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Deux mille ans de vie juive au Maroc Agnès Bensimon, Hassan II et ...

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NOTES DE LECTURE•Haïm ZAFRANI<strong>Deux</strong> <strong>mille</strong> <strong>ans</strong> <strong>de</strong> <strong>vie</strong> <strong>juive</strong> <strong>au</strong> <strong>Maroc</strong>(Éd. EDDIF, Casablanca)• <strong>Agnès</strong> BENSIMON<strong>Hassan</strong> <strong>II</strong> <strong>et</strong> les juifs, histoire d’une émigration secrète(Le Seuil, Paris)• Michael M. LASKIERIsraël and the Maghreb. From Statehood to Oslo(University Press of Florida, 2004, États-Unis)Juifs du <strong>Maroc</strong> : racines <strong>et</strong> exo<strong>de</strong>196En 1948, le <strong>Maroc</strong> compte 268 000juifs (contre 140 000 en Algérie où ilsont été naturalisés français par ledécr<strong>et</strong> Crémieux <strong>de</strong> 1870 <strong>et</strong> 110 000en Tunisie). Ils ne sont plus<strong>au</strong>jourd’hui qu’environ 3 000 <strong>au</strong><strong>Maroc</strong> 1 <strong>et</strong> 1 500 2 en Tunisie.L’appel <strong>et</strong> l’organisation <strong>de</strong>« l’Aliya » (Le R<strong>et</strong>our) – en fait uneimmigration sélectionnée – par lesgouvernants du nouvel État d’Israël(1948), puis l’inquiétu<strong>de</strong> suscitée parindépendance (1956) essentiellementreprésentées par un courant nationalisteà fort référent musulmanexpliquent la véritable hémorragie<strong>de</strong> sa population <strong>juive</strong> qu’a connuele <strong>Maroc</strong> <strong>et</strong> la perte <strong>de</strong> tout un pan <strong>de</strong>son i<strong>de</strong>ntité <strong>et</strong> <strong>de</strong> sa culture.Originaire d’Essaouira (ex-Mogador),le professeur Haïm Zafrani, quiest mort à Paris en mars 2004, apendant longtemps dirigé à l’Université<strong>de</strong> Paris V<strong>II</strong>I le Département <strong>de</strong>langue hébraïque <strong>et</strong> <strong>de</strong> civilisation<strong>juive</strong> ainsi que plusieurs groupes <strong>de</strong>recherche à l’Université <strong>et</strong> <strong>au</strong> CNRS.Auteur <strong>de</strong> référence – on lui doitquinze ouvrages <strong>et</strong> quelque cent cinquantearticles – Haïm Zafrani nousperm<strong>et</strong> avec ces <strong>Deux</strong> <strong>mille</strong> <strong>ans</strong> <strong>de</strong> <strong>vie</strong><strong>juive</strong> <strong>au</strong> <strong>Maroc</strong> d’entrer <strong>de</strong> plain-piedd<strong>ans</strong> la <strong>vie</strong> <strong>et</strong> les traditions <strong>de</strong> cescommun<strong>au</strong>tés. On y mesure leur« bipolarité » : d’un côté, une appartenanceincontestable <strong>au</strong> pays ; <strong>de</strong>l’<strong>au</strong>tre <strong>de</strong>s rapports étroits avec lapensée <strong>juive</strong> universelle <strong>au</strong> travers<strong>de</strong> la Bible, du Talmud <strong>et</strong> <strong>de</strong> laHalakhah (prescriptions <strong>de</strong> la Loi).Le judaïsme marocain séfara<strong>de</strong>s’est formé à partir <strong>de</strong> trois strates :d<strong>ans</strong> l’Antiquité – notamment sousl’Empire romain – une populationberbère judaïsée ; avec la conquêtearabe se constitue une commun<strong>au</strong>té<strong>juive</strong> arabophone. Les Juifs sont àl’exception <strong>de</strong> Tanger regroupés d<strong>ans</strong>les mellahs. Ils connaissent commeles Chrétiens, eux <strong>au</strong>ssi « Gens duLivre », le statut <strong>de</strong> « dhimmis » (« protégés.»)A partir <strong>de</strong> 1492 <strong>et</strong> jusqu’en 1497,l’expulsion <strong>de</strong>s Juifs (<strong>et</strong> <strong>de</strong>s Musul-1<strong>Maroc</strong>-Hebdo, n° 638 du 4 <strong>au</strong> 10 février 2005. Simon Lévy qui dirige la Fondationdu Patrimoine culturel judéo-marocain à Casablanca donne le chiffre <strong>de</strong> 5 000.2Regards, revue du Centre Commun<strong>au</strong>taire Laïc Juif <strong>de</strong> Belgique, 4 juin 2004.


