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Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________DE L’ORIENT INTÉRIEURL’étreinte de l’AngeC<strong>et</strong>te « forme » peut être celle d’un ange qui est alors l’Ange(Rûh), l’ange personnel qui ac<strong>com</strong>pagne le pèlerin mystique. Il estpar conséquent son « guide <strong>et</strong> <strong>com</strong>pagnon suprasensible ». C’est cequ’exprime le soufi persan Semnânî (1261-1336), en ces termes qu’ilf<strong>au</strong>drait méditer : « Sache de science certaine, ô chercheur quiaspires à la connaissance de certitude, que depuis vingt-cinq ans jevois mon Rûh (« mon Ange ») en mes rencontres visionnaires,toujours sous la même forme ; jamais il ne l’échange contre une<strong>au</strong>tre ; jamais elle ne diffère. […] Elle m’agrée quand elle estsatisfaite, alors moi <strong>au</strong>ssi je lui fais joyeux accueil. Si elle n’était quefantaisie imaginaire, elle ne persisterait pas ainsi identique sous unemême forme » 1 .Récapitulons. L’Ange que nous venons d’évoquer n’estévidemment pas, mais nous l’avions <strong>com</strong>pris, une « fantaisieimaginaire », un double <strong>com</strong>me on se l’imaginait <strong>au</strong> 19 e siècle enFrance (cf. Nerval, à propos du calife Hakem, voire M<strong>au</strong>passant) ouencore une « ombre ». Il n’est pas non plus a priori l’ange que lathéologie chrétienne désigne sous le nom d’ange gardien. Ce quin’empêche pas que, selon la tradition catholique, « chaque fidèle a àses côtés un ange <strong>com</strong>me protecteur <strong>et</strong> pasteur pour le conduire à lavie ». Ce qui n’empêche pas surtout de nous interroger sur la naturede c<strong>et</strong> « ange gardien » que nous le décrit un des princip<strong>au</strong>xdisciples de Maître Eckart, le bienheureux Henri Suso (mort à Ulmen 1366) : « Une fois, en ce même temps, il eut une vision qui leconduisit quelque part dans un <strong>au</strong>tre pays. Il lui sembla que sonange plein de bonté était devant lui, debout à sa droite. Le Serviteur[Henri Suso] se leva rapidement, il prit dans ses bras l’ange bienaimé,l’étreignit, le pressa sur son âme <strong>au</strong>tant que son amour lepouvait, en sorte qu’il n’y avait plus de séparation entre eux, luisemblait-il. Il <strong>com</strong>mença d’une voix plaintive <strong>et</strong> les yeux pleins delarmes à lui parler dans l’abondance de son cœur : « O mon ange,toi que le Dieu d’amour m’a donné pour me consoler <strong>et</strong> me garder,je te prie, par ton amour pour Dieu, de ne pas m’abandonner. »1Cité par Henri Corbin, En Islam iranien, t. III, 3512


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________L’ange lui répondit ainsi : « N’oses-tu pas faire confiance à Dieu ?Regarde : Dieu t’a si aimablement embrassé dans son éternité qu’ilne t’abandonnera jamais. » (Vie, chapitre 5)C<strong>et</strong>te étreinte de l’ange suppose une relation d’intimité qui nepeut s’expliquer <strong>au</strong>trement que par la nature de c<strong>et</strong> ange, qui,<strong>com</strong>me pour Mani, ou Semnanî, apparaît pour Henri Suso en tantque son Jume<strong>au</strong> céleste. Notons que c<strong>et</strong>te vision se déroule « dansun <strong>au</strong>tre pays » qu’on ne peut confondre, dans ce contexte, avec unquelconque pays de la géographie physique. Ce pays est la Terrecéleste, la terre des visions, où se manifeste le « guide <strong>et</strong> <strong>com</strong>pagnonsuprasensible » du pèlerin mystique. L’ange gardien de la théologiecatholique ne peut se <strong>com</strong>prendre, dans la vision d’Henri Suso, que<strong>com</strong>me l’Ange personnel dont il est question dans l’ésotérismeislamique. Il s’agit de la même réalité spirituelle. Une <strong>au</strong>tre vision deHenri Suso nous apprend de qui c<strong>et</strong> Ange, ce guide intérieur estfinalement le messager : Sophia, la Sagesse divine (Henri Suso estl’<strong>au</strong>teur d’un Livre de la Sagesse éternelle) :« Et une fois, après une période de souffrance, il arriva, unmatin de bonne heure, qu’il fut dans une vision entouré d’espritscélestes. Alors il désira qu’un de ces lumineux princes du ciel luimontrât quel était le mode de l’inhabitation secrète de Dieu dansson âme. L’ange lui dit : « J<strong>et</strong>te un regard joyeux en toi-même <strong>et</strong>vois <strong>com</strong>ment le Dieu aimable mène son jeu d’amour dans ton âmeaimante. » Vite il regarda <strong>et</strong> il vit que son corps, <strong>au</strong>-dessus de soncœur, était <strong>au</strong>ssi pur qu’un cristal ; <strong>au</strong> milieu de son cœur il vitpaisiblement assise la Sagesse éternelle d’aspect aimable <strong>et</strong> prèsd’elle se trouvait l’âme du Serviteur remplie de nostalgie céleste ;elle était tendrement inclinée vers lui, entourée de ses bras, presséesur son cœur divin, ravie <strong>et</strong> enivrée d’amour dans les bras du Dieubien-aimé. »De quoi le pèlerin mystique a-t-il la nostalgie <strong>au</strong> final sinonde sa patrie céleste, dont il a été exilé, non pas du fait de la chuteoriginelle – qui l’a r<strong>et</strong>iré du paradis terrestre – mais du sommeild’Adam, avant la création d’Ève. Or, le guide intérieur vers la patriecéleste – <strong>et</strong> qui est lui-même c<strong>et</strong>te patrie céleste – c’est Sophia, laSagesse divine, à laquelle l’âme se trouve réunie finalement : « dansles bras du Dieu bien-aimée ». Dans une dimension métaphysique,on dira que le pèlerin mystique a la nostalgie de son Origine qui estl’abîme divin, selon Maître Eckart. Il reste que pour atteindre c<strong>et</strong>« <strong>au</strong>-delà de Dieu », il f<strong>au</strong>t passer par la reconnaissance de son guideintérieur, de son Ange personnel, <strong>et</strong>, dans une deuxième étape que3


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________symbolise l’axe vertical de la Croix (cf. René Guénon, Le symbolismede la Croix), par la réunion avec Sophia, la Sagesse divine, la nobleVierge de Jacob Boehme. Nous y reviendrons. Ainsi la traditionoccidentale nous enseigne-t-elle à son tour quelque chose de l’angeen tant que guide intérieur, de c<strong>et</strong> Ange, Compagnon ou Jume<strong>au</strong>céleste, qui est le « lui-même » du pèlerin mystique, pourrait-on dire,qui l’ac<strong>com</strong>pagne dans le r<strong>et</strong>our à c<strong>et</strong> <strong>au</strong>tre « lui-même » qui est sonSeigneur. Il est <strong>au</strong>ssi l’intermédiaire entre le pèlerin mystique <strong>et</strong> sonSeigneur. Il est donc <strong>au</strong> final son Jume<strong>au</strong> céleste, son Compagnon,<strong>et</strong> simultanément la « forme » qu’emprunte son Seigneur pour semanifester à lui. Sous ce dernier aspect, on parlera de la fonctionthéophanique de l’Ange.Manuscrit des œuvres de Suso, 15 e siècle.4


