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Compte rendu interview Mme Christelle Brouchet ... - Controversies

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<strong>Compte</strong> <strong>rendu</strong> <strong>interview</strong> <strong>Mme</strong> <strong>Christelle</strong> <strong>Brouchet</strong> – Hôpital Beaujon –<br />

19/06/2007<br />

Donc simplement pour vous resituer, je suis actuellement psychologue dans le service<br />

depuis maintenant trois ans et j’ai beaucoup travaillé dans le domaine de la surdité depuis une<br />

quinzaine d’années mais avec d’autres types de populations. Ici, je vois les personnes<br />

concernant des accompagnements de diagnostic ou des bilans pré implants. L’entretien<br />

psychologique est nécessaire avant de prendre la décision de l’implantation. Cela permet aux<br />

gens de mettre au clair leur situation vis-à-vis de la surdité ; et nous, cela nous permet de nous<br />

assurer qu’ils n’ont pas des attentes démesurées par rapport à l’implant qui est une technique<br />

de réhabilitation mais qui ne répare pas l’audition.<br />

- Donc c’est un moyen pour vous d’éviter tout acte de rejet ultérieur de l’implant De vous<br />

assurer que la personne est « prête ».<br />

Tout à fait, éviter les échecs. Les échecs d’ordre technique ce n’est pas vraiment le problème,<br />

mais plutôt les échecs au regard de ce que la personne attend. Donc une déception par rapport<br />

à ce que l’implant va dans son cas pouvoir lui apporter. Nous sommes très vigilants à l’égard<br />

de cela dans le service. On essaye de repérer les fragilités éventuelles qui pourraient contreindiquer<br />

l’implantation. Mais c’est assez rare.<br />

- Au niveau de ces fragilités psychologiques éventuelles, est ce que vous avez quelques<br />

exemples <br />

Par exemple la personne délirante qui entend des voix. C’est extrême mais c’est déjà arrivé.<br />

Les personnes qui sont déjà dans un procédé de déréalisation, qui ne parviennent pas à faire la<br />

part des choses entre la réalité et les perceptions internes. Donc comme l’implant va apporter<br />

des perceptions assez dérangeantes, si en plus il y a ce procédé, cela peu faciliter les troubles.<br />

C’est tout de même un matériel qui est mis dans la tête, qui peut donc susciter beaucoup de<br />

fantasmes. Pour des gens qui se sentent persécutés par leur environnement, ça peut être un<br />

élément persécuteur. Il y a également des types de délires où les gens se sentent sous<br />

influence. Ils imaginent donc facilement que par le biais des ondes radio on peut commander<br />

leurs actes à distance. Donc vous imaginez bien qu’une électrode qui est placée dans la boite<br />

crânienne peut complètement favoriser ces types de délires. Donc pour cette personne là,<br />

l’implant ne sera pas véritablement aidant. Elle entendra mieux, mais qu’entendra t elle<br />

(voix..). Chez les personnes fragiles psychologiquement, ça peut véritablement faire exploser<br />

une pathologie. Il s’agit vraiment d’une contre indication.<br />

Et puis il y a les patients qui n’ont pas de réelle demande. Qui peuvent venir avec une<br />

problématique personnelle, et qui peut être davantage relationnelle que fonctionnelle. Pour<br />

quelqu’un qui n’est pas dans ce projet de réflexion autour de l’implant, qui dévie sur d’autres<br />

problématiques, j’estime que l’implant n’est peut être pas la solution immédiate. De plus,<br />

c’est très contraignant l’implant. Iil faut beaucoup s’impliquer dans la démarche, pour les<br />

réglages, la rééducation…si les personnes ne sont pas prêtes à s’engager dans ce type de<br />

travail, ça va être très vite décourageant et les personnes vont laisser tomber. Alors que c’est<br />

quand même une intervention chirurgicale, quelque chose que l’on met dans la tête ; ce n’est<br />

pas anodin. Et puis ce sont des personnes avec des surdités importantes, donc c’est important<br />

aussi de voir comment ces personnes intègrent leur surdité, comment elles vivent avec. Il peut<br />

y avoir des gens qui ne l’auront pas accepté, au sens de intégré, et qui vont être en attente,


d’une façon plus ou moins consciente, d’une opération miraculeuse qui va leur rendre<br />

l’audition. Ces gens là seront évidemment déçus par l’implant. Dans le cadre de cet entretien<br />

nous essayons donc de protéger la personne contre des déceptions qui peuvent être graves.<br />

