Histoire - Faculté Libre de Théologie Évangélique
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-<strong>Histoire</strong>-------------__---<br />
la société dans son ensemble à se ranger<br />
sous la bannière théonomiste : dans ce<br />
but, les chrétiens sont appelés à s'occuper<br />
<strong>de</strong> politique (au contraire <strong>de</strong>s piétistes<br />
qui prôneraient un lâche détachement), à<br />
orienter les lois, et faire pression pour une<br />
« christianisation »<strong>de</strong> la société dans tous<br />
les domaines. L'auteur prend soin <strong>de</strong> préciser<br />
que cette dynamique doit s'effectuer<br />
sans violence, par le pur témoignage<br />
d'une conduite fidèle à l'exemple <strong>de</strong><br />
Jésus. Sur ce terrain, il s'écarte <strong>de</strong> ce que<br />
le Moyen-Age a pu comporter <strong>de</strong> coercitif.<br />
Mais cette réserve, tout à l'honneur <strong>de</strong><br />
l'auteur, ne l'empêche pas d'affirmer avec<br />
enthousiasme :<br />
« Le Moyen-Age [...] est le millénaire<br />
d'une civilisation s'efforçant d'être chrétienne,<br />
et précisément à cause <strong>de</strong> cela,<br />
caricaturée, travestie, vilipendée, par la<br />
plupart <strong>de</strong>s historiens et <strong>de</strong>s intellectuels<br />
mo<strong>de</strong>rnes plus ou moins humanistes. Le<br />
Moyen-Age doit bien plutôt être désigné et<br />
décrit comme l'Age <strong>de</strong> la Foi en Occi<strong>de</strong>nt.<br />
[...] En fait, sous la souveraineté <strong>de</strong> la<br />
grâce <strong>de</strong> Dieu et à la mesure <strong>de</strong> l'obéissance<br />
fidèle <strong>de</strong>s hommes, l'Age <strong>de</strong> la Foi a<br />
été la plus belle <strong>de</strong>s civilisations que le<br />
mon<strong>de</strong> ait connues, encore qu'elle ait été<br />
loin d'être parfaite» (pp. 182-183).<br />
Cette valorisation <strong>de</strong> la chrétienté<br />
médiévale, promue « la plus belle <strong>de</strong>s civilisations<br />
que le mon<strong>de</strong> ait connues », se<br />
marque notamment par une forme <strong>de</strong> personnalisation<br />
collective <strong>de</strong>s nations,<br />
l'auteur critiquant, avec <strong>de</strong>s accents<br />
dignes <strong>de</strong> Jean-Paul Il, les « nations» qui<br />
« ont rejeté la Foi <strong>de</strong> leur baptême »<br />
(p. 183). Il existerait donc <strong>de</strong>s nations<br />
chrétiennes et d'autres qui ne le sont<br />
pas(4), ou plus, en vertu d'un modèle<br />
médiéval d'une Alliance collective impliquant<br />
tout le corps social, effectuant une<br />
semi-osmose entre Eglise et Cité. Selon<br />
ce modèle, le rite introductif du « baptême<br />
» du nourrisson, appelé communément<br />
pédobaptisme (il faudrait en réalité<br />
parler <strong>de</strong> pédorantisme : aspersion <strong>de</strong>s<br />
nourrissons) se trouve, fort logiquement,<br />
valorisé: il importe que les enfants soient<br />
« baptisés» à la naissance en signe <strong>de</strong><br />
l'Alliance <strong>de</strong> grâce contractée avec le<br />
peuple <strong>de</strong> Dieu. L'auteur ne le revendique<br />
que <strong>de</strong> manière allusive dans son ouvrage<br />
(voir p. 232 en particulier), mais l'a souvent<br />
souligné explicitement dans d'autres<br />
écrits, comme dans un entretien récent<br />
publié par la revue Nuances(5). Interrogé<br />
par Antoine Schluchter, pasteur à Aix-en<br />
Provence, il y souligne le rôle clef du pédobaptisme<br />
dans sa vision <strong>de</strong> l'Alliance<br />
divine: « Nous sommes inscrits dans<br />
l'Alliance <strong>de</strong> Dieu par notre baptême<br />
d'enfant. Ce qui ne veut pas dire que nous<br />
sommes forcément sauvés, mais le baptême<br />
est indélébile. Nous serons jugés, en<br />
quelque sorte, selon notre fidélité à notre<br />
baptême »(6).<br />
(4) Voir les éclaircissements apportés par Henri Blocher<br />
dans sa recension, op. cit., p. 35, où il<br />
signale que le « sens individuel » du neutre pluriel<br />
ethnè, utilisé 127 fois dans le Nouveau Testament,<br />
« est beaucoup plus fréquent que le sens sociopolitique<br />
".<br />
(5) Entretien à Nuances, mensuel réformé évangélique,<br />
n° 73, mars 1997, pp. 3-4.<br />
(6) Entretien à Nuances, op. cd., p 3.<br />
__ 6 Fac-Réflexion na 39
-------------------<strong>Histoire</strong>-<br />
Une autre marque <strong>de</strong> cette préférence<br />
pour le modèle <strong>de</strong> la chrétienté médiévale<br />
apparaît dans une mise en valeur du<br />
« baptême-onction» <strong>de</strong> Christ, proche du<br />
modèle royal médiéval (pp. 61-68). Ces<br />
pages, « particulièrement intéressantes »(7),<br />
révèlent beaucoup sur l'impensé historique<br />
<strong>de</strong> l'auteur. En revanche, elles laissent<br />
un peu sur sa faim l'amateur d'exégèse.<br />
Quel texte biblique assimile explicitement<br />
le baptême-immersion <strong>de</strong> Christ à<br />
une onction royale? (Rappelons une fois<br />
<strong>de</strong> plus que baptizo signifie exclusivement<br />
immerger et non asperger ou oindre !). Le<br />
récit du baptême <strong>de</strong> Jésus constitue<br />
certes un passage biblique assez complexe.<br />
On ne peut pas exclure, dans cet<br />
épiso<strong>de</strong>, un parallèle pru<strong>de</strong>nt avec l'onction<br />
vétéro-testamentaire. La colombe <strong>de</strong><br />
l'Esprit Saint (et non « l'aspersion d'eau»<br />
(p. 64) dont Jésus n'a jamais été l'objet !)<br />
peut en effet fort bien se substituer,<br />
comme signe d'élection, <strong>de</strong> messianité, à<br />
l'huile répandue par le prophète sur la tête<br />
<strong>de</strong> David. Il n'en reste pas moins que<br />
l'écart avec le modèle vétéro-testamentaire<br />
saute aux yeux. La différence radicale<br />
s'instaure précisément dans le baptême-<br />
(7) D. et A. Bergèse, recension <strong>de</strong> l'ouvrage <strong>de</strong><br />
P. Courthial pour la Revue Réformée, n° 193,<br />
1997/2, mars 1997, p. 55.<br />
immersion, scandale pour Jean-Baptiste:<br />
le Christ-Roi, le Messie, s'immerger aussi<br />
humblement ! Le baptême christique,<br />
insaisissable sans la symbolique <strong>de</strong><br />
l'immersion, semble bien nous montrer,<br />
avant tout, un modèle d'ensevelissement<br />
au mon<strong>de</strong>, et prophétise la Croix. Il est<br />
dommage que cette dimension, certes<br />
évoquée par l'auteur, soit quelque peu<br />
brouillée par l'imagerie médiévale d'un<br />
Christ aspergé, oint, ordonnant un « Prophète<br />
et Roi» (p. 62). Jésus n'a rien à<br />
gagner à se voir (involontairement sans<br />
doute) rapproché <strong>de</strong> Clovis! (dont le baptême<br />
fut effectivement associé, selon la<br />
légen<strong>de</strong>, à une onction). Cette symbolique<br />
du « baptême-onctionné », particulièrement<br />
signifiante en régime <strong>de</strong> chrétienté,<br />
peut-elle se concilier avec la conception<br />
évangélique majoritaire <strong>de</strong>s rapports entre<br />
la Cité et l'Eglise? On peut légitimement<br />
cultiver <strong>de</strong>s doutes en considérant la<br />
manière dont l'auteur s'en prend par<br />
ailleurs à « la forme douce (?) et insidieuse<br />
<strong>de</strong> la déesse Démocratie» (p. 253).<br />
Cette mise en cause <strong>de</strong>s évolutions politiques<br />
<strong>de</strong>s dèux <strong>de</strong>rniers siècles revêt parfois<br />
<strong>de</strong>s allures <strong>de</strong> réquisitoire : les temps<br />
contemporains seraient marqués par les'<br />
effets dévastateurs d'une fausse conception<br />
<strong>de</strong> la démocratie, conduisant d'après<br />
Fac-Réjlexion n° ---------------------7-
-<strong>Histoire</strong>-------------------<br />
l'auteur à la divinisation <strong>de</strong> l'Etat, au totalitarisme.<br />
La Révolution française « tricolore<br />
» serait ainsi à placer au même rang<br />
que les Révolutions « rouge, brune ou<br />
