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À<br />

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J'évoque le Saint-Laurent et ses<br />

fantômes. L'espace laurentien dont<br />

je veux parler n'a rien de cet objet<br />

mythique qui symboliserait l'identité<br />

et l'appartenance québécoise. Je<br />

prends le contre-pied de l'historiographie<br />

traditionnelle qui fait remonter<br />

le Saint-Laurent comme le fil con<strong>du</strong>cteur<br />

d'une généalogie <strong>du</strong> nous;<br />

notre grand fleuve au sang bleu,<br />

grandiose métaphore de la noblesse<br />

d'un peuple qui s'approprie symboliquement<br />

son espace, son pays. Ce<br />

n'est pas ce Saint-Laurent de l'amont<br />

que j'appelle ici à la mémoire, c'est<br />

plutôt celui en aval, celui qui coule vers<br />

la mer, vers l'ailleurs et dont les eaux<br />

voyageuses n'appartiennent à personne.<br />

C'est le Saint-Laurent d'en bas,<br />

comme disaient les anciens, celui de<br />

l'estuaire et <strong>du</strong> golfe; le Saint-Laurent<br />

de la mer.<br />

Les fantômes ne se ré<strong>du</strong>isent pas<br />

non plus à ces formes blafardes ou<br />

transparentes qui nous viennent<br />

spontanément à l'esprit. Ils se rapportent,<br />

plus largement, à des êtres ou<br />

à des choses qui hantent la mémoire.<br />

Ce peut être des rési<strong>du</strong>s <strong>du</strong> vécu ancien<br />

qui restent accrochés aux lieux, qui<br />

semblent imprégner ou s'incruster dans<br />

les choses. On peut aussi les reconnaître<br />

dans les traces matérielles<br />

et immatérielles <strong>du</strong> vécu dans le<br />

paysage maritime; comme un dépôt<br />

laissé par le temps, la poussière, la<br />

patine. Bref, c'est le gage de la pérennité<br />

des lieux, dans le relais des générations,<br />

la relation obligée de la vie et de la<br />

mort; c'est notre lien affectif avec un<br />

passé sacralisé repérable par les traces<br />

de ce qui survit dans nos morts et de ce<br />

qui, par les morts, affleure dans nos<br />

vies.<br />

Ce texte est une esquisse d'un<br />

projet d'écriture beaucoup plus élaboré<br />

qui portera sur l'esprit des eaux. À<br />

l'approche exploratoire correspond<br />

une écriture chercheuse qui expose<br />

des idées, des réflexions et des<br />

évocations en pointillé. J'aborde<br />

l'héritage mythique, la quête des îles<br />

<strong>du</strong> paradis et quelques thèmes de<br />

l'imaginaire laurentien. En somme, je<br />

vous invite à une petite promenade<br />

dans l'imaginaire maritime depuis<br />

l'héritage culturel des sociétés anciennes<br />

jusqu'aux rives <strong>du</strong> Saint­<br />

Laurent. J'évite délibérément les<br />

références trop insistantes à la périodisation<br />

ou aux diverses données de<br />

l'histoire. Tant qu'à prendre la mer,<br />

vaut mieux éprouver le plaisir de s'y<br />

perdre un peu.<br />

Héritage culturel<br />

Entreprendre une généalogie des<br />

fantômes <strong>du</strong> Saint-Laurent nous oblige<br />

à établir les grands traits de l'héritage<br />

culturel qui, pour une large part, a<br />

contribué à les engendrer. En Europe<br />

occidentale la mer Méditerranée,<br />

comme les mers nordiques, étaient<br />

peuplées de dieux, de démons et d'êtres<br />

fantastiques; ces mythologies élaborées<br />

dans ces sociétés maritimes<br />

ont eu une influence considérable sur<br />

notre imaginaire.<br />

Dans les représentations contemporaines,<br />

lorsqu'on se dégage des<br />

approches scientifiques ou techniques,<br />

la mer est le plus souvent évoquée en<br />

rapport avec la beauté de la nature, le<br />

charme des plages, des promenades et<br />

des rêveries maritimes; en somme, tout<br />

ce qui stimule le marché <strong>du</strong> rêve et<br />

qu'on retrouve dans les dépliants<br />

touristiques d'aujourd'hui. Mais dans<br />

les sociétés anciennes, le milieu<br />

maritime ramenait plutôt à l'esprit tout<br />

un foisonnement d'images répulsives.<br />

La mer faisait peur. C'était un espace<br />

infernal qui symbolisait l'instabilité,<br />

l'inconsistance des choses. Cette<br />

représentation fut à peu près généralisée<br />

au Moyen Age, tant dans les<br />

discours savants que dans les croyances<br />

populaires.<br />

Ces images terrifiantes associées<br />

à la mer se conçoivent assez bien. Elles<br />

émanent d'abord de réalités manifestes:<br />

les phénomènes naturelles qui alimentent<br />

les sentiments de l'imprévisible,<br />

de l'instabilité, <strong>du</strong> mystère<br />

(tempête spontanée et interminable,<br />

calme plat angoissant, mouvement<br />

mystérieux des marées, extravagances<br />

météorologiques); les configurations<br />

tourmentées <strong>du</strong> littoral sans cesse battu<br />

par les flots; le sentiment de vulnérabilité,<br />

de fragilité face à l'immensité,<br />

à l'inconnu; la hantise des<br />

monstres marins, des âmes rôdeuses,<br />

des esprits maléfiques; la perturbation<br />

<strong>du</strong> corps: mal de mer, ravage <strong>du</strong> salin et<br />

des embruns sur la peau.

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