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Le Chevalier d’Orient 15e degré du REAA

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<strong>Le</strong> <strong>Chevalier</strong> <strong>d’Orient</strong> <strong>15e</strong> <strong>degré</strong> <strong>du</strong> <strong>REAA</strong><br />

1 – Éléments d’histoire <strong>du</strong> grade<br />

La plupart des chercheurs pensent que ce grade est apparu en 1740. Une lettre signée de<br />

Boulard à la Loge Écossaise de Bordeaux, les Élus Parfaits, datée <strong>du</strong> 16 mai 1750, et confiée à<br />

Morin précise :<br />

« …je m’attends même que vous recevrez mes observations très volontiers, surtout lorsque<br />

vous verrez que j’y joins un nouveau <strong>degré</strong> très intéressant et très instructif, qui est la suite toute<br />

naturelle de l’ancienne maîtrise perfectionnée par Salomon et les successeurs des ses élus parfaits,<br />

dans le goût que nous l’avons. Je veux dire le <strong>degré</strong> de <strong>Chevalier</strong> de l’orient ; j’ai été admis et reçu<br />

par de très dignes frères qui m’ont donné tous pouvoirs, indépendamment de ceux que le <strong>degré</strong><br />

donne par lui même comme vous verrez… »<br />

C’est la confirmation que le grade était établi à cette date.<br />

Accordons les dates de 1747-1748 à la rédaction pratiquement certaine des rituels.<br />

Remarquons que l’on disait au début <strong>Chevalier</strong> de l’Orient, puis ce fut <strong>Chevalier</strong> <strong>d’Orient</strong>.<br />

<strong>Le</strong> <strong>degré</strong> reprend un thème ébauché par le discours de Ramsay, mais il serait fort imprudent<br />

de faire assurer la paternité <strong>du</strong> <strong>degré</strong> à ce personnage si caractéristique de cette époque.<br />

Deux versions <strong>du</strong> fameux discours sont connues :<br />

<strong>Le</strong>s croisés sont : « à l’exemple des Israélites, lorsqu’ils élèveront le second Temple.<br />

Pendant qu’ils manoient la truelle & le mortier d’une main, ils portoient de l’autre l’épée & le<br />

bouclier. » 1 .<br />

Dans la version dite d’Épernay, qui aurait été prononcée la première, il est possible de lire :<br />

« …le grand Cyrus, qui était initié dans tous nos mystères, constitua Zorobabel, grand<br />

Maître de la loge de Jérusalem et lui ordonna de jeter les fondements <strong>du</strong> second temple »<br />

et aussi :<br />

« Cette union se fit en Imitation des Israélites lorsqu’ils rebâtirent le second temple ;<br />

pendant que les uns maniaient. La truelle & le compas, les autres les défendaient avec l’épée & le<br />

bouclier. » 2<br />

Quelle que soit la réalité <strong>du</strong> rôle de Ramsay dans l’apparition de ce <strong>degré</strong> (qui constituera<br />

plus tard le 3e Ordre Français et le <strong>15e</strong> <strong>degré</strong> <strong>du</strong> Rite Écossais Ancien Accepté), il est le plus<br />

anciennement attesté des grades chevaleresques. Dans un document intitulé « Statuts de la loge<br />

Ecossaise », certifié par de Valois, le 2 avril 1748, il est dit :<br />

Article 9<br />

…les Loges Ecossoises ne seront regulières si tous les frères qui en sont membres n’ont été<br />

convoqués, et les différents qui naîtront entre eux, lorsqu’ils en apelleront, seront jugés<br />

definitivement par la grande Loge des <strong>Chevalier</strong>s de L’orient, et a deffaut de cette loge par une<br />

Loge Ecossoise<br />

.<br />

1 Imaginaire chevaleresque et Franc-Maçonnerie ; Pierre Mollier ; Renaissance Traditionnelle ; 1994 ; p 211<br />

2 - p 212


Article 11<br />

Tout Excellent maître grand Ecossois qui voudra parvenir a l’Eminent et Souverain grade<br />

de chev.de l’orient aura grand-soin de sacquiter des devoirs que luy prescrira un chevalier <strong>du</strong>dit<br />

ordre. » 3 .<br />

Il faut ajouter pour l’histoire que le nom de ce grade fut mêlé à la période assez trouble ayant<br />

précédé la formation <strong>du</strong> Grand Orient de France ; c’était l’époque pendant laquelle la Grande Loge<br />