NOTES DE LECTUREm<strong>ans</strong>) d’Espagne par la reine Isabellela Catholique entraîne l’arrivée <strong>de</strong>plusieurs vagues <strong>de</strong> megorashim (« expulsés»)<strong>de</strong> langue espagnole qui s’opposerontsur certains points <strong>de</strong> culte<strong>au</strong>x toshabim (<strong>au</strong>tochtones), mais qui,surtout, vont enrichir spirituellement,matériellement <strong>et</strong> intellectuellementles commun<strong>au</strong>tés <strong>et</strong> en constituer<strong>de</strong>s élites qui se m<strong>et</strong>tront <strong>au</strong> service<strong>de</strong>s souverains du <strong>Maroc</strong>.Au fil <strong>de</strong>s siècles, les situationsont considérablement varié en fonction<strong>de</strong>s contextes politiques, <strong>de</strong>sluttes <strong>de</strong> pouvoir <strong>et</strong> <strong>de</strong>s bouleversementsdynastiques qui affectaientl’ensemble <strong>de</strong> la population.Contrairement à Fès où dès Idriss<strong>II</strong> (791-828) les Juifs avaient étéadmis dès le IX e siècle, d<strong>ans</strong> les murailles<strong>de</strong> la ville, Marrakech – fondéepar Ibn Tachfin en 1062 – leur futinterdite jusqu’à ce que le monarqueAhmed Ed Dahabi (1578-1603) les y<strong>au</strong>torise <strong>au</strong> XVI e siècle faisant ainsi<strong>de</strong> la capitale du Sud marocain, « pendant<strong>de</strong> longs siècles, un foyer <strong>de</strong>diffusion <strong>de</strong> la science <strong>juive</strong> pour lesrégions du Sous, <strong>de</strong> l’Atlas <strong>et</strong> <strong>de</strong>svilles <strong>de</strong> la Côte méridionale <strong>de</strong> l’Atlantique».Si, à certaines pério<strong>de</strong>s, notamment<strong>au</strong> X<strong>II</strong> e siècle avec l’avènement<strong>de</strong> l’Almoha<strong>de</strong> Ibn Toumert ou durantles <strong>de</strong>ux années <strong>de</strong> règne (1790-1792) <strong>de</strong> Moulay Yazid, <strong>de</strong>s exactions<strong>de</strong> masse <strong>et</strong> <strong>de</strong>s crimes furentcommis, « ils ne furent pas moinsterrifiants <strong>et</strong> moins décisifs pour lejudaïsme maghrébin que ne le furentles premières croisa<strong>de</strong>s <strong>et</strong> leurs séquellespour le judaïsme européen »écrit Haïm Zafrani.Finalement, la condition <strong>de</strong> dhimmiétait s<strong>ans</strong> doute « dégradante <strong>et</strong>souvent précaire », mais c’était un« statut juridique, somme toute, libéral» avec « un très h<strong>au</strong>t <strong>de</strong>gréd’<strong>au</strong>tonomie judiciaire, administrative<strong>et</strong> culturelle, comparé à celui,arbitraire, que connaissaient les Juifs<strong>de</strong> la chrétienté, en pays ashkenaze».En même temps, les situationsétaient très diverses <strong>et</strong> variaient enfonction <strong>de</strong>s appartenances <strong>de</strong> classe.« Au <strong>Maroc</strong> – souligne Daniel Riv<strong>et</strong>– il y a <strong>de</strong>s Juifs <strong>et</strong> non un Juifabstrait. Et la distance sociale secreuse entre un p<strong>au</strong>vre boutiquierjuif <strong>de</strong> Debdou, lié à un maître musulman(sayyid) engageant son honneurpour lui garantir sa protection(h’imâya) en échange <strong>de</strong> sa soumissionà l’issu d’un pacte scellé par unsacrifice (dhabîha), <strong>et</strong> puis un grandmarchand <strong>de</strong> Tanger négociant lestraites du Sultan <strong>et</strong> jouant sur lestouches du cla<strong>vie</strong>r constitué par unrése<strong>au</strong> juif d’intérêts marchands <strong>et</strong>bancaires entrelacés, <strong>de</strong> Gibraltar àAlexandrie. » 31973Créée en 1860 par <strong>de</strong>s Français <strong>de</strong> confession <strong>juive</strong> – parmi lesquels AdolpheCrémieux – l’Alliance Israélite Universelle qui situait sa démarche d<strong>ans</strong> l’œuvred’émancipation <strong>de</strong> la Révolution française <strong>de</strong> 1789 entendait <strong>de</strong>venir « un centre<strong>de</strong> progrès moral <strong>de</strong> solidarité religieuse <strong>et</strong> <strong>de</strong> protection pour tous ceux qui avaientà souffrir <strong>de</strong> leur condition <strong>de</strong> Juif ». Son programme s’appuyait sur le triptyque« Solidarité-émancipation-regénération ».Particulièrement présente d<strong>ans</strong> la Turquie ottomane (où il y a une école AIU d<strong>ans</strong>chaque commun<strong>au</strong>té <strong>de</strong> 1 000 membres), elle se développe <strong>au</strong> <strong>Maroc</strong> dès 1880grâce à l’ai<strong>de</strong> financière du baron <strong>de</strong> Rothschild.


