DROIT PUBLIC COMMANDE PUBLIQUE DROIT ... - economie.gouv
DROIT PUBLIC COMMANDE PUBLIQUE DROIT ... - economie.gouv
DROIT PUBLIC COMMANDE PUBLIQUE DROIT ... - economie.gouv
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
D I R E C T I O N D E S A F F A I R E S J U R I D I Q U E S<br />
C J F I<br />
<strong>DROIT</strong> <strong>PUBLIC</strong><br />
Chronique des QPC<br />
Un Domaine royal au Palais royal<br />
Le Grand Paris<br />
<strong>COMMANDE</strong> <strong>PUBLIQUE</strong><br />
Comptables publics et marchés publics :<br />
contrôler n’est pas juger !<br />
Code des marchés publics : dans<br />
les coulisses de la valse des seuils<br />
de procédures<br />
Des sociétés d’économie mixte locales<br />
aux sociétés publiques locales<br />
COURRIER JURIDIQUE DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE<br />
AVRIL-MAI-JUIN 2012 - N° 68 - 10 euros<br />
<strong>DROIT</strong> COMMUNAUTAIRE<br />
ET INTERNATIONAL<br />
Droit européen des contrats : la proposition<br />
de règlement relatif à un droit commun<br />
européen de la vente<br />
La commission de certification des comptes<br />
des organismes payeurs (CCCOP), auditeur<br />
externe des dépenses financées par les<br />
fonds agricoles européens<br />
<strong>DROIT</strong> PRIVÉ<br />
La légalité des mesures de filtrage<br />
et de blocage imposées aux fournisseurs<br />
d’accès : à propos des affaires SABAM
Sommaire<br />
Éditorial................................................................................................................................... Page 1<br />
Droit public<br />
Les QPC (décembre 2011 à février 2012)<br />
Par Serge Marasco (Direction des affaires juridiques) ........................................................... Page 2<br />
Un Domaine royal au Palais Royal<br />
Par Tatiana Ayrault (Direction des affaires juridiques) ........................................................... Page 11<br />
Le Grand Paris<br />
Par Jean-Marie Pontier (Professeur à l’École de droit de la Sorbonne - Université de<br />
Paris I) .................................................................................................................................. Page 17<br />
Commande publique<br />
Comptables publics et marchés publics : contrôler n’est pas juger !<br />
Par Guillaume Delaloy (Direction des affaires juridiques) ...................................................... Page 30<br />
Code des marchés publics : dans les coulisses de la valse des seuils de procédures<br />
Par Michel Dupont (Direction des affaires juridiques) ............................................................ Page 40<br />
Des sociétés d’économie mixte locales aux sociétés publiques locales<br />
Par Urbain Ngampio-Obélé-Bélé (Maître de Conférences en droit public - Université<br />
Paul Cézanne Aix-Marseille III) ............................................................................................. Page 51<br />
Droit communautaire et international<br />
Droit européen des contrats : la proposition de règlement relatif à un droit commun<br />
européen de la vente<br />
Par Simon Chardenoux (Direction des affaires juridiques) ..................................................... Page 59<br />
La commission de certification des comptes des organismes payeurs (CCCOP),<br />
auditeur externe des dépenses financées par les fonds agricoles européens<br />
Par Marie-José Palasz (Présidente de la CCCOP) ............................................................... Page 62<br />
Droit privé<br />
La légalité des mesures de filtrage et de blocage imposées aux fournisseurs d’accès :<br />
à propos des affaires SABAM<br />
Par Marie Latournerie (Direction des affaires juridiques) ....................................................... Page 67<br />
Ce numéro est imprimé sur du papier recyclé
Éditorial<br />
D’un ministère à l’autre…<br />
Nouveau Gouvernement et nouveaux ministres, l’alternance se traduit également par un redécoupage<br />
des périmètres d’intervention des uns et des autres. Nous avons ainsi de nouveaux ministères, bénéficiant<br />
de nouveaux décrets d’attribution : tout est désormais en place pour que le Gouvernement se mette au<br />
travail, avec l’aide d’une administration « placée sous son autorité », « mise à sa disposition », ou<br />
encore à laquelle il « fait appel, en tant que de besoin »... Le décryptage de ces subtilités de rédaction<br />
est un exercice traditionnel pour les directions d’administration centrale.<br />
La tâche n’est en effet pas nouvelle. Quatre ans après le lancement de la révision générale des<br />
politiques publiques, le décloisonnement des administrations et la réorganisation de celles-ci en<br />
fonction des priorités de l’État ont donné naissance à des structures plus importantes, portant souvent<br />
le nom de directions générales, et que leur taille met désormais au service de plusieurs ministres<br />
dont les missions et contours respectifs, au gré des évolutions politiques, économiques et sociales,<br />
évoluent fréquemment… L’exégèse des décrets d’attribution est désormais bien rodée !<br />
Les ministères économiques et financiers sont particulièrement impactés par le redécoupage : à la<br />
distinction entre l’économique et le comptable, se substitue une architecture nouvelle où l’on retrouve,<br />
d’une part, le ministre de l’économie, des finances et du commerce extérieur et, d’autre part, le<br />
ministre du redressement productif, chacun pourvu de deux ministres délégués. Cette évolution<br />
entraîne des effets différenciés pour les directions. Ainsi, par exemple, la direction de la législation<br />
fiscale (DLF) perd son rattachement spécifique pour retrouver une situation plus pyramidale. Il faut<br />
dire que l’architecture ancienne présentait une singularité : la direction générale des finances publiques<br />
(DGFIP) était rattachée au ministère des comptes publics mais la DLF, une des quatre directions de<br />
la DGFIP dépendait elle du Ministre des Finances… .<br />
La direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy est placée sous l’autorité conjointe des deux<br />
nouveaux ministres, mais elle est appelée à en servir d’autres. La DAJ est ainsi à la disposition,<br />
« pour les affaires relatives à l’énergie », du ministre de l’écologie, du développement durable et de<br />
l’énergie, et également, « en tant que de besoin », du ministre du travail, de l’emploi, de la formation<br />
professionnelle et du dialogue social, et enfin du ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation<br />
et de la fonction publique, « pour l’exercice de ses attributions ».<br />
Ces différents cas de figure, qui se traduiront, dans les faits, par des sollicitations d’horizons variés,<br />
nécessiteront la définition de nouvelles relations de travail, formalisées dans des conventions de<br />
gestion. S’il peut paraître naturel qu’une direction à vocation horizontale comme la DAJ doive faire<br />
face à un accroissement de l’hétérogénéité de son champ de compétences, il faut toutefois veiller à<br />
ce que ne se généralise pas l’effet de cliquet qui tend à donner une compétence nouvelle dès lors<br />
que le champ d’attributions des Ministres évolue mais qui omet de rectifier le tir quand une compétence<br />
quitte la sphère de Bercy. C’est là sans doute la limite au caractère interministériel d’une direction<br />
des affaires juridiques.<br />
Catherine Bergeal<br />
Directrice des affaires juridiques<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 1
2<br />
Droit public<br />
Les QPC (décembre 2011 à février 2012)<br />
Par Serge Marasco<br />
Les QPC analysées pour la période considérée ont plus particulièrement porté sur<br />
le droit de propriété, le principe d’égalité et le droit à un recours effectif. Plusieurs<br />
QPC ont concerné l’application des principes liés au droit pénal en matière de<br />
sanctions administratives. La QPC relative à la publication du nom des élus<br />
présentant un candidat à l’élection présidentielle mérite par ailleurs d’être signalée,<br />
ainsi, en ce qui concerne Bercy, le fait que trois QPC concernaient le code des<br />
douanes. Sur les seize QPC commentées, cinq ont fait l’objet d’une déclaration<br />
d’inconstitutionnalité, et une d’une réserve.<br />
1. Le droit de propriété (201-QPC,<br />
203-QPC, 207-QPC, 208-QPC et<br />
215-QPC)<br />
1.1. Distinction entre la privation du droit<br />
de propriété et les limites apportées<br />
à son exercice<br />
Lorsqu’une atteinte au droit de propriété est<br />
invoquée, le Conseil constitutionnel procède,<br />
comme préalable, à la distinction entre une<br />
privation de propriété au sens de l’article 17<br />
de la Déclaration des droits de l’homme et<br />
du citoyen (DDHC) et une limitation apportée<br />
à ce droit, qui doit respecter l’article 2 de la<br />
DDHC.<br />
Dans l’hypothèse d’une privation de propriété<br />
au sens de l’article 17 de la DDHC, il faut<br />
que « la nécessité publique, légalement<br />
constatée, l’exige évidemment », sous la<br />
condition « d’une juste et préalable indemnité<br />
».<br />
Les limitations apportées au droit de<br />
propriété « doivent être justifiées par un<br />
motif d’intérêt général et proportionnées à<br />
l’objectif poursuivi ». Le plus souvent (dans<br />
quatre cas sur cinq en l’occurrence), le<br />
Conseil juge qu’il n’y a pas privation du droit<br />
de propriété, mais seulement des limites<br />
apportées à son exercice.<br />
1.2. La vente des biens saisis par<br />
l’administration douanière entraîne<br />
une privation du droit de propriété<br />
conforme à la Constitution<br />
Le code des douanes permet de procéder à<br />
la vente par enchère des véhicules et objets<br />
périssables, saisis sur autorisation d’un juge.<br />
Après avoir constaté que cette aliénation<br />
entraîne une privation du droit de propriété,<br />
le Conseil procède à un contrôle restreint,<br />
limité à l’erreur manifeste d’appréciation, du<br />
critère de la nécessité publique. Ce critère<br />
est jugé respecté compte tenu notamment<br />
de la limitation de la saisie aux véhicules et<br />
objets qui ne pourront être conservés sans<br />
courir le risque de détérioration et de l’objectif<br />
poursuivi (objectifs de valeur constitutionnelle<br />
de bonne administration de la justice et de<br />
bon emploi des deniers publics).<br />
L’indemnité prévue est juste (l’aliénation des<br />
biens avant qu’ils ne se déprécient permet<br />
d’affecter le produit de la vente au paiement<br />
des condamnations ou est restitué au<br />
propriétaire) et préalable (l’exigence d’un<br />
versement préalable de l’indemnité ne saurait<br />
faire obstacle à ce qu’elle soit retenue à titre<br />
conservatoire en vue du paiement des<br />
amendes pénales ou douanières) (203-QPC,<br />
4 e au 8 e considérant).<br />
1.3. Les limitations apportées à<br />
l’exercice du droit de propriété<br />
1.3.1. L’interdiction pour les propriétaires<br />
d’objets saisis en douane d’en demander<br />
la restitution est contraire au droit de<br />
propriété.<br />
Le Conseil, après avoir considéré que<br />
l’interdiction de l’action en revendication pour<br />
les propriétaires de biens saisis en douane<br />
ne constituait pas une privation du droit de<br />
propriété mais une limite à son exercice, a<br />
jugé que cette interdiction poursuivait un but<br />
d’intérêt général, en ce qu’elle tendait « à<br />
lutter contre la délinquance douanière en<br />
responsabilisant les propriétaires de<br />
marchandises dans leur choix des transporteurs<br />
et à garantir le recouvrement des<br />
créances du Trésor public ».<br />
Mais il a jugé que constituait une atteinte<br />
disproportionnée au but poursuivi le fait de<br />
priver les propriétaires de la possibilité de<br />
revendiquer les objets saisis ou confisqués<br />
« en toute hypothèse », sans tenir compte<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Droit public<br />
des circonstances de l’espèce ou de la<br />
bonne ou mauvaise foi des propriétaires<br />
(208-QPC, 7 e au 9 e considérant).<br />
1.3.2. Dans trois décisions, les limites<br />
apportées à l’exercice du droit de propriété<br />
ont été jugées conformes à la Constitution.<br />
La procédure d’alignement consiste à fixer<br />
une limite entre le domaine public routier et<br />
les propriétés riveraines. Le Conseil a jugé<br />
que le propriétaire n’était pas privé de son<br />
droit de propriété mais seulement atteint dans<br />
l’exercice de ce droit. Le motif d’intérêt<br />
général n’était guère contestable : la<br />
procédure d’alignement qui donne lieu à<br />
élargissement de la voirie vise à la<br />
sécurisation de la circulation routière.<br />
L’indemnité est fixée comme en matière<br />
d’expropriation. Le Conseil ayant récemment<br />
jugé l’article L. 13-13 du code de l’expropriation<br />
conforme à la Constitution (décision<br />
n° 2010-87 QPC du 21 janvier 2011), l’atteinte<br />
n’est pas disproportionnée à l’objectif<br />
poursuivi, sous une réserve : l’indemnité doit<br />
réparer le préjudice constitué par la<br />
dévalorisation de la propriété qu’implique la<br />
soumission à une servitude de reculement<br />
(201-QPC, 4 e au 9 e considérant).<br />
L’inscription d’un immeuble au titre des<br />
monuments historiques ne prive pas son<br />
propriétaire du droit d’en disposer librement<br />
mais crée des contraintes qui affectent son<br />
droit de propriété. Le motif d’intérêt général<br />
consiste en la préservation du patrimoine<br />
historique et artistique. Pour apprécier la<br />
proportionnalité de la mesure, le Conseil<br />
attache généralement une grande importance<br />
aux garanties procédurales, notamment en<br />
matière de servitudes administratives. Le fait<br />
que le propriétaire n’est pas consulté pendant<br />
la phase d’instruction préalable à la décision<br />
d’inscription n’a cependant pas été jugé<br />
dommageable, en l’absence de tout risque<br />
d’arbitraire : l’inscription a un caractère<br />
purement objectif, lié aux « caractéristiques<br />
intrinsèques » de l’immeuble. Par ailleurs, le<br />
code du patrimoine organise un régime de<br />
protection différencié selon les travaux<br />
envisagés par le propriétaire, les travaux<br />
d’entretien ou de réparation ordinaires étant<br />
dispensés de toute formalité. Le dispositif a<br />
donc été jugé proportionné à l’objectif poursuivi<br />
(207-QPC, 4 e au 10 e considérant).<br />
Le législateur a imposé l’inscription en<br />
compte des valeurs mobilières, afin de lever<br />
l’anonymat au profit de l’administration.<br />
Étaient contestées les dispositions<br />
prévoyant l’obligation de vente des titres non<br />
présentés en vue de leur inscription en<br />
compte. Le Conseil a jugé que l’ensemble<br />
du dispositif ne constituait pas une privation<br />
de propriété (alors que le SGG proposait<br />
une distinction entre la perte des droits<br />
attachés aux titres non inscrits en compte,<br />
atteinte aux conditions d’exercice du droit<br />
de propriété, et la cession des titres,<br />
privation de ce droit) en considération d’une<br />
réforme d’ensemble des valeurs mobilières,<br />
destinée à faire disparaître l’anonymat des<br />
titres au porteur. Le motif d’intérêt général<br />
est constitué par la lutte contre la fraude<br />
fiscale et par la réduction du coût de la<br />
gestion des valeurs mobilières. Enfin, le<br />
dispositif est proportionné : la cession des<br />
titres est subordonnée à la carence de leurs<br />
détenteurs, qui ne pouvaient ignorer<br />
l’obligation qui leur était imposée, et le<br />
produit de la vente est consigné jusqu’à<br />
sa restitution éventuelle aux ayants droit<br />
(215-QPC, 5 e au 7 e considérant).<br />
2. Le droit à un recours effectif<br />
(201-QPC, 203-QPC et 208-QPC)<br />
Dans sa décision relative aux plans<br />
d’alignement, le Conseil a jugé que le grief<br />
tiré d’une violation du droit à un recours<br />
effectif qui découle de l’article 16 de la DDHC<br />
manquait en fait, la procédure d’alignement<br />
ménageant plusieurs recours (201-QPC,<br />
10 e considérant).<br />
Le code des douanes permet à<br />
l’administration des douanes qui poursuit<br />
les conducteurs ou déclarants de<br />
marchandises saisies pour aboutir à la<br />
confiscation de ces biens de ne pas mettre<br />
en cause devant le juge leurs propriétaires,<br />
même s’ils ont été indiqués à cette<br />
administration. Le juge statue sur les<br />
interventions ou appels en garantie, mais<br />
souvent le propriétaire des biens ou<br />
marchandises ne peut pas être averti de la<br />
procédure qui aboutira à la confiscation de<br />
ses biens. Or, le droit pour toute personne<br />
d’être avertie de l’existence d’une procédure<br />
contentieuse conduisant à ce qu’il soit<br />
statué sur ses droits participe du droit à<br />
exercer un recours juridictionnel. Le Conseil<br />
a donc jugé qu’en privant le propriétaire de<br />
la faculté d’exercer un recours effectif contre<br />
une mesure portant atteinte à ses droits,<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 3
4<br />
les dispositions contestées méconnaissaient<br />
l’article 16 de la DDHC (208-QPC,<br />
5 e et 6 e considérants).<br />
Si la vente des biens saisis par<br />
l’administration douanière a été jugée<br />
conforme au droit de propriété, elle a été<br />
censurée en ce qu’elle ne respectait pas le<br />
droit à un recours juridictionnel effectif. Le<br />
Conseil a d’abord jugé que le caractère non<br />
suspensif d’une voie de recours ne méconnaît<br />
pas, en lui-même, le droit à un recours<br />
juridictionnel effectif. Dans des décisions<br />
précédentes (décisions n° 84-82 DC du<br />
18 janvier 1985 ou 2010-19/27 QPC du<br />
30 juillet 2010, par exemple) le Conseil a<br />
pris en compte ce caractère suspensif parmi<br />
les garanties légales du droit au recours mais<br />
n’en a jamais fait une exigence<br />
constitutionnelle. Le Conseil a donc examiné<br />
l’ensemble de la procédure du code des<br />
douanes pour apprécier si le droit à un<br />
recours juridictionnel effectif était assuré. Or,<br />
la demande d’aliénation des biens formée<br />
par l’administration est examinée par le juge<br />
sans que le propriétaire ait été entendu et<br />
appelé. Au surplus, l’exécution de la mesure<br />
d’aliénation revêt, en fait, un caractère<br />
définitif, le bien aliéné sortant définitivement<br />
du patrimoine de la personne en cause. Au<br />
regard des conséquences qui résultent de<br />
l’exécution de la mesure, le cumul de<br />
l’absence de caractère contradictoire et du<br />
caractère non suspensif du recours contre<br />
la décision du juge ont conduit à ce que<br />
la procédure applicable méconnaissait<br />
les exigences de l’article 16 de la DDHC<br />
(203-QPC, 9 e au 12 e considérant).<br />
3. Le principe d’égalité (205-QPC,<br />
216-QPC, 221-QPC et 233-QPC)<br />
3.1. Le principe d’égalité devant la loi<br />
Deux décisions concernent le respect du<br />
principe d’égalité devant la loi en matière<br />
syndicale.<br />
Le code du travail prévoit que chaque<br />
organisation syndicale ayant des élus au<br />
comité d’entreprise peut y nommer un<br />
représentant. Cette disposition se fonde sur<br />
un critère tenant à la représentation effective<br />
du syndicat. La réforme ainsi opérée n’était<br />
pas contestée sur le fond, mais son<br />
application immédiate à compter de la<br />
publication de la loi était critiquée en ce<br />
qu’elle induirait une discrimination<br />
Droit public<br />
temporaire entre les organisations<br />
syndicales participant à la négociation<br />
collective par l’intermédiaire de leur délégué<br />
syndical selon qu’elles avaient, ou non,<br />
désigné un représentant au comité<br />
d’entreprise avant l’entrée en vigueur de la<br />
loi. Le Conseil a jugé que le législateur<br />
pouvait prévoir une application immédiate du<br />
nouveau dispositif. Il a indiqué que les<br />
missions de représentation syndicale au<br />
comité d’entreprise et celle de délégué<br />
syndical étant différentes, des règles d’entrée<br />
en vigueur différentes pouvaient être prévues<br />
pour la désignation des délégués syndicaux<br />
et des représentants syndicaux au comité<br />
d’entreprise. De même, les différences de<br />
traitement entre syndicats, selon qu’ils ont<br />
ou non des élus au comité d’entreprise ou<br />
selon qu’ils avaient ou non procédé à la<br />
désignation d’un représentant au comité<br />
d’entreprise avant la date d’entrée en vigueur<br />
de la loi, reposent sur des différences de<br />
situation directement liées à l’objet de la loi<br />
(216-QPC, 6 e et 7 e considérants).<br />
Le principe d’égalité devant la loi doit<br />
également être respecté par le législateur<br />
néo-calédonien, compétent en matière de<br />
fonction publique locale et en matière de droit<br />
du travail et droit syndical. Le code du travail<br />
de Nouvelle-Calédonie prévoit que ses<br />
dispositions relatives au droit d’expression<br />
des salariés, à l’exercice du droit syndical,<br />
aux institutions représentatives du personnel<br />
et aux salariés protégés ne sont pas<br />
applicables à l’État, à la Nouvelle-Calédonie,<br />
aux provinces, aux communes et aux EPA.<br />
Cette différence de traitement était critiquée<br />
par le requérant. Sur ce point, le Conseil<br />
constitutionnel a jugé qu’il était loisible au<br />
législateur d’adopter des dispositions<br />
particulières applicables aux agents des<br />
administrations publiques salariés dans les<br />
conditions du droit privé. Ce n’est que<br />
l’absence de dispositions similaires assurant<br />
le respect des droits syndicaux pour les<br />
salariés de droit privé des administrations<br />
publiques qui a entraîné la censure du<br />
dispositif au regard du Préambule de 1946<br />
(cf. infra) (205-QPC, 6 e considérant).<br />
3.2. Le principe d’égalité devant la loi<br />
et le principe d’égalité et de secret<br />
du suffrage universel<br />
Mme Le Pen contestait la disposition<br />
prévoyant la publication du nom et de la<br />
qualité des élus ayant présenté un candidat<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Droit public<br />
à l’élection présidentielle. Le moyen relatif<br />
à la méconnaissance des principes d’égalité<br />
et de secret du suffrage a été jugé inopérant<br />
: la présentation des candidats par des élus,<br />
mesure d’organisation de l’élection<br />
présidentielle, ne saurait être assimilée à<br />
l’expression d’un suffrage. Quant au<br />
principe d’égalité devant la loi, la rupture<br />
d’égalité pouvait concerner la différence de<br />
traitement entre élus, selon le nombre de<br />
signatures recueillies par les candidats<br />
qu’ils présentent (la publication étant limitée<br />
à 500 noms, choisis par tirage au sort, la<br />
probabilité de voir son nom publié est bien<br />
moins élevée si plusieurs milliers de<br />
parrainages sont recueillis que s’ils sont<br />
proches de 500). Le Conseil a reconnu que<br />
la limitation à 500 des présentations<br />
publiées avait pour effet d’instituer une<br />
différence de traitement, mais a rappelé qu’il<br />
ne disposait pas d’un pouvoir général<br />
d’appréciation et de décision de même<br />
nature que celui du Parlement (il a souvent<br />
formulé des observations tendant à<br />
supprimer cette limitation). Il a considéré<br />
que cette différence de traitement était en<br />
rapport direct avec l’objectif poursuivi par le<br />
législateur, qui consiste à assurer la plus<br />
grande égalité entre les candidats inscrits<br />
sur la liste établie par le Conseil<br />
constitutionnel (afin d’éviter toute opération<br />
plébiscitaire en amont sur le nom d’un<br />
candidat qui aurait recueilli un très grand<br />
nombre de signatures) (233-QPC, 6 e , 7 e et<br />
9 e considérants).<br />
3.3. Le principe d’égalité devant les<br />
charges publiques<br />
Les organisations interprofessionnelles<br />
agricoles peuvent bénéficier de prélèvements<br />
sur les membres des professions les<br />
constituant, appelées « cotisations volontaires<br />
obligatoires » (CVO).<br />
Les requérants y décelaient une atteinte au<br />
principe d’égalité devant les charges<br />
publiques. À cet égard, le Conseil a<br />
seulement jugé que ces dispositions ne<br />
portaient « en elles-mêmes » aucune<br />
atteinte au principe d’égalité devant les<br />
charges publique.<br />
De fait, si les organisations interprofessionnelles<br />
méconnaissent ce principe dans<br />
la fixation du montant de la CVO, il revient<br />
au juge administratif de le faire respecter<br />
(cf. Conseil d’État 23 octobre 1981,<br />
Syndicat de l’architecture) (221-QPC,<br />
5 e considérant).<br />
4. La liberté syndicale et le<br />
principe de participation des<br />
travailleurs à la détermination<br />
des conditions de travail<br />
(205-QPC et 216-QPC)<br />
Aux termes du 6 e alinéa du Préambule de<br />
la Constitution de 1946 : « Tout homme peut<br />
défendre ses droits et ses intérêts par<br />
l’action syndicale et adhérer au syndicat de<br />
son choix ». Le 8 e alinéa dispose que tout<br />
travailleur participe, par l’intermédiaire de<br />
ses délégués, à la détermination collective<br />
des conditions de travail et à la gestion des<br />
entreprises.<br />
Dans sa décision relative au code du travail<br />
néo-calédonien, le Conseil a jugé que les<br />
salariés de droit privé des administrations<br />
publiques étaient soustraits aux dispositions<br />
de ce code relatives au droit d’expression<br />
des salariés, au droit syndical, aux<br />
institutions représentatives du personnel et<br />
aux salariés protégés sans que d’autres<br />
dispositions n’assurent la mise en œuvre à<br />
leur égard de la liberté syndicale et du<br />
principe de participation des travailleurs. Ces<br />
dispositions ont donc été déclarées<br />
contraires à la Constitution (205-QPC, 5 e et<br />
7 e considérants).<br />
En ce qui concerne la désignation du<br />
représentant syndical au comité d’entreprise,<br />
le Conseil a indiqué qu’en subordonnant la<br />
désignation d’un représentant syndical au<br />
comité d’entreprise à la condition pour un<br />
syndicat d’y avoir des élus, le législateur n’a<br />
méconnu ni le principe d’égalité entre<br />
organisations syndicales, ni la liberté<br />
syndicale, ni aucune autre exigence<br />
constitutionnelle, conformément à sa<br />
jurisprudence traditionnelle en la matière (le<br />
principe de la liberté syndicale n’impose pas<br />
que tous les syndicats soient reconnu<br />
comme représentatifs indépendamment de<br />
leur audience : décision n° 2010-42 QPC du<br />
7 octobre 2010). En l’occurrence, le principe<br />
de la liberté syndicale n’exigeait pas que<br />
tous les syndicats représentatifs possèdent<br />
un représentant au comité d’entreprise<br />
(216-QPC, 5 e considérant).<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 5
6<br />
5. Le pluralisme des courants<br />
d’idées et d’opinions (233-QPC)<br />
Dans sa décision sur la publication du nom<br />
des élus présentant un candidat à l’élection<br />
présidentielle, le Conseil a jugé que cette<br />
publicité « ne saurait en elle-même<br />
méconnaître le principe du pluralisme des<br />
courants d’idées et d’opinions ». La règle<br />
contestée, qui résulte d’un choix opéré par<br />
le législateur organique en 1976, participe de<br />
la transparence de la vie politique (233-QPC,<br />
8 e considérant).<br />
6. Les droits de la défense, le droit<br />
à un procès équitable et la<br />
liberté individuelle (214-QPC et<br />
223-QPC)<br />
Le code des douanes permet à certains<br />
agents des douanes d’exiger la communication<br />
de documents de toute nature relatifs<br />
aux opérations intéressant leurs services,<br />
y compris à l’encontre de personnes non<br />
visées par leur enquête. Le grief tiré de la<br />
méconnaissance de la liberté individuelle<br />
était inopérant, conformément à la définition<br />
stricte qu’en donne le Conseil (il ne se réfère<br />
à l’article 66 de la Constitution que dans le<br />
domaine des privations de liberté directes<br />
ou indirectes : décision n° 99-411 DC du<br />
16 juin 1999). En ce qui concerne les droits<br />
de la défense, le requérant critiquait le fait<br />
de ne pas prévoir la possibilité pour la<br />
personne contrôlée de se faire assister par<br />
un avocat. Le Conseil a jugé que ce droit<br />
d’accès aux documents ne saurait en luimême<br />
méconnaître les droits de la défense.<br />
Par ailleurs, les agents des douanes ne<br />
disposent pas d’un pouvoir général d’audition<br />
ou de perquisition et si les dispositions<br />
contestées ne prescrivent pas l’assistance<br />
d’un avocat, elles ne l’interdisent pas.<br />
Aucune atteinte au respect des droits de<br />
la défense n’a donc été relevée par le<br />
Conseil, non plus qu’au respect du principe<br />
selon lequel nul n’est tenu de s’accuser<br />
(214-QPC, 4 e au 7 e considérant).<br />
L’ordre des avocats au Barreau de Bastia<br />
critiquait la procédure de désignation de<br />
l’avocat en ce qui concerne la garde à vue<br />
en matière de terrorisme (possibilité de faire<br />
désigner un avocat d’office par le juge de la<br />
liberté et de la détention ou par le juge<br />
d’instruction). Le Conseil a considéré que le<br />
Droit public<br />
législateur pouvait prendre en compte la<br />
complexité et la gravité des crimes et délits<br />
constituant des actes de terrorisme et la<br />
nécessité d’entourer le secret de l’enquête<br />
de garanties particulières, en opérant ainsi<br />
une conciliation entre les droits de la défense<br />
et la prévention des atteintes à l’ordre public<br />
ainsi que la recherche des auteurs<br />
d’infractions. Ainsi, la liberté de choisir son<br />
avocat peut, à titre exceptionnel, être différée<br />
pendant la durée de la garde à vue afin de ne<br />
pas compromettre la recherche des auteurs<br />
de crimes et délits en matière de terrorisme<br />
ou de garantir la sécurité des personnes.<br />
Mais il incombe alors au législateur de définir<br />
les conditions et modalités selon lesquelles<br />
une telle atteinte aux conditions d’exercice<br />
des droits de la défense peut être mise en<br />
œuvre (233-QPC, 5 e au 7 e considérant).<br />
7. L’incompétence négative (221-<br />
QPC et 223-QPC)<br />
Le Conseil rappelle, conformément à une<br />
jurisprudence bien établie depuis sa décision<br />
n° 2010-50 QPC du 18 juin 2010, que la<br />
méconnaissance par le législateur de sa<br />
propre compétence ne peut être invoquée<br />
dans le cadre ou à l’appui d’une QPC que<br />
dans le cas où est affecté un droit ou une<br />
liberté que la Constitution garantit (3 e considérant<br />
des décisions 221-QPC et 223-QPC).<br />
En ce qui concerne la garde à vue en<br />
matière de terrorisme, le Conseil relève que<br />
le législateur a l’obligation de fixer lui-même<br />
le champ d’application de la loi pénale, et<br />
notamment de la procédure pénale afin<br />
d’éviter une rigueur non nécessaire lors de<br />
la recherche des auteurs d’infraction.<br />
En l’occurrence, les dispositions contestées<br />
n’encadrent pas le pouvoir donné au juge de<br />
priver la personne gardée à vue du libre choix<br />
de son avocat : elles n’obligent pas à motiver<br />
la décision ni ne définissent les<br />
circonstances particulières de l’enquête ou<br />
de l’instruction et les raisons permettant<br />
d’imposer une telle restriction aux droits de<br />
la défense. Le législateur a donc méconnu<br />
l’étendue de sa compétence dans des<br />
conditions qui portent atteinte aux droits de<br />
la défense (223-QPC, 4 e et 7 e considérants).<br />
Les cotisations perçues par les organisations<br />
interprofessionnelles agricoles en<br />
provenance des membres les constituant<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Droit public<br />
sont perçues par des organismes de droit<br />
privé et tendent au financement d’activités<br />
menées en faveur de leurs membres, dans<br />
le cadre défini par le législateur, par ces<br />
organisations interprofessionnelles constituées<br />
par produits ou groupes de produits.<br />
Le Conseil a jugé qu’il ne s’agissait donc<br />
pas d’impositions de toutes natures,<br />
comme la contribution annuelle versée par<br />
les associations de gestion et de comptabilité<br />
à l’ordre des experts-comptables<br />
(décision n° 2011-645 DC du 28 décembre<br />
2011 ; le Conseil d’État en a jugé de même<br />
pour les cotisations obligatoires versées par<br />
les architectes en vue de couvrir les<br />
dépenses du conseil régional et du conseil<br />
national : 23 octobre 1981, Syndicat de<br />
l’architecture). Les CVO n’étant pas<br />
considérées comme des impositions de<br />
toute nature, le grief relatif à l’incompétence<br />
négative du législateur au titre des<br />
exigences de l’article 34 de la Constitution<br />
ne pouvait qu’être rejeté (221-QPC, 2 e au<br />
4 e considérant).<br />
8. Le principe d’indépendance et<br />
d’impartialité des juridictions<br />
(200-QPC)<br />
Le code monétaire et financier donnait un<br />
pouvoir disciplinaire à l’ancienne commission<br />
bancaire, depuis remplacée par l’Autorité de<br />
contrôle prudentiel. La société requérante<br />
estimait que les dispositions contestées<br />
portaient atteinte aux principes d’indépendance<br />
et d’impartialité des juridictions, qui<br />
découlent de l’article 16 de la DDHC, en ce<br />
qu’elles ne prévoyaient pas de séparation<br />
entre les fonctions d’enquête, de poursuite<br />
et de sanction au sein de la Commission<br />
bancaire. Ces principes sont applicables à<br />
toutes les juridictions et aux autorités<br />
administratives indépendantes qui ont un<br />
pouvoir de sanction. En l’occurrence, la<br />
Commission bancaire était organisée sans<br />
séparation en son sein des fonctions de<br />
poursuite et des fonctions de jugement. Le<br />
principe d’impartialité des juridictions était<br />
donc méconnu (200-QPC, 7 e et 8 e considérants).<br />
9. Les principes de nécessité<br />
des peines et de légalité des<br />
délits et des peines (220-QPC<br />
et 210-QPC)<br />
9.1. Le principe de nécessité des<br />
peines : proportionnalité et individualisation<br />
des peines<br />
Découlent de l’article 8 de la DDHC les<br />
principes de nécessité, de proportionnalité<br />
et d’individualisation des peines. Les sanctions<br />
fiscales étant considérées comme des<br />
sanctions ayant le caractère d’une punition<br />
(décision n° 82-155 DC du 30 décembre<br />
1982), ces principes s’appliquent à la<br />
majoration de 40 % pour non-déclaration de<br />
comptes bancaires à l’étranger ou de<br />
sommes transférées vers ou depuis<br />
l’étranger. Le conseil procède à un contrôle<br />
de l’erreur manifeste lorsqu’il examine la<br />
proportionnalité de la peine (il a censuré une<br />
sanction fiscale manifestement disproportionnée<br />
dans sa décision n° ° 97-395 DC<br />
du 30 décembre 1997). En l’occurrence, il<br />
a jugé que le taux de 40 % n’était pas<br />
manifestement disproportionné.<br />
En ce qui concerne le principe<br />
d’individualisation des peines, le Conseil se<br />
fonde sur plusieurs critères : la possibilité<br />
de moduler les peines en fonction de la<br />
gravité des comportements reprochés, la<br />
possibilité pour le juge d’exercer son plein<br />
contrôle quant aux faits et leur qualification,<br />
la gravité de la sanction et le lien entre la<br />
peine et le comportement réprimé. En<br />
l’occurrence, le Conseil a constaté que ces<br />
critères étaient remplis, notamment en<br />
fonction de la possibilité de modulation des<br />
peines et de l’existence d’un plein contrôle<br />
du juge, qui peut proportionner les pénalités<br />
selon la nature et la gravité des agissements<br />
commis par le contribuable. L’article 8 de la<br />
DDHC était donc respecté (220-QPC, 3 e au<br />
6 e considérant).<br />
9.2. Le principe de légalité des délits<br />
et des peines (210-QPC)<br />
Ce principe ne concerne pas seulement les<br />
peines prononcées par les juridictions<br />
pénales mais s’étend à toute sanction<br />
ayant le caractère d’une punition (décision<br />
n° 88-248 DC du 17 janvier 1989 : ce principe,<br />
ainsi que ceux de nécessité de peines et<br />
des droits de la défense, concerne toute<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 7
8<br />
sanction ayant le caractère d’une punition,<br />
même si le législateur a laissé le soin de la<br />
prononcer à une autorité de nature non<br />
judiciaire). Il pouvait donc être invoqué à<br />
l’encontre de la disposition du code général<br />
des collectivités territoriales (CGCT) qui<br />
prévoit la possibilité de révocation des<br />
fonctions de maire, les motifs justifiant cette<br />
révocation n’étant pas précisés. Mais, en<br />
matière administrative et disciplinaire,<br />
l’exigence d’une définition des manquements<br />
sanctionnés se trouve satisfaite par<br />
la référence aux obligations auxquelles le<br />
titulaire d’une fonction publique est soumis<br />
en vertu des lois et règlements (cf. décision<br />
n° 88-248 DC du 17 janvier 1989 et décision<br />
n° 2011-199 QPC du 25 novembre 2011 en<br />
matière de discipline des vétérinaires). Le<br />
Conseil a examiné la disposition telle<br />
qu’interprétée par la jurisprudence constante<br />
du Conseil d’État et a constaté qu’elle a<br />
pour objet de réprimer des manquements<br />
graves et répétés aux obligations qui<br />
s’attachent aux fonctions de maire et de<br />
mettre fin à des comportements dont la<br />
particulière gravité est avérée. Dans ces<br />
conditions, l’absence de référence expresse<br />
aux obligations auxquelles les maires sont<br />
soumis en raison de leurs fonctions n’a<br />
pas été jugée contraire à la Constitution<br />
(204-QPC, 3 e et 5 e considérants).<br />
10. Le principe de libre administration<br />
des collectivités<br />
territoriales (210-QPC)<br />
La disposition prévoyant la révocation des<br />
fonctions de maire a été jugée conforme au<br />
principe de libre administration des<br />
collectivités territoriales. La sanction<br />
s’applique à une autorité jouissant d’un<br />
dédoublement fonctionnel : le ministre peut<br />
mettre un terme aux fonctions d’un maire en<br />
tant qu’agent de l’État mais aussi comme<br />
autorité décentralisée. Le Conseil a jugé que<br />
la possibilité de révocation (ou de<br />
suspension) ne méconnaissait pas, en ellemême,<br />
la libre administration des collectivités<br />
territoriales. Si elle produit des effets pour<br />
l’ensemble des attributions du maire, y<br />
compris en tant qu’autorité décentralisée,<br />
cette mesure est en effet prise en application<br />
de la loi, conformément au 3 e alinéa de<br />
l’article 72 de la Constitution. L’autonomie<br />
des collectivités territoriales ne signifie pas<br />
l’absence de tout contrôle, notamment pour<br />
assurer la protection du respect des lois<br />
Droit public<br />
(cf. décision n° 82-137 DC du 25 février 1982).<br />
Le pouvoir de révocation du ministre ne<br />
saurait donc être assimilé à un pouvoir<br />
hiérarchique de sa part (210-QPC, 6 e et<br />
7 e considérants).<br />
11. Points de procédure (219-QPC,<br />
233-QPC et 237-QPC)<br />
11.1. Non-lieu : ordonnance non ratifiée<br />
et dispositions législatives non<br />
entrées en vigueur<br />
11.1.1. Les dispositions issues d’une<br />
ordonnance qui n’a pas été ratifiée ne<br />
revêtent pas le caractère de dispositions<br />
législatives au sens de l’article 61-1 de la<br />
Constitution. Cette décision de non-lieu est<br />
conforme à la jurisprudence constante selon<br />
laquelle une ordonnance non ratifiée a le<br />
caractère d’un acte réglementaire (Conseil<br />
d’État, 8 décembre 2000, Hoffer et Tribunal<br />
des Conflits, 19 mars 2007, Préfet de<br />
l’Essonne) (219-QPC, 2 e et 3 e considérants).<br />
11.1.2. Le Conseil rappelle que la<br />
modification ou l’abrogation ultérieure d’une<br />
disposition ne fait pas disparaître l’atteinte<br />
éventuelle aux droits et libertés que la<br />
Constitution garantit et ne saurait faire<br />
obstacle par elle-même à la transmission<br />
d’une QPC (cf. décision n° 2010-55 QPC<br />
du 18 octobre 2010). Mais, en l’occurrence,<br />
la disposition contestée était subordonnée<br />
à l’intervention de mesures réglementaires.<br />
Ces mesures ne sont entrées en vigueur<br />
qu’après l’abrogation de la disposition<br />
qu’elles étaient censées appliquer. Le<br />
Conseil a jugé que cette disposition<br />
législative n’était jamais entrée en vigueur<br />
et ne pouvait donc faire l’objet d’une QPC<br />
(219-QPC, 4 e et 5 e considérants).<br />
11.2. Rejet d’une demande tendant à la<br />
saisine directe du Conseil constitutionnel<br />
d’une QPC<br />
Un requérant a demandé à ce que le<br />
Conseil se prononce sur une QPC<br />
transmise à la Cour de cassation et sur<br />
laquelle cette dernière ne s’est pas<br />
prononcée dans le délai de trois mois qui<br />
lui est imparti. Si une interprétation littérale<br />
des textes aurait pu conduire le Conseil à<br />
s’estimer valablement saisi de la QPC, il a<br />
pris en compte une décision rendue par la<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Droit public<br />
Cour de cassation sur la même disposition<br />
et pour les mêmes motifs. La Cour de<br />
cassation ayant refusé le renvoi de cette<br />
QPC au Conseil constitutionnel, ce dernier<br />
a jugé que cette décision valait<br />
nécessairement pour la QPC soulevée<br />
postérieurement (237-QPC).<br />
11.3. Le changement de circonstances<br />
justifiant le réexamen d’une disposition<br />
déclarée conforme à la<br />
Constitution par le Conseil constitutionnel<br />
Les dispositions relatives à la publication du<br />
nom des élus présentant un candidat à<br />
l’élection présidentielle ont été déclarées<br />
conformes à la Constitution dans les motifs<br />
et le dispositif de la décision n° 76-65 DC du<br />
14 juin 1976. Le Conseil a estimé que la<br />
révision constitutionnelle du 23 juillet 2008,<br />
qui complète l’article 4 de la Constitution en<br />
prévoyant que « La loi garantit les expressions<br />
pluralistes des opinions et la<br />
participation équitable des partis et des<br />
groupements politiques à la vie démocratique<br />
de la Nation », était applicable aux<br />
dispositions législatives relatives à l’élection<br />
présidentielle et constituait un « changement<br />
des circonstances de droit » justifiant le<br />
réexamen de la disposition contestée<br />
(233-QPC, 3 e et 4 e considérants).<br />
12. Les effets dans le temps (200-<br />
QPC, 203-QPC, 205-QPC, 208-<br />
QPC et 223-QPC)<br />
Dans deux décisions où il a censuré le<br />
dispositif contesté, le Conseil a précisé que<br />
la déclaration d’inconstitutionnalité prenait<br />
effet à compter de la publication de sa<br />
décision. Il ajoute que la décision est<br />
applicable à toutes les instances non<br />
définitivement jugées à cette date, en ce<br />
qui concerne le pouvoir disciplinaire de la<br />
Commission bancaire, et à toutes les<br />
gardes à vue mises en œuvre à compter de<br />
cette date pour la désignation de l’avocat à<br />
l’occasion des gardes à vue en matière de<br />
terrorisme (200-QPC, 9 e considérant et<br />
223-QPC, 9 e considérant).<br />
Dans les trois autres décisions où il a<br />
prononcé une déclaration d’inconstitutionnalité,<br />
le Conseil a reporté l’abrogation<br />
de la disposition concernée, sur le<br />
fondement de l’article 62 de la Constitution.<br />
Pour la vente des biens saisis par<br />
l’administration douanière et la confiscation<br />
de marchandises saisies en douane, le<br />
