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8Face au caractère étendu du sujet, la sé<strong>le</strong>ction des zones d’étude a obéit à uneffort particulier afin de prendre en compte la diversité des situations et descontextes existants ainsi que <strong>le</strong>s différentes étapes de la crise.Les PartenairesLes études menées sur <strong>le</strong> terrain font partie intégrante d’un processusd’apprentissage et de capitalisation que <strong>le</strong> Groupe URD mène en partenariatavec des organisations de solidarité nationa<strong>le</strong>s et internationa<strong>le</strong>. Parmi <strong>le</strong>s ONGet OSI a avoir travaillé et accompagné notre démarche, nous tenons à soulignerl’engagement et remercier de Solidarité, ACF Espagne, ADRA, ACTED, MDM,VSF, Enfants Réfugiés du Monde, MSF Espagne ainsi que toutes <strong>le</strong>s autresstructures qui nous ont accueillis et ont partagé notre démarché.Contraintes et limites du travail et perspectivesLa vil<strong>le</strong> en guerre et la réponse humanitaire constituent un champ de rechercheencore peu ou pas exploré. Aucun travail de recherche ne s’était jusqu’à présentdonné pour ambition de dresser un état des lieux des pratiques des acteurs etd’initier des travaux de capitalisation et de recherche opérationnel<strong>le</strong> sur ce sujet.De par nos <strong>le</strong>ctures, nos entretiens et notre réf<strong>le</strong>xion, nous avons éga<strong>le</strong>mentmesuré l’amp<strong>le</strong>ur et la comp<strong>le</strong>xité d’un tel sujet. Le travail de terrain fut toutaussi diffici<strong>le</strong> au regard des contraintes imposées par des contextes marqués parla vio<strong>le</strong>nce, l’extrême dénuement, l’iso<strong>le</strong>ment et une instabilité chronique.Le projet « Vil<strong>le</strong>s en Guerre et Guerres en Vil<strong>le</strong>s » a été réalisé avec laparticipation de nombreux jeunes chercheurs qu’il convient de remercier. Cesjeunes chercheurs, provenant d’universités diverses ont pris des risquespersonnels pour travail<strong>le</strong>r sur un sujet comp<strong>le</strong>xe dans des situations parfoisdangereuses. Nous sommes conscient qu’ils ont du agir et travail<strong>le</strong>r avec desmoyens limités et souvent dépendants de la logistique des ONG partenaires avec<strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s nous avons œuvré.L’intérêt suscité au cours des entretiens par <strong>le</strong> sujet abordé laisse supposer de lanécessité de mieux comprendre <strong>le</strong>s spécificités du milieu urbain affecté par unconflit.La tâche pour nous n’est pas terminée. Dans un premier temps, nous devronsinsérer <strong>le</strong>s enseignements tirés dette étude dans <strong>le</strong>s outils d’aide à la conduite desprojets humanitaires que nous réalisons actuel<strong>le</strong>ment (cf. Outil « CompasQualité » et dans <strong>le</strong> « Practitioners’ Handbook ALNALP Global Study »).Enfin, nous espérons pouvoir rebondir sur une deuxième phase de recherche, quipermettra d’une part de couvrir d’autres cas et d’approfondir un certain nombrede thèmes et de pistes de réf<strong>le</strong>xion.


9INTRODUCTIONLe contexte, bref historique du sujetL’histoire des conflits armés et cel<strong>le</strong> des dynamiques urbaines sont intimementliées depuis <strong>le</strong>s débuts de l’histoire des vil<strong>le</strong>s. Pourtant la réf<strong>le</strong>xion sur <strong>le</strong>sconflits, en particulier chez <strong>le</strong>s humanitaires, a porté davantage sur <strong>le</strong> milieurural que sur <strong>le</strong> milieu urbain, largement suite aux guerres colonia<strong>le</strong>s et dedécolonisation des deux derniers sièc<strong>le</strong>s. De fait, que ce soit en Asie (Vietnam,Laos, Cambodge, Afghanistan), en Afrique (Mozambique, Ethiopie, Somalie,Angola, Grands Lacs, etc.) ou en Amérique centra<strong>le</strong> et latine (Nicaragua,Guatemala, Salvador) <strong>le</strong>s déflagrations des années 1980-2000 prenaient souventplace en milieu rural. Ou en tout cas donnaient cette impression, tant grandsétaient <strong>le</strong>s miroirs déformants et faib<strong>le</strong> la capacité de mémoire. On oublia viteVarsovie, Guernica, Oradour sur Glane et Berlin. Et <strong>le</strong> cadre dans <strong>le</strong>quel semettait en place l’imagerie d’Epinal de l’action humanitaire était souvent nature<strong>le</strong>t tropical : palmiers d’Amérique centra<strong>le</strong> ou sab<strong>le</strong>s des déserts africains,montagnes afghanes ou marais sud-soudaniens.Pourtant, avec <strong>le</strong> déplacement des centres de gravité démographiques etéconomiques du « rus » vers « l’urbs », <strong>le</strong>s conflits armés se sont ré-intéressésaux vil<strong>le</strong>s. Les humanitaires <strong>le</strong>s y ont accompagnés. Les images apparaissantdans <strong>le</strong>s médias furent d’abord cel<strong>le</strong>s des milliers de déplacés dans Phnom Penhdurant la « guerre américaine » (1970-75), puis de l’évacuation de la vil<strong>le</strong> par <strong>le</strong>sKhmers Rouges. Plus proches de nous, des photos de Mogadiscio, Sarajevo,Grozny, Kaboul commencèrent à remplacer à la « Une » des journaux <strong>le</strong>sbrousses et <strong>le</strong>s forêts hantées par <strong>le</strong>s guéril<strong>le</strong>ros. Débris de maisons détruitesdressés vers <strong>le</strong> ciel, populations déplacées vivant dans des immeub<strong>le</strong>s ravagéspar <strong>le</strong>s bombes, images de rues bordées de décombres , et de fumées d’incendiemontant vers des cieux où patrouil<strong>le</strong>nt des hélicoptères de combat… Alors qu’unvillage de brousse, fait de terre et de végétal, est vite, après sa destructionvio<strong>le</strong>nte, soit englouti par la puissante forêt tropica<strong>le</strong>, soit vite reconstruit enmatériaux locaux , <strong>le</strong>s cicatrices d’une vil<strong>le</strong> après la guerre demeurent ouverteslongtemps. Pour ceux qui <strong>le</strong>s ont vécus, <strong>le</strong>s souvenirs de Sniper Avenue(Bosnie), de Kuito (Angola) ou de Ramallah hantent et hanteront longtemps nosmémoires, peut-être en écho des photos de Dresde ou de Nagasaki. Les photosen noir et blanc des vil<strong>le</strong>s martyres forment une fresque dans laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s ruinesse fondent <strong>le</strong>s unes dans <strong>le</strong>s autres, tandis qu’y errent des silhouettes toutes sisemblab<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>ur dou<strong>le</strong>ur et dans <strong>le</strong>ur envie de revivre….Vil<strong>le</strong>s en guerre et guerres en vil<strong>le</strong>s : quels impacts, quel<strong>le</strong> gestion de la crise,quel<strong>le</strong>s actions humanitaires et avec quels savoir-faire ? Cette équation et cettesérie de question nous ont souvent interpellé sur ces terrains. Il a fallu effectuerun retour sur l’histoire et décrire, à travers l’analyse de six enjeux, liés à dessituations conflictuel<strong>le</strong>s et de modes de conduite des hostilités, <strong>le</strong>s relationsentre guerre et concentrations urbaines.


11s’inscrivent <strong>le</strong>s bombardements de Londres par <strong>le</strong>s Nazis, la destruction deDresde par <strong>le</strong>s Alliés, et <strong>le</strong> largage de deux bombes atomiques sur <strong>le</strong>s deux vil<strong>le</strong>smartyres de Nagasaki et d’Hiroshima .LA GUERRE DE LA VILLE CONTRE LA CAMPAGNEHistoriquement, c’est essentiel<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong>s contextes de luttesrévolutionnaires inspirées par <strong>le</strong> marxisme léninisme dans des pays déjà en coursd’industrialisation que l’on trouve ce genre de situation. L’exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> plusfrappant étant la Révolution d’Octobre. Toute l’idéologie léniniste de l’époqueétait par essence « anti-paysanne », <strong>le</strong>s liens reliant l’agriculteur à sa terre étantcontraire à la vision du monde du Komitern. La lutte de la vil<strong>le</strong> « ouvrière etprogressiste » contre la campagne agrico<strong>le</strong> et réactionnaire prit des formesparfois extrêmes, conduisant notamment à la grande famine de 1921.LA GUERRE CONTRE LA REPRESENTATION OU LE SYMBOLE DE LAVILLEAvec l’idéologie maoïste et ses divers dérivés, on vit apparaître <strong>le</strong> quatrièmeenjeux, celui de la guerre contre la vil<strong>le</strong>. Lieu d’accumulation de toutes <strong>le</strong>sdérives et de toutes <strong>le</strong>s dépravations des sociétés humaines, espace des échangesmarchands pervers et des idéologies consuméristes, entité porteuse de toutes <strong>le</strong>satteintes à la pureté rura<strong>le</strong> originel<strong>le</strong>, la vil<strong>le</strong> est devenue dans certaines visionsdu monde un espace à détruire, une dynamique socioculturel<strong>le</strong> à éradiquer.Partie de l’image sympathique de Robin des Bois contre <strong>le</strong> shérif de Nottingham,cette idéologie a revêtu dans certains contextes des formes épouvantab<strong>le</strong>s. On nesait pas exactement combien de Chinois ou de Cambodgiens des vil<strong>le</strong>s ont ététransformés de force en Chinois et Cambodgiens des champs et y ont laissé <strong>le</strong>urvie ? Dans sa tentative de lutte contre <strong>le</strong> gouvernement du MPLA soutenu par <strong>le</strong>sCubains, l’UNITA de Joseph Savimbi a régulièrement utilisé la rhétorique de lapopulation africaine rura<strong>le</strong> contre l’élite métisse des vil<strong>le</strong>s.LA GUERRE DANS ON NOUVEL ESPACE URBAINAvec l’urbanisation d’une grande partie du monde, il n’est pas étonnant de voirune série de conflits des dernières années nous entraîner vers <strong>le</strong> cinquièmeenjeux, celui de la guerre … dans la vil<strong>le</strong>. Certaines guerres civi<strong>le</strong>scontemporaines ont tout simp<strong>le</strong>ment et presque transformé la vil<strong>le</strong> en champ debatail<strong>le</strong>. C’est là que se trouvent <strong>le</strong>s enjeux et insignes du pouvoir politique,mais c’est aussi là tout simp<strong>le</strong>ment que se trouvent <strong>le</strong>s populations à contrô<strong>le</strong>r,<strong>le</strong>s hommes à recruter, <strong>le</strong>s batail<strong>le</strong>s à mener. Une phase importante du génociderwandais eut lieu dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s (Kigali, Butaré, Gitarama, etc.) , même si <strong>le</strong>shorreurs dans <strong>le</strong>s rugos du Pays des Mil<strong>le</strong>s Collines ont été terrib<strong>le</strong>s. Les plusimportantes phases du conflit du Congo-Brazzavil<strong>le</strong> ont eu lieu dans la vil<strong>le</strong> deBrazzavil<strong>le</strong> el<strong>le</strong>-même, laissant des quartiers à feu et à sang.LES HOMMES CHASSES PAR LA GUERRE VERS LA VILLEUn autre phénomène amène de plus en plus fréquemment la guerre au cœur de lavil<strong>le</strong>, c’est celui des déplacements de populations : <strong>le</strong>s déflagrations armées


12entraînent en effet des exodes importants qui tendent à créer des situations trèscomp<strong>le</strong>xes de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur et en périphériedes centres urbains des régions concernées. Des zones entières s’en trouventdurab<strong>le</strong>ment modifiées, tandis que des nouvel<strong>le</strong>s relations s’instaurent entrevil<strong>le</strong>s et campagnes. Les populations sierra-léonaises et libériennes en Guinée,ou afghanes autour des vil<strong>le</strong>s des zones triba<strong>le</strong>s au Pakistan, ont ainsi créé denouveaux microcosmes urbains face auxquels <strong>le</strong>s humanitaires sont assezfaci<strong>le</strong>ment décontenancés.LES DEFIS DE L’HUMANITAIRE EN VILLEFace à ces situations, <strong>le</strong>s humanitaires continuent de « tâtonner ». Commentassurer la sécurité alimentaire, la santé, l’accès à l’eau, l’élimination des eauxusées dans ces concentrations urbaines ? dans ces espaces de forte concentrationde population, <strong>le</strong>s famines entraînent vite des mouvements de rue vio<strong>le</strong>nts ; <strong>le</strong>sproblèmes d’hygiène tournent vite à l’épidémie meurtrière ; la remise en état deréseaux d’eau potab<strong>le</strong> représente souvent des sommes beaucoup plus coûteusesque <strong>le</strong>s programmes classiques des ONG, et impliquent la mise en œuvre desavoir-faire qu’el<strong>le</strong>s n’ont en général pas. Au cœur de la Suisse isolée durant ladeuxième guerre mondia<strong>le</strong>, une initiative a imposé la mise en culture de toutespace urbain disponib<strong>le</strong> : <strong>le</strong>s talus des chemins de fer, <strong>le</strong>s pelouses des parcs,tout fut retourné, planté, cultivé. C’est sur cette base qu’il y a plus de dix ans,avec mes collègues du CICR, nous avions lancé <strong>le</strong>s premiers programmes derelance agrico<strong>le</strong> « dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s en guerre » : au cœur de Sarajevo, dans <strong>le</strong>sbairros de Huambo, dans <strong>le</strong>s quartiers de Kabul, etc. D’autres initiatives se sontdéveloppées, mais avec beaucoup de difficultés. La vil<strong>le</strong> est un milieucomp<strong>le</strong>xe…Puis des programmes de reconstruction urbaines ont commencé à éclore dans <strong>le</strong>scités dévastés par la folie des hommes : Là encore, <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s de Bosnie,Mitrovitca (Kosovo) et maintenant Kaboul. De ces nouveaux engagements de lacommunauté internationa<strong>le</strong>, il faut aussi faire <strong>le</strong> point et capitaliser.LA VILLE COMME OBJET D’ETUDELa vil<strong>le</strong> d’aujourd’hui se décline à l’infini, sans consensus sur une définitionunique. Certains experts vont même jusqu’à affirmer que la vil<strong>le</strong> n’existe plus,«la vil<strong>le</strong> est morte» 2 ou par<strong>le</strong>nt de «la fin des vil<strong>le</strong> » 3 . Nombreux sont aussi ceuxqui choisissent toutes sortes de qualificatifs pour ainsi mieux signifier <strong>le</strong>schangements considérab<strong>le</strong>s qu’el<strong>le</strong> subit : vil<strong>le</strong> planétaire, vil<strong>le</strong> disloquée, vil<strong>le</strong>multiculturel<strong>le</strong> ou vil<strong>le</strong> technologique ou vil<strong>le</strong> éclatée, vil<strong>le</strong> en réseau, vil<strong>le</strong>émergente, etc. Fina<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> terme de «vil<strong>le</strong>» tend même à disparaître, pour luipréférer <strong>le</strong> phénomène et processus qui lui est lié : l’urbanisation. Cette diversitéde qualificatifs et de pensées expriment certainement la comp<strong>le</strong>xité de la vil<strong>le</strong>.Depuis <strong>le</strong> XIX ième sièc<strong>le</strong>, l’industrialisation d'abord, <strong>le</strong>s processusd’urbanisation et de mondialisation ensuite ont fait éclater <strong>le</strong>s remparts; la vil<strong>le</strong>2 Choay F., 19943 Chombat de Lauwe P-H, 1982


13s’étend, se déforme et se transforme. El<strong>le</strong> triomphe sur tous <strong>le</strong>s continents àtravers un phénomène planétaire; <strong>le</strong> XX ième sièc<strong>le</strong> est ainsi marqué par lacroissance de la civilisation urbaine et en particulier dans <strong>le</strong>s pays du Sud.Subissant <strong>le</strong>s mêmes processus de mondialisation, d’urbanisation voire demétropolisation, <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s ne sont pour autant pas des espaces statiques etimmobi<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong>s ont <strong>le</strong>ur propre identité et <strong>le</strong>urs particularités physiques,culturel<strong>le</strong>s ou sociopolitiques. El<strong>le</strong>s sont «une» («la vil<strong>le</strong>») et à la fois sedéclinent au pluriel («<strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s»); cette comp<strong>le</strong>xité individuel<strong>le</strong> versus globa<strong>le</strong>explique sans aucun doute la difficulté d’appréhender la vil<strong>le</strong> actuel<strong>le</strong>.Dès la fin du XX ième sièc<strong>le</strong>, à travers des processus d’urbanisation et demondialisation, la vil<strong>le</strong> a affirmé sa position et son statut au niveau planétaire.Face à un tel développement, la communauté internationa<strong>le</strong> a reconnu ainsi lorsde la conférence d’Istanbul, Habitat II (1996), <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> prédéterminant que joue lavil<strong>le</strong> pour un développement durab<strong>le</strong>. Le bilan cinq années cette conférencesemblait marquer l’officialisation de la reconnaissance des pouvoirs locaux parl’ONU.Si <strong>le</strong>s processus d’urbanisation et de métropolisation sont à l'œuvre du Nord auSud, force est de constater que <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s ne sont pas des objets identiquesfonctionnant sur un modè<strong>le</strong> unique; el<strong>le</strong>s ont un fonctionnement général et debase analogue mais une identité et des caractéristiques propres. El<strong>le</strong>s sont unemais aussi plusieurs et nous pouvons alors par<strong>le</strong>r de la vil<strong>le</strong> comme un conceptglobal quand il y a référence à l’entité abstraite et unique de la vil<strong>le</strong> dans sonensemb<strong>le</strong> et ses caractéristiques endogènes, par opposition, par exemp<strong>le</strong>, aumilieu rural.La vil<strong>le</strong> concentre de plus en plus souvent une série d’éléments potentiels à sonimplosion : la faib<strong>le</strong>sse réel<strong>le</strong> ou perçue du pouvoir politique, <strong>le</strong>s criseséconomiques successives, la pauvreté, l’exclusion, la fragmentation socia<strong>le</strong> et lavio<strong>le</strong>nce. Des groupes mafieux et/ou un fanatisme religieux s’appuient sur cesfaib<strong>le</strong>sses pour tenter de déstabiliser la vil<strong>le</strong> et ainsi tirer profit de savulnérabilité et la conduire à terme vers une situation insurrectionnel<strong>le</strong>.La clé de voûte de toute intervention sur la vil<strong>le</strong> passe donc par compréhensiondes dynamiques qui la régissent. Si en situation de stabilité cela est possib<strong>le</strong> auprix de diagnostic approfondis, <strong>le</strong>s contextes de l’urgence offrent rarementl’occasion de décrypter <strong>le</strong>s aboutissants des actions des acteurs humanitaires.LE PROJET « VILLES EN GUERRE ET GUERRES EN VILLE »Les questions sou<strong>le</strong>vées ci-dessus et la trame historique dressée plus hautconstituent un cadre conceptuel. Celui-ci nous permettra d’aborder la questiondes pratiques urbaines des acteurs humanitaires, avec <strong>le</strong>urs forces et <strong>le</strong>ursfaib<strong>le</strong>sses. Il s’agira dans ce premier travail de recherche sur <strong>le</strong> sujet de dresserun premier état des lieux, à partir des recherches évaluatives. Cette premièrephase de recherche voudrait initier une dynamique qui devrait à terme participerà comb<strong>le</strong>r une lacune importante de la connaissance et de l’action humanitaire. Ily avait pour nous urgence à porter nos regards sur <strong>le</strong> sujet de la vil<strong>le</strong> dans laplanète de tous <strong>le</strong>s conflits. Devant l’accélération de la turbu<strong>le</strong>nce du Monde etl’urbanisation, <strong>le</strong>s populations des vil<strong>le</strong>s se trouvent en effet de plus en plus


15populations déplacées ou réfugiées. De plus, lorsque <strong>le</strong>s acteurs humanitairesopèrent dans <strong>le</strong>s zones d’influence des vil<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong> opèrent à la transformation decel<strong>le</strong>s-ci.Les exemp<strong>le</strong>s de vil<strong>le</strong>s affectées par un conflit et qui demeurent, encoreaujourd’hui dans nos mémoires sont des vil<strong>le</strong>s moyennes tel<strong>le</strong>s que Beyrouth,Sarajevo ou Grozny voire des métropo<strong>le</strong>s tel<strong>le</strong>s que Bogota, Karachi ouKinshasa. Ces crises ne sont pas sans affecter <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s qui sont situées à <strong>le</strong>urspériphéries. Ces centres urbains et <strong>le</strong>ur zones d’influences se voient affecter lacharge d’assurer l’accueil <strong>le</strong>sNous avons donc, dans un souci de pertinence et de clarté d’analyse,délibérément écarté la vil<strong>le</strong> petite ou de «troisième rang».Les vil<strong>le</strong>s moyennesLa vil<strong>le</strong> moyenne émerge dans la deuxième moitié du XX ième sièc<strong>le</strong> comme unnouvel enjeu dans <strong>le</strong> développement urbain; el<strong>le</strong> apparaît de plus en plus comme<strong>le</strong> chaînon indispensab<strong>le</strong> entre la métropo<strong>le</strong> et la vil<strong>le</strong> petite de tout pays. Ce rô<strong>le</strong>intermédiaire semb<strong>le</strong> en définitive la seu<strong>le</strong> caractéristique universel<strong>le</strong> propre desdifférentes définitions données par <strong>le</strong>s spécialistes au concept de la vil<strong>le</strong>moyenne ; cet aspect prédomine sur toute autre caractéristique comme la tail<strong>le</strong> etla localisation.L’enjeu actuel de la vil<strong>le</strong> moyenne, que ce soit dans <strong>le</strong>s pays développés ou endéveloppement, est de savoir s’adapter face à un des enjeux majeurs de notreépoque : la mondialisation. Dans un mouvement de métropolisation del’économie, ce défi est comp<strong>le</strong>xe à re<strong>le</strong>ver. Mais la vil<strong>le</strong> moyenne n’est pasforcément condamnée à disparaître; au contraire dans certaines parties du globe.En Afrique de l’Ouest par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s théories fonctionnalistes <strong>le</strong>s considèrentcomme une alternative au indispensab<strong>le</strong> au développement des centresprimatiaux et <strong>le</strong>urs processus de concentration stigmatisés par <strong>le</strong>s <strong>le</strong>développement des bidonvil<strong>le</strong>s, l’exode des populations rura<strong>le</strong>s, etc.La vil<strong>le</strong> moyenne n’a cependant pas un profil unique; el<strong>le</strong> se décline selon descaractéristiques tel<strong>le</strong>s que : une interdépendance avec une zone d’influence plusou moins étendue, une densité de population inéga<strong>le</strong>, un caractère urbainvariab<strong>le</strong> proche de la notion de fonction urbaine. Jean Rémy et Liliane Voye 4 ontdressé une typologie des vil<strong>le</strong>s moyennes en soulignant des caractéristiquesdifférenciées de la vil<strong>le</strong>, qu’el<strong>le</strong> soit considérée comme non-urbanisée ou commeurbanisée.• Les caractéristiques de la vil<strong>le</strong> moyenne non-urbaniséea) Relation avec sa zone d’influence : el<strong>le</strong> exerce une force centripète de lieu destructuration, de coordination et d’organisation des différents champs d’activitésur sa zone d’influence (hinterland); el<strong>le</strong> joue alors bien souvent un rô<strong>le</strong> decontrô<strong>le</strong> et de coordination avec cel<strong>le</strong>-ci.4 J. Rémy et L. Voye,1992, la vil<strong>le</strong> : vers une nouvel<strong>le</strong> définition?, Paris, l’Harmattan


18fragments de métropo<strong>le</strong>s) 7 , la comp<strong>le</strong>xité des interventions humanitaires dans cetype de milieu nécessite un certain nombre de préalab<strong>le</strong>s.• Les processus globaux de la métropolisation :a) Relation avec sa zone d’influence : nous pouvons observer actuel<strong>le</strong>ment dans larecomposition de l’ordre politique mondial, une forte poussée des métropo<strong>le</strong>scomme cadre politique de première importance à l’échel<strong>le</strong> internationa<strong>le</strong> selonune logique de mise en réseau que <strong>le</strong> sociologue suisse Michel Bassand qualifie«d’armature mondia<strong>le</strong> des métropo<strong>le</strong>s» 8 . De la montée en puissance de certainsréseaux de métropo<strong>le</strong>s et de l’effritement des l’Etats, nous vivons actuel<strong>le</strong>mentdans une période de transition qui verra sans doute une redéfinition des rô<strong>le</strong>s etde l’exercice du pouvoir entre <strong>le</strong> local et <strong>le</strong> global. Les métropo<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>urs élitessont et seront de nouveaux et puissants acteurs des relations internationa<strong>le</strong>s.Ainsi nous pouvons généra<strong>le</strong>ment définir un doub<strong>le</strong> <strong>rapport</strong> de relationsentretenues par la métropo<strong>le</strong>; la métropolisation entraîne un accroissement de<strong>rapport</strong>s de dépendance entre la métropo<strong>le</strong> et son hinterland en termesd’emplois, de vie économique, socia<strong>le</strong> ou culturel<strong>le</strong> et définit de nouveaux<strong>rapport</strong>s internationaux : <strong>le</strong> développement des relations internationa<strong>le</strong>s entremétropo<strong>le</strong>s, souvent avec de faib<strong>le</strong>s relations de proximité avec ce mêmehinterland.b) Organisation spatia<strong>le</strong>: la métropo<strong>le</strong> s’identifie par des processus spatiaux telsque :- L’accroissement de la concentration des hommes et des richesses à partird’agglomérations existantes et sur des territoires de plus en plus larges;- un éclatement en structures polycentriques des métropo<strong>le</strong>s qui ne renvoieplus au modè<strong>le</strong> centre-périphérie- une spécialisation fonctionnel<strong>le</strong> des espaces- un accroissement des mobilités, des échanges et des distances parcourues.c) Système social : <strong>le</strong> risque est réel que la métropolisation conduise à unepolarisation socia<strong>le</strong> et à une exclusion des groupes sociaux <strong>le</strong>s plus démuniscomme cela est déjà observab<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s pays en développement 9 . Cephénomène marque un creusement des inégalités socio-territoria<strong>le</strong>s.Dans <strong>le</strong> même temps nous constatons une réel<strong>le</strong> tendance des groupes sociaux<strong>le</strong>s plus aisés à créer <strong>le</strong>urs propres ghettos, quartiers de vil<strong>le</strong>s clos, barricadés etgardés <strong>le</strong> plus souvent par des milices privées. Ce type de quartiers se trouveaujourd'hui non seu<strong>le</strong>ment aux Etats-Unis, mais aussi en Amérique Latine, enAsie et en Afrique et pourraient à terme se retrouver éga<strong>le</strong>ment en Europe.7 Dubresson (A) in Métropo<strong>le</strong>s en mouvement, une comparaison internationa<strong>le</strong>, IRD, 20008 Bassand : Les six paramètres de la métropolisation, Cahiers de la métropolisation, IREC 2000 surinternet : www.metropolisation.org9 En 1990, 1,4 milliards de personnes vivaient dans <strong>le</strong>s centres urbains des pays en développement. Onestime qu’au moins 600 millions d’entre el<strong>le</strong>s vivaient dans des conditions constituant un danger pourla vie et la santé (mauvaise qualité du logement, déficiences des infrastructures et des services, etc.)


19Un <strong>rapport</strong> de l’OCDE de 1994 10 met l’accent sur l’extrême concentration del’inégalité des chances, du chômage, de la pauvreté et de l’aliénation dans denombreuses vil<strong>le</strong>s des pays membres de l’organisation et insiste sur la nécessitéd’adopter des politiques favorisant la régénération urbaine, l’intégration socia<strong>le</strong>et la création d’environnements plus vivab<strong>le</strong>s.En Afrique, <strong>le</strong>s effectifs des populations rura<strong>le</strong>s augmentent toujours et resterontmajoritaires jusqu’en 2020-2025. Plusieurs raisons sont mises en avant pourexpliquer ce phénomène : <strong>le</strong>s modes d’appropriation des sols, l’organisationsocia<strong>le</strong>s du travail de la terre, <strong>le</strong>s densités de population, l’accumulation d’uncapital dans l’aménagement de l’espace, etc. Selon <strong>le</strong>s dernières estimations,vingt-cinq vil<strong>le</strong>s africaines comptent aujourd’hui plusieurs millions d'habitants :4 à 6 millions à Kinshasa, entre 8 et 12 millions à Lagos. El<strong>le</strong>s seront, selon <strong>le</strong>sprojections démographiques, plus de soixante en 2020.10 OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), 1994, The multisectoralapproach to urban regeneration : Towards a new strategy for social integration, housing affordabilityand livab<strong>le</strong> environments.


20PARTIE I :LA VILLE ET LES CONSEQUENCESHUMANITAIRES EN TEMPS DECONFLITEvolution actuel<strong>le</strong> des conflitsLa fin du XX ième sièc<strong>le</strong> a vu émerger deux phénomènes particulièrementimportants: <strong>le</strong>s nouveaux conflits et la vil<strong>le</strong> comme symbo<strong>le</strong> de pouvoir.Ce chapitre aborde ces deux phénomènes avec comme but d’analyser <strong>le</strong>sstratégies des belligérants et <strong>le</strong>s impacts de ces dernières sur la vil<strong>le</strong>.Après la deuxième Guerre Mondia<strong>le</strong>, des vil<strong>le</strong>s comme Alger, Lhassa, Saïgon,Phnom Penh, Mogadiscio, Beyrouth, Brazzavil<strong>le</strong>, Kigali, Dubrovnik, Kaboul,Jérusa<strong>le</strong>m, Sarajevo, Freetown, Grozny ou encore tout récemment Monrovia ouBagdad se sont trouvées êtredes théâtres de guerres et au cœur de désastres humanitaires.Si dans l'histoire des Etats, <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> de l'espace urbain a souvent été <strong>le</strong> pivotde <strong>le</strong>ur survie, la fragmentation de l'Etat Nation, caractérisée notamment parl'émergence d'un nouveau type de conflits motivés par des raisons ethniques,économiques, identitaires ou encore nationa<strong>le</strong>s, a vu la vil<strong>le</strong> acquérir, en cette finde XX ième sièc<strong>le</strong>, un rô<strong>le</strong> encore plus central dans la géostratégie globa<strong>le</strong>. Lecontrô<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong> devient aujourd’hui un enjeu majeur.La vil<strong>le</strong> peut générer de par ses dysfonctionnements une situation de crisepotentiel<strong>le</strong> pouvant être <strong>le</strong> cas échéant récupérée par certains acteurs nonétatiquesintéressés (groupes mafieux et fanatiques religieux) qui cherchent, avecl’appui de franges d’une population marginalisée, à déstabiliser l’équilibreurbain fragilisé (pauvreté, insécurité, inégalités socia<strong>le</strong>s, …) pour en tirer profit à<strong>le</strong>ur fin. La vil<strong>le</strong> de Karachi est une illustration par excel<strong>le</strong>nce de ce malaise.L’intensité de cette forme de déstabilisation peut déterminer <strong>le</strong> passage de lanotion de crise urbaine à cel<strong>le</strong> de conflit urbain.Ces guerres affectant la vil<strong>le</strong> prennent alors autant la forme de sièges ou debombardements que de guérillas insurrectionnel<strong>le</strong>s de basse intensité ou deconflits claniques.«Vil<strong>le</strong>s assiégées, bombardées, civils directement menacés : <strong>le</strong>s conflitsarmés ont complètement changé de visage depuis la seconde guerremondia<strong>le</strong>. Aujourd'hui, la plupart des conflits se dérou<strong>le</strong>nt à l’intérieurdes frontières d’un même pays et se situent de plus en plus souvent aucœur des zones habitées. Les cib<strong>le</strong>s militaires ne sont pas <strong>le</strong>s seu<strong>le</strong>svisées et <strong>le</strong>s populations civi<strong>le</strong>s sont directement menacées par <strong>le</strong>sbelligérants.» 1111 MSF, page du site web, www.msf.org


22Dans de tels contextes, la réponse humanitaire peut semb<strong>le</strong>r devenir plusnécessaire mais est éga<strong>le</strong>ment plus dangereuse et comp<strong>le</strong>xe, donc plus diffici<strong>le</strong> àappréhender.La vil<strong>le</strong> : lieu et symbo<strong>le</strong> de pouvoirsLa vil<strong>le</strong> signifie <strong>le</strong> lieu et la concentration des pouvoirs convoités, des richessesà pil<strong>le</strong>r, des bâtiments religieux et culturels à détruire et des populations àbrimer.Si ces notions relatives à la guerre ne sont pas nouvel<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong>s semb<strong>le</strong>ntnéanmoins avoir pris une nouvel<strong>le</strong> dimension avec <strong>le</strong>s conflits de la fin du XXième sièc<strong>le</strong> : la cib<strong>le</strong> et la destruction de symbo<strong>le</strong>s. Les exemp<strong>le</strong>s sontmalheureusement multip<strong>le</strong>s; retenons ici : a) la destruction systématique desmonuments historiques par <strong>le</strong>s assiégeants de Sarajevo; b) la destruction desstatues bouddhistes à Bâmyân (Afghanistan) par <strong>le</strong> régime taliban; c) la statuedéracinée et détruite de Saddam Hussein à Bagdad, qui a marqué de facto la finde son règne et la prise de la vil<strong>le</strong> par <strong>le</strong>s forces de la coalition américanobritannique.Les différentes phases des conflits de l’ex-Yougoslavie sont une illustrationparfaite de ces nouveaux desseins. Les combattants se sont efforcés de détruirechez l’ennemi tout symbo<strong>le</strong> culturel, historique et religieux fort, par exemp<strong>le</strong> labibliothèque de Sarajevo, <strong>le</strong> pont de Mostar ou <strong>le</strong>s nombreuses mosquées.Gagner la guerre signifie annihi<strong>le</strong>r et détruire l’Autre dans ce qui fait sonidentité.Détruire la vil<strong>le</strong> dans sa totalité ou en partie c’est détruire <strong>le</strong>s cadres urbains dela mémoire et ces guerres peuvent s’avérer d’une vio<strong>le</strong>nce extrême, comme dans<strong>le</strong> cas de la Tchéchénie où un général russe a, en 1994, proclamé la nécessité deraser Grozny !L’autre phénomène auquel ces conflits ont donné un nom est la notiond’«urbicide». Cel<strong>le</strong>-ci englobe la destruction des bâtiments et de la structureurbaine comme <strong>le</strong> souligne Martin Coward 12 dans sa propre définition : «<strong>le</strong>sbâtiments sont détruits car ils sont <strong>le</strong>s conditions d’une possib<strong>le</strong> urbanité. Etantdonné que l’urbanité est constituée par l’hétérogénéité et la coexistence socia<strong>le</strong>et culturel<strong>le</strong>, l’«urbicide» comprend la destruction des conditions de cettepossib<strong>le</strong> hétérogénéité 13 ». Martin Shaw 14 , quant à lui, va plus loin en affirmantque : «l’«urbicide» (comme l’«ethnocide», <strong>le</strong> «politicide» et <strong>le</strong>s autres «cides»qui ont été identifiés) n’est pas un phénomène séparé du génocide, mais une deses formes». Il propose alors que «nous comprenions non seu<strong>le</strong>ment ladestruction de bâtiments mais aussi la prise pour cib<strong>le</strong> de l’urbanité comme deséléments d’une guerre génocide 15 ».12 Martin Coward est professeur de relations internationa<strong>le</strong>s à l’université de Sussex, Brighton,Royaume-Uni13 Référence : www.sussex.ac.uk/Users/mpc20/pubs/urbicide.htm14 Martin Shaw est sociolgue et professeur de relations internationa<strong>le</strong>s et politique à l’université deSussex, Brighton, Royaume-Uni15 Référence :www.martinshaw.org/city.htm, New wars of the city : «urbicide» and «genocide», 2000


23Dans l’exemp<strong>le</strong> bosniaque, la vil<strong>le</strong>, peuplée majoritairement de groupes deconfession musulmane, est désignée dans un discours serbe exacerbé comme <strong>le</strong>lieu du cosmopolitisme et du métissage entre communautés et fait référence,dans l'idéologie ambiante, au relâchement des mœurs et à la décadence de lanation yougoslave. «Porcherie où naissent des bâtards de mariages mixtes» el<strong>le</strong>est «un lieu d’infection mora<strong>le</strong>» et à ce titre, sa destruction devient un but deguerre en soi 16 . Ainsi <strong>le</strong> siège de Sarajevo par <strong>le</strong>s milices serbes a révélé tous <strong>le</strong>senjeux de ce «meurtre rituel des vil<strong>le</strong>s» qualifié par l’ancien maire de Belgraded’«urbicide».La protection de la vil<strong>le</strong> en cas de conflit : une perspectivejuridiqueIl s’agit là d’analyser à travers <strong>le</strong> Droit International Humanitaire en tant quedroit applicab<strong>le</strong> en temps de conflit, s'il existe des normes spécifiquesconcernant la protection de la vil<strong>le</strong>.Les conflits sont à l’heure actuel<strong>le</strong> certainement l’une des causes majeures de ladestruction massive ou partiel<strong>le</strong> des vil<strong>le</strong>s dans de nombreuses parties du globe.Les vil<strong>le</strong>s sont attaquées et défendues par des forces combattantes diverses(forces étatiques et/ou forces d’opposition et forces d’interposition), mais strictosensu il n’existe aucune disposition conventionnel<strong>le</strong> concernant «la protection dela vil<strong>le</strong> en temps de conflit» dans <strong>le</strong>s textes juridiques; cela vaut aussi bien pourl’espace urbain que pour sa population.Le Droit International Humanitaire (DIH) 17 et la vil<strong>le</strong>L’absence de dispositions juridiques spécifiques à la vil<strong>le</strong> ne signifie pas que surun théâtre urbain des opérations, <strong>le</strong>s forces combattantes ne sont pas soumises àdes obligations et que <strong>le</strong>s populations ne sont pas protégées par certainesdispositions du DIH.Nous avons retenu ici <strong>le</strong>s dispositions qui prévoient et octroient une protectionspécia<strong>le</strong> à certains biens et à certaines «zones» ainsi que cel<strong>le</strong>s qui formalisent laprotection de la population civi<strong>le</strong> dans son ensemb<strong>le</strong> et des catégories depopulations spécifiques tel<strong>le</strong>s que <strong>le</strong>s populations occupées et assiégées.Ces dispositions nous semb<strong>le</strong>nt pertinentes et appropriées pour notre analyse; eneffet, <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s en conflit incluent des biens nécessitant une protection spécia<strong>le</strong>,des «zones» tel<strong>le</strong>s que définies dans <strong>le</strong> DIH et des populations civi<strong>le</strong>s.16 Dizdarevic S, 2001, La revanche de l’arrière-pays dans l’espace yougoslave, in Enjoy Sarajevo,Eco<strong>le</strong> Nationa<strong>le</strong> des beaux-arts de Lyon17 Ratifié par plus de 180 Etats, <strong>le</strong> Droit International Humanitaire (DIH) est l’instrument juridiquemajeur dans <strong>le</strong> droit des conflits. S'il ne condamne ni n’interdit la guerre, il régit <strong>le</strong>s droits et obligationsde chaque partie à un conflit. Initia<strong>le</strong>ment élaborées pour faire face à des conflits internationaux <strong>le</strong>squatre Conventions de Genève (1949), formant <strong>le</strong> corps du DIH, furent complétées en 1977 par deuxProtoco<strong>le</strong>s prenant en compte l’évolution des conflits actuels et renforçant ainsi la protection desvictimes des conflits armés internationaux et la protection des victimes des conflits armés noninternationaux.


25Les zones et localités sanitaires 22(au profit des forces armées)«Les Parties au conflit, pourront créer sur <strong>le</strong>ur propre territoire et, s’il en estbesoin, sur <strong>le</strong>s territoires occupés, des zones et localités sanitaires organisées demanière à mettre à l’abri des effets de la guerre <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>ssés et <strong>le</strong>s malades (desforces armées) ainsi que <strong>le</strong> personnel chargé de l’organisation et del’administration de ces zones et localités et des soins à donner aux personnes quis’y trouveront concentrées.»Les zones et localités sanitaires et de sécurité 23(au profit de la population civi<strong>le</strong>)«Les Parties au conflit, pourront créer sur <strong>le</strong>ur propre territoire et, s’il en estbesoin, sur <strong>le</strong>s territoires occupés, des zones et localités sanitaires et de sécuritéorganisées de manière à mettre à l’abri des effets de la guerre <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>ssés etmalades, <strong>le</strong>s infirmes, <strong>le</strong>s personnes âgées, <strong>le</strong>s enfants de moins de quinze ans,<strong>le</strong>s femmes enceintes et <strong>le</strong>s mères d’enfants de moins de sept ans.»Les zones neutralisées 24(au profit des personnes civi<strong>le</strong>s)«…., dans <strong>le</strong>s régions où ont lieu <strong>le</strong>s combats, des zones neutralisées destinées àmettre à l’abri …..<strong>le</strong>s personnes suivantes :a) <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>ssés et <strong>le</strong>s malades, combattants ou non-combattants;b) <strong>le</strong>s personnes civi<strong>le</strong>s qui ne participent pas aux hostilités et qui ne se livrent àaucun travail de caractère militaire pendant <strong>le</strong>ur séjour dans ces zones»Les localités non défendues 25(au profit des victimes des conflits armés internationaux)«Tout lieu habité se trouvant à proximité ou à l’intérieur d’une zone où <strong>le</strong>sforces armées sont en contact et qui est ouvert à l’occupation par une Partieadverse.»Le droit humanitaire prévoit que des zones peuvent être déclarées «nondéfendues» pour éviter ainsi que ne s’y dérou<strong>le</strong>nt des combats et épargner ainsila population et <strong>le</strong>s biens civils qui s’y trouvent. Il est interdit aux parties auconflit d’attaquer ces zones, par quelque moyen que ce soit.22 I ère Convention de Genève (CG I) , ch. III, art. 2323 IV Convention de Genève (CG IV), titre II, art. 1424 IV Convention de Genève (CG IV), titre II, art. 1525 Ier Protoco<strong>le</strong> Additionnel (PA I), ch V, art. 59


27De même, la définition de zones spécia<strong>le</strong>s de protection crée une ambiguïtésupplémentaire car el<strong>le</strong> pourrait laisser croire qu’en dehors de ces dites zones, <strong>le</strong>DIH y serait moins applicab<strong>le</strong>.La protection de la population civi<strong>le</strong>Le DIH définit des catégories spécifiques de personnes et <strong>le</strong>ur accorde des droitset des protections particuliers. Dans <strong>le</strong> cadre de notre recherche, il est pertinentde s’intéresser à la population civi<strong>le</strong>.La population civi<strong>le</strong> dans son ensemb<strong>le</strong> bénéficie d’une protection généra<strong>le</strong>contre <strong>le</strong>s effets des hostilités. Certaines catégories de personnes civi<strong>le</strong>sbénéficient en plus d'une protection renforcée (internés civils, femmes et enfants,b<strong>le</strong>ssés et malades, etc.).Aucune distinction n’existe dans <strong>le</strong> DIH soulignant <strong>le</strong> caractère urbain (ou rural)d’une population. Selon notre opinion, la population citadine est à considérercomme une population civi<strong>le</strong> et, à ce titre, bénéficie de la protection généra<strong>le</strong>tel<strong>le</strong> que décrite dans <strong>le</strong>s Conventions de Genève (en particulier la IV CG) et sesProtoco<strong>le</strong>s Additionnels. En outre, el<strong>le</strong> peut bénéficier de protections renforcéessi el<strong>le</strong> entre dans une des catégories spécifiques; population dans une vil<strong>le</strong>occupée ou assiégée. Notons qu’il existe de nombreuses interprétations inversesen particulier en cas de guérilla.La population dans une vil<strong>le</strong> occupéeLa vil<strong>le</strong> occupée, par analogie aux territoires occupés, est définie en droitinternational comme étant une vil<strong>le</strong> dans laquel<strong>le</strong> l’autorité des forcesd’occupation est établie et exercée. Dans <strong>le</strong> cas contraire, si des actes de vio<strong>le</strong>ncecommis par <strong>le</strong>s combattants adverses font obstac<strong>le</strong> à la mise en place del’autorité des forces d’occupation, la vil<strong>le</strong> n’est plus occupée mais envahie. Lesrèg<strong>le</strong>s qui lui sont alors applicab<strong>le</strong>s sont cel<strong>le</strong>s du champ de batail<strong>le</strong>, c’est-à-dire<strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s généra<strong>le</strong>s du DIH. De même <strong>le</strong>s dispositions émises sont relatives auxconflits armés internationaux.Sous occupation, la population civi<strong>le</strong> est particulièrement vulnérab<strong>le</strong> aux actesdes forces d’occupation. Le DIH énonce <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s qui fixent <strong>le</strong>s droits et <strong>le</strong>sdevoirs des forces d’occupation et <strong>le</strong>s droits de la population des territoires(vil<strong>le</strong>s) occupés, ainsi que <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s d’administration de ces territoires (IV CGart.47 à 78 ; PAI art.63, 69, 72 à 79). L’occupant est tenu d’assurer au mieuxl’ordre et la vie publique en respectant <strong>le</strong> plus souvent <strong>le</strong>s lois déjà en vigueursur <strong>le</strong> territoire. Les dispositions prévues par <strong>le</strong> DIH couvrent notamment <strong>le</strong>spoints suivants :- l’approvisionnement : vivres, médicaments, vêtements, matériel de couchage,logement d’urgence, objets nécessaires au culte et tout approvisionnementnécessaire à la survie de la population;


28- <strong>le</strong> secours : l’occupant ne peut pas s’opposer aux opérations de secoursstrictement humanitaires menées par toute organisation humanitaire impartia<strong>le</strong>;- <strong>le</strong>s réquisitions;- <strong>le</strong>s déplacements forcés de la population : ils sont interdits comme sontinterdites l’implantation de ressortissants de la force d’occupation sur <strong>le</strong>territoire occupé;- la protection des enfants;- l’interdiction de l’enrô<strong>le</strong>ment et du travail forcé;- l’interdiction de destructions;- …La population dans une vil<strong>le</strong> assiégéeLes vil<strong>le</strong>s assiégées bénéficient, el<strong>le</strong>s aussi, d’un minimum de protectionsprévues par <strong>le</strong> DIH 32 . Outre la protection des biens culturels en cas d’attaque etl’interdiction du pillage de la localité une fois cel<strong>le</strong>-ci conquise, la populationbénéficie de dispositions spécifiques :- des accords doivent être conclus pour l’évacuation des b<strong>le</strong>ssés et malades, desinvalides, des enfants et des femmes en couches;- <strong>le</strong>s accords doivent éga<strong>le</strong>ment prévoir <strong>le</strong> passage à l’intérieur de la localitéassiégée du personnel sanitaire et religieux, ainsi que du matériel sanitaire àdestination de la localité. Ces textes ne font aucune mention d’unapprovisionnement alimentaire.- <strong>le</strong> droit de sortir peut être accordée aux agents diplomatiques et aux citoyensd’Etats neutres, sauf lors des combats.Dans <strong>le</strong>s conflits armés internes, la DIH apportent deux précisions 33 :- l’utilisation de la famine comme méthode de combat contre <strong>le</strong>s personnescivi<strong>le</strong>s est interdite;- quand la population assiégée souffre de privations excessives par manque desapprovisionnements essentiels à sa survie, vivres et matériel sanitaire, desactions de secours en faveur de la population de caractère exclusivementhumanitaire et impartial doivent être entreprises.Le droit de recevoir des secours 34Toute population, citadine ou non, a droit de recevoir des secours exclusivementhumanitaires quand el<strong>le</strong> souffre de privations excessives par manqued’approvisionnements essentiels à sa survie, tels que <strong>le</strong>s vivres et ravitail<strong>le</strong>mentsanitaire. Ce droit est valab<strong>le</strong> dans toutes situations où la population civi<strong>le</strong> estaffectée par <strong>le</strong> dérou<strong>le</strong>ment d’un conflit armé (international ou interne).32 Les dispositions se trouvent : I CG art.15 / II CG art.18/ CG IV art.1733 Les dispositions se trouvent : PA II art. 4e / PA II art.1434 Dans <strong>le</strong> DIH, <strong>le</strong>s secours comprennent assistance et protection


29Le manque de respect des dispositions du DIH dans la vil<strong>le</strong> en en conflitL’absence de dispositions spécifiques relatives à la vil<strong>le</strong> en situationconflictuel<strong>le</strong> ne signifie nul<strong>le</strong>ment que cel<strong>le</strong>-ci est un «no man’s land» juridique.Comme nous l’avons analysé, des dispositions peuvent soit se confondre avec lavil<strong>le</strong>, soit être appliquées en vil<strong>le</strong>.Force est de constater que, dans de nombreux contextes, ces dispositions ne sontpas toujours respectées ou appliquées. La vil<strong>le</strong> semb<strong>le</strong> être ainsi un milieuparticulièrement propice aux exactions (croissantes ?) commises par <strong>le</strong>sbelligérants : pillages, destructions massives de biens à caractère civil (hôpitaux,lieux de culte, logements, éco<strong>le</strong>s, services, etc.), violations commises à l’égardde la population civi<strong>le</strong> (viols, mauvais traitements, privation de nourriture, etc.).Sarajevo, Kigali et Monrovia sont de sinistres exemp<strong>le</strong>s récents.Parmi <strong>le</strong>s hypothèses immédiates pouvant expliquer cette propension à desviolations graves du DIH en milieu urbain, nous retenons :a) <strong>le</strong>s caractéristiques intrinsèques de la vil<strong>le</strong> : la concentration de populations etd’infrastructures sur une surface limitée démultiplie <strong>le</strong>s risques de «dommagescollatéraux» importants, pouvant mener à un non respect du principe deproportionnalité et donc une violation grave du DIH.b) <strong>le</strong>s dysfonctionnements de la vil<strong>le</strong> : la vil<strong>le</strong> en période de stabilité estaujourd’hui confrontée à de nombreux dysfonctionnements. La vio<strong>le</strong>nce y estdans une certaine mesure endogène. Cette vio<strong>le</strong>nce, impunie, est alors un terreaupropice lors de conflit affectant la vil<strong>le</strong> pour des violations du DIH tel<strong>le</strong>s que <strong>le</strong>spillages, <strong>le</strong>s viols, etc.;c) <strong>le</strong>s enjeux liés à la vil<strong>le</strong> : lieu de pouvoir, la vil<strong>le</strong> serait devenue un enjeu d’uneimportance si crucia<strong>le</strong> que toutes <strong>le</strong>s stratégies seraient imaginées, planifiées etordonnées par <strong>le</strong>s belligérants menant aux pires violations du DIH : «une fin quijustifierait (tous ?) <strong>le</strong>s moyens».d) <strong>le</strong> manque d’expérience et d’expertise des forces armées : <strong>le</strong>s armées étatiquesne sont pas encore aguerries aux techniques de guérillas urbaines entraînant unproblème de contrô<strong>le</strong> qui peut engendrer à terme des violations du DIH;D'autres déterminants, plus généraux, complètent ces hypothèses immédiatesénumérées ci-dessus :a) la désintégration de l’Etat nation: <strong>le</strong>s Etats signataires des Conventions deGenève sont tenus de respecter et de faire respecter en toutes circonstances <strong>le</strong>snormes du DIH et cette obligation génère une responsabilité des autoritésnationa<strong>le</strong>s face à des violations commises sur <strong>le</strong>ur territoire. La désintégration del’Etat nation peut en partie expliquer une nouvel<strong>le</strong> propension à la violation desobligations du DIH; en effet l’absence d’Etat induit un vide face à laresponsabilité de respect de ce même droit;


30b) la «faib<strong>le</strong>sse» du DIH : <strong>le</strong> DIH ne prévoit des sanctions que dans <strong>le</strong> cas deviolations graves des Conventions de Genève que sont <strong>le</strong>s crimes de génocide,<strong>le</strong>s crimes contre l’humanité, <strong>le</strong>s crimes de guerre et <strong>le</strong>s crimes d’agression.Dans <strong>le</strong>s autres cas de violations, des recours judiciaires peuvent exister auniveau national, mais ils ne sont pas prévus par <strong>le</strong> DIH et dépendent du systèmejudiciaire interne.c) <strong>le</strong> comportement des combattants : différents facteurs tels que l’essencecriminogène et <strong>le</strong>s buts de la guerre, des raisons d’opportunité, d’idéologie et depsychologie peuvent expliquer la violation fréquente du DIH par <strong>le</strong> combattant :«(...), Le fossé observé entre reconnaissance et application des normes se produit enraison d'une série de mécanismes conduisant au désengagement moral du combattant età la perpétration de violations du DIH"."L'encadrement des porteurs d'armes, <strong>le</strong>s ordres stricts quant à la conduite à adopter et<strong>le</strong>s sanctions effectives en cas d'inobservation des ordres sont <strong>le</strong>s conditions essentiel<strong>le</strong>squi doivent être réunies pour espérer obtenir un meil<strong>le</strong>ur respect du DIH.» (... ) 35• Illustration : <strong>le</strong>s dommages causés à des infrastructures à caractère civilIl nous semb<strong>le</strong> important de souligner une réalité des conflits majeurs actuelscaractérisée par des actes vio<strong>le</strong>nts perpétrés contre des services et infrastructurespubliques indispensab<strong>le</strong>s à la survie de la population (stations de pompage,services d’é<strong>le</strong>ctricité, hôpitaux , etc.). Le conflit en Irak mais éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>conflit israélo-pa<strong>le</strong>stinien illustrent de façon magistra<strong>le</strong> cette tendance quiinquiète bon nombre d’acteurs humanitaires.«En contravention avec <strong>le</strong>s Conventions de Genève (art. 33, 49, 53 IV CG), Israëlfrappe <strong>le</strong>s populations civi<strong>le</strong>s de peines col<strong>le</strong>ctives. Les destructions systématiquesd’installations et d’infrastructures civi<strong>le</strong>s ont atteint une dimension sans précédent…» 36Le Comité International de la Croix Rouge (CICR) se dit particulièrementpréoccupé de ce manque de respect des dispositions prévues par <strong>le</strong> DIHconcernant <strong>le</strong>s biens à caractère civil. Il tente constamment de sensibiliser <strong>le</strong>sparties au conflit et <strong>le</strong>ur rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong>urs obligations quant à la protection desservices et infrastructures civils. Avant la guerre en Irak, <strong>le</strong> CICR a ainsisensibilisé <strong>le</strong>s Etats Unis en <strong>le</strong>ur demandant instamment d’épargner <strong>le</strong>sinfrastructures civi<strong>le</strong>s et a éga<strong>le</strong>ment lancé des appels pressants en ce sens durant<strong>le</strong> conflit.«Irak : <strong>le</strong> CICR lance un appel pressant pour la protection de la population civi<strong>le</strong> et desservices civils, et des personnes qui ne participent plus au combat …35 COM/EDUC, octobre 2003, La recherche influence / Synthèse des résultats et conclusions, CICR36 Intervention ora<strong>le</strong> de la CIJ (Commission Internationa<strong>le</strong> des Juristes) à la 59e session dela Commission des droits de l’homme des Nations Unies : question des droits de l’hommedans <strong>le</strong>s territoires arabes occupés, y compris la Pa<strong>le</strong>stine.


31Des éléments incontrôlés, parfois armés, se livrent à des saccages et à des pillages, s’enprenant même à des services publics essentiels tels que des hôpitaux et des installationsd’eau potab<strong>le</strong> …Les cadavres sont abandonnés ; l’approvisionnement en eau et en é<strong>le</strong>ctricité défaillantet <strong>le</strong>s températures de plus en plus é<strong>le</strong>vées augmentent fortement <strong>le</strong> risque d’épidémies…Le CICR demande instamment aux forces de la Coalition et à toute personne détenantune autorité de faire tout ce qui est en <strong>le</strong>ur pouvoir pour protéger <strong>le</strong>s infrastructuresessentiel<strong>le</strong>s – hôpitaux et systèmes d’approvisionnement en eau et d’assainissement,notamment – contre <strong>le</strong>s pillages et <strong>le</strong>s destructions …Les infrastructures civi<strong>le</strong>s endommagées ou détruites doivent être réparées <strong>le</strong> plus tôtpossib<strong>le</strong> afin que <strong>le</strong>s besoins essentiels de la population puissent être couverts.L’approvisionnement en eau et la fourniture d’é<strong>le</strong>ctricité sont d’importance vita<strong>le</strong> …» 37Cette sensibilisation est un défi d’autant plus grand lorsqu’il s’agit de conflitsinternes mettant aux prises des groupes armés diffici<strong>le</strong>ment identifiab<strong>le</strong>s et doncdiffici<strong>le</strong>ment approchab<strong>le</strong>s.Les stratégies des belligérants et ses impacts humanitairesComme souligné précédemment, <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s sont toutes différentes maisparticipent de mécanismes de fonctionnement similaires; el<strong>le</strong>s sont comp<strong>le</strong>xes,étendues et bruissent d’une population nombreuse et cosmopolite. Cesdifférentes caractéristiques font de la vil<strong>le</strong> un «champ de batail<strong>le</strong>» craint et fortredouté des stratèges militaires; bien souvent la prise de la vil<strong>le</strong> s’avère longue etcoûteuse en vies humaines, autant pour <strong>le</strong>s assaillants que pour ses défenseurs,mais éga<strong>le</strong>ment et surtout pour <strong>le</strong>s civils pris entre deux feux.«En vil<strong>le</strong>, on ne voit rien et on crève de peur, on ne sait jamais ce quise cache derrière la porte, derrière la fenêtre, au prochain carrefour… De plus la menace ne provient pas seu<strong>le</strong>ment du sol : la vil<strong>le</strong>ajoute une troisième dimension, cel<strong>le</strong> des étages, des toits, des caves,des souterrains…» 38Les conflits contre la vil<strong>le</strong> et dans la vil<strong>le</strong>Dans la majorité des conflits actuels, <strong>le</strong> but <strong>final</strong> de l’assaillant est de s’emparerde la vil<strong>le</strong> en tant que lieu de concentrations : concentration de richesses, de37 Communiqué de presse du CICR 03/28 : «Irak : <strong>le</strong> CICR lance un appel pressant pour la protectionde la population et des services civils, et des personnes qui ne participent plus aux combats»,11.04.200338 Loup Francart, Général français à la retraite et actuel directeur d’Euro-décision-AIS, Agence deconseil en sécurité et en intelligence stratégique


32symbo<strong>le</strong>s et de pouvoir. Les stratégies pour y parvenir sont alors fonction de lacapacité de défense de la partie adverse.L’objectif tactique des stratèges militaires semb<strong>le</strong> bien souvent tout tracé : «ilconsiste d’abord à neutraliser <strong>le</strong> pouvoir, local ou national, puis à casserl’appareil de défense militaire dans la vil<strong>le</strong> et contrô<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s populations, dont ilfaudra assurer la survie.» 39 Pourtant, tous <strong>le</strong>s combattants, forces régulières ougroupes armés, ont différentes stratégies pour faire «tomber» une vil<strong>le</strong>. Un deséléments-clés est la position de l’assaillant, qui venant de l’extérieur ouattaquant depuis l’intérieur, va faire, par ce fait, éclater un conflit soit contre lavil<strong>le</strong> soit dans la vil<strong>le</strong>.Pour analyser et comprendre <strong>le</strong>s stratégies des belligérants nous nous sommesinspirés de la terminologie proposée par Jean-Louis Dufour 40 . Ainsi, pour <strong>le</strong>sconflits contre la vil<strong>le</strong>, nous proposons une distinction entre la «vil<strong>le</strong> assaillie»,la «vil<strong>le</strong> assiégée», la «vil<strong>le</strong> bombardée» et la «vil<strong>le</strong> otage» et pour <strong>le</strong>s conflitsdans la vil<strong>le</strong>, la notion de «vil<strong>le</strong> insurgée».Détruire partiel<strong>le</strong>ment ou entièrementLa vil<strong>le</strong> est assaillie et ravagée afin d’anéantir l’ennemi; c’est sans aucun doutela stratégie la plus destructrice et dont <strong>le</strong>s conséquences humaines sont énormes :morts, b<strong>le</strong>ssés et/ou déplacés.La vil<strong>le</strong>, petit à petit, n’est plus capab<strong>le</strong> de réagir et de se défendre. Lesvainqueurs entrent dans un champ de ruines, comme ce fut <strong>le</strong> cas à Hué durant laguerre du Vietnam en 1968.• Ravager pour punir : <strong>le</strong> cas de la vil<strong>le</strong> de Grozny«Il a fallu à Moscou deux guerres ou «opérations de police» selon l’appellationrusse (l’une en 1994-1995, l’autre en 1999-2000) pour en finir avec la capita<strong>le</strong>d’une république autonome au sein de la fédération de Russie, coupab<strong>le</strong> d’avoirnargué ses maîtres. En l’occurrence prendre la vil<strong>le</strong> ne revêt aucun intérêtmilitaire. L’ambition est de punir, … 41 ».• Ravager pour annihi<strong>le</strong>r l’Autre : <strong>le</strong> cas des vil<strong>le</strong>s de l’ex-YougoslavieLors des guerres d’ex-Yougoslavie, <strong>le</strong>s pilonnages de la vil<strong>le</strong> de Dubrovnik et<strong>le</strong>s destructions systématiques des vil<strong>le</strong>s d’Osijek, Vukovar, Mostar ou Zadarsont apparus pour <strong>le</strong>s Occidentaux re<strong>le</strong>ver de l’absurde. Pour qualifier cettestratégie, <strong>le</strong> mot «urbicide» est utilisé.InvestirLes belligérants peuvent éga<strong>le</strong>ment chercher à assaillir la vil<strong>le</strong> pour la maîtriseret la contrô<strong>le</strong>r, sans forcément la détruire. La vil<strong>le</strong> devient alors un objectif39Dominique David, responsab<strong>le</strong> des études de sécurité à l’Institut français de recherchesinternationa<strong>le</strong>s (IFRI)40 Dufour J.-L., 2002, La guerre, la vil<strong>le</strong> et <strong>le</strong> soldat, Paris, Odi<strong>le</strong> Jacob, 200241 op. cit.


33tactique nécessaire dans <strong>le</strong>quel la force attaquante peut voir un gage dont lapossession lui permet ensuite de négocier avec la partie adverse ou de contrô<strong>le</strong>run nouveau territoire.Cela peut être par exemp<strong>le</strong> la stratégie adoptée par des groupes d’oppositiondans un conflit interne mené contre l’Etat; la prise de la vil<strong>le</strong> voire de la capita<strong>le</strong>peut amener <strong>le</strong>s ennemis à la tab<strong>le</strong> des négociations ou obliger une des parties àabdiquer.Les mouvements de guérillas au Libéria ont ainsi fina<strong>le</strong>ment contraint <strong>le</strong>Président, Char<strong>le</strong>s Taylor, à abdiquer alors que Monrovia étaient aux mains desrebel<strong>le</strong>s. De manière beaucoup plus pacifique et dans un contexte qui n’est pascelui d’une guerre ouverte, <strong>le</strong> président de la Géorgie, Edouard Chevardnadze, aété contraint de démissionner en novembre 2003 alors que l’opposition et unelarge part de la population géorgienne envahissaient <strong>le</strong>s bâtiments étatiques, dont<strong>le</strong> Par<strong>le</strong>ment, dans la capita<strong>le</strong> Tbilissi..Encerc<strong>le</strong>rIl convient d’attaquer l’adversaire mais éga<strong>le</strong>ment de <strong>le</strong> décourager voire de <strong>le</strong>tromper. Au-delà d’une stratégie militaire souvent prisée, <strong>le</strong> siège d’une vil<strong>le</strong> estune approche «indirecte» à caractère plus psychologique pour faire plierl’adversaire en l’étouffant tout en économisant ses forces et ses ressources.Inuti<strong>le</strong> de préciser que <strong>le</strong>s premières victimes de cet enfermement et de cetétouffement sont généra<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s populations civi<strong>le</strong>s.Cette stratégie de vil<strong>le</strong> assiégée a été souvent utilisée dans des conflits récents :Beyrouth ou Sarajevo sont des exemp<strong>le</strong>s particulièrement éloquents.Cib<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s outils de guerre de l’ennemiLa stratégie choisie dans ce cas n’implique pas forcément une prise de la vil<strong>le</strong>.L’histoire récente, en particulier la guerre du Kosovo, indique que desbombardements ciblés, ou «frappes chirurgica<strong>le</strong>s», sont aujourd’hui utilisés pourdissuader l’adversaire d’entrer en conflit ou de <strong>le</strong> poursuivre. Ces frappes n’ontpas pour cib<strong>le</strong> une population citadine mais cherchent à détruire tous <strong>le</strong>s outilsnécessaires à l’adversaire pour combattre : infrastructures énergétiques,infrastructures de télécommunication et de riposte militaire (batteries antiaériennes,aéroports, usines d'armements, ...).Maintenir un sentiment de crainteUne autre stratégie déployée pour dissuader voire punir l’ennemi est de faireplaner une menace constante sur la vil<strong>le</strong>; cel<strong>le</strong>-ci est de facto prise en otage.C’est la stratégie adoptée par certains groupes terroristes; New York, <strong>le</strong> 11septembre 2001 est naturel<strong>le</strong>ment l’exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> plus marquant de ce début desièc<strong>le</strong> mais <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s de Tel Aviv ou de Jérusa<strong>le</strong>m vivent éga<strong>le</strong>mentcontinuel<strong>le</strong>ment dans la peur et l’angoisse d’une attaque terroriste.


34Se rebel<strong>le</strong>r contre un pouvoirLoca<strong>le</strong> ou nationa<strong>le</strong>, l’insurrection est dirigée soit contre une autorité de mêmenationalité que l’insurgé, soit contre un occupant étranger (territoirespa<strong>le</strong>stiniens occupés depuis 1948, Grozny (1994) ou Irak ( 2003); un pays, unerégion voire une vil<strong>le</strong> peuvent se sou<strong>le</strong>ver. Ce type d’insurrection est pardéfinition la stratégie adoptée pour tenter de renverser un pouvoir établi.Selon J.-L. Dufour, l’insurrection comporte en principe quatre phases qui sont :- la préparation, période incluant propagande et communication;- <strong>le</strong> terrorisme urbain qui se définit comme un acte de vio<strong>le</strong>nce préméditécherchant à démontrer la puissance des insurgés et à démoraliser la partieadverse;- la guérilla qui se définit comme une guerre de harcè<strong>le</strong>ment, de coups de main etconduisant tout droit à la quatrième phase;- l’insurrection ouverte ou <strong>le</strong> conflit.Toute insurrection ne conduit pas forcément à la quatrième phase, cel<strong>le</strong> duconflit; parfois la victoire s’obtient sans que <strong>le</strong>s insurgés ne soient jamais allésau bout du processus. A l’opposé, <strong>le</strong>s forces légitimes vont tenter de stopperl’insurrection dès <strong>le</strong>s premiers signes et donc dès <strong>le</strong>s premières phases.Nombreuses sont <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s au cœur de ce processus et qui jalonnent ainsil’histoire des guerres : au Liban en 1975, en Tchéchénie en 1994 et 1999, auNicaragua en 1997 ou au Kosovo en 1999.D’autres exemp<strong>le</strong>s de vil<strong>le</strong>s insurrectionnel<strong>le</strong>s chroniques comme Bogota,Karachi ou Kinshasa, peuvent éga<strong>le</strong>ment être citées comme des plates-formes dedéstabilisation.La vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong> et la vil<strong>le</strong>-refugeLes conflits contre la vil<strong>le</strong> ou dans la vil<strong>le</strong> s’attaquent au fonctionnement mêmede cel<strong>le</strong>-ci et à ce qu’el<strong>le</strong> représente. La vil<strong>le</strong> se fragilise et se vulnérabilise faceaux attaques; el<strong>le</strong> devient alors une cib<strong>le</strong> et un lieu d’insécurité.La population va, dans un premier temps et aussi longtemps qu’el<strong>le</strong> <strong>le</strong> peut,résister et tenter de survivre dans des conditions de plus en plus diffici<strong>le</strong>s pourfina<strong>le</strong>ment, si cela est encore possib<strong>le</strong>, se résoudre à l’exil.Notre analyse de la vil<strong>le</strong> en temps de conflit serait incomplète si nous nouslimitions uniquement aux stratégies s’attaquant à cel<strong>le</strong>-ci.Les conflits peuvent éga<strong>le</strong>ment ne pas avoir pour fin la vil<strong>le</strong> en tant que lieu deconcentration de pouvoirs, d’enjeux et de butins stratégiques. Dans ce cas <strong>le</strong>symbo<strong>le</strong> représenté par cel<strong>le</strong>-ci n’est plus celui de cib<strong>le</strong>; el<strong>le</strong> est au contraire unrefuge et un havre de sécurité : un sanctuaire.


35El<strong>le</strong> se voit alors dans l’obligation d’accueillir une population qui fuit <strong>le</strong> conflitet qui espère trouver en vil<strong>le</strong> un abri, une protection et une assistance. Cet affluxde population déplacée ne va pas sans tensions; tensions avec une populationrésidente qui se voit contrainte de partager et d’assister <strong>le</strong>s déplacés alorsqu’el<strong>le</strong>-même, bien souvent, peine déjà à survivre. L’exemp<strong>le</strong> de Kinshasa(République Démocratique du Congo) est éloquent.Nous pourrions avancer l’hypothèse que la vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong> porterait <strong>le</strong>s «causes» d’unconflit particulier alors que la vil<strong>le</strong>-sanctuaire en supporterait plus <strong>le</strong>s«conséquences».Les impacts du conflit sur la vil<strong>le</strong>Les conflits laissent des stigmates nombreux dans la vil<strong>le</strong> qui peuvent êtreregroupés ainsi :- des transformations conjoncturel<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong> fonctionnement de la communauté;- une réorganisation du pouvoir;- des traces sur l’individu (morts, b<strong>le</strong>ssés ou crimes et intimidations sexuel<strong>le</strong>s) ;- des traces sur la population (<strong>le</strong>s déplacements de population, traumatismes desdéplacés et/ou réfugiés);- des traces sur l’environnement (dommages et destructions directes ou indirectessur l’écosystème);- des traces sur <strong>le</strong>s infrastructures et <strong>le</strong>s ressources (dommages directs,destructions et surconsommation des infrastructures mécaniques et matériel<strong>le</strong>s etdes ressources; dommages indirects sur <strong>le</strong>s financements des infrastructures dela vil<strong>le</strong> à-travers une nécessaire économie de guerre de l’Etat);- des traces sur la qualité de vie et l’économie (pertes tangib<strong>le</strong>s dans l’accès auxbesoins de base; économie de dévaluation, pertes d’emploi, etc.).Pour aborder cette section, nous nous proposons de revisiter <strong>le</strong>s stratégies desbelligérants, pour dégager <strong>le</strong>s résultantes principa<strong>le</strong>s affectant la vil<strong>le</strong>.La vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong> : une vision détailléeLa vil<strong>le</strong> assaillieLa vil<strong>le</strong> partiel<strong>le</strong>ment voire tota<strong>le</strong>ment détruite lors de la phase aiguë du conflitpeut tomber aux mains des vainqueurs; el<strong>le</strong> devient alors <strong>le</strong>ur propriété. En droitinternational, la vil<strong>le</strong> sous contrô<strong>le</strong> de la partie adverse acquiert alors <strong>le</strong> statut devil<strong>le</strong> occupée soumise aux termes de la IV Convention de Genève (portant sur laprotection des populations civi<strong>le</strong>s en cas de conflit armé international). Cetteconvention régit et rég<strong>le</strong>mente <strong>le</strong>s obligations des vainqueurs face à lapopulation. Force est de constater que de tel<strong>le</strong>s obligations sont bien souventignorées ou non reconnues par <strong>le</strong>s parties; notons ainsi l'Etat d'Israël qui refused'appliquer en tous ses termes la IV Convention de Genève dans <strong>le</strong>s Territoiresoccupés.


36Les vainqueurs tentent alors d'imposer <strong>le</strong>urs propres lois et <strong>le</strong>ur vision de l’ordre,mettant en place <strong>le</strong>urs propres dirigeants. La vil<strong>le</strong> se transforme au gré de lavolonté du nouveau pouvoir; des quartiers peuvent disparaître, des monumentssymboliques sont détruits (ou pas reconstruits) et un nouveau fonctionnementpolitique, juridique et social est instauré, si nécessaire par la force. Lespopulations sont contraintes d’accepter ces changements ou se voient obligéesde fuir un nouveau régime qu’el<strong>le</strong>s refusent.La vil<strong>le</strong> de Kaboul a ainsi, par exemp<strong>le</strong>, subi quatre changements de pouvoirvio<strong>le</strong>nts depuis 1978 entraînant à chaque fois de nombreuses destructions, desmigrations de populations fuyant non seu<strong>le</strong>ment la vio<strong>le</strong>nce mais éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>pouvoir mis en place.Les vil<strong>le</strong>s d’Abkhazie, et en particulier Sukhumi, peuplées majoritairement deGéorgiens, se sont largement vidées à la suite de la défaite de l’arméegéorgienne dans <strong>le</strong> conflit qui l’a opposée à l’armée abkhaze entre 1992 et 1993.La vil<strong>le</strong> assiégéeDans la phase aiguë du conflit, <strong>le</strong> siège enferme et étouffe non seu<strong>le</strong>ment unepopulation mais éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> fonctionnement général de la vil<strong>le</strong> qui est alorscoupée du monde extérieur; <strong>le</strong>s échanges bancaires, <strong>le</strong>s voies de communication,<strong>le</strong>s moyens d’échanges sont coupés et <strong>le</strong>s services sanitaires, faute de matériel,ne fonctionnement plus.Très vite émergent d’énormes difficultés liées par exemp<strong>le</strong> àl’approvisionnement et au ravitail<strong>le</strong>ment en nourriture mais aussi en eau et encombustib<strong>le</strong>s de la population assiégée qui se voit contrainte d’économiser sesressources dans un premier temps puis de développer différents mécanismes desurvie.La population civi<strong>le</strong> est utilisée bien souvent à des fins tactiques par l’assaillantqui peut soit la laisser sortir (de Beyrouth assiégée en 1982 sort près de 50% dela population), soit la garder prisonnière dans la vil<strong>le</strong> (à Sarajevo, <strong>le</strong>s Serbesempêchent par la force la population de quitter la vil<strong>le</strong>). En outre dans denombreux conflits déstructurés, l’objectif des groupes armés n’est plusseu<strong>le</strong>ment la vil<strong>le</strong> mais aussi la population civi<strong>le</strong> qui l’habite.La vil<strong>le</strong> bombardéeVisant un but premier de dissuasion et non d’occupation, <strong>le</strong>s conséquences «defrappes chirurgica<strong>le</strong>s» ne devraient être en principe que mineures, laissantprincipa<strong>le</strong>ment des traces sur des infrastructures considérées comme desobjectifs de guerre et épargnant <strong>le</strong>s populations civi<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s biens à caractèrecivil.Les derniers conflits du Kosovo, de l’Afghanistan ou de l’Irak ont néanmoinsmontré que ces frappes stratégiques entraînent dans certains cas des «dommagescollatéraux»; c’est-à-dire «des b<strong>le</strong>ssures infligées à des civils ou des dommages


37causés à des biens à caractère civil qui ne font pas partie d’un objectif autorisé etqui résultent de l’utilisation de la force 42 ». Il est à noter que <strong>le</strong>s Conventions deGenève, en particulier <strong>le</strong> Ier Protoco<strong>le</strong> Additionnel fait mention des «mesures deprécaution» dans l’attaque pour épargner «la population civi<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s personnescivi<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s biens de caractère civil 43 »; tout militaire est ainsi norma<strong>le</strong>ment liéau principe de proportionnalité et a <strong>le</strong> devoir de veil<strong>le</strong>r à ce que <strong>le</strong>s dommagescollatéraux ne soient pas excessifs en regard de l’avantage militaire concret etdirect attendu.La vil<strong>le</strong> otageLa vil<strong>le</strong> n’est pas la cib<strong>le</strong> de combats de haute intensité et réguliers, mais el<strong>le</strong>subit une pression constante et vit dans la hantise de nouveaux attentats; el<strong>le</strong>demeure une cib<strong>le</strong> potentiel<strong>le</strong> à tout moment. Cette menace permanente attise lahaine de la population contre <strong>le</strong>s auteurs de tels actes comme c’est <strong>le</strong> cas enIsraël face au terrorisme.Cette peur qui plane sur la vil<strong>le</strong> n’est pas sans conséquences pour la population;une population traumatisée par des actes de vio<strong>le</strong>nce et bien souvent incapab<strong>le</strong>de se protéger.Dans ce type de stratégies, nous serions amenés à conclure que <strong>le</strong>s impacts sur lavil<strong>le</strong> sont moins d’ordre physique que psychologique.La vil<strong>le</strong> insurgéeNée dans la vil<strong>le</strong> et parmi des groupes de combattants urbains, l’insurrectionlaisse des traces profondes; en cherchant à renverser <strong>le</strong> pouvoir établi, c’est biensouvent <strong>le</strong> fonctionnement, dans son intégralité, de la vil<strong>le</strong> qui est dévasté etravagé : pouvoir politique décapité, structures et infrastructures étatiquesravagées, services inopérants, etc.L’insurrection, en tant que l'émanation de groupes opposés au pouvoir légitime,a besoin pour réussir de l’appui d’une part non négligeab<strong>le</strong> de la populationcivi<strong>le</strong>. Cette dernière se voit contrainte, quelquefois sous la menace des armes,de supporter une des parties au conflit.Le type mais aussi la durée de ces conflits amoindrissent et rongent <strong>le</strong>s forces derésistance de la population civi<strong>le</strong> qui se retrouve être la première victime : morts,b<strong>le</strong>ssés ou populations déplacées qui cherchent à fuir la vil<strong>le</strong> (ou tout au moins <strong>le</strong>ou <strong>le</strong>s quartiers <strong>le</strong>s plus dangereux).Les b<strong>le</strong>ssures <strong>le</strong>s plus longues à cicatriser sont sans doute <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>ssures socia<strong>le</strong>set <strong>le</strong>s haines entre individus nées lors de tels combats sont longues voireimpossib<strong>le</strong> à oublier.Reconstruire une vil<strong>le</strong> est un défi qui peut alors prendre différents visages : lavil<strong>le</strong> mono-groupe, excluant tout autre groupe n’ayant pas soutenu <strong>le</strong>svainqueurs ou la vil<strong>le</strong> divisée entre différents groupes, ethniques par exemp<strong>le</strong>.42 Définition du Département canadien de la Défense reprise dans la code de conduite des forces arméescanadiennes.43 Ier Protoco<strong>le</strong> Additionnel (PA I), ch IV, art.57


38«Le cas du Burundi : <strong>le</strong>s conséquences de la guerre dans la capita<strong>le</strong> 44Fin 1993, une épreuve de force s’engagea alors entre <strong>le</strong>s <strong>le</strong>aders des multip<strong>le</strong>sformations politiques : <strong>le</strong>s formations batutsi radica<strong>le</strong>s, s’appuyant sur des groupes devoyous ..., entreprirent à <strong>le</strong>ur tout de chasser <strong>le</strong>s Bahutu des quartiers où ils n’étaientpas majoritaires… .De l’intimidation et des menaces on passa rapidement auxagressions, à l’assassinat, aux pillages des propriétés, forçant <strong>le</strong>s personnes desgroupes minoritaires dans <strong>le</strong>s différents quartiers à partir…Ce processus a conduit à une ségrégation ethnique presque absolue des diversquartiers, accompagnée d’une prise de contrô<strong>le</strong> tota<strong>le</strong> de chaque individu par <strong>le</strong>smembres du groupe qui domine l’espace occupé, brisant net <strong>le</strong> processus qui tendait aucontraire à brasser <strong>le</strong>s deux principaux groupes ethniques et à structurer <strong>le</strong>s quartiersen fonction de critères économiques et non pas ethniques».La vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong>, la vil<strong>le</strong>-sanctuaire : une vision globa<strong>le</strong>Cib<strong>le</strong> ou sanctuaire, la vil<strong>le</strong> subit de réel<strong>le</strong>s transformations lorsqu’el<strong>le</strong> estconfrontée directement ou indirectement à un conflit. Les transformations <strong>le</strong>splus visib<strong>le</strong>s sont sans doute d’ordre physique : destruction (tota<strong>le</strong> ou partiel<strong>le</strong>)dans <strong>le</strong> cas de la vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong> et dépassement rapide, et parfois incontrôlé, de seslimites, de ses capacités, de ses ressources et de sa densité dans <strong>le</strong> cas de la vil<strong>le</strong>sanctuaire.Au-delà de ces caractéristiques «visib<strong>le</strong>s», c’est <strong>le</strong> fonctionnementgénéral et global de la vil<strong>le</strong> qui va être affecté et remis en cause, qu’el<strong>le</strong> soitcib<strong>le</strong> ou sanctuaire.Au travers des deux tab<strong>le</strong>aux présentés ci-dessous, nous proposons une analysedifférenciée des résultantes du conflit entre la vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong> et la vil<strong>le</strong>-sanctuaire,selon <strong>le</strong> schéma type : (stabilité) – crise – conflit – transition/reconstruction.Cette tentative d’analyse est articulée selon des domaines propres aufonctionnement et à l’équilibre de la vil<strong>le</strong> : <strong>le</strong> politique, l’économique et <strong>le</strong>social.44 D. Lecompte, 1997, l’Afrique politique, revendications populaires et recompositions politiques,Paris, Karthala


39La vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong>Résultantes Crise ConflitDroit - Dégradation de laprotection des droits del’homme et des droitsfondamentaux- Affaiblissement del’Etat de droitPolitiques - Dégradation de lasécurité physique- Mise en place desmesures d’exception- Couvre-feu et recoursà l’usage de la «forcelégitime»- Affaiblissement del’Etat- Apparition de <strong>le</strong>aders«auto-proclamés»- Propagande des partis- Violations répétéeset aggravées desdroits fondamentauxet du DroitInternationalHumanitaire- Impunité- Insécurité et chaos- Désintégration del’Etat- Absence de pouvoirlégitime- Pouvoir aux mainsde <strong>le</strong>aders «autoproclamés»Politicoadministratives- Affaiblissement dufonctionnement et de laqualité des structures etservices publicsurbainsEconomiques - Inflation/déflation- Développementgraduel d’uneéconomie parallè<strong>le</strong>- Fragilisation dumarché del’emploi(chômage, …)- PaupérisationSocia<strong>le</strong>s - Exode urbainprogressif- Exacerbation desdifférences socia<strong>le</strong>s- Fragmentation de lasociété- Fragilisation desmécanismes desolidarité et entraidepour la survie- Dysfonctionnementdes mécanismes d’aidesocia<strong>le</strong> publique pour<strong>le</strong>s populationsvulnérab<strong>le</strong>s- Développement demécanismes derésilienceExode urbainprogressif- Destruction partiel<strong>le</strong>ou tota<strong>le</strong> desstructures et servicespublics urbains- Rationnement- Rupture des liensd’approvisionnement- Marché noir desressources vita<strong>le</strong>s- Exode urbain massif- Victimes- Disparition dessystèmes abstraits etd’experts- Tensions socia<strong>le</strong>saccrues pouvantgénérer des vio<strong>le</strong>nces- Indigence des plusvulnérab<strong>le</strong>sExode urbain massifTransition/reconstruction- normalisationetrétablissementd'un Etat dedroit et d'uncadre juridiqueacceptab<strong>le</strong>- Dialoguepolitique- Déploiementde forces demaintien de lapaixProcessusé<strong>le</strong>ctoral(local) avecmise en placede nouvel<strong>le</strong>sinstitutionsReconstructiondes structures etadaptation desservices publicsurbains- Subsistanced’uneéconomieparallè<strong>le</strong>- Nouvel<strong>le</strong>sopportunitéséconomiques- Aide(extérieure) auredémarrageéconomique- Réduction dela vulnérabilité- Restructuration etréorganisationdescommunautés- Nouveau tissusocial- Dialogue deréconciliationNouveauxéquilibres


40RésultantesPoliticoadministrativesEconomiquesSocia<strong>le</strong>sCriseSurcharge des services etinfrastructures urbains- Surcharge du marché del’emploi- Déséquilibre entreproduction rura<strong>le</strong> et besoinsurbains- Finances publiquesprécaires et ressourceslimitées- Apparition de mécanismesde substitution à l’Etat- Développement gradueld’une économie parallè<strong>le</strong>- Compétition entre déplacéset résidentsDéplacés- Recherched’emploi- Mécanismesd’adaptation- PrécaritééconomiqueLa vil<strong>le</strong>-refugeRésidents- Précaritédel’emploi;- Mécanismesd’adaptation- Précaritééconomique- Décapitali-sation- Paupérisation- Développement demécanismes de résilience- Tensions socia<strong>le</strong>s entredéplacés et résidentsDéplacés- Nouveaux réseauxdesolidarité;- Accueildansfamil<strong>le</strong>soucentrescol<strong>le</strong>ctifsRésidents- Affaiblissement/ fragmentation desréseauxdesolidaritéExode urbain progressifConflit- Incapacité/inélasticité des structures etinfrastructuresurbaines à répondreaux besoins nouveaux- Etablissement d’uneéconomie parallè<strong>le</strong>- Chômage massif- Surcharge desréseaux de productionet de distribution- Economie de guerremenée par <strong>le</strong>sautorités- Dynamique de surviepour toutes <strong>le</strong>scatégories depopulation mais àdegrés différenciés- Compétition accrueentre déplacés etrésidents- Accès aux biens etservices diffici<strong>le</strong> voireimpossib<strong>le</strong>- Indigence des plusvulnérab<strong>le</strong>s- Tensions socia<strong>le</strong>saccrues pouvantgénérer des vio<strong>le</strong>ncesExode urbain massifTransition/reconstruction- Retour à unenormalisationet/ouadaptation dufonctionnement des structureset services- Subsistanced’uneéconomieparallè<strong>le</strong>- Nouvel<strong>le</strong>sopportunitéséconomiques- Processus derééquilibragede la balancecommercia<strong>le</strong>urbaine-rura<strong>le</strong>- Aide auredémarrageéconomique- Réduction dela vulnérabilité- Restructuration etréorganisationdescommunautés- Nouveau tissusocialNouveauxéquilibres


41Les conséquences humanitaires du conflit sur la vil<strong>le</strong>Le conflit : source de dérégulation urbainePar essence, <strong>le</strong> conflit provoque une dégradation d’une série de paramètresd’ordre économique, politique et socioculturel qui peuvent être résumés commesuit :- la crise économique : augmentation des prix, précarité de l’emploi, chômage,inactivité, économie parallè<strong>le</strong>;- la diminution des ressources de base, la concentration des ressourceséconomiques aux mains des plus nantis et/ou l’augmentation des inégalités;- la dégradation des services : accès, ressources, fonctionnement et qualité;- la désintégration de l’Etat : perte de confiance; incapacité d’assumer sesobligations et responsabilités;- l’affaiblissement de l’ordre public : affaiblissement voire disparition dessystèmes de régulation;- la fragmentation et transformations socia<strong>le</strong>s : «fracture socia<strong>le</strong>», exclusion desextrêmes, accroissement des disparités, malaise social;- la vio<strong>le</strong>nce : insécurité, fragmentation ethnique, politiques, religieuse, etc.,groupes mafieux, groupes fanatiques, troub<strong>le</strong>s internes;- l’affaiblissement des mécanismes de solidarité et d’entraide : compétition entre<strong>le</strong>s groupes <strong>le</strong>s plus vulnérab<strong>le</strong>s, individualisme.Face au degré d’intensité de la dégradation de ces paramètres, et de <strong>le</strong>ur synergienégative, la vil<strong>le</strong> dans son ensemb<strong>le</strong>, (son administration, ses services, sesinfrastructures et sa population), voit sa capacité d’adaptation mais aussi derésilience diminuer, voire remise en cause, au fur et à mesure que des tensionsaugmentent.Dans ce type de contexte, <strong>le</strong>s autorités (loca<strong>le</strong>s et nationa<strong>le</strong>s) ne sont plus enmesure d’apporter <strong>le</strong>s réponses adéquates aux besoins de la population urbaineface à l’amp<strong>le</strong>ur de la crise politique, économique et socia<strong>le</strong>; nous pouvons dèslors par<strong>le</strong>r de crise humanitaire engendrant une dégradation des services et dubien-être de la population.


42Le cyc<strong>le</strong> de la dégradation urbaine en cas de conflit 45 :StabilitéStabilitéCriseTransitionCrisechroniqueConflitConséquences humanitaires liées à la dégradation des servicesLe niveau de dégradation des services est d’une importance majeure dansl’analyse des conséquences humanitaires d’un conflit en milieu urbain étantdonné que la vil<strong>le</strong> dans une large mesure concentre, vit et se structure autour deceux-ci.La réalité de la vil<strong>le</strong> des pays en développement nous amène à penser que desdysfonctionnements importants entravent, déjà en amont de la phase de conflit,l’accès, <strong>le</strong>s ressources, <strong>le</strong> fonctionnement et la qualité des services 46 .Ces dysfonctionnements s’amplifient en phase de conflit et tendent à perdurer enphase de transition. La compréhension de ce phénomène s’avère fondamentaldans la l’analyse de la dynamique de dégradation, mais aussi de reconstructionde la vil<strong>le</strong>. Nous pourrions ainsi par<strong>le</strong>r d’un certain «continuum dedysfonctionnements» traversant <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong> de la dégradation et pouvanthypothéquer toute reconstruction durab<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong> s'il n’est pas maîtrisé voireinterrompu, par des réponses adéquates.Ainsi, en situation conflictuel<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s services tentent d’adopter des stratégiesd’adaptation pour faire face à des dysfonctionnements grandissants; il s’agit engénéral de donner une priorité aux services vitaux et de diminuer <strong>le</strong>s coûts, faceà des besoins qui augmentent et des ressources qui diminuent. Mais cetteadaptation atteint ses limites lorsque <strong>le</strong> degré de dégradation est si importantqu’il rend <strong>le</strong>s services inopérants; l’accès, <strong>le</strong>s ressources, <strong>le</strong> fonctionnement et la45 Courbe inspirée du schéma de Perrin P, Schéma des conflits armés, Gestion d’une crise humanitaire,46 L’accès : nous entendons <strong>le</strong> niveau de couverture de chaque service et l’accès financier.Les ressources : nous entendons <strong>le</strong>s ressources humaines, matériel<strong>le</strong>s et financièresLe fonctionnement et la qualité : nous entendons l'existence ou non et la disponibilité des services,l’organisation des services et <strong>le</strong>s procédures utilisées ainsi que <strong>le</strong>s disfonctionnements de ces services.


43qualité des services ne sont alors plus assurés pour une large part voire la totalitéde la population urbaine et nous pouvons dès lors par<strong>le</strong>r de crise humanitaire.En repartant de notre typologie, vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong>, vil<strong>le</strong>-refuge, il est à noter que <strong>le</strong>sservices publics sont affectés de manière différentes; dans <strong>le</strong> premier cas defigure, des destructions plus ou moins massives d’infrastructures nécessaires aufonctionnement des services publics (hôpitaux, stations d’é<strong>le</strong>ctricité et depompage, etc.) rendent ceux-ci généra<strong>le</strong>ment inopérants alors que dans <strong>le</strong>deuxième cas de figure, une surcharge excessive et non maîtrisée <strong>le</strong>s rendent"inélastiques" face à des besoins nouveaux.Les services qui organisent la vil<strong>le</strong> sont nombreux et comp<strong>le</strong>xes; il nous paraîtdonc pertinent d’analyser <strong>le</strong>s mécanismes de dégradation de trois types deservices publics essentiels au bien-être et à la sécurité de la population :- <strong>le</strong>s services en charge de l’ordre public et de la mise en oeuvre des systèmes derégulation: police, administration, justice, douanes, etc.;- <strong>le</strong>s services publics en charge des infrastructures : eau et assainissement,habitat, transports, communications, etc.;- <strong>le</strong>s services sociaux.Les services en charge de l’ordre public et de la mise en oeuvre des systèmesde régulationGénéra<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s services étatiques en charge de l’ordre public (police) et de lamise en oeuvre et de l’application des systèmes de régulations de l’Etat(administration, justice, douane, …) suivent un cyc<strong>le</strong> de dégradation inéluctab<strong>le</strong>et proportionnel à l’intensité du conflit.Le conflit génère de nouveaux équilibres dans la société. En fonction, d’uneappartenance clanique, religieuse, ethnique ou politique, des franges depopulation peuvent ainsi jouir ou non des prestations de ce type de services,voire en devenir même éventuel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s victimes. La nature du conflitdétermine <strong>le</strong> degré de vulnérabilité, de discrimination, voire d’exclusion decertaines franges de la population dans l’accès à ce types de services.Notons pour exemp<strong>le</strong> que la population serbe de Sarajevo en 1993 était privéed’accès à tout <strong>le</strong> dispositif de justice et de police essentiel<strong>le</strong>ment composé demusulmans; tant pour obtenir une prestation de service que pour accéder à despostes au sein du dispositif.Des groupes marginalisés, n’ayant pas <strong>le</strong>s moyens de se défendre, deviennentdes proies faci<strong>le</strong>s, objets de différents rackets et discriminations; comme cela est<strong>le</strong> cas par exemp<strong>le</strong> en Abkhazie/Géorgie, dix ans après la phase aiguë du conflit.Les populations pauvres d’Abkhazie sont ainsi contraintes de donner unecertaine somme d’argent (bakchich) lorsqu’el<strong>le</strong>s passent la frontière entre laRussie et l’Abkhazie aux douaniers abkhazes et russes.


44Cette forme de racket ne s’arrête pas à la prestation de services, il est en effetcourant de devoir payer une somme considérab<strong>le</strong> pour obtenir un poste dans detels services (par exemp<strong>le</strong> : la police abkhaze ou géorgienne).En période de conflit, un manque d’expertise et de ressources humainescompétentes s’ajoute à un manque de ressources financières. Le personnel peutainsi être limogé de son emploi, contraint de rejoindre <strong>le</strong>s forces armées ou laguérilla, laissant des postes vacants et néanmoins clés dans l’administration.Avec l’augmentation des tensions, <strong>le</strong>s besoins se multiplient (arrestations,documents à fournir, procès, etc.) mais l’accès et <strong>le</strong>s ressources diminuent ce quiconduit forcément à une dégradation du fonctionnement et de la qualité desservices.La dégradation des quatre paramètres (accès, ressources, fonctionnement etqualité), provoque bien souvent une rupture de «confiance institutionnalisée» 47entre la population et <strong>le</strong>s responsab<strong>le</strong>s de ces services ; cette rupture remet alorsen question tout <strong>le</strong> fonctionnement de la vil<strong>le</strong> moderne et constitue une desconséquences caractéristiques du conflit sur cel<strong>le</strong>-ci.Les services publics en charge des infrastructures : <strong>le</strong> cas de l’eau.Les services publics de base sont altérés en tout ou en partie dès <strong>le</strong>s premierssignes de tension.Le réf<strong>le</strong>xe des autorités publiques est généra<strong>le</strong>ment, et avec sens, de seconcentrer sur <strong>le</strong> fonctionnement des services vitaux et donc sur unfonctionnement minimum et à moindre coûts des infrastructures urbaines. Desbarrières d’accès se mettent de facto en place pour une population marginaliséeet vulnérab<strong>le</strong> qui se voit ainsi exclue des services publics, alors qu’ils devraientêtre ouverts à tous.Dans une phase extrême de conflit, <strong>le</strong>s infrastructures des services publicsdeviennent la cib<strong>le</strong> et l’enjeux privilégiés des combattants et <strong>le</strong>ur destructionrend alors impossib<strong>le</strong> tout accès aux services ou bien el<strong>le</strong>s sont surchargées et neparviennent plus à fournir <strong>le</strong> minimum de services pour une population qui necesse d’augmenter.Le conflit affecte de manière évidente <strong>le</strong>s ressources nécessaires au bonfonctionnement des services publics car l’Etat alloue cel<strong>le</strong>s-ci en priorité àl’effort de guerre et n’est plus en mesure de fournir <strong>le</strong>s ressources financièresnécessaires (salaires, matériel, équipement, etc.). En outre, la main-d’œuvre estdans sa majorité mobilisée ou n’ayant plus de salaire, cherche une autre sourcede revenus.Le fonctionnement et la qualité sont éga<strong>le</strong>ment affectés. Ainsi, dans <strong>le</strong> domainede la production et de l'approvisionnement en eau 48 , <strong>le</strong>s paramètres d'accès, de47 Selon <strong>le</strong> concept de modernité de Giddens A., 1994, Les conséquences de la modernité, Paris,l’Harmattan48 L’eau est en effet un service public d’une importance vita<strong>le</strong> durant un conflit pour la survie despopulations et pour éviter ou limiter la propagation de maladies et épidémies mortel<strong>le</strong>s.


45fonctionnement et de qualité deviennent cruciaux pour la survie d'unepopulation; ces paramètres étant valab<strong>le</strong>s aussi bien pour la production d’eaupotab<strong>le</strong> que l’évacuation des eaux usées et des déchets.Les réseaux urbains d’alimentation en eau sont souvent des systèmes comp<strong>le</strong>xeset nécessitent des services développés et adéquats pour <strong>le</strong>ur entretien. Si enpériode de paix, une technologie comp<strong>le</strong>xe peut s’avérer une garantie de santépublique, en période de conflit el<strong>le</strong> est un facteur de vulnérabilitésupplémentaire. Il est en effet essentiel que l’entièreté du système d’eau maisaussi du système d’assainissement (approvisionnement, traitement, évacuationdes eaux usées, évacuation des déchets, etc.) soit fonctionnel afin d’éviter descatastrophes humanitaires majeures en milieu urbain.Ainsi, l'accès, pour <strong>le</strong>s techniciens, aux stations d'épuration et de traitement del'eau est donc, par exemp<strong>le</strong>, essentiel afin que <strong>le</strong>s entretiens et <strong>le</strong>sapprovisionnements en combustib<strong>le</strong>s et en chlore soient assurés. La maintenancedu réseau (primaire et secondaire) ainsi que des sources d'approvisionnement eneau (fontaines publiques, stations de pompage, ...) doit être organisée ainsi quecel<strong>le</strong> du traitement des eaux usées.En mars 2003, pendant la guerre en Irak, l’approvisionnement en eau de la vil<strong>le</strong>de Basra (1,2 millions d’habitants) a été largement paralysé en raison d’unecoupure tota<strong>le</strong> d’é<strong>le</strong>ctricité pendant plusieurs jours qui aurait pu engendrer desconséquences humanitaires majeures dans la population de la vil<strong>le</strong> 49 .Dans <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur des cas, et si la technologie est accessib<strong>le</strong>, <strong>le</strong>dysfonctionnement du service public peut être compensé en partie et uniquementau niveau du quartier par un col<strong>le</strong>ctif de personnes qui veil<strong>le</strong>nt à la gestion de laressource.Les services sociaux: <strong>le</strong> cas de la santé 50En fonction du degré d’intensité et de la nature d’un conflit (chronique,émergent, …), l'ensemb<strong>le</strong> des services et des infrastructures de santé est plus aumoins affecté.Ainsi, en phase de dégradation, des programmes préventifs d'éducation à la santéet de vaccinations, par exemp<strong>le</strong>, visant la population dans son ensemb<strong>le</strong>, sontgénéra<strong>le</strong>ment délaissés au profit d'une médecine curative qui répond aux besoinsimmédiats de la population.Avec des besoins grandissants et des ressources de plus en plus limitées, <strong>le</strong>spriorités se définissent par el<strong>le</strong>s-mêmes : l'offre de soins se concentregénéra<strong>le</strong>ment sur <strong>le</strong>s maladies à préva<strong>le</strong>nce é<strong>le</strong>vée qui sont graves ettransmissib<strong>le</strong>s; en outre, cette offre est dépendante de la disponibilité desinfrastructures encore fonctionnel<strong>le</strong>s (c'est-à-dire réquisitionnées ou non par <strong>le</strong>sforces armées et détruites ou non), du degré de maintenance et/ou de la présenced’un personnel qualifié.49 cfr. Communiqué de presse du CICR 03/21 : Irak : l’approvisionnement en eau partiel<strong>le</strong>ment rétablià Basra, 26.03.200350 De par son caractère vital pour la survie des populations, l’analyse de la dégradation des services desanté a été privilégiée pour l’analyse.


46Petit à petit, <strong>le</strong> conflit annihi<strong>le</strong> néanmoins toute tentative de répondre auxbesoins avec <strong>le</strong>s ressources disponib<strong>le</strong>s; <strong>le</strong>s services de santé disparaissent, sontdétruits ou inopérants de par <strong>le</strong>ur surcharge. La chaîne des soins de santé et <strong>le</strong>ssystèmes de référence sont dès lors affectés.De nouvel<strong>le</strong>s pathologies peuvent éga<strong>le</strong>ment apparaître et auxquel<strong>le</strong>s destraitements adéquats devraient être fournis : épidémies, b<strong>le</strong>ssures de guerres,stress post-traumatique.Le principal enjeu est donc l'accès aux services, un accès physique mais aussiculturel, ethnique, religieux, politique et financier, ceci tant pour <strong>le</strong> personnelsoignant que pour <strong>le</strong>s patients.La proximité des infrastructures hospitalières de références, des cliniques, descentres de santé de quartier, est un point crucial quant à l’accès physique; uncentre urbain coupé par une ligne de front rend l'accès diffici<strong>le</strong>, voire impossib<strong>le</strong>à une frange de la population.Des facteurs ethniques (ex. Hutu/Tutsi pendant la Guerre du Rwanda en 1994),financiers (augmentation du prix des prestations) et culturels/politiques (c'est-àdireaccès des femmes aux soins en Afghanistan) peuvent être autant d'obstac<strong>le</strong>sà l'accès aux soins.En termes de ressources, <strong>le</strong>s soins sont tributaires de l'approvisionnement enmatériel et médicaments; des ruptures de stocks récurrentes handicapent voireempêchent <strong>le</strong> fonctionnement des infrastructures; la prise en charge de maladieschroniques est abandonnée, faute de ressources.Les ressources humaines se retrouvent éga<strong>le</strong>ment affectées par <strong>le</strong> conflit; deséquipes médica<strong>le</strong>s, limitées en personnel et en expertise face aux nouvel<strong>le</strong>spathologies (par exemp<strong>le</strong> chirurgie de guerre), deviennent de moins en moiscapab<strong>le</strong>s de répondre adéquatement à la demande de soins grandissants.Le fonctionnement et donc fina<strong>le</strong>ment la qualité de la chaîne de soins estgénéra<strong>le</strong>ment éga<strong>le</strong>ment touchée en cas de conflit. La formation du personnelmédical n'est plus un axe prioritaire et <strong>le</strong> non-respect des protoco<strong>le</strong>s médicaux etl'hygiène déficiente sont autant de risques supplémentaires qui touchent à laqualité des soins. Souvent, certains traitements de base ne sont plus disponib<strong>le</strong>s,faute d'expertises ou de ressources.A Sarajevo en 1993, <strong>le</strong>s patients souffrant de pathologies lourdes et chroniques(cancer, dialyses, …) nécessitant des infrastructures et des traitements onéreuxn’ont plus été pris en charge par <strong>le</strong>s services médicaux réguliers, qui avaient dûaccueillir et soigner des b<strong>le</strong>ssés de guerre. Ces services avaient donc dû recentrer<strong>le</strong>urs ressources limitées sur des cas urgents.Résultante humanitaire : la dégradation des conditions de vie de lapopulation urbaineLe bien-être de la population civi<strong>le</strong> est assuré lorsque <strong>le</strong>s besoins de base decel<strong>le</strong>-ci sont satisfaits et donc accessib<strong>le</strong>s. Lors du conflit, la sécurité humaine 51 ,51 PNUD, 1994, Rapport mondial sur <strong>le</strong> développement humain, Paris, Economica


47c’est-à-dire une sécurité économique, alimentaire, sanitaire, de l’environnement,personnel<strong>le</strong>, de la communauté, d’éducation et politique qui forment <strong>le</strong>s basesd’une vie décente pour tout individu, n’est plus assurée à la population urbaine.En situation conflictuel<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s conséquences humanitaires sur <strong>le</strong> bien-être de lapopulation urbaine sont nombreuses; re<strong>le</strong>vons ici principa<strong>le</strong>ment :- <strong>le</strong> risque pour <strong>le</strong>ur vie et cel<strong>le</strong> de <strong>le</strong>urs proches;- la désorganisation des famil<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s migrations forcées;- un accroissement de l’insécurité;- des augmentations de prix des produits et services de base;- une importante pénurie alimentaire;- un affaiblissement voire une disparition des formes d’emplois réguliers etrémunérateurs et des mécanismes de marché économiques;- des réductions drastiques des stocks des ménages;- une cassure dans la chaîne du marché rural-urbain.Pour analyser et comprendre <strong>le</strong>s mécanismes de dégradation du bien-être de lapopulation et l’amp<strong>le</strong>ur de cel<strong>le</strong>-ci, trois paramètres sont essentiels à considérer :- la possession de capital ;- <strong>le</strong>s mécanismes d’adaptation et de survie économique ;- <strong>le</strong>s caractéristiques du choc auxquel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s ménages sont exposés ;Notons que la notion de vulnérabilité urbaine s’inscrit dans cette logique et varieen fonction des populations-cib<strong>le</strong>s ; el<strong>le</strong> peut se définir :«comme une insécurité et une instabilité dans <strong>le</strong> bien-être des individus, des ménages etdes communautés étant confrontés à un changement d’environnement, et implicite encela, <strong>le</strong>ur capacité de réponses et <strong>le</strong>ur résilience aux risques auxquels ils font facedurant de tels changements négatifs.» 52La possession de capitalLa vulnérabilité est liée à la possession d’un capital; ce capital acquis n’est pasuniquement un capital financier ou physique, il se décline éga<strong>le</strong>ment sousd’autres formes dont la classification varie selon <strong>le</strong>s analyses. Afin d’étayer nospropos, nous nous référons à la classification proposée par l’Organisation nongouvernementa<strong>le</strong> CARE 53 :- <strong>le</strong> capital financier («financial assets») : l’accès aux ressources, aux besoins etservices de base passe, en milieu urbain, principa<strong>le</strong>ment par un échangemonétaire. L’argent et <strong>le</strong> travail rémunéré sont ainsi des biens de premièrenécessité sans <strong>le</strong>squels la survie du ménage ne peut être assurée.52 Traduction libre de la définition in The Asset Vulnerability Framework : Reassessing Urban PovertyReduction Strategies, in World Development, Vol. 26, No 1, Elsevier Science Ltd, 199853 Sanderson D., 2000, Cities, disasters and livelihoods, in Environment & Urbanization Vol. 12, No 2


48- <strong>le</strong> capital physique («physical assets») : la possession léga<strong>le</strong> d’un logementvoire un terrain est sans aucun doute un capital majeur pour <strong>le</strong> ménage urbain. Ila par ce biais certains droits de propriété qu’il peut défendre et cet espace estsouvent utilisé comme moyen supplémentaire d’augmenter <strong>le</strong>s revenus; enlouant une chambre ou en y développant des activités rémunératrices (petitartisanat).- <strong>le</strong> capital humain(«human assets») : <strong>le</strong> développement des connaissances, descapacités et des aptitudes par une éducation appropriée ainsi qu’un état de santéacceptab<strong>le</strong> augmentent considérab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s chances du ménage urbain àsurvivre; il a plus d’opportunités de trouver ainsi une activité rémunérée.- <strong>le</strong> capital social («social assets») : <strong>le</strong>s mécanismes de confiance et d’entraideentre ménages et communauté peuvent être affaiblis par une plus grandehétérogénéité socia<strong>le</strong> et économique, associée à une plus large échel<strong>le</strong> derevenus, d’occasions et d’accès aux infrastructures et services et une plus grandeinfluence politique.En situation de conflit, nous pouvons faire l’hypothèse que plus <strong>le</strong> ménageurbain ou <strong>le</strong> citadin possède des formes de capital (au sens général) importantes,diversifiées, et appropriées à la situation moins il est vulnérab<strong>le</strong>; à l’inverse, plusl’érosion de cel<strong>le</strong>s-ci est importante, plus l’insécurité ou la vulnérabilité de cemême ménage ou individu s’accroît.La possession de capital pour un ménage l’aide à survivre et à s’adapter.Néanmoins, il est certain que <strong>le</strong>s bou<strong>le</strong>versements induits par <strong>le</strong> conflitdéfinissent de nouveaux équilibres où <strong>le</strong>s formes de capital acquis, avant <strong>le</strong>conflit, deviennent relatifs, inappropriés, voire inuti<strong>le</strong>s ou dangereux.A titre d’exemp<strong>le</strong> citons <strong>le</strong>s riches commerçants pakistanais à Kisanghani en1997 (République démocratique du Congo), qui, <strong>le</strong>s premiers, ont fait <strong>le</strong>s fraisdes pillages organisés par la population. Ou encore, <strong>le</strong>s investisseurs immobiliersserbes qui avaient massivement investi à Pristina au début des années 1990 et sesont retrouvés ruinés lors de <strong>le</strong>ur fuite en 1999, suite au changement de pouvoirau Kosovo. Enfin, de manière plus généra<strong>le</strong>, toute élite intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong>, culturel<strong>le</strong>et politique représentant un contre pouvoir et menaçant des dictatures, seretrouve généra<strong>le</strong>ment forcée à l’exil pour échapper à la détention aléatoire. Leurcapital humain et social se trouvent ainsi être un désavantage voire un risquepour <strong>le</strong>ur intégrité.Les mécanismes d’adaptation et de survie économiques en milieu urbainLes mécanismes d’adaptation et de réduction de la vulnérabilité en milieu urbaindépendent ainsi non seu<strong>le</strong>ment du capital initial mais éga<strong>le</strong>ment et surtout desmoyens, des opportunités et des capacités à <strong>le</strong> gérer et l’exploiter.En situation de conflit armé, l’argent par exemp<strong>le</strong> comme moyen de survieéconomique peut être une condition nécessaire, mais pas suffisante d’adaptation.Aussi longtemps que possib<strong>le</strong>, <strong>le</strong> ménage urbain peut soit chercher des


49mécanismes «rémunérateurs» ou soit préserver son acquis financier; il s’agitalors d’accroître <strong>le</strong> nombre de personnes travaillant (<strong>le</strong>s femmes et enfantsdeviennent alors <strong>le</strong>s nouveaux travail<strong>le</strong>urs dans une économie parallè<strong>le</strong> enexpansion), de multiplier <strong>le</strong>s emplois, d’emprunter des sommes d’argent dans unréseau familial ou d’amis voire à des banques ou autres organismes de crédit(usuriers) et de transformer son logement (en tout ou en partie) en petiteentreprise artisana<strong>le</strong> plus rentab<strong>le</strong>. En outre, par des modifications deconsommation il va viser à réduire ses dépenses alimentaires et non-alimentairesau strict minimum.Néanmoins, <strong>le</strong> seul capital financier, comme expliqué précédemment, s’avèreinsuffisant pour assurer la survie d’un ménage urbain et doit être associééga<strong>le</strong>ment à d’autres formes de capital.Ainsi, des personnes richissimes peuvent se retrouver dans une situation devulnérabilité extrême dans une vil<strong>le</strong> en conflit, s’ils ne peuvent compter surd’autres atouts, ou des réseaux qui garantissent <strong>le</strong>ur existence. Certaines richesfamil<strong>le</strong>s pa<strong>le</strong>stiniennes à Bagdad, hôtes de Sadam Hussein, se sont retrouvéesainsi en danger et marginalisées lors de la chute du régime baassiste en mai2003.De la même manière, <strong>le</strong> principal mécanisme des ménages nouvel<strong>le</strong>ment arrivés(<strong>le</strong>s déplacés) pour s’insérer et survivre en milieu urbain ne passe pasprioritairement par la possession d’argent mais bien par un réseau social (église,famil<strong>le</strong> et amis) tissé avant <strong>le</strong> conflit. Néanmoins, ces mécanismes d’entraidepeuvent s’avérer être la source de tensions entre résidents et déplacés lorsque <strong>le</strong>sbesoins s’accroissent, <strong>le</strong>s revenus diminuent et la situation perdure.En Angola, la vil<strong>le</strong> de Benguela qui a accueilli de très nombreuses populationsdéplacées durant <strong>le</strong> conflit est un parfait exemp<strong>le</strong>. Les nouveaux arrivés étaientalors initiés aux travaux et sources de revenus disponib<strong>le</strong>s ainsi qu’auxpossibilités d’obtenir une parcel<strong>le</strong> de terre pour s’instal<strong>le</strong>r par <strong>le</strong>s relations dontils disposaient dans la vil<strong>le</strong>. Mais très vite ils cherchaient à retrouver <strong>le</strong>urautonomie pour éviter ou diminuer <strong>le</strong>s risques de tensions avec <strong>le</strong>urs hôtes(argent, femmes, etc.). Le même phénomène se retrouve éga<strong>le</strong>ment à Bogota enColombie.Dans une vil<strong>le</strong> affectée directement par un conflit, <strong>le</strong>s impacts du choc sontd’une tel<strong>le</strong> amp<strong>le</strong>ur que <strong>le</strong>s mécanismes d’adaptation vont rapidement s’avérerinsuffisants voire inopérants; ceci en particulier pour <strong>le</strong>s ménages/individusurbains <strong>le</strong>s plus vulnérab<strong>le</strong>s. Ces mécanismes d’adaptation sont marqués par desphases successives d’appauvrissement où <strong>le</strong>s ménages utilisent <strong>le</strong>ur épargne etvendent tout objet non-essentiel (la radio, la télévision, etc.) ; dedécapitalisation où <strong>le</strong>s ménages vendent <strong>le</strong>s biens essentiels tels que <strong>le</strong>s lits,meub<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s biens productifs, pour fina<strong>le</strong>ment se trouver dans une situation detota<strong>le</strong> indigence poussant <strong>le</strong> plus souvent <strong>le</strong>s ménages à une migration forcée, àune mendicité comptant sur la charité extérieure (associations, églises, ONGsinternationa<strong>le</strong>s) ou à des activités criminel<strong>le</strong>s 54 .54 Mourey A., 2000, Reforming humanitarian assistance : two decades of ICRC policy, in FORUM war,money and survival, CICR


50En résumé nous pouvons admettre l’équation suivante :Impact = choc X vulnérabilitéLes mécanismes d’adaptation et de survie s’organisent sur une base individuel<strong>le</strong>: multiplication des emplois, changement d’habitudes alimentaires, vented’objets, etc. ou de solidarité et d’entraide : prêts, partages, donations, etc. entreindividus de même famil<strong>le</strong>, de même région voire entre individus de mêmeclasse socia<strong>le</strong>. Mais lorsque la situation conflictuel<strong>le</strong> perdure et/ou se radicalise,ces mécanismes s’épuisent 55 et l’aide externe d’organisations humanitaires restesouvent une alternative nécessaire.Ainsi à Sukhumi en Abkhazie, la population souffre depuis plus de dix ans d’unconflit larvé dont <strong>le</strong>s conséquences sur la population urbaine ne cessent des’aggraver. Dans un premier temps, el<strong>le</strong> a tenté de faire face à cette situation autravers de mécanismes d’entraide et de solidarité, englobant la plus largepopulation, typiques de la région du Caucase; mais petit à petit <strong>le</strong>s économies sesont épuisées et sans perspective d’amélioration, <strong>le</strong>s individus qui gagnent unsalaire (par exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong>s employés des deux organisations humanitairesprésentes) aident <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong> proche car ils n’ont pas <strong>le</strong>s moyens ni <strong>le</strong>spossibilités de faire survivre un cerc<strong>le</strong> plus large. Les personnes seu<strong>le</strong>s,abandonnées et en particulier <strong>le</strong>s personnes âgées se retrouvent alors dans unesituation de vulnérabilité et d’indigence extrêmes; <strong>le</strong>ur seul moyen de survie estalors l’aide humanitaire distribuée sous forme de soupe quotidienne et de soinsmédicaux de base gratuits.Le ciblage des populations en milieu urbainEn situation conflictuel<strong>le</strong>, il nous paraît important d’identifier deux types depopulation particulièrement vulnérab<strong>le</strong>s face aux conséquences humanitaires decelui-ci; il s’agit :- des populations vulnérab<strong>le</strong>s avant <strong>le</strong> conflit;- des populations rendues vulnérab<strong>le</strong>s par <strong>le</strong>s impacts/conséquences du conflit.Les populations vulnérab<strong>le</strong>s avant <strong>le</strong> conflitAvant <strong>le</strong> conflit, une part de la population urbaine dite vulnérab<strong>le</strong> au regard decertains critères est déjà identifiée et bénéficie d’une aide socia<strong>le</strong> régulière,étatique ou par voie d’associations loca<strong>le</strong>s, sous la forme d’une allocationfinancière, de dons en nature, d’accès privilégiés à certains services oustructures. Cette catégorie comprend généra<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s personnes handicapés, <strong>le</strong>s55 Les difficultés financières et donc de survie obligent <strong>le</strong>s ménages urbains à se replier dès lors sur uneentité plus petite tel<strong>le</strong> que la famil<strong>le</strong> proche et se désolidariser petit à petit d’un réseau plus large d’amisou de famil<strong>le</strong>s éloignées.


51personnes âgées, <strong>le</strong>s orphelins, <strong>le</strong>s personnes veuves et <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s monoparenta<strong>le</strong>s,etc.Cependant, la pauvreté et la vulnérabilité ne font que très rarement l’objet d’uneattention et d’un appui par une aide personnalisée. Dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s et métropo<strong>le</strong>soù se développent <strong>le</strong>s phénomènes d’exclusion et de pauvreté ce sont avant toutdes politiques structurel<strong>le</strong>s (développement institutionnel, constructiond’infrastructures, etc.) qui sont promues.Ces deux catégories de population en situation de vulnérabilité sont d’autant plusfragilisées pendant <strong>le</strong> conflit que <strong>le</strong>s impacts de celui-ci se font ressentir et qu’ilssont déjà dans un degré de vulnérabilité plus ou moins é<strong>le</strong>vé avant <strong>le</strong> conflit.Le cas des personnes vulnérab<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> Sud Caucase illustre parfaitement cetétat de fait. Le système d’aide socia<strong>le</strong> russe actuel est encore largement basé surune approche de catégories héritée du système soviétique; catégories d’invalides(avec sous-catégories selon la gravité du handicap), de veuves, d’orphelins, etc.Ainsi tout invalide par exemp<strong>le</strong>, quel<strong>le</strong> que soit sa situation personnel<strong>le</strong> et enparticulier sa situation financière, bénéficie d’une aide socia<strong>le</strong> de l’Etat. Lorsque<strong>le</strong> conflit entre Abkhazes et Géorgiens a éclaté en 1992, <strong>le</strong>s humanitaires dans laphase aiguë du conflit se sont adaptés à ce ciblage par catégories; mais <strong>le</strong> conflitperdurant sous une forme endémique depuis plus de dix ans, <strong>le</strong>s humanitaires ontdû adapter <strong>le</strong>ur ciblage passant de critères de catégories à des critères de besoins.Cela ne s’est pas réalisé sans mécontentement et incompréhension de la part desautorités et des «clients» qui ne comprenaient ni n’acceptaient <strong>le</strong>s raisons d’untel changement.Les populations rendues vulnérab<strong>le</strong>s par <strong>le</strong>s conséquences du conflitLe champ d’identification et de recensement de ce groupe de populations estmoins aisé, car plus large et plus comp<strong>le</strong>xe. Il s’agit, en effet, d’identifier quelssont <strong>le</strong>s «nouveaux vulnérab<strong>le</strong>s» dans <strong>le</strong> sens où <strong>le</strong>ur changement de situation etde statut, ainsi que l’érosion ou la disparition de <strong>le</strong>ur capital affecte de manièrenégative <strong>le</strong>ur bien-être; dans bien des cas, <strong>le</strong> conflit transforme en effet <strong>le</strong>sdifférences en vulnérabilités. Ces nouvel<strong>le</strong>s catégories comprennent notamment<strong>le</strong>s populations prises en tenail<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> conflit : <strong>le</strong>s minorités ethniques,religieuses et/ou politiques soupçonnées de collusion avec l’ennemi, <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>sde personnes disparues, <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s de détenus, <strong>le</strong>s personnes en exil, <strong>le</strong>sfemmes, <strong>le</strong>s veuves et <strong>le</strong>s orphelins.


52Besoins liés àla criseBesoins couverts par <strong>le</strong>sstratégies des populationsBesoins couverts par <strong>le</strong>sstratégies des acteursBesoinspréexistantsBesoins préexistants noncouvertsBesoins engendréspar la crise non-couvertsSuite aux événements d’août 1998 en République Démocratiques du Congo, unsentiment de haine généralisée s’est manifesté envers <strong>le</strong>s personnes denationalité rwandaise, ougandaise, burundaise ou d’origine tutsie, depuislongtemps installées à Kinshasa. Ces dernières ont fait l’objet d’exactions, voired’exécutions extra-judiciaires. En 2000, <strong>le</strong>ur situation s’était stabilisée, nesubissant plus guère de vio<strong>le</strong>nces directes, mais en revanche d’unediscrimination diffuse, et répétée (exclusion économique). Ces catégories de«nouveaux vulnérab<strong>le</strong>s» cherchent, bien souvent, à émigrer pour sauver <strong>le</strong>ur vie.Autre exemp<strong>le</strong>, suite à la prise de Kaboul en 1996, <strong>le</strong>s Talibans qui ont interditaux femmes de se rendre librement dans <strong>le</strong>s structures publiques de soins <strong>le</strong>smettant ainsi dans une situation critique et vulnérab<strong>le</strong> face au droit à la santé etaux soins. Des organisations humanitaires médica<strong>le</strong>s ont heureusement obtenul’autorisation de mettre en place des infrastructures parallè<strong>le</strong>s de soins afin deprodiguer la gamme complète de soins curatifs et préventifs aux femmes.Notons enfin la situation fort vulnérab<strong>le</strong> de trois catégories de femmes enTchéchénie:- <strong>le</strong>s veuves : dans la tradition tchéchène, <strong>le</strong>s veuves bénéficiaient du soutien del’environnement familial et social et pouvaient ainsi assurer l’éducation et lasubsistance pour <strong>le</strong>urs enfants et pour el<strong>le</strong>s-mêmes. Les années de conflit ontnon seu<strong>le</strong>ment détérioré la situation économique des famil<strong>le</strong>s mais éga<strong>le</strong>mentérodé <strong>le</strong> tissu social traditionnel conduisant ainsi ces populations dans la spira<strong>le</strong>de l’exclusion, en particulier dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s comme Grozny. Les veuves fontface à une vulnérabilité accrue tant au niveau économique que sécuritaire;


53- <strong>le</strong>s femmes victimes de sévices sexuels : l’amp<strong>le</strong>ur du problème estdiffici<strong>le</strong>ment mesurab<strong>le</strong> mais des allégations de sévices sexuels ont été<strong>rapport</strong>ées tant par la presse, <strong>le</strong>s ONG des Droits de l’Homme que par <strong>le</strong>spersonnes déplacées en dehors de Tchéchénie. L’occupation militaire exercée defacto par <strong>le</strong>s troupes russes et la vulnérabilité du nombre de femmes vivantseu<strong>le</strong>s dans des vil<strong>le</strong>s comme Grozny font craindre une persistance de ceproblème.- Les femmes enceintes : <strong>le</strong>s structures hospitalières en Tchéchénie ont subi desdommages importants durant <strong>le</strong> premier conflit alors qu’el<strong>le</strong>s étaient déjàqualitativement peu performantes suite à des années d’instabilité et de manqued’investissements. Le taux de mortalité à la naissance atteint ainsi unpourcentage très é<strong>le</strong>vé dans la plupart des maternités de la République et enparticulier à Grozny.Il relèverait, cependant, d’un processus de simplification que de déterminer <strong>le</strong>spopulations-cib<strong>le</strong>s pour une assistance potentiel<strong>le</strong> en ne s’arrêtant qu’à cepremier niveau de ciblage par «catégories»; il est en effet nécessaire etindispensab<strong>le</strong> de procéder à un deuxième niveau d’analyse plus comp<strong>le</strong>xe basésur une évaluation individualisée «des besoins» en milieu urbain, cherchant ainsià identifier <strong>le</strong>s ménages voire <strong>le</strong>s individus <strong>le</strong>s plus vulnérab<strong>le</strong>s selon des critèresstricts.Une personne déplacée peut, par exemp<strong>le</strong>, très bien bénéficier d’un réseaufamilial ou d’amis qui lui permet de faire face à sa nouvel<strong>le</strong> situation de manièreautonome sans avoir recours ou besoin d’aide externe; a contrario une personnerésidente peut être dans l’impossibilité de faire face à un changement desituation qui la vulnérabilise au point de devoir bénéficier d’une aidehumanitaire.Cette comp<strong>le</strong>xité met en exergue la difficulté de «ciblage» des populations dansun milieu urbain pour <strong>le</strong>s organisations humanitaires. La densité de population,l’hétérogénéité des moyens de survie et d’adaptation exigent <strong>le</strong> recours à unciblage fin qui peut, éventuel<strong>le</strong>ment, s’avérer coûteux en temps et en ressourceshumaines.En outre, cette réalité urbaine va à l’encontre de la pratique des humanitaires quicherchent dans l’urgence du conflit à proposer plutôt une réponse humanitairestandard ciblant prioritairement des catégories de population (<strong>le</strong> cas dans <strong>le</strong>scamps de réfugiés où tout réfugié a droit au même «kit» d’assistance), faisant fides besoins plus individualisés.Illustration : <strong>le</strong> cas de Grozny (vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong>) et <strong>le</strong> cas de Kinshasa (vil<strong>le</strong>-sanctuaire)Au travers de l’exemp<strong>le</strong> de deux vil<strong>le</strong>s affectées par un conflit en 2000-2001(vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong> : <strong>le</strong> cas de Grozny 56 et vil<strong>le</strong>-refuge : <strong>le</strong> cas de Kinshasa 57 , nous56 Grozny : capita<strong>le</strong> de la République autonome de Tchéchénie au sein de la fédération de Russie. Lavil<strong>le</strong> fit à deux reprises, en 1994 et en janvier 2000, la vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong> des armées russes. Il est actuel<strong>le</strong>mentimpossib<strong>le</strong> de donner un chiffre précis quant à sa population tant la situation sécuritaire reste précaire et


54proposons de mettre en évidence <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s conséquences humanitaires 58 partype de problèmes requérant, <strong>le</strong> cas échéant, une intervention humanitaire.vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong> :<strong>le</strong> cas de Grozny (2000-2001)vil<strong>le</strong>-sanctuaire :<strong>le</strong> cas de Kinshasa (2000-2001)Type deproblèmesAnalyse des résultantes humanitairesEauNB : A Grozny, <strong>le</strong>s besoinshumanitaires sont importants au vudes années de guerre, de destruction,de chaos économique et social.Toutefois <strong>le</strong>s possibilitésd’évaluations fiab<strong>le</strong>s et précisesrestent minimes en raison de lasituation sécuritaire et du manqued’accès.- La plupart des quartiers de lavil<strong>le</strong> sont privés d’eau etd’é<strong>le</strong>ctricité; <strong>le</strong> gaz estdisponib<strong>le</strong> quand <strong>le</strong> réseau dedistribution n’a pas étéendommagé- Manque d’eau dans <strong>le</strong>shôpitaux- Problème aigu de qualité del’eau- Manque de capacité, de moyenset d’expertise de Vodocanal(organe gouvernemental chargéde la production et de ladistribution de l’eau)- Stations de pompages détruitespar <strong>le</strong>s bombardements.NB : A Kinshasa l’état des servicespublics est à l’image de la déliquescencede l’Etat. Les conséquences de cesproblèmes structurels se sont aggravéesdepuis <strong>le</strong> conflit de 1998.Le phénomène de décapitalisation serépand dans <strong>le</strong>s diverses couches de lapopulation, entraînant avec la perte desoutils de production une paupérisationrapide et ultime.- Etat général des installations de laRegideso (organe gouvernementalchargé de la production et de ladistribution de l’eau) et du système dedistribution défaillant- Difficulté de la Regideso à entretenirces installations de façon régulière etadéquate (absence de moyensfinanciers et pièces de rechange).Habitat - Vil<strong>le</strong> presque tota<strong>le</strong>mentdétruite.- Promiscuité due à l’afflux dedéplacés.oblige la population à des mouvements récurrents de fuite-retour; en outre une population déplacéed’autres vil<strong>le</strong>s et/ou villages de Tchéchénie, non chiffrée exactement, a trouvé abri et assistance àGrozny.57 Kinshasa : capita<strong>le</strong> de la République Démocratique du Congo. Cette métropo<strong>le</strong> de 6 à 8 millionsd’habitants n’a jamais été la cib<strong>le</strong> directe des nombreux conflits qui se sont déroulés et se dérou<strong>le</strong>ntencore en RDC, mais el<strong>le</strong> a vu sa population s'enf<strong>le</strong>r d’une population déplacée qui a fui <strong>le</strong>s combats.58 Source de l’analyse : «Planning for results, ICRC», 2000/2001.


