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LES CONFÉDÉRÉS SUDISTES EXPLIQUENT ET JUSTIFIENT LEUR CAUSE

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1<br />

<strong>LES</strong> <strong>CONFÉDÉRÉS</strong> <strong>SUDISTES</strong><br />

<strong>EXPLIQUENT</strong> <strong>ET</strong> <strong>JUSTIFIENT</strong> <strong>LEUR</strong> <strong>CAUSE</strong><br />

Serge Noirsain<br />

Publié par Les Amis de Serge Noirsain, 2014 • contact@noirsain.net<br />

Bruxelles - Paris<br />

Les Sudistes et la race aryenne<br />

À l’orée de la guerre dite de Sécession (une définition de ce conflit, qui n’est adoptée<br />

que dans les pays francophones), le Dr Josiah C. Nott (1804-1873) passe pour une<br />

sommité dans le monde médical sudiste. Il a étudié à l’Institut de Médecine et de<br />

Chirurgie de New York et obtenu son diplôme à l’Université de Pennsylvanie en 1827.<br />

Il y enseigne pendant deux ans, pratique la médecine en Caroline du Sud jusqu’en 1835,<br />

complète ses études à Paris puis ouvre un cabinet médical à Mobile, en Alabama. Sa<br />

notoriété lui vaut une chaire de professeur d’anatomie à l’Université de Louisiane en<br />

1857. L’année suivante, lui et quelques-uns de ses confrères fondent le Collège médical<br />

de l’Alabama. Entre 1848 et 1851, Nott commet plusieurs traités relatifs aux races et à<br />

l’ethnologie, notamment Two Lectures on the Connection between the Biblical and<br />

Physical History of Man ; An Essay on the Natural History of Mankind, viewed in<br />

connection with Negro Slavery.<br />

Après la publication de ces ouvrages, Nott et George R. Gliddon (un consul<br />

américain adepte de la doctrine polygéniste 1 de Samuel G. Morton) associent leurs<br />

conclusions sur l’inégalité des races humaines dans deux mémorables ouvrages : Types<br />

of Mankind or Ethnological Researches based upon Ancient Monuments, Paintings,<br />

Sculptures and Crania of Races, and upon their natural, geographical, philosophical<br />

and biblical history (1854) et Indigenous Races of the Earth (1857). Le succès de ces<br />

deux livres tient à ce qu’ils confortent la supériorité raciale dont se prévalent les<br />

planteurs, les intellectuels et les acteurs politiques sudistes.<br />

1 Doctrine raciste réfutée par la génétique actuelle. Cette doctrine affirme que l’espèce humaine serait apparue à<br />

partir d’ancêtres différents ne jouissant pas des mêmes capacités ou caractéristiques humaines et intellectuelles.


2<br />

Notons quelques-unes des assertions du Dr Nott :<br />

« Ce serait une anomalie dans la nature si l’être humain ressortissait à<br />

une espèce unique (…) Le volume du crâne du Nègre est inférieur d’un<br />

dixième à celui du Caucasien 2 (…) La partie intellectuelle de son cerveau<br />

est donc estropiée (…)<br />

« Ses dents pointent obliquement et ressemblent à celles des animaux<br />

carnivores. Les os de sa tête ainsi que ceux de son squelette sont plus durs,<br />

plus denses et plus lourds que ceux des Caucasiens (…)<br />

« Les bras des Africains sont plus longs que ceux des Caucasiens (…)<br />

Leurs mains sont plus anguleuses, leurs ongles sont plus puissants et plus<br />

incurvés (…)<br />

« Ces brèves observations nous aurons permis d’observer les grandes<br />

ressemblances que les anatomistes ont relevées entre le Noir et le singe 3 »<br />

Cette description, qui ne s’arrête pas là et qui aurait atterré les scientifiques<br />

européens de l’époque, vise à conforter l’idéologie des planteurs sudistes ; leurs<br />

esclaves noirs appartiennent bien à une sous-espèce humaine voulue par Dieu. Dans sa<br />

logique de l’extrême, adaptée à l’engeance socioculturelle sudiste et à ses particularités<br />

socioéconomiques, le Dr Nott concède que les mulâtres sont des hybrides dotés d’un<br />

quotient intellectuel intermédiaire entre celui du Blanc et du Noir, mais que le mélange<br />

des deux races affecte la longévité des métis et autres sang-mêlé :<br />

« L’histoire démontre non seulement que les races indiennes et noires<br />

sont incapables d’accéder à un niveau de civilisation égal à celui des<br />

Caucasiens, mais aussi que la race caucasienne dégénère lorsqu’elle se<br />

mélange à ces races inférieures 4 . »<br />

En 1851, dans son Diseases and Peculiarities of the Negro Race, le Dr Samuel<br />

Cartwright (1793-1863) de La Nouvelle-Orléans développe une pseudo-découverte<br />

scientifique : les centres nerveux des Africains sont sous-développés et le volume de<br />

leur cerveau est inférieur de 10 % à celui des Blancs. Il affirme que cette différence est<br />

due à la prédominance de « l’animalité » chez les Africains, une « animalité » qui serait<br />

la cause d’une maladie qu’il définit comme la drapetomania et qui les incite à fuir les<br />

bienfaits de l’esclavage car « cette race inférieure est incapable de survivre en liberté. »<br />

Le Dr Nott soutient lui aussi que l’esclavage des Noirs est moral et logique parce que<br />

cette race est une sous-espèce humaine voulue par la loi naturelle et divine qu’aucun<br />

chrétien n’a le droit de contester. Ce sont là les morbides prémices qui réjouissent la<br />

classe dominante sudiste, et dont s’inspireront les théories raciales des nazis 5 .<br />

2 Aryen : ancienne appellation désignant un homme de type ethnique blanc et européen.<br />

3 FAUST D.G., The Ideology of Slavery, Pro-Slavery Thoughts in the Antebellum South, 1830-1860, pp. 220,<br />

223-24, 231. Baton Rouge, 1981.<br />

4 FAUST, op cit., pp. 229, 237.<br />

5 CARTWRIGHT S.A., Slavery in the Light of Ethnology, pp. 707, 709. New York, 1968 ; FINKELMAN P.,<br />

Defending Slavery, Proslavery Thought in the Old South, pp. 36-37. New York, 2003 ; FAUST, op cit.,, pp. 168-<br />

299 ; HORSMAN R., Josiah Nott of Mobile, Southerner, Physician, Racial Theorist, pp. 82, 125. Louisiana State<br />

University Press, 1987 ; JENKINS W.S., Defending Slavery ; Proslavery Thoughts in the Old South, pp. 250-51.<br />

Chapel Hill, 1935 ; KOLCHIN P, American Slavery, pp. 192-93. Penguin Books, 1993 ; LOEWEN J. & SEBESTA<br />

E.H., The Confederate and Neo-Confederate Reader, pp. 24, 64-70. University Press of Mississippi, 2010 ; NOTT<br />

J.C., Two Lectures on the Natural History of the Caucasian and Negro Races. Dade & Thompson, 1850 ; SINHA M.,<br />

The Counterrevolution of Slavery, Politics and Ideology in Antebellum South, pp. 23-24, 92.


3<br />

Dr Josiah C. Nott. (Alabama Department of Archives and History)<br />

À droite : Arthur de Gobineau.<br />

Dans leurs ouvrages racistes, les Dr Nott et Gliddon<br />

situent le Noir entre le Blanc (Caucasien) et le singe.<br />

Dr Samuel Cartwright et Henry Hotze (à droite).


4<br />

En 1856, commandité par le Dr Nott, le journaliste Henry Hotze se fait connaître<br />

dans le Sud par son livre The Moral and Intellectual Diversity of Races, une adaptation<br />

en anglais de l'ouvrage d’Arthur de Gobineau (1816-1882), l’écrivain français qui avait<br />

introduit en 1853 le concept de race aryenne dans son Essai sur l'inégalité des races<br />

humaines. La traduction de Hotze est néanmoins biaisée parce qu’elle vise à démontrer<br />

l’essence divine et scientifique de la supériorité de la race blanche sur la race noire aux<br />

États-Unis. Après la publication de son traité, Hotze entretient un volumineux courrier<br />

avec Gobineau pour lui expliquer que sa focalisation sur les différences raciales entre<br />

les Blancs et les Noirs impacte plus le peuple américain, à l’époque peu concerné par sa<br />

mixité avec les autres races 6 . Dans leur courrier privé et leurs interventions publiques,<br />

Edwin DeLeon et Paul Pecquet du Bellet, deux agents chargés de la propagande<br />

esclavagiste en Europe, se réfèrent abondamment aux écrits de Gobineau et de Hotze<br />

pour justifier l’insurrection des États sudistes et la pertinence de leur idéologie raciste 7 .<br />

Nous verrons qu’à la veille de la guerre et pendant celle-ci, les acteurs politiques<br />

confédérés ne cherchent nullement à javelliser les vrais motifs de leurs sécessions. En<br />

1862 par exemple, le vice-président confédéré Alexander Stephens déclare<br />

publiquement que l’extension de l’esclavage est la raison majeure pour laquelle les<br />

États sudistes ont fait sécession. Vu son succès dans le Sud, l’adaptation en anglais des<br />

théories de Gobineau par Hotze est rééditée avant la guerre civile, mais elle intéresse<br />

peu les Européens. Du reste, Gobineau, son père spirituel, meurt seul et misérablement<br />

dans une chambre d'hôtel à Turin.<br />

Après avoir été exploitées par la gentry de « l’Old South », les théories de Gobineau<br />

et de Sudistes tels que Carthwright, Nott et Hotze sur l’inégalité des races furent<br />

évidemment récupérés par les nazis : « Une race forte soumet les races faibles » (Mein<br />

Kampf).<br />

Ces deux extraits du livre de Gobineau se passent de commentaires :<br />

« Les deux variétés inférieures de notre espèce, la race noire et la race<br />

jaune, sont le fond grossier, le coton et la laine, que les familles secondaires<br />

de la race blanche assouplissent en y mêlant leur soie, tandis que le groupe<br />

aryen, faisant circuler ses filets plus minces à travers les générations<br />

ennoblies, applique à leur surface, en un éblouissant chef-d’œuvre, ses<br />

arabesques d’argent et d’or (…)<br />

« Les civilisations se sont développées en fonction de leur appartenance à<br />

une race. Il y a trois races humaines de base : la noire, la jaune et la blanche.<br />

Les races humaines sont inégales. La noire est la plus humble et gît au bas<br />

de l'échelle. La jaune est dotée de raison pratique, mais manifeste un<br />

penchant naturel à la médiocrité. La blanche a le sens de l'honneur et<br />

possède une aptitude civilisatrice supérieure. En Europe, il n'existe pas de<br />

véritable civilisation sauf chez les nations où la race aryenne a dominé. »<br />

Jusqu’en 1865, l'idéologie esclavagiste repose donc sur trois concepts basiques : la<br />

supériorité de la race blanche sur les autres, la supériorité du riche sur le pauvre et<br />

l’endoctrinement par l’application de la pensée unique, caractéristique des pays<br />

6 BURN<strong>ET</strong>T L.A. : Henry Hotze, Confederate Propagandist : Selected Writings on Revolution, Recognition, and<br />

Race, pp. 183-191. University of Alabama Press, 2008 ; BONNER R.E. Confederate Diplomacy and the Racialist<br />

Mission of Henry Hotze. Civil War History, vol. 51, n°3, 2005.<br />

7 DeLEON E., Secret History of Confederate Diplomacy Abroad. University Press of Kansas, 2005 ; PECQU<strong>ET</strong><br />

DU BELL<strong>ET</strong> P., The Diplomacy of the Confederate Cabinet of Richmond and its Agents Abroad. Tuscaloosa, 1963.