NOTES DE LECTURE198Différences, voire oppositions, quel’on r<strong>et</strong>rouve <strong>au</strong> plan culturel.D’un côté, les <strong>vie</strong>ux rabbins « quitiennent encore bien en main lesintérêts d’une commun<strong>au</strong>té » qui n’apas été travaillée par le courant <strong>de</strong> la« haskala » (« les Lumières » du XV<strong>II</strong>I esiècle). De l’<strong>au</strong>tre, les « alliancistes »,progressistes, issus <strong>de</strong>s écoles <strong>de</strong>l’Alliance Israélite Universelle (AIU).Tous ont en commun un héritagevaste <strong>et</strong> profond. Le très rigoureuxtémoignage qu’apporte ici Haïm Zafranià partir <strong>de</strong> la littérature juridique: ordonnances rabbiniques (« tagganot»)<strong>et</strong> arrêt <strong>de</strong>s tribun<strong>au</strong>x (« responsa»),<strong>de</strong> la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> l’organisationsociale <strong>et</strong> <strong>de</strong>s mœurs, <strong>de</strong> lacréation littéraire d’expression hébraïqueou <strong>de</strong>s littératures orales <strong>et</strong>dialectales, démontre à la fois la<strong>de</strong>nsité <strong>de</strong>s liens du judaïsme marocainavec l’universalité <strong>juive</strong> <strong>et</strong> <strong>au</strong>ssicombien il a été fécondé par c<strong>et</strong>t<strong>et</strong>erre arabo-berbère dont il a partagéla <strong>de</strong>stinée pendant <strong>de</strong>ux millénaires.Entre Juifs <strong>et</strong> Musulm<strong>ans</strong> existaient« d<strong>ans</strong> l’intimité du langage <strong>et</strong>l’analogie <strong>de</strong>s structures mentalesune solidarité active, une dose nonnégligeable <strong>de</strong> symbiotisme, voire <strong>de</strong>syncrétisme religieux, <strong>et</strong> cela <strong>au</strong> nive<strong>au</strong><strong>de</strong>s manifestations <strong>de</strong> la <strong>vie</strong>quotidienne <strong>et</strong> <strong>de</strong>s moments privilégiés<strong>de</strong> l’existence… »De la naissance à la mort, nombred’approches <strong>et</strong> <strong>de</strong> pratiques sont,en eff<strong>et</strong>, communes <strong>au</strong>x traditions<strong>juive</strong>s <strong>et</strong> musulmanes : espoir d’unenfant mâle, circoncision, <strong>et</strong> – jusqu’àla fin du XIX e siècle – enseignementélémentaire d<strong>ans</strong> le lieu <strong>de</strong>culte – ici la synagogue – basé sur lalecture <strong>de</strong>s textes sacrés, la tradition,les prescriptions, la répétition<strong>et</strong> les châtiments corporels.En matière <strong>de</strong> mariage, les parentsdésignent à leur fils sa futureépouse.Conformément <strong>au</strong> droit talmudique,la polygamie est <strong>au</strong>torisée (avecl’arrivée <strong>de</strong>s Juifs d’Espagne, le mariageavec une secon<strong>de</strong> épouse serasoumis à l’accord <strong>de</strong> la première),tout comme le lévirat – obligation <strong>au</strong>frère d’un défunt d’épouser la veuves<strong>ans</strong> enfants <strong>de</strong> celui-ci.Quant <strong>au</strong> premier matin <strong>de</strong> la <strong>vie</strong>conjugale, il est marqué par la présentationdu linge maculé <strong>de</strong> sang,preuve <strong>de</strong> la virginité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la « pur<strong>et</strong>é» <strong>de</strong> la nouvelle épouse…Le droit rabbinique traditionnelconfère <strong>au</strong> mari le droit à la répudiation.On pourrait multiplier les exemples<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te véritable symbiose quel’on r<strong>et</strong>rouve d<strong>ans</strong> les lieux <strong>de</strong> pèlerinagejudéo-musulman, la poésiehébraïque du Maghreb ou d<strong>ans</strong> lacontinuation <strong>de</strong> la tradition musicaleandalouse.Si l’hébreu est la langue <strong>de</strong> larelation à Dieu, c’est en judéo-arabe<strong>et</strong> en judéo-berbère que s’effectue lacommunication avec la fa<strong>mille</strong> <strong>et</strong> lasociété, que l’on exprime le profaneEn 1912, elle accueille 5 000 élèves <strong>de</strong> quinze localités. En 1948, ses effectifs sont<strong>de</strong> 22 000. En 1956, 33 000 répartis d<strong>ans</strong> 55 villes. A la veille <strong>de</strong> l’indépendance,l’AIU scolarise <strong>au</strong> <strong>Maroc</strong> 60 à 70 % <strong>de</strong>s enfants juifs.Aujourd’hui, elle conserve, une maternelle, une école élémentaire, un collège <strong>et</strong>un Lycée.Opposées <strong>au</strong> sionisme d<strong>ans</strong> les années 20, les écoles <strong>de</strong> l’AIU modifieront leurattitu<strong>de</strong> après le Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale.


NOTES DE LECTURE<strong>et</strong> ce qu’il est impossible <strong>de</strong> dire d<strong>ans</strong>la langue du sacré.C<strong>et</strong> équilibre multiséculaire a étébousculé, puis définitivement rompu<strong>au</strong> XX e siècle avec l’irruption massive<strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt <strong>au</strong> <strong>Maroc</strong>.Le Protectorat (1912-1956), lacréation d’Israël, puis l’indépendanceont conduit <strong>au</strong> dépérissement dujudaïsme marocain.A la différence <strong>de</strong> l’Algérie où lesJuifs naturalisés ont acquis la citoyenn<strong>et</strong>éfrançaise <strong>et</strong> se sont assimilésnon s<strong>ans</strong> épiso<strong>de</strong>s dramatiques(vague d’antisémitisme d’origineeuropéenne « crise anti<strong>juive</strong> » <strong>de</strong>1897-1898 <strong>et</strong> abolition du 7 octobre1940 <strong>au</strong> 26 octobre 1943, pendant lapério<strong>de</strong> vichyssoise, du décr<strong>et</strong> Crémieux),<strong>au</strong> <strong>Maroc</strong>, le Protectorat nes’est pas traduit par une émancipationgénérale <strong>de</strong>s Juifs.Certes, l’éducation a progressé,mais surtout d<strong>ans</strong> les villes <strong>et</strong> pourles fa<strong>mille</strong>s aisées. Bien souvent,elle est l’œuvre <strong>de</strong>s écoles <strong>de</strong> l’AIUdont le premier établissement ouvreà Tétouan en 1862 4 .Pour la masse, la réalité colonialen’est porteuse d’<strong>au</strong>cune amélioration.Sous certains aspects, elle représentemême une régression.Au plan administratif, l’inst<strong>au</strong>ration<strong>de</strong> Commissions <strong>de</strong> notables –contrôlées par la Rési<strong>de</strong>nce – à laplace <strong>de</strong>s anciens consistoires représenteune perte d’<strong>au</strong>tonomie <strong>de</strong> lacommun<strong>au</strong>té dont les membres passentdu statut <strong>de</strong> « protégé » du Sultanà celui « d’indigène ».D<strong>ans</strong> le domaine économique, lesgran<strong>de</strong>s compagnies coloniales évincentles Juifs <strong>de</strong> leur fonction d’intermédiairesprivilégiés entre l’Europe<strong>et</strong> la société marocaine. Simultanément,l’introduction <strong>de</strong>s produitsmanufacturés accélère le déclin <strong>de</strong>sp<strong>et</strong>its métiers « spécifiques » (artis<strong>ans</strong>,p<strong>et</strong>its commerçant, colporteurs…)<strong>et</strong> p<strong>au</strong>périse une commun<strong>au</strong>téqui, touchée <strong>de</strong> plein fou<strong>et</strong> parla crise <strong>de</strong> 1929, se citadinise <strong>de</strong>façon croissante.En 1950, sur 250 000 Juifs marocains,désormais seulement 20 %vivent en zone rurale, 80 000 à Casablanca.Non seulement le Protectorat –qui laisse s’afficher un antijudaïsmevirulent