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Hannah Arendt - Sophie Dulac Distribution

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Au cinEma le 24 avril<br />

Editorial<br />

Contrairement à ce que son titre pourrait<br />

laisser penser, <strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong><br />

n’est pas un biopic, ou biographie<br />

filmée. Le film de Margarethe Von Trotta<br />

se concentre en effet sur une période relativement<br />

courte de la carrière de la philosophe<br />

allemande naturalisée américaine :<br />

sa couverture, pour le compte du magazine<br />

américain The New Yorker, du procès<br />

à Jérusalem du criminel nazi Adolf<br />

Eichmann (1961), et ses conséquences.<br />

Une période courte, donc, mais ô<br />

combien passionnante et déterminante :<br />

c’est en observant le terne Eichmann, en<br />

écoutant sa défense, qu’<strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong><br />

forge son concept de « banalité du mal ».<br />

Ce concept, aujourd’hui central dans<br />

la pensée du totalitarisme nazi, fut mal<br />

compris à l’époque. Il lui valut un déluge<br />

de critiques d’une rare violence, en Israël<br />

comme aux États-Unis, y compris de la<br />

part de ses amis et collègues…<br />

Véritable thriller intellectuel, le film de<br />

Margarethe Von Trotta raconte ces mois<br />

au cours desquels <strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong> (interprétée<br />

par l’actrice Barbara Sukowa) sut<br />

faire preuve d’une force morale à toute<br />

épreuve pour défendre sans compromission<br />

la complexité de sa pensée.<br />

Il constitue autant un hommage à une<br />

femme remarquable, qu’un hymne à la<br />

pensée.<br />

un Hymne a la pensÉe (Analyse)<br />

Habituellement, les films font d’un procès un<br />

événement dramatique voire paroxystique du<br />

scénario. En choisissant la période du procès<br />

d’Adolf Eichmann comme pilier de son film sur<br />

<strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong>, Margarethe Von Trotta aurait<br />

pu nous faire suivre les débats au sein du tribunal,<br />

qui, finalement, prennent peu de place<br />

dans le long métrage. La réalisatrice allemande<br />

a préféré être fidèle à son personnage, en la plaçant<br />

au centre de l’intrigue, en dévoilant son<br />

quotidien, intimement, pour finalement la placer<br />

en pleine lumière dans un amphithéâtre. Ce<br />

n’est pas le procès Eichmann qui est l’enjeu du<br />

film, même s’il en est déclencheur, mais bien le<br />

procès intenté aux articles de la philosophe sur<br />

le procès Eichmann. Aussi, la cinéaste opte pour<br />

un final où <strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong> se défend face à ses<br />

élèves et ses confrères.<br />

Ce n’est pas simplement une leçon de théorie<br />

politique qu’elle assène. C’est une véritable plaidoirie<br />

pour justifier ses écrits dans le New Yorker,<br />

pour expliquer son processus de réflexion.<br />

Ce long monologue, filmé comme s’il avait lieu<br />

dans un tribunal, est un hymne à la pensée. En<br />

avocate de sa propre cause, <strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong> sait<br />

qu’elle ne convaincra pas ses collègues mais<br />

cherche à persuader la future élite du pays. En<br />

trois temps Von Trotta montre tour à tour des<br />

élèves conquis, des professeurs méprisants et<br />

<strong>Arendt</strong>, seule. Elle est sans doute moins isolée,<br />

mais elle est blessée.<br />

Le film souligne qu’elle a eu le courage de<br />

rompre avec son Maître, Heidegger, avec son<br />

pays, l’Allemagne, qu’elle est parvenue à mettre<br />

(suite de l’article en page 3)<br />

© Heimat films<br />

Document non contractuel.<br />

Sommaire<br />

p. 1 Éditorial<br />

Un hymne à la pensée (analyse)<br />

p. 2 Repères,<br />

Entretien avec Annabel Herzog<br />

p. 3 Un Hymne à la pensée (suite),<br />

Ressources<br />

p. 4 Questions à M. Von Trotta,<br />

Filmographie de M. Von Trotta,<br />

En ligne<br />

Un film de Margarethe Von Trotta<br />

avec Barbara Sukowa, Alex Milberg…<br />

France/Allemagne – 2012 – 1h50<br />

<strong>Distribution</strong> : <strong>Sophie</strong> <strong>Dulac</strong> <strong>Distribution</strong><br />

