Notre Univers est-il unique ? - LPSC - IN2P3
Notre Univers est-il unique ? - LPSC - IN2P3
Notre Univers est-il unique ? - LPSC - IN2P3
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
• savoirs de nouvelles conceptions du monde<br />
<strong>Notre</strong> <strong>Univers</strong><br />
<strong>est</strong>-<strong>il</strong> <strong>unique</strong> ?<br />
La physique et l’astronomie ont montré que la Terre, le Sole<strong>il</strong> et même<br />
notre Galaxie appartiennent à de vastes ensembles d’objets identiques.<br />
Aujourd’hui, c’<strong>est</strong> au tour de l’<strong>Univers</strong> de perdre sa singularité.<br />
Etonnamment, les lois<br />
de la physique semblent<br />
« miraculeusement<br />
» adaptées à<br />
l’existence de la vie.<br />
Alors que l’immense majorité<br />
des lois possibles conduirait à un<br />
<strong>Univers</strong> morne et uniforme, nous<br />
observons, tout au contraire, un<br />
cosmos polychrome et largement<br />
diversifié. L’état « réel » de notre<br />
<strong>Univers</strong> semble donc très atypique<br />
et comme explicitement « sélectionné<br />
» dans l’infinité des possibles<br />
pour favoriser notre existence<br />
(lire l’encadré).<br />
Prendre cette impression au<br />
sérieux <strong>est</strong> le pas que franchit<br />
l’hypothèse du dessein intelligent.<br />
Selon cette approche, l’évolution<br />
de l’<strong>Univers</strong> aurait été orientée<br />
par une intelligence supérieure et<br />
extérieure (autrement dit, Dieu) de<br />
façon à permettre la vie humaine.<br />
C’<strong>est</strong> une proposition anthropocentrique,<br />
puisque le cosmos tout<br />
entier se trouve assujetti, dans<br />
son déploiement, à notre propre<br />
espèce. C’<strong>est</strong> une proposition<br />
L’essentiel<br />
40 • les dossiers de la recherche | avr<strong>il</strong> 2012 • N° 48<br />
théologique, puisqu’elle recourt<br />
explicitement à l’intervention<br />
divine pour rendre compte du<br />
monde observé. Et c’<strong>est</strong> une proposition<br />
téléologique puisqu’elle<br />
se fonde sur une vision finaliste :<br />
le système n’évolue pas conformément<br />
à des lois qui le gouvernent<br />
mais de façon à atteindre un but<br />
préalablement choisi.<br />
Quelles alternatives à ce schéma ?<br />
La première piste consiste à supposer<br />
que lors du « coup de dés »<br />
initial, sélectionnant un type de<br />
lois particulier, nous avons joui<br />
d’une chance extraordinaire. Au<br />
sein de la gigantesque diversité des<br />
potentialités, nous sommes tombés,<br />
par hasard, sur celle – très spécifique<br />
et très particulière – permettant<br />
l’émergence d’un <strong>Univers</strong><br />
complexe. C’<strong>est</strong> une explication<br />
possible. Mais guère convaincante<br />
et artificielle. S’<strong>il</strong> s’agissait<br />
de la seule alternative à la proposition<br />
du dessein intelligent, cette<br />
dernière serait peut-être la seule<br />
véritable interprétation cosmique<br />
dont nous disposerions.<br />
> Le dessein intelligent affirme qu’une intelligence supérieure<br />
guide l’évolution de l’<strong>Univers</strong>.<br />
> À l’inverse, une hypothèse fondée sur une démarche<br />
scientifique propose que notre monde ne serait qu’un univers<br />
parmi une infinité d’autres.<br />
> Cette hypothèse des multivers <strong>est</strong> confortée par des<br />
modèles physiques récents qui décrivent le cosmos.<br />
Aurélien<br />
Barrau <strong>est</strong><br />
professeur à<br />
l’université Joseph-<br />
Fourier, chercheur<br />
au laboratoire<br />
de physique<br />
subatomique<br />
et de cosmologie<br />
de Grenoble (CNRS-<br />
<strong>IN2P3</strong>), membre<br />
de l’Institut<br />
universitaire<br />
de France.<br />
Mais <strong>il</strong> existe une seconde piste<br />
permettant de demeurer dans le<br />
cadre d’une explication strictement<br />
physico-mathématique de<br />
l’évolution cosmologique sans<br />
recourir à un phénomène extraordinairement<br />
improbable. C’<strong>est</strong><br />
très exactement ce que permet le<br />
modèle des univers multiples ou<br />
multivers. Imaginons que les dés<br />
ont été tirés une infinité de fois.<br />
lE dévEloppEmEnt dE<br />
structurEs complExEs<br />
La « séquence » particulière correspondant<br />
à l’émergence d’un<br />
<strong>Univers</strong> abritant des galaxies, des<br />
