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Christian Jasmes<br />
HOMMAGE a<br />
<strong>MARCEL</strong><br />
<strong>REMACLE</strong><br />
`<br />
BIBLIOTHÈQUE PUBLIQUE CENTRALE<br />
DU BRABANT WALLON (FWB)
Brochure publiée à l’occasion de l’exposition « Hommage à Marcel Remacle » tenue<br />
à la bibliothèque de Tubize du 1 er au 30 avril 2013 dans le cadre de l’opération<br />
« BULLES EN BRABANT WALLON » pour son édition 2013 intitulée : « Les pirates<br />
jettent l’ancre à Tubize ».<br />
Toutes les illustrations reproduites le sont à titre de citation graphique. Les copyrights<br />
appartiennent aux auteurs et aux éditeurs.<br />
Nous exprimons nos plus vifs remerciements pour leur concours à :<br />
Madame Raymonde <strong>REMACLE</strong><br />
Yoan DEFOOR<br />
Jacques GUELTON<br />
Nicolas JASMES<br />
Geneviève LECOMTE<br />
Vittorio LEONARDO<br />
David LITTLE<br />
Blandine MASUY<br />
Maurice ROSY<br />
Jean-Pierre VERHEYLEWEGEN<br />
François WALTHÉRY
Christian Jasmes<br />
`<br />
Hommage a<br />
Marcel Remacle<br />
Bibliothèque publique centrale<br />
du Brabant wallon (FWB)<br />
2013
Préface<br />
Bobosse, Vieux Nick et Barbe-Noire, Hultrasson le Viking… Que sont devenus ces<br />
personnages de papier ?<br />
Nés dans les années cinquante et soixante du crayon de Marcel Remacle, ces héros de<br />
bandes dessinées ont fait les beaux jours du magazine Spirou.<br />
A cette époque, Yvan Delporte scénarise les histoires de Saki de René Hausman,<br />
Jidéhem anime la chronique auto « Starter », Eddy Paape et Jean-Michel Charlier<br />
lancent le journaliste-aventurier Marc Dacier et bien d’autres héros rempliront les pages<br />
du journal.<br />
Le magazine Spirou connaît peu de problèmes et, toujours sous l’impulsion d’Yvan<br />
Delporte, alors rédacteur en chef, le journal prend une longueur d’avance sur le<br />
magazine concurrent « Tintin » ; Marcel Remacle, lui, découvre le succès avec Barbe-<br />
Noire.<br />
Dans les années soixante, un clivage se produit entre deux générations : les anciens<br />
bédéistes dont la production s’essouffle un peu et de jeunes dessinateurs qui tentent<br />
leurs percées (Derib, Fournier, Seron…). Les années suivantes verront l’arrivée d’une<br />
troisième (Gos, Walthéry, Wasterlain...) et même d’une quatrième génération de<br />
dessinateurs (Frank, Conrad, Hislaire...).<br />
Quant aux anciens, certains se verront relégués aux oubliettes mais, depuis peu, un<br />
regain d’intérêt fait ressurgir des grands noms de l’âge d’or de la bande dessinée.<br />
Parmi ses actions, la Bibliothèque publique centrale du Brabant wallon (FWB) s’est<br />
donnée pour mission de renforcer les pratiques de lecture par la valorisation des<br />
collections présentes en bibliothèques et de favoriser la participation des publics.<br />
C’est à cet effet qu’elle a initié la création de « Bulles en Brabant wallon », un événement<br />
récurrent commun aux bibliothèques locales de son réseau intéressées à mutualiser<br />
leurs ressources et leurs compétences au profit direct d’une communauté d’usagers,<br />
en mettant le focus sur ce que l’on considère comme le « Neuvième art » : la bande<br />
dessinée.<br />
Quelques bibliothèques ont décidé de se spécialiser dans une thématique.<br />
Pour la première édition de « Bulles en Brabant wallon », la manifestation « Les Pirates<br />
jettent l’ancre à Tubize » se fait l’écho de la thématique des pirates retenue par le réseau<br />
local communal de Tubize-Clabecq-Saintes.<br />
Un hommage particulier est rendu à Marcel Remacle.<br />
Une exposition de ses planches et la présente plaquette réalisée par Christian Jasmes,<br />
bibliothécaire et expert chargé de cours en bande dessinée à l’Institut de promotion sociale<br />
Jean-Pierre Lallemand (Bruxelles) nous présente le créateur du vieux Nick , sympathique<br />
marin et son inégalable ennemi, le stupide, bête et méchant pirate Barbe-Noire.<br />
Jean-Luc Capelle<br />
Bibliothécaire
Marcel Remacle à 25 ans (1951)<br />
6
PORTRAIT D’UN INCONNU<br />
En février 2000, Thierry Tinlot, alors rédacteur en chef de Spirou, voulut rendre<br />
hommage à Marcel Remacle, qui venait de disparaître. Pas de numéro spécial comme<br />
on l’avait fait pour un Franquin ou un Peyo, mais un article en une seule page, qui<br />
commençait en ces termes :<br />
« Mauvaise époque pour la BD : nous avons appris la disparition de Marcel Remacle,<br />
l’auteur du « Vieux Nick et Barbe-Noire ». Et c’est là que nous nous sommes rendus<br />
compte avec stupeur que personne, parmi les jeunots travaillant à la rédaction, ne<br />
l’avait jamais rencontré… et même M. Archive (NDLA : Thierry Martens), trente ans<br />
de bouteille dans la cave, ne l’aperçut que deux fois en coup de vent, dont la plus<br />
longue fut certainement le jour où l’artiste et anachorète vint chercher ses dernières<br />
années de planches originales, lors de son départ à la retraite ! » (7)<br />
Sollicité par nos soins il y a quelques mois, Raoul Cauvin nous adressait ce petit mot,<br />
comme pour corroborer ce qu’avait écrit le « boss » douze ans auparavant :<br />
« C’eût été un réel plaisir pour moi de vous apporter ma contribution dans l’hommage<br />
à Marcel Remacle que vous préparez, malheureusement je n’ai rencontré ce<br />
dessinateur qu’une seule fois dans ma vie. Nous nous sommes simplement croisés<br />
à l’occasion d’une fête aux éditions Dupuis qui rassemblait tous les auteurs de<br />
l’époque. Nous ne nous sommes pas parlé, c’est Willy Lambil qui m’a fait savoir de<br />
qui il s’agissait. » (16)<br />
Ces deux commentaires illustrent bien les difficultés devant lesquelles on se trouve dès<br />
qu’il s’agit de recueillir des informations sur Marcel Remacle, dessinateur prolifique<br />
s’il en est, mais champion toutes catégories du mutisme et de la discrétion. Tant nous<br />
sommes submergés d’articles, d’ouvrages ou d’imposants dossiers consacrés aux<br />
grosses vedettes de la bande dessinée belge du siècle dernier, tant nous manquons de<br />
repères sur cet homme qui fut l’un des auteurs les plus féconds du journal Spirou : un<br />
portrait anecdotique dans Robbedoes, une interview succincte réalisée par échange de<br />
courrier pour un ouvrage confidentiel, un article d’une demi-page dans un quotidien<br />
belge… et c’est à peu près tout. Malgré quelques notes glanées sur l’un ou l’autre site<br />
internet énumérant, images à l’appui, les principales étapes de sa longue carrière de<br />
dessinateur, Marcel Remacle est un homme chargé de mystères…<br />
Que savons-nous de lui ? Peu de chose, avouons-le, mais tout de même : engagé<br />
chez Dupuis en qualité de lettreur au milieu des années cinquante, Remacle est un<br />
ancien coiffeur pour dames reconverti dans le dessin. En trente-cinq ans de carrière,<br />
il a produit plus de 1.800 planches de BD, reprises pour la plupart en albums, tous<br />
devenus rares et recherchés par de nombreux collectionneurs, impatients de voir un<br />
jour son œuvre rééditée comme elle le mérite.<br />
Autodidacte, Remacle fait ses premières armes dans le dessin humoristique avant de<br />
créer ses premières bandes dessinées en 1956 dans Spirou et l’éphémère Risque-Tout.<br />
Influencé par l’œuvre animalière de Raymond Macherot, il devient l’auteur d’une série<br />
ayant pour héros un petit chien sympa au physique totalement improbable : Bobosse.<br />
7
Article paru dans Robbedoes (équivalent néerlandais de Spirou)<br />
en décembre 1960. - © Dupuis<br />
8
Mais c’est deux ans plus tard qu’il trouvera la consécration avec une série maritime<br />
truffée de gags qu’il animera jusqu’à la fin de sa carrière : Les aventures du Vieux Nick,<br />
rejoint au bout de trois épisodes par le pirate Barbe-Noire, monument de bêtise, de<br />
hargne, de bouffonnerie et d’incompétence, qui deviendra le personnage central de<br />
tous les épisodes qui suivront.<br />
Malgré l’ampleur de sa production et sa reconnaissance par de nombreux bédéphiles<br />
nostalgiques d’une tradition graphique typiquement franco-belge, Remacle restera<br />
toujours un marginal, un franc-tireur beaucoup moins inoffensif qu’on ne pourrait le<br />
croire. Timide selon les uns, sarcastique et amer selon les autres, il était généralement<br />
perçu comme un homme « pas commode au premier abord, parfois bougon,<br />
volontiers caustique » (4). Partir à la rencontre de cet homme s’annonce donc difficile<br />
a priori, mais les quelques témoignages et articles que nous avons pu glaner çà et là<br />
vont nous aider à cerner au plus près sa personnalité, ainsi que la manière dont il était<br />
perçu par son entourage professionnel.<br />
La première tentative de dresser de lui un portrait fidèle à la réalité date, semble-t-il,<br />
de 1960, avec ce texte anonyme publié dans Robbedoes, l’équivalent néerlandais du<br />
journal Spirou :<br />
« Il sourit parfois, mais pas souvent. Est-il pour autant grincheux ? Ceux qui aiment<br />
ses histoires affirmeront le contraire. Marcel Remacle est un homme doté d’un grand<br />
sens de l’humour, un humour inoffensif qui se manifeste dans ses dessins et ses<br />
scénarios, mais aussi dans son mode de vie. Les gens qui rient beaucoup n’ont pas<br />
nécessairement le sens de l’humour, car le rire est une forme de détente, alors que<br />
l’humour ne peut se rencontrer que chez les personnes intelligentes. Nous savons<br />
que beaucoup de gens souriants n’ont pas le moindre sens de l’humour et que bon<br />
nombre de personnes spirituelles ne rient pratiquement jamais. Remacle appartient<br />
à cette seconde catégorie, c’est la raison pour laquelle tant de ses collègues le<br />
connaissent mal et déclarent : « Remacle, c’est un râleur, un misanthrope souvent<br />
de mauvaise humeur et qui a l’air d’avoir avalé son parapluie ! » Mais ils ont tort, car<br />
notre ami Remacle est un garçon capable de sourire et qui possède suffisamment<br />
d’esprit pour fournir chaque semaine deux pages au journal Robbedoes, preuve<br />
d’un sens de l’humour solidement développé. Bien sûr, il lui arrive de se lever du<br />
pied gauche, mais à qui cela n’arrive-t-il jamais ? » (1)<br />
Un texte résolument optimiste, bien sûr, comme le voulait la ligne éditoriale d’un<br />
magazine soucieux de l’image de ses auteurs, mais un texte lucide, dépourvu<br />
d’angélisme béat. Un texte qui trahit l’embarras de son auteur, contraint de jouer les<br />
avocats de la défense, et qui laisse sous-entendre bien davantage qu’il ne dit. Peu<br />
souriant, grincheux, râleur, misanthrope, de mauvais poil : hâtons-nous de réfuter ces<br />
accusations injustes, semble nous dire l’auteur de l’article, mais n’oublions surtout<br />
pas de les formuler au préalable : la qualité d’une bonne épreuve photo dépend<br />
toujours de celle de son négatif !<br />
Quelques années plus tard, lorsque les éditions Dupuis lanceront la fameuse<br />
collection Gag de poche, c’est Yvan Delporte qui se chargera de rédiger la notice<br />
relative à Remacle. D’emblée, la première phrase le décrit en quelques mots : « Mince<br />
et nerveux, l’œil noir et même légèrement satanique… » (2).<br />
9
Remacle vu par François Walthéry<br />
(1988) - © Bédésup / Walthéry<br />
Remacle vu par Eddy Ryssack (1962) - © Dupuis / Ryssack<br />
10
Heureusement que l’on connaît l’esprit facétieux de Delporte et son sens du raccourci<br />
pittoresque : la référence au personnage de Barbe-Noire est évidente et le mot « satanique »<br />
est lâché : non seulement Remacle n’est pas commode, mais voilà qu’il fait peur à présent !<br />
Devons-nous pour autant le diaboliser à notre tour, même par simple boutade ? Évidemment<br />
non : sauf dans certains cas extrêmes, il est ridicule et irrationnel de diaboliser qui que ce<br />
soit sans réellement le connaître. Efforçons-nous plutôt, témoignages à l’appui, de cerner<br />
l’homme au plus près sans verser dans la caricature.<br />
Son épouse Raymonde, qui partagea sa vie pendant près de cinquante ans, le<br />
connaissait évidemment mieux que quiconque :<br />
« C’était quelqu’un de têtu, dit-elle, râleur et en même temps très modeste, qui n’a<br />
jamais travaillé avec l’argent comme but principal, mais juste pour le plaisir de dessiner<br />
et de raconter des histoires. Il n’avait pas d’atelier, il travaillait sur la table du living<br />
pendant que j’étais occupée à autre chose. Les enfants étaient tellement habitués à voir<br />
leur père dessiner qu’ils n’y prêtaient pas beaucoup d’attention. Ils lisaient Spirou, bien<br />
sûr, mais ils ne faisaient jamais aucun commentaire. Moi j’aimais bien ses histoires, mais<br />
je n’ai jamais essayé de lui donner des idées. D’ailleurs il ne les aurait jamais acceptées !<br />
Je me souviens qu’un jour je trouvais qu’il avait mis trop de noir dans un de ses dessins,<br />
et j’ai eu le malheur de le lui dire. Il m’a tout de suite répondu que je n’y connaissais<br />
rien, et ça a été fini, je ne me suis plus jamais occupée de son travail. Mais mon mari<br />
était surtout un homme très, très timide ! Ça lui a d’ailleurs joué de vilains tours parce<br />
qu’il avait presque toujours l’air sévère, mais il pouvait être rigolo, vous savez, et bouteen-train<br />
quand il se sentait à l’aise dans un petit groupe de personnes. » (15)<br />
Timide : voilà peut-être le qualificatif qui lui correspond le mieux et qui explique<br />
l’attitude peu engageante qui le caractérise. Il l’avoue d’ailleurs lui-même lorsqu’il<br />
