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Un week-end inoubliable - Harlequin

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1.<br />

Molly Hunter passa une minute entière à<br />

considérer le bâtonnet blanc posé sur la tablette<br />

du lavabo. Elle le prit, l’approcha de son visage,<br />

puis le remit à sa place sans cesser de fixer<br />

les deux petites barres d’un rose étincelant<br />

qui semblaient la narguer.<br />

Pas d’erreur, il y avait bien deux traits roses.<br />

Mais voyons, c’était impossible !<br />

A ce moment-là, une vive sensation de<br />

nausée l’obligea à réviser son jugement.<br />

Elle traînait depuis quinze jours cette<br />

nausée, accompagnée d’une grande fatigue.<br />

Jusque-là, elle en avait imputé la cause à des<br />

élèves qui fréquentaient ses cours de soutien<br />

d’été. Certains ayant été souffrants récemment,<br />

elle en avait déduit qu’ils l’avaient contaminée.<br />

Pas un seul instant elle n’avait associé ces<br />

symptômes à…<br />

Deux mois déjà s’étaient écoulés depuis<br />

7


cette nuit à Las Vegas. Deux mois ! Comment<br />

avait-elle pu ne rien remarquer jusque-là ?<br />

C’était bien simple : comme elle était<br />

dépourvue de mari aussi bien que de petit<br />

ami, ses chances d’être enceinte se réduisaient<br />

à néant.<br />

Exception faite de cette fois-là. Cette soirée<br />

où elle avait rencontré dans un bar cet homme<br />

aux yeux très bleus et aux cheveux très bruns.<br />

Cet homme dont elle ne connaissait que le<br />

prénom : Linc.<br />

Pas de nom de famille, aucune promesse.<br />

Rien d’autre que cette nuit-là.<br />

Cette nuit folle durant laquelle elle, qui<br />

n’agissait jamais à la légère et pesait le pour<br />

et le contre de chaque décision, s’était abandonnée<br />

à sa violente attirance physique pour<br />

un inconnu.<br />

Depuis ce soir-là, elle s’était évertuée à oublier<br />

celui qui avait réussi l’espace de quelques heures<br />

à lui faire perdre la raison. Elle se demandait<br />

parfois s’il arrivait à Lincoln de penser à<br />

elle, mais elle s’efforçait la plupart du temps<br />

de laisser cette histoire tapie au fond de son<br />

esprit. Car, bien que magique, cette rencontre<br />

ne représentait dans sa vie qu’une aberration.<br />

Ce devait être un joli souvenir, rien de plus !<br />

Elle se considérait comme quelqu’un de<br />

raisonnable dans tous les sens du terme : une<br />

8


institutrice en maternelle qui donnait en été<br />

des cours de soutien à des élèves du secondaire.<br />

Jamais au grand jamais elle n’aurait<br />

imaginé avoir un jour un comportement aussi<br />

excentrique.<br />

Elle était partie à Las Vegas dans le but<br />

d’aider son amie Jayne Cav<strong>end</strong>ish à oublier<br />

la fin désastreuse de ses fiançailles avec Rich<br />

Strickland. Deux autres amies — Alex Lowell<br />

et Serena Warren — s’étaient jointes à elles<br />

pour ce <strong>week</strong>-<strong>end</strong> entre filles. <strong>Un</strong> <strong>week</strong>-<strong>end</strong><br />