5<br />

totalitaires au cours du siècle suivant. Ce dernier concept, George Fitzhugh (1806-<br />

1881), le chantre de la pensée sudiste, préconise de le promouvoir comme suit :<br />

« Quelques-uns de nos plus distingués professeurs s’emploient<br />

actuellement à rédiger des manuels pour nos académies, nos collèges et nos<br />

écoles ordinaires. Il est très important d’enseigner à nos jeunes comment<br />

réagir et comment s’inscrire dans l’idéologie sudiste. Nous avons commis<br />

de graves erreurs à ce sujet, mais nous les réparerons très vite. Bientôt, plus<br />

aucun livre provenant du Nord et de l’Europe ne sera admis dans le Sud 8 . »<br />

George Fitzhugh a fait école : appliquant sa théorie à la lettre, les nazis commirent le<br />

mémorable autodafé de Berlin, le 10 mai 1933.<br />

Les causes des sécessions<br />

Plus de quinze ans avant la guerre, les acteurs politiques sudistes, les journaux qui les<br />

soutiennent et les grands propriétaires terriens agitent déjà le spectre de la sécession si<br />

le Congrès fédéral persiste à interdire l’extension de l’esclavage dans les nouveaux<br />

États et territoires. Confortés par les théories des médecins sudistes dont nous venons<br />

d’évoquer les élucubrations, les ténors esclavagistes définissent le « Code noir » comme<br />

une manifestation de la volonté divine et surtout comme un droit inaliénable et<br />

extensible. La virulence de leurs parlementaires s’inscrit dans un objectif politique et<br />

économique. D’une part, les tenants de l’esclavage doivent créer de nouveaux États<br />

pour faire élire davantage de représentants au Congrès afin de pallier la montée en<br />

puissance du mouvement antiesclavagiste. D’autre part, la croissance du marché<br />

international du coton exige de nouvelles terres et des esclaves supplémentaires. En<br />

conséquence, la tension s’amplifie et dégénère au cours des trois ou quatre ans qui<br />

précèdent l’élection de Lincoln.<br />

Les historiens Paul Escott, Rolin Osterweis, William C. Davis et James McPherson<br />

ont écrit que l’ennoblissement de la cause sudiste est l’œuvre des Sons of Confederate<br />

Veterans et des United Daughters of the Confederacy. Ils forgèrent le mythe de<br />

la « Cause perdue » pour assimiler leur guerre à celle d’un peuple pour son<br />

indépendance et la défense de son économie, une cause hypocritement baptisée « Droits<br />

des États ». Or, les juristes qui ont analysé cette définition sont unanimes à déclarer<br />

qu’elle est vide de sens si l’on ne précise pas de quels droits il s’agit. Ces « Droits des<br />

États » ne sont que la version édulcorée des Droits des États à étendre l’esclavage dans<br />

les nouveaux États et Territoires, que les acteurs politiques sudistes revendiquèrent<br />

pendant la décennie qui précéda le conflit 9 .<br />

Éradiquons d’abord les affirmations selon lesquelles le Sud n’entra en guerre que<br />

pour se libérer des tarifs douaniers imposés par le Nord et pour instaurer une politique<br />

de libre-échange. Le 21 mai 1861, Richmond décréta la hausse des tarifs fixés par le<br />

8 FAUST, op cit., pp. 279-80.<br />

9 DAVIS W.C., The Cause Lost, Myths and Realities of the Confederacy, Kansas University Press, 1996 ;<br />

ESCOTT P., After Secession, Jefferson Davis and the Failure of Confederate Nationalism, L.S.U. Press, 1978 ;<br />

OSTERWEIS R.G., The Myth of the Lost Cause, Hamden, 1973 ; McPHERSON J.M., This Mighty Scourge,<br />

Perspectives on the Civil War. New York, 2007


6<br />

gouvernement fédéral et, le 14 avril 1862, une large majorité de son Congrès rejeta un<br />

projet de libre-échange entre les États rebelles et les nations européennes 10 .<br />

William C. Davis défenestre la prétendue lutte des États rebelles pour la préservation<br />

de leurs droits constitutionnels :<br />

« La compilation des débats qui secouèrent le Congrès durant la décennie<br />

qui précéda la guerre ainsi que les articles de la presse du Sud et les discours<br />

prononcés par ses acteurs politiques ne mentionnent aucun fait menaçant les<br />

droits constitutionnels des États sudistes, sauf l’esclavage. À cette époque,<br />

aucun de leurs politiciens ne se plaignit de l’ingérence de Washington en<br />

matière de tarif, de construction de routes, de milice, d’élections locales, de<br />

nominations à des postes civils ou militaires dans les États, de commerce<br />

extérieur ou de quoi que ce soit d’autre relatif aux droits des États 11 . »<br />

Dans Secession Movement 1860-1861, Dwight L. Dumont relève que, dans les neuf<br />

points de son programme électoral du 11 janvier 1860, la plate-forme démocrate sudiste<br />

se focalise sur l’extension de l’esclavage et ne formule aucun grief en matière de tarif.<br />

En outre, les ultimes pourparlers de février 1861, entre les délégués sécessionnistes et<br />

ceux de Washington, ne portent que sur l’introduction de l’esclavage dans d’autres<br />

États, pas sur son éradication et encore moins sur de prétendus conflits économiques<br />

entre le Nord et le Sud. Pour la publication d’Editors Make Wars ; Southern<br />

Newspapers in the Secession Crisis, Donald E. Reynolds éplucha plus de deux cents<br />

journaux issus des archives des États sécessionnistes. Son verdict, sur les mensonges,<br />

les manipulations et les motivations des propriétaires d’esclaves, de leurs députés et de<br />

leurs sénateurs, conforte l’analyse de William C. Davis et de Dwight L. Dumont 12 .<br />

Dès l’élection de Lincoln, la rage de ne plus diriger le pays et de ne pas pouvoir<br />

implanter l’esclavage dans de nouveaux territoires exacerbe bien plus la hargne des<br />

meneurs sécessionnistes que la menace abolitionniste dans l’immédiat. Pourtant, la<br />

Constitution favorise encore les extrémistes puisqu’en 1861, l’éventuelle abolition de<br />

l’esclavage aurait exigé une révision de la Constitution votée par au moins la majorité<br />

des deux tiers. Or, à ce moment-là, le Parti républicain ne dispose pas de ce quota et il<br />

n’aurait jamais obtenu les voix des élus du Parti démocrate nordiste, qui s’opposent à<br />

l’extension de l’esclavage dans les nouveaux territoires, mais pas à son maintien là où il<br />

existe déjà. S’il est indéniable que le Nord ne partit pas en guerre pour abolir<br />

l’esclavage, il est absolument irréfutable que le Sud déclencha le conflit pour renforcer<br />

son « institution particulière » et lui ouvrir de nouveaux horizons. Les National<br />

Archives fédérales américaines ainsi que les collections des musées et des universités<br />

sudistes ne nous laissent aucun doute à ce sujet depuis que ces organismes ont numérisé<br />

et introduit sur Internet les articles de la presse esclavagiste ainsi que les discours et le<br />

courrier des meneurs, des tribuns et des acteurs politiques qui militèrent pour<br />

l’extension de l’esclavage et le rétablissement de la « traite de Bois d’Ébène » 13 .<br />

10 Journal of Congress of Confederate States, vol. I, pp. 820-21, vol. V, p. 171 ; Proceedings of Congress of the<br />

Confederate States, vol. 65, p. 60 ; YEARNS W.B., The Confederate Congress, Athens, 1960 pp. 186-88 ; TODD<br />

C.T., Confederate Finance, p. 127. Athens, 1954.<br />

11 DAVIS, op cit., p. 180 ; SINHA M., Counterrevolution of Slavery, Politics and Ideology in Antebellum South,<br />

p. 229. Chapel Hill, 2000.<br />

12 DUMOND D.L. Secession Movement 1860-61, pp. 33, 159-70, 197-98, 203-7, 222-26. New York, 1963 ;<br />

Official Journal of the Convention held in Washington, February 1861, National Archives ; Proceedings of the<br />

Democratic State Convention Held in the City of Montgomery, janvier 11, 1860, pp. 27-34. Georgia Archives.<br />

13 DUMOND, op cit., p. 144.


7<br />

Rappelons quelques-unes de leurs exhortations à la sécession 14 :<br />

« Ceux qui ne sont pas pour nous sont contre nous. Il ne peut y avoir de<br />

situation intermédiaire. Ceux qui critiquent l’esclavage sont les ennemis du<br />

Sud. »<br />

« La sujétion de la race africaine existe depuis le début de la colonisation<br />

et le peuple entend maintenir cette situation. »<br />

« L’assujettissement des Africains, tel qu’il existe dans nos États, est<br />

bénéfique à la fois aux Blancs et aux Noirs. C’est un fait que l’expérience<br />

humaine autorise et justifie amplement, un fait qui a été révélé par la volonté<br />

du Créateur et reconnu par toutes les nations chrétiennes (…) La destruction<br />

des clivages actuels entre les deux races causerait d’inévitables calamités et<br />

ruinerait quinze États esclavagistes.<br />

« Le Parti républicain veut ruiner le système patriarcal et bénéfique de<br />

l’esclavage et à soutenir la contestable doctrine selon laquelle tous les<br />

hommes sont égaux sans distinction de race et de couleur. Cette doctrine<br />

s’oppose totalement à la nature et à l’expérience humaine et viole la<br />

révélation de la loi divine (…) Il est irréfragable que les gouvernements des<br />

États et celui de la Confédération furent créés par et pour la race blanche et<br />

ses descendants. Les Africains ne sont pas concernés par ce système<br />

politique car ils appartiennent à une race inférieure. Dans notre région, c’est<br />

seulement sous ce statut qu’ils sont utiles ou tolérés. »<br />

La menace de faire sécession, si une révision de la Constitution n’ouvre pas les<br />

nouveaux États et Territoires à l’esclavage, est très antérieure à l’élection de Lincoln.<br />

En 1837, le sénateur sudiste John C. Calhoun hurle en plein Congrès : « L’abolition et<br />

l’Union ne peuvent pas coexister, » Le député Ben Witner surenchérit : « La sécession,<br />

avec toutes ses conséquences, sera inévitable si les abolitionnistes arrivent au<br />

pouvoir ! » En 1846, la tension se crispe lorsque le député démocrate David Wilmot<br />

soumet au Congrès un projet de loi prohibant l’esclavage dans les terres occupées par<br />

les États-Unis durant leur conflit avec le Mexique. La même année, dans son message à<br />

ses chambres, le gouverneur Seabrook de Caroline du Sud esquisse les prémices des<br />

sécessions : « Si l’esclavage est aboli dans le District de Columbia et que la motion<br />

Wilmot est adoptée, l’Union sera dissoute 15 . » Reportée dans un premier temps par le<br />

Sénat, cette motion est repoussée définitivement en 1847 16 .<br />

Gabor S. Boritt, l’un des grands spécialistes de la question, note qu’après la<br />

conclusion du traité de Guadalupe Hidalgo qui met un terme à la guerre avec le<br />

Mexique, le mode de peuplement de ces nouvelles terres enflamme immédiatement les<br />

débats politiques parce qu’il devient impossible d’en extirper l’esclavage 17 . »<br />

Le 23 décembre 1848, quatre-vingts des cent vingt et un députés sudistes au Congrès<br />

déposent une motion dans laquelle ils menacent d’entraîner leurs États dans la sécession<br />

si les abolitionnistes interdisent l’introduction d’esclaves dans les territoires récemment<br />

