LA COMPAGNIE DIFÉ KAKO - Compagnie DIFEKAKO
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La compagnie Difé KaKo<br />
ANNEXE<br />
PÉDAGOGIQUE<br />
&<br />
DOCUMENTS<br />
SOLO<br />
«ON T’APPELLE<br />
VÉNUS»
Sommaire<br />
Approche pédagogique<br />
- Liens avec les programmes scolaires<br />
- Les intervenantes<br />
Documents annexes<br />
- Contexte historique<br />
- Lettre d’Aminata Traoré au Musée du Quai branly<br />
- Rapport sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la restitution par la<br />
France de la dépouille mortelle de Saartijie Baartman à l’Afrique du Sud<br />
Articles de presse<br />
- Le Monde Magazine, La vraie vie de la Vénus noire, 23/10/2010<br />
- Le Figaro<br />
Bibliographie<br />
1
Approches pédagogiques (en cours...)<br />
LIENS AVEC LES PROGRAMMES<br />
SCO<strong>LA</strong>IRES<br />
Il nous semble que le sujet pourrait être<br />
étudié en lien avec les programmes<br />
d’histoire/géographie suivants:<br />
- le programme : thème 5 de<br />
l’enseignement commun 2 nde<br />
- partie n°3 des enseignements de 4e<br />
sur le XIXe siècle<br />
- Partie n°III des enseignements de 3e<br />
sur la décolonisation<br />
L’histoire de la Vénus hottentote permet<br />
d’aborder la question de l’esclavage et de<br />
son abolition, ainsi que celle du racisme dit<br />
« scientifique ». La vie de Sarah Baartman<br />
coïncide avec les mouvements abolitionnistes<br />
anglais et avec les changements de<br />
position de Napoléon sur ce point.<br />
Des intervenants de l’équipe pédagogique<br />
de Difé Kako seront amenés à venir<br />
soutenir les actions de Chantal Loïal dans le<br />
cadre des ateliers prévus ci-dessous<br />
APPROCHE CHANTAL LOÏAL<br />
Travail sur la thématique du corps, des migrations<br />
de l’exclusion, abordée dans le cadre<br />
de la pratique d’exercices corporels autour<br />
de la nouvelle création de la compagnie Difé<br />
Kako sur le thème de la Vénus Hottentote.<br />
Aborder l’itinéraire singulier de cette femme,<br />
au XVIIIe siècle, ballotée depuis l’Afrique<br />
jusqu’à l’Europe, pour être montrée comme<br />
objet de curiosité du fait de ses particularités<br />
physiques, permettra d’aborder la question<br />
des migrations, du rapport à l’altérité et<br />
à l’exclusion dans une perspective contemporaine.<br />
Par un travail sur les danses issues<br />
d’Afrique Centrale et du Sud, les thèmes du<br />
rapport à la différence, aux sociétés dites du<br />
« sud » seront évoquées, posant la question<br />
de l’Autre par rapport à Soi.<br />
Un dossier pédagogique sera remis aux enseignants<br />
contenant une documentation<br />
sur la Vénus et notamment un visionnage<br />
du nouveau Film d’Abdellatif Kechiche «<br />
Vénus Noire » peut être proposé. Dans tous<br />
les cas une préparation sur ce thème est à<br />
prévoir avec les enseignants et l’équipe de<br />
Difé Kako (cf.annexe pédagoique détaillée<br />
ci-dessous).<br />
Objectifs :<br />
- Faire un travail autour du corps<br />
comme lieu de l’exclusion dans notre société<br />
et sur le rapport à l’apparence et aux<br />
clichés sur la culture de l’Autre<br />
- Se confronter à nos préjugés et nos réactions<br />
quotidiennes face à l’Autre, démonter<br />
les mécanismes du racisme ordinaire fondé<br />
sur l’apparence et l’histoire économique<br />
et sociale).<br />
2
Nous nous proposons de travailler avec les<br />
élèves et les enseignants suivant deux axes :<br />
Une première approche abordera l’histoire<br />
de la Vénus Hottentote par la fin, c’est à dire<br />
le rapatriement de ses restes en Afrique<br />
du Sud, fait d’autant plus d’actualité que la<br />
coupe du Monde a mis en lumière tout particulièrement<br />
les paradoxes de cette nation,<br />
entre pays fer de lance de la lutte victorieuse<br />
contre l’apartheid, pays émergent et dynamique<br />
économiquement et pays confronté à<br />
une misère extrême et à des phénomènes<br />
de rejet des autres populations d’Afrique<br />
émigrant vers ce nouvel eldorado.<br />
L’approche consistant à revenir sur ces paradoxes<br />
et la figure du migrant permettra ainsi<br />
d’approcher la figure de la Vénus autrement<br />
que par son physique disgracieux et en mettant<br />
en perspective des pans de l’histoire<br />
française et de celle de la colonisation, en<br />
montrant que Saartje Baartman est devenue<br />
un symbole. La figure du migrant en Afrique<br />
sera ainsi mise en perspective avec celle du<br />
migrant en France, mais dans son contexte<br />
historique et social.<br />
Il sera donc proposé aux élèves, de manière<br />
non militante mais en incitant à l’esprit<br />
critique de réfléchir sur la question de<br />
l’apparence et de son rôle au sein du discours<br />
raciste (mise en perspective avec la<br />
caricature des Juifs par les Nazis, ou encore<br />
les discours racistes issu de la littérature scientifique<br />
de l’époque de la Vénus ou plus<br />
tard lors des expositions coloniales…).<br />
Un dossier pédagogique rassemblant articles<br />
de presse, bibliographie autour de la Vénus<br />
mais aussi matériel iconographique sera<br />
remis aux enseignants, il s’agira d’éléments<br />
divers qui fourniront un support à l’action<br />
de la compagnie sans pour autant déterminer<br />
le cours du débat entre enseignants<br />
et élèves.<br />
Un préalable à ces débats pourra être le visionage<br />
du film d’abdellatif kechiche : moi,<br />
vénus<br />
Le travail sur ce thème pourra donc<br />
s’accomplir en dehors de la présence de la<br />
compagnie, comme avec elle selon le souhait<br />
de l’enseignant.<br />
Les élèves seront ensuite invités à passer de<br />
la réflexion à la pratique en traduisant à partir<br />
de bases en danse afro-antillaise et contemporaine,<br />
leur vision de la figure du migrant<br />
en étant invités à s’exprimer de manière créative<br />
avec leur corps sur ce thème, encadrés<br />
par l’équipe pédagogique de Difé Kako. (1<br />
danseuse et un musicien).<br />
Ce travail mettra en valeur le fait de jeter un<br />
regard différent sur le corps et l’apparence<br />
en soulignant la singularité de chacun.<br />
Les ateliers ont pour but de désamorcer une<br />
partie des clichés qui fondent le discours sur<br />
l’apparence et de faire l’apprentissage à travers<br />
la gestuelle d’un discours critique issu<br />
de mises en situation.<br />
Une seconde approche pourra être plus<br />
orientée sur l’histoire de la colonisation et<br />
des décolonisations à travers le prisme de<br />
l’histoire de la Vénus et de l’épopée qu’ont<br />
connu ses restes par la suite. Le discours renverrait<br />
de ce fait à nouveau sur la question<br />
des migrations et du racisme et la situation<br />
dont nous héritons aujourd’hui.<br />
La mise en pratique corporelle resterait la<br />
même.<br />
Durée : entre 4 et 12h selon le souhait des<br />
professeurs référents<br />
3
LES INTERVENANTES<br />
DÉMARCHE PÉDAGOGIQUE GÉNÉRALE EN DANSE AFRO-ANTIL<strong>LA</strong>ISE<br />
Chantal LOIAL & Rita Ravier<br />
Danseuses chorégraphes, elles pratiquent les danses d’Afrique de l’ouest (Guinée, Sénégal)<br />
et d’Afrique centrale en collaborant avec le Ballet Nimba (ballet traditionnel guinéen dirigé<br />
par M’Bemba Camara) ou encore en tant que danseuses d’accompagnement d’orchestres<br />
africains notamment DIBLO DIBA<strong>LA</strong> & Matchatcha.<br />
Au fil des années Chantal Loial développe au sein de la compagnie Dife Kako une pédagogie<br />
chaleureuse et studieuse dans laquelle la joie de vivre s’associe toujours à la rigueur. Depuis<br />
plusieurs années, Rita Ravier travaille avec la compagnie Difé kako participant aux créations<br />
de la compagnie (Woulé Mango, Kakophonies, Askiparè) et au travail pédagogique<br />
de celle-ci.<br />
Ayant élaboré une écriture chorégraphique qui puise aux sources de la danse africaine et<br />
antillaise, elles s’attachent à transmettre un style dont la technique n’est improvisée qu’en<br />
apparence. Leur expérience d’artiste au sein de diverses grandes compagnies les amène<br />
à créer une danse originale, contemporaine et métissée, qui s’inspire des chants, des gestuelles,<br />
