Les droits fonciers au Gabon - Fern
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<strong>Les</strong> <strong>droits</strong> <strong>fonciers</strong> <strong>au</strong> <strong>Gabon</strong><br />
Faire face <strong>au</strong> passé –<br />
et <strong>au</strong> présent<br />
Liz Alden Wily<br />
avec la contribution de Nathalie F<strong>au</strong>re<br />
Une publication de FERN<br />
Avril 2012<br />
synthÈse
synthÈse<br />
les DROIts FOnCIeRs AU GABOn :<br />
faire face <strong>au</strong> passÉ - et <strong>au</strong> prÉsent<br />
liz Alden Wily<br />
Juin 2012<br />
cette synthèse présente les principales conclusions de l’analyse portant sur la propriété foncière <strong>au</strong><br />
<strong>Gabon</strong>, élaborée pour le fern, en collaboration avec Brainforest à Libreville. Le rapport complet est<br />
disponible à l’adresse suivante : www.fern.org/publications<br />
sommaire<br />
I- OBJET.................................................................................................................................................. 3<br />
II- APERÇU ............................................................................................................................................ 3<br />
III- CONSTATATIONS ................................................................................................................................ 4<br />
IV- CONCLUSIONS .................................................................................................................................10<br />
2
I OBJet<br />
L’objectif de cette étude était d’identifier les contraintes liées <strong>au</strong> droit de propriété sur les terres et les<br />
ressources détenues par les commun<strong>au</strong>tés, afin d’aider à cibler des actions concrètes d’amélioration.<br />
La preuve qu’il existe des <strong>droits</strong> justes et protégés en faveur des populations rurales est devenue une<br />
demande croissante de certains partenaires commerci<strong>au</strong>x importateurs de ressources (tels que l’union<br />
européenne à l’égard de bois) et est une préoccupation à la h<strong>au</strong>sse des populations africaines en général.<br />
<strong>au</strong> <strong>Gabon</strong>, la question commence à revêtir <strong>au</strong>tant plus de pertinence que l’État s’engage dans un<br />
élan renouvelé d’allocation à grande échelle de terres et de ressources <strong>au</strong> profit des sociétés privées<br />
et internationales.<br />
II APeRÇU<br />
en résumé, les dix principales conclusions de l’étude sont celles qui suivent :<br />
1. la plus grande partie de la population ne bénéficie que d’une sécurité foncière limitée. <strong>Les</strong><br />
<strong>droits</strong> traditionnels sur la terre et les ressources ne sont pas respectés et les voies officielles<br />
d’accès à la propriété légitime sont limitées dans leur portée et inaccessibles à la majorité<br />
pour ce qui est de la procédure y afférente. <strong>Les</strong> populations urbaines et péri-urbaines sont<br />
particulièrement vulnérables à l’égard des expulsions dirigées par l’État sans une indemnisation<br />
équitable et à fins « d’intérêt public » parfois discutables. <strong>Les</strong> populations rurales sont<br />
régulièrement déplacées pour faire place à des activités de concession.<br />
2. le droit foncier et relatif <strong>au</strong>x ressources est imparfait, rétrograde et injuste dans ses<br />
grands principes, et faiblement respecté. Le droit foncier est particulièrement obsolète,<br />
antidémocratique, discriminatoire à l’égard des majorités p<strong>au</strong>vres et ambigu dans les questions<br />
essentielles, y compris celle des pouvoirs de l’État. <strong>Les</strong> principes plus libér<strong>au</strong>x du droit relatif<br />
<strong>au</strong>x ressources n’ont jamais été appliqués. L’État de droit est laxiste, notamment en ce qui<br />
concerne les questions relatives à l’exploitation commerciale.<br />
3. <strong>Les</strong> principales sources d’injustice consistent dans le refus que des <strong>droits</strong> coutumiers ou<br />
d’<strong>au</strong>tres <strong>droits</strong> de longue date sur la terre et les ressources confèrent plus que des <strong>droits</strong><br />
occasionnels d’occupation et d’utilisation, susceptibles d’être ignorés de façon discrétionnaire<br />
par l’État, ainsi que dans la survie rigide des normes coloniales qui précisent que la propriété<br />
immobilière n’existe que lorsque l’État a accordé un droit de propriété formel sur la terre (et<br />
des mécanismes encore impraticables doivent être adoptés à grande échelle) et l’exclusion<br />
des forêts, qui constituent la principale source de subsistance en milieu rural et de patrimoine<br />
coutumier de la famille ou de propriété communale.<br />
4. 4. ces conditions font de l’État le plus grand propriétaire terrien <strong>au</strong> <strong>Gabon</strong>, avec jusqu’à 90<br />
% de la superficie du pays non seulement sous son contrôle, mais largement définie en tant<br />
que « domaine privé du gouvernement ». La plupart de la population est techniquement<br />
sans terre, les habitants n’étant que de simples occupants et utilisateurs de la propriété du<br />
gouvernement.<br />
5. 5. Le <strong>Gabon</strong> constitue un cas extrême de continuité dans les relations coloniales foncières.<br />
Le régime tout d’abord institué en 1899 considérait évidemment néanmoins le <strong>Gabon</strong><br />
longuement occupé comme « une terre sans propriétaire » (terra nullius), précisément afin<br />
que l’État français puisse, sans frais, et légalement (conformément à la loi française), prendre<br />
