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À propos de Barthes - Philippe Sollers

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www.revue-contrepoints.com (ISSN : 1634-0418)Tous droits réservés Revue Contrepoints 2002« L’écrit à l’écrit en tant qu’écrit »A <strong>propos</strong> <strong>de</strong> <strong>Barthes</strong> : entretien avec <strong>Philippe</strong> <strong>Sollers</strong>.« <strong>Barthes</strong>, c’est l’être que j’ai eu le plus <strong>de</strong> mal à voir mourir. L’amitié. »<strong>Philippe</strong> <strong>Sollers</strong>, « Rencontres ».Art Press, 1981.Revue Contrepoints - <strong>Philippe</strong> <strong>Sollers</strong>, lapremière trace écrite officielle que nous ayonsd’un intérêt <strong>de</strong> <strong>Barthes</strong> pour ce que vous faitesdate <strong>de</strong> 1963. Encore ne vous évoque-t-ilqu’accompagné <strong>de</strong> Cayrol, Robbe-Grillet, Simon,Butor… Tous représentants d’une nouvellegénération littéraire. A ce moment-là, vous n’avezque 27 ans mais êtes déjà l’auteur <strong>de</strong> troisromans (Le Défi, Une curieuse solitu<strong>de</strong>, Leparc) et vous avez créé la revue Tel Quel. Autantdire - et étant donné les premières réceptions <strong>de</strong>vos ouvrages -, que vous n’êtes pas inconnu <strong>de</strong>la scène littéraire. Votre amitié avec <strong>Barthes</strong>précè<strong>de</strong>-t-elle cette première intervention ?<strong>Philippe</strong> <strong>Sollers</strong> - Si mon souvenir est bon : non, larencontre a été ultérieure. Retraçons un peu leschoses. A l’époque, c’est-à-dire dans les années1962, 1963, la revue Tel Quel connaît en interne <strong>de</strong>sdiscordances très importantes. Des désaccordsprofonds entre les membres du comité <strong>de</strong> rédactionse font jour. Ils portent à la fois sur <strong>de</strong>s questionspolitiques - rappelons que nous sommes alors enpleine guerre d’Algérie - et sur <strong>de</strong>s orientationslittéraires, les choix <strong>de</strong> certains étant perçus commetrès régressifs sur ces <strong>de</strong>ux plans par les autres, lamajorité <strong>de</strong>s autres membres du comité <strong>de</strong> rédaction.A ce moment-là donc, nous décidons que la politiqueéditoriale <strong>de</strong> la revue doit changer et visons àrassembler autant que possible ce que la scènelittéraire comporte <strong>de</strong> contestataires. Mafréquentation <strong>de</strong> <strong>Barthes</strong> doit débuter à cettepério<strong>de</strong>, au moment <strong>de</strong> l’envoi d’un questionnaireque nous avions intitulé « La littératured’aujourd’hui » et auquel <strong>Barthes</strong> a répondu. Maisnos rapports ont commencé à <strong>de</strong>venir plus étroits,voire amicaux, à partir <strong>de</strong> 1965. Date à laquelle<strong>Barthes</strong> prend acte publiquement du livre dont jesuis, à l’époque, disons le moins mécontent.De son côté, <strong>Barthes</strong> était en fait assez isolé. D’unepart, en ce qui concerne son intimité, il s’était brouilléavec Foucault, <strong>de</strong> l’autre, sur la scène publique, ilétait l’objet d’une levée <strong>de</strong> boucliers universitaires etjournalistiques provoqués par son livre Sur Racine.Enfin, c’est le moment où il s’éloigne <strong>de</strong> Brecht et <strong>de</strong>Robbe-Grillet.Il y a donc eu, comme certaines fois dans l’histoire,une convergence d’éléments qui ont favorisé,naturellement, notre rapprochement.En 1966, je publie dans la collection Tel Quel, que jedirige, Critique et vérité : la réponse <strong>de</strong> <strong>Barthes</strong> àPicard - Picard étant l’universitaire spécialiste <strong>de</strong>Racine et l’instigateur <strong>de</strong> fait, puisque auteur <strong>de</strong>Nouvelle critique ou Nouvelle imposture, <strong>de</strong> la levée<strong>de</strong> boucliers que j’évoquais à l’instant.Précisons