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DROIT PUBLIC COMMANDE PUBLIQUE DROIT ... - economie.gouv

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D I R E C T I O N D E S A F F A I R E S J U R I D I Q U E S<br />

C J F I<br />

<strong>DROIT</strong> <strong>PUBLIC</strong><br />

Chronique des QPC<br />

Un Domaine royal au Palais royal<br />

Le Grand Paris<br />

<strong>COMMANDE</strong> <strong>PUBLIQUE</strong><br />

Comptables publics et marchés publics :<br />

contrôler n’est pas juger !<br />

Code des marchés publics : dans<br />

les coulisses de la valse des seuils<br />

de procédures<br />

Des sociétés d’économie mixte locales<br />

aux sociétés publiques locales<br />

COURRIER JURIDIQUE DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE<br />

AVRIL-MAI-JUIN 2012 - N° 68 - 10 euros<br />

<strong>DROIT</strong> COMMUNAUTAIRE<br />

ET INTERNATIONAL<br />

Droit européen des contrats : la proposition<br />

de règlement relatif à un droit commun<br />

européen de la vente<br />

La commission de certification des comptes<br />

des organismes payeurs (CCCOP), auditeur<br />

externe des dépenses financées par les<br />

fonds agricoles européens<br />

<strong>DROIT</strong> PRIVÉ<br />

La légalité des mesures de filtrage<br />

et de blocage imposées aux fournisseurs<br />

d’accès : à propos des affaires SABAM


Sommaire<br />

Éditorial................................................................................................................................... Page 1<br />

Droit public<br />

Les QPC (décembre 2011 à février 2012)<br />

Par Serge Marasco (Direction des affaires juridiques) ........................................................... Page 2<br />

Un Domaine royal au Palais Royal<br />

Par Tatiana Ayrault (Direction des affaires juridiques) ........................................................... Page 11<br />

Le Grand Paris<br />

Par Jean-Marie Pontier (Professeur à l’École de droit de la Sorbonne - Université de<br />

Paris I) .................................................................................................................................. Page 17<br />

Commande publique<br />

Comptables publics et marchés publics : contrôler n’est pas juger !<br />

Par Guillaume Delaloy (Direction des affaires juridiques) ...................................................... Page 30<br />

Code des marchés publics : dans les coulisses de la valse des seuils de procédures<br />

Par Michel Dupont (Direction des affaires juridiques) ............................................................ Page 40<br />

Des sociétés d’économie mixte locales aux sociétés publiques locales<br />

Par Urbain Ngampio-Obélé-Bélé (Maître de Conférences en droit public - Université<br />

Paul Cézanne Aix-Marseille III) ............................................................................................. Page 51<br />

Droit communautaire et international<br />

Droit européen des contrats : la proposition de règlement relatif à un droit commun<br />

européen de la vente<br />

Par Simon Chardenoux (Direction des affaires juridiques) ..................................................... Page 59<br />

La commission de certification des comptes des organismes payeurs (CCCOP),<br />

auditeur externe des dépenses financées par les fonds agricoles européens<br />

Par Marie-José Palasz (Présidente de la CCCOP) ............................................................... Page 62<br />

Droit privé<br />

La légalité des mesures de filtrage et de blocage imposées aux fournisseurs d’accès :<br />

à propos des affaires SABAM<br />

Par Marie Latournerie (Direction des affaires juridiques) ....................................................... Page 67<br />

Ce numéro est imprimé sur du papier recyclé


Éditorial<br />

D’un ministère à l’autre…<br />

Nouveau Gouvernement et nouveaux ministres, l’alternance se traduit également par un redécoupage<br />

des périmètres d’intervention des uns et des autres. Nous avons ainsi de nouveaux ministères, bénéficiant<br />

de nouveaux décrets d’attribution : tout est désormais en place pour que le Gouvernement se mette au<br />

travail, avec l’aide d’une administration « placée sous son autorité », « mise à sa disposition », ou<br />

encore à laquelle il « fait appel, en tant que de besoin »... Le décryptage de ces subtilités de rédaction<br />

est un exercice traditionnel pour les directions d’administration centrale.<br />

La tâche n’est en effet pas nouvelle. Quatre ans après le lancement de la révision générale des<br />

politiques publiques, le décloisonnement des administrations et la réorganisation de celles-ci en<br />

fonction des priorités de l’État ont donné naissance à des structures plus importantes, portant souvent<br />

le nom de directions générales, et que leur taille met désormais au service de plusieurs ministres<br />

dont les missions et contours respectifs, au gré des évolutions politiques, économiques et sociales,<br />

évoluent fréquemment… L’exégèse des décrets d’attribution est désormais bien rodée !<br />

Les ministères économiques et financiers sont particulièrement impactés par le redécoupage : à la<br />

distinction entre l’économique et le comptable, se substitue une architecture nouvelle où l’on retrouve,<br />

d’une part, le ministre de l’économie, des finances et du commerce extérieur et, d’autre part, le<br />

ministre du redressement productif, chacun pourvu de deux ministres délégués. Cette évolution<br />

entraîne des effets différenciés pour les directions. Ainsi, par exemple, la direction de la législation<br />

fiscale (DLF) perd son rattachement spécifique pour retrouver une situation plus pyramidale. Il faut<br />

dire que l’architecture ancienne présentait une singularité : la direction générale des finances publiques<br />

(DGFIP) était rattachée au ministère des comptes publics mais la DLF, une des quatre directions de<br />

la DGFIP dépendait elle du Ministre des Finances… .<br />

La direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy est placée sous l’autorité conjointe des deux<br />

nouveaux ministres, mais elle est appelée à en servir d’autres. La DAJ est ainsi à la disposition,<br />

« pour les affaires relatives à l’énergie », du ministre de l’écologie, du développement durable et de<br />

l’énergie, et également, « en tant que de besoin », du ministre du travail, de l’emploi, de la formation<br />

professionnelle et du dialogue social, et enfin du ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation<br />

et de la fonction publique, « pour l’exercice de ses attributions ».<br />

Ces différents cas de figure, qui se traduiront, dans les faits, par des sollicitations d’horizons variés,<br />

nécessiteront la définition de nouvelles relations de travail, formalisées dans des conventions de<br />

gestion. S’il peut paraître naturel qu’une direction à vocation horizontale comme la DAJ doive faire<br />

face à un accroissement de l’hétérogénéité de son champ de compétences, il faut toutefois veiller à<br />

ce que ne se généralise pas l’effet de cliquet qui tend à donner une compétence nouvelle dès lors<br />

que le champ d’attributions des Ministres évolue mais qui omet de rectifier le tir quand une compétence<br />

quitte la sphère de Bercy. C’est là sans doute la limite au caractère interministériel d’une direction<br />

des affaires juridiques.<br />

Catherine Bergeal<br />

Directrice des affaires juridiques<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 1


2<br />

Droit public<br />

Les QPC (décembre 2011 à février 2012)<br />

Par Serge Marasco<br />

Les QPC analysées pour la période considérée ont plus particulièrement porté sur<br />

le droit de propriété, le principe d’égalité et le droit à un recours effectif. Plusieurs<br />

QPC ont concerné l’application des principes liés au droit pénal en matière de<br />

sanctions administratives. La QPC relative à la publication du nom des élus<br />

présentant un candidat à l’élection présidentielle mérite par ailleurs d’être signalée,<br />

ainsi, en ce qui concerne Bercy, le fait que trois QPC concernaient le code des<br />

douanes. Sur les seize QPC commentées, cinq ont fait l’objet d’une déclaration<br />

d’inconstitutionnalité, et une d’une réserve.<br />

1. Le droit de propriété (201-QPC,<br />

203-QPC, 207-QPC, 208-QPC et<br />

215-QPC)<br />

1.1. Distinction entre la privation du droit<br />

de propriété et les limites apportées<br />

à son exercice<br />

Lorsqu’une atteinte au droit de propriété est<br />

invoquée, le Conseil constitutionnel procède,<br />

comme préalable, à la distinction entre une<br />

privation de propriété au sens de l’article 17<br />

de la Déclaration des droits de l’homme et<br />

du citoyen (DDHC) et une limitation apportée<br />

à ce droit, qui doit respecter l’article 2 de la<br />

DDHC.<br />

Dans l’hypothèse d’une privation de propriété<br />

au sens de l’article 17 de la DDHC, il faut<br />

que « la nécessité publique, légalement<br />

constatée, l’exige évidemment », sous la<br />

condition « d’une juste et préalable indemnité<br />

».<br />

Les limitations apportées au droit de<br />

propriété « doivent être justifiées par un<br />

motif d’intérêt général et proportionnées à<br />

l’objectif poursuivi ». Le plus souvent (dans<br />

quatre cas sur cinq en l’occurrence), le<br />

Conseil juge qu’il n’y a pas privation du droit<br />

de propriété, mais seulement des limites<br />

apportées à son exercice.<br />

1.2. La vente des biens saisis par<br />

l’administration douanière entraîne<br />

une privation du droit de propriété<br />

conforme à la Constitution<br />

Le code des douanes permet de procéder à<br />

la vente par enchère des véhicules et objets<br />

périssables, saisis sur autorisation d’un juge.<br />

Après avoir constaté que cette aliénation<br />

entraîne une privation du droit de propriété,<br />

le Conseil procède à un contrôle restreint,<br />

limité à l’erreur manifeste d’appréciation, du<br />

critère de la nécessité publique. Ce critère<br />

est jugé respecté compte tenu notamment<br />

de la limitation de la saisie aux véhicules et<br />

objets qui ne pourront être conservés sans<br />

courir le risque de détérioration et de l’objectif<br />

poursuivi (objectifs de valeur constitutionnelle<br />

de bonne administration de la justice et de<br />

bon emploi des deniers publics).<br />

L’indemnité prévue est juste (l’aliénation des<br />

biens avant qu’ils ne se déprécient permet<br />

d’affecter le produit de la vente au paiement<br />

des condamnations ou est restitué au<br />

propriétaire) et préalable (l’exigence d’un<br />

versement préalable de l’indemnité ne saurait<br />

faire obstacle à ce qu’elle soit retenue à titre<br />

conservatoire en vue du paiement des<br />

amendes pénales ou douanières) (203-QPC,<br />

4 e au 8 e considérant).<br />

1.3. Les limitations apportées à<br />

l’exercice du droit de propriété<br />

1.3.1. L’interdiction pour les propriétaires<br />

d’objets saisis en douane d’en demander<br />

la restitution est contraire au droit de<br />

propriété.<br />

Le Conseil, après avoir considéré que<br />

l’interdiction de l’action en revendication pour<br />

les propriétaires de biens saisis en douane<br />

ne constituait pas une privation du droit de<br />

propriété mais une limite à son exercice, a<br />

jugé que cette interdiction poursuivait un but<br />

d’intérêt général, en ce qu’elle tendait « à<br />

lutter contre la délinquance douanière en<br />

responsabilisant les propriétaires de<br />

marchandises dans leur choix des transporteurs<br />

et à garantir le recouvrement des<br />

créances du Trésor public ».<br />

Mais il a jugé que constituait une atteinte<br />

disproportionnée au but poursuivi le fait de<br />

priver les propriétaires de la possibilité de<br />

revendiquer les objets saisis ou confisqués<br />

« en toute hypothèse », sans tenir compte<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Droit public<br />

des circonstances de l’espèce ou de la<br />

bonne ou mauvaise foi des propriétaires<br />

(208-QPC, 7 e au 9 e considérant).<br />

1.3.2. Dans trois décisions, les limites<br />

apportées à l’exercice du droit de propriété<br />

ont été jugées conformes à la Constitution.<br />

La procédure d’alignement consiste à fixer<br />

une limite entre le domaine public routier et<br />

les propriétés riveraines. Le Conseil a jugé<br />

que le propriétaire n’était pas privé de son<br />

droit de propriété mais seulement atteint dans<br />

l’exercice de ce droit. Le motif d’intérêt<br />

général n’était guère contestable : la<br />

procédure d’alignement qui donne lieu à<br />

élargissement de la voirie vise à la<br />

sécurisation de la circulation routière.<br />

L’indemnité est fixée comme en matière<br />

d’expropriation. Le Conseil ayant récemment<br />

jugé l’article L. 13-13 du code de l’expropriation<br />

conforme à la Constitution (décision<br />

n° 2010-87 QPC du 21 janvier 2011), l’atteinte<br />

n’est pas disproportionnée à l’objectif<br />

poursuivi, sous une réserve : l’indemnité doit<br />

réparer le préjudice constitué par la<br />

dévalorisation de la propriété qu’implique la<br />

soumission à une servitude de reculement<br />

(201-QPC, 4 e au 9 e considérant).<br />

L’inscription d’un immeuble au titre des<br />

monuments historiques ne prive pas son<br />

propriétaire du droit d’en disposer librement<br />

mais crée des contraintes qui affectent son<br />

droit de propriété. Le motif d’intérêt général<br />

consiste en la préservation du patrimoine<br />

historique et artistique. Pour apprécier la<br />

proportionnalité de la mesure, le Conseil<br />

attache généralement une grande importance<br />

aux garanties procédurales, notamment en<br />

matière de servitudes administratives. Le fait<br />

que le propriétaire n’est pas consulté pendant<br />

la phase d’instruction préalable à la décision<br />

d’inscription n’a cependant pas été jugé<br />

dommageable, en l’absence de tout risque<br />

d’arbitraire : l’inscription a un caractère<br />

purement objectif, lié aux « caractéristiques<br />

intrinsèques » de l’immeuble. Par ailleurs, le<br />

code du patrimoine organise un régime de<br />

protection différencié selon les travaux<br />

envisagés par le propriétaire, les travaux<br />

d’entretien ou de réparation ordinaires étant<br />

dispensés de toute formalité. Le dispositif a<br />

donc été jugé proportionné à l’objectif poursuivi<br />

(207-QPC, 4 e au 10 e considérant).<br />

Le législateur a imposé l’inscription en<br />

compte des valeurs mobilières, afin de lever<br />

l’anonymat au profit de l’administration.<br />

Étaient contestées les dispositions<br />

prévoyant l’obligation de vente des titres non<br />

présentés en vue de leur inscription en<br />

compte. Le Conseil a jugé que l’ensemble<br />

du dispositif ne constituait pas une privation<br />

de propriété (alors que le SGG proposait<br />

une distinction entre la perte des droits<br />

attachés aux titres non inscrits en compte,<br />

atteinte aux conditions d’exercice du droit<br />

de propriété, et la cession des titres,<br />

privation de ce droit) en considération d’une<br />

réforme d’ensemble des valeurs mobilières,<br />

destinée à faire disparaître l’anonymat des<br />

titres au porteur. Le motif d’intérêt général<br />

est constitué par la lutte contre la fraude<br />

fiscale et par la réduction du coût de la<br />

gestion des valeurs mobilières. Enfin, le<br />

dispositif est proportionné : la cession des<br />

titres est subordonnée à la carence de leurs<br />

détenteurs, qui ne pouvaient ignorer<br />

l’obligation qui leur était imposée, et le<br />

produit de la vente est consigné jusqu’à<br />

sa restitution éventuelle aux ayants droit<br />

(215-QPC, 5 e au 7 e considérant).<br />

2. Le droit à un recours effectif<br />

(201-QPC, 203-QPC et 208-QPC)<br />

Dans sa décision relative aux plans<br />

d’alignement, le Conseil a jugé que le grief<br />

tiré d’une violation du droit à un recours<br />

effectif qui découle de l’article 16 de la DDHC<br />

manquait en fait, la procédure d’alignement<br />

ménageant plusieurs recours (201-QPC,<br />

10 e considérant).<br />

Le code des douanes permet à<br />

l’administration des douanes qui poursuit<br />

les conducteurs ou déclarants de<br />

marchandises saisies pour aboutir à la<br />

confiscation de ces biens de ne pas mettre<br />

en cause devant le juge leurs propriétaires,<br />

même s’ils ont été indiqués à cette<br />

administration. Le juge statue sur les<br />

interventions ou appels en garantie, mais<br />

souvent le propriétaire des biens ou<br />

marchandises ne peut pas être averti de la<br />

procédure qui aboutira à la confiscation de<br />

ses biens. Or, le droit pour toute personne<br />

d’être avertie de l’existence d’une procédure<br />

contentieuse conduisant à ce qu’il soit<br />

statué sur ses droits participe du droit à<br />

exercer un recours juridictionnel. Le Conseil<br />

a donc jugé qu’en privant le propriétaire de<br />

la faculté d’exercer un recours effectif contre<br />

une mesure portant atteinte à ses droits,<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 3


4<br />

les dispositions contestées méconnaissaient<br />

l’article 16 de la DDHC (208-QPC,<br />

5 e et 6 e considérants).<br />

Si la vente des biens saisis par<br />

l’administration douanière a été jugée<br />

conforme au droit de propriété, elle a été<br />

censurée en ce qu’elle ne respectait pas le<br />

droit à un recours juridictionnel effectif. Le<br />

Conseil a d’abord jugé que le caractère non<br />

suspensif d’une voie de recours ne méconnaît<br />

pas, en lui-même, le droit à un recours<br />

juridictionnel effectif. Dans des décisions<br />

précédentes (décisions n° 84-82 DC du<br />

18 janvier 1985 ou 2010-19/27 QPC du<br />

30 juillet 2010, par exemple) le Conseil a<br />

pris en compte ce caractère suspensif parmi<br />

les garanties légales du droit au recours mais<br />

n’en a jamais fait une exigence<br />

constitutionnelle. Le Conseil a donc examiné<br />

l’ensemble de la procédure du code des<br />

douanes pour apprécier si le droit à un<br />

recours juridictionnel effectif était assuré. Or,<br />

la demande d’aliénation des biens formée<br />

par l’administration est examinée par le juge<br />

sans que le propriétaire ait été entendu et<br />

appelé. Au surplus, l’exécution de la mesure<br />

d’aliénation revêt, en fait, un caractère<br />

définitif, le bien aliéné sortant définitivement<br />

du patrimoine de la personne en cause. Au<br />

regard des conséquences qui résultent de<br />

l’exécution de la mesure, le cumul de<br />

l’absence de caractère contradictoire et du<br />

caractère non suspensif du recours contre<br />

la décision du juge ont conduit à ce que<br />

la procédure applicable méconnaissait<br />

les exigences de l’article 16 de la DDHC<br />

(203-QPC, 9 e au 12 e considérant).<br />

3. Le principe d’égalité (205-QPC,<br />

216-QPC, 221-QPC et 233-QPC)<br />

3.1. Le principe d’égalité devant la loi<br />

Deux décisions concernent le respect du<br />

principe d’égalité devant la loi en matière<br />

syndicale.<br />

Le code du travail prévoit que chaque<br />

organisation syndicale ayant des élus au<br />

comité d’entreprise peut y nommer un<br />

représentant. Cette disposition se fonde sur<br />

un critère tenant à la représentation effective<br />

du syndicat. La réforme ainsi opérée n’était<br />

pas contestée sur le fond, mais son<br />

application immédiate à compter de la<br />

publication de la loi était critiquée en ce<br />

qu’elle induirait une discrimination<br />

Droit public<br />

temporaire entre les organisations<br />

syndicales participant à la négociation<br />

collective par l’intermédiaire de leur délégué<br />

syndical selon qu’elles avaient, ou non,<br />

désigné un représentant au comité<br />

d’entreprise avant l’entrée en vigueur de la<br />

loi. Le Conseil a jugé que le législateur<br />

pouvait prévoir une application immédiate du<br />

nouveau dispositif. Il a indiqué que les<br />

missions de représentation syndicale au<br />

comité d’entreprise et celle de délégué<br />

syndical étant différentes, des règles d’entrée<br />

en vigueur différentes pouvaient être prévues<br />

pour la désignation des délégués syndicaux<br />

et des représentants syndicaux au comité<br />

d’entreprise. De même, les différences de<br />

traitement entre syndicats, selon qu’ils ont<br />

ou non des élus au comité d’entreprise ou<br />

selon qu’ils avaient ou non procédé à la<br />

désignation d’un représentant au comité<br />

d’entreprise avant la date d’entrée en vigueur<br />

de la loi, reposent sur des différences de<br />

situation directement liées à l’objet de la loi<br />

(216-QPC, 6 e et 7 e considérants).<br />

Le principe d’égalité devant la loi doit<br />

également être respecté par le législateur<br />

néo-calédonien, compétent en matière de<br />

fonction publique locale et en matière de droit<br />

du travail et droit syndical. Le code du travail<br />

de Nouvelle-Calédonie prévoit que ses<br />

dispositions relatives au droit d’expression<br />

des salariés, à l’exercice du droit syndical,<br />

aux institutions représentatives du personnel<br />

et aux salariés protégés ne sont pas<br />

applicables à l’État, à la Nouvelle-Calédonie,<br />

aux provinces, aux communes et aux EPA.<br />

Cette différence de traitement était critiquée<br />

par le requérant. Sur ce point, le Conseil<br />

constitutionnel a jugé qu’il était loisible au<br />

législateur d’adopter des dispositions<br />

particulières applicables aux agents des<br />

administrations publiques salariés dans les<br />

conditions du droit privé. Ce n’est que<br />

l’absence de dispositions similaires assurant<br />

le respect des droits syndicaux pour les<br />

salariés de droit privé des administrations<br />

publiques qui a entraîné la censure du<br />

dispositif au regard du Préambule de 1946<br />

(cf. infra) (205-QPC, 6 e considérant).<br />

3.2. Le principe d’égalité devant la loi<br />

et le principe d’égalité et de secret<br />

du suffrage universel<br />

Mme Le Pen contestait la disposition<br />

prévoyant la publication du nom et de la<br />

qualité des élus ayant présenté un candidat<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Droit public<br />

à l’élection présidentielle. Le moyen relatif<br />

à la méconnaissance des principes d’égalité<br />

et de secret du suffrage a été jugé inopérant<br />

: la présentation des candidats par des élus,<br />

mesure d’organisation de l’élection<br />

présidentielle, ne saurait être assimilée à<br />

l’expression d’un suffrage. Quant au<br />

principe d’égalité devant la loi, la rupture<br />

d’égalité pouvait concerner la différence de<br />

traitement entre élus, selon le nombre de<br />

signatures recueillies par les candidats<br />

qu’ils présentent (la publication étant limitée<br />

à 500 noms, choisis par tirage au sort, la<br />

probabilité de voir son nom publié est bien<br />

moins élevée si plusieurs milliers de<br />

parrainages sont recueillis que s’ils sont<br />

proches de 500). Le Conseil a reconnu que<br />

la limitation à 500 des présentations<br />

publiées avait pour effet d’instituer une<br />

différence de traitement, mais a rappelé qu’il<br />

ne disposait pas d’un pouvoir général<br />

d’appréciation et de décision de même<br />

nature que celui du Parlement (il a souvent<br />

formulé des observations tendant à<br />

supprimer cette limitation). Il a considéré<br />

que cette différence de traitement était en<br />

rapport direct avec l’objectif poursuivi par le<br />

législateur, qui consiste à assurer la plus<br />

grande égalité entre les candidats inscrits<br />

sur la liste établie par le Conseil<br />

constitutionnel (afin d’éviter toute opération<br />

plébiscitaire en amont sur le nom d’un<br />

candidat qui aurait recueilli un très grand<br />

nombre de signatures) (233-QPC, 6 e , 7 e et<br />

9 e considérants).<br />

3.3. Le principe d’égalité devant les<br />

charges publiques<br />

Les organisations interprofessionnelles<br />

agricoles peuvent bénéficier de prélèvements<br />

sur les membres des professions les<br />

constituant, appelées « cotisations volontaires<br />

obligatoires » (CVO).<br />

Les requérants y décelaient une atteinte au<br />

principe d’égalité devant les charges<br />

publiques. À cet égard, le Conseil a<br />

seulement jugé que ces dispositions ne<br />

portaient « en elles-mêmes » aucune<br />

atteinte au principe d’égalité devant les<br />

charges publique.<br />

De fait, si les organisations interprofessionnelles<br />

méconnaissent ce principe dans<br />

la fixation du montant de la CVO, il revient<br />

au juge administratif de le faire respecter<br />

(cf. Conseil d’État 23 octobre 1981,<br />

Syndicat de l’architecture) (221-QPC,<br />

5 e considérant).<br />

4. La liberté syndicale et le<br />

principe de participation des<br />

travailleurs à la détermination<br />

des conditions de travail<br />

(205-QPC et 216-QPC)<br />

Aux termes du 6 e alinéa du Préambule de<br />

la Constitution de 1946 : « Tout homme peut<br />

défendre ses droits et ses intérêts par<br />

l’action syndicale et adhérer au syndicat de<br />

son choix ». Le 8 e alinéa dispose que tout<br />

travailleur participe, par l’intermédiaire de<br />

ses délégués, à la détermination collective<br />

des conditions de travail et à la gestion des<br />

entreprises.<br />

Dans sa décision relative au code du travail<br />

néo-calédonien, le Conseil a jugé que les<br />

salariés de droit privé des administrations<br />

publiques étaient soustraits aux dispositions<br />

de ce code relatives au droit d’expression<br />

des salariés, au droit syndical, aux<br />

institutions représentatives du personnel et<br />

aux salariés protégés sans que d’autres<br />

dispositions n’assurent la mise en œuvre à<br />

leur égard de la liberté syndicale et du<br />

principe de participation des travailleurs. Ces<br />

dispositions ont donc été déclarées<br />

contraires à la Constitution (205-QPC, 5 e et<br />

7 e considérants).<br />

En ce qui concerne la désignation du<br />

représentant syndical au comité d’entreprise,<br />

le Conseil a indiqué qu’en subordonnant la<br />

désignation d’un représentant syndical au<br />

comité d’entreprise à la condition pour un<br />

syndicat d’y avoir des élus, le législateur n’a<br />

méconnu ni le principe d’égalité entre<br />

organisations syndicales, ni la liberté<br />

syndicale, ni aucune autre exigence<br />

constitutionnelle, conformément à sa<br />

jurisprudence traditionnelle en la matière (le<br />

principe de la liberté syndicale n’impose pas<br />

que tous les syndicats soient reconnu<br />

comme représentatifs indépendamment de<br />

leur audience : décision n° 2010-42 QPC du<br />

7 octobre 2010). En l’occurrence, le principe<br />

de la liberté syndicale n’exigeait pas que<br />

tous les syndicats représentatifs possèdent<br />

un représentant au comité d’entreprise<br />

(216-QPC, 5 e considérant).<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 5


6<br />

5. Le pluralisme des courants<br />

d’idées et d’opinions (233-QPC)<br />

Dans sa décision sur la publication du nom<br />

des élus présentant un candidat à l’élection<br />

présidentielle, le Conseil a jugé que cette<br />

publicité « ne saurait en elle-même<br />

méconnaître le principe du pluralisme des<br />

courants d’idées et d’opinions ». La règle<br />

contestée, qui résulte d’un choix opéré par<br />

le législateur organique en 1976, participe de<br />

la transparence de la vie politique (233-QPC,<br />

8 e considérant).<br />

6. Les droits de la défense, le droit<br />

à un procès équitable et la<br />

liberté individuelle (214-QPC et<br />

223-QPC)<br />

Le code des douanes permet à certains<br />

agents des douanes d’exiger la communication<br />

de documents de toute nature relatifs<br />

aux opérations intéressant leurs services,<br />

y compris à l’encontre de personnes non<br />

visées par leur enquête. Le grief tiré de la<br />

méconnaissance de la liberté individuelle<br />

était inopérant, conformément à la définition<br />

stricte qu’en donne le Conseil (il ne se réfère<br />

à l’article 66 de la Constitution que dans le<br />

domaine des privations de liberté directes<br />

ou indirectes : décision n° 99-411 DC du<br />

16 juin 1999). En ce qui concerne les droits<br />

de la défense, le requérant critiquait le fait<br />

de ne pas prévoir la possibilité pour la<br />

personne contrôlée de se faire assister par<br />

un avocat. Le Conseil a jugé que ce droit<br />

d’accès aux documents ne saurait en luimême<br />

méconnaître les droits de la défense.<br />

Par ailleurs, les agents des douanes ne<br />

disposent pas d’un pouvoir général d’audition<br />

ou de perquisition et si les dispositions<br />

contestées ne prescrivent pas l’assistance<br />

d’un avocat, elles ne l’interdisent pas.<br />

Aucune atteinte au respect des droits de<br />

la défense n’a donc été relevée par le<br />

Conseil, non plus qu’au respect du principe<br />

selon lequel nul n’est tenu de s’accuser<br />

(214-QPC, 4 e au 7 e considérant).<br />

L’ordre des avocats au Barreau de Bastia<br />

critiquait la procédure de désignation de<br />

l’avocat en ce qui concerne la garde à vue<br />

en matière de terrorisme (possibilité de faire<br />

désigner un avocat d’office par le juge de la<br />

liberté et de la détention ou par le juge<br />

d’instruction). Le Conseil a considéré que le<br />

Droit public<br />

législateur pouvait prendre en compte la<br />

complexité et la gravité des crimes et délits<br />

constituant des actes de terrorisme et la<br />

nécessité d’entourer le secret de l’enquête<br />

de garanties particulières, en opérant ainsi<br />

une conciliation entre les droits de la défense<br />

et la prévention des atteintes à l’ordre public<br />

ainsi que la recherche des auteurs<br />

d’infractions. Ainsi, la liberté de choisir son<br />

avocat peut, à titre exceptionnel, être différée<br />

pendant la durée de la garde à vue afin de ne<br />

pas compromettre la recherche des auteurs<br />

de crimes et délits en matière de terrorisme<br />

ou de garantir la sécurité des personnes.<br />

Mais il incombe alors au législateur de définir<br />

les conditions et modalités selon lesquelles<br />

une telle atteinte aux conditions d’exercice<br />

des droits de la défense peut être mise en<br />

œuvre (233-QPC, 5 e au 7 e considérant).<br />

7. L’incompétence négative (221-<br />

QPC et 223-QPC)<br />

Le Conseil rappelle, conformément à une<br />

jurisprudence bien établie depuis sa décision<br />

n° 2010-50 QPC du 18 juin 2010, que la<br />

méconnaissance par le législateur de sa<br />

propre compétence ne peut être invoquée<br />

dans le cadre ou à l’appui d’une QPC que<br />

dans le cas où est affecté un droit ou une<br />

liberté que la Constitution garantit (3 e considérant<br />

des décisions 221-QPC et 223-QPC).<br />

En ce qui concerne la garde à vue en<br />

matière de terrorisme, le Conseil relève que<br />

le législateur a l’obligation de fixer lui-même<br />

le champ d’application de la loi pénale, et<br />

notamment de la procédure pénale afin<br />

d’éviter une rigueur non nécessaire lors de<br />

la recherche des auteurs d’infraction.<br />

En l’occurrence, les dispositions contestées<br />

n’encadrent pas le pouvoir donné au juge de<br />

priver la personne gardée à vue du libre choix<br />

de son avocat : elles n’obligent pas à motiver<br />

la décision ni ne définissent les<br />

circonstances particulières de l’enquête ou<br />

de l’instruction et les raisons permettant<br />

d’imposer une telle restriction aux droits de<br />

la défense. Le législateur a donc méconnu<br />

l’étendue de sa compétence dans des<br />

conditions qui portent atteinte aux droits de<br />

la défense (223-QPC, 4 e et 7 e considérants).<br />

Les cotisations perçues par les organisations<br />

interprofessionnelles agricoles en<br />

provenance des membres les constituant<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Droit public<br />

sont perçues par des organismes de droit<br />

privé et tendent au financement d’activités<br />

menées en faveur de leurs membres, dans<br />

le cadre défini par le législateur, par ces<br />

organisations interprofessionnelles constituées<br />

par produits ou groupes de produits.<br />

Le Conseil a jugé qu’il ne s’agissait donc<br />

pas d’impositions de toutes natures,<br />

comme la contribution annuelle versée par<br />

les associations de gestion et de comptabilité<br />

à l’ordre des experts-comptables<br />

(décision n° 2011-645 DC du 28 décembre<br />

2011 ; le Conseil d’État en a jugé de même<br />

pour les cotisations obligatoires versées par<br />

les architectes en vue de couvrir les<br />

dépenses du conseil régional et du conseil<br />

national : 23 octobre 1981, Syndicat de<br />

l’architecture). Les CVO n’étant pas<br />

considérées comme des impositions de<br />

toute nature, le grief relatif à l’incompétence<br />

négative du législateur au titre des<br />

exigences de l’article 34 de la Constitution<br />

ne pouvait qu’être rejeté (221-QPC, 2 e au<br />

4 e considérant).<br />

8. Le principe d’indépendance et<br />

d’impartialité des juridictions<br />

(200-QPC)<br />

Le code monétaire et financier donnait un<br />

pouvoir disciplinaire à l’ancienne commission<br />

bancaire, depuis remplacée par l’Autorité de<br />

contrôle prudentiel. La société requérante<br />

estimait que les dispositions contestées<br />

portaient atteinte aux principes d’indépendance<br />

et d’impartialité des juridictions, qui<br />

découlent de l’article 16 de la DDHC, en ce<br />

qu’elles ne prévoyaient pas de séparation<br />

entre les fonctions d’enquête, de poursuite<br />

et de sanction au sein de la Commission<br />

bancaire. Ces principes sont applicables à<br />

toutes les juridictions et aux autorités<br />

administratives indépendantes qui ont un<br />

pouvoir de sanction. En l’occurrence, la<br />

Commission bancaire était organisée sans<br />

séparation en son sein des fonctions de<br />

poursuite et des fonctions de jugement. Le<br />

principe d’impartialité des juridictions était<br />

donc méconnu (200-QPC, 7 e et 8 e considérants).<br />

9. Les principes de nécessité<br />

des peines et de légalité des<br />

délits et des peines (220-QPC<br />

et 210-QPC)<br />

9.1. Le principe de nécessité des<br />

peines : proportionnalité et individualisation<br />

des peines<br />

Découlent de l’article 8 de la DDHC les<br />

principes de nécessité, de proportionnalité<br />

et d’individualisation des peines. Les sanctions<br />

fiscales étant considérées comme des<br />

sanctions ayant le caractère d’une punition<br />

(décision n° 82-155 DC du 30 décembre<br />

1982), ces principes s’appliquent à la<br />

majoration de 40 % pour non-déclaration de<br />

comptes bancaires à l’étranger ou de<br />

sommes transférées vers ou depuis<br />

l’étranger. Le conseil procède à un contrôle<br />

de l’erreur manifeste lorsqu’il examine la<br />

proportionnalité de la peine (il a censuré une<br />

sanction fiscale manifestement disproportionnée<br />

dans sa décision n° ° 97-395 DC<br />

du 30 décembre 1997). En l’occurrence, il<br />

a jugé que le taux de 40 % n’était pas<br />

manifestement disproportionné.<br />

En ce qui concerne le principe<br />

d’individualisation des peines, le Conseil se<br />

fonde sur plusieurs critères : la possibilité<br />

de moduler les peines en fonction de la<br />

gravité des comportements reprochés, la<br />

possibilité pour le juge d’exercer son plein<br />

contrôle quant aux faits et leur qualification,<br />

la gravité de la sanction et le lien entre la<br />

peine et le comportement réprimé. En<br />

l’occurrence, le Conseil a constaté que ces<br />

critères étaient remplis, notamment en<br />

fonction de la possibilité de modulation des<br />

peines et de l’existence d’un plein contrôle<br />

du juge, qui peut proportionner les pénalités<br />

selon la nature et la gravité des agissements<br />

commis par le contribuable. L’article 8 de la<br />

DDHC était donc respecté (220-QPC, 3 e au<br />

6 e considérant).<br />

9.2. Le principe de légalité des délits<br />

et des peines (210-QPC)<br />

Ce principe ne concerne pas seulement les<br />

peines prononcées par les juridictions<br />

pénales mais s’étend à toute sanction<br />

ayant le caractère d’une punition (décision<br />

n° 88-248 DC du 17 janvier 1989 : ce principe,<br />

ainsi que ceux de nécessité de peines et<br />

des droits de la défense, concerne toute<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 7


8<br />

sanction ayant le caractère d’une punition,<br />

même si le législateur a laissé le soin de la<br />

prononcer à une autorité de nature non<br />

judiciaire). Il pouvait donc être invoqué à<br />

l’encontre de la disposition du code général<br />

des collectivités territoriales (CGCT) qui<br />

prévoit la possibilité de révocation des<br />

fonctions de maire, les motifs justifiant cette<br />

révocation n’étant pas précisés. Mais, en<br />

matière administrative et disciplinaire,<br />

l’exigence d’une définition des manquements<br />

sanctionnés se trouve satisfaite par<br />

la référence aux obligations auxquelles le<br />

titulaire d’une fonction publique est soumis<br />

en vertu des lois et règlements (cf. décision<br />

n° 88-248 DC du 17 janvier 1989 et décision<br />

n° 2011-199 QPC du 25 novembre 2011 en<br />

matière de discipline des vétérinaires). Le<br />

Conseil a examiné la disposition telle<br />

qu’interprétée par la jurisprudence constante<br />

du Conseil d’État et a constaté qu’elle a<br />

pour objet de réprimer des manquements<br />

graves et répétés aux obligations qui<br />

s’attachent aux fonctions de maire et de<br />

mettre fin à des comportements dont la<br />

particulière gravité est avérée. Dans ces<br />

conditions, l’absence de référence expresse<br />

aux obligations auxquelles les maires sont<br />

soumis en raison de leurs fonctions n’a<br />

pas été jugée contraire à la Constitution<br />

(204-QPC, 3 e et 5 e considérants).<br />

10. Le principe de libre administration<br />

des collectivités<br />

territoriales (210-QPC)<br />

La disposition prévoyant la révocation des<br />

fonctions de maire a été jugée conforme au<br />

principe de libre administration des<br />

collectivités territoriales. La sanction<br />

s’applique à une autorité jouissant d’un<br />

dédoublement fonctionnel : le ministre peut<br />

mettre un terme aux fonctions d’un maire en<br />

tant qu’agent de l’État mais aussi comme<br />

autorité décentralisée. Le Conseil a jugé que<br />

la possibilité de révocation (ou de<br />

suspension) ne méconnaissait pas, en ellemême,<br />

la libre administration des collectivités<br />

territoriales. Si elle produit des effets pour<br />

l’ensemble des attributions du maire, y<br />

compris en tant qu’autorité décentralisée,<br />

cette mesure est en effet prise en application<br />

de la loi, conformément au 3 e alinéa de<br />

l’article 72 de la Constitution. L’autonomie<br />

des collectivités territoriales ne signifie pas<br />

l’absence de tout contrôle, notamment pour<br />

assurer la protection du respect des lois<br />

Droit public<br />

(cf. décision n° 82-137 DC du 25 février 1982).<br />

Le pouvoir de révocation du ministre ne<br />

saurait donc être assimilé à un pouvoir<br />

hiérarchique de sa part (210-QPC, 6 e et<br />

7 e considérants).<br />

11. Points de procédure (219-QPC,<br />

233-QPC et 237-QPC)<br />

11.1. Non-lieu : ordonnance non ratifiée<br />

et dispositions législatives non<br />

entrées en vigueur<br />

11.1.1. Les dispositions issues d’une<br />

ordonnance qui n’a pas été ratifiée ne<br />

revêtent pas le caractère de dispositions<br />

législatives au sens de l’article 61-1 de la<br />

Constitution. Cette décision de non-lieu est<br />

conforme à la jurisprudence constante selon<br />

laquelle une ordonnance non ratifiée a le<br />

caractère d’un acte réglementaire (Conseil<br />

d’État, 8 décembre 2000, Hoffer et Tribunal<br />

des Conflits, 19 mars 2007, Préfet de<br />

l’Essonne) (219-QPC, 2 e et 3 e considérants).<br />

11.1.2. Le Conseil rappelle que la<br />

modification ou l’abrogation ultérieure d’une<br />

disposition ne fait pas disparaître l’atteinte<br />

éventuelle aux droits et libertés que la<br />

Constitution garantit et ne saurait faire<br />

obstacle par elle-même à la transmission<br />

d’une QPC (cf. décision n° 2010-55 QPC<br />

du 18 octobre 2010). Mais, en l’occurrence,<br />

la disposition contestée était subordonnée<br />

à l’intervention de mesures réglementaires.<br />

Ces mesures ne sont entrées en vigueur<br />

qu’après l’abrogation de la disposition<br />

qu’elles étaient censées appliquer. Le<br />

Conseil a jugé que cette disposition<br />

législative n’était jamais entrée en vigueur<br />

et ne pouvait donc faire l’objet d’une QPC<br />

(219-QPC, 4 e et 5 e considérants).<br />

11.2. Rejet d’une demande tendant à la<br />

saisine directe du Conseil constitutionnel<br />

d’une QPC<br />

Un requérant a demandé à ce que le<br />

Conseil se prononce sur une QPC<br />

transmise à la Cour de cassation et sur<br />

laquelle cette dernière ne s’est pas<br />

prononcée dans le délai de trois mois qui<br />

lui est imparti. Si une interprétation littérale<br />

des textes aurait pu conduire le Conseil à<br />

s’estimer valablement saisi de la QPC, il a<br />

pris en compte une décision rendue par la<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Droit public<br />

Cour de cassation sur la même disposition<br />

et pour les mêmes motifs. La Cour de<br />

cassation ayant refusé le renvoi de cette<br />

QPC au Conseil constitutionnel, ce dernier<br />

a jugé que cette décision valait<br />

nécessairement pour la QPC soulevée<br />

postérieurement (237-QPC).<br />

11.3. Le changement de circonstances<br />

justifiant le réexamen d’une disposition<br />

déclarée conforme à la<br />

Constitution par le Conseil constitutionnel<br />

Les dispositions relatives à la publication du<br />

nom des élus présentant un candidat à<br />

l’élection présidentielle ont été déclarées<br />

conformes à la Constitution dans les motifs<br />

et le dispositif de la décision n° 76-65 DC du<br />

14 juin 1976. Le Conseil a estimé que la<br />

révision constitutionnelle du 23 juillet 2008,<br />

qui complète l’article 4 de la Constitution en<br />

prévoyant que « La loi garantit les expressions<br />

pluralistes des opinions et la<br />

participation équitable des partis et des<br />

groupements politiques à la vie démocratique<br />

de la Nation », était applicable aux<br />

dispositions législatives relatives à l’élection<br />

présidentielle et constituait un « changement<br />

des circonstances de droit » justifiant le<br />

réexamen de la disposition contestée<br />

(233-QPC, 3 e et 4 e considérants).<br />

12. Les effets dans le temps (200-<br />

QPC, 203-QPC, 205-QPC, 208-<br />

QPC et 223-QPC)<br />

Dans deux décisions où il a censuré le<br />

dispositif contesté, le Conseil a précisé que<br />

la déclaration d’inconstitutionnalité prenait<br />

effet à compter de la publication de sa<br />

décision. Il ajoute que la décision est<br />

applicable à toutes les instances non<br />

définitivement jugées à cette date, en ce<br />

qui concerne le pouvoir disciplinaire de la<br />

Commission bancaire, et à toutes les<br />

gardes à vue mises en œuvre à compter de<br />

cette date pour la désignation de l’avocat à<br />

l’occasion des gardes à vue en matière de<br />

terrorisme (200-QPC, 9 e considérant et<br />

223-QPC, 9 e considérant).<br />

Dans les trois autres décisions où il a<br />

prononcé une déclaration d’inconstitutionnalité,<br />

le Conseil a reporté l’abrogation<br />

de la disposition concernée, sur le<br />

fondement de l’article 62 de la Constitution.<br />

Pour la vente des biens saisis par<br />

l’administration douanière et la confiscation<br />

de marchandises saisies en douane, le<br />

Conseil se réfère aux « conséquences<br />

manifestement excessives » qu’aurait<br />

l’abrogation immédiate des articles du code<br />

des douanes pour justifier ce report<br />

(203-QPC, 14 e considérant et 208-QPC<br />

11 e considérant). En ce qui concerne le code<br />

du travail en Nouvelle-Calédonie, le Conseil<br />

a jugé qu’il ne disposait pas d’un pouvoir<br />

de même nature que celui du Congrès de<br />

Nouvelle-Calédonie et qu’il ne lui appartenait<br />

pas d’indiquer les modalités permettant de<br />

remédier à l’inconstitutionnalité de la<br />

disposition censurée, transposant ainsi la<br />

formulation qu’il emploie à l’égard du<br />

législateur national. Il a reporté la date<br />

d’abrogation, en précisant que les contrats<br />

et décisions pris avant cette date ne<br />

pouvaient être contestés sur le fondement<br />

de cette inconstitutionnalité (205-QPC,<br />

9 e considérant).<br />

Serge Marasco (Direction des affaires<br />

juridiques)<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 9


10<br />

ANNEXE<br />

Droit public<br />

Les 16 décisions de décembre 2011 à février 2012<br />

N° QPC DATE NOM DES PARTIES SUJET<br />

200-QPC 2 décembre 2011 Banque populaire Côte Pouvoir disciplinaire de la Commission<br />

d’Azur bancaire<br />

201-QPC 2 décembre 2011 Consorts D. Plan d’alignement<br />

203-QPC 2 décembre 2011 M. Wathik M. Vente des biens saisis par l’administration<br />

douanière<br />

205-QPC 9 décembre 2011 M. Patelise F. Nouvelle-Calédonie : rupture du contrat de<br />

travail d’un salarié protégé<br />

207-QPC 16 décembre 2011 Société Grande brasserie Inscription au titre des monuments<br />