noire », assoiffée <strong>de</strong> la « chair» et du<br />
« sang <strong>de</strong>s hommes» (p. 182). Voilà qui<br />
<strong>de</strong>vrait conduire bien <strong>de</strong>s chrétiens évangéliques<br />
à porter le <strong>de</strong>uil le 14 juillet! Plus<br />
sérieusement, une allégation aussi grave<br />
aurait mérité au moins quelques nuances.<br />
Il n'est nul besoin <strong>de</strong> nier les terribles<br />
excès anti-religieux <strong>de</strong> la Révolution française,<br />
dans sa phase la plus dure. Mais en<br />
élargissant la perspective, comment ne<br />
pas comprendre qu'ils furent directement<br />
la conséquence <strong>de</strong> plusieurs siècles <strong>de</strong><br />
chrétienté oppressive ? Ni en Angleterre,<br />
ni aux Etats-Unis, pays précocement ensemencés<br />
par les principes <strong>de</strong> liberté <strong>de</strong><br />
conscience (dont les protestants évangéliques,<br />
tels Roger Williams dans le Rho<strong>de</strong><br />
Island, furent souvent d'ar<strong>de</strong>nts promoteurs),<br />
<strong>de</strong> tels débor<strong>de</strong>ments anti-chrétiens<br />
ne purent avoir lieu. Car pour les<br />
populations concernées, le christianisme,<br />
pluralisé et intériorisé individuellement,<br />
n'apparaissait pas comme un facteur<br />
d'oppression. En France au contraire<br />
(comme, d'ailleurs, dans la Russie tsariste),<br />
pays soumis à un régime <strong>de</strong> chrétienté<br />
strict, la foi chrétienne s'était dénaturée<br />
dans un unanimisme coercitif et illusoire.<br />
Tant et si bien qu'elle avait fini par<br />
sembler si contraignante qu'en renversant<br />
la royauté, on tenta du même coup <strong>de</strong><br />
mettre à bas l'Eglise, indissociablement<br />
mêlée à la faillite <strong>de</strong> ce que l'on appelle<br />
l'Ancien Régime. Tentative heureusement<br />
brève, du reste, et qui se prolongea, au<br />
bout du compte, par <strong>de</strong>s conséquences<br />
très positives pour les chrétiens français :<br />
n'oublions pas en effet que parmi les effets<br />
immédiats <strong>de</strong> la Révolution, le Concordat<br />
<strong>de</strong> 1802 (qui va bien plus loin que le timi<strong>de</strong><br />
édit <strong>de</strong> tolérance <strong>de</strong> 1787) donna pour la<br />
première fois un réel droit <strong>de</strong> cité aux protestants<br />
français. Faut-il aussi rappeler que<br />
c'est la République, issue <strong>de</strong>s Révolutions<br />
<strong>de</strong> 1789 et 1848, qui octroya une pleine<br />
liberté <strong>de</strong> conscience et d'évangélisation<br />
aux protestants? Rescapés <strong>de</strong>s persécutions<br />
infligées en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> « chrétienté»,<br />
notamment par le roi « très chrétien»<br />
Louis XIV, artisan <strong>de</strong>s dragonna<strong>de</strong>s et <strong>de</strong><br />
la Révocation <strong>de</strong> l'Edit <strong>de</strong> Nantes, les protestants,<br />
à l'époque, se gardèrent bien <strong>de</strong><br />
vitupérer contre la démocratie, qu'ils<br />
considérèrent au contraire comme une<br />
manifestation <strong>de</strong> la grâce divine!<br />
1/. La perspective évangélique:<br />
une vision plus positive <strong>de</strong> la<br />
mo<strong>de</strong>rnité<br />
Valorisation <strong>de</strong> la chrétienté médiévale<br />
avec, pour corollaire, une personnalisation<br />
collective <strong>de</strong>s « nations », une pratique<br />
nécessaire du « baptême » du nourrisson<br />
et un discours très critique à l'égard <strong>de</strong> la<br />
démocratie, on constate que les rapports<br />
entre Eglise et Cité, dans un tel modèle,<br />
diffèrent sensiblement <strong>de</strong> la conception<br />
défendue majoritairement par les évangéliques<br />
professants.<br />
L'inspiration <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rniers renvoie, au<br />
XVIe siècle, non pas directement à Calvin<br />
et Luther, hommes du Moyen-Age attachés<br />
à la chrétienté, mais aux anabap-<br />
-- 8 Fac-Réflexion n° 39
------------------<strong>Histoire</strong>-<br />
tistes, précurseurs <strong>de</strong> la séparation <strong>de</strong>s<br />
Eglises et <strong>de</strong> l'Etat, qui annoncent (en partie)<br />
les mouvances puritaines puis revivalistes.<br />
Cette tendance évangélique, massivement<br />
professante, est largement opposée<br />
dans son principe à la chrétienté,<br />
système à cause duquel <strong>de</strong>s centaines <strong>de</strong><br />
milliers <strong>de</strong> dissi<strong>de</strong>nts, <strong>de</strong>s vaudois aux<br />
puritains en passant par les anabaptistes,<br />
furent massacrés pour leur foi dans toute<br />
l'Europe: selon cette tendance, il ne peut<br />
guère être question d'une Eglise calquant<br />
ses contours, démesurément élargis, sur<br />
le corps social, <strong>de</strong> « christianiser la société<br />
» (cela ne veut pas dire grand-chose<br />
pour les évangéliques professants, même<br />
si certains en parlent), mais il s'agit <strong>de</strong><br />
construire une Eglise vécue consciemment<br />
comme minoritaire et « sel <strong>de</strong> la terre» à<br />
partir <strong>de</strong> militants qui ont professé leur foi<br />
et l'ont manifestée ensuite par le baptême,<br />
selon le modèle néo-testamentaire.<br />
1/ s'agit <strong>de</strong> construire une<br />
Eglise vécue consciemment<br />
comme minoritaire et « sel <strong>de</strong><br />
la terre » à partir <strong>de</strong> militants<br />
qui ont professé leur foi.<br />
L'Eglise, pour eux, n'a pas vocation à<br />
absorber la Cité, à la régenter en tous<br />
sens, mais à être une lumière dans le<br />
concert libre et pluriel <strong>de</strong>s voix, <strong>de</strong>s religions<br />
et <strong>de</strong>s cultures. Cette conception est<br />
significativement ignorée par Pierre Courthial,<br />
qui ne lui concè<strong>de</strong> même pas un<br />
paragraphe. Indéniablement, pour reprendre<br />
une remarque <strong>de</strong> D. et A. Bergèse, sa<br />
perspective « se démarque» aussi bien du<br />
« protestantisme pluraliste », néanmoins<br />
mentionné comme référence négative, que<br />
du « protestantisme évangélique », largement<br />
absent du discours(8l.<br />
On peut regretter cette absence, qui<br />
passe sous silence la diversité et la<br />
richesse <strong>de</strong>s multiples Eglises professantes,<br />
lesquelles constituent le gros <strong>de</strong>s<br />
forces évangéliques et animent j'une <strong>de</strong>s<br />
tendances les plus dynamiques du protestantisme<br />
actuel. Sans <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r un<br />
satisfecit (les évangéliques ont certainement<br />
plus besoin <strong>de</strong> critiques constructives<br />
que d'auto-satisfaction !), quelques<br />
allusions et critiques fraternelles auraient<br />
été les bienvenues : le rapport dialectique<br />
et fécond <strong>de</strong>s Eglises évangéliques avec<br />
l'époque actuelle mérite mieux qu'un<br />
mutisme pesant. Une époque caractérisée,<br />
certes, par un humanisme parfois<br />
effréné mais aussi par la liberté <strong>de</strong> conscience,<br />
par une démocratie parfois tentée<br />
par l'Etatisme mais aussi par un pluralisme<br />
religieux <strong>de</strong> bon aloi, par une survalorisation<br />
<strong>de</strong> l'individu mais aussi par le respect<br />
<strong>de</strong>s croyances <strong>de</strong> chacun. Une époque<br />
sur laquelle le chrétien évangélique peut<br />
porter un regard nuancé, notant même, ça<br />
et là, bien <strong>de</strong>s avancées positives.<br />
Le regard <strong>de</strong> la majorité <strong>de</strong>s évangéliques,<br />
loin <strong>de</strong> lorgner vers un Moyen-Age<br />
certes estimable sous certains aspects,<br />
mais souvent synonyme pour eux <strong>de</strong> persécutions,<br />
peut ainsi valoriser maints éléments<br />