immédiatementque ce rapport d’alliance,qui fut aussi un rapportd’amitié, a été,contrairement à cequ’aurait voulu une certaine critique, un rapportd’épanouissement personnel réciproque, <strong>de</strong> soutien,<strong>de</strong> liberté. C’était d’autant plus important quel’époque était difficile et que nous y vivions <strong>de</strong>stensions plus ou moins aiguës avec notre entouragecommun : Foucault donc, mais aussi Derrida,Althusser, etc. Peu <strong>de</strong> temps après l’université allaitéclater, beaucoup d’œuvres conséquentesparaissaient, les enjeux étaient importants.RC - Je fais un saut dans le temps <strong>de</strong> quelquesannées. Jusqu’en 1967 exactement. Vous avezpublié Drame. <strong>Barthes</strong>, dans un entretien accordéà Raymond Bellour pour les Lettres françaises,déclare : « Le temps du nouveau récit viendrasans doute bientôt, il vient déjà, préfiguré par lesvues <strong>de</strong> Mallarmé sur la poésie-fiction, lesstructures infiniment digressives du romanproustien, les récits <strong>de</strong> Bataille, les recherches<strong>de</strong> <strong>Sollers</strong> ». Je n’ai pu m’empêcher en lisantcette phrase <strong>de</strong> penser à Paradis… <strong>Barthes</strong>suivait-il vos productions <strong>de</strong> si près qu’il a pu enavoir « l’intuition » ?PS - A cette pério<strong>de</strong> nous nous voyonsrégulièrement et nos rapports sont absolumentconstants. Ils ne sont pas directement politiques,plutôt littéraires, bien qu’évi<strong>de</strong>mment - est-cenécessaire que je le souligne ? - le travail du langageait <strong>de</strong>s effets politiques. Dans le contexte qui nousest commun alors, celui <strong>de</strong> la revue Tel Quel, uncertain nombre <strong>de</strong> recherches convergentes créentune situation dont on pouvait percevoir qu’elledéboucherait sur <strong>de</strong> nouvelles perspectives. <strong>Barthes</strong>était partie prenante <strong>de</strong> toute cette activité théorique.Il était attentif à tout ce qui se faisait, notamment àce que Kristeva formalisait, à ce que Jakobsonélaborait… H, que je publie en 1973 est le vraipréambule <strong>de</strong> Paradis. Ceci dit, ces <strong>de</strong>ux livresfurent précédés par beaucoup d’autres travaux. Destravaux que <strong>Barthes</strong> connaissaient. C’est à cestravaux que les <strong>propos</strong> <strong>de</strong> <strong>Barthes</strong> que vous citezfont référence.RC - En 1970, dans un entretien pour Lesnouvelles littéraires, il dit à <strong>propos</strong> <strong>de</strong> TelQuel que l’on accuse d’avoir une « attitu<strong>de</strong>terroriste », qu’il s’agit davantage <strong>de</strong> penser cetteattitu<strong>de</strong> en terme <strong>de</strong> radicalité que <strong>de</strong> terrorisme.Une radicalité, poursuit-il, qui tient à « l’énergie1


www.revue-contrepoints.com (ISSN : 1634-0418)Tous droits réservés Revue Contrepoints 2002<strong>de</strong> la réflexion théorique chez Tel Quel, qui esttrès importante, et que l’on sous-estime un peuen général, dans les attaques que l’on mènecontre ce groupe ». C’est l’année, pour lui, <strong>de</strong> lapublication <strong>de</strong> S/Z, <strong>de</strong> L’Empire <strong>de</strong>s signes, <strong>de</strong> lapréface - vous en faites une aussi, et pour lemême livre - à E<strong>de</strong>n, é<strong>de</strong>n, é<strong>de</strong>n <strong>de</strong> Guyotat. TelQuel : <strong>de</strong> quel groupe s’agissait-il ? Et qu’yréfléchissait-on qui l’intéressât à ce point ?PS - Tel Quel était outre une revue, ce que l’onpourrait appeler un mouvement. Mouvement dont<strong>Barthes</strong> faisait partie mais qui comptait aussi <strong>de</strong>sgens comme Ponge, Thévenin, Derrida, Lacan,Foucault… Ils n’étaient pas exactement <strong>de</strong>scollaborateurs <strong>de</strong> la revue, davantage <strong>de</strong>s amis.