Les Nantais - Éditions D'orbestier
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16 <strong>Les</strong><br />
<strong>Nantais</strong>
��La Bouillotte, l’orfèvre de la jaille<br />
Qui n’a pas rencontré ce personnage populaire digne d’illustrer les œuvres de Rabelais, poussant sa charrette à bras sur laquelle il chargeait<br />
les rebuts des caves et des greniers qu’il allait revendre ensuite aux « puces » le samedi matin ? C’est la question que se pose un<br />
journaliste à l’heure de la mort de la Bouillotte le 9 février 1975.<br />
De son vrai nom Jean Orthion, né le 13 décembre 1908 à Nantes, ce personnage symbolisait à lui tout seul le petit monde des brocanteurs<br />
nantais et bien au-delà. Avec la disparition de cette silhouette de la place Viarme, c’est un peu du vieux Nantes qui s’en est allé.<br />
Ne sachant ni lire ni écrire, il attachait un certain prix aux livres puisqu’il en mettait en vente au milieu de son étal. Ses copains rédigeaient<br />
les tableaux d’affichage chargés de vanter sa marchandise. <strong>Les</strong> chalands se sont souvent esclaffés devant ces inscriptions qui, à<br />
l’insu du marchand, recélaient quelques plaisanteries. Vêtu d’un éternel bleu de travail, les pieds nus dans des sabots, cet orfèvre de la<br />
jaille déplaçait sa stature colossale avec une robuste dignité. De sa voix de stentor, il faisait l’éloge des objets hétéroclites dont il était<br />
le spécialiste incontesté : pique-feu, chenets et, bien sûr, ronds de cuisinière. Ce maître de la ferraille vivait ainsi en marge de la société<br />
aussi bien par goût naturel que par un refus affirmé d’une vie conventionnelle. Chacun connaissait celui qui, à l’occasion, renvoyait les<br />
ballons perdus des tribunes du stade Marcel-Saupin.<br />
La Bouillotte a arrêté la brocante le 2 juillet 1973 pour un repos bien mérité à l’hôpital de Pornic. Deux ans plus tard, malade, admis à<br />
Saint-Jacques, il disparaissait.<br />
17
28 <strong>Les</strong><br />
�Gérard Mellier et le commerce du «bois d’ébène»<br />
Nommé maire en 1720, Gérard Mellier (1674-1729) a été successivement<br />
trésorier de France et trésorier général de Bretagne. Sous son mandat, il<br />
fera aplanir la motte Saint-Pierre, située derrière la cathédrale, qu’il<br />
entourera de murailles et qui deviendra le cours Saint-Pierre. Seront<br />
construits la bourse, le jardin botanique, l’académie de musique ainsi<br />
que le quartier de l’île Feydeau où vont habiter les plus riches armateurs<br />
de Nantes. Ils seront 24, dont les familles Deurbrouck, Espivent de la<br />
Villesboinet ou Sarrebourse d’Auteville. Gérard Mellier, fervent défenseur<br />
de la traite esclavagiste, a notamment déclaré : « <strong>Les</strong> pays d’Afrique<br />
sont si nombreux qu’il leur serait difficile de subsister si, par le trafic<br />
des esclaves, ils n’étaient déchargés tous les ans d’une partie de ceux<br />
qui les habitent ».<br />
Nantes est alors, de tous les ports du monde, la ville qui se livre le plus<br />
activement à la traite des noirs, dit aussi « commerce triangulaire » ou<br />
commerce du « bois d’ébène ». Paradoxalement, Mellier octroie une<br />
enveloppe de 1 000 livres pour les déshérités errants de Nantes mais, en<br />
contrepartie, ils doivent balayer les places publiques. En gage de reconnaissance<br />
- ou de réciprocité - ses concitoyens lui voteront une pension<br />
de 1 000 livres.<br />
�Daniel de Kervégan, défenseur du port négrier<br />
Son nom, attribué à l’artère principale qui coupe en deux l‘île Feydeau,<br />
est connu de tous les <strong>Nantais</strong>. Christophe-Clair Daniel de Kervégan<br />
(1735-1817), issu d’une famille de négociants, est élu 88e maire de<br />
Nantes, le 20 août 1789. Son conseil se compose de bourgeois nantais,<br />
de médecins et de négociants. Deux ans plus tard, ce sera au tour de<br />
l’avocat Gaston Baco de la Chapelle d’être élu maire. <strong>Les</strong> deux hommes<br />
se serrent les coudes pour maintenir l’activité du port et particulièrement<br />
le trafic négrier. Selon Gaston Martin, de 1700 à 1791, 450 000<br />
esclaves ont été transportés par des armateurs nantais, pour un total<br />
d’environ 1300 expéditions. Des grandes familles telles que celle de René<br />
Montaudouin ou de Guillaume Grou1 ainsi que les Lévesque, Haentjens,<br />
Delaunay, Prudhomme-Fontenay, Leroux ou Espivent y ont participé. La<br />
convention abolira l’esclavage en février 1794 mais Bonaparte le rétablira<br />
en mai 18022 .<br />
Parallèlement au municipe de Daniel de Kervégan, le 15 janvier 1790 le<br />
comté nantais devient le département de Loire-Inférieure et se divise en<br />
neuf districts - dont les chefs-lieux sont alors Ancenis, Blain,<br />
Châteaubriant, Clisson, Guérande, Machecoul, Nantes, Paimbœuf,<br />
Savenay. 56 cantons et 208 communes. Nantes prospère en cette fin du<br />
XVIII e siècle et compte 80 000 habitants. Daniel de Kervégan sera réélu<br />
maire de Nantes en 1797 puis président du conseil général en 1800. Il a<br />
été immortalisé par le peintre François Sablet.<br />
1- Guillaume Grou a bâti son immense fortune sur le commerce des esclaves noirs. En 1790,<br />
à l’âge de 72 ans, sentant sa fin approcher et ayant sans doute beaucoup à se faire pardonner,<br />
il rédige son testament devant notaire. L’un de ses legs, 200000 livres, est destiné à la construction<br />
d’un orphelinat. Un autre, de l’ordre de 30 000 livres, va à l’Hôtel-Dieu mais avec, à la clé,<br />
une messe hebdomadaire à perpétuité, ainsi qu’au Sanitat et à la paroisse Saint-Nicolas avec<br />
