15.07.2013 Views

L'exigence constitutionnelle de clarté et de loyauté des ... - CRDP

L'exigence constitutionnelle de clarté et de loyauté des ... - CRDP

L'exigence constitutionnelle de clarté et de loyauté des ... - CRDP

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

L’exigence <strong>constitutionnelle</strong> <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s consultations<br />

(Extraits d’un article publié in Renouveau du droit constitutionnel, Mélanges en<br />

l’honneur <strong>de</strong> Louis Favoreu, Dalloz, 2007, pp. 1525-1552).<br />

par Marthe Fatin-Rouge Stéfanini, Chargée <strong>de</strong> recherches au CNRS, UMR 6201, GERJC, Institut Louis Favoreu.<br />

Depuis quelques années, la question <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong> la loi en général, <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa <strong>clarté</strong> en<br />

particulier, est beaucoup évoquée en France. Il s’agit d’un principe constitutionnel appliqué<br />

par le Conseil constitutionnel lorsqu’il exerce le contrôle <strong>de</strong> la constitutionnalité <strong>de</strong>s lois. Si ce<br />

principe a donné lieu à <strong>de</strong> nombreux commentaires au sein <strong>de</strong> la doctrine, celui <strong>de</strong> la <strong>clarté</strong> <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> la <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s consultations a été bien moins discuté alors qu’il est antérieur au principe <strong>de</strong><br />

<strong>clarté</strong> <strong>de</strong> la loi. L’un <strong>de</strong>s reproches fait au référendum <strong>de</strong> 2005 portant sur la ratification du<br />

Traité instituant une Constitution pour l’Europe était justement le manque <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>de</strong> ce<br />

Traité, à la fois dans son texte, trop long, mais également quant à sa portée pour le citoyen<br />

ordinaire. Cependant, l’exigence <strong>constitutionnelle</strong> <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong>, si elle a été évoquée<br />

durant le contentieux <strong>de</strong>s actes préparatoires au référendum, n’a pas été utilisée pour rem<strong>et</strong>tre<br />

en cause l’idée même <strong>de</strong> l’organisation d’un référendum sur un tel texte.<br />

Il apparaît que la portée d’une telle exigence <strong>constitutionnelle</strong> n’a pas été encore bien mesurée<br />

voire clairement définie.<br />

La pratique étrangère fait apparaître que le contrôle <strong>de</strong> la <strong>clarté</strong> <strong>de</strong>s référendums contrôle est<br />

<strong>de</strong> plus en plus souvent prévu ou pratiqué dans les Etats ayant recours à la technique<br />

référendaire. Il est généralement confié à la justice <strong>constitutionnelle</strong> (la question <strong>de</strong> la <strong>clarté</strong><br />

du référendum Québecois doit être mis à part puisqu’il est intervenu dans le contexte<br />

particulier <strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> sécession du Québec, le débat sur la <strong>clarté</strong> a porté surtout sur la<br />

<strong>clarté</strong> <strong>de</strong> la majorité qui s’exprimerait en faveur du référendum <strong>et</strong> <strong>de</strong> manière très critiquable<br />

ce contrôle a été confié à la Chambre <strong>de</strong>s communes (voir conférence ci-jointe).<br />

La nécessité <strong>de</strong> ce contrôle semble <strong>de</strong> plus en plus évi<strong>de</strong>nte dans une démocratie, <strong>et</strong><br />

même indispensable pour garantir la libre manifestation <strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong>s personnes<br />

interrogées, la liberté <strong>de</strong> vote, <strong>et</strong> par voie <strong>de</strong> conséquence, la sincérité du scrutin. Or,<br />

jusqu’en 2005, il ne paraissait pas logique qu’en France, l’exigence <strong>constitutionnelle</strong>


<strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> du scrutin, soit uniquement cantonnée aux référendums<br />

d’autodétermination, comme avait pu le laisser penser, un temps, la jurispru<strong>de</strong>nce<br />

du Conseil constitutionnel. En eff<strong>et</strong>, c<strong>et</strong>te double exigence était apparue en 1987, à<br />

l’occasion du contrôle d’une loi organisant une consultation en Nouvelle-Calédonie 1.<br />

A l’époque, le Conseil constitutionnel s’était fondé à la fois sur l’article 53 al. 3 <strong>de</strong> la<br />

Constitution 2 <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’alinéa 2 (<strong>de</strong> l’époque) du préambule <strong>de</strong> la Constitution <strong>de</strong> 1958 3<br />

pour rappeler que les populations consultées <strong>de</strong>vaient être en mesure d’exprimer<br />

librement leur volonté, ce qui impliquait que « la question posée aux populations<br />

intéressées doit satisfaire à la double exigence <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>de</strong> la<br />

consultation ; que s'il est loisible aux pouvoirs publics, dans le cadre <strong>de</strong> leurs<br />

compétences, d'indiquer aux populations intéressées les orientations envisagées, la<br />

question posée aux votants ne doit pas comporter d'équivoque, notamment en ce qui<br />

concerne la portée <strong>de</strong> ces indications » 4. Le considérant n° 5 <strong>de</strong> la décision 5 pouvait<br />

laisser penser que c<strong>et</strong>te exigence découlait en gran<strong>de</strong> partie du principe <strong>de</strong> libre<br />

détermination reconnu aux peuples d’Outre-mer, d’où le confinement <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

exigence aux consultations proposées à ces <strong>de</strong>rniers.<br />

Ces <strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong>s évolutions sensibles sont intervenues grâce à une prise <strong>de</strong><br />

conscience <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> garantir un cadre minimal inhérent à l’organisation <strong>de</strong><br />

tout référendum. En France, le Conseil constitutionnel <strong>et</strong> la doctrine ont récemment<br />

évolué. Après avoir rappelé la double exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> dans une<br />

décision 428 DC du 4 mai 2000 à propos d’une consultation <strong>de</strong> la population <strong>de</strong><br />

Mayotte 6 sans, c<strong>et</strong>te fois-ci, en rappeler les fon<strong>de</strong>ments constitutionnels, celle-ci a été<br />

précisée <strong>et</strong> appliquée pour la première fois à un référendum national dans la décision<br />

1<br />

Décision n° 87-226 DC du 2 juin 1987, Consultation <strong>de</strong>s populations calédonniennes, RJC I-309 notes L.<br />

Favoreu, RDP 1989, n° 2, p. 481, B. Genevois, Pouvoirs n° 43, chr. p. 213 <strong>et</strong> Chron. AIJC III-1987, p. 603, F.<br />

Luchaire, D. 1988, J. p. 289 ; M.-L. Pavia, RA 1988, p. 439.<br />

2<br />

L’article 53 al. 3 dispose « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction <strong>de</strong> territoire n'est valable sans le<br />

consentement <strong>de</strong>s populations intéressées ».<br />

3<br />

D’après l’alinéa 2 du préambule <strong>de</strong> la Constitution (non modifié <strong>de</strong>puis 1958) : « En vertu <strong>de</strong> ces principes <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> celui <strong>de</strong> la libre détermination <strong>de</strong>s peuples, la République offre aux territoires d'Outre-Mer qui manifestent la<br />

volonté d'y adhérer <strong>de</strong>s institutions nouvelles fondées sur l'idéal commun <strong>de</strong> liberté, d'égalité <strong>et</strong> <strong>de</strong> fraternité <strong>et</strong><br />

conçues en vue <strong>de</strong> leur évolution démocratique ».<br />

4<br />

cons. n° 7.<br />

5<br />

« Considérant que ces dispositions (celles <strong>de</strong> l’art. 53 al. 3) font application aux traités <strong>et</strong> accords<br />

internationaux relevant du titre VI <strong>de</strong> la Constitution <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> libre détermination <strong>de</strong>s peuples <strong>et</strong> <strong>de</strong> libre<br />

manifestation <strong>de</strong> leur volonté, spécifiquement prévus pour les territoires d'outre-mer par l'alinéa 2 du<br />

préambule ».<br />

6<br />

Décision n° 2000-428 DC du 4 mai 2000, rec. p. 70.


Hauchemaille <strong>et</strong> Mey<strong>et</strong> du 24 mars 2005 7, rendue dans le cadre du contentieux <strong>de</strong>s<br />

actes préparatoires au référendum. Le Conseil constitutionnel fait désormais<br />

référence à la double exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s consultations <strong>et</strong> non plus<br />

<strong>de</strong>s scrutins.<br />

En Europe, plusieurs Etats ont imposé le respect d’un certain nombre <strong>de</strong> règles quant<br />

à la formulation ou quant au contenu <strong>de</strong> la question en cas <strong>de</strong> recours au<br />

référendum, qui se rapprochent <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> <strong>clarté</strong>, d’homogénéité <strong>et</strong>, plus<br />

largement, <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> sincérité du scrutin. Ces règles sont soit<br />

<strong>constitutionnelle</strong>s (Portugal, Russie, Suisse), soit législatives (Albanie), soit<br />

jurispru<strong>de</strong>ntielles (Italie, France). Au sein du Conseil <strong>de</strong> l’Europe, la Commission<br />

européenne pour la démocratie par le droit dite « Commission <strong>de</strong> Venise » a rendu<br />

un rapport en novembre 2005 8, dans lequel il apparaît que dans les Etats où elle n’est<br />

pas spécifiée par les textes, la règle <strong>de</strong> la <strong>clarté</strong> « <strong>de</strong>vrait s’imposer en application du<br />

principe <strong>de</strong> la liberté <strong>de</strong> vote » 9.<br />

De fait, la reconnaissance <strong>de</strong> la double exigence <strong>constitutionnelle</strong> <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s consultations semble aller <strong>de</strong> soit aujourd’hui dans un contexte national<br />

<strong>et</strong> même international où la <strong>clarté</strong> est à l’honneur <strong>et</strong> la sincérité apparaît comme un<br />

présupposé évi<strong>de</strong>nt. Clarté <strong>de</strong> la loi, <strong>clarté</strong> <strong>de</strong>s débats parlementaires, sincérité <strong>de</strong>s<br />

élections, tous ces principes concourent à instaurer <strong>et</strong> parfois restaurer la confiance<br />

<strong>de</strong>s citoyens dans le droit <strong>et</strong> fon<strong>de</strong>nt les bases <strong>de</strong> la démocratie. Démocratie qui<br />

repose sur <strong>de</strong>s élections libres <strong>et</strong> sincères <strong>et</strong> sur la reconnaissance <strong>de</strong> droits <strong>et</strong> libertés<br />

<strong>et</strong> qui suppose l’accessibilité ainsi qu’une certaine transparence concernant les<br />

décisions prises par les pouvoirs publics afin d’éviter les équivoques. Ces principes<br />

contribuent également à garantir une plus gran<strong>de</strong> sécurité juridique.<br />

7 JORF, 31 mars 2005, p. 5834, commentaires : J.-P. Camby, « Le contentieux <strong>de</strong> l’organisation du 29 mai<br />

2005 », RDP 2005, n° 3, pp. 587-596 ; J.-E. Scho<strong>et</strong>tl, LPA, 25 avril 2005, n° 81, pp. 3-13 ; M. Fatin-Rouge<br />

Stéfanini, « La décision du Conseil constitutionnel du 24 mars 2005, Hauchemaille <strong>et</strong> Mey<strong>et</strong> : un nouveau pas en<br />

matière <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong>s référendums », RFDA, 2005 (5), pp. 1040-1048 ; M. Fatin-Rouge Stéfanini, « Le<br />

contentieux <strong>de</strong>s actes préparatoires au référendum », RFDC, 2005, n° 63, pp. 606-629.<br />

8 « Le référendum en Europe - analyse <strong>de</strong>s règles juridiques <strong>de</strong>s Etats européens », Rapport adopté par le Conseil<br />

<strong>de</strong>s élections démocratiques <strong>de</strong> sa 14e réunion (Venise, 20 octobre 2005) <strong>et</strong> la Commission <strong>de</strong> Venise lors <strong>de</strong> sa<br />

64e session plénière (Venise, 21-22 octobre 2005), Etu<strong>de</strong> n° 287/2004, CDL-AD(2005)034, disponible en ligne<br />

sur le site <strong>de</strong> la Commission <strong>de</strong> Venise.<br />

9 § 77.


Les potentialités du contrôle auxquels c<strong>et</strong>te double exigence peut donner lieu sont<br />

importantes (I) mais, la pratique étrangère <strong>de</strong> ce type d’exigence démontre que son<br />

exercice est parfois délicat, ce qui peut justifier dans le cas français qu’il soit exercé<br />

avec précaution (II).<br />

I – Une portée étendue<br />

Après les hésitations consécutives à la jurispru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> 1987, la double<br />

exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s consultations trouve désormais, bien<br />

qu’implicitement, ses fon<strong>de</strong>ments dans <strong>de</strong> grands principes sur lesquels repose la<br />

Constitution <strong>et</strong> l’ordonnancement juridique. Elle est applicable à tout type <strong>de</strong><br />

consultation directe du peuple. Les termes « <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>loyauté</strong> » employés par le<br />

Conseil constitutionnel confèrent, en outre, une large portée à c<strong>et</strong>te double exigence,<br />

comme le confirment d’ailleurs, les applications jurispru<strong>de</strong>ntielles auxquelles elle a<br />

donné lieu.<br />

A – Les fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> la double exigence<br />

Bien que l’exigence <strong>constitutionnelle</strong> <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s consultations ait été<br />

utilisée au-<strong>de</strong>là du cas spécifique <strong>de</strong>s consultations organisées dans le cadre <strong>de</strong><br />

l’article 53 <strong>de</strong> la Constitution, le Conseil constitutionnel n’a pas pour autant précisé,<br />

<strong>de</strong>puis 2000, quels étaient les fon<strong>de</strong>ments constitutionnels exacts <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te double<br />

exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s référendums. Les principes les plus logiques sont<br />

ceux <strong>de</strong> liberté <strong>de</strong> vote <strong>et</strong> <strong>de</strong> sécurité juridique. Cependant, ni l’un ni l’autre<br />

n’existent dans la Constitution. Le principe <strong>de</strong> sécurité juridique n’est pas reconnu<br />

comme un principe à valeur <strong>constitutionnelle</strong> en tant que tel, même si l’idée <strong>de</strong> la<br />

préservation d’une certaine sécurité juridique émane <strong>de</strong> plusieurs dispositions,<br />

principes ou objectifs à valeur <strong>constitutionnelle</strong> 10. La reconnaissance <strong>de</strong> l’exigence<br />