des danses traditionnelles et offrant, au public comme aux élèves, une approche<br />
authentique et actuelle de la culture afro-antillaise.<br />
Leur technique<br />
- Echauffement constitué d’assouplissements et de renforcement musculaire<br />
- Apprentissage technique de base en travaillant des mouvements d’Afrique de l’ouest et<br />
d’Afrique Centrale<br />
- des Antilles : mobilité du corps central (sternum, dos) du bassin, des bras et la position<br />
dooplé.<br />
L’Apprentissage chorégraphique se fait la plupart du temps autour de deux danses : la danse<br />
Mandingue (Afrique de l’Ouest) et la danse d’Afrique Centrale, soukouss, zebola, essombi,<br />
wara.<br />
D’un point de vue musical, tous les cours se font impérativement avec des percussionnistes,<br />
afin que les élèves prennent conscience du rapport concret de la danse avec la musique.<br />
Par leur dynamisme et leur inventivité, les musiciens créent leur musique à chaque cours.<br />
Les instruments utilisés sont les percussions antillaises, gwoka, caisse claire, djembé et percussions<br />
africaines.<br />
4
APPROCHE MARC VERHAVERBEKE<br />
La fin du XVIIIe siècle et tout le XIXe siècle seront traversés de courants de pensée hostiles<br />
à l’esclavage et porteurs de l’idée de l’évolution, que concrétisera Darwin. Sarah Baartman<br />
vient en Europe au début du XIXe siècle et elle ne sera pas traitée de la même manière en<br />
Angleterre qu’en France. Ce n’est pas uniquement parce qu’il y aurait, en France, des individus<br />
dont le comportement serait condamnable, mais c’est la conséquence des choix du<br />
pouvoir politique, et donc législatif.<br />
Cette approche de l’histoire de la Vénus hottentote peut être abordée dans les classes ayant<br />
la question de l’esclavage au programme.<br />
Pour comprendre, par ailleurs, le délai très long qu’il a fallu pour que les restes de Sarah<br />
Baartman reviennent en Afrique du Sud, il est intéressant de montrer qu’il était nécessaire<br />
que deux éléments se rencontrent :<br />
- la fin de l’apartheid en Afrique du Sud<br />
- l’évolution législative en France concernant les « objets » présents dans les collections<br />
des musées.<br />
L’histoire de l’apartheid est aussi une partie de l’histoire de la colonisation. Les guerres en<br />
Afrique du Sud n’ont pas fait qu’opposer les puissances européennes entre elles pour la<br />
conquête du territoire ; elles ont aussi spolié et décimé des populations (l’ethnie d’où Sarah<br />
Baartman est originaire a pratiquement disparu). Les différentes étapes de l’apartheid<br />
(mise en place, révoltes, abolition) sont significatives de la façon dont les sud-africains ont<br />
façonné leur « vivre ensemble ».<br />
Certains pays demandent la restitution des œuvres d’art présentes dans les musées des<br />
pays colonisateurs. La législation française prétend que les œuvres présentes dans les collections<br />
nationales sont propriété inaliénable de l’Etat. Un grand débat a eu lieu lors de<br />
l’inauguration du musée Branly. L’Assemblée nationale a dû voter une loi spécifique pour<br />
rendre à l’Afriquedu Sud les restes de Sarah Baartman.<br />
Les documents relatifs à ces questions pourraient être lus et étudiés dans les établissements<br />
scolaires.<br />
ATELIER D’ÉCRITURE<br />
Ecrire après le spectacle.<br />
Il s’agit de se réunir à quelques uns (douze maximum) après la représentation (le lendemain<br />
ou deux jours plus tard) et d’écrire à propos de la danse à laquelle on vient d’assister.<br />
Souvent la danse et les mots semblent difficiles à marier. Le spectateur, la spectatrice ressentent<br />
des émotions qu’il ne semble pas évident de nommer, de décrire. C’est à cet exercice<br />
que convie un tel atelier d’écriture. Il s’agit de faire en sorte que chaque participant produise<br />
un texte individuel que la technique mise en œuvre par Marc Verhaverbeke permet<br />
d’élaborer.<br />
Durée de l’atelier : deux fois trois quarts d’heure, avec pause de 10 minutes entre les deux.<br />
5
Documents annexes<br />
Les documents ci-joints sont un début de recueil de textes contemporains<br />
se rapportant à la Vénus Hottentote et plus largement à toutes<br />
les questions critiques et débats que ce thème soulèvent. Ils n’ont pour<br />
vocation que de fournir des supports destinés à l’analyse critique avec<br />
les élèves et apportant de la matière au débat.<br />
6
Contexte historique<br />
7
Sarah Baartman Afrique du Sud Angleterre France<br />
1994 Nelson Mandela est<br />
élu président de la<br />
République<br />
d’Afrique du Sud<br />
François Mitterrand<br />
donne son accord<br />
pour le retour de<br />
Sarah Baartman en<br />
Afrique du Sud<br />
mais les juristes s’y<br />
opposent (elle<br />
serait propriété<br />
inaliénable de<br />
l’Etat français)<br />
1995 Jacques Chirac<br />
Président de la<br />
République<br />
française<br />
1999 Thabo Mbeki<br />
succède à Nelson<br />
Mandela à la suite<br />
des élections<br />
générales qui<br />
consacrent une<br />
nouvelle victoire de<br />
l'ANC<br />
2002 Retour des restes de Sarah<br />
Baartman en Afrique du<br />
Sud<br />
Funérailles nationales<br />
Loi spécifique<br />
visant à restituer les<br />
restes de Sarah<br />
Baartman à la<br />
République<br />
d’Afrique du Sud<br />
13
LETTRE D’AMINATA TRAORÉ AU MUSÉE DU QUAI BRANLY<br />
«Talents et compétences président donc au tri des candidats africains à l’immigration en France selon<br />
la loi Sarkozy dite de « l’immigration choisie » qui a été votée en mai 2006 par l’Assemblée nationale<br />
française. Le ministre français de l’Intérieur s’est offert le luxe de venir nous le signifier, en Afrique, en<br />
invitant nos gouvernants à jouer le rôle de geôliers de la « racaille » dont la France ne veut plus sur son<br />
sol. Au même moment, du fait du verrouillage de l’axe Maroc/Espagne, après les événements sanglants<br />
de Ceuta et Melilla, des candidats africains à l’émigration clandestine, en majorité jeunes, qui tentent de<br />
passer par les îles Canaries meurent par centaines, dans l’indifférence générale, au large des côtes mauritaniennes<br />
et sénégalaises. L’Europe forteresse, dont la France est l’une des chevilles ouvrières, déploie, en<br />
ce moment, une véritable armada contre ces quêteurs de passerelles en vue de les éloigner le plus loin<br />
possible de ses frontières.<br />
Les oeuvres d’art, qui sont aujourd’hui à l’honneur au Musée du Quai Branly, appartiennent d’abord et<br />
avant tout aux peuples déshérités du Mali, du Bénin, de la Guinée, du Niger, du Burkina-Faso, du Cameroun,<br />
du Congo... Elles constituent une part substantielle du patrimoine culturel et artistique de ces «<br />
sans visa » dont certains sont morts par balles à Ceuta et Melilla et des « sans papiers » qui sont quotidiennement<br />
traqués au cœur de l’Europe et, quand ils sont arrêtés, rendus, menottes aux poings à leurs<br />
pays d’origine. Dans ma « Lettre au Président des Français à propos de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique en<br />
général », je retiens le Musée du Quai Branly comme l’une des expressions parfaites de ces contradictions,<br />
incohérences et paradoxes de la France dans ses rapports à l’Afrique. A l’heure où celui-ci ouvre ses<br />
portes au public, je continue de me demander jusqu’où iront les puissants de ce monde dans l’arrogance<br />
et le viol de notre imaginaire. Nous sommes invités, aujourd’hui, à célébrer avec l’ancienne puissance<br />
coloniale une oeuvre architecturale, incontestablement belle, ainsi que notre propre déchéance et la<br />
complaisance de ceux qui, acteurs politiques et institutionnels africains, estiment que nos biens culturels<br />
sont mieux dans les beaux édifices du Nord que sous nos propres cieux.<br />
Je conteste le fait que l’idée de créer un musée de cette importance puisse naître, non pas d’un examen<br />
rigoureux, critique et partagé des rapports entre l’Europe et l’Afrique, l’Asie, l’Amérique et l’Océanie dont<br />
les pièces sont originaires, mais de l’amitié d’un Chef d’Etat avec un collectionneur d’oeuvre d’art qu’il a<br />
rencontré un jour sur une plage de l’île Maurice.<br />