possession et attribuer le pays de façon discrétionnaire <strong>au</strong>x entreprises qu’il soutenait. cela a<br />
été réalisé en 1900, avec la plupart des pays sous conglomérats (français). <strong>Les</strong> gouvernements<br />
indépendants du <strong>Gabon</strong> depuis 1960 ont résolument conservé ces règles de dépossession en<br />
faveur d’un État similaire, ainsi que les avantages privés y afférents.<br />
6. si la situation <strong>au</strong> <strong>Gabon</strong> n’était pas unique, les réformes foncières en afrique, à partir des<br />
années 1990, n’ont pas touché le <strong>Gabon</strong>.<br />
3
Cela pourrait maintenant s’avérer préjudiciable à la stabilité et à la croissance. L’envolée<br />
actuelle de l’exploitation transnationale des terres forestières, des minerais, et le potentiel<br />
agricole, qui aggraverait la dépossession en pratique plus qu’elle n’impliquerait les populations<br />
locales en tant que propriétaires <strong>fonciers</strong> respectés, peut placer les implications de la privation<br />
des <strong>droits</strong> avec force <strong>au</strong> premier plan.<br />
7. l’interconnexion de la population majoritairement urbaine avec les <strong>droits</strong> <strong>fonciers</strong> rur<strong>au</strong>x<br />
n’est pas suffisamment prise en compte dans les stratégies nationales. Des signes montrent<br />
qu’il est supposé à tort que les populations urbaines n’ont pas intérêt à ce que la propriété de la<br />
famille et de la commun<strong>au</strong>té soit respectée. <strong>au</strong> contraire, de nombreux citadins se considèrent<br />
comme copropriétaires de la terre familiale et de la commun<strong>au</strong>té et des ressources dans<br />
leurs commun<strong>au</strong>tés rurales d’origine. L’insécurité touchant l’occupation en milieu urbain<br />
affecte également les perceptions et les demandes rurales. La revendication coutumière du<br />
clan est matérialisée par chaque expulsion ou perte de ressources involontaire.<br />
8. <strong>au</strong> cours des deux dernières décennies, l’État gabonais a fait preuve d’une extrême m<strong>au</strong>vaise<br />
foi, en s’abstenant de mettre en œuvre les principes les plus libér<strong>au</strong>x de ses lois, y compris ceux<br />
relatifs à la gouvernance décentralisée et à l’attribution de pouvoirs <strong>au</strong>x commun<strong>au</strong>tés rurales<br />
et urbaines en matière de prise de décision sur les biens <strong>fonciers</strong>. cela a entretenu une culture<br />
d’impunité, de corruption et de manque de confiance dans l’État.<br />
9. la réforme foncière est confrontée à un énorme défi <strong>au</strong> <strong>Gabon</strong>. ce défi n’est pas des moindres,<br />
dans la mesure où le régime actuel d’occupation favorise les élites privilégiées et les intérêts<br />
transnation<strong>au</strong>x privés et qui bénéficient du soutien des gouvernements étrangers participants.<br />
Dans le même temps, les risques de cette stratégie apparaissent plus clairement et le besoin<br />
de parcours ouverts conduisant à une croissance économique fondée sur les ressources,<br />
commence à être compris. De même, la demande de changement <strong>au</strong> sein d’une nouvelle<br />
génération d’acteurs étatiques et non étatiques émerge.<br />
10. Limiter la réforme à des procédures rationalisées d’acquisitions de <strong>droits</strong> individuels d’accès <strong>au</strong>x<br />
terres et <strong>au</strong>x ressources, comme cela est recommandé par certains organismes internation<strong>au</strong>x,<br />
ne constituerait qu’une retouche, et n’apportera <strong>au</strong>cun changement significatif <strong>au</strong>x fondements<br />
permettant la reconnaissance de la sécurité de l’occupation. idéalement, le gouvernement du<br />
<strong>Gabon</strong> devrait bénéficier d’un concours actif afin d’adopter des stratégies ne cherchant pas à<br />
atteindre la croissance <strong>au</strong> moyen de l’accumulation primitive, par la dépossession des p<strong>au</strong>vres<br />
de leurs <strong>droits</strong> et ressources, mais en reconnaissant ces propriétaires <strong>fonciers</strong> coutumiers<br />
comme des propriétaires juridiquement reconnus, et, partant, comme des partenaires<br />
potentiels, ou des bailleurs de terres à l’entreprise commerciale, et non pas des bénéficiaires<br />
en fin de ligne pouvant/ne pouvant pas obtenir quelques emplois.<br />
III COnstAtAtIOns<br />
1. le <strong>Gabon</strong> n’a pas de politique foncière nationale. Le document le plus proche d’une politique<br />
foncière reste une explication de la politique foncière coloniale en 1911, et dont les dispositions<br />
légales datant de 1909-1910 servent encore de base à la législation foncière moderne <strong>au</strong><br />
<strong>Gabon</strong>.<br />
2. néanmoins, la loi elle-même incarne amplement une stratégie formelle. elle se fonde sur des<br />
principes qui ne tiennent pas compte des règles africaines de la propriété et de l’administration<br />
foncière africaine, et les sapent, exerçant une discrimination à l’égard des p<strong>au</strong>vres, et qui d’un<br />
revers de main dépossèdent la majorité. il en est ainsi car la loi :<br />
a) ne reconnaît pas les <strong>droits</strong> <strong>fonciers</strong> coutumiers comme étant quelque chose d’<strong>au</strong>tre que<br />
des <strong>droits</strong> d’occupation et d’utilisation occasionnels sur les terres appartenant à l’État.<br />
cela contribue à nier que les <strong>droits</strong> coutumiers possèdent les attributs de la propriété<br />