Patrie Schutzenberger historiques<br />

208-QPC 13 janvier 2012 Consorts B. Confiscation de marchandises saisies en<br />

douane<br />

210-QPC 13 janvier 2012 M. Ahmed S. Révocation des fonctions de maire<br />

214-QPC 27 janvier 2012 Société COVED SA Droit de communication de l’administration<br />

des douanes<br />

215-QPC 27 janvier 2012 M. Régis J. Régime des valeurs mobilières non<br />

inscrites au compte<br />

216-QPC 3 février 2012 M. Franck S. Désignation du représentant syndical au<br />

comité d’entreprise<br />

219-QPC 10 février 2012 P. Patrick É. Non-lieu : ordonnance non ratifiée et<br />

dispositions législatives non entrées en<br />

vigueur<br />

220-QPC 10 février 2012 M. Hugh A. Majoration fiscale de 40 % pour nondéclaration<br />

de comptes bancaires à<br />

l’étranger ou des sommes transférées vers<br />

ou depuis l’étranger<br />

237-QPC 15 février 2012 M. Zafer E. Demande tendant à la saisine directe du<br />

Conseil constitutionnel d’une QPC<br />

221-QPC 17 février 2012 Société Chaudet et Fille Cotisations volontaires obligatoires<br />

instituées par les organisations<br />

interprofessionnelles agricoles<br />

223-QPC 17 février 2012 Ordre des avocats du Garde à vue en matière de terrorisme :<br />

Barreau de Bastia désignation de l’avocat<br />

233-QPC 21 février 2012 Mme Marine Le Pen Publication du nom et de la qualité des<br />

citoyens élus habilités ayant présenté un<br />

candidat à l’élection présidentielle<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


La loi du 23<br />

février 2005<br />

confie la gestion<br />

du domaine<br />

national de<br />

Chambord à un<br />

établissement<br />

public<br />

Droit public<br />

Un Domaine royal au Palais Royal<br />

Par Tatiana Ayrault<br />

La commune de Chambord contestait la constitutionnalité d’une disposition de la<br />

loi du 23 février 2005 qui crée l’EPIC du Domaine national de Chambord et remet<br />

en dotation à l’EPIC les biens du domaine. Le Conseil d’État, saisi de cette QPC,<br />

a refusé de la transmettre au Conseil constitutionnel, en considérant que ni le<br />

droit de propriété de la commune, qui n’a jamais été propriétaire des biens du<br />

domaine, ni le principe de continuité du service public, préservé par la mise à<br />

disposition à titre gratuit de ces biens à la commune, ni l’autonomie financière<br />

de la commune n’étaient mis en cause par la loi de 2005 (décision n° 353307 du 13<br />

décembre 2011).<br />

Le Domaine national de Chambord a été<br />

délimité par Gaston d’Orléans entre 1626 et<br />

1660, et est pratiquement resté inchangé<br />

depuis, malgré une longue succession de<br />

propriétaires : à la suite d’une souscription<br />

nationale lancée en 1820, le domaine de<br />

Chambord est offert au duc de Bordeaux<br />

(petit-fils de Charles X) devenu ainsi comte<br />

de Chambord. Durant la 1ère guerre<br />

mondiale, le domaine de Chambord est mis<br />

sous séquestre, en raison des liens étroits<br />

qu’entretiennent les propriétaires du<br />

domaine, la famille des Bourbon-Parme, avec<br />

l’Empire austro-hongrois. À la fin de la guerre,<br />

l’État décide de conserver la propriété du<br />

domaine, en le rachetant en bonne et due<br />

forme à ses propriétaires. En conséquence,<br />

tous les biens situés dans l’enceinte du<br />

domaine de Chambord deviennent la<br />

propriété de l’État : les immeubles, les<br />

chemins, les routes, l’église, la mairie et le<br />

cimetière. La commune de Chambord, créée<br />

en 1792, ne possède donc aucun bien propre.<br />

Le domaine est alors géré par plusieurs<br />

ministères selon leurs compétences<br />

respectives. Dès 1947, est instaurée une<br />

gestion partagée entre le ministère des<br />

finances en ce qui concerne le village, le<br />

ministère de la jeunesse, des arts et des<br />

lettres en ce qui concerne le château et ses<br />

dépendances, et le ministère de l’agriculture<br />

s’agissant de la forêt. Cette pluralité de gestionnaires<br />

n’est pas sans soulever des difficultés.<br />

La création d’un commissariat à<br />

l’aménagement du domaine de Chambord 1 ,<br />

placé sous l’autorité du ministère chargé de<br />

la culture et du ministère de l’agriculture,<br />

devait remédier à ces difficultés en unifiant<br />

la gestion du domaine.<br />

Toutefois, cette réforme s’est avérée insuffisante<br />

et, afin d’améliorer davantage la gestion<br />

1 Décret n° 70-1145 du 8 décembre 1970.<br />

du domaine, notamment en favorisant son<br />

autonomie économique, touristique et<br />

culturelle, l’article 230 de la loi n° 2005-157<br />

du 23 février 2005 a créé l’établissement public<br />

du domaine national de Chambord (EPC) et<br />

lui a remis en gestion l’ensemble des biens<br />

appartenant à l’État, afin qu’il puisse exécuter<br />

ses missions 2 .<br />

La commune de Chambord, dont le territoire,<br />

depuis sa création en 1792, coïncide exactement<br />

avec le territoire du domaine national<br />

de Chambord, partage donc l’exercice de<br />

certaines de ses compétences avec l’Établissement<br />

public de Chambord, gestionnaire<br />

du domaine national. Par exemple, la<br />

compétence en matière de police de la circulation<br />

relève du directeur de l’établissement<br />

public pour les voies de circulation situées<br />

dans l’enceinte du domaine, à l’exception<br />

de celles situées dans le village de Chambord<br />

qui ressortent de la compétence du<br />

maire 3 . Cette superposition de compétences<br />

sur un même territoire crée nombre de<br />

confusions.<br />

Ainsi, à l’occasion d’un litige devant le tribunal<br />

administratif d’Orléans, la commune de Chambord<br />

a introduit une question prioritaire de<br />

constitutionnalité. Ce litige opposait l’Établissement<br />

public de Chambord à la commune<br />

2 Précisées par le décret n° 2005-703 du 24 juin<br />

2005.<br />

3 Article 230 de la loi du 23 février 2005 : « Les voies<br />

du domaine national de Chambord ouvertes à la<br />

circulation publique à la date d’entrée en vigueur du<br />

décret prévu au VIII du présent article sont également<br />

remises en dotation à l’établissement public à titre<br />

gratuit. Le directeur général de l’établissement public<br />

exerce les pouvoirs de police afférents à leur gestion,<br />

notamment en ce qui concerne la circulation sur ces<br />

voies, sous réserve des pouvoirs dévolus au maire<br />

de la commune de Chambord sur les voies de<br />

communication situées à l’intérieur de l’agglomération<br />

en application de l’article L. 2213-1 du code<br />

général des collectivités territoriales ».<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 11


Face à la<br />

confusion des<br />

compétences, la<br />

commune remet<br />

en cause la<br />

constitutionnalité<br />

de la loi de 2005<br />

Pas de propriété :<br />

pas de violation<br />

du droit de<br />

propriété...<br />

12<br />

de Chambord, et portait sur la délivrance par<br />

le maire de la commune de trois arrêtés autorisant<br />

les restaurateurs de la commune à<br />

installer leur terrasse sur la place Saint-Louis,<br />

alors que ces autorisations auraient dues être<br />

établies, selon l’établissement public du<br />

domaine national de Chambord, par celui-ci<br />

en tant que gestionnaire des biens de l’État<br />

sur l’ensemble du domaine, en application de<br />

l’article 230 de la loi n° 2005-157 du 23 février<br />

2005.<br />

La commune de Chambord conteste la<br />

constitutionnalité de l’article 230 de la loi<br />

n° 2005-157 du 23 février 2005, qui crée<br />

l’Établissement public de Chambord et lui<br />

attribue le domaine de Chambord en gestion.<br />

Le tribunal administratif d’Orléans a transmis<br />

cette QPC 4 au Conseil d’État par ordonnance<br />

du 4 octobre 2011.<br />

Le Conseil d’État a jugé qu’à supposer que<br />

les dispositions contestées soient applicables<br />

au litige dont le tribunal administratif<br />

d’Orléans est saisi, la question soulevée,<br />

qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un<br />

caractère sérieux. Il n’a donc pas renvoyé<br />

la QPC au Conseil constitutionnel.<br />

Si l’absence de caractère nouveau de la<br />

question posée ne faisait guère de doute,<br />

le Conseil d’État a toutefois fait valoir qu’un<br />

doute sur l’applicabilité de la disposition en<br />

cause au litige existait, rejoignant ainsi le<br />

rapporteur public de l’affaire, qui considérait<br />

que l’article 230 de la loi du 23 février 2005<br />

était inapplicable au litige portant sur la<br />

légalité des arrêtés de stationnement pris<br />

par le maire de la Commune de Chambord.<br />

Une disposition n’est, en effet, pas applicable<br />

à un litige lorsque son inconstitutionnalité,<br />

et l’abrogation qui en serait la conséquence,<br />

serait « sans incidence sur l’appréciation<br />

de la légalité » de la décision attaquée (CE,<br />

19 janvier 2010, EARL Schimttseppel,<br />

n° 343389).<br />

En l’espèce, s’agissant d’un litige relatif à la<br />

délivrance d’autorisations de stationnement<br />

par le maire de la commune, dans le cadre<br />

de ses pouvoirs de police (CE, 5 octobre 1998,<br />

Commune d’Antibes, n° 170895), l’article 230<br />

de la loi du 23 février 2005 contesté par la<br />

commune de Chambord ne déroge pas à<br />

cette règle 5 . Dès lors, la question de la consti-<br />

4 TA Orléans, req. n° 1102176, n° 1102178, n° 1102180.<br />

5 Cf. NBP n° 3.<br />

Droit public<br />

tutionnalité de l’article 230 de la loi du 23<br />

février 2005 ne semble avoir aucune incidence<br />

sur le litige.<br />

Le Conseil d’État a néanmoins examiné le<br />

caractère sérieux de la question posée par<br />

la commune de Chambord.<br />

1. La loi du 23 février 2005 n’a pas<br />

porté atteinte au droit de propriété<br />

de la commune de Chambord<br />

La commune de Chambord soutenait<br />

qu’elle avait été privée de patrimoine par la<br />

loi du 23 février 2005, ainsi que de la faculté<br />

d’en constituer un. Cette atteinte à son droit<br />

de propriété n’était pas, selon elle, justifiée<br />

par un motif d’intérêt général.<br />

Les juges du Palais Royal ont toutefois considéré<br />

que les biens remis en dotation à<br />

l’établissement public « Domaine national de<br />

Chambord » par les dispositions législatives<br />

contestées n’ayant jamais appartenu à la<br />

commune de Chambord, cette dernière ne<br />

pouvait pas soutenir qu’il en résulterait une<br />

violation de son droit de propriété sur ces<br />

biens.<br />

Le Conseil Constitutionnel contrôle l’absence<br />

de privation ou de dénaturation du droit de<br />

propriété 6 , qui figure au nombre des droits de<br />

l’homme consacrés par les articles 2 et 17<br />

de la Déclaration de 1789 (CC, n° 2010-60<br />

QPC, 12 novembre 2010, cons. 3 et 4).<br />

L’article 230 de la loi du 23 février 2005<br />

dispose que l’EPC a notamment pour<br />

mission de « gérer l’ensemble des biens<br />

appartenant à l’État ». À ce titre, lui sont<br />

remis en dotation les biens constitutifs du<br />

domaine national de Chambord. Cet article<br />

n’a ainsi fait que mettre à la disposition de<br />

l’établissement public les biens constitutifs<br />

du domaine de Chambord, lesquels n’ont<br />

jamais appartenu à la commune qui, depuis<br />

sa création en 1792, n’a jamais possédé<br />

aucun bien en propre et ce avant même que<br />

l’État ne prenne possession du domaine en<br />

avril 1930.<br />

La commune de Chambord n’avait, par ailleurs,<br />

aucun droit à prétendre au transfert,<br />

au moment de la création de l’EPC par l’arti-<br />

6 CC, n° 85-189 DC, 17 juillet 1985.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


L’absence de<br />

propriété de la<br />

commune sur les<br />

biens du<br />

domaine<br />

n’empêche pas<br />

sa libre<br />

administration<br />

Droit public<br />

cle 230 de la loi du 23 février 2005, de la propriété<br />

des biens situés sur le domaine. L’État<br />

propriétaire était en droit de décider d’affecter<br />

les biens en gestion à l’établissement public.<br />

La loi du 23 février 2005 avait pour principal<br />

objet d’unifier la gestion du domaine de<br />

Chambord. La propriété du domaine n’a pas<br />

été modifiée, elle demeure à l’État, comme<br />

cela est le cas depuis 1930. Cette loi n’a<br />

donc pas porté atteinte au droit de propriété<br />

de la commune de Chambord.<br />

Le Conseil d’État ne s’est, en revanche, pas<br />

prononcé sur l’argument invoqué par la commune<br />

de Chambord, à titre incident, relatif à<br />

sa privation de toutes perspectives de constitution<br />

d’un domaine propre.<br />

Même si les perspectives d’accession à la<br />

propriété de la commune de Chambord<br />

semblent limitées, elles ne sont, en tout état<br />

de cause, pas nulles. Aucune disposition<br />

n’interdit, en effet, à la commune de devenir<br />

propriétaire de biens situés sur le domaine,<br />

au cas où certains seraient mis en vente.<br />

Certes, l’État, propriétaire du domaine, ne<br />

souhaite pas, à l’heure actuelle, vendre ses<br />

biens. Mais cette situation ne résulte pas<br />

des textes et n’est donc pas juridiquement<br />

figée.<br />

Quand bien même il aurait été considéré que<br />

l’unification de la gestion du domaine au profit<br />

de l’EPC s’est opérée au détriment de<br />

l’accession à la propriété de la commune de<br />

Chambord, ces limitations du droit de<br />

propriété seraient, en toute hypothèse,<br />

justifiées par l’intérêt général.<br />

Le Conseil constitutionnel juge, en effet, que<br />

les limitations apportées au droit de propriété<br />

ne doivent pas aboutir à le vider de son<br />

contenu ou constituer une entrave à l’exercice<br />

de droits et libertés constitutionnellement<br />

garantis (CC, n° 85-198 DC, 13 décembre<br />

1985). Ces limites doivent être<br />

exigées par un intérêt général 7 .<br />

En l’espèce, la concentration de la gestion<br />

des biens du domaine de Chambord dans les<br />

mains d’une même personne publique, l’EPC,<br />

répond à un objectif d’intérêt général découlant<br />

de la préservation d’un ensemble culturel et<br />

touristique unique. L’ensemble des bâtiments<br />

du domaine se situant à l’intérieur d’une<br />

7 CC, n° 90-283 DC, 8 janvier 1991, cons. 8 ; n° 91-303<br />

DC, 15 janvier 1992, cons. 10 ; n° 2000-434 DC,<br />

20 juillet 2000, cons. 31.<br />

enceinte géographique délimitée et déterminée,<br />

participant au service public culturel<br />

et touristique, contribue au « rayonnement<br />

culturel et au développement touristique et<br />

économique » du site, qui participe à l’intérêt<br />

général (CE, Ass. n° 308817, 19 juillet 2011).<br />

2. La loi du 23 février 2005<br />

n’entrave pas la libre administration<br />

de la commune de<br />

Chambord<br />

La commune de Chambord soutenait que<br />

le fait qu’elle ne possède pas de domaine<br />

propre la prive de la possibilité d’exercer<br />

ses compétences, voire d’en déléguer une<br />

partie (eau, assainissement) à la communauté<br />

de communes dont elle est membre,<br />

faute pour elle d’être propriétaire de ces<br />

infrastructures, constituait une entrave à sa<br />

libre administration.<br />

Le Conseil d’État a, toutefois, jugé que les<br />

dispositions contestées visaient à coordonner,<br />

sur les voies du domaine national<br />

de Chambord ouvertes à la circulation<br />

publique les pouvoirs de police du maire de<br />

la commune et du directeur général de<br />

l’établissement public - dans le conseil<br />

d’administration duquel siège au demeurant<br />

ce maire. Elles n’ont donc pas pour<br />

conséquence d’entraver la libre administration<br />

de la commune en la privant d’attributions<br />

effectives.<br />

En tout état de cause, le principe de libre<br />

administration des collectivités territoriales,<br />

reconnu par l’article 72 de la Constitution 8 ,<br />

ne peut s’interpréter comme prévoyant<br />

l’obligation pour les collectivités territoriales<br />

de disposer d’un domaine public propre.<br />

Ce principe s’applique à l’exercice des<br />

compétences qui leur sont dévolues par l’État<br />

dans le cadre de sa politique de décentralisation.<br />

Les communes possèdent le droit<br />

d’administrer librement leur bien, mais ce<br />

droit ne sous-entend pas l’obligation pour<br />

elles de se constituer ou de se voir octroyer<br />

un patrimoine propre.<br />

8 L’article 72 de la Constitution dispose que « les<br />

collectivités territoriales de la République sont les<br />

communes, les départements, les régions, les collectivités<br />

à statut particulier et les collectivités d’outremer<br />

régies par l’article 74 [...] s’administrent librement<br />

par des conseils élus et disposent d’un pouvoir<br />

réglementaire pour l’exercice de leurs compétences<br />

».<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 13


L’autonomie<br />

financière de la<br />

commune n’est<br />

pas atteinte par<br />

l’absence de<br />

propriété du<br />

domaine public<br />

14<br />

En l’espèce, la commune de Chambord<br />

n’ayant pas de droit de propriété sur des<br />

biens du domaine de Chambord antérieurement<br />

à la création de l’EPC, le transfert<br />

de gestion des biens, opéré par l’État au<br />

profit de l’établissement public par la loi du<br />

23 février 2005, ne porte pas atteinte à la<br />

libre administration de la commune.<br />

Le législateur de 2005, en confiant à l’EPC<br />

du Domaine national de Chambord la gestion<br />

de la totalité des biens de l’État, n’a pas<br />

modifié ce faisant les droits de la commune,<br />

ni ses capacités financières par rapport à<br />

celles qui préexistaient à la création de l’établissement<br />

public.<br />

Ce dernier ne saurait, à cet égard, être tenu<br />

pour responsable de la dilution des missions<br />

de la commune au sein de la communauté<br />

de communes du pays de Chambord créée<br />

en 2002 à laquelle elle a elle-même volontairement<br />

adhéré.<br />

Par ailleurs, l’exercice de ses missions par<br />

la commune de Chambord n’est pas compromis<br />

par son absence de propriété. Les<br />

missions qu’elle exerce peuvent être<br />

réalisées de manière indifférente dans des<br />

locaux détenus en propriété ou loués. La<br />

commune « loue » les bâtiments dont elle a<br />

besoin depuis plusieurs années, sans que<br />

l’exercice de ses compétences n’ait été<br />

remis en question. L’État et l’EPC ont, en<br />

effet, toujours tenu à la disposition de celleci<br />

les bâtiments nécessaires à ces activités.<br />

Elle bénéficie traditionnellement de<br />

conventions d’occupation du domaine public<br />

de longue durée notamment pour l’utilisation<br />

de la mairie, du cimetière, de la salle des<br />

fêtes et des terrains de sport.<br />

Enfin, le Conseil d’État souligne que la<br />

commune de Chambord étant membre du<br />

conseil d’administration de l’EPC 9 , celle-ci est<br />

associée aux décisions, participe aux<br />

orientations concernant la gestion du domaine<br />

et peut faire connaitre son point de vue. La<br />

commune de Chambord est donc associée<br />

à la gestion du domaine de Chambord.<br />

9 Article 6 du décret n° 2005-703 du 24 juin 2005<br />

relatif à l’établissement public du domaine national<br />

de Chambord.<br />

Droit public<br />

3. La loi du 23 février 2005 ne<br />

porte pas atteinte à l’autonomie<br />

financière de la commune de<br />

Chambord<br />

La commune faisait valoir qu’en l’absence<br />

de toute propriété propre, elle était privée<br />

de recettes domaniales, ce qui portait<br />

atteinte à son autonomie financière et<br />

réduisait ses ressources propres.<br />

Le Conseil d’État a toutefois considéré que<br />

les dispositions attaquées n’avaient eu ni<br />

pour objet, ni pour effet de priver la commune<br />

de ressources propres qu’elle aurait<br />

retirées, avant leur entrée en vigueur, de<br />

l’exploitation de son domaine et n’avaient<br />

ainsi pas porté atteinte à son autonomie<br />

financière.<br />

L’article 72-2 de la Constitution dispose, en<br />

effet, que « les collectivités territoriales<br />

bénéficient de ressources dont elles<br />

peuvent disposer librement dans les<br />

conditions fixées par la loi. [...] Les recettes<br />

fiscales et les autres ressources propres<br />

des collectivités territoriales représentent,<br />

pour chaque catégorie de collectivités, une<br />

part déterminante de l’ensemble de leurs<br />

ressources. La loi organique fixe les<br />

conditions dans lesquelles cette règle est<br />

mise en œuvre. »<br />

La catégorie des ressources propres des<br />

collectivités territoriales a été instituée, afin<br />

de garantir à chaque catégorie de collectivités<br />

un montant global de ressources, qui ne peut<br />

être inférieur à celui d’une année de<br />

référence 10 . La catégorie des ressources<br />

propres des collectivités territoriales est bien<br />

plus large que les seuls produits du domaine 11 ,<br />

et son appréciation est globale. Elle n’est<br />

donc pas individualisée par type de recettes.<br />

10 Article L.O. 1114-3 du code général des<br />

collectivités territoriales : « [...] Pour chaque<br />

catégorie, la part des ressources propres ne peut<br />

être inférieure au niveau constaté au titre de l’année<br />

2003 ».<br />

11 L’article L.O. 1114-2 du code général des<br />

collectivités territoriales prévoit ainsi que les<br />

ressources propres des collectivités territoriales «<br />

sont constituées du produit des impositions de<br />

toutes natures dont la loi les autorise à fixer<br />

l’assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle détermine,<br />

par collectivité, le taux ou une part locale d’assiette,<br />

des redevances pour services rendus, des produits<br />

du domaine, des participations d’urbanisme, des<br />

produits financiers et des dons et legs ».<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


La situation<br />

particulière de la<br />

commune justifie<br />

une gestion<br />

particulière<br />

L’absence de<br />

propriété sur les<br />

biens n’empêche<br />

pas la commune<br />

d’assurer la<br />

continuité du<br />

service public<br />

Droit public<br />

La commune de Chambord, qui bénéficie,<br />

en tant que collectivité territoriale, de recettes<br />

fiscales (impositions locales) et d’autres<br />

ressources propres (produits financiers,<br />

redevances...), ne pouvait pas soutenir qu’elle<br />

était privée de ressources propres du seul<br />

fait qu’elle ne possédait pas de domaine<br />

public valorisable. Elle n’a, comme le rappelle<br />

le Conseil d’État, jamais perçu de recettes<br />

domaniales, et n’a donc pas subi de pertes<br />

financières.<br />

En outre, la valorisation du domaine des<br />

personnes publiques est seulement une<br />

possibilité offerte aux personnes publiques<br />

propriétaires. Ainsi, certaines collectivités<br />

territoriales propriétaires d’un domaine ne<br />

le valorisent pas et ne tirent pas des revenus<br />

de celui-ci.<br />

4. La loi du 23 février 2005 n’a pas<br />

méconnu le principe d’égalité<br />

devant la loi<br />

La commune de Chambord soutenait<br />

qu’elle était traitée différemment des autres<br />

collectivités, en raison de son absence de<br />

domaine. Pour elle, cette différence de traitement<br />

ne se justifiait pas et était sans rapport<br />

avec l’objet de la loi du 23 février 2005.<br />

« Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce<br />

que le législateur règle de façon différente<br />

des situations différentes, ni à ce qu’il<br />

déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt<br />

général pourvu que, dans l’un et l’autre cas,<br />

la différence de traitement qui en résulte<br />

soit en rapport direct avec l’objet de la loi<br />

qui l’établit 12 ».<br />

Pour les juges du Palais Royal, les<br />

dispositions législatives contestées n’ont<br />

pas méconnu le principe d’égalité devant la<br />

loi, dès lors que la commune de Chambord,<br />

dont le territoire est, depuis sa création,<br />

inclus dans les limites de l’ancien domaine<br />

royal, est dans une situation différente de<br />

celle des autres communes où se trouvent<br />

d’anciens domaines royaux, mais dont le<br />

territoire est plus vaste que celui occupé<br />

par ces domaines.<br />

12 CC, n° 2007-557 DC, 15 novembre 2007, cons. 7 ;<br />

n° 2007-559 DC, 6 décembre 2007, cons. 23 ;<br />

n° 2008-571 DC, 11 décembre 2008, cons. 20.<br />

La commune de Chambord se trouve, en<br />

effet, dans une situation différente de celle<br />

des autres communes françaises. Elle n’a<br />

jamais possédé de biens propres, et ne s’en<br />

est pas vu remettre, ni en propriété, ni en<br />

gestion, au moment de la création par le<br />

législateur de l’EPC par la loi du 23 février<br />

2005. Son assiette territoriale est, en outre,<br />

entièrement incluse dans le domaine de<br />

Chambord, ce qui la place dans une situation<br />

singulière par rapport aux autres communes,<br />

dont une partie du territoire seulement se<br />

situe dans l’emprise d’un domaine national<br />

(Versailles, Rambouillet...).<br />

L’intérêt général attaché à la préservation<br />

d’un ensemble culturel et touristique unique,<br />

justifie la propriété unique du domaine<br />

appartenant à l’État, ainsi que sa gestion<br />

par l’EPC.<br />

Cette mesure est, par ailleurs, en rapport<br />

direct avec l’objet de la loi de 2005, relative<br />

au développement des territoires ruraux. En<br />

effet, le domaine de Chambord constitue un<br />

ensemble patrimonial et forestier important<br />

ainsi qu’une réserve naturelle et cynégétique<br />

rare. La création d’une entité unique de gestion<br />

de ce domaine permet ainsi de concilier<br />

le développement économique de ce<br />

territoire et sa préservation.<br />

La situation singulière de la commune de<br />

Chambord justifie donc le traitement<br />

particulier dont elle fait l’objet.<br />

5. La loi du 23 février 2005 ne<br />

porte pas atteinte au principe<br />

de continuité des services<br />

publics<br />

La commune de Chambord soutenait que<br />

ne posséder aucun bien sur son territoire,<br />

l’empêchait d’exercer ses compétences et<br />

portait atteinte au principe de continuité du<br />

service public dont elle a la charge.<br />

Le Conseil d’État a jugé qu’il n’y avait pas<br />

atteinte au principe de continuité du service<br />

public, en rappelant que les immeubles<br />

affectés aux services municipaux de la commune<br />

n’étaient pas sa propriété, mais<br />

étaient mis à sa disposition à titre gratuit<br />

par l’EPC.<br />

L’absence de droit de propriété sur des biens<br />

immobiliers ne constitue pas, à lui seul, un<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 15


16<br />

obstacle à la continuité des services<br />

publics 13 . Le fait de disposer de biens dans<br />

le cadre de contrats d’occupation ou de<br />

location, par définition « temporaires », n’est<br />

pas constitutif d’une atteinte à la continuité<br />

du service public. De très nombreuses<br />

activités de service public peuvent être<br />

assurées dans le cadre de mises à<br />

disposition de biens, sans qu’il ne soit pour<br />

autant porté atteinte à la continuité du service<br />

public.<br />

La commune de Chambord assurait ses<br />

missions de service public, avant la création<br />

de l’établissement public, alors même<br />

qu’elle n’était pas propriétaire des biens.<br />

Elle a ainsi toujours été mise en mesure,<br />

par l’État et l’EPC, d’occuper et d’utiliser<br />

les bâtiments nécessaires à l’exercice des<br />

missions de service public, sur la base de<br />

conventions d’occupation du domaine<br />

public de longue durée.<br />

Le Conseil d’État a donc refusé de<br />

transmettre au Conseil constitutionnel la<br />

question prioritaire de constitutionnalité<br />

soulevée par la commune de Chambord.<br />

Tatiana Ayrault (Direction des affaires<br />

juridiques)<br />

13 Le Conseil constitutionnel reconnait la continuité<br />

des services publics comme un principe à valeur<br />

constitutionnelle (CC, n° 93-337 DC, 27 janvier 1994,<br />

cons. 19 et 20).<br />

Droit public<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Droit public<br />

Paris, et le « Grand Paris », ne figurent pas,<br />

et de loin, parmi les agglomérations les plus<br />

peuplées dans le monde, bien d’autres villes<br />

sont beaucoup plus peuplées et, de ce point<br />

de vue, le décalage ne pourra que<br />

s’accentuer dans l’avenir. Mais la population<br />

n’est pas le seul élément à prendre en<br />

considération, d’autres classements,<br />

intégrant les services de nature diverse<br />

offerts par la ville, donnent des résultats<br />

différents. Selon une étude fort intéressante<br />

menée par un cabinet privé 1 , Paris se situe<br />

à la 4 ème place dans le monde, derrière (dans<br />

l’ordre) New York, Londres et Tokyo, et ce<br />

rang doit être autant que possible conservé.<br />

Mais, ainsi que l’indique l’étude d’impact,<br />

« la concurrence est grande. Berlin, Shangai,<br />

Pékin, Bombay, Madrid, Milan, Francfort<br />

peuvent prétendre à appartenir bientôt au<br />

«club» des villes-mondes. Par ailleurs, la<br />

position de la région capitale connaît une<br />

perte d’attractivité globale qu’il convient<br />

d’enrayer 2 . »<br />

Comment redonner à la région capitale à la<br />

fois une qualité de vie attractive, en matière<br />

de transport, de logements, d’environnement,<br />

d’éducation, de culture ? À cela<br />

s’ajoute l’exigence de désenclaver des<br />

territoires en grande difficulté. Selon l’étude<br />

d’impact, pour cela il faut « conforter la<br />

diversité de ses excellences, en développant<br />

des territoires stratégiques de la<br />

Le Grand Paris<br />

Par Jean-Marie Pontier<br />

La lettre de mission adressée le 7 mai 2008 au secrétaire d’État chargé du<br />

développement de la région capitale déclarait que le projet de loi relatif au Grand<br />

Paris constituait un acte majeur dans la stratégie de développement économique<br />

devant permettre à la France, selon le Président de la République, « de tenir son<br />

rang dans la compétition des territoires, en faisant de sa capitale une «ville monde»<br />

ouverte, dynamique, attractive, créatrice de richesses et d’emplois, qui constitue<br />

pour la nation un atout décisif dans la compétition économique du 21 ème siècle ».<br />

Cet article a été publié dans le numéro de mars 2012 de la revue Gestion et finances publiques.<br />

1 C’est probablement à cette étude que se réfèrent,<br />

mais sans la citer, les documents parlementaires<br />

relatifs au projet de loi, qui donnent ce classement.<br />

Il s’agit d’une étude du cabinet A.T. Kearney Global<br />

Cities Index, de 2010, qui prend en compte cinq<br />

paramètres (Political engagement, Cultural<br />

experience, Information exchange, Human capital,<br />

Business activity).<br />

2 L’étude d’impact relative au projet de loi a été<br />

établie en application de l’article 8 de la loi organique<br />

n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application<br />

des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, elle<br />

date d’octobre 2009.<br />

connaissance, de l’innovation, fortement<br />

porteurs de croissance ». En effet, et de<br />

manière peu contestable, la région possède<br />

le plus fort potentiel scientifique,<br />

universitaire et industriel des régions<br />

françaises ainsi que des établissements de<br />

formation professionnelle et d’enseignement<br />

supérieurs prestigieux.<br />

Un rapport présenté au Président de la<br />

République en 2008, le rapport Perben 3 ,<br />

montre que la métropolisation est devenue<br />

un enjeu majeur. Elle seule permet une<br />

optimisation des effets des nouvelles<br />

technologies et de l’innovation, tout en<br />

apportant une réponse possible en termes<br />

de développement durable par le contrôle<br />

de l’étalement urbain. Selon le rapport<br />

Perben, les freins à la métropolisation sont<br />

notamment constitués par les capacités<br />

d’échanges et de transports : leur<br />

insuffisance favorise l’étalement urbain et,<br />

par ailleurs, l’attractivité des métropoles<br />

dépend directement de leur position au cœur<br />

d’un réseau les reliant aux autres<br />

métropoles nationales et mondiales.<br />

1. Objectifs poursuivis<br />

Le projet de loi relatif au Grand Paris a<br />

proposé, conformément aux souhaits du<br />

Président de la République, des « fondements<br />

économiques, avec l’organisation d’un<br />

espace propice à la création et à l’innovation,<br />

avec les infrastructures de transport<br />

nécessaires à la desserte interne et externe<br />

du bassin parisien » et les fondements «<br />

d’une stratégie d’attractivité globale de la<br />

région capitale [...] mettant en cohérence<br />

la carte de l’habitat, des lieux de travail des<br />

lieux de loisir et des transports ».<br />

3 D. Perben, « Imaginer les métropoles d’avenir »,<br />

janvier 2008.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 17


18<br />

Lors de la présentation du projet au Conseil<br />

des ministres du 29 avril 2009, le communiqué<br />

fait à la suite de ce dernier déclare<br />

qu’il s’agit de créer « une nouvelle dynamique<br />

fondée sur les principes suivants :<br />

concentration pour atteindre une taille<br />

critique au plan international ; développement<br />

fondé sur l’innovation dans<br />

l’industrie et les services ; spécialisation<br />

par territoire mais entraînant l’ensemble du<br />

tissu régional ; synergies entre acteurs<br />

territoriaux ; recherche interdisciplinaire en<br />

vue d’une plus grande innovation ». Neuf<br />

territoires stratégiques ont été identifiés :<br />

le plateau de Saclay, Orly-Rungis, Roissy-<br />

Villepinte, La Défense-Nanterre-Rueil,<br />

Plaine-Commune, Champs-sur-Marne-Cité<br />

Descartes, Évry, Seine-Oise, Montfermeil-<br />

Clichy-sous-Bois.<br />

Le développement de ces territoires doit<br />

aller de pair avec celui d’un schéma de<br />

transport pour les relier, et « c’est sur le<br />

transport que va se jouer la partie la plus<br />

décisive », a souligné le Président de la<br />

République, l’un des défis à relever étant la<br />

construction d’une nouvelle ligne de métro<br />

automatique de 130 km dont les premiers<br />

tronçons, commencés en 2012, devraient<br />

être mis en service à l’horizon 2017. La<br />

création d’un instrument adapté à cette fin<br />

était indispensable, c’est ce à quoi doit<br />

répondre l’établissement dénommé<br />

« Société du Grand Paris », créé par la loi.<br />

Un tel projet, qui n’intéresse pas seulement<br />

la région parisienne mais l’ensemble français 4 ,<br />

implique que l’État y occupe une place<br />

particulière. L’État a, comme l’on dit aujourd’hui,<br />

« un rôle de pilotage », et le Président<br />

de la République a déclaré : « Le Grand Paris,<br />

c’est l’État qui prend ses responsabilités, c’est<br />

l’État qui se donne les moyens juridiques d’agir,<br />

mais c’est aussi l’État qui associe, qui ne<br />

décide pas seul, c’est l’État qui donne<br />

l’impulsion nécessaire mais qui n’impose pas<br />

d’en haut un projet qui ne peut réussir que s’il<br />

est partagé par tous ». Pour G. Marcou, le<br />

texte sur le Grand Paris illustre « le retour de<br />

l’État aménageur 5 ».<br />

4 Un ouvrage collectif réalisé par la Délégation<br />

interministérielle à l’aménagement et à la compétitivité<br />

des territoires (DIACT) décrit bien cette dimension<br />

nationale du projet du Grand Paris (DIACT, Une<br />

nouvelle ambition pour l’aménagement du territoire,<br />

Doc. fr. 2009).<br />

5 G. Marcou, « La loi sur le Grand Paris : le retour<br />

de l’État aménageur ? », AJDA 2010, p. 1868 et s.<br />

Droit public<br />

L’article 1 er de la loi est une sorte de<br />

récapitulation de l’ambition des pouvoirs<br />

publics et son caractère prescriptif est loin<br />

d’être évident, mais c’est là désormais une<br />

caractéristique de nombreuses lois, le<br />

législateur exposant dans l’article 1 er ses<br />

objectifs. Le Grand Paris est présenté<br />

comme « un projet urbain, social et<br />

économique d’intérêt national qui unit les<br />

grands territoires stratégiques de la région<br />

Île-de-France, au premier rang desquels<br />

Paris et le cœur de l’agglomération<br />

parisienne, et promeut le développement<br />

économique durable, solidaire et créateur<br />

d’emplois de la région capitale 6 ». Cet article<br />

affirme encore que ce projet « vise à réduire<br />

les déséquilibres sociaux, territoriaux et<br />

fiscaux au bénéfice de l’ensemble du<br />

territoire national ». Il est affirmé que les<br />

collectivités territoriales sont associées à<br />

ce projet, et les contrats de développement<br />

territorial, analysés ci-après, manifestent<br />

effectivement de nouvelles modalités de<br />

coopération dont il faudra voir ce qu’elles<br />

donnent à l’usage.<br />

Les articles 2 à 6 constituent le titre I er de la<br />

loi, consacré à l’« Élaboration et outils de<br />

mise en œuvre du réseau de transport public<br />

du Grand Paris ». Ce réseau de transport<br />

public est constitué des infrastructures<br />

affectées au transport public urbain de<br />

voyageurs au moyen d’un métro automatique<br />

de grande capacité en rocade, le<br />

financement par l’État de ce nouveau réseau<br />

de transport étant indépendant de sa<br />

contribution aux contrats de projets conclus<br />

avec la région Île-de-France permettant la<br />

création, l’amélioration et la modernisation<br />

des réseaux de transport public 7 . Le schéma<br />

d’ensemble du réseau de transport public du<br />

Grand Paris, qui doit être « respectueux des<br />

enjeux liés au développement durable » décrit<br />

les principales caractéristiques de ce dernier 8<br />

6 Relevons au passage ce qui est devenu une sorte<br />

de clause de style de nombreuses lois et qui<br />

consiste à « promouvoir » le « développement<br />

économique » auquel sont adjoints, selon les cas,<br />

les termes de « social », « culturel », et, aujourd’hui,<br />

« durable ».<br />

7 Il y aura cependant nécessairement une cohérence<br />

à maintenir pour les financements de l’État comme<br />

pour les contrats de développement territorial par<br />

rapport à ce contrat de projet, sauf à vider ce<br />

dernier de toute signification.<br />

8 Ce schéma doit mentionner : les prévisions en<br />

matière de niveau de service, d’accessibilité, de<br />

mode d’exploitation, de tracé et de position des<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Droit public<br />

et, par ailleurs, la mise en place d’un réseau<br />

« à haut niveau de performance » prioritairement<br />

affecté au fret ferroviaire entre les<br />

grands ports maritimes du Havre et de<br />

Rouen, présentés comme la façade maritime<br />

du Grand Paris, et le port de Paris, est « un<br />

objectif d’intérêt national ».<br />

Le schéma d’ensemble du réseau de<br />

transport public du Grand Paris est établi<br />

après avis des collectivités territoriales et<br />

de leurs établissements publics de<br />

coopération intercommunale (s’ils sont<br />

compétents en matière d’urbanisme ou<br />

d’aménagement), de l’association des<br />

maires d’Île-de-France, du syndicat mixte<br />

« Paris-Métropole », du Syndicat des<br />

transports d’Île-de-France et de l’atelier<br />

international du Grand Paris. Le public est<br />

également associé au processus<br />

d’élaboration de ce schéma 9 .<br />

Les projets d’infrastructures qui mettent en<br />

œuvre le schéma d’ensemble du réseau de<br />

transport public du Grand Paris sont déclarés<br />

d’utilité publique par décret en Conseil d’État<br />

et constituent, à compter de la date de<br />

publication de ce décret, un projet d’intérêt<br />

général au sens des articles L. 121-2 et<br />

L. 121-9 du code de l’urbanisme 10 .<br />

Outre le titre I er précité, le texte de loi<br />

comprend un titre II consacré à l’établissement<br />

public « Société du Grand Paris »,<br />

un titre III relatif à la « Réalisation et gestion<br />

du réseau de transport public du Grand<br />

Paris », un titre IV sur le « Développement<br />

territorial et projets d’aménagement », un<br />

titre V portant sur des « Dispositions<br />

relatives au logement », un titre VI sur des<br />

gares, des possibilités de connexion au réseau<br />

ferroviaire à grande vitesse, les possibilités de<br />

connexion aux autres réseaux de transport public<br />

urbain en Île-de-France, les possibilités de<br />

raccordement par ligne à grande vitesse de la liaison<br />

par train à grande vitesse Roissy - Charles-de-<br />

Gaulle - Chessy - Marne-la-Vallée, prolongée jusqu’à<br />

l’aéroport d’Orly, la prise en compte de l’intermodalité.<br />

9 De longues dispositions sont consacrées par la<br />

loi à cette consultation du public, le débat public<br />

ayant été organisé par la Commission nationale du<br />

débat public.<br />

10 Selon l’article L. 121-9, l’autorité administrative<br />

peut qualifier de projet d’intérêt général, d’une part,<br />

les mesures nécessaires à la mise en œuvre des<br />

directives territoriales d’aménagement et de<br />

développement durable, d’autre part, tout projet<br />

d’ouvrage de travaux ou de protection présentant<br />

un caractère d’utilité publique et répondant à<br />

certaines conditions énoncées par cet article.<br />

« Dispositions relatives à la création d’un<br />

pôle scientifique et technologique sur le<br />

plateau de Saclay ». Chacun de ces titres<br />

appellerait de longs développements. On se<br />

bornera ici à présenter les dispositions les<br />

plus intéressantes ou les plus originales du<br />

point de vue administratif et juridique, celles<br />

sur la Société du Grand Paris et celles sur<br />

les contrats de développement territorial.<br />

2. La société du Grand Paris<br />

La loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au<br />

Grand Paris crée, dans son article 7, un<br />

établissement public à caractère industriel<br />

et commercial dénommé « Société du<br />

Grand Paris ». Cet établissement public a<br />

pour mission principale de concevoir et<br />

d’élaborer le schéma d’ensemble et les<br />

projets d’infrastructure composant le réseau<br />

de transport public du Grand Paris et d’en<br />

assurer la réalisation, qui comprend la<br />

construction des lignes, ouvrages et<br />

installations fixes, la construction et<br />

l’aménagement des gares, y compris<br />

d’interconnexion, ainsi que l’acquisition des<br />

matériels roulants conçus pour parcourir ces<br />

infrastructures et, dans les conditions de<br />

l’article 19 (relatif aux conditions du contrat<br />

en partenariat), leur entretien et leur<br />

renouvellement, dans les conditions prévues<br />

par la loi.<br />

À cette fin, l’établissement public Société<br />

du Grand Paris peut acquérir, au besoin par<br />

voie d’expropriation ou de préemption, les<br />

biens de toute nature, immobiliers et<br />

mobiliers, nécessaires à la création et à<br />

l’exploitation des infrastructures du réseau<br />

de transport public du Grand Paris.<br />

Sans préjudice des compétences du<br />

Syndicat des transports d’Île-de-France,<br />

l’établissement public Société du Grand<br />

Paris veille également au maillage cohérent<br />

du territoire par une offre de transport de<br />

surface permettant la desserte des gares du<br />

réseau de transport public du Grand Paris. Il<br />

assiste le représentant de l’État dans la<br />

région pour la préparation et la mise en<br />

cohérence des contrats de développement<br />

territorial, examinés ci-après.<br />

L’établissement public Société du Grand<br />

Paris peut conduire des opérations<br />

d’aménagement ou de construction.<br />

Lorsque ces opérations interviennent sur le<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 19


