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Nancy
Enjeu de l'art contemporain pour un Musée des Beaux-Arts
Point de vue d'une association
Exposition 2003 “François Morellet : Petit inventaire de
courbes en hommage à Lamour “
© André Morin
Depuis quelques années, le Musée des Beaux-Arts de
Nancy a choisi de s'ouvrir à l'art contemporain :
présence d'œuvres déposées par le FNAC, expositions
temporaires, interventions d'artistes au sein même des
collections classiques.
Cette année 2003-2004 verra en outre la mise en place d'un
nouveau cycle de rencontres autour de manifestations révélatrices
de la création contemporaine : visites virtuelles de biennales,
grandes expositions, galeries, invitations à découvrir, à
échanger, une sensibilisation plutôt qu'une information.
L'association des Amis du Musée accompagne bien sûr le
musée dans cette démarche, en dépit des réticences d'un certain
nombre de ses adhérents et de l'accueil frileux du grand
public. On connaît les préjugés tenaces nourris à l'égard de l'art
contemporain et la fracture qu'il existe, dans l'esprit du public,
entre un art consensuel, dit classique, source d'ineffables émotions
et une création contemporaine qui fait éclater toutes les
catégories, brouille tous nos repères et nos critères d'appréciation.A
Nancy comme ailleurs, on boude l'art contemporain.
Ainsi, pour exemple, la dernière exposition temporaire, consacrée
à François Morellet, artiste mondialement connu, et qui
proposait une rétrospective de son oeuvre à partir du thème
de la courbe n'a elle attiré que 17000 visiteurs, le tiers ou le
quart du score réalisé par d'autres expositions “classiques”.
Mais l'enjeu n'est pas dans ces rapports comptables, encore
que le nombre de 17000 visiteurs puisse être considéré
comme un véritable succès et que l'accueil reçu par cette
exposition soit très encourageant.
Sur ces 17000 visiteurs, une grande majorité ont découvert
avec beaucoup de plaisir une autre manière de “faire de l'art”,
un autre type d'émotion esthétique, une création en parfaite
symbiose avec notre monde et notre temps. Un grand
nombre de visiteurs ont été subjugués par l'étrange beauté de
ces arabesques lumineuses, par la poésie émanant d'un matériau
aussi trivial que le néon. D'autres plus attentifs ou plus
curieux ont découvert, avec l'introduction du système et du
hasard dans la genèse de l’œuvre la notion de démarche,
notion capitale pour aborder une grande partie de la création
contemporaine.
D'une démarche à l'autre, au hasard des rencontres, ils se feront
plus attentifs et découvriront progressivement
que si les formes traditionnelles
de la représentation
artistique ont disparu, d'autres
voient le jour, nous sollicitant tout
autant par leur potentiel d'émotion
ou de questionnement. Elles
peuvent être dérangeantes, provocantes
(je pense à l'exposition
“Corps et Traces” regroupant les œuvres d'artistes tchèques
qui mettaient en scène, à travers des techniques variées, toute
la problématique du corps).
Elles sont toujours la traduction plastique d'un regard posé sur
un état du monde, sur nous-mêmes. Et si la notion de chefd’œuvre
ou de beauté paraît obsolète, la relation avec l’œuvre
et son auteur n'en est pas moins forte.
Etrange paradoxe. En quittant ces expositions, c'est avec un
oeil neuf qu'on retraverse les salles qui alignent les oeuvres des
siècles passés. Elles aussi nous parlent de leur temps. La proximité
des oeuvres contemporaines leur a fait perdre ce parfum
mortifère que prennent les choses dévolues à l'admiration ou
au respect. Le désir de voir, de sentir, de comprendre est
ravivé. Le musée n'est plus le gardien de chefs-d’œuvre du
passé, il est un site privilégié, parmi d'autres, où se produit de
l'art. Entre les valeurs attestées et les valeurs “proposées”, la
fracture se réduit, le dialogue s'engage. Les unes et les autres
nous interpellent. Le musée redevient un lieu de vie et de
culture, l'endroit où nous venons chercher ce supplément
d'âme et de présence au monde. Il y gagne un public élargi.
Un musée qui s'ouvre à l'art contemporain est un musée qui
refuse de se replier sur des valeurs et des positions acquises
mais qui du même coup évite à l'art contemporain de se cantonner
dans des réseaux qui l'isolent et en font un art pour
initiés et collectionneurs. Il témoigne de la vitalité de l'art et
de sa pérennité en même temps qu'il s'affirme comme lieu de
rencontre et d'échange.
Jacqueline Habrant
Administrateur des Amis du Musée des Beaux-Arts de Nancy