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À propos de Barthes - Philippe Sollers

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www.revue-contrepoints.com (ISSN : 1634-0418)Tous droits réservés Revue Contrepoints 2002<strong>de</strong> la réflexion théorique chez Tel Quel, qui esttrès importante, et que l’on sous-estime un peuen général, dans les attaques que l’on mènecontre ce groupe ». C’est l’année, pour lui, <strong>de</strong> lapublication <strong>de</strong> S/Z, <strong>de</strong> L’Empire <strong>de</strong>s signes, <strong>de</strong> lapréface - vous en faites une aussi, et pour lemême livre - à E<strong>de</strong>n, é<strong>de</strong>n, é<strong>de</strong>n <strong>de</strong> Guyotat. TelQuel : <strong>de</strong> quel groupe s’agissait-il ? Et qu’yréfléchissait-on qui l’intéressât à ce point ?PS - Tel Quel était outre une revue, ce que l’onpourrait appeler un mouvement. Mouvement dont<strong>Barthes</strong> faisait partie mais qui comptait aussi <strong>de</strong>sgens comme Ponge, Thévenin, Derrida, Lacan,Foucault… Ils n’étaient pas exactement <strong>de</strong>scollaborateurs <strong>de</strong> la revue, davantage <strong>de</strong>s amis.<strong>Barthes</strong> était <strong>de</strong> nos amis proches, l’un <strong>de</strong>s plusproches. Tout ceci me fait penser que nousn’envisagions pas nos relations avec nos amis entermes générationnels. Le paradigme générationneln’est arrivé que bien plus tard. Avec l’ère Mitterrand.D’ailleurs, il est intéressant <strong>de</strong> constater que l’on acommencé à parler <strong>de</strong> génération en même tempsque l’on a entendu parler <strong>de</strong> corruption et qu’àmesure que la corruption s’est étendue, leparadigme générationnel s’est renforcé. Tout celaest finalement très logique. En tout état <strong>de</strong> cause, cen’était pas notre façon <strong>de</strong> voir les choses. La pseudorupture entre les classiques et les mo<strong>de</strong>rnes estfausse, idéologique ou académique. A Tel Quel,nous promouvions l’idée, avec <strong>Barthes</strong>, que touttexte, ancien ou nouveau, fonctionnait, fonctionne etfonctionnera toujours dans l’ici et maintenant <strong>de</strong> salecture, indépendamment du corps <strong>de</strong> son auteur.<strong>Barthes</strong> était précisément intéressé par cette idéetrès réellement vérifiable d’une continuité entre lesclassiques et les mo<strong>de</strong>rnes. Tel Quel, ce qui s’yécrivait était à la fois très classique et très mo<strong>de</strong>rne,d’avant-gar<strong>de</strong> comme l’on dit. L’idée polémique,selon laquelle <strong>Barthes</strong> était un classique (dans sesgoûts comme par son style) dont l’alliance avec TelQuel était stratégique, est, on le voit, tout simplementabsur<strong>de</strong>. Cette alliance est très facile à comprendresi l’on a le souci historique. Nous vivions une pério<strong>de</strong>(du début <strong>de</strong>s années 1960 au milieu <strong>de</strong>s années1970) vraiment révolutionnaire. Une révolutionpossible d’ailleurs parce que la situation économiquen’était pas mauvaise. Le vieux mon<strong>de</strong> y était attaqué<strong>de</strong> toutes parts. Quelque chose cherchait à émerger,à surgir, à dépasser les vieux schèmes interprétatifsxénophobes et stalino-collaborateurs. Dans telmoment, on voit apparaître <strong>de</strong>s espaces <strong>de</strong> captation<strong>de</strong>s forces inventives, créatives. C’était le cas, jepense, <strong>de</strong> Tel Quel ou <strong>de</strong> l’InternationaleSituationniste, sur <strong>de</strong>s voies différentes et pasforcément convergentes. <strong>Barthes</strong>, avec d’autres,avait cette exigence d’invention. C’est la raison <strong>de</strong>son rapprochement, puis <strong>de</strong> sa participation aumouvement <strong>de</strong> Tel Quel.RC - Ces années 70 sont celles qui sont les plusriches en références à vos travaux. <strong>Barthes</strong> vouscite, en appelle à l’un <strong>de</strong> vos