(possession) et devraient être confirmés en tant que tels. cela résulte de pratiques désuètes,<br />
injustes et inéquitables (et que de nombreux <strong>au</strong>tres pays africains ont fait disparaître).<br />
4
les commun<strong>au</strong>tés rurales ne sont pas les seules à être touchées. cette dépossession se<br />
répercute également sur ceux dont les terres, dans les bourgs et les villes, ont évolué et se<br />
multiplient, ainsi que sur d’<strong>au</strong>tres citadins qui ont occupé des terres sans titre pendant des<br />
décennies ou parfois un siècle ou davantage.<br />
b) La loi prévoit également que la propriété, et donc sa protection, ne s’acquiert que par<br />
l’achat de terrains à l’État et la délivrance d’un titre officiel pour ces parcelles.<br />
c) elle adopte une procédure, en vue de cette formalisation qui s’est avérée inaccessible<br />
ou non pertinente pour la population majoritaire en milieu urbain et rural, comme en<br />
témoigne la très petite dimension du secteur immobilier privé.<br />
d) cela fait de l’État le propriétaire de la majorité des terres, qui ne doivent pas être considérées<br />
comme un domaine public sous la tutelle d’un gouvernement élu. il n’existe <strong>au</strong>cune<br />
prescription contraignante selon laquelle l’État agit en cette qualité, ni de procédures<br />
contraignant ce dernier à rendre des comptes à la population. seul un quart des terres<br />
de l’État est défini comme relevant du domaine public, cadre dans lequel une telle tutelle<br />
pourrait être considérée comme applicable. Le reste est détenu en tant que propriété privée<br />
de l’État, dont le gouvernement en place peut disposer de façon discrétionnaire.<br />
e) en outre, dans la mesure où l’émission des titres de propriété se fait par le biais de<br />
procédures fondées sur l’attribution limitée de <strong>droits</strong> existants, et où seuls les <strong>droits</strong><br />
d’utilisation coutumiers sont pris en compte, l’injustice aggrave l’irresponsabilité dans le<br />
cadre de la privatisation par l’État.<br />
3. ce modus operandi juridique est doublement préoccupant, dans la mesure où l’État gabonais<br />
n’a pas toujours démontré, <strong>au</strong> cours des 60 dernières années, qu’il mettait bien l’intérêt public<br />
<strong>au</strong>-dessus de l’intérêt privé dans ses relations foncières et en matière de ressources, de même<br />
qu’il n’a même pas librement <strong>au</strong>torisé quelque protestation que ce soit dans le cadre de cellesci.<br />
4. La dépossession des habitants des zones rurales est aggravée par une déclaration selon<br />
laquelle toutes les forêts appartiennent à l’État, et cela dans un pays où 85 % de la superficie<br />
est boisée et où ces ressources font partie intégrante de la propriété reposant sur un droit<br />
foncier coutumier.<br />
5. L’État détient également toutes les e<strong>au</strong>x (un million de kilomètres carrés, en plus de la<br />
superficie terrestre), en maintenant le principe de droit français, réadapté pour les colonies,<br />
selon lequel seules les rivières navigables et flottables appartiennent à l’État, afin d’englober<br />
efficacement toute l’e<strong>au</strong>). De façon plus classique et acceptable, le gouvernement gabonais<br />
possède également tous les minerais (que ceux-ci aient été historiquement exploités par les<br />
commun<strong>au</strong>tés ou non). il possède également toutes les zones protégées (environ 15 % de<br />
la superficie des terres, y compris une grande partie des forêts). cela donne à penser que le<br />
<strong>Gabon</strong> n’a pas encore rattrapé le retard en matière de politiques modernes de conservation, qui<br />
reconnaissent que les commun<strong>au</strong>tés sont généralement la meilleure source de conservation<br />
lorsque leurs <strong>droits</strong> de propriété sur des zones importantes à l’échelle nationale sont reconnus,<br />
en produisant des parcs et des réserves nation<strong>au</strong>x détenus et gérés par les commun<strong>au</strong>tés.<br />
6. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que les populations rurales ne jouissent d’un<br />
semblant de sécurité que pour les maisons et les fermes qu’ils occupent et utilisent<br />
activement. très peu ont le droit formel de protéger ces <strong>droits</strong> et les permis d’occupation ont<br />
largement expiré. c’est <strong>au</strong>ssi le cas pour de nombreux citadins qui n’ont pas réussi à obtenir de<br />
titre définitif en raison des conditions onéreuses de développement, des coûts et des longues<br />
procédures nécessaires.<br />
5
7. ces constatations ont pour conséquence :<br />
a) qu’<strong>au</strong> moins 85 % de la superficie du <strong>Gabon</strong> (et peut-être 95 % ou plus) est légalement<br />
détenue par l’État, même si une grande partie de cette propriété est habituellement<br />
utilisée et occupée ou assujettie à l’occupation urbaine de longue date. une grande partie<br />
de cette terre est également donnée en concession ou à bail (voir ci-dessous);<br />
b) que la majorité de la population est techniquement sans terre. <strong>Les</strong> familles rurales vivent<br />
des terres et des ressources, les utilisent et en dépendent, alors qu’elles ne possèdent pas<br />
de titres lég<strong>au</strong>x de propriété sur ceux-ci, et qu’elles n’ont même pas la possibilité de se les<br />
procurer. Des milliers de citadins sont <strong>au</strong>ssi uniquement, d’un point de vue technique, les<br />
occupants tolérés des terres de l’État, et peuvent de ce fait (ce qui est périodiquement le<br />
cas) être expulsés de façon discrétionnaire ;<br />