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________DOCUMENTS D’ORIENT ETD’OCCIDENTAvec le présent article de Charles Schmidt, paru dans La Revue d’Alsace, en1856, se poursuit la publication des rares documents consacrés à la vie deRulman Merswin <strong>et</strong> de l’Ami de Dieu de l’Oberland.RULMANN MERSWIN,LE FONDATEUR DE LA MAISON DE SAINT-JEAN DESTRASBOURG.Merswin qui, depuis la mort de sa seconde femme, arrivée le 6décembre 1371 2 , s’était r<strong>et</strong>iré <strong>au</strong> Grüne-Wœrth, fit établir un be<strong>au</strong>jardin, avec des allées d’arbres, des fontaines, des can<strong>au</strong>x, unpavillon d’été, des cabin<strong>et</strong>s de bain, pour que les frères pussent jouirde la nature, <strong>et</strong> du repos sans être obligés de sortir dans le monde.Peu d’années après, c<strong>et</strong>te tranquille r<strong>et</strong>raite, espèce de charmanteoasis <strong>au</strong> milieu des broussailles de l’Ile-verte, fut menacée dedangers graves. Dans une nuit du mois de janvier 1374 une subitecrue de l’Ill fit écrouler une partie des fondations <strong>et</strong> du couventmême ; six frères furent couverts par les ruines ; après être restésdeux heures sans secours, on les r<strong>et</strong>rouva sains <strong>et</strong> s<strong>au</strong>fs ; un seul, le<strong>com</strong>mandeur de Soultz , en visite <strong>au</strong> Grüne-Wœrth, eut quelquescontusions. De grandes provisions de blé furent entraînées par lese<strong>au</strong>x. L’année suivante, en septembre <strong>et</strong> octobre, les bandesd’Anglais conduites par Enguerrand de Coucy contre le ducd’Autriche, débouchèrent en Alsace par Saverne ; pour préserver laville d’un pillage, le magistrat de Strasbourg fit démolir be<strong>au</strong>coup demaisons sises en-dehors du mur d’enceinte, afin que les bandits nepussent s’y r<strong>et</strong>rancher. Les restes des bâtiments du Grüne-Wœrth,écroulés en 1374, devaient être brûlés, <strong>et</strong> déjà le magistrat les avaitfait entourer de matières inflammables, lorsque les frères s’yopposèrent ; le magistrat « préférant encourir la disgrâce de l’ordre<strong>et</strong> les châtiments de l’Eglise, plutôt que de laisser la ville exposée2 Le 26 avril 1372, Anne, sœur de la seconde femme de Merswin, <strong>et</strong> veuve deJacques Mansz, déclare avoir reçu de Merswin tout ce que, selon la coutume deStrasbourg, elle avait à hériter de sa sœur.5


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________1374 ; quand les murs furent élevés à quelques pieds <strong>au</strong>-dessus dusol, on s’aperçut que l’œuvre était entreprise sans le conseil duSaint-Esprit. Aussitôt on démolit ce qui avait été fait. Merswin yperdit 150 florins, ce qui le fâcha d’<strong>au</strong>tant plus qu’il n’avait pasapprouvé la construction ; mais les frères y avaient tenu « par espritmondain ». Merswin déclara qu’il ne ferait plus rien pour l’édifice, àmoins de connaître clairement la volonté divine. Peu de jours après,il dit que Dieu venait de lui inspirer un <strong>au</strong>tre proj<strong>et</strong>, consistant à seborner à l’agrandissement de l’ancien chœur. Les trav<strong>au</strong>x sont àpeine entrepris dans ce sens, que le <strong>com</strong>mandeur change d’avis àson tour. Lui <strong>et</strong> Merswin, ne pouvant se m<strong>et</strong>tre d’accord,<strong>com</strong>muniquent leurs plans à Robert, messager <strong>et</strong> confident de l’Amide Dieu. De r<strong>et</strong>our dans l’Oberland, Robert les expose à Nicolas :« Tu sais , dit celui-ci, que je n’entends rien à l’architecture ; quelleest ton opinion à toi ? » Robert approuve le proj<strong>et</strong> du <strong>com</strong>mandeur,qui voulait « r<strong>et</strong>ourner l’église », c’est-à-dire élever le chœur àl’extrémité opposée à celle où il s’était trouvé jusque là, <strong>et</strong> bâtir deuxabsides où l’on établirait des chapelles <strong>et</strong> une sacristie ; pendant l'étéde 1377 on pourrait <strong>com</strong>mencer les trav<strong>au</strong>x pour approprier la nef àce plan ; quant <strong>au</strong> chœur, on le ferait plus tard, en attendant onétablirait un chœur provisoire pour les frères. Le chef des Amis deDieu approuva ce proj<strong>et</strong> <strong>et</strong> en conseilla l’exécution <strong>au</strong> <strong>com</strong>mandeur.On se mit <strong>au</strong>ssitôt à l’œuvre ; Nicolas de Bâle désirait que laconstructions fussent hâtées pour que les frères eussent bientôt unchœur où la foule, qui se pressait dans leur église, ne vint plustroubler leur recueillement. Comme il manquait 300 florins pour lestrav<strong>au</strong>x, il engagea les jeunes habitants du Grüne-Wœrth à travaillerde leurs propres mains, en transportant les pierres <strong>et</strong> le bois ; enmême temps il invita les trois prêtres riches qui étaient <strong>au</strong>près de luià avancer <strong>au</strong>x Johannites une certaine somme, s’engageant à la leurrendre lui-même dès qu’il <strong>au</strong>rait vendu ses grains; mais ils refusèrentde contribuer.Cependant le plan des trav<strong>au</strong>x dut être de nouve<strong>au</strong> modifié.L’Ami de Dieu, prévenu sans doute par Merswin, qui ne partageaitpas l’opinion de Henri de Wolfach « de r<strong>et</strong>ourner l’église », trouva àson tour qu’elle « sentait l’orgueil caché » ; il conseilla de s’arrêter àun proj<strong>et</strong> plus simple <strong>et</strong> moins coûteux ; pour appuyer ce conseil, ilrappela <strong>au</strong> <strong>com</strong>mandeur que le tremblement de terre de l356 n’avaitrenversé que de grands monastères <strong>et</strong> des églises magnifiques,tandis qu’il avait épargné les édifices plus humbles, n’ayant <strong>au</strong> lieude voûtes en pierre que des toitures en bois ; c’est une preuve, dit-il,que Dieu punit l’orgueil <strong>et</strong> ménage l’humilité ; en général, ajouta-t-il,il ne convient pas d’entreprendre une œuvre de ce genre sans une7