évoque ses relations avec les ténors du journal Spirou : « On formait une grosse<br />
famille où je me sentais un peu complexé. J’étais très réservé. » (4)<br />
François Walthéry se souvient :<br />
« C’est un homme qui ne se montrait pas, un misanthrope d’après ce que j’ai pu constater<br />
les trois ou quatre fois que je l’ai rencontré. Je le connaissais, je parlais toujours un<br />
peu avec lui à la rédaction de Spirou au temps de Delporte, quand il venait livrer ses<br />
planches. Il était assez bougon et renfermé, c’était son caractère, il était comme ça,<br />
avec un air sévère qui le faisait ressembler à Barbe-Noire ! Barbe-Noire, son père et son<br />
grand-père c’est un peu Remacle à tous les âges, non ? » (17)<br />
Il ne croit pas si bien dire, l’ami François, comme en témoigne cette petite histoire<br />
savoureuse racontée par Remacle lui-même à un journaliste lors d’une interview :<br />
« Vous trouvez que je ressemble à Barbe-Noire ? Il m’est arrivé un jour une anecdote<br />
extraordinaire. Avec mon épouse, on habitait à Bruxelles, Charles Dupuis m’ayant<br />
demandé de me rapprocher de la rédaction du journal. Nous n’avions jamais parlé à<br />
nos voisins avant d’entrer en contact avec eux pour une histoire de colis à réceptionner<br />
pendant notre absence. Nous avons ainsi fait connaissance. Et quand il a appris mon<br />
métier, le voisin m’a dit : « Alors c’est vous qui dessinez… C’est fou ! Je suis abonné à<br />
Spirou. Et voilà deux ans qu’avec ma femme on vous surnommait Barbe-Noire ! » (4)<br />
11
© La Nouvelle Gazette<br />
© Ouest-France<br />
Séances de dédicaces à Charleroi et à Saint-Malo, vers 1965.<br />
On est étonné d’apprendre que Marcel Remacle est le créateur de Spirou. Un scoop !<br />
12
Fuyant les honneurs et les apparitions en public, Remacle accordait peu d’importance<br />
à sa propre image, le vedettariat n’était pas son truc :<br />
« J’ai participé à de nombreuses séances de dédicaces en Belgique et en France<br />
(Saint-Malo, Saint-Etienne, Paris). Je n’estime pas important qu’un lecteur sache<br />
comment est fait le créateur de la bande dessinée qu’il aime. Dès mon enfance, j’ai<br />
adoré Tintin et Milou sans me poser de question sur le physique de l’auteur. Après<br />
tout, nous ne sommes pas des vedettes de cinéma. Nos dessins peuvent amuser pas<br />
mal de gens... Notre tête… ça reste à démontrer ! Ce qui est important, c’est notre<br />
présence devant notre table de travail. » (3)<br />
Invité un jour par un libraire de Saint-Malo, Remacle s’était dit qu’après tout,<br />
l’occasion était belle de faire un peu de tourisme dans la cité des corsaires. Hélas<br />
pour lui, son séjour s’est déroulé sous un ciel exécrable… excepté au moment de<br />
la séance de dédicaces ! Obligé de s’enfermer à l’abri d’un soleil plus que radieux,<br />
et fidèle à l’un de ses traits de caractère les plus connus, il s’est mis à râler comme<br />
il ne l’avait peut-être jamais fait, sous l’œil débonnaire de Marcel Denis, qui l’avait<br />
accompagné. Cette mésaventure l’avait-elle définitivement dégoûté des séances de<br />
dédicaces ? Peut-être pas, mais elle ne l’a pas encouragé non plus à en faire d’autres.<br />
De fait, à partir du milieu des années soixante, on ne l’a pratiquement plus aperçu en<br />
public. Plusieurs fanzines avaient beau le solliciter pour lui consacrer l’un ou l’autre<br />
article, il demeurait insensible aux trompettes de la renommée, préférant exercer son<br />
métier de façon pépère à l’abri des regards et des propos, parfois désobligeants, de<br />
critiques ignorant la nuance.<br />
Gardait-il la même distance vis-à-vis de ses confrères ? Il semble bien que oui, mais<br />
cela n’a pas toujours été le cas. Au cours de sa longue carrière de dessinateur, Remacle<br />
a côtoyé les plus grands noms de la bande dessinée belge, sans toutefois entretenir<br />
avec eux de véritables relations suivies, à l’exception de Morris, qu’il admirait et dont<br />
il s’inspira à maintes reprises, et surtout de Marcel Denis, le seul auteur avec lequel<br />
il se lia étroitement, tant sur le plan affectif que professionnel. Complexé selon son<br />
propre aveu, mais soucieux de progresser dans la voie qu’il s’était choisie, Remacle<br />
sollicitait régulièrement les conseils de ses glorieux confrères, qu’il rencontrait après<br />
le travail, autour d’un verre ou à leur domicile, pendant de longues heures.<br />
« Quand nous habitions Bruxelles, se souvient Raymonde, Marcel allait chez Morris<br />
une fois par semaine, et il rentrait parfois bien tard dans la nuit, ils s’entendaient bien.<br />
Il a aussi fréquenté Lambillotte (NDLA : Willy Lambil), quand ils étaient plus jeunes<br />
et qu’ils travaillaient dans le même bureau de dessin, avec Jamic et Marcel Denis, qui<br />
était le parrain de ma fille cadette. On est allés plusieurs fois chez Bara, à l’époque<br />
où il dessinait dans Spirou. Ils s’étaient rencontrés lors de réunions – je devrais plutôt<br />
dire « virées » ! – entre dessinateurs, et ils avaient sympathisé. Bara était même venu<br />
chez nous, mais quand nous sommes revenus en Wallonie, le contact a été rompu. Avec<br />
Franquin, nous allions parfois prendre un pot à « La Diligence », un café qui faisait de la<br />
petite restauration et qui était tenu par un ancien pilote, si je me souviens bien. On riait<br />
beaucoup avec Franquin. Il avait même proposé à mon mari de reprendre le dessin du<br />
Petit Noël, mais ça ne l’intéressait pas, ils n’ont jamais travaillé ensemble. » (15)<br />
13
Remacle par lui-même (1960).<br />
Extrait de " L’Encyclopédie Spirou " (Mini-récit n o 16)<br />
© Dupuis / Remacle<br />
Remacle dans sa bibliothèque. Gag de Poche n o 51 : " La forêt silencieuse " (1966).<br />
Texte d’Yvan Delporte. - © Dupuis<br />
14
De toute évidence, Remacle savait rire et se montrer amical, mais le tableau était loin<br />
d’être idyllique, comme en témoigne Yvan Delporte :<br />
« Remacle n’était pas très liant. Je me souviens que Franquin, par gentillesse, lui<br />
avait vanté les mérites d’un modèle de plume à dessin. Remacle avait suivi son<br />
conseil pour ensuite venir se plaindre auprès de moi en grommelant : « Les plumes<br />
de Franquin, ça ne me convient pas du tout ! Pourquoi m’a-t-il conseillé un matériel<br />
pareil ?! » C’était ça, Remacle, toujours un peu méfiant. » (10)<br />
Quand Remacle est entré en 1955 au studio de dessin et de lettrage des éditions<br />
Dupuis, Maurice Rosy y travaillait en qualité de « donneur d’idées », avant d’en<br />
assumer la direction un an plus tard :<br />
« J’ai toujours trouvé, dit-il, que Remacle était un homme pessimiste et inquiet,<br />
perpétuellement en quête de reconnaissance pour son travail. Cette reconnaissance,<br />
il ne l’attendait pas seulement de son public, mais aussi des autres dessinateurs du<br />
journal Spirou, avec lesquels il aurait voulu établir des relations d’équivalence. Il<br />
a dû souffrir, à mon avis, de se sentir en retrait par rapport à des gens comme<br />
Franquin ou Peyo, qui étaient beaucoup moins réservés que lui. Son inquiétude<br />
obsessionnelle pouvait le rendre agressif, et ses relations avec ses confrères n’ont<br />
pas toujours été harmonieuses, c’est vrai. Marcel Denis, qui le fréquentait beaucoup<br />
et qui était, lui, extrêmement gentil, faisait un peu contrepoids, il « amortissait » en<br />
quelque sorte le côté acide de Remacle. Morris, lui, s’en accommodait plutôt bien.<br />
J’irais même jusqu’à dire qu’il aimait ça ! » (13)<br />
« Il n’était pas sociable, raconte Walthéry, il parlait peu mais il était capable de lâcher<br />
des plaisanteries douteuses, d’un parfait mauvais goût, des choses qui pouvaient<br />
faire rire – d’ailleurs moi j’aimais bien ! – mais qui ne tombaient peut-être pas<br />
toujours au bon moment. Je sais qu’il y a des dessinateurs qui n’aimaient pas trop<br />
ça… » (17)<br />
Parmi les auteurs qui ont bien connu Marcel Remacle, quatre au moins semblent<br />
avoir entretenu avec lui des relations privilégiées.<br />
Morris, bien sûr, dont nous venons de parler, qui le fascinait par l’élégance et le<br />
dynamisme de son style. Subjugué par son habileté graphique hors du commun,<br />
Remacle subit son influence à un point tel qu’il lui arriva même de collaborer avec<br />
lui, les Dalton s’en souviennent encore…<br />
Maurice Tillieux, ensuite, dont il appréciait beaucoup la compagnie et qui lui écrivit<br />
plusieurs scénarios (parfois de façon anonyme), dont le plus remarqué fut « La prise de<br />
Canapêche », monument de drôlerie et seizième album des aventures du Vieux Nick et<br />
de Barbe-Noire.<br />
Puis vient Marcel Denis, bien sûr, son complice et collaborateur à qui il confia<br />
l’encrage de sa série Hultrasson le Viking et le dessin d’un unique épisode de Tif et<br />
Tondu se déroulant, lui aussi, en milieu maritime. Nous allons y revenir.<br />
Mais il y a aussi – et surtout, serait-on tenté de dire – Vittorio Leonardo, un artiste<br />
polyvalent que l’on ne présente plus, qui reprit un jour Hultrasson pour un unique<br />
15
Marcel Remacle à 64 ans (1990) - Photo : Daniel Fouss.<br />
Dessin édité à l’occasion des 40 ans du Vieux Nick (1998) - © Remacle<br />
16
album et qui nous brosse de Marcel Remacle un portrait conforme à ce que nous<br />
connaissons de lui, mais avec une tendresse pour le moins inattendue et une voix<br />
brisée par l’émotion lorsque nous l’avons rencontré :<br />
« C’est Lambil qui m’a mis en contact avec lui au début des années 70 pour le<br />
coloriage du Vieux Nick. On s’est vu chez Willy, et je me souviens que nous avons<br />
parlé longtemps de l’exploitation de l’ouvrier par le patronat. Nous étions lui et moi<br />
tous deux issus d’un milieu modeste, nous avions la même compassion pour les plus<br />
démunis, les « petites gens » comme on dit, avec ce sens de la solidarité qu’on ne<br />
rencontrait principalement que dans les milieux ouvriers. C’est comme ça qu’entre<br />
nous est née une forte camaraderie, même si on se voyait rarement et qu’on ne se<br />
fréquentait que sur le plan professionnel. Jamais il n’y a eu le moindre accroc entre<br />
lui et moi, jamais ! Il était toujours sur la défensive, très discret et extrêmement<br />
désabusé. Je l’ai toujours connu comme ça, sarcastique à propos de tout et de tout<br />
le monde, râlant sans arrêt sur l’homme et la société, toujours déçu de la tournure<br />
que prenaient les événements de l’actualité. » (14)<br />
Ce peu d’indulgence que Remacle manifestait à l’égard de la nature humaine se<br />
reflète dans le comportement de ses personnages et dans l’aspect physique qu’il<br />
leur donne : beaucoup sont lâches, puérils, tyranniques et systématiquement laids,<br />
sortes de pantins grotesques ridiculisés à l’extrême sous la plume impitoyable de son<br />
imagination. Du plus miteux des va-nu-pieds au plus enfariné des aristocrates, rares<br />
sont ceux qui trouvent grâce à ses yeux. Sous une avalanche de gags visuels proches<br />
du dessin animé, il malmène ses victimes avec délectation, invitant le lecteur à un jeu<br />
de massacre auquel celui-ci n’adhère pas toujours. Le brave Vieux Nick, archétype<br />
du héros irréprochable auquel on aime s’identifier, fut d’ailleurs bien vite délaissé au<br />
profit de Barbe-Noire, une caricature de pirate plus conforme, sans doute, à l’idée<br />
que Remacle se faisait de l’être humain.<br />
Impossible, bien sûr, d’évoquer Remacle sans parler de Marcel Denis, le seul<br />
dessinateur qui l’ait assisté dans son travail et que l’on appellera volontiers « l’ami de<br />
toujours », encore que…<br />
En novembre 1992, le Festival BD de Charleroi avait souhaité rendre hommage à cet<br />
enfant du pays par une petite exposition rétrospective. Sollicité par les organisateurs<br />
pour la rédaction d’un texte évoquant leurs années de collaboration étroite, Marcel<br />
Remacle s’empressa de lui adresser le plus bel éloge qui soit. Le voici dans son<br />
intégralité, nous ne lui avons pas ôté la moindre virgule :<br />
« C’est lors de mon bref passage aux éditions Dupuis en 1955, en qualité (mauvaise)<br />
de dessinateur-lettreur, que je fis la connaissance d’un spécialiste de la profession…<br />
Marcel Denis. Un gars rudement sympa, dans la trentaine, bien en chair, avec une<br />
bonne bouille d’adolescent bien dans sa peau et maniant la plume à profiler avec<br />
une grande dextérité, et l’humour avec une veine pas ordinaire. Pour le débutant<br />
que j’étais, la rencontre fut d’importance. Professionnellement et sentimentalement.<br />
Ses précieux conseils et ses justes appréciations furent des éléments décisifs pour<br />
mon avenir dans la bande dessinée. Mais, surtout, il me fit don d’une chose non<br />
moins précieuse… son Amitié. Il convient de dire qu’à cette époque, des éditeurs<br />
avaient déjà fait confiance à Marcel Denis. Je ne me risquerai pas ici à détailler son<br />
17
Denis, Remacle et Lambil à Marcinelle, vers 1956.<br />
Marcel Denis en 1992 - Photo : Alain Baurin.<br />
18
œuvre, il a dû le faire avec précision. Je me souviens avec nostalgie des longues<br />
heures passées côte à côte penchés sur nos planches, unis dans l’effort. Tantôt à son<br />
domicile, auprès de sa chère maman, tantôt chez moi, à Haltinne. Et que dire des<br />
belles soirées passées au bistrot du village, agrémentées de quelques bonnes chopes<br />
de bière. Une exposition d’hommage à ce grand ami est une très heureuse initiative<br />