- Et comment se passent ces entretiens Vous rencontrez les personnes une fois, deux fois…<br />

Je les rencontre effectivement une fois, à distance de l’intervention. Le temps de voir, de<br />

mûrir le projet. Il y a des gens qui sont prêts qui ont déjà rencontré des personnes implantées,<br />

qui ont déjà beaucoup d’informations par elles-mêmes, qui ont bien compris ces informations,<br />

qui sont prêtes à s’engager dans ce processus, qui n’ont pas d’angoisse particulière par rapport<br />

à l’intervention ou sur le plan esthétique…tout cela est à prendre en compte.<br />

Et puis il y a des gens pour lesquels on sent que les conditions sur le plan ORL sont bien<br />

remplies, mais qui en fait psychologiquement ne sont pas prêts à aller au bout de cette<br />

démarche pour le moment, pour des raisons diverses. Soit parce que l’annonce de la surdité<br />

est trop proche, parce qu’ils ont d’autres soucis qui viennent interférer, ou bien encore une<br />

angoisse particulière autour de l’intervention chirurgicale, par rapport aux effets de l’implant.<br />

-Et dans le cas de patients qui montrent une angoisse particulière vis-à-vis de l’implantation,<br />

comment cela se passe t il Est ce que vous les suivez vous particulièrement après pour les<br />

aider à surmonter cela et arriver de fait à une possible intervention <br />

Ou est ce que c’est plutôt une démarche de la personne après <br />

Lors de l’entretien je n’ai pas de rôle décisionnaire, c’est un travail d’équipe. On en parle<br />

ensuite en équipe, on explique la façon dont on a perçu les choses. Ce que l’on propose de<br />

suite, c’est de différer, on explique bien sûr pourquoi. Dans les cas où il faut différer, on<br />

propose de revoir les patients ou de les orienter vers un autre confrère (lorsque les patients<br />

viennent de loin par exemple) pour les aider à avancer dans ce projet sans que cela soit<br />

perturbateur pour eux. En sachant que parfois ils peuvent revenir pour demander un<br />

complément d’information auprès de tel ou tel membre de l’équipe.<br />

Je me souviens d’un monsieur qui a eu l’impression qu’on le faisait trainer pendant un an. En<br />

fait, ce monsieur là était une très bonne indication pour l’implant : il avait perdu l’audition il<br />

était en difficulté, il voulait vraiment qu’on l’implante. Mais nous avions bien perçu qu’il<br />

n’avait pas pris la mesure de tout ce qu’impliquait l’implant. Notamment pour lui il restait un<br />

peu d’audition, et l’implant allait détruire cette audition résiduelle. Donc dans ce cas là, c’est<br />

vraiment important que la personne ait bien intégré cette dimension la, qu’elle se soit préparée<br />

à cette période de trois semaines (entre l’opération et l’activation) où il n’y a pas d’audition.<br />

Ce monsieur avait beau nous dire qu’il avait bien compris, on sentait qu’il n’avait pas tout<br />

intégré et que si on l’implantait à ce moment là, on l’exposait vraiment à un risque dépressif.<br />

On l’a donc revu très souvent au cours de cette année, il avait une absence totale d’angoisse, il<br />

était serein, et justement c’était problématique. Et un jour il est revenu en nous disant qu’il<br />

avait parlé avec des membres de sa famille et que tout à coup tout ce qu’on lui avait dit avait<br />

pris sens. Il s’est d’un coup <strong>rendu</strong> compte qu’il allait vivre pendant un certain temps sans<br />

audition, que ça allait être difficile, il a eu un petit moment de déprime, il était angoissé…et<br />

paradoxalement on s’est dit « là ça y est, il y a quelque chose qui s’est levé, il a pris en<br />

compte nos arguments, c’est bon». Ce monsieur a été implanté rapidement après, et ça s’est<br />

très bien passé. Et je suis persuadée, et je ne suis pas la seule dans l’équipe, que si on l’avait<br />

implanté au moment où il le demandait, ça aurait certainement été compliqué à gérer pour lui<br />

pendant un temps assez important. L’audition avec implant c’est quand même très<br />

déstabilisant.