<strong>Barthes</strong> était <strong>de</strong> nos amis proches, l’un <strong>de</strong>s plusproches. Tout ceci me fait penser que nousn’envisagions pas nos relations avec nos amis entermes générationnels. Le paradigme générationneln’est arrivé que bien plus tard. Avec l’ère Mitterrand.D’ailleurs, il est intéressant <strong>de</strong> constater que l’on acommencé à parler <strong>de</strong> génération en même tempsque l’on a entendu parler <strong>de</strong> corruption et qu’àmesure que la corruption s’est étendue, leparadigme générationnel s’est renforcé. Tout celaest finalement très logique. En tout état <strong>de</strong> cause, cen’était pas notre façon <strong>de</strong> voir les choses. La pseudorupture entre les classiques et les mo<strong>de</strong>rnes estfausse, idéologique ou académique. A Tel Quel,nous promouvions l’idée, avec <strong>Barthes</strong>, que touttexte, ancien ou nouveau, fonctionnait, fonctionne etfonctionnera toujours dans l’ici et maintenant <strong>de</strong> salecture, indépendamment du corps <strong>de</strong> son auteur.<strong>Barthes</strong> était précisément intéressé par cette idéetrès réellement vérifiable d’une continuité entre lesclassiques et les mo<strong>de</strong>rnes. Tel Quel, ce qui s’yécrivait était à la fois très classique et très mo<strong>de</strong>rne,d’avant-gar<strong>de</strong> comme l’on dit. L’idée polémique,selon laquelle <strong>Barthes</strong> était un classique (dans sesgoûts comme par son style) dont l’alliance avec TelQuel était stratégique, est, on le voit, tout simplementabsur<strong>de</strong>. Cette alliance est très facile à comprendresi l’on a le souci historique. Nous vivions une pério<strong>de</strong>(du début <strong>de</strong>s années 1960 au milieu <strong>de</strong>s années1970) vraiment révolutionnaire. Une révolutionpossible d’ailleurs parce que la situation économiquen’était pas mauvaise. Le vieux mon<strong>de</strong> y était attaqué<strong>de</strong> toutes parts. Quelque chose cherchait à émerger,à surgir, à dépasser les vieux schèmes interprétatifsxénophobes et stalino-collaborateurs. Dans telmoment, on voit apparaître <strong>de</strong>s espaces <strong>de</strong> captation<strong>de</strong>s forces inventives, créatives. C’était le cas, jepense, <strong>de</strong> Tel Quel ou <strong>de</strong> l’InternationaleSituationniste, sur <strong>de</strong>s voies différentes et pasforcément convergentes. <strong>Barthes</strong>, avec d’autres,avait cette exigence d’invention. C’est la raison <strong>de</strong>son rapprochement, puis <strong>de</strong> sa participation aumouvement <strong>de</strong> Tel Quel.RC - Ces années 70 sont celles qui sont les plusriches en références à vos travaux. <strong>Barthes</strong> vouscite, en appelle à l’un <strong>de</strong> vos livres - Drame -,jusque dans sa préface à l’Encyclopédie Bordas.En 1971, vous consacrez un numéro spécial <strong>de</strong>Tel Quel à celui que l’on peut dire votre amimaintenant. Vous partez ensemble en Chine(1974). <strong>Barthes</strong> écrit en revenant <strong>de</strong> ce voyage :« En somme, à peu <strong>de</strong> choses près, la Chine nedonne à lire que son Texte politique ». Pouvezvousnous en dire un peu plus sur les conditions<strong>de</strong> ce voyage ?PS - A l’origine <strong>de</strong> ce voyage, encore uneconvergence <strong>de</strong> points <strong>de</strong> vues : la Chine était unhorizon linguistique, philosophique, artistique etpolitique nouveau. Nous étions donc quelques-uns àvouloir aller y voir <strong>de</strong> plus près. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cetteconvergence d’analyse, nous avions <strong>de</strong>s centresd’intérêt assez différents. Marcelin Pleynet, JuliaKristeva et moi-même avions envie <strong>de</strong> comprendrecomment les corps, la sexualité pouvaientfonctionner là-bas, avec ce système symboliquetellement différent du nôtre. Jacques Lacan cherchaità savoir si le travail psychanalytique était adapté, oupas du tout, au fonctionnement asiatique. Ils’entretenait beaucoup alors avec François Cheng,ami <strong>de</strong> longue date qui a <strong>de</strong>ssiné pour moi lesidéogrammes <strong>de</strong> Nombres. François Wahl était notreréférent auprès <strong>de</strong>s Éditions du Seuil. Roland<strong>Barthes</strong>, quant à lui, était dans une phase <strong>de</strong>recentrement - tout à fait tangible dans ses écrits -,qui impliquait une curiosité à ses plaisirs immédiats,à sa sensualité.Nous <strong>de</strong>vions donc partir ensemble, tous les six.Lacan s’est désisté au <strong>de</strong>rnier moment. Noussommes partis à cinq.On peut dire que <strong>Barthes</strong> s’est ennuyé en Chine.D’abord le programme était très ambitieux, ce quinous laissait peu <strong>de</strong> temps. Chacun <strong>de</strong> nous aobservé ce qu’il était venu observer. Le journal qu’apublié Pleynet, Les Chinoises <strong>de</strong> Kristeva, ce que j’aimoi-même écrit témoignent <strong>de</strong> tout cela. <strong>Barthes</strong> a,lui aussi, fait part <strong>de</strong> ses impressions. Dans lapresse. On peut le lire. Ceci dit, il a préféré sonvoyage précé<strong>de</strong>nt, au Japon. Ce que nous avonsconnu en Chine était plutôt du genre à nous fairedouter <strong>de</strong> l’authenticité <strong>de</strong> notre sentimentrévolutionnaire.RC - Revenons aux textes. Ce qui ne laisse <strong>de</strong>surprendre aujourd’hui, en comparaison avecl’indigence <strong>de</strong>s amitiés intellectuelles que nousconnaissons, est que <strong>Barthes</strong> ne vous convoquejamais dans ce qu’il écrit ou dit qu’en rapportavec votre recherche…PS - C’est très important. <strong>Barthes</strong>, avec lucidité,anticipe le règne <strong>de</strong> l’image et <strong>de</strong> la « socio-médiamanie». Tout le travail que nous faisions, à Tel Quelet donc avec <strong>Barthes</strong>, à l’époque, était tendu vers unobjectif : la lecture. Pour illustration <strong>de</strong> la lucidité <strong>de</strong><strong>Barthes</strong>, j’aimerais vous dire qu’aujourd’hui, j’ai ludans la revue <strong>de</strong> Régis Debray, Médiologie, unarticle dans lequel il est dit que je passe tellement <strong>de</strong>temps à faire autre chose que je ne lis plus, que jen’en ai plus le temps, que je picore… Une telleaffirmation a <strong>de</strong> quoi surprendre. Je pense pourtantavoir fait la preuve que non seulement j’ai le temps<strong>de</strong> lire, mais que je lis. C’est contre ce type <strong>de</strong>diffamation que <strong>Barthes</strong> s’élevait. Avec sa métho<strong>de</strong>,sans hystérie, il rappelait systématiquement la réalitédu travail d’écriture, <strong>de</strong> lecture. Il y a un moment où il2


www.revue-contrepoints.com (ISSN : 1634-0418)Tous droits réservés Revue Contrepoints 2002faut rappeler les images sociales à l’ordre, comme illui est arrivé <strong>de</strong> l’écrire…RC - En même temps, il note que dans sonsystème référentiel, vous intégrez le groupe<strong>Sollers</strong>-Kristeva-Derrida-Lacan : une phase.« Musique <strong>de</strong> figures, <strong>de</strong> métaphores, <strong>de</strong>pensées-mots », ce groupe est classé dans sescatégories d’intérêts en regard avec ce qu’ilappelait la textualité.PS - Au moment où il écrit cela - si mon souvenir estbon c’est dans Roland <strong>Barthes</strong> par Roland <strong>Barthes</strong> -il tente déjà non pas <strong>de</strong> clore, mais <strong>de</strong> faire unensemble <strong>de</strong> son œuvre. C’est un moment, assezdépressif, d’auto-rassemblement, <strong>de</strong> retour sur lui,<strong>de</strong> classification.Nous sommes à la fin <strong>de</strong>s années 1970, chacundans différents types d’urgence. Je suis concentrésur Paradis et lui