10 Cf. A.-L. Valembois, La constitutionnalisation <strong>de</strong> l’exigence <strong>de</strong> sécurité juridique en droit français, LGDJ,<br />

2005, 534 p. ; F. Mo<strong>de</strong>rne, « Une communicabilité contrastée, le principe <strong>de</strong> sécurité juridique en droit


<strong>constitutionnelle</strong> <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s consultations concourt toutefois à<br />

renforcer la sécurité juridique, notamment en préservant les citoyens <strong>de</strong> questions<br />

ambiguës susceptibles d’interprétations différentes <strong>de</strong> la volonté réellement<br />

exprimée.<br />

Quant à la liberté <strong>de</strong> vote, elle n’apparaît pas non plus dans la Constitution. C<strong>et</strong>te<br />

liberté semble pourtant aller <strong>de</strong> soit dans un Etat démocratique comme conséquence<br />

du principe <strong>de</strong> souverain<strong>et</strong>é du peuple (art. 3 <strong>de</strong> la Constitution <strong>de</strong> 1958 <strong>et</strong> art. 3 <strong>de</strong> la<br />

Déclaration <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> du citoyen <strong>de</strong> 1789) mais aussi <strong>de</strong> liberté <strong>de</strong>s<br />

citoyens en général (art. 2 <strong>et</strong> 4 <strong>de</strong> la Déclaration <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’homme <strong>et</strong> du citoyen<br />

<strong>de</strong> 1789) <strong>et</strong> <strong>de</strong> participation <strong>de</strong>s citoyens à l’élaboration <strong>de</strong> la loi, expression n<strong>de</strong> la<br />

volonté générale (art. 6 DDHC 1789), qui supposent que le choix qui leur est proposé<br />

ne trahisse pas leur volonté, ne soit pas trompeur ou, plus généralement, que la<br />

campagne ne soit pas malhonnête, obscure, fallacieuse. L’article 3 <strong>de</strong> la Constitution<br />

<strong>de</strong> 1958 ne parle que d’un suffrage universel, égal <strong>et</strong> secr<strong>et</strong>, mais le terme « libre »<br />

n’est pas employé. Il est d’ailleurs surprenant <strong>de</strong> constater que le principe <strong>de</strong> liberté,<br />

existant pour les élections sur le plan européen 11 <strong>et</strong> international 12, est également<br />

présent dans <strong>de</strong> nombreuses Constitutions mais n’a pas été clairement indiqué dans<br />

la Constitution française.<br />

La liberté <strong>de</strong> vote, principe démocratique essentiel, comporte plusieurs aspects : il<br />

suppose que l’électeur ne puisse être contraint dans ses choix par <strong>de</strong>s pressions, par<br />

l’absence <strong>de</strong> secr<strong>et</strong>, par l’absence <strong>de</strong> possibilité <strong>de</strong> choisir. Cela suppose également<br />

qu’il puisse exprimer sa volonté en ayant pleinement conscience <strong>de</strong>s conséquences <strong>de</strong><br />

son vote, c’est ce à quoi contribue l’exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s consultations.<br />

constitutionnel français <strong>et</strong> espagnol », in Liber amoricum Jean-Clau<strong>de</strong> ESCARRAS, La communicabilité entre les<br />

systèmes juridiques, dir. M. Baudrez <strong>et</strong> Th. Di Manno, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 835-860.<br />

11 L’Article 3 du Protocole n° 1 additionnel à la la Convention européenne <strong>de</strong> sauvegar<strong>de</strong> <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’homme<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong>s libertés fondamentales, consacré au droit à <strong>de</strong>s élections libres, dispose « Les hautes parties contractantes<br />

s’engagent à organiser, à <strong>de</strong>s intervalles réguliers, <strong>de</strong>s élections libres au scrutin secr<strong>et</strong>, dans les conditions qui<br />

assurent la libre expression <strong>de</strong> l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif ».<br />

12 L’article 25 du Pacte international sur les droits civils <strong>et</strong> politiques ne parle que <strong>de</strong>s élections <strong>et</strong> non <strong>de</strong>s<br />

référendums. Il dispose notamment que « Tout citoyen a le droit <strong>et</strong> la possibilité, sans aucune <strong>de</strong>s discriminations<br />

visées à l'article 2 <strong>et</strong> sans restrictions déraisonnables :<br />

a) De prendre part à la direction <strong>de</strong>s affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire <strong>de</strong> représentants<br />

librement choisis ;<br />

b) De voter <strong>et</strong> d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel <strong>et</strong> égal <strong>et</strong> au scrutin<br />

secr<strong>et</strong>, assurant l'expression libre <strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong>s électeurs (...) ».


Pour les référendums nationaux, le respect <strong>de</strong> la sincérité du scrutin 13 <strong>et</strong>,<br />

précisément, <strong>de</strong> la consultation référendaire découle directement du principe <strong>de</strong><br />

souverain<strong>et</strong>é du peuple. Dans sa célèbre décision n° 16/1978 14, la Cour<br />

<strong>constitutionnelle</strong> italienne avait d’ailleurs justifié l’exigence d’homogénéité <strong>de</strong>s<br />

propositions <strong>de</strong> référendum abrogatif par la nécessité <strong>de</strong> garantir l’exercice du<br />

pouvoir souverain du peuple.<br />

Dans certaines démocraties européennes, le principe <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> du référendum est<br />

fréquemment imposé soit directement par les textes (Albanie, Portugal, Russie), soit<br />

parfois par la jurispru<strong>de</strong>nce (Italie). Le terme <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> du référendum semble en<br />

revanche spécifique à la jurispru<strong>de</strong>nce française. Il est toutefois inhérent à tous les<br />

types <strong>de</strong> scrutin se déroulant dans un Etat démocratique <strong>et</strong> peut être rapproché du<br />

principe <strong>de</strong> sincérité du scrutin. De nos jours, en eff<strong>et</strong>, la nécessité <strong>de</strong> garantir la<br />

sincérité du scrutin apparaît comme une condition démocratique applicable à tous<br />

les types <strong>de</strong> scrutins politiques, même si l’article 3 du Protocole n° 1 additionnel à la<br />

CEDH <strong>et</strong> l’article 25 du Pacte international sur les droits civils <strong>et</strong> politiques, n’ont,<br />

pour l’instant, exprimé l’exigence d’honnêt<strong>et</strong>é <strong>et</strong> <strong>de</strong> sincérité qu’à propos <strong>de</strong>s<br />

élections 15. Mais les exigences <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> du scrutin peuvent se<br />

manifester par d’autres termes qui ont <strong>de</strong>s objectifs analogues, c’est-à-dire qui visent<br />

à éviter la confusion ou les équivoques. Ainsi en Suisse, les initiatives populaires,<br />

qu’elles soient législatives ou <strong>constitutionnelle</strong>s, sont soumises au principe <strong>de</strong> l’unité<br />

<strong>de</strong> matière 16, afin d’éviter notamment que le citoyen ne soit pas « contraint d’accepter<br />

ou <strong>de</strong> refuser globalement un paqu<strong>et</strong> <strong>de</strong> propositions dont il approuve les unes mais<br />

refuse les autres » 17.<br />

13<br />

Sur c<strong>et</strong>te notion, cf. R. Ghévontian, « La notion <strong>de</strong> sincérité du scrutin », Les Cahiers du Conseil<br />

constitutionnel n° 13, 2002, pp. 63-68.<br />

14<br />

Sentence n° 16/1978, Gazz. Uff. n. 39 du 8 fév. 1978.<br />

15<br />

précités.<br />

16<br />

Article 139 <strong>et</strong> 139 a 2 (non encore entré en vigueur) <strong>de</strong> la Constitution fédérale du 18 avril 1999.<br />

17<br />

Conseil Fédéral, Feuille Fédérale 1994 III 1185, à propos <strong>de</strong> l’examen <strong>de</strong> la validité <strong>de</strong> l’initiative « pour<br />

moins <strong>de</strong> dépenses militaires <strong>et</strong> davantage <strong>de</strong> politique <strong>de</strong> paix ». Voir également Auer (A.), Malinverni (G.),<br />

Hottelier (M.), Droit constitutionnel suisse, vol. I, L’Etat, Stæmpfli éditions SA, Berne, 2001, 799 p.


Les exigences relatives à la <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> la <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong> la proposition semblent plus<br />

souvent imposées lorsque l’initiative populaire est possible, <strong>et</strong> que c<strong>et</strong>te initiative<br />

peut conduire directement à un référendum, sans être reformulé par le Parlement.<br />

L’expérience italienne est intéressante à c<strong>et</strong> égard car l’article 75 <strong>de</strong> la Constitution<br />

prévoit le référendum pouvant porter sur l’abrogation partielle ou totale d’une loi ou<br />

d’un acte ayant force <strong>de</strong> loi. L’exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> n’était prévue ni par la Constitution,<br />

ni par la loi sur le référendum <strong>de</strong> 1970 18. C’est alors la Cour <strong>constitutionnelle</strong> qui a<br />

dégagé, dans un premier temps un principe analogue, le principe d’homogénéité <strong>de</strong><br />

la question posée, en 1978 19 qui sera précisé par la suite comme induisant notamment<br />

la <strong>clarté</strong> <strong>de</strong> la proposition mais également la <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> la cohérence du résultat <strong>de</strong> la<br />

proposition d’abrogation en cas <strong>de</strong> réponse positive. Il faut dire que c<strong>et</strong>te technique<br />

<strong>de</strong> référendum donnait lieu à <strong>de</strong>s formulations particulièrement complexes, la<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’abrogation pouvant porter sur la totalité du texte législatif ou sur<br />

quelques mots du texte seulement 20. La question <strong>de</strong> l’existence d’exigences <strong>de</strong> <strong>clarté</strong><br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> sincérité du référendum semble d’ailleurs être directement liée à la forme du<br />

référendum. Il est nécessaire, en eff<strong>et</strong>, <strong>de</strong> rappeler que plusieurs formes <strong>de</strong><br />

référendums peuvent être distinguées :<br />

Le référendum peut porter sur un texte rédigé sous forme <strong>de</strong> proposition ou <strong>de</strong><br />

proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> loi (<strong>constitutionnelle</strong>, ordinaire, organique), avec une question posée :<br />

« Acceptez-vous le proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> loi relatif... », « Approuvez-vous... ». Les référendums<br />

français <strong>de</strong> l’article 11 <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’article 89 font partie <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te catégorie. De même que le<br />

référendum facultatif prévu en Suisse par l’article 141 21 <strong>de</strong> la Constitution dont la<br />

18 Loi n° 352 du 25 mai 1970.<br />

19 Sentence n° 16/1978, précitée.<br />

20 A titre d’exemple, <strong>et</strong> parmi les plus simples, peut être citée l’une <strong>de</strong>s questions présentée au vote du peuple<br />

italien le 13 juin 2005 : « Vol<strong>et</strong>e voi che sia abrogata la legge 19 febbraio 2004, n. 40, avente ad ogg<strong>et</strong>to “Norme<br />

in materia di procreazione medicalmente assistita”, limitatamente alle seguenti parti: articolo 12, comma 7,<br />

limitatamente alle parole “discen<strong>de</strong>nte da un'unica cellula di partenza, eventualmente”; articolo 13, comma 2,<br />

limitatamente alle parole: “ad essa collegate volte alla tutela <strong>de</strong>lla salute e allo sviluppo <strong>de</strong>ll'embrione stesso, e<br />

qualora non siano disponibili m<strong>et</strong>odologie alternative”; articolo 13, comma 3, l<strong>et</strong>tera c), limitatamente alle<br />

parole: “di clonazione mediante trasferimento di nucleo o”; articolo 14, comma 1, limitatamente alle parole “la<br />

crioconservazione e”?».<br />

21 L’art. 141 <strong>de</strong> la Constitution suisse, intitulé « Référendum facultatif » dispose : « Si 50 000 citoyens <strong>et</strong><br />

citoyennes ayant le droit <strong>de</strong> vote ou huit cantons le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt dans les 100 jours à compter <strong>de</strong> la publication<br />

officielle <strong>de</strong> l’acte, sont soumis au vote du peuple:<br />

a.les lois fédérales;<br />

b.les lois fédérales déclarées urgentes dont la durée <strong>de</strong> validité dépasse un an;<br />

c.les arrêtés fédéraux, dans la mesure où la Constitution ou la loi le prévoient;


<strong>de</strong>man<strong>de</strong> a pour eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> suspendre l’entrée en vigueur du texte, d’où le nom <strong>de</strong><br />

référendum suspensif, jusqu’à ce que le peuple se soit prononcé en faveur <strong>de</strong> ce texte.<br />

Le référendum peut également porter sur une question <strong>de</strong> principe, que le Parlement<br />

se chargera ensuite <strong>de</strong> formuler <strong>de</strong> manière concrète. La question peut être plus ou<br />

moins précise (ex. : Etes-vous pour la République ou la monarchie ? Etes-vous<br />

favorable au régime prési<strong>de</strong>ntiel ?). Le référendum national portugais en constitue<br />

une illustration avec, cependant, <strong>de</strong>s questions plus précises. Par exemple, le<br />

référendum <strong>de</strong> 1998 sur la dépénalisation <strong>de</strong> l’avortement était ainsi formulé : « Etes-<br />

vous favorable à la dépénalisation <strong>de</strong> l’interruption volontaire <strong>de</strong> grossesse, réalisée,<br />

à la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> la mère, dans les 10 premières semaines <strong>de</strong> la grossesse, dans un<br />

établissement <strong>de</strong> santé légalement autorisé ? ».<br />

Enfin, il existe, à l’exemple <strong>de</strong> l’Italie <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Albanie, le référendum <strong>de</strong> type<br />

abrogatif, qui consiste à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r au peuple son accord sur l’abrogation totale ou<br />

partielle d’un texte : « Etes-vous favorable à l’abrogation <strong>de</strong>s mots (...) <strong>et</strong> (...) à<br />

l’article ... <strong>de</strong> la loi n°..».<br />

A priori, le contrôle <strong>de</strong> la <strong>clarté</strong> <strong>de</strong> la question posée au référendum pourrait sembler<br />

ne se justifier que pour les référendums les plus complexes, à l’exemple du<br />

référendum abrogatif italien, provenant d’initiatives populaires. Toutefois, il est<br />

apparu, en pratique, que tous les types <strong>de</strong> référendum pouvaient donner lieu à <strong>de</strong>s<br />

formulations ou <strong>de</strong>s présentations susceptibles <strong>de</strong> prêter à confusion, ou restreignant<br />

au final la liberté <strong>de</strong> choix <strong>de</strong>s citoyens : pluralité <strong>de</strong> propositions au sein d’une<br />

même question <strong>de</strong> principe, pluralité <strong>de</strong> thèmes englobés sous un même proj<strong>et</strong> ou<br />

une même proposition <strong>de</strong> loi 22, ambiguïté <strong>de</strong>s termes ou du sens <strong>de</strong> la question 23,<br />

ambiguïté quant à la portée <strong>de</strong> la question 24, compréhension difficile <strong>de</strong>s textes sur<br />

d.les traités internationaux qui :<br />

1.sont d’une durée indéterminée <strong>et</strong> ne sont pas dénonçables;<br />