<strong>de</strong> ce que l'on appelle la mo<strong>de</strong>rnité.<br />
(8) D. et A. Bergèse, op. cft., p. 57.<br />
Flic-Réflexion nO -------------------9-
-<strong>Histoire</strong>------------------<br />
Malgré <strong>de</strong>s dérapages, la promotion <strong>de</strong><br />
chaque individu, créature unique et spécifique<br />
<strong>de</strong> Dieu, le droit <strong>de</strong> choisir sa foi et<br />
<strong>de</strong> la vivre, la possibilité d'avoir son mot à<br />
dire sur ceux qui gouvernent et administrent<br />
... ne sont pas <strong>de</strong>s libertés négligeables<br />
! Loin d'apparaître assimilable au<br />
nazisme ou au totalitarisme, l'idéal du drapeau<br />
tricolore et <strong>de</strong> la formule « Liberté,<br />
Egalité, Fraternité », peut ainsi distiller un<br />
parfum <strong>de</strong> cette « grâce commune » par<br />
laquelle Dieu, dans sa bonté, répond<br />
ponctuellement et partiellement, dans<br />
l'histoire, à la soif <strong>de</strong> justice <strong>de</strong> ses Créatures.<br />
Une manifestation <strong>de</strong> la « grâce<br />
commune» tout à fait insuffisante au Salut,<br />
mais une grâce à saisir tout <strong>de</strong> même avec<br />
reconnaissance, dans la mesure, notamment,<br />
où elle donne enfin une liberté plénière<br />
aux multiples Eglises <strong>de</strong> professants,<br />
écloses sur les ruines persécutrices <strong>de</strong> la<br />
vieille chrétienté.<br />
Cette grâce d'un système démocratique<br />
et pluraliste, au cœur, aujourd'hui, <strong>de</strong><br />
la plupart <strong>de</strong>s sociétés occi<strong>de</strong>ntales<br />
mo<strong>de</strong>rnes, les évangéliques en ont été, à<br />
leur manière, les messagers et les précurseurs<br />
dans le domaine <strong>de</strong> la liberté <strong>de</strong><br />
conscience et <strong>de</strong> la dignité <strong>de</strong> l'individu.<br />
Dès le début <strong>de</strong> ce siècle, le théologien<br />
libéral et sociologue Ernst Troeltsch (au<br />
<strong>de</strong>meurant fort peu suspect <strong>de</strong> sympathie<br />
pour les évangéliques) l'avait bien perçu.<br />
Dans son œuvre puissante, redécouverte<br />
<strong>de</strong>puis quelques années par les sociologues<br />
et historiens <strong>de</strong>s religions, il montre<br />
en effet que le protestantisme <strong>de</strong> Luther et<br />
Calvin, encore fortement englué dans le<br />
modèle médiéval <strong>de</strong> la chrétienté, a bien<br />
moins contribué à la mo<strong>de</strong>rnité que le<br />
second protestantisme <strong>de</strong> la Réforme<br />
radicale et du puritanisme (aux sources du<br />
courant évangélique actuel). Il souligne<br />
ainsi:<br />
Si, « dans son orientation générale, le<br />
protestantisme mo<strong>de</strong>rne tend vers une<br />
liberté <strong>de</strong> culte indépendante <strong>de</strong> l'Etat et<br />
si, au sein <strong>de</strong>s Eglises, il a voulu ménager<br />
un espace <strong>de</strong> libre jeu <strong>de</strong> l'esprit [...], <strong>de</strong><br />
telles finalités n'ont pas été le fait <strong>de</strong>s<br />
gran<strong>de</strong>s confessions, mais en partie du<br />
courant baptiste [...] et, pour une autre<br />
part, du spiritualisme mystique »(9).<br />
En d'autres termes, le mouvement vers<br />
la mo<strong>de</strong>rnité, la sortie d'un système<br />
médiéval <strong>de</strong> chrétienté, fut plus le fait <strong>de</strong>s<br />
Eglises rattachées aux dissenters, à la<br />
Réforme radicale, que celui <strong>de</strong>s Eglises <strong>de</strong><br />
multitu<strong>de</strong>, qu'elles soient protestantes ou<br />
catholiques. Des Eglises <strong>de</strong> professants<br />
dont on peut dégager, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> mul-<br />
(9) Ernst Troeltsch, Protestantisme et mo<strong>de</strong>rnité,<br />
Paris, Gallimard, 1992, p. 78.<br />
--10 Fac-Réflexion n° 39
------------------<strong>Histoire</strong>-<br />
tiples nuances, les traits suivants: « Le<br />
rejet <strong>de</strong> la symbiose Eglise/ Etat, l'importance<br />
<strong>de</strong> l'engagement <strong>de</strong> l'individu, un<br />
accent sur l'éthique et les implications<br />
concrètes <strong>de</strong> la foi chrétienne »(10). Ainsi,<br />
les protestants évangéliques peuvent<br />
d'autant moins se reconnaître dans le<br />
vieux modèle <strong>de</strong> chrétienté qu'ils apparaissent,<br />
en partie, comme les accoucheurs<br />
<strong>de</strong>s systèmes démocratiques et<br />
pluralistes actuels.<br />
III. La chrétienté médiévale à<br />
l'épreuve <strong>de</strong> l'histoire<br />
Mais il Y a plus. Il ne s'agit pas d'une<br />
opinion contre une autre, en la matière. La<br />
mise en valeur <strong>de</strong> la chrétienté médiévale<br />
ne s'oppose pas seulement à la vision<br />
évangélique <strong>de</strong> cette pério<strong>de</strong>. Elle contrevient<br />
tout simplement aux faits, tels que<br />
<strong>de</strong>s historiens <strong>de</strong> toutes tendances les ont<br />
éclairés, au cours <strong>de</strong> décennies <strong>de</strong> recherches.<br />
Que l'auteur affirme avoir « toujours<br />
été, à côté <strong>de</strong> la théologie, un passionné<br />
d'<strong>Histoire</strong> »(11) n'en rend que plus<br />
surprenante cette instrumentalisation par<br />
la théologie d'un passé évoqué sans tenir<br />
compte (hormis une référence vague à<br />
Régine Pernoud et Jacques Le Goff) <strong>de</strong>s<br />
multiples et remarquables travaux d'<strong>Histoire</strong><br />
religieuse médiévale qui nous sont<br />
accessibles. Des recherches qui reconnaissent<br />
aujourd'hui, à <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés divers,<br />
les failles béantes d'un système fondé sur<br />
(10) Neal Blough, article « Réforme radicale », Encyclopédie-du<br />
Protestantisme, Paris-Genève, Le<br />
Cerf-Labor et Fi<strong>de</strong>s, 1995, p. 1290.<br />
(11) Entretien à Nuances, op. cif., p. 3.<br />
Fac-Réflexion n°<br />
la contrainte collective et une culture <strong>de</strong> la<br />
conformité, alors qu'il eût fallu, pour christianiser<br />
en profon<strong>de</strong>ur, jouer sur la liberté<br />
et l'expérience individuelle <strong>de</strong> la foi. Ru<strong>de</strong><br />
pério<strong>de</strong> pour l'Eglise <strong>de</strong> Jésus-Christ, qui<br />
rendit indispensable une Réforme, côté<br />
catholique comme côté protestant, pour<br />
essayer <strong>de</strong> christianiser <strong>de</strong> manière plus<br />
authentique.<br />
On peut difficilement ignorer aujourd'hui<br />
une telle perspective, et se contenter <strong>de</strong><br />
prétendre que « les historiens et les intellectuels<br />
mo<strong>de</strong>rnes plus ou moins humanistes<br />
offusquent systématiquement, en<br />
raison <strong>de</strong> leurs préjugés, un certain<br />
nombre <strong>de</strong> réalités historiques» (P. Courthial,<br />
p. 183). Un tel mépris collectif pour<br />
les historiens laisse songeur. Comment<br />
tenir un discours péremptoire sur l'histoire<br />
sans s'appuyer sur les travaux <strong>de</strong>s historiens?<br />
Pour esquisser un pont vers ces<br />
travaux, métho<strong>de</strong> qui semble être la seule<br />
viable si l'on entend appuyer un discours<br />
normatif sur une pério<strong>de</strong> historique donnée<br />
(exercice toujours risqué), voici l'écho<br />
<strong>de</strong> quelques voix autorisées, pour « recadrer<br />
» la chrétienté médiévale dans sa<br />
perspective. En consultant la monumentale<br />
série, en cours <strong>de</strong> publication, <strong>de</strong><br />
J'<strong>Histoire</strong> du Christianisme, on découvre<br />
ainsi, au Ville siècle occi<strong>de</strong>ntal, que:<br />
« Les coutumes païennes [...] ne sont<br />
pas particulières aux pays nouvellement<br />
convertis. Les dieux antiques ne sont pas<br />
