Treize façons de regarder Wallace Stevens : une écriture de la ...
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Arob@se, Vol. 3, n° 2<br />
<strong>Treize</strong> <strong>façons</strong> <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r <strong>Wal<strong>la</strong>ce</strong><br />
<strong>Stevens</strong> : <strong>une</strong> <strong>écriture</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> présence<br />
De A<strong>la</strong>in Suberchicot<br />
Paris : L’harmattan, 1998, 304 pages, ISBN : 2-7384-7066-1.<br />
Philippe Romanski<br />
On se souviendra <strong>de</strong>s treize regards que porte <strong>Wal<strong>la</strong>ce</strong> <strong>Stevens</strong> sur son merle.<br />
Dans <strong>Treize</strong> <strong>façons</strong> <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r <strong>Wal<strong>la</strong>ce</strong> <strong>Stevens</strong> (ouvrage publié dans <strong>la</strong> collection<br />
« Le Mon<strong>de</strong> Nord-Américain » dirigée par Pierre Lagayette), A<strong>la</strong>in Suberchicot, en<br />
un acte mimétique inspiré, entreprend d’observer, lui aussi treize fois, l’œuvre du<br />
célèbre poète américain. Assurément, il y a, en ces regards / analyses l’affirmation<br />
que plusieurs tentatives (convergentes mais jamais redondantes), sont nécessaires si<br />
l’on désire cerner au plus juste l’objet que l’on s’est fixé. Toutefois, si l’humilité du<br />
chercheur est évi<strong>de</strong>nte dans cette volonté <strong>de</strong> « s’y reprendre » à treize fois, se manifeste<br />
surtout, dans ce travail, <strong>une</strong> volonté herméneutique efficace et originale qui<br />
sait prendre en compte les fruits <strong>de</strong> <strong>la</strong> critique anglo-saxonne (Bloom, Longenbach,<br />
Vendler) et intégrer <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong> philosophes tels que Hegel, <strong>de</strong> Man, Habermas ou<br />
Derrida.<br />
Parmi les intentions <strong>de</strong> cet ouvrage <strong>de</strong>nse et riche, figure celle <strong>de</strong> montrer comment<br />
<strong>Stevens</strong> tente avec succès <strong>de</strong> dire, par le <strong>la</strong>ngage, <strong>la</strong> présence fuyante, héraclitéenne<br />
<strong>de</strong>s choses et comment en un constant retour sur elle-même son œuvre est,<br />
finalement, <strong>une</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>la</strong> fraîcheur du regard. Or <strong>la</strong> chose ne va pas <strong>de</strong> soi.<br />
L’ouvrage <strong>de</strong> Suberchicot s’attache ainsi à étudier <strong>de</strong> front, sans détours et dans ses<br />
moindres manifestations et / ou modalisations, le rapport problématique, tendu, que<br />
<strong>la</strong> poésie <strong>de</strong> <strong>Stevens</strong> établit entre l’<strong>écriture</strong> et <strong>la</strong> présence (nécessaire) du moi au<br />
mon<strong>de</strong>, entre l’imaginaire et le réel, entre l’abstraction et le concret. Et c’est bien là<br />
le conflit qui tourmente <strong>Stevens</strong> : pour être capable <strong>de</strong> projeter l’imaginaire à partir<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité, le poète doit, en <strong>une</strong> sorte d’épochè phénoménologique, s’abstraire <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> réalité et <strong>la</strong> dissoudre pour l’exalter dans son évanescence, dans <strong>la</strong> présence <strong>de</strong><br />
son absence. Mais, comme cette solution n’est qu’à moitié satisfaisante, en <strong>une</strong> progression<br />
qui serait celle du funambule luttant contre le vertige, le poète sait aussi<br />
Arobase : journal <strong>de</strong>s lettres & sciences humaines 1
2 Arobase : journal <strong>de</strong>s lettres & sciences humaines<br />
Arob@se, Vol. 3, N° 2<br />
qu’il doit envisager son art, pour reprendre les termes <strong>de</strong> Suberchicot, comme un<br />
procès délicat « mû par un désir constant <strong>de</strong> correction et <strong>de</strong> métamorphose » ou<br />
ex-centrisme et égotisme vont <strong>de</strong> pair, ou <strong>la</strong> quête littéraire est inséparable <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
quête ontologique. Ce que nous dit Suberchicot, c’est que <strong>Stevens</strong> ne cherche pas à<br />
camoufler ce qui peut sembler être <strong>de</strong>s faiblesses ou <strong>de</strong>s apories. Et c’est précisément<br />
par le biais <strong>de</strong> cet aveu, et <strong>de</strong> cette mo<strong>de</strong>stie épistémologique, que <strong>Stevens</strong><br />
construit son œuvre et <strong>la</strong> canonicité <strong>de</strong> son œuvre.<br />
Enfin, et pour conclure cette note (dont <strong>la</strong> brièveté ne saurait rendre justice au<br />
travail <strong>de</strong> Suberchicot), il nous faut ajouter que cet ouvrage a un autre mérite et il<br />
n’est pas <strong>de</strong>s moindres. Si <strong>Stevens</strong> est le sujet <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong>, il ne peut être à lui seul<br />
représentatif <strong>de</strong> tous les poètes et <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> poésie. Aussi A<strong>la</strong>in Suberchicot<br />
sans cesse nous remet-il <strong>Stevens</strong> en perspective en nous renvoyant à ces autres poètes<br />
/ autorités littéraires que sont Valéry, Ashbery, Emerson, Mal<strong>la</strong>rmé, Rilke, Shelley<br />
ou Santayana. Autant <strong>de</strong> références / réflexions éc<strong>la</strong>irantes qui nous permettent,<br />
finalement, <strong>de</strong> mieux revenir à <strong>Stevens</strong>.<br />
Éc<strong>la</strong>irantes : entendons-nous. Cette lumière ne peut, pour autant, nous faire<br />
changer complètement <strong>de</strong> statut : face à <strong>Stevens</strong>, et je cite <strong>de</strong> nouveau Suberchicot,<br />
le lecteur reste « un errant, qui avance avec lenteur, en tâtonnant et en hésitant quant<br />
à l’itinéraire à suivre ».<br />
@<br />
Ph. Romanski<br />
Philippe.Romanski@univ-rouen.fr<br />
Département d’ang<strong>la</strong>is<br />
Université <strong>de</strong> Rouen