Les trois cent mille pièces que le Musée du Quai Branly abrite constituent un véritable trésor de guerre<br />
en raison du mode d’acquisition de certaines d’entre elles et le trafic d’influence auquel celui-ci donne<br />
parfois lieu entre la France et les pays dont elles sont originaires. Je ne sais pas comment les transactions<br />
se sont opérées du temps de François 1er, de Louis XIV et au XIXe siècle pour les pièces les plus<br />
anciennes. Je sais, par contre, qu’en son temps, Catherine Trautman, à l’époque ministre de la culture de<br />
la France dont j’étais l’homologue malienne, m’avait demandé d’autoriser l’achat pour le Musée du Quai<br />
Branly d’une statuette de Tial appartenant à un collectionneur belge.<br />
De peur de participer au blanchiment d’une oeuvre d’art qui serait sortie frauduleusement de notre<br />
pays, j’ai proposé que la France l’achète (pour la coquette somme de deux cents millions de francs CFA),<br />
pour nous la restituer afin que nous puissions ensuite la lui prêter. Je me suis entendue dire, au niveau<br />
du Comité d’orientation dont j’étais l’un des membres que l’argent du contribuable français ne pouvait<br />
pas être utilisé dans l’acquisition d’une pièce qui reviendrait au Mali. Exclue à partir de ce moment de la<br />
négociation, j’ai appris par la suite que l’Etat malien, qui n’a pas de compte à rendre à ses contribuables,<br />
a acheté la pièce en question en vue de la prêter au Musée.<br />
14
Alors, que célèbre-t-on aujourd’hui ? S’agit-il de la sanctuarisation de la passion que le Président des<br />
Français a en partage avec son ami disparu ainsi que le talent de l’architecte du Musée ou les droits culturels,<br />
économiques, politiques et sociaux des peuples d’Afrique, d’Asie, d’Amérique et d’Océanie ?<br />
Le Musée du Quai Branly est bâti, de mon point de vue, sur un profond et douloureux paradoxe à partir<br />
du moment où la quasi totalité des Africains, des Amérindiens, des Aborigènes d’Australie, dont le talent<br />
et la créativité sont célébrés, n’en franchiront jamais le seuil compte tenu de la loi sur l’immigration choisie.<br />
Il est vrai que des dispositions sont prises pour que nous puissions consulter les archives via l’Internet.<br />
Nos oeuvres ont droit de cité là où nous sommes, dans l’ensemble, interdits de séjour.<br />
A l’intention de ceux qui voudraient voir le message politique derrière l’esthétique, le dialogue des<br />
cultures derrière la beauté des œuvres, je crains que l’on soit loin du compte. Un masque africain sur la<br />
place de la République n’est d’aucune utilité face à la honte et à l’humiliation subies par les Africains et<br />
les autres peuples pillés dans le cadre d’une certaine coopération au développement. Bienvenue donc au<br />
Musée de l’interpellation qui contribuera - je l’espère - à édifier les opinions publiques française, africaine<br />
et mondiale sur l’une des manières dont l’Europe continue de se servir et d’asservir d’autres peuples<br />
du monde tout en prétendant le contraire. Pour terminer je voudrais m’adresser, encore une fois, à ces<br />
oeuvres de l’esprit qui sauront intercéder auprès des opinions publiques pour nous.<br />
Vous nous manquez terriblement. Notre pays, le Mali et l’Afrique tout entière continuent de subir bien<br />
des bouleversements. Aux Dieux des Chrétiens et des Musulmans qui vous ont contesté votre place dans<br />
nos coeurs et vos fonctions dans nos sociétés s’est ajouté le Dieu argent. Vous devez en savoir quelque<br />
chose au regard des transactions dont certaines nouvelles acquisitions de ce musée ont été l’objet. Il est<br />
le moteur du marché dit « libre » et « concurrentiel » qui est supposé être le paradis sur Terre alors qu’il<br />
n’est que gouffre pour l’Afrique.<br />
Appauvris, désemparés et manipulés par des dirigeants convertis au dogme du marché, vos peuples<br />
s’en prennent les uns aux autres, s’entretuent ou fuient. Parfois, ils viennent buter contre le long mur de<br />
l’indifférence, dont Schengen.<br />
N’entendez-vous pas, de plus en plus, les lamentations de ceux et celles qui empruntent la voie terrestre,<br />
se perdre dans le Sahara ou se noyer dans les eaux de la Méditerranée ? N’entendez-vous point les cris de<br />
ces centaines de naufragés dont des femmes enceintes et des enfants en bas âge ?<br />
Si oui, ne restez pas muettes, ne vous sentez pas impuissantes. Soyez la voix de vos peuples et témoignez<br />
pour eux. Rappelez à ceux qui vous veulent tant ici dans leurs musées et aux citoyens français et européens<br />
qui les visitent que l’annulation totale et immédiate de la dette extérieure de l’Afrique est primordiale.<br />
Dites-leur surtout que libéré de ce fardeau, du dogme du tout marché qui justifie la tutelle du FMI<br />
et de la Banque mondiale, le continent noir redressera la tête et l’échine. »<br />
Aminata Traoré/ juin 2006.<br />
15
Document<br />
mis en distribution<br />
le 7 février 2002<br />
N° 3563<br />
______<br />
ASSEMBLÉE NATIONALE<br />
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958<br />
ONZIÈME LÉGIS<strong>LA</strong>TURE<br />
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 janvier 2002.<br />
RAPPORT<br />
FAIT<br />
AU NOM DE <strong>LA</strong> COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES(1) SUR <strong>LA</strong> PROPO-<br />
SITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT, relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de<br />
Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud,<br />
PAR M. Jean LE GARREC,<br />
Député.<br />
--<br />
(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.<br />
Voir les numéros :<br />
Sénat : 114 et 177 (2001-2002) et T.A. 52.<br />
Assemblée nationale : 3561<br />
Culture<br />
INTRODUCTION 5<br />
I.- UNE RESTITUTION JUSTIFIÉE À TOUS ÉGARDS 9<br />
A. UNE REVENDICATION CONFIRMÉE 9<br />
B. L’ABSENCE DE DIFFICULTÉS JURIDIQUES 10<br />
C . UN INTÉRÊT SCIENTIFIQUE INEXISTANT DÈS L’ORIGINE 12<br />
16
II - UNE « LEÇON » À RETENIR 13<br />
A. LES VRAIES RAISONS DE <strong>LA</strong> CURIOSITÉ POPU<strong>LA</strong>IRE 13<br />
B. LE REGARD PORTÉ SUR L’ALTÉRITÉ 15<br />
TRAVAUX DE <strong>LA</strong> COMMISSION 19<br />
TABLEAU COMPARATIF 23<br />
INTRODUCTION<br />
La présente proposition de loi vise à procéder à la restitution par la France de la dépouille mortelle de<br />
Saartjie Baartman, dite « Vénus hottentote », à l’Afrique du Sud. Elle a été déposée au Sénat par M. Nicolas<br />
About et adoptée à l’unanimité par le Sénat le 29 janvier dernier.<br />
Loin d’être anecdotique, elle correspond à une forte attente des peuples sud-africains, dont cette ressortissante<br />
a longtemps été présentée en Europe comme un exemple de leur infériorité. Saartjie Baartman est,<br />
en effet, devenue, dans son pays, le symbole de l’exploitation subie par les ethnies sud-africaines pendant<br />
la douloureuse période de la colonisation. « La Vénus hottentote » incarne, en outre, l’humiliation endurée<br />
par des femmes que la nature avait, comme elle, très généreusement dotées.<br />
Depuis plusieurs années, l’Afrique du Sud souhaite obtenir le rapatriement des restes de Saartjie Baartman<br />
afin qu’elle puisse recevoir les honneurs de son peuple. La France n’a aucune raison de s’opposer à cette<br />
restitution, qui revêt en réalité une grande force symbolique et politique pour l’Afrique du Sud comme<br />
pour notre pays.<br />
Saartjie Baartman a vécu une vie indigne et sa mort fut indécente. Il est plus que temps de rendre sa<br />
dépouille à son peuple afin qu’elle repose enfin en paix sur la terre de ses ancêtres.<br />
Notre pays doit ainsi accomplir son devoir de mémoire en particulier par rapport au fait colonial et reconnaître,<br />
malgré les difficultés, les erreurs qui entachent cette période de l’histoire, en particulier s’agissant<br />
de l’esclavage qui a constitué un crime contre l’humanité. A cet égard, cette proposition de loi permet sans<br />
conteste au travail de mémoire de progresser en toute sérénité.<br />
INFORTUNES ET RENOMMÉE DE SAARTJIE BAARTMAN<br />
Née en 1789, issue d’un métissage des ethnies sud-africaines « hottentote » - désormais désignée par<br />