Conseil se réfère aux « conséquences<br />
manifestement excessives » qu’aurait<br />
l’abrogation immédiate des articles du code<br />
des douanes pour justifier ce report<br />
(203-QPC, 14 e considérant et 208-QPC<br />
11 e considérant). En ce qui concerne le code<br />
du travail en Nouvelle-Calédonie, le Conseil<br />
a jugé qu’il ne disposait pas d’un pouvoir<br />
de même nature que celui du Congrès de<br />
Nouvelle-Calédonie et qu’il ne lui appartenait<br />
pas d’indiquer les modalités permettant de<br />
remédier à l’inconstitutionnalité de la<br />
disposition censurée, transposant ainsi la<br />
formulation qu’il emploie à l’égard du<br />
législateur national. Il a reporté la date<br />
d’abrogation, en précisant que les contrats<br />
et décisions pris avant cette date ne<br />
pouvaient être contestés sur le fondement<br />
de cette inconstitutionnalité (205-QPC,<br />
9 e considérant).<br />
Serge Marasco (Direction des affaires<br />
juridiques)<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 9
10<br />
ANNEXE<br />
Droit public<br />
Les 16 décisions de décembre 2011 à février 2012<br />
N° QPC DATE NOM DES PARTIES SUJET<br />
200-QPC 2 décembre 2011 Banque populaire Côte Pouvoir disciplinaire de la Commission<br />
d’Azur bancaire<br />
201-QPC 2 décembre 2011 Consorts D. Plan d’alignement<br />
203-QPC 2 décembre 2011 M. Wathik M. Vente des biens saisis par l’administration<br />
douanière<br />
205-QPC 9 décembre 2011 M. Patelise F. Nouvelle-Calédonie : rupture du contrat de<br />
travail d’un salarié protégé<br />
207-QPC 16 décembre 2011 Société Grande brasserie Inscription au titre des monuments<br />
Patrie Schutzenberger historiques<br />
208-QPC 13 janvier 2012 Consorts B. Confiscation de marchandises saisies en<br />
douane<br />
210-QPC 13 janvier 2012 M. Ahmed S. Révocation des fonctions de maire<br />
214-QPC 27 janvier 2012 Société COVED SA Droit de communication de l’administration<br />
des douanes<br />
215-QPC 27 janvier 2012 M. Régis J. Régime des valeurs mobilières non<br />
inscrites au compte<br />
216-QPC 3 février 2012 M. Franck S. Désignation du représentant syndical au<br />
comité d’entreprise<br />
219-QPC 10 février 2012 P. Patrick É. Non-lieu : ordonnance non ratifiée et<br />
dispositions législatives non entrées en<br />
vigueur<br />
220-QPC 10 février 2012 M. Hugh A. Majoration fiscale de 40 % pour nondéclaration<br />
de comptes bancaires à<br />
l’étranger ou des sommes transférées vers<br />
ou depuis l’étranger<br />
237-QPC 15 février 2012 M. Zafer E. Demande tendant à la saisine directe du<br />
Conseil constitutionnel d’une QPC<br />
221-QPC 17 février 2012 Société Chaudet et Fille Cotisations volontaires obligatoires<br />
instituées par les organisations<br />
interprofessionnelles agricoles<br />
223-QPC 17 février 2012 Ordre des avocats du Garde à vue en matière de terrorisme :<br />
Barreau de Bastia désignation de l’avocat<br />
233-QPC 21 février 2012 Mme Marine Le Pen Publication du nom et de la qualité des<br />
citoyens élus habilités ayant présenté un<br />
candidat à l’élection présidentielle<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
La loi du 23<br />
février 2005<br />
confie la gestion<br />
du domaine<br />
national de<br />
Chambord à un<br />
établissement<br />
public<br />
Droit public<br />
Un Domaine royal au Palais Royal<br />
Par Tatiana Ayrault<br />
La commune de Chambord contestait la constitutionnalité d’une disposition de la<br />
loi du 23 février 2005 qui crée l’EPIC du Domaine national de Chambord et remet<br />
en dotation à l’EPIC les biens du domaine. Le Conseil d’État, saisi de cette QPC,<br />
a refusé de la transmettre au Conseil constitutionnel, en considérant que ni le<br />
droit de propriété de la commune, qui n’a jamais été propriétaire des biens du<br />
domaine, ni le principe de continuité du service public, préservé par la mise à<br />
disposition à titre gratuit de ces biens à la commune, ni l’autonomie financière<br />
de la commune n’étaient mis en cause par la loi de 2005 (décision n° 353307 du 13<br />
décembre 2011).<br />
Le Domaine national de Chambord a été<br />
délimité par Gaston d’Orléans entre 1626 et<br />
1660, et est pratiquement resté inchangé<br />
depuis, malgré une longue succession de<br />
propriétaires : à la suite d’une souscription<br />
nationale lancée en 1820, le domaine de<br />
Chambord est offert au duc de Bordeaux<br />
(petit-fils de Charles X) devenu ainsi comte<br />
de Chambord. Durant la 1ère guerre<br />
mondiale, le domaine de Chambord est mis<br />
sous séquestre, en raison des liens étroits<br />
qu’entretiennent les propriétaires du<br />
domaine, la famille des Bourbon-Parme, avec<br />
l’Empire austro-hongrois. À la fin de la guerre,<br />
l’État décide de conserver la propriété du<br />
domaine, en le rachetant en bonne et due<br />
forme à ses propriétaires. En conséquence,<br />
tous les biens situés dans l’enceinte du<br />
domaine de Chambord deviennent la<br />
propriété de l’État : les immeubles, les<br />
chemins, les routes, l’église, la mairie et le<br />
cimetière. La commune de Chambord, créée<br />
en 1792, ne possède donc aucun bien propre.<br />
Le domaine est alors géré par plusieurs<br />
ministères selon leurs compétences<br />
respectives. Dès 1947, est instaurée une<br />
gestion partagée entre le ministère des<br />
finances en ce qui concerne le village, le<br />
ministère de la jeunesse, des arts et des<br />
lettres en ce qui concerne le château et ses<br />
dépendances, et le ministère de l’agriculture<br />
s’agissant de la forêt. Cette pluralité de gestionnaires<br />
n’est pas sans soulever des difficultés.<br />
La création d’un commissariat à<br />
l’aménagement du domaine de Chambord 1 ,<br />
placé sous l’autorité du ministère chargé de<br />
la culture et du ministère de l’agriculture,<br />
devait remédier à ces difficultés en unifiant<br />
la gestion du domaine.<br />
Toutefois, cette réforme s’est avérée insuffisante<br />
et, afin d’améliorer davantage la gestion<br />
1 Décret n° 70-1145 du 8 décembre 1970.<br />
du domaine, notamment en favorisant son<br />
autonomie économique, touristique et<br />
culturelle, l’article 230 de la loi n° 2005-157<br />
du 23 février 2005 a créé l’établissement public<br />
du domaine national de Chambord (EPC) et<br />
lui a remis en gestion l’ensemble des biens<br />
appartenant à l’État, afin qu’il puisse exécuter<br />
ses missions 2 .<br />
La commune de Chambord, dont le territoire,<br />
depuis sa création en 1792, coïncide exactement<br />
avec le territoire du domaine national<br />
de Chambord, partage donc l’exercice de<br />
certaines de ses compétences avec l’Établissement<br />
public de Chambord, gestionnaire<br />
du domaine national. Par exemple, la<br />
compétence en matière de police de la circulation<br />
relève du directeur de l’établissement<br />
public pour les voies de circulation situées<br />
dans l’enceinte du domaine, à l’exception<br />
de celles situées dans le village de Chambord<br />
qui ressortent de la compétence du<br />
maire 3 . Cette superposition de compétences<br />
sur un même territoire crée nombre de<br />
confusions.<br />
Ainsi, à l’occasion d’un litige devant le tribunal<br />
administratif d’Orléans, la commune de Chambord<br />
a introduit une question prioritaire de<br />
constitutionnalité. Ce litige opposait l’Établissement<br />
public de Chambord à la commune<br />
2 Précisées par le décret n° 2005-703 du 24 juin<br />
2005.<br />
3 Article 230 de la loi du 23 février 2005 : « Les voies<br />
du domaine national de Chambord ouvertes à la<br />
circulation publique à la date d’entrée en vigueur du<br />
décret prévu au VIII du présent article sont également<br />
remises en dotation à l’établissement public à titre<br />
gratuit. Le directeur général de l’établissement public<br />
exerce les pouvoirs de police afférents à leur gestion,<br />
notamment en ce qui concerne la circulation sur ces<br />
voies, sous réserve des pouvoirs dévolus au maire<br />
de la commune de Chambord sur les voies de<br />
communication situées à l’intérieur de l’agglomération<br />
en application de l’article L. 2213-1 du code<br />
général des collectivités territoriales ».<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 11
Face à la<br />
confusion des<br />
compétences, la<br />
commune remet<br />
en cause la<br />
constitutionnalité<br />
de la loi de 2005<br />
Pas de propriété :<br />
pas de violation<br />
du droit de<br />
propriété...<br />
12<br />
de Chambord, et portait sur la délivrance par<br />
le maire de la commune de trois arrêtés autorisant<br />
les restaurateurs de la commune à<br />
installer leur terrasse sur la place Saint-Louis,<br />
alors que ces autorisations auraient dues être<br />
établies, selon l’établissement public du<br />
domaine national de Chambord, par celui-ci<br />
en tant que gestionnaire des biens de l’État<br />
sur l’ensemble du domaine, en application de<br />
l’article 230 de la loi n° 2005-157 du 23 février<br />
2005.<br />
La commune de Chambord conteste la<br />
constitutionnalité de l’article 230 de la loi<br />
n° 2005-157 du 23 février 2005, qui crée<br />
l’Établissement public de Chambord et lui<br />
attribue le domaine de Chambord en gestion.<br />
Le tribunal administratif d’Orléans a transmis<br />
cette QPC 4 au Conseil d’État par ordonnance<br />
du 4 octobre 2011.<br />
Le Conseil d’État a jugé qu’à supposer que<br />
les dispositions contestées soient applicables<br />
au litige dont le tribunal administratif<br />
d’Orléans est saisi, la question soulevée,<br />
qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un<br />
caractère sérieux. Il n’a donc pas renvoyé<br />
la QPC au Conseil constitutionnel.<br />
Si l’absence de caractère nouveau de la<br />
question posée ne faisait guère de doute,<br />
le Conseil d’État a toutefois fait valoir qu’un<br />
doute sur l’applicabilité de la disposition en<br />
cause au litige existait, rejoignant ainsi le<br />
rapporteur public de l’affaire, qui considérait<br />
que l’article 230 de la loi du 23 février 2005<br />
était inapplicable au litige portant sur la<br />
légalité des arrêtés de stationnement pris<br />
par le maire de la Commune de Chambord.<br />
Une disposition n’est, en effet, pas applicable<br />
à un litige lorsque son inconstitutionnalité,<br />
et l’abrogation qui en serait la conséquence,<br />
serait « sans incidence sur l’appréciation<br />
de la légalité » de la décision attaquée (CE,<br />
19 janvier 2010, EARL Schimttseppel,<br />
n° 343389).<br />
En l’espèce, s’agissant d’un litige relatif à la<br />
délivrance d’autorisations de stationnement<br />
par le maire de la commune, dans le cadre<br />
de ses pouvoirs de police (CE, 5 octobre 1998,<br />
Commune d’Antibes, n° 170895), l’article 230<br />
de la loi du 23 février 2005 contesté par la<br />
commune de Chambord ne déroge pas à<br />
cette règle 5 . Dès lors, la question de la consti-<br />
4 TA Orléans, req. n° 1102176, n° 1102178, n° 1102180.<br />
5 Cf. NBP n° 3.<br />
Droit public<br />
tutionnalité de l’article 230 de la loi du 23<br />
février 2005 ne semble avoir aucune incidence<br />
sur le litige.<br />
Le Conseil d’État a néanmoins examiné le<br />
caractère sérieux de la question posée par<br />
la commune de Chambord.<br />
1. La loi du 23 février 2005 n’a pas<br />
porté atteinte au droit de propriété<br />
de la commune de Chambord<br />
La commune de Chambord soutenait<br />
qu’elle avait été privée de patrimoine par la<br />
loi du 23 février 2005, ainsi que de la faculté<br />
d’en constituer un. Cette atteinte à son droit<br />
de propriété n’était pas, selon elle, justifiée<br />
par un motif d’intérêt général.<br />
Les juges du Palais Royal ont toutefois considéré<br />
que les biens remis en dotation à<br />
l’établissement public « Domaine national de<br />
Chambord » par les dispositions législatives<br />
contestées n’ayant jamais appartenu à la<br />
commune de Chambord, cette dernière ne<br />
pouvait pas soutenir qu’il en résulterait une<br />
violation de son droit de propriété sur ces<br />
biens.<br />
Le Conseil Constitutionnel contrôle l’absence<br />
de privation ou de dénaturation du droit de<br />
propriété 6 , qui figure au nombre des droits de<br />
l’homme consacrés par les articles 2 et 17<br />
de la Déclaration de 1789 (CC, n° 2010-60<br />
QPC, 12 novembre 2010, cons. 3 et 4).<br />
L’article 230 de la loi du 23 février 2005<br />
dispose que l’EPC a notamment pour<br />
mission de « gérer l’ensemble des biens<br />
appartenant à l’État ». À ce titre, lui sont<br />
remis en dotation les biens constitutifs du<br />
domaine national de Chambord. Cet article<br />
n’a ainsi fait que mettre à la disposition de<br />
l’établissement public les biens constitutifs<br />
du domaine de Chambord, lesquels n’ont<br />
jamais appartenu à la commune qui, depuis<br />
sa création en 1792, n’a jamais possédé<br />
aucun bien en propre et ce avant même que<br />
l’État ne prenne possession du domaine en<br />
avril 1930.<br />
La commune de Chambord n’avait, par ailleurs,<br />
aucun droit à prétendre au transfert,<br />
au moment de la création de l’EPC par l’arti-<br />
6 CC, n° 85-189 DC, 17 juillet 1985.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
L’absence de<br />
propriété de la<br />
commune sur les<br />
biens du<br />
domaine<br />
n’empêche pas<br />
sa libre<br />
administration<br />
Droit public<br />
cle 230 de la loi du 23 février 2005, de la propriété<br />
des biens situés sur le domaine. L’État<br />
propriétaire était en droit de décider d’affecter<br />
les biens en gestion à l’établissement public.<br />
La loi du 23 février 2005 avait pour principal<br />
objet d’unifier la gestion du domaine de<br />
Chambord. La propriété du domaine n’a pas<br />
été modifiée, elle demeure à l’État, comme<br />
cela est le cas depuis 1930. Cette loi n’a<br />
donc pas porté atteinte au droit de propriété<br />
de la commune de Chambord.<br />
Le Conseil d’État ne s’est, en revanche, pas<br />
prononcé sur l’argument invoqué par la commune<br />
de Chambord, à titre incident, relatif à<br />
sa privation de toutes perspectives de constitution<br />
d’un domaine propre.<br />
Même si les perspectives d’accession à la<br />
propriété de la commune de Chambord<br />
semblent limitées, elles ne sont, en tout état<br />
de cause, pas nulles. Aucune disposition<br />
n’interdit, en effet, à la commune de devenir<br />
propriétaire de biens situés sur le domaine,<br />
au cas où certains seraient mis en vente.<br />
Certes, l’État, propriétaire du domaine, ne<br />
souhaite pas, à l’heure actuelle, vendre ses<br />
biens. Mais cette situation ne résulte pas<br />
des textes et n’est donc pas juridiquement<br />
figée.<br />
Quand bien même il aurait été considéré que<br />
l’unification de la gestion du domaine au profit<br />
de l’EPC s’est opérée au détriment de<br />
l’accession à la propriété de la commune de<br />
Chambord, ces limitations du droit de<br />
propriété seraient, en toute hypothèse,<br />
justifiées par l’intérêt général.<br />
Le Conseil constitutionnel juge, en effet, que<br />
les limitations apportées au droit de propriété<br />
ne doivent pas aboutir à le vider de son<br />
contenu ou constituer une entrave à l’exercice<br />
de droits et libertés constitutionnellement<br />
garantis (CC, n° 85-198 DC, 13 décembre<br />
1985). Ces limites doivent être<br />
exigées par un intérêt général 7 .<br />
En l’espèce, la concentration de la gestion<br />
des biens du domaine de Chambord dans les<br />
mains d’une même personne publique, l’EPC,<br />
répond à un objectif d’intérêt général découlant<br />
de la préservation d’un ensemble culturel et<br />
touristique unique. L’ensemble des bâtiments<br />
du domaine se situant à l’intérieur d’une<br />
7 CC, n° 90-283 DC, 8 janvier 1991, cons. 8 ; n° 91-303<br />
DC, 15 janvier 1992, cons. 10 ; n° 2000-434 DC,<br />
20 juillet 2000, cons. 31.<br />
enceinte géographique délimitée et déterminée,<br />
participant au service public culturel<br />
et touristique, contribue au « rayonnement<br />
culturel et au développement touristique et<br />
économique » du site, qui participe à l’intérêt<br />
général (CE, Ass. n° 308817, 19 juillet 2011).<br />
2. La loi du 23 février 2005<br />
n’entrave pas la libre administration<br />
de la commune de<br />
Chambord<br />
La commune de Chambord soutenait que<br />
le fait qu’elle ne possède pas de domaine<br />
propre la prive de la possibilité d’exercer<br />
ses compétences, voire d’en déléguer une<br />
partie (eau, assainissement) à la communauté<br />
de communes dont elle est membre,<br />
faute pour elle d’être propriétaire de ces<br />
infrastructures, constituait une entrave à sa<br />
libre administration.<br />
Le Conseil d’État a, toutefois, jugé que les<br />
dispositions contestées visaient à coordonner,<br />
sur les voies du domaine national<br />
de Chambord ouvertes à la circulation<br />
publique les pouvoirs de police du maire de<br />
la commune et du directeur général de<br />
l’établissement public - dans le conseil<br />
d’administration duquel siège au demeurant<br />
ce maire. Elles n’ont donc pas pour<br />
conséquence d’entraver la libre administration<br />
de la commune en la privant d’attributions<br />
effectives.<br />
En tout état de cause, le principe de libre<br />
administration des collectivités territoriales,<br />
reconnu par l’article 72 de la Constitution 8 ,<br />
ne peut s’interpréter comme prévoyant<br />
l’obligation pour les collectivités territoriales<br />
de disposer d’un domaine public propre.<br />
Ce principe s’applique à l’exercice des<br />
compétences qui leur sont dévolues par l’État<br />
dans le cadre de sa politique de décentralisation.<br />
Les communes possèdent le droit<br />
d’administrer librement leur bien, mais ce<br />
droit ne sous-entend pas l’obligation pour<br />
elles de se constituer ou de se voir octroyer<br />
un patrimoine propre.<br />
8 L’article 72 de la Constitution dispose que « les<br />
collectivités territoriales de la République sont les<br />
communes, les départements, les régions, les collectivités<br />
à statut particulier et les collectivités d’outremer<br />
régies par l’article 74 [...] s’administrent librement<br />
par des conseils élus et disposent d’un pouvoir<br />
réglementaire pour l’exercice de leurs compétences<br />
».<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 13
L’autonomie<br />
financière de la<br />
commune n’est<br />
pas atteinte par<br />
l’absence de<br />
propriété du<br />
domaine public<br />
14<br />
En l’espèce, la commune de Chambord<br />
n’ayant pas de droit de propriété sur des<br />
biens du domaine de Chambord antérieurement<br />
à la création de l’EPC, le transfert<br />
de gestion des biens, opéré par l’État au<br />
profit de l’établissement public par la loi du<br />
23 février 2005, ne porte pas atteinte à la<br />
libre administration de la commune.<br />
Le législateur de 2005, en confiant à l’EPC<br />
du Domaine national de Chambord la gestion<br />
de la totalité des biens de l’État, n’a pas<br />
modifié ce faisant les droits de la commune,<br />
ni ses capacités financières par rapport à<br />
celles qui préexistaient à la création de l’établissement<br />
public.<br />
Ce dernier ne saurait, à cet égard, être tenu<br />
pour responsable de la dilution des missions<br />
de la commune au sein de la communauté<br />
de communes du pays de Chambord créée<br />
en 2002 à laquelle elle a elle-même volontairement<br />
adhéré.<br />
Par ailleurs, l’exercice de ses missions par<br />
la commune de Chambord n’est pas compromis<br />
par son absence de propriété. Les<br />
missions qu’elle exerce peuvent être<br />
réalisées de manière indifférente dans des<br />
locaux détenus en propriété ou loués. La<br />
commune « loue » les bâtiments dont elle a<br />
besoin depuis plusieurs années, sans que<br />
l’exercice de ses compétences n’ait été<br />
remis en question. L’État et l’EPC ont, en<br />
effet, toujours tenu à la disposition de celleci<br />
les bâtiments nécessaires à ces activités.<br />
Elle bénéficie traditionnellement de<br />
conventions d’occupation du domaine public<br />
de longue durée notamment pour l’utilisation<br />
de la mairie, du cimetière, de la salle des<br />
fêtes et des terrains de sport.<br />
Enfin, le Conseil d’État souligne que la<br />
commune de Chambord étant membre du<br />
conseil d’administration de l’EPC 9 , celle-ci est<br />
associée aux décisions, participe aux<br />
orientations concernant la gestion du domaine<br />
et peut faire connaitre son point de vue. La<br />
commune de Chambord est donc associée<br />
à la gestion du domaine de Chambord.<br />
9 Article 6 du décret n° 2005-703 du 24 juin 2005<br />
relatif à l’établissement public du domaine national<br />
de Chambord.<br />
Droit public<br />
3. La loi du 23 février 2005 ne<br />
porte pas atteinte à l’autonomie<br />
financière de la commune de<br />
Chambord<br />
La commune faisait valoir qu’en l’absence<br />
de toute propriété propre, elle était privée<br />
de recettes domaniales, ce qui portait<br />
atteinte à son autonomie financière et<br />
réduisait ses ressources propres.<br />
Le Conseil d’État a toutefois considéré que<br />
les dispositions attaquées n’avaient eu ni<br />
pour objet, ni pour effet de priver la commune<br />
de ressources propres qu’elle aurait<br />
retirées, avant leur entrée en vigueur, de<br />
l’exploitation de son domaine et n’avaient<br />
ainsi pas porté atteinte à son autonomie<br />
financière.<br />
L’article 72-2 de la Constitution dispose, en<br />
effet, que « les collectivités territoriales<br />
bénéficient de ressources dont elles<br />
peuvent disposer librement dans les<br />
conditions fixées par la loi. [...] Les recettes<br />
fiscales et les autres ressources propres<br />
des collectivités territoriales représentent,<br />
pour chaque catégorie de collectivités, une<br />
part déterminante de l’ensemble de leurs<br />
ressources. La loi organique fixe les<br />
conditions dans lesquelles cette règle est<br />
mise en œuvre. »<br />
La catégorie des ressources propres des<br />
collectivités territoriales a été instituée, afin<br />
de garantir à chaque catégorie de collectivités<br />
un montant global de ressources, qui ne peut<br />
être inférieur à celui d’une année de<br />
référence 10 . La catégorie des ressources<br />
propres des collectivités territoriales est bien<br />
plus large que les seuls produits du domaine 11 ,<br />
et son appréciation est globale. Elle n’est<br />
donc pas individualisée par type de recettes.<br />
10 Article L.O. 1114-3 du code général des<br />
collectivités territoriales : « [...] Pour chaque<br />
catégorie, la part des ressources propres ne peut<br />
être inférieure au niveau constaté au titre de l’année<br />
2003 ».<br />
11 L’article L.O. 1114-2 du code général des<br />
collectivités territoriales prévoit ainsi que les<br />
ressources propres des collectivités territoriales «<br />
sont constituées du produit des impositions de<br />
toutes natures dont la loi les autorise à fixer<br />
l’assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine,<br />
par collectivité, le taux ou une part locale d’assiette,<br />
des redevances pour services rendus, des produits<br />
du domaine, des participations d’urbanisme, des<br />
produits financiers et des dons et legs ».<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
La situation<br />
particulière de la<br />
commune justifie<br />
une gestion<br />
particulière<br />
L’absence de<br />
propriété sur les<br />
biens n’empêche<br />
pas la commune<br />
d’assurer la<br />
continuité du<br />
service public<br />
Droit public<br />
La commune de Chambord, qui bénéficie,<br />
en tant que collectivité territoriale, de recettes<br />
fiscales (impositions locales) et d’autres<br />
ressources propres (produits financiers,<br />
redevances...), ne pouvait pas soutenir qu’elle<br />
était privée de ressources propres du seul<br />
fait qu’elle ne possédait pas de domaine<br />
public valorisable. Elle n’a, comme le rappelle<br />
le Conseil d’État, jamais perçu de recettes<br />
domaniales, et n’a donc pas subi de pertes<br />
financières.<br />
En outre, la valorisation du domaine des<br />
personnes publiques est seulement une<br />
possibilité offerte aux personnes publiques<br />
propriétaires. Ainsi, certaines collectivités<br />
territoriales propriétaires d’un domaine ne<br />
le valorisent pas et ne tirent pas des revenus<br />
de celui-ci.<br />
4. La loi du 23 février 2005 n’a pas<br />
méconnu le principe d’égalité<br />
devant la loi<br />
La commune de Chambord soutenait<br />
qu’elle était traitée différemment des autres<br />
collectivités, en raison de son absence de<br />
domaine. Pour elle, cette différence de traitement<br />
ne se justifiait pas et était sans rapport<br />
avec l’objet de la loi du 23 février 2005.<br />
« Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce<br />
que le législateur règle de façon différente<br />
des situations différentes, ni à ce qu’il<br />
déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt<br />
général pourvu que, dans l’un et l’autre cas,<br />
la différence de traitement qui en résulte<br />
soit en rapport direct avec l’objet de la loi<br />
qui l’établit 12 ».<br />
Pour les juges du Palais Royal, les<br />
dispositions législatives contestées n’ont<br />
pas méconnu le principe d’égalité devant la<br />
loi, dès lors que la commune de Chambord,<br />
dont le territoire est, depuis sa création,<br />
inclus dans les limites de l’ancien domaine<br />
royal, est dans une situation différente de<br />
celle des autres communes où se trouvent<br />
d’anciens domaines royaux, mais dont le<br />
territoire est plus vaste que celui occupé<br />
par ces domaines.<br />
12 CC, n° 2007-557 DC, 15 novembre 2007, cons. 7 ;<br />
n° 2007-559 DC, 6 décembre 2007, cons. 23 ;<br />
n° 2008-571 DC, 11 décembre 2008, cons. 20.<br />
La commune de Chambord se trouve, en<br />
effet, dans une situation différente de celle<br />
des autres communes françaises. Elle n’a<br />
jamais possédé de biens propres, et ne s’en<br />
est pas vu remettre, ni en propriété, ni en<br />
gestion, au moment de la création par le<br />
législateur de l’EPC par la loi du 23 février<br />
2005. Son assiette territoriale est, en outre,<br />
entièrement incluse dans le domaine de<br />
Chambord, ce qui la place dans une situation<br />
singulière par rapport aux autres communes,<br />
dont une partie du territoire seulement se<br />
situe dans l’emprise d’un domaine national<br />
(Versailles, Rambouillet...).<br />
L’intérêt général attaché à la préservation<br />
d’un ensemble culturel et touristique unique,<br />
justifie la propriété unique du domaine<br />
appartenant à l’État, ainsi que sa gestion<br />
par l’EPC.<br />
Cette mesure est, par ailleurs, en rapport<br />
direct avec l’objet de la loi de 2005, relative<br />
au développement des territoires ruraux. En<br />
effet, le domaine de Chambord constitue un<br />
ensemble patrimonial et forestier important<br />
ainsi qu’une réserve naturelle et cynégétique<br />
rare. La création d’une entité unique de gestion<br />
de ce domaine permet ainsi de concilier<br />
le développement économique de ce<br />
territoire et sa préservation.<br />
La situation singulière de la commune de<br />
Chambord justifie donc le traitement<br />
particulier dont elle fait l’objet.<br />
5. La loi du 23 février 2005 ne<br />
porte pas atteinte au principe<br />
de continuité des services<br />
publics<br />
La commune de Chambord soutenait que<br />
ne posséder aucun bien sur son territoire,<br />
l’empêchait d’exercer ses compétences et<br />
portait atteinte au principe de continuité du<br />
service public dont elle a la charge.<br />
Le Conseil d’État a jugé qu’il n’y avait pas<br />
atteinte au principe de continuité du service<br />
public, en rappelant que les immeubles<br />
affectés aux services municipaux de la commune<br />
n’étaient pas sa propriété, mais<br />
étaient mis à sa disposition à titre gratuit<br />
par l’EPC.<br />
L’absence de droit de propriété sur des biens<br />
immobiliers ne constitue pas, à lui seul, un<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 15
16<br />
obstacle à la continuité des services<br />
publics 13 . Le fait de disposer de biens dans<br />
le cadre de contrats d’occupation ou de<br />
location, par définition « temporaires », n’est<br />
pas constitutif d’une atteinte à la continuité<br />
du service public. De très nombreuses<br />
activités de service public peuvent être<br />
assurées dans le cadre de mises à<br />
disposition de biens, sans qu’il ne soit pour<br />
autant porté atteinte à la continuité du service<br />
public.<br />
La commune de Chambord assurait ses<br />
missions de service public, avant la création<br />
de l’établissement public, alors même<br />
qu’elle n’était pas propriétaire des biens.<br />
Elle a ainsi toujours été mise en mesure,<br />
par l’État et l’EPC, d’occuper et d’utiliser<br />
les bâtiments nécessaires à l’exercice des<br />
missions de service public, sur la base de<br />
conventions d’occupation du domaine<br />
public de longue durée.<br />
Le Conseil d’État a donc refusé de<br />
transmettre au Conseil constitutionnel la<br />
question prioritaire de constitutionnalité<br />
soulevée par la commune de Chambord.<br />
Tatiana Ayrault (Direction des affaires<br />
juridiques)<br />
13 Le Conseil constitutionnel reconnait la continuité<br />
des services publics comme un principe à valeur<br />
constitutionnelle (CC, n° 93-337 DC, 27 janvier 1994,<br />
cons. 19 et 20).<br />
Droit public<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Droit public<br />
Paris, et le « Grand Paris », ne figurent pas,<br />
et de loin, parmi les agglomérations les plus<br />
peuplées dans le monde, bien d’autres villes<br />
sont beaucoup plus peuplées et, de ce point<br />
de vue, le décalage ne pourra que<br />
s’accentuer dans l’avenir. Mais la population<br />
n’est pas le seul élément à prendre en<br />
considération, d’autres classements,<br />
intégrant les services de nature diverse<br />
offerts par la ville, donnent des résultats<br />
différents. Selon une étude fort intéressante<br />
menée par un cabinet privé 1 , Paris se situe<br />
à la 4 ème place dans le monde, derrière (dans<br />
l’ordre) New York, Londres et Tokyo, et ce<br />
rang doit être autant que possible conservé.<br />
Mais, ainsi que l’indique l’étude d’impact,<br />
« la concurrence est grande. Berlin, Shangai,<br />
Pékin, Bombay, Madrid, Milan, Francfort<br />
peuvent prétendre à appartenir bientôt au<br />
«club» des villes-mondes. Par ailleurs, la<br />
position de la région capitale connaît une<br />
perte d’attractivité globale qu’il convient<br />
d’enrayer 2 . »<br />
Comment redonner à la région capitale à la<br />
fois une qualité de vie attractive, en matière<br />
de transport, de logements, d’environnement,<br />
d’éducation, de culture ? À cela<br />
s’ajoute l’exigence de désenclaver des<br />
territoires en grande difficulté. Selon l’étude<br />
d’impact, pour cela il faut « conforter la<br />
diversité de ses excellences, en développant<br />
des territoires stratégiques de la<br />
Le Grand Paris<br />
Par Jean-Marie Pontier<br />
La lettre de mission adressée le 7 mai 2008 au secrétaire d’État chargé du<br />
développement de la région capitale déclarait que le projet de loi relatif au Grand<br />
Paris constituait un acte majeur dans la stratégie de développement économique<br />
devant permettre à la France, selon le Président de la République, « de tenir son<br />
rang dans la compétition des territoires, en faisant de sa capitale une «ville monde»<br />
ouverte, dynamique, attractive, créatrice de richesses et d’emplois, qui constitue<br />
pour la nation un atout décisif dans la compétition économique du 21 ème siècle ».<br />
Cet article a été publié dans le numéro de mars 2012 de la revue Gestion et finances publiques.<br />
1 C’est probablement à cette étude que se réfèrent,<br />
mais sans la citer, les documents parlementaires<br />
relatifs au projet de loi, qui donnent ce classement.<br />
Il s’agit d’une étude du cabinet A.T. Kearney Global<br />
Cities Index, de 2010, qui prend en compte cinq<br />
paramètres (Political engagement, Cultural<br />
experience, Information exchange, Human capital,<br />
Business activity).<br />
2 L’étude d’impact relative au projet de loi a été<br />
établie en application de l’article 8 de la loi organique<br />
n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application<br />
des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, elle<br />
date d’octobre 2009.<br />
connaissance, de l’innovation, fortement<br />
porteurs de croissance ». En effet, et de<br />
manière peu contestable, la région possède<br />
le plus fort potentiel scientifique,<br />
universitaire et industriel des régions<br />
françaises ainsi que des établissements de<br />
formation professionnelle et d’enseignement<br />
supérieurs prestigieux.<br />
Un rapport présenté au Président de la<br />
République en 2008, le rapport Perben 3 ,<br />
montre que la métropolisation est devenue<br />
un enjeu majeur. Elle seule permet une<br />
optimisation des effets des nouvelles<br />
technologies et de l’innovation, tout en<br />
apportant une réponse possible en termes<br />
de développement durable par le contrôle<br />
de l’étalement urbain. Selon le rapport<br />
Perben, les freins à la métropolisation sont<br />
notamment constitués par les capacités<br />
d’échanges et de transports : leur<br />
insuffisance favorise l’étalement urbain et,<br />
par ailleurs, l’attractivité des métropoles<br />
dépend directement de leur position au cœur<br />
d’un réseau les reliant aux autres<br />
métropoles nationales et mondiales.<br />
1. Objectifs poursuivis<br />
Le projet de loi relatif au Grand Paris a<br />
proposé, conformément aux souhaits du<br />
Président de la République, des « fondements<br />
économiques, avec l’organisation d’un<br />
espace propice à la création et à l’innovation,<br />
avec les infrastructures de transport<br />
nécessaires à la desserte interne et externe<br />
du bassin parisien » et les fondements «<br />
d’une stratégie d’attractivité globale de la<br />
région capitale [...] mettant en cohérence<br />
la carte de l’habitat, des lieux de travail des<br />
lieux de loisir et des transports ».<br />
3 D. Perben, « Imaginer les métropoles d’avenir »,<br />
janvier 2008.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 17
18<br />
Lors de la présentation du projet au Conseil<br />
des ministres du 29 avril 2009, le communiqué<br />
fait à la suite de ce dernier déclare<br />
qu’il s’agit de créer « une nouvelle dynamique<br />
fondée sur les principes suivants :<br />
concentration pour atteindre une taille<br />
critique au plan international ; développement<br />
fondé sur l’innovation dans<br />
l’industrie et les services ; spécialisation<br />
par territoire mais entraînant l’ensemble du<br />
tissu régional ; synergies entre acteurs<br />
territoriaux ; recherche interdisciplinaire en<br />
vue d’une plus grande innovation ». Neuf<br />
territoires stratégiques ont été identifiés :<br />
le plateau de Saclay, Orly-Rungis, Roissy-<br />
Villepinte, La Défense-Nanterre-Rueil,<br />
Plaine-Commune, Champs-sur-Marne-Cité<br />
Descartes, Évry, Seine-Oise, Montfermeil-<br />
Clichy-sous-Bois.<br />
Le développement de ces territoires doit<br />
aller de pair avec celui d’un schéma de<br />
transport pour les relier, et « c’est sur le<br />
transport que va se jouer la partie la plus<br />
décisive », a souligné le Président de la<br />
République, l’un des défis à relever étant la<br />
construction d’une nouvelle ligne de métro<br />
automatique de 130 km dont les premiers<br />
tronçons, commencés en 2012, devraient<br />
être mis en service à l’horizon 2017. La<br />
création d’un instrument adapté à cette fin<br />
était indispensable, c’est ce à quoi doit<br />
répondre l’établissement dénommé<br />
« Société du Grand Paris », créé par la loi.<br />
Un tel projet, qui n’intéresse pas seulement<br />
la région parisienne mais l’ensemble français 4 ,<br />
implique que l’État y occupe une place<br />
particulière. L’État a, comme l’on dit aujourd’hui,<br />
« un rôle de pilotage », et le Président<br />
de la République a déclaré : « Le Grand Paris,<br />
c’est l’État qui prend ses responsabilités, c’est<br />
l’État qui se donne les moyens juridiques d’agir,<br />
mais c’est aussi l’État qui associe, qui ne<br />
décide pas seul, c’est l’État qui donne<br />
l’impulsion nécessaire mais qui n’impose pas<br />
d’en haut un projet qui ne peut réussir que s’il<br />
est partagé par tous ». Pour G. Marcou, le<br />
texte sur le Grand Paris illustre « le retour de<br />
l’État aménageur 5 ».<br />
4 Un ouvrage collectif réalisé par la Délégation<br />
interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité<br />
des territoires (DIACT) décrit bien cette dimension<br />
nationale du projet du Grand Paris (DIACT, Une<br />
nouvelle ambition pour l’aménagement du territoire,<br />
Doc. fr. 2009).<br />
5 G. Marcou, « La loi sur le Grand Paris : le retour<br />
de l’État aménageur ? », AJDA 2010, p. 1868 et s.<br />
Droit public<br />
L’article 1 er de la loi est une sorte de<br />
récapitulation de l’ambition des pouvoirs<br />
publics et son caractère prescriptif est loin<br />
d’être évident, mais c’est là désormais une<br />
caractéristique de nombreuses lois, le<br />
législateur exposant dans l’article 1 er ses<br />
objectifs. Le Grand Paris est présenté<br />
comme « un projet urbain, social et<br />
économique d’intérêt national qui unit les<br />
grands territoires stratégiques de la région<br />
Île-de-France, au premier rang desquels<br />
Paris et le cœur de l’agglomération<br />
parisienne, et promeut le développement<br />
économique durable, solidaire et créateur<br />
d’emplois de la région capitale 6 ». Cet article<br />
affirme encore que ce projet « vise à réduire<br />
les déséquilibres sociaux, territoriaux et<br />
fiscaux au bénéfice de l’ensemble du<br />
territoire national ». Il est affirmé que les<br />
collectivités territoriales sont associées à<br />
ce projet, et les contrats de développement<br />
territorial, analysés ci-après, manifestent<br />
effectivement de nouvelles modalités de<br />
coopération dont il faudra voir ce qu’elles<br />
donnent à l’usage.<br />
Les articles 2 à 6 constituent le titre I er de la<br />
loi, consacré à l’« Élaboration et outils de<br />
mise en œuvre du réseau de transport public<br />
du Grand Paris ». Ce réseau de transport<br />
public est constitué des infrastructures<br />
affectées au transport public urbain de<br />
voyageurs au moyen d’un métro automatique<br />
de grande capacité en rocade, le<br />
financement par l’État de ce nouveau réseau<br />
de transport étant indépendant de sa<br />
contribution aux contrats de projets conclus<br />
avec la région Île-de-France permettant la<br />
création, l’amélioration et la modernisation<br />
des réseaux de transport public 7 . Le schéma<br />
d’ensemble du réseau de transport public du<br />
Grand Paris, qui doit être « respectueux des<br />
enjeux liés au développement durable » décrit<br />
les principales caractéristiques de ce dernier 8<br />
6 Relevons au passage ce qui est devenu une sorte<br />
de clause de style de nombreuses lois et qui<br />
consiste à « promouvoir » le « développement<br />
économique » auquel sont adjoints, selon les cas,<br />
les termes de « social », « culturel », et, aujourd’hui,<br />
« durable ».<br />
7 Il y aura cependant nécessairement une cohérence<br />
à maintenir pour les financements de l’État comme<br />
pour les contrats de développement territorial par<br />
rapport à ce contrat de projet, sauf à vider ce<br />
dernier de toute signification.<br />
8 Ce schéma doit mentionner : les prévisions en<br />
matière de niveau de service, d’accessibilité, de<br />
mode d’exploitation, de tracé et de position des<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Droit public<br />
et, par ailleurs, la mise en place d’un réseau<br />
« à haut niveau de performance » prioritairement<br />
affecté au fret ferroviaire entre les<br />
grands ports maritimes du Havre et de<br />
Rouen, présentés comme la façade maritime<br />
du Grand Paris, et le port de Paris, est « un<br />
objectif d’intérêt national ».<br />
Le schéma d’ensemble du réseau de<br />
transport public du Grand Paris est établi<br />
après avis des collectivités territoriales et<br />
de leurs établissements publics de<br />
coopération intercommunale (s’ils sont<br />
compétents en matière d’urbanisme ou<br />
d’aménagement), de l’association des<br />
maires d’Île-de-France, du syndicat mixte<br />
« Paris-Métropole », du Syndicat des<br />
transports d’Île-de-France et de l’atelier<br />
international du Grand Paris. Le public est<br />
également associé au processus<br />
d’élaboration de ce schéma 9 .<br />
Les projets d’infrastructures qui mettent en<br />
œuvre le schéma d’ensemble du réseau de<br />
transport public du Grand Paris sont déclarés<br />
d’utilité publique par décret en Conseil d’État<br />
et constituent, à compter de la date de<br />
publication de ce décret, un projet d’intérêt<br />
général au sens des articles L. 121-2 et<br />
L. 121-9 du code de l’urbanisme 10 .<br />
Outre le titre I er précité, le texte de loi<br />
comprend un titre II consacré à l’établissement<br />
public « Société du Grand Paris »,<br />
un titre III relatif à la « Réalisation et gestion<br />
du réseau de transport public du Grand<br />
Paris », un titre IV sur le « Développement<br />
territorial et projets d’aménagement », un<br />
titre V portant sur des « Dispositions<br />
relatives au logement », un titre VI sur des<br />
gares, des possibilités de connexion au réseau<br />
ferroviaire à grande vitesse, les possibilités de<br />
connexion aux autres réseaux de transport public<br />
urbain en Île-de-France, les possibilités de<br />
raccordement par ligne à grande vitesse de la liaison<br />
par train à grande vitesse Roissy - Charles-de-<br />
Gaulle - Chessy - Marne-la-Vallée, prolongée jusqu’à<br />
l’aéroport d’Orly, la prise en compte de l’intermodalité.<br />
9 De longues dispositions sont consacrées par la<br />
loi à cette consultation du public, le débat public<br />
ayant été organisé par la Commission nationale du<br />
débat public.<br />
10 Selon l’article L. 121-9, l’autorité administrative<br />
peut qualifier de projet d’intérêt général, d’une part,<br />
les mesures nécessaires à la mise en œuvre des<br />
directives territoriales d’aménagement et de<br />
développement durable, d’autre part, tout projet<br />
d’ouvrage de travaux ou de protection présentant<br />
un caractère d’utilité publique et répondant à<br />
certaines conditions énoncées par cet article.<br />
« Dispositions relatives à la création d’un<br />
pôle scientifique et technologique sur le<br />
plateau de Saclay ». Chacun de ces titres<br />
appellerait de longs développements. On se<br />
bornera ici à présenter les dispositions les<br />
plus intéressantes ou les plus originales du<br />
point de vue administratif et juridique, celles<br />
sur la Société du Grand Paris et celles sur<br />
les contrats de développement territorial.<br />
2. La société du Grand Paris<br />
La loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au<br />
Grand Paris crée, dans son article 7, un<br />
établissement public à caractère industriel<br />
et commercial dénommé « Société du<br />
Grand Paris ». Cet établissement public a<br />
pour mission principale de concevoir et<br />
d’élaborer le schéma d’ensemble et les<br />
projets d’infrastructure composant le réseau<br />