14 BUENGER W.L., Secession and the Union, pp. 7, 21. Austin, 1984 ; CAMPBELL, Empire for Slavery, the<br />

Peculiar Institution in Texas, p. 220. Baton Rouge, 1989 ; JORDAN T.G., Imprints of the Upper and Lower South on<br />

Mid 19 th Century Texas, p. 688 ; NORTON W., The Methodist Episcopal Church and the Civil Disturbances in North<br />

Texas in 1859 and 1860, pp. 318-22, in « Southern Historical Quarterly », vol. 68, 1965 ; WINKLER E.W.,<br />

Platforms of Political Parties in Texas, pp. 89-92. Austin, 1916.<br />

15 SINHA, op cit., pp. 64-72, 91-123.<br />

16 Wilmot Proviso, in « Journal of American History », vol. 56-1959. pp. 262-79.<br />

17 BORITT G.S., Why the Civil War Came, p. 83. New York, 1996.


8<br />

ouverts aux colons américains. Le 29 janvier 1850, John C. Calhoun vocifère à<br />

nouveau : « Si le Sud ne peut pas préserver l’esclavage, la sécession sera son seul<br />

recours. » Cinq mois plus tard, les députés de neuf États sudistes se réunissent en<br />

convention à Nashville et projettent déjà de constituer une confédération si on ne leur<br />

garantit pas l’extension de l’esclavage dans les futurs États.<br />

La même année, le Compromis du Missouri apaise la tension, mais ne résout pas le<br />

problème de l’esclavage. Le Congrès admet la Californie dans l’Union avec le statut<br />

d’État libre et interdit la vente d’esclaves dans le District de Columbia. En contrepartie,<br />

il autorise la récupération des fugitifs noirs dans les États libres et crée les Territoires du<br />

Nouveau-Mexique et de l’Utah dont l’acte organique ne stipule rien sur le statut des<br />

Noirs. Ces Territoires étaient administrés par un gouverneur nommé par Washington et<br />

par une assemblée élue par la population locale. Les membres de cette assemblée<br />

n’avaient pas le droit de voter au Congrès fédéral 18 .<br />

Les institutions sudistes se sentent plus menacées que jamais lorsque se profile une<br />

nouvelle séquence politique : la création du Parti républicain qui rallie les dissidents<br />

abolitionnistes des Whigs et des Démocrates. Le Kansas-Nebraska Act de 1854<br />

déclenche une violence généralement considérée comme le prologue de la guerre civile<br />

américaine. Ce nouvel acte annule les précédents en termes de répartition de l’esclavage<br />

et instaure un nouveau mode de peuplement. Le Congrès décide de laisser, aux habitants<br />

de ces deux États, le choix de se prononcer par un vote sur l’instauration de l’esclavage<br />

ou sur son rejet. Le Kansas verse alors dans une guérilla interne au cours de laquelle<br />

abolitionnistes et esclavagistes s’affrontent les armes à la main pour emporter la<br />

décision. En dépit du succès électoral des abolitionnistes, l’armée régulière doit<br />

intervenir pour rétablir le calme.<br />

Le Charleston Mercury de Robert B. Rhett était un journal très populaire dans les<br />

États sudistes, ses éditoriaux influençaient la population et reflétaient les opinions de ses<br />

élus. Le 13 juillet 1855, Rhett y écrit :<br />

« Nous voulons que les Territoires libres accèdent à l’esclavage, mais<br />

nous voulons aussi en acquérir d’autres pour y étendre l’esclavage : Cuba, le<br />

nord du Mexique, le Nicaragua, les Caraïbes etc… Nous voulons rétablir la<br />

traite des Noirs pour que tous nos Blancs puissent en acquérir et soient<br />

libres de les emmener où ils veulent (…)<br />

« Si le rétablissement de la traite échoue, cela démontrera les graves<br />

dommages que nous subissons en raison de notre aléatoire union avec le<br />

Nord, et l’avantage majeur que nous tirerions d’une Confédération sudiste. »<br />

Le 19 janvier 1860, Christopher Memminger, le futur ministre des Finances de la<br />

Confédération, affirme publiquement que l’Union sera dissoute si le Sud n’obtient pas<br />

une révision de la Constitution en faveur de l’esclavage. Le 20 février, le député Peter<br />

Starke du Mississippi écrit au gouverneur de Virginie :« Une victoire des Républicains<br />

forcera le Sud à entamer une guerre sanglante 19 . »<br />

Le 23 novembre en Caroline du Sud, le député James Orr déverse sa hargne :<br />

« l’émancipation menace nos Blancs avec le spectre de l’égalité, ils n’ont d’autre choix<br />

que celui de quitter l’Union 20 . »<br />

18 WILSON C.N. (Edit.), Papers of J.C. Calhoun, 1835-1837, pt. 13, p. 394. Columbia, 1980.<br />

19 DeBow’s Review, vol. 29, pp. 751-771 ; DUMOND, op cit., pp. 27-29.<br />

20 LEEMHUIS R.P., James Orr and the Sectional Conflict, p. 73. Washington, 1979 .


9<br />

Dès la semaine suivante, les vociférations esclavagistes se multiplient dans le Sud :<br />

• « Si le Congrès persiste à interdire le commerce des esclaves dans les<br />

Territoires et entre tous les États, rien ne sauvera l’Union 21 . »<br />

(27 novembre 1860, Herschel Johnson, vice-président du Parti démocrate<br />

sudiste)<br />

• « Ce gouvernement fut bâti pour le Blanc, nos Pères en exclurent les Noirs,<br />

une race inférieure qui n’a pas le droit de s’associer aux Blancs en matière<br />

d’égalité civile, politique et sociale (…) Dès lors, soit nous acceptons le<br />

régime républicain sans esclavage et nous devrons consentir à l’égalité<br />

raciale, soit nous nous séparons des Républicains pour maintenir<br />

l’esclavage. Dans ce cas, la sécession devient inévitable (…) La fin de la<br />

suprématie blanche serait si horrible, qu’aucun Sudiste respectable ne<br />

refusera d’adhérer à la sécession. C’est seulement grâce à celle-ci que le Sud<br />

préservera la pureté de la race blanche 22 . »<br />

(17 décembre 1860, juge W.L. Harris du Mississippi)<br />

• « Les Républicains ont clairement l’intention de déroger à la Constitution et<br />

d’éradiquer les droits du Sud, notamment celui qui autorise un Blanc à<br />

posséder un autre homme (…) Le premier acte des Républicain sera de<br />

bannir l’esclavage (…) À ce moment-là, le Sud perdra ses droits et sa<br />

sécurité (…) Donc, son seul moyen d’empêcher l’insurrection des Noirs<br />

consiste à proclamer immédiatement la sécession 23 . » (19 décembre 1860,<br />

Juge Alexander H. Handy du Mississippi)<br />

• « La controverse entre le Nord et le Sud se focalise seulement sur un<br />

problème racial (…) Le Sud est fatigué de cette controverse (…) Le temps<br />

de la sécession est arrivé 24 . » (20 décembre 1860, délégués Isham Garrott et<br />

Robert Smith de l’Alabama)<br />

• « À la seule idée que les esclaves puissent devenir nos égaux, la Caroline du<br />

Sud vous accueillira dans une Confédération où seul l’homme blanc gèrera<br />

son avenir et pourra transmettre à sa postérité les droits, les principes et les<br />

honneurs que nous ont légués nos ancêtres 25 . »<br />

(21 décembre 1860, député John McQueen de Caroline du Sud)<br />

• « L’élection de M. Lincoln génère l’outrage suprême, celui qu’aucun<br />

patriote sudiste ne devrait sous-estimer : l’extinction de l’esclavage (…)<br />

C’est le devoir impérieux des États sudistes de reprendre le pouvoir qu’ils<br />

ont délégué au gouvernement central à Washington. La sécession est la<br />

seule réponse à la victoire républicaine (…) Un Sudiste pourrait-il, sans<br />

indignation ni horreur, voir ses enfants côtoyer des Noirs libres dans une<br />

société politiquement et socialement égalitaire ? La sécession nous ouvrira<br />

21 Daily Missouri Republican, 12 décembre 1860 ; DUMOND, op cit., pp. 151-52.<br />

22 Address of Hon. W.L. Harris, Commissioner from Mississippi, Milledgeville, Ga., 1860, 29, 58, 77, 983-89.<br />

23 Baltimore Sun et New York Times, 20 décembre 1860 ; Washington National Intelligencer, 21 décembre 1860.<br />

24 SMITH W.R., History and Debates of the Convention of the People of Alabama, pp. 432-36. New York, 1924<br />

25 Charleston Daily Courier, 29 décembre 1860.


10<br />

un avenir glorieux et les moyens de maintenir la divine souveraineté du<br />

Blanc sur la race noire 26 . »<br />

(26 décembre 1860, député Stephen F. Hale de l’Alabama)<br />

• « La Caroline du Sud a fait sécession parce que le Parti républicain entend<br />

déraciner notre institution particulière (l’esclavage) et ravager le Sud 27 . »<br />

(11 janvier 1861, député Armistead Burt de Caroline du Sud)<br />

• « Seul un peuple dénué de vertus et de dignité peut adhérer à la doctrine<br />

républicaine d’égalité sociale et politique entre les Blancs et les Noirs 28 . »<br />

(13 février 1861, député Samuel L. Hall de Géorgie)<br />

• « Le Parti républicain se commet dans une croisade visant à la destruction<br />

de l’institution particulière qui est notre essence politique et sociale. Le seul<br />

moyen de sauver le Sud réside dans la sécession pour protéger l’esclavage<br />

de toute agression ultérieure 29 . » (18 février 1861, délégué Fulton Anderson<br />

du Mississippi)<br />

• « C’est ma conviction et celle de la Géorgie que seule la sécession évitera<br />

l’abolition de l’esclavage (…) Si nous ne réagissons pas, la race noire<br />

deviendra majoritaire et nous aurons des gouverneurs noirs, des députés<br />

noirs, des cours de justice noires etc. Pourrions-nous supporter ça 30 ? »<br />

(18 février 1861, Henry Benning, chargé de mission par la Géorgie)<br />

• « Le Sud ne peut pas exister sans l’esclavage. Seule une race placée sur un<br />

pied d’égalité peut travailler dans le Nord, en revanche seule une race<br />

inférieure peut travailler dans le Sud 31 . »<br />

(19 février 1861, John S. Preston, juriste à l’université de Harvard, Virginie)<br />

• « Les objectifs des Républicains sont clairs : l’extinction de l’esclavage et<br />

l’accès du Noir à l’égalité politique et sociale (…) C’est uniquement pour<br />

ces raisons que la Géorgie rompt ses relations avec l’Union 32 . »<br />

(2 mars 1861, Luther J. Glenn, chargé de mission par la Géorgie)<br />

D’autres commissionnaires comme William Cooper, David Clopton et Arthur<br />

Hopkins de l’Alabama, Tom Wharton du Mississippi et Leo Spratt de Caroline du Sud,<br />

définissent eux aussi la sécession comme le seul moyen d’enraciner la prééminence de<br />

la race blanche dans le Sud. Se fondant sur la dialectique de ces apôtres de la sécession,<br />

K.E. Fritz, R.E. May, D.E. Reynolds, J.L. Wakelyn et W.S. Town prouvent que ces<br />

appels à la dissidence visaient à la création d’un empire esclavagiste incluant le Sud et<br />

des parcelles des États voisins. L’accueil réservé au discours que le vice-président<br />