chez nombre d’Européens –déçoit les attentes y compris <strong>de</strong>sélites françaises (on écartera ainsil’engagement <strong>de</strong> 8 000 volontaireslors <strong>de</strong> la déclaration <strong>de</strong> la Secon<strong>de</strong>Guerre mondiale), mais il n’hésiterapas à prolonger <strong>de</strong> la façon la plusdiscriminatoire <strong>et</strong> humiliante la politique<strong>de</strong> Vichy. Ainsi le décr<strong>et</strong> du22 août 1941 impose <strong>au</strong>x Juifs installésen ville européenne <strong>de</strong>puis septembre1939 <strong>de</strong> r<strong>et</strong>ourner d<strong>ans</strong> lesmellahs.Seul le Sultan Mohammed BenYoussef – le futur roi Mohammed V –exprimera clairement <strong>et</strong> publiquementsa condamnation <strong>de</strong>s lois anti<strong>juive</strong>s<strong>de</strong> Vichy : « Je refuse <strong>de</strong> m’associerà une mesure que je désapprouve[…] Comme par le passé, lesisraélites restent sous ma protection<strong>et</strong> je refuse qu’<strong>au</strong>cune distinctionsoit faite entre mes suj<strong>et</strong>s. »C<strong>et</strong>te absence <strong>de</strong> tout espoir avecla France coloniale laisse un espacepolitique où va se développer le proj<strong>et</strong>sioniste.La création <strong>de</strong> l’État d’Israël <strong>et</strong>l’organisation <strong>de</strong> l’émigration seront1994Daniel Riv<strong>et</strong>, Le <strong>Maroc</strong> <strong>de</strong> Ly<strong>au</strong>tey à Mohammed V, Éd. Denoël.


NOTES DE LECTURE200vécues comme la réponse à une situationéconomique difficile, uneimpossible émancipation <strong>et</strong> une attentereligieuse.Sur un total <strong>de</strong> 210 347 émigrantsvers Israël recensés par l’AgenceJuive (30 000 Juifs marocainsayant par ailleurs émigrés vers laFrance, le Canada <strong>et</strong> les États-Unis),un tiers – 71 942 – partent entre 1948<strong>et</strong> 1955, <strong>de</strong>ux tiers entre 1956<strong>et</strong> 1963.L’accession du <strong>Maroc</strong> à l’indépendancen’est donc pas la c<strong>au</strong>sepremière <strong>de</strong> ces départs.C’est le <strong>Maroc</strong> indépendant « quia donné <strong>au</strong> Juif marocain un statutjuridique d’égalité avec le <strong>Maroc</strong>ainmusulman <strong>et</strong> lui a conféré l’accessionà la citoyenn<strong>et</strong>é avec les mêmesdroits <strong>et</strong> les mêmes obligations ».Pourtant, c’est alors qu’ils accè<strong>de</strong>ntà une pleine citoyenn<strong>et</strong>é « naturellementmembres <strong>de</strong> la nation marocaine,gérant leur <strong>vie</strong> religieuselibrement, votant, étant élus, officiers,juges, ministres, conseillersdu Roi ou militants d’opposition,respectés par tous, qu’ils vont abandonnerpeu à peu ou par vagues leurterre natale emmenant avec eux <strong>de</strong>smorce<strong>au</strong>x <strong>de</strong> civilisation marocaine<strong>au</strong>x quatre coins du mon<strong>de</strong> » 5 .C<strong>et</strong>te situation paradoxale a plusieursc<strong>au</strong>ses :– En premier lieu, le contexte <strong>de</strong>p<strong>au</strong>périsation <strong>et</strong> fragilisation socialequi touche la gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>sJuifs entre 1945 <strong>et</strong> 1956 alors mêmeque la politique du Protectorat anourri la commun<strong>au</strong>tarisme, encouragél’acculturation, soutenu Vichy<strong>et</strong> déblayé ainsi le terrain à la propagan<strong>de</strong><strong>de</strong>s organisations sionistespeu entendues jusqu’à la <strong>II</strong> e Guerremondiale.