de transport public du Grand Paris et d’en<br />
assurer la réalisation, qui comprend la<br />
construction des lignes, ouvrages et<br />
installations fixes, la construction et<br />
l’aménagement des gares, y compris<br />
d’interconnexion, ainsi que l’acquisition des<br />
matériels roulants conçus pour parcourir ces<br />
infrastructures et, dans les conditions de<br />
l’article 19 (relatif aux conditions du contrat<br />
en partenariat), leur entretien et leur<br />
renouvellement, dans les conditions prévues<br />
par la loi.<br />
À cette fin, l’établissement public Société<br />
du Grand Paris peut acquérir, au besoin par<br />
voie d’expropriation ou de préemption, les<br />
biens de toute nature, immobiliers et<br />
mobiliers, nécessaires à la création et à<br />
l’exploitation des infrastructures du réseau<br />
de transport public du Grand Paris.<br />
Sans préjudice des compétences du<br />
Syndicat des transports d’Île-de-France,<br />
l’établissement public Société du Grand<br />
Paris veille également au maillage cohérent<br />
du territoire par une offre de transport de<br />
surface permettant la desserte des gares du<br />
réseau de transport public du Grand Paris. Il<br />
assiste le représentant de l’État dans la<br />
région pour la préparation et la mise en<br />
cohérence des contrats de développement<br />
territorial, examinés ci-après.<br />
L’établissement public Société du Grand<br />
Paris peut conduire des opérations<br />
d’aménagement ou de construction.<br />
Lorsque ces opérations interviennent sur le<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 19
20<br />
territoire des communes signataires d’un<br />
contrat de développement territorial, il ne peut<br />
conduire de telles opérations que si le contrat<br />
le prévoit. Dans ce cas, ce dernier prévoit<br />
également, dans le ressort territorial des<br />
établissements publics d’aménagement<br />
autres que l’établissement public Agence<br />
foncière et technique de la région parisienne,<br />
lequel de ces établissements ou de<br />
l’établissement public Société du Grand<br />
Paris conduit ces opérations d’aménagement<br />
ou de construction. Lorsque ces opérations<br />
interviennent sur le territoire des communes<br />
non signataires d’un contrat de développement<br />
territorial, l’établissement public<br />
Société du Grand Paris peut, après avis des<br />
communes et établissements publics de<br />
coopération intercommunale compétents<br />
concernés, conduire ces opérations dans un<br />
rayon inférieur de 400 mètres autour des<br />
gares nouvelles du réseau de transport public<br />
du Grand Paris.<br />
Pour la réalisation de sa mission<br />
d’aménagement et de construction,<br />
l’établissement public Société du Grand<br />
Paris exerce les compétences reconnues<br />
aux établissements publics d’aménagement.<br />
Dans le respect des règles de publicité et<br />
de mise en concurrence prévues par le droit<br />
communautaire, des objectifs de<br />
développement durable, de la diversité des<br />
fonctions urbaines et de la mixité sociale<br />
dans l’habitat, il peut, par voie de convention,<br />
exercer sa mission d’aménagement et de<br />
construction par l’intermédiaire de toute<br />
personne privée ou publique ayant des<br />
compétences en matière d’aménagement ou<br />
de construction.<br />
L’établissement public Société du Grand Paris<br />
peut se voir confier par l’État, les collectivités<br />
territoriales ou leurs groupements, par voie<br />
de convention, toute mission d’intérêt général<br />
présentant un caractère complémentaire ou<br />
connexe aux missions définies<br />
précédemment. Il peut créer des filiales ou<br />
prendre des participations dans des sociétés,<br />
groupements ou organismes dont l’objet<br />
concourt à la réalisation de ses missions.<br />
Pour l’exercice de ses compétences telles<br />
qu’elles sont ainsi définies par la loi,<br />
l’établissement public Société du Grand<br />
Paris peut conclure, à titre gratuit ou<br />
onéreux, des conventions de coopération<br />
ou de mandat avec des établissements<br />
publics de l’État. Les conventions ainsi<br />
Droit public<br />
conclues peuvent avoir pour objet la mise<br />
en œuvre des procédures de recrutement,<br />
de gestion et de rémunération de ses<br />
personnels ainsi que la mise en œuvre des<br />
procédures de passation des contrats avec<br />
des opérateurs économiques publics ou<br />
privés pour répondre à ses besoins en<br />
matière de fournitures, de travaux ou de<br />
services.<br />
L’établissement public Société du Grand<br />
Paris est dirigé par un directoire qui exerce<br />
ses fonctions sous le contrôle d’un conseil<br />
de surveillance. Le directoire est composé<br />
de trois membres nommés, après avis du<br />
conseil de surveillance, par un décret qui<br />
confère à l’un d’eux la qualité de président<br />
du directoire 11 . La nomination de ce dernier<br />
ne peut intervenir qu’après son audition par<br />
les commissions compétentes de<br />
l’Assemblée nationale et du Sénat. Le<br />
conseil de surveillance est composé de<br />
représentants de l’État et d’élus des<br />
collectivités territoriales nommés pour une<br />
durée de cinq ans renouvelables ou pour la<br />
durée de leur mandat. Les représentants<br />
de l’État constituent au moins la moitié des<br />
membres du conseil de surveillance, et le<br />
président du conseil de surveillance est élu<br />
parmi ses membres.<br />
Le directoire et son président exercent les<br />
attributions définies par les articles L. 225-64<br />
et L. 225-66 du code de commerce et, s’agissant<br />
du directoire, notamment des attributions<br />
fixées par le décret du 7 juillet 2010 précité.<br />
Le directoire est responsable de l’exécution<br />
des décisions du conseil de surveillance. Il<br />
présente chaque année au conseil de<br />
surveillance un rapport sur la situation de<br />
l’établissement public et l’avancement de la<br />
mise en œuvre du schéma d’ensemble du<br />
réseau de transport public par métro<br />
automatique du Grand Paris. Le président du<br />
conseil de surveillance prépare les<br />
observations de ce conseil sur le rapport. Le<br />
rapport du directoire, accompagné des<br />
observations du conseil, est adressé avant le<br />
30 mai aux ministres de tutelle ainsi qu’au<br />
ministre chargé du budget.<br />
Le directoire établit un règlement intérieur<br />
qui organise son fonctionnement. Les<br />
décisions du directoire sont prises à la<br />
majorité des membres présents, le directoire<br />
11 Le décret n° 2010-756 du 7 juillet 2010 relatif à la<br />
Société du Grand Paris précise les modalités de<br />
désignation des membres du directoire.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Droit public<br />
ne délibérant valablement que si au moins<br />
deux de ses membres sont présents, dont<br />
le président. En cas de partage des voix, et<br />
suivant une règle classique, la voix du<br />
président est prépondérante.<br />
Le président du directoire recrute, gère le<br />
personnel, fixe sa rémunération et a autorité<br />
sur lui. Il représente l’établissement public<br />
Société du Grand Paris de plein droit devant<br />
toutes les juridictions et pour tous les actes<br />
de la vie civile. Il a la faculté de conclure des<br />
transactions dans les conditions prévues par<br />
les articles 2044 et s. du code civil et dans<br />
les limites fixées par le conseil de<br />
surveillance. Les transactions sont subordonnées<br />
à l’accord préalable du commissaire<br />
du <strong>gouv</strong>ernement et de l’autorité chargée du<br />
contrôle économique et financier au-dessus<br />
d’un seuil fixé par le conseil de surveillance.<br />
Il procède aux achats et passe les marchés<br />
ou traités. Il est ordonnateur des recettes et<br />
des dépenses.<br />
Le président du directoire peut, sous sa<br />
responsabilité et en toutes matières,<br />
déléguer sa signature aux membres du<br />
directoire ; il peut également la déléguer à<br />
un ou plusieurs agents de l’établissement<br />
dans leur champ de compétences et de<br />
responsabilité. Il désigne également parmi<br />
les membres du directoire celui qui exercera<br />
sa suppléance en cas d’absence ou<br />
d’empêchement. Il communique cette<br />
décision au président du conseil de<br />
surveillance et au commissaire du <strong>gouv</strong>ernement.<br />
Cette désignation est faite par les<br />
ministres de tutelle en cas de vacance de<br />
l’emploi de président du directoire.<br />
Les actes de nature réglementaire pris par<br />
le conseil de surveillance ou le directoire<br />
sont publiés par voie d’inscription dans un<br />
registre mis à la disposition du public au<br />
siège de l’établissement public Société du<br />
Grand Paris et par voie électronique.<br />
L’inscription est attestée par le directoire.<br />
La loi institue auprès du conseil de<br />
surveillance un « comité stratégique »<br />
composé des représentants des communes<br />
et des établissements publics compétents<br />
en matière d’aménagement ou d’urbanisme<br />
dont le territoire est, pour tout ou partie, situé<br />
sur l’emprise d’un projet d’infrastructure du<br />
réseau de transport public du Grand Paris<br />
ou dans le périmètre d’un contrat de<br />
développement territorial. Ce comité<br />
comprend également deux députés et deux<br />
sénateurs désignés par leur assemblée<br />
respective ainsi que des représentants des<br />
chambres consulaires et des organisations<br />
professionnelles et syndicales. Ce comité<br />
doit être créé, selon la loi, dans un délai de<br />
six mois à compter de la publication du décret<br />
d’approbation du schéma d’ensemble. Il peut<br />
être saisi de tout sujet par le conseil de<br />
surveillance, il peut émettre des propositions<br />
et demander que des questions soient<br />
inscrites à l’ordre du jour d’une réunion du<br />
conseil de surveillance.<br />
Le décret n° 2010-756 du 7 juillet 2010<br />
précité a précisé les conditions d’application<br />
de la loi concernant ce comité stratégique.<br />
L’article 21 du décret énumère les catégories<br />
de membres le composant. Ce comité<br />
désigne en son sein son président, désigné<br />
pour une durée de cinq ans, le mandat étant<br />
renouvelable 12 . Le comité stratégique se<br />
réunit sur convocation de son président sur<br />
un ordre du jour fixé par celui-ci. Il adopte<br />
son règlement intérieur, qui détermine<br />
notamment les modalités d’organisation des<br />
débats et la répartition des temps de parole<br />
lors des séances. Il propose au conseil de<br />
surveillance les modalités de diffusion des<br />
avis et propositions qu’il lui fait. Il délibère à<br />
la majorité des membres présents ou<br />
représentés, un membre pouvant donner<br />
mandat, par écrit, à un autre membre pour<br />
le représenter.<br />
L’établissement public Société du Grand<br />
Paris est soumis au contrôle économique<br />
et financier de l’État. Les délibérations<br />
relatives au compte financier et l’affectation<br />
des résultats aux fins de vérification et de<br />
contrôle, d’abord, l’état prévisionnel des<br />
recettes et des dépenses ainsi que les<br />
décisions modificatives, notamment<br />
l’évolution de la dette et des effectifs,<br />
ensuite, le recours à l’emprunt lorsque son<br />
montant est supérieur à un seuil fixé par le<br />
conseil, enfin, sont soumises à l’approbation<br />
des ministres de tutelle et du budget.<br />
L’approbation est réputée acquise dans le<br />
mois suivant la réception par ces ministres<br />
des délibérations en question, calculé à<br />
partir de la date la plus tardive.<br />
12 Le vote a lieu au scrutin secret sous la présidence<br />
du président sortant ou, à défaut, du doyen d’âge.<br />
Si, après deux tours de scrutin, aucun candidat n’a<br />
obtenu la majorité absolue, il est procédé à un<br />
troisième tour de scrutin, et la nomination ou la<br />
désignation a lieu à la majorité relative. À égalité de<br />
voix, la nomination ou la désignation est acquise au<br />
plus âgé.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 21
22<br />
Aucune convention ne peut, sans<br />
l’autorisation du conseil de surveillance, être<br />
conclue directement ou par personne<br />
interposée entre l’établissement public<br />
Société du Grand Paris et un membre de<br />
ce conseil ou du directoire ou entre<br />
l’établissement et une société ou organisme<br />
qu’un membre du conseil de surveillance<br />
ou du directoire contrôle au sens de l’article<br />
L. 233-3 du code de commerce, ou dont il<br />
est actionnaire disposant d’une fraction de<br />
vote supérieure à 5 %, ou dont il est<br />
responsable, gérant, administrateur, ou, de<br />
façon générale, dirigeant. Les dispositions<br />
précédentes ne s’appliquent pas aux<br />
conventions portant sur des opérations<br />
courantes et conclues à des conditions<br />
normales. Toutefois, ces dernières<br />
conventions sont communiquées par le<br />
membre intéressé du conseil de<br />
surveillance ou du directoire au président<br />
du conseil de surveillance, au commissaire<br />
du <strong>gouv</strong>ernement et à l’autorité chargée du<br />
contrôle économique et financier. La liste<br />
de ces conventions et leur objet sont<br />
communiqués par le président aux<br />
membres du conseil de surveillance et aux<br />
commissaires aux comptes.<br />
Lorsque le commissaire du <strong>gouv</strong>ernement<br />
ou l’autorité chargée du contrôle économique<br />
et financier estime qu’un membre<br />
du conseil de surveillance ou du directoire<br />
est susceptible de s’exposer à l’application<br />
de l’article 432-12 du code pénal 13 , il en<br />
informe par écrit le membre intéressé et le<br />
président du conseil de surveillance. Le<br />
décret n° 2010-756 du 7 juillet 2010 précise,<br />
en son article 25-IV les conditions<br />
applicables aux membres du conseil de<br />
surveillance ou du directoire relativement<br />
aux informations qu’ils doivent donner<br />
concernant ces conventions.<br />
Le même décret déclare que le préfet de la<br />
région Île-de-France, préfet de Paris, est le<br />
commissaire du <strong>gouv</strong>ernement auprès de<br />
l’établissement public Société du Grand<br />
Paris. En cas d’empêchement, le préfet de<br />
région est suppléé par le secrétaire général<br />
pour les affaires régionales.<br />
Le commissaire du <strong>gouv</strong>ernement représente<br />
l’État. Il exerce une surveillance sur<br />
l’orientation générale de l’activité de l’établissement<br />
et de celle des sociétés dont il détient<br />
13 Il s’agit des dispositions relatives à la prise illégale<br />
d’intérêts.<br />
Droit public<br />
directement ou indirectement plus de la moitié<br />
du capital social ou des droits de vote à<br />
l’assemblée générale des actionnaires. Pour<br />
l’exécution de sa mission, le commissaire du<br />
<strong>gouv</strong>ernement a tous les pouvoirs<br />
d’investigation sur pièces et sur place. Il peut<br />
assister avec voix consultative aux réunions<br />
du conseil de surveillance, du comité<br />
stratégique et de tous comités créés en leur<br />
sein. À cet effet, les convocations,<br />
accompagnées des ordres du jour, les procèsverbaux<br />
et tous autres documents lui sont<br />
adressés en même temps qu’aux autres<br />
membres de ces instances. Le commissaire<br />
du <strong>gouv</strong>ernement dispose du droit de<br />
demander à tout instant à son président la<br />
réunion du conseil de surveillance et<br />
l’inscription d’un point à l’ordre du jour du<br />
conseil. Il fait connaître au conseil de<br />
surveillance l’avis du Gouvernement sur la<br />
gestion de l’établissement. Il présente toute<br />
observation ou recommandation qu’il juge<br />
conforme à l’intérêt général.<br />
Le commissaire du <strong>gouv</strong>ernement peut<br />
s’opposer à toute décision du conseil de<br />
surveillance, à l’exception des délibérations<br />
soumises à l’approbation des ministres de<br />
tutelle et du budget. Il dispose pour cela<br />
d’un délai de quinze jours suivant la réunion<br />
de l’organe délibérant si lui-même ou le<br />
commissaire du <strong>gouv</strong>ernement adjoint y a<br />
assisté ou, à défaut, suivant la réception<br />
des délibérations. Son opposition doit être<br />
motivée. Il en rend compte immédiatement<br />
aux ministres de tutelle et au ministre du<br />
budget. À défaut de confirmation expresse<br />
par l’un de ces ministres, dans un délai d’un<br />
mois à compter de la notification de<br />
l’opposition aux ministres, celle-ci est<br />
réputée levée. Le commissaire du <strong>gouv</strong>ernement<br />
peut s’opposer dans les mêmes<br />
conditions à toute décision de l’organe<br />
délibérant des sociétés dont l’établissement<br />
public détient directement ou indirectement<br />
plus de la moitié du capital ou des droits<br />
de vote à l’assemblée générale des<br />
actionnaires.<br />
Le commissaire du <strong>gouv</strong>ernement peut<br />
s’opposer à toute décision du directoire<br />
ayant pour effet de créer une dépense<br />
nouvelle ou de diminuer une recette dont<br />
les montants sont supérieurs à un seuil fixé<br />
par arrêté du ministre chargé du budget,<br />
dès lors que ces décisions ne sont pas<br />
l’application d’une délibération antérieure du<br />
conseil de surveillance ou du directoire. Il<br />
dispose pour cela d’un délai de huit jours<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Droit public<br />
suivant la réception de la délibération. Son<br />
opposition doit être motivée. Il en rend<br />
compte immédiatement aux ministres de<br />
tutelle et au ministre du budget. À défaut<br />
de confirmation expresse par l’un de ces<br />
ministres, dans un délai de quinze jours à<br />
compter de la notification de l’opposition<br />
aux ministres, celle-ci est réputée levée.<br />
L’autorité chargée du contrôle économique<br />
et financier est désignée, selon la loi (art.<br />
27) par les ministres chargés de l’économie<br />
et du budget. La compétence de l’autorité<br />
chargée du contrôle économique et financier<br />
s’exerce de la même manière sur celles des<br />
sociétés dont l’établissement public détient<br />
directement ou indirectement plus de la<br />
moitié du capital ou des droits de vote à<br />
l’assemblée générale des actionnaires.<br />
L’autorité chargée du contrôle économique<br />
et financier assiste, avec vois consultative,<br />
aux réunions du conseil de surveillance, du<br />
comité stratégique et de tous comités créés<br />
en leur sein. À cet effet, els convocations,<br />
accompagnées des ordres du jour, les<br />
procès-verbaux et tous autres documents<br />
lui sont adressés en même temps qu’aux<br />
autres membres de ces instances.<br />
L’autorité chargée du contrôle économique<br />
et financier de l’État sur la Société du<br />
Grand Paris exerce une mission générale<br />
de surveillance de l’activité et de la gestion<br />
de l’établissement public, dont elle analyse<br />
les risques et évalue les performances, en<br />
veillant aux intérêts patrimoniaux et<br />
financiers de l’État 14 .<br />
Le contrôleur a tous pouvoirs d’investigation<br />
sur pièces et sur place. L’établissement est<br />
tenu de lui communiquer toutes les<br />
informations nécessaires à l’exécution de sa<br />
mission. Il a accès à tous les documents se<br />
rapportant à l’activité et à la gestion de<br />
l’établissement. À ce titre, il reçoit notamment,<br />
selon une périodicité et des modalités qu’il<br />
fixe après consultation de l’ordonnateur, toute<br />
une série de documents 15 . Sont soumis à<br />
l’avis préalable du contrôleur, selon des<br />
14 Arrêté du 18 mars 2011 fixant les modalités<br />
spéciales d’exercice du contrôle économique et<br />
financier de l’État sur la Société du Grand Paris, JO<br />
14 avril 2011, p. 6557.<br />
15 Il s’agit des documents suivants : documents à<br />
caractère stratégique relatifs à l’établissement, à ses<br />
objectifs, ses moyens et ses engagements financiers,<br />
et notamment les prévisions pluriannuelles permettant<br />
d’apprécier les conditions de financement du projet<br />
du Grand Paris ; les documents relatifs à l’organi-<br />
modalités qu’il fixe après consultation de<br />
l’ordonnateur, les décisions de portée générale<br />
relatives aux recrutements, à l’avancement<br />
et à la fixation des rémunérations, ainsi que<br />
les marchés contrats et conventions. L’arrêté<br />
du 18 mars 2011 précité précise que les<br />
contrats de recrutement à partir d’un montant<br />
de salaire brut annuel de 100.000 euros sont<br />
soumis à l’avis préalable du contrôleur. Les<br />
dossiers relatifs aux actes et décisions<br />
soumis à l’avis préalable du contrôleur sont<br />
transmis au contrôleur, accompagnés de<br />
toutes pièces justificatives.<br />
Le contrôleur fait connaître son avis dans<br />
un délai de dix jours ouvrés à compter de la<br />
réception des projets d’actes accompagnés<br />
des pièces justificatives. Ce délai est<br />
interrompu par toute demande, formulée par<br />
écrit par le contrôleur d’informations ou de<br />
documents complémentaires, jusqu’à leur<br />
réception. En l’absence de réponse de sa<br />
part, à l’expiration de ce délai, son avis est<br />
réputé rendu. Si l’ordonnateur ne se<br />
conforme pas à l’avis du contrôleur, il en<br />
fait connaître les raisons par écrit dans les<br />
quinze jours suivant la décision du<br />
contrôleur au ministre chargé du budget,<br />
au ministre chargé de l’économie et aux<br />
ministres de tutelle de l’établissement.<br />
Pour chacun des actes soumis à avis<br />
préalable, le contrôleur peut, en fonction de<br />
la situation de l’établissement et<br />
notamment de la qualité du contrôle interne<br />
et après consultation de l’ordonnateur,<br />
remplacer la procédure d’avis préalable par<br />
la procédure d’information. Il peut, dans les<br />
mêmes conditions, remettre en œuvre la<br />
procédure antérieurement applicable.<br />
Le contrôleur peut mettre en place et<br />
communiquer à l’établissement un programme<br />
annuel de vérifications thématiques<br />
a posteriori. L’établissement communique au<br />
contrôleur, à sa demande, tous les documents<br />
sation, aux procédures et au fonctionnement de<br />
l’établissement ; les tableaux de bord relatifs à<br />
l’avancement du schéma d’ensemble et des projets<br />
d’infrastructure mentionnés à l’article 7-II de la loi<br />
du 3 juin 2010 ; la situation d’exécution de l’état<br />
prévisionnel des recettes et des dépenses, en<br />
recette et en dépenses ; la situation de la trésorerie<br />
et des placements ; les documents retraçant la<br />
stratégie des ressources humaines, l’état de la<br />
masse salariale, des effectifs permanents et non<br />
permanents ainsi que l’évolution des rémunérations<br />
et la politique des promotions ; tout document<br />
permettant d’apprécier la cartographie des risques<br />
et leur maîtrise.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 23
24<br />
nécessaires. Ces vérifications peuvent être<br />
effectuées sous forme d’audit. Dans ce cas,<br />
le contrôleur fait connaître à l’établissement<br />
l’objet de l’audit et la liste des intervenants.<br />
Indépendamment de ce programme, il peut à<br />
tout moment procéder à la vérification a<br />
posteriori d’un acte particulier.<br />
3. Les contrats de développement<br />
territorial<br />
Le titre IV de la loi comprend des<br />
dispositions destinées à permettre<br />
d’associer directement les collectivités<br />
territoriales et les établissements publics<br />
de coopération intercommunale (EPCI) aux<br />
projets de développement économique et<br />
aux projets d’aménagement des périmètres<br />
soit au voisinage immédiat des gares du<br />
réseau de métro automatique, soit sur le<br />
territoire défini pour le développement du<br />
pôle de Paris-Saclay.<br />
À cette fin, la loi prévoit que les collectivités<br />
territoriales et les EPCI de la région Île-de-<br />
France concernés pourront conclure des<br />
contrats de développement territorial (CDT)<br />
avec l’État. Ces contrats présentent a priori<br />
une originalité certaine 16 , s’ils tiennent leurs<br />
promesses, ce qui sera à vérifier d’ici<br />
quelques années.<br />
3.1. Définition générale<br />
Il n’existe pas de liste prédéfinie de<br />
communes susceptibles de conclure des<br />
CDT (sauf dans le périmètre de l’établissement<br />
public Paris-Saclay), le seul critère<br />
étant celui constitué par les objectifs visés<br />
à l’article 1. Des travaux ont été cependant<br />
engagés avec plusieurs groupes de maires<br />
et présidents d’EPCI sur des territoires<br />
de projet qui avaient été mentionnés par<br />
le président de la République lors de<br />
son discours à la Cité de l’Architecture du<br />
29 avril 2009, les plus avancés étant le<br />
« Territoire de la Création » autour de la<br />
Plaine Saint-Denis, le territoire du Bourget<br />
et des communes alentour, le territoire de<br />
l’ensemble Clichy sous Bois, Montfermeil,<br />
Sevran, Aulnay, le territoire dit de « La Cité<br />
Descartes », à l’est de Paris, autour de<br />
Champs-sur-Marne.<br />
16 V. les remarques en ce sens des rapporteurs du<br />
projet au Parlement, Albarello, précité, et J.-P.<br />
Fourcade, « Rapport au nom de la commission<br />
spéciale sur le projet de loi adopté par<br />
l’Assemblée nationale relatif au Grand Paris »,<br />
Sénat, 25 mars 2010, n° 366.<br />
Droit public<br />
L’association des collectivités territoriales au<br />
projet est apparue essentielle aux rapporteurs.<br />
Cette disposition « vise ainsi à conférer aux<br />
collectivités territoriales d’Île-de-France<br />
concernées par la réalisation du réseau de<br />
transport public du Grand Paris le statut<br />
d’acteurs à part entière de leur développement<br />
futur. Il s’agit d’instituer un véritable partenariat<br />
avec l’État au service de l’essor des<br />
périmètres ainsi définis, tout en ayant pour<br />
objectif de renforcer dans un même temps<br />
l’attractivité du territoire national 17 . » Les CDT<br />
sont pensés comme des instruments<br />
destinés à permettre la constitution de<br />
plusieurs pôles économiques, scientifiques,<br />
technologiques et urbains de nature à favoriser<br />
l’attractivité globale du Grand Paris et, au-delà<br />
de ce dernier, de tout le territoire national.<br />
L’objectif principal des CDT consiste à<br />
favoriser le développement économique, social<br />
et culturel à proximité des gares.<br />
En ce qui concerne le périmètre du territoire<br />
concerné par le CDT, reprenant les termes<br />
de l’article L. 122-3 du code de l’urbanisme<br />
relatif aux schémas de cohérence<br />
territoriale, il est précisé, par souci de<br />
cohérence d’ensemble, que, bien que<br />
pouvant couvrir tout ou en partie du territoire<br />
d’un ensemble de communes, le territoire<br />
concerné doit être d’un seul tenant et ne<br />
pas comprendre d’enclave 18 .<br />
Un délai maximum de dix-huit mois est fixé<br />
aux collectivités territoriales et à l’État pour<br />
conclure de tels contrats. Ce délai imparti<br />
pour la signature des contrats est identique<br />
pour ce qui concerne la réalisation du réseau<br />
de transport et pour le pôle scientifique et<br />
technologique de Paris-Saclay, mais le point<br />
de départ est différent 19 .<br />
17 Albarello, « Rapport au nom de la commission du<br />
développement durable et de l’aménagement du<br />
territoire sur le projet de loi relatif au Grand Paris<br />
», Ass. nat. ,12 novembre 2009, n° 2068.<br />
18 L’annexe A de la loi donne la liste des communes<br />
incluses dans le périmètre d’intervention de<br />
l’établissement public Paris-Saclay, l’annexe B la<br />
liste des communes concernées par la zone de<br />
protection naturelle, agricole et forestière du plateau<br />
de Saclay, l’annexe C la liste des communes incluses<br />
dans le périmètre d’intervention du syndicat mixte<br />
de transports du pôle scientifique et technologique<br />
de Saclay.<br />
19 Il s’agit de la date de promulgation de la loi pour les<br />
communes situées dans le périmètre de l’établissement<br />
public de Paris-Saclay et de la date<br />
d’approbation du schéma d’ensemble des infrastructures<br />
pour le réseau de transport public du Grand<br />
Paris.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Droit public<br />
L’article 21-II, troisième alinéa, de la loi,<br />
prévoit la possibilité d’ériger les zones de<br />
développement couvertes par les CDT en<br />
zones d’aménagement différé. L’exposé des<br />
motifs déclarait : « l’enjeu lié à la maîtrise et<br />
à la répartition du foncier est triple : permettre<br />
la réalisation du réseau de transport du<br />
Grand Paris en recueillant notamment une<br />
source de financement liée à la valorisation<br />
foncière ; permettre d’accomplir les<br />
ambitions du Grand Paris en réalisant un<br />
grand projet de développement économique,<br />
social et urbain dont le levier central sera le<br />
plus souvent le réseau de transport du Grand<br />
Paris ; enfin, replacer les territoires au centre<br />
de la stratégie de développement de<br />
l’attractivité du Grand Paris ».<br />
Le décret n° 2011-724 du 24 juin 2011 relatif<br />
aux CDT 20 précise dès son article 1 er que<br />
peuvent conclure avec l’État un CDT deux<br />
catégories de personnes publiques : les<br />
communes de la région Île-de-France dont<br />
le territoire est concerné par le projet de<br />
transport public défini par l’article 2 de cette<br />
loi, ou est compris dans un des grands<br />
territoires stratégiques de la région au sens<br />
de l’article 1 er de la loi, ou est attenant à<br />
celui d’une commune répondant à l’un ou<br />
l’autre de ces critères ; les établissements<br />
publics de coopération intercommunale<br />
dont sont membres une ou plusieurs<br />
communes répondant à l’une des conditions<br />
prévues pour le cas précédent pour les<br />
compétences qui leur ont été transférées<br />
et dont l’exercice est impliqué par le contrat.<br />
La seconde partie de l’article définit les<br />
objectifs généraux des contrats et leurs<br />
modalités de mise en œuvre. Tout d’abord,<br />
les contrats doivent porter sur le développement<br />
économique, l’aménagement urbain,<br />
le logement et les déplacements, tant d’un<br />
point de vue quantitatif que qualitatif. Un autre<br />
alinéa déclare que le contrat ne doit pas se<br />
contenter d’être un recueil déclaratif, mais<br />
qu’il doit, par souci d’efficacité, contenir les<br />
conditions précises de mise en œuvre des<br />
objectifs qui y seront affichés. Afin de faciliter<br />
la mise en œuvre de ces objectifs du CDT,<br />
la loi prévoit, ainsi qu’on l’a vu précédemment,<br />
que le contenu du contrat puisse<br />
créer des zones d’aménagement différé<br />
(ZAD).<br />
20 Décret n° 2011-724 du 24 juin 2011 relatif aux<br />
contrats de développement territorial prévus par<br />
l’article 21 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative<br />
au Grand Paris, JO 25 juin 2011, p. 10801.<br />
L’acte relatif à la création d’une ZAD relève,<br />
en principe, de la compétence du préfet.<br />
Toutefois, la prise de décision par arrêté<br />
préfectoral est subordonnée à une proposition<br />
ou un avis favorable de la collectivité<br />
territoriale intéressée ou de l’établissement<br />
public de coopération intercommunale<br />
compétent. Étant donné que le contrat est<br />
cosigné par les collectivités territoriales et<br />
par l’État (par l’intermédiaire du préfet), il est<br />
possible de considérer que les conditions<br />
sont remplies pour que celui-ci comporte une<br />
clause prévoyant la création d’une ZAD avec<br />
les conséquences que celle-ci emporte en<br />
matière de droit de préemption et, de ce fait,<br />
en terme de maîtrise foncière. Le contrat doit,<br />
dans ce cas, définir le titulaire du droit de<br />
préemption liée à la création de la ZAD, État,<br />
commune ou EPCI. Actuellement, le droit<br />
de préemption résultant d’une ZAD est de<br />
quatorze années, ce qui est approximativement<br />
le délai pour la réalisation du réseau<br />
de transport. L’exercice de cette faculté<br />
suppose que le contrat, ou du moins la<br />
clause prévoyant la création de la ZAD,<br />
reçoive une certaine publicité.<br />
Les contractants doivent détailler dans le<br />
document consacrant leur accord les<br />
opérations d’aménagement et les projets<br />
d’infrastructure permettant d’atteindre les<br />
objectifs fixés en termes de développement<br />
économique, de logement, de moyens de<br />
transport et d’aménagement urbain. Le<br />
contrat doit également indiquer les<br />
conditions de la mise en œuvre de ces<br />
opérations et l’échéancier prévisionnel de<br />
leur réalisation.<br />
L’article précise, dans ses alinéas 7 et 8<br />
les modalités de mise en œuvre de la<br />
création d’une ZAD. En particulier, la<br />
délibération du conseil municipal ou de<br />
l’organe délibérant de l’EPCI autorisant le<br />
maire ou le président de l’EPCI à signer le<br />
contrat vaut avis favorable à la création de<br />
la ZAD. Un droit de préemption subsidiaire<br />
est prévu au profit des communes dès lors<br />
que le titulaire du droit de préemption entend<br />
ne pas exercer ce droit. Le Gouvernement<br />
a ainsi entendu restituer aux communes le<br />
droit de préemption dont elles se seraient<br />
dessaisies sur des terrains ayant fait l’objet<br />
de préemption dans le cadre du CDT, mais<br />
sur lequel els opérations projetées ne se<br />
seraient pas réalisées.<br />
Le CDT équivaut, selon la loi, à la déclaration<br />
d’intérêt général visée à l’article L. 300-6 du<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 25
26<br />
code de l’urbanisme. Cette disposition a été<br />
analysée au Parlement comme l’expression<br />
d’une logique volontariste notamment en ce<br />
qui concerne les opérations d’aménagement<br />
et les projets d’infrastructure, compléments<br />
indispensables à la réalisation du pôle de<br />
Paris-Saclay et du réseau de transport du<br />
Grand Paris. Cette procédure doit permettre<br />
une mise en compatibilité des différents<br />
documents d’urbanisme que sont le schéma<br />
directeur de la région d’Île-de-France, les<br />
schémas de cohérence territoriale, les<br />
schémas de secteur et les plans locaux<br />
d’urbanisme.<br />
Les opérations d’aménagement et les projets<br />
d’infrastructures figurant dans un CDT peuvent<br />
constituer des projets d’intérêt général (PIG)<br />
au sens de l’article L. 121-9 du code de<br />
l’urbanisme (V. note 10). S’agissant de ces<br />
PIG, les pouvoirs publics ont voulu éviter que<br />
les communes ou leurs groupements,<br />
lorsqu’ils établissement leur document<br />
d’urbanisme, ne bloquent la réalisation des<br />
projets de l’État et des autres collectivités<br />
publiques. L’État se voit donc reconnaître le<br />
moyen d’obliger ces collectivités à prévoir dans<br />
leur document d’urbanisme les mesures<br />
nécessaires à la mise en œuvre de ces<br />
projets. L’article R. 121-3 du code de<br />
l’urbanisme définit ces derniers de manière<br />
assez large, mais en respectant certaines<br />
conditions, qui tiennent notamment à ce que<br />
le projet ait un minimum de consistance 21 et<br />
qu’il s’agisse d’un projet « d’ouvrage, de<br />
travaux ou de protection 22 ».<br />
3.2. Contenu du CDT<br />
Selon le décret précité du 24 juin 2011, le<br />
CDT doit comprendre notamment quatre<br />
titres : un premier titre précisant le territoire<br />
sur lequel porte le contrat et présentant le<br />
projet stratégique de développement durable<br />
élaboré par les parties ; un deuxième titre<br />
définissant, pour ce territoire, les objectifs<br />
et les priorités dans les domaines mentionnés<br />
par l’article 20 de la loi du 3 juin<br />
2010 ; un troisième titre exposant le programme<br />
des actions, opérations d’amé-<br />
21 Cela implique notamment que l’on connaisse ses<br />
caractéristiques essentielles et ses conditions<br />
générales de réalisation.<br />
22 Cette condition est peu restrictive, elle permet de<br />
faire entrer dans la catégorie des PIG non seulement<br />
les projets d’équipement et d’aménagement, mais<br />
également ceux de protection qui ne nécessitent<br />
pas la réalisation de travaux.<br />
Droit public<br />
nagement, projets d’infrastructures nécessaires<br />
à la mise en œuvre des objectifs ;<br />
un quatrième titre indiquant les conditions<br />
de mise en œuvre, de suivi, d’évaluation et<br />
de modification du contrat.<br />
S’agissant du premier titre, la définition du<br />
territoire doit correspondre aux critères cités<br />
plus haut. Le deuxième titre précise lui les<br />
objectifs et priorités du CDT en matière de<br />
développement économique, de logement et<br />
de transport, en termes quantitatifs et<br />
qualitatifs. Les objectifs retenus doivent tenir<br />
compte des programmes d’action des zones<br />
urbaines sensibles et des conventions<br />
pluriannuelles de rénovation urbaine ainsi<br />
que, en matière de logement, des objectifs<br />
annuels de production de nouveaux<br />
logements situés dans des périmètres<br />
comprenant un ou plusieurs territoires soumis<br />
à l’obligation de réaliser un programme local<br />
de l’habitat, fixés par le préfet de région en<br />
application de l’article L. 302-13 du code de<br />
la construction et de l’habitation. Ce titre doit<br />
indiquer également la contribution du territoire<br />
au développement de la région capitale qui<br />
résulte de l’ensemble des objectifs fixés par<br />
le contrat, notamment sa part dans l’objectif<br />
de construction de logements fixé par l’article<br />
1 er de la loi du 3 juin 2010. Il fait la liste des<br />
engagements prévus pris par les signataires<br />
dans le cadre de la planification et des<br />
actions qu’ils organisent ou auxquelles ils<br />
participent ou sont soumis et mentionne, le<br />
cas échéant, des engagements complémentaires.<br />
Le troisième titre indique les principales<br />
caractéristiques des actions, opérations<br />
d’aménagement et projets d’infrastructures<br />
nécessaires à la mise en œuvre des<br />
objectifs du CDT, soit : les emplacements<br />
ou périmètres envisagés ; la mention du<br />
maître d’ouvrage ; le calendrier optimal des<br />
étapes de leur élaboration et de leur<br />
réalisation ; l’évaluation de leur coût ; les<br />
conditions de leur financement, qui<br />
comportent le montant ou la part des<br />
engagements prévisionnels des parties au<br />
contrat et l’évaluation des financements<br />
attendus des participations et excédents<br />
prévus au II de l’article 21 de la loi du 3 juin<br />
2010 qui pourront y être affectés 23 .<br />
23 Le CDT précise les actions et opérations pour<br />
lesquelles il vaut déclaration de l’intérêt général. Un<br />
arrêté pris conjointement par le ministre chargé du<br />
Grand Paris, le ministre chargé de l’urbanisme et le<br />
ministre chargé des finances précise les conditions<br />
dans lesquelles sont établis et communiqués, posté-<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Droit public<br />
Lorsque les objectifs et les priorités du<br />
contrat ne permettent pas de définir<br />
l’ensemble des caractéristiques précitées,<br />
le troisième titre doit indiquer des périmètres<br />
pré opérationnels pour lesquels sont<br />
précisés les objectifs d’aménagement.<br />
Lorsque la création de zones d’aménagement<br />
différé est prévue, le troisième titre<br />
doit comprendre la liste de ces zones,<br />
assortie de la désignation du ou des<br />
bénéficiaires du droit de préemption ainsi que<br />
de la délimitation du périmètre et des objectifs<br />
d’aménagement correspondants. Les zones<br />
d’aménagement différé prévues par un CDT<br />
sont créées par décision du ou des préfets<br />
de département concernés. Le troisième titre<br />
indique également les actions foncières<br />
adaptées à certaines parties du territoire eu<br />
égard au projet stratégique de développement<br />
et aux opérations envisagées. Il doit<br />
également mentionner, à titre indicatif, les<br />
actions, opérations, projets et financement<br />
contribuant à la mise en œuvre des objectifs<br />
du contrat de développement territorial<br />
auxquels peuvent être associés, à raison de<br />
leurs compétences, d’autres collectivités et<br />
organismes, et qui font ou peuvent faire l’objet<br />
de conventions distinctes passées entre ces<br />
collectivités et organismes et tout ou partie<br />
des signataires du contrat.<br />
Quant au quatrième titre, il précise les<br />
conditions dans lesquelles le CDT est mis<br />
en œuvre et dans lesquelles les parties<br />
s’acquittent des obligations qu’elles<br />
souscrivent au titre du contrat. Il prévoit<br />
notamment les modalités de programmation,<br />
y compris celle relative aux investissements<br />
destinés à l’action foncière, et sa validation,<br />
l’établissement et la production des états<br />
prévisionnels des opérations, l’institution<br />
d’une instance de suivi, les méthodes<br />
d’évaluation de la mise en œuvre du contrat,<br />
qui est réalisée par les cocontractants tous<br />
les trois ans, et les conditions dans<br />
lesquelles elle est rendue publique, enfin les<br />
conditions d’élaboration et de validation des<br />
projets d’avenants destinés à compléter ou<br />
modifier le contrat.<br />
rieurement à la conclusion du contrat, par les maîtres<br />
d’ouvrage, d’une part, les bilans prévisionnels des<br />
actions ou opérations d’aménagement faisant<br />
apparaître le montant des excédents devant être<br />
dégagés et, d’autre part, le bilan définitif de ces<br />
actions et opérations, nécessaire à l’affectation de<br />
ces excédents conformément au II de l’article 21 de<br />
la loi du 3 juin 2010.<br />
3.3. L’élaboration et la signature du<br />
contrat<br />
L’initiative d’un CDT peut provenir, ou bien de<br />
l’État par l’intermédiaire du préfet de la région<br />
Île-de-France, ou bien d’une ou plusieurs<br />
communes ou établissements publics de<br />
coopération intercommunale. Le préfet de la<br />
région Île-de-France, « compte tenu de l’intérêt<br />
manifesté par les communes et après<br />
concertation », constitue un comité de<br />
pilotage par projet de CDT. Il en fixe la<br />
composition et, le cas échéant, les modalités<br />
de fonctionnement par arrêté. Le comité de<br />
pilotage valide le projet de CDT au plus tard<br />
trois mois avant la date, fixée par l’article 21<br />
de la loi du 3 juin 2010, à laquelle la décision<br />
d’ouverture de l’enquête publique doit être<br />
intervenue pour les contrats concernant les<br />
communes situées dans le périmètre de<br />
l’établissement public Paris-Saclay, et au<br />
plus tard quatre mois avant la date fixée par<br />
le même article et pour la même décision<br />
s’agissant des contrats concernant les autres<br />
communes.<br />
Lorsqu’il apparaît qu’une action ou opération<br />
pour laquelle le projet de contrat validé précise<br />
valoir déclaration de projet n’est pas<br />
compatible avec les dispositions des<br />
documents d’urbanisme, l’examen conjoint<br />
des dispositions proposées pour assurer la<br />
mise en compatibilité du schéma directeur<br />
de la région d’Île-de-France prévu par l’article<br />
L. 141-1-2 du code de l’urbanisme est<br />
immédiatement engagé par le préfet de la<br />
région d’Île-de-France et l’examen des<br />
schémas de cohérence territoriale, des<br />
schémas de secteurs et des plans locaux<br />
