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Les Fondements de la philosophie africaine

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LES FONDEMENTS<br />

DE LA PHILOSOPHIE<br />

AFRICAINE


DÉJÀ PARUS CHEZ KIYIKAAT ÉDITIONS<br />

[1] LE DIEU NOIR : L’ANTHOLOGIE INTERDITE AU MOINS DE 50.000 ANS,<br />

Dibombari MBOCK, Février 2010<br />

[2] DÉCOLONISER LA FRANCE, Charly Gabriel MBOCK, Juillet 2010<br />

[3] AU-DELÀ DE MA NÉGRITUDE, S. NDEDI MOUSSINGA, Décembre<br />

2010<br />

[4] L’OPÉRATION ÉPERVIER AU CAMEROUN : UN DEVOIR D’INJUSTICE ?,<br />

Ouvrage collectif, Coordination scientifique <strong>de</strong> Charly Gabriel<br />

MBOCK, Octobre 2011<br />

[5] HAÏTI EN SIX LEÇONS, OPINIONS ET IDÉES, Jean-C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> MARTI-<br />

NEAU, Février 2012<br />

[6] LA PENSÉE AFRICAINE : ESSAI SUR L’UNIVERSISME PHILOSOPHIQUE,<br />

MBOG BASSONG, MARS 2012<br />

[7] AVANTI NANOU AK TI KO - LES AVENTURES DE NANOU ET TI KO,<br />

Arcelle APPOLON, Octobre 2012<br />

[8] THE ARADA PLEGE, JEAN-CLAUDE MARTINEAU, FÉVRIER 2013<br />

[9] OUSIRÉ, LE DIEU ENTRE NOS MAINS, TOME I, DIBOMBARI MBOCK,<br />

FÉVRIER 2013<br />

[10] HÉRITAGE VOLÉ : LA PHILOSOPHIE GRECQUE EST VOLÉE DE LA PHI-<br />

LOSOPHIE AFRICAINE, GEORGE G.M. JAMES, MAI 2013<br />

[11] L’ENJEU DE DIEU, SIEGFRIED R. DIBONG, AOÛT 2013<br />

[12] LE SAVOIR AFRICAIN : ESSAI SUR LA THÉORIE AVANCÉE DE LA<br />

CONNAISSANCE, MBOG BASSONG, OCTOBRE 2013<br />

[13] VOYAGES AU SEIN DE LA COMMUNAUTÉ AFRICAINE GLOBALE, RUNO-<br />

KO RASHIDI, OCTOBRE 2013<br />

[14] LA THÉORIE ÉCONOMIQUE AFRICAINE : L’ALTERNATIVE À LA CRISE<br />

DU CAPITALISME MONDIAL, MBOG BASSONG, DÉCEMBRE 2013<br />

[15] LA RELIGION AFRICAINE : DE LA COSMOLOGIE QUANTIQUE À LA<br />

SYMBOLIQUE DE DIEU, MBOG BASSONG, DÉCEMBRE 2013<br />

[16] HISTOIRE POLITIQUE DE L’AFRIQUE, L’EXIGENCE DE LEADERSHIP,<br />

UPAHOTEP, OCTOBRE 2014<br />

[17] LA FRANCE D'AFRIQUE, LE SYNDROME COLONIAL, CHARLY GA-<br />

BRIEL MBOCK, NOVEMBRE 2014<br />

[18] PEAU NOIRE, MASQUES BLANCS, FRANTZ FANON, DÉCEMBRE 2014<br />

[19] LES DAMNÉS DE LA TERRE, FRANTZ FANON, DÉCEMBRE 2014<br />

[20] POUR LA RÉVOLUTION AFRICAINE, FRANTZ FANON, DÉCEMBRE<br />

2014


MBOG BASSONG<br />

LES FONDEMENTS<br />

DE LA PHILOSOPHIE<br />

AFRICAINE<br />

© KIYIKAAT EDITIONS, 2014<br />

www.kiyikaat.com<br />

ISBN : 978-2-923821-29-0<br />

Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Décembre 2014<br />

Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales Canada, Décembre 2014<br />

Tous droits <strong>de</strong> reproduction et <strong>de</strong> traduction réservés pour tous pays.


DU MÊME AUTEUR<br />

PUBLIÉS CHEZ KIYIKAAT ÉDITIONS<br />

[1] LA PENSÉE AFRICAINE : Essai Sur l’Universisme Philosophique,<br />

Mars 2012<br />

[2] LE SAVOIR AFRICAIN : Essai sur <strong>la</strong> théorie avancée <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

connaissance, Octobre 2013<br />

[3] LA THÉORIE ÉCONOMIQUE AFRICAINE : L’alternative à<br />

<strong>la</strong> crise du capitalisme mondial, Décembre 2013<br />

[4] LA RELIGION AFRICAINE : De <strong>la</strong> cosmologie quantique à<br />

<strong>la</strong> symbolique <strong>de</strong> Dieu, Décembre 2013<br />

AUTRES<br />

[5] <strong>Les</strong> fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> l’État <strong>de</strong> Droit en Afrique précoloniale,<br />

2007.<br />

[6] Esthétique <strong>de</strong> l’art africain. Symbolique et complexité, 2007.<br />

[7] La métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong> <strong>africaine</strong>, De <strong>la</strong> pensée complexe<br />

en Afrique noire, 2007.<br />

[8] L’impactisme météoritique : Concepts, métho<strong>de</strong>s et enjeux<br />

théoriques.<br />

LIVRES ÉLECTRONIQUES<br />

[9] <strong>Les</strong> impacts <strong>de</strong> météorites au Cameroun - Concept, métho<strong>de</strong><br />

et enjeux <strong>de</strong> l’Impactisme, 2011.<br />

[10] Sociologie <strong>africaine</strong>. Paradigme, Valeur et Communication.<br />

[11] Adna ni mahol má Mbog liáá - Pek inyuú yaní. Manifeste<br />

pour l’édification d’une communauté Mbog liáá forte et<br />

prospère, en traduction française.<br />

[12] ŋkwεl ú bayímâm.<br />

A consulter sur le site internet www.mbogyes.com


TABLE DES MATIÈRES<br />

POINT DE DÉPART : LA PROBLÉMATIQUE PHILOSOPHIQUE ............... 7<br />

CHAPITRE 1<br />

LA COSMOLOGIE AFRICAINE A DEUX<br />

DIMENSIONS : PHYSIQUE ET<br />

METAPHYSIQUE ................................................... 15<br />

1.1 L’UNIVERS MIS EN ÉQUATION .......................................... 16<br />

1.1.1 Le brouil<strong>la</strong>rd philosophique <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt .............................. 17<br />

1.1.2 Des limites <strong>de</strong> <strong>la</strong> science c<strong>la</strong>ssique à <strong>la</strong> complexité ................ 22<br />

1.2 LES PRINCIPES MÉTAPHYSIQUES .................................... 26<br />

1.2.1 La recherche <strong>de</strong>s principes unificateurs ................................... 26<br />

1.2.2 L’enjeu d’un p<strong>la</strong>ncher métaphysique ........................................ 30<br />

CHAPITRE 2<br />

LES MYTHES COSMOLOGIQUES ONT<br />

UNE PORTEE PHILOSOPHIQUE .................... 33<br />

2.1 LE STATUT DE LA VÉRITÉ ................................................... 34<br />

2.1.1 <strong>Les</strong> frontières entre <strong>la</strong> science et <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong> ..................... 34<br />

2.1.2 <strong>Les</strong> conditions d’accès à <strong>la</strong> Vérité éternelle ............................. 35<br />

2.1.3 La vérité à l’échelle <strong>de</strong> l’homme ................................................ 37<br />

2.2 LA VÉRITÉ GÉNÉRALE DES MYTHES ............................. 37<br />

2.2.1 La théorie <strong>de</strong> l’évolution ............................................................. 38<br />

2.2.2 <strong>Les</strong> principes organisateurs ........................................................ 42<br />

2.3 MYTHES ET PHILOSOPHIES ................................................ 45<br />

2.3.1 La nature religieuse <strong>de</strong> <strong>la</strong> cosmologie ....................................... 46<br />

2.3.2 Mythologies et <strong>philosophie</strong>s comparées .................................. 51<br />

CHAPITRE 3<br />

L’UNIVERSISME EST UNE PHILOSOPHIE<br />

ET UN DISCOURS DE LA METHODE ........... 57<br />

3.1 DU CHAOS SENSIBLE A LA LOI .......................................... 58<br />

3.1.1 Comment entrevoir l’ordre <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature ? ............................... 59<br />

3.1.2 La forme spiralée dans les mythes africains ............................ 62<br />

3.2 LE DISCOURS DE LA MÉTHODE ....................................... 63<br />

3.2.1 La puissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> forme spiralée ............................................. 64


3.2.2 L’approche mathématique <strong>de</strong> l’Être ......................................... 65<br />

3.2.3 La révolution épistémologique <strong>africaine</strong> .................................. 69<br />

POINT D’ARRIVÉE : LA PHILOSOPHIE AFRICAINE COMME VOIE<br />

POUR L’AVENIR DE L’HUMANITÉ ............................ 75<br />

BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE .................................................................... 79


