La Petite Roque - Maupassant - Éditions du Boucher
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GUY DE MAUPASSANT<br />
Son regard errait sur les prairies, et il aperçut une tache bleue<br />
dans le sentier le long de la Brindille. C’était Médéric qui s’en<br />
venait apporter les lettres de la ville et emporter celles <strong>du</strong> village.<br />
Renardet eut un sursaut, la sensation d’une douleur le traversant,<br />
il s’élança dans l’escalier tournant pour reprendre sa lettre,<br />
pour la réclamer au facteur. Peu lui importait d’être vu, maintenant;<br />
il courait à travers l’herbe où moussait la glace légère des<br />
nuits, et il arriva devant la boîte, au coin de la ferme, juste en<br />
même temps que le piéton.<br />
L’homme avait ouvert la petite porte de bois et prenait les<br />
quelques papiers déposés là par des habitants <strong>du</strong> pays.<br />
Renardet lui dit :<br />
«Bonjour, Médéric.<br />
— Bonjour, m’sieu le maire.<br />
— Dites donc, Médéric, j’ai jeté à la boîte une lettre dont j’ai<br />
besoin. Je viens vous demander de me la rendre.<br />
— C’est bien, m’sieu le maire, on vous la donnera. »<br />
Et le facteur leva les yeux. Il demeura stupéfait devant le<br />
visage de Renardet; il avait les joues violettes, le regard trouble,<br />
cerclé de noir, comme enfoncé dans la tête, les cheveux en<br />
désordre, la barbe mêlée, la cravate défaite. Il était visible qu’il<br />
ne s’était point couché.<br />
L’homme demanda : « C’est-il que vous êtes malade, m’sieu le<br />
maire? »<br />
L’autre, comprenant soudain que son allure devait être<br />
étrange, perdit contenance, balbutia : « Mais non… mais non…<br />
Seulement, j’ai sauté <strong>du</strong> lit pour vous demander cette lettre… Je<br />
dormais… Vous comprenez?… »<br />
Un vague soupçon passa dans l’esprit de l’ancien soldat.<br />
Il reprit : « Qué lettre?<br />
— Celle que vous allez me rendre. »<br />
Maintenant, Médéric hésitait, l’attitude <strong>du</strong> maire ne lui paraissait<br />
pas naturelle. Il y avait peut-être un secret dans cette lettre,<br />
un secret de politique. Il savait que Renardet n’était pas républicain,<br />
et il connaissait tous les trucs et toutes les supercheries<br />
qu’on emploie aux élections.<br />
Il demanda : « À qui qu’elle est adressée, c’te lettre?<br />
— À M. Putoin, le juge d’instruction; vous savez bien,<br />
M. Putoin, mon ami! »<br />
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