55Servicessociaux :santé/(éducation)SécuritéEconomique- Bombardements récurents desinfrastructures de santé, <strong>le</strong>srendent inopérantes pour prendreen charge <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>ssés de guerreet <strong>le</strong>s malades- Problèmes de mines et d’enginsexplosifs, ayant desconséquences sur l’intégritéphysique des gens- Potentiel d’épidémies, suite àun manque d’hygiène et d’accèsà l’eau- Taux de morbidité é<strong>le</strong>vé- Education : manque dematériel, de locaux (suite àdestruction) et de matérielfinancier rendant <strong>le</strong> systèmescolaire public inopérant)- Mécanismes d’adaptation etmoyens de subsistence affaiblis(réseaux locaux, réservesalimentaires et financières,«débrouillardise», ….)- Possession de capital : tissussocial reste néanmoins unélément important pour la surviede la population- Personnes rendues vulnérab<strong>le</strong>spar <strong>le</strong> conflit : c-a-d la minoritérusse agée et sans soutienfamilial- Surcharge des infrastructure urbainesexistantes qui ne sont déjà plus enmesure de couvrir <strong>le</strong>s besoins despopulations résidentes, et parconséquent limite <strong>le</strong>s possibilitésd’accès aux soins des déplacés- Infrastructures de santés urbainessont sous-équipées en matériel debase et reposent sur un personnelmédical peu motivé et non payé- Les compétences en chirurgie deguerre ne sont plus à la hauteur fautede formation continue etd’équipement- Axes commerciaux avec <strong>le</strong>scampagnes et <strong>le</strong>s autres provincessont coupés ce qui rendl’approvisionnement interne diffici<strong>le</strong>entrainant ainsi un déficit alimentaireet une augmentation des prix- Une très grande majorité desdéplacés est accueillie par lapopulation résidente et représente unecharge supplémentaire pour <strong>le</strong>sfamil<strong>le</strong>s d’accueil; bien souvent donc,la situation des déplacés n’est guèredifférente de cel<strong>le</strong> de la populationrésidente, el<strong>le</strong>-même déjà dans unesituation précairePiliers du fonctionnement de la vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s services sont particulièrementvulnérab<strong>le</strong>s en temps de conflit de par l’enjeu qu’ils représentent pour <strong>le</strong>scombattants mais aussi de par une dégradation généra<strong>le</strong> qui <strong>le</strong>s altère voire <strong>le</strong>srend inopérants. Par un effet de ricochet, cette dégradation des services engendrerapidement cel<strong>le</strong> du bien-être de la population urbaine.Nonobstant la dégradation des services, processus global, qui affecte lapopulation urbaine dans son ensemb<strong>le</strong>, la dégradation du bien-être est éga<strong>le</strong>mentune résultante humanitaire plus individuel<strong>le</strong>, issue d’une relation comp<strong>le</strong>xe entre<strong>le</strong>s formes de capital de chaque citadin et <strong>le</strong>s nouveaux équilibres politiques,économiques, religieux, sociaux, ethniques, claniques, etc. induits par <strong>le</strong> conflit.La dégradation du bien-être de la population urbaine en temps de conflit est unprocessus particulièrement comp<strong>le</strong>xe et multifactoriel qui nécessiteraitidéa<strong>le</strong>ment une analyse individuel<strong>le</strong> de chaque ménage voire de chaque individu.Cette approche individuel<strong>le</strong> face à une densité é<strong>le</strong>vée de population apparaîtcomme un des défis majeurs à re<strong>le</strong>ver pour <strong>le</strong>s organisations humanitaires afind’apporter une réponse adéquate et adaptée en milieu urbain en temps de conflit.


56PARTIE II :LES ETUDES DE MENEES SUR LETERRAINSix terrains ont fait l’objet d’études de cas. El<strong>le</strong>s font partie intégrante d’unprocessus d’apprentissage et de capitalisation que <strong>le</strong> Groupe URD mène enpartenariat avec des organisations de solidarité nationa<strong>le</strong>s et internationa<strong>le</strong>.Trois de ces terrains concernent la Zone de Solidarité Prioritaire (Angola, NordMali et Guinée) et trois autres ont été initié avec <strong>le</strong>s financements propres duGroupe Urgence Réhabilitation Développement dans <strong>le</strong>s métropo<strong>le</strong>s d’Asiecentra<strong>le</strong> et d’Amérique andine (Pakistan, Afghanistan, Colombie).Chaque étude trouve sa complémentarité en explorant des terrains et descontextes différents répondant aux typologies définies dans <strong>le</strong> projet. A savoir :Vil<strong>le</strong>s cib<strong>le</strong>sVil<strong>le</strong>s refugesMétropo<strong>le</strong>sKaboul (Afghanistan)Bogota (Colombie)Peshawar (Pakistan)Vil<strong>le</strong>s moyennesGuéckédou (Guinée)Huambo (Angola)Tombouctou (Mali)Caala (Angola)Kissidougou (Guinée)


57KABOUL, DE LA DESTRUCTION A LA RECONSTRUCTION1Depuis 1979, Kaboul est la capita<strong>le</strong> d'un pays ravagé par la guerre, divisé par <strong>le</strong>sdissensions ethniques, soumis à la pression extérieure. La vio<strong>le</strong>nce à laquel<strong>le</strong> lapopulation kaboulie a été soumise a évolué au cours du temps lui imposant àchaque nouveau conflit une adaptation aux conditions de vie devenues de faitdiffici<strong>le</strong>s. Stratégies de survie contre stratégies des acteurs de la vio<strong>le</strong>nce, <strong>le</strong>paysage urbain de Kaboul se métamorphose au fil des combats ainsi qu'enfonction des factions qui s'opposent. Deux grandes césures font l'histoire deKaboul : 1979 et <strong>le</strong> Djihad mené contre l'occupant soviétique, 1992 la fin durégime d'obédience communiste et <strong>le</strong> début d'une guerre civi<strong>le</strong> dont <strong>le</strong>s<strong>le</strong>ndemains sont encore très largement perceptib<strong>le</strong>s aujourd'hui.KABOUL, VILLE EN GUERREKaboul, d'une vil<strong>le</strong> moderne à une vil<strong>le</strong> fantômeKaboul, de statut neutre durant la guerre froide, a connu la présenced'Américains comme de Soviétiques 59 qui ont été <strong>le</strong>s auteurs de quasiment tous<strong>le</strong>s projets à grande échel<strong>le</strong> de reconstruction et principa<strong>le</strong>s infrastructures. Eneffet, la capita<strong>le</strong> afghane a bénéficié, entre 1956 et 1975, d'un processus demodernisation subventionné au travers de la Banque mondia<strong>le</strong> à hauteur de plusde 230 millions de dollars 60 . C'est une nouvel<strong>le</strong> ère pour cette capita<strong>le</strong> qui a vuapparaître dans son paysage universités, hôpitaux, autoroutes reliant la vil<strong>le</strong> auxautres grands centres urbains du pays. Ainsi Kaboul devient "<strong>le</strong> centreéconomique de l'Afghanistan, comprenant plus de 66% des industries et 69% dela force de travail" 61 . Cette modernisation s'est déclinée par l'utilisation denouveaux matériaux, béton et métal se sont imposés. En centre vil<strong>le</strong>, une grande59 En effet, l'intérêt stratégique mobilise <strong>le</strong>s deux camps qui injectent des centaines de millions dedollars, ce qui conduit à une modernisation à marche forcée faisant de Kaboul une oasis moderne.60Cf. Ajmal MAIWANDI, Re-doing Kabul, Afghan Reality/reconstruction of Kabul website,30/07/2002.61 B. KAZIMEE, Urban/Rural dwelling environment, Kabul, Afghanistan, MIT/Cambridge, 1977.


58artère au cœur même du vieux Kaboul, flanquée d'immeub<strong>le</strong>s modernes estvenue bou<strong>le</strong>verser <strong>le</strong> paysage urbain. Jade Maiwand est devenue l'avenueprincipa<strong>le</strong> de Kaboul marquant la séparation entre la vieil<strong>le</strong> vil<strong>le</strong> de la rivière et<strong>le</strong> centre moderne. Kaboul a pris un visage de vil<strong>le</strong> des pays du Nord où "<strong>le</strong>stendances occidenta<strong>le</strong>s dans la mode et <strong>le</strong>s sty<strong>le</strong>s de vie trouvèrent un écho via<strong>le</strong>s diplomates et <strong>le</strong>s étrangers qui affluaient dans la région pour ses beautésintactes […] Les voitures aux prix exorbitants ainsi que <strong>le</strong>s dernières coupes decheveux à la mode en Europe, trouvèrent un écho dans une vil<strong>le</strong> ou hommes etfemmes partageaient <strong>le</strong>s activités et loisirs que l'on pouvait trouver dans unevil<strong>le</strong> moderne. Piscines, cinémas, festivals, marchés, centres sportifs étaientautant d'endroits où la jeunesse se mêlait, dans un environnement très différentde celui que connurent ses aînés" 62 . Toutefois, ce modernisme n'a dominé qu'encentre vil<strong>le</strong> ; <strong>le</strong>s zones périphériques et <strong>le</strong>s flancs des montagnes se sontprogressivement vu occupés par des habitations en brique de terre, marque del'exode rural qui connaissait une croissance notab<strong>le</strong> à partir des années 1960.Cette volonté marquée de remode<strong>le</strong>r Kaboul s'est faite de manière planifiée. Eneffet, en 1962, <strong>le</strong> premier Master Plan (Schéma directeur d’aménagement de lavil<strong>le</strong>) avait été proposé par des experts afghans soutenus par des conseil<strong>le</strong>rssoviétiques afin d'entreprendre une gestion raisonnée du développement de lavil<strong>le</strong>. Une nouvel<strong>le</strong> version fut établie en 1978 ayant pour but l'organisation desextensions urbaines et l'établissement d'un zonage. Ce modè<strong>le</strong> de plan estconsidéré par beaucoup comme étant dépassé et bien trop rigide. Il revendiqueune vision "top down" qui ne semb<strong>le</strong> pas être la plus adaptée au contexte actuel.Par manque de financements et une absence de bonne volonté, sans oublierl'irruption de la guerre à l'hiver 1979, <strong>le</strong> projet ne fut jamais mis en pratique.La guerre d'occupation façonne une nouvel<strong>le</strong> KaboulL'entrée en conflit des Soviétiques contre <strong>le</strong>s moudjahiddins a été lourde deconséquences pour la vil<strong>le</strong> de Kaboul. La capita<strong>le</strong> afghane était aux mains de lapuissance occupante qui l'a transformée en base militaire. L'impact de cettestratégie a laissé des marques sur l'armature urbaine. Ainsi, "<strong>le</strong>s Soviétiques ontfait avancer <strong>le</strong>s choses avec des projets d'habitat de grande amp<strong>le</strong>ur. Des blocsd'immeub<strong>le</strong>s en préfabriqué de sty<strong>le</strong> Plattenbau est-al<strong>le</strong>mand ont été construitsprès de l'aéroport afin de loger <strong>le</strong>s troupes de l'armée. Les zones qui entouraientces installations ont connu une expansion et de profonds changements. C'est unvéritab<strong>le</strong> phénomène de colonisation qui s'est mis en place : <strong>le</strong>s coutumes et <strong>le</strong>ssty<strong>le</strong>s de vie soviétiques ont été projetés sur la vil<strong>le</strong> et absorbés par cettedernière" 63 .Du coté des combattants du Djihad, une autre stratégie a été adoptée; en effet, larésistance a utilisé <strong>le</strong>s déplacements des populations réduites à l'exil qui fuyaient<strong>le</strong>s zones de combat. Ces déplacés ont trouvé refuge dans <strong>le</strong>s centres urbains et62 Ajmal MAIWANDI, op. cit.63 Ibidem.


59bon nombre ont afflué vers la capita<strong>le</strong> qui était épargnée par <strong>le</strong>sbombardements 64 . Kaboul est passée de 750 000 habitants avant la guerre à prèsde 2 millions en 1985, soit une augmentation de plus de 100% en moins de dixans. L'explosion urbaine a été l'une des principa<strong>le</strong>s conséquences du conflit. Larésistance, postée dans <strong>le</strong>s zones rura<strong>le</strong>s, a fait "de l'urbanisation forcée unetechnique de contre guérilla" 65 . Ces afflux massifs de population démunie aucours des années 1980 ont contribué au développement des zones de squats et deconstructions illéga<strong>le</strong>s. Deux processus concomitants se sont alors produit :paupérisation et ruralisation de Kaboul due à l'arrivée en nombre de déplacésaux origines rura<strong>le</strong>s. Ajmal Maiwandi, architecte afghan, a écrit à ce sujet : "Lesdéveloppements modernes de la vil<strong>le</strong> étaient constamment affaiblis parl'intégration d'une population rura<strong>le</strong> qui venait s'instal<strong>le</strong>r en vil<strong>le</strong> et exportaitavec el<strong>le</strong> ses modes de vie traditionnels" 66 . Ces populations rura<strong>le</strong>s qui fuyaientl'insécurité des zones de conflit ont reproduit et reconstruit l'environnementtraditionnel et familial de <strong>le</strong>ur village. Une étude menée en 1985 a confirmécette tendance : "il a été estimé que près de 80% des constructions à Kaboull'étaient en briques de terres" 67 . Kaboul n'a donc pas été très endommagée par<strong>le</strong>s attaques militaires mais s'est façonnée un nouveau visage principa<strong>le</strong>ment enraison d'un afflux massif de population dont el<strong>le</strong> a eu du mal à gérerl'installation.Kaboul, <strong>le</strong> principal foyer des combats de la guerre civi<strong>le</strong>Le retrait de l'Armée Rouge s'est achevé en 1989 mais n'a pas marqué pourautant <strong>le</strong> retour à la paix. En effet, <strong>le</strong> conflit s'est transformé en une guerre civi<strong>le</strong>mettant face à face <strong>le</strong>s tenants du pouvoir à Kaboul et <strong>le</strong>s djihadis 68 . L’année1992 a vu la chute du régime communiste et la prise de pouvoir des moujahidin.Les vainqueurs d'hier ne sont pas parvenus à s'entendre sur <strong>le</strong> partage dupouvoir; ils se sont déchirés et se sont affrontés. La guerre s'est faite sur unespace restreint et visait essentiel<strong>le</strong>ment à assurer un pouvoir local contre <strong>le</strong>sautres pouvoirs locaux. Mais très vite s'est répandu <strong>le</strong> sentiment de l'importancede tenir Kaboul pour tenir l'Afghanistan. Aussi la capita<strong>le</strong> est devenue <strong>le</strong> sujetd'un déluge de feu. Le temps des Soviétiques occupant la vil<strong>le</strong> était loin, <strong>le</strong>sKaboulis ont été contraints de s'adapter à une situation d'insécurité permanente.La guerre civi<strong>le</strong> qui a éclaté a divisé la vil<strong>le</strong> en de nombreux champs de batail<strong>le</strong>.La vil<strong>le</strong> n'était en effet pas adaptée pour ce type de conflits si bien que sontapparues diverses lignes de front marquées par <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s artères routièresou la ligne de la rivière. Cela a conduit à de multip<strong>le</strong>s déplacements de64 La résistance mène des actions, des roquettes sont lancées à plus ou moins longue distance, desattentats à la bombe sont perpétrés contre <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s du pouvoir, ministères et autres institutions,mais <strong>le</strong>s impacts restent minimes.65 Olivier ROY, Kaboul, la sinistrée, Vil<strong>le</strong>s en guerre, Editions Autrement, p.70.66 Ajmal MAIWANDI, op. cit.67 R. BADEMLI, 1985.68 Divers partis de la résistance.


60population à la fois à l'intérieur et hors de la vil<strong>le</strong>. Certains habitants ont quitté<strong>le</strong>urs quartiers pour fuir <strong>le</strong>s combats et <strong>le</strong>s ont réintégrés une fois la situationstabilisée. Mais bon nombre de zones d'habitation ont été désertées et détruites.Les Kaboulis ont alors quitté la capita<strong>le</strong>. L'exode massif de cette période a vidéla vil<strong>le</strong> de ses citoyens qui n'étaient plus alors qu'un demi million. "Les zonesidentifiées comme étant un terrain d'affrontement entre groupes opposés sontdevenues la cib<strong>le</strong> de pillages, de destructions et de déplacements de population,offrant un cas identique à celui de Beyrouth où des parties de la vil<strong>le</strong> avaient étéisolées et prises pour cib<strong>le</strong>. Néanmoins à Beyrouth, là où ces zones furentcapab<strong>le</strong>s de régénérer à petite échel<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s équipements informels de la vie civi<strong>le</strong>et ainsi de continuer à vivre, à Kaboul, cette fragmentation n'emmena pas à unsystème décentralisé d'enclaves autosuffisantes 69 . L'interdépendance desdistricts à Kaboul ne permettait pas une survie puis un développement séparésdes différents quartiers. C'est cette absence de liens entre quartiers "ennemis" quiconduit à une perte tota<strong>le</strong> de lien social inhibant toute solidarité ou échange entredistricts. A Kaboul, <strong>le</strong>s combats ont en effet revêtu bien souvent la formed'affrontements ethniques induisant <strong>le</strong> découpage spatial archétypal d'une vil<strong>le</strong>en guerre. Concrètement, <strong>le</strong>s districts 3 et 5 en sont une bonne illustration. En1992, ils ont été <strong>le</strong> terrain d'affrontements vio<strong>le</strong>nts entre <strong>le</strong> Wahrdat, parti del'unité dirigé par <strong>le</strong> Hazara Mazari 70 , et l'Itehat, parti islamique sunnite présidépar Sayyaf. Le district 5 était à majorité pachtoune tandis que <strong>le</strong>s Hazarasoccupaient <strong>le</strong> district 3. Sur ces deux zones se sont abattues des pluies deroquettes. Les différentes factions ont utilisé <strong>le</strong>s propriétés physiques qui fonttoute l'identité de Kaboul dans <strong>le</strong>ur stratégie de guerre. Ainsi, <strong>le</strong>s collinesconstituaient la base des rampes de lancement pour des attaques à la roquetteainsi que pour l'artil<strong>le</strong>rie. En outre, la rivière Kaboul tout comme la grandeavenue Jade Maiwand ont servi de points stratégiques dans <strong>le</strong> conflit interfactions.Cependant pour certains chercheurs et acteurs de terrain, "l'urbanisation de laguerre " ne peut pas être réduite simp<strong>le</strong>ment aux divisions ethniques. Il s'agit enfait d'une situation conflictuel<strong>le</strong> plus comp<strong>le</strong>xe où "<strong>le</strong>s ayant" s'opposent aux"non ayant" qui "dans <strong>le</strong> cas de Kaboul ou de Sarajevo sont <strong>le</strong>s communautésrura<strong>le</strong>s trop longtemps ignorées qui s'expriment contre <strong>le</strong>s centres urbains quiont toujours reçu une plus grande attention et de meil<strong>le</strong>urs traitements" 71 . Il nefaut cependant pas y voir une opposition vil<strong>le</strong>/campagne stricto sensu.L'Afghanistan ne s'est pas fondé sur cet antagonisme; au contraire, <strong>le</strong>s mondesurbains et ruraux sont intimement liés. Il existe des réseaux d'interactions entreces deux types d'espace. D'abord, <strong>le</strong>s bazars et <strong>le</strong>s réseaux d'échangestraditionnels qu'ils développent et où se mê<strong>le</strong>nt producteurs, commerçants etconsommateurs issus d'horizons divers. Il s'agit là d'un espace decommunication entre ces deux mondes : "c'est au travers de tels lieux de69 Ajmal MAIWANDI, ibidem.70 Mazari était soutenu par Hekmatyar alors que Massoud avait choisi <strong>le</strong> camp de Sayyaf.71 Sultan BARAKAT, artic<strong>le</strong> internet City War Zones, www.worldbank.org


61rassemb<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong>s questions socia<strong>le</strong>s et politiques, culturel<strong>le</strong>s et religieuses,financières et administratives, que <strong>le</strong>s informations passent d'un monde àl'autre" 72 . Il existe éga<strong>le</strong>ment un réseau composé par <strong>le</strong>s centres d'étudesislamiques et <strong>le</strong>s mosquées, généra<strong>le</strong>ment situés en zone urbaine et qui reçoiventdes étudiants dont la plupart sont issus du monde rural. Les acteurs religieux fontdonc eux aussi figure de trait d'union entre <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s campagnes.Kaboul, <strong>le</strong> va-et-vient permanentDeux types de déplacement qui s'effectuent en sens inverse traversent la vil<strong>le</strong>.En outre, à l'intérieur même de la vil<strong>le</strong>, on compte éga<strong>le</strong>ment des flux intraurbains. Le départ des déplacés fuyant <strong>le</strong>s destructions et l'insécurité forme unflux ex urbi, c'est-à-dire en direction des camps de réfugiés et autres provincesdu pays ainsi qu'un flux intra urbi, à savoir trouver refuge dans un autre districtde Kaboul, plus épargné par <strong>le</strong>s tirs des lances roquettes. Parallè<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>sparties relativement épargnées par <strong>le</strong>s combats connaissent un large afflux depopulations extérieures. La rumeur sur la stabilité de certains quartiers, laperspective de trouver un petit emploi journalier et cel<strong>le</strong> d'obtenir une aidehumanitaire amènent ces déplacés à rejoindre la capita<strong>le</strong>. Cela aboutit à un vaet-vientpermanent selon l'intensité du conflit.Des stratégies de survie plus ou moins spontanéesLes populations apprennent à vivre dans un contexte de vil<strong>le</strong> en guerre etadoptent des stratégies <strong>le</strong>ur permettant de survivre. Les déplacés internes deKaboul occupent des terrains et bâtiments publics encore plus ou moins en étatet <strong>le</strong>s transforment en espaces habitab<strong>le</strong>s. Suite aux destructions de <strong>le</strong>ur habitat,<strong>le</strong>s Kaboulis font face en récupérant des matériaux laissés sur <strong>le</strong> champ debatail<strong>le</strong> et en <strong>le</strong>s recyclant. Kaboul découvre la culture du recyclage qui sepropage à grande vitesse. "La boue et <strong>le</strong>s restes des constructions détruitesétaient immédiatement utilisés dans la construction et la réparation d'autresstructures. C'est cette constante reconstruction informel<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s déplacements et <strong>le</strong>recyclage qui permirent d'éviter de voir des parties de Kaboul complètementdisparaître" 73 .Le déplacement devient la stratégie de survie principa<strong>le</strong> des populations aussibien qu'une stratégie de guerre 74 opérée par <strong>le</strong>s Talibans qui apparaissent sur lascène afghane véritab<strong>le</strong>ment à partir de 1994 mais surtout 1996 lorsque Kaboultombe dans <strong>le</strong>urs mains. "200 000 personnes furent déplacées de la vallée de laShomali vers Kaboul, [il est apparu] que ce déplacement forcé était un acte deguerre" 75 . La vio<strong>le</strong>nce croit, de nouveaux combats et bombardements achèvent72 Nouchine D'HELLENCOURT YAVARI, Shuhrat RABAJOV, Nasrollah STANIKZA, AbdulSALAM, Preliminary study of land tenure related issues in urban Afghanistan with a special referenceto Kabul city, mars 2003, p.3.73 Ajmal MAIWANDI, op.cit.74 Il s'agit là de migrations forcées.75 Peter MARDSEN, Di<strong>le</strong>mnas facing agencies in the urban centres in Afghanistan, artic<strong>le</strong> internetwww.fmreview.org, p.6.


62de détruire tout ce qui a trait à la culture, notamment <strong>le</strong>s sal<strong>le</strong>s de cinémas. Lesderniers éléments de ce qui peut rappe<strong>le</strong>r une vil<strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> de modernité esteffacé du paysage. Selon <strong>le</strong>s Taliban, "Kaboul est la Babylone dépravée qu'ilfaut purifier" 76 . La vil<strong>le</strong> est plongée dans une atmosphère de retour aux sources,abandonnée à son sort. Les spécialistes de géopolitique afghane tels qu'OlivierRoy y voient une doub<strong>le</strong> interprétation possib<strong>le</strong>. D'une part, la capita<strong>le</strong> estconsidérée comme "étrangère à l'ethos tribal afghan, non pas parce que <strong>le</strong>shommes des tribus ignoreraient <strong>le</strong> fait urbain ou la société métropolitaine maisparce qu'ils opposent l'homme total, homogène, inséré tout entier dans <strong>le</strong> lignageet <strong>le</strong> village, au cosmopolitisme, au déracinement de l'homme des vil<strong>le</strong>s" 77 .D'autre part, il peut s'agir d'un prolongement de la guerre d'occupation dictée parMoscou, "<strong>le</strong>s Taliban ont surtout voulu punir <strong>le</strong>s gens qui avaient soutenu <strong>le</strong>sSoviétiques pendant des années, en <strong>le</strong>s obligeant à revenir à la tradition" 78 . Cettetabula rasa fut donc <strong>le</strong> terreau pour <strong>le</strong> retour à une forme archaïque d’islamcomme moyen organisationnel et structure civique pour une société en tota<strong>le</strong>décomposition.Kaboul sous la coupe du pouvoir ta<strong>le</strong>bUne des seu<strong>le</strong>s réalisations du pouvoir ta<strong>le</strong>b en faveur de l'espace urbain fut laloi spécia<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s municipalités qui fut adoptée en 1999. Selon l'artic<strong>le</strong> 2, lamunicipalité est une entité juridique publique qui est constituée dans laperspective de répondre aux besoins des populations urbaines. L'artic<strong>le</strong> 7 pour sapart affirme que cette loi "donne <strong>le</strong>s moyens et encourage <strong>le</strong>s centresadministratifs de chaque province district ou lieu d'habitations de 5000 habitantsou plus de constituer <strong>le</strong>ur propre municipalité et Master Plan" 79 . A Kaboul,comme ail<strong>le</strong>urs dans <strong>le</strong> pays, aucun document ne permet de dire si cette loimarque une réel<strong>le</strong> volonté du régime d'agir en organisant l'espace urbain ou s'ils'agit d'une simp<strong>le</strong> réforme administrative. En octobre 2001, <strong>le</strong>s troupes del'Alliance du Nord entrent dans un Kaboul déserté par <strong>le</strong>s Taliban. C'est unecapita<strong>le</strong> épuisée par neuf années de conflit et de destructions massives qui seprésente à eux.L'étude des stratégies des acteurs de la vio<strong>le</strong>nce nous a amenés à un examen desdifférentes stratégies de survie des populations placées sous <strong>le</strong> joug de cetteinsécurité. Kaboul a évolué au fil des conflits, subissant <strong>le</strong>s conséquences deschoix des belligérants : déplacements volontaires ou non, destructions,76 G. DUTREIX et P. SALIGNON, L'humanitaire pris au piège ?, Les Nouvel<strong>le</strong>s d'Afghanistan, nº88.77 Pierre CENTLIVRES et Micheline CENTILIVRES-DEMONT, "Etat, Islam et tribus face auxorganisations internationa<strong>le</strong>s- Le cas de l'Afghanistan", in L'Anthropologie face à l'humanitaire,Anna<strong>le</strong>s EHESS, juil<strong>le</strong>t-août 1999, p.960.78 "Vingt ans d'humanitaire en Afghanistan : et maintenant?", in Revue Humanitaire-Enjeux, pratiques,débats, nº4, hiver 2001-2002, p.21.79Nouchine D'HELLENCOURT YAVARI, Shuhrat RABAJOV, Nasrollah STANIKZA,AbdulSALAM, op. cit, p.7.


63recyclage, squats, abris de fortune, insalubrité, autant de facteurs qui ont façonné<strong>le</strong> visage de la capita<strong>le</strong> afghane des années 1970 à nos jours.La situation de détresse, de vulnérabilité aussi bien que d'instabilité pose laquestion de l'intervention des humanitaires. Face à ce contexte de crise, quel<strong>le</strong> aété l'attitude des ONG internationa<strong>le</strong>s?La réponse des humanitaires en temps de criseLes ONG ont durant l'ensemb<strong>le</strong> des années de conflit été <strong>le</strong> lien entre <strong>le</strong>sautorités et la population loca<strong>le</strong>. Etablir un lien durab<strong>le</strong> entre <strong>le</strong> gouvernement etla population était un impératif majeur. Cependant, <strong>le</strong> manque de coordinationdans <strong>le</strong> travail des agences d’aide internationa<strong>le</strong> et des ONG a eu un impactnégatif sur la relation entre <strong>le</strong>s autorités _des Soviétiques aux Taliban_ et lapopulation. Par la suite, à partir de 2001, la mise en place de mécanismes decoordination des efforts des ONG et autres agences internationa<strong>le</strong>s est apparuindispensab<strong>le</strong> afin d’éviter toute duplication de <strong>le</strong>ur travail et pour que cesefforts soient faits sous la hou<strong>le</strong>tte d’une structure gouvernementa<strong>le</strong> et avec unevision loca<strong>le</strong> de reconstruction.Plusieurs phases sont à distinguer dans l'aide humanitaire apportée enAfghanistan. Essentiel<strong>le</strong>ment développementa<strong>le</strong> et fondée sur la construction degrandes infrastructures des années 1950 aux années 1970, l'aide est devenue uneaide d'urgence puis a évolué vers une phase de reconstruction. Les nouvel<strong>le</strong>sformes que revêt <strong>le</strong> conflit au cours des années 1990 replacent l'aide d'urgenceau premier plan. En effet, l'arrivée au pouvoir des Taliban et la nature du régimequ'ils instaurent marque une nouvel<strong>le</strong> étape dans l'aide humanitaire. Par la suite,l'intervention des Américains en octobre 2001 suivie de la chute du pouvoirta<strong>le</strong>b change la donne.Une aide d'urgence politisée (1979-1985)En 1979, <strong>le</strong>s Soviétiques s'emparent du pouvoir. A l'intérieur du pays, l'aiderevêt à la fois un aspect humanitaire mais aussi politique. Il s'agit en effet decontrer la stratégie soviétique en offrant une alternative à l'exil. Deux typesd'actions sont menées en parallè<strong>le</strong> : une présence médica<strong>le</strong> symbolisée parl'installation de dispensaires; ainsi que des opérations de cross border où l'aideest distribuée à la population via <strong>le</strong>s commandants locaux à partir du Pakistan etgrâce à des financements bilatéraux, principa<strong>le</strong>ment privés. Cette phase de l'aidemarque de manière décisive l'humanitaire moderne et la trajectoire de nombreuxacteurs. On a à faire à du "sans frontiérisme", faite de passages de cols la nuit,de convois clandestins, d'actions essentiel<strong>le</strong>ment médica<strong>le</strong>s auprès des"combattants de la liberté" 80 . Mais c'est éga<strong>le</strong>ment la période durant laquel<strong>le</strong>naissent <strong>le</strong>s grandes opérations de gestion durab<strong>le</strong> des camps de réfugiés. Onassiste donc à une politisation de l'assistance qui est en fait considérée comme80 Cf. Le projet Qualité en Afghanistan, Rapport de mission du groupe URD, novembre 2002, p.16.


64partie intégrante d'une aide à la guerre. "Ceci était lié à une stratégie militaireplus large qui consistait à maintenir la population afghane à l'intérieur [du pays]afin de fournir un soutien aux moujahidin" 81 . Certains gouvernements vont doncjusqu'à marquer <strong>le</strong>ur soutien aux moujahidin _c'est <strong>le</strong> cas de la Grande Bretagnepar exemp<strong>le</strong> et financer de nombreux programmes via des ONG alors qued'autres restent plus fri<strong>le</strong>ux. C'est <strong>le</strong> cas en effet des ONG françaises quisuscitent même une certaine méfiance de la part du Quai d'Orsay 82 .Parallè<strong>le</strong>ment, l'UNDP, l'UNICEF, l'OMS ainsi que d'autres agences dedéveloppement sont présentes sur <strong>le</strong> sol afghan et poursuivent <strong>le</strong>urs programmesdans <strong>le</strong>s zones qui sont sous <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> du gouvernement de Kaboul. Le HCR,par exemp<strong>le</strong>, travail<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s camps de la résistance avec des ressourcesfinancières et alimentaires assez considérab<strong>le</strong>s 83 . Or, dans la capita<strong>le</strong>, <strong>le</strong> PNUDmet en place des programmes mais se voit paralysé par l'administration sovietoafghanemais aussi par l'absence de moyens liée à l'embargo occidental.A l'extérieur du pays, l'aide se décline essentiel<strong>le</strong>ment par l'assistance à fourniraux réfugiés. Au Pakistan, là encore <strong>le</strong> HCR coordonne des projets dont <strong>le</strong>sréfugiés sont <strong>le</strong>s bénéficiaires. Cependant, cette aide encourage au départ et, defait, affaiblit <strong>le</strong>s moujahidin. Mais ces derniers trouvent une parade ens'implantant dans <strong>le</strong>s camps 84 .A partir du milieu des années 1980, la situation évolue marquant alors unrenouveau dans l'aide humanitaire apportée aux Afghans.D'une aide massive à une crise durab<strong>le</strong> et "oubliée" (1985-2001)Un retournement s'opère en effet en raison de la conjonction de deux facteurs."L'arrivée de financements importants, venant principa<strong>le</strong>ment des Etats-Unis et<strong>le</strong> dégagement progressif de zones assez sures pour commencer <strong>le</strong> travail dereconstruction" 85 se produisent de manière concomitante. La mobilisation qui alieu n'est plus tant l'œuvre des individus mais cel<strong>le</strong> des Etats.A la fin des années 1980, <strong>le</strong>s opérations de "cross border" restent d'actualité,occupant une cinquantaine d'ONG qui se répartissent un budget de 200 millionsde dollars par an. 86 .Par la suite, <strong>le</strong>s accords de Genève 87 ouvrent la voie à des opérationshumanitaires dans l'est et <strong>le</strong> sud-est du pays dans <strong>le</strong>s secteurs de l'agriculture etde l'éducation. Ainsi l'opération Salam mise en place à partir de 1988 est la81Haneef ATMAR, Jonathan GOODHAND, Aid, conflict and peacebuilding in Afghanistan.International A<strong>le</strong>rt, p.23.82 Le Quai d'Orsay intervient auprès du pouvoir de Kaboul dans <strong>le</strong> cadre de libération d'acteurshumanitaires français.83 El<strong>le</strong>s sont de l'ordre de 300 millions de dollars par an.84 En effet, afin d'avoir accès à l'aide , <strong>le</strong>s bénéficiaires doivent s'inscrire sur l'une des sept listes despartis politiques qui font l'Alliance.85 Gil<strong>le</strong>s DORRONSORO, "Les enjeux de l'aide en Afghanistan", in Culture et Conflits, 1993.86 Haneef ATMAR, Jonathan GOODHAND, op. cit., p.23..87 signés <strong>le</strong> 15 avril 1988 entre <strong>le</strong> gouvernement de Kaboul, l'URSS, <strong>le</strong> Pakistan et <strong>le</strong>s Etats-Unismais non reconnus par l'opposition afghane.


65concrétisation de la première grande implication de l'ONU et de ses agencesdans <strong>le</strong>s zones rura<strong>le</strong>s, avec comme objectif la préparation du retour desréfugiés. La communauté internationa<strong>le</strong> s'engage donc alors officiel<strong>le</strong>ment àmettre en œuvre un programme d'urgence et de réhabilitation du pays. Lesecrétaire général de l'ONU lance un appel qui permet d'obtenir unaccroissement de l'aide internationa<strong>le</strong> pour l'Afghanistan. L'UNOCA 88 etACBAR 89 sont <strong>le</strong>s deux organes chargés d'assurer la coordination de cette aide.C'est <strong>le</strong> principe de "l'encerc<strong>le</strong>ment humanitaire" 90 qui permet à l'aide d'êtreconvoyée aussi bien dans <strong>le</strong>s zones tenues par <strong>le</strong>s moujahidin que dans cel<strong>le</strong>ssous l'influence du gouvernement de Kaboul. Ce sont <strong>le</strong>s ONG qui agissentmajoritairement sur ce terrain. Néanmoins, <strong>le</strong> manque d'opérateurs présents àl'intérieur du pays conduit l'équipe de l'opération Salam à susciter via <strong>le</strong>sAfghans présents dans <strong>le</strong>s camps de réfugiés des relais pour <strong>le</strong>urs programmes.Parallè<strong>le</strong>ment, la géographie de l'aide humanitaire s'est modifiée pour s'étendre àl'ouest et au nord grâce au même principe d'encerc<strong>le</strong>ment précédemment évoqué.A Kaboul, <strong>le</strong>s ONG s'instal<strong>le</strong>nt au début de l'année 1992 mais n'y restent pas trèslongtemps.En effet, force est de constater que <strong>le</strong>s combats qui font rage au cours de l'été1992 poussent <strong>le</strong>s organisations à se retirer de la capita<strong>le</strong> et à concentrer <strong>le</strong>ursprogrammes dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s de province ainsi que <strong>le</strong>s zones rura<strong>le</strong>s, notammentdu nord et de l'ouest du pays. C'est de cette période que datent <strong>le</strong>s plus grosdégâts de la capita<strong>le</strong>. De très importants programmes de secours sont mis enplace par <strong>le</strong> CICR et, via des ONG, <strong>le</strong> PAM. En outre, <strong>le</strong>s ONG internationa<strong>le</strong>spoursuivent une transition vers des programmes de réhabilitation et dedéveloppement entamée dans <strong>le</strong>s années 1990, majoritairement dans <strong>le</strong>sprovinces. Ainsi "<strong>le</strong>s organisations identifient et soutiennent alors des formes degouvernance loca<strong>le</strong>. El<strong>le</strong>s ont recours à des assemblées pluralistes etreprésentatives villageoises, de quartiers ou régiona<strong>le</strong>s, supposées traditionnel<strong>le</strong>set appelées en Afghanistan shura […] au besoin [el<strong>le</strong>s] en provoquent lacréation, tel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s District Rehabilitation Shuras" 91 . Les ONG, <strong>le</strong> CICR et desagences de l'ONU développent des activités de quasi-développement dans <strong>le</strong>sprovinces. Cela dit, des zones entières demeurent très diffici<strong>le</strong>s d'accès,notamment <strong>le</strong>s montagnes du centre, tant du fait des conditions logistiques quede la perpétuation du conflit entre <strong>le</strong> pouvoir de Kaboul et <strong>le</strong>s mouvementsHazara. Se met alors en place <strong>le</strong> tripode "Islamabad-Kaboul-Peshawar". Lamajorité des représentations des bail<strong>le</strong>urs s'instal<strong>le</strong> dans la capita<strong>le</strong> pakistanaise.Une frange importante de la mouvance ONG reste à Peshawar alors qu'unepetite dynamique se développe à Kaboul autour du CICR, de quelquesorganisations de solidarité internationa<strong>le</strong> et du bureau d'UN Habitat. Les ONG,dans <strong>le</strong>ur ensemb<strong>le</strong>, ont appris à mê<strong>le</strong>r actions d'urgence et de développement,88 United Nations Office for the Coordination of Humanitarian and Economic Assistance Programmesfor Afghanistan.89 Agency Co-ordinating Bureau for Afghan Relief.90 Qui consiste à faire pénétrer l'aide dans <strong>le</strong> pays par divers points d'entrée91 Pierre CENTLIVRES et Micheline CENTLIVRES, "Etat, islam et tribus face aux organisationsinternationa<strong>le</strong>s-Le cas de l'Afghanistan, op. cit, p.957.


66en fonction des zones, des besoins et des évolutions. Les bail<strong>le</strong>urs de fonds, enparticulier l'Union européenne, ont pu trouver des modalités de complémentaritéentre lignes budgétaires pour permettre cette soup<strong>le</strong>sse.L'arrivée au pouvoir des Taliban 92 marque une nouvel<strong>le</strong> ère dans la politisationde l'aide. Cel<strong>le</strong>-ci s'exprime sous des formes différentes. En effet, el<strong>le</strong> est <strong>le</strong>ref<strong>le</strong>t de l'hostilité de la communauté internationa<strong>le</strong> à l'égard du régime ta<strong>le</strong>b. Cesont principa<strong>le</strong>ment des programmes d'urgence, à court terme, de type "aidevita<strong>le</strong>" 93 qui sont subventionnés. De nombreuses organisations s'élèvent contrece mode de financements présageant des effets d'une tel<strong>le</strong> politique : "créer unedépendance, affaiblir <strong>le</strong>s mécanismes d'adaptation locaux 94 et drainer <strong>le</strong>spopulations rura<strong>le</strong>s loin de <strong>le</strong>urs villages vers des camps de déplacés" 95 . Lesprogrammes d'urgence qui ont donc la grande priorité couvrent 75% de l'aideofficiel<strong>le</strong> dévolue à l'Afghanistan en 1997. La pérennisation des camps dedéplacés en zones urbaines, principa<strong>le</strong>ment Mazar et Herat, due à cet appel d'airgénéré par l'aide offerte, apparaît comme une résultante importante desprogrammes humanitaires. Ainsi "cette stratégie mettait l'accent sur <strong>le</strong>déplacement de tonnages plutôt que de répondre aux causes du conflit quiétaient la source de la crise humanitaire" 96 . Les gouvernements, en sedésengageant financièrement des programmes de développement, trouvent là unmoyen pour iso<strong>le</strong>r <strong>le</strong> pouvoir en place à Kaboul.Sous l'ère ta<strong>le</strong>b, de nouveaux principes humanitaires voient <strong>le</strong> jour; c'est ainsiqu'apparaît <strong>le</strong> "cadre stratégique" qui prône une cohérence d'approche dans laprise d'initiatives des acteurs politiques et humanitaires afin de créer un espacede paix dans <strong>le</strong>s pays déchirés par la guerre. Sur <strong>le</strong> terrain, un engagement deprincipes avec <strong>le</strong>s différentes parties prenantes doit concrétiser cette nouvel<strong>le</strong>approche. Cependant, cet engagement devient rapidement un engagementconditionnel qui met l'accent sur d'autres points que l'assistance vita<strong>le</strong>. LeStrategic Framework of Afghanistan apparaît aux yeux de bon nombred'observateurs comme un échec. "Le SFA existait sur la base que l'Afghanistanétait un "Etat défaillant" alors qu'il était traité comme un "Etat voyou". Cetteincompréhension conduit à une division des acteurs humanitaires et politiquesd'une part, entre <strong>le</strong>s acteurs humanitaires eux-mêmes d'autre part" 97 . A cesdivisions vient se greffer un environnement volati<strong>le</strong> quant aux financements desprogrammes en Afghanistan; en effet, dès 1998, <strong>le</strong>s Américains mènent desfrappes aériennes sur <strong>le</strong> pays en réponse aux attentats perpétrés contre <strong>le</strong>ursambassades de Tanzanie et du Kenya. A Kaboul ainsi que dans <strong>le</strong>s autres92 Le mouvement des taliban devient un des tenants majeurs de la guerre civi<strong>le</strong> afghane à partir de1994; Il prend Herat en 1995, Kaboul en 1996 puis Mazar-i Sharif pour étendre son influence sur prèsde 80% du territoire afghan.93 "Life-saving assistance".94 "Local coping mechanisms".95 "A new era of humanitarian assistance", HPCR Central Asian Policy Brief Issue 4, volume 1, p.4.96 ibidem, p.4.97 Marc DUFFIELD, Patricia GOSSMAN, Nicholas LEADER, Review of the Strategic Framework ofAfghanistan, AREU, juin 2002.


67provinces du pays, <strong>le</strong> travail des organisations se trouve entravé par <strong>le</strong>s principesislamistes extrêmes qui font la pensée du nouveau pouvoir. Dans la capita<strong>le</strong>, plusqu'ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s Taliban font preuve d'une grande rigidité, source de relationsrelativement conflictuel<strong>le</strong>s entre <strong>le</strong> pouvoir et <strong>le</strong>s ONG. Ainsi, de nombreuxprogrammes dont <strong>le</strong>s femmes sont bien souvent <strong>le</strong>s bénéficiaires ne peuventatteindre <strong>le</strong>urs objectifs. Les fonctionnaires quittent massivement <strong>le</strong> pays, créantainsi un obstac<strong>le</strong> à la volonté des ONG de renforcer <strong>le</strong>s capacités (capacitybuilding). Kaboul est confronté à des problèmes qui se posent avec acuité : lalocalisation des bureaux des organisations et l'emploi de certaines catégories depersonnel sont la source de tensions quotidiennes. Face aux déplacements depopulation développés dans <strong>le</strong>s stratégies des acteurs de la vio<strong>le</strong>nce, <strong>le</strong>s ONGréagissent. Ainsi, suite à une migration forcée de la vallée de la Shomali versKaboul, <strong>le</strong> CICR met en place, dans la capita<strong>le</strong>, des abris temporaires destinés àceux qui ne trouvent aucun hébergement chez des membres de <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong>.Progressivement, <strong>le</strong>s déplacés rejoignent la vallée de la Shomali ; néanmoins aubout de six mois, bon nombre demeurent installés dans ces abris de fortune . Leshumanitaires s'interrogent sur la nature de l'aide à fournir : doit-on fournir uneaide en particulier, en prenant en compte <strong>le</strong> fait que ces populations aient dû sefondre dans la masse et qu' "une grande partie [ait] vécu des déplacements sousune forme ou sous une autre" 98 ? La difficulté se décline donc sur commentapporter l'aide la mieux adaptée.Kaboul est donc confrontée à une situation comp<strong>le</strong>xe, qui lui est propre : "c'estla combinaison d'accablants besoins humanitaires et l'incessante batail<strong>le</strong> menéeafin de s'assurer que ces besoins humanitaires soient remplis sur une based'efficacité et de principe qui fait que Kaboul est un environnement diffici<strong>le</strong> pourla planification des programmes" 99 . Une aide qui se manifeste donc par uneopposition au régime ta<strong>le</strong>b, une réduction en faveur du pays sur la base duprincipe de "donor fatigue", une assistance à court terme, tel<strong>le</strong>s sont <strong>le</strong>scontraintes auxquel<strong>le</strong>s doivent faire face <strong>le</strong>s ONG sur place. Tout concourt pourlaisser penser que la crise afghane d'alors est une crise "orpheline".Le regain de l'aide humanitaire suite à l'intervention américaine (l'après 11septembre 2001)La communauté internationa<strong>le</strong> ne s'émeut et découvre réel<strong>le</strong>ment la situationafghane qu'après <strong>le</strong>s événements du 11 septembre et l'intervention militaireaméricaine. L'identification quasi immédiate des responsabilités d'Oussama BenLaden, figure bien connue des observateurs de l'Afghanistan, entraînel'évacuation rapide des équipes d'expatriés. Les programmes sont alors dans <strong>le</strong>smains de <strong>le</strong>urs collègues nationaux. Une dynamique impressionnante demobilisation autour du pays, dans l'attente d'un exode massif de réfugiés qui n'a98 Peter MARSDEN, "Di<strong>le</strong>mnas facing agencies in the urban centres in Afghanistan", in ForcedMigration Review, décembre 1998, p.16.99 Haneef ATMAR, Jonathan GOODHAND, op. Cit., p.51.


68jamais eu lieu, se met en place avec un effort considérab<strong>le</strong> de prépositionnementdu matériel, de vivres et d'équipes pour des camps aux frontièresdu pays. Le "one bomb, one bread" est alors en pratique mais soulève unecontroverse. En effet, <strong>le</strong> mélange humanitaro-militaire, justifié par <strong>le</strong>s besoins depropagande, perdure. Les ONG sont <strong>le</strong>s premières à rentrer dans Kaboul "libéréepar la BBC". C'est à partir de cette date que la communauté internationa<strong>le</strong> prendconscience de la nécessité de participer à la reconstruction socia<strong>le</strong> du pays ainsiqu'à sa réhabilitation politique. Un soutien financier et politique international estalors apporté au nouveau régime souverain qui assure la transition après la chutedes Taliban.La conférence d'Oslo en octobre 2001 marque la sortie de crise officiel<strong>le</strong>, la find'une guerre qui a mis <strong>le</strong> pays à feu et à sang. Tout reste à faire. Les paysdonateurs s'engagent sur <strong>le</strong> terrain de la reconstruction; ils exigent que l'aide laplus importante soit directement versée au gouvernement, impliquant de fait undialogue entre celui-ci et <strong>le</strong>s ONG auxquel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s bail<strong>le</strong>urs distribuent des fonds.Il s'agit de trouver impérativement <strong>le</strong>s termes d'une coopération afin d'assurer undéveloppement urbain efficient. L'Afghanistan fait face à un afflux en masse desorganisations, des financements. Le danger de duplication des programmes estrapidement pointé du doigt, <strong>le</strong> risque de voir tout <strong>le</strong> monde coordonner etpersonne coopérer est fortement dénoncé. Il apparaît éga<strong>le</strong>ment diffici<strong>le</strong> demettre au point un agenda sur <strong>le</strong> long terme. Les bail<strong>le</strong>urs de fonds saventl'importance du passage à une aide à longue perspective. Les donateursbilatéraux tels que USAID s'accordent sur ce point éga<strong>le</strong>ment.Enfin, la confusion militaire/humanitaire s'exprime sur <strong>le</strong> terrain par <strong>le</strong>sProvincial Reconstruction Team (PRT), équipes de militaires participant auprocessus de reconstruction 100 , induisant un mélange ma<strong>le</strong>ncontreux des genreset, sans doute, une confusion qui pourrait nuire aux acteurs de l'aide 101 . Dès2001, Kaboul apparaît donc comme <strong>le</strong> cœur décisionnel où siègent <strong>le</strong>sorganisations de solidarité internationa<strong>le</strong>.KABOUL EN POST-CRISE :RENAISSANCE ET DEFISFin 2001, l'heure des bilans a sonné. Quels sont <strong>le</strong>s besoins? Quel<strong>le</strong>s orientationsapparaissent prioritaires aux acteurs humanitaires? Autant de questionnementsauxquels il faut tacher de répondre rapidement pour établir des évaluationsjustes, indispensab<strong>le</strong>s à la mise en place de programmes efficaces.Le facteur population, un facteur déterminant dans la reconstruction deKaboulLa fin des années de conflit marque <strong>le</strong> retour et la réinstallation des populationsdéplacées à l'intérieur et hors des frontières du pays. Les réfugiés ont été100 Cela se manifeste notamment par la construction de ponts.101 Cf Le Monde, 5/01/2004, <strong>le</strong>s artic<strong>le</strong>s pages 2 et 3 confirment l'existence d'un problème autour desPRT.


69vivement encouragés par <strong>le</strong>s pays d'accueil à regagner <strong>le</strong>ur pays alors que <strong>le</strong>moment n'était sans doute pas propice à un retour massif de population. Unnombre non négligeab<strong>le</strong> n'a pas rejoint sa zone d'origine mais a choisi des'instal<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s centres urbains et en premier lieu dans la capita<strong>le</strong>. Ainsi,aujourd'hui près de 20 % de la population afghane vit dans un environnementurbain. Le taux de croissance urbaine annuel est estimé à 5%. L'expansion deKaboul est censée se poursuivre au cours d'une période de deux à cinq ans selon<strong>le</strong>s experts d'UN HABITAT. Ces chiffres témoignent de la tache immense àlaquel<strong>le</strong> se retrouvent confrontés <strong>le</strong>s acteurs de l'aide et ceux de lareconstruction.Le peup<strong>le</strong> afghan, un peup<strong>le</strong> en mouvementLe déplacement est partie intégrante des réalités afghanes et peut être perçucomme "faisant partie d'une habitude qui traduit aussi un mécanismed'adaptation" 102 . Au début de l'année 2002, on a estimé que presque un tiers dela population avait connu des déplacements internes et externes. Selon <strong>le</strong>schiffres du gouvernement, <strong>le</strong> Pakistan compterait 3,5 millions de réfugiés etl'Iran aux a<strong>le</strong>ntours de 2,3 millions alors que près de 500 000 auraient trouvérefuge dans <strong>le</strong>s républiques voisines. Les déplacés internes seraient pour <strong>le</strong>urpart près d'un million. Le HCR avance que pour l'année 2002, 450 000 déplacésinternes auraient regagné <strong>le</strong>ur logis.En 2002 toujours, ce sont quelque 1,8 million de personnes qui sont rentréesd'exil sous l'égide des programmes du UNHCR et du Ministère des Réfugiés etdu Rapatriement. Au cours de cette même année, près de 200 000 déplacés ontreçu une aide <strong>le</strong>ur permettant de rejoindre <strong>le</strong>ur province d'origine alors queparallè<strong>le</strong>ment autant l'ont fait sans qu'aucun soutien <strong>le</strong>ur soit apporté. Lesprovinces de Nangarhar et de Kaboul ont principa<strong>le</strong>ment bénéficié de cemouvement. Selon des statistiques issues de l'"encashment center" 103 del'UNHCR à Kaboul, la capita<strong>le</strong> aurait été la destination fina<strong>le</strong> de 37,6 % desréfugiés, soit un total de 596 000 individus. Bon nombre seraient effectivementoriginaires de la capita<strong>le</strong> ; cependant, on ne peut négliger la capacité d'attractionde la vil<strong>le</strong> sur d'autres groupes. En effet, "Kaboul est la seu<strong>le</strong> vil<strong>le</strong> qui puissefournir de réel<strong>le</strong>s sources de revenus, autres que cel<strong>le</strong>s issues d'une économieilléga<strong>le</strong>, pour ceux incapab<strong>le</strong>s de survivre dans <strong>le</strong>ur zone d'origine" 104 . Il n'existemalheureusement pas d'informations chiffrées sur un mouvement de populationsissues des zones rura<strong>le</strong>s qui aurait pour destination <strong>le</strong>s centres urbains. Selon <strong>le</strong>sacteurs de l'aide, "une tel<strong>le</strong> évaluation serait délicate à réaliser car la capita<strong>le</strong> estaussi la destination privilégiée des famil<strong>le</strong>s qui vivent dans <strong>le</strong>s plaines centra<strong>le</strong>s102 "What about the returnees?Trapped in Kabul city?", enquete réalisée par MSF Afghanistan, aoutseptembre2002, p.22103 Il s'agit en fait des centres établis pour <strong>le</strong>s programmes de Cash For Work où <strong>le</strong>s participantsviennent chercher <strong>le</strong>ur ''salaire''.104 David TURTON, Peter MARSDEN, "Taking refugees for a ride? The politics of refugee return toAfghanistan", AREU, 2002.


70et se rendent en vil<strong>le</strong> suite aux diffici<strong>le</strong>s conditions que connaît l'agriculture" 105 .L'origine des ces "returnees" est géographiquement très ciblée. Selon HasimUtkan, représentant du HCR au Pakistan : "l'année dernière [2002], des 1,6million d'Afghans qui retournèrent dans <strong>le</strong>ur pays, 82% étaient originaires deszones urbaines […] Cette année, un point tout particulier sera porté sur <strong>le</strong>spopulations des camps" 106 . En d'autres termes, <strong>le</strong> HCR décide de mener uneenquête focalisée sur <strong>le</strong>s réfugiés des camps, après s'être intéressé toutparticulièrement aux déplacés internes. A l'heure actuel<strong>le</strong> encore, <strong>le</strong> mouvementde retour semb<strong>le</strong> se poursuivre : "Quelques cent famil<strong>le</strong>s issues de la capita<strong>le</strong>Islamabad et de la vil<strong>le</strong> de Quetta au sud-ouest rentrent au pays" 107 .La question du retour des réfugiés urbains 108 du Pakistan a toute son importance.Contrairement à <strong>le</strong>urs prédécesseurs, <strong>le</strong>s réfugiés qui se sont exilés au milieu desannées 1980, puis en 1996, suite à la chute de Kaboul, ont exprimé <strong>le</strong> désir devivre en zone urbaine et non de venir gonf<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s rangs de ceux qui se sontinstallés dans <strong>le</strong>s premiers camps qui sont devenus des villages de réfugiésafghans. Ces structures sont la réplique des formes et de l'organisation del'habitat traditionnel afghan. Ces réfugiés vivent dans des conditions matériel<strong>le</strong>set d'hygiène précaires. Les réfugiés urbains, pour <strong>le</strong>ur part, s'affranchissent del'aide internationa<strong>le</strong> en se lançant dans un large spectre d'activités génératricesde revenus : artisanat, commerce pour <strong>le</strong>s uns, professions libéra<strong>le</strong>s (médecins,professeurs, employés) pour <strong>le</strong>s autres 109 . A cette catégorie de population, il fautadjoindre <strong>le</strong>s réfugiés des camps en zones rura<strong>le</strong>s qui, avec <strong>le</strong> temps, se sontdéplacés en vil<strong>le</strong> afin de venir y trouver un emploi 110 . Les flux de population ontpar exemp<strong>le</strong> fait de Peshawar "la deuxième vil<strong>le</strong> afghane après Kaboul avec prèsd'un demi million d'Afghans sédentarisés dans ou à proximité de la vil<strong>le</strong>, ayantou non <strong>le</strong> statut juridique de réfugiés". On en vient donc à penser que <strong>le</strong>sservices offerts par la vil<strong>le</strong> ainsi que l'environnement qu'el<strong>le</strong> constitue sontdevenus des référents pour ce type de population. Parmi cette population,figurent <strong>le</strong>s jeunes générations qui, en exil, ont vécu en milieu urbain, nesouhaitent pas mettre un terme à <strong>le</strong>ur mode de vie et retourner vivre à lacampagne. Il est fort à parier que "Kaboul [<strong>le</strong>ur apparaisse] à la fois [comme] uninstrument de mobilité socia<strong>le</strong> tout comme un espace permettant un accès à lamodernité 111 .105 British Agencies Afghanistan Group, Monthly Review, septembre 2002.106 UNOCHA Integrated Regional Information network, Pakistan, Interview with UNHCR countryrepresentative, 1/04/2003.107 UNOCHA Integrated Regional Information Network, artic<strong>le</strong> "Pakistan : Repatriation of Afghanrefugees living in urban areas begins", 15/04/2003.108 Selon <strong>le</strong> HCR, est considéré comme réfugié urbain tout individu d'origine urbaine ayant reçu uneéducation et dont l'activité principa<strong>le</strong> est non agrico<strong>le</strong> et qui, en raison de son origine socia<strong>le</strong> et de sonmode de vie urbain, aurait quelque difficulté à vivre à l'intérieur de camps situés en zone rura<strong>le</strong> et auxconditions de vie précaires.109 Ces derniers ne constituant pas une majorité.110 Pour la plupart, il s'agit d'emplois journaliers, notamment dans la construction.111Nouchine D'HELLENCOURT YAVARI, Shurat RABAJOV, Nasrollah STANIKZA, AbdulSALAM, op. cit., p.4.


71Ces "returnees" et ceux à venir ne seront sans doute pas <strong>le</strong>s seuls à vouloirbénéficier des avantages offerts par une vie en vil<strong>le</strong> : la destruction de l'habitat,<strong>le</strong> manque patent de terres, de services, l'accès à l'éducation limité, la faib<strong>le</strong>ssedu nombre d'opportunités en matière d'emplois dans <strong>le</strong>s zones rura<strong>le</strong>s sont autantd'éléments qui risquent de pousser <strong>le</strong>s populations vers <strong>le</strong>s centres urbains, enparticulier la capita<strong>le</strong>. C'est en effet pour tout ce qu'ils représentent qu'ilsconstituent des pô<strong>le</strong>s attractifs : accès aux services tels que l'eau, l'é<strong>le</strong>ctricité,l'éco<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s hôpitaux, l'assurance de la sécurité et de plus grandes chancesd'obtenir un travail mieux rémunéré. "Tout cela est perçu comme aisémentdisponib<strong>le</strong> dans la capita<strong>le</strong> par la présence des agences internationa<strong>le</strong>s d'aide etdu gouvernement central" 112 .Aujourd'hui l'enthousiasme a cédé sa place à plus de scepticisme. Le processusde retour d'exil des Afghans a été longuement décrit dans une étude parue en2002 menée par The Afghanistan Research and Evaluation Unit 113 . La pressioncroissante exercée par <strong>le</strong>s pays d'accueil sur <strong>le</strong>s réfugiés s'est faite ressentir avecun peu plus de force en 2002 et 2003 ; ces pays-là connaissant eux-mêmes desdifficultés économiques. La couverture médiatique de la conférence de Tokyo,<strong>le</strong> sentiment que <strong>le</strong>s promesses faites par <strong>le</strong>s pays donateurs allaient permettre delancer <strong>le</strong> processus de reconstruction et par là même générer de nombreuxemplois a suscité beaucoup d'espoir parmi <strong>le</strong>s populations exilées. Aujourd'hui,la population peut éga<strong>le</strong>ment espérer que la voie vers plus de stabilité politiquerecherchée par la mise en place d'une Loya Jirga sera un facteur accélérateur auprocessus de développement afghan. D'autres éléments doivent éga<strong>le</strong>ment êtrepris en compte, notamment <strong>le</strong> maintien d'une aide de qualité ainsi que <strong>le</strong> bonusage du bénéfice d'une population qui revient pour reconstruire son pays. Nouspouvons supposer que <strong>le</strong>s encouragements au retour, depuis 2002, au traversd'une campagne extrêmement médiatisée promettant un transport gratuit jusquedans <strong>le</strong>s zones d'origine ainsi que la présence et <strong>le</strong> soutien du HCR une foisarrivés sur place ont dû apparaître aux yeux de bon nombre de réfugiés commedes conditions de retour largement acceptab<strong>le</strong>s 114 . L'accord signé entre <strong>le</strong> HCRet <strong>le</strong>s gouvernements afghan, iranien et pakistanais associé au kit 115 d'aide auretour offert a sans soute renforcé <strong>le</strong> message d'incitation à rentrer expriméconjointement par <strong>le</strong>s pays hôtes et la communauté internationa<strong>le</strong>. Le retourmassif des exilés est apparu comme un argument de poids pour cettecommunauté internationa<strong>le</strong> qui se devait de réagir contre la <strong>le</strong>nte reconstructiondu pays et la situation très volati<strong>le</strong> en matière de sécurité. Pour <strong>le</strong> gouvernementafghan, il a s'agi d'une marque de confiance des populations, lui permettant ainsi112 ibidem.113 David TURTON, Peter MARSDEN, op. Cit.114 Cependant la campagne médiatique avait sous-estimé <strong>le</strong> nombre de réfugiés qui prendraient <strong>le</strong>chemin du retour si bien que <strong>le</strong> HCR s'est trouvé capab<strong>le</strong> de ne fournir qu'une simp<strong>le</strong> contribution auxfrais de voyage et n'apporter son soutien qu'à une petite fraction de réfugiés et, de surcroît, à une petiteéchel<strong>le</strong>.115 Ce kit comportait initia<strong>le</strong>ment 150 kilogrammes de blé, une somme d'argent liquide à hauteur de 20dollars par personne, 2 bâches en plastique, 2 jerrycans et 2 couvertures, une lampe à kérosène, 5savons par famil<strong>le</strong> par mois et pour cinq mois, une natte, un kit d'outils pour abri ou un kit d'outilsagrico<strong>le</strong>s. Mais, lorsqu'il est apparu que <strong>le</strong> nombre des "returnees" allait être important et devant faireface à des restrictions budgétaires, <strong>le</strong> HCR a revu à la baisse ce que proposait <strong>le</strong> kit.


72de gagner en crédibilité sur la scène politique internationa<strong>le</strong>. Le fait est que lapolitique qui a été conduite a focalisé son attention sur <strong>le</strong> rapatriement et non surla réinstallation des "returnees", alors que <strong>le</strong>s conditions d'accueil et d'absorptionde ces populations par <strong>le</strong> pays en général d'une part, par la capita<strong>le</strong> en particulierd'autre part, étaient loin d'être optima<strong>le</strong>s. Ces groupes de populations sontcontraints de se déplacer à l'intérieur du pays, voire de retourner dans <strong>le</strong>urancien pays d'accueil. Ce flot de retour, s'il pouvait avoir lieu, présenterait à lafois l'avantage de pouvoir alléger la pression qui pèse sur la capita<strong>le</strong> en ce quiconcerne <strong>le</strong>s infrastructures, <strong>le</strong>s services de base et <strong>le</strong>s emplois, mais encontrepartie pourrait par dans un même temps compromettre <strong>le</strong> retour d'autresréfugiés par la mauvaise publicité faite sur <strong>le</strong>s réalités de l'accueil que réservel'Afghanistan à ses nouveaux arrivants.Selon <strong>le</strong> HCR, <strong>le</strong>s populations plus réticentes à rentrer sont cel<strong>le</strong>s implantéesdans <strong>le</strong> pays d'exil depuis très longtemps 116 . En outre, <strong>le</strong>s secondes générationsd'exilés qui atteignent aujourd'hui plus d'une vingtaine d'années et n'ont connuque <strong>le</strong>s pays hôtes comme patrie n'expriment pas <strong>le</strong> souhait de rentrer "au pays".Néanmoins, des estimations envisagent <strong>le</strong> retour dans différentes parties du paysde près de 1,2 million de réfugiés ainsi que l'installation d'environ 300 000IDPs 117 en 2003. Selon <strong>le</strong>s observateurs du HCR, 40% s'instal<strong>le</strong>ront en zoneurbaine.Dans la capita<strong>le</strong> même, <strong>le</strong>s mouvements de population continuent. Les acteurs del'aide ont constaté que <strong>le</strong>s habitants poursuivaient <strong>le</strong>urs déplacements. Suite à lasé<strong>le</strong>ction des bénéficiaires de l'aide et lorsque des cartes donnant accès àl'assistance ont été délivrées, <strong>le</strong>s équipes d'une organisation de solidaritéinternationa<strong>le</strong> (OSI) ont noté que bon nombre de futurs récipiendaires de l'aidedes districts 3 et 7 avaient quitté <strong>le</strong>ur lieu de vie. L'amp<strong>le</strong>ur du phénomène et <strong>le</strong>sdestinations de ces derniers ne sont pas claires: un simp<strong>le</strong> changement dequartier voire de district pour <strong>le</strong>s uns, un retour vers <strong>le</strong> pays d'exil pour <strong>le</strong>s autressont des cas de figure qui ont été évoqués par <strong>le</strong>s voisins.Kaboul face à l'afflux de population : stratégies d'intégration/survie et impactsLe peup<strong>le</strong> afghan a démontré qu'il savait développer toute une gamme deréponses face aux situations auxquel<strong>le</strong>s il a du faire face. En 2003, La typologiequi peut être faite des habitants de Kaboul repose sur trois groupes principaux :Les Kaboulis d'origine. Ce sont ceux qui sont restés en Afghanistan, dans <strong>le</strong>urvil<strong>le</strong> de Kaboul, au cours des années de guerre et de tensions ou ceux qui sontrevenus d'exil en retrouvant <strong>le</strong>ur habitation et statut. Les Kaboulis secaractérisent par une intégration urbaine classique ainsi que des pratiquessocioculturel<strong>le</strong>s et des attitudes qui y sont attachées.116 Cf. l'artic<strong>le</strong> "Afghans continue streaming home after first wave", UNHCR .Les enquêtes du HCR ontmontré qu'un nombre important de réfugiés craignent de ne pas trouver de logement ni de travail, cescraintes <strong>le</strong>s rendant réticents à abandonner <strong>le</strong>ur emploi même faib<strong>le</strong>ment rémunérateur et la viediffici<strong>le</strong> qu'ils mènent en général à l'extérieur de l'Afghanistan.117 Internal Displaced Person.


73Les déplacés internes communément appelés "IDPs". Principa<strong>le</strong>ment d'originerura<strong>le</strong>, cette catégorie de la population doit faire face à un processusd'intégration socia<strong>le</strong> diffici<strong>le</strong> du fait de sa situation précaire et de sonappartenance au monde rural. Les déplacés internes ont inévitab<strong>le</strong>ment faitl'expérience d'une marginalisation socia<strong>le</strong> et économique lorsqu'ils ont joint <strong>le</strong>processus d'intégration au monde urbain. Ils sont considérés par de nombreuxacteurs humanitaires comme en étant, à Kaboul, <strong>le</strong> groupe <strong>le</strong> plus vulnérab<strong>le</strong> et<strong>le</strong> plus "invisib<strong>le</strong>".Les anciens réfugiés issus des zones rura<strong>le</strong>s. Ce groupe a fait l'expérience desavantages de la vie en zone urbaine lors de l'exil. Il constitue un groupeintermédiaire entre <strong>le</strong>s Kaboulis d'origine et <strong>le</strong>s déplacés internes. Puisqu'ilsappartiennent à la population de la capita<strong>le</strong>, <strong>le</strong>ur expérience de la vie en vil<strong>le</strong> <strong>le</strong>srapproche des Kaboulis de souche. Leur dissemblance avec <strong>le</strong>s déplacés internesse marque par <strong>le</strong>ur intégration au monde urbain, l'éducation et/ou la formationprofessionnel<strong>le</strong> qu'ils y ont reçues et <strong>le</strong>s expériences professionnel<strong>le</strong>s qu'ils ontacquises sur place. Cependant, <strong>le</strong>s racines rura<strong>le</strong>s encore récentes rapprochent<strong>le</strong>s deux groupes.Les franges <strong>le</strong>s plus vulnérab<strong>le</strong>s et pauvres des divers types de populationsévoquées ici ont donc développé des mécanismes d'adaptation afin de s'intégrerau mode de vie de Kaboul. Ces derniers ont été identifiés dans <strong>le</strong> cadre d'uneévaluation sur un programme en faveur des vulnérab<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> cadre de projetsd’habitat et de distributions de biens de consommation courante. Environ 16 000foyers ont passé l’hiver 2002-2003 dans des espaces ouverts, sans toit ou porte,et de l’habitat détruit. Ces famil<strong>le</strong>s n’avaient que de très faib<strong>le</strong>s revenus voireaucun, en tout cas pas de revenus réguliers. Cela a touché plus particulièrement<strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s n’ayant jamais quitté Kaboul ou <strong>le</strong>s réfugiés de retour. Cesconditions de vie étaient très diffici<strong>le</strong>s car en plus de l’absence de latrines etd’é<strong>le</strong>ctricité, certaines famil<strong>le</strong>s n’avaient qu’un accès diffici<strong>le</strong> à l’eau. 82 %utilisaient un petit chauffage au charbon (ou utilisaient <strong>le</strong>s déchets plastiques enguise de braises), 18% n’ayant aucun moyen de se chauffer. Cela a même été àl'origine de problèmes de pollution au plastique, de cancers du poumon et demaladies respiratoires. Il est frappant de constater que bien plus de foyers tenuspar des femmes (veuves) sont en fait squattés. Il y a éga<strong>le</strong>ment du mouvement :<strong>le</strong>s gens, lorsqu'ils sont locataires, ne restent pas dans <strong>le</strong>ur domici<strong>le</strong> car biensouvent ils ne peuvent plus suivre la hausse des loyers imposée par <strong>le</strong>propriétaire. Les Kaboulis ont déjà démontré des capacités d'adaptationmultip<strong>le</strong>s. En effet, du recyclage de matériel de construction à la reconstructionde l'habitat en passant par <strong>le</strong>s déplacements au sein de la vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s exemp<strong>le</strong>s sontdonc florissants. Le but de <strong>le</strong>ur stratégie de survie a été d'assurer des rentréesd'argent régulières par <strong>le</strong> biais d'un emploi de journalier pour <strong>le</strong>s hommes, d'uneactivité ayant pour cadre <strong>le</strong> foyer familial (tissage) ou <strong>le</strong> quartier (travauxménagers accomplis pour <strong>le</strong>s voisines tels que <strong>le</strong> lavage du linge) pour <strong>le</strong>sfemmes. Quant aux enfants, ils contribuent à la survie de la famil<strong>le</strong> en


74améliorant <strong>le</strong> quotidien par de petits emplois qu'ils occupent (vente au détail,travail dans <strong>le</strong>s bazars, récupération et recyclage de déchets). Notons que <strong>le</strong> tauxd’analphabétisme étant é<strong>le</strong>vé, il rend diffici<strong>le</strong> l’obtention d’emplois plusqualifiés, donc plus rémunérateurs. Certaines famil<strong>le</strong>s bénéficient d'appoints de<strong>le</strong>urs revenus grâce au soutien financier apporté par des membres de la famil<strong>le</strong>résidant en dehors du pays. En outre, la contraction de crédits auprès descommerçants du quartier est monnaie courante pour assurer une nourriturequotidienne. La stratégie de survie principa<strong>le</strong>, c’est en effet <strong>le</strong> prêt : à la famil<strong>le</strong>,à des amis ou à l’épicier. Les famil<strong>le</strong>s n’ont pas <strong>le</strong>s moyens de constituer desstocks de nourriture et fonctionnent au jour <strong>le</strong> jour. El<strong>le</strong>s se nourrissentprincipa<strong>le</strong>ment de pain, riz et légumes de saison. Certaines vont jusqu’à marchertrois heures pour trouver la nourriture la moins chère. Mais bien souvent <strong>le</strong>manque de revenus ou la faib<strong>le</strong>sse de ceux-ci peut avoir des complications aupoint de vue de la santé. Les famil<strong>le</strong>s réduisent <strong>le</strong>urs repas en quantité ou aumoins la possibilité d’avoir accès à des soins médicaux dans des centres desanté. Bon nombre des plus vulnérab<strong>le</strong>s sinon la totalité connaissent des périodes« critiques » sans emploi temporaire. El<strong>le</strong>s ont quasiment toutes des dettes et <strong>le</strong>remboursement de cel<strong>le</strong>s-ci figure dans <strong>le</strong>urs dépenses prioritaires. Pour luttercontre <strong>le</strong> froid, <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s qui n’ont pas suffisamment d’argent pour acheter dufioul brû<strong>le</strong>nt des déchets. Enfin, assurer un abri dans une stratégie de solidaritéintra familia<strong>le</strong> constitue l’un des piliers des mécanismes d’adaptation à Kaboul.En moyenne, 2,8 famil<strong>le</strong>s, soit 18 à 20 personnes, vivent dans une maisonconstruite initia<strong>le</strong>ment pour recevoir six personnes.Ces populations ont donc mis au point des moyens d'adaptation <strong>le</strong>ur permettantde survivre dans des conditions précaires et un environnement souvent hosti<strong>le</strong>(via une complémentarité entre plusieurs stratégies). Les stratégies de survie sontdiversifiées : emprunt, mendicité, aide du HCR, utilisation des réservesfinancières, vente des meub<strong>le</strong>s de maison ou bijoux, aide de la famil<strong>le</strong>,occupation d'un emploi salarié, vente de certains paquets fournis par <strong>le</strong> HCR,envoi des enfants dans <strong>le</strong> marché du travail, aide des voisins. Parfois, il y acombinaison de plusieurs stratégies de survie mais l’emprunt demeure lastratégie la plus utilisée. Déménager est une autre possibilité lorsque <strong>le</strong> loyerdevenait trop cher. L'ensemb<strong>le</strong> de ces stratégies n’a pas été sans conséquencepour la vil<strong>le</strong> el<strong>le</strong>-même.D'autre part, l’arrivée de nouveaux membres très pauvres dans une famil<strong>le</strong>contribue à fragiliser et décapitaliser l’ensemb<strong>le</strong> de la famil<strong>le</strong>.Kaboul sinistrée, <strong>le</strong>s enjeux de la reconstructionKaboul n'a d'autre alternative que de re<strong>le</strong>ver <strong>le</strong>s défis importants qui seprésentent pour espérer renaître. Des problèmes majeurs se posent à el<strong>le</strong> : l’eau,l’é<strong>le</strong>ctricité, <strong>le</strong> domaine sanitaire ( notamment l'insalubrité), <strong>le</strong>s transportsfigurent au rang des priorités. En effet, une absence flagrante des services debase handicape la capita<strong>le</strong>. 75 à 80% de la population n'a pas d'accès à l'eau viaun réseau de distribution; près de 65% des Kaboulis vivent sans é<strong>le</strong>ctricité. 84%n'a pas de latrines et la moitié de la vil<strong>le</strong> ne possède pas de système de col<strong>le</strong>cte


75des ordures. Enfin, 60 % des routes urbaines n'existent plus, condamnant ainsi<strong>le</strong>s liaisons internes du pays et de la vil<strong>le</strong> essentiel<strong>le</strong>ment.On compte d'importantes destructions physiques ; <strong>le</strong>s hôpitaux, <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>smosquées, <strong>le</strong>s usines sont à rebâtir. De même, l'habitat est complètement oupartiel<strong>le</strong>ment détruit : la municipalité, après enquête en 1999, annonce deschiffres de 62 360 maisons dans ce cas-là. La dernière estimation réalisée en2002 fait état de 80 000 unités détruites ou endommagées 118 . (Cela représente50% des habitations de la vil<strong>le</strong>).Par ail<strong>le</strong>urs, l'absence d’une administration compétente induit un total abandonde la gestion de la vil<strong>le</strong> dans une période durant laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong> s'avérerait aucontraire crucia<strong>le</strong>. Le manque de maintenance explique l'état de délabrementd'un grand nombre d'infrastructures.Ces manques justifient en outre <strong>le</strong> développement de constructions illéga<strong>le</strong>s,résultante éga<strong>le</strong>ment d'une crise aiguë du logement. Ce sont 58 614 unités, soitpresque la moitié des maisons construites à Kaboul qui <strong>le</strong> sont en zones nonplanifiées 119 . Des problèmes sur <strong>le</strong>s terres et <strong>le</strong>s titres de propriété sont àl'origine de vives tensions au sein de la population. En 2000, 48,6 % desKaboulis ne possèdent pas de terre. Les destructions massives conjointement auproblème de propriété qui se pose avec acuité impliquent de graves difficultésde logement. La population urbaine qui connaît une forte croissance subit unepromiscuité importante, qui est source de problèmes sociaux et sanitaires. Leretour des déplacés internes et des réfugiés (1.8 million au total en 2002) surtoutdans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s et notamment à Kaboul, qui compte à cette date 2.4 millionsd'habitants, est un facteur aggravant, sans oublier la présence en nombre desacteurs humanitaires.Les conflits de terres entre ethnies sont vio<strong>le</strong>nts et de plus en plus nombreux. Lesactivités des seigneurs de la guerre, <strong>le</strong>s occupations de terres et <strong>le</strong>s conflitsethniques et intracommunautaires génèrent de l’insécurité à un moment où lastabilité est essentiel<strong>le</strong>. Mais rég<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s problèmes de propriété foncière apparaîtcomme un préalab<strong>le</strong> à la mise en place d’un ordre durab<strong>le</strong>. Par ail<strong>le</strong>urs, lapopulation la plus pauvre peut de moins en moins compter sur <strong>le</strong>s plus richespour lui assurer un toit, des repas quotidiens et une terre. Les plus fortunés euxmêmesse trouvent dans une situation critique qui ne <strong>le</strong>ur permet pasd'embaucher de la main d'œuvre à <strong>le</strong>ur service sur <strong>le</strong>urs terres. Les plans quivisent à accroître la productivité agrico<strong>le</strong> ignorent <strong>le</strong> fait que la plupart desagriculteurs n’ont pas de terre et sont sans ressource pour relancer de nouvel<strong>le</strong>srécoltes.La question primordia<strong>le</strong> du statut de la terre, corollaire de cel<strong>le</strong> du problème del'habitatLe problème de la terre est incontestab<strong>le</strong>ment la source de nombreuses tensionsau sein des Kaboulis et dans <strong>le</strong>urs relations aux autorités municipa<strong>le</strong>s. Rég<strong>le</strong>r laquestion du statut de la terre et offrir un logement décent aux populations118 Informal Housing Survey établie par UN HABITAT, 2002.119 Enquête de la municipalité de 1999.


76vulnérab<strong>le</strong>s est l'un des défis majeurs que doit re<strong>le</strong>ver la municipalité. Cel<strong>le</strong>-cin'est pas sans réponse ; en effet, el<strong>le</strong> propose de rég<strong>le</strong>r la question de la propriétéet cel<strong>le</strong> de l'accès au logement de manière prioritaire. Dans cette perspective,une commission jointe a été créée, regroupant des représentants de lamunicipalité, du cabinet du gouverneur de Kaboul, du Ministère de la Justice, dela cour de Kaboul et du département criminel du Ministère de l'Intérieur.En plusieurs points de Kaboul, des constructions illéga<strong>le</strong>s en zones nonplanifiées se sont développées et ce mouvement n'a toujours pas cesséaujourd'hui encore. Les districts <strong>le</strong>s plus touchés par ce processus sont <strong>le</strong>sdistricts 1, 3, 5, 6, 7 et 16. Le caractère illégal de ces constructions spontanéesempêche <strong>le</strong>urs habitants d'investir dans la consolidation voire l’amélioration dubâti. Les autorités ont en effet déjà mené des opérations de destruction d'habitatsillégaux, même si el<strong>le</strong>s ont tendance à <strong>le</strong>s minimiser. Il en décou<strong>le</strong> unevulnérabilité croissante puisque aucune perspective d'amélioration n'estenvisagée ou envisageab<strong>le</strong>.Une proportion importante des réfugiés de retour occupe de manière illéga<strong>le</strong> desmaisons qui ne lui appartient pas, des bâtiments publics détruits tota<strong>le</strong>ment oupartiel<strong>le</strong>ment, des terrains momentanément "abandonnés" par <strong>le</strong>urs propriétairesou re<strong>le</strong>vant du domaine public tels que <strong>le</strong>s parcs. Ce sont quelque 1500 famil<strong>le</strong>squi vivent dans divers bâtiments détruits et plus de 60 000 dans des maisons etappartements endommagés 120 .La vil<strong>le</strong> connaît un développement incontrôlé, <strong>le</strong> plan 121 directeur étanttota<strong>le</strong>ment obsolète. Seu<strong>le</strong>s certaines parties du plan ont été mises en œuvre. Ilprévoyait notamment de fournir des appartements sur plusieurs étages pour 1,4million de personnes et seu<strong>le</strong>ment 600 000 logements de plain pied. Même si <strong>le</strong>spopulations étaient de prime abord intéressées par l’idée d’accéder à une formede modernité par l’accès à un habitat col<strong>le</strong>ctif, <strong>le</strong> mode de vie traditionnel dupeup<strong>le</strong> afghan basé sur des règ<strong>le</strong>s de réclusion de la femme avec une famil<strong>le</strong>étendue n'était pas compatib<strong>le</strong>. Ce sty<strong>le</strong> ne correspond pas à celui qui est menéen appartement (et encore moins pour des populations directement venues dumilieu rural dont une partie de la sécurité économique est liée à l’agriculturedomestique et <strong>le</strong> petit é<strong>le</strong>vage). Les conséquences négatives sur <strong>le</strong>développement urbain de la capita<strong>le</strong> sont diverses. Le Master Plan a fini parcontribuer au développement de zones non planifiées. Son incapacité à fournirdes terres pour la construction d'habitat a conduit à un accroissement de zonesd'installation informel<strong>le</strong>s, spontanées. Cel<strong>le</strong>s-ci regroupent aujourd'hui près de50% de la population de la vil<strong>le</strong>. Alors que <strong>le</strong> gouvernement se doit de fourniraux Kaboulis, retournés et autres, une vie meil<strong>le</strong>ure dans <strong>le</strong> lieu de <strong>le</strong>ur choix, <strong>le</strong>sprocédures trop contraignantes édictées par la municipalité poussent cespopulations installées par dizaines de milliers à vivre dans la misère etl'incertitude. Il apparaît donc indispensab<strong>le</strong> pour la municipalité de Kabould'adopter une approche beaucoup plus pragmatique en matière dedéveloppement urbain, à savoir non pas de nier ou rejeter ces installations120 Theresa POPELWELL, "Informal Housing Survey : Kabul", March-April 2002, UN-HABITAT.121 <strong>Voir</strong> l'artic<strong>le</strong> "Peop<strong>le</strong>'s Rebuilding and Housing Developement Strategy", op. cit, p.17-18.


77informel<strong>le</strong>s mais au contraire tenter de <strong>le</strong>s incorporer au plan de la vil<strong>le</strong>. Parail<strong>le</strong>urs, un nouveau phénomène a vu <strong>le</strong> jour : l'extension de la vil<strong>le</strong> hors de seslimites. Les zones périurbaines ont en effet pris de l'amp<strong>le</strong>ur et sont hors plan.El<strong>le</strong>s ne bénéficient pas de ce fait de services. Il y a discorde dans ce domaineentre <strong>le</strong> Ministère du développement urbain et la municipalité. Cette dernière esten faveur de l'application du plan (c'est aujourd'hui <strong>le</strong> cas) alors que <strong>le</strong> ministèreest partisan de sa révision à hauteur de 60 à 70%. On peut s'interroger sur lavalidité, la pertinence de cet outil en 2003-2004. Des poches de pauvretéapparaissent à l'intérieur et en bordure de la vil<strong>le</strong>. Ces no man lands sont <strong>le</strong>refuge des retournés qui ne peuvent être absorbés par la vil<strong>le</strong>. Il ne s'agit pourtantpas de camps, aucun type d'organisation particulier ne semb<strong>le</strong> y exister. Cesinstallations abritent, en plusieurs endroits de la vil<strong>le</strong>, des milliers de personnesqui vivent dans une précarité la plus tota<strong>le</strong> (tentes et containers pour seuls abris).Parallè<strong>le</strong>ment à ce manque de logements décents, une forte pression sur la terrevient ajouter au problème de l'habitat. Un processus d'hyper inflation en décou<strong>le</strong>.A Kaboul aujourd'hui un appartement de trois pièces devrait coûter, seloncertaines estimations, aux a<strong>le</strong>ntours de 30 000 USD, mais selon la tail<strong>le</strong> duterrain et sa situation dans la vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s prix actuels pourraient s'échelonner entre50 000 et 3 millions de dollars 122 .Par ail<strong>le</strong>urs, une part significative de l'habitat qui a échappé aux destructionsreste inhabité. Les propriétaires sont en fait encore à l'étranger. Beaucoup depropriétaires exilés au Pakistan sont rentrés temporairement à Kaboul <strong>le</strong> tempsde pouvoir justifier <strong>le</strong>ur présence afin de pouvoir bénéficier de l’aideinternationa<strong>le</strong>, et notamment des projets de reconstruction d’abris. Denombreuses maisons vides et terrains inoccupés ont été investis par despersonnes qui ne paient pas de loyer et n'ont donc juridiquement aucun droit à la.Il en suit des disputes vives au sujet de la question de la propriété et du statut dela terre. Des titres de propriété sont falsifiés par <strong>le</strong>s nouveaux habitants suscitantdes conflits. Sous <strong>le</strong> régime des Taliban, <strong>le</strong>s autorités municipa<strong>le</strong>s partent duprincipe que l'absence des propriétaires entraîne de facto l'abandon de la terre et<strong>le</strong>ur permet de la redistribuer ou de l'attribuer à qui bon <strong>le</strong>ur semb<strong>le</strong>. Uneestimation évoque <strong>le</strong> chiffre de 600 propriétés privées qui auraient étéredistribuées par <strong>le</strong>s Taliban. D'autres cas font état d'anciens propriétaires qui,bien qu'ayant vendu <strong>le</strong>ur bien, profitent du désordre et du vide juridique pourtenter de <strong>le</strong> récupérer aux dépends des nouveaux acquéreurs. Les seigneurs deguerre ne sont pas en reste en ce qui concerne cette question : "[ces derniers] et<strong>le</strong>urs milices contrô<strong>le</strong>nt une large partie du pays ; <strong>le</strong>s réfugiés trouvent souvent à<strong>le</strong>ur retour, <strong>le</strong>urs propriétés urbaines déjà occupées et vis-à-vis des loisexistantes font face à de grandes difficultés pour <strong>le</strong>s récupérer" 123 .Etant donné <strong>le</strong> troub<strong>le</strong> de la situation, certains propriétaires peu scrupu<strong>le</strong>ux tirentprofit de ce manque de logements et exigent des augmentations astronomiques122 UNOCHA Integrated Regional Information Network, "Afghanistan : Focus on Kabul HousingShortage", 22 mai 2003.123 UNOCHA Integrated Regional Information Network, "New report identities land dispute as majorsource of conflicts", 12 mai 2003.


78de loyers à <strong>le</strong>urs locataires qui, si el<strong>le</strong>s ne sont pas entendues, entraîne l'évictiondes occupants. Selon la presse loca<strong>le</strong> qui <strong>rapport</strong>e de tels faits, <strong>le</strong>s sommesdemandées pour la location d’un logement vont d'une cinquantaine à quelquescentaines de dollars. Enfin, une forte pression sur des services peu nombreux etdéfaillants se fait croissante. La réhabilitation et la mise en fonction de nouveauxà l'ordre du jour restent insuffisants. On pense notamment à l'é<strong>le</strong>ctricité et àl'eau.La municipalité de Kaboul dans la reconstruction urbaineLa municipalité prévoit de relancer la construction de l'habitat à faib<strong>le</strong> coût. Sur<strong>le</strong>s 16 830 hectares de terrains constructib<strong>le</strong>s à Kaboul et prévus par <strong>le</strong> plandirecteur, seuls mil<strong>le</strong> sont à ce jour encore disponib<strong>le</strong>s. Néanmoins, <strong>le</strong>s autoritésont assuré qu'ils seraient utilisés à cette fin. En outre, el<strong>le</strong>s envisagent d'étendre<strong>le</strong>s limites de la vil<strong>le</strong> vers <strong>le</strong> Nord, en direction de la plaine de Shomali. Ce neserait qu'entériner un état de fait car cette zone a connu un fort afflux depopulation et par conséquent une expansion très marquée de constructionsd'abris illégaux. Cette première légalisation de zones informel<strong>le</strong>s pourraitamener <strong>le</strong>s autorités à répéter cette action de reconnaissance. Cel<strong>le</strong>-cipermettrait aux populations qui en ont <strong>le</strong>s moyens d'investir dans l'améliorationde <strong>le</strong>ur habitat et de ne plus vivre dans de tel<strong>le</strong>s conditions de précarité. El<strong>le</strong>serait sans doute une voie vers plus d'autonomie, d'indépendance et, par-dessustout, aurait des effets psychologiques très positifs sur ces populations qui n'ontconnu que désarroi et insécurité ces dernières années. El<strong>le</strong>s ont en effet vécudans la peur quotidienne d'une éviction, de la destruction de <strong>le</strong>ur abri, en sommedans une instabilité permanente.Par ail<strong>le</strong>urs, la municipalité se propose de racheter une partie des maisonscomprises dans <strong>le</strong>s zones de 6000 hectares dévolues à la construction d'habitatprivé pour y ériger des immeub<strong>le</strong>s qui abriteront une quantité importante depersonnes. Selon la municipalité, 250 000 logements seraient aujourd'huinécessaires pour répondre à une demande très forte et pressante. Les groupes <strong>le</strong>splus vulnérab<strong>le</strong>s, en particulier ceux vivant à flanc de collines, seraient <strong>le</strong>spremiers auxquels une solution de relogement serait proposée. Des taux de prêtintéressants et la possibilité d'échelonner <strong>le</strong>s paiements <strong>le</strong>ur permettraientd'accéder à un titre de propriété. De plus, une compensation financière seraitapportée suite à la destruction de <strong>le</strong>urs anciennes maisons 124 . A ce sujet, UNHABITAT a émis l'avis que si "[cette somme] est envisagée comme unecompensation, <strong>le</strong> processus serait compromis et soulèverait de nombreuxproblèmes dont des questions de droit, de montant de sommes, deréclamations" 125 .Les autorités ont invité <strong>le</strong>s investisseurs étrangers à s'engager dans laconstruction de logements sur une base commercia<strong>le</strong> ainsi qu'un habitat à124 Après avoir fourni aux autorités compétentes la preuve de possession du bien.125 Peop<strong>le</strong>'s rebuilding and housing development strategy, document UN HABITAT, août 2002, p.11


79moindre coût pour <strong>le</strong>s populations <strong>le</strong>s plus vulnérab<strong>le</strong>s, tout comme des routes etautres services urbains. Mais, jusqu'à présent, <strong>le</strong>s investisseurs et bail<strong>le</strong>urs defonds n'ont pas exprimé de réels intérêts pour ce type de projet, privilégiantd'autres voies commercia<strong>le</strong>s.Ce qu'il faut retenir en définitive, c'est que <strong>le</strong>s questions relatives à la terre et lasécurité ne peuvent être améliorées que grâce à des efforts pratiques et concretsavec et au travers des Afghans au niveau local. Les Afghans ont depuislongtemps l’habitude de s’adapter aux contextes <strong>le</strong>s plus diffici<strong>le</strong>s. Il s’agitd’appuyer et accompagner <strong>le</strong>ur ingénuité et <strong>le</strong>ur créativité vers la reconstructionde <strong>le</strong>ur vie. L’une des clés sera d'assurer la sécurité foncière (ce qui ne passe pasnécessairement par la propriété foncière), de <strong>le</strong>s aider financièrement au départet de <strong>le</strong>ur apporter des conseils pour construire de meil<strong>le</strong>urs logementsAlors que l'Afghanistan est entré dans un processus de reconstruction, HamidKarzai, président intérimaire, a intégré la question urbaine comme l'une despriorités de son gouvernement 126 . La vil<strong>le</strong> de Kaboul est aujourd'hui à uncarrefour de son histoire. El<strong>le</strong> doit certes en premier lieu répondre aux défis quise posent à el<strong>le</strong>, celui de l'afflux de populations incessant et à son contrô<strong>le</strong> etcelui de ses impacts.Les enjeux de la mise en place d'une grande politique de reconstruction àKaboulIl s'agit de mettre en œuvre des mécanismes incitatifs afin de densifier l'habitat.Cela peut se décliner sous diverses formes comme l'appui aux propriétaireslorsqu'ils acceptent d'accueillir durab<strong>le</strong>ment des membres de <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong>. Cesoutien peut passer par l'amélioration de l'équipement en services de base pour lamaison, l'accès à un micro crédit ou une subvention. Cette densificationpermettra de répondre à plusieurs problématiques. D'une part sur <strong>le</strong> plan urbain,une extension spatia<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong> ne ferait que rendre encore plus diffici<strong>le</strong> etcoûteuse la desserte des quartiers par <strong>le</strong>s réseaux et <strong>le</strong>s équipements de base,D'autre part, <strong>le</strong> regroupement familial devra être facilité en proposant denouvel<strong>le</strong>s pièces à l'intérieur des maisons. Ce regroupement est éga<strong>le</strong>mentnécessaire afin d'éviter la dissolution des liens de solidarité intrafamilia<strong>le</strong>,garants de la sécurité alimentaire des plus vulnérab<strong>le</strong>s. Enfin, cette densificationdu bâti serait un moyen d'améliorer l'offre du secteur locatif et de limiter lamultiplication des zones construites illéga<strong>le</strong>ment.Partant du contexte de crise aigue du logement et de son amp<strong>le</strong>ur, la pratique quiconsiste à distribuer des matériaux aux populations peut semb<strong>le</strong>r vaine. Dessolutions expérimentées avec succès dans d’autres contextes sont à l’étude afinde <strong>le</strong>s adapter à la demande des Kaboulis. Il apparaît indispensab<strong>le</strong> de favoriserl'accès aux financements afin d'améliorer progressivement l'habitat. L'emprunten Afghanistan est un phénomène courant. Des systèmes de micro-créditappuyés par <strong>le</strong>s ONG existent à Kaboul ainsi que des systèmes traditionnels126 "An urban reconstruction and renewal program will focus first on the major cities, to support themunicipal authorities with planning, urban land management systems, access to e<strong>le</strong>ctricity andinfrastructure and transportation. A program promoting the concept of sister cities could be quiteeffective", S.E Hamid Karzai, Discours prononcé lors de la conférence de Tokyo, <strong>le</strong> 21 février 2002.


80(Qarz-e-Hasana, Qarz-e-Soud, …). L'une des principa<strong>le</strong>s cautions reste laconfiance entre <strong>le</strong>s personnes. A cet effet, <strong>le</strong>s membres des communautésdoivent se connaître et entretenir des relations de confiance pour qu'il y ait,auprès des marchands, des prêts d'argent ou de matériaux tels que des poutres,des fenêtres, des portes, autant d'éléments indispensab<strong>le</strong>s dans un contexte dereconstruction. Cependant, étant donné que <strong>le</strong>s populations vulnérab<strong>le</strong>s onttendance à être très mobi<strong>le</strong>s, que <strong>le</strong>s flux de nouveaux arrivants sont irrégulierset massifs, il sera de plus en plus dur d'établir des relations de confiance et de seconnaître au sein du voisinage. Le caractère évolutif de l'habitat et <strong>le</strong>s besoins enréhabilitation permettent aux populations de souscrire des crédits sur <strong>le</strong> trèscourt terme. Ils concernent dans un premier temps <strong>le</strong>s matériaux pour consoliderla fonction d'abri de la maison, puis <strong>le</strong>s matériaux nécessaires à l'amélioration del'habitat. Un appui des ONG en terme de médiation pour répondre aux besoinsdes populations est donc envisageab<strong>le</strong>. Il s'agirait d'une prise en charge del'organisation de la col<strong>le</strong>cte d'un fonds de garantie mutualisé par exemp<strong>le</strong>. Lefinancement des travaux peut être partagé entre l'épargne préalab<strong>le</strong> des famil<strong>le</strong>s,une subvention d'une ONG par exemp<strong>le</strong> et un prêt (fonds d'amélioration).L'épargne préalab<strong>le</strong> peut être à la hauteur de deux mensualités de crédit etpasser d'un prêt communautaire à un prêt individualisé. Pour <strong>le</strong>s plus modestes,il serait possib<strong>le</strong> de proposer aux bénéficiaires un remboursement en matériaux(briques de terre séchées par exemp<strong>le</strong>) qui alimenterait une banque desmatériaux.Kaboul se doit éga<strong>le</strong>ment de privilégier <strong>le</strong>s réhabilitations de maisons dans <strong>le</strong>squartiers défavorisés, notamment à flanc de colline ou en périphérie. C'est là quel'assiette foncière est la plus faib<strong>le</strong>. Au regard, de la grande tail<strong>le</strong> des parcel<strong>le</strong>s etdu prix é<strong>le</strong>vé du foncier dans certains quartiers centraux comme <strong>le</strong> district 3, ilne semb<strong>le</strong> pas prioritaire d'aider ces bénéficiaires potentiels. Les moyens propresqui ont déjà été déployés pour la reconstruction des maisons dans certainsquartiers réguliers permettent d'espérer que ces quartiers se reconstruirontspontanément, sans aucun système d'aide.L'un des défis essentiels, et sur un plus long terme, est de développer <strong>le</strong>s projetsdestinés à améliorer la génération de revenus afin d'éviter l'insécuritéalimentaire, la décapitalisation des moyens de production et faciliter l'accès à depetits emprunts pour améliorer l'habitat. Améliorer éga<strong>le</strong>ment l'accès à l'eau etl'assainissement des quartiers s'avère tout autant capital. La mise en réseau etl'entretien des équipements doivent réapparaître dans l'agenda municipal. Celarecouvre <strong>le</strong> réseau d'évacuation des eaux usées, l'entretien des caniveaux, lagestion des déchets, l'installation de chlorateurs adaptés aux pompes manuel<strong>le</strong>s,l'entretien et la surveillance des points d'eau pour éviter <strong>le</strong>s gaspillages. Il va desoi que <strong>le</strong>s quartiers illégaux ne doivent pas être oubliés dans ces opérationsconcernant <strong>le</strong>s équipements. Des solutions allant dans ce sens ont déjà ététestées, notamment dans <strong>le</strong> quartier de Share Kunar. L'une des modalités de cetype d'opérations est d'organiser <strong>le</strong> financement de l'amélioration des quartiersautour des programmes d'investissement col<strong>le</strong>ctifs. En contre partie de <strong>le</strong>urparticipation à la réhabilitation, <strong>le</strong>s habitants reçoivent l'assurance d'obtenir <strong>le</strong>


81droit d'occupation du sol pendant 20 à 30 ans. Toutes ces mesures visentéga<strong>le</strong>ment à potentialiser la capacité d'autoproduction de l'habitat.Enfin, en ce qui concerne <strong>le</strong>s flux de populations, il est fondamental d'éviter touteffet d'appel d'air d'un nombre trop important de migrants qui pourrait résulterdes projets basés sur <strong>le</strong> don. L'assistance proposée aux populations doit êtrecompatib<strong>le</strong> avec la constance des flux des "returnees". Un système de col<strong>le</strong>ctefermé, sous forme de fonds rotatif, ou ouvert, proche du système bancaire,pourrait répondre à la croissance démographique constante des Kaboulis ainsiqu'au caractère évolutif de l'habitat et aux besoins spécifiques en terme deréhabilitation/reconstruction.Kaboul, siège des humanitairesKaboul est à la fois un point d'entrée et de transit de l'aide vers <strong>le</strong>s provinces. Undes pièges de la reconstruction aurait été de focaliser l'aide sur la capita<strong>le</strong> enoubliant <strong>le</strong>s zones rura<strong>le</strong>s. L'écueil semb<strong>le</strong> bel et bien avoir été évité. Kaboul areçu l’assistance financière la plus é<strong>le</strong>vée jamais accordée, en partie pour assurerla sécurité mais éga<strong>le</strong>ment pour la facilité d’implantation des sièges et la mise enplace de programmes. Ainsi en 2002, <strong>le</strong>s ONG se trouvaient situation deconcurrence pour reconstruire et réhabiliter <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s à Kaboul. Des millions dedollars ont été injectés l’économie loca<strong>le</strong> mais beaucoup moins en ce quiconcerne <strong>le</strong>s projets proprement dits.Les actions menées par <strong>le</strong>s ONGNotre attention s'est focalisée sur l'intervention des ONG et autres organisationsinternationa<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> secteur de la réhabilitation urbaine. Ce domaine présentela caractéristique d'avoir un large spectre puisqu'il comprend la réhabilitation dusecteur de la santé, de l'éducation, <strong>le</strong> sanitaire, <strong>le</strong>s questions d'habitat et laplanification de la vil<strong>le</strong>.C'est <strong>le</strong> UNHCS HABITAT qui devrait occuper une position de <strong>le</strong>ader dans lareconstruction et <strong>le</strong>s programmes liés à l'urbain. Cependant <strong>le</strong> faib<strong>le</strong> nombre deprojets qui sont acceptés par la communauté des bail<strong>le</strong>urs de fonds amenuise sonrô<strong>le</strong> et limitent ses actions. Cette agence onusienne est principa<strong>le</strong>ment engagéedans des actions de renforcement des capacités (''capacity building'') et detraitement des déchets (''solid waste removal''). Les programmes qui ont étésoumis pour améliorer <strong>le</strong>s conditions de l'habitat endommagé (upgradingschemes) dans certains quartiers par exemp<strong>le</strong> n'ont à ce jour toujours pas trouvéde financeurs.Quant au UNHCR, il a soutenu <strong>le</strong> retour des réfugiés en prenant trois axesprioritaires : la réparation des abris, la distribution de graines et outils, la gestionde l'accès à l’eau. L’aide de départ a du être limitée au logement rural et à l’eauet seu<strong>le</strong>ment aux populations jugées <strong>le</strong>s plus vulnérab<strong>le</strong>s (prioritairement veuves,handicapés et orphelins). Le HCR n'est donc directement présent à Kaboul qu'àtravers l'encashment center qui est éga<strong>le</strong>ment l'antenne chargée d'accueillir avecd'autres organisations <strong>le</strong>s réfugiés qui arrivent dans la capita<strong>le</strong>. Le problème quis’est posé alors n’était pas seu<strong>le</strong>ment de savoir si <strong>le</strong>s retournés qui ne


82possédaient plus rien recevraient suffisamment de quoi se nourrir et boire ainsiqu’un logement, mais aussi et surtout de savoir s’il y avait suffisammentd’opportunités au point de vue de l’emploi et des services de base tels quel’irrigation, la santé, l’éducation offerts afin d’envisager une transition endouceur pour atteindre un niveau de développement satisfaisant. Les besoinsétaient urgents étant donnés la sécheresse et <strong>le</strong> manque de sécurité. L'aidebilatéra<strong>le</strong> qui s'est organisée a clairement mis l'accent sur la réhabilitation et lareconstruction des infrastructures 127 déjà existantes à Kaboul . Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>MUDH 128 a commandé une série d'enquêtes pour être capab<strong>le</strong> d'orienterconvenab<strong>le</strong>ment sa future politique. Les programmes d'habitat de Kaboul,qualifiés de projets d’abris (shelter) ou low cost housing, sont l'objet de la miseen œuvre de diverses ONG. Ces projets reposent sur la distribution de matériauxde construction . Signalons que l'hiver 2002-2003 a été particulièrementrigoureux et a impliqué une action coordonnée de plusieurs ONG. Ainsi, quatreONG se sont associées (CARE, Mercy Corps, Medair et ACTED) pour répondreaux besoins de l’hiver de ces 16 000 famil<strong>le</strong>s et ont utilisé <strong>le</strong> système de CashFor Work 129 . Ce sont 13 175 famil<strong>le</strong>s qui ont été sé<strong>le</strong>ctionnées pour ceprogramme. Le CFW a servi à réparer <strong>le</strong>s maisons, acheter du fioul, desvêtements, des couvertures, des tapis. Il fonctionne sur des programmes deminimum 60 jours. En somme, il a permis d’améliorer <strong>le</strong>s régimes alimentaires,de rembourser des dettes, acheter des objets (machine à coudre, tapis,…). LeCFW a réduit la vulnérabilité au froid de l’hiver en fournissant à la populationbénéficiaire une source constante de revenus contre de petits emplois deconstruction ou de services pour une partie de l’hiver et en lui permettant ainside surmonter <strong>le</strong>s risques accrus et <strong>le</strong>s coûts de l’hiver.Les ONG ont à traiter la question de l'afflux quotidien de réfugiés de retourd'exil tous <strong>le</strong>s jours. A Kaboul, la situation est emblématique car el<strong>le</strong> reste laseu<strong>le</strong> vil<strong>le</strong> qui fournisse une réel<strong>le</strong> source de revenus, autre que l’économiesouterraine via des emplois informels pour ceux qui sont incapab<strong>le</strong>s de survivredans <strong>le</strong>ur zone d’origine. Aujourd'hui encore, l’Afghanistan reste divisé en unemultitude de fiefs, dans <strong>le</strong>squels <strong>le</strong>s seigneurs de guerre font la loi et répriment<strong>le</strong>s populations qui sont sans liberté ou presque. C’est pour cela que certainsretournés décident de quitter l’Afghanistan avant l’hiver, période moins propiceaux déplacements ou de devenir des déplacés internes Ils vont vers <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>spour avoir de meil<strong>le</strong>ures conditions de vie pendant l’hiver, chercher un emploicar ils ne peuvent travail<strong>le</strong>r la terre pendant cette période. Les ''returnees''rencontrent des désillusions après avoir été encouragés par des promesses d’aidepour un retour à une situation qui est pire que cel<strong>le</strong> connue dans <strong>le</strong>s pays d’asi<strong>le</strong>.Selon <strong>le</strong>s chiffres du HCR, il y aurait 1,1 millions d’Afghans au Pakistan courant2003.Plus de 70 % des réfugiés restés au Pakistan vivent dans des camps. Lasécurité et <strong>le</strong> manque d’emplois sont <strong>le</strong>s deux freins au retour. Le HCR signa<strong>le</strong>qu’il y a une période critique d’un ou deux mois qui suit <strong>le</strong> retour et représente <strong>le</strong>127 Hopitaux et éco<strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>ment.128 Ministry of Urban Development and Housing129 Nourriture Contre Travail.


83temps nécessaire à trouver un logement et des revenus. C’est pour cette raisonque l’agence fournit 100 US dollars cash à chaque famil<strong>le</strong>, lui rembourse <strong>le</strong>transport jusqu’en Afghanistan et lui donne un kit de survie. Le PAM, lui,fournit de la farine de blé pour trois mois.Agir auprès des plus vulnérab<strong>le</strong>s pour <strong>le</strong>s ONG, c'est agir dans <strong>le</strong>s foyers tenuspar des femmes il<strong>le</strong>ttrées ou semi-il<strong>le</strong>ttrées sans homme de plus de 15 ans, <strong>le</strong>sfoyers tenus par un homme ou une femme il<strong>le</strong>ttré ou semi-il<strong>le</strong>ttré souffrant d'unemaladie chronique au sein de la famil<strong>le</strong> 130 .Effets et conséquences de la présence des ONG à KaboulPlus de 200 ONG internationa<strong>le</strong>s sont à l'heure actuel<strong>le</strong> présentes à Kaboul etcréent un dynamisme économique de surface. Le personnel expatrié composedonc la partie la plus importante d'une communauté qui comprend en outre <strong>le</strong>smembres des diverses agences onusiennes ainsi que <strong>le</strong>s représentants des corpsdiplomatiques et autres personnes attachées aux ambassades et consulats. Afinde couvrir <strong>le</strong>s besoins de ces expatriés, tant à un niveau professionnel quepersonnel, de nouveaux services ont été mis en place. Toute une gamme deproduits sont effectivement disponib<strong>le</strong>s sur des marchés qui se développent. Lesmagasins de Flower Street où s'éta<strong>le</strong>nt des produits de consommation et desdenrées alimentaires principa<strong>le</strong>ment importées de Dubaï. Enfin, un réseau deservices de haut de gamme commence à s'implanter : téléphonie, matérielinformatique , accès à Internet en sont <strong>le</strong>s premières manifestations.Par ail<strong>le</strong>urs, de par <strong>le</strong>ur présence et <strong>le</strong>s activités qu'el<strong>le</strong>s mènent sur <strong>le</strong> terrain, <strong>le</strong>sONG sont pourvoyeuses d'emplois et offrent une gamme relativement large dedébouchés professionnels plus ou moins qualifiés. Ce spectre s'étend des postesd'encadrement et d'exécutant requérant des savoir-faire et des compétences àceux, moins qualifiés, de gardiens, cuisiniers et hommes ou femmes de ménageque l'on peut trouver sur <strong>le</strong>s lieux de travail et de vie des expatriés. Cette sourced'embauche n'est pas négligeab<strong>le</strong> dans une période où <strong>le</strong> marché de l'emploilocal n'offre guère de possibilités. El<strong>le</strong> offre à un bon nombre d'individus lapossibilité de s'assurer un emploi stab<strong>le</strong> ainsi que l'assurance d'un revenu fixe.Perspectives…La reconstruction de la capita<strong>le</strong> est donc en cours. El<strong>le</strong> est <strong>le</strong> fruit del’émergence d’initiatives privées. Cependant, une grande partie de la populationkaboulie demeure à l’écart des rares projets d’assistance et ne trouvent pas <strong>le</strong>smoyens d’initier <strong>le</strong> cerc<strong>le</strong> vertueux du développement. L’accès à l’eau etl’assainissement, la sécurité foncière, l’accès au crédit et l’appui technique pourl’amélioration de l’habitat et la création d’activités rémunératrice apparaissentcomme des enjeux pour <strong>le</strong>s acteurs de l’aide. Cependant, <strong>le</strong>s difficultésauxquel<strong>le</strong>s doivent faire face <strong>le</strong>s acteurs de l'aide et de la reconstruction en zoneurbaine sont de tail<strong>le</strong>. La stabilité politique semb<strong>le</strong> être primordia<strong>le</strong> au bon130 Etude menée sur <strong>le</strong> terrain, année 2003, Groupe URD.


84dérou<strong>le</strong>ment des opérations de développement et pour la bonne conduite desdifférents projets en cours.


85HUAMBO, UNE CAPITALE PROVINCIALE AU CŒUR DE LAGUERRE CIVILE2L’Angola : un des plus longs conflits du XX ème sièc<strong>le</strong>La guerre d’indépendanceLa Guerre fait partie de la réalité angolaise depuis 1961 et <strong>le</strong> massacre perpétré dans laBaixa de Kassange (province de Malanje) par <strong>le</strong>s forces armées portugaises afin deréprimer la révolte de paysans d’une plantation de coton. 131 . Les mouvements delibération lancés contre <strong>le</strong> pouvoir colonial portugais, alors aux mains du Dr ManuelSalazar, sont menés par trois <strong>le</strong>aders charismatiques : Agostinho Neto, HoldenRoberto et Jonas Savimbi. Ces trois <strong>le</strong>aders, unis pour une même cause serevendiquent cependant d’idéologies différentes et bénéficient donc d’appuisdifférents. Le MPLA (Mouvement Populaire pour la Libération de l’Angola)fondé en1956 par Agostinho Neto s’appuie sur l’idéologie Marxiste Léniniste et bénéficie dusupport du bloc communiste et notamment de Cuba et de l’URSS. Le FNLA (FrontNational pour la Libération de l’Angola) fondé en 1962 Holden Roberto et l’UNITA(Union Nationa<strong>le</strong> pour l’Indépendance Tota<strong>le</strong> de l’Angola) constituaient <strong>le</strong>s autresmouvements de libération. Avec <strong>le</strong> soutien de la Chine, l’UNITA, créée en 1966 parJonas Savimbi se présente dans un premier temps comme <strong>le</strong> défenseur d’uncommunisme pluraliste d’influence maoïste. A partir de 1981 l’UNITA va se convertiren défenseur de la démocratie sur un modè<strong>le</strong> capitaliste et reçoit alors l’appui del’administration Reagan ainsi que celui de l’Afrique du Sud. Les divergences entre <strong>le</strong>FNLA et l’UNITA sont avant tout fondées sur <strong>le</strong>s personnalités de <strong>le</strong>urs <strong>le</strong>adersrespectifs. L’UNITA concentre son action sur la partie Sud du pays avec des bases enZambie puis en en Namibie. Quant au FNLA, il reçoit l’appui du Zaïre et se focalisesur <strong>le</strong> Nord Est du pays. Le MPLA mène l’essentiel de ses actions sur <strong>le</strong> Nord vial’enclave de Cabinda et aussi sur l’Est à partir de la Zambie.Les mouvements d’indépendance, marqués par <strong>le</strong>ur manque de coordination, sonttenus aux frontières mais imposent au Portugal un très grand effort de guerre. Lapopulation portugaise, alors sous la coupe d’un régime arbitraire et répressif voit sessoldats partir en masse et pour de longues périodes se battre dans « l’Ultramar »(Outremer). Les guerres d’indépendance feront partie des causes qui ont conduit <strong>le</strong>peup<strong>le</strong> portugais, <strong>le</strong> 25 avril 1974 à faire sa Révolution des Œil<strong>le</strong>ts et mettre un terme131 Le 4 janvier 1961, l’aviation portugaise bombarde au Napalm <strong>le</strong>s populations révoltées faisant ainsides milliers de morts. Cet évènement va marquer <strong>le</strong> début d’une lutte armée pour l’indépendance.


86au régime dictatorial de Salazar 132 . La démocratie et la liberté retrouvées, <strong>le</strong> Portugalva entamer dès lors un rapide processus de décolonisation.Le 15 janvier 1975, <strong>le</strong> FNLA, <strong>le</strong> MPLA et l’UNITA signent <strong>le</strong>s accords d’Alvor quiconsacrent l’indépendance de l’Angola. Les trois mouvements décident d’instaurer unrégime transitoire pendant 11 mois au terme duquel se tiendrait des é<strong>le</strong>ctions libres. LeMPLA soutenu par l’armée cubaine expulse <strong>le</strong> FNLA et l’UNITA de Luanda. Le 11novembre 1975 Agostinho Neto déclare l’indépendance et la naissance de laRépublique Populaire d’Angola. Le pouvoir est alors aux mains du MPLA, dès lors<strong>le</strong>s différences idéologiques et <strong>le</strong>s luttes personnel<strong>le</strong>s pour la conquête du pouvoir vontprendre <strong>le</strong> chemin des armes et faire plonger <strong>le</strong> pays dans la guerre civi<strong>le</strong>.Cette contribution vise à présenter <strong>le</strong>s différentes dynamiques et périodes de conflitsdans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s du centre de l’Angola (Huambo, Kuito et Malanje), ainsi que la gestiondes problèmes humanitaires par <strong>le</strong>s ONG. L’analyse est principa<strong>le</strong>ment centrée sur lavil<strong>le</strong> de Huambo lors de la période 1993-2003. L’année1993 est marquée par <strong>le</strong> siègede 55 jours de la vil<strong>le</strong> de Huambo et de ce que la presse internationa<strong>le</strong> a appelé 'Waron Cities' (Guerres en vil<strong>le</strong>).Les années 90 : une période charnièreL’Angola fût l’un des théâtres de la guerre froide jusqu’en 1989. Le passage vers unmonde « unipolaire » va à la fois bou<strong>le</strong>verser la nature des guerres, renforcer <strong>le</strong> poidsdes sources de financements (pétro<strong>le</strong>, diamants) et modifier l’intervention des acteurshumanitaires.Officiel<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong> conflit opposant l’UNITA au Gouvernement après l’indépendancetrouvait ses bases dans une opposition idéologique. Les Accords de Bicesse de 1991 133qui célébraient la tenue d’é<strong>le</strong>ctions libres et <strong>le</strong> déploiement de forces de maintien de lapaix des Nations Unies (UNAVEM 134 ) étaient alors perçus par l’UNITA comme <strong>le</strong>signe d’une victoire certaine. De son côté, <strong>le</strong> gouvernement (MPLA) mené par JoséEduardo dos Santos (successeur de Agostinho Neto mort en 1979) amplifie la mise enœuvre de projets de développement 135 .Il n’est pas prêt non plus à perdre <strong>le</strong>s é<strong>le</strong>ctionset multiplie alors (à travers <strong>le</strong> SINFO, ses services secrets) <strong>le</strong>s arrestations et <strong>le</strong>sexécutions sommaires.Pour la population, <strong>le</strong> processus démocratique est certes un espoir pour un retour à unepaix durab<strong>le</strong> mais il fait éga<strong>le</strong>ment ressurgir <strong>le</strong>s divisions politiques héritées del’éclatement des famil<strong>le</strong>s lors du conflit. Ceci tend à recréer de nouvel<strong>le</strong>s dissensionsau sein du noyau familial.132 Bien que Salazar soit mort en 1971, son successeur Marcelo Caetano maintient <strong>le</strong> caractèredictatorial du régime initié par Salazar.133 Accords qui suivaient la chute du bloc soviétique (donc des financeurs du MPLA)134 United Nations Verification Mission.135 « Le gouvernement ( MPLA) a fait plus en six mois qu’il n’avait fait pendant <strong>le</strong>s 15 années aupouvoir ». Un interviewé à Huambo.


87Les premières é<strong>le</strong>ctions libres réactivent <strong>le</strong> conflitLorsque s’engage <strong>le</strong> processus d’é<strong>le</strong>ctions, <strong>le</strong>s deux parties sont convaincues de <strong>le</strong>urvictoire future. En1992, la validation des é<strong>le</strong>ctions et de la victoire du MPLA par <strong>le</strong>sNations Unies sont récusées par Jonas Savimbi. De son côté, <strong>le</strong> MPLA, devientl’interlocuteur privilégié de la communauté internationa<strong>le</strong>. Le gouvernement quicontrô<strong>le</strong> alors la presse et <strong>le</strong>s médias de masse contribue au discrédit de Savimbi.En 1993, un conflit ouvert s’engage entre <strong>le</strong> gouvernement et l’UNITA, qui sematérialise, notamment, par <strong>le</strong> siège de Huambo pendant 55 jours 136 au terme duquell’UNITA arrive à prendre <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong>. Cette période est marquée pard’intenses combats et <strong>le</strong>s bombardements de l’UNITA. En vil<strong>le</strong> règne l’anarchie :pillages de magasins, exécutions sommaires, notamment dans <strong>le</strong>s milieuxd’intel<strong>le</strong>ctuels. Les combats sont d’une intensité inconnue jusqu’alors. La populationcivi<strong>le</strong>, principa<strong>le</strong> victime des conflits, commence à mourir de faim. En décembre1993, l’arrivée des premiers vols du PAM (Programme Alimentaire Mondia<strong>le</strong>), CICR(Comité Internationa<strong>le</strong> de la Croix Rouge) et MSF (Médecins Sans Frontières) sontvécus comme une véritab<strong>le</strong> délivrance par cette population affamée et isolée. Aumalheur de la guerre se rajoutait une sécheresse qui avait entraîné de très mauvaisesrécoltes.Les années de "ni guerre, ni paix"En novembre 1994, la reprise de la vil<strong>le</strong> de Huambo par <strong>le</strong>s FAA (Forces ArméesAngolaises) se traduit par une nouvel<strong>le</strong> phase critique, marquée par de véritab<strong>le</strong>schasses à l’homme de la part du gouvernement envers <strong>le</strong>s représentants de l’UNITA et<strong>le</strong>s intel<strong>le</strong>ctuels.L’arrivée d’une nouvel<strong>le</strong> période de faim entraîne <strong>le</strong> retour des ONG, mais cette foisci,el<strong>le</strong>s bénéficient d’un espace d’intervention plus important. Dans ces zonesnouvel<strong>le</strong>ment accessib<strong>le</strong>s, une part plus importante est donnée aux programmes dedistribution de semences et d’outils. Ces programmes de relance de la productionagrico<strong>le</strong> sont très encourageants.C’est à cette époque qu’est signé <strong>le</strong> protoco<strong>le</strong> de Lusaka. 137 Les résolutions sont dansla continuité des Accords de Bicesse mais avec un déploiement massif des forces desNations Unies. L’UNAVEM III se déploie à partir du 8 février 1995 et el<strong>le</strong> compte7000 soldats, 350 observateurs militaires et 260 policiers. Sa mission est un« contrô<strong>le</strong> » et non plus un simp<strong>le</strong> suivi, comme en 1991, des résolutions du processusde paix et notamment du processus de démobilisation.C’est alors que s’ouvre la période "ni guerre, ni paix" car plusieurs indicateursmontrent que la paix ne va pas durer : la fin du conflit n’avait pas été signée par JonasSavimbi et la démobilisation était quasi inexistante. Pour la vil<strong>le</strong> de Huambo, cettepériode est marquée par un climat de méfiance et de répression qui n’engage ni lapopulation ni l’administration à entamer un processus de reconstruction. De nombreuxmouvements migratoires ont lieu. Les populations vont rejoindre <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s côtières <strong>le</strong>splus sûres (Benguela et Luanda). Dans <strong>le</strong>s différentes provinces du Planalto, une partie136 Du 10 janvier au 6 mars 1993.137 Lusaka en Zambie, accords signés <strong>le</strong> 20 novembre 1995 entre <strong>le</strong> Gouvernement angolais et <strong>le</strong>mouvement de rébellion de l’UNITA, sous <strong>le</strong> haut patronage des Etats-Unis, de la Russie et duPortugal.


88de la population du milieu rural en profite pour quitter <strong>le</strong>s zones sous contrô<strong>le</strong> del’UNITA. La vil<strong>le</strong> de Huambo conserve cependant une forte présence d’acteurshumanitaires qui viennent renforcer l’arrivée de la force d’intervention des Nations-Unies, l’UNAVEM III, entre 1995 et 1997.Les vil<strong>le</strong>s de nouveau au cœur du conflitFin 1998, <strong>le</strong> conflit ouvert reprend. Les habitants, bien que familiarisés au contexte deguerre redoutent énormément ces périodes d’«entra e saí» (entrée – sortie) qui secaractérisent par une grande instabilité politique et économique où l’on assiste à despillages, où <strong>le</strong>s marchandises circu<strong>le</strong>nt peu ou pas et où par ail<strong>le</strong>urs la prise de pouvoirs’accompagne d’une forte répression (arrestations, tortures, exécutions…) envers toutepersonne susceptib<strong>le</strong> de s’opposer au pouvoir nouvel<strong>le</strong>ment en place. L’UNITA estaux portes de Huambo. Le gouvernement se lance dans une guerre tota<strong>le</strong> qui se traduitentre autre par une accentuation des violations des droits de l’homme, déjà largementbafoués.La stratégie militaire du gouvernement inclut entres autres : des chasses à l’homme,des déplacements forcés et une politique de la terre brûlée pour couper l’UNITA demain d’œuvre et de vivres. Dans ce contexte, l’action humanitaire dispose d’un champgéographique d’intervention très limité. Durant <strong>le</strong>s six premiers mois de 1999 la vil<strong>le</strong>se retrouve coupée de toute aide extérieure significative. L’acheminement de l’aidehumanitaire est très délicat et très coûteux car il se fait exclusivement par avion. Envil<strong>le</strong>, une pénurie de carburant 138 s’instal<strong>le</strong>, ce qui contribue à l’iso<strong>le</strong>ment de lapopulation coupée de toute source d’information et d’ouverture sur l’extérieur. Lasituation alimentaire est de nouveau alarmante.La défaite de l’UNITA et l’espoir d’une paix durab<strong>le</strong>L’UNITA échoue dans son entreprise de reconquête de Huambo et multiplie <strong>le</strong>sdéfaites dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s c<strong>le</strong>fs. En septembre 1999, <strong>le</strong> gouvernement reprend <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong>des fiefs de l’UNITA. Les vil<strong>le</strong>s de Bailundo, Mungo (Huambo), Andulo et Kuito(Bié) sont reprises par <strong>le</strong> gouvernement. En février 2002, la mort de Savimbi vaentraîner une UNITA acculée, à la signature, <strong>le</strong> 4 avril, du Mémorandum des Accordsde paix de Luena (province de Moxico). S’amorce alors un processus dedémobilisation, la reconnaissance de l’UNITA en tant que parti politique s’engageantdans un processus démocratique.L'Angola est aujourd'hui exsangue après plus de vingt-cinq ans de guerre civi<strong>le</strong>. Sonéconomie repose sur <strong>le</strong> pétro<strong>le</strong>, principa<strong>le</strong> source de revenus du pays. Vient ensuitel'extraction minière et notamment diamantifère. L'agriculture (banane, café, maïs,coton) malgré un très fort potentiel reste à des niveaux de production relativementfaib<strong>le</strong>s. L'industrie reste très peu développée du fait de la longue instabilité politique.L'Angola a entamé un processus de reconstruction, qui reste fragi<strong>le</strong>, marqué à la foispar des incertitudes et de l'espoir.Durant ces vingt-cinq dernières années, la composition de la migration vers/deHuambo s’est révélé très comp<strong>le</strong>xe. Cette vil<strong>le</strong> est l'un des lieux <strong>le</strong>s plus affectés par138 Cela a une conséquence sur <strong>le</strong>s déplacements ( biens et personnes) et sur la production d’é<strong>le</strong>ctricitévia <strong>le</strong>s groupes é<strong>le</strong>ctrogènes.