2.prévoient l’adhésion à une organisation internationale;<br />

3.contiennent <strong>de</strong>s dispositions importantes fixant <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> droit ou dont la mise en œuvre<br />

exige l’adoption <strong>de</strong> lois fédérales ».<br />

22<br />

Cf. le référendum français <strong>de</strong> 1969, notamment, qui portait à la fois sur la réforme du Sénat <strong>et</strong> sur la création<br />

<strong>de</strong>s régions. Voir sur c<strong>et</strong>te question, M. Fatin-Rouge Stéfanini, Le contrôle du référendum par la justice<br />

<strong>constitutionnelle</strong>, Economica-PUAM, 2004, p. 167.<br />

23<br />

Référendum portugais <strong>de</strong> 1998 sur l’Europe (voir ci-après).<br />

24<br />

Consultation <strong>de</strong> la population <strong>de</strong> Nouvelle-Calédonie censurée en 1987 par le Conseil constitutionnel (voir ciaprès).


lesquels porte un référendum 25... Tous ces cas ne vont pas forcément conduire à<br />

interdire l’organisation d’un référendum, mais doivent inciter à un effort <strong>de</strong><br />

clarification du sens <strong>et</strong> <strong>de</strong> la portée du référendum, soit au moment <strong>de</strong> la formulation<br />

<strong>de</strong> la question, soit dans le cadre <strong>de</strong> la campagne <strong>et</strong>, notamment, <strong>de</strong> la campagne<br />

officielle organisée autour du référendum. C’est ce que démontrent les quelques<br />

applications <strong>de</strong> la double exigence <strong>constitutionnelle</strong> <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s<br />

consultations.<br />

B – Les diverses applications <strong>de</strong> la double exigence<br />

La double exigence <strong>constitutionnelle</strong> <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> a été appliquée tant<br />

par le Conseil constitutionnel que par le Conseil d’Etat.<br />

1 – L’application par le Conseil constitutionnel<br />

La décision n° 87-226 DC du 2 juin 1987 26, dans laquelle a été formulée c<strong>et</strong>te<br />

double exigence pour la première fois, à propos <strong>de</strong> la loi organisant le référendum<br />

local d’autodétermination en Nouvelle-Calédonie en application <strong>de</strong> l’article 53 <strong>de</strong> la<br />

Constitution 27, contient la seule annulation qui, à ce jour, est intervenue sur ce<br />

fon<strong>de</strong>ment. La question proposée aux citoyens <strong>de</strong> Nouvelle-Calédonie était ainsi<br />

rédigée à l’article 1er <strong>de</strong> la loi n°86-844 du 17 juill<strong>et</strong> 1986 relative à la Nouvelle-<br />

Calédonie : “ Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accè<strong>de</strong> à l'indépendance ou<br />

<strong>de</strong>meure au sein <strong>de</strong> la République française avec un statut dont les éléments ont été<br />

portés à votre connaissance ? ”. Les électeurs avaient le choix entre <strong>de</strong>ux réponses<br />

possibles inscrites sur les bull<strong>et</strong>ins <strong>de</strong> vote : soit “ Je veux que la Nouvelle-Calédonie<br />

accè<strong>de</strong> à l'indépendance ”, soit “ Je veux que la Nouvelle-Calédonie reste au sein <strong>de</strong><br />

la République française ”. Le Conseil constitutionnel a considéré que c<strong>et</strong>te<br />

25<br />

Les référendums sur le Traité <strong>de</strong> Maastricht en 1992 <strong>et</strong> sur la Constitution européenne en 2005 en constituent<br />

une illustration.<br />

26<br />

Décision n° 87-226 DC du 2 juin 1987Consultation <strong>de</strong>s populations calédoniennes, précitée.<br />

27<br />

Disposition qui a été interprétée largement par le Conseil constitutionnel, cf. décision n° 75-59 DC du 30<br />

décembre 1975, Loi relative aux conséquences <strong>de</strong> l'autodétermination <strong>de</strong>s îles Comores, Rec. p. 26, RJC I-34.<br />

Notes L. Favoreu, RDP, 1976, p. 557, C. Franck, AJDA, 1976, p. 249, L. Hamon, D. 1976, p. 537, D. Linotte,<br />

GP 1976 II, p. 481,Nguyen Quoc Vinh, RGDPI., p. 1001, D. Ruzie, Clun<strong>et</strong>, 1976, p. 465.


formulation était “ équivoque ” car susceptible d'induire les électeurs en erreur en<br />

leur laissant penser que les éléments du statut envisagé pour la Nouvelle-Calédonie<br />

étaient déjà fixés, alors que cela n’était pas le cas 28. Les citoyens étaient, en eff<strong>et</strong>,<br />

interrogés sur une situation qui, bien que certains éléments aient été déterminés,<br />

n'était pas définitive au moment du vote . Par conséquent, les termes “ avec un statut<br />

dont les éléments essentiels ont été portés à votre connaissance ” ont été déclarés non<br />

conformes à la Constitution 29.<br />

La secon<strong>de</strong> application du principe <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong> la consultation est<br />

intervenue lors <strong>de</strong> l’examen <strong>de</strong> la loi organisant une consultation sur l’évolution du<br />

statut <strong>de</strong> Mayotte 30. La question soumise à l’avis <strong>de</strong> la population <strong>de</strong> Mayotte était<br />

formulée dans les termes suivants : “Approuvez-vous l'accord sur l'avenir <strong>de</strong><br />

Mayotte, signé à Paris le 27 janvier 2000 ? ”. Le Conseil constitutionnel a considéré<br />

que c<strong>et</strong>te question <strong>et</strong>, plus largement, l’Accord sur lequel elle portait, étaient rédigés<br />

d’une façon suffisamment claire. Il a émis cependant une réserve d’interprétation en<br />

<strong>de</strong>mandant aux autorités compétentes, <strong>et</strong> « notamment au pouvoir réglementaire »<br />

<strong>de</strong> rappeler à la population “ la portée purement consultative <strong>de</strong> son vote ”, alors que<br />

le texte <strong>de</strong> loi organisant la consultation prévoyait expressément ce caractère<br />

consultatif 31. En revanche, la question elle-même (« Approuvez-vous... ») pouvait<br />

laisser penser aux votants que le référendum avait une portée décisoire. Pour<br />

répondre aux griefs présentés par les requérants, le contrôle exercé par le Conseil<br />

constitutionnel, par rapport au respect <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te double exigence, a porté non<br />

seulement sur la formulation <strong>de</strong> la question elle-même mais également sur l’accord<br />

mentionné par la question soumise au référendum. Les requérants reprochaient<br />

notamment à c<strong>et</strong> accord la complexité <strong>de</strong> sa rédaction, l’ambiguïté <strong>de</strong> certains termes<br />

employés ainsi que le caractère déloyal <strong>de</strong> son processus d’élaboration. Si ces griefs<br />

28 Cons. n° 9.<br />

29 Cons. n° 10.<br />

30 Décision n° 2000-428 DC du 4 mai 2000, Rec. p. 70.<br />

31 L’article 1 er <strong>de</strong> la loi organisant une consultation sur le statut <strong>de</strong> Mayotte disposait « Une consultation sera<br />

organisée avant le 31 juill<strong>et</strong> 2000 afin que la population <strong>de</strong> Mayotte donne son avis sur l'accord sur l'avenir <strong>de</strong><br />

Mayotte signé à Paris le 27 janvier 2000 <strong>et</strong> publié au Journal officiel <strong>de</strong> la République française le 8 février<br />

2000 ».


ont été rej<strong>et</strong>és par le Conseil constitutionnel, il a tout <strong>de</strong> même examiné chacun<br />

d’eux.<br />

Le référendum <strong>de</strong> 2005 sur la Constitution européenne, qui a donné lieu aux autres<br />

applications <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te double exigence <strong>constitutionnelle</strong>, a permis <strong>de</strong> confirmer le sens<br />

<strong>de</strong>s décisions précé<strong>de</strong>ntes <strong>et</strong> notamment l’idée que c<strong>et</strong>te exigence touche l’ensemble<br />

<strong>de</strong> l’opération référendaire. Elle concerne donc, outre la question <strong>et</strong> le texte auquel<br />

elle renvoie, les documents officiels diffusés aux électeurs à titre informatif. Ainsi,<br />

dans la décision Hauchemaille <strong>et</strong> Mey<strong>et</strong> du 24 mars 2005 32, le Conseil constitutionnel<br />

précise que les exigences <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> du référendum ont pour eff<strong>et</strong><br />

d’obliger l’administration à « m<strong>et</strong>tre en œuvre tous les moyens à sa disposition pour<br />

faire en sorte que les électeurs puissent en prendre utilement connaissance avant le<br />

scrutin », mais le décr<strong>et</strong> organisant le référendum n’avait pas à fixer un délai<br />

d’acheminement. En revanche, la double exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s<br />

consultations, n’a pas pour eff<strong>et</strong> d’obliger l’administration à diffuser les professions<br />

<strong>de</strong> foi <strong>de</strong>s différents partis <strong>et</strong> groupements politiques engagés dans la campagne, à la<br />

différence <strong>de</strong> ce qui se passe en matière électorale. Or, il est vrai que la diffusion <strong>de</strong><br />

ces professions <strong>de</strong> foi pourrait perm<strong>et</strong>tre une meilleure information <strong>de</strong>s citoyens<br />

ceux-ci pouvant disposer à la fois <strong>de</strong>s documents officiels <strong>et</strong> <strong>de</strong>s différentes opinions<br />

favorables ou non au référendum.<br />

L’exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong> la consultation, <strong>et</strong> plus largement, le principe <strong>de</strong><br />

sincérité du scrutin, conduisent également le Conseil constitutionnel à contrôler<br />

l’exposé <strong>de</strong>s motifs au proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> loi <strong>de</strong> ratification du Traité soumis au référendum.<br />

La décision du 7 avril 2005, De Villiers <strong>et</strong> Peltier 33, a été l’occasion pour le Conseil<br />

constitutionnel d’indiquer que la communication préalable <strong>de</strong> c<strong>et</strong> exposé <strong>de</strong>s motifs,<br />

avec le proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> loi <strong>de</strong> ratification du Traité auquel il se rapporte, était une obligation<br />

répondant entre autres à l’exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong> la consultation 34. Il<br />

32 Il convient <strong>de</strong> rappeler que le Conseil constitutionnel se prononce sur le contentieux <strong>de</strong>s actes préparatoires au<br />

référendum non en qualité <strong>de</strong> juge constitutionnel mais en qualité <strong>de</strong> juge <strong>de</strong>s élections <strong>et</strong> <strong>de</strong>s votations.<br />

33 JORF, 9 avril 2005, p. 6457.<br />

34 Le considérant n° 5 est ainsi rédigé : « Considérant, d'une part, que, lorsqu'un proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> loi est soumis au<br />

référendum en application <strong>de</strong> l'article 11 <strong>de</strong> la Constitution, les exigences <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong> la<br />

consultation imposent que ce proj<strong>et</strong> soit transmis par avance aux électeurs ».


précise également que « dans son principe », c<strong>et</strong>te communication n’est pas contraire<br />

à la Constitution puisqu’elle « m<strong>et</strong> en œuvre l’article 11 <strong>et</strong> satisfait aux exigences <strong>de</strong><br />

<strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong> la consultation » 35. De ce fait, il écarte la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

requérants visant à interdire la diffusion <strong>de</strong> c<strong>et</strong> exposé <strong>de</strong>s motifs.<br />

Cependant, si la communication <strong>de</strong> l’exposé <strong>de</strong>s motifs contribue à la mise en œuvre<br />

<strong>de</strong> la double exigence <strong>constitutionnelle</strong> <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s consultations, le<br />

contenu <strong>de</strong> c<strong>et</strong> exposé doit lui-même satisfaire à c<strong>et</strong>te double exigence ainsi qu’au<br />

principe <strong>de</strong> sincérité. Le Conseil constitutionnel vérifie que c<strong>et</strong> exposé « n’outrepasse<br />

pas son obj<strong>et</strong> » qui est double : « présenter les principales caractéristiques <strong>de</strong> ce<br />

proj<strong>et</strong>, mais encore (...) m<strong>et</strong>tre en valeur l'intérêt qui s'attache à son adoption » 36. Il<br />

doit rester objectif, non trompeur <strong>et</strong> même dépourvu d’ambiguïté. C’est sur ces<br />

points que le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel <strong>de</strong>vient délicat comme<br />

nous avons pu l’exposer dans notre commentaire <strong>de</strong>s décisions du Conseil<br />

constitutionnel sur le référendum <strong>de</strong> 2005 37. Ainsi, dans la décision Gabarro-Arpa <strong>et</strong><br />

Hoeffer du 19 mai, le Conseil constitutionnel examine si les votants « ne sont pas<br />

tenus dans l’ignorance <strong>de</strong>s conséquences <strong>de</strong> leur vote » 38, ce qui confirme la portée <strong>de</strong><br />

la décision Consultation <strong>de</strong> la population <strong>de</strong> Mayotte <strong>de</strong> 2000 39. Il va également vérifier<br />

que la formulation r<strong>et</strong>enue dans l’exposé <strong>de</strong>s motifs « ne comporte aucune<br />

information erronée ou <strong>de</strong> nature à induire en erreur les électeurs » 40.<br />

En résumé, bien que les occasions pour le Conseil constitutionnel <strong>de</strong> faire application<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te double exigence ont été peu nombreuses, les quelques décisions rendues<br />

perm<strong>et</strong>tent d’apprécier la portée très étendue <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te double exigence qui couvre<br />

l’ensemble <strong>de</strong> l’opération référendaire <strong>et</strong> se rattache, plus largement, au principe <strong>de</strong><br />

sincérité du scrutin. En revanche, le contrôle en lui-même exercé par le juge<br />

constitutionnel reste minimal comme l’est d’ailleurs celui opéré par le juge<br />

administratif.<br />

35<br />

Cons. n° 7.<br />

36<br />

CC, Gabarro-Arpa <strong>et</strong> Hoffer, 19 mai 2005, JORF, 21 mai 2005, p. 8849, cons. 9 <strong>et</strong> 10.<br />

37<br />

RFDC, n° 63-2005, pp. 605-629, spéc. pp. 625-629.<br />

38<br />

Cons. nn° 5 à 8.<br />

39<br />

Cf. Le contrôle du référendum par la justice <strong>constitutionnelle</strong>, précité, pp. 173-186.<br />

40<br />

Décision du 19 mai 2005, Gabarro-Arpa <strong>et</strong> Hoeffer, précitée, cons. n° 13.