(datée <strong>du</strong> 11 décembre 1743), s’opposait aux Maîtres inamovibles. <strong>Le</strong> Conseil des <strong>Chevalier</strong>s<br />

<strong>d’Orient</strong> (1757) s’opposa vivement au Conseil des Empereurs <strong>d’Orient</strong> et d’Occident (1758). <strong>Le</strong><br />

premier était composé de bourgeois, le second de nobles. <strong>Le</strong>s protagonistes de ces luttes d’influence<br />

ont des noms connus : Pény, Lacorne, Pirlet, Chaillon de Jonville.<br />

<strong>Le</strong> Conseil des Empereurs évolua en Souverain Conseil des <strong>Chevalier</strong>s <strong>d’Orient</strong>, et après<br />

d’autres métamorphoses et ajouts, signa la Patente de Morin en 1761.<br />

Comme nous le verrons plus loin, le grade de <strong>Chevalier</strong> <strong>d’Orient</strong> ouvre un nouveau cycle de<br />

<strong>degré</strong>s, la Maçonnerie renouvelée. Il resta quelques années au sommet de l’Écossisme (on ne peut<br />

pas encore parler de rite). Dans les années 1760, il fut dépassé par d’autres créations, vivant en cela<br />

le sort de bien des grades.<br />

Citons, pour clore ces quelques notions sur l’histoire de ce <strong>degré</strong>, quelques rituels qui<br />

présentent finalement une remarquable unité, certainement <strong>du</strong>e à la légende ayant servi de base.<br />

Quelques détails de rituels seront présentés plus loin :<br />

Rituel de la Mère-Loge Écossaise de Marseille, <strong>Chevalier</strong> de l’Épée surnommé <strong>Chevalier</strong><br />

<strong>d’Orient</strong>.<br />

Rituel pratiquement identique, mais issu de Paris.<br />

Rituel de la Loge de Mirecourt (Collection Kloss XXX.IV. I.V. Tome II).<br />

Un cahier dit Cahier <strong>du</strong> Rite de Perfection.<br />

Un cahier Kloss XXV.65, daté <strong>du</strong> 15 janvier 1758. 4 [5]<br />

2 – La légende.<br />

Elle est puisée dans les Livres d’Esdras et de Néhémie. <strong>Le</strong> passage <strong>du</strong> fleuve ne figure pas<br />

dans la Bible, qui comporte par ailleurs beaucoup de faits non retenus.<br />

<strong>Le</strong>s Israélites sont détenus depuis soixante-dix ans à Babylone, conséquence de leur défaite<br />

et de la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor.<br />

À la suite d’un songe, Cyrus, roi des Perses, libère les Hébreux à la demande de Zorobabel,<br />

prince hébreu <strong>du</strong> sang de David, et de Nohémias.<br />

<strong>Le</strong> roi leur permet de retourner à Jérusalem pour reconstruire le Temple et leur restitue tous<br />

les trésors, vases, urnes et ornements pillés par Nabuzardan après la défaite.<br />

Non seulement il donne les dimensions <strong>du</strong> futur Temple, mais il prend aussi un édit<br />

ordonnant à tous ses sujets de laisser passer les Hébreux, sous peine d’une punition terrible.<br />

Cyrus confie à son général Satrabuzanes le soin d’armer Zorobabel chevalier après l’avoir<br />

instruit de la science de la guerre ; à charge pour ce dernier de conférer ce « grade » à ceux qu’il en<br />

3 Statuts de la Loge Ecossoise ; BN Mss4 76 : f° 227 à 229 ; édités par Alain Bernheim : Contribution à la connaissance<br />

de la première Grande Loge de France, in Travaux Villard de Honnecourt n°17 Annexe X.<br />