morts ; on honore leurs statues, on leur<br />
consacre <strong>de</strong>s fontaines, on leur offre <strong>de</strong>s<br />
banquets. On maintient en place leurs<br />
temples; dans les villes, le paganisme<br />
1-
-<strong>Histoire</strong>------------------<br />
reparaît lors <strong>de</strong>s fêtes du solstice d'hiver<br />
ou <strong>de</strong>s calen<strong>de</strong>s <strong>de</strong> janvier. A Rome<br />
même, ces fêtes sont célébrées autour <strong>de</strong><br />
la basilique Saint-Pierre, au milieu du<br />
Ville siècle, comme en témoigne une lettre<br />
<strong>de</strong> Boniface au pape Zacharie. Survivent<br />
également les pratiques magiques, soit<br />
pour se garantir <strong>de</strong>s forces du mal, soit<br />
pour nuire à autrui »(12).<br />
Il ressort qu'un syncrétisme<br />
important perdura durant le<br />
1 er millénaire, mais qu'il se<br />
doublait également <strong>de</strong> pratiques<br />
magiques à gran<strong>de</strong><br />
échelle.<br />
De cette analyse d'historien du Haut<br />
Moyen-Age, qui aurait mérité une citation<br />
plus longue, il ressort qu'un syncrétisme<br />
important perdura durant le 1 er millénaire,<br />
mais qu'il se doublait également <strong>de</strong> pratiques<br />
magiques à gran<strong>de</strong> échelle. En se<br />
transportant quelques siècles plus loin,<br />
avec André Vauchez, grand spécialiste du<br />
XIIIe siècle, on peut constater le maintien<br />
vigoureux <strong>de</strong> telles pratiques.<br />
« L'Eglise a sans aucun doute accompli,<br />
au XIIIe siècle, un gros effort pour éduquer<br />
la foi <strong>de</strong>s fidèles et il est communément<br />
admis que, vers 1270, ces <strong>de</strong>rniers pos-<br />
(12) Pierre Riché, <strong>Histoire</strong> du christianisme, Paris,<br />
Desclée, tome 4, 1993, « Evêques, moines et<br />
empereurs (610-1054) ", J.-M. Mayeur, C. et<br />
L. Piétri, A. Vauchez, M. Venard (dir.), troisième<br />
partie, « Le christianisme en Occi<strong>de</strong>nt ", ch. 1,<br />
p.676.<br />
sédaient en règle générale une meilleure<br />
connaissance <strong>de</strong>s croyances fondamentales<br />
du christianisme que cent ans plus<br />
tôt. En fait, ce bilan est difficile à établir<br />
avec précision et l'efficacité <strong>de</strong> l'effort pastoral<br />
du clergé a sans doute été moins<br />
immédiate qu'on ne l'imagine parfois. (...]<br />
Même les nouvelles pratiques dévotionnelles<br />
recommandées par les statuts synodaux<br />
furent souvent déviées <strong>de</strong> leur sens<br />
par le magisme ambiant. (... ] Il ne faut<br />
donc pas se faire trop d'illusions sur la profon<strong>de</strong>ur<br />
du processus d'intériorisation <strong>de</strong><br />
la foi, dont on crédite volontiers le XIIIe<br />
siècle. Il ne concerna guère, parmi les<br />
simples prêtres et les laïcs, qu'une élite<br />
restreinte, dont l'émergence mérite <strong>de</strong><br />
retenir l'attention mais ne saurait dissimuler<br />
le caractère faiblement représentatif »(13).<br />
En plein XIIIe siècle, les croyants ne se<br />
privaient pas, en fonction <strong>de</strong> leurs besoins,<br />
d'un syncrétisme tous azimuts<br />
fondé sur le « magisme ambiant », dont<br />
les prêtres ne pouvaient arracher les<br />
racines, et ce, pour une raison simple: la<br />
société entière, encadrée par l'Eglise,<br />
n'ayant guère d'autre choix que d'apparaître<br />
comme chrétienne, il fallait bien,<br />
pour gagner les foules, fermer les yeux<br />
sur les anciennes croyances les plus<br />
tenaces, en les aménageant et les reformulant<br />
(les saints locaux se calquant sur<br />
les vieilles divinités, et le prêtre « doublant<br />
» le magicien).<br />
(13) André Vauchez, <strong>Histoire</strong> du christianisme, op. cft.,<br />
tome 5, 1993, « Apogée <strong>de</strong> la papauté et expansion<br />
<strong>de</strong> la chrétienté (1054-1274) », cinquième<br />
partie, chap. 5, « L'accession <strong>de</strong>s laïcs à la vie<br />
religieuse », pp. 849-850.<br />
--12 Fac-Réflexioll n° 39
-------------------<strong>Histoire</strong>-·<br />
Ensuite, en plongeant son regard à<br />
l'entrée du XIVe siècle avec Robert Fossier,<br />
on peut constater que tous « les prédicateurs<br />
sont unanimes, tous les canons<br />
<strong>de</strong> concile concor<strong>de</strong>nt: les paysans pratiquent<br />
mal le culte et ignorent le dogme<br />
(...] La conversion <strong>de</strong>s paysans d'Europe<br />
n'est pas achevée lorsque débute le<br />
XIVe siècle ». Par ailleurs, les prélats<br />
notent ...<br />
( ... ] « L'absentéisme aux offices, la<br />
méconnaissance du Credo et même du<br />
pater, la rareté <strong>de</strong>s confessions et plus<br />
encore <strong>de</strong> la communion; les hommes<br />
sont à la taverne, les femmes au lavoir: à<br />
la messe, <strong>de</strong>rrière le seigneur et sa mesnie,<br />
une poignée d'enfants, <strong>de</strong> veuves et<br />
<strong>de</strong> vieilles filles »(14).<br />
Edifiant tableau <strong>de</strong> 1'« âge <strong>de</strong> la foi» !<br />
Francis Rapp, pour la fin du Moyen-Age,<br />
souligne quant à lui combien le « foisonnement<br />
rituel» que l'on constate en chrétienté<br />
pouvait mettre en jeu <strong>de</strong>s « superstitions,<br />
dénoncées comme telles par les<br />
théologiens» qui conduisait à « parasiter<br />
<strong>de</strong>s pratiques légitimes »(15). A partir du<br />
XVIe siècle, seuil où l'on quitte le Moyen<br />
Age, mais où perdure la chrétienté, écou-<br />
Fac-Réflexioll n°<br />
tons ce mo<strong>de</strong>ste prieur solognot, luci<strong>de</strong><br />
observateur <strong>de</strong> ses ouailles:<br />
« J'ai dit que les Solognots sont plutôt<br />
superstitieux que dévots. (...] Ils gar<strong>de</strong>nt<br />
du pain bénit <strong>de</strong> la messe <strong>de</strong> minuit <strong>de</strong><br />
Noël pour en faire manger à leurs vaches,<br />
croyant que c'est pour elles un antidote<br />
préservatif, font <strong>de</strong>s croix <strong>de</strong> paille le<br />
dimanche <strong>de</strong>s rameaux aux quatre coins<br />
<strong>de</strong> tous leurs blés. (... ] Ils regar<strong>de</strong>nt<br />
comme une faute punissable <strong>de</strong> cette vie<br />
<strong>de</strong> faire brûler le joug d'une charrue, et<br />
l'on a vu souvent <strong>de</strong> pauvres mala<strong>de</strong>s<br />
s'en faire mettre sous le coussin <strong>de</strong> leur lit<br />
dans leur agonie parce qu'ils appréhendaient<br />
d'en avoir fait brûler par mégar<strong>de</strong>.<br />
Ils font aussi grand scrupule <strong>de</strong> faire la lessive<br />
dans le temps qu'un mala<strong>de</strong> a reçu<br />
l'extrême onction. (...] De sorte que nous<br />
pouvons dire d'eux avec vérité, après tout<br />
ce que nous venons <strong>de</strong> rappeler, qu'ils<br />
sont en beaucoup <strong>de</strong> choses <strong>de</strong>s idolâtres<br />
baptisés »(16).<br />
Et François Lebrun, l'un <strong>de</strong>s plus grands<br />
spécialistes français <strong>de</strong> l'Ancien Régime,<br />
<strong>de</strong> confirmer qu'en système <strong>de</strong> chrétienté<br />
française, le recours au prêtre « est vécu<br />
(14) Robert Fossier, Paysans d'occi<strong>de</strong>nt, Xle<br />
XIVe siècle, Paris, PUF, 1984, pp. 48-51.<br />
(15) Francis Rapp, <strong>Histoire</strong> du christianisme, op. cd.,<br />
tome 7, 1994, " De la réforme à la Réformation<br />
(1450-1530) », Secon<strong>de</strong> partie, ch. 1, " Les<br />
caractères communs <strong>de</strong> la vie religieuse »,<br />
p.260.<br />
(16) " Le manuscrit du prieur <strong>de</strong> Sennely, 1700 »,<br />
dans Mémoires <strong>de</strong> la Société archéologique et<br />
historique <strong>de</strong> l'Orléanais, 1. XXXII, 1908, cité dans<br />
<strong>Histoire</strong> <strong>de</strong> la France religieuse, XiVe-XVIIie siècle,<br />
tome 2, Paris, Seuil, 1988, pp. 546-547.
