PDF - 9.4 Mo - Baraka

Faculté des Sciences Economies et Sociales
Master 2 APIESS
L’ECONOMIQUE AU SERVICE DE L’UTILITE SOCIALE ?
Mémoire présenté par Anne-Sophie VAN RIJN
LA SCIC BARAKA
UN MODELE INNOVANT
MEMOIRE de MASTER 2 APIESS
Action Publique, Institutions
et Economie Sociale et Solidaire
Sous la direction de Mme Florence JANY-CATRICE
Suivi assuré par M Pierre WOLF
Année universitaire 2011-2012

AVANT-PROPOS
Ce mémoire est la dernière étape d’une reconversion professionnelle engagée il y a maintenant 2 ans.
Après 14 ans d’exercice professionnel dans des entreprises du secteur marchand, cette année de
formation a répondu à une grande partie de mes interrogations sur la possibilité d’un modèle
économique respectueux de l’Homme et de son environnement. L’Economie Sociale et Solidaire, trop
peu connue dans les secteurs d’activité où j’exerçais jusque là, regorge d’initiatives et d’organisations
remettant régulièrement en cause le modèle libéral dominant et qui essaient, dans l’hésitation et le
tâtonnement de (re)mettre l’homme au cœur de leurs pratiques, et la démocratie au cœur de leurs
décisions.
Les compétences et connaissances acquises, les rencontres et échanges tout au long de ces 11 mois
sont des bases solides et indispensables pour mener à bien initiatives et actions professionnelles dans
les valeurs de l’ESS. Mais ce sont aussi de vrais réflexes de pensée et d’esprit critique qui ont été
acquis et qui m’ont permis de bousculer les idées reçues et les évidences perçues comme telles par
notre modèle économique si performatif.
Je tiens à remercier toutes les personnes sans qui ce mémoire n’aurait pu aboutir : Pierre Wolf pour sa
confiance et la place qu’il m’a faite dans ce projet, les sociétaires pour leur disponibilité et leur plaisir à
me raconter Baraka, Florence Jany-Catrice pour son dynamisme et son exigence universitaire qui m’a
obligée à dépasser mes craintes.
Je remercie pleinement mon mari Hervé qui a su étendre ses compétences domestiques pour
soulager ma charge de travail et surtout pour son soutien dans cette reconversion qui a donné lieu à
de grandes discussions passionnées. Je lui suis reconnaissante ainsi qu’à mes filles pour leur
indulgence pendant mes longues heures d’études et face au stress que cela a pu engendrer.
Ce mémoire vise à être un des outils dans la consolidation du projet Baraka, et pourrait servir de
matériau pour d’éventuels essaimages. Il vise également à mettre en valeur l’importance des rôles
joués par le restaurant « l’Univers » et de l’association Chênelet, dans l’émergence et l’aboutissement
de ce projet ambitieux et créatif. Ce rôle joué par ces organisations est d’autant plus important qu’elles
sont toutes deux marquées par des périodes de crise 1 . Il vise enfin à capitaliser sur cette expérience
« innovante », pour les réseaux qui la portent, et le territoire avec qui Baraka essaie de créer une
symbiose.
1 L’association l’Univers a perdu son agrément de chantier d’insertion en 2010 et SPL, filiale de Chênelet est en redressement
judiciaire suite à des réductions importantes de subventions. Ces crises ne sont pas indépendantes des choix des politiques
publiques, nationales et parfois régionales, de réduction du soutien aux associations.
2

SOMMAIRE
INTRODUCTION .............................................................................................................................................. 5
PARTIE 1 ‐ MONOGRAPHIE DE BARAKA ................................................................................................. 8
1. LA METHODOLOGIE MOBILISEE DURANT LE STAGE ............................................................................ 8
2. GENESE DE BARAKA ET PREMIERS PAS ........................................................................................... 9
2.1. Genèse du projet Baraka ................................................................................................................................ 9
2.2. Le pluralisme des valeurs ............................................................................................................................ 19
2.3. Les moyens du projet ..................................................................................................................................... 24
2.4. Le projet suite au sinistre ............................................................................................................................ 25
3. CONCLUSION DE LA MONOGRAPHIE ............................................................................................... 39
3.1. Un projet inscrit dans l’économie sociale et solidaire .................................................................... 39
3.2. Force du projet politique et innovation ................................................................................................ 41
PARTIE 2 – MES MISSIONS AU SEIN DE BARAKA ............................................................................... 42
1. CONTEXTE DU STAGE ................................................................................................................... 42
1.1. Genèse .................................................................................................................................................................. 42
1.2. La notion d’utilité sociale, une question d’actualité ........................................................................ 42
1.3. Les enjeux de l’utilité sociale ...................................................................................................................... 45
1.4. L’évaluation de l’utilité sociale de Baraka, une nécessité ? .......................................................... 46
1.5. Réceptivité des sociétaires à l’évaluation de l’utilité sociale de Baraka ................................ 47
2. MISSION PRINCIPALE : L’EVALUATION DE L’UTILITE SOCIALE DE BARAKA .......................................... 48
2.1. Expertise demandée ...................................................................................................................................... 48
2.2. Déroulement de la mission ......................................................................................................................... 48
2.3. Opportunités et difficultés rencontrées au cours de cette 1ère étape ..................................... 49
3. EVOLUTION SUITE AU SINISTRE ..................................................................................................... 51
3.1. Les raisons de reporter la démarche d’évaluation ........................................................................... 51
3.2. Mes nouvelles missions ................................................................................................................................. 52
4. ELEMENTS DE REFLEXIVITE SUR LE STAGE ..................................................................................... 53
4.1. « Dé formatage » ............................................................................................................................................. 53
4.2. Coopération ....................................................................................................................................................... 54
3

PARTIE 3 ‐ EVALUER L’UTILITE SOCIALE D’UNE STRUCTURE ...................................................... 55
1. EVALUER SON UTILITE SOCIALE ..................................................................................................... 55
1.1. Les avantages de la démarche d’évaluation ....................................................................................... 57
1.2. Les inconvénients et risques de la démarche d’évaluation ........................................................... 57
1.3. Les méthodes d’évaluation ......................................................................................................................... 58
2. L’EVALUATION DE L’UTILITE SOCIALE DE BARAKA ............................................................................ 59
2.1. La méthodologie de l’évaluation de l’utilité sociale de Baraka .................................................. 59
2.2. Travaux préparatoires : les entretiens semi‐directifs ..................................................................... 61
3. LES CHANTIERS PARTICIPATIFS : ESSAI D’EVALUATION DES IMPACTS ............................................... 69
3.1. La méthode mobilisée pour l’étude des chantiers participatifs .................................................. 69
3.2. Les chantiers participatifs : un processus de construction original ......................................... 70
3.3. Les objectifs et enjeux des chantiers participatifs ............................................................................ 74
3.4. L’évaluation des impacts des chantiers participatifs ...................................................................... 77
3.5. Le bilan des chantiers participatifs ........................................................................................................ 91
CONCLUSION ................................................................................................................................................. 96
BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................................... 100
TABLES DES ANNEXES ............................................................................................................................. 102
TABLE DES MATIERES ............................................................................................................................. 131
4

INTRODUCTION
Avec plus de vingt-cinq articles parus depuis un peu plus d'un an dans les deux grands titres de la
presse locale, une structure pas comme les autres fait l'objet de toutes les attentions sur la métropole
lilloise : la coopérative d'intérêt collectif, Baraka.
Même si un tiers de ces parutions concerne l'incendie qui a ravagé le bâtiment de la coopérative une
semaine à peine après son ouverture au public, ce n'est pas tant pour ce sinistre qu'elle attise la
curiosité que pour son modèle innovant.
Baraka est la concrétisation d'un rêve un peu fou fait par deux roubaisiens il y a tout juste 4 ans :
construire un bâtiment exemplaire en termes d'exigences environnementales qui, outre son restaurant
et ses salles de réunion, sera le lieu de toutes les initiatives à prendre en vue de réinventer le vivre-
ensemble dans un quartier particulièrement défavorisé de Roubaix. Les recettes du restaurant et des
locations de salles financeront l'ensemble. Une partie des emplois créés seront destinés aux
personnes sortant d'un parcours d'insertion professionnelle et le choix du statut de la structure s'est
porté sur celui de SCIC, société coopérative d'intérêt collectif qui offre l'avantage d'une gouvernance
démocratique et d'un encadrement financier strict limitant la lucrativité (cf. infra).
De toutes ses ambitions, le projet innove dans sa manière d’imbriquer les dimensions économique,
sociale et politique qui va à contre-courant du modèle dominant. Celui-ci, sous influence libérale
depuis la révolution industrielle, a pris la forme d’une sphère économique devenue complètement
indépendante des sphères sociales et politiques. Le capitalisme contemporain a amplifié les effets
causés par cette dissociation entre l’économie et le social. La recherche de toujours plus de profit
comme finalité de l’activité économique est à l’origine de la crise sociale et écologique actuelle. Les
initiateurs du projet ont donc cherché « à lier discours politique critique et activité économique » 2 et à
construire un modèle qui met le marchand au service du non marchand, ou pour le dire autrement, qui
ré-imbrique l’économique comme moyen au service de la société. La finalité de la coopérative est donc
de produire du non-marchand. Ce non-marchand a été appelé « biens communs » par les sociétaires
pour souligner l’intérêt collectif poursuivi. Il englobe l’ensemble des effets positifs produits par la
coopérative et au profit non pas d’un intérêt individuel mais de la société ou tout du moins, d’une partie
(une population, un territoire …).
Dans les conventions se développant au sein de l’économie sociale et solidaire (ESS), des textes de
loi et des travaux scientifiques, c’est le terme d’utilité sociale qui fut retenu pour nommer ces effets
produits sur la société.
Cette notion d’utilité sociale, quasi inexistante il y a quelques décennies, est en train de devenir le faire
valoir des spécificités des organisations de l’ESS. Elle apparaît pour la première fois dans le cadre
d’un arrêt du Conseil d’Etat du 30 novembre 1973. Cet arrêt introduit deux nouvelles conditions pour
qu’une structure puisse bénéficier d’exonérations des impôts commerciaux. En complément de la pour
qu’une structure puisse bénéficier d’exonérations des impôts commerciaux. En complément de la non-
2 DACHEUX Eric, « Un nouveau regard sur l’espace public et la crise démocratique », Economie Solidaire et Démocratie,
Hermès 36, 2003
5

lucrativité, les organisations devront justifier que leur activité apporte une contribution non fournie par
le marché ou ayant des conditions plus avantageuses pour les bénéficiaires. Les motivations de l’Etat
sont de prévenir les accusations de concurrence déloyale des entreprises envers le secteur non
lucratif.
En 1995, le CNVA, Conseil National de la Vie Associative, propose une liste de dix critères permettant
d’enrichir la notion d’utilité sociale et de ne pas limiter sa définition à celui de non lucrativité ni à celui
de non satisfaction par le marché. Ces critères concernent, en complément des précédents, la finalité
et le fonctionnement de l’association, le mixage des publics, la capacité à mobiliser de la générosité
humaine et financière, l’existence de financements publics ou parapublics et l’existence d’un agrément
ministériel ou d’une habilitation. Mais la lourdeur procédurale et la problématique juridique engendrées
ne donneront pas suite à ces propositions.
Le rapport Lipietz remis en 2000 à Martine Aubry, alors Ministre des affaires sociales, aborde à
nouveau la question de l’utilité sociale. Ses propositions sont de constituer un tiers secteur d’utilité
sociale, environnementale et culturelle qui bénéficiera d’avantages fiscaux. Il dresse à nouveau une
liste de critères permettant de définir l’appartenance des organisations à ce tiers secteur. Ces critères
se composent d’indicateurs monétarisés (les coûts évités pour la collectivité) et d’indicateurs sociaux
(cohésion sociale, insertion sociale …). Mais ces propositions n’auront pas de suite.
C’est en 2001, par la loi du 17 juillet instituant les SCIC, que l’utilité sociale devient une condition
juridique : « les sociétés coopératives d’intérêt collectif (…) ont pour objet la production ou la fourniture
de biens et services d’intérêt collectif, qui présente un caractère d’utilité sociale » (article 19
quinquies). Mais elle n’en précise ni sa définition ni les critères permettant de la définir. Jusqu’en mars
2012, un agrément était nécessaire pour accéder au statut de SCIC. La préfecture le délivrait selon les
critères suivants : embauche de personnes en contrat d’insertion et/ou handicapées, tarifs préférentiels
pour les bénéficiaires des minima sociaux, économie durable.
Il apparaît nettement que les pouvoirs publics ont le souci de cette notion d’utilité sociale pour justifier
d’avantages fiscaux octroyés à certaines structures mais aussi, et de plus en plus, pour justifier des
financements (subventions, appels à projet …) alloués.
Pour les structures concernées par la question, les associations mais aussi l’ESS en général, l’utilité
sociale, imposée au départ par les pouvoirs publics, devient la justification de leur spécificité et de leur
différenciation vis à vis du secteur privé. Là aussi, la notion reste floue et chaque entité qui s’y est
attelée a défini sa propre utilité sociale et les critères pour la valoriser. Car l’enjeu principal (mais pas
unique) de la capacité d’une structure à fournir la « preuve » de son utilité sociale est la
reconnaissance par les pouvoirs publics de ses spécificités.
De nombreuses associations ont entamé voire réalisé une évaluation de leur utilité sociale. Ce sont
essentiellement les structures liées aux politiques sociales, sanitaires, éducatives et économiques
(l’insertion) 3 . Mais très peu de coopératives ou mutuelles ont fait l’objet d’évaluation de leur utilité
3 GADREY Jean, « L’utilité sociale des organisations de l’économie sociale et solidaire. Une mise en perspective sur la base de
travaux récents », rapport de synthèse pour la DIES et la MIRE, février 2004
6

sociale ou même de recherche à ce sujet. Cela tient au fait que la notion d’utilité sociale est née du
rapport de forces entre l’Etat et les structures dépendantes des financements publics. D’autre part, ce
sont surtout les organisations de l’économie sociale qui intègrent les critères initiaux d’encadrement de
l’utilité sociale (production de biens ou services non fournis par le marché) qui ont mené cette
démarche d’évaluation.
Or Baraka aura une activité économique pourvue par le secteur privé (restauration et locations de
salles) et son utilité sociale résidera, entre autre, dans l’emploi de personnes sortant d’un parcours
d’insertion donc plus considérées comme telles par les pouvoirs publics. De plus, la coopérative
présente peu de liens financiers ou contractuels avec les pouvoirs publics hormis les subventions
d’aide au lancement d’une activité et celles pour la construction d’un bâtiment à faible impact
environnemental. L’obtention d’un agrément d’utilité sociale lors de la création d’une SCIC n’existe
plus. Les SCIC n’ont donc plus d’obligation légale de prouver leur utilité sociale.
Dans ce contexte, en quoi est-il pertinent de mener une démarche d’évaluation d’utilité sociale pour la
coopérative Baraka ?
En tant que modèle innovant, elle redéfinit la place et le rôle de l’économique en tant que moyen au
profit d’une production de biens communs. L’évaluation de ces biens communs, de cette utilité sociale
produite peut en apporter la « preuve », peut offrir une illustration de ces engagements de « vivre-
ensemble ».
Le statut spécifique de SCIC fait de Baraka un hybride entre l’association et la coopérative. Il s’agit de
savoir si une telle évaluation peut devenir le pendant des indicateurs économiques et financiers de la
part marchande de l’activité. Enfin, il est envisageable qu’une telle démarche d’évaluation permette de
réguler le poids de l’économique dans la structure.
Pour mener à bien cette étude, nous présenterons, dans une première partie, une monographie de la
coopérative Baraka et analyserons l’évolution du projet suite au sinistre qui l’a touchée. Il s’agira
d’identifier les spécificités de la structure et la mécanique combinant ses activités économiques et sa
vocation d’utilité sociale.
Dans une deuxième partie, nous aborderons la notion d’utilité sociale et de son évaluation dans un
cadre en général puis plus spécifiquement pour Baraka. L’intérêt de cette partie est de comprendre, au
travers de l’évolution de mon stage, comment la question de l’évaluation de l‘utilité sociale a été
amenée et perçue par la coopérative et de saisir en quoi le sinistre a impacté ma mission initiale.
Enfin, nous expérimenterons, en troisième partie, une évaluation simplifiée d’une action majeure de la
coopérative depuis son existence : les chantiers participatifs. Après avoir présenté l’opération en elle-
même, il s’agira de définir et comparer les richesses qu’elle a produites au regard des acteurs
(financeurs et organisateurs) puis des usagers.
7

PARTIE 1 - Monographie de Baraka
1. La méthodologie mobilisée durant le stage
Pour réaliser la monographie de la coopérative Baraka, je me suis appuyée sur une pluralité de
méthodes, généralement utilisées en sciences sociales, et ici mobilisées plus ou moins
adroitement.
1) Une longue période d’observation in situ modelée par mes expériences acquises lors de mes
activités professionnelles antérieures. Seul un stage de six mois permet une telle période
d’observation où l’étudiant est à la fois chercheur, en action, cherche à prendre de la distance
tout en étant rattrapé régulièrement par les réalités du travail et les rythmes qu’il impose.
2) Une observation-participante ensuite puisque mon immersion dans la vie de l’organisation s’est
faite au travers des différentes tâches accomplies. Celles-ci étaient très diversifiées car le
gérant m’a délégué une partie de sa mission. Nous avons travaillé en complémentarité sur les
différents dossiers qui font vivre la coopérative. Cela allait de ma participation aux services
hôteliers à la mise en place de procédures de gestion de l’équipe, de la gestion des
conséquences du sinistre au suivi des travaux de reconstruction, du lancement de la « fabrique
de biens communs » à la gestion des relations avec les acteurs du quartier.
3) Ce travail a également pris appui sur des travaux menés dans le cadre de ma mission sur
l’évaluation de l’utilité sociale de Baraka (voir infra, partie 3) et plus particulièrement sur les
entretiens semi-directifs réalisés auprès de sociétaires et de parties prenantes. Ces entretiens
ont été réalisés sur le mois de mars 2012 à partir d’une grille d’entretiens commune. La
volubilité des interviewés et ma curiosité quant aux thèmes abordés ont enrichi, plus que prévu,
les informations récoltées. Mais, a contrario, les écarts par rapport à la grille d’origine ont
parfois altéré le fil directeur de l’enquête.
Le projet ayant (pour de bonnes et moins bonnes raisons) bénéficié d’une importante couverture
médiatique, les revues de presse ont été utiles à ma recherche. De même, le site internet de la
coopérative ayant été régulièrement alimenté, a été une bonne source d’informations.
Ces missions m’ont permis d’avoir un poste d’observation directe et complète sur l’ensemble de
l’organisation. Mais elles m’ont mise en interaction directe avec le terrain. La situation
exceptionnelle qu’a connue la coopérative au travers de l’incendie n’a fait qu’accentuer le transfert
de mon statut de « stagiaire-chercheur » en statut que l’on pourrait qualifier de « stagiaire-
manager ». L’avantage de cette observation in situ est de prendre en compte les actions
collectives et les processus sociaux au lieu de ne s’en tenir qu’aux faits 4 . Elle a rendu mon travail
encore plus riche mais a rendu ma distanciation à l’étude plus délicate.
Comme toute situation en mouvement, cette monographie sera à réactualiser au fil du temps et de
la vie de la coopérative et ce d’autant plus que celle-ci n’en est qu’à ses prémices.
4 Méthode privilégiée par HUGUES. CHAPOULIE Jean-Michel, « Everett C. Hughes et le développement du travail de terrain en
sociologie », Revue française de sociologie, XXV, 1984, p. 584
8

2. Genèse de Baraka et premiers pas
2.1. Genèse du projet Baraka
2.1.1. Le contexte territorial
Pour comprendre l’histoire de Baraka, il faut s’intéresser à son territoire : Roubaix. De manière
historique, Roubaix fut le lieu de luttes urbaines et des débuts de la démocratie participative.
Dans les années 60-70, les habitants 5 du quartier de l’Alma-gare s’opposent à une politique de
rénovation urbaine imposée de manière unilatérale. Le mouvement se structure sous la forme
de l’Atelier populaire d’urbanisme (APU) 6 et s’inscrit en contre-pouvoir de la municipalité.
Entre conflit, concertation et coopération, se développent les prémices de la démocratie
participative 7 . S’y inscrit aussi la mouvance militante de l’époque, plus attachée à une politique
du quotidien, qui investit sur les « gens » plutôt qu’à une politique du pouvoir et de territoire.
Roubaix est aujourd’hui la deuxième plus grande ville du Nord-Pas de Calais avec une
population qui avoisine les 100.000 habitants 8 . Après avoir été la capitale mondiale du textile
au XIXème siècle, elle subit de plein fouet la crise du textile des années 50. Elle porte les
traces aujourd’hui de ce déclin : elle est la troisième ville la plus inégalitaire des 100 plus
importantes communes de France selon le récent classement de l’Observatoire des Inégalités.
Malgré les tentatives de reconversion et les politiques de soutien à l’emploi de l’Etat 9 , elle
présente un taux de chômage bien au-dessus de la moyenne nationale (28,7%) 10 . Trois gros
quartiers sont particulièrement défavorisés : les quartiers Ouest (Epeule, Trichon, Crouy), les
quartiers Nord (Alma-gare) et les quartiers Est. Dans ces quartiers, le taux de chômage
dépasse les 34% et la proportion de non diplômés est de 39% 11 . Autre particularité : Roubaix a
une forte proportion de moins de 25 ans : 48% 12 .
2.1.2. L’origine du projet
Héritiers de cette histoire, le groupe des Verts de Roubaix a été créé il y a près de 20 ans. A la
fois investis dans une action écologique et sociale, les Verts veulent « renouveler la
démocratie roubaisienne » 13 dans une ville subissant une abstention record à chaque
élection 14 . Impliqués dans la vie associative locale, ils animent des groupes et des actions
dans le but d’y faire de l’écologie populaire. L’objectif est d’aller au devant des citoyens et de
montrer que par des petites actions très simples du quotidien, l’écologie n’est pas réservée
aux populations aisées. La mixité des militants (écologistes « classiques » et gens plus
5 Deux d’entre eux sont d’ailleurs sociétaires de Baraka.
6 HATZFELD Hélène, Municipalités socialistes et associations. Roubaix : le conflit de l'Alma-Gare, Revue française de science
politique, 1986, Volume 36, Numéro 3, pp. 374-392
7 WUHL Simon, La démocratie participative en France : repères historiques, http://www.institut-gouvernance.org/fr/analyse/fiche-
analyse-418.html, 2008
8 Plus précisément 95028 habitants en 2009 – Source Insee
9 La zone franche urbaine couvre quasiment la moitié du territoire de la ville de Roubaix mais elle ne bénéficie que
minoritairement aux habitants de Roubaix. http://sig.ville.gouv.fr
10 Taux de chômage des 15 à 64 ans, INSEE, 2009
11 http://sig.ville.gouv.fr/Synthese/3104200
12 Chiffres du dernier recensement INSEE 1999
13 www.lesvertsderoubaix.fr
14 72% aux Régionales de 2010, 31,43% au 1 er tour des présidentielles de 2012 (20,53% au niveau national) après une
campagne de communication soutenue et des offres marketing pour mobiliser les citoyens à voter .
9

impliqués dans le quartier qu’ils ne sont écologistes) renforce cette double démarche
écologique et sociale.
Lors de la campagne pour les municipales de 2008, le groupe des Verts obtient des scores
atypiques pour une ville telle que Roubaix : 18% des suffrages exprimés et quatre élus
d’opposition entrent au conseil municipal majoritairement PS.
Malgré cette réussite, les militants ont conscience que, pour être encore plus pertinents lors
des périodes électorales à venir, il leur faut accroitre leur visibilité (ils n’ont pas d’adresse ni de
local) et mettre en avant des réalisations concrètes afin de montrer qu’ils n’ont pas attendu le
pouvoir pour agir. C’est la dynamique même de l’écologie populaire. De ces constats émerge,
courant 2008, lors d’une réunion de militants et sympathisants entre Vincent Boutry, Pierre
Wolf, Myriam Cau et Majdouline Sbai, le rêve de créer un lieu emblématique, « une ruche
écolo » 15 .
Vincent Boutry, militant et fondateur de l’UPC (Université Populaire et Citoyenne de Roubaix)
s’accroche au rêve, écrit, imagine et le transforme en idée : construire un bâtiment, le financer
par un restaurant type café citoyen, en faire un lieu de rencontres … D’une origine inscrite
dans un parti politique, très vite, l’idée se mue en projet autonome, ouvert, pluriel. Sous
l’influence de son initiateur, l’objectif devient la création d’un lieu de foisonnement, libre
d’accès pour les associations et partis politiques. Ni sectaire, ni partidaire, leurs promoteurs
visent littéralement à « faire société ensemble ». Le repérage d’une petite parcelle de terrain
délaissée à proximité de chez lui, dans le quartier de l’Epeule, ouvre la fenêtre du possible. Le
nom Baraka émerge comme une évidence, à mi-chemin entre le dérivé de baraque, maison,
accueil et le terme « baraka » qui signifie chance, bénédiction en langue arabe, clin d’œil à
l’environnement de Roubaix dont la population d’origine maghrébine est très présente 16 .
Figure 1 - Le délaissé urbain où sera construit la
coopérative
15 Entretien semi directif de Vincent Boutry
16 1/5 ème de la population roubaisienne est étrangère ou issue de parents étrangers dont la majorité sont maghrébins ou
portugais. (Etude sur les populations étrangères ou d’origine étrangère à Roubaix (source RGP 1990-1999), Observatoire
Urbain,)
Février 2002. « L’origine étrangère » est déterminée par le lieu de naissance des parents.
10

Un deuxième acteur entre en scène quelques temps après et permet la concrétisation de l’idée
en projet : Pierre Wolf. Ce sympathisant écologiste, ancien journaliste, vient de créer son
activité de consultant. Cette activité professionnelle lui offre disponibilité temporelle et sécurité
financière. A cela s’ajoute une fibre entrepreneuriale et des enjeux personnels qui l’enjoignent
à s’atteler à la réalisation du projet.
2.1.3. La concrétisation de l’idée en projet
Pierre Wolf construit le projet comme un article : il doit pallier son manque de connaissances
en bâtiment, économie, gestion, en entrepreneuriat et financement : il se documente, mène
des enquêtes, échange avec des experts des différentes questions, organise des visites de
lieux où la construction écologique et l’habitat partagé est expérimenté 17 . Il fait une étude de
marché sur la faisabilité économique d’un nouveau restaurant à Roubaix. Il construit son
argumentaire et commence à chercher des soutiens.
C’est une étape essentielle de toute innovation sociale : pour que l’idée aboutisse et ne reste
pas à l’état embryonnaire, les initiateurs du projet doivent se donner les moyens de visibiliser
le travail, et de l’institutionnaliser : la mise en place d’une structure légère, et un
investissement économique initial ont été des préconditions à la mise à disposition d’une
personne-ressource, qui consacre du temps au projet, et le concrétise.
Se pose comme dans tout projet innovant, le problème du financement. Le projet
entrepreneurial prend alors une épaisseur institutionnelle et réticulaire. Pour le dire autrement,
il doit être, plus encore, accompagné par des institutions et par des parties prenantes au-delà
du premier cercle de ses promoteurs. L’histoire de Baraka est aussi une histoire de réseau
social (voir infra 18 ).
Après un rapide repérage des organismes financeurs, le Fides 19 soutiendra le projet à la
condition qu’il résulte d’un essaimage. La jonction se fait alors avec l’association « l’Univers »
où Pierre Wolf et Vincent Boutry sont respectivement trésorier et président. Ce restaurant
solidaire s’inscrit dans un projet social d’insertion, au cœur des quartiers ouest de Roubaix et
possède des réserves financières conséquentes. « L’Univers » essaime Baraka dans la
continuité de son chantier école. L’objectif de cette nouvelle structure sera de créer des
emplois à offrir aux personnes issues des parcours d’insertion du restaurant. « L’Univers »
deviendra le premier sociétaire (en temps et en montant) de la future structure. Le
démarchage d’organismes publics, d’institutions privées ou de particuliers peut commencer
tant pour récolter des fonds que pour agréger les compétences nécessaires à la constitution
du collectif.
17 Notamment aux Pays-Bas à Rotterdam et Culemborg (projet Eva Lanxmeer) au 1 er trimestre 2009.
18 Cette capitalisation peut aussi être lue, on le verra dans la suite, comme l’histoire de la constitution d’un réseau. Cette
visibilisation du réseau est encore plus nette lors de la crise qu’a traversé Baraka.
19 Fonds d’Investissement pour le Développement Economique et Social
11

L’ASSOCIATION L’UNIVERS
Au début des années 90, Vincent Boutry, alors permanent au comité de quartier de l’Epeule à
Roubaix, lance l’idée d’un atelier cuisine en partenariat avec les restos du Cœur. L’objectif est de
servir des repas chauds aux plus démunis. Ces repas sont cuisinés et préparés par du personnel en
insertion. Face au succès de cette initiative, l’atelier investit la cellule commerciale du 93 rue de
l’Epeule grâce à la mise à disposition du propriétaire en contrepartie de la remise en état des lieux.
L’association « l’Univers » se crée et obtient l’agrément de chantier d’insertion 20 .
Aujourd’hui, ce restaurant solidaire propose, tout au long de l’année, des repas complets dans un
cadre convivial pour quelques euros (2,5€ maximum et gratuité pour les Roubaisiens touchant le
RSA). En complément, l’Univers propose des activités culturelles dont l’objectif est de développer un
projet d’éducation et de culture populaire accessibles au plus grand nombre, en démocratisant
davantage les loisirs. Des actions favorisant l’insertion sociale sont régulièrement menées : aide aux
SDF, service d’accueil de jour...
La Cantine du cœur en quelques chiffres : 25 620 repas ont été servis en 2010, soit, en moyenne, 111
par jour ouvré ainsi que 3 750 petits déjeuners 21 . Elle a offert une domiciliation postale à 214 sans
domicile fixe. Au-delà du quantitatif, l’accueil sympathique de l’équipe permet de casser le mécanisme
d'exclusion qui broie le plus souvent les personnes démunies, bénéficiaires des minima sociaux,
chômeurs de longue durée, sans ressources, demandeurs d'asile, SDF...
Début 2010, la Direction du Travail retirait l’agrément de chantier d’insertion à l’association du fait du
trop faible nombre d’issues positives de ses salariés en parcours d’insertion 22 . Or, cet agrément lui
octroyait des subventions représentant 30% de son budget annuel.
Pour faire face à cette chute de ressources financières, l'association « L'Univers » travaille à l'obtention
de la reconnaissance d'intérêt général. Cela lui permettrait de recevoir des dons des entreprises et
particuliers déductibles fiscalement et de compenser la désaffection de l'État.
Grâce à un financement de 24.000€ 23 du Fides fin 2008, Pierre Wolf devient chargé de mission
du projet de construction de « Baraka ». Dès septembre 2008 il prend contact avec le groupe
Chênelet - implanté près de Calais et spécialisé en construction bois -pour solliciter leur
expertise sur la faisabilité du projet. François Marty, son président, missionne son fils, Matthieu
Marty, architecte de formation et salarié du groupe. Il sera séduit par le projet au fur et à
mesure de sa mise en œuvre et ce, d’autant plus que le socle de valeurs partagées est
important : insertion, écologie, habitats sociaux … 24 Il
20
Les chantiers d’insertion ont été créés lors de la loi de 1998 de lutte contre l’exclusion. Ce sont des structures qui
accompagnent et forment des personnes très éloignées de l’emploi. L’Etat les subventionne par le biais d’un conventionnement.
21
La Voix du Nord, Le projet « Baraka » portera-t-il chance à l'Univers pour récupérer le soutien de l'État ?, 29 mai 2010
22
L’association, du fait de sa taille, ne peut avoir plus de 2 à 3 sorties positives par an. Score trop faible pour l’administration.
23
soit 70% des frais d’étude de faisabilité du projet.
24
Le groupe Chênelet existe depuis 31 ans. Il regroupe une entreprise d’insertion SPL (fabrication de palettes, logistique,
construction bois), un atelier chantier d’insertion et une foncière sociale (construction de logements et bâtiments sociaux). Le
groupe emploie 290 personnes dont 190 en insertion.
12

Le côté ambitieux du projet enthousiasme ce dernier et stimule son imagination dès sa 1 ère
entrevue avec Pierre Wolf. Ayant vu la majorité de ce genre de projet échouer avant terme, il
ne se met aucun frein : salles de réunion et de théâtre, restaurant, logement, jardins ouverts
sur le toit… Ses esquisses sont la première étape de la réalisation de ce projet un peu fou.
La régularité hebdomadaire des séances de travail de l’architecte et du porteur de projet donne
au projet une consistance palpable. Les axes qui sont d’abord explorés et validés sont
principalement la construction et le financement.
Dès sa conception, les tensions fortes se font sentir entre projet politique et projet économique.
Par sa complexité et son ambition, les initiateurs font le constat que le bâtiment ne pourra se
construire sans la collaboration de Chênelet. Or ce prestataire souffre encore d’une légitimité
fragile dans le secteur du bâtiment et les initiateurs du projet ne sont que des amateurs dans
ce domaine. Les risques techniques et économiques sont importants : le projet nécessite
l’utilisation de nouvelles techniques 25 et, difficulté supplémentaire, il se fait dans une dent
creuse 26 . Malgré les risques et après des débats et négociations intenses entre François Marty
et Pierre Gaudin 27 , SPL (Scierie et Palettes du Littoral, filiale de Chênelet) accepte de
s’associer au projet. La force du projet politique prend le pas sur les risques économiques 28 .
25
dont l’étanchéité à l’air pour assurer la passivité énergétique du bâtiment
26
En urbanisme, une dent creuse est une parcelle non construite insérée dans un tissu construit. Cette configuration complique
considérablement la construction d’un nouvel édifice.
27
Responsable construction de SPL à l’époque
28
Au final, SPL perdra de l’argent sur ce chantier mais y gagnera comme nous le verrons plus loin en compétences et en
notoriété.
Figure 2 – Un projet un peu fou (dessiné par Matthieu Marty)
13

Sur la partie financements, les acteurs de l’économie sociale et solidaire (la NEF 29 , les
Cigales 30 , l’URSCOP 31 ) après de longs échanges et avec la force de conviction de Pierre
Wolf, accordent leurs soutiens financiers. Le premier partenaire public est la mairie de
Roubaix par l’intermédiaire d’Assya Guettaf. A l’époque, adjointe au maire en charge des
quartiers Ouest 32 , elle est séduite par l’originalité du projet, à la fois très complet alliant emploi,
réappropriation de l’espace public en jachère et participation des habitants du quartier et très
ouvert sur une multitude de possibilités. A contrario, l’équipe municipale aura dans un premier
temps une certaine réticente de prime abord quant au profil des porteurs de projet. Les doutes
portent sur leur manque d’expertise, «ce ne sont pas des promoteurs » et leur légitimité à
porter un projet d’une telle dimension 33 . Il est légitime d’émettre l’hypothèse que la différence
d’appartenance politique des porteurs de projet et de l’équipe municipale a pu être un frein à la
collaboration (Verts versus Parti Socialiste). C’est la personnalité des initiateurs et le soutien
engagé de structures connues de l’ESS qui permettront in fine de convaincre la municipalité et
de lever les derniers doutes.
Le Conseil Régional et Lille Métropole Communauté Urbaine (LMCU) et de nombreux
particuliers soutiennent financièrement et activement le projet.
Les couleurs politiques des fondateurs ont été à la fois un frein et une opportunité pour le
projet. Un frein dans le sens où porté par des militants Verts, il y aurait pu avoir conflit de
tendance politique 34 . Opportunité car cela leur a permis de solliciter leur réseau au sein des
différentes collectivités territoriales 35 et a apporté une caution symbolique à la crédibilité du
projet. Les soutiens institutionnels ne peuvent être découplés de cette inscription réticulaire
des premiers promoteurs du projet et l’histoire ainsi relue montre l’importance du réseau
d‘acteurs, y compris dans les institutions publiques.
Impulsée par les initiateurs du projet, une dynamique se construit et s’enrichit de la
mobilisation d’acteurs aux profils très divers, de l’usager de l’Univers à l’avocat en passant par
le financier ou l’intermittent du spectacle, le pharmacien ou la femme au foyer, le salarié de la
fonction publique, de l’entreprise privée ou d’une structure associative, le retraité ou le jeune,
le politique ou l’acteur du comité de quartier, l’écologiste militant ou la mère d’un enfant
handicapé mental, l’architecte ou le fournisseur 36 ...
Un réseau de soutien se crée dès les premiers mois de 2009, les promesses de fonds affluent.
Le choix du statut juridique du projet se porte sur la SCIC (Société Coopérative d’Intérêt
Collectif) et non sur le modèle associatif. Ils veulent assumer que c’est une entreprise, que le
29
Coopérative de finances solidaires qui collecte l’épargne et accorde des crédits pour tout projet à fins d’utilité sociale ou
environnementale
30
Structure de capital risque solidaire
31
Union Régionale des Sociétés Coopératives
32
Assya Guettaf est actuellement élue au Conseil Régional du Nord-Pas de Calais
33
Entretien semi directif parties prenantes, 2012
34
Les rapports entre les Verts et le Parti Socialiste n’ont pas toujours été coopératifs. C’est l’alliance des élections de 2008 qui a
permis d’apaiser les relations.
35
Les Verts ont 4 élus au sein de la municipalité de Roubaix et 7 au Conseil Régional
36
22 sociétaires créent de la SCIC en septembre 2009, 17 d’entre eux sont domiciliés à Roubaix. 20 nouveaux associés les
rejoignent entre novembre 2009 et avril 2010. Les effectifs doublent entre septembre 2010 et janvier 2011 (phase finale de
récolte de fonds avant la construction) avec l’accueil de 40 nouveaux sociétaires. A ce jour, la coopérative compte 97
sociétaires.
14

marchand est au service du non marchand. Et par rapport à une société coopérative, la SCIC
garantit dans son objet la défense d’un intérêt collectif et la mixité des associés 37 .
Dans cette phase de lancement, les plus grands atouts de Pierre Wolf auront été la
construction d’un halo de confiance, et la capacité de fédération et de construction d’un
collectif autour d’un projet commun. Il a su agréger de multiples compétences pour le mener à
bien (architectes, financiers, experts de la construction bois, spécialistes de la coopérative …).
Le nombre de sociétaires, la mobilisation de la moitié des fonds nécessaires soit 400.000€ 38 à
la construction du bâtiment et le soutien des collectivités locales seront les arguments clés
pour convaincre les banques de financer le projet.
Le 25 septembre 2009, les statuts de la SCIC sont déposés avec la participation de 22
sociétaires. 18 mois plus tard, ils seront 86.
Début 2010, la mairie de Roubaix octroie le terrain situé rue Sébastopol pour la modique
somme de 10.300€. Cette surface de 129m2 est considérée comme un délaissé urbain sans
vocation et sans preneur du fait de sa configuration (étroite et irrégulière).
Fin 2010, après plusieurs essais, le permis de construire est enfin accordé, les entreprises
sont sélectionnées et le 7 mai 2011, la première planche est posée. Il faudra huit mois de
travaux pour faire sortir de terre ce bâtiment composé de trois niveaux : cuisine et salle de
restaurant au rez-de-chaussée, salles de réunion aux deux niveaux supérieurs, terrasse pour
accueillir des jardinières au carré au dernier étage. L’inauguration a lieu le 4 février 2012 et le
restaurant ouvre ses portes au public le 20 février.
Figure 3 - Esquisse de la façade définitive - Matthieu Marty
37 Une coopérative réunit des associés qui portent un même intérêt : soit consommateurs, soit producteurs, soit salariés.
38 Les 400.000€ se répartissent pour moitié en parts sociales et pour moitié en subvention.
15