placé sous le signe de la légèreté, avaient-elles<br />

décidé. A parler chiffons, se faire les ongles<br />

et siroter quelques long drinks.<br />

Le premier soir, elles n’avaient pas dévié<br />

de ce programme. Le deuxième, elles avaient<br />

voulu s’enhardir un peu, et chacune était partie<br />

de son côté. Pour ses amies, cette soirée-là<br />

s’était soldée par quelques menus ennuis.<br />

Pour elle, par de gros ennuis.<br />

Atterrée, elle eut le réflexe d’agiter le test,<br />

comme si elle en espérait un quelconque<br />

miracle.<br />

Mais les deux traits roses ne disparurent<br />

pas pour autant. Elle eut même l’impression<br />

qu’ils étincelaient de plus belle.<br />

« Tu es enceinte, tu es enceinte ! »<br />

Enceinte, et absolument pas préparée à un<br />

événement pareil.<br />

9


Comment diable allait-elle se tirer de cette<br />

situation ?<br />

— Bonjour ! Molly ?<br />

Comme la voix enjouée de sa mère résonnait<br />

dans l’entrée, elle s’empressa de remettre le<br />

test dans sa boîte et le jeta dans la poubelle en<br />

prenant soin de l’enfouir sous des mouchoirs<br />

en papier.<br />

Avec un soupir, elle resserra autour de sa<br />

taille mince — pour le moment — la ceinture<br />

de son peignoir en éponge et quitta la salle<br />

de bains. Rocky, son petit Jack Russell l’accueillit<br />

dans la cuisine avec des jappements<br />

de plaisir, et entreprit de la suivre pas à pas<br />

en remuant la queue.<br />

— Bonjour, maman. Que me vaut l’honneur<br />

de cette visite si matinale ?<br />

Cynthia Hunter fronça les sourcils.<br />

— Si matinale ? répéta-t‐elle, étonnée.<br />

Enfin, Molly, il est 10 h 10 !<br />

— Déjà ?<br />

Pressée de fuir le regard inquisiteur de<br />

sa mère, Molly se pencha pour remplir de<br />

croquettes la gamelle de l’animal et lui servir<br />

de l’eau fraîche.<br />

Il ne lui restait plus qu’à espérer que Jayne<br />

ne se réveille pas tout de suite. Elle aurait du<br />

mal à affronter les questions de son amie, qui<br />

logeait momentanément chez elle. Ce, d’autant<br />

10


plus que Jayne faisait partie de l’escapade à<br />

Las Vegas. Elle était même à l’origine du<br />

fameux <strong>week</strong>-<strong>end</strong> !<br />

Elle repoussa ses cheveux en arrière.<br />

Etait-ce possible qu’elle ait agi ainsi ? Avec<br />

autant de… D’insouciance, au bas mot ? Etaitelle<br />

vraiment enceinte ?<br />

Après avoir caressé distraitement la tête du<br />

chien, elle se redressa.<br />

— Il faut que je me dépêche !<br />

— Mais je pensais que nous pourrions nous<br />

asseoir et bavarder devant une tasse de café,<br />

protesta sa mère. Tes cours d’été ont bien pris<br />

fin hier, n’est-ce pas ? J’en déduis donc que tu<br />

n’es pas pressée.<br />

— Eh bien si, répliqua Molly en quittant<br />

la pièce à vive allure. J’ai une réunion administrative.<br />

Elle avait passé trop de temps dans la salle de<br />

bains à observer ce stupide bâtonnet, comme<br />

si elle avait pu faire disparaître ces deux traits<br />

roses en les fixant.<br />

Après avoir lancé son peignoir sur le lit<br />

défait — elle n’aurait pas le temps ce jour-là<br />

de remettre de l’ordre dans sa chambre, tant<br />

pis —, elle ouvrit son armoire. Elle saisit la<br />

tenue qui se trouvait juste devant elle sans<br />

pr<strong>end</strong>re le temps de choisir : un pantalon en<br />

11


popeline gris, un caraco mauve et des escarpins<br />

noirs à petit talon.<br />

Sa mère gratta à la porte.<br />

— Tu veux que je te prépare le petit déjeuner,<br />

ma chérie ? Des œufs et du bacon ?<br />

Cette proposition manqua la faire repartir<br />

sur-le-champ vers la salle de bains.<br />

— Non… Merci, maman.<br />

Elle remonta la fermeture à glissière du<br />

pantalon, boutonna le chemisier et se glissa<br />

dans les chaussures.<br />

Il ne lui restait plus qu’à se coiffer, appliquer<br />

quelques touches de maquillage, et le tour serait<br />

joué. Autant que faire se pouvait, du moins.<br />

Sortant en trombe de la chambre, elle entreprit<br />

de dresser mentalement une liste des tâches<br />

à accomplir avant son départ.<br />

A vrai dire, rien ne l’obligeait à apporter quoi<br />

que ce soit à la réunion, mais elle préférait y<br />

arriver préparée. Elle pr<strong>end</strong>rait donc le cahier<br />

sur lequel elle avait noté quelques idées de<br />

modifications pour l’année scolaire à venir. Elle<br />

ne devait pas oublier non plus la demande de<br />

subvention destinée à améliorer le programme<br />

de lecture. D’après certaines rumeurs, l’école<br />

où elle travaillait devait revoir ses dépenses à<br />

la baisse. Elle espérait ne pas être concernée<br />

par d’éventuelles coupes budgétaires, mais…<br />

12


Plongée dans ses pensées, elle manqua<br />

percuter Jayne au coin du couloir.<br />

— Oh, excuse-moi.<br />

Jayne éclata de rire et plongea les doigts<br />