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________révélation surnaturelle <strong>et</strong> certaine ; c’est ainsi que l’hôpital, dont lesfrères du Grüne-Wœrth avaient <strong>com</strong>mencé la construction sur l’ordredu grand-prieur d’Allemagne, n’avait pas été achevé, parce quel’idée n’en était pas venue du Saint-Esprit.Henri de Wolfach avait en outre le proj<strong>et</strong> de destiner lachapelle des onze mille vierges, bâtie en 1367 par RulmannMerswin, à une sacristie <strong>et</strong> d’en placer l’<strong>au</strong>tel dans l’église même.Nicolas de Bâle ne fut pas de c<strong>et</strong> avis ; il proposa de démolir lachapelle pour la reconstruire non loin du portail, <strong>et</strong> de bâtir à saplace une nouvelle sacristie. Comme, quant <strong>au</strong> choeur, le<strong>com</strong>mandeur ne put se décider que difficilement à renoncer à sonplan, l’Ami de Dieu lui fit savoir que dans la nuit du 25 juill<strong>et</strong> 1377il avait eu un songe relatif à l’église de la Trinité ; un ange, envoyépar celle-ci même, lui avait annoncé qu’elle s’opposait à ce qu’onbâtit le chœur à l’<strong>au</strong>tre extrémité de l’édifice ; elle perm<strong>et</strong>taitd’agrandir l’église, de déplacer les <strong>au</strong>tels, d’en changer même lesnoms, à l’exception du maître-<strong>au</strong>tel qui devait conserver sadestination <strong>et</strong> être placé dans le nouve<strong>au</strong> chœur. L’ange avait dit àNicolas que, pour preuve de la vérité de c<strong>et</strong>te révélation, iltrouverait à son réveil une tumeur près du cœur, laquelle dureraitjusqu’à ce qu’il eût transmis à Merswin les ordres de la Trinité.Nicolas s’empressa de <strong>com</strong>muniquer ce rêve <strong>au</strong>x Strasbourgeois,pour lesquels le nouve<strong>au</strong> plan, qui du reste n’était que le planprimitif de Merswin, avait l’avantage de coûter 400 florins de moinsque celui du <strong>com</strong>mandeur. L’Ami de Dieu eut <strong>au</strong>ssi une visionrelative <strong>au</strong>x <strong>au</strong>tels à établir ; il rêva que Merswin le conduisit dansl’église du Grüne-Wœrth, qu’il y vit deux <strong>au</strong>tels, sur l’un desquels s<strong>et</strong>rouvaient des figures de vierges, vêtues de blanc, couronnées deroses, mais les habits tachés de sang ; sur l’<strong>au</strong>tre il aperçut deshommes , en vêtements couleur de feu ; toutes ces figures étaiententourées d’une lumière éclatante <strong>et</strong> chantaient des hymnes delouange ; leur nombre s’accrut d’instant en instant, <strong>au</strong> point qu’ellesfinirent par remplir tous les espaces de l’église. A son réveil, Nicolasreconnut que les femmes signifiaient les onze mille vierges, <strong>et</strong> leshommes les saints martyrs, <strong>et</strong> qu’<strong>au</strong>x uns <strong>com</strong>me <strong>au</strong>x <strong>au</strong>tres ondevait consacrer des <strong>au</strong>tels <strong>au</strong> Grüne-Wœrth.C’est d’après ces conseils que l’église fut définitivementconstruite <strong>et</strong> disposée ; les nouve<strong>au</strong>x <strong>au</strong>tels. ainsi que les nouvellesconstructions, quoique inachevées, furent consacrés le 28 octobre1378. L’argent ayant manqué, l’église était encore en 1380 sansbadigeon, sans dallage, sans tribunes, « semblable à une grange » ;les Amis de Dieu de l’Oberland envoyèrent à Merswin 44 florinspour m<strong>et</strong>tre enfin l’édifice en bon état. Dans c<strong>et</strong>te même année, les8


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________frères furent menacés de voir leur bel établissement désorganisé parles architectes de la ville ; il était question de conduire le nouve<strong>au</strong>mur d’enceinte à travers leur jardin <strong>et</strong> un de leurs bâtiments ;cependant ce proj<strong>et</strong> fut encore abandonné ; <strong>au</strong> contraire le Grüne-Wœrth reçut du magistrat un vaste terrain, en échange de quelquesmaisons situées près du couvent de Sainte-Marguerite <strong>et</strong> d’unesomme de 40 livres.[Suite dans le prochain numéro des Cahiers.]RAHEL-FREDERIQUE VARHAGEN VON ENSE« Les bons poètes ont dans l’âme une image qu’ils s’efforcent dereprésenter, tandis que les <strong>au</strong>tres s’efforcent de se créer desimages »Mme Rahel-Frédérique Varnhagen von Ense naquit à Berlin le jourde la Pentecôte 1771. Son nom de fille était Levin-Robert. Safamille était riche, <strong>et</strong> ne négligea rien pour lui donner une <strong>com</strong>plèteéducation ; mais les dispositions naturelles qu’elle possédait <strong>et</strong> legoût excessif qu’elle avait pour l’étude, contribuèrent encore plusque tous les soins des maîtres à développer son esprit. Elle granditavec c<strong>et</strong>te époque de gloire pour la littérature allemande, avec cesiècle fécond, qui, après avoir donné à la poésie Klopstock, à lacritique <strong>et</strong> à la philosophie Lessing <strong>et</strong> Mendelssohn, produisitencore dans son généreux enfantement Wieland, Herder, Go<strong>et</strong>he,Schiller, Fichte, les grands maîtres de l’art, les grands ré<strong>format</strong>eursde la marche intellectuelle de leur nation. Go<strong>et</strong>he devint son idole,elle lut avec transport tout ce qu’il écrivait, elle exprima h<strong>au</strong>tementson enthousiasme pour lui ; elle eut ainsi le mérite de reconnaître legénie du poète, à une époque où be<strong>au</strong>coup de critiques puissans [sic]s’efforçaient encore de le renier. Elle suivit assidûment les cours deFichte, <strong>et</strong> se dévoua <strong>au</strong>ssi à c<strong>et</strong>te noble philosophie qui élève si h<strong>au</strong>tla dignité de l’homme. Plus tard elle passa outre pour revivre dans lemysticisme de Saint-Martin, mais non toutefois sans que des tracessaillantes de ses premières études se r<strong>et</strong>rouvent çà <strong>et</strong> là dans cequ’elle écrit.9


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________Rahel Varhagen, par Wilhelm Hensel, 1822Une passion violente qu’elle éprouva toute jeune encore <strong>et</strong> quin’eut pour elle que des suites malheureuses, ne contribua pas peu àlui faire rechercher les graves consolations que présente la science<strong>et</strong> l’étude, à la conduire plus avant dans les mystères de la viehumaine. Le monde la blâmait, elle voulut trouver contre ce blâmeun refuge dans ses nobles occupations ; les hommes méchans [sic] <strong>et</strong>frivoles, les femmes prudes <strong>et</strong> envieuses pouvaient la recevoir avecun regard dédaigneux ou un sourire moqueur : elle domina ceshommes <strong>et</strong> ces femmes par son intelligence toute-puissante <strong>et</strong> sonascendant majestueux.M. de Varnhagen la vit pour la première fois chez Wieland, <strong>et</strong>il a dépeint ainsi l’impression qu’elle fit sur lui :« J’étais un soir chez Wieland, on annonça une visite, <strong>et</strong> <strong>au</strong>nom qui fut prononcé, je remarquai parmi tous les membres denotre société un mouvement de surprise <strong>et</strong> d’attente qui n’indiquaitpas l’approche d’une personne ordinaire. C’était Rahel Levin-Robert. J’avais déjà souvent entendu parler d’elle, <strong>et</strong> toujours d’unefaçon si enthousiaste, que je ne pouvais la <strong>com</strong>parer à rien de ce10