Au cinéma le 24 avril<br />

1961 - La philosophe juive allemande<br />

<strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong> est envoyée à Jérusalem par<br />

le New Yorker pour couvrir le procès d’Adolf<br />

Eichmann, responsable de la déportation<br />

de millions de Juifs. Les articles qu’elle<br />

publie, et sa théorie de «la banalité du mal»<br />

déclenchent une controverse sans précédent.<br />

Son obstination et l’exigence de sa pensée se<br />

heurtent à l’incompréhension de ses proches<br />

et provoquent son isolement.


2<br />

HANNAH ARENDT<br />

RepÈres<br />

1925<br />

© Heimat films<br />

ENTRETIEN : DR. ANNABEL HERZOG<br />

© Heimat films<br />

<strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong> rencontre Martin<br />

Heidegger, alors professeur à l’université<br />

protestante de Marbourg, dont elle<br />

sera l’élève et la maîtresse. Malgré leurs<br />

désaccords intellectuel et politique dans<br />

les années 30, elle témoignera en sa faveur<br />

lors de son procès en dénazification après<br />

la guerre.<br />

1933<br />

À 27 ans, <strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong> quitte l’Allemagne<br />

nazie pour la France où elle sera internée<br />

dans un camp en 1940. Elle s’enfuira et<br />

arrivera aux USA en 1941, où elle s’installe.<br />

1951<br />

Naturalisée américaine, <strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong><br />

devient conférencière et professeur en<br />

philosophie politique dans plusieurs<br />

grandes universités du pays. Elle publie<br />

Les Origines du totalitarisme.<br />

1958<br />

Elle publie Condition de l’homme moderne.<br />

11 AVRIL 1961<br />

Début du procès à Jérusalem d’Adolf<br />

Eichmann, SS qui avait échappé à la justice<br />

après la capitulation allemande. Le procès<br />

dura 8 mois. Il est condamné à mort par<br />

pendaison le 31 mai 1962. Il est le seul civil<br />

à avoir été exécuté par Israël.<br />

1963<br />

Parution des articles de la philosophe dans<br />

le New Yorker puis publication de Eichmann<br />

à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal.<br />

© Heimat films<br />

© Heimat films<br />

« Elle voulait voir Eichmann<br />

de ses propres yeux. »<br />

Le Dr. Annabel Herzog est la repsonsable de la Division de la théorie politique et gouvernementale à<br />

l’École des sciences politiques de l’Université de Haïfa. Elle a obtenu son doctorat en philosophie politique<br />

de l’Université de Paris VII - Denis Diderot. Elle a étudié la théorie politique et des philosophes tels que<br />

Emmanuel Lévinas, Jacques Derrida et <strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong>. Parmi ses ouvrages publiés, elle a coordonné<br />

<strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong> : totalitarisme et banalité du mal (PUF, 2011).<br />

En quoi <strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong> était-elle une<br />