les anthropologues par le terme de Khoisan - et Bochiman, Saartjie Baartman -initialement nommée<br />
Sawtche- est asservie dès sa petite enfance avec ses frères et s_urs par des fermiers Boers.<br />
Au cours des XVIIème et XVIIIème siècles, ces deux ethnies furent massacrées par les colons néerlandais<br />
en quête de nouveaux territoires et les survivants, contraints d’abandonner leur mode de vie traditionnel<br />
dans le bush, se trouvèrent en effet réduits en esclavage dans les fermes des Boers.<br />
En 1807, Sawtche fait l’objet d’une première transaction et part chez le frère de son maître, Hendrick Caezar,<br />
dans une autre ferme à proximité du Cap où l’asservissement domestique se double d’une aliénation,<br />
fréquente dans les usages coloniaux, au tabac et à l’eau de vie.<br />
Entre temps, elle est devenue femme et présente les particularités morphologiques propres à son ethnie,<br />
à l’origine à la fois de sa renommée et surtout de ses infortunes. La puberté entraîne en effet chez certaines<br />
femmes de ces deux ethnies une métamorphose spectaculaire de leur corps, affecté de stéatopygie<br />
17
ou d’hypertrophie du tissu adipeux au niveau des cuisses et des fessiers, ainsi que d’une élongation des<br />
organes génitaux.<br />
En 1810, Sawtche-Saartjie est convaincue par son maître de l’accompagner en Angleterre, où elle est supposée<br />
trouver fortune et liberté en contrepartie de l’exhibition de son corps et de danses au son de la musique<br />
dont elle s’accompagne avec son instrument traditionnel, la goura. Il s’agit en réalité d’une tractation<br />
à l’instigation d’un Anglais, chirurgien de marine, qui ayant remarqué le succès rencontré à Londres tant<br />
par l’exhibition de trois « hottentots » que par la présentation de personnes difformes dans les cabinets<br />
de curiosités alors en vogue, a parié sur le succès financier de l’entreprise. Avant son départ, elle reçoit le<br />
patronyme de Baartman.<br />
Une fois à Londres, Hendrick Caezar créée véritablement le mythe de « la Vénus hottentote » en la présentant,<br />
sous l’invocation de la déesse Vénus, comme un merveilleux spécimen de sa race, exotique et rare.<br />
Aussi du fond de la cage où elle est reléguée, dans une salle du quartier de Picadilly, connaît-elle rapidement<br />
le succès, moyennant l’humiliation qu’elle doit endurer sous le regard, les quolibets et le toucher<br />
de spectateurs encanaillés. Sa notoriété inspire, en outre, caricaturistes, chansonniers et même certains<br />
journalistes politiques.<br />
Une association abolitionniste, l’African Association, émue par « un spectacle immoral et illégal », porte<br />
plainte contre Hendrick Caezar devant la Cour royale de justice qui la déclare consentante, sur la foi de son<br />
témoignage en néerlandais. Il s’ensuit une tournée de quatre ans à travers l’Angleterre, Saartjie Baartman<br />
recevant même le sacrement du baptême en 1811 à Manchester où elle devient Sarah Baartman.<br />
En septembre 1814, alors que le succès n’est plus au rendez-vous, Saartjie Baartman, à nouveau revendue,<br />
quitte l’Angleterre pour Paris où elle est alors soumise à la tutelle d’un quatrième maître, un certain Réaux,<br />
montreur d’ours et de singes dans le quartier interlope du Palais-Royal.<br />
Comme à Londres, le public parisien a tôt fait de s’enticher de la « Vénus hottentote » qui, accède en<br />
quelques semaines à une étonnante célébrité. Les gazettes et chroniques mondaines s’emparent du personnage,<br />
tandis que se joue une pièce de vaudeville intitulée « La Vénus hottentote, ou Haine aux Françaises<br />
».<br />
Phénomène de foire, elle devient également cinq mois plus tard un objet de curiosité scientifique, l’administrateur<br />
du Muséum, Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, exprimant auprès du chef de la première direction<br />
de la police de Paris le souhait des naturalistes de « profiter de la circonstance (offerte) par la présence à<br />
Paris d’une femme Bochimane pour donner avec plus de précision qu’on ne l’a fait jusqu’à ce jour, les caractères<br />
distinctifs de cette race curieuse. »<br />
Il s’agit d’examiner sa nudité au Jardin botanique en présence d’artistes peintres qui en dessinent le portrait.<br />
Cette observation donne lieu à la rédaction d’un rapport par Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, lui-même<br />
spécialiste de tératologie, c’est à dire l’étude des monstres, daté du 1er avril 1815 et conservé à l’heure<br />
actuelle au musée de l’Homme, dans lequel il souligne des caractères anatomiques qu’il rapproche de<br />
ceux du singe. S’agissant, par exemple, de la tête de Saartjie Baartman, elle comporte, selon lui, « un commencement<br />
de museau encore plus considérable que celui de l’orang-outang rouge qui habite les plus<br />
grandes îles de l’océan indien ». Et «La prodigieuse taille de ses fesses » lui inspire une comparaison avec<br />
les femelles des singes maimon et mandrill à l’occasion de leur menstruation...<br />
Mais c’est surtout auprès de Georges Cuvier, professeur d’anatomie comparée, que Saartjie Baartman suscite<br />
un intérêt durable. De sorte que, informé de son décès1 avant même les services de l’état civil, il fait<br />
remettre son corps au laboratoire d’anatomie du Muséum afin qu’il « y puisse devenir asile aux progrès des<br />
connaissances humaines. »2<br />
18
Il ne s’agit pas d’établir les causes du décès mais de procéder à un nouvel examen de ses particularités physiques<br />
et à la dissection de son cadavre, au mépris d’ailleurs de la réglementation en vigueur puisqu’une<br />
ordonnance impériale n’autorise de telles opérations qu’à la faculté de médecine et à l’hôpital de la Pitié.<br />
Après avoir effectué un moulage du corps, il prélève ses organes génitaux et son cerveau, destinés à être<br />
conservés dans le formol, puis réalise l’extraction du squelette.<br />
L’ensemble de ses observations font l’objet d’une communication devant l’Académie de médecine en<br />
1817. De même que Geoffroy Saint-Hilaire, il en déduit une réelle proximité avec le singe.<br />
La popularité de Saartjie Baartman s’est perpétuée longtemps après sa mort : en effet, en 1937, lors de<br />
la fondation du Musée de l’Homme, le moulage du corps, le squelette et les organes conservés dans des<br />
bocaux sont transférés du Jardin des plantes au Trocadéro, le squelette et le moulage étant présentés au<br />
public, parmi d’autres squelettes, moulages et photographies d’humains de tous les continents, dans la<br />
galerie d’anthropologie physique jusqu’en 1974. Puis le moulage est curieusement exposé durant deux<br />
ans dans la salle de préhistoire. Stocké ensuite dans les réserves, il en sort une dernière fois en 1994 à l’occasion<br />
de la présentation d’une exposition sur la sculpture ethnographique au XIXème siècle, de la Vénus<br />
hottentote à la Tehura de Gauguin, d’abord au Musée d’Orsay, puis en Arles.<br />
Quant aux « bocaux », tenus pour disparus des réserves du Musée de l’Homme au cours des années 1980,<br />
ils ont été semble-t-il très récemment retrouvés puisqu’ils figurent désormais dans l’inventaire officiel de<br />
ce musée, ainsi que l’a confirmé le ministre de la recherche au cours des débats au Sénat...<br />
Depuis 1994, l’accès aux restes de Saartjie Baartman, qui font partie des collections du laboratoire d’anthropologie<br />
biologique du Muséum national d’histoire naturelle, est limité au personnes autorisées par le<br />
directeur général sur recommandation de l’ambassade d’Afrique du Sud.<br />
I.- UNE RESTITUTION JUSTIFIÉE À TOUS ÉGARDS<br />
Il n’est envisageable de s’opposer à la restitution de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique<br />
du Sud ni pour des raisons juridiques, ni pour des raisons scientifiques, non plus désormais que pour des<br />
motifs diplomatiques.<br />
A. UNE REVENDICATION CONFIRMÉE<br />
· Une revendication permise par la fin de l’apartheid<br />
La demande de restitution a émané, dès 1994, de l’organisation représentant les descendants des Khoisans,<br />
la conférence nationale Griqua, dont le président a interpellé en ce sens les autorités sud-africaines.<br />
