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Hô Xuân Huong<br />
Poèmes<br />
traduits du vietnamien par Jean Sary
http://jeansary.net<br />
Première publication dans la revue IF ( N°25, octobre 2004)<br />
Première mise en ligne le 11 avril 2011<br />
2 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
Éloge de l’escargot 4<br />
Partage de mari 5<br />
La veuve de l’apothicaire 6<br />
Éloge de la criminelle 7<br />
Badinage avec Chiêu Hô 8<br />
Réplique de Chiêu Hô 8<br />
Reproche à Chiêu Hô 9<br />
Défense de Chiêu Hô 9<br />
Confidence 10<br />
Écrit sous un portrait 11<br />
A l’Asexuée 12<br />
L’éventail en papier 13<br />
La pagode Huong Tich 14<br />
La grotte de Cac Co 15<br />
Éloge des trois cols 16<br />
Concepts sensibles (à propos de Hô Xuân Huong) 17<br />
3 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
Éloge de l’escargot<br />
Les parents m’ont donné la vie d’un escargot<br />
Nuit et jour à rouler dans les herbes fétides.<br />
Mon Seigneur, par amour, levez donc l’opercule<br />
Mais de grâce ôtez votre doigt de ma coquille.<br />
4 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
Partage de mari<br />
Maudit soit notre sort nous autres concubines<br />
A transir quand l’une tire la couverture<br />
Le petit oiseau est rare, au petit bonheur<br />
Une ou deux fois par mois jamais trois c’est tout un<br />
On adhère au riz gluant mais le riz est poisseux<br />
A gages du mari qui ne paie point de gages<br />
Ah ! si l’on avait su les tenants d’un tel sort<br />
Mieux valut se résoudre à vivre comme avant<br />
5 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
La veuve de l’apothicaire<br />
Lointaine..sourde..nette une voix pleure :<br />
« Par amour pour lui il convient d’étouffer mes<br />
sanglots<br />
Comme il me manque ! si doux sucré son bâton de<br />
réglisse<br />
Si amère piquante – oh cher époux – sa tige de<br />
cannelle !<br />
Les boutons la peau d’orange, torréfiés, sont à<br />
l’abandon<br />
L’angélique les grains de lotus, macérés, emportés !<br />
Le coupe-racines.. à qui vais-je le transmettre <br />
Las ! La vie est un prêt et la mort un rendu. »<br />
6 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
Éloge de la criminelle<br />
Trop de complaisance nous laisse inaccomplis.<br />
Savez-vous, mon amour, le chagrin qui m’afflige <br />
De notre destinée je ne vois point la tête<br />
Pourquoi mon sort de fille est-il soudain barré <br />
Cette faute cent ans vous devrez la porter<br />
Le fruit de notre amour - souffrez que je le porte.<br />
Au diable l’opinion, ses paroles iniques<br />
Avoir l’un sans l’autre voilà qui est habile.<br />
7 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
Badinage avec Chiêu Hô<br />
Mon maître est ivre ou mon maître est lucide<br />
Pourquoi vous taquinez la lune en plein midi <br />
Eh ! Eh ! Je vous le dis c’est pour votre gouverne<br />
Dans l’antre du tigre ne mettez pas la main.<br />
Réplique de Chiêu Hô<br />
Tiens ! je suis ivre. Tiens ! je suis lucide<br />
Tiens oui ! je taquine la lune en plein midi.<br />
Dans l’antre du tigre la main ne pourrais mettre <br />
Et ce petit tigre glissé dans votre main <br />
8 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
Reproche à Chiêu Hô<br />
Pourquoi promettre cinq et n’en mettre que trois <br />
Quoi Vous si distingué ne donnez pas le compte !<br />
A vos moments perdus montez donc voir la lune<br />
Avec une poignée de feuilles de banian.<br />
Défense de Chiêu Hô<br />
En espèces sonnantes on a trois qui font cinq !<br />
O fille de vertu vous n’y trouvez le compte <br />
Bon ! aux moments perdus je monte voir la lune<br />
J’aurai toute une branche et les glands du banian.<br />
9 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
Confidence<br />
Les cris des coqs au loin déchirent l’air.<br />
L’œil parcourant tous les buissons, amère<br />
Je ne bats point le bois de mon chagrin :<br />
Pourquoi ce toc ni sonne le tocsin<br />
De ma peine pourtant quel tintamarre !<br />
Leur bruit d’abord ajoute à mon cafard<br />
Me fâche enfin contre la destinée<br />
Qui me laisse finir comme un fruit blet.<br />
Où êtes-vous, lettrés si talentueux <br />
Ce corps serait donc si voûté, si vieux.<br />
10 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
Écrit sous un portrait<br />
Quel âge ont-elles donc mes chères demoiselles <br />
Une même beauté réunit les deux sœurs<br />
Cent de leurs traits pareils comme deux feuilles<br />
blanches<br />
Mille ans n’effaceront leur éternel printemps<br />
Fruits mûrs qui n’oseraient l’amour de vent de lune<br />