LES FONDEMENTS DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE| 7<br />

POINT DE DÉPART :<br />

LA PROBLÉMATIQUE PHILOSOPHIQUE<br />

« L’impérialisme culturel est une invasion qui asphyxie et détruit <strong>la</strong><br />

culture réceptive. Ce processus aboutit à une dépossession : <strong>la</strong> culture envahie<br />

ne se saisit plus elle-même à travers ses propres catégories, mais à<br />

travers celles <strong>de</strong> l’autre. »<br />

Serge Latouche, « L’approche culturelle : le site et <strong>la</strong> niche » in Critique<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> raison économique. Paris, L’Harmattan, 1999, p. 66.<br />

Pour philosopher, il faut être capable <strong>de</strong> dire une vérité, en<br />

conceptualiser l’élémentarité du sens et <strong>la</strong> portée <strong>de</strong> <strong>la</strong> valeur.<br />

Mieux, il est souhaitable <strong>de</strong> savoir ce qu’est <strong>la</strong> Vérité générale<br />

inscrite dans l’ordre dynamique <strong>de</strong> l’Univers, somme toute indépassable<br />

par <strong>la</strong> rationalité humaine. Comment peut-il en être autrement<br />

puisque l’homme est le produit <strong>de</strong> cet Univers et, <strong>de</strong><br />

surcroît, partie prenante d’une forme d’organisation qui transcen<strong>de</strong><br />

son Être et sa nature intervenue uniquement au bout <strong>de</strong> 13,7<br />

milliards d’années ? Pour une fois, n’oublions pas que les ordres,<br />

physique, chimique et biologique ont préexisté et que l’Univers<br />

représente, en fin <strong>de</strong> compte, une chaîne d’alliances génésiaques<br />

ayant préfiguré l’enjeu d’un ordre universel, à <strong>la</strong> fois participation<br />

et complémentarité.<br />

Il s’agit, par conséquent, d’organiser cette rationalité humaine en<br />

<strong>la</strong> rendant conforme à cette Vérité, si faire se peut. Aussi<br />

l’éternité cosmique se prolonge-t-elle, sur le p<strong>la</strong>n culturel, par<br />

l’éternité sociale et écologique. Ainsi pourrait-on résumer<br />

l’expérience <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse <strong>africaine</strong>, perçue ici<br />

comme le résultat <strong>de</strong>s efforts méthodiques et patients <strong>de</strong>s initiés<br />

et sages Kamit en vue <strong>de</strong> l’appréhension consciente <strong>de</strong>s lois


8 | MBOG BASSONG<br />

d’évolution <strong>de</strong> l’Univers dont <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong>, <strong>la</strong> science et <strong>la</strong> religion<br />

ne sont, finalement, que <strong>de</strong>s expressions spécialisées.<br />

La sagesse <strong>africaine</strong> dépasse, tout naturellement, <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong>.<br />

Nous savons que celle-ci recherche les voies d’accession à l’Être<br />

(l’ontologie), à <strong>la</strong> vérité rationnelle (épistémologie) et à <strong>la</strong> norme<br />

d’action (éthique). Au vrai, <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong> aboutit, le plus souvent,<br />

à <strong>la</strong> conclusion prévisible que <strong>la</strong> logique discursive ne peut épuiser<br />

l’Être (l’idée, le noumène…), <strong>la</strong> vérité, <strong>la</strong> morale. Aussi <strong>la</strong> sagesse<br />

prend-t-elle une forme symbolique, métaphysique, avec<br />

cette ambition « cachée » <strong>de</strong> pénétrer l’essence <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité et <strong>de</strong><br />

dépasser, ce faisant, l’énoncé rationnelle souvent insatisfaisante,<br />

car linéaire.<br />

Pour cette raison, on peut dire, sans exagération, que <strong>la</strong> sagesse<br />

formalise un Universisme philosophique en raison <strong>de</strong> cette prétention<br />

mentale qui veut qu’on approche <strong>de</strong> très près <strong>la</strong> Vérité<br />

générale <strong>de</strong> l’Univers par <strong>la</strong> voie épisto<strong>la</strong>ire si délicate 1 .<br />

L’Universisme est donc adossé, sur le p<strong>la</strong>n philosophique, à<br />

l’intentionnalité projetée par <strong>la</strong> Vérité générale que <strong>de</strong>ssine<br />

l’histoire dynamique <strong>de</strong> notre Univers en fin <strong>de</strong> compte connaissable<br />

et analysable aux diverses échelles <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière, <strong>de</strong><br />

l’infiniment petit à l’infiniment grand.<br />

La <strong>philosophie</strong> <strong>africaine</strong> est bloquée. Elle n’est plus capable <strong>de</strong><br />

répondre à ses préoccupations traditionnelles : comment accroître<br />

le progrès rationnel en se rapprochant le plus près possible <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Vérité générale inscrite dans <strong>la</strong> nature ? Comment envisager,<br />

dans cette même optique, l’évolution <strong>de</strong>s techniques en pacifiant<br />

l’existence et en y consolidant les liens sociétaux, sans oublier les<br />

équilibres environnementaux dont l’homme a besoin pour assurer<br />

sa survie et son bonheur ?<br />

Très peu sont les professionnels africains <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong> préoccupés<br />

par <strong>la</strong> question <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> toute forme <strong>de</strong> ratio-<br />

1 En général, le risque est grand <strong>de</strong> déboucher sur <strong>la</strong> durabilité <strong>de</strong>s dogmes et<br />

paradigmes, ou encore le caractère idéologique, intéressé et souvent malveil<strong>la</strong>nt<br />

<strong>de</strong> l’écrit.


LES FONDEMENTS DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE| 9<br />

nalité. En général, ils se servent <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong> comme un<br />

poisson se sert <strong>de</strong> l’eau pour nager, vivre et se reproduire. Aussi<br />

ces professionnels sont-ils davantage soucieux d’encadrer le prestige<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> discipline et ce faisant, <strong>de</strong> protéger leur propre image <strong>de</strong><br />

marque ; le cas échéant, ils communiquent leurs articles pour<br />

avancer dans leur carrière ou encore, développent tout simplement<br />

les chances d’obtenir un financement, s’il en est. Ce que<br />

nous affirmons ne tient pas d’une simple caricature.<br />

De fait, tous ceux qui veulent savoir à quoi sert <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong><br />

sont ceux qui, ne s’y intéressant vraiment pas, manquent<br />

d’éléments pour en parler et y répondre tant elle apparait si éloignée<br />

du quotidien. Ceux qui, en revanche, peuvent répondre à<br />

cette question sont les professionnels eux-mêmes que <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong><br />

fait vivre ou intéresse. A ce titre, <strong>la</strong> question « à quoi sert <strong>la</strong><br />

<strong>philosophie</strong> ?» est sans grand intérêt. A leur corps défendant, ils<br />

font valoir <strong>la</strong> carte d’un réalisme pratique. Ce qui est donc en<br />

cause, c’est l’adoption <strong>de</strong>s référents cartésiens que l’on sait pertinemment<br />

étrangers à <strong>la</strong> pensée <strong>africaine</strong> et son corol<strong>la</strong>ire, <strong>la</strong> lente<br />

dilution <strong>de</strong>s ressorts cognitifs 2 propres à <strong>la</strong> pensée <strong>africaine</strong>. Il y a<br />

là, une sorte <strong>de</strong> décor qui sert <strong>de</strong> masque à une forme pernicieuse<br />

d’aliénation.<br />

Nous <strong>de</strong>vons nous interroger sur <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> ce que furent les<br />

ressorts cognitifs <strong>de</strong> cette <strong>philosophie</strong> dont <strong>la</strong> portée rationnelle<br />

véhicule l’humanisme ancestral au cœur d’une hospitalité légendaire<br />

restée, contre toute attente, inégalée dans l’histoire <strong>de</strong>s civilisations<br />

dominantes. Au nom <strong>de</strong> quelles valeurs et <strong>de</strong> quel socle<br />

théorique 3 cette <strong>philosophie</strong> a-t-elle donc su et pu pacifier<br />

l’existence en conjurant les risques <strong>de</strong> violence entre et dans les<br />

nations ? Comment a-t-elle assuré, ce faisant, <strong>la</strong> prospérité <strong>de</strong><br />

tous ? Quels types d’institutions sociales, politiques et économi-<br />

2 Nous entendons par ressorts cognitifs les fon<strong>de</strong>ments normatifs <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée qui<br />

donnent sens à <strong>la</strong> connaissance rationnelle (<strong>philosophie</strong>, science) selon <strong>de</strong>s<br />

procédures méthodologiques i<strong>de</strong>ntifiables.<br />

3 Cette question a été <strong>la</strong>rgement abordée dans notre livre Le savoir africain. Essai<br />

sur <strong>la</strong> théorie avancée <strong>de</strong> <strong>la</strong> connaissance, Montréal, éditions Kiyikaat, 2013.