dans ses cheveux châtains, qu’elle portait<br />

toujours court.<br />

— Tu m’as l’air pressée, ce matin ! Tu ne<br />

veux pas arriver en retard à cette réunion ?<br />

Puis elle lui emboîta le pas jusqu’au salon.<br />

— Je te trouve bien nerveuse, reprit Jayne,<br />

un sourcil levé. Pas dans ton état normal, en<br />

tout cas.<br />

Molly eut l’impression d’être prise au piège<br />

entre son amie et sa mère qui la scrutaient<br />

toutes deux, les yeux plissés.<br />

La journée ne débutait décidément pas sous<br />

le signe de la légèreté ! Comment allait-elle<br />

s’y pr<strong>end</strong>re pour garder son secret ?<br />

Elle n’avait pas le choix. D’autant qu’un<br />

doute persistait : ce genre de test n’était pas<br />

fiable à cent pour cent.<br />

— Non. Enfin… Oui, admit-elle avec un<br />

petit soupir.<br />

— Tu t’en tireras très bien, déclara sa mère.<br />

— Il ne s’agit pas de cela, maman.<br />

Elle avança jusqu’au petit bureau qui occupait<br />

un coin de la pièce et rangea dans son<br />

sac-besace en cuir noir les dossiers qu’elle<br />

avait préparés la veille.<br />

13


— Les budgets ne sont pas extensibles,<br />

et étant la dernière arrivée, je risque d’être<br />

concernée s’il y a des suppressions de poste.<br />

— Je suis certaine que tout se passera bien,<br />

insista sa mère.<br />

Jayne hocha la tête, lui apportant elle aussi<br />

son soutien.<br />

Et Molly se surprit à faire de même.<br />

Elle n’imaginait pas ne plus travailler à<br />

l’école Washington. Elle n’imaginait pas ne<br />

pas revoir à la rentrée tous ces jolis minois<br />

tournés vers elle, ces yeux luisants de curiosité,<br />

ces rires délicieux, contagieux. Ce métier,<br />

elle l’aimait. Elle l’exerçait depuis la fin de<br />

ses études, et elle n’envisageait certainement<br />

pas d’en changer. La vie qu’elle menait lui<br />

convenait à merveille.<br />

Alors pourquoi s’être soudain écartée de ce<br />

chemin bien tracé ? Pourquoi s’être comportée<br />

comme si elle était une autre ?<br />

Peut-être qu’elle avait cherché à combler le<br />

vide qu’il y avait en elle…<br />

Elle refoula cette pensée au fond de son<br />

esprit.<br />

Cette nuit-là avait été une aberration, rien<br />

de plus. Elle n’avait aucun vide à combler,<br />

tout allait très bien. Elle s’était r<strong>end</strong>ue à Las<br />

Vegas pour apporter son soutien à Jayne, qui<br />

14


traversait à ce moment-là un moment difficile.<br />

Voilà tout.<br />

— Je te trouve bien pâle…, reprit sa mère.<br />

Le front soucieux, elle avança vers elle et<br />

lui posa la main sur l’épaule.<br />

— Et bizarre, ajouta-t‐elle plus bas. Ne<br />

disais-tu pas que certains de tes élèves étaient<br />

enrhumés ces derniers temps ? Tu as peut-être<br />

attrapé ce virus ?<br />

Molly avala sa salive.<br />

C’était tout autre chose qu’elle avait attrapé !<br />

— En tout cas, tu as l’air fatigué, renchérit<br />

Jayne.<br />

— Je me sens en effet fatiguée, admit Molly,<br />

pressée de mettre un terme à la discussion.<br />

Il était hors de question qu’elle informe sa<br />

mère et son amie de sa récente découverte.<br />

Pas avant une confirmation médicale, tout<br />

au moins. Après tout, ces tests n’étaient pas<br />

infaillibles, et…<br />

Allons, au bout de deux mois ? N’auraitelle<br />

donc rien retenu de ses cours d’éducation<br />

sexuelle ?<br />

Cynthia poussa un petit soupir et déclara,<br />

les lèvres pincées :<br />

— Si tu veux mon avis, je pense que tu ne<br />

pr<strong>end</strong>s pas assez soin de toi depuis que vous<br />

avez décidé de faire cette pause dans votre<br />

relation, Doug et toi.<br />

15


Après avoir ouvert la porte de derrière du<br />

pavillon à Rocky pour qu’il puisse sortir dans<br />

la cour clôturée, Molly se tourna vers sa mère.<br />

— Il ne s’agit pas d’une « pause », maman,<br />

tu le sais très bien. Nous avons divorcé !<br />

— Je persiste à penser que vous pourriez…<br />

— Non ! Nous ne pourrions pas.<br />

Pinçant un peu plus les lèvres, Cynthia<br />

Hunter se garda toutefois d’insister.<br />

Molly réprima un soupir.<br />

De l’avis de sa mère, Douglas Wyndham<br />

frisait la perfection. Celle-ci voyait en lui le<br />

g<strong>end</strong>re idéal, le médecin qui avançait. Seul<br />

inconvénient, il avançait dans une direction<br />

diamétralement opposée à celle qu’elle-même<br />

avait choisie. Et voilà que maintenant…<br />

Non, il ne fallait pas qu’elle se focalise sur<br />

cela. Les deux petits traits roses n’étaient<br />

peut-être qu’une erreur. Elle appellerait son<br />

médecin et essaierait d’obtenir un r<strong>end</strong>ez-vous<br />

juste après la réunion. Ainsi, toute forme de<br />

doute serait levée. Elle saurait de source sûre<br />

si, elle qui ne laissait jamais rien ou presque au<br />

hasard, elle avait réellement commis ce soir-là<br />

l’erreur la plus grossière de son existence.<br />