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________que l’on voit habituellement dans le monde. Ce que le <strong>com</strong>te de L.<strong>et</strong> Mme de B. entre <strong>au</strong>tres m’en avaient dit, indiquait chez elle unassemblage étonnant des facultés de l’esprit avec les dons de lanature, <strong>com</strong>binés sous le point de vue le plus saillant, <strong>et</strong> sous laforme la plus pure. J’avais entendu <strong>au</strong>ssi les reproches qu’on luiadressait ; mais ces reproches équivalaient pour moi à la plus bellede toutes les louanges. On parlait d’une passion qui par sonimpétuosité, son élévation <strong>et</strong> le malheur qui l’avait frappée,surpassait tout ce que les poètes avaient jamais chanté. J’attendisdonc avec un vif sentiment d’impatience <strong>et</strong> de curiosité c<strong>et</strong>teapparition de Rahel, <strong>et</strong> j’aperçus une femme légère, gracieuse, d’un<strong>et</strong>aille p<strong>et</strong>ite, mais forte <strong>et</strong> bien proportionnée ; les mains <strong>et</strong> les piedstrès-jolis ; le visage encadré dans de longues boucles de cheveuxnoirs. Sa figure portait l’empreinte d’un génie supérieur ; son regardétait vif, rapide, mais ferme, <strong>et</strong> un air de souffrance donnait à sestraits une grande expression de douceur. Mais ce qui me surprit leplus, ce fut le son de sa voix si douce, si sonore, de sa voix qui mesemblait sortir du fond de son ame [sic] <strong>et</strong> l’admirable langage dontelle se servait. Dans ses paroles sans prétention, l’esprit se joignait àla science, la naïv<strong>et</strong>é à la finesse de bons mots, la pénétration à lagrâce, <strong>et</strong> tout en elle portait le sce<strong>au</strong> de la vérité. »Un peu plus loin il dit :« Je n’ose pas essayer de peindre ma bien-aimée Rahel ; je nepuis la faire connaître <strong>et</strong> aimer <strong>com</strong>me elle le mérite ; il f<strong>au</strong>t, pourl’apprécier, avoir été long-temps en relations avec elle, <strong>et</strong> s’être frayéune place dans son intimité. Ses l<strong>et</strong>tres même, quel que soit leurcaractère d’esprit, de douceur <strong>et</strong> d’originalité, ne donnent qu’uneimage imparfaite de c<strong>et</strong>te nature de femme, dont la spontanéitéforme le trait distinctif, <strong>et</strong> où tout se meut, s’en va, revient, s’exalte,s’apaise, s’épanouit à la lumière ou se couvre d’ombres, tout<strong>au</strong>trement que l’on ne peut le représenter.« Si je voyais Rahel, je croyais toujours voir l’homme vrai, lanoble créature de Dieu, dans son type le plus pure <strong>et</strong> le plus<strong>com</strong>pl<strong>et</strong> ; partout l’intelligence <strong>et</strong> la nature dans leur fraîcheur;partout une image organique ; des sensations naïves <strong>et</strong> originales;des idées si grandes par leur innocence <strong>et</strong> leur sagesse, <strong>et</strong> dans sonentr<strong>et</strong>ien <strong>com</strong>me dans sa conduite la présence d’esprit la plusprompte, la plus mobile, la plus juste. A tous ces dons se joignaitune bonté excessive, un amour de l’humanité constant <strong>et</strong> sansrelâche, <strong>et</strong> une ame tendre <strong>et</strong> dévouée, qui prenait part à toutes lesjoies <strong>com</strong>me à toutes les douleurs. »M. de Varnhagen avait vingt-quatre ans lorsqu’il connutRahel ; elle en avait quarante. Mais c<strong>et</strong>te différence d’âge devait11


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________disparaître <strong>au</strong>près de c<strong>et</strong>te femme qui, par des qualités plus nobles<strong>et</strong> plus durables, s’était mise hors de toute ligne de <strong>com</strong>paraisonavec les <strong>au</strong>tres femmes. M. de Varnhagen l’aima d’un amourprofond, réfléchi, sans bornes. Obligé de suivre encore les devoirsde sa place, il passa près de six ans éloigné d’elle, <strong>et</strong> ni lesdistractions du monde, ni les voyages, ni son séjour en Francependant les deux fatales invasions des alliés, ni l’ambition, ni rien dece qui renverse ordinairement les plus fermes résolutions d’un jeunehomme, ne purent éloigner de lui le souvenir de Rahel <strong>et</strong> affaiblirl’amour qu’il lui avait voué.Enfin il l’épousa le 23 Septembre 1814, <strong>et</strong> leur vie se passa<strong>com</strong>me il l’avait imaginé, dans une confiance absolue de l’un <strong>et</strong> del’<strong>au</strong>tre, dans un cercle d’idées d’<strong>au</strong>tant plus calmes <strong>et</strong> plus riantes,qu’ils se m<strong>et</strong>taient en dehors de tous les p<strong>et</strong>its soucis du mondepour s’arranger à leur aise une place dans un monde supérieur.Mme de Varnhagen, sans avoir jamais affiché de prétentions àl’esprit, sans s’être affiliée à <strong>au</strong>cune coterie de Bas-bleus, sans vouloirfaire de sa maison l’hôtel Rambouill<strong>et</strong> ou le salon de lady Morgan,jouissait parmi toutes les célébrités littéraires de l’Allemagne d’uneassez grande réputation. Go<strong>et</strong>he, Fichte, Steffens, Schelling,Novalis, lui étaient personnellement connus. Les deux frères Tieck,le poète <strong>et</strong> le sculpteur, venaient assez souvent chez elle ; lesŒuvres de R<strong>au</strong>mer, de Gans, de Schleiermacher, l’occupèrentsérieusement, <strong>et</strong> le docteur Veit de Iéna, le professeur Gentz deVienne, étaient ses correspondans [sic] habituels. Dans la nouvelleédition de ses l<strong>et</strong>tres, qui doit paraître prochainement, <strong>et</strong> qui, <strong>au</strong> lieud’un seul volume <strong>com</strong>me nous l’avons <strong>au</strong>jourd’hui, en formeratrois, on trouvera sans doute de très-curieux documens [sic] sur sesétudes, <strong>et</strong> des jugements précieux à enregistrer sur les nouvellespublications <strong>et</strong> la marche de la littérature allemande.De son côté M. de Varnhagen n’était pas de nature à ne jouerqu’un rôle de contemplation passive dans c<strong>et</strong>te activité littéraire.C’est un homme d’une grande portée d’esprit, d’une grandeprofondeur de conception, un homme qui a sérieusement étudié <strong>et</strong>be<strong>au</strong>coup réfléchi ; ses articles de critique sont mentionnés avecéloges dans toute l’Allemagne ; ses ouvrages de biographie,notamment celle de Zinzendorf, indiquent un caractèrephilosophique bien marqué <strong>et</strong> une érudition peu ordinaire ; <strong>et</strong> quantà la forme, les connaisseurs s’accordent à le nommer <strong>com</strong>me un deceux qui <strong>au</strong>jourd’hui manient avec le plus de grâce <strong>et</strong> de souplessec<strong>et</strong>te riche <strong>et</strong> difficile langue allemande.Rahel mourut le 7 Mars 1833. Sur la fin de sa vie elle faisait salecture habituelle des poésies d’Angelus Silesius <strong>et</strong> des Œuvres de12