10 | MBOG BASSONG<br />

ques ont permis <strong>de</strong> favoriser <strong>la</strong> mise en commun <strong>de</strong>s ressources<br />

ainsi qu’une répartition équitable <strong>de</strong>s biens aux fins d’assurer le<br />

bien-être <strong>de</strong> tous ?<br />

Notons qu’au sein <strong>de</strong>s cultures initiatiques plus ou moins conservées,<br />

<strong>la</strong> <strong>philosophie</strong> <strong>africaine</strong> continue <strong>de</strong> consoli<strong>de</strong>r les liens affinitaires,<br />

<strong>de</strong> solidarité familiale et communautaire, malgré <strong>la</strong> phase<br />

actuelle <strong>de</strong> régression que nous déplorons ; elle assure encore <strong>la</strong><br />

convivialité entre les individus et les différents c<strong>la</strong>ns, organise les<br />

productions domestiques, <strong>de</strong> subsistance (agriculture, élevage,<br />

pêche) ; elle lutte ar<strong>de</strong>mment contre <strong>la</strong> pauvreté structurelle que<br />

diffusent le capitalisme et l’individualisme dominants.<br />

Ce n’est pas tout : elle fait partager, à tous, les grands moments<br />

<strong>de</strong> souffrance, <strong>de</strong> santé, <strong>de</strong> joie, d’amour, <strong>de</strong> don, <strong>de</strong> partage,<br />

d’entrai<strong>de</strong>, <strong>de</strong> communion fraternelle, etc. En un mot, elle prépare<br />

le salut <strong>de</strong> toute <strong>la</strong> collectivité et se soucie du bonheur partagé,<br />

si caractéristique <strong>de</strong>s liens communautaires <strong>de</strong> vie. Sans doute<br />

cette <strong>philosophie</strong> a-t-elle réussi <strong>de</strong> telles prouesses pour avoir<br />

conjuré <strong>la</strong> dérive capitalistique <strong>de</strong>s avoirs et surtout, <strong>la</strong> menace<br />

autoritariste <strong>de</strong>s chefs, rois et empereurs.<br />

Jamais les cultures <strong>africaine</strong>s n’ont promu autant d’indigence spirituelle,<br />

<strong>de</strong> mendiants, <strong>de</strong> désœuvrés, <strong>de</strong> pauvreté, d’enfants<br />

abandonnés, <strong>de</strong> fous, <strong>de</strong> déviants sexuels et <strong>de</strong> délinquants sociaux<br />

comme ce<strong>la</strong> se donne en spectacle aujourd’hui. Qui peut<br />

récuser un tel effort philosophique <strong>de</strong> promotion et <strong>de</strong> maîtrise<br />

d’une vision du mon<strong>de</strong> perçue par tous les c<strong>la</strong>ns et royaumes<br />

comme légitime ?<br />

Faut-il le rappeler, <strong>la</strong> parole avait suffi à réglementer tous les actes,<br />

y compris ceux <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie publique. Elle a été comprise comme<br />

une tâche intersubjective et collective qui a fini par irriguer le sens<br />

commun. Il y a eu dans tout ce<strong>la</strong>, un peu <strong>de</strong> maîtrise <strong>de</strong> l’Être, <strong>de</strong><br />

l’histoire et <strong>de</strong>s mythes fondateurs, un peu d’intégrité individuelle<br />

et d’idéal pacificateur. Des institutions dignes <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse <strong>de</strong>s<br />

initiés ont, pour ainsi dire, existé ; leur rôle a été <strong>de</strong> réguler <strong>la</strong><br />

société politique, en vue d’assurer toujours plus <strong>de</strong> vie, <strong>de</strong> bonheur<br />

et <strong>de</strong> prospérité pour tous. Telles sont les conclusions aux-


LES FONDEMENTS DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE| 11<br />

quelles notre analyse <strong>de</strong>s traditions <strong>africaine</strong>s nous conduit 4 .<br />

Ne nous voilons plus <strong>la</strong> face : si nos prouesses philosophiques<br />

s’amoindrissent à mesure que les moyens d’éducation, <strong>de</strong> communication<br />

et les techniques dont nous nous servons <strong>de</strong>viennent<br />

plus puissants, il y a lieu <strong>de</strong> nous interroger sur l’indispensable<br />

refondation du sens et <strong>de</strong> <strong>la</strong> valeur. C’est dire que le temps viendra<br />

où le plus bril<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> nos professionnels <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong><br />

mo<strong>de</strong>rne sera considéré comme un parfait ignorant promoteur <strong>de</strong><br />

l’aliénation culturelle, en comparaison du plus rustre <strong>de</strong>s sages <strong>de</strong><br />

nos vil<strong>la</strong>ges.<br />

Nous touchons là à un problème philosophique fondamental lié à<br />

une allégeance au modèle cartésien et au postu<strong>la</strong>t déterministe qui<br />

veut que notre chemin spirituel et intellectuel soit celui <strong>de</strong><br />

l’universalisme européen, en raison <strong>de</strong> <strong>la</strong> supériorité technologique<br />

acquise par le biais <strong>de</strong> <strong>la</strong> science. Cette conviction qu’il existe<br />

une nécessité ordonnée <strong>de</strong> l’histoire s’explique par le fait colonial.<br />

Nous tenons ceci pour vrai, venant d’un <strong>de</strong>s plus grands astronomes<br />

<strong>de</strong> notre temps :<br />

« L’histoire <strong>de</strong>s sciences montre que le principal n’est pas <strong>de</strong> convaincre à<br />

tout prix les mandarins <strong>de</strong> l’époque, quand on défend une théorie résolument<br />

nouvelle et forcément dérangeante. Ces mandarins, imbus <strong>de</strong> leur autorité<br />

arbitraire et très souvent provisoire, sont maîtres pour snober ou<br />

pour étouffer ce qui risque <strong>de</strong> les faire passer <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> (…) <strong>Les</strong> mandarins<br />

passent, <strong>la</strong> science évolue, les théories nouvelles apparaissent. » 5<br />

Ce qui est va<strong>la</strong>ble pour <strong>la</strong> science l’est aussi pour <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong><br />

qui celle-ci tient en estime comme une liturgie <strong>de</strong> chapelle. Pour<br />

cette raison, nous aimerions réapprendre à tout Africain, tout<br />

Kamit, ce que fut <strong>la</strong> véritable nature <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong> <strong>africaine</strong>.<br />

Disons, en quelques mots, que cette <strong>philosophie</strong> procè<strong>de</strong> d’une<br />

quête <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vérité générale <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature dont le socle rationnel<br />

4 Le chapitre III en reprend les principaux aspects et débouche sur <strong>la</strong> théorie<br />

<strong>de</strong> l’Universisme qui serait, quand au fond, le sens le plus profond à donner à<br />

<strong>la</strong> <strong>philosophie</strong> <strong>africaine</strong>.<br />

5 Michel-A<strong>la</strong>in Combes, La Terre bombardée. La théorie <strong>de</strong> l’impactisme terrestre,<br />

éditions France-empire, 1982, pp. 250 - 251.


12 | MBOG BASSONG<br />

repose sur <strong>la</strong> cosmologie, <strong>la</strong>quelle cosmologie explique, en bien<br />

<strong>de</strong> points, l’émergence <strong>de</strong>s divers ordres physique, chimique, biologique<br />

et humain qui en résultent. Ces ordres se superposent et<br />

s’harmonisent par le biais d’un Principe fondamental, d’une loi 6 .<br />

Au vrai, cette loi représente le flot d’écoulement <strong>de</strong> l’énergie universelle,<br />

à savoir Maât, du nom <strong>de</strong> <strong>la</strong> double déesse <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vérité-<br />

Justice assurant l’ordre social. Maât formalise ainsi une forme<br />

génésiaque, essentielle pour comprendre sur le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> <strong>la</strong> géométrie,<br />

les phénomènes régissant l’ordre du mon<strong>de</strong> repris dans les<br />

mythes Kamit.<br />

Dans tous les cas, <strong>la</strong> science rejoint le mythe dans <strong>la</strong> quête <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

vérité. Si, en effet, <strong>la</strong> physique renvoie aux lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, et<br />

donc à ce qu’il y a, le mythe lui rend compte, en <strong>de</strong>rnière analyse,<br />

<strong>de</strong> l’arrière-p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> toutes nos croyances communes et, par<br />

conséquent, <strong>de</strong> notre <strong>la</strong>ngage qui les exprime. Nous sommes en<br />

métaphysique, « à côté » ou « au-<strong>de</strong>là » <strong>de</strong> <strong>la</strong> physique. Ici, c’est<br />

l’esprit qui raisonne avec son expérience <strong>de</strong> <strong>la</strong> connaissance. Or<br />

nous le savons tous, cette expérience dépasse notre enten<strong>de</strong>ment<br />

sensible et son énonciation linéaire.<br />

Aussi s’agit-il, dans le présent essai, d’expliquer ce passage « tranquille<br />

» <strong>de</strong> <strong>la</strong> physique (cosmologie) à <strong>la</strong> métaphysique (mythes) ;<br />

en d’autres termes, nous <strong>de</strong>vons saisir <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion qui existe entre<br />

le pouvoir humain <strong>de</strong> connaître et l’absoluité du cosmos. Dans<br />

cette optique, l’herméneutique, en tant que science <strong>de</strong><br />

l’interprétation, peut nous permettre <strong>de</strong> dévoiler le sens, <strong>la</strong> valeur<br />

et <strong>la</strong> portée rationnelle <strong>de</strong>s mythes cosmologiques ancestraux.<br />

L’objectif, c’est bien <strong>de</strong> déterminer si « ce qu’il y a », en physique<br />

quantique, a son prolongement dans le mo<strong>de</strong> d’être métaphysique,<br />

et donc ce qui est. Vue sous cet angle, <strong>la</strong> métaphysique est<br />

assimi<strong>la</strong>ble à une recherche <strong>de</strong>s causes et <strong>de</strong>s principes premiers.<br />

On pourrait même argumenter en faveur d’une quête ultime du<br />

savoir dont <strong>la</strong> forme essentielle aurait quelque chose d’essentiel à<br />

voir avec <strong>la</strong> métaphysique. Nous sommes donc fondés à penser<br />