4 Consulter Claude Guérillot


jugera dignes. Ce qu’il fit pour sept mille Hébreux, choisis parmi les quarante deux mille trois cent<br />

soixante libérés, sans compter les esclaves.<br />

La marche fut facile au début, jusqu’au fleuve Starbuzanaï (l’Euphrate). Des troupes<br />

ennemies assyriennes, attirées par les trésors transportés, tentèrent de leur barrer le passage sur un<br />

pont. <strong>Le</strong>s Hébreux les attaquèrent avec vigueur, les tuant tous. Zorobabel remercia son Dieu et les<br />

vainqueurs choisirent pour mot de passe Yaveron Hamain (Liberté de Passer). 5 [1]<br />

Quelques mois plus tard, les Israélites arrivèrent à Jérusalem et entreprirent la reconstruction<br />

en utilisant les mêmes méthodes de travail que pour le premier Temple : les ouvriers séparés en<br />

trois classes, avec des mots de reconnaissance : Juda, Benjamin, les deux noms de leurs tribus, et<br />

YM pour Yaveron Hamain ; mots utilisés pour recevoir les salaires, au pied des colonnes et au<br />

centre <strong>du</strong> Temple.<br />

Des Samaritains, tribu non exilée, jaloux de la gloire promise à Zorobabel et à ses hommes,<br />

voulurent empêcher la reconstruction. Ce dernier ordonna que tous les ouvriers soient armés, tenant<br />

la truelle d’une main, le glaive de l’autre._<br />

Quatre ans plus tard, le nouveau Temple fut consacré.<br />

<strong>Le</strong>s <strong>Chevalier</strong>s libérés par Cyrus et armés par Zorobabel prirent le titre de <strong>Chevalier</strong>s<br />

<strong>d’Orient</strong>.<br />

3 – <strong>Le</strong> premier grade de <strong>Chevalier</strong>.<br />

Plus important est de savoir comment le <strong>Chevalier</strong> <strong>d’Orient</strong>, ancien <strong>Chevalier</strong> de l’Orient,<br />

est devenu <strong>15e</strong> <strong>degré</strong> <strong>du</strong> Rite Écossais Ancien Accepté. Il faut alors s’interroger sur une évidence :<br />

comment la Franc-Maçonnerie fit apparaître les grades chevaleresques dans l’Écossisme, <strong>degré</strong>s<br />

repris dans tous les rites à qui il a fourni leur substance ?<br />

<strong>Le</strong> fait est indéniable : l’intro<strong>du</strong>ction de la Chevalerie marque une nouvelle orientation dans<br />

la rédaction des rituels de grades, et donne une autre dimension dans la vision jusque là étroite <strong>du</strong><br />

Maçon chrétien.<br />

L’idée d’une aspiration à se retrouver entre Maçons avertis, de s’isoler des Maçons jugés<br />

« ordinaires » a pu être et a été suggérée. Certains auteurs l’ont fait sans prendre de précautions.<br />

<strong>Le</strong> besoin de resserrer le cercle, de s’isoler entre Frères choisis, le fait qui en découle de<br />

laisser croire que l’on détient un secret, et assurant par là un prestige au groupe, est-ce vraiment une<br />

hypothèse à écarter ? <strong>Le</strong> goût <strong>du</strong> mystère est évident chez certains hommes. Et un secret bien<br />

entretenu et mal compris par ceux qui sont exclus peut être une source de pouvoir, auquel trop de<br />

personnes ne peuvent résister.<br />

Mais n’y aurait-il pas une autre façon de voir les choses ? Et si les rédacteurs des rituels<br />

avaient simplement voulu saisir un grand moment de l’Histoire ? On peut accuser, certes, la<br />

mentalité de l’époque, mais la nôtre échappe-t-elle à cela ?<br />

Ramsay a intro<strong>du</strong>it la Chevalerie dans l’histoire présumée de la Franc-Maçonnerie, mais il<br />

n’a rien inventé. Elle fut une nécessité, pour des causes historiques. Mais elle devint aussi une<br />

5 En réalité, Yveron-Hammaïn, soit « ils passeront les eaux », in Charles M. Kieffer et C. Malâley Kieffer ; Mots de<br />