d’urbanisme prévu par les articles L. 122-15,<br />
L. 122-17 et L. 123-16 du code de l’urbanisme<br />
est engagé par les préfets des départements<br />
concernés. Le projet de CDT fait l’objet d’une<br />
évaluation environnementale dans les<br />
conditions définies par les articles L. 122-4 à<br />
L. 122-10 et R. 122-17 à R. 122-24 du code<br />
de l’environnement 24 .<br />
24 Lorsque le projet de CDT validé précise valoir<br />
déclaration de projet pour une action ou une<br />
opération pour laquelle la mise en compatibilité d’un<br />
document d’urbanisme est nécessaire, l’évaluation<br />
environnementale porte également sur la<br />
modification du document d’urbanisme, sauf dans<br />
le cas où elle n’emporte que des changements qui<br />
ne sont pas susceptibles d’avoir des effets notables<br />
sur l’environnement, au sens de l’annexe II de la<br />
directive 2001/42/CE du Parlement européen et du<br />
Conseil du 27 juin 2001.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 27
28<br />
Le projet de contrat validé est adressé, avec<br />
le rapport environnemental, simultanément<br />
aux communes et aux EPCI représentés<br />
au comité de pilotage, aux collectivités et<br />
organismes saisis pour avis 25 et à la<br />
formation d’autorité environnementale du<br />
Conseil général de l’environnement et du<br />
développement durable.<br />
L’enquête publique est régie par les<br />
dispositions du chapitre III du titre II du livre I er<br />
du code de l’environnement, mais avec les<br />
précisions suivantes. Tout d’abord, l’enquête<br />
publique est organisée par le préfet de la<br />
région Île-de-France ou, par délégation de<br />
celui-ci, au préfet du département concerné.<br />
Lorsque une ou des communes ou EPCI ont<br />
pris l’initiative du contrat, l’enquête peut être<br />
organisée par la commune ou l’EPCI ou<br />
conjointement par la ou les communes et le<br />
ou les EPCI, lorsque ces communes ou<br />
établissements le demandent, et sur décision<br />
du comité de pilotage. Le dossier soumis à<br />
l’enquête publique comporte obligatoirement<br />
un certain nombre de pièces, énumérées par<br />
le décret du 24 juin 2011 26 . Lorsqu’il est prévu<br />
que le CDT vaut déclaration de projet, l’enquête<br />
publique porte à la fois sur l’intérêt général de<br />
l’opération et, le cas échéant, sur la mise en<br />
compatibilité du ou des documents d’urbanisme<br />
dont les dispositions ne sont pas<br />
compatibles avec ce projet. L’autorité chargée<br />
de l’organisation de l’enquête transmet sans<br />
délai copie du rapport et des conclusions du<br />
commissaire-enquêteur aux collectivités et<br />
EPCI représentés au comité de pilotage.<br />
Le projet de CDT, éventuellement modifié<br />
pour tenir compte des avis recueillis et des<br />
observations formulées par le public, est<br />
adopté par le comité de pilotage dans un<br />
délai de trois mois suivant la transmission<br />
25 Sont saisis pour avis sur le projet de contrat : la<br />
région d’Île-de-France, le ou les départements<br />
concernés, l’association des maires d’Île-de-France,<br />
le syndicat « Paris Métropole », l’Atelier international<br />
du Grand Paris et des projets architecturaux et<br />
urbains. Le défaut d’avis dans le délai de deux mois<br />
à compter de la réception du projet de contrat vaut<br />
avis favorable.<br />
26 Ce sont : une notice explicative indiquant l’objet<br />
de l’enquête et les caractéristiques les plus<br />
importantes du CDT ; le projet de contrat validé par<br />
les parties ; un plan du territoire couvert par le<br />
contrat ; le rapport environnemental et l’avis de<br />
l’autorité environnementale ; les délibérations et avis<br />
recueillis ; la mention des textes qui régissent<br />
l’enquête publique en cause et la façon dont cette<br />
enquête s’insère dans la procédure relative aux<br />
CDT.<br />
Droit public<br />
du rapport et des conclusions du<br />
commissaire-enquêteur. Le CDT est signé<br />
par le préfet de la région d’Île-de-France et<br />
par les maires et présidents d’EPCI qui y<br />
ont été autorisés par la délibération du<br />
conseil municipal ou de l’organe délibérant<br />
concerné dans un délai de trois mois suivant<br />
l’approbation. Cette délibération du conseil<br />
municipal ou de l’organe délibérant de l’EPCI<br />
autorisant le maire ou le président à signer<br />
le CDT emporte, pour l’application des<br />
articles L. 122-15, L. 122-17 et L. 123-16 du<br />
code de l’urbanisme approbation de la mise<br />
en compatibilité du plan local d’urbanisme,<br />
du schéma de secteur ou du schéma de<br />
cohérence territoriale prévue par le contrat<br />
lorsque celui-ci est signé.<br />
Lorsque une action ou opération pour<br />
laquelle le contrat précise valoir déclaration<br />
de projet nécessite la mise en compatibilité<br />
d’un schéma de cohérence territoriale<br />
élaboré par un EPCI non signataire du<br />
contrat ou celle du schéma directeur de la<br />
région d’Île-de-France, le délai est porté à<br />
cinq ans. Lorsque, ayant été consultée, la<br />
région d’Île-de-France a émis un avis<br />
défavorable à la mise en compatibilité de<br />
son schéma directeur nécessaire à la<br />
réalisation d’une action ou opération pour<br />
laquelle le CDT vaut déclaration de projet,<br />
cette déclaration ne peut être prise que par<br />
un décret en Conseil d’État.<br />
Un avis mentionnant la signature du CDT,<br />
les noms des communes et des EPCI<br />
signataires et les lieux où le contrat peut<br />
être consulté dans un quotidien régional et<br />
au recueil des actes administratifs de la<br />
préfecture de région. Le CDT est tenu à la<br />
disposition du public dans les mairies des<br />
communes et au siège des établissements<br />
signataires ainsi que sur le site internet de<br />
la région d’Île-de-France.<br />
Ces contrats paraissent être véritablement<br />
des contrats au sens juridique du terme et<br />
l’on peut penser que s’il y a un contentieux,<br />
ce qui ne saurait manquer de surgir un jour,<br />
on peut penser que le juge les considèrera<br />
comme tels 27 . Mais si tel est bien le cas,<br />
27 En effet il est arrivé au juge de requalifier des «<br />
contrats » en actes unilatéraux. Il est vrai que de<br />
telles qualifications résultaient de dispositions<br />
réglementaires : devant une qualification législative<br />
le juge ne peut que s’incliner. Mais, ceci étant, il<br />
peut parfaitement limiter la portée de l’engagement<br />
contractuel, compte tenu du caractère vague, selon<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Droit public<br />
ils présenteront une originalité certaine par<br />
rapport aux autres contrats administratifs<br />
et contribueront à l’enrichissement de la<br />
théorie des contrats.<br />
La loi sur le Grand Paris, si elle comporte<br />
nombre de choix de nature à être discutés,<br />
a le mérite d’exister. Sa mise en œuvre sera<br />
complexe, les instruments qu’elle prévoit<br />
devront être bien maîtrisés pour éviter les<br />
empiètements de compétences et les<br />
incohérences. Mais la loi relative au Grand<br />
Paris met aussi en évidence la question de<br />
l’équilibre entre Paris et la province (et pas<br />
seulement les « métropoles » régionales 28 ),<br />
malgré toutes les affirmations, répétées à<br />
l’envie, et qui ne sont d’ailleurs pas fausses,<br />
selon lesquelles la réalisation du Grand<br />
Paris est aussi une opération d’intérêt<br />
national. À quand une nouvelle loi sur<br />
l’aménagement du territoire, qui mériterait<br />
qu’un grand projet lui soit consacré ?<br />
Jean-Marie Pontier (Professeur à<br />
l’École de droit de la Sorbonne -<br />
Université de Paris I)<br />
lui, de tels engagements, et telle a été sa<br />
jurisprudence pour les contrats de plan devenus<br />
contrats de projet.<br />
28 Métropoles au double sens du terme, car il n’est pas<br />
certain que les métropoles de la loi du 16 décembre<br />
2010, qui apparaissent un peu comme e « super<br />
communautés urbaines » connaissent le succès.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 29
CE Sect.,<br />
8 février 2012,<br />
Min. Budget,<br />
Comptes publics<br />
et Réforme de<br />
l’État, n° 340698<br />
et 342825<br />
(deux espèces)<br />
Une clarification<br />
bienvenue de la<br />
frontière entre<br />
contrôle de<br />
validité de la<br />
créance et<br />
contrôle de<br />
légalité du<br />
marché<br />
30<br />
Dans deux affaires distinctes, la Cour des<br />
comptes a constitué deux comptables publics<br />
débiteurs de sommes versées en règlement<br />
de prestations effectuées par des entreprises<br />
titulaires de marchés publics.<br />
Dans la première affaire (req. n° 340698), la<br />
Cour, saisie en appel par le comptable, a<br />
confirmé le jugement de la Chambre régionale<br />
des comptes de Franche-Comté qui a mis<br />
en débet le comptable public du centre<br />
communal d’action sociale de Polaincourt<br />
pour avoir réglé trois factures relatives à des<br />
livraison de repas au foyer logement des<br />
personnes âgées sans disposer de contrat<br />
écrit. Pour la Cour, chacune des factures<br />
étant d’un montant supérieur à 4.000 euros,<br />
seuil à partir duquel l’article 11 du code des<br />
marchés publics, dans sa rédaction<br />
applicable à l’époque des faits, rendait<br />
obligatoire la passation d’un marché sous<br />
forme écrite, le contrôle de la validité de la<br />
créance qui incombe au comptable aurait<br />
dû le conduire à suspendre le paiement et à<br />
demander la production d’un document écrit.<br />
Dans la seconde affaire (req. n° 342825),<br />
l’agent comptable du Port autonome de<br />
Bordeaux, devenu depuis Grand port maritime<br />
de Bordeaux, avait réglé des factures alors<br />
que les bons de commandes correspondants<br />
ont été établis postérieurement aux factures.<br />
Pour la Cour des comptes, qui statuait en<br />
premier et dernier ressort, les dates<br />
respectives figurant sur les factures et sur les<br />
bons de commandes portaient en ellesmêmes<br />
la preuve d’irrégularités manifestes<br />
altérant la nature des pièces justificatives qui<br />
ne pouvaient être considérées par le<br />
comptable public comme des pièces<br />
justificatives valides au regard des exigences<br />
posées à l’article 5 du code des marchés<br />
publics relatives à la définition préalable des<br />
besoins.<br />
Commande publique<br />
Comptables publics et marchés publics :<br />
contrôler n’est pas juger !<br />
Par Guillaume Delaloy<br />
Par deux décisions du 8 février 2012, la section du contentieux du Conseil d’État<br />
a précisé l’étendue du contrôle des comptables publics sur les marchés publics.<br />
Rappelant une jurisprudence constante selon laquelle les comptables n’ont pas<br />
le pouvoir de se faire juge de la légalité des actes administratifs, la Haute<br />
juridiction fournit aux comptables un mode d’emploi sur la nature du contrôle<br />
qu’ils doivent exercer en matière de « production des justifications », notamment<br />
au regard des exigences du code des marchés publics.<br />
En application de l’article R. 143-3 du code<br />
des juridictions financières, le ministre du<br />
budget, des comptes publics et de la<br />
réforme de l’État s’est pourvu en cassation<br />
contre les deux arrêts de débet. Le Conseil<br />
d’État était donc, une nouvelle fois, invité à<br />
préciser l’office du comptable dans le<br />
contrôle de la dépense publique.<br />
Certes, la question n’est pas nouvelle. Mais<br />
les juges du Palais royal ont vu dans ces<br />
deux affaires l’occasion pour la section du<br />
contentieux de clarifier la délicate question<br />
des limites du contrôle que le comptable<br />
public doit, sous peine d’engager sa<br />
responsabilité personnelle et pécuniaire,<br />
exercer en matière de production des<br />
justifications et de définir avec précision la<br />
frontière entre contrôle de validité de la<br />
créance et contrôle de légalité des pièces<br />
justificatives.<br />
1. Le contrôle du comptable porte<br />
sur la régularité externe de la<br />
dépense<br />
Le rôle du comptable dans le contrôle de la<br />
dépense publique est défini par le décret n°<br />
62-1587 du 29 décembre 1962 portant<br />
règlement général sur la comptabilité<br />
publique (RGCP), dont les dispositions,<br />
relativement précises, imposent au<br />
comptable d’exercer un contrôle de la<br />
régularité externe des pièces justificatives<br />
et non un contrôle de leur légalité interne.<br />
1.1. Le comptable public n’est pas juge<br />
de la légalité des marchés publics<br />
L’article 12, alinéa B, du RGCP dispose que,<br />
en matière de dépenses, les comptables<br />
sont tenus de procéder au contrôle de la<br />
qualité de l’ordonnateur ou de son délégué,<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Les pièces<br />
justificatives<br />
doivent être<br />
complètes et<br />
précises<br />
Le comptable n’a<br />
pas le pouvoir de<br />
se faire juge de<br />
la légalité des<br />
décisions<br />
administratives<br />
Le comptable ne<br />
contrôle pas<br />
l’opportunité de<br />
la dépense<br />
Commande publique<br />
de la disponibilité des crédits, de l’exacte<br />
imputation des dépenses aux chapitres<br />
qu’elles concernent selon leur nature ou leur<br />
objet, de la validité de la créance et du<br />
caractère libératoire du paiement.<br />
En ce qui concerne la validité de la créance,<br />
l’article 13 du décret de 1962 précise que<br />
le contrôle porte sur la justification du<br />
service fait et l’exactitude des calculs de<br />
liquidation ainsi que sur l’intervention<br />
préalable des contrôles règlementaires et<br />
la production des justifications.<br />
Il résulte de ces dispositions que les<br />
comptables ne doivent procéder au paiement<br />
de la dépense qu’après qu’ont été effectués<br />
les contrôles réglementaires prescrits. Le<br />
comptable peut demander à l’ordonnateur<br />
tout élément de nature à lui permettre<br />
d’exercer pleinement son contrôle. Mais il<br />
ne pourra formellement suspendre le<br />
paiement que dans le cas prévu à l’article<br />
37 du décret de 1962, c’est-à-dire « lorsque,<br />
à l’occasion de l’exercice du contrôle prévu<br />
à l’article 12 (alinéa B) ci-dessus, des irrégularités<br />
sont constatées ».<br />
Dès lors, soit l’ordonnateur fournit les<br />
éléments demandés, le cas échéant par voie<br />
de certificat administratif en vertu de l’article<br />
7 du décret de 1962, soit il fait usage du<br />
pouvoir de réquisition prévu au I de l’article<br />
60 de loi de finances pour 1963, obligeant<br />
ainsi le comptable à payer mais endossant<br />
la responsabilité des irrégularités relevées.<br />
Ce n’est que si le paiement a été effectué<br />
sans qu’aient été exercés les contrôles<br />
préalables que la Cour pourra constituer le<br />
comptable débiteur de l’organisme public.<br />
En revanche, le juge des comptes ne pourra<br />
légalement le mettre en débet au seul motif<br />
qu’il n’aurait pas effectué de diligences qui<br />
ne pourraient conduire à la suspension du<br />
paiement des dépenses en cause.<br />
Le premier contrôle auquel doit procéder le<br />
comptable consiste donc à vérifier que l’ensemble<br />
des pièces requises pour justifier la<br />
dépense ont été produites par l’ordonnateur,<br />
et qu’elles sont complètes et précises. Se<br />
pose ensuite la question de savoir si le<br />
comptable doit aller au-delà de cette simple<br />
computation des pièces ou s’il doit y porter<br />
une appréciation, et si oui, de quelle nature.<br />
Une limite à l’office du comptable a été<br />
clairement énoncée en 1971 avec la décision<br />
Ministre de l’économie et des finances c/<br />
BALME : « Il ressort des articles 12 et 13<br />
du décret du 29 décembre 1962 que, pour<br />
apprécier la validité des créances, les<br />
comptables doivent exercer leur contrôle sur<br />
la production des justifications, mais ils n’ont<br />
pas le pouvoir de se faire juges de la légalité<br />
des décisions administratives 1 ». Ce principe,<br />
régulièrement rappelé par la jurisprudence 2 ,<br />
est clairement réaffirmé dans les deux arrêts<br />
commentés.<br />
En effet, le juge des comptes ne doit pas<br />
détourner de leur finalité les contrôles<br />
prévus par le décret du 29 décembre 1962.<br />
Le Conseil d’État a, par exemple, jugé que<br />
la question de savoir si un département peut<br />
prendre à sa charge une dépense au titre<br />
des compétences qui sont les siennes est<br />
une question de légalité qui ne relève pas<br />
du contrôle que doit exercer le comptable<br />
en vue du paiement 3 .<br />
De même, il a considéré qu’en jugeant que le<br />
comptable aurait dû vérifier la conformité des<br />
clauses d’un marché avec les dispositions<br />
du code général des impôts, la Cour des<br />
comptes a mis à la charge du comptable une<br />
obligation de contrôle de légalité de l’acte<br />
administratif à l’origine de la dépense qui<br />
excède les pouvoirs que les comptables<br />
publics tiennent du B de l’article 12 et de<br />
l’article 13 du décret de 1962 4 .<br />
Comme l’écrit Jacques Magnet, dans son<br />
ouvrage sur la Cour des comptes : « Les<br />
comptables ne sont pas chargés de vérifier<br />
la régularité des actes en exécution<br />
desquels sont liquidées les dépenses [...]<br />
Ils ne sont donc pas responsables de<br />
l’irrégularité de ces actes 5 ». Or, en motivant<br />
des mises en débet sur l’irrégularité des<br />
dépenses au regard des dispositions du<br />
code des impôts ou du code des marchés<br />
1 CE Section, 5 février 1971, Min. finances c/ Balme,<br />
Rec., p. 105, concl. Grévisse.<br />
2 CE, 8 juillet 1974, Min. Économie et Finances<br />
c/ Méry, Florence et Brévard, Rec. p. 405. - CE<br />
Section, 23 mai 1980, Cne d’Evaux les Bains, Rec.<br />
p. 239. - CE, 10 février 1997, Ibo, Rec. tables p.<br />
751. - CE, 13 juillet 2006, Min. Économie, Finances<br />
et Industrie, n° 276135.<br />
3 CE, 30 juillet 2003, M. Marty, n° 232430, Rec. p. 723.<br />
4 CE, 8 juillet 2005, Min. Économie, Finances,<br />
Industrie c/ M. Basserie, n° 263254.<br />
5 J. Magnet, « La Cour des comptes, les institutions<br />
associées et les chambres régionales des<br />
comptes », Berger-Levrault, 2001.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 31
Le comptable<br />
peut porter une<br />
appréciation<br />
juridique sur les<br />
pièces qui lui<br />
sont transmises<br />
Le comptable<br />
doit interpréter<br />
les actes<br />
administratifs<br />
conformément<br />
aux lois et<br />
règlements en<br />
vigueur<br />
32<br />
publics, la Cour engage la responsabilité<br />
des comptables à raison de l’illégalité de la<br />
pièce justificative.<br />
De même, le contrôle du comptable ne<br />
saurait porter sur le rattachement de la<br />
dépense au service, élément étranger à la<br />
validité de la créance. Dans une décision du<br />
21 octobre 2009, la Haute juridiction a, par<br />
exemple, jugé qu’« en reprochant aux<br />
comptables de s’être abstenus d’exiger, à<br />
l’appui des mandats, la production de pièces<br />
justificatives attestant du rattachement au<br />
service de certains achats de cadeaux aux<br />
personnels, la Cour des comptes a mis à la<br />
charge des intéressés une obligation de<br />
contrôle de la légalité de l’acte administratif<br />
à l’origine de ces dépenses qui excède les<br />
pouvoirs que les comptables publics<br />
tiennent du décret du 29 décembre 1962 6 ».<br />
Comme le rappelait le commissaire du<br />
<strong>gouv</strong>ernement Mattias Guyomar dans ses<br />
conclusions sur cette décision, les<br />
dispositions du décret du 29 décembre 1962<br />
« sont claires dans leur principe et dans leur<br />
énoncé : il revient au comptable de s’assurer<br />
de la régularité de la dépense telle qu’elle lui<br />
est notifiée par l’ordonnateur ; il appartient<br />
au seul ordonnateur d’apprécier l’opportunité<br />
de cette dépense ».<br />
Ainsi, en l’espèce, il n’appartenait pas au<br />
comptable public de vérifier si les marchés<br />
publics qui constituaient le fondement de la<br />
dépense avaient été passés conformément<br />
aux dispositions du code des marchés<br />
publics. Dès lors que les pièces requises<br />
sont produites avec le mandat de paiement<br />
et qu’elles sont établies en la forme régulière<br />
par les autorités compétentes, le comptable<br />
ne peut s’opposer au paiement au motif de<br />
leur illégalité sans se faire juge de la légalité<br />
du marché et empiéter sur les pouvoirs de<br />
l’ordonnateur.<br />
1.2. Le comptable dispose néanmoins<br />
d’une marge d’appréciation<br />
La distinction entre régularité des pièces<br />
justificatives et légalité de l’acte administratif<br />
à l’origine de la dépense soulève des<br />
questions de frontières délicates, et en<br />
vérité assez difficiles à tracer d’une façon<br />
claire et opérationnelle. La doctrine concède<br />
que, « entre obligation de vérifier la validité<br />
6 CE, 21 octobre 2009, Min. Budget, Comptes<br />
publics et Fonction publique, n° 306960.<br />
Commande publique<br />
de la créance et interdiction d’en contrôler<br />
la légalité, la frontière est cependant difficile<br />
à tracer. Ces deux impératifs ne sont d’ailleurs<br />
pas toujours conciliables et le Conseil<br />
d’État, en sa qualité de juge de cassation<br />
des arrêts rendus par la Cour des comptes,<br />
a admis que le contrôle exercé par le<br />
comptable puisse, dans certains cas de<br />
figure, recouper celui exercé par le juge<br />
administratif sur la légalité des décisions qui<br />
constituent le fondement de la dépense 7 ».<br />
Il ne faut en effet pas déduire de la<br />
jurisprudence Balme que le comptable n’a<br />
pas à porter d’appréciation juridique sur les<br />
pièces qui lui sont produites. Si le comptable<br />
doit exiger de l’ordonnateur qu’il produise les<br />
seules pièces justificatives prévues par la<br />
nomenclature sans étendre son contrôle à<br />
l’opportunité de la dépense ou à la légalité<br />
des décisions administratives, il ne doit pas<br />
se contenter de jouer le rôle d’une chambre<br />
d’enregistrement des décisions de l’ordonnateur<br />
et des pièces justificatives fournies<br />
par lui.<br />
Ainsi, le comptable doit-il contrôler la<br />
compétence de l’auteur de l’acte 8 , ainsi que<br />
l’exactitude des calculs de liquidation 9 . De<br />
même, il doit refuser de payer, lorsque la<br />
pièce justificative est un faux 10 ou a perdu<br />
son caractère exécutoire à la suite de son<br />
annulation par le juge 11 .<br />
Toutefois, même dans ces hypothèses, le<br />
contrôle du comptable ne porte pas alors<br />
sur la légalité de l’acte administratif à<br />
l’origine de la dépense, mais sur la régularité<br />
formelle ou extrinsèque des justifications<br />
produites.<br />
Un pas supplémentaire dans l’étendue du<br />
contrôle du juge a toutefois été franchi en<br />
2000 avec la décision Kammerer par laquelle<br />
le Conseil d’État a enrichi le considérant de<br />
principe de la décision Balme, en jugeant<br />
qu’il résulte des dispositions des articles 12<br />
et 13 du décret du 29 décembre 1962 que<br />
7 P. Collin, « Étendue et limites des pouvoirs de<br />
contrôle des comptables publics », Rev. adm.<br />
2001, n° 322, p. 363.<br />
8 CE, 20 mars 1970, Boissenin, Rec. p. 210.<br />
9 CE, 19 juin 1991, Ville d’Annecy c/ Dussolier, Rec.<br />
p. 242.<br />
10 CE, 12 juillet 1907, Min. Finances, Rec. p. 656.<br />
11 CE, Section 8 juillet 1998, Min. Budget, Rec. CE,<br />
p. 306.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
La nomenclature<br />
comptable<br />
constitue le<br />
minimum et le<br />
maximum<br />
exigible<br />
Les catégories de<br />
dépenses doivent<br />
être lues à la<br />
lumière du code<br />
des marchés<br />
publics<br />
Commande publique<br />
« si, pour apprécier la validité des créances,<br />
les comptables doivent exercer leur contrôle<br />
sur l’exactitude des calculs de liquidation et<br />
la production des justifications et s’il leur<br />
appartient d’interpréter conformément aux<br />
lois et règlements en vigueur les actes<br />
administratifs qui en sont l’origine, ils n’ont<br />
pas le pouvoir de se faire juges de la légalité<br />
de ces actes 12 ». La reconnaissance aux<br />
comptables d’un pouvoir d’interprétation des<br />
actes administratifs conformément aux lois<br />
et règlements en vigueur lui permet de<br />
déterminer si le mandat de paiement a bien<br />
l’objet que l’ordonnateur lui prête.<br />
Tout cela trace une frontière bien imprécise<br />
que le Conseil d’État a entendu clarifier dans<br />
les arrêts commentés. Le fragile équilibre<br />
sur lequel reposent les relations entre le<br />
comptable et l’ordonnateur rendait<br />
nécessaire une définition la plus claire et<br />
surtout la plus prévisible possible du<br />
contrôle que doit exercer le premier sur les<br />
actes du second.<br />
2. Le contrôle du comptable<br />
s’effectue au vu des seules<br />
pièces justificatives exigibles<br />
Si l’article 13 du décret de 1962 précise<br />
que, pour apprécier la validité de la créance,<br />
les comptables doivent notamment exercer<br />
leur contrôle la production des justifications,<br />
encore faut-il savoir ce recouvre cette notion.<br />
L’intérêt des arrêts commentés réside justement<br />
dans cette définition, que le Conseil<br />
d’État présente dans un considérant de<br />
principe didactique. La Haute juridiction<br />
commence par indiquer que le contrôle de<br />
la production des justifications impose au<br />
comptable public de s’assurer que les pièces<br />
fournies par l’ordonnateur présentent un<br />
caractère suffisant pour justifier la dépense<br />
engagée. Pour le juge, cela implique de<br />
vérifier deux choses : le comptable doit, tout<br />
d’abord, rechercher si toutes les pièces<br />
requises par la nomenclature comptable ont<br />
bien été fournies ; ensuite, il doit vérifier que<br />
ces pièces sont, d’une part, complètes et<br />
précises et, d’autre part, cohérentes au<br />
regard de la catégorie de la dépense définie<br />
dans la nomenclature applicable et de la<br />
nature et de l’objet de la dépense telle qu’elle<br />
a été ordonnancée.<br />
12 CE, 8 décembre 2000, Ministre de l’économie, des<br />
finances et de l’industrie c/ Kammerer, n° 212718.<br />
C’est donc à ce stade qu’intervient la<br />
nomenclature comptable qui fixe, avec<br />
précision, selon la nature et l’objet de la<br />
dépense, la liste des pièces justificatives<br />
que l’ordonnateur doit fournir au comptable.<br />
2.1. La relation entre la nomenclature<br />
comptable et le code des marchés<br />
publics<br />
Pour les comptables publics de l’État et de<br />
ses établissements publics, l’article 47 du<br />
décret de 1962 prévoit que les opérations<br />
et notamment celles de dépense « doivent<br />
être appuyées des pièces justificatives<br />
prévues dans des nomenclatures établies<br />
par le ministre des finances avec, le cas<br />
échéant, l’accord du ministre intéressé ».<br />
Pour les comptables des collectivités<br />
territoriales et de leurs établissements publics,<br />
la liste générale des pièces justificatives a<br />
été fixée par le décret n° 83-16 du 13 janvier<br />
1983, modifié en dernier lieu par le décret<br />
n° 2007-450 du 25 mars 2007 et codifié à l’article<br />
D. 1617-19 du code général des collectivités<br />
territoriales (CGCT), aux termes duquel<br />
« avant de procéder au paiement d’une<br />
dépense ne faisant pas l’objet d’un ordre de<br />
réquisition, les comptables [...] ne doivent<br />
exiger que les pièces justificatives prévues<br />
pour la dépense correspondante dans la liste<br />
définie à l’annexe I du présent code et établie<br />
conformément à celle-ci ». Le principe du<br />
caractère limitatif des pièces exigées ne diffère<br />
pas de celui qui s’applique aux comptables<br />
de l’État en vertu de l’article 47 du règlement<br />
général sur la comptabilité publique 13 . La<br />
nomenclature constitue, pour les dépenses<br />
qu’elle référence, à la fois le minimum et le<br />
maximum exigible par le comptable 14 .<br />
Or, la rubrique 41 de l’annexe I de l’article D.<br />
1617-19, dans sa rédaction issue du décret<br />
n° 2003-301 du 2 avril 2003, applicable aux<br />
faits litigieux, indiquait que, pour « les marchés<br />
publics sans formalités préalables »,<br />
c’est-à-dire, aux termes du VII de l’article 26<br />
du code des marchés publics (CMP), les<br />
13 Ce caractère limitatif est également « opposable au<br />
juge des comptes lors de l’examen qu’il opère de la<br />
responsabilité du comptable à l’occasion de sa<br />
gestion » (Rép. Min. n° 19838, JO Sénat Q., 8 octobre<br />
1992, p. 2299).<br />
14 Cf. CE, 28 juillet 2004, Ministre d’État, ministre de<br />
l’économie, des finances et de l’industrie c/ M. Daviau,<br />
n° 244405.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 33
Le comptable<br />
doit replacer la<br />
dépense dans la<br />
catégorie<br />
correspondant à<br />
sa nature et son<br />
objet<br />
34<br />
marchés dont le montant est inférieur aux<br />
seuils communautaires de procédure<br />
formalisée 15 , la dépense est présentée sous<br />
la seule responsabilité de l’ordonnateur, selon<br />
l’une des modalités suivantes :<br />
• pour les marchés ne faisant pas l’objet<br />
d’un contrat écrit, la dépense est justifiée<br />
par la production d’un mémoire ou d’une<br />
facture ;<br />
• pour les marchés faisant l’objet d’un<br />
contrat écrit, la dépense est justifiée,<br />
pour un premier paiement, par le contrat<br />
et un mémoire ou une facture, et pour<br />
les autres paiements, par un mémoire<br />
ou une facture.<br />
Outre que les dénominations de la<br />
nomenclature de 2003 ne correspondent plus<br />
à celles du code des marchés publics issu<br />
du décret du 1 er août 2006, la principale<br />
question à laquelle étaient confrontés le juge<br />
des comptes et le Conseil d’État dans la<br />
première affaire était de savoir s’il fallait<br />
regarder les catégories de la nomenclature<br />
comme des éléments de faits, correspondant<br />
à la présentation qui est faite de la dépense<br />
par l’ordonnateur, ou comme des catégories<br />
juridiques, résultant du RGCP et renvoyant<br />
à des notions extérieures à la nomenclature<br />
et issues du code des marchés publics.<br />
En mentionnant les marchés « faisant l’objet<br />
d’un contrat écrit », la rubrique 41 pouvait,<br />
en effet, être interprétée comme ne visant<br />
pas les marchés qui doivent revêtir une forme<br />
écrite en application de l’article 11 du CMP,<br />
mais les marchés que l’ordonnateur n’a pas<br />
passés sous forme écrite. Il appartient au<br />
seul ordonnateur de respecter le formalisme<br />
défini par le code des marchés publics et le<br />
comptable n’est pas tenu de s’assurer que<br />
ce formalisme a été respecté.<br />
Une lecture littérale de la nomenclature<br />
pouvait donc laissé penser que, dès lors que<br />
la dépense est présentée, comme en<br />
l’espèce, par l’ordonnateur comme un<br />
marché public sans formalité préalable ne<br />
faisant pas l’objet d’un contrat écrit, le<br />
comptable doit se référer, comme l’y invite<br />
la nomenclature, à la rubrique 4111 et qu’il<br />
peut donc payer au vu de la seule facture. Il<br />
15 Art. 26-VII CMP : « Les marchés sans formalités<br />
préalables mentionnés dans le code général des<br />
collectivités territoriales sont les marchés d’un<br />
montant inférieur aux seuils fixés au II ».<br />
Commande publique<br />
n’en irait différemment que dans les cas pour<br />
lesquels l’annexe I de l’article D. 1617-19 du<br />
CGCT impose que le comptable dispose d’un<br />
contrat écrit, c’est-à-dire pour le versement<br />
d’une avance ou d’acomptes, pour les<br />
prélèvements pour retenue de garantie et<br />
pour le paiement des prestations de maîtrise<br />
d’œuvre.<br />
Cette interprétation pouvait s’appuyer sur<br />
l’instruction codificatrice du 23 juillet 2003<br />
relative aux pièces justificatives des<br />
dépenses du secteur public local. Ce<br />
document rappelle, en effet, que le décret<br />
de 2003 a mis en œuvre la décision du<br />
Gouvernement de ne plus faire intervenir les<br />
comptables publics dans le contrôle du seuil<br />
des marchés publics et que « ce sont les<br />
pièces justificatives produites au comptable<br />
qui déterminent la nature du marché<br />
présenté ».<br />
Tel n’est, toutefois, pas le raisonnement suivi<br />
par le Conseil d’État dans cette affaire. Pour<br />
le juge, si le comptable ne peut exiger que<br />
les pièces justificatives exigées par la<br />
nomenclature, encore faut-il que les pièces<br />
fournies par l’ordonnateur soient cohérentes<br />
au regard des catégories de dépenses<br />
fixées par la nomenclature.<br />
2.2. Le contrôle de la cohérence des<br />
pièces justificatives<br />
Les deux arrêts commentés précisent<br />
qu’au-delà du contrôle qui tend à vérifier si<br />
l’ensemble des pièces requises au titre de<br />
la nomenclature comptable applicable lui<br />
ont été fournies, le comptable doit contrôler<br />
la cohérence de ces pièces tant au regard<br />
de la catégorie de la dépense définie dans<br />
la nomenclature applicable, que de la<br />
nature et de l’objet de la dépense.<br />
La section du contentieux a suivi les<br />
conclusions du rapporteur public, Xavier de<br />
Lesquen, qui a démontré que, pour que le<br />
contrôle comptable se rattache à la réalité<br />
des opérations financières en cause, les<br />
rubriques de la nomenclature doivent<br />
nécessairement correspondre aux notions<br />
juridiques auxquelles elles se rapportent.<br />
La seule circonstance que la dépense est<br />
présenté sous la responsabilité de l’ordonnateur<br />
ne dispense pas le comptable des<br />
contrôles qui relèvent de son pouvoir. Or,<br />
l’office du comptable serait dénaturé si celuici<br />
pouvait être contraint à situer une<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Un contrat écrit<br />
doit être produit<br />
dès lors que le<br />
montant des<br />
prestations est<br />
supérieur au<br />
seuil de<br />
l’article 11<br />
du CMP<br />
Le caractère<br />
contradictoire<br />
des pièces<br />
justificatives<br />
n’implique pas<br />
nécessairement<br />
l’obligation de<br />
suspendre le<br />
paiement<br />
Commande publique<br />
dépense dans une catégorie déterminée,<br />
alors qu’au vu de sa nature et de son objet,<br />
et notamment de son montant, elle relève<br />
manifestement d’une autre. Ce serait en<br />
effet ôter tout effectivité au contrôle si le<br />
comptable devait suivre aveuglement la<br />
qualification de la dépense telle qu’elle lui<br />
est transmise par l’ordonnateur, sans<br />
pouvoir la rediriger d’office, au vu de sa<br />
nature, vers la catégorie pertinente de la<br />
nomenclature, dont il se déduira les pièces<br />
exigibles.<br />
C’est pourquoi, dans la première affaire, le<br />
juge a interprété les sous-catégories de la<br />
rubrique 411, relative aux marchés publics<br />
sans formalités préalables, pour en déduire<br />
que, lorsqu’elles distinguent les marchés<br />
selon qu’ils font ou non l’objet d’un contrat<br />
écrit, elles doivent être regardées comme<br />
se référant aux dispositions de l’article 11<br />
du CMP en vertu desquelles, dans leur<br />
rédaction alors applicable, les marchés d’un<br />
montant égal ou supérieur à 4.000 euros<br />
doivent être passés sous forme écrite.<br />
En l’espèce, la facture étant d’un montant<br />
supérieur à ce seuil, il y aurait une<br />
incohérence à la rattacher à la catégorie<br />
4111 concernant les marchés ne faisant pas<br />
l’objet d’un contrat écrit.<br />
Le comptable devait donc se retourner vers<br />
l’ordonnateur afin de vérifier que la<br />
commande passée était bien supérieure au<br />
seuil et, si tel est le cas, lui demander avant<br />
le paiement de la dépense la production<br />
d’un contrat écrit, conformément à la liste<br />
des pièces justificatives résultant de la<br />
nomenclature. Ce faisant, le comptable en<br />
reste, conformément à son office, à un<br />
contrôle de la régularité formelle de la<br />
catégorie retenue au sein de la<br />
nomenclature, sans entrer dans une analyse<br />
juridique de la conformité de la passation<br />
du marché aux règles du code des marchés<br />
publics.<br />
Cette solution, fondée sur la nomenclature<br />
de 2003, devrait également s’appliquer à<br />
l’aune de la nomenclature issue du décret<br />
du 25 mars 2007. Si la rubrique 423 de<br />
l’annexe I de l’article D. 1617-19 du CGCT<br />
n’opère plus de distinction entre les<br />
marchés faisant ou non l’objet d’un contrat<br />
écrit, elle impose la production d’un contrat<br />
à l’appui du premier paiement des « prestations<br />
fixées par contrat ». Il en résulte qu’un<br />
contrat écrit doit être communiqué au<br />
comptable dès lors le montant des<br />
prestations est supérieur à 15.000 euros,<br />
seuil à compter duquel l’article 11 du CMP<br />
impose, depuis le décret du 9 décembre<br />
2011, que le contrat soit conclu sous forme<br />
écrite 16 .<br />
Le Conseil d’État rappelle, toutefois, que,<br />
si l’ordonnateur n’est pas en mesure de<br />
présenter un contrat écrit, il peut alors<br />
produire « un certificat administratif par<br />
lequel il déclare avoir passé un contrat oral<br />
et prend la responsabilité de l’absence de<br />
contrat écrit ». Dans ce cas, il appartient<br />
au comptable de payer la dépense sans «<br />
se faire juge de la légalité de la passation<br />
du marché en cause ». En cassant la<br />
décision de la Cour des comptes au motif<br />
que celle-ci n’avait pas recherché, avant la<br />
mise en débet, si le comptable avait<br />
demandé et obtenu de l’ordonnateur un tel<br />
certificat, le Conseil d’État impose par-là<br />
même au comptable de procéder à cette<br />
diligence.<br />
Dans la deuxième affaire, l’incohérence des<br />
justifications ne résidait pas dans leur<br />
insuffisance au regard de la catégorie de la<br />
dépense mais dans l’antériorité des factures<br />
par rapport aux bons de commande. Il est<br />
vrai que le cours normal des opérations<br />
d’exécution d’un marché public suppose que<br />
les bons de commande soient émis avant<br />
les factures correspondantes. Il y avait là pour<br />
la Cour des comptes, une contradiction<br />
manifeste entre les pièces justificatives qui<br />
aurait dû conduire à les disqualifier aux yeux<br />
du comptable.<br />
Il est vrai que, dans sa décision Morel du<br />
21 mars 2001, le Conseil d’État avait déjà<br />
jugé que le contrôle du comptable devait le<br />
conduire, dans l’hypothèse où les pièces<br />
justificatives seraient contradictoires, à<br />
suspendre le paiement jusqu’à ce que<br />
l’ordonnateur lui ait produit, à cet effet, les<br />
justifications nécessaires. Toutefois, si<br />
l’arrêt Morel s’appuie sur le caractère<br />
contradictoire des pièces, c’est uniquement<br />
dans la mesure où le comptable n’avait pu<br />
identifier la nature de la dépense 17 .<br />
16 Décret n° 2011-1853 du 9 décembre 2011 modifiant<br />
certains seuils du code des marchés publics.<br />
17 CE, 21 mars 2001, Morel, n° 195508.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 35
36<br />
Or, en l’espèce, l’apparente contradiction<br />
entre les pièces justificatives révélait avant<br />
tout une anomalie au regard des règles de<br />
la commande publique régie par le code des<br />
marchés publics dont l’article 5 impose aux<br />
acheteurs publics de définir avec précision<br />
la nature et l’étendue de leurs besoins avant<br />
de procéder à l’acte d’achat<br />
C’est pourquoi le Conseil d’État a jugé que,<br />
en reprochant au comptable de ne pas avoir<br />
relevé l’irrégularité résultant de la<br />
contradiction entre les pièces justificatives<br />
et, en fait, à travers l’absence de définition<br />
préalable des besoins, la régularité du<br />
marché passé, la Cour des comptes a en<br />
réalité mis à la charge du comptable une<br />
obligation de contrôle de la légalité des<br />
pièces justificatives fournies par<br />
l’ordonnateur.<br />
*<br />
* *<br />
En clarifiant la portée du contrôle exercé<br />
par le comptable en matière de marchés<br />
publics, le Conseil d’État précise un peu<br />
plus les responsabilités respectives des<br />
acteurs de la dépense publique, telles<br />
qu’elles résultent du principe de séparation<br />
des ordonnateurs et des comptables. Il<br />
fournit ici un véritable « guide des bonnes<br />
pratiques » en matière de contrôle des<br />
pièces justificatives qui, en définissant avec<br />
précision l’office du comptable, tend à<br />
préserver un des principes fondamentaux<br />
de la comptabilité publique.<br />
Guillaume Delaloy (Direction des<br />
affaires juridiques)<br />
Commande publique<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Conseil d’État<br />
N° 340698<br />
Publié au recueil Lebon<br />
Section du contentieux<br />
Commande publique<br />
Lecture du vendredi 8 février 2011 (extraits)<br />
Considérant qu’en vertu de l’article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, la responsabilité personnelle et<br />
pécuniaire des comptables publics se trouve engagée dès lors notamment qu’une dépense a été irrégulièrement<br />
payée ; que selon le VI de l’article 60, le comptable public dont la responsabilité pécuniaire est ainsi engagée ou<br />
mise en jeu a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels une somme égale à la dépense<br />
payée à tort ; que s’il n’a pas versé cette somme, il peut être, selon le VII de l’article 60, constitué en débet par<br />
le juge des comptes ; que s’agissant des comptables locaux, l’article L. 1617-2 du code général des collectivités<br />
territoriales dispose que : « Le comptable d’une commune, d’un département ou d’une région ne peut subordonner<br />
ses actes de paiement à une appréciation de l’opportunité des décisions prises par l’ordonnateur. Il ne peut<br />
soumettre les mêmes actes qu’au contrôle de légalité qu’impose l’exercice de sa responsabilité personnelle et<br />
pécuniaire. » ;<br />
Considérant, en premier lieu, qu’en vertu de l’article 19 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général<br />
sur la comptabilité publique, les comptables publics sont, dans les conditions fixées par les lois de finances,<br />
personnellement et pécuniairement responsables de l’exercice régulier des contrôles prévus aux articles 12 et<br />
13 ; qu’aux termes de l’article 12 de ce décret : « Les comptables sont tenus d’exercer : [...] / B. - En matière<br />
de dépenses, le contrôle : / [...] De la validité de la créance dans les conditions prévues à l’article 13 ci-après<br />
[...] » ; que l’article 13 du même décret dispose que : « En ce qui concerne la validité de la créance, le contrôle<br />
porte sur : / La justification du service fait et l’exactitude des calculs de liquidation ; / L’intervention préalable<br />
des contrôles réglementaires et la production des justifications [...] » ; qu’aux termes de l’article 37 du même<br />
décret : « Lorsque, à l’occasion de l’exercice du contrôle prévu à l’article 12 (alinéa B) ci-dessus, des irrégularités<br />
sont constatées, les comptables publics suspendent les paiements et en informent l’ordonnateur [...] » ; qu’en<br />
vertu de l’article 47 du même décret, les opérations de dépense « doivent être appuyées des pièces justificatives<br />
prévues dans les nomenclatures établies par le ministre des finances avec, le cas échéant, l’accord du ministre<br />
intéressé » ;<br />
