Les coureurs amateurs talonnent l'élite en matière d ... - CRFJ

Enquête, Patricia Michaud, ATS
Plus beau, plus vite, plus loin
Les coureurs amateurs talonnent l’élite en matière
d’équipement
Le jogging a une cote ascendante. Point commun entre les Helvètes qui
usent le macadam à la sortie du travail : ils arborent des baskets
amortissantes et un maillot en microfibres. S’il fait logiquement suite à des
avancées technologiques, le boom de l’équipement de pointe met aussi le
doigt sur une poursuite effrénée de la performance dans le milieu de la
course à pied amateur. Enquête.
«Lors de mon premier Morat-Fribourg à la fin des années cinquante, les
participants portaient des espadrilles à 4,50 francs », se souvient le Fribourgeois
Robert Piller, 50 éditions de cette grande classique de la course populaire au
compteur. « A partir des Jeux olympiques de 1964, les chaussures ont
commencé à se perfectionner ». L’évolution et la diversification du matériel se
sont lentement poursuivies au fil des décennies, avec un pic dans les années
nonante. Or, les coureurs professionnels n’ont pas été les seuls à se laisser
séduire par de nouveaux produits. « Aujourd’hui, même les joggeurs du
dimanche ont des costumes super sophistiqués pour aller faire un tour en forêt
», s’amuse M. Piller.
Les coureurs amateurs sont très attentifs aux nouvelles technologies,
notamment en matière de chaussures et de textiles. « Ils sont prêts à mettre la
main au porte-monnaie en conséquence », selon Barbara Kapp, porte-parole
d’Ochsner Sport. Une course à l’équipement qui profite, justement, aux
magasins de sport. Le marché des chaussures de course a ainsi passé de 51 à
85 millions de francs entre 1997 et 2002, a rapporté Schweizer Sport&Mode,
l’organe officiel de l’Association suisse des magasins d’articles de sport, se
basant sur une étude de l’institut IHA-GfK. Viennent s’y greffer les chiffres
d’affaires, en hausse également, engendrés par des vêtements, accessoires et
compléments alimentaires de plus en plus ciblés (voir infographie).
Valse des gadgets
Corollaire de la technologisation du matériel, la fréquentation des commerces
spécialisés dans le jogging va croissant. « Le nombre de ces magasins a d’ailleurs
augmenté en Suisse », souligne David Girardet, gérant de Trilogie Sport à
Belfaux (FR). Quant aux grands équipementiers sportifs tels que Nike et Adidas,
ils réinvestissent en force le marché de la course à pied, à grands renforts de
collections régulièrement actualisées et du lancement de gadgets. L’une des
dernières idées du géant américain Un capteur qui, placé sous la semelle
intérieure de la chaussure, transmet au coureur des informations sur la
distance parcourue, la vitesse et le nombre de calories brûlées via un baladeur
numérique.
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« Actuellement, le coureur amateur qui en a les moyens s’équipe parfois aussi
bien que l’élite », résume Raymond Corbaz, qui préside depuis 40 ans le Footingclub
de Lausanne. « C’est positif, mais aussi un peu exagéré. »
Pourquoi le matériel de pointe suscite-t-il l’attrait des joggeurs populaires
L’attention portée au look et l’envie « d’avoir le dernier modèle » jouent un rôle
certain, selon Laurent Meuwly, directeur exécutif de Morat-Fribourg. Un
phénomène accentué dans une société marquée du sceau d’Internet. « De plus
en plus de clients franchissent la porte du magasin en sachant précisément ce
qu’ils veulent. Ils vont d’abord surfer sur la Toile et voient toutes les possibilités
qui leur sont offertes», précise David Girardet.
Coureur-consommateur
Les grandes marques ne ménagent d’ailleurs pas leurs efforts pour mettre sur
pied des e-campagnes publicitaires axées sur la technologie de leurs produits.
