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ACCUSATION<br />
IVAN MOSJQUKINE dani Le Procureur (film tourné en Russie, avant la guerre)<br />
Le Langage cinégraphique<br />
EXPRESSIONS. - ATTITUDES<br />
LE verbe est le moyen naturel d'expression<br />
de la poésie et proprtment sa raison<br />
d'être — bien que la poésie soit d'essence,<br />
si subtile et «i complexe qu'elle se<br />
manifeste de mille autres manières à celui<br />
qui est en état de réceptibilité. Ainsi le<br />
rythme et la couleur sont à la musique et<br />
à la peinture ce que le verbe est à la poésie.<br />
Ainsi, le geste est au cinéma — qui<br />
est par excellence l'art plastique animé —<br />
son langage propre.<br />
Oh pourrait peut-être définir le rôle de<br />
l'acteur d'écran par ces mots : « L'art<br />
d'exprimer les pensées et les sentiments par<br />
le geste, dans la lumière et le silence. » Voilà<br />
le comédien de cinéma très proche parent<br />
de l'artiste chorégraphique. Voilà Chaplin<br />
cousin germain de Nijinsky et Asta<br />
Nielsen de la Pavlova. Cette vérité, on a<br />
mis quelque temps à la reconnaître. Ce nouvel<br />
artiste, qui menace d'éclipser tous les<br />
autres en nombre, en savoir et en renommée,<br />
a dû jouer de terribles parties contre<br />
lui-même. Il a commencé lentement par apprendre<br />
à se déshabituer de parler, il a perdu<br />
le sens et l'habitude des paroles, il s'est<br />
efforcé de devenir muet. Au cinéma, souvent,<br />
plus on est muet, plus on est éloquent :<br />
la pensée, ne pouvant se manifester par les<br />
paroles, passe dans les gestes. L'acteur parle<br />
avec son visage, ses mains, ses attitudes,<br />
ses réflexes, sa démarche. Mille personnes,<br />
chaque soir, venaient voir Sarah Bernhardt<br />
et se levaient quand elle murmurait : « Ce<br />
fut pour tout un peuple une nuit éternelle...»<br />
Chaque soir, maintenant, une multitude va<br />
dans les salles obscures voir La Ruée vers<br />
l'or, ou Kean, et, bien qu'ils soient réellement<br />
absents, applaudissent Mosjoukine et<br />
Chaplin à tout rompre quand l'un exécute<br />
sa magistrale « danse des petits pains », et<br />
quand l'autre entraîne la gigue frénétique<br />
des marins et des mineurs dans la Taverne<br />
du Trou au Charbon. C'est que tout cet<br />
infini de mystère, de poésie, de beauté dramatique<br />
que Sarah — la grande, l'unique<br />
Sarah — savait faire tenir dans les douze<br />
pieds d'un vers, Chaplin et Mosjoukine savent<br />
l'exprimer aussi puissamment dans les<br />
douze images — ou plus — d'un plan.<br />
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Mais, pour que d'un acteur muet jaillisse<br />
de l'éloquence, le silence ne suffit pas, l'immobilité<br />
non plus. L'acteur de cinéma doit<br />
se mouvoir autant, sinon plus, que l'acteur<br />
de théâtre, mais en apportant à ces mouvements<br />
beaucoup plus d'intelligence —<br />
toute son intelligence — qui n'a pas l'excuse<br />
d'être accaparée par la diction. Après<br />
les grands gestes épiques de l'âge héroïque<br />
du cinéma,. après les crises d'épilepsie<br />
des tragédiennes d'Italie, quelle révélation<br />
fut pour nous, et quel enseignement aussi<br />
l'apparition sur l'écran de ce mime hiératique<br />
: Sessue Hayakawa !<br />
Il fit école ; tous les acteurs s'en inspirèrent<br />
plus ou moins et, par réaction contre<br />
l'ancien procédé, s'essayèrent à cette sobriété<br />
de gestes qui frisait l'immobilité.<br />
Mais le cinéma évolue beaucoup plus vite<br />
que ses acteurs. Ceux qui en sont restés à<br />
cette technique nous paraissent aujourd'hui<br />
aussi retardataires que ceux qui gesticulaient<br />
dans les films de l'an 1912, à l'âge<br />
dit « du télégraphe Chappe ». Après avoir<br />
appris l'immobilité, l'acteur dut rapprendre<br />
le mouvement, mais le mouvement discipliné,<br />
pensé, suscité par l'intelligence et la<br />
ATTENTE...<br />
(jnemagazîne<br />
réflexion, qui lui donnent son sens, sa force<br />
d'expression, sa vie.<br />
Celui qui, à mon sens personnel, est réellement<br />
responsable de cette nouvelle progression<br />
dans la science de l'expression<br />
muette, est un auteur-acteur : Séverin-<br />
Mars. Après s'être longtemps cherché dans<br />
des films médiocres, il nous prouva, avec<br />
J'Accuse, L'Agonie des Aigles, La Roue<br />
et surtout Le Cœur Magnifique, qu'il s'était<br />
trouvé. Dans ces films, en effet, au milieu<br />
des expressions les plus désordonnées,<br />
dans un chaos de gestes et d'attitudes de<br />
théâtre, surgissait de temps à autre, éclatait<br />
plutôt, une expression du plus bel art<br />
cinégraphique. Il avait compris le premier<br />
que l'expression cinégraphique puiserait ses<br />
meilleurs enseignements dans la pantomime.<br />
<strong>Ciné</strong>mime, il s'extériorisait au moyen d'une<br />
mimique synthétique, où les sentiments et<br />
les passions, les sensations et les pensées<br />
étaient ramenés à leurs attitudes essentielles,<br />
à quelques gestes stylisés de psychologie<br />
plastique. Il analysait son art avec une lucidité<br />
extraordinaire et disait : « Les artistes<br />
simples ne sont pas ceux qui ne font<br />
rien. La simplicité est une suite de com-<br />
JEAN ANGELO et ALEX ALLIN dam Les Aventures de Robert Macaire.