philosophe majeure à cette période ?<br />

<strong>Arendt</strong> avait écrit l’une des premières théories<br />

du totalitarisme (c’est-à-dire, une analyse des<br />

points communs entre nazisme et stalinisme)<br />

et son livre était considéré par beaucoup<br />

comme le meilleur sur le sujet. Son deuxième<br />

(chronologiquement) grand livre The Human<br />

Condition traite du politique en général, à une<br />

époque où le sujet était peu ou mal étudié<br />

(on considérait que le libéralisme d’un côté<br />

et le marxisme de l’autre avaient tout dit sur<br />

le sujet). Les deux livres lus ensemble (Origins<br />

of totalitarianism et Human Condition) offrent<br />

une analyse originale de la modernité et de<br />

ses risques de destruction du politique, et une<br />

redéfinition du politique comme domaine de<br />

la liberté et de l’innovation.<br />

Quelle était sa motivation pour assister au<br />

procès Eichmann ?<br />

Elle avait écrit l’ouvrage majeur sur le<br />

totalitarisme (et donc sur le nazisme) mais elle<br />

n’avait jamais vu « de près » les responsables<br />

du désastre. Elle voulait les entendre<br />

s’expliquer. Elle voulait voir ça de ses propres<br />

yeux et juger.<br />

Comment peut-on définir l’impact de son<br />

analyse du procès Eichmann ?<br />

Ce n’est pas son analyse du procès qui a<br />

changé quelque chose dans sa philosophie<br />

parce que son analyse n’est compréhensible<br />

que dans le cadre de sa philosophie et de ses<br />

catégories. Son analyse est un exemple, un<br />

cas particulier de sa philosophie. Elle a analysé<br />

Eichmann comme exemple et conséquence<br />

de la destruction du politique qu’a été, selon<br />

elle, le nazisme –destruction survenant au<br />

terme du vaste processus d’effondrement du<br />

politique qui a constitué la modernité.<br />

Dans le film, on l’entend dire que « Le pire<br />

mal est celui qui est accompli par des gens<br />

sans motifs, des gens banals. » Pouvez-vous<br />

préciser sa pensée ?<br />

Elle n’a pas exactement dit ça. La banalité<br />

du mal est humaine et n’est pas liée à<br />

l’absence de motifs mais à l’idéologie. Elle<br />

a dit qu’Eichmann n’avait pas de motifs<br />

personnels contre les Juifs. Cela ne veut pas<br />

dire qu’il n’avait pas de motifs. Il avait toute<br />

l’idéologie nazie comme motif, et ce n’est<br />

pas rien. Mais ces motifs ne provenaient<br />

pas de sa propre pensée, de son propre<br />

jugement. Dire que ce type d’attitude est<br />

banal signifie que l’attitude n’est pas fondée<br />

en raison –n’est pas profonde, argumentéemais<br />

provient de clichés et de préjugés. La<br />

banalité n’est pas l’absence d’importance<br />

ou l’absence d’humain, mais l’absence de<br />

raison, la superficialité de l’argument, les<br />

phrases toutes faites et les prétextes qui<br />

remplacent la pensée. Le problème et la force<br />

du totalitarisme est qu’il a réussi à détruire la<br />

pensée. Elle est très proche d’Orwell dans son<br />

roman 1984.