à chaque fois la charge d’un office mensuel à perpétuité. Il meurt quatre ans plus tard.<br />
2 - En France, il faut attendre le décret d’abolition de l’esclavage du 27 avril 1848, initié par<br />
Victor Schoelcher, pour mettre fin à ce crime contre l’humanité.<br />
<strong>Nantais</strong>
�Quand les <strong>Nantais</strong> étaient fans de Cambronne !<br />
Longtemps, au dos de sa statue, il y eut un kiosque à musique où<br />
venait jouer la fanfare du 65e Régiment d’Infanterie. Dans ce cours<br />
Cambronne, l’un des squares du centre-ville de Nantes, le général<br />
culmine à 6,10 mètres de hauteur depuis 1848. Promenade des<br />
<strong>Nantais</strong>, c’est aussi une bouffée d’oxygène entre deux rangées de<br />
superbes immeubles dans l’esprit du Palais-Royal de Paris.<br />
Pierre-Jacques-Étienne Cambronne est né le 26 décembre 1770,<br />
quai de l’hôpital, à Nantes. Il s’y éteindra 72 ans plus tard, le<br />
29 janvier 1842. Après des études au collège de l’Oratoire de<br />
Nantes, il s’engage en qualité de grenadier dans le 1er bataillon de<br />
Maine-et-Loire. Il prend part aux guerres de Vendée et gravit<br />
ensuite tous les grades, participe à de nombreuses campagnes<br />
jusqu’à la défaite de Waterloo. Le cri de « la garde impériale<br />
meurt et ne se rend pas » lui a été attribué par un rédacteur du<br />
« Journal Général de France » le 21 juin 1815. Sauf que<br />
Cambronne n’a pas été tué mais fait prisonnier. C’est la version<br />
du colonel Hugh Halkett, un Écossais, qui affirma qu’au moment<br />
de la capture, Cambronne se trouvait hors du carré de la garde.<br />
Alors ? Ce n’était pas fini puisque le mot « merde », lancé aux<br />
Anglais, allait accentuer de plus belle la légende, bien que<br />
Cambronne le contestât jusqu’à sa mort.<br />
Il est enterré au cimetière Miséricorde.<br />
Le sculpteur nantais Jean Debay, à qui l’on doit la décoration du<br />
passage Pommeraye, a réalisé la statue du général chéri des<br />
<strong>Nantais</strong>. Léon Brunschvig raconte que « la foule courait audevant<br />
de lui quand il marchait dans la rue, l’entourait et le<br />
saluait de ses acclamations ».<br />
29
�Au temps des grands entrepreneurs<br />
<strong>Les</strong> <strong>Nantais</strong> sont entreprenants. Ils ont<br />
pour nom Lefèvre-Utile, Decré, Dubigeon,<br />
Saupiquet, Say, Biette, Amieux, Carnaud,<br />
Cassegrain, Crouan, Haentjens, Lévesque,<br />
Paris, Pergeline, Riom, Sarradin ou Voruz.<br />
Ces hommes ont donné leurs lettres d’or à<br />
l’industrie de Nantes, fille du négoce, au<br />
XIX e siècle, allant de la construction de<br />
bateaux aux conserves de petits pois, du<br />
sucre aux engrais. « Le développement<br />
économique de la ville n’a jamais cessé de<br />
s’organiser autour de son port, installé en<br />
fond d’estuaire comme un port maritime,<br />
puis comme un « port industriel », écrit le<br />
professeur Jean-Pierre Machelon dans<br />
« Capitaine d’industrie à Nantes au<br />
XIX e siècle », ouvrage d’Yves Rochcongar.<br />
Sur l’image ci-dessous, nous ne sommes<br />
pas à Nantes mais près de la Seine à deux<br />
pas de la tour Eiffel. On découvre la tourphare<br />
emblématique, créée spécialement<br />
pour l’exposition universelle de 1900 à<br />
Paris. Coiffée d’une boîte à biscuits qui<br />
brillera pour le siècle à venir, sa réputation<br />
ne cessera jamais de grandir.<br />
L’industriel le plus emblématique est sans<br />
conteste l’inventeur du petit-beurre Lu.<br />
Cette prestigieuse enseigne nantaise a su<br />
inscrire son nom au patrimoine des spécialités<br />
incontournables de Nantes. Quatre<br />
ans après son installation en 1846, au 5 de<br />
la rue Boileau à Nantes, le jeune et ingénieux<br />
pâtissier Jean Romain Lefèvre, venu<br />
de Lorraine, épouse Pauline-Isabelle Utile.<br />
Cette pâtisserie fait un malheur, les<br />
<strong>Nantais</strong> en raffolent. C’est leur fils, Louis<br />
Lefèvre-Utile, et son beau-frère, Ernest<br />
Lefèvre qui, en 1887, vont fonder la première<br />
manufacture de biscuits de Nantes,<br />
« Lefèvre-Utile ». Une seconde, célèbre,<br />
sera « La Biscuiterie <strong>Nantais</strong>e (BN) » créée<br />
par Pierre Cossé et André Lotz place<br />
François-II, en 1897, quartier République.<br />
<strong>Les</strong> factures avaient du chic !<br />
Sur cette belle facture, que recevaient nos ancêtres les <strong>Nantais</strong> et que ne manquent pas<br />
de chiner les collectionneurs de nos jours, on reconnaît la tour-phare Lu, qui brilla sur la<br />
capitale. « L’unique grand prix », précise la légende, décerné à la fameuse biscuiterie. La<br />
plupart des entreprises locales rivalisaient d’imagination graphique jusque sur les entêtes<br />
de leurs factures.<br />
« Pour susciter la gourmandise, rien de tel que de séduire l'œil », disait Louis Lefèvre<br />
Utile, père du marketing et de la communication moderne, qui comprit très tôt l’impact<br />
et la résonance extraordinaires que pouvait avoir ce genre de détails. Il utilisa les<br />
talents des plus grands artistes pour vanter les mérites de son entreprise. Alfons Mucha<br />
fut le plus connu d’entre eux, après Firmin Boisset (on lui doit le petit écolier), Luigi<br />
Loir, Alexis de Broccas, Henry-Joseph Harpigny, Adrien Karbosky… De célèbres noms<br />
prêtèrent leur image tels que Sarah Bernhardt, Georges Feydeau, Anatole France,<br />
Sacha Guitry, Fernandel. Plus près de nous, des dessinateurs comme Folon et Sempé<br />
mirent leur talent au service du biscuitier.