— Molly, je pense tout de même que…<br />

— Que diriez-vous d’une tasse de café,<br />

madame Hunter ? lança alors Jayne.<br />

16


Molly décocha à son amie un regard empli<br />

de reconnaissance.<br />

Ce fut le moment que choisit Rocky pour<br />

manifester par des aboiements son désir de<br />

rentrer.<br />

Elle rouvrit la porte, le caressa machinalement<br />

entre les oreilles et prit son sac.<br />

— Désolée de ne pas rester bavarder un peu<br />

plus longtemps avec toi, maman, mais je ne<br />

voudrais pas arriver en retard à cette réunion.<br />

Cynthia se pencha pour caresser le chien<br />

à son tour.<br />

— Il est content de me voir, lui au moins,<br />

marmonna-t‐elle.<br />

Sur le point de quitter la pièce, Molly att<strong>end</strong>it<br />

que sa mère la rejoigne.<br />

— Je t’appellerai à la fin de la réunion,<br />

promis.<br />

— Bon… Tu es sûre de ne rien oublier,<br />

ma fille ?<br />

Elle ouvrit son sac et en vérifia le contenu<br />

d’un bref regard.<br />

— Pas que je sache, répondit-elle.<br />

— Tes clés.<br />

D’un geste du menton, Cynthia désigna<br />

le trousseau de clés posé sur un guéridon et<br />

secoua la tête.<br />

— Tu as vraiment la tête ailleurs, ce matin !<br />

Les sourcils froncés, elle ajouta :<br />

17


— Tout va bien, ma chérie ?<br />

— Oui, maman.<br />

Exception faite de l’hypothétique bébé.<br />

— Désolée d’insister, mais je te trouve<br />

mauvaise mine.<br />

— Mais non, répliqua machinalement Molly.<br />

Jayne apparut à ce moment-là, et Cynthia<br />

voulut la pr<strong>end</strong>re à témoin.<br />

— Qu’en pensez-vous, mon petit ? Ne la<br />

trouvez-vous pas pâlichonne ?<br />

Jayne lui adressa un sourire complice.<br />

— <strong>Un</strong> peu, peut-être. Mais il faut dire<br />

qu’elle a été trop occupée ces derniers temps<br />

pour flâner dans le jardin !<br />

Molly remercia son amie d’un clin d’œil<br />

discret tout en ressentant un pincement de<br />

culpabilité.<br />

Celle-ci ignorait ce qu’il s’était vraiment<br />

passé ce soir-là à Las Vegas. Tout comme<br />

les autres copines faisant partie du voyage.<br />

Cette façon d’agir lui ressemblait si peu qu’elle<br />

avait préféré passer sous silence sa parenthèse<br />

amoureuse.<br />

L’image des deux traits roses se fit soudain<br />

plus précise dans son esprit.<br />

Si le verdict s’avérait, elle devrait bientôt<br />

annoncer la nouvelle à ses proches.<br />

Tandis que sa mère haussait une épaule,<br />

18


sceptique, Jayne t<strong>end</strong>it à Molly la tasse de<br />

café qu’elle tenait entre les mains.<br />

— <strong>Un</strong> peu de caféine t’aidera à tenir bon<br />

toute la matinée, lui dit-elle avec un sourire.<br />

Molly prit la tasse, évitant bien sûr de<br />

protester que le café n’était peut-être pas très<br />

indiqué dans son état.<br />

— Merci, Jayne, mais il ne fallait pas.<br />

— C’est bien le moins que je puisse faire,<br />

vu que tu as la gentillesse de m’héberger.<br />

— Tu sais bien que cette cohabitation ne me<br />

pèse pas du tout, bien au contraire, répliquat‐elle,<br />

sincère.<br />

Depuis que Jayne s’était installée chez<br />

elle, deux mois plus tôt, tout se déroulait à<br />

merveille. Elles passaient ensemble de très<br />

agréables moments, chacune veillant à ne<br />

pas empiéter sur le territoire de l’autre. Elle<br />

était ravie que l’espace vide de la petite villa<br />

soit occupé par l’une de ses meilleures amies.<br />

Et elle supposait que Jayne, qui se remettait<br />

doucement de son chagrin d’amour, était<br />

elle aussi contente d’avoir de la compagnie.<br />

Elle comprenait ce qu’avait pu ressentir son<br />

amie en voyant ses rêves de bonheur voler<br />

soudain en éclats. Le séjour à Las Vegas avait<br />

d’ailleurs été organisé dans le but de l’aider<br />

à surmonter l’épreuve de la trahison de son<br />

fiancé. Il avait été décidé qu’elles passeraient<br />

19


les quatre ensemble un <strong>week</strong>-<strong>end</strong> délirant entre<br />

filles. <strong>Un</strong> <strong>week</strong>-<strong>end</strong> rempli de rires, qu’elles<br />

n’oublieraient pas de sitôt.<br />

Et le contrat avait été rempli, aucun doute<br />

là-dessus !<br />

Alex était finalement restée à Las Vegas<br />

pour gérer l’hôtel de Wyatt McK<strong>end</strong>rick, et<br />

au passage elle s’était éprise du bel hôtelier,<br />

auquel elle était maintenant mariée. Serena, qui<br />

avait impétueusement épousé Jonas Benjamin<br />

p<strong>end</strong>ant ce <strong>week</strong>-<strong>end</strong> de folie, était elle aussi<br />

restée à Las Vegas. Pour l’heure, elle était<br />

toujours mariée, bien qu’elle s’ét<strong>end</strong>e peu sur la<br />

vie qu’elle menait avec son politicien de mari.<br />

Ces deux amies leur manquaient beaucoup,<br />

à Jayne et elle. Depuis ce fameux <strong>week</strong>-<strong>end</strong><br />