c) que le secteur privé est réduit, et dans des circonstances agraires, où l’on s’attendrait<br />
à voir de nombreux titres privés sous la forme de <strong>droits</strong> famili<strong>au</strong>x et commun<strong>au</strong>taires.<br />
seuls quelques titres <strong>fonciers</strong> commun<strong>au</strong>taires (il y en a-t-il ?) existent (même si cela est<br />
prévu par la constitution et le droit foncier).<br />
8. seuls 14 000 titres <strong>fonciers</strong> privés semblent avoir été enregistrés <strong>au</strong> <strong>Gabon</strong>. La plupart se<br />
réfèrent à de minuscules parcelles urbaines. La zone urbaine dans son ensemble <strong>au</strong> <strong>Gabon</strong><br />
ne constitue pas plus de 1 % de la superficie totale des terres. L’enregistrement a débuté en<br />
1902, mais n’avait atteint que 1 100 lots lors de l’indépendance (1960). un tel chiffre avait<br />
été multiplié par dix fois 1994, grâce à une campagne spéciale, en particulier dans deux villes<br />
(Libreville et port Gentil). selon le pnuD et le Ministère de l’habitat, en 2011, le cadastrage<br />
était tombé à une moyenne de 100 nouve<strong>au</strong>x titres par an. il existe très peu de titres dans les<br />
zones rurales. en tout état de c<strong>au</strong>se, le cadastre où le registre est maintenu, dans la pratique,<br />
ne fonctionne que dans les zones urbaines.<br />
9. Une part importante des terres domaniales a été attribuée principalement à des entreprises<br />
d’envergure mondiale. Le nive<strong>au</strong> de participation locale de riches <strong>Gabon</strong>ais n’est pas connu.<br />
Le mécanisme de cette attribution est l’octroi de 5 000 concessions portant sur la propriété<br />
privée de l’État pour l’exploitation minière, l’exploitation forestière et plus récemment, les<br />
sociétés agro-industrielles. cela couvre des millions d’hectares. Depuis 2001, une seule société<br />
d’exploitation forestière peut détenir des <strong>droits</strong> jusqu’à 600 000 ha. en 2011, le cifOr a indiqué<br />
que les entreprises chinoises détenaient désormais des <strong>droits</strong> sur un quart de toutes les forêts<br />
du <strong>Gabon</strong> (plus de cinq millions d’hectares). tandis que l’État conserve la propriété ultime de la<br />
terre et fait payer un loyer, des redevances et des taxes, les concessionnaires sont propriétaires<br />
du bois, des minerais et des produits qu’ils extraient, selon des conditions renouvelables. Dans<br />
le cadre de cette étude, nous ne sommes pas parvenus à trouver des dispositions obligeant<br />
l’État à reverser un pourcentage du chiffre d’affaires <strong>au</strong>x commun<strong>au</strong>tés affectées.<br />
10. les commun<strong>au</strong>tés rurales sont profondément affectées par ces concessions. sans démarcation<br />
claire de leurs limites, les méga-concessions (lesquelles peuvent recouvrir l’exploitation minière<br />
et les <strong>droits</strong> de coupe) empiètent régulièrement sur les zones locales. <strong>Les</strong> concessions minières<br />
peuvent exclure l’occupation et l’utilisation de les vastes zones dont elles jouissent. en outre, les<br />
commun<strong>au</strong>tés ont perdu environ 15 % de la superficie du pays en faveur des parcs nation<strong>au</strong>x,<br />
dont elles sont également exclues. en outre, leurs <strong>droits</strong> traditionnels sur les zones tampons<br />
<strong>au</strong>tour des parcs sont circonscrits en fonction de décisions de l’<strong>au</strong>torité des parcs. récemment,<br />
les résidents de plusieurs zones du pays ont découvert que certaines parties de leurs terres<br />
traditionnelles avaient été affectées à des développements de plantations de caoutchouc et de<br />
palmiers à huile à grande échelle. La consultation formelle et l’accord avec les commun<strong>au</strong>tés<br />
touchées sont légalement entravés, dans la mesure où l’État ne considère pas que leurs <strong>droits</strong><br />
soient plus que des <strong>droits</strong> d’utilisation ajustables sur ses propres terres. <strong>Les</strong> commun<strong>au</strong>tés<br />
rurales doivent donc composer non seulement avec le fait d’être juridiquement non reconnues<br />
en tant que propriétaires coutumières des terres et des ressources, mais également avec la<br />
6
pression exercée par les concessionnaires possédant des <strong>droits</strong> clairs. ceux-ci interfèrent<br />
souvent avec les colonies et les fermes, mais surtout privent les commun<strong>au</strong>tés de l’accès <strong>au</strong>x<br />
terres forestières et <strong>au</strong>x <strong>au</strong>tres ressources traditionnelles.<br />
11. Un droit forestier p<strong>au</strong>vre et faiblement appliqué ajoute à la dépossession et à l’empiètement.<br />
Bien que le nouve<strong>au</strong> droit foncier (2001) ait été conçu dans le but de mieux réglementer<br />
l’exploitation forestière et les relations avec les commun<strong>au</strong>tés locales, tout en élargissant<br />
la zone commerciale exploitée, seule la dernière finalité a été atteinte. prétendument, la<br />
limitation sur la zone possédée par une seule entreprise est inégalement observée, les<br />
redevances et les impôts sont encore mal recouvrés et de façon non transparente, les plans<br />
de gestion requis ne sont pas forcément élaborés, les accords de responsabilité sociale avec<br />
les commun<strong>au</strong>tés ne sont qu’occasionnellement développés, les enlèvements stipulés sont<br />
dépassés, les aires protégées envahies par les bûcherons, les espèces sous dimensionnées<br />
abattues, et l’exportation interdite de grumes appliquée de façon irrégulière.<br />