-<strong>Histoire</strong>-------------------<br />
comme complémentaire du recours au<br />
conjureur »(17). Les Solognots, comparés<br />
par leur prêtre à <strong>de</strong>s « idolâtres baptisés »,<br />
n'étaient donc pas seuls à combiner magie<br />
et ritualisme! Peut-être enfin faut-il rappeler<br />
qu'entre la « foi » au sens néo-testamentaire<br />
ou actuel du terme et la ri<strong>de</strong>s<br />
médiévale, il y a plus qu'une nuance, la<br />
ri<strong>de</strong>s s'apparentant bien plus, à l'époque<br />
du Gothique et <strong>de</strong> Jean Gerson, à une<br />
croyance soumise au clergé qu'à une<br />
« foi» au sens où nous l'entendons. On<br />
peut renvoyer à cet égard à un excellent<br />
article <strong>de</strong> Jean Wirth, où il souligne:<br />
« En forçant à peine, on pourrait dire que<br />
les théologiens médiévaux <strong>de</strong>mandaient<br />
au la}c une foi implicite qui consistait à se<br />
soumettre au clergé lorsque l'occasion se<br />
présentait d'intervenir sur la scène religieuse.<br />
Voilà pour la foi profon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s bâtisseurs<br />
<strong>de</strong> cathédrales! »(18)<br />
Toutes ces appréciations concordantes<br />
ne doivent pas conduire à travestir le<br />
Moyen-Age en « légen<strong>de</strong> noire ». Cette<br />
pério<strong>de</strong> complexe et variée (1000 ans<br />
d'histoire !) mérite mieux que le mépris, et<br />
Pierre Courthial, su'r ce plan, a raison <strong>de</strong><br />
déplorer l'oubli dédaigneux dans lequel<br />
trop <strong>de</strong> gens ont confiné cette pério<strong>de</strong> clef<br />
<strong>de</strong> notre histoire. Si le « système» <strong>de</strong><br />
(17) François Lebrun, <strong>Histoire</strong> <strong>de</strong> la France religieuse,<br />
tome 2, op. dt., p. 548.<br />
(18) Jean Wirth, " La naissance du concept <strong>de</strong><br />
croyance (XIie-XVIie siècle) ", Bibliothèque<br />
d'Humanisme et Renaissance, tome X/IV,<br />
Genève, 1983, p. 34. Voir aussi l'ensemble <strong>de</strong><br />
l'article, pp. 5-58, et plus particulièrement les<br />
rubriques" La fi<strong>de</strong>s médiévale" et " La <strong>de</strong>struction<br />
<strong>de</strong> la fi<strong>de</strong>s médiévale ", pp. 12 à 34.<br />
chrétienté fut un échec, l'historien doit se<br />
gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> « prendre <strong>de</strong> haut» les hommes<br />
et les femmes d'une époque qui comporte<br />
quelques réussites éclatantes.<br />
Régine Pemoud, malgré <strong>de</strong>s excès dus,<br />
admet-elle, à « un certain bouillonnement<br />
d'enthousiasme »(19), a eu ainsi le mérite<br />
<strong>de</strong> redonner à cette pério<strong>de</strong> longtemps<br />
négligée sa dignité et son intérêt pour les<br />
chercheurs ... et pour les chrétiens évangéliques<br />
: en tant qu'héritage culturel et<br />
religieux, le Moyen-Age, en effet, « appartient»<br />
à la mémoire chrétienne <strong>de</strong> tous.<br />
Tout autant que le catholique, le chrétien<br />
évangélique peut trouver dans la diversité<br />
médiévale <strong>de</strong> quoi alimenter sa curiosité,<br />
sa réflexion, son admiration parfois, et <strong>de</strong>s<br />
parcelles <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité.<br />
Une époque caractérisée, notamment,<br />
par une efflorescence théologique souvent<br />
passionnée et parfois remarquable, et par<br />
l'effort harassant <strong>de</strong> milliers <strong>de</strong> prêtres et<br />
<strong>de</strong> chrétiens anonymes, au fil <strong>de</strong>s siècles,<br />
pour faire reculer le paganisme. Nombre<br />
<strong>de</strong> ces hommes et femmes, clercs séculiers,<br />
moines, humbles prêcheurs, copistes<br />
(19) Régine Pernoud, Lumière du Moyen-Age, Paris,<br />
Grasset, introduction à l'édition <strong>de</strong> 1981, p. X. Un<br />
exemple : elle compare les croisa<strong>de</strong>s à " une<br />
Société <strong>de</strong>s Nations fondée sur une foi commune,<br />
au lieu <strong>de</strong> l'être sur une rencontre provisoire<br />
d'intérêts, et organisant <strong>de</strong>s expéditions<br />
outre-mer" (p. 260). Les multiples massacres au<br />
nom du Christ (cf. l'extermination <strong>de</strong>s civils<br />
musulmans et <strong>de</strong>s juifs - brûlés vifs dans leur<br />
synagogue! - lors <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> Jérusalem par<br />
les croisés) n'entament pas l'" enthousiasme" <strong>de</strong><br />
l'auteur! Cette apologie <strong>de</strong>s croisa<strong>de</strong>s ne résiste<br />
pas à un examen équilibré <strong>de</strong>s faits. Voir Les croisa<strong>de</strong>s<br />
vues par les Arabes, d'Amin Maalouf<br />
(Paris, Jean-Clau<strong>de</strong> Lattès, 1983).<br />
--14 Fac-Réjlexion n° 39
------------------<strong>Histoire</strong>-<br />
opiniâtres, méritent notre admiration. Le<br />
Moyen-Age, dans le clair-obscur d'une<br />
chrétienté dévoyée, compta bien <strong>de</strong>s<br />
étoiles lumineuses, telles Bernard <strong>de</strong> Clairvaux,<br />
François d'Assise, Thomas à Kempis,<br />
qui firent honneur au Dieu <strong>de</strong> l'Evangile.<br />
Le roi Saint Louis lui-même, modèle<br />
du chrétien médiéval multipliant les dévotions,<br />
mérite un grand respect dans le<br />
souci constant qu'il manifesta d'approfondir,<br />
dans la foi, son « amour <strong>de</strong> Dieu »(20).<br />
Mais force est <strong>de</strong> constater que la chrétienté,<br />
dans sa visée illusoirement unanimiste,<br />
conduisit à un gigantesque hiatus<br />
entre une toute petite minorité <strong>de</strong> virtuoses<br />
<strong>de</strong> la foi et une immense majorité <strong>de</strong> gens<br />
dépourvus d'accès à la Bible et laissés au<br />
syncrétisme, au « magisme ambiant »,<br />
pour reprendre l'expression d'André Vauchez.<br />
Un constat qui n'est pas seulement<br />
le fait <strong>de</strong>s historiens, il faut le souligner,<br />
mais aussi <strong>de</strong> nombreux curés <strong>de</strong> terrain<br />
(qui n'ont rien <strong>de</strong> ces humanistes athées<br />
dénoncés par P. Courthial !). Ces hommes,<br />
souvent très proches <strong>de</strong> leurs ouailles,<br />
eurent tout le loisir d'observer l'ampleur<br />
<strong>de</strong>s héritages anthropologiques laissés par<br />
la société <strong>de</strong> chrétienté: jusqu'en ce<br />
)(Xe siècle, ils ont pu constater, chez leurs<br />
paroissiens, la force <strong>de</strong> l'esprit magique et<br />
<strong>de</strong>s vieilles habitu<strong>de</strong>s pal'ennes, seulement<br />
« habillées» d'une certaine culture chrétienne.<br />
Rejoignant et complétant le constat<br />
effectué par ce prieur solognot du<br />
XVIIe siècle qui décrivait <strong>de</strong>s « idolâtres<br />
baptisés », voici un témoignage contem-<br />
(20) Jacques Le Goff, Saint Louis, Paris, Gallimard<br />
, NRF, 1996, p. 751.<br />
porain, courageux et luci<strong>de</strong>, laissé par le<br />
curé Bernard Alexandre sur son ministère<br />
dans le pays <strong>de</strong> Caux :<br />
« [...] la 'politique <strong>de</strong> l'Eglise' médiévale<br />
[...] consista à 'christianiser' les rites<br />
païens locaux. Opération qui se révéla<br />
dangereuse car elle favorisa une tradition<br />
dont il faudra <strong>de</strong>s siècles pour se libérer:<br />
au lieu <strong>de</strong> supprimer le paganisme on ne<br />
parvint souvent qu'à le transformer ou seulement<br />
même à le 'camoufler' ... Sous un<br />
'vernis' chrétien »(21).<br />
Ainsi, un petit vernis ritualiste chrétien<br />
cachait bien mal la survivance massive<br />
d'un paganisme sans âge, tandis que<br />
l'Eglise avait partie liée avec les puissants,<br />
se taillant <strong>de</strong> gigantesques fiefs (l'Eglise<br />
catholique, en 1789, possédait 10% du<br />