6 Nous pensons que cette loi représente <strong>la</strong> théorie du Tout.


LES FONDEMENTS DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE| 13<br />

une <strong>philosophie</strong> <strong>africaine</strong> digne d’intérêt scientifique, surtout que<br />

<strong>la</strong> cosmologie mo<strong>de</strong>rne nous invite à appréhen<strong>de</strong>r <strong>la</strong> métaphysique<br />

comme une dimension <strong>de</strong> <strong>la</strong> science. A peine croyable, quand<br />

on y songe, est <strong>la</strong> somme <strong>de</strong>s trésors qui nous atten<strong>de</strong>nt dans<br />

cette quête <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité.<br />

Le géochimiste français C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Allègre confirme pour notre gouverne<br />

:<br />

« Après ces joutes violentes, <strong>la</strong> géologie s’était éloignée <strong>de</strong>s sujets à trop<br />

gran<strong>de</strong>s implications métaphysiques. Elle y revient aujourd’hui. » 7<br />

A présent, nous sommes tous fixés : les mythes et les intuitions<br />

métaphysiques et religieuses ne s’opposent pas forcément à <strong>la</strong><br />

science, en particulier, à <strong>la</strong> cosmologie que maîtrisaient les Kamit<br />

Négro-égyptiens ou Négro-africains, si l’on s’en tient aux fragments<br />

<strong>de</strong> mythes en notre possession. De ce point <strong>de</strong> vue,<br />

l’astronome Michel-A<strong>la</strong>in Combes nous rassure :<br />

« La leçon que j’ai tirée <strong>de</strong> toutes ces années, écrit-il, c’est qu’il est impératif<br />

<strong>de</strong> faire <strong>la</strong> jonction entre le mythe et <strong>la</strong> science, ce qui<br />

pour beaucoup apparaît comme une gageure et même un non-sens. » 8<br />

Avec <strong>la</strong> question <strong>de</strong>s origines <strong>de</strong> <strong>la</strong> terre (C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Allègre), nous<br />

allons reconsidérer l’exercice <strong>de</strong> liaison entre le mythe et <strong>la</strong> science<br />

(Michel-A<strong>la</strong>in Combes). Ce qui sera ainsi en procès, c’est <strong>la</strong><br />

jonction que nous pensons établir entre le mythe, <strong>la</strong> religion et <strong>la</strong><br />

science. En fin <strong>de</strong> compte, il y a lieu <strong>de</strong> préciser que le sacré et le<br />

profane se côtoient dans <strong>la</strong> manifestation <strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité, si bien qu’il<br />

faut y entrevoir le statut du symbole dans <strong>la</strong> manifestation <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

vérité rationnelle, en science et en <strong>philosophie</strong>. Le rôle du savoir<br />

théorique est désormais déterminant. Nous avons l’avantage <strong>de</strong><br />

combler les affirmations <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux premiers savants par cette<br />

autre considération venue d’Alexandre Piankoff qui écrit à juste<br />

titre :<br />

7 C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> Allègre, « <strong>Les</strong> premiers jours <strong>de</strong> <strong>la</strong> Terre » in Le Système so<strong>la</strong>ire, Recueil<br />

<strong>de</strong> textes édité sous <strong>la</strong> direction <strong>de</strong> Jean-François Minster, Bibliothèque pour <strong>la</strong><br />

science, 1982, p.97.<br />

8 I<strong>de</strong>m. Note <strong>de</strong> renseignements sur l’auteur, Michel-A<strong>la</strong>in Combes. URL du<br />

site : http://www.astrosurf.com/macombes/chapitre%2011-me.htm


14 | MBOG BASSONG<br />

« On ne peut guère alors parler <strong>de</strong> religion au sens mo<strong>de</strong>rne du mot, mais<br />

bien plutôt d’une cosmologie, d’une physique véritable, à <strong>la</strong>quelle personne<br />

n’échappait ni ne pouvait échapper, pas plus qu’on échappe <strong>de</strong> nos jours<br />

aux lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> thermodynamique. » 9<br />

Toutes ces considérations prises ensemble mènent tout droit à<br />

l’assurance reçue par ce tour <strong>de</strong> force <strong>de</strong> <strong>la</strong> métaphysique (les<br />

mythes et les traditions religieuses) : s’imposer sur le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

scène scientifique.<br />

A présent, nous pouvons envisager sereinement un p<strong>la</strong>n<br />

d’organisation <strong>de</strong> nos Chapitres.<br />

Le Chapitre I doit nous permettre d’entrevoir <strong>la</strong> dimension métaphysique<br />

(philosophique) <strong>de</strong> <strong>la</strong> physique (science) dans <strong>la</strong> quête<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> vérité ; <strong>la</strong> cosmologie quantique, Kamit, est concernée par<br />

cette version <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> l’Univers. Le Chapitre<br />

II mettra davantage l’accent sur <strong>la</strong> portée rationnelle <strong>de</strong>s mythes<br />

cosmologiques afin <strong>de</strong> permettre une meilleure exposition <strong>de</strong>s<br />

analyses, concepts et présupposés épistémologiques qui fon<strong>de</strong>nt<br />

le modèle <strong>de</strong> l’Universisme philosophique africain, objet du Chapitre<br />

III.<br />

9 Alexandre Piankoff, La création du disque so<strong>la</strong>ire, IFAO, bibli. 2, tome 19, p. 7,<br />

cité par Anna Mancini, La sagesse <strong>de</strong> l’ancienne Egypte pour l’Internet, L’Harmattan,<br />

Paris, 2002.


LES FONDEMENTS DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE| 15<br />

CHAPITRE 1<br />

LA COSMOLOGIE AFRICAINE<br />

A DEUX DIMENSIONS :<br />

PHYSIQUE ET METAPHYSIQUE<br />

« Plus exactement, il faut accepter un "dédoublement" <strong>de</strong> <strong>la</strong> cosmologie, à<br />

<strong>la</strong> fois science et métaphysique. Le plus important étant <strong>de</strong> ne nier ni un<br />

aspect ni l’autre…ni <strong>la</strong> coexistence <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux (…) Un accord qui conduit<br />

à un enrichissement mutuel plutôt qu’à une supériorité <strong>de</strong> l’une sur<br />

l’autre. »<br />

Jean-François Robredo, « Univers : peut-on vraiment le penser ? » in<br />

Sciences & Vie, Hors-série n°242, mars 2008, p.150.<br />

Que faisons-nous dans ce mon<strong>de</strong> à <strong>la</strong> fois si beau et si violent ?<br />

D’où venons-nous et pourquoi sommes-nous, en fin <strong>de</strong> compte,<br />

condamnés à mourir sans que nous sachions quelle est notre prochaine<br />

<strong>de</strong>stination dans ce cosmos si vaste 10 ? S’il se manifeste<br />

une ivresse <strong>de</strong>s sens chez tout homme émerveillé par son Univers<br />

étoilé, n’oublions pas que tout ce<strong>la</strong> s’est accompagné, en bien <strong>de</strong><br />

circonstances, d’une certaine angoisse existentielle <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> mort.<br />

<strong>Les</strong> Kamit <strong>de</strong> l’époque antique <strong>la</strong> plus lointaine ont apaisé leur<br />

10 Du grec Kosmos, il s’agit en premier <strong>de</strong> l’idée d’ordre, <strong>de</strong> logique, <strong>de</strong> bien, <strong>de</strong><br />

beau, d’harmonie, à l’instar <strong>de</strong> Maât en Egypte. Ce qui se dégage <strong>de</strong> cette approche,<br />

c’est <strong>la</strong> possibilité d’en tirer un ordre du tout étendu au concept<br />

d’Univers.


16 | MBOG BASSONG<br />

vertige <strong>de</strong> l’infini en sondant les ga<strong>la</strong>xies et les étoiles cosmiques<br />

pour y découvrir les ressorts intérieurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière, aux confins<br />

<strong>de</strong>s strates les plus profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> psyché humaine. Et ils y sont<br />

arrivés.<br />

Prise comme une fin, <strong>la</strong> connaissance rationnelle (science et <strong>philosophie</strong>)<br />

s’est aussi imposée comme un moyen éthique<br />

d’élévation spirituelle. Il y a dans cette rétrospective que nous<br />

amorçons, un objectif d’unité <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature et <strong>de</strong>s sciences que<br />

nous entendons dévoiler.<br />

L’idée générale qui émerge <strong>de</strong> nos analyses, c’est bien que <strong>la</strong><br />

connaissance rationnelle <strong>de</strong>s initiés et sages a eu pour objectif <strong>de</strong><br />

relier les interactions fondamentales en jeu dans l’Univers et, ce<br />

faisant, <strong>de</strong> formaliser une théorie unifiée <strong>de</strong> l’Univers, <strong>de</strong><br />

l’infiniment petit à l’infiniment grand (I). Pour rencontrer un tel<br />

objectif, <strong>la</strong> science a eu recours à <strong>de</strong>s principes métaphysiques qui<br />

ont permis <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r efficacement l’Univers. La <strong>philosophie</strong> <strong>africaine</strong><br />

est née <strong>de</strong> cette approche ouverte à l’expérience <strong>de</strong> liberté<br />

<strong>de</strong> l’esprit en quête <strong>de</strong> savoir (II).<br />

1.1 L’UNIVERS MIS EN ÉQUATION<br />

Le problème est le suivant : comment les Noirs, les Kamit, ont-ils<br />

pu parvenir à une unité <strong>de</strong> sens <strong>de</strong> <strong>la</strong> création ?<br />