20<br />

territoire des communes signataires d’un<br />

contrat de développement territorial, il ne peut<br />

conduire de telles opérations que si le contrat<br />

le prévoit. Dans ce cas, ce dernier prévoit<br />

également, dans le ressort territorial des<br />

établissements publics d’aménagement<br />

autres que l’établissement public Agence<br />

foncière et technique de la région parisienne,<br />

lequel de ces établissements ou de<br />

l’établissement public Société du Grand<br />

Paris conduit ces opérations d’aménagement<br />

ou de construction. Lorsque ces opérations<br />

interviennent sur le territoire des communes<br />

non signataires d’un contrat de développement<br />

territorial, l’établissement public<br />

Société du Grand Paris peut, après avis des<br />

communes et établissements publics de<br />

coopération intercommunale compétents<br />

concernés, conduire ces opérations dans un<br />

rayon inférieur de 400 mètres autour des<br />

gares nouvelles du réseau de transport public<br />

du Grand Paris.<br />

Pour la réalisation de sa mission<br />

d’aménagement et de construction,<br />

l’établissement public Société du Grand<br />

Paris exerce les compétences reconnues<br />

aux établissements publics d’aménagement.<br />

Dans le respect des règles de publicité et<br />

de mise en concurrence prévues par le droit<br />

communautaire, des objectifs de<br />

développement durable, de la diversité des<br />

fonctions urbaines et de la mixité sociale<br />

dans l’habitat, il peut, par voie de convention,<br />

exercer sa mission d’aménagement et de<br />

construction par l’intermédiaire de toute<br />

personne privée ou publique ayant des<br />

compétences en matière d’aménagement ou<br />

de construction.<br />

L’établissement public Société du Grand Paris<br />

peut se voir confier par l’État, les collectivités<br />

territoriales ou leurs groupements, par voie<br />

de convention, toute mission d’intérêt général<br />

présentant un caractère complémentaire ou<br />

connexe aux missions définies<br />

précédemment. Il peut créer des filiales ou<br />

prendre des participations dans des sociétés,<br />

groupements ou organismes dont l’objet<br />

concourt à la réalisation de ses missions.<br />

Pour l’exercice de ses compétences telles<br />

qu’elles sont ainsi définies par la loi,<br />

l’établissement public Société du Grand<br />

Paris peut conclure, à titre gratuit ou<br />

onéreux, des conventions de coopération<br />

ou de mandat avec des établissements<br />

publics de l’État. Les conventions ainsi<br />

Droit public<br />

conclues peuvent avoir pour objet la mise<br />

en œuvre des procédures de recrutement,<br />

de gestion et de rémunération de ses<br />

personnels ainsi que la mise en œuvre des<br />

procédures de passation des contrats avec<br />

des opérateurs économiques publics ou<br />

privés pour répondre à ses besoins en<br />

matière de fournitures, de travaux ou de<br />

services.<br />

L’établissement public Société du Grand<br />

Paris est dirigé par un directoire qui exerce<br />

ses fonctions sous le contrôle d’un conseil<br />

de surveillance. Le directoire est composé<br />

de trois membres nommés, après avis du<br />

conseil de surveillance, par un décret qui<br />

confère à l’un d’eux la qualité de président<br />

du directoire 11 . La nomination de ce dernier<br />

ne peut intervenir qu’après son audition par<br />

les commissions compétentes de<br />

l’Assemblée nationale et du Sénat. Le<br />

conseil de surveillance est composé de<br />

représentants de l’État et d’élus des<br />

collectivités territoriales nommés pour une<br />

durée de cinq ans renouvelables ou pour la<br />

durée de leur mandat. Les représentants<br />

de l’État constituent au moins la moitié des<br />

membres du conseil de surveillance, et le<br />

président du conseil de surveillance est élu<br />

parmi ses membres.<br />

Le directoire et son président exercent les<br />

attributions définies par les articles L. 225-64<br />

et L. 225-66 du code de commerce et, s’agissant<br />

du directoire, notamment des attributions<br />

fixées par le décret du 7 juillet 2010 précité.<br />

Le directoire est responsable de l’exécution<br />

des décisions du conseil de surveillance. Il<br />

présente chaque année au conseil de<br />

surveillance un rapport sur la situation de<br />

l’établissement public et l’avancement de la<br />

mise en œuvre du schéma d’ensemble du<br />

réseau de transport public par métro<br />

automatique du Grand Paris. Le président du<br />

conseil de surveillance prépare les<br />

observations de ce conseil sur le rapport. Le<br />

rapport du directoire, accompagné des<br />

observations du conseil, est adressé avant le<br />

30 mai aux ministres de tutelle ainsi qu’au<br />

ministre chargé du budget.<br />

Le directoire établit un règlement intérieur<br />

qui organise son fonctionnement. Les<br />

décisions du directoire sont prises à la<br />

majorité des membres présents, le directoire<br />

11 Le décret n° 2010-756 du 7 juillet 2010 relatif à la<br />

Société du Grand Paris précise les modalités de<br />

désignation des membres du directoire.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Droit public<br />

ne délibérant valablement que si au moins<br />

deux de ses membres sont présents, dont<br />

le président. En cas de partage des voix, et<br />

suivant une règle classique, la voix du<br />

président est prépondérante.<br />

Le président du directoire recrute, gère le<br />

personnel, fixe sa rémunération et a autorité<br />

sur lui. Il représente l’établissement public<br />

Société du Grand Paris de plein droit devant<br />

toutes les juridictions et pour tous les actes<br />

de la vie civile. Il a la faculté de conclure des<br />

transactions dans les conditions prévues par<br />

les articles 2044 et s. du code civil et dans<br />

les limites fixées par le conseil de<br />

surveillance. Les transactions sont subordonnées<br />

à l’accord préalable du commissaire<br />

du <strong>gouv</strong>ernement et de l’autorité chargée du<br />

contrôle économique et financier au-dessus<br />

d’un seuil fixé par le conseil de surveillance.<br />

Il procède aux achats et passe les marchés<br />

ou traités. Il est ordonnateur des recettes et<br />

des dépenses.<br />

Le président du directoire peut, sous sa<br />

responsabilité et en toutes matières,<br />

déléguer sa signature aux membres du<br />

directoire ; il peut également la déléguer à<br />

un ou plusieurs agents de l’établissement<br />

dans leur champ de compétences et de<br />

responsabilité. Il désigne également parmi<br />

les membres du directoire celui qui exercera<br />

sa suppléance en cas d’absence ou<br />

d’empêchement. Il communique cette<br />

décision au président du conseil de<br />

surveillance et au commissaire du <strong>gouv</strong>ernement.<br />

Cette désignation est faite par les<br />

ministres de tutelle en cas de vacance de<br />

l’emploi de président du directoire.<br />

Les actes de nature réglementaire pris par<br />

le conseil de surveillance ou le directoire<br />

sont publiés par voie d’inscription dans un<br />

registre mis à la disposition du public au<br />

siège de l’établissement public Société du<br />

Grand Paris et par voie électronique.<br />

L’inscription est attestée par le directoire.<br />

La loi institue auprès du conseil de<br />

surveillance un « comité stratégique »<br />

composé des représentants des communes<br />

et des établissements publics compétents<br />

en matière d’aménagement ou d’urbanisme<br />

dont le territoire est, pour tout ou partie, situé<br />

sur l’emprise d’un projet d’infrastructure du<br />

réseau de transport public du Grand Paris<br />

ou dans le périmètre d’un contrat de<br />

développement territorial. Ce comité<br />

comprend également deux députés et deux<br />

sénateurs désignés par leur assemblée<br />

respective ainsi que des représentants des<br />

chambres consulaires et des organisations<br />

professionnelles et syndicales. Ce comité<br />

doit être créé, selon la loi, dans un délai de<br />

six mois à compter de la publication du décret<br />

d’approbation du schéma d’ensemble. Il peut<br />

être saisi de tout sujet par le conseil de<br />

surveillance, il peut émettre des propositions<br />

et demander que des questions soient<br />

inscrites à l’ordre du jour d’une réunion du<br />

conseil de surveillance.<br />

Le décret n° 2010-756 du 7 juillet 2010<br />

précité a précisé les conditions d’application<br />

de la loi concernant ce comité stratégique.<br />

L’article 21 du décret énumère les catégories<br />

de membres le composant. Ce comité<br />

désigne en son sein son président, désigné<br />

pour une durée de cinq ans, le mandat étant<br />

renouvelable 12 . Le comité stratégique se<br />

réunit sur convocation de son président sur<br />

un ordre du jour fixé par celui-ci. Il adopte<br />

son règlement intérieur, qui détermine<br />

notamment les modalités d’organisation des<br />

débats et la répartition des temps de parole<br />

lors des séances. Il propose au conseil de<br />

surveillance les modalités de diffusion des<br />

avis et propositions qu’il lui fait. Il délibère à<br />

la majorité des membres présents ou<br />

représentés, un membre pouvant donner<br />

mandat, par écrit, à un autre membre pour<br />

le représenter.<br />

L’établissement public Société du Grand<br />

Paris est soumis au contrôle économique<br />

et financier de l’État. Les délibérations<br />

relatives au compte financier et l’affectation<br />

des résultats aux fins de vérification et de<br />

contrôle, d’abord, l’état prévisionnel des<br />

recettes et des dépenses ainsi que les<br />

décisions modificatives, notamment<br />

l’évolution de la dette et des effectifs,<br />

ensuite, le recours à l’emprunt lorsque son<br />

montant est supérieur à un seuil fixé par le<br />

conseil, enfin, sont soumises à l’approbation<br />

des ministres de tutelle et du budget.<br />

L’approbation est réputée acquise dans le<br />

mois suivant la réception par ces ministres<br />

des délibérations en question, calculé à<br />

partir de la date la plus tardive.<br />

12 Le vote a lieu au scrutin secret sous la présidence<br />

du président sortant ou, à défaut, du doyen d’âge.<br />

Si, après deux tours de scrutin, aucun candidat n’a<br />

obtenu la majorité absolue, il est procédé à un<br />

troisième tour de scrutin, et la nomination ou la<br />

désignation a lieu à la majorité relative. À égalité de<br />

voix, la nomination ou la désignation est acquise au<br />

plus âgé.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 21


22<br />

Aucune convention ne peut, sans<br />

l’autorisation du conseil de surveillance, être<br />

conclue directement ou par personne<br />

interposée entre l’établissement public<br />

Société du Grand Paris et un membre de<br />

ce conseil ou du directoire ou entre<br />

l’établissement et une société ou organisme<br />

qu’un membre du conseil de surveillance<br />

ou du directoire contrôle au sens de l’article<br />

L. 233-3 du code de commerce, ou dont il<br />

est actionnaire disposant d’une fraction de<br />

vote supérieure à 5 %, ou dont il est<br />

responsable, gérant, administrateur, ou, de<br />

façon générale, dirigeant. Les dispositions<br />

précédentes ne s’appliquent pas aux<br />

conventions portant sur des opérations<br />

courantes et conclues à des conditions<br />

normales. Toutefois, ces dernières<br />

conventions sont communiquées par le<br />

membre intéressé du conseil de<br />

surveillance ou du directoire au président<br />

du conseil de surveillance, au commissaire<br />

du <strong>gouv</strong>ernement et à l’autorité chargée du<br />

contrôle économique et financier. La liste<br />

de ces conventions et leur objet sont<br />

communiqués par le président aux<br />

membres du conseil de surveillance et aux<br />

commissaires aux comptes.<br />

Lorsque le commissaire du <strong>gouv</strong>ernement<br />

ou l’autorité chargée du contrôle économique<br />

et financier estime qu’un membre<br />

du conseil de surveillance ou du directoire<br />

est susceptible de s’exposer à l’application<br />

de l’article 432-12 du code pénal 13 , il en<br />

informe par écrit le membre intéressé et le<br />

président du conseil de surveillance. Le<br />

décret n° 2010-756 du 7 juillet 2010 précise,<br />

en son article 25-IV les conditions<br />

applicables aux membres du conseil de<br />

surveillance ou du directoire relativement<br />

aux informations qu’ils doivent donner<br />

concernant ces conventions.<br />

Le même décret déclare que le préfet de la<br />

région Île-de-France, préfet de Paris, est le<br />

commissaire du <strong>gouv</strong>ernement auprès de<br />

l’établissement public Société du Grand<br />

Paris. En cas d’empêchement, le préfet de<br />

région est suppléé par le secrétaire général<br />

pour les affaires régionales.<br />

Le commissaire du <strong>gouv</strong>ernement représente<br />

l’État. Il exerce une surveillance sur<br />

l’orientation générale de l’activité de l’établissement<br />

et de celle des sociétés dont il détient<br />

13 Il s’agit des dispositions relatives à la prise illégale<br />

d’intérêts.<br />

Droit public<br />

directement ou indirectement plus de la moitié<br />

du capital social ou des droits de vote à<br />

l’assemblée générale des actionnaires. Pour<br />

l’exécution de sa mission, le commissaire du<br />

<strong>gouv</strong>ernement a tous les pouvoirs<br />

d’investigation sur pièces et sur place. Il peut<br />

assister avec voix consultative aux réunions<br />

du conseil de surveillance, du comité<br />

stratégique et de tous comités créés en leur<br />

sein. À cet effet, les convocations,<br />

accompagnées des ordres du jour, les procèsverbaux<br />

et tous autres documents lui sont<br />

adressés en même temps qu’aux autres<br />

membres de ces instances. Le commissaire<br />

du <strong>gouv</strong>ernement dispose du droit de<br />

demander à tout instant à son président la<br />

réunion du conseil de surveillance et<br />

l’inscription d’un point à l’ordre du jour du<br />

conseil. Il fait connaître au conseil de<br />

surveillance l’avis du Gouvernement sur la<br />

gestion de l’établissement. Il présente toute<br />

observation ou recommandation qu’il juge<br />

conforme à l’intérêt général.<br />

Le commissaire du <strong>gouv</strong>ernement peut<br />

s’opposer à toute décision du conseil de<br />

surveillance, à l’exception des délibérations<br />

soumises à l’approbation des ministres de<br />

tutelle et du budget. Il dispose pour cela<br />

d’un délai de quinze jours suivant la réunion<br />

de l’organe délibérant si lui-même ou le<br />

commissaire du <strong>gouv</strong>ernement adjoint y a<br />

assisté ou, à défaut, suivant la réception<br />

des délibérations. Son opposition doit être<br />

motivée. Il en rend compte immédiatement<br />

aux ministres de tutelle et au ministre du<br />

budget. À défaut de confirmation expresse<br />

par l’un de ces ministres, dans un délai d’un<br />

mois à compter de la notification de<br />

l’opposition aux ministres, celle-ci est<br />

réputée levée. Le commissaire du <strong>gouv</strong>ernement<br />

peut s’opposer dans les mêmes<br />

conditions à toute décision de l’organe<br />

délibérant des sociétés dont l’établissement<br />

public détient directement ou indirectement<br />

plus de la moitié du capital ou des droits<br />

de vote à l’assemblée générale des<br />

actionnaires.<br />

Le commissaire du <strong>gouv</strong>ernement peut<br />

s’opposer à toute décision du directoire<br />

ayant pour effet de créer une dépense<br />

nouvelle ou de diminuer une recette dont<br />

les montants sont supérieurs à un seuil fixé<br />

par arrêté du ministre chargé du budget,<br />

dès lors que ces décisions ne sont pas<br />

l’application d’une délibération antérieure du<br />

conseil de surveillance ou du directoire. Il<br />

dispose pour cela d’un délai de huit jours<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Droit public<br />

suivant la réception de la délibération. Son<br />

opposition doit être motivée. Il en rend<br />

compte immédiatement aux ministres de<br />

tutelle et au ministre du budget. À défaut<br />

de confirmation expresse par l’un de ces<br />

ministres, dans un délai de quinze jours à<br />

compter de la notification de l’opposition<br />

aux ministres, celle-ci est réputée levée.<br />

L’autorité chargée du contrôle économique<br />

et financier est désignée, selon la loi (art.<br />

27) par les ministres chargés de l’économie<br />

et du budget. La compétence de l’autorité<br />

chargée du contrôle économique et financier<br />

s’exerce de la même manière sur celles des<br />

sociétés dont l’établissement public détient<br />

directement ou indirectement plus de la<br />

moitié du capital ou des droits de vote à<br />

l’assemblée générale des actionnaires.<br />

L’autorité chargée du contrôle économique<br />

et financier assiste, avec vois consultative,<br />

aux réunions du conseil de surveillance, du<br />

comité stratégique et de tous comités créés<br />

en leur sein. À cet effet, els convocations,<br />

accompagnées des ordres du jour, les<br />

procès-verbaux et tous autres documents<br />

lui sont adressés en même temps qu’aux<br />

autres membres de ces instances.<br />

L’autorité chargée du contrôle économique<br />

et financier de l’État sur la Société du<br />

Grand Paris exerce une mission générale<br />

de surveillance de l’activité et de la gestion<br />

de l’établissement public, dont elle analyse<br />

les risques et évalue les performances, en<br />

veillant aux intérêts patrimoniaux et<br />

financiers de l’État 14 .<br />

Le contrôleur a tous pouvoirs d’investigation<br />

sur pièces et sur place. L’établissement est<br />

tenu de lui communiquer toutes les<br />

informations nécessaires à l’exécution de sa<br />

mission. Il a accès à tous les documents se<br />

rapportant à l’activité et à la gestion de<br />

l’établissement. À ce titre, il reçoit notamment,<br />

selon une périodicité et des modalités qu’il<br />

fixe après consultation de l’ordonnateur, toute<br />

une série de documents 15 . Sont soumis à<br />

l’avis préalable du contrôleur, selon des<br />

14 Arrêté du 18 mars 2011 fixant les modalités<br />

spéciales d’exercice du contrôle économique et<br />

financier de l’État sur la Société du Grand Paris, JO<br />

14 avril 2011, p. 6557.<br />

15 Il s’agit des documents suivants : documents à<br />

caractère stratégique relatifs à l’établissement, à ses<br />

objectifs, ses moyens et ses engagements financiers,<br />

et notamment les prévisions pluriannuelles permettant<br />

d’apprécier les conditions de financement du projet<br />

du Grand Paris ; les documents relatifs à l’organi-<br />

modalités qu’il fixe après consultation de<br />

l’ordonnateur, les décisions de portée générale<br />

relatives aux recrutements, à l’avancement<br />

et à la fixation des rémunérations, ainsi que<br />

les marchés contrats et conventions. L’arrêté<br />

du 18 mars 2011 précité précise que les<br />

contrats de recrutement à partir d’un montant<br />

de salaire brut annuel de 100.000 euros sont<br />

soumis à l’avis préalable du contrôleur. Les<br />

dossiers relatifs aux actes et décisions<br />

soumis à l’avis préalable du contrôleur sont<br />

transmis au contrôleur, accompagnés de<br />

toutes pièces justificatives.<br />

Le contrôleur fait connaître son avis dans<br />

un délai de dix jours ouvrés à compter de la<br />

réception des projets d’actes accompagnés<br />

des pièces justificatives. Ce délai est<br />

interrompu par toute demande, formulée par<br />

écrit par le contrôleur d’informations ou de<br />

documents complémentaires, jusqu’à leur<br />

réception. En l’absence de réponse de sa<br />

part, à l’expiration de ce délai, son avis est<br />

réputé rendu. Si l’ordonnateur ne se<br />

conforme pas à l’avis du contrôleur, il en<br />

fait connaître les raisons par écrit dans les<br />

quinze jours suivant la décision du<br />

contrôleur au ministre chargé du budget,<br />

au ministre chargé de l’économie et aux<br />

ministres de tutelle de l’établissement.<br />

Pour chacun des actes soumis à avis<br />

préalable, le contrôleur peut, en fonction de<br />

la situation de l’établissement et<br />

notamment de la qualité du contrôle interne<br />

et après consultation de l’ordonnateur,<br />

remplacer la procédure d’avis préalable par<br />

la procédure d’information. Il peut, dans les<br />

mêmes conditions, remettre en œuvre la<br />

procédure antérieurement applicable.<br />

Le contrôleur peut mettre en place et<br />

communiquer à l’établissement un programme<br />

annuel de vérifications thématiques<br />

a posteriori. L’établissement communique au<br />

contrôleur, à sa demande, tous les documents<br />

sation, aux procédures et au fonctionnement de<br />

l’établissement ; les tableaux de bord relatifs à<br />

l’avancement du schéma d’ensemble et des projets<br />

d’infrastructure mentionnés à l’article 7-II de la loi<br />

du 3 juin 2010 ; la situation d’exécution de l’état<br />

prévisionnel des recettes et des dépenses, en<br />

recette et en dépenses ; la situation de la trésorerie<br />

et des placements ; les documents retraçant la<br />

stratégie des ressources humaines, l’état de la<br />

masse salariale, des effectifs permanents et non<br />

permanents ainsi que l’évolution des rémunérations<br />

et la politique des promotions ; tout document<br />

permettant d’apprécier la cartographie des risques<br />

et leur maîtrise.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 23


24<br />

nécessaires. Ces vérifications peuvent être<br />

effectuées sous forme d’audit. Dans ce cas,<br />

le contrôleur fait connaître à l’établissement<br />

l’objet de l’audit et la liste des intervenants.<br />

Indépendamment de ce programme, il peut à<br />

tout moment procéder à la vérification a<br />

posteriori d’un acte particulier.<br />

3. Les contrats de développement<br />

territorial<br />

Le titre IV de la loi comprend des<br />

dispositions destinées à permettre<br />

d’associer directement les collectivités<br />

territoriales et les établissements publics<br />

de coopération intercommunale (EPCI) aux<br />

projets de développement économique et<br />

aux projets d’aménagement des périmètres<br />

soit au voisinage immédiat des gares du<br />

réseau de métro automatique, soit sur le<br />

territoire défini pour le développement du<br />

pôle de Paris-Saclay.<br />

À cette fin, la loi prévoit que les collectivités<br />

territoriales et les EPCI de la région Île-de-<br />

France concernés pourront conclure des<br />

contrats de développement territorial (CDT)<br />

avec l’État. Ces contrats présentent a priori<br />

une originalité certaine 16 , s’ils tiennent leurs<br />

promesses, ce qui sera à vérifier d’ici<br />

quelques années.<br />

3.1. Définition générale<br />

Il n’existe pas de liste prédéfinie de<br />

communes susceptibles de conclure des<br />

CDT (sauf dans le périmètre de l’établissement<br />

public Paris-Saclay), le seul critère<br />

étant celui constitué par les objectifs visés<br />

à l’article 1. Des travaux ont été cependant<br />

engagés avec plusieurs groupes de maires<br />

et présidents d’EPCI sur des territoires<br />

de projet qui avaient été mentionnés par<br />

le président de la République lors de<br />

son discours à la Cité de l’Architecture du<br />

29 avril 2009, les plus avancés étant le<br />

« Territoire de la Création » autour de la<br />

Plaine Saint-Denis, le territoire du Bourget<br />

et des communes alentour, le territoire de<br />

l’ensemble Clichy sous Bois, Montfermeil,<br />

Sevran, Aulnay, le territoire dit de « La Cité<br />

Descartes », à l’est de Paris, autour de<br />

Champs-sur-Marne.<br />

16 V. les remarques en ce sens des rapporteurs du<br />

projet au Parlement, Albarello, précité, et J.-P.<br />

Fourcade, « Rapport au nom de la commission<br />

spéciale sur le projet de loi adopté par<br />

l’Assemblée nationale relatif au Grand Paris »,<br />

Sénat, 25 mars 2010, n° 366.<br />

Droit public<br />

L’association des collectivités territoriales au<br />

projet est apparue essentielle aux rapporteurs.<br />

Cette disposition « vise ainsi à conférer aux<br />

collectivités territoriales d’Île-de-France<br />

concernées par la réalisation du réseau de<br />

transport public du Grand Paris le statut<br />

d’acteurs à part entière de leur développement<br />

futur. Il s’agit d’instituer un véritable partenariat<br />

avec l’État au service de l’essor des<br />

périmètres ainsi définis, tout en ayant pour<br />

objectif de renforcer dans un même temps<br />

l’attractivité du territoire national 17 . » Les CDT<br />

sont pensés comme des instruments<br />

destinés à permettre la constitution de<br />

plusieurs pôles économiques, scientifiques,<br />

technologiques et urbains de nature à favoriser<br />

l’attractivité globale du Grand Paris et, au-delà<br />

de ce dernier, de tout le territoire national.<br />

L’objectif principal des CDT consiste à<br />

favoriser le développement économique, social<br />

et culturel à proximité des gares.<br />

En ce qui concerne le périmètre du territoire<br />

concerné par le CDT, reprenant les termes<br />

de l’article L. 122-3 du code de l’urbanisme<br />

relatif aux schémas de cohérence<br />

territoriale, il est précisé, par souci de<br />

cohérence d’ensemble, que, bien que<br />

pouvant couvrir tout ou en partie du territoire<br />

d’un ensemble de communes, le territoire<br />

concerné doit être d’un seul tenant et ne<br />

pas comprendre d’enclave 18 .<br />

Un délai maximum de dix-huit mois est fixé<br />

aux collectivités territoriales et à l’État pour<br />

conclure de tels contrats. Ce délai imparti<br />

pour la signature des contrats est identique<br />

pour ce qui concerne la réalisation du réseau<br />

de transport et pour le pôle scientifique et<br />

technologique de Paris-Saclay, mais le point<br />

de départ est différent 19 .<br />

17 Albarello, « Rapport au nom de la commission du<br />

développement durable et de l’aménagement du<br />

territoire sur le projet de loi relatif au Grand Paris<br />

», Ass. nat. ,12 novembre 2009, n° 2068.<br />

18 L’annexe A de la loi donne la liste des communes<br />

incluses dans le périmètre d’intervention de<br />

l’établissement public Paris-Saclay, l’annexe B la<br />

liste des communes concernées par la zone de<br />

protection naturelle, agricole et forestière du plateau<br />

de Saclay, l’annexe C la liste des communes incluses<br />

dans le périmètre d’intervention du syndicat mixte<br />

de transports du pôle scientifique et technologique<br />

de Saclay.<br />

19 Il s’agit de la date de promulgation de la loi pour les<br />

communes situées dans le périmètre de l’établissement<br />

public de Paris-Saclay et de la date<br />

d’approbation du schéma d’ensemble des infrastructures<br />

pour le réseau de transport public du Grand<br />

Paris.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Droit public<br />

L’article 21-II, troisième alinéa, de la loi,<br />

prévoit la possibilité d’ériger les zones de<br />

développement couvertes par les CDT en<br />

zones d’aménagement différé. L’exposé des<br />

motifs déclarait : « l’enjeu lié à la maîtrise et<br />

à la répartition du foncier est triple : permettre<br />

la réalisation du réseau de transport du<br />

Grand Paris en recueillant notamment une<br />

source de financement liée à la valorisation<br />

foncière ; permettre d’accomplir les<br />

ambitions du Grand Paris en réalisant un<br />

grand projet de développement économique,<br />

social et urbain dont le levier central sera le<br />

plus souvent le réseau de transport du Grand<br />

Paris ; enfin, replacer les territoires au centre<br />

de la stratégie de développement de<br />

l’attractivité du Grand Paris ».<br />

Le décret n° 2011-724 du 24 juin 2011 relatif<br />

aux CDT 20 précise dès son article 1 er que<br />

peuvent conclure avec l’État un CDT deux<br />

catégories de personnes publiques : les<br />

communes de la région Île-de-France dont<br />

le territoire est concerné par le projet de<br />

transport public défini par l’article 2 de cette<br />

loi, ou est compris dans un des grands<br />

territoires stratégiques de la région au sens<br />

de l’article 1 er de la loi, ou est attenant à<br />

celui d’une commune répondant à l’un ou<br />

l’autre de ces critères ; les établissements<br />

publics de coopération intercommunale<br />

dont sont membres une ou plusieurs<br />

communes répondant à l’une des conditions<br />

prévues pour le cas précédent pour les<br />

compétences qui leur ont été transférées<br />

et dont l’exercice est impliqué par le contrat.<br />

La seconde partie de l’article définit les<br />

objectifs généraux des contrats et leurs<br />

modalités de mise en œuvre. Tout d’abord,<br />

les contrats doivent porter sur le développement<br />

économique, l’aménagement urbain,<br />

le logement et les déplacements, tant d’un<br />

point de vue quantitatif que qualitatif. Un autre<br />

alinéa déclare que le contrat ne doit pas se<br />

contenter d’être un recueil déclaratif, mais<br />

qu’il doit, par souci d’efficacité, contenir les<br />

conditions précises de mise en œuvre des<br />

objectifs qui y seront affichés. Afin de faciliter<br />

la mise en œuvre de ces objectifs du CDT,<br />

la loi prévoit, ainsi qu’on l’a vu précédemment,<br />

que le contenu du contrat puisse<br />

créer des zones d’aménagement différé<br />

(ZAD).<br />

20 Décret n° 2011-724 du 24 juin 2011 relatif aux<br />

contrats de développement territorial prévus par<br />

l’article 21 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative<br />

au Grand Paris, JO 25 juin 2011, p. 10801.<br />

L’acte relatif à la création d’une ZAD relève,<br />

en principe, de la compétence du préfet.<br />

Toutefois, la prise de décision par arrêté<br />

préfectoral est subordonnée à une proposition<br />

ou un avis favorable de la collectivité<br />

territoriale intéressée ou de l’établissement<br />

public de coopération intercommunale<br />

compétent. Étant donné que le contrat est<br />

cosigné par les collectivités territoriales et<br />

par l’État (par l’intermédiaire du préfet), il est<br />

possible de considérer que les conditions<br />

sont remplies pour que celui-ci comporte une<br />

clause prévoyant la création d’une ZAD avec<br />

les conséquences que celle-ci emporte en<br />

matière de droit de préemption et, de ce fait,<br />

en terme de maîtrise foncière. Le contrat doit,<br />

dans ce cas, définir le titulaire du droit de<br />

préemption liée à la création de la ZAD, État,<br />

commune ou EPCI. Actuellement, le droit<br />

de préemption résultant d’une ZAD est de<br />

quatorze années, ce qui est approximativement<br />

le délai pour la réalisation du réseau<br />

de transport. L’exercice de cette faculté<br />

suppose que le contrat, ou du moins la<br />

clause prévoyant la création de la ZAD,<br />

reçoive une certaine publicité.<br />

Les contractants doivent détailler dans le<br />

document consacrant leur accord les<br />

opérations d’aménagement et les projets<br />

d’infrastructure permettant d’atteindre les<br />

objectifs fixés en termes de développement<br />

économique, de logement, de moyens de<br />

transport et d’aménagement urbain. Le<br />

contrat doit également indiquer les<br />

conditions de la mise en œuvre de ces<br />

opérations et l’échéancier prévisionnel de<br />

leur réalisation.<br />

L’article précise, dans ses alinéas 7 et 8<br />

les modalités de mise en œuvre de la<br />

création d’une ZAD. En particulier, la<br />

délibération du conseil municipal ou de<br />

l’organe délibérant de l’EPCI autorisant le<br />

maire ou le président de l’EPCI à signer le<br />

contrat vaut avis favorable à la création de<br />

la ZAD. Un droit de préemption subsidiaire<br />

est prévu au profit des communes dès lors<br />

que le titulaire du droit de préemption entend<br />

ne pas exercer ce droit. Le Gouvernement<br />

a ainsi entendu restituer aux communes le<br />

droit de préemption dont elles se seraient<br />

dessaisies sur des terrains ayant fait l’objet<br />

de préemption dans le cadre du CDT, mais<br />

sur lequel els opérations projetées ne se<br />

seraient pas réalisées.<br />

Le CDT équivaut, selon la loi, à la déclaration<br />

d’intérêt général visée à l’article L. 300-6 du<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 25


26<br />

code de l’urbanisme. Cette disposition a été<br />

analysée au Parlement comme l’expression<br />

d’une logique volontariste notamment en ce<br />

qui concerne les opérations d’aménagement<br />

et les projets d’infrastructure, compléments<br />

indispensables à la réalisation du pôle de<br />

Paris-Saclay et du réseau de transport du<br />

Grand Paris. Cette procédure doit permettre<br />

une mise en compatibilité des différents<br />

documents d’urbanisme que sont le schéma<br />

directeur de la région d’Île-de-France, les<br />

schémas de cohérence territoriale, les<br />

schémas de secteur et les plans locaux<br />

d’urbanisme.<br />

Les opérations d’aménagement et les projets<br />

d’infrastructures figurant dans un CDT peuvent<br />

constituer des projets d’intérêt général (PIG)<br />

au sens de l’article L. 121-9 du code de<br />

l’urbanisme (V. note 10). S’agissant de ces<br />

PIG, les pouvoirs publics ont voulu éviter que<br />

les communes ou leurs groupements,<br />

lorsqu’ils établissement leur document<br />

d’urbanisme, ne bloquent la réalisation des<br />

projets de l’État et des autres collectivités<br />

publiques. L’État se voit donc reconnaître le<br />

moyen d’obliger ces collectivités à prévoir dans<br />

leur document d’urbanisme les mesures<br />

nécessaires à la mise en œuvre de ces<br />

projets. L’article R. 121-3 du code de<br />

l’urbanisme définit ces derniers de manière<br />

assez large, mais en respectant certaines<br />

conditions, qui tiennent notamment à ce que<br />

le projet ait un minimum de consistance 21 et<br />

qu’il s’agisse d’un projet « d’ouvrage, de<br />

travaux ou de protection 22 ».<br />

3.2. Contenu du CDT<br />

Selon le décret précité du 24 juin 2011, le<br />

CDT doit comprendre notamment quatre<br />

titres : un premier titre précisant le territoire<br />

sur lequel porte le contrat et présentant le<br />

projet stratégique de développement durable<br />

élaboré par les parties ; un deuxième titre<br />

définissant, pour ce territoire, les objectifs<br />

et les priorités dans les domaines mentionnés<br />

par l’article 20 de la loi du 3 juin<br />

2010 ; un troisième titre exposant le programme<br />

des actions, opérations d’amé-<br />

21 Cela implique notamment que l’on connaisse ses<br />

caractéristiques essentielles et ses conditions<br />

générales de réalisation.<br />

22 Cette condition est peu restrictive, elle permet de<br />

faire entrer dans la catégorie des PIG non seulement<br />

les projets d’équipement et d’aménagement, mais<br />

également ceux de protection qui ne nécessitent<br />

pas la réalisation de travaux.<br />

Droit public<br />

nagement, projets d’infrastructures nécessaires<br />

à la mise en œuvre des objectifs ;<br />

un quatrième titre indiquant les conditions<br />

de mise en œuvre, de suivi, d’évaluation et<br />

de modification du contrat.<br />

S’agissant du premier titre, la définition du<br />

territoire doit correspondre aux critères cités<br />

plus haut. Le deuxième titre précise lui les<br />

objectifs et priorités du CDT en matière de<br />

développement économique, de logement et<br />

de transport, en termes quantitatifs et<br />

qualitatifs. Les objectifs retenus doivent tenir<br />

compte des programmes d’action des zones<br />

urbaines sensibles et des conventions<br />

pluriannuelles de rénovation urbaine ainsi<br />

que, en matière de logement, des objectifs<br />

annuels de production de nouveaux<br />

logements situés dans des périmètres<br />

comprenant un ou plusieurs territoires soumis<br />

à l’obligation de réaliser un programme local<br />

de l’habitat, fixés par le préfet de région en<br />

application de l’article L. 302-13 du code de<br />

la construction et de l’habitation. Ce titre doit<br />

indiquer également la contribution du territoire<br />

au développement de la région capitale qui<br />

résulte de l’ensemble des objectifs fixés par<br />

le contrat, notamment sa part dans l’objectif<br />

de construction de logements fixé par l’article<br />

1 er de la loi du 3 juin 2010. Il fait la liste des<br />

engagements prévus pris par les signataires<br />

dans le cadre de la planification et des<br />

actions qu’ils organisent ou auxquelles ils<br />

participent ou sont soumis et mentionne, le<br />

cas échéant, des engagements complémentaires.<br />

Le troisième titre indique les principales<br />

caractéristiques des actions, opérations<br />

d’aménagement et projets d’infrastructures<br />

nécessaires à la mise en œuvre des<br />

objectifs du CDT, soit : les emplacements<br />

ou périmètres envisagés ; la mention du<br />

maître d’ouvrage ; le calendrier optimal des<br />

étapes de leur élaboration et de leur<br />

réalisation ; l’évaluation de leur coût ; les<br />

conditions de leur financement, qui<br />

comportent le montant ou la part des<br />

engagements prévisionnels des parties au<br />

contrat et l’évaluation des financements<br />

attendus des participations et excédents<br />

prévus au II de l’article 21 de la loi du 3 juin<br />

2010 qui pourront y être affectés 23 .<br />

23 Le CDT précise les actions et opérations pour<br />

lesquelles il vaut déclaration de l’intérêt général. Un<br />

arrêté pris conjointement par le ministre chargé du<br />

Grand Paris, le ministre chargé de l’urbanisme et le<br />

ministre chargé des finances précise les conditions<br />

dans lesquelles sont établis et communiqués, posté-<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Droit public<br />

