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séismes préhistoriques en SuisseLes sédiments situés sous le lacde Lucerne, en Suisse, ont révélél’histoire sismique de cette régiondepuis 15 000 ans.M. S<strong>ch</strong>ellmann • F. AnselmettiD. Giardini • J. McKenzie • N. Ward«Mardi 18 septembre 1601, peu avantdeux heures du matin, un tremblementde terre d’une violenceeffroyable secoua les environs deLucerne… De mémoire d’homme,la région n’avait jamais connu untel séisme, et aucune <strong>ch</strong>ronique n’indique qu’il s’en soitjamais produit par le passé ». C’est ainsi que le citoyen suisseRenward Cysat, témoin oculaire de la catastrophe, commençale rapport où il décrivit en détails l’un des séismesles plus violents survenus en Europe centrale. Les dégâtsfurent considérables dans une grande partie de la Suisse,et le séisme fut ressenti en France, en Allemagne et en Italie.D’après les sismologues, la magnitude du tremblementde terre de Lucerne aurait atteint 6,2 sur l’é<strong>ch</strong>elle deRi<strong>ch</strong>ter, soit une intensité comparable à celle du séismequi a frappé le Maroc au mois de février dernier.On connaît certaines régions à risques de séismes violents,en Californie par exemple, mais qui croirait que laSuisse est menacée par des tremblements de terre? Le risquesismique n’est d’ailleurs pas perçu par les autorités helvétiquesavec la même acuité que le risque lié aux avalan<strong>ch</strong>esou aux inondations. Pourtant, l’étude des ar<strong>ch</strong>iveshistoriques montre que le pays a connu plusieurs tremblementsde terre de grande ampleur, provoquant des dégâtsmatériels et des pertes en vies humaines. En 1356, parexemple, une grande partie de la ville de Bâle fut engrande partie détuite par un séisme d’une rare violence.1. Le lac de Lucerne n’est pas considéré comme une zone sismiqueà risque. La ville de Lucerne (au premier plan) a pourtant subi untremblement de terre destructeur en 1601. Les ar<strong>ch</strong>ives géologiques ontrévélé que plusieurs séismes ont frappé la région depuis la préhistoire.3


2. L’activité sismique est la plus intense le long des frontières quiséparent les plaques tectoniques (en rose), mais certains séismes violentssurviennent aussi au milieu des plaques. Les points rouges indiquentles séismes dont la magnitude a dépassé 5,5, survenus depuis 1973.N2 kilomètresReconstructionde la topographiedu fond du lac3. La te<strong>ch</strong>nique de la sismique-réflexion a permis de dresserla carte détaillée des structures sédimentaires du lac de Lucerne.Cette te<strong>ch</strong>nique utilise un transducteur acoustique fixé sous la coqued’un navire. Celui-ci émet une impulsion sonore qui est partiellementréflé<strong>ch</strong>ie par le fond du lac et par les interfaces qui séparent lescou<strong>ch</strong>es sédimentaires de compositions différentes. Ce même transducteurcapte les faibles é<strong>ch</strong>os qui remontent en surface, et qui sontenregistrés. Le relevé des profils sismiques le long d’un maillage denselong de 300 kilomètres a permis aux auteurs de cartographier la répartitiondes sédiments dans la zone Ouest du lac.Comment peut-on quantifier les risques, et par là-mêmeles moyens à investir dans des mesures antisismiques, sil’on a pas une idée précise de la fréquence et de l’intensitédes tremblements de terre dans une région donnée ? Jusqu’àrécemment, le catalogue des séismes passés se fondaitexclusivement sur des mesures sismiques et desdocuments historiques. Or, en Suisse, le premier sismographene fut installé qu’en 1911, et les ar<strong>ch</strong>ives historiquescouvrent à peine le dernier millénaire. Concernantdes événements dont la fréquence et de l’ordre de un tousles 1000 ans, ces deux sources d’informations, bien que précieuses,sont insuffisantes pour qu’une carte précise deszones à risques soit dressée. Ce problème se pose en faitdans toutes les régions situées loin des frontières de plaquestectoniques, frontières où surviennent l’essentiel