L’enjeu, on le mesure bien, c’est l’entreprise <strong>de</strong> construction <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

science par le biais d’une <strong>philosophie</strong> qui accepte l’unité <strong>de</strong> sens<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> nature et <strong>la</strong> diversité <strong>de</strong>s connaissances. Ce sont les données<br />

mêmes <strong>de</strong> <strong>la</strong> science et <strong>de</strong>s faits historiques en notre possession<br />

qui font que, <strong>de</strong> fait, nous soyons à même <strong>de</strong> répondre, aujourd’hui<br />

seulement, à cette interpel<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> <strong>la</strong> cosmologie négro-égyptienne<br />

fondatrice. Cette cosmologie a allée à <strong>la</strong> recherche<br />

<strong>de</strong> l’ordre du tout par le biais <strong>de</strong>s principes essentiels qui ont<br />

gouverné l’évolution <strong>de</strong> l’Univers.<br />

Pour toutes ces raisons, il nous faut regar<strong>de</strong>r avec d’autres yeux<br />

(autrement !), <strong>la</strong> direction prise sur le p<strong>la</strong>n métaphysique (philosophique)<br />

par <strong>la</strong> science elle-même puis, envisager les limites <strong>de</strong> <strong>la</strong>


LES FONDEMENTS DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE| 17<br />

science c<strong>la</strong>ssique qui en brouil<strong>la</strong>it le regard. Il se <strong>de</strong>ssine, dans ce<br />

brouil<strong>la</strong>rd <strong>de</strong>s idées premières, une Vérité générale <strong>de</strong> l’Univers<br />

qui a donné sens à <strong>la</strong> nécessité d’introduire, en mathématiques,<br />

<strong>de</strong>s principes métaphysiques pour en saisir <strong>la</strong> complexité. Un tel<br />

recours a été facteur <strong>de</strong> progrès rationnel et <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong> <strong>africaine</strong><br />

en a <strong>la</strong>rgement tiré bénéfice.<br />

1.1.1 Le brouil<strong>la</strong>rd philosophique <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt<br />

En Afrique noire, l’astronomie et <strong>la</strong> physique ont contribué à<br />

développer <strong>la</strong> cosmologie quantique. A <strong>la</strong> question d’ordre métaphysique<br />

: « pourquoi les choses que nous observons dans <strong>la</strong> réalité<br />

physique (les minéraux, les végétaux, les animaux et le mon<strong>de</strong><br />

qui nous entoure) sont-elles "comme elles sont"? », il y a cette<br />

autre question qui se situe dans le même prolongement : « Quelle<br />

explication donner à tout ce<strong>la</strong> ? ». Bien plus : que faire <strong>de</strong> ce<br />

qu’on n’a pas encore observé (qu’on ne connaît pas encore !),<br />

mais qu’on connaîtra probablement plus tard avec les avancées <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> physique (science) ?<br />

Aussi curieuses que ce<strong>la</strong> puisse paraître, telles ont été les préoccupations<br />

intellectuelles <strong>de</strong>s Homo sapiens sapiens affranchis <strong>de</strong>s<br />

questions <strong>de</strong> lutte pour <strong>la</strong> survie et par conséquent, prêts à<br />

concentrer tous leurs efforts pour observer <strong>la</strong> nature et, à partit<br />

<strong>de</strong> là, philosopher.<br />

La diffusion culturelle <strong>de</strong> <strong>la</strong> cosmologie <strong>africaine</strong><br />

<strong>Les</strong> premiers hommes mo<strong>de</strong>rnes, disons <strong>de</strong> façon plus précise, les<br />

premiers Noirs apparus en terre <strong>africaine</strong> il y a près <strong>de</strong> 170. 000<br />

ans apparaissent comme les ascendants <strong>de</strong>s peuples Nordiques et<br />

les Asiatiques. C’est dire que les civilisations <strong>africaine</strong>s ont eu le<br />

temps <strong>de</strong> grandir, <strong>de</strong> prospérer, <strong>de</strong> produire et <strong>de</strong> diffuser leurs<br />

cultures et leurs connaissances aux seconds venus. Avant toute<br />

autre présence humaine, les civilisations <strong>africaine</strong>s ont occupé<br />

tout le pourtour <strong>de</strong> <strong>la</strong> Méditerranée voisine, jusqu’aux confins <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> civilisation occi<strong>de</strong>ntale dite c<strong>la</strong>ssique 11 et asiatique 12 . Elles y ont<br />

11 Lire surtout Martin Bernal, B<strong>la</strong>ck Athena. <strong>Les</strong> racines afro-asiatiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> civilisa-


18 | MBOG BASSONG<br />

<strong>la</strong>issé les vestiges les plus anciennes d’une occupation culturelle<br />

rationalisée, spiritualisée et surtout, civilisée.<br />

De ce seul point <strong>de</strong> vue, les travaux <strong>de</strong>s savants égyptologues<br />

prolongés par les savants Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga<br />

parlent d’eux-mêmes. La religion, <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong> et <strong>la</strong> science<br />

so<strong>la</strong>ires, reprises par les autres civilisations naissantes, ont bénéficié<br />

<strong>de</strong> ces considérations d’ascendance patrimoniale et culturelle<br />

<strong>de</strong> l’Afrique noire.<br />

Il va <strong>de</strong> soi que l’énergie so<strong>la</strong>ire ait occupé une gran<strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce dans<br />

<strong>la</strong> pensée <strong>de</strong>s Négro-égyptiens. Ce n’est pas sans raison que les<br />

prêtres savants, initiés aux connaissances astronomiques, ont fait<br />

preuve d’une gran<strong>de</strong> maîtrise <strong>de</strong>s traditions monumentales en<br />

rapport avec les mouvements <strong>de</strong> l’astre. Théophile Obenga précise<br />

:<br />

« C’est effectivement le rayonnement so<strong>la</strong>ire qui apporte à <strong>la</strong> terre<br />

tout ce dont elle a besoin pour vivre, pour faire vivre ses produits,<br />

y compris les êtres humains (...) Une mythologie rationnelle<br />

<strong>de</strong>vait en naître ; <strong>la</strong> mythologie so<strong>la</strong>ire pharaonique, fon<strong>de</strong>ment<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> religion et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong> égyptienne. 13 »<br />

L’observation cè<strong>de</strong> le pas à <strong>la</strong> compréhension, puis à <strong>la</strong> rationalisation<br />

philosophique et scientifique.<br />

Anna Mancini renchérit :<br />

« Nous ne pouvons nier l’évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> l’intérêt manifesté par l’Égypte antique<br />

pour l’aspect énergétique du cosmos et du groupe humain, essentiellement<br />

sous forme d’énergie so<strong>la</strong>ire (Maat). » 14<br />

<strong>Les</strong> Bâtisseurs du Moyen âge héritiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> science sacrée <strong>de</strong>s<br />

anciens Égyptiens orientaient aussi les temples en fonction du<br />

Soleil. Le culte so<strong>la</strong>ire, très ancien, ne peut donc pas être un fait<br />

tion c<strong>la</strong>ssique, traduit <strong>de</strong> l’américain par Nicole Genaille, PUF, 1999, p. 408.<br />

12 Lire surtout Runoko Rashidi, Histoire millénaire <strong>de</strong>s Africains en Asie, éditions<br />

Mon<strong>de</strong> Global, 2005.<br />

13 Théophile Obenga, La <strong>philosophie</strong> <strong>africaine</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> pharaonique. 2780-330<br />

avant notre ère, Paris, L’Harmattan, 1990, p.116.<br />

14 Anna Mancini, La sagesse <strong>de</strong> l’ancienne Egypte pour l’Internet, L’Harmattan, Paris,<br />

2002, pp. 104-105.


LES FONDEMENTS DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE| 19<br />

rationnel cartésien. Il faut admettre que le mythe cosmologique<br />

grec, qui entrevoit <strong>la</strong> genèse au sein d’un chaos primitif sans en<br />

tirer toutes les conclusions sur le p<strong>la</strong>n cognitif, apparaît comme<br />

une copie du mythe négro-égyptien. Celui-ci l’a inspiré en partie,<br />

à tout le moins, à un certain moment <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> religion<br />

crétoise (XV e siècle av. J.-C.) <strong>de</strong>venue mycénienne (XV e au XII e<br />

siècle av. J.-C.). <strong>Les</strong> Achéens, premiers indo-européens <strong>de</strong>venus<br />

les Grecs et établis à Mycènes ont, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, subi<br />

l’influence culturelle égyptienne (l’écriture) via l’alphabet phénicien<br />

et religieuse, par le biais <strong>de</strong>s cultes <strong>de</strong> divinités féminines<br />

liées à <strong>la</strong> fécondité (Isis l’Égyptienne, Ishtar <strong>la</strong> Babylonienne, Astarté<br />

<strong>la</strong> Phénicienne, Vénus <strong>la</strong> Romaine, Aphrodite <strong>la</strong> Grecque).<br />

Cette influence s’est renouvelée après les siècles obscurs ; elle est<br />

perceptible dès le VIII e siècle av. J.-C. dans les récits du poète<br />

Hésio<strong>de</strong> (<strong>la</strong> Théogonie) et Homère (l’Ilia<strong>de</strong> et l’Odyssée).<br />

Râ dans <strong>la</strong> conception négro-égyptienne, Shamash assyrobabylonien,<br />

Surya chez les Hindous, Mithra perse (iranien), tous<br />

célèbrent <strong>la</strong> fête du Soleil le 25 décembre après le solstice d’hiver<br />

lorsque les jours recommencent à croître. Ils ont adapté, puis<br />

adopté les mythes païens. Le 22 décembre en effet, <strong>la</strong> mort du<br />

Soleil est achevée et pendant 3 jours, il monte en puissance.<br />

<strong>Les</strong> civilisations nordiques ont pu se désolidariser <strong>de</strong> ces considérations<br />

au cours d’une longue pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> mise en œuvre <strong>de</strong> leurs<br />

paradigmes recomposés 15 . Nous comprenons pourquoi l’histoire<br />

<strong>de</strong> l’Univers, celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> cosmologie mo<strong>de</strong>rne en particulier, apparaît<br />

si fortement marquée par le paradigme cartésien ; cependant,<br />

on peut le dire pour le regretter, cette histoire ne date que du<br />

début du XX e siècle, alors que <strong>la</strong> cosmologie négro-égyptienne<br />

séduit par <strong>de</strong>s connaissances et pratiques scientifiques millénaires<br />

dont le cumul serait d’au moins 10.000 ans, à en juger le niveau<br />

<strong>de</strong> performance atteint.<br />

15 Le paradigme, au sens <strong>de</strong> Thomas Kuhn, est un système <strong>de</strong> valeurs et <strong>de</strong><br />

préjugés qui agissent durablement sur les idées et les théories à un moment<br />

donné du développement d’une société.