�L’odeur et la chaleur de Lu<br />
Au premier plan, une fontaine et ses sirènes,<br />
qui disparaîtront à jamais en 1934,<br />
l’énigme n’a toujours pas été résolue. Au<br />
second plan, après la Loire qui fut comblée<br />
dans les années trente, les deux<br />
tours LU. Une enseigne précise « Paille<br />
d’Or », gâteau créé en 1905.<br />
Ce qui manque sur cette image ?<br />
L’odeur bien sûr, celle qui émanait de la<br />
biscuiterie que les <strong>Nantais</strong> ont connue<br />
dès 1885, jusqu’à ce qu’elle déménage<br />
en 1986 à La Haye-Fouassière, commune<br />
du vignoble nantais. Ce parfum<br />
si particulièr de gâteaux enveloppait la<br />
ville au gré du vent.<br />
Il manque aussi la chaleur qui transperçait<br />
les murs encadrant l’avenue Carnot. C’est<br />
ici que des figures de la rue, comme Titine<br />
Vert de Gris et ses compagnons d’infortune,<br />
se retrouvaient afin de passer des<br />
nuits plus douces pendant l’hiver.<br />
Aujourd’hui, seule la tour de gauche a été<br />
restaurée et peut se visiter. On y découvre<br />
la ville en panoramique. <strong>Les</strong> initiales LU<br />
ont été détournées de leur premier sens<br />
pour désigner le Lieu Unique, soit un<br />
complexe culturel mêlant des salles de<br />
spectacles, une librairie, un café et un<br />
restaurant ainsi qu’un hammam installé<br />
dans les sous-sols.<br />
�Un si bon Petit Lu<br />
�Lu et approuvé<br />
Un des multiples cadeaux promotionnels de Lu. Ce calendrier, qui date de 1940, était offert<br />
à la clientèle. On y lisait les spécialités de l’époque.<br />
« Qui me croque craque. Qui m’a croqué recra- C’est également cette année-là que<br />
quera ! »<br />
s’éteint Louis Lefèvre-Utile, créateur du<br />
Quatre oreilles et quarante-huit dents. Le Petit Lu Petit-Beurre Lu en 1887 et qui vécut avec<br />
n’a pas changé de goût en près de 120 ans d’exis- tristesse les comblements de la Loire<br />
tence mais il a été croqué par le puissant groupe qu’il avait pourtant combattus avec<br />
américain Kraft Foods en cette année 2007. vigueur. Son fils Michel puis son petit-fils<br />
« Que le Grand Cric me croque !»<br />
Patrick Lefèvre-Utile prendront la relève.<br />
39
54 <strong>Les</strong><br />
�Un vrai spectacle<br />
<strong>Les</strong> <strong>Nantais</strong> veulent tous voir leurs soldats défiler. Ici, depuis la palissade, la vue est certainement<br />
imprenable. <strong>Les</strong> festivités de la fin de la guerre vont durer quatre jours. Y participeront<br />
notamment les musiques du 65e RI et du 116e RI ainsi que la musique municipale.<br />
�La guerre est finie !<br />
11 novembre 1918, la guerre est finie. « Fêtons nos soldats triomphant sauveurs de la<br />
Liberté, célébrons nos alliés », s’enflamme le maire Paul Bellamy dans un communiqué<br />
transmis aux rédactions des journaux locaux. <strong>Les</strong> cloches de Nantes et les sirènes des usines<br />
et des bateaux résonnent dans la ville. C’est la liesse générale dans la rue.<br />
Le traité de paix sera signé le 21 juin 1919.<br />
Parmi les défilés qui ont marqué la population, celui du 27 février 1919 est impressionnant.<br />
Il s’agit du retour du 265e régiment d’Infanterie. <strong>Les</strong> habitants ont pavoisé leurs maisons<br />
et appartements aux couleurs françaises et alliées.<br />
Le plus bel hommage aux soldats nantais est rendu le 14 juillet 1919. Cette date historique<br />
doit devenir la fête de la Victoire. L’événement majeur de cette journée reste la grande<br />
revue militaire avec la participation d’un bataillon du 65e Régiment d’Infanterie composé<br />
de 400 hommes et de sept officiers. Un feu d’artifice sera tiré depuis la grève de la Petite-<br />
Hollande sous les acclamations de la foule.<br />
<strong>Nantais</strong>
62 <strong>Les</strong><br />
� « Le monde était devenu fou »<br />
Témoignage.<br />
Jeanne, 24 ans, n’allait jamais au cinéma<br />
car son mari était prisonnier à Munich et<br />
elle restait seule avec ses deux filles en<br />
bas âge. Pourtant, ce jour-là, elle assiste<br />
avec des amis à la projection du « Comte<br />
de Monte-Cristo » au cinéma l’Olympia.<br />
« En plein milieu des informations qui, à<br />
l’époque, étaient diffusées juste avant le<br />
film, le projecteur s’est éteint, les lumières<br />
se sont rallumées et le rideau s’est fermé.<br />
Le directeur du cinéma est venu nous prévenir<br />
qu’il fallait évacuer le bâtiment.<br />
Mais, des alertes, il y en avait tous les<br />
jours et le centre de Nantes n’était d’habitude<br />
pas bombardé. <strong>Les</strong> avions visaient<br />
les routes et les ponts. Nous ne nous<br />
inquiétions pas au début. En plus, nous<br />
avions payé nos places alors nous ne voulions<br />
pas sortir. Mais le directeur a insisté<br />
et tous les spectateurs ont quitté les<br />
lieux ».<br />