des séismes.Pour recenser les tremblements de terre passées survenusloin des frontières de plaques, la seule solution consisteà étendre aux temps préhistoriques le catalogue des événementsconnus. Pour ce faire, nos ancêtres de l’Âge depierre n’ayant laissé aucune description de séismes, il nousfaut découvrir et interpréter les ar<strong>ch</strong>ives géologiques laisséespar les tremblements de terre. C’est ce que nous avonsfait en sondant le fond du lac de Lucerne. En dressant unecarte tridimensionnelle précise de la topographie des cou<strong>ch</strong>esde sédiments enfouis, nous avons établi l’histoire sismiquede la région, jusqu’à des temps préhistoriques. Ces étudesde terrains, couplées à des simulations numériques, nousont également permis de reconstituer précisément le scénariod’un tremblement de terre autour du lac.<strong>Des</strong> séismes enregistrésau fond des lacsLes sédiments lacustres, parce qu’il enregistrent avec unegrande sensibilité les conditions environnementales du passé,comptent parmi les ar<strong>ch</strong>ives géologiques les plus précieuses.Dans la zone du lac de Lucerne, les sédiments s’accumulentà la vitesse de un millimètre par an, et cela depuis plusieursmillénaires. La composition de ces cou<strong>ch</strong>es sédimentairescontient de nombreuses informations sur les conditions localesqui prévalaient au moment où les sédiments se sont déposés.Par exemple, les pollens happés par les boues sédimentairesdu fond du lac donnent des indices sur l’évolution dela végétation au voisinage du lac. De même, des cou<strong>ch</strong>es àgros grains renseignent sur les époques où des inondationsont véhiculé des débris sableux jusqu’au lac.En provoquant des glissements de terrain sur les pentesimmergées situées à la périphérie des lacs ou des océans,les tremblements de terre laissent aussi des traces permanentesdans les dépôts sédimentaires. À cet égard, l’exemplele plus célèbre est le séisme des Grands Bancs qui, en 1929,atteignit une magnitude de 7,2 et déclen<strong>ch</strong>a un gigantesqueglissement de terrain sous-marin, au large de Terre-Neuve. L’écoulement soudain de sédiments le long de lapente continentale entraîna suffisamment de matériauxpour rompre plusieurs câbles téléphoniques, coupantainsi des lignes de communications transatlantiques. Parailleurs, ce glissement de terrain engendra un tsunami.Connaissant ces événements, nous avons supposé que les4© POUR LA SCIENCE - N° 319 MAI 2004


sédiments déposés au fond de lacs suisses avaient gardé lamémoire des événements sismiques du passé.Une secousse laisse de nombreux indices : des stalactitesdans des grottes peuvent se rompre, des ro<strong>ch</strong>ers enéquilibre instable se renverser, des pentes escarpées devenirinstables, et des sols sablonneux s’éffondrer. Toutefois,certains de ces événements peuvent avoir des causesdiverses: une stalactite peut se déta<strong>ch</strong>er sous l’effet de sonpropre poids, et un glissement de terrain peut résulter defortes pluies. Ainsi, les paléosismologues re<strong>ch</strong>er<strong>ch</strong>ent d’abordle mécanisme déclen<strong>ch</strong>eur et, s’il s’agit bien d’un séisme,ils datent les structures qu’il a laissées.Pour ce faire, nous avons étudié le compte rendu deCysat sur le séisme de 1601. Le matin qui suivit la secousse,le fonctionnaire parcourut à <strong>ch</strong>eval les berges du lac pourévaluer les dégâts. Il décrivit le <strong>ch</strong>aos dont il fut témoin :« Le long du lac, nous avons observé des bateaux, des arbres,des plan<strong>ch</strong>es, des tubes et d’autres objets qui avaient étéentraînés et rejetés sur la berge, 50 pas [40 à 50 mètres] audelàde la limite normale de l’eau, et étaient ainsi projetésNordjusqu’à deux halberds [trois ou quatre mètres] au-dessusdu niveau du lac… Plus près, en direction de la ville, nousavons vu des gens ramasser des poissons qui avaient étéprojetés sur la berge… À Lucerne, les bateaux s’étaient déta<strong>ch</strong>ésdes