89<strong>le</strong>s conflits post-indépendance. A l'heure actuel<strong>le</strong>, Huambo doit encore re<strong>le</strong>ver certainsdéfis tels que la gestion du retour des anciens habitants avec <strong>le</strong>s problèmes que celapeut poser en termes de capacité d’accueil de la population et de gestion et applicationdu droit foncier. En outre, il faut organiser <strong>le</strong> départ des déplacés internes vers <strong>le</strong>urslieux d'origine, fermer <strong>le</strong>s camps, permettre à ceux qui souhaitent rester en vil<strong>le</strong> de <strong>le</strong>faire dans des conditions acceptab<strong>le</strong>s, intégrer <strong>le</strong>s anciens membres de l'UNITA alorsque l'opposition UNITA/MPLA reste présente dans <strong>le</strong>s esprits, et enfin, lancer <strong>le</strong>processus de reconstruction. Cela représente autant d'enjeux qui se posent au pouvoirlocal et national ainsi qu'aux acteurs humanitaires. Ces derniers doivent envisager denouveaux types d'action, faire face aux problèmes importants d'assainissement de l'eauen milieu urbain et périurbain. Il s'agit éga<strong>le</strong>ment de garantir la sécurité alimentaire,de recréer un tissu social et une activité communautaire. Assistance etaccompagnement doivent être <strong>le</strong>s maître-mots de cette aide pour qu’aucun phénomènede dépendance ne se créé vis-à-vis de l’aide. Enfin, la vil<strong>le</strong> doit accorder une placeaux handicapés, victimes des mines et symbo<strong>le</strong>s vivants des années de conflit.Le milieu urbain en Angola : <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> de HuamboSelon <strong>le</strong>s estimations du PNUD (Programme des Nations Unies pour <strong>le</strong>Développement) 139 , la population urbaine, représente aujourd’hui en Angola 50% dela population alors qu’el<strong>le</strong> n’était que de 14% en 1960. Sur une population tota<strong>le</strong>d’environ 13 millions d’habitants, 6.5 millions se concentreraient dans des zonesurbaines. Luanda, la capita<strong>le</strong> du pays, compte à el<strong>le</strong> seu<strong>le</strong> 3.5 millions d’habitants, et<strong>le</strong> reste de la population urbaine se répartit sur l’ensemb<strong>le</strong> du pays dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s deBenguela, Huambo, Lubango, Malanje et Uíge. Huambo peut donc être considéréecomme une vil<strong>le</strong> moyenne du fait de sa tail<strong>le</strong> et de son rô<strong>le</strong> économique dans <strong>le</strong> pays.La fondation de HuamboLa puissance colonia<strong>le</strong> portugaise marqua sa présence sur <strong>le</strong> sol angolais dès la fin duXIX ème sièc<strong>le</strong>. Un rigoureux système administratif avait été mis en place. Des cheminsde fer furent construits alors que plusieurs vil<strong>le</strong>s, dont Huambo, étaient en train denaître. Située sur <strong>le</strong> Planalto, plateau central de l'Angola à environ 1700 mètresd'altitude, cel<strong>le</strong>-ci fut inaugurée en 1912, bâtie sur <strong>le</strong> modè<strong>le</strong> d'une vil<strong>le</strong> européenne.Cette zone fut choisie pour sa position centra<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> pays, ses bonnes conditionsclimatiques et la richesse de ses terres regorgeant de ressources minières. La vil<strong>le</strong> deHuambo avait donc une architecture très européenne. Cependant, jusqu'aux années1950, la vil<strong>le</strong> n'était qu'une station d'approvisionnement commercial, avec un centreadministratif et quelques usines de réparation de chemins de fer. La vil<strong>le</strong> étaitexclusivement peuplée d'Occidentaux alors que <strong>le</strong>s populations nationa<strong>le</strong>s étaientlaissées en périphérie. Huambo se caractérisait par des divisions socia<strong>le</strong>s et racia<strong>le</strong>sbeaucoup plus marquées que dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s de Benguela ou Luanda. Jusqu'en 1949,cette Nova Lisboa ne disposait pas d'accès à l'é<strong>le</strong>ctricité ni de quelconque réseaud'assainissement. Les "sobas", chefs de villages traditionnels, étaient devenus desfonctionnaires chargés de récolter l'impôt et de recruter des travail<strong>le</strong>urs forcés pour <strong>le</strong>compte de la puissance colonia<strong>le</strong>. Ceci contribua, par ail<strong>le</strong>urs, à renforcer <strong>le</strong>stendances centralisatrices et à affaiblir <strong>le</strong>s capacités de coopération et de participationau sein des communautés.139 " Rapport sur <strong>le</strong> développement humain , Angola 1999"


90Durant l’après deuxième guerre mondia<strong>le</strong>, la puissance colonia<strong>le</strong> optimise <strong>le</strong> potentielagrico<strong>le</strong> du pays. L’Angola devient l’un des principaux producteurs mondiaux de caféet de maïs. Ce développement agrico<strong>le</strong> eut un impact considérab<strong>le</strong> sur la vil<strong>le</strong> deHuambo. La vil<strong>le</strong> et la province furent même proclamées « grenier de l’Angola »,notamment pour stimu<strong>le</strong>r l’attraction de la zone auprès des populations blanches quise cantonnaient jusque là sur <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s côtières de Luanda et Benguela. En réalité, <strong>le</strong>ssols de Huambo sont très peu ferti<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s importantes quantités produites étantessentiel<strong>le</strong>ment dues au très faib<strong>le</strong> coût de la main d’œuvre 140 ainsi qu’à l’utilisationmassive de fertilisants sur une très vaste surface. Les fazendas, 141 exploitationsagrico<strong>le</strong>s et agropastora<strong>le</strong>s, sont généra<strong>le</strong>ment situées à proximité des grands axesroutiers. Cet intérêt des occidentaux pour l'agriculture a conduit à des expropriationsde terres dans la périphérie de la vil<strong>le</strong>.Pendant <strong>le</strong>s années 60, <strong>le</strong> tissu industriel s’est développé et diversifié. La vil<strong>le</strong>disposait d’une industrie agroalimentaire, de texti<strong>le</strong>, de plastique et de matériel deconstruction. Sa principa<strong>le</strong> activité industriel<strong>le</strong> résidait cependant dans <strong>le</strong>s usines de laFerrovia avec ses fonderies et ateliers de réparation, assurant la fabrication del’ensemb<strong>le</strong> des pièces nécessaires au bon fonctionnement du Chemin de Fer deBenguela (CFB).Avec <strong>le</strong> développement économique, la population autochtone se fait plus nombreuse,répondant à l'appel de main d'œuvre nécessaire au bon fonctionnement des usines. Sesont ainsi développées des zones périurbaines communément appelées : musseques.Les frontières entre communautés étaient nettement visib<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong>s correspondaient àun découpage social et ethnique. Ainsi, <strong>le</strong>s populations défavorisées, trèsmajoritairement des nativos 142 , vivaient dans <strong>le</strong>s musseques, 143 situés dans <strong>le</strong>squartiers périphériques; la vil<strong>le</strong> formel<strong>le</strong> reste peuplée très majoritairement par <strong>le</strong>scolons. A partir des années 1960, la croissance des zones urbaines entraîne ladestruction de certains musseques. Par conséquent, <strong>le</strong>s populations pauvres sontrepoussées en périphérie, procédant ainsi à un éta<strong>le</strong>ment de la vil<strong>le</strong>. Du point de vuestructurel, chaque maison dans <strong>le</strong>s musseques possède une horta, petit potager (arbresfruitiers notamment) qui permet d'avoir un complément de revenus ou d’assurer enpartie la sécurité alimentaire des ménages. La récente expansion des vil<strong>le</strong>s dueessentiel<strong>le</strong>ment à l’absorption d’un grand nombre de déplacés présenta un impact surla dynamique de croissance des quartiers périurbains.Huambo, zone d'instabilité récurrenteDepuis <strong>le</strong> début des années 60, <strong>le</strong>s principaux centres urbains tels que Luanda,Huambo et Lubango ont vu <strong>le</strong>ur population croître considérab<strong>le</strong>ment. Malgré unecroissance économique forte en milieu urbain, <strong>le</strong> milieu rural n'a pas connu ce mêmeélan et est resté enfermé dans une pauvreté endogène qui allait en s'accentuant,entraînant de fait des migrations vers <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s industries du poisson de la côte.Durant <strong>le</strong>s 25 dernières années, la composition de la migration à Huambo a été trèscomp<strong>le</strong>xe en raison des conflits post-dépendance. En 1975, Savimbi en fait son fief la140 Les « contratos » étaient des recrutement forcés de personnel destiné à travail<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>sexploitations agrico<strong>le</strong>s et notamment de café et de coton.141 Terme portugais désignant des Latifundia.142 Terme utilisé par <strong>le</strong> pouvoir colonial pour désigner <strong>le</strong>s populations loca<strong>le</strong>s. On trouve aussi <strong>le</strong> terme"nativos " qui signifie natifs.143 Terme angolais signifiant "sols en terre"


91proclamant, nouvel<strong>le</strong> capita<strong>le</strong> de l’Angola. En 1976 la vil<strong>le</strong> est reprise par <strong>le</strong>gouvernement fortement aidé par <strong>le</strong>s troupes cubaines. Entre 1983 et 1991,l'intensification des actions militaires de l'UNITA en milieu rural et dans <strong>le</strong>s zonespériurbaines autour de Huambo a entraîné des mouvements de population que nousanalyserons par la suite. L’année 1993 est marquée par <strong>le</strong> siége de 55 jours au termeduquel l’UNITA reprend <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong>. Fin 1994, <strong>le</strong> gouvernement reprend <strong>le</strong>contrô<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong> et la situation se stabilise quelque peu. A partir de 1998, <strong>le</strong>scombats reprennent. De nouveaux déplacements sont à dénombrer.Le milieu urbain aujourd'huiLa principa<strong>le</strong> raison de la croissance exponentiel<strong>le</strong> des vil<strong>le</strong>s en Angola est liée auxmouvements de population produits par la guerre et aux problèmes de sécurité qui endécou<strong>le</strong>nt. Les exodes massifs ont été un facteur de croissance démographique desvil<strong>le</strong>s comme Luanda, Benguela, Kuito et Huambo. Cette croissance rapide s'estdéclinée par la naissance et <strong>le</strong> développement des quartiers en zone périurbaine et celasans aucune planification ni mise en place de services élémentaires.A Huambo, <strong>le</strong>s données sur <strong>le</strong> nombre d’habitants sont toujours imprécises, toutefoison peut établir une estimation dans une fourchette de 300 000 à 500 000 habitants. Leszones périurbaines sont plus peuplées que <strong>le</strong>s zones urbaines, mais là encore <strong>le</strong>sdonnées statistiques font cruel<strong>le</strong>ment défaut. Il est ainsi tout aussi diffici<strong>le</strong> de dissocier<strong>le</strong>s flux migratoires liées à la vio<strong>le</strong>nce, de ceux provoqués par des raisonséconomiques. Huambo se caractérise comme étant el<strong>le</strong> est à la fois une vil<strong>le</strong> cib<strong>le</strong>, unevil<strong>le</strong> refuge mais surtout une vil<strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> de l’une des plus longues guerres civi<strong>le</strong>sdu XX ème sièc<strong>le</strong>.Un environnement urbain en mutationOn constate en effet que plusieurs phénomènes se produisent parallè<strong>le</strong>ment :extensions de certains quartiers, densification de l’habitat, élévation du tauxd’occupation des logements. La pression démographique sur <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>urs zonespériurbaines a entraîné la disparition progressive des hortas 144 . Ceci caractérise unetransition progressive de la ruralité vers l’urbanisation dans <strong>le</strong>s zones périurbaines. Enterme d’accès à la sécurité alimentaire, on constate que cel<strong>le</strong>-ci n’est plus basée sur laproduction d’aliments mais sur la réalisation d’une activité créatrice de revenus. Laterre en milieu périurbain est désormais quasi-exclusivement consacrée à l’habitat. AHuambo qui est à la fois perçue comme une vil<strong>le</strong>-refuge et une vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong>, cephénomène est moins marqué que dans de véritab<strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s-refuge tel<strong>le</strong>s que Benguelaou Luanda.Un manque de planification urbaineIl n'existe aucune planification des sols, l’implantation de l'habitat y est doncparfaitement anarchique. Le soba n’est souvent consulté qu’une fois que laconstruction est réalisée. Son rô<strong>le</strong> se limite à reconnaître la propriété des terres, <strong>le</strong>droit coutumier ne lui reconnaissant aucune fonction de régulation. Le systèmed’accès à la terre traditionnel et la notion de propriété sont bien différents de ceuxprévus dans <strong>le</strong> cadre légal. L'installation léga<strong>le</strong> dans une zone périurbaine relève d’un144 Ce phénomène est surtout vérifié à Luanda (Métropo<strong>le</strong> de 3,5 Millions d’habitants) Le phénomèneexiste éga<strong>le</strong>ment dans des vil<strong>le</strong>s moyennes tel<strong>le</strong>s que Huambo mais sous une forme moins marquée.


92processus administratif très long et coûteux qui n’est donc que très rarement suivi.Dans <strong>le</strong>s milieux urbains, moins de 10% de la population est en mesure de prouver parun titre de propriété son droit sur une terre. Ceci s'explique notamment par <strong>le</strong> vide quiexiste dans l'enregistrement des terres. De plus, la ruée vers <strong>le</strong>s maisons désertées n'apas été suivie par une loi adaptée 145 . La possession de terre et d’un habitat estculturel<strong>le</strong>ment très importante. L’accès au marché locatif n’est donc en général queprovisoire car beaucoup trop aléatoire et fastidieux à gérer pour <strong>le</strong>s propriétairesbail<strong>le</strong>urs et <strong>le</strong>s locataires.L’évolution de l’habitat et des infrastructuresLe ''Quarto e Sala'', (chambre et salon), est <strong>le</strong> logement <strong>le</strong> plus fréquent dans ceszones. En 2000, il fallait compter 35 dollars pour construire un ''quarto e sala'' àHuambo. Aujourd’hui, <strong>le</strong>s tarifs varient de 600 à 1500 dollars, en fonction des bairroset des opportunités à accéder faci<strong>le</strong>ment à une infrastructure. En fonction des moyenset des besoins, l’habitat évolue par ajustements. Dans <strong>le</strong>s milieux périurbains et plusgénéra<strong>le</strong>ment sur tout <strong>le</strong> territoire, on assiste à une modification de l’habitat. Celui-citend à s’agrandir voire à s’occidentaliser; <strong>le</strong>s formes rondes et surfaces réduiteslaissent place de plus en plus souvent à un habitat plus grand avec des élémentsarchitecturaux tels que balcons, fenêtres, portes et jardins. On ne constate encore pasde construction en étages dans <strong>le</strong>s zones rura<strong>le</strong>s et périurbaines. L’utilisation de toitsen tô<strong>le</strong>s est éga<strong>le</strong>ment de plus en plus fréquente car ce type de construction témoigned’un certain niveau de vie et surtout d’un entretien moins contraignant que <strong>le</strong>straditionnels toits en pail<strong>le</strong>.Si dans <strong>le</strong>s zones urbaines formel<strong>le</strong>s, il demeure <strong>le</strong>s vestiges d’un réseau d'eau etd'égouts, l'accès à l'eau et à l’assainissement a longtemps été un problème majeur dans<strong>le</strong>s zones périurbaines. De ce fait, <strong>le</strong>s dépenses pour s'en procurer représentaient unepart conséquente du budget du foyer. La situation s’améliore peu à peu; notammentsous l’action d’une ONG qui a su exploiter <strong>le</strong>s importantes réserves des nappesphréatiques. Le réseau routier interurbain reste de mauvaise qualité, éprouvé par <strong>le</strong>scombats et bombardements, <strong>le</strong>s contraintes climatiques (principa<strong>le</strong>ment durant lasaison des pluies) et la qualité insuffisante des réhabilitations entreprises. Les axesroutiers assurant <strong>le</strong>s liaisons entre <strong>le</strong>s municipes et <strong>le</strong>s capita<strong>le</strong>s de district sont dequalité très inéga<strong>le</strong>. Les zones ne bénéficiant pas d’un axe d’échanges de bonnequalité sont pénalisées en termes de circulation des flux commerciaux et d’assistancehumanitaire. La circulation reste très diffici<strong>le</strong> durant la saison de pluies. Par ail<strong>le</strong>urs,<strong>le</strong>s accidents de mines restent très fréquents même sur <strong>le</strong>s axes qui avaient été vérifiéspar <strong>le</strong>s ONG spécialisées dans ce domaine.Reconstruction et décentralisationEn Angola, tout l'espace urbain est la propriété de l'Etat. Toutefois, léga<strong>le</strong>ment, laresponsabilité de la gestion de cet espace, comme par exemp<strong>le</strong> la supervision etl'administration de toutes <strong>le</strong>s activités liées aux projets urbains, planification,implantation et subdivision des terrains ainsi que <strong>le</strong> suivi de <strong>le</strong>ur utilisation145 Il n'existe pas en effet de loi qui rég<strong>le</strong>mente <strong>le</strong> bail des propriétés résidentiel<strong>le</strong>s ou qui annu<strong>le</strong> <strong>le</strong>sprécédentes lois datant de l'époque colonia<strong>le</strong>.


93officiel<strong>le</strong> 146 , est du ressort des autorités provincia<strong>le</strong>s. Dans <strong>le</strong> cadre d’un processus dedécentralisation chaque gouvernement de province est notamment chargé de mettre enplace un cadre légal, servant de référence pour <strong>le</strong>s aspects administratifs et fiscaux quipermettent la délivrance de titres de propriété légaux. Le bilan actuel reste négatif dece point de vue, à l'exception de la province de Luanda.Dans la vil<strong>le</strong> de Huambo, <strong>le</strong> gouverneur a lancé <strong>le</strong> programme de reconstructionCimento e Tintas (ciment et cou<strong>le</strong>urs) dont <strong>le</strong> montant s'élève à 1,8 million de dollars.Il prévoit la réhabilitation de 41 sites dont des immeub<strong>le</strong>s, des maisons et certainesinfrastructures. Même si la centralisation demeure très forte, il apparaît que demanière généra<strong>le</strong> <strong>le</strong> processus de décentralisation s'accentue et se caractérise de façonconcrète sur <strong>le</strong> terrain 147La" loi de terres"en milieu urbainLa terre étant une question crucia<strong>le</strong> pour <strong>le</strong> peup<strong>le</strong> angolais, la prochaine loi foncièrene doit pas sous estimer l’importance de cette préoccupation dans <strong>le</strong>s milieux urbainset périurbains. La confiance en un statut légal plus sûr permettra à chacun d'avoir unmeil<strong>le</strong>ur contrô<strong>le</strong> sur sa vie. Plusieurs points apparaissent comme incontournab<strong>le</strong>s, àcommencer par des inventaires et des enregistrements de propriété afin de conserver etde protéger la propriété terrienne. L'accès à la terre et au logement doit être considérécomme un moyen efficace de réduire la pauvreté. Interdire <strong>le</strong>s évictions forcées et <strong>le</strong>stentatives d'éloignement des pauvres des zones urbaines relève éga<strong>le</strong>ment desprincipes à appliquer. L'Etat peut choisir de vendre massivement des terres afin deréduire son intervention dans la gestion urbaine ou développer des systèmes mixtesqui combinent enregistrement, évaluation et gestion du parc immobilier. Il doit parail<strong>le</strong>urs trouver un équilibre entre <strong>le</strong> cadre légal et <strong>le</strong>s pratiques traditionnel<strong>le</strong>s afin deréduire au maximum toute source de tension. Les propositions doivent être négociéesavec <strong>le</strong>s habitants afin que, par ce mécanisme participatif, <strong>le</strong>s droits civiques soientrespectés.Le tissu social en milieu urbainA Huambo et principa<strong>le</strong>ment dans la zone périurbaine <strong>le</strong> tissu social est faib<strong>le</strong>, <strong>le</strong>shabitants disent ne pas avoir <strong>le</strong> sentiment de « vivre ensemb<strong>le</strong> ». Ce manque de tissusocial n’est pas lié à des différences ethniques car la quasi-totalité de la population deHuambo est d’origine Ovimbundu. 148 Aujourd’hui, il existe une homogénéité dans <strong>le</strong>peup<strong>le</strong>ment des zones périurbaines. On constate un regroupement par lieu d’origine etune corrélation avec <strong>le</strong>s différentes entrées de la vil<strong>le</strong>.Dans <strong>le</strong>s camps périphériques de déplacés internes -créés au pic de la crise- ainsi quedans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s, on avait constaté que <strong>le</strong>s formes de solidarité dépendaient bien plus del’appartenance religieuse que des liens ethniques. D'autre part, on assistait à unemonétisation de la vie socia<strong>le</strong> poussée à l'extrême. Le seuil de pauvreté extrême vécupendant de longues années semb<strong>le</strong> avoir conduit à une tota<strong>le</strong> désillusion quant auxactions col<strong>le</strong>ctives et de solidarité. Malgré <strong>le</strong> retour de la paix et l’espoir d’uneamélioration des conditions de vie rapide, <strong>le</strong> tissu social et <strong>le</strong>s actions de solidarité146 Décret 46/A-92, artic<strong>le</strong> 30.147 La vil<strong>le</strong> de Huambo a reçu un budget de 21millions de $ pour 2003, dans <strong>le</strong> cadre du processus dedécentralisation.148 Ethnie majoritaire dans la province de Huambo( 98%).


94peinent à se développer (difficultés à mettre en place des comités de quartier parexemp<strong>le</strong>). Dans la province de Huambo, l'ONG angolaise ADRA 149 effectue un travailimportant d’appui au tissu social qui a été affecté par <strong>le</strong>s différents déplacements depopulation et bou<strong>le</strong>versements politiques, comprenant aussi bien <strong>le</strong>s relations devoisinage que la vie associative. Sur ces points-là, <strong>le</strong>s résultats semb<strong>le</strong>ntencourageants. Une amélioration de la place de la femme au sein de la communautéest notée, même s'il existe toujours des problèmes de vio<strong>le</strong>nce intra-familia<strong>le</strong>. El<strong>le</strong>s’attache à renforcer la société civi<strong>le</strong> angolaise et faciliter son dialogue avecl’administration.La perte de traditions et l'usure psychologique peuvent résulter d'une multiplication dedéplacements. Les lieux de regroupement de déplacés (notamment <strong>le</strong>s centres dedéplacés) ne sont pas propices au maintien des traditions.Le soba garant du respect de ces traditions, est de moins en moins influent. Laprincipa<strong>le</strong> explication à cette perte d’influence est liée à sa perte de neutralité. En effetaprès avoir été un agent administratif au service de l’Etat colonial, son rô<strong>le</strong> s’estpolitisé 150 dans <strong>le</strong>s conflits post indépendance perdant ainsi une légitimité unanime ausein des communautés, d’autant plus que <strong>le</strong>s mécanismes de droits de lignage oud’é<strong>le</strong>ctions pour choisir <strong>le</strong> soba sont fréquemment bafoués. La résidence en zoneurbaine et la découverte d’habitudes, de mœurs et de nouveaux modes d’échanges onta éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>urs importance dans la perte de traditions.Face au climat politique perturbé des dernières décennies, <strong>le</strong>s populations ont dûtrouver <strong>le</strong>s moyens de réagir aux stratégies des acteurs de la vio<strong>le</strong>nce des différentesfactions en conflit contre <strong>le</strong> gouvernement (UNITA, MPLA).Survivre en situation de crise, c'est avant tout trouver refuge ail<strong>le</strong>urs et mettre au pointdes stratégies de survie adaptées au milieu urbain. Comment ces populations ensituation de crise ont-el<strong>le</strong>s affronté la situation?Les mécanismes d’adaptation : déplacements et stratégies de survieLes stratégies de survie, généralitésLe conflit angolais est caractérisé par sa longévité. Quarante et une années de guerred’indépendance et de post indépendance ont contraint la population à s’adapter enfonction de l’intensité que prenait <strong>le</strong> conflit. La grande majorité de la populationangolaise ne connaît que la guerre comme environnement immédiat et sesperspectives sont limitées à la survie au quotidien. Outre <strong>le</strong> déplacement qui est lastratégie de survie majeure dont nous verrons une illustration avec <strong>le</strong> cas de la vil<strong>le</strong> deCaála, il existe de multip<strong>le</strong>s manières de faire face aux difficultés engendrées par unesituation de crise. Il est important de distinguer résidents et déplacés internes, cesderniers n'étant plus dans <strong>le</strong>ur milieu de vie habituel.Les résidentsTout d'abord, <strong>le</strong>s résidents qui demeurent dans la vil<strong>le</strong> en guerre. La stratégie de surviedes résidents est essentiel<strong>le</strong>ment basée sur des mécanismes rémunérateurs procuréspar la propriété foncière. Bien que pauvres, certains habitants ont acquis des terres149 Acção para o Desenvolvimento Rural e Ambiente.150 Autour des partis MPLA et UNITA.


95dans <strong>le</strong>s années 1960. C'est <strong>le</strong> cas notamment à Benguela, moins à Huambo car lasituation d'instabilité politique constitue un frein à toute spéculation. Certainsrésidents peuvent faire face économiquement à <strong>le</strong>urs besoins grâce à <strong>le</strong>ur salaire carcertains occupent en effet des postes dans la fonction publique. Les résidentsdisposent, de plus, d’une meil<strong>le</strong>ure connaissance du milieu physique et d’un réseausocial qui permet plus faci<strong>le</strong>ment, l’accès à des sources de revenus ou des canaux dedistributions parallè<strong>le</strong>s. La solidarité entre résidents est donc de fait plus évidente etefficace que cel<strong>le</strong> élaborée par <strong>le</strong>s déplacés. Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s résidents utilisaient <strong>le</strong>spopulations déplacées comme une main d’œuvre très bon marché (rémunérée enaliments : patates douces, maïs) pour travail<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s lavras 151 situés autour de lavil<strong>le</strong>.Les déplacésLes déplacés, quant à eux, doivent faire face à de plus amp<strong>le</strong>s difficultés, notamment àl’animosité des résidents. Des témoignages montrent que ceci est particulièrement vraidans la « vil<strong>le</strong>-refuge » de Benguela. Les déplacés bénéficient de l'aide des ONGinduisant chez <strong>le</strong>s résidents un sentiment de laissés pour compte. L'adaptation et <strong>le</strong>sstratégies de survie dépendent notamment du fait que <strong>le</strong>s déplacés disposent de d’unlien (famil<strong>le</strong>/amis) résidant dans la vil<strong>le</strong> d'accueil. Ils ont ainsi plus faci<strong>le</strong>ment accèsaux travaux et sources de revenus disponib<strong>le</strong>s, à une parcel<strong>le</strong> de terrain pours'instal<strong>le</strong>r. Mais <strong>le</strong> séjour chez <strong>le</strong>s proches ne peut durer trop longtemps car <strong>le</strong> risquede tensions est é<strong>le</strong>vé. Du fait de l’accroissement de dépenses qui ne s’accompagne pasdes revenus supplémentaires, <strong>le</strong>s déplacés installés en vil<strong>le</strong> chez <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong> nerecevant pas d’aide humanitaire car ils n’étaient pas enregistrés en tant que tels par <strong>le</strong>sautorités.Ceux qui ne bénéficient d’ aucun soutien vont dans <strong>le</strong>s centres ou dans <strong>le</strong>s camps dedéplacés autour de la vil<strong>le</strong>, ou encore trouvent de l'aide auprès des "églises''. On nepeut pas dire qu’il y ait eu une réel<strong>le</strong> « stratégie » d’intégration au tissu économique,mais juste <strong>le</strong> besoin de dégager des revenus pour vivre au jour <strong>le</strong> jour.Le travail de la terreLes déplacés travail<strong>le</strong>nt éga<strong>le</strong>ment la terre mais <strong>le</strong>s zones arab<strong>le</strong>s (lavras) sont bienplus réduites en tail<strong>le</strong> et en quantité que dans <strong>le</strong>ur zone d'origine. Ils complètent <strong>le</strong>ursrevenus en travaillant comme journalier pour <strong>le</strong>s propriétaires terriens. On a ainsiconstaté que <strong>le</strong>s terres situées à proximité de la route reliant la vil<strong>le</strong> de Caála au campde déplacés de Cantão Paola appartenaient à un seul fazendeiro (grand propriétaireterrien). Les déplacés étaient employés par <strong>le</strong>s fazendeiros et aussi par tous <strong>le</strong>srésidents ayant une terre mais éga<strong>le</strong>ment pour <strong>le</strong>s tâches domestiques. Malgré de trèsmauvaises conditions de rémunération (en aliments généra<strong>le</strong>ment), ces emplois à latâche permettaient aux populations (par la revente des biens alimentaires) de disposerd’un peu d’argent. A la fin de l’année 2003, avec <strong>le</strong> départ de la grande majorité desdéplacés, <strong>le</strong>s conditions de rémunération se sont sensib<strong>le</strong>ment améliorées (environ1,25 US$ /jour en argent liquide) pour ceux qui sont restés.Les activités commercia<strong>le</strong>s151 Zones cultivab<strong>le</strong>s ne nécessitant pas de système d’irrigation.


96Le commerce de bois de chauffe constitue éga<strong>le</strong>ment une source de revenu majeure.El<strong>le</strong> est donc très utilisée par <strong>le</strong>s déplacés qui parcourent de longues distances etprennent des risques importants pour accéder aux zones forestières. Cette activité vaavoir un impact négatif significatif sur l’environnement. Les femmes et <strong>le</strong>s jeuness'adaptent mieux à la vie urbaine et ont tendance à se tourner vers des activités devente. L'accès au crédit 152 joue un rô<strong>le</strong> déterminant. Les vendeurs cherchent à engagerun cerc<strong>le</strong> vertueux et investissent une partie de <strong>le</strong>urs bénéfices dans l'achat de produitspermettant d’obtenir une plus forte va<strong>le</strong>ur ajoutée. Toutefois, ce processus est long etdiffici<strong>le</strong> car la totalité des bénéfices est aussitôt utilisée pour subvenir aux besoinsalimentaires. Les taux d'inflation bien qu’en réduction sensib<strong>le</strong> sont extrêmementé<strong>le</strong>vés 153 : 140% en 2002, 100% prévus pour 2003. Cette inflation et <strong>le</strong> climatéconomique instab<strong>le</strong> ne facilitent pas l'investissement des commerçants- quipratiquent une sur-intermédiation commercia<strong>le</strong>- dans des produits à meil<strong>le</strong>ure margebénéficiaire. Le capital épargné (cas minoritaire) est utilisé pour acheter du matérielde construction pour l’amélioration de l’habitat.Une aide humanitaire vita<strong>le</strong>Etant donné <strong>le</strong> caractère aléatoire de <strong>le</strong>urs revenus, <strong>le</strong>s populations vivent en dessousde <strong>le</strong>urs besoins vitaux. Les ménages tentent de diminuer <strong>le</strong>ur consommationalimentaire en réduisant notamment <strong>le</strong> nombre de repas journaliers. Bon nombred’entre eux souffrent de mal nutrition. Toutes <strong>le</strong>s sources de revenus viennent donc serajouter à une aide humanitaire indispensab<strong>le</strong>. En effet, l’aide humanitaire a assuré lasurvie de milliers de personnes pendant des années. Contrairement de ce que l’on a puconstater dans d’autres contextes d’urgence, l’aide alimentaire a été très largementconsommée directement par <strong>le</strong>s bénéficiaires. Le pourcentage d’aide alimentairevenant alimenter des marchés parallè<strong>le</strong>s reste insignifiant. Cette aide était donccapita<strong>le</strong> pour la population, ce qui explique sans doute <strong>le</strong> développement demécanismes de fraude permettant d’y accéder.Les mécanismes de détournement de l’aide humanitaireLes déplacés résidant dans <strong>le</strong>s quartiers périurbains ou en vil<strong>le</strong> disposaient d’unemaison dans <strong>le</strong> camp pour pouvoir bénéficier de l’aide humanitaire. Or ils ne venaientdans <strong>le</strong>s camps que <strong>le</strong>s jours de distribution ou d’enregistrement. Les acteurshumanitaires conscients de ce phénomène faisaient des recensements à l’improvistepour éviter que ce genre de stratégie ne se développe.D’autre part, des résidents achetaient des noms sur <strong>le</strong>s listes de déplacés pour avoirdroit à l’aide humanitaire. A Huambo pendant <strong>le</strong>s distributions généra<strong>le</strong>s en vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>séquipes du PAM ont identifié la circulation de cartes d’accès à l’aide alimentaire decontre-façon. Un recoupement d’informations et un contrô<strong>le</strong> de la part des acteurshumanitaires permettaient toutefois de réduire la fraude.Le phénomène détaillé des stratégies de déplacementToutes <strong>le</strong>s stratégies de survie développées durant <strong>le</strong>s différentes phases du conflit nesont pas des phénomènes isolés mais rentrent dans un processus en perpétuel<strong>le</strong>évolution. Les logiques de fuite et <strong>le</strong> choix du lieu de refuge s’inscrivent dans unprocessus qui tient en compte la multiplication des déplacements (accumulation152 La famil<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s ONG sont <strong>le</strong>s principaux prêteurs.153 140% en 2002, 100% prévus pour 2003


97d’expériences, accueil de l’administration, des résidents et des acteurs humanitaires) etl’amp<strong>le</strong>ur du danger immédiat (attaque sporadique ou conflit ouvert). Chaquedéplacement donne lieu éga<strong>le</strong>ment à une accumulation de traumatismes physiques etpsychologiques (peur, maladies, faim, mort, dépendance à l’aide humanitaire…) quivont influencer <strong>le</strong>s choix et <strong>le</strong>s stratégies de survie à adopter.Ainsi une étude réalisée par ADRA 154 en 1997 durant la période de "ni guerre, nipaix" présente <strong>le</strong> phénomène suivant :"Les populations quittent <strong>le</strong>urs villages, fuyant la menace de mort promise par <strong>le</strong>conflit proche ou la présence des forces d'occupation, notamment l'UNITA. Trèssolidaire au départ, <strong>le</strong> groupe de déplacés affronte mal <strong>le</strong>s péripéties du déplacement(champs de mines, décès par malnutrition ou maladie) pour s'individualiserfina<strong>le</strong>ment. La décision de fuir en compagnie de son noyau familial est caractéristiqued'un groupe de déplacés. Un tel choix offre de meil<strong>le</strong>ures chances de survie enmultipliant <strong>le</strong>s capacités de stockage, de nourriture et une prise en compte despersonnes <strong>le</strong>s plus vulnérab<strong>le</strong>s. Dans l'ensemb<strong>le</strong>, <strong>le</strong> niveau hiérarchique au sein de lacommunauté reste identique à celui établi au village. Les référents-clés demeurent <strong>le</strong>schefs de famil<strong>le</strong> et <strong>le</strong> soba".Cette dynamique de recentrage sur son noyau familial ne s’est pas vérifiée en 1998 où<strong>le</strong>s déplacés arrivaient par grandes vagues. Les conflits étaient particulièrementintenses et <strong>le</strong> climat de guerre généralisé des populations notamment des provinces deHuambo et Bié. Les déplacements étaient, de plus, encouragés voire organisés par <strong>le</strong>gouvernement. Les mouvements de déplacés et <strong>le</strong>ur prise en charge parl’administration et <strong>le</strong>s acteurs humanitaires sont mieux encadrés et gérés que lors desarrivées sporadiques que l’on constatait durant la période 1994-1998.L’exemp<strong>le</strong> de Caála, vil<strong>le</strong> moyenne située à 23 km à l’ouest de HuamboEn 1998, une grande partie des populations de la province de Huambo en exil s’estdirigée spontanément vers Caála. Dans certains cas, c’était l’armée du gouvernementqui <strong>le</strong>s emmenait de force à Caála 155 d’où el<strong>le</strong>s gagnaient <strong>le</strong>s centres de déplacés.L’expérience de multip<strong>le</strong>s déplacements avait poussé <strong>le</strong>s populations à se réfugier envil<strong>le</strong>. Caála cumulait plusieurs avantages pour <strong>le</strong>s déplacés : il s'agit en effet de l’unedes vil<strong>le</strong>s importantes du district, el<strong>le</strong> n’était pas sous <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> de l'UNITA, el<strong>le</strong>était desservie par un axe routier en bon état et de terres de bonne qualité. De plus, <strong>le</strong>spopulations savaient que l’aide humanitaire y arrivait plus faci<strong>le</strong>ment.Les populations arrivées à Caála venaient majoritairement du Sud et de l’Ouest dudistrict de Caála. Bien que la plupart des lieux d’origine des déplacés soient reliés àCaála par des axes routiers d’assez bonne qualité, ces derniers étaient très peuempruntés par <strong>le</strong>s populations car <strong>le</strong>s contrô<strong>le</strong>s opérés par l’armée y étaient plusintenses. Ils empruntaient des chemins parallè<strong>le</strong>s à travers champs.Centres et Camps de déplacés de Caála154 « Isto é uma vida d’ improvisos » . Filomena Andrade. ADRA 1997.155 Cf. Rapport annuel Angola de MSF, 2000.


98LuandaBenguelaRioCuneneCassocoSacanomboElanda2 11Caála536 4Cantão PaolaCuimaHuamboCentres de déplacésNom du Centre1Lar Girasol2CFBOrigine des déplacésCatataCuimaLubangoCatataN’Gove345SalsichariaBeanjeCentro recréativoElanda, Sacanombo, Rio CuneneN’GoveCatata, N’Gove, Cuima6EscolaN’GoveCamps de déplacésLa gestion des centres de déplacésCaála comptait six "centres" de déplacés en vil<strong>le</strong>, dans des bâtiments et usinesdélabrés. Les plus importants étaient ceux de la Salsicharia et dans <strong>le</strong>s entrepôts duChemin de fer de Benguela (CFB). Ces centres devenaient de moins en moinsgérab<strong>le</strong>s par <strong>le</strong>s acteurs humanitaires au fur et à mesure que <strong>le</strong> temps passait et que <strong>le</strong>sdéplacés arrivaient. Avec l’arrivée d'un nombre trop important de personnes en exil,<strong>le</strong>s ONG qui travaillaient dans <strong>le</strong>s centres de déplacés ne parvenaient plus à organiserune gestion acceptab<strong>le</strong> et offrir des conditions d’accueil décentes (problèmesd’insalubrité, développement d’épidémies, etc.). Face à cette situation, plusieurs typesde solutions étaient proposés : l’administration ne souhaitait pas fermer <strong>le</strong>s centrespour ouvrir des camps car el<strong>le</strong> estimait que la situation avait un caractère provisoire. Acontrario, <strong>le</strong>s acteurs humanitaires internationaux (notamment MSF et <strong>le</strong> CICR),alarmés par <strong>le</strong>s risques sanitaires provoqués par l’entassement des déplacés,défendaient la nécessité de créer des camps. Très marquée dans ces phases là par <strong>le</strong>sdistributions alimentaires, l’action humanitaire était très diffici<strong>le</strong> à mettre en placedans ce milieu urbain. En effet, <strong>le</strong>s acteurs humanitaires reconnaissaient qu’ils nepossédaient pas <strong>le</strong> même savoir-faire dans ces contextes que celui qu’ils pouvaientavoir dans <strong>le</strong>s camps. Dans <strong>le</strong>s camps, <strong>le</strong> ciblage des bénéficiaires et <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> étaientnettement plus aisés et plus précis car basés sur des recensements, la visibilité vis-àvisdes bail<strong>le</strong>urs de fonds étant bien plus importante. La volonté d’initier dès 2001 unprocessus de rapatriement vers <strong>le</strong>s villages d’origine par l’ONG angolaise ADRA 156n’a pas été suivie par <strong>le</strong>s grandes organisations internationa<strong>le</strong>s.Après une consultation des déplacés, la décision fut prise de bâtir des camps. Il y avaitnéanmoins des mouvements spontanés de déplacés vers <strong>le</strong>urs villages.156 Acção para o Desenvolvimento Rural e Ambiente ( Action pour <strong>le</strong> Développement Rural etEnvironnement)


99La gestion des campsUne fois <strong>le</strong>s camps ouverts, <strong>le</strong> MINARS exigea que <strong>le</strong>s déplacés soient regroupés enfonction de <strong>le</strong>ur région d’origine. Ces camps portaient <strong>le</strong>s noms de Cassoco et CantãoPaola. Ils étaient eux même divisés en « villages » regroupant <strong>le</strong>s populations selon<strong>le</strong>urs lieux d’origine et chaque partie du camp avait ainsi son fonctionnement social etson soba.La distance entre la vil<strong>le</strong> de Caála et <strong>le</strong> camp de Cantão Paola était de 5 km, ce quireste une relative courte distance. L’administration voulait instal<strong>le</strong>r l'ensemb<strong>le</strong> descamps plus loin encore des vil<strong>le</strong>s mais la communauté humanitaire y opposa un refus,justifié par la proximité de la ligne de séparation des deux fronts (UNITA- FAA). Legouvernement souhaitait en outre que <strong>le</strong>s déplacés soient installés <strong>le</strong> plus près possib<strong>le</strong>de <strong>le</strong>ur terre d’origine afin de faciliter <strong>le</strong> processus de retour des populations vers <strong>le</strong>urlieu d’origine. Ainsi <strong>le</strong> camp de Cantão Paola situé au sud de la vil<strong>le</strong> et regroupait <strong>le</strong>spopulations déplacés originaires du sud du district de Caála (Cuima, Catata etN’Gove).Dès la création des camps, la problématique de la dépendance des déplacés vis à visdes services dispensés par l’aide humanitaire s’est posée. Par exemp<strong>le</strong>, à défaut depouvoir proposer des services payants pour des déplacés sans ressource, <strong>le</strong> choix d’unsite relativement éloigné (deux à trois kilomètres) pour l’implantation deséquipements provisoires de santé est apparue comme un moyen pour demander unecontrepartie aux populations. Ceci fut l’option prise par une OSI 157 d’urgence. Acontrario, une ONG angolaise qui avait une analyse différente de la situation, moinssoumises aux contraintes de la gestion de la sécurité et motivée par une réf<strong>le</strong>xion sur<strong>le</strong> long terme, a décidé d’instal<strong>le</strong>r un service de santé "en dur" à proximité du camp etde plusieurs villages environnants. Cet exemp<strong>le</strong> illustre <strong>le</strong>s implications des différentsmodus operandi entre <strong>le</strong>s structures loca<strong>le</strong>s et des organisations internationa<strong>le</strong>s.Une fois <strong>le</strong>s camps ouverts, la plupart des famil<strong>le</strong>s, surtout cel<strong>le</strong>s originaires dumunicipe situé <strong>le</strong> plus près des camps, retournait travail<strong>le</strong>r la terre alors que <strong>le</strong>ursenfants demeuraient au sein du camp pour suivre <strong>le</strong>ur scolarité et avoir accès à dessoins médicaux. Un retour vers <strong>le</strong> village d’origine était donc possib<strong>le</strong> et bien souventdésiré mais tout de même risqué, notamment pour <strong>le</strong>s acteurs humanitaires. Leséquipes d'ADRA qui se rendaient dans ces villages estimaient qu’il n’y avait pas degrand danger d’attaque du fait de l'absence de richesses à vo<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s villages et quela sécurité atteignait un niveau convenab<strong>le</strong> pour agir. La décision d'intervenir ou pasdemeurait donc une question de point de vue, de <strong>le</strong>cture de la réalité et de projectionsur l’avenir.Lorsque la paix est revenue, on a noté un retour massif et spontané des déplacés vers<strong>le</strong>ur lieu d'origine, malgré <strong>le</strong>s risques précédemment évoqués. Ce retour a trèsfortement surpris une grande partie des acteurs humanitaires car, de <strong>le</strong>ur point de vue,<strong>le</strong>s conditions de vie étaient bien meil<strong>le</strong>ures dans <strong>le</strong>s camps que dans <strong>le</strong>s villages. Leshypothèses pour expliquer ce phénomène seraient liées au manque d'enracinement à lavie urbaine pour des populations habituées à disposer de terres cultivab<strong>le</strong>s,l'attachement à la terre d'origine, ainsi qu’aux tensions avec <strong>le</strong>s populationsautochtones. L’administration semb<strong>le</strong> éga<strong>le</strong>ment avoir joué un rô<strong>le</strong> dans la décision157 Organisation de Solidarité Internationa<strong>le</strong>


100des populations à repartir, en demandant aux ONG de reporter l’aide des camps sur<strong>le</strong>s différents lieux d’origine.Après 27 ans de guerre civi<strong>le</strong>Phénomènes constatées après la fermeture des campsLes camps se sont vidés de manière significative; ainsi par exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong> camp de CantãoPaola à Caála qui a accueilli plus de 20000 déplacés au pic de la crise n’en comptaitplus que quelques 8000 en août 2003 lors des derniers recensements effectués parMSF. Malgré <strong>le</strong>s démentis d’une administration soucieuse d’afficher un retour à lanorma<strong>le</strong>, il apparaît que <strong>le</strong>s populations déplacées ne sont pas toutes rentrées dans<strong>le</strong>urs villages d’origine mais ont en partie choisi de s’instal<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s bairrospériurbains.Parmi cel<strong>le</strong>s ayant fait ce choix on peut distinguer plusieurs groupes. D’une part, <strong>le</strong>sfemmes seu<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s jeunes ont trouvé en vil<strong>le</strong> <strong>le</strong>s moyens de <strong>le</strong>ur survie en seconsacrant à des activités commercia<strong>le</strong>s. D’autre part, <strong>le</strong>s veuves, <strong>le</strong>s mutilés deguerre et <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s d’anciens combattants de L’UNITA qui craignent des réactionshosti<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>ur lieu d’origine on souvent préféré <strong>le</strong> choix de l’intégration urbaine,soit dans <strong>le</strong>s anciens camps, soit dans l’anonymat des zones périurbaines. La perted’influence des <strong>le</strong>aders traditionnels, l’individualisme et la monétarisation del’économie font que <strong>le</strong>s liens de solidarité en milieu rural se sont altérés. L’intégrationet la prise en charge des personnes <strong>le</strong>s plus vulnérab<strong>le</strong>s par la communauté ne sontplus garanties. La vil<strong>le</strong> est pour ces populations qui ne peuvent plus exercer desactivités agrico<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur endroit pour générer des revenus (souvent grâce à lamendicité), accéder à des soins et aux différentes aides financières et humanitaires dela part de l’administration ou d’ONG. Ainsi, l’administration a concédé gratuitementdes terrains aux mutilés de guerre dans trois quartiers périurbains ainsi qu’un accèsprioritaire à un logement dans <strong>le</strong> quartier du Casseque III 158 .Une partie des déplacés qui résidaient dans <strong>le</strong>s camps durant la crise trouvent <strong>le</strong>sconditions de <strong>le</strong>ur survie dans la complémentarité des modes de vie urbains et ruraux.En effet, <strong>le</strong> cumul de deux lieux de résidence (à la vil<strong>le</strong> et à la campagne) permet à lafois de conserver l’accès à des terres plus vastes et plus productives et l’accès auxmarchés et aux services urbains.Malgré <strong>le</strong>s efforts développés par <strong>le</strong>s ONG dans <strong>le</strong>s lieux d’origine pour réhabiliterdes éléments structurants (postes de santé, éco<strong>le</strong>s, administration), la qualité desservices prêtés en vil<strong>le</strong> reste supérieure dans <strong>le</strong>s milieux <strong>le</strong>s plus urbanisés. Cecis’explique principa<strong>le</strong>ment par <strong>le</strong> fait que <strong>le</strong> personnel formé et compétent pour assurer<strong>le</strong> bon fonctionnement des équipements refuse de travail<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong> milieu rural.Désormais, Huambo comme l’ensemb<strong>le</strong> des centres urbains angolais doit compteravec une certaine quantité de population d’origine rura<strong>le</strong> installée en son sein. La vil<strong>le</strong>a pris un nouveau visage. La plupart des résidents de Huambo a un accès à la terre etla superficie moyenne de cel<strong>le</strong>-ci, par ménage est de 1,5 à 3 hectares de lavras et 0,25de nacas. Les lavras exigent une utilisation d'engrais alors que <strong>le</strong>s nacas sontgénéra<strong>le</strong>ment plus ferti<strong>le</strong>s, mais en réalité seul un petit nombre d'exploitants agrico<strong>le</strong>speut acquérir des fertilisants et produire des quantités suffisantes de céréa<strong>le</strong>s et autres158 Casseque III est à l’origine un Camp de déplacés « modè<strong>le</strong> » doté d’infrastructure complète.


101denrées pour pouvoir <strong>le</strong>s vendre. Actuel<strong>le</strong>ment, l’agriculture est donc tournéeprincipa<strong>le</strong>ment vers la subsistance, <strong>le</strong>s cultures vivrières sont donc privilégiées.Les impacts écologiques du conflitConcernant la création de revenu, la production et la vente de charbon de boisconstituent une des activités <strong>le</strong>s plus rentab<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong> a été par conséquent très pratiquéepar <strong>le</strong>s déplacés lors des phases de crise. L’explosion démographique lors de laconcentration des déplacés à proximité des centres urbains a eu un impact écologiquenotab<strong>le</strong>. Le paysage angolais est aujourd’hui marqué par des auréo<strong>le</strong>s de déforestationautour des vil<strong>le</strong>s. Ainsi à Kuito, la déforestation s’étend sur un rayon de 50km autourde la vil<strong>le</strong>. Malgré <strong>le</strong> retour massif des déplacés l’exploitation intense des forêts pourrépondre aux besoins de la vil<strong>le</strong> continue. La pratique de brûlis condamne tout recrûforestier.La déforestation massive entraîne particulièrement un bou<strong>le</strong>versement du cyc<strong>le</strong> del’eau. Lors de la saison des pluies <strong>le</strong>s nappes phréatiques et <strong>le</strong>s terres saturentrapidement, ceci entraînant une mauvaise germination des cultures voire des crues etdes inondations. Face à cette catastrophe drame agro-écologique, la marge d’actiondes ONG reste très faib<strong>le</strong>.De nouvel<strong>le</strong>s dynamiques commercia<strong>le</strong>sLa guerre a redessiné <strong>le</strong>s logiques et <strong>le</strong>s circuits commerciaux. En 1999, <strong>le</strong>s échangescommerciaux entre Huambo et d'autres zones étaient très restreints pour des raisonsd'insécurité. Un an plus tard, <strong>le</strong> nombre d'attaques sur <strong>le</strong>s routes avait diminué, descamions en provenance de la province de Huila ont pu réapprovisionner la vil<strong>le</strong>. Ils'agissait de produits à forte va<strong>le</strong>ur ajoutée (vêtements, savon, boissons). Malgré latendance dominante à la culture vivrière, une agriculture de rente se metprogressivement en place. Ainsi, dans la province de Huambo, <strong>le</strong>s agriculteursadaptent <strong>le</strong>ur production aux besoins du marché mais restent très dépendants de lasécurité des routes et des zones contrôlées.L’arrivée sur <strong>le</strong> marché des produits frais tels que <strong>le</strong> poisson frais, <strong>le</strong> lait et <strong>le</strong>sproduits laitiers témoigne d'un rayonnement de la vil<strong>le</strong> sur l’ensemb<strong>le</strong> de la région.Ces produits arrivent de Lobito, port proche de Benguela. Les principaux échangescommerciaux de Huambo se font avec Lobito, Lubango et la Namibie. Malgré desfluctuations saisonnières, la demande urbaine reste faib<strong>le</strong>. En décembre 2003 <strong>le</strong>montant du panier alimentaire et produits non alimentaires de base selon <strong>le</strong>s standardsdu CICR s’é<strong>le</strong>vait à 0,20 $/ jour/personne.Même si la guerre a considérab<strong>le</strong>ment détruit son tissu industriel, la vil<strong>le</strong> s’est re<strong>le</strong>véede la guerre avec un relativement bon niveau de production manufacturée. Ses deuxindustries principa<strong>le</strong>s maintiennent un niveau de production assez faib<strong>le</strong> mais intègrel’économie loca<strong>le</strong> à un niveau exposé. Une autre activité qui tend à se développer et àgénérer des emplois est cel<strong>le</strong> des travaux de réhabilitation de l’habitat. Ce typed’activité rentre dans <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s stratégies de survie des hommes généra<strong>le</strong>ment sous<strong>le</strong> nom de biscates (emplois ponctuels payés à la tâche) et témoigne, par ail<strong>le</strong>urs, unecertaine confiance des Angolais à l’égard du dernier processus de paix.De nouvel<strong>le</strong>s dynamiques de peup<strong>le</strong>ment.


102Sous la période colonia<strong>le</strong>, l’occupation de l’espace et l’implantation des équipementsstructurants étaient régis par des schémas d’aménagement du territoire. Longtempsdécidé d’« en haut », l’aménagement du territoire était pensé selon des principesdirigistes qui devaient amener à répartir la population en fonction de logiquespolitiques et commercia<strong>le</strong>s. Les conflits successifs ont vidé et pillé certaines zones depeup<strong>le</strong>ment qui avaient été dessinées par la puissance colonia<strong>le</strong>. Désormais, ces zonesen déshérence n’offrent plus aucun attrait, ni aucun avantage de situation auxpopulations qui désirent rentrer d’exil. La survie d’un village (où d’autre lieu deconcentration de population) s’explique par des facteurs économiques (commerce,production agrico<strong>le</strong>, etc.) mais éga<strong>le</strong>ment culturels (terre des ancêtres, influence dusoba). Certains villages disparaissent et d’autres se créent où retrouvent un nouveaudynamisme. Des lieux de peup<strong>le</strong>ment disparus suite à l’aménagement du territoirecolonial ou détruits pendant <strong>le</strong>s conflits peuvent ainsi renaître.L’action humanitaire en temps de guerreLes ONG en AngolaLes ONG internationa<strong>le</strong>s se sont faites plus nombreuses dans <strong>le</strong> pays à partir de 1992,période à laquel<strong>le</strong> l'Angola est entré dans une situation d'urgence humanitaireparticulièrement intense et médiatisée. Cette présence accrue a favorisé la créationd'importantes associations nationa<strong>le</strong>s bien souvent soutenues par des organisationsétrangères comme <strong>le</strong> CICR ou <strong>le</strong> PAM. Les ONG angolaises 159 occupent aujourd’huiune place importante dans la société civi<strong>le</strong> angolaise et dans <strong>le</strong> processus dedéveloppement du pays. En 2001, el<strong>le</strong>s étaient 460 dont 95 de rang international.Toutefois, seu<strong>le</strong>s 50 ONG nationa<strong>le</strong>s et 20 à 25 internationa<strong>le</strong>s ont <strong>le</strong>s capacités, <strong>le</strong>scompétences et <strong>le</strong>s moyens financiers suffisants pour mener une action véritab<strong>le</strong>mentsignificative sur <strong>le</strong> long terme 160 . Leur rô<strong>le</strong> dépasse l'urgence et <strong>le</strong> développement, ils'inscrit en effet dans <strong>le</strong> processus de démocratisation et de respect des Droits del'Homme. Par ail<strong>le</strong>urs il convient de rappe<strong>le</strong>r <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> essentiel joué, tout au long duconflit, par <strong>le</strong>s acteurs humanitaires (notamment <strong>le</strong> CICR et MSF) dans la négociationavec <strong>le</strong>s parties belligérantes afin obtenir l’accès aux populations vulnérab<strong>le</strong>s, garantirla sécurité des personnels humanitaires et <strong>le</strong> respect du droit humanitaire international.Administrativement, l'ensemb<strong>le</strong> de ces ONG est sous la tutel<strong>le</strong> de l'UTCAH 161 et duMINARS. Cependant, il semb<strong>le</strong>rait que cette coordination ministériel<strong>le</strong> soit en réalitéun moyen de contrô<strong>le</strong> de l'Etat sur <strong>le</strong>s différentes ONG présentes sur <strong>le</strong> sol angolais,mais sans réel<strong>le</strong> efficacité. Ainsi <strong>le</strong> décret N°84/02 du 31 décembre 2003 estcaractérisé par une multiplication des démarches administratives (autorisations,enregistrements...) auprès de différents ministères. Ce décret alourdit <strong>le</strong> poids dedémarches administratives (<strong>rapport</strong>s financiers et narratifs, etc.). Le pouvoir est donnéà L’UTCAH de choisir <strong>le</strong>s zones géographiques et <strong>le</strong>s domaines dans <strong>le</strong>squels <strong>le</strong>sONG internationa<strong>le</strong>s doivent intervenir. Il existe éga<strong>le</strong>ment une structure regroupant<strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s ONG loca<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> comité des ONG en Angola appelé aussi CONGA.159 Une loi a été adoptée en mai 1991 qui reconnaît officiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> statut d'association.160 Inge Tvedten : 2000/2001 : Key development issues and the ro<strong>le</strong> of NGO .Christen MichaelsonInstitute.161 Unité Technique de la Coordination des Affaires Humanitaires.


103Celui-ci aurait pour dessein de distribuer <strong>le</strong>s responsabilités et <strong>le</strong> travail entre <strong>le</strong>sdifférentes organisations.L’action humanitaire en milieu urbain et périurbain.Le CICR a été <strong>le</strong> principal acteur des actions de réhabilitation et d'amélioration duréseau d'eau de Huambo. De 1983 à fin 1991, <strong>le</strong> gouvernement contrôlait la vil<strong>le</strong> avecun périmètre de sécurité, la zone rura<strong>le</strong> étant sous contrô<strong>le</strong> de l'UNITA. Le CICRintervenait alors pour approvisionner <strong>le</strong>s hôpitaux et centres nutritionnels. La section''Eau'' a été créée en 1983 en tant que subdivision de la branche ''Santé''. Le manque desavoir-faire et de spécialistes au sein de la structure n'a pas permis aux premièresinterventions d'avoir un réel impact. Entre 1987 et 1991, des points d'eau ont été misen place dans <strong>le</strong>s municipes autour de la vil<strong>le</strong> afin de satisfaire <strong>le</strong>s besoins en eau duCICR, d'autres ONG, du gouvernement, de l'armée et de l'industrie pétrolièreSonangol. De 1992 à 1994, période à laquel<strong>le</strong> la vil<strong>le</strong> a été aux mains de l'UNITA, <strong>le</strong>sconditions de vie se sont considérab<strong>le</strong>ment dégradées. Le CICR a donc dû nonseu<strong>le</strong>ment garantir un accès suffisant à l'eau pour <strong>le</strong>s urgences de santé et de nutritionmais éga<strong>le</strong>ment subvenir aux besoins en eau de toute la population. Dix huit cuisineset deux centres alimentaires ont été installés sans pouvoir faire face aux attentes des10 000 personnes vulnérab<strong>le</strong>s entassées autour de la vil<strong>le</strong> et des 2500 qui fréquentaient<strong>le</strong>s centres nutritionnels. Fina<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong> CICR a obtenu l'autorisation de l'UNITA deréhabiliter une partie de la station de traitement des eaux de Kulimahala située dans laprovince de Huambo afin de permettre la fourniture de quantités supplémentairesimportantes d'eau potab<strong>le</strong> qui ont par la suite été acheminées vers <strong>le</strong>s populations parvoie de tankers. Toute action de réhabilitation durab<strong>le</strong> était diffici<strong>le</strong>ment réalisab<strong>le</strong>dans de tel<strong>le</strong>s conditions d'instabilité. En outre, l'accès à l'é<strong>le</strong>ctricité restait unecondition sine qua non pour <strong>le</strong> fonctionnement du système d'adduction d'eau. De fait,la réhabilitation de la centra<strong>le</strong> hydroé<strong>le</strong>ctrique de Cuando était la conditionindispensab<strong>le</strong> à toute action sur <strong>le</strong> réseau d'adduction d'eau. Il a été éga<strong>le</strong>mententrepris à cette époque-là une opération de forage de puits à des points stratégiques.1994 ou un renouveau dans l'action humanitaire en AngolaAvec <strong>le</strong> retour de la paix, une nouvel<strong>le</strong> phase éclot pour l'aide humanitaire. Fin 1994,<strong>le</strong> gouvernement reprenant <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s humanitaires repensent <strong>le</strong>ursprogrammes futurs car tout <strong>le</strong> système est détérioré. A partir de 1995, une nouvel<strong>le</strong>stratégie est mise en place dans un contexte de stabilité. La plupart des déplacés ontregagné <strong>le</strong>ur village ou municipe d'origine. La situation alimentaire, el<strong>le</strong>-même, nepose plus problème grâce aux programmes agrico<strong>le</strong>s du CICR lancés en 1994. Cettemême année, la perspective d'une paix durab<strong>le</strong> avait vu <strong>le</strong> jour, permettant auxorganisations humanitaires d'accéder à de nouvel<strong>le</strong>s zones. Certaines parties de la vil<strong>le</strong>de Huambo demeuraient inaccessib<strong>le</strong>s (champs de mines, sécurité non assurée).L’UNITA contrôlait <strong>le</strong>s quartiers de la Cidade Baixa et <strong>le</strong>s bairros Academico, SãoJoão ainsi que toute la zone péri urbaine. Le gouvernement tenait lui la Cidade Alta.La plupart des sièges des ONG est située dans <strong>le</strong>s zones sous contrô<strong>le</strong> dugouvernement et notamment dans <strong>le</strong> Bairro Kapango 162 . Cette concentrationgéographique est encore aujourd’hui vérifiée. Seul l'accès à l'é<strong>le</strong>ctricité constitue unedifficulté importante : il faut reconstruire <strong>le</strong> réseau. Néanmoins, c'est sur la qualité de162 Connu éga<strong>le</strong>ment sous <strong>le</strong> nom de Bairro dos Ministros ( Quartier des Ministres)


104l'eau que l'accent est mis. L'UNAVEM III arrive alors en Angola. Son personnelutilise à cette époque 60% des ressources en eau pour remplir ses réservoirs.Le manque d'eau chez <strong>le</strong>s habitants des bairros est rapidement détecté à l'issue d'uneenquête. Une réhabilitation des puits construits sous l'époque colonia<strong>le</strong> est alorsprogrammée alors que de nouveaux puits sont éga<strong>le</strong>ment creusés. Tous ces travauxsont diffici<strong>le</strong>s à réaliser car l'ensemb<strong>le</strong> des matériaux nécessaires doit être affrété paravion. Ce programme se poursuit jusqu'en 1997 où l'on compte 80 points d'eauréhabilités. Le CICR se retirant alors, il passe <strong>le</strong> relais à l’ONG DevelopmentWorkshop. Les défis à re<strong>le</strong>ver se focalisent en particulier sur une volonté de réussir àdévelopper la notion de responsabilité communautaire dans la gestion des points d'eauen introduisant, non sans mal, une approche basée sur la participation descommunautés (Community Based Participation), c'est-à-dire une approcheparticipative des bénéficiaires dans <strong>le</strong> soutien qu'ils reçoivent de modifier certainesapproches techniques afin de garantir une source d'eau permanente et fiab<strong>le</strong>.L’action humanitaire est visib<strong>le</strong>ment marquée par <strong>le</strong>s programmes d’amélioration desquantité et qualité de l’eau ainsi que des conditions sanitaires dans la vil<strong>le</strong> (eau etassainissement). Le processus de reconstruction notamment de l’habitat et desinfrastructures est très timide. Il n’y a pas non plus de la part de la population et del’administration de réel plan de reconstruction. Le sentiment général est que la paix neva pas durer et que tout projet de reconstruction ambitieux ne peut voir <strong>le</strong> jour. Laplupart des chantiers lancés sont l’œuvre des ONG internationa<strong>le</strong>s et des Forces deL’UNAVEM III. Ces actions sont directement liées aux intérêts propres de chacunedes organisations. On note ainsi la réhabilitation de ponts et portions de routesstratégiques, la construction d’entrepôts de stockage de vivres et matériel etl’amélioration de l’habitat utilisé par <strong>le</strong>s personnels expatriés.1999, <strong>le</strong> retour du conflit, nouvel<strong>le</strong> phase pour l'action humanitaireL’action humanitaire lors de la dernière phase du conflit s’articu<strong>le</strong> autour de plusieursétapes comme suit :1. En 1999, c’est l’urgence et la gestion d’une crise aiguë lors desbombardements de l’UNITA sur Huambo (entre autres) qui se sonttraduites sur <strong>le</strong> plan humanitaire par des distributions généra<strong>le</strong>s envil<strong>le</strong>, une aide alimentaire acheminée par avion, une gestion des fluxde déplacés dans <strong>le</strong>s centres puis l’ouverture des camps de déplacés.En mars 1999, lorsque <strong>le</strong> pays replonge dans la guerre, la vil<strong>le</strong> deHuambo est assiégée et un très grand nombre de déplacés internes seréfugie dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s, notamment à Huambo. Deux centres dedéplacés sont ouverts aux frontières de la vil<strong>le</strong> de Huambo, à Coalfa(ancienne usine) ainsi que dans <strong>le</strong>s entrepôts du chemin de fer deBenguela. Les camps de déplacés manquent cruel<strong>le</strong>ment d’eau ; lamise en route de nouveaux programmes apparaît comme unepriorité 163 .2. En Avril 2002, une intervention dans <strong>le</strong>s zones nouvel<strong>le</strong>mentaccessib<strong>le</strong>s a lieu. Parallè<strong>le</strong>ment l’aide humanitaire va intégrer dans <strong>le</strong>processus de paix notamment la distribution de kits pour <strong>le</strong>sdémobilisés dans <strong>le</strong>s Zones de cantonnement des anciens soldats de163 Development Workshop se distingue par un remarquab<strong>le</strong> travail de construction de 230 puits sur unepériode deux ans et demi.


105l’UNITA. Dès 2002, un vaste plan de réhabilitation du système dedistribution de l’eau est élaboré. Sa mise en application remporte unfranc succès grâce au travail accompli en amont pour réhabiliter lacentra<strong>le</strong> de production é<strong>le</strong>ctrique de Cuando. Les impacts sont positifs,on note en effet une diminution des maladies liées à l'eau. En outre, laparticipation des bénéficiaires mise en place par DevelopmentWorkshop semb<strong>le</strong> porter ses fruits puisqu'une surveillance régulièredes puits par <strong>le</strong>s comités de gestion de l'eau a été mise au point.La présence des acteurs humanitaires dans ces différentes phases a permis que desmilliers de vies soient sauvées. L’action humanitaire en Angola est conditionnée,diffici<strong>le</strong> mais massive. Les infrastructures (grands axes routiers, aéroports, réseaux detélécommunications) ont permis à l’action humanitaire de se développer de façonefficace dans <strong>le</strong>s milieux urbains même en situation de crise aiguë. Toutefois <strong>le</strong>sprincipaux acteurs nationaux regrettent un certain manque dans l’applicationd’approches participatives et <strong>le</strong> caractère « Top- Down » de l’intervention desgrandes ONG occidenta<strong>le</strong>s. D’une manière plus globa<strong>le</strong> l’arrivée des ONG a favoriséun désengagement de l’Etat dans <strong>le</strong>s secteurs de la santé, de l’éducation et d’autresservices sociaux de base l’essentiel du budget de l’Etat étant encore de nos joursconcentré dans <strong>le</strong>s dépenses militaires.Impacts des ONG sur la vil<strong>le</strong> de HuamboL’intégration des ONG dans l’espace urbainLes organisations humanitaires ont une influence certaine sur <strong>le</strong> marché immobilier enmilieu urbain. El<strong>le</strong>s occupent en effet une bonne partie du parc immobilier de la vil<strong>le</strong>car el<strong>le</strong>s ont besoin de locaux pour l’installation du siège de l’organisation ainsi qued’habitation pour <strong>le</strong> personnel expatrié. Les acteurs humanitaires souhaitent disposerde conditions optima<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>ur lieu de vie et de travail ce qui se traduit par uneconcentration des ONG dans <strong>le</strong>s quartiers <strong>le</strong>s moins détruits. Ainsi à Huambo, 90%des ONG sont installées dans <strong>le</strong> Bairro Kapango, connu éga<strong>le</strong>ment sous <strong>le</strong> nom dequartier des ministres. Cette concentration s’explique aussi par <strong>le</strong> fait que la zone soitpendant la quasi-totalité de la durée du conflit, restée aux mains du gouvernement etqu’el<strong>le</strong> soit à proximité de l’axe menant à l’aéroport, deux éléments très importants enterme de gestion de la sécurité et de la logistique. Reste que ce quartier n’est pas"politiquement neutre", <strong>le</strong> Bairro Kapango est historiquement un quartier aisé lié auMPLA.Une répartition plus homogène sur l’espace urbain permettrait d’atténuer une certaineghettoïsation des ONG internationa<strong>le</strong>s et un certain nombre de préjugés que peut avoirla population sur ces mêmes ONG.La situation géographique de l’ONG est éga<strong>le</strong>ment un élément important de sacommunication et peut conditionner son action. Nous pouvons ici signa<strong>le</strong>r l’exemp<strong>le</strong>des bureaux de regroupement familial du CICR à Luanda situés dans un quartierdiscret et aisé que <strong>le</strong>s populations déplacées (potentiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s plus demandeuse desservices du CICR) fréquentent très peu. Ceci constitue un frein important en termed’accès physique et de diffusion de l’information. Le CICR se coupe ainsi de factod’une grande partie de sa population cib<strong>le</strong> et ne peut atteindre <strong>le</strong>s objectifs de sesprojets en raison de la fragmentation de cette métropo<strong>le</strong>.


106Le marché de l’emploiFin 2003, bien que bon nombre d’organisations internationa<strong>le</strong>s soient toujoursprésentes en Angola cela n’est pas synonyme d’une forte présence de personne<strong>le</strong>xpatrié. 164 Le personnel des ONG internationa<strong>le</strong>s est très majoritairement angolais,<strong>le</strong> recrutement de personnel moyennement qualifié et qualifié est diffici<strong>le</strong> car très rare.Il faut souligner ici l'absorption importante d'une grande partie des cadres locaux par<strong>le</strong>s ONG aux moyens conséquents. L’application de standards et de gril<strong>le</strong>s de salairesbasés sur <strong>le</strong>s réalités des pays du Nord a entraîné des bou<strong>le</strong>versements notab<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong>marché du travail. Ceci a rendu diffici<strong>le</strong> la tâche des petites ONG de s'aligner sur <strong>le</strong>ssalaires pratiqués, notamment ceux des techniciens agronomes et hydrauliciens. Mais,de manière plus préoccupante, cela pose <strong>le</strong> problème du recrutement par l'Etat car <strong>le</strong>personnel <strong>le</strong> plus compétent est systématiquement embauché par <strong>le</strong>s ONG. Laréduction progressive de la part occupée par <strong>le</strong>s OSI sur <strong>le</strong> marché de l’emploi va sansdoute se traduire par une baisse des salaires notamment pour <strong>le</strong>s cadres. Les cadresnationaux des ONG peuvent intégrer l’administration et améliorer sensib<strong>le</strong>ment laqualité de cel<strong>le</strong>-ci où alors développer une activité commercia<strong>le</strong> ou de service. Lepersonnel moins qualifié risque d’être plus touché par <strong>le</strong> chômage, et ne retrouverasans doute pas <strong>le</strong>s niveaux de revenus versés par <strong>le</strong>s ONG. La reconversion des moinsqualifiés vers des activités agrico<strong>le</strong>s ou de petit commerce semb<strong>le</strong> probab<strong>le</strong>.Impacts économiquesLes acteurs humanitaires sont des agents économiques puissants et <strong>le</strong>ur apportimportant de flux financiers (salaires, logistique des projets, habitat…) peut avoir unpoids économique non négligeab<strong>le</strong> sur une vil<strong>le</strong>. A Huambo, on a récemment constatéune série d’effets pervers liés à l’arrivée d’ONG disposant de moyens financiersconséquents et ne prenant pas en compte <strong>le</strong>s réalités contextuel<strong>le</strong>s. Soulignons ici unexemp<strong>le</strong> d'intervention relativement paradoxal : une ONG internationa<strong>le</strong> a faitlittéra<strong>le</strong>ment s’envo<strong>le</strong>r <strong>le</strong> prix des semences de maïs, achetant en très grande quantitéet sans aucune négociation des prix. Ceci eu comme conséquence une augmentationde pratiquement 100% des prix du marché. Cette brusque montée des prix a entraînédes difficultés importantes dans <strong>le</strong>s programmes agrico<strong>le</strong>s développés par <strong>le</strong>s autresONG. Les budgets et <strong>le</strong>s objectifs étant liés directement aux prix du marché, <strong>le</strong>s ONGont dû soit réduire <strong>le</strong>urs objectifs ou soit se lancer dans des procédures administrativesfastidieuses auprès de bail<strong>le</strong>urs de fonds pour l’obtention d’avenants. Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>spaysans ne pouvaient absolument pas faire face à de tels prix. Ceci n'a fait querenforcer la dépendance et la vulnérabilité des populations rura<strong>le</strong>s. Les ONG en jeuont donc justifié <strong>le</strong>ur intervention en mettant en avant l'existence d'une vulnérabilitéqu'el<strong>le</strong>s avaient el<strong>le</strong>s-mêmes en partie créé. Cet exemp<strong>le</strong> illustre au combien agir sur<strong>le</strong> terrain exige un souci de réf<strong>le</strong>xion. Une meil<strong>le</strong>ure connaissance du contexte et devéritab<strong>le</strong>s diagnostics participatifs 165 auraient permis notamment de limiter ce typed’effets néfastes sur la population.164 Huambo compte en décembre 2003, une vingtaine d’organisations de solidarité international quiemploient une cinquantaine d’expatriés. D’après nos estimations lors d’une enquête terrain <strong>le</strong> personnelnational est actuel<strong>le</strong>ment de l’ordre de 2 à 3000 personnes.165 La méthode participative ne se limite pas à la seu<strong>le</strong> rencontre du soba mais s’appuie sur une séried’étapes permettant de faire ressortir <strong>le</strong>s réels besoin de l’ensemb<strong>le</strong> des bénéficiaires. « Practionner’shandbook on participation by crisis affected populations in humanitarian action » (ALNAP, 2003)


107L’action humanitaire en situation de post conflitAccompagnement du processus de retourEn vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s distributions généra<strong>le</strong>s à Huambo n’ont été utilisées que pour répondre àde courts pics de crise durant <strong>le</strong> processus de démobilisation et d’aide au retour despopulations déplacées vers Huambo. Les distributions en vil<strong>le</strong> n’étaient pas utiliséescomme une solution prioritaire car <strong>le</strong>s mécanismes de détournement de l’aide étaientévidents mais diffici<strong>le</strong>ment évitab<strong>le</strong>s 166 . Si certaines ONG continuent à travail<strong>le</strong>r surun mode « urgence » on commence à voir se dessiner chez la plupart des acteurs duterrain une transition vers la réhabilitation et <strong>le</strong> développement. Cela se traduit par unchangement des acteurs intervenant. Des ONG d’urgence réduisent voire arrêtent <strong>le</strong>ursactions et de nouveaux acteurs internationaux viennent dans une optique dedéveloppement. Par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> CICR qui a été très présent dans <strong>le</strong> pays jusqu'en2003 a décidé de mettre un terme à la plupart de ses activités, en particulier à tout cequi concerne l'assistance alimentaire et la santé. Il ne maintient que ses projets deconstruction de puits et de systèmes d’irrigation jusqu'à la fin du premier semestre2004. En outre, <strong>le</strong>s activités liées à la prévention de mines et au regroupement familialseront, el<strong>le</strong>s, à l'ordre du jour durant encore un bon nombre d'années.Gestion du post conflit : pérenniser la paixDans cette période délicate de post conflit, l’action humanitaire joue un rô<strong>le</strong> importanten tant qu’élément exécutant direct de résolutions prévues dans <strong>le</strong> processus de paix.El<strong>le</strong> se doit éga<strong>le</strong>ment de palier aux insuffisances et disparités de celui-ci. L’acteurhumanitaire par sa neutralité et sa proximité avec la population, est devenu uninterlocuteur privilégié dans la gestion des conflits. Le processus de paix implique,entre autres une segmentation de l’aide humanitaire entre <strong>le</strong>s différentes catégories depopulations vulnérab<strong>le</strong>s (démobilisés, déplacés, réfugiés, handicapés…). Cettesegmentation génère parfois des tensions au sein des communautés. Ainsi <strong>le</strong>s acteurshumanitaires doivent gérer <strong>le</strong> mécontentement des anciens militaires qui, ayant désertél’UNITA quelques temps avant la signature de la paix, ne sont pas considérés commedémobilisés et ne perçoivent pas, par conséquent, d’aide pour <strong>le</strong>ur réinstallation. Lesveuves des soldats de l’UNITA sont dans une situation similaire. Les ONG parfoisconscientes des méfaits et de l’arbitraire nés de cette compartimentation de l’aideentreprennent des actions pour atténuer ces disparités. Ce réf<strong>le</strong>xe reste toutefois troprare et il est essentiel<strong>le</strong>ment l’œuvre d’ONG disposant de fonds propres. En effet, <strong>le</strong>sprincipaux bail<strong>le</strong>urs de fonds peinent déjà à financer <strong>le</strong> processus de paix tel qu’il estprévu dans <strong>le</strong> Mémorandum de Luena.L’ouverture de nombreuses zones à l’action humanitaire a permis l’accès à des zonesvulnérab<strong>le</strong>s et à son extension sur quasiment l’ensemb<strong>le</strong> de la province. Comme en1994 ce mouvement se réalise conjointement au déminage d’axes routiers importants,à l’autorisation de l’administration, aux mouvements de retour massif initiés par <strong>le</strong>sdéplacés et par la détermination de zones vulnérab<strong>le</strong>s. Très vite <strong>le</strong>s ONGinternationa<strong>le</strong>s montent des projets dans <strong>le</strong>s municipes d’où proviennent <strong>le</strong>s déplacés.Les programmes sont axés sur <strong>le</strong>s questions de sécurité alimentaire (distributions166 Lors des distributions en vil<strong>le</strong> à Huambo <strong>le</strong>s cartes du PAM avaient été falsifiées et une partieconséquente de l’aide s’est retrouvée sur <strong>le</strong>s marchés.


108alimentaires et de semences) mais éga<strong>le</strong>ment sur la mise en place d’élémentsstructurants tels que <strong>le</strong>s postes de santé et <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s. Ce dernier type d’actioncaractérise souvent la transition vers <strong>le</strong>s phases de réhabilitation et développement.Aujourd'hui, des ONG sans grande marge de manœuvreAmorcer une reconstruction cohérenteLes acteurs humanitaires rentrent désormais de plus en plus dans une phase deconsolidation de <strong>le</strong>urs actions qui ont souvent des composantes liées à la réhabilitationet la reconstruction du bâti. D’un côté, il y a un besoin concret de reconstruire <strong>le</strong>sinfrastructures dévastées par la guerre mais éga<strong>le</strong>ment une réel<strong>le</strong> demande voire unepression des autorités. Ainsi, nombres d’ONG sont cantonnées à des fonctions demaîtrise d’œuvre à la demande des autorités, alors que des spécialistes tels que desarchitectes ou urbanistes ne font quasiment jamais partie des ressources humainesutilisées par <strong>le</strong>s ONG. La réf<strong>le</strong>xion autour de la reconstruction du bâti est peu présenteou biaisée par ce qu’imposent <strong>le</strong>s autorités, <strong>le</strong>s ONG sont bien souvent confrontées àtoute une série de problématiques très éloignées de <strong>le</strong>urs métiers et savoir-faire debase. Les bail<strong>le</strong>urs de fonds sont encore très attachés à la notion de visibilité, <strong>le</strong>secteur de la construction constitue en cela un élément spécifique. Les autoritésn’hésitent pas à s’approprier <strong>le</strong>s réalisations des ONG en <strong>le</strong>s présentant comme étantune contribution de l’Etat à la reconstruction nationa<strong>le</strong>.Le rô<strong>le</strong> des ONG dans cette phase de reconstruction est surtout encadré par <strong>le</strong>Programme d’Appui à la Reconstruction (PAR) de 35 municipes angolais dont 6 pourla province de Huambo. Le programme, financé par l’Union Européenne s’articu<strong>le</strong> endeux phases. Dans un premier temps des ONG sé<strong>le</strong>ctionnées pour participer au PARétablissent des diagnostics sur <strong>le</strong>s besoins dans <strong>le</strong>s municipes concernés. Les fichesprojet serviront ensuite à faire un appel d’offre auprès d’entreprises privées chargéesde la construction. Dans la deuxième phase l’ONG est chargée de la coordination etdu suivi des différents chantiers. Ce programme est, malgré ses imperfections, ce que<strong>le</strong>s bail<strong>le</strong>urs de fonds réalisent de plus concret en terme de reconstruction sur Huambo.Les mines une contrainte toujours présenteL’Angola est <strong>le</strong> deuxième pays <strong>le</strong> plus miné au monde, <strong>le</strong>s provinces de Huambo etBié comptant parmi <strong>le</strong>s provinces <strong>le</strong>s plus affectées. Les bail<strong>le</strong>urs bilatéraux financenten priorité des opérations de déminage dans <strong>le</strong>s zones où des ONG de <strong>le</strong>ur paysd’origine interviennent. Ainsi <strong>le</strong> gouvernement français assure <strong>le</strong> déminage dans lazone de Mungo au Nord Est de la province de Huambo parce que des OSI françaises yinterviennent. Le gouvernement angolais est tota<strong>le</strong>ment absent des opérations dedéminage. En 2003, on a compté quarante interventions dans ce domaine. Il n'existeplus de zones minées jugées par <strong>le</strong> gouvernement comme stratégiques. Une estimationréalisée par l’ONG britannique The Halo Trust, principal acteur du déminage sur laprovince de Huambo, affirme qu'il resterait environ 150 champs de mines à nettoyerdans la province de Huambo, soit l’équiva<strong>le</strong>nt de trois années de travail, si <strong>le</strong>s moyensfinanciers et techniques restent constants. Ces prévisions restent cependant àrelativiser car <strong>le</strong>s glissements de terrains durant la saison des pluies modifient lagéographie de la présence des mines.


109Les accidents de mines se produisent certes sur des axes ouverts à la circulationd’organisations humanitaires mais majoritairement hors des périmètres vérifiés par<strong>le</strong>s ONG de déminage 167 . Par mesure de précaution dès qu’un incident se produit lacirculation des organisations humanitaires cesse jusqu'à ce qu’une vérification par <strong>le</strong>sONG de déminage soit opérée. Ceci a pour conséquences que des zones vulnérab<strong>le</strong>speuvent être privées d’aide humanitaire pendant plusieurs mois.Il y a éga<strong>le</strong>ment encore beaucoup de stocks de mines dans <strong>le</strong>s mains de la populationqui peut <strong>le</strong>s utiliser afin de contrô<strong>le</strong>r certains axes commerciaux stratégiques. Desgroupes peu scrupu<strong>le</strong>ux peuvent donc aisément se reconstituer un stock afin de recréerun climat de pression sur certaines zones.Sans être obligatoirement liée aux mines, l’action humanitaire reste encore très liée àla question de l’accès aux zones d’intervention. Les ponts détruits, <strong>le</strong>s routesimpraticab<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s accidents de mines sont autant d’éléments qui paralysent touteaction. Ainsi, <strong>le</strong>s acteurs ne peuvent accéder aux projets qu’ils ont mis en œuvrelaissant une grande partie de la population coupée de l’aide humanitaire 168 . De plus,cela empêche l’évaluation de nouvel<strong>le</strong>s zones vulnérab<strong>le</strong>s. Face à ce statu quo del’action en milieu rural, un retour vers des actions en vil<strong>le</strong> apparaît comme unesolution de repli potentiel<strong>le</strong>.Garantir la pérennité des projets, une difficulté majeureUne des principa<strong>le</strong>s limites constatées concernant <strong>le</strong>s actions menées par des ONGtravaillant sur <strong>le</strong>s provinces de Huambo et Bié est cel<strong>le</strong> de la continuité des actionsentreprises. Une réel<strong>le</strong> pérennité des actions réalisées et <strong>le</strong>ur prise en charge par <strong>le</strong>sadministrations lors du départ des ONG rencontrent plusieurs obstac<strong>le</strong>s face auxquelsbien souvent <strong>le</strong>s acteurs humanitaires sont désarmés. Cette contrainte risque d’êtrelongue à se résorber, condamnant bon nombre de projets à péricliter après <strong>le</strong> départ del’ONG initiatrice du projet. La non-continuité est due à la conjugaison de plusieursfacteurs qui caractérisent l’administration angolaise de nos jours : <strong>le</strong> manque demoyens financiers qui se traduit par l’absence d’équipement et <strong>le</strong> non-paiement dessalaires. Il y a, par ail<strong>le</strong>urs, un manque évident de personnel qualifié pour <strong>le</strong>fonctionnement notamment pour <strong>le</strong>s postes de cadres.Deux ans à peine après la signature d’une paix mettant un terme à 27 ans de guerrecivi<strong>le</strong>, plus de 500000 morts et quatre millions de déplacés, l’Angola prend aux yeuxde la communauté internationa<strong>le</strong> des allures de crise oubliée. Les bail<strong>le</strong>urs de fondd’urgence se désengagent massivement. Le non financement ducontinuumurgenceréhabilitation-développementhypothèque <strong>le</strong>s chances de pérennisation de la paix etmet à mal la construction des bases nécessaires à un développement autonome etdurab<strong>le</strong> du pays.167 Les périmètres vérifiés sont <strong>le</strong>s surfaces goudronnées et 1 mètre de bas côté. Les usagers desroutes, et notamment <strong>le</strong>s transporteurs empruntent des trajectoires alternatives hors des zones vérifiéesafin d’éviter des portions de route de mauvaise qualité.168 En décembre 2003, la conjugaison des problèmes de route, ponts et mines coupe 500 000bénéficiaires de toute aide alimentaire sur la Province de Huambo. Rapport OCHA Décembre 2003.


110ConclusionLes vil<strong>le</strong>s ont été au cœur du conflit Angolais. La prise de contrô<strong>le</strong> de Luanda par <strong>le</strong>MPLA et l’armée cubaine est <strong>le</strong> détonateur de la guerre civi<strong>le</strong>. Dans <strong>le</strong>s années 1980,<strong>le</strong> conflit est davantage axé sur un contrô<strong>le</strong> territorial du milieu rural et des zonesstratégiques (ex : zones diamantifères). Dans <strong>le</strong>s années 1990, <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s redeviennent<strong>le</strong> centre névralgique du conflit angolais. Au cours de toutes ces années <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>sfurent un enjeu de la guerre, el<strong>le</strong>s sont aujourd’hui un enjeu de la paix.Pendant <strong>le</strong>s longues années de conflit <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s ont été <strong>le</strong>s seuls lieux où pouvait sedélivrer une aide humanitaire et assurer la survie de centaines de milliers depersonnes. Dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s refuges de Luanda et Benguela ou dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s cib<strong>le</strong>s deHuambo et Kuito, <strong>le</strong> milieu urbain a été <strong>le</strong> lieu essentiel à la survie des populations.Plus globa<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s secondaires d’Angola ont agi comme des agentsincubateurs qui ont marqué durab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s modes de vie de milliers de déplacésd’origine rura<strong>le</strong>. La durée prolongée du conflit a nécessairement conduit un jour oul’autre <strong>le</strong>s Angolais vers des vil<strong>le</strong>s. La lutte quotidienne pour la survie en vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>sconditions souvent chaotiques dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s déplacés devaient s’adapter aumilieu urbain ont entraîné des bou<strong>le</strong>versements dans <strong>le</strong>s comportements(individualisme, une monétarisation des échanges poussée à l’extrême, déstructurationdu tissu social). L’élément marquant de cette situation de sortie de crise reste <strong>le</strong> retourmassif et spontané des déplacés urbains. Cela apporte la preuve que la migration vers<strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s est généra<strong>le</strong>ment passagère. De nombreux facteurs ont incité au retour vers<strong>le</strong>s zones d’origine, notamment <strong>le</strong> pouvoir incitatif, voire coercitif des autorités,l’attachement culturel à la terre, <strong>le</strong> manque d’attraction des vil<strong>le</strong>s moyennes et <strong>le</strong>« pull factor » exercé par la distribution alimentaire dans <strong>le</strong>s campagnes. Cephénomène qui a surpris l’ensemb<strong>le</strong> des acteurs humanitaires reste à relativiser : d’unepart <strong>le</strong>s mouvements migratoires circulaires sont aujourd’hui ancrés dans la réalité dela vie des Angolais, d’autre part la conjugaison des modes de vie urbains et ruraux estdevenu un élément essentiel de la survie des populations. Les migrations circulairesvers <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s autrefois motivées par des raisons de sécurité sont maintenant mues par<strong>le</strong> besoin d’accéder à des services indispensab<strong>le</strong>s (marchés urbains, éducation, santé).Ainsi, <strong>le</strong> retour vers <strong>le</strong>s zones rura<strong>le</strong>s s’est accompagné de l’exportation du mode devie urbain dans <strong>le</strong>s campagnes. Les vil<strong>le</strong>s petites et secondaires polarisent aujourd’hui<strong>le</strong> territoire, el<strong>le</strong>s représentent <strong>le</strong>s chaînons indispensab<strong>le</strong>s au développement deszones rura<strong>le</strong>s.Les acteurs humanitaires ont joué un rô<strong>le</strong> essentiel durant <strong>le</strong> conflit, notamment grâceaux distributions alimentaires. Aujourd’hui, ils doivent s’adapter aux nouveaux modesd’échanges qui régissent dans l’ensemb<strong>le</strong> du pays mais aussi à la prise en compte desfortes interactions qui unissent <strong>le</strong>s campagnes et <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s. La potentialisation desliens entre <strong>le</strong>s zones rura<strong>le</strong>s et urbaines apparaît comme la clé de voûte du processusde reconstruction. Cependant, l’accès aux populations <strong>le</strong>s plus vulnérab<strong>le</strong>s posebeaucoup de problèmes.L'Angola est entré dans une période de sortie de crise. Cette phase de reconstructionest une étape crucia<strong>le</strong> dans la fondation d'une vie stab<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s centres urbains quiaccueil<strong>le</strong>nt plus de la moitié de la population angolaise. La vil<strong>le</strong> de Huambo reste trèstouchée par <strong>le</strong>s affrontements et doit gérer cette étape avec attention car un déficitd’attention à l’égard des vil<strong>le</strong>s pourrait laisser des zones urbaines entières sous <strong>le</strong>scontrô<strong>le</strong>s de groupes armés et conduire à une réactivation des tensions entre <strong>le</strong>shabitants.


Le travail en milieu rural (où <strong>le</strong>s vulnérabilités sont plus faci<strong>le</strong>ment identifiab<strong>le</strong>spour <strong>le</strong>s acteurs et où <strong>le</strong>s résultats sont plus visib<strong>le</strong>s pour <strong>le</strong>s bail<strong>le</strong>urs) continued’être privilégié par <strong>le</strong>s acteurs humanitaires. La comp<strong>le</strong>xité du milieu urbain estdéroutante, <strong>le</strong>s vulnérabilités y prennent une forme méconnues pour <strong>le</strong>s acteurshumanitaires. Enjeux de la guerre, <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s sont aujourd'hui des enjeux pour lapaix. Les vil<strong>le</strong>s doivent donc recevoir une attention toute particulière del'administration certes mais éga<strong>le</strong>ment des acteurs humanitaires.111


112VILLES, GUERRE CIVILE ET SEDENTARISATION :L’EXEMPLE DU NORD MALI3L’ENVIRONNEMENT REGIONAL DE LA REBELLIONLe Nord Mali : une zone régie par ses conditions naturel<strong>le</strong>sLe ‘Nord Mali’ rassemb<strong>le</strong> la 6 ème , 7 ème et 8 ème régions issues des découpagesadministratifs de 1977 169 et 1989 170 . L’ unique région septentriona<strong>le</strong> qui étaitconstituée autour de la vil<strong>le</strong> de Gao a été subdivisée en trois régions chacunedotées d’une ‘capita<strong>le</strong> régiona<strong>le</strong> distincte’. C’est un espace paradoxal qui alliel’immensité géographique de ses contours (65,2% du territoire malien), au poidsdémographique <strong>le</strong> plus faib<strong>le</strong> du pays 171 . Cette particularité décou<strong>le</strong> desconditions naturel<strong>le</strong>s qui sévissent dans la région, et qui y régissent la vienaturel<strong>le</strong> et socia<strong>le</strong>. L’enclavement de la zone et la rudesse du climat sont à labase du fonctionnement général du territoire.Un environnement naturel rudeLa région est isolée aux trois niveaux local, national et continental.Au sein de la région Nord, <strong>le</strong>s déplacements sont particulièrement diffici<strong>le</strong>s. Larareté des infrastructures routières, <strong>le</strong> relief de dunes et <strong>le</strong> facteur éolienrallongent <strong>le</strong>s trajets entre <strong>le</strong>s différents pô<strong>le</strong>s de la sous-région, et influent sur<strong>le</strong>s dynamiques territoria<strong>le</strong>s. Enclavée, la zone revêt néanmoins des qualitéssous-exploitées. El<strong>le</strong> présente un potentiel économique non négligeab<strong>le</strong>. LeNord du Mali a ainsi participé activement au commerce transsaharien. Avant lacréation par <strong>le</strong>s Européens des comptoirs coloniaux sur <strong>le</strong>s côtes de l’Afrique de169 La région de Gao est scindée en deux en 1977 en deux régions. Cette scission donne naissance à unenouvel<strong>le</strong> région administrative – la sixième région- dont Tombouctou devient la vil<strong>le</strong> principa<strong>le</strong>. Larégion de Gao, ancienne sixième région, devient alors la septième région du Mali.170 Le cerc<strong>le</strong> de Kidal se voit attribué <strong>le</strong> statut de région (la 8 ème du Mali) en 1989, avec pour capita<strong>le</strong> lavil<strong>le</strong> de Kidal.171 0,8 habitants au km² seu<strong>le</strong>ment.


113l’Ouest, la zone assumait p<strong>le</strong>inement son positionnement entre l’Afrique del’Ouest et <strong>le</strong> Maghreb, et prospérait du fait des échanges entre ces deux sousrégions. La déviation des routes commercia<strong>le</strong>s suite à la colonisation a contribuéau reflux du dynamisme économique et commercia<strong>le</strong> du Nord du Mali.Le Nord Mali est une zone aride. L’eau constitue <strong>le</strong> facteur fondamental autourduquel se construisent <strong>le</strong>s dynamiques économiques, territoria<strong>le</strong>s et socia<strong>le</strong>s. Lef<strong>le</strong>uve Niger et <strong>le</strong>s précipitations structurent avant toute autre chose <strong>le</strong> territoire,<strong>le</strong>s activités humaines, et <strong>le</strong>s déplacements dans la région.Le Niger délimite la zone sahélo-saharienne du Sud, et la zone saharienne auNord. Son débit influe sur <strong>le</strong> degré d’activités agrico<strong>le</strong>s qui se concentrent surses rives. Il varie en fonction de la crue qui s’étend de juil<strong>le</strong>t à janvier, et de ladécrue située entre janvier et juin. En période de crue, <strong>le</strong>s lacs localisés sur <strong>le</strong>srives du f<strong>le</strong>uve permettent l’irrigation des cultures ; tandis qu’en période dedécrue, ils constituent des zones de pâturage pour <strong>le</strong>s bêtes. Au delà de la zonelacustre, la vallée du Gourma offre des ressources agrico<strong>le</strong>s proportionnel<strong>le</strong>sel<strong>le</strong>s aussi aux précipitations qui alimentent la crue du Niger. En s’éloignantencore un peu plus de la vallée, c’est <strong>le</strong> désert et <strong>le</strong> relief de dunes qui priment.L’accès à l’eau est nécessaire à la survie des hommes et des bêtes et conditionnel’économie de la région qui repose sur <strong>le</strong> nomadisme pastoral et <strong>le</strong> commercetranssaharien. Dans <strong>le</strong> sud de la région Nord, l’alternance de la saison sèche quidure environ huit mois, et de la saison des pluies entre juin et septembre imposedes cyc<strong>le</strong>s naturels précis dont l’enchaînement et la prévisibilité assurent <strong>le</strong>sconditions minima<strong>le</strong>s de survie. Dans l’extrême Nord du pays, la pluviométrieest quasi absente, et la succession des saisons se mesure davantage en termes devariation de température, qu’en termes de variation du relief et de la fertilité dessols. L’irrégularité de la pluviométrie dans cette partie de la région, et l’effetdesséchant de l’harmattan obligent <strong>le</strong>s populations à des migrationstransrégiona<strong>le</strong>s importantes pour alimenter <strong>le</strong>s bêtes en eau.Mais l’opposition des milieux naturels – saison sèche/saison des pluies – ne setraduit pas seu<strong>le</strong>ment par une variation du milieu physique. Comme l’expliqueMohamed Tiessa-Farma Maiga 172 , <strong>le</strong> dualisme de l’écosystème renvoiedirectement au dualisme humain de la région par la cohabitation de deux sty<strong>le</strong>sde vie : l’un nomade et l’autre sédentaire.L’adaptation des modes de vie au milieu : <strong>le</strong> tandem sédentaire/nomadeAu Nord du Mali, coexistent deux types de relations à l’espace – nomade etsédentaire - el<strong>le</strong>s mêmes directement engendrées par <strong>le</strong>s exigences du milieunaturel. Davantage que la tradition, ce sont surtout <strong>le</strong>s stratégies de survie etd’adaptation des populations au milieu naturel qui expliquent <strong>le</strong>ur persistancejusqu’à aujourd’hui.Le mode de vie nomade répond aux différentiels de viabilité du territoire.L’incertitude du climat et des conditions naturel<strong>le</strong>s du territoire entraînent lamultiplication des pô<strong>le</strong>s de production, des déplacements, et des échanges. La172 Le Mali : De la sécheresse à la rébellion nomade, Chronique et analyse d’un doub<strong>le</strong> phénomène ducontre-développement en Afrique sahélienne, Col<strong>le</strong>ction Alternatives rura<strong>le</strong>s, l’Harmattan, 1997


114notion de la territorialité chez <strong>le</strong>s nomades présente deux particularitésimportantes. Tout d’abord, el<strong>le</strong> se définit par <strong>rapport</strong> à ce qui rend <strong>le</strong> territoireviab<strong>le</strong>. Les déplacements et itinéraires des nomades sont déterminés enfonction des disponibilités en eau et en pâturage du milieu naturel. Ensuite, laterritorialité des nomades s’appuie sur un réseau de lieux et non sur des surfacesdélimitées et patrimonia<strong>le</strong>s. Si l’é<strong>le</strong>vage se pratique par tradition et par prestige,<strong>le</strong> nomadisme défini comme ‘un mode de vie caractérisé par un déplacementplus ou moins fréquent du groupe humain à la recherche de nouveauxpâturages’ 173 n’est donc pas un choix de vie indépendant du milieu dans <strong>le</strong>quelil s’enracine. Il répond avant tout à une logique de nécessité et d’adaptation àl’environnement naturel. Deux types de transhumances sont pratiquées. Lespetites transhumances amènent <strong>le</strong>s nomades à se déplacer autour d’un puitsd’attache et des zones de pâturages proches. Les grandes transhumances quant àel<strong>le</strong>s sont pratiquées par <strong>le</strong>s nomades en vue des échanges commerciaux(animaux contre céréa<strong>le</strong>s) au sein des places de marché. C’est à cette occasionque la complémentarité des modes de vie nomade et sédentaire se révè<strong>le</strong>. Lesmarchés qui se tiennent dans <strong>le</strong>s capita<strong>le</strong>s régiona<strong>le</strong>s et dans <strong>le</strong>s bourgs rurauxencadrent <strong>le</strong>s échanges économiques et sociaux entre nomades et sédentaires.Face à la société nomade qui se concentre en milieu rural autour de l’é<strong>le</strong>vage, lavil<strong>le</strong> constitue la défense que se donne <strong>le</strong>s sédentaires. Les modes de vie despopulations sédentaires se structurent autour des activités agrico<strong>le</strong>s etcommercia<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong>s prédominent donc en milieu urbain pour pouvoir accéderaux places de marché, ainsi qu’à la périphérie des vil<strong>le</strong>s et en bordure du f<strong>le</strong>uveNiger où des terres cultivab<strong>le</strong>s et irriguées accueil<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s agriculteurs. Les lienséconomiques se tissent entre <strong>le</strong>s deux modes de vie autour d’un schéma simp<strong>le</strong> :<strong>le</strong>s sédentaires apportent <strong>le</strong>s denrées issues de <strong>le</strong>ur agriculture et nécessaires auxnomades, qui <strong>le</strong>ur donnent <strong>le</strong>ur bétail en échange.Par conséquent, la zone étudiée fonctionne en système autour del’interdépendance de plusieurs facteurs qui sont <strong>le</strong> milieu naturel, <strong>le</strong> mode devie, et l’activité économique.Des spécificités qui contribuent à structurer <strong>le</strong>s relations milieu rural/milieuurbainLe milieu naturel entraîne des stratégies économiques différentes, qui sontpratiquées via l’appartenance à un mode de vie plus ou moins mobi<strong>le</strong>. Cesdynamiques économiques et territoria<strong>le</strong>s contribuent à structurer <strong>le</strong>s relationsentre <strong>le</strong> milieu rural et <strong>le</strong> milieu urbain au Nord du Mali. La prédominance dumilieu rural au nord du Mali inscrit l’urbain dans une définition très différente dela vil<strong>le</strong> occidenta<strong>le</strong>.Première caractéristique. « Compte tenu du caractère très rural de toutes <strong>le</strong>svil<strong>le</strong>s maliennes, <strong>le</strong> seuil de 5000 habitants pour définir l’urbain paraît tout àfait légitime. Cela donne 69 unités urbaines qui ont été réparties par régionsadministratives et par classes de tail<strong>le</strong> (…) <strong>le</strong> poids de la métropo<strong>le</strong> compte 40%de la population urbaine tota<strong>le</strong> (…). En réalité, on peut considérer quel’armature urbaine malienne comporte quatre niveaux : la métropo<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s173 Dictionnaire de la géographie, George P., p.93, P.U.F, Paris, 1974.


115grandes vil<strong>le</strong>s (6 dont Gao), <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s intermédiaires (9 dont Tombouctou), et <strong>le</strong>spetites vil<strong>le</strong>s (53 dont Léré et Gossi) [qui] sont des bourgs ruraux. El<strong>le</strong>s sont àla marge de l’armature urbaine mais el<strong>le</strong>s ont vocation à accéder au statuturbain dans des délais assez rapprochés 174 ».Deuxième élément de comparaison. La vil<strong>le</strong> malienne n’est pas autonome par<strong>rapport</strong> à son environnement rural. Les vil<strong>le</strong>s maliennes restent très enclavées etse caractérisent par <strong>le</strong> fait qu’el<strong>le</strong>s ne constituent pas un territoire indépendant de<strong>le</strong>ur hinterland ; el<strong>le</strong>s s’envisagent dans <strong>le</strong>ur relation au milieu rural qui couvreun territoire beaucoup plus étendu et dynamique économiquement. Appliquant ladistinction énoncée par J. Hardoy et D. Satterthwaite (1986), c’est lacontribution des vil<strong>le</strong>s à la production régiona<strong>le</strong> et la nécessaire analyse dufonctionnement des systèmes urbains qui contribue à caractériser la vil<strong>le</strong>.Ainsi, <strong>le</strong>s capita<strong>le</strong>s régiona<strong>le</strong>s de Gao et de Tombouctou revêtent une formeurbaine limitée. El<strong>le</strong>s ont en commun <strong>le</strong>ur faib<strong>le</strong> équipement en services urbains,l’absence d’unité de production industriel<strong>le</strong> et une économie urbaine dépendantede la production agrico<strong>le</strong> de la zone rura<strong>le</strong> a<strong>le</strong>ntour, et des flux commerciaux qui<strong>le</strong>s relient aux pays limitrophes. Néanmoins, ces capita<strong>le</strong>s régiona<strong>le</strong>s remplissentune fonction importante pour la sous-région. El<strong>le</strong>s polarisent <strong>le</strong> territoire,encadrent l’économie rura<strong>le</strong> et offrent des services inexistants dans l’hinterland,comme l’enseignement secondaire et la santé hospitalière; ainsi que despossibilités d’encadrement commercial beaucoup plus é<strong>le</strong>vées que dans <strong>le</strong>sbourgs ruraux intermédiaires, en raison de l’acheminement plus aisé des produitset d’un marché de l’emploi plus large. Dans <strong>le</strong> cas de Gao, c’est la localisation àla jonction de trois routes nationa<strong>le</strong>s qui la relient à l’Algérie et au Niger, etl’accès à la voie fluvia<strong>le</strong> Koulikoro-Gao qui donnent à la vil<strong>le</strong> son rayonnementéconomique. Dans <strong>le</strong> cas de Tombouctou, <strong>le</strong> port assure des échangescommerciaux plus denses que dans <strong>le</strong>s zones rura<strong>le</strong>s environnantes. L’économieurbaine interne de ces pô<strong>le</strong>s régionaux s’organise autour d’activités agrico<strong>le</strong>s à laproche périphérie des vil<strong>le</strong>s, autour d’activités commercia<strong>le</strong>s de ventes au détai<strong>le</strong>t de l’emploi informel à la tâche (réparation, restauration porteurs), ouadministratif (fonctionnaires issus de la décentralisation).Enfin, <strong>le</strong> territoire de chacune des régions du Mali est très vaste et son maillageinterne est assuré par un ensemb<strong>le</strong> de bourgs ruraux, et surtout de sites desédentarisation.Les bourgs ruraux sont des petites vil<strong>le</strong>s organisées autour d’un marché et d’undegré d’infrastructure assez important : on y trouve généra<strong>le</strong>ment plusieurs puitset éco<strong>le</strong>s, un centre de santé équipé, un château d’eau. Ce niveau d’équipementest pour une large part lié aux projets des ONGs de développement et à la miseen place de la décentralisation. A partir de 1993, el<strong>le</strong> consacra la dimensionurbaine de ces petites vil<strong>le</strong>s en <strong>le</strong>ur affectant <strong>le</strong> statut administratif de ‘communerura<strong>le</strong>’. C’est <strong>le</strong> cas de Léré et Gossi, toutes deux situées dans la région deTombouctou. A l’échelon inférieur, se trouvent <strong>le</strong>s sites de sédentarisation quisont une des caractéristiques majeures du contexte urbain nord malien. Ils sontissus d’une nouvel<strong>le</strong> génération d’anciens campements nomades, et sontconstruits en dur ou semi-dur. Leur forme éclatée est constituée de maisons et dequelques équipements de base (un puit, un poste de santé parfois, et une éco<strong>le</strong>).Généra<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s sites de sédentarisation n’ont pas de marché propre, ce qui174 Troisième Projet Urbain du Mali, 1996.


116oblige <strong>le</strong>urs habitants à rejoindre d’autres sites plus grands, ou des bourgs rurauxpour faire <strong>le</strong>urs achats. Préexistants à la crise touarègue ou créés ex nihilo parl’aide humanitaire lors des rapatriements, ils inaugurent de nouveaux modes devie semi sédentaires. Ils sont rattachés selon <strong>le</strong> découpage administratif à unecommune rura<strong>le</strong> ou urbaine.Les trois échel<strong>le</strong>s d’urbanisation structurent la zone rura<strong>le</strong> du Nord Mali. Lesliens entre ces différents niveaux sont avant tout économiques et politiques: <strong>le</strong>sdéplacements d’un niveau à l’autre sont dus à la nécessité de se rendre sur <strong>le</strong>smarchés ou aux relations entre <strong>le</strong>s différents représentants des communes pourune gestion administrative globa<strong>le</strong> de chacune des régions.Une doub<strong>le</strong> crise naturel<strong>le</strong> et politique survient sur <strong>le</strong> territoireLa sécheresse et la désertification fragilisent l’écosystèmeLa vulnérabilité naturel<strong>le</strong> du territoire Nord malien s’accentue au milieu desannées 60 avec l’apparition de deux phénomènes climatiques.D’une part, <strong>le</strong>s sécheresses sont récurrentes. Dans cette région particulièrementaride, <strong>le</strong> renouvel<strong>le</strong>ment du couvert végétal, et l’accès à l’eau sont directementliés à la pluviométrie qui décline d’année en année. Cette pression de l’eau revêtun enjeu financier d’investissement dans <strong>le</strong>s infrastructures hydriques, et par làun enjeu politique pour l’Etat malien. A la baisse de la pluviométrie, il fautajouter la répartition inéga<strong>le</strong> des pluies. El<strong>le</strong> contribue tout autant que lasécheresse au déséquilibre naturel de la zone et fragilise <strong>le</strong>s constructions enterre en cas de précipitations vio<strong>le</strong>ntes. D’autre part, la désertificationendommage <strong>le</strong> couvert végétal et appauvrit <strong>le</strong>s sols.Sous l’effet combiné de ces deux tendances et de l’érosion éolienne, <strong>le</strong>s nappesphréatiques se sont appauvries, <strong>le</strong>s puits se sont asséchés, la progression du sab<strong>le</strong>s’est aggravée à mesure que <strong>le</strong>s arbres se sont déchaussés. Le milieu naturel s’enretrouve bou<strong>le</strong>versé. Le Nord Mali se caractérise par l’interdépendance de sonéquilibre naturel, économique et social. L’incertitude climatique qui régit <strong>le</strong>milieu naturel depuis plusieurs années a un impact direct sur la cohésionhumaine de la région, et constitue un foyer latent de crise.Une gestion politique à la source de la marginalisation du territoireParallè<strong>le</strong>ment au déséquilibre climatique et naturel de la zone, <strong>le</strong> Nord Malisouffre d’ostracisme tant la prise en compte de ses spécificités a été négligée parla puissance colonia<strong>le</strong> puis par l’Etat malien.Avant même la pression supplémentaire des sécheresses, L’Etat français et sonmode de gestion politique avait profondément transformé <strong>le</strong> système nordmalien. Le modè<strong>le</strong> social instauré par l’Etat français à partir de 1909 lors de laprise de contrô<strong>le</strong> des territoires maures et touaregs, déstructure <strong>le</strong> tissu social dela zone. La société touarègue précolonia<strong>le</strong> est de type féoda<strong>le</strong> et guerrière, faited'unités politiques placées sous l'autorité d'une chefferie héréditaire (aménokal).L’implication française marqua un affaiblissement de la pratique del'esclavagisme sans supprimer pour autant <strong>le</strong> sentiment de supériorité desTouaregs blancs sur <strong>le</strong>s Touaregs noirs. La domination du guerrier s'affaiblitprogressivement car l'administration assure désormais cette protection. Cettepériode se caractérisa aussi par une très faib<strong>le</strong> scolarisation des populations


117nomades (pour des raisons religieuses) et une plus forte scolarisation des enfantsdes tributaires.Sur <strong>le</strong> plan économique, la colonisation s'est accompagnée d’une forte pressionfisca<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s Touaregs sous la forme d’impôts de capitation et de taxes sur <strong>le</strong>bétail. Le développement de services vétérinaires a augmenté la tail<strong>le</strong> descheptels et donc amplifié <strong>le</strong>s mouvements de nomadisation vers <strong>le</strong> Sud et la zonefluvia<strong>le</strong>. Cette intensification des déplacements engendrent <strong>le</strong>s premiers conflitsfonciers entre nomades et sédentaires.Cette modification territoria<strong>le</strong> a débuté sous la colonisation. Le tracé desfrontières a eu de lourds échos tant sur <strong>le</strong> plan humain qu'écologique. Lesnomades ont alors vu <strong>le</strong>urs territoires mutilés puis remaniés par <strong>le</strong>développement et <strong>le</strong>s différentes formes d'exploitations du milieu naturel(agriculture, exploitation des sols, ...). L'administration a établi des conventionsdélimitant <strong>le</strong>s limites des déplacements nomades qui ont réduit aussi la libertéde circulation des Touaregs et des Maures. Le processus de sédentarisation estlargement entamé, heureusement pas partout et pas pour tous <strong>le</strong>s nomades et onne peut, de toute façon, plus revenir sur <strong>le</strong>s jours d'antan. Les échanges entrenomades et sédentaires, et plus généra<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s mécanismes de survie etd’adaptation de l’ensemb<strong>le</strong> des ethnies du Nord en sont ressortis affaiblis.L'indépendance va aggraver la situation et catalyser <strong>le</strong> mécontentement. Lerégime autoritaire, formé au jacobinisme, d'économie socialiste planifiée,renforce ainsi <strong>le</strong>s inégalités entre <strong>le</strong> Nord et <strong>le</strong> Sud du Mali. Eloignésgéographiquement du lieu de prise de décision situé dans la capita<strong>le</strong>, isolés depart <strong>le</strong>s particularités économiques, climatiques et socia<strong>le</strong>s de la sous-région, <strong>le</strong>sguerriers nomades revendiquent une place plus importante des populationsd’origine arabo-berbères dans la gestion des affaires de l’Etat malien. Unpremier soulèvement en 1962 qui voulait relancer <strong>le</strong> projet de création d’uneOrganisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) marque <strong>le</strong> débutd’une période de conflits récurrents. Ces tensions engendrent un premier flux depopulation touarègue vers <strong>le</strong>s pays frontaliers du Niger et de l’Algérie.Les tensions montent, <strong>le</strong> conflit éclateDans <strong>le</strong>s années 90, la conjonction de plusieurs facteurs de crise engendrel’éclatement du conflit dit ‘touareg’. Les sécheresses dévastatrices de 1973 et de1984 renforcent la pression sur la zone. Le bétail meurt 175 , ce qui met en péril àla fois la survie économique et la survie socia<strong>le</strong> de la population nomade. Ceci aentraîné <strong>le</strong> surpâturage, développé un peu plus <strong>le</strong>s conflits fonciers vers la zonefluvia<strong>le</strong> et accéléré <strong>le</strong> processus de sédentarisation déjà institué sous lacolonisation. Les jeunes réduits au chômage se sont exilés massivement et ontgrossi <strong>le</strong> contingent de population touarègue constitué dans <strong>le</strong>s pays frontalierssuite aux premiers affrontements de 1960.Parallè<strong>le</strong>ment, la marginalisation politique du Nord perdure tandis que <strong>le</strong> paysconnaît une conjoncture économique et socia<strong>le</strong> diffici<strong>le</strong>.175 La sécheresse de 1984 est estimée avoir entraîné la perte de 1350000 bovins, et 2450000 moutons,dont la plupart appartenait aux populations touarègues. ( source : Rapport d’ évaluation 6.97 ,Norwegian Church Aid’s Humanitarian and Peacemaking work in Mali, by International PeaceResearch Institute, Oslo).


118Le schéma socialiste de production et l’activité agrico<strong>le</strong> ne permettent pas desatisfaire correctement <strong>le</strong>s besoins de la population. La dépendance économiqueet la libéralisation de la production agrico<strong>le</strong> mondia<strong>le</strong> se conjuguent etcontribuent à l’aggravation de la dette extérieure du pays 176 . Les mesuresd’austérité économique imposées par <strong>le</strong> FMI et <strong>le</strong>s politiques d’ajustementstructurel<strong>le</strong>s attisent <strong>le</strong> climat d’instabilité socia<strong>le</strong> déjà encouragée par <strong>le</strong>ssécheresses. Par ail<strong>le</strong>urs, des émeutes au sud du pays s’opposent vio<strong>le</strong>mment aurégime autoritaire de Moussa Touré en place depuis 1968. El<strong>le</strong>s aboutiront à uncoup d’état militaire mené par l’actuel président du Mali, Amadou ToumaniTouré, puis à l’é<strong>le</strong>ction en juin 1992 d’Alpha Konaré.Instabilité politique au sud, pression internationa<strong>le</strong> sur l’économie malienne,difficultés environnementa<strong>le</strong>s, et marginalisation politique : tous ces facteurs detensions sont à l’origine de l’organisation depuis l’extérieur de la rébelliontouarègue. El<strong>le</strong> trouve un appui militaire auprès de la Libye, grâce à l’impulsiondu colonel Kadhafi qui accorde la nationalité libyenne à tous <strong>le</strong>s Touaregs qui enfont la demande. C’est aussi en Libye que <strong>le</strong> MPLA (Mouvement Populaire deLibération de l’Azawad), premier acteur de la rébellion touarègue de 1990 estcréé, et que <strong>le</strong>s premières attaques sont planifiées. Jusqu’à la signature du PacteNational 177 <strong>le</strong> 11 avril 1992, des attaques sporadiques d’une grande vio<strong>le</strong>nce sontmenées dans l’ensemb<strong>le</strong> des régions septentriona<strong>le</strong>s du Mali, dans unmouvement d’Est en Ouest. Les villages et <strong>le</strong>s centres urbains sontparticulièrement touchés par <strong>le</strong>s attaques car ils renferment <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plusprégnants de l’Etat. La forme urbaine constitue une cib<strong>le</strong> faci<strong>le</strong>, accessib<strong>le</strong> etefficace pour <strong>le</strong>s acteurs de la vio<strong>le</strong>nce. Ces derniers ont surtout cherché àtoucher des cib<strong>le</strong>s humaines, plus nombreuses et regroupées dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s etvillages. Par ail<strong>le</strong>urs, la vil<strong>le</strong> présentait l’avantage pour eux de renfermer dessymbo<strong>le</strong>s de la présence de l’Etat qu’ils remettaient en cause, comme <strong>le</strong>sgendarmeries, mairies, postes de polices par exemp<strong>le</strong>.Le Pacte National se donne pour objectif <strong>le</strong> retour de la paix et de la sécurité, etdes investissements dans <strong>le</strong> développement économique du Nord du Pays.Néanmoins, contre toute attente, la conclusion de ce pacte marque larecrudescence des tensions dans <strong>le</strong> Nord, et l’accentuation de l’ethnicisation duconflit. Les accords de paix sont jugés trop laxistes par une minorité extrémistesédentaire qui forme <strong>le</strong> Mouvement Populaire des Ganda Koy à Sévaré dans larégion de Mopti. Leur entrée sur <strong>le</strong> terrain militaire à partir de 94 se dérou<strong>le</strong> dansune extrême vio<strong>le</strong>nce. Des opérations de tueries, et de massacres des populationstouarègues dans <strong>le</strong>urs campements en brousse, et dans <strong>le</strong>urs maisons en vil<strong>le</strong>sont perpétrées. D’une confrontation des nomades et de l’Etat, <strong>le</strong> conflit glissevers une opposition entre <strong>le</strong>s populations sédentaires et nomades. Les dires quisuivent, recueillis auprès d’un chef de fraction résument parfaitement lasituation : ‘D’une rébellion armée s’attaquant aux symbo<strong>le</strong>s de l’Etat, on176 La dette du Mali est évaluée par la banque mondia<strong>le</strong> à 732 millions d’USD en 1980. El<strong>le</strong> a doublé en5 ans pour atteindre 1.5 billion d’USD en 1985, et 2.4 billions d’USD en 1990.177 Signé <strong>le</strong> 11 avril 1992, <strong>le</strong> Pacte National a pour objectif <strong>le</strong> retour de la paix, la réconciliationnationa<strong>le</strong>, et la promotion socio-économique du nord du Mali. Il prévoit l’intégration tota<strong>le</strong> descombattants des MFUA ( Mouvements et fronts unifiés de l’Azawad) dans <strong>le</strong>s différents corps de l’Etat,ma mise en place d’un fonds de développement et de réinsertion ainsi qu’un fonds d’assistance etd’indemnisation aux victimes. Il concède un statut particulier au Nord dans <strong>le</strong> cadre du redécoupageterritorial de la décentralisation et <strong>le</strong> Commissariat au Nord est érigé pour veil<strong>le</strong>r au respect du PacteNational.


119s’achemine vers une guerre ethnique par MFUA, Ganda Koye et arméerégulière interposés’ 178 .Les répercussions des crises sur <strong>le</strong>s dynamiques territoria<strong>le</strong>sLes dynamiques territoria<strong>le</strong>s avant la crise politiqueL’économie urbaine est à doub<strong>le</strong> entrée. Le niveau économique de baseconstitué des activités et transactions dont la population dépend pour sa viequotidienne occupe la grande majorité des populations urbaines. Il s’agitessentiel<strong>le</strong>ment du petit commerce et du petit service. Les circuits d’échangessupérieurs sont fortement limités dans <strong>le</strong> Nord Mali avant la crise 179 .Globa<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s centres urbains nord maliens, comme Tombouctou et Gao,basent <strong>le</strong>ur développement économique sur la satisfaction de la demande rura<strong>le</strong>en médiation commercia<strong>le</strong> et administrative, et bénéficient en retour d’undynamisme économique engendré par la demande urbaine en produitsalimentaires qui stimu<strong>le</strong> la production et favorise <strong>le</strong>s échanges. Lesdéplacements vil<strong>le</strong>/campagne sont induits par cette fonction économique etmédiatrice de la vil<strong>le</strong>.Les principaux déplacements en situation de stabilitéEntre <strong>le</strong> milieu rural et la vil<strong>le</strong> on distingue trois types de déplacementssuffisamment récurrents pour qu’ils constituent des dynamiques territoria<strong>le</strong>sdans la région.L’attractivité économique de la vil<strong>le</strong> entraîne des migrations pendulaires entrel’hinterland et el<strong>le</strong> à l’abord des jours de marché. L’offre d’emplois journaliers,de services éducatifs et sanitaires suscitent éga<strong>le</strong>ment des déplacements. Enfin,la sécheresse et la destruction des cheptels ont incité <strong>le</strong>s populations rura<strong>le</strong>ssonrais et tamasheqs à se réfugier en vil<strong>le</strong>. Constitutifs d’une populationflottante, diffici<strong>le</strong>ment quantifiab<strong>le</strong>, ils ont fini par s’instal<strong>le</strong>r en famil<strong>le</strong>, à lafrange des quartiers périphériques ou dans <strong>le</strong>s interstices de la vil<strong>le</strong>.Les zones rura<strong>le</strong>s quant à el<strong>le</strong>s connaissent deux types de déplacements internesimportants. Les transhumances d’animaux déterminées en fonction des pointsd’eaux persistent malgré <strong>le</strong>s difficultés climatiques. Néanmoins, el<strong>le</strong>ss’inscrivent de plus en plus dans un processus de semi-sédentarisation desnomades. Par ail<strong>le</strong>urs, de la même façon que <strong>le</strong>s centres urbains attirent <strong>le</strong>spopulations rura<strong>le</strong>s périphériques, <strong>le</strong>s communes rura<strong>le</strong>s voient converger despopulations extérieures de plus petits villages en fonction de <strong>le</strong>urs besoinséconomiques, de santé, ou administratifs.178 Propos recueillis <strong>le</strong> 19 décembre 1994 à Bruxel<strong>le</strong>s auprès de Marianne Maillot, déléguée del’Association humanitaire Equilibre, lors de l’audition organisée par m. Bernard Kouchner, Président dela Commission-Développement du Par<strong>le</strong>ment Européen. Citation lue dans ‘Le Mali : de la sécheresse àla rébellion nomade’, Mohamed Tiessa-Farma Maiga, l’Harmattan.179 Ces relations se limitaient à l’importation de produits manufacturés en provenance des paysfrontaliers de l’Algérie, du Niger et de la Mauritanie.


120Distribution ethnique de la vil<strong>le</strong> et ra<strong>le</strong>ntissement des dynamiques territoria<strong>le</strong>s.En vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s attaques menées par <strong>le</strong>s rebel<strong>le</strong>s touaregs contre <strong>le</strong>s populationssédentaires ont engendré de vio<strong>le</strong>ntes représail<strong>le</strong>s des populations noires et del’armée gouvernementa<strong>le</strong> contre <strong>le</strong>s populations blanches des vil<strong>le</strong>s. En milieurural, l’armée régulière a répondu aux attaques des rebel<strong>le</strong>s en ciblant <strong>le</strong>spopulations blanches dans <strong>le</strong>urs campements et sites. Attaquées en vil<strong>le</strong> et enbrousse, <strong>le</strong>s populations blanches ont fui en masse. Les vil<strong>le</strong>s ont vu <strong>le</strong>urpopulations blanches fuir en brousse, avant de regagner <strong>le</strong>s camps de réfugiés àl’extérieur du pays 180 . En brousse, l’exacerbation des vio<strong>le</strong>nces a éga<strong>le</strong>mentréduit <strong>le</strong> nombre des populations blanches qui ont quitté <strong>le</strong> pays en direction despays frontaliers. Les populations en fuite ont emprunté <strong>le</strong>s itinéraires <strong>le</strong>s pluscourts. Peu de personnes ont pu préparer <strong>le</strong>urs départs, et c’est majoritairementdans la panique que <strong>le</strong>s chemins de l’exil ont été emprunté. Les déplacements sesont ainsi calqués sur <strong>le</strong>s grands axes de communication de la sous région :l’axe Tombouctou – Goundam – Léré - Mauritanie, l’axe Gao – Kidal - Algérie,l’axe Gao – Asongo – Ménaka - Niger, l’axe Gao – Gossi - Burkina, et l’axeTombouctou – Douentza – Gossi - Burkina.D’autre part, alors que <strong>le</strong>s blancs fuyaient <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s populations noires quivivaient en brousse en tant qu’esclaves des maîtres blancs ont regagner <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>spour se protéger. Avec <strong>le</strong> conflit, la relation à la vil<strong>le</strong> a donc changé. El<strong>le</strong>constituait jusqu’ici un refuge pour <strong>le</strong>s populations nomades fragilisées par <strong>le</strong>ssécheresses. El<strong>le</strong> est devenue dans <strong>le</strong>ur esprit un lieux dangereux, associé auxexactions de l’armée malienne et aux tensions interethniques. A l’inverse, lavil<strong>le</strong> a constitué un lieu de repli sécuritaire pour <strong>le</strong>s populations noires rura<strong>le</strong>s etvillageoises qui s’y sont réfugiées avec la reprise des attaques en brousse.Les civils ont été <strong>le</strong>s cib<strong>le</strong>s privilégiées des attaques. Cependant, <strong>le</strong> cadre urbainet <strong>le</strong>s équipements ont aussi été endommagés, soit qu’ils aient été des cib<strong>le</strong>sparticulières, soit qu’ils se soient dégradés du fait de l’abandon des populations.Stratégiquement, <strong>le</strong>s opposants des populations nomades ont cherché à rompre <strong>le</strong>fonctionnement du système pastoral. Ils ont détruit <strong>le</strong>s puits nécessaires à lacohésion de l’organisation nomade. Une grande partie des points d’eaux situésen milieu rural a ainsi été endommagée volontairement par <strong>le</strong>s combattants.D’autres se sont naturel<strong>le</strong>ment ensablés du fait de l’abandon par <strong>le</strong>s populationsde la zone, et du manque d’entretien des infrastructures. Sous l’effet combiné del’insécurité, de la fuite des nomades, et de la condamnation des points d’eaux,<strong>le</strong>s déplacements liés aux transhumances se sont arrêtés durant <strong>le</strong> conflit. Parconséquent, la pratique de l’é<strong>le</strong>vage et <strong>le</strong>s ressources économiques attachées aubétail ont diminué, entraînant une réduction de la demande sur <strong>le</strong> marché urbain.En vil<strong>le</strong>, dans un premier temps, ce sont <strong>le</strong>s symbo<strong>le</strong>s de la présence de l’Etatqui ont servi de support aux revendications des rebel<strong>le</strong>s. Dans un deuxièmetemps, la répression aveug<strong>le</strong> de ces actes a ciblé <strong>le</strong>s population civi<strong>le</strong>s, etentraîné des réactions meurtrières qui ont transformé la crise en conflit ethnique.180 Entre 1987 et 1996, la population de Tombouctou est passée de 32000 habitants à 24000 habitantsdu fait de l’insécurité. (Source : Monographie de la vil<strong>le</strong> de Tombouctou, Handicap International,2000).