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent<br />
notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu’à ce titre, il leur revient d’apprécier si les<br />
pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère<br />
suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l’ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature<br />
comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d’une part, complètes et<br />
précises, d’autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable<br />
et de la nature et de l’objet de la dépense telle qu’elle a été ordonnancée ; que si ce contrôle peut conduire les<br />
comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l’origine de la créance et s’il leur<br />
appartient alors d’en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n’ont pas le pouvoir de<br />
se faire juges de leur légalité ; qu’enfin, lorsque les pièces justificatives fournies sont insuffisantes pour établir la<br />
validité de la créance, il appartient aux comptables de suspendre le paiement jusqu’à ce que l’ordonnateur leur<br />
ait produit les justifications nécessaires ;<br />
Considérant, en second lieu, d’une part, que selon le dernier alinéa de l’article L. 1617-3 du code général des<br />
collectivités territoriales : « La liste des pièces justificatives que le comptable peut exiger avant de procéder au<br />
paiement est fixée par décret » ; qu’aux termes de l’article D. 1617-19 du même code dans sa rédaction<br />
applicable au litige : « Avant de procéder au paiement d’une dépense ne faisant pas l’objet d’un ordre de réquisition,<br />
les comptables des communes, des départements, des régions et de leurs établissements publics [...] ne<br />
doivent exiger que les pièces justificatives prévues pour la dépense correspondante dans la liste définie à<br />
l’annexe I du présent code et établie conformément à celle-ci » ; que la liste des pièces justificatives figurant à<br />
l’annexe I du code général des collectivités territoriales était, à la date des paiements litigieux, fixée par le décret<br />
n° 2003-301 du 2 avril 2003 ; que le point 41 de cette annexe, relatif aux travaux, fournitures ou services entrant<br />
dans le champ d’application du code des marchés publics, dans sa rédaction issue de ce décret, précise que :<br />
« La dépense est présentée sous la seule responsabilité de l’ordonnateur selon l’une des modalités suivantes :<br />
/ marché public sans formalités préalables : / - ne faisant pas l’objet d’un contrat écrit ; / - faisant l’objet d’un<br />
contrat écrit ; / marché public avec formalités préalables » ; que pour les dépenses présentées par l’ordonnateur<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 37
38<br />
Commande publique<br />
comme correspondant à un marché public passé sans formalités préalables ne faisant pas l’objet d’un contrat<br />
écrit, les pièces justificatives exigées sont : « mémoire ou facture comportant les énonciations définies en<br />
annexe C » ; que pour les dépenses présentées par l’ordonnateur comme correspondant à un marché public<br />
passé sans formalités préalables faisant l’objet d’un contrat écrit, l’ordonnateur doit en outre produire, lors du<br />
premier paiement, le contrat ;<br />
Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 11 du code des marchés publics issu du décret du 1 er août<br />
2006 et en vigueur depuis le 1 er septembre 2006, dans sa rédaction alors applicable : « Les marchés et accordscadres<br />
d’un montant égal ou supérieur à 4.000 euros hors taxes sont passés sous forme écrite [...] » ;<br />
Considérant qu’il résulte des dispositions citées ci-dessus que lorsqu’elle distingue, parmi les marchés publics<br />
sans formalités préalables, entre ceux faisant l’objet d’un contrat écrit et ceux ne faisant pas l’objet d’un tel<br />
contrat, la nomenclature des pièces justificatives dont les comptables des collectivités territoriales et de leurs<br />
établissement publics doivent exiger la production doit être regardée comme se référant, pour déterminer les cas<br />
dans lesquels les marchés doivent faire l’objet d’un contrat écrit, aux dispositions de l’article 11 du code des<br />
marchés publics en vertu desquelles, dans leur rédaction alors applicable, les marchés d’un montant égal ou<br />
supérieur à 4.000 euros doivent être passés sous forme écrite ; qu’il suit de là que lorsque la dépense est<br />
présentée par l’ordonnateur, sous sa seule responsabilité, sous la forme d’un marché public sans formalités<br />
préalables et que la facture produite fait état d’un montant égal ou supérieur à 4.000 euros hors taxes, sans qu’un<br />
contrat écrit ne soit produit pour justifier la dépense engagée, il appartient au comptable, devant cette insuffisance<br />
apparente des pièces produites pour justifier la dépense correspondant à un marché public sans formalités<br />
préalables faisant nécessairement l’objet d’un contrat écrit en vertu de la réglementation applicable, de suspendre<br />
le paiement et de demander à l’ordonnateur la production des justifications nécessaires ; qu’en revanche, dès<br />
lors que l’ordonnateur a produit, en réponse à cette demande, un certificat administratif par lequel il déclare avoir<br />
passé un contrat oral et prend la responsabilité de l’absence de contrat écrit, il appartient au comptable, qui n’a<br />
pas à se faire juge de la légalité de la passation du marché en cause, de payer la dépense ;<br />
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la dépense relative à des prestations<br />
de livraison de repas au foyer des personnes âgées du centre communal d’action sociale de Polaincourt avait été<br />
présentée par l’ordonnateur sous la forme d’un marché public sans formalités préalables et justifiée par la seule<br />
production de factures, établies à l’automne 2006, dont chacune était d’un montant supérieur à 4.000 euros,<br />
seuil qui, depuis l’entrée en vigueur du code des marchés publics de 2006 et dans la version alors applicable de<br />
l’article 11 de ce code, rendait obligatoire la passation du marché sous forme écrite ; qu’en fondant son arrêt sur<br />
le fait que M. Deroy, comptable du centre communal d’action sociale de Polaincourt, s’est à tort abstenu d’exiger<br />
avant tout paiement de la dépense, dès lors que les factures présentées étaient chacune d’un montant supérieur<br />
à 4.000 euros, la production d’un contrat écrit, sans rechercher si le comptable avait demandé et obtenu de<br />
l’ordonnateur un certificat par lequel ce dernier engageait sa responsabilité en justifiant l’absence de contrat<br />
écrit, la Cour des comptes a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, dès lors, être annulé.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Conseil d’État<br />
Commande publique<br />
N° 342825<br />
Publié au recueil Lebon<br />
Section du contentieux<br />
Lecture du vendredi 8 février 2011 (extraits)<br />
Considérant qu’en vertu de l’article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, la responsabilité personnelle et<br />
pécuniaire des comptables publics se trouve engagée dès lors notamment qu’une dépense a été irrégulièrement<br />
payée ; que selon le VI de l’article 60, le comptable public dont la responsabilité pécuniaire est ainsi engagée ou<br />
mise en jeu a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels une somme égale à la dépense<br />
payée à tort ; que s’il n’a pas versé cette somme, il peut être, selon le VII de l’article 60, constitué en débet par<br />
le juge des comptes ;<br />
Considérant qu’en vertu de l’article 19 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité<br />
publique, les comptables publics sont, dans les conditions fixées par les lois de finances, personnellement et<br />
pécuniairement responsables de l’exercice régulier des contrôles prévus aux articles 12 et 13 ; qu’aux termes de<br />
l’article 12 du même décret : « Les comptables sont tenus d’exercer : / [...] B. - En matière de dépenses, le<br />
contrôle : [...] De la validité de la créance dans les conditions prévues à l’article 13 ci-après [...] » ; qu’aux termes<br />
de l’article 13 du même décret : « En ce qui concerne la validité de la créance, le contrôle porte sur : / La<br />
justification du service fait et l’exactitude des calculs de liquidation ; / L’intervention préalable des contrôles<br />
réglementaires et la production des justifications [...] » ; qu’aux termes de l’article 37 du même décret : « Lorsque,<br />
à l’occasion de l’exercice du contrôle prévu à l’article 12 (alinéa B) ci-dessus, des irrégularités sont constatées, les<br />
comptables publics suspendent les paiements et en informent l’ordonnateur. [...] » ; qu’enfin, en vertu de l’article<br />
47 du même décret, les opérations de dépense « doivent être appuyées des pièces justificatives prévues dans les<br />
nomenclatures établies par le ministre des finances avec, le cas échéant, l’accord du ministre intéressé » ;<br />
Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent<br />
notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu’à ce titre, il leur revient d’apprécier si les<br />
pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère<br />
suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l’ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature<br />
comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d’une part, complètes et<br />
précises, d’autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable<br />
et de la nature et de l’objet de la dépense telle qu’elle a été ordonnancée ; que si ce contrôle peut conduire les<br />
comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l’origine de la créance et s’il leur<br />
appartient alors d’en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n’ont pas le pouvoir de<br />
se faire juges de leur légalité ; qu’enfin, lorsque les pièces justificatives fournies sont insuffisantes pour établir la<br />
validité de la créance, il appartient aux comptables de suspendre le paiement jusqu’à ce que l’ordonnateur leur<br />
ait produit les justifications nécessaires ;<br />
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour justification des dépenses<br />
engagées au titre de prestations fournies par la société RABA SARP Sud-ouest, l’agent comptable du Port<br />
autonome de Bordeaux a été destinataire de pièces intitulées « bons de commande » dont les dates étaient<br />
toutes postérieures à celles d’émission des factures correspondantes ; que, pour retenir qu’il lui appartenait,<br />
contrairement à ce qu’il a fait, de suspendre le paiement des sommes réclamées, la Cour des comptes a estimé<br />
que les bons de commande litigieux ne pouvaient être considérés par le comptable public comme des pièces<br />
justificatives valides au regard des exigences posées à l’article 5 du code des marchés publics relatives à la<br />
définition préalable des besoins ; que s’il appartenait au comptable, en cas de doute quant au caractère suffisant<br />
des justifications produites, de suspendre le paiement et de demander à l’ordonnateur de lui communiquer tout<br />
élément de nature à lui permettre d’exercer pleinement le contrôle de la régularité des pièces qui lui incombe, en<br />
revanche, il n’avait pas à se faire juge de la légalité des « bons de commande » en cause ; qu’en l’espèce, en<br />
reprochant au comptable de ne pas avoir suspendu le paiement des sommes litigieuses au seul motif que les<br />
bons de commande étaient d’une date postérieure à celle des factures qui se rattachaient à eux, le juge des<br />
comptes a en réalité exigé du comptable qu’il exerce un contrôle de légalité sur les pièces justificatives fournies<br />
par l’ordonnateur alors que celles-ci ne présentaient, à elles seules et quelle que soit en tout état de cause leur<br />
validité juridique, ni incohérence au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable<br />
ni incohérence au regard de la nature et de l’objet de la dépense engagée ; que, dès lors, la Cour des comptes<br />
a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt doit être annulé.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 39
Le droit de la<br />
commande<br />
publique évolue<br />
et évoluera<br />
encore à court<br />
terme<br />
De la décision<br />
Perez à son<br />
relèvement<br />
récent, le seuil<br />
de dispense de<br />
procédure a fait<br />
couler beaucoup<br />
d’encre<br />
40<br />
Durant ces dix dernières années, les<br />
acheteurs publics soumis au code des<br />
marchés publics se sont habitués au<br />
changement. Ils ont vu naître un nouveau<br />
code en 2001, deux nouvelles directives<br />
européennes sur les marchés publics en<br />
2004, une édition remaniée du code la<br />
même année et, enfin, un nouveau code en<br />
2006, modifié plusieurs fois depuis cette<br />
date.<br />
Les acheteurs le savent, le droit de la<br />
commande publique évolue et évoluera<br />
encore à court terme, puisque la refonte des<br />
directives sur les marchés publics fait<br />
actuellement l’objet d’intenses négociations<br />
entre la Commission européenne et les<br />
États membres. Une fois ces textes<br />
européens adoptés, viendra l’heure des<br />
travaux de transposition en droit interne,<br />
donc des nouvelles modifications du code<br />
des marchés publics.<br />
Mais, depuis la fin de l’année 2008, un<br />
phénomène particulier a attiré l’attention des<br />
acteurs de la commande publique : la valse<br />
des seuils de procédures.<br />
Si ceux régissant les procédures formalisées,<br />
imposées par les directives européennes,<br />
sont mécaniquement fixés tous les deux ans<br />
par la Commission européenne (1.), d’autres<br />
seuils, purement nationaux, sont soumis à<br />
certaines turbulences juridico-politiques. Tel<br />
est le cas du célèbre « seuil de dispense de<br />
procédure » ou « seuil de minimis », qui a fait<br />
couler beaucoup d’encre depuis son<br />
relèvement de 4.000 à 20.000 euros HT en<br />
décembre 2008 1 , en passant par la décision<br />
Perez 2 le ramenant à 4.000 euros HT, jusqu’à<br />
son relèvement récent à 15.000 euros HT par<br />
le décret n° 2011-1853 du 9 décembre 2011<br />
modifiant certains seuils du code des marchés<br />
Commande publique<br />
Code des marchés publics : dans les coulisses de la<br />
valse des seuils de procédures<br />
Par Michel Dupont<br />
Le monde de la commande publique a bien accueilli le relèvement à 15.000<br />
euros HT du seuil de dispense de procédure et l’ajustement à la hausse des seuils<br />
de procédures formalisées. Entrons dans les coulisses de ces récentes réformes...<br />
1 Décret n° 2008-1356 du 19 décembre 2008 relatif<br />
au relèvement de certains seuils du code des<br />
marchés publics, JORF n° 0296 du 20 décembre<br />
2008, p. 19548.<br />
2 CE, 10 février 2010, Perez, req. n° 329100.<br />
publics, paru au Journal officiel du 11 décembre<br />
2011, et par l’article 118 de la loi<br />
n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la<br />
simplification du droit et à l’allègement des<br />
démarches administratives, publiée au Journal<br />
officiel du 23 mars 2012.<br />
Cette dernière réforme ayant déjà fait l’objet<br />
de commentaires de la part de la doctrine 3 ,<br />
il est légitime de s’interroger sur l’utilité d’un<br />
article supplémentaire sur le sujet.<br />
En tant qu’agent de la direction des affaires<br />
juridiques des ministères économiques et<br />
financiers ayant participé aux travaux<br />
préparatoires des réformes, l’auteur de ces<br />
lignes se propose de présenter les coulisses<br />
du relèvement du seuil de dispense<br />
procédure (2.), sur la base de documents<br />
publics (déontologie du fonctionnaire oblige),<br />
ainsi que tenter d’expliquer les « règles de<br />
bonne gestion » qui ont encadré ce<br />
relèvement (3.).<br />
1. Les nouveaux seuils applicables<br />
aux procédures formalisées<br />
Les articles 26, 144 et 201 du code des<br />
marchés publics fixent une liste de<br />
procédures formalisées que les acheteurs<br />
publics doivent utiliser, dès lors que le<br />
montant estimé de leur besoin est égal ou<br />
supérieur à certains seuils.<br />
Ces seuils, déterminés par les autorités européennes,<br />
ont pour objectif de garantir le<br />
respect des engagements internationaux de<br />
l’Union européenne. Ils ne laissent qu’une<br />
infime marge de manœuvre aux États membres,<br />
non retenue par la France.<br />
3 G. Clamour, « Procédure adaptée : le seuil est<br />
porté à 15.000 euros HT », Contrats-marchés publ.<br />
n° 1, janvier 2012, comm. 1, p. 26 ; F. Linditch, « À<br />
propos du nouveau seuil de 15.000 euros HT pour<br />
les achats dispensés de mise en concurrence »,<br />
JCP A n° 2, 16 janvier 2012, comm. 2009, p. 26.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Les seuils de<br />
procédures<br />
formalisées ont<br />
augmenté<br />
Commande publique<br />
1.1. Le respect des engagements<br />
internationaux de l’Union européenne<br />
Depuis 1994 4 , l’Union européenne est partie<br />
à l’Accord sur les marchés publics (AMP)<br />
conclu dans le cadre de l’Organisation<br />
mondiale du commerce (OMC). Cet accord<br />
s’applique aux marchés d’un montant égal<br />
ou spérieur à des seuils déterminés en<br />
droits de tirage spéciaux 5 (DTS).<br />
Tous les deux ans, les seuils des directives<br />
européennes sur les marchés publics sont<br />
révisés, par un règlement de la Commission<br />
européenne 6 , en fonction de l’évolution des<br />
DTS 7 , afin de permettre le respect des<br />
engagements internationaux de l’Union<br />
européenne.<br />
1.2. Les nouveaux montants imposés<br />
par le règlement n° 1251/2011<br />
Le règlement (UE) n° 1251/2011 de la<br />
Commission du 30 novembre 2011 modifiant<br />
les directives 2004/17/CE, 2004/18/CE et<br />
2009/81/CE du Parlement européen et du<br />
Conseil en ce qui concerne leurs seuils<br />
d’application pour les procédures de<br />
passation des marchés, publié au Journal<br />
officiel de l’Union européenne du 2 décembre<br />
2011, constitue la dernière révision en date.<br />
Pour la période du 1 er janvier 2012 au 31<br />
décembre 2013, il fixe les seuils de la<br />
manière suivante :<br />
• 130.000 euros HT pour les marchés de<br />
fournitures et de services de l’État<br />
(125.000 euros HT auparavant) ;<br />
• 200.000 euros HT pour les marchés de<br />
fournitures et de services des collectivités<br />
territoriales (193.000 euros HT<br />
auparavant) ;<br />
4 Décision 94/800/CE du Conseil du 22 décembre<br />
1994 relative à la conclusion au nom de la<br />
Communauté européenne, pour ce qui concerne<br />
les matières relevant de ses compétences, des<br />
accords des négociations multilatérales du cycle<br />
de l’Uruguay (1986-1994).<br />
5 http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/<br />
sdrf.htm<br />
6 P. Proot, « Les seuils d’application des directives<br />
sur les marchés publics », CP-ACCP, février 2005,<br />
n° 41.<br />
7 http://www.wto.org/french/tratop_f/gproc_f/<br />
thresh_f.htm<br />
• 400.000 euros HT pour les marchés de<br />
fournitures et de services des entités<br />
adjudicatrices, ainsi que pour les<br />
marchés de fournitures et de services<br />
passés dans le domaine de la défense<br />
ou de la sécurité (387.000 euros HT<br />
auparavant) ;<br />
• 5.000.000 euros HT pour les marchés<br />
de travaux (4.845.000 euros HT<br />
auparavant).<br />
1.3. Les États membres disposent d’une<br />
marge de manœuvre très réduite<br />
1.3.1. L’article 288 du Traité sur le<br />
fonctionnement de l’Union européenne<br />
(TFUE) stipule que les règlements<br />
européens ont une portée générale, qu’ils<br />
sont obligatoires dans tous leurs éléments<br />
et directement applicables dans tout État<br />
membre. Ils ne nécessitent donc aucune<br />
mesure de transposition, à la différence des<br />
directives.<br />
Si les articles du code des marchés publics<br />
relatifs à la publicité renvoient, pour<br />
l’établissement de l’avis d’appel public à la<br />
concurrence, « au modèle fixé par le<br />
règlement de la Commission européenne<br />
établissant les formulaires standard pour<br />
la publication d’avis en matière de marchés<br />
publics », ceux relatifs aux seuils de<br />
procédures reflètent une autre méthode de<br />
légistique : celle de l’intégration, dans le<br />
code, des sommes imposées par le règlement.<br />
C’est donc le décret n° 2011-2027 du 29 décembre<br />
2011 modifiant les seuils applicables<br />
aux marchés et contrats relevant de la<br />
commande publique qui a mis à jour les seuils<br />
européens contenus aux articles 26, 144 et<br />
201 du code des marchés publics.<br />
Ses auteurs auraient pu choisir la voie de<br />
la facilité en optant pour la méthode du<br />
renvoi au règlement, s’économisant ainsi<br />
le soin de rédiger un décret modificatif tous<br />
les deux ans. Mais, ils ont préféré conserver<br />
la voie de la clarté, afin d’épargner aux<br />
acheteurs publics une veille juridique du<br />
Journal officiel de l’Union européenne et,<br />
ainsi, éviter toute erreur dans la mise en<br />
œuvre des procédures.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 41
Le « seuil de<br />
dispense de<br />
procédure » est<br />
un pan sensible<br />
du code des<br />
marchés publics<br />
42<br />
1.3.2. Les seuils européens étant à la<br />
hausse, et non à la baisse contrairement<br />
aux années précédentes, les autorités<br />
françaises disposaient d’une infime marge<br />
de manœuvre lors de l’adoption de ce décret<br />
: la rigueur. Le droit national pouvant toujours<br />
être plus strict que le droit de l’Union, elles<br />
auraient pu, en effet, opter pour des<br />
montants moins élevés, par exemple en<br />
maintenant ceux applicables avant l’entrée<br />
en vigueur du nouveau règlement européen.<br />
Compte-tenu du contexte de simplification<br />
du droit et du relèvement du seuil de<br />
dispense de procédure, fil conducteur de<br />
l’année 2011, les autorités françaises<br />
décidèrent fort logiquement d’aligner les<br />
seuils contenus dans le code sur les<br />
nouveaux seuils européens, comme elles<br />
en ont désormais l’habitude.<br />
2. Les coulisses du relèvement<br />
du seuil de dispense de<br />
procédure à 15.000 euros HT<br />
Outre les seuils de procédures formalisées,<br />
le code des marchés publics contient<br />
d’autres seuils, non dépendants des<br />
autorités européennes.<br />
Le plus connu, mais aussi le plus sensible,<br />
est le « seuil de dispense de procédure »<br />
figurant aux articles 28, 146 et 203. Son<br />
principe est simple : si le montant estimé<br />
du marché est inférieur à ce seuil, l’acheteur<br />
public peut décider qu’il sera passé sans<br />
publicité ni mise en concurrence<br />
préalables, autrement dit, de « gré à gré ».<br />
Ceci étant rappelé, on comprend donc<br />
aisément pourquoi il suscite autant de<br />
passion, lorsque son montant est réduit ou<br />
relevé.<br />
2.1. Arrêt Perez : la douche froide<br />
2.1.1. Les auteurs du code des marchés<br />
publics de 2006 avait fixé le seuil de<br />
dispense de procédure à 4.000 euros HT, à<br />
l’instar de ce qui était déjà prévu dans la<br />
version 2004 8 .<br />
8 Décret n° 2004-1298 du 26 novembre 2004 relatif<br />
à diverses dispositions concernant les marchés de<br />
l’État et des collectivités territoriales.<br />
Commande publique<br />
Il est cependant de notoriété publique que<br />
le Conseil d’État avait émis un avis négatif<br />
sur l’existence d’un tel seuil.<br />
Une doctrine de l’administration éclairait<br />
cette dispense 9 : « Dès le premier euro, les<br />
marchés passés par les personnes<br />
publiques soumises au code des marchés<br />
publics doivent respecter les principes de<br />
transparence des procédures, de liberté<br />
d’accès à la commande publique et d’égalité<br />
de traitement des candidats. [...] Sous le<br />
seuil de 4.000 euros HT, aucune procédure<br />
formalisée de comparaison des offres n’est<br />
nécessaire. Pour autant, ces petits achats<br />
doivent respecter les principes fondamentaux<br />
rappelés ci-dessus. Le respect de<br />
ces principes s’apprécie à travers le<br />
comportement de l’acheteur public. » Cette<br />
doctrine était également reprise dans la<br />
circulaire d’application du code, publiée en<br />
août 2006 10 .<br />
2.1.2. Dans le cadre du plan de relance<br />
contre la crise économique, le décret<br />
n° 2008-1356 du 19 décembre 2008 avait<br />
relevé à 20.000 euros HT le seuil de<br />
dispense de procédure des pouvoirs<br />
adjudicateurs (art. 28) et des entités<br />
adjudicatrices (art. 144) soumis au code<br />
des marchés publics.<br />
La mesure avait été chaleureusement<br />
accueillie par de très nombreux professionnels<br />
de la commande publique,<br />
acheteurs comme entreprises.<br />
Un avocat, maître Perez, demanda<br />
néanmoins au Premier ministre l’abrogation<br />
du décret du 19 décembre 2008, en<br />
tant qu’il modifiait l’article 28 du code. Pour<br />
le requérant, le relèvement du seuil à<br />
20.000 euros HT méconnaissait les<br />
principes de la commande publique.<br />
Face à une décision implicite de rejet du<br />
Premier ministre, maître Perez décida de<br />
saisir le Conseil d’État. La Haute juridiction<br />
jugea, le 10 février 2010 11 , qu’« en relevant<br />
de 4.000 à 20.000 euros, de manière<br />
9 Rép. min. à QE n° 66546 de M. Bernard Perrut,<br />
JOAN, 21 mars 2006, p. 3134.<br />
10 Point 9.3. de la circulaire du 3 août 2006 portant<br />
manuel d’application du code des marchés publics,<br />
JORF n° 179 du 4 août 2006, p. 11665.<br />
11 CE, 10 février 2010, Perez, préc.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Commande publique<br />
générale, le montant en deçà duquel tous<br />
les marchés entrant dans le champ de<br />
l’article 28 du code des marchés publics<br />
sont dispensés de toute publicité et mise<br />
en concurrence, le pouvoir réglementaire a<br />
méconnu les principes d’égalité d’accès à<br />
la commande publique, d’égalité de<br />
traitement des candidats et de transparence<br />
des procédure » et annula, à compter du<br />
1 er mai 2010, le décret du 19 décembre<br />
2008, en tant qu’il avait modifié l’article 28<br />
applicable aux pouvoirs adjudicateurs.<br />
Le seuil de 4.000 euros des pouvoirs<br />
adjudicateurs était donc de retour...<br />
2.1.3. Peu de temps après cette décision,<br />
de nombreux parlementaires interrogèrent<br />
le ministre de l’économie, par l’intermédiaire<br />
de courriers, ainsi que de questions orales<br />
et écrites, à propos d’un éventuel nouveau<br />
relèvement du seuil.<br />
Les réponses, prenant acte de la décision<br />
du Conseil d’État, parvenaient à la même<br />
conclusion, « le relèvement n’est pas<br />
envisageable 12 ».<br />
2.2. Les chantiers de simplification du<br />
droit, prémices du relèvement du<br />
seuil<br />
Trois chantiers de simplification du droit furent<br />
simultanément lancés : les « Assises de la<br />
simplification », initiées le 15 décembre 2010<br />
par le Gouvernement, la « Mission parlementaire<br />
Doligé » de simplification des normes<br />
applicables aux collectivités territoriales,<br />
confiée au sénateur Éric Doligé par un décret<br />
du 25 janvier 2011, et la « Mission parlementaire<br />
Warsmann » de simplification du<br />
droit des entreprises, confiée au député Jean-<br />
Luc Warsmann par un décret du même jour.<br />
Durant les phases de concertation propres<br />
à chaque chantier, une demande récurrente<br />
fut formulée par les entreprises et les<br />
acheteurs publics : « relever le seuil de dispense<br />
de procédure ».<br />
2.3. L’émergence du seuil législatif de<br />
dispense de procédure<br />
2.3.1. C’est dans le cadre de la « Mission<br />
Warsmann » que la demande eut le plus<br />
de poids. Dans son rapport intitulé « La<br />
12 Voir par ex. rép. min. à QE n° 93997 de M. Laurent<br />
Hénart, JOAN, 29 mars 2011, p. 3124.<br />
simplification du droit au service de la<br />
croissance et de l’emploi », remis au<br />
Président de la République le 6 juillet 2011 13 ,<br />
M. Warsmann, proposa de relever le seuil,<br />
par voie législative, à 15.000 euros HT 14 .<br />
La réforme fut aussitôt intégrée par le<br />
parlementaire dans le cadre de sa<br />
proposition de loi relative à la simplification<br />
du droit et à l’allègement des démarches<br />
administratives, déposée sur le bureau de<br />
l’Assemblée nationale le 28 juillet 2011.<br />
L’article 88 prévoyait : « [...] Le pouvoir<br />
adjudicateur soumis au code des marchés<br />
publics peut décider de passer un marché<br />
public ou un accord-cadre sans publicité<br />
ni mise en concurrence préalables, au<br />
sens des règles de la commande publique,<br />
si le montant estimé de ce marché ou de<br />
cet accord-cadre est inférieur à 15.000<br />
euros hors taxes.<br />
« Lorsqu’il fait usage de la faculté offerte<br />
par le premier alinéa, le pouvoir adjudicateur<br />
peut s’adresser directement à un seul<br />
prestataire ou en consulter plusieurs selon<br />
des modalités laissées à son appréciation.<br />
Il veille à choisir une offre répondant de<br />
manière pertinente au besoin, à faire une<br />
bonne utilisation des deniers publics et à<br />
ne pas contracter systématiquement avec<br />
un même prestataire lorsqu’il existe une<br />
pluralité d’offres potentielles susceptibles<br />
de répondre au besoin. »<br />
En ne mentionnant que les pouvoirs<br />
adjudicateurs, le législateur n’a donc pas<br />
couvert les entités adjudicatrices, toujours<br />
soumises, en vertu de l’article 144 du code<br />
des marchés publics, au seuil de 20.000<br />
euros HT introduit par le décret du 19<br />
décembre 2008 15 .<br />
2.3.2. Une étude réalisée dans le cadre du<br />
programme SIGMA (OCDE et Union européenne<br />
16 ) démontre que de nombreux États<br />
13 J.-L. Warsmann, « La simplification du droit au<br />
service de la croissance et de l’emploi », Doc.<br />
franç., p. 208-209.<br />
14 Un montant de 20.000 euros aurait sans doute<br />
été mal perçu par le Conseil d’État...<br />
15 La décision Perez avait annulé le décret<br />
uniquement en tant qu’il avait modifié l’article 28 du<br />
code des marchés publics.<br />
16 Public procurement in the EU Member States - The<br />
regulation of contract below the EU thresholds,<br />
SIGMA-OECD (Sigma papers n° 45), 27 mai 2010.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 43
Les seuils<br />
français se<br />
situent dans la<br />
moyenne<br />
européenne<br />
44<br />
membres de l’Union européenne pratiquent<br />
des seuils en deçà desquels l’achat direct<br />
est autorisé.<br />
Les seuils français de 15.000 euros, pour les<br />
pouvoirs adjudicateurs, et 20.000 euros, pour<br />
les entités adjudicatrices, se situent dans la<br />
moyenne européenne.<br />
Pays Seuil de dispense (Tr,<br />
FS 17 ) des PA et EA 18<br />
Autriche 40.000 euros (PA)<br />
60.000 euros (EA)<br />
Bulgarie 22.000 euros (Tr)<br />
7.500 euros (FS)<br />
Chypre 1.700 euros<br />
Finlande 15.000 euros (FS)<br />
100.000 euros (Tr)<br />
Hongrie 26.700 euros (FS PA)<br />
50.000 euros (Tr PA)<br />
166.700 euros (FS EA)<br />
330.300 euros (Tr EA)<br />
Italie 20.000 euros (FS)<br />
40.000 euros (Tr)<br />
Lettonie 4.200 euros (FS)<br />
14.000 euros (Tr)<br />
Lituanie 3.000 euros<br />
Luxembourg 55.000 euros<br />
Pologne 14.000 euros<br />
Roumanie 15.000 euros<br />
République 30.000 euros (FS)<br />
slovaque 120.000 euros (Tr)<br />
Royaume- Pas de disposition sous<br />
Uni les seuils européens<br />
Slovénie 10.000 euros (FS)<br />
20.000 euros (Tr)<br />
Suède Seuil fixé à la discrétion<br />
des acheteurs publics<br />
Pour ses propres marchés, la Commission<br />
européenne, applique un seuil de 10.000<br />
euros 19 .<br />
17 Tr : travaux ; FS : fournitures et services.<br />
18 PA : pouvoirs adjudicateurs ; EA : entités<br />
adjudicatrices.<br />
19 Articles 241, 243 et 245 du règlement (CE)<br />
n° 2342/2002 de la Commission du 23 décembre<br />
2002 établissant les modalités d’exécution du<br />
règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil<br />
portant règlement financier applicable au budget<br />
général des Communautés européennes.<br />
Commande publique<br />
2.3.3. En application de l’article 39, alinéa<br />
5 de la Constitution, la proposition de loi fut<br />
soumise, pour avis, au Conseil d’État.<br />
Le 19 septembre 2011, l’Assemblée générale<br />
du Conseil d’État, donna un avis favorable 20<br />
au dispositif législatif : « en fixant [...] à<br />
15.000 euros hors taxes le seuil d’exemption<br />
de formalités [...], les dispositions<br />
proposées, compte tenu des modalités de<br />
prise de décision en dessous de ce seuil<br />
qu’elles entendent établir par le deuxième<br />
alinéa de cet article et de la taille des<br />
marchés en cause, n’apparaissent pas, de<br />
l’avis du Conseil d’État, contraires aux<br />
principes de liberté d’accès à la commande<br />
publique, d’égalité de traitement des<br />
candidats et de transparence des procédures<br />
tels que, notamment, la décision du Conseil<br />
constitutionnel n° 2003-473 DC du 26 juin<br />
2003 les a précisés et la décision du Conseil<br />
d’État [...] Perez, les a rappelés, sous la<br />
réserve, cependant, de rédiger ce deuxième<br />
alinéa de la manière suivante : Lorsqu’il fait<br />
usage de la faculté offerte par le premier<br />
alinéa, il veille à choisir une offre répondant<br />
de manière pertinente au besoin, à faire une<br />
bonne utilisation des deniers publics et à<br />
ne pas contracter systématiquement avec<br />
un même prestataire lorsqu’il existe une<br />
pluralité d’offres potentielles susceptibles de<br />
répondre au besoin ».<br />
2.3.4. L’Assemblée générale du Conseil<br />
d’État mit en garde le Parlement : « Le Conseil<br />
d’État attire toutefois l’attention du Parlement<br />
sur les problèmes de cohérence dans la<br />
hiérarchie des normes que pourra faire<br />
apparaître la coexistence du seuil qui serait<br />
ainsi créé par le législateur et des autres<br />
seuils édictés par le pouvoir réglementaire pour<br />
définir les différentes procédures formalisées<br />
ou adaptées applicables aux marchés<br />
publics, dont l’un est inférieur à ce nouveau<br />
seuil et les autres lui sont supérieurs ».<br />
Cette mise en garde était destinée à appeler<br />
l’attention du parlementaire sur la problématique<br />
de l’intervention du législateur dans<br />
un domaine pour lequel le pouvoir réglementaire<br />
est compétent, en ce qui concerne les<br />
collectivités territoriales, sur la base d’une<br />
habilitation législative issue d’un décret-loi<br />
de 1938.<br />
20 Avis CE, 19 septembre 2011, rapport de M. Etienne<br />
Blanc fait au nom de la commission des lois de<br />
l’Assemblée nationale sur la proposition de loi<br />
relative à la simplification du droit et à l’allègement<br />
des démarches administratives, p. 422.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
« Je ne vous<br />
propose<br />
nullement de<br />
revenir sur<br />
l’habilitation dont<br />
bénéficie le<br />
pouvoir<br />
réglementaire »<br />
Commande publique<br />
Durant la séance publique du 12 octobre<br />
2011 21 , M. Warsmann expliqua sa démarche<br />
: « Le code des marchés publics est,<br />
comme chacun le sait, issu d’un décret. Or,<br />
nous constatons un blocage. Le pouvoir<br />
réglementaire s’est en effet trouvé confronté<br />
à la jurisprudence du Conseil d’État, qui,<br />
en 2010, dans l’arrêt Perez, a jugé que le<br />
Gouvernement ne pouvait, par son pouvoir<br />
réglementaire, fixer à 20.000 euros le seuil<br />
au-delà duquel les marchés publics doivent<br />
faire l’objet d’une procédure de publicité et<br />
de mise en concurrence préalable. »<br />
Le député d’opposition Alain Vidalies<br />
commenta : « Nous avons bien compris<br />
quelle était la nature de la démarche. En<br />
effet, pourquoi sommes-nous saisis ?<br />
Puisque le Conseil d’État, juge du pouvoir<br />
réglementaire, a annulé le nouveau seuil fixé<br />
réglementairement par le Gouvernement, il<br />
suffit de sortir du champ réglementaire et<br />
de passer dans le champ législatif pour se<br />
débarrasser du contrôle du Conseil d’État...<br />
La démarche, si elle n’est pas vraiment<br />
nouvelle, est tout de même singulière. »<br />
En introduisant le dispositif dans sa<br />
proposition de loi, M. Warsmann souhaitait<br />
que le Conseil constitutionnel se prononce<br />
sur la compatibilité entre l’existence d’un<br />
seuil de dispense de procédure et les<br />
principes de la commande publique qu’il<br />
avait érigés au rang de principes constitutionnels.<br />
Mais le Conseil constitutionnel<br />
n’eut pas à connaître de la question car le<br />
moyen ne fut pas soulevé lors du recours<br />
qui suivit l’adoption du texte.<br />
Enfin, au cours de la même séance publique,<br />
M. Warsmann affirma solennellement : « Je<br />
voudrais préciser un point extrêmement<br />
important. Par cette intervention du<br />
législateur, je ne vous propose nullement de<br />
revenir sur l’habilitation dont bénéficie le<br />
pouvoir réglementaire [...] Je vous propose<br />
d’intervenir, ici, au nom d’un pouvoir que l’on<br />
peut qualifier de pouvoir d’évocation, au sens<br />
traditionnel de cette notion, c’est-à-dire une<br />
intervention ponctuelle permettant de<br />
surmonter une difficulté précise et dont l’objet<br />
n’est pas de remettre en cause, même<br />
implicitement, le régime juridique du code<br />
des marchés publics et son équilibre. »<br />
L’article 88 fut adopté par les députés.<br />
21 Voir le compte rendu intégral de la deuxième<br />
séance du mercredi 12 octobre 2011, dossier<br />
législatif en ligne sur le site de l’Assemblée nationale.<br />
2.4. La mise en œuvre anticipée de la<br />
réforme par le pouvoir réglementaire<br />
Pour tenir compte de la réserve exprimée<br />
par le Conseil d’État, le Gouvernement<br />
décida, dès le 20 octobre 2011, d’intégrer<br />
la réforme dans le code des marchés<br />
publics 22 aux articles 28 et 203.<br />
Le même dispositif, cette fois réglementaire,<br />
franchit à nouveau les grilles du<br />
Palais-Royal, afin d’être examiné par la<br />
section de l’administration du Conseil<br />
d’État, le 15 novembre 2011. Il reçut, pour<br />
la seconde fois, un avis favorable.<br />
Pour des raisons de cohérence, le décret n°<br />
2011-1853 du 9 décembre 2011 procéda à<br />
l’alignement, sur le seuil de dispense de<br />
procédure fixé à 15.000 euros, du seuil<br />
à partir duquel les marchés et accordscadres<br />
doivent être passés sous forme écrite<br />
(art. 11) et notifiés avant tout commencement<br />
d’exécution (art. 81 et 254). Suivant<br />
la même logique, les dispositions relatives<br />
aux obligations en matière de publicité<br />
préalable furent mises en cohérence avec le<br />
nouveau seuil (art. 40 et 212).<br />
En revanche, à l’instar du législateur, le<br />
pouvoir réglementaire ne modifia pas le<br />
régime des entités adjudicatrices.<br />
Ces dernières continuent donc à appliquer<br />
un seuil de dispense de procédure fixé à<br />
20.000 euros HT. Ce même montant est<br />
applicable pour la forme écrite du contrat,<br />
sa notification et la publicité préalable<br />
obligatoire.<br />
2.5. Le maintien du relèvement législatif<br />
2.5.1. Le décret du 9 décembre 2011, publié<br />
au Journal officiel du 11 décembre, entra<br />
en vigueur le lendemain de sa publication,<br />
soit le 12 décembre.<br />
La question du maintien du dispositif<br />
législatif, adopté par l’Assemblée nationale<br />
le 12 octobre 2011, en première lecture, fut<br />
posée, notamment durant les travaux de la<br />
commission des lois du Sénat 23 .<br />
22 Discours du Premier ministre, congrès de l’Union<br />
Professionnelle Artisanale (UPA), 20 octobre 2011.<br />
23 Rapport du 21 décembre 2011 de M. Jean-Pierre<br />
Michel fait au nom de la commission des lois<br />
constitutionnelles, de législation, du suffrage<br />
universel, du règlement et d’administration générale,<br />
p. 20, 33 et 51.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 45
« La DAJ n’a<br />
absolument pas<br />
voulu recréer des<br />
obligations et des<br />
exigences sur les<br />
acteurs,<br />
compliquer la vie<br />
des élus »<br />
46<br />
Mais, durant la séance publique du 10 janvier<br />
2012, la Haute assemblée adopta une motion<br />
opposant une question préalable à la<br />
délibération de la proposition de loi, entraînant<br />
le rejet du texte et son renvoi en commission<br />
mixte paritaire.<br />
Cette commission n’ayant pu trouver un<br />
accord, le texte fut renvoyé à l’Assemblée<br />
nationale pour une nouvelle lecture.<br />
2.5.2. S’appuyant sur la recommandation de<br />
l’Assemblée générale du Conseil d’État et<br />
la publication du décret du 9 décembre 2011,<br />
le Gouvernement décida de déposer un<br />
amendement de suppression de l’article 88<br />
précisant que la coexistence de deux<br />
dispositions identiques, l’une législative,<br />
l’autre réglementaire, serait « contraire<br />
à l’esprit de simplification de cette proposition<br />
de loi car elle multiplie les sources<br />
d’un droit pourtant centralisé dans un seul<br />
et même code depuis de très nombreuses<br />
années 24 ».<br />
Cependant, durant la séance publique du<br />
31 janvier 2012, M. Warsmann, fit état d’une<br />
fiche explicative de la direction des affaires<br />
juridiques des ministères économiques et<br />
financiers 25 , reprenant les conseils de<br />
transparence et traçabilité du Guide des<br />
bonnes pratiques 26 , déclara 27 :<br />
« Elle demande à l’acheteur public, en<br />
dessous du seuil de 15.000 euros, d’être en<br />
mesure d’assurer en toute transparence la<br />
traçabilité des procédures, notamment en<br />
produisant les devis sollicités, les référentiels<br />
de prix, les guides d’achat utilisés,<br />
et elle conseille d’établir une note de<br />
traçabilité de l’achat. Mes chers collègues,<br />
ce n’est absolument pas ce que souhaite le<br />
législateur ! »<br />
Le secrétaire d’État, Frédéric Lefebvre,<br />
présent au banc des ministres, tenta<br />
d’expliquer l’objectif de la fiche : « La DAJ<br />
24 Art. 88, amdnt n° 73, dossier législatif en ligne sur<br />
le site de l’Assemblée nationale.<br />
25 Fiche accompagnant le décret du 9 décembre<br />
2011 sur le site internet du ministère de l’économie.<br />
26 Circulaire du 29 décembre 2009, relative au Guide<br />
de bonnes pratiques en matière de marchés publics,<br />
JORF n° 0303 du 31 décembre 2009, p. 23171.<br />
27 Compte rendu intégral de la troisième séance du<br />
mardi 31 janvier 2012, dossier législatif en ligne sur<br />
le site de l’Assemblée nationale.<br />
Commande publique<br />
n’a absolument pas voulu recréer des<br />
obligations et des exigences sur les<br />
acteurs, compliquer la vie des élus. [...] En<br />
l’occurrence, ce ne sont pas des exigences<br />
ni des demandes qui ont été publiées, mais<br />
des conseils. Certes, je reconnais bien<br />
volontiers que certains de ces conseils<br />
réintroduisent une forme de complexité.<br />
Mais chacun doit être conscient que ce sont<br />
les mêmes obligations qui pesaient et<br />
pèseront toujours sur le seuil, quand il était<br />
de 4.000 euros. »<br />
Malgré l’entrée en vigueur du décret,<br />
intervenue près de deux mois auparavant,<br />
ainsi que la recommandation du Conseil<br />
d’État, les députés rejetèrent l’amendement<br />
de suppression de l’article 88.<br />
Après un nouveau rejet de la proposition de<br />
loi par le Sénat, l’article 88 fut définitivement<br />
adopté lors d’une ultime lecture par<br />