à Las Vegas, elles ne s’étaient retrouvées<br />

qu’une seule fois les quatre ensemble, à l’occasion<br />

d’une brève rencontre organisée par<br />

Wyatt. Elles avaient eu tout juste le temps<br />

de déjeuner et de faire un peu de shopping<br />

avant que sonne l’heure du départ. Depuis,<br />

elles communiquaient par téléphone ou bien<br />

via internet.<br />

Jayne lui posa affectueusement la main sur<br />

l’épaule.<br />

— Bonne chance pour ta réunion.<br />

Tournant les talons pour repartir vers sa<br />

chambre, elle ajouta :<br />

20


— Je dois me préparer aussi pour aller<br />

travailler. Que dirais-tu d’une soirée pizza-<br />

DVD ?<br />

— Le plus grand bien !<br />

Elle se garda d’ajouter que le simple fait<br />

d’ent<strong>end</strong>re le mot « pizza » lui retournait pour<br />

l’instant l’estomac.<br />

Tandis que Jayne s’éloignait avec un signe<br />

de la main pour sa mère, Molly ouvrit la<br />

porte principale et invita du menton sa mère<br />

à passer en premier.<br />

Comme cette dernière ne bougeait pas, elle<br />

afficha un sourire crispé.<br />

— Désolée, maman, mais comme tu le<br />

sais, je ne peux pas m’attarder.<br />

Le sourire que lui r<strong>end</strong>it Cynthia la fit<br />

frémir : de toute évidence, celle-ci n’était pas<br />

disposée à lâcher prise.<br />

Elle se mordilla les lèvres, sentant arriver<br />

une conversation à laquelle elle ne tenait pas<br />

du tout.<br />

— Je pourrai appeler Douglas, si tu veux…,<br />

commença Cynthia d’un ton doucereux.<br />

— Non, maman. C’est inutile.<br />

— Vraiment, Molly, je te trouve très dure<br />

avec lui. Ne pourriez-vous pas vous réconcilier ?<br />

Elle refoula le soupir qui lui montait aux<br />

lèvres.<br />

Dire que son divorce avec Doug remontait<br />

21


maintenant à plus de deux ans, et que sa mère<br />

s’obstinait à penser qu’il suffirait de l’appeler<br />

et d’organiser un dîner en tête à tête pour que<br />

tout rentre dans l’ordre !<br />

Celle-ci n’avait pas l’air de compr<strong>end</strong>re qu’un<br />

gouffre la séparait de son ex-mari.<br />

Ils n’avaient pas la même conception de<br />

l’avenir. Du monde, tout simplement. A<br />

l’époque de leur mariage, elle était si naïve !<br />

Elle avait succombé à son charme, séduite par<br />

cette façon qu’il avait de s’occuper du moindre<br />

détail. Tout à coup, l’existence lui avait paru<br />

infiniment plus simple auprès de lui. Entrer<br />

dans l’univers bien organisé de Doug, le laisser<br />

pr<strong>end</strong>re toutes les décisions, c’était si facile…<br />

Mais elle s’était aperçue ensuite qu’il n’avait<br />

aucune intention de se montrer plus souple,<br />

de modifier les règles strictes qu’il appliquait<br />

pour tout régenter. Des règles auxquelles il<br />

était impossible de déroger. Elle n’avait pas<br />

tardé à compr<strong>end</strong>re qu’elle ne pourrait pas<br />

mener auprès de lui la vie dont elle rêvait. En<br />

particulier une vie avec des enfants.<br />

Si elle se remariait un jour — et ce « si »<br />

rivalisait de taille avec l’Everest —, elle n’agirait<br />

certainement pas à la légère. Elle réfléchirait,<br />

au lieu de se laisser guider par ses sentiments<br />

ou par ses sens.<br />

— Sais-tu que Doug est malheureux ? insista<br />

22


sa mère avec un soupir. J’aimerais tant que<br />

vous connaissiez ensemble le bonheur que<br />

nous avons connu ton père et moi !<br />

Comme Cynthia évoquait son défunt mari,<br />

ses yeux s’embuèrent de larmes.<br />

— Je suis heureuse, maman, répondit Molly<br />

le plus doucement possible.<br />

— Seule ? Comment est-ce possible ?<br />

murmura sa mère en secouant la tête.<br />

En fait, en ce moment même, sa mère<br />

songeait sans doute surtout à ses propres<br />

difficultés à affronter la solitude. Solitude<br />

qu’elle subissait depuis le décès de son mari,<br />

dix-huit mois plus tôt.<br />

— Pourquoi ne pas t’inscrire à ce club<br />

de bridge dont tu me parles depuis quelque<br />

temps, maman ? Ou bien au club de lecture<br />

de la bibliothèque ?<br />

Cynthia détourna le regard.<br />

— Ils lisent ce mois-ci Les Hauts de<br />

Hurlevent, dit-elle tout bas.<br />

— Tu adores Emily Brontë !<br />

Reprenant son rôle de mère-poule, Cynthia<br />

se rapprocha d’elle et lui posa de nouveau la<br />

main sur l’épaule.<br />

— Es-tu bien sûre d’aller aussi bien que tu<br />

le prét<strong>end</strong>s ? Je peux rester, si tu le souhaites…<br />

Molly baissa les paupières, mal à l’aise.<br />

La perspective de conduire p<strong>end</strong>ant une<br />

23


quinzaine de minutes pour rejoindre son lieu<br />