En 1999, lors d’un congrès d’archéologie au Cap, il déclarait ainsi à l’intention de la France : « l’exhibition<br />
de son postérieur et de ses organes génitaux pour amuser les foules de gens sans c_ur viole la dignité de<br />
mon peuple. »<br />
Les descendants des anciennes tribus aborigènes Hottentot (Khoi) et Bochiman (San), décimées par les<br />
colons néerlandais, ne comptent plus que quelques milliers de ressortissants vivant, dans des conditions<br />
précaires, dans le désert du Kalahari mais aussi pour partie d’entre eux en Namibie. Pour autant, cette<br />
revendication est largement partagée au sein des populations sud-africaines.<br />
Dans la perspective de la relecture de l’histoire de l’Afrique du Sud consécutive à l’abolition du régime<br />
d’apartheid, elle a également reçu le soutien d’universitaires et des milieux culturels. De fait, Saartjie Baartman<br />
a inspiré certains artistes contemporains (plasticiens, cinéastes) qui se réapproprient en quelque sorte<br />
une figure du métissage sud-africain.<br />
19
C’est donc à juste titre que l’exposé des motifs de la proposition de loi souligne que « Saartjie Baartman<br />
est devenue, dans son pays, le symbole de l’exploitation et de l’humiliation vécues par les ethnies sud-africaines,<br />
pendant la douloureuse période de la colonisation. »<br />
· Une demande officielle de restitution<br />
La question de la restitution de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman a été évoquée depuis plusieurs<br />
années au niveau gouvernemental, lors de rencontres entre la France et l’Afrique du Sud, le gouvernement<br />
sud-africain ayant ainsi épousé la cause d’un retour de la « Vénus hottentote » érigée en symbole d’une «<br />
décolonisation psychologique. »<br />
Ainsi que l’a indiqué M. Michel Duffour, secrétaire d’Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle au<br />
Sénat, en réponse à une question orale posée par l’auteur de la proposition de loi, le 6 novembre 2001, «<br />
des représentants de l’Afrique du Sud ont demandé le retour des restes de miss Saartjie Baartman conservés<br />
au Muséum national d’histoire naturelle »3<br />
En dépit de l’engagement du Président de la République, François Mitterrand, au Président Nelson Mandela,<br />
lors de sa visite officielle en Afrique du Sud en 1994, rappelé par le ministre de la recherche au cours<br />
de la discussion de la proposition de loi par le Sénat, cette restitution n’a pas été effectuée. La question,<br />
à nouveau abordée en janvier 1996, par M. Jacques Godfrain, alors ministre de la coopération, en visite<br />
dans ce pays, et le docteur Ngubane, ministre de la culture n’a pas davantage permis d’aboutir de manière<br />
concrète. Il avait été convenu de confier à deux personnalités scientifiques, M. Henri de Lumley, alors directeur<br />
du laboratoire de préhistoire au Muséum national d’histoire naturelle, et M. Philip Tobias, professeur<br />
au département des sciences anatomiques à l’université de Witwatersrand à Johannesburg, une étude afin<br />
d’examiner la possibilité d’une telle restitution et d’en définir les modalités. Ces deux scientifiques ne sont<br />
pas parvenus à dégager une solution acceptable par les deux Etats.<br />
Depuis lors, la demande a été renouvelée auprès du ministère des Affaires étrangères par l’ambassade<br />
d’Afrique du Sud à Paris, par lettre en date du 6 octobre 2000, à la suite du précédent créé par la restitution<br />
de la momie « El Negro » au gouvernement du Botswana par les autorités espagnoles.<br />
Au cours des débats au Sénat, le rapporteur de la commission des affaires culturelles a confirmé qu’il avait<br />
« eu communication par l’Ambassadeur d’Afrique du Sud en France,..., d’une lettre que lui a adressée le<br />
ministre sud-africain des Arts, de la Culture, de la Science et de la Technologie. Ce dernier lui indique que<br />
le gouvernement sud-africain continue à souhaiter la restitution des restes de Saartjie Baartman et lui<br />
demande de faire connaître au gouvernement français sa position sur une affaire qui dure,..., depuis trop<br />
longtemps. »<br />
Cette expression de la volonté sud africaine lève l’objection du ministère des affaires étrangères qui, d’après<br />
les informations communiquées au rapporteur, estime qu’il pourrait sembler paradoxal que la restitution<br />
s’effectue sur la base d’une démarche française non relayée actuellement par l’Afrique du Sud et dément<br />
au surplus la position de ce ministère, rappelée par le rapporteur du Sénat au cours de la discussion, relative<br />
à l’absence de « démarche officielle récente (attestant) la mobilisation des autorités sud-africaines sur<br />
ce dossier. »<br />
Elle est en tout état de cause de nature à satisfaire le ministère de la recherche, qui, exerçant la tutelle sur le<br />
Muséum national d’histoire naturelle, est favorable à la restitution sous réserve d’une telle preuve d’intérêt.<br />
20
B. L’ABSENCE DE DIFFICULTÉS JURIDIQUES<br />
La proposition de loi trouve sa source dans la réponse adressée par le Gouvernement à la question orale<br />
posée par le sénateur Nicolas About. En fin de compte, cette réponse se révèle sans fondement, sans pour<br />
autant que la proposition de loi soit privée de sa nécessité.<br />
Le Gouvernement, par la voix du secrétaire d’Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, a tout<br />
d’abord opposé l’obstacle juridique de l’inaliénabilité du domaine public : « ces pièces font partie des<br />
collections nationales, lesquelles selon la loi française, sont inaliénables. Le directeur du Muséum national<br />
d’histoire naturelle a la charge d’assurer la conservation et l’intégrité des collections, qui constituent le<br />
patrimoine de l’humanité. »<br />
Ce dernier poursuivait que « si son squelette devait être transféré au Cap, une loi devrait être votée pour<br />
permettre son rapatriement à titre exceptionnel. »4 D’où l’initiative de la présente proposition dont l’article<br />
unique visait, dans sa rédaction initiale, à déroger au principe de l’inaliénabilité des biens du domaine<br />
public prévu par l’article L. 52 du code du domaine de l’Etat. Cette position était cependant pour le moins<br />
surprenante. En effet, les règles de la domanialité publique n’interdisent pas a priori une restitution, car le<br />
principe d’inaliénabilité du domaine public n’est pas absolu mais relatif : ce n’est pas la nature d’un bien<br />
qui fait obstacle à l’aliénation mais son affectation au domaine public. Un bien peut être déclassé lorsqu’il<br />
s’avère que l’affectation à l’usage du public n’est plus fondée. Une simple décision de déclassement prise<br />
par l’autorité administrative aurait permis d’accéder à une demande de restitution. Il n’était donc nul besoin<br />
de voter une loi pour ce faire.<br />
Dans un deuxième temps, cette réponse a été contredite par une interprétation quelque peu différente<br />
du Gouvernement, selon laquelle, en réalité, le principe d’inaliénabilité n’est pas applicable en raison de<br />
la nature même des pièces concernées : s’agissant de restes humains, le squelette ne pourrait, en application<br />
de l’article 16-1 du code civil, faire l’objet d’un droit patrimonial. Ne pouvant dès lors être considéré<br />
ni comme la propriété du Muséum national d’histoire naturelle, non plus que celle de l’Etat, il ne saurait<br />
donc pas davantage faire l’objet de restitution par la voie suggérée par le Secrétaire d’Etat... Au-delà du cas<br />
d’espèce, cette seconde interprétation, confirmée par le ministre de la recherche au cours de la discussion<br />
au Sénat, soulève, d’une manière générale, un certain nombre d’interrogations sur le statut des collections<br />
du Muséum, dont nombre d’entre elles sont constituées « d’éléments humains ». Il appartiendra au Gouvernement<br />
d’apporter sur ce point une clarification qui s’impose, afin notamment de préciser comment<br />
leur seront appliquées les dispositions de la loi du 4 janvier 2002 relative aux Musées de France régissant<br />
le statut des collections publiques.<br />
S’agissant de la proposition de loi, la seule question qui pouvait éventuellement se poser à la lecture du<br />