20 | MBOG BASSONG<br />

Le présent essai ne traite pas, ce<strong>la</strong> va <strong>de</strong> soi, <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière<br />

approche dans les détails. Ce<strong>la</strong> dit, l’idée d’une antériorité <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

cosmologie négro-égyptienne et négro-<strong>africaine</strong> apparait comme<br />

un truisme qui pourrait se passer <strong>de</strong> commentaires. <strong>Les</strong> mythes<br />

cosmologiques <strong>de</strong> l’Afrique sont connus et témoignent d’une<br />

profon<strong>de</strong>ur historique indéniable, même si leur portée rationnelle<br />

continue <strong>de</strong> rencontrer <strong>de</strong>s préjugés tenaces liés à l’entière dominance<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée cartésienne. Mais <strong>de</strong> tels préjugés s’expliquent<br />

surtout par le caractère réductionniste que cette pensée cartésienne<br />

véhicule, certes en marge <strong>de</strong> son efficacité, <strong>de</strong> son action opératoire<br />

avec <strong>de</strong>s applications technologiques incontestables.<br />

Le rejet <strong>de</strong> <strong>la</strong> cosmologie en Occi<strong>de</strong>nt<br />

En revanche, on doit s’interroger sur les raisons du retard scientifique<br />

consommé par <strong>la</strong> cosmologie mo<strong>de</strong>rne et surtout, revenir<br />

sur cet oubli ontologique <strong>de</strong>s origines cosmiques <strong>de</strong> l’homme. La<br />

pensée cartésienne ne pouvait concevoir une telle singu<strong>la</strong>rité, à<br />

savoir un début <strong>de</strong> l’Univers et <strong>de</strong>s étapes d’évolution couronnées<br />

par un développement <strong>de</strong> <strong>la</strong> complexité. De fait, <strong>la</strong> pensée <strong>de</strong><br />

l’Occi<strong>de</strong>nt cartésien a entrevu un ordre immuable et éternel. Là<br />

où l’Afrique a établi un Principe organisant le processus historique<br />

d’évolution du cosmos jusqu’à l’avènement <strong>de</strong> l’homme, <strong>la</strong><br />

rationalité cartésienne a penché pour une Univers stable et une<br />

arrivée ex nihilo <strong>de</strong> l’homme (le 7 e jour <strong>de</strong> <strong>la</strong> genèse), coupé pour<br />

cette raison <strong>de</strong> ses racines cosmiques, minérales, végétales et animales.<br />

L’astrophysicien Hubert Reeves explique :<br />

« Il n’était pas <strong>de</strong> bon ton pour un physicien <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> "cosmologie".<br />

Avant le XX e siècle, <strong>la</strong> "vision" du mon<strong>de</strong>, <strong>la</strong> "Weltanschauung", était<br />

réservée aux philosophes, aux poètes, aux gens "pas sérieux". La voilà<br />

aujourd’hui qui revient en force, en physique et en astronomie. » 16<br />

Si l’on cherche à comprendre cette intuition qui a privé le bon<br />

sens d’une réflexion bien posée, on ne peut que s’en remettre à<br />

16 Hubert Reeves, interrogé par Mounier-Kuhn dans le livre écrit par Edgar<br />

Morin et Jean-Louis Le Moigne, L’intelligence <strong>de</strong> <strong>la</strong> complexité Paris, L’Harmattan,<br />

1999, p. 195.


LES FONDEMENTS DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE| 21<br />

l’esprit cartésien qui a animé <strong>la</strong> science en s’orientant, <strong>de</strong> façon<br />

résolue, vers <strong>la</strong> connaissance <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière. En <strong>la</strong>issant <strong>de</strong> côté<br />

tout ce qui a eu trait aux vérités immatérielles sur les origines <strong>de</strong><br />

notre mon<strong>de</strong>, en réalité difficiles à concevoir et à approcher d’un<br />

point <strong>de</strong> vue analytique, l’esprit scientifique s’est confiné à <strong>la</strong> seule<br />

volonté <strong>de</strong> manipu<strong>la</strong>tion et <strong>de</strong> domination <strong>de</strong> <strong>la</strong> matière, <strong>de</strong>s<br />

animaux et <strong>de</strong>s hommes.<br />

On le sait, l’esprit scientifique cartésien y a engagé sa propre nature<br />

et son expérience du nomadisme ancestral et anthropologique,<br />

en cristallisant dans cette épreuve <strong>de</strong> <strong>la</strong> rationalité, un gauchissement<br />

amplifié <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison et une cohérence faible, re<strong>la</strong>tivement<br />

à ces idées générales qui le préoccupaient beaucoup<br />

moins. C’est là que rési<strong>de</strong> <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> distanciation rationnelle <strong>de</strong><br />

l’Afrique noire face aux vérités immatérielles que le modèle social<br />

sé<strong>de</strong>ntaire et communautariste impulsait à souhait. Epargnonsnous<br />

<strong>de</strong>s possibles désillusions dans cette visée <strong>de</strong> cohérence <strong>de</strong>s<br />

idées en donnant <strong>la</strong> parole à Edgar Morin. Il précise davantage<br />

cette tâche aveugle <strong>de</strong> l’esprit scientifique occi<strong>de</strong>ntal :<br />

« On s’est dit : "tous ces problèmes, l’être, le néant, le vi<strong>de</strong>, le tout, le<br />

commencement, l’origine, <strong>la</strong> fin…ce<strong>la</strong> n’a aucun intérêt. Ce sont <strong>de</strong>s réflexions<br />

pour philosophes. Nous, ce qu’on veut savoir, c’est comment ça<br />

fonctionne, ce sont <strong>de</strong>s règles, ce sont <strong>de</strong>s lois…". » 17<br />

On se souvient alors que <strong>la</strong> cosmologie avait été exclue <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

science. Auguste Comte, le fondateur du positivisme, l’avait interdite<br />

en 1852, dans son Catéchisme positiviste. La raison scientifique en<br />

était simple : on ne peut pas parler <strong>de</strong>s choses qu’on ne voit pas<br />

et qu’on ne peut pas contrôler par le biais <strong>de</strong> <strong>la</strong> science qui seule,<br />

fixe le cap <strong>de</strong> vérité. La gran<strong>de</strong> erreur a été <strong>de</strong> considérer que ce<br />

qu’on ne voit pas « n’existe pas » et que tout, en fin <strong>de</strong> compte,<br />

<strong>de</strong>vrait être contrô<strong>la</strong>ble par le seul fait d’un déterminisme mathématisable<br />

et mécanique.<br />

De fait, Galilée, Descartes, Leibniz et Newton conçoivent, à partir<br />

du XVII e siècle, que l’Univers découle <strong>de</strong>s formules mathéma-<br />

17 Edgar Morin, op. cit., p. 34.


22 | MBOG BASSONG<br />

tiques divines. En ce<strong>la</strong>, <strong>la</strong> pensée scientifique n’est pas détachée<br />

du provi<strong>de</strong>ntialisme <strong>de</strong> <strong>la</strong> théologie chrétienne qui prescrit l’ordo<br />

<strong>de</strong> Saint Augustin, puis l’ordre immanent (celui <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison).<br />

L’Univers a une essence mathématique et un ordre éternel : tel a<br />

été le leitmotiv <strong>de</strong> <strong>la</strong> rationalité cartésienne. Simon Lap<strong>la</strong>ce enfonce<br />

le clou : Dieu n’a plus <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ce dans le système mon<strong>de</strong>, <strong>la</strong><br />

science pouvant refaire le chemin prométhéen <strong>de</strong> <strong>la</strong> conquête du<br />

feu « sacré », cette fois-ci par le déploiement <strong>de</strong> <strong>la</strong> science. Ainsi<br />

donc, le provi<strong>de</strong>ntialisme chrétien est simplement remp<strong>la</strong>cé par le<br />

provi<strong>de</strong>ntialisme scientifique. D’un côté, on s’éloigne progressivement<br />

<strong>de</strong>s actes barbares naguère posés par l’église chrétienne :<br />

<strong>la</strong> condamnation <strong>de</strong> Giordano Bruno (1548-1600) brûlé pour ses<br />

pensées philosophiques, ou encore l’abjuration <strong>de</strong> Galilée face à<br />