éto<strong>il</strong>es et des planètes va alors<br />
nécessairement se produire. Aussi<br />
improbable soit-elle, elle se réalisera<br />
immanquablement ! Il <strong>est</strong><br />
peu probable de gagner à la loterie<br />
si l’on joue une fois. Mais c’<strong>est</strong> tout<br />
à fait inévitable si l’on joue une<br />
infinité de fois ! Le cadre <strong>est</strong> donc<br />
le suivant : considérons une multitude<br />
– peut-être une infinité –<br />
d’univers emplis par des lois différentes.<br />
Parmi ceux-ci, certains<br />
seront naturellement hospitaliers<br />
et permettront le développement<br />
de structures complexes.<br />
Le schème d’ensemble <strong>est</strong> cohérent.<br />
Il permet de rendre compte<br />
de la spécificité de notre <strong>Univers</strong>.<br />
Celui-ci <strong>est</strong> particulièrement<br />
adapté à l’existence d’objets frag<strong>il</strong>es<br />
et composés de multiples<br />
sous-structures : les êtres vivants<br />
étant de tels objets, <strong>il</strong>s se trouvent<br />
naturellement dans l’un des uni-<br />
© www.<strong>il</strong>lUstrer.Fr<br />
cosmologique standard*. Cette que celles ou elle s’arrête, donc le<br />
vers permettant l’existence de ces<br />
inflation <strong>est</strong> presque indispen- processus global ne s’achève fina-<br />
structures.<br />
sable pour résoudre beaucoup de lement jamais. Il existe donc un<br />
Néanmoins, pour devenir<br />
paradoxes et, surtout, pour géné- mécanisme fiable, élaboré hors de<br />
convaincante, la proposition ne<br />
doit évidemment pas être inven-<br />
* le facteur<br />
d’échelle <strong>est</strong> une<br />
rer les petites fluctuations qui sont<br />
ensuite devenues les galaxies que<br />
tout désir de constituer un multivers<br />
de manière ad hoc, et qui<br />
tée de toutes pièces. Elle n’<strong>est</strong><br />
scientifiquement fondée que s’<strong>il</strong><br />
existe des mécanismes permet-<br />
grandeur décrivant<br />
l’évolution de la<br />
distance relative<br />
entre deux points<br />
nous observons aujourd’hui.<br />
De plus, la physique des particules<br />
élémentaires a montré<br />
permet de créer des mondes. Mais<br />
peut-on emplir ces univers avec<br />
des lois physiques différentes ?<br />
tant de générer ces univers multiples<br />
et de les structurer avec<br />
des lois physiques différentes.<br />
de l’<strong>Univers</strong> n’ayant<br />
pas de mouvement<br />
autre que celui<br />
de « l’<strong>Univers</strong> lui-<br />
qu’<strong>il</strong> était relativement aisé de<br />
produire, sur des bases bien comprises,<br />
une telle inflation. Elle <strong>est</strong><br />
C’<strong>est</strong> exactement ce que permet<br />
aujourd’hui la théorie des cordes.<br />
Ce modèle, très spéculatif, tente<br />
Autrement dit, le multivers ne doit même ».<br />
donc à la fois nécessaire – du point de décrire les particules connues<br />
pas être seulement une hypothèse * l’inflation de vue cosmologique – et assez comme différents modes de vibra-<br />
qui serait alors très artificielle,<br />
mais une conséquence de modè-<br />
cosmique <strong>est</strong><br />
l’augmentation<br />
considérable de la<br />
naturelle – du point de vue de<br />
la physique des particules. Or,<br />
tion de cordes élémentaires. À<br />
l’instar d’une corde d’instrument<br />
les élaborés pour de toutes autres ta<strong>il</strong>le de l’<strong>Univers</strong> quand on la regarde de près, cette de musique qui peut générer tou-<br />
raisons. C’<strong>est</strong>, dans une certaine<br />
mesure, le cas aujourd’hui.<br />
Comment générer des univers ?<br />
dans ses premiers<br />
instants.<br />
* le modèle<br />
cosmologique<br />
inflation semble créer non pas un<br />
<strong>Univers</strong> mais une structure arborescente<br />
d’univers, autrement dit<br />
tes les notes de la gamme, les cordes<br />
fondamentales pourraient<br />
engendrer les particules identi-<br />
Ce n’<strong>est</strong> pas si diffic<strong>il</strong>e ! Depuis<br />
longtemps, une phase d’expansion<br />
considérable du facteur d’échelle*<br />
standard décrit<br />
la dynamique de<br />
l’<strong>Univers</strong> dans le<br />
cadre de la relativité<br />
une infinité d’univers-bulles indépendants<br />
les uns des autres !<br />
La raison fondamentale <strong>est</strong> la<br />
fiées en vibrant de différentes<br />