121L’insécurité a considérab<strong>le</strong>ment ra<strong>le</strong>nti <strong>le</strong>s échanges entre <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>scampagnes. Chaque type de population se cantonnait au milieu <strong>le</strong> plus sûr pourlui : <strong>le</strong>s populations sédentaires se réfugiaient en vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s populations blanchesse cachaient dans <strong>le</strong>s campagnes. De nouvel<strong>le</strong>s migrations de populations se sontdéveloppées pour pourvoir <strong>le</strong>s zones rura<strong>le</strong>s en produits de base : <strong>le</strong>s populationsnoires nomades se rendaient en vil<strong>le</strong> pour acheter la nourriture nécessaire à <strong>le</strong>ursmaîtres blancs contraints de rester en brousse. Les risques d’attaques ont stoppé<strong>le</strong>s déplacements des agriculteurs habitant en vil<strong>le</strong>. Ces agriculteurs travail<strong>le</strong>nt àla journée sur des terres situées en périphéries des vil<strong>le</strong>s dont ils ne sontgénéra<strong>le</strong>ment pas propriétaires. Cela a entraîné la réduction de l’offre deproduits alimentaires sur <strong>le</strong>s marchés urbains. Les axes reliant <strong>le</strong> Mali àl’Algérie, la Mauritanie, et <strong>le</strong> Niger ont été très peu pratiqué à des finscommercia<strong>le</strong>s pendant <strong>le</strong> conflit en raison de <strong>le</strong>ur dangerosité ; seu<strong>le</strong>s <strong>le</strong>spopulations en fuite cherchant à se réfugier à l’étranger ont pris <strong>le</strong> risque de <strong>le</strong>semprunter. La voie fluvia<strong>le</strong> a été mise à contribution pour remplacer <strong>le</strong>s voiescommercia<strong>le</strong>s terrestres qui étaient coupées, mais el<strong>le</strong> n’était praticab<strong>le</strong> qu’enpériode de crue du Niger, c’est à dire 3 à 4 mois par an seu<strong>le</strong>ment. Laperturbation des déplacements due à l’insécurité, s’est directement répercutéesur l’activité économique de la zone qui exige la libre circulation des agentséconomiques : l’offre s’est réduite sur <strong>le</strong>s marchés en vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s activités agrico<strong>le</strong>sse sont ra<strong>le</strong>nties, l’acheminement de produits manufacturés depuis <strong>le</strong>s paysfrontaliers s’est arrêtée et <strong>le</strong>s échanges économiques se sont réorientés vers <strong>le</strong>Sud de la sous région.LES STRATEGIES DE L’AIDE ET LEURS IMPACTS SUR LA ZONELes enjeux de l’humanitaire dans ce contexte : protéger, assister, viabiliserDans l’immédiat, protéger <strong>le</strong>s acteursL’aide humanitaire était présente dans <strong>le</strong> nord du pays avant l’éclatement duconflit. Les sécheresses avaient entraîné l’implantation de plusieurs ONG dans larégion. Ainsi, la sécheresse de 1984 amène avec el<strong>le</strong> l’installation dans la régionde l’Aide de l’Eglise Norvégienne (AEN), Vétérinaires sans Frontières (VSF),Care Mali et World Vision. El<strong>le</strong>s mettent en place <strong>le</strong>s premiers programmesd’urgence destinés à pallier <strong>le</strong>s risques de famine et <strong>le</strong>s manques alimentaires.Pour ces acteurs qui travail<strong>le</strong>nt dans des zones où l’insécurité s’accroît au débutdes années 90, un des premiers enjeux posés par <strong>le</strong> conflit est la protection dupersonnel. L’AEN est la seu<strong>le</strong> à décider de ne pas se retirer de Gossi où se situeson siège et où 30% de son personnel restera présent pendant tout la durée duconflit. Cette politique lui vaudra d’importantes pertes humaines (sept de sesemployés sont tués durant la rébellion), et matériel<strong>le</strong>s (quatre véhicu<strong>le</strong>s sontvolés par <strong>le</strong>s rebel<strong>le</strong>s). Devant la vio<strong>le</strong>nce des attaques, <strong>le</strong>s autres ONGschoisissent <strong>le</strong> repli. Plusieurs formes de retrait sont pratiquées. Le rapatriementdu personnel expatrié s’impose pour toutes <strong>le</strong>s ONG, même l’AEN. La clôturedes programmes est une autre stratégie de protection : World Vision met unpoint d’arrêt aux activités menées sur Gao, et attendra 1996 pour réouvrir sonprojet. Enfin, certaines ONG optent pour <strong>le</strong> déplacement de <strong>le</strong>urs programmes


122dans des zones plus sures ou <strong>le</strong>ur gestion à distance. Ainsi, entre 1990 et 1995VSF délocalise <strong>le</strong>s programmes d’accompagnement à l’é<strong>le</strong>vage de la région deTombouctou jusque dans <strong>le</strong>s camps mauritaniens où se sont réfugiés <strong>le</strong>s hommeset <strong>le</strong>urs bêtes. Un peu plus au sud de la zone des conflits, la proportion plusimportante de population sonrai limite <strong>le</strong> nombre des attaques généra<strong>le</strong>mentciblées sur <strong>le</strong>s populations touarègues. Des ONG décideront donc de se repliersur Niafunké en attendant l’accalmie au Nord, et piloteront <strong>le</strong>urs programmes àdistance. La situation d’insécurité, et <strong>le</strong>s stratégies de repli des ONGinternationa<strong>le</strong>s menacées, favoriseront la consolidation des partenariats avec <strong>le</strong>sONG loca<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s el<strong>le</strong>s s’appuient pour relayer l’information sur lasituation sécuritaire et assurer autant que possib<strong>le</strong> <strong>le</strong> suivi de <strong>le</strong>urs activités.A court terme, assister <strong>le</strong>s réfugiésLes premiers réfugiés rejoignent la Mauritanie durant l’été 1991 suite auxmassacres de touarègues et de maures par l’armée malienne à Léré <strong>le</strong> 20 mai.Les premiers convois sont acheminés conjointement par <strong>le</strong> HCR et <strong>le</strong> CSA 181 dèsjuil<strong>le</strong>t et août. A compter de cette date, c’est l’enjeu de l’accueil et de la gestiondes réfugiés dans <strong>le</strong>s pays frontaliers qui s’impose à l’aide humanitaire dans <strong>le</strong>pays en crise. Entre 1990 et 1994, el<strong>le</strong> devra en effet prendre en charge environ150 000 maliens - quasiment exclusivement touarègues et maures - répartis entrel’Algérie, <strong>le</strong> Niger, <strong>le</strong> Burkina Faso, et la Mauritanie.A long terme, viabiliser <strong>le</strong> territoire pour relancer <strong>le</strong> développementA partir de 1992, <strong>le</strong>s initiatives répétées du gouvernement malien pour un retourà la paix suscitent la prise en considération par <strong>le</strong>s acteurs de l’aide durapatriement des maliens dans <strong>le</strong>ur territoire d’origine. L’enjeu qui se pose alorsà eux est l’élargissement de <strong>le</strong>urs secteurs d’intervention pour garantir autant quepossib<strong>le</strong> <strong>le</strong>s conditions matériel<strong>le</strong>s et politiques d’un retour pérenne à la paix etau développement. Les ONG étendent <strong>le</strong>urs domaines d’intervention à lamédiation et à l’encadrement de la société civi<strong>le</strong> pour favoriser <strong>le</strong> dialogueinterethnique, et <strong>le</strong> rétablissement de la stabilité socia<strong>le</strong>. La viabilisation duterritoire par la remise en état des infrastructures nécessaires à la survie (pointsd’eaux, habitations) est menée conjointement à l’aide d’urgence délivrée dans<strong>le</strong>s camps, pour préparer <strong>le</strong>s retours.Dans <strong>le</strong> courant des années 90, deux processus influencent indirectementl’orientation de l’aide humanitaire. La décentralisation se confirme au niveaunational comme un mode de résolution du conflit. El<strong>le</strong> permet d’établir uncompromis raisonnab<strong>le</strong> entre <strong>le</strong>s revendications d’autonomies de certainsmouvements rebel<strong>le</strong>s, et l’ origine de la crise qui cherchait à ce que <strong>le</strong>spopulations du Nord aient davantage de place dans la gestion politique, socia<strong>le</strong>et économique de la zone. Le Pacte National prévoit ainsi d’attribuer un statutparticulier au Nord, qui sera pourvu d’assemblées loca<strong>le</strong>s et interrégiona<strong>le</strong>sdestinées à l’organisation de la vie communautaire, et à la promotion duprogramme de développement économique et social de la région. Cettedélégation de pouvoir au niveau local, associée à la multiplication descommunes rura<strong>le</strong>s redessinent <strong>le</strong> contexte d’intervention nord malien dans undoub<strong>le</strong> sens : la politisation accrue de la gestion territoria<strong>le</strong>, et la volonté plus oumoins avouée de fixer <strong>le</strong>s populations pour mieux <strong>le</strong>s contrô<strong>le</strong>r. Au niveau181 Le Commissariat à la Sécurité Alimentaire est un organisme mauritanien en charge de la distributionalimentaire dans <strong>le</strong>s camps de Bassikounou, Fassala et Aghor en Mauritanie


123international, <strong>le</strong>s discours des grands bail<strong>le</strong>urs prônent la libéralisation,l’ajustement structurel, et la gestion partagée. Ainsi, derrière <strong>le</strong> soutien nationa<strong>le</strong>t international à la politique de décentralisation se pose de façon larvée laquestion du contrô<strong>le</strong> de la population par <strong>le</strong> biais de la sédentarisation despopulations nomades. Cel<strong>le</strong>-ci constituera une donnée majeure et spécifique del’action humanitaire et de développement au nord du Mali.Les trois phases de l’aideEntre 1991 et 2002, l’aide aux populations a revêtu plusieurs formes selon <strong>le</strong>degré de conflictualité affectant la zone, et l’évolution de la gestion politique duconflit. L’assistance délivrée par <strong>le</strong>s acteurs de l’aide s’est déclinée dans <strong>le</strong>temps en trois périodes qui correspondent chacune à des stratégies distinctesd’intervention.Entre 1991 et 1995, <strong>le</strong> conflit sévit. Les conditions de sécurité minimumsnécessaires à l’intervention des ONG ne sont plus réunies. El<strong>le</strong>s se replient auSud de la zone de conflit, délèguent <strong>le</strong>urs activités devenues résiduel<strong>le</strong>s à despartenaires maliens, et suspendent <strong>le</strong>urs programmes en attendant l’accalmie. Al’intérieur de la zone des conflits, peu d’acteurs sont présents. L’AEN et <strong>le</strong> CICRsont des exceptions. La stratégie particulière au CICR domine l’aide auxpopulations sinistrées restées dans la zone. Fidè<strong>le</strong> à son principe de neutralité,l’organisme basé dans chaque capita<strong>le</strong> régiona<strong>le</strong> et quelques vil<strong>le</strong>s moyennesassure l’évacuation des b<strong>le</strong>ssés, et l’aide aux populations en détresse qui ont fuitardivement dans <strong>le</strong>s camps. Bientôt, l’exacerbation des vio<strong>le</strong>nces fait augmenter<strong>le</strong> nombre des réfugiés et appel<strong>le</strong> l’intervention des spécialistes de l’aided’urgence et de la problématique des réfugiés. La période qui s’étend jusqu’à1995 sera donc surtout cel<strong>le</strong> du HCR et de l’externalisation de l’intervention parla mise en place de camps à l’extérieur de la zone de conflit, dans <strong>le</strong>s paysfrontaliers.La mise en œuvre à la mi-1995 de l’accord de paix prévu par <strong>le</strong> Pacte National etla motivation des autorités maliennes pour la réconciliation permettent un retourà la stabilité. La conférence de Tombouctou de Juil<strong>le</strong>t 1995 aboutit à l’adoptionpar <strong>le</strong>s partenaires du développement, de la société civi<strong>le</strong>, des rebel<strong>le</strong>s, desservices techniques de l’Etat réunis, d’un programme de réhabilitation du Norddu Mali. Parallè<strong>le</strong>ment, des négociations intercommunautaires sont menéesrégulièrement entre 1994 et 1996 aux niveaux local, régional et national. Lesrebel<strong>le</strong>s et <strong>le</strong> mouvement patriotique des Ganda Koye signent un accord de paix<strong>le</strong> 11 novembre 1994. Le président Alpha Omar Konaré mène une politiqued’ensemb<strong>le</strong> de restauration de la paix, en impliquant la société civi<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s paysd’accueil et <strong>le</strong>s partenaires au développement. Au niveau national la sociétécivi<strong>le</strong> prend la tête de la réconciliation. Chefs traditionnels, autorités religieuseset associations féminines rassemb<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>urs efforts pour réunir <strong>le</strong>s communautésopposées par <strong>le</strong> conflit, et rétablir <strong>le</strong>s activités économiques mises en veil<strong>le</strong>depuis 1990. Au niveau régional, l’Algérie et la Mauritanie sont désignés par <strong>le</strong>gouvernement malien comme <strong>le</strong>s ‘médiateurs’ de la réconciliation. La cérémoniede la flamme de la paix du 29 mars 1996 consacre <strong>le</strong>s retombées de ces deux ansde négociation et met un terme au conflit.


124Ce contexte politique favorab<strong>le</strong> des années 1995 et 1996 assigne un nouveaurô<strong>le</strong> aux acteurs de l’aide. La conférence de Tombouctou prévoit la création par<strong>le</strong> PNUD d’un fond d’assistance à la démobilisation et à la réintégration des excombattants.Le HCR se voit attribuer la prise en charge du rapatriement et de laréintégration des réfugiés. Il reçoit un doub<strong>le</strong> mandat d’assistance humanitaire etd’appui au développement dans <strong>le</strong>s sites de retour, qu’il honorera entre Juil<strong>le</strong>t1995 date des premiers rapatriements volontaires et Juil<strong>le</strong>t 1999 date de clôturede la délégation HCR au Mali. Entre 1995 et 1998, la réinstallation despopulations dans <strong>le</strong>s zones viabilisées par <strong>le</strong>s acteurs du développement 182 quiont commencé à réhabiliter <strong>le</strong> territoire et ses infrastructures, prend <strong>le</strong> pas surl’aide d’urgence. Les rapatriements et la reconstruction de l’espace nord maliensont organisés conjointement pour assurer <strong>le</strong> continuum entre <strong>le</strong> retraitappréhendé du HCR et la poursuite de l’aide au développement. Après lastratégie externe d’intervention de l’aide durant la première phase, c’est laréinternalisation des stratégies d’action qui, à la faveur de la réconciliationpolitique et civi<strong>le</strong> menée par <strong>le</strong>s maliens, prend <strong>le</strong> relais durant la seconde phase.L’année 1999 sanctionne la fin du programme de réinsertion du HCR en faveurde quelques 132000 maliens, et la poursuite par plusieurs organisationsnationa<strong>le</strong>s et internationa<strong>le</strong>s 183 de projets axés sur <strong>le</strong> développement de la région.La coordination des acteurs de l’aide d’urgence et du développement pendant laphase 1995-1998 permet un passage sans heurts vers <strong>le</strong> désengagement desacteurs de l’urgence. Cependant, <strong>le</strong>s stratégies d’intervention se modifient. Sur laforme, la gratuité des services humanitaires laisse place à la participationcommunautaire et au recouvrement des coûts. En effet, avec la paix,l’engagement des bail<strong>le</strong>urs internationaux pose comme condition la participationaccrue des bénéficiaires à <strong>le</strong>urs opérations. Par ail<strong>le</strong>urs, d’un point de vuegéographique, la multiplicité des acteurs du développement qui inondent larégion Nord pose des problèmes de coordination des actions et d’inégalitésrégiona<strong>le</strong>s de l’aide : la région de Kidal apparaît lésée par <strong>rapport</strong> à cel<strong>le</strong> deTombouctou, rapidement soutenue par <strong>le</strong>s bail<strong>le</strong>urs. Sur <strong>le</strong> fond, l’interventiondes acteurs de l’aide s’inscrit dans une période de consolidation de ladécentralisation au niveau national. El<strong>le</strong> élargit <strong>le</strong>s domaines d’activité desONG et transforme <strong>le</strong>ur approche. La mise en place des communes en 1999ouvre une série de nouvel<strong>le</strong>s activités dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s ONG peuvent investir<strong>le</strong>urs efforts, comme la formation des élus, ou l’encadrement de la société civi<strong>le</strong>.El<strong>le</strong> oblige éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s ONG à privilégier des stratégies d’accompagnementplus que d’intervention directe, afin de ne pas concurrencer <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>sresponsabilités dévolues aux représentants locaux.Ces trois phases de l’aide font intervenir des politiques d’interventiondifférentes, el<strong>le</strong>s-mêmes déclinées sous la forme de programmes élaborés afin de182 Il s’agit surtout ici du Programme Mali Nord de la coopération al<strong>le</strong>mande, la GTZ (Gesellschaft furTechnische Zusammenarbeit). Ce programme a été conçu dès <strong>le</strong> départ comme un programme d’aided’urgence et de reconstruction à plus long terme. Opérationnel dès <strong>le</strong> début 1995, avant <strong>le</strong>s premiersrapatriements du HCR, il a réhabilité <strong>le</strong>s infrastructures de bases et consolider la sécurité alimentaire.Par la suite, il a participé au bon dérou<strong>le</strong>ment des retours et de la réinstallation. Après <strong>le</strong> départ duHCR, <strong>le</strong> PMN a continué son action en s’orientant vers des activités de développement à plus longterme.183 Parmi el<strong>le</strong>s, se trouvaient Action contre la Faim, Gesellschaft fur Technische Zusammenarbeit(GTZ), l’Agence pour la coopération en matière de développement, Africare, Agro-Action, <strong>le</strong> Projetd’appui au développement local, Stichting Nederlandse Vrijwillijers (SNV), et Vision mondia<strong>le</strong>.


125répondre aux besoins prioritaires des populations exprimés au cours de chacuned’el<strong>le</strong>s.La déclinaison des politiques d’aide en programmesLes camps de réfugiés :Pour gérer l’afflux des populations en fuite dans <strong>le</strong>s pays voisins, <strong>le</strong> HCR ouvreplusieurs camps de réfugiés en Mauritanie, au Burkina Faso, en Algérie, auNiger et au Sénégal.Le premier objectif poursuivi était de pallier l’urgence des besoins sur place.Dans un premier temps, il fallait résoudre <strong>le</strong>s difficultés qui s’étaient installéesavec l’arrivée des premiers réfugiés. Ces derniers avaient précédé l’aide si bienque la famine et la maladie avaient eu <strong>le</strong> temps de faire <strong>le</strong>ur apparition avant lavenue des premiers convois. Les dégâts étaient cependant limités car <strong>le</strong>spremières victimes avaient pu fuir avec <strong>le</strong>urs bêtes, s’assurant ainsi un moyen desubsistance durant la période d’attente. Dans un deuxième temps, <strong>le</strong> personneldu HCR devait prendre en main l’organisation de la vie commune enconstruisant des camps. Nous allons ici retracer <strong>le</strong>s buts poursuivis par cette aided’urgence et <strong>le</strong>s activités mises en place pour <strong>le</strong>s atteindre. Comme nos enquêtesse sont essentiel<strong>le</strong>ment concentrées sur la région de Tombouctou, la plupart desinformations que nous exposons se <strong>rapport</strong>ent aux camps mauritaniens. Ilsconstituent un exemp<strong>le</strong> de réussite, tant aux yeux des anciens réfugiés quidéclarent quasi-unanimement et avec une certaine nostalgie que l’aide offerteétait suffisante et organisée, que dans <strong>le</strong>s conclusions du <strong>rapport</strong> d’évaluation del’assistance aux réfugiés du HCR 184 .Avant de rentrer dans <strong>le</strong> détail des stratégies adoptées dans <strong>le</strong>s campsmauritaniens, il est néanmoins important de noter <strong>le</strong>s fortes disparités de gestiondes différents camps, dans <strong>le</strong>s divers pays d’accueil. Selon <strong>le</strong> <strong>rapport</strong>d’évaluation précédemment cité, el<strong>le</strong>s reposent en grande partie surl’insuffisance des équipes y travaillant, ainsi que sur d’autres facteurs, comme lapossibilité offerte ou non au HCR de conduire un recensement de la populationdes camps suffisamment tôt, la qualité de l’entente entre <strong>le</strong> HCR et <strong>le</strong> pays hôte,et la proximité d’un bureau du HCR par <strong>rapport</strong> à la répartition géographique descamps. Ces perturbations auraient notamment entraîné des délais et des manquesdans la distribution alimentaire (Algérie, Niger), des problèmes sécuritaires(Algérie), des données erronées dans <strong>le</strong>s recensements ( Niger, Burkina Faso etMauritanie), et un contrô<strong>le</strong> trop <strong>le</strong>ste des stocks alimentaires (tous paysconfondus). Beaucoup d’anciens réfugiés ont évoqué l’impact de ces disparitésde gestion et de qualité de l’assistance dans <strong>le</strong>s camps, sur <strong>le</strong>ur capacité àreconstruire <strong>le</strong>urs vies après <strong>le</strong>s rapatriements.La gestion des camps mauritaniens a bénéficié de stratégies multidisciplinairesd’intervention. Plus précisément, l’aide s’est organisée autour de trois piliers : lasatisfaction des besoins primaires, la formation, et la gestion participative ducamp. L’aide alimentaire était gérée par <strong>le</strong> Commissariat à la SécuritéAlimentaire, organe issu des autorités mauritaniennes, qui recensait <strong>le</strong>s besoinset distribuait <strong>le</strong>s vivres par <strong>le</strong> système de cartes de ravitail<strong>le</strong>ment. Les besoins de184 New issues in refugee research, Working paper No 22, International refugee aid an social change innorthern Mali, Stepfan Sperl, School of oriental and african studies, University of London, Unitedkingdom, July 2000.


126santé ont été particulièrement appréciés par <strong>le</strong>s anciens réfugiés, que nous avonsinterrogés. Ils ont bénéficié de campagnes de vaccination infanti<strong>le</strong> et maternel<strong>le</strong>gratuites, et de services d’urgence efficaces avec possibilité d’évacuation paravion des cas graves sur la capita<strong>le</strong> mauritanienne. En règ<strong>le</strong> généra<strong>le</strong>, lacouverture sanitaire offerte par <strong>le</strong>s ONG présentes était bien meil<strong>le</strong>ure que cel<strong>le</strong>que <strong>le</strong>s réfugiés avaient connu jusqu’ici, en brousse comme en vil<strong>le</strong>. Les centresde santé étaient à proximité et mieux équipés : <strong>le</strong>s médicaments ne manquaientpas, et étaient majoritairement des ‘non-génériques’. Ces médicaments étaient àla fois inconnus des populations, présents en quantité, et de qualité apparemmentsupérieure à tous <strong>le</strong>s médicaments qu’ils avaient déjà rencontrés. Cette qualité del’aide a néanmoins eu quelques revers lors des retours au pays. Les retrouvail<strong>le</strong>savec une santé plus primaire, moins luxueuse, et de surcroît payante ont connu <strong>le</strong>refus des populations habituées à l’abondance et à la générosité des soins dans<strong>le</strong>s camps. Pour <strong>le</strong>s autres besoins humains, moins vitaux, mais tout aussinécessaires pour assurer l’équilibre des réfugiés en exil (comme l’éducation, etla vie communautaire) la stratégie du HCR a été doub<strong>le</strong> : insister surl’importance de la formation, et inscrire <strong>le</strong>s programmes d’aide sur <strong>le</strong>moyen/long terme. Ainsi, <strong>le</strong> HCR a choisi de construire des structures éducativesdurab<strong>le</strong>s pour tenir compte des risques de prolongation du conflit. Au total,« 3500 élèves, 44 enseignants (22 francophones, 22 arabes), 12 enseignantspréexistants, et 32 enseignants formés sur <strong>le</strong> tas » 185 ont participé à l’éducationdes enfants dans <strong>le</strong>s camps. Les réfugiés eux mêmes géraient l’offre éducative :ils étaient chargé de sensibiliser <strong>le</strong>s populations à l’importance de lascolarisation, d’évaluer <strong>le</strong> nombre d’éco<strong>le</strong>s nécessaires, et de recruter <strong>le</strong>senseignants. Toutes <strong>le</strong>s personnes interrogées ont insisté dans <strong>le</strong>s entretiens surla qualité de l’enseignement dispensé, et la prise de conscience en résultantquant à l’importance de l’éducation pour améliorer <strong>le</strong>s conditions de vie de toutun chacun. Mais c’est surtout <strong>le</strong>s programmes de formation des adultes qui fontla spécificité des camps mauritaniens. Leur pertinence et <strong>le</strong>ur utilité ont souventété soulignées par <strong>le</strong>s anciens réfugiés, notamment <strong>le</strong>s femmes qui ont trouvéauprès de MSF, MDM et World Vision, une opportunité d’acquérir de nouvel<strong>le</strong>scompétences. Les ONG médica<strong>le</strong>s ont proposé des formations aux premierssoins et World Vision a mis en place un programme de formation féminine. Prèsde 2500 femmes ont ainsi reçu une formation en couture, teinture, maraîchage,petit commerce et alphabétisation. L’offre de programme de formation s’estfondée sur la vision long terme des retours, et la volonté d’optimiser laréinstallation des populations réfugiées. L’apprentissage de ces techniquesnouvel<strong>le</strong>s était destiné à <strong>le</strong>ur permettre d’en faire un usage commercial etrémunérateur à <strong>le</strong>ur retour, autant qu’à occuper <strong>le</strong>s journées parfois oisives del’exil.La vie socia<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> camp a consacré l’approche participative des bénéficiaires.Les camps mauritaniens étaient placés sous la tutel<strong>le</strong> administrative politique etsécuritaire des autorités mauritaniennes, tandis que la tutel<strong>le</strong> humanitaire étaitassurée par <strong>le</strong> HCR. Ces deux organismes désignaient ensemb<strong>le</strong> desreprésentants communautaires parmi <strong>le</strong>s réfugiés. Ces candidats ‘médiateurs’étaient sé<strong>le</strong>ctionnés suivant des critères déterminés de concert par <strong>le</strong> HCR et <strong>le</strong>sautorités mauritaniennes (charisme, éducation, connaissance de la languefrançaise, capacité d’analyse, tendance politique modérée). Cette gestion185 Témoignage d’un ancien réfugié.


127tripartite des camps et des retours a permis que <strong>le</strong>s décisions prises soientopérationnel<strong>le</strong>s rapidement et acceptées de tous. Il n’est pas apparu que <strong>le</strong>s chefstraditionnels auraient été privilégiés dans cette sé<strong>le</strong>ction. La nécessité de savoirpar<strong>le</strong>r <strong>le</strong> français a fait que ce sont davantage des notab<strong>le</strong>s, et des personnesreconnues pour <strong>le</strong>ur capacité à communiquer, à donner l’exemp<strong>le</strong> et à fairepreuve d’autorité qui ont été confirmés à ces postes stratégiques.Tandis que <strong>le</strong>s camps algériens, souvent cités en horreur par <strong>le</strong>s anciens réfugiés,se cantonnaient selon eux à la garantie de la survie physique des bénéficiaires,<strong>le</strong>s camps mauritaniens ont développé une assistance globa<strong>le</strong> s’appuyant sur uneinterprétation extensive du développement humain. Les acteurs de l’aide ne sesont pas limités à l’aide d’urgence dans <strong>le</strong>s camps mauritaniens et ont agi deconcert avec <strong>le</strong>s autorités mauritaniennes pour mettre en place des programmesde développement en <strong>le</strong>ur sein. Ainsi, <strong>le</strong>s différentes facettes du développement‘humain’ étaient prises en charge dans <strong>le</strong>s camps mauritaniens, allant desbesoins alimentaires, aux besoins de santé, d’éducation, de formation, etd’organisation de la société civi<strong>le</strong>. Témoignages, dynamisme économique desdifférentes zones de retour, évaluation de l’aide : tout converge pour soulignerl’écart qui sépare <strong>le</strong>s camps conçus comme des lieux de survie (Algérie), et ceuxconçus comme des tremplins de développement futurs (Mauritanie). On peutainsi en conclure que la c<strong>le</strong>f de réussite de l’aide dite ‘d’urgence’ délivrée dans<strong>le</strong>s camps mauritaniens aura justement été d’y mener une aide au‘développement’. La suite des opérations montre que cette réussite à l’intérieurdu camp favorise éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> développement futur ‘à l’extérieur du camp’.La stratégie de réinstallationA partir de 1995, il devient concevab<strong>le</strong> de penser aux retours des populationsdans <strong>le</strong>ur pays. Dans <strong>le</strong> cadre de sa mission d’assistance humanitaire, <strong>le</strong> HCRs’attache à assurer <strong>le</strong> retour des réfugiés dans la sécurité. Pour ce qui est du vo<strong>le</strong>td’appui à la réinsertion, <strong>le</strong> HCR évalue au préalab<strong>le</strong> <strong>le</strong>s besoins que <strong>le</strong>s réfugiésrencontreront sur <strong>le</strong>ur lieux de retour. Cette phase préparatoire à la réinstallationa permis de dégager plusieurs principes d’intervention. Dans son dérou<strong>le</strong>mentmême, la mission d’évaluation a cherché à renforcer la participationcommunautaire et la représentativité des bénéficiaires. El<strong>le</strong> a ainsi été conduiteconjointement par <strong>le</strong> HCR, <strong>le</strong>s ONG partenaires, <strong>le</strong>s chefs de fraction, et <strong>le</strong>sreprésentants des populations touarègues désignés dans <strong>le</strong>s camps. Dans sesconclusions, l’évaluation préparatoire à la réinstallation 186 a mis en avant deuxpriorités stratégiques pour l’aide au retour. En premier lieu, la liberté de choixdes nouveaux réfugiés de <strong>le</strong>ur site de retour devait être autant que possib<strong>le</strong>assurée, afin de pérenniser l’installation, et de responsabiliser <strong>le</strong>s bénéficiaires.Par ail<strong>le</strong>urs, la stratégie sectoriel<strong>le</strong> d’intervention a choisi de privilégier deuxaxes : l’eau et la paix.Compte tenu de l’aridité de la zone et de la désintégration des infrastructureshydrauliques suite aux attaques, il était clair que la satisfaction des besoinshydrauliques constituait la condition sine qua non de viabilisation du territoire et186 <strong>Voir</strong> New issues in refugee research, Working paper No 22, International refugee aid an socialchange in northern Mali, Stepfan Sperl, School of oriental and african studies, University of London,United kingdom, July 2000.


128de fixation pérenne des anciens réfugiés. Les projets dans <strong>le</strong> secteur de l’eau ontreprésenté la contribution la plus importante du HCR, tandis que la distributionde l’aide alimentaire et de ‘non food items’ était assurée par <strong>le</strong> PAM, <strong>le</strong>s ONGpartenaires et <strong>le</strong>s autorités loca<strong>le</strong>s. A l’inverse, il faut noter que la reconstitutiondes cheptels, fondamental à l’organisation de la vie nomade, n’a pas étéannoncée comme une priorité de l’aide. Cette lacune marque une optionpolitique en faveur de la sédentarisation de la part des organismes humanitaires.Mais il faut nuancer la responsabilité de l’aide dans <strong>le</strong> processus desédentarisation des bénéficiaires. Il est impossib<strong>le</strong> de ramener cette nouvel<strong>le</strong>relation à l’espace à la volonté d’un acteur indépendant. La sédentarisation estapparue au cours de l’étude comme un hydre à plusieurs têtes, à la fois vouluetacitement par <strong>le</strong>s anciens réfugiés, encouragée par <strong>le</strong>s acteurs politiques, etconcrétisée par l’aide.La consolidation de la paix est affirmée comme la seconde priorité de laréinstallation des réfugiés. La longue tradition de règ<strong>le</strong>ment négociés des conflitsau Mali, et la forte mobilisation de la société civi<strong>le</strong> pour aboutir à la résolutiondes tensions au Nord mettait la paix au centre des préoccupation de tous. Pour laconcrétiser sur <strong>le</strong> long terme, <strong>le</strong> HCR et <strong>le</strong>s ONG partenaires privilégient laparticipation communautaire, la non discrimination entre <strong>le</strong>s ethnies, et la priseen compte des réfugiés comme des communautés d’accueil à tous <strong>le</strong>s stades del’intervention. La participation communautaire est développée durant la phasepréparatoire à la réinstallation comme durant la phase opérationnel<strong>le</strong> deréinsertion. En phase préparatoire, el<strong>le</strong> est mise en va<strong>le</strong>ur par <strong>le</strong>s missions desensibilisation qui sont conduites de part et d’autres des frontières pour informer<strong>le</strong>s réfugiés du degré de sécurité atteint dans la zone, et de l’assistance qu’ils severraient apporter. En phase opérationnel<strong>le</strong> de réinsertion, ces modalitésd’intervention aboutissent à trois orientations : mettre en oeuvre des programmesparticipatifs intégraux visant à la fois <strong>le</strong>s réfugiés et <strong>le</strong>s communautés d’accueil,réhabiliter <strong>le</strong>s sites en partenariat avec <strong>le</strong>s bénéficiaires, et sédentariser <strong>le</strong>sdifférentes ethnies sur des lieux de vie communs et viab<strong>le</strong>s afin de sécuriser larégion 187 .Les modalités d’intervention du HCR dans la zone - tant opérationnel<strong>le</strong>s (eau etpaix), que méthodologiques (participation communautaire) - posent un précédentimportant pour la suite des opérations de développement. La question se posealors de savoir dans quel<strong>le</strong> mesure la multiplicité des ONG de développementréussiront à valoriser <strong>le</strong>s acquis du programme de réinsertion. .Le relais des stratégies par <strong>le</strong>s acteurs du développementAvant 1995, l’aide au développement était très limitée dans la région. Mais avecla réintégration des réfugiés, <strong>le</strong>s acteurs du développement se sont penchées surla question de la poursuite de l’aide une fois <strong>le</strong> HCR parti. Cette réf<strong>le</strong>xion a étémenée en amont par la coopération al<strong>le</strong>mande qui a fait démarrer sonprogramme de développement ‘Programme Mali Nord’ dès 1995, afin de limiterla rupture entre l’aide d’urgence et l’aide au développement. Par ail<strong>le</strong>urs, lacréation du Cadre des Nations Unies pour l’aide au développement en 1998,ainsi que la décision d’ECHO d’intervenir au delà de 1997 pour prolonger <strong>le</strong>s187 L’application de ces stratégies d’intervention du HCR ont abouti à l’encadrement des retours de prèsde 132000 réfugiés, à la viabilisation de 638 sites de retour, à la construction de 131 nouveaux puits, 57trous de forages et 200 pompes à eau dans <strong>le</strong>s différents sites.


129actions de pré-développement ont permis d’assurer la prise en charge par <strong>le</strong>sacteurs du développement de la continuation des actions fondatrices du HCR.Le passage de l’action d’urgence à l’action de développement s’inscrit doncmajoritairement dans une perspective de continuité de l’une par <strong>rapport</strong> à l’autre.En effet, dans un premier temps <strong>le</strong>s acteurs du développement ont ciblé <strong>le</strong>smêmes secteurs d’intervention que <strong>le</strong>s urgentistes, consolidant ainsi <strong>le</strong> lienurgence-développement. Le Programme Mali Nord de la GTZ représente uneétude de cas pertinente pour démontrer <strong>le</strong> lien entre l’aide d’urgence et <strong>le</strong>développement. Le Programme Mali Nord a été conçu dès <strong>le</strong> départ pourrépondre aux situations d’urgence, et pour soutenir la reconstruction sur <strong>le</strong> longterme. Mis en place dès 1995 sur la région de Tombouctou, et couvrant la zoneallant de la rive nord du Niger à la frontière mauritanienne, il applique unestratégie de développement multisectoriel et intégré, alliant l’urgence et <strong>le</strong>développement et bénéficiant à toutes <strong>le</strong>s communautés de la zone, réfugiés ounon. La pérennité de l’accompagnement des populations y est assuré par laplanification sur une période longue des activités du programme. Le ProgrammeMali Nord perdure ainsi jusqu’en 2003. Entre 1995 et 1998, il soutient <strong>le</strong> HCR et<strong>le</strong> PAM, par des opérations de distribution alimentaire, d’abris, et l’encadrementdes rencontres intercommunautaires. A partir de 1998, des actions globa<strong>le</strong>s dedéveloppement démarrent avec la réhabilitation des infrastructures de base, lasécurité alimentaire, et la construction de structures éducatives et sanitaires.L’organisation de <strong>le</strong>ur mise en œuvre a consolidé la démarche participative duHCR. Le programme s’est basé sur la forte participation communautaire desbénéficiaires, la maximisation du personnel malien, et la délégation pour unelarge part aux bénéficiaires et à <strong>le</strong>urs représentants maliens de l’identificationdes besoins et de la réalisation des ouvrages. La continuité urgencedéveloppementdu partenariat HCR/Programme Mali Nord enregistrera desrésultats concluants : on souligne une augmentation de la fréquentation scolaire,des activités agrico<strong>le</strong>s durab<strong>le</strong>s <strong>le</strong> long du Niger où 2000 hectares ont été renduscultivab<strong>le</strong>s, et une amélioration subséquente de la sécurité alimentaire.Un autre point de ralliement de l’aide d’urgence et de l’aide au développementest la primeur de l’intervention en milieu rural. Très peu d’ONG interviennentdirectement dans <strong>le</strong>s centres urbains de Tombouctou et Gao, même si <strong>le</strong>urssièges s’y trouvent. El<strong>le</strong>s y élaborent <strong>le</strong>urs activités, mais travail<strong>le</strong>nt dans unrayon autour de la vil<strong>le</strong>, en milieu rural. La raison de ce choix est que <strong>le</strong> pays estessentiel<strong>le</strong>ment rural, et que <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s vivent essentiel<strong>le</strong>ment de la productionagrico<strong>le</strong> et de l’é<strong>le</strong>vage pratiqué dans <strong>le</strong>s zones reculées de la région. Une autreexplication est la volonté de limiter l’exode rural en fixant <strong>le</strong>s populations dansdes sites de sédentarisation viab<strong>le</strong>s et équipés. Enfin, la plupart des ONGinterrogées affirment agir en fonction des besoins prioritaires. Or, si <strong>le</strong>sconditions de vie en vil<strong>le</strong> sont précaires, el<strong>le</strong>s relèvent beaucoup moins del’urgence que cel<strong>le</strong>s que l’on peut rencontrer en milieu rural, où <strong>le</strong>s besoins debase (eau, alimentation, santé, et éducation) ne sont pas encore entièrementsatisfaits. Quelques initiatives récentes sont néanmoins à re<strong>le</strong>ver qui s’attachentà des besoins spécifiquement urbains. Il s’agit surtout du soutien des jeunes et de<strong>le</strong>urs projets associatifs, de l’encadrement des initiatives d’entretien desquartiers, et des opérations de micro-crédit pour soutenir <strong>le</strong> petit commerce etl’artisanat.


130On soulignera néanmoins la présence de quelques éléments de rupture entre <strong>le</strong>sstratégies de l’urgence et cel<strong>le</strong>s du développement. Ainsi, au fur et à mesure quela paix s’installait, que la décentralisation se poursuivait au niveau national, etque <strong>le</strong>s investissements des bail<strong>le</strong>urs internationaux se trouvaient sécurisés, laparticipation communautaire prônée par l’aide d’urgence a glissé vers la gestionparticipative. L’intervention des ONG de développement s’est basée sur <strong>le</strong>sprincipes de responsabilisation des populations bénéficiaires et de gestionautonome des infrastructures. Ce choix répond à la volonté des bail<strong>le</strong>urs defavoriser la participation des bénéficiaires à <strong>le</strong>ur développement et à la politiquenationa<strong>le</strong> de décentralisation qui introduit la gestion communautaire. Les actionsde développement se sont conformées à ce cadre. Directement d’abord, enrequérant de la communauté l’engagement de sa participation financière ouphysique à la réalisation des travaux. Indirectement ensuite, en favorisant desstratégies d’appui des organes de gestion communautaire comme par exemp<strong>le</strong><strong>le</strong>s comité de gestion 188 . Enfin, <strong>le</strong> degré d’interventionnisme des acteurs del’aide distingue l’urgence du développement. L’interventionnisme et l’assistancedes acteurs de l’urgence laisse place au soutien des structures communautairesexistantes. Les ONG de développement répondent en cela à la politiquegouvernementa<strong>le</strong> qui a mis en place des systèmes de gestion communautaired’éducation et de santé, comme <strong>le</strong>s associations de parents d’élèves, et <strong>le</strong>scomités de gestion des centres de santé communautaire. L’action des ONGsuivra <strong>le</strong>s recommandations du gouvernement malien qui l’enjoint dans une deses publications officiel<strong>le</strong>s de ‘renforcer <strong>le</strong>s capacités de planification, deprogrammation, de suivi et de gestion des organisations communautaires’ 189 .C’est pourquoi, l’action des ONG de développement s’attel<strong>le</strong> àl’accompagnement de la décentralisation, à l’appui des communes auxquel<strong>le</strong>ssont dévolues de nouvel<strong>le</strong>s responsabilités, et au renforcement de la sociétécivi<strong>le</strong> qui explose. Les ONG de développement ont réalisé que <strong>le</strong>s implicationsau niveau local de la décentralisation, et <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s opportunités qu’el<strong>le</strong>soffrent aux citoyens n’étaient pas comprises et intégrées par <strong>le</strong>s individus.L’objectif actuel<strong>le</strong>ment recherché est de transmettre aux groupements etassociations la connaissance des mécanismes <strong>le</strong>ur permettant de développer <strong>le</strong>ursactivités, soit en s’adressant aux structures loca<strong>le</strong>s élues, ou directement auxbail<strong>le</strong>urs de fonds. Les ONG sensibilisent donc <strong>le</strong>s groupements aux avantagesdes structures associatives, et encouragent beaucoup l’organisation col<strong>le</strong>ctive desbénéficiaires. A ce titre, la prolifération de structures loca<strong>le</strong>s fantômes sansactivités réel<strong>le</strong>s, si ce n’est cel<strong>le</strong> de capter <strong>le</strong>s fonds atteste de l’amélioration desconnaissances par la société civi<strong>le</strong> loca<strong>le</strong> des rouages de l’aide.De manière généra<strong>le</strong>, on distingue donc trois phases dans <strong>le</strong>s stratégies des ONGde développement. La première phase de transition avec l’urgence privilégie uneintervention directe auprès des bénéficiaires. Puis, <strong>le</strong>s ONG ont soutenu <strong>le</strong>s188 Ces structures ont été mises en place dans la phase de post-urgence par <strong>le</strong> CICR pour rectifier <strong>le</strong> tirde certains ouvrages réhabilités ou nouvel<strong>le</strong>ment créés et mal gérés. Avec <strong>le</strong> retour, l’identification deslieux où <strong>le</strong>s puits devaient être placés n’avait pas pris en compte la responsabilité des bénéficiairesquant à la gestion des ouvrages. Les comités de gestion sont comparab<strong>le</strong>s à des associations d’usagersdésignés par la communauté sous la supervision des ONG qui financent <strong>le</strong>s infrastructures. Cet outi<strong>le</strong>st aujourd’hui couramment utilisé par <strong>le</strong>s ONG de développement pour pérenniser <strong>le</strong>s installations.189 Programme Décenna<strong>le</strong> de Développement de l’Education, Grandes orientations de la politiqueéducative – janvier 2000


131structures représentatives de la communauté dans <strong>le</strong> cadre de la politiquenationa<strong>le</strong> de gestion communautaire des besoins de base. Enfin, el<strong>le</strong>s ontpoursuivi <strong>le</strong>urs efforts par <strong>le</strong> soutien aux autorités élues issues de la politique dedécentralisation et à la société civi<strong>le</strong>.L’ensemb<strong>le</strong> des stratégies de l’aide, qu’el<strong>le</strong>s soient relatives aux acteurs del’urgence ou aux acteurs du développement a constitué une nouveautérévolutionnaire pour <strong>le</strong> Nord Mali. En ce sens, el<strong>le</strong>s ont participé à latransformation de la société nord malienne.Les impacts directs des stratégies de l’aide sur la société nord malienneLe passage dans <strong>le</strong>s camps, ainsi que l’orientation ethnique du conflit, ontmodifié <strong>le</strong>s relations entre <strong>le</strong>s populations du Nord du Mali. De nouvel<strong>le</strong>smentalités, spontanées ou imposées par la crise, ont émergé. Ceci estparticulièrement observab<strong>le</strong> chez <strong>le</strong>s anciens réfugiés. D’origine arabe ouberbère pour la plupart, ils ont assisté à un changement rapide de <strong>le</strong>urs <strong>rapport</strong>savec <strong>le</strong>s ethnies noires, entre eux, et avec <strong>le</strong>s milieux, rural et urbain. Cecontexte relationnel évolue en lien avec la sédentarisation, qui est certainement<strong>le</strong> phénomène <strong>le</strong> plus marquant de cette période, même si ce processus étaitentamé bien avant <strong>le</strong> début du conflit.Sédentarisation forcée, sédentarisation choisieTraditionnel<strong>le</strong>ment, c’est l’éphémère et l’incertitude qui régissent la vie deshommes nomades. La sédentarisation des nomades dans <strong>le</strong>s camps de réfugiés apermis à ces populations de se familiariser avec davantage de certitude et deprévision dans l’organisation du temps, et plus généra<strong>le</strong>ment d’intégrer <strong>le</strong>concept d’avenir qui sous-tend celui de développement. La sédentarisation dans<strong>le</strong>s camps a entraîné une nouvel<strong>le</strong> appréhension du temps par <strong>le</strong>s réfugiés,nouvel<strong>le</strong> approche qui participe de l’amélioration des conditions de vie. En effet,au travers du mode de vie sédentaire, c’est un ensemb<strong>le</strong> de possibilités nouvel<strong>le</strong>squi s’offrent aux anciens réfugiés. Parmi el<strong>le</strong>s, la possibilité de suivre unescolarité régulière a particulièrement frappé <strong>le</strong>s anciens réfugiés. Mais au delà del’éco<strong>le</strong>, l’expérience de la vie en communauté dans l’espace clos des camps apermis aux anciens réfugiés d’apprécier des modalités de relations socia<strong>le</strong>sinconnues jusqu’alors. La possibilité de nouer des relations durab<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>sgens, de <strong>le</strong>s identifier et de <strong>le</strong>s reconnaître a renforcé <strong>le</strong> tissu social, la notion deresponsabilité individuel<strong>le</strong> au sein d’un groupe, et l’échangeintercommunautaire. Le passage de la vie socia<strong>le</strong> réduite imposée par <strong>le</strong>stranshumances, à la quasi-promiscuité des camps a permis des rencontres avec<strong>le</strong>s autres, de nouveaux échanges, la mise en commun des connaissances et desinitiatives, et la gestion communautaire de projets. En accélérant <strong>le</strong> processus desédentarisation en marche dans la région depuis <strong>le</strong>s sécheresses des années 70, lagestion de la crise par la structure des camps a permis aux réfugiés de comparer<strong>le</strong>s sty<strong>le</strong>s de vie nomades et sédentaires, d’associer la sédentarisation à unecertaine amélioration des conditions de vie, et de combiner à l’avenir <strong>le</strong>s deuxmodes de vie via ce qu’on appel<strong>le</strong> communément la semi-sédentarisation.


132Nouvel<strong>le</strong>s mentalités, nouveaux projets de vieLes camps ont éga<strong>le</strong>ment permis aux réfugiés d’acquérir de nouvel<strong>le</strong>scompétences. Les femmes sont particulièrement concernées par cette évolution.Initiées au maraîchage, à l’artisanat et au commerce dans <strong>le</strong>s camps, el<strong>le</strong>s onttenu à mettre en va<strong>le</strong>ur ces nouvel<strong>le</strong>s compétences à <strong>le</strong>ur retour. Le passage dans<strong>le</strong>s camps <strong>le</strong>ur a fait prendre conscience de <strong>le</strong>ur capacité à produire, às’autonomiser et à enrichir <strong>le</strong> revenu familial. Cette diversification des sourcesde revenus a eu un doub<strong>le</strong> effet économique et socia<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> a é<strong>le</strong>vé <strong>le</strong> niveau devie des famil<strong>le</strong>s par <strong>rapport</strong> à l’avant conflit. Mais el<strong>le</strong> a aussi considérab<strong>le</strong>mentbou<strong>le</strong>versé <strong>le</strong> statut de la femme touarègue. La tradition touarègue lui conféraitun statut passif d’ « icône », qui ne devaient pas travail<strong>le</strong>r. Les camps en ont faitdes femmes actives, en mesure d’assumer un rô<strong>le</strong> important dans la promotionéconomique des ménages, et de consolider un pouvoir nouveau au sein de lasphère familia<strong>le</strong>. Ces transformations économiques ne concernent pas seu<strong>le</strong>ment<strong>le</strong>s femmes. Les hommes aussi ont développé de nouvel<strong>le</strong>s compétences dans <strong>le</strong>scamps, notamment en apprenant <strong>le</strong>s rudiments du commerce et en entretenantdes relations commercia<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>s mauritaniens. A <strong>le</strong>ur retour, ils ont cherché àpoursuivre ces activités initiées dans <strong>le</strong>s camps. Certains se sont tota<strong>le</strong>mentreconvertis au commerce sous l’effet de la perte de <strong>le</strong>ur cheptel après l’exil.D’autres ont opté pour une doub<strong>le</strong> activité et mènent de front la pratiqueancestra<strong>le</strong> de l’é<strong>le</strong>vage lorsque <strong>le</strong>s conditions climatiques <strong>le</strong> permettent, et lapratique du commerce pour assurer un revenu stab<strong>le</strong> à la famil<strong>le</strong>.Cette volonté d’assurer un revenu faci<strong>le</strong>ment mobilisab<strong>le</strong>, et stab<strong>le</strong> à la famil<strong>le</strong>est apparu d’autant plus important au retour que de nouveaux besoins sont néssuite au passage dans <strong>le</strong>s camps. Ces nouveaux besoins se situentessentiel<strong>le</strong>ment au niveau de l’éducation et de la santé. L’impact du passagedans <strong>le</strong>s camps sur la volonté de scolarisation des enfants par <strong>le</strong>s parents est <strong>le</strong>plus visib<strong>le</strong> de deux. Plusieurs raisons président à cette prise de conscience.Tout d’abord, l’existence dans <strong>le</strong>s camps d’éco<strong>le</strong>s fondamenta<strong>le</strong>s dont l’accèsétait gratuit a permis à de nombreux enfants d’être scolarisé pour la premièrefois. Ensuite, <strong>le</strong>s gens ont vu que <strong>le</strong>s emplois proposés par <strong>le</strong>s ONG n’étaientdestinées qu’aux réfugiés scolarisés, et l’association entre éducation et positionde pouvoir s’est faite au sein des mentalités. Cela explique qu’ au retour, <strong>le</strong>sdemandes de scolarisation aient été nombreuses et soient allées en augmentantjusqu’à aujourd’hui, tant et si bien que <strong>le</strong>s infrastructures matériel<strong>le</strong>s ethumaines tendent à manquer pour satisfaire cette demande croissante. A coté del’éducation, la santé fait aussi son apparition en tant que nouveau besoin desanciens réfugiés. Tout comme pour l’éducation, <strong>le</strong>s populations dans <strong>le</strong>s campsont été sensibilisées à l’intérêt de se faire soigner. La gratuité des soins a pourune grande part été à l’origine de ce changement. Les populations ont été tentéesde tester la médecine moderne grâce à cet accès faci<strong>le</strong> aux soins. Et une foistémoins des résultats probants et concrets, ils ont voulu retenter l’expérience à<strong>le</strong>ur retour. Ces nouveaux besoins et <strong>le</strong> changement des mentalités qu’ilsaccompagnent suscitent des initiatives personnel<strong>le</strong>s pour trouver <strong>le</strong>s ressourcesnécessaires à <strong>le</strong>ur satisfaction.La convergence des principes de participation communautaire et de gestionparticipative a quant à el<strong>le</strong> suscité de nouvel<strong>le</strong>s formes de relation au pouvoir et


133à la vie ‘publique’. La gestion tripartite des camps mauritaniens basée sur ladésignation de représentants en fonction de critères personnels a tout à la foisproposé un nouveau mode de pouvoir concurrent de celui de la chefferietraditionnel<strong>le</strong>, et introduit une certaine notion de la démocratie. Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>smodalités d’intervention des acteurs de l’aide qui ont encouragé la formationd’associations au sein de la communauté du camp ont valorisé l’action col<strong>le</strong>ctivedes individus. L’idée de société civi<strong>le</strong> a progressivement fait son chemin dans<strong>le</strong>s mentalités de la société nord malienne, comme une façon de maîtriser etd’optimiser son développement. On notera cependant, que si cette évolution estclairement visib<strong>le</strong> dans la région nord, el<strong>le</strong> n’est pas complètement sincère, et ilpersiste des stratégies de pouvoir qui favorisent <strong>le</strong> ‘chef’ plutôt que <strong>le</strong>‘représentant’. Cela constitue un des effets pervers des stratégies des acteurs del’aide. En favorisant par <strong>le</strong>ur soutien financier <strong>le</strong>s volontés des populations quiarrivaient à s’organiser sous la forme associative, <strong>le</strong>s acteurs du développementont encouragé indirectement l’explosion d’associations ‘coquil<strong>le</strong>s vides’,uniquement destinés à capter <strong>le</strong>s fonds de l’aide. Il est ainsi courant quel’association soit une structure pyramida<strong>le</strong> avec une seu<strong>le</strong> personne en tête quiprend <strong>le</strong>s décisions, rédige <strong>le</strong>s <strong>rapport</strong>s avec <strong>le</strong>s ONG, s’occupe del’administration et fait <strong>le</strong> lien avec <strong>le</strong> public. Les décisions s’avèrent souventprises dans l’intérêt d’un seul. La gratuité de l’aide et son abondance est àl’origine d’un second effet pervers, celui du développement d’une mentalitéd’assistanat. Dans <strong>le</strong>s camps, <strong>le</strong>s gens ont appris l’appât du gain faci<strong>le</strong>, ce qui estune nouveauté dans la mentalité nomade. Un accès plus faci<strong>le</strong> à l’eau et à lanourriture, aux vêtements dans <strong>le</strong>s camps a créé de nouveaux besoins et denouvel<strong>le</strong>s exigences de confort. Ils ont aussi pris l’habitude de la gratuité dessoins, ce qui a pour effet la faib<strong>le</strong> fréquentation des nouvel<strong>le</strong>s structures de santédésormais payantes.La conjonction de ces nouvel<strong>le</strong>s mentalités s’est traduite par des modificationsexternes à la perception individuel<strong>le</strong> de sa propre vie et de la vie col<strong>le</strong>ctive. Audelà des impacts humains directs des stratégies de l’aide, l’espace nord malienet la configuration des dynamiques territoria<strong>le</strong>s portent en eux <strong>le</strong>s traces dechangements indirects induits par <strong>le</strong> conflit.IMPACT DES STRATEGIES D’INTERVENTION SUR LES DYNAMIQUESTERRITORIALES AU NORD MALI DE 1995 A AUJOURD’HUIDans <strong>le</strong>s camps de réfugiés s’amorce un changement des mentalités, dont nouspouvons observer <strong>le</strong>s effets depuis <strong>le</strong> début des opérations de rapatriement. Lesdirections prises par <strong>le</strong>s anciens réfugiés lors des retours, illustrent cestransformations de mode de vie et <strong>le</strong>s choix de fixation concrétisent <strong>le</strong> processusde sédentarisation en cours. A travers cette succession de phénomènes, liés aussibien à l’impact de pratiques humanitaires qu’à des mutations socia<strong>le</strong>scontextuel<strong>le</strong>s, apparaissent de nouvel<strong>le</strong>s relations au territoire. Les entitésurbaines au Nord du Mali, tel<strong>le</strong>s que nous <strong>le</strong>s avons définies, conduisent à denouvel<strong>le</strong>s problématiques induites par de récentes dynamiques territoria<strong>le</strong>s.Ce chapitre prend en compte quasi exclusivement la question des camps deréfugiés mauritaniens. La mission effectuée au Nord du Mali ayant dégagé deplus amp<strong>le</strong>s connaissances sur ces espaces et <strong>le</strong>ur gestion, du fait que la majorité


134des réfugiés maliens y étaient concentrés, et que <strong>le</strong>s pratiques humanitaires ontété repérab<strong>le</strong>s. Les enquêtes ont été menées majoritairement dans la sixièmerégion du Mali, et <strong>le</strong>s personnes interrogées à Léré, à Tombouctou et dans dessites de sédentarisation de la région, témoignaient de <strong>le</strong>ur expérience de l’exildans ces camps 190 .Fin du conflit et préparation des retoursLes accords de paix signés <strong>le</strong> 11 novembre 1994 entre <strong>le</strong>s rebel<strong>le</strong>s touaregs et <strong>le</strong>sMouvement patriotique Ganda Koye, mettent un terme à la rébellion touarègue.Aussitôt, <strong>le</strong>s humanitaires, soutenus et accompagnés de la volonté despopulations, préparent <strong>le</strong>s retours des réfugiés qui se dérou<strong>le</strong>ront de 1995 à1998.Les stratégies de retour dépendront à la fois des choix des réfugiés et desdécisions des organismes humanitaires. L’avis des populations était pris encompte dès la création des camps. Le personnel humanitaire avait veillé à ce que<strong>le</strong>s réfugiés soient représentés par des chefs traditionnels ou des chefs de famil<strong>le</strong>,chacun étant désigné pour être <strong>le</strong> porte-paro<strong>le</strong> des habitants d’un quartier ducamp. Cette autorité, confiée à des personnalités touarègues, a permis deconserver un équilibre entre <strong>le</strong>s décisions des acteurs humanitaires,l’organisation des camps et <strong>le</strong>s besoins et <strong>le</strong>s souhaits exprimés par <strong>le</strong>spopulations. L’intervention de ces chefs de quartier lors de la mise en place desretours a été essentiel<strong>le</strong>. Tout en participant aux missions d’état des lieux desvillages et sites dans <strong>le</strong> Nord du Mali avec <strong>le</strong> CICR, ils ont eu un rô<strong>le</strong> de conseilauprès des OI qui finançaient avant tout la réhabilitation et la constructiond’infrastructures hydriques, parfois routières. Puis, une fois que <strong>le</strong>s zones àviabiliser et à réhabiliter furent ciblées, ils ont contribué à transmettre <strong>le</strong>ssouhaits de lieu de retour des réfugiés. Enfin, ils ont parfois accompagné <strong>le</strong>sconvois jusqu’à <strong>le</strong>ur destination. Entre temps, <strong>le</strong>ur rô<strong>le</strong> fut de sensibiliser <strong>le</strong>spopulations installées dans <strong>le</strong>s camps sur <strong>le</strong> retour à la paix et <strong>le</strong>s inciter à rentrerau Mali.Les connaissances de la zone de ces chefs de quartier touaregs étaientrecherchées par <strong>le</strong>s ONG et <strong>le</strong>s OI. Ils apportaient au personnel occidental desinformations sur la région Nord Mali et sur <strong>le</strong>s réels besoins des habitants afind’orienter et de répartir <strong>le</strong>s financements alloués à la réhabilitation et à laconstruction post-conflit. En parallè<strong>le</strong>, ils travaillaient avec <strong>le</strong>s arméesmauritanienne et malienne qui assuraient la sécurité des convois sur <strong>le</strong>s routes duretour. Grâce aux compromis effectués entre <strong>le</strong>s populations, <strong>le</strong>s OI et l’armée,<strong>le</strong>s réfugiés furent progressivement rapatriés sans heurts dans <strong>le</strong> Nord du Mali.RapatriementsAvant la véritab<strong>le</strong> mise en place des rapatriements, <strong>le</strong>s premiers mouvements depopulations se sont effectués dans <strong>le</strong> désordre, sans soutien ni encadrementsécuritaire. Les retours spontanés ont souvent été <strong>le</strong> fait de famil<strong>le</strong>s possédantencore une partie de <strong>le</strong>ur cheptel, étant ainsi capab<strong>le</strong>s de subvenir à <strong>le</strong>ursbesoins. Toutefois, <strong>le</strong>s déplacements ont été rapidement canalisés et l’aide a puatteindre la plus grande partie des populations.Les stratégies des humanitaires, dans un premier temps, ont été dictées par lanécessité de contrô<strong>le</strong>r ces déplacements, alors que <strong>le</strong> contexte politique, bien quela paix soit en théorie revenue, était encore sensib<strong>le</strong>. Dans un second temps, pour190 Nom des camps de réfugiés mauritaniens : Bassikounou, Fassala et Aghor.


135fournir l’aide de base aux populations, il <strong>le</strong>ur fallait canaliser ces déplacements.C’est pourquoi l’implication de tous <strong>le</strong>s acteurs concernés par <strong>le</strong> retour à la paixdevait être équilibrée et complémentaire. Les Etats, <strong>le</strong>s représentants despopulations ainsi que <strong>le</strong>s humanitaires ont ainsi du trouver des compromisfacilitant <strong>le</strong>s rapatriements. La répartition des tâches entre tous a fonctionné tantet si bien que <strong>le</strong>s anciens réfugiés témoignent aujourd’hui de la facilité aveclaquel<strong>le</strong> ils ont été reconduits au Mali.Lieux de retour et nouvel<strong>le</strong> répartition de la population au Nord du MaliComme nous l’avons sous-entendu plus haut, <strong>le</strong>s lieux de retour ont été en partiedésignés par <strong>le</strong>s populations el<strong>le</strong>s-même. Toutefois, cette affirmation est àrelativiser à l'examen des dissimilitudes entre <strong>le</strong>s impératifs des différentsacteurs impliqués.Les populations étaient face à plusieurs alternatives de lieu de retour. Il s’agissaitpour el<strong>le</strong>s de choisir entre un retour en brousse, un retour dans un site desédentarisation réhabilité, viabilisé ou créé, un retour dans un village ou unretour en vil<strong>le</strong>. Les décisions prises par <strong>le</strong>s populations ont été guidées parplusieurs raisons : <strong>le</strong>s motivations économiques, <strong>le</strong>s besoins sécuritaires et <strong>le</strong>slogiques culturel<strong>le</strong>s.Par ail<strong>le</strong>urs, ces choix étaient eux-même contraints par <strong>le</strong>s exigences deshumanitaires qui répondaient à des stratégies de confort logistique etd’accessibilité des sites afin de faciliter <strong>le</strong>urs interventions.La combinaison de ces stratégies et de ces logiques a encouragé une nouvel<strong>le</strong>répartition de la population dans <strong>le</strong> Nord du Mali.Motivations économiquesLes logiques économiques dominent largement <strong>le</strong>s motivations des choix deretour. Différents profils en composent <strong>le</strong>s dynamiques. Tout d’abord, une partiedes réfugiés était d’origine commerçante. Les populations maures se sont ainsispontanément dirigées vers <strong>le</strong>s villages ou <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>squels ils possédaientune boutique. Souvent, <strong>le</strong>ur commerce avait été abandonné dans la hâte et seulun réinvestissement conséquent <strong>le</strong>ur aurait permis de reprendre <strong>le</strong>ur activité dansde brefs délais. Certains se sont attachés à relancer <strong>le</strong>ur commerce tandis qued’autres ont choisi de revendre <strong>le</strong>urs biens pour ouvrir une nouvel<strong>le</strong> boutique endehors des vil<strong>le</strong>s, préférant s’instal<strong>le</strong>r dans des bourgs ou dans des sites desédentarisation. Tombouctou a ainsi été délaissée par une grande partie descommerçants pour la petite vil<strong>le</strong> de Léré et des sites de sédentarisation prochesdes voies de communications. Si <strong>le</strong>s commerçants ont agit de la sorte, c’est toutd’abord pour se rapprocher des frontières de la Mauritanie. Pendant <strong>le</strong> conflit,<strong>le</strong>s populations maures ont été particulièrement actives dans la création deréseaux commerciaux avec <strong>le</strong>s Mauritaniens, eux-mêmes de traditioncommerçante.Parallè<strong>le</strong>ment, ayant du abandonner <strong>le</strong>urs activités, <strong>le</strong>s é<strong>le</strong>veurs touaregs ontétablis des relations marchandes avec <strong>le</strong>s Mauritaniens. De fait, lors des retours,certains se sont dirigés vers <strong>le</strong>s carrefours commerçants du Nord du Mali afin depoursuivre <strong>le</strong>urs nouvel<strong>le</strong>s activités de négoce. La facilité avec laquel<strong>le</strong> ils ont puouvrir ces réseaux a poussé de nombreux réfugiés à devenir des hommesd’affaire, parfois des trafiquants. D’autant plus que la pratique de l’é<strong>le</strong>vagedepuis <strong>le</strong>s sécheresses, permettait diffici<strong>le</strong>ment de subvenir aux besoins desfamil<strong>le</strong>s nomades. Le rapprochement des commerçants a permis d’établir des


136relations de confiances entre tous, et ces échanges commerciaux perdurent ets’intensifient depuis <strong>le</strong> milieu des années 90.Les lieux de retour des populations sont éga<strong>le</strong>ment choisis en fonction desnouvel<strong>le</strong>s compétences acquises dans <strong>le</strong>s camps. Durant la rébellion, afind’occuper <strong>le</strong>s populations passives et dépendantes de l’aide internationa<strong>le</strong>, <strong>le</strong>sONG ont initié <strong>le</strong>s réfugiés à des activités sédentaires, tel<strong>le</strong>s que la pratique del’artisanat, du maraîchage, etc. Des formations aux métiers de la santé ont étédispensées pour former des infirmiers et des sages-femmes. L’acquisition de cesnouvel<strong>le</strong>s compétences a surtout profité aux jeunes femmes, dans la mesure oùtraditionnel<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s femmes touarègues étaient cantonnées à un rô<strong>le</strong> mineur.Dans <strong>le</strong>s camps, cette réalité est transformée et l’ennui a gagné ces populations,désireuses d’avoir un rô<strong>le</strong> actif 191 au sein de la famil<strong>le</strong>. Ces femmes, ayantbénéficié de ces enseignements, ont cherché à s’instal<strong>le</strong>r dans des zonessusceptib<strong>le</strong>s de voir se regrouper <strong>le</strong>s populations. Cette volonté était déterminéepar <strong>le</strong> besoin d’être à proximité d’autres femmes exerçants <strong>le</strong>s mêmes activités,afin de faciliter la commercialisation de <strong>le</strong>urs produits ou d’exercer <strong>le</strong>ursnouveaux savoirs en matière de santé auprès des populations.Ces nouvel<strong>le</strong>s orientations économiques sont sensib<strong>le</strong>ment liées à l’impossibilitéde reprendre <strong>le</strong>s activités traditionnel<strong>le</strong>s d’é<strong>le</strong>vage et ceci pour plusieurs raisons.D’abord parce que <strong>le</strong>s sécheresses récurrentes puis la rébellion ont détruit <strong>le</strong>spâturages et <strong>le</strong>s accès à l’eau, réduisant <strong>le</strong>s zones de transhumance et augmentant<strong>le</strong>s trajets entre <strong>le</strong>s puits fonctionnels, rendant cette activité risquée. Par ail<strong>le</strong>urs,<strong>le</strong>s stratégies des ONG en termes de reconstitution des cheptels ont été quasiinexistantes. Pour autant, ceux qui avaient pu sauver une partie de <strong>le</strong>ur troupeauavaient été pris en charge par VSF dans <strong>le</strong>s camps et ont choisi de se fairerapatrier à proximité des zones de pâturage.Ensuite parce que <strong>le</strong>s populations, depuis <strong>le</strong> milieu des années 70 avaientprogressivement adopté la pratique de l’agriculture à défaut de pouvoirpoursuivre l’é<strong>le</strong>vage. La rébellion ayant d’ail<strong>le</strong>urs accéléré la reconversion desé<strong>le</strong>veurs nomades aux métiers agrico<strong>le</strong>s, conduisant ainsi <strong>le</strong>s populations à sediriger vers <strong>le</strong>s rives du Niger et <strong>le</strong>s zones cultivab<strong>le</strong>s.Enfin, parce que <strong>le</strong>s sites de reconstruction des puits et des forages n’ont pas étédécidés en fonction des activités d’é<strong>le</strong>vage mais en fonction de l’accessibilitédes sites par <strong>le</strong>s ONG. Si bien que la plupart des puits ont été réhabilités et crééssans clairement respecter <strong>le</strong>s besoins propres aux zones de transhumance. Parail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s programmes d’aide mobi<strong>le</strong>s ont été évoqués, malgré cela aucun n’aété mis en place pour des raisons de commodités. Les nomades se sont ainsiécartés de <strong>le</strong>urs lieux de vie habituels.Globa<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong> passage dans <strong>le</strong>s camps a appauvri <strong>le</strong>s réfugiés et l’aide gratuite<strong>le</strong>s a rendu partiel<strong>le</strong>ment dépendants. En conséquence, <strong>le</strong>s zones investies par <strong>le</strong>sONG ont été ciblées par <strong>le</strong>s populations. La présence des organismes d’aideprésente en effet plusieurs avantages. El<strong>le</strong>s sont tout d’abord synonymes d’accèsà l’aide gratuite, mais éga<strong>le</strong>ment garantes du dynamisme de l’emploi d’unterritoire donné. Les ONG sont des employeurs qui n’échappent pas auxpopulations. El<strong>le</strong>s recrutent systématiquement des employés de services, deschauffeurs, des gardiens, des cuisiniers, puis progressivement des traducteurs,191 C’est à dire qu’el<strong>le</strong>s puissent apporter un salaire supplémentaire à la famil<strong>le</strong>.


137des enquêteurs, des responsab<strong>le</strong>s de programmes, etc. Les ONG attirent à el<strong>le</strong>s<strong>le</strong>s anciens réfugiés démunis. Présentes notamment dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s villages,pour des raisons de confort logistique et d’accessibilité, el<strong>le</strong>s ont engendré unmouvement de retour vers <strong>le</strong>s pô<strong>le</strong>s urbains du Nord du Mali. En ce qui concernela sixième région, Léré et <strong>le</strong>s a<strong>le</strong>ntours de Tombouctou ont été investis par unepartie de la population inactive, anciennement réfugiée.Motivations sécuritairesLes témoignages recueillis dans la région de Tombouctou auprès d’anciensréfugiés touaregs révè<strong>le</strong>nt que <strong>le</strong>s raisons sécuritaires ont dirigé certains retours.Même si la paix était recherchée par toutes <strong>le</strong>s parties en conflit, <strong>le</strong> contexte dans<strong>le</strong>quel s’effectuaient <strong>le</strong>s rapatriements n’était pas encore certain et stab<strong>le</strong>. Defait, <strong>le</strong>s populations ont avancé deux critères de choix liés à cette situationd’insécurité latente. Le premier était la présence des ONG qui rassuraitpuisqu’el<strong>le</strong>s sont neutres et représentent la volonté de paix. Le second était laproximité des frontières qui permettent d’envisager de se replier en cas dereprise des combats. Léré, étant située à une soixantaine de kilomètres de laMauritanie a ainsi été souvent désignée comme lieu d’installation.Motivations culturel<strong>le</strong>sPar ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s motifs culturels ont éga<strong>le</strong>ment eu une influence significative sur<strong>le</strong>s choix de sites de réimplantation. L’ethnicisation du conflit a conduit <strong>le</strong>spopulations du Nord du Mali, dont <strong>le</strong>s systèmes fonctionnent pourtant sur unmode complémentaire, à éloigner et distinguer <strong>le</strong>urs cadres de vie. Ainsi, <strong>le</strong>sréfugiés touaregs qui habitaient en vil<strong>le</strong> avant la rébellion ont-ils choisi des’instal<strong>le</strong>r dans des sites de sédentarisation ou dans des villages majoritairementpeuplés d’anciens nomades. Les regroupements ethniques ont été perceptib<strong>le</strong>sdans <strong>le</strong>s deux sens. Les vil<strong>le</strong>s attiraient à el<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s populations noires, associéesau pouvoir gouvernemental et parfois <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s récemment affranchies deslignées touarègues, tandis que <strong>le</strong>s sites de sédentarisation captaient <strong>le</strong>spopulations blanches.Au-delà de ces questions ethniques, <strong>le</strong>s habitudes sédentaires approchées dans<strong>le</strong>s camps, ont engendré chez <strong>le</strong>s nomades une réel<strong>le</strong> transformation desmentalités. Comme il en sera question plus bas, <strong>le</strong> comportement sédentaireforcé de ces réfugiés a, en définitive, motivé certains d’entre eux à s’instal<strong>le</strong>rdans des endroits où ce mode de vie est prédominant.Tout ceci conjugué s’est illustré par un mouvement massif d’anciens réfugiésvers <strong>le</strong> sud de la région de Tombouctou. Les lieux de retours, que ce soient dessites de sédentarisation, des bourgs ruraux ou des vil<strong>le</strong>s, réunissent des critèrescommuns tels que, l’accès à l’eau, l’accès à l’aide internationa<strong>le</strong>, la possibilité depratiquer des activités agrico<strong>le</strong>s et de pratiquer <strong>le</strong> commerce, etc. Ces siteschoisis correspondent éga<strong>le</strong>ment aux bassins d’emploi de la région, situés àproximité des axes routiers et des vil<strong>le</strong>s. Ce qui transparaît subséquemment est laconcentration des populations près des zones accessib<strong>le</strong>s par <strong>le</strong>s voies routièresexistantes, longeant grosso modo <strong>le</strong>s rives du Niger, et accessib<strong>le</strong>s par la voiefluvia<strong>le</strong>.Toutefois, ces motivations de choix de fixation n’en restent pas moins soumisesau phénomène qui <strong>le</strong>s génèrent toutes : la sédentarisation. Cette tendance, qu’el<strong>le</strong>


138soit affichée comme volontaire ou considérée comme inévitab<strong>le</strong> par <strong>le</strong>s touaregs,est manifestement en cours depuis <strong>le</strong>s années 70. Impact indirect mais certaindes pratiques humanitaires, la sédentarisation poursuit son processus et mêmel’accélère depuis la fin de la rébellion. L’étude des lieux de retour démontreincontestab<strong>le</strong>ment, que <strong>le</strong>s touaregs, habituel<strong>le</strong>ment nomades, tendent à se fixer.Les divers facteurs qui engendrent ce phénomène se mesurent tant à traversl’impact des pratiques humanitaires sur l’évolution des mentalités des nomadesqu’à travers la dimension spatia<strong>le</strong> de ce phénomène qu’illustrent aujourd’hui <strong>le</strong>ssites de sédentarisation.L’accélération de la sédentarisationDans <strong>le</strong> Nord du Mali, la sédentarisation des populations nomades a réel<strong>le</strong>mentdébuté dans <strong>le</strong>s années 70, en conséquence de la grande sécheresse de 1973.Depuis, ce phénomène climatique récurrent ne cesse de réduire <strong>le</strong>s zones depâturage et la destruction des cheptels a ôté aux nomades la raison première de<strong>le</strong>urs déplacements. Les prémices des sites de sédentarisation s’observent dèslors que quelques famil<strong>le</strong>s se rassemb<strong>le</strong>nt autour d’un point d’eau fiab<strong>le</strong>,donnant ainsi naissance aux premiers regroupements fixes de population.Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong> rétrécissement des zones de pâturage saisonnières a encouragé ladensification des zones agrico<strong>le</strong>s. Les hommes amenaient <strong>le</strong>urs animaux sur desterres situées à proximité des terres agrico<strong>le</strong>s. Souvent ces terrains sechevauchent, provoquant la dégradation des terres utilisab<strong>le</strong>s pour ces deuxtypes d’activités.Ainsi, <strong>le</strong>s nomades se sont progressivement dirigés vers <strong>le</strong>s rives du Niger, sereconvertissant dans un premier temps, aux activités agrico<strong>le</strong>s. La rébellion,dénonçant <strong>le</strong> manque de soutien et d’aide du gouvernement malien aux régionsdu Nord, a fortement contribué à l'accroissement de ce phénomène. Pourtant,cette fois-ci, <strong>le</strong>s raisons qui lui préexistent ne sont pas du même ordre, et <strong>le</strong>sorientations qu’el<strong>le</strong> prend sont autrement plus visib<strong>le</strong>s et irréversib<strong>le</strong>s. Comme <strong>le</strong>dit Mohamed T.-F. Maïga dans son ouvrage, « la sédentarisation prend cette fois<strong>le</strong>s dimensions d’une véritab<strong>le</strong> mutation socio-économique », s’inscrivant dansune logique de sécurité, et constituant « une réponse des nomades eux-mêmes à<strong>le</strong>urs problèmes 192 ».Au début des années 90, la fuite dans <strong>le</strong>s pays voisins et l’installation dans <strong>le</strong>scamps marquent l’appauvrissement d’une population n’ayant d’autres choixpour survivre que de recevoir et d’accepter l’aide internationa<strong>le</strong>. Au cours de cesquelques années d’exil, l'enseignement d’activités sédentaires, l’accès à despratiques de vie moderne, et l’apprentissage d’un quotidien délimitématériel<strong>le</strong>ment, vaudront à ces populations un incontestab<strong>le</strong> bou<strong>le</strong>versementsocial.Les stratégies de rapatriements et de distribution de l’aide des ONG ont un réelimpact sur la mise en place de ce processus. D’abord parce que <strong>le</strong>s ONGreconduisaient <strong>le</strong>s populations vers des sites viabilisés et donc majoritairementsitués dans <strong>le</strong> sud de la région, ensuite parce qu’el<strong>le</strong>s distribuaient l’aide sur despoints fixes à proximité des voies de communication. Quels que soient <strong>le</strong>ursobjectifs de réintégration économiques, <strong>le</strong>s réfugiés se tournaient d’abord versun mode de vie sédentaire, en s’installant dans cette zone de la région, afin192 Mohamed T.-F. Maïga. Le Mali: de la sécheresse à la rébellion nomade. Paris, l’Harmattan, 1997,p. 176.


139d’être visib<strong>le</strong>s et bénéficier de l’aide. Les stratégies des humanitaires, même siel<strong>le</strong>s ne sont pas volontairement affichées, entraînaient, du moins dans unpremier temps, <strong>le</strong>s nomades à se fixer. Par la suite, ces populations seront demoins en moins tentées par un retour au mode de vie nomade.Mutation des mentalitésEn contact avec de nouvel<strong>le</strong>s populations, de nouvel<strong>le</strong>s activités, un nouveaucadre de vie, <strong>le</strong>s réfugiés se sont progressivement ouverts au mode de viesédentaire.Peu susceptib<strong>le</strong>s de rencontrer des populations ayant un autre mode de vie quecelui de nomade dans <strong>le</strong> désert, <strong>le</strong>s réfugiés ont, dans <strong>le</strong>s camps, inévitab<strong>le</strong>mentcôtoyé différents autres modes de vie. A commencer par <strong>le</strong> contact avec <strong>le</strong>sTouaregs et Maures maliens déjà sédentarisés, car enseignants, commerçants ouagriculteurs. La proximité dans un espace restreint de populations ayantl’habitude de se rencontrer sporadiquement dans des espaces infinis a, dans unpremier temps, transformé <strong>le</strong>s relations des uns avec <strong>le</strong>s autres. Les relationshiérarchiques, infra-ethniques et infra-familia<strong>le</strong>s, ont aussi été bou<strong>le</strong>versées parune nouvel<strong>le</strong> distribution des pouvoirs. Les chefs de fraction, traditionnel<strong>le</strong>mentresponsab<strong>le</strong>s d’entités familia<strong>le</strong>s et ethniques sont parfois remplacés par deschefs de quartier, représentants un nouveau pouvoir, responsab<strong>le</strong>s d’entitésgéographiques contenant une population socia<strong>le</strong>ment plus hétérogène.L’apprentissage de la vie en communauté commence dès lors.En parallè<strong>le</strong>, vivre à proximité des Mauritaniens peut être considéré comme unapprentissage du mode de vie fixe. D’abord parce que <strong>le</strong> processus desédentarisation est en cours depuis <strong>le</strong> milieu du 20 e sièc<strong>le</strong> en Mauritanie, ensuiteparce que la relation entre un certain confort et ce mode de vie a pu être établie,enfin parce que <strong>le</strong>s réfugiés se sont progressivement engagés dans des relationscommercia<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>s autochtones.La présence du personnel humanitaire a éga<strong>le</strong>ment été une ouverture au mondeoccidental. Les jeunes réfugiés ont trouvé dans <strong>le</strong> personnel expatrié un nouveaumodè<strong>le</strong> de vie. Des témoignages ont sou<strong>le</strong>vé cette question crucia<strong>le</strong>, dont <strong>le</strong>sraisons d’être sont rarement mises en avant. Néanmoins, <strong>le</strong> jeunesse, après <strong>le</strong>conflit, a recherché l’accès à la culture occidenta<strong>le</strong>, en désirant s’instal<strong>le</strong>r dansdes zones où l’ouverture à ce monde est concevab<strong>le</strong>. Les plus anciensconstataient éga<strong>le</strong>ment la formulation par <strong>le</strong>s plus jeunes de nouveaux projetsd’avenir, inspirés du mode de vie occidental, ou tout simp<strong>le</strong>ment de celui de lacapita<strong>le</strong> Bamako, tels qu’ils peuvent <strong>le</strong>ur parvenir.Certaines stratégies employées dans <strong>le</strong>s camps ont aussi eu des répercussions quis’observent dans <strong>le</strong> souhait des populations de poursuivre de nouvel<strong>le</strong>s pratiquesinitiées alors. Dans un premier temps, la prise en charge de la scolarisation desenfants par certaines ONG, encouragera <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s à envoyer <strong>le</strong>urs enfants àl’éco<strong>le</strong> dès <strong>le</strong>s retours. La prise de conscience qu’implique ces choix s’esteffectuée en partie au contact de personnes <strong>le</strong>ttrée. Les Touaregs qui pouvaientrevendiquer ces compétences se sont souvent vus confier la responsabilité detâches, tandis que <strong>le</strong>s autres, n’avaient pas d’autre choix que de rester dépendantet passif. Dans un second temps, la pratique de la médecine occidenta<strong>le</strong> par <strong>le</strong>sONG a permis de rassurer <strong>le</strong>s populations sur ses bienfaits. En règ<strong>le</strong> généra<strong>le</strong>, <strong>le</strong>sTouaregs avaient recours à la médecine traditionnel<strong>le</strong>. L’accès gratuite à cessoins a facilité <strong>le</strong>s démarches de sensibilisation, et ils ont souvent accepté cettemédecine longtemps refoulée. De fait, lors des retours, <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s ont voulu


140faire perdurer ces acquis ; que <strong>le</strong>s enfants poursuivent l’éco<strong>le</strong> et que l’on puisseavoir accès à cette médecine qui a des résultats tangib<strong>le</strong>s. En conséquence, <strong>le</strong>phénomène par <strong>le</strong>quel certains ont choisi de se fixer dans des sites où l’éducationet la santé étaient accessib<strong>le</strong>s, montre que <strong>le</strong>s mentalités ont fortement muté, sontdevenues plus audacieuses et plus curieuses, mais surtout plus soucieuses face àun avenir au demeurant incertain.Apprentissage du quotidien dans un espace délimitéLes mutations de ces mentalités sont mises en exergue dans un cadre de vierestreint, dont <strong>le</strong>s limites sont palpab<strong>le</strong>s. Autre phénomène majeur dansl’accélération de la sédentarisation, l’espace vital des Touaregs est passé del’immensité du désert à un petit lopin de terre et ceci, sans transition. Contraintsde vivre dans ces conditions pour une période indéterminée, <strong>le</strong>s réfugiés ontressenti l’arrivée dans <strong>le</strong>s camps comme une entrée en prison. En définitive, eten partie grâce aux diverses occupations offertes aux populations, l’espace a étévécu comme un apprentissage, certes brutal, de la vie en milieu urbain. Cecontact avec une conception sédentaire de l’espace a favorisé la prise deconscience des <strong>rapport</strong>s entre <strong>le</strong>s activités sédentaires, c’est à dire toutes cel<strong>le</strong>squi ne concernent pas l’é<strong>le</strong>vage, <strong>le</strong> confort matériel et social, l’accès àl’éducation et aux soins, et <strong>le</strong> cadre dans <strong>le</strong>quel tous ces critères sont assemblés.Le choix de se sédentariser volontairement provient donc de la conjonction deces divers facteurs. Dans ce sens, la sédentarisation n’est pas un concept maisune action. C’est « <strong>le</strong> processus par <strong>le</strong>quel une famil<strong>le</strong> ou un groupe nomade fixeson lieu de résidence et tend à diversifier et stabiliser ses activités de productiondans son espace résidentiel. […]. En d’autres termes, la sédentarisation dépassela conception étroite de fixation d’un groupe, pour être : un changement socialréel d’un mode de vie à un autre 193 ».Sédentarisation de l’habitat et naissance de nouvel<strong>le</strong>s formes urbainesIllustration d’un changement social majeur, la sédentarisation se matérialise dansl’espace, d’abord à travers l’évolution de l’habitat, <strong>le</strong>s nouveaux <strong>rapport</strong>s auxespaces ruraux et urbains, et s’observe ensuite dans création et l’afflux vers <strong>le</strong>ssites de sédentarisation.L’évolution de l’habitat est la première forme visib<strong>le</strong> de la fixation des nomades.Les tentes mobi<strong>le</strong>s utilisées traditionnel<strong>le</strong>ment sont parfois conservées commelogement principal. Ceux qui se sont installés dans des zones urbanisées élèventdes murs autour de ces tentes afin de délimiter <strong>le</strong>ur parcel<strong>le</strong>. Pour autant, <strong>le</strong>stentes en coton ou en cuir sont abandonnées au profit d’un habitat de typesédentaire, des cases en natte et plus rarement des maisons construites enbanco 194 . A Léré comme à Tombouctou, <strong>le</strong>s interstices de la vil<strong>le</strong>, parcel<strong>le</strong>sinhabitées ou en ruine, sont investis par ces populations. En milieu rural,l’habitat évolue de façon moins précaire. Les tentes des nomades sontprogressivement remplacées par de petites maisons en dur, souvent composéesd’une seu<strong>le</strong> pièce et devant <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s une tente en natte est é<strong>le</strong>vée.Cette sédentarisation de l’habitat s’inscrit dans un contexte plus larged’urbanisation des zones nomades. Les nomades sédentarisés en milieu urbain193 Mohamed T.-F. Maïga. Le Mali: de la sécheresse à la rébellion nomade. Paris, l’Harmattan, 1997,p. 177.194 Le Banco est une sorte de pisé utilisé en Afrique.


141sont considérés comme une population margina<strong>le</strong>, appelée ‘population flottante’,dont <strong>le</strong>s activités économiques ne sont pas précises. Leur habitat comme nousvenons de <strong>le</strong> voir, est visib<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s interstices de la vil<strong>le</strong> et bouge en fonctiondes opérations de lotissements des municipalités.En milieu rural, <strong>le</strong>s nomades sédentarisés se fondent dans la masse. Les nomadess’adaptent au système de production local et produisent sur place l’essentiel desproduits nécessaires à la satisfaction de <strong>le</strong>urs besoins. Les regroupements depopulation en milieu rural sont appelés des sites de sédentarisation. Chaque sitede sédentarisation « est <strong>le</strong> contenant qui donne au fait de se sédentariser sa formede configuration des lieux et des systèmes de production 195 ». Dans un premiertemps, des campements mobi<strong>le</strong>s se fixent. L’usage veut qu’un campement soitcomposé de plusieurs tentes alignées traditionnel<strong>le</strong>ment du nord au sud, <strong>le</strong>souvertures à l’ouest et à l’est permettant de placer et surveil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s animaux. Lecaractère éclaté de la disposition des maisons dans ces sites correspond donc à lanécessité de placer <strong>le</strong>s troupeaux à proximité de <strong>le</strong>ur propriétaire. Cette tramed’urbanisation reste visib<strong>le</strong> dès lors que <strong>le</strong>s sites sont choisis pour perdurer. Defait, la morphologie des sites de sédentarisation conserve cette particularité ets’étend sur des espaces peu denses.Même si <strong>le</strong> nomadisme demeure <strong>le</strong> mode de vie de la plus grande majorité de lapopulation Maure et Tamasheq, la question de la sédentarisation s’imposecomme une dynamique du changement des relations territoria<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> Nord duMali.Nouvel<strong>le</strong>s dynamiques territoria<strong>le</strong>s au Nord du MaliLa sédentarisation n’est pas synonyme d’insertion en milieu urbain, <strong>le</strong> milieurural étant plus touché par ce phénomène. Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong> phénomène desédentarisation des populations engendre un nouveau <strong>rapport</strong> aux espaces. Lanouvel<strong>le</strong> armature sédentaire entraîne, à l’échel<strong>le</strong> de la région, de nouvel<strong>le</strong>srelations entre <strong>le</strong>s différentes entités fixes, <strong>le</strong>s sites, <strong>le</strong>s bourgs ruraux et <strong>le</strong>svil<strong>le</strong>s. La création des sites de sédentarisation est au cœur de ces problématiquesterritoria<strong>le</strong>s.Les sites de sédentarisation sont réputés viab<strong>le</strong>s si <strong>le</strong>s lieux d’implantation « sontde nature à permettre à des groupes de produire dans <strong>le</strong> même espacegéographique l’essentiel de <strong>le</strong>urs biens et produits de consommation 196 ». Lesconditions requises pour atteindre cet objectif concernent à la fois ladisponibilité en terres de culture et en pâturages, la présence de points d’eau, laproximité des centres urbains et administratifs, la présence d’axes decommunication, <strong>le</strong> passage des pistes de transhumance à cet endroit. Cesconditions peuvent ainsi se décliner et se résumer en trois tendances : l’existencede facteurs de production, la présence de structures et d’appuis institutionnels etla réalité d’un espace d’échange et de communication.Les déplacements entre sites, bourgs ruraux et vil<strong>le</strong>s ne sont pas uneconséquence de ces pratiques. En effet, ces routes étaient empruntéesrégulièrement depuis bien avant la rébellion. Pour autant, la création de sites de195 Mohamed T.-F. Maïga. Le Mali: de la sécheresse à la rébellion nomade. Paris, l’Harmattan, 1997,p. 177.196 op. cit. p. 178


142sédentarisation favorise <strong>le</strong>s circuits plus courts et plus réguliers, et <strong>le</strong>s nouveauxespaces commerciaux intensifient ces déplacements depuis la fin de la rébellion.Déplacements et activités économiquesLes vil<strong>le</strong>s du Nord du Mali ont la particularité d’être dépourvues d’unités deproduction. Par conséquent, <strong>le</strong>s déplacements entre milieu rural et milieu urbainsont traditionnel<strong>le</strong>ment fréquents. Hormis <strong>le</strong>s activités commercia<strong>le</strong>s,administratives et touristiques, qui se situent en vil<strong>le</strong>, à Léré et à Tombouctou,l’économie de la région dépend des activités agrico<strong>le</strong>s et d’é<strong>le</strong>vage. La premièreraison pour laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s dynamiques territoria<strong>le</strong>s ont évolué est l’installation descommerçants dans <strong>le</strong>s sites de sédentarisation. Ils effectuent des déplacementsquotidiens ou de plusieurs jours en fonction de <strong>le</strong>urs objectifs, transporter lamarchandise venue de Mauritanie principa<strong>le</strong>ment ou la revendre dans desboutiques en vil<strong>le</strong> ou sur des marchés.Certains déplacements de population dépendent des jours de marché. Qu’ilssoient situés dans <strong>le</strong>s sites ou dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s marchés génèrent desmigrations importantes. Les zones où se situent <strong>le</strong>s marchés tendent aujourd’huià devenir des places commercia<strong>le</strong>s parfois reconnues au-delà des frontièresmaliennes. C’est <strong>le</strong> cas de Léré, dont <strong>le</strong> marché de bétail qui se tient une fois parsemaine a la réputation d’être <strong>le</strong> plus important de la sixième région du Mali,attirant ainsi des commerçants des autres régions maliennes, de Mauritanie,d’Algérie et du Niger.Les touaregs ayant opté pour ces nouvel<strong>le</strong>s activités sédentaires ont une placeimportante dans l’évolution de ces migrations pendulaires. Souvent, ils ont unpied à terre en vil<strong>le</strong>, mais ne l’utilisent que pour passer la journée et y faire desaffaires. Le soir, tous rentrent dans <strong>le</strong>s sites, réaction prise par mesure de sécuritéau départ, puis devenue une habitude.Parfois, nous avons assisté à la combinaison au sein d’une même famil<strong>le</strong> desdeux modes de vie. Certains touaregs conservent <strong>le</strong>urs activités d’é<strong>le</strong>vage tout encréant un commerce. Parfois, ce sont <strong>le</strong>s femmes qui s’investissent dans desactivités de maraîchage et d’artisanat qui favorisent la stabilisation des famil<strong>le</strong>dans un même endroit. De ce fait, <strong>le</strong> nouvel élément de contexte qui favorisecette mixité des modes de vie est la fixation du camp à proximité d’un puit,permettant à la fois de réaliser des activités sédentaires et de servir de camp debase pour <strong>le</strong>s nomades.Déplacements liés aux servicesLes nouvel<strong>le</strong>s mentalités dont résultent de nouveaux besoins favorisent desdéplacements. Dans un premier temps, la volonté de scolariser <strong>le</strong>s enfants a étéaccompagnée de la construction d’éco<strong>le</strong>s élémentaires hors des vil<strong>le</strong>s. Certainssites sont équipés, mais la plupart ne <strong>le</strong> sont pas. De fait, chaque semaine, <strong>le</strong>sélèves se rendent dans l’éco<strong>le</strong> la plus proche, et sont pris en charge par desassociations de parents d’élèves pour <strong>le</strong> logement et <strong>le</strong>s repas. Les relations entre<strong>le</strong>s sites se développent pour ces raisons. Les enfants qui ont commencé à êtrescolarisés après la rébellion ont maintenant l’âge d’al<strong>le</strong>r au collège, parfois auLycée. Ceci génère d’autres déplacements entre, cette fois-ci, <strong>le</strong>s sites et <strong>le</strong>svil<strong>le</strong>s. Par ail<strong>le</strong>urs, mais de façon plus irrégulière, <strong>le</strong>s déplacement s’intensifientvers <strong>le</strong>s sites où se trouvent <strong>le</strong>s centres de santé. N’ayant plus de crainte pour sefaire soigner par <strong>le</strong>s médecins des ONG, <strong>le</strong>s populations recherchent cette aide etn’hésitent pas à se déplacer. Par conséquent, <strong>le</strong>s zones qui auront été désignées


143pour construire des centres de santé et des éco<strong>le</strong>s financés par <strong>le</strong>s ONG, vont être<strong>le</strong>s cib<strong>le</strong>s de ces déplacements. Souvent, ces équipements sont construits àproximité des axes routiers et aux carrefours des pistes. Ceci permet de desservirdavantage de zones rura<strong>le</strong>s, malgré l’enclavement de la région.Dans un second temps, <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s implications administratives des élus dans<strong>le</strong> Nord du Mali, dues à la mise en place de la décentralisation, favorisent <strong>le</strong>sdéplacements avec <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s. La vil<strong>le</strong> reste en effet <strong>le</strong> lieu où l’on règ<strong>le</strong> sesaffaires administratives. De fait, <strong>le</strong>s chefs de fraction, <strong>le</strong>s chefs de sites et <strong>le</strong>smaires des villages se déplacent régulièrement à Tombouctou, capita<strong>le</strong> régiona<strong>le</strong>,pour <strong>le</strong>s conseils et <strong>le</strong>s réunions.Enfin, la mise en place d’infrastructures de communication par <strong>le</strong>s ONG pour<strong>le</strong>ur propres besoins, combinée à la naissance de la conscience col<strong>le</strong>ctive d’avoiraccès au monde, a accru la demande des populations pour l’accès auxtélécommunications. Les jeunes se sont progressivement appliqués à utiliserl’outil Internet dont un club a été mis en place à Tombouctou en 1999. Enparallè<strong>le</strong> <strong>le</strong> réseau de téléphone, datant des années 60, a été rétabli et fonctionnedans <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s du Nord. Toutefois <strong>le</strong> niveau d’équipement entélécommunications reste très faib<strong>le</strong> au Nord du Mali, et dans la sixième région,seu<strong>le</strong> la vil<strong>le</strong> de Tombouctou peut offrir ces services. Par ail<strong>le</strong>urs, la petite vil<strong>le</strong>de Léré s’est dotée de deux lignes téléphoniques en 2001. Les populationsjustifient souvent <strong>le</strong>urs déplacements vers <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s pour accéder à cetteouverture au pays et au monde. Ils ont pris conscience dans <strong>le</strong>s camps del’intérêt de communiquer avec d’autres cultures et d’échanger avec <strong>le</strong>s autrespopulations du Mali. Dans ce contexte, posséder la télévision est parfois unobjectif prioritaire pour ces populations qui cherchent l’information de l’ail<strong>le</strong>urs.Situation des sites sur des zones d’échangesTous ces motifs combinés encouragent l’intensification des déplacements dans <strong>le</strong>Nord du Mali. Cette situation est relativement marquante dans <strong>le</strong>s dynamiquesterritoria<strong>le</strong>s qu’el<strong>le</strong> entraîne. Notamment au regard des zones où convergent cescircuits migratoires, qu’ils soient quotidiens, hebdomadaires, mensuels ouencore réguliers ou aléatoires.Les axes de communications traditionnels sont toujours empruntés. Les axesMauritanie-Léré-Tombouctou-Gao-Kidal-Algérie ou Tombouctou-Gao-Ménaka-Niger, ainsi que <strong>le</strong>s pistes joignant <strong>le</strong> Niger et <strong>le</strong>s zones habitées situées sur unefrange parallè<strong>le</strong>, au Nord du f<strong>le</strong>uve, sont <strong>le</strong>s routes <strong>le</strong> long desquel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>spopulations s’instal<strong>le</strong>nt. Les points de jonction entre ces routes deviennent deszones de passage et d’échange qui par conséquent s’urbanisent au gré de laprogression des besoins des voyageurs et de l’augmentation des populations quise fixent à ces endroits. L’augmentation du nombre de commerçants dans larégion due aux mutations sociaux-économiques, la construction d’éco<strong>le</strong>s et decentres de santé dont l’objectif est de répondre à une demande populaire de plusen plus forte, la mise en place de la décentralisation et donc de l'accroissementdu nombre d’élus locaux et de <strong>le</strong>urs responsabilités, ont favorisé la naissance, lapérennisation et <strong>le</strong> développement de sites de sédentarisation et de petits bourgscommerçants.Ces carrefours sont idéaux pour la construction d’infrastructures et permet de <strong>le</strong>srendre accessib<strong>le</strong>s à tous. Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong> phénomène de désenclavement de larégion s’amorce grâce à ces choix, même si une grande partie de la populationest toujours inaccessib<strong>le</strong>. Ces nouveaux déplacements contribuent donc à


144développer des infrastructures <strong>le</strong> long de ces routes, ponctuant <strong>le</strong> sud de larégion du Nord du Mali d’équipements. Pour autant, <strong>le</strong>s grandes agglomérationsse développent éga<strong>le</strong>ment mais n’ont plus <strong>le</strong> monopo<strong>le</strong> de centre d’échange,puisque des communes tel<strong>le</strong>s que Léré relaient <strong>le</strong>s activités vers <strong>le</strong>s frontières.ConclusionAu regard des différents impacts des pratiques humanitaires sur <strong>le</strong> Nord du Mali,force est de constater que l’effet principal est l’amorce du désenclavement de lazone. Ceci s’observe à plusieurs niveaux. D’abord avec l’ouverture au mode devie sédentaire et par conséquent l’apparition de nouvel<strong>le</strong>s mentalités qui tendentà investir, construire dans la durée, permettant par exemp<strong>le</strong> l’entretien et lapérennisation des équipements col<strong>le</strong>ctifs construits après <strong>le</strong> conflit. Ensuite, cedésenclavement s’opère au niveau politique sous l’effet combiné de la mise enplace de la décentralisation et du processus de déconcentration du pouvoir.Enfin, l’ouverture aux régions frontalières a permis <strong>le</strong> rapprochement despopulations vers <strong>le</strong>s zones <strong>le</strong>s plus accessib<strong>le</strong>s, proches des voies routières etfluvia<strong>le</strong>s. Par conséquent, l’intensification des échanges additionnée auxnouveaux besoins des populations ont des impacts sur <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s du Nord du Malien termes d’équipement et non de logement. Les infrastructures de Tombouctoune sont pas suffisantes pour comb<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s diverses demandes des populations qui,par ail<strong>le</strong>urs, habitent souvent hors de la vil<strong>le</strong>. En parallè<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s nombreuxdéplacements impliquent de reconstruire <strong>le</strong>s pistes et de <strong>le</strong>s entretenir. Le réseauroutier n’est évidemment pas en suffisant bon état pour faciliter cesdéplacements.La difficulté à trouver un équilibre entre mutation culturel<strong>le</strong> et changementséconomique, perçus comme étant <strong>le</strong>s supports de la décentralisation, se mesurentaujourd’hui à l’incapacité financière des col<strong>le</strong>ctivités loca<strong>le</strong>s à qui la charge detels investissements revient. Le processus de sédentarisation associé à celui dudésenclavement du Nord du Mali présagent éga<strong>le</strong>ment une urbanisation de larégion dont il s’agira de contrô<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s évolutions. Dans ce contexte, <strong>le</strong>s outilsinstitutionnels dont disposent <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s col<strong>le</strong>ctivités doivent êtremanifestement améliorés et mis en exergue, face à des solutions actuel<strong>le</strong>smenées visib<strong>le</strong>ment sans logique de réseau et sans vision à long terme, n’ayantd’autre moyens que ceux de panser <strong>le</strong>s dégâts d’un conflit déjà loin dans l’espritdes populations.


1454LES AFGHANS REFUGIES A PESHAWAR : DYNAMIQUESD’INTEGRATION, MUTATIONS URBAINES ET LOGIQUESFRONTALIERESL’évolution urbaine, démographique et socia<strong>le</strong> de Peshawar au cours des vingtdernières années a été largement influencée par l’exil afghan, phénomèned’immigration <strong>le</strong> plus important du monde contemporain, notab<strong>le</strong> par sonamp<strong>le</strong>ur démographique et sa longévité. Dès 1979, l’invasion de l’Afghanistanpar l’Union soviétique et l’arrivée au pouvoir d’un régime communistecontraignent des centaines de milliers d’Afghans à quitter <strong>le</strong> pays. Près de sixmillions de personnes se réfugient ainsi en Iran et au Pakistan pendant ladécennie 1980. Au Pakistan, <strong>le</strong>s exilés afghans s’instal<strong>le</strong>nt principa<strong>le</strong>ment dans<strong>le</strong>s provinces frontalières, au Baloutchistan et dans la Province Frontière duNord-Ouest (NWFP) 197 dont Peshawar est la capita<strong>le</strong>.Cette logique territoria<strong>le</strong> de migration recoupe une situation frontalière trèsparticulière, à la fois très précaire et instrumentalisée par différents acteursétatiques et non étatiques. El<strong>le</strong> croise ainsi des réalités d'ordre stratégique et géoethniquequi en font un cas d'étude comp<strong>le</strong>xe, nécessitant plusieurs gril<strong>le</strong>s de<strong>le</strong>cture. En 1979, la frontière afghano-pakistanaise devient une ligne de frontinternationa<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> contexte de la Guerre Froide, pour <strong>le</strong> redevenir en 2001dans <strong>le</strong> cadre de la lutte anti-terroriste menée par <strong>le</strong>s Américains. Le Pakistan,doté du statut de « pays de la ligne de front » et hanté par la domination de sonennemi endémique indien, rêve d'une profondeur stratégique en Afghanistan.Cette frontière, née de la colonisation britannique en 1893, coupe arbitrairementune aire de peup<strong>le</strong>ment ethnico-linguistique majoritairement pachtoune et longeune zone triba<strong>le</strong> semi-autonome et montagneuse qui rend son contrô<strong>le</strong> trèsdiffici<strong>le</strong>. Les provinces frontalières, et particulièrement la NWFP et Peshawar,vont servir de bases arrières aux différentes stratégies transfrontalières, ycompris cel<strong>le</strong>s développées par <strong>le</strong>s humanitaires et <strong>le</strong>s réfugiés.Dans cette configuration comp<strong>le</strong>xe et souvent opaque,. Peshawar constitue unterritoire clé des échanges frontaliers, en raison de sa fonction de capita<strong>le</strong>provincia<strong>le</strong> et en vertu de son positionnement stratégique à l'embouchure de lafameuse passe de Khyber, principal couloir de communication entre <strong>le</strong>s deuxpays. Parallè<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s ONG et <strong>le</strong>s Organisations Internationa<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong>s197 Cette province est couramment dénommée ‘NWFP’ soit ‘North-West Frontier Province’ en anglais.


146activités sont essentiel<strong>le</strong>ment dirigées vers l'Afghanistan concentrent <strong>le</strong>ursbureaux à Peshawar, utilisant à <strong>le</strong>ur tour la vil<strong>le</strong> frontière comme une basearrière logistique centra<strong>le</strong>. Utilisée à des fins stratégiques et humanitaires, lavil<strong>le</strong> se transforme considérab<strong>le</strong>ment. L'immigration afghane encadrée ou nonparticipe de façon prépondérante de ce phénomène de mutation urbaine. Encorrélation étroite avec <strong>le</strong>s réseaux d'encadrement politiques et humanitairesjusqu'en 1992, el<strong>le</strong> se prolonge depuis de façon plus autonome.Dès <strong>le</strong> début des années 1980, <strong>le</strong>s réfugiés afghans s’instal<strong>le</strong>nt dans des camps 198gérés par <strong>le</strong> Haut-Commissariat des Nations Unies pour <strong>le</strong>s Réfugiés (UNHCR)sous contrô<strong>le</strong> des autorités pakistanaises, situés à proximité de la frontièreafghane et aux a<strong>le</strong>ntours de Peshawar. Mus par <strong>le</strong>ur esprit entreprenant et <strong>le</strong>urvolonté de créer <strong>le</strong>s moyens de <strong>le</strong>ur auto subsistance, <strong>le</strong>s exilés afghans sedéplacent progressivement des villages de réfugiés vers <strong>le</strong>s zones d’activitéurbaine au sein desquel<strong>le</strong>s ils tendent à reproduire <strong>le</strong>s modalités d’organisationéconomique et socia<strong>le</strong> importées d’Afghanistan. La vil<strong>le</strong> de Peshawar devient aufil des années un nœud de fixation des populations réfugiées désireuses des’insérer dans <strong>le</strong> tissu socioéconomique local et de développer des mécanismesde survie indépendamment des réseaux déclinants de l’aide humanitaire.La structuration urbaine et socia<strong>le</strong> de Peshawar évolue au rythme des afflux desréfugiés et de <strong>le</strong>ur intégration dans la vil<strong>le</strong>. La logique d’extension de Peshawarest fondée sur l’intégration socio-spatia<strong>le</strong> des camps de réfugiés – devenus devéritab<strong>le</strong>s quartiers construits en dur et munis d’infrastructures urbaines (éco<strong>le</strong>s,dispensaires, puits, réseaux é<strong>le</strong>ctriques…) – et sur la construction au cœur de lavil<strong>le</strong> de nouveaux quartiers majoritairement peuplés de ménages afghans. Il est àce titre intéressant de souligner que <strong>le</strong>s différentes modalités d’insertion desAfghans dans <strong>le</strong> tissu urbain de Peshawar correspondent à des vagues d’exilsuccessives vers <strong>le</strong> Pakistan. Les premiers afflux de réfugiés, majoritairementpachtounes et originaires des zones rura<strong>le</strong>s du sud et de l’ouest de l’Afghanistan,s’instal<strong>le</strong>nt prioritairement dans <strong>le</strong>s villages de réfugiés, créés par <strong>le</strong>s autoritésloca<strong>le</strong>s ou érigés de manière informel<strong>le</strong>. Les flux se diversifient à partir dumilieu des années 1980 avec l’arrivée de minorités ethniques originaires desprovinces du Nord qui préfèrent l’atmosphère cosmopolite de Peshawar àl’ambiance des camps fortement imprégnée de l’héritage pachtoune. Puis, <strong>le</strong>sannées 1992–1996 se caractérisent par l’émigration d’Afghans originaires desclasses urbaines aisées fuyant <strong>le</strong>s mesures fondamentalistes des Talibans. Cesdernières couches de population s’instal<strong>le</strong>nt directement en zone urbaine, sanstransiter par <strong>le</strong>s camps, et développent de véritab<strong>le</strong>s zones d’activité urbaine enbordure de la vil<strong>le</strong> 199 . Enfin, la sécheresse de l’année 2000, <strong>le</strong>s dernièressecousses du régime taliban et l’intervention de l’armée américaine provoquentl’exil désordonné et massif de populations afghanes qui s’instal<strong>le</strong>nt en touteillégalité dans la précarité des quartiers populaires de Peshawar ou rejoignent <strong>le</strong>s198 Les camps de réfugiés sont officiel<strong>le</strong>ment appelés ‘ARV’ soit ‘Afghan Refugee Village’.199 C’est notamment <strong>le</strong> cas du quartier résidentiel d’Hayatabad récemment édifié à l’ouest de Peshawar,majoritairement peuplé d’Afghans exerçant une profession libéra<strong>le</strong> ou fortement impliqués dans <strong>le</strong>sréseaux d’échanges commerciaux à l’échelon régional.


147« nouveaux » camps édifiés sous autorité pakistanaise aux confins de la zonetriba<strong>le</strong> 200 .Si l’empreinte de la présence afghane sur <strong>le</strong> tissu urbain de Peshawar n’est plus àdémontrer, son impact sur l’économie loca<strong>le</strong> et nationa<strong>le</strong> est controversé etinéga<strong>le</strong>ment perçu. Leur exil s’inscrivant dans la durée, <strong>le</strong>s Afghans outrepassentla figure du réfugié politique et sont désormais assimilés à des migrantséconomiques fuyant un pays en ruines atteint de sécheresse. L’exilé afghan estdevenu <strong>le</strong> bouc-émissaire de tous <strong>le</strong>s maux de la société pakistanaise,potentiel<strong>le</strong>ment responsab<strong>le</strong> de la situation de chômage et de sous-emploirécurrente dans <strong>le</strong>s provinces frontalières traditionnel<strong>le</strong>ment éloignées duprocessus de développement national 201 . Cependant, l’essor de certaines secteursde l’économie loca<strong>le</strong> et transfrontalière – tels ceux du bâtiment et des transports–, la présence massive et durab<strong>le</strong> d’agences humanitaires à Peshawar et la miseen œuvre de projets d’aménagement du territoire dans une région historiquementmarginalisée portent à croire que l’ancrage des réfugiés afghans dans la provincede Peshawar n’a pas eu que des effets nocifs sur l’environnement local.Néanmoins, l’amp<strong>le</strong>ur même de la présence afghane demeurant diffici<strong>le</strong> àévaluer, <strong>le</strong>s effets conjugués des afflux successifs de réfugiés sur l’économie etla société loca<strong>le</strong>s ne peuvent qu’être issus de suppositions et de conclusionsexpérimenta<strong>le</strong>s. Cependant, la dégradation des <strong>rapport</strong>s entre <strong>le</strong>s réfugiés et <strong>le</strong>spopulations pakistanaises, phénomène universel, comporte un sens politiqueimportant dans ce contexte frontalier précaire. Si <strong>le</strong> terme de confrontationcorrespond mieux à la réalité que celui de conflit, l'immigration afghane a eupour effet de cristalliser la frontière identitaire entre <strong>le</strong>s populations pachtounesafghanes et pakistanaises (<strong>le</strong>s Pathans 202 ).Cet artic<strong>le</strong> a essentiel<strong>le</strong>ment pour objet de retracer l’évolution récente dePeshawar au regard de la présence afghane et d’envisager l’impact de cephénomène migratoire sur la structuration urbaine et économique de la vil<strong>le</strong>, àl'aulne des logiques frontalières passées et actuel<strong>le</strong>s. Notre réf<strong>le</strong>xion est fondéesur <strong>le</strong>s dynamiques d’intégration développées par <strong>le</strong>s populations afghanescorrélativement à l’évolution des politiques mises en œuvre à <strong>le</strong>ur égard et sur<strong>le</strong>s mutations urbaines résultant de ce processus d’insertion économique etsocia<strong>le</strong>. Il s’agit en outre d’appréhender la présence afghane à Peshawar dans200 UNHCR, « Le point sur la situation humanitaire en Afghanistan », No. 31, 8 novembre 2001 : « 11nouveaux sites sont prêts à accueillir des réfugiés. Trois d’entre eux se trouvent au Baloutchistan et <strong>le</strong>shuit autres dans la Province frontière du Nord-Ouest. […] Les dizaines de milliers d’Afghans setrouvant dans <strong>le</strong> camp controversé de New Jelozai, près de Peshawar, […] peuvent à présentéga<strong>le</strong>ment être accueillis dans <strong>le</strong>s nouveaux sites, près de la frontière ».201 Jean-José PUIG, « Le cas des réfugiés afghans au Pakistan », Études polémologiques, No. 45, 1988,p. 32 : « La présence des réfugiés dans <strong>le</strong>s centres urbains pose, el<strong>le</strong> aussi, bien des problèmes : desproblèmes sociaux et économiques ramenés à des problèmes d’immigration. Or <strong>le</strong> réfugié n’est pas unimmigré. Les problèmes de sécurité ensuite font du réfugié <strong>le</strong> bouc-émissaire idéal. Les moindresattentats qui secouent <strong>le</strong>s agglomération des régions frontalières (N.W.F.P. essentiel<strong>le</strong>ment),conduisent <strong>le</strong>s populations loca<strong>le</strong>s à dénoncer <strong>le</strong> laxisme des autorités, et à rendre <strong>le</strong>s Afghansresponsab<strong>le</strong>s de tous <strong>le</strong>urs maux ».202 Le terme « pathan » désigne <strong>le</strong>s populations du groupe ethno-linguistique pachtoune qui peup<strong>le</strong>nt demanière séculaire <strong>le</strong>s contreforts orientaux de la barrière montagneuse de l'Hindou Koush, barrièrenaturel<strong>le</strong> entre <strong>le</strong>s États afghans et pakistanais. D'origine hindi., il a été diffusé par <strong>le</strong>s Britanniques,soucieux de distinguer <strong>le</strong>s populations pachtounes colonisées de cel<strong>le</strong>s de l'ouest afghan.


148une dynamique d’inversion des flux migratoires et d’incertitude politique.L’histoire contemporaine de Peshawar est fortement imprégnée de la présenceafghane et on peut s’interroger sur <strong>le</strong> devenir de cette métropo<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> contexteactuel de pacification de l’Afghanistan et d’incitation au retour des réfugiés.Après avoir restitué la position de Peshawar au sein des logiques économiques etpolitiques régiona<strong>le</strong>s, nous étudierons l’évolution des politiques d’accueil misesen œuvre par <strong>le</strong>s autorités loca<strong>le</strong>s et internationa<strong>le</strong>s à destination des Afghans,puis nous détail<strong>le</strong>rons <strong>le</strong>s mécanismes d’intégration économique et spatia<strong>le</strong> despopulations réfugiées au cœur de la métropo<strong>le</strong> pakistanaise. Enfin, nousachèverons notre propos par une vision prospective des populations afghanes àPeshawar, partagées entre un hypothétique retour et un exil prolongé.Peshawar : une vil<strong>le</strong> frontière située au cœur des logiques régiona<strong>le</strong>sLa vil<strong>le</strong> de Peshawar a été fondée il y a vingt cinq mil<strong>le</strong> ans. El<strong>le</strong> est située dansune vaste plaine encerclée de montagnes et se caractérise par sa positionstratégique à l’entrée de la Passe de Khyber, aux contreforts de l'Hindou Koush.Voie d’accès entre <strong>le</strong> sous-continent indien et l’actuel Afghanistan et l’AsieCentra<strong>le</strong>, sa localisation au croisement de plusieurs routes commercia<strong>le</strong>sexplique qu’el<strong>le</strong> soit devenue un nœud d’échanges et <strong>le</strong> terminus traditionnel descaravanes en provenance d'Afghanistan. Marchands afghans, membres dediverses tribus et trafiquants d'armes se côtoient sur <strong>le</strong> marché de cet importantcarrefour. Capita<strong>le</strong> administrative de la Province Frontière du Nord-Ouest(NWFP) sous l’Empire britannique, Peshawar devient en contexte pakistanais uncentre urbain majeur situé aux confins du territoire national dans une régionrura<strong>le</strong> peu développée mais stratégiquement centra<strong>le</strong> au regard de sa positionfrontalière avec l'Afghanistan.Enclave multiconfessionnel<strong>le</strong> et cosmopolite jusqu’à la Partition avec l’Inde,Peshawar subit à partir de 1947 une vague de dépeup<strong>le</strong>ment liée au départ de sesimportantes communautés hindoues et sikhes. Le mouvement de populationprovoqué par la Partition se traduit par une homogénéisation des profilsethniques et religieux de la vil<strong>le</strong>. L’Islam est traditionnel<strong>le</strong>ment largementmajoritaire dans la NWFP – la limite orienta<strong>le</strong> de l’aire musulmane centra<strong>le</strong> –qui concentre aujourd’hui encore 91,8% de musulmans. En outre, <strong>le</strong> départ desminorités sikhes et hindoues confère à l’ethnie pathane un caractère majoritaireau sein du District de Peshawar. Le groupe pathan représenterait plus de 80% dela population du district, contre seu<strong>le</strong>ment 37% au niveau provincial. La languePachto serait parlée par plus de 90% des habitants de Peshawar, la NWFPconcentrant l’essentiel des 16% de locuteurs de Pachto de nationalitépakistanaise que compte <strong>le</strong> pays.La vil<strong>le</strong> de Peshawar constitue un foyer urbain majeur et une zone de fortedensité humaine au regard du caractère rural et sous-développé de la NWFP. Letaux d’urbanisation de la NWFP est parmi <strong>le</strong>s plus faib<strong>le</strong>s du pays : 15% contre24% pour la moyenne nationa<strong>le</strong>. Dans cette configuration provincia<strong>le</strong>, accentuéepar la nature désertique de la province voisine du Baloutchistan, la vil<strong>le</strong> dePeshawar, pourtant peu industrialisée et délaissée des capitaux nationaux, faitfigure de pô<strong>le</strong> urbain. El<strong>le</strong> n’occupe que 1,69% du territoire provincial maisconcentre 11,38% de la population de la province. Historiquement, la vallée de


149Peshawar et <strong>le</strong> territoire de Khyber constituent des territoires traditionnels dedéveloppement à l’échel<strong>le</strong> provincia<strong>le</strong>, région montagneuse peu propice aupeup<strong>le</strong>ment et au rayonnement culturel. Ces zones urbanisées ont ainsi bénéficiédans <strong>le</strong> passé des investissements des entreprises impéria<strong>le</strong>s, intéressées par <strong>le</strong>svertus stratégiques de cette vallée considérée comme un important centre decivilisation dès <strong>le</strong> 1 er sièc<strong>le</strong>. L'empreinte de la colonisation britannique est à cetitre décisive, faisant de Peshawar <strong>le</strong> centre logistique militaire et politique de sapolitique afghane dans <strong>le</strong> contexte du Grand Jeu qui l'opposait aux Russes et quidébouchera sur <strong>le</strong> tracé de la Ligne Durand, l'actuel<strong>le</strong> et très polémique frontièreafghano-pakistanaise.La population du ‘Tehsil’ 203 de Peshawar était estimée à 2,2 millions d’habitantsen 2002, chiffre qui positionne la capita<strong>le</strong> provincia<strong>le</strong> parmi <strong>le</strong>s centres depeup<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s plus importants du pays. Cette approximation ne tient nul<strong>le</strong>mentcompte de la composante afghane de Peshawar. La démographie afghane et sonimplantation au cœur de la métropo<strong>le</strong> peshawarite n’apparaissent dans aucundocument officiel pakistanais, ce qui laisse augurer l’ambiguïté de la politiqued’accueil des autorités pakistanaises. Les Afghans constituent pourtant une partnon-négligeab<strong>le</strong> de la population de la vil<strong>le</strong> et de ses environs. Selon <strong>le</strong>sestimations du HCR, <strong>le</strong>s Afghans réfugiés au Pakistan dépassaient <strong>le</strong>s troismillions en 2001, dont plus de 70% localisés dans la NWFP. Peshawar, centrenévralgique de la résistance afghane dans <strong>le</strong>s années 1980 et pô<strong>le</strong> d’activitééconomique, constitue une zone de concentration spécifique des populationsréfugiées en raison de son potentiel urbain et de son identité pathane proche del’ethnie pachtoune afghane. La population afghane établie à Peshawar était ainsiestimée à 700.000 personnes en 2001.L’attractivité économique et socia<strong>le</strong> de Peshawar est à considérer à la lumièredes réalités territoria<strong>le</strong>s de la NWFP. La Province Frontière du Nord-Ouest estdécoupée en vingt districts administrés par <strong>le</strong>s gouvernements central etprovincial en vertu du système fédéral hérité de l’Empire britannique des Indes.El<strong>le</strong> rassemb<strong>le</strong> 17 millions d’habitants, dont 5,7 millions dans la zone triba<strong>le</strong>(FATA 204 ) constitué de deux districts administrés et cinq agences triba<strong>le</strong>s 205 .L’Autorité Fédéra<strong>le</strong> pakistanaise est quasi-nul<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> territoire des agencestriba<strong>le</strong>s qui sont traditionnel<strong>le</strong>ment administrées par des assembléescommunautaires (‘Jirgah’) appliquant <strong>le</strong>s préceptes du droit coutumier du‘Pachtounwali’ (code d’honneur des tribus pachtounes). L’armée et la policepakistanaises ne sont pas habilitées à intervenir sur ces territoires autonomes, cequi encourage la formation de milices triba<strong>le</strong>s et alimente <strong>le</strong>s réseaux decontrebande entre <strong>le</strong> sous-continent indien et l’Asie Mineure. La zone triba<strong>le</strong> quilonge la NWFP constitue une zone – tampon dite « de non – droit », héritage dutracé de la frontière internationa<strong>le</strong> entre l’Afghanistan et <strong>le</strong> Pakistan. Les réseauxde contrebande y sont largement développés. Ils empruntent <strong>le</strong>s nombreusespasses de montagne et alimentent <strong>le</strong>s marchés pakistanais et afghans de biens deconsommation importés principa<strong>le</strong>ment d’Asie du Sud-Est et des pays du Golfepar <strong>le</strong> port de Karachi (matériel informatique et hi-fi, biens d’équipement,203 Le ‘Tehsil’ est l’organe municipal qui regroupe <strong>le</strong>s populations de la périphérie rura<strong>le</strong> et du centreurbain des vil<strong>le</strong>s pakistanaises de plus d’un million d’habitants.204 La zone triba<strong>le</strong> est communément dénommée ‘FATA’ soit ‘Federal Autonomous Territorial Area’.205 Ces chiffres datent du dernier recensement national de 1998.


150cosmétiques…), détournant <strong>le</strong>s accords de commerce afghano-pakistanais de1965 206 . Un certain nombre de cadres pakistanais ont pu bénéficier des profitsconsidérab<strong>le</strong>s que développe cette économie parallè<strong>le</strong>. Néanmoins, depuis 1995,l'Etat pakistanais tente de mettre fin, sans succès, à ces activités qui entraînentune perte d'1 milliard de dollars par an au fisc. En outre, <strong>le</strong>s zones triba<strong>le</strong>s sontréputées pour <strong>le</strong>urs trafics d’armes et de drogue. Or, Peshawar est une plaquetournante de ces différents trafics, devenus des vecteurs majeurs des économiesde guerre depuis 1979 sous l'impulsion des États-Unis et du Pakistan. Laparticipation massive des réfugiés à ces activités lucratives a été éga<strong>le</strong>mentidentifiée ainsi que l'utilisation des camps en tant que lieux de stockage et detransit sanctuarisés. Ces trafics transfrontaliers se sont progressivementautonomisés de la sphère décisionnel<strong>le</strong> et intermédiaire pakistanaise et défientaujourd'hui la politique de « normalisation » frontalière affichée par <strong>le</strong>gouvernement du général Musharraf dans <strong>le</strong> contexte de la traque anti-terroristemenée dans <strong>le</strong>s zones triba<strong>le</strong>s.Dans ce contexte transfrontalier, il est diffici<strong>le</strong> de par<strong>le</strong>r de « frontière » baliséeentre <strong>le</strong> Pakistan et l’Afghanistan permettant une canalisation et un contrô<strong>le</strong> actifdes flux de réfugiés. Il faut davantage envisager <strong>le</strong> phénomène d’immigrationafghane au regard de cette zone d’activité frontalière ouverte aux flux humains,monétaires et commerciaux. La frontière entre <strong>le</strong>s deux États n’est quefaib<strong>le</strong>ment surveillée par <strong>le</strong>s autorités pakistanaises, ce qui expliquepartiel<strong>le</strong>ment l’amp<strong>le</strong>ur et la mobilité des afflux de réfugiés afghans vers <strong>le</strong>Pakistan. Pendant <strong>le</strong>s deux dernières décennies, il est à supposer que denombreux Afghans aient franchi la frontière hors du contrô<strong>le</strong> pakistanais etqu’ils aient ensuite largement usé de cette aisance de mouvement entre <strong>le</strong>s deuxterritoires. Attirés par <strong>le</strong> dynamisme économique de Peshawar, <strong>le</strong>s Afghans enexil se sont majoritairement dirigés vers la capita<strong>le</strong> provincia<strong>le</strong>. Néanmoins, ilsn’ont cessé de parcourir <strong>le</strong> territoire de la NWFP en effectuant d’incessantsal<strong>le</strong>rs – retours entre <strong>le</strong>s camps ou vil<strong>le</strong>s pakistanaises et <strong>le</strong>ur terre nata<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong>cadre d’activités commercia<strong>le</strong>s et/ou de transport et pour satisfaire à <strong>le</strong>ursobligations familia<strong>le</strong>s auprès de <strong>le</strong>urs proches demeurés au pays 207 .Il est éga<strong>le</strong>ment intéressant de souligner l'importance de la significationgéopolitique de Peshawar au sein des relations afghano-pakistanaises depuis laPartition de 1947. La capita<strong>le</strong> provincia<strong>le</strong> pakistanaise était la capita<strong>le</strong> d'été duroyaume afghan d'Ahmed Shah Abdali, <strong>le</strong> père fondateur de l'embryon d'Etatmoderne afghan. Suite à la création du Pakistan et jusqu'en 1979, <strong>le</strong>sgouvernements successifs afghans revendiquent la restitution des territoiresarbitrairement annexés, selon eux, par <strong>le</strong>s Britanniques lors du Traité de206 L'Afghan Transit Trade Agreement (ATTA) prévoit une exonération des droits de douane pour <strong>le</strong>sproduits importés par l'Afghanistan. Les réseaux de contrebande, dominés par <strong>le</strong>s tribaux pachtounesfrontalières, détournent ces accords en réimportant <strong>le</strong>s marchandises sur <strong>le</strong>s marchés clandestins duPakistan.207 Cette situation concerne essentiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s Afghans issus de l’ethnie pachtoune originaire desprovinces frontalières du sud et de l’ouest de l’Afghanistan. Cette mobilité ne sera guère envisageab<strong>le</strong>pour <strong>le</strong>s Afghans issus des provinces du Nord du pays trop éloignées des bassins d’accueil des réfugiésau Pakistan.


151Gandamak de 1879 208 . Dans l'enceinte du Pakistan en NWFP, un mouvementethnique pathan, initia<strong>le</strong>ment irrédentiste répond en écho à ce projet dit du« Grand Pachtounistan » 209 . Ce projet géopolitique ambiva<strong>le</strong>nt a débouchénéanmoins sur des tensions frontalières entre <strong>le</strong>s deux pays de 1947 à 1979. Ausein de ces logiques frontalières comp<strong>le</strong>xes, Peshawar constitue un territoire cléde contrô<strong>le</strong> politique.A partir de 1979, la vil<strong>le</strong> devient <strong>le</strong> centre décisionnel des 'Sept Partis' àdominante pachtoune et islamiste radica<strong>le</strong> de la résistance afghane auxSoviétiques des Moudjahidines que <strong>le</strong> Pakistan oriente et contrô<strong>le</strong>, sous l'égidedes Américains et des Saoudiens et avec <strong>le</strong>urs soutiens logistiques et financiers.Les motivations réel<strong>le</strong>s de l'accueil pakistanais sont en fait plus stratégiques-bienque majoritairement contre productives- que idéologiques. La stratégie étaitsensée assurer une « profondeur stratégique » en Afghanistan afin d'amoindrirl'enclavement territorial du pays face à la supériorité militaire indienne enfavorisant un régime allié, voire fantoche, en Afghanistan à l'issue de la guerre.De plus, <strong>le</strong> Pakistan relayait <strong>le</strong>s fonds américains et saoudiens à direction despartis de la résistance afghane et contrôlait largement « l'économie del'humanitaire » 210 qui s'organisait sur son territoire.. Significativement, la périoded'accueil des réfugiés afghans (majoritairement pachtounes) en NWFPcorrespond à une politique d'intégration de l'ethnie pathane au sein de l'appareild'Etat pakistanais. Enfin, rappelons brièvement que l'actuel réseau Al Qaida du<strong>le</strong>ader pan islamiste Oussama Ben Laden a été fondé à Peshawar en 1983 par <strong>le</strong>militant pa<strong>le</strong>stinien Abdullah Azam et que la vil<strong>le</strong> devint conséquemment l'undes centres mondiaux des organisations internationa<strong>le</strong>s pan islamiste, dont ladimension humanitaire est considérab<strong>le</strong>. Ces cadres d'analyse élargis, s'ilsdébordent en partie du cadre de cette réf<strong>le</strong>xion, éclairent <strong>le</strong>s enjeux à dimensionsvariab<strong>le</strong>s liés à l'évolution des politiques d'accueil sur <strong>le</strong> territoire de Peshawar.Il est à ce titre remarquab<strong>le</strong> que l'investissement humanitaire en direction desAfghans se soit à ce point concentré sur <strong>le</strong> territoire des provinces frontalièrespakistanaises et celui de Peshawar pendant plus de quinze ans, se calquant sur<strong>le</strong>s lignes politiques et militaires de la région 211 .Le rô<strong>le</strong> cristallisant de Peshawar dans l’exil prolongé des Afghans s’expliquenéanmoins avant tout par sa proximité géographique de l’Afghanistan, sacomposition ethnique dominée par <strong>le</strong> groupe pathan proche des pachtounesafghans, son dynamisme économique et commercial, l’opportunité dedévelopper des activités transfrontalières et la capacité pour <strong>le</strong>s réfugiés afghans208 Cette revendication englobait <strong>le</strong> territoire de la NWFP et, paradoxa<strong>le</strong>ment, celui du Balouchistan,prolongeant significativement l'ambition séculariste d'un accès aux mers chaudes de la part d'une entitécentre-asiatique enclavée.209 Abdul Ghaffar Khan fonde en 1930 <strong>le</strong> mouvement anti-impérialiste et réformateur des « Soldats dela Foi » afin de défendre <strong>le</strong>s intérêts de l'ethnie pathane dans <strong>le</strong> contexte de décolonisation qui s'amorcedans <strong>le</strong> sous-continent indien. Opposé au rattachement de la NWFP au Pakistan, <strong>le</strong> mouvement évolueensuite en parti ethnique légaliste, l'Awami National Party (ANP), tout en gardant d'étroites connexionsafghanes sous la direction d'Asfandi Wali Khan.210 L'aide américaine, militaire et financière a été évalué à 7,2 milliards de dollars pour la décennie 80;<strong>le</strong> FMI développe un crédit de 1,6 milliards de dollars en 1981. (Cité par Gil<strong>le</strong>s DORRONSORO : « LaGrande Illusion. Bilan de la politique afghane du Pakistan », Les Études du CERI, n°84, mars 2002,p.13)211 <strong>Voir</strong> sur ce sujet, l'artic<strong>le</strong> très sensib<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> développement de l'humanitaire en Afghanistan deMichael BARRY, « L'humanitaire n'est jamais neutre », Rebonds, Libération, 6 novembre 2001.