royaume <strong>de</strong> France !), et que toute tentative<br />
pour permettre une appropriation<br />
populaire <strong>de</strong> l'Evangile, <strong>de</strong> la Bible, se<br />
voyait trop souvent réprimée avec une<br />
effroyable brutalité : rappelons que<br />
Saint Louis, tout « roi chrétien» qu'il fut,<br />
constitue aussi, dans sa haine <strong>de</strong>s héré-<br />
(21) Bernard Alexandre, Le Horsain, Vivre et survivre<br />
en pays <strong>de</strong> Caux, Plon, Terre Humaine, 1988,<br />
note infrapaginale, p. 342. Voir aussi le chapitre<br />
« le siècle du diable ", pp. 335-342.<br />
Fac-Réflexion n° --------------------15-
-<strong>Histoire</strong>------------------<br />
tiques, un bon représentant « d'une<br />
société persécutrice» qui se met en place<br />
à ce moment-là, la « chrétienté» taxant<br />
d'« impureté» et <strong>de</strong> « menace tout ce qui<br />
est dissi<strong>de</strong>nce »(22). Même Régine Pernoud,<br />
ar<strong>de</strong>nte promotrice du Moyen-Age<br />
(assez souvent à juste titre, notamment en<br />
ce qui concerne la condition féminine) ne<br />
cache pas un certain malaise. Il est ainsi<br />
significatif <strong>de</strong> constater que c'est sur le<br />
chapitre <strong>de</strong> l'Eglise(23) qu'elle se montre<br />
finalement la plus critique dans sa vision<br />
du Moyen-Age. Tout en valorisant l'œuvre<br />
chrétienne dans le domaine <strong>de</strong> l'encadrement<br />
social, <strong>de</strong> la pacification <strong>de</strong>s mœurs,<br />
<strong>de</strong> l'ai<strong>de</strong> aux pauvres, elle admet ainsi<br />
volontiers que la distinction « entre le<br />
règne <strong>de</strong> Dieu et celui <strong>de</strong> César n'a pas<br />
toujours été réalisé(e) à la perfection », et<br />
que l'Eglise médiévale « n'a pas toujours<br />
su se défendre <strong>de</strong>s convoitises matérielles<br />
qui sont pour elle la plus redoutable <strong>de</strong>s<br />
tentations. C'est le grave reproche que<br />
l'on peut faire au clergé médiéval, <strong>de</strong><br />
n'avoir pas dominé sa richesse »(24). Elle<br />
souligna ailleurs que « l'institution <strong>de</strong><br />
l'Inquisition est pour (elle) le trait le plus<br />
choquant dans toute l'histoire du Moyen<br />
Age »(25), même si elle cherche à en nuancer<br />
l'impact répressif. Enfin, tout en évitant<br />
une condamnation trop globale <strong>de</strong> l'Eglise<br />
médiévale dans son rapport aux autorités<br />
temporelles, elle ne put élu<strong>de</strong>r le dérapage<br />
(22) Jacques Le Goff, op. Git., p. 786.<br />
(23) cf. notamment Régine Pernoud, Lumière du<br />
Moyen-Age, op. cit., « L'Eglise", pp. 99-116.<br />
(24) Régine Pernoud, op. Git., p. 102.<br />
(25) Régine Pernoud, Pour en finir avec le Moyen<br />
Age, Paris, Seuil, 1977, p. 106.<br />
accentué, à partir du XIIIe siècle avec les<br />
papes Innocent III et Grégoire IX, vers la<br />
confusion du spirituel et du temporel :<br />
« [...] en dépit <strong>de</strong> l'absolue limpidité <strong>de</strong><br />
l'Evangile quant à la séparation <strong>de</strong>s pouvoirs,<br />
Innocent III et Grégoire IX eurent<br />
tous <strong>de</strong>ux recours au temporel pour préserver<br />
le spirituel. Autrement dit, ils ont<br />
opté pour la facilité; et jamais peut-être au<br />
cours <strong>de</strong> l'<strong>Histoire</strong> la solution facile ne<br />
s'est mieux révélée pour ce qu'elle est:<br />
non pas une solution, mais la porte<br />
ouverte à <strong>de</strong> nouveaux problèmes »(26).<br />
Même Régine Pernoud, régulièrement<br />
« récupérée» par les admirateurs <strong>de</strong> la<br />
chrétienté médiévale, se montre donc, au<br />
bout du compte, plus critique et nuancée<br />
sur le rôle <strong>de</strong> l'Eglise au Moyen-Age que<br />
l'on veut souvent l'entendre. Avec une<br />
clarté que l'on aurait aimé retrouver chez<br />
Pierre Courthial, qui la cite, elle prend acte<br />
<strong>de</strong> l'échec <strong>de</strong> l'Eglise médiévale, surtout à<br />
partir du XIIIe siècle, à respecter 1'« absolue<br />
limpidité <strong>de</strong> l'Evangile quant à la séparation<br />
<strong>de</strong>s pouvoirs». Cela dit, elle ne tire<br />
pas vraiment les conséquences <strong>de</strong>s prémisses<br />
dégagées. La source originelle <strong>de</strong><br />
la confusion du spirituel et du temporel,<br />
très fortement marquée dans les trois <strong>de</strong>rniers<br />
siècles du Moyen-Age n'est ainsi pas<br />
i<strong>de</strong>ntifiée avec précision, l'auteur se<br />
contentant <strong>de</strong> mettre en cause l'impact du<br />
droit romain (qui apparaît pourtant plus<br />
comme une conséquence qu'une cause<br />
du processus <strong>de</strong> compromission <strong>de</strong><br />
l'Eglise dans le siècle). Comme si, <strong>de</strong>vant<br />
(26) Régine Pernoud, op. cit., p. 112.<br />
--16 Fac-Réflexion n° 39
-<strong>Histoire</strong>---·---------------<br />
<strong>de</strong>s Eglises et <strong>de</strong> l'Etat. La tâche <strong>de</strong>s<br />
Réformateurs était ru<strong>de</strong>, et l'on comprend<br />
que sur bien <strong>de</strong>s points, on ne put tirer<br />
tout <strong>de</strong> suite les conséquences plénières<br />
du retour à une conception évangélique <strong>de</strong><br />
la marche chrétienne: compromission<br />
politique et économique <strong>de</strong> l'Eglise, foi et<br />
religion à <strong>de</strong>ux vitesses entre une élite<br />
théologienne et les masses aux pratiques<br />
syncrétistes et magiques, accès très restreint<br />
et sUNeillé à la Bible, répression <strong>de</strong><br />
toute différence qui ne rentre pas dans le<br />
moule contraignant <strong>de</strong> la chrétienté...<br />
C'est tout cela qu'il fallut corriger. En direction<br />
d'un idéal évangélique à fon<strong>de</strong>r sur la<br />
liberté, laissée à chacun, <strong>de</strong> vivre sa foi<br />
dans toutes ses dimensions. Liberté? Pas<br />
la liberté illusoirement absolue <strong>de</strong> l'homme<br />
du « ni Dieu ni maître», mais la liberté radicale<br />
d'approfondir le sens ultime <strong>de</strong> la Vie,<br />
sans autre Diktat que celui <strong>de</strong> la Bible<br />
éclairée dans la foi. Voilà ce dont manquait<br />
la chrétienté constantinienne, qu'il faudrait<br />
moins grimer en « âge <strong>de</strong> la foi» qu'en<br />
« âge <strong>de</strong> la contrainte» :<br />
« Parce que le christianisme a été au<br />
pouvoir» tout au long du Moyen-Age « et<br />
s'est confondu avec l'Etat, il est <strong>de</strong>venu<br />
totalitaire et a persécuté tous ceux qui<br />
s'écartaient <strong>de</strong> la doctrine officielle. Pendant<br />
<strong>de</strong> longs siècles, on estima, au plus<br />
haut niveau, qu'en terre <strong>de</strong> chrétienté, quiconque<br />
n'adhérait pas à la Vérité n'avait<br />
pas le droit <strong>de</strong> vivre »(29).<br />
La « Vérité » en question étant celle <strong>de</strong><br />
l'Eglise officielle, plutôt que celle <strong>de</strong> Christ<br />
(29) Jean Delumeau, op. cit., p. 55.<br />
seul, révélé à chacun par la Bible ... Le<br />
regard <strong>de</strong> l'historien, et <strong>de</strong> l'un <strong>de</strong>s plus<br />
remarquables d'entre eux, retourne comme<br />
un gant l'apologie a priori du modèle<br />
<strong>de</strong> chrétienté. Et s'il fallait absolument voir<br />
quelque part du totalitarisme, c'est moins<br />
dans l'idéal démocratique et républicain,<br />
garant <strong>de</strong> la liberté <strong>de</strong> conscience et <strong>de</strong>s<br />
cultes, que dans la chrétienté médiévale...<br />
Conclusion<br />
* * *<br />
Pour conclure, on peut être reconnaissant<br />
à Pierre Courthial d'avoir permis<br />
(entre autres apports !) <strong>de</strong> réveiller un<br />