2 – L’application par le juge administratif<br />

Le respect <strong>de</strong>s exigences <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s consultations est également<br />

vérifié par le juge administratif, parfois même sans y faire directement référence 41. Le<br />

juge administratif a, en eff<strong>et</strong>, attendu la décision 428 DC du 4 mai 2000, Consultation<br />

<strong>de</strong> la population <strong>de</strong> Mayotte, dans laquelle le Conseil constitutionnel a rappelé c<strong>et</strong>te<br />

exigence sans faire expressément référence à la situation particulière <strong>de</strong>s populations<br />

d’outre-mer, pour s’y référer directement sans passer par d’autres principes plus<br />

généraux comme celui <strong>de</strong> la sincérité du scrutin. La double exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

<strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s consultations a été expressément utilisée dans trois arrêts du Conseil<br />

d’Etat. Dans un arrêt du 28 juin 2000, Mouvement départementaliste Mahorais 42, la<br />

contestation portait sur les couleurs r<strong>et</strong>enues pour les bull<strong>et</strong>ins <strong>de</strong> réponse à la<br />

consultation. L’un bleu turquoise (le « oui »), l’autre marron clair (le « non »). Pour<br />

les requérants, ces couleurs risquaient <strong>de</strong> créer une confusion dans l’esprit <strong>de</strong>s<br />

électeurs par rapport aux couleurs utilisées lors <strong>de</strong>s scrutins précé<strong>de</strong>nts. Cependant,<br />

ce grief a été écarté par la juridiction administrative qui a estimé qu’« il ne ressort pas<br />

<strong>de</strong>s pièces du dossier que, dans les circonstances <strong>de</strong> l'espèce, le choix effectué par le<br />

gouvernement soit <strong>de</strong> nature à porter atteinte aux exigences <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong><br />

du scrutin ».<br />

La secon<strong>de</strong> affaire était relative au scrutin <strong>de</strong> 2003 organisé en Gua<strong>de</strong>loupe sur le<br />

principe <strong>de</strong> création d’une collectivité locale unique se substituant au département <strong>et</strong><br />

à la région. La question était ainsi formulée : « Approuvez-vous le proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> création<br />

en Gua<strong>de</strong>loupe d'une collectivité territoriale <strong>de</strong>meurant régie par l'article 73 <strong>de</strong> la<br />

Constitution, <strong>et</strong> donc par le principe <strong>de</strong> l'i<strong>de</strong>ntité législative avec possibilités<br />

d'adaptations, <strong>et</strong> se substituant au département <strong>et</strong> à la région dans les conditions<br />

41 Ainsi, dans une décision <strong>de</strong> 1992, le tribunal administratif <strong>de</strong> Marseille a-t-il censuré un texte « <strong>de</strong> nature à<br />

induire l'électeur en erreur sur le sens <strong>et</strong> la portée <strong>de</strong> la question posée ». Les électeurs <strong>de</strong>vaient être consultés<br />

sur le point <strong>de</strong> savoir s’ils étaient favorables à « une communauté <strong>de</strong> ville tendant à considérer Septèmes<br />

comme un quartier <strong>de</strong> Marseille » TA Marseille, Cne <strong>de</strong> Septèmes, 26 novembre 1992, cité dans le rapport<br />

n° 956, du 18 juin 2003, présenté à l’Assemblée nationale par M. Alain GEST, à propos <strong>de</strong> la loi sur le<br />

référendum local.<br />

42 Rec. p. 248.


prévues par c<strong>et</strong> article ? ». Le Conseil d’Etat, saisi d’un recours contre le décr<strong>et</strong><br />

prési<strong>de</strong>ntiel organisant c<strong>et</strong>te consultation, a rendu un arrêt le 4 décembre 2003 43.<br />

Deux problèmes étaient soulevés : D’une part, l’exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s<br />

consultations était-elle compatible avec la présence dans les visas du décr<strong>et</strong> d’une<br />

délibération du congrès <strong>de</strong>s élus départementaux <strong>et</strong> régionaux <strong>de</strong> la Gua<strong>de</strong>loupe en<br />

date du 11 octobre 2003 approuvant le document d'orientation sur l'évolution<br />

institutionnelle <strong>de</strong> la Gua<strong>de</strong>loupe ? D’autre part, était-il possible <strong>de</strong> convoquer les<br />

électeurs pour plusieurs référendums (les électeurs <strong>de</strong> Saint Martin <strong>et</strong> Saint<br />

Barthélemy étant consultés sur l’avenir <strong>de</strong> leur collectivité) le même jour sans que la<br />

<strong>clarté</strong> <strong>et</strong> la <strong>loyauté</strong> du scrutin en soit altérée ?<br />

Le Conseil d’Etat a considéré qu’en elle-même la question était suffisamment claire <strong>et</strong><br />

précise 44 <strong>et</strong> que la double exigence <strong>constitutionnelle</strong> <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> du scrutin<br />

n’interdit nullement l’organisation <strong>de</strong> plusieurs scrutins le même jour. Il convient <strong>de</strong><br />

noter que le Conseil d’Etat ajoute, à côté <strong>de</strong> la <strong>clarté</strong>, l’obligation <strong>de</strong> précision qui<br />

découle sans doute <strong>de</strong> l’exigence <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong> la consultation. Or, comme a pu le<br />

souligner le Tribunal constitutionnel portugais, l’obligation <strong>de</strong> précision peut justifier<br />

la rédaction <strong>de</strong> questions plus complexes. Il est vrai que la question telle qu’elle était<br />

formulée paraît complexe à première vue, puisque sa compréhension nécessite d’en<br />

reprendre la lecture au moins une <strong>de</strong>uxième fois (ne serait-ce que pour se rendre<br />

compte que chaque morceau <strong>de</strong> la phrase, entrecoupée <strong>de</strong> virgule, ne constitue pas<br />

pour autant une proposition supplémentaire) <strong>et</strong> qu’elle renvoie le citoyen à la lecture<br />

<strong>de</strong> l’article 73 <strong>de</strong> la Constitution. Cependant, elle est précise <strong>et</strong> s’avère finalement<br />

claire non seulement dans sa formulation mais également dans les eff<strong>et</strong>s du<br />

43 CE, 4 décembre 2003, FELER, req. n° 262009, notes J.P. Thiellay, AJDA 2004, pp. 549-553 <strong>et</strong> M. Verpeaux,<br />

AJDA, 2004, pp. 594-598. Sur c<strong>et</strong>te consultation voir également le point <strong>de</strong> vue critique <strong>de</strong> J.-L. Capitolin, « La<br />

<strong>clarté</strong> <strong>et</strong> la <strong>loyauté</strong> d’une consultation préalable à l’évolution institutionnelle au sein <strong>de</strong> la République », RFDC,<br />

n° 64-2005, pp. 781-804.<br />

44 Il estime « qu’il ressort <strong>de</strong>s termes <strong>de</strong> la question posée par le décr<strong>et</strong> attaqué qu'elle est suffisamment précise<br />

pour indiquer aux électeurs intéressés la portée exacte <strong>de</strong> leur vote » <strong>et</strong> précise que « la seule circonstance que le<br />

décr<strong>et</strong> attaqué a mentionné dans ses visas une délibération du congrès <strong>de</strong>s élus départementaux <strong>et</strong> régionaux <strong>de</strong> la<br />

Gua<strong>de</strong>loupe en date du 11 octobre 2003 approuvant le document d'orientation sur l'évolution institutionnelle <strong>de</strong><br />

la Gua<strong>de</strong>loupe n'est pas <strong>de</strong> nature à altérer le caractère loyal <strong>et</strong> clair <strong>de</strong> la consultation dès lors que la question<br />

posée porte seulement sur le principe <strong>de</strong> la création d'une nouvelle collectivité se substituant au département <strong>et</strong> à<br />

la région, en application <strong>de</strong> l'article 73 <strong>de</strong> la Constitution précité, sans faire référence à ce document ou à tout<br />

autre proj<strong>et</strong> définissant les modalités <strong>de</strong> mise en oeuvre <strong>de</strong> ce changement <strong>de</strong> statut ».


éférendum, c’est-à-dire dans les conséquences <strong>de</strong> la décision qui sera prise par les<br />

citoyens.<br />

Le Conseil d’Etat estime également que la détermination d’une date limite pour<br />

l’acheminement <strong>de</strong>s documents relatifs à la consultation « perm<strong>et</strong> que soit diffusée en<br />

temps utile une information suffisante aux électeurs <strong>et</strong> satisfait, ainsi, aux exigences<br />

<strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong> la consultation ». Ce faisant, la Haute Juridiction<br />

administrative fait référence à l’importance <strong>de</strong> la diffusion <strong>de</strong>s informations<br />

préalables aux scrutins qui perm<strong>et</strong>tront <strong>de</strong> clarifier les termes <strong>de</strong> la question <strong>et</strong> les<br />

conséquences du scrutin pour les citoyens <strong>et</strong>, par la même, contribue à éclairer leur<br />

choix.<br />

La décision la plus récente est intervenue dans le cadre du contentieux <strong>de</strong>s actes<br />

préparatoires au référendum relatif à la Constitution européenne. Dans un arrêt du<br />

20 mai 2005 45, le Conseil d’Etat a notamment examiné un moyen tendant à<br />

l’annulation d’une partie <strong>de</strong> la circulaire du 4 avril 2005 adressée aux préf<strong>et</strong>s <strong>et</strong><br />

hauts-commissaires par le ministre <strong>de</strong> l'intérieur, <strong>de</strong> la sécurité intérieure <strong>et</strong> <strong>de</strong>s<br />

libertés locales, leur <strong>de</strong>mandant <strong>de</strong> s’assurer que la documentation relative au<br />

référendum du 29 mai serait reçue par les électeurs le 14 mai au plus tard. Les<br />

requérants reprochaient entre autres à c<strong>et</strong>te disposition, d’une part <strong>de</strong> méconnaître le<br />

principe d’égalité entre électeurs en n’imposant pas que les documents soient<br />

distribués aux électeurs le même jour <strong>et</strong> d’autre part, d’imposer une date limite qui<br />

serait contraire aux exigences <strong>constitutionnelle</strong>s <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong> la<br />

consultation. Ces arguments ont été une nouvelle fois écartés, le Conseil d’Etat a<br />

indiqué que « contrairement à ce que soutient le requérant, la date limite ainsi<br />

indiquée m<strong>et</strong> les électeurs en mesure <strong>de</strong> prendre utilement connaissance avant le<br />

scrutin <strong>de</strong>s documents transmis <strong>et</strong> n'est donc pas contraire aux exigences<br />

<strong>constitutionnelle</strong>s <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong> la consultation ». Ce qui confirme la<br />

décision précé<strong>de</strong>nte.<br />

45 CE, 20 mai 2005, René-Georges X., req. n° 279955.


Par conséquent, si le Conseil d’Etat a été amené à faire directement application <strong>de</strong><br />

c<strong>et</strong>te exigence <strong>constitutionnelle</strong>, cela n’a pas abouti pour autant à une annulation <strong>et</strong><br />

sa jurispru<strong>de</strong>nce se situe tout à fait dans le prolongement <strong>de</strong>s interprétations données<br />

à c<strong>et</strong>te double exigence par le Conseil constitutionnel.<br />

Les exigences <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s consultations apparaissent donc comme <strong>de</strong>s<br />

exigences <strong>de</strong> transparence <strong>et</strong> d’information relatives au texte proposé tout d’abord –<br />

la question doit être claire <strong>et</strong> précise 46 - , mais également relatives à l’ensemble <strong>de</strong> la<br />

consultation ce qui suppose une <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> une <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong> la campagne référendaire,<br />

une <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> une <strong>loyauté</strong> dans le déroulement du scrutin ou encore dans<br />

l’information du public sur le scrutin <strong>et</strong> sur ses résultats, sur le dépouillement <strong>de</strong>s<br />

votes, sur les conséquences du vote ou encore dans la lecture <strong>de</strong>s résultats. En<br />

somme, les citoyens doivent exprimer un choix éclairé ; éclairé par une campagne<br />

honnête, loyale, ce qui suppose que les partisans <strong>et</strong> les opposants au texte, ou à l’idée<br />

<strong>de</strong> principe proposés au référendum, aient pu faire entendre leur voix <strong>et</strong> informer les<br />

citoyens <strong>de</strong> leur point <strong>de</strong> vue. Cela fait entrer en ligne <strong>de</strong> compte le principe <strong>de</strong><br />

liberté <strong>de</strong> communication <strong>de</strong>s idées <strong>et</strong> <strong>de</strong>s opinions, le principe <strong>de</strong> liberté<br />

d’expression, l’objectif constitutionnel <strong>de</strong> pluralisme <strong>de</strong>s idées qui en découle <strong>et</strong> le<br />

principe d’égalité. La campagne référendaire est donc loyale si ces principes sont<br />

respectés. Toutefois, c<strong>et</strong>te campagne référendaire doit également être claire pour les<br />

citoyens. On peut alors considérer que les tempéraments apportés aux principes <strong>de</strong><br />

liberté <strong>de</strong> communication <strong>et</strong> <strong>de</strong> pluralisme, consistant à restreindre, si nécessaire les<br />

groupements <strong>et</strong> partis politiques qui n’auraient pas d’influence suffisante sur<br />

l’opinion, participent également à la <strong>clarté</strong> <strong>de</strong> la campagne.<br />

Si ce contrôle est apparu nécessaire, voire même indispensable, pour le bon respect<br />

<strong>de</strong> la démocratie, les applications auxquelles il a donné lieu posent, cependant, la<br />

question <strong>de</strong> la rigueur du contrôle du juge. La déférence dont les juges français ont,<br />

jusqu’à présent, fait preuve à l’égard <strong>de</strong>s lois référendaires 47 se poursuivrait-elle dans<br />