Passe, Mots sacrés, Sigles, Formules et <strong>Le</strong>ttres <strong>du</strong> Discours Maçonnique ; Suprême Conseil, Grand Collège <strong>du</strong> Rite<br />

Écossais Ancien Accepté – Grand Orient de France ; Aréopage Sources, 2003


mystique. Enfin, elle a survécu comme un mythe ; les manuels d’histoire des écoles de la<br />

République ont longtemps célébré les exploits <strong>du</strong> <strong>Chevalier</strong> Bayard.<br />

<strong>Le</strong>s Croisades relèvent <strong>du</strong> même processus : si l’on oublie l’aspect militaire et les causes en<br />

partie <strong>du</strong>es à la société médiévale, il reste une vaste épopée lyrique dont le souvenir per<strong>du</strong>re. La<br />

Franc-Maçonnerie n’a pas échappé aux mythes des Ordres militaires <strong>d’Orient</strong>, ni surtout à celui des<br />

contacts plus ou moins secrets entre un Orient raffiné et un Occident brutal.<br />

<strong>Le</strong>s grades chevaleresques se multiplièrent dans tous les rites de la Maçonnerie. Ce n’est pas<br />

innocent ; le mythe est toujours vivant.<br />

Il peut être intéressant de remarquer à quelles places ces <strong>degré</strong>s, que l’on peut aussi appeler<br />

capitulaires, sont inscrits dans la progression écossaise.<br />

<strong>Le</strong> Maître a pour devoir de sauver le chantier d’Hiram de la destruction en comprenant les<br />

raisons <strong>du</strong> désastre et en modifiant ses méthodes de travail et son attitude. Suivent des <strong>degré</strong>s<br />

consacrés à cette réorganisation <strong>du</strong> travail et à l’achèvement de l’œuvre. Mais on ne sait pas ce que<br />

ce travail représentait. Hiram le savait-il ? De toute façon, il n’a rien dit et ne pourra jamais le dire.<br />

L’effort de compréhension de tout ce qui s’est passé exige une méditation personnelle, une descente<br />

en soi. Mais cela ne peut s’éterniser, et il faut bien affronter les foules et aller à la rencontre de<br />

l’Autre.<br />

Autant le faire avec des garanties, de nouvelles dispositions et une totale lucidité.<br />

<strong>Le</strong> <strong>Chevalier</strong> <strong>d’Orient</strong> est l’image de cette nouvelle aventure.<br />

En cela, il achève bien l’Ancienne Maîtrise, et inaugure vraiment la Maçonnerie<br />

Renouvelée.<br />

4 – L’apport exceptionnel <strong>du</strong> <strong>Chevalier</strong> <strong>d’Orient</strong> à l’Écossisme.<br />

C’est un fait connu que les grands centres de l’Écossisme avaient chacun leur système de<br />

<strong>degré</strong>s, certainement créés sans la moindre lien entre eux, <strong>du</strong> moins au début. Par exemple,<br />

Bordeaux initiait à un système en dix grades, culminant à l’Élu Parfait. Paris avait choisi à la même<br />

époque, c’est-à-dire avant 1750, un Écossisme dont le grade terminal était l’Écossais des 3JJJ (il<br />

existait deux autres variantes : l’Écossais Parisien et l’Écossais de Clermont).<br />

Chaque gradation se pratiquait en vase clos, selon sa propre orientation.<br />

<strong>Le</strong>s Élus Parfaits de Bordeaux voulaient très rigoureusement sélectionner les Maîtres<br />

écossais à qui serait confié le vrai mot d’Hiram, affirmant que celui que l’on confiait aux Maîtres<br />

Maçons n’était qu’un leurre.<br />

Il s’y pratiquait une grande ouverture d’esprit en matière de religion, mais aussi un<br />

particularisme évident, pointilleux et finalement très provincial.<br />

L’article 14 <strong>du</strong> Règlement de la Parfaite Loge d’Écosse de Saint-Marc (Saint-Domingue),<br />

exacte copie de celui de la Mère-Loge bordelaise, précise :<br />

Nul Frère. ne sera gêné n’y contrarié sur la religion dans la quelle il est né et qu’il<br />

professera, on les laissera dans leurs opinions particulières ; on les obligera seulement a suivre les


principes sur lesquels tous les hommes sensés sont d’accord, ces adire, La probité, l’honneur, la<br />

modestie, et le Sincérité.<br />

Dans le rituel des Grands Écossais ou Maîtres Élus Parfaits, il est dit au récipiendaire :<br />