de travail lui soulevait le cœur. Elle n’avait<br />

qu’une envie : retourner se coucher. Mais<br />

bien sûr, elle s’imaginait mal expliquer cela<br />

à sa mère.<br />

— Tout va bien, maman, fit-elle en se<br />

penchant pour effleurer sa joue d’un baiser.<br />

Je t’appellerai plus tard, promis.<br />

Puis elle s’empressa de monter dans sa<br />

voiture, coupant ainsi court à la conversation.<br />

Arrivée à hauteur du portail, elle adressa un<br />

petit signe de main à sa mère puis démarra.<br />

10 h 15.<br />

Il lui faudrait att<strong>end</strong>re au bas mot une heure<br />

et demie avant de pousser la porte du cabinet<br />

du Dr Carter. La journée commençait à peine,<br />

et elle avait l’impression qu’elle durait depuis<br />

plus d’un mois.<br />

— Je sais ce que je veux, et ce n’est pas ça.<br />

Lincoln Curtis fit glisser le dossier sur la<br />

table en acajou verni en direction de l’équipe<br />

d’architectes rassemblés de l’autre côté.<br />

Les trois hommes portaient des costumes<br />

bleu marine presque identiques et des cravates<br />

rouges aux motifs à peine différents. A croire<br />

que King Architecture att<strong>end</strong>ait de ses employés<br />

qu’ils s’habillent tous de la même façon.<br />

24


Voilà sans doute en partie qui expliquait<br />

que ces plans ne lui plaisent absolument pas.<br />

Ce manque d’inspiration dans l’habillement<br />

était en accord avec celui du projet.<br />

— Nous pouvons modifier le…<br />

— Inutile. Merci, messieurs, ajouta-t‐il en<br />

se levant pour quitter la salle de réunion, suivi<br />

de Conner Paulson, le directeur financier de<br />

Curtis Systems.<br />

Curtis Systems était la société de logiciels<br />

de sécurité que Lincoln et son frère Marcus<br />

avaient fondée douze ans auparavant dans le<br />

sous-sol de la maison familiale. Lincoln, en<br />

tant qu’aîné, s’était retrouvé tout naturellement<br />

au poste de P.-D.G. tandis que Marcus, de deux<br />

ans son cadet, occupait celui de vice-président.<br />

En un an à peine, l’idée s’était transformée en<br />

une entreprise en plein essor qui avait pour<br />

clients cinq cents grandes firmes. Cinq ans plus<br />

tard, Curtis Systems jouissait d’une renommée<br />

internationale et dominait le marché avec un<br />

chiffre d’affaires qui dépassait les espérances<br />

de ses créateurs…<br />

Il dirigeait aujourd’hui l’entreprise dont il<br />

avait toujours rêvé. Plus importante encore<br />

que ce qu’il aurait pu jamais imaginer. Parfaite<br />

en tout point.<br />

Exception faite du bureau qui jouxtait le sien.<br />

Depuis trois ans, cette pièce vide semblait<br />

25


le narguer, se moquer de tous les succès qu’il<br />

avait mis tant d’énergie à remporter.<br />

— Le projet que viennent de te présenter<br />

ces architectes correspond exactement à ce que<br />

tu as demandé, déclara Conner en accélérant<br />

le pas pour marcher à son côté. Que s’est-il<br />

donc passé entre-temps ?<br />

— Rien.<br />

Conner lâcha un petit rire.<br />

— Mais si, bien sûr ! Tu as changé ces<br />

derniers temps. Je ne sais pas ce qu’il t’arrive…<br />

Lincoln s’arrêta net dans le couloir, et se<br />

tourna vers son collaborateur et ami.<br />

— Que veux-tu dire par là ?<br />

— Oh, Linc, tu ne vas pas me ressasser<br />

le même refrain ! Voilà deux mois que tu me<br />

répètes que tout va bien, que rien n’a changé.<br />

Arrête de me raconter n’importe quoi, s’il te<br />

plaît ! Il y a un bail que nous nous connaissons.<br />

Depuis l’école primaire, pour être plus<br />

précis. Et j’ai l’impression que tu vis sur une<br />

autre planète, ces jours-ci.<br />

— Que veux-tu dire par là ? répéta Linc,<br />

un sourcil levé.<br />

Conner soupira.<br />

— Je ne te parlerais pas de cette façon si<br />

je ne te considérais pas comme mon meilleur<br />

ami. Il y a des années que tu…<br />

26


Comme Conner se taisait, Lincoln le pressa<br />

de poursuivre.<br />

— Oui ?<br />

— La mort de ton frère a été pour toi un<br />

événement tragique. Pour nous tous, à vrai<br />

dire, mais tout particulièrement pour toi. Je ne<br />

te le reproche pas, bien ent<strong>end</strong>u. A ta place…<br />

— Sommes-nous obligés d’avoir ce genre<br />

de conversation ?<br />

Conner ouvrit la bouche puis la referma.<br />

— Non.<br />

— Parfait.<br />

— Je cherche juste à t’expliquer que tu<br />

t’es comporté, depuis, comme un robot. Plus<br />

rien d’autre n’existait pour toi que le travail.<br />

A l’exception de ce congé que tu as pris il y<br />

a quelques semaines.<br />

— Je croyais que nous ne devions pas nous<br />