texte initial était celle de la procédure de déclassement auquel il était procédé de manière implicite. A cet<br />
égard, l’apport de la commission des affaires culturelles du Sénat et de son rapporteur, M. Philippe Richert,<br />
est double :<br />
- En premier lieu, le texte adopté par le Sénat permet de procéder d’office et de façon explicite, au premier<br />
alinéa de l’article, au déclassement des restes de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, « qui cessent<br />
de faire partie des collections de l’établissement public du Muséum national d’histoire naturelle ».<br />
- En outre, le deuxième alinéa fixe un délai (deux mois) pour qu’il y soit procédé. Ainsi que le souligne le<br />
rapporteur du Sénat5, il s’agit de mettre un terme aux « atermoiements et incohérences qui ont présidé<br />
au traitement de ce dossier ».<br />
21
C . UN INTÉRÊT SCIENTIFIQUE INEXISTANT DÈS L’ORIGINE<br />
Il apparaît que la motivation des autorités scientifiques en 1815, et en particulier du baron Cuvier, correspondait<br />
davantage à une certaine forme de curiosité malsaine pour la « Vénus hottentote » qu’à un réel<br />
intérêt pour son ethnie d’origine, sauf pour formuler certaines théories, alors répandues parmi les scientifiques,<br />
mais qui se sont révélées par la suite constituer une impasse.<br />
Au terme de l’observation des particularités physiques de Saartjie Baartman, Georges Cuvier en reconnaît<br />
d’ailleurs lui-même, dans la communication qu’il effectue devant l’Académie de médecine, la faible portée<br />
scientifique : « Je suis bien loin de prétendre faire de ses particularités des caractères. Il faudroit auparavant<br />
avoir examiné un assez grand nombre de squelettes pour s’assurer qu’il n’y a en cela rien d’individuel...Pour<br />
tirer quelques conclusions valables relativement aux variétés de l’espèce humaine, il faudroit déterminer<br />
jusqu’à quel point les caractères que j’ai reconnus sont généraux dans le peuple des boschimans... ».<br />
Les autorités scientifiques actuelles ne mettent pas davantage en avant un quelconque intérêt scientifique.<br />
Selon les informations recueillies par le rapporteur, les responsables du Muséum admettent volontiers que<br />
l’intérêt du squelette et du moulage de Saartjie Baartman est plus historique que scientifique. De son côté,<br />
le professeur Langanay, directeur du laboratoire d’anthropologie biologique, précisait au cours d’un documentaire<br />
diffusé sur France 36 que le squelette « n’est rien d’autre que le squelette d’une femme de petite<br />
taille » et qualifiait de « raciste » la dissection effectuée par Georges Cuvier. L’absence de réserve d’ordre<br />
scientifique a également été confirmée par le ministre de la recherche au cours de la discussion au Sénat.<br />
C’est la raison pour laquelle on peut s’étonner, d’une part, que le squelette et le moulage aient été conservés<br />
au Muséum et surtout présentés au public jusqu’à une période somme toute récente, et d’autre part<br />
qu’il persiste un certain nombre de réticences à leur restitution. Aucune caractéristique de ces pièces ne<br />
justifie donc en définitive leur maintien dans ces collections.<br />
Enfin, la dernière péripétie relative à la réapparition inespérée de bocaux tenus pour brisés suscite un certain<br />
nombre d’interrogations sur la manière dont sont conservées et gérées les collections du Muséum national<br />
d’histoire naturelle. A cet égard, le rapporteur se félicite que le ministre de la recherche ait demandé<br />
au nouveau directeur du musée de l’Homme « d’en ouvrir les archives, pour que la lumière soit faite à ce<br />
sujet », ainsi qu’il l’annoncé au cours de la discussion au Sénat.<br />
II - UNE « LEÇON » À RETENIR<br />
Deux cents ans plus tard, le sort indigne connu par Saartjie Baartman nous est bien évidemment insupportable.<br />
S’il est certes plus facile d’en décrypter les raisons a posteriori, sa misérable aventure met néanmoins<br />
en lumière quelques points délicats de notre histoire, liés à la colonisation, à la relativité des droits de<br />
l’homme et à la négation de ceux de la femme dans des patries qui s’en étaient faites les promoteurs, qui<br />
donnent matière à tirer quelques enseignements en terme de psychosociologie des peuples dits civilisés.<br />
A. LES VRAIES RAISONS DE <strong>LA</strong> CURIOSITÉ POPU<strong>LA</strong>IRE<br />
Rappelons tout d’abord qu’au début du XIXème siècle l’exhibition d’êtres humains, dans les foires mais<br />
aussi dans les salons, aux côtés des animaux sauvages, était courante, en particulier s’agissant de personnes<br />
difformes ou handicapées, à l’image du phénomène John Merrick, alias « Elephant Man ». Elle<br />
exprimait sans doute un mélange de fascination et de répulsion pour l’étrange, le monstrueux du point de<br />
vue de la « norme humaine européenne» qui s’en trouvait d’une certaine manière confortée. En Grande-<br />
Bretagne, ces objets de curiosité (un nain polonais, un géant irlandais...) étaient d’ailleurs dénommées «<br />
freaks» (monstres).<br />
22
Alors pourquoi Saartjie Baartman, dont le corps était jugé disgracieux au regard des canons européens de<br />
la beauté féminine, fit-elle donc particulièrement sensation dans un univers déjà passablement insolite ?<br />
Où le sexisme le dispute à un racisme primaire....<br />
Dans son ouvrage « l’énigme de la Vénus hottentote »,7 Gérard Badou insiste en effet sur le fait que sa «<br />
sensualité monstrueuse avait quelque chose d’obscène, mais aussi de sacré, qui assaillait le spectateur au<br />
tréfonds de lui-même. Celui, troublé par des pulsions contradictoires, fuyait dans le rire et le quolibet. » Sa<br />
singularité jouait donc bien une fonction exutoire destinée à se rassurer.<br />
C’est en réalité dans le surnom, ironique et pervers de « Vénus Hottentote » que se trouve l’explication du<br />
succès. Femme, dotée d’attributs sexuels hypertrophiés, de surcroît de race noire et d’une ethnie bien spécifique,<br />
elle dégageait forcément un érotisme exotique irrésistible et ne pouvait donc échapper, en tant<br />
qu’objet idéal d’humiliation, à la soumission promise à un être doublement inférieur.<br />
De fait, la curiosité et le fantasme étaient largement été entretenus par l’exagération des représentations<br />
iconographiques et des descriptions caricaturales de son corps.<br />
Intitulé « Les curieux en extase ou les cordons du soulier », le dessin satirique français ci-dessus daté de<br />
1812 se gausse de la fascination exercée par la « Vénus hottentote » sur les Anglais. L’anthropologue Stephen<br />
Jay Gould en propose la description suivante : « Les regards des spectateurs convergent tous vers<br />
les organes sexuels de la Vénus hottentote. Un militaire observant sa stéatopygie s’écrie « Oh godem quel<br />
rosbif ! » Un autre homme en uniforme et sa compagne, une dame élégante, essaient tous deux de jeter un<br />
coup d’_il sur le tablier (sexe) de Saartjie. L’homme s’exclame : « Comme la nature est bizarre », tandis que<br />
la femme, espérant mieux voir par en dessous, s’accroupit sous prétexte de renouer ses lacets (d’où le titre<br />
de l’illustration). »8<br />
Le naturaliste allemand Gustav Fritsch expliqua quant à lui la particularité sexuelle de la femme hottentote<br />
comme le résultat de pratiques sexuelles spécifiques...Cette femme présentait en tout état de cause tous<br />
les indices d’une sexualité sans limite, obscène et bestiale.<br />
Ainsi que le souligne Stephen Jay Gould, « la Vénus hottentote conquit donc sa renommée en tant qu’objet<br />
sexuel, et la combinaison de sa bestialité supposée et de la fascination lascive qu’elle exerçait sur les<br />
hommes retenait toute leur attention ; ils avaient du plaisir à regarder Saartjie mais ils pouvaient également<br />
se rassurer avec suffisance : ils étaient supérieurs. »<br />
B. LE REGARD PORTÉ SUR L’ALTÉRITÉ<br />
« L’expérience nous prouve, malheureusement, combien il faut de temps avant que nous considérions<br />
comme nos semblables les hommes qui diffèrent de nous par leur aspect extérieur et par leurs coutumes.<br />