2.1.4. Mettre l’économique au service d’un intérêt collectif
Revenons sur la finalité du projet. D’un rêve de local pour un parti politique émerge le projet de
construire un bâtiment qui puisse être un lieu de foisonnement, un lieu de rencontres dans
l’objectif de créer du lien social, de la convivialité, du vivre-ensemble, du travail 39 . Il s’agit de
réinventer la façon d’habiter et de vivre la planète respectueuse des êtres humaines, présents
ou à venir, et des autres espèces 40 . Le projet s’adresse non seulement aux usagers et
bénéficiaires en lien direct avec la SCIC mais aussi, dans un champ beaucoup plus large tant
temporel que spatial, aux générations actuelles et à venir.
La volonté d’indépendance vis à vis des pouvoirs publics, tant pour cause de financements
publics en berne que pour avoir la liberté d’accueillir toute association ou parti sans emprise
externe, influence les choix et options qui sont pris dans le montage du projet. Ainsi celui-ci
n’est pas seulement social mais économique : trouver la ou les activités marchandes qui
offriront de l’espace et du temps pour produire du non marchand, qui achèteront la liberté
d’actions. L’économique sera cantonné à un rôle de moyens afin de permettre la finalité du
projet, il sera au service d’une production de biens non marchands, non monétaires.
Cette combinaison finalité-moyen place l’activité économique non dans un objectif
d’enrichissement individuel mais dans un objectif de production de biens au service d’un
intérêt collectif. Cette production sera appelée « fabrique de biens communs ».
Cette démarche rejoint l’analyse que fait Jean-Louis Laville de l’économie associative : une
économie qui prend en compte l’intérêt général où il s’agit de sortir d’un schéma dual avec
d’un côté, l’économie de marché et de l’autre l’Etat. La première, l’économie de marché,
regroupe entreprises et citoyens mis à distance de l’intérêt général. Cette mise à distance est
permise par le versement d’un impôt qui compense leur non-implication (hormis
philanthropique) dans la défense de l’intérêt général. La deuxième, l’Etat est le garant de cet
intérêt général et prend en charge la solidarité. Dans l’économie associative, l’économique
n’est pas dissocié de l’intérêt général mais est à son service, sa défense n’est pas réservée à
la fonction de l’Etat mais est prise en charge par les citoyens.
Dans sa réalisation concrète, il s’agit de construire une structure où l’activité économique et la
production de biens non marchands se partageront espace et temps. La première intègrera
les valeurs de l’ESS tout en faisant preuve de professionnalisme pour assurer sa rentabilité en
limitant sa profitabilité. L’activité économique est choisie dans la restauration et la location de
salles. Ces activités doivent financer les emplois créés et le bâtiment. Les temps où le
bâtiment ne sera pas utilisé pour cette activité marchande seront dédiés au non marchand :
ateliers, échanges, débats, accueil d’associations, temps de vivre-ensemble sur un bout de
territoire.
39 Statuts juridiques de la SCIC Baraka
40 Ibid
16

En résumé, Baraka comprend :
- Une réalisation écologique : la construction d’un bâtiment à la plus faible empreinte
environnementale possible tant dans la conception que l’utilisation ;
- Des activités marchandes : l’exploitation d’un restaurant et la location de salles de réunion
qui permettent la création d’emplois pour des personnes issues du parcours d’insertion au
sein de l’Univers ;
- Des activités non marchandes : la « fabrique de biens communs »
Mais ce n’est pas une simple juxtaposition de moyens économiques, de finalités sociales et de
valeurs idéologiques 41 , ces trois variables interfèrent, s’imbriquent. La promotion de l’intérêt
collectif s’exprime aussi dans les processus économiques. Par exemple, au lieu de construire
le bâtiment de la manière la plus rapide et la plus économique, il a été décidé d’instaurer des
chantiers participatifs. Le principe de ces chantiers étaient d’instaurer des stages qui, en
échange d’une production, offraient une formation qualifiante à l’auto-construction et aux
techniques de construction écologiques. La population-cible de ces stages était la population
roubaisienne. Ce fut une opportunité pour développer du lien social, pour partager des savoirs
comme nous le verrons en partie 3.
Afin de garantir une activité économique au service de la « fabrique de biens communs », le
choix du statut juridique de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) a été considéré
comme le plus pertinent. Ce statut permet de prévaloir l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel.
« Hybride » entre les associations et les coopératives 42 , une SCIC est à la fois :
- une société commerciale inscrite au registre du commerce (qui peut prendre la forme
d’une SA ou SARL). Ce qui la différencie des associations ;
- une structure dont l’objet est « la production ou la fourniture de biens et de services
d’intérêt collectif, qui présentent un caractère d’utilité sociale » (Article 19 quinquies),
ce qui la distingue des coopératives.
L’intérêt collectif est garanti non seulement par la finalité d’utilité sociale de la SCIC inscrite
dans ses statuts mais aussi par la constitution originale de la gouvernance : le multi-sociétariat.
La loi exige l’association d’au moins trois catégories de sociétaires dont obligatoirement les
salariés et les bénéficiaires de la SCIC. Les autres parties peuvent être des bénévoles, des
prestataires ou même une collectivité territoriale.
Dans le cas de Baraka, cinq catégories de sociétaires sont associées :
- Catégorie « fondateur personne morale » composée exclusivement de l’Association
l’Univers ;
- Catégorie « fondateurs personnes physiques » composée et limitée aux 16 membres
fondateurs ;
- Catégorie « salariés et bénévoles titulaires » composée à ce jour de 2 salariés ;
41 BOUCHARD Marie J., « Vers une évaluation multidimensionnelle et négociée de l’économie sociale », Recma, n°292, 2004
42 SIBILLE Hugues, « Les SCIC : 10 ans déjà », Recma, mai 2012
17

- Catégorie « bénéficiaires et usagers » composée à ce jour de 2 personnes physiques
et de l’UPC ;
- Catégorie « fournisseurs et financeurs solidaires, collectivités publiques titulaires » : à
ce jour, il est composé de 5 personnes morales (Cigales, extramuros, URSCOP,
Chtigaline et Vitamine), et de 70 personnes physiques. Aucune collectivité territoriale
ne s’est associée.
Enfin, la primauté de l’intérêt collectif sur l’activité économique est garantie, en cas de
bénéfices, par l’affectation de 60% des excédents aux réserves impartageables (la loi n’en
exige qu’un minimum de 57,5%). Pour la renforcer, les statuts de la coopérative limitent la
valorisation des parts sociales au taux de rendement des obligations (environ 4%).
LES SCIC en détail
Le statut de société coopérative d’intérêt collectif a été créé par la loi du 17 juillet 2001, intégrée à celle
de 1947 sur les coopératives.
Elle reprend les caractéristiques des coopératives :
- tous les associés sont égaux selon le principe 1 Homme = 1 voix
- l’implication de tous les associés à la vie de l’entreprise et aux décisions
de gestion ;
- le dirigeant peut garder le statut de salarié ;
- la lucrativité est limitée : les résultats sont maintenus dans l’entreprise sous la forme de réserves
impartageables pour en assurer l’autonomie et la pérennité.
Elle a pour spécificités supplémentaires :
- sa finalité qui doit être au service d’un intérêt collectif et présenter un caractère d’utilité sociale ;
- sa gouvernance est composée de différentes catégories d’associés aux intérêts divergents.
Par ce nouveau statut, l’Etat permet non seulement une alliance entre l’économique et l’utilité sociale
mais offre aussi un outil de « partenariat public-privé » plus entrepreneuriale que les sociétés
d’économie mixte 43 .
Après 11 ans d’existence, cette démarche innovante a donné le jour à 190 SCIC en France 44 . Ce
manque de succès est peut-être dû en partie à l’obligation d’obtenir un agrément de la Préfecture.
L’avenir nous le dira, cette obligation ayant été supprimée en mars 2012.
Une incohérence apparaît tout de même dans ce statut. La volonté originale était de faciliter
l’économie à vocation sociale et solidaire. Or, les SCIC ne bénéficient que d’un avantage fiscal : la non
imposition des bénéfices versés aux réserves impartageables. Aucun avantage n’a été accordé en
contrepartie de la mission d’utilité sociale. Elles ne bénéficient même pas de l’exonération de la
contribution économique au territoire (ancienne taxe professionnelle) accordée a contrario aux SCOP.
43 Ibid
44 chiffres de février 2012. http://www.autogestion.asso.fr/?p=1043
18

2.2. Le pluralisme des valeurs
Le profil des initiateurs du projet influence fortement les orientations prises. Officiellement, c’est à
dire, dans les documents de présentation, Baraka agrège trois dimensions : humaine,
environnementale et économique. L’ambition est de trouver le bon équilibre économique qui
puisse respecter et promouvoir les valeurs humaines et environnementales.
Dans une démarche comme celle-ci, aux valeurs fortes, les moyens pour y parvenir prennent
autant d’importance si ce n’est plus que les enjeux. Pour le dire autrement, le processus importe
autant que le résultat. Les valeurs s’expriment dès la mise en œuvre du projet, dans les moyens
mis en place pour atteindre les objectifs. Quelle performance environnementale pour un bâtiment
passif dont les matériaux auraient parcouru des milliers de kilomètres ? Quelle valeur accorder à
la biodiversité recréée à Roubaix si, pour le faire, cela a détruit celle d’une autre région ? Quel
sens y a-t-il à créer des emplois s’ils ne sont pas qualifiés et ne permettent pas l’insertion sociale
recherchée ? Autant de questions que se posent les initiateurs du projet.
Au-delà des dimensions humaine, environnementale et économique affichées, apparaissent, de
manière informelle, les dimensions d’ancrage territorial et de gouvernance démocratique. Ces
dimensions, voire ces « valeurs » ne font pas partie intégrante de la finalité de la structure mais
leurs promoteurs les disent indissociables de la mise en œuvre du projet.
Se conjuguent alors plusieurs ambitions prenant leur source dans l’idéologie et les convictions
portées par les sociétaires : créer du lien social et du vivre-ensemble, faire de l’écologie concrète,
réinventer une économie plus respectueuse de l’Homme et de son environnement, développer la
citoyenneté par une gouvernance démocratique et une recherche de participation active des
différentes parties prenantes (usagers, fournisseurs, salariés...) et s’inscrire sur un territoire pour
développer les valeurs de proximité. Ces différentes valeurs sont interconnectées entre elles et
interdépendantes, l’une ne pouvant réellement se réaliser sans l’autre : le respect de
l’environnement engendre de fait une démarche de relocalisation pour éviter entre autres les effets
néfastes des transports sur l’équilibre écologique, le vivre-ensemble ne peut se construire que sur
une participation active des parties prenantes et une forte proximité aux usagers et habitants ...
Pour chacune des dimensions constituantes du projet, nous verrons comment elles sont à la fois
une finalité et un processus de mise en œuvre de moyens pour la réaliser.
2.2.1. La dimension environnementale
Issu d’un rêve de militants écologistes, l’approche environnementale est un pilier fondamental
du projet. Même si elle s’est élargie à d’autres valeurs, la dynamique s’appuie d’abord sur
l’écologie et le projet s’assoit sur la construction d’un bâtiment exemplaire en termes de
respect de l’environnement.
19

Les objectifs de performance environnementale sont élevés. Tout est pensé, imaginé pour
envisager un idéal de consommation énergétique de 15 à 30kwh/m 2 /an 45 : ventilation double
flux, techniques d’isolation naturelle, panneaux photovoltaïques … Mais la performance passe
aussi par le choix des matériaux d’origine régionale et permettant un stockage carbone grâce
à la structure bois et la paille utilisée pour l’isolation. L’optimisation de la consommation d’eau
(récupération des eaux pluviales et des eaux usées) n’a pu être prise en compte dans la
conception du bâtiment pour des raisons de coûts.
Au-delà de la performance énergétique, l’enjeu est de réintégrer la Nature en ville et de
favoriser la biodiversité : toit végétalisé, jardinières au carré sur la terrasse, potentiel
d’installation de ruches sur le toit, hôtel et ascenseur à insectes ... La place faite aux végétaux
permet aussi de fixer les poussières urbaines et d’améliorer la qualité de l’air du quartier.
L’activité de restauration est dans la continuité avec un choix de cuisine réalisée à partir de
produits frais et essentiellement issus de l’agriculture biologique. Un nécessaire arbitrage entre
ingrédients biologiques et non biologiques est tout de même réalisé pour tenir compte de
l’accessibilité de la carte.
La « fabrique de biens communs » a aussi pour objectif de promouvoir cette dimension
environnementale par le biais d’ateliers d’initiation au jardinage urbain.
2.2.2. La dimension sociale
La deuxième préoccupation principale du projet est de créer de l’emploi qualifié dans la
continuité de l’action de l’association l’Univers. Cinq emplois sont créés dans un premier temps
dont deux offrant des contrats de droit commun à des personnes issues d’un parcours
d’insertion au sein du restaurant solidaire.
Ce choix vient du constat des limites des structures d’insertion par l’activité économique.
Malgré les formations fournies, elles ne voient que peu de leurs salariés accompagnés
accéder à un emploi hors parcours d’insertion.
La notion d’emplois de qualité s’illustre par une volonté d’éviter au maximum le morcellement
des horaires, le travail le week-end et jours fériés. L’enjeu va se jouer sur le difficile équilibre
entre le social et l’économique : intégrer les rythmes de travail de la restauration selon les
exigences que se donne la SCIC tout en assurant la rentabilité économique du projet.
La responsabilité que s’est donnée Baraka dans la création d’emploi et l’insertion par l’activité
économique a rayonné sur les prestataires. Cette dimension a influencé le choix des sociétés
participant à la construction : deux d’entre elles étaient des structures d’insertion (Aprobat,
SPL).
45 Par comparaison, un bâtiment neuf selon les normes BBC consomme 80kwh/m 2 /an
20

De manière plus vaste que la création d’emploi, la dimension sociale est une valeur clé de la
coopérative définie dans son objet juridique : « créer du lien social, de la convivialité, du vivre-
ensemble ». Elle a déjà pu être exprimée au travers des chantiers participatifs (cf partie 3),
des échanges entre les 97 sociétaires au profil si complémentaires, des activités proposées
par la fabrique de biens communs comme les soirées lecture « A voix haute à la maison »…
2.2.3. La dimension économique
Comme vu précédemment, l’économique est abordé au sein de Baraka non pas comme l’objet
de la structure, comme sa finalité mais comme un moyen pour atteindre et promouvoir les
autres dimensions.
Afin de trouver le bon équilibre entre temps marchand et non marchand, l’activité économique
doit être rentable et profitable pour l’organisation tout en ne prenant pas le pas en termes de
temporalité, d’espace et de préoccupations sur l’objet premier qui est le vivre-ensemble et la
création de lien social respectueux de la planète.
Il s’agit donc pour les sociétaires de positionner l’économique comme un outil pour offrir des
temps et des espaces non marchands afin que la fabrique de biens communs puisse produire.
Mais c’est aussi une source d’opportunités pour exprimer, dans son exercice, les autres
valeurs.
Dans les pratiques dominantes de l’économie capitaliste, le profit est la finalité de l’activité
économique, profit au bénéfice d’un ou plusieurs individus. Le choix de Baraka rompt avec ces
pratiques dominantes et vise à produire des biens communs au profit de tous, usagers,
bénéficiaires, sociétaires, voisins et même générations futures. Afin d’éviter toute emprise de
l’intérêt individuel sur l’intérêt collectif, il était déterminant de limiter très fortement toute
possibilité d’enrichissement financier personnel pour les sociétaires et tout potentiel de
spéculation des parts sociales. Le statut juridique de SCIC offre l’avantage de rendre
impartageables les bénéfices et encadre la valorisation des parts sociales (limitées un
maximum de 4% de plus-value annuelle) et leur cession. De fait, les sociétaires investiront de
l’argent, seront préoccupés par la pérennité de l’entreprise pour protéger (entre autres) leurs
fonds mais non pas par une hyper profitabilité dont ils ne tireraient aucun profit. La motivation
d’un sociétaire à investir dans un tel projet n’est donc pas une recherche de profit mais se
situe bien dans la finalité même de celui-ci.
21

2.2.4. L’ancrage territorial et proximité
L’ancrage territorial de Baraka s’illustre essentiellement par le choix de l’emplacement du
bâtiment au cœur de la ville de Roubaix, dans les quartiers de l’Epeule et du Crouy, classés
zones urbaines sensibles (ZUS 46 ). L’enjeu, pour les sociétaires de la coopérative, est double.
D’une part, il s’agit de faire de l’écologie concrète au sein des quartiers défavorisés afin de la
rendre accessible aux plus démunis. D’autre part, le but est de créer de l’emploi dans la
continuité du travail de l’association d’insertion l’Univers, elle-même ancrée dans le quartier de
l’Epeule depuis plus de 20 ans..
Ce choix va enclencher une collaboration avec les collectivités territoriales et plus
spécialement la municipalité de Roubaix. Celle-ci, séduite par la rénovation d’un délaissé
urbain, peu valorisant pour le quartier, devient un soutien pour la coopérative (subventions
d’investissement, octroi du terrain au prix du domaine : 10.000€ ...).
Afin de garantir cette valeur d’ancrage territorial, la notion de proximité est inscrite dans les
statuts comme constitutive de l’intérêt collectif de la coopérative avec la « nécessaire large
mobilisation des acteurs du territoire d’implantation … au service des objectifs poursuivis » 47 .
Fortement intégrée par les sociétaires, cette dimension d‘ancrage territorial va au-delà de
l’emplacement choisi et influence la sélection des fournisseurs et des matériaux
(majoritairement régionaux) ainsi que le recrutement des salariés (4 des 5 salariés habitent à
moins de 10 minutes à pied de Baraka) 48 . C’est dans cette dynamique que l’idée des chantiers
participatifs a émergé. Souhaitant promouvoir l’auto-construction, l’aspect collectif du projet et
développer le lien avec les habitants du quartier, il a été proposé aux roubaisiens de participer
au chantier en échange d’une formation sur des techniques de construction écologique.
Mais c’est aussi la volonté de faire de Baraka un terreau d’initiatives 49 qui nécessite à la
fabrique de biens communs de créer des opportunités pour tisser des liens avec les habitants
et les acteurs associatifs du quartier. L’incendie qui a sinistré le bâtiment quelques jours après
l’ouverture (voir infra) n’a fait qu’amplifier cette nécessité de ne pas faire de Baraka « le
rendez-vous des écolos ou des bobos » de la métropole mais un vrai lieu de brassage et de
mixité, un lieu de vie, terreau d’initiatives pour ces quartiers défavorisés. L’appropriation du
bâtiment par les habitants devient déterminante.
46 Zones géographiques définies par la loi n°96-987 du 14 novembre 1996 sur des critères qualitatifs dont notamment le
déséquilibre emploi/habitat.
47 Statuts de la coopérative Baraka
48 Sans que cela en devienne un critère de sélection, l’objectif étant d’offrir aux salariés une qualité d’emploi et de vie maximale.
En revanche, un tiers de l’effectif doit habiter la zone franche urbaine pour permettre à la coopérative de bénéficier des
exonérations de charges.
49 Dossier de présentation de Baraka
22

2.2.5. La gouvernance démocratique
Effectuons un petit retour dans le passé pour mieux comprendre la place de la démocratie
dans le mode de gestion de Baraka. Les initiateurs du projet, Pierre Wolf et Vincent Boutry,
dans la lancée de leur collaboration au sein de l’Univers, ont créé, en 2004, l’Université
Populaire et Citoyenne (UPC). Cette structure associative a pour objectif de favoriser
l’émancipation des individus et de développer une participation active des citoyens à la
démocratie. Elle s’appuie sur le partage de savoirs tant d’experts, d’universitaires que de
citoyens lambda. L’UPC se veut être un lieu de débats, de mixité des populations et de
production d’une intelligence collective.
Imprégnés de cette dynamique, il leur semblait cohérent de choisir un mode de gouvernance
démocratique pour Baraka avec le double avantage du principe de vote « 1 homme = 1 voix »
et du multisociétariat.
Le multisociétariat est la spécificité des SCIC. Il permet d’associer les parties prenantes dans
une coopération et de faire le pont entre des particuliers, des associations, des collectivités
locales et des entreprises. La divergence de leurs intérêts propres permet de créer le débat,
de produire la controverse, de monter en intelligence collective. L’objectif est, non seulement le
compromis obtenu, mais aussi toute l’éducation à la citoyenneté que cela apporte : admettre
que l’on a des intérêts différents, mettre en valeur les failles et les contradictions, décider
ensemble, construire un projet collectif dépassant ses intérêts individuels. Ces débats
permettent de définir et garantir l’intérêt collectif de la SCIC.
Le nombre d’associés et leur inégale répartition selon leurs intérêts peut provoquer des
déséquilibres, quand, par exemple, le nombre de bénévoles ou de bénéficiaires devient
beaucoup plus important que le nombre de salariés. Afin de conserver « l’esprit » SCOP 50 , les
sociétaires peuvent procéder au vote par collège. Dans le cas de Baraka, sont prévus cinq
collèges qui correspondent aux cinq catégories de sociétaires. Ils se répartissent les votes
selon les prorata suivant :
- Collège fondateur personne morale (l’Univers) : 25% des droits de vote.
- Collège fondateurs personnes physiques (16 personnes) : 20% des droits de vote.
- Collège salariés et bénévoles (à ce jour, 2 personnes) : 30% des droits de vote
- Collège bénéficiaires et usagers (à ce jour, 2 personnes physiques et UPC) : 10% des
droits de vote.
- Collège fournisseurs et financeurs solidaires, collectivités publiques : 15% des droits
de vote. A ce jour, il est composé de 5 personnes morales et de 70 personnes
physiques.
Les initiateurs envisagent la possibilité que la ville de Roubaix s’associe au projet. Mais les
fondateurs, comme c’est le cas dans beaucoup de SCIC 51 , appréhendaient le rapport de forces
50 PECOUP Françoise, Le multisociétariat dans les sociétés coopératives d’intérêt collectif : une nouvelle forme de
« gouvernance » ?, Communication lors des XXIIIèmes Journées de l'Association d'Economie sociale des 11-12 septembre
2003, Paris
51 Ibid
23

ainsi que les risques de perte de leur indépendance et de récupération politique de la part des
élus 52 .
Au-delà des garanties offertes par le statut juridique, l’approche constatée lors des entretiens
semi-directifs montre que la confiance des sociétaires dans le gérant est forte ce dernier
faisant montre d’une certaine lucidité sur la complexité d’allier démocratie et business : « la
démocratie sur un business c’est chiant » (Vincent Boutry) 53 . Il est décidé que la gérance
prend en charge toutes les décisions relatives à l’activité économique et que les sociétaires
prennent en charge la liberté acquise, la production non marchande. Ils conservent bien
entendu leur rôle de régulateur en cas de déviance du gérant.
La coopérative est à ce jour trop jeune pour avoir un réel recul sur la pratique de la démocratie.
On peut noter deux éléments à ce stade :
- D’abord, le point de vigilance dans la pratique de la démocratie dans une entreprise est
la qualité des débats. Des débats sans fin entraîneraient des non décisions. Cela
engendrerait un « délitement et un détachement des sociétaires » (Michel Fargeon –
sociétaire).
- Ensuite, quelques débats ont eu lieu et ont porté sur des sujets qui, tout en étant
concrets, étaient déterminants pour l’identité du projet : ils ont porté sur la mise en place
de la télésurveillance suite au sinistre et sur l’acceptation ou non des donations de
fondations loin des valeurs de la coopérative (par exemple, la fondation Eiffage qui a
versé 10.000€ alors qu’Eiffage n’est pas un modèle d’écologie). Il sera intéressant de
suivre l’évolution de la dimension « démocratique » au fil du temps et surtout à la reprise
de l’activité.
2.3. Les moyens du projet
Le multi sociétariat du statut de SCIC a présenté un avantage considérable dans la réussite du
projet. Il a permis l’apport de compétences très diversifiées. Le gérant a pu enrichir le projet par
des expertises juridiques, financières, comptables, en communication, construction, biodiversité …
Cette mixité de sociétaires a eu un effet très bénéfique sur l’étendue du réseau de Baraka en lui
donnant accès aux réseaux des médias, des politiques ou de l’ESS.
En complément, le caractère innovant du projet a permis de fédérer des partenaires très investis
dans les constructions environnementales et d’obtenir des conditions particulièrement bénéfiques
pour la coopérative. Ce fut le cas de la société SPL qui a non seulement été très proactive dans la
mise en place des chantiers participatifs et qui aurait, au final, perdu de l’argent sur ce chantier 54 .
Les dirigeants de SPL poursuivaient des intérêts autres qu’économiques : mise en œuvre de
52
Dans le Nord-Pas de Calais, seule la SCIC Lilas auto-partage faire apparaître une collectivité territoriale au sein de ses
sociétaires
53
Entretien semi-directif, mars 2012
54
selon ses responsables, mais nous n’avons ni montant ni confirmation de cette affirmation.
24

nouvelles techniques de construction bois, participation à un projet social et retombées espérées
pour leur notoriété.
En quelques chiffres, Baraka, c’est :
- 97 sociétaires 55
- 5 salariés dont 2 issus d’un parcours d’insertion et 4 qui habitent à proximité
- 69 stagiaires ayant apporté leur contribution lors des chantiers participatifs
- des centaines de personnes qui ont participé de près ou de loin à la réussite du projet :
usagers, bénéficiaires, prestataires, médias, élus, voisins, associations et acteurs de la
vie locale ….
- un bâtiment passif de 290m 2 sur une surface au sol de 129m 2
- 3 ans de montage de projet, 8 mois de travaux, 10 jours d’ouverture, 2 nuits d’incendie,
3 mois de convalescence et 5 mois de reconstruction
- 800.000€ de budget dont 680.00€ pour la construction
- 300.000€ de reconstruction (pris en charge par l’assureur)
2.4. Le projet suite au sinistre
Dans la nuit du 28 au 29 février 2012, une semaine à peine
après le début de l’activité économique, un incendie,
déclenché par un feu de poubelles, ravage deux des quatre
façades du bâtiment, le toit et une importante partie de la
ventilation. L’activité de la coopérative n’ayant que dix jours
d’ouverture au public, ce sinistre devient constitutif de la
réalisation du projet. Il est nécessaire de s’arrêter sur cet
événement et d’analyser dans quelle mesure cette crise a
modifié les fondamentaux du projet.
55 à fin août 2012
2.4.1. Les causes du sinistre
Un mauvais concours de circonstances a rendu cet acte de vandalisme destructeur pour le
bâtiment : un local poubelles qui n’est pas fini d’être construit ; le non respect des consignes
du gérant d’évacuer les cagettes et poubelles ; l’emplacement des poubelles contre le
compteur de gaz, celui-ci a fondu et émis une torche en direction du bâtiment ; l’espace de 10
cm entre Baraka et la maison mitoyenne qui a fait effet cheminée et a porté le feu jusqu’au toit.
Le manque d’expérience des pompiers sur ce type de bâtiment accentue leurs difficultés pour
éteindre l’incendie. Ils ne sauront éviter la reprise de feu la nuit suivante qui a très fortement
aggravé la situation… Après seulement 8 jours d’ouverture, le projet est stoppé net dans son
25

élan. Concrètement, cela se traduit par la fermeture du bâtiment et l’arrêt immédiat de
l’activité. Au-delà de ces dégâts matériels, quels en seront les effets sur l’équipe et sur le
projet ?
2.4.2. Les conséquences de l’incendie
Ce sinistre a non seulement eu des conséquences importantes sur le bâtiment au point de
devoir le fermer pour huit mois de travaux, a minima, mais a aussi fortement fragilisé l’équipe.
Au sein de celle-ci, Pierre Wolf, gérant et meneur du projet a été largement bousculé. La
viabilité économique de l’organisation a également été interrogée.
2.4.2.1. Les investissements matériels
L’incendie a abîmé superficiellement une partie de la façade rue du Nord où seul le
bardage a été brûlé et détruit par les pompiers. C’est essentiellement le mur mitoyen et le
toit qui ont été fortement détériorés.
Le phénomène de cheminée entre Baraka et la mitoyenneté a projeté le feu dans le toit, l’a
ravagé et s’est engouffré dans la ventilation. Toute la partie technique du bâtiment a fondu
sous l’effet de la chaleur.
Les spécificités de la construction bois et de l’isolation paille et ouate de cellulose
présentent différents avantages et inconvénients dans ce genre de circonstances :
- certes, le bois prend feu mais conduit extrêmement mal la chaleur et sur une
ossature aussi massive, le feu se propage très lentement contrairement aux
structures métalliques.
- de même, l’isolation extrêmement compacte est très peu conductrice de flammes
mais est a contrario source de foyers qui se consument très lentement et sont
difficiles à détecter (d’où la reprise de feu la nuit suivante)
De ce fait, les pompiers ont dû casser une grande partie du mur mitoyen et du plancher
du 2ème étage pour retirer les foyers d’incendie qui continuaient à se consumer.
Il y a donc un important chantier de reconstruction à envisager qui représente, selon les
premières évaluations, la moitié de la valeur totale du bâtiment. Plusieurs éléments
compliquent la mise en œuvre des travaux et retardent le démarrage du chantier :
- la particularité du bâtiment (passif, en bois, isolation paille) qui est méconnue par
les experts de l’assurance et engendre d’intenses négociations : l’objectif de
performance énergétique exige une intransigeance dans la qualité de la
reconstruction avec une étanchéité totale à l’air et à l’eau ;
26

- la difficulté d’accès à la partie incendiée (la mitoyenneté) et la nécessité de
reconstruire sur-mesure ;
- la procédure de la Macif qui envisage d’attaquer les pompiers pour négligence de
surveillance du bâtiment afin de les porter responsables de la reprise de feu de la
nuit du 1er mars.
2.4.2.2. Les conséquences humaines
Le bâtiment n’étant plus exploitable, l’activité économique a été suspendue. Les prévisions
de reconstruction portant sur plusieurs mois, la procédure de chômage technique n’a pas
pu être envisagée. Celle-ci est limitée à une durée maximale de six semaines. La décision
fut prise lors de l’assemblée générale extraordinaire du 19 mars de licencier l’ensemble de
l’équipe. Seul le gérant conserve son poste pour prendre en charge la reconstruction et
mettre tous les moyens en œuvre afin d‘assurer la reprise de l’activité et la poursuite du
projet.
En ce qui me concerne, le stage fut maintenu, mais le contenu en a été profondément
remodelé. Mon statut spécifique de stagiaire en formation continue ne requérait pas le
versement des indemnités habituellement obligatoires lors des stages de longue durée. Je
ne représente donc pas « un coût économique » pour la structure. Je peux ainsi mettre au
service de la coopérative mes compétences acquises au cours de mes expériences
professionnelles précédentes. Ma mission a évolué vers une mission d’adjointe du gérant.
Le besoin était réel : après trois ans d’investissement intense dans le projet Baraka, en
plein lancement de l’exploitation du bâtiment, Pierre Wolf a été stoppé net dans son élan.
La violence du choc est à la fois morale et physique. Se cumulent le stress et la fatigue de
ces trois ans d’implication dans le projet, l’intensité et la pression de ces dix jours
d’ouverture, l’effondrement face à la destruction d’une telle réalisation, le sentiment de
culpabilité d’être passé à côté de quelque chose qui aurait évité le sinistre et les décisions
à prendre telles que le licenciement de l’équipe.
A tout cela, s’ajoutent les doutes du gérant sur la viabilité économique de Baraka. La
coopérative va-t-elle faire faillite ? Quelle est la probabilité que l’on puisse rouvrir ?
Pendant trois ans, Pierre Wolf a convaincu sociétaires, banquiers et élus sur la faisabilité
d’un tel projet, au risque de passer pour un fou dans ses débuts. Aujourd’hui, la situation
s’est inversée, personne, quel qu’il soit, ne doute de la viabilité du projet alors que le
gérant tend à douter.
Au-delà du sinistre et de ses conséquences, Pierre Wolf a tiré les leçons des sept
journées d’ouverture. Il a pu constater les limites de compétences de l’équipe dans
l’exploitation d’un restaurant. En premier lieu, ses propres limites : son manque
d’expérience en management d’équipe, son manque de connaissance du métier de
27

estaurateur et sa réticence à devenir maître d’hôtel. Puis celles de l’équipe : le manque
d’expérience de l’équipe en salle et leur besoin d’accompagnement, le manque
d’expérience de la cuisinière en restauration professionnelle et en animation d’équipe.
Tous ces éléments sont indispensables pour une équipe qui doit produire 50 à 70 repas
en toute sérénité dans un temps réduit. Ces compétences peuvent s’acquérir mais il faut
envisager des temps de formation et le mode d’accompagnement.
Comme tout gérant, il ressent la solitude du dirigeant face aux décisions et au poids des
responsabilités. A cela s’ajoute la culpabilité d’avoir emmené tant de personnes dans un
projet proche de l’échec du fait du sinistre. Solitude car il s’interdit d’exprimer ses doutes
les plus profonds, ses angoisses, ses questionnements. Mais cette solitude est fortement
compensée par la structure coopérative, par la force du projet collectif qui se concrétise au
travers du soutien des 97 sociétaires 56 , des élus, des associations et habitants du quartier,
des sympathisants.
Ce n’est pas qu’une question de responsabilité juridique, économique ou financière. Cette
épreuve prouve combien l’économique n’est pas un phénomène indépendant de tout ce
qui constitue l’Homme. Au-delà du projet pour le quartier, chacun, sociétaire, salarié,
partenaire a un engagement personnel plus ou moins prononcé dans la coopérative. Le
professionnel n’est pas dissociable du personnel et donc l’échec éventuel de la
coopérative aura un impact sur la personne de chacun des porteurs du projet et cet impact
sera proportionnel à leur engagement.
2.4.2.3. Une fragilisation économique du projet
A l’origine du projet, l’aspect économique ne devait être qu’un support pour produire du
non marchand, être cantonné à son rôle de production de richesses au service d’une utilité
sociale. Or, avec le sinistre, la viabilité économique de Baraka est en péril. Pendant les
deux premiers mois suivants l’incendie, ce champ aura monopolisé la majeure partie de
notre énergie et de notre travail : si ce pilier s’effondre, la « fabrique de biens
communs » ne pourra plus exister.
Les enjeux sont importants : c’est un projet de 800.000€ dont 400.000€ d’emprunts
bancaires avec des remboursements actifs depuis janvier.
Les questions sont simples et pratiques : comment faire face aux 8.000€ 57 de charges
fixes mensuelles pendant toute la durée de la fermeture ? Y aura-t-il des frais cachés pour
la reconstruction ? A quelle hauteur l’assurance va-t-elle prendre en charge ces coûts ? Et
bien sûr, quand peut-on espérer redémarrer l’activité économique ?
56 5 nouveaux sociétaires entrent au capital de la coopérative suite au sinistre.
57 Ces 8000€ sont composés du salaire du gérant, des mensualités de remboursement d’emprunt et des charges fixes
incompressibles
28