152de préserver un ancrage sur <strong>le</strong>ur terre nata<strong>le</strong> dans l’optique d’un éventuel retour.En outre, l’implantation massive des réfugiés afghans à Peshawar répond à lapolitique d’accueil initia<strong>le</strong> des autorités pakistanaises mue officiel<strong>le</strong>ment etthéoriquement par des solidarités panislamiques 212 .La politique d’accueil des réfugiés afghans à Peshawar : de l’affirmation desolidarités panislamiques à l’application de mesures de rétorsionSuite à l’arrivée au pouvoir d’un régime communiste en avril 1978 et àl’invasion de l’Afghanistan par l’armée soviétique en décembre 1979,l’Afghanistan est en proie à de nombreux combats opposant <strong>le</strong>s tenants degrandes réformes socialistes à une société rura<strong>le</strong> conservatrice. Les révoltes despopulations rura<strong>le</strong>s contre <strong>le</strong> gouvernement central de Kaboul sont vio<strong>le</strong>mmentréprimées, provoquant des déplacements forcés de grande amp<strong>le</strong>ur et l’exode demilliers d’Afghans en Iran et au Pakistan, constituant la communauté réfugiée laplus importante au monde 213 . A la fin des années 1980, on estime à plus de sixmillions, soit un tiers de la population afghane, <strong>le</strong> nombre de personnes réfugiéesau Pakistan et en Iran. En 1990, on dénombre 3.272.000 réfugiés afghans auPakistan, dont plus de 70% dans la Province de la Frontière nord-ouest 214(NWFP). Le district de Peshawar concentre alors 80% de cette populationréfugiée. Les réfugiés afghans représentent jusqu’à un sixième de la populationde la Province.Les premiers arrivants sont enregistrés auprès du Haut-Commissariat desNations unies pour <strong>le</strong>s réfugiés (UNHCR) et installés dans des camps sous <strong>le</strong>contrô<strong>le</strong> des autorités pakistanaises. Plusieurs villages de réfugiés sont érigés àproximité ou dans l'enceinte de la capita<strong>le</strong> provincia<strong>le</strong> 215 . Ils figurent parmi <strong>le</strong>splus anciens et <strong>le</strong>s plus densément peuplés des quelques 300 camps établis auPakistan dans <strong>le</strong>s années 1980. D’autres villages de réfugiés sont établis en zonetriba<strong>le</strong>, répondant aux visées stratégiques de l’Etat pakistanais qui cherche àimposer son autorité politique à des pouvoirs féodaux jaloux de <strong>le</strong>ur autonomieadministrative et judiciaire 216 . La création de villages de réfugiés dans la212 Le général très puritain Zia ul Haq, au pouvoir depuis <strong>le</strong> coup d'état de 1977, exhortait alors <strong>le</strong>sPakistanais à accueillir <strong>le</strong>urs « 'frères afghans » <strong>le</strong>s bras grands ouverts, au nom de la solidaritémusulmane.213 Pierre CENTLIVRES, Micheline CENTLIVRES-DEMONT, « The Afghan refugees in Pakistan : Anation in exi<strong>le</strong> », Current Sociology, Vol. 36, No. 2, Summer 1988, p. 71 : « The case of the Afghanrefugees is unique in the twentieth century : they make up the greatest population of the same originever transplanted outside of their own borders – an exodus from the south towards the south, of thepoor towards other poor ».214 Denis HANCART, Les réfugiés afghans au Pakistan, Mémoire de DESS, Université d’Aix –Marseil<strong>le</strong>, 2001.215 <strong>Voir</strong> carte: UNHCR, Pakistan – Refugee camps in the North-West Frontier Province, 23 April 2002.Les camps de Kachagari et Jelozai sont situés à proximité immédiate de la vil<strong>le</strong> de Peshawar. D’autrescamps, tels ceux de Shamshatoo et Nasir Bagh, sont situés à 30 ou 40 kilomètre de la capita<strong>le</strong> pathanemais dépendent principa<strong>le</strong>ment de Peshawar pour <strong>le</strong>ur approvisionnement et <strong>le</strong>ur survie économique.216 Jean-José PUIG, « Réfugiés afghans au Pakistan », Etudes polémologiques, No. 45, 1988, p. 34 :« De manière généra<strong>le</strong>, on peut dire que l’utilisation politique des réfugiés dans <strong>le</strong>s zones triba<strong>le</strong>s amieux réussi à Islamabad qu’à Kabul. Cela tient au fait que, paradoxa<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s réfugiés afghans sont<strong>le</strong> mieux encadrés politiquement, et ce, par <strong>le</strong>s partis politiques de la résistance, dont <strong>le</strong> sort dépend engrande partie d’Islamabad. Les populations loca<strong>le</strong>s, même hosti<strong>le</strong>s au pouvoir central, ne recherchentque des intérêts à court terme, et l’opposition pakistanaise, pourtant en terrain favorab<strong>le</strong>, ne mènequ’une politique de clientè<strong>le</strong> trop proche du féodalisme. Même si ces régions s’avèrent turbu<strong>le</strong>ntes,


153province de Peshawar résulte d’une volonté politique affirmée des autoritéspakistanaises, justifiée ostentatoirement par <strong>le</strong> devoir de solidaritépanislamique 217 et désireuses d’asseoir <strong>le</strong>ur emprise sur <strong>le</strong>s zones triba<strong>le</strong>s, enjeuxde débouchés transfrontaliers. Les camps sont établis sur des terrains publics oudes terres privées mises à disposition de l’Etat pakistanais en échange d’unecontribution financière ou de la mise en œuvre de programmes dedéveloppement local 218 . Ainsi, par-delà <strong>le</strong> devoir d’hospitalité associé à l’Islamet au ‘Pachtounwali’, <strong>le</strong>s autorités pakistanaises considèrent l’accueil desAfghans comme un moyen de contrô<strong>le</strong>r politiquement et développeréconomiquement des régions marginalisées au niveau national. Enfin,l’établissement d’une politique de collaboration entre <strong>le</strong> Pakistan et <strong>le</strong>s Nationsunies constitue <strong>le</strong> vecteur idéal pour reconquérir crédibilité et respect sur lascène internationa<strong>le</strong>.el<strong>le</strong>s sont peu à peu contrôlées par l’administration d’Islamabad, et <strong>le</strong> développement économique dûaux réfugiés et à la guerre en Afghanistan est un atout pour <strong>le</strong> régime pakistanais ».217 Le devoir de solidarité panislamique est officiel<strong>le</strong>ment affirmé par <strong>le</strong> Président pakistanaisMohammad ZIA UL-HAQ dans un entretien accordé au HCR <strong>le</strong> 7 novembre 1984 : « Le Pakistan a étécréé au nom de l’Islam, il n’y avait rien ici. Le Pakistan a été gravé dans <strong>le</strong> sous-continent indiencomme terre d’accueil des musulmans, ainsi nous estimons que <strong>le</strong> Pakistan devrait être la patrie desmusulmans du monde entier. Si trois millions de réfugiés doivent venir d’Afghanistan, nous estimonsque c’est notre devoir religieux, moral et national de nous occuper au moins de ces trois millions, voiredes quinze millions d’Afghans s’ils veu<strong>le</strong>nt venir au Pakistan ».218 Pierre CENTLIVRES, Micheline CENTLIVRES-DEMONT, « The Afghan refugees in Pakistan : Anation in exi<strong>le</strong> », Current Sociology, Vol. 36, No. 2, Summer 1988, p. 75 : « Rather than charge rent,the Government of Pakistan prefers compensating the rightful owners through developmentprogrammes ».


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156MAIN AFGHAN REFUGEE FLOWS, 1979-90Source: UNHCR, Global insight digital mappin


157Les premiers afflux de réfugiés sont majoritairement constitués d’Afghansoriginaires des provinces sud et sud-est du pays à dominante pachtoune, victimesde la politique d’expulsion sé<strong>le</strong>ctive orchestrée par l’Union soviétique visant àanéantir <strong>le</strong> noyau ethno-démographique fondateur en Afghanistan pour <strong>le</strong>remplacer par une série de pô<strong>le</strong>s ethniques de moindre importance plus aisémentcontrôlab<strong>le</strong>s par <strong>le</strong>s autorités en place 219 . Ainsi, jusqu’en 1984, 80% des Afghansréfugiés au Pakistan sont d’origine pachtoune, ce qui explique la prédominancede l’ethnie pachtoune dans <strong>le</strong>s camps. L’aide internationa<strong>le</strong> distribuée àl’intérieur des villages de réfugiés est gérée par un consortium d’agenceshumanitaires travaillant en étroite collaboration avec <strong>le</strong>s autorités pakistanaises.L’assistance aux réfugiés afghans est alimentée par <strong>le</strong> contexte de Guerre Froidequi participe du processus de « victimisation » des exilés afghans face àl’oppresseur communiste. El<strong>le</strong> devient rapidement « une gigantesque entrepriseinternationa<strong>le</strong> 220 » de type étatique orchestrée par <strong>le</strong> HCR et dont la visibilitéocculte <strong>le</strong>s efforts déployés par quelques organisations non-gouvernementa<strong>le</strong>s(ONG) auprès des populations demeurées en Afghanistan, qui sont généra<strong>le</strong>menten situation de grande précarité. Les réfugiés afghans bénéficient ainsi d’unvaste programme de scolarisation, d’une couverture médica<strong>le</strong> supérieure à lamoyenne afghane, de puits et d’infrastructures sanitaires à proximité de <strong>le</strong>urfoyer.Les chefs communautaires et <strong>le</strong>s partis de la résistance afghane constituent deuxcontre-pouvoirs à l’intérieur des camps, qui influent largement sur <strong>le</strong>smécanismes de distribution de l’aide internationa<strong>le</strong> et sur la configuration sociospatia<strong>le</strong>des villages de réfugiés. L’exil des Afghans se prolongeant dans ladurée, <strong>le</strong>s tentes cèdent la place à des construction en dur, après autorisation del’administration pakistanaise, et <strong>le</strong>s camps se structurent suivant des logiquessocia<strong>le</strong>s et communautaires. La hiérarchie à l’intérieur des villages de réfugiésest liée à l’ancienneté des famil<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> camp et aux solidarités inter-ethniquespréexistantes à l’exil. Les premiers arrivés sont <strong>le</strong>s mieux lotis : ils occupent <strong>le</strong>smeil<strong>le</strong>urs emplacements, situés à proximité des infrastructures de base, etrecréent à l’intérieur des camps des quartiers regroupant des famil<strong>le</strong>s originairesd’une même région ou d’un même village. Au fil des années, <strong>le</strong>s emplacementsvacants devenant rares, l’administration pakistanaise est contrainte d’imposerune localisation aux nouveaux arrivants. Les habitats édifiés par <strong>le</strong>s réfugiésdans <strong>le</strong>s camps sont des « maisons en rez-de-chaussée en terre crue etconsidérées comme habitat précaire par ceux-là mêmes qui <strong>le</strong>s construisent 221 ».La qualité et la longévité des constructions ne sont guère prises en compte par<strong>le</strong>s réfugiés qui ont une vision à court-terme et considèrent l’exil au Pakistancomme une étape transitoire vers la libération de l’Afghanistan et <strong>le</strong> retour aupays. La construction des maisons en dur répond à des exigences de confortminimal et surtout à la volonté des ménages réfugiés de préserver l’intimitéfamilia<strong>le</strong> dans un environnement étranger et densément peuplé.219 Michel FOUCHER, « Le départ : conséquence d’une politique ou stratégie délibérée ? », in BIA,Colloque international sur <strong>le</strong> problème des réfugiés afghans, No. Spécial de La <strong>le</strong>ttre du BIA, mars1984, p. 16.220 Michel FOUCHER, artic<strong>le</strong> cité, p. 38.221 Eric LAUBE, Du logement locatif à Peshawar – Approche du locatif privé en zone d’habitatprécaire à Peshawar, Pakistan, Mémoire de DESS, Institut d’Urbanisme de Grenob<strong>le</strong>, 1988, p. 76.


158Les réfugiés reproduisent à l’intérieur des camps <strong>le</strong>s formes d’habitat qui <strong>le</strong>urétaient familières en Afghanistan. Les habitations édifiées par <strong>le</strong>s réfugiés sontdes ‘kachas’ en briques de terre dont <strong>le</strong> toit est formé de poutres de bois et depaillasses recouvertes de terre. Les maisons sont construites selon une mêmearchitecture, la porte d’entrée donnant accès à une cour intérieure, véritab<strong>le</strong> lieude sociabilité destiné à la réalisation des tâches domestiques par <strong>le</strong>s femmes dufoyer, autour de laquel<strong>le</strong> sont disposées plusieurs pièces occupées par desménages distincts. Les famil<strong>le</strong>s partageant un même foyer sont socia<strong>le</strong>ment etéconomiquement liées, l’unité d’habitation étant de ce fait une « entité plussocia<strong>le</strong> qu’économique 222 ». La préservation de l’intimité familia<strong>le</strong> est au cœurde la façon de penser et construire l’habitat. Les maisons sont entourées de mursé<strong>le</strong>vés et pourvues de façades aveug<strong>le</strong>s, dans <strong>le</strong> strict respect du ‘purdah’(réclusion des femmes), dans un souci de préservation de l’identité culturel<strong>le</strong> etdu noyau ethnique par <strong>le</strong>s communautés réfugiées. Il est à ce titre intéressantd’observer la proximité culturel<strong>le</strong> entre réfugiés afghans (majoritairementd’origine pachtoune) et communautés pakistanaises, dont la conception del’habitat est sensib<strong>le</strong>ment la même et relève de la sensibilité pachtoune plutôtque de l’héritage national.La politique d’accueil des autorités pakistanaises est en partie mue par la volontéde s’assurer <strong>le</strong> soutien de la communauté internationa<strong>le</strong> et des puissancesoccidenta<strong>le</strong>s opposées au régime soviétique. La dimension internationa<strong>le</strong> de lapolitique pakistanaise se traduit notamment par <strong>le</strong> soutien apporté aux partis dela résistance afghane dont l’influence au sein des camps ne cesse de croître. Lescamps pakistanais deviennent rapidement <strong>le</strong>s bases arrières de la résistanceafghane, véritab<strong>le</strong>s « sanctuaires humanitaires 223 » où <strong>le</strong>s combattantsbénéficient d’une protection internationa<strong>le</strong> et d’une base de repli militaire 224 . Lespartis afghans prennent rapidement de l’importance à l’intérieur des camps,influant sur <strong>le</strong>s distributions d’aide alimentaire et asseyant <strong>le</strong>ur autorité en créantdes éco<strong>le</strong>s coraniques (‘madrasas’) idéologiquement plus proches des discoursmilitants que de l’enseignement dispensé sous contrô<strong>le</strong> des Nations unies. Lerô<strong>le</strong> de l’Etat pakistanais dans la montée en puissance de la résistance afghane etdes mouvements fondamentalistes n’est plus à démontrer et ne constitue pasl’objet de notre propos. Il est cependant intéressant de souligner <strong>le</strong> caractèrevolontariste de la politique d’accueil des autorités pakistanaises pendant <strong>le</strong>spremières années d’exil. L’engagement de l’Etat pakistanais en faveur des exilésafghans ira décroissant avec <strong>le</strong> déplacement des populations réfugiées hors descamps et <strong>le</strong> retrait progressif des bail<strong>le</strong>urs occidentaux suite au départ destroupes soviétiques d’Afghanistan en 1989 et la chute du bloc de l’est en 1991.222Hanne CHRISTENSEN, Réfugiés afghans au Pakistan : d’une situation d’urgence àl’autosuffisance – Rapport sur l’aide alimentaire et <strong>le</strong>s aspects socio-économiques connexes, Institutdes Nations unies pour <strong>le</strong> développement social (UNRISD), Genève, 1984, p. 32.223 Jean-Christophe RUFIN, « Une nouvel<strong>le</strong> figure tactique dans <strong>le</strong> Tiers-monde : <strong>le</strong>s sanctuaireshumanitaires », Etudes polémologiques, No. 43, 3/87, 1987, pp. 123-133.224 François JEAN, « La fin des réfugiés ? », MSF, Populations en danger, Editions La Découverte,1996, pp. 31-40 : « Au fil des ans, certains camps sont devenus des ‘sanctuaires humanitaires’ et unfacteur de perpétuation des conflits. Les guérillas y trouvent une légitimité politique à travers <strong>le</strong>uremprise sur <strong>le</strong>s populations réfugiées, une base économique par <strong>le</strong> biais de l’aide déversée dans <strong>le</strong>scamps et un réservoir de combattants ».


159La composition ethnique des populations réfugiées évolue dès <strong>le</strong>s années 1984 –1985 avec l’arrivée massive d’Afghans originaires des provinces du nordvictimes de discriminations ethniques. Ce sont principa<strong>le</strong>ment des Tadjiks et desHazaras, de langue persane, ainsi que des Turkmènes et des Ouzbeks,turcophones. Les réfugiés non-pachtounes préfèrent l’atmosphère composite etcosmopolite des grandes vil<strong>le</strong>s pakistanaises à l’ambiance des camps fortementimprégnée de la culture pachtoune transfrontalière 225 . Ils cherchent à s’établir enzone urbaine, notamment à Peshawar, où ils vivent de façon autonome hors deportée des programmes d’assistance gérés par <strong>le</strong> HCR. Les réfugiés urbainsexploitent toutes <strong>le</strong>s opportunités économiques qui s’offrent à eux, exerçant untravail salarié, <strong>le</strong>ur métier d’artisan ou des activités commercia<strong>le</strong>s, notamment <strong>le</strong>commerce des tapis et <strong>le</strong> transport des réfugiés afghans 226 . Les Afghanspossédant des compétences artisana<strong>le</strong>s ou techniques sont grandement avantagéspar <strong>rapport</strong> aux réfugiés d’origine rura<strong>le</strong> privés de possession foncière auPakistan et dont <strong>le</strong>s moyens d'auto subsistance s’en trouvent affectés. On assisteà une inversion des rô<strong>le</strong>s entre la société afghane antérieure à l’invasionsoviétique et la communauté afghane réfugiée au Pakistan. Dans la hiérarchietriba<strong>le</strong> dominée par l’ethnie pachtoune tel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> existait en Afghanistan, lapropriété de la terre et <strong>le</strong>s activités agrico<strong>le</strong>s étaient associées au prestige etprévalaient sur <strong>le</strong>s autres catégories professionnel<strong>le</strong>s incluant <strong>le</strong>s activitésartisana<strong>le</strong>s et commercia<strong>le</strong>s associés aux minorités ethniques et linguistiques. Al’inverse, dans la société réfugiée de Peshawar, <strong>le</strong>s groupes minoritairesauparavant en situation de dépendance ont de meil<strong>le</strong>ures possibilités d’exercerune activité génératrice de revenus et de s’affranchir de la tutel<strong>le</strong> de lacommunauté internationa<strong>le</strong> relayée par l’administration pakistanaise 227 . Ainsi,dès <strong>le</strong> milieu des années 1980, de nombreux artisans et commerçants afghanss’instal<strong>le</strong>nt à Peshawar avec <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong> afin de proposer <strong>le</strong>urs services sur <strong>le</strong>marché local et subvenir à <strong>le</strong>urs besoins matériels sans assistance extérieure 228 .De 1992 à 1996, <strong>le</strong>s exilés afghans qui fuient l’avancée des Talibans sontprincipa<strong>le</strong>ment originaires des grandes vil<strong>le</strong>s afghanes ou issus de minoritésethniques et religieuses menacées de discriminations abusives de la part dumouvement sunnite à dominante pachtoune. La prise de Kaboul en janvier 1996provoque un afflux massif de réfugiés d’origine urbaine qui fuient <strong>le</strong> régimefondamentaliste et anti-occidental instauré par <strong>le</strong>s Talibans. Ce sont des réfugiésidéologiques qui refusent <strong>le</strong> traitement réservé aux femmes par <strong>le</strong> nouveaurégime et <strong>le</strong>s restrictions en matière d’accès à la culture et aux médias. Il s’agitde famil<strong>le</strong>s de classe moyenne ou aisée, dont <strong>le</strong>s membres ont reçu uneéducation secondaire ou supérieure et exercent une activité professionnel<strong>le</strong>qualifiée (employés administratifs, professeurs, médecins) 229 . Pour ces famil<strong>le</strong>s225 Pierre CENTLIVRES, « Exil, relations interethniques et identité dans la crise afghane », Revue dumonde musulman et de la Méditerranée, No. 59-60, 1991/1-2, p. 77.226 Inger W. BŒSEN, « De l’autonomie à la dépendance – Aspects du « syndrome de dépendance »parmi <strong>le</strong>s réfugiés afghans », in BIA, ouvrage cité, p. 20.227 Artic<strong>le</strong> cité, p. 20.228 UNHCR, « Réfugiés urbains », in Les réfugiés dans <strong>le</strong> monde – Les personnes déplacées : l’urgencehumanitaire, La Découverte, Paris, 1997, p. 59 : « Il semb<strong>le</strong>rait que <strong>le</strong>s réfugiés urbains viennentsouvent de groupes qui ont une longue tradition de migration liée au commerce et qui possèdent donc<strong>le</strong>s capacité requises pour faire face aux difficultés que peut présenter la vie dans une vil<strong>le</strong> étrangère ».229 USCR, « Afghan refugees shunned and scorned », 2001, www.refugees.org.


160aisées habituées à un mode de vie urbain et cosmopolite, <strong>le</strong> séjour à l’intérieur decamps surpeuplés aux conditions de vie précaires est inenvisageab<strong>le</strong> 230 . Sansmême transiter par <strong>le</strong>s villages de réfugiés, el<strong>le</strong>s s’instal<strong>le</strong>nt dans <strong>le</strong>s grandesvil<strong>le</strong>s pakistanaises où el<strong>le</strong>s trouvent faci<strong>le</strong>ment à valoriser <strong>le</strong>urs compétencesprofessionnel<strong>le</strong>s et se font enregistrer auprès du HCR, parfois dans l’espoir debénéficier d’un programme de réinstallation dans un pays occidental 231 . Il est àce titre intéressant d’observer l’importance quantitative et qualitative desentreprises, cliniques et éco<strong>le</strong>s privées implantées à Peshawar et géréesexclusivement par des Afghans. Cette catégorie de réfugiés urbains éduqués etmatériel<strong>le</strong>ment aisés constitue une minorité au regard des masses d’Afghansdéshérités des suites de l’exil.Ainsi, dès <strong>le</strong> milieu des années 1980, <strong>le</strong>s réfugiés afghans ne sont plus cantonnésdans <strong>le</strong>s camps érigés officiel<strong>le</strong>ment par <strong>le</strong>s autorités pakistanaises et <strong>le</strong>s Nationsunies. Nombreux sont <strong>le</strong>s Afghans installés dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s pakistanaises quisurvivent hors des réseaux de l’aide internationa<strong>le</strong>. Ils sont rarement enregistrésauprès du HCR et ne bénéficient d’aucun soutien de la part des autorités loca<strong>le</strong>s.L’agence onusienne est réticente à apporter une assistance aux réfugiésdéshérités installés hors des camps car el<strong>le</strong> craint de provoquer un appel d’air endirection des zones urbaines, à l’encontre de la politique gouvernementa<strong>le</strong> deconfinement des populations réfugiées dans <strong>le</strong>s camps 232 . L’absence de contactavec <strong>le</strong>s agences d’aide internationa<strong>le</strong> et la dissémination des famil<strong>le</strong>s réfugiéesdans une vil<strong>le</strong> de plus d’un millier d’habitants rendent diffici<strong>le</strong>, voire impossib<strong>le</strong>,une estimation du nombre de ces Afghans qui cherchent à se fondre dans lasociété pakistanaise et craignent l’attitude répressive des autoritéspakistanaises 233 .La diversification ethnique et socio-professionnel<strong>le</strong> des populations réfugiées etl’inscription de l’exil afghan dans la durée se traduisent par un durcissement dela politique d’accueil de l’Etat pakistanais, soumis à une pression médiatiquehosti<strong>le</strong> au caractère durab<strong>le</strong> de l’exil afghan et à l’implantation des réfugiés en230 UNHCR, UNHCR’s policy and practice regarding urban refugees – A discussion paper, 1 October1995, www.unhcr.ch : According to UNHCR, « individuals with an urban background cannot beexpected to survive in rural sett<strong>le</strong>ments and should therefore be provided with whatever assistance isneeded to permit them to make a living in town ».231 UNHCR, artic<strong>le</strong> cité : « Urban refugees known to UNHCR generally live alongside a much largerpopulation of il<strong>le</strong>gal migrants who found in major urban areas around the world. Those individualswho choose to register with UNHCR and/or with host governments invariably have a specific reasonfor doing so. Whi<strong>le</strong> in some cases this is certainly the need for protection, it is also, quite commonly, adesire to obtain assistance or access to resett<strong>le</strong>ment in a third country ».232 UNHCR, UNHCR’s policy and practice regarding urban refugees – A discussion paper, 1 October1995, www.unhcr.ch : « For refugees who are part of a prima facie caseload, it is recommended that,as a general principal, no assistance should be provided in urban areas in the country of first asylum.[…] Individual refugees wishing, neverthe<strong>le</strong>ss, to reside in urban area (provided this is in accordancewith host government policy on the matter) should be c<strong>le</strong>arly informed that no assistance will beavailab<strong>le</strong> (with the positive exception of life-saving medical care) other than for refugees residing in acamp or rural sett<strong>le</strong>ment in which there is an active assistance programme ».233 UNHCR, « Réfugiés urbains », in Les réfugiés dans <strong>le</strong> monde – Les personnes déplacées : l’urgencehumanitaire, La Découverte, Paris, 1997,, p. 59 : « Il est éga<strong>le</strong>ment diffici<strong>le</strong> de recueillir desstatistiques précises sur cette population, car relativement peu reçoivent une assistance du HCR oud’autres organisations humanitaires, ou sont inscrits auprès d’eux. En outre, dans <strong>le</strong>s nombreux paysoù <strong>le</strong>s réfugiés sont officiel<strong>le</strong>ment confinés dans des zones d’installation rura<strong>le</strong>s et où ils ne sont pas <strong>le</strong>sbienvenus dans <strong>le</strong>s grandes vil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s exilés urbains sont fortement incités à se faire aussi discrets quepossib<strong>le</strong> ».


161zone urbaine, à proximité des bassins d’emploi. Aux yeux de l’opinion publiquepakistanaise, la présence des réfugiés afghans dans <strong>le</strong>s centres urbains est àl’origine de la situation de chômage et de sous-emploi. El<strong>le</strong> est en outre associéeaux problèmes d’immigration et de sécurité. « Or <strong>le</strong> réfugié n’est pas unimmigré 234 ». Dépourvus du statut de réfugié « prima facie » accordésystématiquement aux réfugiés enregistrés dans <strong>le</strong>s camp, <strong>le</strong>s Afghans établis àPeshawar sont soumis au ‘Foreigners Act’ de 1946 qui déclare en situationd’illégalité tout étranger non munis d’un passeport et d’un visa pakistanais.L’hostilité à l’égard des Afghans se déplace progressivement dans <strong>le</strong>s campsdont <strong>le</strong>s occupants sont taxés d’être logés et nourris gratuitement : « Aux yeuxdes Pakistanais, <strong>le</strong>s réfugiés semb<strong>le</strong>nt souvent plus à l’aise qu’eux-mêmes. Nonseu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s Afghans ne paient pas de loyer dans <strong>le</strong>s camps, mais en outre ilsreçoivent des allocations de secours et ils peuvent travail<strong>le</strong>r pour augmenter<strong>le</strong>urs revenus 235 ». La suppression de l’aide alimentaire dans <strong>le</strong>s campspakistanais en 1995 marque une nouvel<strong>le</strong> étape dans <strong>le</strong> processus dedésengagement de la communauté internationa<strong>le</strong> en Afghanistan. Réfugiésinstallés dans <strong>le</strong>s camps ou en zone urbaine connaissent dès lors des conditionsde vie semblab<strong>le</strong>s et subissent une pression éga<strong>le</strong> de la part de l’opinion publiquepakistanaise qui accuse <strong>le</strong>s Afghans de tous <strong>le</strong>s maux de la société pakistanaise :prolifération d’armes sur <strong>le</strong> territoire pakistanais, trafic de stupéfiants, difficultéséconomiques…Le durcissement de la politique afghane de l’Etat pakistanais est confirmé en2001 avec la fermeture des frontières avec l’Afghanistan, la fin de l’octroisystématique du statut de réfugié aux nouveaux arrivants recensés par <strong>le</strong> HCR etl’interdiction pour <strong>le</strong>s Afghans non-déclarés d’accéder au marché de l’emploisous menace d’emprisonnement et d’expulsion 236 . Le raidissement des autoritéspakistanaises à l’égard des Afghans est sous-tendu par plusieurs raisons. Lediscours officiel affirme que l’arrivée au pouvoir des Talibans en 1996 marquela fin des hostilités en Afghanistan et qu’il n’y a plus lieu d’accueillir des exilésafghans puisque <strong>le</strong>ur pays n’est plus en guerre. Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong> Pakistan déplorela réticence des puissances occidenta<strong>le</strong>s à assumer <strong>le</strong>ur co-responsabilitépolitique et financière face à l’amp<strong>le</strong>ur démographique et temporel<strong>le</strong> de l’exilafghan. Enfin, l’opinion publique pakistanaise dénonce vivement la présence desAfghans sur <strong>le</strong> marché de l’emploi et il est à supposer que la définition d’unennemi extérieur commun permette d’apaiser <strong>le</strong>s tensions politiques internes.234 Jean-José PUIG, « Le cas des réfugiés afghans au Pakistan », Etudes polémologiques, No. 45, 1988,p. 32.235 Seyed ABDOLREZA KHALILI, Le Pakistan et l’invasion de l’Afghanistan, mémoire de DEA,Université Paris 2, 1987, p. 68.236 UNHCR, “Pakistan in short”, UNHCR 2001 Global Appeal, p. 155 : « A new government policysubjects all Afghan nationals to the provisions of the Foreigners Act of 1946 which requires validpassports and visas for entry into the country. This Act lacks any specific provisions on asylum, andnow includes a recently introduced amendment which prohibits ‘il<strong>le</strong>gal immigrants’ from seekingemployment and stipulates heavy prison sentences and fines for il<strong>le</strong>gal entry. As a result newly arrivedrefugees are vulnerab<strong>le</strong> and could be pushed back or deported. […] Although a substantial number ofAfghans are already well integrated into the Pakistani employment market, the Government would liketo see that all Afghans return to Afghanistan whenever possib<strong>le</strong>. […] A number of protection concernshave arisen among some Afghan refugees in Pakistan, particularly in urban areas. These concernshave included serious threats (including killings) and intimidation of members of the Afghanopposition, al<strong>le</strong>gedly by followers of the Taliban movement, as well as harassment of refugees withoutvalid documents, coup<strong>le</strong>d with extortion ».


162L’afflux massif de réfugiés fuyant <strong>le</strong>s bombardements américains à l’automne2001 conforte <strong>le</strong> Pakistan dans son refus de continuer à accueillir <strong>le</strong>s populationsafghanes menacées physiquement ou déshéritées économiquement. Suite à delongues négociations avec <strong>le</strong>s autorités pakistanaises réticentes à développer unepolitique d’accueil pour <strong>le</strong>s nouveaux arrivants, <strong>le</strong> HCR ouvre de nouveauxcamps en zone triba<strong>le</strong>, volontairement éloignés des infrastructures urbaines et dumarché de l’emploi afin de limiter la pression exercée par <strong>le</strong>s ménages réfugiéssur <strong>le</strong>s services de base pakistanais 237 . Dans <strong>le</strong> même temps, <strong>le</strong>s autoritéspakistanaises cherchent à évacuer et détruire <strong>le</strong>s vieux camps situés dans <strong>le</strong>senvirons de Peshawar afin de réduire significativement la population afghane dela vil<strong>le</strong> et récupérer <strong>le</strong>s terrains occupés par <strong>le</strong>s réfugiés pour développer desprojets d’urbanisme 238 .L’exil afghan au Pakistan se caractérise par un revirement de la politiqued’accueil des autorités loca<strong>le</strong>s. Ce changement d’attitude de l’Etat pakistanais estétroitement lié au désengagement des puissances occidenta<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong>s intérêtsgéostratégiques évoluent avec la fin de la guerre froide. Le poidsdémographique, économique et politique et la longévité de l’exil afghanexpliquent que l’affirmation de solidarités religieuses transnationa<strong>le</strong>s cèdeprogressivement <strong>le</strong> pas à une conception sécuritaire de la question afghane. Aufil des années, <strong>le</strong> réfugié afghan devient <strong>le</strong> bouc-émissaire 239 de tous <strong>le</strong>s maux237 « 100 new camps to be set up for DPs », Dawn, 25 September 2001 : « The sources said the federalinterior ministry had decided to restrict the new refugees to FATA and no camp would be set up insett<strong>le</strong>d areas. This decision had been taken in view of internal security ». <strong>Voir</strong> aussi « Les clandestinsde Peshawar deviennent des ‘invisib<strong>le</strong>s’ privés de tout », Le Monde, 13 décembre 2001 : « Les‘invisib<strong>le</strong>s’, pour <strong>le</strong> Haut-Commissariat des Nations unies pour <strong>le</strong>s réfugiés (HCR), qui, à la date du 3novembre, en avait déjà compté au moins 130 000, ce sont <strong>le</strong>s immigrants clandestins, <strong>le</strong>s Afghans quifranchissent, depuis <strong>le</strong> 11 septembre, à pied, à cheval, à dos de mu<strong>le</strong>t ou en camion <strong>le</strong>s dangereux colsd’une frontière poreuse qui <strong>le</strong>ur est officiel<strong>le</strong>ment close. Ni présents ni absents, au ‘pays des Purs’,fondus dans une masse humaine accablée de misère, ceux-là n’existent tout simp<strong>le</strong>ment pas. LePakistan estime avoir fait plus que sa part en matière d’accueil des réfugiés – près de deux millions etdemi, déjà – et ne veut pas entendre par<strong>le</strong>r de ces nouveau venus. […] Puisque <strong>le</strong>s autorités du pays<strong>le</strong>ur interdisent toute aide internationa<strong>le</strong> – encore une fois, officiel<strong>le</strong>ment, ces gens ne sont pas là –, <strong>le</strong>commissariat onusien a fait une proposition simp<strong>le</strong>, vendredi 2 novembre à Islamabad, qui peuts’énoncer en substance : ‘Laissez-nous remplir <strong>le</strong>s camps que vous avez autorisés dans <strong>le</strong>s zonestriba<strong>le</strong>s pour <strong>le</strong>s réfugiés ‘légaux’ qui n’arrivent pas – puisque vous ne <strong>le</strong>s laissez pas passer – avectous ces ‘invisib<strong>le</strong>s’ qui se sont débrouillés par <strong>le</strong>urs propres moyens pour arriver quand mêmejusqu’ici’. Avantage pour <strong>le</strong> Pakistan :<strong>le</strong>s ‘présents-absents’ qui accepteront d’être transférés dans <strong>le</strong>camp de Kotkaï, près de la frontière avec l’Afghanistan, ne pèseront plus sur <strong>le</strong>s infrastructures à boutde souff<strong>le</strong> de Peshawar ou Quetta. Avantage pour <strong>le</strong>s intéressés : ils seront soignés, hébergés et pris encharge par la communauté internationa<strong>le</strong> ».238 David TURTON, Peter MARSDEN, Taking refugees for a ride ? The politics of refugee return toAfghanistan, AREU, 2002, p. 32 : « Meanwhi<strong>le</strong>, refugees living in camps around Peshawar – e.g. NasirBagh, Jalozai and Kacha Garhi – had been under pressure to move for some time, largely because theland they occupied was wanted by the government for urban development. The residents of Nasir Bagh,one of the oldest refugee camps in Pakistan, were served with eviction orders in April 2001, givingthem until 30 July to <strong>le</strong>ave. By September 2002 all the residents of Jalozai camp had received verbalnotice to <strong>le</strong>ave by March 2003 and around 400 families had already repatriated. Meanwhi<strong>le</strong> evictionorders for Kacha Garhi residents had been signed, with the same deadline, and a section of the camphad been bulldozed to make way for a road development ».239 Jean-José PUIG, artic<strong>le</strong> cité, p. 32 : « La présence des réfugiés dans <strong>le</strong>s centres urbains pose, el<strong>le</strong>aussi, bien des problèmes : des problèmes sociaux et économiques ramenés à des problèmesd’immigration. Or <strong>le</strong> réfugié n’est pas un immigré. Les problèmes de sécurité ensuite font du réfugié <strong>le</strong>bouc-émissaire idéal. Les moindres attentats qui secouent <strong>le</strong>s agglomération des régions frontalières


163pakistanais. La figure du réfugié politique disparaît au profit de cel<strong>le</strong> del’immigré présentant une menace économique et politique pour la nationpakistanaise. Ce revirement de l’opinion publique pakistanaise accompagne <strong>le</strong>processus d’intégration des Afghans à la vil<strong>le</strong> de Peshawar. L’implantationphysique et l’insertion économique des exilés afghans s’accentuent au fil desannées et font de Peshawar la deuxième vil<strong>le</strong> afghane après Kaboul 240Les processus d’intégration des Afghans à Peshawar : implantationphysique et insertion économique des réfugiésL’inscription de l’exil afghan dans la durée se traduit par un ancrage renforcédes Afghans à Peshawar. La diversification des flux de réfugiés dès <strong>le</strong> milieu desannées 1980 puis l’arrivée de classes urbaines aisées expliquent la présenceaccrue d’Afghans dans <strong>le</strong>s quartiers de la capita<strong>le</strong> régiona<strong>le</strong>, hors des camps, et<strong>le</strong>ur insertion dans <strong>le</strong>s réseaux économiques locaux et transfrontaliers.Parallè<strong>le</strong>ment à l’implantation de réfugiés en zone urbaine, <strong>le</strong>s villages deréfugiés deviennent de véritab<strong>le</strong>s quartiers composés d’habitations en dur et sontprogressivement absorbés par la croissance de l’agglomération peshawarite. I<strong>le</strong>st à ce titre intéressant de considérer l’inscription de l’exil afghan au cœur de lalogique d’extension de la vil<strong>le</strong> de Peshawar (voir cartes de Florence TOIX, 1 et2). Il ressort de l’étude de cartes de la vil<strong>le</strong> que l’immigration afghane ne fait queprolonger la dynamique d’extension territoria<strong>le</strong> de Peshawar vers l’ouest, induitepar la construction de quartiers coloniaux par <strong>le</strong>s Britanniques aux abordsoccidentaux de la vieil<strong>le</strong> vil<strong>le</strong>.La ‘Grand Trunk Road’, artère principa<strong>le</strong> qui traverse horizonta<strong>le</strong>mentPeshawar, semb<strong>le</strong> avoir conditionné la croissance de la vil<strong>le</strong> vers l’ouest. Reliantla vil<strong>le</strong> à Kaboul vers l’ouest, en passant par la Passe de Khyber située enterritoire tribal, et à Lahore vers l’est, via Islamabad, capita<strong>le</strong> administrative duPakistan, cette route apparaît comme l’axe névralgique de la dynamique urbainede Peshawar. La vieil<strong>le</strong> vil<strong>le</strong> fortifiée, ‘Kissa Kawani’, est située à l’entrée est dePeshawar, en contrebas de la GT Road. Le quartier du ‘Cantonment’ datant del’époque britannique jouxte l’ai<strong>le</strong> occidenta<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong> fortifiée, son édificationimpulsant une logique d’extension territoria<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong> vers l’ouest. Ce quartierdevient <strong>le</strong> centre administratif et militaire de l’entreprise colonia<strong>le</strong>, identitéterritoria<strong>le</strong> qui perdure sous domination politique pakistanaise. L’édification ducampus universitaire, du ‘Khyber Teaching Hospital’ et du ‘Khyber MedicalCol<strong>le</strong>ge’ en bordure de la Khyber Road à l’extrême ouest de la vil<strong>le</strong> confirmentla dynamique territoria<strong>le</strong> contemporaine de Peshawar.(N.W.F.P. essentiel<strong>le</strong>ment), conduisent <strong>le</strong>s populations loca<strong>le</strong>s à dénoncer <strong>le</strong> laxisme des autorités, et àrendre <strong>le</strong>s Afghans responsab<strong>le</strong>s de tous <strong>le</strong>urs maux ».240 Eric LAUBE, Du logement locatif à Peshawar – Approche du locatif privé en zone d’habitatprécaire à Peshawar, Pakistan, Mémoire de DESS, Institut d’Urbanisme de Grenob<strong>le</strong>, 1988, p. 65 :« Peshawar se trouve ainsi être la deuxième vil<strong>le</strong> afghane après Kaboul, avec 5 à 600.000 réfugiés, lareprésentation de tous <strong>le</strong>s grands partis de résistance, <strong>le</strong> Haut Commissariat aux Réfugiés, la plus forteconcentration d’organismes d’aide aux Afghans ».


164Dans <strong>le</strong>s années 1950-1960, la construction du quartier résidentiel de ‘UniversityTown’ et l’extension du campus universitaire entament <strong>le</strong> développement urbainde la zone intermédiaire située entre <strong>le</strong> Cantonment et ces nouvel<strong>le</strong>sinfrastructures. Peshawar se développe de manière concentrique autour de la GTRoad, axe routier où se cristallise l’essentiel des commerces et desadministrations de la vil<strong>le</strong>. Au début des années 1970, un vaste projet deconstruction résidentiel<strong>le</strong> trouve son emplacement à la sortie occidenta<strong>le</strong> de lavil<strong>le</strong>, à l’extrême ouest des abords sud de la GT Road. Il s’agit du quartierrésidentiel d’Hayatabad, dont la population est composée de 70% d’Afghansjusqu'en 2002. Depuis <strong>le</strong> début de la reconstruction en Afghanistan, denombreuses famil<strong>le</strong>s afghanes de ce quartier résidentiel ont quitté <strong>le</strong>s maisonsqu'ils louaient à des prix très é<strong>le</strong>vés, au grand dam des propriétaires pakistanais.La bourgeoisie pakistanaise s'y instal<strong>le</strong> progressivement ou investit enconstruisant dans <strong>le</strong>s phases encore libres, à l'extrême sud du quartier.Au début des années 1980, <strong>le</strong>s villages de réfugiés créés par <strong>le</strong>s autoritéspakistanaises sont situés en bordure de la vil<strong>le</strong>, sur des terrains relativementexcentrés du centre historique de la vil<strong>le</strong>. Or, deux décennies plus tard,l’extension de la vil<strong>le</strong> se traduisant par un déplacement du centre de gravité de lazone urbaine, <strong>le</strong>s camps <strong>le</strong>s plus proches, devenus des lotissements structurés etorganisés, se trouvent à l’intérieur des limites du noyau urbain de Peshawar.C’est notamment <strong>le</strong> cas du camp de Kacha Ghari, situé en bordure nord de la GTRoad face au quartier d’Hayatabad. C’est éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> cas des camps de NasirBagh et Regi Lalama situés en bordure nord-ouest de la vil<strong>le</strong>. On observe en faitune absorption des camps par la dynamique d’extension urbaine de Peshawar,parallè<strong>le</strong>ment au déplacement des réfugiés afghans vers l’intérieur de la vil<strong>le</strong> et<strong>le</strong>s bassins d’emploi.


165PAKISTAN – REFUGEE CAMPS IN THE NORTH WEST FRONTIERPROVINCE, 23April 2002Source: UNHCR, NCGIA through GRID, WFP, Global insight digitalmapping.Les Afghans se retrouvent progressivement au cœur de la logique économique etterritoria<strong>le</strong> de la capita<strong>le</strong> pathane. Le processus d’intégration des réfugiés àl’économie loca<strong>le</strong> est fondé sur la nature entreprenante des Afghans 241 et sur lanécessité pour <strong>le</strong>s ménages réfugiés d’assurer <strong>le</strong>ur subsistance, en complémentpuis remplacement de l’aide internationa<strong>le</strong>. Cette dynamique d’intégration estalimentée par <strong>le</strong>s modalités d’interaction avec <strong>le</strong>s populations pakistanaises quifont preuve de générosité et d’hospitalité dès <strong>le</strong>s débuts de l’exode afghan. Les241 Inger W. BŒSEN, « De l’autonomie à la dépendance – Aspects du ‘syndrome de dépendance’ parmi<strong>le</strong>s réfugiés afghans », in BIA, Colloque international sur <strong>le</strong> problème des réfugiés afghans, No.Spécial de La <strong>le</strong>ttre du BIA, mars 1984, p. 22.


166peup<strong>le</strong>s pachtounes et pathans partagent un héritage culturel, linguistique etreligieux commun, ce qui facilite <strong>le</strong>s échanges et favorise l’instauration dephénomènes d’entraide, dans <strong>le</strong> strict respect du ‘Pachtounwali 242 ’. Cettesolidarité est en outre mue par <strong>le</strong> sentiment panislamique, <strong>le</strong>s réfugiés afghansétant considérés comme <strong>le</strong>s opposants religieux à un régime communiste et dontl’exil est une étape obligée vers la reconquête d’un Afghanistan menacéd’athéisme par un régime communiste opposé à l’Islam 243 . Cette interprétationreligieuse de l’exil est largement instrumentalisée par <strong>le</strong>s partis de la résistanceafghane qui qualifient <strong>le</strong>s réfugiés de ‘moudjahidin’ (combattants) pour <strong>le</strong>squels<strong>le</strong> ‘djihad’ (guerre sainte) est une obligation d’ordre politique, moral et religieux.La proximité religieuse des nations afghane et pakistanaise est soulignée par <strong>le</strong>sautorités pakistanaises qui réaffirment l’essence musulmane du Pakistan et <strong>le</strong>devoir d’hospitalité des Pakistanais envers des Afghans menacés dans <strong>le</strong>uridentité culturel<strong>le</strong> et religieuse. Cette solidarité transfrontalière se manifeste pardes gestes de charité et de générosité de la part des populations loca<strong>le</strong>senvironnantes, tels que l’hébergement de ménages afghans 244 , l’aumône auxfamil<strong>le</strong>s réfugiées déshéritées et <strong>le</strong> don de denrées alimentaires issues de laproduction domestique. Les Pakistanais <strong>le</strong>s plus aisés viennent en aide auxréfugiés en <strong>le</strong>ur prêtant ou louant des parcel<strong>le</strong>s de terre cultivab<strong>le</strong> ou deslogements, favorisant ainsi l’accès des Afghans aux activités génératrices derevenus 245 .Néanmoins, il apparaît rapidement qu’une large partie de la population loca<strong>le</strong>non-réfugiée se trouve dans un état de pauvreté aussi prononcé sinon d’avantageque celui des réfugiés 246 , à la différence que <strong>le</strong>s Pakistanais ne bénéficient pasdes programmes d’aide internationa<strong>le</strong> réservés aux exilés afghans. Des modalitésd’interaction économique et socia<strong>le</strong> (troc) s’établissent entre réfugiés etpopulations loca<strong>le</strong>s, qui servent <strong>le</strong>s intérêts des deux communautés et tententd’amoindrir <strong>le</strong>s effets de la pauvreté 247 . Les réfugiés dont <strong>le</strong>s rations alimentaires242 « Peshawar, creuset des tragédies afghanes », Le Temps, Genève, 2 mars 2000 : Aux dires de ImranZeb Khan, responsab<strong>le</strong> du ‘Commissionnerate for Afghan Refugees’ (CAR) à Peshawar, « La plupartdes réfugiés sont pachtounes. Les Pakistanais de la province du Nord-Ouest ou du Baloutchistan sontéga<strong>le</strong>ment pachtounes. Nous partageons la même langue et la même culture. Notre code de conduitenous oblige aussi à accueillir toute personne qui nous demande asi<strong>le</strong> même s’il est notre pire ennemi.En vingt ans, pas un seul acte criminel anti-afghan n’a été commis à Peshawar ». <strong>Voir</strong> aussi PierreCENTLIVRES, Micheline CENTLIVRES-DEMONT, artic<strong>le</strong> cité, p. 74 : « According to the Pashtuncode of honour, the ‘pashtunwali’, a person or group can ask for hospitality and assistance from aneighbouring group during a temporary conflict – it is thus that the reception accorded by the Pathansof the NWFP can be interpreted ».243 Dans la tradition islamique, <strong>le</strong>s réfugiés afghans ayant fui un régime hosti<strong>le</strong> à la religion musulmanesont qualifiés de ‘mohajir’ en référence à la fuite du Prophète Mahomet à Médine où il prépara lareconquête de La Mecque.244 Tom ROGERS, « Afghan refugees and the stability of Pakistan », Survival, Vol. XXIX, No. 5,International Institute for Strategic Studies (IISS), September/October 1987, p. 418 : « The UnitedNations High Commission for Refugees (UNHCR) has noted that ‘to the credit of the peop<strong>le</strong> ofPakistan, in the initial stages [of the Afghan crisis] the refugees were fed and sheltered by the localresidents in extraordinary acts of charity and hospitality’».245 Hanne CHRISTENSEN, ouvrage cité, p. 57.246 BIA, « De l’aide d’urgence à l’aide au développement », in ouvrage cité, p. 40.247 Robert CHAMBERS, « Hidden losers? The impact of rural refugees and refugee programs on poorerhosts », International Migration Review, Vol. XX, No. 2, Summer 1986, p. 250: « Relief food is oftenbartered with the local population. Hanne Christensen has noted that food exchange has a socialimpact, linking the refugee population and the local peop<strong>le</strong> in a relationship of mutual benefit andpreventing antagonism between highly subsidized non-food-producing poor groups and <strong>le</strong>ss, or non-


167sont largement suffisantes revendent une partie du blé de l’aide internationa<strong>le</strong>aux populations pakistanaises environnantes, voire ils distribuent gratuitement <strong>le</strong>surplus aux famil<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s plus nécessiteuses 248 . L’argent tiré de la vente du blépermet aux ménages afghans de s’approvisionner auprès des producteurs locauxen denrées alimentaires insuffisamment distribuées dans <strong>le</strong>s camps (fruits,légumes, viandes) et d’acquérir des biens de consommation courante sur <strong>le</strong>smarchés locaux (postes de radio, vélos, vaissel<strong>le</strong>).L’immixtion des Afghans dans <strong>le</strong> tissu économique pakistanais ne se limite pas àl’achat ou la vente de biens de consommation sur <strong>le</strong> marché local. Privés del’accès à la propriété foncière 249 , <strong>le</strong>s Afghans sont néanmoins libres de sedéplacer à l’intérieur du pays et ne souffrent d’aucune entrave concernant l’accèsau marché du travail local 250 . Les Afghans issus des minorités ethniquesexerçant traditionnel<strong>le</strong>ment une activité commercia<strong>le</strong> ou artisana<strong>le</strong> ne tardent pasà s’insérer dans l’économie loca<strong>le</strong>. Ils s’établissent à Peshawar en zone urbaine,ouvrent des ateliers et des échoppes et proposent <strong>le</strong>urs services aux ménagespakistanais. La situation est plus comp<strong>le</strong>xe pour la grande majorité des Afghansréfugiés à Peshawar, d’origine pachtoune et rura<strong>le</strong> 251 . Leur insertion sur <strong>le</strong>marché du travail local est malaisée du fait de l’absence de qualificationtechnique et de <strong>le</strong>ur réticence à exercer quelque activité non-agrico<strong>le</strong> dégradanteau regard de <strong>le</strong>ur identité pachtoune 252 . El<strong>le</strong> s’effectue par <strong>le</strong> biais d’activitéssubsidized food-producing poor groups residing in the same localities. In part of Pakistan, also, shehas reported charitab<strong>le</strong> activities by refugees who gave small shares of food relief free of charge todestitute Pakistanis who visited the refugee compounds. The local poor can thus gain from spilloverefforts of more than adequate supplies ».248 Hanne CHRISTENSEN, ouvrage cité, p. 32 : Le blé distribué par <strong>le</strong>s agences d’aide internationa<strong>le</strong>est revendu aux populations loca<strong>le</strong>s ou échangé selon des modalités de troc spécifiques. En 1984, unsac de blé était revendu 120 roupies tandis que 2 kg de blé équivalaient à 1 kg de tomates ou depommes de terre ou 500 g de raisin.249 Cette interdiction pour <strong>le</strong>s réfugiés d’accéder à la propriété foncière s’explique par la crainte del’Etat pakistanais de voir se prolonger indéfiniment un exil supposé temporaire. <strong>Voir</strong> BIA, « De l’aided’urgence à l’aide au développement », in ouvrage cité, p. 36 : « Les autorités pakistanaises redoutentune sédentarisation partiel<strong>le</strong> avec mise en va<strong>le</strong>ur de terres nouvel<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong>s considèrent la populationréfugiée comme une population en transit ». L’accès des Afghans à la terre demeure marginal et relèvede réseaux privés. <strong>Voir</strong> Eric LAUBE, Du logement locatif à Peshawar: approche du locatif privé enzone d’habitat précaire à Peshawar – Pakistan, Mémoire de DESS, Grenob<strong>le</strong>, IUG, 1988, p. 65 : « Lefoncier et l’agriculture <strong>le</strong>ur restent fermés, néanmoins de nombreux propriétaires pachtounespakistanais <strong>le</strong>ur prêtent <strong>le</strong> sol jusqu’à <strong>le</strong>ur retour en Afghanistan et récupéreront <strong>le</strong>s bâtiments ou <strong>le</strong> solmis en va<strong>le</strong>ur <strong>le</strong> cas échéant. […] L’accès au marché foncier n’existe donc que d’une façon trèsmargina<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s réfugiés ».250 Pierre CENTLIVRES, Micheline CENTLIVRES-DEMONT, artic<strong>le</strong> cité, p. 76 : « Pakistan hasopened its labour markets to Afghan refugees and, with certain restrictions, its commercial market aswell. Many Afghan refugees find work outside the villages as unskil<strong>le</strong>d labourers, especially inbrickmaking, building construction near large cities such as Peshawar and Quetta and roadmaintenance. Others are active as itinerant dea<strong>le</strong>rs (in fruit, vegetab<strong>le</strong>s, carpets and antiques) or intransport, and – to a limited extent – in seasonal agricultural work ».251 BIA, « Aspect du ‘syndrome de dépendance’ parmi <strong>le</strong>s réfugiés afghans », in ouvrage cité, p. 20 :« Cette partie importante des réfugiés afghans, se trouve peut-être maintenant dans la situation la plusdure par <strong>rapport</strong> aux autres réfugiés pour trouver un emploi rémunérateur afin de réduire sadépendance ».252 BIA, « Aspect du ‘syndrome de dépendance’ parmi <strong>le</strong>s réfugiés afghans », in ouvrage cité, p. 20 :« Dans la hiérarchie triba<strong>le</strong>, la propriété de la terre et <strong>le</strong>s activités liées à l’agriculture sont placées aupremier rang et associées à l’identité triba<strong>le</strong> et au prestige ». <strong>Voir</strong> aussi BIA, « De l’aide d’urgence àl’aide au développement », in ouvrage cité, p. 41 : « Les Afghans, essentiel<strong>le</strong>ment paysans, ne sont pas


168agrico<strong>le</strong>s salariées sur <strong>le</strong>s exploitations pakistanaises et par la reconversion desagriculteurs afghans dans <strong>le</strong> cadre de programmes de formation financés par <strong>le</strong>sagences d’aide internationa<strong>le</strong> 253 , afin de « soulager <strong>le</strong> poids qui pèse sur <strong>le</strong>Pakistan et la communauté internationa<strong>le</strong> [et faire en sorte] que <strong>le</strong>s Afghans quivivent au Pakistan ne soient plus des parasites 254 ». L’aide au développemententend doter <strong>le</strong>s réfugiés de compétences en matière de construction, afin qu’ilsaméliorent eux-mêmes <strong>le</strong>ur habitat, ou <strong>le</strong>s impliquer dans des travauxd’adduction d’eau et d’irrigation, afin qu’ils bénéficient d’une meil<strong>le</strong>ure hygièneet utilisent de façon optima<strong>le</strong> <strong>le</strong>s ressources en eau menacées d’épuisement 255 . Ils’agit de promouvoir <strong>le</strong>s capacités d’autosubsistance des réfugiés, afin de limiter<strong>le</strong>ur poids sur l’économie et la société loca<strong>le</strong>s, et d’anticiper <strong>le</strong>ur réinsertionultérieure et <strong>le</strong>ur participation au processus de reconstruction d’un pays ravagépar <strong>le</strong>s années de guerre 256 . Le passage d’un secours d’urgence à une aide audéveloppement s’inscrit ainsi dans une perspective de rapatriement des réfugiéset n’entend nul<strong>le</strong>ment promouvoir l’intégration définitive des Afghans àl’économie et à la société pakistanaises.On observe de manière significative que l’insertion des réfugiés afghans sur <strong>le</strong>marché de l’emploi relève de logiques d’entraide familia<strong>le</strong> et ethnique.L’intégration économique de quelques Afghans provoque un effet d’appel sur<strong>le</strong>s réfugiés de la même lignée ou originaires du même village, qui font jouer <strong>le</strong>ssolidarités familia<strong>le</strong>s et ethniques pour se faire embaucher sur <strong>le</strong>s chantiers deconstruction et dans <strong>le</strong>s entreprises de la vil<strong>le</strong> 257 . L’arrivée sur <strong>le</strong> marché del’emploi de la main d’œuvre afghane a des répercussions diverses selon <strong>le</strong>ssecteurs d’activité et selon l’appartenance socio-professionnel<strong>le</strong> des populationspakistanaises. La communauté d’accueil est loin de constituer une entitéhomogène réagissant de façon unanime et harmonieuse à l’installation massivede réfugiés dans son voisinage 258 . La présence de plusieurs centaines de milliersattirés par certaines activités non-agrico<strong>le</strong>s, qui <strong>le</strong>ur sont proposées dans <strong>le</strong> cadre de certains grandsprojets ».253 BIA, « De l’aide d’urgence à l’aide au développement », in ouvrage cité, p. 40 : « Pour <strong>le</strong>s réfugiéshommes qui étaient fermiers en Afghanistan, et donc il<strong>le</strong>ttrés, il faut prévoir des actions de formationqui puissent <strong>le</strong>s rendre autonomes à l’intérieur des camps, et <strong>le</strong>ur permettre de subvenir à <strong>le</strong>urs besoins».254 BIA, artic<strong>le</strong> cité, p. 39-40.255 BIA, artic<strong>le</strong> cité, p. 40 : « Il faut donc que <strong>le</strong>s Afghans travail<strong>le</strong>nt pour eux-mêmes : dans laconstruction par exemp<strong>le</strong> car ils ont besoin d’être mieux logés, ou dans des travaux d’adduction d’eauafin de bénéficier d’une meil<strong>le</strong>ure hygiène. […] Le HCR a signé un accord avec la Banque mondia<strong>le</strong> envue de développer des projets de grande envergure visant à promouvoir des activités rémunératricesqui permettront à un certain nombre de réfugiés d’être employés dans des entreprises de reboisement,de construction de routes, d’irrigation et d’aménagement des pâturages ».256 BIA, artic<strong>le</strong> cité, p. 36 : « Prévoir la réinsertion ultérieure des réfugiés. Agir maintenant dans uneéconomie de guerre, en pensant à la reconstruction du pays en temps de paix par <strong>le</strong>s Afghans euxmêmes».257 Pierre CENTLIVRES, artic<strong>le</strong> cité, p. 78 : « Les relations avec la société hôte, et tout d’abord avecl’administration pakistanaise des camps, avec <strong>le</strong>s organes de police, se font par des relais spécifiques :notab<strong>le</strong>s, religieux ou jeunes <strong>le</strong>ttrés, connaissant la langue du milieu d’accueil. C’est par ces relaisdans <strong>le</strong>s grandes vil<strong>le</strong>s que <strong>le</strong>s réfugiés entrent en contact avec <strong>le</strong> marché du travail et des employeurs,aussi bien que par des réseaux personnels étroitement liés au ‘qawm’ et au voisinage. On peut voirainsi, dans <strong>le</strong>s mines de charbon des environs de Quetta, dans <strong>le</strong>s briqueteries de Peshawar ou <strong>le</strong>sfabriques d’allumettes de Karachi, des équipes de travail<strong>le</strong>urs provenant du même village ou de lamême subdivision ethnique ».258 Artic<strong>le</strong> cité, p. 249: « Hosts have tended to be a residual, thought of as a sing<strong>le</strong> entity summarized as‘host communities’, ‘the local peop<strong>le</strong>’ or ‘the surrounding population’. Refugee prob<strong>le</strong>ms are so acute


169d’exilés afghans à proximité de Peshawar semb<strong>le</strong> avoir un effet distinct sur <strong>le</strong>sménages pakistanais selon qu’ils sont propriétaires fonciers ou travail<strong>le</strong>ntcomme employés journaliers dans des exploitations agrico<strong>le</strong>s et desmanufactures. Dans <strong>le</strong> premier cas de figure, <strong>le</strong>s petits propriétaires fonciersbénéficient de l’afflux massif d’une main d’œuvre abondante non-qualifiée etbon marché : <strong>le</strong>s ouvriers afghans effectuent pour un salaire moindre des tâchesrudimentaires, ce qui permet aux producteurs locaux d’étendre <strong>le</strong>ur productionagrico<strong>le</strong> et/ou de se consacrer à d’autres activités plus productives etlucratives 259 . Inversement, <strong>le</strong>s Pakistanais travaillant eux-mêmes commeouvriers journaliers subissent durement <strong>le</strong>s effets d’une concurrence accrue sur<strong>le</strong> marché du travail et d’une pression à la baisse des salaires. Leurs revenusdiminuent mais, contrairement aux Afghans bénéficiaires des programmesd’aide internationa<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s pakistanaises en situation de grande précariténe reçoivent aucun soutien extérieur 260 .A l’échel<strong>le</strong> nationa<strong>le</strong>, l’arrivée sur la marché de l’emploi d’une main d’œuvreabondante et bon marché permet de compenser <strong>le</strong>s pertes en travail<strong>le</strong>urs issuesde l’émigration au Proche-Orient et d’impulser <strong>le</strong> développement de certainssecteurs d’activité. Les secteurs agrico<strong>le</strong>s et de la construction sont <strong>le</strong>s plusaffectés par <strong>le</strong> départ de près de trois millions de Pakistanais vers <strong>le</strong>s Etats duGolfe persique. La présence de plusieurs milliers d’Afghans à Peshawar a undoub<strong>le</strong> impact positif sur <strong>le</strong> secteur du bâtiment. El<strong>le</strong> constitue un réservoir demain d’œuvre bon marché disposée à travail<strong>le</strong>r sur <strong>le</strong>s chantiers de constructionpakistanais pour un salaire peu é<strong>le</strong>vé. En outre, el<strong>le</strong> alimente la demande enmatériaux de construction et locaux commerciaux, à des fins résidentiel<strong>le</strong>s etlucratives. Le secteur des transports bénéficie éga<strong>le</strong>ment de la présence desAfghans à Peshawar. Les réfugiés contrô<strong>le</strong>nt partiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s transports àl’intérieur de la vil<strong>le</strong> (notamment <strong>le</strong> secteur des ‘rickshaws’ 261 ) et développent <strong>le</strong>réseau de transports entre Peshawar et <strong>le</strong>s régions afghanes frontalières, afin desatisfaire <strong>le</strong>s besoins des combattants et des chefs de famil<strong>le</strong> 262 . Les réfugiésconstituent une population mobi<strong>le</strong> dont <strong>le</strong>s déplacements sont facilités par laquasi-absence de contrô<strong>le</strong> policier sur <strong>le</strong>s zones triba<strong>le</strong>s. Le service du ‘Jihad’that time and resources have not permitted a special detai<strong>le</strong>d study of the impact of refugees andrefugee programs on different host groups, <strong>le</strong>ast of all on those who are poorer, more vulnerab<strong>le</strong>, <strong>le</strong>ssarticulate and <strong>le</strong>ss seen ».259 Robert CHAMBERS, artic<strong>le</strong> cité, p. 251 : « In Pakistan, Christensen found in two areas that a goodproportion of the refugees surveyed provided local farmers with labor, undertaking unskil<strong>le</strong>d manualwork such as col<strong>le</strong>cting firewood for fuel, or sowing, weeding, harvesting and livestock raising. Thisenab<strong>le</strong>d farmers to expand their agriculture or disengage their own labor for more profitab<strong>le</strong>activities ».260 Artic<strong>le</strong> cité, p. 251-252 : « Refugees can hurt hosts who rely on labouring for all or part of theirlivelihoods, by reducing their opportunities for work and by driving down wages. […] Thus in Pakistanin 1983, in one town in the Chagai District, an increasing tendency was reported for refugees to bedenied or even turned away from availab<strong>le</strong> employment, whi<strong>le</strong> local peop<strong>le</strong> complained about beingpriced out of the labor market by refugees. As Christensen observes, food aid to refugees in suchsituations can have the unintentional effect of supporting poor subsidized peop<strong>le</strong> competing againstpoor unsubsidised peop<strong>le</strong> ».261 Jean-José PUIG, artic<strong>le</strong> cité, p. 35.262 Pierre CENTLIVRES, Micheline CENTLIVRES-DEMONT, artic<strong>le</strong> cite, p. 76 : « In the NWFP in1985, 4130 vehic<strong>le</strong>s of different categories which had been brought in by Afghans receivedauthorizations to be used for transport ».


170est à l’origine d’incessants déplacements de combattants vers l’Afghanistan 263 .Parallè<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s réfugiés pachtounes originaires des provinces frontalières serendent de façon saisonnière sur <strong>le</strong>ur terre nata<strong>le</strong> pour effectuer <strong>le</strong>s travauxagrico<strong>le</strong>s et rendre visite aux membres de la famil<strong>le</strong> demeurés en Afghanistan 264 .De même, à l’intérieur du Pakistan, <strong>le</strong>s réfugiés se déplacent entre camps etd’une vil<strong>le</strong> à l’autre pour rendre visite aux membres de <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong>, notammentà l’occasion de célébrations religieuses et de réunions familia<strong>le</strong>s (mariages,naissances, décès) 265 . Ces déplacements saisonniers et/ou familiaux concernentessentiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s hommes à l’exclusion des femmes qui demeurentgénéra<strong>le</strong>ment en sécurité confinées à l’intérieur des camps ou dans <strong>le</strong>s quartiersafghans de Peshawar 266 .Qu’il s’agisse du secteur de la construction ou de celui des transports, <strong>le</strong>sréfugiés afghans font preuve d’initiative et développent des activités artisana<strong>le</strong>set commercia<strong>le</strong>s aptes à satisfaire <strong>le</strong>urs besoins propres et la demande loca<strong>le</strong>.« La particularité des réfugiés afghans réside dans <strong>le</strong>ur dynamisme, <strong>le</strong>urcapacité à recréer un monde afghan. Ainsi, un réseau de transports, decommerces, de nombreuses activités artisana<strong>le</strong>s et semi-industriel<strong>le</strong>s sont sous<strong>le</strong>ur contrô<strong>le</strong> 267 . » La présence des Afghans engendre un processus de croissanceéconomique à Peshawar 268 . La pression à la baisse des salaires, la mise en œuvred’activités commercia<strong>le</strong>s et artisana<strong>le</strong>s par <strong>le</strong>s réfugiés et l’ouverture denouveaux marchés alimentent une spira<strong>le</strong> de développement bénéfique aux263 Pierre CENTLIVRES, Micheline CENTLIVRES-DEMONT, artic<strong>le</strong> cité, p. 81 : « The war is close ;‘mudjahidin’ come and go, visiting their families after a campaign ; commandants come regularly tobring news from the combat areas ».264 ILO, UNHCR, Tradition and dynamism among Afghan refugees – A report on income generatingactivities for Afghan refugees in Pakistan, Geneva, 1983, p. 42 : Les déplacements transfrontalierspréexistent à l’exil des Afghans en 1978. Les migrations saisonnières entre <strong>le</strong>s provinces afghanesfrontalières à dominante pachtoune et <strong>le</strong> Pakistan sont courantes. Les famil<strong>le</strong>s afghanes profitent de label<strong>le</strong> saison pour effectuer <strong>le</strong>s tâches agrico<strong>le</strong>s en Afghanistan. A l’inverse, pendant <strong>le</strong>s mois d’hiver,el<strong>le</strong>s fuient la rudesse de l’hiver afghan pour la douceur du climat pakistanais. Ces migrationssaisonnières se poursuivent après <strong>le</strong> départ en exil. Les Afghans réfugiés au Pakistan passent l’hiverdans <strong>le</strong>s camps ou en zone urbaine, où <strong>le</strong>s chefs de famil<strong>le</strong> trouvent un emploi saisonnier ou journalier.Puis, avec l’arrivée du printemps, ils retournent sur <strong>le</strong>ur terre nata<strong>le</strong> pour effectuer <strong>le</strong>s travaux agrico<strong>le</strong>set échapper aux grandes cha<strong>le</strong>urs estiva<strong>le</strong>s au Pakistan. En 1983, <strong>le</strong> Bureau international du travail (ILOen anglais) et <strong>le</strong> HCR estimaient à un million <strong>le</strong> nombre de réfugiés mobi<strong>le</strong>s entre <strong>le</strong>s deux pays ou àl’intérieur du Pakistan.265 Hanne CHRISTENSEN, ouvrage cité, p. 41 : Les voyages en Afghanistan sont en partie liés auservice au ‘Jihad’. Ils permettent aux réfugiés installés au Pakistan de ramener du bétail destiné à lavente ou à l’é<strong>le</strong>vage, des pierres précieuses vendues dans <strong>le</strong>s camps de réfugiés et <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>spakistanaises et des armes vendues aux combattants de la résistance afghane. A l’intérieur du Pakistan,<strong>le</strong>s hommes réfugiés effectuent une visite annuel<strong>le</strong> aux parents vivant dans d’autres camps ou une autrevil<strong>le</strong>, afin de s’informer des derniers événements familiaux survenus en exil ou en Afghanistan et depréserver <strong>le</strong>s solidarités intrafamilia<strong>le</strong>s.266 UNHCR, « Conflit et reconstruction en Afghanistan », Les réfugiés dans <strong>le</strong> monde 1995 – En quêtede solutions durab<strong>le</strong>s, p. 183 : « Dans un foyer ou une communauté de réfugiées donnée, il arrive quecertains des hommes retournent en Afghanistan pour préparer la terre et reconstruire <strong>le</strong>s maisons,tandis que d’autres occupent des emplois rémunérés à Karachi ou dans <strong>le</strong>s Etats du Golfe, laissant <strong>le</strong>sfemmes et <strong>le</strong>s enfants dans <strong>le</strong>s camps de réfugiés, où ils sont en sécurité, sur <strong>le</strong>s plans social et matériel».267 Eric LAUBE, ouvrage cité, p. 65.268 Jean-José PUIG, artic<strong>le</strong> cité, p. 35 : « Dans <strong>le</strong>s faits, l’économie loca<strong>le</strong> a progressé. […] Les réfugiésse sont intégrés dans <strong>le</strong>s différents secteurs d’activité, allant même jusqu’à en contrô<strong>le</strong>r partiel<strong>le</strong>mentcertains (<strong>le</strong>s célèbres ‘rickshaws’ de Peshawar) ».


171entrepreneurs pakistanais 269 . En outre, la présence massive des réfugiés afghansattire de nombreuses agences humanitaires qui créent des emplois locaux etcontribuent à l’aménagement du territoire national par la construction de routeset d’infrastructures profitant aux Afghans et aux Pakistanais 270 . L’heure est àl’incitation au rapatriement et à la mise en œuvre d’une politique répressive àl’égard des populations afghanes établies au Pakistan. On peut cependants’interroger sur <strong>le</strong>s motivations et <strong>le</strong>s conséquences sur l’économie loca<strong>le</strong> durevirement d’attitude des autorités pakistanaises.Le durcissement de la politique d’accueil de l’Etat pakistanais est mu par unevolonté de freiner la dynamique d’intégration économique et socia<strong>le</strong> desAfghans à Peshawar. Les autorités pakistanaises entendent déloger <strong>le</strong>spopulations afghanes installées dans <strong>le</strong>s vieux camps jouxtant Peshawar (telsNasir Bagh, Kacha Gari…) pour récupérer <strong>le</strong>s terrains occupés et mettre enœuvre des projets d’urbanisme à destination des classes moyennespakistanaises 271 . (Le camp de Katcha Gari comprenait 98.500 personnes avant <strong>le</strong>début du processus de rapatriement initié en mars 2002 et 75.354 personnes aumois d'octobre 2003 272 . Le camp de Nasir Bagh, divisé entre <strong>le</strong> nouveau etl'ancien camp, comptait en 2001 environ 107 850 personnes 273 ). Les deuxalternatives offertes aux populations afghanes expulsées sont la réinstallationdans de nouveaux camps éloignés de Peshawar ou <strong>le</strong> rapatriement enAfghanistan. Onze nouveaux camps sont ainsi créés par <strong>le</strong> HCR en 2001,destinés à faciliter <strong>le</strong> relogement des Afghans de Peshawar et à accueillir <strong>le</strong>s fluxde réfugiés provoqués par <strong>le</strong>s bombardements américains. Ces nouveaux sitessont situés en zone triba<strong>le</strong>, à plusieurs heures de route de Peshawar 274 , ce qui269 Robert CHAMBERS, artic<strong>le</strong> cité, p. 255 : « Food aid and cheap refugee labor, together with refugeetrading, artisan and farming activities can entail and stimulate economic development. The mostconspicuous dimension is trading. […] New and improved roads, increased agricultural production,and better access to markets and goods have raised economic activity to a new <strong>le</strong>vel».270 Pierre CENTLIVRES, Micheline CENTLIVRES-DEMONT, artic<strong>le</strong> cité, p. 90 : « Tens of thousandsof Pakistanis benefit from the presence of Afghan refugees either directly through jobs in Afghanrefugee villages or by renting housing at high rates – or indirectly – by opening bazaars for Afghanrefugee villages in regions which otherwise would have none (Balutchistan) or through cheap servicesand profitab<strong>le</strong> business affairs ».271 USCR, artic<strong>le</strong> cité : « The Pakistani authorities have wanted the camp [Nasir Bagh]’s refugees tovacate the site for several years. According to the Foreign Ministry’s Shaukat, ‘The camp is on landthat belongs to a cooperative housing society. Peop<strong>le</strong> paid for that land and want to be ab<strong>le</strong> toconstruct their houses on it. But the government has been unab<strong>le</strong> to move the refugees’. It was not unti<strong>le</strong>arly 2001, however, that the government began to take steps to dislodge the refugees from the camp ».<strong>Voir</strong> aussi RELIEF WEB, “Pakistan: UNHCR – assisted Afghan repatriation drive kicks off”,www.reliefweb.int : « At the Kacha Ghari camp, […] UNHCR said refugees were under pressure fromthe Pakistani authorities to <strong>le</strong>ave so that a housing scheme could be built on the site of the camp ».272 Estimations communiquée par <strong>le</strong> HCR, Peshawar, décembre 2003.273 Chiffres cités par Zahid Anwar, « The socio-economic and politic thought process of the afghanrefugee in and around Peshawar », Journal of Area Study Center, Peshawar, Special issue onAfghanistan, 2001, p.151-153274 UNHCR, « Le point sur la situation humanitaire en Afghanistan », No. 31, 8 novembre 2001 : « 11nouveaux sites sont prêts à accueillir des réfugiés. Trois d’entre eux se trouvent au Baloutchistan et <strong>le</strong>shuit autres dans la Province frontière du Nord-Ouest. […] Les dizaines de milliers d’Afghans setrouvant dans <strong>le</strong> camp controversé de New Jelozai, près de Peshawar, […] peuvent à présent éga<strong>le</strong>mentêtre accueillis dans <strong>le</strong>s nouveaux sites, près de la frontière ». <strong>Voir</strong> aussi « 100 new camps to be set upfor DPs », Dawn, 25 September 2001: « The sources said the federal interior ministry had decided torestrict the new refugees to FATA and no camp would be set up in sett<strong>le</strong>d areas. This decision had beentaken in view of the internal security ».


172laisse supposer une volonté de l’Etat pakistanais d’utiliser l’exil afghan pourœuvrer au désenclavement de zones marginalisées et satisfaire tacitement auximpératifs politiques de contrô<strong>le</strong> et d’aménagement du territoire.Paradoxa<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong> déplacement forcé des réfugiés hors des vieux camps de lavil<strong>le</strong> tend à accroître la concentration d’Afghans installés à Peshawar. Lesfamil<strong>le</strong>s afghanes qui refusent l’une ou l’autre solution proposée tententd’échapper à la tutel<strong>le</strong> des autorités pakistanaises et rejoignent <strong>le</strong>s faubourgs dePeshawar où el<strong>le</strong>s espèrent accéder au marché de l’emploi 275 . El<strong>le</strong>s s’instal<strong>le</strong>nten vil<strong>le</strong>, dans de véritab<strong>le</strong>s enclaves afghanes 276 ou au sein de quartiersd’habitation peuplés à parts éga<strong>le</strong>s de famil<strong>le</strong>s afghanes et pakistanaises,renforçant ainsi <strong>le</strong>ur degré d’intégration à la société et à l’économie loca<strong>le</strong>s.L’intégration des Afghans au tissu urbain et économique de Peshawar est unedynamique bien enc<strong>le</strong>nchée, qui ne semb<strong>le</strong> guère affectée par la mise en œuvredu processus de rapatriement assisté par <strong>le</strong> HCR en mars 2002. Selon <strong>le</strong>sdernières statistiques du HCR, 54% des 342.945 réfugiés rapatriésvolontairement entre <strong>le</strong>s mois de janvier et novembre 2003 étaient installés enNWFP. De plus, 69% de la population tota<strong>le</strong> rapatriée durant cette période sontdes réfugiés situés hors des camps. Toujours selon ces statistiques, il apparaîtque parmi <strong>le</strong>s populations urbaines, <strong>le</strong>s personnes professionnel<strong>le</strong>mentqualifiées (ingénieurs, médecins, professeurs) ou possédant des propriétés enAfghanistan retournent en grande majorité dans <strong>le</strong>s centres urbains afghans,tandis que <strong>le</strong>s réfugiés non qualifiés se montrent peu enclins au retour (en dehorsdes gardes de sécurité, sans doute en raison de l'opportunité impulsée par laconcentration nouvel<strong>le</strong> des humanitaires à Kaboul ! 277 ). Ces données confortent<strong>le</strong>s observations récentes effectuées à Peshawar, où <strong>le</strong>s employés qualifiés desONG et des Organisations Internationa<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s professeurs des éco<strong>le</strong>s afghanes dela vil<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s riches famil<strong>le</strong>s d'Hayatabad forment l'essentiel des cas de retour.Dans <strong>le</strong> cas de Katcha Garhi, 35.573 personnes et 5.877 famil<strong>le</strong>s ont étéenregistrées au centre de rapatriement volontaire du HCR à Torkham 278 .Cependant, <strong>le</strong> HCR et <strong>le</strong>s habitants de la vil<strong>le</strong> constatent que de nombreusesfamil<strong>le</strong>s sont ensuite revenues à Peshawar. L’incertitude économique et politiquepersistante en Afghanistan paraît au contraire alimenter la volonté des exilésafghans de se fondre dans <strong>le</strong> paysage urbain et économique de Peshawar.ConclusionPeshawar est <strong>le</strong> théâtre de plusieurs afflux massifs de réfugiés afghans au coursdes années 1980 et jusqu’au début des années 2000. La répartition ethnicolinguistiquedes communautés réfugiées apparaît étroitement liée à <strong>le</strong>ur originerura<strong>le</strong> ou urbaine et au type d’activité exercée. Les camps gérés par <strong>le</strong> HCR sont275 USCR, artic<strong>le</strong> cité : « Some Nasir Bagh residents had begun to move to Peshawar rather than faceeviction ».276 UNHCR, « Pakistan gets tough with refugees », February 5, 2001 : « Not all the 2.5 millionAfghans in Pakistan live in refugee camps. Afghans have been allowed to work, buy property and startbusinesses or educational institutions. Several Afghan enclaves have emerged in the residential areas ofPeshawar over the years ».277 UNHCR, Volontary Repatriation, Statical Update. Statical overview of Afghan refugee returns fromPakistan 01 january 2003 to November 2003, Dubai, december 2003.278 UNHCH, Camp profi<strong>le</strong>. Katcha Garhi Camp, Peshawar 1 st October 2003


173majoritairement occupés par <strong>le</strong>s communautés pachtounes d’origine rura<strong>le</strong> quinécessitent un soutien humanitaire puisqu’el<strong>le</strong>s ne possèdent ni terre cultivab<strong>le</strong>au Pakistan ni savoirs-faire lucratifs sur <strong>le</strong> marché pakistanais. A l’inverse, <strong>le</strong>scommunautés non-agrico<strong>le</strong>s s’instal<strong>le</strong>nt plus aisément en zone urbaine où,malgré l’obstac<strong>le</strong> linguistique, el<strong>le</strong>s assurent <strong>le</strong>ur auto subsistance grâce à <strong>le</strong>urscompétences artisana<strong>le</strong>s ou commercia<strong>le</strong>s. Cependant, il est à noter qu’en dépitde <strong>le</strong>ur facilité d’intégration économique, <strong>le</strong>s communautés non-pachtounes sontparmi <strong>le</strong>s premières à rentrer en Afghanistan dès la chute du régime taliban.Plusieurs facteurs expliquent cette tendance : la brièveté de l’exil, <strong>le</strong>s difficultésd’intégration socia<strong>le</strong> en milieu pachtoune, la nostalgie de la société d’origine et<strong>le</strong>s pressions exercées par <strong>le</strong>s autorités pakistanaises. A l’inverse, <strong>le</strong>s populationspachtounes établies dans <strong>le</strong>s camps ne sont guère désireuses de quitter Peshawar,notamment du fait de la longévité de l’exil, de la proximité ethnique et descraintes de représail<strong>le</strong>s contre l’ethnie pachtoune associée aux Talibans. Lesexilés pachtounes souhaitent massivement demeurer à Peshawar, dans <strong>le</strong>s campséchappant aux destructions ou de façon clandestine en zone urbaine.L’organisation économique et spatia<strong>le</strong> de Peshawar est <strong>le</strong> ref<strong>le</strong>t de la présenceafghane dans la vil<strong>le</strong>. Les camps instaurés par <strong>le</strong> HCR dans <strong>le</strong>s faubourgs de lavil<strong>le</strong> sont progressivement intégrés à l’agglomération pakistanaise et s’inscriventdans la logique d’extension et transformation de la vil<strong>le</strong>. Certaines communautésréfugiées créent à l’intérieur de la vil<strong>le</strong> de véritab<strong>le</strong>s enclaves afghanes. D’autress’instal<strong>le</strong>nt dans des quartiers d’habitation pakistanais où l’habitat ne diffèreguère des maisons édifiées par <strong>le</strong>s réfugiés. Le matériau communément utiliséest la terre et l’architecture intérieure est régie par la préservation de l’intimitéfamilia<strong>le</strong> et du ‘purdah’ commun aux deux sociétés. Les réfugiés afghans sedistinguent par <strong>le</strong>ur esprit entreprenant et <strong>le</strong>ur facilité d’intégration au tissuéconomique et social de la vil<strong>le</strong>. Carrefour commercial depuis des sièc<strong>le</strong>s,Peshawar affirme son importance régiona<strong>le</strong> et devient <strong>le</strong> lieu privilégié de fluxcroisés entre <strong>le</strong> Pakistan et l’Afghanistan. En outre, pendant près de vingt ans, laprésence d’agences d’aide internationa<strong>le</strong> dans la vil<strong>le</strong> alimente <strong>le</strong> processus dedéveloppement économique à l’échel<strong>le</strong> de la province.L’incidence des communautés réfugiées sur l’économie et la société loca<strong>le</strong>s estcontroversée et diffici<strong>le</strong> à évaluer. L’exil afghan à Peshawar est caractéristiquepar son amp<strong>le</strong>ur et sa longévité et révè<strong>le</strong> une rare comp<strong>le</strong>xité liée àl’hétérogénéité des situations et des aspirations. La question afghane estlargement politisée et controversée au Pakistan. L’opinion publique tend àaccab<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s réfugiés afghans de tous <strong>le</strong>s maux de la société pakistanaise,notamment dans <strong>le</strong> domaine économique où la présence des travail<strong>le</strong>urs réfugiéssur <strong>le</strong> marché du travail est largement dénoncée. La contribution des réfugiésafghans au processus de développement local n’est pourtant pas négligeab<strong>le</strong>. LesAfghans constituent un peup<strong>le</strong> entreprenant et dynamique qui, à des fins d'autosubsistance, a su développer en exil des réseaux économiques et d’entraide,alimentant ainsi la dynamique de développement à l’échel<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong> et de laprovince. En outre, la présence de populations réfugiées est étroitement liée à lamise en œuvre de réseaux d’assistance internationa<strong>le</strong> qui suppose l’implantationd’équipements modernes et une consommation accrue de services haut degamme. L’établissement de camps de réfugiés dans la province frontalière de


174Peshawar aurait ainsi favorisé <strong>le</strong> désenclavement de zones marginalisées etalimenté l’objectif politique de contrô<strong>le</strong> et d’aménagement du territoire.L’intégration des Afghans au tissu économique et urbain de Peshawar estlargement amorcée et il paraît diffici<strong>le</strong> d’envisager l’évolution de la capita<strong>le</strong>pathane sans prise en considération de l’apport afghan. Les exilés afghans sontomniprésents dans la structuration économique et socia<strong>le</strong> de l’agglomération. Ilscontrô<strong>le</strong>nt plusieurs secteurs de l’économie loca<strong>le</strong> et ont joué un rô<strong>le</strong> nonnégligeab<strong>le</strong>dans l’établissement de modalités d’échanges transfrontaliers et interrégionaux. En outre, <strong>le</strong>ur présence physique a conditionné l’extensiongéographique de la vil<strong>le</strong>. S’il est fortement souhaité par <strong>le</strong>s autoritéspakistanaises, un retour massif des Afghans signifierait un bou<strong>le</strong>versementconsidérab<strong>le</strong> de l’organisation socio-spatia<strong>le</strong> de Peshawar. La délocalisationprécipitée des agences humanitaires vers Kaboul après la chute du régime talibanest révélatrice des conséquences désastreuses que pourrait avoir un rapatriementmassif et soudain des Afghans (baisse de la production loca<strong>le</strong>, affaissement depans entiers de l’économie…). En outre, la question du devenir des réfugiésafghans au Pakistan doit être envisagée au regard de l’avancée du processus dereconstruction en Afghanistan. En l’état actuel d’instabilité économique etpolitique, <strong>le</strong> rapatriement des exilés afghans semb<strong>le</strong> prématuré et incertain, cequi explique <strong>le</strong>s réticences des Afghans de Peshawar à quitter l’agglomérationpakistanaise. La présence afghane est devenue une donnée clé de l’organisationinterne et du positionnement régional de Peshawar et il est à supposer que <strong>le</strong>devenir de la capita<strong>le</strong> pathane demeure étroitement lié à l’évolution de laquestion afghane.


1755LA PRESENCE DES REFUGIES FUYANT LA GUERRE ETDES OSI EN GUINEE FORESTIERE : A L’ORIGINE DEMUTATIONS DU RESEAU ET DES ESPACES URBAINSLe changementLa mobilité constitue un facteur de compréhension des phénomènesd’urbanisation observab<strong>le</strong>s en Afrique de l’Ouest. Dynamiques de déplacementsprotéiformes, <strong>le</strong>s migrations induisent nécessairement des transformations dans<strong>le</strong>s processus d’urbanisation. Cel<strong>le</strong>s-ci sont diffici<strong>le</strong>s à quantifier, car <strong>le</strong>smigrations sont de plusieurs types, allant du déplacement journalier sur unmarché à l’installation complète du migrant en zone urbaine. Il s’agit aussi,comme nous l’allons voir, de mobilités contraintes par la guerre : en ce cas, lamigration prend forme de fuite, il ne s’agit pas vraiment d’un choix mais d’unenécessité, d’une stratégie de survie. Dans ce cas, <strong>le</strong> départ est rarement anticipéet <strong>le</strong>s perspectives sont à court terme. Quoiqu’il en soit, ce type de migrationinduit des transformations, des réactions qui contribuent à faire évoluer <strong>le</strong> tissusocial et urbain de la zone d’accueil, d’autant plus que <strong>le</strong>s migrants n’arriventpas seuls : un cortège d’institutions internationa<strong>le</strong>s et d’ONG, guidées par <strong>le</strong>HCR, accompagnent et facilitent <strong>le</strong>ur installation. Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s déplacementsne se limitent pas à un flux quantitatif, s’ajoutant à la croissance urbainenaturel<strong>le</strong> : ils sont aussi porteurs de transformations socia<strong>le</strong>s et économiques quidirectement ou indirectement modifient <strong>le</strong> tissu urbain.


176La vil<strong>le</strong> de Kissidougou, environ 90 000 habitants, située à une centaine dekilomètres au Nord de la frontière du Libéria, en Guinée forestière, fait facedepuis plus une dizaine d’années à des flux migratoires importants et d’originesdiverses. Ceux-ci transforment non seu<strong>le</strong>ment sa structure urbaine mais aussi sesrelations économiques avec son hinterland (zone rura<strong>le</strong> parsemée de petitsvillages à vocation agrico<strong>le</strong>), et avec <strong>le</strong> réseau de vil<strong>le</strong>s moyennes au sein duque<strong>le</strong>l<strong>le</strong> trouve sa place. Même sa dimension nationa<strong>le</strong>, exprimée par des échangesavec la capita<strong>le</strong>, Conakry, se trouve bou<strong>le</strong>versée suite à une série de phénomènesmigratoires que nous allons détail<strong>le</strong>r.Les migrations d’origine rura<strong>le</strong>Tout d’abord, Kissidougou est une vil<strong>le</strong> moyenne qui fonctionne en étroiterelation avec son hinterland. En effet, si on trouve dans la zone urbaine uneagriculture vivrière développée (nombreuses cultures de bas-fonds - riz puismaraîchage-), l’essentiel de l’activité agrico<strong>le</strong> se fait dans <strong>le</strong>s campagnesavoisinantes. Les petits marchés des villages servent de relais pour des grossistesqui viennent vendre <strong>le</strong>s productions sur <strong>le</strong> marché de Kissidougou. La vil<strong>le</strong> enrevanche échange divers produits manufacturés ainsi que des denrées venuesd’autres vil<strong>le</strong>s voire d’autres pays. Le commerce n’est pas la seu<strong>le</strong> opportunitéofferte par <strong>le</strong> milieu urbain ; <strong>le</strong>s villageois des a<strong>le</strong>ntours viennent éga<strong>le</strong>mentchercher un niveau de services auquel ils n’ont pas accès à la campagne : éco<strong>le</strong>s,hôpital, etc. La vil<strong>le</strong> de Kissidougou polarise une majorité des flux, nonseu<strong>le</strong>ment de personnes mais de biens. On trouve une culture villageoise forte,au sein même de la vil<strong>le</strong>, et ceci en raison des nombreux migrants rurauxinstallés en vil<strong>le</strong> ou simp<strong>le</strong>ment de passage.Les migrations de déplacésA l’hiver 2000, la frontière Sud de la Guinée est secouée par des attaquesperpétrées par des bandes rebel<strong>le</strong>s du R.U.F. 279 , venues de la Sierra Leone etsoutenues par Char<strong>le</strong>s Taylor, <strong>le</strong> président du Libéria. Cel<strong>le</strong>s-ci ont traversé lafrontière et pris la vil<strong>le</strong> de Guéckédou, qui sera bombardée par <strong>le</strong>s forcesguinéennes afin de déloger <strong>le</strong>s rebel<strong>le</strong>s. Des milliers de personnes quittent alorsla vil<strong>le</strong>, et <strong>le</strong> HCR évacue <strong>le</strong>s multip<strong>le</strong>s camps de la Languette (langue de terreguinéenne s’aventurant en territoire sierra <strong>le</strong>onais, ainsi nommée en raison de saforme). Les réfugiés sont réinstallés dans trois nouveaux camps ouverts début2001 : Kountaya, Télikoro et Boréah. Ils sont situés dans la région d’Albadaria,à 70 km au Nord de Kissidougou. Cependant, <strong>le</strong>s IDP (Internal DisplacedPersons), Guinéens de la région de Guéckédou, ne peuvent être acceptés dans <strong>le</strong>scamps, eu égard à <strong>le</strong>ur statut de déplacés, et ceci bien qu’ils aient fui dans descirconstances analogues aux réfugiés. Ceux-là sont donc accueillis par <strong>le</strong>spopulations loca<strong>le</strong>s de Kissidougou, de façon tout à fait informel<strong>le</strong>. Lacommunauté d’ethnie et de langue, ainsi que souvent des liens de parenté, ontgrandement facilité l’intégration de ces populations en vil<strong>le</strong>. El<strong>le</strong>s représententplusieurs milliers de personnes, soit une hausse démographique d’environ 20 %.Pour la plupart, <strong>le</strong>s déplacés se sont installés chez l’habitant, souventgratuitement dans un premier temps. Aujourd’hui, même si la majorité desfamil<strong>le</strong>s sont retournées, de nombreux déplacés vivent encore à Kissidougou.L’arrivée des réfugiés279 Front Révolutionnaire Uni (rebel<strong>le</strong>s opposés au gouvernement).


177Les réfugiés sont arrivés dans la Languette par vagues successives, depuis 1990,date des premiers conflits en Sierra Leone. Dans un premier temps installés dansdes villages guinéens de la zone frontalière, ils sont ensuite pris en charge par <strong>le</strong>HCR qui ouvre de nombreux petits camps dans la région. Après <strong>le</strong>s attaques deGuéckédou, <strong>le</strong>s réfugiés sont relocalisés dans <strong>le</strong>s camps d’Albadaria. Toutefois,certains d’entre eux qui vivaient dans la vil<strong>le</strong> de Guéckédou ont rejointKissidougou avec <strong>le</strong>urs famil<strong>le</strong>s d’accueil, constituant ainsi, avec d’autresréfugiés ne désirant pas s’instal<strong>le</strong>r au sein des camps, la masse des « réfugiésurbains ». Les autorités loca<strong>le</strong>s de la vil<strong>le</strong> ainsi que <strong>le</strong> HCR tentent de <strong>le</strong>s chasserpour <strong>le</strong>s renvoyer dans <strong>le</strong>s camps, car <strong>le</strong>ur présence en vil<strong>le</strong> est illéga<strong>le</strong>. Cettedémarche <strong>le</strong>ur est diffici<strong>le</strong> dans la mesure où il n’est pas toujours évident detrouver <strong>le</strong>s réfugiés urbains, ni de <strong>le</strong>s identifier ; ils se fondent dans la populationloca<strong>le</strong> et souvent sont hébergés par el<strong>le</strong> de façon très officieuse.Kissidougou polarise donc trois types de flux migratoires ; <strong>le</strong> premier que nousavons identifié est marginal par <strong>rapport</strong> aux flux de déplacés et de réfugiés, etsurtout, il s’agit, contrairement aux deux autres contraints par la guerre, dedéplacements de proximité, indispensab<strong>le</strong>s au fonctionnement normal de la vil<strong>le</strong>qui est étroitement liée à sa région agrico<strong>le</strong> : cel<strong>le</strong>-ci apporte la majorité desdenrées consommées à Kissidougou (riz, gombo, tubercu<strong>le</strong>s…) et reçoit deKissidougou des produits manufacturés en provenance de Conakry.Ceci permet de comprendre combien la vil<strong>le</strong> peut être affectée de manièresvariées par des migrations de diverses natures. A un fonctionnement qu’onpourrait qualifier de « normal », on opposera un fonctionnement déséquilibré,comp<strong>le</strong>xifié, engendré par une situation de crise. La transformation du contextequotidien suppose pour <strong>le</strong>s populations loca<strong>le</strong>s une démultiplication desstratégies d’adaptation. El<strong>le</strong>s se trouvent face à une situation en constanteévolution depuis dix ans, depuis l’arrivée des réfugiés en Guinée, mais c’estsurtout depuis trois ans, c’est-à-dire depuis l’ouverture des camps d’Albadaria,que <strong>le</strong> degré d’implication de ceux-ci dans la vie quotidienne des Guinéens aprogressé, modifiant drastiquement <strong>le</strong> paysage socio-économique et culturel dela zone, comme nous allons <strong>le</strong> voir ci dessous.Les flux migratoires se trouvent donc être non seu<strong>le</strong>ment une composanteessentiel<strong>le</strong> du système urbain, dont l’équilibre s’appuie sur un ensemb<strong>le</strong>d’échanges centre urbain / hinterland, mais ils sont éga<strong>le</strong>ment au cœur duprocessus de transformations urbaines, c’est à dire source de déséquilibresauxquels la population doit faire face.Il est important de bien identifier <strong>le</strong>s différents acteurs des transformationsurbaines : ceux-ci appartiennent à trois populations distinctes : <strong>le</strong>s déplacés, quisont Guinéens, <strong>le</strong>s réfugiés, Sierra Leonais ou Libériens, et <strong>le</strong> personnelhumanitaire, dont <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> prépondérant est accentué par une disponibilité demoyens financiers et matériels inégalée dans la zone.Toutes ces personnes fonctionnent en interrelation et font partie d’un ensemb<strong>le</strong>systémique qui se met en place dès <strong>le</strong> déc<strong>le</strong>nchement de la crise. Toutefois, el<strong>le</strong>sjouent des rô<strong>le</strong>s de nature et d’intensité différentes dans <strong>le</strong> nouvel équilibre quise crée à l’intérieur de la zone de Kissidougou : <strong>le</strong>s déplacés sont porteurs detransformations liées principa<strong>le</strong>ment à <strong>le</strong>ur nombre, et aux difficultés afférentes :


178manque de nourriture, manque de place dans des logements déjà exigus… tandisque <strong>le</strong>s réfugiés sont à l’origine de transformations socio-culturel<strong>le</strong>s plustangib<strong>le</strong>s comme l’importation de nouvel<strong>le</strong>s techniques agrico<strong>le</strong>s, d’autant plusque l’assistance fournie par <strong>le</strong>s ONG et <strong>le</strong> HCR contribue au développement de<strong>le</strong>urs activités. Enfin, <strong>le</strong> personnel humanitaire injecte des fonds importants quiaméliorent notamment <strong>le</strong> niveau d’équipement en infrastructure (création debâtiments dans <strong>le</strong>s camps et forages dans et autour des camps) et <strong>le</strong> paysageéconomique (par <strong>le</strong> biais de nombreuses créations d’emplois qui dynamisentl’économie loca<strong>le</strong>).L’afflux de population suppose l’arrivée concomitante de nouveaux flux debiens, auxquels <strong>le</strong>s ONG ne sont pas étrangères. Mais ces flux ne sont passeu<strong>le</strong>ment plus importants quantitativement ou plus diversifiés ; ils sont orientésdifféremment. En effet, <strong>le</strong>s camps de réfugiés de la région, comptant environ 40000 personnes, constituent un réel pô<strong>le</strong> commercial pourvu d’un grand potentiel,puisque régulièrement approvisionné par <strong>le</strong> PAM. Naturel<strong>le</strong>ment, l’émergencede nouveaux marchés bou<strong>le</strong>verse l’équilibre de la zone autrefois régulé par deséchanges majoritairement régionaux. L’aide alimentaire fournie par <strong>le</strong> PAM 280est vendue ou échangée contre des produits locaux ou des produitsmanufacturés : cet afflux de biens venus de l’extérieur et distribués gratuitementaux réfugiés, ajouté à la forte concentration de population dans <strong>le</strong>s camps,favorise la polarisation de l’économie régiona<strong>le</strong> par <strong>le</strong>s marchés des réfugiésdans la zone d’Albadaria, souvent au détriment de petits marchés locaux.Afin d’analyser <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s transformations qui affectent la région, et dedéterminer l’impact de la présence des nouvel<strong>le</strong>s populations (déplacés, réfugiés,humanitaires), nous adopterons une démarche géographique : à différentsniveaux, nous essayerons de démê<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s rô<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s implications de chacun desacteurs. L’analyse partira d’un niveau macro-géographique pour atteindre <strong>le</strong>micro-local : l’échel<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong>. Dans un premier temps, nous analyserons <strong>le</strong>stransformations de l’économie régiona<strong>le</strong>, ou comment la vil<strong>le</strong> de Kissidougous’articu<strong>le</strong> avec l’ensemb<strong>le</strong> de la région, tenant compte aussi des flux nationauxvoire internationaux. Ensuite, une analyse plus fine permettra de percevoir <strong>le</strong>niveau de transformation lié aux nouvel<strong>le</strong>s populations à l’échel<strong>le</strong> de la régionde Kissidougou, dans une perspective mettant en exergue <strong>le</strong>s échanges setramant entre la vil<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s camps. Enfin, la vil<strong>le</strong> même est <strong>le</strong> théâtre dechangements culturels, sociaux et économiques qui feront l’objet du troisièmevo<strong>le</strong>t de cet exposé.Eléments de contexteLa Guinée fait partie des 20 pays <strong>le</strong>s moins avancés au monde. El<strong>le</strong> est en effetclassée 157 ème sur 175 pays selon <strong>le</strong>s derniers indicateurs de développementhumain re<strong>le</strong>vés pour la plupart en 2001 281 .La Guinée Forestière, qui s’étend au Sud-Est du pays, couvre 20 % du territoirenational. Sa population est d’environ 1 600 000 habitants. El<strong>le</strong> se trouve dans280 Programme Alimentaire Mondial.281 Rapport de Développement Humain, 2003, PNUD.


179une zone de turbu<strong>le</strong>nce géopolitique de par ses frontières immédiates. En effet,el<strong>le</strong> est limitée à l’Est par la Côte d’Ivoire et au Sud par la Sierra Leone et <strong>le</strong>Liberia, dont el<strong>le</strong> abrite depuis des années la rébellion anti-Taylor 282 . Le conflita cristallisé <strong>le</strong>s frontières des Etats pour la population de cette région et desrégions limitrophes, et la Guinée Forestière, de « région oubliée » qu’el<strong>le</strong> était,est devenue centre de l’attention du pouvoir guinéen. Bien qu’appartenant à unpays maritime, el<strong>le</strong> n’a aucun accès à la mer. De nombreux f<strong>le</strong>uves l’irriguent,dont la fameuse rivière Mano qui a donné son nom à l’Union des pays du F<strong>le</strong>uveMano (Mano River Union), association économique des trois pays voisins(Guinée, Sierra Leone, Liberia), signée en 1974, mais qui n’a jamais eu deréalité autre que théorique, étant donnés <strong>le</strong>s conflits qui ont rapidementenflammé la région.La Guinée Forestière est une région de massifs é<strong>le</strong>vés, aux versants abrupts, àcôté desquels se trouvent des plateaux et des plaines, des bas-fonds et des valléesinondab<strong>le</strong>s. Il y règne un climat tropical humide, voire équatorial, caractérisé parde fortes cha<strong>le</strong>urs, des pluies abondantes, et des saisons peu marquées. Lavégétation y est très abondante et la forêt recouvre une bonne partie de la région.Cette générosité de la nature en a fait <strong>le</strong> grenier de toute la Guinée. L’agricultureest la première activité de la région qui développe à la fois des cultures vivrières(riz, manioc, plantains, patates douces, arachides et maïs) et des culturesd’exportation (palmiers à hui<strong>le</strong>, bananes, café, cacao, ananas). Toutefois, <strong>le</strong>ssurfaces cultivées par famil<strong>le</strong> sont assez faib<strong>le</strong>s : 2 ha environ pour <strong>le</strong>s culturesvivrières et <strong>le</strong>s plantations 283 . Dans certains cas, la surface cultivée augmentejusqu’à 5 ha avec l’utilisation de la culture attelée. Les revenus tirés des culturesde rente sont souvent faib<strong>le</strong>s, et l’auto-production vivrière couvre seu<strong>le</strong>ment 78% de besoins énergétiques, soit 1.647 kcal/hab/jour 284 .Les ethnies d’origine proprement forestière 285 sont <strong>le</strong>s Kissis (qui ont donné <strong>le</strong>nom à la vil<strong>le</strong> de Kissidougou), <strong>le</strong>s Tomas et <strong>le</strong>s Guerzés, toutes issues de laSierra Leone et du Liberia, ce qui facilite l’intégration et l’accueil des réfugiés,qui retrouvent en Guinée Forestière des membres de <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong>. Mais on ytrouve aussi <strong>le</strong>s autres ethnies principa<strong>le</strong>s du pays : <strong>le</strong>s Peuls 286 du Fouta Djalonet <strong>le</strong>s Malinkés 287 de Haute Guinée. Au milieu de tant de diversités, la languefrançaise, langue officiel<strong>le</strong>, est un facteur d’unité. Mais <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong> point derassemb<strong>le</strong>ment de la population est surtout l’islam, pratiqué par 85% de lapopulation 288 . Néanmoins, c’est en Guinée Forestière qu’on trouve <strong>le</strong>s plusgrandes populations chrétiennes (5 % de la population), <strong>le</strong>s Kissis, <strong>le</strong>s Tomas et282 L’ULIMO (United Liberation Movement for Democracy in Liberia) puis <strong>le</strong> LURD (Libériens Unispour la Réconciliation et la Démocratie). Une de <strong>le</strong>urs principa<strong>le</strong>s arrières-bases est située à Macenta,vil<strong>le</strong> quadrillée en permanence par <strong>le</strong>s militaires et qui vit au rythme des épisodes guerriers du Liberia,puisque <strong>le</strong>s rebel<strong>le</strong>s anti-Taylor viennent régulièrement s’y reposer et s’y fournir en vivres et enmatériel.283 Formulation d’une stratégie d’autosuffisance dans et aux a<strong>le</strong>ntours des camps de réfugiés enGuinée, G. Jay, Rapport FAO, juin 2003.284 Chiffres établis par la FAO.285 Ils forment 18 % de la population tota<strong>le</strong>, et restent minoritaires au niveau du pays, <strong>le</strong>s véritab<strong>le</strong>sethnies qui influent sur la vie du pays étant <strong>le</strong>s Malinkés (l’ancien dictateur Sékou Touré appartenait àcette ethnie, répandue dans toute la sous-région), <strong>le</strong>s Peuls (cette ethnie d’origine nomade et pastora<strong>le</strong>tient une bonne partie du commerce) et <strong>le</strong>s Sousous (l’ethnie côtière dont est issue Lansana Conté,l’actuel président depuis 1984).286 Les Peuls constituent 30 % de la population tota<strong>le</strong>.287 Les Malinkés forment 34 % de la population guinéenne.288 AMBASSADE DE FRANCE EN GUINEE, Mission économique de Conakry, Conakry, mai 2002.


180<strong>le</strong>s Guerzés ayant à la fois résisté à l’islam et accueilli très favorab<strong>le</strong>mentl’évangélisation.Arrivée des réfugiésLa Guinée accueil<strong>le</strong> des réfugiés depuis 1990, principa<strong>le</strong>ment dans la régionseptentriona<strong>le</strong> du pays : de par sa situation géographique, el<strong>le</strong> subit de p<strong>le</strong>infouet <strong>le</strong>s conséquences des troub<strong>le</strong>s géopolitiques des pays voisins, la SierraLeone et <strong>le</strong> Libéria.Au Sud, <strong>le</strong> Libéria a été en proie à une guerre civi<strong>le</strong> qui a fait des ravages de1989 à 2003. Une pause a eu lieu en 1997, date à laquel<strong>le</strong> Char<strong>le</strong>s Taylorremporte <strong>le</strong>s é<strong>le</strong>ctions présidentiel<strong>le</strong>s. Les conflits reprennent en 1999, lorsqueémerge <strong>le</strong> LURD 289 , groupement rebel<strong>le</strong> qui s’oppose au pouvoir en place. En2003, <strong>le</strong>s rebel<strong>le</strong>s gagnent du terrain, jusqu’à conquérir <strong>le</strong>s 4/5 e du territoire etcontraindre Char<strong>le</strong>s Taylor à un cessez-<strong>le</strong>-feu. Le 11 août 2003, celui-ci quitte <strong>le</strong>pouvoir, une semaine après <strong>le</strong> déploiement d’une force de maintien de la paixinternationa<strong>le</strong> (l’ECOMIL), soutenue par la logistique américaine et <strong>le</strong>s NationsUnies. Depuis <strong>le</strong> 14 octobre 2003, <strong>le</strong> nouveau président du Libéria est GyudeBryant. La guerre a fait plus de 250 000 morts, contraint des centaines demilliers de Libériens à l’exode ou à l’exil, et a laissé <strong>le</strong> pays en ruines.Au Sud Ouest, la guerre en Sierra Leone a duré de 1991 à 2001, entre <strong>le</strong> camprebel<strong>le</strong> du RUF, dirigé par Foday Sankoh, et soutenu par Char<strong>le</strong>s Taylor, et <strong>le</strong>slégitimistes autour du président Ahmad Tejan Kabbah. Derrière cette rivalitépolitique se trament des conflits d’intérêt entre deux réseaux rivaux soutenus pardes hommes d’affaire : <strong>le</strong>s ressources minières représentent des enjeuxstratégiques et économiques capitaux. Le choc brutal de ces deux alliancesriva<strong>le</strong>s a brisé tout espoir de paix pendant des années. C’est la prise deconscience que l’enjeu était bel et bien de tail<strong>le</strong> (un milliard de dollars annuelsde joyaux en vente dans <strong>le</strong>s bijouteries, <strong>le</strong> deuxième gisement de ruti<strong>le</strong> aumonde, et d’immenses dépôts de bauxite) qui a conduit la Grande Bretagne àintervenir en mai 2000 pour soutenir l’état de Sierra Leone. Le bilan de cetteguerre est particulièrement lourd : 75 000 morts, un demi million de réfugiés auLibéria et en Guinée, et plus de deux millions de personnes déplacées, soit 44 %de la population tota<strong>le</strong> 290 , sans compter <strong>le</strong>s milliers de mutilés et d’enfantsenrôlés comme soldats.Au plus fort de la crise, la population réfugiée en Guinée a dépassé <strong>le</strong> demimillion de personnes. Actuel<strong>le</strong>ment, on compte environ 100 000 personnes dans<strong>le</strong>s différents camps de Guinée forestière et la majorité est de nationalitélibérienne. En effet, depuis octobre 2001, <strong>le</strong> HCR procède à des rapatriementsvolontaires de réfugiés sierra <strong>le</strong>onais vers <strong>le</strong>ur pays d’origine.Les premiers réfugiés libériens arrivent en Guinée forestière et s’instal<strong>le</strong>ntspontanément dans <strong>le</strong>s très nombreux villages qui bordent la frontière avec <strong>le</strong>Libéria. Les premières zones d’installations centra<strong>le</strong>s du HCR sont N’Zérékoré289 Libériens Unis pour la Réconciliation et la Démocratie.290 Population tota<strong>le</strong> en décembre 2002 : 5 426 618 habitants.


181et Macenta. Rappelons qu’avant <strong>le</strong> début de la guerre, la frontière est un lieu depassage et d’échange quotidien, d’autant plus qu’el<strong>le</strong> n’est alors pas réel<strong>le</strong>mentmatérialisée ; <strong>le</strong> découpage territorial s’étant fait sans tenir compte de ladispersion des différentes ethnies, la frontière en temps de paix ne recouvrequ’une réalité administrative, el<strong>le</strong> est donc très perméab<strong>le</strong>. C’est <strong>le</strong> début duconflit qui la rend « palpab<strong>le</strong> ».Le même phénomène d’installation dans <strong>le</strong>s villages frontaliers se développeavec <strong>le</strong>s réfugiés sierra <strong>le</strong>onais, plus à l’Ouest, dans ce qu’on appel<strong>le</strong> lalanguette, ou <strong>le</strong> bec de perroquet. C’est dans cette région, à Guéckédou, ques’imposera <strong>le</strong> principal pô<strong>le</strong> d’intervention humanitaire, en raison de sonpositionnement central à la croisée des frontières <strong>le</strong>onaises et libériennes.Face à l’afflux de réfugiés toujours plus nombreux 291 , que <strong>le</strong>s villages guinéensne parviennent plus à intégrer, <strong>le</strong> HCR décide d’ouvrir de nombreux petitscamps tout <strong>le</strong> long de la frontière.Mais à partir de septembre 2000, la Guinée forestière essuie une série d’attaquesdes forces gouvernementa<strong>le</strong>s de Char<strong>le</strong>s Taylor appuyées par <strong>le</strong>s rebel<strong>le</strong>s sierra<strong>le</strong>onais du RUF. Ces derniers attaquent <strong>le</strong>s camps de réfugiés et <strong>le</strong>s villagesguinéens <strong>le</strong> long de la frontière. Des dizaines de milliers de civils fuient alors <strong>le</strong>scombats, tout comme <strong>le</strong>s réfugiés qui voient <strong>le</strong>urs camps incendiés ou dévastés.Les attaques remontent <strong>le</strong> long de la languette et finissent par atteindre <strong>le</strong> cœurde Guéckédou qui se trouve en proie à un chaos si vio<strong>le</strong>nt en janvier 2001 quel’armée guinéenne décide de la bombarder sans répit pendant 10 jours pour enexpulser tous <strong>le</strong>s assaillants. Guéckédou, 97 000 habitants avant la guerre, n’estplus qu’un amas de ruines. Les agences d’aide ont évacué la zone de conflit,laissant <strong>le</strong>s réfugiés de cette zone sans aide ni assistance pendant plusieurs mois.Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s réfugiés sont accusés par la population guinéenne de collaboreravec <strong>le</strong>s rebel<strong>le</strong>s, suspicions encouragées par deux déclarations du PrésidentLansana Conté désignant <strong>le</strong>s réfugiés comme fauteurs de guerre. Les réactionsne se font pas attendre : brimades, harcè<strong>le</strong>ments… Il devient donc urgent pour <strong>le</strong>HCR d’identifier des sites situés à bonne distance de la frontière et des vil<strong>le</strong>spour instal<strong>le</strong>r de nouveaux camps. Ces attaques depuis <strong>le</strong> Liberia et la SierraLeone ont mis en évidence que <strong>le</strong>s camps de réfugiés doivent impérativement setrouver géographiquement distants des zones frontalières et des vil<strong>le</strong>s, cib<strong>le</strong>sprivilégiées des attaques et pillages des rebel<strong>le</strong>s. Mais <strong>le</strong> HCR ne décide passeul, car <strong>le</strong> gouvernement guinéen, qui a vacillé pendant ces heures de conflit etpris peur des réfugiés devenus boucs émissaires, pèsera de tout son poids dans<strong>le</strong>s décisions concernant <strong>le</strong> choix des nouveaux sites des camps de réfugiés. Legouvernement souhaite désormais contrô<strong>le</strong>r étroitement cette populationsuspecte et la meil<strong>le</strong>ure solution n’est pas la dispersion des camps, mais <strong>le</strong>urconcentration. Le choix du HCR d’établir des camps de grande tail<strong>le</strong> hébergeantune population nombreuse n’est pas étranger à ce souhait.C’est ainsi que <strong>le</strong> gouvernement met à disposition du HCR une zone située àplus de 70 km au Nord, dans la sous-préfecture d’Albadaria, dépendant de lapréfecture de Kissidougou. Sur cette zone sont ouverts trois camps entre févrieret avril 2001 : Kountaya, Télikoro et Boréah, destinés à accueillir toute la291 En 1989, la Guinée ne comptait aucun réfugié sur son territoire. En 1990, el<strong>le</strong> en accueil<strong>le</strong>ra325 000, 548 000 en 1991, 663 900 en 1996.


182population réfugiée présente jusque là dans la languette. Ces camps remplissenttous <strong>le</strong>s nouveaux critères répondant à la fois aux souhaits du HCR et desautorités guinéennes : éloignement des frontières et des vil<strong>le</strong>s, grande tail<strong>le</strong>,concentration de population.Ces camps ont compté jusqu’à plus de 60 000 personnes, avant <strong>le</strong> début desopérations de rapatriement volontaire, en octobre 2001. A la mi mai 2003, onrecensait <strong>le</strong>s chiffres suivants (HCR) :Boréah : environ 8 000 personnesKountaya : environ 15 800 personnesTélikoro : environ 9 800 personnesSur <strong>le</strong>s trois camps d’Albadariah, <strong>le</strong> HCR coordonne l'action des nombreusesONG : l'organisation de l'hébergement, <strong>le</strong> ravitail<strong>le</strong>ment en nourriture et en eau,la mise en place d'installations sanitaires et de soins médicaux, l’éducation, etc.Ainsi, l'assistance fournie par <strong>le</strong>s OSI s'exprime à travers <strong>le</strong>s programmes et <strong>le</strong>sprojets suivants qui couvrent <strong>le</strong>s besoins essentiels des Sierra Leonais etlibériens présents :abris et infrastructures (GTZ, Croix Rouge et Croissant Rouge)distribution alimentaire (PAM, Première Urgence, ACH 292 )eau et assainissement (ACH, MSF 293 )santé et nutrition (ARC 294 , MSF, Croix Rouge et Croissant Rouge)éducation (IRC, ERM 295 )environnement (CECI 296 )activités génératrices de revenus dites « AGR » (ACH, ARC)Les activités de ces ONG sont visib<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> paysage du camp à travers <strong>le</strong> bâtiet <strong>le</strong>s infrastructures des camps : éco<strong>le</strong>s (la plupart des enfants sont scolarisés) etcentres de formation professionnel<strong>le</strong>, centres de santé, installations de fournitureen eau, lieux communautaires (marchés), etc.Pour avoir une idée de l’impact de ces infrastructures sur la vie quotidienne desréfugiés, il est important de souligner que ces activités d’assistance couvrent <strong>le</strong>sbesoins de la population présente de manière bien supérieure à la moyenneguinéenne, proche de ce qu’on peut trouver en Sierra Leone et au Liberia, tousdeux dévastés par dix ans de guerre (cf. infra).292 Accion Contra el Hambre (Action Contre la Faim, branche Espagne)293 Médecins Sans Frontières, section Belgique294 American Refugee Committee295 Enfants Réfugiés du Monde.296 Centre canadien d'Etude et de Coopération Internationa<strong>le</strong>s


183Indicateurs Taux des camps Moyenne guinéenne 297Accès à l’eau potab<strong>le</strong> 100% 298 49%Accès aux services de santé 100% 45%Accès à l’assainissement 100% 299 19%Taux d’alphabétisation 61% 42 %Taux de scolarisation 59% 42% 300Situation alimentaire 2.400 kcal/jour 301 1.647 kcal/jour 302Ces quelques indicateurs mettent en évidence que <strong>le</strong> niveau de services etd’infrastructures dont bénéficient <strong>le</strong>s réfugiés dans <strong>le</strong>s camps d’Albadariah estnettement supérieur à ce qui existe pour la population guinéenne loca<strong>le</strong>. Cecontexte d’inégalité est favorab<strong>le</strong> à la naissance de jalousie, de frustrations et desentiment d’injustice, qui explique en partie que <strong>le</strong>s Guinéens aient été prompts àharce<strong>le</strong>r et agresser <strong>le</strong>s réfugiés lorsque <strong>le</strong> président Lansana Conté <strong>le</strong>s aassimilés aux rebel<strong>le</strong>s.A l’ouverture des camps, la plupart des réfugiés venaient de Sierra Leone, maisavec la mise en place du plan de rapatriement volontaire, la populationlibérienne est majoritaire depuis mai 2003. Au 17 novembre 2003, 66 000 SierraLeonais 303 avaient été rapatriés. Fin octobre 2003, on estime <strong>le</strong> nombre deréfugiés dans <strong>le</strong>s camps de Guinée à 107 500, (33.000 dans <strong>le</strong>s seuls campsd’Albadaria) dont 85 000 Libériens 304 (18.000 dans <strong>le</strong>s camps d’Albadaria).297 OCHA, « Plan Commun d’Action Humanitaire Cap 2003, Guinée », Bureau de la Coordination desAffaires Humanitaires des Nations Unies, New York et Genève, novembre 2002, p.1298 La norme appliquée en situation stab<strong>le</strong> est que tous <strong>le</strong>s réfugiés se trouvent partout dans <strong>le</strong> camp àmoins de 50 mètres (500 mètres en situation d’urgence) d’un point d’eau potab<strong>le</strong> d’excel<strong>le</strong>nte qualité.(source ACH Guinée). En comparaison, un Guinéen doit parfois marcher des kilomètres pour al<strong>le</strong>rchercher de l’eau, pas forcément potab<strong>le</strong>. De même, en situation stab<strong>le</strong>, la norme appliquée est defournir entre 30 et 60 litres d’eau potab<strong>le</strong> par jour et par personne (15 litres en situation d’urgence), cequi correspond environ à l’existence d’une pompe à main pour 250 personnes et d’un robinet pour 150personnes. Ces pompes à main ou immergées sont alimentées par des forages très profonds (faci<strong>le</strong>ment60 mètres de profondeur), dont la qualité de l’eau pompée est vérifiée chaque jour par des analyses, destests de chlorage, etc. Or, dans de nombreux villages guinéens, on dispose à peine d’un puits de qualitévariab<strong>le</strong> (source : ACH Kissidougou, service eau et assainissement).299 Les normes appliquées dans <strong>le</strong>s camps impliquent qu’il existe une latrine familia<strong>le</strong> régulièremententretenue et en bon état pour chaque famil<strong>le</strong> et une latrine communautaire pour 50 personnes. L’accèsaux latrines est lui aussi normalisé : el<strong>le</strong>s se trouvent à 50 mètres minimum du point d’eau <strong>le</strong> plus prèset à 50 mètres minimum de la maison (source ACH Guinée d’après normes UNHCR et projet SPHERE- www.sphereproject.org-).300 Le taux de scolarisation dans l'enseignement primaire est de 49% pour <strong>le</strong>s garçons et 36% pour <strong>le</strong>sfil<strong>le</strong>s. A noter que 16 à 23% des enfants de 6 à 18 ans travail<strong>le</strong>nt. De plus, <strong>le</strong> ratio des élèves par classese situe entre 60 et 67, atteignant parfois 97 élèves par classe, comme dans <strong>le</strong>s zones de GuinéeForestière, directement affectées par <strong>le</strong> conflit. OCHA, « Plan Commun d’Action Humanitaire Cap2003, Guinée », Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies, New York etGenève, novembre 2002, p. 2301 Le CICR annonce 2.400 kilocalories par personne et par jour (THE SPHERE PROJECT, Chartehumanitaire et normes minima<strong>le</strong>s à respecter lors des interventions en cas de catastrophe, OxfamPublishing, Oxford, 2000) et <strong>le</strong> PAM se base sur 2.100 kilocalories (WFP/UNHCR, JointWFP/UNHCR Guidelines for Estimating Food and Nutritional Needs in Emergencies. WFP/UNHCR.Rome/Gèneve, décembre 1997.302 Selon l’étude «Diagnostic de la situation alimentaire et nutritionnel<strong>le</strong> », février 2003, Ministère del’Agriculture et de la Pêche. Plus de 30 % de la population est sous-alimentée en 1998 – 2000. (Rapportde Développement Humain 2003, PNUD.)303 Chiffre cité par l’AFP <strong>le</strong> 17 novembre 2003.304 Chiffres cités par RI (Refugee International) <strong>le</strong> 31 octobre 2003.


184On estime que <strong>le</strong>s rapatriements volontaires (fortement encouragés par <strong>le</strong> HCR)devraient cesser dans environ deux ans, après quoi la fermeture des camps seraeffective et <strong>le</strong>s acteurs humanitaires de l’urgence quitteront la Guinée. Lastabilisation dans un pays sorti de crise prend théoriquement environ deux ans ;<strong>le</strong> Libéria étant sorti dévasté de la guerre en octobre 2003, on peut attendre dans<strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur des cas une stabilisation de la situation dans la zone de la Mano Riverpour <strong>le</strong> début 2006. Ceci pose bien sûr la question de la cessation de l’aidehumanitaire et de l’activité qui se développe autour d’el<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> pays d’accueil.


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186Les transformations de l’économie régiona<strong>le</strong>Les trois camps se situent dans une zone enclavée et peu peuplée. Les villagesavoisinant <strong>le</strong>s camps ont une population inférieure à 5 000 habitants.Dans ce contexte, l’installation de plusieurs dizaines de milliers de réfugiés créeun bou<strong>le</strong>versement radical dans l’organisation de la région, bou<strong>le</strong>versementéconomique, culturel, environnemental… ce n’est pas seu<strong>le</strong>ment l’élévationdémographique qui transforme l’équilibre de la zone, c‘est aussi la nature propredes flux nouveaux qui la traversent. Or, <strong>le</strong>s camps de réfugiés d’Albadariapossèdent <strong>le</strong>s caractéristiques suivantes :perméabilité / mobilité des réfugiésdiversité ethniqueimportante présence des acteurs humanitairesforte concentration de population.Cel<strong>le</strong>s-ci sont déterminantes pour expliquer l’impact de la présence des campsdans une perspective d’analyse régiona<strong>le</strong>. De fait, ce n’est pas tant <strong>le</strong> campstricto sensu, comme entité statique et délimitée dans l’espace, qui nousintéresse, mais <strong>le</strong>s changements induits par <strong>le</strong>s mobilités que cette entité fixesuscite. Citons entre autres <strong>le</strong>s arrivages de nourriture du PAM que l’on retrouvesur de nombreux marchés dans un vaste rayon (parfois jusqu’à la capita<strong>le</strong>Conakry), <strong>le</strong>s déplacements de personnes, qu’ils soient motivés par des raisonséconomiques ou de survie...Mais <strong>le</strong>s flux engendrés par l’installation des camps ne sont pas l’unique origined’une série de mutations régiona<strong>le</strong>s. Les déplacés internes de Guéckédou, arrivésde façon concomitante dans la région de Kissidougou, sont eux aussi source detransformations : avec eux, de nouvel<strong>le</strong>s prérogatives économiques vontincomber à Kissidougou. Le rô<strong>le</strong> prépondérant joué par Guéckédou avant <strong>le</strong>sattaques se trouve dans un premier temps court-circuité, puis rapidementtransféré à la vil<strong>le</strong> la plus proche capab<strong>le</strong> d’absorber un tel flux de biens et depersonnes. Cette « passation forcée » de pouvoir se trouve symbolisée dans <strong>le</strong>dynamisme importé du marché de Guéckédou, détruit, vers celui deKissidougou, qui se trouve soudain pourvu d’une quantité inhabituel<strong>le</strong> deproduits destinés à la vente.La guerre et <strong>le</strong>s stratégies de survie qu’el<strong>le</strong> suppose de la part des victimes qui lafuient se trouve être à l’origine de bou<strong>le</strong>versements dans un pays en paix, affectéindirectement par la crise de par sa situation géographique. Il y a deuxphénomènes conjoints à l’origine du déséquilibre régional dans <strong>le</strong> Sud de laGuinée :la création des camps d’Albadaria,l’éclatement du pô<strong>le</strong> économique de Guéckédou (et l’afflux de populationsdéplacées dans la vil<strong>le</strong> de Kissidougou).Ceux-ci conduisent à la restructuration de l’économie régiona<strong>le</strong> autour du pô<strong>le</strong>de Kissidougou.


187L’éclatement du pô<strong>le</strong> économique de GuéckédouAvant <strong>le</strong>s attaques Guéckédou est une vil<strong>le</strong> d’importance (d’à peine moins de100 000 habitants), qui tire partie d’une part d’une région agrico<strong>le</strong> aux terresferti<strong>le</strong>s et à la production diversifiée, et d’autre part d’une situationgéographique qui la désigne naturel<strong>le</strong>ment comme un pô<strong>le</strong> commerciald’envergure. En effet, avant que <strong>le</strong>s sanglantes guerres civi<strong>le</strong>s n’embrasent laSierra Leone et <strong>le</strong> Libéria, Guéckédou, en position centra<strong>le</strong>, proche des deuxfrontières, est un point de passage sur deux axes de commerce fondamentaux :un axe Nord / Sud, qui relie Libéria, Sierra Leone d’un côté, et la route de l’orvers <strong>le</strong> Mali passant par Kankan et Siguiri,un axe Est / Ouest, venant de Côte d’Ivoire et allant jusqu’à Conakry (parMacenta, N’Zérékoré, Kissidougou, Faranah), pour de là transiter vers <strong>le</strong>Sénégal, la Guinée Bissau…Cette position centra<strong>le</strong> lui confère un rô<strong>le</strong> prépondérant dans l’armature urbaineet économique régiona<strong>le</strong>. Toutefois, dès <strong>le</strong> début de la guerre en Sierra Leone etau Libéria (1989), <strong>le</strong>s frontières ferment rapidement, et tout commerce officielcesse entre ces pays et la Guinée. Il n’est néanmoins pas exclu que certainsproduits de trafic aient continué de transiter par la frontière ; l’absence dedonnées de cet ordre nous limite à des suppositions.Malgré <strong>le</strong>s restrictions commercia<strong>le</strong>s que cette fermeture des frontières suppose,Guéckédou est resté jusqu’à l’hiver 2000 un pô<strong>le</strong> d’activités majeur, soutenu parson hinterland, zone de production à bon rendement et de cultures diversifiées,pour une bonne part cultures de rente (hui<strong>le</strong> de palme et café, essentiel<strong>le</strong>mentdestiné à l’exportation). On trouve peu de ces cultures dans la région deKissidougou, ou la production est essentiel<strong>le</strong>ment vivrière, et limitéeprincipa<strong>le</strong>ment au riz (autoconsommé à 70 %) et aux produits du maraîchage.Par ail<strong>le</strong>urs, Guéckédou, de par sa proximité avec la frontière et la perméabilitéde cel<strong>le</strong>-ci, du moins avant la guerre, a bénéficié d’apports techniques importantsen matière d’agriculture. On cite en particulier la technique du repiquage, pour <strong>le</strong>riz, qui permet d’augmenter considérab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> rendement. Cel<strong>le</strong>-ci est utiliséede longue date par <strong>le</strong>s Sierra Leonais et <strong>le</strong>s Libériens. De manière généra<strong>le</strong>, laproximité des deux pays anglophones, à l’indice de développement plutôtsupérieur à celui de la Guinée (avant 1989) a profité à la région frontalière de laGuinée forestière, mais <strong>le</strong>s changements induits par ce multiculturalisme ne sesont pas tel<strong>le</strong>ment répandus dans <strong>le</strong> reste du pays : Kissidougou devra attendrel’arrivée des réfugiés en 2001 pour développer à grande échel<strong>le</strong> la technique durepiquage.Lors des bombardements en 2001, ce ne sont pas seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s citadins quifuient vers <strong>le</strong> Nord, mais aussi toutes <strong>le</strong>s populations des campagnesavoisinantes qui sont terrifiées par <strong>le</strong>s avancées rebel<strong>le</strong>s. Ils partent enabandonnant <strong>le</strong>urs cultures, ce qui aura rapidement des conséquencescatastrophiques sur la production à l’échel<strong>le</strong> loca<strong>le</strong>, avec des répercussions auniveau national (on enregistre une baisse dramatique de la production de café,produit d’exportation par excel<strong>le</strong>nce). De surcroît, cette quasi absence deproductivité pour l’année 2001, ajoutée à l’absence des agriculteurs, nuitgravement aux productions des années suivantes : <strong>le</strong> ca<strong>le</strong>ndrier agrico<strong>le</strong> n’a pas


188été respecté, <strong>le</strong>s cultures n‘ont pas été entretenues, <strong>le</strong>s plans de café n’ont pas ététaillés…Les conséquences des attaques de Guéckédou sont lourdes : migrations despopulations, abandons des cultures, destruction du marché central…Environ 40 % des commerçants de Guéckédou n’étaient pas originaires de larégion mais venaient de Moyenne Guinée ; ils sont retournés dans <strong>le</strong>ur régiond’origine. Les volumes de marchandises vendus jusque là sur <strong>le</strong>s marchés ont étérépartis entre Kissidougou, N’Zérékoré et Kankan.Kissidougou reçoit donc <strong>le</strong>s volumes autrefois commercialisés sur <strong>le</strong>s axesprincipaux partant et venant de Guéckédou. La quantité de produitsmanufacturés et alimentaires disponib<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong> marché de Kissidougou s’entrouve considérab<strong>le</strong>ment augmentée. En 2002, <strong>le</strong>s routes reliant Kissidougou àGuéckédou sont rouvertes, toutefois, une certaine méfiance venue du souvenirdes attaques, si brusques et inattendues, reste ancrée et sera certainementdiffici<strong>le</strong> à éradiquer complètement, surtout parmi <strong>le</strong>s populations urbaines.Même si <strong>le</strong>s échanges ont partiel<strong>le</strong>ment repris grâce à la reconstruction dumarché de Guéckédou en 2002, la vil<strong>le</strong> ne reprend que peu à peu sesprérogatives commercia<strong>le</strong>s : certains déplacés sont installés de manièredéfinitive à Kissidougou et ne se rendent à Guéckédou que pour y vendre <strong>le</strong>ursproduits au marché. Sous l’action conjointe de deux facteurs : la peur résiduel<strong>le</strong>suite aux attaques, et l’installation des déplacés dans un nouvel environnement(Kissidougou), la vil<strong>le</strong> de Guéckédou ne retrouvera sans doute pas son rô<strong>le</strong> depô<strong>le</strong> commercial majeur, en tous cas pas à moyen terme. En effet, <strong>le</strong> bilan desdestructions matériel<strong>le</strong>s est lourd, et <strong>le</strong>s déplacés, qui se sont insérés socia<strong>le</strong>mentet économiquement à Kissidougou, n’envisagent pas tous de se réinstal<strong>le</strong>r dans<strong>le</strong>ur vil<strong>le</strong> d’origine, en particulier lorsqu’ils ont perdu <strong>le</strong>ur maison, car lareconstruction est coûteuse.Les déplacés de Guéckédou qui sont retournés <strong>le</strong>s premiers dans <strong>le</strong>ur préfectured’origine sont <strong>le</strong>s agriculteurs, soucieux de ne pas laisser <strong>le</strong>urs terresabandonnées trop longtemps ; dès que la menace est passée, et sous réserve que<strong>le</strong>urs terres et <strong>le</strong>urs maisons n’aient pas été brûlées, <strong>le</strong>s populations rura<strong>le</strong>s sontretournées chez el<strong>le</strong>s, parfois seu<strong>le</strong>ment une partie de la famil<strong>le</strong>, parfois satotalité. La mairie de Guéckédou a entrepris un comptage des bâtiments sinistrésdans la préfecture : 27102 bâtiments auraient brûlé ou subi de quelconquesdommages. Plus de la moitié de ceux-ci sont situés dans l’agglomération deGuéckédou.On peut supposer que Kissidougou va conserver sa prépondérance commercia<strong>le</strong>acquise suite à l’éclatement du pô<strong>le</strong> de Guéckédou, qu’el<strong>le</strong> remplace, car el<strong>le</strong>remplit <strong>le</strong>s caractéristiques essentiel<strong>le</strong>s : être une préfecture (poids politique etdémographique), être située sur une convergence d’axes (accessibilité), avoir unminimum d’infrastructures (notamment un marché et une gare routière), être aucontact d’une zone de production (l’hinterland). L’impulsion donnée parl’arrivée des produits venus du marché de Guéckédou, mais aussi par la présencedes humanitaires (sur laquel<strong>le</strong> nous reviendrons) offre à la vil<strong>le</strong> un potentiel qu’illui faudra gérer au mieux dans <strong>le</strong>s années à venir.


