Philippe Cognée - Musées en Franche-Comté
Philippe Cognée - Musées en Franche-Comté
Philippe Cognée - Musées en Franche-Comté
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
LE MONDE TEL QU’IL EST<br />
Guy Tosatto, directeur du musée de Gr<strong>en</strong>oble<br />
Extrait du catalogue d’exposition<br />
« <strong>Philippe</strong> Cognée »<br />
208 p., ed. Actes sud, 2012<br />
Soleil noir<br />
S<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t ténu, presque imperceptible<br />
au début puis de plus <strong>en</strong> plus prégnant,<br />
la mélancolie paraît traverser tout<br />
l'oeuvre de <strong>Philippe</strong> Cognée. Elle<br />
s'insinue dans ces objets orphelins de<br />
leurs utilisateurs, dans ces instantanés<br />
de vacances, éphémères mom<strong>en</strong>ts de<br />
bonheur, dans ces paysages sans<br />
horizon, dans ces HLM aux silhouettes<br />
fantomatiques… Elle habite ce monde désert des banlieues et des mégapoles. La<br />
ville : le sujet s'est imposé au fil du temps et il est dev<strong>en</strong>u <strong>en</strong> soi, un emblème de la<br />
mélancolie. De cette mélancolie moderne qui s'attache aux alignem<strong>en</strong>ts trop<br />
réguliers des immeubles des cités, à ces aires plus imprécises près des gares ou au<br />
sortir des villes… Mais aussi aux vastes paysages urbains des capitales du monde, à<br />
ces ét<strong>en</strong>dues construites à perte de vue. Dans le regard du peintre, on lit moins la<br />
puissance des sociétés qui les ont édifiées que la solitude, l'anonymat, la déréliction<br />
des hommes qui doiv<strong>en</strong>t y vivre. Et il suffit d'un pan de mur embué ici, d'un pignon<br />
de tour vacillant là, pour que, à l'instar des châteaux de sable qu'il se plait à peindre<br />
comme autant de vanités architecturales, ces Babylone de l'ère informatique<br />
sembl<strong>en</strong>t prêtes à s'effondrer. Mais le cataclysme dans ces tableaux ne survi<strong>en</strong>t<br />
jamais que dans l'épaisseur même de la matière picturale. Matière vivante, l'artiste<br />
<strong>en</strong> extrait moult fumeroles et arboresc<strong>en</strong>ces, marbrures, stries, taches, bavures,<br />
éclats… Il détruit pour construire et crée un monde instable, flottant, qui ne cesse de<br />
se mouvoir <strong>en</strong>tre des forces contraires. C'est le prés<strong>en</strong>t, évid<strong>en</strong>t et énigmatique,<br />
lisible et indéchiffrable, qui se consume dans ces oeuvres, sous le regard abs<strong>en</strong>t de<br />
l'ange de Dürer.<br />
Moderne solitude<br />
À l'espace illimité de ses vastes panoramas de villes, <strong>Philippe</strong> Cognée oppose<br />
l'espace clos des supermarchés, des bibliothèques, des chambres d'hôtels. Dans un<br />
cas comme dans l'autre, il témoigne d'un même intérêt pour les formes<br />
architecturales. Architecture chaotique des villes où l'<strong>en</strong>tassem<strong>en</strong>t anarchique des<br />
bâtim<strong>en</strong>ts crée de magnifiques compositions abstraites ; architectures rationalisées<br />
des lieux de consommation où les travées régulières des rayonnages <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dr<strong>en</strong>t<br />
des jeux de perspective infinis. Mais le propos de l'artiste ne s'arrête pas à ces seules<br />
oppositions formelles. En passant d'une vision générale, qu'il va pousser jusqu'à ses<br />
extrêmes limites avec ses tableaux d'après Google Earth, à une approche du<br />
particulier, avec ces espaces sociaux que sont les supermarchés ou les institutions<br />
4