2.4.2.4. Une solidarité concrète
Ce sinistre fut l’occasion de beaux témoignages de soutien et de gestes de solidarité vis à
vis de Baraka, la plupart spontanés. A travers eux, nous y avons lu toute la force d’un
projet à dimension humaine et ancré sur son territoire, dans son quartier. Nous y avons vu
toute la richesse de la mixité voulue par la coopérative : soutien de l’usager, du voisin, des
stagiaires des chantiers participatifs par un mot, une parole lorsqu’ils passaient sur les
lieux, soutien d’une future cliente qui a offert une heure de son temps pour nous aider à
évacuer l’eau, passage de Pierre de Saintignon, premier vice-président de la Région Nord-
Pas de Calais, de René Vandierendonck, Maire-Sénateur de Roubaix à l’époque ou
d’Assya Guettaf, élue du Conseil Régional venus voir les dégâts et apporter soutien moral
et proposition de soutien financier. Mais c’est aussi le soutien de l’association d’insertion
du quartier qui a envoyé trois salariées pour nettoyer le bâtiment, du militant écologiste, du
philanthrope du Maillon, d’usagers de l’Univers, acteurs du réseau et bien sûr tous les
sociétaires et leurs amis venus écoper, emballer, protéger et être tout simplement
présents.
La solidarité s’est exprimée de manière concrète au travers d’une manifestation de soutien
initiée, le jour même de l’incendie, par les associations et la mairie de quartier. Elle a réuni
une cinquantaine de personnes, anonymes, acteurs du quartier, politiques, Le caractère
collectif de l’aventure se constate dans la construction du projet mais aussi dans la
difficulté.
Roubaix : un restaurant ravagé par le feu une semaine après son ouverture
Publié le 01/03/2012 à 06h10 http://www.lavoixdunord.fr/forward?path=node/322442&height=470&width=400
Hier matin vers 3 h, un incendie
s'est déclaré au restaurant
coopératif La Baraka dans le
quartier de l'Épeule, à Roubaix. Un
coup particulièrement dur pour les
90 sociétaires et le patron de ce
restaurant, qui avait ouvert ses
portes en début de semaine
dernière.
À l'arrivée des secours, le feu ravageait la façade côté rue du Nord avec une fuite de gaz enflammée alimentant le
brasier. Les pompiers ont rapidement stoppé la progression du feu. Mais l'incendie s'était déjà propagé dans le
bardage en bois qui couvre façades et toiture du bâtiment fraîchement construit.
Car la coopérative Baraka est un projet innovant monté par 90 sociétaires issus principalement du tissu associatif.
Plus qu'un restaurant bio, Baraka se veut aussi une salle de quartier ouverte aux habitants. Un véritable pari
humain volontariste, dans un quartier sensible. L'incendie survenu hier a de quoi décourager les plus
entreprenants : « J'ai l'impression de vivre un cauchemar. Ce sont trois ans de travail qui sont partis en fumée.
Les sociétaires sont atterrés », explique Pierre Wolf, leur représentant.
29

Une amertume d'autant plus marquée qu'en une semaine, le restaurant avait très bien démarré avec une
soixantaine de couverts quotidiens en moyenne. Cinq salariés, dont deux issus d'un dispositif d'insertion
professionnelle, se retrouvent au chômage technique.
Hier midi, l'émotion était forte, lors d'un rassemblement spontané devant le restaurant qui a réuni une
cinquantaine de personnes. Des élus, bien sûr, mais aussi des anonymes, venus manifester leur soutien.
Pierre Wolf les a rassurés sur sa volonté de ne pas abandonner le projet : « C'est trop chouette jusqu'à
présent, ce qui se passait, pour que ça s'arrête. On vous tiendra au courant sur notre site et sur
Facebook », a-t-il dit, ému. Un comité de soutien serait déjà en formation et une soupe sera préparée avec
une partie des stocks, et vendue ce midi face à La Baraka. De quoi constituer un début de cagnotte pour
faire face.
Pour ce qui est de l'incendie, l'heure est aux expertises. L'origine de l'incendie est encore indéterminée. Seule
certitude : le feu a pris à l'extérieur du bâtiment, autour des compteurs électrique et de gaz. Dysfonctionnement
électrique ou acte de malveillance, l'enquête devra le déterminer. •
L’équipe dirigeante, de son côté, a organisé une vente de soutien dès le lendemain du sinistre.
Bien que stagiaire, j’ai occupé d’emblée une place centrale dans le dispositif. L’objectif était
multiple : écouler les périssables pour éviter leur perte et récolter les dons proposés suite au
sinistre (1200€ récoltés et surtout 3h d’échanges et de témoignages de soutien par la centaine
de personnes présentes). Au-delà de l’entraide, cette action a visé à occuper l’équipe et lui
faire profiter de cet élan de solidarité. L’enjeu était de la mettre sur une dynamique positive en
créant de l’action.
Les soutiens se traduiront aussi par de nombreux messages transmis par mail, téléphone, sur
Facebook, de tous ceux qui n’ont pu se déplacer.
Ces élans de solidarité marquent l’importance du réseau qui s’est créé autour de la
coopérative par la force du projet politique. Au-delà du nombre de personnes s’intéressant de
près ou de loin à Baraka, c’est la mixité des individus qui en fait la richesse.
Il y a une opportunité en toute chose. La mission du gérant se redéfinit. Il s’agit, au cours de
ces quelques mois imposés d’inactivité, de :
- réécrire le plan d‘affaires financier et activer les propositions de soutien ;
- repenser l’organisation de l’exploitation du restaurant ;
- finaliser les dossiers non aboutis avant le sinistre (logiciel, petits travaux...) ;
- activer et mettre en valeur la fabrique de biens communs pendant cette période de
reconstruction.
30

2.4.3. La reconstruction
2.4.3.1. Pierre Wolf
La priorité, avant toute chose, est que le gérant reprenne confiance en la pérennité de
Baraka et qu’il retrouve l’énergie et l’envie de reconstruire.
Sa première action est de mettre en place un comité de soutien et d’aide à la décision
appelé « comité de crise ». Il est composé de sociétaires : Patrick Tillie (avocat), Michelle
Fargeon (commissaire aux comptes), Vincent Boutry (Université Populaire Citoyenne et
président de l’Univers), Olivier Vangrimberghe, (URSCOP), Jean-Pierre Duponchelle
(conseiller financier), Caroline Blondeau (cuisinière), David Decroix (expert-comptable). Ce
comité s’est réuni trois fois pour traiter des différentes questions suite au sinistre : transfert
de l’activité sur un autre lieu (cf. point suivant), suspension des mensualités de
remboursement d’emprunt, qualité de la prise en charge du sinistre par la Macif et
sollicitation d’un expert d’assuré …
Ce comité a permis de conforter Pierre Wolf dans les décisions à prendre, d’entraver cette
solitude du dirigeant et par là-même de l’aider à prendre du recul et la confiance
nécessaire à la poursuite du projet.
En parallèle, la collaboration qui avait commencé dans l’informalité entre le gérant et moi
se renforce et permet de construire un binôme complémentaire grâce à l’expérience que
j’avais antérieurement acquise en restauration et en animation d’équipe ainsi que mon
aisance en matière comptable. Pierre Wolf me sollicite pour partager la gérance avec lui à
la suite de mon stage.
Enfin, une prise de recul et une distance à l’égard de la fonction de gérant deviennent,
pour Pierre Wolf, indispensables pour ré-envisager un nouvel avenir à Baraka, en
reprenant un rythme de travail plus posé avec un volume d’heures effectives modéré.
2.4.3.2. La question du transfert d’activité
Avant de prendre la décision de licencier l’équipe, nous avons exploré l’éventualité de
transférer le restaurant sur un autre lieu. La mairie de Roubaix a été particulièrement
dynamique sur la question. Son objectif était d’offrir les moyens de faire perdurer le projet.
Sa réactivité en témoigne : réunion d’urgence en ses locaux le 9 mars, proposition de
différentes cellules pour accueillir l’activité dans la semaine qui a suivi.
L’option de transfert d’activités présentait différents avantages : maintenir les emplois ;
maintenir une source de revenus pour faire face aux charges fixes ; profiter de la
communication faite pour l’ouverture et celle autour de l’incendie pour promouvoir Baraka,
31

sa cuisine, son projet écologique et social ; profiter d’un lieu comme le restaurant du
Colisée, emplacement porteur de notoriété avec ses 92.000 spectateurs à l’année.
A contrario, il fallait également prendre en compte : le déficit d’énergie nécessaire à la
mise en œuvre d’une relance d’activité sur un autre lieu ; la fragilité professionnelle de
l’équipe affectée par le sinistre pour y faire face ; la pression économique (nécessité de
réaliser 60 couverts par jour pour maintenir une activité rentable. Or l’ancien gérant du
restaurant Colisée n’en faisait que dix). Au final, le transfert présentait un risque significatif
de mise en faillite de la coopérative si l’activité n’était pas au rendez-vous. L’urgence de la
prise de décision (15 jours) qui ne nous a pas permis pas de réflexion approfondie.
Après l’analyse de ces différents points, il fut décidé de ne pas transférer l’activité et de
licencier l’équipe. Ce choix était délicat et difficile à faire d’autant que deux des quatre
salariés ne bénéficiaient pas des indemnités de Pole Emploi. Pour compenser cette
décision, un accompagnement de l’équipe a été mis en place : rédaction de leur CV et
lettre de motivation ; envoi de leur candidature dans les réseaux des sociétaires ; aide aux
démarches d’inscription d’auto-entrepreneur ; soutien dans le lancement de l’activité
d’auto-entrepreneur de la cuisinière. Cette dernière lance sa table d’hôtes En attendant
Baraka mi-avril. C’est l’occasion pour elle d’explorer sa cuisine, son organisation et
d’enrichir son expérience de restauratrice. Une des serveuses est reprise dans la société
de nettoyage qui l’employait au préalable. L’autre, après un essai sans suite dans un
restaurant, travaille en tant qu’aide à domicile. Le cuisinier fait des missions de
remplacement dans des collèges grâce au Conseil Général.
2.4.3.3. Les travaux
La reconstruction du bâtiment nécessite de procéder par :
- une négociation avec la compagnie d’assurance ;
- la mise en œuvre du chantier : sélection des entreprises, négociations,
planification …
a. Négociation avec la Macif
Les coûts de reconstruction étant extrêmement importants (la moitié de la valeur
du bâtiment), la négociation des devis et délais avec les experts de la Macif fut
difficile. Face à de tels enjeux financiers, la divergence d’intérêts entre les acteurs
a perturbé les relations de collaboration : d’un côté la coopérative qui a besoin
d’un soutien fort de son assureur, de l’autre, une mutuelle qui doit assumer son
rôle tout en assurant sa performance économique.
32

L’entrevue du 19 avril est l’illustration de ces tensions entre Baraka et la Macif.
Jérôme Lausi, Directeur Assurances et Eric Cartiny, Responsable Service
Incendie de la compagnie, ont annoncé lors de ce rendez-vous qu’ils envisagent :
- d’attaquer les pompiers en responsabilité sur la reprise de feu qui a très
fortement aggravé les dégâts causés par l’incendie. Le risque est de retarder
le démarrage des travaux et donc la réouverture de 6 mois à 1 an minimum ;
- de refuser de réassurer le bâtiment dans le cas d’une reconstruction en
l’état.
Les représentants de la Macif étaient extrêmement tendus. Leur malaise face à ce
dossier était flagrant : les enjeux financiers du dossier sont considérables pour la
Macif. D’autre part, la Macif, est une mutuelle se reconnaissant des valeurs de
l’économie sociale et solidaire. Son arbitrage ne peut se réduire aux critères
économiques et juridiques. Elle doit prendre en compte la dimension politique du
projet Baraka. A plusieurs reprises, les échanges ont fait état des tensions
internes au sein de la Macif. D’un côté, M Lausi a étudié le dossier sous l’angle
technique et juridique. Son objectif était de défendre les intérêts de la Macif d’un
point de vue financier. Mais il savait que sa position ne serait que consultative et
que la qualité du réseau de soutiens autour de Baraka serait un argument de
poids dans l’arbitrage. De l’autre, la Direction de la mutuelle aborde le dossier
selon un angle de vue plus large, intégrant les dimensions politiques de son
appartenance à l’ESS et les spécificités de Baraka.
Les conséquences d’une position telle que celle de M Lausi sont la mise en
danger la coopérative. Une reprise des travaux tardive amènerait à la faillite. A
contrario, collaborer pour reconstruire de manière plus pérenne face au risque de
feu est un point de conciliation.
L’issue de cette entrevue se trouve dans un accord trouvé autour d’un recours de
la Macif auprès des pompiers et un démarrage, quelle qu’en soit l’issue, des
travaux dès le 1er juillet 2012. Ainsi Baraka s’assure de rouvrir ses portes au plus
tard début 2013, échéance maximale pour assurer sa viabilité économique.
Cette entrevue a mis en avant la forte divergence d’intérêts entre la Macif et
Baraka. Pour mieux défendre ses intérêts lors d’un sinistre, tout assuré peut faire
appel à un expert d’assuré 58 .
Cette question fait débat au sein de la coopérative. D’un côté, certains sociétaires
soutiennent que faire appel à un expert d’assuré pourrait dégrader l’esprit de
collaboration et de partenariat avec la Macif. De l’autre, l’argumentation favorable
58 En cas de sinistre, les compagnies d’assurance font appel à des experts indépendants pour évaluer les montants
d’indemnisation. Afin d’équilibrer la relation dans les négociations, l’assuré peut solliciter les conseils d’un expert dit d’assuré qui
défendra ses intérêts. Les honoraires de ce dernier sont prévus dans les contrats d’assurance à la charge de la compagnie
33

à un expert d’assuré s’appuie sur la complexité des dossiers, les divergences
d’intérêts entre la Macif et la coopérative (limiter les coûts pour la Macif,
reconstruire rapidement et selon les exigences du bâtiment bioclimatique pour
Baraka) et la fragilité de l’équipe. Après quelques allers retours entre les parties,
la coopérative opte pour un spécialiste qui pourra défendre les intérêts du projet.
En un mois de temps, l’expert d’assuré sélectionné, le cabinet Galtier, prend en
main les négociations concernant l’indemnisation des travaux et scelle un accord
avec la Macif le 18 juin.
L’expérience nous montrera que c’était la bonne option. Pour négocier, il faut
maîtriser le même langage que l’autre partie. Dans une négociation avec des
experts, il faut opposer un langage d’experts, ce qu’a fait de manière efficace le
cabinet missionné pour représenter la coopérative.
b. Mise en œuvre du chantier
Dans des logiques de connaissance des spécificités de ce bâtiment et de
cohérence quant aux garanties décennales de la construction, ce seront les
mêmes entrepreneurs qui prendront en charge les travaux de reconstruction. Le
chantier est confié à Matthieu Marty, architecte du bâtiment et sociétaire et
François Lacoste, maître d’œuvre spécialisé en bâtiment en bois, sociétaire lui
aussi.
La principale difficulté pour les entreprises intervenant sur la reconstruction est
d’intégrer ce nouveau chantier dans leurs plannings. Chaque mois de fermeture
supplémentaire accentue la fragilité financière de la coopérative. La période
estivale avec ses périodes de congés complique la situation. Mais l’implication des
prestataires dans le projet est au-delà de la simple relation économique : tous sont
issus du territoire régional, la plupart ont une démarche environnementale et/ou
sociale proche de celle de la coopérative 59 . Ils se sentent partie prenante de la
réussite de Baraka et produisent l’effort nécessaire pour démarrer les travaux dès
le 2 juillet au lieu du 15 septembre.
En parallèle, les architectes élaborent des solutions pour adapter le bâtiment afin
d’éviter un nouveau sinistre. Les sociétaires, de leur côté, mettent en place un
groupe de travail sur les aménagements intérieurs. L’objectif est de profiter de
l’expérience acquise lors des dix jours d’ouverture pour améliorer l’agencement
des salles. Deux axes sont à travailler : faciliter le travail de l’équipe de
restauration et le développement de la « fabrique de biens communs ». Cela se
traduit par un travail sur l’insonorisation, les couleurs, l’installation d’une
bibliothèque et d’un coin salon …
59
SPL et Aprobat sont des structures d’insertion par l’activité économique, SHS et les architectes sont sociétaires. La plupart
sont impliquées dans une forte démarche environnementale
34

2.4.3.4. La viabilité économique
Deux éléments sont essentiels pour assurer la pérennité d’une activité marchande : le plan
d’affaires et le plan de trésorerie.
Dans la construction financière initiale du projet, Baraka démarrait son activité avec une
trésorerie permettant une montée en charges de l’activité sur deux ans. Cette trésorerie
est en partie due à la retenue de garantie légale de 5% concernant l’ensemble des travaux
de construction qui ne sera versée aux prestataires qu’en janvier 2013.
Le plan d’affaires construit sur 5 ans prévoyait :
- le versement du solde de la subvention du Framee 60 (54.000€) au printemps
2012, subvention redevable pour toute construction HQE et versée
conjointement par le Conseil Régional du Nord Pas de Calais et l’Etat
- un démarrage de l’activité dès janvier 2012 sur la base d’une moyenne de 56
couverts par jour (sur 210 jours ouvrés par an). La montée en charge se faisait
graduellement pour atteindre un rythme de « croisière » de 72 couverts par jour
d’ici deux ans.
Suite au sinistre, ce plan d’affaires à 5 ans et le plan de trésorerie prévisionnel étaient
obsolètes. Il s’agit d’intégrer les nouvelles contraintes et d’évaluer les besoins de
trésorerie pour assurer les charges fixes jusqu’à la réouverture. L’objectif est de mesurer
la résilience financière de la coopérative et de mettre en place des plans d’actions pour en
assurer sa pérennité économique à moyen terme.
Une difficulté supplémentaire renforce l’urgence financière. L’Ademe refuse de verser le
solde de la subvention du Framee car les dépenses de construction sont inférieures au
budget initial 61 . Le dossier est d’autant plus difficile à négocier que le bâtiment construit
est hors cadre prévu par l’administration. La subvention du Framee se calcule sur le
différentiel entre le coût d’une construction standard et celui intégrant les normes HQE
(Haute Qualité Energétique). Comment évaluer le surcoût écologique dans un bâtiment
100% écologique ? Comment comparer le coût d’un mur bois-isolation paille au coût de
l’isolation d’un mur béton ? Les options de construction vont bien au-delà des normes
HQE mais ne rentrent pas dans les réglementations du versement de la subvention. C’est
toute la difficulté de ne pas être dans la norme, dans le standard.
Le Conseil Régional sollicité, décide de prendre en charge seul le solde de la subvention
malgré le refus de l’Etat de verser sa part.
60 Fonds Régional d'Aide à la Maîtrise de l'Energie et de l'Environnement géré conjointement par l’Etat re présenté par l’Ademe
(Agence De l’Environnement et de la Maîtrise d’Energie) et la Région. Il subventionne les projets réduisant les émissions de
carbone.
61 Coût de la construction 648.000€ au lieu de 700.000€ budgétés
35

Avec l’aide de Jean-Pierre Duponchelle, sociétaire et conseiller financier, le plan d’affaires
à 5 ans et le plan de trésorerie prévisionnel sont retravaillés dans le détail. L’objectif est
de mettre en place un plan d’actions pour assurer la pérennité économique de la
coopérative :
- lancement des négociations avec les banques pour suspendre les
remboursements d’échéances d’emprunt sur la période de fermeture
- sollicitation du Conseil Régional pour des avances de trésorerie à taux zéro
- montage de dossiers de demandes de financement auprès des fondations Le
Maillon, Ecocert, AG2R-La Mondiale …
- vote en AG du 24 mai d’une possibilité d’apport en compte courant d’associé
de la part des sociétaires à un taux zéro en cas de difficulté de trésorerie
Sans sollicitation de la part de Baraka et de sa propre initiative, LMCU octroie une avance
de trésorerie de 15.000€ remboursable sur deux ans à la coopérative.
Dans chaque constitution de dossier, l’enjeu est d’afficher la gravité de la situation tout en
rassurant le destinataire sur du potentiel de rebond et de la pérennité de la structure.
Spécifiquement pour les fondations, la question de l’objet du financement se pose : que
faire financer ? Comment rester cohérent quant aux besoins réels (reconstruction,
trésorerie, perte d’exploitation) et réussir à séduire le donateur qui sera plus sensible à
investir, financer une activité que combler une perte sèche ? La solution est de proposer
une double option : financement de la perte d’exploitation ou investissement dans la
« fabrique de biens communs ».
Autant la fondation d’AG2R-Mondiale renouvelle son premier don sans condition
particulière, autant l’expérience avec la Fondation « le Maillon » est instructive.
Cette fondation étudie et sélectionne des projets à financer pour des particuliers fortunés
souhaitant procéder à des donations avec ou sans condition de défiscalisation. Cette
fondation présente deux avantages pour ces donateurs : sélectionner les dossiers et offrir
la possibilité de garder l’anonymat. La responsable du Maillon contacte Pierre Wolf à la
demande d’un de ses membres qui souhaite faire un don suite au sinistre. Les règles de
constitution du dossier sont très précises : présentation de la structure, définition du
projet, budget prévisionnel, rapport d’activités, constitution des équipes (salariés et
bénévoles), mode d’évaluation de la réussite du projet … Tout est encadré : le nombre de
lignes ou de pages à rédiger, les documents à joindre, les informations à fournir …
Après analyse du dossier, s’entame une série d‘échanges téléphoniques assez
techniques sur l’analyse des besoins financiers : besoin en fond de roulement, niveau de
trésorerie, évaluation des actifs et passifs du bilan comptable. Les échanges sur le projet
en lui-même se résumeront essentiellement à la catégorie de prix en restauration évaluée
trop basse par le donateur pour des plats faits à partir d’ingrédients issus de l’agriculture
biologique.
36

Au final, le Maillon versera deux dons de deux mille euros chacun sans aucune
convention ni demande de justification de l’utilisation de ces dons (facture, compte-rendu,
bilan annuel...). On peut s’étonner, peut-être, de constater l’écart entre le formalisme des
contrôles exigés lors de la sélection du dossier et le côté informel et sans contrepartie
exigée lors de l’octroi des dons.
2.4.3.5. La « fabrique de biens communs »
Le champ économique occupant un espace important dans l’ensemble des
préoccupations de la coopérative, il est important d’octroyer une part de l’activité et de
l’énergie des sociétaires à la « fabrique de biens communs ». Ce projet est envisagé
comme une opportunité pour garder à l’esprit et en action la finalité de la SCIC.
Baraka ne se résume pas à un bâtiment et un restaurant, c’est aussi et surtout une
« fabrique de biens communs ». Ce sont 97 sociétaires qui ont investi financièrement et
socialement dans un projet en vue de créer du lien social, du vivre-ensemble. Le bâtiment
est sinistré, l’activité économique est en suspens. La question est de savoir quelle place
peut avoir le non-marchand malgré cela. Il s’avère que le faire vivre pendant cette période
difficile est déterminant. C’est le non marchand qui va porter le marchand.
J’organise, début avril, une réunion de sociétaires pour la poursuite de la « fabrique de
biens communs ». Les thèmes de la réunion sont « comment faire vivre la « fabrique de
biens communs » pendant la fermeture du bâtiment ? » et « que projette-t-on pour la
réouverture ? ». La synthèse de mes entretiens semi-directifs sert de base à la réflexion.
Elle met en valeur :
- une finalité commune : faire de Baraka un lieu de foisonnement, d’échanges,
d’échanges de savoir, un lieu d’activités non marchandes
- les trois dimensions qui la composent : le vivre-ensemble, l’environnement et
l’ancrage dans le quartier. Cette dernière est devenue essentielle suite à
l’incendie qui a mis en valeur l’importance de l’appropriation du lieu par les
habitants.
Les échanges sont riches et constructifs. Le gérant reprécise le rôle de chacun : ce sont
aux sociétaires de prendre en charge la « fabrique de biens communs » et lui se
concentre sur la reconstruction mais en accepte d’en être le coordinateur. Du côté
sociétaires, le débat porte sur les actions à mener et principalement comment aborder et
créer le lien avec les habitants : « il faut être pro-actif en allant chercher les voisins (…)
faire une assemblée de voisins qui pourra lancer des initiatives ». Mais la question est
aussi de savoir comment « être légitime (…) si on ne fait pas intervenir le voisinage », s’il
ne serait pas judicieux « de leur faire une place dans la gouvernance ». En effet,
comment peut-on présager de ce qui est bon pour les habitants s’ils ne sont pas
37

consultés. Dans un objectif de faire de Baraka un terreau d’initiatives pour le quartier,
l’idéal ne serait-il pas de construire la « fabrique de biens communs » avec les futurs
bénéficiaires ?
Mais le groupe n’est peut-être pas mûr pour cette étape-là. Il est unanimement favorable
à développer le lien avec le quartier mais peu rebondissent sur l’idée de définir une place
plus importante des bénéficiaires au sein de la gouvernance.
Après une heure d’échanges, six groupes-projets se constituent :
- Lecture/culture/métissage
- Cuisine/métissage/échanges de savoir
- Jardins au carré/agriculture en milieu urbain
- FabLab 62
- Ateliers fabrication luminaire, déco, bibliothèque pour Baraka.
- Liens avec les associations du quartier et la mairie de quartier
Pour chacun des groupes, l’accord est unanime sur l’importance de partir des initiatives
déjà existantes sur Roubaix. Il ne s’agit pas de tout réinventer mais de coopérer pour
donner de la puissance à ce qui se fait déjà sur le territoire.
Je prends part au projet « lien avec le quartier » en prenant contact avec les différents
acteurs de l’Epeule et en intégrant Baraka dans l’organisation de la fête des quartiers
ouest de Roubaix.
Cette manifestation a eu lieu de le 23 juin sur le terrain de la friche de l’Ouest. L’objectif
était de proposer des animations gratuites aux habitants des quartiers ouest. A l’initiative
de la mairie de quartier, ce sont les associations et les habitants qui l’ont construite. Les
sociétaires se sont mobilisés pour assurer une présence sur les différentes dimensions
qui constituent la fabrique de biens communs : un atelier cuisine, un atelier peintures
naturelles à faire soi-même, un atelier jardinière au carré en collaboration avec la Maison
du Jardin, des lectures de contes et un troc de livres en partenariat avec l’Eglise
réformée. Ce dernier a eu un tel succès qu’il sera intéressant d’en faire un rendez-vous
régulier à l’avenir.
Ce fut une très belle opportunité pour Baraka de faire connaissance avec les acteurs
principaux du quartier. Cela a fait apparaître un beau potentiel de partenariat pour la
rentrée : Maison du Jardin, Mélissa, Eglise réformée, Médiathèque …
Un café-voisins fut organisé le 2 juin devant le bâtiment. L’objectif était de créer une
occasion pour partager et échanger avec les voisins de Baraka. Une quinzaine de
personnes s’y sont arrêtées. C’est par ces nombreuses petites actions que le lien avec les
habitants se construit.
62 abréviation de Fabrication laboratory. C’est une plate-forme ouverte de création et de prototypage d’objets physiques,
"intelligents" ou non. L’objectif est de démocratiser l'accès aux outils et machines pour permettre les inventions et les
expressions personnelles. Les principes sont la gratuité, l’échange de savoir, la non propriété privée, la production d’intelligence
collective.
38

La prise de distance avec le projet me permet de souligner le besoin de coordination et
d’animation. Créer des liens avec le quartier nécessite un investissement temps important
et une présence forte des mêmes personnes pour tisser des liens durables. Comme me
l’a confirmé mon expérience à l’Adie (Association pour le Droit à l’Initiative Economique),
les personnes issues de milieux défavorisés, et parfois cassées par les institutions, par la
société, par la vie, tendent à accorder leur confiance à des personnes physiques plus
facilement qu’à des personnes morales. Il va falloir penser l’organisation et la prise en
charge de la fabrique par les sociétaires en prenant en compte cet élément. Le rôle des
salariés risque d’être important dans le relais des activités de la fabrique auprès des
habitants.
3. Conclusion de la monographie
Malgré son jeune âge, l’histoire de la coopérative Baraka est riche d’expériences que ce soit dans sa
conception, par l’agrégation de multiples compétences ou la construction du bâtiment dans un quartier
défavorisé. Le sinistre, aussi éprouvant soit-il, a permis d’affirmer la force du projet et du collectif qui le
porte et a mis en valeur la capacité de résilience de la coopérative. Ce fut une occasion de solidarité
concrète qui a enrichi le projet de manière considérable en revalorisant l’importance des liens de
Baraka avec le quartier.
En seulement deux ans d’existence, il apparaît combien la coopérative s’inscrit dans la mouvance de
l’ESS et les événements ont pu montrer la force du projet politique.
3.1. Un projet inscrit dans l’économie sociale et solidaire
D’une idée initiale marquée par un parti politique est né un projet beaucoup plus large, certes très
orienté écologie, mais qui regroupe les valeurs promues par l’ESS : pérennité d’une activité
économique dans le respect de l’Homme et de l’environnement, inscription sur un territoire,
gouvernance démocratique et surtout production au profit d’un intérêt collectif et non d’intérêts
individuels.
Bien qu’émaillé par cet accident, ce projet est une illustration de cette démarche qui cherche, non
pas à s’en tenir à l’espace libre entre marché et sphère publique, mais, par le flou des frontières, à
lier les deux secteurs par une politisation de l’économie. Le fondement du projet est mû par la
volonté de positionner l’économique comme un moyen et non comme une finalité. Ce fondement
s’oppose à l’idéologie du capitalisme contemporain qui fait du profit accumulé une finalité et de
l’économie une sphère indépendante des sphères sociales et politiques. Un des objectifs du projet
a bien été, et continue d’être de limiter la prégnance de l’économie monétaire par son imbrication
39

avec une économie non monétaire dans des fonctionnements mixtes 63 et de limiter la profitabilité
de l’activité.
Une autre dimension sous-jacente du projet peut être mise en valeur : la mixité des publics
bénéficiaires. L’économie sociale, depuis ses origines, a été au service des populations les plus
démunies. Le désengagement actuel de l’Etat ne fait que renforcer cette orientation. Il est dans
l’intérêt des pouvoirs publics de confirmer le rôle de l’ESS comme solution d’insertion des
personnes les plus en marge de la société.
Cependant, cela se traduit parfois par une vision un peu étriquée de l’utilité sociale des
organisations de l’ESS, une vision qui restreint l’utilité à des dimensions d’insertion économique et
sociale 64 . Des organisations de l’ESS rompent avec cette vision du cloisonnement à l’insertion.
Pour elles, il n’y a pas de secteur dédié à l’utilité sociale et elle n’est pas réservée aux populations
les plus défavorisées. Le sens que prend Baraka est de chercher la mixité des publics, de les faire
se rencontrer, de construire du vivre-ensemble dans cette mixité sociale. Ainsi la « fabrique de
biens communs » ne vise pas à être exclusivement réservée aux plus démunis mais à tous ceux
qui souhaiteront y prendre des initiatives ou en bénéficier, sur le territoire. Aussi difficile soit-elle à
mettre en place, la mixité des publics est considérée comme une force pour Baraka, un
multiplicateur de production de biens communs, une valeur centrale dans le projet. Partant de ce
principe, se pose naturellement la question de la place faite concrètement aux habitants du
quartier, futurs bénéficiaires de la fabrique, au sein de la gouvernance. Quand l’économie libérale
ne prend que le point de vue de la rentabilité, () l’économie solidaire doit prendre en compte tous
les points de vue et surtout ceux des plus démunis 65 . L’expérience du programme ISBET
(Indicateurs Sociétaux de Bien Etre Territorialisés) a montré combien il était important mais aussi
difficile d’impliquer les plus exclus en amont des résultats, dans l’élaboration des processus 66 , il ne
s’agit pas de penser le bonheur à la place des gens 67 .
Cela rejoint la volonté d’empowerment 68 des initiateurs du projet. Les différents débats qu’ont eu
les sociétaires sur cette dimension particulière peuvent être résumés comme suit : leur faire une
place plus importante au sein de la coopérative contribuerait à une démarche d’autonomisation
des populations les plus démunies. Cette démarche nécessitera de s’atteler à la difficulté à les
intégrer dans le processus de décision. Comme l’a montré Bourdieu, au-delà de leur pauvreté
matérielle, la plupart d’entre eux ont un déficit de capital social. Or celui-ci est nécessaire pour
alimenter les échanges et les prises de décision qui constituent une gouvernance démocratique.
63 LAVILLE Jean-Louis, L’économie solidaire, une perspective internationale, p292, DDB, 1994
64 comme par exemple le définit le texte du Décret du 21.02.2002 pour l’octroi de l’agrément nécessaire aux SCIC : « le préfet
tient compte notamment de la contribution que (le projet) apporte à des besoins émergents ou non satisfaits, à l’insertion sociale
et professionnelle, au développement de la cohésion sociale, ainsi qu’à l’accessibilité aux biens et aux services »
65 FLORIS Bernard, Espace public et sphère économique, Economie solidaire et démocratie, Hermès Bonchamp-lès-Laval, 2003
66 RENAULT Michel, Elaborer ensemble des outils pour construire une société plus conviviale, de la convivialité, La Découverte,
Paris, 2011
67 Entretien semi-directif mars 2012
68 Ibid
40

3.2. Force du projet politique et innovation
La force du projet réside dans sa dimension politique et dans le cumul des ambitions portées :
respect de l’environnement, démocratie, territoire, insertion économique … Même s’il y a un
danger à vouloir tout mener tout de suite 69 , c’est cette spécificité qui a permis un tel impact et de
fédérer autant de personnes, sociétaires ou partenaires, autour du projet. Cela s’illustre à la fois
dans le nombre de sociétaires actifs dans la vie de la coopérative, dans les soutiens financiers
(diversités des fondations, subventions de la mairie, de la Région et de l’Etat) mais aussi lors du
sinistre, avec les soutiens exprimés par les élus, les voisins, les acteurs locaux, les médias …
Cette dimension politique a amené nombre de parties prenantes à aborder et négocier dans le
sens de Baraka, de son projet collectif et non uniquement dans la défense de leurs intérêts
propres : la Macif ne suivra pas les conseils de ses experts et ne déposera pas de recours contre
les pompiers.
L’aspect innovant du projet a aussi une part importante dans le succès obtenu : oser investir dans
un tel bâtiment en plein quartier défavorisé et le mettre à la « disposition » de ses habitants. Il
aurait été tellement plus facile de le construire dans un lieu « tendance » ou à forte visibilité tel
que, par exemple, le quartier de Wazemmes au centre de Lille.
L’innovation se trouve aussi dans le souhait de ne pas dépendre de subventions au long cours et
d’obtenir son indépendance par une activité économique. Mais cette indépendance n’est-elle pas
illusoire ? N’est-ce pas plutôt un transfert de dépendance du politique vers le client ? Le choix de
faire un bâtiment neuf et de suivre l’exigence écologique a demandé d’importants investissements
financiers et donc une nécessaire activité économique soutenue. Ce sera aux sociétaires de
réguler le poids de l’économique dans la vie de la coopérative, que celle-ci ait suffisamment de
temps et d’espace pour sa « fabrique de biens communs ».
Le projet de Baraka se construit comme un lieu de foisonnement, en terreau d’initiatives. Même s’il
est innovant, il n’est pas question de tout réinventer mais de valoriser l’existant, de compléter et
développer les initiatives en cours sur le quartier. L’enjeu est de se mettre dans une dynamique de
développement incrémental. Le collectif, est une force pour ce tâtonnement et pour remettre en
question les futures réalisations. Le multisociétariat offre un potentiel de créativité 70 grâce au
débat créé.
A ce stade, je ne peux m’empêcher de conclure en disant, ce qui se lit en filigrane de ces propos,
que j’ai été séduite par ce projet à la fois si jeune et si avancé et qui offre une approche complète
des valeurs de développement durable. C’est aussi cette approche de l’économique qui m’a
convaincue d’intégrer la coopérative pour mon stage.
69 Ibid
70 PECOUP Françoise, Op. Cit.
41