Alexander Stephens prononça le 21 mars 1861 à Savannah (Cornerstone Speech)<br />

démontre que ce sectarisme n’était pas le fait d’une poignée de forcenés. Dans sa longue<br />

26 Official Records of the Union and Confederate Armies, Series 4, vol. 1-4, pp. 4-15. Washington D.C., 1880-<br />

1901.<br />

27 Journal of the Mississippi State Convention, pp. 17, 21 ; Jackson Weekly Mississipian, 16 janvier 1861.<br />

28 Journal of the State Convention of Georgia, p. 357.<br />

29 DUMOND, op cit., p. 255.<br />

30 DUMOND, op cit., pp. 256-57.<br />

31 REESE G.H. (Edit.) , Proceedings of the State Convention of 1861, pp. 50-93. Richmond, 1965.<br />

32 Atlanta Southern Confederacy, 15 mars 1861.


11<br />

péroraison, dont nous ne retenons qu’une partie, l’extension de l’esclavage est la raison<br />

majeure et suffisante des sécessions, la « pierre angulaire » de la doctrine sur laquelle se<br />

fonde la Confédération. Dans l’extrait qui suit, nous avons respecté les minuscules et les<br />

majuscules que Stephens réserva à nègres, noirs et Blancs 33 .<br />

« Notre nouvelle Constitution (confédérée) clôture les agitations relatives<br />

à l’esclavage des noirs, tel qu’il existe chez nous en tant que statut normal<br />

du nègre dans notre civilisation. L’ESCLAVAGE EST LA <strong>CAUSE</strong><br />

IMMÉDIATE DE NOTRE RUPTURE (sécession) <strong>ET</strong> DE LA<br />

PRÉSENTE RÉVOLUTION. Le président Thomas Jefferson l’avait<br />

prédite, il définissait l’esclavage comme le rocher sur lequel l’Union<br />

pourrait se briser (…)<br />

« Ses idées et celles de maints hommes d’État étaient que l’esclavage des<br />

noirs violait les lois de la nature parce qu’il s’opposait aux principes<br />

sociaux, moraux et politiques (…)<br />

« Les principes de Thomas Jefferson étaient fondamentalement erronés<br />

parce qu’ils se réclamaient de l’égalité raciale. Notre gouvernement adhère à<br />

un concept opposé. Le fondement de ce concept, sa pierre angulaire, est que<br />

le nègre n’est pas l’égal du Blanc et que sa subordination à une race<br />

supérieure correspond à sa condition normale et naturelle. Notre<br />

gouvernement est le premier, dans l’histoire du monde, à reposer sur ce<br />

principe philosophique et cette vérité morale (…)<br />

« Parmi ceux qui m’écoutent, beaucoup savent que ces vérités ne sont pas<br />

admises ailleurs (…) Les gens du Nord les contestent avec un zèle dépassant<br />

l’entendement et nous définissent comme des fanatiques (…) Ils prétendent<br />

que le nègre est notre égal et qu’il peut donc bénéficier des mêmes droits et<br />

privilèges que le Blanc (…)<br />

« Avec nous, tous les Blancs sont égaux au regard de la loi, quel que soit<br />

leur statut social. Il en va différemment du nègre dont la place se trouve<br />

dans la subordination (…) C’est tout à fait conforme à l’ordre naturel voulu<br />

par Dieu, et il ne nous appartient pas de réfuter la sagesse de son entreprise<br />

qui créa des races différentes (…)<br />

« Notre Confédération est fondée sur des principes strictement conformes<br />

aux lois divines. Ce point de vue, que rejetèrent les auteurs de notre<br />

première Constitution, devient la pièce maîtresse, la pierre angulaire de<br />

notre nouvel édifice (…)<br />

« La désintégration de la vieille Union se produira avec certitude si nous<br />

maintenons le bon cap. Nous sommes le noyau d’un pouvoir qui deviendra<br />

la puissance majeure de ce continent si nous restons fidèles à nous-mêmes, à<br />

notre destinée et à notre haute mission 34 . »<br />

Il existe quelques variantes de cette harangue, elles sont mineures car elles résultent<br />

seulement de l’adaptation de la phraséologie particulière de l’auteur. Il est quasiment<br />

33 DAVIS, op cit., pp. 180-82 ; FRITZ K.E., Confederate Rhetoric, 1861-1865, passim. Denton, 1999 ; MAY<br />

R.E., Southern Dream of a Caribbean Empire, passim. University Press of Florida, 2002 ; REYNOLDS D.E., Editors<br />

Make War : Southern Newspapers in the Secession Crisis, passim. Nashville, 1970 ; TOWNS W.S., Oratory and<br />

Rhetoric in the 19 th Century South, passim. Greenwood Press, 1998 ; WAKELYN J.L., Southern Pamphlets on<br />

Secession, passim. Chapel Hill, 1996.<br />

34 FINKELMAN, op. cit., pp. 89-95.


12<br />

certain que Stephens corrigea une ultime fois son texte avant de le communiquer à la<br />

presse. En outre, les tribuns politiques de cette époque avaient l’habitude de réviser<br />

leurs discours lorsque, des années plus tard, ils les inséraient dans leurs mémoires. Dans<br />

son discours du 29 avril 1861, Davis réaffirme que l’esclavage est « l’institution grâce à<br />

laquelle une race supérieure a transformé de brutaux sauvages en de sociables et<br />

dociles travailleurs agricoles 35 . »<br />

En dépit des archives du Congrès américain et de la presse sudiste, certains<br />

nostalgiques de l’Old South romantique persistent à objecter que la majorité de ses<br />

habitants étaient des braves gens qui possédaient peu ou pas d’esclaves et ne<br />

partageaient pas cette vision raciste. Ce serait faire fi de l’âme humaine et de l’envie qui<br />

dévorait les pauvres et les laissés pour compte de gravir l’échelle sociale sudiste rien<br />

qu’en acquérant des esclaves. Les élections de 1860 le prouvent car les deux candidats<br />

sudistes fondèrent leur campagne électorale sur l’extension de l’esclavage. Le<br />

programme de John C. Breckinridge proposa carrément la sécession si le scrutin lui<br />

refusait la « liberté » d’introduire des esclaves dans les nouveaux États et Territoires. Le<br />

programme de John Bell visait au même objectif mais par des voies légales. En outre,<br />

les études approfondies d’auteurs tels que W.S. Towns, K. Fritz, D.L. Dumond et J.L.<br />

Wakelyn démontrent que tous les journaux sudistes soutinrent l’extension de<br />

l’esclavage, à l’exception de quelques tirages émanant de la communauté<br />

germanophone du Texas, qui fut contrainte de s’exiler en 1862 à la suite de son refus<br />

d’adhérer aux diktats de la suprématie blanche 36 .<br />

Les principaux organes de presse sudistes et plus particulièrement le Charleston<br />

Mercury de Rhett blanchissent les éventuels scrupules des gentlemen sudistes : « la<br />

traite des Africains leur est profitable car ses aspects inhumains sont les maux<br />

nécessaires au progrès de la civilisation. » Les Églises sudistes, catholiques et<br />

réformées avalisent cette opinion et se dissocient de leurs branches nordistes et<br />

antiracistes pour ne pas perdre leur « clientèle » locale. Au cœur de ce feu d’artifice<br />

racial, une commission formée par des notables de la Caroline du Sud décrète que « la<br />

traite des Africains n’est pas un acte de piraterie (…) car elle contribue à leur élévation<br />

morale et physique. » En 1859, la Convention de Vicksburg, qui réunit des<br />

représentants élus par l’oligarchie cotonnière de la majeure partie des futurs États<br />

confédérés, dénie au gouvernement fédéral le droit de s’immiscer dans le commerce des<br />

esclaves et de s’opposer à la réouverture du trafic de Bois d’Ébène 37 .<br />

Durant les quatre ou cinq ans qui précèdent la guerre, la reprise légale de la traite<br />

(nous verrons qu’en pratique, elle persista jusqu’en 1861) ne séduit pas tous les Sudistes<br />

pour des raisons économiques. La réintroduction massive de Noirs effraye les planteurs<br />

et les marchands qui contraignent leurs esclaves à copuler pour alimenter le marché en<br />

Pièces d’Inde dont le coût ne cesse d’augmenter. La prolifération de quarterons dans les<br />

plantations reflète les abus de leurs propriétaires qui satisfont leurs pulsions tout en<br />

valorisant leur cheptel humain car plus leurs esclaves ont le teint clair, plus ils en tirent<br />

un prix élevé.<br />

La célèbre chroniqueuse Mary Chesnut appartenait à l’élite esclavagiste puisque son<br />

époux était un intime du président Davis. Évoquant très succinctement le droit de<br />

35 DEW C.B., Apostles of Desunion, Southern Secession Commissioners and the Causes of the Civil War, p. 14.<br />

Charlottesville, 2001 ; RICHARDSON J., Messages & Papers of the Confederacy, vol. I, pp. 67-68. Nashville, 1905.<br />

36 FRITZ K.E., Voice in the Storm. University of North Texas Press, 1999 ; TOWNS W.S., Oratory and Rhetoric<br />

in Defense of Slavery. Greenwood Press, 1998 ; WAKELYN J.L., Southern Pamphlets on Secession, 1860-1861.<br />

University of North Carolina Press, 1996.<br />

37 SINHA, op cit., pp. 125-30.


13<br />

cuissage qu’exercent beaucoup de planteurs sur leurs esclaves noires, elle émet une<br />

opinion qui nous interpelle considérablement :<br />

« Nous vivons entourées de prostituées noires (…) Dans chacune de nos<br />

familles, on peut y voir des mulâtres qui ressemblent trait pour trait aux<br />

enfants blancs légitimes (…) Ce sont des méfaits vis-à-vis des épouses<br />

blanches qui souffrent en silence de la méconduite de leur époux (…)<br />

« Ces beautés noires bestiales sont seulement des animaux 38 . »<br />

Pour la très distinguée Mary Chesnut, les véritables victimes de ces abus sexuels sont<br />

essentiellement les vertueuses épouses blanches. En revanche, William Harper,<br />

l’architecte de la suprématie aryenne en Caroline du Nord, soutient que les relations<br />

sexuelles entre maîtres et esclaves « protègent la pureté des femmes blanches et<br />

jugulent la prostitution dans les classes inférieures blanches. » D’après les historiens<br />

Peter Kolchin, Jeff Forret et le Dr Tomoko Yagyu de l’Université de Caroline du Nord,<br />

l’analyse du courrier échangé entre planteurs et marchands d’esclaves démontre qu’ils<br />

négociaient fréquemment les charmes de leurs quarteronnes et surtout de leurs<br />

octavonnes 39 :<br />

« Les relations sexuelles entre les Blancs et leurs esclaves étaient très<br />

banales dans la vie quotidienne des plantations car leurs propriétaires, leurs<br />

fils et leurs surveillants tiraient avantage de leur position de dominant pour<br />

contraindre leurs Noires à leur céder ce que leur refusaient les Blanches. »<br />

Ressenties comme une tare indéfectible de l’establishment sudiste, les histoires de<br />

diaboliques quarteronnes qui outragent la « bonne société » blanche, révulsent l’Old<br />

South jusqu’à la fin du XX e siècle. Des romanciers très populaires, comme Robert P.<br />

Warren (1905-1989), Frank Yerby (1916-1991), Frank G. Slaughter (1908-2001) et<br />

même William Faulkner (1897-1962) ont tiré, de cet épiphénomène, une pléthore de<br />

romans dont certains furent portés à l’écran, notamment L’esclave libre (Band of<br />