l’Assemblée nationale le 29 février 2012.<br />
3. La mise en œuvre des règles<br />
de bonne gestion induites par<br />
la réforme<br />
Si les coulisses de la réforme peuvent avoir<br />
un intérêt pour les historiens du droit, elles<br />
n’ont, en revanche, pas de caractère<br />
opérationnel pour les praticiens. Certains<br />
ont pu légitimement se demander ce qui<br />
se cachait réellement derrière ce nouvel<br />
encadrement. Voici quelques pistes<br />
d’explication...<br />
3.1. Les trois règles de bonne gestion<br />
permettant le respect des principes<br />
de la commande publique<br />
3.1.1. Le législateur, suivi par le pouvoir<br />
réglementaire, a relevé le seuil de dispense<br />
de procédure des pouvoirs adjudicateurs à<br />
15.000 euros HT.<br />
Cependant, il l’a également encadré par trois<br />
« règles de bonne gestion », permettant de<br />
garantir le respect des principes<br />
fondamentaux de la commande publique.<br />
La loi et le décret disposent, exactement<br />
dans les mêmes termes, que lorsque le<br />
montant estimé du marché est inférieur à<br />
15.000 euros HT et que l’acheteur décide<br />
que le marché sera passé sans publicité ni<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Les trois règles<br />
de bonne gestion<br />
sont simplement<br />
l’expression du<br />
bon sens<br />
Éviter de fixer<br />
des règles<br />
internes trop<br />
rigides<br />
Commande publique<br />
mise en concurrence préalables, il doit<br />
veiller à :<br />
• choisir une offre répondant de manière<br />
pertinente au besoin,<br />
• respecter le principe de bonne utilisation<br />
des deniers publics,<br />
• ne pas contracter systématiquement<br />
avec un même prestataire lorsqu’il<br />
existe une pluralité d’offres potentielles<br />
susceptibles de répondre au besoin.<br />
L’avis du Conseil d’État 28 est clair : « compte<br />
tenu des modalités de prise de décision en<br />
dessous de ce seuil qu’elles entendent<br />
établir par le deuxième alinéa de cet article<br />
et de la taille des marchés en cause, [ces<br />
dispositions] n’apparaissent pas, de l’avis<br />
du Conseil d’État, contraires aux principes<br />
de liberté d’accès à la commande publique,<br />
d’égalité de traitement des candidats et de<br />
transparence des procédures ».<br />
Sans ces « modalités de décision » que<br />
constituent les trois règles de bonne gestion,<br />
le Conseil d’État n’aurait probablement pas<br />
donné un avis favorable à la réforme...<br />
Le nouveau dispositif est donc le fruit d’un<br />
compromis : accord pour un relèvement à<br />
15.000 euros, à condition d’introduire explicitement<br />
des règles particulières.<br />
3.1.2. En réalité, ces trois règles existaient<br />
déjà implicitement avant la réforme. Elles<br />
sont simplement l’expression du bon sens.<br />
Si ces petits marchés sont exonérés de<br />
formalités préalables (publicité, mise en<br />
concurrence stricte, délais à respecter,<br />
etc.), ils n’en restent pas moins soumis aux<br />
principes de la commande publique (voir<br />
point 2.1.1.). L’acheteur public devait déjà,<br />
sous l’empire du seuil de 4.000 euros, se<br />
comporter en gestionnaire avisé et<br />
respectueux des deniers publics.<br />
Pour le parlementaire à l’origine de la<br />
réforme : « ce que nous avons voulu, avec<br />
cet article 88, c’est qu’en dessous du seuil<br />
de 15.000 euros, l’acheteur public procède<br />
à son achat en bon père de famille, comme<br />
le fait un citoyen normalement éclairé 29 ».<br />
28 Avis CE, 19 septembre 2011, préc.<br />
29 Compte rendu intégral de la troisième séance du<br />
mardi 31 janv.ier 2012, préc.<br />
Un autre parlementaire d’ajouter : « Il faut,<br />
je crois, laisser une vraie liberté d’action -<br />
certes encadrée - aux communes, les plus<br />
petites des collectivités, qui sont le terreau<br />
de la démocratie. Il faut arrêter de leur casser<br />
les pieds, je le dis assez simplement, par<br />
des procédures trop lourdes. »<br />
Mais qu’est-ce qu’un bon père de famille ?<br />
Il s’agit d’un gestionnaire avisé qui ne<br />
dépense pas les deniers familiaux sans se<br />
renseigner sur les prix et les garanties, en<br />
les comparant par tout moyen.<br />
Cette définition est d’autant plus importante<br />
lorsqu’elle est rattachée aux notions<br />
d’acheteur public, de deniers publics et<br />
d’intérêt général.<br />
3.2. La mise en œuvre des trois règles<br />
de bonne gestion<br />
Avant toute chose, l’acheteur public doit<br />
prendre en compte les règles relatives à la<br />
computation des seuils (art. 27 du code).<br />
La détermination de la valeur estimée des<br />
besoins au regard des notions d’opération<br />
et de prestations homogènes doit faire<br />
l’objet d’une attention particulière.<br />
L’acheteur ne doit pas découper son besoin<br />
dans le but de pouvoir bénéficier<br />
artificiellement de la dispense de<br />
procédure 30 . Plus trivialement, il ne doit pas<br />
« saucissonner ».<br />
Une fois cette problématique prise en<br />
compte, les trois règles doivent guider<br />
l’acheteur dans son achat.<br />
3.2.1. Le choix d’une offre répondant de<br />
manière pertinente au besoin<br />
Les achats sous le seuil de dispense de<br />
procédure sont soumis aux obligations<br />
relatives à la définition préalable des<br />
besoins 31 (art. 5 du CMP). Un « bon père<br />
de famille » agit de la même manière pour<br />
les achats de son foyer.<br />
30 Circulaire du 14 février 2012 relative au Guide<br />
de bonnes pratiques en matière de marchés<br />
publics, point 8 « Comment savoir si on dépasse<br />
un seuil ? », JORF n° 0039 du 15 février 2012,<br />
p. 2600.<br />
31 Circulaire du 14 février 2012, préc., point 4 « Comment<br />
l’acheteur doit-il déterminer ses besoins ? ».<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 47
L’acheteur public<br />
gère des deniers<br />
publics et doit<br />
donc être vigilant<br />
quant à leur<br />
utilisation<br />
48<br />
L’acheteur public déterminera donc avec<br />
précision la nature et l’étendue des besoins<br />
à satisfaire.<br />
Première règle de bon sens : l’offre choisie<br />
sera celle qui aura pour objet principal de<br />
répondre aux besoins exprimés. En d’autres<br />
termes, l’acheteur évitera d’opter pour des<br />
prestations superflues qui auront pour effet<br />
de peser sur le coût final.<br />
3.2.2. La bonne utilisation des deniers<br />
publics<br />
L’acheteur public gère des deniers publics<br />
et doit donc être vigilant quant à leur<br />
utilisation. Il choisira une offre financièrement<br />
raisonnable et cohérente avec la nature de<br />
la prestation. Il s’agit de la deuxième règle<br />
de bon sens...<br />
S’il possède une connaissance suffisante du<br />
secteur économique (ex : questions préalables<br />
à l’achat bien maîtrisées, connaissance<br />
des prix, du tissu économique, du<br />
degré de concurrence dans le secteur, etc.),<br />
il pourra directement effectuer son achat<br />
sans formalités préalables.<br />
En revanche, si l’acheteur public ne possède<br />
pas de connaissances particulières sur<br />
l’achat qu’il veut faire, il achètera après avoir<br />
effectué quelques comparaisons (ex : consultation<br />
de comparateurs de prix sur internet,<br />
examen de catalogues ou prospection dans<br />
des magasins ; comparaison des délais<br />
d’exécution ou des garanties proposées).<br />
Pour les prestations les plus techniques, il<br />
pourra éventuellement solliciter des devis par<br />
courriel, fax ou courrier auprès de professionnels.<br />
Exactement comme l’aurait fait un « bon<br />
père de famille ».<br />
Mais, la confection de devis ayant un coût<br />
pour les entreprises, il convient de ne pas<br />
les solliciter inutilement.<br />
Enfin, l’acheteur évitera de fixer des règles<br />
internes trop rigides, comme « trois devis<br />
obligatoires avant tout achat ».<br />
Si une seule entreprise envoie un devis,<br />
l’acheteur pourra, évidemment, contracter<br />
avec cet opérateur, dès lors que, compte<br />
tenu de l’objet de l’achat et de ses<br />
caractéristiques, le prix proposé lui semble<br />
Commande publique<br />
être raisonnable. Il conservera, néanmoins,<br />
la trace de la sollicitation des entreprises<br />
n’ayant pas répondu.<br />
3.2.3. Ne pas contracter systématiquement<br />
avec un même prestataire<br />
lorsqu’il existe une pluralité<br />
d’offres potentielles susceptibles<br />
de répondre au besoin<br />
Selon le dictionnaire Larousse, le mot<br />
systématique signifie : « Qui est fait avec<br />
méthode, procède d’un ordre déterminé à<br />
l’avance » ; « Qui pense et agit selon un<br />
système, d’une manière absolue, sans<br />
jamais se démentir » ; « Qui se fait de<br />
manière invariable ».<br />
La troisième règle invite donc l’acheteur<br />
public à ne pas tomber dans la routine. Il<br />
pourra effectuer une veille économique<br />
épisodique, en suivant sa doctrine interne,<br />
afin de ne pas contracter « systématiquement<br />
» avec le même opérateur lorsque,<br />
potentiellement, d’autres entreprises<br />
peuvent réaliser la prestation.<br />
Pour ce faire, l’acheteur pourra se poser<br />
plusieurs questions : de nouveaux opérateurs<br />
se sont-ils récemment implantés ? Le<br />
prestataire avec lequel nous avons contracté<br />
est-il toujours le plus compétitif ? Dois-je<br />
éventuellement solliciter de nouveaux devis ?<br />
Libre à chaque institution de fixer sa propre<br />
politique.<br />
3.3. La traçabilité de l’achat<br />
Les petits marchés ne sont pas à l’abri de<br />
tout contentieux de la part des entreprises<br />
concurrentes. Afin de pouvoir démontrer au<br />
juge que l’achat n’a pas été réalisé en<br />
méconnaissance des principes de la<br />
commande publique, il est conseillé de<br />
conserver une trace des éléments ayant<br />
motivé l’achat.<br />
Cette trace doit être, bien entendu,<br />
proportionnée à l’achat effectué et au secteur<br />
considéré. Il ne faut pas tomber dans les<br />
travers d’un formalisme technocratique<br />
excessif. Encore une fois, le bon sens prime.<br />
Il peut s’agir, par exemple, de conserver les<br />
résultats des comparaisons de prix et conditions<br />
d’exécution ou des devis éventuellement<br />
sollicités.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
« On peut douter<br />
qu’un marché de<br />
20.000 euros HT<br />
présente un<br />
intérêt<br />
transfrontalier<br />
certain »<br />
Commande publique<br />
Ces éléments peuvent, si l’acheteur public<br />
en décide ainsi, être accompagnés de<br />
quelques lignes explicatives, notamment<br />
pour les achats les plus complexes, les plus<br />
techniques.<br />
Chaque pouvoir adjudicateur reste libre<br />
d’adopter ou non des règles internes.<br />
Apporter la preuve de leur respect pourrait<br />
néanmoins s’avérer utile en cas d’investigations<br />
pour délit de favoritisme...<br />
Au final, même si ce triple encadrement,<br />
introduit par le législateur, ne signifie pas<br />
« mise en concurrence » au sens le plus<br />
strict du code des marchés publics, il incite<br />
les acheteurs à être vigilants lors de leurs<br />
achats.<br />
On peut alors parler de méthodes de « benchmarking<br />
32 » et de « sourcing 33 » appliquées à<br />
l’achat public. Après tout, pourquoi ces<br />
techniques, utilisées par les entreprises<br />
privées ou dans les foyers dotés d’un « bon<br />
père de famille », ne seraient-elles pas<br />
appliquées quand il s’agit de l’argent du<br />
contribuable ?<br />
3.4. Les petits marchés et l’intérêt<br />
transfrontalier<br />
La question de la compatibilité avec le droit<br />
de l’Union européenne, particulièrement<br />
avec la notion d’intérêt transfrontalier 34 , peut<br />
se poser.<br />
Comme l’a admis le rapporteur public<br />
Nicolas Boulouis dans ses conclusions 35<br />
sous l’affaire Perez, « on peut douter qu’un<br />
marché de 20.000 euros HT présente un<br />
intérêt transfrontalier certain, pour reprendre<br />
l’expression de la CJCE, et entre donc dans<br />
le versant communautaire des principes de<br />
la commande publique ».<br />
Une telle affirmation est, a priori, également<br />
valable pour les marchés de moins de<br />
15.000 euros HT.<br />
32 Comparaison des méthodes utilisées par d’autres<br />
organisations.<br />
33 Recherche et localisation du fournisseur qui<br />
répondra le mieux au besoin.<br />
34 Voir fiche « L’intérêt transfrontalier certain »,<br />
mise en ligne sur le site de la DAJ.<br />
35 RJEP, n° 675, 1 er mai 2010, comm. 23, p. 15.<br />
Selon la jurisprudence de la Cour de justice<br />
de l’Union européenne (CJUE), les marchés<br />
présentant un enjeu économique très réduit<br />
ne présentent pas un intérêt transfrontalier.<br />
Elle a jugé, dans la décision Telaustria 36 ,<br />
que la passation des marchés publics<br />
exclus du champ d’application des<br />
directives marchés est soumise au respect<br />
des règles fondamentales du traité en<br />
général et du principe de non-discrimination<br />
en raison de la nationalité en particulier. Ce<br />
principe implique, notamment, une obligation<br />
de transparence. Une telle obligation<br />
consiste à garantir, en faveur de tout<br />
soumissionnaire potentiel, un degré de<br />
publicité adéquat 37 permettant une ouverture<br />
du marché des services à la concurrence,<br />
ainsi que le contrôle de l’impartialité des<br />
procédures.<br />
Cependant, la Cour a admis, dans l’arrêt<br />
Coname 38 : « qu’en raison de circonstances<br />
particulières, telles qu’un enjeu économique<br />
très réduit, il pourrait raisonnablement être<br />
soutenu qu’une entreprise située dans un<br />
autre État membre ne serait pas intéressée<br />
par la conclusion d’un contrat et que les<br />
effets sur les règles fondamentales du traité<br />
devraient donc être considérés comme<br />
étant trop aléatoires et trop indirects pour<br />
pouvoir conclure à une éventuelle violation<br />
de celles-ci ».<br />
Dans ses conclusions sous l’affaire<br />
Coname, l’avocate générale Christine Stix-<br />
Hackl, souligne que « certains marchés<br />
concernent davantage le marché intérieur<br />
que d’autres, qui présentent un intérêt pour<br />
un groupe d’opérateurs économiques plus<br />
large, y compris pour des entreprises<br />
d’autres États membres ».<br />
Dans une décision plus récente 39 , la CJUE<br />
a jugé qu’il « est toutefois loisible qu’une<br />
36 CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria et<br />
Telefonadress, C-324/98.<br />
37 L’avocat général Nial Fennelly précise, au point 43<br />
de ses conclusions, « la publicité ne doit pas nécessairement<br />
être assimilée à la publication. Ainsi, si<br />
l’entité adjudicatrice s’adresse directement à un<br />
certain nombre de soumissionnaires potentiels et<br />
à supposer que ceux-ci ne soient pas tous ou<br />
presque tous des entreprises ayant la même<br />
nationalité que l’entité adjudicatrice, nous estimons<br />
que l’exigence de transparence serait respectée ».<br />
38 CJCE, 21 juillet 2005, Coname, C-231/03.<br />
39 CJCE, 15 mai 2008, SECAP SpA, C-147/06.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 49
50<br />
réglementation établisse, au niveau national<br />
ou local, des critères objectifs indiquant<br />
l’existence d’un intérêt transfrontalier<br />
certain. De tels critères pourraient être,<br />
notamment, le montant d’une certaine<br />
importance du marché en cause, en<br />
combinaison avec le lieu d’exécution des<br />
travaux. Il serait également possible<br />
d’exclure l’existence d’un tel intérêt dans le<br />
cas, par exemple, d’un enjeu économique<br />
très réduit du marché en cause. »<br />
La Cour ajoute « toutefois, il est nécessaire<br />
de tenir compte du fait que, dans certains<br />
cas, les frontières traversent des agglomérations<br />
qui sont situées sur le territoire<br />
d’États membres différents et que, dans de<br />
telles circonstances, même des marchés<br />
de faible valeur peuvent présenter un intérêt<br />
transfrontalier certain ». En l’espèce, le<br />
montant du marché en cause était inférieur<br />
au seuil communautaire mais proche de<br />
celui-ci (4.699.999 euros).<br />
Il est fort probable qu’un tel raisonnement<br />
ne s’appliquerait pas pour des marchés d’un<br />
montant aussi faible que 15.000 ou 20.000<br />
euros, sans incidence sur le marché intérieur.<br />
3.5. Et les entités adjudicatrices ?<br />
Les entités adjudicatrices soumises à la<br />
deuxième partie du code des marchés publics<br />
continuent à appliquer un seuil de dispense<br />
de procédure fixé à 20.000 euros HT.<br />
Si les trois règles de bonne gestion n’ont<br />
pas été étendues expressément aux entités<br />
adjudicatrices, leurs petits achats doivent<br />
respecter les principes fondamentaux de la<br />
commande publique. Il leur est donc<br />
vivement conseillé d’appliquer les<br />
recommandations mentionnées plus haut.<br />
*<br />
* *<br />
Les seuils de procédures formalisées<br />
continueront à évoluer tous les deux ans, à<br />
la hausse ou à la baisse, au gré de<br />
l’évolution des DTS. Les acheteurs publics<br />
sont donc invités à scruter avec soin le<br />
Journal officiel du mois de décembre 2013.<br />
En revanche, il semble que le seuil de<br />
dispense de procédure des pouvoirs<br />
Commande publique<br />
adjudicateurs soit figé pour un certain temps,<br />
puisque seul un texte de niveau législatif<br />
peut désormais le modifier. La commande<br />
publique étant un sujet éminemment<br />
politique, peut-être assisterons-nous à des<br />
initiatives en vue de l’augmentation de son<br />
montant. Mais serait-il raisonnable<br />
d’effectuer une telle démarche, alors qu’un<br />
compromis équilibré satisfaisant les<br />
instances consultatives les plus<br />
prestigieuses de France, les pouvoirs<br />
législatif et réglementaire, ainsi que les<br />
acteurs de la commande publique, vient tout<br />
juste d’être trouvé ?<br />
Michel Dupont (Direction des affaires<br />
juridiques)<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Commande publique<br />
Des sociétés d’économie mixte locales aux sociétés<br />
publiques locales<br />
Par Urbain Ngampio-Obélé-Bélé<br />
Après les sociétés d’économie mixte locales, les sociétés publiques locales<br />
d’aménagement 1 , voilà maintenant les sociétés publiques locales. Bientôt, nous<br />
allons encore assister à la création de nouvelles sociétés locales pour gérer des<br />
services publics locaux. La pause ne sera peut-être que de courte durée. La tendance<br />
est à la multiplication des instruments juridiques permettant aux collectivités<br />
territoriales d’exercer leurs compétences avec plus d’efficacité et de rapidité dans<br />
la gestion des services publics locaux. En effet, depuis les lois de décentralisation<br />
et la loi du 7 juillet 1983 relative aux sociétés d’économie mixte locales, les<br />
entreprises publiques locales apparaissent comme des instruments efficaces de<br />
gestion des services publics 2 .<br />
Cet article a été publié dans le numéro de mars 2012 de la revue Gestion et finances publiques.<br />
La question que l’on peut se poser ici est<br />
surtout celle de savoir si la création des SPL<br />
était vraiment nécessaire. En d’autres termes,<br />
quelles sont les raisons qui expliquent<br />
l’adoption d’une loi instituant la SPL. Les<br />
sociétés d’économie mixte locales ont-elles<br />
montré leurs limites ? Rien n’est moins sûr. Il<br />
est vrai que « les sociétés d’économie mixte<br />
sont une inépuisable source de problèmes<br />
juridiques 3 ». La création des sociétés publiques<br />
locales était attendue tant par les élus<br />
que par les collectivités territoriales. Cette<br />
création marque-t-elle la fin des sociétés<br />
d’économie mixte locales ? Il est encore trop<br />
tôt pour en tirer de réelles conséquences. Il<br />
est vrai que la création des sociétés publiques<br />
locales risque de compromettre à l’avenir<br />
l’existence des sociétés d’économie mixte<br />
locales, dès lors que les collectivités<br />
territoriales décideront de recourir à ces<br />
nouvelles sociétés pour gérer un certain<br />
nombre de services publics locaux.<br />
La loi du 28 mai 2010 pour le développement<br />
des sociétés publiques locales vise à offrir<br />
aux collectivités territoriales un nouvel outil<br />
d’intervention conforme au droit de l’Union<br />
européenne 4 . Cette loi, il convient de le sou-<br />
1 J-M. Pontier, « Les sociétés publiques locales<br />
d’aménagement », R.A, n° 353, 2006, p. 533 ;<br />
M. Peltier, « La société publique locale d’aménagement<br />
», AJDA, 2006, p. 2371.<br />
2 A. Poli et G. Terrien, « Entreprises publiques<br />
locales et gestion des services publics locaux »,<br />
BJCL, n° 10/09, p. 664.<br />
3 J-B. Auby, « Les SEM, inépuisable objet juridique<br />
», DA, Repère, 2008, p. 1.<br />
4 C. Bergeal, « Utilisez la société publique locale,<br />
mais respectez le mode d’emploi », AJDA 2010,<br />
p. 1228.<br />
ligner, a été adoptée presque dans les<br />
mêmes conditions que la loi du 7 juillet 1983<br />
relative aux sociétés d’économie mixte<br />
locales, c’est-à-dire, à l’unanimité par les<br />
deux assem-blées 5 . Jusqu’à la création des<br />
sociétés publiques locales, les sociétés<br />
d’économie mixtes locales ont toujours été<br />
considérées comme étant des outils<br />
permettant aux collectivités territoriales de<br />
gérer de nombreux services publics locaux.<br />
En effet, « elles interviennent dans de<br />
multiples secteurs, notamment l’aménagement,<br />
la construction et la gestion de<br />
logements, les transports publics y compris<br />
les remontées mécaniques, les parcs de<br />
stationnement, la production et la<br />
distribution d’eau, etc. 6 ». La création des<br />
sociétés publiques locales répond non<br />
seulement aux attentes des collectivités<br />
territoriales mais également, elle a pour<br />
objectif d’offrir à celles-ci « un instrument<br />
leur permettant d’exercer leurs compétences<br />
«avec plus d’efficacité et de rapidité»,<br />
grâce à la souplesse dans la gestion<br />
inhérente au statut de société, mais aussi<br />
et surtout grâce à l’exemption de mise en<br />
concurrence dont bénéficient les structures<br />
intégrées 7 ». Les collectivités territoriales<br />
qui s’administrent librement ont le choix<br />
entre différentes formes de gestion de leurs<br />
5 J-F. Bizet, « Les SEM et la nouvelle conception de<br />
l’aménagement », AJDA 1993, p. 595.<br />
6 G. Miller et A. Leyat, « Les chambres régionales<br />
des comptes et le contrôle des sociétés d’économie<br />
mixte locales », AJDA 2009, p. 1701.<br />
7 F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « Les sociétés<br />
publiques locales ou la naissance du in house à<br />
la française », Contrats et marchés publics, juillet<br />
2010, Repère, p. 7.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 51
52<br />
services publics locaux 8 . Il est vrai qu’elles<br />
disposent désormais d’un panel d’instruments<br />
indispensables pour gérer des<br />
services publics locaux.<br />
Il ne fait aucun doute que, ces créations sont<br />
justifiées par la nécessité de mettre le droit<br />
interne français en conformité avec les règles<br />
de la commande publique qui sont issues<br />
pour la plupart du droit communautaire même<br />
si certains auteurs soulignent justement que<br />
« les sociétés publiques locales d’aménagement<br />
et les sociétés publiques locales ne<br />
doivent pas uniquement être considérées<br />
comme des instruments mis en place pour<br />
faire échec au droit de la concurrence, et<br />
plus précisément aux procédures de publicité<br />
et de mise en concurrence affectant<br />
obligatoirement les relations entre les<br />
collectivités publiques et les sociétés<br />
d’économie mixte 9 ».<br />
La création des sociétés publiques locales<br />
répond à une attente des collectivités<br />
territoriales. Cette loi souhaitée et espérée,<br />
tant par les parlementaires que par les<br />
autres élus, répond à une attente. En effet,<br />
la loi du 28 mai 2010 est présentée par ceux<br />
qui en furent à l’origine comme une réponse<br />
adaptée au droit de l’Union européenne.<br />
Désormais, « les élus peuvent avoir recours<br />
à des entreprises souples et réactives qu’ils<br />
contrôlent entièrement, un nouveau mode<br />
de gestion des services publics locaux<br />
associant les atouts du secteur privé et les<br />
valeurs du public 10 ».<br />
1. Le contexte de création des<br />
sociétés publiques locales<br />
Il nous paraît utile de mettre un accent<br />
particulier sur le processus qui a abouti à<br />
la création des sociétés publiques locales.<br />
8 G. Durand, « Établissement public local ou société<br />
d’économie mixte locale ? Bref essai de<br />
comparaison juridique », JCP., Cahiers de droit de<br />
l’entreprise, supplément, n° 3, 1994, p. 27.<br />
9 J-M. Peyrical, « De nouvelles voies pour la gestion<br />
des services publics locaux. Services d’intérêt<br />
économique général, partenariats public-privé<br />
institutionnalisés et sociétés publiques locales »,<br />
AJDA 2011, p. 938.<br />
10 M. Passi, cité par M. Devès, « La loi n° 2010-559<br />
du 28 mai 2010 pour le développement des<br />
sociétés publiques locales. Évolution ou<br />
régression des règles de la commande publique ?<br />
», JCP, A, 2010, n° 28, p. 17.<br />
Commande publique<br />
À travers le choix de la SPL, l’objectif visé<br />
par le législateur est de donner aux<br />
collectivités territoriales un instrument<br />
conforme au droit communautaire. Certains<br />
auteurs ont pu souligner que « la SPL a été<br />
créée afin de combler les insuffisances du<br />
régime juridique des SEML et de permettre<br />
aux collectivités publiques françaises de<br />
bénéficier du dispositif des prestations<br />
intégrées afin de faciliter la gestion de<br />
certains services publics 11 ».<br />
En effet, « le but proclamé de cette réforme<br />
est de permettre aux sociétés locales de<br />
se soustraire à la concurrence du secteur<br />
privé en échappant aux conséquences de<br />
la jurisprudence Stadt Halle du 11 janvier<br />
2005 et en profitant de l’opportunité offerte<br />
par la jurisprudence Carboterno du 11 mai<br />
2006 12 ». Il est certain que « la qualification<br />
de contrat «in house» des rapports contractuels<br />
unissant les personnes publiques avec<br />
l’un de leurs prestataires de services permet<br />
de les soustraire aux règles communautaires<br />
d’attribution des marchés publics,<br />
dès lors que la collectivité territoriale exerce<br />
sur la personne en cause un contrôle<br />
analogue à celui qu’elle exerce sur ses<br />
propres services et que cette personne<br />
réalise l’essentiel de son activité avec la<br />
ou les collectivités qui la détiennent 13 ».<br />
Or, la composition des sociétés d’économie<br />
mixte locales et surtout leur mode de<br />
fonctionnement ne permet pas de les faire<br />
bénéficier de la théorie du « in house » en<br />
raison de la présence des actionnaires privés<br />
dans le capital. En effet, les relations<br />
contractuelles entre les sociétés d’économie<br />
mixte locales et les collectivités territoriales<br />
actionnaires ont soulevé la question de savoir<br />
s’il fallait ou non appliquer les règles de la<br />
commande publique 14 . D’ailleurs, dans le<br />
cadre de leurs contrôles, les chambres<br />
régionales et territoriales des comptes se<br />
11 S. Damarey, « La société publique locale ou la<br />
fin des associations transparentes », AJDA, 2011,<br />
p. 15.<br />
12 L. Richer, « Parution de la loi sur les sociétés<br />
publiques locales », Bulletin DSP, n° 2010-3-Juillet<br />
2010, p. 12.<br />
13 C. Pilone, « Réflexions autour de la notion de<br />
contrat «in house» », in Contrats publics, Mél., M.<br />
Guibal, Presses de la faculté de droit de Montpellier,<br />
2006, p. 702.<br />
14 C. Boiteau, « Les sociétés d’économie mixte et<br />
les contrats de délégation de service public »,<br />
RFDA 2005, p. 946.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Commande publique<br />
montrent particulièrement attentives au<br />
respect, par tous les adjudicateurs locaux,<br />
des règles de mise en concurrence qui<br />
garantissent la liberté d’accès à la commande<br />
publique ou à la gestion déléguée, lorsque le<br />
prestataire est un prolongement de droit privé<br />
de la puissance publique. C’est pourquoi,<br />
elles ont « multiplié les mises en garde à<br />
l’égard des relations contractuelles avec des<br />
sociétés d’économie mixte dont la composition<br />
du capital associe obligatoirement au moins<br />
une personne privée à l’actionnariat public<br />
local et dont la structure ne permet pas de<br />
présupposer, bien au contraire, un contrôle<br />
de la collectivité analogue à celui que celle-ci<br />
exerce sur ses propres services 15 ».<br />
Les sociétés d’économie mixte locales sont<br />
de plus en plus considérées comme des<br />
entreprises commerciales dans le cadre de<br />
leurs relations contractuelles avec les collectivités<br />
territoriales, relations contractuelles<br />
qui n’échappent quasiment plus à des<br />
procédures de publicité et de mise en<br />
concurrence préalables 16 . Le Conseil constitutionnel<br />
dans sa décision du 20 janvier 1993<br />
avait censuré les dispositions de la « loi<br />
Sapin » excluant les sociétés d’économie<br />
mixte du champ d’application de la procédure<br />
de publicité et de mise en concurrence. Le<br />
Conseil constitutionnel a estimé qu’il y avait<br />
là une rupture injustifiée du principe d’égalité<br />
entre les sociétés commerciales.<br />
Par conséquent, la collectivité territoriale qui<br />
décide de déléguer l’exploitation d’un service<br />
public à une société d’économie mixte,<br />
même quand elle l’a créée à cet effet, doit<br />
tout de même engager une procédure de<br />
délégation 17 . Il convient également de souligner<br />
ici que « le principe de mise en concurrence<br />
est propre aux contrats publics ; il<br />
impose et garantit le respect d’une règle<br />
essentielle : le libre et égal accès de tous<br />
aux activités économiques. La mise en<br />
concurrence d’un contrat public est une<br />
exigence morale ; la concurrence est un<br />
objectif souhaitable pour une meilleure<br />
efficacité du marché 18 ». Conformément à<br />
15 G. Miller, « Les chambres régionales et territoriales<br />
des comptes et les contrats in house. Vertus et<br />
dangers de la quasi-régie », AJDA 2011, p. 551.<br />
16 J-M. Peyrical, « Que reste-t-il du in house ? »,<br />
RFDA, 2005, p. 955.<br />
17 C. Boiteau, « Les sociétés d’économie mixte et<br />
les contrats de délégation de service public »,<br />
RFDA 2005, p. 947.<br />
18 L. Rapp, « Quasi-régie, quasi-régime », AJDA<br />
2010, p. 591.<br />
la jurisprudence de la Cour de justice de<br />
l’Union européenne, les sociétés d’économie<br />
mixte sont soumises, dans les relations<br />
qu’elles nouent avec les collectivités<br />
territoriales actionnaires, au droit de l’Union<br />
européenne en matière d’obligations<br />
concurrentielles et donc, au regard des règles<br />
nationales, au droit commun de la<br />
commande publique et des délégations de<br />
service public. Ce qui veut dire, qu’elles ne<br />
peuvent pas bénéficier de la dérogation des<br />
contrats de quasi-régie.<br />
Dans son arrêt Teckal du 18 novembre<br />
1999, la CJCE, saisie d’un renvoi préjudiciel<br />
par une juridiction administrative italienne,<br />
a admis la possibilité qu’un contrat public<br />
portant sur un marché de fournitures,<br />
conclu entre une collectivité locale et une<br />
structure publique locale instituée par cette<br />
première (collectivité), échappe aux règles<br />
des marchés publics définies par la<br />
directive 93/36/CEE. Cet arrêt précise « qu’il<br />
n’est pas utile d’exiger la mise en œuvre<br />
d’obligations de publicité et de mise en<br />
concurrence pour la conclusion de contrats<br />
entre un pouvoir adjudicateur et une entité<br />
qui, bien que dotée de la personnalité<br />
morale, constitue un simple prolongement<br />
administratif de celui-ci ». Pour la CJCE, le<br />
cocontractant de la collectivité territoriale<br />
n’étant que le prolongement de celle-ci, les<br />
contrats conclus entre les deux entités ne<br />
sont pas assujettis aux règles de mise en<br />
concurrence.<br />
En d’autres termes, la collectivité territoriale,<br />
pour l’attribution du contrat, n’avait donc pas<br />
d’obligations particulières de mise en<br />
concurrence. En l’espèce, elle n’avait pas<br />
l’obligation de procéder à un appel d’offre.<br />
En effet, depuis l’arrêt Teckal du 18 novembre<br />
1999, la CJCE admet qu’il puisse y avoir<br />
attribution directe d’un marché par un pouvoir<br />
adjudicateur, si celui-ci exerce sur la<br />
personne à laquelle ce dernier souhaite<br />
acheter une prestation, un contrôle analogue<br />
à celui que ce pouvoir adjudicateur exerce<br />
sur ses propres services, et que la personne<br />
juridiquement distincte du dit pouvoir, réalise<br />
l’essentiel de son activité avec la ou les<br />
collectivités qui la détiennent.<br />
Le respect de la seconde condition posée<br />
par la jurisprudence suppose que le<br />
cocontractant du pouvoir adjudicateur soit<br />
un opérateur « dédié » aux besoins de la<br />
personne publique. Il ne peut que réaliser<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 53
54<br />
l’essentiel de son activité avec ou pour le<br />
compte de la personne publique ou des<br />
personnes publiques qui le contrôlent. La<br />
jurisprudence communautaire ne fixe pas de<br />
seuil, notamment chiffré, à partir duquel on<br />
considère que le cocontractant exerce<br />
l’essentiel de son activité au profit de la<br />
personne publique. Cette condition est<br />
appréciée, au cas par cas, et en fonction<br />
des données de l’espèce. La condition est<br />
satisfaite lorsque l’activité du prestataire est<br />
consacrée principalement à cette collectivité.<br />
L’activité à prendre en compte est celle que<br />
le cocontractant réalise pour les personnes<br />
publiques concernées prises dans leur<br />
ensemble.<br />
Le juge européen exige au-delà d’un<br />
contrôle à 100 % sur l’entreprise (condition<br />
nécessaire mais non suffisante), une<br />
dépendance réelle, une absence d’autonomie,<br />
à l’égard de la collectivité ou des<br />
collectivités, prises ensemble, qui<br />
participent à son capital. Ce qui veut dire<br />
que, la société adjudicatrice doit être<br />
soumise à un contrôle permettant au<br />
pouvoir adjudicateur d’influencer les<br />
décisions de ladite société, c’est-à-dire,<br />
tant sur les objectifs stratégiques que sur<br />
les opérations importantes de cette société.<br />
De nombreux arrêts récents de la Cour de<br />
justice des Communautés européennes ont<br />
précisé les conditions permettant de<br />
bénéficier du rapport « in house » et allant<br />
dans le sens d’un élargissement de la<br />
notion, mais la CJCE a toujours refusé de<br />
l’appliquer aux rapports entre un pouvoir<br />
adjudicateur et des sociétés d’économie<br />
mixte (CJCE, 11 janvier 2005, Stadt Halle).<br />
Depuis son arrêt Stadt Halle, la CJCE a jugé<br />
incompatible avec le contrat « in house » la<br />
présence d’un partenaire privé ou extérieur<br />
aux pouvoirs adjudicateurs, au capital de la<br />
société prestataire. Ce qui veut dire que<br />
l’entreprise délégataire doit être entièrement<br />
détenue par une ou des personnes<br />
publiques. Il en résulte donc que le capital<br />
de l’organisme concerné ne doit pas être<br />
détenu par une personne privée et que la<br />
participation, fût-elle minoritaire, d’une<br />
entreprise privée dans le capital d’une<br />
société à laquelle participe également une<br />
collectivité territoriale exclut de ce fait que<br />
cette dernière puisse exercer sur cette<br />
société un contrôle analogue à celui qu’elle<br />
exerce sur ses propres services.<br />
Commande publique<br />
Pour la CJCE, la présence d’un actionnaire<br />
privé dans le capital d’une société, détenu<br />
en majorité par une autorité publique, fait<br />
obstacle à ce que le contrôle exercé par<br />
cette autorité puisse être considéré comme<br />
analogue à celui qu’elle exerce sur ses<br />
propres services et donc à ce que soit<br />
appliquée la dérogation aux règles de mise<br />
en concurrence permise par la situation de<br />
quasi-régie. Par conséquent, les sociétés<br />
d’économie mixte, dont le capital social doit<br />
être détenu par une personne privée à<br />
hauteur de 15 %, se trouvent exclus du<br />
champ de cette dérogation. En résumé, les<br />
contrats conclus entre une collectivité<br />
territoriale et la société d’économie mixte,<br />
dont elle est actionnaire, doivent<br />
obligatoirement faire l’objet d’une mise en<br />
concurrence en vertu des règles des<br />
marchés publics ou du droit des délégations<br />
de service public.<br />
Par ailleurs, dans un arrêt Carbotermo et<br />
Consorzio rendu le 11 mai 2006, la CJCE<br />
précise que « la détention par le pouvoir<br />
adjudicateur, ensemble avec d’autres<br />
pouvoirs publics, de la totalité du capital<br />
d’une société est un indice probant, sans<br />
être décisif, qu’il exerce sur cette société<br />
un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur<br />
ses propres services ». Par cet arrêt, la<br />
CJCE a admis que la condition de contrôle<br />
analogue peut être satisfaite aussi bien dans<br />
le cas où une seule autorité publique<br />
contrôle la société que dans le cas où ce<br />
contrôle est exercé par plusieurs autorités<br />
publiques. Il convient de souligner que,<br />
l’existence effective d’une participation<br />
privée dans le capital de la société<br />
délégataire doit être vérifiée au moment de<br />
l’attribution du contrat en cause.<br />
La Cour de justice de l’Union européenne a<br />
pris également le soin de préciser, dans son<br />
arrêt Parking Brixen c/ Gemeinde Brixen et<br />
Stadtwerke Brixen AG du 13 octobre 2005,<br />
que « la circonstance que la législation<br />
nationale applicable prévoit l’ouverture<br />
obligatoire, à court terme, à d’autres<br />
capitaux doit ainsi être prise en compte, au<br />
moment de l’attribution du contrat à la<br />
société dont la personne publique détient<br />
l’ensemble du capital ».<br />
Toutefois, dans un arrêt Sea SRL c/ Commune<br />
di Ponte Nossa rendu le 15 octobre 2009, le<br />
juge communautaire a admis la dérogation<br />
du « in house », pour une société entièrement<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Commande publique<br />
publique, mais dont les statuts prévoyaient<br />
la possibilité de faire entrer des intérêts privés<br />
au capital. La Cour estime enfin que, la<br />
question de l’ouverture du capital de la société<br />
à des investissements privés ne peut être prise<br />
en considération que s’il existe, au moment<br />
de l’attribution du contrat, une perspective<br />
concrète et à court terme d’une telle ouverture.<br />
2. La société publique locale : un<br />
instrument juridique adapté au<br />
droit communautaire<br />
Comme pour les sociétés d’économie mixte<br />
locales, les sociétés publiques locales sont<br />
constituées sous forme de société<br />
anonyme mais avec uniquement des<br />
capitaux publics locaux.<br />
En effet, l’article L. 1531-1 du code général<br />
des collectivités territoriales précise que « les<br />
collectivités territoriales et leurs groupements<br />
peuvent créer, dans le cadre des compétences<br />
qui leur sont attribuées par la loi, des<br />
sociétés publiques locales dont ils détiennent<br />
la totalité du capital [...] ». Ensuite, l’article<br />
L. 1531-1 du même code ajoute que « ces<br />
sociétés revêtent la forme de société<br />
anonyme régie par le livre II du code de<br />
commerce et sont composées, par dérogation<br />
à l’article L. 225-1 du même code, d’au moins<br />
deux actionnaires ».<br />
S’il ne fait aucun doute que la loi du 28 mai<br />
2010 va dans le sens d’une « publicisation »<br />
de la gestion des services publics locaux,<br />
cette composition est une réponse à la<br />
jurisprudence de la Cour de justice de l’Union<br />
européenne qui a exclu les sociétés<br />
d’économie mixte locales de la dispense de<br />
mise en concurrence qu’autorise le « in<br />
house », c’est-à-dire, les prestations intégrées.<br />
En effet, en raison de la participation<br />
des actionnaires privés dans le capital de<br />
ces sociétés, elles ne remplissaient plus les<br />
conditions aux yeux de la Cour de justice<br />
pour bénéficier de la dispense de mise en<br />
concurrence. Il est vrai que « la présence<br />
d’actionnaires privés dans le capital de la<br />
société adjudicatrice perturbe l’édifice<br />
juridique. Elle conduit à douter de l’existence<br />
d’un contrôle analogue à celui que le ou les<br />
pouvoir(s) adjudicateur(s) exerce(nt) sur<br />
ses / leurs propres services 19 . »<br />
Or, le législateur français ne pouvait pas<br />
remettre en cause le statut des sociétés<br />
19 L. Rapp, « Quasi-régie, quasi-régime », AJDA<br />
2010, p. 591.<br />
d’économie mixte locales en supprimant la<br />
participation des actionnaires privés. Une<br />
telle démarche aurait eu pour effet de<br />
supprimer tout simplement la formule<br />
d’économie mixte telle qu’elle existe depuis<br />
des années. Finalement, le choix a été fait<br />
de créer de nouvelles sociétés publiques<br />
locales qui vont gérer presque les mêmes<br />
activités que les sociétés d’économie mixte<br />
locales. Il est vrai que l’organisation et le<br />
fonctionnement des sociétés publiques<br />
locales, à quelques exceptions près,<br />
ressemblent à celui des sociétés d’économie<br />
mixte locales. Donc, « le législateur<br />
a préféré compléter le panel de structures<br />
existantes plutôt que d’en réduire le<br />
nombre 20 ».<br />
Quant à la question de savoir si la<br />
composition des sociétés d’économie mixte<br />
locales pouvait permettre aux collectivités<br />
territoriales actionnaires d’exercer un<br />
contrôle analogue à celui qu’elles exercent<br />
sur leurs propres services, le doute était en<br />
effet permis. Comment une collectivité territoriale,<br />
même en sa qualité d’actionnaire<br />
majoritaire, pourrait-elle exercer un contrôle<br />
analogue que celui qu’elle exerce sur ses<br />
propres services sur une société de droit<br />
privé et avec une participation même<br />
minimale des actionnaires privés ?<br />
Or, dans la pratique, « les collectivités<br />
publiques actionnaires ne sont pas toujours<br />
en situation d’exercer efficacement leur<br />
contrôle sur les sociétés d’économie mixte<br />
dont elles sont les principaux actionnaires21<br />
». C’est pourquoi, qu’il nous soit<br />
permis ici de se demander si réellement les<br />
collectivités territoriales peuvent exercer sur<br />
leurs sociétés publiques locales un contrôle<br />
analogue à celui exercé sur leurs propres<br />
services ? Cette condition de contrôle,<br />
souligne le professeur Richer, « doit être<br />
appliquée de façon rigoureuse, sans qu’il<br />
puisse être fait appel à des présomptions22<br />
». Il convient de préciser que le contrôle<br />
dont il est question ici, est un contrôle sur la<br />
direction, la <strong>gouv</strong>ernance de la société.<br />
20 S. Nicinski, « La loi du 28 mai 2010 pour le<br />
développement des sociétés publiques locales »,<br />
AJDA 2010, p. 1760.<br />
21 G. Miller et A. Leyat, « Les chambres régionales<br />