« Lorsque je suis sortie, j’ai eu l’impression<br />
que le monde était devenu fou. <strong>Les</strong><br />
avions rasaient la place Graslin. <strong>Les</strong> gens<br />
couraient, criaient. C’était affreux. Je suis<br />
allée me réfugier dans un café de la rue<br />
Scribe avec mes filles. Nous nous sommes<br />
couchées par terre sous le bar. Il y avait un<br />
bruit épouvantable, des explosions. Nous<br />
avions des bris de verre partout.<br />
Heureusement, je m’étais couchée sur mes<br />
filles pour les protéger de mon corps.<br />
Nous avions une peur terrible.<br />
Puis les bombardements se sont arrêtés<br />
soudainement. Lorsque j’ai relevé la tête,<br />
j’ai vu qu’à côté de moi, quelqu’un avait la<br />
tête arrachée. C’était affreux, vraiment<br />
affreux. Il y avait le feu partout, des gens<br />
criaient, des voitures avaient explosé. Des<br />
infirmiers ramassaient les corps comme ils<br />
pouvaient et les emmenaient pour les soigner.<br />
L’Hôtel-Dieu avait aussi brûlé. »<br />
« Dans le quartier Graslin, il ne restait plus<br />
rien. Tout avait été détruit, brûlé. Pour rentrer<br />
chez nous, nous sommes repassés<br />
devant l’Olympia. Le lieu était méconnaissable.<br />
Personne n’aurait pu croire qu’un<br />
cinéma se dressait là quelques heures<br />
auparavant. »<br />
<strong>Nantais</strong>
74 <strong>Les</strong><br />
<strong>Nantais</strong><br />
�Nantes à l’eau<br />
Comme souvent à Nantes, l’eau a débordé, sur les bords de Loire<br />
et de l’Erdre. On fait attention à ne pas tomber, on emprunte des<br />
barques quand c’est possible ou la charrette quand le cheval peut<br />
encore passer. La vie continue.<br />
Nantes est une habituée des inondations, les plus fortes ont lieu<br />
en 1856, 1872, 1879, 1904, 1910 et 1936. Cette photographie a été<br />
prise à hauteur de la confluence de l’Erdre et de la Loire, au début<br />
de ce qu’on nomme de nos jours les Cinquante-Otages. On remarque<br />
les péniches, sur la gauche, qui sont quasiment à hauteur de la<br />
chaussée des quais. Nous sommes juste face au pont d’Orléans,<br />
second pont qui enjambe l’Erdre et relie la rue d’Orléans à la rue<br />
de la Barillerie.<br />
�Certains habitants barbotent pieds nus<br />
Catastrophe rue des Olivettes ! Tous les habitants des rez-de-chaussée<br />
ont calfeutré leur demeure et tenté de sauver leurs meubles<br />
quand l’eau s’est infiltrée. <strong>Les</strong> ouvriers, comme les ménagères,<br />
prennent les bateaux pour aller travailler. Dans certains quartiers, il<br />
n’y a pas d’appontement. Alors hommes et femmes, pieds nus, barbotent<br />
dans cette eau sale et jaune qui charrie toutes sortes de<br />
détritus. C’est une désolation, un désastre aussi impressionnant<br />
que la crue de 1872 qui avait atteint la cote de 6,35 m.<br />
Le journal Le Phare tire des conclusions le 6 décembre 1910 alors<br />
que la situation s’améliore. « Il est nécessaire que le public sache<br />
bien que les malheurs qui ont menacé Nantes pendant quelques<br />
jours et qui n’ont peut-être été conjurés que par la ruine des riverains,<br />
c’est-à-dire par la rupture de la Divatte, auraient sûrement<br />
été évités si l’on s’était décidé à faire les travaux nécessaires :<br />
1°: creusement et aménagement rationnel de la Loire entre Nantes<br />
et la mer pour faciliter l’écoulement rapide des eaux d’amont.<br />
2°: destruction des ponts et des barrages qui obstruent la Loire<br />
dans son passage à Nantes et déterminent ainsi une surélévation<br />
redoutable des crues aussi bien à Nantes qu’en amont jusqu’à<br />
Mauves. »<br />
Le journaliste estime qu’il faut purement et simplement détruire<br />
les ponts de la Madeleine et de Pirmil, ponts archaïques, en les<br />
remplaçant par des ouvrages modernes. Au fil des ans, les souhaits<br />
du journaliste seront en partie exaucés avec le creusement du chenal<br />
de la Loire et la destruction du pont de Pirmil. Celui-ci cède<br />
sous les eaux une première fois le 26 mai 1924 puis sera détruit par<br />
les bombardements le 12 août 1944. Enfin, le comblement des bras<br />
de la Loire, entourant l’île Feydeau, permettra de renforcer le débit<br />
des eaux et d’éviter l’ensablement.<br />
�Des appontements bien utiles<br />
On se rend compte de l’utilité des appontements, comme ici quai<br />
des Tanneurs, en plein centre-ville. L’Erdre a littéralement absorbé<br />
les quais mettant de nombreux <strong>Nantais</strong> au chômage. Ainsi, du côté<br />
de l’île de Nantes, les chantiers Dubigeon1 devront fermer lors des<br />
inondations de janvier 1936. Même chose pour les 1 500 ouvriers et<br />
ouvrières de l’usine LU, quelques jours de chômage.<br />
1 - Le premier chantier naval de la famille Dubigeon a été fondé par Julien Dubigeon<br />
en 1760. Le dernier chantier Dubigeon, sur l’île de Nantes, a fermé en 1987.
