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Hebdo.ch | Payerne, Chessex et le Juif mort<br />
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<strong>Bon</strong> <strong>pour</strong> <strong>la</strong> <strong>tête</strong><br />
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Edition du 08.01.2009 > Passions > Livre > Payerne, Chessex et le Juif mort<br />
Payerne, Chessex et le Juif mort<br />
Par Isabelle Falconnier<br />
Jacques Chessex a écrit un roman sur l’affaire du crime antisémite de 1942. Il avait 8 ans, à Payerne,<br />
lorsque Arthur Bloch a été tué et dépecé.<br />
Reportage<br />
Interview<br />
Suisse<br />
Economie<br />
Société<br />
Santé<br />
Histoire<br />
Finance<br />
Livre<br />
Peinture<br />
Cinéma<br />
Au matin du 16 avril 1942, à Payerne dans le Nord vaudois, un paysan de 19 ans, Robert Marmier, aborde<br />
Arthur Bloch, 60 ans, marchand de bétail, juif et bernois, sur <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce de <strong>la</strong> Foire. Il lui propose une vache à<br />
vendre. Mais elle est quelques rues en contrebas, Rue-à-Thomas. Arthur Bloch a déjà acheté trois bœufs,<br />
mais il est curieux. Il suit Robert, à qui un apprenti garagiste, Georges Ballotte, ainsi qu’un valet de ferme,<br />
Fritz Joss, emboîtent le pas. Dans l’étable Rue-à-Thomas, il y a deux vaches. L’une p<strong>la</strong>ît au marchand. Il<br />
<strong>com</strong>mence à négocier, s’éloigne, revient. A son troisième retour dans l’étable, Fritz Joss soulève <strong>la</strong> barre de<br />
fer qu’il tient dans <strong>la</strong> main droite et assomme Arthur Bloch, qui s’écroule. Ballotte l’achève d’un coup de<br />
revolver dans le crâne. Fernand Ischi, garagiste à Payerne, les rejoint avec Max Marmier, frère de Robert. Ils<br />
se partagent l’argent trouvé sur le marchand, puis scient et découpent le cadavre. Ils entassent <strong>la</strong> <strong>tête</strong>, le<br />
tronc, les bras, jambes, mains et pieds dans des boilles. Les transportent vers le <strong>la</strong>c de Neuchâtel, au <strong>la</strong>rge<br />
de Chevroux. Brûlent les vêtements dans <strong>la</strong> forêt de Neyrvaux. Rentrent chez eux.<br />
Jacques Chessex a 8 ans, en 1942. Son père dirige le collège de Payerne, bourg cossu de 5000 habitants.<br />
Jacques habite route de Corcelles. Il est dans <strong>la</strong> même c<strong>la</strong>sse que <strong>la</strong> fille de Fernand Ischi et le fils du juge<br />
Marcel Caprez, qui jugera les assassins en février 1943. Georges Ballotte est un élève de Pierre Chessex.<br />
Ischi, garagiste, a fait passer son permis de conduire au père de Jacques. Les frères Marmier sont connus<br />
de tous. Arthur Bloch est une figure familière et respectée du marché au bétail. Depuis soixante-sept ans,<br />
Jacques Chessex porte ce crime en lui. En 1967, dans le recueil Reste avec nous, il écrit Un crime en 1942,<br />
première incursion romanesque dans l’horreur de ce crime. Cette semaine paraît Un Juif <strong>pour</strong> l’exemple chez<br />
Grasset, son roman de ce qu’on appelle désormais le crime de Payerne, 106 pages exceptionnellement<br />
denses, concises, personnelles et ramassées. «Le livre était prêt. Tout était dans ma <strong>tête</strong>, les lieux, les<br />
personnages, les odeurs, les bruits, les paysages. Il m’a fallu attendre le calme, le sérieux vibratile que j’ai<br />
atteints.»<br />
Contexte nazi. Tout y est: le contexte nazi et antisémite, l’importance qu’a jouée l’affaire dans <strong>la</strong> vie de<br />