et je voudrais ici féliciter ses promoteurs. Pour conclure, je n’hésiterai pas à dire<br />
mon intime conviction que Marcel Denis doit figurer dans le premier chapitre de<br />
l’histoire de la bande dessinée belge. »<br />
Un dithyrambe très appuyé, exagérément amical, dirait-on presque, mais<br />
psychologiquement compréhensible quand on sait que les deux amis venaient de se<br />
réconcilier après une interminable bouderie de plus de dix ans. Lors d’une interview<br />
réalisée quelques mois avant sa mort, Marcel Denis s’est exprimé sur cette triste<br />
mésaventure :<br />
« - Après avoir créé votre propre série Les frères Clips, vous travaillez avec Marcel<br />
Remacle sur la série « Hultrasson le Viking ». Après trois albums, c’est Vittorio qui<br />
reprend le dessin avec Tillieux au scénario. Pourquoi avoir abandonné la série ?<br />
« - C’est une longue histoire mais, pour résumer, Remacle avait un caractère<br />
épouvantable et nous nous sommes disputés quelques planches avant la fin de<br />
l’encrage du troisième album, « Hultrasson perd le nord ». Il a fini l’encrage seul<br />
et nous avons arrêté de collaborer. La série a été reprise par Vittorio et Tillieux,<br />
puis nous nous sommes réconciliés et j’ai encore réalisé une histoire courte de<br />
« Sépadefasson », un personnage de la série « Hultrasson ». Puis, nous avons travaillé<br />
ensemble sur deux épisodes de « Le Vieux Nick et Barbe-Noire ». Puis, nous nous<br />
sommes définitivement brouillés et perdus de vue.<br />
« - Vous ne vous êtes jamais revus ?<br />
« - Si, il y a une dizaine d’années, nous nous sommes rencontrés à la messe et il est<br />
venu me parler. Nous sommes allés boire un verre et nous nous sommes remémorés<br />
le bon vieux temps. S’il n’avait pas fait le premier pas, je ne lui aurais jamais adressé la<br />
parole. Il avait du bon quand même, Marcel. Et puis je suis le parrain de sa fille… » (8)<br />
Remacle nous a quittés en décembre 1999, neuf ans après avoir publié dans Spirou<br />
l’ultime grand épisode du Vieux Nick, toujours inédit en album : « La baleine jaune ».<br />
À l’heure où la production de bandes dessinées a quintuplé par rapport aux chiffres<br />
de l’année 2000, plus personne – ou presque – ne parle encore de lui. Du reste, en<br />
a-t-on jamais réellement parlé ?<br />
« Il n’a jamais connu un succès commercial équivalent à celui de ses confrères de<br />
la belle époque, nous dit Leonardo. Ça marchait bien pour lui au début, mais assez<br />
modestement tout de même. Puis ça a décliné lentement, les ventes et les tirages<br />
n’ont fait que décroître, le succès n’était pas au rendez-vous. » (14)<br />
19
L’hommage de Sergio Aragones (1979).<br />
Walthéry raconte : " À l’époque ou je dessinais<br />
" Instantanés pour Caltech " (Natacha n o 8), j’étais<br />
allé en repérage en Californie, où j’ai rencontré<br />
Sergio Aragones. Il était abonné à Spirou et<br />
il aimait beaucoup le style cartoonesque de<br />
Remacle. Je ne sais plus si c’est lui ou moi qui<br />
ai eu l’idée de cette dédicace, mais il l’a faite avec<br />
plaisir. "<br />
20
La place qu’il occupe dans l’histoire de la bande dessinée n’est certes pas comparable<br />
à celle des grands dessinateurs qui ont bâti la renommée des éditions Dupuis, mais il<br />
appartient incontestablement à notre patrimoine franco-belge, ne serait-ce que par la<br />
quantité d’albums qu’il produisit et le soin constant qu’il y apporta. Artisan passionné<br />
d’une bande dessinée classique tout entière vouée au comique de situation, Marcel<br />
Remacle n’aura pas le bonheur de savourer sa gloire posthume, ni d’entendre les<br />
remerciements que nous lui adressons aujourd’hui pour les bons souvenirs qu’il nous<br />
a laissés.<br />
Adieu, cher misanthrope, on t’aimait bien.<br />
C.J.<br />
© Remacle<br />
21
Un rappel de réservistes en 1948.<br />
Remacle est au milieu de la rangée du bas.<br />
" Allô ! Allô ! Chers-z-auditeurs !<br />
Ne quittez pas l’écoute; dans<br />
quelques instants, j’espère avoir<br />
à ce micro le grand vainqueur de<br />
cette étape ! "<br />
Cartoon de Marcel Remacle en couverture du Moustique en 1952.<br />
© Remacle<br />
22
ÉTAPES D’UNE VIE, MOMENTS D’UNE ŒUVRE<br />
Marcel Remacle naît à Namur le 16 janvier 1926 d’un père convoyeur aux chemins<br />
de fer et d’une mère couturière.<br />
Nous savons peu de chose de ses années d’enfance et d’adolescence, sinon qu’il était<br />
un élève médiocre – voire carrément mauvais – dans toutes les disciplines, y compris<br />
le dessin. Plus tard, « quand il a commencé à faire de la bande dessinée, nous diton,<br />
il s’est rendu compte de la nécessité d’une bonne maîtrise de l’orthographe.<br />
Marcel s’est alors plongé avec acharnement dans les dictionnaires et les livres de<br />
grammaire, si bien qu’au bout de deux mois, il en savait plus sur la langue que ceux<br />
qui sortaient de l’école secondaire. » (1)<br />
Mais pendant ses études à l’Athénée de Namur, il figure bel et bien parmi les pires<br />
élèves de sa classe, à tel point qu’au lendemain de la guerre, il décide d’interrompre<br />
sa scolarité pour devenir apprenti coiffeur pour dames. L’essentiel, pour lui, est de<br />
pratiquer un métier qui lui permette de gagner rapidement sa vie et, tant qu’à faire,<br />
pourquoi pas un métier créatif ? Sans mauvais jeu de mots, bien sûr.<br />
Coiffeur et cartoonist<br />
Immédiatement après son service militaire, qu’il effectue en 1947 au grade de<br />
caporal, il s’installe chez ses parents, à Salzinnes, pour y exercer sa profession. Il y<br />
trouve un certain plaisir au début, mais le virus du dessin, contracté un an auparavant,<br />
commence à le titiller. Son métier, il est vrai, l’amène souvent à exprimer par le<br />
crayon ce qu’il concrétise ensuite par le peigne et les bigoudis. Il rode d’abord son<br />
trait avec des blagues de garçons coiffeurs, pour élargir peu à peu ses gags à tout<br />
ce que la vie quotidienne lui inspire. « Son premier dessin retenu, nous dit Thierry<br />
Tinlot, fut publié vers 1946 dans le quotidien belge « La Dernière Heure » sous la<br />
rubrique « L’esprit en Belgique ». Ensuite, plusieurs années d’insuccès, des dizaines<br />
de créations refusées, jusqu’à ce que divers hebdomadaires entrouvrent leurs pages<br />
pour recueillir quelques perles de ce Figaro féru d’humour noir. » (7) Il devient alors<br />
cartoonist, sous le pseudonyme very british de « Ted Smedley ».<br />
« Mes premiers dessins humoristiques étaient réalisés d’instinct, dit-il, donc sans<br />
influences et le style était variable. En fait, je cherchais ma voie. Ces cartoons étaient<br />
publiés par « Le Moustique », « Pourquoi pas ? », « L’Âne roux », « En marche »… (3)<br />
Le bonheur et la fierté d’être publié prennent vite le pas sur le shampooing et la mise<br />
en plis, au point qu’il finit par ne plus supporter son métier : « Quand j’étais jeune<br />
coiffeur, je me disais : « Remacle, t’auras jamais de bagnole. » Finalement, j’en ai<br />
eu dix. Si c’était à refaire, je referais dessinateur, bien sûr. Coiffeur, quelle horreur !<br />
Ecouter des bonnes femmes à longueur de journée, merci beaucoup ! » (4) Il n’aime<br />
donc pas ça, mais il est bien obligé de continuer, ses dessins ne lui permettant pas, à<br />
eux seuls, de gagner sa vie de façon décente.<br />
23
Rouquinet, premier héros de Marcel Remacle<br />
(Risque-Tout n o 14, 1956) - © Remacle<br />
Remacle, Denis et Jamic au studio Dupuis, vers 1956.<br />
24
À 25 ans, Marcel Remacle est toujours coiffeur lorsqu’il rencontre la femme de sa<br />
vie. Ça se passe à Namur le 20 janvier 1951, lors d’un bal où il s’est rendu pour fêter<br />
son anniversaire. « Elle portait un chignon, dit-il. Et ça, fallait savoir le porter ! »<br />
(4) Elle s’appelle Raymonde Vanemberck, elle est jolie, c’est le coup de foudre et la<br />
demande en mariage ne tarde pas. Problème : Marcel est toujours installé chez ses<br />
parents, et il n’est plus question qu’il continue à y vivre. Au bout d’un an, il trouve<br />
une maison à Saint-Servais où il peut inaugurer son nouveau salon de coiffure. Rien<br />
ne l’empêche plus alors d’épouser Raymonde, qui lui donnera trois enfants : Francis<br />
(1953), Jeannine (1955) et Evelyne (1960).<br />
Employé chez Dupuis<br />
Pendant trois ans, il exercera son métier sans aucun enthousiasme, préférant de loin<br />
se consacrer au dessin humoristique, qui lui confère peu à peu une certaine notoriété.<br />
Comme il livre ses dessins au Moustique, Charles Dupuis le remarque et l’encourage :<br />
« Quand on dessine comme ça, lui dit-il, on doit pouvoir vivre de sa plume. » Son<br />
graphisme est encore hésitant, mais assez prometteur pour lui ouvrir les portes de<br />
la Maison marcinelloise. « Si bien qu ‘en 1955, dit-il, Charles Dupuis m’a proposé<br />
de venir travailler comme lettreur dans son entreprise. J’avais 29 ans. Et pendant<br />
un an, j’ai fait des lettres en flamand… Passionnant ! » (4) Une sorte de stage, de<br />
mise à l’épreuve en quelque sorte, qui lui permet de côtoyer plusieurs jeunes auteurs<br />
qui, comme lui, attendent patiemment l’opportunité de créer leurs propres bandes<br />
dessinées : Marcel Denis, bien sûr, avec qui il se lie d’amitié, Arthur Piroton, Louis<br />
Salvérius, Jacques Michel (Jamic), Willy Lambil, Philippe Liégeois (Turk) et Eddy<br />
Ryssack, sans oublier Maurice Rosy, qui dirige le studio de dessin et qui lui sera d’une<br />
aide considérable par la suite.<br />
Adieu la coiffure, adieu le cartoon : Remacle devient un employé qui, comme tant<br />
d’autres, fait quotidiennement la navette entre son domicile et son lieu de travail, mais<br />
avec la perspective de réaliser à court terme un rêve auquel il s’accroche de toutes ses<br />
forces. Les circonstances lui sont favorables : soucieux d’élargir son lectorat, Dupuis<br />
décide de lancer un nouvel hebdomadaire appelé Risque-Tout, sorte de « petit frère »<br />
du journal Spirou. Marcel Remacle va y publier sa toute première bande dessinée, un<br />
récit complet en quatre planches ayant pour titre « Le Mousquetaire » et pour héros<br />
Rouquinet, « un jeune garçon qui offrait malheureusement une grande ressemblance<br />
avec Dennis la Menace, héros d’une célèbre BD américaine. » (3)<br />
Malgré l’accueil mitigé réservé à cette histoire, on imagine très bien la joie qu’il<br />
éprouve alors de se voir publié aux côtés de Peyo, Tillieux, Franquin, Hubinon,<br />
Will et en particulier Morris qui, pour reprendre ses propres termes, fut pour lui<br />
« un très aimable conseiller » (3) Il débarque en plein âge d’or du journal Spirou et<br />
la concurrence est plus que rude : pour s’y faire une place, il doit obéir aux consignes<br />
paternalistes de la Maison en développant un style graphique tout en rondeur et<br />
dynamisme. Comme il aime faire du « gros nez », ça ne lui pose aucun problème,<br />
mais il comprend que sa tâche sera ardue s’il veut atteindre le niveau de qualité que<br />
l’on attend de lui.<br />
25
Bobosse dans Risque-Tout n o 19<br />
(1956). Dessin original. - © Remacle<br />
Gag de Poche n o 51 (1966)<br />
© Dupuis / Remacle<br />
26
Bobosse<br />
Remacle fournit alors à Risque-Tout une seconde histoire complète en quatre<br />
planches, avec pour héros, cette fois, un petit chien nommé Bobosse, menacé par<br />
la fourrière municipale de Trifouillis-la-Jolie. Comme l’avenir de Risque-Tout semble<br />
douteux (le magazine ne tiendra pas un an) et qu’il n’y a pas de série animalière dans<br />
Spirou, Bobosse y fait simultanément son entrée.<br />
« J’étais très friand des dessins de Macherot, dira Remacle, et il est possible qu’à cette<br />
époque l’influence ait joué. Je pense qu’à nos débuts nous sommes tous influencés<br />
par l’un ou l’autre dessinateur. » (3)<br />
N’appartenant à aucune race connue ni même plausible, Bobosse est affublé d’une<br />
queue filiforme aussi longue que son corps, souple comme un serpent et terminée par<br />
une touffe de poils en forme de pinceau. Ses oreilles, noires et aussi plates qu’un ruban<br />
de soie effiloché aux extrémités, sont tout aussi mobiles que sa queue et bien plus<br />
longues encore. Avec, de surcroît, un pelage roux tacheté de noir, Bobosse semble<br />
être issu d’un croisement improbable entre Bill et le marsupilami. Avec son corps<br />
de basset haut sur pattes, sa tête aussi ronde que celle d’un carlin, sa bonne bouille<br />
disneyenne et sa croupe perpétuellement tendue vers on ne sait quel partenaire fictif,<br />
Bobosse semble n’avoir été créé que pour attirer le regard !<br />
C’est avec ce personnage étrange et attachant que Marcel Remacle entame pour de<br />
bon sa carrière d’auteur de bandes dessinées. En 1956, il n’est pas encore question<br />
de « one-shots » et tout dessinateur se doit d’animer une série pour la conduire vers<br />
le succès. Spirou est un magazine qui lui donne le temps de le faire et, après un an de<br />
lettrage, Marcel va s’y atteler scrupuleusement avec l’enthousiasme de celui qui y croit.<br />
Bobosse fait ses débuts dans Spirou sous forme de mini-strips de trois centimètres de<br />
haut, que Remacle parvient à caser au bas d’une page pour autant que la planche<br />
qui s’y trouve veuille bien se pousser un peu. On lui accorde peu de place, mais<br />
Remacle est dans Spirou, et il ne compte pas lâcher prise : dans le numéro 959 du<br />
30 août 1956, il lance Bobosse dans une grande aventure champêtre en 40 planches<br />