des comptes et le contrôle des sociétés d’économie<br />
mixte locales », AJDA 2009, p. 1702.<br />
22 L. Richer, « Parution de la loi sur les sociétés<br />
publiques locales », Bulletin DSP n° 2010-3-Juillet<br />
2010, p. 13.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 55
56<br />
En d’autres termes, la collectivité territoriale<br />
actionnaire doit avoir un droit de regard strict<br />
sur le fonctionnement de la société, c’est-àdire,<br />
qu’elle doit pouvoir vérifier et superviser<br />
la société. C’est d’ailleurs la raison pour<br />
laquelle, certains auteurs soulignent à juste<br />
titre que « la question du contrôle de direction<br />
est pour la SPL d’ordre existentiel.<br />
L’exception européenne à l’appel à la<br />
concurrence du lien in house ne s’applique<br />
qu’autant que la collectivité actionnaire y<br />
exerce un contrôle comparable à celui<br />
qu’elle exerce sur ses propres services 23 ».<br />
Ce qui veut dire qu’« une insuffisance de<br />
contrôle peut conduire à douter de la validité<br />
de l’édifice 24 ».<br />
3. La société publique locale : un<br />
instrument juridique souple et<br />
efficace pour la gestion des<br />
services publics locaux<br />
Parmi les modes de gestion des services<br />
publics locaux, la société d’économie mixte<br />
locale est souvent présentée comme offrant<br />
aux décideurs locaux l’avantage d’une forme<br />
juridique caractérisée par sa souplesse. Il<br />
vrai que « les pouvoirs publics doivent<br />
intervenir de plus en plus dans des domaines<br />
qui ne sont pas les domaines traditionnels<br />
de l’action administrative. Or, les structures<br />
et les méthodes d’action de l’Administration<br />
sont mal adaptées à l’exécution de tâches<br />
économiques qui requièrent plus de<br />
souplesse et moins de formalisme 25 ». Et<br />
les sociétés d’économie mixte locales<br />
constituent depuis des années un relais<br />
important de l’action des collectivités<br />
territoriales 26 . Comment expliquer alors la<br />
création d’un nouvel instrument juridique pour<br />
gérer presque les mêmes activités que les<br />
sociétés d’économie mixte locales ? À cette<br />
question, certains auteurs soulignent que<br />
« sous l’impact d’une jurisprudence nationale<br />
et communautaire toujours plus exigeante,<br />
23 D. Linotte, « Quelques interrogations sur la société<br />
publique et ses contraintes opérationnelles », Gaz.<br />
Pal 2011, p. 20.<br />
24 D. Linotte, op. cit., p. 20.<br />
25 F. J. Fabre et R. Morin, « Quelques aspects actuels<br />
du contrôle des sociétés d’économie mixte », RDP<br />
1964, p. 769.<br />
26 Ch. Maugüé et J-H. Stahl, « Le cadre juridique<br />
des relations financières entre les sociétés<br />
d’économie mixte et les collectivités locales »,<br />
AJDA 1996, p. 475.<br />
Commande publique<br />
les SEML ont peu à peu perdu tous les<br />
avantages que leur conférait ce statut taillé<br />
sur mesure par la loi du 7 juillet 1983 27 ».<br />
Cette situation s’explique par le simple fait<br />
que les sociétés d’économie mixte locales<br />
sont de plus en plus soumises aux règles<br />
de la commande publique. En effet, leurs<br />
activités ne peuvent plus échapper à ces<br />
règles. Toutefois, on peut se demander si<br />
réellement, « les sociétés d’économie mixte<br />
locales seraient vouées à perdre toute utilité<br />
comme contractant des personnes<br />
publiques qui participent à leur capital 28 ? »<br />
Nous ne le pensons pas car, les sociétés<br />
d’économie mixte locales comme les<br />
sociétés publiques locales ont pour mission<br />
la gestion des services publics. D’ailleurs,<br />
« le droit communautaire ne condamne pas<br />
a priori l’économie mixte locale comme<br />
forme de partenariat public-privé institutionnalisé,<br />
mais le soumet à des conditions<br />
minimales de mise en concurrence 29 »,<br />
d’autant plus que, les SEML et les SPL ont<br />
le même objet. L’article L. 1521-1 du code<br />
général des collectivités territoriales précise<br />
que, ces sociétés sont compétentes pour<br />
réaliser des opérations d’aménagement au<br />
sens de l’article L. 300-1 du code de<br />
l’urbanisme, des opérations de construction<br />
ou pour exploiter des services publics à<br />
caractère industriel et commercial ou pour<br />
toute autre activité d’intérêt général.<br />
D’ailleurs, il n’y aura pas à proprement parler<br />
de concurrence entre ces deux types de<br />
sociétés qui sont au service des collectivités<br />
territoriales. Faut-il rappeler ici que,<br />
« l’aménagement a toujours constitué un<br />
des secteurs privilégiés des sociétés<br />
d’économie mixtes locales 30 ». Donc, ces<br />
deux sociétés vont au contraire être<br />
27 M. Karpenschif, « SPLA, SPL, SLP. Un an après la<br />
Communication interprétative sur les partenariats<br />
public-privé institutionnalisés (PPPI) : où en est-on<br />
du développement de l’économie mixte locale ? »,<br />
JCP, A, 2009, p. 19.<br />
28 E. Muller, « Le partenariat public-privé, avenir<br />
des sociétés d’économie mixte ? », Contrats et<br />
marchés publics, 2010, p. 7.<br />
29 C. Devès, « La loi n° 2010-559 du 28 mai 2010<br />
pour le développement des sociétés publiques<br />
locales : Évolution ou régression des règles de la<br />
commande publique ? », JCP, A, n° 28, juillet 2010,<br />
p.16.<br />
30 J-F. Bizet, « Les SEM et la nouvelle conception<br />
de l’aménagement », AJDA 1993, p. 595.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Commande publique<br />
complémentaires dans la gestion des services<br />
publics locaux, sauf que l’une va bénéficier<br />
de la dispense de mise en concurrence,<br />
lorsqu’elle conclut un contrat avec la ou les<br />
collectivités territoriales actionnaires. Sur ce<br />
point, il est possible de dire que le législateur<br />
a fait preuve d’une originalité. En effet, le<br />
nouvel article L. 1411-12 du code général des<br />
collectivités territoriales précise que, « le<br />
régime de la DSP ne s’applique pas lorsque<br />
le service est confié à un établissement public<br />
ou à une société publique locale sur lesquels<br />
la personne publique exerce un contrôle<br />
comparable à celui qu’elle exerce sur ses<br />
propres services et qui réalisent l’essentiel<br />
de leurs activités pour elle ou, le cas échéant,<br />
les autres personnes publiques qui contrôlent<br />
la société, à condition que l’activité déléguée<br />
figure expressément dans les statuts de<br />
l’établissement ou de la société ».<br />
Il s’agit là, d’un avantage non négligeable pour<br />
les collectivités territoriales qui attendaient<br />
cette loi avec impatience, car « elles peuvent<br />
recourir, sans publicité et mise en<br />
concurrence, à l’outil SPL pour la gestion de<br />
leurs services publics, dans la mesure où le<br />
statut juridique de cette société garantirait<br />
les critères et conditions du in house 31 ».<br />
Mais, comme pour les autres contrats des<br />
collectivités territoriales, les assemblées<br />
délibérantes de ces collectivités et de leurs<br />
groupements doivent se prononcer sur le<br />
principe de toute délégation de service public<br />
à une société publique locale. Il convient tout<br />
de même de souligner que « la dérogation<br />
aux règles de l’appel à la concurrence ne<br />
vaut qu’en amont, pour la relation de la<br />
société publique locale avec ses collectivités<br />
actionnaires, mais bien sûr non pour l’aval,<br />
s’agissant des contrats avec les tiers 32 ».<br />
D’où la question de savoir si le maintien des<br />
sociétés d’économie mixte locales était<br />
encore nécessaire ? Il est certain que les<br />
collectivités territoriales ne vont pas substituer<br />
les sociétés publiques locales aux sociétés<br />
d’économie mixtes locales préexistantes. En<br />
effet, en créant les sociétés publiques locales,<br />
l’objectif du législateur est très clair ; il s’agit<br />
tout simplement de mettre à la disposition<br />
31 S. Braconnier et X. Mouriesse, « La société<br />
publique locale comme outil de gestion déléguée<br />
des services publics », Contrats et marchés<br />
publics, novembre 2010, p. 50.<br />
32 D. Linotte, « Quelques interrogations sur la<br />
société publique locale et ses contraintes<br />
opérationnelles », Gaz. Pal., 2011, p. 17.<br />
des collectivités territoriales un instrument<br />
juridique pour des services publics locaux<br />
sans mise en concurrence. En d’autres<br />
termes, la loi du 28 mai 2010 offre inévitablement<br />
aux collectivités territoriales une<br />
souplesse tant recherchée dans la gestion<br />
des services publics locaux.<br />
Mais, comme le souligne Mme Bergeal,<br />
« les collectivités territoriales doivent veiller<br />
à ce que les relations qu’elles entretiennent<br />
avec leur SPL restent des relations de quasirégie,<br />
dans les conditions posées par la<br />
jurisprudence de la Cour de justice de<br />
l’Union européenne depuis son arrêt Teckal<br />
du 18 novembre 1999 et jusque dans ses<br />
derniers développements 33 ».<br />
En effet, les collectivités territoriales ne doivent<br />
pas se détourner des objectifs fixés par le<br />
législateur quant à l’utilisation de ce nouvel<br />
instrument mis à leur disposition. C’est pourquoi,<br />
nombreux sont ceux qui pensent que,<br />
« les collectivités territoriales disposent<br />
désormais d’un outil répondant à leurs besoins<br />
exprimés, leur permettant d’agir «avec plus<br />
d’efficacité et de rapidité» grâce au statut de<br />
société anonyme qui est celui de la SPL et<br />
l’exemption de mise en concurrence dont elles<br />
peuvent bénéficier 34 ».<br />
Cet optimisme affiché doit être mesuré, car,<br />
le succès de ce nouvel outil, dépendra en<br />
grande partie de l’utilisation que les<br />
collectivités territoriales en feront de celuici.<br />
Il convient de rappeler que « les SPLA /<br />
SPL ne sont pour autant pas la panacée et<br />
ne représentent qu’un outil parmi d’autres<br />
pour les collectivités locales 35 ». Il est vrai<br />
qu’avec la société publique locale, les<br />
collectivités territoriales actionnaires<br />
pourront désormais confier à celle-ci des<br />
prestations sans mise en concurrence. En<br />
d’autres termes, « les collectivités territoriales<br />
sont désormais dotées de structures<br />
bénéficiant de la souplesse d’une gestion<br />
privée et auxquelles elles peuvent confier<br />
des missions sans mise en concurrence.<br />
Il s’agit là d’une avancée notable depuis que<br />
les SEM locales ont été radicalement<br />
33 C. Bergeal, « Doit-on craindre un détournement<br />
de la SPL par les collectivités locales ? », AJCT,<br />
2011, p. 19.<br />
34 S. Damarey, « La société publique locale ou la<br />
fin des associations transparentes », AJDA 2011,<br />
p. 17<br />
35 J-M. Peyrical, op. cit., p. 939.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 57
58<br />
exclues de la catégorie des opérateurs in<br />
house 36 ». S’il l’on peut parler, il est vrai<br />
d’une avancée, mais en même temps, la<br />
loi fixe les limites à propos du champ<br />
d’intervention des sociétés publiques<br />
locales. En effet, la société publique locale<br />
doit exercer ses activités exclusivement<br />
pour le compte de ses actionnaires et sur<br />
le territoire de ces derniers. Ce qui veut dire<br />
qu’elle ne peut pas intervenir en dehors du<br />
cadre géographique de ses actionnaires. Il<br />
est clair que le champ d’intervention de la<br />
SPL est plus restreint que celui de la<br />
SEML.<br />
Enfin, il convient de souligner que le but de<br />
la réforme est de permettre aux sociétés<br />
publiques locales de se soustraire à la<br />
concurrence du secteur privé en échappant<br />
aux conséquences de la jurisprudence<br />
Stadt Halle du 11 janvier 2005. Il faut<br />
reconnaître que la création de la SPL ne<br />
résout pas non plus le problème car elle<br />
est soumise à l’ordonnance du 6 juin 2005<br />
relative aux marchés passés par certaines<br />
personnes publiques ou privées non<br />
soumises au code des marchés publics.<br />
Donc, elle est soumise à une obligation de<br />
mise en concurrence dans l’attribution des<br />
contrats qu’elle passe avec d’autres<br />
sociétés.<br />
Urbain Ngampio-Obélé-Bélé (Maître de<br />
Conférences en droit public - Université<br />
Paul Cézanne Aix-Marseille III)<br />
36 S. Nicinski, « La loi du 28 mai 2010 pour le<br />
développement des sociétés publiques locales »,<br />
AJDA 2010, p. 1763.<br />
Commande publique<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
C’est la première<br />
fois que la<br />
Commission<br />
propose un texte<br />
de droit matériel<br />
en matière de<br />
contrats<br />
La technique<br />
utilisée par la<br />
Commission<br />
combine la<br />
méthode du<br />
conflit de loi et la<br />
méthode des<br />
règles<br />
matérielles<br />
Droit communautaire et international<br />
Droit européen des contrats : la proposition<br />
de règlement relatif à un droit commun européen<br />
de la vente<br />
Par Simon Chardenoux<br />
La proposition de règlement relatif à un droit commun européen de la vente est<br />
une étape vers un droit européen des contrats.<br />
La Commission européenne a publié, le<br />
11 octobre 2011, une proposition de règlement<br />
instituant un droit commun européen<br />
de la vente (DCEV) à caractère optionnel 1 .<br />
Cette proposition s’inscrit dans le contexte<br />
d’une communautarisation croissante (et<br />
accelérée) du droit des contrats. Elle s’inspire<br />
de l’option 4, présentée par la Commission<br />
européenne dans un livre vert publié le 1 er juillet<br />
2010, relatif aux actions envisageables en<br />
vue de la création d’un droit européen des<br />
contrats 2 .<br />
Comme l’indique l’exposé des motifs du<br />
texte, le DCEV viserait à promouvoir le<br />
commerce transfrontière, en limitant les<br />
coûts qui résulteraient, pour les parties, de<br />
la diversité des législations nationales en<br />
matière de droit des contrats 3 .<br />
1 COM (2011) 635 final, C. Aubert de Vincelles, J.C.P.<br />
éd. G, n° 50, 12 décembre 2011, 1376 ; A.-S. Chone-<br />
Grimaldi, « La proposition de règlement relatif à un<br />
droit commun européen de la vente », Contrats, conc.<br />
consom. 2012, étude 6 ; B. Fauvarque-Cosson,<br />
« Vers un droit commun européen de la vente », D.<br />
2012, p. 34 et s. ; G. Paisant, « La proposition d’un<br />
droit commun européen ou l’esperanto contractuel<br />
de la Commission européenne », J.C.P. éd. G, n° 18,<br />
30 avril 2012, 560 ; S. Piedelievre, « Vers un nouveau<br />
droit européen de la vente », Gaz. Pal., 12 janvier<br />
2012, p. 7 et s.<br />
2 COM (2010) 348 final. Cette option, qui avait les<br />
faveurs des institutions communautaires, proposait<br />
d’adopter un règlement instituant un instrument<br />
européen facultatif de droit des contrats.<br />
3 L’affirmation est, en soi, difficilement contestable.<br />
Pour les transactions entre professionnels et<br />
consommateurs, seules les règles de conflit de loi<br />
sont harmonisées, le droit applicable au fond ne<br />
l’est pas. La diversité implique, par conséquent, de<br />
connaître différents droits. Pour les transactions<br />
entre professionnels, différentes conventions<br />
internationales, dont celle relative aux ventes internationales<br />
de marchandises conclue à Vienne en<br />
1980 unifient les règles applicables aux contrats.<br />
Cependant, les réserves émises par les États, ainsi<br />
que l’insécurité relative à la licéité de sa désignation<br />
limitent leur attractivité pour les parties, cf. H. MUIR-<br />
WATT, D. BUREAU, Droit international privé, PUF,<br />
2 nd éd., 2011, T. 1, n° 544 et s.<br />
L’exposé des motifs ne démontre cependant à aucun<br />
moment, ce qui est très dommageable, en quoi la diversité<br />
des législations est un frein à la conclusion de<br />
transactions commerciales transfrontières.<br />
Il s’agirait alors de reconnaître aux parties<br />
à une vente transfrontière la possibilité de<br />
soumettre leurs contrats à un régime<br />
juridique identique.<br />
Le DCEV prendrait, donc, la forme d’un<br />
second régime de règles matérielles de droit<br />
des contrats, mis en concurrence avec les<br />
différents régimes nationaux pré-existants (1.).<br />
Une fois désigné par les parties, les<br />
dispositions du DCEV seraient la seule loi<br />
applicable aux aspects de la relation contractuelle<br />
qui entrent dans son champ<br />
d’application (2.).<br />
Avec le DCEV, l’harmonisation ne se<br />
réaliserait pas par substitution aux droits<br />
nationaux, mais par la création d’un corps<br />
de règles communautaires, alternatifs à ces<br />
droits.<br />
L’originalité de la technique employée<br />
suscite par conséquent la discussion,<br />
notamment au sujet de la base juridique sur<br />
laquelle se fonde la proposition (3.).<br />
1. Le DCEV prendrait la forme<br />
d’un second régime de droit<br />
des contrats, concurrent des<br />
règles nationales préexistantes<br />
Le DCEV se compose d’un règlement et<br />
deux annexes. Le règlement (un exposé des<br />
motifs, 37 considérants et 16 articles) est<br />
consacré à la mise en œuvre et au champ<br />
d’application du dispositif. L’annexe I, intitulée<br />
« Droit commun européen de la vente »,<br />
contiendrait les règles substantielles, applicables<br />
aux contrats de vente qui entreraient<br />
dans son champ d’application. L’annexe II<br />
contiendrait l’« Avis d’information type ».<br />
1.1. Champ d’application de l’instrument<br />
Le DCEV s’appliquerait aux contrats de<br />
vente de biens mobiliers, aux contrats de<br />
fourniture d’un contenu numérique, ainsi<br />
qu’aux services connexes à ces deux types<br />
de contrats 4 .<br />
4 Un certain nombre d’opérations ou de services<br />
seraient néanmoins exclus du dispositif, de même<br />
que les contrats mixtes et ceux liés à un crédit à la<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 59
Le DCEV devra<br />
être désigné par<br />
les parties<br />
Le DCEV sera,<br />
pour les aspects<br />
du contrat qui<br />
entrent dans son<br />
champ<br />
d’application, un<br />
droit<br />
complètement<br />
harmonisé<br />
60<br />
Droit communautaire et international<br />
Sur un plan personnel, le DCEV s’appliquerait<br />
aux relations entre professionnels, à la<br />
condition qu’une PME soit partie au contrat,<br />
ainsi qu’aux contrats entre professionnels et<br />
consommateurs, à la condition que le vendeur<br />
soit un professionnel 5 .<br />
Le DCEV s’appliquerait, spatialement, aux<br />
contrats conclus par des parties situées<br />
dans des États différents, à la condition qu’un<br />
de ces États soit un État membre de<br />
l’Union 6 .<br />
Le disposif serait, par conséquent, réservé<br />
aux seuls contrats transfrontières 7 .<br />
1.2. Contenu du droit substantiel<br />
L’annexe I contient 186 articles, répartis en<br />
8 parties, elles-mêmes divisées en 18 chapitres,<br />
ordonnées suivant les phases successives<br />
du processus contractuel, de sa<br />
formation à son extinction.<br />
Il n’est pas, ici, possible d’analyser les dispositions<br />
du DCEV8 . Force est toutefois de<br />
constater que l’instrument est « complet » et<br />
se veut, à la fois, classique dans son approche<br />
et moderne dans son traitement9 .<br />
consommation, cf. art. 2 h) et suivants. Les contrats<br />
entre professionnels qui ne sont pas des PME ainsi<br />
que les contrats conclus entre consommateurs<br />
seraient donc exclus du dispositif.<br />
5 Art. 7. Une PME est une entreprise qui emploie<br />
moins de 250 salariés et dont le chiffre d’affaires<br />
est inférieur à un certain seuil.<br />
Les contrats entre professionnels qui ne sont pas<br />
des PME ainsi que les contrats conclus entre consommateurs<br />
seraient donc exclus du dispositif.<br />
6 Art. 4. Des parties situées dans des États tiers à<br />
l’UE pourraient donc en bénéficier, dès lors que<br />
leur cocontractant réside dans un État membre.<br />
Les critères pour identifier le caractère transfrontière<br />
d’une opération sont objectifs et géographiques,<br />
comme l’atteste, par exemple, celui de la résidence<br />
habituelle.<br />
7 L’article 13 du règlement permettrait toutefois aux<br />
États d’étendre le DCEV aux contrats conclus entre<br />
professionnels et consommateurs qui seraient<br />
purement internes, ainsi qu’aux rapports entre<br />
professionnels qui ne sont pas des PME.<br />
8 Pour un premier aperçu de certaines de ses<br />
dispositions, v. C. Aubert de Vincelles, J.C.P. éd. G,<br />
n° 50, 12 décembre 2011, 1376. Aucune étude<br />
complète n’a, à ce jour, été publiée.<br />
9 Classique, le DCEV est construit à l’image des<br />
différents droits nationaux. Il comporte des principes<br />
généraux et comprend des dispositions impératives<br />
et supplétives de volonté.<br />
Moderne, les dispositions du DCEV sont issues de<br />
l’acquis communautaire en matière de droit des<br />
contrats, enrichies de propositions doctrinales.<br />
Certaines solutions retenues par le texte diffèrent<br />
Le considérant 29 précise que les règles<br />
énoncées par le DCEV devraient être interprétées<br />
de manière autonome.<br />
C’est donc bien un véritable droit « européen »<br />
du contrat qui serait créé.<br />
1.3. Modalités d’application du DCEV<br />
Pour régir les contrats qui entrent dans son<br />
champ d’application, le DCEV devra avoir<br />
été expressément désigné par les parties.<br />
La licéité du consentement des parties et<br />
la sécurité de cette désignation seraient<br />
assurés par une « convention des parties à<br />
cet effet ».<br />
Aucune formalité particulière ne serait exigée<br />
pour les contrats entre professionnels. Pour<br />
les contrats conclus entre professionnels et<br />
consommateurs, la validité de la désignation<br />
du DCEV serait conditionnée à la remise,<br />
par le professionnel, d’un avis d’information<br />
au consommateur, dont un modèle est<br />
reproduit en annexe II du DCEV 10 .<br />
Dans l’hypothèse où le DCEV serait adopté<br />
en l’état, les parties à un contrat de vente<br />
transfrontière disposeraient, par conséquent,<br />
de la possibilité de soumettre leur contrat à<br />
une loi nationale (1 er régime) ou au DCEV<br />
(2 nd régime).<br />
2. Une fois désigné par les parties,<br />
le DCEV serait la seule loi<br />
applicable aux aspects de leur<br />
relation contractuelle qui entre<br />
dans son champ d’application<br />
Second régime mis en concurrence avec les<br />
règles nationales pré existantes, le DCEV<br />
serait un droit harmonisé qui régirait<br />
exclusivement les aspects de la relation<br />
contractuelle qui entre dans son champ<br />
d’application 11 . Cependant, le DCEV ne<br />
donc sensiblement des droits nationaux.<br />
On peut alors remarquer la mise en œuvre d’une<br />
certaine philosophie, empreinte d’utilitarisme et<br />
fondée sur la promotion de l’efficacité de l’échange.<br />
10 Le consentement du consommateur devrait, en<br />
effet, être distinct du consentement à l’engagement<br />
lui-même. Il est très dommageable que ce mécanisme<br />
n’ait pas été étendu aux relations entre<br />
professionnels. D’une part, celles-ci peuvent, tout<br />
autant que celles entre consommateurs et<br />
professionnels, être déséquilibrées. D’autre part,<br />
le succès du DCEV dépendra de la sécurité<br />
entourant sa désignation (cf. infra).<br />
11 L’article 11 dispose que : « Lorsque les parties<br />
sont valablement convenues d’appliquer le droit<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
L’articulation<br />
nécessaire avec<br />
le droit national<br />
risque d’être<br />
complexe<br />
Les discussions<br />
au Conseil sont<br />
en cours<br />
Droit communautaire et international<br />
couvrirait pas tous les aspects d’une relation<br />
contractuelle. L’instrument se juxtaposerait<br />
donc avec certaines règles nationales. La<br />
simplicité et l’efficacité du DCEV cèdent alors<br />
la place à une relative complexité, en raison<br />
des problèmes d’articulation que le choix du<br />
dispositif, par les parties, feraient naître.<br />
Ceux-ci peuvent sommairement se présenter<br />
de la manière suivante.<br />
Les litiges portant sur des matières qui entrent<br />
dans le champ d’application du DCEV,<br />
énumérées au considérant 26 et développées<br />
dans l’annexe I, seraient exclusivement régis<br />
par le DCEV.<br />
Par conséquent, le choix, par les parties,<br />
du DCEV paralyserait l’application de toute<br />
règle nationale, y compris les règles impératives<br />
telles que celles de police de marché<br />
et celles qui seraient pénalement sanctionées12<br />
.<br />
Le droit national continuerait cependant de<br />
régir les matières exclues du champ d’application<br />
du DCEV, énumérées au considérant<br />
27, qu’elles soient contractuelles ou non.<br />
Le choix du DCEV pourrait alors être source<br />
d’insécurité juridique pour les parties. S’agissant<br />
d’une relation transfrontière et donc<br />
internationale, le droit national, résiduel, devra<br />
être désigné en application des règles de<br />
conflit de lois, dont le contenu n’est pas<br />
harmonisé. Les parties auront donc intérêt,<br />
si elles souhaitent choisir le DCEV, à inclure<br />
une clause dans leur contrat désignant un<br />
droit national applicable aux aspects non<br />
couverts par le DCEV. Finalement, choisir<br />
le DCEV pourrait s’avérer assez couteux13 .<br />
L’entrée en vigueur du DCEV risque<br />
également de générer un fort contentieux<br />
portant sur la définition de son champ d’application<br />
14 . Il ne peut être question, pour le<br />
législateur communautaire, de laisser les<br />
États adopter ou appliquer des législations<br />
commun européen de la vente, seul ce droit régit<br />
les matières relevant de ces dispositions ».<br />
12 Seraient ici concernées l’ensemble des règles<br />
déclarées internationalement impératives.<br />
13 Puisque le recours à des conseils juridiques portant<br />
sur les droits nationaux et sur le DCEV sera<br />
absolument nécessaire.<br />
14 Il s’agit du contentieux dit « de l’effet utile ». Il<br />
concerne les mesures nationales qui ne sont, en<br />
principe, pas couvertes par l’harmonisation mais<br />
dont l’application menace la pleine réalisation de<br />
l’intégration communautaire. En pratique, il sert à<br />
étendre le champ des dispositions communautaires.<br />
nationales qui, sans pour autant entrer dans<br />
son champ, restreindraient l’intérêt de la<br />
désignation du DCEV.<br />
3. La proposition de DCEV est<br />
critiquée<br />
Bien que limitée aux contrats de vente<br />
transfrontières dont les parties choisiraient<br />
expressément le DCEV comme droit<br />
applicable, la proposition de règlement n’en<br />
communautarisait pas moins une source du<br />
droit pour l’instant nationale. Le consensus<br />
politique au sujet du niveau d’intégration<br />
réalisé risque donc d’être difficile à trouver 15 .<br />
Quatre Parlements nationaux ont, d’ailleurs,<br />
émis un avis motivé sur le fondement de la<br />
subsidiarité 16 .<br />
En France, l’Assemblée nationale et le<br />
Sénat ont émis une résolution concluant au<br />
rejet du texte, notamment en raison du choix<br />
de la base juridique 17 .<br />
Le choix de l’article 114 du TFUE peut, en<br />
effet, surprendre, en l’absence d’harmonisation,<br />
stricto sensu, des différents droits<br />
nationaux. Au surplus, l’adoption de textes<br />
instaurant des régimes optionnels, se<br />
réalise, classiquement au moyen de l’article<br />
352 du TFUE 18 .<br />
Ce choix est stratégique. L’article 352<br />
conditionne l’adoption du texte à<br />
l’unanimité, alors que l’article 114 soumet<br />
celui-ci à la majorité qualifiée. La discussion<br />
du texte au Conseil promet d’être animée !<br />
Simon Chardenoux (Direction des<br />
affaires juridiques)<br />
15 Le niveau de protection dans le cadre des rapports<br />
entre professionnels semble, notamment,<br />
discutable.<br />
16 Il s’agit du Bundestag allemand, du Sénat belge,<br />
du Conseil Fédéral autrichien et de la Chambre des<br />
communes anglaise. L’Union européenne ne<br />
disposerait alors pas d’une compétence pour<br />
adopter des mesures en ce domaine, qui devrait<br />
rester de la compétence des États.<br />
17 Le 7 décembre 2011 pour l’Assemblée et le 23<br />
février pour le Sénat.<br />
18 Comme par exemple la société européenne,<br />
instituée par le règlement n° 2157/2001.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 61
Contrôle interne<br />
et audit interne,<br />
deux notions en<br />
pleine actualité<br />
Le contrôle de la<br />
politique agricole<br />
commune, un<br />
exemple abouti<br />
62<br />
Droit communautaire et international<br />
La commission de certification des comptes des<br />
organismes payeurs (CCCOP), auditeur externe des<br />
dépenses financées par les fonds agricoles européens<br />
Par Marie-José Palasz, présidente<br />
Développer les processus de contrôle interne et d’audit interne dans les administrations<br />
et les opérateurs de l’État est particulièrement d’actualité. L’étude des<br />
dispositifs mis en œuvre dans le cadre de la politique agricole commune à la<br />
demande de la Commission européenne montre que les règlements<br />
communautaires ont largement anticipé ce mouvement. Les organismes payeurs<br />
sont dans le cadre de leur agrément notamment tenus de créer un service de<br />
contrôle interne et d’audit interne qui sont audités par la CCCOP. Pour autant, la<br />
Commission européenne souhaite aller encore plus loin, en élargissant la portée<br />
de l’audit externe.<br />
Les notions de contrôle interne et d’audit<br />
interne font maintenant partie du vocabulaire<br />
courant des administrations notamment,<br />
depuis la parution du décret du 28 juin 2011 1<br />
et de la circulaire du Premier ministre du<br />
30 juin 2011 2 .<br />
Les dispositifs sont en cours de mise en place<br />
(création du Comité d’harmonisation de l’audit<br />
interne (CHAI3 ), de comités d’audit ministériels4<br />
, identification des services compétents<br />
au sein des administrations et formation des<br />
agents....). À Bercy, pour citer un exemple,<br />
on assiste au Contrôle général économique<br />
et financier à la professionnalisation et au<br />
développement de l’activité d’audit pour mieux<br />
répondre à cette évolution.<br />
Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut<br />
rappeler quelques précédents à ce<br />
mouvement de création de comités d’audit.<br />
Ainsi, on peut citer pour les sociétés de<br />
droit privé dont les titres sont admis sur le<br />
marché réglementé, l’obligation de créer un<br />
comité spécialisé qui « assure le suivi des<br />
questions relatives à l’élaboration et au<br />
contrôle des informations comptables et<br />
financières » (article L 823-19 du code de<br />
commerce5 ).<br />
1 Décret n° 2011-775 du 28 juin 2011 relatif à l’audit<br />
interne dans l’administration.<br />
2 Circulaire du 30 juin 2011 du Premier ministre relative<br />
à la mise en œuvre de l’audit interne dans<br />
l’administration.<br />
3 Le CHAI est notamment chargé d’harmoniser la<br />
méthodologie de travail des administrations en<br />
matière d’audit, d’élaborer le cadre de référence de<br />
l’audit interne dans l’administration d’État et d’en<br />
assurer le suivi.<br />
4 Le comité d’audit ministériel « s’assure de la qualité<br />
du dispositif de contrôle interne pour la maîtrise<br />
des risques mis en œuvre au sein de ces ministères<br />
et de la diffusion des bonnes pratiques au sein de<br />
leurs opérateurs ».<br />
Pour les organimes publics, la circulaire du<br />
Premier ministre du 26 mars 2010 encourage<br />
le développement des instruments de pilotage<br />
de la <strong>gouv</strong>ernance des opérateurs de l’État<br />
avec notamment la mise en place de comités<br />
d’audit ou de comités stratégiques. L’amélioration<br />
de la qualité comptable, y compris celle<br />
des opérateurs de l’État est enfin un élément<br />
clé de la certification des comptes de l’État<br />
par la Cour des comptes.<br />
Le droit communautaire a depuis de<br />
nombreuses années conduit les autorités<br />
nationales à développer des systèmes<br />
permettant à la Commission et à la Cour<br />
des comptes européenne d’avoir une<br />
assurance suffisante que les dépenses<br />
effectuées par les États membres sur des<br />
fonds communautaires étaient conformes<br />
aux règlements. L’exemple de la politique<br />
agricole commune et de la certification des<br />
comptes des organismes payeurs des<br />
dépenses financées par les Fonds<br />
européens FEAGA6 et FEADER7 paraît à<br />
cet égard particulièrement abouti.<br />
5 Voir également l’article L. 225-37 du code de<br />
commerce qui prévoit pour ces mêmes sociétés<br />
que le président du conseil d’administration doit<br />
rendre compte dans un rapport des « procédures<br />
de contrôle interne et de gestion des risques mises<br />
en place dans la société en détaillant celles de<br />
ces procédures qui sont relatives à l’élaboration<br />
et au traitement de l’information comptable et<br />
financière ». À noter en outre qu’en vertu des<br />
normes d’exercice de la profession de commissaires<br />
aux comptes (CAC), les dirigeants d’entreprises<br />
sont tenus de délivrer aux CAC une note d’affirmation<br />
(qui pourrait être assimilée à la DAS donnée par le<br />
directeur des organismes payeurs - voir ci-après)<br />
dans laquelle ils déclarent entre autre qu’ils ont mis<br />
en place un système de contrôle interne.<br />
6 Fonds européen agricole de garantie.<br />
7 Fonds européen agricole pour le développement<br />
rural.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
L’agrément des<br />
organismes<br />
payeurs est lié au<br />
respect de<br />
nombreux<br />
critères<br />
L’existence d’un<br />
contrôle interne<br />
et d’un service<br />
d’audit interne<br />
est un des<br />
critères<br />
d’agrément<br />
Droit communautaire et international<br />
1. L’agrément d’organismes<br />
payeurs<br />
L’article 6 du règlement (CE) n° 1290/2005 8<br />
prévoit que les États membres agréent les<br />
services ou organismes payeurs des<br />
dépenses agricoles financées par des fonds<br />
européens.<br />
1.1. Les organismes payeurs nationaux<br />
Il existe actuellement en France quatre<br />
organismes payeurs (OP) agréés : l’Agence<br />
de Services et de Paiement (ASP) qui est le<br />
plus gros OP européen et assure le paiement<br />
de dépenses relevant des deux fonds<br />
agricoles (le FEAGA et le FEADER),<br />
l’Etablissement national des produits de<br />
l’agriculture et de la Mer FranceAgriMer<br />
(FAM), l’Office de développement de<br />
l’économie agricole d’outre-mer (ODEADOM)<br />
et enfin, l’Office du développement agricole<br />
et rural de Corse (ODARC).<br />
Globalement pour l’exercice 2011, les<br />
montants versés au titre de la PAC ont été<br />
pour l’ASP de 7,9 milliards d’euros au titre<br />
du FEAGA et 806 millions d’euros au titre<br />
du FEADER, pour FAM de 601 millions<br />
d’euros, pour l’ODEADOM de 258 millions<br />
d’euros et enfin pour l’ODARC de 7,4 millions<br />
d’euros.<br />
Les agréments sont délivrés par arrêté<br />
ministériel signé du ministre chargé de<br />
l’agriculture et du ministre chargé du budget.<br />
Ils font l’objet d’une supervision permanente<br />
via une instance de supervision présidée par<br />
les représentants des deux ministères<br />
concernés. L’agrément peut être « mis en<br />
phase de test » si l’OP ne respecte plus<br />
une des conditions d’agrément ou connaît<br />
des déficiences graves ; la Commission<br />
européenne est alors tenue informée des<br />
actions mises en œuvre pour remédier à<br />
ces dysfonctionnements.<br />
L’agrément a pour objectif de s’assurer que<br />
les organismes payeurs répondent aux<br />
conditions qui permettent de garantir<br />
notamment que l’éligibilité des demandes<br />
d’aides et les procédures d’attribution des<br />
aides sont contrôlées avant ordonnancement<br />
des paiements, que les paiements effectués<br />
sont comptabilisés de manière exacte et<br />
exhaustive et imputés sur le bon exercice.<br />
8 Règlement (CE) n° 1290/2005 du Conseil du 21 juin<br />
2005 relatif au financement de la politique agricole<br />
commune.<br />
1.2. L’obligation de développer contrôle<br />
interne et audit interne<br />
Les organismes payeurs doivent respecter<br />
les critères d’agrément prévus par l’article<br />
5 du règlement n° 885/20069 et détaillés<br />
dans son annexe I.<br />
Sont notamment examinés en vue de<br />
l’agrément d’un OP, son environnement interne<br />
(structure organisationnelle, ressources<br />
humaines, existence de délégations tracées),<br />
ses activités de contrôle (contrôles effectués<br />
au moment de la réception d’une demande,<br />
d’un paiement, de la comptabilisation), son<br />
système de communication et d’information<br />
(procédures permettant de prendre en compte<br />
au plus vite toute modification de<br />
réglementation, sécurité des systèmes<br />
d’information), le suivi de l’ensemble des<br />
processus au travers des actions de contrôle<br />
interne et des évaluations menées par un<br />
service d’audit interne. Le contôle interne est<br />
mis en place par les services gestionnaires<br />
et intégré à tous les stades de la gestion alors<br />
que l’audit interne est un service qui agit de<br />
sa propre initiative et qui rend compte au<br />
directeur sur des thèmes précis qu’il audite<br />
complètement10 .<br />
Ces dispositions sont complétées par une<br />
ligne directrice de la Commission, la ligne<br />
directrice n° 2 relative à l’agrément d’un<br />
organisme payeur dans laquelle se trouvent<br />
notamment des précisions sur l’évaluation<br />
du système de contrôle interne et le respect<br />
des conditions d’agrément.<br />
Les responsables des OP sont également<br />
tenus, en vertu de l’article 8, paragraphe 1,<br />
du règlement (CE) n° 1290/2005, d’émettre<br />
une déclaration d’assurance qui doit<br />
obligatoirement comporter notamment les<br />
mentions suivantes :<br />
« Je déclare, sur la base de mon propre<br />
jugement et des informations dont je<br />
dispose, y compris, notamment, les conclusions<br />
des travaux du service d’audit interne,<br />
que :<br />
9 Règlement (CE) n° 885/2006 de la Commission du<br />
21 juin 2006 portant modalités d’application du<br />
règlement (CE) n° 1290/2005 du Conseil en ce qui<br />
concerne l’agrément des organismes payeurs et<br />
autres entités ainsi que l’apurement des comptes<br />
du Feaga et du Feader.<br />
10 Le programme d’audit doit garantir que tous les<br />
domaines significatifs, y compris les unités<br />
chargées de l’ordonnancement des dépenses,<br />
soient pris en compte dans une période n’excédant<br />
pas cinq ans.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 63
Les États<br />
membres doivent<br />
également<br />
instituer un<br />
organe d’audit<br />
externe<br />
64<br />
Droit communautaire et international<br />
• les comptes ici présentés constituent,<br />
à ma connaissance, un état vrai, intégral<br />
et exact des dépenses et des recettes<br />
pour l’exercice budgétaire mentionné cidessus<br />
;<br />
• j’ai mis en place un système offrant des<br />
assurances raisonnables quant à la<br />
légalité et à la régularité des opérations<br />
sous-jacentes et en particulier sur le fait<br />
que l’éligibilité des demandes et, dans le<br />
cas du développement rural, la procédure<br />
d’octroi de l’aide sont gérées, contrôlées<br />
et documentées conformément aux<br />
règles communautaires. »<br />
Les actions de contrôle interne et la création<br />
d’un service d’audit interne sont donc<br />
obligatoires et ont conduit les OP à développer<br />
une organisation et des procédures<br />
qui sont aujourd’hui demandées en interne<br />
aux opérateurs de l’État. En outre, ces<br />
procédures sont régulièrement auditées ce<br />
qui permet de s’assurer de leur qualité et<br />
de veiller à la mise en œuvre des améliorations<br />
qui pourraient s’avérer nécessaires.<br />
2. La certification des comptes<br />
Conformément aux règlements (CE)<br />
n° 1290/2005 du Conseil et n° 885/2006 de<br />
la Commission, notamment respectivement<br />
en ses articles 7 et 5, il est institué dans<br />
chaque État membre un organisme de<br />
certification qui a vocation à vérifier les<br />
dépenses gérées et payées par les<br />
Organismes Payeurs nationaux agréés.<br />
L’article 7 du règlement n° 1290/2005 prévoit<br />
que l’organisme de certification est désigné<br />
par l’État membre « en vue de certifier les<br />
comptes de l’organisme payeur agréé quant<br />
à leur véracité, leur intégralité et leur<br />
exactitude, en prenant en compte le<br />
système de gestion et de contrôle mis en<br />
place ».<br />
Cet organisme doit être indépendant des<br />
organes payeurs et disposer des<br />
compétences techniques nécessaires 11 .<br />
2.1. La CCCOP<br />
Depuis 2005, l’organisme de certification<br />
(OC) français, la CCCOP, est sous la tutelle<br />
bicéphale du ministère de l’agriculture et<br />
du ministère du budget alors qu’elle<br />
dépendait auparavant de la Cour des<br />
comptes nationale12 .<br />
11 Article 5 du règlement n° 885/2006.<br />
Un décret de 200713 est venu confirmer la<br />
composition et le rôle de la CCCOP. C’est<br />
un organisme sui generis de droit public qui<br />
se décompose en deux entités, une commission<br />
délibérante et un service opérationnel.<br />
La commission délibérante comprend cinq<br />
membres dont un président et un vice-président,<br />
nommés par arrêté du Premier ministre,<br />
après avis du ministre chargé de l’économie<br />
et du ministre chargé de l’agriculture Ils sont<br />
recrutés parmi les corps d’inspection et de<br />
contrôle de ces deux ministères.<br />
Le service de la CCCOP qui constitue la<br />
structure opérationnelle compte seize<br />
personnes en tout : le président de la<br />
commission, quatre rapporteurs spéciaux<br />
chargés de la supervision des travaux d’audit,<br />
dix auditeurs et une assistante de direction.<br />
Les auditeurs sont recrutés en fonction de<br />
leurs compétences particulières en matière<br />
de contrôle, d’analyse comptable et budgétaire<br />
et d’audit. Ils sont principalement issus<br />
de filières de contrôle : inspecteurs des finances<br />
publiques, anciens contrôleurs des offices<br />
agricoles ou de la Mission de Contrôle de la<br />
régularité des Opérations du Secteur Agricole<br />
(CGEFi-Mission COSA).<br />
L’organisme de certification pratique un<br />
audit récurrent des organes payeurs qui se<br />
traduit chaque année et pour chaque<br />
organisme payeur et par Fonds (FEAGA et<br />
FEADER) pour l’ASP, par la rédaction d’un<br />
rapport d’audit qui comporte une évaluation<br />
des procédures de l’OP, d’éventuelles<br />
propositions de corrections financières ainsi<br />
que des constatations conduisant à des<br />
recommandations14 . Ce rapport est accompagné<br />
d’un certificat d’audit indiquant si<br />
l’organisme de certification « a obtenu des<br />
assurances raisonnables sur la véracité,<br />
l’intégralité et l’exactitude des comptes et<br />
sur le bon fonctionnement des procédures<br />
de contrôle interne » et d’un avis sur la<br />
déclaration d’assurance signée par le<br />
responsable de l’OP.<br />
L’exercice agricole sur lequel porte l’audit<br />
court du 16 octobre de l’année N au 15 octo-<br />
12 À noter par exemple que le rôle d’organe de<br />