84 <strong>Les</strong><br />
�Jules Grandjouan (1875-1968),<br />
peintre anarchosyndicaliste<br />
« Honte à celui qui ne se révolte pas contre<br />
l'injustice sociale! » L'immense peintre<br />
nantais Jules Grandjouan avait le don pour<br />
les slogans chocs et les dessins de même<br />
acabit. Cet humaniste, profondément attaché<br />
à sa terre natale, Nantes, passera la<br />
majeure partie de sa vie à combattre l'injustice<br />
par ses croquis et ses écrits. D'un<br />
article dans le journal Le Petit Phare, en<br />
1899, pour soutenir la grève des balayeuses<br />
de rues à Nantes, à sa collaboration active<br />
au journal L'Assiette au Beurre, de 1901 à<br />
1912, il n'aura de cesse de défendre les<br />
ouvriers contre le patronat; les petites gens<br />
contre les bourgeois.<br />
À sa mort, peu après les événements de<br />
1968, Jules Grandjouan qui était né 92 ans<br />
auparavant, laisse plus de 4000 dessins et<br />
gravures. Ses contemporains nantais, tels<br />
que l'écrivain et gastronome Charles<br />
Monselet ou le maire Paul-Émile Sarradin,<br />
furent croqués par cette plume remarquable.<br />
Anarchiste, dreyfusard, antimilitariste<br />
et utopiste, Jules Grandjouan sera<br />
aussi un inlassable voyageur, curieux du<br />
monde. Il tombera amoureux de la danseuse<br />
Isadora Duncan (à laquelle il consacrera<br />
quelques-uns de ses plus beaux dessins),<br />
rencontrera Léon Trotsky en 1926 qui<br />
lui fera écrire un livre « La Russie Vivante ».<br />
« Mon grand-père a été un anarchosyndicaliste<br />
pur », explique Noémie Koechlin, dans<br />
un catalogue consacré à ses peintures de la<br />
danseuse Duncan. « Son œuvre est tout<br />
entière animée par la révolte contre l'exploitation<br />
des ouvriers et la dureté de leurs<br />
conditions de vie… Il a beaucoup dessiné<br />
le monde ouvrier du début du XX e siècle,<br />
mais également les paysans, les bateliers,<br />
les dockers, les blanchisseuses, les chiffonniers,<br />
les vitriers, toutes sortes de petits<br />
métiers de la rue. C'était un ardent syndicaliste<br />
et on peut dire qu'il a créé l'affiche<br />
politique illustrée en France ».<br />
C'est au lycée de Nantes que Jules<br />
Grandjouan démarre sa scolarité. Ses<br />
camarades de classe ont pour nom Marcel<br />
Giraud-Mangin, Grignon Dumoulin,<br />
Labeyrie, Frogier et ses cousins, le peintre<br />
<strong>Nantais</strong><br />
Émile Laboureur et Paul Grandjouan,<br />
pionnier de la salubrité urbaine. À 22 ans,<br />
en 1897, avec Marcel Giraud-Mangin<br />
(directeur) et Victor Gaumer (secrétaire<br />
général), ils fondent « La Revue nantaise<br />
littéraire et artistique ». Grandjouan prend<br />
en main les rênes artistiques de cette<br />
aventure qui s'achève en octobre 1898<br />
avec le numéro 19. Prolixe, Grandjouan<br />
multiplie les gravures, les illustrations<br />
pour des menus (comme celui de la Revue<br />
Le Clou, dirigée par l'architecte Georges<br />
Lafont 1 ), les affiches. On le retrouve,<br />
depuis Paris où il a élu domicile, gérant de<br />
la revue « Nantes en s'amusant » où il<br />
caricature Émile Sarradin, maire de<br />
Nantes, à l'occasion de l'inauguration du<br />
pont Transbordeur en 1903. Au chapitre<br />
politique, Jules Grandjouan se présentera,<br />
en vain, à la tête du Bloc ouvrier et paysan,<br />
aux élections législatives contre<br />
Aristide Briand qui est pour lui le symbole<br />
d'une trahison des idéaux révolutionnaires.<br />
Grandjouan est condamné en 1911<br />
pour quatre dessins antimilitaristes alors<br />
que Briand est président du conseil.<br />
« J'ai rêvé de partir de Chantenay, de marcher<br />
tout droit devant moi et de revenir<br />
par Doulon. Vous me comprenez : le tour<br />
du monde avec, dans mon cœur, l'image<br />
de mon pays ». Jules Grandjouan confiait<br />
ainsi à son ami nantais, Armand Ève, l'attachement<br />
viscéral à sa ville. Il y passera la<br />
moitié de sa vie, l'autre partie du côté de<br />
la butte Montmartre et sur la route. <strong>Les</strong><br />
ouvrages « Nantes la Grise » (1899) et<br />
« Nantes et ses vingt-huit ponts » (1926)<br />
ont consacré cet attachement. Ce « genre<br />
plaisait à ma mère et à ma grand-mère<br />
que j'adorais. Ces deux ouvrages m'ont<br />
pris énormément de temps car j'aimais<br />
Nantes et je voulais en fixer le charme du<br />
dix-huitième. Mon cousin Émile Laboureur<br />
me répétait sans cesse “Nantes la Grise”.<br />
Certes, j'étais peut-être poète par nature<br />
mais j'avais le souci de la vérité. Je voulais<br />
laisser un témoignage sincère et ému de<br />
cette “Venise de l'Ouest” qui disparaissait<br />
et se modifiait ».<br />
Grandjouan l'avant-gardiste, laisse aussi<br />
un projet inachevé, intitulé « Nantes-Naz »,<br />
après la guerre. Il imaginait déjà la création<br />
d'une agglomération réunissant<br />
Nantes et Saint-Nazaire. À partir des<br />
années cinquante, il ne publiera quasiment<br />
plus. Le musée des Beaux-arts lui a<br />
consacré une exposition en 1969, le château<br />
des ducs de Bretagne, nouveau<br />
musée de Nantes, en 2003.<br />
(1) Georges Lafont, architecte (il réalisa l'hôpital de<br />
Pen-Bron, le théâtre municipal de Quimper, les prémices<br />
de La Baule), fonda « Le Clou, une société pour<br />
y causer et y fumer ». Ce cercle nantais allait rire, chanter<br />
et danser pendant trente ans. Etant un de ses<br />
contemporains, il visa forcément le maire Sarradin. Ainsi<br />
ce quatrain : « … Et sous l'aile de Sarradin/Notre bon<br />
conseil se repose/Sur les lauriers qu'il a conquis/Grâce<br />
à ce qu'il aurait pu faire ».