qui se terminera en janvier de l’année suivante : « La forêt silencieuse ». L’argument<br />
est simple : des animaux ayant disparu dans la nature, capturés par on ne sait qui ni<br />
quoi, Bobosse mène l’enquête en compagnie d’un petit blaireau froussard et parvient<br />
à libérer tout le monde. Remacle veut enchaîner tout de suite avec l’épisode suivant,<br />
mais Charles Dupuis se montre plus que réservé. Yvan Delporte, alors rédacteur en<br />
chef de Spirou, trouve la série trop puérile et propose à Remacle de l’aider, avec<br />
Peyo, pour l’écriture du prochain scénario. « Les évadés de Trifouillis », qui paraît<br />
dans Spirou d’octobre 1957 à mars 1958, a pour cadre une ménagerie de foire dont<br />
les animaux se révoltent pour échapper à un gardien qui les maltraite. Les gags<br />
s’enchaînent à un rythme soutenu tout au long des 38 planches de l’histoire et le<br />
récit ne connaît aucun temps mort, mais les maladresses du dessin sont – hélas !<br />
– spectaculaires. Visiblement, Remacle n’est pas encore au point : s’il campe ses<br />
personnages humains de façon plus que correcte, il se révèle, en revanche, un piètre<br />
dessinateur animalier. Les centaines de planches qu’il réalisera par la suite montrent<br />
d’ailleurs qu’il le restera : les bêtes, c’est pas son truc, mais les imbéciles, par contre…<br />
27
Premier album du Vieux Nick (1960) - © Dupuis / Remacle<br />
28
Mais n’anticipons pas : avec Bobosse, c’est l’échec. Maurice Rosy se souvient :<br />
« Charles Dupuis était dubitatif quant à l’avenir de Bobosse. Il était déçu à un<br />
point tel qu’il envisageait carrément de se séparer de Remacle. Marcel, qui était un<br />
homme ambitieux, l’a très mal vécu, bien sûr. L’affront cinglant qu’on lui infligeait<br />
lui a fait l’effet d’un cataclysme, et j’ai alors décidé de m’occuper de lui. Je suis<br />
allé trouver Dupuis en lui demandant d’accorder à Remacle une seconde chance<br />
et, après quelques hésitations, il a fini par accepter. Au studio, tout le monde était<br />
témoin du travail de chacun, et j’avais remarqué que Marcel s’amusait à griffonner<br />
un peu partout des personnages de pirates. Je l’ai alors encouragé à en faire une<br />
bande dessinée, et hop, c’était reparti ! La suite, on la connaît… » (13)<br />
À l’abordage !<br />
Le Vieux Nick fait son entrée dans Spirou au printemps 1958 avec une grande histoire<br />
qui comptera 44 planches, soit le format standard exigé pour une éventuelle parution<br />
en album. Son titre est éloquent et plonge d’emblée le lecteur dans l’atmosphère du<br />
récit : « Pavillons noirs ».<br />
L’âge d’or de la marine à voiles est un thème jusque là peu exploité par la bande<br />
dessinée franco-belge : Paul Cuvelier, Bob De Moor et Willy Vandersteen envoient<br />
leurs héros affronter les dangers de la haute mer, le premier avec Corentin, le<br />
deuxième avec Cori le moussaillon et le troisième avec Thyl Ulenspiegel ; Hubinon et<br />
Charlier bouclent la biographie de Surcouf en trois grands épisodes et, côté humour,<br />
le tandem Uderzo-Goscinny s’efforce en vain d’imposer Jehan Pistolet. Le terrain<br />
n’est donc pas vraiment vierge, mais presque, et Le Vieux Nick peut prendre la mer<br />
sans trop se soucier de la concurrence. « En fait, dit Remacle, le vieux Nick était au<br />
départ un cow-boy. Erreur de ma part car le Lucky Luke de Morris était publié dans<br />
Spirou. Naïveté de débutant ! » (4)<br />
« Donner le rôle principal à un vieux bonhomme n’avait rien de surprenant à<br />
l’époque, précise Henri Filippini, puisqu’une année plus tôt, le concurrent Tintin<br />
avait donné l’exemple avec le début de la publication des enquêtes de Prudence<br />
Petitpas (…). Coiffé d’un éternel foulard noir, une imposante barbe blanche lui<br />
mangeant le visage tout rond, une chemise verte et un short noir, Nick ne changera<br />
pas de look tout au long de ses nombreuses aventures maritimes.<br />
C’est à l’époque où les mers étaient infestées d’individus sans foi ni loi que se<br />
déroulent les aventures du vieux Nick. En ces temps incertains, les habitants des îles<br />
Aladouzes, victimes d’attaques répétées des pirates, ont pris la décision de s’unir<br />
afin de les combattre. Nick, dont nous ne connaîtrons jamais le patronyme complet,<br />
ne supporte pas d’être relégué dans le rôle de vigie alors que les plus jeunes se<br />
préparent à de rudes combats. Quelques grosses colères plus tard, mais aussi après<br />
avoir démontré sa force, le noble vieillard va pouvoir enfin prendre la mer à bord<br />
du « Pacifique » et partir combattre les pirates. Devenu le patron de l’équipage et<br />
s’étant choisi le brave Thomas pour premier compagnon, le vieux Nick va pouvoir<br />
envisager avec sérénité son avenir de héros de papier. » (11)<br />
29
Morris : " Les cousins Dalton " (1957) - © Dupuis / Morris<br />
Remacle : " Le trois-mâts fantôme " (1965) - © Remacle<br />
30
À l’école de Morris<br />
Outre le lancement réussi de sa nouvelle série, dont le deuxième épisode, « Le vaisseau<br />
du Diable », est publié dans Spirou dès l’automne de la même année, 1958 est une année<br />
importante pour Remacle, qui va bénéficier des conseils avisés d’un certain Morris.<br />
« Quand on débute, on se laisse influencer. On vous dit : « fais ci, fais ça. » Morris m’a<br />
donné confiance, me répétant : « t’occupe pas, travaille d’instinct. » Ce type-là avait du<br />
génie : il dessinait sans se poser de questions, très vite, jusqu’à une planche par jour. Il<br />
faisait même des paris : 44 jours, 44 planches, un album… moi, j’étais nettement plus<br />
lent. Une demi-planche par jour au maximum. Je n’ai jamais forcé. » (4)<br />
L’influence de Morris sera déterminante sur l’évolution graphique de ce débutant<br />
de 32 ans qu’est encore Marcel Remacle : la bande dessinée n’est pas le cartoon,<br />
et il lui reste beaucoup à apprendre dans le domaine de l’expression graphique,<br />
notamment à traduire le mouvement de ses personnages avec moins de raideur et à<br />
rendre son dessin plus lisible en éliminant les détails susceptibles de nuire à la fluidité<br />
du récit. Soucieux d’atteindre un niveau comparable à celui de ses illustres confrères,<br />
il apprend vite à maîtriser son trait, et les résultats ne se font guère attendre : en moins<br />
d’un an, ses progrès sont spectaculaires.<br />
L’un des signes les plus manifestes de l’empreinte de Morris sur son propre travail<br />
est la manière expressionniste dont il utilise le noir pour réduire personnages et<br />
éléments de décor à de simples silhouettes totalement opaques, plus immédiatement<br />
intelligibles au regard que leur version détaillée. Dans les albums de Lucky Luke, les<br />
exemples sont légion et le disciple ne se privera pas d’utiliser le procédé du maître<br />
chaque fois qu’il le jugera utile.<br />
Une année importante, disions-nous. En 1958, les regards du monde entier se portent<br />
sur Bruxelles, et le couple Remacle s’installe à Woluwé-Saint-Pierre pour une période<br />
qui durera six ans. « Comme les bureaux de Spirou étaient à Bruxelles et que la<br />
plupart des dessinateurs habitaient par là, il a bien fallu qu’on déménage, nous dit<br />
Raymonde. Dupuis voulait rassembler ses dessinateurs au même endroit pour une<br />
question de commodité. » (15)<br />
Désormais, Charles Dupuis considère donc Remacle comme l’un de ses auteurs.<br />
Fidèle à l’esprit familial qui le caractérise, il le soutiendra sans réserve tout au long de<br />
sa carrière et entretiendra toujours avec lui d’excellentes relations.<br />
Le voilà donc plébiscité par ses pairs et intronisé dans le cénacle privilégié de<br />
l’équipe Spirou. Charles Dupuis croit en lui et le lui prouve : à l’instar des autres<br />
vedettes du journal, le vieux Nick possède dorénavant son effigie en latex articulé,<br />
et Barbe-Noire connaîtra la sienne deux ans plus tard. La collaboration de Marcel<br />
Remacle au magazine déborde d’ailleurs de la bande dessinée proprement dite : en<br />
collaboration avec Morris, qui affectionne les bricolages ludiques, Remacle offre aux<br />
jeunes lecteurs deux jouets à monter soi-même, l’un mettant en scène le vieux Nick,<br />
et l’autre les Dalton, qu’il dessine lui-même.<br />
1959 est une année de transition durant laquelle il va publier l’un des meilleurs<br />
31
Première apparition de Barbe-Noire : " L’île de la Main Ouverte " (1960) - © Dupuis / Remacle<br />
32
épisodes des aventures du vieux Nick : « Les mangeurs de citron ». Partiellement<br />
inspirée de la fameuse mutinerie du « Bounty », cette histoire dénonce avec<br />
humour les mauvais traitements dont étaient victimes les marins du 18e siècle et<br />
les conditions d’hygiène déplorables qu’ils connaissaient au cours de leurs voyages.<br />
Graphiquement, les leçons de Morris et les conseils de ses confrères ont porté leurs<br />
fruits : Remacle épure son trait et aère ses planches, qui passent définitivement de<br />
cinq à quatre bandes. La consécration est proche.<br />
L’apothéose<br />
L’année 1960 est certainement l’une de celles qui comptera le plus dans la vie de<br />
Marcel Remacle. Papa pour la troisième fois, il est un homme comblé tant sur le plan<br />
familial que professionnel puisqu’il se voit, à 34 ans, publié pour la toute première fois<br />
en albums : « Pavillons noirs » et « Le vaisseau du diable » sortent de presse à quelques<br />
mois d’intervalles, comme si Dupuis voulait rattraper un retard malvenu. Une anecdote<br />
pittoresque nous est rappelée par Thierry Tinlot : « Le premier album du vieux Nick<br />
(…) a été longtemps victime de la censure française, qui subodorait dans cette œuvre<br />
une sournoise propagande pour les joies frustes de la piraterie en haute mer. Une<br />
profession évidemment à déconseiller totalement aux jeunes têtes blondes. » (7)<br />
Mais le gros événement de cette année est la création d’un personnage savoureux<br />
qui va marquer de façon décisive la carrière de Marcel Remacle : le pirate Barbe-<br />
Noire, présent dès la toute première scène de « L’île de la main Ouverte », quatrième<br />
épisode des aventures du vieux Nick. Cette histoire cruciale et incontournable est<br />
publiée dans Spirou du 24 mars au 18 août 1960.<br />
« Barbe-Noire » est le nom de guerre d’Edward Teach, un flibustier anglais bâti comme<br />
un colosse, qui écuma les mers au début du 18 e siècle, inspirant à ses adversaires une<br />
terreur aussi profonde que justifiée. De cette « superstar » de la piraterie, Remacle<br />
n’utilisera que le surnom, sans la moindre référence au personnage réel : son Barbe-<br />
Noire à lui est un gringalet cupide, hargneux et despotique comparable à Joe Dalton,<br />
mais qui, au fil des épisodes, héritera en plus de la bêtise d’Averell. Affublé du patronyme<br />
plus prosaïque de « Saturnin Tromblon », il sera désormais la vedette incontestée de<br />
la série, reléguant peu à peu le vieux Nick à un rôle de figuration quand il ne l’efface<br />
pas purement et simplement du casting. A partir du onzième album, la série changera<br />
d’ailleurs de titre pour s’appeler désormais : « Le Vieux Nick et Barbe-Noire ».<br />
Marcel Remacle accède alors à un quasi vedettariat : Robbedoes (le Spirou<br />
néerlandais) lui consacre un article d’une page entière, vantant le sérieux avec lequel<br />
il se documente : « Il connaît tout ce qu’il est actuellement possible de connaître<br />
sur la marine à voile. Même les lecteurs les plus critiques et les plus attentifs n’ont<br />
jamais pu découvrir la moindre erreur dans la structure (…) de ses navires. » (1)<br />
De fait, même si, contrairement à ses personnages, il n’a jamais franchi les océans<br />
une seule fois dans sa vie, les ouvrages sur la marine constituent l’essentiel de sa<br />
bibliothèque et il ne lit pratiquement que ça.<br />
Cette année-là toujours, Morris lui confie les Dalton pour un pastiche en deux planches<br />
intitulé « Rapt au Far West », destiné au numéro Spécial Vacances du journal Spirou. Le<br />
33
" Rapt au Far West ". D’après les personnages de Morris - © Remacle / Morris<br />
Première apparition de bon-papa, et première baffe d’une longue série :<br />
" Les mutinés de la Sémillante " - © Remacle<br />
34
mimétisme est bluffant et le lecteur moyen n’y voit que du feu : on jurerait du Lucky Luke !<br />
Entretemps, les fameux « mini-récits » ont fait leur apparition au sein du journal,<br />
permettant surtout aux jeunes auteurs de se faire la main avant de s’atteler à des<br />
projets plus ambitieux, mais restant toutefois ouverts aux plus chevronnés. Comme<br />
Peyo, Franquin, Paape, MiTacq, Jidéhem, Tillieux et Roba l’ont fait avant lui, Remacle<br />
se laisse tenter par l’aventure et nous offre sa première mini-histoire maritime en 32<br />
planches : « L’îlot mouvant ». De 1960 à 1965, il réalisera au total neuf mini-récits,<br />
dont quatre seront repris dans le huitième volume de la collection Gag de Poche :<br />
« L’humour prend la mer ». Le 5 mai 1960, Marcel Remacle aura même l’honneur de<br />
figurer en personne dans un mini-récit faussement didactique dû à la plume facétieuse<br />
d’Yvan Delporte : « L’encyclopédie Spirou ».<br />
Une année riche en événements, donc, mais ce n’est pas tout : pour clore l’année<br />
en beauté, le vieux Nick nous revient à la mi-décembre dans sa cinquième grande<br />
aventure, « Les mutinés de la Sémillante ». Tout aussi essentielle que la précédente,<br />