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________Saint-Martin, dont elle a publié quelques extraits, avec des notes quisont une preuve manifeste de l’attention sérieuse qu’elle portait àces ouvrages, <strong>et</strong> de l’aptitude qu’elle avait acquise à les bien juger.La biographie de Mme de Varnhagen a été écrite dans tous sesdétails par son mari, qui, après un an de deuil, n’a pu encore seconsoler de la perte qu’il a faite, <strong>et</strong> qui me disait, il y a quelquesjours, avec une voix émue <strong>et</strong> des larmes dans les yeux : Voyez,Monsieur, quand ma femme vivait, je me sentais rattaché à uneexistence supérieure, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te existence était la mienne. Maintenantje ne suis plus soutenu dans ce monde que par son souvenir, <strong>et</strong> parla mission de publier les œuvres qu’elle a laissées.Xavier MarmierAlî est le WELI de DieuLe mot wéli , dont l’abstrait est wilayèt , n’indique par luimêmequ’une relation de proximité, <strong>et</strong> c’est de c<strong>et</strong>te significationprimitive que découlent les acceptions nombreuses <strong>et</strong> variées de laracine , <strong>et</strong> de ses dérivés. L’<strong>au</strong>teur de l’ouvrage connu sous lenom de Définitions, ouvrage qui est un dictionnaire des termestechniques de théologie, de philosophie, de jurisprudence, degrammaire, de prosodie, <strong>et</strong> surtout de mysticisme, explique ainsi lemot wilayèt , dans ses différentes acceptions :« Le mot wilayèt vient de wéli qui signifie proche : c’est uneparenté (ou plutôt une affinité) légale, produite parl’affranchissement ou par l’admission dans une famille étrangère.On appelle wila le droit qu’un homme a à une succession, soit parsuite de l’affranchissement d’un individu qui était sa propriété, oupar l’eff<strong>et</strong> d’un contrat d’admission dans une famille étrangère.Wilayèt signifie l’état d’un homme qui a son existence en Dieu, étantmort par le renoncement à lui-même. Dans le style de la loi(politique), wilayèt veut dire rendre son <strong>au</strong>torité exécutoire par rapport <strong>au</strong>x<strong>au</strong>tres, qu’ils le veuillent ou qu’ils ne le veuillent pas. »13


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________Je dois transcrire ici le texte de ces définitions.On voit que dans tout ceci il n’y a rien qui indique l’idée delieutenant, vicaire, vice-roi, ou <strong>au</strong>tre rapport de c<strong>et</strong>te nature. Pour nousattacher spécialement <strong>au</strong> sens qu’ont les mots wéli <strong>et</strong> wilayèt dans lestyle de la théologie <strong>et</strong> du mysticisme , nous ne s<strong>au</strong>rions mieux faireque de rapporter ce qu’en dit le célèbre poète <strong>et</strong> contemplatifDjami, dans les Prolégomènes des Vies <strong>et</strong> Maximes des Sofis, ouvragedont le titre amphigourique est4 .« Le mot wilayèt est dérivé de wéli qui signifie être proche. Ondistingue deux sortes de wilayèt ; l’une universelle, l’<strong>au</strong>tre spéciale.L’espèce nommée universelle est <strong>com</strong>mune à tous les vrais croyans[sic] ; il est dit dans l’Alcoran 5 : Dieu est le WELI de ceux qui ont cru ; illes tire des ténèbres <strong>et</strong> les fait passer à la lumière. Celle qu’on nommespéciale, est propre à ceux d’entre les disciples de la vie spirituelle quisont parvenus (<strong>au</strong> plus h<strong>au</strong>t degré de c<strong>et</strong>te vie). On entend parwilayèt spécial, un état où l’homme est anéanti en Dieu <strong>et</strong> demeureen lui ; le wéli est l’homme anéanti en Dieu <strong>et</strong> demeurant en lui.Abou-Ali Djouzdjani a dit : Le WELI est celui qui est anéanti <strong>et</strong>mort par rapport à son propre état, qui subsiste dans la contemplation de Dieu,qui ne peut plus rien dire de son existence individuelle, <strong>et</strong> qui ne s<strong>au</strong>rait être enrepos avec <strong>au</strong>cun <strong>au</strong>tre que Dieu.Ibrahim, fils d’Adham, dit un jour à quelqu’un : « Voulez-vousêtre WELI ? Oui, répondit c<strong>et</strong> homme. Eh bien ! reprit Ibrahim, nedésirez <strong>au</strong>cune chose de la vie présente ni de la vie future ; videz-vous, pour Dieu4 [Cf. Al Jâmî, Vie des soufis, traduit du persan par Sylvestre de Sacy, Sindbad,1977.]5 [Cf. Coran, II, 257 : « Dieu est le Maître (walî) des croyants : il les fait sortirdes ténèbres vers la lumière » (traduction Denise Masson).]14


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________seul, de toute <strong>au</strong>tre chose, <strong>et</strong> approchez-vous de lui. (C’est-à-dire : ) Nedésirez ni ce monde, ni l’<strong>au</strong>tre ; car tout désir de ces choses-làdétourne de Dieu. Détachez-vous de tout, pour l’amour du maîtresouverain ; ne perm<strong>et</strong>tez pas qu’<strong>au</strong>cune chose de ce monde ou del’<strong>au</strong>tre ait entrée dans votre cœur ; tournez le visage de votre cœurvers Dieu ; quand vous en serez venu à posséder toutes ces qualitéslà,vous serez wéli. »Djami cite ensuite un passage d’un des traités les plus célèbresdu mysticisme, dont l’<strong>au</strong>teur, nommé Abou’lkasem Abd-alkérimKoschaïri, écrivait vers le milieu du cinquième siècle de l’hégire : « Lemot wéli, dit Koschaïri, a deux sens : suivant l’un des deux, c’est unadjectif verbal de la forme faîl, dans le sens passif, <strong>et</strong> il signifie celuidont Dieu prend les intérêts, ainsi qu’il est dit : Dieu prend soin des gens debien. Dieu ne laisse pas un tel homme, un seul instant, abandonné àlui-même ; mais il se charge en personne d’avoir soin de lui. Suivantl’<strong>au</strong>tre sens, c’est un adjectif verbal de la même forme faîl, dans lesens actif avec énergie, <strong>et</strong> cela signifie celui qui se livre <strong>au</strong> culte de Dieu<strong>et</strong> <strong>au</strong>x bonnes œuvres que Dieu a <strong>com</strong>mandées ; qui se fait duservice de Dieu une occupation continuelle, laquelle n’estinterrompue par <strong>au</strong>cun acte de désobéissance. Ces deux qualitésdoivent nécessairement se trouver dans le wéli, en sorte qu’il aitdroit à c<strong>et</strong>te dénomination, <strong>et</strong> par sa fidélité constante <strong>et</strong> parfaite às’acquitter de tous ses devoirs envers Dieu, <strong>et</strong> par le soin continuelque Dieu prend de le conserver (exempt de péché), dans laprospérité <strong>com</strong>me dans l’adversité : car c’est une conditionnécessaire de l’état de wilayèt, que le wéli soit conservé (exempt depéché), <strong>com</strong>me c’est une condition nécessaire (de la missionprophétique), que le prophète soit préservé (des f<strong>au</strong>tes mêmes lesplus légères) ; en eff<strong>et</strong>, toute personne dans laquelle la loi trouvequelque chose à reprendre, est un homme séduit <strong>et</strong> trompé. »Il y a dans ces passages plusieurs termes techniques de ladoctrine mystique, dont l’explication m’entraînerait trop loin. Je meborne à faire observer que, dans le langage de c<strong>et</strong>te secte, le mot étatsignifie un état surnaturel ou extatique, essentiellement passager <strong>et</strong> depeu de durée, qu’on <strong>com</strong>pare souvent à un éclair.Il y a sans doute dans les développements donnés par lesmystiques <strong>au</strong> sens des mots wéli <strong>et</strong> wilayèt, des subtilités qu’on nedoit point considérer <strong>com</strong>me appartenant <strong>au</strong> langage ordinaire ;mais ce qui doit fixer l’attention, c’est qu’il n’y a dans tout cela rienqui suggère l’idée de lieutenant ou vicaire. Wéli, <strong>et</strong> <strong>au</strong> pluriel ewliya, estun nom ou une épithète qui s’applique à tous ceux qui, par une viesainte <strong>et</strong> contemplative, s’efforcent de s’approcher de Dieu, des’unir intimement à lui, <strong>et</strong> de mériter ses faveurs spéciales. C’est15


