octobre 2001

Lettres
trois volets de son œuvre :
théâtre, autobiographie et
romans. Le théâtre d’abord,
marqué par la rencontre de
Frisch avec Bertolt Brecht
établi à Zurich. Bonhomme
et les Incendiaires (1958) et
Andorra (1961) racontent à
leur manière «distanciée» le
destin d’un petit pays pris
dans la tourmente de la
Deuxième Guerre mondiale.
Ces pièces-là sont encore
jouées régulièrement, pour la
plus grande édification du
spectateur.
L’œuvre autobiographique
ensuite. Dès 1950, Max
Frisch publie son Journal
1946-1949, puis son Journal
1966-1971, puis Montauk,
qui raconte un week-end de
sa vie en compagnie d’une
attachée de presse américaine
sur les plages de Long
Island jusqu’au phare de
Montauk. L’existence au
quotidien n’est jamais mise
en scène de soi, mais mise en
doute, mise en perspective.
L’œuvre romanesque enfin, commencée
en 1934 et dont les deux plus passionnants
livres sont, à mon goût, Stiller (1954) et
Homo Faber (1957). Stiller a été publié dans
une nouvelle traduction française un mois
avant la mort de Frisch. L’éditeur considérait
à juste titre le livre comme «l’une des œuvres
majeures de l’après-guerre». Je ne me lasse
pas de ce texte qui, d’une part, s’attache à
une histoire très marquée par les événements
de son époque et, d’autre part, pose
une question universelle.
Un homme, qui se prétend Américain,
arrive à la frontière suisse. Les douaniers
considèrent que cet homme n’est autre que
Stiller, un sculpteur zurichois connu, qui
s’était engagé aux côtés des Républicains
Max Frisch en 1966.
espagnols. Mais lui s’obstine à prétendre
qu’il n’est pas Stiller, malgré sa femme, sa
maîtresse et quelques autres, certains de le
reconnaître. Emprisonné, Stiller consigne
dans des cahiers ce qui devrait être sa
confession, mais devient sa tentative
désespérée de se constituer en autre. Le
nommé Stiller n’a vraiment pas envie
d’être le Suisse qu’il est censé être. Il ne
veut plus entrer dans cette peau qui ne lui
a jamais convenu. Lors d’une série de confrontations,
Stiller est prié d’assumer son
passé mais continue de le nier. Le plus
émouvant est son refus de reconnaître sa
femme, Julika, qu’il voudrait pouvoir
aimer comme s’il n’avait jamais été marié
avec elle.
38 choisir octobre 2001