Angels) du roman de Robert P. Warren, réalisé par Raoul Walsh en 1957.<br />

Telle que ses partisans l’envisagent, la reprise de la traite des esclaves africains<br />

risque donc d’affecter le marché intérieur des esclaves nés en Amérique. Durant les<br />

élections présidentielles de 1860, les acteurs politiques sudistes relèguent ce projet au<br />

second plan car ils sentent qu’il peut nuire à leur unité dans leur volonté d’obtenir une<br />

révision de la Constitution autorisant l’esclavage dans les nouveaux Territoires<br />

américains 40 .<br />

Relevons à ce propos l’une des grandes hypocrisies ou l’un des grands mensonges<br />

que Jefferson Davis formule dans son Rise and Fall of the Confederate Government,<br />

vol. 1, p. 4 :<br />

38 WOODWARD C.V., Mary Chesnut’s Civil War, p. 29. New Haven, 1981.<br />

39 BAPTIST E.B., Rape, Commodification and Domestic Slave Trade in the U.S.A., pp. 1637-49. American Hist.<br />

Review (December 2001) ; KOLCHIN, op. cit., pp. 124-25 ; FORR<strong>ET</strong> J., Race Relations at the Margins, Slaves and<br />

Poor Whites in the Anrebellum Southern Countryside, pp. 184-222. L.S.U. Press, 2006 ; YAGYU T., Slave Traders<br />

and Planters in the South, p. 160. University of North Carolina, 2006.<br />

40 CARNAHAN W.J., Attempt to Reopen the African Slave Trade, pp. 134-44, in « 6 th Annual Convention of the<br />

Southwestern Political and Social Science Association », 1925. ; FINKELMAN, op cit. p. 24 ; FORNELL E.,<br />

Agitation in Texas for Reopening the Slave Trade, pp. 245-60, in « Southwestern Historical Quarterly », vol. 60-<br />

1956 ; JENKINS, op cit., pp. 95-103 ; JEW<strong>ET</strong>T C. & ALLEN J., Slavery in the South, a State by State History, pp.<br />

72, 246. Greenwood Press, 2004 ; SPEARS J.R., The African Slave-Trade, pp. 197-201, 208-9. New York, 1900 ;<br />

TAKAKI R.T., Pro-Slavery Crusade, Agitation to reopen the African Slave Trade, pp. 180-85. New York, 1971.


14<br />

« L’importation des esclaves dans le Sud, par les marchands et les<br />

navires du Nord, persista sans que rien ni personne s’y oppose jusqu’à ce<br />

que ce commerce soit prohibé par une action spontanée de la part des États<br />

sudistes (…)<br />

« Pendant plus de vingt ans, cette matière (la traite des Noirs) ressortit<br />

exclusivement à la compétence de chaque État. Et chaque État, sans<br />

exception, édicta des lois prohibant l’importation d’esclaves. »<br />

Or, rien qu’en 1859, la marine fédérale saisit huit négriers au large des côtes sudistes<br />

et dans ses ports : les Echo, Brothers, Richard Cobden, E.A. Rawlins, Wanderer, N.C.<br />

Trowbridge, R. Dickson et Clotilde. Ces cargos n’appartiennent pas à des « vils<br />

trafiquants yankees », comme Jefferson Davis et, un peu plus tard, les valets des Sons of<br />

Confederate Veterans ont voulu le faire accroire, mais à des représentants de l’élite<br />

sudiste : D.H. Hamilton, Charles A.L. Lamar, Ben Davis et William Lorrie de Caroline<br />

du Sud ; McGhee de Géorgie et T. Meagher de l’Alabama. La Justice de l’État où leurs<br />

crimes ont été constatés ne peut légalement se soustraire à l’obligation d’incarcérer les<br />

capitaines de ces négriers, mais tous s’éclipsent grâce aux interventions de leurs<br />

« honorables » commanditaires, en l’occurrence les hommes d’affaires précités.<br />

D’après l’enquête sollicitée avant la guerre civile par le sénateur Stephen Douglas du<br />

Parti démocrate, les négriers introduisent quelque 15 000 Africains dans le Sud entre<br />

1850 et 1859. Souvent, ces malheureux sont enlevés par des trafiquants qui les<br />

négocient à Cuba où, pour des raisons obvies, les autorités locales se gardent<br />

d’intervenir. Le courrier, les rapports et les témoignages des diplomates et des<br />

observateurs étrangers en poste dans les États esclavagistes révèlent que les compagnies<br />

maritimes sudistes contreviennent aisément et impunément à l’article 8 du Traité de<br />

Webster-Ashburton, conclu en 1842 avec la Grande-Bretagne pour juguler la traite en<br />

haute mer. Les archives portuaires sudistes, du moins celles qui ont survécu à la guerre,<br />

établissent que ces trafiquants importent un minimum de 2 000 Noirs entre 1858 et 1860<br />

et 80 bâtiments en débarquent plus de 5 000 entre avril 1860 et avril 1861.<br />

Les cargos qui déportent les Africains en entassent des quantités qui varient en<br />

fonction de leur tonnage et de la configuration de leurs soutes. Par exemple, l’Echo en<br />

contient 318 dont 170 décèdent de maltraitance pendant le voyage depuis Cuba ; le<br />

Wanderer plus de 400 et le Clotilde 200. Ces estimations sont minimalistes parce que<br />

les archives portuaires sudistes sont incomplètes et ne mentionnent pas toujours le fret<br />

humain que les trafiquants ont lesté en cours de route. À l’époque, les observateurs<br />

américains et étrangers colligent aisément ces informations car la presse annonçait les<br />

arrivages de Pièces d’Inde, leur nombre et la date de leur mise en vente. Des études<br />

récentes, fondées sur les livres de bord que saisirent l’U.S. et la Royal Navy, estiment<br />

qu’entre 1830 et 1867, les négriers venant de Cuba ou du Brésil perdaient en moyenne<br />

12 % de leurs Noirs au cours du voyage 41 .<br />

41 CAMPBELL, op cit., pp. 50-66 ; ELTIS D., BEHRENDT S.D., RICHARDSON D. & KLEIN H.S., The<br />

Transatlantic Slave Trade, A database CD-rom. Cambridge University, U.K., 1998 ; FEHRENBACHER D.E., The<br />

Slaveholding Republic, p. 200-201. New York, 2001 ; HOWARD W.S., American Slavers, pp. 203-204, 220-23.<br />

Berkeley, 1963 ; KLEIN H.S., The Atlantic Slave Trade, pp. 136-41. Cambridge University Press, 1999 ; LISTON<br />

R., Slavery in America, pp. 34-39. New York, 1970 ; LOGAN J.A., The Great Conspiracy, its Origin and History,<br />

pp. 81, 150, 152. New York, 1971 ; ROBBINS F.H., Origins and Development of the African Slave Trade into Texas,<br />

pp. 111, 119-20, 139-40. Houston, 1972 ; SINHA, op cit., pp. 153-64 ; WELLS T.H., The Slave Ship Wanderer, pp.<br />

1-34, 50-51 ; 81-87. Athens, 1967 ; WHITE L.H., The South in the 1850 as Seen by British Consuls, p. 38, in<br />

« Journal of Southern History », vol. 1-1935 ; WISH H., Revival of the African Slave Trade in the United States, pp.<br />

582-85. in « Mississippi Valley Historical Review », vol. 27, Mars 1941.


15<br />

La « douceur de vivre » dans le Sud d’avant-guerre …<br />

Entassement des esclaves noirs dans les soutes d’un navire négrier. (Gravure du 19 e siècle)<br />

À gauche : manifeste d’un navire négrier de La Nouvelle-Orléans. (www.archives.gov)<br />

À droite : affiche de 1860 annonçant la vente pêle-mêle de Noirs et de bétail. (www.thesocietypages.org)


16<br />

Ventes publiques de Noirs en 1860.<br />

(www.americanancestors.org et www.thesociety.org)<br />

Cage en fer pour esclaves récalcitrants en Virginie orientale. Dans la société pudibonde sudiste,<br />

la nudité de cette esclave, en vue d’une vente publique en Virginie, illustre le statut de bétail<br />

dans lequel les Noirs sont tenus à la veille et même pendant la guerre civile.<br />

(www.warrentonvirginia.org)


17<br />

Les collaborateurs de Jefferson Davis réservent à la réouverture de la traite un<br />

enthousiasme qu’ils oblitèrent prudemment dans la rédaction de leurs mémoires. En<br />

1854 par exemple, le sénateur John Slidell (futur commissionnaire de la Confédération<br />

en France) et Ambrose D. Mann (futur commissionnaire de la Confédération en<br />

Belgique) proposent carrément l’annulation de l’article 8 du Traité de Webster-<br />

Ashburton, conclu en 1842 avec la Grande-Bretagne, parce qu’il assimile la traite des<br />

Noirs à la piraterie. Savez-vous qu’aujourd’hui encore, il y a des fanatiques de<br />

l’idéologie sudiste, qui honorent la tombe parisienne de ces deux chantres du commerce<br />

de chair humaine ! En 1860, les sénateurs James Mason (futur commissionnaire de la<br />

Confédération en Grande-Bretagne) et Robert Toombs (futur ministre des Affaires<br />

étrangères de la Confédération) militent pour la reprise de la traite. Le premier, sous<br />

prétexte que la Constitution américaine ne contient aucun article autorisant le<br />

gouvernement fédéral à la supprimer. Le second, parce que le traité de Webster-<br />

Ashburton contraint la flotte américaine à arraisonner les négriers qui opèrent depuis<br />

Cuba et le Brésil et à traduire en justice ceux qui les commandent 42 .<br />

L’esclavage des Noirs recèle une antinomie que les fanatiques de l’Old South aiment<br />

agiter pour tenter de noyer ses tares dans un dé à coudre. En 1860, sur les 3 953 000<br />

esclaves recensés aux États-Unis, seulement 10 000 subissent le joug de maîtres qui ne<br />

sont guère plus blancs qu’eux. Cette contradiction sociétale résulte surtout de la vente<br />

de la Louisiane aux États-Unis par Napoléon I er en 1803. À l’époque, cette ancienne<br />

colonie française compte un nombre considérable de Noirs libres, souvent des métis au<br />

teint clair ou basané dont certains avaient émergé dans le petit commerce, la culture du<br />

coton, du riz et de la canne à sucre. La position sociale de cette élite noire, classifiée<br />

« de couleur » par les autorités locales, ne lui permet pas pour autant de voter, d’accéder<br />

à un poste administratif et encore moins d’ester en justice contre les Blancs qui ne<br />

végètent pas au bas de l’échelle sociale. Ce rejet des individus qui ne sont pas de purs<br />

Aryens incite même le gouverneur de Louisiane à refuser les services de deux régiments<br />

de Native Guards, des mulâtres libres qui se sont armés et équipés à leurs frais en<br />

novembre 1861 pour combattre dans l’armée confédérée. Ces naïfs avaient imaginé que<br />

le pouvoir esclavagiste leur consentirait un nouveau statut social après la guerre 43 .<br />

Pour les rares privilégiés de la société sudiste, leurs « pauvres Blancs » ne sont qu’un<br />

conglomérat d’individus triviaux et incultes inféodés aux grosses fortunes. N’oublions<br />

jamais que, dès 1862, la guerre contre le Nord passe pour « celle des riches, endurée<br />

par les pauvres, » même si l’oligarchie est présente sur les champs de bataille pour<br />

veiller au grain. Le gouvernement confédéré est donc forcé d’imposer la conscription le<br />

16 avril 1862 pour contraindre ses « petites gens » à protéger les intérêts de la caste<br />

dominante. Dans le Nord, le cabinet de Lincoln attend un an de plus pour recourir à la<br />

même mesure. Sur base de sources principalement sudistes, Jeff Forret et Stéphanie<br />

McCurry ont publié deux ouvrages magistraux analysant l’antagonisme croissant entre<br />

la plèbe sudiste et ses patriciens fortunés au cours de la guerre et à cause de celle-ci 44 .<br />

Last but not Least, l’intelligentsia sudiste n’a même pas la décence de taire sa haine des<br />

42 FEHRENBACHER, op cit., pp. 157-72, 180, 189-203 ; SINHA, op cit., pp. 173, 177 ; WISH, op cit., pp. 579-<br />

80 ; 36 th Congress, 1 st Session, pp. 2303-9, 2956-57, 2638-44.<br />

43 DURDEN R.F., The Gray and the Black, pp. 46-47. L.S.U. Press, 1972 ; FONER l, Free Labor of Color in<br />

Louisiana, p. 31. New York, 1970 ; KOLCHIN, op cit., pp. 83-84 ; LISTON, op cit., p. 68 ; OLMSTED F.L., Cotton<br />

Kingdom, pp. 262, 303, 308, 315, 321, 431, 437, 453. New York, 1953 ; QUAR<strong>LES</strong> B., The Negro in the Civil War,<br />

pp. 37-39. Boston, 1969 ; WILEY B.I., Southern Negroes, 1861-65, pp. 147-48. L.S.U. Press, 1974.<br />

44 FORR<strong>ET</strong>, op. cit., passim ; McCURRY S., Confederate Reckoning, Power and Politics in the Civil War South,<br />

passim. Harvard University Press, 2010.