Lorsque les objectifs et les priorités du<br />

contrat ne permettent pas de définir<br />

l’ensemble des caractéristiques précitées,<br />

le troisième titre doit indiquer des périmètres<br />

pré opérationnels pour lesquels sont<br />

précisés les objectifs d’aménagement.<br />

Lorsque la création de zones d’aménagement<br />

différé est prévue, le troisième titre<br />

doit comprendre la liste de ces zones,<br />

assortie de la désignation du ou des<br />

bénéficiaires du droit de préemption ainsi que<br />

de la délimitation du périmètre et des objectifs<br />

d’aménagement correspondants. Les zones<br />

d’aménagement différé prévues par un CDT<br />

sont créées par décision du ou des préfets<br />

de département concernés. Le troisième titre<br />

indique également les actions foncières<br />

adaptées à certaines parties du territoire eu<br />

égard au projet stratégique de développement<br />

et aux opérations envisagées. Il doit<br />

également mentionner, à titre indicatif, les<br />

actions, opérations, projets et financement<br />

contribuant à la mise en œuvre des objectifs<br />

du contrat de développement territorial<br />

auxquels peuvent être associés, à raison de<br />

leurs compétences, d’autres collectivités et<br />

organismes, et qui font ou peuvent faire l’objet<br />

de conventions distinctes passées entre ces<br />

collectivités et organismes et tout ou partie<br />

des signataires du contrat.<br />

Quant au quatrième titre, il précise les<br />

conditions dans lesquelles le CDT est mis<br />

en œuvre et dans lesquelles les parties<br />

s’acquittent des obligations qu’elles<br />

souscrivent au titre du contrat. Il prévoit<br />

notamment les modalités de programmation,<br />

y compris celle relative aux investissements<br />

destinés à l’action foncière, et sa validation,<br />

l’établissement et la production des états<br />

prévisionnels des opérations, l’institution<br />

d’une instance de suivi, les méthodes<br />

d’évaluation de la mise en œuvre du contrat,<br />

qui est réalisée par les cocontractants tous<br />

les trois ans, et les conditions dans<br />

lesquelles elle est rendue publique, enfin les<br />

conditions d’élaboration et de validation des<br />

projets d’avenants destinés à compléter ou<br />

modifier le contrat.<br />

rieurement à la conclusion du contrat, par les maîtres<br />

d’ouvrage, d’une part, les bilans prévisionnels des<br />

actions ou opérations d’aménagement faisant<br />

apparaître le montant des excédents devant être<br />

dégagés et, d’autre part, le bilan définitif de ces<br />

actions et opérations, nécessaire à l’affectation de<br />

ces excédents conformément au II de l’article 21 de<br />

la loi du 3 juin 2010.<br />

3.3. L’élaboration et la signature du<br />

contrat<br />

L’initiative d’un CDT peut provenir, ou bien de<br />

l’État par l’intermédiaire du préfet de la région<br />

Île-de-France, ou bien d’une ou plusieurs<br />

communes ou établissements publics de<br />

coopération intercommunale. Le préfet de la<br />

région Île-de-France, « compte tenu de l’intérêt<br />

manifesté par les communes et après<br />

concertation », constitue un comité de<br />

pilotage par projet de CDT. Il en fixe la<br />

composition et, le cas échéant, les modalités<br />

de fonctionnement par arrêté. Le comité de<br />

pilotage valide le projet de CDT au plus tard<br />

trois mois avant la date, fixée par l’article 21<br />

de la loi du 3 juin 2010, à laquelle la décision<br />

d’ouverture de l’enquête publique doit être<br />

intervenue pour les contrats concernant les<br />

communes situées dans le périmètre de<br />

l’établissement public Paris-Saclay, et au<br />

plus tard quatre mois avant la date fixée par<br />

le même article et pour la même décision<br />

s’agissant des contrats concernant les autres<br />

communes.<br />

Lorsqu’il apparaît qu’une action ou opération<br />

pour laquelle le projet de contrat validé précise<br />

valoir déclaration de projet n’est pas<br />

compatible avec les dispositions des<br />

documents d’urbanisme, l’examen conjoint<br />

des dispositions proposées pour assurer la<br />

mise en compatibilité du schéma directeur<br />

de la région d’Île-de-France prévu par l’article<br />

L. 141-1-2 du code de l’urbanisme est<br />

immédiatement engagé par le préfet de la<br />

région d’Île-de-France et l’examen des<br />

schémas de cohérence territoriale, des<br />

schémas de secteurs et des plans locaux<br />

d’urbanisme prévu par les articles L. 122-15,<br />

L. 122-17 et L. 123-16 du code de l’urbanisme<br />

est engagé par les préfets des départements<br />

concernés. Le projet de CDT fait l’objet d’une<br />

évaluation environnementale dans les<br />

conditions définies par les articles L. 122-4 à<br />

L. 122-10 et R. 122-17 à R. 122-24 du code<br />

de l’environnement 24 .<br />

24 Lorsque le projet de CDT validé précise valoir<br />

déclaration de projet pour une action ou une<br />

opération pour laquelle la mise en compatibilité d’un<br />

document d’urbanisme est nécessaire, l’évaluation<br />

environnementale porte également sur la<br />

modification du document d’urbanisme, sauf dans<br />

le cas où elle n’emporte que des changements qui<br />

ne sont pas susceptibles d’avoir des effets notables<br />

sur l’environnement, au sens de l’annexe II de la<br />

directive 2001/42/CE du Parlement européen et du<br />

Conseil du 27 juin 2001.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 27


28<br />

Le projet de contrat validé est adressé, avec<br />

le rapport environnemental, simultanément<br />

aux communes et aux EPCI représentés<br />

au comité de pilotage, aux collectivités et<br />

organismes saisis pour avis 25 et à la<br />

formation d’autorité environnementale du<br />

Conseil général de l’environnement et du<br />

développement durable.<br />

L’enquête publique est régie par les<br />

dispositions du chapitre III du titre II du livre I er<br />

du code de l’environnement, mais avec les<br />

précisions suivantes. Tout d’abord, l’enquête<br />

publique est organisée par le préfet de la<br />

région Île-de-France ou, par délégation de<br />

celui-ci, au préfet du département concerné.<br />

Lorsque une ou des communes ou EPCI ont<br />

pris l’initiative du contrat, l’enquête peut être<br />

organisée par la commune ou l’EPCI ou<br />

conjointement par la ou les communes et le<br />

ou les EPCI, lorsque ces communes ou<br />

établissements le demandent, et sur décision<br />

du comité de pilotage. Le dossier soumis à<br />

l’enquête publique comporte obligatoirement<br />

un certain nombre de pièces, énumérées par<br />

le décret du 24 juin 2011 26 . Lorsqu’il est prévu<br />

que le CDT vaut déclaration de projet, l’enquête<br />

publique porte à la fois sur l’intérêt général de<br />

l’opération et, le cas échéant, sur la mise en<br />

compatibilité du ou des documents d’urbanisme<br />

dont les dispositions ne sont pas<br />

compatibles avec ce projet. L’autorité chargée<br />

de l’organisation de l’enquête transmet sans<br />

délai copie du rapport et des conclusions du<br />

commissaire-enquêteur aux collectivités et<br />

EPCI représentés au comité de pilotage.<br />

Le projet de CDT, éventuellement modifié<br />

pour tenir compte des avis recueillis et des<br />

observations formulées par le public, est<br />

adopté par le comité de pilotage dans un<br />

délai de trois mois suivant la transmission<br />

25 Sont saisis pour avis sur le projet de contrat : la<br />

région d’Île-de-France, le ou les départements<br />

concernés, l’association des maires d’Île-de-France,<br />

le syndicat « Paris Métropole », l’Atelier international<br />

du Grand Paris et des projets architecturaux et<br />

urbains. Le défaut d’avis dans le délai de deux mois<br />

à compter de la réception du projet de contrat vaut<br />

avis favorable.<br />

26 Ce sont : une notice explicative indiquant l’objet<br />

de l’enquête et les caractéristiques les plus<br />

importantes du CDT ; le projet de contrat validé par<br />

les parties ; un plan du territoire couvert par le<br />

contrat ; le rapport environnemental et l’avis de<br />

l’autorité environnementale ; les délibérations et avis<br />

recueillis ; la mention des textes qui régissent<br />

l’enquête publique en cause et la façon dont cette<br />

enquête s’insère dans la procédure relative aux<br />

CDT.<br />

Droit public<br />

du rapport et des conclusions du<br />

commissaire-enquêteur. Le CDT est signé<br />

par le préfet de la région d’Île-de-France et<br />

par les maires et présidents d’EPCI qui y<br />

ont été autorisés par la délibération du<br />

conseil municipal ou de l’organe délibérant<br />

concerné dans un délai de trois mois suivant<br />

l’approbation. Cette délibération du conseil<br />

municipal ou de l’organe délibérant de l’EPCI<br />

autorisant le maire ou le président à signer<br />

le CDT emporte, pour l’application des<br />

articles L. 122-15, L. 122-17 et L. 123-16 du<br />

code de l’urbanisme approbation de la mise<br />

en compatibilité du plan local d’urbanisme,<br />

du schéma de secteur ou du schéma de<br />

cohérence territoriale prévue par le contrat<br />

lorsque celui-ci est signé.<br />

Lorsque une action ou opération pour<br />

laquelle le contrat précise valoir déclaration<br />

de projet nécessite la mise en compatibilité<br />

d’un schéma de cohérence territoriale<br />

élaboré par un EPCI non signataire du<br />

contrat ou celle du schéma directeur de la<br />

région d’Île-de-France, le délai est porté à<br />

cinq ans. Lorsque, ayant été consultée, la<br />

région d’Île-de-France a émis un avis<br />

défavorable à la mise en compatibilité de<br />

son schéma directeur nécessaire à la<br />

réalisation d’une action ou opération pour<br />

laquelle le CDT vaut déclaration de projet,<br />

cette déclaration ne peut être prise que par<br />

un décret en Conseil d’État.<br />

Un avis mentionnant la signature du CDT,<br />

les noms des communes et des EPCI<br />

signataires et les lieux où le contrat peut<br />

être consulté dans un quotidien régional et<br />

au recueil des actes administratifs de la<br />

préfecture de région. Le CDT est tenu à la<br />

disposition du public dans les mairies des<br />

communes et au siège des établissements<br />

signataires ainsi que sur le site internet de<br />

la région d’Île-de-France.<br />

Ces contrats paraissent être véritablement<br />

des contrats au sens juridique du terme et<br />

l’on peut penser que s’il y a un contentieux,<br />

ce qui ne saurait manquer de surgir un jour,<br />

on peut penser que le juge les considèrera<br />

comme tels 27 . Mais si tel est bien le cas,<br />

27 En effet il est arrivé au juge de requalifier des «<br />

contrats » en actes unilatéraux. Il est vrai que de<br />

telles qualifications résultaient de dispositions<br />

réglementaires : devant une qualification législative<br />

le juge ne peut que s’incliner. Mais, ceci étant, il<br />

peut parfaitement limiter la portée de l’engagement<br />

contractuel, compte tenu du caractère vague, selon<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Droit public<br />

ils présenteront une originalité certaine par<br />

rapport aux autres contrats administratifs<br />

et contribueront à l’enrichissement de la<br />

théorie des contrats.<br />

La loi sur le Grand Paris, si elle comporte<br />

nombre de choix de nature à être discutés,<br />

a le mérite d’exister. Sa mise en œuvre sera<br />

complexe, les instruments qu’elle prévoit<br />

devront être bien maîtrisés pour éviter les<br />

empiètements de compétences et les<br />

incohérences. Mais la loi relative au Grand<br />

Paris met aussi en évidence la question de<br />

l’équilibre entre Paris et la province (et pas<br />

seulement les « métropoles » régionales 28 ),<br />

malgré toutes les affirmations, répétées à<br />

l’envie, et qui ne sont d’ailleurs pas fausses,<br />

selon lesquelles la réalisation du Grand<br />

Paris est aussi une opération d’intérêt<br />

national. À quand une nouvelle loi sur<br />

l’aménagement du territoire, qui mériterait<br />

qu’un grand projet lui soit consacré ?<br />

Jean-Marie Pontier (Professeur à<br />

l’École de droit de la Sorbonne -<br />

Université de Paris I)<br />

lui, de tels engagements, et telle a été sa<br />

jurisprudence pour les contrats de plan devenus<br />

contrats de projet.<br />

28 Métropoles au double sens du terme, car il n’est pas<br />

certain que les métropoles de la loi du 16 décembre<br />

2010, qui apparaissent un peu comme e « super<br />

communautés urbaines » connaissent le succès.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 29


CE Sect.,<br />

8 février 2012,<br />

Min. Budget,<br />

Comptes publics<br />

et Réforme de<br />

l’État, n° 340698<br />

et 342825<br />

(deux espèces)<br />

Une clarification<br />

bienvenue de la<br />

frontière entre<br />

contrôle de<br />

validité de la<br />

créance et<br />

contrôle de<br />

légalité du<br />

marché<br />

30<br />

Dans deux affaires distinctes, la Cour des<br />

comptes a constitué deux comptables publics<br />

débiteurs de sommes versées en règlement<br />

de prestations effectuées par des entreprises<br />

titulaires de marchés publics.<br />

Dans la première affaire (req. n° 340698), la<br />

Cour, saisie en appel par le comptable, a<br />

confirmé le jugement de la Chambre régionale<br />

des comptes de Franche-Comté qui a mis<br />

en débet le comptable public du centre<br />

communal d’action sociale de Polaincourt<br />

pour avoir réglé trois factures relatives à des<br />

livraison de repas au foyer logement des<br />

personnes âgées sans disposer de contrat<br />

écrit. Pour la Cour, chacune des factures<br />

étant d’un montant supérieur à 4.000 euros,<br />

seuil à partir duquel l’article 11 du code des<br />

marchés publics, dans sa rédaction<br />

applicable à l’époque des faits, rendait<br />

obligatoire la passation d’un marché sous<br />

forme écrite, le contrôle de la validité de la<br />

créance qui incombe au comptable aurait<br />

dû le conduire à suspendre le paiement et à<br />

demander la production d’un document écrit.<br />

Dans la seconde affaire (req. n° 342825),<br />

l’agent comptable du Port autonome de<br />

Bordeaux, devenu depuis Grand port maritime<br />

de Bordeaux, avait réglé des factures alors<br />

que les bons de commandes correspondants<br />

ont été établis postérieurement aux factures.<br />

Pour la Cour des comptes, qui statuait en<br />

premier et dernier ressort, les dates<br />

respectives figurant sur les factures et sur les<br />

bons de commandes portaient en ellesmêmes<br />

la preuve d’irrégularités manifestes<br />

altérant la nature des pièces justificatives qui<br />

ne pouvaient être considérées par le<br />

comptable public comme des pièces<br />

justificatives valides au regard des exigences<br />

posées à l’article 5 du code des marchés<br />

publics relatives à la définition préalable des<br />

besoins.<br />

Commande publique<br />

Comptables publics et marchés publics :<br />

contrôler n’est pas juger !<br />

Par Guillaume Delaloy<br />

Par deux décisions du 8 février 2012, la section du contentieux du Conseil d’État<br />

a précisé l’étendue du contrôle des comptables publics sur les marchés publics.<br />

Rappelant une jurisprudence constante selon laquelle les comptables n’ont pas<br />

le pouvoir de se faire juge de la légalité des actes administratifs, la Haute<br />

juridiction fournit aux comptables un mode d’emploi sur la nature du contrôle<br />

qu’ils doivent exercer en matière de « production des justifications », notamment<br />

au regard des exigences du code des marchés publics.<br />

En application de l’article R. 143-3 du code<br />

des juridictions financières, le ministre du<br />

budget, des comptes publics et de la<br />

réforme de l’État s’est pourvu en cassation<br />

contre les deux arrêts de débet. Le Conseil<br />

d’État était donc, une nouvelle fois, invité à<br />

préciser l’office du comptable dans le<br />

contrôle de la dépense publique.<br />

Certes, la question n’est pas nouvelle. Mais<br />

les juges du Palais royal ont vu dans ces<br />

deux affaires l’occasion pour la section du<br />

contentieux de clarifier la délicate question<br />

des limites du contrôle que le comptable<br />

public doit, sous peine d’engager sa<br />

responsabilité personnelle et pécuniaire,<br />

exercer en matière de production des<br />

justifications et de définir avec précision la<br />

frontière entre contrôle de validité de la<br />

créance et contrôle de légalité des pièces<br />

justificatives.<br />

1. Le contrôle du comptable porte<br />

sur la régularité externe de la<br />

dépense<br />

Le rôle du comptable dans le contrôle de la<br />

dépense publique est défini par le décret n°<br />

62-1587 du 29 décembre 1962 portant<br />

règlement général sur la comptabilité<br />

publique (RGCP), dont les dispositions,<br />

relativement précises, imposent au<br />

comptable d’exercer un contrôle de la<br />

régularité externe des pièces justificatives<br />

et non un contrôle de leur légalité interne.<br />

1.1. Le comptable public n’est pas juge<br />

de la légalité des marchés publics<br />

L’article 12, alinéa B, du RGCP dispose que,<br />

en matière de dépenses, les comptables<br />

sont tenus de procéder au contrôle de la<br />

qualité de l’ordonnateur ou de son délégué,<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Les pièces<br />

justificatives<br />

doivent être<br />

complètes et<br />

précises<br />

Le comptable n’a<br />

pas le pouvoir de<br />

se faire juge de<br />

la légalité des<br />

décisions<br />

administratives<br />

Le comptable ne<br />

contrôle pas<br />

l’opportunité de<br />

la dépense<br />

Commande publique<br />

de la disponibilité des crédits, de l’exacte<br />

imputation des dépenses aux chapitres<br />

qu’elles concernent selon leur nature ou leur<br />

objet, de la validité de la créance et du<br />

caractère libératoire du paiement.<br />

En ce qui concerne la validité de la créance,<br />

l’article 13 du décret de 1962 précise que<br />

le contrôle porte sur la justification du<br />

service fait et l’exactitude des calculs de<br />

liquidation ainsi que sur l’intervention<br />

préalable des contrôles règlementaires et<br />

la production des justifications.<br />

Il résulte de ces dispositions que les<br />

comptables ne doivent procéder au paiement<br />

de la dépense qu’après qu’ont été effectués<br />

les contrôles réglementaires prescrits. Le<br />

comptable peut demander à l’ordonnateur<br />

tout élément de nature à lui permettre<br />

d’exercer pleinement son contrôle. Mais il<br />

ne pourra formellement suspendre le<br />

paiement que dans le cas prévu à l’article<br />

37 du décret de 1962, c’est-à-dire « lorsque,<br />

à l’occasion de l’exercice du contrôle prévu<br />

à l’article 12 (alinéa B) ci-dessus, des irrégularités<br />

sont constatées ».<br />

Dès lors, soit l’ordonnateur fournit les<br />

éléments demandés, le cas échéant par voie<br />

de certificat administratif en vertu de l’article<br />

7 du décret de 1962, soit il fait usage du<br />

pouvoir de réquisition prévu au I de l’article<br />

60 de loi de finances pour 1963, obligeant<br />

ainsi le comptable à payer mais endossant<br />

la responsabilité des irrégularités relevées.<br />

Ce n’est que si le paiement a été effectué<br />

sans qu’aient été exercés les contrôles<br />

préalables que la Cour pourra constituer le<br />

comptable débiteur de l’organisme public.<br />

En revanche, le juge des comptes ne pourra<br />

légalement le mettre en débet au seul motif<br />

qu’il n’aurait pas effectué de diligences qui<br />

ne pourraient conduire à la suspension du<br />

paiement des dépenses en cause.<br />

Le premier contrôle auquel doit procéder le<br />

comptable consiste donc à vérifier que l’ensemble<br />

des pièces requises pour justifier la<br />

dépense ont été produites par l’ordonnateur,<br />

et qu’elles sont complètes et précises. Se<br />

pose ensuite la question de savoir si le<br />

comptable doit aller au-delà de cette simple<br />

computation des pièces ou s’il doit y porter<br />

une appréciation, et si oui, de quelle nature.<br />

Une limite à l’office du comptable a été<br />

clairement énoncée en 1971 avec la décision<br />

Ministre de l’économie et des finances c/<br />

BALME : « Il ressort des articles 12 et 13<br />

du décret du 29 décembre 1962 que, pour<br />

apprécier la validité des créances, les<br />

comptables doivent exercer leur contrôle sur<br />

la production des justifications, mais ils n’ont<br />

pas le pouvoir de se faire juges de la légalité<br />

des décisions administratives 1 ». Ce principe,<br />

régulièrement rappelé par la jurisprudence 2 ,<br />

est clairement réaffirmé dans les deux arrêts<br />

commentés.<br />

En effet, le juge des comptes ne doit pas<br />

détourner de leur finalité les contrôles<br />

prévus par le décret du 29 décembre 1962.<br />

Le Conseil d’État a, par exemple, jugé que<br />

la question de savoir si un département peut<br />

prendre à sa charge une dépense au titre<br />

des compétences qui sont les siennes est<br />

une question de légalité qui ne relève pas<br />

du contrôle que doit exercer le comptable<br />

en vue du paiement 3 .<br />

De même, il a considéré qu’en jugeant que le<br />

comptable aurait dû vérifier la conformité des<br />

clauses d’un marché avec les dispositions<br />

du code général des impôts, la Cour des<br />

comptes a mis à la charge du comptable une<br />

obligation de contrôle de légalité de l’acte<br />

administratif à l’origine de la dépense qui<br />

excède les pouvoirs que les comptables<br />

publics tiennent du B de l’article 12 et de<br />

l’article 13 du décret de 1962 4 .<br />

Comme l’écrit Jacques Magnet, dans son<br />

ouvrage sur la Cour des comptes : « Les<br />

comptables ne sont pas chargés de vérifier<br />

la régularité des actes en exécution<br />

desquels sont liquidées les dépenses [...]<br />

Ils ne sont donc pas responsables de<br />

l’irrégularité de ces actes 5 ». Or, en motivant<br />

des mises en débet sur l’irrégularité des<br />

dépenses au regard des dispositions du<br />

code des impôts ou du code des marchés<br />

1 CE Section, 5 février 1971, Min. finances c/ Balme,<br />

Rec., p. 105, concl. Grévisse.<br />

2 CE, 8 juillet 1974, Min. Économie et Finances<br />

c/ Méry, Florence et Brévard, Rec. p. 405. - CE<br />

Section, 23 mai 1980, Cne d’Evaux les Bains, Rec.<br />

p. 239. - CE, 10 février 1997, Ibo, Rec. tables p.<br />

751. - CE, 13 juillet 2006, Min. Économie, Finances<br />

et Industrie, n° 276135.<br />

3 CE, 30 juillet 2003, M. Marty, n° 232430, Rec. p. 723.<br />

4 CE, 8 juillet 2005, Min. Économie, Finances,<br />

Industrie c/ M. Basserie, n° 263254.<br />

5 J. Magnet, « La Cour des comptes, les institutions<br />

associées et les chambres régionales des<br />

comptes », Berger-Levrault, 2001.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 31


Le comptable<br />

peut porter une<br />

appréciation<br />

juridique sur les<br />

pièces qui lui<br />

sont transmises<br />

Le comptable<br />

doit interpréter<br />

les actes<br />

administratifs<br />

conformément<br />

aux lois et<br />

règlements en<br />

vigueur<br />

32<br />

publics, la Cour engage la responsabilité<br />

des comptables à raison de l’illégalité de la<br />

pièce justificative.<br />

De même, le contrôle du comptable ne<br />

saurait porter sur le rattachement de la<br />

dépense au service, élément étranger à la<br />

validité de la créance. Dans une décision du<br />

21 octobre 2009, la Haute juridiction a, par<br />

exemple, jugé qu’« en reprochant aux<br />

comptables de s’être abstenus d’exiger, à<br />

l’appui des mandats, la production de pièces<br />

justificatives attestant du rattachement au<br />

service de certains achats de cadeaux aux<br />

personnels, la Cour des comptes a mis à la<br />

charge des intéressés une obligation de<br />

contrôle de la légalité de l’acte administratif<br />

à l’origine de ces dépenses qui excède les<br />

pouvoirs que les comptables publics<br />

tiennent du décret du 29 décembre 1962 6 ».<br />

Comme le rappelait le commissaire du<br />

<strong>gouv</strong>ernement Mattias Guyomar dans ses<br />

conclusions sur cette décision, les<br />

dispositions du décret du 29 décembre 1962<br />

« sont claires dans leur principe et dans leur<br />

énoncé : il revient au comptable de s’assurer<br />

de la régularité de la dépense telle qu’elle lui<br />

est notifiée par l’ordonnateur ; il appartient<br />

au seul ordonnateur d’apprécier l’opportunité<br />

de cette dépense ».<br />

Ainsi, en l’espèce, il n’appartenait pas au<br />

comptable public de vérifier si les marchés<br />

publics qui constituaient le fondement de la<br />

dépense avaient été passés conformément<br />

aux dispositions du code des marchés<br />

publics. Dès lors que les pièces requises<br />

sont produites avec le mandat de paiement<br />

et qu’elles sont établies en la forme régulière<br />

par les autorités compétentes, le comptable<br />

ne peut s’opposer au paiement au motif de<br />

leur illégalité sans se faire juge de la légalité<br />

du marché et empiéter sur les pouvoirs de<br />

l’ordonnateur.<br />

1.2. Le comptable dispose néanmoins<br />

d’une marge d’appréciation<br />

La distinction entre régularité des pièces<br />

justificatives et légalité de l’acte administratif<br />

à l’origine de la dépense soulève des<br />

questions de frontières délicates, et en<br />

vérité assez difficiles à tracer d’une façon<br />

claire et opérationnelle. La doctrine concède<br />

que, « entre obligation de vérifier la validité<br />

6 CE, 21 octobre 2009, Min. Budget, Comptes<br />

publics et Fonction publique, n° 306960.<br />

Commande publique<br />

de la créance et interdiction d’en contrôler<br />

la légalité, la frontière est cependant difficile<br />

à tracer. Ces deux impératifs ne sont d’ailleurs<br />

pas toujours conciliables et le Conseil<br />

d’État, en sa qualité de juge de cassation<br />

des arrêts rendus par la Cour des comptes,<br />

a admis que le contrôle exercé par le<br />

comptable puisse, dans certains cas de<br />

figure, recouper celui exercé par le juge<br />

administratif sur la légalité des décisions qui<br />

constituent le fondement de la dépense 7 ».<br />

Il ne faut en effet pas déduire de la<br />

jurisprudence Balme que le comptable n’a<br />

pas à porter d’appréciation juridique sur les<br />

pièces qui lui sont produites. Si le comptable<br />

doit exiger de l’ordonnateur qu’il produise les<br />

seules pièces justificatives prévues par la<br />

nomenclature sans étendre son contrôle à<br />

l’opportunité de la dépense ou à la légalité<br />

des décisions administratives, il ne doit pas<br />

se contenter de jouer le rôle d’une chambre<br />

d’enregistrement des décisions de l’ordonnateur<br />

et des pièces justificatives fournies<br />

par lui.<br />

Ainsi, le comptable doit-il contrôler la<br />

compétence de l’auteur de l’acte 8 , ainsi que<br />

l’exactitude des calculs de liquidation 9 . De<br />

même, il doit refuser de payer, lorsque la<br />

pièce justificative est un faux 10 ou a perdu<br />

son caractère exécutoire à la suite de son<br />

annulation par le juge 11 .<br />

Toutefois, même dans ces hypothèses, le<br />

contrôle du comptable ne porte pas alors<br />

sur la légalité de l’acte administratif à<br />

l’origine de la dépense, mais sur la régularité<br />

formelle ou extrinsèque des justifications<br />

produites.<br />

Un pas supplémentaire dans l’étendue du<br />

contrôle du juge a toutefois été franchi en<br />

2000 avec la décision Kammerer par laquelle<br />

le Conseil d’État a enrichi le considérant de<br />

principe de la décision Balme, en jugeant<br />

qu’il résulte des dispositions des articles 12<br />

et 13 du décret du 29 décembre 1962 que<br />

7 P. Collin, « Étendue et limites des pouvoirs de<br />

contrôle des comptables publics », Rev. adm.<br />

2001, n° 322, p. 363.<br />

8 CE, 20 mars 1970, Boissenin, Rec. p. 210.<br />

9 CE, 19 juin 1991, Ville d’Annecy c/ Dussolier, Rec.<br />

p. 242.<br />

10 CE, 12 juillet 1907, Min. Finances, Rec. p. 656.<br />

11 CE, Section 8 juillet 1998, Min. Budget, Rec. CE,<br />

p. 306.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


La nomenclature<br />

comptable<br />

constitue le<br />

minimum et le<br />

maximum<br />

exigible<br />

Les catégories de<br />

dépenses doivent<br />

être lues à la<br />

lumière du code<br />

des marchés<br />

publics<br />

Commande publique<br />

« si, pour apprécier la validité des créances,<br />

les comptables doivent exercer leur contrôle<br />

sur l’exactitude des calculs de liquidation et<br />

la production des justifications et s’il leur<br />

appartient d’interpréter conformément aux<br />

lois et règlements en vigueur les actes<br />

administratifs qui en sont l’origine, ils n’ont<br />

pas le pouvoir de se faire juges de la légalité<br />

de ces actes 12 ». La reconnaissance aux<br />

comptables d’un pouvoir d’interprétation des<br />

actes administratifs conformément aux lois<br />

et règlements en vigueur lui permet de<br />

déterminer si le mandat de paiement a bien<br />

l’objet que l’ordonnateur lui prête.<br />

Tout cela trace une frontière bien imprécise<br />

que le Conseil d’État a entendu clarifier dans<br />

les arrêts commentés. Le fragile équilibre<br />

sur lequel reposent les relations entre le<br />

comptable et l’ordonnateur rendait<br />

nécessaire une définition la plus claire et<br />

surtout la plus prévisible possible du<br />

contrôle que doit exercer le premier sur les<br />

actes du second.<br />

2. Le contrôle du comptable<br />

s’effectue au vu des seules<br />

pièces justificatives exigibles<br />

Si l’article 13 du décret de 1962 précise<br />

que, pour apprécier la validité de la créance,<br />

les comptables doivent notamment exercer<br />

leur contrôle la production des justifications,<br />

encore faut-il savoir ce recouvre cette notion.<br />

L’intérêt des arrêts commentés réside justement<br />

dans cette définition, que le Conseil<br />

d’État présente dans un considérant de<br />

principe didactique. La Haute juridiction<br />

commence par indiquer que le contrôle de<br />

la production des justifications impose au<br />

comptable public de s’assurer que les pièces<br />

fournies par l’ordonnateur présentent un<br />

caractère suffisant pour justifier la dépense<br />

engagée. Pour le juge, cela implique de<br />

vérifier deux choses : le comptable doit, tout<br />

d’abord, rechercher si toutes les pièces<br />

requises par la nomenclature comptable ont<br />

bien été fournies ; ensuite, il doit vérifier que<br />

ces pièces sont, d’une part, complètes et<br />

précises et, d’autre part, cohérentes au<br />

regard de la catégorie de la dépense définie<br />

dans la nomenclature applicable et de la<br />

nature et de l’objet de la dépense telle qu’elle<br />

a été ordonnancée.<br />

12 CE, 8 décembre 2000, Ministre de l’économie, des<br />

finances et de l’industrie c/ Kammerer, n° 212718.<br />

C’est donc à ce stade qu’intervient la<br />

nomenclature comptable qui fixe, avec<br />

précision, selon la nature et l’objet de la<br />

dépense, la liste des pièces justificatives<br />

que l’ordonnateur doit fournir au comptable.<br />

2.1. La relation entre la nomenclature<br />

comptable et le code des marchés<br />

publics<br />

Pour les comptables publics de l’État et de<br />

ses établissements publics, l’article 47 du<br />

décret de 1962 prévoit que les opérations<br />

et notamment celles de dépense « doivent<br />

être appuyées des pièces justificatives<br />

prévues dans des nomenclatures établies<br />

par le ministre des finances avec, le cas<br />

échéant, l’accord du ministre intéressé ».<br />

Pour les comptables des collectivités<br />

territoriales et de leurs établissements publics,<br />

la liste générale des pièces justificatives a<br />

été fixée par le décret n° 83-16 du 13 janvier<br />

1983, modifié en dernier lieu par le décret<br />

n° 2007-450 du 25 mars 2007 et codifié à l’article<br />

D. 1617-19 du code général des collectivités<br />

territoriales (CGCT), aux termes duquel<br />

« avant de procéder au paiement d’une<br />

dépense ne faisant pas l’objet d’un ordre de<br />

réquisition, les comptables [...] ne doivent<br />

exiger que les pièces justificatives prévues<br />

pour la dépense correspondante dans la liste<br />

définie à l’annexe I du présent code et établie<br />

conformément à celle-ci ». Le principe du<br />

caractère limitatif des pièces exigées ne diffère<br />

pas de celui qui s’applique aux comptables<br />

de l’État en vertu de l’article 47 du règlement<br />

général sur la comptabilité publique 13 . La<br />

nomenclature constitue, pour les dépenses<br />

qu’elle référence, à la fois le minimum et le<br />

maximum exigible par le comptable 14 .<br />

Or, la rubrique 41 de l’annexe I de l’article D.<br />

1617-19, dans sa rédaction issue du décret<br />

n° 2003-301 du 2 avril 2003, applicable aux<br />

faits litigieux, indiquait que, pour « les marchés<br />

publics sans formalités préalables »,<br />

c’est-à-dire, aux termes du VII de l’article 26<br />

du code des marchés publics (CMP), les<br />

13 Ce caractère limitatif est également « opposable au<br />

juge des comptes lors de l’examen qu’il opère de la<br />

responsabilité du comptable à l’occasion de sa<br />

gestion » (Rép. Min. n° 19838, JO Sénat Q., 8 octobre<br />

1992, p. 2299).<br />

14 Cf. CE, 28 juillet 2004, Ministre d’État, ministre de<br />

l’économie, des finances et de l’industrie c/ M. Daviau,<br />

n° 244405.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 33


Le comptable<br />

doit replacer la<br />

dépense dans la<br />

catégorie<br />

correspondant à<br />

sa nature et son<br />

objet<br />

34<br />

marchés dont le montant est inférieur aux<br />

seuils communautaires de procédure<br />

formalisée 15 , la dépense est présentée sous<br />

la seule responsabilité de l’ordonnateur, selon<br />

l’une des modalités suivantes :<br />

• pour les marchés ne faisant pas l’objet<br />

d’un contrat écrit, la dépense est justifiée<br />

par la production d’un mémoire ou d’une<br />

facture ;<br />

• pour les marchés faisant l’objet d’un<br />

contrat écrit, la dépense est justifiée,<br />

pour un premier paiement, par le contrat<br />

et un mémoire ou une facture, et pour<br />

les autres paiements, par un mémoire<br />

ou une facture.<br />

Outre que les dénominations de la<br />

nomenclature de 2003 ne correspondent plus<br />

à celles du code des marchés publics issu<br />

du décret du 1 er août 2006, la principale<br />

question à laquelle étaient confrontés le juge<br />

des comptes et le Conseil d’État dans la<br />

première affaire était de savoir s’il fallait<br />

regarder les catégories de la nomenclature<br />

comme des éléments de faits, correspondant<br />

à la présentation qui est faite de la dépense<br />

par l’ordonnateur, ou comme des catégories<br />

juridiques, résultant du RGCP et renvoyant<br />

à des notions extérieures à la nomenclature<br />

et issues du code des marchés publics.<br />

En mentionnant les marchés « faisant l’objet<br />

d’un contrat écrit », la rubrique 41 pouvait,<br />

en effet, être interprétée comme ne visant<br />

pas les marchés qui doivent revêtir une forme<br />

écrite en application de l’article 11 du CMP,<br />

mais les marchés que l’ordonnateur n’a pas<br />

passés sous forme écrite. Il appartient au<br />

seul ordonnateur de respecter le formalisme<br />

défini par le code des marchés publics et le<br />

comptable n’est pas tenu de s’assurer que<br />

ce formalisme a été respecté.<br />

Une lecture littérale de la nomenclature<br />

pouvait donc laissé penser que, dès lors que<br />

la dépense est présentée, comme en<br />

l’espèce, par l’ordonnateur comme un<br />

marché public sans formalité préalable ne<br />

faisant pas l’objet d’un contrat écrit, le<br />

comptable doit se référer, comme l’y invite<br />

la nomenclature, à la rubrique 4111 et qu’il<br />

peut donc payer au vu de la seule facture. Il<br />

15 Art. 26-VII CMP : « Les marchés sans formalités<br />

préalables mentionnés dans le code général des<br />

collectivités territoriales sont les marchés d’un<br />

montant inférieur aux seuils fixés au II ».<br />

Commande publique<br />

n’en irait différemment que dans les cas pour<br />

lesquels l’annexe I de l’article D. 1617-19 du<br />

CGCT impose que le comptable dispose d’un<br />

contrat écrit, c’est-à-dire pour le versement<br />

d’une avance ou d’acomptes, pour les<br />

prélèvements pour retenue de garantie et<br />

pour le paiement des prestations de maîtrise<br />

d’œuvre.<br />

Cette interprétation pouvait s’appuyer sur<br />

l’instruction codificatrice du 23 juillet 2003<br />

relative aux pièces justificatives des<br />

dépenses du secteur public local. Ce<br />

document rappelle, en effet, que le décret<br />

de 2003 a mis en œuvre la décision du<br />

Gouvernement de ne plus faire intervenir les<br />

comptables publics dans le contrôle du seuil<br />

des marchés publics et que « ce sont les<br />

pièces justificatives produites au comptable<br />

qui déterminent la nature du marché<br />

présenté ».<br />

Tel n’est, toutefois, pas le raisonnement suivi<br />

par le Conseil d’État dans cette affaire. Pour<br />

le juge, si le comptable ne peut exiger que<br />

les pièces justificatives exigées par la<br />

nomenclature, encore faut-il que les pièces<br />

fournies par l’ordonnateur soient cohérentes<br />

au regard des catégories de dépenses<br />

fixées par la nomenclature.<br />

2.2. Le contrôle de la cohérence des<br />

pièces justificatives<br />

Les deux arrêts commentés précisent<br />

qu’au-delà du contrôle qui tend à vérifier si<br />

l’ensemble des pièces requises au titre de<br />

la nomenclature comptable applicable lui<br />

ont été fournies, le comptable doit contrôler<br />

la cohérence de ces pièces tant au regard<br />

de la catégorie de la dépense définie dans<br />

la nomenclature applicable, que de la<br />

nature et de l’objet de la dépense.<br />

La section du contentieux a suivi les<br />

conclusions du rapporteur public, Xavier de<br />

Lesquen, qui a démontré que, pour que le<br />

contrôle comptable se rattache à la réalité<br />

des opérations financières en cause, les<br />

rubriques de la nomenclature doivent<br />

nécessairement correspondre aux notions<br />

juridiques auxquelles elles se rapportent.<br />

La seule circonstance que la dépense est<br />

présenté sous la responsabilité de l’ordonnateur<br />

ne dispense pas le comptable des<br />

contrôles qui relèvent de son pouvoir. Or,<br />

l’office du comptable serait dénaturé si celuici<br />

pouvait être contraint à situer une<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Un contrat écrit<br />

doit être produit<br />

dès lors que le<br />

montant des<br />

prestations est<br />

supérieur au<br />

seuil de<br />

l’article 11<br />

du CMP<br />

Le caractère<br />

contradictoire<br />

des pièces<br />

justificatives<br />

n’implique pas<br />

nécessairement<br />

l’obligation de<br />

suspendre le<br />

paiement<br />

Commande publique<br />

dépense dans une catégorie déterminée,<br />

alors qu’au vu de sa nature et de son objet,<br />

et notamment de son montant, elle relève<br />

manifestement d’une autre. Ce serait en<br />

effet ôter tout effectivité au contrôle si le<br />

comptable devait suivre aveuglement la<br />

qualification de la dépense telle qu’elle lui<br />

est transmise par l’ordonnateur, sans<br />

pouvoir la rediriger d’office, au vu de sa<br />

nature, vers la catégorie pertinente de la<br />

nomenclature, dont il se déduira les pièces<br />

exigibles.<br />

C’est pourquoi, dans la première affaire, le<br />

juge a interprété les sous-catégories de la<br />

rubrique 411, relative aux marchés publics<br />

sans formalités préalables, pour en déduire<br />

que, lorsqu’elles distinguent les marchés<br />

selon qu’ils font ou non l’objet d’un contrat<br />

écrit, elles doivent être regardées comme<br />

se référant aux dispositions de l’article 11<br />

du CMP en vertu desquelles, dans leur<br />

rédaction alors applicable, les marchés d’un<br />

montant égal ou supérieur à 4.000 euros<br />

doivent être passés sous forme écrite.<br />

En l’espèce, la facture étant d’un montant<br />

supérieur à ce seuil, il y aurait une<br />

incohérence à la rattacher à la catégorie<br />

4111 concernant les marchés ne faisant pas<br />

l’objet d’un contrat écrit.<br />

Le comptable devait donc se retourner vers<br />

l’ordonnateur afin de vérifier que la<br />

commande passée était bien supérieure au<br />

seuil et, si tel est le cas, lui demander avant<br />

le paiement de la dépense la production<br />

d’un contrat écrit, conformément à la liste<br />

des pièces justificatives résultant de la<br />

nomenclature. Ce faisant, le comptable en<br />

reste, conformément à son office, à un<br />

contrôle de la régularité formelle de la<br />

catégorie retenue au sein de la<br />

nomenclature, sans entrer dans une analyse<br />

juridique de la conformité de la passation<br />

du marché aux règles du code des marchés<br />

publics.<br />

Cette solution, fondée sur la nomenclature<br />

de 2003, devrait également s’appliquer à<br />

l’aune de la nomenclature issue du décret<br />

du 25 mars 2007. Si la rubrique 423 de<br />

l’annexe I de l’article D. 1617-19 du CGCT<br />

n’opère plus de distinction entre les<br />

marchés faisant ou non l’objet d’un contrat<br />

écrit, elle impose la production d’un contrat<br />

à l’appui du premier paiement des « prestations<br />

fixées par contrat ». Il en résulte qu’un<br />

contrat écrit doit être communiqué au<br />

comptable dès lors le montant des<br />

prestations est supérieur à 15.000 euros,<br />

seuil à compter duquel l’article 11 du CMP<br />

impose, depuis le décret du 9 décembre<br />

2011, que le contrat soit conclu sous forme<br />

écrite 16 .<br />

Le Conseil d’État rappelle, toutefois, que,<br />

si l’ordonnateur n’est pas en mesure de<br />

présenter un contrat écrit, il peut alors<br />

produire « un certificat administratif par<br />

lequel il déclare avoir passé un contrat oral<br />

et prend la responsabilité de l’absence de<br />

contrat écrit ». Dans ce cas, il appartient<br />

au comptable de payer la dépense sans «<br />

se faire juge de la légalité de la passation<br />

du marché en cause ». En cassant la<br />

décision de la Cour des comptes au motif<br />

que celle-ci n’avait pas recherché, avant la<br />

mise en débet, si le comptable avait<br />

demandé et obtenu de l’ordonnateur un tel<br />

certificat, le Conseil d’État impose par-là<br />

même au comptable de procéder à cette<br />

diligence.<br />

Dans la deuxième affaire, l’incohérence des<br />

justifications ne résidait pas dans leur<br />

insuffisance au regard de la catégorie de la<br />

dépense mais dans l’antériorité des factures<br />

par rapport aux bons de commande. Il est<br />

vrai que le cours normal des opérations<br />

d’exécution d’un marché public suppose que<br />

les bons de commande soient émis avant<br />

les factures correspondantes. Il y avait là pour<br />

la Cour des comptes, une contradiction<br />

manifeste entre les pièces justificatives qui<br />

aurait dû conduire à les disqualifier aux yeux<br />

du comptable.<br />

Il est vrai que, dans sa décision Morel du<br />

21 mars 2001, le Conseil d’État avait déjà<br />

jugé que le contrôle du comptable devait le<br />

conduire, dans l’hypothèse où les pièces<br />

justificatives seraient contradictoires, à<br />

suspendre le paiement jusqu’à ce que<br />

l’ordonnateur lui ait produit, à cet effet, les<br />

justifications nécessaires. Toutefois, si<br />

l’arrêt Morel s’appuie sur le caractère<br />

contradictoire des pièces, c’est uniquement<br />

dans la mesure où le comptable n’avait pu<br />

identifier la nature de la dépense 17 .<br />

16 Décret n° 2011-1853 du 9 décembre 2011 modifiant<br />

certains seuils du code des marchés publics.<br />

17 CE, 21 mars 2001, Morel, n° 195508.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 35


36<br />

Or, en l’espèce, l’apparente contradiction<br />

entre les pièces justificatives révélait avant<br />

tout une anomalie au regard des règles de<br />

la commande publique régie par le code des<br />

marchés publics dont l’article 5 impose aux<br />

acheteurs publics de définir avec précision<br />

la nature et l’étendue de leurs besoins avant<br />

de procéder à l’acte d’achat<br />

C’est pourquoi le Conseil d’État a jugé que,<br />

en reprochant au comptable de ne pas avoir<br />

relevé l’irrégularité résultant de la<br />

contradiction entre les pièces justificatives<br />

et, en fait, à travers l’absence de définition<br />

préalable des besoins, la régularité du<br />

marché passé, la Cour des comptes a en<br />

réalité mis à la charge du comptable une<br />

obligation de contrôle de la légalité des<br />

pièces justificatives fournies par<br />

l’ordonnateur.<br />

*<br />

* *<br />

En clarifiant la portée du contrôle exercé<br />

par le comptable en matière de marchés<br />

publics, le Conseil d’État précise un peu<br />

plus les responsabilités respectives des<br />

acteurs de la dépense publique, telles<br />

qu’elles résultent du principe de séparation<br />

des ordonnateurs et des comptables. Il<br />

fournit ici un véritable « guide des bonnes<br />

pratiques » en matière de contrôle des<br />

pièces justificatives qui, en définissant avec<br />

précision l’office du comptable, tend à<br />

préserver un des principes fondamentaux<br />

de la comptabilité publique.<br />

Guillaume Delaloy (Direction des<br />

affaires juridiques)<br />

Commande publique<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Conseil d’État<br />

N° 340698<br />

Publié au recueil Lebon<br />

Section du contentieux<br />

Commande publique<br />

Lecture du vendredi 8 février 2011 (extraits)<br />

Considérant qu’en vertu de l’article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, la responsabilité personnelle et<br />

pécuniaire des comptables publics se trouve engagée dès lors notamment qu’une dépense a été irrégulièrement<br />

payée ; que selon le VI de l’article 60, le comptable public dont la responsabilité pécuniaire est ainsi engagée ou<br />

mise en jeu a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels une somme égale à la dépense<br />

payée à tort ; que s’il n’a pas versé cette somme, il peut être, selon le VII de l’article 60, constitué en débet par<br />

le juge des comptes ; que s’agissant des comptables locaux, l’article L. 1617-2 du code général des collectivités<br />

territoriales dispose que : « Le comptable d’une commune, d’un département ou d’une région ne peut subordonner<br />

ses actes de paiement à une appréciation de l’opportunité des décisions prises par l’ordonnateur. Il ne peut<br />

soumettre les mêmes actes qu’au contrôle de légalité qu’impose l’exercice de sa responsabilité personnelle et<br />

pécuniaire. » ;<br />

Considérant, en premier lieu, qu’en vertu de l’article 19 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général<br />

sur la comptabilité publique, les comptables publics sont, dans les conditions fixées par les lois de finances,<br />

personnellement et pécuniairement responsables de l’exercice régulier des contrôles prévus aux articles 12 et<br />