« On tire profit d’évolutions auxquelles le consommateur est très sensible », note
Laurent Tissot, professeur d’histoire -notamment du sport- à l’Université de
Neuchâtel. La vie elle-même est devenue une course à la technologisation,
explique de son côté Fabien Ohl, sociologue du sport à l’Université de Lausanne.
Et de citer le recours croissant aux puces dans les domaines les plus divers.
Au nombre des origines possibles du succès de l’équipement high-tech dans le
milieu de la course à pied amateur figure aussi la volonté de ménager le corps.
Grâce au boom du jogging (voir encadré), bon nombre de personnes ont réalisé
qu’investir dans du matériel de qualité contribuait à éviter les blessures, se
réjouit Markus Ryffel, patron de l’enseigne bernoise Ryffel Running. « De plus en
plus de sportifs s’offrent des chaussures tenant compte de l’axe de leur pied, ce
qui constitue une bonne prophylaxie », confirme Laurent Koglin, médecin du
sport à l’hôpital de la Tour à Meyrin (GE).
Paradoxalement, le nombre de coureurs atteints de tendinites et de douleurs
articulaires augmente. « Les gens s’entraînent mal : même les débutants veulent
en faire trop, ne dosent pas l’effort », poursuit M. Koglin. Qui met le doigt sur
une autre cause de la frénésie consumériste des joggeurs amateurs : la quête de
performance. L’engouement populaire pour un matériel perfectionné participe
d’un processus de contrôle de soi lié à une volonté d’aller plus vite et plus loin,
avance M. Ohl.
Une frontière qui s’efface
Responsable des groupes de préparation à Morat-Fribourg, Marianne Baechler
témoigne. « D’abord, le débutant s’entraîne avec nous pour se mettre en
confiance, pour être sûr qu’il parviendra à franchir la ligne d’arrivée ; très vite, il
s’imagine courir Morat-Fribourg en moins d’une heure trente ! ». Même constat
au Footing-club de Lausanne, dont plusieurs membres ont poussé l’effort
jusqu’à s’occasionner des fractures de fatigue. « Et la course à l’équipement pro
n’aide pas à tirer la sonnette d’alarme », déplore M. Corbaz. Ni à rendre plus
nette une frontière entre populaires et élites qui semble s’atténuer.
« Moi, je ne sais plus ce que ça veut dire, amateur, aujourd’hui », confie M.
Tissot. Les athlètes amateurs veulent, selon lui, montrer qu’ils ont les
potentialités de devenir des professionnels. Conséquence inquiétante : le dopage
a fait son entrée dans le sport de masse en Suisse, comme l’a communiqué
Swissmedic en juillet. « Au fond, je crois que le sport n’est plus que la
continuation du travail », poursuit l’historien. Un moyen de booster son CV, de
se distinguer des autres employés.
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Et le plaisir, dans tout ça « Peut-être travail et plaisir s’imbriquent-ils
davantage qu’avant », suggère M. Tissot. Ce ne sont pas les récents débats liés à
l’utilisation de Facebook au bureau qui le contrediront.
Encadré
Un Suisse sur cinq cache un joggeur
Près de 1,4 million de personnes âgées de plus de 14 ans sont adeptes de la
course à pied en Suisse. Un quart d’entre elles pratiquent ce sport de façon
intensive, précise Schweizer Sport&Mode, l’organe officiel de l’Association suisse
des magasins d’articles de sport, se basant sur l’étude Mach Consumer 2001.
Quant à 10% des joggeurs helvétiques, ils participent très régulièrement à des
compétitions populaires ou à des marathons.
En 2008, pas moins de 300'000 sportifs ont pris part aux 77 courses populaires
majeures organisées dans le pays, indique de son côté l’Observatoire Sport et
activité physique Suisse dans un indicateur consultable sur Internet. Et de
rappeler que 30% de ces grands raouts du jogging sont nés après 1990. Une telle
évolution montre que la part des sportifs amateurs tournés vers la performance
a augmenté, selon l’observatoire.
© Sauf accord de l’auteur et de la direction du CRFJ, ces travaux, réalisés dans le
cadre de la formation, ne sont pas destinés à la publication ni à la diffusion.
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