cette histoire voit apparaître un personnage appelé à jouer un rôle de tout premier<br />
plan dans les épisodes à venir. Il s’agit d’Eustache Tromblon, vieillard irascible,<br />
autoritaire et brutal, qui n’est autre que le grand-père de Barbe-Noire : un vieux<br />
s’efface, l’autre arrive.<br />
Capturé par Nick et enfermé à perpétuité au bagne de New Oldchester, Barbe-Noire,<br />
comme Joe Dalton, ne songe qu’à s’évader. Parvenu par ruse jusqu’à sa cellule, son<br />
grand-père vient lui ouvrir les portes de la liberté. Heureux comme un gamin qui voit<br />
arriver le Père Noël, Barbe-Noire l’accueille à bras ouverts et, pour toute réponse à<br />
son affectueuse gratitude, ne reçoit qu’une formidable claque qui l’envoie au tapis<br />
pour le punir de s’être laissé emprisonner comme un gamin débutant. Cette gifle<br />
est la première d’une longue série, véritable leitmotiv qui ponctuera chaque histoire<br />
jusqu’à l’ultime épisode : l’aïeul a la main leste, et le pirate a trouvé son maître.<br />
Profondément attaché à son grand-père, Barbe-Noire va désormais le suivre sans jamais<br />
remettre en cause son autorité, mais oubliant parfois qu’une baffe monumentale lui<br />
remettra illico les idées en place chaque fois qu’il osera lui manquer de respect. Marcel<br />
Remacle tient ses personnages : un nouveau duo comique vient de naître, source<br />
intarissable de gags procédant de leurs natures antagonistes. Pour l’ancêtre, le pirate<br />
redoutable sera toujours le « gamin », et le « gamin » filera doux devant son « bon-papa ».<br />
Signalons, pour l’anecdote, qu’en Wallonie « bon-papa » est un vocable affectueux très<br />
fréquent, dont sera gratifié Remacle lui-même quand il deviendra grand-père.<br />
« Au départ, dira Remacle, je dessinais Barbe-Noire aussi petit que le vieux Nick. Au<br />
fil des albums, il est devenu deux têtes plus grand. Mais il y a encore des gens pour<br />
me dire qu’ils le préféraient tout petit. » (4)<br />
En fait, l’apparition de « bon-papa » va modifier en profondeur le personnage de<br />
Barbe-Noire : le terrible écumeur des mers se couvrira désormais de ridicule au point<br />
de devenir l’incarnation parfaite du nigaud le plus incurable. Considérant sans doute<br />
qu’un dadais ne peut être que grand, Remacle va lui faire subir une métamorphose<br />
progressive et spectaculaire dans le sens de la hauteur.<br />
Et c’est ainsi que Joe devint Averell.<br />
35
" L’or du " El Terrible " (1964)<br />
© Remacle<br />
" Le trois-mâts fantôme " (1965)<br />
© Remacle<br />
" La prise de Canapêche " (1971)<br />
© Remacle<br />
36
Le gag à tout prix<br />
Marcel Remacle possède une qualité que lui envieraient pas mal de ses confrères : il<br />
est ambidextre. Cela signifie que sa main gauche, ignorant ce que fait sa main droite<br />
(façon de parler), peut tenir un crayon avec autant d’habileté. Cette faculté ne lui<br />
permet cependant pas de travailler deux fois plus vite, et pourtant…<br />
Les années 60 seront de loin les plus fécondes de sa carrière : de 1961 à 1970, il aura<br />
publié 19 albums et fourni plus de 950 planches au journal Spirou, soit plus de la<br />
moitié de sa production totale.<br />
Faut-il pour autant conclure à une sorte d’âge d’or des aventures du vieux Nick ? Oui et<br />
non : Remacle produit beaucoup, mais il déconcerte. Habitué à ce que son magazine<br />
lui offre des aventures ayant pour héros des personnages auxquels il aime s’identifier, le<br />
lecteur de Spirou découvre une série burlesque bien éloignée des schémas humanistes<br />
et culturels qu’on lui sert à l’époque. Un phénomène de mode consiste de nos jours<br />
à railler les bons sentiments, voire à les considérer comme vulgaires, mais c’est loin<br />
d’être le cas dans les années 60, particulièrement dans un journal comme Spirou qui<br />
cultive l’esprit boy-scout sous l’impulsion de la très catholique famille Dupuis. Rien<br />
de cela chez Remacle, qui fait du « mauvais » le protagoniste central de ses histoires,<br />
prenant davantage plaisir à le ridiculiser qu’à le diaboliser. Situé aux antipodes d’un<br />
Rastapopoulos ou d’un Zantafio, Barbe-Noire affiche une nature puérile qui se traduit<br />
par des larmes, des colères capricieuses et des lamentations, au grand désespoir de<br />
bon-papa qui rêvait d’en faire le plus grand pirate de tous les temps : « Je fondais des<br />
espérances sur ma descendance. Je retombe de haut ! Mon petit-fils n’est qu’un plat<br />
de nouilles où circule du sang de navet !! » (« Le trois-mâts fantôme »). Les officiers<br />
de marine auxquels il se frotte ne sont d’ailleurs pas en reste : superbes de fatuité sous<br />
leurs perruques et jaloux de leurs privilèges, ils sont pour la plupart efféminés, lâches<br />
et incompétents, prêts à fondre en sanglots face à la moindre contrariété. Seul le vieux<br />
Nick reste digne et sérieux, trop sérieux même pour Remacle, qui s’en désintéresse et<br />
ne l’utilise plus que lorsque le scénario l’exige.<br />
Soutenu par son éditeur, Remacle se sent libre de mener sa barque comme il l’entend<br />
et choisit de faire de ses histoires une suite de gags – parfois très lourds, avouonsle<br />
– au détriment d’un scénario souvent réduit à une intrigue ténue surfant sur les<br />
automatismes et les redondances. La grande épopée de la marine à voile s’efface peu<br />
à peu devant la bouffonnerie la plus débridée et un comique visuel très proche du<br />
dessin animé. Le souffle de l’aventure n’y est plus, mais on rit.<br />
Après une avalanche de péripéties très drôles autour d’une énorme cargaison de<br />
lingots d’or (« Les mutinés de la Sémillante », 1960), le vieux Nick se retrouve « Dans<br />
la gueule du dragon » (1961) pour affronter une flottille de faux monstres marins,<br />
conçus et dirigés par Barbe-Noire pour couler les navires les plus puissants.<br />
C’est dans cet épisode qu’apparaît le personnage de Sébastien, naufragé revanchard<br />
d’un baleinier anéanti par le pirate. Maigre mais costaud, susceptible, chuintant<br />
comme le plus pittorechque des Auvergnats et redoutable dans le maniement d’un<br />
harpon qu’il ne quitte jamais, Chébachtien n’a chtrictement peur de rien ! Après<br />
les éphémères Thomas (« Le vaisseau du Diable ») et Sparadra (« Les mangeurs<br />
37
Première apparition de Sébastien le harponneur : " Dans la gueule du dragon " (1961) - © Remacle<br />
Première apparition du Roy Auguste III le Bien-Aimé : " Sa majesté se rebiffe " (1963) - © Remacle<br />
38
de citron », « L’île de la Main ouverte »), le truculent harponneur accompagnera<br />
désormais le vieux Nick dans la plupart de ses aventures.<br />
« Aux mains des Akwabons » (1962) s’ouvre sur une course de chaises à porteurs que<br />
n’auraient sans doute pas désavouée Hanna & Barbera, pour nous emmener ensuite<br />
sur une île peuplée de cannibales experts en calembours douteux. Chez ce grincheux<br />
qu’est Marcel Remacle, tout est prétexte à la rigolade, des gags les plus obtus aux<br />
réparties les plus savoureuses.<br />
Le contexte<br />
Avec « Sa Majesté se rebiffe » (1963), un personnage essentiel vient s’ajouter aux protagonistes<br />
de la série, comme pour définir le cadre géo-historique dans lequel ils évoluent : Sa Gracieuse<br />
Majesté Auguste III le Bien-Aimé, Roi de… Eh oui au fait, Roi de quoi ?...<br />
À première vue, tout semble indiquer qu’il s’agit de l’Angleterre : les localités du<br />
royaume s’appellent Charlestown, New Oldchester ou Camboxford (célèbre pour son<br />
université) et les noms des officiers de marine ne laissent aucun doute quant à leurs<br />
origines : Cornflake, Jollybird, Cocktailadhoc, Bigbottom, etc. Vu l’aspect vestimentaire<br />
de tout ce beau monde, il est clair qu’ils évoluent dans l’Angleterre du 18 e siècle.<br />
Oui, mais voilà : de par son nom bien français et son surnom de « Bien-Aimé », toute<br />
la personnalité d’Auguste III évoque celle du roi Louis XV. Son injure favorite n’est<br />
d’ailleurs autre que « maroufle », quand il ne ponctue pas ses phrases de joyeux<br />
« jarnicoton » ou « palsambleu » ! Pour compléter le tableau, ses navires portent<br />
fièrement les noms de « Sémillante », « Incombustible », « Dévorante », « Joyeuse<br />
Pétronille », et bien d’autres du même tonneau… Barbe-Noire est, quant à lui, bien<br />
éloigné de son illustre modèle historique : reconnaissons qu’il est difficile d’imaginer<br />
un flibustier anglais qui s’appellerait Saturnin Tromblon !<br />
Refusant d’inscrire sa série dans un contexte historique précis, Remacle fait donc de<br />
ce royaume imaginaire un patchwork franco-british, allant même jusqu’à lui opposer<br />
un ennemi ne figurant dans aucun livre d’histoire : le royaume de « Bidulie » ! Et<br />
s’il est vrai qu’un navire anglais entre en scène dans « Le trois-mâts fantôme », rien<br />
n’indique qu’il soit placé sous l’autorité de notre bon Roy.<br />
Dans « L’or du El Terrible » (1964), la flotte d’Auguste III affrontera celle du roi<br />
Hernando le Cruel, dont la cousine s’appelle – tenez-vous bien - Doña Mirabella<br />
Estragon y Superbasar ! Le nom de ce mystérieux royaume n’est pas encore cité, mais<br />
il le sera dès l’album suivant. Chacun sait, de toute manière, que dans les histoires de<br />
corsaires et de pirates, l’ennemi est toujours espagnol !...<br />
Avec Marcel Denis<br />
Remacle prend non seulement beaucoup de plaisir à ridiculiser ses personnages,<br />
mais aussi ceux qu’on lui confie, comme en témoigne le scénario qu’il écrit en 1961<br />
pour Marcel Denis : « Ne tirez pas sur « Hippocampe ! »<br />
39
Tif et Tondu : " Ne tirez pas sur Hippocampe ! " (1963). Dessin : Marcel Denis.<br />
© La Vache qui Médite / Denis / Remacle.<br />
Hultrasson, Sépadefasson, Payasson et le roi Harald : " Fais-moi peur, Viking ! " (1964)<br />
© Remacle<br />
40
Cette aventure de Tif et Tondu – la deuxième dessinée par Denis depuis le départ de<br />
Will pour Tintin – a pour sujet le vol d’un sous-marin par une bande de pirates - tiens,<br />
tiens ! - qui garde en otage un Tif gaffeur à la limite de la bêtise et complètement<br />
dépassé par les événements. Inconsolable et désemparé par le danger auquel est<br />
exposé son ami, Tondu noie son chagrin dans l’alcool pour finalement se ressaisir<br />
et voler à son secours. Gags et pitreries se succèdent à un rythme d’enfer dans cette<br />
course-poursuite aussi louftingue que rocambolesque : du Remacle pur jus, même si<br />
son nom n’apparaît nulle part lors de la publication dans Spirou. Cette histoire, tout<br />
comme la précédente (« Tif et Tondu à Hollywood », 1960), restera inédite en album<br />
Dupuis, l’éditeur ayant jugé préférable de ne pas rompre l’unité de la série. Marcel<br />
Denis se souvient : « On m’a demandé d’arrêter la série sans me donner de raison<br />
valable. Je ne sais même plus ce qu’on m’a donné comme prétexte… On n’a sans<br />
doute pas considéré que ma reprise de Tif et Tondu était une réussite puisque Will<br />
a tout de même attendu un bon bout de temps avant de s’y remettre (…) J’en avais<br />
tout de même un peu marre, je n’aimais pas trop. Je sentais les personnages à ma<br />
façon et les autres ne les sentaient pas comme moi. Mais la déception n’a pas été<br />
énorme, non, puisque ça m’a donné l’occasion de travailler avec Marcel Remacle,<br />
avec qui j’étais très copain. Comme j’en avais marre de la bande dessinée et que je<br />
me retrouvais sans boulot, il m’a proposé de lancer une nouvelle série avec lui, et<br />
c’est ainsi qu’Hultrasson est né. » (5)<br />
Dopé par le rythme de parution de ses albums, Remacle se dit peut-être qu’une<br />
deuxième série, menée de front avec Le Vieux Nick, pourrait aboutir à sa reconnaissance<br />
définitive comme auteur complet et contribuer à accroître sa notoriété au sein de la<br />
profession. Trois grands épisodes de la série Hultrasson le Viking (avec albums à la<br />
clé) et trois histoires courtes (toujours inédites) verront le jour entre 1964 et 1967,<br />
reposant sur un schéma simple mais efficace : un humour constamment déjanté, un<br />
brin de fantastique, et un héros plein de bonhomie opposé à un gros barbare aussi<br />
ambitieux que stupide, lui-même secondé par un serviteur retors au physique calqué<br />
sur celui d’Yvan Delporte.<br />
« C’est dans le n° 1350 du journal de Spirou qu’est annoncé le nouveau héros de<br />
Marcel Remacle et Marcel Denis : Hultrasson le Viking. La première aventure, « Faismoi<br />
peur, Viking ! », paraît la semaine suivante, le 5 mars 1964. Il s’agit là d’aventures<br />
à l’humour totalement débridé cher à Marcel Denis, qui permettront à Remacle de se<br />
renouveler un peu tout en restant dans le registre maritime qu’il affectionne. Dans les<br />
belles contrées du Nord vit Sépadeffasson, un Viking stupide ayant trop lu les aventures<br />
du grand vizir Iznogoud (…) puisqu’il veut prendre la place du roi Harald-les-Beaux-<br />
Cheveux. Contrairement à Iznogoud, qui se charge lui-même d’inventer ses propres<br />
complots, Sépadefasson n’a pas l’intelligence de ses ambitions. C’est donc Payasson,<br />
son fourbe conseiller, qui se chargera d’imaginer les pires machinations pour permettre<br />
à Sépadeffasson d’atteindre son but. C’est pour contrer cet ahuri qu’intervient<br />
Hultrasson, Viking livreur de bière. Il sera aidé en cela par la sorcière Jivatijivatipa, sans<br />