certification est tenu au Royaume Uni par le National<br />
Audit Office (NAO) et aux Pays Bas, par la Cour<br />
des comptes néerlandaise.<br />
13 Décret n° 2007-805 du 11 mai 2007.<br />
14 Les rapports font l’objet d’une procédure<br />
contradictoire avec l’organisme payeur en présence<br />
des ministères concernés.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Cet audit externe<br />
couvre un champ<br />
plus vaste que<br />
l’audit comptable<br />
et financier<br />
Les règlements<br />
communautaires<br />
et les lignes<br />
directrices<br />
encadrent très<br />
précisément<br />
l’audit externe<br />
Droit communautaire et international<br />
bre de l’année N+1. Ainsi pour 2012, les<br />
travaux concernent les dépenses payées<br />
du 16 octobre 2011 au 15 octobre 2012, les<br />
rapports devant parvenir à la Commission<br />
européenne le 1 er février 2013 au plus tard.<br />
L’organisme de certification est tenu de<br />
vérifier que :<br />
• l’OP respecte les conditions d’agrément ;<br />
• les procédures de l’OP permettent de<br />
déclarer, avec un degré raisonnable de<br />
fiabilité, que les dépenses imputées aux<br />
fonds européens ont été effectuées dans<br />
le respect de la réglementation communautaire<br />
;<br />
• les comptes annuels visés à l’article<br />
6, paragraphe 1, du règlement (CE)<br />
n° 885/2006 sont conformes aux livres<br />
et registres de l’organisme payeur ;<br />
• les déclarations relatives aux dépenses<br />
et aux opérations d’intervention constituent<br />
un relevé matériellement vrai, intégral<br />
et exact des opérations imputées aux<br />
fonds ;<br />
• les intérêts financiers de la Communauté<br />
sont dûment protégés en ce qui concerne<br />
les avances payées, les garanties<br />
obtenues, ainsi que les montants à<br />
percevoir.<br />
2.2. Un encadrement très complet des<br />
travaux d’audit externe<br />
Le droit communautaire prévoit de façon<br />
très précise le dispositif d’audit externe qui<br />
doit être mis en œuvre dans les États<br />
membres. Aux deux règlements de base<br />
précités viennent s’ajouter une série de<br />
lignes directrices prévues par le règlement<br />
n° 885/2006, qui ont un statut juridique<br />
quasi-normatif. Les normes d’audit<br />
internationales qui s’appliquent au contexte<br />
public communautaire sont ainsi reprises<br />
et servent de référence de base aux travaux.<br />
La ligne directrice n° 3 précise la stratégie<br />
d’audit et comporte une annexe fixant les<br />
règles d’échantillonnage et d’évaluation des<br />
erreurs.<br />
La ligne directrice n° 5 sur le modèle de<br />
rapport pour les organismes de certification<br />
détaille jusqu’au niveau des sous-paragraphes<br />
le plan du rapport à transmettre à<br />
la Commission.<br />
La ligne directrice n° 6 sur le certificat de<br />
l’OC encadre le certificat d’audit en prévoyant<br />
sa forme, son contenu y compris la<br />
formulation et la portée des différentes<br />
réserves qui peuvent être émises.<br />
Enfin, la ligne directrice n° 7 donne les<br />
éléments que doit comprendre l’avis de<br />
l’organisme de certification sur la déclaration<br />
d’assurance de l’organisme payeur.<br />
Le champ de l’audit financier annuel de<br />
l’organisme de certification comprend, en vertu<br />
de l’article 5 paragraphe 4 du règlement (CE)<br />
n° 885/2006 de la Commission :<br />
• l’ensemble des dépenses agricoles<br />
brutes qui font l’objet de remboursement<br />
auprès des Communautés,<br />
• les recouvrements perçus enregistrés en<br />
recettes et les indus imputés en<br />
diminution de dépenses,<br />
• les stocks publics de fin d’exercice,<br />
• les avances et garanties,<br />
• les débiteurs avérés (créances) et<br />
potentiels.<br />
Les travaux menés par la CCCOP portent<br />
à la fois sur la qualité des systèmes de<br />
gestion et d’information financière<br />
(conformité) et sur les transactions ou<br />
données exécutées lors de l’exercice<br />
(validation).<br />
Ils sont fondés sur une analyse de risques<br />
effectuée annuellement au vu notamment<br />
des constatations de l’exercice précédent<br />
(existence ou non de dysfonctionnements,<br />
suivi des recommandations), de la<br />
complexité ou de l’ancienneté des mesures<br />
agricoles à contrôler (une mesure ancienne<br />
pour laquelle les contrôles précédents n’ont<br />
pas révélé de problèmes présentera peu de<br />
risques, même si son enjeu financier est fort,<br />
comparativement à une mesure nouvelle dont<br />
la complexité est avérée).<br />
Une stratégie d’audit est alors établie avec<br />
un descriptif des travaux qui vont être<br />
menés :<br />
• examen de la documentation (manuels<br />
de procédures, circulaires...) et entretiens<br />
généraux permettant d’identifier les<br />
procédures mises en œuvre, les travaux<br />
de contrôle interne et d’audit interne,<br />
• détermination du nombre de dossiers à<br />
examiner tant pour vérifier la conformité<br />
des procédures effectivement suivies à<br />
celles annoncées, que pour s’assurer de<br />
la validité des paiements effectués,<br />
• fixation du nombre de contrôles sur place<br />
effectués par les contrôleurs de l’organisme<br />
payeur ou de son délégataire qui<br />
feront l’objet d’un accompagnement par<br />
les auditeurs de la CCCOP afin de s’assurer<br />
là encore du respect des procédures.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 65
La Commission,<br />
sous la pression<br />
des autorités<br />
budgétaires, veut<br />
encore renforcer<br />
le rôle de<br />
l’organe de<br />
certification<br />
66<br />
Droit communautaire et international<br />
À noter que la CCCOP peut faire elle-même<br />
l’objet d’un audit afin que soit vérifiée la<br />
conformité de ses travaux aux normes<br />
internationales d’audit et aux lignes<br />
directrices. Elle a ainsi été auditée par la<br />
Cour des comptes européenne en novembre<br />
2006 et au printemps 2009. Son travail est<br />
également contrôlé par la Commission<br />
européenne à l’occasion de l’apurement<br />
comptable des comptes des organismes<br />
payeurs.<br />
3. Volonté de la Commission<br />
d’aller au-delà<br />
Le dispositif de contrôle et d’audit décrit cidessus<br />
(existence dans les OP d’un<br />
contrôle interne et d’un service d’audit<br />
interne, audit externe mené par l’OC) ne<br />
semble toutefois pas suffisant aux yeux de<br />
la Commission européenne.<br />
Poussée par la Cour des comptes<br />
européenne et les autorités budgétaires, la<br />
Commission désire renforcer son assurance<br />
sur la conformité des dépenses. Cependant,<br />
confrontée à un manque de moyens de<br />
contrôle propres, elle cherche à reporter sur<br />
les États membres des tâches qu’elle ne<br />
veut pas effectuer.<br />
3.1. Une première tentative en 2010<br />
La Commission avait déjà tenté en 2010<br />
d’obliger les États membres à mettre en<br />
place la réitération des contrôles, en<br />
proposant une nouvelle ligne directrice15 .<br />
Face au refus des États, elle avait opté pour<br />
une mise en œuvre à titre volontaire de ce<br />
processus. Seuls quatre États membres<br />
auraient accepté ce principe (la Bulgarie,<br />
la Grèce, le Luxembourg et la Roumanie)<br />
sans qu’un bilan de cette expérimentation<br />
n’ait été communiqué.<br />
3.2. Les réformes pour la période 2014-<br />
2020<br />
Dans le cadre de la réforme de la PAC et<br />
plus particulièrement dans la « Proposition<br />
de règlement du Parlement européen et du<br />
Conseil relatif au financement, à la gestion<br />
et au suivi de la politique agricole<br />
commune », la Commission propose de<br />
renforcer le rôle de l’organisme de certification,<br />
en l’obligeant à vérifier la légalité<br />
15 Ligne directrice relative à l’assurance renforcée<br />
quant à la légalité et à la régularité des opérations<br />
au niveau des bénéficiaires finals.<br />
et la régularité des opérations sousjacentes<br />
aux paiements.<br />
De fait, il ne s’agit plus seulement dans son<br />
esprit que l’OC vérifie la bonne application<br />
par l’OP de procédures conformes au droit<br />
communautaire, mais qu’il s’assure, en<br />
réitérant les contrôles administratif et sur<br />
place jusque chez le bénéficiaire final, que<br />
l’aide devait être effectivement accordée et<br />
que son montant est justifié16 . L’audit devrait<br />
alors couvrir le traitement d’un dossier<br />
d’aide dans son intégralité, de la<br />
présentation de la demande au paiement.<br />
La plupart des États membres s’opposent<br />
actuellement à cette proposition de la<br />
Commission, au nom de la nécessaire<br />
proportionnalité des contrôles à mettre en<br />
œuvre, en mettant en balance leur coût élevé<br />
au regard des bénéfices attendus.<br />
De façon plus large encore, la Commission<br />
a proposé, dans la « Proposition de règlement<br />
du Parlement européen et du Conseil<br />
portant règlement financier applicable au<br />
budget général de l’Union européenne », que<br />
le dispositif mis en œuvre pour la politique<br />
agricole commune s’applique également<br />
aux fonds structurels.<br />
Elle a ainsi envisagé de compléter le dispositif<br />
d’audit existant, en prévoyant l’agrément des<br />
organismes payeurs suivant des critères<br />
similaires à ceux des organismes payeurs<br />
agricoles, l’établissement par les OP d’une<br />
déclaration annuelle d’assurance et la remise<br />
par un organisme d’audit indépendant d’un<br />
avis sur cette déclaration. Ces propositions<br />
font, elles aussi, l’objet d’une opposition d’un<br />
grand nombre d’États membres et sont<br />
toujours en cours de discussion.<br />
Il pourrait apparaître délicat en période de<br />
crise économique de ne pas vouloir renforcer<br />
les contrôles qui permettraient de limiter<br />
les fraudes et irrégularités. Il est, toutefois,<br />
essentiel de conserver le principe de proportionnalité,<br />
seul à même de limiter des demandes<br />
excessives de la part des institutions<br />
communautaires.<br />
Marie-José Palasz (Présidente de la<br />
CCCOP)<br />
16 À ce jour, l’organe de certification exerce un<br />
contrôle d’éligibilité sur les dossiers sélectionnés<br />
au titre de la validation mais ces vérifications sont<br />
sur dossier, à l’exception de quelques<br />
accompagnements de contrôles sur place prévus<br />
en conformité.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Les injonctions<br />
imposées aux<br />
intermédiaires<br />
techniques<br />
doivent respecter<br />
le cadre<br />
juridique<br />
européen<br />
Le juge national<br />
a la possibilité de<br />
prendre des<br />
mesures visant à<br />
mettre un terme<br />
à toute atteinte<br />
aux droits de<br />
propriété<br />
intellectuelle<br />
Droit privé<br />
La légalité des mesures de filtrage et de blocage<br />
imposées aux fournisseurs d’accès : à propos<br />
des affaires SABAM<br />
Par Marie Latournerie<br />
Depuis près de vingt ans, le droit d’auteur est confronté à l’expansion du numérique.<br />
L’instauration d’un filtrage de l’internet, destiné à protéger les droits d’auteur du<br />
piratage est au cœur d’un vif débat. Les titulaires de droits de propriété intellectuelle<br />
demandent aux tribunaux d’enjoindre les intermédiaires techniques, tels que les<br />
fournisseurs d’accès à internet et les hébergeurs, à mettre en place un système de<br />
filtrage et de blocage. Dans ses arrêts du 24 novembre 2011 et du 16 février 2012, la<br />
Cour de justice de l’Union européenne s’est opposée à l’instauration d’un système<br />
de filtrage général. Elle a jugé qu’un tel filtrage heurterait certains droits fondamentaux<br />
des opérateurs, comme des utilisateurs. Cependant, la Cour laisse ouverte<br />
la possibilité de leur imposer des obligations de filtrage davantage ciblé.<br />
Au cours des dix dernières années, l’intérêt<br />
particulier porté par le législateur de l’Union<br />
européenne à la lutte contre le piratage s’est<br />
traduit par l’adoption de plusieurs directives<br />
pour rendre plus efficace la protection des<br />
droits de propriété intellectuelle sur internet.<br />
Il s’agit essentiellement de la directive 2000/<br />
31/CE du 8 juin 2000 relative au commerce<br />
électronique, de la directive 2001/29/CE du<br />
22 mai 2001 relative au droit d’auteur dans<br />
la société de l’information et de la directive<br />
2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au<br />
respect des droits de propriété intellectuelle.<br />
Bien que chacun de ces textes traite du<br />
problème du piratage sous un angle différent,<br />
ils évoquent tous la question des injonctions<br />
que le juge peut prendre à l’encontre des<br />
intermédiaires techniques, afin de protéger<br />
des droits de propriété intellectuelle.<br />
La lutte contre le piratage sur internet exige<br />
des efforts conjoints de tous les acteurs du<br />
secteur. Mais, deux logiques s’affrontent.<br />
Pour certains, le filtrage et le blocage<br />
permettront de « faire du ménage » au sein<br />
de la toile en offrant aux internautes l’accès<br />
à des contenus licites. Pour d’autres, le<br />
filtrage et le blocage sont l’incarnation d’une<br />
nouvelle forme de censure.<br />
Au vu de ce clivage, il paraît nécessaire<br />
d’analyser la légitimité de telles injonctions,<br />
au regard des dispositions de droit européen<br />
et à la lumière de la jurisprudence de la<br />
Cour de justice de l’Union européenne.<br />
1. L’interdiction européenne<br />
d’imposer aux intermédiaires<br />
techniques un filtrage général<br />
des communications électroniques<br />
transitant par leur<br />
réseau<br />
1.1. Les textes européens<br />
Plusieurs dispositions du droit de l’Union<br />
européenne sont invoquées à l’appui des<br />
demandes tendant à obtenir d’un tribunal<br />
des injonctions de filtrage à l’égard des<br />
intermédiaires techniques. Chacune est<br />
inspirée par l’objectif de protection effective<br />
des droits de propriété intellectuelle.<br />
Ainsi, aux termes de l’article 3.1 de la directive<br />
2004/48/CE 1 , les États membres doivent<br />
prévoir « les mesures, procédures et<br />
réparations nécessaires pour assurer le<br />
respect des droits de propriété intellectuelle<br />
[...] ». L’article 11 de la même directive<br />
instaure une obligation pour les États<br />
membres de veiller « à ce que les titulaires<br />
de droits puissent demander une injonction à<br />
l’encontre des intermédiaires dont les services<br />
sont utilisés par un tiers pour porter atteinte<br />
à un droit de propriété intellectuelle ».<br />
La directive 2000/31/CE 2 dite « Commerce<br />
électronique » retient, quant à elle, dans son<br />
1 Directive 2004/48/CE, 29 avril 2004 relative au<br />
respect des droits de propriété intellectuelle : JOUE<br />
n° L. 157, 30 avril 2004, p.45.<br />
2 Directive 2000/31/CE, 8 juin 2000 relative à certains<br />
aspects juridiques des services de la société de<br />
l’information, et notamment du commerce électronique,<br />
dans le marché intérieur (directive « Commerce<br />
électronique ») : JOCE n° L 178, 17 juillet 2000, p. 1.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 67
Les mesures<br />
prises doivent<br />
respecter le<br />
principe de<br />
proportionnalité<br />
Le droit<br />
communautaire<br />
interdit que soit<br />
imposée aux<br />
intermédiaires<br />
techniques une<br />
obligation<br />
générale de<br />
surveillance<br />
68<br />
article 14 consacré à l’activité d’hébergement,<br />
« la possibilité pour les États membres,<br />
d’instaurer des procédures régissant le retrait<br />
de ces informations [illicites] ou les actions<br />
pour en rendre l’accès impossible ». Dans le<br />
même sens, l’article 18 de cette même<br />
directive impose aux États membres de veiller<br />
à ce que les recours devant les tribunaux<br />
nationaux « permettent l’adoption rapide de<br />
mesures, y compris par la voie de référé, visant<br />
à mettre un terme à toute violation alléguée<br />
et à prévenir toute nouvelle atteinte aux<br />
intérêts concernés ».<br />
Cependant, ces textes apportent des limites<br />
importantes, mais nécessaires, quant à la<br />
portée des mesures que le juge peut<br />
prononcer.<br />
1.2. Des mesures de protection soumises<br />
au principe de proportionnalité<br />
1.2.1. Un principe général...<br />
Aux termes de l’article 3.1 de la directive<br />
2004/48/CE, « les mesures, procédures et<br />
réparations doivent être loyales et équitables,<br />
et ne doivent pas être inutilement<br />
complexes ou coûteuses et ne doivent pas<br />
comporter de délais déraisonnables ni<br />
entraîner de retards injustifiés ». L’alinéa 2<br />
du même article précise que ces mesures<br />
doivent également être « proportionnées »<br />
et « être appliquées de manière à éviter la<br />
création d’obstacles au commerce légitime<br />
[...] ». En d’autres termes, si la directive<br />
impose aux États membres de prévoir des<br />
mesures pour assurer la protection efficace<br />
des droits de propriété intellectuelle, elle<br />
soumet ces mesures au principe de<br />
proportionnalité.<br />
D’une manière générale, cette exigence de<br />
proportionnalité s’impose également au<br />
regard du nécessaire respect des droits<br />
fondamentaux, et notamment de la liberté<br />
d’information. Ainsi, comme le précise<br />
l’article 10, paragraphe 2, de la Convention<br />
européenne de sauvegarde des droits de<br />
l’Homme, les restrictions à cette liberté ne<br />
peuvent être tolérées que dans les<br />
hypothèses strictes où elles s’avèrent « nécessaires<br />
dans une société démocratique<br />
». Comme le rappelle régulièrement la<br />
Cour européenne des droits de l’Homme,<br />
cette nécessité doit être « établie de manière<br />
convaincante », « répondre à un besoin<br />
Droit privé<br />
social impérieux 3 » et être « strictement<br />
proportionnée au but légitime poursuivi 4 ».<br />
1.2.2. ... appliqué aux droits de<br />
propriété intellectuelle<br />
L’article 11 de la directive 2004/48/CE admet<br />
le prononcé des injonctions à l’égard des<br />
intermédiaires. Cette disposition doit être<br />
lue en lien avec la première phrase de l’article<br />
consacrée aux injonctions à l’encontre des<br />
contrevenants : « les États membres veillent<br />
à ce que, lorsqu’une décision judiciaire a<br />
été prise constatant une atteinte à un droit<br />
de propriété intellectuelle, les autorités<br />
judiciaires compétentes puissent rendre à<br />
l’encontre du contrevenant une injonction<br />
visant à interdire la poursuite de cette<br />
atteinte ». Ainsi, une injonction contre le<br />
contrevenant ne peut être prise qu’après<br />
décision judiciaire constatant une atteinte<br />
et ne peut interdire que la poursuite de cette<br />
même atteinte constatée. Si telle est la<br />
règle s’agissant du contrevenant qui est à<br />
l’origine de l’atteinte à un droit de propriété<br />
intellectuelle, il serait illogique d’imposer au<br />
prestataire technique, qui n’est pas<br />
personnellement responsable des atteintes<br />
commises par le biais de son service, des<br />
obligations plus étendues qu’aux<br />
contrevenants eux-mêmes.<br />
Par ailleurs, l’article 15 de la directive « Commerce<br />
électronique » interdit aux États<br />
membres d’« imposer aux prestataires, pour<br />
la fourniture des services visée aux articles<br />
12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller<br />
les informations qu’ils transmettent ou<br />
stockent, ou une obligation générale de rechercher<br />
activement des faits ou des circonstances<br />
révélant des activités illicites ».<br />
L’objectif d’assurer le respect des droits de<br />
propriété intellectuelle ne justifie donc pas le<br />
prononcé de mesures de filtrage et de blocage<br />
3 CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c/ France,<br />
requête n° 29183/95 : « la nécessité d’une<br />
quelconque restriction à l’exercice de la liberté<br />
d’expression doit se trouver établie de manière<br />
convaincante. Certes, il revient, en premier lieu,<br />
aux autorités nationales d’évaluer s’il existe un<br />
besoin social impérieux susceptible de justifier<br />
cette restriction ».<br />
4 CEDH, 23 septembre 1998, Lehideux et Isorni<br />
c/ France, requête n° 24662/94 - CEDH, 3 octobre<br />
2000, Du Roy et Malaurie c/ France, requête<br />
n° 34000/96.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Droit privé<br />
dès lors que celles-ci impliqueraient une<br />
surveillance générale, ce qui est le cas lorsque<br />
ces mesures ne sont pas strictement<br />
encadrées et limitées à des contenus précis<br />
émanant des mêmes utilisateurs du service.<br />
1.3. Des mesures applicables à des<br />
contenus précis<br />
Aux termes du considérant 47 de la directive<br />
« Commerce électronique » : « l’interdiction<br />
pour les États membres d’imposer aux<br />
prestataires de service une obligation de<br />
surveillance ne vaut que pour les obligations<br />
à caractère général » et « ne concerne pas<br />
les obligations applicables à un cas<br />
spécifique ». Dans son rapport de novembre<br />
2003 5 sur l’application de la directive de<br />
2000, la Commission européenne rappelle<br />
que les États membres peuvent imposer<br />
une obligation de surveillance dans un « cas<br />
spécifiquement défini ».<br />
Dès lors, lorsque la directive fait obligation<br />
à un prestataire technique de retirer les<br />
informations dénoncées comme illicites ou<br />
de rendre l’accès à celles-ci impossible,<br />
ces restrictions ne peuvent concerner qu’un<br />
fichier « illicite » mis en ligne par un<br />
utilisateur en particulier, et non toute<br />
reproduction ultérieure de ce fichier par<br />
toute personne.<br />
La lecture combinée des dispositions<br />
précitées démontre que les mesures et les<br />
procédures qui doivent être prévues par les<br />
États membres afin de protéger les droits<br />
de propriété intellectuelle ne peuvent en<br />
aucun cas être générales. D’ailleurs, la loi<br />
pour la confiance en l’économie numérique<br />
n° 2004-575 du 21 juin 2004 dite LCEN<br />
transposant en droit français la directive «<br />
Commerce électronique » prévoit en son<br />
article 6-I-7, alinéas 1 et 2, que seules les<br />
mesures de surveillance ciblées et<br />
temporaires peuvent être ordonnées par<br />
l’autorité judiciaire.<br />
Il ne peut donc s’agir que d’une mesure<br />
limitée dans le temps, portant sur un<br />
contenu précisément identifié et mis en<br />
ligne à l’initiative d’une même personne.<br />
5 Rapport du 21 novembre 2003 au Parlement européen,<br />
au Conseil et au Comité économique et social<br />
européen sur l’application de la directive du 8 juin<br />
2000.<br />
Ainsi, dans les affaires Scarlet et Netlog 6 ,<br />
la Société belge des auteurs, compositeurs<br />
et éditeurs SCRL (SABAM) demandait au<br />
juge national belge que les mesures de<br />
filtrage et de blocage soient mises en place<br />
par les intermédiaires techniques à l’égard<br />
des fichiers contenant toute œuvre de son<br />
répertoire, même si l’œuvre en question<br />
n’avait jamais encore fait l’objet d’une<br />
plainte. Le juge européen s’est opposé à<br />
cette demande.<br />
2. La clarification progressive<br />
des dispositions européennes<br />
par la Cour de justice de<br />
l’Union européenne<br />
Face aux difficultés à déterminer l’étendue<br />
des mesures qu’il leur est permis de prendre<br />
à l’égard des intermédiaires techniques, les<br />
juridictions nationales ont fait appel à la Cour<br />
de justice de l’Union européenne pour<br />
obtenir des éclaircissements sur les<br />
conditions de validité de telles mesures.<br />
2.1. Une tentative de précision dans<br />
l’affaire L’Oréal c/ eBay<br />
Dans l’affaire l’Oréal c/ eBay 7 , la Cour de<br />
justice a eu notamment à se prononcer,<br />
pour la première fois, sur la question de<br />
savoir si les juridictions nationales pouvaient<br />
rendre à l’égard des intermédiaires<br />
techniques des injonctions leur ordonnant<br />
de prendre des mesures pour prévenir de<br />
futures atteintes aux droits de propriété<br />
intellectuelle, en l’espèce, aux droits des<br />
marques.<br />
Dans son arrêt du 12 juillet 2011, la Cour a<br />
indiqué que les juridictions nationales<br />
peuvent enjoindre à l’intermédiaire « de<br />
prendre des mesures qui contribuent non<br />
seulement à mettre fin aux atteintes portées<br />
à ces droits par des utilisateurs de cette<br />
place de marché, mais aussi à prévenir de<br />
nouvelles atteintes de cette nature », en<br />
fixant pour seules limites que ces injonctions<br />
soient « effectives, proportionnées,<br />
6 CJUE, 24 novembre 2011, aff. C-70/10, Scarlet<br />
Extended SA c/ Société belge des auteurs,<br />
compositeurs et éditeurs (SABAM) ; CJUE, 16 février<br />
2012, aff. C-360/10, SABAM c/ Netlog NV.<br />
7 CJUE, L’Oréal c/ eBay, 12 juillet 2011, aff. C-324/09.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 69
Une injonction de<br />
filtrage et de<br />
blocage ne peut<br />
concerner que<br />
des contenus<br />
précisément<br />
identifiables<br />
70<br />
dissuasives » et ne créent pas « d’obstacles<br />
au commerce légitime ». La Cour a également<br />
estimé que ces mesures, « ne peuvent<br />
consister en une surveillance active de<br />
l’ensemble des données de chacun de ses<br />
clients afin de prévenir toute atteinte future<br />
à des droits de propriété intellectuelle via<br />
[son] site ».<br />
Si l’énoncé de ces principes constitue une<br />
avancée incontestable du droit en la<br />
matière, il apparaît dommage que la Cour<br />
n’ait pas rappelé l’évidence, à savoir qu’une<br />
injonction ne peut concerner que des<br />
contenus dont le caractère contrefaisant a<br />
déjà été jugé ou, à tout le moins, qui peuvent<br />
se rattacher sans discussion possible, du<br />
fait de leur identité ou quasi-identité, à une<br />
activité illicite déjà constatée.<br />
Le contraire reviendrait à conférer aux juges<br />
nationaux des pouvoirs allant bien au-delà<br />
de ce qui leur est reconnu dans la plupart<br />
des États membres, et notamment en<br />
France, où l’article 5 du code civil interdit au<br />
juge de se prononcer par voie de disposition<br />
générale, c’est-à-dire précisément, de<br />
conférer à sa décision une portée dépassant<br />
le simple cadre du litige qui lui est soumis<br />
et pouvant éventuellement affecter des faits<br />
ou des comportements futurs qui devraient<br />
normalement donner lieu à un nouveau débat.<br />
2.2. Une réelle avancée avec les affaires<br />
SABAM<br />
Les arrêts de la Cour de justice de l’Union<br />
européenne rendus le 24 novembre 2011 et<br />
le 16 février 2012 dans les affaires SABAM<br />
sont venus confirmer avec force les<br />
principes posés dans l’affaire eBay.<br />
En l’espèce, dans l’arrêt du 24 novembre<br />
2011, la Société belge des auteurs, compositeurs<br />
et interprètes (SABAM) avait<br />
constaté que des internautes, ayant accès<br />
au réseau Internet du fait de leur abonnement<br />
au fournisseur d’accès à Internet<br />
Scarlet, téléchargeaient « sans autorisation<br />
et sans acquitter de droits » des œuvres<br />
de son catalogue.<br />
En application de la loi belge du 30 juin 1994<br />
« relative au droit d’auteur et aux droits<br />
voisins 8 », la SABAM a fait citer le fournis-<br />
8 L’article 87 de la loi belge du 30 juin 1994 relative au<br />
droit d’auteur et aux droits voisins énonce « le<br />
président du Tribunal de première instance constate<br />
Droit privé<br />
seur d’accès à internet Scarlet, pour faire<br />
cesser les atteintes portées aux droits dont<br />
elle assure la représentation.<br />
Condamnée à faire cesser ces atteintes en<br />
rendant impossibles toute forme d’envoi ou<br />
de réception de fichiers reprenant une œuvre<br />
du répertoire de la SABAM, Scarlet a<br />
interjeté appel. La Cour d’appel de Bruxelles<br />
a interrogé la Cour de justice de l’Union<br />
européenne, afin de savoir si les juges<br />
nationaux peuvent « ordonner à un<br />
fournisseur d’accès à internet de mettre en<br />
place, à l’égard de toute sa clientèle, in<br />
abstracto et à titre préventif, aux frais<br />
exclusifs de ce fournisseur d’accès à<br />
internet et sans limitation dans le temps, un<br />
système de filtrage de toutes les<br />
communications électroniques, tant<br />
entrantes que sortantes, transitant par ces<br />
services [...] en vue d’identifier sur son réseau<br />
la circulation de fichiers électroniques<br />
contenant » des œuvres protégées et ensuite<br />
« de bloquer » leur transfert.<br />
La Cour de justice constate que « l’injonction<br />
faite au fournisseur d’accès à internet<br />
concerné de mettre en place un système de<br />
filtrage litigieux l’obligerait à procéder à une<br />
surveillance active de l’ensemble des<br />
données concernant tous ses clients », lui<br />
imposant ainsi « une surveillance générale<br />
qui est interdite par l’article 15, paragraphe<br />
1, de la directive n° 2000/31/CE ». Elle<br />
considère, comme elle l’a précédemment<br />
fait 9 , que « la protection du droit fondamental<br />
de propriété, dont font partie les droits de<br />
propriété intellectuelle, doit être mis en<br />
balance avec celles d’autres droits<br />
fondamentaux ». De plus, elle constate qu’une<br />
telle injonction « entraînerait une atteinte<br />
caractérisée à la liberté d’entreprise du<br />
fournisseur d’accès à internet concerné<br />
puisqu’elle l’obligerait à mettre en place un<br />
système informatique complexe, coûteux,<br />
permanent et à ses seuls frais ». Elle ajoute,<br />
pour conclure, qu’il serait également porté<br />
« atteinte aux droits fondamentaux des clients<br />
de ce fournisseur d’accès à internet, à savoir<br />
l’existence et ordonne la cessation de toute atteinte<br />
au droit d’auteur ou à un droit voisin. Il peut<br />
également rendre une injonction de cessation à<br />
l’encontre des intermédiaires dont les services sont<br />
utilisés par un tiers pour porter atteinte » à l’un de<br />
ces droits.<br />
9 CJUE, 29 janvier 2008, Promusicae, affaire<br />
C-275/06.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
L’impact des<br />
mesures de<br />
filtrage général<br />
sur les droits<br />
fondamentaux ne<br />
doit pas être<br />
sous-estimé<br />
Droit privé<br />
leur doit à la protection des données à<br />
caractère personnel ainsi qu’à leur liberté de<br />
recevoir et de communiquer des informations,<br />
ces droits étant protégés par les articles 8 et<br />
10 de la Charte » des droits fondamentaux<br />
de l’Union européenne.<br />
Dans sa décision du 16 février 2012 10 , la Cour<br />
de justice suit un raisonnement similaire à<br />
celui tenu dans l’affaire Scarlet précité, en<br />
concluant que le fait de contraindre un<br />
hébergeur à surveiller toutes les communications<br />
électroniques de ses utilisateurs,<br />
dans le but de bloquer les échanges nonautorisés<br />
d’œuvres soumises au droit<br />
d’auteur, était contraire au droit de l’Union<br />
européenne.<br />
Par conséquent, il apparaît que la légitimité<br />
de telles mesures d’injonction doit être<br />
appréciée par rapport à l’impératif de<br />
protection des droits fondamentaux.<br />
3. Les conséquences du filtrage<br />
général : une atteinte aux<br />
droits fondamentaux<br />
Les injonctions faites aux intermédiaires<br />
techniques de prendre des mesures de<br />
filtrage et de blocage des contenus transmis<br />
ou stockés sont susceptibles d’affecter<br />
gravement l’équilibre entre les intérêts en<br />
présence, en provoquant des conséquences<br />
dommageables.<br />
3.1. Un impact négatif sur les droits et<br />
libertés des utilisateurs d’internet<br />
Pour les internautes, de telles mesures<br />
portent atteinte à la liberté de communiquer<br />
et de s’échanger des informations, de sorte<br />
que les utilisateurs d’internet risquent de<br />
voir leurs libertés fondamentales affectées<br />
par ce type de mesure.<br />
La liberté d’expression et le droit à<br />
l’information garantis par l’article 11 11 de la<br />
10 CJUE, 16 février 2012, SABAM c/ Netlog NV,<br />
affaire C-360/10.<br />
11 Article 11 de la Charte des droits fondamentaux de<br />
l’UE, 2000/C/364/01 : « Toute personne a droit à la<br />
liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté<br />
d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer<br />
des informations ou des idées sans qu’il<br />
puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et<br />
sans considération de frontières ».<br />
Charte sont concernés au premier chef par<br />
les mesures de filtrage ordonnées aux<br />
intermédiaires techniques. Tel était le cas<br />
dans les affaires SABAM où l’injonction en<br />
cause risquait « de ne pas suffisamment<br />
distinguer entre un contenu illicite et un<br />
contenu licite, de sorte que son déploiement<br />
pourrait avoir pour effet d’entraîner le<br />
blocage de communications à contenu<br />
licite ». Un tel filtrage « aura donc des<br />
répercussions sur le contenu des droits<br />
garantis par l’article 11 de la Charte, ne<br />
serait-ce que parce que le caractère illicite<br />
ou pas d’une communication déterminée,<br />
qui dépend de l’étendue du droit d’auteur<br />
en cause, varie d’un pays à l’autre et<br />
échappe donc à la technique 12 ». Ainsi, il<br />
existe un risque de voir censurer les mises<br />
en ligne tout à fait licites, celles-ci pouvant<br />
très bien avoir été effectuées par l’ayant droit<br />
lui-même ou par un tiers autorisé.<br />
Les mesures de filtrage sont également<br />
susceptibles d’affecter le secret des<br />
communications électroniques, principe<br />
découlant de l’article 7 13 de la Charte des<br />
droits fondamentaux et repris à l’article 5<br />
de la directive 2002/58/CE 14 relative à la vie<br />
privée et aux communications électroniques.<br />
Ainsi, en vertu de cette disposition, le secret<br />
des communications effectuées au moyen<br />
d’un réseau public de communication ou de<br />
services de communication électronique<br />
accessible au public ainsi que la confidentialité<br />
des données relative au trafic y sont<br />
garantis. Et si la directive, dans son article<br />
15, admet des exceptions, celles-ci doivent<br />
être justifiées et revêtir la forme de mesures<br />
législatives « nécessaires, appropriées et<br />
proportionnées » prises « dans le respect<br />
des principes généraux du droit<br />
communautaire », y compris les principes<br />
énoncés dans la Charte et dans la Convention<br />
européenne des droits de l’Homme.<br />
12 Point 86 des conclusions de l’avocat général M.<br />
Pedro Cruz Villalon dans l’affaire SABAM c/ Scarlet,<br />
présentées le 14 avril 2011.<br />
13 Article 7 de la Charte des droits fondamentaux de<br />
l’UE : « Toute personne a droit au respect de sa vie<br />
privée et familiale, de son domicile et de ses<br />
communications ».<br />
14 Directive 2002/58/CE, 12 juillet 2002 relative au<br />
traitement des données à caractère personnel et la<br />
protection de la vie privée dans le secteur des<br />
communications électroniques (directive « Vie<br />
privée et communications électroniques »).<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 71
72<br />
3.2. Des conséquences importantes<br />
pour les intermédiaires techniques<br />
Non seulement l’injonction de prendre des<br />
mesures de filtrage met à la charge de<br />
l’intermédiaire technique d’importantes<br />
obligations, mais les mesures concrètes<br />
permettant d’assurer le filtrage et le blocage<br />
de fichiers ne sont pas clairement définies<br />
et peuvent s’avérer onéreuses. À cet égard,<br />
la Cour de justice condamne toute mesure<br />
de filtrage susceptible d’obliger l’intermédiaire<br />
« à mettre en place un système informatique<br />
complexe, coûteux, permanent et à ses seuls<br />
frais » qui constituerait « une atteinte<br />
caractérisé à la liberté d’entreprise du<br />
fournisseur d’accès à internet [...] dont<br />
bénéficie les opérateurs tels que les<br />
fournisseur d’accès à internet en vertu de<br />
l’article 16 de la Charte ».<br />
À cela s’ajoute qu’en pratique, les mesures<br />
de filtrage et de blocage de fichiers qu’un<br />
intermédiaire technique pourrait prendre<br />
pour continuer à prévenir de nouvelles<br />
atteintes, reviendraient inévitablement à<br />
l’instauration d’une surveillance générale de<br />
toutes les informations transmises ou<br />
stockées. Afin de savoir si le fichier est «<br />
illicite », il faut, en effet, avoir vérifié au<br />
préalable tous les fichiers hébergés sur le<br />
site en cause.<br />
4. Le silence de la Cour de justice<br />
: la possibilité d’un filtrage<br />
ciblé ?<br />
Dans l’arrêt SABAM du 24 novembre 2011,<br />
la Cour de justice déduit du 45 e considérant<br />
de la directive « Commerce électronique »<br />
que les limitations de responsabilité des<br />
prestataires de services intermédiaires<br />
« sont sans préjudice de la possibilité d’actions<br />
en cessation de différents types ».<br />
Celles-ci « peuvent notamment revêtir la<br />
forme de décisions de tribunaux [...]<br />
exigeant qu’il soit mis un terme à toute<br />
violation ou que l’on prévienne toute<br />
violation, y compris en retirant les<br />
informations illicites ou en rendant l’accès<br />
à ces dernières impossible ». On peut en<br />
déduire que lorsqu’elle émane d’une autorité<br />
judiciaire, et même lorsqu’elle a un<br />
caractère préventif, une telle mesure<br />
davantage ciblée, peut donc être regardée<br />
comme légitime et justifiée.<br />
Droit privé<br />
Citant le 47 e considérant de la même<br />
directive, l’arrêt ajoute que « l’interdiction,<br />
pour les États membres, d’imposer aux<br />
prestataires de service une obligation de<br />
surveillance ne vaut que pour les obligations<br />
à caractère général. Elle ne concerne pas<br />
les obligations applicables à un cas spécifique<br />
». Une mesure de surveillance limitée<br />
dans son objet, son étendue et sa portée<br />
paraîtrait donc envisageable.<br />
Marie Latournerie (Direction des<br />
affaires juridiques)<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012
Maquette : D.A.J. - bureau<br />
Ressources Informatiques,<br />
Documentaires et<br />
Communication interne -<br />
RIDC<br />
Impression : Direction de<br />
l’information légale et<br />
administrative<br />
Imprimé en France<br />
Dépôt légal : à parution<br />
ISSN 1621-0263<br />
Prix au numéro : 10 €<br />
Abonnement (4 numéros) :<br />
France 29,50 €<br />
Europe 31 €<br />
DOM-TOM 30 €<br />
Autres pays 32 €<br />
Supplément avion 8,80 €<br />
Pour mieux vous<br />
connaître,<br />
merci de nous signaler<br />
vos centres d’intérêt<br />
bulletin<br />
d’abonnement<br />
à retourner à<br />
Direction de l’information<br />
légale et administrative<br />
À l’attention<br />
du service commande<br />
23, rue d’Estrées<br />
CS10733<br />
75 345 Paris Cedex 07<br />
Téléphone : 33 (0) 1 40 15 70 00<br />
Télécopie : 33 (0) 1 40 15 68 00<br />
www.ladocumentationfrancaise.fr<br />
LE LE COURRIER JURIDIQUE<br />
DES FINANCES ET ET DE DE L’INDUSTRIE<br />
Publication trimestrielle de la direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie, des Finances et du<br />
Commerce extérieur et du ministère du Redressement productif, le Courrier Juridique des Finances et de l’Industrie<br />
apporte un éclairage sur des thèmes juridiques d’actualité, au travers d’articles de synthèse et d’analyse des<br />
jurisprudences constitutionnelle, judiciaire, administrative et européenne.<br />
Fruit d’une expertise pluridisciplinaire, portant sur tous les domaines du droit (droit privé et public, droit<br />
européen et international, droit des sociétés, droit économique et financier, droit des participations de l’État et<br />
droit des marchés publics), cet outil a vocation à permettre, avec ses quatre numéros annuels, de mieux saisir les<br />
enjeux juridiques de la société actuelle.<br />
Le Courrier Juridique des Finances et de l’Industrie est également disponible sous forme numérisée accessible en ligne<br />
(au format PDF ou mode texte) par téléchargement payant, sur le serveur internet de la Documentation<br />
française, en vente au numéro ou par abonnement. Plus d’information sur www.ladocumentationfrancaise.fr<br />
Comité éditorial<br />
Directeur de la publication<br />
Catherine Bergeal, directrice des affaires juridiques<br />
Membres externes<br />
Rémi Bouchez, conseiller d’Etat, François Brenet, professeur d’université, Olivier Douvreleur, directeur<br />
juridique de l’Autorité des marchés financiers, Françoise Dufresnoy, sous-directrice des affaires juridiques<br />
de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, Hubert Gasztowtt, conseiller<br />
juridique du directeur général du Trésor, Dominique Geniez, conseillère juridique du directeur de la<br />
sécurité sociale, Stéphane Hoynck, directeur juridique de l’Autorité de régulation des communications<br />
électroniques et des postes, Alice Meier-Bourdeau, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation,<br />
Christian Michaut, avocat général à la Cour des comptes, Jean-François de Montgolfier, responsable du<br />
service juridique du Conseil constitutionnel, Marie-José Palasz, chef de mission au contrôle général<br />
économique et financier, Philippe Siméon-Drevon, sous-directeur de l’information et de la légistique de<br />
la direction générale de l’administration et de la fonction publique, Daniel Tardif, directeur du service de<br />
documentation, des études et du rapport de la Cour de cassation<br />
Rédacteur en chef<br />
Agnès Zobel<br />
Réalisation :<br />
Vincent Fargier, Catherine Longé-Maille<br />
Direction des affaires juridiques :<br />
bâtiment Condorcet - Télédoc 353 - 6, rue Louise Weiss - 75703 Paris Cedex 13<br />
adresse courriel : cjfi@finances.<strong>gouv</strong>..fr<br />
En vente en librairie et sur www.ladocumentationfrancaise.fr (par paiement sécurisé)<br />
administration<br />
culture<br />
communication, nouvelles<br />
technologies<br />
Abonnement<br />
pour quatre numéros<br />
France métropolitaine (TTC)<br />
Dom-Tom (HT, avion économique)<br />
Europe (TTC)<br />
Autres pays (HT, avion économique)<br />
Supplément avion rapide<br />
Version numérisée<br />
Le numéro<br />
Abonnement à quatre numéros<br />
droit, justice<br />
institutions, vie<br />
politique<br />
défense<br />
économie, finances<br />
Prix unitaire<br />
TTC Nombre Total<br />
29,50 €<br />
30,00 €<br />
31,00 €<br />
32,00 €<br />
8,80 €<br />
8,00 €<br />
22,00 €<br />
montant<br />
total à payer<br />
éducation, formation<br />
emploi, travail<br />
société<br />
environnement, territoires<br />
Nom<br />
Prénom<br />
Profession<br />
Adresse<br />
santé, protection sociale<br />
Europe, international<br />
autres<br />
Code postal<br />
Localité<br />
Mél<br />
Ci-joint mon réglement<br />
Par mandat administratif (réservé aux administrations)<br />
Par chèque bancaire ou postal : à l’ordre de l’Agent<br />
comptable du B.A.P.O.I.A. - La Documentation française<br />
Par carte bancaire. Date d’expiration<br />
N°<br />
N° de contrôle (notez les 3 derniers chiffres<br />
du numéro inscrit au dos de votre carte, près de votre signature)<br />
Date Signature<br />
Informatique et libertés - Conformément à la loi du 6 janvier 1978, vous pouvez accéder aux informations vous concernant et les rectifier en écrivant au Service Promotion et Action commerciale<br />
de La Documentation française. Ces informations sont nécessaires au traitement de votre commande et peuvent être transmises à des tiers, sauf si vous cochez ici