PARTIE 2 – MES MISSIONS au sein de BARAKA
Nous allons voir dans cette partie les différentes missions auxquelles je me suis consacrée au cours
de mon stage et leurs évolutions suite au sinistre vécu par Baraka. C’est l’occasion d’aborder la
question centrale pour laquelle j’avais été embauchée : l’évaluation de l’utilité sociale de la
coopérative. Mais dans un 1 er temps, il est nécessaire de re-situer le contexte dans lequel s’est initiée
cette mission.
1. Contexte du stage
1.1. Genèse
C’est lors d’un séminaire professionnel proposé dans le cursus du Master APIESS que j’ai
découvert Baraka. Le projet avait de la pertinence dans notre formation par son statut juridique (la
SCIC) et par son objet qui regroupait l’ensemble des valeurs de l’ESS.
Le discours de Pierre Wolf était très centré sur le bâtiment et la dimension écologique du projet. La
fabrique de biens communs, la gouvernance ou l’ancrage territorial ont été certes abordés mais de
manière plus succincte. Cela se justifiait par la période à laquelle se déroulait le séminaire : le
projet en était à la phase finale de construction. L’excitation d’édifier un bâtiment exemplaire d’un
point de vue environnemental et de venir à bout des problématiques du chantier était palpable.
Les échanges étudiants–gérant étaient orientés sur les moyens de conserver la défense de
l’intérêt collectif sur le long terme, la construction de l’intérêt général et comment rendre
compatible activité économique et intérêt collectif. La question de l’utilité sociale et de son
évaluation était un des thèmes centraux de notre formation. Il a naturellement découlé une
proposition de prendre un stagiaire pour mettre en place l’évaluation de l’utilité sociale de la
coopérative.
1.2. La notion d’utilité sociale, une question d’actualité
De manière historique, l’économie solidaire trouve ses origines dans le renouveau de l’économie
sociale dans les années 70. Le mouvement fait apparaître des initiatives intégrant à la fois la
dimension socio-économique et la dimension socio-politique 71 . L’objectif est de mettre en œuvre
des activités économiques comme moyens pour servir la solidarité démocratique et d’internaliser
des coûts sociaux ou environnementaux 72 . Par cette dynamique, l’économie solidaire sort du
71 LAVILLE Jean-Louis, Politique de l’association, Seuil, 2010
72 Ibid – Par exemple, le commerce équitable intègre dans son modèle le respect des critères de justice sociale
42

clivage traditionnel public-privé. Elle revendique ses actions comme constitutive d’un intérêt
collectif contribuant à l’intérêt général. L’Etat n’est plus vu comme le garant exclusif de celui-ci.
De son côté, l’Etat se désengage des services publics dans un souci de rationalisation budgétaire.
Il les délègue à des organismes privés en contrepartie de subventions et d’avantages fiscaux. Or, il
apparaît que la non lucrativité et la gestion désintéressée ne sont plus des raisons suffisantes pour
attribuer les faveurs fiscales. L’exigence de transparence et de respect du principe de libre
concurrence le conduise à intégrer le critère d’utilité sociale dans les conventions signées avec les
organisations de l’Economie Sociale.
L’ESS s’approprie rapidement cette notion comme outil de différenciation et d’identification.
L’apparition de nouveaux acteurs tels que les entreprises de commerce équitable ou de finance
solidaire et le développement des activités commerciales des associations rendent floues les
frontières entre une entreprise du secteur privé et une organisation se revendiquant de l’ESS.
Malgré la non lucrativivité (ou lucrativité limitée) et l’assurance d’une gestion désintéressée, les
structures ont besoin de revendiquer leur spécificité.
Mais qu’est-ce que l’utilité sociale, appelée aussi plus-value sociale ou sociétale voire même biens
communs dans le cas de Baraka ? Cette notion d’utilité sociale est un concept flou et mal défini.
Elle fait l’objet de nombreux débats au sein de l’ESS. Elle dépend d’une part des valeurs portées
par chaque structure et d’autre part de contextes temporels et locaux. Comme le formule Hélène
Duclos, « ce qui est utile ici, ne l’est peut-être pas ailleurs et ce qui est utile maintenant ne le sera
peut-être pas demain » 73 . L’utilité sociale est donc une notion en perpétuelle redéfinition et
construction. De plus l’ensemble des spécialistes s’accorde à dire que l’utilité sociale se trouve non
seulement dans la production de biens et/ou services fournie par la structure que dans la qualité
de ses process et de son fonctionnement.
C’est dans le flou de cette définition que réside le désaccord Etat – ESS. Le premier réduit la part
« sociale » de cette utilité à « la dimension historique de l’aide, du compassionnel, du caritatif
… » 74 . Dans cette conception, les services d’utilité sociale doivent s’adresser aux publics
défavorisés, aux plus démunis ou aux populations requérant une assistance 75 . Les pouvoirs
publics ont tendance à les limiter aux secteurs du 3 ème âge, de la petite enfance, de l’insertion. Or
la plupart des structures de l’ESS souhaitent porter la notion « sociale » de l’utilité sociale à un
niveau plus large, au niveau de « sociale » au sens de société : ce qui est bon pour le plus grand
nombre.
Malgré ces dissensions, les chercheurs s’accordent sur le fait que cette notion ne peut être
universelle et qu’elle doit être définie par la structure concernée. Ils font apparaître les thèmes qui
73 DUCLOS Hélène, « Quels enseignements tirer de l’évaluation de l’utilité sociale dans le secteur de l’ESS », extrait de
l’ouvrage OFFREDI C., RAVOUX F., 2009, La notion d’utilité sociale au défi de son identité dans l’évaluation des politiques
publiques, Paris, L’Harmattan
74 Ibid
75 le décret du 21 février 2002 concernant l’agrément des SCIC précise que « pour apprécier le caractère d’utilité sociale d’un
projet, le Préfet tient compte notamment de la contribution que celui-ci apporte à des besoins émergents ou non satisfaits ; à
l’insertion sociale et professionnelle ; au développement de la cohésion sociale ; à l’accessibilité aux biens et services »
43

eviennent de manière récurrente dans la recherche de définition de l’utilité sociale. Par exemple,
Jean Gadrey retient cinq dimensions 76 :
- L’utilité sociale à forte composante économique : richesse économique créée en termes de
coûts évités pour la collectivité (services moins chers que dans le secteur privé, réduction
de coûts économiques tels que les prestations sociales, etc.) ;
- La lutte contre l’exclusion et les inégalités, du développement humain et du développement
durable : réduction des inégalités diverses, développement des « capabilities» 77 , solidarité
internationale et lutte contre la pauvreté, développement durable ;
- Le lien social de proximité et démocratie participative : développement du lien social, du
capital social, réduction de l’isolement, développement du dialogue participatif, processus
de décision pluraliste ;
- L’innovation sociale et solidaire : Réponse à des besoins non satisfaits par l’Etat ou le
secteur privé par des innovations institutionnelles locales ou nationales, des innovations
organisationnelles.
- L’utilité sociale « interne » mais avec des effets possibles de « contagion » externe : les
normes et les valeurs (désintéressement, don, bénévolat, mutualisation), les modes de
gouvernance démocratiques.
De manière plus pragmatique, l’Avise propose une classification autour de six thématiques 78 : la
dimension économique ; la dimension sociale ; la dimension sociétale ; la dimension politique ; la
dimension environnementale ; la dimension d’épanouissement.
Figure 4 - Les différentes dimensions de l'utilité sociale - Cahiers de l'Avise n°5
Toutes ces dimensions ne sont pas exclusives les unes des autres. Elles viennent souvent se
compléter, ce qui accroît d’autant leur efficacité.
76 GADREY Jean, Op. Cit.
77 au sens de la capacité à agir de manière autonome
78 Avise, « Evaluer l’utilité sociale de son activité. Conduire une démarche d’auto-évaluation », Cahiers de l’Avise n°5, Culture et
Promotion, 2007
44

1.3. Les enjeux de l’utilité sociale
Pour l’ESS, la définition de cette notion porte plusieurs enjeux. En externe, elle permet la
reconnaissance de ses spécificités aux yeux de tous et de légitimer ses actions. Actuellement, le
rattachement à l’ESS se fait par le biais du statut juridique : associations, mutuelles et
coopératives. Or en quoi les valeurs de certaines coopératives agricoles ou de la FNAC sont-elles
communes avec celles revendiquées par l’ESS (primauté de l’Homme sur le capital, démocratie,
lucrativité limitée …) ? En interne, elle devient un outil de régulation pour construire le projet,
consolider la cohésion du collectif ou contrôler la cohérence de l’activité avec sa finalité au fil du
temps.
Côté pouvoirs publics, la notion d’utilité sociale permet de sélectionner les structures lors de la
délégation des services publics et d’arbitrer l’allocation de leurs ressources. C’est aussi un moyen
de contrôler les contreparties attendues quand il y a eu financement public.
De ces enjeux découle la volonté d’évaluer cette utilité sociale tant de la part de l’Etat que de
certaines structures de l’ESS.
L’évaluer permet de mettre en valeur les contributions de l’ESS autre qu’économique. De la même
manière que le marché évalue la valeur économique produite, évaluer l’utilité sociale mesure la
valeur sociale produite. L’enjeu est d’offrir d’autres illustrations que celles réduites au champ
économique : nombre d’établissements, nombre de salariés, nombre de personnes insérées,
d’usagers bénéficiant de ses services, indicateurs financiers …
Mais cette évaluation peut aussi être vue comme un pouvoir de contrôle et régulateur de l’Etat.
Elle devient un critère de sélection croissant dans l’octroi de financements publics.
Evaluer pose des problématiques fondamentales : quel référentiel ? Quels indicateurs ? Comment
les construire ? Comment ou faut-il quantifier le non quantifiable ? Comment mesurer
l’interdépendance, l’interaction entre chaque activité ? N’y a-t-il pas un risque de parcelliser les
actions ? Enfin, mesurer une action de type qualitatif ne risquerait-il pas de la dénaturer et de la
faire s’évanouir ? 79
Depuis une dizaine d’années se développent les démarches d’évaluation de l’utilité sociale au sein
des structures de l’ESS. Nous verrons en partie 3 de ce mémoire, plus en détail, les problèmes
que soulève une évaluation ainsi que les atouts que cette démarche peut apporter à la structure
évaluée.
79 CAILLE Alain, De la convivialité, 2011, La découverte
45

1.4. L’évaluation de l’utilité sociale de Baraka, une nécessité ?
Baraka met le marchand au service du non marchand. L’évaluation de la part marchande de
l’activité se fait au travers des multiples indicateurs comptables et financiers (bilan, compte de
résultats, effectif, retour sur investissement...). Cela offre une visibilité rapide et succincte de cet
aspect de la coopérative. Dans une société férue d’indicateurs en tout genre, c’est cette vision de
Baraka qui risque de dominer. Si l’on suit l’adage « tout ce qui n’est pas compté ne compte pas »,
n’y a-t-il pas un risque pour que le bien commun produit reste dans l’ombre des évaluations
économiques ?
Mais cela ne peut être la seule raison de l’évaluation.
1.4.1. Objectifs externes
Dans un projet aussi innovant et autant observé (cf. la place de Baraka dans les médias
locaux et l’implication des collectivités dans le projet), il est intéressant d’apporter la preuve de
la réalisation concrète des promesses faites au montage du projet. Evaluer son utilité sociale
permettrait d’améliorer sa visibilité d’autant que la coopérative regroupera un certain nombre
d’activités. Cette évaluation permettra de faire une synthèse de l’ensemble des contributions
qu’elle apporte à la société et de ne pas rester sous la domination de l’activité de restauration.
C’est une opportunité pour mettre en valeur la « fabrique de biens communs ».
Cette valorisation renforcerait la crédibilité de la structure et serait un support pour les
négociations avec les partenaires externes : pouvoirs publics, financeurs privés (fondations,
banques ...). Ayant bénéficié de subventions, il serait judicieux de justifier leurs emplois dans
des actions ayant une plus-value sociale. Elle servirait de preuve de l’intérêt collectif défendu,
des biens communs produits lors du montage des dossiers de demandes de subventions ou
de dons. Ce serait aussi un gage de transparence dans l’utilisation des fonds versés.
Elle serait aussi utile dans les relations de la coopérative avec les autres acteurs associatifs du
territoire dont certains doutent de la légitimité de Baraka. J’ai pu constater leur
méconnaissance du statut de SCIC et du projet global de la coopérative. Ne voyant que la
partie restaurant, certaines associations éprouvent de la méfiance envers
Baraka appréhendant un intérêt commercial : « Ce n’est pas une association, qu’est-ce que
vous faites dans une manifestation à but non lucratif ? » 80 . Mettre en valeur son utilité sociale
faciliterait la confiance.
Enfin, pour les usagers et bénéficiaires, la mise en valeur de sa « fabrique de biens
communs » serait un gage de transparence de sa gestion et de son fonctionnement.
80 Remarque faite par un membre d’une association du quartier lors de l’organisation de la fête des quartiers ouest en juin 2012
46

1.4.2. Objectifs internes
Evaluer l’utilité sociale de Baraka ou tout du moins, sa production non marchande, nécessite
une définition au préalable du périmètre de cette utilité et le référentiel de base à son
évaluation. Les sociétaires porteurs de la « fabrique de biens communs » devront donc
s’atteler à cette définition et la mettre en débat.
Cette démarche permettrait de renforcer la cohérence du projet. Faite régulièrement, elle
dynamise le fonctionnement et permet une analyse critique des actions menées et orientations
prises. Elle met en valeur les bonnes pratiques. L’évaluation tient alors le rôle de régulateur
interne à la structure.
1.5. Réceptivité des sociétaires à l’évaluation de l’utilité sociale de Baraka
Bien que le stage ait été voté en assemblée générale, la proposition d’évaluation de l’utilité sociale
de Baraka est une sollicitation externe et non une demande interne. Ma candidature et
l’argumentaire de cette mission ont été transmis aux sociétaires une semaine avant l’assemblée
générale. Lors de celle-ci, le débat sur le sens et l’opportunité d’une évaluation pour la coopérative
fut très succinct. C’est surtout la période à laquelle l’évaluation était proposée qui posait question :
« n’est-ce pas précoce, le restaurant n’ayant pas encore ouvert ? » (sociétaire)
La « fabrique de biens communs » paraît être une évidence, les sociétaires n’ont pas le besoin de
mettre en place des instruments de mesure de cette production. Ils sont concentrés sur le
lancement de leur projet et ne voient pas encore l’urgence et/ou l’intérêt de la valoriser.
Enfin, la méconnaissance des notions d’utilité sociale et des problématiques d’évaluation ne fait
pas de cette mission une priorité. La pression de l’ouverture imminente, le besoin de vérifier si
l’activité va fonctionner et de constater le succès du restaurant prennent le pas sur l’intérêt porté à
la démarche.
Cependant, elle est une opportunité pour formaliser l’histoire de Baraka, pour eux et pour
l’extérieur. Cette illustration pourra servir d’appui lors d’un futur essaimage.
47

2. Mission principale : l’évaluation de l’utilité sociale de Baraka
2.1. Expertise demandée
Le stage a été validé par un vote en assemblée générale. La mission principale d’origine était de
procéder à une évaluation de l’utilité sociale de la coopérative et à l’écriture de sa monographie.
Des quelques retours que j’ai pu avoir à la fin de l’AG, c’est surtout la deuxième partie de la
mission qui a séduit les sociétaires ainsi que l’aide que je pourrai apporter à l’équipe lors du
lancement de l’exploitation du bâtiment. Mon stage a eu lieu de février à juillet 2012, de
l’inauguration du bâtiment à la reconstruction, en passant par les dix jours d’ouverture et le sinistre.
Les compétences attendues pour la mission « officielle » étaient ma capacité à avoir une approche
universitaire du projet en ayant une vision extérieure et ma capacité à en faire la critique. Mes
expériences précédentes en restauration et management ont cependant été un critère non
négligeable dans la validation de ma candidature. Cela complétait les compétences de l’équipe
dans le domaine de la restauration. Pour rappel, Pierre Wolf est ancien journaliste, consultant en
communication, Caroline Blondeau, cuisinière de formation suite à une reconversion, ancienne
infographiste, David Ulloa, aide cuisinier, Fatima Selami et Aurore Castelle, serveuses à l’Univers.
Au fil du temps, il va s’avérer que mes compétences en gestion-finance et ma capacité
d’adaptation au vu de la situation seront utiles au gérant lors de la période post-sinistre. Nous
conviendrons rapidement de mon embauche à la réouverture du restaurant par un partage des
fonctions du gérant. Pierre Wolf conservera le titre de gérant à mi-temps et je serai maître d’hôtel
ou adjointe (intitulé à définir) à mi-temps. Cet engagement est pris en vue de rendre l’équipe
autonome dans la gestion des salles et du restaurant le plus rapidement possible.
2.2. Déroulement de la mission
Afin de mener à bien l’évaluation, je structure ma mission en différentes étapes et construis un
planning pour mes six mois de stage. En premier lieu, je dois faire connaissance de manière plus
précise avec l’ensemble du projet. C’est la phase d’immersion. Elle se fait au travers de ma
participation au lancement de l’activité. J’ai la chance de démarrer mon stage l’avant-veille de
l’inauguration. Je me joins à l’équipe pour la préparation du buffet, la mise en place de la salle.
C’est l’occasion de faire connaissance avec les salariés et une partie des sociétaires.
Après l’inauguration, il reste deux semaines de préparation avant l’ouverture du restaurant.
J’apporte mon aide sur les dernières mises en place : de la formalisation des plannings au
vernissage de l’escalier en passant par la construction de l’offre de locations de salles suite à
l’étude des tarifs de la concurrence.
En parallèle, je procède à des travaux préparatoires à ma mission principale : lectures de guides
d’évaluation et de partage d’expériences dans d’autres structures, élaboration d’un rétro-planning
48

(cf annexe 1) et des grilles d’entretiens semi-directifs 81 . L’objectif de mes trois premiers mois de
stage, en tant que phase exploratoire, est de :
- mener les entretiens semi-directifs auprès des sociétaires et parties prenantes dans le
projet ;
- créer un groupe de travail sur la définition et l’évaluation de l’utilité sociale ;
- administrer une enquête auprès des stagiaires des chantiers participatifs ;
- construire d’un premier référentiel d’évaluation.
Grâce à mon directeur de mémoire, j’ai la chance de participer aux séminaires du projet Corus-
ESS 82 centrés sur la thématique de l’utilité sociale et sur l’expérience d’autres associations.
La première semaine d’ouverture du restaurant va mettre en suspens mes travaux. Le gérant est
en formation obligatoire lors du lancement d’une activité hôtelière et m’a demandé de prendre en
main la gestion des services (accompagnement de l’équipe pour la mise en place de la salle,
animation du service, caisse ...). Les tâches en elles-mêmes n’ont que peu de plus-value pour ma
mission principale mais c’est toujours un plaisir immense que d’assister au lancement d’une
activité, de partager avec les usagers un concept porteur de tant de sens. L’excitation est là, le
succès aussi : 350 personnes sont venues découvrir la cuisine de Caroline sur ces 7 premiers
jours d’ouverture. C’est éprouvant pour l’équipe qui doit prendre ses marques et confiance en elle.
Mais cela ne dure pas, l’incendie du 29 février met en suspens cette dynamique. Stoppés en plein
sprint, nous devons redéfinir le rôle de chacun.
2.3. Opportunités et difficultés rencontrées au cours de cette 1ère étape
Une des grandes opportunités de ce stage est de l’avoir démarré au lancement de l’activité. La
passion et l’euphorie de l’ouverture sont contagieuses. J’ai été portée par la dynamique. L’accueil,
malgré la précipitation des dernières préparations, fut chaleureux et chacun a pris le temps de se
présenter et d’expliquer Baraka à sa manière.
Le partage de menues tâches de préparation comme éplucher des carottes, faire la vaisselle dans
un bâtiment à 10°C 83 ou déménager des tables est un bon élément intégrateur au sein une équipe.
A contrario, le début de ma mission fut déstabilisant. Tout d’abord il n’y avait pas de cadre matériel
de travail (bureau, accès internet, ligne de téléphone, imprimante...) qui m’aurait permis de
commencer mon stage sur les lieux de la coopérative. Je navigue donc entre mon domicile et un
81 Un entretien semi-directif est un entretien qui « n’est ni entièrement ouvert, ni canalisé par un grand nombre de questions
précises » . Le choix ne s'est pas porté sur un «questionnaire oral», prédéfini et structuré, mais plutôt sur une discussion laissant
la place au sujet pour exprimer son vécu, ses sentiments et ses représentations. Pour ce faire, j’ai établi une grille de questions
relativement ouvertes. Cf. Annexes 2 et 3.
82 Connaissance et Reconnaissance de l’Economie Sociale et Solidaire. Légitimité processuelle des mesures d’Utilité Sociale et
environnementale de l’ESS. Projet chercheurs-citoyens sur 3 ans et financé par le Conseil régional.
83 Pour l’anecdote, le bâtiment a été inauguré le 4 février 2012, période de grand froid à Lille (-10°C). Le bâtiment étant passif,
n’a pas de système de chauffage : il récupère la chaleur émise par les personnes présentes. Difficile de réchauffer un bâtiment
de 300m 2 avec seulement six personnes.
49

coin de table du restaurant, ordinateur et dossiers sous le bras, glanant des informations au fil des
rencontres avec l’équipe ou des sociétaires de passage. Je finis par trouver chez moi planche et
tréteaux, étagères et ordinateur pour équiper le bureau et avoir de quoi travailler sur place.
Ensuite, l’équipe était concentrée sur l’ouverture prochaine du restaurant et peu disponible pour
intégrer une personne missionnée sur une fonction annexe.
Je prends conscience d’une certaine solitude pour mener cette mission d’évaluation de l’utilité
sociale de Baraka. L’équipe est composée de quatre personnes dédiées à l’exploitation du
restaurant (Aurore et Fatima en salle, David et Caroline en cuisine) et du gérant, Pierre Wolf,
envahi par les problématiques de fin de construction et de lancement de l’activité d’exploitation.
Des sociétaires passent régulièrement donner un coup de main à l’équipe mais aucun n’est actif
sur la question de l’évaluation, ce qui est cohérent avec le contexte dans lequel la mission s’est
mise en place. Le besoin d’évaluation n’existe pas encore. L’opportunité d’assister aux réunions du
projet Corus-ESS me permet de rencontrer des acteurs sensibles à la question.
Devant l’ampleur de la tâche, je suis un peu perdue et ne sais pas par où commencer. C’est
d’autant plus difficile pour moi que mes expériences professionnelles précédentes nécessitaient
beaucoup d’actions, donnaient un rythme intense de production. L’intégration se faisait dans des
équipes composées de personnes ayant la même mission que la mienne. A Baraka, tel n’est pas
le cas : je suis seule sur la question de l’utilité sociale et le travail à fournir est (dans un premier
temps) très cérébral. Or, pour prendre mes marques, j’ai besoin que ça aille vite et être dans
l’opérationnel. Sous les conseils de Florence Jany-Catrice, j’accepte de me donner le temps pour
découvrir la structure et de faire de ce travail d’immersion la phase préparatoire à l’évaluation.
Je satisfais mon besoin de production par mon expérience en restauration et management. Elle
offre une bonne complémentarité aux compétences du gérant qui n’avait pas pris conscience de la
nécessité d’être autant présent sur l’activité même de restauration. Il me délègue donc cette
mission. Ma plus grande difficulté sera de ne pas me laisser envahir par l’opérationnel pour mener
à terme ma formation et ma mission universitaire.
Mais le sinistre va donner une toute nouvelle orientation à ma mission.
50

3. Evolution suite au sinistre
3.1. Les raisons de reporter la démarche d’évaluation
La violence du sinistre après seulement dix jours d’activité donne l’effet d’un arrêt net en plein
sprint. L’investissement moral, physique et affectif de l’équipe était tel qu’ils sont anéantis. La
confiance est réelle dans le redémarrage de l’activité mais où trouver l’énergie nécessaire pour
recommencer ?
Les dégâts étant importants, la réouverture n’est pas envisageable avant septembre. Devant la
méconnaissance de ce genre de situation, il est extrêmement difficile de se projeter à moyen
terme.
Dans ce nouveau contexte, ma mission d’évaluation de l’utilité sociale de Baraka est reléguée au
second plan.
La première question qui se pose est « quel sens y a-t-il à mettre en place une évaluation d’une
activité qui n’existe plus ou quasiment plus et qui ne reprendra pas avant au moins six mois ».
Certes, l’évaluation aurait pu concerner la phase d’élaboration de construction du bâtiment car,
comme nous l’avons vu précédemment, l’utilité sociale est produite dès les moyens mis en œuvre.
Mais des problématiques de temps et d’énergie se posent. L’urgence du rebond de la coopérative
est prioritaire et l’ampleur de la tâche est telle que j’ai peu de temps à lui consacrer. La
reconstruction doit mobiliser toutes les énergies. Or une évaluation requiert de la disponibilité et un
certain investissement de la part des acteurs : « il est indispensable que les dirigeants politiques
soient fortement impliqués dans la démarche » 84 . Dans ce contexte, ils ne sont pas à même de
l’être. Comme l’alerte l’Avise dans son guide de l’évaluation de l’utilité sociale des organisations,
« il est inutile de se lancer dans une démarche (..) dans une période de crise car elle n’aboutirait
pas ».
Enfin, comment mener une évaluation quand l’évaluateur devient pleinement acteur de
l’organisation ? Avec le sinistre, je me suis fortement impliquée dans la « fabrique de biens
communs » et ai perdu la distanciation nécessaire à l’objet de mon étude. Quelle sera la crédibilité
de l’évaluation si l’accompagnateur est lui-même producteur d’utilité sociale ?
Dans ce contexte, il est décidé de reporter la mission d’évaluation mais non de l’annuler. Je
continue à mener mes entretiens semi-directifs. Mon travail s’oriente sur l’écriture de l’histoire de
Baraka dans un objectif de mémoire et d’essaimage. Afin de capitaliser sur l’expérience
particulière des chantiers participatifs tant qu’il n’est pas trop tard, je mets en place une enquête
quantitative et interviewe les organisateurs (Cf. dernière partie). Ce travail servira, je l’espère, à
une base pour des futurs travaux sur l’utilité sociale de la structure.
84 Avise, Op. Cit.
51

3.2. Mes nouvelles missions
Etant récente dans la structure, j’ai l’énergie pour rebondir et soutenir Pierre Wolf qui accuse trois
ans d’investissement intense. Un binôme s’établit entre le gérant et moi. Pendant qu’il se
concentre sur les problèmes d’assurance, nous (avec les sociétaires) occupons l’équipe afin de
maintenir une dynamique positive et constructive : l’organisation de la vente de soutien, le
nettoyage du bâtiment et le déménagement du mobilier.
Nous n’avons que très peu de visibilité sur les mois à venir : temps des travaux, coûts, potentiel de
réouverture … Ma mission se construit, au jour le jour, selon les impératifs du moment :
- étude de la faisabilité du transfert d’activité ;
- accompagnement des salariés dans leur recherche d’emploi suite à leur licenciement ;
- montage de dossiers de subventions ;
- élaboration du nouveau plan d’affaires et du plan de trésorerie intégrant le sinistre ;
- constitution des dossiers relatifs aux dédommagements pris en charge par la Macif
(matériel et perte d’exploitation) ;
- préparation de l’argumentaire pour la négociation avec les banques ;
- retour d’expérience des 10 jours d’ouverture et travail sur l’amélioration du
fonctionnement (logiciel, organisation, aménagement intérieur ...) ;
- relais du gérant pendant ses vacances.
Je prends en charge l’animation de la « fabrique de biens communs » et plus particulièrement la
mission de lien avec le quartier.
Nous améliorons tout d’abord la communication sur le bâtiment pour mieux expliquer le projet aux
passants :
- création et mise en place d’une bâche qui servira d’enseigne en attendant la
réouverture ;
- utilisation des baies vitrées pour communiquer sur l’avancée des travaux et les actions
de Baraka du mois (café-voisins, fête des quartiers, à voix haute à la maison…).
Mais le plus gros de la mission sera l’organisation de la fête des quartiers ouest : coordination des
sociétaires pour l’animation des ateliers, mise en place de partenariat avec l’Eglise réformée, la
Maison du jardin et la Médiathèque, réunions avec la mairie et les associations de quartier …
52

4. Eléments de réflexivité sur le stage
Avant de s’intéresser aux travaux préparatoires menés en vue de l’évaluation de l’utilité sociale de
Baraka, je prends le temps d’un retour réflexif sur cette expérience professionnelle et faire le bilan du
cheminement intellectuel parcouru depuis quelques mois.
4.1. « Dé formatage »
Mes 14 années d’expérience professionnelle dans des entreprises du secteur privé ont transformé
mon rapport au temps, aux gens, à la performance. Tout allait très vite, les actions ne visaient que
du court terme (rarement plus de quelques mois). Tout était réduit aux évaluations économiques :
quel chiffre d’affaires réalisé ? Combien de clients ? Quelle progression de panier moyen ? Des
données qualitatives étaient prises en compte (nouvelle recrue, absence, contexte particulier d’une
équipe) mais cela ne pouvait être valable que sur une période courte. Le langage utilisé dans ces
activités dominées par l’économique était celui du profit, de la performance, de la productivité, de
la rentabilité.
Intégrer une entreprise de l’économie sociale et solidaire, c’est intégrer les valeurs qu’elle promeut
non seulement dans les résultats recherchés mais aussi dans les moyens mis en place. C’est
prendre en compte, au quotidien, les externalités positives et négatives que l’activité va dégager,
c’est rompre dans son quotidien avec le langage de l’économique, et les valeurs (par exemple de
réussite individuelle, de compétition, de vainqueur) qu’il met lui aussi en avant.
Pour cela, il a fallu que je me détache de mon référentiel de performance, de mon échelle de
valeurs basée essentiellement sur des représentations quantitatives et économiques. C’est grisant
d’accueillir 70 couverts dès les premiers jours de l’ouverture, mais quel coût pour l’équipe qui est
en souffrance par le stress dégagé ?
Le temps est une donnée capitale dans ce nouveau rapport aux choses. Ayant pris confiance trop
rapidement, j’ai voulu accélérer la formation d’Aurore et Fatima (les serveuses). Dès le 4 ème jour,
j’ai changé la répartition des salles pour qu’elles sachent s’adapter à chaque niveau. Ce fut le jeudi
noir : des clients mécontents et une équipe effondrée. Je suis allée trop vite. Ce ne fut pas la seule
raison de l’échec de ce service mais elle y a contribué. Prendre le temps de former, le temps de
prendre confiance. Et quand il y a du temps supplémentaire, pourquoi faire « plus » plutôt que
« mieux » ?
Cela rejoint la réflexion, d’ordre macro-économique, de Jean Gadrey sur l’importance de passer
d’une croissance quantitative à une croissance qualitative 85 . Et ce « dé formatage » d’une
croissance quantitative va être long. Il s’agit de passer d’une performance économique à une
performance sociale intégrant un objectif plus large que le quantitatif et l’économique. Là aussi,
l’évaluation de la « fabrique de biens communs » peut être un bon contrepoids.
85 GADREY Jean, Adieu à la croissance, Alternatives Economiques, 2010
53

4.2. Coopération
Travailler dans une structure comme Baraka, c’est évoluer d’un mode basé sur la compétition et la
méfiance à un mode de coopération.
La gouvernance est un bon outil pour s’approprier ce mode de fonctionnement coopératif : savoir
se taire pour laisser parler l’autre, accepter son point de vue, échanger, débattre, trouver un
compromis.
Mais la coopération, c’est aussi réinventer les relations interprofessionnelles, réintégrer la
confiance. J’ai été extrêmement surprise qu’on me laisse gérer les caisses sans contrôle aucun
alors que je n’étais dans l’équipe que depuis 15 jours. Chose impensable dans les structures où
j’ai pu travailler.
C’est dans cet état d’esprit que s’est construit le binôme gérant-adjointe. Le sens et la finalité de
Baraka dépassent tout intérêt individuel et toute recherche de pouvoir. S’accaparer une partie du
projet c’est le dénaturer dans sa vocation. Cela a permis de créer une relation de confiance entre
Pierre Wolf et moi, jouant sur la complémentarité. La volonté de construire une intelligence
collective et de partager l’expérience acquise n’a fait que renforcer notre coopération.
Ce n’est pas non plus le monde des « bisounours », il y a des contrats, des règles, un cadre, tant
en interne qu’en externe. Il y a des échecs de collaboration comme avec la société qui nous a
fourni le logiciel caisse : nous avons fait un état des lieux et réglé la partie concernant le travail
fourni. De même avec les salariés que la coopérative n’a pu maintenir à leur poste suite au
sinistre. Baraka les a rémunérés un mois supplémentaire puis les a accompagnés et suivis dans
leurs démarches de recherche d’emploi.
Mais l’approche sera toujours dans un objectif de coopération : comment faire pour que les deux
parties ressortent plus « riches » (pas seulement monétairement) de la relation ? Il s’agit d’avoir
conscience de la divergence d’intérêts et de chercher à satisfaire son intérêt sans que ce soit au
détriment de l’autre.
Cette logique de collaboration à petite échelle comme à grande échelle est la base de la
production de biens communs. C’est une nécessité d’autant plus forte lorsque cela concerne les
ressources limitées. Selon la théorie des communs de Garrett Hardin (1968) : s’il y a compétition, il
y a surexploitation puis disparition de ces ressources. Les communs doivent être gérés par la
cohésion sociale et la recherche d’accords et non par l’accaparement des uns au détriment des
autres
54

PARTIE 3 - Evaluer l’utilité sociale d’une structure
Comme nous l’avons vu précédemment, l’évaluation de l’utilité sociale de Baraka a l’avantage de
mettre en valeur sa production de biens et services non marchands (« fabrique de biens communs »).
Ma mission n’ayant pu arriver à son terme à cause du sinistre, l’objectif de cette partie est de
capitaliser sur le travail préparatoire que j’ai pu effectuer au cours de mon stage. La présentation et
l’analyse des informations récoltées au travers des entretiens et de mes observations pratiques
pourront servir de base de travail pour une évaluation à venir. Elles pourront aussi être un terreau pour
définir précisément et développer la finalité, ou, dans le lexique de la coopérative, déterminer « les
biens communs » à produire. Enfin, en vue de montrer la complexité de l’évaluation d’une utilité
sociale, nous nous intéresserons plus particulièrement aux travaux relatifs aux chantiers participatifs.
Mais dans un premier temps, afin de cerner les enjeux de cette démarche, nous aborderons
l’évaluation dans son cadre général, les incidences qui en découlent et les méthodes actuelles
pratiquées.
1. Evaluer son utilité sociale
L’économie sociale et solidaire est aujourd’hui évaluée à l’aune de ses capacités et de ses
contributions économiques : nombre d’établissements, nombre d’emplois, « plus-value » économique
ou rapport coût-résultat… Cela lui a permis de sortir de l’ombre et a contribué à la reconnaissance de
son existence comme « secteur » ou tout du moins, comme partie non négligeable de l’économie 86 .
Mais ces approches traditionnelles d’évaluation excluent souvent les contributions autres
qu’économiques. Pour le dire autrement, il est demandé à l’économie sociale et solidaire d’être
évaluée selon les grilles de l’économique, alors même qu’elle vise à produire « autre chose », et que
sa plus-value de type sociale, sociétale est peu visible.
Evaluer l’utilité sociale engage à repenser l’ensemble de la démarche et particulièrement à redéfinir les
conventions socio-politiques 87 sur lesquelles reposent les représentations collectives de cette plus
value. Définir ce qu’on évalue et comment on l’évalue vient à décider de ce qui compte et ce qui ne
compte pas, c’est en quelque sorte émettre un jugement et décider de ce qui est richesse et de ce qui
ne l’est pas. Il faut donc remettre au cœur de la démarche d’évaluation son fondement politique 88 .
L’évaluation pose deux défis. Le premier est de définir ce qu’on évalue. Or, nous l’avons vu
précédemment, l’utilité sociale reste une notion floue. Il faut tenir compte de ses particularités :
- elle n’est pas standardisable et est singulière à chaque organisation ;
- elle est multidimensionnelle (Cf. Les cinq dimensions selon Gadrey en partie 2) ;
- elle s’inscrit à la fois dans les résultats et dans les processus et les moyens mis en œuvre
pour atteindre les objectifs.
86 L’ESS représente 14% des emplois du secteur privé en France. Source Atlas commenté de l'économie sociale et solidaire,
sous la direction de François Rousseau, Juris associations, 2012
Dalloz
87 On entendra par convention socio-politique une croyance partagée par les acteurs concernés.
88 BOUCHARD Marie J., Op. Cit.
55