embarcadères et avaient rompu leurs amarres. Ilsdérivaient rapidement… Comme un fait surnaturel, le courantde la Reuss, [la rivière qui normalement s’écoule dulac de Lucerne] s’inversait six fois par heure. »En outre, Cysat rapporta que l’eau de la rivière qui sépareles deux parties de la ville disparut presque complètement,de sorte «qu’on pouvait traverser le lit de la rivièreen se mouillant à peine les pieds… De plus, les moulins [àeau] cessèrent de tourner. » Cysat nota également que« des montagnes et des collines subaquatiques que l’on pouvaitvoir et tou<strong>ch</strong>er avec des barres lorsque le niveau del’eau du lac était bas, avaient été fragmentées et entraînéesdans les profondeurs ».À la lecture de ce récit, on imagine sans difficulté quedes traces durables de l’événement ont dû subsister au fonddu lac. Nous en étions d’autant plus persuadés qu’au débutSud10 mètres10 mètres200 mètresOuestEst200 mètres4. <strong>Des</strong> profils sismiques ont été obtenus selon deux trajectoires(Nord-Sud et Ouest-Est) de navigation du navire (les deux lignes rougessur la figure 3). Ils révèlent des dépôts différents associés à des effondrementsdes berges du lac (les zones colorées). On repère leszones d’activité sismique (les zones en couleur) pace qu’elles sontassez homogènes et ne présentent pas l’alternance régulière decou<strong>ch</strong>es sédimentaires sombres et claires présentes ailleurs. En prélevantdes carottes sédimentaires, on peut dater les principaux événementssismiques (les plus anciens sont représentés en jaune, lesplus jeunes en violet).© POUR LA SCIENCE - Géologie5


PUBdes années 1980, les <strong>ch</strong>er<strong>ch</strong>eurs du Laboratoire de limnogéologiede l’Institut fédéral de te<strong>ch</strong>nologie de Zuri<strong>ch</strong>,avaient découvert, au fond du lac, deux vastes dépôts résultantd’un glissement de boue subaquatique, et qu’ils lesavaient attribués au séisme de 1601.En 1996, l’une d’entre nous (Judith McKenzie) reprit cetravail. Avec Flavio Anselmetti, elle découvrit plusieursdépôts associés à des glissements, dont bon nombreétaient plus profonds, et donc plus anciens, que ceux étudiésprécédemment. Il apparut rapidement que ces dépôtsanciens dataient d’époques préhistorique, et que si nousparvenions à distinguer les glissements provoqués pardes tremblements de terre, des glissements dus à d’autresphénomènes géoclimatiques, nous aurions un accès directà l’histoire sismique de la région de Lucerne.Par hasard, à cette époque, Domenico Giardini re<strong>ch</strong>er<strong>ch</strong>aitjustement un tel catalogue sismique pour détermineroù, quand et avec quelle fréquence étaient survenus lesgrands tremblements de terre. Lorsque F. Anselmetti rapportales découvertes faites sur le lac de Lucerne, il compritimmédiatement que ces dépôts pouvaient être autant d’indicesrévélateurs des séismes survenus dans le passé lointainde la Suisse. Ayant défini l’objectif et la stratégie de cettere<strong>ch</strong>er<strong>ch</strong>e, nous avons commencé notre exploration.À la re<strong>ch</strong>er<strong>ch</strong>edes séismes passésEn juin 2001, M. S<strong>ch</strong>nellmann et F. Anselmetti ont étudiéles sédiments du lac de Lucerne par réflexion sismique.Cette te<strong>ch</strong>nique est semblable à l’écographie utilisée enmédecine : de même qu’un médecin peut observer l’intérieurdu corps humain à l’aide d’ultrasons, un géologuepeut obtenir une image de la structure interne des sédimentsaccumulés sous des masses d’eau, en envoyant des ondessonores vers le fond, de la surface. Une fraction de l’énergiesonore est réflé<strong>ch</strong>ie par les différentes cou<strong>ch</strong>es quicomposent le fond du lac, puis captée par un transducteuracoustique (qui joue à la fois le rôle d’un haut-parleur etcelui d’un microphone). Le signal est enregistré à bord dunavire et nous renseigne sur la structure des sédiments.Nous avons collecté des é<strong>ch</strong>os sismiques sur une distancetotale