Donc voilà parfois on diffère parce qu’on sent que la personne n’est pas prête même si elle<br />

fait pression. C’est important que les personnes aient intégré que l’implant n’est qu’un objet.<br />

Une fois qu’on l’enlève, on retrouve sa surdité.<br />

Et puis après l’implantation c’est un peu par vague. Il y a des périodes un peu dépressives,<br />

d’autres euphoriques ; parce que la réalité de l’implant à laquelle on se retrouve confrontée est<br />

différente de celle qu’on avait imaginée. Une femme qui attend un bébé, il y a ce qu’elle<br />

s’imagine de son bébé et quand il est physiquement là. C’est forcément différent. Il faut<br />

accommoder la réalité qu’on avait imaginée à la réalité du bébé qui est là. La comparaison<br />

s’arrête là, mais pour l’implant les gens s’imaginent qu’ils vont réentendre mais personne ne<br />

peut leur dire ce que ça va être. Aucun professionnel ne peut dire précisément, quand on va<br />

vous mettre l’implant, vous entendrez X mais pas Y. C’est approximatif, et ça dépend des<br />

personnes. Pour certains dès qu’on l’active, ils vont pouvoir suivre une conversation, pour<br />

d’autres cela va prendre plusieurs mois.<br />

- Oui il y a notamment la plasticité du cerveau qui rentre en ligne de compte…<br />

Oui mais il y a aussi je pense la disponibilité psychique à intégrer comme ça des éléments<br />

nouveaux.<br />

- J’ai vu qu’il y avait des groupes de paroles autour de l’implant. Vous les évoquiez<br />

d’ailleurs. Quels sont-ils Est ce que ce sont uniquement des gens implantés ou est ce qu’on<br />

peut avoir une certaine mixité C’est-à-dire des gens qui vont se faire implanter, des<br />

implantés, des indécis…<br />

En fait il y a différents groupes. Cette année j’avais fait un groupe très ouvert avec des gens<br />

qui pouvait ne pas revenir d’une fois sur l’autre. Ce groupe était ouvert à des personnes<br />

implantées, à des personnes qui hésitaient à franchir le pas, qui avait besoin de confronter leur<br />

vision des choses à celle du groupe ; enfin le groupe était aussi ouvert à l’entourage qui peut<br />

aussi être très dérouté par les nouvelles modalités de communication que l’implant instaure.<br />

En parallèle, j’avais proposé un groupe plus fermé, sur l’année, avec un nombre de personnes<br />

plus restreint. Là nous sommes rentrés dans des problématiques plus fines et plus pointues<br />

autour de l’implant, de l’impact dans les relations avec l’entourage, le travail, la vie<br />

sociale…mais aussi par rapport à sa propre représentation de la surdité. Parce que cela vient<br />

toujours remettre un peu en chantier la question de la surdité, c’est un nouvelle appareillage,<br />

une nouvelle façon d’entendre mais qui revoie toujours au handicap.<br />

Ce sont des moments de parole très riches, qui peuvent apporter beaucoup aux gens.<br />

- Et comment est ce que cela se passe Est ce que les personnes implantées se livrent<br />

facilement sur leurs nouvelles sensations…ou est ce qu’il y a au début une certaine pudeur,<br />

une certaine difficulté à exprimer ce qu’ils ressentent réellement Puisque nécessairement<br />

après l’implantation, une nouvelle représentation de soi même doit se mettre en place. On<br />

n’est plus tout à fait le même.<br />

Ça dépend des personnes. Mais en général les sourds ont beaucoup besoin de parler.<br />