Le deuxième défi est de construire les indicateurs qui permettront son évaluation. Les critères
traduisent les valeurs auxquelles on se réfère et les indicateurs en sont les instruments de mesure. La
quête d’indicateurs n’est pas une fin en soi, et nos entretiens semi-directifs montrent une certaine
défiance de certains acteurs à l’égard de la quantification de cette plus value sociale et
environnementale du projet de Baraka. Dans le même temps, rendre compte sur l’activité, en
particulier auprès des organismes qui en ont assuré une partie du financement n’apparaît pas comme
une activité totalement futile.
L’élaboration des indicateurs est néanmoins une tâche complexe et délicate car, à chaque étape, des
choix sont à opérer : comment mesurer le lien social créé ? Par le nombre de relations? Par le temps
consacré qui y est consacré ? Par la récurrence et la pérennité de la relation dans le temps ? ou peut-
être par les trois ?
De la même manière qu’il n’y a pas de définition universelle de l’utilité sociale, les indicateurs proposés
peuvent présenter une certaine pertinence pour la structure en particulier, mais peuvent ne pas être
partagés par d’autres organisations. Une partie de leur légitimité peut être gagnée par le recours à une
méthodologie reconnue par les parties concernées, voire par la participation de ces parties prenantes.
Idéalement, la construction doit être collective et intégrer toutes les parties prenantes. C’est par la
confrontation d’intérêts divergents que l’évaluation assurera sa crédibilité.
Dans ces conditions, l’évaluation peut accéder au rang d’outil de démocratisation de l’économie et
apparaître comme un moment fort de la gouvernance 89 . Par cette interaction, l’évaluation intègre le
processus de production d’utilité sociale dans sa dimension politique 90 et devient elle-même émettrice
de plus-value sociale.
Avant de commencer une évaluation, il faut tenir compte de deux éléments qui vont influencer la
démarche :
- le commanditaire de l’évaluation : la démarche ne sera pas la même si elle vient des
partenaires (souvent financiers) ou de l’interne. Dans le premier cas, l’objectif sera
généralement de justifier l’impact de l’utilisation des fonds. Dans le deuxième, la structure
cherchera à connaître l’impact de ses actions et à repérer les bonnes pratiques dans une
démarche de progrès ;
- la période où elle est réalisée : si la structure est à un moment stratégique de son histoire
ou lorsque le contexte évolue (changements de financeurs, de besoins … ), on s’orientera
sur une évaluation ex-ante à vocation exploratoire. Dans ce cas, l’évaluation aidera au
choix d’objectifs et pour la planification des activités. Si la démarche intervient en cours de
projet ou à sa réalisation, l’objectif sera d’en mesurer ses impacts. C’est une évaluation ex-
post.
Il est déterminant de bien définir en amont de l’évaluation les usages qu’il en sera fait car selon le
contexte, les destinataires ou l’emploi, une même donnée pourra être interprétée différemment.
89 Ibid
90 Dimension politique dans le sens de l’Avise : l’innovation, la fonction d’aiguillon, le renforcement de l’esprit critique, la
promotion des valeurs d’intérêt général
56

1.1. Les avantages de la démarche d’évaluation
La démarche d’évaluation réinterroge le projet, ses finalités et ses valeurs.
En interne, elle permet de réaffirmer le projet de la structure et de participer à la cohésion interne.
C’est aussi un gain de connaissances qui offre l’opportunité d’améliorer ses activités et ses
pratiques. L’évaluation devient un outil de régulation interne.
En externe, elle permet une meilleure visibilité des spécificités de la structure et est un outil de
communication. En intégrant les partenaires dans la démarche, c’est aussi une occasion de faire
évoluer les relations que la structure entretient avec eux. Une co-construction faite en amont d’un
projet permettrait de faire évoluer une relation tutélaire entre un financeur et une organisation en
une relation partenariale.
1.2. Les inconvénients et risques de la démarche d’évaluation
Tout d’abord l’ampleur du travail supposé exige une importante mise à disposition de temps et de
moyens au sein de la structure. La durée du processus d’évaluation peut prendre de six à douze
mois et nécessite de nombreuses réunions et récoltes d’informations. Pour un bon déroulement, il
faut nommer un coordinateur. Cet ensemble de conditions représente un coût pour la structure.
Deuxième élément, pour aboutir, elle doit être portée par les responsables politiques de
l’organisation et requiert une motivation et la mobilisation des ressources en interne comme en
externe importante. Mal expliquée, elle peut être perçue comme un moyen de contrôle au sens
répressif du terme et non comme une démarche de progrès.
En troisième lieu, les risques de l’évaluation viennent de la tâche délicate de construction des
critères et indicateurs qui valoriseront les différentes dimensions de l’utilité sociale. Le processus
de récolte des données peut devenir trop lourd. La tendance pourrait être de parcelliser les
activités et de ne pas réussir à mettre en valeur les interactions qu’elles ont entre elles. Mais les
risques concernent aussi la possible instrumentalisation des résultats, par l’une ou l’autre des
parties prenantes : savoir raison garder au-delà de cet exercice apparaît important.
Enfin, face à la « quantophrénie » actuelle (c'est-à-dire à l’excès de quantification), il peut y avoir
un effet pervers de sclérose des comportements et de l’action où l’indicateur deviendrait un objectif
en soi et non plus un outil.
57

1.3. Les méthodes d’évaluation
De nombreuses méthodes d’évaluation sont proposées tant par des organismes privés (Avise,
ESSEC …) que par des organismes publics (Société Française d’évaluation, Association des
Régions de France …) et parfois par une co-production entre ces organismes.
Ces différentes méthodes se rejoignent dans l’importance portée à l’implication des parties
prenantes dans la démarche ainsi que sur les différentes étapes à suivre dans la construction de la
démarche : définir de l’utilité sociale de la structure et de ses dimensions ; définir les critères de
chaque dimension ; construire les indicateurs quantitatifs et les indices qualitatifs qui permettront
leur mesure ; récolter les données.
Les divergences vont essentiellement porter sur les méthodes de mesure et l’étendue du champ
d’évaluation. Par exemple, pour cette dernière, les organismes publics vont avoir tendance à
inclure dans l’évaluation la performance des actions et la notion de coûts investis dans la
structure 91 . Or l’utilité sociale peut aussi être considérée par certains acteurs comme hors du
champ économique, sans qu’il puisse en être rendu compte par le biais de valeurs économiques.
Concernant les méthodes de mesures et plus spécifiquement les indicateurs, les divergences
viennent de la manière de les construire (quantitatif versus qualitatif) et de les agréger pour n’en
faire qu’un indicateur global permettant une lecture et une comparaison plus aisée. A titre
d’exemple, le SROI (Retour Social sur Investissement) 92 propose une monétarisation des
indicateurs calibrés pour les systèmes comptables et financiers. Tel un compte d’exploitation
intégrant charges et produits pour en calculer le profit ou la perte de l’activité, il s’agit de donner
une valeur monétaire aux « productions sociales » de la structure pour la comparer aux coûts et
calculer la valeur dégagée. Cela a l’avantage d’encourager les politiques publiques à investir sur
des actions à long terme au vu des « recettes » sociales qu’elles pourront dégager. A contrario,
cela concentre l’analyse sur le résultat chiffré obtenu ou à obtenir plutôt que sur les processus et
les actions à mener pour améliorer ou développer la structure. En outre, les méthodes SROI
reposent sur des conventions et des arbitrages qui sont discutables.
91 Guide d’évaluation de l’utilité sociale de la médiation sociale qui prend en compte les heures consacrées à la médiation et
évalue le coût d’un service de médiation.
92 Méthode britannique relayée en France par l’ESSEC
58

2. L’évaluation de l’utilité sociale de Baraka
2.1. La méthodologie de l’évaluation de l’utilité sociale de Baraka
Dans un objectif de capitalisation, je m’attache à présenter, dans cette partie, la démarche d’auto-
évaluation telle que je l’avais prévue. En effet, l’incendie ayant eu lieu à peine un mois après le
début de mon stage, je n’ai pu mener à terme l’évaluation.
N’ayant que six mois pour cette mission, ma priorité fut de planifier les différentes étapes. J’ai
structuré mon travail autour de deux phases :
- une première phase exploratoire de 3 mois qui avait pour objectif l’appropriation du projet.
Y étaient intégrés une immersion opérationnelle, les entretiens semi-directifs 93 , une
enquête quantitative et une documentation sur les évaluations menées dans d’autres
structures ;
- Une deuxième phase de construction de 3 mois où, avec la constitution d’une commission,
l’objectif aurait été l’établissement d’un référentiel et d’indicateurs ainsi qu’un début de
prospection des données.
2.1.1. La phase exploratoire
Les entretiens semi-directifs s’adressaient dans un 1 er temps aux sociétaires. Sur la base de
huit questions 94 , mon objectif était de :
- cerner les valeurs de Baraka les plus importantes pour les sociétaires grâce aux
questions sur leur histoire avec la coopérative et leur manière de la présenter ;
- appréhender leur approche de la notion de l’utilité sociale et d’éventuels indicateurs.
La deuxième série d’entretiens semi-directifs autour des mêmes thèmes 95 devait concerner les
parties prenantes. Je désigne par ce terme l’ensemble des partenaires externes à la
coopérative qui ont contribué à la réalisation du projet. Je les ai regroupés en cinq catégories :
- les salariés non sociétaires ;
- les usagers non sociétaires : les voisins, les clients, les bénéficiaires de la « fabrique
de biens communs » ;
- les prestataires intervenus lors de la construction et de l’exploitation ;
- les collectivités territoriales : Mairie de Roubaix, Conseil Régional et LMCU ;
- Les financeurs : fondations et banques.
L’enquête quantitative fut administrée auprès des stagiaires des chantiers participatifs. Elle
avait deux objectifs. Le 1er, officiel, était d’évaluer l’impact des chantiers. Le 2 ème , en filigrane,
était d’obtenir une appréciation des usagers sur une action de la coopérative et de nourrir les
travaux préparatoires à l’évaluation de l’utilité sociale. Nous verrons les détails et les résultats
de cette enquête en dernière partie.
93 Technique qui permet de centrer les discours des interrogés autour de thèmes prédéfinis dans une grille. Les résultats
obtenus permettent une analyse à la fois quantitative et qualitative des réponses.
94 Annexe 2 – Grille d’entretiens semi-directifs sociétaires
95 Annexe 3 – Grille d’entretiens semi-directifs parties prenantes
59

2.1.2. La phase de construction de l’évaluation
Plusieurs étapes étaient prévues initialement dans la construction de l’évaluation :
- Une réunion avec les sociétaires de présentation des résultats de la phase
exploratoire : synthèse des entretiens semi-directif, résultats de l’enquête quantitative,
prémices d’une définition de l’utilité sociale de Baraka et pistes d’indicateurs
d’évaluation ;
- La création d’une commission d’évaluation de l’utilité sociale comprenant les
sociétaires volontaires et les parties prenantes ;
- Une session de travail avec la commission pour définir l’utilité sociale de Baraka ;
- Une session de travail pour définir les critères et les indicateurs d’évaluation tout en
précisant les conventions mises en place et leurs limites ;
- Une 1 ère récolte de données pour tester la qualité des indicateurs retenus.
2.1.3. Eléments de réflexivité sur la démarche
Du fait du sinistre, je n’ai réalisé que les entretiens semi-directifs et l’enquête quantitative.
Mener les entretiens a été un travail passionnant. Ce fut une très bonne entré en matière.
L’outil m’a permis de découvrir l’organisation dans son ensemble et les enjeux qu’elle porte. La
richesse des informations récoltées offre une bonne base de travail pour alimenter une future
réflexion sur l’utilité sociale de Baraka. La mobilisation des méthodes des sciences sociales
(entretiens semi-directifs) permet de croiser les points de vue, permet aussi de laisser le
langage de chacun s’exprimer. Indirectement, cela enrichit la confrontation des points de vue,
et donne de l’épaisseur à l’observation.
L’enquête quantitative a été très utile pour la capitalisation des perceptions des stagiaires.
Malgré les 10 mois écoulés entre les chantiers et la période d’administration du questionnaire,
88% 96 ont répondu et les souvenirs de l’expérience vécue étaient encore très présents.
Avec du recul, je n’aurais pu tenir les délais prévus. Je n’avais pas suffisamment pris en
compte deux éléments du contexte dans lequel la démarche a été lancée. D’une part, les
sociétaires n’étaient pas vraiment demandeurs même si certains financeurs auraient pu l’être
par la suite, ce fut une opportunité plutôt provoquée par l’Université. Il n’y avait pas de volonté
politique affichée de mener une évaluation. Cela m’aurait demandé un fort investissement de
mobilisation des équipes. D’autre part, la période à laquelle j’ai démarré ma mission apportait
une complexité supplémentaire mais qui aurait rendu le débat d’autant plus intéressant.
Baraka était à une étape charnière entre l’aboutissement de la construction du bâtiment et le
96 Enquête quantitative sur les chantiers participatifs réalisée par nos soins en juillet 2012
60

lancement de l’activité. Il aurait fallu intégrer 97 un travail préalable pour définir les objectifs de
l’évaluation : qu’évalue-t-on ? Pour qui et pourquoi l’évalue-t-on ?
Plusieurs types d’évaluation se présentaient :
- Une évaluation à vocation de communication externe : évaluer ce qui a été réalisé en
vue de communiquer auprès des partenaires actuels et futurs, des usagers, des
bénéficiaires … Cela aurait participé à la consolidation du projet ;
- une évaluation à vocation de cohésion interne: définir l’utilité sociale qui sera produite
grâce à l’exploitation du bâtiment et préparer les indicateurs qui permettront de
l’évaluer au fil du temps. Cela aurait servi de base de travail au lancement de la
« fabrique de biens communs ».
2.2. Travaux préparatoires : les entretiens semi-directifs
2.2.1. Le processus
Les neuf entretiens auprès des sociétaires ont été réalisés sur le mois de mars 2012. Chaque
catégorie de sociétaires de la SCIC était représentée :
- Un représentant de « l’Univers », membre fondateur personne morale ;
- un salarié sociétaire ;
- deux sociétaires fondateurs ;
- quatre sociétaires de la catégorie « fournisseurs et financeurs solidaires » ;
- un usager.
Les sociétaires ont bien accueilli la démarche et ils y ont consacré du temps généreusement.
Les entretiens ont été réalisés en face à face et ont duré entre une et deux heures.
4 entretiens semi-directifs ont été menés auprès des parties prenantes au cours de l’été 2012.
Ils ont été réalisés par téléphone et n’ont duré que 20 à 30 minutes. Ont été interrogés :
- un élu de la municipalité de Roubaix ;
- un chargé de mission d’une collectivité territoriale spécialisé dans les affaires de
l’ESS ;
- un chef d’entreprise ayant participé à la construction du bâtiment mais n’appartenant
pas au monde de l’économie sociale et solidaire ;
- un salarié non sociétaire.
La méthode d’analyse des entretiens est une analyse à contenu thématique. L’objectif est
d’examiner l’ensemble des données pour en dégager les convergences, les divergences et de
97 Etape qui n’était pas prévue sur le planning initial.
61

«mettre en évidence les représentations sociales ou les jugements des locuteurs à partir d’un
examen de certains éléments constitutifs du discours » 98 .
2.2.2. Les limites de la technique d’entretiens semi-directifs
La démarche présente de vraies limites en terme d’exigence scientifique. La première raison
est un manque de rigueur personnelle. Cela s’est traduit par une irrégularité dans la
formulation de certaines questions, voire des omissions notamment sur la question « En quoi
Baraka a-t-elle une utilité sociale et une contribution environnementale ? ».
En deuxième lieu, les énoncés des questions contenaient un vocabulaire pour des personnes
initiées à la notion d’évaluation et d’utilité sociale. Cela a mis en difficulté quelques uns des
interrogés. Une formulation plus accessible aurait permis des réponses plus nourries en
particulier sur les indicateurs et les contributions sociales et environnementales de Baraka. Par
exemple, la question « En quoi Baraka a-t-elle une utilité sociale et une contribution
environnementale ? » aurait pu être « Qu’a produit la fabrique de biens communs jusqu’à
présent ? ».
La démarche a été beaucoup plus succincte auprès des parties prenantes et a fait preuve de
plus de fiabilité avec un meilleur respect des questions et de la structure de l’entretien.
L’ensemble des entretiens des sociétaires ont été administrés en vis à vis et entièrement
retranscrits. Les entretiens des parties prenantes ont été effectués par téléphone et n’ont donc
pu être enregistrés. Ils sont donc limités à ma prise de notes.
Il s’agit, ici, d’en présenter une synthèse et de la mettre en perspective de la question de
l’évaluation de l’utilité sociale. Cette synthèse passe par le tamis de l’examinateur, en d’autres
termes, est soumise à mon interprétation.
2.2.3. Synthèse et analyse transversale des entretiens semi-directifs
La lecture et l’analyse transversale des entretiens semi-directifs permettent de mettre en avant
la finalité de Baraka et les 4 dimensions qui prévalent dans le projet. C’est aussi l’occasion de
tester l’appropriation de la notion d’utilité sociale par les sociétaires et les parties prenantes.
2.2.3.1. Une finalité commune
Les champs d’intervention de la coopérative étant nombreux, c’est par l’agrégation de
l’ensemble des propos des sociétaires que l’on obtient un schéma global, les grandes
98 QUIVY Raymond, VAN CAMPENHOUDT Luc, Manuel de recherche en sciences sociales, Dunod, 2006
62

lignes de ce qu’est et de ce que sera Baraka. A partir des éléments clés énoncés par
chaque interrogé sur les différents thèmes 99 , il apparaît :
- une finalité commune : faire de Baraka un lieu de foisonnement, d’échanges,
d’échanges de savoirs, un lieu d’activités non marchandes, faire de Baraka un
terreau d’initiatives ;
- quatre dimensions où la coopérative se réalisera : l’environnement, le vivre-
ensemble, la relation au territoire et l’économique.
T 1 - Les 4 dimensions de la coopérative Baraka
Dimensions Ce qu’est Baraka Ce que sera Baraka
L’environnement
Le vivre-ensemble
L’ancrage territorial
L’économique
- un bâtiment écolo
- une restauration « bio » et
locale
- un groupement de sociétaires
- les chantiers participatifs
- les soirées A voix haute à la
maison
- un état d’esprit où le collectif
prime sur l’intérêt individuel
- le renouveau d’une dent
creuse, d’un délaissé urbain,
d’un espace public en jachère
- des créations d’emplois
- l’emploi de personnes issues
d’un parcours d’insertion à
« l’Univers »
- des jardins, des ruches
- des ateliers d’initiation à
l’agriculture urbaine
- mieux manger dans un lieu sain
et atypique
- un lieu de foisonnement, de
rencontres, de partage, de
convivialité, de liberté
- un lieu pour faire du lien social
- un lieu de diversité sociale, la
mixité
- un lieu de débats
- tout le monde peut participer,
appartient à tout le monde
- un terreau d’initiatives
- le lien avec le quartier
- un lieu accessible à tous
- une réussite dans un quartier
difficile
- des emplois pérennes et de
qualité
- une activité économique qui est
le prétexte à créer autre chose
De ces quatre dimensions, trois représentent les grands champs d’actions de l’activité non
marchande, la « fabrique de biens communs ».
Il est intéressant d’observer comment les parties prenantes perçoivent la finalité et les
dimensions de Baraka. A partir des éléments récoltés lors des entretiens 100 , il apparaît
nettement la prise en compte des dimensions, économique, environnementale et territoriale de
la coopérative. Ils ont une certaine facilité à donner des exemples concrets de production
d’utilité sociale dans ces dimensions. A contrario, l’exercice est plus difficile pour la dimension
« vivre-ensemble ». La finalité de faire de Baraka un terreau d’initiatives, un lieu de vie 101 est
une évidence pour chacun mais la difficulté est dans la capacité à illustrer la réalisation de ce
vivre-ensemble. Cela peut s’expliquer par la subjectivité de cette dimension difficilement
99 Annexe 4 – Synthèse des entretiens semi-directifs des sociétaires
100 Annexe 5 – Synthèse des entretiens semi-directifs des parties prenantes
101 Ce constat reste à modérer car seules 4 partenaires ont été interrogés.
63

matérialisable et par le fonctionnement de la coopérative qui construit sa « fabrique de biens
communs » au fil de l’eau, selon les rencontres et les opportunités qui se présentent..
A des fins de cohérence du projet avec son territoire, ses usagers et ses partenaires, il sera
nécessaire d’approfondir la question. Ce pourrait être dans un premier temps, lors de
prochaines rencontres entre les sociétaires et les partenaires d’en comprendre les raisons :
est-ce par désintérêt ou par méconnaissance ? Ou est-ce simplement parce qu’ils ne se
sentent pas concernés par ce vivre-ensemble ? Et dans un deuxième temps, de valider et
construire cette dimension avec les bénéficiaires.
2.2.3.2. L’utilité sociale, une notion méconnue
Que ce soit pour les sociétaires ou pour les partenaires, aborder la notion d’utilité sociale
rompt la fluidité de l’échange et le flux généreux d’informations obtenu sur les thèmes
précédents. Pour 4 d’entre eux, cette notion est inconnue. 4 interrogés considèrent que
dès qu’il y a activité économique et humaine, il y a utilité sociale : « Quand on crée de
l’activité, on crée de l’utilité sociale. Quand on crée de la relation, on crée de l’utilité
sociale » (ESD 8) 102 .
« Un resto, par essence, ça répond à une utilité sociale qui est celle de manger, de se
retrouver autour d’une table et de se rencontrer » ESD 6.
Pris à la lettre, cette traduction du terme est juste. Une activité est utile à la société par les
emplois qu’elle crée ou par les liens sociaux développés. Cette confusion montre combien
la notion d’utilité sociale telle qu’elle est abordée par l’économie sociale et solidaire et par
les pouvoirs publics est une convention socio-politique récente et méconnue du « grand
public ». La définition proposée par J. Gadrey est un pré-requis indispensable avant tout
débat sur la définition de l’utilité sociale de Baraka.
Définition de l’utilité sociale selon Jean Gadrey 103 :
Est d’utilité sociale l’activité d’une organisation de l’économie sociale et solidaire qui a pour
résultat constatable et, en général, pour objectif explicite, au-delà d’autres objectifs
éventuels de production de biens et de services destinés à des usagers individuels, de
contribuer :
- à la réduction des inégalités économiques et sociales, y compris par l’affirmation de
nouveaux droits ;
- à la solidarité (nationale, internationale, ou locale : le lien social de proximité) et à la
sociabilité ;
- à l’amélioration des conditions collectives du développement humain durable, dont font
partie l’éducation, la santé, la culture, l’environnement, et la démocratie.
102 Pour raison d’anonymat, nous signalerons les paroles des interrogés selon le numéro de leur entretien. ESD 1 à 9 pour les
sociétaires, et ESD 10 à 13 pour les parties prenantes.
103 Op. cit.
64

Ce pré-requis suppose l’adhésion au principe de différenciation entre les structures de
l’ESS et celles du secteur privé. Or il n’est pas accepté par tous les sociétaires : « dire on
est dans l’ESS, on se ghettoïse par rapport à quelque chose » (ESD 8).
Les autres ne la définissent pas pour autant mais reconnaissent son existence soit comme
une transcription de l’intérêt général soit en considérant simplement que c’est « la raison
d’existence » (ESD 3) de Baraka. Seul, un des partenaires s’accorde à donner deux
conditions pour qu’il y ait utilité sociale : « la contingence à un territoire et l’attention portée
aux publics en difficulté » (ESD 13). On retrouve dans cette dernière remarque l’approche
que portent les pouvoirs publics sur l’utilité sociale par une restriction des publics
bénéficiaires à une population défavorisée.
Dans la coopérative, le concept de « biens communs » circule plus que celui d’utilité
sociale, comme si, dans Baraka, il est plus important de faire ensemble que de « prouver »
son utilité, fut-elle sociale, ou environnementale. On retrouve là des réflexions menées par
Alain Caillé dans son mouvement MAUSS (mouvement anti-utilitariste en sciences
sociales).
2.2.3.3. Les indicateurs : quelques pistes
Deux interrogés (un partenaire et un sociétaire) sont réticents à la question des
indicateurs : il est nécessaire de « sortir des logiques d’indicateurs qui empêchent de
réfléchir » (ESD 2). Ils sont partisans d’indices qualitatifs pour « écrire les choses dans
leur complexité » (ESD 2).
De la même manière que la dimension la plus détaillée est celle du vivre-ensemble, c’est
dans celle-ci qu’il y a eu le plus de propositions d’indicateurs.
La dimension environnementale prend, dans la définition de Baraka 104 , une place
importante du fait de l’édification d’un bâtiment qui a demandé des investissements
financiers et temporel considérables. Les ambitions portées par la construction sont
nombreuses : stockage carbone, économie d’énergie, biodiversité, qualité de l’air, origine
locale des matériaux … Or, les indicateurs concernant l’évaluation de la dimension
environnementale n’ont été proposés que par 2 des 13 interrogés.
104 Les termes « bâtiment écolo » a été cité par 9 des 13 interrogés.
65

T 2 - Exemples d'indicateurs d'évaluation de l'utilité sociale de Baraka
Dimensions Critères Indicateurs quantitatifs Indices qualitatifs
L’environnement
Le vivre-ensemble
L’ancrage territorial
L’économique
- les coûts
environnementaux
évités
- la sensibilisation à
la protection de
l’environnement
- l’économie d’énergie réalisée
- la distance moyenne
d’origine des achats
- le taux d’ingrédients issus de
l’agriculture biologique
- le foisonnement - la fréquentation par activité
non marchande
- la fidélité des usagers :
moyenne de passages par
usager sur une durée
- vivacité du
sociétariat
- le faire-ensemble,
le collectif
déterminée
- taux de présence aux
réunions et AG
- taux de pouvoirs attribués
- le nombre de sociétaires
composant le noyau dur
- nombre de personnes
participant aux réunions sur
les biens communs
- le taux de transformation des
idées en actions
- le taux d’exemplarité =
nombre d’initiatives / nombre
de participants
- taux de roubaisiens parmi les
usagers
- L’emploi - nombre d’emplois créés
- nombre d’embauche de
personnes issues de parcours
d’insertion
- turn over ou pérennité des
salariés sur leur poste
- contreparties retirées des
clients : sensibilité à
l’écologie, à manger sain …
- la capacité à débattre et à
reconnaître les divergences
- la qualité des débats
- écrire l’histoire des
chantiers participatifs,
raconter les échanges que
cela a occasionnés
- paroles d’usagers :
l’appréciation d’avoir un
bâtiment tel que Baraka
dans leur quartier
- indice de bien-être des
salariés
66

Conclusion de ce travail exploratoire
La synthèse des entretiens semi-directifs de cette phase exploratoire a servi de terreau lors de
la réunion de lancement de la « fabrique de biens communs ». Telle une régulation interne,
elle a servi d’axe pour garantir la cohérence du projet à un moment charnière où les
sociétaires devaient définir les actions et moyens à mettre en place pour réaliser l’objet de la
coopérative.
Deux éléments ont été mis en valeur au travers de ces entretiens : l’importance du débat pour
définir l’utilité sociale de Baraka et la question des indicateurs d’évaluation.
Concernant la définition de l’utilité sociale, il s’agira dans un 1 er temps de confronter les
notions d’utilité sociale et de biens communs pour valider ou non si, pour les sociétaires, cela a
la même signification et couvre les mêmes dimensions et critères. Dans un 2 ème temps, il
faudra réfléchir à la manière d’intégrer les usagers et les habitants du quartier (que la
coopérative envisage comme futurs usagers) dans la démarche d’évaluation. L’enjeu est de
confronter ce que les sociétaires souhaitent et pensent produire comme biens communs à ce
que veulent et ce que perçoivent les bénéficiaires. Comme le souligne un sociétaire, il ne faut
pas « penser le bonheur à la place des gens » (ESD 2). Cependant, cette bonne intention
d’impliquer les bénéficiaires n’est pas simple. Il faut prendre en compte la difficulté pour des
personnes exclues de la société, du monde du travail, pour des personnes âgées, pour des
enfants … de participer à des réunions publiques, prendre la parole en public 105 . Il est
conseillé d’aller au devant de ces populations, sur leurs lieux d’activités. Enfin, la
méconnaissance de certains termes et de certaines notions implique de réfléchir à une
méthode pour assurer la compréhension et la participation de tous.
Comme l’ont soulevée deux des interrogés, la question des indicateurs d’évaluation porte en
1 er lieu sur l’arbitrage entre indicateurs quantitatifs et indices qualitatifs. L’a priori courant est
de croire qu’un indicateur quantitatif sera la meilleure « preuve » dans une évaluation car un
chiffre serait objectif et indiscutable. Or, il faut prendre en compte trois éléments :
- tout chiffre est discutable car il dépend d’un référentiel et de conventions socio-
politiques qui sont des zones de débats. Exemple : le nombre de chômeurs dépend
de la définition de « chômeur ». Malgré la norme du Bureau International du Travail
universalisant cette notion 106 , les écarts de calcul sont nombreux entre les Etats. Elle
varie selon l’interprétation qu’en a faite chaque nation. La valeur d’objectivité reste
toute relative ;
- il n’est pas garanti qu’un chiffre soit plus convaincant que des témoignages ou
descriptions d’actions. Est-ce le nombre de participants à une manifestation qui
prime ou les échanges dont chacun se sera enrichi?
105 CAILLE Alain, Op. Cit.
106 Selon le BIT, un chômeur est une personne sans emploi, disponible pour travailler et recherchant activement un emploi.
67

- Compter certaines choses, c’est prendre le risque de les appauvrir. Il y a d’une part
le risque de se focaliser sur la recherche d’indicateurs quantitatifs et d’orienter
l’action, les moyens pour faciliter la mesure. D’autre part, compter peut dénaturer
l’action. On peut prendre comme exemple, le temps dédié à la coopérative par les
sociétaires. L’ensemble des interrogés n’ont pas compté leurs heures : « un bien
donné n’a plus de goût, tu l’as donné, tu l’as donné … Je n’ai pas compté mes
heures » (ESD 8). La valeur qui est portée par ce « bénévolat » 107 n’est pas dans la
quantité octroyée mais dans l’acte en lui-même. Son objectif rejoint la notion de don
comme l’expression du besoin de l’individu à se relier à la société au-delà du simple
échange de biens et services. Par sa triple obligation de donner – recevoir – rendre,
le don est le ferment du lien social 108 .
107
Même s’il ne fait pas l’unanimité comme j’ai pu le constater dans les entretiens semi-directifs, nous utiliserons ce vocable
pour simplifier le texte.
108
CAILLE Alain, Don, intérêt, désintéressement. Bourdieu, Mauss, Platon et quelques autres, La Découverte, 1994
68

3. Les chantiers participatifs : essai d’évaluation des impacts
Les chantiers participatifs ayant eu lieu entre septembre et novembre 2010, il était important de
capitaliser sur cette expérience originale pour le Nord-Pas de Calais 109 . J’ai donc mené une étude
rapide et synthétique de ces chantiers malgré l’arrêt de ma mission initiale d’évaluation de l’utilité
sociale de Baraka.
Ce travail a un double objectif : agréger les retours d’expérience des différentes parties prenantes et
donner la parole aux premiers usagers de la coopérative.
Les éléments récoltés pourront servir de terreau pour développer d’autres expériences telles que celle-
ci.
3.1. La méthode mobilisée pour l’étude des chantiers participatifs
L’étude des chantiers participatifs s’est déroulée sur la période estivale, de juin à août 2012. Elle
s’est basée sur une série d’entretiens non directifs, les documents de planification de l’opération,
les bilans des organisateurs, la convention signée avec le FSE et une enquête quantitative
administrée auprès des stagiaires.
Les entretiens non directifs ont été menés auprès de personnes plus ou moins impliquées dans les
chantiers. Les profils choisis étaient très complémentaires. Cela m’a permis d’en avoir une vision
globale et de cerner leurs enjeux. Nous pouvons les classer en deux catégories :
1) Des personnes clés :
- Jérémy Gaudin, chargé de mission « Chantiers Participatifs » pour SPL qui a monté
le dossier FSE et organisé les 12 semaines de chantier ;
- Frédéric Rojas, chef de chantier indépendant qui avait la mission de formateur ;
- Michelle Fargeon, sociétaire de Baraka, animatrice des chantiers pour la
coopérative.
2) Des personnes « annexes » :
- Manon Hartmans, stagiaire « permanente » ;
- Pierre Gaudin, responsable construction de SPL (à l’époque) ;
- Valérie Devestel, chef de services SISEP 110 et Eric Gronencheld des Papillons
Blancs.
L’enquête quantitative, comme nous le verrons plus tard, a été menée dans l’intention d’évaluer
les résultats des chantiers participatifs sur les stagiaires. Elle fut aussi l’occasion d’échanger
librement avec les usagers et de récolter leur parole.
Les ambitions de cette approche mixte étaient de valoriser puis confronter les points de vue et
appréciations de chacune des parties prenantes (porteurs de projet, initiateurs, financeurs et
109 Les chantiers partagés ou d’auto-construction sont une pratique qui connaît beaucoup de succès dans l’ouest de la France. A
contrario, ce serait une des 1ères initiatives de ce genre sur la région du Nord-Pas de Calais.
http://chantiersparticipatifs.xooit.fr/index.php et http://www.botmobil.org/realisations
110 Service d’Insertion Sociale et Professionnelle des Papillons Blancs (association d’aide aux personnes handicapés)
69

surtout usagers) et de mettre en parallèle les objectifs de chaque acteur avec les résultats
constatés.
Le grand laps de temps entre les chantiers et l’étude est à la fois un frein et un atout. Un frein car
les souvenirs s’étiolent et la mémoire devient sélective, d’autant plus que la durée des stages
n’était que de 5 jours et que l’enquête a été menée 10 mois après. Mais aussi un atout car la prise
de recul en est d’autant plus forte. Nous verrons que malgré ces dix mois passés et la courte
durée des stages, l’expérience a fortement marqué les stagiaires qui en garde un souvenir vif.
3.2. Les chantiers participatifs : un processus de construction original
Les chantiers participatifs sont fondés sur le principe de l’échange : une formation qualifiante est
proposée contre une participation du stagiaire au chantier. C’est une pratique répandue dans le
domaine de la construction écologique qui a l’avantage de promouvoir les techniques d’auto-
construction.
En règle générale, les chantiers s’organisent dans le respect d’un certain nombre de valeurs :
construire tout en préservant l’environnement et la santé, faire des chantiers des lieux d’échanges,
promouvoir l’entraide et le partage de savoir 111 .
Dans l’histoire de la coopérative, l’idée d’initier des chantiers participatifs émerge dès les
premières réunions entre le gérant et l’architecte, fin 2008. Ce système de construction est en
complète cohérence avec les valeurs portées par la coopérative Baraka et le groupe Chênelet,
partenaire principal dans la conception et construction du bâtiment. Ce dernier sera
officiellement 112 porteur de l’expérience. Deux éléments le justifient :
- SPL, la filiale de Chênelet est le prestataire principal dédié à la construction bois. Il est
judicieux que le groupe prenne en charge l’organisation et la responsabilité des chantiers
participatifs pour assurer la cohérence d’ensemble de la construction ;
- la convention avec le FSE exige un co-financement. La coopérative sera le co-financeur
des chantiers.
Afin d’éviter tout conflit d’intérêt 113 , ce n’est pas SPL qui est missionnée sur la formation des
stagiaires mais un consultant externe, partenaire fidèle de la structure depuis de nombreuses
années : Frédéric Rojas. Cette organisation, grâce à la bonne connaissance des acteurs entre
eux, permet une coordination optimale entre le chantier mené par SPL et les lots réalisés par les
chantiers participatifs.
111 Charte des chantiers participatifs « Compaillons » - http://module.la-bdis.org/structure-1786.html
112 Convention FSE – Annexe 6
113 Article 8 de la convention
70

3.2.1. Le mécanisme opérationnel
Les chantiers se sont déroulés sur 12 semaines entre septembre et novembre 2010. Ils
proposaient 6 modules de formation de 4 à 5 jours (soit 30h) chacun :
1) la fabrication de mobilier et d’éléments de jardin pour la toiture-terrasse dans le
cadre d’un atelier menuiserie. Ce module s’est déroulé sur le site d’activité de
Chênelet Développement (Landrethun le Nord – Pas de Calais) ;
2) l’isolation paille du bâtiment ;
3) l’insufflation ouate de cellulose pour l’isolation du bâtiment ;
4) la pose d’enduits naturels ;
5) la pose de bardage bois non traité ;
6) l’installation et la pose de la terrasse et du mobilier de jardin.
Chaque module combinait une formation théorique, une mise en pratique, un débriefing et une
remise de diplôme. La formation se voulait complète avec une partie sur les consignes de
sécurité, d’utilisation du matériel, de fonctionnement de l’équipe et l’autre partie sur les
techniques d’éco-construction, les produits et matériaux.
Pour compléter la démarche et présenter les enjeux de l’éco-construction, il était prévu une
visite d’un des sites de Chênelet Construction à Loos en Gohelle. Mais cette initiative n’a pu se
réaliser que pour le premier groupe à cause des retards pris sur le chantier.
3.2.2. Le financement des chantiers
Organiser des chantiers participatifs représente un coût pour la structure car cela nécessite de
prévoir un encadrement spécifique, des matériaux, des outils supplémentaires et un
équipement de sécurité pour les participants. La contribution des stagiaires à la construction
ne compense qu’en partie ce surcoût. Il n’y a pas eu d’étude économique spécifique mais les
plannings en sont déjà un signe : pour chaque module, était prévu entre 2,5 à 4 fois le temps
de travail d’un professionnel.
C’est l’occasion pour la coopérative de trouver un financement spécifique. Elle va solliciter le
Fonds Social Européen (FSE) par l’intermédiaire de la mairie de Roubaix.
Le FSE est l’un des trois fonds structurels de l’Union Européenne dont la mission consiste à
réduire les écarts de développement et à renforcer la cohésion économique et sociale entre
pays et régions de l’Union européenne 114 . Il finance les projets qui oeuvrent pour l’emploi dans
des contextes soumis aux fortes mutations économiques et les projets qui ont pour objet la
lutte contre la discrimination et le développement durable.
114 http://www.fse.gouv.fr/qu-est-ce-que-le-fse/le-fse-en-quelques-mots/presentation-generale-du-fse-en/article/presentation-
generale-du-fse-en
71