13 ; qu’aux termes de l’article 12 de ce décret : « Les comptables sont tenus d’exercer : [...] / B. - En matière<br />

de dépenses, le contrôle : / [...] De la validité de la créance dans les conditions prévues à l’article 13 ci-après<br />

[...] » ; que l’article 13 du même décret dispose que : « En ce qui concerne la validité de la créance, le contrôle<br />

porte sur : / La justification du service fait et l’exactitude des calculs de liquidation ; / L’intervention préalable<br />

des contrôles réglementaires et la production des justifications [...] » ; qu’aux termes de l’article 37 du même<br />

décret : « Lorsque, à l’occasion de l’exercice du contrôle prévu à l’article 12 (alinéa B) ci-dessus, des irrégularités<br />

sont constatées, les comptables publics suspendent les paiements et en informent l’ordonnateur [...] » ; qu’en<br />

vertu de l’article 47 du même décret, les opérations de dépense « doivent être appuyées des pièces justificatives<br />

prévues dans les nomenclatures établies par le ministre des finances avec, le cas échéant, l’accord du ministre<br />

intéressé » ;<br />

Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent<br />

notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu’à ce titre, il leur revient d’apprécier si les<br />

pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère<br />

suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l’ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature<br />

comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d’une part, complètes et<br />

précises, d’autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable<br />

et de la nature et de l’objet de la dépense telle qu’elle a été ordonnancée ; que si ce contrôle peut conduire les<br />

comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l’origine de la créance et s’il leur<br />

appartient alors d’en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n’ont pas le pouvoir de<br />

se faire juges de leur légalité ; qu’enfin, lorsque les pièces justificatives fournies sont insuffisantes pour établir la<br />

validité de la créance, il appartient aux comptables de suspendre le paiement jusqu’à ce que l’ordonnateur leur<br />

ait produit les justifications nécessaires ;<br />

Considérant, en second lieu, d’une part, que selon le dernier alinéa de l’article L. 1617-3 du code général des<br />

collectivités territoriales : « La liste des pièces justificatives que le comptable peut exiger avant de procéder au<br />

paiement est fixée par décret » ; qu’aux termes de l’article D. 1617-19 du même code dans sa rédaction<br />

applicable au litige : « Avant de procéder au paiement d’une dépense ne faisant pas l’objet d’un ordre de réquisition,<br />

les comptables des communes, des départements, des régions et de leurs établissements publics [...] ne<br />

doivent exiger que les pièces justificatives prévues pour la dépense correspondante dans la liste définie à<br />

l’annexe I du présent code et établie conformément à celle-ci » ; que la liste des pièces justificatives figurant à<br />

l’annexe I du code général des collectivités territoriales était, à la date des paiements litigieux, fixée par le décret<br />

n° 2003-301 du 2 avril 2003 ; que le point 41 de cette annexe, relatif aux travaux, fournitures ou services entrant<br />

dans le champ d’application du code des marchés publics, dans sa rédaction issue de ce décret, précise que :<br />

« La dépense est présentée sous la seule responsabilité de l’ordonnateur selon l’une des modalités suivantes :<br />

/ marché public sans formalités préalables : / - ne faisant pas l’objet d’un contrat écrit ; / - faisant l’objet d’un<br />

contrat écrit ; / marché public avec formalités préalables » ; que pour les dépenses présentées par l’ordonnateur<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 37


38<br />

Commande publique<br />

comme correspondant à un marché public passé sans formalités préalables ne faisant pas l’objet d’un contrat<br />

écrit, les pièces justificatives exigées sont : « mémoire ou facture comportant les énonciations définies en<br />

annexe C » ; que pour les dépenses présentées par l’ordonnateur comme correspondant à un marché public<br />

passé sans formalités préalables faisant l’objet d’un contrat écrit, l’ordonnateur doit en outre produire, lors du<br />

premier paiement, le contrat ;<br />

Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 11 du code des marchés publics issu du décret du 1 er août<br />

2006 et en vigueur depuis le 1 er septembre 2006, dans sa rédaction alors applicable : « Les marchés et accordscadres<br />

d’un montant égal ou supérieur à 4.000 euros hors taxes sont passés sous forme écrite [...] » ;<br />

Considérant qu’il résulte des dispositions citées ci-dessus que lorsqu’elle distingue, parmi les marchés publics<br />

sans formalités préalables, entre ceux faisant l’objet d’un contrat écrit et ceux ne faisant pas l’objet d’un tel<br />

contrat, la nomenclature des pièces justificatives dont les comptables des collectivités territoriales et de leurs<br />

établissement publics doivent exiger la production doit être regardée comme se référant, pour déterminer les cas<br />

dans lesquels les marchés doivent faire l’objet d’un contrat écrit, aux dispositions de l’article 11 du code des<br />

marchés publics en vertu desquelles, dans leur rédaction alors applicable, les marchés d’un montant égal ou<br />

supérieur à 4.000 euros doivent être passés sous forme écrite ; qu’il suit de là que lorsque la dépense est<br />

présentée par l’ordonnateur, sous sa seule responsabilité, sous la forme d’un marché public sans formalités<br />

préalables et que la facture produite fait état d’un montant égal ou supérieur à 4.000 euros hors taxes, sans qu’un<br />

contrat écrit ne soit produit pour justifier la dépense engagée, il appartient au comptable, devant cette insuffisance<br />

apparente des pièces produites pour justifier la dépense correspondant à un marché public sans formalités<br />

préalables faisant nécessairement l’objet d’un contrat écrit en vertu de la réglementation applicable, de suspendre<br />

le paiement et de demander à l’ordonnateur la production des justifications nécessaires ; qu’en revanche, dès<br />

lors que l’ordonnateur a produit, en réponse à cette demande, un certificat administratif par lequel il déclare avoir<br />

passé un contrat oral et prend la responsabilité de l’absence de contrat écrit, il appartient au comptable, qui n’a<br />

pas à se faire juge de la légalité de la passation du marché en cause, de payer la dépense ;<br />

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la dépense relative à des prestations<br />

de livraison de repas au foyer des personnes âgées du centre communal d’action sociale de Polaincourt avait été<br />

présentée par l’ordonnateur sous la forme d’un marché public sans formalités préalables et justifiée par la seule<br />

production de factures, établies à l’automne 2006, dont chacune était d’un montant supérieur à 4.000 euros,<br />

seuil qui, depuis l’entrée en vigueur du code des marchés publics de 2006 et dans la version alors applicable de<br />

l’article 11 de ce code, rendait obligatoire la passation du marché sous forme écrite ; qu’en fondant son arrêt sur<br />

le fait que M. Deroy, comptable du centre communal d’action sociale de Polaincourt, s’est à tort abstenu d’exiger<br />

avant tout paiement de la dépense, dès lors que les factures présentées étaient chacune d’un montant supérieur<br />

à 4.000 euros, la production d’un contrat écrit, sans rechercher si le comptable avait demandé et obtenu de<br />

l’ordonnateur un certificat par lequel ce dernier engageait sa responsabilité en justifiant l’absence de contrat<br />

écrit, la Cour des comptes a commis une erreur de droit ; que son arrêt doit, dès lors, être annulé.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Conseil d’État<br />

Commande publique<br />

N° 342825<br />

Publié au recueil Lebon<br />

Section du contentieux<br />

Lecture du vendredi 8 février 2011 (extraits)<br />

Considérant qu’en vertu de l’article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, la responsabilité personnelle et<br />

pécuniaire des comptables publics se trouve engagée dès lors notamment qu’une dépense a été irrégulièrement<br />

payée ; que selon le VI de l’article 60, le comptable public dont la responsabilité pécuniaire est ainsi engagée ou<br />

mise en jeu a l’obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels une somme égale à la dépense<br />

payée à tort ; que s’il n’a pas versé cette somme, il peut être, selon le VII de l’article 60, constitué en débet par<br />

le juge des comptes ;<br />

Considérant qu’en vertu de l’article 19 du décret du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité<br />

publique, les comptables publics sont, dans les conditions fixées par les lois de finances, personnellement et<br />

pécuniairement responsables de l’exercice régulier des contrôles prévus aux articles 12 et 13 ; qu’aux termes de<br />

l’article 12 du même décret : « Les comptables sont tenus d’exercer : / [...] B. - En matière de dépenses, le<br />

contrôle : [...] De la validité de la créance dans les conditions prévues à l’article 13 ci-après [...] » ; qu’aux termes<br />

de l’article 13 du même décret : « En ce qui concerne la validité de la créance, le contrôle porte sur : / La<br />

justification du service fait et l’exactitude des calculs de liquidation ; / L’intervention préalable des contrôles<br />

réglementaires et la production des justifications [...] » ; qu’aux termes de l’article 37 du même décret : « Lorsque,<br />

à l’occasion de l’exercice du contrôle prévu à l’article 12 (alinéa B) ci-dessus, des irrégularités sont constatées, les<br />

comptables publics suspendent les paiements et en informent l’ordonnateur. [...] » ; qu’enfin, en vertu de l’article<br />

47 du même décret, les opérations de dépense « doivent être appuyées des pièces justificatives prévues dans les<br />

nomenclatures établies par le ministre des finances avec, le cas échéant, l’accord du ministre intéressé » ;<br />

Considérant qu’il résulte de ces dispositions que, pour apprécier la validité des créances, les comptables doivent<br />

notamment exercer leur contrôle sur la production des justifications ; qu’à ce titre, il leur revient d’apprécier si les<br />

pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée ; que pour établir ce caractère<br />

suffisant, il leur appartient de vérifier, en premier lieu, si l’ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature<br />

comptable applicable leur ont été fournies et, en deuxième lieu, si ces pièces sont, d’une part, complètes et<br />

précises, d’autre part, cohérentes au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable<br />

et de la nature et de l’objet de la dépense telle qu’elle a été ordonnancée ; que si ce contrôle peut conduire les<br />

comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l’origine de la créance et s’il leur<br />

appartient alors d’en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur, ils n’ont pas le pouvoir de<br />

se faire juges de leur légalité ; qu’enfin, lorsque les pièces justificatives fournies sont insuffisantes pour établir la<br />

validité de la créance, il appartient aux comptables de suspendre le paiement jusqu’à ce que l’ordonnateur leur<br />

ait produit les justifications nécessaires ;<br />

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour justification des dépenses<br />

engagées au titre de prestations fournies par la société RABA SARP Sud-ouest, l’agent comptable du Port<br />

autonome de Bordeaux a été destinataire de pièces intitulées « bons de commande » dont les dates étaient<br />

toutes postérieures à celles d’émission des factures correspondantes ; que, pour retenir qu’il lui appartenait,<br />

contrairement à ce qu’il a fait, de suspendre le paiement des sommes réclamées, la Cour des comptes a estimé<br />

que les bons de commande litigieux ne pouvaient être considérés par le comptable public comme des pièces<br />

justificatives valides au regard des exigences posées à l’article 5 du code des marchés publics relatives à la<br />

définition préalable des besoins ; que s’il appartenait au comptable, en cas de doute quant au caractère suffisant<br />

des justifications produites, de suspendre le paiement et de demander à l’ordonnateur de lui communiquer tout<br />

élément de nature à lui permettre d’exercer pleinement le contrôle de la régularité des pièces qui lui incombe, en<br />

revanche, il n’avait pas à se faire juge de la légalité des « bons de commande » en cause ; qu’en l’espèce, en<br />

reprochant au comptable de ne pas avoir suspendu le paiement des sommes litigieuses au seul motif que les<br />

bons de commande étaient d’une date postérieure à celle des factures qui se rattachaient à eux, le juge des<br />

comptes a en réalité exigé du comptable qu’il exerce un contrôle de légalité sur les pièces justificatives fournies<br />

par l’ordonnateur alors que celles-ci ne présentaient, à elles seules et quelle que soit en tout état de cause leur<br />

validité juridique, ni incohérence au regard de la catégorie de la dépense définie dans la nomenclature applicable<br />

ni incohérence au regard de la nature et de l’objet de la dépense engagée ; que, dès lors, la Cour des comptes<br />

a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt doit être annulé.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 39


Le droit de la<br />

commande<br />

publique évolue<br />

et évoluera<br />

encore à court<br />

terme<br />

De la décision<br />

Perez à son<br />

relèvement<br />

récent, le seuil<br />

de dispense de<br />

procédure a fait<br />

couler beaucoup<br />

d’encre<br />

40<br />

Durant ces dix dernières années, les<br />

acheteurs publics soumis au code des<br />

marchés publics se sont habitués au<br />

changement. Ils ont vu naître un nouveau<br />

code en 2001, deux nouvelles directives<br />

européennes sur les marchés publics en<br />

2004, une édition remaniée du code la<br />

même année et, enfin, un nouveau code en<br />

2006, modifié plusieurs fois depuis cette<br />

date.<br />

Les acheteurs le savent, le droit de la<br />

commande publique évolue et évoluera<br />

encore à court terme, puisque la refonte des<br />

directives sur les marchés publics fait<br />

actuellement l’objet d’intenses négociations<br />

entre la Commission européenne et les<br />

États membres. Une fois ces textes<br />

européens adoptés, viendra l’heure des<br />

travaux de transposition en droit interne,<br />

donc des nouvelles modifications du code<br />

des marchés publics.<br />

Mais, depuis la fin de l’année 2008, un<br />

phénomène particulier a attiré l’attention des<br />

acteurs de la commande publique : la valse<br />

des seuils de procédures.<br />

Si ceux régissant les procédures formalisées,<br />

imposées par les directives européennes,<br />

sont mécaniquement fixés tous les deux ans<br />

par la Commission européenne (1.), d’autres<br />

seuils, purement nationaux, sont soumis à<br />

certaines turbulences juridico-politiques. Tel<br />

est le cas du célèbre « seuil de dispense de<br />

procédure » ou « seuil de minimis », qui a fait<br />

couler beaucoup d’encre depuis son<br />

relèvement de 4.000 à 20.000 euros HT en<br />

décembre 2008 1 , en passant par la décision<br />

Perez 2 le ramenant à 4.000 euros HT, jusqu’à<br />

son relèvement récent à 15.000 euros HT par<br />

le décret n° 2011-1853 du 9 décembre 2011<br />

modifiant certains seuils du code des marchés<br />

Commande publique<br />

Code des marchés publics : dans les coulisses de la<br />

valse des seuils de procédures<br />

Par Michel Dupont<br />

Le monde de la commande publique a bien accueilli le relèvement à 15.000<br />

euros HT du seuil de dispense de procédure et l’ajustement à la hausse des seuils<br />

de procédures formalisées. Entrons dans les coulisses de ces récentes réformes...<br />

1 Décret n° 2008-1356 du 19 décembre 2008 relatif<br />

au relèvement de certains seuils du code des<br />

marchés publics, JORF n° 0296 du 20 décembre<br />

2008, p. 19548.<br />

2 CE, 10 février 2010, Perez, req. n° 329100.<br />

publics, paru au Journal officiel du 11 décembre<br />

2011, et par l’article 118 de la loi<br />

n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la<br />

simplification du droit et à l’allègement des<br />

démarches administratives, publiée au Journal<br />

officiel du 23 mars 2012.<br />

Cette dernière réforme ayant déjà fait l’objet<br />

de commentaires de la part de la doctrine 3 ,<br />

il est légitime de s’interroger sur l’utilité d’un<br />

article supplémentaire sur le sujet.<br />

En tant qu’agent de la direction des affaires<br />

juridiques des ministères économiques et<br />

financiers ayant participé aux travaux<br />

préparatoires des réformes, l’auteur de ces<br />

lignes se propose de présenter les coulisses<br />

du relèvement du seuil de dispense<br />

procédure (2.), sur la base de documents<br />

publics (déontologie du fonctionnaire oblige),<br />

ainsi que tenter d’expliquer les « règles de<br />

bonne gestion » qui ont encadré ce<br />

relèvement (3.).<br />

1. Les nouveaux seuils applicables<br />

aux procédures formalisées<br />

Les articles 26, 144 et 201 du code des<br />

marchés publics fixent une liste de<br />

procédures formalisées que les acheteurs<br />

publics doivent utiliser, dès lors que le<br />

montant estimé de leur besoin est égal ou<br />

supérieur à certains seuils.<br />

Ces seuils, déterminés par les autorités européennes,<br />

ont pour objectif de garantir le<br />

respect des engagements internationaux de<br />

l’Union européenne. Ils ne laissent qu’une<br />

infime marge de manœuvre aux États membres,<br />

non retenue par la France.<br />

3 G. Clamour, « Procédure adaptée : le seuil est<br />

porté à 15.000 euros HT », Contrats-marchés publ.<br />

n° 1, janvier 2012, comm. 1, p. 26 ; F. Linditch, « À<br />

propos du nouveau seuil de 15.000 euros HT pour<br />

les achats dispensés de mise en concurrence »,<br />

JCP A n° 2, 16 janvier 2012, comm. 2009, p. 26.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Les seuils de<br />

procédures<br />

formalisées ont<br />

augmenté<br />

Commande publique<br />

1.1. Le respect des engagements<br />

internationaux de l’Union européenne<br />

Depuis 1994 4 , l’Union européenne est partie<br />

à l’Accord sur les marchés publics (AMP)<br />

conclu dans le cadre de l’Organisation<br />

mondiale du commerce (OMC). Cet accord<br />

s’applique aux marchés d’un montant égal<br />

ou spérieur à des seuils déterminés en<br />

droits de tirage spéciaux 5 (DTS).<br />

Tous les deux ans, les seuils des directives<br />

européennes sur les marchés publics sont<br />

révisés, par un règlement de la Commission<br />

européenne 6 , en fonction de l’évolution des<br />

DTS 7 , afin de permettre le respect des<br />

engagements internationaux de l’Union<br />

européenne.<br />

1.2. Les nouveaux montants imposés<br />

par le règlement n° 1251/2011<br />

Le règlement (UE) n° 1251/2011 de la<br />

Commission du 30 novembre 2011 modifiant<br />

les directives 2004/17/CE, 2004/18/CE et<br />

2009/81/CE du Parlement européen et du<br />

Conseil en ce qui concerne leurs seuils<br />

d’application pour les procédures de<br />

passation des marchés, publié au Journal<br />

officiel de l’Union européenne du 2 décembre<br />

2011, constitue la dernière révision en date.<br />

Pour la période du 1 er janvier 2012 au 31<br />

décembre 2013, il fixe les seuils de la<br />

manière suivante :<br />

• 130.000 euros HT pour les marchés de<br />

fournitures et de services de l’État<br />

(125.000 euros HT auparavant) ;<br />

• 200.000 euros HT pour les marchés de<br />

fournitures et de services des collectivités<br />

territoriales (193.000 euros HT<br />

auparavant) ;<br />

4 Décision 94/800/CE du Conseil du 22 décembre<br />

1994 relative à la conclusion au nom de la<br />

Communauté européenne, pour ce qui concerne<br />

les matières relevant de ses compétences, des<br />

accords des négociations multilatérales du cycle<br />

de l’Uruguay (1986-1994).<br />

5 http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/<br />

sdrf.htm<br />

6 P. Proot, « Les seuils d’application des directives<br />

sur les marchés publics », CP-ACCP, février 2005,<br />

n° 41.<br />

7 http://www.wto.org/french/tratop_f/gproc_f/<br />

thresh_f.htm<br />

• 400.000 euros HT pour les marchés de<br />

fournitures et de services des entités<br />

adjudicatrices, ainsi que pour les<br />

marchés de fournitures et de services<br />

passés dans le domaine de la défense<br />

ou de la sécurité (387.000 euros HT<br />

auparavant) ;<br />

• 5.000.000 euros HT pour les marchés<br />

de travaux (4.845.000 euros HT<br />

auparavant).<br />

1.3. Les États membres disposent d’une<br />

marge de manœuvre très réduite<br />

1.3.1. L’article 288 du Traité sur le<br />

fonctionnement de l’Union européenne<br />

(TFUE) stipule que les règlements<br />

européens ont une portée générale, qu’ils<br />

sont obligatoires dans tous leurs éléments<br />

et directement applicables dans tout État<br />

membre. Ils ne nécessitent donc aucune<br />

mesure de transposition, à la différence des<br />

directives.<br />

Si les articles du code des marchés publics<br />

relatifs à la publicité renvoient, pour<br />

l’établissement de l’avis d’appel public à la<br />

concurrence, « au modèle fixé par le<br />

règlement de la Commission européenne<br />

établissant les formulaires standard pour<br />

la publication d’avis en matière de marchés<br />

publics », ceux relatifs aux seuils de<br />

procédures reflètent une autre méthode de<br />

légistique : celle de l’intégration, dans le<br />

code, des sommes imposées par le règlement.<br />

C’est donc le décret n° 2011-2027 du 29 décembre<br />

2011 modifiant les seuils applicables<br />

aux marchés et contrats relevant de la<br />

commande publique qui a mis à jour les seuils<br />

européens contenus aux articles 26, 144 et<br />

201 du code des marchés publics.<br />

Ses auteurs auraient pu choisir la voie de<br />

la facilité en optant pour la méthode du<br />

renvoi au règlement, s’économisant ainsi<br />

le soin de rédiger un décret modificatif tous<br />

les deux ans. Mais, ils ont préféré conserver<br />

la voie de la clarté, afin d’épargner aux<br />

acheteurs publics une veille juridique du<br />

Journal officiel de l’Union européenne et,<br />

ainsi, éviter toute erreur dans la mise en<br />

œuvre des procédures.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 41


Le « seuil de<br />

dispense de<br />

procédure » est<br />

un pan sensible<br />

du code des<br />

marchés publics<br />

42<br />

1.3.2. Les seuils européens étant à la<br />

hausse, et non à la baisse contrairement<br />

aux années précédentes, les autorités<br />

françaises disposaient d’une infime marge<br />

de manœuvre lors de l’adoption de ce décret<br />

: la rigueur. Le droit national pouvant toujours<br />

être plus strict que le droit de l’Union, elles<br />

auraient pu, en effet, opter pour des<br />

montants moins élevés, par exemple en<br />

maintenant ceux applicables avant l’entrée<br />

en vigueur du nouveau règlement européen.<br />

Compte-tenu du contexte de simplification<br />

du droit et du relèvement du seuil de<br />

dispense de procédure, fil conducteur de<br />

l’année 2011, les autorités françaises<br />

décidèrent fort logiquement d’aligner les<br />

seuils contenus dans le code sur les<br />

nouveaux seuils européens, comme elles<br />

en ont désormais l’habitude.<br />

2. Les coulisses du relèvement<br />

du seuil de dispense de<br />

procédure à 15.000 euros HT<br />

Outre les seuils de procédures formalisées,<br />

le code des marchés publics contient<br />

d’autres seuils, non dépendants des<br />

autorités européennes.<br />

Le plus connu, mais aussi le plus sensible,<br />

est le « seuil de dispense de procédure »<br />

figurant aux articles 28, 146 et 203. Son<br />

principe est simple : si le montant estimé<br />

du marché est inférieur à ce seuil, l’acheteur<br />

public peut décider qu’il sera passé sans<br />

publicité ni mise en concurrence<br />

préalables, autrement dit, de « gré à gré ».<br />

Ceci étant rappelé, on comprend donc<br />

aisément pourquoi il suscite autant de<br />

passion, lorsque son montant est réduit ou<br />

relevé.<br />

2.1. Arrêt Perez : la douche froide<br />

2.1.1. Les auteurs du code des marchés<br />

publics de 2006 avait fixé le seuil de<br />

dispense de procédure à 4.000 euros HT, à<br />

l’instar de ce qui était déjà prévu dans la<br />

version 2004 8 .<br />

8 Décret n° 2004-1298 du 26 novembre 2004 relatif<br />

à diverses dispositions concernant les marchés de<br />

l’État et des collectivités territoriales.<br />

Commande publique<br />

Il est cependant de notoriété publique que<br />

le Conseil d’État avait émis un avis négatif<br />

sur l’existence d’un tel seuil.<br />

Une doctrine de l’administration éclairait<br />

cette dispense 9 : « Dès le premier euro, les<br />

marchés passés par les personnes<br />

publiques soumises au code des marchés<br />

publics doivent respecter les principes de<br />

transparence des procédures, de liberté<br />

d’accès à la commande publique et d’égalité<br />

de traitement des candidats. [...] Sous le<br />

seuil de 4.000 euros HT, aucune procédure<br />

formalisée de comparaison des offres n’est<br />

nécessaire. Pour autant, ces petits achats<br />

doivent respecter les principes fondamentaux<br />

rappelés ci-dessus. Le respect de<br />

ces principes s’apprécie à travers le<br />

comportement de l’acheteur public. » Cette<br />

doctrine était également reprise dans la<br />

circulaire d’application du code, publiée en<br />

août 2006 10 .<br />

2.1.2. Dans le cadre du plan de relance<br />

contre la crise économique, le décret<br />

n° 2008-1356 du 19 décembre 2008 avait<br />

relevé à 20.000 euros HT le seuil de<br />

dispense de procédure des pouvoirs<br />

adjudicateurs (art. 28) et des entités<br />

adjudicatrices (art. 144) soumis au code<br />

des marchés publics.<br />

La mesure avait été chaleureusement<br />

accueillie par de très nombreux professionnels<br />

de la commande publique,<br />

acheteurs comme entreprises.<br />

Un avocat, maître Perez, demanda<br />

néanmoins au Premier ministre l’abrogation<br />

du décret du 19 décembre 2008, en<br />

tant qu’il modifiait l’article 28 du code. Pour<br />

le requérant, le relèvement du seuil à<br />

20.000 euros HT méconnaissait les<br />

principes de la commande publique.<br />

Face à une décision implicite de rejet du<br />

Premier ministre, maître Perez décida de<br />

saisir le Conseil d’État. La Haute juridiction<br />

jugea, le 10 février 2010 11 , qu’« en relevant<br />

de 4.000 à 20.000 euros, de manière<br />

9 Rép. min. à QE n° 66546 de M. Bernard Perrut,<br />

JOAN, 21 mars 2006, p. 3134.<br />

10 Point 9.3. de la circulaire du 3 août 2006 portant<br />

manuel d’application du code des marchés publics,<br />

JORF n° 179 du 4 août 2006, p. 11665.<br />

11 CE, 10 février 2010, Perez, préc.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Commande publique<br />

générale, le montant en deçà duquel tous<br />

les marchés entrant dans le champ de<br />

l’article 28 du code des marchés publics<br />

sont dispensés de toute publicité et mise<br />

en concurrence, le pouvoir réglementaire a<br />

méconnu les principes d’égalité d’accès à<br />

la commande publique, d’égalité de<br />

traitement des candidats et de transparence<br />

des procédure » et annula, à compter du<br />

1 er mai 2010, le décret du 19 décembre<br />

2008, en tant qu’il avait modifié l’article 28<br />

applicable aux pouvoirs adjudicateurs.<br />

Le seuil de 4.000 euros des pouvoirs<br />

adjudicateurs était donc de retour...<br />

2.1.3. Peu de temps après cette décision,<br />

de nombreux parlementaires interrogèrent<br />

le ministre de l’économie, par l’intermédiaire<br />

de courriers, ainsi que de questions orales<br />

et écrites, à propos d’un éventuel nouveau<br />

relèvement du seuil.<br />

Les réponses, prenant acte de la décision<br />

du Conseil d’État, parvenaient à la même<br />

conclusion, « le relèvement n’est pas<br />

envisageable 12 ».<br />

2.2. Les chantiers de simplification du<br />

droit, prémices du relèvement du<br />

seuil<br />

Trois chantiers de simplification du droit furent<br />

simultanément lancés : les « Assises de la<br />

simplification », initiées le 15 décembre 2010<br />

par le Gouvernement, la « Mission parlementaire<br />

Doligé » de simplification des normes<br />

applicables aux collectivités territoriales,<br />

confiée au sénateur Éric Doligé par un décret<br />

du 25 janvier 2011, et la « Mission parlementaire<br />

Warsmann » de simplification du<br />

droit des entreprises, confiée au député Jean-<br />

Luc Warsmann par un décret du même jour.<br />

Durant les phases de concertation propres<br />

à chaque chantier, une demande récurrente<br />

fut formulée par les entreprises et les<br />

acheteurs publics : « relever le seuil de dispense<br />

de procédure ».<br />

2.3. L’émergence du seuil législatif de<br />

dispense de procédure<br />

2.3.1. C’est dans le cadre de la « Mission<br />

Warsmann » que la demande eut le plus<br />

de poids. Dans son rapport intitulé « La<br />

12 Voir par ex. rép. min. à QE n° 93997 de M. Laurent<br />

Hénart, JOAN, 29 mars 2011, p. 3124.<br />

simplification du droit au service de la<br />

croissance et de l’emploi », remis au<br />

Président de la République le 6 juillet 2011 13 ,<br />

M. Warsmann, proposa de relever le seuil,<br />

par voie législative, à 15.000 euros HT 14 .<br />

La réforme fut aussitôt intégrée par le<br />

parlementaire dans le cadre de sa<br />

proposition de loi relative à la simplification<br />

du droit et à l’allègement des démarches<br />

administratives, déposée sur le bureau de<br />

l’Assemblée nationale le 28 juillet 2011.<br />

L’article 88 prévoyait : « [...] Le pouvoir<br />

adjudicateur soumis au code des marchés<br />

publics peut décider de passer un marché<br />

public ou un accord-cadre sans publicité<br />

ni mise en concurrence préalables, au<br />

sens des règles de la commande publique,<br />

si le montant estimé de ce marché ou de<br />

cet accord-cadre est inférieur à 15.000<br />

euros hors taxes.<br />

« Lorsqu’il fait usage de la faculté offerte<br />

par le premier alinéa, le pouvoir adjudicateur<br />

peut s’adresser directement à un seul<br />

prestataire ou en consulter plusieurs selon<br />

des modalités laissées à son appréciation.<br />

Il veille à choisir une offre répondant de<br />

manière pertinente au besoin, à faire une<br />

bonne utilisation des deniers publics et à<br />

ne pas contracter systématiquement avec<br />

un même prestataire lorsqu’il existe une<br />

pluralité d’offres potentielles susceptibles<br />

de répondre au besoin. »<br />

En ne mentionnant que les pouvoirs<br />

adjudicateurs, le législateur n’a donc pas<br />

couvert les entités adjudicatrices, toujours<br />

soumises, en vertu de l’article 144 du code<br />

des marchés publics, au seuil de 20.000<br />

euros HT introduit par le décret du 19<br />

décembre 2008 15 .<br />

2.3.2. Une étude réalisée dans le cadre du<br />

programme SIGMA (OCDE et Union européenne<br />

16 ) démontre que de nombreux États<br />

13 J.-L. Warsmann, « La simplification du droit au<br />

service de la croissance et de l’emploi », Doc.<br />

franç., p. 208-209.<br />

14 Un montant de 20.000 euros aurait sans doute<br />

été mal perçu par le Conseil d’État...<br />

15 La décision Perez avait annulé le décret<br />

uniquement en tant qu’il avait modifié l’article 28 du<br />

code des marchés publics.<br />

16 Public procurement in the EU Member States - The<br />

regulation of contract below the EU thresholds,<br />

SIGMA-OECD (Sigma papers n° 45), 27 mai 2010.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 43


Les seuils<br />

français se<br />

situent dans la<br />

moyenne<br />

européenne<br />

44<br />

membres de l’Union européenne pratiquent<br />

des seuils en deçà desquels l’achat direct<br />

est autorisé.<br />

Les seuils français de 15.000 euros, pour les<br />

pouvoirs adjudicateurs, et 20.000 euros, pour<br />

les entités adjudicatrices, se situent dans la<br />

moyenne européenne.<br />

Pays Seuil de dispense (Tr,<br />

FS 17 ) des PA et EA 18<br />

Autriche 40.000 euros (PA)<br />

60.000 euros (EA)<br />

Bulgarie 22.000 euros (Tr)<br />

7.500 euros (FS)<br />

Chypre 1.700 euros<br />

Finlande 15.000 euros (FS)<br />

100.000 euros (Tr)<br />

Hongrie 26.700 euros (FS PA)<br />

50.000 euros (Tr PA)<br />

166.700 euros (FS EA)<br />

330.300 euros (Tr EA)<br />

Italie 20.000 euros (FS)<br />

40.000 euros (Tr)<br />

Lettonie 4.200 euros (FS)<br />

14.000 euros (Tr)<br />

Lituanie 3.000 euros<br />

Luxembourg 55.000 euros<br />

Pologne 14.000 euros<br />

Roumanie 15.000 euros<br />

République 30.000 euros (FS)<br />

slovaque 120.000 euros (Tr)<br />

Royaume- Pas de disposition sous<br />

Uni les seuils européens<br />

Slovénie 10.000 euros (FS)<br />

20.000 euros (Tr)<br />

Suède Seuil fixé à la discrétion<br />

des acheteurs publics<br />

Pour ses propres marchés, la Commission<br />

européenne, applique un seuil de 10.000<br />

euros 19 .<br />

17 Tr : travaux ; FS : fournitures et services.<br />

18 PA : pouvoirs adjudicateurs ; EA : entités<br />

adjudicatrices.<br />

19 Articles 241, 243 et 245 du règlement (CE)<br />

n° 2342/2002 de la Commission du 23 décembre<br />

2002 établissant les modalités d’exécution du<br />

règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil<br />

portant règlement financier applicable au budget<br />

général des Communautés européennes.<br />

Commande publique<br />

2.3.3. En application de l’article 39, alinéa<br />

5 de la Constitution, la proposition de loi fut<br />

soumise, pour avis, au Conseil d’État.<br />

Le 19 septembre 2011, l’Assemblée générale<br />

du Conseil d’État, donna un avis favorable 20<br />

au dispositif législatif : « en fixant [...] à<br />

15.000 euros hors taxes le seuil d’exemption<br />

de formalités [...], les dispositions<br />

proposées, compte tenu des modalités de<br />

prise de décision en dessous de ce seuil<br />

qu’elles entendent établir par le deuxième<br />

alinéa de cet article et de la taille des<br />

marchés en cause, n’apparaissent pas, de<br />

l’avis du Conseil d’État, contraires aux<br />

principes de liberté d’accès à la commande<br />

publique, d’égalité de traitement des<br />

candidats et de transparence des procédures<br />

tels que, notamment, la décision du Conseil<br />

constitutionnel n° 2003-473 DC du 26 juin<br />

2003 les a précisés et la décision du Conseil<br />

d’État [...] Perez, les a rappelés, sous la<br />

réserve, cependant, de rédiger ce deuxième<br />

alinéa de la manière suivante : Lorsqu’il fait<br />

usage de la faculté offerte par le premier<br />

alinéa, il veille à choisir une offre répondant<br />

de manière pertinente au besoin, à faire une<br />

bonne utilisation des deniers publics et à<br />

ne pas contracter systématiquement avec<br />

un même prestataire lorsqu’il existe une<br />

pluralité d’offres potentielles susceptibles de<br />

répondre au besoin ».<br />

2.3.4. L’Assemblée générale du Conseil<br />

d’État mit en garde le Parlement : « Le Conseil<br />

d’État attire toutefois l’attention du Parlement<br />

sur les problèmes de cohérence dans la<br />

hiérarchie des normes que pourra faire<br />

apparaître la coexistence du seuil qui serait<br />

ainsi créé par le législateur et des autres<br />

seuils édictés par le pouvoir réglementaire pour<br />

définir les différentes procédures formalisées<br />

ou adaptées applicables aux marchés<br />

publics, dont l’un est inférieur à ce nouveau<br />

seuil et les autres lui sont supérieurs ».<br />

Cette mise en garde était destinée à appeler<br />

l’attention du parlementaire sur la problématique<br />

de l’intervention du législateur dans<br />

un domaine pour lequel le pouvoir réglementaire<br />

est compétent, en ce qui concerne les<br />

collectivités territoriales, sur la base d’une<br />

habilitation législative issue d’un décret-loi<br />

de 1938.<br />

20 Avis CE, 19 septembre 2011, rapport de M. Etienne<br />

Blanc fait au nom de la commission des lois de<br />

l’Assemblée nationale sur la proposition de loi<br />

relative à la simplification du droit et à l’allègement<br />

des démarches administratives, p. 422.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


« Je ne vous<br />

propose<br />

nullement de<br />

revenir sur<br />

l’habilitation dont<br />

bénéficie le<br />

pouvoir<br />

réglementaire »<br />

Commande publique<br />

Durant la séance publique du 12 octobre<br />

2011 21 , M. Warsmann expliqua sa démarche<br />

: « Le code des marchés publics est,<br />

comme chacun le sait, issu d’un décret. Or,<br />

nous constatons un blocage. Le pouvoir<br />

réglementaire s’est en effet trouvé confronté<br />

à la jurisprudence du Conseil d’État, qui,<br />

en 2010, dans l’arrêt Perez, a jugé que le<br />

Gouvernement ne pouvait, par son pouvoir<br />

réglementaire, fixer à 20.000 euros le seuil<br />

au-delà duquel les marchés publics doivent<br />

faire l’objet d’une procédure de publicité et<br />

de mise en concurrence préalable. »<br />

Le député d’opposition Alain Vidalies<br />

commenta : « Nous avons bien compris<br />

quelle était la nature de la démarche. En<br />

effet, pourquoi sommes-nous saisis ?<br />

Puisque le Conseil d’État, juge du pouvoir<br />

réglementaire, a annulé le nouveau seuil fixé<br />

réglementairement par le Gouvernement, il<br />

suffit de sortir du champ réglementaire et<br />

de passer dans le champ législatif pour se<br />

débarrasser du contrôle du Conseil d’État...<br />

La démarche, si elle n’est pas vraiment<br />

nouvelle, est tout de même singulière. »<br />

En introduisant le dispositif dans sa<br />

proposition de loi, M. Warsmann souhaitait<br />

que le Conseil constitutionnel se prononce<br />

sur la compatibilité entre l’existence d’un<br />

seuil de dispense de procédure et les<br />

principes de la commande publique qu’il<br />

avait érigés au rang de principes constitutionnels.<br />

Mais le Conseil constitutionnel<br />

n’eut pas à connaître de la question car le<br />

moyen ne fut pas soulevé lors du recours<br />

qui suivit l’adoption du texte.<br />

Enfin, au cours de la même séance publique,<br />

M. Warsmann affirma solennellement : « Je<br />

voudrais préciser un point extrêmement<br />

important. Par cette intervention du<br />

législateur, je ne vous propose nullement de<br />

revenir sur l’habilitation dont bénéficie le<br />

pouvoir réglementaire [...] Je vous propose<br />

d’intervenir, ici, au nom d’un pouvoir que l’on<br />

peut qualifier de pouvoir d’évocation, au sens<br />

traditionnel de cette notion, c’est-à-dire une<br />

intervention ponctuelle permettant de<br />

surmonter une difficulté précise et dont l’objet<br />

n’est pas de remettre en cause, même<br />

implicitement, le régime juridique du code<br />

des marchés publics et son équilibre. »<br />

L’article 88 fut adopté par les députés.<br />

21 Voir le compte rendu intégral de la deuxième<br />

séance du mercredi 12 octobre 2011, dossier<br />

législatif en ligne sur le site de l’Assemblée nationale.<br />

2.4. La mise en œuvre anticipée de la<br />

réforme par le pouvoir réglementaire<br />

Pour tenir compte de la réserve exprimée<br />

par le Conseil d’État, le Gouvernement<br />

décida, dès le 20 octobre 2011, d’intégrer<br />

la réforme dans le code des marchés<br />

publics 22 aux articles 28 et 203.<br />

Le même dispositif, cette fois réglementaire,<br />

franchit à nouveau les grilles du<br />

Palais-Royal, afin d’être examiné par la<br />

section de l’administration du Conseil<br />

d’État, le 15 novembre 2011. Il reçut, pour<br />

la seconde fois, un avis favorable.<br />

Pour des raisons de cohérence, le décret n°<br />

2011-1853 du 9 décembre 2011 procéda à<br />

l’alignement, sur le seuil de dispense de<br />

procédure fixé à 15.000 euros, du seuil<br />

à partir duquel les marchés et accordscadres<br />

doivent être passés sous forme écrite<br />

(art. 11) et notifiés avant tout commencement<br />

d’exécution (art. 81 et 254). Suivant<br />

la même logique, les dispositions relatives<br />

aux obligations en matière de publicité<br />

préalable furent mises en cohérence avec le<br />

nouveau seuil (art. 40 et 212).<br />

En revanche, à l’instar du législateur, le<br />

pouvoir réglementaire ne modifia pas le<br />

régime des entités adjudicatrices.<br />

Ces dernières continuent donc à appliquer<br />

un seuil de dispense de procédure fixé à<br />

20.000 euros HT. Ce même montant est<br />

applicable pour la forme écrite du contrat,<br />

sa notification et la publicité préalable<br />

obligatoire.<br />

2.5. Le maintien du relèvement législatif<br />

2.5.1. Le décret du 9 décembre 2011, publié<br />

au Journal officiel du 11 décembre, entra<br />

en vigueur le lendemain de sa publication,<br />

soit le 12 décembre.<br />

La question du maintien du dispositif<br />

législatif, adopté par l’Assemblée nationale<br />

le 12 octobre 2011, en première lecture, fut<br />

posée, notamment durant les travaux de la<br />

commission des lois du Sénat 23 .<br />

22 Discours du Premier ministre, congrès de l’Union<br />

Professionnelle Artisanale (UPA), 20 octobre 2011.<br />

23 Rapport du 21 décembre 2011 de M. Jean-Pierre<br />

Michel fait au nom de la commission des lois<br />

constitutionnelles, de législation, du suffrage<br />

universel, du règlement et d’administration générale,<br />

p. 20, 33 et 51.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 45


« La DAJ n’a<br />

absolument pas<br />

voulu recréer des<br />

obligations et des<br />

exigences sur les<br />

acteurs,<br />

compliquer la vie<br />

des élus »<br />

46<br />

Mais, durant la séance publique du 10 janvier<br />

2012, la Haute assemblée adopta une motion<br />

opposant une question préalable à la<br />

délibération de la proposition de loi, entraînant<br />

le rejet du texte et son renvoi en commission<br />

mixte paritaire.<br />

Cette commission n’ayant pu trouver un<br />

accord, le texte fut renvoyé à l’Assemblée<br />

nationale pour une nouvelle lecture.<br />

2.5.2. S’appuyant sur la recommandation de<br />

l’Assemblée générale du Conseil d’État et<br />

la publication du décret du 9 décembre 2011,<br />

le Gouvernement décida de déposer un<br />

amendement de suppression de l’article 88<br />

précisant que la coexistence de deux<br />

dispositions identiques, l’une législative,<br />

l’autre réglementaire, serait « contraire<br />

à l’esprit de simplification de cette proposition<br />

de loi car elle multiplie les sources<br />

d’un droit pourtant centralisé dans un seul<br />

et même code depuis de très nombreuses<br />

années 24 ».<br />

Cependant, durant la séance publique du<br />

31 janvier 2012, M. Warsmann, fit état d’une<br />

fiche explicative de la direction des affaires<br />

juridiques des ministères économiques et<br />

financiers 25 , reprenant les conseils de<br />

transparence et traçabilité du Guide des<br />

bonnes pratiques 26 , déclara 27 :<br />

« Elle demande à l’acheteur public, en<br />

dessous du seuil de 15.000 euros, d’être en<br />

mesure d’assurer en toute transparence la<br />

traçabilité des procédures, notamment en<br />

produisant les devis sollicités, les référentiels<br />

de prix, les guides d’achat utilisés,<br />

et elle conseille d’établir une note de<br />

traçabilité de l’achat. Mes chers collègues,<br />

ce n’est absolument pas ce que souhaite le<br />

législateur ! »<br />

Le secrétaire d’État, Frédéric Lefebvre,<br />

présent au banc des ministres, tenta<br />

d’expliquer l’objectif de la fiche : « La DAJ<br />

24 Art. 88, amdnt n° 73, dossier législatif en ligne sur<br />

le site de l’Assemblée nationale.<br />

25 Fiche accompagnant le décret du 9 décembre<br />

2011 sur le site internet du ministère de l’économie.<br />

26 Circulaire du 29 décembre 2009, relative au Guide<br />

de bonnes pratiques en matière de marchés publics,<br />

JORF n° 0303 du 31 décembre 2009, p. 23171.<br />

27 Compte rendu intégral de la troisième séance du<br />

mardi 31 janvier 2012, dossier législatif en ligne sur<br />

le site de l’Assemblée nationale.<br />

Commande publique<br />

n’a absolument pas voulu recréer des<br />

obligations et des exigences sur les<br />

acteurs, compliquer la vie des élus. [...] En<br />

l’occurrence, ce ne sont pas des exigences<br />

ni des demandes qui ont été publiées, mais<br />

des conseils. Certes, je reconnais bien<br />

volontiers que certains de ces conseils<br />

réintroduisent une forme de complexité.<br />

Mais chacun doit être conscient que ce sont<br />

les mêmes obligations qui pesaient et<br />

pèseront toujours sur le seuil, quand il était<br />

de 4.000 euros. »<br />

Malgré l’entrée en vigueur du décret,<br />

intervenue près de deux mois auparavant,<br />

ainsi que la recommandation du Conseil<br />

d’État, les députés rejetèrent l’amendement<br />

de suppression de l’article 88.<br />

Après un nouveau rejet de la proposition de<br />

loi par le Sénat, l’article 88 fut définitivement<br />

adopté lors d’une ultime lecture par<br />

l’Assemblée nationale le 29 février 2012.<br />

3. La mise en œuvre des règles<br />

de bonne gestion induites par<br />

la réforme<br />

Si les coulisses de la réforme peuvent avoir<br />

un intérêt pour les historiens du droit, elles<br />

n’ont, en revanche, pas de caractère<br />

opérationnel pour les praticiens. Certains<br />

ont pu légitimement se demander ce qui<br />

se cachait réellement derrière ce nouvel<br />

encadrement. Voici quelques pistes<br />

d’explication...<br />

3.1. Les trois règles de bonne gestion<br />

permettant le respect des principes<br />

de la commande publique<br />

3.1.1. Le législateur, suivi par le pouvoir<br />

réglementaire, a relevé le seuil de dispense<br />

de procédure des pouvoirs adjudicateurs à<br />

15.000 euros HT.<br />

Cependant, il l’a également encadré par trois<br />

« règles de bonne gestion », permettant de<br />

garantir le respect des principes<br />

fondamentaux de la commande publique.<br />

La loi et le décret disposent, exactement<br />

dans les mêmes termes, que lorsque le<br />

montant estimé du marché est inférieur à<br />

15.000 euros HT et que l’acheteur décide<br />

que le marché sera passé sans publicité ni<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Les trois règles<br />