débat salutaire. Son pari était double. Sa<br />
pensée, flamboyante et directe, souhaitait<br />
explicitement se situer sur la ligne <strong>de</strong> crête<br />
entre retrait <strong>de</strong> la cité (tentation supposée<br />
<strong>de</strong>s évangéliques) et dilution dans la cité<br />
(reproche adressé aux protestants pluralistes)<br />
et sur cette autre ligne <strong>de</strong> faîte entre<br />
littéralisme naH (supposé être défendu par<br />
les fondamentalistes) et rationalisme<br />
(menaçant les libéraux).<br />
Dans ce qui relève du rapport à la Cité<br />
et à la lecture <strong>de</strong> l'<strong>Histoire</strong>, force est <strong>de</strong><br />
constater que le jeu d'équilibriste a tourné<br />
court. Sur le fil du funambule, Pierre Courthial<br />
évite certes aussi bien <strong>de</strong> basculer à<br />
droite, dans le retrait <strong>de</strong> la Cité, que <strong>de</strong><br />
chuter à gauche par la dilution dans la<br />
Cité, mais c'est pour tomber en arrière,<br />
dans la tentation médiévale d'une Eglise<br />
qui tenterait d'absorber la société. Cette<br />
perspective, fortement critique vis-à-vis <strong>de</strong><br />
--18 Fac-Réflexion n° 39
-<strong>Histoire</strong>-------------------<br />
Les « faits sont têtus » : la chrétienté<br />
médiévale, loin d'avoir été « la plus belle<br />
<strong>de</strong>s civilisations que le mon<strong>de</strong> ait<br />
connues» (P. Courthial, p. 183) a consacré<br />
l'échec <strong>de</strong> ce funeste pari qui consista<br />
à absorber la société en un unanimisme<br />
<strong>de</strong> faça<strong>de</strong>. C'est précisément sur cet<br />
échec que la Réforme, et particulièrement<br />
le protestantisme évangélique, ont<br />
rayonné. L'« âge <strong>de</strong> la foi» n'est pas <strong>de</strong>rrière<br />
nous, dans le modèle d'un Moyen<br />
Age qui n'existe que dans les rêves. Le<br />
Dieu <strong>de</strong>s chrétiens était autrefois beaucoup<br />
moins vivant qu'on ne l'a cru et [...]<br />
il est aujourd'hui beaucoup moins mort<br />
qu'on ne le dit »(32). L'« âge <strong>de</strong> la foi », si<br />
(32) Jean Delumeau, op. cit., p. 149.<br />
l'on peut le qualifier ainsi, doit vivre ici et<br />
maintenant, dans nos sociétés occi<strong>de</strong>ntales<br />
où la liberté <strong>de</strong> conscience permet<br />
aux chrétiens, mieux que dans les siècles<br />
passés, d'exprimer leur différence. Une<br />
liberté à double face: privilège, mais aussi<br />
responsabilité écrasante où la foi, plus que<br />
jamais, est mise à contribution. « L'âge <strong>de</strong><br />
la foi» pour le chrétien, c'est l'âge <strong>de</strong><br />
l'Eglise tout entier, c'est hier, aujourd'hui,<br />
<strong>de</strong>main, jusqu'au Retour <strong>de</strong> Celui qui mettra<br />
fin à l'<strong>Histoire</strong>. Alors, tous les rêves illusoires<br />
d'un « âge d'or », béquilles chimériques<br />
qui nous font fuir le présent, s'évanouiront<br />
dans leur néant <strong>de</strong>vant l'Eternel.<br />
•<br />
S.F.<br />
--20 Fac-Réflexion n° 39
-------------------<strong>Histoire</strong>-<br />
L'âge <strong>de</strong> la foi suite<br />
Réponse à l'article <strong>de</strong> Sébastien Fath<br />
1m'a été fraternellement proposé d'apporter<br />
une réponse à l'article <strong>de</strong> Sébastien<br />
Fath sur l'Age <strong>de</strong> la Foi.<br />
Comme je ne peux reprendre tout mon<br />
livre, je vais me contenter <strong>de</strong> m'en tenir,<br />
brièvement, à quatre points.<br />
1. Pour commencer, il m'est impossible<br />
<strong>de</strong> laisser passer, comme s'il s'agissait<br />
d'une évi<strong>de</strong>nce, alors qu'il n'y a là qu'une<br />
répétition sans fon<strong>de</strong>ment, l'affirmation <strong>de</strong><br />
S. F. : « Rappelons une fois <strong>de</strong> plus que<br />
baptizô signifie exclusivement immerger<br />
et non asperger ou oindre! »<br />
Il y a déjà plus d'un siècle, un savant<br />
américain, rigoureux et mo<strong>de</strong>ste (d'abord<br />
docteur en mé<strong>de</strong>cine, puis pasteur),<br />
James Wilkinson Dale (1812-1881) travailla<br />
pendant plus <strong>de</strong> vingt ans, avec<br />
l'ai<strong>de</strong> d'un ami français, à une « enquête<br />
sur le sens du mot baptizô tel qu'il a été<br />
utilisé dans l'histoire. S'ensuivit une publication<br />
en cinq volumes:<br />
Vol. 1 Classical Baptism (dans la littérature<br />
grecque classique),<br />
1867 ;<br />
Vol. Il Judaic Baptism (dans l'Ancien<br />
Testament), 1869 ;<br />
par Pierre COURTHIAL<br />
Vol. III Johannic Baptism (le baptême<br />
<strong>de</strong> Jean-Baptiste), 1871 ;<br />
Vol. IV Christie Baptism (le baptême<br />
chrétien), 1874 ;<br />
Vol. V Patristic Baptism (dans la littérature<br />
patristique), 1874. »<br />
Cette enquête minutieuse et considérable<br />
établit (c'est la conclusion du premier<br />
volume, confirmée par les volumes suivants)<br />
que « tout ce qui est susceptible <strong>de</strong><br />
modifier véritablement le caractère, l'état<br />
ou la condition d'un objet quel qu'il soit,<br />
est susceptible <strong>de</strong> baptiser cet objet, et,<br />
par une telle modification <strong>de</strong> caractère,<br />
d'état ou <strong>de</strong> condition, le baptise».<br />
Il est à noter, entre autres,<br />
- que le mot baptismos (= baptême),<br />
employé en Mc 7.4 et He 9.10 (cf. id.<br />
9.1 3, 19, 21 ; Nb 19.1 7-1 8 ; Lv 8.19 et<br />
16.4) se réfère à <strong>de</strong>s ablutions et aspersions<br />
vétéro-testamentaires ;<br />
- que l'emploi du verbe baptizô et du<br />
mot baptisma (= baptême) en Mc 10.38<br />
39 et Lc 12.50 désigne bien, cette fois,<br />
une « plongée », mais sans une goutte<br />
d'eau au sens propre puisque les Eaux <strong>de</strong><br />
ce baptême-là sont paraboliques et<br />
d'autant plus effrayantes (cf. Ps 69 et<br />
Es 27.1);<br />
Fac-Réflexion n° 39 21--
-<strong>Histoire</strong>-------------------<br />
- que l'emploi <strong>de</strong> baptizô en 1 Co 10.2<br />
désigne le baptême national d'Israël, à sec<br />
dans la mer refoulée <strong>de</strong> part et d'autre,<br />
tandis que seuls les Egyptiens sont plongés<br />
par Dieu dans la mer revenue (Ex 14).<br />
- que le baptême sacramental chrétien<br />
est mis en rapport, dans le Nouveau Testament,<br />
avec le sang du Christ répandu,<br />
versé, sur la croix, pour la purification <strong>de</strong><br />
nos péchés, et avec l'Esprit répandu,<br />
versé, sur l'Eglise et les fidèles pour notre<br />
union mystique en Christ, et, par le Christ,<br />
au Dieu trinitaire. Comme l'écrit S. Jean<br />
divinement inspiré: « Il y a trois qui témoignent,<br />
dans le ciel : le Père, la Parole et<br />
l'Esprit Saint; et ces trois-là ne sont<br />
qu'un. Il y en a trois qui témoignent aussi<br />
sur la terre: l'Esprit, l'eau et le sang; et<br />
ces trois-là se rapportent à un » (1 Jean<br />
5.7-8).<br />
Je n'en dirai pas plus sur ce premier<br />
point.<br />
2. C'est déformer ma pensée (et ce<br />
que j'ai écrit) que <strong>de</strong> laisser croire que<br />
j'aurais parlé du (dit) Moyen-Age comme<br />
<strong>de</strong> l'Age <strong>de</strong> la Foi par excellence et<br />
comme d'un modèle.<br />
Certes, j'ai affirmé et je maintiens que<br />
l'Age <strong>de</strong> la Foi a été la plus belle <strong>de</strong>s civilisations<br />
que le mon<strong>de</strong> ait connues, et<br />
j'attends, pour en discuter, que ne soit<br />
désignée quelle autre civilisation aurait été<br />
plus belle.<br />
Mais j'ai aussitôt précisé que cette civilisation,<br />
« loin d'être parfaite », a eu ses<br />
« bas» et ses « misères» et qu'elle a comporté<br />
<strong>de</strong>s « errements regrettables», le<br />
plus grave étant qu'elle n'a conçu la<br />
nécessaire « théocratie» (
-------------------<strong>Histoire</strong>-<br />