L’association Chênelet Développement a construit sa demande de subvention autour de lutte
contre la discrimination en zone urbaine sensible (ZUS) 115 . L’objectif est de proposer des
stages de formation aux techniques d’éco-construction et d’auto-construction pour les
habitants de la ZUS de Roubaix.
Le budget global pour une vingtaine de modules de formation de 30h est de 85.170€. 69% de
cette somme sont dédiés à la rémunération des formateurs. Le financement se fait à hauteur
de 50% pris en charge par le FSE et 50% assumés par la coopérative.
3.2.3. Le recrutement des stagiaires
Les 21 modules réalisés ont permis de former 69 stagiaires. Chaque groupe comprenait
maximum 5 stagiaires et avait un formateur.
Le recrutement des participants a représenté un travail considérable dans le déroulement des
chantiers. Ce sont Pierre Wolf, Michelle Fargeon et Annie Leuridan, sociétaires de la
coopérative, qui ont pris en charge cette mission à titre de bénévolat. L’enjeu était d’avoir le
nombre suffisant de stagiaires en temps et en heure sur le chantier avec un dossier
administratif complet (assurance, convention tripartite stagiaire-Chênelet-FSE signée).
Or, une des conditions de la convention FSE concernait le profil des participants aux chantiers.
L’engagement était de former 40 stagiaires habitant la zone urbaine sensible (ZUS) de
Roubaix.
La principale problématique fut de prendre contact avec les habitants de la ZUS pour leur
proposer de participer aux chantiers. Les sociétaires ont sollicité la MIE (maison d’emploi du
roubaisis), les Papillons Blancs et des associations d’insertion comme l’Imm’pact. Elles ont mis
en place de nombreuses actions de communication : réunions d’information, tractage dans les
rues adjacentes au bâtiment, bouche à oreille, site internet de la coopérative et réseaux des
formations spécialisées en éco-construction. Les seules contraintes dans la sélection furent la
priorité donnée aux habitants de la ZUS et une condition physique minimale pour pouvoir
travailler sur un chantier.
Les partenariats avec les acteurs ont porté leurs fruits pour la plupart d’entre eux. L’école de la
2 ème chance avait inscrit 10 jeunes mais seulement 2 d’entre eux ont participé à un module
dans son intégralité. 3 s’étaient désistés suite à une embauche dans une entreprise, les autres
pour des raisons inconnues.
Les animateurs de la MIE ont été très investis dans le recrutement mais ont connu aussi des
désistements : 3 des 7 inscrits ont participé au stage.
115 selon les mesures 3 et sous mesure 2 du programme Compétitivité régionale et emploi du FSE pour la période 2007-2013.
72

L’Imm’pact quant à elle a donné l’opportunité à 3 des personnes qu’elle accompagne de suivre
la formation proposée sur les chantiers.
Enfin, en ce qui concerne les Papillons Blancs, 4 déficients mentaux ont pu participer aux
chantiers par leur intermédiaire. Du fait de la particularité de leur public, il est intéressant de
s’étendre un peu plus sur cette démarche singulière. C’est une sociétaire de Baraka, mère
d’une enfant handicapée, qui a eu l’idée de solliciter les Papillons Blancs. Et réciproquement,
c’est parce qu’il y avait les chantiers participatifs que cette même personne est devenue
sociétaire.
Ouvrir les stages à leurs usagers fut immédiatement très bien accueilli par les responsables
des ateliers d’insertion du Sisep. Cela concordait avec leur volonté de faire travailler le plus
possible les handicapés dans un cadre de droit commun afin de « les confronter à une autre
réalité » 116 . La structure les accompagne essentiellement sur le savoir-être (ponctualité,
concentration, précision, respect des consignes …) que sur un savoir-faire en particulier. Elle
développe une certaine polyvalence en les missionnant sur l’ensemble de leurs secteurs
d’activité : espaces verts, peinture, et entretien. Le recrutement pour les chantiers participatifs
s’est fait sur la base du volontariat après une réunion de présentation. Cinq jeunes handicapés
suivront 1 ou 2 modules sur les chantiers de Baraka.
Grâce à cette diversité de contacts, les chantiers ont bénéficié à une population très mixte :
roubaisiens ou non, déficients mentaux, sociétaires et/ou salariés de la coopérative, étudiants,
chômeurs, salariés ou entrepreneurs, sans formation, ingénieur ou architecte, français,
étrangers ou immigrés, jeunes, seniors, femmes et hommes 117 .
Figure 5 - Répartition des stagiaires par sexe et par âge
N = 69 - Bilan des chantiers participatifs - Février 2012
116 Valérie Devestel, chef de service Sisep – juillet 2012
117 Les critères de minorités et migrants sont renseignés sur déclaration des stagiaires.
73

Figure 6 - Répartition des stagiaires par critère d’exclusion et situation d’emploi
N=69 - Bilan des chantiers participatifs - Février 2012
Sur les 104 inscrits, 72 ont confirmé leur inscription, 4 ont arrêté au cours de la 1 ère journée et
3 se sont désistés.
3.3. Les objectifs et enjeux des chantiers participatifs
Cette opération a nécessité un engagement soutenu des organisateurs et la mise en place de
moyens importants. Elle n’a pas facilité la tâche de la coopérative et du groupe Chênelet : il aurait
été plus simple et plus rapide de réaliser la construction de manière traditionnelle par des
professionnels. Devant ce choix particulier fait par les sociétaires de Baraka et accepté par les
dirigeants de Chênelet, il est intéressant d’étudier quels objectifs étaient poursuivis à travers ces
chantiers pour chaque acteur.
3.3.1. Les objectifs selon la convention FSE
Les chantiers participatifs s’inscrivent dans le cadre du programme opérationnel
« Compétitivité régionale et emploi » de la Politique Cohésion économique et sociale de
l’Europe. Ce programme se décline en 4 mesures, toutes en faveur de l’emploi.
La convention entre Chênelet Développement et le FSE vise la sous-mesure 2 « Agir en
faveur des habitants des zones urbaines sensibles » dans le cadre de la lutte contre les
discriminations (mesure 3 de l’axe 3 du programme). Cette mesure fait suite au constat des
chances d’accès à l’emploi significativement plus faibles pour les populations migrantes et les
jeunes issus de parents immigrés et ce, quel que soit le niveau de qualification 118 . Dans ce
118 Programme opérationnel national du Fonds Social Européen « Compétitivité régionale et emploi », période 2007-2013.
74

cadre, le FSE co-finance toute action de formation et de professionnalisation ou facilitant la
création d’emplois d’utilité sociale et collective dans ces quartiers en difficulté.
Les destinataires de cette mesure sont prioritairement les demandeurs d’emploi, les jeunes et
notamment ceux issus de parents d’immigrés ainsi que les bénéficiaires des minima sociaux.
D’autre part, dans une volonté de lutte contre les discriminations, «aucun pré-requis technique
ou physique (en dehors de certaines incapacités physiques rédhibitoires) ne sera attendu des
participants. » 119
Le contexte et la cible des actions étant posés, les chantiers participatifs ont pour objet de :
- contribuer à la cohésion sociale du quartier par la participation des habitants. Dans la
mesure où le bâtiment portera aussi cet objectif, il y aura une continuité dans cette
action à vocation citoyenne ;
- permettre l’initiation des personnes à l’éco-construction et l’auto-construction. Dans un
contexte de « fracture écologique » où les mesures d’économie d’énergie sont
inaccessibles aux plus démunis, ces chantiers favorisent des solutions alternatives :
entraide et techniques pour la rénovation des logements individuels ;
- susciter des vocations professionnelles : les métiers du bâtiment sont peu attractifs
(éprouvants, peu rémunérateurs et mal considérés). L’éco-construction offre de
nouvelles perspectives par les matériaux sains et faciles à mettre en œuvre. Elle ouvre
à la polyvalence et à une perception plus globale du chantier ce qui redonne sens et
attrait à l’acte de construire. Par cette approche, elle peut séduire des personnes en
reconversion, sans qualification et rendre ces métiers plus accessibles aux femmes.
Au-delà des objectifs affichés dans le programme et la convention, il est intéressant d’étudier
les indicateurs demandés par la FSE pour obtenir le versement du solde de la subvention.
Deux types d’indicateurs sont à renseigner :
- les indicateurs de réalisation qui présentent le profil des participants selon les critères
de sexe, d’âge, de statut sur le marché de l’emploi, de vulnérabilité (minorités,
migrants, personnes handicapées …), de catégorie socio-professionnelle et de
bénéficiaires de minima sociaux ou de contrats aidés ;
- les indicateurs de résultat qui classent par typologie les situations des participants à
l’issue de l’opération : création d’activité, accès à un emploi (quel type d’emploi), accès
à une formation et les issues négatives (rupture ou abandon).
D’autres indicateurs de résultat sont demandés : taux de survie à 3 ans des entreprises
créées, taux de sortie durable 18 mois après l’inscription … Or dans le cas des chantiers
participatifs, l’opération étant ponctuelle et sur une durée très courte de 12 semaines, le bilan
sera envoyé bien avant les délais nécessaires pour cette quantification.
119 Dossier de demande de subvention FSE déposé par l’association Chênelet Développement
75

En résumé, les objectifs du FSE sont de deux ordres : toucher les publics en difficulté des ZUS
et les amener à une situation plus proche de l’emploi à l’issue de la formation.
3.3.2. Les enjeux et objectifs de la coopérative Baraka
Intégrer des chantiers participatifs est une belle opportunité pour remplir son objet dès la
construction du bâtiment : créer du lien social, de la convivialité, du vivre-ensemble, du travail
et de participer à la réinvention d’une façon d’habiter et de vivre la planète 120 . L’objectif
principal est de réunir sur un même chantier des publics différents et de leur permettre de
créer du lien à travers un travail commun.
Le deuxième enjeu est de s’ouvrir au quartier et à ses habitants afin d’éviter que le bâtiment ne
soit un « îlot de bobos » 121 . Même s’il y a déjà trente roubaisiens au sein de la coopérative au
moment de l’opération, il s’agit de toucher ceux en situation d’exclusion. C’est une manière de
dynamiser ce territoire défavorisé, de créer une dynamique de quartier et d’implication les
habitants dans la réalisation de ce bâtiment à vocation d’animation citoyenne. La coopérative
espère par ce biais favoriser l’appropriation du lieu par la population du quartier.
Comme objectifs secondaires, ces chantiers ont pour vocation :
- de permettre à une population modeste d’accéder aux techniques d’économie
d’énergie alors que celles-ci sont inaccessibles sur le marché ;
- de sensibiliser les participants à la protection de l’environnement ;
- d’offrir une formation qualifiante à une population en difficulté professionnelle ;
- d’offrir une expérience d’auto-construction et de travail d’équipe qui favoriseront
l’estime de soi.
Enfin, à un niveau plus matériel, ces chantiers permettent la prise en charge d’une partie du
coût du bâtiment grâce au financement du FSE.
3.3.3. Les enjeux et objectifs pour le groupe Chênelet
L’association Chênelet Développement a pour objectif de favoriser toute initiative en faveur de
la réinsertion, de la qualification professionnelle et de l’emploi de personnes en situation socio-
économique précaire. Ses domaines de prédilection sont l’éco-construction sociale et solidaire
et la souveraineté alimentaire.
Dans ce contexte, les chantiers participatifs offrent une belle opportunité d’innovation dans les
manières de travailler tout en restant dans la continuité de l’insertion.
120 Statuts de la coopérative Baraka
121 Echanges avec le gérant – Le terme bobos est un diminutif de Bourgeois-Bohèmes qui vise à désigner un groupe social
formé sur des valeurs partagées proche de la gauche écologiste.
76

L’association recherche à travers cette opération à :
- redonner une nouvelle image aux métiers du bâtiment par la polyvalence et la qualité
des matières travaillées dans l’éco construction. Les besoins dans ces métiers dans le
secteur particulier de l’éco-construction sont importants ;
- promouvoir l’éco-construction et l’auto-rénovation des logements ;
- promouvoir ses techniques spécifiques à base de paille, de bois, de terre ;
- tester de nouvelles techniques telles que les enduits à base de terre.
Enfin, les chantiers sont dans la continuité du partenariat mis en place avec la coopérative
Baraka et permettent de confirmer le partage des valeurs entre les deux entités.
Cet état de fait montre que les trois parties prenantes des chantiers ont en objectif commun la
composition du public destinataire et la promotion de l’éco-construction. Dans cette 2 ème étape,
nous allons tenter d’évaluer l’atteinte de ces objectifs et de confronter les résultats à
l’appréciation des principaux concernés : les participants.
3.4. L’évaluation des impacts des chantiers participatifs
Comme nous l’avons vu précédemment, l’étape préalable à toute évaluation est de définir l’usage
que l’on souhaite en faire et qui en sont les destinataires. Dans le cas spécifique des chantiers
participatifs, nous ne pouvons pas réellement parler d’évaluation des impacts mais plutôt d’une
approche évaluative dans le sens où elle intervient très tardivement (10 mois) après l’opération. De
plus, je l’ai menée à ma propre initiative et de manière unilatérale, sans débat avec les parties
prenantes pour en définir les critères et les indicateurs.
Cette démarche a deux objectifs :
- capitaliser sur les chantiers participatifs en vue de reproduire éventuellement
l’expérience au sein de la coopérative ou du groupe Chênelet ;
- mettre en exergue la difficulté à évaluer certains impacts et l’atteinte de certains objectifs
initiaux.
Par conséquent, ces travaux sont à destination de la coopérative Baraka et du groupe Chênelet
pour compléter la monographie et offrir un bilan le plus complet possible de ces chantiers
participatifs. Ce bilan leur appartient. A eux d’en décider l’utilisation possible : intégrer un bilan
d’activités, mettre en valeur une partie de leur utilité sociale notamment vis à vis de leurs
partenaires, justifier la subvention du FSE (si tel en était la demande) reconduire l’expérience en
intégrant une démarche de progrès …
77

3.4.1. La méthodologie de l’enquête quantitative
L’objectif de cette enquête est d’évaluer les impacts des stages effectués lors des chantiers
participatifs sur les participants en fonction des objectifs que s’étaient donnés les
organisateurs.
Deux éléments clés sont à prendre en compte dans la construction de cette enquête :
- la période tardive de réalisation (10 mois après le déroulement des chantiers) alors
que les stages n’ont duré, pour la majorité des participants, que 30h sur 5 jours ;
- la mixité des stagiaires et principalement l’handicap mental de 5 d’entre eux. Il était
impératif que les questions soient accessibles à tous.
3.4.1.1. L’échantillonnage
La population mère est constituée des 69 personnes ayant participé aux chantiers sachant
que 4 d’entre elles ont abandonné après la 1 ère journée pour des raisons inconnues.
L’échantillon est composé des participants ayant pu être joints et ayant bien voulu
répondre aux questions.
Le mode principal d’administration choisi est le téléphone. La représentativité de
l’échantillon dépend de ma capacité à joindre les participants et de leur bon vouloir à me
répondre, je contrôlerai la représentativité de l’échantillon obtenu par le calcul du KHI2 sur
les deux critères cités précédemment.
3.4.1.2. La construction des questionnaires 122
Ayant déjà toutes les informations relatives au profil du stagiaire, j’ai structuré mon
questionnaire en 3 groupes de questions :
- un groupe de questions pour affiner leur profil : âge, durée du stage et module(s)
effectué(s), intérêt porté à l’écologie ;
- un groupe de questions sur l’appréciation de la formation suivie ;
- un groupe de questions sur les effets perçus du stage.
La principale difficulté était d’avoir des questions pertinentes pour obtenir une bonne
qualité d’informations, succinctes car posées par téléphone et accessibles à tous les
stagiaires quelque soit leur niveau intellectuel et/ou de formation. Par exemple, il est paru
que « construire soi-même » de la question Q5 était plus accessible que la notion
d’ « auto-construction ». Pour la question Q10 « depuis le stage, vous intéressez-vous
122 Cf. annexe 7 – Questionnaire de satisfaction des chantiers participatifs 2011
78

(plus, autant, moins, toujours pas) à l’écologie », certains stagiaires ont eu du mal à
répondre car ils avaient des difficultés à déceler une évolution dans le temps.
Le questionnaire a été soumis au gérant qui a souhaité modifier la question Q4 trouvant le
vocable « astuces » réducteur et peu professionnel. Il a été complété par le terme
« techniques ». Il a aussi demandé à rajouter l’item « Participer à un projet collectif
comme Baraka » pour la question Q8. Nous verrons par la suite à quel point ce fut une
bonne chose.
Je l’ai soumis aussi aux responsables des Papillons Blancs pour valider l’accessibilité des
questions aux stagiaires déficients mentaux. Aucun changement n’a été fait. Sur leur
conseil, il a été convenu d’une part qu’ils préviendraient les personnes concernées de
l’enquête afin de ne pas occasionner de stress inutile et d’autre part que l’administration
des questionnaires se ferait en face à face.
Enfin il a été testé auprès de 2 stagiaires faisant partie du projet Baraka (un salarié et un
sociétaire). A la suite de ce test, a été rajoutée la question Q6 « Quelle est votre
sensibilité personnelle à l’écologie ? ». La formulation « pendant les pauses » dans les
réponses proposées de la question Q8 a été supprimée car elle pouvait être perçue de
manière péjorative. Une question ouverte a été rajoutée afin de laisser la libre expression
aux enquêtés dû au côté innovant de l’expérience.
3.4.1.3. L’administration du questionnaire
Elle s’est déroulée entre le 9 et le 25 juillet 2012. Elle a été principalement mais pas
exclusivement réalisée par téléphone. Sur les 69 participants, 51 ont été interrogés par ce
mode là mais 4 ont arrêté l’entretien car ils n’avaient assisté qu’à une demi-journée de
stage.
Les 4 répondants rattachés à la structure du Sisep ont répondu lors d’un entretien en face
à face. 2 autres enquêtés ont procédé par mail car ils se trouvaient à l’étranger ce qui
induisait un coût important d’administration. 12 n’ont pas été joignables.
L’inconvénient majeur du support téléphonique est la durée du questionnaire.
Généralement on ne va pas au delà d'une durée de 15 minutes, sauf si le répondant a été
prévenu (prise de rendez vous) et si sa motivation est assez grande vis à vis du sujet
traité. Dans ce cas présent, le temps d’administration était d’environ 10 minutes.
De même, ne pouvant soumettre de stimuli visuel à l’enquêté, les questions doivent être
synthétiques et les choix de réponses aussi. Or, pour la question Q8, l’enquêté devait
sélectionner 3 critères parmi les 7 propositions. Il aurait fallu scinder la question en 2 pour
leur faciliter la tâche.
79

Administrer par téléphone m’a permis de saisir en direct les informations obtenues dans
ma base de données et de compléter le questionnaire par des informations
complémentaires lors d’échanges libres.
L’accueil des stagiaires a été dans l’ensemble très positif. Les enquêtés étaient, pour la
plupart, facilement disponibles et loquaces. Dans le cas où je laissais un message, ils me
rappelaient rapidement.
3.4.1.3. Les limites de l’enquête
- le mode d’administration par téléphone empêche l’anonymat des répondants.
Conjugué à la faible taille de l’échantillon et au lien de certains avec la coopérative, il
est envisageable que quelques enquêtés aient modéré leurs propos pour « protéger »
Baraka : « c’est gênant de faire des critiques en tant que sociétaire » (parole
d’enquêté) ;
- certains enquêtés ayant été très satisfaits des stages au point de s’être « attachés »
affectivement au projet, ils ne souhaitaient pas émettre de critiques et avaient peur de
porter préjudice aux formateurs.
- la durée des stages ayant été très réduite, l’appréciation sur la qualité de
l’apprentissage (Q5) est à modérer, d’autant que nous n’avons pas le niveau des
stagiaires avant la formation ;
- les explications que j’ai dû apporter pour certains administrés dont le niveau de
compréhension était très faible, ont interféré sur leurs réponses. L’une des personnes
handicapées a dû être assistée dans ses réponses par son entourage ;
- la taille réduite de l’échantillon ne pourra permettre de généraliser les réponses
obtenues.
80

3.4.2. L’analyse des résultats
Au cours de cette analyse, nous tenterons d’évaluer à quel degré les objectifs fixés par chacun
des partenaires ont été atteints. Nous nous appuierons à la fois sur les résultats de l’enquête
quantitative et sur les propos récoltés auprès des parties prenantes.
3.4.2.1. Le profil des stagiaires
Pour la coopérative et le FSE, le 1 er objectif était de donner accès aux chantiers à la
population habitante de la zone urbaine sensible de Roubaix . L’objectif (fixé lors de la
demande de subvention du FSE) de 40 participants issus de la ZUS de Roubaix a été
atteint. Ils représentent plus de la moitié des participants (58%).
Figure 7 - Répartition des participants par zone géographique
N=69 - Bilan des chantiers participatifs – février 2012
En 2 ème lieu, les 3 acteurs ouvraient les chantiers à une population défavorisée. Le FSE
entend par « défavorisées », les personnes ayant un ou plusieurs critères de
discrimination ou porteurs d’exclusion : migrants 123 , appartenance à une minorité,
handicap, bénéficiaires des minima sociaux. Lors des chantiers, 46% des stagiaires
présentent un critère de discrimination.
T 3 - Répartition des participants par zone géographique et critère d'exclusion
Avec critère
d'exclusion
Sans critère
d'exclusion
Total
Roubaix ZUS 29% 29% 58%
Hors ZUS 17% 25% 42%
TOTAL 46% 54% 100%
N=69 - Bilan des chantiers participatifs – février 2012
123 Le FSE entend par « migrants » les personnes de nationalité nées à l’étranger et résidant en France.
81

Parmi eux, on constate une quasi égale répartition entre les différents critères. Il s’avère
que les 8 personnes appartenant à la catégorie « autres critères d’exclusion », le sont en
tant que bénéficiaires des minima sociaux.
N=69 - Bilan des chantiers participatifs – février 2012
Un autre angle pour déterminer si une population est en difficulté est de prendre en
considération le statut des personnes vis à vis de l’emploi. Il apparaît une proportion
équivalente de demandeurs d’emploi et d’actifs (39% chacun) au sein des stagiaires des
chantiers.
Figure 8 - Répartition des participants selon les critères d'exclusion
Figure 9 - Répartition des participants selon leur statut sur le
marché de l'emploi
N=69 - Bilan des chantiers participatifs – février 2012
Enfin, la place faite aux femmes, jeunes et seniors est aussi un élément important dans la
politique européenne de lutte contre la discrimination et dans les valeurs de la
coopérative. Comme on peut constater sur la figure 4 (p73) que 19 femmes ont participé
82

aux chantiers, soit plus d’1/4 des effectifs. Cette donnée est d’autant plus appréciable que
les femmes ne représentent, en France, pas plus de 1,66% des ouvriers du bâtiment 124 .
En termes d’âge, la répartition offre une belle diversité même si les seniors sont les moins
représentés (12%).
T 4 - Répartition des participants par tranche d'âge
Nombre Pourcentage
De 15 à 24 ans 16 23%
De 25 à 44 ans 31 45%
De 45 à 54 ans 14 20%
De 55 à 64 ans 8 12%
TOTAL 69 100%
N=69 - Bilan des chantiers participatifs – février 2012
Enfin, les chantiers ayant une forte connotation écologique, il a été demandé aux
stagiaires quel intérêt ils portaient à la question. Il s’avère que l’écologie est une valeur
forte pour plus d’un participant sur deux.
T 5 - Intérêt porté à l'écologie par les participants
Nombre Pourcentage
Beaucoup 31 58%
Un peu 13 25%
Faiblement 8 15%
Pas du tout 1 2%
TOTAL 53 100%
Q2 – Vous intéressez-vous à l’écologie ?
N=53 – Enquête réalisée par nos soins – juillet 2012
Ces différentes données confirment une véritable mixité des stagiaires sur tous les plans.
Nous verrons plus loin comment elle a été perçue par les participants eux-mêmes et les
organisateurs et le rôle qu’elle a tenu au cours de ces 12 semaines de chantiers.
3.4.2.2. L’initiation à l’éco-construction et l’auto-construction
124 GALLIOZ Stéphanie, « Force physique et féminisation des métiers du bâtiment », Travail, genre et sociétés 2/2006 (N° 16), p.
97-114
83

La durée très courte des stages augure d’une initiation plutôt que d’une formation aux
techniques d’éco-construction et d’auto-construction : 66% des participants ont fait un
stage d’une semaine seulement.
T 6 - Nombre de participants selon la durée de leur stage
Nombre Pourcentage
Entre 1 et 5 jours 35 66%
Entre 6 et 10 jours 14 26%
Entre 10 et 15 jours 2 4%
+ de 15 jours 2 4%
Q4 – Combien de temps a duré votre stage ?
N=53 – Enquête réalisée par nos soins – juillet 2012
TOTAL 53 100%
L’appréciation des stagiaires sur la qualité des formations est globalement très bonne.
L’apprentissage des consignes de sécurité, de l’utilisation de nouveaux matériaux et des
techniques d’éco-construction ont été évaluées bonnes à très bonnes par plus de 92%
des stagiaires.
T 7 - Evaluation de la qualité des apprentissages par les stagiaires
Très bon Bon Moyen Insuffisant NSP Total
L'éveil musculaire 43% 43% 6% 8% 100%
Les techniques et astuces pour
construire soi-même
Les techniques et astuces pour
construire de manière
écologique
Les techniques et astuces pour
réduire sa consommation
d'énergie
Les consignes de sécurité sur un
chantier
34% 42% 19% 6% 100%
49% 45% 4% 2% 100%
36% 28% 23% 6% 8% 100%
58% 36% 6% 100%
L'utilisation de nouveaux outils 38% 49% 13% 100%
L'utilisation de nouveaux
matériaux
43% 49% 8% 100%
Q5 – Pour chacun des thèmes suivants, comment avez-vous trouvé l’apprentissage ?
N=53 – Enquête réalisée par nos soins – juillet 2012
Cela ne veut pas pour autant dire que les participants maîtrisent les techniques
enseignées. 5 enquêtés ont émis, lors du temps de paroles libres, des critiques quant au
manque de temps et manque de pratique pour maîtriser les techniques :
84

« en une semaine, c’est insuffisant pour maîtriser la technique » (enquêté 50) ;
« très bien expliqué mais ça manquait de pratique » (enquêté 34).
Sur les 53 participants, 11 ont reproduit une des techniques apprises (5 dans le cadre
professionnel et 6 dans un contexte personnel) : 3 enquêtés pour les techniques
d’isolation, 3 pour celles de l’étanchéité à l’air, 3 en menuiserie et 1 pour le bardage. Le
11 ème est un professeur en école d’architecture qui a enseigné et mis en pratique les
techniques d’ossature bois et d’étanchéité à l’air.
T 8 - Reproduction d'une technique apprise
Nombre Pourcentage
Oui 11 21%
Non 42 79%
TOTAL 53 100%
Q6 – Avez-vous eu l’occasion de reproduire une des techniques apprises ?
N=53 – Enquête réalisée par nos soins – juillet 2012
Au regard de ces dernières données et des scores d’évaluation des formations, nous
pouvons supposer que l’objectif d’apprentissage des techniques d’éco-construction a été
plus que partiellement atteint.
A contrario, les scores concernant la formation à l’auto-construction (25% entre insuffisant
et moyen) nous engagent à rester plus modérés concernant l’aptitude acquise des
stagiaires à envisager ce type de processus. Ce module a tout de même «donné envie de
construire soi-même (sa) maison en bois à (sa) retraite. (Elle) a découvert que c’était
possible » (enquêté 47).
3.4.2.3. La valorisation des métiers du bâtiment
Un des objectifs de Chênelet Développement était de revaloriser l’image des métiers du
bâtiment. Selon l’enquête un quart des hommes a été séduit par ce type de métier. A
contrario, seuls 6% des femmes, soit 3 des 19 femmes, l’ont été. Ce qui est un
pourcentage honorable au vu du peu de femmes représentées dans ce secteur.
T 9 - Répartition par sexe du souhait de travailler dans le secteur du bâtiment
Oui Non
Je suis à
la retraite
J'y
travaille
déjà
Total
Femmes 6% 23% 2% 4% 34%
Hommes 25% 23% 4% 15% 66%
Total 30% 45% 6% 19% 100%
Q7 – Ce stage vous a-t-il donné envie de travailler dans la construction de bâtiment ?
N=53 – Enquête réalisée par nos soins – juillet 2012
85

3.4.2.4. L’impact sur les participants selon les objectifs des parties prenantes
La situation idéale, pour évaluer l’impact des chantiers sur les participants, aurait été soit
de pouvoir comparer les dispositions et aptitudes des stagiaires avant et après
l’expérience, soit de procéder à un questionnaire plus élaboré et évaluant de manière
précise les acquis. N’étant dans aucun de ces deux cas, nous interpréterons les quelques
données en notre possession pour émettre des hypothèses d’impact.
La question Q10 avait pour objectif d’évaluer une éventuelle évolution dans l’intérêt porté
à certaines thématiques abordées sur les chantiers (éco-construction, auto-
construction…). Sur l’ensemble des items, c’est le thème des « constructions en bois» qui
a aiguisé le plus la curiosité des participants avec 47% des enquêtés qui s’y intéressent
plus qu’avant le stage.
T 11 - Impact des chantiers sur le regard des stagiaires
Plus Autant Moins
Toujours
pas
86
Total
Ecologie 34% 60% 6% 100%
Construction en bois 47% 42% 2% 9% 100%
Economie d'énergie 38% 55% 8% 100%
Métiers du bâtiment 38% 42% 2% 19% 100%
Faire les choses moi-même 38% 53% 9% 100%
A participer à la vie de mon quartier 23% 53% 25% 100%
Q10 – Depuis le stage, vous intéressez vous (plus, autant, moins, toujours pas) à … ?
N=53 – Enquête réalisée par nos soins – juillet 2012
L’ouverture à la vie du quartier offre 2 scores significatifs. Alors que ce n’était pas un
objectif affirmé ou prioritaire des chantiers, 12 stagiaires y portent plus d’intérêt, ce qui
n’est pas négligeable. Dans la volonté de la coopérative de tisser des liens avec le
quartier, il est positif de constater que 9 de ces stagiaires habitent Roubaix. A contrario,
c’est le seul item où l’effet nul (« toujours pas ») est le plus important.
T 2 - Intérêt porté à la vie de quartier selon le lieu d'habitation des stagiaires
Plus Autant
Toujours
pas
Roubaix ZUS 9 15 6
Métropole
lilloise
3 10 6
Autres 3 1
Total 12 28 13
Q10 – Depuis le stage, vous intéressez vous (plus, autant, moins, toujours pas) à la vie de votre
quartier ?
N=53 – Enquête réalisée par nos soins – juillet 2012

De manière plus spécifique, pour l’intérêt porté à l’écologie, nous pouvons constater que
les stages ont renforcé les convictions de près de deux tiers de ceux s’y intéressant « un
peu ». A contrario, ils n’ont eu que peu d’impact pour les stagiaires peu sensibles à cette
question (75% des stagiaires ne s’intéressant que faiblement à l’écologie n’ont pas fait
évoluer leur approche de la question).
T 10 - Impact du stage sur l'intérêt porté à l'écologie
Plus Autant
Toujours
pas
Total
Beaucoup 26% 74% 100%
Un peu 62% 38% 100%
Faiblement 25% 50% 25% 100%
Pas du
tout
Q2 – Vous intéressez-vous à l’écologie ?
100% 100%
Q10 – Depuis le stage, vous intéressez vous (plus, autant, moins, toujours pas) à l’écologie ?
N=53 – Enquête réalisée par nos soins – juillet 2012
3.4.3. L’analyse des résultats : la parole des usagers
Dans cette sous-partie, nous allons présenter quelles richesses les stagiaires ont retiré de leur
expérience sur les chantiers. Pour cela, nous nous baserons d’une part sur l’enquête
quantitative (plus particulièrement avec la question ouverte Q13 « Souhaitez-vous rajouter
quelque chose ? ») et d’autre part sur les propos recueillis lors des entretiens non directifs.
La richesse de participer à un projet collectif
Par la question Q8, il était demandé aux enquêtés de citer leurs trois préférences vécues
au cours du stage parmi une liste de sept items. La dimension « participer à un projet
comme Baraka » a été citée par les trois quart des administrés. La moitié d’entre eux l’a
nommée en 1 ère préférence. L’aspect collectif et social du projet donne un sens profond
aux chantiers et une autre dimension : « on construit plus qu’un bâtiment » (Frédéric
Rojas, formateur).
T 12 - Préférences des stagiaires au cours des chantiers
Nombre Pourcentage
Connaître de nouvelles personnes 22 42% 59%
Parler avec les autres participants 9 17%
Travailler en équipe 31 58%
Recevoir un diplôme 6 11%
Apprendre des choses nouvelles 37 70%
Construire moi-même 12 23%
Participer à un projet collectif
comme Baraka (social, écolo …)
40 75%
TOTAL 157 296%
Q8 – Dans la liste suivante, quelles sont les 3 choses que vous avez préférez ?
N=53 – 3 réponses possibles donc total > 100 - Enquête réalisée par nos soins – juillet 2012
87

Cette relation au projet s’est traduite par un attachement des stagiaires à Baraka. 75%
des enquêtés sont repassés voir le bâtiment quelle qu’en fût l’occasion : inauguration,
incendie ou simplement pour le voir et voir ce qui s’y passait : « chaque semaine, il y avait
des stagiaires des semaines précédentes qui passaient voir où on en était » (Frédéric
Rojas - formateur). Un des participants venant des Papillons Blancs suit d’ailleurs de près
l’actualité de Baraka et conserve toutes les coupures de presse concernant la
coopérative.
T 13 - Nombre d'enquêtés étant repassés à Baraka après leur stage
Nombre Pourcentage
Oui 40 75%
Non 13 25%
TOTAL 53 100%
Q12 – Etes-vous retourné(e) à Baraka depuis le stage ?
N=53 - Enquête réalisée par nos soins – juillet 2012
L’enrichissement par l’apprentissage
Si non, pourquoi ?
pas du quartier 5 38%
pas le temps 8 62%
En 2 ème position arrive l’apprentissage et traduit la satisfaction de 70% des participants à
apprendre et se former quelle que soit sa situation par rapport au marché de l’emploi :
T 14 - Répartition des stagiaires selon leur situation à l'emploi
Apprendre de
nouvelles
choses
Echantillon Pourcentage
Actifs 15 21 71%
Chômeurs < 1 an 8 10 80%
Chômeurs de longue durée 9 14 64%
Inactifs 5 8 63%
Total 37 53 70%
Q8 – Dans la liste suivante, quelles sont les 3 choses que vous avez préférez ?
N=53 - Enquête réalisée par nos soins – juillet 2012
Le diplôme remis en fin de stage était un gage de crédibilité pour certains : « c’est un bon
concept de pouvoir apprendre des choses et c’est bonifiant pour la personne car à la fin
on a un certificat de stage » (enquêté 49).
88

La richesse du lien social
« Connaître de nouvelles personnes » et « parler avec les autres participants » peuvent
être fusionnés en tant que valeur de lien social. Combinés avec le « travail d’équipe » qui
transcrit à la fois la coopération et le lien social, il est incontestable que cette dimension
de lien social a été une des clés de ces chantiers. Seulement 5 enquêtés ne citent pas
une seule fois aucun de ces 3 items.
Les commentaires des enquêtés confirment et illustrent cette richesse des échanges :
« C’était une très bonne expérience collective dans la manière de la partager, dans la
relation à l’autre » (enquêté 35) ;
« C’était un public était très diversifié qui a donné lieu à des échanges très intéressants »
(enquêté 47) ;
« Je venais d’arriver dans la région et ça m’a ouvert des portes en terme de réseau »
(enquêté 22).
Cet enrichissement par le lien social ne concernait pas que les stagiaires. Les
professionnels ont aussi bénéficié de cette richesse. Frédéric Rojas le formateur, le
raconte : « je vivais en vase clos entre les chantiers et chez moi. Ca m’a resocialisé ». Les
équipes de stagiaires et de professionnels se retrouvent pour déjeuner au restaurant
« l’Univers ». Les liens se créent, et les « échanges de savoir se font petit à petit » (F.
Rojas).
Autant la richesse des liens sociaux sur les chantiers a été très importante pour les
stagiaires, autant ce ne fut que ponctuel. 70% des enquêtés n’ont pas gardé contact avec
les autres stagiaires et plus de la moitié d’entre eux n’ont pas l’intention de le faire plus
tard.
T 15 - Pérennité des relations créées sur les chantiers
Nombre Pourcentage
Oui 16 30%
Non 37 70%
TOTAL 53 100%
Si non, comptez-vous le faire plus tard ?
Oui 15 41%
Je ne pense pas 22 59%
Q11 – Avez-vous gardé contact avec d’autres stagiaires (que vous ne connaissiez pas avant le
stage) ?
N=53 - Enquête réalisée par nos soins – juillet 2012
Beaucoup justifient cet état de fait par la courte durée du stage : « j’ai fait beaucoup de
rencontres mais c’était trop court pour garder le contact » (enquêté 40).
89