189Néanmoins, la réouverture des frontières avec la Sierra Leone et <strong>le</strong> Libéria à lafin des conflits et la reprise du commerce entre <strong>le</strong>s trois pays pourraient, à terme,inverser cette tendance, et rendre à Guéckédou son dynamisme économiquepassé, sous réserve que <strong>le</strong>s deux pays du Sud, ravagés et ruinés après la guerre,parviennent à se re<strong>le</strong>ver économiquement.La restructuration de l’économie régiona<strong>le</strong> autour du pô<strong>le</strong> de Kissidougou.Avant <strong>le</strong>s attaques, la région diamantifère de Banankoro, en Haute Guinée, avaitdes relations commercia<strong>le</strong>s privilégiées avec la vil<strong>le</strong> de Guéckédou, quil’approvisionnait en biens consommab<strong>le</strong>s (riz, légumes) et recevait en échange<strong>le</strong>s diamants transitant vers Conakry. A partir de 2001, <strong>le</strong>s échanges se trouventbloqués à Kissidougou.De même, <strong>le</strong>s échanges avec la zone de Guinée forestière Sud (N’Zérékoré), sesont trouvés détournés à partir de 2001 vers Kissidougou. Cette région exportedes produits manufacturés (notamment des tissus), mais aussi de nombreuxproduits agrico<strong>le</strong>s, car l’agriculture est très diversifiée dans cette zone (riz,tubercu<strong>le</strong>s, café, palmiers à hui<strong>le</strong>), davantage que dans la région Nord(Kissidougou, Guéckédou). Même si <strong>le</strong>s dégâts provoqués par l’extractionsauvage de l’hui<strong>le</strong> de palme 305 par <strong>le</strong>s réfugiés installés dans la région deN’Zérékoré sont très importants, et risquent d’avoir des répercussions à très longterme, <strong>le</strong>s échanges demeurent dynamiques entre <strong>le</strong>s zones Nord et Sud deGuinée forestière. Dorénavant, c’est donc Kissidougou qui polarise ces échangesrégionaux. La vil<strong>le</strong> se trouve alors renforcée dans son rô<strong>le</strong> de zone de transit versConakry, Kankan, Faranah, Labé, Banankoro...305 La méthode d’extraction d’hui<strong>le</strong> utilisée par <strong>le</strong>s Sierra Leonais est très productive mais tue <strong>le</strong>palmier : el<strong>le</strong> consiste à lui couper la tête. Les Guinéens en revanche utilisent une méthode moinsproductive mais plus douce, en pratiquant des incisions dans <strong>le</strong> tronc.


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191Ce schéma représente <strong>le</strong>s axes majeurs d’échanges venant et partant de Guinéeforestière. Il ne prétend pas à l’exhaustivité ; on a représenté seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s axesprincipaux, pour une région donnée. Il est important de garder à l’esprit que laGuinée forestière est une zone de production agrico<strong>le</strong> très dynamique en Guinée,particulièrement dans sa partie Sud, Guéckédou, N’Zérékoré. Ses productionssont consommées partout en Guinée ainsi que dans <strong>le</strong>s pays voisins, ce quinécessite un niveau d’échange conséquent entre cette région et <strong>le</strong> reste du pays.Comme dans la plupart des économies régiona<strong>le</strong>s en Afrique de l’Ouest, <strong>le</strong>svil<strong>le</strong>s de Guinée forestière sont organisées en réseau, chacune d’entre el<strong>le</strong>entretenant des relations privilégiées avec son hinterland (on considère que 80 %des échanges en Guinée forestière concernent des produits agrico<strong>le</strong>s 306 ). On voitnettement sur <strong>le</strong> premier schéma ce modè<strong>le</strong> d’organisation territoria<strong>le</strong> : <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>sexistent <strong>le</strong>s unes par <strong>rapport</strong> aux autres selon un certain niveau d’interactions etde dépendance.Deux vil<strong>le</strong>s sont en position centra<strong>le</strong> : Guéckédou et Kissidougou. Cette dernièreest en situation de « faire-valoir » car el<strong>le</strong> produit peu de richesses, mais sert à ladiffusion des productions de sa voisine du Sud. Les deux axes majeurs quiapparaissent sont l’axe vertical (vers <strong>le</strong>s pays du Nord) et l’axe transversal(reliant N’Zérékoré, Macenta et Guéckédou, par une route courant <strong>le</strong> long de lafrontière).Jusqu’en 2001, <strong>le</strong>s denrées agrico<strong>le</strong>s de Guéckédou sont consommées àConakry, Labé, Kankan, Banankoro. Pour arriver dans ces vil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s produitstransitent systématiquement par Kissidougou : cantonné dans ce rô<strong>le</strong> de relais, lavil<strong>le</strong> ne peut s’affirmer comme un pô<strong>le</strong> commercial. En « sens inverse », <strong>le</strong>sproduits manufacturés venus de Conakry repartent (après être passés parKissidougou) vers Guéckédou, Macenta, N’Zérékoré, Banankoro.Guéckédou peut même prétendre à un rô<strong>le</strong> international, dans la mesure où laGuinée entretient de fortes relations commercia<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>s pays voisins,relations soutenues par la production agrico<strong>le</strong> de la région forestière. Lesexportations de Guinée vers ceux-ci sont composées essentiel<strong>le</strong>ment de produitsagrico<strong>le</strong>s, échangés contre des produits manufacturés (par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> Sénégalreçoit du café, de l’hui<strong>le</strong> rouge et du bois, produits de Guinée forestière, etexporte vers la Guinée notamment du sel et des cigarettes, via Labé).En revanche, après <strong>le</strong>s attaques de 2001 dans la zone de Guéckédou, on observeune structuration de l’espace tout à fait différente, avec une polarisationmanifeste sur la vil<strong>le</strong> de Kissidougou. Le pô<strong>le</strong> économique s’est déplacé du Sudvers <strong>le</strong> Nord et ceci pour plusieurs raisons. D’abord la fuite des habitants et <strong>le</strong>bombardement de la vil<strong>le</strong> court-circuitent complètement <strong>le</strong> centre urbain ;ensuite, la destruction de terres agrico<strong>le</strong>s et l’absence des cultivateurs rendenttoute production impossib<strong>le</strong> et <strong>le</strong> secteur agrico<strong>le</strong> est en chute libre, au moinspour <strong>le</strong>s années 2002-03. Le transfert des fonctions urbaines s’est naturel<strong>le</strong>mentfait vers la vil<strong>le</strong> la plus proche, la vil<strong>le</strong> relais, qui se trouve alors malgré el<strong>le</strong> enposition centra<strong>le</strong>.306 Chiffre cité par la Direction Préfectora<strong>le</strong> de l’Economie à Kissidougou.


192On passe d’une structuration en réseau comme nous l’avons décrit plus haut àune structuration polarisée, situation « anorma<strong>le</strong> » consécutive à une série defacteurs exogènes : éclatement du pô<strong>le</strong> de Guéckédou, déplacement de plusieursmilliers de personnes vers Kissidougou, installation des camps à proximité, -favorisant la diversification des échanges et l’approvisionnement en denrées debase -, présence des agences humanitaires d’urgence.L’axe transversal s’éteint après la chute de Guéckédou, puisqu’il reliaitprincipa<strong>le</strong>ment cel<strong>le</strong>-ci à N’Zérékoré ; à partir de 2002, la vil<strong>le</strong> du Sud se trouveen liaison directe avec Kissidougou, pour <strong>le</strong> transfert des premiers produitsd’exportation de la région de N’Zérékoré : bois, hui<strong>le</strong> rouge, noix de kola, tissussacrés. De même, Kissidougou renforce ses liaisons avec Macenta, et développe<strong>le</strong>s échanges déjà existants avec la capita<strong>le</strong> Conakry.Par ail<strong>le</strong>urs, un des axes majeurs qui conforte Kissidougou dans son nouveaurô<strong>le</strong> est bien sûr celui qui la relie aux camps. Jusqu’à ce que <strong>le</strong> HCR ouvre lapiste en 2001, la région est complètement enclavée, ne comptant que quelquesmilliers d’habitants. En août 2002, <strong>le</strong>s camps abritent plus de 40 500personnes 307 ! Des échanges quotidiens vont des camps en vil<strong>le</strong>, flux de biens etde personnes se rendant au marché en vil<strong>le</strong> pour y vendre <strong>le</strong>s produits de l’aidealimentaire, et acheter des condiments et autre denrées non fournies par cel<strong>le</strong>-ci.Les échanges se font d’ail<strong>le</strong>urs dans <strong>le</strong>s deux sens, puisque l’on observe descommerçants de la vil<strong>le</strong> venant jusque dans <strong>le</strong>s camps pour y acheter <strong>le</strong> bulgurou <strong>le</strong> maïs distribué par <strong>le</strong> PAM. L’émergence de cet axe permet à Kissidougoude valoriser son potentiel commercial et de sortir un peu de son rô<strong>le</strong> de relais.Enfin, <strong>le</strong>s prérogatives qui échoient à la vil<strong>le</strong> de Kissidougou lui permettent sansdoute de développer ses <strong>rapport</strong>s avec son hinterland. Cinq facteurs influent surce processus de dynamisation :<strong>le</strong> manque à gagner résultant de la baisse de productivité dans la région deGuéckédou,<strong>le</strong>s innovations techniques (en matière d’agriculture) apportées par <strong>le</strong>s déplacéset par <strong>le</strong>s réfugiés,l’arrivée sur <strong>le</strong> marché de nouveaux produits (notamment de l’aide),<strong>le</strong> grand potentiel de main d’œuvre représenté par la masse des réfugiés,<strong>le</strong>s emplois engendrés par l’installation des OSI (Organisations de SolidaritéInternationa<strong>le</strong>).Il faut toutefois relativiser <strong>le</strong>s répercussions des nouvel<strong>le</strong>s prérogatives de lavil<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> niveau de vie des habitants. En effet, même si la quantité de produitsalimentaires disponib<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> marché a fait un bond en 2001, el<strong>le</strong> ne compensepas la hausse démographique liée à l’arrivée des déplacés de Guéckédou quis’instal<strong>le</strong>nt pour la plupart en vil<strong>le</strong>, chez l’habitant. Cet accroissement soudainde population a eu de fortes répercussions sur <strong>le</strong> commerce : en effet, lademande étant supérieure à l’offre, <strong>le</strong>s prix ont considérab<strong>le</strong>ment augmenté. Lestransporteurs ont aussi revu <strong>le</strong> prix de <strong>le</strong>urs services à la hausse, ce qui conduit<strong>le</strong>s commerçants à répercuter sur <strong>le</strong> prix de vente <strong>le</strong> manque à gagner.Néanmoins, depuis la fin de l’année 2002, <strong>le</strong>s prix tendent à se stabiliser,307 Chiffres cités par <strong>le</strong> HCR Guinée.


193notamment grâce à la reconstruction des marchés de Guéckédou et de Yendé(vil<strong>le</strong> relais située sur la route entre Guéckédou et Kissidougou). Cela recrée unéquilibre commercial : <strong>le</strong>s produits issus de l’agriculture sont meil<strong>le</strong>ur marché àGuéckédou, tandis que <strong>le</strong>s produits manufacturés sont moins cher àKissidougou.Malgré ce rô<strong>le</strong> « usurpé » et diffici<strong>le</strong> à tenir, la vil<strong>le</strong> de Kissidougou a réussi àabsorber une bonne part des flux commerciaux régionaux, et son marché s’estétendu et diversifié. Même si la quantité de produits nouvel<strong>le</strong>ment arrivés, oul’ébauche de nouveaux flux réguliers (entre Kissidougou et Banankoro parexemp<strong>le</strong>) ne profitent pas aux couches <strong>le</strong>s plus pauvres de la population, faute demoyens, ce sont quand même des facteurs de développement économique et detransformations urbaines importants. Ceux-ci ajoutés à la présence des ONG envil<strong>le</strong> modifient tota<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> paysage économique et social local.Nouveaux flux, nouveaux réseaux : la transformation de l’espace local parl’installation des campsCes nouveaux flux que l’on décè<strong>le</strong> sur une échel<strong>le</strong> nationa<strong>le</strong> ont bien entendu denombreuses répercussions au niveau local, engendrant la mise en place denombreux réseaux commerciaux. En effet, nous avons replacé la vil<strong>le</strong> deKissidougou dans un contexte plus large, en montrant <strong>le</strong>s multip<strong>le</strong>sconséquences 1) de l’installation des camps, 2) de l’éclatement du pô<strong>le</strong>économique de Guéckédou. Kissidougou s’est retrouvée investie par denouvel<strong>le</strong>s prérogatives commercia<strong>le</strong>s et par un rô<strong>le</strong> de métropo<strong>le</strong> polarisatrice deflux qui lui était jusque là inconnu.L’axe d’échange principal qui s’est ouvert est celui qui relie la vil<strong>le</strong> aux campsd’Albadaria, créant dans la zone une nouvel<strong>le</strong> forme d’économie qui repose pourbeaucoup sur l’aide alimentaire.C’est à cet axe d’échanges et de migrations quotidiennes que nous allons nousintéresser dans cette partie, ainsi qu’à la dynamisation de l’économie loca<strong>le</strong> dansson ensemb<strong>le</strong>. En effet, on distingue un niveau plus fin de transformations :cel<strong>le</strong>s qui sont visib<strong>le</strong>s en vil<strong>le</strong> et qui concernent la relation entre <strong>le</strong> tissu urbainet un espace tiers (<strong>le</strong>s camps, des villages nouvel<strong>le</strong>ment désenclavés, desmarchés rendus plus accessib<strong>le</strong>s par l’ouverture des pistes).Ce type de transformations est évidemment d’ordre économique et résulte desmouvements journaliers qui unissent <strong>le</strong>s camps d’Albadaria à <strong>le</strong>urenvironnement proche (Kissidougou, Tokounou…) et contribuent à modifierl’organisation de l’espace et la perception de celui-ci par <strong>le</strong>s populations. C’estla fonction de certains types d’espace (comme <strong>le</strong>s marchés) qui se transformepour satisfaire <strong>le</strong>s nouveaux besoins créés par l’arrivée des réfugiés.D’une part on ressent au niveau de l’économie loca<strong>le</strong> <strong>le</strong> poids de la présence desréfugiés, qui contribuent au développement de l’espace économique local,visib<strong>le</strong> dans l’apparition de nouveaux flux,d’autre part on observe que c’est sur <strong>le</strong>s marchés que se cristallisent <strong>le</strong>snouveaux échanges et <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s polarisations du territoire.


194Les nouveaux échanges entre <strong>le</strong>s camps, Kissidougou, et <strong>le</strong>s villagesenvironnantsLe diagramme de polarisation, réalisé en novembre 2002 avec <strong>le</strong> concours descomités de réfugiés des trois camps d’Albadaria, (cf. page suivante) résume <strong>le</strong>séchanges liés aux camps.Globa<strong>le</strong>ment, il montre que <strong>le</strong>s camps ne sont pas des entités autonomes bienqu’ils soient conçus pour l’être. Il met ainsi en va<strong>le</strong>ur tout un réseau commercialqui implique la vil<strong>le</strong> de Kissidougou et <strong>le</strong>s villages entourant <strong>le</strong>s camps.Les échanges principaux s’effectuent entre Kissidougou et <strong>le</strong>s camps, surtoutcelui de Kountaya, <strong>le</strong> plus grand en tail<strong>le</strong>. Celui-ci étant <strong>le</strong> plus proche de lavil<strong>le</strong>, il centralise la plupart des flux sortants des camps à destination deKissidougou. La nature de ces flux est la suivante :- denrées agrico<strong>le</strong>s : dans <strong>le</strong>s deux sens.- produits manufacturés : de Kissidougou vers <strong>le</strong>s camps.- produits de l’aide : des camps vers Kissidougou.Kissidougou devient ainsi une zone relais vers Conakry, où est envoyée une partdes produits de l’aide. Inversement, <strong>le</strong>s camps reçoivent des produitsmanufacturés et en envoient une partie vers <strong>le</strong>s villages environnants.Un autre axe d’échange important relie Tokounou aux camps. Ceci est dû au faitque ce village est géographiquement plus proche des camps que Kissidougou etqu’un volume important de marchandises transite par son marché hebdomadaire.Tokounou est une petite vil<strong>le</strong> qui occupe la fonction de relais entre la GuinéeForestière et la Haute Guinée (Kankan). De grandes quantités de produitsagrico<strong>le</strong>s arrivent dans <strong>le</strong>s camps à partir de Tokounou, car c’est une zone deproduction importante. La présence d’un réseau routier facilite <strong>le</strong> transport desmarchandises, qui sont aussi manufacturées. En retour sont échangés desproduits de l’aide humanitaire.Le village d’Albadaria, appartenant à la préfecture de Kissidougou, est un autrepô<strong>le</strong> d’échange avec <strong>le</strong>s camps. On y échange des produits agrico<strong>le</strong>s locaux,contre des produits de l’aide et des produits manufacturés en provenance deTokounou et de Kissidougou.Enfin, <strong>le</strong>s villages entourant <strong>le</strong>s camps se situent dans la même dynamique, àcause de <strong>le</strong>ur avantage de situation, mais à un degré moindre, du fait de <strong>le</strong>ur petitnombre d’habitants. On y échange éga<strong>le</strong>ment des produits agrico<strong>le</strong>s contre desproduits de l’aide et des produits manufacturés.Tous ces échanges modifient profondément la structure économique de la zoneen la dynamisant et en créant des axes d’échanges autrefois inexistants 308 . Ilsinstaurent aussi des relations de dépendance plus ou moins fortes.308 Ces échanges n’existaient pas tout d’abord en raison de l’absence des camps, mais aussi en raison dela faib<strong>le</strong>sse du réseau routier, aujourd'hui compensée par <strong>le</strong> HCR qui a entrepris de gros travaux degénie civil (ponts, routes) entre Kissidougou et <strong>le</strong>s camps.


195Diagramme de polarisationdes échangesliés aux campsConception et réalisation : F<strong>le</strong>ur FERRYVILLAGES TOKOUNOU ALBADARIATELIKOROKOUNKAYABOREAHCAMPSKISSIDOUGOULe diagramme précédent représente la comp<strong>le</strong>xité des échanges existant entre <strong>le</strong>scamps, Kissidougou, Tokounou et <strong>le</strong>s villages avoisinants. On observe quatreniveaux de relation :Entre <strong>le</strong>s camps et Kissidougou : la situation d’interdépendance est très forte etc’est sur cet axe que se concentrent <strong>le</strong>s flux <strong>le</strong>s plus importants en provenance ouen direction des camps (environ 70% des échanges globaux). L’aide alimentaireest échangée ou vendue contre des produits manufacturés, <strong>le</strong>squels sont ensuitepartiel<strong>le</strong>ment revendus ou troqués dans <strong>le</strong>s villages avoisinants.Entre <strong>le</strong>s camps et Tokounou : Tokounou, située sur la route de l’or (axeKissidougou / Seguiri, vil<strong>le</strong> privilégiée pour <strong>le</strong> commerce de l’or, en raison des


196nombreux gisements qui l’entourent), et, plus loin, du Mali, est une petite vil<strong>le</strong>où se concentrent de nombreux échanges. Contrairement à Kissidougou, quel’on peut qualifier de nouveau pô<strong>le</strong> économique suite au désinvestissement deGuéckédou. Tokounou est un pô<strong>le</strong> d’échanges majeur depuis longtemps. Lescamps bénéficient de ce dynamisme et se trouvent en situation de relativedépendance par <strong>rapport</strong> à la vil<strong>le</strong>. Les réfugiés utilisent comme monnaied’échange <strong>le</strong>s produits de l’aide, et obtiennent en retour des produits agrico<strong>le</strong>s etmanufacturés (ces derniers provenant des pays limitrophes).Entre <strong>le</strong>s camps et <strong>le</strong>s villages avoisinants (dont Albadaria) : <strong>le</strong>s villagesfournissent des produits agrico<strong>le</strong>s contre des produits issus de l’aide et des biensmanufacturés venus de Kissidougou ou Tokounou. L’inhabituel développementd’une économie un peu diversifiée place <strong>le</strong>s villages en situation de dépendance.Enfin, <strong>le</strong>s camps développent entre eux des relations d’échange pour tous typesde produits. Les flux désignent Kountaya comme pô<strong>le</strong> d’échange majeur, sansnul doute en raison de sa situation géographique centra<strong>le</strong>.- Les petits villages, y compris celui d’Albadaria, sont fortement dépendants descamps.- Les camps sont dépendants vis-à-vis de Tokounou.- Les camps et la vil<strong>le</strong> de Kissidougou se trouvent en situationd’interdépendance.Le caractère dynamique de ces échanges suppose l’entretien du réseau routier.Ce dernier a permis <strong>le</strong> développement d’un réseau de transport important etorganisé 309 .Les marchés : éléments de polarisation de l’espaceL’arrivée des réfugiés a considérab<strong>le</strong>ment bou<strong>le</strong>versé la fonction et lahiérarchisation des marchés : ceux situés dans <strong>le</strong>s bourgs ou gros villages de lasous-préfecture d’Albadaria servaient plutôt, avant l’installation des camps, decentre de col<strong>le</strong>cte pour des grossistes qui revendaient ensuite sur des marchésplus importants. Depuis 2001, de nombreux marchés situés à une distanceraisonnab<strong>le</strong> (moins de 10 km) des camps d’Albadaria se transforment enmarchés de distribution, permettant aux réfugiés d’acheter des produits qui nesont pas distribués par l’aide, comme par exemp<strong>le</strong> <strong>le</strong>s condiments. En échange,ils proposent <strong>le</strong>urs produits issus de l’aide internationa<strong>le</strong> comme <strong>le</strong> bulgur ou <strong>le</strong>maïs, à un coût moindre. Ceci a deux conséquences directes : d’abord, ladynamisation de petits marchés, et l’amélioration de l’alimentation despopulation loca<strong>le</strong>s, pour qui l’achat de bulgur, nutritif et peu cher, est unevéritab<strong>le</strong> manne, surtout en période de soudure.La distance qui sépare <strong>le</strong>s marchés des camps joue un rô<strong>le</strong> important dans lavitalisation du commerce. Les marchés <strong>le</strong>s plus proches des camps d’Albadaria309 Des départs ont lieu tous <strong>le</strong>s jours vers Kissidougou et Tokounou, en taxi-brousse, bus ou camion,tandis que <strong>le</strong>s villages de plus petite importance, comme Albadaria, ne sont desservis que <strong>le</strong>s jours demarché. Les tarifs sont fixes. Il existe même une compagnie de transport privée installée dans <strong>le</strong> campde Kountaya.


197demeurent assez éloignés, environ une vingtaine de kilomètres 310 . Ceci conduit<strong>le</strong>s réfugiés à diverses tactiques : soit la mise en place d’un réseau de transportcol<strong>le</strong>ctif, soit <strong>le</strong> développement de petites infrastructures de commerce au seinmême des camps, qui limite donc <strong>le</strong> nombre de déplacement vers <strong>le</strong>s villages etcontribue à développer une activité commercia<strong>le</strong> de grossiste à l’intérieur ducamp.Cette situation a tendance à inverser <strong>le</strong>s flux : ce ne sont plus <strong>le</strong>s réfugiés qui sedéplacent sur <strong>le</strong>s marchés locaux, mais <strong>le</strong>s Guinéens qui viennent vendre <strong>le</strong>ursproduits sur <strong>le</strong>s marchés des camps (ce qui <strong>le</strong>ur évite de se déplacer jusqu’àKissidougou, par exemp<strong>le</strong>, pour vendre <strong>le</strong>urs quelques produits au marché). Celanuit à certains marchés comme celui d’Albadaria, déserté par <strong>le</strong>s vendeurs etmoins bien approvisionné.Grâce à <strong>le</strong>ur organisation et à l’importance de <strong>le</strong>ur population, <strong>le</strong>s camps ontréussi à polariser <strong>le</strong> territoire. En effet, d’un point de vue commercial, <strong>le</strong>potentiel des camps a été optimisé par <strong>le</strong>s OSI. Les marchés, en positioncentra<strong>le</strong>, sont propres et bien entretenus. Ils sont couverts en de nombreuxendroits, ce qui n’est pas <strong>le</strong> cas des marchés spontanés. Par ail<strong>le</strong>urs, l’entretiendes pistes et des parcel<strong>le</strong>s est régulier ; la gestion administrative des camps estefficace. En deux mots, l’espace neuf des camps offre <strong>le</strong>s meil<strong>le</strong>uresopportunités pour un développement commercial harmonieux, d’un point de vueorganisationnel et sanitaire. Par ail<strong>le</strong>urs, la mise en place d’AGR (Activitésgénératrices de Revenus) orientées vers <strong>le</strong> petit commerce constitue un potentield’accompagnement qui permet de développer au mieux <strong>le</strong> commerce local,permettant de répondre à la demande importante d’une population si concentrée.La polarisation de l’espace par <strong>le</strong>s camps n’est pas uniquement mercanti<strong>le</strong> : <strong>le</strong>svillageois des a<strong>le</strong>ntours se déplacent éga<strong>le</strong>ment pour accéder aux infrastructures,surtout <strong>le</strong>s centres de santé 311 .L’essentiel de l’approvisionnement des camps provient de Kissidougou et deTokounou. Il est à noter, comme nous l’avons montré dans <strong>le</strong> diagramme depolarisation, que Tokounou se trouve dans une situation relativement autonomepar <strong>rapport</strong> aux camps (échappant à <strong>le</strong>ur zone d’influence) ; <strong>le</strong>s déplacements sefont plutôt des camps vers la petite vil<strong>le</strong>. En revanche, on voit beaucoup decommerçants de Kissidougou se déplacer vers <strong>le</strong>s camps, en particulier aumoment de la distribution de la ration mensuel<strong>le</strong>, dont ils achètent une partie nonnégligeab<strong>le</strong>.Les réfugiés vendent <strong>le</strong>s produits de l’aide humanitaire pour plusieurs raisons.Tout d’abord, <strong>le</strong>s denrées offertes, choisies pour <strong>le</strong>urs qualités nutritives, neconviennent pas toujours aux habitudes alimentaires des ménages réfugiés.D’autre part, <strong>le</strong>s rations ne contiennent ni condiments, ni « non vivres » (savon,pétro<strong>le</strong>, chaussures, vêtements…). Les réfugiés sont donc amenés à se procurerces denrées en échangeant ou en vendant des produits de la ration du PAM.Enfin, <strong>le</strong>s réfugiés sont partiel<strong>le</strong>ment autosuffisants, puisqu’il apparaît que310 Source : <strong>rapport</strong> FAO, op. cit., juin 2003.311 L’accès aux infrastructures dans <strong>le</strong>s camps est autorisé et éga<strong>le</strong>ment gratuit pour <strong>le</strong>s Guinéens.


19860% 312 d’entre eux cultivent riz ou céréa<strong>le</strong>s autour des camps d’Albadaria. Laproduction de riz, estimée en mois de consommation, se situe entre 2 et 5 moisselon <strong>le</strong>s ménages. Cela permet à de nombreuses famil<strong>le</strong>s de revendre une partieou la quasi totalité de <strong>le</strong>ur ration pour diversifier et enrichir <strong>le</strong>ur alimentation.Autonomie des réfugiésLes principa<strong>le</strong>s sources des revenus des ménages réfugiés sont <strong>le</strong>s suivantes :<strong>le</strong>s contrats avec <strong>le</strong>s ONG<strong>le</strong>s commerces de détailla production agrico<strong>le</strong><strong>le</strong>s contrats de travaux agrico<strong>le</strong>sla vente de l’aide alimentaire.La proportion de ménages générant un revenu s’élève à 70% 313 . La majorité desrevenus proviennent de l’agriculture (pour 40 à 60 %des ménages), puis descontrats de main d’œuvre qui concernent 20 à 30 % des ménages, enfin du petitcommerce (pratiqué par 20 à 25 % des ménages) 314 . La plupart des activités sontmises en place grâce à l’appui des ONG, notamment en matière de petitcommerce et d’agriculture. Sur environ 11 000 ménages dans <strong>le</strong>s campsd’Albadaria en 2002, 5 000 bénéficient des AGR proposées par <strong>le</strong>s ONG. Larevente des produits de l’aide varie selon <strong>le</strong> degré de vulnérabilité des ménages :<strong>le</strong>s plus pauvres ne revendent qu’une infime partie de <strong>le</strong>ur ration.Grâce à cela et à la distribution de l’aide, la situation des réfugiés n’est pasdéfavorab<strong>le</strong>. Souvent, la ration distribuée par <strong>le</strong> PAM est épuisée avant la fin dumois. Les ménages menant une petite activité commercia<strong>le</strong> ont un revenurégulier, ce qui <strong>le</strong>ur permet d’acheter <strong>le</strong>s compléments de nourriture nécessaires,tandis que ceux qui pratiquent l’agriculture parviennent à pallier l’insuffisancede la ration avec <strong>le</strong>urs propres récoltes. Pour <strong>le</strong>s ménages <strong>le</strong>s plus pauvres,souvent dans l’incapacité de mener des AGR, <strong>le</strong>s disponibilités alimentaires sontliées aux rations du PAM (une petite partie est systématiquement revendue) et,souvent, <strong>le</strong>s 8 derniers jours du mois manquent des denrées principa<strong>le</strong>s. Cesménages représentent environ 15 % du nombre total.Cette situation crée d’importantes disparités entre <strong>le</strong>s populations loca<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>spopulations réfugiées. Toutefois, ceux-ci retirent nombre d’avantage de laprésence des réfugiés, en particulier en terme d’infrastructures : <strong>le</strong>s ONG ontconstruit plusieurs forage dans <strong>le</strong>s villages, de plus ils ont un accès gratuit auxcentres de santé des camps.Du point de vue de la production agrico<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s points positifs sont la présenced’une abondante main d’œuvre bon marché, et l’augmentation de la surface deterres aménagées. En effet, <strong>le</strong>s ONG aménagent <strong>le</strong>s terres des Guinéensgratuitement, à condition que ceux-ci <strong>le</strong>s prêtent à des réfugiés. Pendant la durée312 Rapport Post Distribution Monitoring d’ACF, novembre 2002.313 Rapport FAO314 Source : <strong>rapport</strong> PDM d’ACF, novembre 2002.


199du prêt, <strong>le</strong>s propriétaires ont <strong>le</strong> droit de cultiver 20 % de la surface avant unereprise tota<strong>le</strong>.Les revenus des villageois proviennent essentiel<strong>le</strong>ment de la vente du riz (plusde 70 % des revenus). L’accès à la terre est facilité par une démographie faib<strong>le</strong> –11 habitants / km2. Après <strong>le</strong> riz viennent <strong>le</strong>s revenus issus de l’agriculture derente. Cel<strong>le</strong>-ci est malmenée par l’extraction sauvage de l’hui<strong>le</strong> par <strong>le</strong>s réfugiésqui fait mourir <strong>le</strong>s palmiers, et par la coupe de certains arbres de rente (caféierset kolatiers).Sur <strong>le</strong> plan commercial, <strong>le</strong> marché est plus actif, puisque la demande est plusforte, mais <strong>le</strong>s prix augmentent, ce qui gène <strong>le</strong>s ménages <strong>le</strong>s plus pauvres dans<strong>le</strong>s villages. A titre indicatif, <strong>le</strong> prix du kilo de riz local au détail est passé de400-500 FGN (Francs Guinéens) en 2000 à Albadaria à 700 FGN en 2002. Lesménages <strong>le</strong>s plus démunis sont aussi pénalisés par la baisse généralisée du prixde la main d’œuvre.En définitive, l’augmentation des prix, rendue plus lourde par la période desoudure, profite aux producteurs de riz et aux commerçants, qui bénéficient deprix de vente plus é<strong>le</strong>vés et de marchés plus étendus. En revanche, <strong>le</strong>s ménagesqui ne produisent pas de denrées agrico<strong>le</strong>s, ou pas suffisamment, sont touchés dep<strong>le</strong>in fouet par cette hausse des prix. Ceux-là sont <strong>le</strong>s principaux acheteurs dubulgur vendu par <strong>le</strong>s réfugiés 315 .L’afflux de réfugiés et la création des camps, ajoutés au déplacement versKissidougou du pô<strong>le</strong> économique de Guéckédou, ont bou<strong>le</strong>versé l’espacerégional de Guinée forestière. Il est intéressant de constater comment <strong>le</strong>spopulations s’adaptent à un contexte nouveau, en rééquilibrant tant bien que malune situation de crise qui crée de nombreux dysfonctionnements au sein de <strong>le</strong>urenvironnement.Ce n’est pas seu<strong>le</strong>ment la forme de l’espace qui évolue, mais ses fonctions. Lapiste qui relie désormais la vil<strong>le</strong> aux camps est un facteur de transformationsimportant, dans la mesure où la zone d’Albadaria, d’une situation d’enclavementengendrant un certain type de stratégies de la part de sa population, passe à unesituation d’ouverture où el<strong>le</strong> occupe une fonction centra<strong>le</strong>. Ainsi, c’est toute lazone qui s’organise et se hiérarchise presque « ex nihilo », mettant à contribution<strong>le</strong>s populations : chaque catégorie de personne doit définir une stratégie qui luipermette de survivre.Les marchés sont un bon exemp<strong>le</strong> de ces transformations spatia<strong>le</strong>s ; certainspériclitent, d’autres f<strong>le</strong>urissent (dans <strong>le</strong>s camps), et <strong>le</strong>ur nature change, s’adapteaux nouveaux besoins qui voient <strong>le</strong> jour. Cette redistribution des espacescommerciaux modifie l’utilisation de l’espace par <strong>le</strong>s populations loca<strong>le</strong>s qui ontdorénavant la possibilité de limiter <strong>le</strong>urs déplacements et bénéficient d’un plusgrand choix de lieux d’échanges.315 Source : <strong>rapport</strong> FAO.


200L’observation de ces évolutions nous conduit tout naturel<strong>le</strong>ment à considérer <strong>le</strong>stransformations existant à une échel<strong>le</strong> micro loca<strong>le</strong> : la vil<strong>le</strong>. Là encore, ce n’estpas tant la forme qui change que la fonction urbaine. On considèrera non pas <strong>le</strong>sflux entrant et sortant, mais <strong>le</strong> cœur de la vil<strong>le</strong>, ses occupants, <strong>le</strong>urs activités, etsurtout, la modification de son paysage socio-économique et culturel consécutifà l’absorption des nouvel<strong>le</strong>s populations (réfugiés, déplacés, OSI).Réfugiés, déplacés, personnel humanitaire : <strong>le</strong>s nouveaux acteurs destransformations urbainesCe dernier type de transformations est plutôt d’ordre social et circonscrit à lavil<strong>le</strong> de Kissidougou. Cel<strong>le</strong>-ci abrite depuis fin 2000 de nombreux déplacés de larégion de Guéckédou 316 et quelques milliers de réfugiés urbains. La présence deceux-ci en vil<strong>le</strong> contribue à faire évoluer <strong>le</strong> milieu urbain, dès lors que cesnouveaux arrivants sont intégrés en vil<strong>le</strong> et entrent en interaction avec lapopulation. Ils sont alors porteurs de nouvel<strong>le</strong>s habitudes, de changements dans<strong>le</strong>s comportements, d’évolutions techniques… mais aussi générateurs d’activitéscommercia<strong>le</strong>s qui dynamisent l’espace urbain.En 2001, accompagnant la création des camps, sont arrivés tous <strong>le</strong>s acteurshumanitaires qui étaient auparavant installés à Guéckédou. Kissidougous’impose donc comme <strong>le</strong> premier pô<strong>le</strong> humanitaire en Guinée, et cela n’est passans conséquences sur la population loca<strong>le</strong> et sur l’activité économique de lavil<strong>le</strong>. La machinerie humanitaire nécessite beaucoup de biens matériels et deressources humaines. El<strong>le</strong> contribue à une forte monétarisation de l’économie envil<strong>le</strong>.Les grands bou<strong>le</strong>versements en vil<strong>le</strong> sont consécutifs à l’arrivée des déplacés deGuéckédou, des réfugiés urbains et des acteurs de l’humanitaire. Tous présentsde façon officiel<strong>le</strong>ment temporaire, ils n’en marquent pas moins la vil<strong>le</strong> de <strong>le</strong>urprésence, et modifient l’équilibre socio-économique et culturel de la vil<strong>le</strong>. Afind’avoir une meil<strong>le</strong>ure appréciation de la population des déplacés et des réfugiésurbains, qui sont peu connus en raison de <strong>le</strong>ur caractère marginal, nousproposerons d’abord une typologie de ceux-ci. Ensuite, nous dresserons un bilandes impacts ressentis sur la vil<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s populations loca<strong>le</strong>s, suite à l’arrivée desmigrants. Enfin, nous aborderons spécifiquement <strong>le</strong>s conséquences de laprésence des acteurs humanitaires en vil<strong>le</strong>.Les populations déplacées et réfugiées semb<strong>le</strong>nt toutes deux s’être bien intégréesà la population loca<strong>le</strong> de Kissidougou, quoique de façon différente. Cespopulations se répartissent l’une et l’autre en plusieurs catégories, en fonction ducontexte d’arrivée et de caractéristiques déterminant un certain profil.Des questionnaires, proposés à un échantillonnage de déplacés et de réfugiésurbains installés à Kissidougou en novembre – décembre 2002, ont permis derecueillir un certain nombre d’informations concernant ces populationsmigrantes. Le questionnaire, complété par des entretiens, a une va<strong>le</strong>ur qualitative316 On estime <strong>le</strong>ur nombre entre 20.000 et 30.000, arrivés en moins d’un an


201et non quantitative, mais il permet de dégager quelques grands traits pourproposer ensuite une typologie.Mode d’intégration des déplacés au tissu urbainLes déplacés se sont intégrés assez uniformément en vil<strong>le</strong> ; <strong>le</strong>s quartiers du Sudsont ceux qui ont reçu <strong>le</strong> plus de déplacés dans un premier temps car ce sont <strong>le</strong>spremiers quartiers lorsqu’on arrive de Guéckédou. Les déplacés se sont ensuiteinstallés soit chez des parents ou des amis, soit chez des personnes inconnuesacceptant de <strong>le</strong>s recevoir par solidarité. Pour certains, cette période s’estéternisée et dure peut-être encore ; d’autres, après quelques semaines, ont trouvéune maison en location.Bien qu’on observe une continuité urbaine, on distingue schématiquement deuxtypes de quartiers à Kissidougou. Les quartiers urbains, dont <strong>le</strong>s caractéristiquessont :une forte densité de l’habitatune activité commercia<strong>le</strong> forte et un peu d’agricultureun niveau d’infrastructure supérieur (marché, hôpital, éco<strong>le</strong>s, accès à une voiegoudronnée).Les quartiers périurbains dont <strong>le</strong>s caractéristiques sont :une densité moyenne de l’habitatune activité principa<strong>le</strong>ment tournée vers l’agricultureun niveau d’enclavement plus ou moins fort et un accès plus diffici<strong>le</strong> auxinfrastructures.C’est dans <strong>le</strong>s quartiers centraux que l’on trouve une majorité de déplacés. Onn’observe néanmoins aucun processus de ségrégation ; <strong>le</strong>s déplacés sontdispersés en vil<strong>le</strong> et mêlés à la population loca<strong>le</strong>.Dans <strong>le</strong>s quartiers périurbains, plus « ruraux » que <strong>le</strong>s quartiers centraux, onobserve des phénomènes d’entraide plus forts. Une plus grande implication duchef de quartier, une aide généralisée et importante lors de l’arrivée desdéplacés, un réseau associatif plus serré, dans <strong>le</strong>quel se sont impliqués denombreux réfugiés. Le réseau social entre déplacés semb<strong>le</strong> plus ancien : denombreuses personnes interrogées connaissaient d’autres déplacés en arrivantdans <strong>le</strong> quartier. En revanche, dans <strong>le</strong>s quartiers urbains, il n’est pas rare que <strong>le</strong>spersonnes interrogées aient déclaré qu’el<strong>le</strong>s ne connaissaient personne lors de<strong>le</strong>ur arrivée.Dans <strong>le</strong>s quartiers urbains, il semb<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s déplacés soient arrivés à un certaineautonomie plus rapidement que dans <strong>le</strong>s quartiers périurbains. Ils sont souventeux-mêmes d’origine urbaine : <strong>le</strong>s personnes ayant vécu en milieu urbain sontdavantage attirées par des quartiers urbains, par habitude de vie, ou parce qu’ilsexercent une activité inhérente à un centre urbain. Il <strong>le</strong>ur est souvent plus faci<strong>le</strong>d’exercer <strong>le</strong>ur métier que <strong>le</strong>s agriculteurs, qui ne possèdent ni terre, ni intrants,ni semence en arrivant à Kissidougou. Ces derniers d’ail<strong>le</strong>urs ont été <strong>le</strong>spremiers à retourner dans la préfecture de Guéckédou après <strong>le</strong>s attaques.


202Le milieu urbain est moins propice à l’intégration dans un réseau socialpréexistant. Plus anonyme, plus vaste, plus diversifié, c’est un milieu à plusfaib<strong>le</strong> cohésion. Cela explique que dans <strong>le</strong>s quartiers urbains <strong>le</strong>s déplacés aientreçu moins de soutien ; ce n’est nul<strong>le</strong>ment par malveillance ou indifférence maisplutôt par méconnaissance. Autant <strong>le</strong>s déplacés arrivés dans <strong>le</strong>s quartiers plusruraux ont été identifiés très rapidement par <strong>le</strong>s populations loca<strong>le</strong>s, autant <strong>le</strong>snouveaux arrivants en milieu urbain se sont fondus dans la masse.Ceci est corroboré par la donnée suivante : <strong>le</strong>s seuls quartiers où <strong>le</strong>s déplacés ontconstitué des associations de déplacés sont des quartiers urbains. Dans tous <strong>le</strong>sautres quartiers, <strong>le</strong>s déplacés se sont intégrés dans des associations préexistantes.Ceci tend à montrer que l’intégration est facilitée dans <strong>le</strong>s quartiers ruraux oumixtes par une plus faib<strong>le</strong> densité de population, un tissu social plus resserré,une homogénéité plus grande. Dans des quartiers plus hétérogènes, <strong>le</strong>s nouveauxvenus sont enclins à se constituer en associations afin de se soutenir et peut-êtrede recréer une cohésion socia<strong>le</strong>, qui, si el<strong>le</strong> n’existait pas dans <strong>le</strong>ur milieud’origine, devient ici nécessaire pour la survie du groupe en situation deprécarité (au moins dans <strong>le</strong>s premiers temps de l’installation.)Typologie des déplacésLes déplacés sont arrivés en 2000-2001, à la suite des attaques qui ont touché larégion de Guéckédou, à la frontière Sud. Leur intégration a été grandementfacilitée tant par l’appartenance à un même pays, à des cultures et des languescommunes qu’à la fréquente existence de liens familiaux ou amicaux. Ondistingue trois types de déplacés :ceux qui sont déjà retournés ou qui sont dans une dynamique de retourimminent. Cette catégorie, qui représente la majorité des déplacés, est constituéepar des agriculteurs qui ont besoin de retourner <strong>le</strong> plus rapidement possib<strong>le</strong>cultiver <strong>le</strong>urs terres afin d’assurer <strong>le</strong>ur subsistance. Les destructions ayantsurtout touché <strong>le</strong> milieu urbain alors qu’ils vivaient en zone rura<strong>le</strong>, la plupartd’entre eux ont pu conserver <strong>le</strong>ur maison, ne l’abandonnant que <strong>le</strong> temps de semettre à l’abri à Kissidougou.Les déplacés projetant une « longue attente ». Ils sont déjà plus ou moinsinstallés à Kissidougou. Soit ils habitent encore dans <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong> d’accueil,moyennant parfois un petit loyer, soit ils ont loué un logement. L’intégration etl’installation résultent d’un processus <strong>le</strong>nt où l’affaiblissement économique deGuéckédou est à prendre à compte. De fait, la perte du caractère attractif de cettevil<strong>le</strong> carrefour, auparavant très dynamique, se cumu<strong>le</strong> au souvenir douloureuxdes attaques et des décès, et à la <strong>le</strong>nteur du processus de reconstruction (lasituation de sécurité précaire dans cette zone jusqu’à une période récente a limitéactions et investissements). Il faut aussi prendre en compte la dynamisation deKissidougou, due au déplacement du pô<strong>le</strong> économique mais aussi à l’installationdes ONG et à la proximité des camps. L’installation s’impose donc peut-êtreplus qu’el<strong>le</strong> ne se choisit. Lorsque la situation s’éternise ou se décante, lorsqu’ontrouve un nouvel emploi et que l’on construit une nouvel<strong>le</strong> maison et une viesocia<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s ruines d’un exode, une nouvel<strong>le</strong> existence peut débuter, loin de lafrontière et du spectre de la guerre.


203Enfin, une dernière catégorie de déplacés a délibérément choisi de rester àKissidougou. Parmi ceux-là, de nombreuses personnes ont vu <strong>le</strong>urs maisonsdétruites et n’ont pas assez d’argent pour la reconstruire. Pour peu qu’ils soientparvenus à trouver un emploi et un logement, ils n’ont guère de raison deretourner à Guéckédou, où il <strong>le</strong>ur faudrait de nouveau repartir de zéro. Il s’agitpar exemp<strong>le</strong> d’employés d’ONG, qui ont suivi <strong>le</strong>urs employeurs lorsque ceux-ciont déménagé de Guéckédou à Kissidougou. La sûreté de ce type d’emploi,ajouté au salaire supérieur à la moyenne et à la position socia<strong>le</strong> indéniab<strong>le</strong> qu’ilconfère, suffit amp<strong>le</strong>ment à justifier un processus d’installation définitive àKissidougou.Dans tous <strong>le</strong>s cas, la proximité géographique et culturel<strong>le</strong> des deux vil<strong>le</strong>sfavorise <strong>le</strong> processus d’intégration. Les déplacés ne sont pas autant déracinésque <strong>le</strong>s réfugiés. Il <strong>le</strong>ur est plus faci<strong>le</strong> de trouver une place dans <strong>le</strong> tissu social etéconomique de la vil<strong>le</strong>, grâce aux parents et connaissances vivant à Kissidougouet à la présence d’autres déplacés autour d’eux. La production de liens sociaux,nécessaire à une sédentarisation qui ne se passe pas dans la contrainte, maisrelève d’un choix plus ou moins délibéré – ou simp<strong>le</strong>ment d’un « laisser-faire » -, a trouvé pour se développer un terrain tout à fait favorab<strong>le</strong> à Kissidougou.Mode d’intégration des réfugiés urbains en vil<strong>le</strong>Il est diffici<strong>le</strong> d’obtenir des informations fiab<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong>s réfugiés, du fait ducaractère illégal de <strong>le</strong>ur présence en vil<strong>le</strong>. On observe que <strong>le</strong>s réfugiés setrouvent principa<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong>s milieux urbains, ce qui s’explique bien par <strong>le</strong>fait que <strong>le</strong>ur motivation pour habiter en vil<strong>le</strong> est liée à l’activité économique decel<strong>le</strong>-ci, plus dynamique dans <strong>le</strong>s quartiers urbains que dans <strong>le</strong>s quartierspériurbains.La plupart d’entre eux sont arrivés en Guinée depuis plus de dix ans, fuyant laguerre ou <strong>le</strong>s rumeurs de la guerre. Leurs parcours sont très divers : certains sesont installés d’abord dans la Languette, puis ont fui en 2000 pour venir àKissidougou ; certains étaient venus avant 2000, d’autres se sont déplacés devil<strong>le</strong> en vil<strong>le</strong>… Certains semb<strong>le</strong>nt très sédentarisés, d’autres prêts à retournerdans <strong>le</strong>ur pays d’origine… Il est très diffici<strong>le</strong> de définir un profil de réfugiésurbains. On trouve des personnes de tous âges et des deux sexes. Les différencessont plutôt déterminées par <strong>le</strong> degré de dépendance et de relation avec <strong>le</strong>s camps.Les réfugiés urbains interrogés déclarent tous avoir reçu une aide de lapopulation loca<strong>le</strong> lors de <strong>le</strong>ur arrivée, pour <strong>le</strong> logement et <strong>le</strong> soutien moral,principa<strong>le</strong>ment. Le chef de quartier semb<strong>le</strong> avoir joué un rô<strong>le</strong> important dans<strong>le</strong>ur intégration. L’implication des réfugiés dans des activités associatives estfréquent (mais pas systématique). Enfin, la grande majorité des réfugiésinterrogés déclarent qu’ils ne connaissaient personne avant d’arriver en vil<strong>le</strong>, cequi tend à prouver que <strong>le</strong>ur présence en vil<strong>le</strong> est un réel choix économique ou dequalité de vie, et non une facilité. Les raisons <strong>le</strong>s plus fréquemment invoquéespour expliquer <strong>le</strong>ur préférence pour <strong>le</strong> milieu urbain sont <strong>le</strong>s suivantes :l’attraction exercée par la vil<strong>le</strong>, surtout pour l’emploi, la non adaptation à la viedes camps et l’ennui éprouvé dans ces derniers (pour ceux qui y ont vécu unpeu). Les personnes interrogées viennent souvent d’un milieu rural (mais pas


204uniquement) ; la volonté de retrouver un environnement similaire à celuid’origine n’est donc pas un facteur explicatif de la présence de ces réfugiés envil<strong>le</strong>.Pour mieux comprendre <strong>le</strong>s motivations des réfugiés à rester en vil<strong>le</strong>, nous avonschoisi trois critères : <strong>le</strong>s niveaux d’hygiène, de scolarisation et de revenus,comparés à ceux dont <strong>le</strong>s réfugiés bénéficiaient dans <strong>le</strong>ur vil<strong>le</strong> / villaged’origine.Les conditions d’hygiène semb<strong>le</strong>nt comparab<strong>le</strong>s à cel<strong>le</strong>s dont <strong>le</strong>s réfugiésbénéficiaient chez eux. Pour la majorité, el<strong>le</strong>s sont éga<strong>le</strong>s ou supérieures, ce donton ne s’étonnera pas en rappelant que la plupart des réfugiés viennent d’unmilieu rural – où par définition on trouve moins d’infrastructure et de services,qui sont plutôt l’apanage des vil<strong>le</strong>s, et potentiel<strong>le</strong>ment aussi moins de pointsd’eau aménagés.Parmi <strong>le</strong>s personnes interrogées ayant des enfants scolarisés, la majorité estimeque <strong>le</strong> niveau de scolarisation est équiva<strong>le</strong>nt ou supérieur. Les réfugiés urbainssont globa<strong>le</strong>ment satisfaits de l’enseignement, ce qui peut surprendre,sachant que <strong>le</strong>s classes sont surchargées à cause de l’afflux des déplacés, et quese pose sans nul doute <strong>le</strong> problème de la langue.Dans une petite majorité de cas, <strong>le</strong>s revenus perçus à Kissidougou sont inférieursaux revenus d’origine, ce qui n’est guère étonnant, si l’on considère <strong>le</strong>dénuement dans <strong>le</strong>quel sont arrivés <strong>le</strong>s réfugiés, qui ont dû reconstruire quelquechose à partir de rien, et <strong>le</strong> contexte économique en vil<strong>le</strong> qui n’est pas forcémenttrès favorab<strong>le</strong> en raison de la surpopulation. Toutefois, une partie des personnesinterrogées estiment que <strong>le</strong>ur revenu est égal ou supérieur, ce qui conforte dansl’idée que <strong>le</strong> milieu urbain est favorab<strong>le</strong> au développement d’une activitééconomique.On peut en conclure que <strong>le</strong> niveau des services est dans l’ensemb<strong>le</strong> comparab<strong>le</strong>voire supérieur au niveau de services existants dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s / villages d’originedes réfugiés urbains. Ceux-ci semb<strong>le</strong>nt globa<strong>le</strong>ment satisfaits del’environnement quotidien qui est <strong>le</strong> <strong>le</strong>ur à Kissidougou, en tout cas, cela neparaît pas constituer une raison de départ.Typologie des réfugiés urbainsL’intégration des réfugiés s’est el<strong>le</strong> aussi relativement bien passée, mais defaçon un peu différente, en raison du contexte et de la différence culturel<strong>le</strong>relative existant entre réfugiés et Guinéens. El<strong>le</strong> est différente aussi car <strong>le</strong>sréfugiés semb<strong>le</strong>nt être venus en vil<strong>le</strong> par choix, ce qui témoigne d’une volontéexplicite d’intégration. En revanche, <strong>le</strong>s déplacés, qui sont arrivés plusrécemment, ne sont pas forcément en mesure de s’impliquer de façon trèsvolontaire dans <strong>le</strong>ur propre intégration.A Kissidougou, on compte environ 3.000 réfugiés urbains en octobre 2002, quireprésentent un peu moins de 10 % du total des réfugiés dans la région deKissidougou - Albadaria. C’est une estimation car alors que <strong>le</strong> HCR encomptabilise 4 à 5.000, la municipalité nie officiel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>ur présence ou n’enreconnaît que quelques centaines. Les recensements aléatoires effectués dans <strong>le</strong>squartiers <strong>le</strong>s estiment à moins de 2.000. En fait, <strong>le</strong>ur situation délicate etl’attitude ambiva<strong>le</strong>nte des populations loca<strong>le</strong>s à <strong>le</strong>ur égard rendent extrêmement


205diffici<strong>le</strong> un comptage objectif. En effet, d’un côté, <strong>le</strong>s populations loca<strong>le</strong>s seréjouissent que <strong>le</strong>s réfugiés demeurent dans <strong>le</strong>s camps d’Albadaria, à bonnedistance de Kissidougou, ce qui limite <strong>le</strong>ur présence et <strong>le</strong>ur influence en vil<strong>le</strong>.D’un autre côté, sachant qu’ils n’ont pas de légitimité en vil<strong>le</strong>, el<strong>le</strong>s ont tendanceà <strong>le</strong>s protéger, en niant <strong>le</strong>ur présence dans <strong>le</strong> quartier.Bien que cela reste relativement tabou, il existe, ou a existé, une certaineméfiance à l’égard des réfugiés, soupçonnés d’abriter des rebel<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>ursrangs. La flambée de vio<strong>le</strong>nce des Guinéens envers <strong>le</strong>s réfugiés, à la suite desattaques rebel<strong>le</strong>s de la fin 2000, n’est jamais évoquée. Pourtant, brimades etemprisonnements arbitraires ont été choses courantes pendant plusieurs mois.Même si cette époque est révolue, certaines inquiétudes demeurent parmi <strong>le</strong>sGuinéens.Les réfugiés urbains, si on <strong>le</strong>s qualifie par ce terme désormais officiel, échappentau contrô<strong>le</strong> des ONG et du HCR auquel ils posent de grands di<strong>le</strong>mmes. En effet,il est convenu entre <strong>le</strong>s autorités guinéennes et <strong>le</strong> HCR que tous <strong>le</strong>s réfugiésdoivent résider dans <strong>le</strong>s camps. Les réfugiés urbains, qui passent outre cette loi,se mettent donc en situation illéga<strong>le</strong> et <strong>le</strong> HCR ne peut <strong>le</strong>ur venir en aide. Ilsvivent donc <strong>le</strong>ur statut de manière tout autre que <strong>le</strong>s réfugiés des camps. De plus,à cause de cette dimension diffuse et illéga<strong>le</strong>, ils sont très diffici<strong>le</strong>s àappréhender, à quantifier et donc à caractériser. Leur statut illégal expliquel’attitude ambiva<strong>le</strong>nte des populations loca<strong>le</strong>s à <strong>le</strong>ur égard. Néanmoins, ils fontl’objet de protections de la part des chefs de quartiers et autres responsab<strong>le</strong>slocaux, par intérêt ou par solidarité. Cela suffit déjà à évaluer <strong>le</strong>ur degréd’acceptation et d’intégration par la population loca<strong>le</strong>.Malgré la difficulté évoquée précédemment de caractériser des situations aussicomp<strong>le</strong>xes, nous avons pu identifier deux types de réfugiés urbains, ou tout dumoins des traits communs qui permettent de présenter deux profils distincts :• La première catégorie de réfugiés urbains gravite entre Kissidougou et <strong>le</strong>scamps. Ils sont arrivés depuis peu à Kissidougou (entre 2000 et 2002). Ils yvivent et se rendent dans <strong>le</strong>s camps pour y chercher ce qu’ils vendent ensuite aumarché de la vil<strong>le</strong> : rations, charbon de bois, tissus teints dans <strong>le</strong>s camps. Ilsdisposent soit d’une chambre en vil<strong>le</strong>, soit d’un hébergement gratuit chez desamis ou chez des parents. Souvent, <strong>le</strong> reste de <strong>le</strong>ur famil<strong>le</strong> vit dans <strong>le</strong>s camps.Les uns habitent en vil<strong>le</strong> à p<strong>le</strong>in temps, <strong>le</strong>s autres n’y passent que deux jours parsemaine ou qu’une quinzaine par mois. Ces derniers ne peuvent pas vraimentêtre qualifiés de réfugiés urbains, dans la mesure où <strong>le</strong> camp est <strong>le</strong>ur résidenceprincipa<strong>le</strong>. On taxe ceux-ci de « réfugiés professionnels » car non seu<strong>le</strong>ment ilsvivent de l’aide internationa<strong>le</strong> et parfois la détournent, mais ils ont aussidéveloppé parallè<strong>le</strong>ment une activité qui <strong>le</strong>ur permet de générer d’autresrevenus.La seconde catégorie de réfugiés urbains n’a presque pas de contact avec <strong>le</strong>scamps et vit en vil<strong>le</strong> à p<strong>le</strong>in temps. Cette absence de contact avec <strong>le</strong>s camps etcette stabilité en vil<strong>le</strong> tient à deux facteurs. Le premier est la bonne intégrationde ces personnes en Guinée, puisqu’el<strong>le</strong>s y sont arrivées de longue date, certainsétant même marié(e)s à des Guinéen(ne)s. En effet, ils sont arrivés pour la


206plupart en Guinée depuis environ dix ans, s’installant d’abord dans <strong>le</strong>s villagesavec la population loca<strong>le</strong>. Lorsque se sont créés <strong>le</strong>s camps de la Languette deGuéckédou, certains s’y sont installés, d’autres sont restés chez l’habitant et sontvenus à Kissidougou avec <strong>le</strong>urs hôtes lorsque ceux-ci ont fui <strong>le</strong>s attaques.Le second facteur est la volonté d’avoir une activité et de s’intégrer dans <strong>le</strong>tissu économique de la vil<strong>le</strong>, tout en fuyant l’ennui éprouvé dans <strong>le</strong>s camps pourceux qui y sont passés. Souvent, ces personnes ne sont pas enregistrées auprèsdu HCR, et désirent s’intégrer par <strong>le</strong> travail et <strong>le</strong>s relations socia<strong>le</strong>s, ens’affirmant comme Sierra-léonais ou Libérien, plutôt que comme « réfugié ». Ilssont reconnaissants vis-à-vis de la population d’accueil. Ce désir d’intégration etcette gratitude sont davantage marqués chez <strong>le</strong>s réfugiés urbains que <strong>le</strong>sdéplacés, alors qu’ils vivent dans une situation similaire. Peut-être que <strong>le</strong>sdéplacés, du fait de <strong>le</strong>ur nationalité commune, considèrent l’aide loca<strong>le</strong> commeun dû. Par ail<strong>le</strong>urs, dans une perspective de retour plus imminente, ilss’investissent sans doute moins pour <strong>le</strong>ur propre intégration.Qu’ils soient « réfugiés professionnels » ou complètement intégrés au tissuurbain, <strong>le</strong>s réfugiés urbains font preuve d’une bonne capacité d’intégration etsont plutôt bien reçus par la population loca<strong>le</strong>, tout en gardant une certaineautonomie.Quant aux déplacés, du fait de <strong>le</strong>ur nombre, il <strong>le</strong>ur est paradoxa<strong>le</strong>ment plusdiffici<strong>le</strong> de s’intégrer au tissu économique, bien que la plupart soit déjà assezbien assimilée au réseau social local. Ils sont peut-être moins motivés pours’intégrer que <strong>le</strong>s réfugiés.Enfin, aussi bien <strong>le</strong>s réfugiés urbains que <strong>le</strong>s déplacés ont du mal à se situerentre la perspective du retour et une intégration définitive qui tend à s’entérinerd’el<strong>le</strong>-même.Impact sur la population loca<strong>le</strong> de l’afflux des populations déplacées etréfugiéesIl semb<strong>le</strong> que la présence en vil<strong>le</strong> des déplacés et des réfugiés n’ait pasréel<strong>le</strong>ment eu de conséquence sur <strong>le</strong> bâti (on observe peu de nouvel<strong>le</strong>sconstructions malgré une augmentation de population proche des 20 % au plusfort de la crise). De fait, la Direction Préfectora<strong>le</strong> de l’Habitat (DPH) n’aenregistré qu’une faib<strong>le</strong> hausse des demandes d’attribution de parcel<strong>le</strong>.Toutefois, la part du foncier « formel » étant assez faib<strong>le</strong>, il est diffici<strong>le</strong> de sefaire une idée précise du nombre de nouvel<strong>le</strong>s constructions. Il existe des zonesd’occupation spontanée (notamment <strong>le</strong> long de la route de Guéckédou et près del’aéroport sur des terrains restés vierges jusqu’à une date récente) mais cesterrains n’ont pas été annexés par <strong>le</strong>s seu<strong>le</strong>s populations déplacées. On observeparfois quelques regroupements, mais <strong>le</strong>s déplacés et <strong>le</strong>s réfugiés sont surtoutdisséminés en vil<strong>le</strong>, où l’on ne relève aucun processus de ségrégation spatia<strong>le</strong>entre eux et la population. Toutefois, on observe l’ouverture d’un certain nombrede marchés spontanés, non couverts. Il est diffici<strong>le</strong> de dire à quel point ceux-ciseront pérennes. Certains sont installés dans <strong>le</strong>s quartiers, mais <strong>le</strong> principal s’estinstallé sur la place de la mairie ! (au grand dam de la municipalité, car cette


207place est un espace public supposé rester vacant). Les commerçants de cesmarchés sont des réfugiés urbains, principa<strong>le</strong>ment des femmes. On voit aussicel<strong>le</strong>s-ci vendre du charbon ou des petits gâteaux partout dans la vil<strong>le</strong>. Si <strong>le</strong>stransformations de l’espace bâti sont à peu près inexistantes, en revanche, <strong>le</strong>sconséquences socia<strong>le</strong>s et environnementa<strong>le</strong>s de cet afflux de population sont,el<strong>le</strong>s, d’importance.Conséquences sur l’environnementL’installation des camps a eu un impact néfaste sur l’environnement. Les coupessombres de bois et la dégradation généralisée du couvert végétal autourd’Albadaria est un problème crucial sou<strong>le</strong>vé de façon récurrente par <strong>le</strong>sGuinéens. Des arbres de rente sont coupés, sans par<strong>le</strong>r de l’extraction sauvage del’hui<strong>le</strong> palmiste qui tue <strong>le</strong>s palmiers. Par ail<strong>le</strong>urs, la quantité de charbon produitepar <strong>le</strong>s réfugiées et vendue en vil<strong>le</strong> nuit considérab<strong>le</strong>ment au couvert végétal.Celui-ci a subi une dégradation de 2 % 317 entre 1998 et 2001 dans <strong>le</strong>s zonespériphériques des camps, tandis que <strong>le</strong> déboisement atteint 5,8 % pour la mêmepériode. Entre 1979 et 2001, <strong>le</strong> pourcentage de déboisement est de 8,4 % : <strong>le</strong>sdeux tiers de la dégradation (5,8 %) concernant la période 98 – 01, on peut endéduire que <strong>le</strong> phénomène est directement lié à l’installation des camps. Lespopulations loca<strong>le</strong>s se plaignent beaucoup de cet état de fait.Conséquences sur l’activité commercia<strong>le</strong>Les réfugiés et <strong>le</strong>s déplacés ont développé de nombreux petits commerces. Cettetendance fut encouragée par <strong>le</strong> déversement des produits de l’aide àKissidougou. On voit nombre d’hommes tenir une petite échoppe de réparationde cyc<strong>le</strong>, ou de cordonnerie. Les réfugiés urbains sont parvenus à s’insérer dansl’économie loca<strong>le</strong> essentiel<strong>le</strong>ment en menant de petites activités commercia<strong>le</strong>s,surtout <strong>le</strong>s Sierra Leonais. Ceci a un impact dynamisant sur <strong>le</strong> tissu urbain.Conséquences sur la sécurité alimentaireLa plupart des personnes interrogées nous ont fait part de problèmesd’alimentation liés à l’arrivée des déplacés. En effet, dès l’arrivée des déplacés,un système de solidarité s’est mis en place pour absorber quelque 20 000personnes. Ce sont <strong>le</strong>s chefs de quartier qui ont assuré <strong>le</strong> « placement » desfamil<strong>le</strong>s déplacées quand cel<strong>le</strong>s-ci n’avaient pas déjà un point de chute (parents,amis) en vil<strong>le</strong>. De nombreuses famil<strong>le</strong>s qui comptaient 8 à 10 membres ont vu<strong>le</strong>ur nombre doub<strong>le</strong>r ! La quantité de nourriture restant la même, au moins dans<strong>le</strong>s premières semaines /mois (<strong>le</strong> temps que <strong>le</strong>s nouveaux venus s’intègrent ettrouvent un contrat qui <strong>le</strong>ur <strong>rapport</strong>e argent ou nourriture), <strong>le</strong>s populationsloca<strong>le</strong>s et déplacées se trouvèrent dans une situation alimentaire critique. Ajoutéà la promiscuité, ceci n’a fait qu’empirer <strong>le</strong> niveau sanitaire et a favorisé <strong>le</strong>développement de certaines maladies. On a même pu observer des cas demalnutrition. Cel<strong>le</strong>-ci reste un phénomène marginal en Guinée, mais c’est317 Impact environnemental des réfugiés de Sierra Leone et du Libéria accueillis en Guinée forestière,Vincent Bort, colloque « Conflits armés, l’impact sur l’environnement, la santé et <strong>le</strong> développement »,Cité des Sciences, Paris, 29-30 novembre 2003.


208pourtant parmi la population guinéenne et non parmi la population réfugiée quel’on trouve <strong>le</strong> plus grand nombre d’enfants malnutris en 2002 (d’après <strong>le</strong>ssources du Centre Nutritionnel Thérapeutique d’ACF). L’arrivée presqueconcomitante des produits de l’aide vendus à bas prix sur <strong>le</strong> marché deKissidougou fut d’un précieux secours et a malgré tout permis de pallier lasituation de crise.Une hausse des prix de la nourriture et du logementL’arrivée des déplacés créa une demande très supérieure à l’offre, ce qui fitgrimper <strong>le</strong>s prix. Ce manque de denrées ne fut compensé ni par l’arrivée sur <strong>le</strong>marché des produits de l’aide ni de ceux issus du marché de Guéckédou. Pour<strong>le</strong>s mêmes raisons, <strong>le</strong> prix du foncier locatif augmenta aussi considérab<strong>le</strong>ment.La présence des ONG y est pour beaucoup. En effet, <strong>le</strong>ur installation fit doub<strong>le</strong>r,voire trip<strong>le</strong>r, <strong>le</strong>s prix de location des grandes concessions. L’afflux des nouvel<strong>le</strong>spopulations, ajouté à la présence des ONG, a certes dynamisé subitementKissidougou, mais a aussi contribué à augmenter <strong>le</strong>s prix à la consommation,comme nous l’avons vu précédemment.Des problèmes sanitaires et sociauxLes populations loca<strong>le</strong>s se sont beaucoup plaintes des problèmes sociaux liés àl’arrivée des déplacés et des réfugiés (hausse de la criminalité, vols, etc.) El<strong>le</strong>sestiment en effet que l’élévation du nombre d’habitants pousse la population àdévelopper toutes sortes de stratégies de survies, y compris <strong>le</strong> vol de bétail. Cespropos incriminent parfois <strong>le</strong>s réfugiés, on note une certaine méfiance à <strong>le</strong>urégard. L’autre difficulté fréquemment évoquée est <strong>le</strong> manque de place. Leschambres sont p<strong>le</strong>ines et cette promiscuité entraîne des risques de contagion et <strong>le</strong>développement de certaines maladies.Une surcharge des infrastructuresEnfin, l’arrivée des déplacés et des réfugiés a posé un grave problème desurcharge des infrastructures, en particulier un manque de sal<strong>le</strong>s de classe. Lesréfugiés, doués d’un sens de l’initiative développé, y ont remédié dès <strong>le</strong>urarrivée en vil<strong>le</strong> en construisant des éco<strong>le</strong>s pour <strong>le</strong>urs enfants. Cette initiative estpropre aux réfugiés, qui avaient besoin de cours en anglais, car <strong>le</strong>s déplacés, quiont pu se greffer sur <strong>le</strong>s sal<strong>le</strong>s de classe déjà existantes, n’ont pas construitd’éco<strong>le</strong>s. Ces éco<strong>le</strong>s furent récupérées par <strong>le</strong>s Guinéens lorsque <strong>le</strong>s réfugiésfurent redirigés vers <strong>le</strong>s camps, pour pallier un manque de sal<strong>le</strong> de classe.Néanmoins, aucune autre initiative ne semb<strong>le</strong> avoir été prise, et <strong>le</strong>s classesrestent surchargées, avec souvent 80 à 110 élèves par classe, en raisonnotamment de la présence des déplacés. En terme d’infrastructures, Kissidougoumanque de sal<strong>le</strong>s de classe, de bancs et surtout de professeurs. On peut faire <strong>le</strong>smêmes réf<strong>le</strong>xions en ce qui concerne <strong>le</strong>s infrastructures de santé, qui sont


209débordées. Toutefois, des programmes menés par <strong>le</strong>s ONG existent à l’hôpital deKissidougou, et contribuent à son développement et à son efficacité.Des impacts positifs : <strong>le</strong>s transformations techniques et culturel<strong>le</strong>sL’arrivée des réfugiés a contribué à apporter des techniques peu connues dans larégion de Kissidougou. Même si el<strong>le</strong>s avaient déjà commencé à se développer enGuinée dans la région de Guéckédou, depuis l’époque de l’installation descamps dans la Languette, il a fallu attendre l’ouverture des camps d’Albadariapour voir ces techniques agrico<strong>le</strong>s et artisana<strong>le</strong>s se répandre en GuinéeForestière, notamment dans la région de Kissidougou.La Sierra Leone et <strong>le</strong> Liberia sont un peu plus avancés techniquement que laGuinée dans certains domaines de l’agriculture. Les réfugiés ont ainsi puapporter des techniques qu’ils maîtrisent bien, tel<strong>le</strong>s que l’aménagement de basfonds318 et <strong>le</strong> repiquage 319 , qui augmentent tous deux <strong>le</strong> rendement des récoltes.Les réfugiés ont aussi apporté de nouvel<strong>le</strong>s techniques dans <strong>le</strong>s domaines de lasaponification et de la teinture pour tissus. Ces nouvel<strong>le</strong>s façons de faire, qui sesont développées depuis dans la région de Kissidougou, sont plus rentab<strong>le</strong>s, plusefficaces et de meil<strong>le</strong>ure qualité. Les populations loca<strong>le</strong>s en sont donc trèssatisfaites.D’un point de vue culturel, <strong>le</strong> Liberia et la Sierra Leone apparaissent aussi plus« modernes », surtout au plan des mœurs. La dictature communiste de SékouTouré a certainement joué un rô<strong>le</strong> dans cette différence, car s’il a maintenu sonpays en paix d’une main de fer, il l’a aussi tenu à l’écart du modernisme. Ainsi,depuis l’arrivée des réfugiés, <strong>le</strong>s gens notent que <strong>le</strong>s coiffures et <strong>le</strong>s tenuesvestimentaires évoluent, en particulier cel<strong>le</strong>s des femmes. Par <strong>le</strong>ur apportculturel, jugé favorab<strong>le</strong> par la population, <strong>le</strong>s réfugiés contribuent à lamodernisation et à l’émancipation des populations guinéennes. Ce phénomèneexistait déjà dans la languette, avant que <strong>le</strong>s camps soient relocalisés surAlbadaria : la zone de Guéckédou avait la réputation d’être plus avancéetechniquement et culturel<strong>le</strong>ment grâce aux influences sierra léonaises etlibériennes que <strong>le</strong> reste de la Guinée forestière.318A travers ces différents éléments, nous avons pu voir que l’installation desréfugiés sierra <strong>le</strong>onais et libériens a eu un impact fort sur <strong>le</strong> dynamismeéconomique et sur <strong>le</strong>s changements sociaux de la zone de Kissidougou, entermes positifs et négatifs. En effet, l’arrivée massive des réfugiés et desdéplacés de Guéckédou a créé une crise économique sans précédent dans la zoneLorsque <strong>le</strong> bas-fond n’est pas aménagé, il s’ensab<strong>le</strong> à cause des pluies, ce qui réduitconsidérab<strong>le</strong>ment son rendement. Grâce à de bonnes techniques de maîtrise et de circulation de l’eau,l’aménagement permet de lutter contre l’ensab<strong>le</strong>ment et <strong>le</strong>s mauvaises herbes.319 Le repiquage permet d’économiser la semence. En effet, alors que 80 kg de semences sontnécessaires par hectare si l’on sème à la volée (technique la plus courante en Guinée), on en n’utiliseraque 40 kg/ha si on <strong>le</strong>s plante en pépinière auparavant et qu’on <strong>le</strong>s repique ensuite quant ils sont assezrobustes. L’utilisation de la pépinière puis <strong>le</strong> repiquage augmentent donc de beaucoup la rentabilité.


210frontalière (ce qui a peu ou prou profité à la région économique de Kissidougou)et engendré une inflation des prix à Kissidougou, en particulier en raison de labaisse de la production agrico<strong>le</strong> à Guéckédou. Malgré cette pression économiquedéfavorab<strong>le</strong> aux ménages de Kissidougou, l’intégration en vil<strong>le</strong> des réfugiés etdes déplacés s’est passée sans trop de heurts. Bien que ces populationsnouvel<strong>le</strong>ment arrivées aient été une charge pour <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s loca<strong>le</strong>s dans unpremier temps, el<strong>le</strong>s ont assez rapidement fait preuve d’une autonomie et d’undynamisme qui <strong>le</strong>ur ont permis de s’intégrer dans <strong>le</strong> tissu économique et culturelde la vil<strong>le</strong>. Cela a des conséquences favorab<strong>le</strong>s au développement de la zone : <strong>le</strong>sréfugiés sont porteurs de va<strong>le</strong>urs plus « modernes » qui représentent un facteurde transformations socia<strong>le</strong>s, et ils importent un certain nombre de techniques,notamment agrico<strong>le</strong>s, qui améliorent grandement <strong>le</strong>s productions, surtout enmatière de riziculture.L’exil est vécu par beaucoup comme une situation temporaire, ce qui expliqueque l’intégration reste malgré tout hésitante (ce qui explique que <strong>le</strong>s réfugiés ou<strong>le</strong>s déplacés préfèrent louer plutôt qu’acheter ou bâtir).Les impacts de la présence du personnel humanitaire en vil<strong>le</strong>Le premier constat que l’on peut faire sur <strong>le</strong> terrain, c’est que <strong>le</strong> personne<strong>le</strong>xpatrié des ONG est composé de consommateurs de premier ordre. Ceux-cisont caractérisés par <strong>le</strong>s points suivants : <strong>le</strong>ur niveau de vie est beaucoup plusé<strong>le</strong>vé que celui de la population loca<strong>le</strong>, <strong>le</strong>ur rythme de vie au sein des ONG estsoutenu mais laisse toujours une place aux loisirs, ils ont des besoins spécifiquesde consommation ainsi que des exigences immobilières et de confort, ilseffectuent de nombreux déplacements, essentiel<strong>le</strong>ment avec des véhicu<strong>le</strong>s tousterrains gourmands en carburant. Tous ces éléments se répercutent directementsur l’économie urbaine.Les conséquences directesLe personnel expatrié des ONG a de fortes demandes en matière de logement :en général, il habite dans de grandes résidences appelées « compounds ». Lesbâtiments possèdent <strong>le</strong> confort de base – au moins un groupe é<strong>le</strong>ctrogène et unchâteau d’eau domestique-, <strong>le</strong> tout entretenu par du personnel de maison. Il fautajouter à cela la location de locaux de bureaux, de garages et d’entrepôts.L’arrivée des ONG en vil<strong>le</strong> a entraîné une hausse significative des prix desloyers, qui se sont alignés en général sur <strong>le</strong>s plus offrants. Cette flambée des prixconcerne l’ensemb<strong>le</strong> du locatif disponib<strong>le</strong> ; même <strong>le</strong> prix d’une simp<strong>le</strong> chambrea augmenté, pénalisant <strong>le</strong>s plus démunis. Par ail<strong>le</strong>urs, la vil<strong>le</strong> n’étant pas trèsgrande, el<strong>le</strong> atteint rapidement son taux d’occupation maximal, ce qui renforce laconcurrence et donc la hausse des prix. L’arrivée des ONG contribue par ail<strong>le</strong>ursà la création d’une vil<strong>le</strong> « dua<strong>le</strong> » : la vil<strong>le</strong> des OSI, espace hermétique au seinduquel <strong>le</strong>s expatriés circu<strong>le</strong>nt en circuit fermé (de la base à la maison et toujoursen voiture), et la vil<strong>le</strong> africaine avec son fonctionnement propre. Il existecependant des espaces d’interpénétration, principa<strong>le</strong>ment à travers <strong>le</strong>s contactsprofessionnels entre <strong>le</strong> personnel local et <strong>le</strong> personnel expatrié.


211Les biens de consommation courante sont aussi un poste de dépense majeurpour <strong>le</strong> personnel des ONG : outre <strong>le</strong>s dépenses liées aux loisirs, notammentdans <strong>le</strong>s rares restaurants de la vil<strong>le</strong>, l’argent des expatriés est essentiel<strong>le</strong>mentinvesti dans l’alimentation. Etant donné <strong>le</strong>ur grand pouvoir d’achat, denombreux commerçants ont aligné <strong>le</strong>urs prix sur <strong>le</strong>s possibilités des travail<strong>le</strong>urshumanitaires, pénalisant de la sorte <strong>le</strong>s ménages guinéens pour certains produits.En dehors de cet inconvénient pour <strong>le</strong>s ménages locaux, la présence des ONGcontribue plutôt à dynamiser <strong>le</strong> petit commerce local. De nombreux petitscommerces font <strong>le</strong>ur chiffre d’affaire grâce aux achats réalisés par <strong>le</strong> personneldes ONG, aussi bien <strong>le</strong>s expatriés que <strong>le</strong> personnel local, dont <strong>le</strong> pouvoir d’achatest bien supérieur à la moyenne loca<strong>le</strong>. Il s’agit des artisans qui fabriquent desmeub<strong>le</strong>s, des vendeurs de tissus, et surtout tous <strong>le</strong>s petits vendeurs de rue quisont installés auprès des locaux des ONG.Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s ONG ayant de plus en plus une politique d’achat local pour <strong>le</strong>uractivité proprement dite, <strong>le</strong>ur présence stimu<strong>le</strong> fortement <strong>le</strong> commerce urbain.El<strong>le</strong>s construisent (forte demande en matériaux de construction : bois,ciment…), rénovent, utilisent une grande quantité de produits consommab<strong>le</strong>s(papeterie, matériel de bureau), de pièces mécaniques (pour voitures, camions,pompes, générateurs…), d’outils et de toute sorte de matériels divers pour <strong>le</strong>fonctionnement quotidien de <strong>le</strong>ur base et son entretien.Enfin, un des secteurs <strong>le</strong>s plus stimulés est celui du carburant. La seu<strong>le</strong> flotte del’ensemb<strong>le</strong> des ONG à Kissidougou comprend plus de 200 véhicu<strong>le</strong>s tousterrains,200 motos, 50 camions ainsi qu’une cinquantaine de groupesé<strong>le</strong>ctrogènes. A cela, il faut ajouter <strong>le</strong>s besoins des avions du PAM, du HCR etdu CICR qui réalisent des vols hebdomadaires sur tout <strong>le</strong> territoire. Il existe troisstations-service à Kissidougou, et à la fin de l’année 2002, trois nouvel<strong>le</strong>s étaienten cours de construction.Les infrastructures sont une autre conséquence directe de l’installation des ONGsur <strong>le</strong> territoire. De nombreuses routes ont été ouvertes, notamment entreKissidougou et <strong>le</strong>s camps, mais aussi à Owet Kama, à la frontière libérienne,pour faciliter l’accueil et <strong>le</strong> transfert des réfugiés entrants, ou encore de laLanguette vers la Sierra Leone afin de rapatrier <strong>le</strong>s réfugiés. D’autresinfrastructures en matière de téléphonie ont el<strong>le</strong>s aussi été importées. Toutes cesréalisations participent au développement de la région et à son désenclavement.Enfin, la création de nombreux emplois est un autre avantage induit par laprésence des ONG. Les expatriés ne représentent qu’une toute petite part dupersonnel employé (environ 2 % !). La grande majorité des employés estembauchée sur place (environ 72 % de Guinéens, et 26 % de réfugiés journalierstravaillant sur <strong>le</strong>s camps). Les ONG offrent un éventail varié d’activités qui vontde pair avec un nombre important de postes à pourvoir, des salaires é<strong>le</strong>vés, desfonctions gratifiantes par <strong>le</strong> seul fait d’appartenir à un organisme international.Ces emplois sont donc très convoités. A Kissidougou, on estime à environ 2.000personnes <strong>le</strong> nombre d’employés dans <strong>le</strong> secteur humanitaire. Si chacun dessalaires fait vivre entre 6 et 10 personnes, on peut estimer que ce secteur faitvivre de 12 à 21 % de la population de la vil<strong>le</strong>. Ce chiffre théorique est àtempérer car de nombreux employés des ONG sont originaires du Sud de la


212Guinée (Guéckédou, Macenta, N’Zérékoré). Ceux-ci ont été embauchés surplace lorsque <strong>le</strong>s ONG se trouvaient implantées sur ces zones. Ils n’ont ensuitefait que suivre <strong>le</strong>urs déplacements, <strong>le</strong> dernier en date étant la relocalisation versKissidougou suite aux attaques de Guéckédou. Les postulants à l’embaucheoriginaires de Kissidougou se sont donc trouvés confrontés à la concurrenceprofessionnel<strong>le</strong> des déplacés qui, aux yeux des employeurs, avaient l’avantaged’avoir déjà travaillé pour <strong>le</strong>s agences humanitaires lorsque cel<strong>le</strong>s-ci étaientimplantées sur <strong>le</strong>ur région. Le chiffre <strong>le</strong> plus réaliste que l’on pourrait avancerserait de 12 à 15 % des habitants de Kissidougou vivant des salaires versés par<strong>le</strong>s ONG.Il existe enfin un pourcentage non quantifiab<strong>le</strong> d’emplois indirects, pour laréalisation des projets destinés aux réfugiés, par sous-traitance, notamment dans<strong>le</strong> secteur de la construction, du transport et de la transformation des matièrespremières (comme <strong>le</strong> bois).Pour la zone d’Albadaria - Kissidougou, qui a vu la réimplantation des camps etdes ONG auparavant installées à Guéckédou, il convient de distinguer <strong>le</strong>simpacts sur la vil<strong>le</strong> même de Kissidougou et <strong>le</strong>s impacts sur l’ensemb<strong>le</strong> de lapréfecture, en particulier sur la zone d’implantation des camps.Pour Kissidougou même, si l’on retient comme seul critère <strong>le</strong> nombre deprogrammes orientés spécifiquement vers la vil<strong>le</strong>, l’impact est plutôt limité carceux-ci sont peu nombreux. En fait, la plupart des améliorations proprementurbaines induites par la présence des humanitaires se concentrent sur l’hôpitalpréfectoral 320 à travers la mise en œuvre de programmes ouverts aux réfugiéscomme aux Guinéens. Cela a permis tout de même une amélioration sensib<strong>le</strong> dela qualité généra<strong>le</strong> des infrastructures sanitaires et socia<strong>le</strong>s de la vil<strong>le</strong>.Néanmoins, l’impact indirect des ONG sur l’économie loca<strong>le</strong> est important, dufait de <strong>le</strong>ur pouvoir de consommation et d’embauche.En ce qui concerne l’impact sur <strong>le</strong>s villages de la préfecture de Kissidougou, enparticulier ceux situés à proximité des camps, il faut retenir que ces villages ontbénéficié d’un certain nombre de retombées directes, plus diversifiées qu’àKissidougou quant aux secteurs appuyés, tels que la voirie, la santé (accèsgratuit aux infrastructures des camps), l’agriculture, etc. En particulier, denombreux points d’eau et éco<strong>le</strong>s ont été construits, et <strong>le</strong>s villageois ont accès auxAGR mises en place par <strong>le</strong>s ONG. Néanmoins, ces apports n’ont pas fait passerces villages ruraux à un statut urbain 321 . L’habitat reste constitué de casesvillageoises, on trouve très peu de voies goudronnées et pas d’éclairage public.Les améliorations apportées n’ont pas attiré non plus de nouveaux fluxsignificatifs de population. Par ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong>s villages sont frappés de p<strong>le</strong>in fouetpar la hausse des prix et par la baisse de dynamisme des petits marchés locauxau profit des nouveaux marchés des camps. Enfin, <strong>le</strong>s Guinéens subissent laconcurrence des réfugiés pour l’accès au travail, car grâce à la distribution de320 Il s’agit des centres d’accueil et d’animation ainsi que du CNT (centre nutritionnel thérapeutique).321 Le contexte reste en effet rural : on y trouve surtout des cases villageoises et quelques bâtiments endur, très peu de portions de voie goudronnées (des pistes donc pour l’essentiel) et pas d’éclairagepublic. Les améliorations apportées n’ont pas attiré non plus de nouveaux flux significatifs depopulation.


213l’aide, ils peuvent se permettre de vendre <strong>le</strong>ur force de travail moins cher. Ceciest favorab<strong>le</strong> aux exploitants qui embauchent des journaliers, mais dramatiquepour <strong>le</strong>s personnes vivant uniquement de la vente de <strong>le</strong>ur force de travail.A l’inverse de Kissidougou, <strong>le</strong>s impacts directs dont bénéficient <strong>le</strong>s villages(forages, AGR…) sont multip<strong>le</strong>s, mais <strong>le</strong>s retombées indirectes sur l’économieloca<strong>le</strong> sont mitigées, particulièrement défavorab<strong>le</strong>s aux ménages <strong>le</strong>s plusdémunis.En tout état de cause, on ne peut pas par<strong>le</strong>r de réel investissement du milieuurbain par <strong>le</strong>s projets humanitaires. Il faut rappe<strong>le</strong>r que <strong>le</strong> mandat du HCR et desONG est l’aide aux réfugiés et non pas à la population loca<strong>le</strong>. Or, à Kissidougou,la présence des réfugiés urbains est niée puisque déclarée illéga<strong>le</strong> par <strong>le</strong>sautorités qui <strong>le</strong>s pourchassent, par peur des infiltrations de rebel<strong>le</strong>s. Lesorganisations humanitaires ne peuvent <strong>le</strong>s assister sans contredire la politiquedes autorités loca<strong>le</strong>s 322 . La plus grande partie des projets humanitaires initiésdepuis 2001 est donc destinée aux réfugiés des camps. Il est à soulignertoutefois, comme nous l’avons mentionné plus haut, que 10 à 15 % des fondshumanitaires sont destinés à des projets orientés vers <strong>le</strong>s villages guinéens de lapréfecture de Kissidougou. L’objectif est d’atténuer <strong>le</strong>s disparités entre <strong>le</strong>scommunautés réfugiées et guinéennes, surtout dans la sous-préfecture quihéberge <strong>le</strong>s camps. L’attention dont faisait l’objet <strong>le</strong>s réfugiés avait en effet faitnaître de la jalousie chez <strong>le</strong>s populations hôtes qui vivaient dans des conditionsdésormais beaucoup plus misérab<strong>le</strong>s que ceux qu’ils hébergeaient sur <strong>le</strong>urterritoire.Les ONG subissent aussi la pression des bail<strong>le</strong>urs de fonds qui financent <strong>le</strong>ursprogrammes. En effet, seul un certain type de projet (d’appui aux réfugiés) peutêtre éligib<strong>le</strong> pour une demande de fonds faite auprès des bail<strong>le</strong>urs de l’urgence.L’aide aux populations guinéennes, entrant dans <strong>le</strong> cadre du développement,échappe au domaine d’action de ceux-ci. Cet état de fait lie <strong>le</strong>s ONG et limitel’étendue de <strong>le</strong>urs actions possib<strong>le</strong>s, puisque <strong>le</strong>ur fonctionnement dépend de <strong>le</strong>urbudget, très majoritairement alimenté par <strong>le</strong>s bail<strong>le</strong>urs de l’urgence. Par ail<strong>le</strong>urs,l’action des ONG est inscrite dans un pas de temps limité, avec des objectifsdiffici<strong>le</strong>s, et évolue dans un contexte institutionnel assez homogène. Ceci crée unensemb<strong>le</strong> qui privilégie une action conçue dans l’urgence, sans laisser beaucoupde place à des problématiques s’inscrivant dans un contexte très différent (dansla durée et dans l’approche) : <strong>le</strong> développement.Le départ des humanitaires : des conséquences à prévoirL’étude des retombées de la présence des humanitaires en vil<strong>le</strong> conduitnaturel<strong>le</strong>ment à évoquer <strong>le</strong>s conséquences de <strong>le</strong>ur départ, dont l’anticipation est(idéa<strong>le</strong>ment) indispensab<strong>le</strong>…322 En accord avec <strong>le</strong>s autorités guinéennes, <strong>le</strong> HCR a tout mis en œuvre pour que <strong>le</strong>s réfugiés seregroupent dans <strong>le</strong>s camps lors de la relocalisation de 2001. En théorie, <strong>le</strong>s réfugiés non enregistrésdans <strong>le</strong>s camps d’Albadaria ne sont pas censés bénéficier de l’assistance internationa<strong>le</strong>. Ceci est censé<strong>le</strong>s motiver pour ne pas rester en vil<strong>le</strong> à Kissidougou.


214Sur la vil<strong>le</strong>, on peut anticiper la présence de risques consécutifs au départ desOSI. Ceux-ci peuvent être prévenus en mettant en place un certain nombred’actions d’accompagnement.Risque de perte du dynamisme économique en vil<strong>le</strong>.Suite au départ des agences d’aide et à la reprise économique de Guéckédou, <strong>le</strong>commerce, jusque là stimulé par une forte demande, pourrait péricliter si desprojets de développement ne sont pas montés pour assurer son autonomie. Ilsemb<strong>le</strong>rait pertinent d’entamer des actions permettant à Kissidougou deconserver <strong>le</strong>s avantages acquis en matière de développement économique. Celuicirepose pour beaucoup sur <strong>le</strong> secteur informel, soutenu par l’arrivée desdéplacés et des réfugiés urbains. En effet, ces derniers suscitent une fortedemande en nourriture, logement, transport, biens de consommation courante…à laquel<strong>le</strong> répond spontanément une croissance du secteur informel. Ce dernierest soumis aux aléas de la conjoncture, ce qui <strong>le</strong> rend extrêmement fragi<strong>le</strong> etdiffici<strong>le</strong> à accompagner pour <strong>le</strong>s ONG. Il risque donc de subir fortement <strong>le</strong>sconséquences du départ des ONG et des réfugiés, en particulier si celui-ci se faitbruta<strong>le</strong>ment et sans action d’accompagnement.• Risques d’impacts négatifs sur l’emploiLes employés non qualifiés (chauffeur, gardien) risquent d’avoir des difficultés àse replacer. En revanche, <strong>le</strong> personnel qualifié a plus de chance de retrouver unemploi dans un autre secteur, avec la probabilité de devoir se déplacer àConakry. Bien que l’activité commercia<strong>le</strong> se soit développée à Kissidougou,aucune petite industrie ne s’est créée, et l’offre d’emploi va probab<strong>le</strong>mentdemeurer insuffisante, a fortiori pour un personnel formé par <strong>le</strong>s ONG etpouvant prétendre à un poste à responsabilités. La perte subite de ces emploislorsque <strong>le</strong>s ONG partiront risque d’avoir des conséquences dramatiques sur lapopulation, sauf si certaines actions comme par exemp<strong>le</strong> l’aide à la création depetites entreprises sont mises en place avant <strong>le</strong> départ des OSI, ou qu’un relaiss’effectue avec des agences de développement.• Une baisse du prix des logementsEn raison de la baisse de pression sur l’immobilier, <strong>le</strong>s logements, au grandsoulagement de la population, devraient voir <strong>le</strong>ur prix diminuer, tout commecelui d’un certain nombre de denrées alimentaires. C’est la loi du marché quirèg<strong>le</strong>ra <strong>le</strong>s prix, avec une demande plus faib<strong>le</strong>.• Conséquences socia<strong>le</strong>s du départ des réfugiésMême si la grande majorité des réfugiés vit dans <strong>le</strong>s camps, l’impact sur <strong>le</strong> tissuurbain de <strong>le</strong>ur présence est réel. Celui-ci se ressent particulièrement à un niveauéconomique. En effet, <strong>le</strong>s réfugiés représentent une main d’œuvre bon marché ettoujours adaptée aux principa<strong>le</strong>s activités économique de la zone, qui sont


215sensib<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s mêmes que cel<strong>le</strong>s dont ils sont coutumiers (agriculture etartisanat). Leur présence améliore donc la production dans la sous-préfectured’Albadaria, ce qui augmente la quantité de marchandises disponib<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong>marché de Kissidougou. En outre, <strong>le</strong>s vivres issues de l’aide et vendues par <strong>le</strong>sréfugiés sur <strong>le</strong>s marchés sont d’un grand secours pour <strong>le</strong>s ménages guinéens, enparticulier <strong>le</strong>s plus démunis, car ces denrées à forte va<strong>le</strong>ur nutritive sont peuchères. Lorsque <strong>le</strong>s réfugiés quitteront la zone, ces produits n’existeront plus sur<strong>le</strong> marché. De plus, <strong>le</strong> potentiel d’innovations techniques apporté par <strong>le</strong>sréfugiés, même s’il est pour une bonne part assimilé par la populationguinéenne, n’est peut-être pas exploité autant qu’il pourrait l’être. Enfin, <strong>le</strong>sservices de santé entretenus par <strong>le</strong>s ONG et accessib<strong>le</strong>s aux Guinéens (commel’hôpital de Kissidougou) se trouveront délaissés…• Récupération des infrastructures après la fermeture des campsOn peut tirer des enseignements du départ des réfugiés de la Languette et deDabola pour anticiper <strong>le</strong>s conséquences de la fermeture des camps d’Albadaria.Bien que ceux-ci soient d’une autre envergure et dotés d’une structureorganisationnel<strong>le</strong> plus développée, <strong>le</strong>s conséquences du départ des réfugiés etdes agences d’aide sont de nature comparab<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s différents sites, au niveaude la récupération potentiel<strong>le</strong> des infrastructures par la population loca<strong>le</strong>.Lors de la fermeture des camps de Sembakounya, près de Dabola, au Nord Ouestde Kissidougou, aucune récupération n’a été planifiée, et <strong>le</strong> camp vide s’est vul’objet de nombreux pillages. Après quelques temps, <strong>le</strong> camp a été fina<strong>le</strong>mentnettoyé sous contrô<strong>le</strong> d’une ONG qui a embauché des volontaires autorisés encontre-partie à récupérer ce qui pouvait l’être (bois, tô<strong>le</strong>). Un projet mené parune ONG loca<strong>le</strong>, en accord avec <strong>le</strong>s autorités, envisage d’utiliser <strong>le</strong>s terrainsvides pour reboiser en bois de rente. Néanmoins, <strong>le</strong>s bénéficiaires potentiels sontréticents à s‘engager car <strong>le</strong>s terres restent pour l’instant propriété de l’Etatguinéen.A Bodou, village de 800 personnes dans la Languette, à côté duquel était installéun camp de 20 000 réfugiés, on n’a pu réutiliser aucune infrastructure. A celaplusieurs explications : <strong>le</strong> manque de moyens pour valoriser cel<strong>le</strong>s-ci,l’inadaptation aux besoins, et une réticence du gouvernement, qui s’est vu céder<strong>le</strong>s infrastructures par <strong>le</strong> HCR après la fermeture des camps. Celui-ci <strong>le</strong>s gardejalousement pour <strong>le</strong>s utiliser à sa guise pour des projets à venir. Mais <strong>le</strong>s moyensmanquent et rien ne se passe : <strong>le</strong>s bâtiments gisent dans l’expectative,inutilisab<strong>le</strong>s car figés comme propriété de l’Etat.De toute évidence, la récupération des infrastructures par la population loca<strong>le</strong>après la fermeture des camps ne fait l’objet d’aucune planification, et se traite aucas par cas en fonction de l’implication des acteurs locaux. La tail<strong>le</strong> des camps et<strong>le</strong>ur éloignement géographique par <strong>rapport</strong> aux villages sont certainement desfacteurs favorisants, bien qu’on ne puisse formu<strong>le</strong>r des généralités sur ce point.La tail<strong>le</strong> monumenta<strong>le</strong> des camps d’Albadaria pose question. En effet, début2004, <strong>le</strong>s rapatriements sont très avancés, en particulier en ce qui concerne <strong>le</strong>sSierra Leonais, que <strong>le</strong> HCR incite fortement au « rapatriement volontaire »,notamment en contraignant <strong>le</strong>s ONG de débaucher ceux qui travail<strong>le</strong>nt pour


216el<strong>le</strong>s. On estime cependant que 15 % des réfugiés (soit 1500 famil<strong>le</strong>s) nerepartiront pas 323 , bien qu’officiel<strong>le</strong>ment tous <strong>le</strong>s Sierra Leonais devraient êtrerapatriés en juin 2004.Les villageois des a<strong>le</strong>ntours ont exprimé <strong>le</strong>ur désir de garder <strong>le</strong>s installationsaprès la fermeture des camps, eu égard aux apports bénéfiques liés à <strong>le</strong>urcréation : éco<strong>le</strong>s, accès aux soins, marchés… qui ont radica<strong>le</strong>ment transformél’équilibre et <strong>le</strong> potentiel des villages voisins. Toutefois, même en supposant quequelques réfugiés demeurent dans <strong>le</strong>s camps, et peut-être que quelques Guinéenss’y instal<strong>le</strong>nt, <strong>le</strong> paysage socio-économique ne sera plus <strong>le</strong> même après <strong>le</strong> départdes OSI, et avec el<strong>le</strong>s des budgets de fonctionnement des éco<strong>le</strong>s, des centres desanté, de l’entretien de la voirie… et éga<strong>le</strong>ment des rations du PAM, apport denourriture et source d’échanges dont la disparition risque d’être lourde deconséquences.Il est donc très diffici<strong>le</strong> d’élaborer des hypothèses sur <strong>le</strong> devenir des campsd’Albadaria après <strong>le</strong> départ des OSI. Leur récupération par la population loca<strong>le</strong>semb<strong>le</strong> ambitieuse, mais <strong>le</strong>ur abandon total serait la ruine du potentiel socioéconomiquequ’ils représentent pour l’ensemb<strong>le</strong> de la région Kissidougou –Albadaria. On ne peut que souhaiter que la fermeture des camps se fasse defaçon organisée et concertée.En résumé, l’arrivée de nouvel<strong>le</strong>s populations en zone urbaine a desrépercussions importantes sur l’organisation de la vil<strong>le</strong>. Les déplacés et <strong>le</strong>sréfugiés urbains, même s’ils sont ici de façon temporaire, n’en sont pas moinsdes facteurs de transformation de la vil<strong>le</strong>. Il est diffici<strong>le</strong> de mesurer <strong>le</strong>ur nombre,et conséquemment de déterminer un impact en terme quantitatif. Il estnéanmoins important de souligner qu’une part de ces populations s’intègredéfinitivement à l’espace urbain, apportant par ce fait sa part de changementsinscrits dans la durée. Ceux-ci sont d’autant plus perceptib<strong>le</strong>s que la vil<strong>le</strong> avantl’arrivée des migrants avait une activité assez peu diversifiée, vil<strong>le</strong> relaiscommerçant principa<strong>le</strong>ment avec son hinterland. Le contexte dans <strong>le</strong>quel <strong>le</strong>sdéplacés et <strong>le</strong>s réfugiés s’intègrent en vil<strong>le</strong> est tout à fait particulier ; il fait partied’une dynamique de vastes changements engendrés par la crise.L’arrivée des humanitaire est porteuse de plus grands changements, parcequ’économiquement plus visib<strong>le</strong>s. Toutefois, contrairement aux nouvel<strong>le</strong>spopulations urbaines qui ont su trouver <strong>le</strong>ur place dans un processus decontinuité, <strong>le</strong>s humanitaires vont quitter la vil<strong>le</strong> à plus ou moins long terme, et larupture risque d’être très bruta<strong>le</strong>. Ce qui compte dans ce cas, ce n’est passeu<strong>le</strong>ment de mesurer l’impact que ceux-ci ont sur la vil<strong>le</strong> en termes qualitatif etquantitatif, mais de prévoir <strong>le</strong>s conséquences d’un départ annoncé…ConclusionLa zone de Kissidougou connaît depuis 2001 de grandes perturbations liées à uncertain nombre de facteurs exogènes qui trouvent <strong>le</strong>ur origine commune dans <strong>le</strong>sconflits qui ont embrasé la Sierra Leone et <strong>le</strong> Liberia pendant 13 ans. Fuyant323 Source : <strong>rapport</strong> FAO, op. cit.


217cette guerre, des milliers de réfugiés sont entrés en Guinée, pays neutre voisinépargné par la flambée de vio<strong>le</strong>nce qui s’est répandue au Sud. Lorsqu’à la fin del’année 2000, <strong>le</strong>s rebel<strong>le</strong>s entrent en Guinée, dévastant <strong>le</strong>s villages et <strong>le</strong>s campsfrontaliers, c’est toute la région forestière qui va subir un grand bou<strong>le</strong>versement.En 2001, la relocalisation des réfugiés loin de la frontière, dans <strong>le</strong>s campsd’Albadaria, et l’éclatement du pô<strong>le</strong> économique de Guéckédou créent unegrande déstabilisation régiona<strong>le</strong>. C’est la vil<strong>le</strong> de Kissidougou qui va subir dep<strong>le</strong>in fouet <strong>le</strong>s conséquences de ces mouvements forcés de population. Toutd’abord, la crise au Sud délocalise l’acheminement d’un grand nombre demarchandises, mais surtout toutes <strong>le</strong>s prérogatives commercia<strong>le</strong>s de Guéckédou,alors dévastée par <strong>le</strong>s bombardements. Ensuite, la vil<strong>le</strong> absorbe en moins d’un anquelques 20 à 30.000 déplacés. Enfin, el<strong>le</strong> voit l’ouverture de camps de réfugiéscomptant plusieurs dizaines de milliers de personnes à une heure de route auNord. De façon concomitante, toutes <strong>le</strong>s ONG présentes auparavant dans <strong>le</strong> Suds’instal<strong>le</strong>nt en vil<strong>le</strong>…La zone en est profondément affectée, sur tous <strong>le</strong>s plans : économiquement, el<strong>le</strong>passe d’un rô<strong>le</strong> de vil<strong>le</strong> relais à une fonction centralisatrice. Les conséquences decette évolution du rô<strong>le</strong> de la vil<strong>le</strong> dans l’armature urbaine régiona<strong>le</strong> se font sentirà l’échel<strong>le</strong> nationa<strong>le</strong>, par une redistribution des flux sur l’ensemb<strong>le</strong> du territoire.A une échel<strong>le</strong> plus loca<strong>le</strong>, la vil<strong>le</strong> doit se replacer dans un rééquilibrage del’espace imputab<strong>le</strong> à la présence des camps. En effet, <strong>le</strong> bou<strong>le</strong>versement des axesd’échanges, avec la création de nouveaux flux et de nouveaux espaces decommerce, modifie <strong>le</strong> réseau traditionnel tissé entre la vil<strong>le</strong> et son hinterland. Lamise en place de camps abritant quelques 50.000 réfugiés, dans une zone quasivierge, soutenus par la logistique humanitaire, a créé une bul<strong>le</strong> de richessescomplètement ex nihilo. Ceci a pour conséquence de bou<strong>le</strong>verser l’ordre socia<strong>le</strong>t économique de la zone.Enfin, l’on se doit de considérer <strong>le</strong>s acteurs de ces transformations spatia<strong>le</strong>s. Cene sont pas tant <strong>le</strong>s réfugiés dans <strong>le</strong>s camps, car même s’ils ont une incidence surl’économie loca<strong>le</strong> voire urbaine, ils sont maintenus pour une grande partphysiquement à l’écart du milieu urbain. Or, c’est justement la présence en vil<strong>le</strong>de nouveaux acteurs économiques, c’est-à-dire tout simp<strong>le</strong>ment d’une nouvel<strong>le</strong>population qui va s’intégrer, qui contribue à modifier l’équilibre urbain, d’unemanière profonde. Ces nouvel<strong>le</strong>s populations sont de deux types : d’une part desmigrants « régionaux », qu’ils soient déplacés de Guéckédou ou réfugiés, etd’autre part <strong>le</strong> personnel humanitaire qui travail<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s camps de réfugiés. Lesnouveaux venus, déplacés ou réfugiés, sont diffici<strong>le</strong>s à compter, et <strong>le</strong>urimplication dans <strong>le</strong> milieu urbain est diffici<strong>le</strong> à quantifier, car ce sont despopulations très mobi<strong>le</strong>s, d’une part, et qu’el<strong>le</strong>s se fondent au sein de lapopulation, d’autre part. Pourtant, <strong>le</strong>ur rô<strong>le</strong> n’en est pas pour autant à négliger :dynamisation commercia<strong>le</strong>, importation d’innovations techniques ouculturel<strong>le</strong>s… cel<strong>le</strong>s-ci ont un potentiel pour faire évoluer la vil<strong>le</strong>. Mais ceschangements sont <strong>le</strong>nts, mouvants, il n’y a pas de réel<strong>le</strong> solution de continuitédans <strong>le</strong> processus : <strong>le</strong>s réfugiés peuvent d’abord constituer un poids pour <strong>le</strong>spopulations loca<strong>le</strong>s qui <strong>le</strong>s accueil<strong>le</strong>nt, puis se révé<strong>le</strong>r productifs, puis s’insérerdans un système et contribuer à <strong>le</strong> dynamiser…


218Cette diversité, ce flou économique expliquent peut-être <strong>le</strong> désintérêt que l’onporte aux migrants urbains. On <strong>le</strong>s considère souvent, peut-être à tort, commedes quantités négligeab<strong>le</strong>s, qui viennent en vil<strong>le</strong> puis disparaissent sans laisser detrace. On peut avoir l’intuition que la réalité est tout autre, que <strong>le</strong>s changementsprennent du temps, et ne sont pas toujours immédiatement visib<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>paysage.A l’inverse, on mesure très bien l’impact de la présence des humanitaires envil<strong>le</strong> : celui-ci est visib<strong>le</strong> et quantifiab<strong>le</strong>. De surcroît, <strong>le</strong>s interventionshumanitaires dans d’autres pays fournissent des expériences qui permettentd’anticiper certains impacts produits de manière récurrente par <strong>le</strong> départ desagences d’aide. Il est indéniab<strong>le</strong> que l’argent investi, <strong>le</strong>s moyens déployéslaissent des traces sans doute indélébi<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong> paysage urbain, mais aussi dansl’équilibre socio-économique de la vil<strong>le</strong>.De manière généra<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s transformations qui affectent <strong>le</strong> milieu urbain sontextrêmement diffici<strong>le</strong>s à appréhender. D’une part, on dispose de fort peud’informations quantitatives, et d’autre part, l’absence d’implication desorganisations internationa<strong>le</strong>s et des ONG étrangères dans ce milieu fait quecelui-ci est parfaitement méconnu des acteurs humanitaires.Ceci constitue un manque qu’il importe de sou<strong>le</strong>ver : en effet, toutes <strong>le</strong>smodifications de la trame économique et socia<strong>le</strong> de la région ont desrépercussions sur la vil<strong>le</strong>. C’est en milieu urbain que se cristallisent <strong>le</strong>s manques,<strong>le</strong>s innovations, <strong>le</strong>s évolutions. La vil<strong>le</strong> est <strong>le</strong> thermomètre de l’état social d’unerégion, car tous <strong>le</strong>s flux s’y croisent peu ou prou, toutes <strong>le</strong>s influences s’yrencontrent. C’est souvent <strong>le</strong> théâtre des plus grands changements, c’est là quese trament <strong>le</strong>s évènements politiques <strong>le</strong>s plus déterminants, c’est aussi <strong>le</strong> lieud’expression des conflits, qu’ils soient sociaux ou idéologiques, qu’ils soientmanifestations ou guérillas. C’est aussi un lieu d’accueil privilégié pour <strong>le</strong>smigrants, parce qu’il est synonyme de diversité et d’opportunités économiques.Dès lors, comment comprendre <strong>le</strong> désintérêt dont la vil<strong>le</strong> fait l’objet ?D’abord, il y a sans doute une certaine méfiance à l’égard de ce milieu urbain,tentaculaire, non contrôlab<strong>le</strong>, étrange dans tous <strong>le</strong>s sens du terme. Sonorganisation, obéissant pourtant à certaines lois, <strong>le</strong>s siennes propres, semb<strong>le</strong>incompréhensib<strong>le</strong> et paradoxa<strong>le</strong>. L’identification de populations précises est unparcours du combattant. L’obtention de chiffres une gageure. La connaissanceexhaustive du milieu impensab<strong>le</strong>. On peut diffici<strong>le</strong>ment s’étonner de ne pas voirdavantage d’actions en vil<strong>le</strong>, car <strong>le</strong> montage et <strong>le</strong> suivi des programmes sont pluscomp<strong>le</strong>xes et <strong>le</strong>ur succès sûrement plus aléatoire qu’en milieu rural.C’est aussi (et avant tout, dans <strong>le</strong> cas de Kissidougou) une question de mandat.Les organisations humanitaires présentes ont toutes pour mandat l’aide etl’assistance des réfugiés. Quid des populations loca<strong>le</strong>s ?... on ne peut pas faire fides difficultés dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s <strong>le</strong> départ des ONG, des organisationsinternationa<strong>le</strong>s et des réfugiés vont <strong>le</strong>s jeter. La responsabilité de la communautéinternationa<strong>le</strong> est impliquée, puisque c’est el<strong>le</strong> qui a modifié de manière sansdoute définitive l’équilibre régional. Ce qui en soit n’est pas un mal ; mais la


219brusquerie d’un départ non anticipé et l’abandon des populations sans unepolitique d’accompagnement seraient désastreux. La gratuité des nouveauxservices disponib<strong>le</strong>s pour <strong>le</strong>s villageois risque aussi de contribuer à augmenter<strong>le</strong>ur niveau d’exigence, qu’ils n’auront pas <strong>le</strong>s moyens de satisfaire, à moins ded’augmenter <strong>le</strong>ur revenus et de monétiser davantage <strong>le</strong>ur échanges. Pourtant, lamise en place d’actions de développement ne semb<strong>le</strong> pas faire vraiment partiedes priorités des agences d’aide humanitaire d’urgence, comme <strong>le</strong>ur noml’indique. Cette impasse illustre la difficulté de penser l’action humanitaireautrement que dans l’immédiateté, et surtout dans une globalité qui dépasserait<strong>le</strong>s clivages de compétences et de prérogatives diverses qui nuisent auxbénéficiaires.L’étude du milieu urbain paraît donc indispensab<strong>le</strong>, à la fois dans uneperspective d’analyse globa<strong>le</strong> du territoire, pour mieux comprendre <strong>le</strong>s enjeuxgéographiques et adapter l’action au plus près des besoins des bénéficiaires,mais aussi parce que la vil<strong>le</strong> est un laboratoire qui permet d’examiner avecprécision <strong>le</strong>s multip<strong>le</strong>s conséquences d’une situation de crise. Les nouveauxréseaux, la redistribution des flux sur <strong>le</strong> territoire, la création des nouveauxmarchés, mais aussi l’installation des camps, l’arrivée des déplacés, la présencedes humanitaires…. Tout cela fonctionne comme un système dont <strong>le</strong>s fail<strong>le</strong>s et<strong>le</strong>s réussites se cristallisent en vil<strong>le</strong>, même si ce n’est pas vers el<strong>le</strong> directementque <strong>le</strong>s programmes se dirigent.Essayer d’appréhender l’espace urbain <strong>le</strong> mieux possib<strong>le</strong>, avoir une pensée àlong terme, anticiper <strong>le</strong>s conséquences, capitaliser <strong>le</strong>s expériences sont <strong>le</strong>s c<strong>le</strong>fsde voûte <strong>le</strong>s plus aptes à soutenir l’édifice d’une action de qualité qui peutprétendre s’inscrire dans la durée.


2206LE DEPLACEMENT ET L’INSERTION URBAINE DANSDEUX MUNICIPES DE L’AGGLOMERATION DE BOGOTALe déplacement, conséquence si<strong>le</strong>ncieuse et arme du conflitLe déplacement de population est un phénomène massif et quotidien enColombie. Il est une conséquence si<strong>le</strong>ncieuse du conflit qui déchire <strong>le</strong> paysdepuis plus de cinquante ans. L’intensité du conflit s’accroît depuis vingt ans et<strong>le</strong>s espoirs de dénouement, eux, s’amenuisent. Les groupes de guérilla – <strong>le</strong>sForces Armées Révolutionnaires Colombiennes FARC, et l’Armée de LibérationNationa<strong>le</strong> ELN 324 -, <strong>le</strong>s groupes paramilitaires –<strong>le</strong>s Autodéfenses Unies deColombie AUC 325 - et <strong>le</strong>s forces armées nationa<strong>le</strong>s s’affrontent, chacun cherchantà maintenir sa domination sur un territoire ou à l’affirmer. Leurs effectifs se sontmultipliés ces dernières années. On estime à 18 000 <strong>le</strong> nombre de personnesenrôlées chez <strong>le</strong>s FARC, à 3 500 cel<strong>le</strong>s enrôlées chez l’ELN, et à 8 000 cel<strong>le</strong>schez <strong>le</strong>s paramilitaires. Les fondements idéologiques qui ont donné naissanceaux groupes de guérilla sont aujourd’hui largement supplantés par <strong>le</strong>s intérêtséconomiques et guerriers. Les paramilitaires sont des armées de mercenaires et<strong>le</strong>ur collusion avec l’armée fait souvent frémir. La population civi<strong>le</strong> se trouve« prise en otage » entre <strong>le</strong>s feux croisés des différents groupes, principa<strong>le</strong>victime de la vio<strong>le</strong>nce. El<strong>le</strong> subit <strong>le</strong>s pressions psychologiques, <strong>le</strong>s massacres, <strong>le</strong>sassassinats, <strong>le</strong>s enlèvements, la peur. La souveraineté contestée de l’Etat sur <strong>le</strong>territoire national provoque des atteintes aux droits et aux libertés de lapopulation qui se voit parfois contrainte à fuir. Dans <strong>le</strong>urs zones d’influence, <strong>le</strong>sgroupes imposent des normes qui réorganisent la vie socia<strong>le</strong>, qui limitent laliberté personnel<strong>le</strong> et la libre expression. Ils séquestrent des civils à des finspolitiques et d’extorsion, et ils promeuvent <strong>le</strong> recrutement forcé ou volontairedes mineurs. Dans tous <strong>le</strong>s cas, c’est un système d’allégeance que <strong>le</strong>s groupescherchent à mettre en place, la population civi<strong>le</strong> devant se soumettre et promettresa loyauté. Cette tendance à la dégradation progressive de la guerre suit soncours, dans une situation où la précarité de l’Etat est évidente et dangereuse.Entre janvier et septembre 2002, 3 141 personnes ont été assassinées pour desmotifs politiques 326 . Mais la Vice-présidence de la République estime qu’il estdiffici<strong>le</strong> de déterminer parmi <strong>le</strong>s 23 354 homicides commis entre janvier etoctobre 2002, <strong>le</strong>squels représentent des violations de Droits de l’Homme ou descrimes de guerre, et <strong>le</strong>squels sont des crimes de droit commun, étant donné quel’Etat est déficient et que bon nombre de ces crimes restent dans l’impunité. Lesséquestres sont éga<strong>le</strong>ment nombreux parmi la population civi<strong>le</strong>, et l’on dressehabituel<strong>le</strong>ment une moyenne de 3 000 enlèvements par an. Les déplacements depopulations causés par la vio<strong>le</strong>nce se mêlaient auparavant au phénomène pluslarge et plus traditionnel de l’exode rural, mais depuis <strong>le</strong>s années 1980, <strong>le</strong>sopinions publiques sont plus sensibilisées à ce problème et on identifie plusclairement ces flux de population. Plus de 2,9 millions de personnes sont324 FARC, Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia, et ELN, Ejercito de Liberación Nacional325 Autodefensas Unidas de Colombia326 Rapport Amnesty International


221déplacées par la vio<strong>le</strong>nce depuis 1985, et <strong>le</strong>s chiffres de déplacement sont enaugmentation constante depuis cette date. Pour la seu<strong>le</strong> année 2002, on compte412 000 déplacés 327 . A ces déplacés internes, il faut ajouter <strong>le</strong>s réfugiés. Plusd’un million et demi de Colombiens vivent hors du territoire national. Celareprésente en tout plus de 5% de la population qui se retrouve acculée, forcée audépart. A mesure que la vio<strong>le</strong>nce augmente, <strong>le</strong>s déplacés internes et externes semultiplient. Les motifs qu’avancent ces populations pour expliquer <strong>le</strong>urdéplacement sont <strong>le</strong>s suivants : suite à des menaces 34%, par peur 18%, enraison d’assassinats 14%, à cause des affrontements armés 10%, et à cause desmassacres 9% 328 . Cependant, Daniel Pécaut, dans la préface du livre col<strong>le</strong>ctif sur<strong>le</strong> déplacement par la vio<strong>le</strong>nce en Colombie 329 , souligne que la vio<strong>le</strong>nce est uneexpérience qui fait partie de la vie de presque tous <strong>le</strong>s Colombiens. Ainsi, ceuxciallèguent toujours la vio<strong>le</strong>nce comme cause de <strong>le</strong>ur déplacement. L’auteurécrit que c’est « un lieu commun » qui mérite d’être étudié. D’autre part, <strong>le</strong>sacteurs responsab<strong>le</strong>s des déplacements sont parfois diffici<strong>le</strong>s à identifierclairement. « Le mot lui-même de “déplacé” dénonce la tentative de cacher unedes histoires la plus dramatique et la plus sanglante de notre époque. La véritéest que <strong>le</strong>s gens ne se déplacent pas : on <strong>le</strong>s arrache à <strong>le</strong>ur terre, on <strong>le</strong>s expulse,on <strong>le</strong>s oblige à fuir et à se cacher. Un autre moyen rebattu pour escamoter <strong>le</strong>phénomène est de <strong>le</strong> voir comme s’il s’agissait du résultat des affrontementsentre deux acteurs récents de la vio<strong>le</strong>nce: la guérilla et <strong>le</strong>s paramilitaires. Onoublie que l’expulsion de villages et de citoyens est un vieux recours du systèmeet qu’en situant <strong>le</strong>s origines du problème dans <strong>le</strong>s groupes armés illégaux, ondisculpe <strong>le</strong> régime et, en particulier, <strong>le</strong>s Forces Armées, de touteresponsabilité 330 ».Le déplacement n’est pas seu<strong>le</strong>ment une conséquence du conflit, mais c’est aussiune arme du conflit. Le contrô<strong>le</strong> du territoire permet de se positionner dans la viepolitique et économique du pays et de faire pencher <strong>le</strong>s négociations en faveurdu plus fort. La propriété de la terre est sans cesse remaniée. Entre 1995 et 1999,1 738 858 hectares appartenant à de petits et moyens propriétaires, à des colons,à des communautés noires et à des populations indigènes, ont été abandonnées.Ces chiffres concordent avec <strong>le</strong>s <strong>rapport</strong>s qui établissent que durant la décennie327 Chiffres tirés des études réalisées par <strong>le</strong> CODHES, Observatoire pour <strong>le</strong>s Droits de l’Homme et pour<strong>le</strong> Déplacement, en collaboration avec l’Archidiocèse de Bogotá. CODHES est l’organisation la plusreconnue et la plus fiab<strong>le</strong> en matière d’études sur <strong>le</strong>s déplacés. Les chiffres qu’el<strong>le</strong> avance sont ceuxcommunément acceptés et utilisés, dans la presse nationa<strong>le</strong> colombienne par exemp<strong>le</strong>.328 Données tirées de l’étude de l’ACNUR (Alto Comisionado de las Naciones Unidas para losRefugiados, Haut Commissariat aux Réfugiés de l’Organisation des Nations Unies) : Estado desituacion del desplazamiento y retos para el año 2001 (Bilan de la situation du déplacement et objectifspour l’année 2001), Groupe thématique sur <strong>le</strong> déplacement, Réunion d’information sur <strong>le</strong> déplacement,vendredi 19 janvier 2001.329 Daniel Pécaut, Préface de El Desplazamiento por la vio<strong>le</strong>ncia en Colombia, Experiencias, analisis, yposib<strong>le</strong>s estrategias de atencion en el departamento de Antioquia (Le Déplacement dû à la vio<strong>le</strong>nce enColombie, Expériences, analyses et stratégies possib<strong>le</strong>s d’attention pour <strong>le</strong> département d’Antioquia),Mémoires du Forum International « Déplacés Internes en Antioquia », Medellin, 27-28 juil<strong>le</strong>t 1998.330 “La mera voz ‘desplazados’ denuncia la tentativa de ocultar una de las historias más dramáticas ysangrientas de nuestro tiempo. La verdad es que la gente no se desplaza: la destierran, la expulsan, laobligan a huir y a esconderse. Otro manido recurso para escamotear el hecho es verlo como si setratara del resultado de los enfrentamientos entre dos actores recientes de la vio<strong>le</strong>ncia: guerrilla yparamilitares. Se olvida que la expulsión de pueblos y de ciudadanos es un antiguo recurso del sistemay que, al situar el origen del prob<strong>le</strong>ma en los grupos armados i<strong>le</strong>ga<strong>le</strong>s, se exculpa al régimen y, enparticular, a las Fuerzas Armadas, de toda responsabilidad”. Alfredo Molano, “Desterrados”, inPape<strong>le</strong>s de cuestiones internaciona<strong>le</strong>s, Nº 70, 2000, Centro de Investigación para la Paz, Madrid.


2221990, 1 700 000 hectares ont cessé de produire, pour différentes raisons, maissouvent en lien avec la vio<strong>le</strong>nce et <strong>le</strong> déplacement 331 . L’armée colombienne, quidispose à ce jour de 55 000 hommes peine à s’imposer sur <strong>le</strong> territoire et estsouvent débordée par la situation. Par <strong>le</strong> biais du Plan Colombie 332 , depuis l’an2000, <strong>le</strong> gouvernement reçoit pourtant des aides internationa<strong>le</strong>s, principa<strong>le</strong>mentde la part des Etats-Unis, pour financer la guerre et lutter contre <strong>le</strong> narcotrafic.L’armée colombienne reçoit éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> support technique des Nord-Américains. Le Plan Colombie provoque une augmentation des déplacements,puisque la politique de guerre augmente l’insécurité et la vio<strong>le</strong>nce quiconstituent <strong>le</strong>s principa<strong>le</strong>s causes de déplacement. De plus, la politiqueantidrogue qui se concrétise notamment par la fumigation de cultures illicites(coca et pavot) provoque <strong>le</strong> déplacement des paysans dont <strong>le</strong>s cultures sontfumigées.Déplacements des campagnes vers <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s…Les migrations s’opèrent principa<strong>le</strong>ment des campagnes vers <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s. Leslogiques qui régissent <strong>le</strong> déplacement par la vio<strong>le</strong>nce n’ont cependant rien à voiravec cel<strong>le</strong>s de l’exode rural. Depuis <strong>le</strong> début de la Vio<strong>le</strong>ncia, période sanglantede l’histoire colombienne qui s’étend de 1946 à 1957, la vio<strong>le</strong>nce s’instal<strong>le</strong>principa<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong>s campagnes. Seuls quelques épisodes, tels quel’assassinat du <strong>le</strong>ader politique charismatique, populiste et populaire, JorgeEliecer Gaitan <strong>le</strong> 7 avril 1948 et <strong>le</strong> Bogotazo, explosion de vio<strong>le</strong>nce qui s’ensuivit à Bogotá, ont lieu en vil<strong>le</strong>. Le conflit actuel, devenu polymorphe avec laguérilla, <strong>le</strong>s paramilitaires, <strong>le</strong> narcotrafic, la délinquance commune, est plusdiffici<strong>le</strong> à appréhender. La vio<strong>le</strong>nce frappe toujours beaucoup plus durement etde façon beaucoup plus généralisée <strong>le</strong>s zones rura<strong>le</strong>s, où la présence de l’Etat estmoindre et où la mise en place d’un nouveau pouvoir, d’une nouvel<strong>le</strong>domination est plus faci<strong>le</strong>. Cependant, à l’époque la plus noire des cartels deCali et de Medellin, <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s ont du faire face au terrorisme, aux assassinats. Al’heure actuel<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s groupes armés mettent en place de nouvel<strong>le</strong>s stratégies. Leconflit se déplace peu à peu des campagnes vers <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s. Le terrorisme urbaindevient de plus en plus fréquent, principa<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong>s grandes vil<strong>le</strong>s. Cettenouvel<strong>le</strong> stratégie se fonde certainement sur divers éléments. Face à un conflitqui dure de plus en plus et qui parait de plus en plus insolvab<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s Colombiensont eu tendance à se confiner dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s, et à trouver un certain équilibredans cette retraite forcée. Les groupes armés cherchent sans doute à briser cetiso<strong>le</strong>ment. D’autre part, ce sont <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s qui drainent <strong>le</strong>s plus grandes richesses,et une vil<strong>le</strong> comme Bogotá représente une grande opportunité économique pour<strong>le</strong>s insurgés. Ils y lèvent d’ail<strong>le</strong>urs des taxes, notamment parmi <strong>le</strong>s couches <strong>le</strong>s331 Jorge E. ROJAS RODRIGUEZ, « Desplazados : lógicas de guerra, incertidumbres de paz ».332 Plan Colombie : plan d’aide voté par <strong>le</strong> Congrès des Etats-Unis et entré en application en 2000. Il estcentré autour de plusieurs axes : lutte contre la drogue, renforcement de l’Etat colombien et politiquesocia<strong>le</strong>. La politique antidrogue consiste principa<strong>le</strong>ment en la fumigation des cultures illicites, ce quipose des problèmes au niveau environnemental et ce qui produit des déplacements de population. Pour<strong>le</strong> renforcement de l’Etat colombien, l’accent est mis sur deux éléments : renforcer sa branche juridiqueet augmenter sa puissance militaire dans <strong>le</strong> but de vaincre <strong>le</strong>s groupes insurgés. Les Etats-Unisapportent aide financière et technique pour ces deux vo<strong>le</strong>ts. L’Union Européenne fournit pour sa part unsoutien en matière de politique socia<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> finance à ce titre des projets d’aide humanitaire, dedéveloppement et de coopération.