18<br />

institutions réellement démocratiques. Deux influents planteurs de Caroline du Sud,<br />

David Gavin et Alfred Huger, vomissent le culte de l’égalitarisme entre Blancs. Tous<br />

deux excipent du droit de vote accordé aux « basses classes » pour démontrer que « la<br />

démocratie est le principe basique de l’abolitionnisme » et pour préconiser la création<br />

d’une confédération confite dans un népotisme qui restreindrait le droit de vote aux<br />

nantis et dont les sénateurs seraient nommés à vie. La revue De Bow, très populaire dans<br />

le Sud, soutient que seuls les propriétaires terriens méritent d’être éligibles car « le<br />

suffrage universel dégénère dans la licence. » Les classes privilégiées se délectent de<br />

cette théorie car elle alimente les colonnes du Charleston Mercury pendant deux ans.<br />

Selon le richissime planteur Benjamin Allston, le député Laurence M. Keith et<br />

l’écrivain virginien Albert T. Bledsoe :<br />

« Les abolitionnistes et les socialistes sont les mêmes gens et ils usent des<br />

mêmes arguments (…) Le suffrage universel provoquera la chute du<br />

pouvoir esclavagiste au profit d’une majorité irresponsable (…) L’inégalité<br />

est la norme partout dans le monde et le sceau de la civilisation (…) Le droit<br />

de vote devrait être limité, dans l’intérêt général. »<br />

En 1858, James Chesnut et James H. Hammond, deux sénateurs de Caroline du Sud,<br />

écrivent respectivement : « Les sauvages idées de liberté et d’égalité pousseront notre<br />

pays dans l’anarchie » et « Le cancer de la société nordiste réside dans la possibilité<br />

donnée aux basses classes de s’emparer du pouvoir par la simple formalité des urnes. »<br />

Dans un quotidien, Edward Bryant, un puissant planteur de la Caroline du Sud, exalte la<br />

clairvoyance de son État qui soustrait la désignation de son gouverneur à un suffrage<br />

ouvert à tous les Blancs. En 1860, à l’issue de la convention nationale du Parti<br />

démocrate à Baltimore, son porte-parole dévoile carrément ses objectifs 45 : « À quoi bon<br />

attendre l’avis du peuple lorsqu’on doit prendre une grande décision. Nous devons aller<br />

de l’avant et le forcer à nous suivre. » Ces considérations n’émanent pas uniquement de<br />

politiciens. Dans le célèbre journal intime de Keziah Brevard qui gère seule sa<br />

plantation, on lit : « Dieu de pitié, aidez-vous et faites en sorte de juguler la démocratie<br />

populaire 46 . » Ancré dans ses convictions esclavagistes, même après la défaite,<br />

l’écrivain George Fitzhugh persiste et signe :<br />

« Notre révolution de 1861 fut réactionnaire et conservatrice, mais aussi<br />

une protestation solennelle contre la doctrine de l’égalité entre les hommes<br />

et contre le contrat social enseigné par Locke 47 . »<br />

La place manque pour faire défiler les éructations écrites et verbales du monde<br />

politique, culturel et financier sudiste, mais Manisha Sinha (Counterrevolution of<br />

Slavery), Gilpin Faust (Ideology of Slavery in the Antebellum South) et W.S. Towns<br />

(Oratory and Rhetoric in the 19 th Century South) épinglent magistralement les positions<br />

sectaires de ces chantres de l’inégalité sociale et de la sujétion africaine. Broyés par<br />

leurs échecs militaires, institutionnels et sociétaux, les Sudistes de l’après-guerre ne<br />

digèrent pas et persistent à ne pas digérer l’humiliation d’une défaite qui éradique à tout<br />

jamais leur vision d’une société fondée sur la primauté de la race blanche. Les vaincus<br />

45 Charlerston Mercury, 23 septembre 1858 ; SINHA, op cit., pp. 214-15, 227-29.<br />

46 Keziah Brevard Journal, 1860-1861. South Carolina Library, Digital Collections.<br />

47 WISH H., George Fitzhugh, Propagandist of the Old South. L.S.U. Press, 1943 ; Official Proceedings of the<br />

Democratic National Convention, Baltimore, 1860, pp. 93-185, in SINHA, op. cit., pp. 242-55 ; FONER E., Politics<br />

and Ideology in the Age of the Civil War, pp. 3-53. New York, 1980.


19<br />

d’hier recourent alors à l’affabulation pour ennoblir une déconfiture dont ils refusent<br />

d’endosser la responsabilité.<br />

La plupart des généraux nazis échappèrent à une condamnation pour crimes de<br />

guerre parce que leurs prestations furent essentiellement militaires. Pourtant, personne<br />

ne croit qu’ils ignoraient tout du sort que leur führer réservait aux « races inférieures ».<br />

Donc, qui peut décemment prétendre que les ténors sudistes de l’art militaire ne<br />

s’inscrivaient pas dans les opinions de leurs acteurs politiques ? Le général Lee<br />

n’échappe pas à cette observation. Quand il écrit à Ulysses Grant, le 1 er octobre 1864,<br />

pour lui proposer un échange de prisonniers, ce dernier lui demande s’il compte inclure<br />

les soldats noirs dans cette éventuelle transaction. Lee lui rétorque que les échanges<br />

envisagés ne concernent pas les anciens esclaves détenus dans ses camps car ils sont la<br />

propriété privée de citoyens sudistes. Ce concept ne l’empêcha pas de prôner<br />

ultérieurement l’enrôlement desdites « propriétés privées » dans son armée lorsque<br />

celle-ci se trouva à court de chair à canon. Grant ne réserva aucune suite à cette<br />

restriction malsaine 48 . Les admirateurs de Lee expliqueront qu’il obtempéra aux<br />

injonctions présidentielles, une assertion qu’aucun document ne vérifie. Si c’est<br />

néanmoins le cas, le futur généralissime des armées confédérées n’était-il que le<br />

majordome de son président ? En tout état de cause, la réponse de Lee à Grant ne<br />

déroge pas à ses concepts en matière d’inégalité raciale. Dans un courrier adressé aux<br />

siens à l’époque où il était le lieutenant-colonel du 2 e de cavalerie au Texas, Lee écrit à<br />

propos des Indiens : « Cette race tout entière est extrêmement médiocre 49 . »<br />

Le mépris dans lequel il les tient se vérifie sur le terrain.<br />

Albert S. Johnston, le colonel du 2 e régiment de cavalerie et futur général confédéré,<br />

avait ordonné de tirer à vue sur n’importe quel Indien surpris à chasser à l’extérieur des<br />

deux réserves texanes, or durant son absence prolongée, c’est à Lee qu’échoit le<br />

commandement du régiment. C’est durant son intérim qu’une sécheresse<br />

particulièrement éprouvante ruine la récolte des deux réserves en question. Alors, leurs<br />

agents demandent à Lee de permettre à une poignée de leurs Indiens de tuer quelques<br />

bisons dans la plaine afin d’apaiser la famine qui pressure leurs familles. Lee ne répond<br />

pas à cette requête et, le 24 mai 1856, ses hommes abattent sans sommations les<br />

quelques malheureux qui se sont tout de même risqués hors de leur réserve pour<br />

chasser. Cette cruauté s’observe également parmi les officiers nordistes en zone<br />

indienne pendant la guerre, mais il s’agit ici d’Indiens pacifiés et non de rebelles 50 .<br />

Même après la guerre et en dépit de la défaite esclavagiste, Lee oeuvre pour rétablir<br />

la discrimination raciale. Connaissant la rivalité qui oppose le Parti républicain au Parti<br />

démocrate, il écrit au second le 26 août 1868 pour lui suggérer d’adopter ce que l’on<br />

appelle le Manifeste de White Sulphur Springs. Il propose d’emblée de rétablir le droit<br />

de vote aux anciens Confédérés qui ont refusé de prêter un serment d’allégeance aux<br />

États-Unis et il suggère pire encore. Dans des termes magistralement édulcorés, Lee et<br />

les vingt-cinq cosignataires de ce document proposent de rétablir l’une des particularités<br />

du « Code noir » d’avant la guerre, en l’occurrence de priver de leurs droits civiques les<br />

Africains qui résident dans le Sud, sous prétexte qu’ils n’ont pas acquis assez de<br />

maturité en la matière et qu’ils subissent l’influence des carpetbaggers nordistes. On<br />

peut donc s’interroger sur ce que Lee pensait du droit de vote dont jouissait la masse des<br />

48 Exchange of prisoners in the Civil War, www.civilwarhome.com-prisonersexchange.<br />

49 ANDERSON G.C., Conquest of Texas, p. 272. Norman, 2005.<br />

50 National Archives Record Group 75, in ANDERSON G.C., Conquest of Texas, p. 273.


20<br />

Poor Whites incultes ou analphabètes du vieux Sud antebellum ? Le Parti démocrate ne<br />

réserva aucune suite à l’ignominie proposée par le « Renard gris » des armées rebelles 51 .<br />

Le Dr Joseph Goebbels était un fervent admirateur de la « Cause sudiste » et il<br />

consacra un numéro du journal Signal à l’éloge de la Confédération. Il n’est donc pas<br />

surprenant de voir claquer les couleurs du III e Reich et les insignes du K.K.K. aux côtés<br />

du battleflag confédéré au cours des manifestations racistes dans le sud des États-Unis.<br />

Il est probable que des personnes objecteront que la majorité des gentlemen Sudistes<br />

n’étaient pas des suppôts de l’esclavage et que le présent texte ressortit à l’affabulation<br />

ou à des exagérations visant à éclabousser la « Cause ». Ces objections s’inscrivent<br />