La délimitation d’un domaine forestier rural permettant d’assurer l’accès, en faveur des<br />
commun<strong>au</strong>tés, à <strong>au</strong> moins une partie de leurs forêts, n’a pas été entreprise, et cela constitue le<br />
manquement le plus grave. Bien que cette disposition légale n’apparaisse que secondaire par<br />
rapport à la reconnaissance de la propriété forestière locale, sa mise en œuvre <strong>au</strong>rait fourni<br />
une certaine protection des <strong>droits</strong> d’usage <strong>au</strong> moins et offert <strong>au</strong>x commun<strong>au</strong>tés une situation<br />
un peu meilleure <strong>au</strong> regard des concessionnaires envahissants et des <strong>au</strong>tres titres de propriété<br />
privée sur leurs terres.<br />
12. les familles ne possédant <strong>au</strong>cun titre de propriété ne peuvent trouver nul secours ou<br />
action dans la Constitution. cette loi, vieille de 21 ans, a été régulièrement modifiée à des<br />
fins politiques (telles que la suppression des limites des mandats présidentiels ou l’octroi de<br />
l’immunité <strong>au</strong>x présidents à la retraite), mais n’a vu <strong>au</strong>cune amélioration de la protection des<br />
<strong>droits</strong>. La protection de la propriété privée repose sur la définition de la propriété existante,<br />
à condition d’être officiellement enregistrée. La référence de la constitution à la Déclaration<br />
des <strong>droits</strong> de l’homme et du citoyen datant de la révolution française (1789) et <strong>au</strong>x deux<br />
déclarations internationales (1948 et 1981) est trompeuse. La première était en fait le code<br />
d’origine établissant que la propriété n’existe que grâce à l’enregistrement. <strong>Les</strong> secondes<br />
protègent en effet la propriété, mais en abandonnant la définition de celle-ci à l’État signataire.<br />
La ratification par le <strong>Gabon</strong> d’<strong>au</strong>tres conventions internationales est tout <strong>au</strong>ssi trompeuse. Le<br />
<strong>Gabon</strong> n’a ratifié ni la convention n° 169 de l’Oit ni la Déclaration des nations unies sur les <strong>droits</strong><br />
des peuples <strong>au</strong>tochtones de 2007, qui obligeraient l’État à respecter les terres coutumières et<br />
la propriété des ressources des terres, ainsi qu’à protéger le droit <strong>au</strong> logement.<br />
13. Garantir des titres privés est difficile, comme en témoigne la dimension réduite du secteur<br />
privé. comme indiqué ci-dessus, le droit de propriété collectif existe, mais n’est pas repris, dans<br />
la mesure où la ressource clé collective, les forêts, ne peut être possédée par les commun<strong>au</strong>tés<br />
rurales. Bien que les cessions de particulier à particulier de biens déjà enregistrés soient<br />
relativement simples, l’acquisition du premier titre <strong>au</strong>près de l’État implique la participation de<br />
multiples organismes dont les compétences entrent en conflit, ainsi que des étapes multiples<br />
(certains rapports évoquent toujours jusqu’à 134 étapes et la nécessité d’obtenir près de 70<br />
signatures), et l’on présume, peut faire l’objet d’une recherche de rémunération à chaque<br />
étape. L’acquisition et la formalisation du droit se font en trois étapes, avec une première<br />
étape d’identification des parcelles, une attribution faiblement régulée, puis l’enquête et<br />
la délimitation, suivie de l’émission, provisoire puis définitive, du titre, <strong>au</strong> bout de deux à<br />
trois années, <strong>au</strong> cours desquelles les conditions de développement spécifiques doivent être<br />
remplies. Be<strong>au</strong>coup de candidats ne parviennent pas à leurs fins en raison de conditions<br />
onéreuses ou des coûts de construction. L’octroi du titre final est une décision politique plutôt<br />
qu’administrative, exposant les <strong>droits</strong> à l’influence politique, et la procédure duale civile et<br />
judiciaire d’attribution des titres crée d’<strong>au</strong>tres retards. Le pnuD et le Ministère de l’habitat<br />
indiquent que seules 121 nouve<strong>au</strong>x parcelles urbaines ont été définies et vendues entre 2004<br />
et 2008.<br />
7
14. Une caractéristique essentielle du droit de propriété <strong>au</strong> <strong>Gabon</strong>, est qu’il est peu différent du<br />
droit établi en 1899. en plus des aspects mentionnés ci-dessus, la loi :<br />
a) interdit la prescription (occupation longue et ininterrompue) en tant que base de la<br />
propriété foncière reconnue, en privant ainsi les habitants des zones rurales et urbaines<br />
des <strong>droits</strong> qui leur reviennent ;<br />
b) favorise l’utilisation industrielle/commerciale des terres, <strong>au</strong> détriment des <strong>droits</strong> de<br />
subsistance et de logement des membres ordinaires de la population, notamment en<br />
mettant les terres à la disposition du plus offrant et l’attribution en pleine propriété à ceux<br />
qui investissent des fonds importants dans les terres ;<br />
c) l’utilité publique, faiblement prescrite, permet la poursuite de l’acquisition obligatoire avec<br />
un préavis d’expulsion ou un délai pour le dépôt des réclamations limités, un droit d’appel<br />
limité <strong>au</strong>près des tribun<strong>au</strong>x pour les questions <strong>au</strong>tres que les questions administratives<br />
et avec un paiement d’une indemnité <strong>au</strong>x personnes <strong>au</strong>tres que celles détenant un titre<br />
officiel laissé à la discrétion erratique du gouvernement.<br />