HANNAH ARENDT 3<br />

Dans le film, malgré la polémique violente<br />

qu’entraînent ses écrits sur le procès<br />

Eichmann, elle résiste au rejet de ses<br />

confrères, à l’opinion publique. Elle semble<br />

placer la pensée au dessus des émotions, de<br />

la politique.<br />

© Heimat films<br />

Elle voulait en effet mettre la pensée audessus<br />

des émotions, comme la plupart<br />

des philosophes. Elle était philosophe,<br />

pas journaliste ou publiciste. Elle n’a pas<br />

été vraiment incomprise. Les gens qui<br />

l’ont attaquée avaient certaines raisons<br />

idéologiques de le faire (et elle le savait très<br />

bien).<br />

Comment pourrait-on aujourd’hui définir<br />

l’impact et l’actualité de ses écrits, et<br />

notamment La banalité du mal ?<br />

H. <strong>Arendt</strong> est une des plus grandes<br />

philosophes politique du 20 ème siècle, peutêtre<br />

la plus grande. La banalité du mal n’est<br />

pas son concept le plus important. Son<br />

analyse de la modernité et de la politique<br />

comme action et liberté est de plus en plus<br />

actuelle.<br />

Pour finir, <strong>Arendt</strong> est indissociable<br />

d’Heidegger (mais décidant de rompre<br />

avec son Maître). Dans le film, on les voit<br />

ensemble puis rompre. Pouvez-vous<br />

nous expliquer en quoi cette rupture est<br />

fondamentale dans son œuvre ?<br />

Sa relation avec Heidegger a été maintes<br />

fois étudiée et souvent de façon ridicule. Ils<br />

étaient ensemble quand elle était étudiante<br />

et qu’il était son professeur, il lui a beaucoup<br />

appris, et ils se sont séparés parce qu’il était<br />

marié et qu’elle était son étudiante. Elle ne<br />

lui a jamais pardonné son « épisode » nazi,<br />

mais il avait été son grand amour et donc il<br />

a beaucoup compté pour elle, même après<br />

la guerre. Il y a de bons et gros livres, et des<br />

colloques sur l’influence de Heidegger sur ses<br />

écrits et sur ceux d’autres philosophes de la<br />

même époque.<br />

La pensée d’<strong>Arendt</strong> doit beaucoup<br />

à Heidegger, mais elle s’en éloigne<br />

radicalement à cause de l’engagement de<br />

Heidegger dans les années 30. Sa critique<br />

contre la philosophie heidéggerienne est une<br />

critique de sa non-résistance à la domination.<br />

Dans The Life of the Mind elle entre dans les<br />

détails de la philosophie de Heidegger et<br />

interprète sa non-résistance à la domination<br />

comme refus de la volonté, soit refus de<br />

l’origine de la liberté responsable. Et donc<br />

l’œuvre d’<strong>Arendt</strong> est à comprendre comme<br />

réponse à ce refus, et comme revalorisation<br />

de la liberté responsable notamment par<br />

l’action et la politique.<br />

Propos recueillis par Vincy Thomas<br />

un Hymne a la pensÉe<br />

Le film souligne qu’elle a eu le<br />

courage de rompre avec son<br />

Maître, Heidegger, avec son<br />

pays, l’Allemagne, qu’elle est<br />

parvenue à mettre de la<br />

distance avec Israël.<br />

tèmes totalitaires de l’Histoire. Privés de pensée,<br />

sans motifs particuliers, ils sont prisonniers du<br />

système pour lequel ils travaillent. Ce schéma<br />

est transposable encore actuellement, et pas<br />

uniquement dans le monde politique.<br />

De la même manière, la deuxième partie du film<br />

va démontrer que ses amis, en Israël ou à l’Université,<br />

sont prisonniers d’autres schémas, annihilant<br />

toutes formes de réflexions « neutres »<br />

ou au moins « distantes ». Chacun est « piégé »<br />

par ses dogmes : Israël se construit alors dans<br />

la douleur, et les différents procès contre les<br />

Nazis, Nuremberg en tête, sont là pour évacuer<br />

(SUITE article P.1)<br />

de la distance avec Israël. « Je n’aime que mes<br />

amis » dit-elle à un moment donné. Mais <strong>Arendt</strong><br />

constate aussi, avec le scandale que ses écrits<br />

provoquent, qu’elle a peu d’amis. Margarethe<br />

Von Trotta accentue le contraste entre la philosophe,<br />

luttant contre ses émotions, posée, libre,<br />

et des amis ou collègues, qui sont eux en proie à<br />

leurs passions et dépendants de leur passé.<br />

C’est une dialectique intéressante et enrichissante<br />

qui nous est alors proposée. Le procès<br />

d’Adolf Eichmann tout d’abord permet à <strong>Arendt</strong><br />

de concevoir sa théorie de la banalité du mal,<br />

où par absence d’idéologie, des hommes ordinaires<br />

vont devenir complices d’un des pires sysle<br />

mal et révéler les horreurs du IIIe Reich. Dans<br />

tous les cas, au début des années 60, il n’est pas<br />

concevable d’atténuer les monstruosités d’un<br />

homme, un SS, en le déresponsabilisant partiellement<br />

sous prétexte qu’il n’obéissait qu’à<br />