évidemment dans l’argument ad hominem qui s’attaque à la crédibilité d’un auteur faute<br />

de pouvoir invalider ses sources. Ces contestataires se trouveront évidemment dans<br />

l’impossibilité de produire, en termes de documents et de faits précis, l’argumentation<br />

structurée qui remettrait en question la recevabilité de nos références. Remarquons que<br />

l’extrême droite américaine, en l’occurrence les Sons of Confederate Veterans, n’ose<br />

pas s’attaquer aux ouvrages qui dénudent les nécroses de leur cause. La défense de<br />

celle-ci, ces fossiles du « Vieux Sud », la figent sur des théories émises après sa défaite<br />

et ils refusent obstinément d’entendre parler des théories raciales, des harangues<br />

agressives et des projets d’expansion de l’esclavage, que les acteurs politiques sudistes,<br />

leurs valets et leur presse banalisent jusqu’à la reddition de leurs forces armées en 1865.<br />

Les réminiscences du président Davis et du vice-président Stephens, le courrier<br />

officiel et privé de leurs anciens ministres et de moult autres ténors confédérés sont une<br />

véritable prostitution de leur pensée et une stupéfiante insulte vis-à-vis de ceux qui<br />

vécurent la décennie 1855-1865 et vis-à-vis de ceux qui collationnent les archives<br />

privées et officielles des principaux acteurs de ces brûlantes années. Le mythe de la<br />

« Cause perdue » est définitivement arasé par une accumulation d’études d’une<br />

précision chirurgicale, qui démontrent la puanteur de la pensée sudiste au travers des<br />

discours, des écrits et des actes de ceux qui la formulèrent. Faute de pouvoir triompher<br />

sur l’essentiel, les Sons of Confederate Veterans essayent d’imposer leur définition<br />

« guerre entre les États » pour ne pas reconnaître qu’il s’agit d’une guerre entre citoyens<br />

de la même nation. L’historien William C. Davis recadre leur arrogance :<br />

« Consultez n’importe quelle histoire politique ou texte diplomatique<br />

publié dans le monde et il apparaîtra une remarquable unanimité sur la<br />

définition de nation. Cette définition, déjà acceptée en 1860 par les<br />

gouvernements occidentaux, impliquait que le peuple qui prétendait former<br />

une nation devait posséder un gouvernement, maintenir l’intégrité de ses<br />

frontières et être reconnu comme nation indépendante par celles qui l’étaient<br />

déjà. De ces trois conditions, la Confédération sudiste n’a rempli que la<br />

première (…) Depuis le début jusqu’à la fin du conflit, elle perdit<br />

définitivement et presque quotidiennement de larges parts de son territoire.<br />

Quant à sa reconnaissance, aucune nation, petite ou grande n’échangea des<br />

relations diplomatiques officielles et des ambassadeurs avec la<br />

Confédération. En l’absence de deux des trois conditions basiques à la<br />

reconnaissance d’une nation, on ne peut considérer la Confédération que<br />

comme un mouvement insurrectionnel ou séparatiste bien organisé 52 . »<br />

51 LOEWEN J. & SEBESTA E.H., The Confederate and Neo-Confederate Reader, pp. 254-56. University Press<br />

of Mississippi, 2010.<br />

52 DAVIS, op cit., The Cause Lost, pp. 179-80.


21<br />

D’après les archives du ministère confédéré de la Guerre - nous disons bien<br />

confédéré et non pas fédéral - les armées rebelles affichent 21 % de déserteurs au 31<br />

décembre 1861, 51 % au 31 décembre 1864 et 55,3 % au 1 er avril 1865, un record<br />

inégalé par aucune autre armée occidentale entre le XX e siècle et le précédent. Les<br />

archives des armées esclavagistes confirment donc que leurs troupes furent plus<br />

éreintées par la désertion que par les batailles. Leurs plus lourdes pertes, celles qui<br />

résultent de la maladie, ressortissent à une autre catégorie. Ces faits et statistiques,<br />

l’historien E.B. Long les vérifie avec acuité dans The Civil War Day by Day, An<br />

Almanach, pp. 704-720. Dès 1862, le dégoût du prolétariat sudiste pour la « Cause » des<br />

riches planteurs délite les armées rebelles. Dans l’armée nordiste, son plus haut taux de<br />

désertions ne s’élève qu’à 35,2 % à la fin de 1864 53 .<br />

Après la guerre, la rage des esclavagistes d’avoir perdu les moyens de revenir au<br />

pouvoir se traduit rapidement par la castration intellectuelle de leurs nouvelles<br />

générations. Pendant un siècle, les Sons of Confederate Veterans verrouillent l’accès<br />

aux documents racistes qui les gênent en n’imaginant pas que la numérisation des<br />

archives américaines exhumerait les contrevérités contenues dans leurs discours d’après<br />

la défaite. L’enseignement public n’étant pas soumis à un programme national aux<br />

États-Unis, les élus locaux des Sons of Confederate Veterans ont parfaitement<br />

manœuvré pour conditionner le financement de leurs écoles à l’achat de manuels<br />

scolaires définissant leur doctrine ségrégationniste et la guerre de Sécession comme la<br />

croisade d’un « noble » peuple épris de liberté. Ne lit-on pas, dans leurs opuscules, que<br />

Lee ne fut pas battu, « il se retira de la guerre ! » Outré par les pressions qu’exercent<br />

ces cérastes dans l’enseignement public et par le venin qu’ils y instillent, James<br />

McPherson (Prix Pulitzer 1989) leur taille de jolies croupières dans le chapitre 8 de son<br />

This Mighty Scourge. Il ne fut pas le seul à réagir, une pléthore d’historiens objectifs a<br />

révélé la pestilence de leur idéologie en publiant les textes, les harangues et les discours<br />

dont leurs chefs de file furent les auteurs au XIX e siècle. Néanmoins, ils persistent à<br />

prétendre que l’esclavage n’était qu’un aspect mineur de ce conflit 54 .<br />

Force est de reconnaître qu’ils n’ont guère la possibilité de s’extraire de cette hérésie<br />

puisqu’en 2000 presque la moitié de leurs affiliés sympathisait avec le Ku Klux Klan.<br />

Ce constat se fonde sur les liens que Kirk D. Lyons, une « éminence » des Sons of<br />

Confederate Veterans, entretient avec Louis Beam, Tom Metzer et Richard Butler,<br />

« grands dragons » ou autres vautours du Ku Klux Klan. En 1999, photos à l’appui,<br />

l’A.F.P. a démontré que des sbires du « K.K.K. » et des Sons of Confederate Veterans<br />

manifestèrent côte à côte à la suite de la polémique suscitée par l’affichage d’un portrait<br />

de R.E. Lee dans un lieu public de Richmond 55 .<br />

Selon l’Associated Press, l’extrémiste Kirk D. Lyons postule la présidence des Sons<br />

of Confederate Veterans en 2000, mais Charles Hawks le bat de justesse par 325 voix<br />

contre 308 lors de la convention nationale de leur association à Memphis (Tennessee).<br />

53 War of the Rebellion, 1880-1901, Series IV, vol. 1 : pp. 822, 1176 ; vol. 2 : pp. 278, 380, 1073 ; vol. III : pp.<br />

520, 989, 1161, 1182 ; KREIDBERG A.M. & MERTON G.H., History of Military Mobilization in the US Army,<br />

1775-1945, p. 95. Washington D.C., 1955 ; LONG E.B., The Civil War Day by Day, p. 706. New York, 1971.<br />

54 BAILEY F.A., Free Speech of the Lost Cause, a Study of Social Control in the New South, in « Southwestern<br />

Historical Quarterly », vol. 97-3-94 ; COLLINS D.E., Death and Resurrection of Jefferson Davis. Oxford, 2005 ;<br />

DAVIS, op cit., The Cause Lost ; DEW, op. cit. ; DUMOND, op. cit. ; FAUST, op cit. ; FEHRENBACHER, op. cit. ;<br />

FINKELMAN, op cit. ; McPHERSON, op cit., pp. 93-106 ; OSTERWEIS, op cit., pp. 111-117 ; POTTS, op cit. ;<br />

REYNOLDS, op cit. ; SINHA, op cit. ; TOWNS, op cit. ; WAKELYN, op. cit.<br />

55 DEW, op cit., pp. 5-10 ; ELLISON J., The Sons of Confederate Veterans’ Internal Battle Rages On ; X-Press<br />

Mountain, vol. 11-3 et 18-8-2004 ; ROSE T, The War between the Sons, Members Fight for Control of Confederate<br />

Group. X-Press Mountains, vol. 9-26 du 2 février 2003.


22<br />

Kirk Lyons, le chef de file de l’extrême droite des Sons of Confederate Veterans,<br />

défile sous un drapeau nazi. (Photo de Jenny Warburg in Indy Week.com)<br />

Le même étendard nazi, tel qu’il apparaissait en Allemagne jusqu’en 1945.<br />

Le candidat de l’extrême droite recueille donc près de 49 % des votes ! Quoique<br />

Lyons affirme ne pas appartenir aux mouvements extrémistes White Supremacy, White<br />

Separatist ou Anti-Semite, il ne nie pas entretenir des relations privilégiées avec Louis<br />

Beam, l’ancien leader des « K.K.K. » du Texas, et avec Tom Metzger, le directeur de<br />

White Aryan Resistance, une organisation réputée pour ses théories et ses objectifs<br />

racistes. Cette révélation apparaît dans l’Intelligence Report que publie le Southern<br />

Poverty Law Center, une association de Montgomery (Alabama) qui surveille les<br />

groupes négrophobes et leur intente occasionnellement des procès. Cette digression sur<br />

le « K.K.K. » et les Sons of Confederate Veterans vise à dresser le portrait des<br />

fanatiques bornés ou incultes qui persistent à affirmer que la cause principale des<br />

sécessions est le « Droit des États » et pas du tout l’extension de l’esclavage aux États-<br />

Unis.


23<br />

QUELQUES OUVRAGES DE RÉFÉRENCE<br />

L’Université du Mississippi a publié The Confederate & Neo-<br />

Confederate Reader de James W. Loewen et Edward H.<br />

Sebesta.<br />

Parmi les chercheurs qui les ont aidés à réunir les documents<br />

cités dans ce livre, les éditeurs remercient John Coski, du<br />

Musée de la Confédération à Richmond, qui conforte<br />

l’objectivité de leurs recherches. Celles-ci révulsent les Sons of<br />

Confederate Veterans parce qu’elles dévoilent des documents<br />

qu’ils refusaient de voir émerger des archives. Comme le<br />

montrent les quelques extraits repris ci-après, la presse a réservé<br />

un excellent accueil aux funérailles des 120 ans de mensonges<br />

sudistes.<br />

• James O. Horton est l’auteur de The Landmarks of African American History et coéditeur<br />

de Slavery and Public History ; The Tough Stuff of American Memory.<br />

« Cette collection de documents relatifs à la mémoire individuelle et aux événements qui<br />

menèrent à la création de la Confédération, est un outil éducatif impressionnant pour la<br />

compréhension et l’appréciation des événements de la période-clé de la guerre civile. Les<br />

informations historiques contenues dans ces pages, provenant des propos de ceux qui<br />

provoquèrent et influencèrent les événements critiques de cette époque, nous donnent une<br />

précise compréhension du développement et de la complexité de l’idéologie sudiste. »<br />

• John Dittmer est l’auteur de Local People: The Struggle for Civil Rights in Mississippi et<br />

The Good Doctors : The Medical Committee for Human Rights and the Struggle for<br />

Social Justice in Health Care.<br />

« The Confederate and Neo-Confederate Reader, d’importance majeure, explore les mythes<br />

dont l’esclavage, les sécessions, la guerre et la Reconstruction étaient empreints. Sa lecture<br />

devrait être rendue obligatoire pour tous ceux qui enseignent dans les écoles parce qu’il<br />

concerne un événement majeur dans notre histoire. »<br />

• Monroë Gilmour, coordinateur de Western North Carolina Citizens for an End to<br />

