Petite histoire philosophique du risque et de l'expertise à ... - Insee

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parce qu’elles explicitèrent les différentes manières dont les humains souhaitaient vivre ensemble et avec des virus. Plutôt que de recourir à une stratégie de blocus (hygiénisme, désinfection, quarantaine, surveillance…), les humains choisirent, de manière révolutionnaire, de passer un contrat avec leurs Nemesis 5 . Une innovation autant juridique que médicale donc. Une sorte de diplomatie élargie, déjà formulée en terme « d’immunité » : en échange de celleci, les humains accordaient un droit d’asile à quelques virus ayant l’obligeance de ne pas trop abîmer leurs hôtes. Une innovation politique aussi : les inoculateurs défendant la liberté des individus de se protéger ; leurs opposants, la discipline collective qu’impose une police de la santé. Le paradoxe de la modernité est qu’au moment même où nous attachions notre existence (physique et sociale) de manière toujours plus étroite à des êtres qualifiés sans trop y penser de naturels 6 , nous rendions ces attachements invisibles en pensant de manière séparée la nature et la politique. L’inoculation et la vaccine donnent à voir ce double mouvement moderniste d’intrication réelle et de séparation intellectuelle. Les arrangements avec les virus étant des entorses manifestes au grand partage entre nature et politique, ils nécessitèrent l’invention de nouvelles formes de purification, c'est-à-dire de nouvelles manières d’être moderne. (i) Une forme de modernité fondée sur les probabilités émerge dans le monde protestant des années 1720. La casuistique utilise pour la première fois le risque (i.e. la quantification du danger) afin d’exhiber un ordre naturel et divin en faveur de l’inoculation. Ce faisant, elle articule d’une manière nouvelle Dieu, la morale et la nature. (ii) Le risque est aussi cœur du projet moderniste des Lumières, au cœur de ses utopies de sphère publique et de contrat social. Il sépare l’essentiel (le nombre) 1985, p. 287-307. Sur la controverse de l’inoculation : MILLER G. (1957), The adoption of smallpox inoculation, in England and France, University of Pennsylvania Press, Philadelphie ; RAYMOND J.F. (1982), La querelle de l’inoculation : préhistoire de la vaccination, Vrin, Paris ; RUSNOCK A. (2002), Vital Accounts, Cambridge University Press décrit les pratiques de quantification développées lors de la controverse de l’inoculation. 5 Durant la controverse de l’inoculation, les théories contagionnistes sont hégémoniques car l’infection se fait par insertion directe de pus. La cause de la variole reste mystérieuse. On se réfère indifféremment aux « virus » (Paulet), aux « animacules » (Cotton Mather) ou aux « germes » (Tissot). Nous verrons que la définition du contage est un enjeu de la controverse. 6 D’où l’importance de l’anthropologie de la nature qui nous permet de dénaturaliser nos ontologies naturalistes et donc de poser le problème de leur historicité. DESCOLA P. (2005), Par delà nature et culture, Gallimard, Paris. 2
de l’accessoire (les arguties morales) ; il distingue les juges légitimes (les lecteurs rationnels) de la foule frivole et sentimentale (le peuple, les mères) ; enfin, il traduit l’action des virus dans le langage du contrat social. Variole in Alibert, Clinique de l'hôpital Saint-Louis Table et risque in Avis aux mères sur l’inoculation (iii) Mais la réduction, par le risque, de tant de corps et de tant de visages dévorés de vérole en quelques chiffres couchés sur une feuille de papier échoue. Les propagandistes de l’inoculation ne parviennent pas à policer la controverse hybride sur la coexistence d’humains et de virus. Le risque ne parvient à convaincre que peu de monde du bien fondé de l’innovation. (iv) Prenant en compte cet échec, l’Etat napoléonien qui entend propager la vaccine inaugure une autre manière d’être moderne fondée sur l’expertise. Celle-ci, en imposant la définition du nouveau virus comme un être sans danger rend moralement inoffensive et politiquement invisible l’alliance que les humains passent massivement avec lui. 3
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