un système.<br />

En voulant réfléchir aux racines du « Mal »,<br />

<strong>Arendt</strong> a provoqué ses amis, qu’ils soient Juifs<br />

ou intellectuels, en les confrontant à une vérité<br />

: leur pensée est subjective tant qu’ils ne se<br />

débarrassent pas de leurs idéologies formatées,<br />

imposées par leur époque.<br />

Car il n’y a pas d’ambivalence sur son discours :<br />

elle explique bien que le pire mal est celui qui<br />

est accompli par des individus incapables de<br />

penser sans « motifs » réels. La monstruosité<br />

se double d’une forme d’immoralité. L’Histoire<br />

lui donnera raison tant <strong>Arendt</strong> est aujourd’hui<br />

considérée comme l’une des plus grandes intellectuelles<br />

du XX ème siècle. La philosophe, et le<br />

film insiste avec justesse sur ce point, souhaitait<br />

éclairer notre monde sur le chaos « moral »<br />

qui y régnait et qui y règne toujours ; elle voulait<br />

propager son goût pour le libre arbitre. C’est ce<br />

qu’elle fait passer comme message à ses élèves,<br />

qui ne sont pas encore enfermés dans des théories<br />

et des doctrines.<br />

Margarethe Von Trotta fait l’éloge d’une femme<br />

dont l’indépendance (intellectuelle) prime<br />

par dessus tout, comme s’il s’agissait du seul<br />

moyen de résister au totalitarisme et à la banalité<br />

du mal. A ce titre <strong>Arendt</strong> est l’exact opposé<br />

d’un Eichmann ou plus généralement d’une<br />

pensée unique. La réalisatrice souligne par la<br />

même occasion le coût affectif et le sacrifice<br />

humain que représente cette indépendance.<br />

Vincy Thomas, février 2013<br />

RESSOURCES<br />

FILMS<br />

Un spécialiste, portrait d’un criminel moderne, documentaire d’Eyal Sivan et<br />

Rony Brauman (éd. Montparnasse). Film réalisé à partir de 350 heures d’images<br />

d’archives.<br />

Eichmann, fiction de Robert Young (2007). Le scénario est basé sur le déroulé<br />

du procès et les notes prises pendant les interrogatoires d’Eichmann durant<br />

sa détention en Israël.<br />

Livres<br />

Le cas Eichmann : vu de Jérusalem, de Claude Klein (Gallimard, coll. « La suite<br />

des temps », 2012). Etude consacrée au procès Eichmann, au jugement et aux<br />

polémiques qui en ont découlé.<br />

<strong>Arendt</strong> et Heidegger : le destin du politique, de Dana R. Villa (Payot, 2008). Etude<br />

de la théorie de l’action politique de <strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong> à travers l’influence de la<br />

pensée politique aristotélicienne et sa déconstruction heideggérienne.<br />

<strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong> : biographie, de Elisabeth Young-Bruchi (éditions Pluriel, 1986).


4<br />

HANNAH ARENDT<br />

QUESTIONS à MARGARETHE VON TROTTA<br />

« Comment regarder une femme dont<br />

l’activité principale est la pensée ? »<br />

Qu’est-ce qui vous a enthousiasmé<br />

concernant <strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong> ?<br />

La problématique de la réalisation d’un film<br />

sur une philosophe. Comment regarder<br />

une femme dont l’activité principale est la<br />

pensée. J’ai bien évidemment eu peur de<br />

ne pas lui rendre justice. La représentation<br />

cinématographique a donc été bien plus<br />

complexe que celle de Rosa Luxemburg,<br />

notamment. Ces deux femmes étaient<br />

extrêmement intelligentes, dotées d’une<br />

forte personnalité, capables de relations<br />

amicales et amoureuses et toutes deux<br />

intellectuelles, provocant tant par la pensée<br />

que par le verbe. La vie d’<strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong><br />

n’a pas été aussi dramatique que celle de<br />

Rosa Luxemburg – elle n’en a pas moins été<br />

importante et touchante.<br />

© Heimat films<br />

Pourquoi avez-vous choisi de centrer le film<br />

sur le procès Eichmann de 1961 ?<br />

Nous voulions raconter l’histoire d’<strong>Hannah</strong><br />

<strong>Arendt</strong> sans réduire l’importance de sa vie et<br />

de son œuvre, sans pour autant avoir recours<br />

à la biographie tentaculaire classique. Après<br />

avoir soupesé toutes les options, l’idée de<br />

se focaliser sur les quatre années pendant<br />

lesquelles elle a travaillé sur le rapport et sur<br />

le livre Eichmann s’est imposée comme une<br />

évidence pour dépeindre au mieux la femme<br />

et son œuvre. La confrontation entre <strong>Hannah</strong><br />

<strong>Arendt</strong> et Adolf Eichmann nous a permis non<br />

seulement de mettre en exergue le contraste<br />

inouï entre ces deux personnages, mais aussi<br />

de mieux comprendre les années sombres de<br />

l’Europe du 20ème siècle. <strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong> a fait<br />