– Simultanément, la programmationà partir <strong>de</strong> 1948 d’un exo<strong>de</strong> <strong>de</strong>masse <strong>de</strong>s forces vives <strong>de</strong> la commun<strong>au</strong>téque les dirigeants israéliens àla recherche d’une main d’œuvre bonmarché veulent voir se substituer<strong>au</strong>x travailleurs palestiniens d<strong>ans</strong> lecadre <strong>de</strong>s opérations <strong>de</strong> colonisation<strong>et</strong> d’épuration <strong>et</strong>hnique qui se déroulent<strong>de</strong> 1948 à 1954 en Israël 6 .C’est la mise en œuvre <strong>de</strong> ceproj<strong>et</strong> qu’a décrit avec une sympathiejamais aveugle <strong>Agnès</strong> <strong>Bensimon</strong>d<strong>ans</strong> son livre, <strong>Hassan</strong> <strong>II</strong> <strong>et</strong> les Juifs,histoire d’une émigration secrète.Rédigée <strong>au</strong> début <strong>de</strong>s années 1990,c<strong>et</strong>te véritable enquête s’est appuyéesur les meilleures sources <strong>et</strong> <strong>de</strong>sinformations inédites. Elle conserv<strong>et</strong>out son intérêt.Rappelant « qu’entre 1912<strong>et</strong> 1948, l’émigration marocaine restenégligeable» <strong>et</strong> « qu’à la date du14 mai 1948, les Juifs d’Afrique duNord, tous pays confondus, représentent1 % <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> l’immigrationen Israël », A. <strong>Bensimon</strong> montrecomment D. Ben Gourion <strong>et</strong> sesministres, les responsables <strong>de</strong> l’AgenceJuive <strong>et</strong> Isser Harel – le toutpuissantresponsable du Mossad <strong>et</strong>du Shin B<strong>et</strong>h (sécurité intérieure) –mirent sur pied, début 1955, un rése<strong>au</strong>clan<strong>de</strong>stin : la Misguer<strong>et</strong> chargé<strong>de</strong> « l’<strong>au</strong>todéfense » <strong>de</strong>s Juifs du Maghreb,puis <strong>de</strong> leur expatriation.Ce rése<strong>au</strong> israélien « doté d’unarmement supérieur à celui du FLN5Simon Lévy, La Méditerranée <strong>de</strong>s Juifs - Exo<strong>de</strong>s <strong>et</strong> enracinements, Éd. L’Harmattan.6Ilan Pappe, Une terre pour <strong>de</strong>ux peuples. Histoire <strong>de</strong> la Palestine mo<strong>de</strong>rne, Éd.Fayard.


NOTES DE LECTUREalgérien à la même époque », disposant<strong>de</strong> radios <strong>et</strong> <strong>de</strong> tous les moyenstechniques <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> jeunessesioniste qu’il forma à l’activitéclan<strong>de</strong>stine d<strong>ans</strong> les camps <strong>de</strong> MaaléHamisha (Jérusalem) <strong>et</strong> du châte<strong>au</strong><strong>de</strong> Cambous près <strong>de</strong> Montpellier(France).Lorsqu’en septembre 1956 le <strong>Maroc</strong>solidaire <strong>de</strong>s Palestiniens interditofficiellement le départ <strong>de</strong> sesressortissants juifs pour Israël <strong>et</strong>ferme le camp <strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>it « Quadima »(« En Avant ») établi <strong>de</strong>puis 1952 àMazagan (El Jadida) par l’AgenceJuive, la Misguer<strong>et</strong> va prendre lerelais <strong>et</strong> organiser l’émigration clan<strong>de</strong>stineavec l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Anglais – Gibraltar<strong>de</strong><strong>vie</strong>nt une plaque tournante–, <strong>de</strong>s Espagnols <strong>et</strong> <strong>de</strong>s Français.Après la mort <strong>de</strong> Mohamed V en1961 <strong>et</strong> l’intronisation <strong>de</strong> <strong>Hassan</strong> <strong>II</strong>,la situation change peu à peu <strong>et</strong>l’émigration <strong>de</strong>s Juifs marocains estl’obj<strong>et</strong> d’un marché, chaque départétant facturé 50 USD à l’HebrewImmigration Associated Service(HIAS) – organisation humanitairenord-américaine servant <strong>de</strong> couverture<strong>au</strong> Mossad – qui est <strong>au</strong>torisée àrouvrir ses bure<strong>au</strong>x <strong>au</strong> <strong>Maroc</strong> fermésen 1956.Le 27 novembre 1961, le généralM. Oufkir – ministre <strong>de</strong> l’Intérieur –signe le premier passeport collectifouvrant ainsi la voie à l’émigrationmassive <strong>de</strong>s Juifs marocains d<strong>ans</strong> lacadre <strong>de</strong> « l’Opération Yakhin ». En<strong>de</strong>ux <strong>ans</strong>, 84 110 juifs quittèrentainsi le <strong>Maroc</strong> <strong>au</strong> grand dam <strong>de</strong>l’UNFP qui, d<strong>ans</strong> un éditorial majeur<strong>de</strong> son organe « al Tahrir », dénonce le16 décembre l’attitu<strong>de</strong> du gouvernementcomme « une trahison ».On mesure pleinement toutes lesraisons <strong>et</strong> l’ampleur <strong>de</strong> la stratégied’immigration <strong>de</strong> l’État israélien à lalecture <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> MichaelM. Laskier, Israël and the Maghreb.From Statehood to Oslo, parue en2004 <strong>au</strong>x États-Unis.Ce minutieux travail <strong>de</strong> rechercheuniversitaire s’étend <strong>de</strong> 1948 à1993. Il perm<strong>et</strong> une meilleure compréhension<strong>de</strong> l’exo<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Juifs marocains<strong>et</strong> tunisiens par la mise enperspective <strong>de</strong> la politique israélienneà l’égard <strong>de</strong>s pays du Maghrebpendant un <strong>de</strong>mi-siècle.On y constate le prééminencesystématique <strong>de</strong> la raison d’État <strong>et</strong><strong>de</strong> classe sur toute <strong>au</strong>tre considérationreligieuse ou humanitaire.M. M. Laskier confirme ainsiA. <strong>Bensimon</strong> sur les très stricts critères<strong>de</strong> sélection – physiques <strong>et</strong>économiques – exigés d<strong>ans</strong> un document<strong>de</strong> l’Agence Juive tenu secr<strong>et</strong>pour les Juifs marocains.L’arrivée <strong>de</strong> ce « matériel humain »– comme le qualifiait en avril 1949 lejournal « Haar<strong>et</strong>z » – était rendue nécessairepour les besoins en maind’œuvrepeu qualifiée <strong>de</strong> l’agriculture<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’industrie.Méprisés par l’establishment ashkénaze,parqués d<strong>ans</strong> les « maabarot»– immenses camps <strong>de</strong> tr<strong>ans</strong>it entoile – puis d<strong>ans</strong> les baraquements<strong>de</strong>s nouvelles villes <strong>de</strong> peuplement,humiliés, contraints <strong>de</strong> se « désarabiser»culturellement, les Juifs marocains– même après <strong>de</strong> longuesannées – « ne réussirent pas à s’élever<strong>au</strong>-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l’échelon professionnelinférieur que leur nouvelÉtat leur avait réservé ».Des premières révoltes <strong>de</strong>s « maabarot» à Kiryat Shmona, à celle <strong>de</strong>Wadi Salib à Haïfa (1959) <strong>au</strong> Mouvement<strong>de</strong>s « Panthères Noires » d<strong>ans</strong>les années 70, les Juifs marocainsont été <strong>au</strong> cœur <strong>de</strong> toutes les gran<strong>de</strong>srévoltes sociales d’Israël.Par rej<strong>et</strong> du travaillisme <strong>de</strong>s dirigeantsashkénazes qui les avaient201


NOTES DE LECTUREmaintenus d<strong>ans</strong> la marginalisationsociale <strong>et</strong> le mépris, ils ont été lesartis<strong>ans</strong> <strong>de</strong> la création <strong>de</strong> mouvementtraditionaliste tel que le « Tami »<strong>et</strong> <strong>de</strong> parti religieux ultra-orthodoxe<strong>et</strong> <strong>et</strong>hnique comme le « Shass ».PAUL EUZIÈRE202

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