de bonne gestion<br />

sont simplement<br />

l’expression du<br />

bon sens<br />

Éviter de fixer<br />

des règles<br />

internes trop<br />

rigides<br />

Commande publique<br />

mise en concurrence préalables, il doit<br />

veiller à :<br />

• choisir une offre répondant de manière<br />

pertinente au besoin,<br />

• respecter le principe de bonne utilisation<br />

des deniers publics,<br />

• ne pas contracter systématiquement<br />

avec un même prestataire lorsqu’il<br />

existe une pluralité d’offres potentielles<br />

susceptibles de répondre au besoin.<br />

L’avis du Conseil d’État 28 est clair : « compte<br />

tenu des modalités de prise de décision en<br />

dessous de ce seuil qu’elles entendent<br />

établir par le deuxième alinéa de cet article<br />

et de la taille des marchés en cause, [ces<br />

dispositions] n’apparaissent pas, de l’avis<br />

du Conseil d’État, contraires aux principes<br />

de liberté d’accès à la commande publique,<br />

d’égalité de traitement des candidats et de<br />

transparence des procédures ».<br />

Sans ces « modalités de décision » que<br />

constituent les trois règles de bonne gestion,<br />

le Conseil d’État n’aurait probablement pas<br />

donné un avis favorable à la réforme...<br />

Le nouveau dispositif est donc le fruit d’un<br />

compromis : accord pour un relèvement à<br />

15.000 euros, à condition d’introduire explicitement<br />

des règles particulières.<br />

3.1.2. En réalité, ces trois règles existaient<br />

déjà implicitement avant la réforme. Elles<br />

sont simplement l’expression du bon sens.<br />

Si ces petits marchés sont exonérés de<br />

formalités préalables (publicité, mise en<br />

concurrence stricte, délais à respecter,<br />

etc.), ils n’en restent pas moins soumis aux<br />

principes de la commande publique (voir<br />

point 2.1.1.). L’acheteur public devait déjà,<br />

sous l’empire du seuil de 4.000 euros, se<br />

comporter en gestionnaire avisé et<br />

respectueux des deniers publics.<br />

Pour le parlementaire à l’origine de la<br />

réforme : « ce que nous avons voulu, avec<br />

cet article 88, c’est qu’en dessous du seuil<br />

de 15.000 euros, l’acheteur public procède<br />

à son achat en bon père de famille, comme<br />

le fait un citoyen normalement éclairé 29 ».<br />

28 Avis CE, 19 septembre 2011, préc.<br />

29 Compte rendu intégral de la troisième séance du<br />

mardi 31 janv.ier 2012, préc.<br />

Un autre parlementaire d’ajouter : « Il faut,<br />

je crois, laisser une vraie liberté d’action -<br />

certes encadrée - aux communes, les plus<br />

petites des collectivités, qui sont le terreau<br />

de la démocratie. Il faut arrêter de leur casser<br />

les pieds, je le dis assez simplement, par<br />

des procédures trop lourdes. »<br />

Mais qu’est-ce qu’un bon père de famille ?<br />

Il s’agit d’un gestionnaire avisé qui ne<br />

dépense pas les deniers familiaux sans se<br />

renseigner sur les prix et les garanties, en<br />

les comparant par tout moyen.<br />

Cette définition est d’autant plus importante<br />

lorsqu’elle est rattachée aux notions<br />

d’acheteur public, de deniers publics et<br />

d’intérêt général.<br />

3.2. La mise en œuvre des trois règles<br />

de bonne gestion<br />

Avant toute chose, l’acheteur public doit<br />

prendre en compte les règles relatives à la<br />

computation des seuils (art. 27 du code).<br />

La détermination de la valeur estimée des<br />

besoins au regard des notions d’opération<br />

et de prestations homogènes doit faire<br />

l’objet d’une attention particulière.<br />

L’acheteur ne doit pas découper son besoin<br />

dans le but de pouvoir bénéficier<br />

artificiellement de la dispense de<br />

procédure 30 . Plus trivialement, il ne doit pas<br />

« saucissonner ».<br />

Une fois cette problématique prise en<br />

compte, les trois règles doivent guider<br />

l’acheteur dans son achat.<br />

3.2.1. Le choix d’une offre répondant de<br />

manière pertinente au besoin<br />

Les achats sous le seuil de dispense de<br />

procédure sont soumis aux obligations<br />

relatives à la définition préalable des<br />

besoins 31 (art. 5 du CMP). Un « bon père<br />

de famille » agit de la même manière pour<br />

les achats de son foyer.<br />

30 Circulaire du 14 février 2012 relative au Guide<br />

de bonnes pratiques en matière de marchés<br />

publics, point 8 « Comment savoir si on dépasse<br />

un seuil ? », JORF n° 0039 du 15 février 2012,<br />

p. 2600.<br />

31 Circulaire du 14 février 2012, préc., point 4 « Comment<br />

l’acheteur doit-il déterminer ses besoins ? ».<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 47


L’acheteur public<br />

gère des deniers<br />

publics et doit<br />

donc être vigilant<br />

quant à leur<br />

utilisation<br />

48<br />

L’acheteur public déterminera donc avec<br />

précision la nature et l’étendue des besoins<br />

à satisfaire.<br />

Première règle de bon sens : l’offre choisie<br />

sera celle qui aura pour objet principal de<br />

répondre aux besoins exprimés. En d’autres<br />

termes, l’acheteur évitera d’opter pour des<br />

prestations superflues qui auront pour effet<br />

de peser sur le coût final.<br />

3.2.2. La bonne utilisation des deniers<br />

publics<br />

L’acheteur public gère des deniers publics<br />

et doit donc être vigilant quant à leur<br />

utilisation. Il choisira une offre financièrement<br />

raisonnable et cohérente avec la nature de<br />

la prestation. Il s’agit de la deuxième règle<br />

de bon sens...<br />

S’il possède une connaissance suffisante du<br />

secteur économique (ex : questions préalables<br />

à l’achat bien maîtrisées, connaissance<br />

des prix, du tissu économique, du<br />

degré de concurrence dans le secteur, etc.),<br />

il pourra directement effectuer son achat<br />

sans formalités préalables.<br />

En revanche, si l’acheteur public ne possède<br />

pas de connaissances particulières sur<br />

l’achat qu’il veut faire, il achètera après avoir<br />

effectué quelques comparaisons (ex : consultation<br />

de comparateurs de prix sur internet,<br />

examen de catalogues ou prospection dans<br />

des magasins ; comparaison des délais<br />

d’exécution ou des garanties proposées).<br />

Pour les prestations les plus techniques, il<br />

pourra éventuellement solliciter des devis par<br />

courriel, fax ou courrier auprès de professionnels.<br />

Exactement comme l’aurait fait un « bon<br />

père de famille ».<br />

Mais, la confection de devis ayant un coût<br />

pour les entreprises, il convient de ne pas<br />

les solliciter inutilement.<br />

Enfin, l’acheteur évitera de fixer des règles<br />

internes trop rigides, comme « trois devis<br />

obligatoires avant tout achat ».<br />

Si une seule entreprise envoie un devis,<br />

l’acheteur pourra, évidemment, contracter<br />

avec cet opérateur, dès lors que, compte<br />

tenu de l’objet de l’achat et de ses<br />

caractéristiques, le prix proposé lui semble<br />

Commande publique<br />

être raisonnable. Il conservera, néanmoins,<br />

la trace de la sollicitation des entreprises<br />

n’ayant pas répondu.<br />

3.2.3. Ne pas contracter systématiquement<br />

avec un même prestataire<br />

lorsqu’il existe une pluralité<br />

d’offres potentielles susceptibles<br />

de répondre au besoin<br />

Selon le dictionnaire Larousse, le mot<br />

systématique signifie : « Qui est fait avec<br />

méthode, procède d’un ordre déterminé à<br />

l’avance » ; « Qui pense et agit selon un<br />

système, d’une manière absolue, sans<br />

jamais se démentir » ; « Qui se fait de<br />

manière invariable ».<br />

La troisième règle invite donc l’acheteur<br />

public à ne pas tomber dans la routine. Il<br />

pourra effectuer une veille économique<br />

épisodique, en suivant sa doctrine interne,<br />

afin de ne pas contracter « systématiquement<br />

» avec le même opérateur lorsque,<br />

potentiellement, d’autres entreprises<br />

peuvent réaliser la prestation.<br />

Pour ce faire, l’acheteur pourra se poser<br />

plusieurs questions : de nouveaux opérateurs<br />

se sont-ils récemment implantés ? Le<br />

prestataire avec lequel nous avons contracté<br />

est-il toujours le plus compétitif ? Dois-je<br />

éventuellement solliciter de nouveaux devis ?<br />

Libre à chaque institution de fixer sa propre<br />

politique.<br />

3.3. La traçabilité de l’achat<br />

Les petits marchés ne sont pas à l’abri de<br />

tout contentieux de la part des entreprises<br />

concurrentes. Afin de pouvoir démontrer au<br />

juge que l’achat n’a pas été réalisé en<br />

méconnaissance des principes de la<br />

commande publique, il est conseillé de<br />

conserver une trace des éléments ayant<br />

motivé l’achat.<br />

Cette trace doit être, bien entendu,<br />

proportionnée à l’achat effectué et au secteur<br />

considéré. Il ne faut pas tomber dans les<br />

travers d’un formalisme technocratique<br />

excessif. Encore une fois, le bon sens prime.<br />

Il peut s’agir, par exemple, de conserver les<br />

résultats des comparaisons de prix et conditions<br />

d’exécution ou des devis éventuellement<br />

sollicités.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


« On peut douter<br />

qu’un marché de<br />

20.000 euros HT<br />

présente un<br />

intérêt<br />

transfrontalier<br />

certain »<br />

Commande publique<br />

Ces éléments peuvent, si l’acheteur public<br />

en décide ainsi, être accompagnés de<br />

quelques lignes explicatives, notamment<br />

pour les achats les plus complexes, les plus<br />

techniques.<br />

Chaque pouvoir adjudicateur reste libre<br />

d’adopter ou non des règles internes.<br />

Apporter la preuve de leur respect pourrait<br />

néanmoins s’avérer utile en cas d’investigations<br />

pour délit de favoritisme...<br />

Au final, même si ce triple encadrement,<br />

introduit par le législateur, ne signifie pas<br />

« mise en concurrence » au sens le plus<br />

strict du code des marchés publics, il incite<br />

les acheteurs à être vigilants lors de leurs<br />

achats.<br />

On peut alors parler de méthodes de « benchmarking<br />

32 » et de « sourcing 33 » appliquées à<br />

l’achat public. Après tout, pourquoi ces<br />

techniques, utilisées par les entreprises<br />

privées ou dans les foyers dotés d’un « bon<br />

père de famille », ne seraient-elles pas<br />

appliquées quand il s’agit de l’argent du<br />

contribuable ?<br />

3.4. Les petits marchés et l’intérêt<br />

transfrontalier<br />

La question de la compatibilité avec le droit<br />

de l’Union européenne, particulièrement<br />

avec la notion d’intérêt transfrontalier 34 , peut<br />

se poser.<br />

Comme l’a admis le rapporteur public<br />

Nicolas Boulouis dans ses conclusions 35<br />

sous l’affaire Perez, « on peut douter qu’un<br />

marché de 20.000 euros HT présente un<br />

intérêt transfrontalier certain, pour reprendre<br />

l’expression de la CJCE, et entre donc dans<br />

le versant communautaire des principes de<br />

la commande publique ».<br />

Une telle affirmation est, a priori, également<br />

valable pour les marchés de moins de<br />

15.000 euros HT.<br />

32 Comparaison des méthodes utilisées par d’autres<br />

organisations.<br />

33 Recherche et localisation du fournisseur qui<br />

répondra le mieux au besoin.<br />

34 Voir fiche « L’intérêt transfrontalier certain »,<br />

mise en ligne sur le site de la DAJ.<br />

35 RJEP, n° 675, 1 er mai 2010, comm. 23, p. 15.<br />

Selon la jurisprudence de la Cour de justice<br />

de l’Union européenne (CJUE), les marchés<br />

présentant un enjeu économique très réduit<br />

ne présentent pas un intérêt transfrontalier.<br />

Elle a jugé, dans la décision Telaustria 36 ,<br />

que la passation des marchés publics<br />

exclus du champ d’application des<br />

directives marchés est soumise au respect<br />

des règles fondamentales du traité en<br />

général et du principe de non-discrimination<br />

en raison de la nationalité en particulier. Ce<br />

principe implique, notamment, une obligation<br />

de transparence. Une telle obligation<br />

consiste à garantir, en faveur de tout<br />

soumissionnaire potentiel, un degré de<br />

publicité adéquat 37 permettant une ouverture<br />

du marché des services à la concurrence,<br />

ainsi que le contrôle de l’impartialité des<br />

procédures.<br />

Cependant, la Cour a admis, dans l’arrêt<br />

Coname 38 : « qu’en raison de circonstances<br />

particulières, telles qu’un enjeu économique<br />

très réduit, il pourrait raisonnablement être<br />

soutenu qu’une entreprise située dans un<br />

autre État membre ne serait pas intéressée<br />

par la conclusion d’un contrat et que les<br />

effets sur les règles fondamentales du traité<br />

devraient donc être considérés comme<br />

étant trop aléatoires et trop indirects pour<br />

pouvoir conclure à une éventuelle violation<br />

de celles-ci ».<br />

Dans ses conclusions sous l’affaire<br />

Coname, l’avocate générale Christine Stix-<br />

Hackl, souligne que « certains marchés<br />

concernent davantage le marché intérieur<br />

que d’autres, qui présentent un intérêt pour<br />

un groupe d’opérateurs économiques plus<br />

large, y compris pour des entreprises<br />

d’autres États membres ».<br />

Dans une décision plus récente 39 , la CJUE<br />

a jugé qu’il « est toutefois loisible qu’une<br />

36 CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria et<br />

Telefonadress, C-324/98.<br />

37 L’avocat général Nial Fennelly précise, au point 43<br />

de ses conclusions, « la publicité ne doit pas nécessairement<br />

être assimilée à la publication. Ainsi, si<br />

l’entité adjudicatrice s’adresse directement à un<br />

certain nombre de soumissionnaires potentiels et<br />

à supposer que ceux-ci ne soient pas tous ou<br />

presque tous des entreprises ayant la même<br />

nationalité que l’entité adjudicatrice, nous estimons<br />

que l’exigence de transparence serait respectée ».<br />

38 CJCE, 21 juillet 2005, Coname, C-231/03.<br />

39 CJCE, 15 mai 2008, SECAP SpA, C-147/06.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 49


50<br />

réglementation établisse, au niveau national<br />

ou local, des critères objectifs indiquant<br />

l’existence d’un intérêt transfrontalier<br />

certain. De tels critères pourraient être,<br />

notamment, le montant d’une certaine<br />

importance du marché en cause, en<br />

combinaison avec le lieu d’exécution des<br />

travaux. Il serait également possible<br />

d’exclure l’existence d’un tel intérêt dans le<br />

cas, par exemple, d’un enjeu économique<br />

très réduit du marché en cause. »<br />

La Cour ajoute « toutefois, il est nécessaire<br />

de tenir compte du fait que, dans certains<br />

cas, les frontières traversent des agglomérations<br />

qui sont situées sur le territoire<br />

d’États membres différents et que, dans de<br />

telles circonstances, même des marchés<br />

de faible valeur peuvent présenter un intérêt<br />

transfrontalier certain ». En l’espèce, le<br />

montant du marché en cause était inférieur<br />

au seuil communautaire mais proche de<br />

celui-ci (4.699.999 euros).<br />

Il est fort probable qu’un tel raisonnement<br />

ne s’appliquerait pas pour des marchés d’un<br />

montant aussi faible que 15.000 ou 20.000<br />

euros, sans incidence sur le marché intérieur.<br />

3.5. Et les entités adjudicatrices ?<br />

Les entités adjudicatrices soumises à la<br />

deuxième partie du code des marchés publics<br />

continuent à appliquer un seuil de dispense<br />

de procédure fixé à 20.000 euros HT.<br />

Si les trois règles de bonne gestion n’ont<br />

pas été étendues expressément aux entités<br />

adjudicatrices, leurs petits achats doivent<br />

respecter les principes fondamentaux de la<br />

commande publique. Il leur est donc<br />

vivement conseillé d’appliquer les<br />

recommandations mentionnées plus haut.<br />

*<br />

* *<br />

Les seuils de procédures formalisées<br />

continueront à évoluer tous les deux ans, à<br />

la hausse ou à la baisse, au gré de<br />

l’évolution des DTS. Les acheteurs publics<br />

sont donc invités à scruter avec soin le<br />

Journal officiel du mois de décembre 2013.<br />

En revanche, il semble que le seuil de<br />

dispense de procédure des pouvoirs<br />

Commande publique<br />

adjudicateurs soit figé pour un certain temps,<br />

puisque seul un texte de niveau législatif<br />

peut désormais le modifier. La commande<br />

publique étant un sujet éminemment<br />

politique, peut-être assisterons-nous à des<br />

initiatives en vue de l’augmentation de son<br />

montant. Mais serait-il raisonnable<br />

d’effectuer une telle démarche, alors qu’un<br />

compromis équilibré satisfaisant les<br />

instances consultatives les plus<br />

prestigieuses de France, les pouvoirs<br />

législatif et réglementaire, ainsi que les<br />

acteurs de la commande publique, vient tout<br />

juste d’être trouvé ?<br />

Michel Dupont (Direction des affaires<br />

juridiques)<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Commande publique<br />

Des sociétés d’économie mixte locales aux sociétés<br />

publiques locales<br />

Par Urbain Ngampio-Obélé-Bélé<br />

Après les sociétés d’économie mixte locales, les sociétés publiques locales<br />

d’aménagement 1 , voilà maintenant les sociétés publiques locales. Bientôt, nous<br />

allons encore assister à la création de nouvelles sociétés locales pour gérer des<br />

services publics locaux. La pause ne sera peut-être que de courte durée. La tendance<br />

est à la multiplication des instruments juridiques permettant aux collectivités<br />

territoriales d’exercer leurs compétences avec plus d’efficacité et de rapidité dans<br />

la gestion des services publics locaux. En effet, depuis les lois de décentralisation<br />

et la loi du 7 juillet 1983 relative aux sociétés d’économie mixte locales, les<br />

entreprises publiques locales apparaissent comme des instruments efficaces de<br />

gestion des services publics 2 .<br />

Cet article a été publié dans le numéro de mars 2012 de la revue Gestion et finances publiques.<br />

La question que l’on peut se poser ici est<br />

surtout celle de savoir si la création des SPL<br />

était vraiment nécessaire. En d’autres termes,<br />

quelles sont les raisons qui expliquent<br />

l’adoption d’une loi instituant la SPL. Les<br />

sociétés d’économie mixte locales ont-elles<br />

montré leurs limites ? Rien n’est moins sûr. Il<br />

est vrai que « les sociétés d’économie mixte<br />

sont une inépuisable source de problèmes<br />

juridiques 3 ». La création des sociétés publiques<br />

locales était attendue tant par les élus<br />

que par les collectivités territoriales. Cette<br />

création marque-t-elle la fin des sociétés<br />

d’économie mixte locales ? Il est encore trop<br />

tôt pour en tirer de réelles conséquences. Il<br />

est vrai que la création des sociétés publiques<br />

locales risque de compromettre à l’avenir<br />

l’existence des sociétés d’économie mixte<br />

locales, dès lors que les collectivités<br />

territoriales décideront de recourir à ces<br />

nouvelles sociétés pour gérer un certain<br />

nombre de services publics locaux.<br />

La loi du 28 mai 2010 pour le développement<br />

des sociétés publiques locales vise à offrir<br />

aux collectivités territoriales un nouvel outil<br />

d’intervention conforme au droit de l’Union<br />

européenne 4 . Cette loi, il convient de le sou-<br />

1 J-M. Pontier, « Les sociétés publiques locales<br />

d’aménagement », R.A, n° 353, 2006, p. 533 ;<br />

M. Peltier, « La société publique locale d’aménagement<br />

», AJDA, 2006, p. 2371.<br />

2 A. Poli et G. Terrien, « Entreprises publiques<br />

locales et gestion des services publics locaux »,<br />

BJCL, n° 10/09, p. 664.<br />

3 J-B. Auby, « Les SEM, inépuisable objet juridique<br />

», DA, Repère, 2008, p. 1.<br />

4 C. Bergeal, « Utilisez la société publique locale,<br />

mais respectez le mode d’emploi », AJDA 2010,<br />

p. 1228.<br />

ligner, a été adoptée presque dans les<br />

mêmes conditions que la loi du 7 juillet 1983<br />

relative aux sociétés d’économie mixte<br />

locales, c’est-à-dire, à l’unanimité par les<br />

deux assem-blées 5 . Jusqu’à la création des<br />

sociétés publiques locales, les sociétés<br />

d’économie mixtes locales ont toujours été<br />

considérées comme étant des outils<br />

permettant aux collectivités territoriales de<br />

gérer de nombreux services publics locaux.<br />

En effet, « elles interviennent dans de<br />

multiples secteurs, notamment l’aménagement,<br />

la construction et la gestion de<br />

logements, les transports publics y compris<br />

les remontées mécaniques, les parcs de<br />

stationnement, la production et la<br />

distribution d’eau, etc. 6 ». La création des<br />

sociétés publiques locales répond non<br />

seulement aux attentes des collectivités<br />

territoriales mais également, elle a pour<br />

objectif d’offrir à celles-ci « un instrument<br />

leur permettant d’exercer leurs compétences<br />

«avec plus d’efficacité et de rapidité»,<br />

grâce à la souplesse dans la gestion<br />

inhérente au statut de société, mais aussi<br />

et surtout grâce à l’exemption de mise en<br />

concurrence dont bénéficient les structures<br />

intégrées 7 ». Les collectivités territoriales<br />

qui s’administrent librement ont le choix<br />

entre différentes formes de gestion de leurs<br />

5 J-F. Bizet, « Les SEM et la nouvelle conception de<br />

l’aménagement », AJDA 1993, p. 595.<br />

6 G. Miller et A. Leyat, « Les chambres régionales<br />

des comptes et le contrôle des sociétés d’économie<br />

mixte locales », AJDA 2009, p. 1701.<br />

7 F. Llorens et P. Soler-Couteaux, « Les sociétés<br />

publiques locales ou la naissance du in house à<br />

la française », Contrats et marchés publics, juillet<br />

2010, Repère, p. 7.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 51


52<br />

services publics locaux 8 . Il est vrai qu’elles<br />

disposent désormais d’un panel d’instruments<br />

indispensables pour gérer des<br />

services publics locaux.<br />

Il ne fait aucun doute que, ces créations sont<br />

justifiées par la nécessité de mettre le droit<br />

interne français en conformité avec les règles<br />

de la commande publique qui sont issues<br />

pour la plupart du droit communautaire même<br />

si certains auteurs soulignent justement que<br />

« les sociétés publiques locales d’aménagement<br />

et les sociétés publiques locales ne<br />

doivent pas uniquement être considérées<br />

comme des instruments mis en place pour<br />

faire échec au droit de la concurrence, et<br />

plus précisément aux procédures de publicité<br />

et de mise en concurrence affectant<br />

obligatoirement les relations entre les<br />

collectivités publiques et les sociétés<br />

d’économie mixte 9 ».<br />

La création des sociétés publiques locales<br />

répond à une attente des collectivités<br />

territoriales. Cette loi souhaitée et espérée,<br />

tant par les parlementaires que par les<br />

autres élus, répond à une attente. En effet,<br />

la loi du 28 mai 2010 est présentée par ceux<br />

qui en furent à l’origine comme une réponse<br />

adaptée au droit de l’Union européenne.<br />

Désormais, « les élus peuvent avoir recours<br />

à des entreprises souples et réactives qu’ils<br />

contrôlent entièrement, un nouveau mode<br />

de gestion des services publics locaux<br />

associant les atouts du secteur privé et les<br />

valeurs du public 10 ».<br />

1. Le contexte de création des<br />

sociétés publiques locales<br />

Il nous paraît utile de mettre un accent<br />

particulier sur le processus qui a abouti à<br />

la création des sociétés publiques locales.<br />

8 G. Durand, « Établissement public local ou société<br />

d’économie mixte locale ? Bref essai de<br />

comparaison juridique », JCP., Cahiers de droit de<br />

l’entreprise, supplément, n° 3, 1994, p. 27.<br />

9 J-M. Peyrical, « De nouvelles voies pour la gestion<br />

des services publics locaux. Services d’intérêt<br />

économique général, partenariats public-privé<br />

institutionnalisés et sociétés publiques locales »,<br />

AJDA 2011, p. 938.<br />

10 M. Passi, cité par M. Devès, « La loi n° 2010-559<br />

du 28 mai 2010 pour le développement des<br />

sociétés publiques locales. Évolution ou<br />

régression des règles de la commande publique ?<br />

», JCP, A, 2010, n° 28, p. 17.<br />

Commande publique<br />

À travers le choix de la SPL, l’objectif visé<br />

par le législateur est de donner aux<br />

collectivités territoriales un instrument<br />

conforme au droit communautaire. Certains<br />

auteurs ont pu souligner que « la SPL a été<br />

créée afin de combler les insuffisances du<br />

régime juridique des SEML et de permettre<br />

aux collectivités publiques françaises de<br />

bénéficier du dispositif des prestations<br />

intégrées afin de faciliter la gestion de<br />

certains services publics 11 ».<br />

En effet, « le but proclamé de cette réforme<br />

est de permettre aux sociétés locales de<br />

se soustraire à la concurrence du secteur<br />

privé en échappant aux conséquences de<br />

la jurisprudence Stadt Halle du 11 janvier<br />

2005 et en profitant de l’opportunité offerte<br />

par la jurisprudence Carboterno du 11 mai<br />

2006 12 ». Il est certain que « la qualification<br />

de contrat «in house» des rapports contractuels<br />

unissant les personnes publiques avec<br />

l’un de leurs prestataires de services permet<br />

de les soustraire aux règles communautaires<br />

d’attribution des marchés publics,<br />

dès lors que la collectivité territoriale exerce<br />

sur la personne en cause un contrôle<br />

analogue à celui qu’elle exerce sur ses<br />

propres services et que cette personne<br />

réalise l’essentiel de son activité avec la<br />

ou les collectivités qui la détiennent 13 ».<br />

Or, la composition des sociétés d’économie<br />

mixte locales et surtout leur mode de<br />

fonctionnement ne permet pas de les faire<br />

bénéficier de la théorie du « in house » en<br />

raison de la présence des actionnaires privés<br />

dans le capital. En effet, les relations<br />

contractuelles entre les sociétés d’économie<br />

mixte locales et les collectivités territoriales<br />

actionnaires ont soulevé la question de savoir<br />

s’il fallait ou non appliquer les règles de la<br />

commande publique 14 . D’ailleurs, dans le<br />

cadre de leurs contrôles, les chambres<br />

régionales et territoriales des comptes se<br />

11 S. Damarey, « La société publique locale ou la<br />

fin des associations transparentes », AJDA, 2011,<br />

p. 15.<br />

12 L. Richer, « Parution de la loi sur les sociétés<br />

publiques locales », Bulletin DSP, n° 2010-3-Juillet<br />

2010, p. 12.<br />

13 C. Pilone, « Réflexions autour de la notion de<br />

contrat «in house» », in Contrats publics, Mél., M.<br />

Guibal, Presses de la faculté de droit de Montpellier,<br />

2006, p. 702.<br />

14 C. Boiteau, « Les sociétés d’économie mixte et<br />

les contrats de délégation de service public »,<br />

RFDA 2005, p. 946.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Commande publique<br />

montrent particulièrement attentives au<br />

respect, par tous les adjudicateurs locaux,<br />

des règles de mise en concurrence qui<br />

garantissent la liberté d’accès à la commande<br />

publique ou à la gestion déléguée, lorsque le<br />

prestataire est un prolongement de droit privé<br />

de la puissance publique. C’est pourquoi,<br />

elles ont « multiplié les mises en garde à<br />

l’égard des relations contractuelles avec des<br />

sociétés d’économie mixte dont la composition<br />

du capital associe obligatoirement au moins<br />

une personne privée à l’actionnariat public<br />

local et dont la structure ne permet pas de<br />

présupposer, bien au contraire, un contrôle<br />

de la collectivité analogue à celui que celle-ci<br />

exerce sur ses propres services 15 ».<br />

Les sociétés d’économie mixte locales sont<br />

de plus en plus considérées comme des<br />

entreprises commerciales dans le cadre de<br />

leurs relations contractuelles avec les collectivités<br />

territoriales, relations contractuelles<br />

qui n’échappent quasiment plus à des<br />

procédures de publicité et de mise en<br />

concurrence préalables 16 . Le Conseil constitutionnel<br />

dans sa décision du 20 janvier 1993<br />

avait censuré les dispositions de la « loi<br />

Sapin » excluant les sociétés d’économie<br />

mixte du champ d’application de la procédure<br />

de publicité et de mise en concurrence. Le<br />

Conseil constitutionnel a estimé qu’il y avait<br />

là une rupture injustifiée du principe d’égalité<br />

entre les sociétés commerciales.<br />

Par conséquent, la collectivité territoriale qui<br />

décide de déléguer l’exploitation d’un service<br />

public à une société d’économie mixte,<br />

même quand elle l’a créée à cet effet, doit<br />

tout de même engager une procédure de<br />

délégation 17 . Il convient également de souligner<br />

ici que « le principe de mise en concurrence<br />

est propre aux contrats publics ; il<br />

impose et garantit le respect d’une règle<br />

essentielle : le libre et égal accès de tous<br />

aux activités économiques. La mise en<br />

concurrence d’un contrat public est une<br />

exigence morale ; la concurrence est un<br />

objectif souhaitable pour une meilleure<br />

efficacité du marché 18 ». Conformément à<br />

15 G. Miller, « Les chambres régionales et territoriales<br />

des comptes et les contrats in house. Vertus et<br />

dangers de la quasi-régie », AJDA 2011, p. 551.<br />

16 J-M. Peyrical, « Que reste-t-il du in house ? »,<br />

RFDA, 2005, p. 955.<br />

17 C. Boiteau, « Les sociétés d’économie mixte et<br />

les contrats de délégation de service public »,<br />

RFDA 2005, p. 947.<br />

18 L. Rapp, « Quasi-régie, quasi-régime », AJDA<br />

2010, p. 591.<br />

la jurisprudence de la Cour de justice de<br />

l’Union européenne, les sociétés d’économie<br />

mixte sont soumises, dans les relations<br />

qu’elles nouent avec les collectivités<br />

territoriales actionnaires, au droit de l’Union<br />

européenne en matière d’obligations<br />

concurrentielles et donc, au regard des règles<br />

nationales, au droit commun de la<br />

commande publique et des délégations de<br />

service public. Ce qui veut dire, qu’elles ne<br />

peuvent pas bénéficier de la dérogation des<br />

contrats de quasi-régie.<br />

Dans son arrêt Teckal du 18 novembre<br />

1999, la CJCE, saisie d’un renvoi préjudiciel<br />

par une juridiction administrative italienne,<br />

a admis la possibilité qu’un contrat public<br />

portant sur un marché de fournitures,<br />

conclu entre une collectivité locale et une<br />

structure publique locale instituée par cette<br />

première (collectivité), échappe aux règles<br />

des marchés publics définies par la<br />

directive 93/36/CEE. Cet arrêt précise « qu’il<br />

n’est pas utile d’exiger la mise en œuvre<br />

d’obligations de publicité et de mise en<br />

concurrence pour la conclusion de contrats<br />

entre un pouvoir adjudicateur et une entité<br />

qui, bien que dotée de la personnalité<br />

morale, constitue un simple prolongement<br />

administratif de celui-ci ». Pour la CJCE, le<br />

cocontractant de la collectivité territoriale<br />

n’étant que le prolongement de celle-ci, les<br />

contrats conclus entre les deux entités ne<br />

sont pas assujettis aux règles de mise en<br />

concurrence.<br />

En d’autres termes, la collectivité territoriale,<br />

pour l’attribution du contrat, n’avait donc pas<br />

d’obligations particulières de mise en<br />

concurrence. En l’espèce, elle n’avait pas<br />

l’obligation de procéder à un appel d’offre.<br />

En effet, depuis l’arrêt Teckal du 18 novembre<br />

1999, la CJCE admet qu’il puisse y avoir<br />

attribution directe d’un marché par un pouvoir<br />

adjudicateur, si celui-ci exerce sur la<br />

personne à laquelle ce dernier souhaite<br />

acheter une prestation, un contrôle analogue<br />

à celui que ce pouvoir adjudicateur exerce<br />

sur ses propres services, et que la personne<br />

juridiquement distincte du dit pouvoir, réalise<br />

l’essentiel de son activité avec la ou les<br />

collectivités qui la détiennent.<br />

Le respect de la seconde condition posée<br />

par la jurisprudence suppose que le<br />

cocontractant du pouvoir adjudicateur soit<br />

un opérateur « dédié » aux besoins de la<br />

personne publique. Il ne peut que réaliser<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 53


54<br />

l’essentiel de son activité avec ou pour le<br />

compte de la personne publique ou des<br />

personnes publiques qui le contrôlent. La<br />

jurisprudence communautaire ne fixe pas de<br />

seuil, notamment chiffré, à partir duquel on<br />

considère que le cocontractant exerce<br />

l’essentiel de son activité au profit de la<br />

personne publique. Cette condition est<br />

appréciée, au cas par cas, et en fonction<br />

des données de l’espèce. La condition est<br />

satisfaite lorsque l’activité du prestataire est<br />

consacrée principalement à cette collectivité.<br />

L’activité à prendre en compte est celle que<br />

le cocontractant réalise pour les personnes<br />

publiques concernées prises dans leur<br />

ensemble.<br />

Le juge européen exige au-delà d’un<br />

contrôle à 100 % sur l’entreprise (condition<br />

nécessaire mais non suffisante), une<br />

dépendance réelle, une absence d’autonomie,<br />

à l’égard de la collectivité ou des<br />

collectivités, prises ensemble, qui<br />

participent à son capital. Ce qui veut dire<br />

que, la société adjudicatrice doit être<br />

soumise à un contrôle permettant au<br />

pouvoir adjudicateur d’influencer les<br />

décisions de ladite société, c’est-à-dire,<br />

tant sur les objectifs stratégiques que sur<br />

les opérations importantes de cette société.<br />

De nombreux arrêts récents de la Cour de<br />

justice des Communautés européennes ont<br />

précisé les conditions permettant de<br />

bénéficier du rapport « in house » et allant<br />

dans le sens d’un élargissement de la<br />

notion, mais la CJCE a toujours refusé de<br />

l’appliquer aux rapports entre un pouvoir<br />

adjudicateur et des sociétés d’économie<br />

mixte (CJCE, 11 janvier 2005, Stadt Halle).<br />

Depuis son arrêt Stadt Halle, la CJCE a jugé<br />

incompatible avec le contrat « in house » la<br />

présence d’un partenaire privé ou extérieur<br />

aux pouvoirs adjudicateurs, au capital de la<br />

société prestataire. Ce qui veut dire que<br />

l’entreprise délégataire doit être entièrement<br />

détenue par une ou des personnes<br />

publiques. Il en résulte donc que le capital<br />

de l’organisme concerné ne doit pas être<br />

détenu par une personne privée et que la<br />

participation, fût-elle minoritaire, d’une<br />

entreprise privée dans le capital d’une<br />

société à laquelle participe également une<br />

collectivité territoriale exclut de ce fait que<br />

cette dernière puisse exercer sur cette<br />

société un contrôle analogue à celui qu’elle<br />

exerce sur ses propres services.<br />

Commande publique<br />

Pour la CJCE, la présence d’un actionnaire<br />

privé dans le capital d’une société, détenu<br />

en majorité par une autorité publique, fait<br />

obstacle à ce que le contrôle exercé par<br />

cette autorité puisse être considéré comme<br />

analogue à celui qu’elle exerce sur ses<br />

propres services et donc à ce que soit<br />

appliquée la dérogation aux règles de mise<br />

en concurrence permise par la situation de<br />

quasi-régie. Par conséquent, les sociétés<br />

d’économie mixte, dont le capital social doit<br />

être détenu par une personne privée à<br />

hauteur de 15 %, se trouvent exclus du<br />

champ de cette dérogation. En résumé, les<br />

contrats conclus entre une collectivité<br />

territoriale et la société d’économie mixte,<br />

dont elle est actionnaire, doivent<br />

obligatoirement faire l’objet d’une mise en<br />

concurrence en vertu des règles des<br />

marchés publics ou du droit des délégations<br />

de service public.<br />

Par ailleurs, dans un arrêt Carbotermo et<br />

Consorzio rendu le 11 mai 2006, la CJCE<br />

précise que « la détention par le pouvoir<br />

adjudicateur, ensemble avec d’autres<br />

pouvoirs publics, de la totalité du capital<br />

d’une société est un indice probant, sans<br />

être décisif, qu’il exerce sur cette société<br />

un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur<br />

ses propres services ». Par cet arrêt, la<br />

CJCE a admis que la condition de contrôle<br />

analogue peut être satisfaite aussi bien dans<br />

le cas où une seule autorité publique<br />

contrôle la société que dans le cas où ce<br />

contrôle est exercé par plusieurs autorités<br />

publiques. Il convient de souligner que,<br />

l’existence effective d’une participation<br />

privée dans le capital de la société<br />

délégataire doit être vérifiée au moment de<br />

l’attribution du contrat en cause.<br />

La Cour de justice de l’Union européenne a<br />

pris également le soin de préciser, dans son<br />

arrêt Parking Brixen c/ Gemeinde Brixen et<br />

Stadtwerke Brixen AG du 13 octobre 2005,<br />

que « la circonstance que la législation<br />

nationale applicable prévoit l’ouverture<br />

obligatoire, à court terme, à d’autres<br />

capitaux doit ainsi être prise en compte, au<br />

moment de l’attribution du contrat à la<br />

société dont la personne publique détient<br />

l’ensemble du capital ».<br />

Toutefois, dans un arrêt Sea SRL c/ Commune<br />

di Ponte Nossa rendu le 15 octobre 2009, le<br />

juge communautaire a admis la dérogation<br />

du « in house », pour une société entièrement<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Commande publique<br />