Jacques Chessex, le rôle de Payerne, l’horreur totale du crime. En 1942, <strong>la</strong> crise est passée à Payerne: 500<br />
des 5000 habitants du bourg sont chômeurs. La crise des années 30 «dure et tue». Les cafés sont pleins de<br />
râleurs, on cherche des coupables – les gros, les nantis, les francs-maçons, les Juifs. Au milieu de <strong>la</strong> guerre,<br />
le marché de Payerne regorge d’œufs et de <strong>la</strong>rd, mais, au kiosque, les gamins dépensent leur argent de<br />
poche <strong>pour</strong> acheter les revues de propagande nazies. Fernand Ischi, le garagiste, avec une vingtaine de<br />
Payernois, a prêté serment au parti nazi autant qu’au Mouvement national suisse. Leurs idéologues sont le<br />
leader d’extrême droite genevois, Georges Oltramare, et le pasteur Philippe Lugrin, privé de paroisse mais<br />
payé par <strong>la</strong> Légation d’Allemagne. Au menu: <strong>la</strong> victoire de l’Allemagne nazie et l’extermination des Juifs de<br />
Suisse. Ils sont fascinés par Hitler, collectionnent les images des Jeux olympiques de 1936, tiennent des<br />
meetings au Café Winkelried à Payerne. Ischi fait de <strong>la</strong> gymnastique et se p<strong>la</strong>ît à dire qu’il a <strong>la</strong> même taille<br />
que Hitler. Parfois, il emmène Georges Ballotte sur son vélomoteur et ils tirent sur les maisons des Juifs,<br />
<strong>com</strong>me celle de <strong>la</strong> famille B<strong>la</strong>dt, qui possède les Galeries vaudoises à Payerne, amie et voisine des Chessex.<br />
Quand ce<strong>la</strong> arrive, on rit au nez des p<strong>la</strong>ignants. «La popu<strong>la</strong>tion radicale et protestante de Payerne était plutôt<br />
attentiste, elle regardait tourner le vent. Ils sont fous, mais s’ils avaient raison, on se disait…» Au procès,<br />
Ischi déc<strong>la</strong>rera qu’il al<strong>la</strong>it devenir préfet de <strong>la</strong> province du nord, que les nazis al<strong>la</strong>ient bientôt régner en<br />
maîtres, et eux aussi.<br />
Fernand Ischi et les quatre <strong>com</strong>parses qu’il a entraînés dans l’horreur seront arrêtés quelques jours après le<br />
meurtre. Pendant deux jours, Myria Bloch, l’épouse, et ses deux filles, Liliane et Eveline, espèrent que ce<br />
n’est qu’une histoire de maîtresse. Las. Myria mourra de chagrin et de folie cinq ans plus tard, ayant fait<br />
inscrire sur <strong>la</strong> tombe de son mari, au cimetière israélite de Berne, «Gott weiss Warum». Dieu sait <strong>pour</strong>quoi.<br />
Dieu seul sait <strong>pour</strong>quoi. Contre l’avis du rabbin: entre les mots ambigus de cette épitaphe tremble une révolte,<br />
un cri de rage désespéré.<br />
«Une partie de ma vie a été décidée par ce<strong>la</strong>, explique Jacques Chessex. Cette affaire m’a donné <strong>la</strong><br />
préoccupation de <strong>la</strong> cause juive. J’ai été fasciné par les peintures de Zoran Music, par les récits des camps.<br />
Sommes-nous responsables? Y a-t-il une responsabilité collective aux camps? Au crime contre Arthur Bloch?<br />
Cette immo<strong>la</strong>tion du bouc émissaire, en 1942, a éveillé tout ce<strong>la</strong> en moi. Petit garçon j’étais doté d’antennes<br />
sensibles aux non-dits. Est née aussi une profonde préoccupation à l’égard du mal. On voyait tous que Bloch<br />
était un homme bon. C’était un soldat, il aimait les animaux, c’était un bon père. C’était un Bernois, un Suisse.