�Jean-Émile Laboureur, peintre-graveur<br />
Fils aîné d’Émile Laboureur, un grossiste<br />
en mercerie et de Marie Grandjouan, le<br />
petit Émile (il prendra le nom de Jean-<br />
Émile quand il peindra) voit le jour le 16<br />
août 1877 à Nantes. Son cousin n’est autre<br />
que le célèbre affichiste et anarcho-syndicaliste<br />
Jules Grandjouan.<br />
Pour l’anecdote, Jean-Émile Laboureur réalisera<br />
un portrait de Jules Grandjouan en<br />
1895. « Quand ils avaient vingt ans, ils<br />
allaient tous les deux se promener à<br />
Nantes », explique Sylvain Laboureur, le<br />
fils de Jean-Émile. « Lors de leurs balades,<br />
ils découvraient les métiers du port,<br />
comme les débardeurs. Mon père était<br />
aussi favorable à l’idée socialiste anarchisante.<br />
Ils étaient du même bord<br />
politique ».<br />
Après des études à Redon chez les pères<br />
Eudistes, Jean-Émile Laboureur monte à<br />
Paris et s’inscrit à l’académie Julian sur les<br />
conseils de l’industriel nantais Lotz-<br />
Brissoneau. Ce dernier, grand collectionneur,<br />
présente à Auguste Lepère (1844-<br />
1918) le jeune <strong>Nantais</strong> qui trouve en lui un<br />
premier maître.<br />
« Mon père a eu plusieurs périodes », précise<br />
Sylvain Laboureur, « il a notamment<br />
été frappé par l’extension des cubistes et<br />
en a été très influencé. Il a eu une période<br />
“cubisante” que l’on remarque bien dans<br />
sa déformation systématique des personnages.<br />
Il est revenu à Nantes en 1909 après<br />
être parti quatre ans en Amérique car il ne<br />
voulait pas faire son service militaire de<br />
trois ans ».<br />
Avec Auguste Lepère, Laboureur apprend<br />
très vite et, via son oncle François<br />
Grandjouan, il rencontre Toulouse-Lautrec<br />
dont il dit : « Ses propos lorsqu’il était à<br />
jeun, étonnamment vifs et ingénieux, ont<br />
beaucoup contribué à m’ouvrir les yeux. Ce<br />
fut assurément pour moi le maître ».<br />
Lotz-Brissonneau publiera le premier catalogue<br />
de Laboureur, composé de soixantedeux<br />
cuivres, de 95 bois et de 14 lithographies.<br />
En 1913-1914, il réalise les planches<br />
« Le Café du commerce », « La Marchande<br />
de violettes » et « Bar en Pennsylvanie ».<br />
Après la grande guerre suivront « Le Tir<br />
forain », « Le Kiosque à journaux », « La<br />
Fille au litre » (1921) ou encore « La<br />
Blanchisseuse », « L’Écaillère » (1927) et<br />
beaucoup d’autres. <strong>Les</strong> amateurs connaissent<br />
la célèbre série des eaux-fortes et<br />
burins de « La Brière » (1931-1932). En<br />
1938, « La Halte de bohémiens », inachevée,<br />
est la dernière œuvre connue de<br />
Laboureur, alors frappé d’une attaque<br />
d’hémiplégie qui lui interdit toute activité<br />
artistique.<br />
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86 <strong>Les</strong><br />
« Il m’a toujours semblé qu’en arrivant sur le quai<br />
de la Fosse, j’entrais dans une autre ville ».<br />
JULES GRANDJOUAN.<br />
�Marins nantais<br />
À la fin du XIX e et au début du XX e siècle,<br />
cette scène, sur le port de Nantes, faisait<br />
partie de la vie quotidienne. <strong>Les</strong> peintres,<br />
graveurs et premiers photographes ont<br />
reproduit l’activité incessante du port. Un<br />
port, ouvert sur le monde, celui des négriers<br />
et des pirates, des corsaires, armateurs et<br />
cap-horniers.<br />
Quelques <strong>Nantais</strong> sont restés dans la<br />
mémoire collective, comme Jacques<br />
Cassard. Né le 30 septembre 1669, il fut<br />
appelé en juillet 1705 au commandement<br />
de la frégate du roi « Le Saint-Guillaume »,<br />
de Saint-Malo. Cette année-là, le 22 août, il<br />
amarine l’Anglais « l’Expédition », venu de<br />
Cork. Après de nombreuses prises, on le<br />
retouve en 1707 au commandement du corsaire<br />
nantais « La Duchesse-Anne ». Le<br />
25 octobre 1707, il prend le « Malbrey » de<br />
Liverpool, qu’il enlève en plein port anglais.<br />
Louis XIV demande à le rencontrer. Cette<br />
carrière glorieuse hélas! va se terminer dans<br />
la solitude. Après avoir armé à ses frais des<br />
vaisseaux pour ravitailler les côtes de<br />
Provence, il ne fut jamais remboursé.<br />
Faisant valoir ses droits d’une manière un<br />
peu brutale auprès de Fleury, il fut emprisonné<br />
pour « démence ». Le plus « grand<br />
marin de tous les temps », comme l’avait<br />
surnommé Duguay-Trouin, décède misérablement<br />
le 21 janvier 1740 à l’âge de 61 ans.<br />
Louis du Chaffault de Besné est né à<br />
Nantes, trente et un ans après Cassard en<br />
1708. Il devint chef d’escadre en 1758.<br />