» Le diagnostic porté par Charles Darwin en 1871 est toujours pertinent au regard du malaise provoqué<br />
par la demande de restitution de Saartjie Baartman. Ce malaise révèle en effet à quel point une démarche<br />
visant à reconnaître les erreurs du passé est, à l’heure actuelle, encore difficile à assumer en dépit de nombreux<br />
efforts. A cet égard, tant le fait colonial que le scientisme ont joué un rôle déterminant sur le regard<br />
porté par les Européens sur l’altérité.<br />
Sans revenir très longuement sur les dérives du colonialisme, il n’est pas inutile d’en relever certains préjugés<br />
idéologiques. Ainsi, comme le rappelle Stephen Jay Gould, avant même la formulation des théories<br />
évolutionnistes, les Bochimans et les Hottentots étaient considérés, avec les Australiens aborigènes,<br />
comme les plus vils représentants de l’espèce humaine, à peine supérieurs au singe. De fait, le premier<br />
nom que donnèrent les colons hollandais du XVIIème siècle aux Bochimans était la traduction littérale du<br />
mot malais orang-outang, qui signifiait « homme de la forêt ». Quant aux Hottentots, leur dénomination<br />
23
En ce qui concerne la personne même de Saartjie Baartman, l’aliénation à laquelle elle fut réduite par ses<br />
différents maîtres s’est traduite par la négation même de son identité qui l’a conduit à subir trois reprises<br />
un changement de nom jusqu’à l’attribution d’un prénom de baptême, exprimant sans doute la volonté<br />
britannique d’accomplir une mission « civilisatrice »...<br />
Dans un autre registre, l’exhibition s’est poursuivie tout au long de la période coloniale pour en démontrer<br />
précisément les vertus civilisatrices, en particulier à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889, où est<br />
représentée, sur une fresque, une femme hottentote illustrant l’Afrique traditionnelle face à l’évolution de<br />
l’humanité.<br />
S’agissant d’une femme qui n’était pas réellement considérée comme un être humain, il est singulier de<br />
constater à quel point son altérité libérait le regard et les pratiques des conventions de l’époque, relatives<br />
en tout premier lieu à l’exhibition de la nudité. Mais également concernant la mort : les autorités scientifiques<br />
du Muséum, empressées auprès de son cadavre, ne semblent pas avoir envisagé d’observer de rite<br />
funéraire, par exemple en faisant inhumer ses restes à la suite des prélèvements effectués par Georges<br />
Cuvier. Telle une invite à la transgression, la différence permettait de lever certains tabous sans déroger à<br />
l’ordre social.<br />
En ce qui concerne plus particulièrement l’attitude des scientifiques, force est de constater qu’elle n’était<br />
pas dépourvue d’ambiguïté. Loin de dénoncer les préjugés idéologiques de leur époque, ils les ont au<br />
contraire confortés, notamment par leur contribution à l’élaboration des théories sur la hiérarchie des<br />
races. Les observations présentées par Georges Cuvier devant l’Académie de médecine participent pleinement<br />
de cette démarche : « Ses mouvements avaient quelque chose de brusque et de capricieux qui<br />
rappelait ceux du singe. Elle avait surtout une manière de faire saillir ses lèvres tout à fait pareille à ce que<br />
nous avons observé dans l’orang-outang. »... « Le nègre, comme on le sait, a le museau saillant, et la face et<br />
le crâne comprimé par les côtés ; le Calmouque a le museau plat et la face élargie ; dans l’un et l’autre les<br />
os du nez sont plus petits et plus plats que dans l’Européen. Notre Boschimane a le museau plus saillant<br />
encore que le nègre, la face plus élargie que le calmouque, et les os du nez plus plats que l’un et l’autre. A<br />
ce dernier égard, surtout, je n’ai jamais vu de tête humaine plus semblable aux singes que la sienne. »<br />
Il en conclut à une totale infériorité de sa race : « Ce qui est bien constaté dès à présent,.., c’est que ni ces<br />
Gallas ou ces Boschimans, ni aucune race de nègre, n’a donné naissance au peuple célèbre qui a établi la<br />
civilisation dans l’antique Egypte, et duquel on peut dire que le monde entier a hérité les principes des lois,<br />
des sciences, et peut-être même de la Religion... Aujourd’hui que l’on distingue les races par le squelette<br />
de la tête, et que l’on possède tant de corps d’anciens Égyptiens momifiés, il est aisé de s’assurer que quel<br />
qu’ait pu être leur teint, ils appartenoient à la même race d’hommes que nous ; qu’ils avoient le crâne et le<br />
cerveau aussi volumineux ; qu’en un mot ils ne faisaient pas exception à cette loi cruelle qui semble avoir<br />
condamné à une éternelle infériorité les races à crâne déprimé et comprimé. »<br />
Evoquant la craniologie, ces conclusions ne sont pas très éloignées de développements qui donneront<br />
naissance quelques années plus tard à certaines doctrines socio-politiques déguisées en science, tel le<br />
déterminisme biologique.<br />
En dépit de l’invalidation des théories scientifiques du XIXème siècle et de l’évolution des mentalités intervenue<br />
depuis la décolonisation, on ne peut que s’interroger sur les motifs de la persistance de l’exposition<br />
du squelette et du moulage de Saartjie Baartman jusqu’en 1976, puis à nouveau en 1994 par le Musée<br />
d’Orsay - certes contre l’avis du directeur du Muséum -, ainsi que sur ceux, sans doute différents, des atermoiements<br />
du Muséum relatifs à cette restitution.<br />
Au sein des collections du Musée de l’Homme, « reconvertie en trophée scientifique la « Vénus hottentote »<br />
a assumé « sa destinée posthume, à jamais figée dans son rôle de phénomène offert, pour plusieurs générations<br />
successives, à la curiosité d’un nouveau public »9. Cette grande popularité rencontrée jusqu’à la fin<br />
du XXème siècle laisse finalement penser que l’homme contemporain ne s’est peut-être pas encore tout à<br />
fait dégagé d’un certain ethnocentrisme. N’aurait-on pas, à cet égard, encore aujourd’hui la tentation de la<br />
montrer sur un plateau de télévision ... ?<br />
24
S’agissant des scientifiques, il est frappant de constater que persiste un certain malaise - telle une mauvaise<br />
conscience - lorsque doit être expliqué de quelle manière ont été effectués certains progrès de la<br />
connaissance, au mépris le plus total des principes d’éthique. Le prestige des grands noms de la science<br />
demeure tel qu’il semble encore difficile de désavouer à bien des égards, à deux cents ans de distance,<br />
l’autorité de ceux qui se sont pourtant réellement fourvoyés.<br />
TRAVAUX DE <strong>LA</strong> COMMISSION<br />
La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné en première lecture, sur le rapport<br />
de M. Jean Le Garrec, la présente proposition de loi, au cours de sa séance du mercredi 30 janvier 2002.<br />
Un débat a suivi l’exposé du rapporteur.<br />
M. Jean-Paul Durieux, président, a jugé la proposition de loi utile à trois titres :<br />
- elle permet de tourner une page supplémentaire sur le regard que l’homme blanc a porté sur ceux qui<br />
étaient différents de lui ;<br />
- elle reconnaît le droit de la « Vénus hottentote » à reposer sur la terre de ses pères comme toute personne<br />
humaine, ce qui l’emporte sur toute considération patrimoniale ;<br />
- enfin, elle répond à la très forte revendication d’un peuple et d’une nation qui aspire à reconstituer son<br />
passé.<br />
M. Bernard Schreiner a déclaré partager le sentiment exprimé par le rapporteur. La restitution de la dépouille<br />
de Saartjie Baartman permet de jeter un regard neuf sur les erreurs du passé. Pour autant, il n’y a<br />
pas lieu de culpabiliser le présent. Il convient aussi de s’interroger sur le précédent que pourrait créer une<br />
telle restitution : qu’en serait-il pour des monuments d’origine étrangère inscrits à notre patrimoine ?<br />
M. Edouard Landrain, après avoir indiqué qu’il apporterait son plein soutien à la proposition de loi, a souhaité<br />
attirer l’attention de la commission sur le cas de la dépouille du musicien roumain George Enescu,<br />
réclamée par la Roumanie. Cela appelle une réflexion globale sur le sort des dépouilles de personnalités<br />