appesantir sur ce sujet ? l’interrompit Linc<br />

d’un ton sec.<br />

Conner marqua une pause et l’enveloppa<br />

d’un regard où transparaissait toute l’amitié<br />

qu’il lui portait.<br />

— Depuis, reprit-il, j’ai parfois l’impression<br />

de retrouver le Lincoln d’autrefois.<br />

Linc leva la main, cherchant à lui imposer<br />

silence.<br />

Conner était certes son meilleur ami, mais<br />

même avec lui, il ne tenait pas à remonter le<br />

27


temps. A retourner vers cette journée-là, trois<br />

ans plus tôt.<br />

— Celui qui était enthousiaste, qui aimait<br />

rire, enchaîna Conner. Qui avait envie d’entrepr<strong>end</strong>re,<br />

qui regorgeait d’idées. Comme<br />

celle que tu as soumise en réunion il y a deux<br />

mois, par exemple. Il s’agissait d’un logiciel<br />

pour enfants…<br />

— Si mes souvenirs sont exacts, l’idée en<br />

question n’a pas été plébiscitée par le conseil.<br />

Et vous aviez raison. Nous n’avons pas à nous<br />

disperser. Ce genre de projet fantaisiste risquerait<br />

de vider nos coffres au lieu de les remplir.<br />

Il avait cru un moment en replongeant dans<br />

le monde de l’enfance pouvoir faire revivre<br />

quelque chose qu’il avait perdu. Il avait donc<br />

jonglé un peu avec cette idée, puis il l’avait<br />

abandonnée, considérant qu’elle ne serait pas<br />

rentable.<br />

— Qui sait, ce projet se réalisera peut-être<br />

un jour ? reprit Conner en souriant. <strong>Un</strong> jour<br />

où tu auras un peu de temps à lui consacrer,<br />

ce qui n’est pas le cas en ce moment. Tu n’as<br />

déjà pas une minute à toi. Sans parler de…<br />

Comme il en restait là, faisant traîner la dernière<br />

syllabe, Lincoln le pressa de poursuivre.<br />

— Oui ?<br />

— Pour être sincère, Linc, je pense que<br />

t’éloigner un peu de tes ag<strong>end</strong>as surchargés<br />

28


ne pourrait que t’être salutaire. Mais je ne<br />

crois pas que tu excelles dans ce registre-là.<br />

Le monde des enfants, pour être plus précis.<br />

— Parce que je ne suis pas drôle ?<br />

Le sourire de Conner se fit espiègle.<br />

— Disons que si je décidais d’organiser une<br />

grande fête, je ne compterais pas spécialement<br />

sur toi pour jouer les boute-en-train ! Je ne<br />

manquerais pas de t’y inviter, en revanche.<br />

Lincoln lâcha un petit rire.<br />

Conner ne se doutait pas que deux mois plus<br />

tôt, une certaine nuit, son ami avait totalement<br />

oublié l’existence de ces ag<strong>end</strong>as aux pages<br />

noircies de r<strong>end</strong>ez-vous.<br />

<strong>Un</strong> visage féminin se dessina dans son<br />

esprit, ainsi que la divine silhouette assortie<br />

au visage.<br />

Molly.<br />

Il ne connaissait que son prénom. D’un<br />

commun accord, ils avaient décidé de rester<br />

très discrets sur leur vie privée.<br />

Le souvenir de la jeune femme n’en restait<br />

pas moins vivace dans son esprit. Il revoyait<br />

ses cheveux bruns épars sur l’oreiller, ses<br />

grands yeux verts brillants de désir. Il pensait<br />

à ce corps de rêve qui lui avait donné tant de<br />

plaisir. <strong>Un</strong> plaisir partagé, pas un seul instant<br />

il n’en avait douté.<br />

Cette nuit-là, le Lincoln sérieux et fanatique<br />

29


de travail dont parlait Conner avait cédé la<br />

place à un homme décidé à profiter pleinement<br />

de la vie et du sublime présent qu’elle venait<br />

de lui offrir.<br />

— D’ailleurs, reprit Conner, le tirant de ses<br />

pensées, comment cette idée t’est-elle venue<br />

à l’esprit ? Bizarre, non ?<br />

Ils venaient d’atteindre la passerelle de verre<br />

qui reliait les tours jumelles où siégeaient<br />

les bureaux de Curtis Systems. De là ils<br />

surplombaient la ville de Las Vegas, toujours<br />

en effervescence de jour comme de nuit.<br />

— Elle me trotte depuis quelque temps<br />

dans la tête.<br />

C’était un mensonge. Mais en disant la<br />

vérité, il aurait rouvert certaines blessures<br />

qu’il préférait laisser telles quelles.<br />

Deux mois plus tôt, en regardant le cal<strong>end</strong>rier,<br />

il avait été frappé par la date : si son<br />

frère avait vécu, il aurait fêté ce jour-là son<br />

vingt-sixième anniversaire.<br />

Et durant toutes ces années, lui, Linc, n’avait<br />

rien fait pour accélérer la création de ce logiciel,<br />

pourtant à la base de Curtis Systems. Car ce<br />

projet était le premier qu’ils avaient partagé,<br />

Marcus et lui…<br />

Après être resté assis p<strong>end</strong>ant des heures<br />

dans son appartement vide à ressasser les<br />

regrets et les erreurs du passé, il avait décidé<br />