livres - Drame -,jusque dans sa préface à l’Encyclopédie Bordas.En 1971, vous consacrez un numéro spécial <strong>de</strong>Tel Quel à celui que l’on peut dire votre amimaintenant. Vous partez ensemble en Chine(1974). <strong>Barthes</strong> écrit en revenant <strong>de</strong> ce voyage :« En somme, à peu <strong>de</strong> choses près, la Chine nedonne à lire que son Texte politique ». Pouvezvousnous en dire un peu plus sur les conditions<strong>de</strong> ce voyage ?PS - A l’origine <strong>de</strong> ce voyage, encore uneconvergence <strong>de</strong> points <strong>de</strong> vues : la Chine était unhorizon linguistique, philosophique, artistique etpolitique nouveau. Nous étions donc quelques-uns àvouloir aller y voir <strong>de</strong> plus près. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cetteconvergence d’analyse, nous avions <strong>de</strong>s centresd’intérêt assez différents. Marcelin Pleynet, JuliaKristeva et moi-même avions envie <strong>de</strong> comprendrecomment les corps, la sexualité pouvaientfonctionner là-bas, avec ce système symboliquetellement différent du nôtre. Jacques Lacan cherchaità savoir si le travail psychanalytique était adapté, oupas du tout, au fonctionnement asiatique. Ils’entretenait beaucoup alors avec François Cheng,ami <strong>de</strong> longue date qui a <strong>de</strong>ssiné pour moi lesidéogrammes <strong>de</strong> Nombres. François Wahl était notreréférent auprès <strong>de</strong>s Éditions du Seuil. Roland<strong>Barthes</strong>, quant à lui, était dans une phase <strong>de</strong>recentrement - tout à fait tangible dans ses écrits -,qui impliquait une curiosité à ses plaisirs immédiats,à sa sensualité.Nous <strong>de</strong>vions donc partir ensemble, tous les six.Lacan s’est désisté au <strong>de</strong>rnier moment. Noussommes partis à cinq.On peut dire que <strong>Barthes</strong> s’est ennuyé en Chine.D’abord le programme était très ambitieux, ce quinous laissait peu <strong>de</strong> temps. Chacun <strong>de</strong> nous aobservé ce qu’il était venu observer. Le journal qu’apublié Pleynet, Les Chinoises <strong>de</strong> Kristeva, ce que j’aimoi-même écrit témoignent <strong>de</strong> tout cela. <strong>Barthes</strong> a,lui aussi, fait part <strong>de</strong> ses impressions. Dans lapresse. On peut le lire. Ceci dit, il a préféré sonvoyage précé<strong>de</strong>nt, au Japon. Ce que nous avonsconnu en Chine était plutôt du genre à nous fairedouter <strong>de</strong> l’authenticité <strong>de</strong> notre sentimentrévolutionnaire.RC - Revenons aux textes. Ce qui ne laisse <strong>de</strong>surprendre aujourd’hui, en comparaison avecl’indigence <strong>de</strong>s amitiés intellectuelles que nousconnaissons, est que <strong>Barthes</strong> ne vous convoquejamais dans ce qu’il écrit ou dit qu’en rapportavec votre recherche…PS - C’est très important. <strong>Barthes</strong>, avec lucidité,anticipe le règne <strong>de</strong> l’image et <strong>de</strong> la « socio-médiamanie». Tout le travail que nous faisions, à Tel Quelet donc avec <strong>Barthes</strong>, à l’époque, était tendu vers unobjectif : la lecture. Pour illustration <strong>de</strong> la lucidité <strong>de</strong><strong>Barthes</strong>, j’aimerais vous dire qu’aujourd’hui, j’ai ludans la revue <strong>de</strong> Régis Debray, Médiologie, unarticle dans lequel il est dit que je passe tellement <strong>de</strong>temps à faire autre chose que je ne lis plus, que jen’en ai plus le temps, que je picore… Une telleaffirmation a <strong>de</strong> quoi surprendre. Je pense pourtantavoir fait la preuve que non seulement j’ai le temps<strong>de</strong> lire, mais que je lis. C’est contre ce type <strong>de</strong>diffamation que <strong>Barthes</strong> s’élevait. Avec sa métho<strong>de</strong>,sans hystérie, il rappelait systématiquement la réalitédu travail d’écriture, <strong>de</strong> lecture. Il y a un moment où il2

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