Une circonstance qui doit nous donner cette flatteuse espérance, c’est la fureur que tout le<br />

monde a d’avoir un Écossisme. Ce grade, quelle que soit la raison qui fait donner ce nom, s’est<br />

multiplié comme les grains de sable de la mer, sans compter le nôtre, qui, dans le fond, ne doit pas<br />

porter ce nom puisqu’il n’est autre que la perfection de l’Ancienne Maîtrise…<br />

Et à la page suivante :<br />

D’ailleurs, il est fait mention à chaque instant <strong>du</strong> fondateur de la Religion Chrétienne, dont il<br />

n’était assurément pas question <strong>du</strong> temps de Salomon qu’en figure et en prophétie ; on devrait bien<br />

respecter les mystères sacrés d’une religion aussi sainte et ne plus les profaner par des allégories<br />

aussi puériles et aussi déplacées.<br />

À Paris, l’Écossais des 3JJJ avait une orientation nettement chrétienne, et pour but de faire<br />

renaître Hiram en Adonhiram, c’est-à-dire par le récipiendaire.<br />

Quelques passages de l’instruction sont très clairs :<br />

D. Que signifient les 3 J.J.J. <strong>du</strong> bijou ?<br />

R. Jakin, Jehova, Jourdain.<br />

D. Que signifient ces mots ?<br />

R. Force et Sagesse divines.<br />

……..<br />

D. Que désigne le cercle des trois triangles ?<br />

R. Il marque l’immensité de Dieu, qui n’a point eu de commencement et qui n’aura pas de<br />

fin.<br />

D. Quel âge avez-vous en Compagnon ?<br />

R. Vingt-sept ans.<br />

D. Pourquoi ?<br />

R. Pour marquer que je connais trois personnes en Dieu et que chacune des trois possède<br />

les neuf Attributs.<br />

S’ajoutait à cela une intro<strong>du</strong>ction à la science de la Gématrie, basée sur le nombre 81, en<br />

additionnant les lettres des mots tra<strong>du</strong>isant les attributs de la Divinité.<br />

En quelques années, le <strong>Chevalier</strong> <strong>d’Orient</strong>, qui fut plaqué sur ces deux systèmes, et<br />

certainement bien d’autres, les rejeta, sinon dans l’oubli, <strong>du</strong> moins dans les documents historiques.<br />

Pourquoi ?<br />

Je pense sincèrement qu’il a fait « exploser » ces suites de <strong>degré</strong>s qui ne pouvaient plus<br />

progresser (on va communiquer un Mot après d’infinies précautions ; on va faire renaître Hiram<br />

après des préparations et retours en arrière sans fin).<br />

Avec le <strong>Chevalier</strong> <strong>d’Orient</strong>, il est presque possible d’affirmer que l’épopée commence : on<br />

sort des cryptes, on revient aux sources, ivre d’espoir de réaliser un projet grandiose. Certes, les<br />

difficultés commencent. Ce n’est plus un assassinat sordide et lamentable au soir d’une journée de<br />

travail, mais de véritables combats : l’échelle a changé, à l’image de l’enjeu.<br />

<strong>Le</strong>s « Anciens », les rédacteurs de rituels pour tout dire, ne se sont pas trompés : une<br />

nouvelle « ère » commençait. S’y retrouvaient le souffle de l’aventure, l’exaltation <strong>du</strong> départ, la


