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Phèdre de Jean Racine mise en scène Patrice Chéreau

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LE PÈRE/ LE MONSTRE<br />

Le Père<br />

Il n'y a pas <strong>de</strong> tragédie où il ne soit réellem<strong>en</strong>t ou virtuellem<strong>en</strong>t prés<strong>en</strong>t. Ce n'est pas forcém<strong>en</strong>t le<br />

sang ni Le sexe qui le constitue, ni même le pouvoir ; son être, c'est son antériorité : ce qui vi<strong>en</strong>t<br />

après lui est <strong>de</strong> lui, <strong>en</strong>gagé inéluctablem<strong>en</strong>t dans une problématique <strong>de</strong> ta fidélité. Le Père, c'est le<br />

passé. Et c'est parce que sa définition est très loin <strong>de</strong>rrière ses attributs (sang, autorité, âge, sexe)<br />

qu'il est vraim<strong>en</strong>t et toujours un Père total ; au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la nature, il est un fait primordial, irréversible<br />

: ce qui a été est, voilà le statut du temps racini<strong>en</strong> ; cette i<strong>de</strong>ntité est naturellem<strong>en</strong>t pour <strong>Racine</strong> le<br />

malheur même du mon<strong>de</strong>, voué à l'ineffaçable, à l'inexpiable. C'est <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s que le Père est<br />

immortel : son immortalité est marquée bi<strong>en</strong> plus par le retour que par la survie : Mithridate,<br />

Thésée, Amurat [...] revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>de</strong> ta mort, rappell<strong>en</strong>t au fils [...] qu'on ne peut jamais tuer le Père.<br />

Dire que le Père est immortel veut dire que l'Antérieur est immobile : lorsque le Père manque<br />

(provisoirem<strong>en</strong>t), tout se défait ; lorsqu'il revi<strong>en</strong>t, tout s'aliène : l'abs<strong>en</strong>ce du Père constitue le<br />

désordre ; te retour du Père institue la faute.<br />

Le Monstre<br />

D'abord, le monstrueux m<strong>en</strong>ace tous les personnages ; ils sont tous monstres les uns pour les autres,<br />

et tous aussi chasseurs <strong>de</strong> monstres. Mais surtout, c'est un monstre, et cette fois-ci véritable, qui<br />

intervi<strong>en</strong>t pour dénouer la tragédie. Et ce monstre-là est l'ess<strong>en</strong>ce même du monstrueux, c'est-à-dire<br />

qu'il résume dans sa structure biologique le paradoxe fondam<strong>en</strong>tal <strong>de</strong> <strong>Phèdre</strong> : il est la force qui fait<br />

irruption hors <strong>de</strong> la profon<strong>de</strong>ur marine, il est celui qui fond sur le secret, l'ouvre, le ravit, le déchire,<br />

l'éparpille et le disperse ; à la fermeture principielle d'Hippolyte correspond tragiquem<strong>en</strong>t (c'est-àdire<br />

ironiquem<strong>en</strong>t) une mort par éclatem<strong>en</strong>t, ta pulvérisation, largem<strong>en</strong>t ét<strong>en</strong>due par le récit, d'un<br />

corps jusque-là ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t compact. Le récit <strong>de</strong> Théramène constitue donc le point critique où<br />

la tragédie se résout, c'est-à-dire où la rét<strong>en</strong>tion antérieure <strong>de</strong> tous les personnages se défait à travers<br />

un cataclysme total. C'est donc bi<strong>en</strong> Hippolyte Le personnage exemplaire <strong>de</strong> <strong>Phèdre</strong> (je ne dis pas le<br />

personnage principal), il est vraim<strong>en</strong>t la victime propitiatoire, <strong>en</strong> qui le secret et sa rupture<br />

atteign<strong>en</strong>t <strong>en</strong> quelque sorte leur forme ta plus gratuite ; et par rapport à cette gran<strong>de</strong> fonction<br />

mythique du secret brisé, <strong>Phèdre</strong> elle-même est un personnage impur : son secret, dont l'issue est <strong>en</strong><br />

quelque sorte essayée à <strong>de</strong>ux reprises, est finalem<strong>en</strong>t dénoué à travers une fonction positive : elle a<br />

te temps <strong>de</strong> mourir, il y finalem<strong>en</strong>t un accord <strong>en</strong>tre son langage et la mort, l'un et l'autre ont la même<br />

mesure (alors que le <strong>de</strong>rnier mot même est volé à Hippolyte) ; comme une nappe, une mort l<strong>en</strong>te se<br />

glisse <strong>en</strong> elle, et comme une nappe aussi, une parole pure, égale, sort d'elle ; te temps tragique, ce<br />

temps affreux qui sépare l'ordre parlé <strong>de</strong> l'ordre réel, le temps tragique est sublimé, l'unité <strong>de</strong> la<br />

nature est restaurée.<br />

Roland Barthes<br />

Sur <strong>Racine</strong>

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