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Au-delà du problème juif même, qui m’a toujours ému, j’ai ainsi développé une hyperconscience de l’injustice,<br />
de <strong>la</strong> menace qui rôde dans une ville riante. On peut découper un homme en morceaux à 500 mètres de<br />
l’abbatiale de Payerne. Le mal peut surgir n’importe où. C’est très impressionnant, de se rendre <strong>com</strong>pte de<br />
ce<strong>la</strong> en tant qu’enfant. D’autant plus que c’était <strong>la</strong> guerre: je voyais mon père repartir aux frontières. J’étais<br />
sûr que je ne le reverrais plus. J’ai passé mon enfance à pleurer <strong>la</strong> mort de mon père.»<br />
Payerne, Chessex y est attiré «<strong>com</strong>me par un aimant. C’est aussi à Payerne, dans ces années 40, que sont<br />
nées les premières rumeurs autour de mon père et des femmes. Il a imposé ses premiers chagrins à ma<br />
mère. Je ne pardonne rien.» L’économie du ciel se passe à Payerne, on y voit <strong>la</strong> figure de son père être<br />
impliquée dans <strong>la</strong> mort mystérieuse d’une femme tchèque… «Parler de Payerne, c’est toucher à un nœud<br />
aigu. Mais j’aime ce bourg. Il y règne une lumière, une beauté médiévale et XIXe siècle très séduisantes. La<br />
p<strong>la</strong>ce de l’Abbatiale est magique. Les boutiques sont belles, <strong>la</strong> gourmandise de bon aloi. J’y suis attaché.» Il<br />
sait bien que Payerne va lui en vouloir de revenir sur cette affaire. «C’est gênant d’avoir des grands-parents<br />
ou des parents qui n’ont pas réagi, lorsque ce<strong>la</strong> s’est passé. Payerne a droit à l’oubli, mais aussi le devoir<br />
d’en parler: <strong>la</strong> ville a l’occasion d’exorciser une fois <strong>pour</strong> toutes. De grandir. De dire: «Nous ne sommes pas<br />
responsables mais un consensus l’a permis.» Payerne a mis une chape de plomb par-dessus cette affaire. Et<br />
il est normal <strong>pour</strong> un écrivain né à Payerne d’en parler. Je ne cherche pas le scandale. Je suis prêt à aller<br />
parler avec les Payernois. C’est une histoire terriblement actuelle: le bouc émissaire aujourd’hui peut être<br />
l’éboueur sénéga<strong>la</strong>is, le demandeur d’asile.» Ecrivain humaniste, Chessex? «Non, je suis un écrivain qui dit ce<br />
qu’il a à dire depuis l’âge de 8 ans. Ce n’est pas un livre engagé, mais un livre vrai. Pas une entreprise<br />
d’esthète, mais quelque chose d’élémentaire, d’organique.»<br />
Prison à vie. Le 20 février 1943, Fernand Ischi, Robert Marmier et Fritz Joss sont condamnés à <strong>la</strong> prison à<br />
vie par le Tribunal de Payerne. Vingt ans <strong>pour</strong> Georges Ballotte, quinze <strong>pour</strong> Max Marmier. Le pasteur Lugrin<br />
sera arrêté en Allemagne en 1945, condamné à vingt ans à Bochuz. Avec le jeu des remises de peine, ils en<br />
purgeront à peine les deux tiers. En 1964, Chessex croise Lugrin à une table du Café du Vieux-Lausanne. Il<br />
s’assied en face de lui. «Je le referais!» <strong>la</strong>nce Lugrin, rageur. Dans les années 70, Chessex croise Fernand<br />
Ischi, misérable pompiste à <strong>la</strong> station-service de son frère, p<strong>la</strong>ce de l’Ours à Lausanne. Celui-ci le reconnaît,<br />
lui <strong>la</strong>nce: «Il n’y a pas de benzine ici!»<br />
Longtemps après, l’écrivain qui était un enfant lorsque c’est arrivé se réveille en pleine nuit, rêvant <strong>com</strong>me<br />
avant qu’il demande à ses parents où est l’homme coupé en morceaux, s’il va revenir. Mais Arthur Bloch erre<br />
<strong>pour</strong> l’éternité.<br />
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Vos réactions à cet article<br />
ursb, 12.01.2009 08:11<br />
Payerne manque une occasion. Bien sûr les habitants d'aujourd'hui ne sont pas responsables, mais il y<br />
a de meilleures manières que celles de Michel Roulin de gérer le passé. Des millions d'allemands y sont<br />
arrivés plutôt bien. Aujourd'hui l'Allemagne ne fait plus peur. Payerne toujours - un peu.<br />