46 Comme l’a souligné le Conseil d’Etat, voir ci-après.<br />

47 Conseil constitutionnel, décision n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Loi référendaire, rec. p. 27, RJC I-11 <strong>et</strong><br />

décision n° 92-313 DC du 23 septembre 1992, Maastricht III, rec. p. 94 <strong>et</strong> RJC I-511. L. Favoreu <strong>et</strong> L. Philip,


l’application avant le vote <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te double exigence <strong>constitutionnelle</strong> à une<br />

consultation ? Le fait que le juge soit parfois en présence d’un décr<strong>et</strong> prési<strong>de</strong>ntiel, ou<br />

soit conduit à examiner un acte relevant plus <strong>de</strong> la politique que du droit, tel l’exposé<br />

<strong>de</strong>s motifs à un proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> loi, n’induit-il pas un contrôle nécessairement restreint ?<br />

II – Un contrôle nécessairement restreint ?<br />

L’analyse <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux situations étrangères, celles <strong>de</strong> l’Italie <strong>et</strong> du Portugal, appliquant<br />

l’exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> ou d’homogénéité avec beaucoup <strong>de</strong> rigueur, conduit à poser la<br />

question, comparativement au cas français, <strong>de</strong>s limites du contrôle du juge. Car, si<br />

dans la situation française, ce contrôle semble minimal, il paraît beaucoup plus<br />

poussé dans les <strong>de</strong>ux autres Etats examinés.<br />

A – Un contrôle souvent fatal exercé par les juges italiens <strong>et</strong> portugais<br />

Dans le cas français, l’exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong> la consultation, telle que<br />

formulée en 2005, semble s’étendre bien au-<strong>de</strong>là du simple libellé <strong>de</strong> la question<br />

posée, alors que dans la plupart <strong>de</strong>s Etats reconnaissant une règle similaire, c’est<br />

avant tout la question soumise au référendum qui est visée par un principe <strong>de</strong> <strong>clarté</strong>,<br />

ou encore d’homogénéité. Pourtant, si en France, on ne peut relever qu’une seule<br />

annulation sur le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te double exigence, en Italie <strong>et</strong> au Portugal, les<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>de</strong> référendum rej<strong>et</strong>ées par les Cours <strong>constitutionnelle</strong>s, sur le fon<strong>de</strong>ment<br />

<strong>de</strong> la <strong>clarté</strong> ou <strong>de</strong> l’homogénéité, sont nombreuses.<br />

1 – Le cas italien<br />

Aucune disposition, dans la Constitution italienne ou dans la loi n° 352 <strong>de</strong> 1970 sur le<br />

référendum <strong>et</strong> l’initiative (populaire) législative, ne prévoit le principe <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> du<br />

Les gran<strong>de</strong>s décisions du Conseil constitutionnel, 13e éd. n° 14. Le Conseil d’Etat, quant à lui, a toujours refusé<br />

<strong>de</strong> contrôler la constitutionnalité <strong>de</strong>s lois quelles qu’elles soient ; mais, il a été admis <strong>de</strong>puis 1998 qu’il pourrait,<br />

en revanche, écarter une loi approuvée par référendum, si elle se révélait contraire à un traité international (cf.<br />

CE, ass., 30 oct. 1998, Sarran, concl. Mauguë, R.F.D.A. 1998, p. 1091, comm. RAYNAUD (F.) <strong>et</strong> FOMBEUR (P.),<br />

A.J.D.A., 1998, p. 967.).


éférendum. C<strong>et</strong>te exigence démocratique a été énoncée par la Cour <strong>constitutionnelle</strong><br />

italienne lors <strong>de</strong> sa troisième sentence sur le référendum, la sentence n° 16 <strong>de</strong> 1978,<br />

qui constitue d’ailleurs la décision <strong>de</strong> principe en matière <strong>de</strong> référendum abrogatif en<br />

Italie. Dans c<strong>et</strong>te sentence, la Cour a énoncé un certain nombre <strong>de</strong> limites implicites<br />

au référendum abrogatif qui lui semblaient découler logiquement <strong>de</strong> la Constitution.<br />

Elle a notamment considéré que <strong>de</strong>vaient être rej<strong>et</strong>ées les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>de</strong> référendum<br />

abrogatif « formulées <strong>de</strong> façon que chaque question à soum<strong>et</strong>tre au corps électoral<br />

contienne une telle pluralité <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s hétérogènes, dépourvue d’une matrice<br />

rationnellement unitaire, qu’elle ne puisse être ramenée à la logique <strong>de</strong> l’article 75 <strong>de</strong><br />

la Constitution 48, se détachant ainsi <strong>de</strong> façon manifeste <strong>et</strong> arbitraire <strong>de</strong>s buts en vue<br />

<strong>de</strong>squels l’institution du référendum abrogatif a été introduite dans la Constitution,<br />

en tant qu’instrument <strong>de</strong> manifestation authentique <strong>de</strong> la volonté populaire (...)<br />

l’exigence que la question à poser aux électeurs soit formulée en <strong>de</strong>s termes simples<br />

<strong>et</strong> clairs, par rapport à <strong>de</strong>s problèmes semblables <strong>et</strong> bien déterminés, correspond à la<br />

fonction naturelle <strong>de</strong> l’institution » 49.<br />

Il est vrai que la complexité même <strong>de</strong> la procédure du référendum abrogatif italien<br />

justifiait l’existence <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te limite implicite au nom du principe <strong>de</strong> liberté <strong>de</strong> vote <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> celui <strong>de</strong> la souverain<strong>et</strong>é du peuple 50. En eff<strong>et</strong>, la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’abrogation doit porter<br />

sur un texte <strong>de</strong> loi ou ayant force <strong>de</strong> loi 51. Elle peut être totale ou partielle. Et<br />

lorsqu’elle est partielle c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>man<strong>de</strong> peut concerner une disposition <strong>et</strong> parfois<br />

seulement certains mots. En l’absence <strong>de</strong> possibilité <strong>de</strong> proposer l’adoption <strong>de</strong><br />

mesures par référendum (référendum propositif d’initiative populaire), certains ont<br />

48 D’après l’article 75 <strong>de</strong> la Constitution italienne : « Il y a référendum populaire pour déci<strong>de</strong>r l’abrogation,<br />

totale ou partielle, d’une loi ou d’un acte ayant force <strong>de</strong> loi, lorsqu’il est requis par cinq cent mille électeurs ou<br />

par cinq conseils régionaux.<br />

Le référendum n’est pas admis pour les lois fiscales <strong>et</strong> budgétaires, d’amnistie <strong>et</strong> <strong>de</strong> remise <strong>de</strong> peine, ni<br />

d’autorisation <strong>de</strong> ratifier <strong>de</strong>s traités internationaux.(...) ».<br />

49 Sentence n° 16/1978, précitée.<br />

50 « S’il est vrai que le référendum n’est pas une fin en soi, mais au travers <strong>de</strong> la souverain<strong>et</strong>é populaire, il<br />

nécessite que les questions posées aux électeurs le soient <strong>de</strong> façon à exalter <strong>et</strong> non à limiter leurs possibilités <strong>de</strong><br />

choix ; si bien qu’il est manifeste qu'un vote bloqué sur un ensemble <strong>de</strong> questions multiples, insusceptibles d'être<br />

réduites à l’unité, contredit le principe démocratique, en pesant <strong>de</strong> fait sur la liberté du vote même (violation <strong>de</strong>s<br />

articles 1 <strong>et</strong> 48 <strong>de</strong> la Constitution) ». Sentence n° 16/1978, précitée, point 5.<br />

51 Sur l’article 75 <strong>de</strong> la Constitution <strong>et</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la Cour <strong>constitutionnelle</strong> y afférant, cf. M. Luciani, La<br />

formazione <strong>de</strong>lle leggi, Tome I, 2, Art. 75, Il referendum abrogativo, Zanichelli editore Bologna, Il Foro Italiano<br />

Roma, 2005, 745 p.


tenté d’utiliser la possibilité <strong>de</strong> référendum abrogatif afin <strong>de</strong> changer le sens <strong>de</strong> la<br />

norme, voire d’aboutir à une disposition nouvelle. De fait, les propositions se<br />

présentent parfois ainsi : Etes-vous d’accord pour que soient abrogés les mots « ... » à<br />

l’al. X <strong>de</strong> l’article Y <strong>de</strong> la loi n° Z ainsi que les mots « ... » <strong>de</strong> l’al. <strong>et</strong>c... Si le choix<br />

proposé pouvait paraître clair, l’abrogation <strong>de</strong> certains mots, ses implications<br />

l’étaient beaucoup moins <strong>et</strong> pour connaître les conséquences <strong>de</strong> leur vote les citoyens<br />

<strong>de</strong>vaient s’en rem<strong>et</strong>tre à la campagne électorale ou chercher l’information par eux-<br />

mêmes. De fait, la Cour a voulu limiter le risque <strong>de</strong> référendums « manipulatifs » <strong>et</strong><br />

en imposant c<strong>et</strong>te exigence d’homogénéité <strong>de</strong> la question référendaire, elle a obligé<br />

les promoteurs <strong>de</strong> référendums abrogatifs à être plus clairs. Le législateur est<br />

également intervenu pour faire en sorte <strong>de</strong> simplifier, <strong>de</strong> clarifier <strong>et</strong> <strong>de</strong> mieux<br />

informer la personne appelée à voter. De ce fait, si beaucoup <strong>de</strong> requêtes ont été<br />

rej<strong>et</strong>ées pour manque <strong>de</strong> <strong>clarté</strong>, <strong>de</strong> cohérence ou d’homogénéité (28 cas sur les 67<br />

sentences d’inadmissibilité rendues entre 1978 <strong>et</strong> 2005), ce motif d’inadmissibilité<br />

tend à <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> moins en moins courant.<br />

Dans le cas italien, la reconnaissance <strong>et</strong> l’application <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te exigence était<br />

déterminante pour l’avenir <strong>de</strong> l’institution, ce qui a poussé la Cour, au regard <strong>de</strong> la<br />

complexité <strong>de</strong> la procédure du référendum abrogatif, à exercer un contrôle<br />

systématique <strong>et</strong> poussé du respect <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te exigence. Même si la mise en place <strong>de</strong> ce<br />

critère <strong>de</strong> contrôle a été critiquée par la doctrine 52, il paraissait nécessaire,<br />

indispensable à la sincérité du scrutin <strong>et</strong> à la crédibilité <strong>de</strong> l’institution référendaire.<br />

2 – Le cas portugais<br />

Le référendum portugais est encore différent <strong>de</strong> ceux existant en France <strong>et</strong> en Italie.<br />

Certes, comme en France, il est <strong>de</strong> type propositif cependant, c<strong>et</strong>te proposition peut<br />

provenir soit <strong>de</strong>s pouvoirs publics, soit d’une initiative populaire. Ensuite, le peuple<br />

ne peut être interrogé sur une modification <strong>de</strong> la Constitution (art. 115 al. 4). Enfin, le<br />

52 Pour une synthèse sur la question, voir M. Luciani, précité, pp. 403-446 ainsi que J. Guidicelli, La Cour<br />

<strong>constitutionnelle</strong> italienne <strong>et</strong> le référendum abrogatif, thèse dactyl., Toulon, 2002, not. pp. 33-112.


éférendum ne peut pas porter sur un proj<strong>et</strong> rédigé 53, il n’a pas en lui-même <strong>de</strong><br />

« portée normative » 54. Ce qui ne perm<strong>et</strong>tait pas, jusqu’à la révision <strong>constitutionnelle</strong><br />

d’août 2005, <strong>de</strong> présenter au peuple le proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> loi <strong>de</strong> ratification du traité,<br />

l’approbation du peuple valant ratification du traité. Au Portugal, une ou plusieurs<br />

questions (dans la limite <strong>de</strong> trois) peuvent être posées aux citoyens par référendum <strong>et</strong><br />

en cas <strong>de</strong> réponse positive, il revient au Parlement <strong>de</strong> concrétiser c<strong>et</strong>te réponse par un<br />

texte.<br />

Dans la Constitution portugaise, les exigences <strong>constitutionnelle</strong>s <strong>de</strong>stinées à assurer<br />

la <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong> la consultation ne concernent également que la question posée.<br />

Plusieurs principes sont prévus par l’article 115 al. 6 <strong>de</strong> la Constitution 55 : celui <strong>de</strong><br />

l’unité <strong>de</strong> matière (auquel, dans sa jurispru<strong>de</strong>nce, le Tribunal constitutionnel a<br />

adjoint le principe d’homogénéité 56), celui <strong>de</strong> l’objectivité, <strong>de</strong> la précision <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

<strong>clarté</strong> <strong>de</strong> la question, enfin, le caractère alternatif <strong>de</strong> la réponse. Ces principes ont été<br />

affirmés par la Constitution dès 1989, date à laquelle une révision <strong>constitutionnelle</strong> a<br />

notamment prévu la compétence du Tribunal constitutionnel en matière <strong>de</strong> contrôle<br />

<strong>de</strong>s questions posées aux référendums. La loi organique <strong>de</strong> 1998 sur le régime du<br />

référendum 57 reprend les principes affirmés par le texte constitutionnel. Elle ajoute<br />

également <strong>de</strong>ux précisions importantes : d’une part, le sens <strong>de</strong> la réponse ne doit pas<br />

être suggéré directement ou indirectement 58 ; d’autre part, « les questions ne peuvent<br />

pas être précédées <strong>de</strong> quelconques considérations, préambules ou notes<br />

explicatives » 59. Ces notions sont explicitées par le Tribunal constitutionnel<br />

notamment dans les décisions <strong>de</strong> 1998 60 <strong>et</strong> 2005 61, toutes <strong>de</strong>ux sur <strong>de</strong>s proj<strong>et</strong>s<br />

53<br />

Art. 115 al. 3 <strong>de</strong> la Constitution. Cf. P. Bon, « Le référendum dans les droits ibériques », RFDC n° 31-1997,<br />

pp. 457-458. Voir également l’article 4 <strong>de</strong> la loi n° 15/98 du 3 avril 1998 sur le régime du référendum.<br />

54<br />

Id., p. 458.<br />

55<br />

L’article 115 al. 6 <strong>de</strong> la Constitution portugaise est ainsi rédigé, <strong>de</strong>puis la révision <strong>constitutionnelle</strong> <strong>de</strong> 1997 :<br />

« (...) 6. Chaque référendum portera sur une seule matière <strong>et</strong> les questions <strong>de</strong>vront être formulées avec<br />

objectivité, <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> précision <strong>et</strong> <strong>de</strong> façon à ce qu'il soit répondu par oui ou par non, dans la limite d'un nombre<br />

maximum <strong>de</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s fixé par la loi, laquelle déterminera également les autres conditions <strong>de</strong> la formulation<br />

<strong>de</strong>s questions <strong>et</strong> <strong>de</strong> la réalisation <strong>de</strong>s référendums (...) ».<br />

56 ère<br />

Voir not. la décision n° 531/98, du 29 juill<strong>et</strong> 1998, Diário da República, 1 série-A, n° 174, du 30 juill<strong>et</strong><br />

1998, § 12.<br />

57<br />

Loi organique n° 15-A/98 du 3 avril 1998 (modifiée par la loi organique n° 4/2005 du 8 septembre 2005).<br />

58<br />

Article 7 al. 2 <strong>de</strong> la loi organique sur le régime du référendum.<br />

59<br />

Article 7 al. 3 <strong>de</strong> la loi organique sur le régime du référendum. Une telle disposition conduirait, en France, à<br />

interdire la communication <strong>de</strong> l’exposé <strong>de</strong>s motifs précédant la loi soumise au référendum ce qui aurait permis<br />

d’éviter les critiques auxquelles c<strong>et</strong> exposé à donné lieu lors du référendum <strong>de</strong> 2005.<br />

60 ère<br />

Arrêt n° 531/98 du 29 juill<strong>et</strong> 1998, Diário da República, 1 série-A, n° 174, du 30 juill<strong>et</strong> 1998.