223plus riches de la société, taxe censée immuniser celui qui la paie contre <strong>le</strong>sexactions des insurgés. Mais Bogotá est aussi <strong>le</strong> siège du pouvoir politique etavoir une certaine main mise sur la vil<strong>le</strong> assure bien évidemment un pouvoirpolitique. Les migrations des campagnes vers <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s prouvent cependant quela vil<strong>le</strong> apparaît toujours comme un refuge pour <strong>le</strong>s populations menacées descampagnes. « Dans de nombreux cas, la seu<strong>le</strong> solution qu’il <strong>le</strong>ur reste pour fuir,est <strong>le</strong>s quartiers d’invasion des vil<strong>le</strong>s, qui garantissent l’anonymat et une certainesécurité (ou c’est du moins ce que pensent <strong>le</strong>s personnes qui y arrivent). Dans cecontexte, <strong>le</strong> déplacé est assimilé à la pauvreté urbaine, et de déplacé rural, ildevient un pauvre de plus, ce qui contribue à rendre invisib<strong>le</strong> <strong>le</strong> phénomène, à ceque l’on ne pose pas bien <strong>le</strong> problème et à ce que l’on identifie mal <strong>le</strong>s causesréel<strong>le</strong>s 333 ». Les vil<strong>le</strong>s, longtemps épargnées dans un pays convulsé par lavio<strong>le</strong>nce, sont vues comme un nouvel espace pouvant procurer plus de sécuritéet plus d’opportunités. Tout quitter pour tout refaire. La vil<strong>le</strong>, image demodernité. Il serait intéressant d’étudier si l’urbanisation récente du conflit a desconséquences sur ces représentations.…Vers Bogotá…Bogotá est la vil<strong>le</strong> colombienne qui attire <strong>le</strong> plus de déplacés par la vio<strong>le</strong>nce.Plus de 500 000 depuis 1985 pour une agglomération d’environ 7 millionsd’habitants. Il est cependant important de rappe<strong>le</strong>r brièvement l’histoire urbainecolombienne pour ne pas mélanger différents phénomènes. Au XXe sièc<strong>le</strong>, unexode rural très rapide se réalise entraînant une urbanisation tout aussi rapide. I<strong>le</strong>st important de signa<strong>le</strong>r ce phénomène car cela peut expliquer certainesdifficultés d’absorption des vil<strong>le</strong>s. De rura<strong>le</strong>, la société devient majoritairementurbaine entre <strong>le</strong>s années 1950 et 1970. Pendant cette période, la croissanceurbaine touche principa<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s grandes vil<strong>le</strong>s colombiennes. Bogotá estpassée de 715.220 habitants en 1951 à 1,6 millions en 1964, et à plus de 3millions en 1973. A partir de 1973, <strong>le</strong>s migrations des campagnes vers <strong>le</strong>s plusgrandes vil<strong>le</strong>s diminuent. Ce sont <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s moyennes qui attirent <strong>le</strong> plus <strong>le</strong>s fluxmigratoires. Cependant, la croissance de Bogotá se poursuit, alimentée par laforte croissance naturel<strong>le</strong> et encore par des arrivées de populations. Aurecensement de 1993, l’agglomération compte 6,2 millions d’habitants. En 1938,la société colombienne est à 69% rura<strong>le</strong>, en 1993, el<strong>le</strong> est à 69% urbaine. Depuis<strong>le</strong>s années 1980, <strong>le</strong> bassin migratoire de Bogotá s’étend. La capita<strong>le</strong> draine despopulations sur des parties de plus en plus éloignées sur <strong>le</strong> territoire 334 . Lesmigrations forcées correspondent à ce phénomène d’extension du bassinmigratoire. Aujourd’hui, chaque jour, des déplacés arrivent et s’entassent auxportes de la vil<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong>s collines périphériques, dans <strong>le</strong>s parties <strong>le</strong>s pluspauvres de la vil<strong>le</strong> et dans cel<strong>le</strong> qui offre encore de l’espace et des possibilités333 Mabel GONZALEZ BUSTELO, Desterrados, el desplazamiento forzado en Colombia, <strong>rapport</strong>réalisé pour Médecins Sans Frontières-Espagne, 2002. “En muchos casos, la única opción de huida sonlos barrios de invasión de las ciudades, que garantizan el anonimato y una cierta seguridad (o almenos así lo creen las personas que l<strong>le</strong>gan a ellos). En este marco el desplazado queda asimilado lapobreza urbana y pasa de ser un desplazado rural a ser un pobre más, lo que contribuye a invisibilizarel fenómeno y a que no se planteen o salgan a la luz sus causas rea<strong>le</strong>s”.334 Vincent GOUESET, Vil<strong>le</strong>s, société et action urbaine en Amérqiue Latine, étude de géographiecomparée (Colombie, Argentine, Mexique), Dossier pour l’habilitation à diriger des recherches,Université de Rennes 2, volume 3, 2002, 266p.


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226d’installation. Bogotá est vue comme l’ultime refuge, à la fois celui qui doitpermettre <strong>le</strong> plus de protection et celui qui doit offrir de meil<strong>le</strong>ures opportunitésde vie. Les déplacés arrivent parfois à Bogotá au terme de plusieursdéplacements successifs. Bogotá représente donc l’ultime refuge mais c’est aussiun ‘piège’ dont il est diffici<strong>le</strong> de s’échapper. Pour l’année 2000, <strong>le</strong> CODHESestime que 42 970 personnes, soit environ 8 594 foyers, sont arrivés à Bogotá, ensituation de déplacés par la vio<strong>le</strong>nce. Cela représente en moyenne 3 580personnes par mois, 119 par jour.Caractéristiques des déplacésLes statistiques permettent de dégager quelques caractéristiques communes àune majorité de déplacés, non qu’il s’agisse de <strong>le</strong>s ranger dans une case, maisplutôt de déterminer <strong>le</strong>urs besoins. En effet, <strong>le</strong>s données socio-économiquesrelatives à la population déplacée ne reflètent pas <strong>le</strong>s moyennes nationa<strong>le</strong>s. Dansplus de 25% des foyers en situation de déplacement, c’est une femme qui tient <strong>le</strong>rô<strong>le</strong> de chef de famil<strong>le</strong>, ce qui est supérieur à la moyenne nationa<strong>le</strong>. Cela peuts’expliquer de différentes façons. Les hommes sont beaucoup plus frappés par <strong>le</strong>conflit : <strong>le</strong>s victimes sont majoritairement masculines, <strong>le</strong>s acteurs qui s’engagentaux côtés des groupes armés éga<strong>le</strong>ment. Les femmes qui se retrouvent veuves oucélibataires à cause du conflit sont plus faci<strong>le</strong>ment sujettes au déplacement. Leshommes sont éga<strong>le</strong>ment plus menacés que <strong>le</strong>s femmes et forcés à fuir avant <strong>le</strong>reste de la famil<strong>le</strong> parfois. Les liens familiaux se distendent, et parfois serompent. 58% des personnes arrivant à Bogotá, déplacées par la vio<strong>le</strong>nce, sontde sexe féminin. 54% du total de la population déplacée à Bogotá, ont moins de18 ans. La population déplacée est donc une population particulièrement jeune,ce qui va générer de gros besoins en matière d’éducation et de santé. D’autrepart, <strong>le</strong>s zones rura<strong>le</strong>s ou <strong>le</strong>s petits centres de peup<strong>le</strong>ment à forte influence rura<strong>le</strong>sont <strong>le</strong>s principaux centres d’expulsion de population vers Bogotá. En 2000,78% des déplacés qui arrivent à Bogotá proviennent de ces zones. Ils sontsoumis à un processus d’urbanisation forcée dans des conditions extrêmementprécaires 335 . C’est un déplacement que l’on dit « au compte goutte ». Lesdéplacements se font en général de manière individuel<strong>le</strong> ou familia<strong>le</strong>. Lesdéplacements massifs, c’est-à-dire de plus de 50 personnes sont assez rares.L’origine rura<strong>le</strong> de ces déplacés crée de nombreux traumatismessupplémentaires lors de l’arrivée dans la vil<strong>le</strong> et ajoute aux problèmesd’intégration des déplacés aux populations urbaines. Les déplacés qui arrivent envil<strong>le</strong> sont souvent des personnes qui ont tout perdu. En effet <strong>le</strong>s conditionsparticulières des déplacements causés par la vio<strong>le</strong>nce, <strong>le</strong>ur caractère immédiat,précipité, désordonné et définitif, propulsent bien souvent <strong>le</strong>s individus hors de<strong>le</strong>ur milieu habituel de vie avec de très maigres ressources qui s’épuisent trèsvite. Malgré la précarité et la misère que ces nouveaux arrivants trouvent envil<strong>le</strong>, la majorité des déplacés interrogés dans <strong>le</strong> cadre d’une enquête réalisée parl’Archidiocèse de Bogotá et par <strong>le</strong> CODHES 336 , Observatoire pour <strong>le</strong>s Droits de335 Senderos, Rastros invisib<strong>le</strong>s del Desplazamiento en Bogotá, Arquidiócesis de Bogotá, CODHES,septembre 2001.336 CODHES, Consultoría para los Derechos Humanos y el Desplazamiento, centre de recherchecolombien qui travail<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s thèmes des Droits de l’Homme et du Déplacement, page internet :www.codhes.org.co


227l’Homme et <strong>le</strong> Déplacement, affirme sa volonté de rester à Bogotá. Le défi del’intégration de ces nouvel<strong>le</strong>s populations est diffici<strong>le</strong> à re<strong>le</strong>ver. Ces migrantsviennent alimenter une croissance urbaine déjà forte, et ils s’instal<strong>le</strong>ntgénéra<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong>s quartiers <strong>le</strong>s plus défavorisés, amplifiant ainsi <strong>le</strong>sproblèmes sociaux. En outre, <strong>le</strong> problème des déplacés coûte cher à l’Etat, et <strong>le</strong>spolitiques menées par l’Etat et <strong>le</strong>s pouvoirs locaux sont souvent troub<strong>le</strong>s. Auniveau local, l’intégration des déplacés se traduit rapidement par des rivalités sur<strong>le</strong> territoire entre la population réceptrice et <strong>le</strong>s nouveaux arrivants. Les déplacésdoivent apprivoiser ce nouvel univers que représente pour eux la vil<strong>le</strong>. Leurorigine rura<strong>le</strong> rend plus diffici<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur intégration car cela <strong>le</strong>s distingue desrésidents, car <strong>le</strong>s techniques de travail ne sont pas <strong>le</strong>s mêmes en vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> niveauscolaire non plus.Arriver en vil<strong>le</strong>L’arrivée du déplacé à Bogotá constitue un véritab<strong>le</strong> traumatisme à plusieursniveaux.Il y a tout d’abord <strong>le</strong> fait de se retrouver dans un univers minéral, de béton etd’asphalte, de terre et de briques, sans arbres, sans animaux. Il y a aussil’agression sonore et visuel<strong>le</strong>. Le bruit. La pollution. Le chaos et la furie de lacapita<strong>le</strong>. Un monde désorganisé et opaque. Le déplacé ne sait pas se mouvoirdans un tel univers : il ne connaît ni <strong>le</strong> nom des quartiers inscrits sur <strong>le</strong>spancartes des bus, ni <strong>le</strong>s usages des citadins pour arrêter <strong>le</strong>s bus. C’est unnouveau monde à apprivoiser. De nouveaux codes. Il y a éga<strong>le</strong>ment un autreproblème lors de l’arrivée en vil<strong>le</strong>. Les déplacés arrivent rapidement dans <strong>le</strong>squartiers <strong>le</strong>s plus défavorisés de la vil<strong>le</strong>. Des réseaux organisés y vo<strong>le</strong>nt etagressent. Il faut apprendre la loi de la rue et la méfiance.Au niveau climatique, <strong>le</strong> changement est très souvent important. En effet, laColombie possède un climat tropical, caractérisé par des températures uniformesla majeure partie de l’année. Le relief montagneux est <strong>le</strong> facteur déterminant duclimat dans <strong>le</strong>s différentes régions colombiennes. Dans <strong>le</strong>s régions situées à unealtitude inférieure à 1000 m, <strong>le</strong> climat est chaud. Les températures sontsupérieures en moyenne à 24°C. Ce climat concerne plus de 80% du territoire.Entre 1000 et 2000 m, on trouve un climat subtropical avec des températurescomprises en moyenne annuel<strong>le</strong> entre 17°C et 24°C. Cela concerne 10% dupays. Entre 2000 et 3000 m, on trouve un climat tempéré avec des températurescomprises entre 12°C et 17°C, ce qui concerne 8% du territoire. Bogotá, situéeau cœur de la cordillère des Andes, à 2600m d’altitude, appartient à cettecatégorie climatique, considérée comme froide en Colombie. La capita<strong>le</strong> estsurnommée la nevera, c’est-à-dire <strong>le</strong> réfrigérateur. Mis à part <strong>le</strong>s personnesvenant de la cordillère, d’altitudes supérieures, au nord de Bogotá, <strong>le</strong>sColombiens sont habitués aux climats chauds. L’énorme majorité des déplacésqui arrivent à Bogotá souffrent de la rigueur du climat. Les vêtements qu’ils ontsont inadaptés. Les nouveaux arrivants se repèrent d’ail<strong>le</strong>urs souvent à <strong>le</strong>urshabits de climat chaud.Le problème d’adaptation et d’appropriation de la vil<strong>le</strong> est loin d’être anodin.C’est un facteur important de différenciation d’avec <strong>le</strong>s populations qui <strong>le</strong>sreçoivent dans la vil<strong>le</strong>. Cela explique que <strong>le</strong>s déplacés cherchent la compagnie


228des autres déplacés, avec qui ils peuvent par<strong>le</strong>r et partager un passé révolu, etcela explique aussi en partie l’incompréhension réciproque entre <strong>le</strong>s déplacés et<strong>le</strong>s populations réceptrices. Un déplacé arrivé depuis 2001 à Los Altos deCazucá du lieu-dit Costa Rica dans <strong>le</strong> département du Val<strong>le</strong> de Cauca, expliquelors d’un entretien chez lui, que « sans animaux, la vie n’est rien ». Il areconstitué devant sa maison faite en matériaux de récupération, une sorte decour de ferme. Il a quelques pou<strong>le</strong>s, un coq, un vieux chien. « En regardant <strong>le</strong>sanimaux », dit-il « on se rappel<strong>le</strong> de ce que l’on avait, de comment on vivait. Làbas,on a tout. Ici on n’a rien. Là-bas, il y avait de l’eau en abondance » 337 .L’impression de dénuement est extrême en vil<strong>le</strong>, alors que <strong>le</strong>s déplacés avaientl’impression de tout avoir à portée de main à la campagne. C’est du moins <strong>le</strong>souvenir merveil<strong>le</strong>ux et certainement retravaillé par l’imagination qu’ils relatent.L’univers physique est dur à apprivoiser pour <strong>le</strong> déplacé, mais l’environnementhumain est une autre variab<strong>le</strong> qu’il faut étudier et qui rend comp<strong>le</strong>xe éga<strong>le</strong>mentl’intégration. Plusieurs paramètres sont à prendre en compte, sachant que lorsquel’on s’attache au domaine de la perception, des sentiments, des représentations,<strong>le</strong>s observations peuvent être contradictoires. Ainsi, <strong>le</strong>s populations réceptricesnourrissent des sentiments souvent comp<strong>le</strong>xes à l’endroit des déplacés. Ledéplacé qui arrive juste, avec sa famil<strong>le</strong> et ses valises, représente une sourcepotentiel<strong>le</strong> de richesses. En effet, s’il accède aux aides de l’Etat ou d’une ONG,il devient un moyen d’obtenir de la nourriture, des vêtements, etc. Dans unpremier temps, <strong>le</strong>s habitants vont donc parfois faire preuve de solidarité etproposer une chambre pour loger la famil<strong>le</strong>. Cependant, si la famil<strong>le</strong> n’obtientpas d’aide, <strong>le</strong>s nouveaux arrivants dépendent alors tota<strong>le</strong>ment de la charité de<strong>le</strong>urs hôtes. Il est fréquent qu’ils soient mis à la porte assez rapidement. Cettepremière observation est à nuancer car <strong>le</strong>s solidarités familia<strong>le</strong>s et régiona<strong>le</strong>sjouent souvent lors de l’arrivée des déplacés. Certains déplacés trouventrapidement <strong>le</strong>s chemins des ONG et <strong>le</strong>s portes où frapper. De plus <strong>le</strong>s déplacésarrivés à Bogotá depuis quelques temps et déjà relativement stabilisés, fontpreuve de solidarité par <strong>rapport</strong> aux nouveaux arrivants, conscients de tout ceque <strong>le</strong> déplacement et l’arrivée en vil<strong>le</strong> représentent. Ce sont eux souvent quiorientent <strong>le</strong>s nouveaux arrivants vers <strong>le</strong>s ONG et <strong>le</strong>s associations qui dispensentde l’aide.Cependant, globa<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s populations des quartiers d’accueil, des quartierspauvres où viennent s’entasser <strong>le</strong>s déplacés, sont hosti<strong>le</strong>s à l’arrivée et àl’installation des déplacés. « Les populations de résidents veu<strong>le</strong>nt fermer <strong>le</strong>ursfrontières, comme si en évitant l’entrée des déplacés, ils pouvaient se maintenir àl’écart du conflit, suivant une représentation qui fait des victimes et dessurvivants du conflit des responsab<strong>le</strong>s de ce dernier 338 ». Ce phénomène de rejetde la population réceptrice rejoint l’enquête et l’analyse d’Elias et Scotson,réalisée à la fin des années 1950 dans des faubourgs de la vil<strong>le</strong> anglaise deLeicester 339 . Dans <strong>le</strong>s banlieues de Leicester comme dans cel<strong>le</strong>s de Bogotá, <strong>le</strong>scritères de race, d’appartenance nationa<strong>le</strong> ne semb<strong>le</strong>nt pas pouvoir justifier337 Entretien du 5 mars 2003 avec José, déplacé, membre de l’organisation Revivir al Futuro. Entretienà Los Altos de Cazucá, devant sa maison.338 Flor Edilma Osorio Perez, « los desplazados y sus representaciones del espacio », in Perla PETRICH(coord.), Migrations en Colombie, <strong>le</strong>s Cahiers Amérique Latine Histoire et Mémoire, Université Paris8, n°3, 2001, 237p. « Las poblaciones de residentes quieren cerrar sus fronteras, como si al evitar laentrada de desplazados, pudieran mantenerse al margen del conflicto, en una representacion queequiparalas victimas y sobrevivientes, como responsab<strong>le</strong>s del mismo ».339 Norbert ELIAS, John L. SCOTSON, Logiques de l’exclusion, Paris, Fayard, 1997, 278p.


229l’exclusion. Ce sont des mécanismes internes aux deux communautés quiexpliquent la ségrégation. C’est cependant par une nouvel<strong>le</strong> forme de racismequ’Elias et Scotson expliquent la ségrégation, un racisme « culturel » 340 .Dans <strong>le</strong>s périphéries de Bogotá, on observe des mécanismes très semblab<strong>le</strong>s. Lesdéplacés sont vus comme des facteurs de déséquilibre, de perturbation. Ilsviennent de zones où ils étaient menacés, et dans l’esprit des gens, s’ils étaientmenacés, c’est qu’il y avait sûrement une raison. De plus ils sont vus comme despauvres qui monopolisent l’attention de l’Etat et des ONG et qui reçoivent toutel’aide. Une jalousie se développe dans ces quartiers pauvres autour desnouveaux arrivants. Dans l’esprit des populations réceptrices, <strong>le</strong>s déplacésprofitent d’aides qui devraient <strong>le</strong>ur revenir à el<strong>le</strong>s. Une rivalité se développedonc entre la population réceptrice et la population déplacée. La populationdéplacée a el<strong>le</strong>-même tendance à se replier sur el<strong>le</strong>-même, ayant l’impression departager un passé similaire, des va<strong>le</strong>urs paysannes proches et un même destin.Ce repli n’aide évidemment pas à l’intégration. Enfin, <strong>le</strong>s déplacés sont vus par<strong>le</strong>s populations réceptrices comme ceux qui augmentent la vio<strong>le</strong>nce du quartier.Les enfants de déplacés ne sont souvent pas scolarisés, donc ils traînent dans larue et fournissent des recrues de choix pour <strong>le</strong>s bandes de délinquants. Cettereprésentation est évidemment partiel<strong>le</strong>ment fondée. Ces personnes qui arrivent,ayant perdu beaucoup, restant inoccupées, démunies et traumatiséesmenta<strong>le</strong>ment sombrent certainement plus faci<strong>le</strong>ment dans la délinquance mais i<strong>le</strong>st bien évidemment erroné d’en tirer des généralités.Parcours résidentielBogotá est située à 2600m d’altitude, sur un haut plateau, un altiplano, au cœurde la cordillère des Andes. La vil<strong>le</strong> s’organise <strong>le</strong> long d’un axe Nord Sud. Unechaîne de pics montagneux qui culminent vers 3400 m longe Bogotá sur safaçade Est, et <strong>le</strong>s montagnes reprennent éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>urs droits au Sud de la vil<strong>le</strong>.La vil<strong>le</strong> s’est développée à partir du centre historique en s’adossant à la chaînemontagneuse à l’Est, sur <strong>le</strong> grand plateau de la « Sabana », en tache d’hui<strong>le</strong>.« Jusqu’aux années 1970, une véritab<strong>le</strong> explosion physique de la vil<strong>le</strong> suscite lapréoccupation des autorités loca<strong>le</strong>s du moment, dont la capacité de régulation estdépassée par la tail<strong>le</strong> et la forme des développements en cours […]. Celarenchérit considérab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s coûts d’infrastructure à la charge del’administration municipa<strong>le</strong> […]. Dès lors se cristallise une sorte de macroségrégationtrès définie : <strong>le</strong> nord est riche, <strong>le</strong> sud est pauvre 341 ».340 « Les anciens habitants de Winston Parva (nom du quartier des faubourgs de Leicester où a étéréalisée l’étude) avaient <strong>le</strong> sentiment que <strong>le</strong>urs nouveaux voisins menaçaient <strong>le</strong>ur mode de vie, ce quiest bien au cœur du racisme différentialiste ; pour eux, <strong>le</strong>s “outsiders” (terme qui désigne <strong>le</strong>s nouveauxarrivants, <strong>le</strong>s exclus) sont des étrangers qui ne souscrivaient pas au credo de <strong>le</strong>ur communauté et, à biendes égards, froissaient <strong>le</strong>urs va<strong>le</strong>urs […]. L’exclusion produit de l’anomie, de l’incapacité des individusà se constituer en acteurs ; el<strong>le</strong> fabrique aussi de l’aliénation, l’intériorisation du stigmate, l’incapacitéde réagir aux accusations excessives ou fausses qui généralisent une appréciation négative et humilianteà partir de quelques cas, peut-être, suggère Elias, parce que la conscience des victimes était, dans unecertaine mesure, du côté de <strong>le</strong>urs détracteurs, et parce que l’on appartient à un groupe faib<strong>le</strong>mentstructuré et organisé, il est diffici<strong>le</strong> d’échapper individuel<strong>le</strong>ment à la stigmatisation du groupe.L’exclusion, à la limite, façonne chez ceux qu’el<strong>le</strong> atteint ce qu’el<strong>le</strong> <strong>le</strong>ur reproche. 340 », MichelWIEVIORKA, avant propos de Logiques de l’exclusion, op. cit.341 Luis Mauricio CUERVO, Samuel JARAMILLO, « Les traits centraux de l’organisation spatia<strong>le</strong> àBogotá ».


230La vil<strong>le</strong> a été construite suivant un plan en damier selon la loi des Indes (plandes vil<strong>le</strong>s colonia<strong>le</strong>s fondées par <strong>le</strong>s Espagnols). Les stratégies d’installation desdéplacés se calquent sur <strong>le</strong>s logiques évolutives de la vil<strong>le</strong>. En même temps quela vil<strong>le</strong> s’étend et repousse ses frontières, <strong>le</strong>s déplacés s’instal<strong>le</strong>nt dans <strong>le</strong>spériphéries qui sont donc de plus en plus éloignées du centre. Jusqu’aux années1980, <strong>le</strong>s déplacés ont profité du manque de régulation de la croissance de lavil<strong>le</strong> et sont venus s’instal<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s quartiers pauvres du sud de la vil<strong>le</strong>, oùl’autoconstruction était chose commune. Les quartiers du centre étaientéga<strong>le</strong>ment des lieux où vivaient <strong>le</strong>s classes pauvres de la société colombienne.Des déplacés ont pu y arriver dans un premier temps, reçu par des amis ou de lafamil<strong>le</strong>. Cependant <strong>le</strong>s projets urbanistiques se sont multipliés dans cette partiede la vil<strong>le</strong>. Le centre historique est devenu patrimoine historique, <strong>le</strong>s logementsy ont été réhabilités, et <strong>le</strong>s plus pauvres souvent expulsés. Des lois y régu<strong>le</strong>ntdésormais <strong>le</strong>s constructions et <strong>le</strong>s choix architecturaux. Le dernier plan en datedans <strong>le</strong> centre est la destruction du ‘cartucho’, poche d’illégalité et de misère quiexistait dans <strong>le</strong> centre historique jusqu’en 2002. Les habitations y ont étédétruites, la population chassée, et se nomme désormais la place du ‘Troisièmemillénaire’.Parallè<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s terrains situés à l’intérieur du District se sont quasiment tousurbanisés et l’invasion de nouveaux terrains y devient très souvent impossib<strong>le</strong>.L’extension de la vil<strong>le</strong> se réalise donc bien souvent à l’extérieur des limites deBogotá, dans <strong>le</strong>s banlieues proches. Le tissu urbain est souvent continu entreBogotá et <strong>le</strong>s communes limitrophes, surtout au sud de la vil<strong>le</strong> où se répandent<strong>le</strong>s ceintures de pauvreté.« Aujourd’hui comme hier, <strong>le</strong> nombre insuffisant de logements sociauxsubventionnés par l’Etat, <strong>le</strong>s difficultés d’accès à ceux-ci, et <strong>le</strong>s coûts prohibitifsdu logement produit par <strong>le</strong> secteur capitaliste, font que la population la pluspauvre n’a que deux options pour se loger : s’entasser avec d’autres ménagesdans <strong>le</strong>s logements en location, ou construire sur des terres occupéesilléga<strong>le</strong>ment. Seu<strong>le</strong> la localisation a évolué : l’offre locative se diffuse dans <strong>le</strong>ssecteurs périphériques consolidés et l’urbanisation illéga<strong>le</strong> se reporte sur <strong>le</strong>sreliefs accidentés du sud de la vil<strong>le</strong> et au-delà des limites du District. 342 »Il y a donc une doub<strong>le</strong> logique sur laquel<strong>le</strong> se calquent <strong>le</strong>s stratégiesd’installation des déplacés. Les déplacés s’instal<strong>le</strong>nt majoritairement dans <strong>le</strong> sudde la vil<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong>s quartiers pauvres, et éventuel<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong>s quelquespoches de pauvreté situées dans <strong>le</strong>s quartiers nord de Bogotá. D’autres part, ilsviennent accentuer <strong>le</strong> phénomène de métropolisation de Bogotá, en s’installantdans <strong>le</strong>s périphéries pauvres et en participant à l’extension géographique de lavil<strong>le</strong> hors de ses limites administratives. Ainsi, Soacha qui est une municipalitélimitrophe, au sud de la capita<strong>le</strong>, voit <strong>le</strong>s bidonvil<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s constructions illéga<strong>le</strong>sse multiplier dans <strong>le</strong>s collines situées sur son finage, <strong>le</strong> long des limites duDistrict.342 Françoise Dureau, « Bogotá : des stratégies résidentiel<strong>le</strong>s très diverses marquées par une inéga<strong>le</strong>maîtrise de l’espace ». In Métropo<strong>le</strong>s en mouvement, une comparaison internaitona<strong>le</strong>, Anthropos, IRD,coll. Vil<strong>le</strong>s.


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232Inégalité d’adaptation entre <strong>le</strong>s hommes et <strong>le</strong>s femmesTrès rapidement, lors de l’arrivée en vil<strong>le</strong>, un renversement s’opère dans <strong>le</strong>s<strong>rapport</strong>s homme femme. En effet, la femme fait preuve de capacités d’adaptationsupérieures à cel<strong>le</strong>s de l’homme. La femme apprivoise en général beaucoup plusvite l’espace de la vil<strong>le</strong>. La majorité de la population déplacée est constituée defemmes. A la campagne, la femme reste au foyer. El<strong>le</strong> peut aider aux tâchesagrico<strong>le</strong>s mais c’est l’homme qui est la personne forte du foyer, <strong>le</strong> chef defamil<strong>le</strong>, celui qui <strong>rapport</strong>e l’argent pour nourrir tout <strong>le</strong> monde et dont l’autoritédoit être reconnue et respecter. Un renversement s’opère à l’arrivée en vil<strong>le</strong>.L’homme est peut-être plus affecté et détruit par la perte engendrée par <strong>le</strong>déplacement alors que la femme développe un instinct de survie plus fort,notamment pour nourrir ses enfants. Toujours est-il que la femme déplacéeparticipe beaucoup plus à la vie socia<strong>le</strong> en vil<strong>le</strong> que l’homme. Dans <strong>le</strong>s cas où lafemme se déplace seu<strong>le</strong> avec ses enfants et qu’el<strong>le</strong> devient chef de famil<strong>le</strong> (entre25% et 44% des cas selon <strong>le</strong>s différentes sources), la question ne se poseévidemment pas et la femme est obligée d’assumer <strong>le</strong>s responsabilités du foyer.Dans <strong>le</strong>s zones de Ciudad Bolívar et de Los Altos de Cazucá, il est ressorti que<strong>le</strong>s femmes sont beaucoup plus actives dans <strong>le</strong>s projets, participent et s’engagentbeaucoup plus faci<strong>le</strong>ment. D’autre part, <strong>le</strong>s femmes trouvent beaucoup plusfaci<strong>le</strong>ment du travail en vil<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s hommes. Les femmes trouvent rapidementdes postes comme employées de maison dans <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s du nord de la vil<strong>le</strong> ouse lancent dans la vente ambulante alors que la reconversion professionnel<strong>le</strong>pour des hommes, des paysans <strong>le</strong> plus souvent, est beaucoup plus compliquée.Les classes moyennes et riches procurent ainsi des emplois aux classes <strong>le</strong>s plusmodestes. Les femmes doivent alors se rendre quotidiennement dans <strong>le</strong> nord, se<strong>le</strong>ver donc très tôt pour prendre des bus qui mettent parfois plus d’une heure etdemi ou deux heures jusqu’aux quartiers riches du nord. El<strong>le</strong>s sont donc obligéesd’apprendre à se déplacer en vil<strong>le</strong>, d’apprendre un minimum de géographie de lavil<strong>le</strong>. El<strong>le</strong>s <strong>rapport</strong>ent de l’argent à la maison et <strong>le</strong>s hommes pendant <strong>le</strong>urabsence se retrouvent souvent à remplir <strong>le</strong>s tâches ménagères, à préparer <strong>le</strong> repaspour <strong>le</strong>s enfants, s’occuper du bon fonctionnement du foyer. Les rô<strong>le</strong>s à l’arrivéeen vil<strong>le</strong> sont rapidement renversés, et cela est très mal vécu par l’homme qui voitalors sa fonction diminuer, son importance et son autorité décliner, avec tout ceque cela signifie en terme de représentation socia<strong>le</strong> et psychologique 343 . Lavio<strong>le</strong>nce intrafamilia<strong>le</strong> accompagne souvent ce changement de rô<strong>le</strong>. Les famil<strong>le</strong>srécemment arrivées ont du faire face au déplacement, et à présent à l’intégrationà un nouvel environnement, avec tout ce que cela signifie de changements etd’épreuves. Les liens familiaux se distendent fréquemment.Les déplacés, un problème national ?LégislationLa loi colombienne affirme que <strong>le</strong> problème des déplacés doit être géré auniveau national. La Cour Constitutionnel<strong>le</strong> a même déclaré en 2000 que c’est343 Maria HIMELDA RAMIREZ, « El impacto del desplazamiento forzado en Colombia », in PerlaPETRICH (coord.), Migrations en Colombie, op.cit.


233« la branche exécutive du Pouvoir Public, et plus spécia<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> Président de laRépublique qui doit déterminer <strong>le</strong>s mécanismes pratiques pour l’aide auxdéplacés, et assumer <strong>le</strong>s responsabilités pour affronter et vaincre la dramatiquesituation 344 ». En cela, comme pour <strong>le</strong> reste de la législation colombienne ausujet des déplacés, la loi respecte <strong>le</strong>s principes de Francis Deng, Représentant duSecrétariat Général des Nations Unies, qui a présenté en 1995 à la Commissiondes Droits de l’homme des Nations Unies, une étude des normes internationa<strong>le</strong>sapplicab<strong>le</strong>s au déplacement forcé. Il y affirme que <strong>le</strong>s déplacés, à la différencedes réfugiés, n’ont pas droit au régime de protection spécial octroyé aux réfugiéspar <strong>le</strong> droit international. « Leur présence à l’intérieur du territoire nationalimplique que <strong>le</strong>ur propre gouvernement a la responsabilité primordia<strong>le</strong> desatisfaire <strong>le</strong>urs besoins en termes de protection et d’assistance 345 ». La loi 387 de1997, complétée par <strong>le</strong> décret 2569 de 2000, établit <strong>le</strong>s différentes obligationsque doit remplir l’Etat envers <strong>le</strong>s déplacés par la vio<strong>le</strong>nce. Le déplacé par lavio<strong>le</strong>nce, pour accéder à une quelconque aide et reconnaissance de la part del’Etat doit être inscrit au registre national des déplacés, <strong>le</strong> Système Uniqued’Enregistrement – SUR 346 . Si <strong>le</strong> déplacé qui veut se faire inscrire peut déposersa déclaration devant de nombreuses personnes juridiques administratives, ildépend cependant du Réseau de Solidarité Socia<strong>le</strong> 347 (RSS) de décider del’inscription ou de la non inscription du déclarant sur <strong>le</strong> registre. Le RSS a <strong>le</strong>pouvoir d’accepter ou de refuser une déclaration. Les fonctionnaires doiventchercher à déterminer si <strong>le</strong>s événements déclarés par la personne ont réel<strong>le</strong>menteu lieu, si la personne a effectivement vécu ce qu’el<strong>le</strong> raconte. Il s’agit de croiserdifférentes sources d’information et souvent d’observer en posant plusieursquestions si la personne finit par se contredire ou non, c’est-à-dire de triangu<strong>le</strong>rl’information. Cependant en dernier ressort, l’inscription au SUR dépend du bonvouloir du fonctionnaire. Plusieurs reproches sont faits à ce registre. Toutd’abord un faib<strong>le</strong> pourcentage de déplacés par la vio<strong>le</strong>nce y sont inscrits. Lesestimations oscil<strong>le</strong>nt entre 50 et 60% de déplacés inscrits en moyenne 348 .Certains déplacés ne sont pas inscrits par peur de faire des déclarations, et derévé<strong>le</strong>r <strong>le</strong>ur histoire passée. D’autres sont refusés. Des personnes qui ne sont pasdéplacées par la vio<strong>le</strong>nce figurent sur <strong>le</strong> registre. C’est en tous cas l’inscription àce registre qui donne droit à un traitement spécial de la part de l’Etat.La loi prévoit deux phases, cel<strong>le</strong> de l’aide humanitaire et cel<strong>le</strong> de la stabilisationsocioéconomique. Le déplacement prive <strong>le</strong>s personnes de <strong>le</strong>urs droitsfondamentaux, et la loi fixe comme objectif à l’Etat de rétablir <strong>le</strong>s droits de cescitoyens. L’aide humanitaire est une aide attribuée pendant 3 mois à ceux quipossèdent <strong>le</strong> certificat de déplacé, délivré lors de l’inscription au registre des344 Sentence 1150 de 2000 de la Cour Constitutionnel<strong>le</strong> de Colombie.345 ‘Su presencia dentro del territorio nacional implica que su propio gobierno tiene la responsabilidadprimordial de satisfacer sus necesidades de protección y asistencia’, Francis Deng, “Los desplazadosforzosos, compilación y análisis de las normas <strong>le</strong>ga<strong>le</strong>s”, in346 Système Unique d’Enregistrement, Sistema Unico de Registro - SUR347 Le Réseau de Solidarité Socia<strong>le</strong>, RSS, est une institution qui relève directement de la présidence dela République. Le RSS est chargé de la direction et de la coordination du système d’aide intégra<strong>le</strong> auxdéplacés. Il est responsab<strong>le</strong> de l’élaboration et de la réalisation du « plan stratégique pour la gestion dudéplacement » et remplit <strong>le</strong>s fonctions attenantes au registre de la population déplacée.348 Il s’agit ici d’estimations au niveau national. Des organismes tels que <strong>le</strong> CODHES, <strong>le</strong> HautCommissariat aux Réfugiés de l’ONU, établissent une moyenne nationa<strong>le</strong> de 50 à 60% d’inscrits.Cependant, au niveau local, <strong>le</strong>s chiffres peuvent être très éloignés de cette moyenne. Le pourcentageestimé de déplacés inscrits à Soacha est supérieur à celui de Bogotá. Il y a beaucoup moins dedéclarants refusés à Soacha qu’à Bogotá.


234déplacés par la vio<strong>le</strong>nce. Cependant, à nouveau, cette aide n’est pas accessib<strong>le</strong> àtous ceux qui ont <strong>le</strong> certificat car <strong>le</strong>s fonds attribués aux institutions chargées duproblème des déplacés ne sont pas suffisants, et la loi stipu<strong>le</strong> que l’aide estdistribuée dans <strong>le</strong>s limites permises par <strong>le</strong> budget, c’est-à-dire que des déplacés,après avoir parcouru <strong>le</strong> marathon administratif pour obtenir <strong>le</strong> certificats’entendent répondre qu’il n’y a plus de fonds, donc plus d’aide. L’insuffisancedu budget qui y est consacré reflète un manque de volonté politique évident àaffronter <strong>le</strong> problème. La deuxième phase prévue par la loi est cel<strong>le</strong> de lastabilisation socioéconomique des déplacés. Dans ce cas, il s’agit de solution àplus long terme, cherchant non plus à résoudre l’urgence dans laquel<strong>le</strong> setrouvent <strong>le</strong>s déplacés, mais à procurer des solutions à long terme d’intégration etde réinsertion, et à mettre fin à la situation de déplacé. Cette phase est cependantplus faib<strong>le</strong>ment soutenue par <strong>le</strong> RSS. Les politiques et <strong>le</strong>s investissements à ceniveau sont extrêmement réduits.Problème de définition du statutL’expression de « déplacé par la vio<strong>le</strong>nce » pose un problème de définition. Unecertaine définition en est faite dans la loi 387 de 1997, définition qui prévautpour toutes <strong>le</strong>s politiques de l’Etat:« est appelée déplacé toute personne qui s'est vue forcée à migrer à l'intérieurdu territoire national, abandonnant sa localité de résidence ou ses activitéséconomiques habituel<strong>le</strong>s, parce que sa vie, son intégrité physique, sa sécurité ouses libertés personnel<strong>le</strong>s ont été rendues vulnérab<strong>le</strong>s ou se trouvent directementmenacées, à l’occasion d’une des situations suivantes quel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> soit : conflitarmé interne, troub<strong>le</strong>s et tensions intérieurs, vio<strong>le</strong>nce généralisée, violationsmassives des droits de l’homme, infractions au droit international humanitaireou toutes autres circonstances qui émaneraient des situations antérieures et quipourraient altérer ou altèrent de façon drastique l’ordre public 349 ».C’est donc une personne qui a été forcée, par une forme de pression physique oumenta<strong>le</strong> quel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> soit, à se déplacer physiquement à l’intérieur du territoirenational. La définition donnée par la loi peut aussi englober <strong>le</strong>s déplacés pourdes raisons économiques, si <strong>le</strong>s motifs économiques qui ont provoqué <strong>le</strong>déplacement sont la conséquence du conflit. Il faut qu’il y ait eu abandon de lalocalité de résidence ou des activités économiques, qu’il y ait une rupture avec lastabilité familia<strong>le</strong> et socia<strong>le</strong>, ou une rupture avec <strong>le</strong> milieu physique où sedérou<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s activités économiques. La loi dit enfin que la vie, l’intégritéphysique, la sécurité ou <strong>le</strong>s libertés personnel<strong>le</strong>s doivent avoir été renduesvulnérab<strong>le</strong>s ou menacées directement. Dans la pratique, certaines autorités ontprétendu exiger des violations concrètes comme pré requis pour certifier lacondition de déplacé, et pour permettre la mise en place de l'assistance et de laprotection promise par la loi. Mais <strong>le</strong> fait de fuir devant la menace est dans bien349 Loi 387 du 18 juil<strong>le</strong>t 1997, Tit.1, Art.1, “Es desplazado toda persona que se ha visto forzada amigrar dentro del territorio nacional abandonando su localidad de residencia o actividadeseconómicas habitua<strong>le</strong>s porque su vida, su integridad física, su seguridad o libertad persona<strong>le</strong>s han sidovulneradas o se encuentran directamente amenazadas, con ocasión de cualquiera de las siguientessituaciones: conflicto armado interno, disturbios y tensiones interiores, vio<strong>le</strong>ncia generalizada,violaciones masivas de los derechos humanos, infracciones al derecho internacional humanitario uotras circunstancias emanadas de las situaciones anteriores que puedan alterar o alterendrásticamente el orden publico”.


235des cas, la seu<strong>le</strong> façon de sauver sa vie. Pour cette raison, il est fondamental deconsidérer la menace directe comme déterminante dans la définition du déplacé.Le déplacé est donc la personne qui est contrainte à se déplacer en conséquencedes manquements de l’Etat à sa fonction de protecteur des citoyens.« être desplazado, c’est donc d’abord être rescapé de quelque chose, êtresurvivant et marqué par des menaces, des massacres, ou <strong>le</strong> fait d’avoir côtoyédes mises à mort vio<strong>le</strong>ntes 350 ».Au-delà de ces définitions léga<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> statut de déplacé est extrêmement dur àdéterminer. En effet, des gens qui sont arrivés à Bogotá depuis plus d’un an vonttout à coup revendiquer <strong>le</strong> statut de déplacé, réalisant que ce statut peut <strong>le</strong>urpermettre d’accéder à certains avantages. D’autres au contraire, arrivés depuispeu mais encore poursuivis par <strong>le</strong> souvenir des menaces et de la vio<strong>le</strong>nce, ou defait encore soumis à el<strong>le</strong>s, refusent de se déclarer comme déplacés et cherchentau contraire l’anonymat <strong>le</strong> plus comp<strong>le</strong>t. Cette recherche de l’anonymat est ungros problème car cela rend diffici<strong>le</strong> la tâche d’évaluer <strong>le</strong> phénomène dudéplacement, ainsi que cel<strong>le</strong> de déterminer <strong>le</strong>s besoins des déplacés. Cela poseun problème éga<strong>le</strong>ment aux différents acteurs pour définir <strong>le</strong>urs politiques etcib<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s bénéficiaires de ces politiques, plus particulièrement dans <strong>le</strong> cas desOrganisations Non Gouvernementa<strong>le</strong>s (ONG) qui doivent choisir entre travail<strong>le</strong>ravec <strong>le</strong>s déplacés mais alors exclure de <strong>le</strong>urs programmes toutes <strong>le</strong>s personnesqui ne se déclarent pas en tant que tel<strong>le</strong>s mais qui <strong>le</strong> sont de fait, ou travail<strong>le</strong>ravec <strong>le</strong>s populations vulnérab<strong>le</strong>s, mais dans ce cas accepter de ne pas répondreforcément de façon très adaptée aux besoins spécifiques des déplacés.Enfin, dans un pays comme la Colombie, qui connaît une guerre interne depuisplusieurs décennies, où <strong>le</strong> déplacement est un phénomène qui remonte loin dansl’histoire nationa<strong>le</strong>, et où la vio<strong>le</strong>nce est une réalité récurrente, <strong>le</strong>s déplacésinvoquent souvent la vio<strong>le</strong>nce comme cause de <strong>le</strong>ur déplacement. Le migrantéconomique ne peut pas prétendre au même niveau d’aide économique ethumanitaire, il est donc beaucoup plus profitab<strong>le</strong> de se déclarer déplacé par lavio<strong>le</strong>nce, sachant qu’au milieu du chaos que traverse <strong>le</strong> pays, il seracertainement diffici<strong>le</strong> aux institutions de prouver <strong>le</strong> contraire. C’est donc unevariab<strong>le</strong> à étudier avec une attention toute particulière 351 .D’autre part, <strong>le</strong>s déplacements provoqués par <strong>le</strong>s fumigations de cultures illicitesdans <strong>le</strong> cadre du Plan Colombie, ne sont pas considérés par l’Etat comme desdéplacements provoqués par la vio<strong>le</strong>nce. Les 75 597 paysans ainsi déplacés en2001 et 2002 sont considérés comme des migrants volontaires et n’ont droit àaucune aide de l’Etat 352 .Un autre point est problématique dans la définition du statut du déplacé : quand<strong>le</strong> statut de déplacé prend-il fin ? La loi 387 définit la fin de la condition dedéplacé :« La condition de déplacé forcé par la vio<strong>le</strong>nce prend fin quand est atteinte laconsolidation et la stabilisation socioéconomique, que ce soit dans son lieud’origine ou dans <strong>le</strong>s zones de réinstallation. Le déplacé coopèrera à350 Michel AGIER, La question des desplazados colombiens aujourd’hui, Comité universitaire pour laColombie, IHEAL, Paris, 27 novembre 2000.351Daniel PECAUT, introduction « El desplazamiento por la vio<strong>le</strong>ncia », col<strong>le</strong>ctif, édité encollaboration avec <strong>le</strong> Comitato Internaziona<strong>le</strong> per lo Sviluppo Popoli, l’Union Européenne, Echo,l’Acnur, et la Pastoral Social, Colombie, 1999.352 Mabel GONZALEZ BUSTELO, op. cit.


236l’amélioration, au rétablissement, à la consolidation et à la stabilisation de sasituation 353 ».Le décret 2569 précise que la condition de déplacé prend fin : par <strong>le</strong> retour, laréinstallation ou la relocalisation de la personne en situation de déplacement, quilui aurait permis d’accéder à une activité économique dans son lieu d’origine oudans <strong>le</strong>s zones de réinstallation ; par exclusion du Registre unique de lapopulation déplacée ; suite à la demande de l’intéressé. Ces définitions donnéespar la législation colombienne restent assez vagues. Etant donné que <strong>le</strong>s déplacésperdent tous <strong>le</strong>urs biens, <strong>le</strong>ur travail, souvent <strong>le</strong>urs droits politiques, etc., qu’ilsarrivent à Bogotá et grossissent <strong>le</strong>s rangs des populations <strong>le</strong>s plus vulnérab<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>rétablissement de <strong>le</strong>urs droits est quasi impossib<strong>le</strong> à réaliser, en tous cas dans <strong>le</strong>court terme. Les personnes inscrites au registre national des déplacés depuis1997 n’en ont pas été radiées. Seuls quelques déplacés ayant participé auxprojets de relocalisation et de retour ont été exclus du registre, de façond’ail<strong>le</strong>urs peut-être un peu abusive de la part de l’Etat.Politiques héritées et nouvel<strong>le</strong>s orientationsAu niveau local, <strong>le</strong> RSS est relayé par l’Unité d’Aide et d’Orientation, la UAO.C’est un bureau, destiné exclusivement à l’accueil des déplacés. S’y trouvent desreprésentants du RSS, de l’entité territoria<strong>le</strong> concernée, et de l’institutionDéfense du Peup<strong>le</strong> 354 . Les représentants de l’entité territoria<strong>le</strong> peuvent recevoir<strong>le</strong>s déclarations des déplacés en vue de l’inscription ou non au registre unique.Les représentants de la Défense du Peup<strong>le</strong> peuvent amorcer <strong>le</strong>s procéduresléga<strong>le</strong>s de dénonciation des violations des droits de l’homme et <strong>le</strong>s mécanismesde protection si nécessaire. Les représentants du RSS ont pour mission deremettre <strong>le</strong>s certificats de déplacés à ceux qui l’ont obtenu, et de délivrer l’aidequi doit suivre. Dans ces Unités d’Aide et d’Orientation, <strong>le</strong>s déplacés viennent serenseigner, réclamer l’aide. Les Unités sont en quelques sortes <strong>le</strong>s organismesqui assument <strong>le</strong>s politiques et <strong>le</strong> manque de détermination des échelonssupérieurs de l’administration. C’est en effet à ce niveau que se font <strong>le</strong> plusressentir <strong>le</strong>s carences. Au sujet de l’aide humanitaire d’urgence, la responsab<strong>le</strong>de l’Unité d’Aide et d’Orientation de Bogotá explique avec embarras qu’ « unefois <strong>le</strong> déplacé inscrit sur <strong>le</strong> Registre, il faut compter plusieurs mois pourrecevoir l’aide humanitaire d’ ‘urgence’ : aliments, kits de propreté, matelas,aide pour loyer. Il faut attendre entre 3 et 6 mois 355 ». Des listes à l’entréesigna<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s personnes inscrites au registre unique et cel<strong>le</strong>s qui sont refusées.C’est aux portes de ces bureaux qu’apparaît <strong>le</strong> faib<strong>le</strong> engagement de l’Etat dansla gestion des déplacés.Organismes non spécifiques353 “La condición de desplazado forzado por la vio<strong>le</strong>ncia cesa cuando se logra la consolidación yestabilización socioeconómica, bien sea en su lugar de origen o en las zonas de reasentamiento”chap.2, section 7, art. 18, loi 387 de 1997.354 Institution qui s’apparente au Médiateur de la République en France. Institution nationa<strong>le</strong>, chargéed’examiner <strong>le</strong>s déclarations des citoyens et de relayer <strong>le</strong>urs plaintes en matière de violation des droits del’homme. El<strong>le</strong> se charge de dénoncer <strong>le</strong>s violations et de protéger <strong>le</strong>s citoyens dont la sécurité estmenacée.355 Entretien Cecilia Restrepo, mercredi 19/02/03 à la UAO de Bogotá.


237Au niveau national, d’autres institutions d’Etat sont chargées du problème desdéplacés. El<strong>le</strong>s n’ont pas été créées pour cela, mais <strong>le</strong> problème des déplacés faitpartie de l’une de <strong>le</strong>urs attributions. Plusieurs ministères contribuent ainsi de faitau Programme d’Aide Intégra<strong>le</strong> à la Population Déplacée, élaboré par laPrésidence de la République et <strong>le</strong> RSS. Le Ministère de la Santé, <strong>le</strong> Ministère del’Education, <strong>le</strong> Ministère du Logement sont autant de ministères concernés par <strong>le</strong>problème des déplacés. Ils créent des lignes budgétaires spécia<strong>le</strong>s au sujet desdéplacés, suivant <strong>le</strong>s orientations prises par <strong>le</strong> gouvernement. Prenons l’exemp<strong>le</strong>de la Santé. Les politiques sont décidées de façon sectoriel<strong>le</strong>, au niveau dugouvernement. La même politique est théoriquement menée sur tout <strong>le</strong> territoiremême si nous verrons que son exécution n’est pas uniforme. Jusqu’à la fin 2002,l’Etat se portait responsab<strong>le</strong> des dépenses de santé relatives aux déplacés. Unfond spécial avait été créé au niveau national et un déplacé, quelqu’il soit, oùqu’il soit situé sur <strong>le</strong> territoire national avait un accès immédiat et gratuit auxsoins. C’était un régime spécial pour <strong>le</strong>s populations déplacées, qui a été réforméil y a peu par des directives et des décrets successifs.Des organismes de contrô<strong>le</strong> ont pour charge de défendre <strong>le</strong>s droits des déplacéset d’assurer tant que faire se peut, la prévention des déplacements. Le Bureau duProcureur Général de la Nation est chargé de surveil<strong>le</strong>r <strong>le</strong> travail desfonctionnaires en lien avec <strong>le</strong>s déplacés. Le Bureau du Défenseur du Peup<strong>le</strong>reçoit <strong>le</strong>s plaintes et <strong>le</strong>s dénonciations des populations déplacées. Il est chargé defournir une protection aux populations en situation de risque, et avait mis enplace <strong>le</strong> système d’a<strong>le</strong>rte précoce, visant à prévenir <strong>le</strong>s exactions des groupesarmés. En effet, <strong>le</strong>s populations sont très souvent au courant plusieurs jours àl’avance de l’attaque à venir d’un groupe armé.Nouvel<strong>le</strong>s orientationsL’Etat est débordé par <strong>le</strong> problème des déplacements internes et a du mal àmener une politique cohérente. En effet, <strong>le</strong> plus logique et <strong>le</strong> moins coûteuxserait de travail<strong>le</strong>r à la prévention du déplacement. Les déplacements sont desmouvements de population qui renforcent <strong>le</strong>s groupes armés et déstabilisentl’Etat. Le déplacé est une personne qui non seu<strong>le</strong>ment n’est plus productive,mais en plus qui coûte de l’argent à la société. Le coût du déplacement est doncé<strong>le</strong>vé. Cependant, l’Etat se montre incapab<strong>le</strong> de prévenir <strong>le</strong> déplacement, etincapab<strong>le</strong> d’en gérer <strong>le</strong>s conséquences en intégrant <strong>le</strong>s déplacés dans <strong>le</strong>ur lieud’arrivée. Les massacres, qui donnent lieu à des déplacements, sont pourtantsouvent annoncés. Nous avons vu que l’institution pour la Défense du Peup<strong>le</strong>avait tenté de mettre en place un système d’a<strong>le</strong>rte préventive, visant à empêcher<strong>le</strong>s massacres annoncés en prévenant l’Etat. Cette tentative a échoué. L’Etat n’a,semb<strong>le</strong>-t-il, ni la volonté ni <strong>le</strong>s moyens pour faire face à ces situations. Lespolitiques qui étaient à l’œuvre concernant <strong>le</strong>s déplacés ont beaucoup changédepuis l’entrée en fonction du Président Alvaro Uribe qui ne plaide pas pour lamême résolution du problème. El<strong>le</strong>s ne cherchent plus tant l’intégration dudéplacé dans son lieu d’arrivée, que son retour à son lieu d’origine ou sarelocalisation en milieu rural. Le gouvernement a plus ou moins prononcé l’arrêtdes politiques d’aide d’urgence et de stabilisation socio-économique en vil<strong>le</strong>.Les fonds alloués aux aides d’urgence ont été très diminués, ceux destinés à lastabilisation économique quasiment supprimés. C’est dans ce cadre qu’ont étéarrêtés <strong>le</strong>s projets productifs, système de micro crédit qui accordait aux déplacésdes fonds pour démarrer un projet productif, par exemp<strong>le</strong> une boulangerie, une


238vitrerie, etc. Un déplacé dénonce la politique de l’Etat qui ne cherche pas àprévenir <strong>le</strong> massacre mais qui cherche en revanche à empêcher <strong>le</strong>s déplacementsvers Bogotá en envoyant suite aux massacres des troupes pour constituer descordons de blocage sur <strong>le</strong>s voies de communications menant à Bogotá. Face à ceconstat d’échec, Alvaro Uribe mène la politique la plus pragmatique qu’il soit :nous ne parvenons pas à intégrer <strong>le</strong>s déplacés qui viennent engorger <strong>le</strong>sbidonvil<strong>le</strong>s de la capita<strong>le</strong>, il faut donc <strong>le</strong>s ‘encourager’ à ne pas rester et àrepartir dans <strong>le</strong>s zones rura<strong>le</strong>s. Cela répond de plus à une stratégie guerrière, quiconsiste à garder <strong>le</strong> territoire habité pour ne pas faciliter l’avancée des groupesarmés. Alvaro Uribe s’est fixé comme objectif d’ici la fin de son mandat (2006)<strong>le</strong> retour de 30 000 famil<strong>le</strong>s, soit environ 150 000 personnes, qui bénéficierontd’aides au logement et de micro crédits pour établir une activité productive,micro crédits garantis par Bancoldex à raison de 500 000 millions de pesos paran (soit environ 20 millions d’euros). Le gouvernement compte utiliser <strong>le</strong>s loisd’extinction du droit de propriété pour récupérer 30 000 hectares de terre quiétaient aux mains des narcotrafiquants, des personnes corrompues et des groupesarmés. Ces terres seront remises à des paysans déplacés dans <strong>le</strong> cadre de laréforme agraire 356 .Parallè<strong>le</strong>ment à cette politique de retour et de relocalisation des déplacés, <strong>le</strong>gouvernement mène d’ail<strong>le</strong>urs une politique d’intensification de la guerre.Alvaro Uribe a été élu sur un programme de fermeté et de guerre. Il a déclarél’Etat d’exception à son arrivée au pouvoir, ce qui lui donnait <strong>le</strong> droit de réduire<strong>le</strong>s libertés individuel<strong>le</strong>s et col<strong>le</strong>ctives au nom de sa politique de guerre. Al’heure actuel<strong>le</strong>, si <strong>le</strong>s négociations sont ouvertes et bien avancées avec <strong>le</strong>sparamilitaires, <strong>le</strong>s affrontements avec la guérilla se multiplient. Cette politiqueaugmente <strong>le</strong>s causes de déplacement et aggravent <strong>le</strong>s conditions de sécurité et devie dans <strong>le</strong>s zones rura<strong>le</strong>s. Non seu<strong>le</strong>ment la politique de guerre va dans <strong>le</strong> sensd’une augmentation des chiffres du déplacement, mais el<strong>le</strong> contredit de plus unepolitique de retour et de relocalisation des déplacés qui cherchent avant tout àfuir l’insécurité. Cependant, <strong>le</strong> gouvernement a déjà mis en place <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>spolitiques en matière de déplacés. A Soacha, municipe qui jouxte Bogotá à sonextrême sud, un accord a été passé par la UAO avec 3 ONG pour qu’el<strong>le</strong>s« sortent <strong>le</strong>s déplacés de Bogotá ». A ceux qui quittent l’agglomération deBogotá pour repartir dans <strong>le</strong> pays, sont donnés : 3 sacs de ciment, 2 livres degrains, une machette, une gril<strong>le</strong> pour faire cuire <strong>le</strong>s aliments, et 70 euros deproduits alimentaires et d’entretien. On <strong>le</strong>s raye alors du registre national desdéplacés. Le RSS fournit lui aussi des kits agrico<strong>le</strong>s d’une va<strong>le</strong>ur de 300 euros,mais la Coordination Nationa<strong>le</strong> des Déplacés critique cette politique et sedemande ce que <strong>le</strong>s personnes sont censées faire « en attendant que <strong>le</strong> maïspousse 357 ». Ces retours ou relocalisations sont bien évidemment censés êtrevolontaires.Le renvoi des déplacés en zones rura<strong>le</strong>s permet d’éviter de nombreux problèmes.Ne se posent plus <strong>le</strong>s problèmes de formation ou de reconversionprofessionnel<strong>le</strong>, de remise à niveau des enfants, d’accoutumance à la vieurbaine. Cependant, d’autres problèmes voient <strong>le</strong> jour. Les problèmes de sécuritésont extrêmement graves pour ces déplacés. Si <strong>le</strong>s personnes se déplacent, c’estbien souvent que <strong>le</strong>s conditions de vie étaient devenues très diffici<strong>le</strong>s, et <strong>le</strong>sconditions de sécurité extrêmement précaires. Il est donc très rare que <strong>le</strong>s356 « Conflicto armado, la cara urbana », El tiempo, 28/11/02.357 Entretien Conseil National des Déplacés à Bogotá, mardi 19/03/03


239conditions de sécurité soient rétablies. Le déplacé s’expose alors beaucoup plusen cherchant à retourner sur son lieu d’origine. Les habitants qui sont restés surplace voient ces « revenants » comme des éléments très dangereux, pouvantavoir pactisé avec l’un des groupes durant <strong>le</strong>ur absence, ou pouvant au contrairesusciter la colère et provoquer <strong>le</strong>s représail<strong>le</strong>s de ces groupes armés. Ceux quireviennent se retrouvent donc dans une situation de grande vulnérabilité par<strong>rapport</strong> aux habitants et par <strong>rapport</strong> aux groupes armés. Nombreuses sontd’ail<strong>le</strong>urs <strong>le</strong>s personnes qui expliquent que la seu<strong>le</strong> solution qu’il reste souventaux déplacés qui reviennent dans <strong>le</strong>ur lieu d’origine est l’engagement armé auxcôtés d’un des groupes insurgés. « Dans ceux qui retournent, qui repartent, il yen a qui retournent pour faire la guerre, car c’est la seu<strong>le</strong> option qui <strong>le</strong>urreste 358 ».Auparavant, Federico vivait dans <strong>le</strong> Meta (Castillo, Pincita), région située à l’est de Bogotá. Il est venuà Bogotá. Avant il vivait à la campagne. « Au début, quand on arrive, on se demande comment onpourrait retourner chez soi, récupérer ce que l’on a laissé ? Mais peu à peu, on perd ses illusions par<strong>rapport</strong> aux biens matériels, mais non par <strong>rapport</strong> au retour ». Par l’Incora (Institut Colombien deRéforme Agraire ), ils se sont mis en relation à plusieurs avec un programme de distribution de terrepour la relocalisation. Ils se sont rassemblés à 10 famil<strong>le</strong>s à los Altos de Cazucá, cherchant unesolution pour s’en sortir. Ils cherchaient des crédits pour pouvoir investir. Quelqu’un <strong>le</strong>ur a parlé desprogrammes de relocalisation avec l’Incora. Cela a été compliqué. Ils ont du recourir aux actions defait (Acciones de hecho : manifestations, occupations de locaux, etc), ils ont pris d’assaut <strong>le</strong> ministèrede l’agriculture à 50 personnes, avec <strong>le</strong> soutien d’ONG et du Droit humanitaire. Ils ont réussi à obtenirdes terres et ont pu retourner à la campagne. Ils y sont restés un an, et ont dû se déplacer à nouveau.C’est dangereux de se déplacer et d’arriver dans un lieu où l’on ne connaît personne et où personne nevous connaît. On est mal vu par tous. Ils ont été persécutés. Il y a eu 3 morts parmi eux. 4 ou 5famil<strong>le</strong>s sont restées. Pour rester, il fallait s’engager aux côtés de l’un des acteurs. Mais Federicopense que pour survivre, il faut rester neutre. Il a dû s’en al<strong>le</strong>r <strong>le</strong> jour même, car on <strong>le</strong>s a gardés unmoment enfermés. Ils sont arrivés sans rien à Bogotá, avec 3 enfants. Ils sont partis en cachette avec <strong>le</strong>plus jeune, mais <strong>le</strong>s 2 aînés ont dû rester 4 mois là-bas. Les marques qui en restent sont terrib<strong>le</strong>s.Témoignage recueilli à los Altos de Cazucá, lundi 3/03/03Le retour ou la relocalisation sont très problématiques car cela perturbe encoreplus <strong>le</strong> fragi<strong>le</strong> équilibre dans <strong>le</strong>quel se trouvent <strong>le</strong>s différentes régions deColombie. Plusieurs déplacés ont par ail<strong>le</strong>urs critiqué <strong>le</strong>s politiques dugouvernement, sous-entendant que <strong>le</strong>s opérations de renvoi des déplacésn’étaient pas toujours volontaires. L’un d’eux affirme que <strong>le</strong>s déplacés quirepartaient dans <strong>le</strong> cadre de programmes d’ONG étaient photographiés par desfonctionnaires, moyen de faire pression et de dissuader <strong>le</strong>s personnes de revenir,façon de signifier : « nous avons vos signa<strong>le</strong>ments… ».358 Entretien avec A<strong>le</strong>jandra Montes, fonctionnaire de la Mairie de Bogotá, Département de Bien-êtreSocial, vendredi 28/02/03.


240Les divergences loca<strong>le</strong>sDécentralisation et démocratie participativeEn 1991 est mise en place la nouvel<strong>le</strong> Constitution politique de Colombie,qui donne naissance à une nouvel<strong>le</strong> structure du pouvoir et à de nouvel<strong>le</strong>spratiques en matière de participation du citoyen dans <strong>le</strong> processus deplanification, de prise de décision et de contrô<strong>le</strong> des investissements publics. En1986 est décidée l’é<strong>le</strong>ction au suffrage universel direct des maires, qui sont éluspour trois ans. La légitimité des représentants locaux est donc grandementrenforcée. La Constitution de 1991 confirme <strong>le</strong> renforcement du pouvoirmunicipal, son autonomie en matière de gestion des fonds publics, en matièred’aménagement urbain, en matière de gestion des services publics et sociaux.Dans ce nouveau système, <strong>le</strong> municipe gère <strong>le</strong> développement de l’infrastructureurbaine, l’investissement et <strong>le</strong>s dépenses socia<strong>le</strong>s en utilisant des ressourcespropres et des transferts fiscaux en provenance du gouvernement central. Lestransferts du centre vers <strong>le</strong>s col<strong>le</strong>ctivités loca<strong>le</strong>s augmentent. En 1993, cestransferts représentaient 26% des recettes courantes de la Nation, alors qu’el<strong>le</strong>sen représentent 46% en 2002. Ces transferts augmentent plus vite que <strong>le</strong>srecettes propres des municipes, ce qui augmente <strong>le</strong>ur dépendance financière par<strong>rapport</strong> à la Nation, et limite <strong>le</strong> mouvement de décentralisation. Les municipesperçoivent deux impôts : l’impôt foncier, <strong>le</strong> predial, et l’impôt sur <strong>le</strong> commerceet l’industrie 359 .Le District de Bogotá est divisé en 19 arrondissements, auxquels s’ajoute la zonerura<strong>le</strong> de Sumapaz au sud. Il existe une certaine décentralisation descompétences et des ressources de l’administration en direction desarrondissements (appelés Localités), <strong>le</strong>squels ont un maire (nommé par <strong>le</strong> mairede District, lui-même élu au suffrage universel comme tous <strong>le</strong>s maires demunicipes) et un JAL (Conseil d’Administration Local) composé d’édi<strong>le</strong>s élusau suffrage universel. En matière de politiques urbaines, plusieurs acteursinterviennent désormais. Le gouvernement national finance majoritairement <strong>le</strong>sgrands projets d’infrastructure. Le département du Cundinamarca gère <strong>le</strong>développement des communes voisines au District. Le District ou <strong>le</strong> municipe(<strong>le</strong> maire élu, l’administration municipa<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s entreprises de services publics,majoritairement privatisées, <strong>le</strong> conseil élu) intervient en planifiant et en gérantses propres ressources et ses investissements dans la construction et l’entretiende la voirie, des équipements sociaux, des espaces publics. La Localité (maire deLocalité, et JAL, de Ciudad Bolivar par exemp<strong>le</strong>), planifie et contrô<strong>le</strong> l’usagedes investissements publics dans <strong>le</strong>s projets à vocation loca<strong>le</strong>. Le quartier (<strong>le</strong>sJAC – Conseil d’Action Communa<strong>le</strong> – sortes de comités de quartiers élus) estcensé être <strong>le</strong> niveau de représentativité <strong>le</strong> plus proche de la population et àtravers <strong>le</strong>quel cel<strong>le</strong>-ci peut exprimer ses divers besoins pour qu’ils soientsatisfaits soit directement de ce même niveau, soit par <strong>le</strong>s supérieurs.Un autre mécanisme, produit de la réforme constitutionnel<strong>le</strong> de 1991, nousintéresse pour cette étude. Une importance primordia<strong>le</strong> est donnée, au moinsformel<strong>le</strong>ment à la participation citoyenne et au contrô<strong>le</strong> exercé par <strong>le</strong>s citoyenspar <strong>rapport</strong> aux administrations et à la gestion des fonds publics. Ladécentralisation a été mise en place pour améliorer la gestion du territoire359 Vincent GOUESET, 2002, op.cit.


241national, et pour limiter <strong>le</strong>s phénomènes de corruption, de clientélisme,gangrènes politiques classiques, qui trouvent des terrains particulièrementfavorab<strong>le</strong>s en Amérique Latine. Parallè<strong>le</strong>ment, la participation citoyenne doitpermettre un contrô<strong>le</strong> des col<strong>le</strong>ctivités loca<strong>le</strong>s devenues plus puissantes.L’objectif est de mettre en place une inspection citoyenne de l’action publique,veeduria. La démocratie participative suppose que <strong>le</strong> citoyen ne s’exprime plusseu<strong>le</strong>ment à travers <strong>le</strong> suffrage mais qu’il saisisse <strong>le</strong>s mécanismes et <strong>le</strong>spossibilités qui lui sont offerts pour exercer un contrô<strong>le</strong> direct sur <strong>le</strong>fonctionnement des administrations, <strong>le</strong> respect des engagements politiques, laqualité des services publics, etc. La nouvel<strong>le</strong> Constitution ouvre donc desespaces de participation citoyenne. La population doit s’organiser et se saisir decette opportunité. Les col<strong>le</strong>ctivités loca<strong>le</strong>s sont parallè<strong>le</strong>ment tenues à desexigences de transparence. Les initiatives sont relativement timides jusqu’àprésent, mais nous allons voir que pour <strong>le</strong>s déplacés, populations marginaliséessocia<strong>le</strong>ment et souvent politiquement, ce mécanisme est important et uti<strong>le</strong>. LesJAC sont censés être des occasions et des lieux de démocratie participative dans<strong>le</strong>s quartiers. Les citoyens ont éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> droit de se constituer en comitéslocaux pour contrô<strong>le</strong>r la qualité des administrations et des services de l’Etat.Dans <strong>le</strong> secteur de la santé, un comité de quartier peut décider de contrô<strong>le</strong>r <strong>le</strong>travail d’un hôpital, vérifier s’il remplit bien son devoir de service public, s’ilreçoit et soigne tous <strong>le</strong>s patients qui se présentent, s’il ne fait pas payer <strong>le</strong>smédicaments figurants sur la liste des médicaments remboursés, et ainsi de suite.Deux études de cas comparatives : Ciudad Bolivar et Los Altos de CazucáPrésentation des quartiersCes mécanismes de décision et de mise en application des politiquesurbaines ont un impact à échel<strong>le</strong> loca<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s conditions de vie et <strong>le</strong>s facteursd’intégration des populations déplacées par la vio<strong>le</strong>nce lors de <strong>le</strong>ur arrivée envil<strong>le</strong>. Ciudad Bolivar, 19 e localité de Bogotá, appartient au District Capital, alorsque Los Altos de Cazucá appartient au municipe de Soacha. Les deuxmunicipalités, Bogotá et Soacha, appartiennent au département deCundinamarca. Soacha en tant que municipe classique a beaucoup moins depouvoir et dispose de moins de financements que la vil<strong>le</strong> de Bogotá. Los Altosde Cazucá correspond à une division administrative appelée commune, lacommune n°4, et Ciudad Bolivar à une Localité, la Localité n° 19. La Localitécomme nous venons de <strong>le</strong> voir bénéficie de la décentralisation interne de lacapita<strong>le</strong>, dispose de représentants politiques et d’organismes de décision et decontrô<strong>le</strong>, alors que los Altos de Cazucá n’a aucun pouvoir propre, même si el<strong>le</strong>dispose de JAC, et dépend entièrement des politiques mises en place par lamunicipalité de Soacha. Los Altos de Cazucá compte selon <strong>le</strong>s estimations700 000 personnes, et Ciudad Bolivar environ 1 million de personnes.La première différence, qui a des conséquences de tail<strong>le</strong>, est l’état desservices publics et <strong>le</strong>ur accessibilité. Ainsi, Ciudad Bolivar qui appartient auDistrict Spécial de Bogotá, a fait l’objet de toutes <strong>le</strong>s attentions dans <strong>le</strong>s années1980 et 1990. De nombreuses évaluations donnent naissance à des projetsfinancés par la mairie de Bogotá, par la Nation, par des pays et des organisationstiers (la Banque mondia<strong>le</strong> par exemp<strong>le</strong>). Le quartier s’est consolidé et <strong>le</strong>sconditions de vie s’y sont améliorées. L’action conjuguée des différents acteurs


242pendant <strong>le</strong>s années 1980 et au début des années 1990 a permis une améliorationconsidérab<strong>le</strong> de beaucoup de services : accès à l’eau, système d’égout,asphaltage des routes, construction de logements sociaux, amélioration destransports publics et meil<strong>le</strong>ur raccordement à la « vil<strong>le</strong> formel<strong>le</strong> », à la vil<strong>le</strong> dunord. Depuis 2002, Ciudad Bolivar est inclus dans <strong>le</strong> nouveau système detransport en commun : <strong>le</strong> Transmi<strong>le</strong>nio. C’est un système de bus avec des voiesspécia<strong>le</strong>s et des arrêts fixes, ce qui constitue une véritab<strong>le</strong> révolution pour unevil<strong>le</strong> comme Bogotá. Cela permet d’être relié en 40 minutes au centre de Bogotá.Les administrations, <strong>le</strong>s services, l’activité économique développée dans <strong>le</strong> nordde la vil<strong>le</strong> sont désormais beaucoup plus accessib<strong>le</strong>s à la population de CiudadBolivar.Le développement de los Altos de Cazucá fait suite à celui de Ciudad Bolivar.La saturation progressive des quartiers sud de Bogotá a conduit à l’urbanisationdes terrains limitrophes. Depuis la fin des années 1980, <strong>le</strong>s collines se peup<strong>le</strong>nten direction de Soacha, mais c’est à partir de 1996 que l’urbanisation y devientvraiment massive et rapide. Les terreros peu à peu s’emparent du marché de laconstruction illéga<strong>le</strong> à Los Altos de Cazucá 360 . Les terreros appartiennent à desréseaux illégaux qui préparent <strong>le</strong>s terrains, <strong>le</strong>s aplanissent un peu, <strong>le</strong>s découpentet <strong>le</strong>s revendent. Ces terreros ne sont pas propriétaires des terrains, la transactionest donc bien évidemment illéga<strong>le</strong>, et ils revendent parfois <strong>le</strong> même terrain àplusieurs personnes qui n’ont alors aucun recours juridique pour rég<strong>le</strong>r lasituation. Ils créent de fait un droit foncier alternatif. Ces terreros, toujours àl’œuvre actuel<strong>le</strong>ment, vendent parfois des lopins déjà lotis, avec des baraques defortune, ou non lotis. A Soacha, <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> des terres était et resteparticulièrement déficient. L’auto construction illéga<strong>le</strong> est <strong>le</strong> principal mode deproduction du logement. Soacha laisse libre cours à une urbanisation illéga<strong>le</strong>,comme cela avait été <strong>le</strong> cas à Ciudad Bolivar, et devra faire face el<strong>le</strong> aussi auproblème de l’aménagement, de la planification et de la légalisation. L’explosiondémographique que connaît cette zone depuis une vingtaine d’années est due engrande partie aux migrations campagnes – vil<strong>le</strong>. Ces migrations sont <strong>le</strong> fruitd’une crise agrico<strong>le</strong> et d’une vio<strong>le</strong>nce généralisée et croissante. Le peup<strong>le</strong>ment,selon une étude menée par l’Archidiocèse de Bogotá, est en grande partie issu dudéplacement par la vio<strong>le</strong>nce 361 . Depuis la fin des années 1980, on estime queplus de 250 000 déplacés sont arrivés aux Altos de Cazucá, 7000 famil<strong>le</strong>s depuis1999 362 . De nombreuses parties des Altos de Cazucá sont situées sur de terrainabrupts, où l’érosion est très active. De grands risques de glissements de terrainsexistent, plus particulièrement dans <strong>le</strong>s zones proches des carrières qui sont enexploitation permanente. Ces terrains ne sont pas appropriés à la construction, etil n’y existe en plus aucun accompagnement légal. Il n’y existe que très peu detitres de propriété authentiques, et l’accès aux services publics n’y est pas assuré.Les services publics posent un réel problème dans cette zone. Ils viennentmajoritairement du District de Bogotá, alors que théoriquement, il revient aumunicipe de <strong>le</strong>s assurer. C’est l’entreprise privée de Bogotá qui distribuel’é<strong>le</strong>ctricité à Soacha. C’est <strong>le</strong> premier service qui est arrivé. L’é<strong>le</strong>ctricité a étédans un premier temps piratée, c’est-à-dire détournée illéga<strong>le</strong>ment à partir desquelques poteaux d’éclairage public. Peu à peu, l’entreprise d’é<strong>le</strong>ctricité de360 Manuel PEREZ, Université Javeriana, entretien et étude sur los Altos de Cazucá.361 Arquidiocesis de Bogotá, CODHES – SISDES, “Huellas de nunca borrar: casos de Bogotá ySoacha”, 1999.362 Archidiocèse de Bogotá, CODHES, 1999, op. cit.


243Bogotá a mené une politique de légalisation des connections, a posé descompteurs, et peut ainsi facturer la consommation. Il est bien évident que <strong>le</strong>phénomène du piratage n’a pas disparu, mais il a été grandement diminué. Letéléphone est presque inexistant dans cette zone. Le service qui pose <strong>le</strong> plus deproblème est l’accès à l’eau. Un accord a été signé entre l’entreprise d’adductiond’eau de Bogotá et <strong>le</strong> municipe de Soacha en 1971, mais il ne concernait que <strong>le</strong>sparties basses du municipe. Los Altos de Cazucá n’a jamais fait l’objet d’unaccord 363 . Au début, <strong>le</strong>s gens descendaient chercher de l’eau en bas des collines,dans la plaine, et remontaient <strong>le</strong>s jerricans à dos d’homme ou de mu<strong>le</strong>. Petit àpetit, à force de revendications, la population a obtenu <strong>le</strong> passage de camionsciternes apportant de l’eau, puis l’installation progressive de tuyaux censésapporter l’eau jusqu’aux maisons. A l’heure actuel<strong>le</strong> la situation resteextrêmement critique. De l’eau est distribuée à peu près tous <strong>le</strong>s 15 jours par <strong>le</strong>stuyaux. L’eau vient d’une grande citerne située tout en haut de la colline deSanto Domingo, citerne remplie par la compagnie des eaux de Bogotá. Chaquemaison doit payer 4.000 pesos par mois, soit 1,50 euros, pour avoir accès à ceservice. Cependant la distribution d’eau est plus qu’irrégulière et inéga<strong>le</strong>mentrepartie. Certaines zones peuvent rester plus de 2 mois sans voir une seu<strong>le</strong> goutted’eau cou<strong>le</strong>r du tuyau. Des camions citernes passent dans <strong>le</strong>s quartiers. Unvéritab<strong>le</strong> trafic s’établit autour de l’eau. Les gens remplissent tous <strong>le</strong>s récipientsqu’ils possèdent dès que l’eau apparaît sous une forme ou sous une autre, maisc’est bien évidemment très insuffisant pour permettre une hygiène norma<strong>le</strong> etpour subvenir aux besoins en eau d’une famil<strong>le</strong>. Pour <strong>le</strong>s collines des Altos deCazucá, seu<strong>le</strong>s deux éco<strong>le</strong>s existent. Les carences en matière de santé etd’éducation sont énormes. Ce sont d’une manière généra<strong>le</strong> <strong>le</strong>s ONGinternationa<strong>le</strong>s, nationa<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s associations et <strong>le</strong>s organisations internationa<strong>le</strong>squi fournissent des béquil<strong>le</strong>s pour pallier <strong>le</strong>s carences de l’Etat. En ce quiconcerne <strong>le</strong>s transports publics, los Altos de Cazucá est extrêmement malpourvu. Sachant qu’une grande majorité des personnes qui ont un emploitravail<strong>le</strong>nt à Bogotá, la connexion avec la capita<strong>le</strong> est primordia<strong>le</strong>. Seu<strong>le</strong> uneligne de bus part des Altos directement pour Bogotá. Une autre part de lafrontière avec Ciudad Bolivar. Il faut parfois une heure de marche pour rallier <strong>le</strong>départ du bus. Il faut sinon prendre au moins deux bus pour arriver dans <strong>le</strong>centre de Bogotá et donc payer deux fois. La mauvaise desserte de la zone par<strong>le</strong>s transports en commun est un véritab<strong>le</strong> handicap. De plus, quand il commenceà p<strong>le</strong>uvoir, <strong>le</strong>s collines se trouvent complètement isolées : <strong>le</strong>s transports encommun ne peuvent plus monter, <strong>le</strong>s services de la voirie ne peuvent plus passer,<strong>le</strong>s maîtres d’éco<strong>le</strong>s ne peuvent pas venir.Deux quartiers touchés par l’insécuritéJusqu’en 2000 – 2001, <strong>le</strong>s bases des groupes armés illégaux restaient assezlointaines de la capita<strong>le</strong>. Cependant, depuis deux ans, l’étau se resserre, et <strong>le</strong>saffrontements entre groupes rivaux se font de plus en plus proches de la capita<strong>le</strong>.Il y a toujours eu quelques « poches » d’implantation de la guérilla aux a<strong>le</strong>ntours363 Vincent GOUESET, Vil<strong>le</strong>s, société et action publique en Amérique Latine, étude géographiquecomparée (Colombie, Argentine,Mexique), Université de Rennes 2, Dossier pour l’habilitation à dirigerdes recherches, 2002, 266p.


244de Bogotá, comme dans <strong>le</strong>s paramos 364 situés à l’est de la vil<strong>le</strong> ou dans <strong>le</strong>smontagnes du sud, sud est. Mais depuis deux ans, l’encerc<strong>le</strong>ment est chaque foisplus inquiétant. Au sein de la vil<strong>le</strong>, s’organisent des milices urbaines.Paramilitaires et guéril<strong>le</strong>ros sont implantés à Bogotá, principa<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong>squartiers pauvres du sud. Il est cependant très diffici<strong>le</strong> voire impossib<strong>le</strong> demesurer l’amp<strong>le</strong>ur de ce phénomène. Les FARC sont capab<strong>le</strong>s de perpétrer desenlèvements en vil<strong>le</strong>. Les paramilitaires reçoivent des financements depersonnes ou d’entreprises résidents à Bogotá, et <strong>le</strong>s FARC lèvent une partie de<strong>le</strong>ur impôt révolutionnaire dans la capita<strong>le</strong>. Mais ce sont <strong>le</strong>s attentats urbains quiimpressionnent et inquiètent <strong>le</strong> plus. Les habitants de Bogotá avaient prisl’habitude de se tenir à l’écart du conflit. Bogotá avait sa vio<strong>le</strong>nce, sa vio<strong>le</strong>nceurbaine, mais <strong>le</strong> conflit était l’affaire des campagnes, du reste du pays. Onregardait à la télévision <strong>le</strong>s groupes s’affronter et <strong>le</strong>s compatriotes mourir. Aprésent, <strong>le</strong> terrorisme revient en vil<strong>le</strong>, comme aux temps <strong>le</strong>s plus noirs dunarcotrafic. Les attentats sont généra<strong>le</strong>ment commis à la voiture piégée, ou à labombonne de gaz. Les techniques de guerre en vil<strong>le</strong> sont très différentes decel<strong>le</strong>s employées en milieu rural. Les FARC ont reçu une aide technique et ontsuivi des « stage de formation » avec des combattants de l’IRA – IrishRepublican Army 365 . Des dissidents irlandais ont été retrouvés alors qu’ilssortaient de la zone de détente en 2001. Les attentats sont en général réalisés parvagues. Pendant l’année 2002, plusieurs vagues de terrorisme ont touché lacapita<strong>le</strong>. Durant l’année 2002, <strong>le</strong>s actes terroristes contre la capita<strong>le</strong> ontaugmenté de 134%. Près de 3 tonnes d’explosifs, plus de 2000 têtes de grenadehechizas, 6000 cartouches et 128 grenades à fragmentation ont été saisies 366 . Le7 février 2003, l’attentat du Club Nogal a laissé 35 morts et 162 b<strong>le</strong>ssés, en p<strong>le</strong>incœur de la capita<strong>le</strong>, visant <strong>le</strong>s secteurs <strong>le</strong>s plus riches et <strong>le</strong>s plus puissants de lasociété. L’attentat a été attribué aux FARC par la presse et par <strong>le</strong> gouvernement.L’organisation n’a cependant pas assumé la responsabilité de cet acte. L’enquêteest en cours. Un chercheur du Cinep 367 , ancien conseil<strong>le</strong>r de la Mairie de Bogotá,avertit que la dispute territoria<strong>le</strong> à Ciudad Bolivar pourrait être plus longue etplus sanglante que cel<strong>le</strong> qui se vit actuel<strong>le</strong>ment à Medellin, à cause dudéplacement forcé.« Dans <strong>le</strong>s communes de la capita<strong>le</strong> antioqueña (Medellin), il y a plusd’enracinement familial et bon nombre des combattants sont des jeunes nés dans<strong>le</strong>s quartiers et qui se sont armés pour se défendre. A Ciudad Bolivar, où arrivent90% des déplacés de Bogotá, il n’y a pas de cohésion socia<strong>le</strong> et presque tous <strong>le</strong>sacteurs du conflit arrivent déjà marqués par la guerre. C’est un champ devengeance et de ressentiments 368 ».364 Forme bioclimatique spécifique, que l’on trouve en Colombie à des altitudes supérieures à 3000 m.El<strong>le</strong> se caractérise par une humidité très importante, des températures basses, et une végétationparticulière.365 Reuters, 25/04/2002.366 « Conflicto urbano en Bogotá, Es una situación preocupante », El Espectador, 5/10/02.367 Centro de Investigación y de Educación Popular, Centre de Recherche et d’Education Populaire,www.cinep.org.co.368 « Conflicto urbano en Bogotá », El Espectador, 5/10/02, “En las comunas de la capital antioqueñahay más arraigo familiar y muchos de los combatientes son muchachos que nacieron en los barrios yse armaron para defenderse. En Ciudad Bolívar, adonde l<strong>le</strong>ga el 90% de los desplazados de Bogotá,no hay cohesión social y casi todos los actores del conflicto vienen ya marcados por la guerra. Es uncampo de venganza y resentimientos”.


245Les logiques qui poussent actuel<strong>le</strong>ment à déplacer <strong>le</strong> conflit vers <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s sontoccultées et certainement multip<strong>le</strong>s. La pénétration dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s est renduepossib<strong>le</strong> par la montée en force des groupes insurgés. Leurs moyenséconomiques et guerriers sont croissants. La vil<strong>le</strong> représente une source deprofit. El<strong>le</strong> permet éga<strong>le</strong>ment un plus grand retentissement médiatique, et unpositionnement plus ferme sur la scène politique, dans l’éventualité d’une reprisedes dialogues et des négociations entre l’Etat et la guérilla.Les déplacés, une porte d’entrée pour <strong>le</strong>s groupes insurgés dans ces quartiers« Le graffiti n’a pas coûté plus de 10 euros, mais l’ignorer a coûté la vie à 45jeunes de Ciudad Bolivar. En <strong>le</strong>ttres grossières, cou<strong>le</strong>ur de deuil, il dit : « Rats,al<strong>le</strong>z vous en ou on vous tue : Auc » 369 ».Les différents groupes armés sont présents dans des quartiers comme CiudadBolivar et Los Altos de Cazucá. Au risque de paraître cynique, on pourraitaffirmer que <strong>le</strong>s forces de l’ordre public sont encore <strong>le</strong>s plus discrètes. Desgraffitis sur <strong>le</strong>s murs, aux coins des rues, témoignent de la présence et de larivalité des groupes armés insurgés. Les acteurs se lancent mutuel<strong>le</strong>ment desinsultes et des menaces sur <strong>le</strong>s murs des maisons. Les quartiers du sud, quartierspauvres, fournissent des terrains de choix pour l’infiltration urbaine des groupesarmés. En effet, <strong>le</strong> niveau d’illégalité, de non droit y est tel que l’installation yest beaucoup plus aisée que dans des quartiers du nord. Pénétrer <strong>le</strong>s quartiers dusud permet d’avoir un pied dans la capita<strong>le</strong>, de commanditer plus faci<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>sattentats, de faire pression sur <strong>le</strong>s pouvoirs politiques. A Ciudad Bolivar, entredébut juil<strong>le</strong>t et fin septembre 2002, 400 jeunes, dont 60 de moins de 12 ans, ontdisparu, recrutés par <strong>le</strong>s milices de la guérilla ou par <strong>le</strong>s paramilitaires, pendantque d’autres se sont « offerts » à l’armée pour ne pas tomber dans <strong>le</strong>s mains desdeux premiers groupes. Une assistante socia<strong>le</strong> affirme que « la guérilla et <strong>le</strong>sparamilitaires ont déjà commencé à obliger <strong>le</strong>s jeunes qui travail<strong>le</strong>nt avec lacommunauté à prendre parti pour l’une des deux bandes. Ceux qui refusent de <strong>le</strong>faire sont assassinés 370 ». Les groupes reproduisent en vil<strong>le</strong> <strong>le</strong>s mêmestechniques que dans <strong>le</strong>s autres régions de Colombie. Les paramilitaires lèvent unimpôt auprès des habitants en échange d’une assurance de sécurité. Ilspromettent un salaire d’environs 150 euros pour encourager <strong>le</strong>s jeunes às’engager à <strong>le</strong>urs côtés. L’infiltration de membres de la guérilla et deparamilitaires en vil<strong>le</strong> n’est pas nouvel<strong>le</strong>. A la fin des années 1980, desnégociations de paix avec <strong>le</strong> gouvernement du président Barco avaient permis ladémobilisation et la réintégration civi<strong>le</strong> d’anciens membres de groupes comme<strong>le</strong> M-19 ou <strong>le</strong>s FARC–UP 371 . Ces anciens guéril<strong>le</strong>ros étaient venus s’instal<strong>le</strong>r envil<strong>le</strong>, massivement à Ciudad Bolivar. A l’heure actuel<strong>le</strong>, l’infiltration correspondà une technique si<strong>le</strong>ncieuse et clandestine. Paramilitaires et guérillas prétendentcependant toujours détenir la meil<strong>le</strong>ure part. Un milicien de la guérillaaffirment en parlant d’un quartier situé dans <strong>le</strong>s hauteurs de Ciudad Bolivar:369 « El conflicto urbano en Bogotá », El Espectador, 5/10/02, “El grafito no costó más de 30 milpesos, pero ignorarlo <strong>le</strong>s ha costado la vida a 45 jóvenes de Ciudad Bolívar. Con <strong>le</strong>tras burdas y encolor de luto dice: "Ratas, se van o los matamos: Auc"”.370 El Espectador, op.cit.371 FARC-UP, Fuerzas Armadas Revolucionarias Colombianas-Unión Patriotica, Forces ArméesRévolutionnaires Colombiennes – Union Patriotique, groupe politique fondé par <strong>le</strong>s FARC en 1982.


246« Nous n’allons pas recu<strong>le</strong>r d’un centimètre, parce que tout ça est à nous. Ca l’atoujours été, et <strong>le</strong> Secrétariat nous a donné l’ordre de <strong>le</strong> défendre au prix de notrevie 28 ». Parallè<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s paramilitaires expliquent : « Il n’y a pas de bil<strong>le</strong>tretour, parce que l’argent que nous avons apporté est pour payer la guerre. Achaque chiffre que donne la guérilla, nous nous y ajoutons 30%, et ainsi nousavons pu obtenir <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> de 60% de Ciudad Bolivar et de presque 95% deSoacha et Bosa. Nous allons vers Usme, parce que l’ordre est d’en<strong>le</strong>ver cecouloir aux Farc 28 ». L’arrivée de déplacés permet une intégration beaucoup plusfaci<strong>le</strong> des insurgés. Comment reconnaître un vrai déplacé par la vio<strong>le</strong>nce, d’unautre migrant peut-être membre des autodéfenses ou d’un groupe de guérilla aumilieu d’un flot continu d’arrivants ? D’autre part, certains membres des groupesinsurgés s’intègrent en réussissant à obtenir une carte de déplacé, donc <strong>le</strong> statutde déplacé qui donne droit à des aides de l’Etat et des ONG. L’infiltration de ceséléments est suffisamment forte pour que bon nombre de personnes interviewéesmentionnent <strong>le</strong> problème. La présence des groupes insurgés se manifeste parplusieurs éléments. Ce sont ces groupes qui instaurent une certaine « justice ».Les institutions judiciaires sont peu présentes dans <strong>le</strong>s quartiers du sud, et <strong>le</strong>sgroupes paramilitaires et de guérilla remplissent souvent ces fonctionsrégaliennes que sont la justice et <strong>le</strong> maintien de l’ordre. Ce phénomène estévidemment inversement proportionnel à la consolidation du quartier. A CiudadBolivar et dans <strong>le</strong> sud du District, une Compagnie de Combat Urbain a été miseen place en 2002. El<strong>le</strong> dépend du Bataillon de Police n°13. El<strong>le</strong> est commandéepar <strong>le</strong> général Miguel Angel Castellanos, aidé de 4 officiers, 12 sous officiers etcomposée de 154 soldats. A los Altos de Cazucá, l’Etat est moins présent et <strong>le</strong>rô<strong>le</strong> tenu par <strong>le</strong>s groupes insurgés est plus fort. Les groupes armés recrutentparmi <strong>le</strong>s jeunes de ces quartiers. Des jeunes disparaissent régulièrement.A partir de 4 ou 5 heures du soir, avant que la nuit ne tombe, toutes <strong>le</strong>spersonnes extérieures à ces quartiers s’en vont et regagnent la « vil<strong>le</strong> formel<strong>le</strong> ».Tous <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs sociaux qui ne sont pas du quartier, <strong>le</strong>s volontaires desONG, <strong>le</strong>s fonctionnaires lorsqu’il y en a, désertent ces quartiers où plus rien nepeut garantir la sécurité. De nombreux assassinats sont perpétrés dans cesquartiers où l’impunité est tota<strong>le</strong>. D’autres acteurs s’ajoutent encore en milieuurbain, ceux de la « limpieza social », <strong>le</strong> « nettoyage social ». Des milicesprivées, financées par différentes sources, et notamment par <strong>le</strong>s commerçants etindustriels des zones industriel<strong>le</strong>s et commerçantes situées en bas des collines delos Altos de Cazuca, font des rondes de nuit. Ils sont surnommés <strong>le</strong>sencapuchados, ceux qui portent des capuches, des cagou<strong>le</strong>s. Ils sont vêtus denoir et passent vers 4 ou 5 heures du matin, armés, pour éliminer <strong>le</strong>s fauteurs detroub<strong>le</strong>s. La limpieza social frappe par à-coups. Lors de mon travail de terraindans la zone de Soacha, plusieurs attaques ont eu lieu, des vols, des agressions,notamment à l’encontre des travail<strong>le</strong>urs sociaux et des volontaires des ONG, et<strong>le</strong>s gens attendaient <strong>le</strong>s représail<strong>le</strong>s qui selon eux ne sauraient tarder.Les déplacés à Bogotá et à SoachaA Bogotá, <strong>le</strong>s déplacés sont victimes d’une ‘politique du si<strong>le</strong>nce’


247Etre déplacé à Bogotá ou à Soacha ne signifie pas la même chose. Côté Bogotál’accès aux services publics est bien meil<strong>le</strong>ur, ce qui représente une différence detail<strong>le</strong> en terme de qualité de vie. D’autre part, <strong>le</strong>s politiques menées au niveaulocal dans ces deux zones par <strong>rapport</strong> au problème de l’intégration des déplacéspar la vio<strong>le</strong>nce sont tota<strong>le</strong>ment différentes. Actuel<strong>le</strong>ment, <strong>le</strong>s différents acteurssociaux s’accordent pour par<strong>le</strong>r d’une « politique du si<strong>le</strong>nce » à Bogotá, autourdu problème des déplacés. Les fonctionnaires, <strong>le</strong>s acteurs humanitaires 372 par<strong>le</strong>ntéga<strong>le</strong>ment d’une politique visant à « rendre invisib<strong>le</strong> » <strong>le</strong> problème des déplacés.Deux termes qui convergent vers la même réalité : une absence de volontépolitique au niveau national, municipal (Bogotá) et local (Ciudad Bolivar). Desstratégies différentes mènent chaque acteur à prendre position.A l’échel<strong>le</strong> de Bogotá, la « politique du si<strong>le</strong>nce » face au problème des déplacésvise en premier lieu à ne pas attirer plus de monde. En effet, la vil<strong>le</strong> de Bogotáest saturée, et de plus, l’arrivée de déplacés se traduit par un appauvrissementcroissant de la population et vient aggraver la pauvreté structurel<strong>le</strong>. Mener unepolitique conséquente d’aide aux déplacés serait comme créer un appel d’air. Ceserait risquer de voir affluer toujours plus et encore plus de gens déracinés etdépossédés. Bogotá a un intérêt clair et compréhensib<strong>le</strong> à garder secret <strong>le</strong>problème des déplacés à Bogotá. Ainsi, 50% seu<strong>le</strong>ment des déclarations faitespour accéder au registre unique des déplacés sont acceptées à Bogotá, alors queplus de 80% des déclarations sont acceptées à Soacha 373 . De plus, pour lacapita<strong>le</strong>, il s’agit de ne pas ternir une image déjà diffici<strong>le</strong> à tenir, l’image d’unecapita<strong>le</strong> développée, qui a réussi dans ses quartiers du nord et du centre àatteindre des allures de « pays du premier monde ».A l’échel<strong>le</strong> de la Localité de Ciudad Bolivar, l’accueil des populations déplacéesest comp<strong>le</strong>xe. Ces populations viennent se fondre dans une trame de populationdéjà très pauvre. La concurrence et <strong>le</strong>s conflits sont toujours latents entre ceuxqui sont surnommés « pauvres historiques » et déplacés. Traiter <strong>le</strong> problème desdéplacés serait <strong>le</strong>ur réserver un traitement de faveur par <strong>rapport</strong> aux résidentspauvres. Nous avons déjà parlé de la mauvaise image que portent <strong>le</strong>s déplacés à<strong>le</strong>ur arrivée en vil<strong>le</strong>. Les résidents ne tolèrent déjà que très mal ces populationsqui viennent, selon eux, <strong>le</strong>ur vo<strong>le</strong>r <strong>le</strong> peu d’argent que l’Etat met à la dispositiondes défavorisés. A échel<strong>le</strong> du District comme à échel<strong>le</strong> de la Localité, aucunprogramme spécial n’est mis en place pour <strong>le</strong>s déplacés 374 . Les déplacés doiventse cou<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s mécanismes d’aide déjà existants. Lorsqu’il reste de l’argent,on l’attribue à des aides ponctuel<strong>le</strong>s destinées aux déplacés. Par exemp<strong>le</strong>, lamairie de Bogotá finance des bons d’alimentation pour <strong>le</strong>s déplacés qu’el<strong>le</strong>distribue par la UAO quand son budget <strong>le</strong> lui permet. Ciudad Bolivar ne souhaitepas ébruiter <strong>le</strong> problème des déplacés, et risquer d’être désagréab<strong>le</strong> au District.Pour entrer dans la cour des grands, mieux vaut rejeter l’anathème sur <strong>le</strong>svoisins, Los Altos de Cazucá en l’occurrence, et oublier ses propres faib<strong>le</strong>sses.La population déplacée pâtit et profite de cette politique du si<strong>le</strong>nce dans ce casspécifique. Bien sûr <strong>le</strong> manque d’aide lui porte préjudice, mais <strong>le</strong> fait qu’onignore <strong>le</strong>s déplacés <strong>le</strong>ur permet éga<strong>le</strong>ment de mieux passer inaperçus. Ils sontd’ail<strong>le</strong>urs particulièrement soucieux de préserver <strong>le</strong>ur anonymat. La populationdéplacée est très peu organisée à Ciudad Bolivar. Les organisations de déplacés372 Entretiens avec Cachivache, <strong>le</strong> Conseil National des Déplacés, Consejería en Proyectos, la UAO deBogotá, <strong>le</strong> DABS, Médecins Sans frontières, etc.373 Mabel GONZALEZ BUSTELO, 2002, op.cit374 Entretien COL, Centro Operativo Local, vendredi 28/02/03, à Ciudad Bolivar


248sont aujourd’hui peu nombreuses (7) et discrètes. Les déplacés qui arrivent àCiudad Bolivar, de façon individuel<strong>le</strong> ou en famil<strong>le</strong>, louent une chambre. Leurmobilité est très supérieure à la moyenne, répondant toujours à un désird’anonymat. Selon une enquête du CODHES, 70% des déplacés interrogéssouhaitent rester à Bogotá. Ces personnes n’expriment pas un désir de restermais plutôt une détermination à ne pas s’en al<strong>le</strong>r, c’est-à-dire qu’ils ne veu<strong>le</strong>ntpas retourner dans <strong>le</strong>ur lieu d’origine ni se réinstal<strong>le</strong>r dans une autre zone duterritoire national car ils estiment que <strong>le</strong>s conditions de sécurité n’y seront detoutes façons pas garanties. Le découragement et <strong>le</strong> temps sont certainementd’autres facteurs qui expliquent <strong>le</strong>ur souhait de rester. Certains, parfois, dans undeuxième temps, se déplacent vers <strong>le</strong>s périphéries de l’agglomération, à LosAltos de Cazucá par exemp<strong>le</strong>, pour devenir propriétaire d’un logement. Cela estdevenu plus diffici<strong>le</strong> et plus coûteux qu’auparavant à Ciudad Bolivar, du fait dela saturation croissante du bâti, mais reste possib<strong>le</strong> plus loin. Selon <strong>le</strong>CODHES 375 , plus de 50% des déplacés qui arrivent à Bogotá ne reçoivent pasd’aide. Parmi <strong>le</strong>s enfants en situation de déplacement, on estime qu’environ 60%n’accède pas au système scolaire, or 54% de la population déplacée qui arrive àBogotá a moins de 18 ans. Le chômage et l’emploi précaire atteignent eux aussides sommets chez <strong>le</strong>s déplacés. Il existe de plus des poches de misère au sein descollines de Ciudad Bolivar. Dans <strong>le</strong>s hauteurs, des quartiers illégaux et sansaccès aux services de base subsistent. Ce sont des quartiers où l’Etat ne semontre pas. Ces quartiers, comme Caracoli, sont <strong>le</strong>s quartiers <strong>le</strong>s moins chers,donc ceux qui accueil<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s plus démunis, parmi <strong>le</strong>squels se trouvent <strong>le</strong>sdéplacés. Malgré <strong>le</strong>s améliorations apportées à Ciudad Bolivar, malgré ladiscrétion des populations déplacées, <strong>le</strong>s besoins sont immenses, tant en termed’aide humanitaire d’urgence que de politique de stabilisation socioéconomique.A Soacha, au contraire, <strong>le</strong>s pouvoirs publics sont bavards sur <strong>le</strong> thème desdéplacésSi Bogotá peut en partie taire la situation critique de Ciudad Bolivar et despopulations qui y arrivent, Soacha ne peut pas faire de même avec <strong>le</strong>s collines deLos Altos de Cazucá. On n’arrive pas à Ciudad Bolivar par inadvertance. C’estune zone qui peut être occultée par la municipalité du District sans peine. ASoacha c’est impossib<strong>le</strong>. Que l’on arrive de Bogotá ou du sud par l’autoroute dusud, on longe <strong>le</strong>s collines de Los Altos de Cazucá et de Ciudadela Sucre. Il estimpossib<strong>le</strong> de dissimu<strong>le</strong>r ces bidonvil<strong>le</strong>s. Les collines sont trop proches, ondiscerne <strong>le</strong>s pistes de terre et de boue, <strong>le</strong>s baraquements de fortune,l’entassement humain. Au sein de Los Altos de Cazucá, <strong>le</strong> problème desdéplacés est lui-même impossib<strong>le</strong> à dissimu<strong>le</strong>r et à ignorer. Des déplacésarrivent quotidiennement, ils gravissent <strong>le</strong>s collines et arrivent de l’autoroute par<strong>le</strong>s quelques chemins de terre qui y pénètrent. Ils s’instal<strong>le</strong>nt alors dans unbaraquement vide qu’on <strong>le</strong>ur prête ou en construisent un <strong>le</strong> long d’un chemin, àflanc de colline. Les cambuches, <strong>le</strong>s ranchos surgissent comme des irruptions deboutons. Des abris de fortune, des tentures de grosse toi<strong>le</strong> plastifiée verte, desmorceaux de bois. Le premier campement est souvent très précaire. Pas delatrines. Des trous creusés dans la terre. Petit à petit, la stabilisation de la famil<strong>le</strong>se lit dans l’évolution de la construction. Quand la famil<strong>le</strong> a réussi à acheter la375 Archidiocèse de Bogotá, Codhes, « Senderos. Rastros invisib<strong>le</strong>s del desplazamiento en Bogotá »,Bogotá, septembre 2001, 69p.


249parcel<strong>le</strong> de terre à un terrero, el<strong>le</strong> améliore peu à peu la construction avec desmatériaux de récupération. Au bout de plusieurs mois voire plutôt de plusieursannées, la famil<strong>le</strong> peut parfois penser à construire un second étage, <strong>le</strong> premierpeut alors être loué ou servir pour ouvrir un petit commerce 376 . Los Altos deCazucá, représente un intérêt stratégique pour <strong>le</strong>s groupes armés, et par là mêmeil devient un enjeu stratégique pour l’agglomération de Bogotá. Il est bienévidemment impossib<strong>le</strong> de laisser prospérer sans limite cette illégalitéf<strong>le</strong>urissante aux portes de la vil<strong>le</strong>. Une base militaire fortifiée est située ausommet de ces collines, dans <strong>le</strong> quartier de Santo Domingo, à la limite entreCiudad Bolivar et Los Altos de Cazucá. El<strong>le</strong> a pour fonction de garder <strong>le</strong>contrô<strong>le</strong> des « portes » de la vil<strong>le</strong>. Les déplacés, qui fournissent une opportunitéaux groupes armés pour s’immiscer en vil<strong>le</strong>, doivent donc faire l’objet d’uneattention et d’un contrô<strong>le</strong> particulier à Soacha, pour ne pas permettre que lasituation échappe aux mains du pouvoir institutionnel. D’un point de vueéconomique, ces bidonvil<strong>le</strong>s présentent un autre intérêt. Les industries et <strong>le</strong>scommerces sont nombreux dans <strong>le</strong>s plaines qui longent l’autoroute du sud. Leshabitants des bidonvil<strong>le</strong>s fournissent une main d’œuvre peu chère et malléab<strong>le</strong>. Ilfaut cependant s’assurer que la vio<strong>le</strong>nce et <strong>le</strong>s périls ne débordent pas vers <strong>le</strong> basdes collines. C’est pour cette raison qu’à l’occasion sont financées desopérations de limpieza social (nettoyage social) : élimination des individus <strong>le</strong>splus marginaux, drogués ou vio<strong>le</strong>nts, susceptib<strong>le</strong>s de déstabiliser la zone. Lesdéplacés présentent peu d’intérêt pour <strong>le</strong>s industriels et <strong>le</strong>s commerçants de laplaine : ils ne représentent pas un marché solvab<strong>le</strong>, ils ne sont pas formés auxtechniques industriel<strong>le</strong>s et ne connaissent pas <strong>le</strong> travail en usine. Ils représententdonc une main d’œuvre certes encore moins chère et plus malléab<strong>le</strong>, mais qu’ilfaut former, alors que <strong>le</strong>s demandeurs d’emploi sont légion à Soacha. D’un pointde vue é<strong>le</strong>ctoral, <strong>le</strong>s habitants des collines présentent un intérêt certain. Ce sontautant d’é<strong>le</strong>cteurs qu’il est faci<strong>le</strong> d’acheter. Les techniques de racolage sontmultip<strong>le</strong>s. C’est une pratique largement répandue en Colombie. Les gensnégocient <strong>le</strong>ur voix contre un repas, un peu de nourriture, une plaque en fer pourimperméabiliser <strong>le</strong> toit, etc. Si un territoire comme Los Altos de Cazucá est dur àgérer, il est cependant loin d’être dénué d’intérêt pour <strong>le</strong>s différents acteurs de lavie économique et politique.Pour ces multip<strong>le</strong>s raisons, <strong>le</strong> problème des déplacés n’est pas géré du toutde la même façon à Soacha. Les études et <strong>le</strong>s <strong>rapport</strong>s foisonnent aujourd’hui surla crise humanitaire, la vulnérabilité, <strong>le</strong> dénuement qui touchent <strong>le</strong>s habitants desAltos de Cazucá. Les acteurs s’y multiplient : acteurs privés comme desfondations d’entreprises, acteurs publics, Eglises, ONG internationa<strong>le</strong>s etloca<strong>le</strong>s, Organisations Internationa<strong>le</strong>s. La médiatisation du problème desdéplacés permet à la municipalité de Soacha qui se prétend pauvre de faireoublier d’autres problèmes. La mairie de Soacha est aux mains de la famil<strong>le</strong>Ramirez depuis plusieurs années. Les inculpations et <strong>le</strong>s condamnations pourcause de corruption. Les scanda<strong>le</strong>s politiques s’enchaînent, et <strong>le</strong>s suspensions demandats éga<strong>le</strong>mentD’autre part, Soacha « valorise » son image de municipalité pauvre, aux côtés deBogotá, la capita<strong>le</strong> riche, pour tenter d’obtenir des fonds, notamment au niveausocial. Cependant, Soacha est un municipe extrêmement actif économiquement.Les industries y sont très développées. Nous avons vu précédemment quel’impôt sur l’industrie et <strong>le</strong> commerce est <strong>le</strong>vé au niveau municipal, ce qui376 Entretien Federico, Los Altos de Cazucá, lundi 3/03/03.


250explique qu’il soit <strong>le</strong> deuxième municipe du pays en terme de budget annuel. Lapopulation qui y réside est pour sa part particulièrement démunie, ce quiexplique que Soacha véhicu<strong>le</strong> l’image d’un municipe très pauvre. Soacha va êtreraccordé à Bogotá par <strong>le</strong> système de transport en commun du Transmi<strong>le</strong>nio, cequi permettra de réduire considérab<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> temps de déplacement pour serendre dans <strong>le</strong> centre de la capita<strong>le</strong> et de réduire l’iso<strong>le</strong>ment de Soacha. Soachapromeut l’image de la pauvreté, qui lui permet d’excuser son manque depolitique socia<strong>le</strong>. Il faut cependant reconnaître que la concentration desproblèmes sociaux à Soacha est très importante.Programme pilote à Soacha: Plan Intégral d’Aide à la Population DéplacéeLes déplacés sont mis sous <strong>le</strong>s feux de la rampe à Soacha. Le Conseil Municipald’Aide à la Population Déplacée de Soacha, réuni <strong>le</strong> 26 novembre 2002, aélaboré <strong>le</strong> Plan Intégral Unique d’Aide à la Population en Situation deDéplacement pour <strong>le</strong> Municipe de Soacha. Ces Conseils Municipaux, prévus parla loi 387 de 1997, ne sont en fait que rarement réunis et sollicités. Ils sontcomposés par <strong>le</strong> maire ou son représentant, <strong>le</strong> commandant de brigade ou sondélégué, <strong>le</strong> commandant de la Police Nationa<strong>le</strong> de la juridiction ou son délégué,<strong>le</strong> directeur du service de santé, <strong>le</strong> directeur régional de l’Institut Colombien deBien-être Familial, un représentant de la Croix Rouge Colombienne, unreprésentant de la Défense Civi<strong>le</strong>, un représentant des églises, deux représentantsde la population déplacée. Le Conseil Municipal de Soacha a éga<strong>le</strong>ment décidéde convoquer toutes <strong>le</strong>s organisations travaillant avec <strong>le</strong>s déplacés sur <strong>le</strong>municipe de Soacha. Sous la direction du Réseau de Solidarité Socia<strong>le</strong>, c’est-àdireloca<strong>le</strong>ment des membres de la UAO, <strong>le</strong> Conseil Municipal a élaboré sonPlan d’Aide Intégra<strong>le</strong> suivant 4 axes : <strong>le</strong> système national d’information, c’est-àdireaméliorer <strong>le</strong> Système Unique d’Enregistrement – SUR- pour col<strong>le</strong>cter <strong>le</strong>plus d’informations possib<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong>s déplacés et améliorer <strong>le</strong> suivi, l’aidehumanitaire d’urgence, <strong>le</strong> rétablissement de la population déplacée, ce quicorrespond à la stabilisation socio économique, et la prévention du déplacementforcé. La UAO révè<strong>le</strong> que 1 534 foyers sont inscrits au registre national desdéplacés sur Soacha, soit 7 670 personnes, que 5 foyers ont été exclus, et que 7sont en cours d’analyse. La UAO estime que 499 foyers ne sont pas inscrits, soit23% des déplacés présents à Soacha. Selon Revivir al Futuro, une organisationde déplacés, il y a 3 900 famil<strong>le</strong>s de déplacés à Los Altos de Cazucá. Selonl’organisation Codhes, 25 000 déplacés sont arrivés à Soacha entre 1995 et 1998.Le nombre des déplacés s’élèverait alors aujourd’hui à plus de 50 000. Leschiffres sont une fois de plus discordants. En matière d’aide d’urgence, <strong>le</strong>sfinancements du RSS sont distribués à des ONG qui el<strong>le</strong>s-mêmes sont chargéesde distribuer l’aide d’urgence. En matière de stabilisation socio économique, <strong>le</strong>même système est adopté, des ONG ou des fondations présentent des projets que<strong>le</strong> RSS accepte de financer ou non selon la qualité du projet et suivant sesressources. Ces projets sont en général cofinancés. Toute une gamme de projetsexiste, avec des partenaires divers : des programmes de formationprofessionnel<strong>le</strong> en collaboration avec l’éco<strong>le</strong> nationa<strong>le</strong> d’apprentissage SENA,des programmes de récupération nutritionnel<strong>le</strong> menés avec <strong>le</strong> ProgrammeAlimentaire Mondial, en collaboration avec de plus petites organisations, desprogrammes de création d’emplois, avec des ONG et des fondations privées. Lesbuts fixés par <strong>le</strong> plan et par <strong>le</strong> Conseil sont rarement atteints. Les fonds alloués à


251l’aide aux déplacés ne sont pas suffisants et depuis quelques mois, <strong>le</strong>s déplacésqui s’adressent à la UAO de Soacha s’entendent répondre qu’il n’y a plusd’argent. L’aide d’urgence met de toutes façons des mois à être distribuée. Lesprojets en matière d’emploi sont rarement concrétisés, comme <strong>le</strong> projet qui avaitété mis en place pour libérer des places de marché à la Ciudadela Sucre pour <strong>le</strong>sdéplacés. Le marché de Ciudadela Sucre est en travaux et <strong>le</strong> constat au bout de 6mois est qu’il faut renoncer au projet. Le Conseil Municipal pour <strong>le</strong>s déplacésest en fait un vaste forum de l’incompréhension et reflète <strong>le</strong> mépris qu’adoptebien souvent <strong>le</strong>s fonctionnaires de l’Etat face aux déplacés à Soacha. La UAOreçoit <strong>le</strong>s déplacés 2 jours par semaine, et prétend faire du travail de terrain <strong>le</strong>s 3jours restants. Les populations déplacées vivant à los Altos de Cazucá sedemandent si <strong>le</strong>s fonctionnaires ont perdu l’adresse des collines. Le fait est qu’ilsne s’y montrent jamais. Lors d’un entretien, un déplacé de los Altos de Cazucáprésente une autre interprétation de la réalité : « on nous méprise à la UAO, mais<strong>le</strong> plus grand mendiant, c’est l’Etat colombien. Il passe son temps à demander del’argent au niveau international pour faire la guerre, et c’est nous qu’il accused’être des mendiants 377 ». Le Plan d’Aide Intégra<strong>le</strong> à la Population Déplacée deSoacha est un projet pilote au niveau national. Il est mis en avant par <strong>le</strong> municipedès que l’occasion se présente. C’est une façon d’obtenir des financements duRSS pour <strong>le</strong>s déplacés, et de ne pas en investir soi-même.Cependant, ce Plan intégral d’Attention aux Déplacés ne s’accompagne pasd’une politique socia<strong>le</strong> effective et semb<strong>le</strong> même dispenser la municipalité d’enavoir une. Dans <strong>le</strong>s plans d’aménagement du territoire, une partie de Los Altosfigure comme parc de loisirs. Au creux des collines s’étend un lac, surnommé <strong>le</strong>lac des terreros. Ce lac est tota<strong>le</strong>ment contaminé et pollué. C’est <strong>le</strong> lieu où <strong>le</strong>sfamil<strong>le</strong>s viennent chercher <strong>le</strong>urs disparus, guettant la réapparition d’un éventuelcadavre. Ce lac est donc déclaré objectif urbanistique. Il doit être aménagé pourfournir un parc de loisir aux habitants de Soacha 378 . En matière de servicespublics, nous avons déjà vu <strong>le</strong>s problèmes que pose l’adduction d’eau courante,<strong>le</strong> système d’égout, <strong>le</strong>s infrastructures routières et <strong>le</strong>s transports en commun. Cesservices, depuis la décentralisation, sont à la charge du municipe de Soacha.Cependant, la mairie n’investit pas d’argent dans ce domaine, prétextantl’illégalité des constructions dans <strong>le</strong> secteur. Le secteur des Altos de Cazucá estdéclaré comme un secteur à haut risque, impropre à la construction. Desglissements de terrain ont lieu régulièrement. Le dernier en date a eu lieu en2000. Il a fallu « reloger » 1 200 famil<strong>le</strong>s. La mairie explique qu’il lui estimpossib<strong>le</strong> de légaliser une zone à haut risque, et la zone n’étant pas léga<strong>le</strong>, el<strong>le</strong>n’y investit pas. Le raisonnement est sans fail<strong>le</strong>. Mais la mairie ne fait rien nonplus pour diminuer <strong>le</strong>s risques, et consolider <strong>le</strong>s terrains. Les services sociauxn’existent pas à Los Altos de Cazucá, où l’Etat et la municipalité sont de toutesfaçons complètement absents. En ce qui concerne <strong>le</strong>s services publics, Los Altosde Cazucá vit donc en parasite sur <strong>le</strong> dos de Bogotá. Un enjeu central pour losAltos de Cazucá est donc la légalisation des terrains, et <strong>le</strong>s différents acteursl’ont bien compris.Le clientélisme en Colombie est chose bana<strong>le</strong>, mais se pratique de façon plus oumoins masquée selon <strong>le</strong>s régions. Au moment des é<strong>le</strong>ctions, <strong>le</strong>s fonctionnaires et377 Entretien avec Jose, déplacé, membre de l’organisation Revivir al Futuro, los Altos de Cazucá,mercredi 5/03/03.378 Plan de Ordenamiento Territorial, Plan d’Aménagement Territorial, décembre 2000, approuvé par<strong>le</strong> Conseil Municipal, « Soacha, Tierra de Futuro ».


252candidats aux é<strong>le</strong>ctions retrouvent <strong>le</strong> chemin de Los Altos de Cazucá. L’Etat quiest habituel<strong>le</strong>ment absent de la zone, utilise des infrastructures comme bureauxde vote, <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s par exemp<strong>le</strong>. Durant <strong>le</strong>s campagnes, des discours, desmeetings politiques ont lieu dans <strong>le</strong>s collines. Chaque candidat y va de sespromesses socia<strong>le</strong>s. L’achat de vote est une pratique d’autant plus courante dansces quartiers qu’il est bon marché. Et il peut <strong>rapport</strong>er gros étant donnés <strong>le</strong>schiffres de population dans <strong>le</strong>s collines. Les déplacés pour voter doiventseu<strong>le</strong>ment faire inscrire <strong>le</strong> numéro de <strong>le</strong>ur carte d’identité sur <strong>le</strong>s listesé<strong>le</strong>ctora<strong>le</strong>s. Il y a deux points où l’on peut s’inscrire à los Altos de Cazucá. Undéplacé suggère qu’en s’organisant, Los Altos pourrait présenter ses candidats etélire ses propres représentants 379 . Le recensement de population qui a eu lieu <strong>le</strong>25 mai 2003 380 témoigne des enjeux que représente cette zone. Le recensement aété financé par <strong>le</strong> département Cundinamarca, la mairie de Soacha, <strong>le</strong> RSS et <strong>le</strong>Programme des Nations Unies pour <strong>le</strong> Développement. Identifier <strong>le</strong> nombre depersonnes qui réside à Soacha est important à plusieurs niveaux. On se base sur<strong>le</strong>s chiffres de population pour répartir <strong>le</strong> budget en matière de dépenses socia<strong>le</strong>sau niveau national, et pour fixer <strong>le</strong> nombre de conseil<strong>le</strong>rs municipaux, ainsi que<strong>le</strong> nombre de membres du Congrès afférents à un municipe.Organisations humanitaires et déplacésQuel est <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> tenu par <strong>le</strong>s ONG ?Le travail des organisations humanitaires a suivi l’évolution plus globa<strong>le</strong> quenous avons évoquée auparavant. Pendant la médiatisation de Ciudad Bolívardurant <strong>le</strong>s années 1980 et 1990, un très grand nombre d’organisations étaientprésentes. Des Organisations Internationa<strong>le</strong>s, des Organisations caritatives, desOrganisations communautaires et des Organisations Non Gouvernementa<strong>le</strong>s(ONG) internationa<strong>le</strong>s, nationa<strong>le</strong>s et loca<strong>le</strong>s. Les différents acteurs cherchent àexplorer <strong>le</strong>s nouveaux instruments donnés par la réforme constitutionnel<strong>le</strong>.« Que ce soit <strong>le</strong>s habitants de la zone eux-mêmes qui disent ce qui doit être faitet pourquoi, conformément à la recherche du bien commun 381 ». Au niveauinternational, cela correspond à une réf<strong>le</strong>xion plus généra<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> concept degouvernance. M.C. Smouts définit 5 règ<strong>le</strong>s de la bonne gouvernance 382 :- instauration d’un Etat de droit qui garantisse la sécurité pour tous et <strong>le</strong> respectdes lois- la gestion correcte et équilibrée de la dépense publique- la responsabilité des hommes politiques face aux citoyens- la transparence de la gestion du secteur public- <strong>le</strong> libre accès des citoyens à cette informationIl s’agit à cette époque pour <strong>le</strong>s organisations internationa<strong>le</strong>s de favoriserl’émergence de la société civi<strong>le</strong>, dans <strong>le</strong> but d’améliorer <strong>le</strong> fonctionnement de ladémocratie dans <strong>le</strong>s « pays du Sud ». Un projet de la Délégation de la379 Entretien avec <strong>le</strong> déplacé Federico de l’organisation de déplacés Cedepaz, à los Altos de Cazucá,lundi 3/03/03.380 Les résultats ne sont toujours pas publiés à ce jour (début 2004)381 Beltreina CORTE et Camilo GONZALEZ, « Planeación urbana y participación popular en Bogotá »,CINEP, Bogotá, 1989.382 Citée dans Vincent GOUESET, op.cit., p. 77


253Commission Européenne de Bogotá, baptisé « renforcement institutionnel etparticipation communautaire » répond exactement à ces logiques. L’expérienceen matière d’organisation communautaire est cependant plus ancienne à CiudadBolivar. Plusieurs éléments peuvent expliquer cette tradition : l’oubli de l’Etat etde la vil<strong>le</strong> par <strong>rapport</strong> à ce quartier n’a pas laissé d’autre option aux habitantsque de s’organiser pour obtenir un minimum de services et d’améliorations ; <strong>le</strong>peup<strong>le</strong>ment en partie constitué par des membres des mouvements d’extrêmegauche a fourni un terreau favorab<strong>le</strong> à l’organisation communautaire. Quoiqu’i<strong>le</strong>n soit, durant <strong>le</strong>s années 1980 et 1990, <strong>le</strong>s organisations de citoyens semultiplient. Pour <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs sociaux, il faut trouver des <strong>le</strong>aders qui serventde porte-paro<strong>le</strong>, et stimu<strong>le</strong>r l’organisation communautaire qui augmente <strong>le</strong>rendement des projets d’aide et surtout qui diminue <strong>le</strong>s coûts récurrents desprojets. Les associations de déplacés à cette époque bourgeonnent. Certaines deces organisations de base fournissent un vrai travail, proposent des projetsd’action sérieux. D’autre bénéficient éga<strong>le</strong>ment de la manne financière, mais nesont en fait que des coquil<strong>le</strong>s vides et trouvent dans cette profusion de projets etd’investissements, une occasion pour s’enrichir individuel<strong>le</strong>ment.Rétrospectivement, de nombreuses organisations confessent d’ail<strong>le</strong>urs que dansla confusion des projets et des acteurs de l’époque, certains fonds ont été malinvestis, et que <strong>le</strong> manque de coordination entre <strong>le</strong>s acteurs a porté préjudice aubon développement de la zone. Les progrès sont cependant indubitab<strong>le</strong>s. Entermes de services publics, en termes de logement, de services sociaux, delégalisation, de consolidation de l’espace urbain. En ce qui concerne lapopulation déplacée, <strong>le</strong> phénomène est <strong>le</strong> même. Le problème du déplacementest réel à l’époque à Ciudad Bolivar. Le défer<strong>le</strong>ment est continu. Selon laCoordination Nationa<strong>le</strong> des Déplacés, il y a eu un « boom d’organisations dedéplacés dans <strong>le</strong>s années 1990, qui a culminé en 1997, mais ces organisationsvisaient à récupérer <strong>le</strong>s subventions qui affluaient à l’époque à CiudadBolivar 383 ». La logique est cependant distincte pour cette population. 10%seu<strong>le</strong>ment de la population déplacée déclare appartenir à une organisation dedéplacés 384 . Cela prouve que <strong>le</strong>s logiques d’anonymat ne sont pas nouvel<strong>le</strong>s. Lapopulation déplacée à Ciudad Bolivar est une population qui se cache et qui estspontanément réfractaire à la médiatisation. Les ONG étaient alors trèsnombreuses et très actives, comme el<strong>le</strong>s <strong>le</strong> sont aujourd’hui à Soacha.Cependant, <strong>le</strong>s organisations humanitaires sont devenues discrètes à Bogotá. Aucours d’une enquête réalisée à Bogotá 385 , seul 39% des foyers interrogés ontaffirmé avoir reçu des aides. Ces aides sont pour 25% en matière d’alimentation,pour 10% en matière de logement, 9% en matière de santé et 13% en matièred’éducation.L’aide à l’alimentation correspond en général à la phase d’aide d’urgence. Cesont des distributions de paniers de nourriture ou de bons d’alimentation.En matière de logement, ce sont en général des aides pour payer <strong>le</strong>s premièressemaines ou <strong>le</strong>s premiers mois de loyer qui suivent l’arrivée en vil<strong>le</strong>. Lespolitiques de logements sociaux sont très rares et ne s’adressent quasimentjamais aux déplacés qui ne sont pas tenus à payer la somme initia<strong>le</strong>, c’est-à-dire383 Entretien au Conseil National des Déplacés, mercredi 19/03/03.384 « Santa Fe de Bogotá, Población desplazada », Alcaldia Mayor Santa Fe de Bogotá, Juin 1999, 120p.385 Archidiocèse de Bogotá, CODHES, op.cit.


254<strong>le</strong>s 10% de la va<strong>le</strong>ur du logement. Ce sont donc éga<strong>le</strong>ment souvent des aidesd’urgence.Les aides en matière de santé s’adressent aux personnes qui n’appartiennent pasau système de santé national. La loi 100 de 1993 fixait pour objectif l’affiliationde l’ensemb<strong>le</strong> de la population au système de santé national dans un délai de 7ans. Cependant, à l’heure actuel<strong>le</strong>, nombreuses sont <strong>le</strong>s personnes parmi lapopulation défavorisée qui n’y ont pas accès. Les personnes qui ont un emploifixe et légal sont affiliées automatiquement au régime contributif. Les personnesqui ne travail<strong>le</strong>nt pas, comme c’est souvent <strong>le</strong> cas pour <strong>le</strong>s déplacés, ont droit aurégime subsidiaire. Cependant, cette affiliation est fonction du lieu de résidence,du niveau de vie. L’affiliation aux centres de santé est possib<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s déplacésmais el<strong>le</strong> prend environ un an, vu qu’ils doivent se réaffilier en arrivant àBogotá. Pour lutter contre ce problème, comme nous l’avons évoquéprécédemment, <strong>le</strong> gouvernement national, sous Andres Pastrana, avait mis enplace un système de fonds communs, servant à financer <strong>le</strong>s frais médicaux despersonnes ayant <strong>le</strong> certificat de déplacé. Les déplacés bénéficiaient d’un régimespécial, pouvant se présenter dans n’importe quel hôpital et y recevoir des soins.De nombreux abus ont été commis. Des médecins, des déplacés ont profité dusystème, en facturant des frais réels ou fictifs de chirurgie esthétique parexemp<strong>le</strong>, sûrs d’être par ail<strong>le</strong>urs financés par l’Etat. Cependant, ces abus ontservi de prétexte légitime ou non pour modifier <strong>le</strong>s politiques à cet égard. Lefonds commun a été supprimé. Les déplacés n’ont plus droit à un régime spécia<strong>le</strong>t se retrouvent souvent sans accès aux soins, sauf s’ils peuvent prouver que <strong>le</strong>mal dont ils souffrent a été engendré par ou pendant <strong>le</strong> déplacement. Les fraisdoivent alors être payés par la caisse de santé du département d’origine dudéplacé. Autant dire que <strong>le</strong>s déplacés n’ont plus accès aux soins gratuits. Avantla réforme, <strong>le</strong>s déplacés qui n’avaient pas <strong>le</strong> certificat de déplacé, soit plus dutiers des déplacés, n’avaient pas accès aux soins. Aujourd’hui c’est la quasitotalitédes déplacés 386 . Recevoir une aide en matière de santé signifie doncbénéficier de la part de l’Etat d’un traitement de faveur ou des programmes desoin des ONG. Médecins Sans Frontière et Médecins du Monde ont par exemp<strong>le</strong>mené des projets d’unités de soin mobi<strong>le</strong>s (camions itinérants ou brigades desanté). Ces aides sont considérées comme des aides d’urgence, sauf si el<strong>le</strong>s sedoub<strong>le</strong>nt d’un travail d’accompagnement des personnes en vue de <strong>le</strong>ur affiliationau système de santé national, ce qui est <strong>le</strong> cas du travail réalisé par MédecinsSans Frontières Espagne à Soacha.L’aide en matière d’éducation relève généra<strong>le</strong>ment de politiques publiques. LaConstitution affirme la gratuité de l’éco<strong>le</strong> pour tous. Dans <strong>le</strong>s faits, l’inscriptionà l’éco<strong>le</strong> est souvent payante, il faut au moins pouvoir payer <strong>le</strong> matériel scolaireet l’uniforme. L’Etat et <strong>le</strong> District peuvent attribuer des places dans <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>saux enfants déplacés. Les ONG, l’Eglise ou <strong>le</strong>s personnes privées peuventprocurer <strong>le</strong> matériel, l’uniforme ou donner de l’argent pour <strong>le</strong>s payer.Ces différentes formes d’aide appartiennent en général à la phase de l’urgencehumanitaire. L’Etat nous l’avons vu, donne la priorité à la politique d’aided’urgence, et nous voyons ici que <strong>le</strong>s acteurs de l’action humanitaire en font demême. La phase de stabilisation socio économique semb<strong>le</strong> être plus négligée carcertainement plus problématique. D’autre part, dans cette même enquête menée386 Le décret définitif sur l’accès des déplacés à la santé n’a pas encore été rendu public. Je me fondesur <strong>le</strong>s directives qui paraissent depuis plus d’un an, et qui réforment petit à petit <strong>le</strong> système, excluantde fait <strong>le</strong>s déplacés du système national de santé.