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________assurément dans le même sens que les Schiites ou sectateurs d’Ali,même les moins enthousiastes, emploient en parlant de ce khalife,gendre du Prophète, <strong>et</strong> qu’ils considèrent <strong>com</strong>me son successeurlégitime, le titre de wéli, c’est-à-dire d’ami de Dieu, <strong>et</strong> c’est parce qu’ilsle regardent <strong>com</strong>me ayant un droit spécial à c<strong>et</strong>te honorablequalification, <strong>et</strong> possédant c<strong>et</strong>te qualité <strong>au</strong> degré le plus éminent,qu’ils le nomment le roi du wilayèt , c’est-à-dire celui quiest le chef <strong>et</strong> le premier entre tous les amis de Dieu.Baron Silvestre de SacyEXTRAITSD’un Livre qui contient la doctrine des Ismaélis, faisant suite à laNotice sur les Nosaïris <strong>et</strong> les Ismaélis 6 .Par M. ROUSSEAU, Consul général de France à Alep.EXTRAIT DU CHAPITRE IIScience des L<strong>et</strong>tres alphabétiquesLouange soit à l’Être souverain qui exerce sans <strong>au</strong>cun partage satoute-puissance, qui mérite les hommages de ses créatures pour lesfaveurs qu’il répand sur elles ; qui est équitable dans ses jugements,sage <strong>et</strong> bienfaisant dans es déterminations ; qui a choisi un p<strong>et</strong>itnombre d’élus, afin qu’ils servissent d’intermédiaires entre elshommes <strong>et</strong> lui ; qui a désigné ces mêmes élus dans son livre sacré,en jurant de faire prospérer ceux qui les honoreront, <strong>et</strong> d’humilierquiconque osera se soulever contre eux. – Sachez que nos scheïkhs(que Dieu sanctifie leurs âmes !) ont écrit be<strong>au</strong>coup sur le chapitredes l<strong>et</strong>tres élif, ba, ta, tsa 7 : elles renferment des mystères sublimes,<strong>et</strong> sont susceptibles d’explications allégoriques ; moi <strong>au</strong>ssi j’en6 [Cf. Mémoire sur les Ismaélis <strong>et</strong> les Nosaïris de Syrie, adressé à M. Sylvestre de Sacypar M. Rousse<strong>au</strong>, Consul-Général de France à Alep, Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident,numéros 11 & 12].7 Ce sont les quatre premières l<strong>et</strong>tres de l’alphab<strong>et</strong> arabe. Les musulmans ontplusieurs traités mystiques sur ces mêmes l<strong>et</strong>tres <strong>et</strong> celles qui les suivent,jusqu’à la dernière inclusivement. Ils leur attribuent toutes sortes de vertus,d’après les différentes <strong>com</strong>binaisons qu’ils en font.16


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________parlerai d’après ce que j’ai entendu. – Les l<strong>et</strong>tres sont <strong>au</strong> nombrevingt-huit, sans <strong>com</strong>pter le lam-élif (<strong>com</strong>posé de l’élif <strong>et</strong> du lam).Tous les livres apportés par les prophètes qui ont précédé Mohammed,tels que ceux d’Edris (Enoch ), de Nouh (Noé), d’Ibrahim(Abraham), de Davoud (David) <strong>et</strong> d’Isa (J. C.), étaient écrits avecvingt-deux l<strong>et</strong>tres seulement 8 . Dieu y a ajouté les six <strong>au</strong>tres quand ila été question d’envoyer le Coran à son apôtre favori ; ce sont le ta,le kha, le dzal, le sin, le tha <strong>et</strong> le aïn. Toutes ensemble se rapportent<strong>au</strong>x maisons de la lune, <strong>au</strong>x signes du zodiaque, <strong>au</strong>x planètes, <strong>au</strong>xéléments, <strong>et</strong>c., <strong>et</strong> se divisent en lumineuses <strong>et</strong> obscures, ou ensubstantielles <strong>et</strong> corporelles… Chacune d’elles sert encore àdésigner un prophète ou tout <strong>au</strong>tre saint personnage : le dzaldésigne Adam ; le ré, Noé ; le sin, Abraham ; le sad, Moïse ; le tha,Jésus ; le aïn, Mahom<strong>et</strong> ; le fa, Mehdy, <strong>et</strong>c.CHAPITRE III.Du Paradis.Au nom de Dieu clément <strong>et</strong> miséricordieux.Ô hommes, <strong>com</strong>ment pouvez -vous vous attacher à ce mondecorruptible , dont la vie n’est qu’un songe <strong>et</strong> les biens sont sipérissables. J’ai réservé un séjour plus permanent ; <strong>et</strong> plein dedélices éternelles, à ceux qui suivent ma loi <strong>et</strong> craignent les eff<strong>et</strong>s dema justice. Ce séjour est le paradis, où l’on entre par huit différentesportes, qui conduisent à <strong>au</strong>tant d’enceintes : il y a dans chaqueenceinte soixante-dix mille prairies de safran ; dans chaque prairie,soixante-dix mille demeures de nacre <strong>et</strong> de corail ; dans chaquedemeure, soixante-dix mille palais de rubis ; dans chaque palais,soixante-dix mille galeries de topaze ; dans chaque galerie, soixantedixmille salons d’or ; dans chaque salon, soixante-dix mille tablesd’argent ; sur chaque table, soixante-dix mille sortes de ragoûts, <strong>et</strong>c.,<strong>et</strong>c. Chacun de ces mêmes palais contient encore soixante-dix millesources de lait <strong>et</strong> de miel, avec <strong>au</strong>tant de pavillons de pourpre,occupés par de belles adolescentes. De plus, chaque salon est8 L’alphab<strong>et</strong> hébreu n’est <strong>com</strong>posé que de vingt-deux l<strong>et</strong>tres, <strong>et</strong> c’est sans douteà c<strong>au</strong>se de cela que l’<strong>au</strong>teur dit que tous les livres révélés <strong>au</strong>x anciens prophètes,jusqu’à Jésus-Christ inclusivement, étaient écrits avec vingt-deux l<strong>et</strong>tresseulement. Il est plus que vraisemblable que, dans l’antiquité l’alphab<strong>et</strong> araben'eut <strong>au</strong>ssi que vingt-deux l<strong>et</strong>tres ; mais il y a erreur ici dans la désignation dessix l<strong>et</strong>tres qui paraissent être d’une date plus récente : ce sont les l<strong>et</strong>tres tha,kha, dzal, dhad, dha <strong>et</strong> gaïn.Les livres des Druzes <strong>et</strong> les morce<strong>au</strong>x des écrits plus anciens des Baténisou Ismaélis, qu’on y lit, sont remplis d’allégories <strong>et</strong> de rêveries cabalistiques,fondées sur valeur des l<strong>et</strong>tres de l’alphab<strong>et</strong> ou sur leur forme. S. de S[acy]17