<strong>la</strong> même menace <strong>de</strong> mort. De l’autre, on est aussi bien loin <strong>de</strong>s<br />

mathématiques du chaos pressenties par Poincaré (1852-1912) très en<br />

avance sur son temps, dont l’enjeu <strong>de</strong> <strong>la</strong> complexité a mis fin au<br />

déterminisme.<br />

1.1.2 Des limites <strong>de</strong> <strong>la</strong> science c<strong>la</strong>ssique à <strong>la</strong> complexité<br />

En marquant ainsi son territoire et les limites <strong>de</strong> <strong>la</strong> science c<strong>la</strong>ssique,<br />

<strong>la</strong> complexité <strong>de</strong>ssine les contours <strong>de</strong> notre ignorance face à<br />

<strong>la</strong> dynamique complexe du Réel. En somme, <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong> occi<strong>de</strong>ntale<br />

entre dans <strong>la</strong> phase <strong>de</strong> maturation possible <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison.<br />

Elle doit pouvoir y rejoindre, à terme, <strong>la</strong> pensée <strong>africaine</strong> dont le<br />

statut <strong>de</strong> <strong>la</strong> cosmologie quantique a permis d’implémenter un<br />

dialogue fécond entre <strong>la</strong> science et <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong>, aux confins <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> frontière entre <strong>la</strong> matière et l’esprit.<br />

Mais quelle sacrée avance <strong>de</strong> l’Afrique noire sur <strong>la</strong> pensée aristotélicienne<br />

et cartésienne, <strong>la</strong>quelle avance a permis d’assurer une<br />

gestion équitable <strong>de</strong> <strong>la</strong> science et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong> à toutes les<br />

époques ! En traitant, du moins dès le départ, <strong>la</strong> question <strong>de</strong>s<br />

origines sous un angle cosmologique, l’Afrique a creusé <strong>la</strong> distance<br />

scientifique qui <strong>la</strong> sépare, aujourd’hui encore, <strong>de</strong>s prolongements<br />

épistémologiques du savoir que promeuvent les avancées


LES FONDEMENTS DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE| 23<br />

<strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> l’Univers.<br />

Nous <strong>de</strong>vons nous appesantir sur <strong>la</strong> question si sensible <strong>de</strong><br />

l’invisible, souvent ramenée au fétichisme <strong>de</strong> <strong>la</strong> pensée, à défaut<br />

<strong>de</strong> réduire cette <strong>de</strong>rnière à <strong>de</strong>s actes <strong>de</strong> sorcellerie, par simple<br />

défaut <strong>de</strong> modélisation ou d’explication cartésienne.<br />

L’invisible sur le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> <strong>la</strong> scène<br />

La physique <strong>de</strong>s particules ne remet plus en cause le domaine <strong>de</strong><br />

l’invisible si longtemps contesté par l’esprit cartésien <strong>de</strong><br />

l’Occi<strong>de</strong>nt chrétien, lequel domaine a été plus ou moins rationalisé<br />

et surtout, pratiqué pendant <strong>de</strong>s millénaires par les initiés et<br />

sages d’Afrique noire, <strong>de</strong> l’Égypte pharaonique à nos jours. A<br />

présent, plus <strong>de</strong> science-fiction. La question <strong>de</strong> l’invisible et <strong>de</strong><br />

l’existence <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s parallèles s’imposent aux scientifiques <strong>de</strong><br />

notre temps.<br />

De nombreuses théories cosmologiques aboutissent à <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s<br />

séparés du nôtre : l’application <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tivité générale<br />

d’Einstein, <strong>la</strong> mécanique quantique, l’inf<strong>la</strong>tion éternelle <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

théorie <strong>de</strong>s cor<strong>de</strong>s, <strong>la</strong> gravitation quantique à boucles <strong>de</strong> <strong>la</strong> théorie<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> gravitation quantique en témoignent. Le chercheur Aurélien<br />

Barrau, du <strong>la</strong>boratoire <strong>de</strong> physique subatomique <strong>de</strong> cosmologie<br />

<strong>de</strong> Grenoble jette un regard froid à venir <strong>de</strong> <strong>la</strong> physique :<br />

« Pour <strong>la</strong> première fois je crois, c’est <strong>la</strong> rationalité qui semble conduire à<br />

l’existence <strong>de</strong> mon<strong>de</strong>s invisibles (…) Elle crée <strong>de</strong>s ponts avec d’autres disciplines,<br />

ébauche une nouvelle mythologie, et <strong>de</strong> ce fait nous oblige à redéfinir<br />

ce que l’on attend <strong>de</strong> <strong>la</strong> physique. » 18<br />

Partout, les conclusions sont les mêmes : ce sont les forces qui<br />

sont à l’œuvre dans le cosmos qui font que l’hypothèse <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s<br />

parallèles découle d’elle-même <strong>de</strong>s modèles <strong>de</strong> physique théorique.<br />

Pourrait-on encore douter que les Négro-égyptiens et Négro-africains<br />

aient atteint <strong>de</strong> tels résultats en toute connaissance<br />

<strong>de</strong> cause !<br />

<strong>Les</strong> obstacles créés par l’universalisme européen<br />

18 Aurélien Barrau, « <strong>Les</strong> lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> physique mènent aux multivers » in La<br />

Recherche, septembre 2009, n° 433, p. 53.


24 | MBOG BASSONG<br />

Mais que <strong>de</strong> chemin à parcourir et d’embûches à traverser pour<br />

persua<strong>de</strong>r les uns et les autres <strong>de</strong>s limites <strong>de</strong> <strong>la</strong> science cartésienne<br />

naguère décrétée universelle ! L’Afrique noire a été prématurément<br />

déc<strong>la</strong>rée hors sujet par le positivisme cartésien <strong>de</strong><br />

l’universalisme européen 19 . Malheureusement, <strong>la</strong> terre <strong>africaine</strong><br />

reste dépendante <strong>de</strong>s prétentions débordantes du mo<strong>de</strong> d’être du<br />

cartésianisme. L’école, <strong>la</strong> religion, l’administration, les institutions,<br />

tout y passe. L’élite ne semble pas affectée par cette situation ou<br />

alors montre une incapacité à y faire face.<br />

Cette carence procè<strong>de</strong> d’une absence <strong>de</strong> réflexion sur les fon<strong>de</strong>ments<br />

<strong>de</strong> toute réflexion rationnelle et surtout les logiques culturelles<br />

qui lui sont sous-jacentes. François Urvoy ouvre une brèche<br />

susceptible <strong>de</strong> nous éc<strong>la</strong>irer :<br />

« En effet <strong>la</strong> pensée commune a pour traits principaux <strong>de</strong> comporter une<br />

dimension intéressée, d’ériger <strong>la</strong> particu<strong>la</strong>rité culturelle <strong>de</strong> ce qu’elle conçoit<br />

en forme universelle au <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> toute remise en cause et, lorsqu’elle rencontre<br />

d’autres formes, <strong>de</strong> les dévaluer proportion <strong>de</strong> l’écart avec <strong>la</strong> sienne,<br />

bref d’ériger sa particu<strong>la</strong>rité en norme radicale. » 20<br />

Nous sommes désormais édifiés. Une remise en condition<br />

19 Auguste Comte (1798- 1857), le fondateur du positivisme, pense que c’est<br />

« dans l’organisation caractéristique <strong>de</strong> <strong>la</strong> race b<strong>la</strong>nche et surtout, quant à l’appareil cérébral,<br />

quelques germes positifs <strong>de</strong> sa supériorité » 19 que se justifie l’universalité du modèle<br />

occi<strong>de</strong>ntal. Sur <strong>la</strong> base <strong>de</strong> ces mêmes considérations, Arthur <strong>de</strong> Gobineau (1816-<br />

1882) a projeté son Essai sur L’inégalité <strong>de</strong>s races humaines et Lévy-Bruhl (1857-<br />

1939), La mentalité primitive. Fort <strong>de</strong> ces considérations, Edmund Husserl (1859-<br />

1938) pointe du doigt le lieu historique <strong>de</strong> l’esprit rationnel : <strong>la</strong> Grèce antique<br />

du VII e et VI e siècle av. J.-C. Bien entendu, <strong>la</strong> version actualisée du discours <strong>de</strong><br />

Max Weber (1864-1920) renvoie à cet eurocentrisme viscéral : « Tous ceux qui,<br />

élevés dans <strong>la</strong> civilisation européenne aujourd’hui, étudient les problèmes <strong>de</strong> l’histoire universelle,<br />

sont tôt ou tard amenés à se poser, et avec raison, <strong>la</strong> question suivante : à quel enchaînement<br />

<strong>de</strong> circonstances doit-on imputer l’apparition dans <strong>la</strong> civilisation occi<strong>de</strong>ntale et uniquement<br />

dans celle-ci, <strong>de</strong> phénomènes culturels qui - du moins nous aimons à le penser - ont<br />

revêtu une signification et une valeur universelle ?» Même Edgar Morin est tombé ce<br />

même piège insolite : « Il faut aussi considérer ce fait très curieux que <strong>la</strong> science est et<br />

<strong>de</strong>meure occi<strong>de</strong>ntale tout en étant <strong>de</strong>venue tout à fait universelle.»<br />

20 François Urvoy, Science et ontologie. L’expérience multiforme III, Paris,<br />

L’Harmattan, 2009, pp. 39-40.