Chevalerie, le mythe d’un long et difficile voyage vers une terre promise, la liberté retrouvée mais à<br />

défendre, et surtout la libération gagnée par la lutte.<br />

<strong>Le</strong> succès de ce grade, réservé aux meilleurs Maîtres Écossais, peut se comprendre ; de<br />

même tout ce qu’il souleva dans l’inconscient des Frères.<br />

C’était bien le début de la Maçonnerie renouvelée !<br />

5 – Son symbolisme possible.<br />

La Tradition maçonnique ne saurait être figée, encore moins construite une fois pour toutes,<br />

c’est-à-dire pour l’éternité.<br />

Si le rituel (sous toutes ses formes) pro<strong>du</strong>it la signification en abordant le contenu de la<br />

transmission, la cérémonie dans le Temple décide de son sens, c’est-à-dire les changements de<br />

statuts, tous les effets et possibilités nouvelles en découlant.<br />

Se retrouvent ainsi dans cet état de fait les deux aspects fondamentaux de la Transmission<br />

maçonnique, le contenu d’un côté, les opérations et les fonctions de l’autre.<br />

Il n’en reste pas moins que l’homme - ici, le Maçon, le <strong>Chevalier</strong> <strong>d’Orient</strong> – a toujours<br />

affaire à un discours dans une situation sociale particulière, à un moment donné, dans un lieu précis.<br />

Et surtout à une règle posée d’entrée de jeu : « Ici, tout est symbole ! ».<br />

La conclusion à tirer pour le Maçon actuel est évidente : il ne suffit pas de reprendre les<br />

textes de 1748, de les relire et de refaire les gestes de nos prédécesseurs.<br />

<strong>Le</strong>s symboles, paroles, péripéties <strong>du</strong> grade de <strong>Chevalier</strong> <strong>d’Orient</strong> doivent être rechargés de<br />

sens. Encore faut-il respecter plusieurs impératifs : respect des formes rituelles, suivre au mieux la<br />

vie de l’homme actuel et surtout insérer le grade dans la succession écossaise en appliquant une<br />

règle simple : chaque <strong>degré</strong> rappelle le précédent et annonce le suivant par son questionnement. Elle<br />

peut paraître évidente et simpliste, fut-elle suivie par les rédacteurs des rituels et par les<br />

constructeurs de rites ? Cette question sort <strong>du</strong> cadre de cette étude, mais mériterait d’être reposée.<br />

Sur ces bases, il nous appartient de réfléchir à ce que le grade de <strong>Chevalier</strong> <strong>d’Orient</strong> peut<br />

apporter et apporte réellement au Maçon poursuivant sa quête au sein <strong>du</strong> Rite Écossais Ancien<br />

Accepté aujourd’hui.<br />

Son histoire répond en partie, le situant à une charnière (début d’un cycle de grades). Mais<br />

c’est insuffisant que d’affirmer sans apporter de preuves, si l’on peut se permettre d’employer de<br />

telles notions en matière de symbolisme.<br />

<strong>Le</strong>s grades antérieurs ont montré la nécessité d’une descente en soi, d’une réflexion toute<br />

personnelle, sur l’émergence, la puissance, la complexité de la pensée, en même temps que sur ses<br />

limites. La Maçon remontant <strong>du</strong> puits n’est plus le même et il doit à présent aborder la vie<br />

collective, car il ne servirait à rien de continuer une vie de méditation solitaire. Autrement dit, il faut<br />

abandonner le caché (la crypte) pour rencontrer le réel (la ville, le monde). Rappelons-nous la<br />

Légende de Nadir… En un mot, il faut aller au-delà <strong>du</strong> rêve, pour que le projet devienne action,<br />

marche en avant.<br />

<strong>Le</strong> <strong>Chevalier</strong> <strong>d’Orient</strong>, par la légende de son grade, revit cette aventure. Il échappe à sa<br />

captivité, comme il est sorti de puits, pour réaliser son projet, la reconstruction <strong>du</strong> Temple, et ce


malgré l’opposition, l’incompréhension, l’envie, la jalousie des autres (les Assyriens puis les<br />

Samaritains).<br />

<strong>Le</strong> fait d’être armé chevalier n’est pas accès à l’amour, nous l’avons vu. La marche en avant,<br />

au milieu des difficultés, représente le problème de l’harmonie à conquérir. Pour le moment, il<br />

s’agit plutôt de la confusion, les groupes s’affrontent, le fleuve charrie des cadavres. Mais on ne<br />

peut perpétuellement vivre dans la méfiance et la vigilance, le travail qui devrait être<br />