Généralement les candidats à l’implant sont des personnes devenues brutalement sourdes ou<br />

avec une surdité évolutive. Ces dernières sont souvent très isolées, elles sont les seules<br />

personnes sourdes dans leur entourage, leur famille, leur environnement professionnel ; ce<br />

sont des personnes seules face aux problèmes afférant à la surdité. En plus quand ce sont des<br />

personnes âgées qui ne sont plus insérées dans le milieu professionnel, ça prend encore une


autre dimension. Elles ont donc besoin d’en parler. C’est très rassurant pour elles de pouvoir<br />

confronter ce qu’elles vivent avec d’autres personnes qui elles aussi sont sourdes ; même si ce<br />

n’est pas nécessairement la même chose. Il y a un besoin de s’exprimer et de questionner<br />

l’autre sur son vécu et son rapport à la surdité. A la rigueur ceux qui ne veulent pas parler ne<br />

viennent pas. Mais en général, même en entretien pré implantation, il y a des gens qui ont<br />

porté toute leur vie leurs problèmes, qui n’en ont jamais parlé, qui ont toujours fait bonne<br />

figure, qui n’ont jamais parlé de leur souffrance… et là parfois cet entretien c’est la première<br />

fois qu’ils livrent leur souffrance par rapport à la surdité. C’est très rare que les gens restent<br />

sur la réserve et refusent l’entretien. Au contraire c’est davantage un moment de libération<br />

pour eux.<br />

- Vous êtes présente lors des premiers réglages, quelques semaines après l’implantation <br />

C’est un travail d’équipe avec les ORL, orthophonistes…<br />

Mais généralement non. Enfin, ça dépend des personnes, de leur fragilité. Mais je ne suis pas<br />

dans la pièce pour le réglage car je trouve que c’est un moment aussi assez intime pour la<br />

personne. En revanche, je suis dans les parages quand c’est possible.<br />

Et puis mes collègues m’en parlent aussi, me disent comme ça s’est passé, donc par leur biais<br />

je peux proposer de revoir la personne si elle le souhaite, faire preuve d’une attention<br />

particulière les premiers mois qui sont tout de même assez éprouvants.<br />

- Et donc au niveau des premiers mois, il s’agit juste d’un suivi des personnes, voir comment<br />

elles s’adaptent avec leur nouvel implant <br />

C’est vraiment une demande de leur part. Il n’y a aucune obligation de ma part,<br />

contrairement au premier rendez vous qui est assez formel. Mais après rien n’est obligatoire,<br />

c’est le libre choix de la personne. Parfois les orthophonistes me préviennent que certains<br />

patients ne vont pas très bien.je leur propose de les recevoir. S’ils refusent je ne les force pas.<br />

Encore une fois c’est leur choix. Ils savent que je suis là, que je suis disponible. Après libre à<br />

eux de venir. Nous n’avons aucune raison de leur imposer un quelconque suivi par la suite.<br />

- Et au niveau des enfants, pour l’entretien psychologique…<br />

Ici c’est un hôpital qui implante les adultes, les gens viennent de leur plein grès pour recevoir<br />

un implant.<br />

En sachant que parfois on a des situations de sourds étrangers, avec une langue différente et<br />

une demande qu’on a du mal à évaluer car on ne comprend pas toujours leur langue. Parfois<br />

ils ont une lecture labiale, mais dans leur langue à eux, donc l’entretien ne va pas être possible<br />

par ce biais. Pour ces étrangers, bien souvent, ils ne comprennent pas le français à l’oral mais<br />

à l’écrit non plus. Dans tous les cas c’est compliqué car l’entretien va avoir lieu avec une<br />

personne de l’entourage et les informations vont transiter par cette personne, elles donc<br />

peuvent être biaisées. Et moi mon rôle consiste à m’assurer que la demande provient bien de<br />

la personne qui va se faire implanter, et que la réponse qu’on peut amener à cette demande est<br />

en adéquation. Or quand on n’a pas accès directement au point de vue de la personne en<br />

question, on ne peut pas s’assurer pleinement de la compréhension de l’implant et de sa<br />

technique. On ne peut pas s’assurer que le parent va traduire le propos exact. Demander un<br />

interprète c’est possible mais souvent compliqué. Et puis parfois il y a une demande qui vient<br />

non pas de la personne mais de l’entourage, or ça ça pose problème. Ce sont des situations<br />

particulières qui demandent souvent à repréciser les choses, à inscrire le projet d’implant dans<br />

une dimension plus vaste, d’intégration.