Institutional Bigotry.<br />

« C’est LE LIVRE que nous attendions tous ! C’est une fameuse équipe qui en a réuni les<br />

éléments ! »<br />

• Harold B. Williams est l’auteur de A People’s History of the Civil War : Struggles for the<br />

Meaning of Freedom et de Bitterly Divided : The South’s Inner Civil War.<br />

« The Confederate and Neo-Confederate Reader est une fantastique collection de documents<br />

que j’aurais aimé consulter à l’époque où j’étudiais. Il m’aurait évité de patauger pendant des<br />

années au milieu de documents éparpillés. Cet immense coup de balai donne une excellente<br />

compréhension des fondements de la Confédération. »<br />

• Jon D. Bohland est professeur en sciences politiques et internationales à l’université de<br />

Hollins (Virginie). Sa critique a paru dans The Civil War Monitor : A New Look at<br />

America’s Greatest Conflict. Adaptation en français par Mme Yivara-Finisalli.<br />

« Le grand pouvoir mnémotechnique de la Cause perdue a été son habileté à empêcher la<br />

diffusion des principaux documents originaux relatifs au mythe selon lequel l’esclavage ne<br />

serait pas la cause de cette guerre, les marchands d’esclaves n’étaient que des bénévoles, les<br />

Confédérés ne combattirent que pour défendre les « Droits des États » et leurs héros étaient tous<br />

sans peur et sans reproche. Ces mythes perdurèrent pendant 150 ans. Pour ceux qui enseignent<br />

les péripéties de cette guerre, leur plus grande frustration, au cours de leurs études, était leur


24<br />

difficulté à accéder aux sources originales pour éradiquer les assertions des Confédérés et Néoconfédérés.<br />

L’ouvrage de Loewen et Sebesta est donc exceptionnel car il est le premier à avoir<br />

regroupé des sources primaires et authentiques concernant ce sujet. Il offre, aux enseignants et<br />

aux chercheurs, un nombre incalculable d’archives, de discours, de textes politiques et de<br />

mémoires qui dévoilent ce que les Sudistes nostalgiques de l’après-guerre pensaient de<br />

l’esclavage, des sécessions, des relations interraciales et de la mise à nu de leur vrai passé.<br />

Les auteurs entament leur livre avec une excellente introduction sur leurs sources. Comme<br />

ils le notent, les manuels et les livres d’histoire actuels recourent de moins en moins à des<br />

extraits de textes authentiques pour leur substituer des versions simplifiées des événements<br />

majeurs de notre histoire. Parfois, des auteurs de livres scolaires s’abstiennent volontairement<br />

de critiquer la Confédération pour être assurés que leur ouvrage sera adopté par les commissions<br />

scolaires du Sud. En 2010, la Virginie, osa adopter, pour le 4 e degré, un manuel dans lequel il<br />

était mentionné que des milliers d’Africains combattirent volontairement pour la Confédération.<br />

La source de cette affirmation était rédhibitoire parce qu’elle émanait de sites néo-confédérés<br />

placés sur Internet. Des exemples comme celui-ci nous incitent à créer un archivage des<br />

références scolaires qui éviscèrent la mythologie de la Cause perdue.<br />

Pour les Néo-confédérés et leurs supporters, l’aspect le plus redoutable du livre de Loewen<br />

et Sebesta réside dans le fait que les héros et politiciens confédérés s’expriment librement sur la<br />

guerre et les sécessions sans que leurs propos aient été filtrés ou adoucis en vue d’une édition.<br />

Les idées et les mots que recèlent ces textes parlent d’eux-mêmes. Par exemple, les trois<br />

premiers chapitres contiennent maints exemples du courrier de politiciens sudistes comme<br />

Jefferson Davis, John C. Calhoun et Alexander Stephens qui expliquent clairement que les<br />

sécessions ne visaient qu’à la perpétuation du système esclavagiste et du « Code noir » en<br />

application dans le Sud. En contradiction avec les écrits des meneurs sudistes, les Néoconfédérés<br />

persistent à affirmer que les véritables raisons des sécessions étaient les Droits des<br />

États, la fiscalité et les tarifs douaniers imposés au Sud. (Cette affirmation des Sons of<br />

Confederate Veterans est leur mensonge préféré car, le 21 mai 1861, Richmond décréta la<br />

hausse des tarifs imposés par Washington et, le 14 avril 1862, une motion visant au libreéchange<br />

entre la Confédération et l’Europe est définitivement naufragée par une majorité du<br />

Congrès rebelle. Journal of the Congress of the Confederate States, vol. I, pp. 820-21, vol. V, p.<br />

171 ; Proceedings of the Congress of the Confederate States, vol. LXV, p. 60. N.D.L.T.)<br />

En outre, Loewen et Sebesta ont noté que, dans la Constitution confédérée, il n’y a que<br />

quelques mots sur les « Droits des États » et seulement dans son préambule. En revanche, le<br />

reste de ce document révèle l’intention de créer un gouvernement fortement centralisé très<br />

proche de celui des États-Unis. Les auteurs nous soumettent aussi une étonnante série de<br />

documents prouvant sans ambiguïté la continuité de la pensée raciste chez les chefs de file<br />

sudistes depuis le XIX e siècle. Le chapitre III, par exemple, présente les lettres et les discours de<br />

Jefferson Davis et d’Alexander Stephens dans lesquels ils légitiment une société fondée sur le<br />

maintien du système esclavagiste. Certains des documents les plus intrigants se trouvent dans le<br />

chapitre IV. Il s’agit de textes d’anciens généraux confédérés, qui dénotent le racisme viscéral<br />

de beaucoup de ces « héros » et leur adhésion au développement de la période dite de « Jim<br />

Crow » (ségrégation de fait) particulièrement fertile en violences sur les Noirs. Les deux<br />

derniers chapitres se focalisent sur des documents du XX e siècle car Loewen et Sebesta y ont<br />

inséré de multiples preuves du racisme rampant dans le Sud et de l’apparition de souvenirs faux<br />

ou déformés à l’époque de l’émergence de la « Lost Cause » revue par les mouvements des<br />

Néo-confédérés. Ceux qui utilisent de tels manuels scolaires dans l’enseignement de l’histoire<br />

ne doivent pas négliger ces chapitres car ils démontrent comment la mythologie de la « Lost<br />

Cause » devint l’évangile de beaucoup de Sudistes et de Néo-confédérés blancs pendant la<br />

période qui suivit la guerre. Ces chapitres explorent beaucoup de documents émanant des<br />

United Daughters of the Confederacy ou des Sons of Confederate Veterans et confortent les<br />

récentes études démontrant le rôle lamentable de ces groupes dans l’élaboration et l’entretien du<br />

mythe de la « Lost Cause ».


25<br />

Confederate Reckoning,<br />

de Stéphanie McCurry<br />

L’auteur a analysé l’opposition de plus en plus réactive des Poor<br />

Whites sudistes à la guerre provoquée par la minorité possédante et<br />

esclavagiste.<br />

Son livre résulte de sa lecture de milliers de lettres que des femmes<br />

issues du prolétariat sudiste envoyèrent à leur ministre de la Guerre.<br />

Dès 1863, des centaines d’épouses et de veuves de soldats<br />

confédérés organisèrent des émeutes pour protester contre les<br />

privilèges que Richmond accordait aux détenteurs d’esclaves, les<br />

responsables du conflit. Ces femmes se moquaient de l’éventuelle<br />

suppression de l’esclavage car elles n’avaient pas et n’auraient<br />

jamais eu les moyens d’en acheter.<br />

Race Relations at the Margins, Slaves and Poor<br />

Whites in the Antebellum Southern Countryside,<br />

de Jeff Forret<br />

Le professeur Forret explore l’ambiguïté des relations entre les<br />

Noirs et les prolétaires blancs du Sud. Il observe qu’en dépit de la<br />

barrière raciale, les uns et les autres entretenaient des rapports<br />

furtifs parce que leur situation socioéconomique ne différait guère<br />

et qu’ils étaient assujettis au pouvoir des gentlemen sudistes, en<br />

l’occurrence la minorité possédante et belliqueuse. D’après l’auteur<br />

et ses sources, l’étroitesse des rapports entre les Poor Whites et les<br />

esclaves noirs expliquerait l’inexistence d’un vraie cohésion sociale<br />

au sein de l’éphémère Confédération esclavagiste.<br />

Neo Confederacy,<br />

d’Euan Hague et Heid Berich<br />

Les auteurs dénoncent le racisme qui émane de magazines,<br />

d’organisations et de sites Internet sudistes comme les Southern<br />

Partisan, League of the South et Dixie Net qui ont partie liée avec<br />

la faction extrémiste des Sons of Confederate Veterans.<br />

Cette faction est manipulée par Kirk Lyons, un ami intime de Louis<br />

Beam, un ancien « Grand Dragon » du K.K.K.<br />

Les deux auteurs soulèvent des questions cruciales sur le<br />

développement d’une idéologie fondée sur la suprématie blanche<br />

qui allie désormais un violent courant homophobe à une thématique<br />

chrétienne intolérante.


26<br />

The Lost Cause, Myths and Realities of the<br />

Confederacy,<br />

de William C. Davis<br />

Malgré ses trois prix Jefferson Davis, l’auteur ne s’est pas<br />

laissé influencer par les nostalgiques de la cause esclavagiste.<br />

Son ouvrage a sûrement tétanisé quelques cérastes des Sons of<br />

Confederate Veterans. En effet, pp. 161-190, il dénonce leur<br />

autisme vis-à-vis des acteurs politiques sudistes qui, en 1860,<br />

affichèrent clairement leur volonté d’étendre l’esclavage,<br />

même au prix d’une guerre. L’auteur raille aussi le persiflage<br />

de Sudistes célèbres, notamment celui de Raphaël Semmes<br />

qui mentit effrontément pour ne pas reconnaître la supériorité<br />

de son adversaire au large de Cherbourg.<br />

The Myth of the Lost Cause 1865-1900,<br />

de Rollin G. Osterweis<br />

Dans ses chapitres V et VI, l’auteur analyse comment, en très<br />

peu de temps, la guerre pour l’extension de l’esclavage s’est<br />

transformée en une « noble croisade pour la liberté ». Dans ses<br />

chapitres The Confederate Veteran and his daughters - The<br />

feudal fief of the Myth of the Lost Cause - Winning the War in<br />

the classrooms, Rolin Osterweis dénonce l’hypocrisie<br />

contenue dans les influences d’argent qui contribuent à<br />

imposer, dans les anciens États esclavagistes, des livres<br />

scolaires entièrement inféodés à la dictature de la pensée<br />

unique, contrôlée par les Sons of Confederate Veterans.<br />

This Mighty Scourge :<br />

Perspectives on the Civil War,<br />

de James M. McPherson<br />

Auteur de maints ouvrages sur la guerre civile américaine, cet<br />

historien est aussi le détenteur du Prix Pulitzer en 1989 et du<br />

Prix Lincoln en 1998. Le moins qu’on puisse dire, c’est que<br />

les activistes sudistes le détestent parce que, documents à<br />

l’appui, il jouit du singulier talent de mettre en exergue les<br />

nécroses de l’Old South romantique. Nous recommandons la<br />

lecture de « The Lost Cause Revisited » dans le second<br />

chapitre de This Mighity Scourge, et notamment ses<br />

commentaires sur les pressions financières que les Sons of<br />

Confederate Veterans exercent sur certains éditeurs pour<br />

altérer les textes des manuels d’histoire destinés à leurs écoles.

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