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________surmonté de soixante dix mille dômes d’ambre, <strong>et</strong> sur chaque dômesont étalées soixante-dix mille merveilles sorties des mains du Tout-Puissant. – Les habitants de ces lieux enchantés sont immortels ; ilsne connaissent ni les infirmités, ni le chagrin, ni les pleurs, ni les ris,ni les prières, ni le jeune. Quiconque se conforme à ma volonté <strong>et</strong>gagne mes bonnes grâces, s’assure une place dans les banqu<strong>et</strong>scélestes 9 .CHAPITRE IV.De L’Homme, de ses Devoirs, <strong>et</strong> du p<strong>et</strong>it nombre des Élus.Au nom de Dieu clément <strong>et</strong> miséricordieux.O fils d’Adam, l’empire de l’univers m’appartient en propre, <strong>et</strong> tu esmon serviteur. Ce que tu possèdes vient de moi ; mais sache que lesaliments dont tu te nourris ne te préserveront point de la mort, niles habits tu portes des infirmités de la chair ; tu avanceras ou tureculeras, suivant que ta langue s’exercera <strong>au</strong> mensonge ou à lavérité. – Ton être se <strong>com</strong>pose de trois parties : la première est àmoi, la seconde à toi, <strong>et</strong> la troisiéme nous appartient en <strong>com</strong>mun.Celle qui est à moi, c’est ton âme ; la tienne ce sont tes actions ; <strong>et</strong>celle que nous partageons entre nous, ce sont les prières que tum’adresses. Tu dois m’implorer dans tes besoins ; ma bienfaisanceest de t’ex<strong>au</strong>cer. Ô fils d’Adam, honore-moi <strong>et</strong> tu me connaîtras ;crains-moi, <strong>et</strong> tu me verras ; adore-moi, <strong>et</strong> tu t’approcheras de moi.– Ô fils d’Adam, si les rois sont précipités dans les flammes pourleurs tyrannies, les magistrats, pour leurs trahisons, les docteurs,pour leurs jalousies, les artisans pour leurs fr<strong>au</strong>des, les grands pourleur orgueil, les p<strong>et</strong>its pour leur hypocrisie, les p<strong>au</strong>vres pour leursmensonges…, où seront donc ceux qui aspirent à entrer dans leparadis ?CHAPITRE XXVII.Histoire de Noé..Dans le chapitre le plus long de l’ouvrage, il est parlé de Nouh9 Il est très-possible qu’il se trouve dans les livres anciens des Ismaélis, desemblables descriptions du paradis ; mais ce sont indubitablement desallégories : car, dans la doctrine de c<strong>et</strong>te secte, le paradis n’est <strong>au</strong>tre chose quela vraie religion, <strong>et</strong> l’époque de sa manifestation.On doit croire, <strong>au</strong> surplus, que ces table<strong>au</strong>x des joies du paradis étaientpris à la l<strong>et</strong>tre par les fanatiques, que les chefs du parti amenaient à l’obéissanceaveugle <strong>et</strong> à l’abnégation même de la vie, par l’avant-goût qu’ils leur procuraientde c<strong>et</strong>te félicité sensuelle.18


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________ou Noé ; de la mission que Dieu lui avait donnée pour rappeler sonpeuple égaré <strong>au</strong> vrai culte ; de la persévérance des hommes dans lesvoies de la perdition ; du déluge universel, qui fut le châtiment deleurs crimes ; enfin de l’arche destinée à conserver le p<strong>et</strong>it nombred’individus qui devaient repeupler la terre après la destruction dugenre humain. La description de c<strong>et</strong>te arche est toutemétaphysique : sa charpente, ses mâts, ses voiles, son timon, sescordages, la poix dont elle était enduite, jusqu’<strong>au</strong>x personnes <strong>et</strong> <strong>au</strong>xanim<strong>au</strong>x qu’elle renfermait, sont ingénieusement allégorisés ; <strong>et</strong>,présentent, sous les couleurs de la fiction, les princip<strong>au</strong>x traits de lareligion ismaélienne.Voilà ce que contient en substance ce chapitre, qui ne m’aguère paru susceptible d’une analyse raisonnable. Je passerai donc,sans m’y arrêter davantage, <strong>au</strong>x sections suivantes.EXTRAIT DU CHAPITRE XXIX.Ce chapitre contient quelques odes morales, des invocations àDieu, des hymnes, des homélies <strong>et</strong> des maximes de conduite ; ellessont toutes écrites d’un style trivial <strong>et</strong> diffus, n’ont <strong>au</strong>cune liaisonentre elles, <strong>et</strong> sont pleines de f<strong>au</strong>tes <strong>et</strong> de redites fastidieuses. Deuxseules pièces 10 m’ont paru dignes d’être traduites.PRIÈRE« A ta porte suprême j’attends l’ac<strong>com</strong>plissement de mes souhaits. –Daigne, grand Dieu, calmer les inquiétudes de mon cœur ; soulagemoidans mes disgrâces, <strong>et</strong> fais prospérer mes actions.« A ta porte, <strong>et</strong>c.« J’ai mis mon espérance en ta bonté. Seigneur, viens à monsecours, <strong>et</strong> décharge-moi du poids de mes iniquités.« A ta porte, <strong>et</strong>c.« Ton serviteur se présente à toi en p<strong>au</strong>vre, <strong>et</strong> avec un cœurbrisé de douleur. Daigne lui aplanir les difficultés, <strong>et</strong> r<strong>et</strong>ire-le, del’état d’humiliation où il se trouve.« A ta porte <strong>et</strong>c.« Maître de l’univers, dispensateur des bienfaits, ex<strong>au</strong>ce maprière, <strong>et</strong> m<strong>et</strong>s-moi dans le chemin de la vertu.« A ta porte suprême, <strong>et</strong>c.« Mon Dieu, j’implore ta miséricorde ; ne me rej<strong>et</strong>te pas de taprésence, <strong>et</strong> accorde-moi la subsistance journalière.10 J’ai supprimé la seconde de ces pièces, qui ne contient rien qui mérite d’êtreremarqué.19


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________« A ta porte , <strong>et</strong>c.« O <strong>com</strong>bien n’as-tu-pas d’adorateurs <strong>et</strong> de suppliants ! Daigneagréer que je prenne part <strong>au</strong>x hommages qu’ils t’offrent sans cesse.Tu connais mes besoins, j’espère en ta grâce ! »Anniversaire1949-2009Pour le rapprochement de l’Église <strong>et</strong> de l’islamNous avons reçu la l<strong>et</strong>tre suivante :Monsieur,L’Association mondiale musulmane en Europe <strong>et</strong> en Afriquevient de prendre connaissance du mémorandum publié par laCongrégation de la propagande du Vatican, concernant lerapprochement de l’Église <strong>et</strong> de l’Islam, ainsi que votre<strong>com</strong>mentaire très objectif paru dans le Monde du 26 novembre 1949.L’Islam est une religion qui prescrit à tous ses adeptes l’union<strong>et</strong> la <strong>com</strong>préhension, <strong>com</strong>me la Coran l’a précisé, avec « Ceux deslivres » (Évangile, Bible, Coran), qui sont les croyants. Plusparticulièrement le Coran insiste sur les liens indissolubles quiexistent entre les chrétiens <strong>et</strong> les musulmans. C’est dans c<strong>et</strong>te lignesacrée que l’Association mondiale musulmane se fera le devoir demarcher main à main avec le monde catholique non seulementcontre le <strong>com</strong>munisme, mais contre toutes les idéologiesdestructives qui visent à l’anarchie <strong>et</strong> <strong>au</strong> nihilisme, à la dégradationde l’homme <strong>et</strong> à sa négation.La nécessité d’un front <strong>com</strong>mun s’impose d’une manièreimpérieuse qui demande une conjugaison d’efforts réciproques <strong>et</strong>continus.Pour cela il suffit d’une conférence où seront représentées lespersonnalités du monde catholique <strong>et</strong> du monde musulman pourcoordonner les moyens <strong>et</strong> raffermir les liens, <strong>com</strong>bien solides <strong>et</strong>existants ! Quant à l’action, elle en découle nécessairement puisqu<strong>et</strong>out croyant sincère <strong>et</strong> conscient a <strong>com</strong>me première obligation ladéfense de ses valeurs <strong>et</strong> de son patrimoine spirituels.L’Association mondiale musulmane a déjà fait un appel danstout le monde musulman pour l’union <strong>et</strong> la coopération, <strong>com</strong>meelle rend hommage à tous ceux qui œuvrent en ce sens dans le20