oublier une certaine boisson qui fait perdre la tête et dont nos vikings sont friands : le<br />
« wiseki ». Chaque complot est donc plutôt prétexte à la rigolade qu’au suspense, car on<br />
s’aperçoit vite que, même sans Hultrasson et Jivatijivatipa, les plans ourdis par Payasson<br />
ne peuvent que tourner court tant Sépadefasson est stupide et incapable de réaliser<br />
correctement les idées, trop astucieuses pour lui, de son âme pensante. » (12)<br />
41
La sorcière Jivatijivatipa : " Fais-moi peur, Viking ! " (1964) - © Remacle<br />
Les frères Hamesson et Hultrasson, vus par Vittorio Leonardo : " L’eau de politesse " (1973)<br />
© Leonardo<br />
42
Dans le premier épisode, « Fais-moi peur, Viking ! » (1964), Hultrasson emploie toute son<br />
énergie à guérir le roi Harald d’un interminable hoquet qui le met dans l’incapacité de<br />
régner. L’affreux Sépadefasson fera tout pour tirer avantage de la situation, mais la vigilance<br />
d’Hultrasson et la magie de Jivatijivatipa viendront contrecarrer ses projets. « Hultrasson<br />
chez les Scots » (1965) voit apparaître les frères Hamesson, trois colosses particulièrement<br />
bas de plafond que l’on a un jour qualifiés de « triplés les plus stupides de la bande<br />
dessinée » (© BDM). Sépadefasson compte sur leur force brutale pour empêcher un<br />
mariage diplomatique qui ruinerait ses projets de rapines au pays des Scots. Ce complot,<br />
bien évidemment, se retournera contre lui. Enfin, dans « Hultrasson perd le nord » (1966),<br />
les Vikings, victimes de la famine, sont contraints d’aller se ravitailler sur les côtes de<br />
Naurmandie (sic !) pour être assurés de passer l’hiver. Nommé chef de l’expédition,<br />
Hultrasson doit une fois de plus affronter Sépadefasson, qui se retrouvera perdu dans le<br />
grand Nord par la faute d’une boussole tombée en panne, bonjour l’anachronisme !<br />
Comme on peut le voir, la loufoquerie la plus exubérante se déploie à longueur de<br />
planches et on imagine bien le plaisir qu’ont pris les auteurs à animer cette série. « C’est<br />
Raymond Antoine (NDLA : Vicq) qui faisait nos scénarios, raconte Marcel Denis.<br />
Remacle faisait le crayonné et moi l’encrage. Ni lui ni moi n’avons jamais touché au<br />
scénario d’Hultrasson. C’est même Tillieux qui nous a écrit anonymement le troisième<br />
épisode (NDLA : le meilleur, évidemment) parce qu’il n’était plus possible de travailler<br />
avec Vicq, qui disparaissait régulièrement. On se retrouvait toujours sans boulot… »<br />
(5) Pour comble de malchance, Remacle se brouille avec Denis qui, peu de temps<br />
après, connaît de graves problèmes de santé l’obligeant à abandonner la BD. Remacle<br />
se retrouve donc seul. « J’ai créé Hultrasson parce que j’étais très bien secondé par<br />
Marcel Denis, nous dit-il. Mais j’ai très vite compris qu’il n’était guère possible de<br />
réaliser une seconde histoire sans nuire à la production de la première. » (3)<br />
Bref, Hultrasson n’a pas le vent en poupe et Remacle décide d’interrompre ses<br />
aventures. Six ans plus tard, cependant, et contre toute attente, le personnage va<br />
réapparaître sous le crayon de Vittorio Leonardo et la plume de Maurice Tillieux.<br />
Leonardo se souvient : « Remacle est venu un jour chez moi pour me demander de<br />
reprendre Hultrasson. « Je vais le vendre parce que Dupuis ne veut plus que je fasse<br />
deux séries, il préfère que je me concentre sur une seule. Plutôt que de l’abandonner<br />
bêtement, je vais lui vendre Hultrasson mais avec un dessinateur. » J’ai demandé<br />
à réfléchir et, deux jours après, j’ai dit oui. Mais il n’était pas question que je fasse<br />
du Remacle, j’ai voulu le faire à ma façon. Dupuis m’a alors fourni le scénario de<br />
Tillieux, qui était déjà tout écrit. Je ne sais pas si Remacle l’a réellement vendu, mais<br />
Dupuis m’a donné le personnage. » (14) « L’eau de politesse », un grand épisode en<br />
44 planches, paraît dans Spirou entre mars et août 1973, avant d’être publié en album<br />
l’année suivante. Hélas, cette trop longue absence sera fatale à la série : même dans<br />
une maison d’édition comme Dupuis, les miracles ne sont pas monnaie courante…<br />
Un théâtre de marionnettes<br />
C’est à cette époque – en 1964 précisément – que Marcel Remacle décide de<br />
quitter la capitale pour se retirer à Haltinne, dans une région qu’il ne quittera<br />
43
Remacle à 40 ans,<br />
dans le jardin de sa maison<br />
à Haltinne (1966)<br />
Un petit théâtre burlesque...<br />
© Dupuis / Remacle<br />
44
plus : la campagne namuroise. « Plus tard, dira Raymonde, il a même voulu aller<br />
vivre dans les Ardennes, mais moi je ne voulais pas trop m’éloigner de mes<br />
enfants. J’aimais bien Bruxelles, mais mon mari ça ne lui plaisait pas. On l’avait<br />
un peu forcé d’y aller… » (15)<br />
Exit Hultrasson, Remacle va désormais consacrer tout son temps à Barbe-Noire.<br />
L’inspiration comique ne lui manque pas et il entend bien tirer parti de toutes les idées<br />
qui se bousculent dans sa tête. À presque 40 ans, il est à l’apogée de son savoir-faire et<br />
le journal Spirou va se remplir de ses dessins, y compris en première page puisque le<br />
magazine changera de formule en 1965, optant pour une grande illustration de couverture.<br />
Pendant la seconde moitié des années 60, sa production est telle qu’il parvient à<br />
publier pas moins de 7 grandes histoires en 44 planches qui, toutes, feront l’objet<br />
d’un album : « Le trois-mâts fantôme » (1965), « Hultrasson chez les Scots » (1965),<br />
« Les boucaniers » (1966), « Hultrasson perd le Nord » (1966), « Barbe-Noire et les<br />
Indiens » (1967), « Les commandos du Roy » (1968) et « Barbe-Noire aubergiste »<br />
(1970). Marcel Denis, Vicq et Maurice Tillieux lui sont bien sûr d’une aide appréciable,<br />
mais son rythme de travail n’en est pas diminué pour autant.<br />
« De temps en temps, dit-il, j’aime réaliser de courtes histoires sans fil conducteur<br />
mais où les gags sont nombreux. » (3) Les neuf mini-récits qu’il dessine de 1960 à<br />
1965 démontrent en effet que le gag le séduit bien plus que l’intrigue proprement<br />
dite. La suite de sa carrière le confirmera d’ailleurs : pendant les vingt-cinq années<br />
qui suivront, Remacle va fournir à Spirou pas moins de 43 « courts-métrages »<br />
humoristiques consacrés pour la plupart aux déboires de Barbe-Noire et de son<br />
grand-père, tantôt sur terre, tantôt sur mer, tantôt derrière les murs d’un pénitencier<br />
dont ils ne cherchent qu’à s’évader. Le tout représente un total de 272 planches,<br />
dont plus de 80 % seront reprises en albums : « Les mésaventures de Barbe-Noire »<br />
(1969), « Les nouvelles mésaventures de Barbe-Noire » (1976), « Sous les voiles »<br />
(1979), « Barbe-Noire, Hercule et Cie » (1981) et « Barbe-Noire prend des risques »<br />
(1983). Preuve supplémentaire – et paradoxale vu l’image qu’il donne de lui-même –<br />
que Remacle est moins un conteur qu’un humoriste, ces historiettes constituent une<br />
espèce de soupape lui permettant de donner vie aux nombreux gags qui lui passent<br />
par la tête et qu’il n’aura jamais la possibilité d’inclure à ses grands récits.<br />
La bande dessinée et le cinéma sont deux modes d’expression que nombre d’exégètes<br />
ne se privent pas de mettre en parallèle tant leurs convergences sautent aux yeux. Mais<br />
quand on examine l’œuvre de Remacle, c’est plutôt le théâtre qui vient à l’esprit, un<br />
théâtre burlesque constitué de scènes davantage conçues pour focaliser l’attention sur la<br />
gestuelle et le texte que sur le montage et les effets de caméra. À l’exception des navires,<br />
toujours rendus avec beaucoup de réalisme, les décors se limitent souvent à de simples<br />
toiles de fond sans véritable profondeur de champ, devant lesquelles se meuvent les<br />
pantins d’une comédie sciemment codifiée. Ignorant la beauté corporelle, Remacle fait de<br />
ses personnages des caricatures de marionnettes aux attributs interchangeables, tant sur le<br />
plan physique que vestimentaire, comme s’ils étaient rangés dans une armoire, toujours<br />
prêts à être réassemblés au gré de ses besoins. Mais si ce schématisme disharmonieux<br />
confère à son dessin une incontestable raideur, il se révèle, en revanche, très efficace sur<br />
le plan de la lisibilité, particulièrement lors des scènes que lui inspire le dessin animé.<br />
45
Du dessin animé en images fixes : " La prise de Canapêche " (1971) - © Remacle<br />
46
« Il n’y avait pas de prouesses dans son travail, nous dit Leonardo, son dessin était<br />
mécanique, un peu répétitif, sans véritable évolution entre son premier et son dernier<br />
album. Remacle était un « ouvrier » au sens le plus positif du terme, c’est-à-dire un<br />
gars qui travaillait sans vouloir faire de cinéma ni s’encombrer d’idées fumeuses.<br />
Il était simple, sincère et direct, capable de dessiner une image en l’entamant par<br />
le coin inférieur gauche, sans aucune construction ni le moindre crayonné, puis<br />
d’élaborer progressivement son dessin de manière à remplir le reste de la feuille. Et<br />
quand l’image était terminée, tout était parfaitement en place ! Je ne dis pas qu’il<br />
a réalisé toutes ses planches comme ça, mais il était capable de le faire. Remacle<br />
faisait toujours un peu de cirque quand il voulait montrer son habileté autour de<br />
lui. D’après tous les commentaires que j’ai eu l’occasion d’entendre, son dessin<br />
suscitait un réel enthousiasme ou un rejet catégorique. Il y a toujours eu des « fous »<br />
de Remacle et des gens qui le dénigraient totalement. Mais c’était un gaillard qui<br />
dessinait juste et qui maîtrisait parfaitement son trait. » (14)<br />
En revanche, lorsqu’il s’agit d’écrire un scénario, Remacle éprouve du mal à le<br />
construire dans sa globalité, préférant procéder par de multiples croquis disparates en<br />
apparence mais qui, une fois agencés de manière séquentielle, finissent par aboutir<br />
à un ensemble cohérent. « Maurice Tillieux faisait la même chose, dira-t-il. Je faisais<br />
une esquisse de la planche au point que, parfois, je n’arrivais pas à reproduire<br />
une expression que j’avais spontanément jetée sur la feuille. Quelqu’un comme<br />
Goscinny, en revanche, vous livrait un véritable roman à mettre en images. » (4)<br />
Ce manque de structure dans l’élaboration de ses récits aura une conséquence<br />
inattendue au niveau du coloriage, comme nous l’explique Vittorio Leonardo :<br />
« Quand je recevais ses planches, je les lisais très attentivement pour faire mes choix<br />
de couleurs: il changeait constamment d’atmosphère, de lieu ou de temps. Je devais<br />
me concentrer sur le scénario. » (14)<br />
Routine et renommée<br />
Peut-être faut-il voir, dans cette absence de rigueur narrative, la raison pour laquelle Remacle<br />
ne parvient pas à connaître un succès commercial comparable à celui de Franquin, Peyo<br />
ou Roba. « Je n’ai jamais cartonné comme Morris ou Astérix, dira-t-il, mais j’avais un<br />
bon tirage, 50.000 exemplaires, et j’étais toujours bien placé au referendum de Spirou.<br />
Mais Dupuis aurait pu mieux promotionner la série. » (4) De fait, malgré l’avalanche de<br />
situations cocasses qui parsèment ses albums, les ventes ne décollent pas, au contraire.<br />
Mais nous sommes au début des années 70, soit une période au cours de laquelle la<br />
bande dessinée connaît un engouement peu banal et une profonde mutation. Chez<br />
Spirou, la concurrence se révèle plus rude encore que quinze ans auparavant : non<br />
seulement les grands anciens sont toujours là, mais les « seconds couteaux » relèvent<br />
la tête après de longues années de léthargie. Raoul Cauvin d’abord, dont les séries<br />
humoristiques commencent à cartonner et qui entraîne dans son sillage des gens<br />
comme Berck, Mazel, Salvérius et Lambil. Deliège et Degotte ensuite, deux auteurs<br />
47
Deux publications allemandes. - © Rolf Kauka<br />
" Les commandos du Roy " - Édition danoise<br />
(1980) - © Remacle<br />
" Le trois-mâts fantôme "<br />
Édition grecque (1972) - © Remacle<br />
48
complets dont le talent éclate enfin au grand jour, et puis Macherot, toujours présent<br />
malgré le déclin de son graphisme, Jidéhem, à l’apogée de son talent, sans oublier deux<br />
anciens assistants de Peyo que Tillieux prend sous son aile pour les conduire vers le<br />
succès : Gos et Walthéry.<br />
Devant cette pléthore de rigolos, Remacle éprouve beaucoup de mal à se renouveler.<br />
Pour tout dire, il n’y parvient pas. Mais le souhaite-t-il vraiment ? Conscient, peut-être, que<br />
son humour risque de paraître vieillot aux yeux des nouvelles générations de lecteurs, il<br />
s’applique à étoffer sa galerie de marionnettes et à explorer des thèmes plus actuels, comme<br />
les super-héros, les relations hommes-femmes, la science-fiction ou le fantastique. Mais<br />
passé la cinquantaine, hélas, le feu sacré brille par son absence et, malgré l’indéfectible<br />
soutien de Charles Dupuis, qui lui permettra de vivre de son métier jusqu’au bout, les<br />
années 70 et 80 deviendront peu à peu celles de la routine et du renoncement.<br />
Elles démarrent pourtant bien, ces années-là, sur les chapeaux de roues même puisque<br />
Tillieux fournit à Remacle le scénario d’un épisode que beaucoup considèrent comme<br />
le plus drôle de la série : « La prise de Canapêche ». Publiée dans Spirou de mai à<br />