La richesse de la mixité
Liée à ce partage, la mixité est citée comme un enrichissement par 15 des 53 enquêtés :
« J’ai adoré rencontrer des gens d’horizons différents » (enquêté 7) ;
« Il y avait une très bonne entraide dans une équipe aux profils différents » (enquêté 38) ;
« C’est une belle aventure, je n’avais jamais côtoyé ces personnes (handicapées) »
(enquêté 27).
« La mixité a donné une énergie particulière, les gens des papillons blancs ont obligé
l’entraide et un rythme différent, adapté mais bénéfique pour tous » (Jérémy Gaudin).
Même si elle n’a pas été soulevée par les participants eux-mêmes, la mixité hommes-
femmes offre une toute autre atmosphère sur un chantier. La présence des femmes opère
un changement immédiat du comportement masculin : « les grosses blagues sont
proscrites, il y a plus d’attention, de solidarité, moins de compétition et plus de travail
d’équipe » (Pierre Gaudin – Chênelet).
Comme nous l’avons vu précédemment, la diversité des profils était effective sur le
chantier. Renforcée par la présence de professionnels (les formateurs et le personnel des
autres entreprises intervenant sur la construction) elle a permis d’impliquer des personnes
à fort critère de discrimination sans qu’elles ne soient stigmatisées :
« On était sur un pied d’égalité avec les gens des papillons blancs. » (enquêté 23)
Cet avis est confirmé par les responsables des Papillons Blancs. Leurs 4 stagiaires ont
été « capables d’intégrer une équipe nouvelle, d’assumer leur part de travail et
d’apprendre de nouvelles techniques sans aucune préparation spécifique ni phase
d’adaptation ». Il n’y a pas eu d’absentéisme ni de problème de comportement « ce qui
n’est pas le cas au Sisep ». Il leur était important de « montrer leurs compétences malgré
leur handicap ». Ils étaient exemplaires et « avaient même un coup d’avance par rapport
aux autres stagiaires sur les consignes de sécurité ». Pour Valérie Devestel et Eric
Gronencheld, la raison de cette réussite, « c’est que toute l’équipe était au même
niveau », les stagiaires étaient, quels que soient leurs antécédents, traités sur le même
pied d’égalité.
Les chantiers ont été aussi l’occasion d’offrir une « belle évaluation de la personne
(l’handicapé) avec un autre regard ». L’animateur du Sisep a dû changer la perception
qu’il avait de l’un d’entre eux : « je le sous-estimais car il paraît fragile physiquement. Or à
Baraka, il en a fait beaucoup plus qu’ici. Il a un bien meilleur potentiel.»
90

L’enrichissement de l’estime de soi
Un autre élément mis en avant par les enquêtés, et ce, quel que soit leur profil
« défavorisé » ou non, est la considération que les formateurs et les professionnels des
chantiers leur portaient. Huit d’entre eux ont souligné ce « sentiment de ne pas être que
des bras » (enquêté 40), de « ne pas être utilisés comme de la simple main d’œuvre bon
marché » (enquêté 21) et rajoutent l’importance «de la reconnaissance par les pairs »
(enquêté 1).
Réciproquement, les professionnels eux-mêmes ont constaté l’importance que les
équipes et surtout les personnes en difficulté soient encadrées par des spécialistes de la
construction bois. Frédéric Rojas, le formateur en témoigne : « ma spécialité d’artisan
ébéniste a permis d’installer une hiérarchie professionnelle. Ca rassure les personnes
fragiles socialement. »
Par cette combinaison de richesses, les stages ont eu des conséquences concrètes sur 5 des
participants. L’un d’entre eux s’est inscrit à une formation qualifiante dans la continuité des
chantiers, deux ont eu accès à un emploi (l’un temporaire, l’autre en contrat aidé) et un autre a
entamé une procédure de validation des acquis de l’expérience. Enfin, un 5 ème participant,
déficient mental, a, grâce aux stages, acquis une réelle aisance dans sa communication
constatée par son responsable du Sisep : « c’était quelqu’un qui ne parlait quasiment pas.
Aujourd’hui, il intervient en réunion générale devant une vingtaine de personnes ».
3.5. Le bilan des chantiers participatifs
3.5.1. Le bilan pour le FSE
Avec 40 participants issus de la zone urbaine sensible de Roubaix, les objectifs fixés avec le
FSE sont atteints. La moitié de ces stagiaires présente un critère d’exclusion (Cf. tableau 3)
mais seulement 15 sont en situation éloignée de l’emploi.
Figure 10 - Répartition des participants selon leur zone
géographique et leur situation sur le marché de l'emploi
N = 69 - Bilan des chantiers participatifs - Février 2012
91

Les contraintes imposées dans la convention ont été bénéfiques pour Baraka. En 1er lieu,
l’exigence de recruter des stagiaires habitant la zone urbaine sensible a permis une ouverture
importante sur le quartier. Un début de lien s’est tissé avec quelques habitants et comme le
souligne un participant : « ces chantiers ont vraiment permis de faire atterrir cet OVNI en
ville ». En 2 nd lieu, l’obligation de cibler des populations défavorisées de la convention a permis
d’aller au bout de la démarche. Le recrutement de ces personnes était particulièrement
difficile. « Cette contrainte a été vertueuse, sinon, on aurait lâché » (Jérémy Gaudin).
A contrario, l’organisateur des chantiers, indique l’absurdité de l’évaluation du FSE qui n’offre
qu’une vision très réductrice de cette opération.
L’octroi de la participation du FSE était conditionné par le lieu de domiciliation des participants
et leur situation sur le marché de l’emploi. Il n’a pas été possible, au risque de perdre une
partie de la subvention, de valoriser la réussite d’avoir fait « travailler ensemble des bacs + 12
et des bacs -12 » (Jérémy Gaudin) et la richesse produite par la mixité des équipes.
3.5.2. Le bilan pour la coopérative Baraka
Ces chantiers participatifs ont été très bénéfiques pour la coopérative sur de nombreux points :
- la notoriété de Baraka : les chantiers ont été amplement couverts par les médias
locaux (Cf. annexe 9 – Articles de presse) ;
- l’ancrage dans le quartier de l’Epeule par le recrutement d’habitants de la ZUS mais
aussi au travers des relations initiées avec les acteurs locaux (MIE, Papillons Blancs,
Ecole de la 2 ème chance …) ;
- l’implication concrète des sociétaires soit dans l’organisation des chantiers soit en tant
que stagiaires ;
- la réduction des coûts de construction par l’obtention de la subvention du FSE.
Cette expérience a montré la difficulté, malgré les actions mises en place, de créer le contact
avec les populations défavorisées du quartier.
3.5.3. Le bilan pour le groupe Chênelet
Pour le groupe Chênelet, en sa qualité de structure d’insertion par l’activité économique, ces
chantiers furent l’occasion d’innover dans une nouvelle forme d’insertion des personnes
exclues du marché de l’emploi et de confirmer l’atout qu’apporte la mixité des équipes dans la
démarche. Mais cette expérience fut très lourde en terme de responsabilités et de volumes de
travail.
92

En tant que porteur des chantiers participatifs et prestataire de la construction du bâtiment, le
groupe Chênelet avait un double enjeu : mener à bien les stages et tenir ses engagements en
tant que constructeur. Il fallait réussir à amoindrir l’exigence sur les lots réalisés par les
stagiaires-amateurs sans pour autant remettre en cause la qualité esthétique et durable du
bâtiment. La terrasse n’ayant pas été posée de manière suffisamment qualitative, SPL s’est
engagée à la refaire à ses frais.
L’organisation des chantiers a occasionné une surcharge considérable de travail pour
l’association Chênelet Développement. D’une part, il fallait assurer le recrutement et le suivi
des stagiaires pour tenir les engagements vis à vis du FSE. D’autre part, accueillir et former 70
personnes sur un chantier nécessite une importante logistique (matériel, planification des
opérations, briefing, contrôle et exigence de sécurité …). L’élément-clé de la réussite des
chantiers fut l’investissement des acteurs tant au sein de Chênelet qu’au sein de Baraka. Il y
avait un réel manque d’expérience, les effectifs d’encadrement des équipes étaient trop courts
mais « C’est parce que les gens ne comptaient pas leur temps que ça a pu se faire » (Jérémy
Gaudin).
Malgré ce contexte difficile et ce peu de moyens, le sens porté par les chantiers participatifs a
été très fédérateur pour les intervenants. D’une relation contractuelle entre les prestataires et
Baraka, s’est développée une relation de solidarité autour des difficultés. Comme a pu le
constater le responsable de SPL à l’époque, même les artisans non concernés par l’opération
ont été « contaminés ». Ils se sont impliqués dans la dynamique de coopération contrairement
à ce qui se passe habituellement sur les chantiers.
L’ensemble de ces éléments pose la question de l’équilibre économique de cette expérience :
la subvention obtenue compense-t-elle les surcoûts occasionnés par les chantiers ? Aucune
analyse financière n’a été faite. Chênelet pense avoir perdu de l’argent sur l’opération
(entretien avec Jérémy et Pierre Gaudin). Cette perte serait compensée par la communication
qu’il y a eu autour des chantiers qui a apporté une bonne visibilité au groupe. L’importance de
la démarche pour les porteurs de projet et les richesses dégagées pour les usagers ont
relégué cette question au dernier plan.
3.5.4. Les clés de la réussite et les axes de progrès des chantiers
D’un point de vue plus opérationnel, il est intéressant de faire une synthèse des éléments qui
ont fait la réussite de ces chantiers et d’en relever les points de fragilité. Ces éléments seront
utiles dans le cas d’une reconduction de l’expérience.
Les deux éléments les plus mis en avant par les acteurs et les participants sont la qualité des
encadrants et la convivialité présente sur les chantiers. 11 stagiaires ont témoigné de leur
satisfaction voire « admiration » (enquêté 6) pour les formateurs. Ils leur reconnaissent leur
93

capacité à les avoir considérés comme de vrais « ouvriers » et non comme des amateurs et à
fournir un « apprentissage sans prendre un ton moralisateur » (enquêté 41).
La réussite s’est construite grâce à la détermination du maître d’œuvre (le gérant) et
l’implication des sociétaires de Baraka. Là encore sont les effets du projet politique de la
coopérative. Comme le souligne une des salariés de Chênelet Développement,
l’investissement et l’énergie nécessaires pour mener à bout un tel projet « ne peut réussir que
s’il y a une démarche militante ».
C’est par cette dimension politique et par l’objet collectif du projet que la mixité a porté ses
fruits. Il ne suffit pas de réunir des profils différents pour assurer le succès de ce type
d’expérience. Il faut un liant, un élément fédérateur qui jettera les bases de la coopération.
Enfin, la non exigence de productivité fut un autre élément de réussite. Elle a évité la
compétitivité entre les stagiaires. Elle a offert du temps pour les échanges qui ont fait la
convivialité.
Mais pour envisager de nouveaux chantiers participatifs, il est nécessaire de repenser certains
points.
Tout d’abord, le mode de fonctionnement qui a été énergivore et chronophage pour les
acteurs : « Cela demande un niveau d’engagement énorme » (organisateur). Il s’agit
d’anticiper et de repenser l’organisation pour soulager les responsables. Cela permettra de
gagner en professionnalisme et de pallier tous les manquements notamment matériel (manque
d’outils, erreur de planning, manque d’encadrement …) éprouvant pour les équipes et les
encadrants.
Or la complexité de ce type de projet se trouve dans sa dimension humaine. Une telle
aventure ne se modélise pas, des procédures ou des modes d’emploi ne pourront jamais créer
la solidarité au sein d’une équipe. A contrario, il faut penser les outils adéquats pour rendre
l’expérience réalisable lorsqu’un « bon terreau se présente » (organisateur).
Enfin la question de la viabilité économique sera à prendre en compte pour ne pas fragiliser
les parties prenantes de l’opération.
Conclusion des chantiers participatifs
Les chantiers participatifs ont été une expérience majeure dans le projet Baraka. Même s’ils ont
été officiellement pris en charge par Chênelet Développement, les sociétaires se sont fortement
impliqués dans l’expérience en tant que relais de l’organisation ou simplement stagiaires. Cela a
contribué à l’imbrication des chantiers dans l’ensemble du projet : ils se sont enrichis l’un dans
l’autre. Les chantiers ont pris sens grâce à la dimension politique de Baraka. Et réciproquement,
l’expérience a renforcé la cohésion du projet de la coopérative.
94

Cette opération a rayonné au-delà de Baraka en bénéficiant aussi à « l’Univers ». D’une part, des
usagers du restaurant ont pu participer aux chantiers et d’autre part, les stagiaires y ont déjeuné
quotidiennement pendant 3 mois. Cela a permis aux équipes de « l’Univers » de s’approprier le
projet Baraka. Un lien autre que financier s’est tissé entre le restaurant et la coopérative.
L’analyse de ces chantiers nous permet de mettre en valeur une des principales problématiques
posées par l’évaluation de l’utilité sociale d’un projet : l’écart entre les indicateurs-clés imposés
par le FSE et les richesses produites présentées par les participants. Une co-construction en
amont des critères d’évaluation entre les parties prenantes, usagers compris, n’aurait été que
bénéfique pour tous. Cela aurait évité les « arrangements » orchestrés par les porteurs de projet
dans le bilan comme « l’oubli » des 29 participants non roubaisiens.
95

CONCLUSION
En tant que société coopérative d‘intérêt collectif, Baraka prend tout son sens dans l’utilité sociale
qu’elle produit au travers de sa « fabrique de biens communs ». Jusqu’à présent, seules certaines
associations ou entreprises des secteurs tels que services à la personne ou insertion par l’activité
économique prenaient l’initiative d’une démarche d’évaluation de leur utilité sociale. Leur objectif
prioritaire est, dans la plupart des cas, de fournir une argumentation en vue de financements passés
ou à venir et/ou de maintien d’un agrément ou d’une habilitation.
La monographie a permis de mettre en valeur la spécificité de la coopérative Baraka. Cette spécificité
s’exprime par le choix d’une activité économique pourvue par le secteur privé (restauration et location
de salles) qui ne présente pas les critères d’utilité sociale initialement retenus par les pouvoirs publics :
biens ou services non pourvus par le marché ou à un prix avantageux pour les populations démunies.
Elle apparaît aussi dans la manière de produire son utilité sociale : des actions menées auprès de la
population des quartiers défavorisés de Roubaix, l’impact écologique et l’embauche de personnes
issues d’un parcours d’insertion. Hormis le premier axe, l’utilité sociale revendiquée ne rentre pas dans
les critères habituellement reconnus par les pouvoirs publics.
Son modèle ne requérant ni financements publics pérennes ni agrément d’Etat, aucune contingence
externe n’incite la coopérative à évaluer son utilité sociale. Il était donc légitime de questionner la
pertinence d’une telle démarche d’évaluation pour Baraka.
Cet exercice mené tout au long de mon stage n’a pas la prétention d’aboutir sur une définition ou une
évaluation de l’utilité sociale de Baraka. Les circonstances n’en font qu’une approche, un travail
exploratoire. N’ayant que peu impliqué les parties prenantes du projet, ce ne sont que des
constatations et des argumentations issues de mon prisme de lecture et de mon interprétation.
L’étude menée au cours de mon stage, par l’observation participante, les entretiens avec les parties
prenantes et le travail spécifique sur les chantiers participatifs me permettent tout de même de
défendre l’idée que définir et évaluer l’utilité sociale de Baraka est d’une grande richesse pour la
coopérative au-delà de mes hypothèses de départ.
Dans le processus en lui-même, l’évaluation de son utilité sociale met en valeur la diversité et la
complexité des mécanismes qui produisent cette richesse. Ce n’est pas la construction d’un bâtiment
selon les normes environnementales qui est utilité sociale mais c’est l’imbrication de cette construction
dans l’action collective qui l’a initiée, dans ce lieu spécifique qu’est l’Epeule et dans sa future fonction.
L’enjeu est particulièrement significatif pour un projet multidimensionnel comme Baraka. Ses multiples
actions pourraient passer pour de l’éparpillement. L’évaluation met du liant en mettant en valeur les
articulations entre les différentes actions, les moyens et les processus engagés.
La démarche engagée simultanément à la crise que vivait Baraka du fait du sinistre, a permis de
réaffirmer la nécessité de s’ouvrir davantage sur le quartier. Evidemment l’ancrage territorial était déjà
96

en cours grâce aux liens tissés avec « l’Univers », aux stagiaires des chantiers participatifs habitant de
la zone urbaine sensible de Roubaix, au recrutement de personnes issues du quartier. Mais les
finitions du chantier et l’ouverture du restaurant avaient relégué cette dimension à un second plan. Le
sinistre et la synthèse des entretiens semi-directifs ont remis au premier plan cette valeur forte du
projet. Créer des liens avec et entre les habitants d’un quartier est un travail laborieux qui se mène par
petites étapes sur du long terme. Evaluer ou, à minima, réfléchir à son utilité sociale permet de
renforcer le projet et de redonner du souffle aux actions les plus difficiles.
Vue de l’extérieur, et malgré sa forme coopérative, Baraka s’apparente à une entreprise privée aux
valeurs écologiques avec sa construction bois, son restaurant (quasi) « bio » et son offre de locations
de salles de réunion. Les SCIC et leurs spécificités étant encore méconnues, certains acteurs
associatifs des quartiers de Roubaix ont fait preuve de méfiance vis à vis de Baraka, ne comprenant
pas pourquoi une « entreprise commerciale participait à la fête des quartiers ouest » 125 . Définir son
utilité sociale et l’évaluer, peut être un bon outil pour illustrer sa production de biens communs et en
améliorer sa lisibilité en vue d’une communication externe. Au-delà d’une compensation au déficit
d’image, cette communication pourrait être adressée aux acteurs institutionnels et privés ayant apporté
leur soutien financier au projet ou lors de démarchage de nouveaux financeurs. L’expérience de
sollicitation des fondations et des collectivités territoriales suite au sinistre a montré combien les
financeurs étaient séduits par les projets d’investissement mais peu entrains aux frais de
fonctionnement. Avoir une bonne visibilité globale de son utilité sociale peut être un argument décisif
dans la recherche de soutiens financiers en cas de difficulté économique.
En interne, la conviction et la ténacité ont été les meilleurs atouts des initiateurs de Baraka pour
fédérer les parties prenantes trop timorées face à l’amateurisme des coopérateurs et mener à terme ce
projet « un peu fou ». La monographie, les chantiers participatifs ont mis en valeur cette implication
généreuse des sociétaires et des partenaires. La plupart des personnes interrogées ne savaient pas
combien de temps ils avaient consacré au projet mais étaient prêts à le refaire. Combien de fois ai-je
entendu, tout au long de mes enquêtes, « quand on aime, on ne compte pas » ou encore « c’est parce
que les gens n’ont pas compté leur temps qu’on est allé jusqu’au bout ». Une telle générosité, un tel
investissement prend sa source dans des « motivations intrinsèques, autrement dit dans ce qui est fait
par plaisir pour le type d’activité, par sympathie pour les autres ou par sens du devoir » 126 . N’y a-t-il
pas un risque que ces motivations s’épuisent ? Comment pérenniser ces motivations et l’implication
des sociétaires dans la coopérative sur du long terme ? Là aussi, l'évaluation de l’utilité sociale de
l’organisation a un rôle à tenir et « doit servir à renforcer ces motivations intrinsèques, et donc la
liberté et donc l’efficacité effective des personnes, des associations ou des institutions évaluées » 127 .
Comme le soulignait l’architecte, « quand le chantier devenait trop lourd, que je voulais tout plaquer, je
pensais à « l’Univers » avec sa cour des miracles, à tout ce que le bâtiment pourrait leur apporter et je
reprenais ma tâche à bras le corps »…
Mais nous ne pouvons vivre d’amour et d’eau fraîche. Le sinistre a montré combien en situation de
crise, l’économique redevenait dominant. Il a envahi les préoccupations des responsables de la
125 Propos recueillis lors des réunions de préparation de la fête des quartiers soit en direct soit par l’intermédiaire des chargés de
mission de la mairie de quartier.
126 CAILLE Alain, Op. Cit.
127 Ibid
97

structure et dominé les prises de décision. La survie de Baraka était en jeu. Il est certain que sans
financement, sans activité économique rentable, la « fabrique de biens communs » n’est plus ou est
tout du moins très affaiblie. La concomitance de ma mission sur l’utilité sociale de Baraka avec mon
travail sur les plans d’affaires et de trésorerie a permis de réguler la place de plus en plus grande que
prenait l’économique au sein de la structure. C’est ce qui a ravivé la « fabrique de biens communs » et
son dynamisme malgré la fermeture du bâtiment. Ce travail exploratoire a impulsé les groupes-projet,
les actions menées depuis le sinistre : cafés-voisins, à voix haute à la maison, ateliers à la fête des
quartiers ouest, réflexions sur le fablab … Dans un modèle dépendant d’une activité économique, il y
aura d’autres tensions entre l’économique et l’utilité sociale. Les statuts de la SCIC encadrent déjà
fortement la place de l’économique pour en limiter ses excès : réserves impartageables,
réinvestissement des bénéfices … Malgré cela, l’économique peut dominer l’activité globale de la
coopérative, polarisant toutes les énergies des acteurs à sa réussite. C’est d’autant plus probable dans
le cas de Baraka où le choix d’un investissement important pour édifier le bâtiment n’a pas encouragé
à la sobriété et fait peser une pression économique forte sur la structure. L’évaluation de son utilité
sociale permettra à la « fabrique de biens communs » de réguler la place de l’économique.
Cette régulation s’est faite tout au long du chantier car, comme nous l’avons vu, l’utilité sociale s’inscrit
dès la mise en œuvre des processus et non pas seulement dans les résultats des actions. L’objectif
n’était pas seulement de construire un bâtiment passif et de faire un restaurant bio qui emploie des
personnes sorties d’un parcours d’insertion. Le choix de prestataires, de matériaux, de processus s’est
fait par un subtile arbitrage entre dimension économique et utilité sociale : choix de prestataires et
matériaux locaux, formation des prestataires aux techniques d’éco-construction, recrutement de
personnes du quartier …
L’utilité sociale doit continuer à réguler au quotidien l’activité économique car cette dernière a une bien
meilleure visibilité. Les dix jours d’ouverture du restaurant et la gestion des conséquences du sinistre
en ont été un bel exemple : plan d’affaires, bilans comptables, nombre de couverts, panier moyen,
chiffres d’affaires sont autant d’indicateurs financiers qui ont envahi et vont envahir le quotidien de la
coopérative. Afficher l’utilité sociale, c’est contrebalancer cette avalanche de chiffres comptables et
financiers. Cela peut passer autant par des indicateurs quantitatifs que des indices qualitatifs : le
stockage carbone, l‘histoire d’un stagiaire des chantiers, le nombre d’ateliers réalisés, le témoignage
d’un usager …
Enfin, l’étude spécifique aux chantiers participatifs a permis de mettre en valeur les écarts
d’appréciation de la richesse produite entre le FSE, les acteurs et les usagers. Cela souligne la
nécessité de repenser la place des bénéficiaires au sein de la coopérative. L’objectif premier de la
coopérative est de créer du lien social, de la convivialité, du vivre-ensemble sur le quartier de l’Epeule.
Comment peut-on s’assurer de choisir les bonnes actions pour promouvoir le vivre-ensemble si on ne
l’a pas défini avec les personnes concernées ? Intégrer les usagers voire les acteurs locaux dont les
collectivités locales apportera de la légitimité à la définition de la richesse et au choix de ses critères.
La démarche deviendra elle-même productrice de biens communs en créant du débat, du lien social
entre les parties prenantes et de la citoyenneté.
98

Face à tous ces constats, on ne peut qu’être convaincu de la pertinence de l’évaluation de l’utilité
sociale pour la coopérative. Mais l’engouement doit être modéré par la lourdeur et l’ampleur de la
tâche. N’oublions pas que Baraka ne compte que cinq salariés, 97 sociétaires dont une petite vingtaine
constitue le noyau dur. L’organisation de la fête des quartiers a montré l’importance d’avoir un relais au
sein de l’équipe salariée pour coordonner les sociétaires investis dans des actions. Les ambitions de la
coopérative sont déjà multiples. Le projet n’est qu’à mi-chemin de sa réalisation : le bâtiment est
construit et quasi-reconstruit, la « fabrique de biens communs » est lancée. Les enjeux à venir sont la
pérennisation du projet, tant d’un point de vue économique que d’un point de vue de la production de
biens communs et de l’ancrage dans le quartier. L’ampleur de la tâche à venir est telle, que la question
des moyens disponibles pour une démarche d’évaluation est réelle.
Il s’agira, avant de se lancer dans cette démarche de s’assurer des capacités de la structure à mener
l’évaluation à son terme tant sur le plan des moyens humains que matériels. Enfin, il faudra tenir
compte du mode de gouvernance de la structure où le temps est un paramètre indispensable : temps
du débat, temps de la réflexion, temps de la définition et de l’adhésion de chacun …
Malgré ces contingences « matérielles », il est une piste à explorer pour donner accès à la démarche
d’évaluation d’utilité sociale à des petites structures : la mutualisation des moyens entre partenaires.
Au-delà des réflexions sur la pertinence de l’évaluation pour une structure comme Baraka, ce travail a
permis de mettre en valeur le rayonnement de la coopérative sur son père fondateur, le restaurant
« l’Univers » et réciproquement. Dans un système de vases communicants, la mise en œuvre du projet
Baraka a ouvert le restaurant solidaire à des réseaux auxquels il n’avait pas accès. Elle a aussi permis
d’augmenter sa notoriété auprès d’acteurs potentiellement financeurs ou soutiens à une période où
l’association a perdu 30% de ses ressources. Enfin, la coopérative, par le recrutement de salariés en
parcours d’insertion à « l’Univers », participe à sa production d’utilité sociale (augmentation des sorties
positives qui est un indicateur essentiel pour les pouvoirs publics). Réciproquement, Baraka a
bénéficié de la très bonne implantation de « l’Univers » au sein de l’Epeule pour développer son
ancrage territorial (recrutement des stagiaires des chantiers au sein des usagers du restaurant, relais
de connaissance auprès des acteurs). Enfin, « l’Univers » légitime la présence de la coopérative dans
ce quartier populaire et compense son apparence « bobo » (construction bois, restaurant « bio »).
De la même manière, le partenariat créé entre Baraka et Chênelet a opéré un rayonnement réciproque
sur les deux structures, le premier apportant de la notoriété au second et inversement, Chênelet
apportant savoir-faire et crédibilité dans l’éco-construction à la coopérative.
Chênelet et le restaurant « l’Univers » ont en commun leur dépendance à des financements publics
pour assurer leur pérennité. Mettre en valeur leur utilité sociale prend d’autant plus d’importance pour
compléter les « sorties positives » nécessaires à toute structure d’insertion par l’activité économique
ou pour argumenter le besoin de soutien financier quand l’agrément a été retiré. Les liens tissés entre
ces trois acteurs ne justifieraient-ils pas d’envisager une mutualisation des moyens nécessaires à toute
démarche d’évaluation ? N’y a-t-il pas une coopération à inventer pour que des structures à petits
moyens puissent envisager une telle démarche ?
99

BIBLIOGRAPHIE
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100

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SIBILLE Hugues, Les SCIC, 10 ans déjà, Recma, mai 2012
101

TABLES DES ANNEXES
ANNEXE 1 – Rétro-planning de la mission d’évaluation
ANNEXE 2 – Grille d’entretiens semi-directifs pour les sociétaires
ANNEXE 3 – Grille d’entretiens semi-directifs pour les parties prenantes
ANNEXE 4 – Synthèse des entretiens semi-directifs des sociétaires
ANNEXE 5 – Synthèse des entretiens semi-directifs des parties prenantes
ANNEXE 6 – Convention FSE
ANNEXE 7 – Questionnaire de l’enquête quantitative
ANNEXE 8 – Dictionnaire des codes
ANNEXE 9 - Revue de presse des chantiers participatifs
102

ANNEXE 1
-
PLANNING STAGE BARAKA
FEVRIER MARS AVRIL
01-févr 06-févr 13-févr 20-févr 27-févr 05-mars 12-mars 19-mars 26-mars 02-avr 09-avr 16-avr 23-avr 30-avr
S5 S6 S7 S8 S9 S10 S11 S12 S13 S14 S15 S16 S17 S18
Phase observation
démarchage commercial
mep resto service
obs°
concurrence
Opérationnel inauguration
Synthèse - analyse
entretiens
entretiens prestataires /
collectivités / fondations
entretiens sociétaires + J Godin et
Frédéric (Chenelet)
prép
Réunion
sociétaires :
debrief phase
obs° + état des
lieux US, 1ers
indic
Création
commission US
Analyse EQ
prép EQ auprès des
US participants aux chantiers tests EQ
EQ
participatifs
Construction des 1ères pistes d'indicateurs
et d'un référentiel
prospection sur expérimentations de l'US dans d'autres structures
lecture doc US
MAI
JUIN JUILLET
07-mai 14-mai 21-mai 28-mai 04-juin 11-juin 18-juin 25-juin 02-juil 09-juil 16-juil 23-juil
S19 S20 S21 S22 S23 S24 S25 S26 S27 S28 S29 S30
Phase de construction Phase évaluation
Opérationnel
Commission
US : critères
retenus,
limites,
conventions
Commission
US : quelles
finalités /
objectifs ?
Construction
référentiel
US
tests EQ EQ
Analyse EQ
prép EQ auprès des
usagers, bénéficiaires
103

ANNEXE 2
-
ENTRETIENS SEMI DIRECTIFS SOCIETAIRES
Objectif des entretiens :
Saisir leur vision de Baraka, ses finalités et ce qu’ils en attendent en termes de plus value
sociale.
a- Leur histoire avec Baraka :
(Quand, comment, pourquoi, contexte, leur rôle)
Pouvez-vous vous présenter rapidement : âge, situation familiale, parcours professionnel ...
Pourquoi et comment avez-vous intégré la coopérative Baraka ?
Quel rôle avez-vous chez Baraka ? (officiellement et officieusement)
Comment voyez-vous le rôle d’un sociétaire chez Baraka ?
Combien de temps avez-vous consacré au projet ? (consacrez-vous par mois ?)
b - Leur définition de baraka :
(Qu’en attendent-ils ? Pour eux, quel est l’objectif, les finalités de baraka ? Quelle + value
sociale ?)
Comment présentez-vous Baraka aux personnes qui ne connaissent pas ?
Quels sont pour vous les objectifs et finalités de Baraka ?
Comment saurez-vous que Baraka est un succès ?
- dans sa phase construction / reconstruction
- dans sa phase exploitation
En quoi le sinistre a-t-il impacté votre vision de Baraka ?
c – L’utilité sociale de Baraka :
Pour vous, que veut dire utilité sociale, intérêt général et fabrique de biens communs ?
En quoi Baraka a-t-elle une utilité sociale et une contribution environnementale ?
Si vous étiez amené à choisir 4 indicateurs clés pour mesurer l’utilité sociale, quels
seraient-ils ?
104

ANNEXE 3
-
ENTRETIENS SEMI DIRECTIFS PARTIES PRENANTES
Qui :
Salariés : Aurore / Fatima / David / Caro
Fournisseurs : SHS / Chenelet / Approbat
PP : LMCU / CR / Mairie de Roubaix – Mairie de quartier
Fournisseurs exploitation : banques / CEB
Usagers : voisinages / clients / Deschepper
Objectif des entretiens :
Saisir leur vision de Baraka, ses finalités et ce qu’ils en attendent en termes de plus value
sociale.
a- Leur histoire avec Baraka :
(Quand, comment, pourquoi, contexte, leur rôle)
Pouvez-vous vous présenter rapidement : âge, situation familiale, parcours professionnel,
fonction ...
Comment ont-ils pris connaissance du projet Baraka ?
Pourquoi ce projet a-t-il retenu leur attention ?
Quel rôle avez-vous joué dans la réalisation du projet ?
b - Leur définition de baraka :
(Qu’en attendent-ils ? Pour eux, quel est l’objectif, les finalités de baraka ? Quelle + value
sociale ?)
Comment définissez-vous Baraka ?
Quels sont pour vous les objectifs et finalités de Baraka ?
Comment saurez-vous que Baraka est un succès ?
- dans sa phase construction / reconstruction
- dans sa phase exploitation
En quoi le sinistre a-t-il impacté votre vision de Baraka ?
c – L’utilité sociale de Baraka :
Pour vous, que veut dire utilité sociale ?
Quelle est-elle pour Baraka ?
Si vous étiez amené à choisir 4 indicateurs clés pour mesurer l’utilité sociale, quels
seraient-ils ?
105

ANNEXE 4 – GRILLE DE SYNTHESE DES ENTRETIENS SEMI-DIRECTIFS SOCIETAIRES
THEMES SOCIETAIRE 1 SOCIETAIRE 2 SOCIETAIRE 3 SOCIETAIRE 4 SOCIETAIRE 5 SOCIETAIRE 6 SOCIETAIRE 7 SOCIETAIRE 8 SOCIETAIRE 9
Définition de - Bâtiment écolo - un lieu
- un resto bio et - une SCIC dont - bâtiment - un lieu de
- à Roubaix - Restaurant bio - investir un
Baraka - resto bio autonome local
l’objet social est écologique partage, de
- un resto - Bâtiment délaissé urbain
- deux emplois - un café citoyen - lieu
la fabrique de - Baraka c’est convivialité autour construit selon écologique - une opération
pour des
d’initiatives biens communs trouver des idées de la restauration les normes - Insertion immobilière
salariés de
- bâtiment écolo - Roubaix, un qui créent des - un bâtiment écolo écologiques - Gouvernance exemplaire
l’Univers
dans un
territoire à biens collectifs à - un resto sain et - tout le monde de SCIC
quartier sensible grande précarité partir d’une frais
peut participer - Exemplaire
réalisé par des - un bâtiment activité
- une façon de - repas à prix
citoyens
bioclimatique marchande mieux manger, de corrects, pas
- l’économique - un resto bio
lutter contre la 100% bio mais
est un prétexte - de l’insertion
malbouffe dans un de bonne qualité
endroit sain et - appartient à
atypique
tout le monde
- un groupement
de sociétaires
Finalité et
- assemblier - lieu de liberté - modèle
- lieu de partage - but un peu
objectifs de
d’initiatives - lieu où on peut marchand
social
Baraka
inventer
équilibré
- des emplois
- lieu pour faire - essaimage
du lien social
- créer de
l’emploi
Signes du - les gens qui - Foisonnement, - si on ne fait - la participation - sociétaires - bâtiment
- projet qui a - nombre de - activité
succès de sont venus rencontres pas faillite sans du FSE aux passent de - les chantiers attiré du monde sociétaires et de économique
Baraka manger
- capacité des être uniquement chantiers
spectateurs fiers participatifs
- la construction soutien à
rentable qui
- les jardins gens à faire de dans le business participatifs d’avoir investis - les soirées à voix aboutie
aujourd’hui et permet de
l’associatif, du - avoir construit - l’embauche de dans quelque haute à la maison - lieu
dans la durée : supporter
collectif, des le bâtiment dans salariés en chose de
- les visages
d’échanges taux de présence l’investissement
projets
une dent creuse insertion si elles différent à
rayonnant et - que tu te - animation de la dans le
- diversité des - ateliers de sont heureuses créateurs de l’implication des sentes comme FBC
bâtiment
usagers
jardinage
et épanouies biens communs sociétaires le jour chez toi
- la réalisation - essaimage
organisés par - les liens avec - contaminer les de l’ouverture
des prévisions en
d’autres
le quartier, si les gens qui
- agrégation de
toute ou partie
- initiatives voisins viennent viennent pour petits bouts de
- embauche
qu’ils
succès : maintien
d’autres gens de
reproduisent des emplois, bien-
l’Univers
être des salariés,
- faire des dons
équilibre
à l’Univers
économique,
- une vraie
activité non
gouvernance :
économique
propositions qui
fusent, du débat
Intérêt - fabrique de - l’économique - US est la
- C’est la même - US : mot un peu - US et IG, - US existe - US : ne veut
général, biens communs doit être au condition
chose
valise qui vient du notions qui se quand on crée de pas la définir
utilité
on dit, là j’ai du service du bien d’existence de
- Biens communs Conseil Régional rejoignent l’activité, quand car donne droit
sociale, mal
commun
Baraka
ça souligne la - IG : ce qui
- FBC :
on crée de la ou de mort de
fabrique de
- c’est ce
- US c’est un
coopération convient au + n’appartient pas relation. On peut certains sur
biens
pourquoi on peu comme
- l’US c’est très grand nombre. à quelqu’un le faire dans certaines
communs
produit
biens communs
très large
toute société. activités
- IG prédomine
106