éférendums relatifs à l’Europe, <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s rej<strong>et</strong>ées à chaque fois pour contrariété<br />

avec ces dispositions 62.<br />

Concernant la première proposition <strong>de</strong> référendum sur l’Europe présentée en 1998, la<br />

question était la suivante : « Etes-vous d’accord avec la poursuite <strong>de</strong> la participation<br />

du Portugal dans la construction <strong>de</strong> l’Union européenne dans le cadre du Traité<br />

d’Amsterdam ? ».<br />

L’impossibilité <strong>de</strong> formuler un référendum ayant pour conséquence l’approbation<br />

directe d’un texte, c’est-à-dire l’absence <strong>de</strong> portée normative du référendum,<br />

constitue une difficulté avec laquelle doivent jongler les autorités rédigeant la<br />

proposition <strong>de</strong> référendum. En eff<strong>et</strong>, la simple question : « Etes-vous favorable à la<br />

ratification du traité d’Amsterdam ? » n’étant pas autorisée par la Constitution, la<br />

proposition <strong>de</strong> référendum <strong>de</strong>vait reprendre en quelques mots les éléments essentiels<br />

du Traité, ce qui est d’autant moins facile qu’il s’agit d’un Traité disposant <strong>de</strong><br />

nombreux articles <strong>et</strong> qui intervient pour prolonger <strong>et</strong> modifier certains traités<br />

précé<strong>de</strong>nts auxquels il est lié. Outre c<strong>et</strong>te obligation <strong>de</strong> résumer, les autorités<br />

compétentes doivent prendre gar<strong>de</strong> à satisfaire aux obligations <strong>de</strong> <strong>clarté</strong>, d’objectivité<br />

mais également <strong>de</strong> précision. Obligations qui peuvent se révéler contradictoires, la<br />

<strong>clarté</strong> ne se conjuguant pas toujours facilement avec la précision notamment. Dans la<br />

décision n° 288/98 relative au référendum sur la dépénalisation <strong>de</strong> l’interruption<br />

volontaire <strong>de</strong> grossesse 63, le Tribunal constitutionnel a d’ailleurs remarqué que « la<br />

<strong>clarté</strong> d’une question doit être conjuguée avec son objectivité <strong>et</strong> sa précision, ce qui<br />

exige une plus gran<strong>de</strong> complexité <strong>de</strong> la question <strong>et</strong> l’utilisation <strong>de</strong> termes rigoureux,<br />

pour éviter ultérieurement l'existence d'équivoques quant aux solutions r<strong>et</strong>enues <strong>et</strong><br />

61 Arrêt n° 704-2004 du 17 décembre 2004, Diário da República, 1 ère série-A, 30 déc. 2004, p. 7390, cf. F.<br />

Mo<strong>de</strong>rne, RFDA, 2005, pp. 53-55. La question était rédigée <strong>de</strong> la façon suivante : « Etes-vous d’accord avec la<br />

Charte <strong>de</strong>s droits fondamentaux, la règle <strong>de</strong>s votes à la majorité qualifiée <strong>et</strong> le nouveau cadre institutionnel <strong>de</strong><br />

l’Union européenne dans les termes prévus par la constitution pour l’Europe ? ».<br />

62 Plusieurs référendums locaux, qui ne seront pas examinés dans le cadre <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong>, ont également été<br />

rej<strong>et</strong>és pour vice dans la formulation <strong>de</strong> la question posée : Arrêt 360/91 du 9 juill<strong>et</strong> 1991, Acórdãos do Tribunal<br />

constitucional, 19° volume, p. 697 <strong>et</strong> arrêt 432/91 du 14 novembre 1991, Diáro da República du 24 avril 1992,<br />

n° 96, 2° série, p. 3656 cités par BON (P.), “ Le référendum dans les droits ibériques ”, RFDC n° 31-1997, p.<br />

469, note 66. Voir également, les arrêts n° 93/2000 du 15 février 2000 <strong>et</strong> n° 94/2000 du 16 février 2000, Diáro<br />

da República, IIe serie, 29 <strong>et</strong> 30 mars 2000.<br />

63 Diário da República, 18 avril 1998, n° 91, suplemento, série I-A, p. 11.


donnant lieu à <strong>de</strong>s situations non envisagées ou à <strong>de</strong>s lectures ambiguës ». Par<br />

conséquent, l’absence <strong>de</strong> portée normative du texte ainsi que les exigences <strong>de</strong> <strong>clarté</strong>,<br />

d’objectivité <strong>et</strong> <strong>de</strong> précision, n’aboutissent pas forcément à la simplicité <strong>de</strong> la<br />

question, ce qui a été le cas tant pour le Traité d’Amsterdam que pour le proj<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

Constitution européenne. Dès 1996, les députés portugais faisaient d’ailleurs<br />

remarquer la difficulté <strong>de</strong> combiner toutes ces exigences <strong>constitutionnelle</strong>s en<br />

présence <strong>de</strong> traités internationaux <strong>de</strong> plusieurs centaines d’articles 64.<br />

A cela s’ajoute un contrôle rigoureux exercé par le Tribunal constitutionnel. Ainsi, en<br />

1998, pour le Traité d’Amsterdam, le Tribunal constitutionnel a estimé que la<br />

question posée ne répondait pas aux exigences <strong>constitutionnelle</strong>s <strong>de</strong> <strong>clarté</strong>, <strong>de</strong><br />

précision <strong>et</strong> d’objectivité, en raison <strong>de</strong> la multiplicité <strong>de</strong>s interprétations possibles,<br />

« sans que la campagne électorale ne puisse à elle seule garantir que ces ambiguïtés<br />

soient levées avant le jour du scrutin » (§ 14). Notamment, le terme « poursuite » <strong>de</strong><br />

la participation du Portugal à la construction européenne lui est apparu susceptible<br />

d’induire en erreur les citoyens sur le sens <strong>de</strong> la question posée pouvant<br />

éventuellement laisser penser aux votants qu’une réponse négative m<strong>et</strong>trait fin à la<br />

présence du Portugal au sein <strong>de</strong>s Etats-membres <strong>de</strong> l’Union européenne. La<br />

formulation <strong>de</strong> la question pouvait également, d’après la majorité <strong>de</strong>s membres du<br />

Tribunal constitutionnel, laisser croire que l’obj<strong>et</strong> du référendum est l’approbation<br />

du Traité d’Amsterdam en lui-même, alors que ce ne peut pas être le cas. Le<br />

Tribunal constitutionnel estimait, en outre, que la question manquait d’objectivité car<br />

avec le terme <strong>de</strong> « poursuite », ceux craignant qu’une réponse négative induise le<br />

r<strong>et</strong>rait du Portugal <strong>de</strong> l’Union européenne pouvaient être tentés <strong>de</strong> répondre par<br />

l’affirmative afin d’éviter ce risque, passant par la même à côté <strong>de</strong> la question<br />

essentielle : celle d’un accord avec les orientations prévues dans le cadre du Traité<br />

d’Amsterdam 65.<br />

64 Diário da Assembleia da República, II, nº 11-RC, reunião <strong>de</strong> 25 <strong>de</strong> Junho <strong>de</strong> 1996 da Comissão eventual para<br />

a Revisão Constitucional, p. 189 <strong>et</strong> 190 cité par le Tribunal constitutionnel portugais dans la décision n°<br />

531/1998.<br />

65 Cf. § 15.


Dans <strong>de</strong>ux opinions séparées, les juges Paolo Mota Pinto <strong>et</strong> Nunes <strong>de</strong> Almeida ont<br />

cependant exprimé, à juste titre à nos yeux, leur désaccord par rapport à la décision<br />

du Tribunal. Le premier considère que le Tribunal est allé trop loin 66 <strong>et</strong> qu’il ne faut<br />

pas confondre « la <strong>clarté</strong> <strong>de</strong> la question, considérée en elle-même, avec le manque <strong>de</strong><br />

clarification (que <strong>de</strong>vra résulter justement <strong>de</strong> la campagne électorale) sur le contenu<br />

<strong>et</strong> le sens <strong>de</strong> la convention en cause ». En eff<strong>et</strong>, l’article 39 al. 1 <strong>de</strong> la loi organique sur<br />

le référendum prévoit expressément que « La campagne pour le référendum consiste<br />

dans la justification <strong>et</strong> l’éclaircissement <strong>de</strong>s questions soumises à référendum <strong>et</strong> dans<br />

la promotion <strong>de</strong>s options correspondantes, dans le respect <strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> l’Etat <strong>de</strong><br />

droit démocratique ». On peut ajouter à c<strong>et</strong>te remarque que la construction <strong>de</strong> la<br />

question a fait également l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> discussions au sein <strong>de</strong> l’Assemblée <strong>de</strong> la<br />

République afin <strong>de</strong> r<strong>et</strong>enir la version qui semble la plus exacte par rapport au texte<br />

dont la ratification est envisagée. Par conséquent, le texte présenté au peuple n’est<br />

pas une formulation brute, il est passé par la médiation <strong>de</strong>s représentants du peuple.<br />

Pour le juge Nunes <strong>de</strong> Almeida , « le seul élément susceptible <strong>de</strong> susciter <strong>de</strong>s doutes<br />

serait l'expression "dans le cadre du Traité d'Amsterdam" », qui suppose une<br />

connaissance générale <strong>de</strong>s étapes antérieures. Il estime que ceux qui s’appuient sur<br />

une multiplicité d’interprétations possibles « se placent sur un plan argumentatif qui<br />

n'est pas celui dans lequel se situe le citoyen commun ». Le sens <strong>de</strong> la question était<br />

clair, <strong>de</strong> son point <strong>de</strong> vue. On peut adhérer à ces raisonnements car même si le terme<br />

« poursuite » était susceptible d’interprétations ambiguës, la campagne aurait pu<br />

perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> lever ces ambiguïtés. Toutefois, en comparant c<strong>et</strong>te jurispru<strong>de</strong>nce avec<br />

la jurispru<strong>de</strong>nce du Conseil constitutionnel, <strong>et</strong> notamment la décision 428 DC dans<br />

laquelle il a émis une réserve d’interprétation pour que soit rappelé à la population le<br />

caractère strictement consultatif du référendum, il est permis <strong>de</strong> penser que ce type<br />

<strong>de</strong> question aurait pu également être censuré en France.<br />

La formulation du référendum <strong>de</strong> 2005 <strong>et</strong> sa censure par le Tribunal constitutionnel a<br />

suscité moins <strong>de</strong> critiques. En eff<strong>et</strong>, la question était ainsi rédigée : « Etes-vous<br />

66 Il déclare notamment « Je ne suis d'accord, donc, avec le constat <strong>de</strong> l’ambiguïté "intrinsèque" <strong>et</strong> du manque <strong>de</strong><br />

<strong>clarté</strong> <strong>de</strong> la question sur la base <strong>de</strong> la "simple possibilité" <strong>de</strong> lui attribuer plus d’un sens, soutenu par le recours à<br />

une métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> lecture "partielle" (...) <strong>de</strong> la question - car, avec c<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong>, on pourrait conclure au manque<br />

<strong>de</strong> <strong>clarté</strong> pratiquement <strong>de</strong> n’importe quelle question (à l’exception seulement <strong>de</strong>s plus simples) ».


d’accord avec la Charte <strong>de</strong>s droits fondamentaux, la règle <strong>de</strong>s votes à la majorité<br />

qualifiée <strong>et</strong> le nouveau cadre institutionnel <strong>de</strong> l’Union européenne dans les termes<br />

prévus par la constitution pour l’Europe ? ». Là encore, les autorités compétentes ont<br />

tenté <strong>de</strong> résumer les éléments principaux du Traité instituant une Constitution pour<br />

l’Europe. Plusieurs versions ont été discutées au sein <strong>de</strong> l’Assemblée <strong>de</strong> la<br />

République. La proposition issue <strong>de</strong> la résolution 290/IX énonçait "Etes-vous<br />

d’accord avec une modification <strong>de</strong>s institutions <strong>et</strong> <strong>de</strong>s compétences <strong>de</strong> l’Union<br />

européenne, en application du Traité qui établit une Constitution pour l’Europe ? ».<br />

Le proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> résolution n° 291/IX proposait quant à lui « Etes-vous d’accord avec<br />

l’adhésion du Portugal au nouveau traité qui institue une Constitution pour<br />

l’Europe ? ».<br />

Peut-être, dans le prolongement <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> 1998 <strong>et</strong> <strong>de</strong> la rigueur du<br />

contrôle exercé par le Tribunal constitutionnel, pouvait-on reprocher à ces textes un<br />

manque <strong>de</strong> précision <strong>et</strong>, par suite, <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>de</strong> l’obj<strong>et</strong> même du référendum. Le choix<br />

<strong>de</strong> l’Assemblée <strong>de</strong> la République s’est finalement porté sur un texte réunissant trois<br />

questions pour une seule réponse. Cependant, comme l’a souligné le Tribunal, les<br />

questions n’étaient pas liées au point que le citoyen interrogé puisse être<br />

nécessairement favorable ou défavorable à toutes. Il est en eff<strong>et</strong> possible, par<br />

exemple, d’être favorable à la Charte <strong>de</strong>s droits fondamentaux, défavorable à la règle<br />

<strong>de</strong> la majorité qualifiée <strong>et</strong> défavorable au nouveau cadre institutionnel prévu. Il y<br />

avait autant <strong>de</strong> choix que <strong>de</strong> combinaisons possibles. Or, offrir une seule réponse<br />

pour trois questions différentes est manifestement contraire à la liberté <strong>de</strong> vote à<br />

laquelle concourent les exigences <strong>de</strong> <strong>clarté</strong>, <strong>de</strong> précision <strong>et</strong> d’objectivité <strong>de</strong> la question<br />

référendaire. Par ailleurs, formulée <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te manière, le Tribunal constitutionnel a<br />

estimé que la finalité <strong>de</strong> la question – qui est <strong>de</strong> savoir si les citoyens sont favorables<br />

à la Constitution pour l’Europe – n’était pas claire 67. Il a considéré en outre, <strong>et</strong> c’est là<br />

que se perçoit encore plus n<strong>et</strong>tement la rigueur du contrôle exercé par la Haute<br />

juridiction, que chacune <strong>de</strong>s questions contenues dans la proposition était susceptible<br />

d’être interprétée dans <strong>de</strong>s sens différents, donc elles-mêmes ne répon<strong>de</strong>nt pas à<br />

l’exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong>.<br />

67 § 7. 1 <strong>de</strong> la décision 704/2004.