Surnommé le « Tonnant de l’enfer » par ses<br />
ennemis, pour sa rapidité à envoyer des<br />
boulets de canon, son nom entre au panthéon<br />
de l’histoire des grandes batailles<br />
navales au combat d’Ouessant en 1778.<br />
L’amiral du Chaffault de Besné s’est éteint,<br />
en prison, le 29 juin 1794, à l’âge de 86 ans.<br />
Née en 1773 à Saint-Mars-du-Désert en<br />
Loire-Atlantique, Julienne David se déguise<br />
en homme afin de combattre les Bleus.<br />
Passionnée d’aventures maritimes, elle<br />
embarque sous le nom de Jacques David sur<br />
le corsaire « La Jeune Agathe » à 19 ans.<br />
Elle recommence en 1804. Arrêtée par les<br />
Anglais, incarcérée durant huit ans, elle<br />
rentre alors en France. « Jacquot » termine<br />
sa vie comme « frère Arsène » dans une<br />
communauté religieuse, jardinier puis<br />
comme garçon d’écurie.<br />
Elle meurt le 9 janvier 1843 à l’Hôtel-Dieu.<br />
<strong>Nantais</strong>
102 <strong>Les</strong><br />
<strong>Nantais</strong><br />
� « Jacquot de Nantes »<br />
Imparable. Le nom de Jacques Demy est<br />
accolé à celui de Nantes. Parler de cette<br />
ville sans le citer, c’est comme pousser<br />
Jules Verne dans le port d’un coup<br />
d’épaule. Demy a magnifié et mythifié<br />
Nantes, en deux films : « Lola » et « Une<br />
chambre en ville ».<br />
C’est dans le quartier du marché Talensac<br />
que le père de Jacques Demy dirigeait un<br />
garage. C’est aussi là que grandira l’adolescent,<br />
né le 5 juin 1931 à Pontchâteau.<br />
Du collège technique Launay à l’école des<br />
Beaux-arts où il réalise ses premiers films<br />
amateurs en 9,5 mm, Jacques Demy tourne<br />
son premier vrai film quelques années<br />
plus tard: « Le sabotier du Val de Loire »<br />
en 1955, mis en boîte en pays nantais à la<br />
Chapelle-Basse-Mer. Producteur, acteur et<br />
scénariste, Demy réalisera plus de vingt<br />
films, dont « Lola » (1961), premier d’une<br />
trilogie avec « <strong>Les</strong> parapluies de<br />
Cherbourg » (1964), palme d’or à Cannes<br />
puis « Model shop » (1969) et « Une<br />
chambre en ville » (1982) sur fond de<br />
grèves aux chantiers navals de Nantes.<br />
En 1990, sa femme, la cinéaste Agnès<br />
Varda, décide de tourner « Jacquot de<br />
Nantes », un film retraçant l’histoire de<br />
son mari quand il était enfant dans les<br />
années quarante. Elle tournera des scènes<br />
sur la place Graslin, cours Saint-Pierre,<br />
dans les douves du château et du côté de<br />
Chantenay à l’Olympic cinéma. Agnès
Agnès Varda, Jacques Demy et les trois comédiens qui<br />
interprètent Jacques Demy, de 8 à 16 ans, dans le film<br />
« Jacquot de Nantes ».<br />
Varda, en plein tournage en 1990, confie<br />
dans un reportage à France 2 : « Ce que<br />
j’évoque dans ce film, c’est la naissance<br />
d’une vocation. Jacques a commencé à<br />
écrire ses mémoires en janvier, je les ai<br />
lues en février et le 1 er avril on tournait.<br />
Trente ans avec un homme font qu’on ne<br />
connaît pas tout sur son enfance et même<br />
ce qu’il m’a dit de son enfance, ce ne sera<br />
encore qu’une partie, c’est la partie qu’il a<br />
dite. Et dans la partie qu’il m’a dite, ce<br />
que j’ai cru comprendre et imaginer ».<br />
« J’avais commencé à écrire mes mémoires<br />
et ma femme m’a dit, tout d’un coup, je<br />
vais faire un film sur ton enfance », confie<br />
Jacques Demy à la même chaîne télévisée,<br />
en mai 1990. « C’est une enfance heureuse<br />
dans un contexte misérable qui était la<br />
guerre mais enfin il y avait beaucoup de<br />
choses intéressantes et elle a fait un scénario<br />
et un film de ça. Ma femme qui<br />
connaissait tout de moi, finalement, elle<br />
ne connaissait pas mon enfance ». Jacques<br />
Demy ne verra jamais ce film qui sortira en<br />
1991. Il est décédé, d’une hémorragie cérébrale,<br />
le 27 octobre 1990.<br />
Agnès Varda lui a de nouveau rendu hommage<br />
quelques années plus tard avec « <strong>Les</strong><br />
demoiselles ont 25 ans », en 1993, et<br />
« L’univers de Jacques Demy » en 1995.<br />
�Lola, film mythique<br />
La genèse de l’œuvre de Jacques Demy, c’est aussi sa rencontre avec Bernard Évein qui deviendra un grand décorateur<br />
du cinéma français, Jacqueline Moreau, créatrice de costumes et Bernard Toublanc-Michel, réalisateur.<br />
Après quatre courts métrages, Jacques Demy réalise son premier film en 1960. Ce sera « Lola ». Le tournage a<br />
lieu du 7 juin au 17 juillet 1960 dans le centre-ville de Nantes. La brasserie belle époque de la Cigale et le passage<br />
Pommeraye entrent à jamais dans l’histoire du cinéma. Le film est salué par la critique.<br />
