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Kinetica

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Le labo et le 102 en tant que lieu de diffusion<br />

s’entraînaient mutuellement, s’alimentaient<br />

l’un l’autre. Plusieurs artistes sont venus<br />

travailler et sont restés à Grenoble parce<br />

qu’ils appréciaient énormément l’ambiance<br />

qu’il y avait ici et voulaient participer ».<br />

Jouer<br />

« Nous sommes de grands consommateurs<br />

de projecteurs Eiki qui sont particulièrement<br />

pratiques pour jouer et résistent assez bien<br />

à nos mauvais traitements.<br />

Nous, on dit jouer. Comme un musicien<br />

joue de son instrument, on joue du<br />

projecteur, on joue du film. Comment<br />

transformer la partition qu’est la pellicule ?<br />

Je peux arrêter et mettre en marche<br />

le projecteur, le ralentir, jouer sur la<br />

luminosité et puis placer d’autres objectifs<br />

ou des prismes devant l’objectif, jouer sur le<br />

flou, le net, la taille du cadre. Tout ça, c’est<br />

jouer pour moi avec toutes les dimensions<br />

de la projection. Une petite image ou une<br />

grande, on n’en a pas la même lecture, c’est<br />

pas la même intensité. En ralentissant le<br />

projecteur, en s’approchant d’une vitesse<br />

très lente, l’obturateur devient acteur dans<br />

la perception de l’image, un nouveau type<br />

de flicker naît, qui a son propre rythme.<br />

La lampe va chauffer le film, l’image va<br />

commencer à gonfler jusqu’à la brûlure<br />

si on traîne trop. Ce sont un peu les<br />

paramètres de jeu.<br />

Ma manière de travailler le cinéma est<br />

proche des méthodes de la musique<br />

électroacoustique : j’ai une banque<br />

d’images dans laquelle je puise en fonction<br />

de la personne avec qui je joue et de ce qui<br />

se construit. Je n’ai pas de film fini, c’est un<br />

montage permanent. Il y a des sons, des<br />

images que tu abandonnes et que tu vas<br />

reprendre cinq ans plus tard dans un autre<br />

contexte parce que tu es différent. C’est<br />

très marrant de vouloir transformer cet<br />

art du support qu’est le cinéma et d’en faire<br />

quelque chose de vivant qui est capable à<br />

chaque projection d’être transformé.<br />

La performance nous permet de nous<br />

adapter, de jouer dans des endroits<br />

abracadabrants, jusque dans la forêt…<br />

Selon l’espace, notre installation a un<br />

rapport différent avec le public et la<br />

perception qu’ils peuvent avoir de ce qu’on<br />

projette ».<br />

La pellicule, le cinéma : fétichisme ?<br />

« En travaillant la pellicule, on n’arrive pas<br />

au même endroit qu’en travaillant la vidéo.<br />

Lors d’une tournée en Nouvelle-Zélande,<br />

des gens nous ont dit ‘ça fait longtemps<br />

qu’on n’avait plus vu de pellicule’. Ils avaient<br />

du mal à mettre des mots là-dessus, à part<br />

‘c’est beau’ ; ils étaient un peu choqués,<br />

ils avaient oublié les qualités du film. Les<br />

gens bouffent de la vidéo et se foutent des<br />

conditions de projection et là, ils se rendent<br />

compte que ce n’est pas pareil, il y a une<br />

autre splendeur. C’est comme la peinture<br />

et la photo ; ce n’est pas parce qu’il y a eu<br />

la photo qu’on s’est arrêté de peindre. Peutêtre<br />

que cela deviendra une niche, les gens<br />

rigolent avec nos antiquités mais pour moi<br />

cela reste d’actualité, ça marche. Et puis c’est<br />

indestructible ».<br />

Ouvrir un lieu<br />

Q: Y a-t-il quelque chose que tu retrouves<br />

dans tous ces espaces qui ne sont pas faits<br />

pour le cinéma ?<br />

« On existe parce qu’il y a une industrie à<br />

côté, qu’elle vit et qu’il y a plein de trucs<br />

qui meurent et qu’on récupère. On est dans<br />

une société riche qui a beaucoup de déchets<br />

de bâtiments, même s’il y a un droit de<br />

propriété infernal sur lequel tu butes tout<br />

le temps. Je crois qu’on est complémentaire.<br />

Le fonctionnement en collectif, quand on<br />

a commencé, c’était ultra-rare et les gens<br />

étaient étonnés. On représente une partie<br />

du cinéma, je n’ai aucune prétention à dire<br />

que tout doit être comme ça, tout le monde<br />

ne vit pas d’amour et d’eau fraîche. Même<br />

un multiplexe me réjouit, au moins, ça vit.<br />

Que veux-tu faire contre ou pour ?<br />

Dans les années 1970, tout le monde s’est<br />

mis à transformer sa salle unique pour en<br />

faire sept salles, on s’est retrouvé dans des<br />

boîtes d’allumettes à mater la télé, puis<br />

dans les années 1990, c’est le multiplexe<br />

en banlieue et les cinémas du centre qui<br />

ferment ; on peut s’apitoyer, c’est peut-être<br />

encore un nivellement par le bas, mais c’est<br />

comme ça.<br />

Heureusement, il y a toujours des gens qui<br />

ont envie de dire qu’autre chose existe. Des<br />

lieux hors-normes qui proposent une autre<br />

forme de cinéma adaptée à l’œuvre.<br />

Au départ, ce sont des lieux souvent mal<br />

commodes ou qui nécessitent un boulot<br />

de forçat pour les rendre adaptables. La<br />

plupart du temps, c’est une activité qui ne<br />

rentre pas dans une économie classique,<br />

c’est pas le pognon qui gouverne, c’est le<br />

désir. J’ai l’impression d’une nécessité. Des<br />

gens ont une envie très forte de faire ou de<br />

montrer des films. L’envie, c’est le cinéma, le<br />

reste, ils s’en foutent un peu. Ces gens, leurs<br />

convictions, leurs nécessités vont donner<br />

une personnalité au lieu au-delà de son<br />

architecture ».<br />

……………………………………………<br />

Étienne Caire<br />

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