de plus de 300 kilomètres, le long d’un maillagedense de la surface. Ainsi, nous avons reconstitué unecarte tridimensionnelle des sédiments, identifié la trace descou<strong>ch</strong>es les plus intéressantes et dressé une liste des effondrementssur la totalité de la zone considérée. Nous avonsexclu les bassins qui longent les deltas des rivières, qui peuventêtre le lieu d’effondrements totalement indépendantsdes tremblements de terre.Nous avons découvert des ruptures de pentes, signalantles endroits où d’importantes masses de sédiments sesont affaissées, soit des dépôts de glissement enfouis, auxendroits où le matériau effondré s’est déposé. Effondrementset accumulations sont facilement identifiables sur lesprofils sismiques: les sédiments lacustres qui se sont normalementdéposés présentent des cou<strong>ch</strong>es horizontales,alors que des sédiments bouleversés présentent une structure<strong>ch</strong>aotique, ressemblant aux points blancs d’un écran6© POUR LA SCIENCE - N° 319 MAI 2004


Séisme de 1601 Séisme de –470N2 kilomètres5. Le séisme historique de 1601 (à gau<strong>ch</strong>e) engendra de nombreuxdépôts d’effondrement, dont l’épaisseur varie de moins de cinq mètres (enjaune) à plus de dix mètres (en rouge). Certains dépôts ont une épaisseurintermédiaire (en orange). Dans les zones les plus profondes du lac, cesdépôts sont recouverts d’une cou<strong>ch</strong>e de boue épaisse et homogène (lesha<strong>ch</strong>ures), issue des différents matériaux restés un temps en suspensiondans les eaux du lac. <strong>Des</strong> dépôts similaires sont associés à un tremblementde terre préhistorique (à droite) qui aurait eu lieu en –470.de télévision sans image (voir la figure 4). L’analyse desprofils enregistrés révéla que de nombreux dépôts nouvellementdécouverts se situaient au même niveau que ceuxmis en évidence par l’équipe de l’Institut fédéral de te<strong>ch</strong>nologiede Zuri<strong>ch</strong> et qui concernaient le séisme de 1601.De fait, l’horizon sédimentaire correspondant à cet événementcontient au moins 13 effondrements importants, indiquantque ce tremblement de terre a déclen<strong>ch</strong>é un glissementsyn<strong>ch</strong>rone sur toute l’étendue du lac. En outre, nous découvrîmesqu’au centre de deux sous-bassins distincts, cesdépôts de glissement étaient recouverts de cou<strong>ch</strong>es de bouehomogène, atteignant par endroits jusqu’à deux mètresd’épaisseur. Cette masse de sédiments est sans doute restéequelque temps en suspension dans les eaux du lac, avantde se déposer sur le fond.Partant de l’hypothèse que les tremblements de terre demagnitude égale ou supérieure à celle du séisme de 1601ont laissé des dépôts similaires, nous avons rapidementdécouvert, à quelques trois mètres sous le fond du lac, unhorizon contenant 16 effondrements distincts. Dans troissous-bassins différents, ces dépôts étaient recouverts d’uneépaisse quantité de boue homogène, ce qui allait dans lesens de vestiges laissés par un violent séisme. Nous étionsde plus en plus persuadés qu’il s’agissait de vestiges d’unviolent séisme préhistorique.Une autre observation nous a permis d’éliminer l’hypothèsed’une origine plus banale: certains des restes de cesanciens glissements se trouvaient au pied des pentes de deuxcollines subaquatiques, l’une d’entre elles se trouvantmême à environ 85 mètres sous la surface. <strong>Des</strong> événementsplus ordinaires, tels que des vagues déclen<strong>ch</strong>ées par une tempêteou par une inondation de grande ampleur, auraientcertes pu déclen<strong>ch</strong>er des glissements en périphérie du lac,mais ils n’auraient jamais déstabilisé de pentes situées profondeset éloignées du rivage. Il n’y avait aucun doute,nous avions bien trouvé les traces d’un ancien tremblementde terre. Un examen plus approfondi de nos enregistrementsrévéla trois autres séismes anciens de magnitude importante.Quand les tremblements de terre que nous avonsidentifiés se sont-ils produits ? Pour