publique, mais dont les statuts prévoyaient<br />

la possibilité de faire entrer des intérêts privés<br />

au capital. La Cour estime enfin que, la<br />

question de l’ouverture du capital de la société<br />

à des investissements privés ne peut être prise<br />

en considération que s’il existe, au moment<br />

de l’attribution du contrat, une perspective<br />

concrète et à court terme d’une telle ouverture.<br />

2. La société publique locale : un<br />

instrument juridique adapté au<br />

droit communautaire<br />

Comme pour les sociétés d’économie mixte<br />

locales, les sociétés publiques locales sont<br />

constituées sous forme de société<br />

anonyme mais avec uniquement des<br />

capitaux publics locaux.<br />

En effet, l’article L. 1531-1 du code général<br />

des collectivités territoriales précise que « les<br />

collectivités territoriales et leurs groupements<br />

peuvent créer, dans le cadre des compétences<br />

qui leur sont attribuées par la loi, des<br />

sociétés publiques locales dont ils détiennent<br />

la totalité du capital [...] ». Ensuite, l’article<br />

L. 1531-1 du même code ajoute que « ces<br />

sociétés revêtent la forme de société<br />

anonyme régie par le livre II du code de<br />

commerce et sont composées, par dérogation<br />

à l’article L. 225-1 du même code, d’au moins<br />

deux actionnaires ».<br />

S’il ne fait aucun doute que la loi du 28 mai<br />

2010 va dans le sens d’une « publicisation »<br />

de la gestion des services publics locaux,<br />

cette composition est une réponse à la<br />

jurisprudence de la Cour de justice de l’Union<br />

européenne qui a exclu les sociétés<br />

d’économie mixte locales de la dispense de<br />

mise en concurrence qu’autorise le « in<br />

house », c’est-à-dire, les prestations intégrées.<br />

En effet, en raison de la participation<br />

des actionnaires privés dans le capital de<br />

ces sociétés, elles ne remplissaient plus les<br />

conditions aux yeux de la Cour de justice<br />

pour bénéficier de la dispense de mise en<br />

concurrence. Il est vrai que « la présence<br />

d’actionnaires privés dans le capital de la<br />

société adjudicatrice perturbe l’édifice<br />

juridique. Elle conduit à douter de l’existence<br />

d’un contrôle analogue à celui que le ou les<br />

pouvoir(s) adjudicateur(s) exerce(nt) sur<br />

ses / leurs propres services 19 . »<br />

Or, le législateur français ne pouvait pas<br />

remettre en cause le statut des sociétés<br />

19 L. Rapp, « Quasi-régie, quasi-régime », AJDA<br />

2010, p. 591.<br />

d’économie mixte locales en supprimant la<br />

participation des actionnaires privés. Une<br />

telle démarche aurait eu pour effet de<br />

supprimer tout simplement la formule<br />

d’économie mixte telle qu’elle existe depuis<br />

des années. Finalement, le choix a été fait<br />

de créer de nouvelles sociétés publiques<br />

locales qui vont gérer presque les mêmes<br />

activités que les sociétés d’économie mixte<br />

locales. Il est vrai que l’organisation et le<br />

fonctionnement des sociétés publiques<br />

locales, à quelques exceptions près,<br />

ressemblent à celui des sociétés d’économie<br />

mixte locales. Donc, « le législateur<br />

a préféré compléter le panel de structures<br />

existantes plutôt que d’en réduire le<br />

nombre 20 ».<br />

Quant à la question de savoir si la<br />

composition des sociétés d’économie mixte<br />

locales pouvait permettre aux collectivités<br />

territoriales actionnaires d’exercer un<br />

contrôle analogue à celui qu’elles exercent<br />

sur leurs propres services, le doute était en<br />

effet permis. Comment une collectivité territoriale,<br />

même en sa qualité d’actionnaire<br />

majoritaire, pourrait-elle exercer un contrôle<br />

analogue que celui qu’elle exerce sur ses<br />

propres services sur une société de droit<br />

privé et avec une participation même<br />

minimale des actionnaires privés ?<br />

Or, dans la pratique, « les collectivités<br />

publiques actionnaires ne sont pas toujours<br />

en situation d’exercer efficacement leur<br />

contrôle sur les sociétés d’économie mixte<br />

dont elles sont les principaux actionnaires21<br />

». C’est pourquoi, qu’il nous soit<br />

permis ici de se demander si réellement les<br />

collectivités territoriales peuvent exercer sur<br />

leurs sociétés publiques locales un contrôle<br />

analogue à celui exercé sur leurs propres<br />

services ? Cette condition de contrôle,<br />

souligne le professeur Richer, « doit être<br />

appliquée de façon rigoureuse, sans qu’il<br />

puisse être fait appel à des présomptions22<br />

». Il convient de préciser que le contrôle<br />

dont il est question ici, est un contrôle sur la<br />

direction, la <strong>gouv</strong>ernance de la société.<br />

20 S. Nicinski, « La loi du 28 mai 2010 pour le<br />

développement des sociétés publiques locales »,<br />

AJDA 2010, p. 1760.<br />

21 G. Miller et A. Leyat, « Les chambres régionales<br />

des comptes et le contrôle des sociétés d’économie<br />

mixte locales », AJDA 2009, p. 1702.<br />

22 L. Richer, « Parution de la loi sur les sociétés<br />

publiques locales », Bulletin DSP n° 2010-3-Juillet<br />

2010, p. 13.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 55


56<br />

En d’autres termes, la collectivité territoriale<br />

actionnaire doit avoir un droit de regard strict<br />

sur le fonctionnement de la société, c’est-àdire,<br />

qu’elle doit pouvoir vérifier et superviser<br />

la société. C’est d’ailleurs la raison pour<br />

laquelle, certains auteurs soulignent à juste<br />

titre que « la question du contrôle de direction<br />

est pour la SPL d’ordre existentiel.<br />

L’exception européenne à l’appel à la<br />

concurrence du lien in house ne s’applique<br />

qu’autant que la collectivité actionnaire y<br />

exerce un contrôle comparable à celui<br />

qu’elle exerce sur ses propres services 23 ».<br />

Ce qui veut dire qu’« une insuffisance de<br />

contrôle peut conduire à douter de la validité<br />

de l’édifice 24 ».<br />

3. La société publique locale : un<br />

instrument juridique souple et<br />

efficace pour la gestion des<br />

services publics locaux<br />

Parmi les modes de gestion des services<br />

publics locaux, la société d’économie mixte<br />

locale est souvent présentée comme offrant<br />

aux décideurs locaux l’avantage d’une forme<br />

juridique caractérisée par sa souplesse. Il<br />

vrai que « les pouvoirs publics doivent<br />

intervenir de plus en plus dans des domaines<br />

qui ne sont pas les domaines traditionnels<br />

de l’action administrative. Or, les structures<br />

et les méthodes d’action de l’Administration<br />

sont mal adaptées à l’exécution de tâches<br />

économiques qui requièrent plus de<br />

souplesse et moins de formalisme 25 ». Et<br />

les sociétés d’économie mixte locales<br />

constituent depuis des années un relais<br />

important de l’action des collectivités<br />

territoriales 26 . Comment expliquer alors la<br />

création d’un nouvel instrument juridique pour<br />

gérer presque les mêmes activités que les<br />

sociétés d’économie mixte locales ? À cette<br />

question, certains auteurs soulignent que<br />

« sous l’impact d’une jurisprudence nationale<br />

et communautaire toujours plus exigeante,<br />

23 D. Linotte, « Quelques interrogations sur la société<br />

publique et ses contraintes opérationnelles », Gaz.<br />

Pal 2011, p. 20.<br />

24 D. Linotte, op. cit., p. 20.<br />

25 F. J. Fabre et R. Morin, « Quelques aspects actuels<br />

du contrôle des sociétés d’économie mixte », RDP<br />

1964, p. 769.<br />

26 Ch. Maugüé et J-H. Stahl, « Le cadre juridique<br />

des relations financières entre les sociétés<br />

d’économie mixte et les collectivités locales »,<br />

AJDA 1996, p. 475.<br />

Commande publique<br />

les SEML ont peu à peu perdu tous les<br />

avantages que leur conférait ce statut taillé<br />

sur mesure par la loi du 7 juillet 1983 27 ».<br />

Cette situation s’explique par le simple fait<br />

que les sociétés d’économie mixte locales<br />

sont de plus en plus soumises aux règles<br />

de la commande publique. En effet, leurs<br />

activités ne peuvent plus échapper à ces<br />

règles. Toutefois, on peut se demander si<br />

réellement, « les sociétés d’économie mixte<br />

locales seraient vouées à perdre toute utilité<br />

comme contractant des personnes<br />

publiques qui participent à leur capital 28 ? »<br />

Nous ne le pensons pas car, les sociétés<br />

d’économie mixte locales comme les<br />

sociétés publiques locales ont pour mission<br />

la gestion des services publics. D’ailleurs,<br />

« le droit communautaire ne condamne pas<br />

a priori l’économie mixte locale comme<br />

forme de partenariat public-privé institutionnalisé,<br />

mais le soumet à des conditions<br />

minimales de mise en concurrence 29 »,<br />

d’autant plus que, les SEML et les SPL ont<br />

le même objet. L’article L. 1521-1 du code<br />

général des collectivités territoriales précise<br />

que, ces sociétés sont compétentes pour<br />

réaliser des opérations d’aménagement au<br />

sens de l’article L. 300-1 du code de<br />

l’urbanisme, des opérations de construction<br />

ou pour exploiter des services publics à<br />

caractère industriel et commercial ou pour<br />

toute autre activité d’intérêt général.<br />

D’ailleurs, il n’y aura pas à proprement parler<br />

de concurrence entre ces deux types de<br />

sociétés qui sont au service des collectivités<br />

territoriales. Faut-il rappeler ici que,<br />

« l’aménagement a toujours constitué un<br />

des secteurs privilégiés des sociétés<br />

d’économie mixtes locales 30 ». Donc, ces<br />

deux sociétés vont au contraire être<br />

27 M. Karpenschif, « SPLA, SPL, SLP. Un an après la<br />

Communication interprétative sur les partenariats<br />

public-privé institutionnalisés (PPPI) : où en est-on<br />

du développement de l’économie mixte locale ? »,<br />

JCP, A, 2009, p. 19.<br />

28 E. Muller, « Le partenariat public-privé, avenir<br />

des sociétés d’économie mixte ? », Contrats et<br />

marchés publics, 2010, p. 7.<br />

29 C. Devès, « La loi n° 2010-559 du 28 mai 2010<br />

pour le développement des sociétés publiques<br />

locales : Évolution ou régression des règles de la<br />

commande publique ? », JCP, A, n° 28, juillet 2010,<br />

p.16.<br />

30 J-F. Bizet, « Les SEM et la nouvelle conception<br />

de l’aménagement », AJDA 1993, p. 595.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Commande publique<br />

complémentaires dans la gestion des services<br />

publics locaux, sauf que l’une va bénéficier<br />

de la dispense de mise en concurrence,<br />

lorsqu’elle conclut un contrat avec la ou les<br />

collectivités territoriales actionnaires. Sur ce<br />

point, il est possible de dire que le législateur<br />

a fait preuve d’une originalité. En effet, le<br />

nouvel article L. 1411-12 du code général des<br />

collectivités territoriales précise que, « le<br />

régime de la DSP ne s’applique pas lorsque<br />

le service est confié à un établissement public<br />

ou à une société publique locale sur lesquels<br />

la personne publique exerce un contrôle<br />

comparable à celui qu’elle exerce sur ses<br />

propres services et qui réalisent l’essentiel<br />

de leurs activités pour elle ou, le cas échéant,<br />

les autres personnes publiques qui contrôlent<br />

la société, à condition que l’activité déléguée<br />

figure expressément dans les statuts de<br />

l’établissement ou de la société ».<br />

Il s’agit là, d’un avantage non négligeable pour<br />

les collectivités territoriales qui attendaient<br />

cette loi avec impatience, car « elles peuvent<br />

recourir, sans publicité et mise en<br />

concurrence, à l’outil SPL pour la gestion de<br />

leurs services publics, dans la mesure où le<br />

statut juridique de cette société garantirait<br />

les critères et conditions du in house 31 ».<br />

Mais, comme pour les autres contrats des<br />

collectivités territoriales, les assemblées<br />

délibérantes de ces collectivités et de leurs<br />

groupements doivent se prononcer sur le<br />

principe de toute délégation de service public<br />

à une société publique locale. Il convient tout<br />

de même de souligner que « la dérogation<br />

aux règles de l’appel à la concurrence ne<br />

vaut qu’en amont, pour la relation de la<br />

société publique locale avec ses collectivités<br />

actionnaires, mais bien sûr non pour l’aval,<br />

s’agissant des contrats avec les tiers 32 ».<br />

D’où la question de savoir si le maintien des<br />

sociétés d’économie mixte locales était<br />

encore nécessaire ? Il est certain que les<br />

collectivités territoriales ne vont pas substituer<br />

les sociétés publiques locales aux sociétés<br />

d’économie mixtes locales préexistantes. En<br />

effet, en créant les sociétés publiques locales,<br />

l’objectif du législateur est très clair ; il s’agit<br />

tout simplement de mettre à la disposition<br />

31 S. Braconnier et X. Mouriesse, « La société<br />

publique locale comme outil de gestion déléguée<br />

des services publics », Contrats et marchés<br />

publics, novembre 2010, p. 50.<br />

32 D. Linotte, « Quelques interrogations sur la<br />

société publique locale et ses contraintes<br />

opérationnelles », Gaz. Pal., 2011, p. 17.<br />

des collectivités territoriales un instrument<br />

juridique pour des services publics locaux<br />

sans mise en concurrence. En d’autres<br />

termes, la loi du 28 mai 2010 offre inévitablement<br />

aux collectivités territoriales une<br />

souplesse tant recherchée dans la gestion<br />

des services publics locaux.<br />

Mais, comme le souligne Mme Bergeal,<br />

« les collectivités territoriales doivent veiller<br />

à ce que les relations qu’elles entretiennent<br />

avec leur SPL restent des relations de quasirégie,<br />

dans les conditions posées par la<br />

jurisprudence de la Cour de justice de<br />

l’Union européenne depuis son arrêt Teckal<br />

du 18 novembre 1999 et jusque dans ses<br />

derniers développements 33 ».<br />

En effet, les collectivités territoriales ne doivent<br />

pas se détourner des objectifs fixés par le<br />

législateur quant à l’utilisation de ce nouvel<br />

instrument mis à leur disposition. C’est pourquoi,<br />

nombreux sont ceux qui pensent que,<br />

« les collectivités territoriales disposent<br />

désormais d’un outil répondant à leurs besoins<br />

exprimés, leur permettant d’agir «avec plus<br />

d’efficacité et de rapidité» grâce au statut de<br />

société anonyme qui est celui de la SPL et<br />

l’exemption de mise en concurrence dont elles<br />

peuvent bénéficier 34 ».<br />

Cet optimisme affiché doit être mesuré, car,<br />

le succès de ce nouvel outil, dépendra en<br />

grande partie de l’utilisation que les<br />

collectivités territoriales en feront de celuici.<br />

Il convient de rappeler que « les SPLA /<br />

SPL ne sont pour autant pas la panacée et<br />

ne représentent qu’un outil parmi d’autres<br />

pour les collectivités locales 35 ». Il est vrai<br />

qu’avec la société publique locale, les<br />

collectivités territoriales actionnaires<br />

pourront désormais confier à celle-ci des<br />

prestations sans mise en concurrence. En<br />

d’autres termes, « les collectivités territoriales<br />

sont désormais dotées de structures<br />

bénéficiant de la souplesse d’une gestion<br />

privée et auxquelles elles peuvent confier<br />

des missions sans mise en concurrence.<br />

Il s’agit là d’une avancée notable depuis que<br />

les SEM locales ont été radicalement<br />

33 C. Bergeal, « Doit-on craindre un détournement<br />

de la SPL par les collectivités locales ? », AJCT,<br />

2011, p. 19.<br />

34 S. Damarey, « La société publique locale ou la<br />

fin des associations transparentes », AJDA 2011,<br />

p. 17<br />

35 J-M. Peyrical, op. cit., p. 939.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 57


58<br />

exclues de la catégorie des opérateurs in<br />

house 36 ». S’il l’on peut parler, il est vrai<br />

d’une avancée, mais en même temps, la<br />

loi fixe les limites à propos du champ<br />

d’intervention des sociétés publiques<br />

locales. En effet, la société publique locale<br />

doit exercer ses activités exclusivement<br />

pour le compte de ses actionnaires et sur<br />

le territoire de ces derniers. Ce qui veut dire<br />

qu’elle ne peut pas intervenir en dehors du<br />

cadre géographique de ses actionnaires. Il<br />

est clair que le champ d’intervention de la<br />

SPL est plus restreint que celui de la<br />

SEML.<br />

Enfin, il convient de souligner que le but de<br />

la réforme est de permettre aux sociétés<br />

publiques locales de se soustraire à la<br />

concurrence du secteur privé en échappant<br />

aux conséquences de la jurisprudence<br />

Stadt Halle du 11 janvier 2005. Il faut<br />

reconnaître que la création de la SPL ne<br />

résout pas non plus le problème car elle<br />

est soumise à l’ordonnance du 6 juin 2005<br />

relative aux marchés passés par certaines<br />

personnes publiques ou privées non<br />

soumises au code des marchés publics.<br />

Donc, elle est soumise à une obligation de<br />

mise en concurrence dans l’attribution des<br />

contrats qu’elle passe avec d’autres<br />

sociétés.<br />

Urbain Ngampio-Obélé-Bélé (Maître de<br />

Conférences en droit public - Université<br />

Paul Cézanne Aix-Marseille III)<br />

36 S. Nicinski, « La loi du 28 mai 2010 pour le<br />

développement des sociétés publiques locales »,<br />

AJDA 2010, p. 1763.<br />

Commande publique<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


C’est la première<br />

fois que la<br />

Commission<br />

propose un texte<br />

de droit matériel<br />

en matière de<br />

contrats<br />

La technique<br />

utilisée par la<br />

Commission<br />

combine la<br />

méthode du<br />

conflit de loi et la<br />

méthode des<br />

règles<br />

matérielles<br />

Droit communautaire et international<br />

Droit européen des contrats : la proposition<br />

de règlement relatif à un droit commun européen<br />

de la vente<br />

Par Simon Chardenoux<br />

La proposition de règlement relatif à un droit commun européen de la vente est<br />

une étape vers un droit européen des contrats.<br />

La Commission européenne a publié, le<br />

11 octobre 2011, une proposition de règlement<br />

instituant un droit commun européen<br />

de la vente (DCEV) à caractère optionnel 1 .<br />

Cette proposition s’inscrit dans le contexte<br />

d’une communautarisation croissante (et<br />

accelérée) du droit des contrats. Elle s’inspire<br />

de l’option 4, présentée par la Commission<br />

européenne dans un livre vert publié le 1 er juillet<br />

2010, relatif aux actions envisageables en<br />

vue de la création d’un droit européen des<br />

contrats 2 .<br />

Comme l’indique l’exposé des motifs du<br />

texte, le DCEV viserait à promouvoir le<br />

commerce transfrontière, en limitant les<br />

coûts qui résulteraient, pour les parties, de<br />

la diversité des législations nationales en<br />

matière de droit des contrats 3 .<br />

1 COM (2011) 635 final, C. Aubert de Vincelles, J.C.P.<br />

éd. G, n° 50, 12 décembre 2011, 1376 ; A.-S. Chone-<br />

Grimaldi, « La proposition de règlement relatif à un<br />

droit commun européen de la vente », Contrats, conc.<br />

consom. 2012, étude 6 ; B. Fauvarque-Cosson,<br />

« Vers un droit commun européen de la vente », D.<br />

2012, p. 34 et s. ; G. Paisant, « La proposition d’un<br />

droit commun européen ou l’esperanto contractuel<br />

de la Commission européenne », J.C.P. éd. G, n° 18,<br />

30 avril 2012, 560 ; S. Piedelievre, « Vers un nouveau<br />

droit européen de la vente », Gaz. Pal., 12 janvier<br />

2012, p. 7 et s.<br />

2 COM (2010) 348 final. Cette option, qui avait les<br />

faveurs des institutions communautaires, proposait<br />

d’adopter un règlement instituant un instrument<br />

européen facultatif de droit des contrats.<br />

3 L’affirmation est, en soi, difficilement contestable.<br />

Pour les transactions entre professionnels et<br />

consommateurs, seules les règles de conflit de loi<br />

sont harmonisées, le droit applicable au fond ne<br />

l’est pas. La diversité implique, par conséquent, de<br />

connaître différents droits. Pour les transactions<br />

entre professionnels, différentes conventions<br />

internationales, dont celle relative aux ventes internationales<br />

de marchandises conclue à Vienne en<br />

1980 unifient les règles applicables aux contrats.<br />

Cependant, les réserves émises par les États, ainsi<br />

que l’insécurité relative à la licéité de sa désignation<br />

limitent leur attractivité pour les parties, cf. H. MUIR-<br />

WATT, D. BUREAU, Droit international privé, PUF,<br />

2 nd éd., 2011, T. 1, n° 544 et s.<br />

L’exposé des motifs ne démontre cependant à aucun<br />

moment, ce qui est très dommageable, en quoi la diversité<br />

des législations est un frein à la conclusion de<br />

transactions commerciales transfrontières.<br />

Il s’agirait alors de reconnaître aux parties<br />

à une vente transfrontière la possibilité de<br />

soumettre leurs contrats à un régime<br />

juridique identique.<br />

Le DCEV prendrait, donc, la forme d’un<br />

second régime de règles matérielles de droit<br />

des contrats, mis en concurrence avec les<br />

différents régimes nationaux pré-existants (1.).<br />

Une fois désigné par les parties, les<br />

dispositions du DCEV seraient la seule loi<br />

applicable aux aspects de la relation contractuelle<br />

qui entrent dans son champ<br />

d’application (2.).<br />

Avec le DCEV, l’harmonisation ne se<br />

réaliserait pas par substitution aux droits<br />

nationaux, mais par la création d’un corps<br />

de règles communautaires, alternatifs à ces<br />

droits.<br />

L’originalité de la technique employée<br />

suscite par conséquent la discussion,<br />

notamment au sujet de la base juridique sur<br />

laquelle se fonde la proposition (3.).<br />

1. Le DCEV prendrait la forme<br />

d’un second régime de droit<br />

des contrats, concurrent des<br />

règles nationales préexistantes<br />

Le DCEV se compose d’un règlement et<br />

deux annexes. Le règlement (un exposé des<br />

motifs, 37 considérants et 16 articles) est<br />

consacré à la mise en œuvre et au champ<br />

d’application du dispositif. L’annexe I, intitulée<br />

« Droit commun européen de la vente »,<br />

contiendrait les règles substantielles, applicables<br />

aux contrats de vente qui entreraient<br />

dans son champ d’application. L’annexe II<br />

contiendrait l’« Avis d’information type ».<br />

1.1. Champ d’application de l’instrument<br />

Le DCEV s’appliquerait aux contrats de<br />

vente de biens mobiliers, aux contrats de<br />

fourniture d’un contenu numérique, ainsi<br />

qu’aux services connexes à ces deux types<br />

de contrats 4 .<br />

4 Un certain nombre d’opérations ou de services<br />

seraient néanmoins exclus du dispositif, de même<br />

que les contrats mixtes et ceux liés à un crédit à la<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 59


Le DCEV devra<br />

être désigné par<br />

les parties<br />

Le DCEV sera,<br />

pour les aspects<br />

du contrat qui<br />

entrent dans son<br />

champ<br />

d’application, un<br />

droit<br />

complètement<br />

harmonisé<br />

60<br />

Droit communautaire et international<br />

Sur un plan personnel, le DCEV s’appliquerait<br />

aux relations entre professionnels, à la<br />

condition qu’une PME soit partie au contrat,<br />

ainsi qu’aux contrats entre professionnels et<br />

consommateurs, à la condition que le vendeur<br />

soit un professionnel 5 .<br />

Le DCEV s’appliquerait, spatialement, aux<br />

contrats conclus par des parties situées<br />

dans des États différents, à la condition qu’un<br />

de ces États soit un État membre de<br />

l’Union 6 .<br />

Le disposif serait, par conséquent, réservé<br />

aux seuls contrats transfrontières 7 .<br />

1.2. Contenu du droit substantiel<br />

L’annexe I contient 186 articles, répartis en<br />

8 parties, elles-mêmes divisées en 18 chapitres,<br />

ordonnées suivant les phases successives<br />

du processus contractuel, de sa<br />

formation à son extinction.<br />

Il n’est pas, ici, possible d’analyser les dispositions<br />

du DCEV8 . Force est toutefois de<br />

constater que l’instrument est « complet » et<br />

se veut, à la fois, classique dans son approche<br />

et moderne dans son traitement9 .<br />

consommation, cf. art. 2 h) et suivants. Les contrats<br />

entre professionnels qui ne sont pas des PME ainsi<br />

que les contrats conclus entre consommateurs<br />

seraient donc exclus du dispositif.<br />

5 Art. 7. Une PME est une entreprise qui emploie<br />

moins de 250 salariés et dont le chiffre d’affaires<br />

est inférieur à un certain seuil.<br />

Les contrats entre professionnels qui ne sont pas<br />

des PME ainsi que les contrats conclus entre consommateurs<br />

seraient donc exclus du dispositif.<br />

6 Art. 4. Des parties situées dans des États tiers à<br />

l’UE pourraient donc en bénéficier, dès lors que<br />

leur cocontractant réside dans un État membre.<br />

Les critères pour identifier le caractère transfrontière<br />

d’une opération sont objectifs et géographiques,<br />

comme l’atteste, par exemple, celui de la résidence<br />

habituelle.<br />

7 L’article 13 du règlement permettrait toutefois aux<br />

États d’étendre le DCEV aux contrats conclus entre<br />

professionnels et consommateurs qui seraient<br />

purement internes, ainsi qu’aux rapports entre<br />

professionnels qui ne sont pas des PME.<br />

8 Pour un premier aperçu de certaines de ses<br />

dispositions, v. C. Aubert de Vincelles, J.C.P. éd. G,<br />

n° 50, 12 décembre 2011, 1376. Aucune étude<br />

complète n’a, à ce jour, été publiée.<br />

9 Classique, le DCEV est construit à l’image des<br />

différents droits nationaux. Il comporte des principes<br />

généraux et comprend des dispositions impératives<br />

et supplétives de volonté.<br />

Moderne, les dispositions du DCEV sont issues de<br />

l’acquis communautaire en matière de droit des<br />

contrats, enrichies de propositions doctrinales.<br />

Certaines solutions retenues par le texte diffèrent<br />

Le considérant 29 précise que les règles<br />

énoncées par le DCEV devraient être interprétées<br />

de manière autonome.<br />

C’est donc bien un véritable droit « européen »<br />

du contrat qui serait créé.<br />

1.3. Modalités d’application du DCEV<br />

Pour régir les contrats qui entrent dans son<br />

champ d’application, le DCEV devra avoir<br />

été expressément désigné par les parties.<br />

La licéité du consentement des parties et<br />

la sécurité de cette désignation seraient<br />

assurés par une « convention des parties à<br />

cet effet ».<br />

Aucune formalité particulière ne serait exigée<br />

pour les contrats entre professionnels. Pour<br />

les contrats conclus entre professionnels et<br />

consommateurs, la validité de la désignation<br />

du DCEV serait conditionnée à la remise,<br />

par le professionnel, d’un avis d’information<br />

au consommateur, dont un modèle est<br />

reproduit en annexe II du DCEV 10 .<br />

Dans l’hypothèse où le DCEV serait adopté<br />

en l’état, les parties à un contrat de vente<br />

transfrontière disposeraient, par conséquent,<br />

de la possibilité de soumettre leur contrat à<br />

une loi nationale (1 er régime) ou au DCEV<br />

(2 nd régime).<br />

2. Une fois désigné par les parties,<br />

le DCEV serait la seule loi<br />

applicable aux aspects de leur<br />

relation contractuelle qui entre<br />

dans son champ d’application<br />

Second régime mis en concurrence avec les<br />

règles nationales pré existantes, le DCEV<br />

serait un droit harmonisé qui régirait<br />

exclusivement les aspects de la relation<br />

contractuelle qui entre dans son champ<br />

d’application 11 . Cependant, le DCEV ne<br />

donc sensiblement des droits nationaux.<br />

On peut alors remarquer la mise en œuvre d’une<br />

certaine philosophie, empreinte d’utilitarisme et<br />

fondée sur la promotion de l’efficacité de l’échange.<br />

10 Le consentement du consommateur devrait, en<br />

effet, être distinct du consentement à l’engagement<br />

lui-même. Il est très dommageable que ce mécanisme<br />

n’ait pas été étendu aux relations entre<br />

professionnels. D’une part, celles-ci peuvent, tout<br />

autant que celles entre consommateurs et<br />

professionnels, être déséquilibrées. D’autre part,<br />

le succès du DCEV dépendra de la sécurité<br />

entourant sa désignation (cf. infra).<br />

11 L’article 11 dispose que : « Lorsque les parties<br />

sont valablement convenues d’appliquer le droit<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


L’articulation<br />

nécessaire avec<br />

le droit national<br />

risque d’être<br />

complexe<br />

Les discussions<br />

au Conseil sont<br />

en cours<br />

Droit communautaire et international<br />

couvrirait pas tous les aspects d’une relation<br />

contractuelle. L’instrument se juxtaposerait<br />

donc avec certaines règles nationales. La<br />

simplicité et l’efficacité du DCEV cèdent alors<br />

la place à une relative complexité, en raison<br />

des problèmes d’articulation que le choix du<br />

dispositif, par les parties, feraient naître.<br />

Ceux-ci peuvent sommairement se présenter<br />

de la manière suivante.<br />

Les litiges portant sur des matières qui entrent<br />

dans le champ d’application du DCEV,<br />

énumérées au considérant 26 et développées<br />

dans l’annexe I, seraient exclusivement régis<br />

par le DCEV.<br />

Par conséquent, le choix, par les parties,<br />

du DCEV paralyserait l’application de toute<br />

règle nationale, y compris les règles impératives<br />

telles que celles de police de marché<br />

et celles qui seraient pénalement sanctionées12<br />

.<br />

Le droit national continuerait cependant de<br />

régir les matières exclues du champ d’application<br />

du DCEV, énumérées au considérant<br />

27, qu’elles soient contractuelles ou non.<br />

Le choix du DCEV pourrait alors être source<br />

d’insécurité juridique pour les parties. S’agissant<br />

d’une relation transfrontière et donc<br />

internationale, le droit national, résiduel, devra<br />

être désigné en application des règles de<br />

conflit de lois, dont le contenu n’est pas<br />

harmonisé. Les parties auront donc intérêt,<br />

si elles souhaitent choisir le DCEV, à inclure<br />

une clause dans leur contrat désignant un<br />

droit national applicable aux aspects non<br />

couverts par le DCEV. Finalement, choisir<br />

le DCEV pourrait s’avérer assez couteux13 .<br />

L’entrée en vigueur du DCEV risque<br />

également de générer un fort contentieux<br />

portant sur la définition de son champ d’application<br />

14 . Il ne peut être question, pour le<br />

législateur communautaire, de laisser les<br />

États adopter ou appliquer des législations<br />

commun européen de la vente, seul ce droit régit<br />

les matières relevant de ces dispositions ».<br />

12 Seraient ici concernées l’ensemble des règles<br />

déclarées internationalement impératives.<br />

13 Puisque le recours à des conseils juridiques portant<br />

sur les droits nationaux et sur le DCEV sera<br />

absolument nécessaire.<br />

14 Il s’agit du contentieux dit « de l’effet utile ». Il<br />

concerne les mesures nationales qui ne sont, en<br />

principe, pas couvertes par l’harmonisation mais<br />

dont l’application menace la pleine réalisation de<br />

l’intégration communautaire. En pratique, il sert à<br />

étendre le champ des dispositions communautaires.<br />

nationales qui, sans pour autant entrer dans<br />

son champ, restreindraient l’intérêt de la<br />

désignation du DCEV.<br />

3. La proposition de DCEV est<br />

critiquée<br />

Bien que limitée aux contrats de vente<br />

transfrontières dont les parties choisiraient<br />

expressément le DCEV comme droit<br />

applicable, la proposition de règlement n’en<br />

communautarisait pas moins une source du<br />

droit pour l’instant nationale. Le consensus<br />

politique au sujet du niveau d’intégration<br />

réalisé risque donc d’être difficile à trouver 15 .<br />

Quatre Parlements nationaux ont, d’ailleurs,<br />

émis un avis motivé sur le fondement de la<br />

subsidiarité 16 .<br />

En France, l’Assemblée nationale et le<br />

Sénat ont émis une résolution concluant au<br />

rejet du texte, notamment en raison du choix<br />

de la base juridique 17 .<br />

Le choix de l’article 114 du TFUE peut, en<br />

effet, surprendre, en l’absence d’harmonisation,<br />

stricto sensu, des différents droits<br />

nationaux. Au surplus, l’adoption de textes<br />

instaurant des régimes optionnels, se<br />

réalise, classiquement au moyen de l’article<br />

352 du TFUE 18 .<br />

Ce choix est stratégique. L’article 352<br />

conditionne l’adoption du texte à<br />

l’unanimité, alors que l’article 114 soumet<br />

celui-ci à la majorité qualifiée. La discussion<br />

du texte au Conseil promet d’être animée !<br />

Simon Chardenoux (Direction des<br />

affaires juridiques)<br />

15 Le niveau de protection dans le cadre des rapports<br />

entre professionnels semble, notamment,<br />

discutable.<br />

16 Il s’agit du Bundestag allemand, du Sénat belge,<br />

du Conseil Fédéral autrichien et de la Chambre des<br />

communes anglaise. L’Union européenne ne<br />

disposerait alors pas d’une compétence pour<br />

adopter des mesures en ce domaine, qui devrait<br />

rester de la compétence des États.<br />

17 Le 7 décembre 2011 pour l’Assemblée et le 23<br />

février pour le Sénat.<br />

18 Comme par exemple la société européenne,<br />

instituée par le règlement n° 2157/2001.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 61


Contrôle interne<br />

et audit interne,<br />

deux notions en<br />

pleine actualité<br />

Le contrôle de la<br />

politique agricole<br />

commune, un<br />

exemple abouti<br />

62<br />

Droit communautaire et international<br />

La commission de certification des comptes des<br />

organismes payeurs (CCCOP), auditeur externe des<br />

dépenses financées par les fonds agricoles européens<br />

Par Marie-José Palasz, présidente<br />

Développer les processus de contrôle interne et d’audit interne dans les administrations<br />

et les opérateurs de l’État est particulièrement d’actualité. L’étude des<br />

dispositifs mis en œuvre dans le cadre de la politique agricole commune à la<br />

demande de la Commission européenne montre que les règlements<br />

communautaires ont largement anticipé ce mouvement. Les organismes payeurs<br />

sont dans le cadre de leur agrément notamment tenus de créer un service de<br />

contrôle interne et d’audit interne qui sont audités par la CCCOP. Pour autant, la<br />

Commission européenne souhaite aller encore plus loin, en élargissant la portée<br />

de l’audit externe.<br />

Les notions de contrôle interne et d’audit<br />

interne font maintenant partie du vocabulaire<br />

courant des administrations notamment,<br />

depuis la parution du décret du 28 juin 2011 1<br />

et de la circulaire du Premier ministre du<br />

30 juin 2011 2 .<br />

Les dispositifs sont en cours de mise en place<br />

(création du Comité d’harmonisation de l’audit<br />

interne (CHAI3 ), de comités d’audit ministériels4<br />

, identification des services compétents<br />

au sein des administrations et formation des<br />

agents....). À Bercy, pour citer un exemple,<br />

on assiste au Contrôle général économique<br />

et financier à la professionnalisation et au<br />

développement de l’activité d’audit pour mieux<br />

répondre à cette évolution.<br />

Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut<br />

rappeler quelques précédents à ce<br />

mouvement de création de comités d’audit.<br />

Ainsi, on peut citer pour les sociétés de<br />

droit privé dont les titres sont admis sur le<br />

marché réglementé, l’obligation de créer un<br />

comité spécialisé qui « assure le suivi des<br />

questions relatives à l’élaboration et au<br />

contrôle des informations comptables et<br />

financières » (article L 823-19 du code de<br />

commerce5 ).<br />

1 Décret n° 2011-775 du 28 juin 2011 relatif à l’audit<br />

interne dans l’administration.<br />

2 Circulaire du 30 juin 2011 du Premier ministre relative<br />

à la mise en œuvre de l’audit interne dans<br />

l’administration.<br />

3 Le CHAI est notamment chargé d’harmoniser la<br />

méthodologie de travail des administrations en<br />

matière d’audit, d’élaborer le cadre de référence de<br />

l’audit interne dans l’administration d’État et d’en<br />

assurer le suivi.<br />

4 Le comité d’audit ministériel « s’assure de la qualité<br />

du dispositif de contrôle interne pour la maîtrise<br />

des risques mis en œuvre au sein de ces ministères<br />

et de la diffusion des bonnes pratiques au sein de<br />

leurs opérateurs ».<br />

Pour les organimes publics, la circulaire du<br />

Premier ministre du 26 mars 2010 encourage<br />

le développement des instruments de pilotage<br />

de la <strong>gouv</strong>ernance des opérateurs de l’État<br />

avec notamment la mise en place de comités<br />

d’audit ou de comités stratégiques. L’amélioration<br />

de la qualité comptable, y compris celle<br />

des opérateurs de l’État est enfin un élément<br />

clé de la certification des comptes de l’État<br />

par la Cour des comptes.<br />

Le droit communautaire a depuis de<br />

nombreuses années conduit les autorités<br />

nationales à développer des systèmes<br />

permettant à la Commission et à la Cour<br />

des comptes européenne d’avoir une<br />

assurance suffisante que les dépenses<br />

effectuées par les États membres sur des<br />

fonds communautaires étaient conformes<br />

aux règlements. L’exemple de la politique<br />

agricole commune et de la certification des<br />

comptes des organismes payeurs des<br />

dépenses financées par les Fonds<br />

européens FEAGA6 et FEADER7 paraît à<br />

cet égard particulièrement abouti.<br />

5 Voir également l’article L. 225-37 du code de<br />

commerce qui prévoit pour ces mêmes sociétés<br />

que le président du conseil d’administration doit<br />

rendre compte dans un rapport des « procédures<br />

de contrôle interne et de gestion des risques mises<br />

en place dans la société en détaillant celles de<br />

ces procédures qui sont relatives à l’élaboration<br />

et au traitement de l’information comptable et<br />

financière ». À noter en outre qu’en vertu des<br />

normes d’exercice de la profession de commissaires<br />

aux comptes (CAC), les dirigeants d’entreprises<br />

sont tenus de délivrer aux CAC une note d’affirmation<br />

(qui pourrait être assimilée à la DAS donnée par le<br />

directeur des organismes payeurs - voir ci-après)<br />

dans laquelle ils déclarent entre autre qu’ils ont mis<br />

en place un système de contrôle interne.<br />

6 Fonds européen agricole de garantie.<br />

7 Fonds européen agricole pour le développement<br />

rural.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


L’agrément des<br />

organismes<br />

payeurs est lié au<br />

respect de<br />

nombreux<br />

critères<br />

L’existence d’un<br />

contrôle interne<br />

et d’un service<br />

d’audit interne<br />

est un des<br />

critères<br />

d’agrément<br />

Droit communautaire et international<br />

1. L’agrément d’organismes<br />

payeurs<br />

L’article 6 du règlement (CE) n° 1290/2005 8<br />

prévoit que les États membres agréent les<br />

services ou organismes payeurs des<br />

dépenses agricoles financées par des fonds<br />

européens.<br />

1.1. Les organismes payeurs nationaux<br />

Il existe actuellement en France quatre<br />

organismes payeurs (OP) agréés : l’Agence<br />

de Services et de Paiement (ASP) qui est le<br />

plus gros OP européen et assure le paiement<br />

de dépenses relevant des deux fonds<br />

agricoles (le FEAGA et le FEADER),<br />

l’Etablissement national des produits de<br />

l’agriculture et de la Mer FranceAgriMer<br />

(FAM), l’Office de développement de<br />

l’économie agricole d’outre-mer (ODEADOM)<br />

et enfin, l’Office du développement agricole<br />

et rural de Corse (ODARC).<br />

Globalement pour l’exercice 2011, les<br />

montants versés au titre de la PAC ont été<br />

pour l’ASP de 7,9 milliards d’euros au titre<br />

du FEAGA et 806 millions d’euros au titre<br />

du FEADER, pour FAM de 601 millions<br />

d’euros, pour l’ODEADOM de 258 millions<br />

d’euros et enfin pour l’ODARC de 7,4 millions<br />

d’euros.<br />

Les agréments sont délivrés par arrêté<br />

ministériel signé du ministre chargé de<br />

l’agriculture et du ministre chargé du budget.<br />

Ils font l’objet d’une supervision permanente<br />

via une instance de supervision présidée par<br />

les représentants des deux ministères<br />

concernés. L’agrément peut être « mis en<br />

phase de test » si l’OP ne respecte plus<br />

une des conditions d’agrément ou connaît<br />

des déficiences graves ; la Commission<br />

européenne est alors tenue informée des<br />

actions mises en œuvre pour remédier à<br />

ces dysfonctionnements.<br />

L’agrément a pour objectif de s’assurer que<br />

les organismes payeurs répondent aux<br />

conditions qui permettent de garantir<br />

notamment que l’éligibilité des demandes<br />

d’aides et les procédures d’attribution des<br />

aides sont contrôlées avant ordonnancement<br />

des paiements, que les paiements effectués<br />

sont comptabilisés de manière exacte et<br />

exhaustive et imputés sur le bon exercice.<br />

8 Règlement (CE) n° 1290/2005 du Conseil du 21 juin<br />

2005 relatif au financement de la politique agricole<br />

commune.<br />

1.2. L’obligation de développer contrôle<br />

interne et audit interne<br />

Les organismes payeurs doivent respecter<br />

les critères d’agrément prévus par l’article<br />

5 du règlement n° 885/20069 et détaillés<br />

dans son annexe I.<br />

Sont notamment examinés en vue de<br />

l’agrément d’un OP, son environnement interne<br />

(structure organisationnelle, ressources<br />

humaines, existence de délégations tracées),<br />

ses activités de contrôle (contrôles effectués<br />

au moment de la réception d’une demande,<br />

d’un paiement, de la comptabilisation), son<br />

système de communication et d’information<br />

(procédures permettant de prendre en compte<br />

au plus vite toute modification de<br />

réglementation, sécurité des systèmes<br />

d’information), le suivi de l’ensemble des<br />

processus au travers des actions de contrôle<br />

interne et des évaluations menées par un<br />

service d’audit interne. Le contôle interne est<br />

mis en place par les services gestionnaires<br />

et intégré à tous les stades de la gestion alors<br />

que l’audit interne est un service qui agit de<br />

sa propre initiative et qui rend compte au<br />

directeur sur des thèmes précis qu’il audite<br />

complètement10 .<br />

Ces dispositions sont complétées par une<br />

ligne directrice de la Commission, la ligne<br />

directrice n° 2 relative à l’agrément d’un<br />

organisme payeur dans laquelle se trouvent<br />

notamment des précisions sur l’évaluation<br />

du système de contrôle interne et le respect<br />

des conditions d’agrément.<br />

Les responsables des OP sont également<br />

tenus, en vertu de l’article 8, paragraphe 1,<br />

du règlement (CE) n° 1290/2005, d’émettre<br />

une déclaration d’assurance qui doit<br />

obligatoirement comporter notamment les<br />

mentions suivantes :<br />

« Je déclare, sur la base de mon propre<br />

jugement et des informations dont je<br />

dispose, y compris, notamment, les conclusions<br />

des travaux du service d’audit interne,<br />

que :<br />

9 Règlement (CE) n° 885/2006 de la Commission du<br />

21 juin 2006 portant modalités d’application du<br />

règlement (CE) n° 1290/2005 du Conseil en ce qui<br />

concerne l’agrément des organismes payeurs et<br />

autres entités ainsi que l’apurement des comptes<br />

du Feaga et du Feader.<br />

10 Le programme d’audit doit garantir que tous les<br />

domaines significatifs, y compris les unités<br />

chargées de l’ordonnancement des dépenses,<br />

soient pris en compte dans une période n’excédant<br />

pas cinq ans.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 63


Les États<br />

membres doivent<br />

également<br />

instituer un<br />

organe d’audit<br />

externe<br />

64<br />

Droit communautaire et international<br />

• les comptes ici présentés constituent,<br />

à ma connaissance, un état vrai, intégral<br />

et exact des dépenses et des recettes<br />

pour l’exercice budgétaire mentionné cidessus<br />

;<br />

• j’ai mis en place un système offrant des<br />

assurances raisonnables quant à la<br />

légalité et à la régularité des opérations<br />

sous-jacentes et en particulier sur le fait<br />

que l’éligibilité des demandes et, dans le<br />

cas du développement rural, la procédure<br />

d’octroi de l’aide sont gérées, contrôlées<br />

et documentées conformément aux<br />

règles communautaires. »<br />

Les actions de contrôle interne et la création<br />

d’un service d’audit interne sont donc<br />

obligatoires et ont conduit les OP à développer<br />

une organisation et des procédures<br />

qui sont aujourd’hui demandées en interne<br />

aux opérateurs de l’État. En outre, ces<br />

procédures sont régulièrement auditées ce<br />

qui permet de s’assurer de leur qualité et<br />

de veiller à la mise en œuvre des améliorations<br />

qui pourraient s’avérer nécessaires.<br />

2. La certification des comptes<br />

Conformément aux règlements (CE)<br />

n° 1290/2005 du Conseil et n° 885/2006 de<br />

la Commission, notamment respectivement<br />

en ses articles 7 et 5, il est institué dans<br />

chaque État membre un organisme de<br />

certification qui a vocation à vérifier les<br />

dépenses gérées et payées par les<br />

Organismes Payeurs nationaux agréés.<br />

L’article 7 du règlement n° 1290/2005 prévoit<br />

que l’organisme de certification est désigné<br />

par l’État membre « en vue de certifier les<br />

comptes de l’organisme payeur agréé quant<br />

à leur véracité, leur intégralité et leur<br />

exactitude, en prenant en compte le<br />

système de gestion et de contrôle mis en<br />

place ».<br />

Cet organisme doit être indépendant des<br />

organes payeurs et disposer des<br />

compétences techniques nécessaires 11 .<br />

2.1. La CCCOP<br />

Depuis 2005, l’organisme de certification<br />

(OC) français, la CCCOP, est sous la tutelle<br />

bicéphale du ministère de l’agriculture et<br />

du ministère du budget alors qu’elle<br />

dépendait auparavant de la Cour des<br />

comptes nationale12 .<br />

11 Article 5 du règlement n° 885/2006.<br />

Un décret de 200713 est venu confirmer la<br />

composition et le rôle de la CCCOP. C’est<br />

un organisme sui generis de droit public qui<br />

se décompose en deux entités, une commission<br />

délibérante et un service opérationnel.<br />

La commission délibérante comprend cinq<br />

membres dont un président et un vice-président,<br />

nommés par arrêté du Premier ministre,<br />

après avis du ministre chargé de l’économie<br />

et du ministre chargé de l’agriculture Ils sont<br />

recrutés parmi les corps d’inspection et de<br />

contrôle de ces deux ministères.<br />

Le service de la CCCOP qui constitue la<br />

structure opérationnelle compte seize<br />

personnes en tout : le président de la<br />

commission, quatre rapporteurs spéciaux<br />

chargés de la supervision des travaux d’audit,<br />

dix auditeurs et une assistante de direction.<br />

Les auditeurs sont recrutés en fonction de<br />

leurs compétences particulières en matière<br />

de contrôle, d’analyse comptable et budgétaire<br />

et d’audit. Ils sont principalement issus<br />

de filières de contrôle : inspecteurs des finances<br />

publiques, anciens contrôleurs des offices<br />

agricoles ou de la Mission de Contrôle de la<br />

régularité des Opérations du Secteur Agricole<br />

(CGEFi-Mission COSA).<br />

L’organisme de certification pratique un<br />

audit récurrent des organes payeurs qui se<br />

traduit chaque année et pour chaque<br />

organisme payeur et par Fonds (FEAGA et<br />

FEADER) pour l’ASP, par la rédaction d’un<br />

rapport d’audit qui comporte une évaluation<br />

des procédures de l’OP, d’éventuelles<br />

propositions de corrections financières ainsi<br />

que des constatations conduisant à des<br />

recommandations14 . Ce rapport est accompagné<br />

d’un certificat d’audit indiquant si<br />

l’organisme de certification « a obtenu des<br />

assurances raisonnables sur la véracité,<br />

l’intégralité et l’exactitude des comptes et<br />

sur le bon fonctionnement des procédures<br />

de contrôle interne » et d’un avis sur la<br />

déclaration d’assurance signée par le<br />

responsable de l’OP.<br />

L’exercice agricole sur lequel porte l’audit<br />

court du 16 octobre de l’année N au 15 octo-<br />

12 À noter par exemple que le rôle d’organe de<br />

certification est tenu au Royaume Uni par le National<br />

Audit Office (NAO) et aux Pays Bas, par la Cour<br />

des comptes néerlandaise.<br />

13 Décret n° 2007-805 du 11 mai 2007.<br />

14 Les rapports font l’objet d’une procédure<br />

contradictoire avec l’organisme payeur en présence<br />

des ministères concernés.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Cet audit externe<br />