De même pour les étrangers peut se poser aussi le problème de la rééducation (barrière de la<br />

langue).<br />

Pour les enfants, je ne pourrai pas trop en parler. C’est vraiment un travail très spécifique, qui<br />

se fait avec la famille. Ce qui est complexe à mon sens c’est que les indications d’implant se<br />

font de plus en plus tôt. On engage beaucoup les familles à aller vers l’implant pour une<br />

possibilité de réhabilitation importante. Il faut bien prendre en compte le cadre familial, les<br />

parents là où ils en sont avec l’annonce du diagnostic, réinstaurer aussi une communication<br />

qui ne les rende pas étranger à leur enfant. Il y a beaucoup de professionnels qui gravitent<br />

autour de l’enfant sourd. C’est complexe ! Ça pose d’autres questions.<br />

- Au niveau de votre formation, est ce que vous avez suivi une formation particulière pour<br />

travailler dans le domaine de l’implant cochléaire. Par exemple une formation technique sur<br />

l’implant…<br />

Quand on travaille dans un service hospitalier on se forme aux pathologies, aux techniques.<br />

La formation moi je l’avais. Comme je vois les gens après, ce n’est pas à moi de dispenser<br />

l’information technique. J’étudie la façon dont ils l’ont perçue, dont ils se la sont appropriée,<br />

comment ils font le lien entre les différents informations qu’ils ont reçues. Comment cela<br />

prend sens pour eux. Leur perception au niveau de la dimension esthétique qui renvoie à la<br />

surdité.<br />

Au niveau de la formation, il y a une formation universitaire sur la surdité pour les<br />

professionnels de la santé mentale je crois.<br />

Pour ma part c’est un peu particulier, j’ai toujours travaillé dans le domaine de la surdité.<br />

Après mon DESS, j’ai fait une formation en langue des signes, à la surdité, j’ai ensuite<br />

travaillé dans l’association qui m’avait formée. J’ai travaillé avec un peu tous les publics<br />

sourds. Au début j’ai travaillé avec un autre public que celui qui va vers l’implant, à savoir<br />

des sourds congénitaux qui pratiquent la langue des signes. C’est un autre univers. J’ai eu des<br />

profs sourds qui m’ont appris la langue des signes, puis j’ai eu des collègues sourds… c’était<br />

une association où il y avait autant de sourds que d’entendants, tout le monde devait pratiquer<br />

la langue des signes, donc on était d’emblée plongés dans le bilinguisme. On était donc en<br />

prise direct avec ce monde qui se revendique d’une culture sourde, d’une identité qu’on ne<br />

retrouve pas forcément en service hospitalier. Dans le cas hospitalier, ce sont des gens qui<br />

vivent la surdité comme un handicap, il y a donc une demande de réhabilitation.<br />

J’ai beaucoup travaillé dans ce domaine là où l’implant était vraiment quelque chose<br />

d’abominable qui mettait en danger le sourd. L’implant est vécu comme une chose<br />

inquiétante, persécutrice et destructrice puisqu’il vient détruire dans le phantasme la culture<br />

sourde en rendant le sourd non sourd. Ce qui n’est pas le cas puisque la surdité demeure. Pour<br />

les sourds, la surdité n’est pas vécue comme un handicap, mais est constitutive de leur<br />

personnalité. C’est pour cela que l’implant devient très menaçant.<br />

Il est donc mal perçu par la communauté sourde de venir parler de l’implant.<br />

Et puis j’ai aussi travaillé ensuite avec des enfants et des adolescents sourds scolarisés soit en<br />

intégration individuelle, soit dans des structures spécialisées. Maintenant c’est plutôt avec des<br />

personnes oralisantes, et avec une surdité acquise, ce qui suppose d’autres problèmes !!<br />

- Justement comme vous avez une bonne connaissance des deux milieux, comment vous<br />

percevez la controverse <br />

J’ai l’impression qu’on n’est pas du tout sur le même plan. D’un côté on a des familles de<br />

sourds avec une surdité héréditaire, mais qui ont intégré cette communauté de sourds. Ils ne se<br />

sentent pas comme appartenant au monde sonore. On est dans un système d’identité


communautaire, autour d’une langue, d’une culture, il y a de la poésie en LSF, du théâtre.<br />

