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Lucien Sève dans le texte - PCF Bassin d'Arcachon

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Bernard Doray. Le matérialiste conséquent se pose légitimement la question de l’essence<br />

de l’essence. D’où vient la rupture avec l’ordre de la nature ? Le livre évoque la question<br />

<strong>dans</strong> une savoureuse critique de la primatologie continuiste. Je ne crois pas non plus à une<br />

acculturation progressive des grands primates. Notamment à partir de travaux du philosophe<br />

Tran Duc Thao et du statisticien biologiste Philippe Lazar, j’ai cru pouvoir écrire que la<br />

dénaturation en question est née d’un accident banal <strong>dans</strong> <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce des organes. L’enfant<br />

humain naît prématuré, et il ne déploiera que par la suite sa masse de neurones pour<br />

s’adapter à un conflit mécanique entre <strong>le</strong> grossissement du cerveau, dont la position érigée<br />

développe de nouvel<strong>le</strong>s capacités, et la torsion du canal obstétrical des mères. La naissance<br />

prématurée n’aurait pas seu<strong>le</strong>ment sauvé l’espèce, mais aurait autonomisé la poussée<br />

encéphalique, qui n’est plus calibrée par <strong>le</strong>s os iliaques de la mère, mais par <strong>le</strong> crâne encore<br />

mou de l’enfant. Cela projette l’enfant <strong>dans</strong> une matrice socia<strong>le</strong>, symbolique où il nécessite<br />

des soins. Ce faisant, il ne réalisera pas la totalité de ses programmes génétiques rendus<br />

forclos par l’œuvre de la culture. C’est ce qu’on appel<strong>le</strong> la néoténie.<br />

<strong>Lucien</strong> Sève. D’accord avec Yvon Quiniou et Bernard Doray : il y a de la causalité naturel<strong>le</strong><br />

<strong>dans</strong> « l’homme ». Marx est clair sur ce point. Je pense l’être aussi. Quand j’expose une<br />

conception historico-socia<strong>le</strong> de la vieil<strong>le</strong>sse, je ne minimise pas <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> du vieillissement<br />

biologique. Mais d’abord la part du donné est chez nous bien plus réduite qu’on ne dit. Le<br />

livre de Meh<strong>le</strong>r et Dupoux, Naître humain (1) plaide pour une nature humaine, mais ce qu’ils<br />

exhibent en ce sens est très élémentaire ; dès qu’on en vient au langage, ils doivent<br />

admettre que presque tout y est acquis. Et <strong>le</strong>s inlassab<strong>le</strong>s essais d’identifier des gènes de<br />

l’intelligence ou autres font tous fiasco. De plus, chez nous <strong>le</strong> biologique est lui-même<br />

largement historique : mon activité cérébra<strong>le</strong> est avant tout <strong>le</strong> fruit de ma biographie. C’est ce<br />

qui reste trop incompris : <strong>le</strong>s formes supérieures de l’humain viennent en nous non du<br />

de<strong>dans</strong> organique mais du dehors culturel. Là est tout l’apport, magnifique et méconnu, de<br />

Vygotski (2). Et il y a plus encore : <strong>dans</strong> une riche analyse des Grundrisse, Marx montre que<br />

<strong>le</strong>s hommes ont un corps inorganique tout aussi essentiel que <strong>le</strong>ur corps organique : la terre<br />

pour <strong>le</strong> paysan, ses outils pour l’artisan font partie de lui autant que ses pieds ou ses mains.<br />

C’est <strong>le</strong> capitalisme qui a dépouillé <strong>le</strong>s hommes de <strong>le</strong>ur corps inorganique en ne <strong>le</strong>ur laissant<br />

que <strong>le</strong>urs bras pour travail<strong>le</strong>r. Quand on pense être très matérialiste en réduisant l’individu à<br />

son corps biologique, mesure-t-on ce qu’il peut y avoir là d’illusion bourgeoise ? L’idée de<br />

nature humaine est vraiment un piège.<br />

Yvon Quiniou. N’y en aurait-il pas néanmoins deux définitions possib<strong>le</strong>s ? Cel<strong>le</strong> d’abord<br />

d’une nature humaine se développant automatiquement à partir de propriétés biologiques<br />

innées, déterminant nos actes et inéga<strong>le</strong>ment réparties chez <strong>le</strong>s individus. Il faut combattre<br />

cette vision, qu’on retrouve <strong>dans</strong> ce que Sarkozy a dit du caractère « naturel » de la<br />

pédophilie, de la tendance au suicide des enfants ou de la délinquance. Mais il y a une autre<br />

définition possib<strong>le</strong> de la nature humaine, qui est cel<strong>le</strong> de potentialités communes à tous <strong>le</strong>s<br />

individus, <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s ne se réalisent qu’à travers l’action du milieu social, donc inéga<strong>le</strong>ment<br />

<strong>dans</strong> une société de classes.<br />

<strong>Lucien</strong> Sève. Potentialité, c’est très ambigu. Je reprends des exemp<strong>le</strong>s d’Aristote. L’homme<br />

qui dort a en lui tout ce qu’il faut pour devenir éveillé : potentialité réel<strong>le</strong>. Le bloc de marbre<br />

peut devenir statue, mais pas sans <strong>le</strong> travail du sculpteur : possibilité formel<strong>le</strong>. Je dis qu’en<br />

nous <strong>le</strong>s possib<strong>le</strong>s sont bien plus formels que réels. C’est la formu<strong>le</strong> de Léontiev : <strong>le</strong> cerveau<br />

humain ne contient pas d’aptitudes toutes formées, seu<strong>le</strong>ment l’aptitude à former des<br />

aptitudes.

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