couvre un champ<br />

plus vaste que<br />

l’audit comptable<br />

et financier<br />

Les règlements<br />

communautaires<br />

et les lignes<br />

directrices<br />

encadrent très<br />

précisément<br />

l’audit externe<br />

Droit communautaire et international<br />

bre de l’année N+1. Ainsi pour 2012, les<br />

travaux concernent les dépenses payées<br />

du 16 octobre 2011 au 15 octobre 2012, les<br />

rapports devant parvenir à la Commission<br />

européenne le 1 er février 2013 au plus tard.<br />

L’organisme de certification est tenu de<br />

vérifier que :<br />

• l’OP respecte les conditions d’agrément ;<br />

• les procédures de l’OP permettent de<br />

déclarer, avec un degré raisonnable de<br />

fiabilité, que les dépenses imputées aux<br />

fonds européens ont été effectuées dans<br />

le respect de la réglementation communautaire<br />

;<br />

• les comptes annuels visés à l’article<br />

6, paragraphe 1, du règlement (CE)<br />

n° 885/2006 sont conformes aux livres<br />

et registres de l’organisme payeur ;<br />

• les déclarations relatives aux dépenses<br />

et aux opérations d’intervention constituent<br />

un relevé matériellement vrai, intégral<br />

et exact des opérations imputées aux<br />

fonds ;<br />

• les intérêts financiers de la Communauté<br />

sont dûment protégés en ce qui concerne<br />

les avances payées, les garanties<br />

obtenues, ainsi que les montants à<br />

percevoir.<br />

2.2. Un encadrement très complet des<br />

travaux d’audit externe<br />

Le droit communautaire prévoit de façon<br />

très précise le dispositif d’audit externe qui<br />

doit être mis en œuvre dans les États<br />

membres. Aux deux règlements de base<br />

précités viennent s’ajouter une série de<br />

lignes directrices prévues par le règlement<br />

n° 885/2006, qui ont un statut juridique<br />

quasi-normatif. Les normes d’audit<br />

internationales qui s’appliquent au contexte<br />

public communautaire sont ainsi reprises<br />

et servent de référence de base aux travaux.<br />

La ligne directrice n° 3 précise la stratégie<br />

d’audit et comporte une annexe fixant les<br />

règles d’échantillonnage et d’évaluation des<br />

erreurs.<br />

La ligne directrice n° 5 sur le modèle de<br />

rapport pour les organismes de certification<br />

détaille jusqu’au niveau des sous-paragraphes<br />

le plan du rapport à transmettre à<br />

la Commission.<br />

La ligne directrice n° 6 sur le certificat de<br />

l’OC encadre le certificat d’audit en prévoyant<br />

sa forme, son contenu y compris la<br />

formulation et la portée des différentes<br />

réserves qui peuvent être émises.<br />

Enfin, la ligne directrice n° 7 donne les<br />

éléments que doit comprendre l’avis de<br />

l’organisme de certification sur la déclaration<br />

d’assurance de l’organisme payeur.<br />

Le champ de l’audit financier annuel de<br />

l’organisme de certification comprend, en vertu<br />

de l’article 5 paragraphe 4 du règlement (CE)<br />

n° 885/2006 de la Commission :<br />

• l’ensemble des dépenses agricoles<br />

brutes qui font l’objet de remboursement<br />

auprès des Communautés,<br />

• les recouvrements perçus enregistrés en<br />

recettes et les indus imputés en<br />

diminution de dépenses,<br />

• les stocks publics de fin d’exercice,<br />

• les avances et garanties,<br />

• les débiteurs avérés (créances) et<br />

potentiels.<br />

Les travaux menés par la CCCOP portent<br />

à la fois sur la qualité des systèmes de<br />

gestion et d’information financière<br />

(conformité) et sur les transactions ou<br />

données exécutées lors de l’exercice<br />

(validation).<br />

Ils sont fondés sur une analyse de risques<br />

effectuée annuellement au vu notamment<br />

des constatations de l’exercice précédent<br />

(existence ou non de dysfonctionnements,<br />

suivi des recommandations), de la<br />

complexité ou de l’ancienneté des mesures<br />

agricoles à contrôler (une mesure ancienne<br />

pour laquelle les contrôles précédents n’ont<br />

pas révélé de problèmes présentera peu de<br />

risques, même si son enjeu financier est fort,<br />

comparativement à une mesure nouvelle dont<br />

la complexité est avérée).<br />

Une stratégie d’audit est alors établie avec<br />

un descriptif des travaux qui vont être<br />

menés :<br />

• examen de la documentation (manuels<br />

de procédures, circulaires...) et entretiens<br />

généraux permettant d’identifier les<br />

procédures mises en œuvre, les travaux<br />

de contrôle interne et d’audit interne,<br />

• détermination du nombre de dossiers à<br />

examiner tant pour vérifier la conformité<br />

des procédures effectivement suivies à<br />

celles annoncées, que pour s’assurer de<br />

la validité des paiements effectués,<br />

• fixation du nombre de contrôles sur place<br />

effectués par les contrôleurs de l’organisme<br />

payeur ou de son délégataire qui<br />

feront l’objet d’un accompagnement par<br />

les auditeurs de la CCCOP afin de s’assurer<br />

là encore du respect des procédures.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 65


La Commission,<br />

sous la pression<br />

des autorités<br />

budgétaires, veut<br />

encore renforcer<br />

le rôle de<br />

l’organe de<br />

certification<br />

66<br />

Droit communautaire et international<br />

À noter que la CCCOP peut faire elle-même<br />

l’objet d’un audit afin que soit vérifiée la<br />

conformité de ses travaux aux normes<br />

internationales d’audit et aux lignes<br />

directrices. Elle a ainsi été auditée par la<br />

Cour des comptes européenne en novembre<br />

2006 et au printemps 2009. Son travail est<br />

également contrôlé par la Commission<br />

européenne à l’occasion de l’apurement<br />

comptable des comptes des organismes<br />

payeurs.<br />

3. Volonté de la Commission<br />

d’aller au-delà<br />

Le dispositif de contrôle et d’audit décrit cidessus<br />

(existence dans les OP d’un<br />

contrôle interne et d’un service d’audit<br />

interne, audit externe mené par l’OC) ne<br />

semble toutefois pas suffisant aux yeux de<br />

la Commission européenne.<br />

Poussée par la Cour des comptes<br />

européenne et les autorités budgétaires, la<br />

Commission désire renforcer son assurance<br />

sur la conformité des dépenses. Cependant,<br />

confrontée à un manque de moyens de<br />

contrôle propres, elle cherche à reporter sur<br />

les États membres des tâches qu’elle ne<br />

veut pas effectuer.<br />

3.1. Une première tentative en 2010<br />

La Commission avait déjà tenté en 2010<br />

d’obliger les États membres à mettre en<br />

place la réitération des contrôles, en<br />

proposant une nouvelle ligne directrice15 .<br />

Face au refus des États, elle avait opté pour<br />

une mise en œuvre à titre volontaire de ce<br />

processus. Seuls quatre États membres<br />

auraient accepté ce principe (la Bulgarie,<br />

la Grèce, le Luxembourg et la Roumanie)<br />

sans qu’un bilan de cette expérimentation<br />

n’ait été communiqué.<br />

3.2. Les réformes pour la période 2014-<br />

2020<br />

Dans le cadre de la réforme de la PAC et<br />

plus particulièrement dans la « Proposition<br />

de règlement du Parlement européen et du<br />

Conseil relatif au financement, à la gestion<br />

et au suivi de la politique agricole<br />

commune », la Commission propose de<br />

renforcer le rôle de l’organisme de certification,<br />

en l’obligeant à vérifier la légalité<br />

15 Ligne directrice relative à l’assurance renforcée<br />

quant à la légalité et à la régularité des opérations<br />

au niveau des bénéficiaires finals.<br />

et la régularité des opérations sousjacentes<br />

aux paiements.<br />

De fait, il ne s’agit plus seulement dans son<br />

esprit que l’OC vérifie la bonne application<br />

par l’OP de procédures conformes au droit<br />

communautaire, mais qu’il s’assure, en<br />

réitérant les contrôles administratif et sur<br />

place jusque chez le bénéficiaire final, que<br />

l’aide devait être effectivement accordée et<br />

que son montant est justifié16 . L’audit devrait<br />

alors couvrir le traitement d’un dossier<br />

d’aide dans son intégralité, de la<br />

présentation de la demande au paiement.<br />

La plupart des États membres s’opposent<br />

actuellement à cette proposition de la<br />

Commission, au nom de la nécessaire<br />

proportionnalité des contrôles à mettre en<br />

œuvre, en mettant en balance leur coût élevé<br />

au regard des bénéfices attendus.<br />

De façon plus large encore, la Commission<br />

a proposé, dans la « Proposition de règlement<br />

du Parlement européen et du Conseil<br />

portant règlement financier applicable au<br />

budget général de l’Union européenne », que<br />

le dispositif mis en œuvre pour la politique<br />

agricole commune s’applique également<br />

aux fonds structurels.<br />

Elle a ainsi envisagé de compléter le dispositif<br />

d’audit existant, en prévoyant l’agrément des<br />

organismes payeurs suivant des critères<br />

similaires à ceux des organismes payeurs<br />

agricoles, l’établissement par les OP d’une<br />

déclaration annuelle d’assurance et la remise<br />

par un organisme d’audit indépendant d’un<br />

avis sur cette déclaration. Ces propositions<br />

font, elles aussi, l’objet d’une opposition d’un<br />

grand nombre d’États membres et sont<br />

toujours en cours de discussion.<br />

Il pourrait apparaître délicat en période de<br />

crise économique de ne pas vouloir renforcer<br />

les contrôles qui permettraient de limiter<br />

les fraudes et irrégularités. Il est, toutefois,<br />

essentiel de conserver le principe de proportionnalité,<br />

seul à même de limiter des demandes<br />

excessives de la part des institutions<br />

communautaires.<br />

Marie-José Palasz (Présidente de la<br />

CCCOP)<br />

16 À ce jour, l’organe de certification exerce un<br />

contrôle d’éligibilité sur les dossiers sélectionnés<br />

au titre de la validation mais ces vérifications sont<br />

sur dossier, à l’exception de quelques<br />

accompagnements de contrôles sur place prévus<br />

en conformité.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Les injonctions<br />

imposées aux<br />

intermédiaires<br />

techniques<br />

doivent respecter<br />

le cadre<br />

juridique<br />

européen<br />

Le juge national<br />

a la possibilité de<br />

prendre des<br />

mesures visant à<br />

mettre un terme<br />

à toute atteinte<br />

aux droits de<br />

propriété<br />

intellectuelle<br />

Droit privé<br />

La légalité des mesures de filtrage et de blocage<br />

imposées aux fournisseurs d’accès : à propos<br />

des affaires SABAM<br />

Par Marie Latournerie<br />

Depuis près de vingt ans, le droit d’auteur est confronté à l’expansion du numérique.<br />

L’instauration d’un filtrage de l’internet, destiné à protéger les droits d’auteur du<br />

piratage est au cœur d’un vif débat. Les titulaires de droits de propriété intellectuelle<br />

demandent aux tribunaux d’enjoindre les intermédiaires techniques, tels que les<br />

fournisseurs d’accès à internet et les hébergeurs, à mettre en place un système de<br />

filtrage et de blocage. Dans ses arrêts du 24 novembre 2011 et du 16 février 2012, la<br />

Cour de justice de l’Union européenne s’est opposée à l’instauration d’un système<br />

de filtrage général. Elle a jugé qu’un tel filtrage heurterait certains droits fondamentaux<br />

des opérateurs, comme des utilisateurs. Cependant, la Cour laisse ouverte<br />

la possibilité de leur imposer des obligations de filtrage davantage ciblé.<br />

Au cours des dix dernières années, l’intérêt<br />

particulier porté par le législateur de l’Union<br />

européenne à la lutte contre le piratage s’est<br />

traduit par l’adoption de plusieurs directives<br />

pour rendre plus efficace la protection des<br />

droits de propriété intellectuelle sur internet.<br />

Il s’agit essentiellement de la directive 2000/<br />

31/CE du 8 juin 2000 relative au commerce<br />

électronique, de la directive 2001/29/CE du<br />

22 mai 2001 relative au droit d’auteur dans<br />

la société de l’information et de la directive<br />

2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au<br />

respect des droits de propriété intellectuelle.<br />

Bien que chacun de ces textes traite du<br />

problème du piratage sous un angle différent,<br />

ils évoquent tous la question des injonctions<br />

que le juge peut prendre à l’encontre des<br />

intermédiaires techniques, afin de protéger<br />

des droits de propriété intellectuelle.<br />

La lutte contre le piratage sur internet exige<br />

des efforts conjoints de tous les acteurs du<br />

secteur. Mais, deux logiques s’affrontent.<br />

Pour certains, le filtrage et le blocage<br />

permettront de « faire du ménage » au sein<br />

de la toile en offrant aux internautes l’accès<br />

à des contenus licites. Pour d’autres, le<br />

filtrage et le blocage sont l’incarnation d’une<br />

nouvelle forme de censure.<br />

Au vu de ce clivage, il paraît nécessaire<br />

d’analyser la légitimité de telles injonctions,<br />

au regard des dispositions de droit européen<br />

et à la lumière de la jurisprudence de la<br />

Cour de justice de l’Union européenne.<br />

1. L’interdiction européenne<br />

d’imposer aux intermédiaires<br />

techniques un filtrage général<br />

des communications électroniques<br />

transitant par leur<br />

réseau<br />

1.1. Les textes européens<br />

Plusieurs dispositions du droit de l’Union<br />

européenne sont invoquées à l’appui des<br />

demandes tendant à obtenir d’un tribunal<br />

des injonctions de filtrage à l’égard des<br />

intermédiaires techniques. Chacune est<br />

inspirée par l’objectif de protection effective<br />

des droits de propriété intellectuelle.<br />

Ainsi, aux termes de l’article 3.1 de la directive<br />

2004/48/CE 1 , les États membres doivent<br />

prévoir « les mesures, procédures et<br />

réparations nécessaires pour assurer le<br />

respect des droits de propriété intellectuelle<br />

[...] ». L’article 11 de la même directive<br />

instaure une obligation pour les États<br />

membres de veiller « à ce que les titulaires<br />

de droits puissent demander une injonction à<br />

l’encontre des intermédiaires dont les services<br />

sont utilisés par un tiers pour porter atteinte<br />

à un droit de propriété intellectuelle ».<br />

La directive 2000/31/CE 2 dite « Commerce<br />

électronique » retient, quant à elle, dans son<br />

1 Directive 2004/48/CE, 29 avril 2004 relative au<br />

respect des droits de propriété intellectuelle : JOUE<br />

n° L. 157, 30 avril 2004, p.45.<br />

2 Directive 2000/31/CE, 8 juin 2000 relative à certains<br />

aspects juridiques des services de la société de<br />

l’information, et notamment du commerce électronique,<br />

dans le marché intérieur (directive « Commerce<br />

électronique ») : JOCE n° L 178, 17 juillet 2000, p. 1.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 67


Les mesures<br />

prises doivent<br />

respecter le<br />

principe de<br />

proportionnalité<br />

Le droit<br />

communautaire<br />

interdit que soit<br />

imposée aux<br />

intermédiaires<br />

techniques une<br />

obligation<br />

générale de<br />

surveillance<br />

68<br />

article 14 consacré à l’activité d’hébergement,<br />

« la possibilité pour les États membres,<br />

d’instaurer des procédures régissant le retrait<br />

de ces informations [illicites] ou les actions<br />

pour en rendre l’accès impossible ». Dans le<br />

même sens, l’article 18 de cette même<br />

directive impose aux États membres de veiller<br />

à ce que les recours devant les tribunaux<br />

nationaux « permettent l’adoption rapide de<br />

mesures, y compris par la voie de référé, visant<br />

à mettre un terme à toute violation alléguée<br />

et à prévenir toute nouvelle atteinte aux<br />

intérêts concernés ».<br />

Cependant, ces textes apportent des limites<br />

importantes, mais nécessaires, quant à la<br />

portée des mesures que le juge peut<br />

prononcer.<br />

1.2. Des mesures de protection soumises<br />

au principe de proportionnalité<br />

1.2.1. Un principe général...<br />

Aux termes de l’article 3.1 de la directive<br />

2004/48/CE, « les mesures, procédures et<br />

réparations doivent être loyales et équitables,<br />

et ne doivent pas être inutilement<br />

complexes ou coûteuses et ne doivent pas<br />

comporter de délais déraisonnables ni<br />

entraîner de retards injustifiés ». L’alinéa 2<br />

du même article précise que ces mesures<br />

doivent également être « proportionnées »<br />

et « être appliquées de manière à éviter la<br />

création d’obstacles au commerce légitime<br />

[...] ». En d’autres termes, si la directive<br />

impose aux États membres de prévoir des<br />

mesures pour assurer la protection efficace<br />

des droits de propriété intellectuelle, elle<br />

soumet ces mesures au principe de<br />

proportionnalité.<br />

D’une manière générale, cette exigence de<br />

proportionnalité s’impose également au<br />

regard du nécessaire respect des droits<br />

fondamentaux, et notamment de la liberté<br />

d’information. Ainsi, comme le précise<br />

l’article 10, paragraphe 2, de la Convention<br />

européenne de sauvegarde des droits de<br />

l’Homme, les restrictions à cette liberté ne<br />

peuvent être tolérées que dans les<br />

hypothèses strictes où elles s’avèrent « nécessaires<br />

dans une société démocratique<br />

». Comme le rappelle régulièrement la<br />

Cour européenne des droits de l’Homme,<br />

cette nécessité doit être « établie de manière<br />

convaincante », « répondre à un besoin<br />

Droit privé<br />

social impérieux 3 » et être « strictement<br />

proportionnée au but légitime poursuivi 4 ».<br />

1.2.2. ... appliqué aux droits de<br />

propriété intellectuelle<br />

L’article 11 de la directive 2004/48/CE admet<br />

le prononcé des injonctions à l’égard des<br />

intermédiaires. Cette disposition doit être<br />

lue en lien avec la première phrase de l’article<br />

consacrée aux injonctions à l’encontre des<br />

contrevenants : « les États membres veillent<br />

à ce que, lorsqu’une décision judiciaire a<br />

été prise constatant une atteinte à un droit<br />

de propriété intellectuelle, les autorités<br />

judiciaires compétentes puissent rendre à<br />

l’encontre du contrevenant une injonction<br />

visant à interdire la poursuite de cette<br />

atteinte ». Ainsi, une injonction contre le<br />

contrevenant ne peut être prise qu’après<br />

décision judiciaire constatant une atteinte<br />

et ne peut interdire que la poursuite de cette<br />

même atteinte constatée. Si telle est la<br />

règle s’agissant du contrevenant qui est à<br />

l’origine de l’atteinte à un droit de propriété<br />

intellectuelle, il serait illogique d’imposer au<br />

prestataire technique, qui n’est pas<br />

personnellement responsable des atteintes<br />

commises par le biais de son service, des<br />

obligations plus étendues qu’aux<br />

contrevenants eux-mêmes.<br />

Par ailleurs, l’article 15 de la directive « Commerce<br />

électronique » interdit aux États<br />

membres d’« imposer aux prestataires, pour<br />

la fourniture des services visée aux articles<br />

12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller<br />

les informations qu’ils transmettent ou<br />

stockent, ou une obligation générale de rechercher<br />

activement des faits ou des circonstances<br />

révélant des activités illicites ».<br />

L’objectif d’assurer le respect des droits de<br />

propriété intellectuelle ne justifie donc pas le<br />

prononcé de mesures de filtrage et de blocage<br />

3 CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c/ France,<br />

requête n° 29183/95 : « la nécessité d’une<br />

quelconque restriction à l’exercice de la liberté<br />

d’expression doit se trouver établie de manière<br />

convaincante. Certes, il revient, en premier lieu,<br />

aux autorités nationales d’évaluer s’il existe un<br />

besoin social impérieux susceptible de justifier<br />

cette restriction ».<br />

4 CEDH, 23 septembre 1998, Lehideux et Isorni<br />

c/ France, requête n° 24662/94 - CEDH, 3 octobre<br />

2000, Du Roy et Malaurie c/ France, requête<br />

n° 34000/96.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


Droit privé<br />

dès lors que celles-ci impliqueraient une<br />

surveillance générale, ce qui est le cas lorsque<br />

ces mesures ne sont pas strictement<br />

encadrées et limitées à des contenus précis<br />

émanant des mêmes utilisateurs du service.<br />

1.3. Des mesures applicables à des<br />

contenus précis<br />

Aux termes du considérant 47 de la directive<br />

« Commerce électronique » : « l’interdiction<br />

pour les États membres d’imposer aux<br />

prestataires de service une obligation de<br />

surveillance ne vaut que pour les obligations<br />

à caractère général » et « ne concerne pas<br />

les obligations applicables à un cas<br />

spécifique ». Dans son rapport de novembre<br />

2003 5 sur l’application de la directive de<br />

2000, la Commission européenne rappelle<br />

que les États membres peuvent imposer<br />

une obligation de surveillance dans un « cas<br />

spécifiquement défini ».<br />

Dès lors, lorsque la directive fait obligation<br />

à un prestataire technique de retirer les<br />

informations dénoncées comme illicites ou<br />

de rendre l’accès à celles-ci impossible,<br />

ces restrictions ne peuvent concerner qu’un<br />

fichier « illicite » mis en ligne par un<br />

utilisateur en particulier, et non toute<br />

reproduction ultérieure de ce fichier par<br />

toute personne.<br />

La lecture combinée des dispositions<br />

précitées démontre que les mesures et les<br />

procédures qui doivent être prévues par les<br />

États membres afin de protéger les droits<br />

de propriété intellectuelle ne peuvent en<br />

aucun cas être générales. D’ailleurs, la loi<br />

pour la confiance en l’économie numérique<br />

n° 2004-575 du 21 juin 2004 dite LCEN<br />

transposant en droit français la directive «<br />

Commerce électronique » prévoit en son<br />

article 6-I-7, alinéas 1 et 2, que seules les<br />

mesures de surveillance ciblées et<br />

temporaires peuvent être ordonnées par<br />

l’autorité judiciaire.<br />

Il ne peut donc s’agir que d’une mesure<br />

limitée dans le temps, portant sur un<br />

contenu précisément identifié et mis en<br />

ligne à l’initiative d’une même personne.<br />

5 Rapport du 21 novembre 2003 au Parlement européen,<br />

au Conseil et au Comité économique et social<br />

européen sur l’application de la directive du 8 juin<br />

2000.<br />

Ainsi, dans les affaires Scarlet et Netlog 6 ,<br />

la Société belge des auteurs, compositeurs<br />

et éditeurs SCRL (SABAM) demandait au<br />

juge national belge que les mesures de<br />

filtrage et de blocage soient mises en place<br />

par les intermédiaires techniques à l’égard<br />

des fichiers contenant toute œuvre de son<br />

répertoire, même si l’œuvre en question<br />

n’avait jamais encore fait l’objet d’une<br />

plainte. Le juge européen s’est opposé à<br />

cette demande.<br />

2. La clarification progressive<br />

des dispositions européennes<br />

par la Cour de justice de<br />

l’Union européenne<br />

Face aux difficultés à déterminer l’étendue<br />

des mesures qu’il leur est permis de prendre<br />

à l’égard des intermédiaires techniques, les<br />

juridictions nationales ont fait appel à la Cour<br />

de justice de l’Union européenne pour<br />

obtenir des éclaircissements sur les<br />

conditions de validité de telles mesures.<br />

2.1. Une tentative de précision dans<br />

l’affaire L’Oréal c/ eBay<br />

Dans l’affaire l’Oréal c/ eBay 7 , la Cour de<br />

justice a eu notamment à se prononcer,<br />

pour la première fois, sur la question de<br />

savoir si les juridictions nationales pouvaient<br />

rendre à l’égard des intermédiaires<br />

techniques des injonctions leur ordonnant<br />

de prendre des mesures pour prévenir de<br />

futures atteintes aux droits de propriété<br />

intellectuelle, en l’espèce, aux droits des<br />

marques.<br />

Dans son arrêt du 12 juillet 2011, la Cour a<br />

indiqué que les juridictions nationales<br />

peuvent enjoindre à l’intermédiaire « de<br />

prendre des mesures qui contribuent non<br />

seulement à mettre fin aux atteintes portées<br />

à ces droits par des utilisateurs de cette<br />

place de marché, mais aussi à prévenir de<br />

nouvelles atteintes de cette nature », en<br />

fixant pour seules limites que ces injonctions<br />

soient « effectives, proportionnées,<br />

6 CJUE, 24 novembre 2011, aff. C-70/10, Scarlet<br />

Extended SA c/ Société belge des auteurs,<br />

compositeurs et éditeurs (SABAM) ; CJUE, 16 février<br />

2012, aff. C-360/10, SABAM c/ Netlog NV.<br />

7 CJUE, L’Oréal c/ eBay, 12 juillet 2011, aff. C-324/09.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 69


Une injonction de<br />

filtrage et de<br />

blocage ne peut<br />

concerner que<br />

des contenus<br />

précisément<br />

identifiables<br />

70<br />

dissuasives » et ne créent pas « d’obstacles<br />

au commerce légitime ». La Cour a également<br />

estimé que ces mesures, « ne peuvent<br />

consister en une surveillance active de<br />

l’ensemble des données de chacun de ses<br />

clients afin de prévenir toute atteinte future<br />

à des droits de propriété intellectuelle via<br />

[son] site ».<br />

Si l’énoncé de ces principes constitue une<br />

avancée incontestable du droit en la<br />

matière, il apparaît dommage que la Cour<br />

n’ait pas rappelé l’évidence, à savoir qu’une<br />

injonction ne peut concerner que des<br />

contenus dont le caractère contrefaisant a<br />

déjà été jugé ou, à tout le moins, qui peuvent<br />

se rattacher sans discussion possible, du<br />

fait de leur identité ou quasi-identité, à une<br />

activité illicite déjà constatée.<br />

Le contraire reviendrait à conférer aux juges<br />

nationaux des pouvoirs allant bien au-delà<br />

de ce qui leur est reconnu dans la plupart<br />

des États membres, et notamment en<br />

France, où l’article 5 du code civil interdit au<br />

juge de se prononcer par voie de disposition<br />

générale, c’est-à-dire précisément, de<br />

conférer à sa décision une portée dépassant<br />

le simple cadre du litige qui lui est soumis<br />

et pouvant éventuellement affecter des faits<br />

ou des comportements futurs qui devraient<br />

normalement donner lieu à un nouveau débat.<br />

2.2. Une réelle avancée avec les affaires<br />

SABAM<br />

Les arrêts de la Cour de justice de l’Union<br />

européenne rendus le 24 novembre 2011 et<br />

le 16 février 2012 dans les affaires SABAM<br />

sont venus confirmer avec force les<br />

principes posés dans l’affaire eBay.<br />

En l’espèce, dans l’arrêt du 24 novembre<br />

2011, la Société belge des auteurs, compositeurs<br />

et interprètes (SABAM) avait<br />

constaté que des internautes, ayant accès<br />

au réseau Internet du fait de leur abonnement<br />

au fournisseur d’accès à Internet<br />

Scarlet, téléchargeaient « sans autorisation<br />

et sans acquitter de droits » des œuvres<br />

de son catalogue.<br />

En application de la loi belge du 30 juin 1994<br />

« relative au droit d’auteur et aux droits<br />

voisins 8 », la SABAM a fait citer le fournis-<br />

8 L’article 87 de la loi belge du 30 juin 1994 relative au<br />

droit d’auteur et aux droits voisins énonce « le<br />

président du Tribunal de première instance constate<br />

Droit privé<br />

seur d’accès à internet Scarlet, pour faire<br />

cesser les atteintes portées aux droits dont<br />

elle assure la représentation.<br />

Condamnée à faire cesser ces atteintes en<br />

rendant impossibles toute forme d’envoi ou<br />

de réception de fichiers reprenant une œuvre<br />

du répertoire de la SABAM, Scarlet a<br />

interjeté appel. La Cour d’appel de Bruxelles<br />

a interrogé la Cour de justice de l’Union<br />

européenne, afin de savoir si les juges<br />

nationaux peuvent « ordonner à un<br />

fournisseur d’accès à internet de mettre en<br />

place, à l’égard de toute sa clientèle, in<br />

abstracto et à titre préventif, aux frais<br />

exclusifs de ce fournisseur d’accès à<br />

internet et sans limitation dans le temps, un<br />

système de filtrage de toutes les<br />

communications électroniques, tant<br />

entrantes que sortantes, transitant par ces<br />

services [...] en vue d’identifier sur son réseau<br />

la circulation de fichiers électroniques<br />

contenant » des œuvres protégées et ensuite<br />

« de bloquer » leur transfert.<br />

La Cour de justice constate que « l’injonction<br />

faite au fournisseur d’accès à internet<br />

concerné de mettre en place un système de<br />

filtrage litigieux l’obligerait à procéder à une<br />

surveillance active de l’ensemble des<br />

données concernant tous ses clients », lui<br />

imposant ainsi « une surveillance générale<br />

qui est interdite par l’article 15, paragraphe<br />

1, de la directive n° 2000/31/CE ». Elle<br />

considère, comme elle l’a précédemment<br />

fait 9 , que « la protection du droit fondamental<br />

de propriété, dont font partie les droits de<br />

propriété intellectuelle, doit être mis en<br />

balance avec celles d’autres droits<br />

fondamentaux ». De plus, elle constate qu’une<br />

telle injonction « entraînerait une atteinte<br />

caractérisée à la liberté d’entreprise du<br />

fournisseur d’accès à internet concerné<br />

puisqu’elle l’obligerait à mettre en place un<br />

système informatique complexe, coûteux,<br />

permanent et à ses seuls frais ». Elle ajoute,<br />

pour conclure, qu’il serait également porté<br />

« atteinte aux droits fondamentaux des clients<br />

de ce fournisseur d’accès à internet, à savoir<br />

l’existence et ordonne la cessation de toute atteinte<br />

au droit d’auteur ou à un droit voisin. Il peut<br />

également rendre une injonction de cessation à<br />

l’encontre des intermédiaires dont les services sont<br />

utilisés par un tiers pour porter atteinte » à l’un de<br />

ces droits.<br />

9 CJUE, 29 janvier 2008, Promusicae, affaire<br />

C-275/06.<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


L’impact des<br />

mesures de<br />

filtrage général<br />

sur les droits<br />

fondamentaux ne<br />

doit pas être<br />

sous-estimé<br />

Droit privé<br />

leur doit à la protection des données à<br />

caractère personnel ainsi qu’à leur liberté de<br />

recevoir et de communiquer des informations,<br />

ces droits étant protégés par les articles 8 et<br />

10 de la Charte » des droits fondamentaux<br />

de l’Union européenne.<br />

Dans sa décision du 16 février 2012 10 , la Cour<br />

de justice suit un raisonnement similaire à<br />

celui tenu dans l’affaire Scarlet précité, en<br />

concluant que le fait de contraindre un<br />

hébergeur à surveiller toutes les communications<br />

électroniques de ses utilisateurs,<br />

dans le but de bloquer les échanges nonautorisés<br />

d’œuvres soumises au droit<br />

d’auteur, était contraire au droit de l’Union<br />

européenne.<br />

Par conséquent, il apparaît que la légitimité<br />

de telles mesures d’injonction doit être<br />

appréciée par rapport à l’impératif de<br />

protection des droits fondamentaux.<br />

3. Les conséquences du filtrage<br />

général : une atteinte aux<br />

droits fondamentaux<br />

Les injonctions faites aux intermédiaires<br />

techniques de prendre des mesures de<br />

filtrage et de blocage des contenus transmis<br />

ou stockés sont susceptibles d’affecter<br />

gravement l’équilibre entre les intérêts en<br />

présence, en provoquant des conséquences<br />

dommageables.<br />

3.1. Un impact négatif sur les droits et<br />

libertés des utilisateurs d’internet<br />

Pour les internautes, de telles mesures<br />

portent atteinte à la liberté de communiquer<br />

et de s’échanger des informations, de sorte<br />

que les utilisateurs d’internet risquent de<br />

voir leurs libertés fondamentales affectées<br />

par ce type de mesure.<br />

La liberté d’expression et le droit à<br />

l’information garantis par l’article 11 11 de la<br />

10 CJUE, 16 février 2012, SABAM c/ Netlog NV,<br />

affaire C-360/10.<br />

11 Article 11 de la Charte des droits fondamentaux de<br />

l’UE, 2000/C/364/01 : « Toute personne a droit à la<br />

liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté<br />

d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer<br />

des informations ou des idées sans qu’il<br />

puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et<br />

sans considération de frontières ».<br />

Charte sont concernés au premier chef par<br />

les mesures de filtrage ordonnées aux<br />

intermédiaires techniques. Tel était le cas<br />

dans les affaires SABAM où l’injonction en<br />

cause risquait « de ne pas suffisamment<br />

distinguer entre un contenu illicite et un<br />

contenu licite, de sorte que son déploiement<br />

pourrait avoir pour effet d’entraîner le<br />

blocage de communications à contenu<br />

licite ». Un tel filtrage « aura donc des<br />

répercussions sur le contenu des droits<br />

garantis par l’article 11 de la Charte, ne<br />

serait-ce que parce que le caractère illicite<br />

ou pas d’une communication déterminée,<br />

qui dépend de l’étendue du droit d’auteur<br />

en cause, varie d’un pays à l’autre et<br />

échappe donc à la technique 12 ». Ainsi, il<br />

existe un risque de voir censurer les mises<br />

en ligne tout à fait licites, celles-ci pouvant<br />

très bien avoir été effectuées par l’ayant droit<br />

lui-même ou par un tiers autorisé.<br />

Les mesures de filtrage sont également<br />

susceptibles d’affecter le secret des<br />

communications électroniques, principe<br />

découlant de l’article 7 13 de la Charte des<br />

droits fondamentaux et repris à l’article 5<br />

de la directive 2002/58/CE 14 relative à la vie<br />

privée et aux communications électroniques.<br />

Ainsi, en vertu de cette disposition, le secret<br />

des communications effectuées au moyen<br />

d’un réseau public de communication ou de<br />

services de communication électronique<br />

accessible au public ainsi que la confidentialité<br />

des données relative au trafic y sont<br />

garantis. Et si la directive, dans son article<br />

15, admet des exceptions, celles-ci doivent<br />

être justifiées et revêtir la forme de mesures<br />

législatives « nécessaires, appropriées et<br />

proportionnées » prises « dans le respect<br />

des principes généraux du droit<br />

communautaire », y compris les principes<br />

énoncés dans la Charte et dans la Convention<br />

européenne des droits de l’Homme.<br />

12 Point 86 des conclusions de l’avocat général M.<br />

Pedro Cruz Villalon dans l’affaire SABAM c/ Scarlet,<br />

présentées le 14 avril 2011.<br />

13 Article 7 de la Charte des droits fondamentaux de<br />

l’UE : « Toute personne a droit au respect de sa vie<br />

privée et familiale, de son domicile et de ses<br />

communications ».<br />

14 Directive 2002/58/CE, 12 juillet 2002 relative au<br />

traitement des données à caractère personnel et la<br />

protection de la vie privée dans le secteur des<br />

communications électroniques (directive « Vie<br />

privée et communications électroniques »).<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012 71


72<br />

3.2. Des conséquences importantes<br />

pour les intermédiaires techniques<br />

Non seulement l’injonction de prendre des<br />

mesures de filtrage met à la charge de<br />

l’intermédiaire technique d’importantes<br />

obligations, mais les mesures concrètes<br />

permettant d’assurer le filtrage et le blocage<br />

de fichiers ne sont pas clairement définies<br />

et peuvent s’avérer onéreuses. À cet égard,<br />

la Cour de justice condamne toute mesure<br />

de filtrage susceptible d’obliger l’intermédiaire<br />

« à mettre en place un système informatique<br />

complexe, coûteux, permanent et à ses seuls<br />

frais » qui constituerait « une atteinte<br />

caractérisé à la liberté d’entreprise du<br />

fournisseur d’accès à internet [...] dont<br />

bénéficie les opérateurs tels que les<br />

fournisseur d’accès à internet en vertu de<br />

l’article 16 de la Charte ».<br />

À cela s’ajoute qu’en pratique, les mesures<br />

de filtrage et de blocage de fichiers qu’un<br />

intermédiaire technique pourrait prendre<br />

pour continuer à prévenir de nouvelles<br />

atteintes, reviendraient inévitablement à<br />

l’instauration d’une surveillance générale de<br />

toutes les informations transmises ou<br />

stockées. Afin de savoir si le fichier est «<br />

illicite », il faut, en effet, avoir vérifié au<br />

préalable tous les fichiers hébergés sur le<br />

site en cause.<br />

4. Le silence de la Cour de justice<br />

: la possibilité d’un filtrage<br />

ciblé ?<br />

Dans l’arrêt SABAM du 24 novembre 2011,<br />

la Cour de justice déduit du 45 e considérant<br />

de la directive « Commerce électronique »<br />

que les limitations de responsabilité des<br />

prestataires de services intermédiaires<br />

« sont sans préjudice de la possibilité d’actions<br />

en cessation de différents types ».<br />

Celles-ci « peuvent notamment revêtir la<br />

forme de décisions de tribunaux [...]<br />

exigeant qu’il soit mis un terme à toute<br />

violation ou que l’on prévienne toute<br />

violation, y compris en retirant les<br />

informations illicites ou en rendant l’accès<br />

à ces dernières impossible ». On peut en<br />

déduire que lorsqu’elle émane d’une autorité<br />

judiciaire, et même lorsqu’elle a un<br />

caractère préventif, une telle mesure<br />

davantage ciblée, peut donc être regardée<br />

comme légitime et justifiée.<br />

Droit privé<br />

Citant le 47 e considérant de la même<br />

directive, l’arrêt ajoute que « l’interdiction,<br />

pour les États membres, d’imposer aux<br />

prestataires de service une obligation de<br />

surveillance ne vaut que pour les obligations<br />

à caractère général. Elle ne concerne pas<br />

les obligations applicables à un cas spécifique<br />

». Une mesure de surveillance limitée<br />

dans son objet, son étendue et sa portée<br />

paraîtrait donc envisageable.<br />

Marie Latournerie (Direction des<br />

affaires juridiques)<br />

Le Courrier Juridique des Finances et de l'Industrie n° 68 - deuxième trimestre 2012


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juridique de l’Autorité des marchés financiers, Françoise Dufresnoy, sous-directrice des affaires juridiques<br />

de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, Hubert Gasztowtt, conseiller<br />

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