L’histoire ? Madeleine, dite Lola, est chanteuse de cabaret dans le port de Nantes. Bien qu’elle ait de multiples<br />
aventures avec des marins de passage, elle reste fidèle à l’amour et à la mémoire de Michel, un amant de passage<br />
parti pour faire fortune ne sachant pas que Lola attendait un enfant. Sept ans plus tard, il est de retour en<br />
même temps que Roland, un ami d’enfance de Lola, qui se rend compte qu’il est amoureux d’elle…<br />
« Pur fruit de cette nouvelle vague qui secoue au début des années soixante la torpeur du cinéma français, Lola<br />
en est la manifestation la plus authentiquement poétique, nourri qu’il est des racines provinciales auxquelles<br />
Demy demeurera toujours passionnément attaché en même temps que de cet imaginaire nantais, qui associe<br />
les tentations interdites des boîtes à matelots aux splendeurs décrépites des anciens négriers », écrit le spécialiste<br />
du cinéma Jean-Pierre Berthomé dans un reportage publié dans Armen.<br />
Lola, c’est aussi la comédienne Anouk Aimé que l’on découvre dans toute sa splendeur sur ces images du tournage,<br />
avec son long et sensuel porte-cigarette, à la brasserie La Cigale, « L’Eldorado » dans le film.<br />
Avec Anouk Aimée (Lola/Cécile), Marc Michel (Roland), Jacques (Michel), Charlie Bretagne (commissaire Georges Albert).<br />
103
104 <strong>Les</strong><br />
�Barbara<br />
Avec sa chanson « Nantes », la chanteuse<br />
Barbara s’est inscrite dans l’imaginaire de<br />
la ville. Le 21 décembre 1959, quand elle<br />
rejoint la cité des ducs de Bretagne, sous<br />
un ciel gris, c’est pour se diriger à la morgue<br />
de l’hôpital Saint-Jacques. Elle sait<br />
que son père est mort. Il avait quitté Paris<br />
pour Nantes une décennie avant et n’avait<br />
plus donné signe de vie. Un certain<br />
Monsieur Paul, qu’elle retrouve dans un<br />
café du centre-ville, lui raconte qu’on le<br />
surnommait Monseigneur en raison de<br />
son attitude, malgré une vie de marginal,<br />
<strong>Nantais</strong><br />
et qu’il était fier d’avoir vu sa fille à la télévision.<br />
Son père sera enterré au cimetière<br />
Miséricorde.<br />
Barbara écrira « Nantes », ultime hommage.<br />
Elle chantera cette chanson pour la<br />
première fois le 3 novembre 1963 au théâtre<br />
des Capucines à Paris. C’est un triomphe.<br />
Un disque sera enregistré dans la foulée<br />
avec ce titre.<br />
« Il pleut sur Nantes<br />
Donne-moi la main<br />
Le ciel de Nantes<br />
Rend mon cœur chagrin »<br />
�Barbara en 1986 lors de l’inauguration de<br />
la rue de la Grange-au-Loup à Nantes.<br />
�L’éditeur de la musique de « Nantes »<br />
devait être distrait le jour où il a fait imprimer<br />
: « Deux succès pour la danse » sur la<br />
couverture du petit format.<br />
�Barbara à 33 ans, au sommet de son<br />
talent sur la pochette du 45 tours de<br />
« Nantes ».<br />
Dans un des couplets, elle cite le « 25, rue<br />
de la Grange-au-Loup », une adresse fictive<br />
où elle imagine que son père a<br />
demandé à la voir une dernière fois.<br />
À l’initiative d’une poignée d’habitants,<br />
une rue de la Grange-au-Loup sera créée<br />
à Nantes et inaugurée en sa présence et<br />
celle de Gérard Depardieu le 22 mars 1986.<br />
<strong>Les</strong> deux artistes étaient de passage à<br />
Nantes dans le cadre du spectacle « Lily<br />
Passion ». Le 9 décembre 2000, une allée<br />
Barbara rejoint la rue de la Grange-au-<br />
Loup, mais la chanteuse, <strong>Nantais</strong>e de<br />
cœur, n’est plus au rendez-vous…
�<strong>Les</strong> trois Jean de Nantes<br />
C’est le doyen des groupes français.<br />
Le temps sur les musiciens nantais<br />
de Tri Yann, ici à leurs débuts en<br />
1973, ne semble pas avoir de prise.<br />
Des milliers de concerts et de spectacles<br />
colorés, enflammés… des<br />
disques à la pelle et des chansons<br />
entrées dans la mémoire collective,<br />
les « Prisons de Nantes », la «<br />
Jument de Michao » (aussi connue<br />
sous le nom de « Le loup, le<br />
renard et la Belette). <strong>Les</strong> membres<br />
actuels sont Jean Chocun, Jean-Paul<br />
Corbineau, Jean-Louis Jossic, (d’où<br />
le nom en breton des « Trois Jean<br />
»), Gérard Goron, Jean-Luc<br />
Chevalier, Konan Mevel, Freddy<br />
Bourgeois, Christophe Peloil. Le<br />
groupe s’est formé le 27 décembre<br />
1970 par les fameux trois Jean (il<br />
s’est d’abord appelé Tri Yann an<br />
Naoned de Nantes). Leur album<br />
paru en 2007, « Abysses », est une<br />
invitation au voyage sous les mers.<br />
Jules Verne n’est jamais bien loin.<br />
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