Saule et roseau promis au destin si indigne.<br />
Mais l’autre délice dont le trait est absent <br />
Blâmons le peintre habile et pourtant insensible !<br />
11 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
A l’Asexuée<br />
Les douze fées à son berceau, pour une discorde aux<br />
motifs obscurs, allèrent planter son gentil jardinet en<br />
un lieu inconnu interdit.<br />
Critch..critch..le petit rat.. qu’il aille se faire voir !<br />
Bzz..BZZ..Bzz..ta mère ! le moucheron qui fait enfler.<br />
Je défie quiconque de trancher pour la feuille ou le<br />
tubercule. Quiconque d’en conclure au pétiole ou au<br />
périanthe.<br />
Soit ! C’est aussi bien, qu’il en soit ainsi : toute une vie<br />
exemptée du titre de bru.<br />
12 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
L’éventail en papier<br />
Il compte dix-sept ou... même dix-huit qui sait<br />
Laissez-moi le chérir le garder bien en main<br />
Mince épais il s’ouvre son triangle impeccable<br />
Large étroit quelque forme on enfonce un tenon<br />
Il fait chaud davantage il vous donne fraîcheur<br />
On l’aime jour et nuit aucune lassitude<br />
Peau rosée joues rouges encollées de kaki<br />
Le Roi aime et la Cour vénère pour la c<strong>ho</strong>se<br />
13 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
La pagode Huong Tich<br />
L’œuvre d’un virtuose sans égal<br />
Une fente s’ouvre profonde pénétrante profonde<br />
Porte de Bouddha : les fidèles percent la mêlée<br />
Les novices de la féerie s’en abîment les yeux<br />
L’eau goutte charme l’oreille chute limpide éclatante<br />
La barque pénètre les rameurs courbent l’échine<br />
Que ce paysage paisible connaît de foules galantes<br />
Mais gare ! L’Inexorable pourrait s’en trouver mal.<br />
14 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
La grotte de Cac Co<br />
Le Naturant érigea cette roche une masse<br />
Fendue en deux blocs fente pénétrante profonde<br />
profonde<br />
Visibles sous la mousse étale : les lèvres indolentes<br />
Les pins bruissent sous les gifles du vent coups sourds<br />
soupirs<br />
L’eau goutte tombe en délicieux clapotis<br />
Dans la fente s’engage un raidillon obscur touffeur<br />
Louons l’artiste émérite qui a sculpté ce bloc<br />
Habile à l’entr’ouvrir au vu de tous les indiscrets.<br />
15 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
Éloge des trois cols<br />
un col un col encore un col<br />
louange à l’habile tailleur du relief abrupt<br />
ouverture vermeille ô combien luxuriant faîte<br />
perron rocheux vert profond duvet de mousse<br />
oscillante branche de pin vent fougueux<br />
ruisselante feuille de saule rosée épanchée<br />
<strong>ho</strong>mme de vertu <strong>ho</strong>nnête <strong>ho</strong>mme qui renonce<br />
pieds harassés genoux moulus ils persistent à gravir<br />
16 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
Concepts sensibles (à propos de Hô Xuân Huong)<br />
L’acte de naissance de Hô Xuân Huong côtoie les<br />
Unités perdues. Elle meurt célèbre, vers 1820.<br />
Entre deux, des anecdotes et des légendes. Et<br />
surtout des poèmes où elle est deux fois<br />
concubine et liée à un certain Chiêu Hô. Sans<br />
doute Pham Dinh Hô, lettré de grand renom et<br />
mandarin de haut grade.<br />
______<br />
Hô veut dire « tigre ». Elle le défie en des<br />
joutes poétiques : il doit répliquer à un quatrain<br />
par un autre en reprenant les mots-clés et les<br />
rimes. Les deux lettrés sont liés comme deux<br />
sentences parallèles, dit le poète Xuân Diêu.<br />
______<br />
17 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
Hô Xuân Huong écrit en chinois et en nôm,<br />
transcription du vietnamien à partir de caractères<br />
chinois. Écrire en nôm, c’est opter pour la langue<br />
vietnamienne contre l’idiome des lettrés.<br />
Aujourd’hui, on lit dans la transcription<br />
romanisée établie au XVIIème siècle par le<br />
missionnaire français Alexandre de R<strong>ho</strong>des : le<br />
quốc ngữ, devenu écriture vietnamienne officielle.<br />
______<br />
La langue vietnamienne est tonale. Le ton<br />
donne sens à la syllabe. Six tons autorisent tous<br />
les sous-entendus.<br />
______<br />
« Dao cầu / thiếp / biết / trao / ai / nhỉ »<br />
coupe-racines je savoir transmettre qui hein<br />
A la métap<strong>ho</strong>re déjà évidente du couperacines<br />
de l’apothicaire, l’auteure surajoute un jeu<br />
de mots : changez l’ort<strong>ho</strong>graphe de la première<br />
18 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