255par <strong>le</strong> District, ceux qui affirment avoir reçu des aides l’ont reçu pour 37% deparents, pour 20% du gouvernement national ou du District à travers <strong>le</strong> RSS,pour 17% d’amis, pour 13% d’organisations communa<strong>le</strong>s, pour 10% de l’Egliseet pour 4% d’ONG. La solidarité familia<strong>le</strong> et entre amis est particulièrementforte. C’est el<strong>le</strong> qui joue souvent dans <strong>le</strong>s premiers temps même si el<strong>le</strong> s’épuiserapidement, car <strong>le</strong>s déplacés arrivent généra<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong>s quartiersdéfavorisés, parmi <strong>le</strong>s populations pauvres. L’enquête menée par l’Archidiocèsede Bogotá et par <strong>le</strong> CODHES la même année établit que l’aide humanitaire estapportée à 52% par l’Eglise, à 33% par <strong>le</strong> gouvernement et à 5% par <strong>le</strong>s ONG.Les chiffres sont donc très discordants, mais accordent dans <strong>le</strong>s deux cas unfaib<strong>le</strong> rô<strong>le</strong> aux ONG.Ciudad Bolivar : des acteurs humanitaires discrets …Les acteurs de l’action humanitaire sont particulièrement discrets, voire souventabsents de Ciudad Bolivar. Beaucoup y ont mené des programmes durant <strong>le</strong>sannées 1990, et se sont retirés. Tous affirment que <strong>le</strong>s besoins <strong>le</strong>s plus pressantsne sont plus à Ciudad Bolivar, que <strong>le</strong>s conditions de vie n’y sont plus aussidramatiques qu’avant. Les programmes d’aide accessib<strong>le</strong>s aux déplacés suiventdeux logiques : d’une part, il y a <strong>le</strong>s projets qui s’adressent à l’ensemb<strong>le</strong> de lapopulation vulnérab<strong>le</strong>, et où une place est faite aux populations déplacées par unsystème de « quotas » ; d’autre part, il y a <strong>le</strong>s projets qui s’adressent auxdéplacés installés à Bogotá, c’est-à-dire sur un territoire abritant plus de 7millions d’habitants. Ces programmes ne cib<strong>le</strong>nt rarement un secteur précis de lapopulation ou une zone géographique précise.Les ONG, internationa<strong>le</strong>s pour la plupart, instal<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>ur bureau dans <strong>le</strong> centre, <strong>le</strong>centre d’accueil est souvent plus au sud, mais pas dans <strong>le</strong>s quartierspériphériques. Par exemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> CICR travail<strong>le</strong> à Bogotá. Il n’est pas mobi<strong>le</strong>. Soncentre d’accueil est situé à l’ouest de la vil<strong>le</strong>. Un accord passé avec <strong>le</strong> RSS luidonne <strong>le</strong> droit de distribuer l’aide d’urgence dans <strong>le</strong> District, mais non à Soacha.Le CICR dispense l’aide d’urgence durant 3 mois, aux personnes qui seprésentent. Il a son propre questionnaire et ne demande pas au déplacé deprésenter son certificat. Des ONG internationa<strong>le</strong>s comme Consejeria enProyectos et Opcion Legal appuient et financent des projets à Bogotá, projetsréalisés par des organisations de base de déplacés, ou d’autres ONG, nationa<strong>le</strong>sou internationa<strong>le</strong>s. D’autres ONG internationa<strong>le</strong>s réalisent el<strong>le</strong>s-mêmes <strong>le</strong>sprojets. C’est <strong>le</strong> cas de Mencoldes et de Ficonpaz. Mencoldes est né d’uneinitiative de l’Eglise protestante mennonite. Mencoldes propose un projet d’aideintégra<strong>le</strong> à 400 famil<strong>le</strong>s par an sur Bogotá, aide humanitaire, psychologique,juridique, formation. Son centre d’accueil est situé dans la moitié sud de la vil<strong>le</strong>,proche du centre. Ficonpaz financé par <strong>le</strong> Secours Catholique en grande partie, aun projet d’aide spécifique pour <strong>le</strong>s déplacés arrivant de la zone du Caguan,ancienne zone démilitarisée qui appartenait aux Farc. Les déplacés qui arriventde cette région ont besoin d’une aide spécia<strong>le</strong> et adaptée. La plupart d’entre euxprésentent des séquel<strong>le</strong>s psychologiques profondes. Ils sont très menacés etdoivent se cacher.Les Agences des Nations Unies ont el<strong>le</strong>s aussi des projets à Bogotá. LeProgramme Alimentaire Mondial (PAM) soutient des projets de « travail contrenourriture » et « formation contre nourriture », projets qui consistent à« rémunérer » <strong>le</strong> travail des bénéficiaires ou <strong>le</strong>ur participation à des formations


256par de la nourriture. Ces projets sont décidés en collaboration avec <strong>le</strong> RSS etl’Institut Colombien de Bien-être Familial. Ils sont en général sous traités à desorganisations de base ou à des ONG. Le PAM aide 1100 famil<strong>le</strong>s sur Bogotá,dans <strong>le</strong>s quartiers de Ciudad Bolivar, Kennedy et Usme. Les problèmes qui seposent à Bogotá, en comparaison avec Soacha, sont la dispersion et la mobilitéde la population déplacée 387 . Ces différentes ONG et OrganisationsInternationa<strong>le</strong>s ne se déplacent en général pas jusqu’à la population déplacée.C’est cette dernière qui se déplace jusqu’aux centres d’accueil. L’aide et <strong>le</strong>sprojets sont réalisés sur place lorsqu’ils sont délégués à de plus petites structures,plus loca<strong>le</strong>s, tel<strong>le</strong>s que <strong>le</strong>s organisations de base, <strong>le</strong>s ONG loca<strong>le</strong>s. Les déplacésrésidant à Ciudad Bolivar doivent avoir une bonne connaissance de la vil<strong>le</strong> et deses mécanismes s’ils veu<strong>le</strong>nt arriver jusqu’aux lieux d’aide.Les acteurs humanitaires sont non seu<strong>le</strong>ment discrets, mais ils paraissent parfoisconsentants face à la politique du si<strong>le</strong>nce menée par l’Etat et <strong>le</strong> District. En effet,il existe des poches de misère à Bogotá qui ne font l’objet d’aucune attention, nide la part de l’Etat, ni de la part des ONG. Dans <strong>le</strong> quartier de Caracoli (situé àCiudad Bolivar), l’Etat est absent. Les forces de l’ordre ne pénètrent pas. Lesservices publics et sociaux sont inexistants, <strong>le</strong>s ONG absentes. L’entrepriseprivée de Bogotá qui distribue l’é<strong>le</strong>ctricité lutte contre <strong>le</strong> piratage des lignes déjàposées et mène donc une politique de légalisation. Les habitations <strong>le</strong>s plusbanca<strong>le</strong>s sont munies de compteurs é<strong>le</strong>ctriques et doivent payer <strong>le</strong>s factureschaque fin de mois. Caracoli ne reçoit pas d’eau courante. Le quartier est situéau-delà de 2800 m d’altitude, limite fixée par la compagnie des eaux de Bogotá.Au dessus de cette limite, la compagnie affirme que <strong>le</strong>s nouvel<strong>le</strong>s habitationsn’auront pas accès à l’eau courante car <strong>le</strong>s infrastructures sont extrêmementcoûteuses, et c’est la compagnie des eaux qui pâtit <strong>le</strong> plus de l’absence depolitiques d’aménagement et d’urbanisme, et des légalisations a posteriori. Sur<strong>le</strong>s 12 000 habitants du quartier de Caracoli, <strong>le</strong> président de la JAC estime que 1000 sont déplacés. Caracoli figure sur <strong>le</strong>s plans d’aménagement de la vil<strong>le</strong>comme une réserve forestière. Les installations humaines y sont illéga<strong>le</strong>s. Leshabitants reçoivent quand même <strong>le</strong>s avis d’imposition chez eux. Certains paientl’impôt foncier et la taxe d’habitation, espérant ainsi qu’au bout de quelquesannées, la loi <strong>le</strong>s déclarera de fait propriétaires. D’autres refusent de payer. Leprésident de la JAC est en fait <strong>le</strong> seul et unique membre de la JAC. Le niveaud’insécurité est extrêmement haut. Les groupes armés sont présents, s’affrontentet <strong>le</strong>s bandes de délinquants prospèrent. Le président de la JAC est <strong>le</strong> seul duquartier à oser assumer une responsabilité publique. Exercer une charge publiqueet un rô<strong>le</strong> de <strong>le</strong>ader communautaire dans ce contexte est extrêmementdangereux. Les pressions et <strong>le</strong>s menaces sont multip<strong>le</strong>s et se soldent parfois parla mort vio<strong>le</strong>nte 388 . A la question : « Pourquoi n’intervenez-vous pas dans ceszones, qui certes appartiennent à Bogotá mais se trouvent dans une situation dedétresse comparab<strong>le</strong> à cel<strong>le</strong> de los Altos de Cazucá ? », l’ONG World Vision 389 ,qui a de nombreux projets à los Altos de Cazucá et y effectue un travailconsidérab<strong>le</strong>, répondait : « S’ils n’ont pas l’eau courante à Caracoli, c’est que <strong>le</strong>quartier appartient à Soacha ! ». La limite floue entre Ciudad Bolivar et los Altosde Cazucá fluctue au gré des convenances de chacun, et sert la politique dusi<strong>le</strong>nce menée au niveau du District.387 Entretien avec Maria Lucia OSORIO, Programme Alimentaire Mondial, mercredi 12/03/03.388 Entretien à Caracoli, avec <strong>le</strong> président de la JAC, mardi 6/03/03.389 Entretien avec Vision Mondia<strong>le</strong>, à Soacha, lundi 17/03/03.


257… mais des Eglises bien présentes.Les Eglises réalisent un travail considérab<strong>le</strong> en matière d’aide humanitaire.L’Eglise catholique en Colombie est une institution socia<strong>le</strong> extrêmement forte.Dans <strong>le</strong>s campagnes où l’Etat a parfois du mal à s’imposer et à se stabiliser,l’Eglise el<strong>le</strong> est toujours présente. Le curé dans <strong>le</strong> village est une personneécoutée. C’est en quelque sorte un notab<strong>le</strong> local. Dans <strong>le</strong>s années 1960 et 1970,des membres de l’Eglise catholique ont suivi la Théologie de la Libération,même si <strong>le</strong> phénomène fut moins important en Colombie qu’au Brésil, qu’auPérou, ou encore qu’au Salvador. Le prêtre Camilo Torres, figure de l’histoirecolombienne, après avoir créé un mouvement politique de protestation pacifiquecontre l’oligarchie, finit par rejoindre l’ELN et meurt au combat en 1966.D’autres membres du c<strong>le</strong>rgé se sont sentis investis d’une mission detransformation de la société, cherchant à faire prendre conscience à <strong>le</strong>ursparoissiens des problèmes sociaux, et à aider à la transformation de la société.Encore aujourd’hui, l’Eglise s’engage souvent aux côtés de la population civi<strong>le</strong>dans <strong>le</strong>s campagnes. L’expérience des « communautés de paix » <strong>le</strong> prouve 390 .D’une façon généra<strong>le</strong>, l’Eglise est peut-être <strong>le</strong> seul réseau national irrigant tout <strong>le</strong>territoire colombien. Les déplacés qui arrivent à Bogotá se rendent fréquemmentà la paroisse du quartier, ou auprès d’un représentant quelconque de l’Eglise.L’Archidiocèse de Bogotá est très actif pour la population déplacée. Le Centred’Attention au Migrant, CAMIG, en dépend ainsi que <strong>le</strong> centre d’accueil situédans la gare routière. Les différentes études et enquêtes sur <strong>le</strong> thème desdéplacés à Bogotá et à Soacha sont en majorité réalisées par l’Archidiocèse encollaboration avec <strong>le</strong> Codhes. L’Eglise a un accès beaucoup plus faci<strong>le</strong> auxdéplacés. En effet, si beaucoup se cachent de l’Etat, se méfient des institutions,l’Eglise est souvent la seu<strong>le</strong> à éveil<strong>le</strong>r la confiance des nouveaux arrivants. Lecuré du village d’origine recommande parfois à ceux qui quittent <strong>le</strong> village de serendre dans tel<strong>le</strong> paroisse, avec une <strong>le</strong>ttre de recommandation. La charité faitpartie de la mise en pratique de la foi et <strong>le</strong> déplacé tente d’y avoir recours.L’Eglise et ses adeptes représentent une possibilité d’être écouté, d’être aidé, etpermet de retrouver enfin un univers familier. L’Eglise ne démissionne pasdevant cette importance qui lui est donnée de fait, et ne renonce pas non plus àtous ces nouveaux adeptes potentiels que représentent <strong>le</strong>s déplacés. Le déplacéest en effet une personne déracinée, qui a tout perdu, en quête d’équilibre et deva<strong>le</strong>urs stab<strong>le</strong>s. Le déplacé est une personne vulnérab<strong>le</strong> au niveau émotionnel etpsychologique, pour qui la religion peut représenter un apaisement, un refugecontre l’absurdité. La plus active est l’Eglise catholique, plus fortementimplantée en Colombie, mais <strong>le</strong>s Eglises protestantes s’investissent éga<strong>le</strong>mentdans l’action en faveur des déplacés. La multitude des Eglises évangélistes tentede s’implanter dans <strong>le</strong>s quartiers marginalisés. Une concurrence s’établit entre<strong>le</strong>s différentes Eglises. Cependant, l’Eglise n’est pas un acteur dérangeant, ni« bruyant » au niveau politique, puisque la charité fait en quelque sorte partie deses attributions.390 En 1997, dans <strong>le</strong> département d’Uraba, dans la région du Chocó, des groupes de population se sontdéclarés contre la guerre, demandant aux différents acteurs du conflit de respecter <strong>le</strong>ur neutralité, dansune logique de résistance civi<strong>le</strong> non armée. C’est un prêtre qui est à l’origine de ces communautés depaix.


258Soacha : profusion des acteurs et des projetsLes acteurs de l’aide humanitaire sont nombreux et divers à los Altos de Cazucá.On y trouve des agences de l’ONU, des ONG internationa<strong>le</strong>s, des ONG loca<strong>le</strong>s,différentes Eglises, des organisations de déplacés. « Los Altos de Cazucá »semb<strong>le</strong> être un mot magique qui ouvre <strong>le</strong>s coffres des bail<strong>le</strong>urs de fonds. Pourfaire un parallè<strong>le</strong> avec la situation à Ciudad Bolivar, l’aide est distribuée à 47%par <strong>le</strong>s ONG, à 20% par <strong>le</strong> gouvernement, à 11% par des parents, et à 9% parl’Eglise. Le rô<strong>le</strong> joué par <strong>le</strong>s ONG est énorme en comparaison avec CiudadBolivar (4%). Les 20% attribués au gouvernement viennent notamment du faitque bon nombre des programmes réalisés par <strong>le</strong>s agences de l’ONU, <strong>le</strong> sont encollaboration avec <strong>le</strong> gouvernement. Les projets sont très divers. Les projetss’adressent presque toujours à l’ensemb<strong>le</strong> de la population vulnérab<strong>le</strong> et non passpécia<strong>le</strong>ment aux déplacés. Dire que l’on travail<strong>le</strong> avec la population vulnérab<strong>le</strong>est une façon de contourner <strong>le</strong> problème du registre unique de déplacés. SurSoacha, une organisation estimait que 40% des inscrits au registre ne sont en faitpas des déplacés, et qu’au contraire, une grande partie des déplacés ne figurentpas dans <strong>le</strong> registre. Les besoins sont de toutes manières généralisés à Los Altosde Cazucá, et concernent l’ensemb<strong>le</strong> de la population. Les déplacés bénéficiantde ces projets sont cependant nombreux, et <strong>le</strong>s acteurs humanitaires s’adaptentbien souvent au cas par cas, aux problèmes spécifiques de chacun et enparticulier à ceux des déplacés. Dans <strong>le</strong> domaine de la santé, Médecins sansFrontières Espagne mène un travail de tail<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s collines. 2 cabinetsmédicaux ont été construits. MSF-E y envoie chaque jour médecin, dentiste,infirmiers, assistants médicaux, assistantes socia<strong>le</strong>s. Les soins s’adressent auxpersonnes qui ne sont pas affiliées au système de santé national. Les déplacésbénéficient donc massivement de cette action. Les consultations sont facturéesun franc symbolique, <strong>le</strong>s médicaments essentiels sont fournis. L’équipe de MSF-E est éga<strong>le</strong>ment composée de personnes chargées de former la communauté auxrèg<strong>le</strong>s d’hygiène, d’expliquer <strong>le</strong>ur droit à la population et <strong>le</strong>s démarches à suivrepour s’affilier au système national de santé. Trois personnes du Sisben, systèmenational de santé, travail<strong>le</strong>nt en collaboration avec MSF-E et affilientprogressivement <strong>le</strong>s habitants de Los Altos de Cazucá.En matière d’éducation, l’ONG World Vision travail<strong>le</strong> activement. El<strong>le</strong> aconstruit deux éco<strong>le</strong>s. Ce sont des éco<strong>le</strong>s primaires, où se développeprogressivement l’enseignement secondaire depuis cette année. L’ONG loca<strong>le</strong>Cuenta conmigo travail<strong>le</strong> éga<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong> domaine de l’éducation, et s’estspécialisée auprès des enfants « à problèmes », ceux qui demandent uneattention particulière. Plus des 2/3 des enfants qui bénéficient des projets deCuenta conmigo, sont déplacés. Selon un volontaire de l’organisation, <strong>le</strong>senfants déplacés se distinguent des autres « car ils ne sont déjà plus desenfants 391 », à cause de <strong>le</strong>ur passé, à cause des responsabilités qu’on <strong>le</strong>ur donnedepuis <strong>le</strong>ur arrivée. Les besoins en matière d’éducation sont énormes à Los Altosde Cazucá. Il n’y a aucun lycée. Si <strong>le</strong>s enfants veu<strong>le</strong>nt poursuivre <strong>le</strong>urs étudesaprès 15 ans, ils doivent se rendre dans <strong>le</strong> centre de Soacha ou à Bogotá. WorldVision a des projets en matière de santé pour <strong>le</strong>s jeunes enfants et <strong>le</strong>s femmesenceintes. El<strong>le</strong> a aussi des projets d’aide intégra<strong>le</strong> aux déplacés : aide391 Entretien Cuenta conmigo, lundi 17/03/03.


259psychosocia<strong>le</strong>, aide humanitaire. En matière d’alimentation, plusieurs ONGtravail<strong>le</strong>nt dans <strong>le</strong> secteur. Souvent, c’est en collaboration avec <strong>le</strong> ProgrammeAlimentaire Mondial ou <strong>le</strong> Réseau de Solidarité Socia<strong>le</strong> ou l’Institut Colombiende Bien-être Familial. Les ONG se chargent de la distribution, c’est <strong>le</strong> cas deCuenta conmigo, du Minuto de Dios, de World Vision, de l’organisation dedéplacés Afrodes. Des cantines communautaires sont formées, où <strong>le</strong> repas coûtelà aussi un franc symbolique. En terme de formation et d’emplois, des projetssont mis en place par la fondation Compartir, pour <strong>le</strong>s déplacés, en collaborationavec <strong>le</strong> RSS. Les projets sont élaborés en collaboration avec la UAO. Un grostravail est réalisé en matière d’organisation communautaire et de formationcivique. Les ONG mènent souvent un travail parallè<strong>le</strong> de renforcement desstructures communautaires. Par exemp<strong>le</strong> MSF-E, dans <strong>le</strong> cadre de son travailmédical, forme des comités dans <strong>le</strong>s différents quartiers dont <strong>le</strong>s quelquesmembres sont chargés de diffuser l’information sur règ<strong>le</strong>s d’hygiène, desdémarches administratives pour s’affilier au système national de santé, pour<strong>rapport</strong>er à l’ONG <strong>le</strong>s cas <strong>le</strong>s plus préoccupants. Il s’agit de former un réseau dediffusion de l’information et de col<strong>le</strong>cte de l’information, dans un mouvement àdoub<strong>le</strong> sens, des habitants vers l’ONG et de l’ONG vers <strong>le</strong>s habitants. Ce travai<strong>le</strong>n matière d’organisation communautaire se ressent tout particulièrement parmila population déplacée. De nombreuses organisations de déplacés existent àSoacha, tel<strong>le</strong>s que Afrodes pour <strong>le</strong>s déplacés afrocolombiens, Cedepaz, Reviviral Futuro, Mujeres Cabezas de Familia pour ne citer qu’el<strong>le</strong>s. L’ONG Fedestravail<strong>le</strong> depuis 2 ans avec l’organisation Revivir al Futuro. C’est Fedes qui ad’ail<strong>le</strong>urs impulsé sa constitution et sa structuration léga<strong>le</strong>. Fedes a formé <strong>le</strong>smembres de l’organisation à la vie urbaine, au fonctionnement de la vie politiqueet des institutions, expliquant aux déplacés <strong>le</strong>s droits dont ils disposent etcomment <strong>le</strong>s revendiquer. L’ONG Mencoldes mène <strong>le</strong> même genre de travailavec Revivir al Futuro. L’organisation Cedepaz est soutenue par l’UniversitéJaveriana, université privée de Bogotá. La concurrence entre ONG semb<strong>le</strong> setransposer sur <strong>le</strong> terrain au niveau des organisations de déplacés. Un autresecteur d’action est important chez <strong>le</strong>s ONG : l’activité de consolidation duquartier. En effet, devant <strong>le</strong> manque de toutes infrastructures, MSF-E fournit desréservoirs d’eau, finance un projet de consolidation pour empêcher <strong>le</strong>sglissements de terrain dans un quartier. World Vision travail<strong>le</strong> à la constructiond’un système d’égout pour un autre quartier. Le PAM finance par <strong>le</strong> biais d’unprojet « travail contre nourriture » géré par Afrodes la construction d’un systèmed’égout dans un autre quartier. Sans consultation entre <strong>le</strong>s organisations et <strong>le</strong>spouvoirs publics, de façon anarchique, los Altos de Cazucá chemine timidementvers sa consolidation.Stimu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s CBO 392Le travail spécifique auprès de la population déplacée passe en très grande partiepar <strong>le</strong> travail auprès des organisations de déplacés, ces structures surnomméessuivant <strong>le</strong> sig<strong>le</strong> anglais CBO – Community Based Organization. On dénombre 7CBO de déplacés à Ciudad Bolivar, alors qu’el<strong>le</strong>s sont beaucoup plusnombreuses à Soacha. Les ONG, nous venons de <strong>le</strong> voir, ont un rô<strong>le</strong> importantdans l’émergence de ces organisations. El<strong>le</strong>s ont pour but de rendre la population392 CBO, Community Based Organization, organisation communautaire.


260déplacée el<strong>le</strong>-même maîtresse de son destin, de lui donner <strong>le</strong>s outils techniqueset intel<strong>le</strong>ctuels pour se défendre. La constitution d’une CBO s’accompagne deformation juridique et politique. Cependant, <strong>le</strong>s CBO connaissent des destinstrès inégaux. Cel<strong>le</strong> qui remporte <strong>le</strong> plus de succès, même si ce n’est pas la pluspopulaire, est Afrodes. Cette organisation de déplacés existe au niveau national.Des antennes de l’organisation existent à Cartagène, Quibdo, Buenaventura etBogotá, qui sont <strong>le</strong>s 4 grands centres récepteurs de population déplacéeafrocolombienne. C’est une des rares CBO à être organisée au niveau national.De plus, <strong>le</strong>s personnes qui intègrent l’organisation, par exemp<strong>le</strong> en arrivant auxAltos de Cazucá, ont déjà souvent une culture de l’organisation communautaireet de la revendication politique. En effet, <strong>le</strong>s populations afrocolombiennes, àl’exemp<strong>le</strong> des populations indigènes, ont un statut spécial défendu dans laConstitution de 1991. La loi 70 <strong>le</strong>ur donne un droit de propriété col<strong>le</strong>ctive sur <strong>le</strong>sterritoires sur <strong>le</strong>squels ils sont établis. Les structures de pouvoirs sont <strong>le</strong>s« comités locaux », reconnus par la loi. En tant que minorité ethnique,conscients de <strong>le</strong>ur particularité culturel<strong>le</strong> et du racisme dont ils font l’objet, <strong>le</strong>sAfrocolombiens ont développé une culture politique et une forme d’organisationcommunautaire. Afrodes compte 267 famil<strong>le</strong>s sur Bogotá et Soacha. Afrodesélabore des projets en collaboration avec <strong>le</strong> PAM, avec World Vision.Actuel<strong>le</strong>ment, Afrodes développe un projet de construction d’égout dans <strong>le</strong>quartier la Isla en collaboration avec <strong>le</strong> RSS et <strong>le</strong> PAM. Ce projet se réalise dans<strong>le</strong> cadre du programme « Travail contre Nourriture ». La personne doit travail<strong>le</strong>rpendant un mois, 5 heures par jour, pour 6 sacs de marché. Chaque sac contient :20 livres de riz, 1 panela (bloc de sucre de canne), 2,5 livres de petits pois, et unepetite bouteil<strong>le</strong> d’hui<strong>le</strong>. Ce programme s’adresse pour 70% à des déplacés quiont <strong>le</strong> certificat de déplacé et <strong>le</strong>ur carte d’identité, et pour 30% à la populationvulnérab<strong>le</strong>, ce qui permet de faire participer des déplacés qui n’ont pas <strong>le</strong>certificat. De plus, l’ancien président d’Afrodes vit actuel<strong>le</strong>ment aux Etats-Uniset mène une activité de lobbying auprès des 22 membres noirs du Congrèsaméricain. L’organisation a ainsi obtenu 200 000 dollars pour financer un centred’assistance pour 120 enfants et 100 ado<strong>le</strong>scents. Cette CBO provoque lajalousie et l’envie des autres CBO.Les autres CBO ont des allures souvent plus artificiel<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong>s promeuvent, sur<strong>le</strong>s conseils de <strong>le</strong>urs aînés, la dénonciation des violations des droits de l’hommeet de <strong>le</strong>urs droits et <strong>le</strong> dépôt de plaintes devant la justice. Les CBO utilisent <strong>le</strong>mécanisme juridique de l’action de tutel<strong>le</strong> qui <strong>le</strong>ur est offert par la loi 393 . Unexemp<strong>le</strong> : en décembre 1999, un groupe de déplacés décide de prendre d’assautla réception du CICR. Les jours qui ont suivi, <strong>le</strong> bâtiment a été occupé presquecomplètement. Les famil<strong>le</strong>s ont intenté un procès à l’Etat pour non respect de sesdevoirs constitutionnels envers eux. Et ils ont gagné 394 . Le bâtiment vient d’êtrelibéré en mars 2003. La concurrence est forte entre <strong>le</strong>s CBO, et <strong>le</strong>découragement <strong>le</strong>s guette parfois. L’organisation Revivir al Futuro regarde avecaigreur sa voisine Cedepaz. Jose, de Revivir al Futuro, raconte que Cedepaz393 Le citoyen, s’il voit l’un de ses droits fondamentaux bafoué peut intenter un procès à l’Etat, àl’administration ou à toute entité qui en serait responsab<strong>le</strong>. Le juge compétent doit rendre son jugementdans <strong>le</strong>s 10 jours qui suivent <strong>le</strong> dépôt de plainte. L’éventuel<strong>le</strong> révision du verdict doit être faite par laCour Constitutionnel<strong>le</strong>. L’action de tutel<strong>le</strong> fournit donc un instrument unique et rapide au citoyen pourfaire respecter ses droits.394 ALNAP, « Etude globa<strong>le</strong> sur la participation de la population à l’action humanitaire, Colombie 2002» réalisée par Véronique de Geoffroy, Karla Levy, Federico López et Stella Rodriguez, sur <strong>le</strong> sitewww.urd.org


261prétend « qu’el<strong>le</strong> est une corporation. El<strong>le</strong> se dit la meil<strong>le</strong>ure organisation, maisel<strong>le</strong> ne veut pas partager son expérience. A force de se battre pour la populationdéplacée, on finit par perdre son élan, son dynamisme 395 ». Il raconte qu’ « audébut, Revivir al Futuro cherchait à se faire connaître. L’organisation a fait laproposition d’une cantine communautaire pour souder <strong>le</strong> quartier. On a présenté<strong>le</strong> projet à l’Institut de Bien-être Familial, à la mairie de Soacha, au RSS, auPAM, au CICR, à Terre des Hommes. Le document a été <strong>final</strong>isé en novembre2002, mais là-dessus est arrivé Noël et <strong>le</strong> nouveau gouvernement. On nous arépondu que <strong>le</strong> projet n’allait pas marcher parce que <strong>le</strong> nouveau gouvernementallait mettre fin à l’Institut Colombien de Bien-être Familial, que la mairien’avait pas de fonds, et que <strong>le</strong> PAM répondait aux politiques d’Etat. A la fin dela réunion, la représentante du RSS a conclu en nous lisant la Bib<strong>le</strong> 396 ». LesCBO, qui n’ont pas la même carrure ni la même expérience que <strong>le</strong>s ONG, sontbien souvent incapab<strong>le</strong>s de faire face aux démarches administratives et àl’attente.Des relations diffici<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>s pouvoirs publicsLes relations entre <strong>le</strong>s ONG et <strong>le</strong>s pouvoirs publics sont souvent hou<strong>le</strong>uses. Lesraisons en sont multip<strong>le</strong>s. Tout d’abord, <strong>le</strong>s ONG, Organisations NonGouvernementa<strong>le</strong>s, sont souvent créées en opposition aux pouvoirs politiques,par des individus issus de l’opposition. Dans notre exemp<strong>le</strong>, la stratégie desONG qui consiste à stimu<strong>le</strong>r l’émergence et <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> des CBO au niveau de lapopulation déplacée est bien évidemment plus qu’agaçante pour la mairie et pourl’Etat central. Les déplacés prennent conscience de <strong>le</strong>urs droits, revendiquent,tiennent tête dans <strong>le</strong>s réunions, posent des actions de tutel<strong>le</strong> devant la justice,mettant en cause l’Etat et son administration, la non exécution de la loi 387 et dudécret 2569. Les ONG qui ne pourraient se permettre de mener de front cesaccusations face à l’Etat, sous peine de rendre complètement impossib<strong>le</strong>s <strong>le</strong>ursconditions de travail, peuvent <strong>le</strong> faire à travers <strong>le</strong>s CBO. D’autre part, <strong>le</strong>s ONGexplorent au maximum <strong>le</strong>s espaces de participation citoyenne donnés par laConstitution de 1991. Par exemp<strong>le</strong>, au niveau de la santé, MSF-E encourage <strong>le</strong>s« comités d’observation » (veeduria). La Constitution de 1991, nous l’avons vu,responsabilise <strong>le</strong>s citoyens. La possibilité <strong>le</strong>ur est donnée de créer des comitésd’observation, chargés de contrô<strong>le</strong>r la qualité des services publics, <strong>le</strong> bon accèsde la population à ces services, la qualité du travail des fonctionnaires. A travers<strong>le</strong>s formations que MSF-E dispense en matière de santé, d’accès à la santé, dedroits (loi 100 de 1993), l’ONG encourage <strong>le</strong>s habitants à tenir <strong>le</strong>ur rô<strong>le</strong>d’observateurs et d’usagers critiques. Cette initiative est bien évidemmentextrêmement pénib<strong>le</strong> aux institutions, même si el<strong>le</strong> émane directement de laConstitution. D’autre part, l’activité de consolidation des quartiers, menée par<strong>le</strong>s ONG est el<strong>le</strong> aussi gênante pour la municipalité. Nous avons vu que desprojets sont financés pour construire des soubassements censés éviter <strong>le</strong>sglissements de terrain dans des zones particulièrement à risque, des systèmes decanalisations et d’évacuation. Autant de projets qui visent à consolider <strong>le</strong>squartiers, non seu<strong>le</strong>ment pour diminuer <strong>le</strong>s risques et assainir <strong>le</strong> milieu, maisaussi pour faire pression sur la municipalité pour qu’el<strong>le</strong> se penche sur <strong>le</strong>395 Entretien avec Jose de Revivir al Futuro, Los Altos de Cazucá, mercredi 5/03/03.396 Entretien avec Jose, de Revivir al Futuro, Los Altos de Cazucá, mercredi 5/03/03.


262problème de la légalisation des terrains. Il faut assainir la zone, diminuer <strong>le</strong>srisques de glissement de terrain pour que la mairie, mise devant <strong>le</strong> fait accompli,soit forcée d’agir. Jusqu’à présent son discours consiste à expliquer auxhabitants que la zone est extrêmement dangereuse, et qu’il serait crimineld’avaliser et d’encourager <strong>le</strong>s constructions humaines dans cette zone, ainsi qued’encourager <strong>le</strong>s gens à rester. Les frictions entre pouvoirs publics et ONG sontsouvent indirectes, mais <strong>le</strong>s stratégies diamétra<strong>le</strong>ment opposées adoptées sur <strong>le</strong>terrain montrent bien <strong>le</strong>s relations hou<strong>le</strong>uses qu’ils entretiennent. Les frictionss’expriment encore au niveau de la continuité des projets. En effet, <strong>le</strong>s ONG,dans un souci de ne pas se substituer à l’Etat, cherchent, une fois <strong>le</strong> projet bienlancé, à <strong>le</strong> faire reprendre par <strong>le</strong>s pouvoirs publics. C’est <strong>le</strong> cas des éco<strong>le</strong>sconstruites par World Vision, ou des cabinets médicaux construits par MSF-E.World Vision a construit <strong>le</strong>s infrastructures, mais demande à la municipalitéd’envoyer des professeurs. La municipalité fait preuve de peu de volonté pourfournir <strong>le</strong>s professeurs, qui certes ne doivent pas être très alléchés par l’offred’emploi. A chaque semestre, <strong>le</strong>s cours commencent avec 2 ou 3 mois de retard,ce qui raccourcit considérab<strong>le</strong>ment l’année scolaire. La municipalité a mêmeenvoyé des policiers en formation pour enseigner. Le même problème se pose auniveau du cabinet médical. MSF-E en a construit 3 depuis son arrivée dans lazone. 2 fonctionnent. Le troisième attend <strong>le</strong> personnel qui <strong>le</strong> fera fonctionner.MSF-E a signé un accord avec l’hôpital de Soacha, mais personne ne semb<strong>le</strong>disposé à envoyer une équipe pour faire fonctionner ce centre de santé. Lamunicipalité est réticente à assumer ses fonctions, alors que <strong>le</strong>s acteurshumanitaires <strong>le</strong> font si bien… Les ONG poussent éga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s CBO et <strong>le</strong>sdéplacés à utiliser ‘l’action de tutel<strong>le</strong>’, ce qui bien évidemment aiguise <strong>le</strong>sfrictions entre pouvoir politique et ONG.Les problèmes sou<strong>le</strong>vésL’étude de l’intégration des populations déplacées par la vio<strong>le</strong>nce mène à seposer plusieurs questions non résolues.La stabilisation socio-économiqueLa phase de stabilisation socio-économique, nous l’avons vu à plusieurs reprises,pose des problèmes aux institutions et aux ONG. La phase d’urgence est engénéra<strong>le</strong> mieux traitée. La très grande majorité des projets concerne la phased’urgence et rares sont ceux qui s’attè<strong>le</strong>nt au problème de l’intégration desdéplacés, à <strong>le</strong>ur stabilisation socio-économique et à <strong>le</strong>ur intégration à la sociétéurbaine. La stabilisation économique pose un grave problème aux différentesinstitutions qui travail<strong>le</strong>nt pour l’intégration des déplacés. Des tentatives ont étéfaites au niveau de la stabilisation économique. L’Etat a mis en place desprogrammes de « projets productifs », par l’intermédiaire du RSS. La UAO, oud’autres institutions publiques, proposaient aux déplacés des programmesspéciaux consistant à favoriser la petite entreprise et l’artisanat. L’Etat prêtaitun capital semilla, apport initial de 1000 à 1400 euros, accompagné d’une aideau crédit à hauteur de 3500 euros. Ce petit capital de départ et cet accès au créditdevaient permettre à des déplacés, de façon individuel<strong>le</strong> ou col<strong>le</strong>ctive de monter


263un commerce, un atelier. Cette politique a été arrêtée, <strong>le</strong> capital semillasupprimé. Les ONG aussi ont mis en place de nombreux projets productifs.Consejeria en proyectos a financé beaucoup de projets productifs à une époque :Afrodes a bénéficié de beaucoup d’investissements en la matière. Roberto,membre de l’organisation, a lui-même ouvert une épicerie grâce aux 1 500 eurosdonnés par Consejeria en Proyectos pour acheter des marchandises. Robertoraconte que de toutes <strong>le</strong>s affaires montées en collaboration avec Consejeria enProyectos, son épicerie est la seu<strong>le</strong> à fonctionner encore. En revanche, sur <strong>le</strong>s 19entreprises montées en collaboration avec l’Etat et <strong>le</strong> RSS, 11 fonctionnenttoujours. Ce sont des épiceries, des débits de boissons, des ateliers de couture,des restaurants. Beaucoup sont situés dans <strong>le</strong> centre de Bogotá 397 . L’aide auxprojets productifs s’accompagne évidemment de formations en techniques degestion et de production. Le Centre d’Aide aux Migrants, tenu par <strong>le</strong>sreligieuses, tente lui aussi d’offrir des opportunités de travail et de formation auxdéplacés. Il y a deux projets productifs directement tenus par <strong>le</strong>s religieuses :l’un de fabrication de sacs décorés à la main, et l’autre de fabrication de bougies.Le Centre a promu des projets productifs dans <strong>le</strong> passé avec un système de microcrédit, mais personne n’a remboursé <strong>le</strong> crédit. Selon la psychologue du Centre,très peu de projets ont fonctionné, et ceux qui n’ont pas fait faillite fonctionnenttrès mal. Mais tel n’est pas l’avis de la mère supérieure qui rectifie et affirmeque sur 22 projets productifs de départ, 19 fonctionnent encore et fonctionnenttrès bien 398 . Le Centre a en tous cas arrêté de financer de tels projets... WorldVision a constitué à Los Altos de Cazucá 4 Entreprises Associatives de Travail,tentative pour générer des emplois pour <strong>le</strong>s déplacés, mais de l’aveu même duresponsab<strong>le</strong>, « cela ne donne pas de gros résultats 399 ». En fait, <strong>le</strong>s projetsproductifs et autres tentatives pour procurer des emplois à la population déplacéese soldent par un constat d’échec. Personne n’interprète ces échecs de la mêmefaçon. Pour <strong>le</strong>s déplacés, cela est du au manque de formation qui <strong>le</strong>ur estdispensé et au manque de suivi de la part des organisations. L’un d’eux expliqueque « Avec <strong>le</strong>s projets précédents, <strong>le</strong>s problèmes rencontrés ont été : quand ondonne de l’argent aux gens, l’argent sert d’abord à d’autres choses, <strong>le</strong>s personnesne savent pas gérer l’argent, et font faillite. Ces projets peuvent marcher s’il y aune formation et un suivi. On ne résout pas <strong>le</strong> problème des déplacés en <strong>le</strong>urprêtant de l’argent, ça c’est temporaire, mais en <strong>le</strong>ur expliquant comment s’enprocurer 400 ». C’est donc la formation qui importe ici au déplacé. Du côté desONG et des institutions, on a souvent abandonné ces projets productifs.L’investissement en capital et en temps est trop important, <strong>le</strong>s structures fragi<strong>le</strong>s.Les déplacés qui ne sont déjà pas formés aux habitudes de la vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> sont encoremoins aux techniques de production et de gestion, et il faudrait faire desformations continues, des remises à niveau régulières. Ces projets sont délicatset échouent trop souvent.L’intégration des déplacés dans <strong>le</strong> milieu urbain, et <strong>le</strong>ur stabilisationéconomique est diffici<strong>le</strong> à évaluer, étant donné qu’il n’existe aucun type de suivides trajectoires des déplacés. L’Etat essaie actuel<strong>le</strong>ment de développer sonsystème de registre unique – SUR- et d’y inclure des informations surl’évolution du statut des déplacés en vil<strong>le</strong>. Le but est de consigner dans ce397 Entretien avec Roberto d’Afrodes à los Altos de Cazucá, mardi 4/03/03.398 Entretien avec Sœur Teresina Monteiro et avec la Psychologue Angelica au CAMIG, lundi 24/02/03.399 Entretien Vision Mondia<strong>le</strong>, à Soacha, lundi 17/03/03.400 Entretien avec Federico de Cedepaz, à los Altos de Cazucá, lundi 3/03/03.


264registre des informations concernant cette phase de stabilisation économique,pour savoir ce que devienne <strong>le</strong>s déplacés suite à <strong>le</strong>ur arrivée, mesure quipermettrait peut-être d’évaluer l’aide qui <strong>le</strong>ur est apportée. La question ne peutdonc pour <strong>le</strong> moment être traitée qu’à partir des quelques cas rencontrés. Lastabilisation économique du déplacé est problématique pour <strong>le</strong>s ONG et <strong>le</strong>sinstitutions. Les déplacés ont dans la quasi-totalité des cas recours au système D.L’accès à des activités de l’économie formel<strong>le</strong> est très rare. Les déplacés sontsouvent exploités économiquement. L’employeur profite parfois de ce que <strong>le</strong>déplacé n’a pas ses documents d’identité ou de ce qu’il <strong>le</strong>s a perdu. C’est <strong>le</strong> casd’un père de famil<strong>le</strong>, arrivé depuis quelques semaines à Los Altos de Cazucá. Iltravail<strong>le</strong> comme laveur de voitures, mais n’arrive pas à se faire payer par sonpatron 401 . L’employeur profite aussi souvent de la vulnérabilité des déplacéspour <strong>le</strong>s employer illéga<strong>le</strong>ment. Une famil<strong>le</strong> de déplacés arrivée en juil<strong>le</strong>t 2002 àLos Altos de Cazucá, travail<strong>le</strong> en sous-traitance avec une entreprise demenuiserie de la plaine. La mère, chef de famil<strong>le</strong>, fabrique avec ses deux enfantsde 5 et 10 ans, des poignées en bois. Si el<strong>le</strong>s sont bien faites et bien poncées, <strong>le</strong>s12 poignées sont rémunérées 1 euro et 20 centimes, si el<strong>le</strong>s sont mal finies, el<strong>le</strong>ssont rémunérées 75 centimes d’euro 402 . Le moyen de survie <strong>le</strong> plus répanduparmi la population déplacée est <strong>le</strong> rebusque, la récupération. Nombreux sontceux qui vivent du recyclage. Le rebusque a lieu majoritairement dans <strong>le</strong> nord dela vil<strong>le</strong>, chez <strong>le</strong>s riches, où <strong>le</strong>s récoltes sont beaucoup plus abondantes. Ce sontdes trajets de plusieurs jours de marche, à pousser un gros chariot de bois vide àl’al<strong>le</strong>r, et p<strong>le</strong>in au retour. Pour <strong>le</strong>s plus âgés reste la solution de descendre dans laplaine de Soacha pour faire <strong>le</strong>s poubel<strong>le</strong>s et récupérer des objets et de lanourriture. Une économie du recyclage s’est développée dans cette zone. Toutest réutilisé. Il y a aussi des ferrail<strong>le</strong>urs qui centralisent et revendent <strong>le</strong>s objetsmétalliques. D’autres trouvent des emplois temporaires : quelques jours dans laconstruction, quelques jours à décharger <strong>le</strong>s sacs au marché, etc… Les femmestrouvent plus faci<strong>le</strong>ment des emplois en tant que femmes de ménage, vendeusesambulantes. Les stratégies développées par <strong>le</strong>s populations déplacées sontsouvent <strong>le</strong>s mêmes que cel<strong>le</strong>s des populations vulnérab<strong>le</strong>s. Le problème qui sepose souvent pour <strong>le</strong>s déplacés est l’adaptation qu’ils doivent réaliser au départ.S’ils étaient souvent de condition modeste avant <strong>le</strong> déplacement, ils gagnaientcependant <strong>le</strong>ur vie de façon « honorab<strong>le</strong> ». L’humiliation qui accompagnel’arrivée en vil<strong>le</strong> est un choc extrêmement dur pour <strong>le</strong>s déplacés. Vivre desdéchets des autres, vivre de la charité, en mendiant. Beaucoup de femmes de LosAltos de Cazucá vont à Corabastos, grand marché situé au sud de Bogotá. El<strong>le</strong>svont essayer d’y récupérer de la nourriture, des légumes impropres à la vente,des produits abîmés. Une mère de famil<strong>le</strong>, arrivée depuis quelques semaines àLos Altos de Cazucá, a accompagné sa voisine à Corabastos. El<strong>le</strong> raconte quepour el<strong>le</strong>, ce fut une expérience très dure. Sa voisine passait auprès desmarchands qui lui donnaient des choses. Quand el<strong>le</strong>-même arrivait devant unprésentoir, <strong>le</strong> marchand s’approchait, et lui demandait comme à une clientenorma<strong>le</strong> ce qu’el<strong>le</strong> désirait acheter. Cette femme raconte que là où el<strong>le</strong> vivaitavant, ses enfants allaient à l’éco<strong>le</strong>, et que <strong>le</strong>s week-end, ils allaient dans uncentre aéré 403 . La transition est dure. De plus, à <strong>le</strong>ur arrivée en vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s déplacés,population vulnérab<strong>le</strong> entre toutes, sont souvent récupérés par des mafias. Il401 Entretien <strong>le</strong> 4/03/03 à los Altos de Cazucá.402 Visites à des famil<strong>le</strong>s déplacées à los Altos de Cazucá, lundi 17/03/03.403 Entretien à los Altos de Cazucá, lundi 3/03/03.


265existe des mafias par secteur qui raco<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s déplacés pour <strong>le</strong>s faire entrer dansdes circuits de mendicité, de prostitution. La stabilisation économique ne se faitpas pour <strong>le</strong>s déplacés, ou alors au sein de l’économie informel<strong>le</strong>. Ils s’intègrent àl’économie informel<strong>le</strong>.Intégration individuel<strong>le</strong> ou col<strong>le</strong>ctive ?Doit-on favoriser une intégration individuel<strong>le</strong> ou col<strong>le</strong>ctive des déplacés aumilieu urbain ? En effet, avec l’encouragement des CBO, <strong>le</strong>s ONG et autresacteurs non gouvernementaux semb<strong>le</strong>nt privilégier <strong>le</strong>s initiatives col<strong>le</strong>ctives,mais cela se justifie-t-il ? L’intégration individuel<strong>le</strong> des déplacés est diffici<strong>le</strong>. LaCBO s’offre comme une solution col<strong>le</strong>ctive pour <strong>le</strong>s déplacés. Les CBO,impulsées par <strong>le</strong>s ONG, offrent plusieurs avantages. El<strong>le</strong>s permettent de romprel’iso<strong>le</strong>ment dont souffrent <strong>le</strong>s déplacés, plus particulièrement à <strong>le</strong>ur arrivée envil<strong>le</strong>. El<strong>le</strong>s s’alimentent d’ail<strong>le</strong>urs d’un réf<strong>le</strong>xe naturel et spontané auregroupement. Au moment de l’arrivée en vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s déplacés cherchent souvent àse cacher, et à éviter tout contact avec <strong>le</strong>s autres individus, enfermés qu’ils sontdans <strong>le</strong>urs peurs et <strong>le</strong>urs traumatismes. Mais dans un deuxième temps, face aurejet des populations réceptrices ou simultanément à ce rejet, ils se regroupententre eux. Ils peuvent ainsi par<strong>le</strong>r de la vie à la campagne, des travaux dans <strong>le</strong>schamps, se raconter mutuel<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>ur passé, partageant une expériencecommune en de nombreux points. Le cas <strong>le</strong> plus achevé est celui des populationsafrocolombiennes, qui partagent une vraie culture commune. Ils se considèrenteux-mêmes comme une communauté : « Nous sommes du Pacifique, noussommes pacifiques 404 ». Mise à part cette exception, la Colombie est fortementfragmentée, et chaque région a une culture forte et particulière. Les CBOpermettent de tisser des réseaux de solidarité. El<strong>le</strong>s facilitent grandement <strong>le</strong>travail des ONG en permettant d’identifier <strong>le</strong>s besoins et <strong>le</strong>s personnes à aider, eten diffusant el<strong>le</strong>s-mêmes <strong>le</strong>s informations aux habitants. El<strong>le</strong>s permettent defaire face col<strong>le</strong>ctivement à plusieurs problèmes. La défense des droits se faitbeaucoup mieux à travers des organisations col<strong>le</strong>ctives. Les dénonciations et <strong>le</strong>saccusations ont beaucoup plus de poids. Les <strong>le</strong>aders des CBO sont formés, ilsconnaissent <strong>le</strong>s droits des déplacés, connaissent <strong>le</strong>s mécanismes pour <strong>le</strong>sdéfendre et tenter de <strong>le</strong>s faire respecter. Les CBO constituent aussi des structuresde conseil et d’orientation pour <strong>le</strong>s nouveaux arrivants. El<strong>le</strong>s permettent decapitaliser l’expérience, de la transmettre aux nouveaux arrivants.Cependant, ces structures ont aussi des effets pervers sur l’intégration desdéplacés. Tout d’abord, la CBO stigmatise ses membres comme étant desdéplacés. La CBO va à l’encontre de la recherche d’anonymat. Se pose alors <strong>le</strong>problème de l’intégration par <strong>rapport</strong> aux populations réceptrices puisquel’appartenance à une tel<strong>le</strong> organisation accroît <strong>le</strong> fossé qui <strong>le</strong>s sépare. Se poseéga<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> problème de la sécurité. Les CBO sont constituées léga<strong>le</strong>ment.Leur activité est visib<strong>le</strong> et connue. Les membres se rassemb<strong>le</strong>nt. Le <strong>le</strong>ader estconnu de tous. Les déplacés sont une population cib<strong>le</strong> des exactions des groupesarmés présents dans <strong>le</strong>s bidonvil<strong>le</strong>s du sud de l’agglomération bogotaine. Eneffet, <strong>le</strong>s déplacés sont des gens qui ont déjà été menacés. Ils savent des choses,et ont déjà eu à faire des choix pour ou contre des groupes armés. S’ils se sont404 « Somos del Pacifico, somos pacificos », Roberto membre d’Afrodes, à Los Altos de Cazucá, <strong>le</strong> 4mars 2003.


266déplacés, c’est soit parce qu’ils avaient pris parti pour un groupe soit parce qu’ilsrefusaient de prendre parti. Ce sont en tous cas des groupes réfractaires à laprésence des groupes armés. S’ils présentent un intérêt certain pour l’intégrationurbaine des groupes armés, ils représentent éga<strong>le</strong>ment un obstac<strong>le</strong>. Les <strong>le</strong>adersde CBO de déplacés sont menacés. Certaines ONG, comme Vision Mondia<strong>le</strong>,refusent maintenant de travail<strong>le</strong>r avec <strong>le</strong>s CBO, car el<strong>le</strong>s <strong>le</strong>s trouvent troppolitisées. Certaines CBO semb<strong>le</strong>nt parfois noyautées par <strong>le</strong>s groupes insurgés.Le rô<strong>le</strong> de <strong>le</strong>ader d’une CBO est très dur à tenir. Ce sont <strong>le</strong>s personnes <strong>le</strong>s plusmenacées. 3 <strong>le</strong>aders communautaires ont été assassinés entre juin et août 2001 àlos Altos de Cazucá. Les <strong>le</strong>aders d’organisation de déplacés dans cette zone fontpresque tous l’objet de menaces directes. Ils doivent parfois fuir, mêmetemporairement. Les CBO remettent donc en cause <strong>le</strong> problème de la sécuritédes déplacés, et tout particulièrement des <strong>le</strong>aders. L’engagement personnel estde plus souvent mal perçu par l’ensemb<strong>le</strong> de la communauté qui se lasse de voirtoujours <strong>le</strong>s mêmes personnes prendre la paro<strong>le</strong>, et qui suspecte <strong>le</strong>s <strong>le</strong>aders detirer des avantages personnels et des rétributions de <strong>le</strong>ur fonction. Les résultatsobtenus par ail<strong>le</strong>urs par ces organisations sont bien souvent décevants commel’avouait l’un d’eux. Ce sont cependant de tel<strong>le</strong>s structures qui peuvent proposerdes projets : cantines communautaires, projets dans <strong>le</strong> cadre du programmetravail contre nourriture, formation contre nourriture, etc…La CBO a alors besoin des conseils des ONG pour franchir toutes <strong>le</strong>s étapesadministratives, qui sont longues et comp<strong>le</strong>xes. La CBO génère bien souvent unautre frein à l’intégration. Les déplacés membres de ces organisations en restentsouvent au stade de la revendication et s’y enferment. « L’Etat ne tient pas sespromesses », « l’Etat n’applique pas <strong>le</strong>s lois », « <strong>le</strong>s ONG font mal <strong>le</strong>ur travail »,etc… A travers <strong>le</strong>s CBO, on apprend aux déplacés quels sont <strong>le</strong>urs droits,comment <strong>le</strong>s faire respecter, ce qui est positif, mais la démarche semb<strong>le</strong> souventen rester là et <strong>le</strong> déplacé s’enferme et s’entretient dans une aigreur vindicative.La limite est souvent dure à trouver et à conserver entre une revendicationnécessaire pour défendre ses droits et <strong>le</strong>s faire respecter, et un comportementpurement vindicatif et passif qui enferme dans l’inaction et l’attente. Il est parail<strong>le</strong>urs discutab<strong>le</strong> de laisser croire aux déplacés qu’une solution col<strong>le</strong>ctivepourrait résoudre <strong>le</strong>urs problèmes. S’intégrer dans un milieu urbain, régi par <strong>le</strong>slogiques économiques et culturel<strong>le</strong>s modernes, où l’individu est l’unité de base,relève certainement plus de logiques individuel<strong>le</strong>s que de logiques col<strong>le</strong>ctives.Impacts négatifs de l’action humanitaire ?Le monde humanitaire a conscience des travers et des conséquences parfoisnégatives que peuvent avoir l’action des ONG. L’intervention d’agentsextérieurs n’est jamais neutre, et il faut avoir conscience de cela pour limiter aumaximum la rupture des équilibres politiques et sociaux souvent précaires dans<strong>le</strong>s lieux où travail<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s ONG. L’aide apportée modifie-t-el<strong>le</strong> de façonnégative <strong>le</strong> comportement des individus bénéficiaires ? Une relation dedépendance se crée-t-el<strong>le</strong> entre <strong>le</strong>s bénéficiaires et <strong>le</strong>s agences d’aide ? Quelsefforts sont faits pour lutter contre l’émergence d’un comportement d’assistéparmi la population ? Les cas de Ciudad Bolivar et des Altos de Cazucán’échappent bien sûr pas à la règ<strong>le</strong>. La profusion d’ONG provoque undéséquilibre dans <strong>le</strong>s relations que <strong>le</strong>s bénéficiaires entretiennent avec <strong>le</strong>ur


entourage. Dans notre cas, <strong>le</strong>s déplacés exigent des aides, et des aides de qualitécomme en témoigne <strong>le</strong>s réf<strong>le</strong>xions d’un déplacé par <strong>rapport</strong> au manque decoordination des ONG. Le déplacé apprend souvent des ONG el<strong>le</strong>s-mêmes qu’ila droit à certaines aides, et qu’il doit <strong>le</strong>s exiger et <strong>le</strong>s revendiquer, éléments quisont bien évidemment positifs. Pour échapper à la création d’un <strong>rapport</strong> dedépendance et responsabiliser <strong>le</strong>s bénéficiaires, <strong>le</strong>s ONG optent souvent pour lanon gratuité des aides. Les programmes de « formation contre nourriture » et de« travail contre nourriture » ont été mis en place au niveau mondial par <strong>le</strong> PAMpour lutter justement contre ce phénomène. Nous avons vu que MSF-E, suivantla même logique, facture ses soins un franc symbolique, pour que l’aide nedevienne ni un dû, ni un acquis, et facture <strong>le</strong>s réservoirs d’eau qu’il distribuel’équiva<strong>le</strong>nt de 4 euros. Les ONG encouragent pourtant une attituderevendicative envers l’Etat, tout particulièrement chez <strong>le</strong>s déplacés à travers <strong>le</strong>sCBO.Il faut en fait réaliser un glissement, et considérer un moment l’échel<strong>le</strong> desinstitutions étatiques. Il faut certainement y voir une tentative de la part desONG, de lutter contre un comportement de dépendance qui se développeéga<strong>le</strong>ment chez <strong>le</strong>s pouvoirs publics. En matière de gestion des déplacés, dans laphase d’urgence comme dans cel<strong>le</strong> de stabilisation, l’Etat et <strong>le</strong>s pouvoirs publicsdémissionnent peu à peu de <strong>le</strong>urs responsabilités. Ils laissent de plus en plus auxONG et à l’aide internationa<strong>le</strong> ce rô<strong>le</strong>. La mairie de Bogotá par exemp<strong>le</strong>considère que la phase d’urgence dans la gestion des déplacés incombe auxONG. Un accord a été signé entre <strong>le</strong> RSS et <strong>le</strong> CICR. Le CICR se charge engrande partie de l’aide d’urgence aux déplacés à l’intérieur du District Capita<strong>le</strong>.A Soacha, la municipalité laisse globa<strong>le</strong>ment aux ONG la gestion des déplacésdes Altos de Cazucá. Mais <strong>le</strong>s déplacés constituent quand même une occasiond’obtenir des aides dans d’autres domaines. Les ONG se retrouvent ainsi à gérernon plus seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> problème des déplacés qui devrait être <strong>le</strong> fait de l’Etat,mais aussi <strong>le</strong>s problèmes sociaux et <strong>le</strong>s problèmes d’aménagement : inscriptiondes habitants au système de santé national, consolidation des quartiers par desaides à la construction, par la construction d’infrastructures et par la prise encharge partiel<strong>le</strong> du problème des services publics (eau). La présence d’ONG etd’organisations internationa<strong>le</strong>s est devenue norma<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s pouvoirs publics, et<strong>le</strong>s ONG ont beaucoup de mal à ne pas se substituer à l’Etat. Les ONG, nousl’avons vu, ont <strong>le</strong> souci, comme dans <strong>le</strong> reste du monde, de ne pas se mettre àremplir de façon durab<strong>le</strong> des fonctions qui sont de la responsabilité de l’Etat.Vision Mondia<strong>le</strong> tente de faire reprendre <strong>le</strong>s éco<strong>le</strong>s par la municipalité, MSF-Etente de faire reprendre <strong>le</strong>s centres médicaux par l’hôpital, MSF-E forme descomités locaux d’observation dans <strong>le</strong> domaine de la santé pour que soit évalué <strong>le</strong>travail de l’Etat, et accompagne tous <strong>le</strong>s soins qu’il dispense d’une information àla population pour <strong>le</strong>ur apprendre comment s’affilier au système de santénational auquel ils ont droit. Une fonctionnaire de la UAO à Soacha s’indignaitde la passivité des déplacés et de <strong>le</strong>ur comportement d’assisté, mais l’on peut enfait s’interroger éga<strong>le</strong>ment sur la passivité des pouvoirs publics. Lesfonctionnaires accusent souvent <strong>le</strong>s ONG d’être responsab<strong>le</strong>s de ce manque decombativité et de volonté de la part des déplacés, <strong>le</strong>s ONG taxent <strong>le</strong>s pouvoirspublics d’immobilisme.Les fils sont durs à démê<strong>le</strong>r entre intérêts et critiques sincères. Les pouvoirspublics ont intérêt à la présence des ONG, à ce qu’el<strong>le</strong>s se substituent un peu à<strong>le</strong>ur rô<strong>le</strong>, mais sans <strong>le</strong>s laisser prendre trop de place et trop d’influence pour267


268qu’el<strong>le</strong>s n’empiètent pas sur <strong>le</strong> pouvoir politique. Les ONG ont intérêt à êtreprésentes dans ces zones, qui sont <strong>le</strong>ur raison d’être et <strong>le</strong>ur « marché », maisel<strong>le</strong>s ne peuvent pas non plus éthiquement créer une dépendance pour être sûresde garder <strong>le</strong> marché. Des exigences de résultats existent au niveau des bail<strong>le</strong>urset des organisations. Les tentatives des ONG pour ne pas créer ce comportementd’assisté sont souvent vaines. Etudions pour cela <strong>le</strong> degré d’autonomie et depérennité des CBO. Les personnes qui vivent dans des contextes comme CiudadBolivar et los Altos de Cazucá, dépendent pour la majorité des aides extérieures.Les déplacés, personnes déracinées, sorties de <strong>le</strong>ur milieu et de <strong>le</strong>ur système desolidarités, sont extrêmement vulnérab<strong>le</strong>s et dépendent presque entièrement del’extérieur, du moins dans un premier temps. A Ciudad Bolivar, <strong>le</strong>s réseaux quis’étaient formés parmi <strong>le</strong>s déplacés, pendant <strong>le</strong>s années 1990, se sont dissous.Les CBO ont dépéri pour la plupart, et <strong>le</strong>s rares encore en vie ne sont plusvéritab<strong>le</strong>ment actives au niveau du quartier. Un grand manque decommunication et de coordination rend ces réseaux très faib<strong>le</strong>s. Certainesinitiatives des ONG sont cependant reprises par la population quand l’ONG sedésengage. C’est <strong>le</strong> cas à los Altos de Cazucá avec <strong>le</strong>s cantines communautaires.Des cantines ont été créées dans plusieurs quartiers des Altos, soutenues par <strong>le</strong>PAM, par World Vision, ou d’autres ONG. L’an passé, World Vision s’estdésengagé de ces cantines. Des femmes dans certains quartiers ont repris lagestion des cantines, qui sont aujourd’hui très largement autofinancées, même sices femmes espèrent obtenir une aide du PAM. Il ne faut donc pas dresser unbilan trop négatif de l’action des ONG. L’action qu’el<strong>le</strong>s réalisent dans ces zonesest bien souvent colossal, mais il est compliqué d’agir dans <strong>le</strong> court terme engardant toujours pour horizon <strong>le</strong> long terme. Les intérêts sont extrêmementmêlés, souvent inextricab<strong>le</strong>s. Il est en tous cas exclu de rendre <strong>le</strong>s déplacés seulsresponsab<strong>le</strong>s des dysfonctionnements et des conséquences néfastes desprogrammes. Les torts sont comme toujours partagés, et si un phénomène dedépendance se développe chez <strong>le</strong>s déplacés, il en est de même chez <strong>le</strong>s pouvoirspublics.D’autre part, la profusion et la concurrence qui s’établit entre <strong>le</strong>s nombreuxacteurs présents à Los Altos de Cazucá a bien évidemment des conséquencesnégatives sur <strong>le</strong> travail réalisé. Un déplacé affirmait : « Si <strong>le</strong>s ONG qui ont unprojet se coordonnaient, on pourrait obtenir de bien meil<strong>le</strong>urs résultats. Les ONGont trouvé à Cazucá une manière de travail<strong>le</strong>r et de trouver des financements,mais n’ont pas trouvé comment résoudre <strong>le</strong> problème. Il y a même des disputesde territoires. Une enquête a déterminé la présence de 78 ONG. Je ne dis pas que<strong>le</strong>s ONG fassent un mauvais travail, mais cela pourrait être mieux 405 ». Laprofusion d’ONG pose un problème de concurrence, concurrence en terme deterritoire et concurrence en terme de bénéficiaires. Chaque ONG finit par avoir« ses » pauvres, « ses » déplacés. La concurrence se lit très bien au niveau desCBO. L’ONG Fedes travail<strong>le</strong> avec la CBO Revivir al Futuro, alors que Cedepazest soutenu par l’Université Javeriana et présente des projets devant des ONG etdes organisations internationa<strong>le</strong>s. L’ONG Mencoldes travail<strong>le</strong> avec Revivir alFuturo et d’autres CBO de déplacés. Afrodes mène des projets en collaborationavec <strong>le</strong> PAM et Vision Mondia<strong>le</strong>, etc… Les espaces prévus pour la concertationentre ONG ne sont pas de vrais espaces de dialogue. Les tab<strong>le</strong>s rondesorganisées par la UAO de Soacha sont censées être des espaces de concertationentre <strong>le</strong>s différents acteurs humanitaires qui travail<strong>le</strong>nt avec <strong>le</strong>s déplacés, mais la405 Entretien Federico de Cedepaz à los Altos de Cazucá, lundi 3/03/03


269communication ne s’établit en fait pas dans ces espaces où la méfianceréciproque empêche toute coordination et tout échange 406 . La communicationentre ONG dépend plus du hasard des rencontres et des <strong>rapport</strong>s interpersonnelsque d’une véritab<strong>le</strong> volonté de coordination. Au niveau des actions deconsolidation en vue de la légalisation des Altos de Cazucá, <strong>le</strong> manque decommunication est évident. Chaque ONG s’investit dans un projet dans unquartier différent. MSF-E, Vision Mondia<strong>le</strong>, <strong>le</strong> PAM, autant d’ONG quicherchent chacune à assainir la zone et à diminuer <strong>le</strong>s risques de glissement deterrain pour à terme forcer la mairie à affronter <strong>le</strong> problème de la légalisation. Cemanque de coordination est aussi la conséquence de l’absence de planificationde la part des pouvoirs publics. L’absence de politique d’urbanisme, l’absencede planification en terme de logement, de services publics, de système d’égouts,pousse <strong>le</strong>s différents acteurs à agir chacun de <strong>le</strong>ur côté.Réel<strong>le</strong> volonté d’intégration du déplacé ?« Le déplacement s’est transformé avant tout en un mécanisme de survie, derésistance et d’accommodation devant <strong>le</strong>s logiques perverses de la guerre. Cettesituation oblige <strong>le</strong>s déplacés à chercher de façon incessante d’autres territoires,au milieu de l’incertitude et de la méfiance, des si<strong>le</strong>nces, des échangesd’informations entre voisins et des rumeurs, qui rendent plus <strong>le</strong>nt <strong>le</strong>repeup<strong>le</strong>ment des nouveaux espaces sociaux 407 ».Arturo AlapeLe problème de l’intégration des déplacés ne peut pas se poser uniquement d’unpoint de vue matériel. Ce ne sont pas <strong>le</strong>s seu<strong>le</strong>s conditions matériel<strong>le</strong>s etextérieures aux déplacés qui conditionnent son intégration ou non au milieu et àla vie urbaine. L’enquête menée à Bogotá en 1999 408 révélait que 70% desdéplacés arrivés à Bogotá souhaitaient y rester. Dans l’enquête menée à los Altosde Cazucá en 1999 409 , 66% des déplacés affirment vouloir rester à Soacha. Ledésir de rester ou de s’en al<strong>le</strong>r, de s’intégrer ou de retourner, est cependant pluscomp<strong>le</strong>xe qu’un oui ou un non. En effet, plusieurs éléments façonnent cettedécision. L’éloignement par <strong>rapport</strong> au lieu d’origine est un facteur qui fait direaux déplacés qu’ils ne rentreront pas chez eux. Quand <strong>le</strong> déplacé en est à sondeuxième ou troisième déplacement consécutif, qui l’a, à chaque fois, poussé unpeu plus loin de sa région d’origine, il considère en général que <strong>le</strong> retour estpresque impossib<strong>le</strong>. Plus <strong>le</strong> temps écoulé depuis <strong>le</strong> départ de son lieu d’origineest long, plus <strong>le</strong> déplacé sait qu’il lui sera extrêmement diffici<strong>le</strong> de retournerdans son lieu d’origine, étant donné que tout ce qu’il a perdu a certainement été406 Conseil Municipal d’Aide à la Population Déplacée, Soacha, vendredi 14/03/03.407 Arturo Alape, “Desplazados sin tierra”, rubrique Hechos y analisis sur <strong>le</strong> site www.codhes.org.co«El desplazamiento se ha convertido ante todo en un mecanismo de sobrevivencia, de resistencia y deacomodación frente a la perversas lógicas de guerra. Esta situación obliga a los desplazados a buscarincansab<strong>le</strong>mente otros territorios, en medio de la incertidumbre y de las desconfianzas, los si<strong>le</strong>ncios, losseñalamientos entre vecinos y los rumores, que hacen más <strong>le</strong>nto el repoblamiento de nuevos espaciossocia<strong>le</strong>s».408 Alcaldia Mayor de Santa Fe de Bogotá D.C., « Santa Fe de Bogotá, Población desplazada.Investigación », Bogotá, 1999, 120p.409 Archidiocèse de Bogotá, Codhes, « Desplazados, Huellas de nunca borrar », Bogotá, juin 1999, 174p.


270récupéré par d’autres. Cependant, c’est souvent l’impossibilité des gens àrepartir qui <strong>le</strong>ur fait dire qu’ils veu<strong>le</strong>nt rester, c’est la peur de retourner vers unavenir incertain, de retrouver l’insécurité. Ce n’est pas vraiment <strong>le</strong> désir de resterdans l’agglomération métropolitaine. Les conditions de vie sont loin d’êtrerêvées en vil<strong>le</strong> et <strong>le</strong> lieu d’origine reste toujours dans l’imaginaire du déplacécomme un paradis perdu. Sa vie est fractionnée entre un avant idéalisé et unaprès du déplacement. Roberto raconte qu’il aimerait repartir. « Là-bas, ontrouvait toujours moyen de se débrouil<strong>le</strong>r, d’avoir de l’argent, et on vivait bien.Ici, tout coûte de l’argent. Là-bas, on va pécher, on va chasser […]. La terre duPacifique est saine. Ici il y a de la drogue, des bandes de délinquants 410 ».Le déplacé à Bogotá et à Soacha est souvent plus dans une logique de survie qued’intégration. Il s’intègre de fait à la vie urbaine car il sait que <strong>le</strong> retour n’est paspossib<strong>le</strong>, du moins pas dans un avenir proche. Le retour est souvent rêvé, dansun avenir à moyen ou long terme, fonction du rétablissement des conditions desécurité et de la fin du conflit. Federico explique qu’il faut : « Améliorer <strong>le</strong>sconditions de vie pour vivre moins mal : ne pas laisser un sol de terre battue quin’est pas du tout hygiénique (et donc cou<strong>le</strong>r une dal<strong>le</strong> de ciment sur <strong>le</strong> sol,ndl)… On s’organise mais ça ne veut pas dire qu’on veuil<strong>le</strong> rester. Le problèmeen location : il faut payer tous <strong>le</strong>s mois. On ne sait pas toujours où trouverl’argent. Il vaut mieux acheter. En plus, certaines ONG demandent que l’on aitune parcel<strong>le</strong> pour pouvoir recevoir de l’aide. Ceux qui achètent, ce n’est paspour rester, mais pour vivre mieux pour l’instant 411 ». Le désir de rester ou des’en al<strong>le</strong>r est donc extrêmement comp<strong>le</strong>xe. Les déplacés raisonnent sur plusieurséchel<strong>le</strong>s de temps. Le futur moyen et proche est souvent envisagé dans la vil<strong>le</strong>. Ily a donc une nécessité de l’intégrer à la vie urbaine et à se stabiliser, mais <strong>le</strong>futur lointain est imaginé ail<strong>le</strong>urs. Le déplacé ne se sent pas appartenir auquartier de réception même après plusieurs années. Les déplacés arrivanttoujours dans <strong>le</strong>s pires quartiers de la vil<strong>le</strong>, cela ne stimu<strong>le</strong> évidemment pas sonenvie de rester et de s’intégrer. Dans l’enquête menée aux Altos de Cazucá, 24%des déplacés affirment vouloir al<strong>le</strong>r dans un autre lieu, en général rural, et 10%seu<strong>le</strong>ment affirment vouloir retourner dans <strong>le</strong>ur lieu d’origine.Perspectives ?L’étude comparative menée au niveau local permet de réaliser que <strong>le</strong>problème des déplacés, dépendant théoriquement d’une politique nationa<strong>le</strong> miseen place par la Présidence de la République, est en fait géré en grande partie àéchel<strong>le</strong> loca<strong>le</strong>, ce qui explique <strong>le</strong>s disparités de statut et de traitement desdéplacés. L’intégration des populations déplacées à l’agglomération urbaine deBogotá pose des problèmes non résolus en matière d’aménagement du territoire,d’urbanisme, de gestion de la pauvreté, de légalisation et de consolidation desquartiers d’invasion. La Nation, <strong>le</strong> District et <strong>le</strong> municipe de Soacha se montrentextrêmement timides pour mener une politique d’aide et d’intégration. Unproblème d’une tel<strong>le</strong> amp<strong>le</strong>ur et d’une tel<strong>le</strong> comp<strong>le</strong>xité demanderait au contraireun engagement énergique. Avec <strong>le</strong> gouvernement mis en place par <strong>le</strong> nouveauprésident Alvaro Uribe Ve<strong>le</strong>z, <strong>le</strong> problème n’est plus d’intégrer à l’aire urbaineces populations déplacées, mais de <strong>le</strong>s renvoyer dans <strong>le</strong>s zones rura<strong>le</strong>s. Cettesolution qui serait idéa<strong>le</strong> dans un contexte de paix, paraît autoritaire d’autant410 Entretien avec Roberto d’Afrodes à los Altos de Cazucá, mardi 4/03/03.411 Entretien avec Federico de Cedepaz à los Altos de Cazucá, lundi 3/03/03.


plus qu’Alvaro Urbibe mène une politique d’intensification de la guerre. Cettepolitique est à la fois l’aveu d’un échec devant la non intégration des populationsdéjà installées à Bogotá, et l’affirmation d’une politique pragmatique, Bogotá nepouvant continuer à recevoir des populations pauvres. C’est éga<strong>le</strong>mentcertainement une stratégie de « réoccupation » du territoire national. Despopulations qui fuient permettent une avancée plus rapide des groupes insurgéssur <strong>le</strong> territoire. Dans la mesure où <strong>le</strong> territoire est habité, la conquête est plusdiffici<strong>le</strong> et la mise en place d’une domination plus longue. La politique menée ausujet des déplacés est donc contradictoire si el<strong>le</strong> est considérée à travers <strong>le</strong>prisme de l’intégration. El<strong>le</strong> est au contraire la partie intégrante d’une stratégiede guerre si el<strong>le</strong> est vue comme une reconquête du territoire.Quoiqu’il en soit, étant donnée la comp<strong>le</strong>xité du problème de l’intégration de cespopulations à l’agglomération urbaine, étant donnée la faib<strong>le</strong> volonté des acteurspolitiques à ce sujet, étant donnée la faib<strong>le</strong>sse des moyens financiers disponib<strong>le</strong>s,l’intégration des déplacés dans <strong>le</strong>s périphéries de Bogotá se réalise rarement. Siintégration il y a, el<strong>le</strong> se fait à la vil<strong>le</strong> informel<strong>le</strong>, mais très rarement à la vil<strong>le</strong>formel<strong>le</strong>. Les déplacés, marginaux de la société colombienne, se retrouventmarginaux d’un point de vue économique et géographique.Les récentes é<strong>le</strong>ctions municipa<strong>le</strong>s en Colombie ont entraîné de profondschangements au niveau de la mairie de Bogotá. En effet, Luis Eduardo Garzon,membre du Pô<strong>le</strong> Démocratique de Gauche, a été <strong>le</strong> premier candidat de gauche àgagner <strong>le</strong>s é<strong>le</strong>ctions municipa<strong>le</strong>s de Bogotá <strong>le</strong> 22 octobre 2003. Luis EduardoGarzon vient d’un milieu social très modeste. Il a commencé sa vieprofessionnel<strong>le</strong> en tant que coursier dans une grande entreprise pétrolière,Ecopétrol, s’est investi dans <strong>le</strong>s syndicats et est fina<strong>le</strong>ment devenu président dela Centra<strong>le</strong> Unitaire des Travail<strong>le</strong>urs (CUT) en 1996. Son entrée en politique sefait donc suite à un long parcours syndicaliste. C’est une trajectoire plusqu’atypique pour la Colombie, mais qui rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong>s événements é<strong>le</strong>ctorauxrécents des pays voisins. ‘Lucho’ Garzon propose en tous cas un programmebeaucoup plus social que ses prédécesseurs et contraste étrangement avec <strong>le</strong>président récemment élu, Alvaro Uribe. Dans ses premiers discours, il par<strong>le</strong> déjàde redistribution plus équitab<strong>le</strong> des richesses, de régulation du phénomèned’urbanisation illéga<strong>le</strong> par la construction de logements sociaux, de meil<strong>le</strong>urespolitiques d’attention aux déplacés. Il faut à présent attendre de voir commentces bel<strong>le</strong>s déclarations égalitaires seront mises en oeuvre.271


272PARTIE IIIPREMIER BILAN SUR LA REPONSE DESACTEURS HUMANITAIRES EN MILIEUURBAINUn état des lieuxCette relation comp<strong>le</strong>xe et paradoxa<strong>le</strong> entre la vil<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s conflits et <strong>le</strong>développement de l’être humain est certainement un des enjeux majeurs du XXIième sièc<strong>le</strong>. Le monde politique, militaire, économique, du développement et del’humanitaire sont autant d’acteurs jouant un rô<strong>le</strong> déterminant dans cettedynamique.Une série de travaux de recherche opérationnel<strong>le</strong> sur des zones et des contextesdifférents, une revue attentive des politiques des grandes organisationshumanitaires et organismes internationaux 412 ainsi qu’une série d’entretiensmenés avec des acteurs opérationnels et des chercheurs nous amènent néanmoinsà conclure de manière provisoire que la spécificité de l’action humanitaired’urgence en milieu urbain, n’est encore que peu voire pas traduite formel<strong>le</strong>mentdans <strong>le</strong>s orientations généra<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s stratégies d’interventions de ceux-ci.Bien que conscients de l’enjeu et des défis représentés par la vil<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>sannées à venir, <strong>le</strong>s acteurs humanitaires ne semb<strong>le</strong>nt pas encore prêts, parmanque d’expertises et/ou de ressources, à porter une réf<strong>le</strong>xion globa<strong>le</strong> sur ladynamique propre d’interventions urbaines afin de mieux appréhender et derépondre de manière plus spécifique aux besoins dans un tel contexte.Une tentative d’explicationLes réponses évoquées par nos interlocuteurs lors de nos entretiens sur <strong>le</strong>slimites, voire <strong>le</strong> manque de prise en compte du milieu urbain chez <strong>le</strong>s acteurshumanitaires nous amènent à distinguer trois hypothèses pouvant clarifier cetétat de fait :- une certaine tradition- une connaissance insuffisante du milieu urbain- des a priori.412 Les organisations humanitaires regroupant :- <strong>le</strong>s agences de l’Organisation des Nations Unies généra<strong>le</strong>ment opérationnel<strong>le</strong>s lors de réponseshumanitaires : <strong>le</strong> HCR, <strong>le</strong> PAM, l’UNICEF, <strong>le</strong> PNUD et l’OMS- <strong>le</strong> CICR- <strong>le</strong>s organisations non gouvernementa<strong>le</strong>s de type MSF, ACF, CARE, Oxfam, etc.Les organismes internationaux tels que la Banque mondia<strong>le</strong> et l’Organisation de coopération et dedéveloppement économique qui ont un rô<strong>le</strong> dans la politique humanitaire.


273Une certaine tradition• L’action et l’urgenceLes acteurs humanitaires ont traditionnel<strong>le</strong>ment trouvé <strong>le</strong>ur légitimité d’actiondans l’urgence, cherchant à porter secours à des populations victimes etsouffrant des conséquences directes d’un conflit. Dans l’absolu donc, <strong>le</strong> mode defonctionnement de ces organisations favorisait l’immédiateté bien souvent aurisque de négliger une réf<strong>le</strong>xion approfondie et consolidée dans <strong>le</strong> temps; end’autres mots, il fallait être présent, <strong>le</strong> premier arrivé et <strong>le</strong> dernier parti sur <strong>le</strong>sterrains conflictuels. Pour des raisons parfois moins avouab<strong>le</strong>s, il fallaitéga<strong>le</strong>ment être visib<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> théâtre des opérations; l’exigence venant alors biensouvent des bail<strong>le</strong>urs de fonds incitant <strong>le</strong>s acteurs humanitaires à agir.Ainsi, des populations urbaines affectées par un conflit, ont bénéficié d’uneassistance humanitaire, parfois massive, et standardisée.Notons qu’avec la professionnalisation du milieu humanitaire, la comp<strong>le</strong>xité etla nature des conflits, l’action humanitaire s’est peu à peu accompagnée d’undébut de réf<strong>le</strong>xion plus large sur son impact, ses enjeux et ses modesd’interventions. Les acteurs humanitaires se doivent d’être plus critiques dans<strong>le</strong>urs interventions, de rendre des comptes aux bail<strong>le</strong>urs et aux bénéficiaires(«accountability») ainsi que de tirer <strong>le</strong>s <strong>le</strong>çons pour <strong>le</strong>s expériences futures(«<strong>le</strong>sson-<strong>le</strong>arnt process»).Appliquée au milieu urbain conflictuel, et bien que cette réf<strong>le</strong>xion soitd’actualité, el<strong>le</strong> reste cependant lacunaire, voire un peu confidentiel<strong>le</strong>; laconceptualisation (formalisation), la documentation et la publication desexpériences apprises sont rares, car perçues encore comme non-prioritaires. Lesinterventions actuel<strong>le</strong>s dans <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s en guerre ou en situation post-conflictuel<strong>le</strong>sont généra<strong>le</strong>ment des actions réactives à des problèmes.• La tradition ruralisteL’action humanitaire s’est durant de longues années focalisée sur <strong>le</strong> monde rural;porter assistance à des victimes d’origine majoritairement rura<strong>le</strong> et redynamiser<strong>le</strong>s campagnes pour reconstruire un pays affecté par un conflit et restaurer sacapacité d’autosuffisance alimentaire. Les actions de réhabilitation ont, parexemp<strong>le</strong>, <strong>le</strong> plus souvent consisté en distributions d’outils, de semences et autrematériel nécessaire au monde rural.Petit à petit s’est développée dans de nombreuses organisations humanitaires uneexpertise voire une tradition ruraliste; <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur exemp<strong>le</strong> est la présence quasiobligatoire d’ingénieurs en génie rural et/ou d’agronomes dans <strong>le</strong>s équipeschargées de mettre en place des programmes d’assistance aux populationsaffectées.Avec <strong>le</strong>s guerres en ex-Yougoslavie dans <strong>le</strong>s années 1990, <strong>le</strong>s humanitaires sesont trouvés «parachutés» dans un environnement moderne et urbanisé.Confrontés à de nouveaux paradigmes, ils ont dû repenser non sans difficultés<strong>le</strong>urs politiques d’action, <strong>le</strong>urs modes d’interventions et <strong>le</strong>urs programmes.


274• Une formation du personnel décalée par <strong>rapport</strong> aux impératifs urbainsIl est symptomatique de constater que <strong>le</strong>s formations données au personnelhumanitaire ainsi que la littérature qui lui est conseillé de lire 413 laisse encore àpenser que <strong>le</strong>s acteurs humanitaires restent avant tout des «urgentistes ruraux».Le camp, de réfugiés ou de déplacés, devient ainsi <strong>le</strong> champ de prédi<strong>le</strong>ction pourtoute formation de référence, de codifications et de normes devant préparer <strong>le</strong>personnel au départ. En ce sens, <strong>le</strong> camp est une «création» des acteurshumanitaires; il se bâtit <strong>le</strong> plus souvent sur un espace vierge, se structure etfonctionne selon la volonté, <strong>le</strong>s moyens et la vision des constructeurs, tel<strong>le</strong> unemachine. Les humanitaires cherchent à y imposer bien souvent <strong>le</strong>urs normes,critères et règ<strong>le</strong>s selon des schémas de santé publique bien établis; au risque dedétruire des hiérarchies socia<strong>le</strong>s et des mécanismes de solidarité locaux.Cette approche de constructeur et de maître du champ d’intervention n’est pasou n’est que très partiel<strong>le</strong>ment, applicab<strong>le</strong> en milieu urbain où la vil<strong>le</strong>, marquéepar <strong>le</strong>s conséquences du conflit, conserve néanmoins ses racines, son histoire etcertaines modalités de son fonctionnement. Les humanitaires seraient dès lorscontraints de prendre un peu plus en compte ce contexte pré-existant et de s’yadapter avant de définir une politique de formation et d’intervention cohérente.Une connaissance insuffisante du milieu urbain• Le fonctionnement de la vil<strong>le</strong>Les acteurs humanitaires sont conscients du fonctionnement comp<strong>le</strong>xe de la vil<strong>le</strong>mais n’ont pas une connaissance approfondie de ce milieu. Nous serions tentésde souligner que nous ne pouvons comprendre la vil<strong>le</strong> qu’à travers une pluralitéde disciplines : économie, urbanisme, histoire, politique, ethnologie, sociologie,géographie … Les organisations humanitaires ne sont encore aujourd’hui quetrop peu enclines à s’ouvrir à de nouveaux types d’expertise; seu<strong>le</strong>s véritab<strong>le</strong>sclés possib<strong>le</strong>s pour <strong>le</strong> défi et l’enjeu que représente la vil<strong>le</strong> en situation deconflit.• Les mécanismes de survieLa population urbaine (résidente et/ou déplacées) développe des mécanismes desurvie qui lui sont propres pour tenter de s’adapter à toute nouvel<strong>le</strong> situation ousituation résurgente (chronicité du conflit). La période du conflit et la période detransition que s’en suit ne mettent pas fin à ces mécanismes et <strong>le</strong>s rendent mêmesouvent plus comp<strong>le</strong>xes.413 Handbook for Emergencies, Geneva, UNHCR, 2000, SPHERE project; Refugee Health, anapproach to emergency situations, MSF, Mc Millan education, 1997, etc.


275Pour <strong>le</strong>s humanitaires, il est essentiel de comprendre et d’analyser cesmécanismes comp<strong>le</strong>xes. L’analyse et l’assistance à une population urbaine nepeut pas être une simp<strong>le</strong> translation de cel<strong>le</strong> pratiquée à des populations rura<strong>le</strong>s;<strong>le</strong>s habitudes, <strong>le</strong>s moyens de survie des populations sont différents.• Les parcours comp<strong>le</strong>xes des individusLa migration définitive ou temporaire des populations affectées par un conflit estbien souvent en soi un des mécanismes de survie. Ces mouvements migratoiresrépondent généra<strong>le</strong>ment à des schémas circulaires comp<strong>le</strong>xes; l’individu estcontraint de se déplacer plusieurs fois entre son lieu d’origine et sa destinationfina<strong>le</strong> d’exil. Parfois, ces mouvements sont même des mouvements«pendulaires»; l’individu cherche à retourner sur son lieu d’origine, sur sesterres, de manière régulière, pour tenter d’y cultiver des moyens de subsistance.Des a priori• L’aide humanitaire en vil<strong>le</strong> favoriserait l’exode ruralIl est encore trop fréquemment admis chez <strong>le</strong>s acteurs humanitaires que l’actionen milieu urbain en temps de conflit attirerait une population rura<strong>le</strong> désireused’en bénéficier («pulling factor»). Cette théorie tend à s’avérer erronée face aucaractères temporaire et multipolaire des migrations vers <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> caractèreendogène de la croissance urbaine, la prégnance des relations vil<strong>le</strong>s-campagne et<strong>le</strong>s enjeux de <strong>le</strong>urs articulation, etc. Il n’en demeure pas moins un certain apriori des organisations humanitaires à développer une réel<strong>le</strong> politique et uncadre d’intervention en milieu urbain.• L’aide humanitaire en milieu urbain cib<strong>le</strong>rait un environnement nonprioritaireLe milieu rural a longtemps été considéré comme l’environnement <strong>le</strong> plusvulnérab<strong>le</strong> lors d’un conflit et par conséquent nécessitant une action prioritaire.La vil<strong>le</strong>, synonyme de concentrations des emplois, des services et doncfavorisant <strong>le</strong>s possibilités de survie, ne représenterait donc pas a priori <strong>le</strong> champprioritaire des actions humanitaires.“In many parts of the world, the urban are not better off than the rural poor, and areequally disadvantaged with regard to income, education, health care, food, and shelter,and to securing their basic rights to a decent living.” 414• L’aide humanitaire en milieu urbain s’avérerait impuissante devant desphénomènes de masseLes acteurs humanitaires doivent «cib<strong>le</strong>r» <strong>le</strong>s plus vulnérab<strong>le</strong>s pour <strong>le</strong>ur fournirune assistance appropriée. Ce processus s’avère de plus en plus comp<strong>le</strong>xe face àdes phénomènes hétérogènes affectant une large part de la population citadine414 The Oxfam Handbook of Development and Relief, Vol. 1, Oxfam publications, 1995


276aux prises avec <strong>le</strong>s conséquences directes d’un conflit. Cette superpositiond’hétérogénéité et de masse contraint <strong>le</strong>s humanitaires dans un premier temps àchanger <strong>le</strong>ur gril<strong>le</strong> d’évaluation de la vulnérabilité. Ensuite, <strong>le</strong>s volumes et <strong>le</strong>smoyens humains et financiers à mobiliser, afin d’atteindre <strong>le</strong>s objectifs, peuventêtre parfois disproportionnés par <strong>rapport</strong> aux capacités des organisations qui dèslors préfèrent renoncer à une intervention.Une certaine prise de conscienceIl serait néanmoins incomp<strong>le</strong>t, voire erroné de penser que <strong>le</strong>s acteurshumanitaires sont absents de la vil<strong>le</strong> en situation conflictuel<strong>le</strong>. Les réponseshumanitaires en milieu urbain existent, bien que souvent réactives, et ne sont pasfondées sur une stratégie d’interventions urbaines avec ses caractéristiquespropres.Ainsi, il nous est apparu évident, lors de nos entretiens, que si la vil<strong>le</strong> affectéepermettait effectivement <strong>le</strong> «déploiement» d’une assistance dans <strong>le</strong> domaine dela santé curative, la nutrition, l’eau et l’assainissement à destination del’ensemb<strong>le</strong> de la population et reposant sur des infrastructures pré-existantes ; <strong>le</strong>sservices plus individualisés (la distribution alimentaire, l’habitat, …), nécessitantun ciblage précis et des programmes adaptés étaient beaucoup plus parcellaireset souvent inadéquats.Notons par exemp<strong>le</strong> que l’unité Eau et Habitat du CICR souligne que : «dans <strong>le</strong>sprogrammes CICR mis en place depuis <strong>le</strong> début des années 1990, on observeune tendance croissante à la mise en oeuvre de programmes en milieu urbain quicomportent des projets plus sophistiqués et plus coûteux pour, notamment, <strong>le</strong>ssystèmes de traitement, de purification et de distribution d’eau» 415 .Néanmoins, dans <strong>le</strong>ur phase d’évaluation, <strong>le</strong>s acteurs humanitaires ne semb<strong>le</strong>ntpas encore être toujours parvenus à considérer la vil<strong>le</strong> en situation conflictuel<strong>le</strong>comme une réalité spécifique nécessitant une approche globa<strong>le</strong> de sonfonctionnement et une analyse différenciée de ses caractéristiques propres.IllustrationsNous nous proposons d’illustrer nos propos par <strong>le</strong>s résultats de notre recherchebibliographique sur <strong>le</strong>s quelques orientations généra<strong>le</strong>s urbaines définies par desopérateurs humanitaires ainsi que par une analyse schématique des programmesréalisés en vil<strong>le</strong>.415 Référence : Eau et Habitat : introduction, 01.03.2000 disponib<strong>le</strong> sur site internet www.icrc.org


277Orientations généra<strong>le</strong>s définies par <strong>le</strong>s opérateurs humanitairesL’Organisation des Nations Unies et ses agences• L’Assemblée généra<strong>le</strong>El<strong>le</strong> adopte en été 2001, soit cinq ans après la Conférence Habitat II à Istanbul,la résolution 416 portant sur : «la Déclaration sur <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s et autresétablissements humains en ce nouveau millénaire».Ce texte affirme :…«55. Décidons en outre de nous attaquer aux problèmes que posent <strong>le</strong>s guerres, <strong>le</strong>sconflits, <strong>le</strong>s réfugiés et <strong>le</strong>s catastrophes anthropiques pour <strong>le</strong>s établissements humainset nous engageons, grâce à un renforcement des mécanismes de coopérationinternationa<strong>le</strong>, à aider <strong>le</strong>s pays qui se relèvent d’un conflit ou d’une catastrophe, ennous attachant tout particulièrement à fournir logements et autres services de base, enparticulier aux groupes vulnérab<strong>le</strong>s, aux réfugiés et aux personnes déplacées dans <strong>le</strong>urpropre pays ainsi qu’en facilitant <strong>le</strong> rétablissement de la sécurité d’occupation et desdroits de propriété;»…• Le Haut-Commissariat aux réfugiés (UNHCR) 417En 1997, l’organisation des Nations Unies chargée de la protection des réfugiésa introduit une politique spécifique concernant <strong>le</strong>s réfugiés en milieu urbain:«UNHCR Policy on refugees in urban areas» 418L’objectif de ce document était de fournir des lignes directrices clairesconcernant la fourniture d’assistance et l’introduction de solutions spécifiquespour <strong>le</strong>s réfugiés en milieu urbain. Les différents thèmes suivants sont abordés :<strong>le</strong> fait de résider dans zones urbainesla nature de l’assistance dans <strong>le</strong>s zones urbaines<strong>le</strong>s solutions pour <strong>le</strong>s réfugiés vivant dans <strong>le</strong>s zones urbaines<strong>le</strong>s mouvements/déplacements entre <strong>le</strong>s paysl’assistance après un mouvement/déplacement irrégulier<strong>le</strong> retour après un mouvement/déplacement irrégulierla réponse à des vio<strong>le</strong>nces ou des protestations vio<strong>le</strong>ntes.En décembre 2001, <strong>le</strong> HCR a sorti un document évaluant la réalisation sur <strong>le</strong>terrain de la politique des réfugiés en milieu urbain 419 ; celui-ci souligne ladifficulté de mettre en oeuvre sur <strong>le</strong> terrain, la ligne de conduite préconisée et <strong>le</strong>sconséquences négatives que cel<strong>le</strong>-ci a pu avoir dans certains cas sur la protectionet <strong>le</strong> bien-être des réfugiés. Les conclusions de ce document conduisent <strong>le</strong> HCRà revoir sa ligne de conduite et à élaborer en septembre 2003 un nouveau416 Résolution S-25/2417 United Nations High Commissioner for Refugees418 Ce document : UNHCR Policy on refugees in Urban Areas daté du 12 décembre 1997 remplace <strong>le</strong>document : UNHCR Comprehensive Policy on Urban Refugees daté du 25 mars 1997. Il peut seconsulter sur <strong>le</strong> site www.unhcr.ch, en annexe du document de Crisp J. et Obi N. 2001, «Evaluation ofthe imp<strong>le</strong>mentation of UNHCR’s policy on refugees in urban areas». EPAU/2001/10419 J. Crisp and N. Obi, Evaluation of the imp<strong>le</strong>mentation of UNHCR’s policy on refugees in urbanareas, UNHCR evaluation and policy analysis unit, EPAU/2001/10, 2001


278document intitulé : «Protection, solutions and assistance for refugees in urbanareas / Guiding princip<strong>le</strong>s and good practice».Bien que cette politique existe et qu’el<strong>le</strong> ait fait l’objet en été 2002 dediscussions entre différentes organisations non gouvernementa<strong>le</strong>s et <strong>le</strong> HCR 420 ,il nous a néanmoins été affirmé durant nos entretiens 421 que la prise en comptespécifique de la probématique des réfugiés en milieu urbain demeurait margina<strong>le</strong>et considérée comme non prioritaire pour l’organisation face aux défis qu’el<strong>le</strong>doit re<strong>le</strong>ver en ce début de sièc<strong>le</strong> : <strong>le</strong> financement de ses opérations et <strong>le</strong>renforcement de la protection léga<strong>le</strong> des réfugiés, dans l’après 11 septembre2001. En 2004, <strong>le</strong> HCR axe sa politique généra<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> principe de «solutionsdurab<strong>le</strong>s» pour <strong>le</strong>s réfugiés; ainsi quatre axes prioritaires sont définis (aussinommée <strong>le</strong>s quatre «R») : <strong>le</strong> rapatriement, la réintégration, la réhabilitation et lareconstruction.• Le Programme alimentaire mondial (PAM/WFP 422 )Le programme alimentaire mondial qui est dans <strong>le</strong> système des Nations Unies,l’agence chargée de l’aide alimentaire, a rédigé en mars 2002 un importantdocument concernant l’insécurité alimentaire urbaine 423 . Essentiel<strong>le</strong>ment basésur une approche de politique de développement, <strong>le</strong> document donne desrecommandations concernant <strong>le</strong>s programmes d’urgence («EmergencyProgramming Considerations») en soulignant <strong>le</strong>s points suivants :“52. …. Even in the midst of conflict, WFP needs to work with its partners (thegovernment, other United Nations agencies, and NGO's) to protect peop<strong>le</strong>’s access toservices, food and other goods.53. In emergency operations with free distribution, care needs to be taken regarding theimpact of food aid programmes on small petty traders and food vendors. …54. Additionally, when disasters affect both rural and urban areas simultaneously, acoordinated programme needs to be imp<strong>le</strong>mented that takes the linkages of both areasinto account. …55. … Advocacy on behalf of the urban destitute needs to be part of the WFP’s dialoguewith all partners.56. Any programming of food assistance, whether direct distribution or activity-baseddistribution, needs to take into account the changes brought about insecurity andconflict to the livelihoods of those affected ”Reconnaissant la problématique croissante de l’insécurité alimentaire en milieuurbain, <strong>le</strong> PAM souligne néanmoins dans son document, qu’il considère que lamajorité de ses interventions continuera d’être concentrées dans <strong>le</strong> milieu rural.420 J. Crisp and N. Obi, Report of a UNHCR/NGO workshop, EPAU/2002/09, August 2002421 M. Jeff Crisp : chef de l’unité d’évaluation et politique au HCR et M. Vincent Lacour : anciencollaborateur du HCR (cfr liste d’entretiens : annexe 1)422 Programme alimentaire mondial/World Food Program423 Urban food insecurity : strategies for WFP, WFP /EB.A/2002/5-B, march 2002


279Les organismes internationaux• La Banque mondia<strong>le</strong>Suite à la Conférence d’Istanbul, Habitat II, la Banque mondia<strong>le</strong> rédige sastratégie pour <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s col<strong>le</strong>ctivités territoria<strong>le</strong>s 424 .Le résumé en français du document fait référence au contexte conflictuel, maisceci uniquement dans <strong>le</strong>s annexes 425 .«Secours d’urgence aux vil<strong>le</strong>s et reconstruction à la suite de conflitsActivités de prêt et autres visant à prévenir et atténuer <strong>le</strong>s catastrophes naturel<strong>le</strong>s(tremb<strong>le</strong>ments de terre, inondations, ouragans, éruptions volcaniques, incendies deforêts, sécheresse) dont sont victimes <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s, et à réagir à <strong>le</strong>urs effets ainsi qu’auxeffets de désastres technologiques (marées noires, gros accidents industriels) et auxbesoins de reconstruction à la suite de conflits. Ces activités comprennent lareconstruction des équipements comme l’infrastructure urbaine, la restauration ducapital social et humain, <strong>le</strong> renforcement des capacités nécessaires pour atténuer etprévenir <strong>le</strong>s catastrophes, et la gestion des risques de catastrophes.»Les organisations humanitaires non gouvernementa<strong>le</strong>s (ONG)Nos recherches et <strong>le</strong>s entretiens menés avec différents opérateurshumanitaires 426 , ont révélé actuel<strong>le</strong>ment une absence de politique sur l’actionhumanitaire en milieu urbain.Les deux organisations Oxfam et CARE de développement mais éga<strong>le</strong>mentsouvent présentes dans des situations post-conflictuel<strong>le</strong>s abordent <strong>le</strong> milieuurbain dans <strong>le</strong>urs stratégies d’action et <strong>le</strong>urs publications mais sans évoquer laproblématique particulière du milieu urbain affecté par un conflit. Le manuel sur<strong>le</strong> développement et <strong>le</strong> secours d’ Oxfam, par exemp<strong>le</strong>, aborde <strong>le</strong>s spécificités dumilieu urbain concernant entre autres <strong>le</strong>s moyens d’existence («urbanlivelihoods») et la santé. Ce document conserve néanmoins une approcheessentiel<strong>le</strong>ment basée sur <strong>le</strong> développement; la problématique du milieu urbainaffecté par un conflit et la réponse humanitaire d’urgence n’y sont pas abordés.L’organisation CARE donne une importance grandissante à ses programmesvisant à réduire la pauvreté urbaine et à ses recherches analysant la participationdes plus pauvres dans la gouvernance : «CARE International UK works in urbanareas to reduce poverty by embracing the comp<strong>le</strong>xity and contradictions thosecities present» 427 .Mais dans cette organisation éga<strong>le</strong>ment, la problématique particulière de la vil<strong>le</strong>affectée par un conflit n’est pas abordée.424 «Cities in Transition. World Bank Urban and Local Government Strategy» qui repose sur l’idée que<strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s sont en première ligne de la campagne menée pour lutter contre la pauvreté et exploiter <strong>le</strong>spossibilités du développement425 «Vil<strong>le</strong>s en transition», Résumé, Stratégie de la Banque mondia<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s et <strong>le</strong>s col<strong>le</strong>ctivitésterritoria<strong>le</strong>s, p.33426 Médecins sans Frontières (MSF), Médecins du Monde (MDM), Action contre la Faim (ACF)427 CARE international, site internet: www.careinternational.org.uk


280Le Comité International de la Croix-Rouge (CICR)Il n’existe, à ce jour, aucune politique écrite d’assistance et de protectionspécifique des populations en milieu urbain.Cette thématique a néanmoins été sou<strong>le</strong>vée dans diverses unités de la DivisionAssistance 428 , en particulier dans l’unité Eau et Habitat et l’unité Sécuritééconomique, cette dernière stipulant dans <strong>le</strong>s objectifs 2003 :«The EcoSec Unit will define a policy and operational guidelines with respect to workin urban areas, with specific emphasisation on targeting » 429Notons que faute de ressources humaines et de temps alloués, cet objectif a étéabandonné au cours de l’année mais figure à nouveau aux objectifs de l’exercice2004.La Division Assistance est occupée à élaborer (décembre 2003) une nouvel<strong>le</strong>politique des programmes d’assistance du CICR, qui vise à clarifier l’action duCICR dans <strong>le</strong> nouvel espace humanitaire actuel, à définir des principesdirecteurs et à proposer des stratégies et des directives opérationnel<strong>le</strong>s. Laspécificité de la réponse humanitaire en milieu urbain est prise en compte dansce processus de réf<strong>le</strong>xion et débouchera sur une politique opérationnel<strong>le</strong> propre àces contextes.Réalisations humanitaires en milieu urbain : approches comparéesAu travers de l’analyse des programmes d’interventions de différentesorganisations ainsi que sur base de nos entretiens, nous tentons ici deschématiser <strong>le</strong>s types de programmes humanitaires développés en milieu urbain,en se basant sur la typologie de vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong> et vil<strong>le</strong>-refuge.Ensuite, nous reprenons <strong>le</strong>s deux exemp<strong>le</strong>s 430 proposés pour illustrer <strong>le</strong>srésultantes humanitaires afin de présenter <strong>le</strong>s réalisations humanitaires mis enoeuvre dans ces deux contextes : Grozny (vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong>) et Kinshasa (vil<strong>le</strong>sanctuaire).Dans ce cas-ci, l’exemp<strong>le</strong> s’articu<strong>le</strong> autour des réalisation de deux organisationshumanitaires : <strong>le</strong> CICR, proposant un large spectre d’activités et MSF, plusspécialisé dans <strong>le</strong> domaine de la santé.428 La Division de l’Assistance du CICR est composé de l’ unité Eau et Habitat, l’unité Santé et l’unitéSécurité économique429 CICR, Planning for Results 2003 de l'Unité Ecosec, document interne430 Source : Rapports annuels CICR et MSF 2000,2001,2002, disponib<strong>le</strong>s sur <strong>le</strong>s sites web respectifs


281ModélisationVil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong>Vil<strong>le</strong>-sanctuaireOBJECTIFSPREMIERSPROGRAMMESEauSUBSTITUTION – servicesdirects –(=>protection de la vie)Distributions (camionnage, eauen bouteil<strong>le</strong>, ...Amélioration del’approvisionnement et de laqualité (chlorinage, …)Soutien aux structures etservices encore en fonction(fourniture de combustib<strong>le</strong> pour<strong>le</strong>s stations de pompage, salairespour <strong>le</strong> personnel)SOUTIEN – support auxstructures et services +"capacity building"(=>protection des moyensd’existence)Amélioration de la qualité(chlorinage, soutien auxlaboratoires d’analyse, …)Soutien aux structures etservices encore en fonction(fourniture de combustib<strong>le</strong> pour<strong>le</strong>s stations de pompage, salairespour <strong>le</strong> personnel)AssainissementConstruction et remise en état(latrines, système de traitementdes eaux d’égout)Organisation de l’éliminationdes déchets (col<strong>le</strong>cte ettraitement)Soutien aux structures etservices (salaires et matériel, ...)Sensibilisation à l’hygiènepublique et aux risques liés àl’eauHabitatDistribution de tentes et/ou debâches en plastique et dematériel de constructiond'urgenceRefus de participer à unurbanisme d’urgenceAménagement/réhabilitationde centres col<strong>le</strong>ctifs(exceptionnel<strong>le</strong>ment pour deshabitats individuels)Soutien aux famil<strong>le</strong>s hôtes (cash for shelter, ….)SantéHôpital indépendant(substitution directe de soinscuratifs (chirurgie de guerre, ...)Soutien aux structures etservices encore fonctionnels(mise à disposition de personnel,de consommab<strong>le</strong>s, de matériel,transports, ...)Soutien aux structures etservicesSensibilisation à l’hygiènepublique


282SécuritéEconomiqueDistribution alimentaire auxinstitutions (hôpitaux,orphelinats, etc.)Distribution alimentaire et nonalimentaire aux ménages :secours d’urgence massif(«emergency relief»)Développement de programmesde protection/conservation ducapital productif des ménagesDéveloppement de programmesde sécurité économique visant àlimiter la décapitalisation etl'appauvrissement (coupons,agronomie urbaine, ...)Distribution alimentaire et nonalimentaire : rationscomplémentaires<strong>le</strong> cas de Grozny (vil<strong>le</strong>-cib<strong>le</strong>) et <strong>le</strong> cas de Kinshasa (vil<strong>le</strong>-sanctuaire)Grozny2000/2001Kinshasa2000/2001CICREau etassainissementSupport aux infrastructures :1. réhabilitation de la stationde pompage de la vil<strong>le</strong>,points de distributions d’eaupotab<strong>le</strong> ont été multipliés etaménagés grâce à laréhabilitation partiel<strong>le</strong> duréseau; <strong>le</strong>s structureshospitalières ont bénéficié enpriorité du soutien nécessaireen approvisionnement et enstockage d’eau potab<strong>le</strong> parl’installation de citernessoup<strong>le</strong>s et de camionnageSupport auxinfrastructures :La production d’eau estaugmentée de 50% grâceà la révision de 3 lignesde production de l’usinede Ndjili et de 8 stationssecondaires, assurantainsi un approvisionnementminimum régulier àquelque 4 millions deKinois2. support à Vadacanal(organe gouvernementalchargé de la production et dela distribution de l’eau) afind’améliorer sa capacité àfaire face au travail deréhabilitation des systèmesde distribution d’eau potab<strong>le</strong>et d’évacuation des eauxusées


283SantéAssistance en matériel etmédicaments essentiels auxhôpitaux et auxinfrastructures de santéprimaire de la vil<strong>le</strong>Assistance à 3 hôpitaux :matériel chirurgical etmédicaments essentielsAssistance aux hôpitauxet centres de santéprenant en chargedéplacés et vulnérab<strong>le</strong>sAccord de collaborationgénéral établi avec <strong>le</strong>sMinistères de la Défenseet de la SantéSécuritééconomiqueAide alimentairecomplémentairecorrespondant à 50% desbesoins nutritionnelsFourniture de produits depremières nécessités(hygiène, couvertures,bougies, matériel de cuisine,…)Assistance alimentaires etnon-alimentaires à desinstitutions socia<strong>le</strong>s(personnes agées ethandicapées, éco<strong>le</strong>s,hôpitaux)Assistance alimentairepour <strong>le</strong> camp de déplacéssitué en périphérie deKinshasaDonation de médicaments etde matériel à 5 hôpitaux etune maternitéDonations demédicaments et matériel :5 hôpitaux & 1 maternitéSoutien à 5 centres detraitement du sidaMSFSantéSupport à 2 cliniquestraitant <strong>le</strong>s maladiessexuel<strong>le</strong>menttransmissib<strong>le</strong>s (MST)Support à 22 centres desanté intervenant dans <strong>le</strong>sMST


284Du développement à l’action humanitaire : des pistes de réf<strong>le</strong>xionLes années 1980 ont certes poussé l’humanitaire au détriment d’une politiqued’engagement étatique de développement et pour certains experts la misère estmême devenue un problème de charité, donc celui des humanitaires, plus qu’unproblème de développement 431 .Les agences internationa<strong>le</strong>s ont proposé une stratégie de développement urbain(Programme pour l’habitat (CNUEH/UNCHS) qui, avec la prise en compte desdynamiques urbaines pourraient constituer des pistes de réf<strong>le</strong>xion pertinentespour <strong>le</strong>s humanitaires.Nous nous bornons à <strong>le</strong>s énumérer ci-après :a) La nécessité de reconnaître la vil<strong>le</strong> comme moteur de la reconstruction; s’atte<strong>le</strong>rà la reconstruction d’un pays suite à un conflit passe nécessairement par lareconstruction des vil<strong>le</strong>s en tant que moteurs et centres des pouvoirs politiques,économiques et sociaux;b) La nécessité de reconnaître <strong>le</strong>s spécificités inhérentes à chaque vil<strong>le</strong> (<strong>le</strong> mode defonctionnement des vil<strong>le</strong>s). Les vil<strong>le</strong>s sont comme des individus; el<strong>le</strong>s ont unmode de fonctionnement commun, mais ont éga<strong>le</strong>ment chacune <strong>le</strong>urs spécificitésque <strong>le</strong>s acteurs humanitaires doivent prendre en compte lorsqu’ils veu<strong>le</strong>ntévaluer et agir dans de tels contextes;c) La nécessité de reconnaître l’interdépendance entre <strong>le</strong> monde rural et <strong>le</strong> mondeurbain. Agir en milieu urbain a des répercussions sur <strong>le</strong> monde rural etinversement. Cette interdépendance doit être analysée lors de l’élaboration destratégies d’intervention humanitaire;d) La nécessité de renforcer <strong>le</strong>s capacités et <strong>le</strong>s institutions. Agir en mode desoutien aux structures doit être privilégié au mode de substitution directe desservices lorsque cela est possib<strong>le</strong>;e) La nécessité de décentraliser <strong>le</strong>s stratégies d’intervention humanitaire; identifierde nouveaux interlocuteurs et partenaires locaux, tel<strong>le</strong>s que <strong>le</strong>s gouvernementslocaux, pour entamer un dialogue et une collaboration;f) La nécessité de s’ouvrir à la participation communautaire, en considérant sesrisques, ses avantages et ses opportunités;Notons que pour <strong>le</strong>s trois derniers points, la présence d’un acteur exogène estune condition sine qua non dans l’hypothèse où <strong>le</strong>s acteurs internes ne sont plusneutres et impartiaux : Kigali, la Bosnie ou Beyrouth.Tout en gardant à l’esprit que l’action humanitaire ne dispensent que des soinsdits «palliatifs», mais non moins nécessaires, dans des contextes et situationsplus spécifiques, ces cinq pistes de réf<strong>le</strong>xion ne font que compléter l’analyse desenjeux plus globaux que représente un développement durab<strong>le</strong> des sociétés.431 de Senarc<strong>le</strong>ns P., 1999, L’humanitaire en catastrophe, Paris, Presses de Science Po


285CONCLUSIONA travers ce projet, nous proposons un cadre d’analyse destiné prioritairement àdes acteurs humanitaires afin qu’ils se familiarisent avec <strong>le</strong>s caractéristiques debase et la logique de fonctionnement sous-tendant la vil<strong>le</strong> affectée par un conflitet qu’ils soient ainsi davantage en mesure de répondre de manière consciente(appropriée et plus efficace) à une crise humanitaire dans ce contexte spécifique.Il s’agit aussi d’un premier travail de capitalisation autour de six études deterrain qui ont été menées avec la collaboration des organisations nongouvernementa<strong>le</strong>s et des populations affectées par <strong>le</strong>s conflits.Cette démarche nous a donc permis de mieux comprendre la place actuel<strong>le</strong> de lavil<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s conflits modernes et dans la réponse humanitaire et propose un«état des lieux»de la problématique.La vil<strong>le</strong> : enjeux des conflitsForce et fragilité de la vil<strong>le</strong>La notion de comp<strong>le</strong>xité, largement assimilée au fonctionnement de la vil<strong>le</strong>, est àla fois <strong>le</strong> garant d’un développement et d’un bien-être durab<strong>le</strong>s mais peutéga<strong>le</strong>ment s’avérer une des sources de vulnérabilité urbaine lorsque la vil<strong>le</strong> sefragilise en situation de conflit; cela est particulièrement patent dans <strong>le</strong>s pays endéveloppement où <strong>le</strong>s métropo<strong>le</strong>s, considérées comme <strong>le</strong> stade ultime del’urbanisation, survivent dans une situation de crise perpétuel<strong>le</strong> proche du conflitinsurrectionnel. La vil<strong>le</strong> d’aujourd’hui est donc souvent «victime» de son propredéveloppement, de son rô<strong>le</strong> et de son statut; el<strong>le</strong> peut alors devenir l’enjeu desconflits modernes.La conférence d’Istanbul, Habitat II, a certainement été un moment clé dansl’évolution de la pensée, reconnaissant la vil<strong>le</strong> comme l’outil et <strong>le</strong> véhicu<strong>le</strong> dudéveloppement durab<strong>le</strong>, en adoptant en 1996 <strong>le</strong> Programme pour l’habitat : butset principes, engagements et Plan mondial d’action. En substance, celui-cireconnaissait <strong>le</strong>s enjeux auxquels la vil<strong>le</strong> se trouvait confrontée et qu’el<strong>le</strong> devaits’appliquer à résoudre; il mettait éga<strong>le</strong>ment l’accent sur <strong>le</strong>s mesures correctivesqui devaient être prises entre 1996 et 2000. En 2003, <strong>le</strong>s résultats de cettenouvel<strong>le</strong> politique généra<strong>le</strong> de développement ne sont malheureusementcertainement pas à la hauteur des attentes d’Istanbul mais restent néanmoins unebase de réf<strong>le</strong>xion intéressante pour tout acteur.Cib<strong>le</strong> privilégiéeLa vil<strong>le</strong> du XXI ième sièc<strong>le</strong> ne cesse de se comp<strong>le</strong>xifier, de s’accroître et des’affirmer dans un rô<strong>le</strong> essentiel de moteur d’un développement et comme pivotdans <strong>le</strong>s relations internationa<strong>le</strong>s. Souvent <strong>le</strong> symbo<strong>le</strong> de la concentration despouvoirs et de modernité, el<strong>le</strong> devient aujourd’hui une des piècesincontournab<strong>le</strong>s dans la géostratégie mondia<strong>le</strong> et représente à ce titre une cib<strong>le</strong>


286potentiel<strong>le</strong> voire privilégiée de nombreux enjeux et conflits actuels. Ces dernierspouvant être émergents, chroniques, actifs ou en phase de transition.Stricto sensu il n’existe aucune disposition conventionnel<strong>le</strong> concernant «laprotection de la vil<strong>le</strong> en temps de conflit» dans <strong>le</strong>s textes juridiques du droitinternational humanitaire. Néanmoins par extension, certaines dispositions duDIH peuvent être appliquées à la vil<strong>le</strong> (en partie ou en tout) et à sa population;retenons la protection spécia<strong>le</strong> des biens à caractère civil et/ou à caractèreculturel, la protection spécia<strong>le</strong> de certaines «zones» ainsi que <strong>le</strong>s dispositionscodifiant la protection de la population civi<strong>le</strong> dans son ensemb<strong>le</strong> et <strong>le</strong>spopulations occupées et assiégées.Ces dispositions doivent faire l’objet d’une sensibilisation particulière alors que<strong>le</strong>s conflits actuels prennent de plus en plus pour cib<strong>le</strong> la population civi<strong>le</strong> et <strong>le</strong>sbiens à caractère civil.La vil<strong>le</strong> : un défi pour <strong>le</strong>s humanitairesL’état des lieux et défisPar tradition, méconnaissance et/ou a priori, <strong>le</strong>s organisations humanitaires nesemb<strong>le</strong>nt actuel<strong>le</strong>ment pas encore en mesure ou désireuses de traduire un certainniveau de réf<strong>le</strong>xion et de conscientisation dans des politiques généra<strong>le</strong>s et desstratégies institutionnel<strong>le</strong>s spécifiques à la vil<strong>le</strong>. Se trouvant ainsi à la croisée deschemins, <strong>le</strong>s organisations humanitaires ne pourront plus faire longtempsl’économie, au-delà de la phase d’ajustement actuel, de ne pas se positionnerplus clairement face à la problématique du milieu urbain en situationconflictuel<strong>le</strong>, afin d’y apporter une réponse adéquate. Leur responsabilité estengagée face à ces nouveaux défis.De nouvel<strong>le</strong>s compétences et une réel<strong>le</strong> volonté de s’ajuster au milieu urbainsont des pré-requis indispensab<strong>le</strong>s pour re<strong>le</strong>ver ce défi comp<strong>le</strong>xe et ambitieux !Une certaine prise de conscience : à milieu comp<strong>le</strong>xe, réponse comp<strong>le</strong>xeUne certaine forme de réponse humanitaire en milieu urbain existe mais neforme pas une réel<strong>le</strong> stratégie de réponse adaptée aux caractéristiqueshumanitaires de la vil<strong>le</strong>; cel<strong>le</strong>-ci est encore, dans bien des cas, une juxtapositionde programmes divers, souvent peu coordonnés et sans vision globa<strong>le</strong>. Cetteréponse humanitaire urbaine en devenir est nécessairement comp<strong>le</strong>xe si el<strong>le</strong> seveut adaptée, professionnel<strong>le</strong>, cohérente et nécessite des ressources appropriéesen temps, en financement et en expertise. Pour <strong>le</strong>s humanitaires, il est donccrucial de prendre conscience qu’agir en milieu urbain ce n’est pas agir «enterrain vierge». La vil<strong>le</strong> est marquée par <strong>le</strong>s conséquences d’un conflit, maismême affectée, el<strong>le</strong> conserve <strong>le</strong>s empreintes de son passé, vit avec <strong>le</strong>s stigmatesde son présent, et sème <strong>le</strong>s germes de son (re)-développement dans sonfonctionnement, son organisation spatia<strong>le</strong> et son système social. Cettesurvivance d’un certain nombre de traces de la vil<strong>le</strong> durant <strong>le</strong> conflit est dès lors


287une caractéristique majeure à appréhender lorsque <strong>le</strong>s humanitaires planifientune réponse en milieu urbain; ils doivent en tenir compte et agir en fonction.Ce dernier constat s’articu<strong>le</strong> autour des paramètres suivants :• La vil<strong>le</strong> et son niveau d’influenceLieu de marché et de structuration, largement dépendant d’une zone proche etagrico<strong>le</strong> (la vil<strong>le</strong> moyenne « non urbanisée ») ou lieu de développement desservices et infrastructures, créateur d’un mouvement d’attirance (la vil<strong>le</strong>moyenne « urbanisée ») voire encore noyau indispensab<strong>le</strong> d’un réseau mondialgénérateur des nouvel<strong>le</strong>s relations internationa<strong>le</strong>s (la métropo<strong>le</strong>), la vil<strong>le</strong> a besoinpour vivre, se développer et se régénérer de tisser des liens et des relations avecl’extérieur. El<strong>le</strong> exerce ainsi une influence sur une zone plus ou moins étendue etplus ou moins pluri-fonctionnel<strong>le</strong> selon son niveau de développement etd’urbanisation.Ces niveaux et ces types de relations, plus ou moins influentes, de la vil<strong>le</strong> avecson environnement en situation de paix conditionnent ses mécanismesd’adaptation et <strong>le</strong> jeu des acteurs déterminants, lors d’un conflit.• La vil<strong>le</strong> et son degré d’urbanisation et de fonctionnementNotre recherche confirme qu’à chaque type de vil<strong>le</strong> correspond unfonctionnement propre et qui dépend dans une large mesure du niveaud’urbanisation de cel<strong>le</strong>-ci ainsi l’organisation spatia<strong>le</strong>, <strong>le</strong> système social et <strong>le</strong>niveau de développement des services et infrastructures ne sont pas identiqueslorsque nous analysons la vil<strong>le</strong> moyenne non-urbanisée, la vil<strong>le</strong> moyenneurbanisée ou la métropo<strong>le</strong>.Lors d’un conflit, ce fonctionnement est largement perturbé, voire tota<strong>le</strong>mentdétruit, mais garde néanmoins <strong>le</strong>s traces du passé. La compréhension du systèmesocial pré-existant dans la vil<strong>le</strong> affectée par un conflit semb<strong>le</strong> essentiel<strong>le</strong> et doitre<strong>le</strong>ver d’une attention particulière chez <strong>le</strong>s humanitaires lors de l’analyse ducontexte. Ainsi, <strong>le</strong>s aspects d’intégration versus rejet de l’individu et <strong>le</strong>smécanismes de solidarité, de survie et d’adaptation sont autant de <strong>le</strong>viers oud’obstac<strong>le</strong>s à intégrer lors d’une assistance humanitaire se substituant, en tout ouen partie, aux canaux traditionnels d’entraide (associatifs ou publics).Il demeure donc indispensab<strong>le</strong> de respecter <strong>le</strong>s modes d’organisation socia<strong>le</strong>subsistant lors du ciblage de l’aide selon des critères de vulnérabilité telsqu’utilisés par <strong>le</strong>s humanitaires 432 afin de limiter dans la mesure du possib<strong>le</strong> <strong>le</strong>s432 En Pa<strong>le</strong>stine, <strong>le</strong> CICR a ainsi élaboré un programme d’assistance alimentaire visant <strong>le</strong>s ménages <strong>le</strong>splus vulnérab<strong>le</strong>s de 320 villages en zone péri-urbaines, cette assistance une fois reçue a été redistribuéeparmi tous <strong>le</strong>s habitants des zones.


288effets négatifs de cel<strong>le</strong>-ci et donc de préserver <strong>le</strong>s mécanismes d’adaptationnaturels ou développés par la population.Impacts et conséquences d’une interventionIl est éga<strong>le</strong>ment essentiel de mesurer quel<strong>le</strong>s peuvent être <strong>le</strong>s conséquences,positives ou négatives d’une assistance humanitaire en milieu urbain; cel<strong>le</strong>s-cipeuvent se ressentir à différents niveaux :sur la population; lorsque la hiérarchie socia<strong>le</strong> traditionnel<strong>le</strong> se trouve confrontéeà une intervention humanitaire qui privilégie certains nouveaux groupes de lapopulation; ainsi <strong>le</strong>s jeunes qui trouvent plus faci<strong>le</strong>ment un emploi bienrémunéré chez <strong>le</strong>s acteurs humanitaires et acquièrent de cette façon un nouveaustatut social privilégié ou encore, des segments de la population souventabandonnés à <strong>le</strong>ur sort comme <strong>le</strong>s populations souffrant de pathologies graves,<strong>le</strong>s orphelins et quelquefois <strong>le</strong>s veuves et <strong>le</strong>s femmes et qui deviennent <strong>le</strong>s«cib<strong>le</strong>s» privilégiées d’une aide humanitairesur <strong>le</strong>s services et infrastructures; lorsque par exemp<strong>le</strong> la simp<strong>le</strong> présence de lacommunauté humanitaire dans la vil<strong>le</strong> provoque une hausse importante des coûtsdu logement, des services et de l’alimentationsur <strong>le</strong> pouvoir politique; lorsque l’aide humanitaire est instrumentalisée etutilisée par exemp<strong>le</strong> au profit de celui-ci ou d’un meil<strong>le</strong>ur contrô<strong>le</strong> de lapopulation.Le mode d’intervention privilégiéAgir dans un environnement vivant et moderne est un réel défi pour <strong>le</strong>s acteurshumanitaires; il est en effet essentiel de choisir une stratégie d’interventionadéquate qui s’appuie, non seu<strong>le</strong>ment sur des systèmes subsistants, mais quitienne éga<strong>le</strong>ment compte des forces, des dynamiques et des enjeux, qui existentau-travers d’une société civi<strong>le</strong> survivante, revendicatrice, divisée, organisée ounon, belliqueuse, soumise, participative, démonstrative voire lunatique.Deux types d’acteurs peuvent être identifiés :<strong>le</strong>s acteurs de la vil<strong>le</strong> : <strong>le</strong> gouvernement et l’administration loca<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s ONGloca<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> secteur privé, <strong>le</strong>s églises, <strong>le</strong>s groupements féminins, <strong>le</strong>s associationsde quartier, <strong>le</strong>s coopératives, <strong>le</strong>s élites, etc. qui sont encore présents ounouvel<strong>le</strong>ment arrivés durant la période de conflit et qui se (re)-développent enpériode de transition<strong>le</strong>s acteurs internationaux : <strong>le</strong>s organismes internationaux, <strong>le</strong>s organisationshumanitaires non gouvernementa<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> mouvement de la Croix-Rouge, <strong>le</strong>sinvestisseurs privés, l’ONU, <strong>le</strong>s organisations politiques régiona<strong>le</strong>s.La stratégie la plus adéquate dans un tel contexte est certainement une approcheparticipative faite de collaboration et de coopération qui doit être privilégiée àune réponse «clé-en-main», imposée, non négociée et généra<strong>le</strong>ment peu durab<strong>le</strong>.


289Trop souvent, <strong>le</strong>s acteurs humanitaires internationaux ignorent encore <strong>le</strong>spouvoirs, institutions et organisations locaux comme partenaires potentiels, en selimitant à une coordination quasi exclusive entre eux. Cette approcheparticipative est néanmoins à nuancer lorsque <strong>le</strong>s acteurs locaux apparaissentcomme trop polarisés, perdant ainsi <strong>le</strong>ur impartialité et <strong>le</strong>ur discernement.Face à cette multiplication des acteurs et dans une situation de conflit puis detransition, <strong>le</strong> défi des acteurs humanitaires est donc de trouver des mécanismesadéquats et performants de coordination; ceux-ci devant intégrer <strong>le</strong>s objectifs, <strong>le</strong>sfonctions et <strong>le</strong>s niveaux d’engagement et de responsabilités de chaque acteur.Le di<strong>le</strong>mme de l’action humanitaire en milieu urbainConscients des caractéristiques propres de la «vil<strong>le</strong> du passé», antérieure auconflit, et choisissant une stratégie d’intervention adaptée à cel<strong>le</strong>-ci, <strong>le</strong>s acteurshumanitaires restent confrontés à un di<strong>le</strong>mme majeur : <strong>le</strong> but de l’actionhumanitaire est-il de faire revivre la vil<strong>le</strong> du passé ou de participer au redéveloppementde la vil<strong>le</strong> du futur ?Si <strong>le</strong> but est clairement de participer à la vil<strong>le</strong> du futur, il reste à savoir commentmaintenir <strong>le</strong>s liens de continuité avec <strong>le</strong> passé, ce qui fait partie intrinsèquementdu développement durab<strong>le</strong> et de la résilience (<strong>le</strong> fait de savoir survivre à un choctout en acceptant la transformation créée par celui-ci).


290RAPPORT FINANCIER FINAL


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292


293


294AcronymesACFCICRAction contre la FaimComité International de la Croix-RougeCNUEH/UNCHS Centre des Nations Unies pour <strong>le</strong>s établissements humainsDIHFMIHCR/UNHCRMDMMSFDroit International HumanitaireFonds Monétaire InternationalHaut-Commissariat aux RéfugiésMédecins du MondeMédecins sans frontièresOCDEOMSONGOSIONUPAM/WFPOrganisation de Coopération et de Développement EconomiqueOrganisation Mondia<strong>le</strong> de la SantéOrganisation(s) non gouvernementa<strong>le</strong>(s)Organisation de Solidarité Internationa<strong>le</strong>Organisation des Nations UniesProgramme Alimentaire MondialPNUDDéveloppementProgramme des Nations Unies pour <strong>le</strong>UNESCO Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et laCultureUNICEFFonds des Nations Unies pour l’Enfance

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