épanouissement va trop en souffrir. La Concorde doit enfin régner, sous peine de voir le chantier<br />

retomber dans les errements <strong>du</strong> passé.<br />

<strong>Le</strong> 15 e grade n’évoque pas un instant une quelconque solution à cette question revêtant ici la<br />

forme d’un drame humain. La Lumière viendra plus tard, comme si l’on sentait d’autres combats<br />

très proches.<br />

Et c’est ainsi que le grade de <strong>Chevalier</strong> <strong>d’Orient</strong> (et de l’Épée) annonce celui de <strong>Chevalier</strong><br />

Rose-Croix.<br />

Ce fait, la possibilité d’espérer une solution possible, justifierait à lui seul l’attention que<br />

l’on peut et doit porter à ce <strong>degré</strong>. <strong>Le</strong>s Anciens l’avaient placé comme l’inaugurateur d’une<br />

Maçonnerie renouvelée. Faisons tout pour creuser cette voie et éclairer le sens de cette démarche en<br />

forme d’espoir.<br />

6 – Une pratique éventuelle.<br />

Alors, pourquoi le pratiquer ? Comment le faire ? Faut-il même y consacrer temps et<br />

travail ? Peut-on se permettre de l’ignorer ? Faut-il lui faire perdre son statut de <strong>degré</strong> donné par<br />

communication ? Mais n’avons-nous pas promis d’étudier tous les grades ?<br />

Ces questions appellent une seule réponse positive : les Loges de Perfection ont été<br />

réinstallées pour combler l’immense vide séparant le grade de Maître de celui de Rose-Croix, pour<br />

les Maçons qui voulaient s’engager dans la voie des Hauts Grades, bien sûr.<br />

<strong>Le</strong> 4 e , Maître Secret, remis le premier en fonction, a considérablement consolidé celui de<br />

Maître. Puis le chantier a été rétabli dans son ordre, les assassins ont été (mal) punis, la construction<br />

a été enfin achevée<br />

Mais cela ne suffisait pas, et le Maçon fut obligé de regarder en lui-même. L’étape suivante<br />

fut d’affronter les autres pour rencontre l’Autre, son égal dans tous les cas, son Frère peut-être.<br />

La tâche fut rude, image de l’éternel thème de l’épreuve à surmonter, et le Maçon devra<br />

pratiquer toutes les vertus que l’on attribue au <strong>Chevalier</strong> pour triompher.<br />

Triompher, mais de quoi et jusqu’à quand ?<br />

Chaque Chapitre est libre d’organiser son travail comme il veut, mais a cependant le devoir<br />

de tout faire pour éclairer le parcours initiatique de chacun.<br />

Il faut entreprendre ce qui est possible pour aider chaque Maçon à aller au-delà de la façade<br />

chrétienne <strong>du</strong> 18 e grade. C’est le devoir de chaque Maçon de séculariser à sa mesure les rituels. Et il<br />

trouvera pour cela la compréhension de tous et de chacun, ne serait-ce que par les initiatives prises<br />

dans diverses Vallées.<br />

7 – En guise de conclusion.


Certes, il est toujours possible d’aborder le grade de Rose-Croix sans connaître celui de<br />

<strong>Chevalier</strong> <strong>d’Orient</strong>. Mais est-ce souhaitable pour bien comprendre le 18 e <strong>degré</strong>, en tirer sa véritable<br />

substance afin de poursuivre la route, le cheminement initiatique ?<br />

Telle est la question posée.<br />

Tout comme les strictes lectures et mises en scène de rituels anciens ne peuvent suffire, il<br />

faut saisir, assimiler ce qui se passe à chaque instant et en nourrir notre tradition. Ne pas ignorer<br />

l’osmose entre l’Ordre et les temps présents pour pouvoir interroger – sinon connaître – le futur.<br />

Finalement, tout nous ramène à la marche à reculons <strong>du</strong> Compagnon, pénétrant dans<br />

l’obscurité de la Chambre <strong>du</strong> Milieu, les yeux fixés sur une étoile qui va disparaître mais qui brille<br />

encore de mille feux.<br />

Jean-Pierre DONZAC

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