THEMES SOCIETAIRE 1 SOCIETAIRE 2 SOCIETAIRE 3 SOCIETAIRE 4 SOCIETAIRE 5 SOCIETAIRE 6 SOCIETAIRE 7 SOCIETAIRE 8 SOCIETAIRE 9
Intérêt
- il faut le définir - FBC : qu’est-ce
Toute l’économie - FBC : toute
général,
car c’est pas sûr qu’on met tous
devrait être coopérative en
utilité
que les
ensemble dans la
utilité sociale. est une :
sociale,
sociétaires même marmite
- Rien n’est intérêts
fabrique de
sachent le faire pour faire quelque
gratuit, tout est divergents +
biens
alors si on
chose qui
dans le marché objectifs
communs
s’adresse à tous convienne au +
- IG : pour la communs =
(suite)
les gens qui grand nombre
majorité des création de
viennent au
gens et non pas richesse
restaurant , on
dans un intérêt commune
risque un certain
particulier
taux d’échec
- FBC : échanges
de biens,
d’expériences et
services
L’utilité
- ne pas
- l’agriculture - manger dans - dimension
- oui car il y a - ça ghettoïse - éco
sociale de
réfléchir trop à
urbaine
un bâtiment environnementale des emplois
construction,
Baraka
l’utilité
écologique du bâtiment
créés et qui
économie
- théorie de
- manger
- ouverture,
respectent la vie
d’énergie
l’ordre qui se
biologique et partage de savoir-
- création de
crée
local
faire
postes pour
naturellement =
- biens communs - remettre en cause
personnes en
lancer l’idée et
embryonnaires les paradigmes et
insertion
laisser se
car peu
faire avancer
construire
développés : - lire des textes
soirée lecture avec des gens pas
forcément habitués
à écouter des
textes
- initiatives par et
pour les gens du
quartier
Exemples je sais pas - j’ai du mal
- consommation - l’origine des - Nombre de
- un nombre - taux de
- emploi de
d’indicateurs
avec les
d’énergie de achats (objectif : personnes qui d’emploi qui présence aux qualité et
de mesure
mesures d’US
Baraka
- de 100km de viennent manger, reste à taille réunions sur la pérennes
- indicateurs
- pérennité de Baraka)
aux soirées lecture, humaine : que FBC
- intégration
empêchent de
l’implication des - taux des
aux AG
les gens se - Nombre
des personnes
réfléchir
salariés, bien- produits
- Nombre de
connaissent d’initiatives qui sortent d’un
- une démarche
être au travail biologiques personne squi se - le lieu : la réalisées, taux parcours
qualitative :
- provenance - contreparties mettent à lire après fréquentation de
d’insertion
débats, écritures
des usagers (autres que la les soirées lecture autre que pour transformation - vivacité du
d’histoires,
(objectif :
restauration) - Fidélité des la restauration, des idées en sociétariat :
écrire la
roubaisiens) retirées par les usagers
la fidélité des actions
présence aux
complexité
usagers de leur - Taille du noyau usagers
- taux
AG, aux
- mise en valeur
venue à Baraka dur des sociétaires - l’équilibre d’exemplarité : réunions,
des
- équilibre
économique et nombre de nombre de
contradictions,
économique
la notoriété de personnes qui pouvoirs …
les compromis
Baraka
viennent
trouvés
- l’esprit de
- ne pas penser
Baraka, la
le bonheur à la
capacité à
place des gens
débattre
107

ANNEXE 5 – GRILLE DE SYNTHESE DES ENTRETIENS SEMI-DIRECTIFS PARTIES PRENANTES
THEMES PARTIE PRENANTE 10 PARTIE PRENANTE 11 PARTIE PRENANTE 12 PARTIE PRENANTE 13
Définition de - Réappropriation de l’espace public - bâtiment écologique
- système coopératif : mise en - implantation territoriale
Baraka en jachère
- beaucoup de sociétaires dans le commun de toutes les énergies - continuité du travail des associations
- déboucher d’emploi pour
projet
pour trouver des solutions,
d’insertion
personnes en insertion
- nourriture bio
partager l’information, donner sans - projet global
- bâtiment écolo
- tout est sain
attendre de retour
- projet économique
- va au-delà du financier
- participation des habitants au
projet (SCIC + chantiers
participatifs)
- création d’emplois
- être autonome financièrement à terme
- pour les gens autour - essaimage
- mixité de la clientèle, des salariés
- que le restaurant ouvre et qu’il y
ait du monde
- s’il y a du monde qui revient et
souvent
- la publicité
- ce que pensent les gens de Baraka
- si acteurs locaux s’approprient le
projet : s’ils le connaissent et
savent en parler
- le bâtiment
- le nombre d’emplois créés
- le nombre de sociétaires
- US : je ne connais pas cette
notion
Finalité et
objectifs de
Baraka
Signes du
succès de
Baraka
- US n’est pas universelle, dépend du
projet
- est contingente à un territoire
- attentive aux publics ne difficulté
- c’est trop difficile pour moi - n’importe quelle entreprise aune
activité sociale et économique
(me renvoie à la réponse à l’appel à
projet mais Baraka n’y a pas répondu)
Intérêt
général,
utilité
sociale,
fabrique de
biens
communs
L’utilité
sociale de
Je ne sais pas - réussir dans un quartier difficile
- faire venir des gens qui n’y
viendraient pas naturellement
- la mixité des gens
- lien avec le tissu social et local
- être accessible pour tous
- lieu de vie et de partage
- troc de livres, ateliers cuisine,
chantiers participatifs
- comment Bk existe en dehors du
lieu, n’est pas seulement un lieu
- trop tendance à évaluer le
quantitatif et pas suffisamment le
qualitatif
- difficile de mesurer la qualité de
l’US
Baraka
- richesse produite (CA, flux financiers)
pour le territoire et ne pas être que dans
redistribution
- population embauchée = personnes en
insertion
Je ne sais pas - nombre de couverts
- origine géographique des usagers
- économie de la consommation
d’énergie
Exemples
d’indicateurs
de mesure
108

ANNEXE 6 – CONVENTION FSE (Extraits)
109

110

111

112

113

114

115

116

117

118

119

120

121

122

ANNEXE 7
Questionnaire de satisfaction des chantiers participatifs 2011
Q1. Vous avez : < de 18 ans ☐
18-25 ans ☐
16-35 ans ☐
36-55 ans ☐
> 55 ans ☐
Q2. Vous intéressez-vous à l’écologie ? Beaucoup ☐
Un peu ☐
Faiblement ☐
Pas du tout ☐
Q3. Lors des chantiers participatifs, à quel(s) stage(s) avez-vous participé ?
(Plusieurs réponses possibles)
Fabrication de mobilier et d’éléments de jardin ☐
Isolation paille du bâtiment ☐
Insufflation de ouate de cellulose pour l’isolation du bâtiment ☐
Pose d’enduit naturel ☐
Pose de bardage bois non traité ☐
Installation et pose de la terrasse et du mobilier de jardin ☐
Q4. Combien de temps a duré votre stage ?
Entre 1 et 5 jours ☐
Entre 6 et 10 jours ☐
Entre 10 et 15 jours ☐
+ de 15 jours ☐
Q5. Sur chacun des thèmes ci-dessous, vous avez trouvé l’apprentissage :
L’éveil musculaire
Des techniques ou astuces pour
construire soi-même
Des techniques ou astuces pour
construire de manière écologique
Des techniques ou astuces pour réduire
la consommation d’énergie
Les consignes de sécurité sur un chantier
L’utilisation de nouveaux outils
*Ne sait pas
Très bon Bon Moyen Insuffisant NSP*
123

Q6. Avez-vous eu l’occasion de reproduire une des techniques apprises ? Oui ☐
Non ☐
Si oui, la ou lesquelles ? ____________
Si oui, dans quel cadre ? Dans mon travail ☐
Dans mon logement ☐
Pour un proche ☐
Autre : _______________
Q7. Ce stage vous a-t-il donné envie de travailler dans la construction de bâtiment ?
Oui ☐
Non ☐
J’y travaille déjà ☐
Je suis à la retraite ☐
Q8. Dans la liste suivante, quelles sont les 3 choses que vous avez le + aimé pendant le stage :
*Connaître de nouvelles personnes ☐
*Parler avec les autres participants ☐
*Travailler en équipe ☐
*Recevoir un diplôme, une attestation de stage ☐
*Apprendre des choses nouvelles ☐
*Construire moi-même ☐
*Participer à un projet collectif comme Baraka (social, écolo …) ☐
Q9. Le stage vous a-t-il permis de découvrir les avantages des constructions en bois (économie
d’énergie, stockage carbone …) ?
Oui ☐
Non ☐
Je connaissais déjà ☐
Q10. Depuis le stage, vous intéressez-vous :
à l’écologie
aux constructions en bois
à l’économie d’énergie
aux métiers du bâtiment
à faire les choses moi-même plutôt que d’acheter
à participer à la vie de mon quartier
Plus Autant Moins Toujours pas
124

Q11. Avez-vous gardé contact avec d’autres stagiaires (que vous ne connaissiez pas avant le stage) ?
Oui ☐
Non ☐
Si non, pourquoi : pas envie ☐
pas besoin ☐
pas le temps ☐
pas du quartier ☐
Comptez-vous le faire + tard : Oui ☐
je ne pense pas ☐
Q12. Etes-vous retourné(e) à Baraka depuis le stage ? Oui ☐
Non ☐
Si oui, quand ? lors de l’inauguration ☐
pour déjeuner ☐
lors de l’incendie ☐
lors du café voisins du 2 juin ☐
pour le déménagement ☐
en passant devant ☐
j’y travaille ou je suis sociétaire ☐
pour visiter ou faire visiter à des proches ☐
Si non, pourquoi : pas envie ☐
pas besoin ☐
trop loin ☐
pas le temps ☐
Comptez-vous le faire + tard : oui ☐
je ne pense pas ☐
Q13. Souhaitez-vous rajouter quelque chose ?
125

ANNEXE 8 - DICTIONNAIRE DES CODES
Q° N° Enoncé de la question Variable Modalité de la variable
18-25 ans 0
1 Vous avez AGE
2 Vous intéressez-vous à l'écologie ? ECOLO
3
5
5
Lors des chantiers participatifs, à quel(s) stage(s) avez-vous
participé ?
Pour chacun des thèmes ci-dessous, vous avez trouvé
l’apprentissage (L’éveil musculaire)
Pour chacun des thèmes ci-dessous, vous avez trouvé
l’apprentissage (Des techniques ou astuces pour construire
soi-même)
STAGE
4 Combien de temps a duré votre stage ? DUREE
5
5
5
5
5
6
Pour chacun des thèmes ci-dessous, vous avez trouvé
l’apprentissage (Des techniques ou astuces pour construire
de manière écologique)
Pour chacun des thèmes ci-dessous, vous avez trouvé
l’apprentissage (Des techniques ou astuces pour réduire la
consommation d’énergie)
Pour chacun des thèmes ci-dessous, vous avez trouvé
l’apprentissage ( consignes de sécurité sur un chantier)
Pour chacun des thèmes ci-dessous, vous avez trouvé
l’apprentissage (L’utilisation de nouveaux outils)
EVEIL
AUTOCONST
ECOCONS
CONSOEGIE
SECU
OUTILS
6 Si Oui, la ou lesquelles ? TECH
6 Si Oui, dans quel cadre ? CADRE
7
8
8
8
9
Pour chacun des thèmes ci-dessous, vous avez trouvé
l’apprentissage (L’utilisation de nouveaux matériaux)
Avez-vous eu l’occasion de reproduire une des techniques
apprises ?
Ce stage vous a-t-il donné envie de travailler dans la
construction de bâtiment ?
Dans la liste suivante, quelles sont les 3 choses que vous
avez le + aimé pendant le stage :
Dans la liste suivante, quelles sont les 3 choses que vous
avez le + aimé pendant le stage :
Dans la liste suivante, quelles sont les 3 choses que vous
avez le + aimé pendant le stage :
Le stage vous a-t-il permis de découvrir les avantages des
constructions en bois (économie d’énergie, stockage carbone
…) ?
MATERX
REPRO
BAT
PREF1
PREF2
PREF3
BOIS
26-35 ans 1
36-55 ans 2
>55 ans 3
Beaucoup 0
Un peu 1
Faiblement 2
Pas du tout 3
Fabrication de mobilier et d’éléments de jardin 0
Isolation paille du bâtiment 1
Insufflation de ouate de cellulose pour l’isolation du bâtiment 2
Pose d’enduit naturel 3
Pose de bardage bois non traité 4
Installation et pose de la terrasse et du mobilier de jardin 5
Entre 1 et 5 jours 0
Entre 6 et 10 jours 1
Entre 10 et 15 jours 2
+ de 15 jours 3
Très bon 0
bon 1
Moyen 2
Insuffisant 3
Ne sait pas 4
Très bon 0
bon 1
Moyen 2
Insuffisant 3
Très bon 0
bon 1
Moyen 2
Insuffisant 3
Très bon 0
bon 1
Moyen 2
Insuffisant 3
Très bon 0
bon 1
Moyen 2
Insuffisant 3
Très bon 0
bon 1
Moyen 2
Insuffisant 3
Très bon 0
bon 1
Moyen 2
Insuffisant 3
Oui 0
Non 1
0
1
2
3
Dans mon travail 0
Dans mon logement 1
Pour un proche
2
Autre 3
Oui 0
Non 1
Je suis à la retraite 2
J'y travaille déjà 3
Connaître de nouvelles personnes 0
Parler avec les autres participants 1
Travailler en équipe 2
Recevoir un diplôme 3
Apprendre des choses nouvelles 4
Construire moi-même 5
Participer à un projet collectif comme Baraka (social, écolo …) 6
Connaître de nouvelles personnes 0
Parler avec les autres participants
1
Travailler en équipe
2
Recevoir un diplôme
3
Apprendre des choses nouvelles 4
Construire moi-même 5
Participer à un projet collectif comme Baraka (social, écolo …) 6
Connaître de nouvelles personnes 0
Parler avec les autres participants
1
Travailler en équipe
2
Recevoir un diplôme
3
Apprendre des choses nouvelles 4
Construire moi-même 5
Participer à un projet collectif comme Baraka (social, écolo …) 6
Oui 0
Non 1
Je connaissais déjà 2
Enquête quantitative juillet 2012 - Chantiers participatifs - Coopérative Baraka
126

ANNEXE 8 - DICTIONNAIRE DES CODES
Q° N° Enoncé de la question Variable Modalité de la variable
18-25 ans 0
1 Vous avez AGE
2 Vous intéressez-vous à l'écologie ? ECOLO
3
5
5
Lors des chantiers participatifs, à quel(s) stage(s) avez-vous
participé ?
Pour chacun des thèmes ci-dessous, vous avez trouvé
l’apprentissage (L’éveil musculaire)
Pour chacun des thèmes ci-dessous, vous avez trouvé
l’apprentissage (Des techniques ou astuces pour construire
soi-même)
STAGE
4 Combien de temps a duré votre stage ? DUREE
5
5
5
5
5
6
Pour chacun des thèmes ci-dessous, vous avez trouvé
l’apprentissage (Des techniques ou astuces pour construire
de manière écologique)
Pour chacun des thèmes ci-dessous, vous avez trouvé
l’apprentissage (Des techniques ou astuces pour réduire la
consommation d’énergie)
Pour chacun des thèmes ci-dessous, vous avez trouvé
l’apprentissage ( consignes de sécurité sur un chantier)
Pour chacun des thèmes ci-dessous, vous avez trouvé
l’apprentissage (L’utilisation de nouveaux outils)
EVEIL
AUTOCONST
ECOCONS
CONSOEGIE
SECU
OUTILS
6 Si Oui, la ou lesquelles ? TECH
6 Si Oui, dans quel cadre ? CADRE
7
8
8
8
9
Pour chacun des thèmes ci-dessous, vous avez trouvé
l’apprentissage (L’utilisation de nouveaux matériaux)
Avez-vous eu l’occasion de reproduire une des techniques
apprises ?
Ce stage vous a-t-il donné envie de travailler dans la
construction de bâtiment ?
Dans la liste suivante, quelles sont les 3 choses que vous
avez le + aimé pendant le stage :
Dans la liste suivante, quelles sont les 3 choses que vous
avez le + aimé pendant le stage :
Dans la liste suivante, quelles sont les 3 choses que vous
avez le + aimé pendant le stage :
Le stage vous a-t-il permis de découvrir les avantages des
constructions en bois (économie d’énergie, stockage carbone
…) ?
MATERX
REPRO
BAT
PREF1
PREF2
PREF3
BOIS
26-35 ans 1
36-55 ans 2
>55 ans 3
Beaucoup 0
Un peu 1
Faiblement 2
Pas du tout 3
Fabrication de mobilier et d’éléments de jardin 0
Isolation paille du bâtiment 1
Insufflation de ouate de cellulose pour l’isolation du bâtiment 2
Pose d’enduit naturel 3
Pose de bardage bois non traité 4
Installation et pose de la terrasse et du mobilier de jardin 5
Entre 1 et 5 jours 0
Entre 6 et 10 jours 1
Entre 10 et 15 jours 2
+ de 15 jours 3
Très bon 0
bon 1
Moyen 2
Insuffisant 3
Ne sait pas 4
Très bon 0
bon 1
Moyen 2
Insuffisant 3
Très bon 0
bon 1
Moyen 2
Insuffisant 3
Très bon 0
bon 1
Moyen 2
Insuffisant 3
Très bon 0
bon 1
Moyen 2
Insuffisant 3
Très bon 0
bon 1
Moyen 2
Insuffisant 3
Très bon 0
bon 1
Moyen 2
Insuffisant 3
Oui 0
Non 1
0
1
2
3
Dans mon travail 0
Dans mon logement 1
Pour un proche
2
Autre 3
Oui 0
Non 1
Je suis à la retraite 2
J'y travaille déjà 3
Connaître de nouvelles personnes 0
Parler avec les autres participants 1
Travailler en équipe 2
Recevoir un diplôme 3
Apprendre des choses nouvelles 4
Construire moi-même 5
Participer à un projet collectif comme Baraka (social, écolo …) 6
Connaître de nouvelles personnes 0
Parler avec les autres participants
1
Travailler en équipe
2
Recevoir un diplôme
3
Apprendre des choses nouvelles 4
Construire moi-même 5
Participer à un projet collectif comme Baraka (social, écolo …) 6
Connaître de nouvelles personnes 0
Parler avec les autres participants
1
Travailler en équipe
2
Recevoir un diplôme
3
Apprendre des choses nouvelles 4
Construire moi-même 5
Participer à un projet collectif comme Baraka (social, écolo …) 6
Oui 0
Non 1
Je connaissais déjà 2
Enquête quantitative juillet 2012 - Chantiers participatifs - Coopérative Baraka
127

ANNEXE 9 – REVUE DE PRESSE
ROUBAIX / RESTAURANT LA BARAKA
Une première recette alléchante
Publié le vendredi 11 novembre 2011 à 06h00 – Nord Eclair
Une expérience on ne peut plus enrichissante pour les
responsables du projet Baraka et pour les salariés des
Papillons blancs.
Ça a l'air de rien une mayonnaise ! Mais cela exige une
certaine dextérité. Tout est dans le dosage, la qualité des
produits, la température ambiante, le tour de main. Parmi
les ingrédients de la mayonnaise « chantiers participatifs »
de la Baraka, des personnes handicapées. Mais les
Papillons blancs se sont sentis comme des poissons dans
l'eau.
La dernière ligne droite... Pierre Wolf, le gérant de la coopérative annonce la fin de chantier du restaurant la
Baraka à l'angle des rues du Nord et de Sébastopol pour le 12 janvier. En vue d'une ouverture dans les semaines
suivantes.
La fin d'une belle aventure humaine avant le début d'une autre. La Baraka en effet ce ne fut pas un chantier tout à
fait comme les autres. Aux côtés de l'architecte, des spécialistes de la construction basse consommation
énergétique, des béotiens de l'écologie... Des artisans traditionnels désireux de s'initier à des pratiques nouvelles,
des retraités aussi disponibles que curieux, une orthophoniste néerlandaise vivant dans un camping car et sept
jeunes handicapés participant aux chantiers d'insertion protégés gérés par les SISEP des Papillons blancs de
Roubaix-Tourcoing et de Lille.
Au total, d'ici le 2 septembre, date de conclusion des chantiers participatifs, mis en place par la coopérative La
Baraka et Chênelet Développement (une structure d'insertion et de formation d'Audrethun fortement impliquée
dans le développement durable), 86 stagiaires de toutes origines se sont investis dans une quinzaine de modules
de formation successifs s'étalant sur une semaine : l'isolation des murs avec de la paille, l'isolation des toitures
avec de la ouate de cellulose, le bardage en bois de mélèze bûcheronné dans le Pas de Calais, la fabrication et le
lissage d'enduits chaux-sable-terre, la conception et la réalisation de nichoirs pour oiseaux, d'abris pour insectes,
de jardinières et de dalles de terrasse en acacia (ce module étant proposé à Audrethun).
Comme une lettre à la poste
Les équipes intervenant sur ces chantiers participatifs comprennent de 5 à 6 personnes. Ce sont des équipes
mixtes associant des personnes valides et des handicapés. On pouvait craindre que cette mixité pose problème.
Pas du tout. « C'est passé comme une lettre à la poste », assure Jérémie Gaudin, coordinateur des formations chez
Chênelet développement. Chacun avançait à son rythme et bénéficiait de l'apport des autres, les modules se
répartissant entre une journée de formation et quatre journées de chantier. « On a ainsi vu des jeunes des
Papillons blancs apporter de judicieux conseils à des néophytes un peu désarçonnés. » Michelle Fargeon,
sociétaire de la coopérative Baraka et coordinatrice des chantiers participatifs et Valérie Devestel, chef de service
au SISEP des Papillons blancs de Roubaix-Tourcoing en charge des chantiers d'insertion estiment elles aussi que
l'essai a été concluant.
Pierre Wolf, pour sa part, considère que la coopérative, grâce au soutien de la mairie et aux fonds européens qui
ont permis cette expérience, a pleinement répondu à sa vocation : créer un bien commun tout en apportant une
valeur ajoutée solidaire à la construction de l'équipement.
Et ce ne sont certainement pas Jimmy, Philippe, Michaël, Antony et Christophe, cinq des salariés des Papillons
blancs qui ont découvert l'isolation avec la paille, les enduits ou encore la menuiserie qui le démentiront. L'un
d'eux a demandé à Pierre Wolf quand le restaurant serait ouvert. Il aimerait bien s'attabler là où pour lui se sont
dessinés d'autres horizons...
128

La Baraka, ce n’est plus la scoumoune...
DIMANCHE 25 SEPTEMBRE 2011 – Nord Eclair
Au mois de juillet, Pierre Wolf, gérant de la coopérative La Baraka se faisait un sang d’encre. En raison de
retards au démarrage du chantier de son restaurant de type « passiv‐haus », le calendrier des formations à
l’éco‐construction se trouvait bouleversé. Cette fois, c’est bien parti.
La faute à une dalle de béton mal coulée et à une cage
d’ascenseur installée de façon pas très catholique. Rien à
voir avec l’écoconstruction et le « passiv-haus »
proprement dits mais, au final, ces malfaçons ont retardé
de plus d’un mois le démarrage des divers modules de
formation proposés dans le cadre du chantier de
construction de la Baraka par la coopérative Chênelet de
Landrethun. « J’ai passé un été épouvantable. Ce n’était
plus la Baraka, mais la scoumoune », se rappelle Pierre
Wolf, gérant du futur restaurant.
Durant une partie de ses vacances, il lui a fallu recontacter
chacune des personnes qui s’étaient inscrites à l’un ou
l’autre des modules de formation pour les prévenir de
l’ajournement, étudier avec elles la possibilité d’une
réinscription, redéfinir avec Chênelet
Développement un nouveau calendrier. « On a presque
rattrapé le retard initial », assure aujourd’hui
Pierre Wolf qui ne désespère pas d’ouvrir, comme annoncé
le 7 mai dernier, la Baraka en début d’année prochaine. Une orthophoniste néerlandaise et une adjointe en retraite
Et c’est vrai que ces dernières semaines le chantier a considérablement avancé. Qu’il s’agisse des salariés de
Chênelet ou des « amateurs » qui se forment, chacun en met un coup. Sous la responsabilité de Frédéric Rojas,
l’encadrant de Chênelet, étudiant l’isolation à la paille, des stagiaires aux motivations diverses : Michaël qui vient
des Papillons Blancs, association avec laquelle une convention a été signée, Denise, ancienne adjointe et jeune
retraitée, tout heureuse de faire découvrir son nouveau job à sa petite fille, Gaétan, un artisan charpentier qui
s’intéresse de près aux constructions en bois et, depuis que les assurances se montrent moins tatillonnes en ce
domaine, à l’isolation en paille. Et puis aussi... Manon. Orthophoniste à Rotterdam, Manon a eu vent par Internet
de cette formation. Elle vit actuellement dans un camping-car pour ne rien rater du chantier. « Mon rêve, ce serait
de construire un écovillage. Je n’ai pas encore trouvé l’endroit mais je compte bien y arriver. » Cette aventure
collective est loin d’être terminée. Si les divers modules de formation affichent pour une bonne part complet, il
existe encore quelques places disponibles pour s’initier à l’enduit en terre, au bardage et à la réalisation de
terrasses en bois. « Au total, 77 personnes auront ainsi pu se former à la construction bioclimatique. Mais comme
nous sommes subventionnés par le Fonds social européen, nous sommes tenus d’accueillir une quarantaine issues
de zones urbaines sensibles », indique Pierre Wolf. La Baraka, bientôt une référence pour les journées du
patrimoine ? Le gérant sourit : « C’est vrai qu’en l’état actuel du chantier, il nous était difficile de participer à la
dernière programmation mais l’office du tourisme a pris contact
avec nous. Il compte organiser des visites le 19 novembre et le 3 décembre de 10 à 12 h. »
Pour tout renseignement ou inscription aux modules encore accessibles : www.cooperativebaraka.fr ou
chantiers@cooperativebarka.fr. Ou encore en se rendant sur place à l’angle des rues du Nord et de Sébastopol
tous les mardis à 11 h 30.
129

Avant de manger à la table de Baraka, Pierre Wolf vous invite à en
bâtir les murs !
Publié le 13/04/2011 à 05h22 – La Voix du Nord
Baraka, c'est un restaurant à dominante bio dont l'ouverture est programmée pour janvier
2012, c'est aussi un bâtiment bioclimatique passif et un chantier participatif... Une addition de
défis qui rend le projet unique et passionnant, de la première planche au premier plat du jour.
PAR OLIVIER HENNION
roubaix@lavoixdunord.fr
Rome ne s'est pas faite en un jour, Baraka non plus.
L'idée de ce restaurant alliant l'écologie,
l'accompagnement social et l'engagement citoyen est
née en septembre 2009 au sein de l'association
l'Univers (la cantine du coeur de la rue de l'Épeule), de
la conjonction des ambitions et des envies d'une vingtaine d'intervenants et de bénévoles. Pierre Wolf était de
ceux-là. Cet après-midi, le terrain de 129 m² qui accueillera le restaurant à l'angle des rues du Nord et Sébastopol
deviendra officiellement la propriété de la société coopérative d'intérêt collectif Baraka dont il est le gérant. « Les
travaux devraient commencer vendredi. Pour en arriver là, il a tout de même fallu un an de travail pour affiner le
dossier et réunir les fonds. » Car le projet Baraka n'a rien de la fantaisie « écolo » un brin idéaliste. Le budget
total de l'opération est de 820 000 euros, dont 200 000 apportés par les 82 sociétaires de la coopérative, 200 000
provenant de subventions et 420 000 euros de prêts bancaires. « On a réellement l'intention de faire tourner ce
restaurant, même si le lieu sera aussi à disposition des associations pour des ateliers, des activités », précise Pierre
Wolf. Le restaurant Baraka sera même le premier bâtiment en France construit selon les principes de « maison
passive » à accueillir du public. « Il n'y aura aucun radiateur à l'intérieur. L'isolation des murs en paille, les baies
vitrées, l'orientation sud et un système de ventilation conservant les calories à l'intérieur devraient nous garantir
une chaleur constante. » Des panneaux solaires posés sur le toit chaufferont l'eau, et une terrasse sera installée à
l'étage.
Baraka est donc un projet à haute teneur écologique... Mais pas seulement. « Le développement durable ne se
limite pas au bâtiment, ce que nous défendons ici est une autre façon d'entreprendre ». Cela se traduira
concrètement par la mise en place de chantiers participatifs qui s'étendront de la mi-juin à la mi-septembre. Ces
chantiers se découpent en modules de cinq jours durant lesquels des personnes travaillent bénévolement sous la
responsabilité d'un encadrant (un cadre pour trois stagiaires) dans un domaine précis lié à l'éco-construction. Au
terme de la période de travail, les bénévoles reçoivent une attestation de formation. « Des structures comme les
Papillons blancs, la MIE ou l'École de la deuxième chance nous ont déjà contactés », précise Pierre Wolf qui est
toujours à la recherche de volontaires pour les différentes tranches de chantier. Notamment des artisans en quête
de certifications professionnelles dans le secteur de l'éco-construction.
Côté cuisine, on jouera la carte de l'insertion puisque deux des salariés du futur restaurant seront des anciens de
l'Univers, embauchés en contrat aidé. « Nous serons cinq en tout ici lorsque le restaurant fonctionnera... Et audelà
de toutes ces questions, ce qui compte vraiment c'est que les gens viennent y manger et nous permettent de
continuer l'aventure. » •
Renseignements et inscriptions aux chantiers www.cooperativebaraka.fr ou chantiers@cooperativebaraka.fr
130

TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION .............................................................................................................................................. 5
PARTIE 1 ‐ MONOGRAPHIE DE BARAKA ................................................................................................. 8
1. LA METHODOLOGIE MOBILISEE DURANT LE STAGE ............................................................................ 8
2. GENESE DE BARAKA ET PREMIERS PAS ........................................................................................... 9
2.1. Genèse du projet Baraka ................................................................................................................................ 9
2.1.1. Le contexte territorial ............................................................................................................................................................... 9
2.1.2. L’origine du projet ...................................................................................................................................................................... 9
2.1.3. La concrétisation de l’idée en projet ................................................................................................................................ 11
2.1.4. Mettre l’économique au service d’un intérêt collectif .............................................................................................. 16
2.2. Le pluralisme des valeurs ............................................................................................................................ 19
2.2.1. La dimension environnementale ....................................................................................................................................... 19
2.2.2. La dimension sociale ............................................................................................................................................................... 20
2.2.3. La dimension économique ................................................................................................................................................... 21
2.2.4. L’ancrage territorial et proximité ..................................................................................................................................... 22
2.2.5. La gouvernance démocratique ........................................................................................................................................... 23
2.3. Les moyens du projet ..................................................................................................................................... 24
2.4. Le projet suite au sinistre ............................................................................................................................ 25
2.4.1. Les causes du sinistre ............................................................................................................................................................. 25
2.4.2. Les conséquences de l’incendie ......................................................................................................................................... 26
2.4.2.1. Les investissements matériels .................................................................................................................................. 26
2.4.2.2. Les conséquences humaines ...................................................................................................................................... 27
2.4.2.3. Une fragilisation économique du projet ................................................................................................................ 28
2.4.2.4. Une solidarité concrète ................................................................................................................................................. 29
2.4.3. La reconstruction ..................................................................................................................................................................... 31
2.4.3.1. Pierre Wolf ......................................................................................................................................................................... 31
2.4.3.2. La question du transfert d’activité .......................................................................................................................... 31
2.4.3.3. Les travaux ......................................................................................................................................................................... 32
2.4.3.4. La viabilité économique ............................................................................................................................................... 35
2.4.3.5. La « fabrique de biens communs » .......................................................................................................................... 37
3. CONCLUSION DE LA MONOGRAPHIE ............................................................................................... 39
3.1. Un projet inscrit dans l’économie sociale et solidaire .................................................................... 39
3.2. Force du projet politique et innovation ................................................................................................ 41
PARTIE 2 – MES MISSIONS AU SEIN DE BARAKA ............................................................................... 42
1. CONTEXTE DU STAGE ................................................................................................................... 42
1.1. Genèse .................................................................................................................................................................. 42
1.2. La notion d’utilité sociale, une question d’actualité ........................................................................ 42
1.3. Les enjeux de l’utilité sociale ...................................................................................................................... 45
131

1.4. L’évaluation de l’utilité sociale de Baraka, une nécessité ? .......................................................... 46
1.4.1. Objectifs externes ..................................................................................................................................................................... 46
1.4.2. Objectifs internes ..................................................................................................................................................................... 47
1.5. Réceptivité des sociétaires à l’évaluation de l’utilité sociale de Baraka ................................ 47
2. MISSION PRINCIPALE : L’EVALUATION DE L’UTILITE SOCIALE DE BARAKA .......................................... 48
2.1. Expertise demandée ...................................................................................................................................... 48
2.2. Déroulement de la mission ......................................................................................................................... 48
2.3. Opportunités et difficultés rencontrées au cours de cette 1ère étape ..................................... 49
3. EVOLUTION SUITE AU SINISTRE ..................................................................................................... 51
3.1. Les raisons de reporter la démarche d’évaluation ........................................................................... 51
3.2. Mes nouvelles missions ................................................................................................................................. 52
4. ELEMENTS DE REFLEXIVITE SUR LE STAGE ..................................................................................... 53
4.1. « Dé formatage » ............................................................................................................................................. 53
4.2. Coopération ....................................................................................................................................................... 54
PARTIE 3 ‐ EVALUER L’UTILITE SOCIALE D’UNE STRUCTURE ...................................................... 55
1. EVALUER SON UTILITE SOCIALE ..................................................................................................... 55
1.1. Les avantages de la démarche d’évaluation ....................................................................................... 57
1.2. Les inconvénients et risques de la démarche d’évaluation ........................................................... 57
1.3. Les méthodes d’évaluation ......................................................................................................................... 58
2. L’EVALUATION DE L’UTILITE SOCIALE DE BARAKA ............................................................................ 59
2.1. La méthodologie de l’évaluation de l’utilité sociale de Baraka .................................................. 59
2.1.1. La phase exploratoire ............................................................................................................................................................. 59
2.1.2. La phase de construction de l’évaluation ....................................................................................................................... 60
2.1.3. Eléments de réflexivité sur la démarche ........................................................................................................................ 60
2.2. Travaux préparatoires : les entretiens semi‐directifs ..................................................................... 61
2.2.1. Le processus ............................................................................................................................................................................... 61
2.2.2. Les limites de la technique d’entretiens semi‐directifs ........................................................................................... 62
2.2.3. Synthèse et analyse transversale des entretiens semi‐directifs .......................................................................... 62
2.2.3.1. Une finalité commune ................................................................................................................................................... 62
2.2.3.2. L’utilité sociale, une notion méconnue .................................................................................................................. 64
2.2.3.3. Les indicateurs : quelques pistes ............................................................................................................................. 65
3. LES CHANTIERS PARTICIPATIFS : ESSAI D’EVALUATION DES IMPACTS ............................................... 69
3.1. La méthode mobilisée pour l’étude des chantiers participatifs .................................................. 69
3.2. Les chantiers participatifs : un processus de construction original ......................................... 70
3.2.1. Le mécanisme opérationnel ................................................................................................................................................ 71
132

3.2.2. Le financement des chantiers ............................................................................................................................................. 71
3.2.3. Le recrutement des stagiaires ............................................................................................................................................ 72
3.3. Les objectifs et enjeux des chantiers participatifs ............................................................................ 74
3.3.1. Les objectifs selon la convention FSE .............................................................................................................................. 74
3.3.2. Les enjeux et objectifs de la coopérative Baraka ........................................................................................................ 76
3.3.3. Les enjeux et objectifs pour le groupe Chênelet ......................................................................................................... 76
3.4. L’évaluation des impacts des chantiers participatifs ...................................................................... 77
3.4.1. La méthodologie de l’enquête quantitative .................................................................................................................. 78
3.4.1.1. L’échantillonnage ............................................................................................................................................................ 78
3.4.1.2. La construction des questionnaires ........................................................................................................................ 78
3.4.1.3. Les limites de l’enquête ................................................................................................................................................ 80
3.4.2. L’analyse des résultats ........................................................................................................................................................... 81
3.4.2.1. Le profil des stagiaires .................................................................................................................................................. 81
3.4.2.2. L’initiation à l’éco‐construction et l’auto‐construction .................................................................................. 83
3.4.2.3. La valorisation des métiers du bâtiment .............................................................................................................. 85
3.4.2.4. L’impact sur les participants selon les objectifs des parties prenantes .................................................. 86
3.4.3. L’analyse des résultats : la parole des usagers ............................................................................................................ 87
3.5. Le bilan des chantiers participatifs ........................................................................................................ 91
3.5.1. Le bilan pour le FSE ................................................................................................................................................................. 91
3.5.2. Le bilan pour la coopérative Baraka ................................................................................................................................ 92
3.5.3. Le bilan pour le groupe Chênelet ...................................................................................................................................... 92
3.5.4. Les clés de la réussite et les axes de progrès des chantiers ................................................................................... 93
CONCLUSION ................................................................................................................................................. 96
BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................................... 100
TABLES DES ANNEXES ............................................................................................................................. 102
TABLE DES MATIERES ............................................................................................................................. 131
133