15. l’histoire est importante. L’examen des relations foncières <strong>au</strong> <strong>Gabon</strong> <strong>au</strong> cours de ces 150<br />
dernières années montre :<br />
a) qu’avant 1899, les occupants du <strong>Gabon</strong> enregistrèrent des nive<strong>au</strong>x extrêmement élevés de<br />
territorialité et de propriété des biens immobiliers, et même d’opérations commerciales<br />
dans les zones côtières. cela s’est intensément accru à compter du 17 ème siècle, du fait de<br />
la traite des esclaves et du commerce des matières premières (ivoire, séquoia, caoutchouc<br />
s<strong>au</strong>vage, raphia, etc., puis plus tard des marchandises coloniales importées, telles que le<br />
calicot, les armes à feu et les bassines en fer et en cuivre). Le contrôle des ressources<br />
(et partant du territoire) est en fait le marqueur remarquable de la manière dont la<br />
participation du <strong>Gabon</strong> dans le commerce a été délimitée. une grande partie des litiges<br />
entre les clans et leurs « hommes forts » portaient sur le contrôle du territoire, ou sur «<br />
nos terres » ;<br />
b) que les premiers colonisateurs français, qui fondèrent la colonie enclave de l’estuaire<br />
en 1846, par le biais de la conclusion d’un accord avec les chefferies locales, acceptaient<br />
pleinement que le <strong>Gabon</strong> soit détenu par l’intermédiaire du clan coutumier et sur la<br />
base d’accords famili<strong>au</strong>x. Dans leurs premières lois (1846-1849), les <strong>au</strong>torités françaises<br />
cherchèrent simplement à réglementer la façon dont les populations locales vendaient des<br />
terres <strong>au</strong>x immigrants, afin que ces achats soient licites pour les acheteurs, conformément<br />
à la loi française ;<br />
c) que la dépossession formelle des populations locales à travers la négation de leur propriété<br />
est venue be<strong>au</strong>coup plus tard, comme une stratégie délibérée de la colonie élargie visant<br />
à protéger et à étendre les intérêts commerci<strong>au</strong>x français non concurrentiels. cela a été<br />
anticipé dans plusieurs lois en 1899, à la fois pour permettre <strong>au</strong>x français d’éviter de payer<br />
pour l’acquisition de terrains et de pouvoir légalement attribuer la plupart du pays, en<br />
1900, <strong>au</strong>x sociétés forestières et commerciales du conglomérat français, dont certaines<br />
d’ailleurs avaient été constituées à cette seule fin ;<br />
d) que le rôle et le soutien des élites locales ou de ce que l’on appelait à l’origine les « hommes<br />
forts » <strong>au</strong>x 18 ème et 19 ème siècles, ont joué un rôle essentiel dans ce développement, et<br />
8
expliquent sans doute pourquoi la possibilité n’a pas été saisie lors de l’indépendance ou<br />
depuis lors, afin de libérer les <strong>Gabon</strong>ais des principes du droit foncier colonial. Bien que<br />
d’innombrables <strong>Gabon</strong>ais aient été victimes de l’esclavage et du commerce international<br />
des esclaves, d’<strong>au</strong>tres se sont profondément engagés dans ce capitalisme mondialisé et<br />
ont <strong>au</strong> début continué à faire partie d’une entreprise commerciale non esclave. Des élites<br />
sont apparues rapidement, en une stratification de la société qui s’inscrit dans la continuité<br />
avec l’existence d’élites économiques et politiques d’<strong>au</strong>jourd’hui ;<br />
e) l’implication étroite des capit<strong>au</strong>x internation<strong>au</strong>x et des sociétés internationales peut<br />
également être identifiée comme un facteur de résistance politique à la libération des <strong>droits</strong><br />
<strong>fonciers</strong> en 1960 et depuis lors. Le contrôle externe des terres et des ressources a été mis en<br />
place en 1900, et bien que les acteurs soient différents de nos jours, il s’est poursuivi jusqu’à<br />
présent, sachant que la participation des élites locales dans le capital et les bénéfices s’est<br />
probablement accrue. ces attributs suggèrent à certains historiens que le <strong>Gabon</strong> a été et<br />
demeure à bien des égards un État rentier.<br />
16. l’absence de libéralisation des <strong>droits</strong> <strong>fonciers</strong> de la majorité a persisté depuis le changement<br />
le plus récent dans les gouvernements. en fait, d’importants changements promis dans les lois<br />
depuis 1996 n’ont pas été exécutés. Be<strong>au</strong>coup concernent le secteur forestier, ce qui n’est pas<br />
étonnant puisqu’il absorbe 85 % de la superficie. c’est ainsi, par exemple, que le gouvernement<br />
du <strong>Gabon</strong> a omis :<br />
a) de prévoir une législation d’habilitation, une cartographie pratique et une délimitation<br />
permettant l’identification et la protection d’un domaine forestier rural, tel que<br />
prévu dans la loi forestière (2001), ce qui <strong>au</strong>rait conféré <strong>au</strong>x commun<strong>au</strong>tés des <strong>droits</strong><br />
prioritaires sur les terres locales occupées traditionnellement, y compris les forêts, en<br />
laissant toujours des millions d’hectares en dehors de cette zone à la disposition de<br />
l’exploitation et l’utilisation commerciales extérieures ;<br />
b) à déf<strong>au</strong>t de ce qui précède, <strong>au</strong> moins de maintenir la zone d’exclusion de cinq<br />
kilomètres le long des routes prévue dans l’ancienne loi forestière (1982), afin de<br />
protéger les villages contre les empiétements des concessionnaires;<br />
c) de procéder à la délimitation promise du domaine forestier permanent et des frontières<br />
des concessions délivrées, pour imposer des limites à l’exploitation industrielle ;<br />