inhumées en France.<br />
M. André Schneider a d’abord estimé que la commission ne pouvait qu’approuver la proposition de loi.<br />
S’agissant du cas de Georges Enescu, il convient de ne pas confondre des situations totalement différentes,<br />
à savoir la dépouille d’un musicien célèbre inhumé en France et celle d’une femme réduite en esclavage et<br />
privée de toute dignité.<br />
M. Jean Valleix, après avoir approuvé la position du rapporteur, a néanmoins suggéré de ne pas se placer<br />
dans une position de repentance et de présenter cette initiative de manière positive, en vue de faire _uvre<br />
de rassemblement pour l’avenir, en portant un regard nouveau, plus universel et plus humain, sur les progrès<br />
résultant de l’évolution des mentalités.<br />
M. Marcel Rogemont a souligné les deux écueils à éviter à l’occasion de cette restitution qui reçoit bien<br />
évidemment son plein accord :<br />
- surestimer les questions juridiques. S’agissant d’un sujet essentiellement politique, il est nécessaire de<br />
répondre de manière politique à la demande exprimée par les autorités sud-africaines ;<br />
- donner une réponse législative générale et définitive. Cette demande constitue un cas particulier bien<br />
spécifique.<br />
25
Après avoir exprimé sa satisfaction de voir le sujet traité de manière très consensuelle par la commission,<br />
M. Pierre Hellier a demandé s’il était possible de mettre un peu d’ordre dans l’organisation du Musée de<br />
l’Homme. Il paraît indispensable que le musée établisse notamment un inventaire très précis des pièces<br />
conservées.<br />
En réponse aux intervenants, le président Jean Le Garrec, rapporteur, s’est d’abord félicité que l’examen du<br />
texte n’ait pas soulevé de problème de fond. Il a ensuite apporté les précisions suivantes :<br />
- Dans l’hypothèse où seraient présentées d’autres demandes comparables, rien n’empêcherait de recourir<br />
à la procédure de déclassement actuellement en vigueur, puis par la suite à celle contenue dans le texte<br />
relatif aux Musées de France. Compte tenu du caractère politique de la présente demande, une proposition<br />
de loi se révèle être aujourd’hui la plus adaptée.<br />
- S’agissant de la dépouille du musicien roumain, il s’agit d’une question sensiblement différente de celle<br />
posée par la conservation des restes de Saartjie Baartman. Elle pourra être évoquée directement avec les<br />
autorités roumaines.<br />
- En ce qui concerne le Musée de l’Homme, la récente nomination d’un nouveau directeur, qui a reçu des<br />
instructions de la part du ministre de la recherche, devrait se traduire par une gestion plus rigoureuse.<br />
- L’utilisation du terme « repentance » n’est effectivement pas appropriée. Il est préférable de retenir la problématique<br />
du regard sur l’histoire, qui a davantage de sens sur le plan historique et politique. C’est avec<br />
cette même approche qu’un « nouveau » discours a pu être tenu sur le régime de Vichy. C’est également<br />
ainsi qu’il conviendrait de se retourner sur le fait colonial et particulièrement la colonisation de l’Algérie.<br />
M. Jean-Paul Durieux, président, a exprimé le souhait que le retour de la dépouille mortelle en Afrique du<br />
Sud soit marqué par une cérémonie officielle et ne soit pas traité comme l’expédition d’une quelconque<br />
marchandise.<br />
La commission est passée ensuite à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.<br />
Article unique<br />
Restitution de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman<br />
Cet article prévoit la restitution de la dépouille mortelle par la France à l’Afrique du Sud, de la personne<br />
connue sous le nom de Saartjie Baartman.<br />
Le premier alinéa, disposant que les restes de cette dépouille cessent de faire partie des collections de l’établissement<br />
public du Muséum national d’histoire naturelle, procède d’office au déclassement des pièces<br />
conservées par le Muséum et lève ainsi toute éventuelle ambiguïté relative à la procédure.<br />
Le deuxième alinéa fixe un délai de deux mois à l’autorité administrative pour qu’elle effectue cette restitution<br />
à l’Afrique du Sud. Il s’agit d’un délai raisonnable qui doit permettre d’organiser ce retour dans la<br />
dignité.<br />
La commission a adopté l’article unique de la proposition de loi sans modification.<br />
En conséquence la commission des affaires culturelles, familiales et sociales demande à l’Assemblée nationale<br />
d’adopter la proposition de loi n° 3561 sans modification.<br />
26
___<br />
Texte adopté par le Sénat en première lecture<br />
___<br />
Proposition de la Commission<br />
___<br />
Article unique<br />
Article unique<br />
A compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, les restes de la dépouille mortelle de la personne<br />
connue sous le nom de Saartjie Baartman cessent de faire partie des collections de l’établissement<br />
public du Muséum national d’histoire naturelle.<br />
Sans modification<br />
L’autorité administrative dispose, à compter de la même date, d’un délai de deux mois pour les remettre à<br />
la République d’Afrique du Sud.<br />
---------------------------------<br />
N°3563-Rapport de M. LE GARREC,fait au nom de la commission des affaires culturelles, sur la proposition<br />
de loi, adoptée par le Sénat, relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman<br />
à l’Afrique du Sud<br />
1 provoqué par une fièvre éruptive aggravée par l’alcool, dans la nuit du 29 décembre 1815<br />
2 Extrait de la lettre adressée au maire de Paris par Geoffroy Saint-Hilaire.<br />
3 Journal officiel , Sénat, Questions, 7 novembre 2001, p.4659<br />
4 Journal officiel , Sénat, Questions, 7 novembre 2001, p.4659<br />
5 Rapport Sénat n° 177 (2001-2002) de M Philippe Richert,, présenté au nom de la commission des affaires<br />
culturelles<br />
6 « On l’appelait la Vénus hottentote », documentaire de Zola Maseko (1998)<br />
7 Editions Jean-Claude Lattès, 2000<br />
8 Le sourire du flamant rose, éditions du Seuil, 1988<br />
9 Gérard Badou, opus cité<br />
© Assemblée nationale<br />
27
Articles de Presse<br />
28
Bilbliographie<br />
- Barbara Chase-Riboud,Vénus Hottentote, Ed Albin Michel, 2004, 384p<br />
- Henri Troyat, Les Cent jours de la Vénus hottentote (in L’éternel contretemps), Ed. Albin Michel, 2003<br />
- Abbé G. Th. Raynal, Histoire philosophique et politique des deux Indes (choix de textes), Ed. La Découverte,<br />
2001<br />
- Les Hottentots (livre II, chapitre XVIII), écrit en grande partie par Diderot<br />
- Contre la traite des Noirs (livre XI, chapitres XXII, XXIII, XXIV), Participation de Diderot à ces chapitres<br />
- Paul Coquerel, L’Afrique du Sud, une histoire séparée, une nation à réinventer Ed.Découvertes Gallimard,<br />
1992<br />
- François-Xavier Fauvelle-Aymar, Histoire de l’Afrique du Sud, Ed. Seuil, 2006<br />
- Alain Foix, Vénus et Adam Ed. Galaade, 2007<br />
- Jean-Luc Hennig, Brève histoire des fesses, Ed. Zulma, 1995, 288 p<br />
Deux articles de François-Xavier Fauvelle-Aymar<br />
- http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cea_0008-0055_1999_num_39_155_1764<br />
- http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cea_0008-0055_1999_num_39_155_1764<br />
Gérard Badou et des publication récentes (simultanément au film)<br />
Citation de Césaire (trouvée par Julien) dans Cahier d’un retour au pays natal :<br />
Partir.<br />
Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères,<br />
je serais un homme-juif<br />
un homme-cafre<br />
un homme-hindou-de-Calcutta<br />
un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas<br />
l’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture<br />
on pouvait à n’importe quel moment le saisir le rouer de coups,<br />
le tuer - parfaitement le tuer -<br />
sans avoir de compte à rendre à personne<br />
sans avoir d’excuses à présenter à personne<br />
un homme-juif<br />
un homme-pogrom<br />
un chiot<br />
un mendigot<br />
mais est-ce qu’on tue le Remords,<br />
beau comme la face de stupeur d’une dame anglaise<br />
qui trouverait dans sa soupière un crâne de Hottentot ?<br />
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