Suite à ces <strong>de</strong>ux échecs <strong>et</strong> particulièrement le second, la solution n’a pas été <strong>de</strong><br />

reformuler la question <strong>de</strong> manière plus simple mais <strong>de</strong> prévoir une modification <strong>de</strong><br />

la Constitution afin <strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tre que la ratification <strong>de</strong>s traités relatifs à la<br />

construction ou (l’élargissement) <strong>de</strong> l’Union européenne soit directement soumise au<br />

référendum. Cela s’est traduit par l’adjonction d’un article 295 à la Constitution 68 <strong>et</strong><br />

non par l’ajout d’une disposition à l’article 115. Pour autant, ce nouveau type <strong>de</strong><br />

référendum ne pourra pas échapper au contrôle du Tribunal constitutionnel <strong>et</strong><br />

notamment au respect <strong>de</strong>s exigences <strong>de</strong> <strong>clarté</strong>, d’objectivité <strong>et</strong> <strong>de</strong> précision prévues à<br />

l’article 115 al. 6. Ce qui confirme que, comme en France, ce principe <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> est<br />

applicable à tout type <strong>de</strong> consultation. En outre, une modification <strong>de</strong> la loi organique<br />

(Loi n° 4/2005 du 8 septembre 2005) a été réalisée afin d’assouplir les limites<br />

circonstancielles à la convocation d’un référendum. En eff<strong>et</strong>, aucun référendum ne<br />

pouvait être réalisé en cas <strong>de</strong> proximité d’une échéance électorale, ce qui conduisait<br />

pour l’année 2006, a ne rendre possible ni un nouveau référendum sur<br />

l’avortement 69, ni un référendum sur la Constitution européenne.<br />

Par c<strong>et</strong>te révision <strong>constitutionnelle</strong>, le référendum conventionnel portugais se<br />

rapproche du référendum national à la française, il sera donc intéressant <strong>de</strong><br />

comparer les approches <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux juridictions nationales dans l’application <strong>de</strong><br />

l’exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> lors d’une éventuelle prochaine consultation sur l’Union<br />

européenne.<br />

Les jurispru<strong>de</strong>nces italiennes <strong>et</strong> portugaises qui paraissent très rigoureuses <strong>et</strong> qui ont<br />

fait l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> critiques posent nécessairement la question <strong>de</strong>s limites au contrôle du<br />

juge. En eff<strong>et</strong>, comme pour la <strong>clarté</strong> <strong>de</strong> la loi ou <strong>de</strong>s débats parlementaires en France,<br />

la <strong>clarté</strong> d’une consultation est une notion empreinte d’une certaine relativité voire<br />

subjectivité.<br />

68 C<strong>et</strong> article prévoit que « La disposition n°3 <strong>de</strong> l’article 115 ne préjudicie pas à la possibilité <strong>de</strong> convoquer <strong>et</strong><br />

d’effectuer un référendum sur l’approbation d’un traité qui vise à la construction ou à l’approfondissement <strong>de</strong><br />

l’Union européenne ».<br />

69 En outre, dans l’arrêt n° 578/2005 du 28 octobre 2005 le Tribunal constitutionnel portugais a estimé que la<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> référendum sur l’IVG violait l’art. 115 al. 10 <strong>de</strong> la Constitution <strong>et</strong> l’article 36 al. 3 <strong>de</strong> la loi<br />

organique sur le référendum national (« La proposition <strong>de</strong> référendum <strong>de</strong> l’Assemblée <strong>de</strong> la République rej<strong>et</strong>ée<br />

par le Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République ne peut être représentée dans la même session »).


B – La question <strong>de</strong>s limites au contrôle du juge<br />

Au regard <strong>de</strong> l’interprétation <strong>de</strong> ces exigences par les juridictions étrangères <strong>et</strong><br />

notamment, en ce qui concerne la <strong>clarté</strong> <strong>de</strong> la question elle-même, il convient <strong>de</strong> se<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si les juges français du Conseil constitutionnel <strong>et</strong> du Conseil d’Etat ne se<br />

sont pas montrés trop complaisants dans le contrôle qu’ils ont parfois exercés sur le<br />

respect <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te double exigence.<br />

Ainsi, le <strong>de</strong>rnier paragraphe <strong>de</strong> l’exposé <strong>de</strong>s motifs au proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> loi <strong>de</strong> ratification du<br />

Traité instituant une Constitution pour l’Europe n’était-il pas critiquable dans sa<br />

rédaction quant à la référence aux conséquences <strong>de</strong> la décision rendue par le Conseil<br />

constitutionnel le 19 novembre 2004 70 ? Les rédacteurs <strong>de</strong> c<strong>et</strong> exposé <strong>de</strong>s motifs, pour<br />

être tout à fait honnête, n’aurait-ils pas dûs préciser que le Conseil constitutionnel<br />

avait déclaré certains aspects du Traité contraire à la Constitution comme portant<br />

atteinte aux conditions essentielles <strong>de</strong> la souverain<strong>et</strong>é nationale <strong>et</strong> que ceci avait<br />

justifié une révision <strong>constitutionnelle</strong> ? De même, la question <strong>de</strong> principe posée aux<br />

habitants <strong>de</strong> la Gua<strong>de</strong>loupe en 2003 était certes, précise, mais était-elle suffisamment<br />

claire pour les citoyens appelés à se prononcer 71 ? Ils étaient, en eff<strong>et</strong>, interrogés sur<br />

le principe d’une substitution <strong>de</strong>s collectivités existantes par une nouvelle collectivité<br />

dont ils ne connaissaient pas le contenu. De même encore, la référence dans les visas<br />

du décr<strong>et</strong> aux seules « délibérations » du Congrès <strong>de</strong>s élus régionaux <strong>de</strong> la<br />

Gua<strong>de</strong>loupe aurait pu être considérée comme une violation (certes minime) <strong>de</strong> la<br />

double exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s consultations 72.<br />

D’un autre côté, la reconnaissance <strong>de</strong> la violation <strong>de</strong> l’exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong><br />

<strong>de</strong>s consultations aurait conduit à l’annulation <strong>de</strong>s décr<strong>et</strong>s en cause, donc aurait<br />

repoussé l’organisation du scrutin. En se livrant à un contrôle minimum qui consiste<br />

à ne sanctionner qu’une violation manifeste <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te exigence, les juridictions se<br />

70 Sur ce point, nous renvoyons à notre commentaire à la RFDC, 2005, n° 63, pp. 627-629.<br />

71 Cf. J.-L. Capitolin, « La <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> la <strong>loyauté</strong> d’une consultation préalable à l’évolution institutionnelle au sein<br />

<strong>de</strong> la République » ? RFDC, 2005, n° 64, pp. 781-804.<br />

72 Cf. J.-L. Capitolin, précité, pp. 798 <strong>et</strong> ss.


montrent déférentes envers les autorités législatives <strong>et</strong> réglementaires chargées<br />

d’organiser la consultation. Or, il est possible <strong>de</strong> supposer, eu égard à la<br />

jurispru<strong>de</strong>nce du Tribunal constitutionnel portugais, que la question posée aux<br />

électeurs <strong>de</strong> la Gua<strong>de</strong>loupe n’aurait pas été jugée <strong>constitutionnelle</strong> en raison <strong>de</strong> son<br />

manque <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> ; la longueur <strong>de</strong> la phrase étant en elle-même source <strong>de</strong> complexité.<br />

Toutefois, au regard <strong>de</strong>s critiques qu’a pu susciter la rigueur du contrôle du juge<br />

constitutionnel portugais, plusieurs questions se posent : la campagne électorale<br />

peut-elle suffire à éclaircir <strong>de</strong>s questions qui par soucis <strong>de</strong> précision ne sont pas<br />

immédiatement intelligibles ? L’exercice d’un contrôle plus poussé n’aboutirait-il pas<br />

à infantiliser le peuple ? Où se situe le juste milieu entre la recherche <strong>de</strong> la <strong>clarté</strong>, <strong>de</strong><br />

la <strong>loyauté</strong>, <strong>de</strong> la sincérité <strong>de</strong> la consultation <strong>et</strong> un encadrement trop rigi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

consultation qui peut avoir pour eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> dissua<strong>de</strong>r <strong>de</strong> recourir au référendum par<br />

crainte d’être désavoué par les juges ?<br />

Le non opposé à un référendum ne peut-il suffire à perm<strong>et</strong>tre au peuple <strong>de</strong> refuser<br />

<strong>de</strong> s’exprimer sur une question ou, plus généralement, un texte trop complexe ?<br />

1 – Exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>et</strong> campagne référendaire<br />

Les manipulations auxquelles peuvent donner lieu les questions référendaires, la<br />

confusion <strong>de</strong> certaines d’entre elles font que les risques d’une question équivoque,<br />

confuse, plurale sont une réalité qui justifie que soit imposé ce type d’exigence en cas<br />

<strong>de</strong> recours au référendum même dans une démocratie. Il est vrai par ailleurs que<br />

sans contrôle une norme est inefficace. Toutefois, quelle part doit être laissée à la<br />

campagne préalable au référendum dans la clarification du sens ou <strong>de</strong> la portée<br />

d’une question ou d’un texte soumis au référendum ? La jurispru<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la Cour<br />

<strong>constitutionnelle</strong> italienne en matière <strong>de</strong> référendum abrogatif, <strong>et</strong> en particulier<br />

concernant le critère <strong>de</strong> l’homogénéité, avait conduit un auteur italien à dénoncer<br />

une infantilisation du peuple par la Haute Juridiction 73. L’ensemble <strong>de</strong>s précautions<br />

prises par c<strong>et</strong>te Cour contribuerait-elle à infantiliser le peuple en le surprotégeant, en<br />

considérant qu’il est incapable <strong>de</strong> percevoir par lui-même la portée d’une question ?<br />

73 G. Neppi Modona, « La Corte protegge il popolo-bambino », La Reppublica, 10 février 1978.


La même interrogation peut être soulevée à propos <strong>de</strong> la jurispru<strong>de</strong>nce du Tribunal<br />

constitutionnel portugais, qui montre peut-être un zèle excessif dans l’application<br />

<strong>de</strong>s dispositions <strong>constitutionnelle</strong>s relative à la formulation <strong>de</strong>s questions<br />

référendaires. En eff<strong>et</strong>, il est bien difficile <strong>de</strong> savoir comment les parlementaires<br />

auraient dû formuler les questions relatives à l’approbation du traité d’Amsterdam <strong>et</strong><br />

du Traité instituant une Constitution pour l’Europe pour satisfaire aux exigences <strong>de</strong><br />

<strong>clarté</strong>, d’objectivité <strong>et</strong> <strong>de</strong> précision sans encourir le risque <strong>de</strong> censure du juge<br />

constitutionnel ; alors que <strong>de</strong>s questions moins précises n’ont pas soulevé autant <strong>de</strong><br />

difficultés dans les autres pays. En outre, un encadrement trop rigi<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

consultation comporte le risque d’avoir pour eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> dissua<strong>de</strong>r <strong>de</strong> recourir au<br />

référendum par crainte d’être désavoué par les juges.<br />

A la question <strong>de</strong> savoir si la campagne référendaire est suffisante pour remédier aux<br />

défauts d’une question manquant <strong>de</strong> <strong>clarté</strong>, les juges italiens <strong>et</strong> portugais ont déjà<br />

répondu. Pour le juge constitutionnel italien, “ (…) quand la question ne se révèle<br />

pas marquée par la simplicité, la <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> la cohérence, il est illusoire <strong>de</strong> croire que la<br />

campagne référendaire suffira à rendre vraiment <strong>et</strong> parfaitement simple ce qui est<br />

complexe, clair ce qui est obscur, cohérent ce qui est contradictoire. En fait, alors, la<br />

possibilité <strong>de</strong> choix <strong>de</strong>s électeurs peut apparaître fictive, car en réalité aucune liberté<br />

<strong>de</strong> choix ne leur est laissée autre que celle d'exprimer un vote qui n'est pas sincère ou<br />

<strong>de</strong> choisir <strong>de</strong> ne pas choisir ” 74. Il en va <strong>de</strong> même pour le juge constitutionnel<br />

portugais qui, à propos <strong>de</strong> la question relative au traité d’Amsterdam expliquait que,<br />

rédigée en ces termes, « (...) il ne semble pas que les insuffisances <strong>de</strong> la question<br />

puissent être comblées par la campagne électorale à réaliser à c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>, du moment<br />

que rien ne garantit que son caractère intrinsèquement équivoque ne soit pas<br />

maintenu <strong>et</strong> soit utilisé jusqu’au moment du vote » 75. Pour la Constitution<br />

européenne, il a affirmé que « la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> campagne sert à éclaircir la matière sur<br />

laquelle la question est posée <strong>et</strong> non à clarifier la question » 76.<br />

74 Sentence n° 27 <strong>de</strong>s 10-13 février 1981, Gazz. Uff. du 17 fév. 1981, n° 48.<br />

75 § 14, décision n° 531/1998, précitée.<br />

76 § 7.2 <strong>de</strong> la décision n° 704/2004, précitée.