LES FONDEMENTS DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE| 25<br />

s’impose. François Urvoy expose <strong>la</strong> nature <strong>de</strong> cet effet massifiant<br />

du cartésianisme :<br />

« Elle peut bien admettre, parfois, nous explique Urvoy, le caractère provisoire<br />

et incertain <strong>de</strong> certains <strong>de</strong> ses contenus, mais ne renonce jamais à<br />

sa manière <strong>de</strong> penser. » 21<br />

L’expérience montre que le fait <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r ainsi a permis à<br />

l’Occi<strong>de</strong>nt chrétien d’imposer ses valeurs à toute l’Afrique. Si<br />

nous n’y prenons gar<strong>de</strong>, notre incarcération dans le modèle cartésien<br />

prendra <strong>de</strong> l’ampleur.<br />

Aussi <strong>de</strong>vons-nous faire l’effort d’entrevoir les conditions dans<br />

lesquelles nos ancêtres ont entrevu <strong>la</strong> construction scientifique<br />

(cosmologique) <strong>de</strong> <strong>la</strong> réalité en reprenant les problématiques cartésiennes<br />

qui <strong>la</strong> sabor<strong>de</strong>nt. De ce point <strong>de</strong> vue, nous sommes<br />

fondés à entreprendre une telle reconstruction d’autant plus que<br />

<strong>la</strong> métaphysique (<strong>philosophie</strong>) re<strong>de</strong>vient une dimension <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

physique. Si nous envisageons, <strong>de</strong> <strong>la</strong> sorte, l’histoire du cosmos, il<br />

est certain que nous rencontrerons, comme les savants Kamit-<br />

Kamit, les solutions philosophiques auxquelles ils sont parvenus.<br />

Nous <strong>de</strong>vons avoir présent à l’esprit que même au cas, hypothétique,<br />

où il nous serait difficile d’en cerner tous les contours, au<br />

moins aurons-nous mené à bien <strong>la</strong> démarche <strong>de</strong> dévoilement <strong>de</strong><br />

notre boîte noire <strong>de</strong>s savoirs.<br />

La métaphysique (<strong>philosophie</strong>) <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à être entendue et revendique<br />

son droit d’apaiser <strong>la</strong> raison en quête <strong>de</strong> vérité, lorsque<br />

<strong>la</strong> physique (science) <strong>de</strong>vient incapable d’expliquer comment ces<br />

choses sont « comme elles sont », à <strong>la</strong> fois esprit et matière, invisible<br />

et visible. Cette problématique <strong>de</strong> <strong>la</strong> science complexe<br />

échappe, on le pressent, à l’esprit cartésien.<br />

Cette unité <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature dont le socle repose sur <strong>la</strong> cosmologie<br />

négro-égyptienne apparaît scientifiquement fondée, malgré <strong>la</strong><br />

diversité <strong>de</strong>s connaissances. De fait, il existerait un lien immatériel,<br />

une unité principielle <strong>de</strong> forme entre <strong>la</strong> pensée qui raisonne<br />

et le contenu <strong>de</strong> notre Univers, lequel lien ontologique a été for-<br />

21 I<strong>de</strong>m, p.40.


26 | MBOG BASSONG<br />

malisée par une loi négro-égyptienne, Maât.<br />

Notre hypothèse <strong>de</strong> travail penche en faveur d’une maturation<br />

qualitative <strong>de</strong> <strong>la</strong> science négro-égyptienne. Il semble bien que les<br />

savants négro-égyptiens ont établi une re<strong>la</strong>tion complexe entre les<br />

principes métaphysiques, <strong>la</strong> physique et <strong>la</strong> nature par le biais<br />

d’une loi. Aussi cette loi <strong>de</strong> <strong>la</strong> nature, mathématique, a-t-elle servi<br />

<strong>de</strong> référent en <strong>philosophie</strong>. Tel est le point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong><br />

l’expression ontologique <strong>de</strong>s principes postulés par l’intuition <strong>de</strong>s<br />

savants d’Afrique noire. Ces principes métaphysiques ont, par<br />

conséquent, gouverné l’accès à <strong>la</strong> <strong>philosophie</strong>.<br />

1.2 LES PRINCIPES MÉTAPHYSIQUES<br />

1.2.1 La recherche <strong>de</strong>s principes unificateurs<br />

Le physicien Jean-Marc Lévy-Leblond ne cache pas les ambitions<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> physique mo<strong>de</strong>rne :<br />

« Ce que nous voulons, c’est obtenir une compréhension structurelle <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

réalité, vieille démarche qui remonte aux pythagoriciens, c’est-à-dire trouver,<br />

sous <strong>la</strong> confusion <strong>de</strong>s apparences, certains principes unificateurs et, le<br />

cas échéant, les éléments constitutifs du mon<strong>de</strong> – pour autant que cette<br />

idée ait un sens. » 22<br />

Le physicien sait <strong>de</strong> quoi il parle. <strong>Les</strong> lois <strong>de</strong> <strong>la</strong> physique mo<strong>de</strong>rnes,<br />

telle celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> gravité, se présente dans <strong>la</strong> cosmologie comme<br />

un Principe organisateur et unificateur.<br />

<strong>Les</strong> principes mo<strong>de</strong>rnes<br />

Ailleurs, le principe <strong>de</strong> complémentarité, le principe<br />

d’indétermination, le principe <strong>de</strong> conservation <strong>de</strong> l’énergie, le<br />

principe <strong>de</strong> superposition, le principe <strong>de</strong> continuité, etc., sont<br />

autant d’hypothèses <strong>de</strong> travail qui se sont avérés fructueux pour<br />

résoudre <strong>de</strong>s problèmes et <strong>de</strong>s énigmes indécidables avec le seul<br />

raisonnement <strong>de</strong> <strong>la</strong> science. Avec le recul que nous avons aujourd’hui,<br />

nous pouvons juger les choses avec objectivité.<br />

22 Jean-Marc Lévy-Leblond, « Savoir et prévoir », entretien réalisé par Ruth<br />

Scheps, in <strong>Les</strong> sciences <strong>de</strong> <strong>la</strong> prévision, ouvrage collectif, Seuil, 1996, p. 40.


LES FONDEMENTS DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE| 27<br />

En lisant Françoise Balibar, on se convainc qu’il faille creuser <strong>de</strong><br />

ce côté-là 23 . <strong>Les</strong> physiciens bien connus que sont Ernst Mach,<br />

Hermann von Helmholtz, Heinrich Hertz, Ludwig Boltzmann,<br />

ont tous été <strong>de</strong>s physiciens et <strong>de</strong>s philosophes familiarisés avec<br />

les principes <strong>de</strong> pensée, abstraits, où interfèrent le raisonnement<br />

métaphysique et <strong>la</strong> physique elle-même. Le premier et le second<br />

se re<strong>la</strong>ient encore dans <strong>la</strong> mise en forme <strong>de</strong>s règles. Parce que <strong>la</strong><br />

théorie quantique est née en Allemagne, on comprend pourquoi<br />

beaucoup <strong>de</strong> physiciens allemands, à l’instar <strong>de</strong> Niels Bohr, Werner<br />

Heisenberg, Wolfang Pauli, Erwin Schrödinger, pères fondateurs<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> physique quantique, ont favorisé le déferlement <strong>de</strong>s<br />

principes <strong>de</strong> cette physique qui ont été dès le départ, <strong>de</strong>s principes<br />

d’abstraction philosophique. Ne l’oublions pas, le théoricien<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> connaissance bien connu, Emmanuel Kant (1724-1804), a<br />

exercé une gran<strong>de</strong> influence dans <strong>la</strong> pensée occi<strong>de</strong>ntale. Le célèbre<br />

auteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> Critique <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison pure et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Critique <strong>de</strong> <strong>la</strong> raison<br />

pratique était un concepteur <strong>de</strong> principes. Ces principes <strong>de</strong> pensée<br />

dits métaphysiques dès le départ, ont fini par <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> véritables<br />

règles <strong>de</strong> calcul permettant d’explorer le domaine quantique.<br />

<strong>Les</strong> principes négro-égyptiens<br />

Atoum, Râ, Horus, Seth, Maât, kheper sont <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> pensée<br />

posés en tant que tels dès le départ aux fins d’explorer le mon<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>s particules, conformément à leur statut épistémologique. Car il<br />

s’agit bien d’une théorie <strong>de</strong> <strong>la</strong> connaissance. Maât correspond<br />

bien à l’idée qu’on se fait d’une loi <strong>de</strong> <strong>la</strong> physique qui fait office<br />

<strong>de</strong> Principe primordial organisateur <strong>de</strong>s phénomènes, en même<br />

temps que <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>ment d’une théorie que nous pensons réellement<br />

universelle (<strong>de</strong> l’Univers).<br />

Notons ici que <strong>la</strong> nature cosmologique <strong>de</strong> ces principes précités<br />

se prolonge à <strong>de</strong>s principes que l’on peut reporter dans <strong>la</strong> vie<br />

courante.<br />

Atoum renvoie à un corpuscule éternel et insécable qui part du<br />

23 Françoise Balibar, « Des principes par principe » in <strong>Les</strong> dossiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> Recherche,<br />

n° 29, novembre 2007, pp. 86-89.


© KIYIKAAT EDITIONS, 2014<br />

www.kiyikaat.com<br />

ISBN : 978-2-923821-29-0<br />

Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Décembre 2014<br />

Dépôt légal - Bibliothèque et Archives nationales Canada, Décembre 2014<br />

Tous droits <strong>de</strong> reproduction et <strong>de</strong> traduction réservés pour tous pays.

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