s'est efforcée, en tâtonnant et dans tous<br />
les domaines <strong>de</strong> l'existence, <strong>de</strong> progresser<br />
dans la reconnaissance <strong>de</strong> la seigneurie<br />
du Dieu trinitaire, Créateur et Sauveur,<br />
qui seul donne sens à toute vie personnelle<br />
et sociale.<br />
La société <strong>de</strong> l'Age <strong>de</strong> la Foi, la civilisation<br />
(dite) médiévale, a été « chrétienne»<br />
malgré tout en ce sens qu'étant encore et<br />
toujours pécheresse (hélas !), comme<br />
nous autres, « chrétiens» <strong>de</strong> la fin d'un<br />
siècle, et peut-être <strong>de</strong> l'ère, « humaniste »,<br />
sommes encore et toujours pécheurs<br />
(hélas !) ayant besoin les uns et les autres<br />
<strong>de</strong> la douce miséricor<strong>de</strong> <strong>de</strong> Dieu, elle a<br />
cherché cependant à croître, par la grâce<br />
du Seigneur, dans un « petit commencement<br />
d'obéissance », s'évertuant sans<br />
relâche, et dans une suite <strong>de</strong> recommencements,<br />
à « vivre selon les comman<strong>de</strong>ments<br />
<strong>de</strong> Dieu» (cf. Catéchisme <strong>de</strong> Hei<strong>de</strong>lberg,<br />
question 114).<br />
3. S. Fath me paraÎt minimiser (pour ne<br />
pas dire effacer) ce que dit <strong>de</strong> l'Alliance la<br />
sainte Ecriture. Dans son individualisme<br />
(dérivant <strong>de</strong>s Lumières et <strong>de</strong> la Révolution<br />
?), il oublie que l'Alliance comporte<br />
non seulement <strong>de</strong>s personnes humaines<br />
individuelles mais aussi <strong>de</strong>s personnes<br />
humaines morales collectives, composantes<br />
diverses <strong>de</strong> la société: mariages,<br />
familles et nations, que Dieu a créées, établies,<br />
et qui sont inscrites dans son <strong>de</strong>ssein<br />
sôtérico-historique. Cet oubli interdit<br />
évi<strong>de</strong>mment à S.F. d'accepter la seule<br />
idée <strong>de</strong> chrétienté (
-<strong>Histoire</strong>-------------------<br />
Le Seigneur avait déjà promis à Abraham<br />
- d'où le nom qu'il lui donna - « Tu<br />
<strong>de</strong>viendras père d'une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
nations» (Gn 17.5).<br />
Si nous considérons, par la foi qui est<br />
espérance, le futur à venir sur la terre et<br />
dans l'histoire - et nous <strong>de</strong>vons appuyer<br />
fondamentalement notre philosophie <strong>de</strong><br />
l'histoire sur l'Ecriture sainte sans avoir<br />
pour cela le moindre « mépris collectif<br />
pour les historiens, même infiltrés par<br />
l'humanisme» - nous savons qu'en dépit<br />
<strong>de</strong> temps <strong>de</strong> régressions et d'apostasies<br />
nous allons, au long <strong>de</strong> siècles qui seront<br />
peut-être encore nombreux, vers l'accomplissement<br />
<strong>de</strong> la promesse indéfectible du<br />
Christ Jésus notre Seigneur:<br />
« Tout pouvoir m'a été donné dans le<br />
ciel et sur la terre! Allez donc, faites disciples<br />
toutes les nations, les baptisant au<br />
Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et<br />
leur apprenant à observer tout ce que je<br />
vous ai commandé. Et voici: JE SUIS<br />
avec vous tous les jours jusqu'à la fin <strong>de</strong>s<br />
temps! » (Mt 28.18-20).<br />
Comment pourrions-nous alors regar<strong>de</strong>r<br />
« <strong>de</strong>rrière nous», « lorgner» vers le passé<br />
- fut-il l'Age <strong>de</strong> la Foi -, construire seulement<br />
« une Eglise vécue consciemment<br />
comme minoritaire », nous satisfaire <strong>de</strong><br />
« la mo<strong>de</strong>rnité démocratique» humaniste<br />
qui tend irrésistiblement vers un totalitarisme<br />
et se réjouit d'« un pluralisme religieux<br />
<strong>de</strong> bon aloi» qu'auraient sans doute<br />
approuvé les prophètes et les apôtres<br />
bibliques !?<br />
Notre Foi ne peut pas, ne doit pas, être<br />
une fois « retraitiste », mais une foi qui,<br />
dans le respect <strong>de</strong> l'image <strong>de</strong> Dieu en<br />
toute personne humaine et, précisément,<br />
en raison <strong>de</strong> ce respect, doit être « offensive<br />
» et <strong>de</strong>vant laquelle les portes <strong>de</strong><br />
l'Enfer elles-mêmes ne tiendront pas.<br />
Le Christ Jésus est l'Arbre <strong>de</strong> vie dont<br />
les feuilles sont pour la santé <strong>de</strong>s nations<br />
(Ap 22.2). Et les feuilles <strong>de</strong> l'Arbre <strong>de</strong> vie<br />
ne sont-elles pas les fidèles <strong>de</strong> tous<br />
temps, les sarments porteurs dans leur<br />
union au Cep <strong>de</strong> fruits en Lui?<br />
Face à l'impérialisme du mondialisme<br />
humaniste, la santé <strong>de</strong>s nations (pourquoi<br />
pas chrétiennes ?) doit être, dans l'union<br />
au Christ, notre visée et notre tâche.<br />
« Toutes les nations que tu as faites viendront,<br />
se prosterneront <strong>de</strong>vant Toi, et glorifieront<br />
ton Nom» (Ps 86.9).<br />
4. J'en arrive à mon quatrième,<br />
et <strong>de</strong>rnier, point.<br />
Nous ne sommes pas, Sébastien FATH<br />
et moi, <strong>de</strong> la même tradition. Il ne s'agit,<br />
sur ce point, ni d'une opposition « baptiste-réformée<br />
», ni d'une opposition « professant-multituditiniste<br />
», mais <strong>de</strong> l'opposition<br />
Réformation-Révolution. C'est une<br />
opposition dès les principes mêmes.<br />
Au nom d'une prétendu « Réforme radicale»<br />
et d'esprit révolutionnaire, la tradition<br />
dans laquelle se veut S.F., mon censeur,<br />
rejette - il ne s'en cache pas -la tradition<br />
catholique (au sens que je définis<br />
aux pages 123 à 181 <strong>de</strong> mon livre). Les<br />
Pères, les Docteurs <strong>de</strong> l'Age <strong>de</strong> la Foi et<br />
les Réformateurs - ce n'est pas rien! <br />
<strong>de</strong>vraient-ils passer aux oubliettes?<br />
Je ne peux que contester la façon dont<br />
l'historien S. Fath semble:<br />
--24 Fac-Réflexion nO 39
------'---------------<strong>Histoire</strong>-<br />
• ranger les Vaudois, ces précurseurs<br />
<strong>de</strong> la Réformation, et les Puritains, ces disciples<br />
<strong>de</strong> la Réformation, avec les Anabaptistes,<br />
ennemis <strong>de</strong> la Réformation ;<br />
• mettre les hommes du Réveil, pour la<br />
plupart calvinistes et, en tout cas, fidèles<br />
à la Réformation, avec les mêmes Anabaptistes;<br />
• placer Henri IV, par <strong>de</strong>ux fois au moins<br />
apostat, et Louis XIV, le persécuteur <strong>de</strong>s<br />
Eglises réformées en France, tous <strong>de</strong>ux<br />
rois mo<strong>de</strong>rnes férus du pouvoir <strong>de</strong> l'Etat,<br />
dans la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> « chrétienté» finie<br />
<strong>de</strong>puis la Renaissance!<br />
La Révolution choisit toujours les ruptures<br />
et veut que les hommes soient la<br />
source du pouvoir et les déci<strong>de</strong>urs souverains<br />
<strong>de</strong>s actions à mener.<br />
La Réformation, elle, dans le respect <strong>de</strong><br />
l'histoire que Dieu conduit, est toujours<br />
attentive à la continuité, même lorsqu'elle<br />
doit être fermement critique.<br />
Comme je l'ai écrit dans mon livre<br />
(p. 256) : « S'il doit y avoir - et il y aura,<br />
selon les promesses <strong>de</strong> Dieu !- dans<br />
l'avenir, une 'chrétienté', avec une diversité<br />
<strong>de</strong> républiques, ce ne sera qu'en suite<br />
d'une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> conversions véritables<br />
que l'Evangile, accompagné <strong>de</strong> la Loi <strong>de</strong><br />
Dieu, couvrira le mon<strong>de</strong> (cf. Es 11.9). Par<br />
la seule grâce <strong>de</strong> Dieu, cela sera, puisque<br />
promis.» •<br />
P.C.<br />
Fac-Réflexion nO 39 25--