septembre 1971, cette histoire met en scène un Barbe-Noire sur le déclin, en butte aux<br />
injonctions de son grand-père qui l’oblige à accomplir une action d’éclat afin de leur<br />
assurer définitivement le bien-être. Par chance, bon-papa touche les vingt ans d’arriérés de<br />
sa pension de vieillesse et investit l’argent dans l’achat d’un bateau et le recrutement d’un<br />
équipage pour se lancer à la conquête de Canapêche (le port mexicain de Campeche,<br />
évidemment), cité fortifiée où sont entreposées des richesses considérables accumulées<br />
par les Espagnols. Protégée par de puissantes murailles et par une importante garnison<br />
de soldats, la ville est imprenable. Barbe-Noire décide alors d’y pénétrer par ruse pour<br />
en ouvrir les portes. Il se rase donc la barbe et endosse l’uniforme des élèves du Collège<br />
Saint-Remacle ( !) situé à l’intérieur. Hélas pour lui, la discipline scolaire est stricte et la<br />
surveillance plus que sévère. Voilà donc notre pirate forcé d’assister aux cours et de vivre<br />
au pensionnat sans le moindre espoir d’évasion. Cernés par le vieux Nick et les troupes<br />
espagnoles, les pirates qui assiègent la ville sont capturés, de même que Barbe-Noire,<br />
heureux de quitter l’école pour réintégrer le bagne, où il se sent mieux. Menée tambour<br />
battant de la première à la dernière case, cette histoire constitue un nouveau départ pour<br />
la série, et tous les espoirs lui sont permis.<br />
Tout baigne dans l’huile pour Marcel Remacle, puisqu’il se voit, en outre, publié<br />
en Allemagne sous l’impulsion de Rolf Kauka, créateur de la série Fix und Foxi et<br />
figure de proue de l’édition BD d’outre-Rhin. Directeur de nombreux magazines pour<br />
la jeunesse dans lesquels il diffuse les plus grands classiques de la bande dessinée<br />
humoristique franco-belge, Kauka est à la tête d’un véritable empire. De 1966 à<br />
1977, il accueille dans ses pages - et dans un ordre aussi aléatoire que redondant - la<br />
plupart des récits réalisés par Remacle depuis le début de sa carrière, y compris les<br />
aventures d’Hultrasson. Rebaptisée « Old Nick und Schwarzbart », sa série accède<br />
donc à une renommée internationale, qui ne se limitera pas à l’Allemagne, comme<br />
le souligne Thierry Tinlot : « Mine de rien, hors des éditions Dupuis en français et<br />
en néerlandais, ses albums ont été adaptés en Allemagne, en Espagne, en Italie,<br />
en Angleterre, en Yougoslavie, dans les pays scandinaves et en Argentine ! » (7)<br />
Ajoutons-y la Grèce et l’Indonésie, sans aucune certitude que la liste soit complète…<br />
49
Première apparition de Lucifer : " Sous la griffe de Lucifer " (1974) - © Remacle<br />
Barbe-Noire, Tantine et Hercule : " Tantine vend la mèche " (1979) - © Remacle<br />
50
Mais si la renommée de Marcel Remacle se porte bien, sa production faiblit : même<br />
si son graphisme ne montre jamais le moindre signe de faiblesse, son inspiration se<br />
tarit et la démotivation le guette. Pendant les vingt dernières années de sa carrière, sa<br />
production dépassera à peine la moitié de celle de la décennie précédente. Sa série<br />
affiche pourtant une assez belle santé, mais il lui manque un scénariste susceptible de<br />
lui offrir un nouveau dynamisme. Accaparé par d’autres séries (Gil Jourdan, Natacha,<br />
Tif et Tondu, Jess Long…), Maurice Tillieux n’a plus le temps de se consacrer à Barbe-<br />
Noire et Remacle se voit contraint de présider seul aux destinées de ses personnages.<br />
Franc-tireur de l’école Dupuis, le créateur du Vieux Nick vivra donc à l’écart de la place<br />
publique, refusant d’acquitter la rançon d’une gloire qui s’est toujours fait attendre.<br />
Nouvelles têtes, nouveaux thèmes<br />
« Barbe-Noire devenant de moins en moins méchant et de plus en plus idiot, la série changera<br />
à nouveau de cap avec l’apparition d’un vrai méchant en la personne de Lucifer, un pirate<br />
qui n’aura de cesse de damer le pion autant au vieux Nick qu’à Barbe-Noire. C’est au n°<br />
1880 du 25 avril 1974 que démarre dans Spirou « Sous la griffe de Lucifer » (12).<br />
Sorte de Méphistophélès de pacotille sorti tout droit d’un opéra de Gounod, Lucifer<br />
n’en impressionne pas moins par son aspect diabolique et son arrogance conquérante.<br />
Toutes canines dehors, vêtu d’une cape rouge, d’un collant noir et d’une cagoule<br />
munie de cornes, il arbore fièrement son initiale sur le torse à la manière de Superman.<br />
Souple, insaisissable, doté d’une agilité hors du commun et d’une technique de pillage<br />
imparable, il terrorise partout où il apparaît, propulsé dans les airs par un canon<br />
d’une précision extrême. Son but est simple : s’associer au gratin de la piraterie pour<br />
dominer le monde. « Avec un allié pareil, dit bon-papa, notre fortune est faite ! » Vexé<br />
par la supériorité physique et intellectuelle de ce rival condescendant, Barbe-Noire<br />
reprend du poil de la bête. Dans un sursaut d’orgueil, et au prix de quelques gaffes<br />
monumentales sans lesquelles il ne serait plus lui-même, notre pirate parviendra à<br />
le rouler, et même à le ridiculiser, au grand bonheur de son grand-père : « Bravo<br />
gamin !! Voilà comme je t’aime ! Nerveux ! Audacieux ! Prétentieux ! »<br />
Lucifer apparaît dans les quatre derniers albums de long métrage et donne à la série un<br />
nouveau souffle, témoignant du souci de son auteur de réserver une part plus importante<br />
à l’action proprement dite, comme dans les toutes premières aventures du vieux Nick.<br />
« Sous la griffe de Lucifer » (1974) est un concentré de ses exploits, « La princesse et le<br />
pirate » (1976) relate l’enlèvement de la fille du Roy contre une rançon pharaonique dont<br />
Lucifer ne verra pas la couleur, « Le mal étrange » (1981) le voit utiliser les services d’un<br />
savant biologiste pour plonger ses adversaires en léthargie et « L’île rouge » (1984) voit sa<br />
puissance réduite à néant par Barbe-Noire grâce à l’aide d’une troupe de fantômes.<br />
Retour à l’aventure, donc, mais également aux sources documentaires de son travail.<br />
Remacle est un spécialiste de la marine à voiles, et il entend bien le montrer : en 1977 et<br />
1978, il publie dans Spirou quatre courts récits consacrés aux conditions de vie très rudes<br />
des marins sur les grands navires de l’époque, développant les thèmes qu’il avait esquissés<br />
51
Extrait du synopsis de l’émission " La bande à Bédé " n o 79 (vers 1984)<br />
© France Télévision / Remacle<br />
52
en 1959 dans « Les mangeurs de citron ». Après s’être attardé sur le sort des enfants employés<br />
comme mousses, il se penche sur le sort diamétralement opposé des jeunes aspirants issus<br />
de la noblesse, véritables enfants-rois aussi autoritaires que capricieux, suscitant la crainte<br />
des membres de l’équipage. Son exposé se termine par un condensé d’ingénierie navale,<br />
le tout baignant dans un humour débridé qui ne perd jamais ses droits. Sévère à l’extérieur,<br />
comique à l’intérieur : voilà qui résume Remacle en quelques mots.<br />
Commentés par Barbe-Noire lui-même, ces documentaires cocasses seront réunis dans<br />
un album qui figure parmi les préférés du dessinateur et qui sera publié l’année suivante :<br />
« Sous les voiles ». C’est dans ce même album qu’apparaît un personnage destiné à<br />
pourrir davantage encore la vie de notre pirate, un exécrable nabot nommé Hercule<br />
qui, à l’instar du Billy the Kid de Morris et Goscinny, règne en tyran sur une bourgade<br />
où Barbe-Noire et son grand-père veulent prendre quelques jours de repos. Estimant<br />
peut-être que « bon-papa joli » a épuisé son stock de baffes, Remacle met dans les<br />
pattes du « gamin » un petit teigneux beaucoup plus costaud et autoritaire que l’aïeul.<br />
Perfide et manipulateur, Hercule deviendra le compagnon de cellule de Barbe-Noire,<br />
élaborant des projets d’évasion plus foireux les uns que les autres, avec la complicité<br />
de sa « tantine », aussi difforme et repoussante que lui et qui, un malheur n’arrivant<br />
jamais seul, va s’enticher d’un Barbe-Noire qui n’avait décidément pas besoin de ça.<br />
Les déboires pénitentiaires de ce trio infernal font l’objet de plusieurs histoires courtes<br />
que l’on retrouve en majorité dans l’album « Barbe-Noire, Hercule et Cie » (1981).<br />
Le calme et la tempête<br />
En 1980, Marcel Remacle quitte Haltinne pour s’installer définitivement à Evelette,<br />
un petit hameau situé dans la commune d’Ohey, à quelques kilomètres de là.<br />
Lucide, il se rend compte que ses efforts pour relancer sa série sont resté vains : les ventes<br />
continuent à baisser inexorablement. Malgré sa notoriété et l’estime que lui garde un<br />
lectorat resté fidèle, Remacle sait qu’il n’entrera jamais dans la cour des grands. Est-il<br />
pour autant tombé dans l’oubli ? Loin de là : nul n’étant prophète en son pays, c’est<br />
une fois encore à l’extérieur de nos frontières que se manifeste l’intérêt pour son œuvre.<br />
La chaîne de télévision française Antenne 2 produit, dans les années 80, une émission<br />
pour enfants appelée « Récré A2 ». Animée par la célèbre Dorothée, elle propose une<br />
rubrique consacrée aux vedettes du neuvième art, intitulée « La bande à Bédé ». Pour leur<br />
79e numéro, les producteurs décident de rendre hommage au vieux Nick et contactent<br />
Marcel Remacle, qui leur donne bien évidemment le feu vert. « Jamais je n’aurais accepté<br />
de passer à la TV, dira-t-il, je suis bien trop timide… » (4) Fort heureusement, il ne s’agit<br />
pas ici de placer l’auteur devant les caméras, mais de réaliser une semi-animation au<br />
départ de la bande dessinée elle-même, avec chansons à la clé. Cinq albums, savamment<br />
refondus en une séquence de 10 minutes à peine, vont en fournir la matière première :<br />
« Pavillons noirs », « Le vaisseau du diable », « Les mangeurs de citron », « L’île de la<br />
Main Ouverte » et « Barbe-Noire, Hercule & Cie ». Un tour de force que Remacle saluera<br />
d’un commentaire plus que laconique : « Ils se sont foulés. » (4)<br />
53
Marcel Remacle par le peintre David Little (Portrait au pastel, 1985)<br />
54
En 1985, coup de théâtre : la famille Dupuis vend l’entreprise au Groupe Bruxelles-<br />
Lambert, aux Éditions Hachette et aux Éditions Mondiales.<br />
Pour Marcel Remacle, c’est un peu le monde qui s’écroule. Quand une série plaisait à<br />
Charles Dupuis, il ne se préoccupait pas trop de savoir si elle serait rentable ou non, mais<br />
avec les repreneurs, la musique est différente : les nouveaux gestionnaires sont des gens<br />
pragmatiques bien éloignés de l’esprit familial qui règne dans l’entreprise depuis plus de 60<br />
ans. La BD est désormais un produit de consommation à traiter comme tel, en développant<br />
une politique de promotion et de publicité plus professionnelle que par le passé.<br />
Jusqu’en 1990, Remacle livre encore 76 planches au journal Spirou mais, privé du<br />
soutien de Charles Dupuis, il n’est plus édité en albums. Pire : « il connaît l’humiliation<br />
(mais il n’est pas le seul) de voir ses albums pilonnés pour cause d’absence de<br />
rentabilité. » (12) Si bien que « les albums du vieux Nick et de Barbe-Noire sont<br />
aujourd’hui une denrée rare, un Graal à quêter chez les bouquinistes. » (9) Les<br />
remous qui secouent l’entreprise et le rachat qui s’ensuit perturbent Marcel Remacle<br />
et le démotivent à un point tel qu’il restera plus de trois ans sans rien produire, entre<br />
1985 et 1987. « Il achève sa carrière au journal Spirou dans la plus totale discrétion<br />
et semble même avoir été oublié de son vivant », écrit un internaute (12).<br />
Mais il est bien difficile, quand on possède le virus du dessin, de poser son crayon<br />
en attendant calmement la retraite. À l’approche de la soixantaine, Remacle va faire<br />
quelque chose qu’il n’a jamais fait auparavant : suivre des cours de dessin et de peinture.<br />
« À Andenne, se souvient Raymonde, mon mari était ami avec un photographe qui<br />
tenait une galerie d’art dans son magasin. Nous allions souvent voir les artistes qui<br />
venaient exposer leurs toiles, et nous avons sympathisé avec David Little, un peintre<br />
anglais installé dans la région. » (15) David St Louis Little a étudié à la Laird School of<br />
Art et au Liverpool College of Art. Après avoir enseigné les beaux arts pendant quinze<br />
ans, il s’est consacré à la peinture à temps plein. Il a exposé aux Etats-Unis, au Canada,<br />
au Royaume-Uni, en Italie, en Allemagne, en Hongrie, en France et en Belgique. Il<br />
vit et travaille à Thon, un des « plus beaux villages de Wallonie », situé dans la vallée<br />
du Samson (18). David Little accueille donc Remacle parmi ses étudiants. Dans le<br />
courriel qu’il nous adresse le 14 novembre 2012, le peintre évoque la personnalité<br />
de son ancien élève et ami, gardant de lui le souvenir d’un homme inquiet, aussi peu<br />
loquace que confiant envers lui-même. En 1985, il réalise au pastel un joli portrait de<br />
Marcel Remacle que nous sommes ravis de pouvoir vous montrer.<br />
Il est amusant d’établir un parallèle avec Marcel Denis qui, lui aussi, s’est tourné vers les<br />
cours de dessin quand il s’est retrouvé sans travail vers la même époque : « J’ai profité<br />
de mes loisirs forcés pour me mettre à la peinture parce que ça me tentait depuis<br />