d) de prévoir une loi d’habilitation afin de permettre la création de forêts commun<strong>au</strong>taires.<br />
en effet, même si celles-ci n’<strong>au</strong>raient pas impliqué de cession de la propriété, elles<br />
<strong>au</strong>raient fourni une <strong>au</strong>tre voie <strong>au</strong>x collectivités pour assurer <strong>au</strong> moins certaines terres<br />
forestières;<br />
e) de fournir des directives d’habilitation et une mise en œuvre permettant d’exiger<br />
des concessionnaires (exploitation minière, exploitation forestière et plantations de<br />
palmiers à huile et d’hévéas) <strong>au</strong> moins de négocier et de convenir des <strong>droits</strong> d’accès<br />
et des avantages concrets et durables.<br />
Même ce qui précède, convient-il de remarquer, ne constitue qu’une maigre<br />
compensation pour le déplacement, l’ingérence dans l’agriculture et l’utilisation des<br />
forêts, ainsi que la suppression de toute chance de devenir eux-mêmes propriétaires<br />
de leurs terres coutumières et des ressources ;<br />
f) de mettre en place la loi d’habilitation exigeant des <strong>au</strong>torités des parcs de travailler<br />
avec les commun<strong>au</strong>tés dont les terres ont été prises, ou entravées par les zones<br />
tampons adjacentes que les parcs contrôlent également, ainsi que de concrétiser<br />
la promesse figurant dans la loi principale (2007), selon laquelle ces commun<strong>au</strong>tés<br />
affectées participeraient également <strong>au</strong>x décisions de gestion ;<br />
9
IV COnClUsIOns<br />
g) de fournir une loi habilitante et de faire progresser la décentralisation, tel que<br />
prévu dans une loi dormante de 1996, qui prévoyait la mise en place de conseils des<br />
commun<strong>au</strong>tés rurales et de conseils des commun<strong>au</strong>tés urbaines, dotés de pouvoirs<br />
importants d’<strong>au</strong>torité sur leurs domaines respectifs. ces formations <strong>au</strong>raient contribué<br />
à rendre <strong>au</strong>tonomes les commun<strong>au</strong>tés et <strong>au</strong>raient logiquement permis l’identification<br />
de « zones foncières commun<strong>au</strong>taires » dans les zones rurales ;<br />
h) de mettre en place les améliorations promises depuis longtemps dans la façon dont<br />
l’enregistrement officiel est obtenu, afin de permettre que la régularisation urgente de<br />
l’occupation et de l’utilisation existantes soit formellement consolidée et protégée.<br />
17. la propriété garantie et équitable est fondamentale dans les économies agraires modernes.<br />
L’étude a révélé que le <strong>Gabon</strong> illustre amplement les réalités rencontrées dans la plupart des<br />
<strong>au</strong>tres États agraires, où une proportion importante de la population dépend de la terre pour<br />
survivre ou indirectement sur des activités fondées sur la terre. La personne possédant et<br />
contrôlant les terres revêt une grande importance dans ces économies et peut signifier la<br />
richesse ou la p<strong>au</strong>vreté. en dépit d’un piB élevé par habitant, la plupart des <strong>Gabon</strong>ais sont<br />
p<strong>au</strong>vres. ils sont privés de leurs seules actifs (les terres et les forêts) sur lesquels ils pourraient<br />
asseoir une plus grande richesse. La gouvernance et les stratégies économiques continuent de<br />
buter sur la croyance selon laquelle la création d’emplois suffira à compenser un tel état de fait,<br />
mais avec peu de preuves à ce jour que cela ait été le cas (le chômage n’a pas diminué <strong>au</strong> cours<br />
des 20 dernières années).<br />
18. Une approche plus nuancée des particularités propres <strong>au</strong> <strong>Gabon</strong> s’avère nécessaire. Le <strong>Gabon</strong><br />
est unique en afrique à plusieurs égards, et cela peut aider à expliquer l’absence d’attention<br />
portée, <strong>au</strong> cours du siècle dernier, à la sécurisation des <strong>droits</strong> <strong>fonciers</strong> en particulier en milieu<br />
rural :<br />
a. le <strong>Gabon</strong> est (et a toujours été) peu peuplé, avec une les densités de population les plus faibles<br />
sur le continent africain (<strong>au</strong>tour de 6 personnes par km ²). La terre a peut-être en conséquence<br />
été considérée comme abondante et la propriété comme un problème de faible importance.<br />
a) plus exceptionnellement, la plupart de la population vit dans les bourgs et les villes (environ<br />
86 %), laissant une petite population rurale d’entre 210 000 et 221 000 personnes, ce qui<br />
représente entre 40 000 et 45 000 ménages. en tant que groupe minoritaire, les <strong>droits</strong><br />
rur<strong>au</strong>x peuvent sembler moins importants.<br />
b) une forte proportion de la population est effectivement étrangère, venant d’<strong>au</strong>tres pays de<br />
l’Afrique de l’ouest, et incluant notamment environ 11 000 ressortissants français. cela a<br />
été le cas depuis le milieu du 19 ème siècle, lorsque le travail extérieur a été encouragé. <strong>Les</strong><br />
estimations du nombre d’étrangers varient de 10 % à 35 % (cette dernière a été publiée<br />
en 2003, mais a été retirée en hâte par le gouvernement). particulièrement dans les zones<br />
urbaines, il pourrait y avoir une réticence inhérente de nature xénophobe à élargir la<br />
régularisation de la propriété.<br />
c) La migration a longtemps été une caractéristique de l’occupation <strong>au</strong> <strong>Gabon</strong>, provoquée par<br />
une concurrence inter-clanique pour les ressources et les privilèges commerci<strong>au</strong>x, ainsi que<br />