répondre à cettequestion, nous avons prélevé des é<strong>ch</strong>antillons des différentsdépôts de glissement enfouis sous le fond du lac, àplus de 150 mètres sous la surface. Nous avons effectué desprélèvements dans divers dépôts de glissement, ainsi quedans des sédiments non perturbés. Nous avons ensuiteanalysé en laboratoire huit carottes de sédiments, longuesde 8 à 10 mètres, et provenant de deux sous-bassins. Commenous nous y attendions, les tremblements de terre se sontmanifestés par des dépôts <strong>ch</strong>aotiques et recouverts decou<strong>ch</strong>es de boue homogène. Ces tran<strong>ch</strong>es caractéristiquesdans la carotte contrastaient avec les cou<strong>ch</strong>es horizontalesexistant ailleurs dans les sédiments.Un séisme, il y a 14 000 ansPour déterminer l’âge des sédiments, nous avons d’abordextrait les feuilles et les petits morceaux de bois des sédimentsnon perturbés, situés immédiatement au-dessus, et nous lesavons datés au carbone 14. Nous avons tiré d’autres informationsde deux cou<strong>ch</strong>es de cendres volcaniques trouvéesdans les sédiments, cendres que nous avons associées à deséruptions volcaniques préhistoriques de l’Est de la Franceet de l’Ouest de l’Allemagne. En combinant toutes nosinformations, nous avons calculé l’âge des dépôts de glissementet des quatre tremblements de terre qui les avaient occasionnés.Nous avons ainsi déterminé que des tremblementsde terre s’étaient produits vers –470, –7 820, –11960 et –12610.Notre étude des sédiments du lac de Lucerne a révéléune partie de la longue histoire sismique de cette région. Ellen’a cependant pas répondu à quelques questions importantesposées par la description du tremblement de terre de 1601:comment expliquer les mouvements dont l’eau du lac sembleavoir été animée ? <strong>Des</strong> glissements de boue subaquatiquesde l’ampleur constatée peuvent-ils déplacer suffisammentd’eau pour produire des vagues de quatre mètres de hauteur? Ces vagues, qui s’apparentent à des tsunamis, présentent-ellesun risque réel pour les riverains du lac?Pour évaluer la nature et l’amplitude des vagues envisageablesdans le lac de Lucerne après un séisme, nous avonsfait des simulations numériques des tsunamis. Ces vagues© POUR LA SCIENCE - Géologie7


N–3 0 3Hauteur (en mètres)6. Une simulation numérique révèle comment une simple rupturesur la berge d’un lac (zone ha<strong>ch</strong>urée) et le dépôt d’effondrementrésultant (contour en jaune), tels ceux qui ont été causé par le séismequi a eu lieu en –470, engendrent en surface une perturbation de typetsunami. Une minute après l’effondrement de la berge, l’amplitude de lavague atteint presque six mètres (à gau<strong>ch</strong>e). La vague se propage rapidementà partir du site où elle s’est formée, parcourant environ deux kilomètresdans deux des bras du lac durant la minute suivante (aucentre). Trois minutes après le début de la simulation, la majeure partiede la perturbation se limite au bras Nord-Ouest du lac (à droite).destructrices résultent généralement de grands déplacementsde sédiments au fond de la mer. Si les tsunamisocéaniques ont été étudiés et sont relativement bien comprises,les mouvements d’eau dans un lac l’ont rarement été.Nous avons <strong>ch</strong>oisi de modéliser l’effet tsunami duglissement subaquatique de –470. Nous avions dressé unecarte détaillée de l’un des endroits où le fond du lac avaitcédé, et retracé le mouvement des sédiments et la géométriedu dépôt résultant ; ces informations étaient suffisantespour reconstituer avec précision cette ancienne rupture(voir la figure 5). Nos données sismiques ont montré que leglissement a laissé une cicatrice haute de neuf mètres surla rive du lac. Il a ensuite déplacé un volume de sédimentséquivalent à un cube de 100 mètres de côté et une fractionde cette boue a parcouru latéralement une distance atteignantpar endroits 1 500 mètres.L’eau du lac simuléeDe plus, notre simulation numérique a fait apparaître desvagues de