30


de sortir. Son instinct l’avait guidé vers l’un<br />

des nombreux bars de la ville.<br />

Et il avait passé la nuit avec une femme<br />

qu’il ne connaissait pas.<br />

Ce fut de nouveau la voix de Conner qui le<br />

ramena à la réalité.<br />

— Je prét<strong>end</strong>s bien te connaître, et j’ai la<br />

sensation que tu me caches quelque chose.<br />

Lincoln se tourna vers son ami et soutint<br />

son regard.<br />

— J’ai rencontré quelqu’un.<br />

D’abord surpris, Conner fut prompt à se<br />

ressaisir.<br />

— Tant mieux. Tu es seul depuis trop<br />

longtemps. Alors, qui est l’heureuse élue ?<br />

Parle-moi d’elle. Pourquoi ne pas l’avoir<br />

amenée au dîner de bienfaisance organisé<br />

par l’entreprise la semaine dernière ? Est-ce<br />

qu’elle vit cloîtrée chez toi ? conclut-il dans<br />

un éclat de rire.<br />

— Je ne sais pas où elle vit. Je ne sais pas<br />

non plus comment elle s’appelle. Et c’est très<br />

bien comme ça.<br />

Cet intervalle amoureux de quelques<br />

heures lui suffisait. Il ne souhaitait en aucun<br />

cas s’engager dans une relation. Avoir une<br />

femme dans sa vie signifierait lui consacrer<br />

du temps, de l’énergie. Il devrait se partager<br />

entre vie professionnelle et vie privée, et en<br />

31


actuellement il avait du mal à imaginer une<br />

telle organisation.<br />

Saisi par ces déclarations, Conner s’arrêta<br />

sur la passerelle et le prit par le bras.<br />

— Tu es en train de m’expliquer que tu as<br />

eu une aventure d’un soir ? Toi ?<br />

— Je ne qualifierais pas cette histoire<br />

d’« aventure d’un soir ». C’était…<br />

Lincoln se tut, cherchant les mots justes<br />

pour décrire cette nuit <strong>inoubliable</strong>.<br />

Mais comment parler de ces moments<br />

magiques, de cette femme qui avait su ressusciter<br />

en lui quelque chose qu’il croyait mort<br />

depuis trois ans ?<br />

Cette femme qui lui avait tout fait oublier :<br />

le fardeau, la culpabilité, les regrets. Même<br />

ses responsabilités au sein de l’empire Curtis.<br />

Auprès d’elle, il avait pu l’espace d’une nuit<br />

vivre pleinement l’instant présent. Redevenir<br />

celui qu’il était autrefois.<br />

— C’était bien plus, finit-il par admettre.<br />

Du moins jusqu’à ce que la réalité reprenne<br />

le dessus.<br />

Au cours des deux mois qui avaient suivi<br />

cette rencontre, il s’était immergé davantage<br />

encore dans le travail, espérant ainsi reléguer<br />

à l’arrière-plan ce souvenir troublant. Il avait<br />

multiplié les r<strong>end</strong>ez-vous, les réunions, avait<br />

32


incité ses équipes à créer de nouveaux produits,<br />

à r<strong>end</strong>re les anciens plus performants.<br />

Mais cette surcharge d’activités ne parvenait<br />

pas à empêcher son esprit de vagabonder, de<br />

retourner vers ce proche passé. De se poser<br />

les questions que, d’un commun accord, Molly<br />

et lui avaient décidé d’éviter.<br />

N’était-ce pas là ce que représentait essentiellement<br />

Molly pour lui aujourd’hui ? <strong>Un</strong>e<br />

énigme à élucider ?<br />

— Mais ça n’a pas grande importance,<br />

déclara-t‐il avec un haussement d’épaules.<br />

Cette histoire appartient au passé.<br />

Comme il prononçait ces mots, il se promit<br />

de faire en sorte qu’elle y reste, dans ce passé.<br />

Pour la énième fois, il se le répéta, il ne pouvait<br />

pas s’investir dans une relation. Il ne pouvait<br />

pas se laisser distraire. Le bureau vide à côté<br />

du sien était là pour le lui rappeler.<br />

— Ah ? releva Conner avec un petit sourire<br />

en coin. Il ne me semble pourtant pas que tu<br />

aies tourné la page.<br />

Lincoln haussa de nouveau les épaules et<br />

embrassa du regard la myriade de bâtiments<br />

qui l’entouraient.<br />

Au loin, on distinguait les immenses ét<strong>end</strong>ues<br />

arides qui entouraient la ville. Las Vegas<br />

avait des allures de rose sauvage jaillie en<br />

plein cœur du désert.<br />

33


Cette image extravagante était diamétralement<br />

opposée à la vie bien tracée qu’il<br />

menait. Cette linéarité représentait pour lui<br />

le seul moyen d’avancer, de ne pas perdre le<br />

contrôle de la situation. De garder en tête les<br />

promesses faites il y avait bien longtemps.<br />

Des promesses qu’il n’avait pas toutes tenues.<br />

Il détourna le regard des panneaux vitrés<br />

pour se tourner vers son ami.<br />

— Le passé appartient au passé, Conner. Je<br />

me concentre sur l’avenir, et Curtis Systems<br />

est l’avenir.<br />

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