01.06.2015 Views

tRDOC8Nt

tRDOC8Nt

tRDOC8Nt

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

L’ultime obstacle au passage à l’acte, la peur de mourir,<br />

est neutralisé par la conviction de devenir un « martyr »<br />

et de gagner le paradis. David Thomson, journaliste<br />

spécialiste de la question, annonce la mort d’un djihadiste<br />

de 12 ans à l’un de ses amis, ce dernier répond :<br />

« C’était un bon petit. Déterminé. Je l’aimais beaucoup.<br />

Cette nouvelle me fait plaisir. Je suis content pour lui. »<br />

Maxime, converti, élevé dans un milieu catholique, exécuteur<br />

au moins d’un otage, explique à un journaliste<br />

que « mourir en martyr est la plus belle récompense<br />

(…). L’objectif personnel de chacun ici, c’est le chahid<br />

», c’est-à-dire le martyr. Ultime manière de devenir<br />

un homme.<br />

L’engagement brutal dans le djihadisme, comme<br />

maints autres comportements adolescents, est une<br />

recherche de la concrétude des choses et non plus de<br />

la complaisance d’un monde déjà donné où il n’est plus<br />

question de désirer mais de recevoir en permanence. Il<br />

est la quête d’une âpreté pour se sentir enfin exister de<br />

tous ses sens en produisant soi-même les événements<br />

et non plus en se laissant porter par leur évidence.<br />

Ne plus tendre la main pour recevoir mais prendre<br />

soi-même des choses qui résistent pour éprouver sa<br />

puissance propre en accentuant à l’extrême le jeu de<br />

la virilité, en se donnant un droit de vie ou de mort sur<br />

les autres.<br />

sacrifice personnel. Il relève de ce que j’ai nommé<br />

la blancheur (2015), une manière de se défaire des<br />

contraintes de l’identité en s’en remettant à d’autres.<br />

S’agissant d’adolescents ou de jeunes adultes, le<br />

meurtre est à leur insu l’ultime manière de se poser en<br />

homme, de rejoindre une virilité fantasmée et informulée,<br />

quand le monde se dérobe et leur inflige une permanente<br />

leçon d’humilité. Le ressentiment l’emporte<br />

alors. Pour échapper au vide, il reste toujours un coupable,<br />

« la société » dans son ensemble ou un groupe<br />

arbitrairement détaché, qui cristallise tous les maux du<br />

monde. Pour établir le règne de Dieu, il faut d’abord<br />

éliminer les mécréants à travers une action impensable<br />

aux yeux du lien social où ils vivent : tuer ou se donner<br />

à la mort en emportant le maximum de victimes parmi<br />

ceux qui sont globalement perçus comme la cause du<br />

mal ou de l’adversité. Le djihadisme avec sa vision brutale<br />

et manichéenne du monde, sa haine pour tout ce<br />

qui ne se plie pas à soi, sa passion de la vengeance, et<br />

son goût du meurtre relève d’un narcissisme inouï qui<br />

aboutit à la conviction d’avoir Dieu avec soi.<br />

Le jeune se démet des responsabilités inhérentes à son<br />

identité en fusionnant avec le groupe. Dieu est un lieu<br />

où disparaître. À travers ses porte-paroles, il exerce une<br />

autorité absolue sur ses faits et gestes. Rien n’échappe<br />

à son emprise. Il délivre du fardeau du Moi, dispense<br />

du souci de l’exercice de la vie en imposant un emploi<br />

du temps rigide et des décisions implacables. Souvent<br />

d’ailleurs l’intronisation va de pair avec une nouvelle<br />

nomination de l’adepte. Son identité est radicalement<br />

remise en œuvre. Au terme d’une série d’épreuves ou<br />

d’étapes assimilées à un parcours de renaissance, il<br />

porte des vêtements ou des signes corporels propres<br />

au groupe qui l’impersonnalisent et le coupent de<br />

son histoire. Il laisse son ancienne identité au seuil<br />

de la scène sociale régie par le groupe d’élection.<br />

L’engagement dans le djihadisme est synonyme de<br />

– 46 –

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!