Il est possible d’adhérer au raisonnement <strong>de</strong> la Cour <strong>constitutionnelle</strong> italienne<br />

en raison du contexte particulièrement complexe, <strong>et</strong> source d’équivoques, dans<br />

lequel interviennent les référendums abrogatifs italiens ; ce risque <strong>de</strong> confusion étant<br />

amplifié par le fait que toutes les <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s <strong>de</strong> référendums examinées par la Cour<br />

en début d’année sont soumises au vote du peuple le même jour. En revanche, le<br />

contexte dans lequel intervient le référendum portugais ne présente pas les mêmes<br />

caractéristiques : certes la question soumise au vote peut également provenir d’une<br />

initiative populaire mais, dans les <strong>de</strong>ux cas examinés précé<strong>de</strong>mment la question<br />

avait été discutée <strong>et</strong> formulée par l’Assemblée <strong>de</strong> la République, donc par <strong>de</strong>s<br />

représentants à l’issue <strong>de</strong> débats. En second lieu, la proposition présentée au peuple<br />

même si elle peut paraître complexe, l’est certainement moins que ne l’est la<br />

proposition d’abrogation partielle d’une loi italienne. Enfin, le contrôle obligatoire<br />

exercé par le Tribunal constitutionnel est la garantie qu’une proposition<br />

manifestement confuse ou volontairement équivoque ne passera pas. Or, tant en 1998<br />

qu’en 2005, pour s’en tenir aux référendums nationaux, les questions ne paraissaient<br />

d’une confusion <strong>et</strong> d’une ambiguïté telles que la campagne n’aurait pas été en<br />

mesure <strong>de</strong> les surmonter. A la condition, bien sûr, que c<strong>et</strong>te campagne référendaire<br />

soit une véritable campagne avec <strong>de</strong>s partisans <strong>et</strong> <strong>de</strong>s opposants disposant <strong>de</strong>s<br />

moyens <strong>de</strong> s’exprimer mais également une campagne officielle <strong>de</strong>stinée à éclaircir le<br />

sens <strong>de</strong>s textes qu’un accord <strong>de</strong> principe pourrait conduire à approuver.<br />

2 – Exigence <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>loyauté</strong> <strong>et</strong> rigueur du contrôle<br />

L’autre question qui se pose est <strong>de</strong> savoir jusqu’à quel point ce contrôle est<br />

nécessaire, jusqu’à quel point peut-on reprocher à un référendum d’être confus.<br />

D’après les sondages, la première cause <strong>de</strong> rej<strong>et</strong> <strong>de</strong> la Constitution européenne lors<br />

du référendum du 29 mai 2005 aurait été la complexité du texte. Cela pourrait-il<br />

justifier qu’une question ne soit pas soumise au peuple ? La précision <strong>et</strong> la rigueur<br />

d’un texte normatif est difficilement compatible avec l’idée <strong>de</strong> simplicité. Certaines<br />

dispositions <strong>de</strong> la Constitution européenne sont très simples <strong>et</strong> facilement<br />

compréhensibles, d’autres sont plus complexes car plus techniques <strong>et</strong> l’ensemble du


texte, sa longueur, ses annexes font que, s’ils ne sont pas expliqués, le contenu <strong>de</strong> ce<br />

texte, son sens <strong>et</strong> sa portée sont presque impossibles à percevoir pour le citoyen<br />

« ordinaire ». Deux solutions sont alors possibles : soit il est décidé <strong>de</strong> ne pas<br />

interroger le peuple sur <strong>de</strong>s textes complexes <strong>et</strong>, dans ce cas, les interventions<br />

directes du souverain seraient limitées à <strong>de</strong>s questions simples (mo<strong>de</strong> d’élection du<br />

Prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République, durée du mandat prési<strong>de</strong>ntiel) au risque <strong>de</strong> raréfier<br />

encore plus le recours à ce procédé ; soit on considère, comme c’est le cas, que ce<br />

n’est pas sur le sens précis <strong>de</strong> chaque disposition du texte que les citoyens sont<br />

interrogés mais sur l’idée générale portée par le texte dans sa globalité <strong>et</strong> sous<br />

couvert <strong>de</strong>s explications apportées par la campagne référendaire pour <strong>de</strong>s<br />

dispositions particulières. Dans ce cas, ce n’est pas la complexité d’un texte dont<br />

l’approbation est proposée au référendum qui doit être examinée, d’autant que ce<br />

texte est le résultat <strong>de</strong> débats, <strong>de</strong> compromis <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong>s Etats européens.<br />

Ce faisant, le contrôle doit porter plus sur la <strong>loyauté</strong>, la sincérité voire même<br />

l’efficacité <strong>de</strong> la campagne pour s’assurer que les citoyens ont été mis en mesure <strong>de</strong><br />

s’informer correctement du sens <strong>et</strong> <strong>de</strong> la portée <strong>de</strong> chaque alternative qui leur est<br />

proposée, que sur la complexité du texte auquel la question se réfère.<br />

Il en va autrement, en revanche, lorsque le texte proposé provient d’une initiative<br />

populaire. Certes, le contrôle <strong>de</strong> la bonne information <strong>de</strong>s citoyens est nécessaire,<br />

mais il sera également important <strong>de</strong> lever toute équivoque quant au sens ou aux<br />

interprétations possibles du texte, ce qui justifie un contrôle poussé <strong>de</strong> la part <strong>de</strong><br />

l’autorité chargée <strong>de</strong> l’exercer 77. Cependant, encore faut-il que ce contrôle repose sur<br />

<strong>de</strong>s critères précis <strong>et</strong> compréhensibles par ceux qui élaborent la question. A ce suj<strong>et</strong>,<br />

la Cour <strong>constitutionnelle</strong> italienne avait été particulièrement critiquée en raison du<br />

caractère fluctuant <strong>de</strong> sa jurispru<strong>de</strong>nce relative au critère d’homogénéité 78. D’ailleurs,<br />

tous les juges exerçant ce type <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong>vraient faire un effort particulier pour<br />

expliciter les critères objectifs sur lesquels repose leur examen.<br />

77 Sur c<strong>et</strong>te question, voir Le contrôle du référendum par la justice <strong>constitutionnelle</strong>, précité, avec les exemples<br />

<strong>de</strong> l’Italie <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Etats-Unis, notamment pp. 170 à 176.<br />

78 Cf. Le contrôle du référendum par la justice <strong>constitutionnelle</strong>, précité, pp. 312-318.


Par ailleurs, il arrive souvent que soit dénoncé le caractère plébiscitaire <strong>de</strong> certains<br />

référendums portant sur <strong>de</strong>s textes complexes mais, comme Jean-Marie DENQUIN a<br />

pu le démontrer dans sa thèse 79, il est difficile <strong>et</strong> parfois impossible <strong>de</strong> distinguer le<br />

référendum du plébiscite car lorsque les citoyens ne peuvent pas par eux-mêmes<br />

percevoir toutes les implications <strong>de</strong> leur vote, ils font confiance à la campagne<br />

référendaire <strong>et</strong> aux partis <strong>et</strong> groupements politiques pour ai<strong>de</strong>r leur prise <strong>de</strong><br />

décision, ils essaient également d’évaluer quelles pourraient être les conséquences<br />

d’un vote négatif. Si bien que le référendum par le fait même qu’il s’agit d’un vote<br />

bloqué, sans discussions ni amen<strong>de</strong>ments possibles, a nécessairement un caractère<br />

plébiscitaire 80 surtout lorsqu’il porte sur <strong>de</strong>s questions aussi complexe que la<br />

ratification d’un Traité international <strong>de</strong>stiné à instituer une Constitution pour<br />

l’Europe. Cela est logique lorsque l’on songe que le référendum est, dans les trois<br />

pays étudiés (France, Italie, Portugal) un instrument exceptionnel s’insérant dans la<br />

démocratie représentative 81. Le rej<strong>et</strong> d’un texte par un référendum se soldant par un<br />

résultat négatif peut d’ailleurs marquer à la fois le rej<strong>et</strong> du texte lui-même (la non-<br />

adhésion à son contenu matériel) mais également un avertissement donné aux<br />

hommes politiques concernant le manque <strong>de</strong> <strong>clarté</strong> du texte soumis aux citoyens<br />

ainsi que les insuffisances <strong>de</strong> la campagne d’information autour <strong>de</strong> ce texte.<br />

Cependant, affirmer qu’un contrôle juridictionnel <strong>de</strong> la <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> la <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong> la<br />

question ne serait pas nécessaire au motif que les citoyens sont suffisamment<br />

clairvoyants pour rej<strong>et</strong>er un texte équivoque du seul fait qu’il soit équivoque, n’est<br />

pas convaincant car, il se peut que les citoyens adhérent à l’idée générale poursuivie<br />

par le texte <strong>et</strong>, par crainte qu’un vote négatif mène à l’immobilisme, votent<br />

favorablement même si ce texte est confus ou ambiguë quant à ses eff<strong>et</strong>s. Par<br />

conséquent, le contrôle <strong>de</strong> la <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> la <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong> la consultation est bien<br />

nécessaire mais l’autorité chargée <strong>de</strong> vérifier la <strong>clarté</strong> du référendum doit moins<br />

chercher à écarter les risques <strong>de</strong> plébiscite, dans une démocratie <strong>constitutionnelle</strong><br />

stable, que <strong>de</strong> s’opposer à tout type <strong>de</strong> référendum manipulateur susceptible <strong>de</strong><br />

79 J.-M. Denquin, Référendum <strong>et</strong> plébiscite : essai <strong>de</strong> théorie générale, L.G.D.J., 1976, 350 p.<br />

80 Dans le même sens, voir J. Giudicelli, « Quelques propositions naïves pour la résurgence <strong>de</strong> l’instrument<br />

référendaire », in Liber amoricum Jean-Clau<strong>de</strong> ESCARRAS, La communicabilité entre les systèmes juridiques,<br />

dir. M. Baudrez <strong>et</strong> Th. Di Manno, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 520.<br />

81 Cf. Luciani, précité, p. 13.


trahir la confiance <strong>de</strong>s citoyens. Car à trop vouloir préserver le caractère<br />

« authentique » <strong>de</strong> la démocratie, pour se rapprocher <strong>de</strong> l’idéal démocratique <strong>de</strong><br />

l’expression directe <strong>de</strong> la souverain<strong>et</strong>é, le risque est <strong>de</strong> condamner le recours au<br />

référendum.<br />

Enfin, pour en revenir à la question du contrôle <strong>de</strong> la <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> la <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong><br />

l’exposé <strong>de</strong>s motifs au proj<strong>et</strong> <strong>de</strong> loi <strong>de</strong> ratification du Traité instituant une<br />

Constitution européenne, exercé par le Conseil constitutionnel français notamment<br />

dans la décision du 19 mai 2005, Gabarro-Arpa <strong>et</strong> Hoffer 82, s’il on peut critiquer le<br />

Conseil constitutionnel pour n’avoir pas relevé la confusion que pouvait faire naître<br />

c<strong>et</strong> exposé par rapport à sa décision rendue le 19 novembre 2004 83, sans doute pour<br />

éviter que c<strong>et</strong>te décision soit mal interprétée par les citoyens, on peut également<br />

souligner que le Conseil constitutionnel aurait pu refuser <strong>de</strong> contrôler c<strong>et</strong> acte<br />

politique. Il a donc fait, au final, un compromis entre le respect <strong>de</strong> l’Etat <strong>de</strong> droit <strong>et</strong> le<br />

respect <strong>de</strong> la démocratie <strong>et</strong> <strong>de</strong>s citoyens eux-mêmes, d’un côté, <strong>et</strong> la déférence<br />

nécessaire envers un acte politique. Même si le juriste-chercheur peut critiquer la<br />

réserve du Conseil constitutionnel dans un souci d’idéal, le fait que la Haute<br />

juridiction ait accepté <strong>de</strong> contrôler c<strong>et</strong> acte constitue une nouvelle garantie<br />

importante pour les citoyens <strong>et</strong> confirme le rôle <strong>et</strong> la place du Conseil constitutionnel,<br />

dans le respect <strong>de</strong> la démocratie <strong>et</strong> du pouvoir souverain.<br />

Le contrôle <strong>de</strong> la <strong>clarté</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> la <strong>loyauté</strong> <strong>de</strong>s consultations par le Conseil<br />

constitutionnel ne peut donc qu’être salué tant en ce qui concerne la reconnaissance<br />

prétorienne <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te exigence que le contrôle mesuré auquel elle a donné lieu. Il serait<br />

cependant utile que le constituant vienne imposer le contrôle systématique <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

82 Précitée, cons. n° 12 <strong>et</strong> 13 : « 12. Considérant que, selon le <strong>de</strong>rnier paragraphe <strong>de</strong> l'exposé <strong>de</strong>s motifs : " Le<br />

traité établissant une Constitution pour l'Europe a été examiné par le Conseil constitutionnel. Il a fait l'obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> sa<br />

décision du 19 novembre 2004. La lecture qu'il en a faite montre que ce traité respecte les éléments inhérents à<br />

notre tradition <strong>constitutionnelle</strong> nationale, s'agissant notamment <strong>de</strong> la laïcité <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'égalité <strong>de</strong>s droits <strong>et</strong> <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> tous les citoyens, sans distinction d'origine, <strong>de</strong> sexe, <strong>de</strong> race ou <strong>de</strong> religion. C'est compte tenu <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

lecture que la Constitution française a été révisée par la loi <strong>constitutionnelle</strong> du 1er mars 2005 <strong>et</strong> que le Peuple<br />

français est appelé à se prononcer sur le traité par référendum " ;<br />

13. Considérant que c<strong>et</strong>te formulation, qui a pour obj<strong>et</strong> d'expliciter la portée <strong>de</strong> la référence faite à la décision du<br />

Conseil constitutionnel du 19 novembre 2004 dans les visas du décr<strong>et</strong> du 9 mars 2005 susvisé, ne comporte<br />

aucune information erronée ou <strong>de</strong> nature à induire en erreur les électeurs ».<br />

83 Décision n°2004-505 DC, rec. p. 173.


exigence pour tout type <strong>de</strong> consultation <strong>et</strong> non que ce contrôle dépen<strong>de</strong> <strong>de</strong>s griefs<br />

soulevés occasionnellement par les requérants.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!