manières. Pour que cette théorie<br />
soit cohérente, six dimensions spa-<br />
dans les premiers instants suivant<br />
le Big Bang – que l’on nomme l’inflation*<br />
– fait partie du modèle<br />
générale à partir<br />
d’une phase très<br />
dense et très chaude<br />
(Big Bang).<br />
suivante : les zones de l’espace où<br />
l’inflation se poursuit sont exponentiellement<br />
plus « nombreuses »<br />
tiales supplémentaires recourbées<br />
sur elles-mêmes doivent exister.<br />
La théorie a connu plusieurs >>><br />
Des univers-bulles : selon la théorie de l’inflation éternelle, la phase d’expansion considérable qui a suivi le Big Bang se poursuit dans de multiples<br />
zones de l’espace, donnant naissance à une structure arborescente d’univers-bulles indépendants les uns des autres.<br />
N° 48 • avr<strong>il</strong> 2012 | les dossiers de la recherche • 41
• savoirs de nouvelles conceptions du monde<br />
<strong>Notre</strong> <strong>Univers</strong><br />
<strong>est</strong>-<strong>il</strong> <strong>unique</strong> ?<br />
>>> évolutions significatives. La<br />
dernière d’entre elles, celle qui<br />
importe pour le multivers, <strong>est</strong> la<br />
découverte, dans les années 2000,<br />
du « paysage », c’<strong>est</strong>-à-dire de la<br />
diversité des manières de « compactifier<br />
» ces six dimensions supplémentaires.<br />
Cette diversité <strong>est</strong><br />
si considérable qu’<strong>il</strong> s’ensuit une<br />
quasi infinité de lois physiques<br />
effectives différentes !<br />
L’inflation crée donc des univers<br />
et la théorie des cordes les structure<br />
avec des lois différentes. Ces<br />
ingrédients sont exactement ceux<br />
qui permettent de façonner un<br />
multivers. Mais, de façon intéressante,<br />
le multivers apparaît aussi,<br />
en un sens plus r<strong>est</strong>reint, dans des<br />
modèles physiques moins spéculatifs<br />
et mieux contrôlés que la<br />
théorie des cordes.<br />
La relativité générale, notre<br />
théorie de la gravitation, prédit<br />
un espace strictement infini dans<br />
deux des trois géométries compatibles<br />
avec la cosmologie – les<br />
géométries plane et hyperbolique.<br />
Auquel cas les univers, c’<strong>est</strong>-à-dire<br />
les zones en mesure d’échanger<br />
des informations, y sont nécessairement<br />
en nombre infini ! Dans<br />
ce cadre, les lois ne changent pas<br />
42 • les dossiers de la recherche | avr<strong>il</strong> 2012 • N° 48<br />
d’un univers à l’autre, mais les<br />
phénomènes peuvent changer.<br />
Tout ce qui <strong>est</strong> compatible avec les<br />
lois connues doit effectivement se<br />
produire. Et même se produire une<br />
infinité de fois ! En particulier, <strong>il</strong><br />
doit par exemple exister une infinité<br />
de copies à l’identique de chacun<br />
d’entre nous. Copies qui peuvent<br />
avoir des futurs différents :<br />
toutes les éventualités envisageables<br />
doivent se produire dans<br />
le multivers.<br />
L’autre grande théorie du XX e siècle,<br />
la mécanique quantique,<br />
conduit, elle aussi, à une forme<br />
le principe anthropique, formulé notamment par le théoricien<br />
Brandon Carter, actuellement à l’observatoire de Meudon,<br />
souligne que la position particulière de l’observateur humain dans<br />
l’<strong>Univers</strong> doit être prise en compte dans toute observation. Beaucoup<br />
de physiciens y voient un retour aux vieux démons anthropocentriques<br />
précoperniciens. C’<strong>est</strong> exactement de l’inverse qu’<strong>il</strong> s’agit.<br />
Ce principe énonce en fait une banalité qu’aucun scientifique ne<br />
cont<strong>est</strong>e : <strong>il</strong> rappelle, par exemple, que notre planète, la Terre, n’<strong>est</strong><br />
pas représentative de l’ensemble de l’<strong>Univers</strong>. Ce qui <strong>est</strong> incont<strong>est</strong>ablement<br />
exact !<br />
si l’on souhaite se forger une image globale de l’<strong>Univers</strong><br />
à partir des observations locales, <strong>il</strong> <strong>est</strong> important de tenir compte de<br />
ce que notre position <strong>est</strong> « biaisée » : nous sommes évidemment en<br />
terrain hospitalier. La même précaution doit être prise dans le multivers.<br />
<strong>Notre</strong> univers n’a aucune raison d’être représentatif du mul-<br />
Des univers répétés à l’infini :