la fameuse déclaration suivante, « Personne n’a<br />

le droit d’obéir ». Avec son refus catégorique<br />

d’obéir à quoi que ce soit d’autre que ses<br />

propres connaissances et convictions, elle ne<br />

pouvait être plus différente d’Eichmann que<br />

quiconque.<br />

Vous avez pu rendre de manière précise le<br />

personnage “non-pensant” d’Eichmann par<br />

les images d’archives en noir et blanc du<br />

procès.<br />

On ne peut montrer la vraie « banalité du<br />

mal » qu’en observant le vrai Eichmann. Un<br />

acteur ne peut que déformer l’image, en<br />

aucun cas il ne pourrait la préciser. En tant que<br />

spectateur, on pourrait admirer la grandeur<br />

d’interprétation de l’acteur mais ce serait<br />

au détriment de la médiocrité d’Eichmann.<br />

Eichmann était incapable de formuler ne<br />

serait-ce qu’une phrase grammaticalement<br />

correcte. Il était incapable de penser de façon<br />

sensée à ce qu’il faisait et cela transparaissait<br />

dans sa façon de parler. Il n’y a qu’une scène<br />

avec Barbara Sukowa qui a vraiment lieu dans<br />

la salle d’audience et dans ce cas précis, parce<br />

qu’il fallait avoir recours à un acteur, on ne<br />

voit Eichmann que de dos. Nous avons filmé<br />

toutes les autres scènes de la salle d’audience<br />

dans la salle de presse, là où le procès était<br />

en fait retransmis sur plusieurs moniteurs.<br />

De cette façon, nous avons pu utiliser le<br />

vrai Eichmann, par le biais de séquences<br />

d’archives pour tous les moments clé.<br />

Vous terminez le film par un disours<br />

d’<strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong> de plus de huit minutes,<br />

véritable morceau de bravoure pour<br />

l’actrice. Pourquoi ce choix audacieux ?<br />

De nombreuses personnes pensaient qu’un<br />

film sur <strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong> devait s’ouvrir<br />

sur un discours. Or, il commence par une<br />

conversation entre amies qui parlent de leur<br />

mari. Nous voulions que le discours final<br />

incarne le moment où le public comprend les<br />

conclusions mises en évidence par la pensée<br />

d’<strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong>.<br />

Ce n’est qu’après l’avoir vu se forger un avis<br />

sur le personnage d’Eichmann et vu les<br />

nombreuses attaques tellement virulentes et<br />

bien souvent injustifiées dont elle a fait l’objet<br />

que l’on a envie de l’écouter si longuement. Le<br />

charme de sa personnalité et de sa pensée a<br />

d’ores et déjà opéré.<br />

Margarethe Von Trotta<br />

Filmographie sélective<br />

1975 : L’Honneur perdu de Katharina<br />

Blum (Die Verlorene Ehre der<br />

Katharina Blum oder: Wie Gewalt<br />

entstehen und wohin sie führen kann)<br />

1981 : Les Années de plomb<br />

(Die Bleierne Zeit)<br />

1986 : Rosa Luxemburg<br />

(Die Geduld der Rosa Luxemburg)<br />

1995 : Les Années du mur<br />

(Das Versprechen)<br />

2003 : Rosenstrasse<br />

2006 : Je suis l’autre (Ich bin die Andere)<br />

2009 : Vision - Aus dem Leben der<br />

Hildegard von Bingen<br />

2012 : <strong>Hannah</strong> <strong>Arendt</strong><br />

© Manfred Breuersbrock<br />

En ligne : le site pédagogique du film<br />

Enseignants, retrouvez un dossier pédagogique en ligne<br />

(Histoire, Philosophie, Allemand) sur le site Zérodeconduite.net :<br />

www.zerodeconduite.net/hannaharendt<br />

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