ConnuàPayerne !, 13.01.2009 23:30<br />
Un syndic et un archiviste capables d'induire un tel gâchis d'image <strong>pour</strong> une petite ville à qui l'histoire,<br />
quelle qu'elle fut, lui donne l'immense chance d'être présente dans une oeuvre littéraire et avant tout<br />
historique, sauront-ils mesurer <strong>la</strong> responsabilité qu'ils portent ? Ne sont-ils pas aptes à admettre un fait,<br />
certes dramatique, que nombreux de leurs concitoyens portent encore dans leur mémoire ? Ne<br />
s'imaginent-ils pas non plus que cet acte est encore bien présent aussi dans <strong>la</strong> mémoire de nombreux<br />
habitants de leur région ? (J'en suis ! Mon père et ma mère très âgés aussi !)<br />
Comment un élu et un archiviste, à qui les archives n'appartiennent en rien, peuvent-ils émettre un tel<br />
déni public ?<br />
Leur attitude est profondément choquante et irresponsable. Hé<strong>la</strong>s !<br />
Papette, 14.01.2009 21:00<br />
Je suis pleinement d'accord avec "ursb" et "ConnuàPayerne"!!! Des attitudes pareilles sont en effet<br />
'profondément choquantes et irresponsables'... J'ai grandi à Bâle, mais j'habite désormais dans <strong>la</strong>
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région et je ne peux que confirmer, oh <strong>com</strong>bien, cette triste histoire est plus que présente dans <strong>la</strong> <strong>tête</strong><br />
et le coeur, de bien de personnes!!! Quelle chance <strong>pour</strong> Payerne d'en finir au lieu de <strong>la</strong> traîner de<br />
génération en génération. Parfois <strong>la</strong> "grâce" passe.... par un livre; mais "faut <strong>la</strong> sagessse <strong>pour</strong> <strong>la</strong> saisir".<br />
La lecture de "Les secrets de famille" de Serge Tisseron "Les secrets de famille" ou encore celui<br />
d'Anne Ancelin Schutzenberger "Aïe, mes aïeux!", sur les liens transgénérationnels, secrets de famille,<br />
transmission des traumatismes et j'en passe..., <strong>pour</strong>raient être utile.<br />
ymasur, 18.01.2009 14:34<br />
Le meurtre d'Arthur Bloch par des nazillons de Payerne n'est pas seulement le meurtre d'un juif, mais<br />
est également celui d'un malentendant. En effet, sur l'annonce de sa disparition, on y lit: « porte à<br />
l'oreille gauche un petit appareil électrique Sonotone contre <strong>la</strong> surdité ». On <strong>com</strong>prend dès lors mieux<br />
que les trois criminels qui ont entrainé M. Bloch dans une étable <strong>pour</strong> lui faire <strong>la</strong> peau ont pu tramer et<br />
<strong>com</strong>ploter sans que celui-ci ne s'en rende <strong>com</strong>pte. Un appareil auditif de l'époque ne devait pas avoir<br />
une grande performance, ni une grande sensibilité et travailler avec des <strong>la</strong>mpes (le transistor ne sera<br />
inventé qu'en décembre 1947).<br />
« Un juif et malentendant <strong>pour</strong> l'exemple » serait le titre adéquat??<br />
Christian, 30.01.2009 07:56<br />
Il y a certainement une culpabilité mondiale concernant <strong>la</strong> Shoa, en tout cas de <strong>la</strong> part de tous les pays<br />
concernés par <strong>la</strong> Seconde Guerre mondiale, neutres <strong>com</strong>pris.<br />
Ce<strong>la</strong> dit je trouve parfaitement exécrable l'utilisation d'un nom d'une ville <strong>pour</strong> y associer l'abominable,<br />
Vichy en sait quelque chose. Le nom d'un pays,d'une ville ou d'un vil<strong>la</strong>ge est sacré, on n'a pas le droit<br />
d'y toucher. Il n'y a pas de crime de Payerne il y a crime de nazis, point.<br />
nathan, 03.02.2009 11:37<br />
Avec l’engouement que suscite le livre en Suisse mais aussi en Francophonie avec plus de 50000 copies<br />
vendues en 4 semaines, <strong>la</strong> traduction en Allemand et Ang<strong>la</strong>is dans les quelques mois, il va être très<br />
intéressant de voir <strong>la</strong> réaction de ce vil<strong>la</strong>ge Suisse et des ses habitants faces aux cameras et articles<br />
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