syllabe, le ton de la deuxième et vous avez « giao<br />
cấu » : « copuler ».<br />
______<br />
Un cas limite : l’impressif. « Entre<br />
l’onomatopée et le concept clairement défini »<br />
(Maurice Durand). Courant en poésie et dans la<br />
langue parlée. Duo affectif-intellectuel, il forme<br />
un « complexe de suggestions » appréhensible,<br />
peu analysable et… irréductible au français.<br />
______<br />
Illustration :<br />
- Dans La grotte de Cac Co, comment vous<br />
comprenez l’impressif phập-phòm <br />
- Il caractérise généralement le bruit des<br />
vagues…<br />
- Mais là, il s’agit du vent qui frappe les<br />
pins…<br />
– Le mot phập signifie « d’un coup sec », un<br />
19 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
peu comme une flèche qui se fiche dans sa<br />
cible, tu vois <br />
- Je vois ou j’entends <br />
-Tu vois. C’est plutôt visuel. Phòm, c’est<br />
sonore. Le mot n’existe pas seul, c’est un suffixe.<br />
Le ton descendant exprime un soupir.<br />
______<br />
- Du vent <br />
- Non, du pin qui se redresse après la rafale.<br />
Hô Xuân Huong écrit dans une forme fixe<br />
héritée de la poésie chinoise Tang : huit vers (ou<br />
la moitié) de sept syllabes (lire 2/2/3) avec<br />
distribution réglée des tons bằng (égal, continu),<br />
des tons trắc (incliné, oblique) et des rimes, où les<br />
vers 3 et 4, 5 et 6 sont parallèles.<br />
______<br />
Voilà tout pour la contrainte.<br />
20 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
Le jeu des correspondances visuelles et<br />
sonores, du rythme et des parallèles produit un<br />
effet… soporifique quand il est commun et<br />
incantatoire chez Hô Xuân Huong. Envoûtant<br />
même, à voiler des allusions qu’on ne saurait<br />
voir. A susciter l’admiration des lettrés à la<br />
lecture et du peuple à l’audition.<br />
______<br />
Bref ! à sauver leur compositrice.<br />
L’éventail est admis à l’école : quelle habileté<br />
dans la description mes enfants ! Cette c<strong>ho</strong>se si<br />
banale en est transfigurée !<br />
______<br />
N’empêche. La seule évocation de son nom<br />
fait souvent rougir…ou cligner de l’œil.<br />
Ou scandalise :<br />
« Si nous attribuons de tels poèmes à une<br />
femme considérée comme « talentueuse » de<br />
21 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
notre Vietnam, ce serait faire <strong>ho</strong>nte à la femme ! »<br />
______<br />
Roseau tendre, frêle saule : deux métap<strong>ho</strong>res<br />
courantes dans la poésie classique.<br />
Le Livre des Rites dit : « une fille obéit à son<br />
père ; mariée, à son mari et veuve, à son fils<br />
aîné. »<br />
Une maladie incurable : un des sept motifs<br />
qui autorisent à répudier son épouse.<br />
La dévergondée et le fruit de sa licence :<br />
piétinés par un éléphant !<br />
______<br />
Écrit sous un portrait, dans une forme<br />
classique où le nu est banni, peut se lire comme<br />
un manifeste pour « l’autre délice ».<br />
La littérature populaire, elle, à travers ses<br />
contes grivois, ses chansons et ses proverbes se<br />
22 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
gêne beaucoup moins et inspire notre lettrée.<br />
______<br />
Hô Xuân Huong puise dans les ca dao<br />
(chansons populaires) : « Quel malheur d’être<br />
concubine / Repiquage / Labour / Et la nuit / Sans<br />
mari / Toute seule / Sans natte / Avec le froid qui<br />
mord. »<br />
Dans les dictons : « être enceinte sans mari<br />
c’est habile / mariée et enceinte c’est commun ».<br />
Dans les croyances du folklore : Chiêu Hô<br />
ment comme Cuôi, le roi des menteurs qui réside<br />
sur la lune au pied d’un grand banian.<br />
______<br />
En vietnamien, le mot traduire veut dire aussi<br />
contaminer.<br />
Puissent ces textes ne pas rester en<br />
quarantaine.<br />
23 Hô Xuân Huong | POEMES jeansary.net
Sources :<br />
- Maurice Durand : L’œuvre de la poétesse<br />
vietnamienne HXH (EFEO, Paris, Adrien-<br />
Maisonneuve, 1968)<br />
- Maurice Durand : Les impressifs en vietnamien<br />
(Bulletin de la société des Études Indochinoises,<br />
Tome XXXVI, Saïgon, 1961)<br />
- John Balaban : Spring Essence ( Copper Canyon<br />
Press, Washington, 2000)<br />
- Huu Ngoc et F. Corrèze: HXH et le voile déchiré<br />
(Fleuve Rouge, Éditions en Langues Étrangères,<br />
Hanoï, 1984)<br />
- Huu Ngoc et F. Corrèze : Ant<strong>ho</strong>logie de la<br />
littérature populaire du Vietnam (L’Harmattan,<br />
Paris, 1982)<br />
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