plus de trois mètres, qui ont frappé la riveopposée au site de rupture une minute après le déclen<strong>ch</strong>ementdu glissement (voir la figure 6). Leur longueur d’ondea dû dépasser un kilomètre, soit une situation très différentede celle des vagues de surface engendrées par le vent (lesvagues de notre simulation ressemblent à des montagnesd’eau s’élevant au centre des sous-bassins, exactementcomme l’a décrit le témoin oculaire des événements de 1601).Dans son rapport Cysat mentionne aussi des inversionsde l’écoulement normal du lac, au rythme de six parheure. Autrement dit, la période du mouvement de l’eaufut d’environ 10 minutes. Curieusement, c’est plus de dixfois plus lent que la période des tsunamis virtuels de notremodèle numérique. Nous pensons que ces oscillations desurface, ayant une période de 10 minutes, ne se sont établiesqu’au bout d’un certain temps, témoignant des mouvementsd’allers et retours de l’eau à la surface du lac. Lapériode des mouvements de résonance d’une grande massed’eau dépend de la géométrie du bassin. Le vent et les <strong>ch</strong>angementsde pression atmosphérique sont connus pour engendrerdes oscillations similaires, quoi que de plus faibleamplitude. Ces ondulations dues aux conditions météorologiquesdu lac de Lucerne ont été étudiées dès la fin duXIX e siècle, et ont révélé des déplacements caractéristiquesde 10 minutes, superposés à deux périodes d’oscillationplus longues. Il est légitime de penser que les mouvementsdus au séisme présentaient également ces périodes.Notre étude a permis de déterminer avec précision lescaractéristiques de l’événement de 1601. De surcroît, nousavons, pour la première fois, reconstitué l’histoire sismiquede la région de Lucerne en étudiant les dépôts sédimentairesdu fond du lac. Cependant, diverses questions restentouvertes. Quels ont été les épicentres des séismes passés?Quelle a été leur magnitude ? Pour y répondre, il faudraétudier d’autres enregistrements des séismes du passé.Par <strong>ch</strong>ance, la Suisse centrale dispose, grâce à ses lacs, detels enregistrements préhistoriques indépendants. Chaquelac réagissant un peu différemment des autres aux secousses,l’effet d’un séisme sur un lac doit être calibré à l’aide desévénements historiques. En collaboration avec le Servicesuisse de sismologie, des membres du groupe de limnologiede l’Institut fédéral de te<strong>ch</strong>nologie de Zuri<strong>ch</strong> étudientles empreintes qu’ont laissées, au fond de quatre lacs pluspetits situés près du lac de Lucerne, les séismes historiqueset préhistoriques. Ils espèrent ainsi en déterminer lesépicentres et les magnitudes.Renward Cysat ne pensait probablement pas que quatresiècles après l’avoir rédigé, son rapport serait le point dedépart d’une étude sismologique qui non seulement apermis d’analyser l’événement dont il fut le témoin, maisa également révélé des tremblements de terre plus anciens.Nous remercions la revue American Scientist de nous avoir aimablementautorisés à publier cet article.Mi<strong>ch</strong>ael SCHELLMANN prépare un doctorat de géologie, à l’Institutfédéral de te<strong>ch</strong>nologie, à Zuri<strong>ch</strong>. Flavio ANSELMETTI est directeurdu Laboratoire de limnologie, et Domenico GIARDINI est professeurde sismologie à l’Institut de géophysique du même institut etdirecteur du Service suisse de sismologie. Judith McKenzie est professeurde sciences de la Terre à l’Institut de géophysique, à Zuri<strong>ch</strong>.Steven Ward mène ses re<strong>ch</strong>er<strong>ch</strong>es sur les ondes sismiques à l’Universitéde Santa Cruz, en Californie.Mi<strong>ch</strong>ael SCHELLMANN et al., Prehistoric earthquake history revealedby lacustrine slump deposits, in Geology, vol 30, pp. 1131-1134, 2002.Steven WARD, Landslide tsunami, in Journal of Geophysical Resear<strong>ch</strong>,vol 106, pp. 11201-11216, 2001.Auteurs & Bibliographie8© POUR LA SCIENCE - N° 319 MAI 2004

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