longtemps. C’était juste pour me trouver une occupation parce que c’est pénible de<br />
rester inactif, vous savez ! Il fallait que je dessine, que je travaille… » (5)<br />
Après trois années d’amertume et de lassitude, Marcel Remacle se remet à la bande<br />
dessinée. Par nécessité sans doute, mais aussi un peu par nostalgie puisqu’il tente de<br />
relancer Bobosse, sa toute première série, sous forme de gags en une planche. Les a-t-il<br />
présentés chez Dupuis ou précieusement gardés au fond d’un tiroir ? Nous n’en savons rien,<br />
55
La toute dernière case des aventures du Vieux Nick : " La baleine jaune " (1990) - © Remacle<br />
Un Bobosse " new look " (1988) - © Remacle<br />
56
sinon que les quatre planches dont nous avons retrouvé copie n’ont jamais été publiées<br />
nulle part. Mais Barbe-Noire, lui, revient dans Spirou pour un dernier tour de piste, avec<br />
quatre histoires complètes de huit planches chacune et un ultime grand épisode intitulé<br />
« La baleine jaune », dans lequel on retrouve avec plaisir le vieux Nick et bon-papa, mais<br />
aussi Sébastien le harponneur, absent de la série depuis près de vingt ans. Inspiré du célèbre<br />
« Moby Dick » d’Herman Melville, ce récit nous montre l’acharnement de deux capitaines<br />
– dont Barbe-Noire – obsédés par la vengeance et prêts à tout pour détruire une énorme<br />
baleine responsable de la perte de leurs navires. Au bout de 44 planches d’une finesse de<br />
trait exceptionnelle, la farce est définitivement jouée. Après avoir triomphé une dernière fois<br />
de Barbe-Noire, le vieux Nick nous quitte le sourire aux lèvres, satisfait d’avoir accompli le<br />
plus agréable de ses devoirs : celui de nous amuser. Rideau.<br />
La fin du voyage<br />
En 1991, Marcel Remacle a 65 ans. L’âge de la retraite ayant sonné, il ne reprendra<br />
plus son crayon que pour répondre aux demandes de dédicaces qui lui parviennent<br />
régulièrement, entre autres d’Allemagne où il conserve de fervents admirateurs.<br />
Jugeant qu’il serait anormal et injuste de ne pas rendre hommage à cet enfant du<br />
pays, le quotidien Vers l’Avenir lui consacre une demi-page bourrée d’anecdotes et de<br />
commentaires savoureux. Pour la première fois, semble-t-il, Remacle accepte de parler de<br />
lui sur un ton plus confidentiel que de coutume : « Vous savez, une vie d’un dessinateur,<br />
c’est très banal. On ne voit pas grand monde. On se lève le matin, on dessine, ou alors<br />
s’il fait beau, on va à la pêche. Un matin, on reçoit un courrier qui nous informe que la<br />
série est « replacée » quelque part en Allemagne. Et voilà deux millions qui tombent tout<br />
seuls, à partager avec l’éditeur. C’est qu’on est des commerçants aussi… » (4)<br />
Vittorio Leonardo fait partie des gens qui refusent de voir Remacle tomber dans l’oubli :<br />
en 1991 et 1992, il tente de relancer la série avec l’éditeur toulonnais MC Productions.<br />
« J’ai eu beaucoup plus de contacts avec Remacle qu’à l’époque Dupuis, il venait<br />
souvent chez moi avec sa femme. » (14) Six albums se verront ainsi réédités sous le label<br />
« Jourdan », prénom du fils de Leonardo en hommage, peut-être, à Maurice Tillieux : «<br />
La prise de Canapêche », « Barbe-Noire joue et perd », « Le feu de la colère », « Sous la<br />
griffe de Lucifer », « Les nouvelles mésaventures de Barbe-Noire » et « Sous les voiles ».<br />
L’initiative est excellente, mais elle arrive trop tôt : commercialement, c’est l’échec. Ces<br />
beaux albums cartonnés prennent rapidement la direction des solderies alors que les<br />
éditions allemandes, elles, continuent d’afficher une forme olympique.<br />
Marcel Remacle aura, une dernière fois, l’occasion de sortir de sa réserve et de<br />
s’exprimer en laissant parler son cœur comme il l’a fait trois ans plus tôt lors de<br />
l’exposition consacrée à Marcel Denis. Le 10 juin 1995, Charles Dupuis fête ses 77 ans,<br />
trop âgé pour lire un magazine de la concurrence qui, de toute manière, n’existe plus,<br />
mais assez jeune pour savourer pleinement les hommages qui lui sont adressés. Celui<br />
de Marcel Remacle, particulièrement chaleureux, prouve que sous une armure de béton<br />
se cache un homme sensible et reconnaissant : « Quand on dessine comme ça, on doit<br />
pouvoir vivre de sa plume ! C’est en 1955, à Marcinelle, cher Monsieur Dupuis, que<br />
57
Jaquette du dessin animé réalisé<br />
par Marcel Remacle en 1998<br />
© Remacle<br />
Marcel et Raymonde en juillet 1991 - Photo : Benoît Mariage - © Vers l’Avenir<br />
58
vous m’avez adressé ces paroles encourageantes et pleines de promesses… Le vieux<br />
Nick, Barbe-Noire et les autres, réunis en 32 épisodes, sont là pour démontrer votre<br />
perspicacité ! Merci de m’avoir donné la chance d’emprunter le merveilleux chemin<br />
de la bande dessinée !! Heureux anniversaire et longue vie, cher Monsieur Dupuis. »<br />
Remacle ne dessine pratiquement plus, mais il lui est impossible de rester inactif.<br />
Même retraité, il reste un créateur d’univers, un poète à sa manière, oserait-on dire, qui<br />
utilise ses mains pour exprimer les images qui lui trottent dans la tête. Tantôt il fabrique<br />
des personnages en mie de pain, qu’il dispose sur un terrain de football ou dans les<br />
allées d’un jardin japonais, tantôt il se passionne pour les possibilités que lui offrent<br />
les techniques audiovisuelles. Tous les jours, inlassablement, pendant plus d’un an, il<br />
va réaliser entièrement seul l’adaptation en dessin animé d’un de ses albums qui s’y<br />
prête à merveille : « Les boucaniers ». Le procédé est rudimentaire, mais Remacle en<br />
tire le maximum, avec l’enthousiasme et le dynamisme d’un adolescent qui découvre un<br />
nouveau jouet. Sur la bande-son, tous les personnages s’expriment d’une seule et même<br />
voix, la sienne, avec un accent wallon à couper au couteau, assez peu fréquent, avouonsle,<br />
sur une île des Caraïbes au 18 e siècle ! Quand on voit le zèle apporté à ce dessin animé<br />
sans prétention, on imagine aisément les prouesses qu’il aurait pu réaliser par la suite si<br />
la vie lui en avait laissé le temps.<br />
Marcel Remacle s’éteint le 16 décembre 1999, presque au terme de sa 74 e année, sans<br />
avoir pu atteindre la reconnaissance dont il rêvait à l’époque où il s’ennuyait dans son<br />
salon de coiffure. Il aura livré plus de 1.800 planches au journal Spirou et publié de son<br />
vivant une petite cinquantaine d’albums en langue française, et de nombreux autres à<br />
travers toute l’Europe et au-delà. Peu de dessinateurs peuvent s’enorgueillir d’un tel bilan.<br />
« Remacle restera dans l’histoire de la BD comme l’un des ténors de la BD classique,<br />
celle qui a fait rire des générations d’impertinents gamins ! », écrira Thierry Tinlot (7).<br />
Ses bandes dessinées auront sans doute souffert de sa nature misanthrope, le privant ainsi d’un<br />
succès populaire auquel son talent pouvait légitimement prétendre. Aucun de ses personnages,<br />
en effet, ne suscite la moindre empathie chez le lecteur, mais il serait malvenu de lui en faire<br />
grief : « Ce que l’on te reproche, cultive-le, c’est toi-même », disait Cocteau. Remacle n’a<br />
jamais cherché à être autre chose que Remacle, et son œuvre gagne en cohérence ce qu’elle<br />
perd en humanisme. Laissons à Henri Filippini le soin de conclure : « Humble architecte d’un<br />
univers simple mais pas simpliste, il peut aujourd’hui figurer sans rougir en bonne place<br />
dans la galerie des honnêtes artisans qui ont contribué à écrire l’histoire de Spirou. » (11)<br />
De 2005 à 2008, de petites maisons d’édition comme « Le Coffre à BD », « Taupinambour »<br />
et « La Vache qui Médite », ont imprimé deux albums de Bobosse, quatre albums du Vieux<br />
Nick et un album de Tif et Tondu. Cette activité éditoriale posthume démontre, malgré son<br />
caractère confidentiel, tout l’intérêt que l’on porte désormais aux bandes dessinées de<br />
Marcel Remacle. À l’heure où nous écrivons ces lignes, elles attendent toujours d’être<br />
rééditées.<br />
A bientôt peut-être, Marcel Remacle.<br />
59<br />
C.J.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ET AUTRES…<br />
(1) Marcel Remacle, de geestelijke vader van Ouwe Niek en Zwartbaard !, in<br />
Robbedoes, wekelijks, nr 1184, 22 december 1960, Marcinelle : Dupuis, ill.<br />
(2) Yvan DELPORTE - La forêt silencieuse / par Remacle. – Marcinelle : Dupuis,<br />
1966. - 118 p. : ill. ; 19 cm. - (Gag de Poche ; 51). – 4e plat de couverture : Marcel<br />
Remacle.<br />
(3) François-Xavier BURDEYRON - L’âge d’or du Journal Spirou, / François-Xavier<br />
Burdeyron. – Marseille : Bédésup, 1988. - 128 p. : ill., ; 30 cm. - (Contreplongée). –<br />
pp. 71-79 : Remacle.<br />
(4) Xavier DISKEUVE - Marcel Remacle et Barbe-Noire le pirate ont pris leur retraite<br />
à Libois, dans Vers l’Avenir, quotidien, n° 153, 3 juillet 1991, Namur : Vers l’Avenir,<br />
pp. 1 & 3.<br />
(5) Christian JASMES – Entretien avec Marcel Denis, dans L’Âge d’Or, trimestriel,<br />
n° 27, avril-mai-juin 1993, Mont-sur-Marchienne : L’Âge d’Or, pp. 21-33.<br />
(6) Louis CANCE – Remember : Remacle, dans Hop ! Revue d’information et d’études<br />
sur la B.D., trimestriel, n° 84, 4e trimestre 1999, Aurillac : A.E.M.E.G.B.D., p. 56, ill.<br />
(7) Thierry TINLOT - Marcel Remacle est parti à l’abordage !, dans Spirou,<br />
hebdomadaire, n° 3228, 23 février 2000, Marcinelle : Dupuis, p. 22, ill.<br />
(8) Stéphane L. – Interviews BD : Denis, Marcel, sur http://www.bdtour.be/default.<br />
aspx?section=interviews&interId=16, septembre 2011, ill.<br />
(9) Yann SERRA – Rétro-BD : Le Vieux Nick… ou plutôt Barbe-Noire, dans Bédéka.<br />
Le magazine de ceux qui aiment la BD, mensuel, n° 9, novembre 2004, Toulouse :<br />
Bédéka, pp. 70-71, ill.<br />
(10) Hugues DAYEZ – Les aventures d’un journal : Un pirate envahissant, dans<br />
Spirou, hebdomadaire, n° 3714, 17 juin 2009, Marcinelle : Dupuis, p. 33, ill.<br />
(11) Henri FILIPPINI – Série culte : Le Vieux Nick. Le troisième âge prend la mer,<br />
dans dBD. L’actualité de toute la bande dessinée, mensuel, n° 42, avril 2010,<br />
Boulogne-Billancourt : DBD S.A.R.L., pp. 92-95, ill.<br />
(12) Prof. PIGLING – Marcel Remacle, sur http://www.inedispirou.com/forum/<br />
viewtopic.php?f=46&t=1756, janvier-février 2012, ill.<br />
(13) Extrait d’un entretien de l’auteur avec Maurice ROSY, juillet 2012.<br />
(14) Extrait d’un entretien de l’auteur avec Vittorio LEONARDO, 5 juillet 2012.<br />
(15) Extrait d’un entretien de l’auteur avec Mme Raymonde <strong>REMACLE</strong>, 6 août 2012.<br />
(16) Extrait d’une lettre de Raoul CAUVIN adressée à l’auteur, 15 octobre 2012.<br />
(17) Extrait d’un entretien de l’auteur avec François WALTHÉRY, 24 octobre 2012.<br />
(18) David LITTLE, 11 rue des Sarrazins – 5300 Thon - Source : http://www.quefaire.<br />
be/peintures-de-david-little-238053.shtml<br />
60
LES ALBUMS DE <strong>MARCEL</strong> <strong>REMACLE</strong><br />
(Seules les premières éditions sont prises en compte)<br />
Le vieux Nick et Barbe-Noire (Ed. Dupuis)<br />
1 – Pavillons Noirs (1960)<br />
2 – Le vaisseau du Diable (1960)<br />
3 – Les mangeurs de citron (1961)<br />
4 – L’île de la Main Ouverte (1962)<br />
5 – Les mutinés de la Sémillante (1962)<br />
6 – Dans la gueule du dragon (1963)<br />
7 – Aux mains des Akwabons (1964)<br />
8 – Sa majesté se rebiffe (1964)<br />
9 – L’or du « El Terrible » (1965)<br />
10 – Le trois-mâts fantôme (1967)<br />
11 – Les boucaniers (1967)<br />
12 – Barbe-Noire et les Indiens (1968)<br />
13 – Les mésaventures de Barbe-Noire (1969)<br />
14 – Les commandos du Roy (1969)<br />
15 – Barbe-Noire aubergiste (1971)<br />
16 – La prise de Canapêche (1972)<br />
17 – Barbe-Noire joue et perd (1973)<br />
18 – Le feu de la colère (1974)<br />
19 – Sous la griffe de Lucifer (1975)<br />
20 – Les nouvelles mésaventures de Barbe-Noire (1976)<br />
21 – La princesse et le pirate (1978)<br />
22 – Sous les voiles (1979)<br />
23 – Barbe-Noire, Hercule et Cie (1981)<br />
24 – Le mal étrange (1982)<br />
25 – Barbe-Noire prend des risques (1983)<br />
26 – L’île rouge (1985)<br />
Hultrasson le Viking (Ed. Dupuis)<br />
1 – Fais-moi peur, Viking ! (1965)<br />
2 – Hultrasson chez les Scots (1967)<br />
3 – Hultrasson perd le nord (1968)<br />
Bobosse (Ed. Le Coffre à BD / Taupinambour)<br />
1 – La forêt silencieuse (2005)<br />
2 – Les évadés de Trifouillis (2007)<br />
Tif et Tondu (Ed. La Vache qui Médite)<br />
Ne tirez pas sur « Hippocampe » ! (2007)<br />
61
Collection « Gag de Poche » (Ed. Dupuis)<br />
4 – Pavillons noirs (1964)<br />
8 – L’humour prend la mer (1964)<br />
42 – Le vaisseau du Diable (1965)<br />
51 – La forêt silencieuse (1966)<br />
Mini-bibliothèque Spirou (Ed. Dupuis)<br />
35 – L’îlot mouvant (1960)<br />
57 – La vérité sur Barbe-Noire (1961)<br />
69 – Barbe-Noire contre Nez Bleu (1961)<br />
75 – Mini-histoire de la marine à voile (1961)<br />
97 – Le petit manuel du parfait naufragé (1962)<br />
108 – Les frères de la côte (1962)<br />
182 – 32 pages avec les premiers hommes (1963)<br />
197 – Les blaireaux sont fatigués (1963)<br />
276 bis – Barbe-Noire rêve de vacances (1965)<br />
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Cet ouvrage a été imprimé en Belgique par l’Imprimerie Artisanale<br />
à Nivelles (Brabant wallon) en mars 2013<br />
Ed.responsable : Silvana Mei<br />
Mise en page et composition graphique : Bernard Verstraete<br />
Dépôt légal : D/2013/4966/1