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________monde occidental, plus particulièrement à M. le professeur L.Massignon, qui demeure le symbole de notre action.Nous vous prions de croire, Monsieur le directeur, <strong>et</strong>c.Al Barrhy,Secrétaire général de l’Association mondiale musulmane en Europe <strong>et</strong> enAfriqueLIBRES DESTINATIONSBe<strong>au</strong>coup de principes <strong>et</strong> de formes de la religion des Bhoutiasressemblent à celle des Hindous ; d’<strong>au</strong>tres rappellent certainesobservances du catholicisme romain, telles que le célibat du clergé,les <strong>com</strong>mun<strong>au</strong>tés ecclésiastiques des deux sexes, les chapel<strong>et</strong>s, lamanière de chanter l’office. Suivant leur cosmogonie, les régionscélestes sont situées sur le somm<strong>et</strong> d’un rocher carré d’unegrandeur <strong>et</strong> d’une élévation immenses, <strong>et</strong> dont les côtés sont<strong>com</strong>posés de cristal, de rubis, de saphirs <strong>et</strong> d’émer<strong>au</strong>des. A peu prèsà la moitié de la h<strong>au</strong>teur est la région du soleil <strong>et</strong> de la lune ; <strong>au</strong>dessousest l’Océan qui entoure le tout, avec sept bandes de terrequi ceignent le pied du rocher <strong>et</strong> quelques îles, séjour du genrehumain. Les régions infernales sont par conséquent sous la terre.Les prêtres n’ont pas d’édifices construits exprès pour lapratique des cérémonies religieuses ; mais afin de conserver lesentiment de la religion, plusieurs p<strong>et</strong>its temples sont bâtis le longdes grands chemins ; ils sont ordinairement de forme carrée, <strong>et</strong>renferment soit des portraits, soit des statues de la divinité. Cesbâtimens [sic] renferment de plus une espèce de baril fixé par lemilieu sur un axe ; l’intérieur en est rempli d’un roule<strong>au</strong> de papiersur lequel les mots am an pé me hon sont imprimés, <strong>et</strong> le couvrent enentier : c’est une formule pour implorer la bénédiction du ciel ; lesfidèles la marmottent avec ferveur. Le roule<strong>au</strong> mobile est placé demanière à ce que chaque passant puisse satisfaire sa piété en lefaisant tourner.21


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________Les ghelongs ou prêtres sont originairement de 'jeunes garçonspris dans les familles les plus considérables du pays ; le temps deleur noviciat se passe de la manière la plus triste <strong>et</strong> la plusmonotone, <strong>et</strong> leurs ennuyeux momens [sic] ne trouvent pasbe<strong>au</strong>coup de relâche dans le sommeil, s’il doivent rester, pendant lanuit, dans la posture réputée nécessaire à un ghelong : il est assis lesjambes croisées <strong>et</strong> les pieds arrangés de façon qu’ils posent sur lapartie supérieure de la cuisse opposée. Le corps est tenu bien droit,afin que les bras, sans être du tout fléchis, puissent s’appliquercontre les côtés ; les mains, la p<strong>au</strong>me tournée en l’air, reposentégalement sur les caisses ; les yeux sont dirigés vers le nez, afin deveiller à ce que l’haleine ne trouve pas l’occasion de s’échapperentièrement du corps. Un homme fait la ronde armé d’un fou<strong>et</strong> <strong>et</strong>d’une lanterne ; <strong>et</strong> examine si tous les élèves sont dans l’attitude <strong>et</strong>la position convenables.La seconde classe des habitans [sic] est celle des zinkabs. Cesont littéralement les esclaves du gouvernement. La troisième oucelle des cultivateurs paraît jouir d’une existence moins gênée <strong>et</strong>plus raisonnable que les deux précédentes. Mais les femmes,n’importe leur rang, ne sont nulle part plus maltraitées qu’<strong>au</strong>Bhoutan.Le gouvernement semble être doux <strong>et</strong> équitable, <strong>et</strong> bien adaptéan caractère des habitans. Ils sont p<strong>au</strong>vres, mais heureux, <strong>et</strong>également à l’abri d’une tyrannie accablante à l’intérieur <strong>et</strong> d’uneinvasion du dehors. L’absence de tout motif d’ambition oud’agrandissement personnel <strong>au</strong>x dépens de l’État, parmi lespersonnes <strong>au</strong>xquelles l’administration du gouvernement est confiée,m<strong>et</strong> les Bhoutias à l’abri du premier de ces dangers ; les obstaclesopposés par la nature du pays <strong>et</strong> par le m<strong>au</strong>vais état des routes, lespréservent du second.Parmi les cérémonies religieuses que M. Davis vit àTassisudon, il y en eut une qui dura vingt jours ; les treize premiersfurent consacrés à la prière ; les sept <strong>au</strong>tres employés à danser : dansc<strong>et</strong>te occasion, les danseurs qui sont les ghelongs sont déguisés ;leurs masquent représentent des anim<strong>au</strong>x, des crânes, le pouvoirdestructeur <strong>et</strong> divers <strong>au</strong>tres obj<strong>et</strong>s fantastiques <strong>et</strong> singuliers.(Extrait d’une note lue à la Société Asiatique de la Grande-Br<strong>et</strong>agne <strong>et</strong>d’Irlande.)22


Les Cahiers d’Orient <strong>et</strong> d’Occident Bull<strong>et</strong>in bimestriel n°21_____________________________________________________________AU SOMMAIRE DE CE NUMÉRODe l’Orient intérieurDocuments d’Orient <strong>et</strong> d’Occident[Xavier Marmier], « Mme Rahel-Frédérique Varnhagen von Ense »,Nouvelle Revue Germanique, 1833.Sylvestre de Sacy, « Ali est le WELI de Dieu »,Journal asiatique, VII, 1831.EXTRAITS d’un Livre qui contient la doctrine des Ismaélis, faisantsuite à la Notice sur les Nosaïris <strong>et</strong> les Ismaélis. Par M. ROUSSEAU,Consul général de France à Alep, Annales des voyages, XVIII, 1812.Libres destinationsNotice sur les habitants du Bhoutan,Nouvelles Annales des voyages, 1830.Compte-renduCes Cahiers sont une publication en ligne du site D’Orient <strong>et</strong> d’Occidenthttp://edition.<strong>moncelon</strong>.fr/index.htmResponsable : Jean MoncelonCorrespondance : jm@<strong>moncelon</strong>.frTous droits réservés2006-200923

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