actif <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> n’est pas simplement l’équivalent <strong>du</strong><br />

déplacement <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> dans l’espace. L’ensemble des résultats présentés semble indiquer que <strong>mouvement</strong><br />

<strong>et</strong> espace apparaissent réellement indissociables d’une part, <strong>et</strong> que d’autre part <strong>mouvement</strong><br />

actif <strong>et</strong> déplacement passif ne sont pas équivalents pour le cerveau.<br />

1.5.2.2 Résultats neurophysiologiques<br />

Le nombre ré<strong>du</strong>it de résultats indiquant le rôle <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> actif sur la perception contraste<br />

avec la relative abondance de données psychophysiques.<br />

–<strong>Perception</strong> <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong><br />

A propos <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong>, <strong>et</strong> dans le cas particulier de la direction de déplacement, Bradley<br />

<strong>et</strong> al. (1996) ont montré que les neurones de l’aire corticale MST ne compensent la perturbation<br />

<strong>du</strong> flux optique <strong>du</strong>e au <strong>mouvement</strong> de l’oeil que si le <strong>mouvement</strong> est exécuté par le singe. Le même<br />

flux optique observé passivement ne perm<strong>et</strong> pas de r<strong>et</strong>rouver la direction de déplacement à partir<br />

<strong>du</strong> flux optique. De plus, si l’animal subit une rotation pendant qu’il supprime son réflexe vestibulooculaire<br />

–ce qui provoque une perturbation <strong>du</strong> flux optique <strong>du</strong>e au <strong>mouvement</strong> de la tête seule–,<br />

les neurones de MST peuvent compenser les eff<strong>et</strong>s de ce <strong>mouvement</strong> céphalique passif (Shenoy <strong>et</strong><br />

al. 1999 ; cf. 1.3.3).<br />

Par ailleurs, les neurones de MST ont une réponse plus faible lorsque le <strong>mouvement</strong> visuel<br />

sur la rétine est provoqué par un <strong>mouvement</strong> des yeux que lorsqu’il est totalement indépendant<br />

de l’animal (Erickson & Thier 1991), ce qui confirme l’influence plus générale des signaux extrarétiniens<br />

<strong>du</strong>s au <strong>mouvement</strong> sur l’analyse <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> dans le cortex temporal. Dans l’aire<br />

temporale polysensorielle (TPO, TGa), l’on trouve aussi des neurones sensibles au <strong>mouvement</strong><br />

d’un obj<strong>et</strong>. Par contre, ces neurones ne répondent pas lorsque c’est la main de l’animal qui est<br />

en <strong>mouvement</strong>, <strong>et</strong> ils répondent seulement faiblement si l’animal approche un obj<strong>et</strong> nouveau dans<br />

sa main afin de l’examiner (Heitanen & Perr<strong>et</strong> 1993). Ainsi, les neurones des TPO sont sensibles<br />

au <strong>mouvement</strong> des obj<strong>et</strong>s, préférentiellement si ce <strong>mouvement</strong> n’est pas provoqué par l’animal<br />

lui-même.<br />

–Neurones vestibulaires<br />

Deux études neurophysiologiques sur les réponses liées au <strong>mouvement</strong> de la tête dans les noyaux<br />

vestibulaires ont comparé ces réponses lors de <strong>mouvement</strong>s céphaliques actifs <strong>et</strong> passifs, <strong>et</strong> ont<br />

montré que les neurones réagissent différemment dans les deux cas. Robinson & Tomko (1987)<br />

ont comparé les neurones vestibulaires secondaires chez le chat, lors de <strong>mouvement</strong>s actifs de<br />

l’animal <strong>et</strong> lors d’une répétition de ces <strong>mouvement</strong>s par la table tournante. Environ un tiers des 35<br />

cellules enregistrées répondent plus intensément au <strong>mouvement</strong> actif qu’au <strong>mouvement</strong> passif. La<br />

différence de réponse dans les deux conditions pouvait être expliquée par l’addition d’une entrée<br />

somatosensorielle nuccale au signal vestibulaire pur dans la condition active. Toujours dans les


Caractéristiques générales <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> <strong>propre</strong> <strong>et</strong> couplage perception-action 73<br />

noyaux vestibulaires, mais chez le singe c<strong>et</strong>te fois, tous les neurones répondent moins intensément<br />

au <strong>mouvement</strong> actif qu’au <strong>mouvement</strong> passif de la tête, la grande majorité (2/3) ne répondant<br />

pas <strong>du</strong> tout au <strong>mouvement</strong> actif (Mc Crea <strong>et</strong> al. 1999). L’hypothèse avancée par les auteurs pour<br />

expliquer c<strong>et</strong>te différence est que le signal vestibulaire serait annulé par la soustraction d’un signal<br />

de copie efférente motrice pendant le <strong>mouvement</strong> actif.<br />

Si les résultats de ces deux études semblent a priori contradictoires, il n’en reste pas moins que les<br />

signaux neuronaux relatifs au <strong>mouvement</strong> de la tête, dès les premiers relais vestibulaires centraux,<br />

sont différents suivant que le <strong>mouvement</strong> est actif ou passif. Si le cortex pariétal est impliqué dans<br />

la représentation de l’espace, à la lumière des résultats psychophysiques <strong>et</strong> neurophysiologiques<br />

précédents, il devient très intéressant de savoir si les signaux vestibulaires qui s’y trouvent sont<br />

aussi modifiés par la nature <strong>du</strong> <strong>mouvement</strong> pro<strong>du</strong>it. La cinquième étude de ce travail de thèse est<br />

consacrée à c<strong>et</strong>te question.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!