C’est extrêmement riche au niveau culturel ; il y a de la danse avec la langue des signes, de la<br />

musique gestuelle…cette communauté ne vit donc pas la surdité comme un handicap. C’est<br />

une caractéristique dont il faut être fier. Il y a revendication d’une place particulière dans la<br />

société, à égalité avec les entendants…<br />

Et de l’autre on a la surdité perçue comme un handicap. Les gens qui ont été entendant, qui se<br />

sentent davantage comme appartenant au milieu entendant, qui cherchent une réhabilitation…<br />

Dans les deux cas c’est la même chose, on a une déficience auditive. Dans les deux cas la<br />

personne est sourde. Mais on à faire à deux façons très différentes de vivre cette réalité. Le<br />

dialogue est ainsi <strong>rendu</strong> impossible. Et puis il y a tous les professionnels qui gravitent autour<br />

de ces deux mondes. Pour les sourds gestuels, il n’y a pas grand monde puisqu’ils sont dans le<br />

refus qu’on s’occupe de leur surdité. Leurs problèmes sont plutôt gérés de l’intérieur par des<br />

gens sourds. Cela se professionnalise d’ailleurs de plus en plus. Et de l’autre côté c’est le<br />

milieu médical : les ORL, les phoniatres… qui ont une main mise sur le handicap, les<br />

orthophonistes…ce sont des gens qui sont investis d’un pouvoir énorme, qui sont rejetés par<br />

la communauté sourde mais qui ont une place très importante, dès la petite enfance, autour<br />

des sujets sourds pour les aider à développer l’oral, à s’intégrer dans la société. Il y a parfois<br />

basculement d’un monde à l’autre à l’adolescence avec un rejet de l’appareillage.<br />

Autour de ce handicap, les professionnel de la santé se positionnent de façon assez<br />

passionnelle. Je crois d’ailleurs que c’est assez spécifique à ce handicap qui touche très<br />

profondément chacun. Cette dimension va se retrouver dans les conflits autour des implants.<br />

Cette polémique concentre tous les problèmes relatifs à la prise en charge de la surdité.<br />

Actuellement, on est dans une politique d’oralisation qui s’appuie sur l’implant, et<br />

effectivement la LSF est en train de régresser. On est aussi dans une politique intégrative qui<br />

ne favorise pas le sort du milieu sourd. Je crois que c’est aussi très passionnel car très lié à un<br />

contexte politique, éducatif et idéologique. Comment gérer le handicap et la différence ; c’est<br />

un sujet qui reste révélateur de notre société.<br />

- Et est ce que vous visualisez une sortie possible de la controverse Qui passerait peut être<br />

par une plus grande communication même si c’est certainement trop idéaliste à l’heure<br />

actuelle <br />

Oui mais je ne suis pas sure qu’il y ait toujours la volonté de communiquer. Il y a de congrès,<br />

des réunions on l’on s’invite quand même mutuellement, le dialogue reste encore possible.<br />

Mais je crois que c’est ancré tellement profondément chez les sourds se revendiquant comme<br />

tels, et que c’est tellement incompréhensible pour les autres sourds, que le dialogue est<br />

difficile. La solution n’est pas évidente à trouver. Il y a une incompréhension, ce n’est pas le<br />

même type de surdité ; c’est le même handicap sans être le même finalement. C’est un peu<br />

paradoxal. Ces deux mondes de la surdité vont de toute façon devoir faire avec l’évolution<br />

technologique, médicale, il y a de plus en plus d’implant. Le profil des personnes sourdes qui<br />

vont grandir dans la société va changer. Et nécessairement le positionnement des deux parties<br />

va changer. Je crois qu’il faut croire dans la capacité de l’humain à avancer, à dialoguer. Mais<br />

les choses risquent d’être compliquées.<br />

Je ne dis pas que le débat aura toujours lieu, mais il prendra, je pense, des formes différentes.<br />

- Pour finir, est ce que vous au quotidien vous ressentez le poids de cette controverse <br />

Ici dans le service non. Les gens qui viennent nous voir sont vraiment dans la demande de<br />

réhabilitation.


Il y a aussi des gens sourds de naissance, ou avec des surdités très anciennes, qui<br />

communiquent à l’orale et en langue des signes. C’est plus compliqué, mais en général les<br />

choses se clarifient dans le cadre du bilan, ils ne viennent pas dans un but polémique.

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