la fuite de l’esclavage, de la variole et de la famine <strong>au</strong> 19 ème siècle, aggravée par une fiscalité<br />
sévère, le recrutement du travail forcé et le recrutement militaire, l’installation forcée et<br />
d’<strong>au</strong>tres m<strong>au</strong>x du 20 ème siècle colonial. D’après les documents, dès 1909, la mobilité locale a<br />
été utilisée comme fondement permettant de considérer que les présumés « <strong>au</strong>tochtones »<br />
ne possédaient pas leurs propres terres.<br />
cependant, l’utilisation des éléments qui précèdent comme des justifications permettant de refuser la<br />
reconnaissance d’un droit de propriété sur des territoires occupés de longue date est viciée.<br />
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(i) tout d’abord, non seulement la petite population de chasseurs-cueilleurs (« pygmées »),<br />
mais <strong>au</strong>ssi tous les <strong>Gabon</strong>ais <strong>au</strong>tochtones rur<strong>au</strong>x ont été et demeurent significativement<br />
dépendants de l’utilisation de terres d’une densité variée mais faible, y compris de terres<br />
forestières étendues. La présomption selon laquelle les terres qui sont transformées en<br />
colonies ou en fermes implique que ces dernières n’ont pas de propriétaire doit être évitée.<br />
(ii) Deuxièmement, la rotation des cultures, système logique d’utilisation des terres, devrait<br />
également ne pas être interprétée à tort comme une mobilité aléatoire. <strong>au</strong> contraire, la<br />
plupart du temps, la rotation des cultures a été et demeure pratiquée <strong>au</strong> sein des localités<br />
clairement connues, délimitées et « possédées ».<br />
(iii) en troisième lieu, la grande mobilité n’a pas impliqué tous les occupants du <strong>Gabon</strong> dans un<br />
passé proche ou lointain. Be<strong>au</strong>coup n’ont pas bougé et be<strong>au</strong>coup d’<strong>au</strong>tres se sont déplacés,<br />
puis sont retournés dans leur région d’origine lorsque les conditions étaient meilleures.<br />
(iv) enfin, le partitionnement classique de la société urbaine et rurale, s’appuyant sur le<br />
modèle de la ville industrielle du nord, doit céder la place à la bonne compréhension de la<br />
façon dont les sociétés modernes agraires fonctionnent. L’une des constatations répétées<br />
de l’étude était que la résidence entre les villages urbains et rur<strong>au</strong>x d’origine est fluide. <strong>Les</strong><br />
jeunes générations partent <strong>au</strong> travail, et reviennent non seulement pour des vacances,<br />
mais également lorsque l’emploi est difficile à trouver en ville. Lorsque l’on leur a demandé<br />
leur population, les villages y ont inclus les habitants vivant en ville. La constatation que les<br />
habitants rur<strong>au</strong>x et urbains considéraient ces derniers comme étant des copropriétaires des<br />
terrains famili<strong>au</strong>x et commun<strong>au</strong>taires dans les villages s’est avérée h<strong>au</strong>tement significative<br />
dans le cadre de cette étude. Bien que peu de parents urbains aient été interrogés, ceux-ci<br />
se sont montrés, sans exception, be<strong>au</strong>coup plus concernés par les pertes involontaires de<br />
terres et de ressources dans leurs régions d’origine que les résidents rur<strong>au</strong>x, probablement<br />
parce qu’ils en comprenaient mieux les implications.<br />
19. À ce stade, les intérêts élitistes de l’État gabonais sont renforcés par une envolée des<br />
demandes, de la part des producteurs internation<strong>au</strong>x, des ressources foncières et naturelles<br />
et des matières premières. <strong>Les</strong> nouvelles économies industrielles, telles que la chine et l’inde<br />
et les intérêts du singapour/de la Malaisie, constituent des acteurs clés dans ce phénomène.<br />
<strong>Les</strong> millions de francs qui peuvent être générés à partir de ces développements, <strong>au</strong> profit des<br />
groupes limités de la société, sont tellement séduisants que la volonté de réforme pourrait<br />
même être inférieure en 2012 qu’en 2009, lors du changement de régime. il ne semble donc pas<br />
réaliste pour les <strong>Gabon</strong>ais que de se fier indûment à la volonté politique de voir le changement<br />
intervenir en matière de <strong>droits</strong> <strong>fonciers</strong>.<br />
20. La sensibilisation be<strong>au</strong>coup plus diffuse portant sur les enjeux et la mobilisation pour l’action est<br />
nécessaire pour que la volonté politique soit conduite par la volonté publique. cela ne devrait<br />
pas être limité <strong>au</strong>x commun<strong>au</strong>tés rurales ou urbaines, mais dès le départ être l’objet d’une<br />
collaboration avec les décideurs. structurellement, ces décideurs ont besoin d’être alertés sur<br />
le fait que faciliter un droit de propriété amélioré ne suffit pas à répondre <strong>au</strong>x exigences locales<br />
et internationales en matière de justice des <strong>droits</strong> <strong>fonciers</strong> de l’homme, et de là, à la stabilité.<br />
faciliter la familiarisation avec les réformes juridiques adoptées par les pays présentant des<br />
antécédents semblables <strong>au</strong>x ceux du <strong>Gabon</strong> s’avérerait utile. cela pourrait <strong>au</strong>ssi rassurer des<br />
décideurs politiques incertains que la garantie d’une sécurité sur la terre et les ressources, en<br />
lieu et place de la dépossession, établit une base plus juste et moins conflictuelle en faveur<br />
d’une croissance économique rapide.<br />
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