est donc soucieux« d’ensemblisation » et se concentre sur le concept<strong>de</strong> neutre. Durant cette pério<strong>de</strong>, notre amitié étaitdavantage étayée sur l’affectif que sur une réflexionconceptuelle commune, en effet.RC - Vous partagiez donc une communautéd’intérêts et <strong>de</strong> références assez large… En vouslisant tous les <strong>de</strong>ux, j’ai relevé, par exemple, quevous avez écrit l’un et l’autre sur Artaud, Bataille,Céline, Twombly, Voltaire, Nietzche, Hei<strong>de</strong>gger…La liste est longue. Questions/réponses que j’aimême cru percevoir dans les titres <strong>de</strong> vosarticles. <strong>Barthes</strong> : « Le silence <strong>de</strong> Don Juan »,<strong>Sollers</strong> : « Don Juan et Casanova » ; <strong>Barthes</strong> :« Plaisir /écriture /lecture », <strong>Sollers</strong> : « Le style <strong>de</strong>l’amour » ; <strong>Barthes</strong> : « Alors ? La Chine. »,<strong>Sollers</strong> : « La Chine, toujours » ; <strong>Barthes</strong> : « Lalumière du Sud-Ouest », <strong>Sollers</strong> : « EncoreBor<strong>de</strong>aux » ; <strong>Barthes</strong> : « La <strong>de</strong>rnière <strong>de</strong>ssolitu<strong>de</strong>s », <strong>Sollers</strong> : « La solitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Bataille »…Vos articles sont plus récents. Peut-on lesconsidérer un peu comme les réponses d’unediscussion qui s’est poursuivie au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ladisparition <strong>de</strong> <strong>Barthes</strong> ?PS - (Rire) Oui… Oui… Cela fonctionne bieneffectivement. Sur presque tous les sujets enquestion, il faisait retentir une note et j’en faisaissonner une autre. Il ne faut pas oublier que <strong>Barthes</strong>était <strong>de</strong> confession protestante et originaire du Sud-Ouest, plus au sud toutefois que moi, du côté d’Urt.On est à la fois dans la même région et dans lemême horizon : les Lumières. Cela faisait partie <strong>de</strong>spoints fixes que nous avions en commun. Un <strong>de</strong>s<strong>de</strong>rniers projets que nous ayons eu ensemble - onen a parlé dix, quinze fois avant sa mort - était <strong>de</strong>faire une nouvelle encyclopédie. C’eût éténotamment l’occasion <strong>de</strong> reprendre les noms quevous avez cités, et bien d’autres, et d’en redéfinirl’entrée en fonction <strong>de</strong> ce que l’on aurait pu en dire<strong>de</strong> neuf aujourd’hui.Ce projet, je l’ai continué seul, avec La guerre dugoût et Eloge <strong>de</strong> l’infini. C’est une manière <strong>de</strong>concevoir ces <strong>de</strong>ux livres. Les points d’intérêt etd’analyse que nous avions tous les <strong>de</strong>ux en communétant clairement i<strong>de</strong>ntifiés, il n’y avait pas <strong>de</strong> raisonque cela s’interrompe.RC - 22 ans après la mort <strong>de</strong> <strong>Barthes</strong>, en quoipensez-vous que son œuvre, importante maistellement diversifiée, ait marqué le champ <strong>de</strong> lalittérature ?PS - Ce qui me frappe d’abord c’est la distance. Unedistance, toute à son honneur, entre l’incroyablesurdité <strong>de</strong> nos contemporains et la finesse, laprofon<strong>de</strong>ur d’écoute que <strong>Barthes</strong> cultivait. Il disait,comme s’il s’agissait d’une pathologie : « je vois lelangage ». <strong>Barthes</strong> avait un sens extrêmement fin <strong>de</strong>la langue. Comment voulez-vous qu’il soit entenduaujourd’hui ? Amener la parole à la parole en tantque parole - l’écrit à l’écrit en tant qu’écrit -, commedisait Hei<strong>de</strong>gger, est presque <strong>de</strong>venuincompréhensible aujourd’hui ; c’était le travailconstant <strong>de</strong> <strong>Barthes</strong>. Mais peut-être un jour…Entretien réalisé parJérôme-Alexandre NielsbergRevue Contrepoints – 02/12/20023

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